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Full text of "Écrits notables sur la monnaie, XVIe siècle, de Copernic à Davanzati;"

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ÉCRITS    NOTABLES 

SUR   LA    MONNAIE 

XVie  SIÈCLE 

DE  COPERNIC  A  DAVANZATI 


COLLECTION  DES  PRINCIPAUX  ÉCONOMISTES 

NOUVELLE    ÉDITION 


ÉCRITS    NOTABLES 

SUR  LA  MONNAIE 

XVIe   SIÈCLE 

DE  COPERNIC  A  DAVANZATI 


Reproduits,  traduits,  d'après  les  éditions  originales  et  les  manuscrits 
Avec  une  introduction,  des  notices  et  des  notes 

par 
Jean- Yves  LE   BRANGHU 

Docteur  en  Droit 


Avant-propos  de  François  Simiand 

Professeur  au  Collège  de  France 


Tome  I 

AVEC    QUATRE    PLANCHES    HORS-TEXTE 


PARIS  ^ 

LIBRAIRIE  FÉLIX  ALCAN 

108,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    108 

1934 

Toa6  droite  de  reproduction,  d'adaptatloo  et  de  tradaction  réservés  pour  tous  pays 


//  f  1 1.\  ^' 


y4 


La  Collection  des  principaux  économistes,  qui 
avait  été  publiée  par  E.  Daire  et  éditée  par  la 
librairie  Guillaumin  (en  15  vol.  in-8o,  dont  cer- 
tains avaient  été  réimprimés),  est  depuis  longtemps 
entièrement  épuisée,  tant  en  volumes  originaux 
qu'en  réimpressions.  Les  rares  collections  et  même 
les  rares  volumes  isolés  qui  se  présentent  en  vente 
d'occasion  atteignent  des  prix  exorbitants  ;  cer- 
tains volumes  sont  pratiquement  introuvables. 

Tous  les  travailleurs  en  science  économique, 
tout  le  public  de  plus  en  plus  intéressé  par  elle, 
déplorent  les  difficultés  ou  même  l'impossibilité 
qui  en  résultant  à  avoir  disposition  commode  (et 
en  langue  française  pour  les  auteurs  étrangers) 
des  grandes  œuvres  de  cette  discipline  dans  le 
passé.  Assurément  les  études  économiques  sont 
aujourd'hui  de  plus  en  plus  orientées  sur  les  faits  ; 
et  la  part  autrefois  très  large,  sinon  prépondérante, 
faite  à  l'histoire  des  doctrines,  considérée  en  elle- 
même,  tendrait  plutôt  à  une  restriction  relative. 
Mais,  en  ce  même  temps,  tout  un  champ  nouveau 
d'études  fécondes  paraît  s'ouvrir  et  se  cultiver  qui 
s'attachent  à  ces  œuvres  notables  du  passé  en 
liaison  avec  la  réalité  qu'elles  ont  pu  connaître 
et  expriment  ou  interprètent  de  quelque  façon  ; 
et  ce  paraît  être  là,  en  même  temps  qu'un  apport 
fort  utile  à  la  science  elle-même,  un  complément 
de  formation  indispensable  pour  le  travailleur  déjà 
initié  à  cette  science  en  son  état  actuel. 


VIII  COLLECTION    DES    PRINCIPAUX    ÉCONOMISTES 

Il  importait  donc  grandement  à  cette  heure  de 
fournir  les  moyens  nécessaires  à  cette  étude.  La 
librairie  Félix  Alcan,  cessionnaire  du  fonds  Guil- 
laumin  lorsque  cette  firme  eut  cessé  son  exploita- 
tion, a  jugé  le  moment  venu  d'entreprendre  cette 
tâche  et  a  bien  voulu  nous  en  confier  la  direction. 

Nous  devons  indiquer  brièvement  ici  comment 
nous  concevons  et  pensons  réaliser  cette  Nouvelle 
édition.  Avant  tout,  marquons  bien  que  c'est  non 
une  réimpression,  même  revue,  mais  une  «  nou- 
velle édition  ».  Si  la  publication  de  Daire  a  été  fort 
remarquable  pour  son  temps  et  a  rendu  des  ser- 
vices incontestés,  nous  devions  à  cette  heure,  nous 
a-t-il  semblé,  envisager  et  adopter  des  conditions 
de  réalisation  à  divers  égards  nouvelles  : 

a)  D'abord  nos  exigences  concernant  l'établis- 
sement des  textes  sont  devenues  plus  grandes  ; 
nous  viserons  donc  à  une  revision  soigneuse  du 
texte  publié,  conformément  aux  règles  de  la  criti- 
que moderne,  avec  collation,  s'il  y  a  lieu,  des 
diverses  éditions  ou  des  manuscrits,  et,  en  cas 
d'importance,  indication  des  variantes,  —  sans 
prétendre  cependant  à  un  travail  de  pure  érudi- 
tion, et  en  gardant  le  souci  d'une  présentation 
pratique  et  courante  ; 

b)  Pour  les  auteurs  étrangers,  nous  entendons 
demander  de  neuf  traduction  directe  sur  le  meil- 
leur texte  semblablement  établi  à  ce  jour  dans  la 
langue  originale  ; 

c)  La  liste  des  auteurs  et  des  œuvres  retenus 
dans  la  collection  Daire  nous  paraît  appeler  revi- 
sion et  additions  :  d'abord,  parce  qu'avec  le  temps 
écoulé  depuis  l'établissement  de  cette  collection 


NOUVELLE    ÉDITION  IX 

des  auteurs  alors  contemporains  sont  entrés  dans 
l'histoire  ;  puis,  parce  que  le  développement  des 
études  économiques  a,  depuis  lors,  modifié  souvent 
l'ordre  des  valeurs  entre  les  textes  anciens,  fait 
apparaître  l'intérêt  ou  l'importance  d'œuvres  alors 
ignorées  ou  méconnues  ;  enfin,  parce  qu'à  ce  jour 
une  collection  de  cet  ordre  nous  paraît  ne  plus 
avoir  à  se  régler  sur  une  orthodoxie  ou  un  confor- 
misme éliminatoires,  mais  devoir  seulement  se 
déterminer  selon  la  valeur  d'apport  au  dévelop- 
pement général  de  la  pensée  économique  ; 

d)  A  ces  divers  égards  un  ordre  chronologique, 
même  approximatif,  nous  paraît  ne  plus  avoir 
de  raison  majeure  ;  et  la  tomaison  en  volumes 
numérotés  et  de  dimensions  à  peu  près  correspon- 
dantes n'avoir  pas  d'intérêt,  ou  présenter  même  de 
sérieux  inconvénients  lorsqu'elle  a  conduit  à  réunir 
dans  un  même  volume  plusieurs  œuvres  d'auteurs 
et  de  caractères  assez  différents.  Notre  publication 
en  principe  se  présentera  donc  en  volumes  séparés 
par  œuvre  ou  par  auteur,  et  donc  de  dimensions 
différentes  selon  les  cas,  sans  ordre  chronologique 
obligé,  et  sans  numérotation  de  tomes  ; 

e)  Ce  plan  de  publication,  dont  la  réalisation 
s'échelonnera  selon  les  conditions  de  bon  travail 
pour  les  collaborateurs  et  d'acquisition  pratique 
pour  les  lecteurs,  permettra  aussi  de  répondre 
mieux,  le  cas  échéant,  aux  curiosités  de  l'heure,  et 
plus  vite,  en  tout  cas,  aux  besoins  les  plus  res- 
sentis pour  les  œuvres  maîtresses  qui  font  défaut  ; 

f)  Chaque  œuvre  sera  publiée  par  les  soins 
et  sous  la  responsabilité  d'un  éditeur  qualifié  :  les 
noms    que    nous    pouvons    dès    maintenant    citer 


X  COLLPXTION    DKS    PRINCIPAUX    ECONOMISTES 

d'hommes  dont  le  concours  nous  est  assuré,  —  et 
cette  liste  sommaire  n'est  pas  limitative,  —  suf- 
firont déjà,  nous  semble-t-il,  à  donner  au  public 
garantie  de  bon  travail  et  de  compétence.  Dès 
maintenant  aussi,  nous  savons  que  nous  pouvons 
leur  adresser  nos  meilleurs  remerciements. 

Car,  grâce  à  eux,  nous  avons  l'espoir  que  cette 
nouvelle  édition  de  la  Collection  française  des 
principaux  économistes  pourra  répondre  aux 
besoins  qui  ont  paru,  à  la  librairie  Félix  Alcan 
comme  à  nous-mêmes,  justifier  cette  entreprise  ; 
et  que  le  public  compétent,  désireux  de  ces  grandes 
œuvres,  voudra  bien  y  faire  un  bienveillant  accueil. 

Gaétan  Pmou,  François  Simiand. 


AVANT-PROPOS 


L'ouvrage  que  nous  présentons  ici  dans  la 
Nouvelle  édition  de  la  Collection  des  principaux 
économistes  y  est  lui-même  une  nouveauté  de  cette 
édition  sur  la  première,  et  à  trois  égards  :  pour 
le  siècle  des  auteurs,  pour  la  nature  des  textes, 
pour  le  caractère  de  leur  groupement. 

10  La  Collection  Daire,  en  effet,  n'avait  pas 
compris  d'auteurs  antérieurs  à  Vauban,  Bois- 
guillebert,  Law,  etc.,  à  «  ces  ancêtres  de  la  science 
et  ces  hommes  courageux  à  qui  échut  l'initiative 
du  progrès  au  commencement  du  xviii^  siècle  », 
avec  qui  «  finit  l'ère  de  l'empirisme  et  de  la  routine 
et  commence  celle  du  raisonnement  ».  Aujourd'hui 
ce  nous  paraît  être,  au  contraire,  étude  ouverte 
et  profitable  que  de  regarder,  —  par  delà  les  éco- 
nomistes dénommés  classiques  ou  préclassiques  et 
au  moins  déjà  jusqu'au  xvi^  siècle,  —  à  ce  qu'ont 
été  les  rencontres  antérieures  de  l'esprit  humain 
avec  la  réalité  économique. 

2^  Les  textes  ici  rassemblés,  —  qui,  pour  la 
plupart,  sont  publiés  ici  pour  la  première  fois, 
en  édition  contemporaine  et  en  langue  française, 
—  ont  été,  entre  beaucoup  d'autres  écrits  du  temps 
sur  la  matière,  choisis  et  retenus  pour  une  raison 
majeure  commune  :  ce  n'est  pas  comme  consti- 
tuant tous  une  œuvre  principale  ou  extensive,  — 


XII  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

plusieurs  sont  d'une  dimension  bien  inférieure 
aux  plus  courts  de  l'édition  Daire  ;  —  mais  c'est 
davantage  comme  susceptibles  de  représenter,  à 
divers  égards,  des  positions  caractéristiques  dont 
l'interprétation  puisse  être  de  portée  générale. 

3°  Ils  se  trouvent  tous  se  rapporter  à  un  même 
ordre  de  faits  qui,  s'il  y  est  différemment  traité, 
y  apparaît  cependant  toujours  unique  ou  princi- 
pal :  les  faits  monétaires.  Qu'un  tel  objet  d'étude 
apparaisse  ainsi  alors  le  centre  commun  des  préoc- 
cupations d'hommes  aussi  divers  de  pays,  d'épo- 
ques dans  le  siècle,  de  classes  ou  de  fonctions,  est 
aussi  un  fait,  qui  caractérise  ce  groupement  et 
peut  comporter  également  interprétation  de  portée 
générale. 

Ces  trois  points  appellent  sans  doute,  de  notre 
part,  quelques  explications.  Il  est,  à  ce  jour,  com- 
munément reconnu  que  l'économie  moderne  et 
contemporaine,  pour  être  vraiment  atteinte  depuis 
sa  formation  et  en  des  étapes  premières  mais  déci- 
sives pour  son  développement  ultérieur,  demande 
à  être  reprise  au  moins  depuis  le  xvi^  siècle  :  ce 
siècle  où  se  sont  produites  tant  de  transformations, 
sociales,  religieuses,  intellectuelles,  mais  spéciale- 
ment, dans  Tordre  économique,  une  «  Révolution 
des  prix  »,  partout  fortement  marquée,  partout 
importante  et  partout  de  conséquence,  dans  le 
monde  économique  considéré  à  cette  époque  et 
atteint  depuis  par  la  plus  forte  évolution.  Il  est 
reconnu  aussi  que  cette  Révolution  des  prix,  diver- 
sifiée en  datation,  caractères,  amplitude  selon  les 
pays,  est  cependant  centrale  aux  transformations 


AVANT-PROPOS  XIII 


qui  se  manifestent  alors  chez  tous  (mais  juste-  \ 
ment  avec  une  diversification  correspondante)  : 
dans  la  situation  respective  et  relative  des  diverses 
classes  de  la  société,  ou  des  diverses  fonctions  de 
la  vie  économique  ;  dans  la  place  et  l'importance 
des  diverses  branches  de  la  production,  agriculture, 
industrie,  commerce  ;  dans  la  situation  et  l'évolu- 
tion relatives  des  divers  pays.  Enfin  il  est  commu- 
nément admis,  sous  diverses  modalités  de  doctrine, 
mais  en  reconnaissance  commune  de  fait,  que  cette 
Révolution  des  prix  est  liée  à  Tafllux  des  métaux 
précieux  qui  s'est  alors  produit  en  Europe  en  pro- 
venance de  l'Amérique,  en  des  conditions  (de  date, 
caractères,  etc.)  différentes  selon  les  pays,  mais, 
au  total  du  siècle,  en  réalité  d'ensemble  pour  tous. 
Si  jamais  quelque  moment  dans  l'évolution 
humaine  a  pu  appeler  attention  et  réflexion  de 
l'esprit  humain  sur  le  facteur  économique,  n'est-ce 
point  celui-là  entre  tous  ?  N'est-il  donc  pas  d'ex- 
périence centrale,  et  d'enseignement  général,  de 
rechercher  si  et  comment,  dans  la  pensée  écrite 
qui  nous  est  transmise  de  cette  époque,  ces  faits 
ont  été  aperçus,  reconnus  ?  ou  encore  s'ils  s'y  sont 
manifestés  ou  ne  laissent  pas  d'y  transparaître  de 
façon  plus  ou  moins  implicite  ?  et  encore  si  et 
comment  ils  y  ont  été  compris,  prévus,  interpré- 
tés ?  Ne  serait-il  pas  surprenant  que  des  transfor- 
mations de  cette  importance,  sans  précédent  d'âge 
d'homme,  n'eussent  pas  frappé  les  esprits,  et  donné 
quelque  secousse  aussi  grande  aux  idées  préexis- 
tantes touchant  cet  ordre  de  faits  ? 

Quel  était  encore,  au  début  de  ce  xvi®  siècle,  le 


XIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

cadre  le  mieux  constitué  de  ces  idées  ?  Sans  doute,  la 
doctrine  canonique.  Et  de  fait,  cette  doctrine,  en 
somme,  pouvons-nous  reconnaître  aujourd'hui, 
était  une  remarquable  expression  de  l'économie 
médiévale  au  stade  atteint  :  économie  d'échange 
en  un  cadre  relativement  limité,  où  les  conditions 
de  la  production  et  de  l'échange,  ainsi  que  les  caté- 
gories des  personnes  économiques,  pouvaient,  en 
f  effet,  répondre  à  l'u  sequalitas  »  dans  l'échange, 

I    selon  une  «  bonitas  intrinseca  »,  déterminées  selon 

j  ' 

I  une  «  communis  sestimatio  »,  assurant  à  chacun 
[  une  rémunération  «  juste  »,  c'est-à-dire  conforme 
à  la  classe,  à  la  coutume,  c'est-à-dire  encore  selon 
un  ordre  social  conforme  lui-même  à  la  volonté 
divine,  et  subordonnant  donc  l'économique  à  des 
fins  éthico-religieuses  ;  une  économie,  enfin,  où 
la  monnaie,  intervenant,  semblait-il  surtout, 
comme  moyen  propre  à  faciliter  les  échanges, 
avait  surtout  à  être  bien  définie,  convenablement 
constituée,  et  défendue  contre  les  fantaisies  des 
princes  et  les  mutations  arbitraires  ;  l'importance 
donnée  à  cette  dernière  discussion  donnant  toute- 
fois à  penser,  non  seulement  que  la  mutation  était 
tentation  fréquente  pour  les  finances  royales  en 
difficulté,  mais  davantage  peut-être  (ou  conjointe- 
ment) que  le  manque  relatif  de  monnaie  était  alors 
un  mal  chronique,  ou  peut-être  encore  périodique, 
à  proportion  du  développement  des  échanges  et 
de  l'appauvrissement  des  apports  nouveaux  de 
métaux  précieux. 

Est-ce  dans  ce  cadre  de  doctrine  que  la  secousse 
des  faits  en  ce  xvi®  siècle  va  se  manifester  ?  Ni 
chez  les  catholiques  rénovés  ni  davantage  chez 


AVANT-PROPOS  XY 


les  réformateurs  (sauf  chez  deux  d'entre  eux, 
de  milieux  économiquement  avancés,  mais  seule- 
ment touchant  l'intérêt,  ce  qui  ne  va  pas  jus- 
qu'au centre  de  notre  matière),  nous  n'apercevons 
notable  nouveauté  de  position  :  au  contraire,  la 
position  traditionnelle  s'y  affirme  renforcée.  Nous 
n'en  apercevons  pas  non  plus  dans  le  cadre  de  la 
doctrine  hébraïque.  Et  en  efïet  la  matière  sortait 
justement  alors  de  l'emprise  et  de  la  direction 
majeure  des  doctrines  confessionnelles.  Gomment 
des  prix,  variant  (en  un  sens  et  en  l'autre)  dans  les 
proportions  que  l'on  sait,  auraient-ils  pu  garder, 
le  caractère  d'être  «  justes  »,  ceux-ci  plutôt  que 
ceux-là,  et  de  répondre  à  des  conditions  dûment 
établies  des  personnes,  des  classes  et  des  pays, 
alors  que  celles-ci  étaient  dans  le  même  temps 
bouleversées  ?  Bon  gré  mal  gré,  alors,  la  vie  éco- 
nomique paraît  se  soustraire  à  une  régulation 
éthico-religieuse  ;  et  la  valeur  économique,  en  ce 
sens  profond  et  durable,  «  se  laïcise  »,  en  même 
temps  qu'elle  paraît  devenir  relative  et  changeante. 
Est-ce  donc  en  des  auteurs  laïques  que  nous 
allons  en  trouver  conscience  et  intelligence  ?  Les 
deux  premiers  dont  nous  donnons  reproduction 
plus  loin  sont  d'époques  (dans  le  siècle)  et  de  pays 
où  assurément  l'effet,  s'il  en  est  un,  de  l'afïlux  de 
métal  précieux  américain  n'a  pu  encore  se  faire 
sentir.  Si  cependant  un  grand  esprit  comme 
Copernic  et  un  controversiste  saxon  de  qualité 
ont  fait,  alors  et  là,  un  si  grand  effort  pour 
reprendre,  renforcer,  proclamer  la  thèse  tradition- 
nelle de  la  bonne  monnaie  contre  la  mutation 
affaiblissante,  n'est-ce  point  qu'à  celle-ci  tendaient 


XVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

alors  de  nouveau  des  forces  sociales  considérables  ? 
L'histoire  économique  peut  nous  confirmer  cette 
correspondance,  et  même  l'étendre  en  d'autres 
cadres. 

En  France  et  en  Grande-Bretagne,  en  effet,  les 
textes  postérieurs  que  nous  publions  ensuite  s'at- 
tachent encore,  et  jusqu'après  le  milieu  du  siècle 
(Malestroit,  Gresham,  première  forme  du  Dia- 
logue «  A  compendious  or  briefe  examination...  »), 
exclusivement  ou  avant  tout,  à  la  mutation  moné- 
taire comme  origine  et  explication  des  perturba- 
tions ressenties.  Enfin  l'écrit  célèbre  de  Bodin 
dénonce  l'afïlux  des  métaux  précieux  originaires 
d'Amérique  comme  l'explication  centrale  du  ren- 
chérissement et  d'autres  effets  conjointement  notés  ; 
mais  ce  n'est  pas  sans  retenir,  en  outre,  plusieurs 
autres  causes  concourantes  ou  interférentes.  Et 
la  seconde  version  du  dialogue  anglais,  insérant 
l'influence  de  l'apport  américain,  laisse  encore  rôle 
conjoint  aux  autres  facteurs  d'abord  allégués. 

Notablement  chez  Bodin,  mais  de  façon  plus 
remarquable  encore,  vivante,  expressive,  dans  le 
dialogue  anglais,  apparaissent  les  divers  ordres 
de  changements  liés  au  mouvement  général  des 
valeurs  en  monnaie,  les  diverses  catégories  d'inté- 
rêts, les  uns  favorisés,  les  autres  desservis,  et  à  la 
fois  toute  l'importance,  et  toute  la  complication 
à  travers  la  vie  sociale  tout  entière,  des  transfor- 
mations éprouvées. 

Un  peu  plus  tard,  une  élégante  analyse  ita- 
lienne, qui  termine  notre  recueil,  pourrait  paraître 
plus  intemporelle,  et  soucieuse  seulement  de  doc- 
trine conceptuelle.  Mais  le  milieu  d'où  elle  sort, 


AVANT-PROPOS  XVII 

précédemment  arrivé  à  une  économie  déjà  avancée 
et  maintenant  arrêté  en  son  développement  par 
le  déplacement  des  voies  de  la  fortune,  peut  faire 
comprendre  et  ce  détachement  relatif  et  que  la 
doctrine  tentée  ne  soit  pas  soutenue  cohérente 
jusqu'au  bout,  et  fasse  aveu  implicite  d'une 
influence  réelle  qu'elle  tendait  à  éliminer. 

Au  total,  en  tout  ce  siècle,  en  ces  divers  pays 
plus  avancés  ou  moins  avancés,  alors  que  la  pen- 
sée religieuse,  intellectuelle,  artistique,  est  si  pro- 
fondément rénovée,   il  ne  semble  pas,   touchant, 
cette  réalité  économique,  en  transformation  cepen-  \ 
dant  si  profonde  et  si  neuve  aussi,  que  nous  aper- 
cevions une  œuvre  de  véritable  génie  et  vraiment 
novatrice,  une  constitution  doctrinale  pleinement 
cohérente  et  de  valeur  comparable  aux  grandes 
œuvres  des  économistes  classiques,  et  moins  encore  1 
à  nos  théories  contemporaines. 

Aussi,  en  ce  cadre,  encore  plus  qu'en  d'autres 
du  passé,  nous  apparaîtrait-il  spécialement  vain, 
et  en  somme  sans  raison,  de  nous  être  attaché  à 
ces  formulations  hésitantes  ou  embarrassées,  sim- 
plement ou  surtout  pour  examiner  :  si  et  dans 
quelle  mesure  elles  présentent  une  préformation 
de  nos  doctrines  actuelles,  et  spécialement  de" la 
célèbre  théorie  dite  quantitative  de  la  monnaie  ; 
ou  encore  si  et  dans  quelle  mesure  elles  tombent 
ou  non  dans  la  prétendue  «  erreur  chrysohédo- 
nique  ».  Donnons  toute  valeur  possible  aux  textes 
souvent  invoqués,  commentés,  confrontés  ;  en 
aucun  d'eux,  nous  ne  trouvons  les  éléments  vrai- 
ment constitutifs  de  la  thèse  quantitativiste  pro- 
prement dite  :  proportionnalité  des  mouvements 

LE  BRANCHU  b 


XVIII  ECRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

des  moyens  monétaires  et  de  ceux  des  prix  ; 
exclusivité  du  facteur  monétaire  comme  facteur 
d'un  mouvement  général  des  prix;  automatisme 
mécanique  et  immédiat  de  cette  relation. 
Reconnaissons,,  d'autre  part,  que  nos  auteurs  les 
plus  dégagés  de  l'opinion  vulgaire  ne  laissent  pas 
d'accorder  encore  rôle  effectif  à  la  possession  ou  à 
la  variation  de  cet  or  ou  argent  «  illusoire  ». 

Si  là  devait  être  l'intérêt  de  reproduire  ces 
textes,  avouons  que  le  butin  serait  assez  mince. 

Trouvons  ailleurs  la  valeur  de  ces  écrits  et  nos 
motifs  de  les  placer  en  cette  collection. 

Justement  à  travers  leurs  insuffisances,  et 
parce  qu'ils  ne  sont  pas  dominés  par  un  enseigne- 
ment doctrinal  qui  obnubile  chez  leurs  auteurs 
l'atteinte  spontanée  et  naïve  des  réalités,  ils  valent 
pour  nous  par  la  direction  forcée,  semble-t-il, 
d'attention  dont  ils  nous  révèlent  l'orientation 
alors  majeure,  par  la  sincérité  de  pensée  qu'ils 
nous  présentent,  par  les  témoignages,  soit  expli- 
cites ou  réfléchis,  soit  plus  encore  implicites  ou 
inconscients,  qu'ils  nous  apportent  sur  les  change- 
ments économiques  de  ce  temps. 

Ils  donnent  d'abord,  et  maintiennent  jusqu'au 
bout,  importance  aux  mutations  monétaires,  par 
la  discussion  et,  en  général,  la  condamnation  qu'ils 
en  présentent  avec  une  application  répétée.  N'est-ce 
point  qu'en  effet  ces  pratiques,  ou  de  forts  courants 
vers  ces  pratiques,  se  sont  rencontrés  de  nouveau 
en  ce  siècle,  et  presque  en  tous  pays,  non  pas  seu- 
lement au  début,  mais  encore  avec  et  après  l'afflux 
américain  ?  N'est-ce  point  non  seulement  que  les 


AVANT-PROPOS  XIX 

concomitants  ou  les  effets  de  ces  deux  ordres  de 
changements  monétaires  ont  pu  être  confondus 
dans  l'opinion  courante,  et  à  première  apparence 
générale,  parce  qu'ils  se  produisaient  ensemble  ou 
à  la  suite  ?  Mais  n'est-ce  point  encore  que  ces 
concomitants  et  ces  effets  n'étaient  peut-être  pas 
aussi  essentiellement  différents  ou  distincts  qu'une 
analyse  conceptuelle  ultérieure  l'admettra  d'auto- 
rité et  sans  regarder  d'abord  aux  faits  ?  (à  preuve 
notamment  l'expérience  anglaise  dans  les  deuxième 
et  troisième  quarts  de  ce  xvi^  siècle). 

Puis,  s'ils  nous  paraissent  mal  dégager  une 
doctrine  pleinement  cohérente  et  simple,  n'avons- 
nous  pas  à  comprendre  qu'ils  puissent  être,  en 
effet,  fort  gênés,  fort  embarrassés  entre  deux 
ordres  de  faits  qui  s'imposent  alors  également  à 
l'esprit  de  leurs  auteurs,  qu'ils  en  aient  ou  non 
conscience  toujours  nette  ?  D'une  part,  c'est  la 
relativité,  l'instabilité  des  valeurs  économiques, 
surtout  lorsqu'elles  s'expriment  en  échelle  moné- 
taire qui  ne  présente  plus  de  base  durable  ;  mais 
à  défaut,  à  quel  terme  fixe  se  raccrocher  ?  D'autre 
part,  c'est  l'importance  que,  malgré  tout,  paraît 
avoir  eu  l'augmentation  des  métaux  précieux  et 
des  moyens  monétaires,  soit  dans  le  développe- 
ment et  l'enrichissement  différenciés  qui  sont  cons- 
tatés en  cette  période  entre  les  diverses  nations, 
soit  dans  les  changements  aussi  manifestes  de 
condition  économique  entre  les  catégories  d'acti- 
vité, entre  les  classes  sociales,  entre  les  fonctions 
économiques.  N'est-ce  point  que,  tout  en  étant 
relative  et  changeante,  ou  justement  peut-être 
par  ces  changements,  la  révolution  dans  les  exprès- 


XX  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sions  monétaires  des  biens  et  des  services  se  trouve 
avoir  entraîné  non  pas  seulement  une  pure  appa- 
rence et  bientôt  annulée,  mais  des  effets  bien  réels, 
qui,  même  s'ils  deviennent  atténués  ou  compensés 
plus  ou  moins  tardivement,  ont  eu  le  temps  d'exis- 
ter, d'agir  et  d'avoir  des  conséquences  durables  ? 
Nos  auteurs  ici  ne  comprennent  peut-être  pas 
bien  comment  tout  cela  se  produit  et  s'enchaîne. 
Mais  voilà  des  esprits,  de  qualité  inégale  du  reste, 
jetés  sans  préparation  dans  une  période  de  «  révo- 
lution économique  »  à  la  fois  des  plus  complexes 
et  des  plus  considérables,  sans  moyens  d'infor- 
mation et  de  constatation  (notamment  numé- 
riques) procédant  des  types  et  sources  que  nous 
connaissons  aujourd'hui,  obligés  de  se  référer  seu- 
lement à  quelques  données  partielles,  sporadiques, 
non  élaborées,  de  tradition  souvent  autant  que  de 
constatation  effective  :  pouvons-nous  leur  faire 
grief  de  n'avoir  pas  abouti  à  une  reconnaissance 
\  assez  nette  de  ces  divers  mouvements  pour  en  dis- 
^  cerner  et  lier  les  diverses  proportions,  antécé- 
jdences,  séquences,  relations  explicatives  ?  Ce  qui 
vaut  en  eux  est  qu'à  travers  leurs  raisonnements, 
plus  ou  moins  conceptuels  ou  traditionnels  selon 
leur  tournure  d'esprit  et  leur  formation,  ils  n'aient 
pas  laissé  cependant  soit  de  nous  traduire  dans 
leurs  thèses  elles-mêmes  les  positions  de  fait  de 
leur  classe  ou  de  leur  milieu,  soit  (pour  les  plus 
intéressants  ici)  de  nous  noter  les  divers  ordres  de 
changements  qui  se  produisaient  sous  leurs  yeux. 
Leur  mérite  véritable  donc  n'est-il  pas  d'être  des 
témoins  non  toujours  pleinement  conscients,  mais 
par  là  d'autant  plus  significatifs,  des  grands  faits 


AVANT-PROPOS  XXI 

complexes  qui  se  déroulaient  en  cette  grande 
phase  économique  ?  d'avoir  essayé  de  les  com- 
prendre et  expliquer,  et  cela  non  point  par  une 
construction  conceptuelle  simpliste  qui  en  aurait 
laissé  tomber  tout  une  part,  mais,  au  contraire^ 
en  conservant  tout  de  même  notation  et  souci  de 
Tensemble  atteint  ?  Telles  quelles,  ces  œuvres  ne 
nous  apportent  donc  pas  une  théorie  interpréta- 
tive de  ces  faits  qui  puisse  nous  satisfaire  aujour- 
d'hui ;  mais,  de  longtemps  encore  dans  les  auteurs 
ultérieurs,  et  peut-être  même  jusqu'à  notre  époque^ 
en  possédons-nous  une  bien  assurée  ?  En  tout  cas, 
et  en  attendant,  elles  nous  présentent,  et  pour  la 
première  fois  dans  l'âge  moderne  et  sur  une  matière 
aussi  importante,  une  application  de  Tesprit 
humain  à  connaître  et  comprendre  des  faits  écono- 
miques dégagés  comme  tels  ;  elles  nous  confirment 
remarquablement,  tant  par  ce  qu'elles  en  disent 
que  par  ce  qu'elles  en  traduisent,  ce  que  nous 
savons  aujourd'hui  de  ces  faits  ;  en  soi  enfin  elles 
sont  un  intéressant  donné  de  fait,  à  comprendre  et 
à  interpréter  lui-même  à  la  lumière  de  cette  réalité 
leur  contemporaine,  dans  son  déroulement,  dans 
sa  complexité,  dans  ses  conséquences. 

M.  Jean- Yves  Le  Branchu  a  donné  beaucoup 
de  travail  et  de  soin  à  la  recherche,  à  la  collation, 
à  la  traduction  de  ces  textes,  selon  les  meilleurs 
originaux  et  avec  leurs  variantes  de  quelque 
intérêt  ;  il  y  a  joint  les  éclaircissements  spéciaux 
qui  ont  paru  nécessaires  ;  il  les  a  fait  précéder 
d'une  étude  introductive,  fort  diligemment  éla- 
borée, sur  le  cadre  et  l'origine  de  ces  textes,  leurs 


XXII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

diverses  présentations,  les  personnes  des  auteurs, 
la  signification  des  thèses,  leur  influence  et  leur 
portée.  On  reconnaîtra,  nous  l'espérons,  que,  par 
toute  cette  œuvre,  il  aura  rendu  service  signalé 
aux  études  économiques,  tant  de  doctrines  que 
de  faits. 

François  Simiand. 


INTRODUCTION 


Un  des  plus  marquants  parmi  les  faits  qui  caracté-"^ 
risent  le  xvi^  siècle  est  la  hausse  considérable  des  prix 
qui  se  produisit  alors,  hausse  d'autant  plus  gênante  pour 
la  plupart  des  gens  qu'elle  succédait  presque  brutale- 
ment à  une  période  de  monnaie  rare  et,  partant,  chère.. 
Sans  doute,  plus  d'une  catégorie  d'intéressés  bénéficiait- 
elle  de  cette  hausse  :  tous  les  débiteurs,  notamment  tous 
les  débiteurs  à  long  terme,  voire  même  les  États  débi- 
teurs, et  davantage  encore  les  tenanciers  agricoles 
assujettis  à  des  redevances  en  une  somme  d'argent 
fixe  selon  des  baux  à  long  terme.  Cependant,  ces  avan- 
tages n'étaient  pas  sans  mélanges  :  d'une  part,  le 
métayage  était  assez  répandu  dans  certaines  régions 
et  une  partie  des  fermages  se  recevaient  en  nature  ^  ; 
d'autre  part,  les  marchandises  qu'étaient  obhgés  d'ac- 
quérir les  tenanciers,  fer  pour  les  instruments  aratoires, 
certains  tissus  et  vêtements,  les  harnais  pour  les  ani- 
maux de  trait,  avaient,  elles  aussi,  enchéri  2.  Par  contre 
les  rentiers,  les  officiers  du  Roi  ou  des  Provinces,  la 
petite  noblesse  surtout,  classe  extrêmement  nombreuse 
à  l'époque  ^,  souffrent  beaucoup  de  cet  état  de  choses 

1)  11  importe  de  signaler  ici  que  pour  les  redevances  en  nature,  certaines 
étaient  convertibles  en  argent  suivant  des  barèmes  donnés  qui  ne  haussaient 
pas  comme  haussait  le  prix  des  denrées  elles-mêmes. 

*)  Cf.  un  des  textes  que  nous  publions  ici,  le  Compendieux  ou  bref 
examen...  où  se  trouve  examinée  la  question  de  savoir  si  véritablement  les 
paysans  ont  gagné  par  le  fait  de  cet  état  de  choses.  Tome  II,  §  68,  p.  70-71. 

8)  V.  Raveau,  V Agriculture  et  les  classes  paysannes  dans  le  Haui-Poilou 
au  XV I^  siècle. 


XXIV  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

et  ce  sont  leurs  plaintes,  leurs  réclamations  que  Ton 
trouve  consignées  dans  les  écrits  de  ce  temps  qui  s'oc- 
cupent des  phénomènes  économiques.  Cette  hausse  des 
prix,  cet  «  universelle  cherté  »,  chacun,  pour  parler  comme 
Malestroit,  «  tant  grand  que  petit  la  sent  à  sa  bourse  ». 

On  s'explique  mieux  ainsi  ce  besoin  de  réformes  qui 
est  le  trait  dominant  de  la  politique  de  cette  période  ; 
les  mutations  monétaires  dont  on  a  dit  tant  de  mal, 
que  l'on  a  depuis  si  fort  reproché  à  quelques  souverains, 
rà  Philippe  le  Bel  en  particulier,  étaient,  dans  la  grande 
majorité  des  cas,  demandées,  imposées  presque  par  le 
peuple,  à  cause  de  la  pénurie  du  numéraire  d'abord, 
(de  la  hausse  des  prix  ensuite  ^.  C'était,  comme  l'a  dit 
Miller,  «  une  épidémie  de  grande  envergure  »  2.  Quelques 
esprits  cultivés  s'opposent  bien  à  cette  politique  ;  mais 
leurs  efforts  ne  sont  pas  couronnés  de  succès,  bien  que 
leur  influence  se  fasse  de  plus  en  plus  grande.  Copernic 
dénonce  «  l'habitude...  ou,  pour  mieux  dire,  la  rage 
d'altérer,  de  dépouiller  et  de  corrompre  la  monnaie  »  ^, 
Bodin  se  plaint  de  ce  qu'on  «  a  si  bien  obscurci  le  fait 
des  monnoyes  par  le  moyen  du  billonage,  que  la  plus 
part  du  peuple  n'y  voit  goûte  »  *.  Le  courant  est  alors 
Ij  trop  fort  pour  être  remonté  et  il  ne  le  sera  pas  :  à  part 
l'Angleterre  depuis  1561,  on  continuera  dans  la  plu- 
part des  autres  pays  à  user  de  ce  moyen  facile  que  sont 
les  mutations  monétaires,  que  rendait  encore  plus  aisées 
l'emploi  de  la  monnaie  de  compte. 

Un  autre  fait,  très  important  nous  semble-t-il,  a 
contribué  à  rendre  plus  nécessaires  et  plus  fondées  les 
critiques  qui  s'élevaient  de  la  part  de  certaines  personnes 


r 


1)  V.  Harsin,  Les  Doctrines  monétaires  et  financières  en  France  du 
XV J^  au  XVI 11^  siècle,  p.  4.  —  Landry,  Essai  économique  sur  les  mutations 
monétaires  en  France  de  Philippe  le  Bel  à  Charles  VII,  p.  85  etss.,  p.  134-135. 

2)  Miller,  Studien  zur  Geschichte  der  Geldlehre.  Die  Entwicklung  im 
Altertum  und  Mittelalier  bis  auf  Oresmius,  p.  97,  cité  par  Harsin,  op.  cit.^ 
p.  4. 

3)  V.  Infra,  t.  1,  p.  11. 
*)  V.  Infra,  t.  I,  p.  158. 


INTRODUCTION  XXV 

contre  les  mutations  :  c'est  au  xvi^  siècle  que  s'est  sur- 
tout développée  la  fonction  d'épargne  de  la  monnaie. 
Les  changements  de  valeur  de  l'unité  monétaire  ne  sont 
vraiment  gênants  que  lorsque  l'on  thésaurise  la  monnaie, 
lorsque  l'on  fait  des  marchés  à  long  terme,  lorsque  l'on 
convient  à  l'avance  de  paiements  futurs  et  espacés  à 
faire  en  unités  monétaires,  comme  c'est  le  cas  pour  les 
rentes  foncières  et  constituées.  Quand  on  ne  se  sert  de 
la  monnaie  que  comme  d'un  instrument  d'échange, 
pour  perfectionner  le  troc,  une  mutation  dont  l'effet 
n'est  pas  toujours  immédiat  et  que  l'on  peut  souvent 
prévoir  à  l'avance,  n'afïecte  que  médiocrement  l'éco- 
nomie d'un  pays.  Mais  lorsqu'on  est  engagé  à  donner 
ou  à  recevoir  pendant  une  période  assez  longue  une 
somme  fixe  de  monnaie,  lorsque  croît,  par  suite  des 
circonstances,  le  nombre  de  personnes  jouissant  d'un 
revenu  fixe  (nous  dirions  aujourd'hui  les  fonctionnaires), 
lorsqu'il  faut  prévoir  des  paiements  échelonnés  sur  des 
années  et  des  années,  ces  changements  de  valeur  de 
l'unité  monétaire  deviennent  alors  extrêmement  gênants. 
Or,  au  xvi^  siècle,  dans  cette  période  de  renaissance 
économique,  dans  cette  période  où  s'accroissent  les 
échanges  et  où  naissent  de  nouveaux  courants  commer- 
ciaux, une  politique  de  crédit,  une  politique  d'engage- 
ments à  long  terme  était  une  nécessité.  Cela  expliquerait 
en  partie  le  fait  que  l'usage  des  mutations,  s'il  ne  fut 
pas  plus  considérable  que  dans  les  siècles  précédents, 
souleva  plus  de  critiques,  fit  naître  davantage  d'oppo- 
sition. Car  cette  politique,  en  effet,  nous  a  valu  une 
littérature  extrêmement  riche  sur  «  le  faict  des  mon- 
noyes  ».  On  abandonne  peu  à  peu  le  point  de  vue  juri- 
dique et  la  théorie  féodale  de  la  monnaie  pour  s'attacher 
de  plus  en  plus  au  rôle  de  la  monnaie  dans  l'économie, 
pour  essayer  de  remédier  aux  maux  et  aux  abus  que 
provoque  son  usage.  Le  grand  auteur  de  l'époque  anté- 
rieure au  xvje  siècle,  Oresme,  s'est  intéressé  à  la  monnaie 


XXVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

beaucoup  plus  comme  un  théologien  et  un  juriste  que 
comme  un  économiste  ^. 

Au  début  du  xvi^  siècle,  avec  Copernic,  commence 
une  période  différente  :  on  traite  des  phénomènes  moné- 
taires d'un  autre  point  de  vue  et  l'observation  joue  un 
plus  grand  rôle.  La  littérature  économique  est  d'une 
grande  richesse  et  d'une  variété  non  moins  considérable. 
Dans  quelques  pays,  l'Angleterre  par  exemple,  on  trou- 
vera des  appréciations,  des  jugements  concernant  l'état 
économique,  sans  parler  des  ouvrages  «  spéciaux  », 
aussi  bien  dans  des  Sermons,  comme  dans  ceux  de 
Latimer,  que  dans  les  innombrables  ballades  qui  virent 
le  jour  à  ce  moment. 

La  monnaie  par  son  altération 
Nous  vaut  cette  calamité  ; 
On  ne  connaît  pas  encore  complètement 
J'out  le  mal  que  cela  a  engendré  ^. 

Bien  souvent  encore,  le  pur  point  de  vue  économique 
n'est  pas  complètement  dégagé,  bien  souvent  le  jugement 
porté  sur  un  fait  économique  ressemble  quelque  peu  aux 
dicta  du  droit  britannique,  à  ces  sortes  de  commentaires, 
ces  things  said  by  the  way  qu'inspire  au  juge  anglais 
l'examen  de  telle  ou  telle  affaire.  Mais  néanmoins,  un 
fait  subsiste  :  le  «  faict  des  monnoyes  »  retient  de  plus 
en  plus  l'attention  et  la  politique  monétaire  du  Prince 
suscite  des  approbations  ou  des  critiques  :  c'est  le  point 
de  vue  dominant  de  cette  littérature  économique.  La 
difficulté  réside,  étant  donné  le  nombre  et  la  diversité 
des  textes,  à  en  choisir  quelques-uns.  Les  écrits  que 
nous  présentons  ici  nous  paraissent  les  plus  caractéris- 
tiques de  l'état  d'esprit  de  l'époque.  On  trouvera,  chez 


^)  V.  Oresme,  Traidie  de  la  première  invention  des  Monnaies,  réédité 
par  Wolowski,  Paris,  Guillaumin,  1864. 

2)  V.  Ruding,  Annals  of  Ihe  Coinage,  t.  I,  p.  305. 


INTRODUCTION  XXVII 

les  uns  comme  chez  les  autres,  les  mêmes  préoccupations, 
les  mêmes  remarques,  parfois  aussi  les  mêmes  jugements. 
Cela  montre  l'uniformité  des  conditions  économiques 
du  milieu  où  se  trouvaient  leurs  auteurs  et  c'est  la 
preuve  aussi  que  les  esprits  sages,  pondérés  et  sembla- 
blement  placés  jugent  toujours  de  la  même  manière  des 
phénomènes  identiques. 

II 

Tout  le  monde  connaît  Copernic  homme  scientifique, 
personne  n'ignore  ses  travaux  comme  astronome  et 
fondateur  du  système  héliocentrique  du  monde  pla- 
nétaire. Ce  que  l'on  connaît  généralement  moins  bien, 
c'est  le  rôle  de  Copernic  comme  économiste.  La  spé- 
cialisation est  actuellement  si  bien  entrée  dans  nos  habi- 
tudes qu'il  est  difficile  de  nous  souvenir  que  telle  n'était 
pas  la  méthode  du  xvi^  siècle.  «  Le  chercheur,  a  écrit 
Copernic  lui-même,  qui  examinerait  individuellement 
les  divers  phénomènes,  sans  tenir  compte  de  l'ordre 
et  de  l'étroite  dépendance  qui  existent  entre  eux,  pour- 
rait être  comparé  à  un  homme  qui,  empruntant  des 
fragments  tels  que  mains,  pieds  et  autres  membres  du 
corps,  peints  de  main  de  maître  il  est  vrai,  mais  repré- 
sentant divers  corps,  s'aviserait  ensuite  de  réunir  ces 
fragments  hétéroclites,  ne  se  répondant  pas  mutuelle- 
ment et  dont  l'assemblage  pourrait  donner  l'image  d'un 
monstre  plutôt  que  celle  d'un  corps  humain  ^.  » 

On  peut  dire  sans  crainte  d'erreur  que  Copernic  a 
toujours  suivi  ces  principes  qu'il  expose  :  savant  conscien- 
cieux, il  ne  s'est  pas  contenté  d'assembler  des  fragments 
divers  et  hétérogènes  ;  tous  les  problèmes  qui  se  pré- 
sentaient devant  lui,  il  les  a  étudiés  personnellement  et 
son  rôle  en  Pologne  ne  fut  pas  celui  d'un  pur  théoricien  : 

^)  Copernic,  De  revolulionibus  orbium  celeslum,  cité  par  Dmochowski, 
Nicolas  Copernic  économiste,  dans  Revue  d'Économie  politique,  1923,  p.  108. 


XXVIII  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Copernic  fut  également  un  architecte,  un  ingénieur,  un 
administrateur,  un  économiste.  Il  n*y  a  que  peu  de 
branches  de  l'activité  de  son  pays  qu'il  n'ait  pas  étudiées, 
qu'il  n'ait  pas  cherché  à  développer. 

C'est  en  qualité  de  chanoine  du  chapitre  de  Warmie 
que  son  activité  en  tant  qu'économiste  eût  surtout  à  se 
manifester.  Copernic  faisait  partie  de  ce  Chapitre 
comme  chanoine  de  Frauenburg.  Le  Grand-Maître  de 
l'Ordre  Teutonique,  Albert  de  Brandebourg,  s'étant 
emparé  des  biens  du  Chapitre  de  Warmie  (en  allemand 
Wàrmland),  Copernic  fut  délégué  en  1521-1522  à  l'as- 
semblée des  terres  de  Prusse  qui  se  tenait  à  Graudenz 
pour  protester  devant  le  roi  de  Pologne  contre  l'usur- 
pation commise. 

Il  convient  de  préciser  au  moins  brièvement,  pour 
se  rendre  compte  de  la  portée  du  texte  de  Copernic, 
la  position  de  la  Prusse  vis-à-vis  de  la  Pologne.  Par  le 
traité  de  Thorn  (1466),  la  partie  occidentale  de  la  Prusse 
avec  Malborg  (Marienburg)  y  compris  l'évêché  de  Warmie, 
fut  incorporée  au  royaume  de  Pologne.  La  partie  orientale 
de  la  Prusse  restait  sous  la  domination  de  l'Ordre  Teu- 
tonique, mais  le  Grand-Maître  de  l'Ordre  devait  recevoir 
rinvestiture  du  roi  de  Pologne.  En  1526,  l'Ordre  Teu- 
tonique fut  sécularisé  et  son  Grand-Maître,  Albert  de 
Brandebourg,  allié  à  la  famille  du  roi  de  Pologne 
Sigismond  1®',  reçut,  en  devenant  protestant,  le  titre 
de  Prince  de  Prusse,  tout  en  restant  le  vassal  du  roi 
de  Pologne.  Cette  partie  de  la  Prusse  fut  nommée 
Prusse  ducale  pour  la  distinguer  de  la  Prusse  occiden- 
tale ou  Prusse  royale.  On  trouvera  d'ailleurs  dans  le 
texte  de  Copernic  des  passages  où  il  fait  directement 
allusion  à  cet  état  de  choses. 

Les  archives  du  Chapitre  de  Warmie,  où  l'on  devrait 
trouver  tous  les  renseignements  concernant  Copernic, 
furent  malheureusement  en  partie  détruites  par  le  feu. 
Une  autre  partie  de  ces  archives  fut  transportée  en  Suède. 


INTRODUCTION  XXIX 

«  A  l'heure  qu'il  est,  c'est  encore  dans  les  archives  de 
Stockholm  et  d'Upsal  qu'on  peut  trouver  le  plus  de 
matériaux  concernant  le  grand  astronome  et  économiste 
polonais  ^.  »  Une  partie  de  ces  archives  fut  rendue  à  la 
Prusse  en  1802. 

Il  convient  de  signaler  également  que  Félix  Reich, 
auquel  Copernic  adressait  sa  lettre  sur  la  monnaie  que 
nous  publions  ici  ^,  faisait  également  partie  du  Chapitre 
de  Warmie. 

Peu  après  l'Assemblée  des  terres  de  Prusse  à  laquelle 
avait  été  délégué  Copernic  pour  défendre  les  droits  du 
Chapitre  de  Warmie,  Sigismond  I^^,  prévoyant  une 
réforme  monétaire  à  accomplir,  pria  Copernic  de  rédiger 
un  mémoire  sur  cette  question.  Ce  fut  l'origine  du 
Monete  Cutende  Ratio  où  Copernic  réunissait  les  divers 
arguments  en  faveur  de  la  bonne  monnaie,  défendait 
une  politique  monétaire  sage  par  opposition  à  la  poli- 
tique suivie  en  Prusse. 

Il  existe  plusieurs  manuscrits  de  ce  texte.  Nous  allons 
en  donner  une  brève  description  : 

a)  Manuscrit  des  Czartoryski,  conservé  dans  les 
archives  du  Musée  des  Czartoryski  à  Cracovie.  Il  se 
trouve  dans  un  volume  in-folio,  n^  249,  qui  fut  décrit 
par  Korzenioski  dans  son  catalogue  des  manuscrits  du 
musée  (1887,  p.  46).  Au  verso  de  la  couverture,  nous 
trouvons  la  description  suivante  du  contenu  du  volume  : 
«  A  cause  des  mécontents,  des  dissentions  ont  eu  lieu  à 
Dantzig.  Le  roi  est  enclin  à  y  aller  et  à  tout  arranger. 
On  a  condamné  à  mort  six  personnes.  On  a  constitué 
une  municipalité  nouvelle  et  la  ville  a  été  admise  à  la 
protection  royale.  Le  Prince  de  Prusse  y  a  rendu  visite 
au  Roi  Sigismond.  On  trouve  dans  le  volume  les  résolu- 


1)  Dmochowski,  op.  cit.,  p.  104. 

2)  V.  Infra,  t.  I,  p.  25. 


XXX  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tiens  prises  par  les  marquis  de  Brandebourg  pour  le 
Prince  de  Prusse.  » 

Parmi  d'autres  textes,  ce  volume  contient  le  dis- 
cours de  Copernic,  Moneie  Cuiende  Ratio,  le  traité  de 
Decius  sur  la  monnaie  et  la  lettre  de  Copernic  à  Decius 
écrite  au  nom  des  Sénateurs  de  Prusse.  Le  manuscrit 
de  Czartoryski  contient  une  indication  également  manus- 
crite après  le  titre  :  autori  Nicolo  Copernico;  d'après 
le  P^  Birkenmajer,  cette  annotation  serait  de  la  main 
même  de  Copernic.  En  ce  qui  concerne  l'orthographe 
et  les  variantes  il  ressemble  davantage  au  manuscrit 
de  Fischer  qu'à  celui  de  Reich.  Les  annotations  seraient 
de  Copernic  lui-même  ; 

h)  Le  manuscrit  de  Félix  Reich  se  trouve  aux 
Archives  Secrètes  de  l'État  à  Kônisberg,  cote  Schrank  V. 
22.  27.1526.  Ce  volume  faisait  autrefois  partie  de  la 
bibliothèque  du  Chapitre  de  Warmie.  Emporté  par  les 
Suédois  en  1616,  il  fut  restitué  conformément  à  la 
convention  conclue  entre  les  gouvernements  suédois  et 
prussien  en  1801.  Sur  la  couverture,  on  trouve  une 
notice  de  sept  lignes  à  peine  lisibles  :  hec  de  Moneia 
Colleclanea  dentur  post  morlem  meam  d.  Nicoloa  Copernic 
siqiiid  forte  rébus  suis  prodesse  poterini  felix  reich  scrip- 
sit  1538  augusti  18.  octobri  18.  Le  Monete  Cutende  Balio 
est  écrit  par  Reich  sur  six  pages  sans  marge  avec  quel- 
ques annotations  ; 

c)  Le  manuscrit  de  Friedrich  Fischer  se  trouve  éga- 
lement aux  Archives  de  Kônisberg.  Il  est  renfermé  dans 
un  gros  fascicule  relié  et  écrit  par  Fischer,  chancelier 
du  Prince  Albert  de  Brandebourg.  Le  fascicule  est  inti- 
tulé Consilia  et  raiiones  de  abroganda  mata  ac  adulterima 
moneia  et  cuienda  nova.  Et  plus  bas  :  Allerlovy  ratschlage 
probierung  der  Muntz  und  aders  dye  Miintz  des  koni- 
greichs  Polenn  und  die  Landen  preussen  betreffendt.  Le 
traité  de  Copernic  est  intitulé  Monetœ  Cnlendœ  Ratio. 


INTRODUCTION  XXXI 

L'orthographe  de  Fischer  diffère  légèrement  de  celle  de 
Reich. 

La  lettre  de  Copernic  à  Reich  se  trouve  dans  le 
volume  écrit  par  Reich  appartenant  aux  Archives  de 
Kônisberg  et  dont  nous  venons  de  parler.  Dans  ce  volume 
se  trouve  une  feuille  écrite  par  une  main  autre  que  celle 
de  Reich  et  portant  la  cote  5.  22.  N®  28.  A  la  fin  se 
trouvent  les  initiales  de  Copernic  d'une  main  inconnue. 
A  la  mort  de  Reich,  quand  le  document  revint  à  Copernic, 
celui-ci  ajouta  de  sa  propre  main  le  reste  de  son  nom  à 
l'initiale  ainsi  que  l'adresse  felici  Reich  et  le  titre  de 
Moneta  ^. 

Il  est  difficile  de  résumer  en  quelques  mots  le  mérite 
de  Copernic.  Signalons  tout  d'abord  qu'il  est  très  dif- 
ficile de  rendre  en  français,  non  pas  sa  pensée,  qui  est 
toujours  claire  mais  le  terme  exact  qu'il  emploie  :  on 
trouve  en  effet  chez  lui  un  vocabulaire  très  abondant 
de  termes  latins  qui  n'ont  pas  tous,  ou  qui  n'ont  plus  en 
français  de  correspondance  exacte  ^. 

Après  avoir  défini  la  monnaie  d'une  façon  très  géné- 
rale, il  la  représente  plusieurs  fois  au  cours  de  son  œuvre 
comme  participant  à  la  fois  à  la  fonction  de  signe  et  à 
celle  de  gage.  Son  rôle  en  outre  est  d'être  «  en  quelque 
sorte  la  commune  mesure  des  évaluations  ^  ». 

Les  causes  de  la  dépréciation  de  la  monnaie,  ce  qui    - 
est  le  point  le  plus  important  traité  par  Copernic  sont, 
selon  lui,  au  nombre  de  trois  :  le  manque  de  poids,  le 
mauvais  aloi  de  l'alliage  monétaire  et  l'usure  due  au  : 
long  usage  des  pièces  de  monnaie.  Il  ne  parle  pas  de  ; 
l'influence  des  importations  de  métal  précieux  d'Ame-  i 
rique,  car  l'effet  de  celles-ci  ne  s'est  fait  sentir  en  Europe,  1 
et  surtout  en  Pologne,  que  beaucoup  plus  tard.  | 

^)  Tous  ces  renseignements  bibliographiques  sont  empruntés  à  Dmo- 
chowski,  Mikolaja  Kopernika  Rozprawy  o  Monecie  i  inné  pisma  ekonomizne. 
Nous  les  devons  à  l'obligeance  de  M.  Zoltowski. 

2)  V.  Dmochowski,  Revue  d'Économie  Politique,  1923,  p.  109  et  s. 

3)  V,  Infra,  t.  I,  p.  5. 


XXXII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Les  remèdes  à  la  dépréciation  de  la  monnaie,  il  les 
trouve  dans  la  frappe  d'espèces  métalliques  bonnes  et 
stables.  Il  vaudrait  beaucoup  mieux,  selon  lui,  songer  à 
rétablir  la  bonté  monétaire  d'autrefois  que  de  penser  à 
lever  de  nouveaux  impôts.  Le  profit  de  ceux-ci  ne  sera 
qu'annuel  tandis  qu'une  forte  monnaie  donnera  un  béné- 
fice durable  ^.  Copernic  préconise  l'établissement  d'un 
rapport  stable  entre  l'or  et  l'argent  (rapport  qu'il  vou- 
frait  voir  fixer  selon  la  proportion  1-12)  et  se  fait  ainsi 
J'un  des  premiers  théoriciens  du  bimétallisme. 

Mais  c'est  surtout  au  point  de  vue  de  ce  qu'on  a 
appelé  plus  tard  et  à  tort  la  loi  de  Gresham  que  le  mérite 
de  Copernic  est  le  plus  grand.  Il  a  su,  le  premier,  donner 
une  expression  scientifique  à  ce  phénomène  aperçu  bien 
I  avant  lui  par  Aristophane  ^.  «  Une  plus  grande  faute, 
i  écrit-il,   consiste  à     introduire  à  côté  d'une  ancienne 
1  bonne  monnaie,  une  nouvelle  monnaie  mauvaise,  car, 
I  non  seulement  celle-ci  déprécie  l'ancienne,  mais,  pour 
[ainsi  dire,  elle  la  chasse  ^.  »  Il  est  difficile  de  résumer  en 
aussi  peu  de  mots  et  avec  autant  de  précision  la  loi 
qui  affirme  que  la  mauvaise  monnaie  chasse  la  bonne 
de  la   circulation   et  l'on  s'aperçoit  encore  mieux  du 
mérite  de  Copernic  si  l'on  se  replace  dans  les  circons- 
tances qui  ont  vu  la  naissance  de  son  œuvre  *. 


1)  V.  Infra,  t.  I,  p.  27. 

2)  V.  Infra,  Introduction,  p.  lv-lvi. 

3)  V.  Infra,  t.  I,  p.  9. 

*)  On  a  parfois  prétendu  que  cette  loi  se  trouvait  déjà  dans  le  ^raidie 
de  la  première  invention  des  monnaies  de  Nicolas  Oresme  (cf.  Édition 
Wolowski,  p.  lix).  Voici  les  passages  sur  lesquels  on  peut  se  fonder  pour 
établir  ce  fait  :  «  Et  encores,  qui  est  pire  chose,  les  changeurs  et  banquiers 
qui  sçavent  où  l'or  a  cours  à  plus  hault  pris,  chacun  en  sa  figure,  ilz,  par 
secrètes  cautelles,  en  diminuent  le  pays,  et  l'envoient  ou  vendent  dehors 
aux  marchans,  en  recevant  d'iceulx  autres  pièces  d'or,  mixtes  et  de  bas 
aloy,  desquelles  ilz  emplissent  le  pays.  »  [ibid.,  p.  m).  —  «  Car,  par  adven- 
ture,  les  hommes  portent  plus  volontiers  leurs  monnoies  aux  lieux  ou  ilz 
sçevent  (sic)  icelles  plus  valoir...  Encores  par  ces  mutacions  et  empirances 
des  monnoies  cessent  les  marchans  de  venir  de  estranges  royaumes  et 
apporter  leurs  bonnes  marchandises  et  richesses  naturelles  ou  pays  où  ilz 
scavent  icelles  mauvaises  monnoies  avoir  cours  :  car  la  chose  qui  plus 


INTRODUCTION  XXXIII 

L'influence  de  Copernic  se  fit  sentir  d'une  façon  très 
sensible  lors  de  la  réforme  monétaire  de  Sigismond  I^r. 
Ce  roi  en  effet,  comme  également  certains  de  ses  suc- 
cesseurs, fut  toujours  partisan  d'une  monnaie  saine 
alors  qu'au  contraire  certains  administrateurs  prussiens 
s'étaient  servis,  soit-disant  pour  rétablir  les  finances 
publiques,  du  procédé  facile  des  surhaussements  moné- 
taires. Pour  remédier  à  l'inconvénient  résultant  de 
l'existence  simultanée  de  plusieurs  monnaies,  le  roi 
Sigismond  l^^  avait  en  vue  l'unification  du  système 
monétaire  des  territoires  faisant  partie  politiquement 
et  économiquement  de  la  République  polonaise  :  royaume 
de  Pologne,  Grand-Duché  de  Lithuanie,  provinces  prus- 
siennes. Cette  réforme  fut  votée  aux  diètes  de  Piotrkow 
en  1526  et  1528.  Les  résolutions  adoptées  étaient 
conformes  aux  idées  de  Copernic  et  «  introduisait  en 
Pologne  le  système  bimétallique  sur  la  base  de  la  rela- 
tion 1  sur  12  ^  ». 

Copernic  fut  ainsi  l'un  des  artisans  du  maintien  en 
Pologne  de  la  bonne  monnaie.  Son  influence  ne  s'est 
guère  sans  doute  manifestée  autrement  étant  donné  le 
fait  que  ses  manuscrits  ne  furent  publiés  qu'en  1816  ^, 
En  replaçant  ces  textes  à  l'époque  à  laquelle  ils  furent 
écrits,  on  se  fera  une  idée  très  juste  de  l'intelligence 
avec  laquelle  Copernic  avait  traité  de  ces  problèmes. 


attraist  le  marchand  à  porter  ses  richesses  naturelles  et  bonnes  monnoyes 
en  ung  pays  est  ou  bonne  monnoie  est  et  se  fait.  Encores,  en  la  terre  mesmes 
où  telles  mutacions  se  font,  le  fait  de  marchandise  est  si  trouble  que  les 
marchans  et  mechanicques  ne  sçavent  comment  communiquer  ensemble, 
et  pour  ce,  telles  mutacions  durans,  les  revenues  du  prince  et  des  nobles, 
et  les  pensions  et  gaiges  annuelz,  les  lievaiges  et  les  sentiers  et  choses 
semblables,  ne  se  pevent  bien  ne  justement  tauxer  ne  payer,  comme  il  a 
esté  et  est  de  présent  ;  et,  qui  pis  est,  la  pecune  et  monnoie  ne  peult  donner 
ou  croire  l'un  à  l'autre...  »  {ibid.,  p.  lix-lxi).  Le  premier  de  ces  passages 
est  assez  explicite,  mais  c'est  plutôt  l'affirmation  d'un  fait  naturel  que 
l'expression  de  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  la  loi  de  Gresham.  Quant 
aux  dernières  citations,  elles  nous  paraissent  assez  loin  de  la  question. 

^)  Dmochowski,  op.  cil.,  p.  106. 

2)  V.  la  notice  en  tête  du  texte,  infra,  t.  I,  p.  3-4. 

LE  BRANCHU  C 


XXXIV 


ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


III 


La  politique  et  la  situation  de  la  Saxe  étaient,  dans 
la  première  moitié  du  xvi^  siècle,  aussi  compliquées 
que  la  position  respective  de  la  Prusse  et  de  la  Pologne. 
Au  problème  monétaire,  qui  s'est  posé  en  Saxe  avec  une 
acuité  toute  particulière  due  aux  circonstances,  s'ajoute 
un  problème  dynastique  occasionné  par  la  division  du 
pouvoir  entre  les  deux  branches  de  la  famille  régnante  : 
branche   ernestine   et  branche   albertine   ^. 

D'après  le  testament  de  Frédéric  II,  Prince  Élec- 
teur de  Saxe,  ses  deux  fils,  Ernest,  né  le  24  mars  1441 
et  Albert,  né  le  27  janvier  1443,  se  partagèrent  le  pou- 
voir, la  dignité  électorale  appartenant  à  l'aîné. 

Le  Prince  Électeur  Ernest,  ancêtre  de  la  branche 
ernestine,  avait  épousé  en  1460  Elisabeth  de  Bavière 
dont  il  eût  six  enfants  :  Frédéric  III  le  Sage,  Albert 
archevêque  de  Mayence,  Ernest,  archevêque  de  Magde- 
bourg,  Jean  le  Constant,  Christine  qui  épousa  Jean, 
Roi  de  Danemark  et  Marguerite  qui  épousa  Henri,  duc 
de  Braunschweig-Lûneburg.  A  la  mort  d'Ernest,  le 
pouvoir,  ou  plutôt  la  fraction  de  pouvoir  qui  appar- 


^)  Voici  un  tableau  généalogique  schématisé  de  la  famille  régnante  de 
Saxe  : 

Frédéric  II  le  Bon,  électeur  de  Saxe 
I 


Ernest    (1441-1486) 
ép.  Elisabeth  de  Bavière 


I  III 

Frédéric  III  Albert  Ernest  Jean  Christine- 

le  Sage  le  Constant    Marguerite 

(1446-1525)  (1468-1632) 


I 
1"  mariage 


Johann-Frédéric 


mariage 


Albert 
(1443-1500 


George 
(1471-1539) 


Johann-Ernest      Maria  Marguerite 
mort  sans  enfants 
(1553) 


INTRODUCTION  XXXV 

tenait  à  la  branche  aînée,  passa  à  son  fils  Frédéric  III 
dit  le  Sage,  y  compris  la  dignité  électorale.  Frédéric  III 
régna  jusqu'en  1525,  année  de  sa  mort.  Comme  il 
n'avait  pas  d'enfants,  son  frère  Jean,  dit  le  Constant, 
lui  succéda. 

Le  Prince  Jean,  né  le  30  juin  1468,  joua  un  rôle 
considérable  dans  l'histoire  de  la  Réforme.  «  Nous  ne 
connaissons  aucun  prince,  écrit  von  Ranke,  qui  ait 
rendu  plus  de  services  à  l'établissement  de  l'Église 
protestante.  »  En  1529,  il  protesta  contre  la  décision  de 
la  Diète  de  Spire  défendant  d'adhérer  à  la  Religion 
Réformée.  Le  25  janvier  1530,  il  fit  proclamer  la  confes- 
sion nouvelle  à  la  Diète  d'Augsbourg.  Il  serait  d'ailleurs 
inexact  de  penser  que  l'influence  du  Prince  Jean  sur 
la  politique  saxonne  et  sur  la  politique  allemande  date 
de  1525,  date  de  la  mort  de  son  frère  aîné  Frédéric  III  : 
celui-ci,  conformément  aux  traditions  de  la  maison  de 
Saxe,  l'avait  associé  au  gouvernement  bien  avant  1525. 

Cette  situation  politique  assez  peu  nette  se  compli- 
quait encore  du  fait  du  partage  de  la  succession  de 
Guillaume,  landgrave  de  Thuringe.  Comme  celui-ci  était 
mort  sans  enfants  en  1482,  ses  neveux,  les  Princes  de 
Saxe,  héritèrent  et  se  partagèrent  sa  succession  :  Ernest, 
Prince  Électeur  de  Saxe  eut  la  Thuringe  et  Albert,  la 
Mismie. 

Ce  fut  vers  cette  époque  que  l'on  découvrit  de  nou- 
velles et  très  riches  mines  d'argent  près  du  Schneeberg. 
Lors  du  partage  de  1486  à  la  suite  du  décès  d'Ernest, 
ces  mines  ne  furent  pas  divisées  en  nature  :  les  repré- 
sentants des  deux  branches  ^  convinrent  de  les  exploi- 
ter en  commun  et  de  partager  les  bénéfices  provenant 
de  la  frappe  des  monnaies  2.  On  conçoit  que  ces  conven- 


^)  Frédéric  III  le  Sage  pour  la  branche  aînée  (Ernestine)  et  Albert 
pour  la  branche  cadette. 

*)  V.  Lotz,  Die  drei  Flugschrifien  iXber  den  Mùnzslreil  der  sàchsischen 
AlheHiner  und  Ernesliner,  p.  iv. 


XXXVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tiens  aient  encore  contribué  à  obscurcir  les  questions 
de  politique  monétaire  saxonne. 

Cependant,  tant  que  vécut  le  Prince  Frédéric  le 
Sage,  la  politique  monétaire  de  la  Saxe  fut  extrêmement 
prudente  et  mesurée.  On  n'avait  pas  procédé  à  des 
mutations  monétaires,  comme  en  beaucoup  d'autres 
états,  on  avait  conservé  la  parité  fixée  en  1500  entre 
l'or  et  l'argent  ^.  Mais,  en  1524,  un  marchand  de  Nurem- 
berg, Christophe  Fuhrer,  avait  déjà  demandé  l'élévation 
de  la  valeur  nominale  de  l'argent.  Il  présenta  son  plan 
au  comte  Albert  de  Mansfeld.  Celui-ci  se  trouvait, 
depuis  1518  en  union  monétaire  avec  la  maison  de 
Saxe,  et,  ayant  agréé  le  plan  de  Christophe  Fuhrer,  il 
essaya  de  gagner  à  sa  cause  les  deux  princes  qui  se 
partageaient  alors  le  pouvoir  ^.  Ceux-ci  entrèrent  dans 
les  vues  du  Comte  de  Mansfeld,  mais,  peu  après,  en  1526, 
le  duc  George  changea  d'avis  et  prétendit  conserver 
l'ancienne    monnaie    ^. 

Pour  défendre  ses  idées,  il  fit  publier  un  pamphlet 
où  elles  se  trouvaient  résumées  :  ce  pamphlet  officieux 
n'était  autre  que  le  Gemeine  Siimmen  que  nous  publions 
ici.  Le  Prince  Jean  le  Constant  fit  répondre  à  ce  pam- 
phlet par  une  Apologie  où  l'on  attaquait  les  idées  exposées 
dans  le  Gemeine  Siimmen  *.  Un  troisième  pamphlet  vit 

1)  On  avait  ainsi  fixé  en  Saxe,  en  1500,  les  parités  respectives  de  l'or 
et  de  l'argent  : 

1  Gulden  =  21  Groschen  d'argent  ou  42  demi-Groschen. 
V^  id.        =    7  Schreckenberger  Groschen  (d'abord  frappés  avec 

du  métal  de  la  mine  de  Schreckenberg,  puis  avec 
celui  d'Annaberg  et  appelés  aussi  Engelgroschen, 
groschen  à  l'Ange). 
id.        —    1  Gulden  Groschen,  pesant  2  Lot  d'argent  (le  prédé- 
cesseur du  Thaler). 

En  1524,  VEislinger  Mûnzordnung,  donnée  par  l'Empereur  Charles  V 
adopte,  pour  toute  l'Allemagne,  les  mêmes  parités. 

2)  Jean  le  Constant  (branche  ernestine)  et  George  (branche  albertine). 
^)  V.   Klotz    Versuch  einer  chursàchsischen  Mûnzgeschichle.    Von  den 

àllenslen  bis  aiif  jelzige  Zeiten,  Ghemnitz,  1779,  t.  I,  p.  250  et  s. 

*)  Voici  le  titre  exact  de  ce  deuxième  pamphlet  :  Die  Mûnlz  Belangende. 
Anlworl  und  bericht  der  furnemesten  puncl  und  Ariikel  auff  des  Bûchlein  so 


INTRODUCTION  XXXVII 

le  jour  l'année  suivante,  publié  par  les  soins  du  duc 
George,  où  l'on  reprenait  la  plupart  des  arguments  et 
des  idées  contenues  dans  le  Gemeine  Siimmen  et  où  l'on 
attaquait  V Apologie  ^. 

Le  résultat  de  cette  querelle  fut  que  les  deux  branches 
de  la  maison  de  Saxe  frappèrent  des  monnaies  diffé- 
rentes  : 

1)  Le  duc  Jean  le  Constant  (branche  ernestine)  fit 
battre  monnaie  à  Zw^ickau  et  à  Buchholz  ;  c'étaient  des 
monnaies  affaiblies  correspondant  au  plan  fixé  primiti- 
vement d'accord  avec  le  comte  de  Mansfeld. 

2)  Le  duc  George  (branche  albertine)  décida  au 
contraire,  le  9  janvier  1530  avec  ses  conseillers,  ses 
Landstànten,  réunis  à  Dresde,  «  que  l'on  devait  conser- 
ver inaltérable  à  présent  et  dans  l'avenir,  le  marc 
d'argent  correspondant  à  huit  Gulden,  chacun  formant 
vingt  et  un  Groschen  ». 

La  suite  des  événements  est  assez  obscure  ^.  Il 
semble  cependant  qu'en  1531  le  duc  George  fit  une 
concession  :  le  marc  d'œuvre  d'argent,  dans  lequel  on 
continuerait  à  tailler  huit  Gulden,  ne  pèserait  plus  que 
14  Lot  8  Gràn  d'argent  au  lieu  de  15  Lot  ^.  Il  traita  sur 
cette  base  avec  Jean-Frédéric,  successeur  de  Jean  le 
Constant,  et,  à  partir  de  1534,  on  ne  frappa  plus  qu'une 
seule  monnaie  en  Saxe. 

Le  pamphlet  que  nous  reproduisons  ici  ne  fait  pour 
ainsi  dire  pas  mention  des  questions  politiques  purement 
saxonnes  :  il  parle  de  la  monnaie  d'une  façon  générale, 
il  pose  les  principes  de  la  bonne  politique  monétaire  et 


der  Mûniz  halben  in  der  Chur  und  Furslen  zu  Sachssen  Landen  mil  dem 
Tilel  der  Gemeinen  stymmen  jdoch  sunder  nemen  kûrtzlich  jm  druck  aus- 
gangen  ist  von  denen  so  dagegen  die  wolfarl  der  Lande  aus  vnterlhenickeii 
auch  wol  meine.  Anno  Dominj,  M.  D.  X.  X.  X. 

^)  Voici  le  titre  exact  du  troisième  pamphlet  :  Apologia  und  voranl- 
wortung  des  was  wider  das  Buchlein  der  gemeine  siimmen  im  druck  aus- 
gangen  (1531). 

2)  V.  Klotz,  op.  cil.,  p.  254  et  s. 

3)  Le  Marc  contenait  16  Lot  et  chaque  Lot  18  Grân. 


XXXVIII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

énumère  les  nombreux  avantages  qui  découlent  de  cette 
sage  police.  Aussi,  d'un  intérêt  médiocre  pour  This- 
torien,  il  est  au  contraire  extrêmement  intéressant  pour 
l'économiste  car  il  établit  et  discute  dès  cette  époque 
(1530)  des  concepts  dont  on  a  parfois  fait  honneur  à 
des  écrivains  postérieurs. 

Deux  observations  surtout  méritent  une  étude  spé- 
ciale.   Tout    d'abord    l'auteur    anonyme     du    Gemeine 
Stimmen  a  une  notion,  vague  encore  évidemment,  mais 
cependant  assez  précise  pour  le  temps,  de  l'équation 
r  quantitative  :  «  La  marchandise  est  évaluée  et  vendue 
I  suivant  la  valeur  de  la  monnaie  :  quand  le  titre  de 
[  celle-ci   baisse,   le   prix   des  marchandises   augmentera 
^et  le  commerce  diminuera  ^.  »  Sans  doute,  n'est-ce  pas 
là  la  fameuse  théorie  quantitative,  mais  il  n'en  est  pas 
moins  curieux  de  voir  qu'à  cette  époque,  peu  de  temps 
après   Copernic,    dont   l'auteur   n'a   probablement   pas 
connu  les  travaux,  il  a  observé  ce  phénomène  avec  une 
netteté  aussi  grande. 

En  second  lieu,  on  trouve  dans  cet  écrit  une  opinion 
curieuse  sur  l'équilibre,  sur  la  balance  entre  l'ensemble 
des  dettes  d'une  part,  et  la  monnaie  en  circulation  d'autre 
part  :  «  Il  faut  se  demander  s'il  est  possible  que,  dans 
un  pays,  il  y  ait  autant  d'argent  comptant  que  de 
dettes  contractées  en  cet  argent  comptant  :  le  mal  pro- 
venant de  la  perte  des  capitaux  doit  être  beaucoup  plus 
grand  que  le  profit  et  l'avantage  résultant  du  change- 
ment de  monnaie  ^.  »  Cet  argument  qui  consiste,  pour 
prouver  la  nocivité  d'un  surhaussement  monétaire,  à 
montrer  que,  du  moment  que  l'ensemble  du  passif  est 
supérieur  à  la  masse  de  la  monnaie  à  laquelle  s'appli- 
quera ce  surhaussement,  les  pertes  seront  ipso  fado 
supérieures  aux  bénéfices  réalisés  du  fait  de  la  réforme 


1)  V.  Infra,  t.  I,  p.  40. 
«)  V.  Infra,  t.  I,  p.  45. 


INTRODUCTION  XXXIX 

monétaire,  est  assez  inhabituel  dans  les  écrits  de  cette 
époque  pour  qu'on  le  note  au  passage. 

Il  serait  exagéré  de  prétendre  voir  en  ce  pamphlet 
une  œuvre  de  grande  envergure,  mais,  si  on  le  replace 
à  son  époque,  si  on  tient  compte  des  circonstances  qui 
l'ont  fait  naître,  on  ne  manquera  pas  d'être  frappé  par 
ses  mérites,  par  la  solidité  du  raisonnement  et  par 
l'ordre  logique  avec  lequel  se  suivent  les  différents 
arguments. 

IV 

Ni  Copernic,  ni  l'auteur  des  Gemeine  Stimmen  ne 
s'étaient  posé  la  question  de  savoir  si  la  hausse  des 
prix  pouvait  avoir  une  autre  origine  que  l'affaiblis- 
sement de  la  monnaie.  La  hausse  des  prix,  en  effet,  à 
l'époque  où  ils  écrivaient  (1525-1530)  et  dans  les  pays 
dont  ils  s'occupaient,  ne  s'était  pas  encore  produite  ou, 
plutôt,  ne  s'était  manifestée  qu'avec  une  intensité  très 
restreinte.  Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  ce  sujet  : 
qu'il  nous  suffise  de  dire  que,  d'une  manière  générale, 
les  prix  ont  surtout  monté  d'une  façon  sensible  en 
Frai^ce  après  1540  ^,  faisant  suite  à  la  hausse  qui  s'était 
déjàfc4duite  en  Espagne  et  au  Portugal  ^.  Pendant 
quelques  années  en  France,  cette  hausse  n'inquiéta  outre 
mesure  ni  l'opinion  publique,  ni  les  savants  ;  puis, 
cette  cherté  se  prolongeant  et  se  généralisant,  cette 
cherté  devenant  telle  que  «  chascun  tant  grand  que  petit, 
la  sente  à  sa  bourse  »  ^,  on  se  préoccupa  sérieusement 
de  ce  nouvel  aspect  de  l'économie,  on  s'inquiéta  des 
causes  de  cette  cherté  et  des  remèdes  qu'il  serait  possible 
d'y  apporter. 

^)  V.  Simiand,  Recherches  anciennes  el  nouvelles  sur  le  mouvement  géné- 
ral des  prix  du  XV I^  au  XIX^  siècle,  Diagrammes  I  et  IV  en  particulier. 

2)  V.  Hauser,  La  Response  de  M  «  Jehan  Bodin  aux  Paradoxes  de  M.  de 
M aleslroit,  p.  x\i-Kyu.      --    ,. ^...^.^.^. .........  .-- 

»)  Cf.  Infra,  t.  I,  p.  55. 


XL  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

C'est  l'importance  de  plus  en  plus  grande  que  pre- 
naient les  questions  économiques  qui  fit  ériger,  en  1551, 
la  Cour  des  Monnaies  en  cour  souveraine  du  Royaume. 
Les  historiens  ont  négligé  pendant  assez  longtemps  les 
officiers  des  monnaies  ;  on  ne  se  rendait  pas  suffisamment 
compte  de  l'influence  qu'ils  avaient  eu  sur  la  politique 
monétaire  française,  sur  les  décisions  et  les  lois  concer- 
nant la  monnaie  i.  L'un  de  ces  officiers,  «  Conseiller  du 
Roi  et  Maistre  ordinaire  de  ses  comptes  »,  le  seigneur 
de  Malestroict,  fut  chargé,  «  tant  par  commandement  de 
Vostre  Maiesté  que  par  ordonnance  de  vostre  chambre 
des  comptes  ^  »,  ainsi  s'exprime-t-il  dans  la  préface  de 
son  œuvre,  de  travailler  «  au  faict  des  monnoyes  », 
c'est-à-dire  de  considérer  les  causes  de  «  l'estrange  enche- 
rissement  que  nous  voyons  pour  le  iou'rd'huy  de  toutes 
choses  ^  »  et  d'examiner  les  remèdes  susceptibles  d'atté- 
nuer ce  fâcheux  état  de  choses. 

Malestroict  déclare  avoir  travaillé  trois  ans  ce  pro- 
blème et  c'est  comme  le  résultat  de  ses  études  qu'il 
présente  en  1566  ses  Paradoxes  sur  le  faici  des  Monnoyes. 

On  ignore  à  peu  près  complètement  l'identité  de  ce 
conseiller  du  Roi.  Sur  la  page  de  titre  de  la  réédition 
des  Paradoxes  jointe  à  la  première  édition  de  la  Besponse 
de  Bodin  *,  un  lecteur  a  ajouté  une  note  manuscrite  : 
M®  Jehan  Cherruyt,  Sgr.  de  Malestroit.  Les  recherches 
faites  par  M.  Hauser  relativement  à  ce  personnage, 
notamment  au  Cabinet  des  Manuscrits  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  sont  restés  sans  résultat  ^.  Les  autres  anno- 
tations  de   cet  exemplaire   des  Paradoxes  n'apportent 

^)  Cf.  Germain-Martin,  La  Monnaie  el  le  crédit  privé  en  France  aux 
XV I^  el  XV 11^  siècles  [Revue  d" Histoire  des  doctrines  économiques  el  sociales, 
1909,  t.  II,  p.  1  et  s.)-  —  Harsin,  Les  Doctrines  monétaires  et  financières  en^ 
France  du  XVl^  au  XVIII^  siècle,  p.  4b. 

2)  Cf.  Infra,  t.  I,  p.  55. 

»)  Cf.  Infra,  t.  I,  p.  55. 

*)  Sur  l'exemplaire  annoté  conservé  à  la  Bibliothèque  Nationale  sous 
la  cote  Réserve  LF.  77.20.B. 

*)  Cf.  Hauser,  op.  cit.,  p.  xxv. 


INTRODUCTION  XLI 

aucune  lueur  nouvelle  sur  la  question  ;  ces  notes  se  rédui- 
sent en  réalité  à  quatre  :  les  trois  premières  sont  celles 
d'un  lecteur  presque  contemporain  de  la  publication  de 
l'ouvrage  :  il  y  a  d'abord  l'indication  dont  nous  venons 
de  parler  relative  à  la  personnalité  de  Malestroict,  puis, 
toujours  sur  la  page  de  titre  ^,  une  sorte  d'envoi  : 

Lecteur  ne  vous  esionne  point 
Sy  ces  deux  sont  d'avis  contraire 
Car  le  mal  estroil  ne  peut  plaire 
Au  bodin  qui  cherche  repas  ^. 

Une  autre  note,  qui  se  trouve  au  folio  a.  4.  Vo.  n'est 
qu'une  simple  explication  :  parce  qu'ils  pezoient  un  gros 
chacun. 

La  dernière  annotation  est  d'une  autre  écriture,  la 
même  que  celle  de  la  feuille  intercalée  dont  nous  donnons 
ci-après  la  teneur  ^,  et  consiste  en  ces  trois  mots  :  sols 
ou  douzains  *. 

C'est  peut-être  en  partie  cette  difficulté  d'identifier 
Malestroict  qui  a  fait  que  la  plupart  des  historiens  l'ont 
traité  avec  une  certain  mépris.  Un  auteur  dont  la  per- 
sonnalité est  connue  s'impose  avec  davantage  de  force 
et  d'autorité.  Il  convient  toutefois  de  signaler  que, 
depuis  quelque  temps,  un  certain  revirement  doctrinal 
s'est  produit  :  on  a  rendu  justice  à  l'œuvre  de  Males- 
troict, on  a  même  apprécié  sa  clarté  et  sa  valeur  ^.  Un 


^)  Reproduite  en  fac-similé  dans  Hauser,  op.  cil.,  hors-texte. 

2)  Lecture  de  M.  Hauser. 

»)  V.  Infra,  t.  I,  p.  53. 

*)  Toujours  folio  a.4.Vo.  de  l'exemplaire  numéroté  de  la  Bibliothèque 
Nationale.  M.  Hauser  fait  allusion  à  ces  annotations  (il  reproduit  d'autre 
part  celles  qui  ont  trait  au  texte  de  Bodin),  mais  sans  en  signaler  le  petit 
et  le  complet  manque  d'intérêt.  Par  contre,  les  passages  soulignés  sont 
nombreux. 

^)  Surtout  Hauser,  op.  cil.,  p.  xxxii  et  s.  et  La  Controverse  sur  les  mon- 
naies, 1566-1578  {Bulletin  du  Comité  des  travaux  scientifiques  et  historiques, 
section  des  Sciences  Économiques  et  sociales,  1905,  p.  14)  et  Hargin,  op.  cil.^ 
p.  33. 


XLII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

point  cependant  qu'on  n'a  jamais  suffisamment  mis  en 
relief  est  celui-ci  :  il  existe,  entre  le  but  que  se  proposait 
Malestroict  et  celui  que  voulait  atteindre  Bodin  deux 
ans  plus  tard  une  différence  fondamentale  :  le  premier 
faisait  un  rapport  au  Roi  et  à  la  Cour  des  Monnaies. 
Pourquoi  ce  rapport  a-t-il  été  publié,  on  l'ignore,  la 
seule  raison  qu'on  en  puisse  donner  est  l'intérêt  que 
prenait  le  public,  ou,  tout  au  moins,  un  certain  public, 
à  ces  discussions.  Il  y  avait  beaucoup  de  chances,  à 
notre  sens,  pour  que  ce  rapport  restât  inédit,  comme 
tant  d'autres.  Bodin,  au  contraire,  a  écrit  un  ouvrage, 
il  discute  à  fond  la  question,  il  fait  plus  qu'une  simple 
analyse,  il  philosophe  sur  ses  arguments  ^. 

Les    Paradoxes    présentent    quelques    idées    justes. 
«  C'était  un  grand  mérite,  écrit  M.  Hauser,  que  d'aper- 
cevoir dans  la  dépréciation  de  la  monnaie  une  des  causes 
au  moins  —  il  disait  la  cause  unique  —  de  la  hausse 
des  prix...  Il  l'affirme  (ce  rapport)  avec  une  rare  netteté^.  » 
f       Sans  doute,  Malestroict  n'a-t-il  pas  vu  (et  ce  fut  le 
j  grand  mérite  de  Bodin)  l'influence  de  l'afflux  des  métaux 
I  précieux  d'Amérique  ;  mais  jusqu'en  1560  à  peu  près, 
comme  M.  Harsin  en  fait  la  remarque  ^,  la  hausse  du 
coût  de  la  vie  concorda  à  peu  près  avec  l'affaiblissement 
des  monnaies  ^  et  Malestroict  était  un  peu  excusable  de 
ne  pas  s'être  rendu  compte  du  renversement  de  la  situa- 
^^tion.  Le  tort  de  Malestroict  en  somme  a  été  de  ne  s'atta- 
cher qu'au  problème  national  et  français  alors  que  l'ob- 
servation de  phénomènes  semblables  à  l'étranger  (sur- 
tout en  Espagne  et  au  Portugal  au  xvi^  siècle  et  en 


^)  V.  en  outre,  Infra,  Introduction,  p.  xliv. 

^)  Hauser,  op.  cit.,  p.  xxxii. 

^)  Harsin,  op.  cit.,  p.  34. 

*)  Raveau,  V Agriculture  et  les  classes  paysannes  dans  le  Haut-Poitou 
au  XV I^  siècle,  Introduction,  —  V.  également  dans  Simiand,  op.  cit.,  les 
analyses  des  œuvres  s' occupant  du  mouvement  des  prix  en  France  à  cette 
époque. 


INTRODUCTION  XLIII 

Italie  au  Moyen  âge)  lui  aurait  peut-être  livré,  comme 
à  Bodin,  la  clef  du  problème. 

Bien  souvent,  on  ne  prend  pas  garde  non  plus  au 
second  des  Paradoxes  de  Malestroict  :  Qu^il  y  a  beau- 
coup  à  perdre  sur  un  escu  ou  autre  monnoye  d'or  ou 
d'argent,  encores  qu'on, la  mette  pour  mesme  prix  qu'on 
la  reçoit.  Gomme  le  dit  M.  Harsin,  «  la  notion  du  pouvoir  ] 
d'achat  de  la  monnaie  est  donc  parfaitement  dégagée 
par  notre  auteur  et  les  exemples  qu'il  en  donne  achèvent 
de  préciser  son  étude  ^  ».  Malestroict  constate  fort  clai- 
rement la  perte  subie  du  fait  de  la  dépréciation  de  la 
monnaie,  par  le  roi  d'abord,  puis  par  «  les  seigneurs 
&  autres  subiectz  de  sa  Maiesté  qui  ont  cens,  gaiges, 
estatz  &  appoinctements  »  ;  ils  se  trouvent  (comme  le 
roi)  «  payez  en  cuyvre  au  lieu  d'or  et  d'argent  ^  ». 

Il  convient  également  de  signaler  dès  à  présent  que  ^ 
Bodin  en  1568,  lors  de  la  première  édition  de  son  œuvre, 
ne  fait  pour  ainsi  dire  aucune  mention  de  l'affaiblis-; 
sèment  de  la  monnaie  comme  cause  de  hausse  des  prix. 
En  1578,  lors  de  la  seconde  édition  de  la  Besponse.  il  ; 
consacre   au   contraire   de   longs   développements  à  ce  • 
point  de  vue  ^.  ^ 

Les  Paradoxes  d'ailleurs  ne  sont  pas  intéressants 
uniquement  par  eux-mêmes,  par  rapport  à  leur  auteur  : 
ils  le  sont  aussi  parce  qu'ils  ont  inspiré  pendant  très 
longtemps  toute  la  politique  monétaire  française  ;  ils 
renferment  en  quelque  sorte  la  doctrine  officielle  de  la 
Cour  des  Monnaies.  Nous  reparlerons  de  cette  question 
en  traitant  de  la  Besponse  de  Jean  Bodin  *,  car  il  est 
impossible  de  séparer  les  deux  ouvrages  :  la  thèse  doit 
être  considérée  en  même  temps  que  l'antithèse  et  celle-ci 
ne  se  comprendrait  pas  non  plus  sans   la  première. 


1)  Harsin,  op.  cit.,  p.  33. 

2)  Cf.  infra,  t.  I,  p.  65. 

3)  V.  infra,  t,  I,  variantes,  p.  146  et  s. 
*)  V.  infra,  t.  I,  Introduction,  p.  xlix-li. 


XLIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


Il  ne  saurait  être  question  de  comparer  les  Paradoxes 
de  Malestroict  à  la  Response  de  Jean  Bodin.  Les  deux 
œuvres,  nous  l'avons  dit,  se  placent  sur  des  plans  dif- 
férents, répondent  à  des  buts  qui  ne  sont  pas  les  mêmes  ; 
le  tort  de  nombreux  historiens  a  été  justement  de  vou- 
loir assimiler  ces  deux  ouvrages.  La  Response  n'a  pas 
été,  à  notre  sens,  déterminée  uniquement  par  la  publi- 
cation des  Paradoxes  ;  Bodin  s'intéressait  depuis  long- 
temps à  ces  questions,  «  son  activité  intellectuelle  a 
toujours  fait  une  large  place  aux  questions  économiques.. 
Cette  information  très  étendue  et  très  variée  témoigne 
d'une  curiosité  économique  qui  apparaît  de  bonne  heure 
dans  ses  ouvrages  ^  ».  La  publication  des  Paradoxes 
a  peut-être  été  la  raison  immédiate  de  celle  de  la  Res- 
ponse, mais  Bodin  aurait  certainement,  même  dans  le 
cas  où  les  Paradoxes  n'auraient  pas  été  écrits,  soit  rédigé 
un  ouvrage  analogue  à  la  Response,  soit  intercalé  des 
développements  du  même  genre  dans  la  République. 

Sans  doute  Bodin  se  laissa-t-il  entraîner  par  la  dis- 
cussion au  point  de  nier  catégoriquement  tout  ce  que 
prétend  Malestroict  :  ainsi,  dans  la  première  édition 
(1568)  il  n'accorde  aucune  importance  à  l'influence  des 
affaiblissements  monétaires  sur  la  hausse  des  prix  et 
il  y  consacre  au  contraire  de  longs  développements 
dans  la  seconde  édition  de  son  œuvre  (1578)  ^.  Souvent 
les  admirateurs  de  Bodin  n'ont  pas  relevé  cette  lacune 
qui  existe  dans  la  première  édition  de  la  Response. 

Remarquons  tout  de  suite  que  Bodin  ne  nous  donne 
aucune  précision  relativement  à  la  personnalité  de 
Malestroict   :   il  le  présente   comme  un  homme  «  qui 


^)  Hauser,  op.  cil.,  p.  xxxvii  et  xxxix. 

2)  V.  infra,  t.  I,  p.  146  et  s.  notes  de  variantes. 


INTRODUCTION  XLV 

méritoit  bien  que  un  plus  grand  que  moy  lui  fîst  res- 
ponse  ^  »,  mais  il  ne  va  pas  plus  loin  que  cette  banale 
formule  de  politesse  ;  la  seule  indication  que  nous  pou- 
vons trouver  dans  la  Response  est  que,  lors  de  la  réédition 
de  1578,  tous  les  «  Monsieur  de  Malestroit  »  sont  changés 
en  «  Malestroit  ».  Cette  suppression  du  Monsieur  indique 
peut-être  que  la  mort  de  Malestroict  doit  être  située 
entre  1568  et  1578.  Il  est  possible  que  ce  soit  aussi  un 
peu  à  la  disparition  de  son  contradicteur  qu'il  faut 
attribuer  les  nouveaux  développements  de  Bodin  rela- 
tifs à  l'influence  des  mutations  monétaires  où  il  se 
déjuge  un  tant  soit  peu.  Signalons  une  petite  parti- 
cularité :  Malestroict  s'écrit  avec  un  «  c  »  dans  l'édition 
des  Paradoxes  de  1566  comme  dans  la  réimpression  de 
1568  placée  en  tête  de  la  Response  et  au  contraire,  dans 
cette  dernière,  Bodin  écrit  toujours  Malestroit  sans  «  c  ». 

On  peut  diviser  la  Response  en  deux  parties  assez 
distinctes  :  dans  la  première,  Bodin  critique  les  arguments 
de  Malestroict,  dans  la  seconde,  il  expose  au  contraire 
ses  idées  personnelles. 

Dans  la  partie  critique,  Bodin  reproche  surtout  à  ' 
Malestroit  certaines  erreurs  commises  par  lui  dans  la 
comparaison  entre  les  espèces  monétaires  en  cours  à 
l'époque  et  les  monnaies  plus  anciennes.  Il  n'y  a  pas 
de  meilleure  preuve  de  la  complication  du  système  moné- 
taire d'alors  que  les  discussions  auxquelles  il  donnait 
lieu  ;  aujourd'hui  encore,  malgré  le  progrès  des  études 
numismatiques,  malgré  la  connaissance  presque  parfaite  ^ 
que  l'on  a  des  lois  et  des  ordonnances  ayant  influé  sur 
la  circulation  monétaire,   certains  points  n'en  restent 
pas  moins  dans  l'ombre.  Il  ne  faut  d'ailleurs  pas  s'ima-1 
giner  que  toutes  les  assertions  de  Bodin  relatives  à  la  1 


1)  Cf.  infra,  t.  1,  p.  74. 


XLVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

r 

I  monnaie  soient  justes  :  il  a  fait  lui  aussi  quelques  erreurs 

1  dans  ses  évaluations,  erreurs  que  l'on  trouvera  relevées 

(_dans  le  commentaire  de  M.  Hauser  ^. 

Dans  sa  Préface,  Bodin  commence  par  affirmer  que 
Malestroict  soutient,  comme  c'est  exact,  une  opinion 
contraire  à  celle  du  public  :  «  Monsieur  de  Malestroit... 
a  publié  un  petit  livret  de  paradoxes  où  il  soustient 
contre  l'opinion  de  tout  le  monde,  que  rien  n'est  enchéri 
depuis  trois  cens  ans  2.  »  Dès  le  début  de  son  ouvrage, 
Bodin  s'attaque  aux  arguments  de  Malestroict.  Tout 
d'abord  «  devant  que  passer  outre  »,  il  déclare  vouloir 
poser  brièvement  le  raisonnement  syllogistique  sur 
lequel  repose  la  démonstration  de  Malestroict.  «  On 
ne  peult  dit-il  (Malestroict),  se  plaindre  que  une  chose 
soit  maintenant  plus  chère  qu'elle  n'estoit  il  y  a  trois 
cens  ans  :  sinon  que  pour  l'achepter  il  faille  maintenant 
bailler  plus  d'or  ny  d'argent  que  l'on  ne  bailloit  alors. 
Or  est-il  que  pour  l'achapt  de  toutes  choses  Ion  ne  baille 
point  maintenant  plus  d'or  ny  d'argent  qu'on  en  bailloit 
alors.  Donc  puis  ledit  temps  rien  n'est  enchéri  en  France. 
Voyla  sa  conclusion,  qui  est  nécessaire  si  on  luy  donne 
la  mineure  ^.  »  Et  de  s'attaquer  ensuite  à  l'exemple 
du  velours  sur  lequel  Malestroict  base  une  partie  de  son 
raisonnement. 

Les  arguments  de  Bodin  sont  parfois  présentés  dans 
un  ordre  un  peu  décousu,  mais  il  faut  bien  dire  qu'il  les 
appuie  sur  des  données  extrêmement  solides  :  les  chiffres 
qu'il  donne,  les  prix  anciens  et  nouveaux  qu'il  cite 
correspondent  le  plus  souvent  à  peu  près  exactement  à 
ceux  qu'ont  révélés  les  recherches  modernes. 

La  partie  critique  et  la  partie  constructive  ne  sont 
pas,  tant  s'en  faut,  nettement  séparées  l'une  de  l'autre. 


^)  Y.  en  particulier  Hauser,  op.  cit.,  p.  86  (note  à  p.  5,  lignes  16-17), 
p.  101  (note  à  p.  25,  ligne  32). 
2)  Cf.  infra,  t.  I,  p.  74. 
8)  Ibid,,  p.  76. 


INTRODUCTION  XLVII 

Les  arguments  destinés  à  prouver  le  mal-fondé  des  asser- 
tions de  Malestroict  et  les  raisonnements  qu'il  tire  des 
faits  personnellement  observés  par  lui  s'entremêlent  et, 
parfois,  la  même  idée  sert  indistinctement  aux  deux 
buts.  Notons  en  passant,  à  propos  du  fondement  de  lai 
Besponse,  que  c'est  Bodin  qui  a  eu  probablement  le 
premier  l'idée  de  l'observation  scientifique  et  raisonnée 
des  phénomènes  économiques.  Son  œuvre  a  marqué  une 
étape  importante  de  la  littérature  économique.  — 

Dans  la  première  édition,  Bodin  déclare  attribuer  la^ 
hausse  des  prix  à  trois  causes  ;  il  en  cite  d'ailleurs  quatre  : 
«  le  trouve  que  la  charte  que  nous  voyons  vient  pour 
trois  causes.  La  principale  &  presque  seule  (que  per- 
sonne iusques  icy  n'a  touchée)  est  l'abondance  d'or  & 
d'argent  qui  est  auiourd'huy  en  ce  royaume  plus  grande 
qu'elle  n'a  esté  il  y  a  quatre  cens  ans.  le  ne  passe  point 
plus  oultre,  aussi  l'extraict  des  registres  de  la  Cour  & 
de  la  chambre  que  i'ay,  ne  passe  poinct  quatre  cens  ans. 
Le  surplus,  il  le  faut  ceuillir  de  vieilles  histoires  avec  peu 
d'asseurance.  La  seconde  occasion  de  charte  vient  en 
partie  des  monopoles.  La  troisième  est  la  disette,  qui 
est  causée  tant  par  la  traitte  que  par  le  degast.  La  der- 
nière est  le  plaisir  des  roys  &  grans  seigneurs,  qui  hausse 
le  pris  des  choses  qu'ils  aiment  ^.  »  Dans  la  seconde 
édition,  celle  de  1578,  il  introduit  une  importante  modi- 
fication :  «  La  cinquiesme  (cause)  est  pour  le  pris  des  mon- 
noyes  ravalé  de  son  ancienne  estimations.  »  Et  plus  loin 
(V.  Variante,  p.  146)  il  s'étend  longuement  sur  ce  point. 

Nous  ne  discuterons  pas  en  détail  les  arguments  de 
Bodin  quand  il  discute  Malestroict.  Nous  nous  bornerons 
à  dire  qu'alors  que  ce  dernier  déclarait  que  le  prix  des 
choses  n'avait  aucunement  augmenté,  que  cette  cherté 
n'était  qu'une  apparence,  car  on  ne  donnait  pas  plus 
d'or  et  d'argent  que  jadis,  Bodin  affirme  au  contraire 

1)  Ibid.,  p.    83-84. 


XLVIII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  les  prix  ont  haussé  de  trois  à  quatre  fois  depuis  un 
siècle.  Il  appuie  son  raisonnement  sur  une  série  d'exem- 
ples tirés  des  coutumes,  en  écartant,  comme  l'avait 
d'ailleurs  fait  Malestroict,  les  années  de  disette  et  de 
trop  mauvaise  récolte  ^. 

C'est  quand  il  s'agit  d'établir  les  causes  de  cette 
cherté  que  Bodin  devient  vraiment  original  et  intéres- 
sant :  «  il  faut  donc  montrer  qu'il  n'y  avoit  pas  tant 
d'or  &  d'argent  en  ce  royaume  il  y  a  trois  cens  ans  qu'il 
y  a  maintenant  ^  ».  Et,  pour  ce  faire,  il  montre  que  les 
rois  ont  levé  dernièrement  et  avec  facilité  de  grandes 
sommes  soit  par  l'impôt,  soit  par  des  moyens  extra- 
ordinaires, notamment  pour  payer  des  rançons,  alors 
qu'autrefois  le  moindre  subside  faisait  se  plaindre  le 
peuple,  il  montre  que  les  grandes  baronnies  se  vendent 
plus  cher  qu'il  y  a  quelques  siècles.  Mais  d'où  vient  tout 
cet  or  et  cet  argent  que  l'on  trouve  maintenant  en 
abondance,  ?  Ici  aussi,  il  y  a  plusieurs  causes  différentes  : 
la  principale  est  le  commerce  extérieur,  «  le  marchand 
&  l'artisan  qui  font  venir  l'or  &  l'argent  ^  ».  L'autre, 
«  c'est  le  peuple  infini  qui  s'est  multiplié  en  ce  royaume, 
depuis  que  les  guerres  civiles  de  la  maison  d'Orléans  & 
de  Bourgogne  furent  assoupies...  Car  la  guerre  de  l'es- 
tranger  que  nous  avons  eu  depuis  ce  temps  la,  n'estoit 
qu'une  purgation  de  mauvaises  humeurs  nécessaire  à 
tout  le  corps  de  la  repub  *.  »  Une  troisième,  qui  se  rat- 
tache d'ailleurs  à  la  première,  est  «  la  trafique  du  Levant, 
qui  nous  a  este  ouverte  par  l'amitié  de  la  maison  de 
France  avec  la  maison  des  Othomans  du  temps  du  Roy 
François  premier  ^  ».  La  dernière  enfin  à  l'efficacité  de 
laquelle  nous  ne  croyons  pas  beaucoup,  fut  l'influence 


^)  Ainsi  l'année  1565. 

2)  Cf.  infra,  t.  I,  p.  85. 

3)  Ibid.,  p.  89. 
*)  Ibid.,  p.  91. 
^)  Ibid.,  p.  92. 


INTRODUCTION  XLIX 

de  la  banque  de  Lyon  et  des  rentes  constituées  sur  la 
Ville  de  Paris  ^, 

Mais  tout  cet  or  nouveau  que  nous  acquérons  par 
le  moyen  du  commerce  international  ou  par  tout  autre 
canal,  quelle  est  son  origine  ?  Il  nous  vient  des  Indes  à 
travers  l'Espagne,  car  les  habitants  de  ce  dernier  pays 
ont  perdu  l'habitude  de  travailler  et  tous  les  artisans 
ou  presque  sont  des  Français,  «  parce  qu'ils  gaignent 
au  triple  de  ce  qu'ils  font  en  France  :  car  l'Espagnol 
riche,  hautain  &  paresseux,  vend  sa  peine  bien  cher  ^  ». 
A  l'occasion  du  commerce  avec  l'étranger,  Bodin  ne 
manque  pas  de  souligner  la  position  privilégiée  dans 
laquelle  se  trouve  la  France,  argument  présenté  d'ail- 
leurs à  l'époque  par  tous  les  écrivains  de  tous  les  pays. 

On  peut  relever  chez  Bodin  une  certaine  contradic- 
tion relative  à  ses  idées  sur  le  commerce  :  il  semble 
partisan  d'une  liberté  entière,  ainsi  le  droit  d'aubaine 
«  empesche  le  cours  de  la  trafique,  qui  doibt  estre  franche, 
libre,  pour  la  richesse  &  grandeur  d'un  royaume  ^  », 
ce  qui  ne  l'empêche  pas,  après  cette  affirmation  de 
principes,  de  réclamer  certaines  limitations  à  cette 
liberté  qu'il  prônait  si  fort  un  instant  auparavant. 

Il  faut  se  garder  de  juger  Bodin  suivant  les  idées  que 
nous  avons  actuellement  sur  la  précision  et  la  propriété 
des  termes  et  des  expressions.  Bodin  est  parfois  obscur, 
son  style  est  contourné,  peu  clair,  sa  terminologie  n'est 
pas  encore  nettement  dégagée.  Ce  sont  là  toutefois  des 
défauts  communs  aux  écrits  de  cette  époque. 

Ils  n'ont  pas  empêché  la  diffusion  de  son  œuvre 
qui  alla  toujours  en  croissant  :  ses  nombreuses  éditions 
en   sont   la   meilleure   preuve   *.    Toutefois,    comme   le 

1)  Ibid.,  p.  93. 

2)  Ibid.,  p.   94. 

3)  Ibid.,  p.  121. 

*)  Nous  ne  donnons  pas  la  liste  détaillée  des  différentes  éditions  de  la 
Response,  trois  seulement  présentant  de  l'intérêt  :  l'édition  originale  de 
1568,  la  seconde  édition  de  1578  et  la  toute  récente  édition  Hauser  (Paris, 
A.  Colin,  1932).  Signalons  d'autre  part  que  l'œuvre  de  Bodin  fut  traduite 

LE  BRANCHU  d 


L  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

remarque  avec  beaucoup  de  justesse  M.  Harsin  ^,  l'in- 
fluence de  Bodin  ne  se  fit  pas  sentir  immédiatement.  Il 
n'y  a  que  peu  d'auteurs  qui  partagent  entièrement  ses 
idées  ;  la  plupart,  ainsi  que  tous  les  officiers  des  Mon- 
naies, adoptent  le  point  de  vue  de  Malestroict.  Bien 
plus,  on  ne  trouve  aucune  trace  de  ses  idées  dans  la 
législation  de  son  temps.  «  Le  célèbre  édit  de  1577  qui 
abolissait  l'usage  de  la  monnaie  de  compte,  préparé 
d'ailleurs  par  l'ordonnance  de  1571  qui  avait  autorisé 
le  compte  par  écu,  consacra  la  thèse  qui  résultait  de  la 
publication  de  son  adversaire  Malestroict.  Les  délibé- 
rations des  notables  de  l'assemblée  de  Saint-Germain- 
des-Prés  sont  significatives  à  cet  égard.  Les  réformes 
de  Bodin  ne  paraissent  même  pas  avoir  été  sérieuse- 
ment envisagées  ^.  »  On  trouve,  il  est  vrai,  en  sens 
contraire,  une  affirmation  de  Bodin  lui-même  ^  qui  pré- 
tend qu'aux  États  de  Blois  en  1576  les  généraux  des 
Monnaies  approuvèrent  son  système  ;  mais  cette  appro- 
bation fut  toute  platonique  et  il  n'en  résulta  aucun  essai 
de  mise  en  œuvre.  Au  siècle  suivant,  alors  qu'on  avait 
pu  observer  les  faits  avec  plus  de  précision,  un  auteur 
inspiré  dit-on  par  Richelieu,  de  Grammont  *,  s'il  critique 
Malestroict  et  s'il  soutient  contre  lui  que  la  quantité  de 
monnaie  a  réellement  augmenté  et  que  les  prix  ont  bien 
haussé,  n'en  objecte  pas  moins  à  Bodin  que  la  valeur 
totale  des  signes  monétaires  en  circulation  est  demeurée 
la  même,  bien  que  l'unité  de  valeur  ait  diminué.  On 
trouvera  d'ailleurs  dans  l'œuvre  de  Davanzati,  que 
nous  publions  ici,  des  idées  qui  se  rapprochent  de  celles 
exprimées  par  de  Grammont  ^. 

en  anglais  sur  l'ordre  de  l'archevêque  de  Canterbury  quelques  années  après 
sa  publication  (cf.  Préface  de  la  seconde  édition,  infra,  t.  I,  p.  73). 

^)  Harsin,  op.  cil.,  p.  42. 

*)  Ihid.,  p.  43. 

»)  V.  infra,  t.  I,  p.  172. 

*)  Auteur  du  livre  intitulé  Le  Denier  royal,  curieux  traité  de  Vor  et  de 
V argent  publié  à  Paris  en  1620. 

»)  V.  infra,  t.  II,  p.  217. 


INTRODUCTION  LI 

Aujourd'hui,  la  controverse  Malestroict-Bodin  qui 
se  trouve  résumer  tous  les  conflits  de  doctrines  de 
l'époque,  est  définitivement  tranchée  en  faveur  de 
l'auteur  de  la  Besponse.  L'essai  de  réhabilitation  des 
Paradoxes,  réhabilitation  dont  nous  sommes  partisan, 
ne  nuit  aucunement  à  la  valeur  plus  grande  encore  de  la 
Besponse.  Bodin,  comme  Malestroict,  est  partisan  d'une 
monnaie  saine  et  stable,  il  se  déclare  en  faveur,  comme 
Copernic,  d'un  régime  bimétalliste  et  d'un  rapport  stable 
entre  l'or  et  l'argent  sur  la  base  1-12  et  il  proclame  bien 
haut  que  l'on  doit  se  garder  d'affaiblir  la  monnaie.  Cette 
hausse  des  prix,  qui,  pour  Malestroict,  n'existait  pas, 
n'est  pas  forcément  un  mal  aux  yeux  de  Bodin,  «  car 
l'abondance  d'or  et  d'argent  qui  est  la  richesse  d'un 
pays,  doibt  en  partie  excuser  la  charte  ».  Cette  phrase 
semble  impliquer  l'adhésion  de  Bodin  à  la  thèse  chry- 
sohédonique. 

Le  grand  mérite  de  notre  auteur  est  d'avoir,  le  pre- 
mier, justement  attribué  la  hausse  des  prix  à  l'afflux 
d'or  et  d'argent  en  provenance  d'Amérique.  Cette  supé- 
riorité qu'il  a  eue  sur  Malestroict,  il  la  doit  à  ses  obser- 
vations minutieuses  des  phénomènes  économiques,  à 
son  art  de  classer  et  d'interpréter  ces  osbservations,  en 
un  mot,  à  sa  méthode. 


VI 


En  économie  politique,  de  même  que  pour  toute 
autre  science,  il  y  a  parfois  des  réputations  usurpées  ; 
ce  n'est  pas  que  nous  prétendions  diminuer  le  mérite 
de  Sir  Thomas  Gresham  :  nous  considérons  au  contraire 
celui-ci  comme  un  grand  financier,  comme  un  banquier 
et  un  marchand  éminent,  comme  un  homme  qui  a,  l'un 
des  premiers,  compris  les  problèmes  du  change  inter- 
national et  approfondi  leurs  difficultés.  Mais  où  l'on  a 


LU  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

manifestement  exagéré,  c'est  quand  on  a  accepté  le 
jugement  de  MacLeod  et  quand  on  a  voulu  voir  en 
Sir  Thomas  le  premier  à  avoir  énoncé  la  fameuse  loi  : 
la  mauvaise  monnaie  chasse  la  bonne  de  la  circulation. 

Thomas  Gresham  naquit  vers  1519  ;  c'était  le  second 
fils  de  Sir  Richard  Gresham,  Baronet.  Marchand  impor- 
tant de  Londres,  il  eut  vite  à  s'occuper  du  problème  du 
change  des  monnaies  et  il  acquit  ainsi  rapidement  une 
parfaite  connaissance  du  commerce  de  la  banque. 
En  1551,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  son  Avis  à  Sa 
Très  Excellente  Majesté  la  Heine,  que  nous  reproduisons 
ici,  «  Le  Roi  (Edouard  VI)  le  chargea  d'être  son  agent  » 
à  Anvers,  dans  le  double  but  de  payer  les  dettes  du  Roi 
et  de  faire  monter  le  change,  alors  à  15  ou  16  shillings 
flamands  pour  une  livre  sterling. 

Il  faut  mentionner  ici  que  Thomas  Gresham  était 
l'ami  et  le  confident  de  John  Dudley  et  que  c'est  grâce 
à  ce  personnage  qu'il  se  vit  confier  un  poste  aussi  impor- 
tant. John  Dudley,  fils  d'Edmund  Dudley,  conseiller 
privé  de  Henri  VIII,  eut  une  carrière  excessivement 
rapide  et  glorieuse  :  en  1538,  il  est  député-gouverneur  de 
Calais  et  fait  vicomte  Lisle  en  1542.  Exécuteur  testa- 
mentaire de  Henri  VIII  en  1547,  il  atteignit  l'apogée  de 
sa  faveur  en  1551  et  1552,  époque  à  laquelle  il  fut  créé 
duc  de  Northumberland  et  Lord  Chancelier.  L'année 
suivante,  il  tomba  en  disgrâce  et  fut  décapité  à  la  Tour 
de  Londres  le  22  août  1553. 

Les  dettes  considérables  que  la  couronne  anglaise 
avait  contractées  dans  les  Flandres  et  au  paiement  des- 
quelles devait  s'efforcer  Gresham  n'étaient  pas  tant  le 
fait  du  Roi  Edouard  VI,  monarque  enfant  et  tenu  en 
tutelle,  que  celui  de  Henri  VIII  et  après  lui  du  Protecteur, 
duc  de  Somerset.  Ils  avaient  contracté  dans  les  Flandres, 
et  également  auprès  des  Fugger,  des  dettes  considérables 
pour  l'époque,  dont  les  arrérages  s'élevaient  à  quelques 
quarante   mille   livres   par   an.    Toute   la   politique   de 


INTRODUCTION  LUI 

Gresham  consista  à  augmenter  la  masse  d'or  et  d'argent 
en  circulation  en  Angleterre,  tout  en  payant  les  dettes 
royales  ;  ce  n'était  là  d'ailleurs  que  la  politique  tradi- 
tionnelle de  Wolsey  ^.  Mais  les  efforts  de  Gresham  se 
montrèrent  autrement  fructueux  que  ceux  du  Cardinal  : 
dès  le  début  de  1552,  il  remboursa  63.500  livres  aux 
Fugger,  et,  peu  après,  encore  14.000  livres.  En  août  1552, 
il  demande  au  gouvernement  anglais  1 .200  ou  1 .300  livres 
par  semaine,  avec  lesquelles  il  se  procurerait  200  ou 
300  livres  chaque  jour  par  le  change  ;  il  se  faisait  fort 
ainsi  de  rembourser  en  deux  ans  les  dettes  du  Roi  ;  sui- 
vant certaines  estimations,  celles-ci  se  montaient  alors 
à  108.000  livres  sterling  2.  Le  plan  fut  adopté  par  le 
Conseil  du  Roi,  mais  les  paiements  ne  durèrent  que 
quelques  semaines  et  ainsi  tous  les  projets  de  Gresham 
ne  purent  être  exécutés. 

A  l'avènement  de  Marie  Tudor,  Gresham  tomba  en 
disgrâce  ;  il  perdait  d'autre  part  son  protecteur,  le  duc 
de  Northumberland,  et  le  remplaçant  de  celui-ci,  Gardi- 
ner,  évêque  de  Winchester,  était  l'ennemi  personnel 
de  Gresham.  Ce  dernier  fait  d'ailleurs  allusion  dans  son 
«  Avis  à  la  Reine  »  à  l'hostilité  de  Gardiner.  L'office 
de  Gresham  ne  fut  pas  supprimé,  mais  on  mit  à  sa  place 
l'Alderman  William  Dauntrey. 

Cependant  Gresham  multiplia  les  démarches  pour 
qu'on  lui  rendit  son  poste  d'agent  dans  les  Flandres  ; 
il  trouva  de  nouveaux  protecteurs  et  arriva  à  ses  fins  ; 
il  reprit  ses  fonctions  le  13  août  1553.  Comme  l'expor- 
tation d'or  et  d'argent  était  interdite  dans  les  Pays- 
Bas  avec  autant  de  rigueur  qu'elle  l'était  à  la  même 
époque  en  Angleterre,  Gresham  imagina  de  nombreux 
moyens  de  contourner  cette  défense  :  il  allait  jusqu'à 
acheter  et  à  corrompre  les  fonctionnaires  des  douanes. 


^)  Cf.  Shaw,  Histoire  de  la  Monnaie,  p.  89  et  s. 

*)  Burgon,  Life  and  Times  of  Sir  Thomas  Gresham,  t.  I,  p.  88-94. 


LIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

On  sait  d'ailleurs  que  ces  interdictions  légales  qui  exis- 
taient alors  dans  tous  les  pays  ou  presque  ne  furent 
jamais  respectés  ^. 

Gomme  il  le  met  en  vedette  dans  son  Avis  à  la  Reine 
les  efforts  de  Gresham  firent  notablement  monter  le 
change  et  rétablirent,  pour  un  temps,  l'équilibre  finan- 
cier de  l'Angleterre.  Nous  disons  «  pour  un  temps  », 
car  ces  mêmes  difficultés  se  représentèrent  à  de  nom- 
breuses reprises.  Signalons  notamment  en  1575  une 
pétition  de  la  Gour  des  Monnaies  demandant  l'établis- 
sement du  compte  en  monnaie  réelle  et  la  suppression 
de  la  monnaie  de  compte  ^,  En  1595,  «  vingt  ans  plus 
tard  le  sujet  tout  entier  fut  examiné  de  nouveau,  pour 
la  cinquantième  fois,  et  soumis  à  l'avis  du  Gonseil  Privé 
anglais  ;  il  fut  montré  «  comment  les  changeurs  étran- 
gers réussissaient,  en  arrangeant  une  hausse  ou  une 
baisse  de  telle  monnaie  spéciale,  à  évaluer  trop  bas  les 
monnaies  anglaises  et  à  les  tirer  du  Royaume  ».  Des 
actes  du  Parlement  ont  vainement  essayé  de  l'empêcher, 
tout  comme  la  mission  de  Sir  Thomas  Gresham  aux 
Pays-Bas  pour  porter  plainte  et  la  création  de  l'office 
de  Vexchanger  qui  a  été  discontinué  comme  dangereux  à 
l'État.  Une  banque  fut  proposée,  mais  la  Reine  n'ayant 
pas  les  100.000  livres  nécessaires  pour  l'établir,  il  est 
proposé  actuellement  de  fixer  le  change  à  10  ou  12  %, 
le  taux  devant  être  annuel,  suivant  l'État  des  affaires, 
alors  qu'on  paie  aujourd'hui  jusqu'à  20  %  ^  ». 

Le  rôle  de  Sir  Thomas  Gresham  fut,  comme  on  le 
voit,  loin  d'être  négligeable  et,  s'il  fut  incapable  de  rem- 
bourser les  dettes  anglaises  et  de  redresser,  de  façon 
définitive,  le  cours  du  change  britannique,  la  faute  en 
est  au  gouvernement  qui  ne  lui  donna  pas  les  moyens 


1)  V.  une  appréciation  sur  cette  question  dans  le  Compendieux  ou  bref 
examen...  infra,  t.   II,  p.   120-121,  §   138. 

2)  V.  le  texte  de  cette  pétition  dans  Shaw,  op.  cil.,  p.  65-66. 
*)  Shaw,  op.  cit.,  p.  54-55. 


INTRODUCTION  LV 

d'y  parvenir  et  non  à  lui-même.  Il  est  permis  de  croire 
que,  si  on  lui  avait  donné  le  pouvoir  d'agir  comme  il 
l'entendait,  Gresham  aurait  mené  à  bien  sa  délicate 
mission. 

Dans  l'histoire  des  doctrines  économiques  toutefois, 
ce  n'est  pas  tant  par  ses  qualités  de  banquier  et  de 
financier  qu'est  connu  Gresham  :  c'est  surtout  comme 
créateur  de  la  loi  qui  porte  son  nom  qu'on  se  souvient 
aujourd'hui  de  lui. 

Dans  le  Didionary  of  Poliiical  Economy  ^,  MacLeod, 
parlant  des  effets  de  la  circulation  simultanée  de  deux 
monnaies,  l'une  bonne  et  l'autre  mauvaise  en  valeur 
intrinsèque,  constate  que  la  bonne  monnaie  disparaît 
de  la  circulation  et  que  celle-ci  ne  comprend  plus,  à  la 
longue,  que  de  la  mauvaise  monnaie.  Il  ajoute  que  le 
premier  Gresham  observa  et  analysa  ce  phénomène  et 
qu'ainsi  il  est  juste  de  donner  à  cette  loi  économique  le 
nom  de  cet  «  éminent  marchand  ». 

Il  est  curieux  de  voir  que  presque  tous  les  économistes 
ont  suivi  MacLeod  dans  cette  voie,  faisant  preuve  en 
cela  d'un  manque  complet  d'érudition.  On  peut  en  effet 
trouver  ce  fait  rapporté  dans  Aristophane  :  sous  l'ar- 
chonte Antigènes,  en  407  A.  G.  (année  de  la  représen- 
tation des  Grenouilles),  on  remplaça  la  bonne  monnaie 
d'argent  par  une  monnaie  d'or  où  la  proportion  du 
cuivre  était  très  forte.  Voici  comment  s'exprime  Aris- 
tophane :  «  Nous  avons  remarqué  que,  dans  cette  ville, 
on  en  use  à  l'égard  des  honnêtes  gens  comme  à  l'égard 
de  l'ancienne  monnaie.  Celle-ci  était  sans  alliage,  la 
meilleure  de  toutes,  la  seule  qui  ait  cours  chez  les  Grecs 
et  chez  les  Barbares  ;  mais,  au  lieu  d'en  user,  nous  pré- 
férons les  méchantes  pièces  de  cuivre  nouvellement 
frappées  et  de  mauvais  aloi.  Il  en  est  de  même  des 
citoyens  :  ceux  que  nous  savons  être  bien  nés,  modestes, 

1)  p.  464,  §  123. 


LVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

probes,  habiles  aux  exercices  de  la  palestre,  à  la  danse, 
à  la  musique,  nous  les  outrageons  ;  tandis  que  nous 
trouvons  bons  à  tout  des  infâmes,  des  étrangers,  des 
esclaves,  des  vauriens  de  mauvaise  famille,  des  nou- 
veaux venus  dont  autrefois  la  ville  n'eût  même  pas 
voulu  pour  victimes  expiatoires  ^.  » 

Sans  doute,  n'est-ce  pas  là  l'expression  bien  scien- 
tifique de  la  loi  dite  de  Gresham.  Mais  il  importe  de  se 
rappeler  les  circonstances  et  de  se  souvenir  du  but 
même  de  l'auteur  :  Aristophane  n'était  pas  un  écono- 
miste, ce  n'était  qu'un  écrivain  ayant  pour  but,  dans 
cette  œuvre,  de  faire  la  critique  des  institutions  athé- 
niennes. 

Et  même  si  l'on  ne  veut  pas  attribuer  la  paternité 
de  cette  découverte  à  Aristophane,  bien  avant  Gresham, 
en  1515-1525,  Copernic  avait  déjà  formulé  cette  loi  et 
Pavait  formulé  après  de  profondes  observations  et  d'une 
manière  toute  scientifique  ^.  Rappelons  enfin  qu'on  la 
trouve  également  dans  les  manuscrits  du  Compendieux 
et  bref  examen  ^... 

Il  importe  donc  de  reviser,  comme  l'ont  fait  d'ail- 
leurs de  nombreux  auteurs  modernes,  le  jugement  hâtif 
et  complètement  dépourvu  d'objectivité  de  MacLeod. 
Le  rôle  de  Sir  Thomas  Gresham,  observateur  très  avisé 
des  phénomènes  du  change,  l'un  des  premiers  peut-être 
à  avoir  pénétré  le  secret  des  échanges  internationaux, 
créateur  de  la  Bourse  de  Londres,  est  assez  glorieux 
pour  qu'on  ne  songe  pas  à  lui  attribuer  la  paternité 
d'une  loi  qui,  s'il  l'a  conçue,  avait  déjà  été  observée  et 
formulée  bien  avant  lui 

^)  Les  Grenouilles,  traduction  d'Artaut,  v,  718  et  s. 
2)  V.  infra,  t.  I,  p.  12. 
8)  V.  infra,  t.  II,  p.  156. 


INTRODUCTION  LVII 


VII 


L'ouvrage  que  nous  présentons  sous  le  titre  de 
«  Compendieux  ou  bref  examen  de  quelques  plaintes 
coutumières  à  divers  de  nos  compatriotes  des  temps 
présents  :  lesquelles,  bien  qu'en  partie  injuste  et  sans 
fondement,  se  trouvent  cependant  ici,  sous  forme  de 
dialogues,  complètement  débattues  et  discutées  »  est 
certainement  l'un  des  textes  économiques  les  plus  inté- 
ressants du  xvje  siècle  ;  c'est  aussi  l'un  de  ceux  qui  ont 
subi  le  plus  grand  nombre  de  vicissitudes,  non  pas  au 
point  de  vue  de  son  succès,  car  celui-ci  n'a  fait  que 
s*afïirmer  depuis  la  première  publication  de  l'ouvrage, 
mais  en  ce  qui  concerne  la  personnalité  de  l'auteur  et 
le  texte  lui-même  de  l'œuvre,  controverses  qu'il  faut 
se  garder  de  croire  terminées  de  nos  jours.  Publié  pour 
la  première  fois  en  1581  sous  le  titre  que  nous  traduisons 
avec  comme  seule  indication  d'auteur  les  initiales  W.  S., 
l'ouvrage  fut  fréquemment  réimprimé  depuis  lors  ^  et 
ces  réimpressions  reproduisaient  le  texte  de  l'édition 
originale  de  1581. 

Mais,  et  ce  fut  le  grand  mérite  de  Miss  Lamond  de  le 
constater,  le  «  Compendieux  ou  bref  examen...  »  de  1581 
n'était  que  la  reproduction  de  textes  antérieurs  quelque 
peu  modifiés,  de  manuscrits  beaucoup  plus  anciens  que 
W.  S.,  quelle  que  soit  son  identité,  n'avait  fait  qu'adap- 
ter aux  circonstances  nouvelles,  que  mettre  au  goût 
du  jour. 

De  ces  manuscrits,  deux  étaient  connus  à  l'époque  où 
Miss  Elizabeth  Lamond  commença  ses  recherches  qu'une 
mort  prématurée  l'empêcha  d'achever.  Son  œuvre  fut 
reprise  et  menée  à  bien  par  le  Prof.  Gunningham.  Elle 
aboutissait  à  la  publication  de  1893  sous  le  titre  de 

^)  V.  la  notice  en  tête  de  la  traduction.  T.  II,  p.  17-18. 


LVm  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

«  The  Gommon  Weal  of  this  Realm  of  England  »  de  la 
meilleure  édition  de  l'œuvre  qui  nous  occupe.  Le  texte 
est  celui  d'un  des  manuscrits  de  l'ouvrage,  le  Lam- 
barde  MS  ;  en  note  sont  portées  les  variantes  du  second 
manuscrit  (Bodleian  MS)  et  de  l'édition  de  1581.  On 
ne  rendra  jamais  assez  justice  à  Miss  Lamond  et  au 
Prof.  Gunningliam  pour  leurs  patientes  études  et  l'uti- 
lité de  leurs  travaux.  Grâce  à  eux,  nous  possédons  une 
édition  définitive  de  l'œuvre  englobant  les  deux  premiers 
manuscrits  et  l'édition  originale. 

Depuis  cette  époque  a  été  découvert  un  troisième 
manuscrit,  le  Hatfîeld  MS  ^,  mais  qui  n'a  été  l'objet 
jusqu'ici,  à  notre  connaissance,  d'aucun  travail  spécial.  Il 
nous  est  donc  impossible,  à  notre  grand  regret,  d'en 
indiquer  les  caractéristiques  essentielles.  Il  serait  sou- 
haitable que  ce  dernier  manuscrit  fit  l'objet  d'études 
analogues  à  celles  de  Miss  Lamond. 

Le  Compendious  or  briefe  examination...  a  été  tra- 
duit en  allemand  par  le  D^  Hoops  en  1895,  publication 
faite  sous  la  direction  du  D^  Léser.  On  a  également  publié 
à  Avallon,  en  1907,  une  thèse  de  doctorat  sur  John 
Haies,  économiste  anglais  du  milieu  du  XVI^.  Sa  doc- 
trine Se  son  temps  2,  comprenant  en  appendice  la  tra- 
duction des  manuscrits  attribués  à  Haies  par  l'auteur. 
Cet  ouvrage  ne  semble  pas  cependant,  malgré  sa  valeur 
certaine,  avoir  atteint  le  grand  public.  L'auteur,  M.André 
Tersen,  d'autre  part,  a  fait  une  traduction  assez  libre, 
très  agréable  sans  doute  à  la  lecture,  mais  qui  s'éloigne 
d'une  façon  sensible  parfois  du  texte.  Nous  nous  sommes 
efïorcés  au  contraire  pour  notre  part  de  rester  aussi 
près  que  possible  du  texte  anglais,  de  calquer  sur  lui 
notre  traduction  :  celle-ci  sera  nécessairement  un  peu 
lourde,  mais  possédera  l'avantage  de  la  sincérité.  Nous 

^)  Pour  ceci  et  les  autres  détails  bibliographiques,  v.  la  notice  en  tête 
de  la  traduction. 

2)  Thèse  Dijon,  1907. 


INTRODUCTION  LIX 

espérons  ainsi  faire  goûter  au  public  français  cet  ouvrage 
dont  Oncken  disait  que  c'était  «  une  œuvre  dont  il  n'y 
a  que  peu  d'équivalents  ^  ». 

L'ouvrage  se  présente  sous  la  forme  d'une  discussion 
entre  plusieurs  personnages  :  un  docteur,  un  chevalier, 
un  fermier,  un  marchand  2,  un  bonnetier  ^.  L'auteur  a 
choisi  ces  différents  interlocuteurs  de  manière  à  ce  qu'ils 
représentent  chacun  une  classe  de  la  population  et  qu'ils 
forment,  par  leur  réunion,  en  quelque  sorte  les  États 
Généraux  du  pays  *. 

Ces  personnages  sont  d'ailleurs  loin  d'avoir  un  rôle 
équivalent  ;  le  Chevalier  est  supposé  raconter  le  dia- 
logue :  c'est  lui  qui  a  noté  les  discussions  soutenues 
par  lui  avec  les  autres  personnages  et  qui  les  rapporte 
ici  ;  il  donne  la  réplique  au  Docteur,  lui  présente  des 
objections,  le  prie  de  donner  son  avis  et  parfois  l'y 
oblige  presque,  car  le  Docteur  est  le  raisonneur  de  la 
pièce  :  il  est  l'arbitre,  l'homme  dont  le  jugement  fait 
autorité.  Les  autres  personnages,  fermier,  marchand, 
bonnetier  ont  un  rôle  beaucoup  plus  effacé  :  ce  ne  sont 
que  des  comparses  propres  à  répondre  quand  on  les 
interroge  et  à  donner  leur  avis  sur  les  choses  de  leur 
métier. 

L'ouvrage  se  compose  de  trois  dialogues  successifs 
d'inégale  importance  :  dans  le  premier  sont  examinés 
les  maux  dont  souffre  le  royaume,  dans  le  deuxième  on 


^)  Oncken,    Geschichie  der  Nalionalôkonomie,   p.   213. 

2)  En  anglais  merchani,  c'est-à-dire  commerçant  faisant  par  excellence 
le  trafic  avec  l'étranger. 

^)  En  anglais  capper,  de  cape  signifiant  non  pas  chapeau  mais  toute 
espèce  de  couvre-chef  ou  même  cape.  Ce  mot,  qu'il  faut  se  garder  de 
confondre  avec  chapelier  (comme  l'a  traduit  M.  Tersen),  nous  a  paru  intra- 
duisible en  français.  L'anglais  pour  chapelier  est  haller  (que  l'on  trouve 
d'ailleurs  employé  dans  le  texte,  mais  dans  un  sens  différent  de  celui  de 
capper).  Au  xvi^  siècle  les  intérêts  des  halters  et  des  cappers  furent  assez 
souvent  en  opposition.  Le  mot  français  bonnetier  nous  a  paru  le  plus 
proche. 

*)  «  Bien  que  nous  imaginions  ici  que  toute  la  communauté  est  repré- 
sentée par  nous.  »  (Cf.  infra,  t.  II,  p.  161,  note). 


LX  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

étudie  la  cause  de  ces  maux  et,  dans  le  troisième,  les 
remèdes  propres  à  soulager  le  pays.  Le  plan  se  pour- 
suit partout  avec  une  extrême  logique,  les  divisions 
sont  bien  indiquées,  elles  le  sont  parfois  même  avec 
une  certaine  naïveté,  les  transitions  sont  claires  et  le 
raisonnement  ne  perd  jamais  de  sa  vigueur  et  de  sa 
netteté.  Il  y  a  certainement  loin,  nous  semble-t-il,  de 
cet  ensemble  bien  équilibré,  dont  les  différentes  parties 
sont  rigoureusement  liées  entre  elles,  aux  raisonnements 
de  Bodin  qui  ne  laissent  pas  d'être  un  peu  flous  :  dans 
le  Compendieux  ou  bref  examen...,  il  n'y  a  pas  trace  de 
bavardage. 

L'auteur,  de  la  personnalité  duquel  nous  traiterons 
plus  loin,  ne  s'est  d'ailleurs  pas  cantonné  dans  les  ques- 
tions purement  économiques  :  les  troubles  sociaux  de 
l'époque,  les  disputes  religieuses  tiennent,  notamment 
du  §  202  à  la  fm,  une  part  notable  dans  ses  démons- 
trations. Nous  ne  saurions  nous  en  plaindre  ;  certaines 
questions  d'ordre  économique,  celle  des  clôtures  par 
exemple,  ne  seraient  pas  compréhensibles  si  l'on  ne 
connaissait  les  répercussions  sociales  de  cette  réforme. 
C'est  à  nos  yeux  un  mérite  de  plus  pour  l'auteur  que 
d'avoir  joint  à  l'économique  le  «  social  »  et  le  «  moral  », 
que  d'avoir  philosophé  sur  la  condition  de  l'Angleterre 
à  cette  époque. 

* 
*  * 

On  ne  saurait  d'ailleurs  s'étonner  de  cette  façon  de 
faire  si  l'on  étudie  le  Docteur  du  Dialogue  ;  c'est  bien 
un  personnage  universel  que  celui-là  !  A  une  science 
purement  livresque,  il  joint  une  expérience  profonde  et 
un  esprit  d'observation  très  aigu.  Aussi  est-il  très  à 
même  de  discourir  sur  toutes  sortes  de  sujets  et,  quand 
il  argue  de  son  incompétence,  quand  il  prétend  qu'il 
n'a  pas  étudié  spécialement  le  sujet  dont  il  s'agit,  le 


INTRODUCTION  LXI 

Chevalier  est  bien  fondé  à  lui  répliquer  :  «  Je  vous  prie, 
Sir,  d'abandonner  pour  cette  fois  l'excuse  de  la  modestie. 
J'ai  bien  compris,  par  vos  discussions  antérieures,  que 
vous  n'êtes  pas,  sans  de  nouvelles  réflexions,  suffisam- 
ment démuni  de  science  pour  nous  satisfaire  là-dessus 
et  même,  si  besoin  était,  en  des  matières  encore  plus 
importantes.  » 

Le  Docteur  fait-il  ou  ne  fait-il  pas  partie  des  ordres  ? 
Il  est  à  remarquer  que,  dans  les  manuscrits,  on  le  repré- 
sente constamment  comme  un  membre  du  clergé  : 
«  nous  autres,  membres  du  clergé,  dit-il,  vous  autres 
laïcs  »,  alors  que  dans  l'édition  de  1581,  W.  S.  a  corrigé 
partie  de  ces  affirmations,  tout  en  en  oubliant  un  certain 
nombre,  et  représente  le  Docteur  comme  un  laïc.  Quelle 
est  la  raison  de  cette  modification  ?  Elle  reste  assez 
mystérieuse  et  personne,  à  notre  connaissance,  ne  l'a 
encore  élucidé.  Nous  en  reparlerons  ultérieurement. 

Le  Chevalier  est  également  un  homme  cultivé  quoi- 
qu'il possède  infiniment  moins  de  «  science  »  que  le 
Docteur.  Il  commence  par  nous  dire  qu'il  est  Juge  de 
Paix,  et  c'est  cette  particularité  qui  fournit  l'occasion 
du  dialogue,  car,  «  la  chaleur  et  le  bruit  de  l'assemblée 
l'ayant  fatigué  »,  il  se  retire  avec  un  «  honnête  fermier  » 
pour  se  reposer  et  pour  «  manger  un  morceau  de  viande, 
car  il  était  à  jeun  ».  A  eux  viennent  se  joindre  le  Mar- 
chand, le  Docteur  et  le  Bonnetier  ;  ils  festoient  ensemble 
et  la   discussion  s'engage. 

D'autres  faits  particuliers  sont  à  considérer  quant  au 
caractère  du  Chevalier  :  il  semble  avoir  un  rôle  impor- 
tant dans  la  Commission  des  Clôtures  (§  8)  alors  que 
d'ordinaire  les  «  Justices  of  Peace  »  n'y  prenaient  pas 
grande  part.  En  outre,  il  a  fait  partie  du  Parlement  lors 
de  la  proposition  de  mesures  de  protection  des  fabri- 
cants de  capes  anglais  ;  or,  selon  Miss  Lamond,  une 
prohibition  d'importation  des  capes  étrangères  fut  édic- 


LXII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tée  en  1512  ^  ;  cette  prohibition  d'entrée  fut  suppri- 
mée en  1529  et  remplacée  par  une  taxe  ^  ;  mais  en  1548- 
1549,  exactement  les  5  et  24  janvier  1549,  vint  devant  la 
Chambre  des  Communes  un  Bill  for  Hais  and  Caps  ^. 
Une  autre  allusion  est  faite  à  TAct  2  &  3.  Edward  VI. 
c.  5  qui  exemptait  le  paiement  des  Fee  Farms  par  les 
villes  pendant  trois  ans,  à  condition  que  l'argent  soit 
levé  et  serve  à  fournir  du  travail  aux  pauvres  *. 

Parmi  les  autres  personnages,  seul  le  marchand  fait 
une  allusion  à  sa  situation  personnelle  :  c'est  son  beau- 
père,  dit-il,  qui  a  rédimé  l'octroi  de  la  cité. 

* 
*  * 

Il  y  a  dans  le  Dialogue  un  certain  nombre  d'allusions 
à  des  événements  contemporains  qui  permettent  de 
fixer  de  façon  exacte  la  date  de  l'ouvrage  ou  plutôt 
l'époque  à  laquelle  se  réfère  celui-ci.  Le  fait  le  plus 
important  est  la  référence,  tout  à  fait  au  début  du  pre- 
mier dialogue,  à  la  Commission  des  Clôtures  ;  et  celle-ci 
selon  Miss  Lamond  ^,  ne  s'est  réunie,  antérieurement 
à  1565,  qu'en  1548  «. 

D'autres  allusions,  parmi  lesquelles  celle  à  une 
imposition  de  12d.  par  livre  sterling  '  sur  les  étoffes 
fabriquées  en  Angleterre,  mesure  en  date  du  début 
de  1549  ^,  aide  à  déterminer  l'époque.  Bien  mieux,  cette 
imposition  fut  supprimée  par  la  Chambre  des  Communes 
le  11  décembre  de  la  même  année  *  à  la  suite  d'une  péti- 

1)  3.  Henry  VIII,  c.  5. 

2)  21.  Henry  IIIV,  c.  9. 

^   ^)  Lamond,  Discourse  of  ihe  Common  Weal,  p.  xvii-xviii. 

*)  Ibid.,  p.  xviii. 

^)  Ibid.,  p.  xi. 

*)  Il  est  évident  que  l'ouvrage  a  été  écrit  avant  1561,  date  de  la  grande 
réforme  monétaire  d'Elisabeth. 

')  Ce  passage  n'existe  pas  dans  l'édition  de  1581.  On  le  trouvera  en 
note,  au  §  159  p.  137. 

8)  2  et  3.  Edward  VI,  c.  36,  §  8  et  9. 

*)  Journal  of  Ihe  Home  of  Gommons,  i,  p.  13. 


INTRODUCTION  LXIII 

tien  du  15  novembre  1549  ^  et  par  la  Chambre  des 
Lords  le  17  janvier  1550  ^,  On  peut  en  déduire  que  le 
Dialogue  a  été  rédigé  entre  le  début  de  1549  et  le 
16  novembre  de  la  même  année,  car  sans  cela  l'auteur, 
certainement  très  bien  informé,  n'aurait  pas  manqué 
de  faire  allusion  aux  nouvelles  mesures,  d'autant  plus 
que  celles-ci  corroboraient  sa  thèse. 

Le  Marchand  parle  de  l'interdiction  des  Jeux  de  Mai, 
luttes,  courses,  pardons,  etc.  (§  15).  Ces  mesures  sont 
également  de  1549,  notamment,  pour  les  mystères  et 
représentations  théâtrales,  du  16  août  1549  ^. 

Ajoutons  encore  diverses  remarques  sur  le  monnayage, 
les  monnaies  alors  courantes,  qui  permettent  d'affirmer, 
comme  le  fait  Miss  Lamond  *,  que  l'ouvrage  est  une 
exacte  description  de  l'Angleterre  en  automne  1549. 

* 

C'est  en  partant  des  travaux  de  la  Commission  des 
Clôtures  de  1548  que  l'on  arrive  à  déterminer  le  lieu  où 
se  déroula  l'action  ^  Les  commissaires  visitèrent  les 
comtés  d'Oxford,  de  Berkshire,  de  Warrick,  de  Leicester, 
de  Buckingham  et  de  Northampton  et  les  seules  «  cités  » 
de  ces  comtés  sont  Oxford,  Peterborough  et  Coventry  *. 
En  examinant  l'état  respectif  et  l'industrie  de  ces  villes 
à  cette  époque.  Miss  Lamond  en  arrive  à  la  conclusion 
que  seule  Coventry  peut  être  la  ville  désignée  dans  le 
dialogue  ''. 


1)  Ibid.,  i,  p.  11. 

*)  Journal  of  Ihe  House  of  Lords,  i,  p.  381. 

*)  Strype,  Ecclesiaslical  Memorials,  II,  i,  270. 

*)  Lamond,  op.  cit.,  p.  xiv. 

^)  Ibid.,  p.  xiv. 

•)  Ibid.,  p.  XV. 

')  Ibid.,  p.  xv-xvii. 


LXIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Nous  avons  dit  que  Tédition  de  1581  différait  légère- 
ment des  manuscrits.  Il  n'y  a  guère  en  réalité  qu'une 
variante  importante  :  celle  où  W.  S.  indique  le  great 
store  and  plenty  of  treasure,  l'abondance  d'or  et  d'argent 
de  provenance  des  Indes  comme  la  cause  principale  de 
la  hausse  des  prix  (§  180-185).  Il  a  supprimé  le  passage 
correspondant  des  manuscrits  où  les  mutations  moné- 
taires étaient  indiquées  comme  la  cause  primordiale  de 
la  cherté.  Disons  en  passant  que  le  passage  supprimé 
des  manuscrits  (sensiblement  plus  long  d'ailleurs  que 
le  passage  correspondant  de  l'édition  de  1581)  est  admi- 
rablement raisonné  et  abonde  en  remarques  intéres- 
santes. La  fameuse  loi  dite  de  Gresham  y  est  nettement 
exposée  (p.  160,  note)  d'une  façon  plus  claire  que 
dans  VAvis  de  Sir  Thomas  Gresham  lui-même.  W.  S. 
explique  la  disparition  de  la  circulation  de  certaines 
monnaies  (et,  en  particulier,  des  «  nouvelles  pièces  d'or  ») 
et  «  tout  cela  parce  qu'il  n'y  a  pas  d'égale  proportion 
entre  les  monnaies,  parce  que  l'une  est  meilleure  que 
l'autre  ». 

Ce  passage  supprimé  des  manuscrits  est  peut-être 
un  peu  plus  traditionnaliste  que  la  variante  de  W.  S. 
On  y  lit  en  effet  cette  phrase  qui  pourrait  fort  bien 
s'appliquer  à  quelques  expériences  monétaires  contem- 
poraines :  «  Les  choses  reviennent  naturellement  et 
avec  moins  de  difficultés  au  commerce  traditionnel 
qu'elles  ne  s'adaptent  à  un  usage  nouveau  et  extrava- 
gant »  (p.  162,  note). 

A  part  cette  longue  variante,  les  modifications  appor- 
tées aux  manuscrits  par  W.  S.  ne  concernent  guère  que 
des  points  de  détail  :  changements  de  dates  ^,  de  prix, 


^)  Les  dates  sont  indiquées  le  plus  souvent  d'une  manière  très  vague 
autrefois,  dans  le  passé,  il  y  a  dix  ou  vingt  ans,  etc. 


INTRODUCTION  LXV 

tendance  à  moderniser  le  style,  à  le  rendre  plus  souple, 
correction  de  certaines  fautes  de  ponctuation  ou  d'ortho- 
graphe, c'est  à  peu  près  tout.  Encore  convient-il  d'ajou- 
ter que  ces  modifications  n'ont  été  faites  que  d'une 
manière  peu  consciencieuse  :  W.  S.  en  a  oublié  beaucoup. 

Un  autre  passage  assez  long  a  été  supprimé  par  W.  S. 
(§  205,  note),  mais  ce  passage  ne  concerne  que  des  sujets 
religieux  et  la  politique  anglaise  à  l'égard  du  clergé,  et 
n'intéresse  donc  pas  directement  notre  but. 

Miss  Lamond  s'est  livrée  à  d'intéressantes  études 
sur  la  question  des  relations  entre  les  manuscrits  et 
l'édition  de  1581.  Elle  a  résumé  ses  observations  dans 
un  tableau  que  nous  reproduisons  : 

MS  original 


Copie  Copie 

avec  3  phrases  avec  sous-titres  et  notes 

imparfaites       w  en  marge 


Bodieian  MS 


W.  S.  (1581) 

Il  est  en  tous  cas  certain  que  l'édition  de  1581  ne 
provient  pas  du  Lambarde  MS  :  cela  résulte  du  fait  que 
William  Lambarde  ^  ne  paraît  nullement  connaître 
l'identité  de  W.  S.,  ce  qu'il  n'aurait  pu  ignorer  si  ce  der- 
nier avait  eu  recours  à  son  manuscrit. 

Quelle  est  la  place  du  manuscrit  de  Hatfields  dans 
tout  cela  ?  Nous  n'avons  pas  eu  ce  texte  entre  les  mains 
et  nous  l'ignorons  complètement.  Nous  ne  pouvons  que 
formuler  le  souhait  que  cette  lacune  soit  prochainement 
comblée. 

Notons  en  passant  une  particularité  des  manuscrits  : 

^)  V.  la  note  de  Lambarde  ci-après, 

LE   BRANCHU  « 


LXVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

le  Lambarde  MS  ne  possède  ni  table  des  titres,  ni  sous- 
titres,  ni  notes  latérales,  sauf  quelques  citations  de  la 
main  de  Lambarde  lui-même  ;  les  titres  et  sous-titres 
n'existent  que  dans  le  Bodleian  MS  et  dans  l'édition 
de  1581. 

*  * 

Sur  la  question  de  l'auteur,  une  seule  chose  paraît 
définitivement  tranchée  :  W.  S.  qui  publia  l'édition 
originale  n'est  pas  le  véritable  auteur  de  l'ouvrage.  Il 
ne  fit,  malgré  ses  affirmations,  que  reprendre  celui-ci 
et  le  modifier  légèrement.  Cela  est  indiqué  d'une  façon 
très  nette  par  une  note  manuscrite  de  William  Lam- 
barde ^  dans  le  Lambarde  MS  :  «  Notez  que  cet  ouvrage 
a  été  publié  en  librairie  sous  le  titre  de  :  une  brèveé  tude 
de  la  politique  anglaise  2,  par  un  certain  W.  S.  en 
l'année  1581  ;  alors  que  cet  ouvrage  a  été  écrit  depuis 
longtemps  par  Sir  Thomas  Smythe  (disent  certains)  ou 
par  M.  Jhon  (sic)  Haies  (comme  le  pensent  d'autres), 
sous  le  règne  d'Henri  VIII  ou  sous  celui  d'Edouard  VI. 
Et  moi-même  j'ai  possédé  longtemps  cette  copie  que 
j'ai  fait  rédiger  en  l'année  1565  ^.  » 

Il  semble  étrange  qu'un  contemporain  très  averti 
comme  William  Lambarde  n'ait  pas  su  de  façon  cer- 
taine le  nom  de  l'auteur.  Cela  prouve  que  le  Dialogue 
n'était  que  fort  peu  répandu  avant  1581.  C'est  l'édition 


^)  Cette  note  est  reproduite  en  fac-similé  dans  Lamond,  op.  cit.,  hors- 
texte,  fig.  4.  ;  certains  prétendent  lire  Jhon  Yales  au  lieu  de  Jhon  Haies. 
V.  à  ce  sujet,  ibid.,  p.  x. 

*)  Ceci  est  une  erreur.  V.  la  reproduction  en  fac-similé  du  titre  de  l'édi- 
tion originale  dans  notre  édition,  p.  17.  V.  également  le  titre  précédant 
la  préface. 

^)  «  Noie  îhat  Ihis  booke  was  published  in  prinîe,  under  the  Tille  of  a 
briefe  conceipte  of  Inglishe  policie,  by  one  W.  S.  in  Ihe  yeare  1581  ;  whereas 
il  was  long  synce  penned  by  S'  Thomas  Smythe  (as  some  say),  or,  Mr  Jhon 
Haies  (as  others  Ihinke)  eyther  in  the  reigne  of  H.  8  or  E.  the  6.  And  I  my 
self  hâve  long  had  this  copie  of  il  which  I  caused  to  be  writlen  oui  in  the  yeare 
1565.  » 


INTRODUCTION  LXVII 

de  cette  même  année  qui  le  fit  connaître,  non  seulement 
au  grand  public,  mais  même  aux  spécialistes. 

Miss  Lamond  est  à  peu  près  la  seule  à  avoir  discuté 
sérieusement  la  question  de  la  personnalité  de  Fauteur 
des  manuscrits.  Selon  elle,  c'est  John  Haies  qui  a  les 
plus  grandes  chances  de  l'être  et  d'être  en  même  temps 
le  Chevalier  du  Dialogue.  Nous  ne  retracerons  pas  ici 
en  détail,  les  arguments  qu'elle  apporte  en  faveur  de 
ses  théories  ;  qu'il  nous  suffise  de  rappeler  que  John 
Haies  avait  précisément  été  membre  du  Parlement 
pour  Preston  en  cette  année  1548,  qu'il  ne  faisait  pas 
partie  du  Conseil  du  Roi  ^,  que  c'était  un  des  membres 
les  plus  influents  de  la  Commission  des  Clôtures  et  que 
ces  vues  sur  ce  problème  concordent  (jusqu'à  un  cer- 
tain point)  avec  celles  du  Docteur  ;  il  a  eu  d'autre  part 
de  nombreuses  connections  avec  Coventry,  scène  pro- 
bable du  Dialogue  ^. 

Il  y  a  cependant  quelques  objections  à  cette  thèse  ^ 
et  Miss  Lamond  ne  les  cache  pas  :  Haies  n'était  pas 
chevalier,  bien  qu'ayant  une  charge  élevée  ;  il  n'avait 
aucune  expérience  militaire  et  était  infirme  ;  le  Che- 


^)  Il  y  a  à  cet  égard,  semble-t-il,  deux  affirmations  contraires  :  dans  la 
Préface,  l'auteur  dit  clairement  qu'il  ne  fait  pas  partie  du  Conseil  du  Roi 
et  au  §  186,  le  Chevalier  dit,  en  parlant  du  remède  possible  aux  clôtures  : 
«  Je  l'ai  souvent  discuté  (ce  sujet),  aussi  bien  au  Parlement  qu'au  Conseil.  » 
Il  semble  bien  que  le  Chevalier  veuille  dire  par  là  le  Conseil  du  Roi,  le 
conseil  par  excellence.  Il  aurait  sans  doute  ajouté  une  épithète  dans  le 
cas  contraire.  Nous  reprendrons  plus  tard  ces  affirmations. 

2)  Sur  Haies,  v.  Tersen,  John  Haies  (thèse  Dijon,  1907).  «  John  Haies, 
écrit  Ashley  {Histoire  et  Doctrines  économiques  de  VAnglderre,  tr.  fr.  t.  il, 
p.  308)  le  plus  énergique  des  commissaires  désignés  en  1549  pour  rectifier 
les  clôtures,  déclarait  expressément  dans  un  de  ses  rapports  qu'il  n'y  a  pas 
de  clôture  lorsqu'un  homme  clôt  et  ferme  par  une  haie  une  terre  lui  appar- 
tenant et  sur  laquelle  il  n'y  a  pas  de  communaux.  »  Il  va  même  jusqu'à  dire  : 
«  La  République  gagne  beaucoup  à  de  telles  clôtures,  car  elles  amènent  une 
grande  augmentation  de  la  surface  boisée.  »  (Ashley,  op.  cit.,  p.  308,  note). 
—  Sur  John  Haies  et  la  Commission  des  clôtures,  v.  d'autre  part  Strype, 
op.  cit. y  II,  ii,  361  et  Lamond,  op.  cit.,  p.  xxxix-lxviii. 

')  Sur  les  rapports  de  Haies  avec  Coventry,  voir  un  manuscrit,  Brilish 
Muséum,  G.  15-954,  reproduit  dans  Lamond,  op.  cit.,  xvii-xxi. 


LXVIII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

valier  parle  d'autre  part  de  ses  fils  (§  24  in  fine)  et  Haies 
n'était  pas  marié  ^. 

Voilà  quelle  est  la  thèse  de  Miss  Lamond  ;  c'est 
d'ailleurs  la  seule  sérieuse,  voire  même  la  seule  vraiment 
existante,  car  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  du  Compen- 
dieux  ou  bref  examen,»,  se  sont  surtout  efforcés  de  donner 
un  nom  au  mystérieux  W.  S.  de  1581. 

A  notre  avis,  en  ce  qui  concerne  l'auteur  des  manus- 
crits, il  y  a  une  phrase  à  laquelle  on  n'a  pas,  jusqu'ici, 
accordé  une  attention  suffisante  :  c'est  à  la  fin  de  la 
Préface  :  «  ...  aussi,  dit  l'auteur,  vous  raconterai-je  les 
discussions  qu'a  soutenues  récemment  un  Chevalier.  » 
Ceci  est  le  texte  de  l'édition  de  1581  2,  voici  maintenant 
celui  des  manuscrits  :  «  aussi  vous  raconterai-je  les  dis- 
cussions que  m*a  dit  avoir  soutenu  récemment  un  Cheva- 
lier 3  ».  Nous  comprenons  qu'on  ait  pu  faire  erreur  sur 
le  premier  texte,  mais  le  second  nous  semble  très  expli- 
cite :  Vauteur  nest  pas  le  Chevalier  du  Dialogue^  Vauteur 
n'a  fait  que  rapporter  des  discussions  qui  lui  ont  été 
racontées  *  et  tout  le  savant  échafaudage  destiné  à  prou- 
ver que  Haies  est  bien  à  la  fois  le  Chevalier  du  Dialogue 
et  l'auteur  de  celui-ci  est  détruit.  Entendons-nous,  il 
est  possible  que  le  Chevalier  du  Dialogue  ait  été  Haies, 
mais,  à  notre  sens,  l'auteur  véritable  est  une  tierce 
personne.  On  nous  objectera  que  seule  une  personne 
présente  à  la  discussion  aurait  pu  la  rendre  avec  tant  de 
précision  ;  mais  n'est-il  pas  possible  que  le  Chevalier, 
Haies  peut-être,  ait  narré  à  l'auteur  véritable  le  lieu, 
le  sujet,  le  thème  de  la  conversation  et  que  celui-ci,  à 
son  tour,  ait  brodé  sur  ce  sujet  ?  Il  a  même  pu  avoir 


1)  V.  Didionary  of  National  Biography, 

*)  Therefore,  I  will  déclare  vnlo  you  whal  communicalion  a  Knighi  had 
bdweene  him  and... 

')  Therefore  I  will  déclare  vnlo  youe  whcd  communicalion  a  KnigM  lould 
Iheare  was  belwene  him  and...  of  Me. 

*)  D'autant  plus  que  le  Chevalier  du  Dialogue  laisse  entendre  à  maintes 
reprises  qu'il  se  servira  des  arguments  du  Docteur. 


INTRODUCTION  LXIX 

en  mains  des  notes  du  Chevalier  et  les  développer  : 
ce  serait  ces  mêmes  notes  dont  le  Chevalier  parle  à  la 
fin  de  l'ouvrage.  Il  semble  même  anormal  que  cette 
discussion  qu'il  «  a  rapportée  dans  son  livre  privé  », 
«  qu'il  a  brièvement  notée  »,  ait  un  tour  si  achevé,  si 
littéraire.  Sans  doute  le  Chevalier  a-t-il  pu  lui-même, 
ultérieurement,  retoucher  ses  notes,  mais  si  l'on  admet 
qu'il  y  a  eu  retouche,  adaptation,  pourquoi  une  tierce 
personne  n'en  serait-elle  pas  l'auteur,  étant  donnée 
surtout  la  Préface  ? 

D'autre  part,  dans  cette  Préface,  l'auteur  se  présente 
comme  une  personne  cultivée  ayant  étudié  la  Philo- 
sophie ;  or  le  Chevalier,  tout  au  cours  du  Dialogue, 
s'il  montre  de  la  compréhension,  ne  paraît  pas  cependant 
une  personne  fort  instruite  ^.  Le  Docteur  lui  fait  la 
leçon,  comme  aux  autres  personnages. 

La  division  d'ailleurs  en  trois  parties  semble  bien 
artificielle  :  elle  sent  la  chandelle.  Sans  doute  les  motifs 
allégués,  appétit  des  personnages,  leur  fatigue,  ne  sont-ils 
là  que  pour  rendre  plus  vraisemblable  le  récit. 

Ajoutons  qu'il  nous  paraît  impossible  de  soutenir 
en  une  seule  journée  une  discussion  aussi  longue  que 
celle  qui  fait  l'objet  du  présent  ouvrage.  L'auteur, 
quelqu'il  soit  a  pu  évidemment  broder  autour  d'un 
thème  donné,  mais  cela  ne  fait  que  renforcer  notre 
théorie. 

En  résumé  nous  pensons  que,  contrairement  à  Vopi- 
nion  communément  admise,  le  Chevalier  du  Dialogue 
n'est  pas  V auteur  de  celui-ci;  l'auteur  véritable  a  pu 
recevoir  les  confidences  et  lire  les  notes  du  Chevalier  ; 
de  ces  confidences  et  de  ces  notes,  il  a  fait  un  ouvrage 


^)  «  Vous  me  parlez  maintenant  de  nombreuses  autres  sciences  indis- 
pensables à  chaque  royaume  et  dont  je  n'ai  jamais  rien  ouï  dire  aupa- 
ravant. »  (§  43).  Comme  ces  sciences  sont  justement  les  différentes  branches 
de  la  philosophie  et  que  Fauteur  se  présente  dans  la  Préface,  §  5,  comme 
un  «  Member  of  Philosophy  Moral  »  il  y  a  là  une  contradiction  très  nette. 


LXX         ÉCRITS  NOTABLES  SUR  LA  MONNAIE 

littéraire  qu'il  ne  destinait  pas  pour  le  moment  du  moins, 
à  la  publication  ^.  Les  seules  indications  qui  nous  per- 
mettent de  désigner  l'auteur  sont  les  données  de  la  Préface 
où  l'auteur  parle  de  lui-même  sans  rapporter  des  argu- 
ments qui  lui  ont  été  communiqués  d'une  façon  ou 
d'une  autre. 

Or  que  dit  cette  Préface  ?  On  n'y  trouve  que  les 
indications  suivantes  : 

a)  l'auteur  n'est  pas  un  Conseiller  du  Roi  ^  ; 

b)  il  fait  partie  de  la  Chambre  «  où  l'on  devrait 
traiter  ces  questions  ^  »  ; 

c)  il  se  trouve  à  présent  en  vacances  ; 

d)  il  est  un  Member  of  Philosophy  Moral. 

Appliquons  chacune  de  ces  applications  aux  deux 
auteurs  présumés,  John  Haies  et  Sir  Thomas  Smythe  : 

a)  On  ne  croit  pas  que  Haies  ait  fait  partie  du 
King's  Council,  Sir  Thomas  Smythe  non  plus. 

b)  John  Haies  fit  bien  partie  du  Parlement  en  1548- 
1549  ;  il  siégeait  pour  Preston.  Sir  Thomas  ne  fut 
membre  d'aucun  Parlement  sous  le  règne  d'Edouard  VI. 
Cependant  Sir  Thomas  était,  à  Tépoque  de  la  rédaction 
présumée  du  Dialogue,  Secrétaire  d'État  et  Conseiller 
Privé  ;  ne  pouvait-il  pas  dire  qu'il  faisait  partie  de  la 
«  Chambre  où  ces  questions  devraient  être  traitées  ^  »  ? 
Il  ne  nous  semble  donc  pas  possible  de  trouver  sur  ce 
point,  comme  le  voudrait  Miss  Lamond,  une  preuve 
définitive  en  faveur  de  Haies  ; 

c)  nous  ne  possédons  que  peu  de  renseignements 

1)  A  cause  des  critiques  relativement  violentes  des  manuscrits.  D'autre 
part,  dans  le  texte  de  Lambarde  MS  (Préface,  §  5)  nous  lisons  :  «  Ceci  entre 
nous  deux  pour  être  pesé  et  discuté  et  non  pour  être  répandu  à  l'étranger.  » 

2)  Texte  des  manuscrits. 

')  Remarquons  que  le  texte  ne  porte  pas  House  of  Gommons.  Il  dit 
seulement  :  «...  f /je  House,  wheare  suche  thinges  oughl  to  be  treated.  »  House 
signifie-t-il  Chambre  des  Communes,  comme  tous  les  auteurs  l'ont  cru,  ou 
bien  seulement  quelque  chose  de  plus  vague  dans  le  sens  de  gouvernement, 
de  conseil  ?  Ce  serait  un  sens  inhabituel,  mais  non  pas  impossible. 


INTRODUCTION  LXXI 

sur  Haies  ou  sur  Sir  Thomas  Smythe  pour  savoir  lequel 
des  deux  pouvait  être  «  en  vacances  »  à  cette  époque. 

d)  tous  deux  étaient  également  des  personnes 
instruites. 

En  résumé  «  l'auteur  appartient  visiblement  à  la 
haute  société.  Dans  l'Introduction,  il  se  déclare  membre 
de  la  Chambre  Basse  (?)  et  dit  avoir  étudié  la  philoso- 
phie dont  la  Politique  est  un  des  buts.  Partout,  il  y  a 
des  citations  tirées  des  classiques...  »  Il  ne  nous  paraît 
guère  possible  de  tirer  des  éléments  de  la  Préface  une 
indication  bien  précise.  Nous  pouvons  cependant  resser- 
rer encore  la  question  : 

i)  Miss  Lamond  prétend  que  Sir  Thomas  Smythe 
ne  peut  être  l'auteur  du  Dialogue  parce  que,  tout  en 
étant  spécialiste  des  questions  monétaires,  ses  vues  ne 
concordent  pas  avec  celles  du  Docteur  ^.  Il  convient 
d'observer  qu'elle  se  fonde  sur  le  seul  ouvrage  existant 
à  ce  sujet,  la  Life  of  Sir  Thomas  Smythe,  de  Strype, 
mais  la  plupart  des  papiers  de  Sir  Thomas  étaient  perdus 
à  l'époque  où  écrivait  Strype,  comme  le  reconnaît 
Miss  Lamond  elle-même  ^.  D'autre  part,  le  manuscrit 
écrit,  semble-t-il,  en  1549  et  intitulé  Polices  to  reduce 
ihis  Reaime  of  England  vnto  a  prosperous  Wealth  and 
Estate,  dont  les  vues  sont  opposées  à  celles  du  Dialogue, 
a  été  attribué  à  Sir  Thomas  sans  aucune  preuve  vrai- 
ment sérieuse. 

ii)  il  est  possible  que  le  W.  S.  de  1581  soit  William 
Smith,  neveu  et  héritier  de  Sir  Thomas.  C'est  notam- 
ment l'opinion  du  P^  Cunningham  sur  laquelle  nous 
reviendrons.  Ce  fait  donnerait  une  probabilité  beau- 
coup plus  grande  à  la  thèse  donnant  comme  auteur  du 
Dialogue  Sir  Thomas  Smythe. 

iii)  Il  apparaît,  quoique  les  mouvements  de  Haies 


^)  V.  p.  207  de  notre  édition,  note  34. 
^)  Lamond,  op.  cit.,  p.  xxxix. 


LXXII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

à  cette  époque  ne  soient  pas  bien  connus,  que  celui-ci 
fut  disgracié  et  obligé  de  quitter  en  hâte  l'Angleterre, 
probablement  à  cause  des  révoltes  dues  à  la  Commission 
des  Clôtures  et  des  changements  politiques.  La  chute 
de  Lord  Hertford,  duc  de  Somerset  qui  avait  constam- 
ment soutenu  la  Commission  des  Clôtures  et  son  rem- 
placement par  Lord  Lisle,  comte  de  Warwick,  devaient 
inciter  Haies  à  s'enfuir  sur  le  continent,  ce  qu'il  fit  on 
ne  sait  à  quelle  date  exactement.  Il  était  encore  en 
Angleterre  le  1®^  septembre  1549  où  il  signe  sa  Défense 
à  Coventry  ;  le  duc  de  Somerset  était  arrêté  le  14  octobre 
de  la  même  année,  mais  était  depuis  quelque  temps 
déjà  en  disgrâce  ;  il  était  sûrement  (et  probablement 
depuis  longtemps  déjà)  à  l'étranger  en  mai  1550,  époque 
à  laquelle  nous  possédons  une  lettre  de  son  frère  Chris- 
topher  Haies.  Haies  avait  déjà  été  blâmé,  à  l'occasion 
des  clôtures,  par  le  comte  de  Warwick  en  août  1548. 

A  notre  avis,  le  Dialogue  a  certainement  été  écrit 
avant  le  16  novembre  1549  ;  en  admettant  que  Haies 
ait  quitté  l'Angleterre  à  peu  près  au  moment  de  la  chute 
du  Protecteur  (14  octobre),  il  ne  nous  semble  guère 
possible  qu'il  ait,  au  début  de  son  exil  et  alors  qu'il 
cherchait  une  ville  où  se  fixer,  pu  se  trouver  réellement 
«  en  vacances  ».  D'autre  part,  comme  il  aurait  visé  dans 
ce  cas  à  faire  une  apologie  des  conseillers  d'Edouard  VI 
jusqu'à  la  chute  du  Protecteur,  il  aurait  certainement 
fait  quelques  allusions  directes  aux  agissements  de 
Warwick  ;  il  aurait  dépeint  plus  en  détail  les  révoltes 
dues  aux  Clôtures.  Quant  à  admettre  que  Haies  ait 
écrit  l'ouvrage  après  le  mois  de  novembre  1549  et  n'ait 
pas  fait  mention  des  réformes  décidées  depuis  lors,  c'est 
une  hypothèse  que  nous  nous  refusons  absolument  à 
admettre,  d'autant  plus  que  ces  réformes  auraient  donné 
plus  de  force  encore  à  sa  théorie. 

iv)  dans  les  ouvrages  connus  de  Haies  (Manuscrit 


INTRODUCTION  LXXIII 

intitulé  The  Causes  of  Dearih  i,  publié  par  Miss  Lamond  ; 
Discours  de  Haies  à  la  Gammission  des  Clôtures)  il  n'y 
est  pas  question  de  la  monnaie  :  la  cherté  est  attribuée 
à  des  causes  différentes.  Remarquons  d'ailleurs  en  pas- 
sant que  Haies  ne  semble  jamais  s'être  occupé  beau- 
coup de  la  monnaie  et  du  monnayage,  tandis  que 
Sir  Thomas  au  contraire  fut  appelé  à  donner  à  plusieurs 
reprises  son  avis  sur  des  problèmes  de  ce  genre  :  en  1548 
par  exemple,  il  conseilla  le  decri  des  Testons  (Diciio- 
nary  of  National  Biography).  Il  semble  étrange  que 
Haies,  un  an  après  (ces  écrits  datent  en  effet  de  1548) 
ait  subitement  découvert  l'action  de  la  dépréciation 
de  la  monnaie  sur  la  hausse  des  prix.  Faut-il  admettre 
l'argument  de  Tersen  ^  qui  prétend  que  seule  la  crainte 
d'une  disgrâce  empêcha  Haies  de  donner  plus  tôt  son 
opinion  ?  Cette  prudence,  quelque  peu  exagérée,  nous 
semble  bien  peu  en  rapport  avec  le  caractère  fougueux 
de  Haies,  avec  son  audace  bien  connue.  Est-il,  d'autre 
part,  exact  que  Latimer,  comme  le  prétend  Tersen, 
tomba  en  disgrâce  à  la  suite  de  ses  fameux  Sermons  ? 
Personnellement,  nous  ne  le  croyons  pas,  et  pourtant 
Latimer  avait  son  franc-parler  et  ne  se  faisait  pas  faute 
d'attaquer  violemment  la  politique  monétaire  du  gou- 
vernement. Enfin,  ce  dont  on  se  sert  en  1581,  sous  le 
gouvernement  autocratique  d'Elisabeth,  comme  d'un 
titre  à  la  faveur  du  souverain,  pouvait-il  être  si  mauvais 
à  dire  quelques  années  auparavant,  sous  le  règne  d'un 
monarque  enfant  alors  que  Haies  jouissait  de  toute  la 
confiance  du  Protecteur  ?  On  ne  peut  prétendre  que  les 
critiques  contenues  dans  l'ouvrage  s'adressaient  au  gou- 
vernement d'Edouard  VI  et  non  à  celui  d'Elisabeth, 
car,  dans  l'édition  de  1581,  il  subsiste,  malgré  les  affir- 
mations   de   la    Préface,    d'assez   nombreux   reproches 

1)  Lamond,   op.   cit.,  p.  xi  (Manuscrit  du  Record   Office,    S.   P.    D. 
Edward  VI,  V,  20). 

*)  Tersen,  op.  cit.,  p.  67  et  s. 


LXXIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

adressés  à  la  Reine,  à  ses  ministres  et  à  ses  courtisans. 

v)  Sir  Thomas  était  à  la  fois  chevalier  et  homme 
d'Église  ;  par  ses  intérêts,  il  tenait  à  l'une  et  à  l'autre 
classe  ;  le  Chevalier  qui  rapporte  le  Dialogue  et  le 
Docteur  qui  fait  le  «  Raisonneur  »  de  la  pièce  pourraient 
être  l'effet  d'une  sorte  de  dédoublement  de  la  person- 
nalité de  Sir  Thomas  :  le  gentilhomme  de  vieille  souche 
qui  a  sa  manière  particulière  d'envisager  les  événements 
et  l'homme  instruit  qui  réfléchit  et  corrige  les  impres- 
sions spontanées  du  gentilhomme.  Un  autre  argument 
réside  dans  le  fait  que  le  W.  S.  de  1581  changea  le  carac- 
tère du  Docteur  et  le  présenta  comme  un  laïc. 

vi)  contre  Sir  Thomas,  on  a  objecté  parfois  le  fait  que 
celui-ci  jouissait  de  nombreux  bénéfices,  prébendes  qui 
semblent  incompatibles  avec  ses  violentes  attaques 
contre  le  clergé  non  résident  :  il  était  Prévôt  d'Éton  et 
Doyen  de  Carlisle.  Mais  on  ne  remarque  pas  assez  le 
fait  qu'en  1554,  il  renonça  quasi  sponte  à  ces  bénéfices. 

vii)  Miss  Lamond  prétend  que  Sir  Thomas  Smyth 
était  absent  d'Angleterre,  comme  ambassadeur  en  Bel- 
gique, à  l'époque  où  la  question  des  clôtures  atteignit 
sa  phase  critique.  Présentée  d'une  manière  aussi  abso- 
lue, cette  affirmation  n'est  pas  exacte  :  Sir  Thomas  fut 
bien  envoyé  en  mission  dans  les  Flandres  en  juin  1548  ; 
le  1®^  juillet  il  arrivait  à  Bruxelles,  mais  il  ne  semble 
pas  avoir  obtenu  de  succès  et  dès  le  mois  d'août  1548 
il  revenait  en  Angleterre  ^. 

1)  Voici  quelle  est  brièvement,  selon  le  Diclionary  of  National  Bio- 
graphy,  la  vie  de  Sir  Thomas  Smyth  ou  Smith  :  fils  aîné  de  John  et  de 
Agnes  Charnock,  il  naquit  à  Saffron  Walden  (Essex)  le  23  décembre  1513. 
Son  père,  qui  fut  sherifî  d' Essex  et  d'Hertfordshire,  prétendait  descendre 
de  Roger  de  Clarendon  fils  illégitime  du  Prince  Noir.  Thomas  fut  envoyé 
en  mai  1525  à  Cambridge  (St.  John's  Collège)  ;  l'année  suivante  il  entre 
à  Queen's  Collège,  où  il  devient  King's  Scholar  en  1527  ;  Fellow  de  Queen's 
en  1529  ;  en  été  1533,  il  obtient  le  titre  de  Master  of  Arts.  Professeur  en 
1534,  il  voyage  à  l'étranger  en  1540  (Paris,  Orléans,  Padoue).  De  retour  à 
Cambridge  en  1542,  il  publie  sous  le  titre  de  «  De  Recla  et  amendata  Linguœ 
Grecae  Pronunciatione  un  opuscule  qui  fut  imprimé  ensuite  à  Paris  en 
1568.  En  janvier  1543-1544,  il  fut  nommé  Regius  Professor  de  Loi  Civile 


INTRODUCTION  LXXV 

viii)  remarquons  que  Sir  Thomas  s'occupa  beaucoup 
de  la  question  des  universités,  car,  depuis  novembre  1548, 
il  était  membre  de  la  commission  chargée  de  les  visiter. 

ix)  le  Chevalier  parle  de  son  expérience  de  la  guerre  : 
or  on  sait  que  Sir  Thomas  prit  part  notamment  à  l'expé- 
dition de  Somerset  contre  l'Ecosse  (août-septembre  1547) 
bien  qu'il  n'alla  pas  jusqu'au  bout. 

x)  enfin  Sir  Thomas  avait  fait,  dans  sa  jeunesse,  de 
longs  voyages  à  l'étranger.  Il  étudia  notamment  à 
Orléans  et  à  Padoue  :  il  fut  même  LL.D.  Legum  Dodor, 
docteur  en  droit  de  cette  université  célèbre  à  l'époque. 
Or  le  docteur  du  Dialogue  semble  posséder  l'expérience 
de  l'étranger  et  être  au  courant  des  habitudes  des 
peuples  du  continent. 

En  résumé,  et  sous  réserves  des  discussions  ulté- 
rieures quant  à  la  personnalité  de  W.  S.,  nous  penchons 
à  considérer  Sir  Thomas  Smyth  comme  l'auteur  du 
Dialogue  ;  aucune  des  raisons  invoquées  contre  lui  ne 

à  Cambridge.  Il  fut  très  tôt  protestant  et  à  Cambridge  il  protégea  les 
réformés  contre  l'hostilité  de  Gardiner  ;  aussi  fut-il  en  grande  faveur 
dès  l'avènement  d'Edouard  VI  :  il  entre  au  Conseil  privé  et  le  1^'  avril  1548 
il  fut,  avec  Sir  William  Petre,  l'un  des  deux  principaux  secrétaires  d'État. 
En  1549  il  a  à  juger  les  Aryens  et  les  Anabaptistes  ainsi  que  Borner.  II 
resta  fidèle  jusqu'à  la  fin  au  Protecteur  :  disgracié  le  10  octobre  1549, 
il  fut  mis  à  la  Tour  du  14  octobre  1549  au  10  mars  1550.  L'année  suivante 
il  accompagne  Northampton  dans  son  ambassade  en  France.  Assez  mal 
en  cour  sous  le  règne  de  Marie  Tudor,  il  fut  de  nouveau  en  faveur  sous 
celui  d'Elisabeth.  Ambassadeur  en  France  en  septembre  1562,  il  fut 
emprisonné  à  Melun  en  1563.  Il  revint  en  Angleterre  en  1566.  Mort  à 
Theydon  Mount  (Essex)  le  12  août  1577. 

Sir  Thomas  Smyth  s'était  marié  deux  fois  :  la  première  fois  il  épousait 
Elizabeth  Cakek  ou  Cakyke  (1524-1552)  ;  la  seconde  fois  Philippa  Wil- 
ford,  veuve  de  Sir  John  Hampden  (f  1584).  Décédé  sans  enfant,  son 
héritier  fut  le  fils  de  son  frère  George  :  William  Smith,  dont  le  fils  fut  lui- 
même  créé  baronet  en  1661. 

L'œuvre  principale  de  Sir  Thomas  est  la  De  Republica  Anglorum  ; 
the  Maner  of  Gouernmenl  or  Policie  of  Ihe  Realm  of  England.  Ouvrage 
très  intéressant.  La  première  édition  eut  heu  à  Londres  en  1583  (1  vol. 
in-4o).  Dès  la  troisième  édition,  l'ouvrage  est  appelé  :  The  Common  Welth 
of  England.  En  un  peu  moins  de  cent  ans,  il  y  eut  onze  éditions  anglaises. 
Avant  la  fin  du  xviiie  siècle,  avaient  été  publiées  également  quatre  tra- 
ductions latines,  une  hollandaise  et  une  allemande. 


LXXVI  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sont  convaincantes  et  il  existe  de  nombreux  arguments 
en  sa  faveur  ;  Haies  peut  avoir  servi  de  modèle  au 
Chevalier,  mais  nous  ne  croyons  pas  qu'il  ait  été  l'auteur 
du  Compendieux  ou  bref  Examen... 

Miss  Lamond  a  également  essayé  de  discerner  qui  a 
servi  de  modèle  au  personnage  du  Docteur  ^.  Elle 
conclut  en  assimilant  celui-ci  à  Latimer,  ancien  évêque 
de  Worcester,  martyrisé  sous  le  règne  de  Marie  Tudor. 
Sans  doute,  les  opinions  exprimées  par  le  Docteur 
quant  aux  affaires  religieuses  de  l'Angleterre  se  rap- 
prochent-elles assez  de  celles  de  Latimer  telles  qu'on 
les  trouve  dans  ses  fameux  Sermons.  Mais,  d'autre  part, 
les  idées  que  Latimer  se  faisait  sur  la  cause  de  la  cherté 
sont  fort  différentes  de  celles  exprimées  par  le  Docteur  2. 
Latimer  attribuait  surtout  les  causes  de  la  cherté  à 
l'avarice  des  propriétaires  qui  haussaient  arbitraire- 
ment les  rentes  ;  les  vues  exprimées  par  le  Docteur  sont 
très  différentes  :  il  considère  la  hausse  des  rentes  par  les 
propriétaires  comme  une  conséquence  et  non  comme  une 
cause  de  la  cherté.  C'est  l'édition  de  1581  seulement  qui 
présentera  la  hausse  des  rentes  comme  une  raison  de  la 
continuation  de  la  cherté.  D'autre  part,  Latimer  ne 
semble  pas  avoir  été  très  au  courant  des  questions 
d'ordre  monétaire,  alors  que  le  Docteur  paraît  un  véri- 
table spécialiste. 

L'histoire  du  clocher  de  Tenderten  (§  173)  dans 
laquelle  Miss  Lamond  ^  prétend  voir  une  preuve  sous 
prétexte  que  Latimer  la  raconte  tout  au  long  dans  un 
de  ses  Sermons  *  est-elle  bien  convaincante  ?  Nous  ne 
le  croyons  pas  ;  cette  aventure  arrivée  à  Sir  Thomas 
More  devait  être  très  répandue  à  cette  époque.  Il  en 


^)  Lamond,  op.  cit.,  p.  xxi-xxiv. 
2)  Y.  les  textes  de  Latimer  cités  en  note. 
*)  Lamond,  op.  cit.,  p.  xxiii. 

*)  Sermons  devant  le  Roi  Edouard  VI,  viii.  —  V.  le  passage,  note  106, 
p.  212-213. 


INTRODUCTION  LXXVII 

est  de  même  du  passage  où  Latimer  cite  un  exemple 
de  restitution  faite  par  un  officier  des  monnaies  ;  les 
noms  d'ailleurs  ne  concordent  pas  (p.  171,  note). 

La  manière  et  les  idées  du  Docteur  nous  suggèrent 
plutôt  celles  d'un  théoricien,  de  quelque  professeur 
d'Oxford  ou  de  Cambridge  ;  notamment  dans  la  méthode 
employée,  dans  la  recherche  des  causes,  il  y  a  un  effort 
d'exposition  et  de  classification  des  faits  qui  ne  ressemble 
guère  aux  sermons  de  Latimer,  plutôt  décousus  et  sans 
ordre   bien  apparent. 

Si  Miss  Lamond  est  à  peu  près  la  seule  à  s'être 
occupée  des  manuscrits,  nombreux  sont  au  contraire 
les  auteurs  qui  ont  cherché  à  élucider  l'énigme  des  deux 
initiales  W.  S.  Rappelons  brièvement  quelques  hypo- 
thèses 

Il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  sur  la  thèse  qui  attribue 
l'œuvre  à  Shakespeare  ^.  Shakespeare  était  né  en  1564 
et  n'aurait  eu  que  17  ans  en  1581  ;  d'autre  part  il  n'était 
pas  né  en  1549  !  Rien  ne  permet  de  soutenir  cette  expli- 
cation 2j  pas  même  le  motif  allégué,  la  netteté  et  le 
relief  des  caractères  des  personnages  du  dialogue.  Gela 
fut  réfuté  par  Farmer  ^  qui  fit  remarquer  qu'Anthony 
à  Wood  avait  désigné  comme  auteur  un  dénommé 
William  Stafford,  à  peu  près  inconnu  *. 

Observons  en  passant  les  différentes  indications  que 
nous  trouvons  dans  la  dédicace  de  W.  S.  :  il  n'y  en  a 
guère   qu'une  seule,   à   savoir  que  W.   S.   fut  l'objet, 


1)  Édition  de  Charles  Marsch  en  1751. 

2)  «  The  work  itself  is  of  the  Dramatic  Kind,  and  the  characters  are 
distinguished  and  sustained  throughout  by  the  Sentiments  peculiar  to  the 
Speakers,  who  as  in  a  mirrour  give  the  présent  Age  a  Retrospect  of  the 
past.  »  {Préface  de  V édition  de  1751.) 

*)  Essays  on  ihe  Learning  of  Shakespere,  1821,  p.  81-84. 

*)  Anthony  à  Wood,  Fasti  Oxonienses,  édit.  Bliss,  t.  I,  col.  378. 


LXXVIII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

avant  1581,  de  la  clémence  de  la  Reine  Elisabeth  qui 
lui  pardonna  quelque  faute. 

Aussi  les  auteurs,  suivant  l'indication  d'Anthony 
à  Wood  se  sont-ils  efforcés  de  découvrir  quelque  William 
Stafford.  Le  D^  Farmer  i,  pour  expliquer  la  clémence 
de  la  Reine,  avait  fait  de  W.  S.  le  William  Stafford  qui 
trempa  dans  une  conspiration  contre  la  Reine  à  l'insti- 
gation de  l'Ambassadeur  de  France  de  Bellièvre  et  de 
quelques  papistes  anglais.  Le  malheur  est  qu'on  ne  trouve 
mention  de  ce  William  Stafford,  à  l'occasion  de  cette 
conspiration,  dans  les  Domestic  State  Papers  qu'au 
début  de  1587  K 

Plus  tard  Greenfield  ^,  admettant  en  partie  la  thèse 
du  D^  Farmer,  présenta  ce  même  William  Stafford 
comme  le  W.  S.  de  1581  et  expliqua  la  clémence  de  la 
Reine  par  le  fait  que  Stafford,  devenu  un  courtisan 
assidu  (sa  mère,  Lady  Stafford)  était  alors  Dame  de  la 
Chambre  de  la  Reine),  aurait  pris  part  à  quelque  intrigue 
de  cour.  Gomme  la  thèse  de  Greenfield  a  été  générale- 
ment la  plus  suivie,  nous  donnons  ici  le  tableau  généalo- 
gique de  la  famille  Stafford  *  : 

Sir  William 

épouse    

I  I 

Mary  Boleyn»     Dorothy  Stafford* 


llia 


Sir    Edward»  William 

(1552-1605)  (1554-1612) 

ép.   Anne    Gryme»    (1593) 

I  I 

William  Dorothy 

(1693-1684)    ép.    Thomas    Tyndale 

1)  Farmer,  op.  cil.,  p.  83-84. 

2)  V.  Furnivall,  InlroducUon  à  Tédition  de  la  New  Shakespeare  Society, 
où  il  donne  des  extraits  des  Domeslic  Slale  Papers,  p.  ix. 

3)  Grennfield,  Notes  and  Queries,  ix,  375-376.| 

*)  V.  Dictionary  of  National  Biography,  Stafford  (William). 

^)  Ancienne  maîtresse  de  Henri  VIII  et  veuve  en  1528 jde  Sir  William 
Cary  à  la  mort  duquel  elle  épousa  Sir  W.  Stafford. 

«)  Fille  de  Henry  Stafford,  1"  Baron  Stafford,  fils  de  Edward  dernier 
duc  de  Buckingham. 

')  Ambassadeur  en  France  et  Chevalier  en  1583. 

®)  FUle  de  Thomas  Gryme,  d'Antigham,  Norfolk. 


INTRODUCTION  LXXIX 

Rien  ne  prouve  la  véracité  de  cette  thèse  et  les 
affirmations  d'Anthony  à  Wood  sont  tout  à  fait  sujettes 
à   caution. 

Miss  Lamond  ^  déclare  ignorer  l'identité  de  W.  S. 

Le  D^  Léser  ^  identifie  l'auteur  avec  un  William 
Stafford  qui  fut  surveyor  de  l'évêque  de  Norwich  et 
mentionné  dan  les  Domestic  State  Papers  ^.  Il  semble 
cependant  qu'il  y  ait  encore  moins  de  raisons  en  faveur 
de  cette  thèse  qu'en  faveur  de  l'autre  *. 

Une  autre  théorie  consistant  à  assimiler  W.  S.  avec 
William  Stafïord,  prieur  des  Dominicains  de  Stamford 
qui,  avec  huit  moines,  abandonna  le  monastère  au  Roi 
en  1538  est  également  à  rejeter  selon  Furnivall  ^. 

Une  autre  hypothèse,  beaucoup  plus  plausible  à 
notre  sens,  est  celle  qui  identifie  W.  S.  avec  William 
Smith  ou  Smythe,  neveu  de  Sir  Thomas  Smythe  dont 
nous  avons  déjà  longuement  parlé.  Ce  William  Smythe 
était  tombé  en  disgrâce  en  Irlande  et  avait  vainement 
essayé  de  se  faire  attribuer  les  propriétés  de  son  oncle 
aux  Ardes.  Bien  qu'il  fut  parfois  encouragé  par  la  Reine, 
celle-ci  ne  lui  accorda  jamais  ces  propriétés  ^.  William 
Smith  joua  un  rôle  politique  assez  considérable.  Il  est 
d'autant  plus  logique  que  William  Smith  soit  le  W.  S. 
de  1581  qu'il  aurait  pu  hériter  de  son  oncle,  auteur 
probable  du  Dialogue,  les  manuscrits  ou  un  manuscrit 
de  cet  ouvrage  ;  étant  donné  que  celui-ci  était  l'œuvre 
de  son  oncle  et  qu'il  avait  toutes  sortes  de  raisons  pour 
le  croire  absolument  ignoré  de  tout  le  monde,  ce  ne  fut 
pas  un  plagiaire  si  horrible  qu'on  voudrait  bien  le 
représenter.  Ajoutons  que  le  P'  Gunningham,  sans  se 


^)  Lamond,  op.  cit.,  p.  xxxv  et  English  Historical  Review,  avril  1891. 
2)  Sammlung    altérer    und    neuerer    Slaaiswissenschafilicher  Schriften, 
vol.  V,  Leipzig,  1895. 

^)  Domestic  State  Papers,  1578,  p.  551. 

*)  V.  Palgrave's  Dictionary,  vol.  II,  art.  Staff ord. 

*)  Furnivall,  op.  cit.,  p.  xiii. 

«)  Strype,  Life  of  Sir  Thomas  Smythe,  p.  260. 


LXXX  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

prononcer  sur  la  personnalité  de  l'auteur  primitif,  est 
partisan  de  cette  thèse  qui  attribue  à  William  Smith  la 
responsabilité  de  l'édition  de  1581  ^. 

Un  autre  argument  en  faveur  de  William  Smith 
est  qu'il  a  très  bien  pu  recourir  en  1580  à  la  clémence 
de  la  Riene.  Il  existe  une  lettre  de  Capitaine  William 
Piers,  en  date  du  21  août  1580,  adressée  à  Francis 
Wallsingham,  secrétaire  de  la  Reine,  accusant  William 
Smith  d'avoir  fomenté  des  troubles  dans  la  région  des 
Ardes  et  de  rupture  de  mariage  avec  une  des  filles  du 
capitaine  ^.  Deux  lettres  de  William  Smith,  l'une  à 
Walsingahm  du  28  novembre  1580  3,  et  l'autre  à  Lord 
Cecil  *  tentent  d'expliquer  sa  conduite  et  demandent 
qu'on  lui  octroie  les  propriétés  de  son  oncle  Sir  Thomas. 
La  rupture  du  mariage  avec  la  fille  du  capitaine  Piers 
et  les  menées  plus  ou  moins  légales  de  William  Smith 
dans  les  Ardes  ne  cadrent-elles  pas  avec  les  termes  de 
la  Dédicace  ? 

En  résumé,  nous  sommes  porté  à  croire  que  Sir  Tho- 
mas Smythe  fut  Vauteur  original  et  que  Vouvrage  fut 
modifié  et  adapté  aux  circonstances  nouvelles,  soit  par 
lui-même  avant  sa  mort,  soit  par  son  neveu  et  héritier 
William  Smith.  Celui-ci,  après  V avoir  ^  ou  non  corrigé, 
le  publia  en  1581  comme  Vœuvre  de  W,  S.  Gentleman, 

* 

Il  est  assez  difficile  de  réunir  et  de  faire  un  faisceau 
homogène  de  toutes  les  qualités,  de  toutes  les  remarques 
originales  qui  caractérisent  cet  ouvrage.  Celui-ci  touche, 
nous  l'avons  dit,  non  seulement  à  des  questions  moné- 

1)  The  Economie  Journal,  1893,  III,  p.  669.  s. 

2)  S.  P.  Ireland,  Elizabelh,  1580,  Augusl,  vol.  Ixxv,  N»  65  reproduit  dans 
Lamond,  op.  cil.,  p.  Ixvii. 

8)  S.  P.  Ireland,  Elizabelh  1580,  November,  vol.  Ixxviii,  N»  66,  reproduit 
dans  Lamond,  op.  cil.,  p.  Ixix. 

*)  S.  P.  Ireland,  Elizabdh  1580,  November,  vol.  Ixxviii.  N»  67. 


INTRODUCTION  LXXX 

taires,  non  seulement  à  des  faits  économiques,  mais 
encore  à  des  faits  d'ordre  social  qui  ne  laissent  pas 
d'éclairer  et  de  rendre  plus  compréhensibles  les  pro- 
blèmes  que   soulève   l'auteur. 

Quel  était,  en  gros,  l'état  de  l'Angleterre  en  1549  ? 
On  peut  dire  que  cet  état  était  dominé  par  trois  faits  : 
un  fait  propre  à  tous  les  pays  d'Europe  à  cette  époque  : 
hausse  notable  des  prix  ;  un  autre  également  commun 
à  la  plupart  des  États  mais  ne  revêtant  pas  partout  la 
même  intensité  :  les  mutations  monétaires  ;  un  troi- 
sième enfin  et  propre  lui  à  l'Angleterre  :  la  question  des 
clôtures.  «  L'altération  de  la  monnaie  sous  le  règne 
d'Henri  VIII,  écrit  Guizot,  avait  amené  une  extrême 
élévation  dans  le  prix  nominal  des  denrées,  mais  le 
travail  n'était  pas  rémunéré  en  conséquence  ;  les  ouvriers 
étaient  au  contraire  moins  occupés  et  moins  payés  que 
par  le  passé.  Une  grande  quantité  de  terres  arables 
avaient  été  transformées  en  pâturages,  par  suite  d'un 
considérable  accroissement  dans  les  prix  des  laines.  Les 
couvents  ne  recueillaient  plus  les  paysans  intelligents 
pour  en  faire  des  moines,  les  charités  monastiques  ne 
subvenaient  plus  à  la  misère  des  pauvres,  les  vastes 
espaces  appartenant  aux  communautés,  où  les  villageois 
avaient  coutume  de  faire  paître  leurs  bestiaux,  avaient 
été  peu  à  peu  accaparés  par  les  propriétaires  environ- 
nants, qui  avaient  enclos  tous  les  terrains  vagues,  pri- 
vant ainsi  les  pauvres,  dans  un  moment  de  grande 
détresse,  d'une  ressource  à  laquelle  ils  étaient  accou- 
tumés ^.  »  «  A  la  même  époque  »,  écrit  Lipson,  «  la  disso- 
lution des  monastères  aggrava  les  maux  inhérents  à 
toutes  les  périodes  de  transition  en  renvoyant  dans  la 
campagne  la  multitude  des  mendiants  qu'auparavant  ils 
avaient  secourus  ^  ». 

Les  mutations  monétaires  ne  furent  pas  en  Angle- 

^)  Guizot,  Histoire  cTAnglderre,  I,  xviii. 

2)  Lipson,  Economie  Hisiory  of  England,  p.  150. 

LE   BRANCHU  / 


LXXXII  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 


. 


[terre  très  différentes  de  celles  qui  ont  eu  lieu  en  France  ; 
on  assista  à  une  série  de  surhaussements  successifs  de 
la  monnaie  depuis  1544  jusqu'en  1561.  La  première 
mesure  fut  prise  par  Henri  VIII  i,  le  13  mai  1544, 
mesure  par  laquelle  l'once  d'or  fut  portée  à  48  s.  et 
l'once  d'argent  à  4  s.  Le  9  juillet  1551,  les  basses  mon- 
naies d'Henri  VIII  et  d'Edouard  VI  furent  abaissées  : 
le  shilling  court  pour  9  d.  et  la  groate  pour  3d.  Un  nou- 
vel abaissement  a  lieu  le  17  août  1551  :  le  shilling  court 
pour  6d.  et  la  groate  pour  2d.  Enfin  un  troisième  et  der- 
nier abaissement  a  lieu  le  28  septembre  1559  :  toutes 
les  monnaies  de  cuivre  sont  décriées  et  remplacées  par 
des  monnaies  d'argent.  On  aboutit  à  Proclamation  dor 
the  abassing  of  Cognes  2,  en  mars  1561,  la  grande  réforme 

i  d'Elisabeth  qui  rétablissait  la  monnaie  anglaise  dans 

(son  ancienne  bonté. 


* 


La  question  des  clôtures  est  plus  particulière  et 
plus  délicate  ;  la  transformation  d'un  grand  nombre 
de  terres  arables  en  pâturages  au  cours  du  xvi^  siècle 
n'alla  pas  sans  de  multiples  inconvénients  et  sans  réduire 
au  chômage  les  fermiers  évincés.  De  nombreux  pas- 
sages du  Compendieux  ou  bref  examen  y  font  allusion 
d'une  façon  véhémente  (V.  en  particulier  le  §  27).  Les 
expulsions  de  fermiers  donnaient  lieu  à  une  hausse  du 
prix  des  rentes  étant  donnée  la  demande  croissante. 
Gomme  le  dit  Growley, 

Les  réversions  sonl  achetées 
Longtemps  avant  V expiration  du  bail  ; 
Les  réversions  de  fermes 
Sont  achetées  de  part  et  d'autre  ^  . 

1)  36.  Henry  VIII. 

2)  Reproduite  dans  l'édition  de  la  New  Shaskespeare  Society,  p.  100-102. 

3)  Select  Works  of  Robert  Crowley,  Londres,  1872,  p.  33  ;  cité  par  Ashley, 
Histoire  et  Doctrines  économiques  de  V Angleterre,  tr.  fr.,  t.  II,  p.  306-307. 


INTRODUCTION  LXXXIII 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  propriétaires  fonciers 
qui  renvoient  leurs  fermiers  pour  transformer  leurs 
terres  et  les  exploiter  eux-mêmes  ^  :  les  marchands  s'en 
mêlent  également,  ils  achètent  des  terres  et  en  font  des 
pâtures  pour  moutons  ou  gros  bétail. 

Si  le  marchand  voulait  ne  s^occuper 

Que  de  ses  marchandises, 

Et  s'i7  voulait  laisser  les  fermes  à  ces  hommes 

Qui  doivent  en  tirer  leur  subsistance  2... 

On  trouve  de  même  une  excellente  description  de 
la  situation  dans  les  Sermons  de  Lever  :  «  Considérez 
les  marchands  de  Londres  et  vous  verrez  qu'après  que 
Dieu  les  a  gratifiés  d'une  grande  abondance  à  la  suite 
de  leurs  honnêtes  entreprises,  ils  ne  se  sont  pas  déclarés 
contents  ;  mais  leurs  richesses  sont  allées  à  la  campagne 
enlever  les  fermes  des  mains  des  honorables  gentlemen, 
des  yeomen  et  des  pauvres  laboureurs  ^.  » 

Ces  clôtures  étaient  un  problème  très  difficile  à 
résoudre  *  et  ce  n'est  pas  sans  raisons  que  le  Chevalier 
déclare  qu'il  l'a  entendu  maintes  fois  discuter  «  aussi 
bien  au  Parlement  qu'au  Conseil,  et  bien  peu  de  mesures 
eurent  de  l'effet  »  (§  186).  Il  est  à  remarquer  que  le 
Docteur  fait  des  recommandations  qui  furent  par  la 
suite  généralement  acceptées  et  longtemps  maintenues  ^. 
Il  conseille  de  diminuer  le  profit  de  l'élevage  ou  bien 
d'augmenter  celui  du  labourage  ^.  On  pouvait  d'autre 

1)  Ashley,  op.  cil.,  p.  294-296  et  306-307. 

2)  Crowley,  op.  cit.,  p.  41.  Ces  épigrammes  ont  été  écrites  en  1550. 
Cité  par  Ashley,  op.  cit.,  t.  II,  p.  307. 

3)  Lever,  Sermon  in  the  Shroudes  in  Poules,  1550,  réimpression  d'Arbes, 
29.  —  Cité  par  Ashley,  op.  cit.,  t.  II,  p.  307,  note. 

*)  V.  dans  Tersen,  op.  cit.,  p.  16  et  s.  tout  un  chapitre  consacré  au 
développement  de  la  question  des  clôtures  et  renfermant  de  nombreuses 
citations  d'écrits  de  l'époque. 

^)  Cunningham,  op.  cit.,  p.  669  et  s. 

®)  V.  The  Defence  of  John  Haies  ayensl  certeyn  sclaundres  and  false 
reaporîes  made  of  hym,  Lansdowne  MSS,  238,  fol.  292.  Reproduit  dans 
Lamond,  op.  cit.,  p.  lii-lxvii. 


LXXXIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

part  espérer  un  certain  «  retour  à  la  terre  »  des  ouvriers 
(cf.  §  154)  car,  à  cette  époque,  la  distinction  entre  cita- 
dins et  habitants  de  la  campagne,  artisans  ou  commer- 
çants et  cultivateurs  ou  éleveurs  n'était  pas  aussi  nette 
qu'aujourd'hui.  Ainsi  John  Shakspere  ou  Shakespeare, 
le  père  du  poète,  habitant  de  Strafford,  ville  voisine  de 
Coventry,  lieu  probable  du  Dialogue,  était  gantier  de 
sa  profession,  mais  il  semble  bien  qu'il  acheta  également 
des  prairies  et  s'adonna  à  l'élevage  ;  aussi  ce  «  retour 
à  la  terre  »  était-il  plus  facile  et  moins  aléatoire  que  de 
nos  jours.  La  population  des  villes  anglaises  à  cette 
époque  était  d'ailleurs,  Londres  exceptée,  très  faible 
relativement  à  nos  jours. 

Toutes  les  clôtures  ne  sont  d'ailleurs  pas  néfastes 
pour  le  Docteur  :  certaines  sont  même  utiles  étant  donné 
l'essor  qu'elles  donnent  à  l'élevage  des  moutons  et, 
partant,  à  cette  industrie  qui  était  déjà  la  plus  impor- 
tante de  l'Angleterre,  l'industrie  textile. 

* 
*  * 

r  La  hausse  des  prix  dont  on  se  plaint  déjà  dans  les 
manuscrits  était  certainement  beaucoup  plus  sensible 
encore  en  158L  Rappelons  que  la  hausse  des  prix 
commença  à  se  faire  sentir  tout  d'abord  en  Espagne, 
puis  en  Italie,  puis  en  France  ;  elle  ne  se  manifeste  en 
Angleterre  qu'avec  un  certain  retard  sur  notre  pays. 
Les  études  de  Thorold  Rogers  ^  nous  montrent  que 
les  prix  en  Angleterre,  après  avoir  subi  une  hausse  rela- 
tivement légère  de  1500  à  1530,  baissèrent  jusqu'en 
1545  pour  remonter  ensuite  très  fortement.  D'après 
M.  Simiand  ^  qui  a  étudié  et  utilisé  les  chiffres  de  Rogers, 

1)  Th.  Rogers,  A  History  of  Agriculture  and  Priées  in  England  from  Ihe 
year  after  Ihe  Oxford  Parliamenl  (1259)  lo  ihe  Commencement  of  ihe  Conli- 
nenlal  War  (1793),  vol.  III-IV-V. 

2)  Fr.  Simiand,  Recherches  anciennes  et  nouvelles  sur  le  mouvement 
général  des  prix  du  XV I^  au  XIX^  siècle. 


INTRODUCTION  LXXXV 

l'indice  des  prix  après  conversion  monétaire,  si  l'on 
prend  la  base  1500  =  100,  serait  d'environ  75  en  1545 
et  de  180  en  1581  ^.  Cela  représenterait  de  1545  à  1581, 
une  hausse  de  l'ordre  de  1  à  2,  4. 

Si  l'on  établit  cet  indice  sans  conversion  monétaire, 
il  serait,  sur  la  même  base  1500  =  100,  de  120  en  1535, 
de  150  en  1545  et  de  presque  300  en  1581  ^.  L'augmen- 
tation de  1545  à  1581  serait  de  l'ordre  de  1  à  2,5  (au 
lieu  de  1  à  2,4  précédemment  ce  qui  montre  que  jus- 
qu'à 1545  environ  les  prix  ne  montèrent  qu'à  cause  et 
en  fonction  des  surhaussements  de  la  monnaie.  Aussi 
l'auteur  de  1549  n'a-t-il  guère  pu  s'apercevoir,  comme 
dans  l'édition  de  1581,  de  l'influence  de  l'augmentation 
de  numéraire). 

Les  produits  agricoles  végétaux,  y  compris  les 
céréales,  passaient  notamment  (1500  =  100)  de  90 
en  1545  à  235  en  1581  ^,  compte  tenu  de  la  conversion 
monétaire,  ce  qui  représente  une  hausse  de  1545  à  1581 
de  l'ordre  de  1  à  2,6.  Pour  les  chevaux  et  le  bétail, 
toujours  sur  la  même  base,  l'indice  passait  de  105  en 
1545  à  280  en  1581  *,  soit  également  une  augmentation 
de  1  à  2,6. 

Cette  hausse  considérable  des  prix  gênait  évidem- 
ment beaucoup  ceux  qui  percevaient  leurs  revenus  en 
une  somme  fixe  de  monnaie,  c'est-à-dire  propriétaires, 
soldats,  fonctionnaires,  domestiques,  ouvriers  et,  par- 
dessus tout,  le  souverain.  C'est  le  mérite  de  Sir  Thomas 
Smythe  (s'il  est  vraiment,  comme  nous  le  croyons, 
l'auteur  de  l'ouvrage)  de  s'être  aperçu,  dès  1549,  de 
cette  hausse  et  des  conséquences  de  celle-ci.  Le  Docteur 
du  Dialogue  se  rend  parfaitement  compte  de  l'injustice 


^)  Simiand,  op.  cit.,  p.  88  et  s.  et  Diagramme  II. 
^)  Simiand,  op.  cit.,  Diagramme  II. 
^)  Simiand,  op.  cit..  Diagramme  III. 
*)  Simiand,  op.  cit.,  Diagramme  III. 


LE  BRANCHU 


LXXXVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

qu'il  y  a  à  laisser  les  propriétaires  être  payés  en  une 
monnaie  de  moindre  pouvoir  d'achat,  ce  dont  Latimer, 
entre  parenthèses,  n'a  pas  semblé  s'apercevoir. 

* 

Les  causes  de  cette  «  universelle  cherté  »  ont  varié 
beaucoup  suivant  les  auteurs  de  l'époque  :  Latimer 
l'attribuait  à  l'âpreté  des  propriétaires  qui  haussaient, 
arbitrairement,  selon  lui,  les  fermages  de  leurs  terres. 
D'autres  ecclésiastiques,  tels  que  Frank,  Zwingle, 
Melanchton,  Henckel  «  y  voyaient  le  fait  des  monopoles 
des  commerçants  et  des  spéculations  des  usuriers  ^  ». 

L'auteur  primitif  des  manuscrits  l'attribuait  aux 
mutations  monétaires.  Au  Chevalier  qui  demande  si 
l'altération  de  la  monnaie  a  été  vraiment  la  vraie  cause 
de  la  cherté,  le  Docteur  répond  :  «  Oui,  il  n'y  a  pas  de 
doute...  c'est  la  cause  originelle  de  tous  les  maux... 
Avec  l'altération  de  la  monnaie  débuta  cette  cherté,  et, 
à  mesure  que  la  monnaie  devenait  plus  mauvaise,  mon- 
tait le  prix  de  toute  chose  :  que  ceci  est  vrai,  les  quelques 
pièces  de  l'ancienne  monnaie  qui  subsistèrent  en  sont 
la  preuve,  car,  avec  celles-ci,  on  pouvait  obtenir  autant 
de  marchandises  dans  ce  royaume  et  à  l'étranger  qu'on 
avait  coutume  d'en  avoir.  »  (§  180)  L'analyse  du  mouve- 
ment des  prix  nous  a  montré  que  ceci  est  exact  et  qu'on 
ne  pouvait  pas,  en  1549,  parler  d'une  hausse  des  prix 
due  à  l'afflux  d'espèces  nouvelles. 

Mais  tandis  que  les  manuscrits  continuent  dans 
cette  voie  et  discutent  longuement  le  rétablissement 
de  la  monnaie  à  son  ancienne  bonté,  c'est  ici  que  vient 
prendre  place  l'importante  interpolation  de  W.  S.  Le 
Chevalier  objecte  au  Docteur  que  la  monnaie  a  été 
depuis  lors  (en   1561)   complètement  restaurée  et  que 

^)  Cossa,  Histoire  des  Doctrines  économiques,  trad.  franc.,  p.  189. 


INTRODUCTION  LXXXVII 

cette  cherté  n'en  subsiste  pas  moins.  Le  Docteur  répond 
qu'il  existe  «  deux  causes  spéciales  pour  lesquelles 
nonobstant  la  réforme  de  notre  monnaie,  cette  cherté 
des  choses  en  comparaison  avec  le  passé  subsiste  parmi 
nous  »  (§  182  in  fine). 

La  première  est  qu'étant  donnée  la  hausse  des  prix 
les  propriétaires  terriens  augmentèrent  leurs  fermages 
dans  la  proportion  de  la  hausse  de  la  vie  et  ces  fermages 
sont  restés  élevés  depuis  lors.  «  Si  nous  voulions  rétablir 
chez  nous  les  anciens  prix,  la  restauration  de  notre  bonne  i 
monnaie  qui  est  déjà  faite...  ne  servira  point...  excepté 
si  les  fermages  sont  abaissés  »  (§  183  in  fine). 

La  seconde  raison  est  «  l'abondance  extrême  de  numé- 
raire qui  existe  aujourd'hui  dans  notre  pays  en  beau- 
coup plus  grande  quantité  que  nos  ancêtres  n'en  ont 
jamais  vu  dans  le  passé  »  (§  184).  Et  l'auteur  conclut 
en  disant  «  que  ces  deux  raisons  lui  semblent  contenir 
en  elles  une  probabilité  suffisante  quant  aux  causes  et 
à  la  continuation  de  cette  universelle  cherté  »  {§  184 
in  fine). 

Sans  doute  W.  S.  n'est  pas  le  premier  à  avoir  fait 
cette  constatation  ;  Bodin,  nous  l'avons  déjà  vu,  l'avait 
déjà  faite  en  1568.  Nous  savons  d'autre  part  par  un 
passage  de  la  République  ^  que  l'évêque  de  Cantorbery 
avait  fait  traduire  la  Besponse  aux  Paradoxes  de  M.  de 
Malestroit  en  1569.  Nous  trouvons  d'ailleurs  également 
l'affirmation  de  ce  fait  dans  la  Préface  de  la  seconde 
édition  de  la  Besponse  (1578),  préface  que  nous  publions 
dans  cet  ouvrage  (tome  I,  p.  73).  W.  S.  avait-il  eu 
connaissance  de  cette  traduction  ou  avait-il  lu  en  fran- 
çais l'œuvre  de  Bodin  ^  ?  La  question  semble  impossible 
à  résoudre. 

^)  La  République,  p.  662,  cité  dans  Hauser,  op.  cit.,  p.  118. 
*)  Miss  Lamond  {op.  cit.,  p.  xxxiii)  fait  erreur  quant  à  la  date  de  publi- 
cation de  l'ouvrage  de  Bodin  qu'elle  fixe  en  1578. 


LXXXVIII  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


*    * 

Le  problème  monétaire  est  analysé  avec  beaucoup 
d'habileté  dans  le  Compendieux  ou  bref  examen,,. 
L'auteur  ne  se  perd  pas,  comme  c'était  souvent  la 
coutume  à  cette  époque,  dans  des  considérations  à 
perte  de  vue  sur  les  métaux  précieux  ;  ceux-ci  sont 
clairement  représentés  comme  des  marchandises.  Le 
Docteur  reconnaît  que  la  valeur  de  l'or  et  de  l'argent 
ne  dépend  pas  uniquement  de  la  convention  :  la  rareté 
est  un  des  éléments  importants  de  cette  valeur.  A  une 
question  du  Chevalier  qui  lui  demandait  la  raison  pour 
laquelle  ces  métaux,  c'est-à-dire  l'or  et  l'argent,  ont 
une  valeur  plus  grande  que  les  autres,  le  Docteur  répond 
que  cela  est  dû  sans  doute  à  «  leur  supériorité  sur  les 
autres  métaux,  à  la  fois  en  ce  qui  concerne  l'agrément 
qu'ils  procurent,  leur  usage,  et,  en  partie,  leur  rareté  » 
(§  129).  Ce  texte  et  bien  d'autres  encore  prouvent  que 
l'auteur  des  manuscrits  avait  déjà,  en  1549,  la  «  notion 
quantitative  ^  ». 

On  trouve  affirmé  dans  les  manuscrits  ^  aussi  bien 
que  dans  l'édition  de  1581  l'existence  d'un  rapport  fixe, 
de  1-12,  entre  l'or  et  l'argent  et  un  autre  de  1-100  entre 
l'argent  et  le  cuivre.  Rappelons  que  presque  tous  les 
auteurs  de  l'époque  n'ont  pas  admis,  ou  même  conçu, 
l'existence  de  ce  rapport  :  Bien  avant  le  xvi®  s.,  Oresme 
pense  que  la  proportion  entre  l'or  et  l'argent  est  essen- 
tiellement variable^.  Pour  l'auteur  du  Compendieux 
ou  bref  examen...  ce  rapport  fixe  de  1-12  est  le  même 
aujoud'hui  qu'il  y  a  deux  mille  ans. 


1)  V.  également,   §  133. 

2)  V.  Variante,  p.   160. 

8)  Bridrey,  La  Théorie  de  la  monnaie  au  XIV^  siècle,  Nicolas  Oresme, 
p.  233.  —  Landry,  Essai  économique  sur  les  Mutations  des  monnaies  dans 
Vancienne  France  de  Philippe  le  Bel  à  Charles  VII,  p.  147.  —  Harsin, 
op.  cit.,  p.  7. 


INTRODUCTION  LXXXIX 

La  monnaie  est,  pour  ce  même  auteur,  une  mar- 
chandise dont  l'estimation  ne  dépend  aucunement  de 
la  volonté  du  Prince.  Il  en  est  de  même  de  la  proportion 
entre  l'or  et  l'argent.  «  Je  ne  pense  pas  qu'elle  puisse 
être  modifiée  par  l'autorité  de  quelque  Prince,  car,  si 
cela  était  possible,  un  Prince  ou  une  autre  personne  l'eût 
déjà  fait  depuis  deux  mille  ans.  »  (p.  160,  note.  V.  égale- 
ment un  passage  très  catégorique,  §  124-126). 

On  trouve  dans  le  Dialogue  une  définition  de  la 
monnaie  d'une  concision  et  d'une  précision  que  l'on 
rechercherait  la  plupart  du  temps  vainement  dans  les 
ouvrages  de  l'époque.  «  La  monnaie  est...  une  réserve 
de  toute  marchandise  désirée  »  (p.  166,  note).  C'est 
là,  en  quelques  mots,  toute  l'histoire  de  la  monnaie 
d'après  Aristote  et  que  reprend  également  l'auteur  du 
Dialogue, 

La  loi  dite  de  Gresham  est  clairement  décrite  dans 
les  manuscrits  :  «  lorsque  les  orfèvres,  les  marchands  et 
les  autres  personnes  expertes  en  métaux  s'aperçoivent 
qu'une  groate  est  meilleure  que  l'autre  et  que  cependant 
ils  obtiennent  autant  de  marchandises  pour  la  mauvaise 
groate  que  pour  la  bonne,  ne  conservent-ils  pas  toujours 
les  bonnes  pour  les  employer  à  quelqu'autre  usage  »  ? 
Et  signalant  que  les  nouvelles  pièces  d'or,  meilleures 
que  les  pièces  d'argent  de  la  même  valeur,  furent  acca- 
parées aussitôt  et  disparurent  de  la  circulation,  l'auteur 
ajoute  :  «  Tout  cela  parce  qu'il  n'y  a  pas  d'égale  propor- 
tion entre  les  monnaies,  parce  que  l'une  est  meilleure 
que  l'autre  »  (p.   156,  note). 

L'auteur  ne  se  fait  d'ailleurs  aucune  illusion  sur  la 
difficulté  des  réformes  monétaires  qu'il  présente  :  «  Vous 
souhaitez,  dit  le  Chevalier,  que  nous  retournions  aux 
vieux  chemins  que  nous  avons  quittés,  mais  toute  la 
difficulté  est  de  savoir  comment  y  retourner.  Cela 
demande  sûrement,  répond  le  Docteur,  quelqu 'intelli- 
gente et  prudente  disposition...  »  (p.  161,  note). 


XC  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

L'auteur  a  été  frappé  du  danger  que  présentaient 
les  rafles  de  l'étranger  à  la  suite  d'un  surhaussement 
quelconque  de  la  monnaie.  Il  en  parle  longuement  et 
s'aperçoit  bien  que  toutes  les  dispositions  que  l'on 
pourra  prendre  pour  y  obvier  seront  inutiles,  parce  que 
non  observées   ^. 

Gela  le  conduit  à  dire  très  justement  que  les  ques- 
tions monétaires  ne  concernent  pas  seulement  le  pays 
directement  intéressé,  mais  au  contraire  tous  les  États. 
Comme  le  dira  plus  tard  François  le  Bègue  :  «  Le  faict 
des  monnoyes  n'est  (pas)  seulement  une  police  de  chez 
nous,  mais  un  faict  d'Estat  qui  regarde  tous  nos  voisins 
et  les  estrangers  qui  traffiquent  avec  nous  ^.  » 

Sir  Thomas  Smythe  et  W.  S.,  s'ils  partagent  jusqu'à 
un  certain  point  le  préjugé  chrysohédonique  ne  l'exa- 
gèrent cependant  aucunement.  Sans  doute  est-il  bon 
de  posséder  une  réserve  d'or  et  d'argent,  mais  unique- 
ment parce  que  l'or  et  l'argent  peuvent  se  convertir 
partout  et  facilement  en  d'autres  marchandises.  Si  le 
cuivre  était  aussi  facile  à  transporter  que  les  métaux 
précieux,  il  vaudrait  même  mieux  posséder  une  valeur 
égale  de  cuivre,  de  plomb  ou  de  quelqu'autre  métal 
usuel,  parce  que  les  métaux,  à  la  différence  des  denrées 
agricoles,  se  conservent  sans  perte.  Que  cette  réserve 
se  trouve  entre  les  mains  du  souverain  ou  de  ses  sujets 
peu  importe,  à  condition  que  le  souverain  puisse,  en 
temps  de  besoin,  avoir  suffisamment  d'espèces  métal- 
liques. «  L'argent  qui  est  dans  la  poche  de  mes  sujets 
m'est  aussi  utile  que  celui  de  mon  épargne  »,  disait  la 
Reine  Elisabeth.  C'est  seulement  dans  l'éventualité  d'une 
crise,  d'une  guerre  que  l'on  désire  ces  réserves. 

^)  Comparer  l'opinion  de  Garrault,  dans  Harsin,  op.  cil.,  p.  50. 

*)  Raisons  et  Motifs  de  VÉdit  de  1614,  cité  par  Harsin,  op.  cil.^  p.  53. 


INTRODUCTION  XCI 


*    * 


Mais  ce  qui  fait  en  grande  partie  l'intérêt  de  l'ouvrage, 
ce  ne  sont  pas  tant  les  affirmations  de  caractère  moné- 
taire que  la  position  prise  par  le  Docteur  au  point  de 
vue  du  commerce  extérieur.  Gomme  le  fait  remarquer 
le  Prof.  Cunningham,  les  observations  du  Docteur  repro- 
duisent les  principes  que  défendront  les  économistes 
deux  siècles  plus  tard.  L'auteur  s'est  complètement 
dégagé  des  doctrines  médiévales  sur  l'esprit  de  lucre, 
le  taux  de  l'intérêt.  Il  se  rattache  déjà  aux  idées  mer- 
cantilistes  ;  cela  se  remarque  entr'autre  très  nettement 
par  la  classification  faite  par  le  Docteur  des  différents 
métiers  et  commerces  (§  160  et  s.).  Il  faut  prendre  garde 
à  ce  que  le  chiffre  des  importations  ne  dépasse  pas  celui 
des  exportations  et  une  grande  partie  des  discours  du 
Docteur  vise  à  prouver  les  inconvénients  de  l'importation 
de  l'étranger  des  objets  de  luxe  ou  inutiles  ^.  Lambarde 
a  fort  bien  résumé  les  observations  du  Docteur  dans 
une  note  en  marge  de  son  manuscrit  :  «  Si  nous  expor- 
tons des  marchandises  valant  plus  que  celles  que  nous 
importons,  le  surplus  vient  en  argent  ;  mais  si  nous 
importons  davantage  le  surplus  doit  être  également  payé 
en  argent  et  c'est  là  le  moyen  d'augmenter  ou  de  dimi- 
nuer la  masse  monétaire,  excepté  cette  petite  quantité 
de  monnaie  qui  existe  toujours  dans  le   Royaume.   » 

Le  Docteur  envisage  certaines  réformes  propres  à 
enrichir  le  pays  et  augmenter  la  quantité  d'espèces 
métalliques  en  circulation.  Parmi  celles-ci,  il  considère 
d'une  façon  favorable  le  système  dit  de  la  balance  des 
contrats  ^,  système  qui  sera  critiqué  plus  tard  par  quel- 
ques   auteurs    français,    notamment   par    Lafîemas    ^, 


^)  V.  en  particulier  parmi  de  nombreux  autres  passages  le  §  112. 
2)  V.  Tersen,  op.  cit.,  p.  108  et  s. 
')  Cf.  Harsin,  op.  cil.,  p.  75. 


XCII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

/On  retrouve  dans  le  Compendieux  ou  bref  examen.., 
/toutes  les  idées  qui  seront  exposées  plus  tard  par  les 
'  auteurs  mercantilistes  anglais  ;  on  y  trouve  d'autre 
part  une  notion  de  protectionnisme  agraire,  chose  exces- 
sivement peu  répandue  à  l'époque.  Comme  l'a  remarqué 
en  effet  von  Below  ^,  l'État  au  Moyen-Age  ne  s'intéres- 
sait nullement  à  l'agriculture  ;  celle-ci  était  alors  en 
plein  développement  et  on  pensait  que  la  nature  suf- 
fisait à  assurer  ce  développement.  L'idée  de  protection 
agraire  n'est  véritablement  née  qu'au  xviije  siècle  avec 
les  Physiocrates.  Or,  dès  1549,  le  Docteur  du  Dialogue, 
s'il  réclamait  comme  les  autres  mercantilistes  le  dévelop- 
pement de  l'industrie,  ne  demandait  pas  moins  qu'on 
protégeât  la  culture,  celle  du  blé  en  particulier,  pour 
lutter  contre  les  clôtures  et  ce  par  des  mesures  de  pur 
protectionnisme.  C'est,  à  notre  connaissance,  le  premier 
auteur  qui  ait  non  seulement  mentionné,  mais  encore 
exposé  de  semblables  idées  et  qui  ait  démontré  la  néces- 
sité d'une  intervention. 

Ajoutons  que  le  principe  de  J.-B.  Say,  «  les  produits 
s'échangent  contre  les  produits  »  est  clairement  énoncé 
par  le  Docteur  :  «  Nous  devons  considérer  que,  bien  que 
l'or  et  l'argent  soient  des  métaux  communément  employés 
pour  frapper  la  monnaie,  ils  ne  sont  que  des  signes  pour 
l'échange  des  choses  entre  les  hommes  :  ce  sont  réelle- 
ment des  marchandises  nécessaires  à  l'usage  de  l'homme 
qui  sont  échangées  sous  le  couvert  de  la  monnaie  et 
c'est  l'abondance  ou  la  rareté  de  ces  marchandises  qui 
fait  que  leur  prix  est  élevé  ou  bas  »  (§  126  in  fine). 

Si  nous  ajoutons  l'idée  commune  à  cette  époque  ^  : 
que  l'Angleterre  se  trouvait  dans  une  position  très  favo- 
rable au  point  de  vue  commercial  en  ce  sens  que  tous 
les    peuples    étrangers    ont    besoin    des    marchandises 


1)  Jahr bûcher  fur  Naiionalôkonomîe  und  Sîaiistik,  juin  1918. 

■)  On  la  trouve  exprimée  notamment  par  Bodin  concernant  la  France. 


INTRODUCTION  XCIII 

anglaises  et  que  l'Angleterre  par  contre  peut  se  passer 
des  marchandises  étrangères,  nous  aurons  à  peu  près 
épuisé  toutes  les  particularités  de  cet  ouvrage  qu'il 
n'est  pas  exagéré  de  qualifier  comme  l'a  fait  Oncken  i, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  d'œuvre  dont  il  n'y  a 
que  peu  d'équivalent. 

* 
*  * 

Il  est  certain  que  le  Dialogue  eut  une  certaine 
influence  sur  la  politique  anglaise.  La  grande  réforme 
monétaire  de  1561  fut  faite  d'après  les  principes  du 
Docteur,  mais  il  serait  exagéré  de  l'attribuer  à  l'influence 
de  l'ouvrage  étant  donnée  le  peu  de  diffusion  qu'eût 
celui-ci  avant  1581.  Mais,  après  cette  date,  il  ne  fut 
pas  sans  déteindre  sur  la  législation  britannique.  Sir 
F.  M.  Eden  le  présente,  après  l'avoir  cité  maintes  fois, 
comme  ayant  influencé  la  législation  concernant  la 
restriction  des  exportations  de  laine  ^. 

Peut-être  est-il  permis  de  considérer  d'autre  part 
les  différentes  lois  somptuaires  qui,  vers  1582,  régle- 
mentèrent le  port  des  vêtements  de  soie  et  des  dentelles 
précieuses  fabriquées  à  l'étranger  comme  une  preuve  de 
l'influence  du  Compendieux  ou  bref  Examen... 

En  tous  cas,  celui-ci  nous  donne  une  idée  exacte  de 
la  situation  de  l'Angleterre  à  cette  époque  où  l'on 
délaissait  les  sciences  ne  présentant  pas  un  intérêt 
pratique  immédiat  (§  44),  où  chacun  se  ressentait  de 
la  hausse  des  prix  et,  comme  disait  Malestroit,  «  tant 
grand  que  petit  le  sentait  à  sa  bourse  »,  «  Bien  que  je 
puisse  dépenser  maintenant  plus  qu'il  y  a  seize  ans, 
disait  le  Chevalier,  je  ne  suis  cependant  plus  à  même  de 
tenir  maison  comme  je  le  faisais  alors  »  (p.  158,  note). 
Et,  pour  reprendre  une  appréciation  de  Oncken,  «  voilà, 

*)  Oncken,  op.  cit.,  p.  213. 

•)  Sir  F.  M.  Eden,  Siate  of  the  Poor,  1797,  notamment  vol.  I,  p.  89,  note. 


XCIV  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

en  gros  traits,  le  contenu  de  ce  livre  merveilleux  qui 
déjà  au  début  de  l'époque  des  Landes fursientum  a  mon- 
tré, dans  toute  leur  clarté,  les  maximes  fondamentales 
de  la  politique  mercantiliste  anglaise  en  y  ajoutant 
le  soin  de  l'agriculture  ^  ^  ». 


VIII 


La  personnalité  de  Davanzati  diffère  profondément 
de  celle  de  l'auteur  du  Compendieux  ou  bref  examen,,, 
et  on  trouve  une  différence  analogue  entre  les  deux 
ouvrages  dans  la  façon  d'écrire,  dans  le  but  recherché. 
Il  faut  se  garder  d'oublier,  en  lisant  la  Lezione  délie 
Monete,  quel  a  été  l'auteur  et  quelles  furent  les  cir- 
constances qui  l'ont  poussé  à  écrire  son  discours. 

Bernardo  Davanzati,  né  à  Florence  le  30  août  1529, 
faisait  partie  d'une  vieille  famille  patricienne  de  la 
ville  qui  prétendait  descendre  de  la  puissante  famille 
guelfe  des  Bostichi  dont  parle  Dante  dans  La  Divine 
Comédie  ^,  d'où  l'habitude  parfois  prise  d'accoler  ces 
deux  noms. 

Il  faut  lire  les  pages  qu'a  écrites  sur  lui  un  de  ses 
biographes,  Ettore  Bindi  *,  pour  se  faire  une  idée  un 
peu  nette  de  l'homme  que  fut  Davanzati  :  Bindi  nous 
le  montre  comme  s' occupant  à  la  fois  de  commerce  et 
de  littérature,  se  tenant  à  l'écart  des  cabales  et  des 
coteries,  modeste,  effacé  malgré  son  grand  mérite  reconnu 
par  tous  ses  concitoyens,  n'adoptant  que  peu  d'amis, 
mais  tous  gens  fort  distingués  ;  son  effacement  volon- 


^)  Oncken,  op.  cit.,  p.  215. 

*)  Sur  le  plus  ou  moins  grand  parti-pris  qu'a  pu  avoir  l'auteur  en  ce 
qui  concerne  les  pertes  subies  par  les  gens  de  sa  classe,  V.  infra,  p.  ci-cii. 

')  La  Divine  Comédie,  xvi,  59,  cité  par  G.  Arias,  Les  Précurseurs  de 
VÊconomie  politique  en  Italie  {Revue  d'Économie  politique,  1922,  p.  736). 

*)  E.  Bindi,  Délia  Vita  e  délie  Opère  di  Bernardo  Davanzati,  Firenze,  1853. 


» 


INTRODUCTION  XCV 

taire  faisait  qu'on  ne  parlait  de  lui  que  fort  peu,  mais 
toujours  dans  les  termes  les  plus  élogieux.  Ses  qualités 
avaient  fait  une  telle  impression  sur  ses  contemporains 
qu'il  n'avait  que  dix-huit  ans  (en  1547)  lorsque  l'Aca- 
démie Florentine  l'admit  comme  membre.  Si  l'on  se 
souvient  de  la  brillante  civilisation  de  Florence  et  de 
la  Toscane  à  cette  époque,  si  l'on  se  rappelle  que  l'Aca- 
démie, surnommée  alors  la  Grande,  la  Sacrée,  ne  compre- 
nait que  les  écrivains,  les  savants,  les  artistes  les  plus 
distingués  de  la  ville,  on  se  rendra  compte  du  degré  de 
culture  qu'il  fallait  posséder  pour  être  admis  parmi  ses 
membres. 

En  1588,  comme  il  l'explique  lui-même  dans  sa  dédi- 
cace au  Chevalier  Usimbardi,  le  Chevalier  Valori  pria 
Davanzati  de  faire  un  discours,  une  «  leçon  »  devant 
l'Académie  Florentine  et  ce  fut  là  l'occasion  de  la 
Lezione  délie  Monete. 

Bien  que  Davanzati  ait  écrit  un  autre  ouvrage  sur 
les  faits  économiques,  la  Notizia  sui  Cambi,  c'est  sur- 
tout en  tant  que  traducteur  que  s'est  faite  sa  renom- 
mée littéraire.  Son  œuvre  principale  consiste  en  effet 
dans  la  traduction  des  livres  de  Tacite  ;  «  accueillie 
par  des  louanges,  mais  discutée  aussi  du  temps  de 
l'auteur,  oubliée  et  même  censurée  par  la  suite,  cette 
œuvre  fut  hautement  honorée  au  siècle  dernier  et  mérita 
les  fervents  éloges  des  plus  grands  lettrés  italiens  de 
ce  siècle  ^  ».  Davanzati  avait  réussi  à  rendre  en  un  ita- 
lien à  la  fois  souple  et  nerveux  la  langue  de  Tacite, 
«  Davanzati  rivalise  avec  Tacite  pour  la  puissance  de 
l'expression  ;  ce  qui  atteste  clairement  une  force  d'âme 
et  une  intelligence  équivalentes  ^  ». 

La  Notizia  sui  Cambi  est  une  œuvre  claire  et  bien 
raisonnée,  mais  qui  n'apporte  guère  de  lumière  nouvelle 


1)  G.  Arias,  op.  cit.,  p.  736. 

2)  Tommaseo,  cité  par  G.  Arias,  ibid. 


XCVI  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sur  la  question  ^.  Au  point  de  vue  économique,  son 
ouvrage  important,  le  seul  intéressant  même,  reste  la 
Lezione  délie  Monete.  La  meilleure  preuve  de  l'intérêt 
qu*elle  présente  est  que  cette  courte  conférence  d'une 
vingtaine  de  pages  a  suffi  à  elle  seule  pour  établir  et 
consolider  la  réputation  de  Davanzati  comme  éco- 
nomiste. 

La  lecture  de  cette  œuvre  est,  à  notre  sens,  un  peu 
déconcertante  au  début  :  les  problèmes  les  plus  compli- 
qués, les  questions  les  plus  abstraites  sont  traités  d'un 
point  de  vue  spécial,  avec  une  philosophie  souriante, 
dans  un  langage  d'une  élégance  un  peu  précieuse.  Les 
circonstances  expliquent  facilement  ce  caractère  :  ce 
n'est  pas  devant  l'Académie  Florentine,  devant  tous 
ces  gens  cultivés  que  l'on  pouvait  faire  un  exposé  sec 
et  abstrait.  Ce  siècle  raffiné  avait  d'autres  exigences  et 
Ton  réclamait  non  seulement  des  idées  originales,  mais 
aussi  une  forme  élégante  pour  les  y  draper.  Gomme  le 
dit  l'auteur  lui-même  :  «  J'ai  choisi  (ce  sujet)  pour  vous 
parler,  très  nobles  académiciens  florentins  et  je  vous 
discourerai  brièvement,  à  la  manière  florentine,  de  l'or, 
de  l'argent  et  des  monnaies  ^.  » 

L'invention  de  la  monnaie  résulte  du  caractère  social 
de  l'existence  :  «  l'homme  ne  travaille  pas  pour  lui  tout 
seul,  mais  aussi  pour  les  autres  et  les  autres  pour  lui  ^  ». 
Le  commerce  une  fois  perfectionné  fut  impossible  à 
conduire  au  moyen  du  troc  ;  c'est  alors  que  l'on  inventa 
la  monnaie  et,  après  avoir  longuement  discouru  sur 
l'origine  du  mot,  Davanzati  la  définit  ainsi  :  «  La  mon- 
naie, c'est  l'or,  l'argent  ou  le  cuivre  monnayés  par  le 
pouvoir  public  et  à  son  gré  et  rendus  par  les  peuples 


^)  Sur  cet  ouvrage,  v.  Travers  Twiss,  View  of  the  Progress  of  Poliiical 
Economy,  1847,  lecture  I  et  G.  G.  Noaro,  La  ieoria  dei  Cambi  Esleri  di 
Bernardo  Davanzati  (Rome,  1920). 

«)  Cf.  infra,  t.  II,  p.  224. 

8)  Ibid.,  p.  225. 


INTRODUCTION  XCVII 

prix  et  mesure  des  choses  afin  de  les  négocier  aisément  ^  ». 

On  peut  noter,  dans  la  manière  d'exposer  les  argu- 
ments et  de  les  appuyer  sur  des  exemples  historiques, 
une  ressemblance  entre  la  méthode  de  Davanzati  et 
celle  de  Bodin.  Davanzati  avait,  sans  aucun  doute,  lu 
la  Response  (il  cite  même  Bodin),  mais  cette  analogie 
n'est  pas  due,  croyons-nous,  à  un  simple  esprit  d'imi- 
tation ;  c'est  plutôt  l'influence  d'une  culture  identique, 
car,  à  cette  époque,  il  n'y  avait  que  peu  de  différence 
entre  un  humaniste  français  et  un  étranger  2. 

Au  début  de  son  Discours,  Davanzati  commence 
par  en  fixer  le  plan  :  «  Nous  devons  montrer  la  racine 
de  ce  mal  (la  dépréciation  de  la  monnaie),  le  dommage, 
le  scandale  qui  en  résultent,  le  remède  possible  et  nous 
terminerons  ainsi  ^.  » 

D'où  vient-il  que  les  affaiblissements  monétaires 
soient  si  fréquents  ?  «  La  racine  de  ce  mal,  comme  de 
tous  les  autres,  réside  dans  la  cupidité  qui  trouve  de 
nombreuses  occasions  et  excuses  pour  faire  empirer 
la  monnaie   *.   » 

Les  difficultés  qui  sont  causées  par  les  mutations 
sont  nombreuses  ;  Davanzati  en  particulier,  reprenant 
un  point  déjà  traité  par  tous  les  auteurs  dont  nous 
publions  ici  les  œuvres,  s'étend  longuement  sur  les 
conséquences  relatives  aux  contrats  :  «  pour  les  paie- 
ments donc,  les  legs,  les  emphythéoses,  les  rentes  et 
pour  toute  dette  née  au  temps  où  la  monnaie  était 
bonne,  naissent  des  difficultés  et  des  litiges  ^.  » 

Il  est  sans  doute  malaisé  de  forcer  le  Prince  à  conser- 
ver une  bonne  monnaie,  étant  donnée  la  tentation  pro- 
voquée par  le  bénéfice  aisé  et  rapide  que  donne  un 

1)  Ibid.,  p.  228. 

2)  On  retrouve  également,  mais  en  partie  seulement,  le  même  caractère 
dans  le  Compendieux  ou  bref  examen... 

3}  Cf.  infra,  t.  II,  p.  234. 

*)  Ibid.,  p.  234.  —  V.  également  la  suite  du  passage. 

6)  Cf.  infra,  t.  II,  p.  236. 


XCVIII  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

surhaussement  monétaire,  mais  cependant,  pour  dif- 
ficile qu'elle  soit,  la  chose  n'est  pas  impossible  :  «  Qu'on 
abandonne  donc  la  pensée  d'affaiblir  les  monnaies,  que 
l'on  arrache  la  racine  de  ce  mal,  que  l'on  fasse  de  façon 
que  celui  qui  batte  monnaie  n'en  profite  d'aucune 
manière...  Pour  supprimer  toute  tentation,  pour  sup- 
primer tous  les  signes,  et  pour  rendre  la  chose  complète- 
ment honorable,  il  faudrait  que  le  prix  de  la  monnaie 
soit  égal  à  sa  valeur  réelle,  c'est-à-dire  au  pouvoir 
d'achat  de  l'or  et  de  l'argent  qui  sont  en  elle  ;  il  faudrait 
que  le  métal  en  lingot  vaille  autant  que  celui  qui  est 
monnayé  si  l'alliage  est  le  même  et  l'on  devrait  pouvoir 
à  son  gré,  sans  aucune  dépense,  transformer  comme  un 
animal  amphibie  le  métal  en  monnaie  et  la  monnaie 
en  métal.  Enfin,  le  monnayeur  devrait  rendre  en  mon- 
naie la  même  quantité  de  monnaie  qu'il  a  reçue  pour 
cet  usage  ^.  » 

La  loi  dite  de  Gresham  n'est  pas  moins  bien  obser- 
vée :  «  On  engendre  ainsi  (en  affaiblissant  une  monnaie, 
la  confusion  entre  les  mêmes  monnaies,  parce  que 
lorsqu'on  diminue  la  qualité  de  celle  d'argent,  il  convient 
d'élever  le  prix  de  celle  d'or,  comme  nous  avons  dit  de 
notre  florin  qu'on  haussa  de  sept  à  dix  livres,  sinon  la 
commune  proportion  entre  l'argent  et  l'or,  qui  est 
aujourd'hui  de  un  à  douze  ou  treize,  ne  serait  plus 
respectée  et  tout  l'or  serait  acheté  et  transporté  là  où 
il  vaut  davantage  d'argent  ^.  » 

L'auteur  fait  allusion,  à  propos  des  conditions  néces- 
saires pour  avoir  une  bonne  monnaie  et  des  remèdes 
aux  mutations  incessantes,  à  la  manière  de  frapper 
cette  monnaie  ^  et  il  est  loisible  de  retrouver  dans  son 
raisonnement  et  dans  ses  arguments  une  influence 
étrangère  qui  est  peut-être  celle  de  Bodin. 

1)  Ibid.,  p.  238-239. 

2)  Ibid.,  p.  236. 

3)  V.  ibid.,  p.  240. 


INTRODUCTION  XCIX 

Les  idées  de  Davanzati  sur  la  valeur  ^  sont  exposées 
dans  la  Lezione  délie  Monele  avec  une  clarté  toute  par- 
ticulière ;  deux  éléments  de  la  valeur  sont  essentiels  à 
ses  yeux,  l'utilité  tout  d'abord,  la  rareté  des  choses 
ensuite.  «  Davanzati,  Montanari  et  Galiani,  faisant  l'un 
après  l'autre  un  chemin  toujours  plus  long  sur  la  voie 
de  la  vérité,  arrivent  à  établir  la  juste  conception  de  la 
valeur  économique  ^.  » 

Davanzati  a  complètement  abandonné  certaines 
idées  chères  au  Moyen  Age  qui  a  longtemps  considéré 
l'or  comme  un  métal  pourvu  de  propriétés  particulières, 
qui  le  déifiait  presque  comme  certaines  civilisations 
américaines  ^  Il  les  a  si  bien  abandonnées  qu'il  envisage 
froidement  comme  possible,  voire  même  probable,  le 
moment  où  l'or  sera  venu  d'Amérique  en  Europe  en 
quantités  si  considérables  que  sa  valeur  sera  réduite 
à  néant  et  que  les  peuples  seront  amenés  à  rechercher 
un  nouvel  étalon  des  valeurs. 

Les  difficultés  provoquées  par  l'emploi  de  la  monnaie 
et  l'usage  abusif  qu'on  en  fait  sont  telles  qu'il  serait 
peut-être  avantageux  de  ne  plus  les  employer  déclare  en 
terminant  Davanzati  :  «  Enfin  presque  comme  corol- 
laire, j'ajouterai  que  le  commerce  humain  a  tant  de 
difficultés  et  d'ennuis  à  cause  de  ces  maudites  monnaies, 
qu'il  vaudrait  peut-être  mieux  s'en  passer  et  dépenser 
l'or  et  l'argent  au  poids  et  en  détail,  comme  dans  les 
temps  anciens  et  comme  encore  aujourd'hui  ont  cou- 
tume de  faire  les  Chinois,  lesquels  portent  sur  eux 
comme  outils  les  ciseaux  et  le  biquet  et  n'ont  à  combattre 
qu'avec  l'alliage  qui,  avec  de  la  pratique  et  la  pierre 


^)  Pour  de  plus  amples  développements  sur  cette  question,  v.  en  parti- 
culier les  ouvrages  suivants  :  Graziani,  Sloria  crilica  délia  teoria  del  valore 
in  Italia  (Milano,  1889)  et  Ulisse  Gobbi,  VEconomia  poliiica  negli  scrillori 
iîaliani  del  secolo  XVI-XVII  (Milano,  1889). 

2^  G.  Arias,  op.  cil.,  p.  742. 

^)  On  retrouve  encore  des  traces  de  cette  croyance  dans  le  Compendieux 
ou  bref  examen...  V.  infra,  t.  II,  p.  114-115,   §  129-132. 


C  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

de  touche,  peut  être  facilement  reconnu  ^.  »  Que  vaut 
cette  opinion  ?  Davanzati  a-t-il  été  sérieux  en  rémet- 
tant ?  Oui,  pense  Galiani,  qui,  à  ce  sujet,  le  prend  vio- 
lemment à  partie  et  se  moque  de  son  œuvre  2.  Non, 
prétend  au  contraire  Pecchio  qui  estime  que  Davanzati 
ne  s'est  exprimé  ainsi  que  pour  se  moquer  et  par  ironie  ^ 
A  notre  sens,  l'opinion  de  Pecchio  est  celle  qui  s'accorde 
le  mieux  avec  le  genre  du  discours,  avec  la  manière 
dont  Davanzati  a  parlé  de  ces  questions.  Quoiqu'il  en 
soit,  cette  œuvre  est  remarquable  par  la  clarté  avec 
laquelle  l'auteur  traite  de  problèmes  difficiles.  Elle  offre, 
d'autre  part,  un  charme  littéraire  tout  particulier; 
c'est,  en  quelque  sorte,  la  suite  logique  des  textes  que 
nous  avons  présentés  :  on  y  retrouve  la  plupart  des 
idées  que  les  auteurs  précédents  avaient  déjà  entrevues, 
mais  ces  idées  sont  présentées  avec  plus  de  simplicité, 
avec  plus  d'aisance  et  de  correction  dans  la  forme  *. 


IX 


Ces  écrits,  qui  représentent  la  pensée  économique  à 
des  stades  assez  différents  de  son  évolution,  n'en  pos- 
sèdent pas  moins  certains  caractères  communs.  Ils 
dépeignent  les  conditions  sociales  et  économiques  de 
pays  parfois  très  éloignés  les  uns  des  autres,  de  pays 
possédant  des  cultures  ne  se  ressemblant  que  fort  peu, 
et,  pourtant,  il  semble  à  les  lire  avec  soin  que  l'on  com- 
mence à  assister  à  un  certain  nivellement,  à  une  cer- 
taine égalisation  des  conditions  de  vie.  L'empire  romain 
avait  en  quelque  sorte  unifié  le  monde  civilisé,  puis, 

1)  Cf.  infra,  t.  II,  p.  240-241. 

2)  Galiani,  Délia  Monela,  livre  II,  chap.  V. 

^)  Pecchio,  Histoire  des  Doctrines  économiques,  tr.  fr.  p.  68. 

*)  Nous  tenons  à  exprimer  ici  nos  plus  vifs  remerciements  à  M.  le 
Professeur  Luigi  Einaudi  pour  les  renseignements  qu'il  nous  a  fournis  rela- 
tivement à  Davanzati  et  à  son  œuvre. 


INTRODUCTION  CI 

les  invasions  barbares  d'abord,  le  régime  féodal  ensuite, 
Pavaient  divisé  de  nouveau  en  créant  une  multitude  de 
cellules  indépendantes  vivant  de  leur  vie  propre.  A 
partir  de  la  fin  du  xv®  siècle,  ce  régime  craque  de  toutes 
parts  et  les  grands  mouvements  économiques  vont  se 
rétablir  de  plus  en  plus,  vont  tendre  de  nouveau  à  unifier 
le  monde.  Ce  mouvement,  encore  timide  au  début  du 
xvi©  siècle,  mais  que  Ton  devine  de  plus  en  plus  fort, 
n'est  d'ailleurs  que  la  première  étape  d'une  évolution 
qui  se  poursuit  encore  aujourd'hui.  Le  xvi®  siècle,  il 
ne  faut  pas  l'oublier,  est  une  période  de  renaissance  où 
les  échanges  intellectuels  entre  les  différents  pays,  entre 
les  différents  humanistes  furent  particulièrement  intenses. 

Sur  le  point  de  vue  spécial  des  monnaies,  ces  auteurs 
ont  tous  la  méfiance  des  mutations  et  des  affaiblis- 
sements ;  ils  soulignent  à  l'envie  le  fait  que  ces  opé- 
rations ne  donnent  au  Prince  qu'un  bénéfice  passager, 
illusoire  presque.  «  Je  diz  donsques  »,  écrivait  déjà  Oresme 
deux  siècles  plus  tôt,  «  par  manière  de  recueil,  que  la 
chose  par  laquelle  le  royaume  se  dispose  à  perdition 
(c'est-à-dire  les  mutations  monétaires)  est  laide  et  pré- 
judiciable au  roy  Se  à  tous  ses  hoirs  et  successeurs  ^.  » 
Ils  ont  tous  montré  la  nécessité  pour  la  prospérité 
générale  d'avoir  et  de  conserver  une  monnaie  bonne  et 
stable. 

On  peut  se  demander  si  cette  unanimité  ne  provient^ 
pas  également  en  partie  du  fait  que  ces  auteurs  auraient 
eu  à  cœur  de  défendre  les  intérêts  de  leur  classe  :  qui 
souffrait  en  effet  de  ces  mutations  incessantes  ?  C'était 
la  classe  des  propriétaires  fonciers  (au  moins  tempo- 
rairement), des  fonctionnaires,  de  tous  ceux  qui  jouis- 
saient d'un  traitement  ou  d'un  revenu  fixe,  c'est-à-dire 
la  classe  à  laquelle  appartenaient  les  auteurs  dont  nous 
publions  ici  les  œuvres  (sauf  peut-être  Gresham,  mais 

^)  Édition  Wolowski,  p.  lxxxv. 


cil  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Gresham  n'a  pas  étudié  cette  question).  Gela  nous 
paraît  surtout  net  dans  le  Compendieux  ou  bref  examen...  : 
lorsque  l'auteur  fait  parler  le  Marchand,  il  se  garde 
bien  de  lui  faire  dire  qu'il  a  bénéficié  des  affaiblissements 
monétaires  ;  pour  le  bien-fondé  de  la  thèse,  il  faut  que 
tout  le  monde  ait  souffert  de  ces  mutations,  aussi  le 
Marchand  déclare-t-il  que  ces  changements  de  valeur 
de  l'unité  monétaire  ne  l'ont  pas  fait  gagner  davantage, 
qu'ils  l'ont  au  contraire  presque  fait  perdre,  ce  qui  est 
peut-être  un  peu  exagéré.  Inconsciemment  ou  consciem- 
ment, ces  auteurs  étaient  portés  à  défendre  des  intérêts 
communs  à  eux  et  à  tout  une  large  classe  de  la  popu- 
lation, intérêts  qu'ils  confondaient  plus  ou  moins  avec 
ceux  du  pays  tout  entier. 

Il  existait  à  l'époque,  c'est  exact,  un  certain  état 
d'esprit  favorable  aux  affaiblissements  monétaires,  état 
d'esprit  dont  nous  avons  parlé,  mais  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  également  que  des  dispositions  légales  ten- 
dant à  rétablir  la  bonne  monnaie  furent  accueillies  avec 
une  faveur  marquée.  Ainsi,  lors  de  la  fameuse  réforme 
d'Elisabeth  en  Angleterre,  ce  fut,  dans  tout  le  pays,  un 
concert  de  louanges,  remarquables  souvent  par  la 
naïveté  de  leurs  expressions.  «  Magnum  et  mémorandum, 
quod  neque  Edwardus  potuit,  neque  Maria  ausa  » 
déclare  Camden  ^.  Il  ne  faut  donc  pas  exagérer  la  force 
du  mouvement  qui  poussait  les  Princes  aux  affaiblis- 
sements monétaires  et  représenter  les  auteurs  qui 
s'élèvent  contre  ces  affaiblissements  comme  contraires 
à  l'opinion  de  tous.  Le  sentiment  qu'ils  exprimaient  était 
peut-être  moins  fort  que  l'opinion  contraire,  mais  il 
n'en  existait  pas  moins. 

On  trouve  également  dans  ces  écrits  un  certain 
scepticisme  relatif  aux  défenses  édictées  par  les  gouver- 


^)  Cité  par  Lord  Liverpool,  A  Trealise  on  the  Coin  of  the  Realm,  2«  édit., 
p.  101. 


INTRODUCTION  CIII 

nements,  ainsi  par  exemple  l'interdiction  d'exporter  de 
l'or  et  de  l'argent,  interdiction  à  peu  près  universelle. 
Nous  avons  vu  que  Gresham  s'employait  avec  succès 
à  la  tourner  et  voici  comment  s'exprime  Bodin  à  son 
égard  :  «  Les  ordonnances  de  chacun  Prince,  ont  bien 
pourveu  que  l'or,  &  l'argent  ne  fust  transporte  aux 
estrangers  soubz  grandes  peines  :  mais  il  est  impossible 
de  les  exécuter,  qu'il  n'en  soit  exporté  beaucoup,  &  par 
mer,  &  par  terre.  »  Cette  interdiction  devient  d'ailleurs 
de  plus  en  plus  illogique  au  xvi^  siècle  ;  c'était  un  legs 
du  passé,  de  l'époque  où  il  y  avait  disette  d'or  et  d'ar- 
gent ;  il  devenait  inutile  (et  impossible)  de  continuer  à 
appliquer  cette  défense  à  une  époque  où  les  métaux 
précieux  affluaient  d'Amérique  ^,  L'influence  de  ces 
importations  sur  les  prix  n'a  d'ailleurs  pas  frappé  les 
contemporains  :  les  mutations  étaient  considérées  comme 
les  grandes  responsables  de  la  hausse  des  prix.  Même  1 
chez  Adam  Smith,  on  trouve  cette  affirmation  que 
l'influence  de  l'afflux  des  métaux  précieux  n'a  joué 
qu'à  partir  de  1570  et  qu'elle  cessa  de  se  faire  sentir 
en  1636  ^.  Pendant  longtemps  on  n'a  pas  accordé  à  ces 
importations  massives  d'or  et  d'argent  une  importance 
équivalente  à  celle  que  nous  leur  donnons,  peut-être  à 
tort,  aujourd'hui. 

Le  propre  de  ces  écrits  est,  avant  tout,  d'avoir 
contribué  à  faire  préciser  quelle  était  la  méthode  donnant 
les  meilleurs  résultats  en  matière  économique.  Comme 
toutes  les  sciences  qui  participent  à  l'élément  social, 
la  science  économique  ne  se  développe  que  peu  à  peu, 
que  lentement,  et  ce  n'est  qu'au  moyen  de  tâtonnements 
successifs  qu'on  arrive  à  la  meilleure  solution.  Les  condi- 
tions de  vie  nouvelle  au  xvi^  siècle,  ont,  dans  une  large 
mesure,  aidé  au  progrès  de  la  méthode  et  ces  différents 
auteurs,  de  Copernic  à  Davanzati,  marquent  une  série 

1)  V.  Simiand,  op.  cit.,  Diagramme  XIV  en  particulier. 
2]  Édition  Gannan,  vol.  I,  p.  191-192. 


GIV  ÉCRITS   NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

d'étapes  successives  de  la  pensée  économique.  On  ne 
saurait,  en  tous  cas,  leur  reprocher  de  n'avoir  pas  su 
reconnaître  l'importance  de  la  monnaie  ;  comme  le  dit 
en  particulier  Davanzati,  «  d'importants  et  solennels 
auteurs  prétendent  que  l'argent  est  le  nerf  de  la  guerre 
et  de  la  république,  mais  il  me  semble  qu'il  devrait 
être  plus  proprement  appelé  le  deuxième  sang...  Aussi 
est  il  très  facile  de  comprendre  que  chaque  État  a  besoin 
d'une  certaine  quantité  de  monnaie  en  circulation,  de 
même  que  chaque  corps  demande  une  certaine  quantité 
de  sang  pour  l'irriguer  ^.  » 

J.-Y.  L.  B. 

1)  Cf.  infra,  t.  II,  p.  233. 


COPERNIC 
Portrait  d'après  une  gravure  du  Cabinet  des  Estampes. 


Monnaie.  PI.  I 


l.-P.  1 


NICOLAS  COPERNIC 


ÉCRITS  SUR  LA  MONNAIE 


LE    BRANCHU 


A 

DISCOURS  SUR  LA  FRAPPE  DES  MONNAIES 

NOTICE 

On  trouvera  dans  l'introduction  différentes  précisions  et 
discussions  relatives  aux  manuscrits  du  De  Monete  Cutende 
Eatio.  Voici  quelles  en  furent  les  différentes  éditions  : 

1)  Edition  de  Bentkowski  :  texte  latin  et  traduction  polo- 
naise, dans  Pamieinik  Warszawski,  journal  dont  il  était  le 
rédacteur  en  chef  ;  il  en  fit  faire  en  même  temps  un  tirage  à 
part  (Varsovie  1816). 

2)  Edition  complète  des  œuvres  de  Copernic,  Varsovie  1854. 
Cette  édition  est  la  réimpression  du  texte  de  Bentkowski. 

3)  Edition  Wolowski,  texte  latin  et  traduction  française. 
Le  Moneie  Cutende  Ratio  fait  suite  au  Traidie  de  la  première 
invention  des  monnoies  d'Oresme.  Le  texte  de  Wolowski  est 
le  même  que  celui  des  deux  éditions  précédentes.  (Paris,  Guil- 
laumin,  1864.) 

4)  Edition  Hipler  dans  Spicilegium  Copernicanum  (1873). 
Texte  du  manuscrit  de  Reich.  Hipler  pense  que  le  manuscrit 
est  l'œuvre  de  Valentin  Steinpik.  Les  phrases  rayées  sont  citées 
en  note. 

5)  Edition  Prowe  dans  Monumenta  Copernicana  (1873), 
d'après  le  manuscrit  de  Reich.  Les  phrases  rayées  sont  égale- 
ment citées  en  note. 

6)  Deuxième  édition  Prowe  dans  Nicolaus  Copernicus 
(1883,  Berlin).  Réimpression  de  la  précédente. 

7)  Edition  Dmochowski  sous  le  titre  Mikolaja  Kopernika 
Bozprawy  o  Monecie  i  inné  pisma  ekonomiczne  (Les  discours  de 
Nicolas  Copernic  sur  la  monnaie  ainsi  que  ses  autres  textes 
économiques)  Varsovie,  Naklad  Gebethnera  i  Wolffa,  1923. 
Le  texte  de  cette  édition  est  sans  aucun  doute  le  meilleur  de 
tous.  Il  donne  les  variantes  des  trois  manuscrits  connus  : 
manuscrit  de  Reich,  de  Fischer  et  de  Czartoryski  (que  nous 
désignerons  ci-près  respectivement  par  les  abréviations  R., 
F.  et  C).  C'est  d'après  cette  édition  que  nous  pubhons  notre 
traduction. 


4  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Il  existe  en  outre  des  éditions  fragmentaires. 
L'édition   française   antérieure   (Wolowski)   reproduit   un 
texte  légèrement  différent  du  nôtre. 

Nous  nous  permettons  d'adresser  ici  nos  plus  vifs  remercie- 
ments à  M.  Wiktor  Zoltowski  pour  son  aide  précieuse,  tant  en 
ce  qui  concerne  la  traduction  que  le  commentaire  des  diffé- 
rentes œuvres  de  Copernic  que  nous  publions  ici.  Sans  son 
assistance,  il  nous  aurait  été  certainement  impossible  de  mener 
à  bien  cette  publication. 

L.  B. 


DISCOURS  SUR  LA  FRAPPE  DES  MONNAIES 

PAR  Nicolas... 


Quelque  innombrables  que  soient  les  fléaux  qui  cau- 
sent d'ordinaire  la  décadence  des  royaumes,  des  princi- 
pautés et  des  républiques  «,  les  quatre  suivants  sont 
néanmoins,  à  mon  sens  les  plus  redoutables  :  la  discorde, 
la  mortalité,  la  stérilité  de  la  terre  et  la  dépréciation  de 
la  monnaie.  Les  trois  premiers  de  ces  fléaux  sont  si 
évidents  que  personne  ne  les  ignore,  mais  le  quatrième, 
concernant  la  monnaie,  n'est  admis  que  par  peu  de  gens, 
par  les  esprits  les  plus  ouverts,  car  il  ne  ruine  pas  les 
états  d'une  façon  violente  et  d'un  seul  coup,  mais  peu  à 
peu  et  d'une  manière  presque  insensible. 

La  monnaie  consiste  en  or  ou  en  argent  marqués 
d'une  empreinte  *,  avec  lesquels  on  paie  le  prix  de  vente 
ou  d'achat  des  choses  selon  la  coutume  propre  à  tout 
État  ou  à  tout  souverain.  La  monnaie  est  donc,  en  quel- 
que sorte,  la  commune  mesure  des  évaluations.  Il  importe 
cependant  que  ce  qui  doit  constituer  une  mesure  conserve 
toujours  une  grandeur  sûre  et  immuable,  sinon  l'ordre 
public  serait  fréquemment  troublé  et  l'acheteur,  comme 
le  vendeur,  se  trouverait  lésé  ;  il  en  serait  de  même  si 
l'aune,  le  boisseau  ou  le  poids  ne  conservaient  pas  une 
quotité  bien  déterminée.   Par  cette  mesure,  j'entends 

*  Définition  de  la  monnaie. 


^)  F.  :  des  principautés  et  des  régions;  les  quatre 
suivants... 


6  ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

restimation  de  la  monnaie  elle-même  :  sans  doute  cette 
estimation  dépend-t-elle  de  la  bonté  de  la  matière,  mais 
il  importe  cependant  de  distinguer  la  valeur  de  la  mon- 
naie de  son  estimation,  car  on  peut  estimer  davan- 
tage la  monnaie  que  la  matière  dont  elle  est  faite  et 
réciproquement. 

L'établissement  de  la  monnaie  a,  en  effet,  la  néces- 
sité pour  cause  *  :  les  échanges  auraient  pu  se  faire  à 
l'aide  du  seul  poids  de  l'or  et  de  l'argent,  ces  métaux 
étant,  du  consentement  général,  partout  appréciés  ; 
mais,  étant  donné  les  nombreux  inconvénients  qu'il  y 
aurait  à  toujours  apporter  des  poids,  étant  donné  que 
la  pureté  de  l'or  et  de  l'argent  ne  pourrait  être  vérifiée 
de  prime  abord  par  tout  le  monde,  on  s'est  mis  à  marquer 
la  monnaie  avec  un  sceau  public  pour  certifier  l'exis- 
tence d'une  juste  quantité  d'or  ou  d'argent  et  pour  en 
garantir  la  bonne  foi  publique. 

D'habitude  on  ajoute  à  la  monnaie  **,  surtout  à  celle 
d'argent,  du  cuivre,  et  cela  à  mon  avis  pour  deux  raisons, 
savoir  :  qu'elle  soit  moins  exposée  au  retrait  et  à  la 
refonte,  ce  qui  arriverait  si  elle  était  d'argent  pur,  et 
ensuite  que  la  masse  d'argent  divisée  en  petites  parties 
et  formant  la  monnaie  de  billon  garde,  avec  l'alliage  de 
cuivre,  une  grandeur  convenable.  On  peut  encore  y 
ajouter  une  troisième  raison,  savoir  que  la  monnaie  usée 
par  la  circulation  continuelle  ne  se  détruise  pas  trop  vite, 
mais  que,  soutenue  par  le  cuivre,  elle  se  conserve  plus 
longtemps. 

L'estimation  de  la  monnaie  est  juste  et  équitable 
quand  celle-ci  contient  un  peu  moins  d'or  et  d'argent 
qu'il  serait  possible  d'en  acheter  avec  elle,  notamment 
ce  qu'il  faut  en  déduire  pour  les  frais  de  monnayage, 
car  l'empreinte  doit  ajouter  quelque  valeur  à  la  matière 
elle-même. 

*  La  monnaie  repose  sur  la  bonté  de  ia  matière. 
**  De  l'alliage  de  la  monnaie  d'argent  avec  le  cuivTe, 


COPERNIC 


La  monnaie  se  déprécie  le  plus  souvent  à  cause  de 
sa  quantité  excessive  *,  savoir  quand  une  si  grande 
quantité  d'argent  a  été  transformée  en  monnaie  que 
l'argent  métal  devient  plus  désirable  que  la  monnaie 
elle-même  ;  de  cette  façon  donc  la  monnaie  perd  de  son 
estime  [dignitas]^  puisqu'on  ne  peut  acheter  avec  cette 
monnaie  autant  d'argent  qu'elle  en  contient  et  que  l'on 
juge  plus  profitable  ^  de  fondre  l'argent  en  détruisant 
la  monnaie.  On  peut  y  remédier  de  la  façon  suivante  :  ne 
plus  frapper  de  monnaie  tant  que  celle-ci  ne  s'est  pas 
rétablie  et  n'est  pas  devenue  plus  chère  que  l'argent. 

La  monnaie  se  déprécie  pour  de  multiples  raisons  **  : 
soit  à  cause  du  défaut  de  la  matière  seule,  lorsque  pour 
le  même  poids  de  monnaie  on  mélange  avec  l'argent  plus 
de  cuivre  qu'il  ne  faut  ;  soit  par  suite  de  l'insuffisance  du 
poids,  le  mélange  de  l'argent  avec  le  cuivre  étant  équi- 
table ;  soit  enfin,  ce  qui  est  le  plus  mauvais,  pour  les 
deux  causes  à  la  fois.  En  outre  ^,  la  valeur  diminue  éga- 
lement par  l'usure  due  au  long  usage  de  la  monnaie  et 
cette  raison  suffit  pour  que  celle-ci  soit  reprise  et  renou- 
velée. Cela  se  manifeste  notamment  quand  la  monnaie 
contient  une  quantité  d'argent  sensiblement  plus  petite 
que  celle  que  l'on  pourrait  acquérir  en  échange  de  la 
monnaie  :  c'est  en  cela  que  l'on  voit,  à  juste  titre,  la 
dépréciation  de  la  monnaie. 


Après  avoir  exposé  les  remarques  générales  sur  la 
monnaie,  passons  maintenant  à  la  monnaie  prussienne 
en  particulier  et  montrons  tout  d'abord  de  quelle 
façon  elle  en  est  arrivée  à  se  déprécier  d'une  façon  si 
considérable. 


*  Gomment  se  déprécie  la  monnaie. 
**  La  valeur  de  la  monnaie  diminue. 


«^  C.  :  l'on  juge  profitable. 

^)  G.  :  en  effet  la  valeur  diminue.. 


8  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Elle  circule  sous  le  nom  de  marc,  de  scote  ^  etc.  ; 
ces  mêmes  noms  s'appliquent  également  à  des  poids  : 
le  marc-poids  par  exemple  est  une  demi-livre,  le  marc- 
monnaie  se  compose  de  soixante  sous,  ce  qui  est  univer- 
sellement connu.  Pour  éviter  des  obscurités  par  suite 
de  la  même  appellation  de  la  monnaie  et  du  poids,  par- 
tout où,  par  la  suite,  nous  parlerons  de  marc,  il  faudra 
entendre  par  là  le  marc-monnaie,  tandis  que  par  le  mot 
livre,  nous  désignerons  deux  marcs-poids,  et  par  une 
demi-livre,  un  marc-poids. 

Ainsi  nous  trouvons  dans  les  anciennes  délibérations 
et  dans  les  documents  des  archives  que  sous  le  gouver- 
nement de  Conrad  de  Jungingen^,  peu  avant  la  bataille 
de  Tannenberg,  on  achetait  une  demi-livre,  c'est-à-dire 
un  marc-poids  d'argent  pur,  pour  deux  marc  prussiens 
et  8  scotes,  alors  qu'en  même  temps  à  trois  parties  d'ar- 
gent on  ajoutait  une  partie  de  cuivre  et  qu'ensuite,  dans 
une  demi-livre  de  cet  alliage,  on  taillait  112  sous;  si 
on  y  ajoute  un  tiers,  c'est-à-dire  37  sous  et  un  tiers,  on 
obtient  la  somme  totale  de  149  sous  et  deux  deniers  ^ 
pesant  deux  tiers  de  livre,  c'est-à-dire  32  scotes-poids 
d'argent  qui  contiennent  sans  aucun  doute  trois  parties, 
une  demi-livre,  d'argent  pur.  Mais,  comme  cela  a  été 
dit,  le  prix  d'une  demi-livre  d'argent  fin  valait  140  sous. 
La  différence  qui  s'élève%la  somme  de  9  sous  et  un  tiers 
répond  à  l'estimation  de  la  monnaie.  De  cette  façon, 
l'estimation  de  celle-ci  n'était  pas  très  éloignée  de  sa 
valeur  [intrinsèque]. 

Telles  étaient  les  pièces  de  monnaie  au  temps  de 
Vinric  ^,  Ulric  et  Conrad,  et  on  les  trouve  quelquefois 
encore  dans  les  trésors.  Plus  tard,  après  la  défaite  de  la 
Prusse  et  la  guerre  mentionnée  ci-dessus  ;  le  déclin  de 
l'État  commença  à  se  manifester  chaque  jour  davantage 
dans  sa  monnaie,  car  les  sous  du  temps  de  Henri  *,  bien 


«j  C.  :  149  sous  et  un  tiers. 


COPERNIC  9 

que  semblables  d'aspects  aux  sous  dont  nous  avons 
parlé,  ne  contenaient  plus  que  trois  cinquièmes  d'argent  *. 
Cette  faute  augmenta  jusqu'au  moment  où  on  intervertit 
l'ordre  et  où  l'on  commença  à  mélanger  trois  parties  de 
cuivre  et  une  quatrième  partie  d'argent,  de  sorte  qu'il 
fut  plus  correct  de  parler  d'une  monnaie  de  cuivre  que 
d'une  monnaie  d'argent  ;  112  sous  cependant  conser- 
vaient toujours  le  poids  d'une  demi-livre.  Mais,  s'il  ne 
convient  guère  d'introduire  une  nouvelle  et  bonne  mon- 
naie tout  en  conservant  la  mauvaise  monnaie  ancienne, 
une  plus  grande  faute  consiste  à  introduire  à  côté  d'une 
ancienne  bonne  monnaie  <^,  une  nouvelle  monnaie  mau- 
vaise, car,  non  seulement  celle-ci  déprécie  l'ancienne, 
mais,  pour  ainsi  dire,  elle  la  chasse.  Quand  on  a  voulu 
remédier  à  cette  erreur,  sous  les  gouvernements  de 
Michel  et  de  Rusdorfï  ^  et  ramener  la  monnaie  à  son 
ancienne  bonté,  on  a  frappé  de  nouveaux  sous  que  nous 
nommons  aujourd'hui  gros  **,  mais,  lorsqu'on  vit  qu'on 
ne  pouvait  faire  disparaître  sans  perte  les  anciens  sous 
mauvais,  par  une  erreur  grossière,  on  les  a  laissé  subsis- 
ter ***  à  côté  des  nouveaux.  Deux  anciens  sous  s'échan- 
geaient contre  un  nouveau  et  il  arriva  qu'on  imposât 
au  peuple  deux  sortes  de  marcs  :  celui  des  sous  nouveaux 
et  celui  des  sous  anciens.  Le  bon  marc,  aussi  bien  que  le 
marc  ancien  et  faible,  contenait  soixante  sous.  Les  oboles 
gardaient  leur  valeur,  de  sorte  qu'on  changeait  un  sou 
ancien  contre  six  oboles  et  un  sou  nouveau  contre  12.  Il 
est  facile,  en  effet,  de  deviner  que,  dès  le  début,  douze 
oboles  équivaudraient  à  un  sou,  car,  de  même  qu'aujour- 
d'hui nous  appelons  vulgairement  le  nombre  quinze  un 
«  mandel  »,  de  même,  dans  la  plupart  des  provinces  ger- 

*  La  monnaie  de  cuivre. 

**  Du  commencement  de  la  frappe  des  nouveaux  sous  ou  gros. 

***  La  bonne  origine  du  nouveau  marc. 


^)  F  :  k  côté  d'une  ancienne  bonne  monnaie  est  omis. 


10  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

maniques,  le  terme  de  schilling  s'applique  au  nombre 
douze  «.  La  dénomination  des  nouveaux  sous  a  persisté 
jusqu'à  nos  jours  :  la  façon  dont  ils  se  sont  transformés 
en  gros,  je  la  décrirai  ci-dessous. 

Les  8  marcs  des  nouveaux  sous  *,  à  raison  de 
soixante  sous  par  marc,  contenaient  une  livre  d'argent 
pur,  ce  qui  résulte  assez  clairement  de  leur  composition  : 
ils  se  composent  en  effet  moitié  de  cuivre  et  moitié 
d'argent  et  8  marcs  de  cette  sorte  à  soixante  sous  chacun 
pèsent  presque  deux  livres.  Les  anciens  marcs,  comme  il 
a  été  dit,  du  même  poids  que  les  nouveaux  avaient  la 
moitié  de  leur  valeur  et,  comme  ils  ne  contenaient  qu'une 
quatrième  partie  d'argent  pur,  il  fallait  à  la  livre  d'ar- 
gent pur  16  marcs  pesant  quatre  fois  autant.  Quand 
ensuite,  avec  le  changement  de  la  situation  du  pays,  on 
eût  accordé  aux  villes  le  pouvoir  de  battre  monnaie  et 
qu'elles  usèrent  de  ce  nouveau  privilège,  le  nombre  des 
monnaies  s'accrut,  mais  non  pas  leur  bonté  ^.  C'est  alors 
que  l'on  commença  à  mélanger  quatre  parties  de  cuivre 
aveq^une  cinquième  partie  d'argent  dans  les  anciens  sous, 
jusqu'au  point  d'échanger  vingt  marcs  contre  une  livre 
d'argent.  C'est  ainsi  que  ces  nouveaux  sous,  plus  de 
deux  fois  meilleurs  que  les  sous  récemment  frappés, 
devinrent  des  scotes,  dont  on  comptait  24  par  marc 
faible  et,  par  conséquent,  on  perdit  dans  chaque  marc  la 
cinquième  partie  de  la  valeur  de  la  monnaie.  Plus  tard, 
quand  les  nouveaux  sous  appelés  déjà  scotes  disparais- 
saient, et  cela  parce  qu'ils  étaient  reçus  dans  la  Marche 
toute  entière,  on  décida  de  leur  attribuer,  la  valeur  des 
gros,  c'est-à-dire  de  trois  sous,  par  suite  d'une  grande 

*  Les  nouveaux  sous. 


^)  G.  :  on  trouve  ici,  ajouté  de  la  main  même  de  Coper- 
nie  :  il  semble  que  la  raison  en  est  au  privilège  de  la 
cité  de  Culm. 


COPERNIC  11 

erreur,  tout  à  fait  indigne  d'une  telle  assemblée  des 
citoyens  les  plus  notables,  tout  comme  si  la  Prusse  ne 
pouvait  exister  sans  gros,  et  quoiqu'ils  ne  valussent  pas 
plus  de  quinze  deniers  de  la  monnaie  courante  de  ce 
temps-là,  monnaie  qui,  par  suite  de  sa  grande  quantité, 
voyait  déjà  baisser  son  estime.  Les  gros  différaient  par 
conséquent  des  sous  car  ils  valaient  réellement  un  cin- 
quième ou  un  sixième  en  moins  et,  par  l'estimation 
fausse  et  inique  qu'on  en  faisait,  on  dépréciait  la  valeur 
des  sous.  Peut-être  convenait-il  ainsi  de  venger  le  pré- 
judice que  les  sous  avaient  jadis  causé  aux  gros  en  les 
forçant  de  se  changer  en  scotes.  Mais  malheur  à  toi  ',  qui 
à  mon  chagrin,  me  punis  de  la  ruine  d'un  pays  mal 
administré  !  Bien  que  l'estimation,  comme  la  valeur 
réelle  de  la  monnaie,  diminuassent  progressivement,  on 
n'a  pas  cessé  cependant  d'en  frapper,  mais,  comme  on 
ne  faisait  pas  les  dépenses  nécessaires  pour  que  la  mon- 
naie nouvelle  soit  équivalente  à  la  précédente,  on  intro- 
duisait sans  cesse  à  côté  de  l'ancienne  monnaie,  une 
autre  monnaie  de  plus  en  plus  mauvaise  qui  dépréciait 
et  ruinait  la  bonté  de  celle-là,  et  cela  jusqu'au  moment 
où  l'estimation  des  sous  se  trouva  égalée  à  la  valeur  rela- 
tive des  gros  et  où  l'on  céda  24  marcs  faibles  pouf  une 
livre  d'argent. 

Il  a  dû  pourtant  subsister  quekjues  traces,  si  minimes 
fussent-elles,  de  la  dignité  de  la  monnaie,  du  moment 
qu'on  n'a  pas  pensé  à  son  relèvement.  L'habitude  néant- 
moins  ou,  pour  mieux  dire,  la  rage  d'altérer,  de  dépouiller 
et  de  corrompre  la  monnaie  s'est  enracinée  à  tel  point 
qu'elle  n'a  pu  cesser  et  qu'elle  dure  encore  de  nos  jours  *. 
On  a  honte  et  douleur  à  dire  ce  que  deviendra  la  monnaie 
dans  l'avenir  et  en  quel  état  elle  se  trouve  actuellement  !  ^. 
*  La   dépréciation  actuelle  de   la    monnaie. 


^)  et   dans   quel   état   elle   se   trouve   actuellement 
manque  dans  F, 


12  ÉCRITS  NOTABLES  SUR  LA  MONNAIE 

Aujourd'hui  en  eïïet,  elle  s'est  avilie  de  telle  sorte  que 
30  marcs  contiennent  à  peine  une  livre  d'argent  °.  Que  se 
passera-t-il  si  l'on  n'y  remédie  point,  sinon  que  la  Prusse, 
sevrée  d'or  et  d'argent,  n'aura  plus  que  de  la  monnaie 
de  cuivre  ?  Par  suite,  toute  importation  de  marchandises 
étrangères  et  tout  commerce  cesseront  bientôt.  Quel  est 
en  effet  le  commerçant  étranger  qui  voudra  échanger 
sa  marchandise  contre  de  la  monnaie  de  cuivre  ?  Quel 
est  enfin  notre  commerçant  qui  pourrait,  avec  une 
pareille  monnaie,  acheter  à  l'étranger  des  marchandises 
étrangères  ?  Ceux  que  devrait  intéresser  ce  grand  désas- 
tre de  l'Etat  prussien  dédaignent  de  l'envisager  et  lais- 
sent, par  une  négligence  extrême,  cette  chère  patrie  à 
qui,  après  l'amour  de  Dieu  ils  doivent  non  seulement 
l'amour  le  plus  grand  mais  encore  leur  propre  vie,  ils  la 
laissent  dépérir  et  tomber  chaque  jour  davantage  dans 
la  misère. 

Pendant  que  la  monnaie  prussienne  et,  à  cause  d'elle, 
la  patrie  toute  entière,  souffrent  de  tels  maux,  seuls  les 
orfèvres  et  ceux  qui  se  connaissent  en  métaux  profitent 
de  sa  misère  ;  ils  trient  dans  la  monnaie  les  pièces 
anciennes  dont  ils  vendent  l'argent  affiné,  recevant  du 
peuple  ignorant  toujours  plus  d'argent  en  monnaie 
courante  ;  et  quand  les  anciens  sous  auront  complète- 
ment disparu,  ils  choisiront  successivement  les  meilleures 
pièces  ne  laissant  que  la  masse  des  monnaies  les  plus 
mauvaises  *.  De  là  viennent  ces  plaintes  générales  et 
perpétuelles  que  l'or,  l'argent,  les  denrées,  les  gages  des 
domestiques,  le  travail  des  artisans  et  tout  ce  qui  sert  à 
l'usage  des  gens  dépassent  leur  prix  habituel,  mais, 
négligents  que  nous  sommes,  nous  n'apercevons  pas  que 

*  Pourquoi  tout  devient  plus  cher. 


^)  de  telle  sorte  que  30  marcs  contiennent  à  peine 
une  livre  d'argent  a  été  rajouté  plus  tard  dans  R. 


COPERNIC  13 

la  cherté  des  choses  provient  de  la  dépréciation  de  la 
monnaie.  Car  les  prix  haussent  ou  baissent  selon  la 
qualité  de  la  monnaie,  surtout  comme  l'or  et  l'argent, 
que  nous  n'apprécions  pas  comme  nous  le  faisons  pour 
l'airain  ou  pour  le  cuivre,  mais  d'après  l'or  et  l'argent 
eux-mêmes  «,  car  nous  considérons  ces  métaux  comme  la 
base  de  la  monnaie,  sur  laquelle  se  fonde  leur  estimation. 
Quelqu'un  pourrait  objecter  que  la  monnaie  faible 
convient  mieux  aux  usages  de  la  vie  parcequ'elle  vient 
en  aide  à  la  population  pauvre  en  rendant  moins  chères 
les  denrées,  en  rendant  plus  faciles  à  satisfaire  les  autres 
besoins  ;  la  bonne  monnaie,  par  contre,  rend  tout  plus 
cher,  car  elle  surcharge  les  fermiers  et  tous  ceux  qui 
paient  des  impots  annuels.  Cette  opinion  sera  louée 
ardemment  ^  par  ceux  qui  n'auront  plus  l'espoir  de 
réaliser  des  gains,  par  ceux  qui,  jusqu'à  présent,  avaient 
le  pouvoir  de  battre  monnaie  ;  les  artisans  et  les  mar- 
chands l'approuveront  peut-être  également,  car  ils  n'y 
perdent  rien  :  ils  vendent  les  marchandises  et  leurs  pro- 
duits d'après  la  valeur  de  l'or  et  plus  la  monnaie  est 
faible,  plus  grande  est  la  quantité  de  celle-ci  qu'ils 
reçoivent  en  échange  ^.  Mais  à  considérer  l'utilité  publi- 
que, ils  ne  sauraient  nier  que  la  bonne  monnaie  est  salu- 
taire non  seulement  pour  l'Etat,  mais  également  pour 
eux-mêmes  et  pour  les  hommes  de  toutes  conditions, 
tandis  que  la  mauvaise  monnaie  est  pernicieuse  :  non 
seulement  plusieurs  raisons  le  rendent  évident,  mais 
l'expérience  même,  cette  maîtresse  des  choses,  le  confirme. 
Nous  voyons  en  effet  que  ces  pays-là  sont  les  plus  flo- 


^)  Cette  phrase  Surtout  comme...  l'or  et  l'argent  est 
soulignée  dans  le  manuscrit  de  Fischer. 

^)  C.  :  cette  opinion  sera  louée  peut-être  par  ceux... 

^)  La  phrase  Ils  vendent  leurs  marchandises...  en 
échange  est  soulignée  dans  le  manuscrit  de  Fischer. 


14  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

rissants  qui  possèdent  une  bonne  monnaie  et  que  par 
contre  déclinent  et  périssent  ceux  qui  se  servent  d'une 
mauvaise  monnaie.  La  Prusse  elle  aussi  était  florissante 
à  l'époque  où  un  marc  prussien  valait  deux  florins  hon- 
grois et  où,  comme  il  a  été  dit,  deux  marcs  pruthéniens 
et  8  scotes  «  s'échangeaient  contre  une  demi-livre,  c'est-à- 
dire  contre  un  marc,  d'argent  pur.  Mais  comme  à  l'heure 
présente  la  monnaie  se  déprécie  de  plus  en  plus,  notre 
pays  s'affaiblit  également  et  tombe,  par  suite  de  ce  fléau 
et  d'autres  calamités,  dans  une  ruine  presque  complète. 

Il  est  en  outre  certain  que  les  pays  où  l'on  se  sert 
d'une  bonne  monnaie  se  signalent  par  leurs  œuvres 
d'art,  leurs  artisans  remarquables  et  leur  richesse  en 
toutes  choses  ;  dans  ceux-là  par  contre  où  l'on  use  d'une 
mauvaise  monnaie,  l'inaction,  l'indolence  et  la  paresse 
font  négliger  les  arts  et  la  culture  de  l'esprit  et  éloignent 
également  l'abondance.  On  se  souvient  encore  du  temps 
où  l'on  achetait  en  Prusse  des  grains  et  des  victuailles 
pour  peu  d'or  ou  d'argent,  quand  la  bonne  monnaie 
était  encore  en  circulation  ;  maintenant,  par  suite  de 
son  avilissement,  nous  voyons  hausser  les  prix  de  tout 
ce  qui  sert  à  la  vie  et  à  l'entretien  des  hommes.  Par  là, 
on  peut  voir  clairement  que  la  mauvaise  monnaie  suscite 
mieux  la  paresse  qu'elle  ne  soulage  la  misère  humaine. 
Son  amélioration  ne  peut  grever  trop  lourdement  ceux 
qui  paient  un  cens  annuel  :  s'il  leur  semble  qu'ils  paient 
plus  que  d'habitude  à  leur  maître,  ils  vendront  aussi 
plus  cher  les  fruits  de  la  terre,  le  bétail  et  les  autres 
produits,  car  le  fait  que  l'on  donne  et  reçoit  tour  à  tour 
compense  proportionnellement  la  valeur  de  la  monnaie. 

Si,  par  conséquent  *,  on  se  décide  à  remédier  enfin 

*  Ce  qu'il  faut  éviter  lors  de  la  frappe  d'une  nouvelle  monnaie. 


"j  C.  :  le  mol  a  scotes  élé  omis  el  a  élé  rajoulé  par 
Copernic. 


COPERNIC  '  15 

aux  malheurs  de  la  Prusse,  en  redressant  sa  monnaie,  il 
faudra  surtout  éviter  la  confusion  provenant  de  la  diver- 
sité des  différents  ateliers  où  l'on  frappe  celle-ci,  car  la 
multiplicité  empêche  l'uniformité  et  il  est  plus  difficile 
de  maintenir  dans  le  chemin  du  devoir  plusieurs  ateliers 
qu'un  seul.  C'est  pourquoi  «  il  faudrait  que,  dans  la 
Prusse  toute  entière,  il  n'y  ait  qu'un  seul  atelier  et  que 
dans  celui-ci  la  monnaie  de  tous  genres  soit  marquée 
d'un  côté  par  les  armes  de  la  terre  de  Prusse  (et  de  telle 
sorte  que  se  trouve  dans  le  haut  une  couronne  pour 
montrer  par  là  la  suprématie  du  royaume)  et,  de  l'autre 
côté,  par  les  armes  du  Prince  de  Prusse  ^,  la  couronne 
royale  y  étant  également  superposée.  Si,  par  suite  de 
l'opposition  du  Prince,  cela  ne  peut  se  faire,  si  celui-ci 
prétendait  avoir  sa  propre  monnaie,  il  faudrait  désigner 
tout  au  plus  deux  endroits,  l'un  sur  le  territoire  de  Sa 
Majesté  le  Roi,  l'autre  sur  les  terres  du  Prince.  Dans  le 
premier  atelier,  on  frapperait  une  monnaie  portant  d'un 
côté  les  insignes  royaux,  et,  de  l'autre,  ceux  de  la  terre 
de  Prusse  ;  dans  le  second,  on  marquerait  la  monnaie 
d'un  côté  des  insignes  royaux  et,  de  l'autre,  du  sceau 
du  Prince,  de  sorte  que  les  deux  monnaies  soient  sou- 
mises à  l'autorité  royale  et  que,  par  l'ordre  de  Sa  Majesté, 
elles  soient  mises  en  circulation  et  acceptées  dans  le 


")  Dans  le  manuscrit  de  Fischer  comme  dans  celui 
de  Reich  le  passage  c'est  pourquoi  il  faudrait...  si  celui-ci 
prétendait  avoir  sa  propre  monnaie  a  été  rayé  à  Vencre. 
Il  existe  par  contre  en  entier  dans  le  manuscrit  de  Czar^ 
tory  ski. 

Cette  période  est  omise  chez  Bentowski  comme  dans 
Védition  de  Varsovie  des  œuvres  de  Copernic.  Elle  est 
mentionnée  en  note  dans  Hipler^  Spicilegium  Coperni- 
canum,  p.  191  et  dans  Prowe,  Nicolaus  Copernicus^ 
t.   II,  p.  40. 


16  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

royaume  tout  entier.  Cela  contribuera  dans  une  large 
mesure  à  concilier  les  esprits  et  à  faciliter  les  transactions 
réciproques. 

Il  sera  cependant  très  utile  que  ces  deux  monnaies 
soient  au  même  degré  de  fin  *,  qu'elles  aient  la  même 
valeur  réelle,  qu'on  les  estime  également  et  que,  sous  le 
contrôle  vigilant  des  dirigeants  de  la  République,  on 
persiste  à  conserver  les  principes  qu'il  s'agit  maintenant 
d'adopter.  Il  importe  également  que  les  deux  souverains 
ne  cherchent  dans  la  frappe  de  la  monnaie  aucun  béné- 
fice, qu'on  ajoute  du  cuivre  et  que  l'estimation  excède 
juste  assez  la  valeur  réelle  pour  que  l'on  puisse  couvrir 
ainsi  les  frais  de  monnayage  et  supprimer  tout  intérêt 
A  fondre  la  monnaie  ^. 

De  plus,  pour  éviter  de  tomber  dans  une  confusion 
pareille  à  ce'lle  d'aujourd'hui,  confusion  engendrée  par 
la  circulation  simultanée,  de  la  monnaie  ancienne  et  de  la 
nouvelle,  il  faut  qu'avec  l'émission  de  la  nouvelle  mon- 
naie l'ancienne  soit  abolie  et  disparaisse  complètement, 
il  faut  qu'elle  soit  échangée  dans  les  ateliers  de  mon- 
nayage contre  la  monnaie  nouvelle  et  ce  proportionne- 
ment  à  sa  valeur.  Autrement  tout  effort  pour  rétablir 
la  bonté  de  la  monnaie  serait  vain  et  la  confusion  qui 
s'en  suivrait  pourrait  être  pire  que  l'état  actuel,  car,  de 
nouveau,  la  monnaie  ancienne  déprécierait  la  monnaie 
nouvelle  :  en  effet,  la  coexistence  de  deux  monnaies 
ferait  que  les  sommes  manqueront  du  juste  poids,  seront 
trop  compliquées  et  il  en  résultera  l'inconvénient  signalé 
ci-dessus.  Sans  doute  pensera-t-on  y  remédier  en  esti- 
mant d'autant  moins,  par  rapport  à  la  nouvelle  monnaie, 
l'ancienne  monnaie  restant  en  circulation,  selon  l'infé- 
riorité de  sa  valeur,  mais  cela  ne  pourrait  se  faire  sans 
une  large  part  d'erreur.  Car,  actuellement,  la  diversité 
des  gros,  des  sous  et  des  deniers  est  tellement  grande 

*  D'une  monnaie  en  Prusse  de  même  titre  et  de  même  valeur. 


COPERNIC  17 

qu*il  est  presque  impossible  d'apprécier  les  différentes 
pièces  selon  leur  véritable  valeur  et  de  les  distinguer  les 
unes  des  autres.  D'où  il  ressort  qu'une  nouvelle  diversité 
de  la  monnaie  causerait  un  chaos  inextricable  et  impo- 
serait du  travail,  de  l'embarras  et  des  ennuis  aux  mar- 
chands et  aux  contractants.  C'est  pourquoi  il  sera  tou- 
jours mieux  de  décrier  tout-à-fait  la  monnaie  ancienne 
quand  on  introduira  une  monnaie  nouvelle  et  il  vaudra 
mieux  subir  aans  regrets  une  toute  petite  perte,  si  tou- 
tefois on  peut  appeler  perte  la  circonstance  d'où  résul- 
teront des  profits  plus  considérables,  une  utilité  plus 
stable  et  un  enrichissement  pour  la  République  ". 

Il  est,  sans  doute,  très  difficile  de  relever  la  monnaie 
prussienne  à  sa  valeur  [digniias]  première,  cela  est  même 
peut-être  impossible  après  une  telle  chute  ;  mais  bien 
que  chaque  relèvement  de  la  monnaie  implique  de 
grandes  difficultés,  il  semble  toutefois  que,  dans  les 
conditions  actuelles,  la  réforme  puisse  être  aisément 
réalisée,  de  telle  sorte  qu'une  livre  d'argent  revienne 
à  20  marcs,  et  ceci  selon  le  mode  suivant  :  pour  les  sous, 
il  faut  prendre  trois  livres  de  cuivre  et  une  livre  d'argent 
pur,  moins  une  demi-once  ou  autant  qu'il  y  a  lieu  de 
retrancher  pour  les  frais  de  monnayage  ;  de  cet  alliage, 
il  faut  obtenir  20  marcs  qui  sur  le  marché  auront  la 
valeur  d'une  livre,  c'est-à-dire  de  deux  marcs  d'argent. 
Sur  la  même  base,  on  peut  frapper  à  volonté  les  scotes, 
ou  bien  les  gros  et  les  oboles. 

De  la  Comparaison  entre  l'Argent  et  VOr 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  l'or  et  l'argent  étaient 
la  base  sur  laquelle  reposait  la  bonté  de  la  monnaie  et 
ce  qui  a  été  avancé  à  propos  de  la  monnaie  d'argent  peut 


^)  Dans  F.  le  passage  II  vaudra  mieux...  pour  la 
République   est  souligné,., 

LE   BRANCHU  2 


18  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

s'appliquer  également  en  grande  partie  à  la  monnaie 
d'or.  Il  nous  reste  à  exposer  le  principe  de  l'échange 
réciproque  entre  l'or  et  l'argent,  par  conséquent  il  y  a 
lieu  d'étudier  tout  d'abord  en  quoi  consiste  le  rapport 
d'appréciation  entre  l'or  et  pur  l'argent  pur  pour  pou- 
voir passer  ensuite  du  genre  à  l'espèce  et  du  simple  au 
composé.  On  sait  que  le  rapport  entre  l'or  et  l'argent  en 
lingots  est  le  même  que  celui  entre  l'or  et  l'argent  mon- 
nayé à  un  titre  identique,  et,  d'un  autre  côté,  le  rapport 
entre  l'or  monnayé  et  l'or  en  lingot  est  le  même  que 
celui  entre  l'argent  monnayé  et  l'argent  en  lingot,  pourvu 
qu'ils  aient  le  même  titre  et  le  même  poids.  L'or  mon- 
nayé le  plus  pur  que  l'on  trouve  chez  nous  est  représenté 
par  les  florins  hongrois,  car  il  y  entre  le  moins  d'alliage, 
autant  seulement  qu'il  en  a  fallu  pour  couvrir  les  frais 
de  frappe.  Aussi  les  échange-t-on  à  juste  titre  contre 
l'or  fin  de  même  poids,  la  valeur  [dignitas]  de  l'empreinte 
compensant  le  manque  de  métal.  Il  en  résulte  par  consé- 
quent que  le  rapport  entre  l'or  pur  en  lingot  et  l'argent 
pur  en  lingot  est  le  même  que  celui  existant  entre  cet 
argent  et  les  florins  hongrois  de  même  poids.  Cent  dix 
florins  hongrois,  du  poids  légal  de  72  grains  chaque,  font 
une  livre  (par  une  livre  j'entends  toujours  le  poids  de 
deux  marcs).  Nous  trouvons  ainsi  que  généralement 
chez  tous  les  peuples,  une  livre  d'or  pur  vaut  12  livres 
d'argent  pur.  Nous  constatons  cependant  que  jadis  une 
livre  d'or  valait  11  livres  d'argent,  c'est  pourquoi, 
semble-t-il,  il  a  été  décidé  autrefois  que  dix  florins  hon- 
grois pèseraient  le  onzième  d'une  livre  :  si,  avec  ce  poids, 
la  même  valeur  existait  encore  aujourd'hui,  nous  aurions 
une  conformité  parfaite  entre  les  monnaies  polonaise  et 
pruthénienne  selon  les  principes  exposés,  car,  en  frap- 
pant avec  une  livre  d'argent  20  marcs  environ,  nous 
aurions  exactement  deux  marcs  par  florins,  au  lieu 
de  40  gros  polonais.  Mais  quand  il  a  été  admis  que 
12  parties  d'argent  équivaudraient  à  une  partie  d'or^ 


COPERNIC  19 

le  poids  différait  du  prix,  de  sorte  que  10  florins  hongrois 
correspondaient  à  une  livre  et  un  onzième  d'argent  «.  Si 
donc  on  fait  d'une  livre  et  un  onzième  d'argent  20  marcs, 
les  monnaies  polonaise  et  prusienne  seront  absolument 
conformes,  gros  pour  gros  et  les  deux  marcs  pruthéniens 
vaudront  un  florin  hongrois.  Le  prix  de  l'argent  sera, 
pour  chaque  demi-livre,  8  marcs  et  10  sous  ou  à  peu  près. 

Même  si  l'on  approuvait  l'avilissement  de  la  monnaie 
et  la  destruction  de  la  patrie,  même  si  un  si  petit  relè- 
vement, si  une  égalisation  si  infime  de  la  monnaie  sem- 
blaient trop  difficiles  et  si  l'on  décidait  que  15  gros  polo- 
nais continueront  à  valoir  un  marc  et  2  marcs  16  scotes 
un  florin  hongrois,  cette  réforme  pourrait  cependant 
se  faire  d'après  les  moyens  déjà  indiqués  et  sans  grande 
peine,  si  seulement  d'une  livre  d'argent  on  frappait 
24  marcs.  Il  y  en  a  déjà  été  ainsi  il  n'y  a  pas  longtemps 
lorsque  12  marcs  valaient  une  demi-livre  d'argent  et 
que,  contre  la  même  somme  de  monnaie,  on  échangeait 
un  florin  hongrois.  Ceci  a  été  dit  à  titre  d'exemple  et 
d'indication  car,  en  effet,  les  modes  de  constitution  de 
la  monnaie  sont  infinis  et  l'on  ne  saurait  les  décrire  tous  ; 
mais,  d'un  commun  accord  et  après  mure  réflexion,  on 
pourra  choisir  celui  qui  semblera  le  plus  avantageux 
pour  la  République. 

Quand  la  monnaie  aura  été  exactement  réglée  sur  le 
florin  hongrois  et  si  aucune  faute  n'a  été  commise,  il 
sera  facile  d'évaluer  également,  d'après  leur  contenu 
d'or  ou  d'argent,  les  autres  florins. 

Puisse  cet  exposé  sur  le  relèvement  de  la  monnaie 
être  suffisant  pour  faire  au  moins  comprendre  de  quelle 
façon  a  disparu  la  valeur  [digniias]  de  la  monnaie  et 
comment  elle  peut  être  rétablie,  ce  qui  est  je  crois  clair 
après  tout  ce  qui  a  été  dit  précédemment. 


^)  Dans  F  le  passage  de  sorte  que  10  florins  hongrois... 
onzième  d'argent  esî  souligné. 


20  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


Conclusion  sur  la  réforme  monétaire 

En  ce  qui  concerne  le  relèvement  et  la  conservation 
de  la  monnaie,  il  y  a  lieu  d'appliquer  les  principes 
suivants  : 

Premièrement,  éviter  d'introduire  une  nouvelle  mon- 
naie sans  mûre  délibération  des  notables  et  leur  décision 
unanime. 

Deuxièmement,  ne  désigner  si  possible  qu'un  seul 
lieu  pour  la  fabrication  des  monnaies,  où  la  frappe  aurait 
lieu  non  pas  au  nom  d'une  seule  ville,  mais  au  nom  du 
pays  tout  entier  et  avec  ses  insignes  ;  l'efficacité  de  ce 
principe  est  démontré  par  la  monnaie  polonaise  qui, 
grâce  à  cela  seulement,  conserve  sa  valeur  sur  un  ter- 
ritoire aussi  étendu.  • 

Troisièmement,  lors  de  l'introduction  de  la  monnaie 
nouvelle  décrier  l'ancienne. 

Quatrièmement,  observer  d'une  façon  inviolable, 
immuable  et  pour  toujours  l'usage  de  tailler  20  marcs 
seulement  et  non  davantage  dans  une  livre  d'argent 
pur,  déduction  faite  de  ce  qu'il  y  a  lieu  de  réserver  pour 
les  frais  de  monnayage.  De  cette  façon,  la  monnaie  prus- 
sienne sera  égalée  à  la  monnaie  polonaise,  c'est-à-dire 
que  20  gros  prussiens  ou  20  gros  polonais  constitueront 
un  marc  prussien. 

Cinquièmement,  éviter  que  soit  excessive  la  quantité 
de  monnaie. 

Sixièmement,  émettre  toutes  les  espèces  de  monnaie 
en  même  temps,  c'est-à-dire  frapper  les  scotes,  les  sous, 
les  gros  et  les  oboles  simultanément. 

En  ce  qui  concerne  la  question  de  savoir  quel  doit 
être  le  titre  de  la  monnaie,  celle  de  savoir  si  l'on  frappera 
des  gros,  des  sous  ou  bien  des  deniers  d'argent  qui  vau- 
dront un  ferton  ^^  ou  un  demi-marc  ou  même  un  marc 
entier,  la  décision  doit  être  prise  par  ceux  à  qui  cela  appar- 


COPERNIC  21 

tient,  pourvu  qu'on  s'y  attache,  et  que  la  décision  prise 
vaille  de  façon  immuable  pour  l'avenir. 

Il  faut  prendre  également  en  considération  les  oboles, 
car,  actuellement,  leur  valeur  est  si  faible  qu'un  marc 
entier  contient  à  peine  pour  un  peu  plus  d'un  gros 
d'argent. 

La  dernière  difficulté  résulte  des  contrats  et  des  obli- 
gations passés  avant  ou  après  l'introduction  de  la  nou- 
velle monnaie.  Pour  cela  il  y  a  lieu  d'envisager  les  moyens 
qui  n'affectent  pas  trop  les  parties  contractantes  ;  ce 
qui  a  été  fait  autrefois  en  ce  sens  ressort  de  la  description 
qui  se  trouve  ci-jointe  ^^. 


B 


LETTRE  DE  N.  COPERNIC  A  FÉLIX  REICH 
SUR  LA  MONNAIE 

NOTICE 

L'original  latin  de  la  «  Lettre  de  Copernic  à  Reich  »  a  été 
publié  pour  la  première  fois,  avec  d'insignifiantes  omissions, 
en  1854  dans  la  collection  des  œuvres  complètes  de  Copernic, 
(pp.  590-591). 

Il  a  été  publié  une  seconde  fois  par  Hipler,  Spicilegium 
Copernicanum  en  1873. 

Une  troisième  et  quatrième  fois  par  Prowe  dans  ses 
ouvrages  :  Monumenta  Copernicana  (1873)  et  Nicolaus  Coper- 
nicus  (1883,  2^  vol.). 

Il  a  été  réédité  par  M.  Dmochowski  [op.  cit.,  p.  45-49)  ; 
c'est  d'après  ce  texte  que  nous  publions  notre  traduction. 

L'original  est  constitué  par  un  manuscrit  conservé  aux 
Archives  secrètes  de  Kônisberg  (Armoire  5,  rayon  22,  No.  28) 
et  corrigé  par  Copernic  lui-même. 

Cette  lettre  donne  des  éclaircissements  sur  les  calculs  rela- 
tés dans  le  mémoire  de  Copernic,  Monete  Cutende  Ratio,  dont 
la  traduction  précède  celle-ci. 


LETTRE  DE  N.  COPERNIC  A  FÉLIX  REICH 
SUR  LA  MONNAIE 


Vénérable  Seigneur  et  cher  ami  ! 

Il  est  bien  difficile  de  faire  la  lumière  sur  des  pro- 
blèmes qui,  de  leur  propre  nature,  sont  plongés  dans  de 
profondes  ténèbres,  car  il  peut  se  faire  que,  tout  en 
concevant  bien  une  chose,  on  ne  parvienne  pas  à  l'expri- 
mer nettement  «  et  je  crains  que  pareille  difficulté  ne  me 
soit  aussi  parfois  advenue.  Il  en  est  ainsi  du  raisonne- 
ment concernant  la  monnaie  prussienne  par  suite  de  son 
extrême  complexité,  pour  ne  pas  dire  de  sa  confusion, 
et  je  ne  m'étonne  guère  si  ce  que  j'ai  écrit  à  ce  sujet  n'est 
pas  immédiatement  compris  par  tout  le  monde.  Je 
tâcherai  par  conséquent  de  rendre  plus  clair  ce  que  Votre 
Seigneurie  se  plaint  de  ne  pas  entendre.  Nous  savons, 
dis-je,  qu'on  achetait  pour  2  marcs  et  8  scotes  une  demi- 
livre  d'argent,  alors  que  l'on  mélangeait  trois  parties 
d'argent  pur  avec  une  quatrième  partie  de  cuivre  et 
que  d'une  demi-livre  de  cet  alliage  on  frappait  112  sous. 
Le  fait  que  cette  monnaie  remplissait  les  conditions 
exigées  d'un  bon  numéraire,  en  ce  qui  concerne  sa  valeur 
et  son  estimation,  s'explique  ainsi  par  l'examen  qui 
suit  :  quand  nous  disons  que  112  sous  pesant  une  demi- 
livre  contiennent  trois  quarts,  soit  un  dodran  d'argent 
pur,  d'après  la  proportion  d'alliage  prévue,  il  s'ensuit 
que  le  tiers  de  cette  somme  (soit  37  sous  un  tiers  ou 


^)  tout  en  concevant...  exprimer  nettement  manque 
dans   r édition   de   1854. 


26  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

37  SOUS  2  deniers)  en  contiendra  le  quart,  soit  le  quart 
d'une  demi  livre  ".  Par  conséquent,  si  Ton  ajoute  37  sous 
et  un  tiers  à  la  somme  de  112  sous,  on  obtiendra  le  total 
de  149  sous  et  un  tiers  ^  pesant  un  bes  de  livre  (car  un 
bes  signifie  deux  tiers  d'une  unité  quelconque,  de  même 
qu'un  dodran  signifie  trois  quarts)  c'est-à-dire  pesant  une 
demi  livre  et  un  sixième,  ce  qui  équivaut  à  deux  tiers  de 
livre.  Ici  j'entends  par  un  bes  32  scotes,  car  notre  livre 
entière  contient  48  scotes  et  je  ne  pouvais  pas  dire 
8  onces,  étant  donné  qu'il  existe  aussi  une  autre  livre, 
en  usage  surtout  chez  les  pharmaciens,  qui  se  divise  en 
onces  et  pèse  un  quart  de  moins  que  la  précédente.  Par 
conséquent  la  dite  somme  de  149  sous  et  un  tiers  contient 
une  demi  livre  d'argent  pur  :  car  cette  somme  pèse  deux 
tiers  de  livre  et  si  nous  en  enlevons  le  quart  (ce  qu'exige 
le  calcul  de  l'alliage  de  cuivre  et  qui  équivaut  à  la 
sixième  partie  d'une  livre),  il  reste  une  demi-livre.  Nous 
avons  donc  comme  valeur  de  cette  monnaie  une  demi 
livre  d'argent  pur  dans  les  149  sous  ;  son  prix  est  cepen- 
dant de  140  sous,  savoir,  comme  il  a  été  dit,  2  marcs 
et  8  scotes  ^;  par  conséquent  la  dignité  ou  l'estimation 
de  la  monnaie  absorbe  environ  neuf  sous,  et,  en  général, 
à  peu  près  la  quinzième  partie  de  la  valeur  ;  je  crois 
qu'ainsi  le  raisonnement  est  clair.  Si  quelqu'autre  dif- 
ficulté apparaissait,  je  reste  à  votre  service  dans  la 
mesure  du  possible,  pourvu  qu'il  en  résulte  quelqu'uti- 


^)  Dans  le  manuscrit  on  a  rayé  les  mots  soit  la  hui- 
tième partie  d'une  livre. 

^)  Dans  le  manuscrit  le  mol  un  tiers  a  été  corrigé 
plus  tard  par  ter  (trois  fois)  et  on  a  ajouté  sur  le  côté 
decimam  partem  (dixième  partie). 

'^J  Dans  Védition  de  Varsovie,  nous  trouvons  mr.  I 
sol.  VIII  ;  c'est  évidemment  mr.  II  scot.  VIII  qu'il  faut 
lire. 


COPERNIC  27 

lité.  Je  crains  cependant,  si  l'on  ne  prend  pas  d'autres 
dispositions,  que  les  choses  ne  tournent  mal,  car  on  ne 
cessera  de  frapper  la  monnaie  comme  on  le  fait  à  présent. 
Pourquoi  en  effet  le  cesseraient-ils,  ceux  qui  en  attendent 
toujours  du  profit  et  jamais  de  dommage  ?  J'ai  appris 
par  le  rapport  de  Maître  Agathius  ^^  que  l'on  discutait 
de  l'impôt  et,  de  là,  je  conclus  que,  pour  le  moment,  on 
ne  fera  rien  pour  la  monnaie,  car  il  ne  convient  même  pas 
que  les  sujets  soient  chargés  d'un  double  fardeau.  De 
cette  façon,  nous  paierons  les  impôts  et  la  monnaie  sub- 
sistera-t-elle,  ou  plutôt,  elle  ne  subsistera  pas,  car  nous 
la  rendrons  encore  plus  mauvaise  et  nous  donnerons  au 
Roi  notre  Maitre,  beaucoup  de  monnaie,  c'est-à-dire 
beaucoup  de  paille,  mais  où  sera  le  grain  ?  Je  ne  sais 
s'il  n'aurait  pas  été  plus  beau,  plus  magnifique,  plus 
royal,  je  dirai  même  beaucoup  plus  utile,  de  laisser  de 
côté  l'impôt  et  de  relever  dès  à  présent  la  monnaie,  et,  au 
cas  où  cette  mesure  n'aurait  pas  été  suffisante,  de  procé- 
der ensuite  à  la  levée  de  l'impôt.  Cette  mesure,  en  effet, 
si  je  ne  me  trompe,  en  augmentant  le  cens  public,  aurait 
apporté  des  profits  et  des  fruits  plus  grands,  car  perpé- 
tuels, tandis  que  l'impôt  ne  donne  qu'un  profit  annuel. 
Mais,  quoiqu'il  en  soit,  j'avoue  que,  comme  un  autre 
homme  qui  n'a  qu'une  façon  de  penser  et  qui  ne  connaît 
ni  n'envisage  les  jugements  les  plus  utiles  des  autres,  je 
puis  faire  erreur.  Je  souhaite  que  Votre  Seigneurie  se 
porte  le  mieux  possible,  soit  heureuse  et  je  la  prie  de  me 
recommander  et  de  recommander  mes  services  à  notre 
très  Révéré  Seigneur  et  Maitre. 

De  Warmia,  le  Dimanche  de  la  Quasimodo. 

N.  G(oppernic) 
(felicj  reich) 
De  Moneta. 


NOTES 


^)  Le  scote,  en  polonais  skojciec  ou  skojec,  était  un  poids  pesant  le  tiers 
d'une  once,  c'est-à-dire  la  vingt-quatrième  partie  d'un  marc.  En  Pologne, 
le  type  du  marc  étant  le  marc  de  Cologne  d'un  poids  de  233  grammes 
environ,  le  scote  ne  pesait  pas  tout  à  fait  10  grammes. 

Le  lésion  français,  que  l'on  commença  à  frapper  sous  Louis  XII,  en  1513, 
possédait  à  peu  près  la  même  valeur  que  le  scote. 

2)  Conrad  Jungingen  fut  le  22^  grand-maitre  de  l'Ordre  Teutonique, 
jusqu'en  1407  ;  son  parent,  Ulric  Jungingen  lui  succéda  à  cette  date  et  fut 
grand-maître  jusqu'à  sa  mort  survenue  le  15  juillet  1410,  à  la  bataille  de 
Grûnwald. 

3)  Vinric  Kniperode,  19^  grand-maitre  de  l'Ordre  Teutonique,  de  1351 
à  1382.  Il  construisit  le  château  deMalborgou  Marienbourg  et  lutta  contre 
la  Lithuanie. 

*)  Au  cours  du  xv®  siècle,  deux  grand-maitres  ont  porté  ce  prénom  : 
Heinrich  Reuss,  24^  grand-maitre,  de  1410  à  1413,  qui  rendit  hommage 
à  Casimir  Jagiellonczyk,  Roi  de  Pologne  et  Heinrich  Reffe  von  Richtenberg, 
30e  grand-maitre,  de  1470  à  1473. 

^)  Dans  les  manuscrits  existants  de  Copernic  (Reich  et  Fischer)  on  lit 
Michel  de  Rusdorfï.  Ceci,  bien  qu'une  erreur  manifeste,  a  toujours  passé 
inaperçu  :  il  n'existe  pas  en  effet  de  grand  maitre  de  ce  nom  ;  nous  trouvons 
le  25e  grand-maitre,  Michel  von  Sternberg  (1413-1422)  et  le  26^  grand- 
maitre,  Paul  Belhtzer  von  Russdorf  (1422-1440).  Ce  n'est  probablement 
qu'une  simple  erreur  de  copiste. 

*)  Casimir  Jagiellonczyk,  lors  de  la  seconde  guerre  avec  l'Ordre  Teuto- 
nique, accorda  le  privilège  de  la  frappe  de  la  monnaie,  pour  la  durée  des 
hostilités,  aux  villes  Torun,  Dantzig,  Elbling  et  Kônisberg.  En  1457,  le 
privilège  fut  supprimé  pour  Kônisberg,  mais  fut  rendu  perpétuel  pour  les 
autres  villes. 

')  Le  texte  du  manuscrit  est  ici  abimé,  et  on  a  ajouté  plus  tard  les  mots  : 
Prussia  que  luo,  c'est-à-dire,  Prusse  qui  par  ton...  ce  qui  change  absolument 
le  sens  de  la  phrase.  Les  écrivains  allemands,  comme  Hipler  (Spicilegium 
Copernicanum )  insèrent  le  texte  ainsi  modifié  sans  parler  de  la  correction 
et  fondait  sur  ce  texte  l'origine  allemande  de  Copernic.  M.  Dmochowski 
s'est  adressé  au  directeur  des  Archives  de  Kônisberg,  le  D^  Joachim,  en  le 
priant  de  reconnaître  que  ces  mots  ont  été  ajoutés  ultérieurement,  ce  que 
certifia  le  D'  Joachim.  Ces  mots  furent  cependant  ajoutés  avant  1816,  car 
Faber,  envoyant  à  Bentowski  une  copie  du  manuscrit  de  Reich,  faisait 
déjà  mention  de  Prussia  que  luo... 

8)  C'est  à  la  paix  de  Cracovie  (1525)  que  le  margrave  Albert  avait 
obtenu  le  titre  de  prince  de  Prusse. 

8)  Les  idées  exposées  ici  par  Copernic  sont  celles  qui  servirent  de  base 
au  règlement  monétaire  de  Sigismond  I^r  en  1528  (V.  Supra,  Introduction, 
t.  I,  p.  000). 


COPERNIC 


29 


10)  Le  feiion  est  la  quatrième  partie  du  marc. 

")  Dans  le  manuscrit  de  Czartoryski  on  trouve  le  texte  de  la  loi  de 
Malborg  ou  Marienbourg  ;  ce  texte  manque  dans  les  manuscrits  de  Reich 
et  de  Fischer.  Les  éditeurs  qui  ne  connaissaient  pas  le  manuscrit  de  Czarto- 
ryski étaient  arrivés  à  la  conclusion  que  c'était  bien  cette  loi  qu'invoquait 
Copernic.  On  en  trouve  la  traduction  polonaise  dans  l'édition  de  Varso- 
vie (1854). 

On  possède  huit  exemplaires  du  texte  de  cette  loi  à  Dantzig,  Kônisberg 
et  Marienbourg.  Elle  constitue  un  des  remèdes  appliqués  par  l'Ordre 
Teutonique  après  la  défaite  de  Tannenberg-Grûnwald  (1410)  subie  au  cours 
de  la  guerre  avec  le  roi  de  Pologne  Jagiello.  Ce  problème  (le  règlement  des 
dettes  en  monnaies  anciennes  et  nouvelles)  fut  examiné  à  plusieurs  reprises 
par  la  Diète  des  États  de  l'Ordre  Teutonique  à  partir  du  24  avril  1416. 

La  loi  débute  par  ces  mots  :  1418  Novbr.  6.  Dese  vorramunge  des  genczen 
landes  ist  usgegangen  am  Sonlage  noch  Omnium  sanclorum  von  Marienburg 
im   1418  den. 

On  en  trouve  le  texte  en  allemand  (original)  dans  l'édition  Dmochowski, 
p.  96  et  s.,  texte  reproduit  d'après  Tôpen,  Aclen  der  Stàndetage  Preussens 
unler  der  Herrschafi  des  Deulschen  Orlen. 

^2)  D'après  Hipler  {op.  cit.,  p.  196)  il  s'agit  ici  d'Agathius  von  der 
Trenck  délégué  de  l'évêque  et  du  chapitre  de  Warmie  en  1528-1530  après 
avoir  été  probablement  membre  du  chapitre  en  1525.  Il  mourut  le 
13  mars  1551. 

L.  B. 


I 


II 


OPINIONS  COMMUNES  SUR  LA  MONNAIE  : 

SAVOIR 

S'IL  SERAIT  PLUS  HONNÊTE 

ET  PLUS  AVANTAGEUX 

POUR  LA  MAISON 

ET  LA  PRINCIPAUTÉ  DE  SAXE 

DE  CONSERVER 

LA  BONNE  MONNAIE  ANCIENNE 

OU 

D'EN  ADOPTER  UNE  DE  MOINDRE  VALEUR 


NOTICE 


La  première  édition  de  cet  ouvrage  anonyme  eut  lieu  à 
Leipzig  en  1530,  sous  le  titre  suivant  :  Gemeine  slimmen  von 
der  Miintzf  vnd  oh  es  dem  hause  vnd  Furstentumb  zu  Sachssen 
Erhlicher  vnd  zutreglicher  sey  j  die  aile  gale  Mûntz  zuhehallen 
odder  ger ingère  anzunemen. 

En  1548  eut  lieu  une  réimpression  dont  le  titre  diffère 
quelque  peu  :  Gemeine  Slymmen  von  der  Miïnlze  :  So  Im 
MDXXX.  Jar  j  Bey  zeil  Herlzog  Georgen  zu  Sachssen  u.  nach 
gehablen  Rahl  der  Lansslende  Im  Hause  vnd  Furslenthumb  zu 
Sachssen  u.  aussgangen  /  vnd  beschlossen  /  Das  es  ehrlicher  vnd 
zulreglicher  sey  j  die  allen  gule  Miinlz  zubehallen  j  dann  ger  in- 
ger  anzunemen. 

Le  présent  texte  est  une  traduction  de  la  publication  de 
cet  ouvrage  par  le  Dr.  Walter  Lotz,  Professeur  à  l'Université 
de  Munich,  avec  la  collaboration  et  sous  la  direction  du 
Dr.  K.  F.  Jôtze.  L'ouvrage  de  Lotz  portait  le  titre  suivant  : 
Die  drei  Flugschriflen  iiber  den  Miinzslreil  der  sàchsischen 
Alberliner  und  Ernesliner  (Les  trois  pamphlets  sur  les  droits 
monétaires  des  ducs  de  Saxe  des  branches  Albertine  et  Ernes- 
tine,  Leipzig,  1893).  Le  volume  faisait  partie  de  la  collection  : 
Sammlungen  àllerer  und  neuerer  slaalswissenschafllicher  Schrif- 
len,  No.  2. 

L.  B. 


LE    BRANCHU 


OPINIONS  COMMUNES  SUR  LA  MONNAIE   : 

SAVOIR  S'IL  SERAIT  PLUS  HONNÊTE 

ET  PLUS  AVANTAGEUX  POUR  LA  MAISON 

ET  LA  PRINCIPAUTÉ  DE  SAXE 

DE  CONSERVER  L'ANCIENNE  BONNE  MONNAIE 

OU  D'EN  ADOPTER  UNE  DE  MOINDRE  VALEUR  « 


Dieu  le  Tout-Puissant  créa  les  hommes  libres,  sans 
être  sujets  à  personne  ou  engagés  à  quoi  que  ce  soit,  si 
ce  n'est  obéir  à  Dieu.  Mais  sitôt  que  l'homme  eut  désobéi 
à  Dieu,  le  Tout-Puissant  lui  imposa  l'autorité  :  quand 
Eve  eut  séduit  Adam,  péché  par  lequel  nous  sommes  tous 
souillés,  Dieu  parla  et  ordonna  à  Eve  d'être  soumise  à 
son  mari. 

Il  s'ensuit  qu'à  cause  de  la  méchanceté  de  l'homme, 
Dieu  créa  l'autorité  et  le  pouvoir  qui  déroulent,  comme 
chacun  sait,  de  Lui  seul.  Mais  le  Tout-Puissant  a  aussi 
ordonné  que,  si  les  sujets  doivent  être  soumis  aux  auto- 
rités constituées  pour  tout  ce  qui  est  honnête  et  conve- 


")  Titre  de  V édition  de  1548  :  Opinions  communes  sur 
la  monnaie  :  comme  quoi  en  1530,  au  temps  du  duc 
George  de  Saxe,  après  un  conseil  tenu  avec  les  États 
Généraux  de  la  maison  et  de  la  principauté  de  Saxe, 
il  fut  décidé  qu'il  serait  plus  honnête  et  plus  avantageux 
de  conserver  la  bonne  monnaie  ancienne  plutôt  que 
d'en  adopter  une  de  moindre  valeur. 


36  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

nable  et  ne  se  trouve  pas  en  contradiction  avec  la  loi 
divine,  le  devoir  des  autorités  est  aussi  de  s'efforcer  à 
accroître  le  bien-être  de  leurs  sujets.  Dieu  a  donc  institué 
les  autorités  à  cause  des  méchants  non  raisonnables, 
mais  les  hommes  n'ont  pas  été  créés  à  cause  d'elles.  Il 
en  résulte  que  les  autorités  doivent,  avant  tout,  s'ef- 
forcer de  maintenir  les  sujets  dans  un  état  stable,  hon- 
nête et  vertueux,  que  ceux-ci  doivent  obéir  à  leurs  sou- 
verains et  soutenir  l'autorité,  afin  qu'ils  soient  régentés 
par  elle  en  tout  honneur,  paix  et  vertu.  Là  où  règne  un  tel 
esprit,  c'est  un  bon  gouvernement  et  les  princes  et  les 
sujets,  le  pays  et  le  peuple  prospèrent,  la  gloire  et  le  ser- 
vice de  Dieu  sont  bien  observés,  ce  dont  on  a  tout  de  suite 
la  récompense  ici-bas  et,  plus  tard,  dans  l'éternité.  Ainsi 
l'honorable  état  de  Saxe,  le  territoire  du  Landgrave  de 
Thuringe  et  la  Marche  électorale  de  Meissen  ont  long- 
temps joui  de  la  bénédiction  de  Dieu.  Quelle  piété  s'adres- 
sait à  Dieu  le  Tout-Puissant,  comme  on  a  construit  de 
belles  églises,  des  chapelles  et  des  hôpitaux,  comme  les 
bâtiments  que  les  princes  souverains  ont  fait  bâtir  sont 
plus  riches  que  ceux  du  passé,  et  aussi  ceux  qu'ont 
construits  à  leur  exemple  les  autres  notables  :  comtes, 
seigneurs  et  nobles  !  La  prospérité  des  sujets  augmenta 
dans  la  même  proportion,  comme  le  prouvent  les  édifices 
élevés  en  maints  endroits  et  le  revenu  des  terres.  Dieu  en 
soit  loué  !  s'est  pareillement  accru. 

Tout  cela  résulte  du  fait  que  Dieu  nous  a  octroyé  un 
gouvernement  qui,  a,  jusqu'à  présent,  préféré  notre  inté- 
rêt au  sien  propre  :  notre  prince  n'a  pas  ménagé  sa  vie 
ni  sa  fortune  pour  maintenir  l'état  de  paix  ;  il  nous  a 
aussi  donné  une  bonne  et  juste  monnaie.  Avec  celle-ci 
nous  pouvions  nous  procurer  dans  les  autres  pays  tout 
ce  que  nous  désirions,  tout  ce  dont  nous  avions  besoin, 
et,  de  plus,  comme  on  était  sûr  d'être  payé  chez  nous 
en  bonne  monnaie,  comme  le  commerce  marchait  bien 


( 


OPINIONS    SUR    LA    MONNAIE    (SAXE)  37 

dans  notre  pays,  on  nous  a  apporté  toutes  sortes  de 
choses  qu'autrement  il  nous  aurait  fallu  quérir  ailleurs. 
Pour  cette  raison,  des  gens  aisés  sont  venus  s'établir 
dans  notre  pays  ;  remarquant  que  Dieu,  par  sa  grâce, 
avait  surtout  donné  au  pays  des  mines ^,  ils  se  sont  tour- 
nés vers  celles-ci  et  y  ont  investi  leur  argent  ;  avec 
celui-ci  les  mines,  qu'il  est  impossible  de  faire  fonction- 
ner sans  emprunter  des  capitaux  considérables,  ont  été 
équipées.  Ce  fait  a  sensiblement  augmenté  la  population 
de  notre  pays,  la  valeur  des  propriétés  et  les  revenus 
de  la  noblesse  se  sont  visiblement  accrus.  Car  là  où  il  y  a 
une  forte  population,  les  marchandises  se  vendent  aisé- 
ment, la  noblesse  peut  gagner  par  l'élevage  et  la  vente 
des  poissons  de  ses  lacs,  elle  peut  écouler  à  des  prix 
satisfaisants  le  froment,  le  seigle,  l'orge  et  l'avoine  ;  son 
bois,  sa  paille  et  son  foin  sont  appréciés  à  leur  juste  valeur  ; 
le  bourgeois  peut  débiter  sa  bière,  échanger  son  drap, 
ses  robes  et  ses  chausses,  ses  fers  à  chevaux,  ses  ser- 
rures, rubans,  éperons,  épées,  couteaux,  ceintures,  sacs, 
bourses,  caisses,  boites,  tonneaux  et  tonnelets  contre  de 
la  bonne  monnaie  ;  les  boulangers,  les  bouchers  et  tous 
les  autres  artisans  travaillent  avec  plus  de  profit  et  le 
paysan  utilise  son  champ  avec  un  plus  grand  succès. 

Toutes  ces  bénédictions,  nous  les  devons  au  grand 
nombre  d'hommes  qui  viennent  en  notre  pays,  prenant 
en  considération  le  commerce  et  l'exploitation  des  mines, 
la  paix  et  le  bon  état  monétaire.  Mais  comme,  pendant 
ces  temps  diffîciles,  le  bon  ordre  et  les  vieilles  traditions 
sont  malmenés,  il  advient  parfois  qu'on  dispute  et  que 
l'on  débat  la  question  de  savoir  s'il  ne  serait  pas  bon  de 
diminuer  le  contenu  métallique  de  la  pièce  de  monnaie 
du  pays^.  Il  en  est  qui  pensent  que  Dieu  le  Tout-Puissant 
a  comblé  de  dons  ce  pays  en  lui  donnant  les  mines,  mais 
que  celles-ci  ne  sont  pas  exploitées  comme  il  faut,  ne 
donnent  pas  un  assez  grand  profit.  Si,  par  la  suite,  la 


38  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

misère  vient,   les   princes   seront   forcés   d'imposer  les 
contribuables  et  de  charger  leurs  pauvres  sujets. 

On  veut  négliger  ce  fait,  on  prétend  que  le  même 
revenu  pourrait  être  facilement  obtenu  sans  charger 
les  pauvres  :  comme  Ton  dit,  l'argent  devrait  être  frappé 
en  dix  gulden  au  lieu  de  huit  gulden  un  quart.  Les  sei- 
gneurs y  gagneraient  chaque  année  une  grosse  somme, 
somme  qui  correspondrait  à  la  quantité  d'argent  mon- 
nayé et  qui  serait  plus  considérable  que  le  rendement 
éventuel  d'un  impôt.  De  plus,  cette  mesure  rapporterait 
aussi  longtemps  que  les  mines  seraient  exploitées.  Une 
semblable  monnaie  ne  serait  pas  exportée  du  pays,  mais 
elle  y  resterait  et  on  ne  ressentirait  plus  ainsi  pareille 
disette  de  numéraire.  Les  pays  possédant  une  monnaie 
de  valeur  moindre  ne  seraient  pas  inondés  de  marchan- 
dises inutiles  et  le  pays  ne  subirait  aucune  perte,  sous 
aucun  rapport  :  le  pauvre  pourrait  acheter  son  pain  et 
sa  bière  moins  cher  qu'auparavant.  L'argent  se  fixerait 
à  un  prix  plus  élevé  que  son  cours  actuel  :  les  autres 
contrées  qui  ne  produisent  qu'une  marchandise  unique 
nous  montrent  comme  ils  s'efforcent  d'en  obtenir  le 
plus  haut  prix  possible.  Le  surhaussement  de  la  monnaie 
a  été  recommandé  à  peu  près  pour  ces  raisons.  Mais  on 
peut  conserver  pas  mal  de  doutes  :  savoir  d'abord  s'il 
vaudrait  mieux  monnayer  et  distribuer  l'argent  à  une 
plus  haute  valeur  nominale  que  d'imposer  des  contri- 
butions. 

On  se  demandera  :  n'y  a-t-il  jamais  eu  un  impôt  si 
onéreux  ou  qui  pourrait  devenir  si  pénible  que  la  frappe 
et  la  distribution  d'une  monnaie  de  mauvais  aloi  ?  On 
n'a  jamais  imposé  une  contribution  qui  ait  occasionné 
tants  de  malheurs  ou  pourrait  en  occasionner.  Dans  nos 
pays,  le  cinquantième  Pfennig  est  de  beaucoup  l'impôt 
le  plus  fort  et  le  plus  élevé  ;  le  dixième  Pfenning  néant- 


OPINIONS    SUR    LA    MONNAIE    (SAXE)  39 

moins  est  levé  également  comme  impôt,  mais  sous  une 
forme  telle  que  les  sujets  ne  sont  pas  les  seuls  à  le  payer  : 
l'impôt  est  mis  sur  les  boissons  et  ainsi  il  frappe  égale- 
ment l'étranger.  Les  impôts  n'ont  jamais  eu  une  longue 
durée  ;  la  monnaie  de  bas  aloi  au  contraire  va  grever  à 
tout  jamais  celui  qui  la  touche  d'un  prélèvement  égal 
au  dixième  de  son  bien  et  de  toute  sa  fortune,  avec 
encore,  de  temps  à  autre,  quelque  surcharge  en  plus. 
Aussi  longtemps  que  durera  cette  situation,  aussi  sou- 
vent que  l'on  surhaussera  la  monnaie,  un  dommage 
incessant  causé  au  pauvre  en  sera  le  désastreux  résultat. 

Il  faut  prendre  garde  pour  que  la  valeur  métallique 
de  la  monnaie,  comme  celle  de  toutes  les  autres  mar- 
chandises, mais  plus  encore  que  pour  les  autres  car  la 
monnaie  est  la  mesure  commune  des  valeurs,  soit  exac- 
tement conforme  à  l'argent  et  au  métal  contenus  dans  la 
pièce  de  monnaie  elle-même.  Après  toutes  les  fluctua- 
tions, la  monnaie  doit  atteindre  cette  valeur  et  y  rester  ; 
car,  pour  fonder  l'estimation  de  la  valeur,  la  masse  de 
monnaie  en  circulation  à  un  moment  donné  n'est  pas 
suffisante  :  elle  est  aussi  muable  que  ce  qui  repose  sur  la 
volonté  peu  raisonnable  ou  sur  l'habitude  des  hommes, 
en  contradiction  avec  la  nature  œuvre  de  Dieu.  Un 
Gràn  ^  ou  un  Lot  *  d'argent  reste  toujours  ce  qu'il  est, 
éternel  comme  la  nature  ;  mais  s'il  doit  valoir  maintenant 
plus  ou  moins  qu'avant,  tout  cela  sera  bientôt  fini  :  cela 
ne  durera  pas  plus  longtemps  que  l'estimation  faite  par 
l'homme. 

Le  surhaussement  de  la  monnaie,  comme  il  est  indi- 
qué ci-dessus,  aurait,  dit-on,  pour  résultat  que  la  mon- 
naie ne  serait  pas  exportée  hors  du  pays  ;  voici  la 
réponse  :  c'est  là  le  signe  que  la  monnaie  est  mauvaise 
et  qu'on  n'aime  pas,  à  l'étranger,  avoir  à  trafiquer 
avec  elle,  ce  dont  il  résulte  grand  dommage.  Ceux  qui 


40  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

commercent  en  dehors  de  nos  frontières  remarqueront 
aisément  combien  ce  fait  leur  porte  préjudice,  si  l'on 
n'aime  point  leur  monnaie,  si  l'on  ne  veut  pas  l'accepter. 

Même  s'il  était  bien  de  détruire  le  commerce  de  la 
province,  on  ne  pourrait  se  débarasser  du  luxe  dans  son 
propre  pays  :  il  y  a  des  gens  qui,  avant  d'abandonner 
ce  luxe,  préféreraient  envoyer  quérir  autre  part,  même 
à  Venise,  même  s'ils  devaient  payer  en  surplus  les  frais 
de  transport  et  courir  les  risques  du  voyage,  les  objets 
qui,  jusqu'à  présent,  leur  ont  été  apportés  gratuitement 
jusqu'à  chez  eux.  Il  est  clair  qu'on  peut  actuellement 
se  procurer  chez  nous  beaucoup  de  choses  pour  un  prix 
qui  n'est  pas  beaucoup  plus  élevé  que  celui  des  pays 
d'origine  où  on  les  achète. 

Le  pain,  la  bière  et  toutes  les  autres  marchandises 
ne  sont  vendus  que  dans  la  mesure  de  la  monnaie  qu'on 
possède  :  le  marchand  ne  se  laisse  pas  tromper.  De  même, 
la  monnaie  de  bas  aloi  ne  rend  pas  la  marchandise  meil- 
leur marché  :  si  le  marchand  touche  de  la  bonne  monnaie, 
il  donne  ses  produits  à  bon  marché  et  pour  de  la  mauvaise 
monnaie,  il  vend  cher,  afin  d'arriver  à  couvrir  ses  frais  : 
car  il  s'arrange  toujours  suivant  la  valeur  naturelle  de  la 
monnaie,  suivant  celle  qu'elle  possède  à  cause  de  l'argent 
qu'elle  contient  et  non  pas  suivant  sa  taxation  fixée  au 
hasard. 

Le  surhaussement  de  la  monnaie,  par  conséquent, 
ne  peut  pas  être  justifié  par  la  hausse  de  l'argent,  par 
l'argent  rendu  plus  cher  pour  toujours,  car  la  marchan- 
dise est  évaluée  et  vendue  suivant  la  valeur  de  la  mon- 
naie :  quand  le  titre  de  celle-ci  baisse,  le  prix  des  mar- 
chandises augmentera  et  le  commerce  diminuera.  Le 
marchand  qui  peut  pour  ses  denrées  recevoir  beaucoup 
plus  d'argent  dans  les  écus  d'un  pays  que  dans  ceux 


OPINIONS    SUR    LA    MONNAIE    (sAXE)  41 

d'un  autre,  ne  donnera  évidemment  pas  sa  marchandise 
moins  chère  là  où  la  monnaie  ne  contient  pas  tant  d'ar- 
gent, pas  plus  qu'il  n'acceptera  l'argent  pour  une  valeur 
qu'il  n'a  pas.  Comme  il  sait  pouvoir  obtenir  autre  part 
une  plus  grande  quantité  d'argent  pour  sa  marchandise, 
il  arrangera  son  prix  de  façon  à  toucher  autant  d'argent 
dans  le  pays  où  la  monnaie  est  de  bas  aloi  que  dans  l'au- 
tre :  il  tâchera  donc  d'obtenir  d'autant  plus  de  pièces 
de  monnaie  que  cej:te  monnaie  contient  moins  d'argent. 
Il  faut  en  conclure  que  la  valeur  de  l'argent  monnayé 
ne  peut  être  augmentée  si  on  ne  le  fait  en  même  temps 
dans  tous  les  pays.  Les  endroits  les  plus  éloignés  seraient 
alors  interdits  aux  marchands,  car  ils  ne  pourraient 
nulle  part  se  procurer,  en  échange  de  leurs  marchandises, 
une  plus  grande  quantité  d'argent  que  celle  dont  la 
valeur  est  fixée.  C'est  aussi  impossible  que  de  voir  tous 
les  peuples  accepter  une  seule  langue,  une  seule  façon 
de  vivre  et  se  comprendre  en  tout  :  on  n'a  pas  encore, 
jusqu'à  présent,  entendu  parler  de  cela  et  on  ne  peut 
l'espérer  de  ce  monde.  Même  pour  les  choses  divines, 
Jesus-Ghrist,  notre  Sauveur,  n'a  pas  dit  que  tout  le 
monde  croirait  en  Lui  :  pourtant  il  a  dit  que  Son  nom 
et  Son  Évangile  seraient  proclamés  et  enseignés  partout. 
Ainsi  fut-il  !  Il  est  aussi  malaisé  que  tout  le  monde 
devienne  et  demeure  chrétien,  que  pour  l'argent  dans 
le  monde  entier  d'être  estimé  partout  à  la  même  valeur. 
A  quoi  bon  alors  augmenter  artificiellement  dans  ce 
pays  le  cours  de  l'argent  monnayé  ?  Le  résultat  en  serait 
que  le  négoce  serait  banni.  On  ne  peut  prendre  à  charge 
devant  Dieu  que  l'argent,  dans  ces  pays  si  richement 
dotés  de  mines,  soit  tellement  prisé,  sous  prétexte  qu'on 
agit  ainsi  dans  les  pays  moins  riches  en  mines.  On  ne 
trouve  pas  souvent  de  l'argent  et  on  ne  l'estime  pas  à  la 
même  valeur  que  les  autres  produits  dont  les  peuples 
sont  le  plus  souvent  comblés.  Il  ne  serait  pas  étonnant 
qu'un  pays  qui  laisse  exploiter  des  mines  (qui  sont  un 


42  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

don  de  la  grâce  de  Dieu)  par  les  seigneurs,  ne  soit  puni 
sévèrement  et  ne  perde  ce  don.  Il  en  va  de  même  pour 
tous  les  dons  de  Dieu  si  l'on  ne  s'en  sert  pas  en  vue  du 
bien  commun,  comme  il  serait  équitable,  mais  si  l'on  en 
abuse  pour  son  propre  intérêt.  Et  surtout  les  mines  ne 
sauraient  être  exploitées  longtemps  si  le  salaire  payé 
aux  Gewerke  ^  en  même  nombre  de  pièces  de  monnaie 
qu'à  présent  et  si  pourtant  on  voulait  monnayer  l'argent 
et  le  faire  circuler  à  une  valeur  nominale  beaucoup  plus 
élevée  ®  :  cela  serait  en  contradiction  avec  tout  droit 
divin  et  naturel,  car  les  Gewerke  ont  souvent  investi  dans 
les  mines  une  grande  part  de  leurs  biens.  Si  la  valeur 
nominale  de  l'argent  est  augmentée  seulement  en  faveur 
des  seigneurs  et  non  pas  en  la  leur,  si  en  plus  ils  touchent 
de  la  monnaie  dépréciée  et  pas  plus  qu'auparavant,  ils 
abandonneront  bientôt  l'exploitation  des  mines  et  il  n'y 
aura  ainsi  plus  d'argent. 

Les  défenseurs  d'un  surhaussement  de  la  monnaie 
ont  bien  donné  maints  motifs  à  leur  proposition  :  quel- 
ques uns,  mal  informés,  se  sont  prononcés  pour  cette 
mesure  par  ingénuité  et  par  ignorance  ;  un  trop  grand 
amour  pour  leurs  seigneurs  détermine  d'autres  ;  il  y  en  a 
d'autres  qui  sont  poussés  par  l'égoïsme  et  la  jalousie 
envers  ceux  qui  se  sont  enrichis  par  le  commerce  dans 
ce  pays  ;  la  méchanceté  seule  inspire  enfin  quelques 
uns  qui  viennent  d'être  déchus  et  qui,  pauvres,  envient 
l'aisance  des  seigneurs  et  du  pays. 

Quant  à  la  première  classe,  il  faut  la  prendre  en 
pitié  :  ces  gens  donneraient  de  meilleurs  conseils  s'ils 
comprenaient  mieux  la  situation.  Bien  informés  par 
d'autres,  ils  laissent  tomber  leur  intention  et  suivent  la 
bonne  cause.  C'est  donc  le  meilleur  des  cinq  groupes. 

La  deuxième  classe  de  gens  qui  sont  du  même  avis 


OPINIONS    SUR    LA    MONNAIE    (sAXE)  43 

par  amour  trop  grand  pour  leurs  seigneurs  a,  comme  dit 
Saint-Paul,  du  zèle  mais  pas  d'esprit.  Ils  aiment  d'une 
manière  imprudente  en  voulant  procurer  à  leurs  sei- 
gneurs ce  qui  ne  leur  sert  point,  pas  plus  qu'à  leur  pays. 
Leur  bonne  foi  ne  les  laissent  pas  distinguer  le  bon  du 
mauvais,  comme  celui  qui,  aimant  un  enfant,  lui  tend 
pour  son  amusement  quelque  chose  qui  lui  nuira  plus 
tard.  Ces  gens-là  ne  voient  que  le  présent  et  n'envisagent 
point  l'avenir,  ils  sont  plus  criminels  que  les  premiers  ; 
ils  empêchent  avant  tout  les  princes  de  devenir  riches, 
ils  ne  se  soucient  pas  du  dommage  éventuel  causé  au  pays, 
ils  oublient  complètement,  comme  il  a  déjà  été  indiqué 
ci-dessus,  que  l'autorité  a  été  instituée  dans  l'intérêt  des 
hommes  et  non  pas  les  hommes  dans  celui  de  l'autorité, 
ils  rendent  donc  riches  les  pères  et  pauvres  les  enfants. 
Le  pays  n'en  prospère  pas,  car  il  est  clair  que  l'enrichis- 
sement procuré  par  l'argent  monnayé  à  plus  haut  prix 
remplit  la  bourse  des  seigneurs  et  ruine  le  pays.  Sitôt 
que  la  monnaie  de  mauvais  aloi  a  été  frappée  et  est  mise 
en  circulation,  le  commerce  décroît.  Les  recettes  des 
douanes  et  d'escorte,  l'exploitation  des  mines  diminuent 
en  même  temps  que  le  commerce  :  les  princes  reconnai- 
tront  leur  faute  si  enfin  la  production  des  mines  baisse. 
Quand  la  population  du  pays  diminue,  la  vente  des  mar- 
chandises est  rendue  plus  difficile  et  on  vend  moins,  le 
pays  déchoit  visiblement,  comme  les  pays  voisins  le 
laissent  voir,  eux  qui  riches  intrinsèquement  sont  ruinés 
par  la  mauvaise  monnaie  de  bas  aloi.  Qu'on  aille  voir 
Prague,  Ratisbonne  et  d'autres  villes  où  le  commerce 
florissait  jadis  ;  comme  elles  sont  devenues  pauvres  ! 
La  carcasse  des  vieilles  maisons  y  dépasse  maintenant  la 
valeur  des  maisons  elles-mêmes. 

La  Saxe  doit  importer  d'autres  pays  du  plomb  dont 
le  prix  est  déjà  assez  considérable  :  si  la  valeur  de  la 
monnaie  est  diminuée,  le  plomb  coûtera  encore   plus 


44  ÉCRITS  NOTABLES  SUR  LA  MONNAIE 

cher  et  ainsi  toutes  les  moindres  mines  ne  pourront  plus 
être  exploitées,  ce  qui  diminuera  le  rendement  des  impots 
sur  les  mines.  Une  chose  est  avant  tout  à  considérer  :  des 
centaines  de  milliers  de  florins  ont  été  prêtés  et  doivent 
être  remboursés,  selon  titre  écrit,  en  bonne  monnaie  ;  si 
la  monnaie  de  mauvais  aloi  était  établie,  il  en  résulterait 
beaucoup  de  graves  litiges,  il  en  découlerait  du  désordre 
et  du  tumulte.  Il  est  équitable  en  soi,  et  il  est  aussi  sti- 
pulé dans  toutes  les  obligations,  même  si  celles-ci  ne 
parlent  que  du  paiement  en  monnaie  usuelle  du  pays, 
que  chacun  rende  la  monnaie  selon  sa  juste  valeur  natu- 
relle, valeur  qu'elle  possède  en  elle-même  ou  à  cause  de 
l'argent  contenu,  comme  l'emprunteur  ou  ses  ancêtres 
l'ont  touchée  et  non  pas  comme  on  la  taxe,  quand  bien 
même  un  surhaussement  de  la  monnaie  a  eu  lieu  dans  le 
pays.  Mais  si  le  paiement  avait  dû  en  réalité  se  faire  sur 
ces  bases,  le  commerce  aurait  été  détruit  par  la  mauvaise 
monnaie,  les  droits  de  douane  et  d'escorte  auraient  été 
diminués,  l'exploitation  des  mines  rendue  plus  difficile 
et  la  discorde  en  serait  le  résultat  :  il  s'ensuit  la  perte 
éternelle  du  corps  et  de  l'âme.  Nous  n'avons  aucun  doute 
que  tous  ceux  dévoués  à  leurs  seigneurs,  une  fois  ceci 
pris  en  considération,  ne  leur  feront  plus  de  telles  pro- 
positions. 

La  troisième  classe  est  composée  de  marchands  qui 
cherchent  leur  propre  profit.  Ils  veulent  de  l'argent  cher, 
ils  veulent  le  revendre  cher  par  ce  qu'ils  l'ont  acheté  cher. 
Par  le  surhaussement  de  la  monnaie,  l'encaisse  de  ceux 
qui  savent  tenir  leur  commerce  en  écus  et  qui  ont  tou- 
jours des  provisions  d'argent  comptant  à  bon  titre  s'ac- 
croit.  Ce  fut  le  cas  du  Schneeberger  Groschen  d'autrefois  : 
on  en  a  pris  20  ou  21  pour  un  florin  et  la  monnaie  était 
frappée  de  telle  sorte  que  16  équivalaient  à  un  florin. 
Ces  gens  ne  pensent  pas  à  ce  qu'eux-mêmes  et  les  autres 
vont  perdre  sur  les  dettes  et  obligations  qu'ils  ont  contrac- 


OPINIONS    SUR    LA    MONNAIE    (sAXE)  45 

tées  :  car  si  ces  créances  ne  sont  pas  payées  avec  une 
monnaie  aussi  bonne  que  celle  du  jour  du  contrat,  tout 
le  monde  touchera  proportionnellement  moins.  Le  cours 
de  ces  milliers  de  florins  d'argent  comptant,  au  bon  titre 
ancien,  va  augmenter  par  suite  du  surhaussement  de  la 
monnaie,  autant  qu'on  perdra,  étant  créancier  de  capi- 
taux de  milliers  de  florins,  par  rapport  à  leur  juste  valeur. 
Il  faut  se  demander  s'il  est  possible  qu'il  y  ait  dans  un 
pays  autant  d'argent  comptant  que  de  dettes  contractées 
en  cet  argent  comptant  :  le  mal  provenant  de  la  perte 
des  capitaux  doit  être  beaucoup  plus  grand  que  le  profit 
et  l'avantage  résultant  du  changement  de  monnaie  '. 
On  peut  juger  par  là  que  tous  ceux  qui  conseillent  de 
diminuer  la  monnaie,  qui  veulent  augmenter  le  prix  de 
l'argent  monnayé  prêtent  seulement  attention  à  leur 
propre  profit  et  pas  du  tout  au  mal  général  qui  se  mon- 
trera particulièrement  sensible  pour  les  colons  héré- 
ditaires ^. 

La  quatrième  classe  consiste  de  ceux  qui,  jaloux  de 
la  richesse  des  gens  de  négoce,  veulent  les  chasser  du 
pays.  Sont  à  nommer  aussi  ceux  qui,  gens  malhonnêtes, 
voudraient  voir  le  pays  sans  juifs  pour  s'enrichir  seuls 
par  l'usure. 

La  dernière  classe  groupe  ceux  qui  veulent  voir  périr 
les  autres  en  même  temps  qu'eux-mêmes,  ayant  mangé 
leur  bien  dans  la  débauche,  l'ayant  dilapidé,  ayant  pro- 
digué leur  fortune  ou  l'ayant  mise  en  gage  ;  ne  possédant 
plus  de  quoi  vivre  selon  leur  état,  ils  désirent  que  les 
autorités  soufîrent  aussi  de  l'indigence  et  ne  paient  per- 
sonne, pour  enfin  pouvoir  s'adonner  plus  franchement 
à  leurs  vices.  Il  est  à  espérer  que  de  telles  gens  ne  se 
trouvent  pas  dans  ce  pays  ;  si  pourtant  il  y  en  avait,  ils 
ne  devraient  pas  y  être  tolérés,  car  ils  sont  pires  que  les 
loups  ;  tandis  que  les  loups  font  dommage  aux  autres 


46  ÉCRITS    NOTABLES    SLR    LA    MONNAIE 

en  mangeant,  ces  gens-là  nuisent  à  la  fois  aux  autres 
et  à  eux-mêmes.  C'est  pourquoi  on  ne  devrait  suivre 
aucun  de  leurs  conseils,  mais  plutôt  implorer  Dieu  le 
Tout-Puissant,  le  Seigneur  de  toutes  les  grâces  de  détour- 
ner de  nous,  par  son  omnipotence,  le  mal  et  de  laisser 
participer  le  gouvernement  à  sa  grâce,  pour  qu'il  ne 
suive  pas  ces  méchantes  insinuations,  mais  qu'il  nous 
régente,  comme  faisaient  ses  prédécesseurs,  sagement, 
avec  bonheur  et  bon  résultat,  tandis  que  croissent  les 
vertus,  l'honneur  et  le  bien,  pour  qu'il  nous  munisse 
d'une  bonne  monnaie,  pour  qu'il  nous  donne  une  paix 
éternelle,  la  prospérité  des  mines  et  du  commerce  et 
qu'il  devienne  avec  nous  riche  et  heureux. 

Pour  qu'ainsi  se  fasse,  disons  :  Amen  ! 


NOTES 


*)  La  découverte  de  ces  mines  était,  ;\  l'époque,  en  partie  relativement 
récente.  Ainsi  les  mines  situées  près  du  Schneeberg  furent  mises  en  exploi- 
tation en  1482,  immédiatement  après  leur  découverte. 

*)  L'unité  monétaire  pour  la  Saxe  était  le  marc  d'Erfurt  ou  marc  de 
Cologne,  d'argent  pur,  pesant  233,8  gr.  On  taillait  8  1/4  Gulden  au  marc, 
ce  qui  donnait  à  chaque  Gulden  un  poids  de  28,34  d'argent  fln. 

3)  Le  Gràn  était  la  18«  partie  du  Loi,  soit,  pour  le  marc  de  Cologne, 
0,812  gr. 

*)  Le  Lot  était  la  16^  partie  du  marc,  soit,  pour  le  marc  de  Cologne, 
14,613  gr.  environ. 

^)  Gewerke,  ou  Gewerk  signifie,  en  allemand  moderne,  corps  de  métier, 
corporation.  Mais  ce  mot  avait  au  xvi«  siècle,  en  Saxe,  comme  partout 
ailleurs,  un  sens  très  différent  :  il  veut  dire  ici  les  ouvriers  possédant  une 
plus  ou  moins  grande  part  indivise  de  la  mine  qu'ils  exploitaient.  V.  en 
particulier,  Lotz,  op.  cit.,  p.  16-17,  noie  et  Schmoller,  Die  geschichtliche 
Entwicklung  der  Unternehmung  {Jahrbuch  fur  Geselzgebung,  Veruml- 
lung,  de,  1891,  p.  685). 

•)  Comparer  un  des  autres  textes  publié  par  Lotz,  Apologia  (Lotz, 
op.  cit.,  p.  86  et  s.,  94  et  s.). 

')  Comparer  Adam  Smith,  La  Richesse  des  Nations,  Livre  ii.  Chapitre  ii. 

®)  Colons  héréditaires  ;  en  allemand  Erbzinsen.  Le  mot  n'a  pas  d'équi- 
valent exact  en  français.  Ce  sont  des  fermiers,  des  tenanciers  qui  jouis- 
saient héréditairement  de  leurs  fermes,  moyennant  le  paiement  d'une 
redevance. 

L.  B. 


III 


LES  PARADOXES 

DU  SEIGNEUR  DE 

MALESTROIGT,  GONSEIL- 

LER  DU  ROI  ET  MAISTRE  ORDINAIRE  DE 

SES  GOMPTES,  SUR  LE  FAIGT  DES  MONNOYES 

PRÉSENTEZ  A  SA  MAIESTÉ,  AU  MOIS  DE 

MARS,  MDLXVI 


A   PARIS 

DE    l'imprimerie    DE    M.    DE   VOSCOSAN 

RUE    S.    lAQUES,    A   l'eNSEIGNE    DE    LA 

FONTAINE 

1566 

AVEC    PRIVILÈGE    DU    ROY 

LE   BRANCHU 


NOTICE 


Le  texte  que  nous  reproduisons  ici  est  celui  de  l'édition 
originale  de  1566,  publiée  chez  de  Voscosan.  Le  lecteur  trou- 
vera, d'autre  part,  un  fac-similé  du  titre  de  l'édition  originale. 

Nous  avons  conservé  intégralement  le  texte  de  l'orthogra- 
phe de  cette  édition.  Nous  nous  sommes  contenté  de  supprimer 
les  «  n  »  suscrits  et  de  les  remplacer  par  la  lettre  elle-même 
dans  le  corps  du  mot  :  nous  écrivons  ainsi  monnoyes  au  lieu 
de  monoyes,  opinion  au  lieu  d'opiniô. 

Une  autre  modification  peu  importante  a  consisté  à  chan- 
ger, le  cas  échéant,  en  «  v  »  les  «  u  »  du  texte  de  Malestroit  : 
ainsi  peuvent  au  heu  de  peuuent. 

Tout  ceci  n'a  eu  d'autre  but  que  de  faciliter  la  lecture  du 
texte. 

Nous  avons  indiqué,  dans  le  texte  lui-même,  les  références 
à  la  pagination  de  l'édition  originale  (A  ij.  Ro,  etc.).  Celle-ci 
forme  un  volume  in-8  petit  conservée  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale sous  la  cote  :  8».  LF".  20. 

L.  B. 


Feuille  Mer  calée  entre  FoL  aA.V^  et  Fol.bAM^  (Para- 
doxes de  M.  de  Malestroit  {de  V édition  annotée  de  la 
Response  de  Bodin.  L'écriture  semble  révéler  un  lecteur 
du  début  du  XVII^  siècle  [Exemplaire  de  la  Biblio- 
thèque Nationale,  Rés.  LF.".20.B). 

i8  onces  "j 

64  gros  /  ce  sont  parties 

192  deniers  \   équivalantes 

4.608  grains  ] 

Environ  lan  1227  St.  Loiiis  fit  fabriquer  |des  dou- 
zains  d'argent  fin  appelés  gros  tournois  ;  par  ce  que  ce 
feut  dans  la  ville  de  Tours  &  qu'ils  pesoient  chacun  un 
gros,  le  marc  d'œuvre  produisant  64  pièces. 

Du  règne  de  Henry  second,  on  fabriqua  des  douzains 
d'aloy  à  3  den.  &  1  /2  dont  le  marc  d'œuvre  produisoit 
93  pièces  &  demy  ;  sur  ce  fondement  calculant  par  le 
nombre  de  ladite  qualité  de  fin 

1  marc  à  3  den.  &  1  /2  de  fin  produisoit  d'œuvre  93  pièces 

&  1/2 
1  marc  à  3  den.  &  1  /2  de  fin  en  produisoit  93  pièces  &  1  /2 
1  marc  à  3  den.  &  1  /2  de  fin  en  produisoit  93  pièces  &  1  /2 
et  3  on.  2  den.  pour  1  den.  &  1  /2  de  fin  en  produisoit 

39  pièces  &  1  /2  ou  environ 
3  marcs  3  onces  2  den.  d'œuvre  produisoient  la  quantité 

de  320  douzains  contenant  cinq 
fois  le  susdit  nombre         64 

320 

Pour  un  gros  &  demy  d'argent  fin  produit  un  Marc 


ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 


de  billon  en  93  pièces  &  1  /2.  Combien  de  marcs  &  de  j 

pièces  de  billon  produira  un  marc  d'argent  fin  employé  j 

pour  le  mesme  titre  de  billon  ?  j 

R.  nous  trouvons  que  le  dit  marc  d'argent  fin  employé  \ 

au  dit  billon  produira  72  marcs  &  2  /3  en  billon  &  cette  j 

quantité  de  billon  produira  3.986  pièces  &  2/3  de  pièce.  \ 


[Fol.Aij.Ro] 

PARADOXES  Dtr  SEIGNEUR  DE  MALESTROIGT 
SUR  LE  FAITG  DES  MONNOYES 

Au  Roi 

Sire,  ayant  travaillé  trois  ans,  tant  par  commande- 
ment de  vostre  Maiesté,  que  par  ordonnance  de  vostre 
Chambre  des  Comptes,  au  faict  des  monnoyes,  à  elle  ren- 
voyé pour  vous  en  donner  advis  :  &  d'autant  que  la  chose 
qui  plus  nous  doibt  inciter  d'y  regarder  de  plus,  c'est 
l'estrange  [Fol.Aij.V^]  encherissement  que  nous  voyons 
pour  le  iourd'huy  de  toutes  choses  :  Lequel  combien  que 
chascun,  tant  grand  que  petit,  le  sente  à  sa  bourse  :  si 
est-ce  que  peu  de  gens  peuvent  gouster  la  source  &  ori- 
gine de  ce  mal,  lequel  fault  nécessairement  tirer  du  fons 
&  abysme  desdictes  monnoyes,  &  icelle  demonstrer  par 
raisons  grandement  paradoxes,  c'est  à  dire,  fort  esloin- 
gnees  de  l'opinion  du  vulgaire.  Il  m'a  semblé.  Sire,  que 
pour  traicter  la  matière  selon  son  naturel,  &  attendant 
faire  paroistre  à  vostre  Maiesté  un  plus  grand  fruict  de 
mon  labeur,  ie  ne  pouvois  mieux  faire,  pour  acheminer 
l'œuvre,  que  de  mettre  en  avant  les  deux  Paradoxes 
que  i'ai  osé  présenter  à  vostre  Maiesté,  à  fin  qu'ilz  en  soient 
mieux  receus  &  veux  par  tout  :  &  qu'estans  [Fol.Aiij.R^] 
bien  entendus,  chascun  congnoisse  le  tort  qu'il  se  faict 
d'enchérir,  mettre  &  allouer  lesdictes  monnoyes  par 
dessus  le  prix  de  voz  Ordonnances.  Lesquelles  par  ce 


56  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

moyen  seront  mieux  gardées,  qu'elles  n'ont  accous- 
tumé  :  dont  adviendra  à  vous  premièrement,  Sire,  puis 
à  voz  subiectz,  un  grand  &  incroyable  profict. 

Vostre  treshumble  &  tresobeissant 

subiect  &  serviteur, 

de-malestroict 


"FXradoxes 

D  V    SE  IGNEVR   DE 

MALESTROTCT5CONSE11.- 

icrdu  Roy5&  M.iiftre  ordinaire  de 
fescompreSjfurlefaiddesMônoycs, 
prefentez  à  fa  JVlaicft.é  ,  au  mois  de 
de  Mars,  *m,  d.  l  x  v  i. 


A    PARIS, 

c  rimprimeric  de  M  de  Vafcofan, 
rue  S.  laques  ,  à  Tenfcigne 
de  la  Fontaine. 

Avec  privilège  dv  roy. 


M^y^ 


MALESTROIT 


Fac-similé  de  la  page  de  Titre  de  l'édition  originale.  Paris  1566. 
(Bibliothèque  Nationale). 


Monnaie.  PI.  Il 


l.-P.  56 


[Fol.A.iij.Vo] 

PREMIER   PARADOXE 

Que  Ion  se  plainct  à  tort  en  France,  de  renchérisse- 
ment de  toutes  choses,  attendu  que  rien  n'y  est  enchery 
puis  trois  cens  ans. 

DEUXIÈME    PARADOXE 

Qu'il  y  a  beaucoup  à  perdre  sur  un  escu,  ou  autre 
monnoye  d'or  &  d'argent,  encores  qu'on  la  mette  pour 
mesme  pris  qu'on  la  reçoit. 

[Fol.A.iiij.Ro] 

PARADOXE    PREMIER 

Que  Ion  se  plainct  à  tort  en  France,  de  renchérissement  de 
toutes  choses,  attendu  que  rien  n'y  est  enchery  puis  trois 
cens  ans. 

Depuis  que  l'ancienne  permutation  a  esté  commuée 
en  emption  &  vendition,  &  que  la  première  richesse  des 
hommes  qui  consistoit  en  bestail,  a  esté  transférée  à 
l'or  &  à  l'argent,  par  lesquelz  toutes  choses  ont  esté 
depuis  estimées,  vendues,  &  appréciées,  &  par  consé- 
quent sont  iceux  métaux  les  vraiz  &  iustes  iuges  du  bon 
marché,  ou  de  la  cherté  de  toutes  choses. 

Lon  ne  peult  dire,  qu'une  chose  soit  maintenant  plus 
chère  qu'elle  n'estoit  il  y  a  trois  cens  ans,  sinon  que  pour 
l'achapter  il  faille  maintenant  bailler  plus  [Fol.A.iiij.V^] 
d'or  ou  d'argent  que  lon  n'en  bailloit  alors. 

Or  est  il  que  pour  l'achapt  de  toutes  choses,  lon  ne 
baille  point  maintenant  plus  d'or  ny  d'argent  que  lon 
en  bailloit  alors. 


58  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Doncques,  puis  ledict  temps  rien  n'est  enchery  ne 
France. 

Les  maximes  sont  claires. 

La  mineure  se  preuve  en  ceste  manière  : 

Du  temps  du  Roy  Philippes  de  Valoys,  qui  commença 
à  régner  en  l'an  mil  trois  cens  vingt  huict,  l'escu  d'or 
aux  fleurs  de  lis  sans  nombre  ^  aussi  bon,  voire  meilleur 
en  pois  &  aloy  que  les  escuz  soleil  ^  de  maintenant,  ne 
valoit  que  vingt  solz  tournois.  Et  combien  que  lors 
l'aulne  de  bon  velours  ne  valoit  que  quatre  livres,  pour 
paier  ces  quatre  livres  falloit  bailler  quatre  escuz,  ou 
monnoye  d'argent  à  l'equipolent.  Ladicte  aulne  ^  de 
velours,  encores  qu'elle  couste  maintenant  dix  [Fol.B.i.Ro] 
livres,  qui  font  six  livres  d'avantage  :  Neantmoins  pour 
paier  ces  dix  livres  ne  faut  que  ladicte  somme  de  quatre 
escuz,  à  raison  de  cinquante  solz  pièce,  comme  ils  font 
par  l'ordonnance,  ou  monnoye  d'argent  à  la  valeur* 
Doncques  ladicte  aulne  de  velours  n'est  point  mainte- 
nant plus  chère,  qu'elle  n'estoit  alors. 

Il  y  a  pareille  raison  pour  toutes  autres  marchandises 
de  garde,  que  les  marchands  appellent  Latines. 

Si  nous  regardons  aux  autres  marchandises,  qui  sont 
plus  périssables,  comme  bledz,  vins,  &  autres  semblables, 
nous  y  trouverons  pareille  raison.  Mais  pour  en  faire  le 
compte  il  n'est  pas  raisonnable  de  nous  fonder  sur  ceste 
année,  qui  est  la  plus  estrange  &  irreguliere  qui  ait 
paravanture  iamais  esté  veuë  en  France,  que  les  bledz 
&  vins  ont  esté  quasi  tous  perdus,  voire  le  boys  des 
vignes  &  les  noyers  gelez.  Nous  prendrons  doncques 
une  année  commune,  comme  Ion  a  accoustumé  faire  en 
l'estimation  des  choses  [Fol.B.i.V^]  casueles  &  incer- 
taines, &  mettons  le  muy  de  vin  moiennement  bon,  à 
douze  livres  tournois. 

Et  viendrons  au  Roy  lehan  successeur  dudict  Phi- 
lippes, qui  commença  à  régner  en  l'an  mil  trois  cens  cin- 
quante, &  fist  forger  les  premiers  francz  à  pied  ^  &  à 


MALESTROICT  59 

cheval  *  d'or  fin,  lesquelz  ne  valoient  lors  que  vingt  solz 
tournois,  &  maintenant  se  mettent  pour  soixante  solz, 
qui  est  le  triple.  Si  en  ce  temps  là  le  muy  de  vin  moien- 
nement  bon  valoit  quatre  livres,  pour  paier  ces  quatre 
livres  falloit  bailler  quatre  desdicts  francz  d'or,  ou  mon- 
noye  d'argent  à  l'advenant.  Si  maintenant  nous  achap- 
tons  ledict  muy  de  vin  douze  livres,  qui  est  le  pris  que 
nous  avons  supposé  pour  une  année  commune  :  pour 
paier  lesdictes  douze  livres,  ne  fault  que  pareil  nombre 
de  quatre  francz  d'or  à  ladicte  raison  de  soixante  solz 
tournois  pièce,  ou  monnoye  d'argent  à  la  valeur.  Par- 
quoy  ne  se  peult  dire,  que  puis  ledict  temps  y  ait  sur 
ledict  vin  aucun  encherissement.  Le  semblable  est  des 
grains,  &  [Fol.B.ij.Ro]  autres  telles  marchandises. 

Nous  avons  compté  par  l'or  :  comptons  maintenant 
par  l'argent,  &  le  prenons  de  plus  loing,  comme  du  temps 
du  Roy  sainct  Loys,  qui  commença  à  régner  en  l'an  mil 
deux  cens  vingt  sept,  &  fist  forger  les  premiers  solz, 
valans  douze  deniers  tournois  pièce,  pour  lors  appelez 
gros  tournois  ^.  Ces  gros  tournois  ou  douzains  estoient  tous 
d'argent  fin,  &n'y  en  avoit  que  soixante  quatre  au  marc. 

Des  douzains  de  maintenant  ^,  mesmement  des 
derniers  forgez  par  le  Roy  Henry  deuxiesme,  d'aloy  à 
trois  deniers  &  demy  fin,  de  quatre  vingt  treize  pièces 
&  demie  au  marc  d'œuvre,  y  en  a  en  un  marc  d'argent 
fin,  trois  cens  vingt,  qui  est  le  quintuple  de  ce  qu'il  y  en 
avoit  du  temps  dudict  sainct  Loys. 

Partant  de  l'un  desdicts  solz  Ion  en  a  faict  cinq, 
&  par  conséquent  les  vingt  solz  de  maintenant  n'en 
valent  que  quatre  de  ce  temps  là  :  les  vingt  cinq  livres, 
[Fol.B.ij.Vo]  cinq  livres  :  les  cens,  vingt.  Et  ainsi  de 
plus  grande  ou  plus  petite  somme. 

Doncques  si  pour  le  iourd'huy  nous  achaptons  l'aulne 
de  velours  dix  livres,  qui  ne  se  vendoit  du  temps  dudict 
sainct  Loys  que  quarante  solz,  nous  n'en  baillons  point 
plus  d'argent  qu'il  s'en  bailloit  alors. 


60  ÉCRITS  NOTABLES  SUR  LA  MONNAIE 

L'aulne  de  drap,  qui  se  vend  maintenant  cent  solz, 
ne  revient  qu'à  vingt  solz  du  temps  passé. 

Le  muy  de  vin  n'est  point  maintenant  plus  cher  à 
douze  livres  dix  solz,  qu'il  estoit  alors  à  cinquante  solz. 

Si  le  chappon  couste  maintenant  dix  solz,  ce  ne  sont 
que  deux  solz  du  temps  passé. 

La  pinte  de  vin,  qui  couste  maintenant  à  la  taverne 
trois  blancz,  n'est  point  plus  chère  que  quand  elle  estoit 
lors  à  un  liard. 

[Fol.B.iij.Ro]  La  paire  de  souliers  n'est  point  mainte- 
nant plus  chère  à  quinze  solz,  que  lors  à  trois  solz. 

Si  la  iournée  d'un  homme  &  d'un  cheval  couste  à 
l'hostellerie  en  année  commune  vingt  cinq  solz,  ce  n'est 
point  plus  cher  que  cinq  solz  qu'elle  pouvoit  couster 
alors. 

La  iournée  d'un  manœuvre  ou  gaigne  denier,  qui 
couste  maintenant  cinq  solz,  n'est  point  plus  chère  qu'elle 
estoit  lors  à  douze  deniers. 

Le  Gentilhomme  qui  a  maintenant  cinq  cens  livres 
de  rente,  n'est  point  plus  riche  que  celuy  qui  lors  n'en 
avoit  que  cent. 

Une  terre  ou  maison  qui  se  vend  maintenant  vingt 
cinq  mil  francs,  n'est  point  plus  chère  qu'elle  estoit  lors 
à  cinq  mil  livres. 

Le  tout  pour  la  raison  dessusdicte,  qui  [Fol.B.iij.V®] 
est,  que  les  vingt  cinq  mil  livres  de  maintenant  ne  contien- 
nent point  plus  grande  quantité  d'argent  fin,  que  les 
cinq  mil  livres  du  temps  dudict  sainct  Loys. 

Et  ainsi  renchérissement  que  Ion  cuide  estre  mainte- 
nant sur  toutes  choses,  ce  n'est  qu'une  opinion  vaine, 
ou  image  de  compte  sans  effet  ni  substance  quelconque. 
Car  tousiours  fault  revenir  à  nostre  premier  point,  qui 
est,  de  sçavoir  &  entendre  pour  vray,  que  nous  ne  bail- 
lons point  maintenant  plus  grande  quantité  d'or  ou 
d'argent  fin,  qu'il  s'en  bailloit  le  temps  passé  pour  l'achapt 
de  toutes  choses.  Ce  qui  se  voit  &  vérifie  tout  de  mesme, 


MALESTROICT  61 

de  temps  en  temps,  &  de  règne  en  règne,  depuis  ledict 
sainct  Loys,  iusques  à  présent. 

Parquoy  ne  se  peult  dire  ny  soustenir,  qu'aucune 
chose  soit  encherie  puis  ledict  temps. 

[Fol.B.iiij.Roj 

PARADOXE    DEUXIÈME 

Qu'il  y  a  beaucoup  à  perdre  sur  un  escu,  ou  autre  monnoye 
d'or  &  d'argent,  encores  qu'on  la  mette  pour  mesme  pris 
qu'on  la  reçoit... 

L'une  des  choses  qui  plus  a  trompé  &  rendu  pauvre 
le  François  &  la  France,  &  qui  plus  a  faict  contemner 
&  enfreindre,  depuis  cent  ans,  les  Ordonnances  faictes 
par  les  Roys  sur  le  cours  &  mise  des  monnoyes,  les  pre- 
nant &  alouant  à  plus  hault  pris  que  le  Prince  ne  les 
a  évaluées.  En  quoy  l'opinion  du  vulgaire  a  tousiours 
esté  maistresse  car  quelque  résistance  que  les  Roys  aient 
sceu  faire,  ilz  ont  finalement  esté  vaincus  &  contrainctz 
de  suivre  en  cela  la  volonté  desordonnée  du  peuple,  &  de 
hausser  l'escu  de  iour  en  iour.  Tellement  que  de  vingt 
solz  qu'il  valoit  [Fol.B.iiij.Vo]  du  temps  dudict  Roy 
Philippes  de  Valois,  a  monté  de  règne  en  règne,  &  de 
degré  en  degré,  à  XXV.  XXX.  XXXV.  XL.  XLV. 
&  iusques  à  cinquante  solz,  ou  il  est  maintenant  par 
l'ordonnance  ^.  Ce  qui  a  apporté  une  perte  inestimable 
&  dommage  irréparable,  tant  aux  Roys  qu'à  leurs 
subiectz.  C'est  un  erreur  commun  de  long  temps  invétéré 
&  enraciné  aux  cerveaux  de  la  plus  part  des  hommes, 
qui  pensent  n'estre  possible  qu'ilz  puissent  riens  perdre 
sur  un  escu  ou  autre  monnoye,  soit  domestique  ou  estran- 
gere,  pourveu  qu'ilz  la  mettent  pour  le  mesme  pris 
qu'elle  leur  aura  esté  baillée.  Ces  pauvres  gens  sont  bien 
loing  de  leur  compte,  ainsi  qu'il  sera  clairement  demons- 
tré  par  les  mesmes  termes  du  Paradoxe  précèdent. 


62  ÉCRITS    NOTABLES   SUR    LA   MONNAIE 

Quand  du  temps  dudict  Philippes  de  Valoys  les 
escuz,  comme  dict  a  esté,  ne  valoient  que  vingt  solz 
pièce,  qui  maintenant  se  mettent  à  cinquante  solz  pour 
le  moins  :  le  Gentilhomme  qui  avoit  cinquante  solz  de 
menuz  cens  ou  rentes,  pour  ces  cinquante  solz  recevoit 
deux  [Fol.C.l.Ro]  escuz  &  demy,  ou  monnoye  d'argent 
à  la  valeur  :  pour  lesquelz  deux  escuz  &  demy  il  avoit 
demie  aulne  demy  quart  de  velours,  à  raison  de  quatre 
livres  l'aulne,  qui  est  le  prix  qu'il  valoit  alors,  revenant 
aux  quatre  escuz  qu'il  vault  de  présent.  Maintenant 
pour  payement  desdictz  cinquante  solz  de  rente,  ce 
Gentilhomme  ne  reçoit  qu'un  escu,  ou  monnoye  d'argent 
à  l'equipolent.  Pour  cet  escu,  il  n'aura  au  iourd'huy 
qu'un  quartier  de  velours,  à  raison  de  dix  livres  que  vaut 
maintenant  l'aulne  :  au  lieu  qu'il  en  avoit  le  temps  passé 
demie  aulne  demy  quart.  Il  pert  doncques  un  quartier 
&  demy  de  velours  sur  son  escu,  combien  qu'il  l'ayt 
mis  pour  cinquante  solz,  qui  est  le  mesme  pris  qu'il 
l'a  receu.  Et  s'il  prent  ou  met  l'escu  pour  cinquante 
un,  ou  cinquante  deux  solz,  sa  perte  sera  plus  grande  à 
l'equipolent. 

L'officier  qui  avoit  lors  vingt  livres  de  gaiges,  pour 
payement  de  sesdictz  gaiges  recevoit  vingt  escuz,  ou 
monnoye  d'argent  à  l'advenant.  Pour  lesquelz  vingt 
escuz  il  pouvoit  avoir  cinq  aulnes  de  velours,  à  ladicte 
raison  de  quatre  livres  [Fol.G.l.Vo]  l'aulne,  qui  estoient 
les  quatre  escuz,  qu'il  vault  de  ceste  heure.  Maintenant 
pour  payement  d'iceux  vingt  livres  de  gaiges,  cest  offi- 
cier ne  reçoit  que  huict  escuz  à  cinquante  solz  pièce  ou 
monnoye  d'argent  à  la  valeur  :  pour  lesquelz  huict  escuz 
il  n'aura  que  deux  aulnes  de  velours,  à  ladicte  raison  de 
dix  livres  l'aulne  qu'il  vault  maintenant,  au  lieu  qu'il 
avoit  accoustumé  d'en  avoir  cinq.  Parquoy  est  mani- 
feste qu'il  pert  sur  ses  huict  escuz  trois  aulnes  de  velours, 
nonobstant  qu'il  ayt  mis  sesdictz  escuz  pour  cinquante 
solz  pièce,  comme  il  les  a  receus. 


MALESTROICT  63 

Le  Bourgeois  qui  du  temps  du  Roy  lehan  avoit 
trente  six  livres  de  rente  foncière  ou  constituée,  pour 
payement  de  sadicte  rente,  avoit  trente  six  francs  d'or 
à  pied  ou  à  cheval,  à  raison  de  vingt  solz  pièce  qu'ilz 
valoient  lors,  ou  monnoye  d'argent  à  l'equipolent.  Pour 
lesquelz  trente  six  francz  d'or,  il  pouvoit  avoir  neuf  muys 
de  vin,  à  raison  de  quatre  livres  dudict  temps,  quiestoient 
quatre  francz  d'or  valans  douze  livres  de  présent 
[Fol.G.ij.Ro],  qui  est  le  pris,  ou  pour  une  année  commune 
nous  avons  apprécié  ledict  muy  de  vin.  Si  ce  bourgeois 
est  maintenant  payé  de  sadicte  rente  de  trente  six  livres 
en  ladicte  monnoye  de  franz  d'or,  il  n'en  recevra  que 
douze,  valans,  à  raison  de  soixante  solz  pièce,  comme 
ilz  se  mettent  à  présent,  ladicte  somme  de  trente  six 
livres  :  pour  lesquelz  douze  francz  d'or,  il  n'aura  pour  le 
iourd'huy  que  trois  muys  de  vin,  à  ladicte  raison  de 
douze  livres  qu'il  vault  à  présent,  au  lieu  que  lors  il  en 
avait  neuf  muys.  Il  pert  doncques  six  muys  de  vin  sur 
ces  douze  francz  d'or,  encores  qu'il  les  ayt  mis  pour 
mesme  pris  de  soixante  solz  qu'il  les  a  receus. 

Il  y  a  pareille  perte  sur  toutes  autres  espèces  d'or, 
&  en  achapt  de  toutes  sortes  de  vivres  &  marchandises, 
dont  i'obmettray  le  discours,  pour  obvier  à  prolixité. 

Comptons  maintenant  par  la  monnoye  d'argent. 

[Fol.G.ij.Vo]  Le  Gentilhomme,  ou  autre  de  quelque 
estât  qu'il  soit,  qui  du  temps  dudict  sainct  Loys  avoit 
seize  livres  de  cens  ou  rente,  pour  luy  payer  ceste  rente, 
on  luy  bailloit  cinq  marcz  d'argent  fm,  ou  monnoye 
d'or  à  l'equipolent.  Gar  comme  dict  a  esté  au  premier 
Paradoxe,  au  marc  d'argent  fm  n'y  avoit  lors  que  la 
quantité  de  soixante  quatre  pièces,  appeliez  solz  ou 
grostour.  Maintenant  pour  luy  payer  ceste  rente,  on  ne 
lui  baille  qu'un  marc  d'argent  fm,  par  ce  que  les  seize 
livres,  qui  font  trois  cens  vingt  pièces  des  nouveaulx 
solz,  ou  douzains,  ne  contiennent  au  plus  qu'un  marc 
dudict  argent  fin,  qui  n'est  que  la  cinquiesme  partie  de 


64  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

l'argent  contenu  aux  premiers  seize  livres.  En  ce  temps 
là,  Ion  avoit  pour  seize  livres,  seize  aulnes  de  drap,  à 
raison  de  vingt  solz  l'aulne,  aussi  bon  ou  meilleur  que 
celuy  qui  à  présent  couste  cent  solz  tournois.  Maintenant 
pour  seize  livres  Ion  n'a  que  trois  aulnes  un  cinquiesme 
dudict  drap,  à  cent  solz  l'aulne,  au  lieu  que  Ion  en  avoit 
seize  le  temps  passé  :  qui  est  perte  de  douze  aulnes  quatre 
cinquiesme  de  drap  sur  seize  livres,  combien  que  Ion 
ayt  mis  chacune  [Fol.G.iij.R^]  livre  pour  pareil  pris  de 
vingt  solz  qu'elle  a  esté  receue. 

Si  nous  le  prenons  au  soit  ou  douzain,  nous  trouverons 
le  semblable.  Car  pour  dix  solz  que  le  Gentilhomme 
recevoit  anciennement  de  ses  rentes  ou  censives,  conte- 
nant autant  d'argent  fin  que  les  cinquante  de  mainte- 
nant, il  pouvoit  avoir  cinq  chappons,  à  raison  de  deux 
solz  pièce.  Maintenant  pour  dix  solz  il  n'a  qu'un  chappon, 
qui  est  perte  sur  dix  solz  de  quatre  chappons,  combien 
qu'il  ayt  mis  lesdictz  solz  pour  douze  deniers  chacun, 
qui  est  le  mesme  pris  qu'il  les  a  receus. 

Si  celuy  qui  tient  l'opinion  contraire  à  ce  paradoxe 
vouloit  replicquer,  &  dire  qu'il  ne  se  soucie  point  combien 
vault  l'escu,  la  livre,  ou  le  soit,  &  qu'ayant  cent  livres 
de  rente  ou  de  gaiges,  ce  luy  est  tout  un  en  quelles 
espèces  d'or  ou  d'argent  on  le  paye,  ne  pour  quel  pris 
on  les  luy  baille,  pourveu  qu'il  ayt  tousiours  sa  somme 
de  cent  livres,  &  qu'il  mette  ses  dictes  espèces  pour  le 
mesme  pris  qu'il  les  reçoit  :  faultdroit  par  mesme 
[Fol.G.iij.Vo]  moyen  qu'il  se  vantast  d'avoir  pour  le 
iourd'huy  autant  de  marchandise  pour  deux  solz  ou 
douzains  nouveaulx,  qui  sont  quasi  tous  de  cuyvre,  que 
Ion  en  avoit  le  temps  passé  pour  deux  desdictz  vielz  solz 
ou  gros  tournois,  qui  estoient  tous  d'argent  fm  :  &  autant 
à  présent  pour  un  escu,  que  Ion  en  avoit  lors  pour  deux 
&  demy.  En  quoy  faisant  il  introduiroit  &  mettroit  en 
avant  un  troisième  Paradoxe,  bien  plus  estrange  &  plus 
difficile  à  croire  que  le  premier.  Gar  ce  seroit  à  dire,  que 


MALESTROICT  65 

toutes  choses  seroient  maintenant  à  meilleur  marché 
qu'elles  n'estoient  d'ancienneté,  d'autant  que  pour 
l'achapt  d'icelles  Ion  bailleroit  maintenant  moins  d'or 
&  d'argent,  que  Ion  n'en  bailloit  alors.  Ce  qui  ne  se  peult 
demonstrer,  car  il  n'est  pas  vray  :  &  nous  suffira  bien  de 
croire  le  premier  Paradoxe,  qui  monstre  que  rien  n'est 
enchery,  sans  tant  nous  abuser,  que  de  cuider  les  choses 
estre  maintenant  à  meilleur  marché,  qu'elles  n'estoient 
le  temps  passé. 

L'énergie  &  intention  de  ces  deux  Paradoxes  est, 
pour  monstrer  (par  le  premier)  [Fol.G.iiij.Ro]  que  le  Roy 
&  les  subiectz  achappent  maintenant  toutes  choses  aussi 
cher  que  Ion  faisoit  le  temps  passé,  par  ce  qu'il  fault  bail- 
ler aussi  grande  quantité  d'or  &  d'argent,  que  Ion  faisoit 
alors.  Mais  au  moyen  du  surhaulsement  de  pris  des 
monnoyes  d'or,  dont  provient  par  nécessité  l'empirement 
&  afïoiblissement  de  celles  d'argent,  le  Roy  ne  reçoit 
en  payement  de  ses  droitz  domaniaulx  &  autres,  aussi 
grande  quantité  d'or  &  d'argent  fin  que  ses  prédéces- 
seurs. Pareillement  les  Seigneurs  &  autres  subiectz  de 
sa  Maiesté  qui  ont  cens,  rentes,  gaiges,  estatz  &  appoin- 
tements, n'en  reçoivent  aussi  grande  quantité  d'or  & 
d'argent  fin  qu'ils  recevoient  le  temps  passé,  mais  sont 
(comme  le  Roy)  payez  en  cuyvre,  au  lieu  d'or  &  d'argent. 
Pour  lequel  cuyvre  (suivant  le  deuxiesme  Paradoxe)  Ion 
ne  peult  recouvrer  autant  de  marchandise  que  Ion  avoit 
pour  semblable  quantité  d'or  &  d'argent  fin  :  aussi  la 
perte  que  Ion  cuide  avoir  par  renchérissement  de  toutes 
choses,  ne  vient  pas  de  plus  bailler,  mais  de  moins 
recevoir  en  quantité  d'or  &  d'argent  fin,  que  Ion  avoit 
accoustumé. 

[Fol.G.iiij.Vo]  En  quoy  nous  voyons  clairement,  que 
tant  plus  nous  haulsons  le  pris  des  monnoyes,  tant  plus 
nous  y  perdons  :  car  de  là  vient  le  grand  encherissement, 
qui  est  maintenant  de  toutes  choses,  qui  amène  une 
pauvreté  générale  à  tout  ce  Royaume. 

LE   BRANCHU  5 


66  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Les  mouvements,  occasions,  &  progrets  de  ce  mal, 
seront  cy  après  amplement  deduicts  &  demonstrez,  avec 
le  moyen  certain,  &  infalible  pour  y  remédier,  au  grand 
bien  &  honneur  de  sa  Maiesté,  soulagement  &  commodité 
de  tous  ses  subiectz. 


FIN 


NOTES 


1)  ECU  d'or  aux  fleurs  de  lis  sans  nombre  ou  écu  à  la  chaise  :  frappé 
pour  la  première  fois  sous  Philippe  de  Valois  en  1337  (Ordonnance  de  jan- 
vier 1337).  Le  roi  est  assis  et  tient  à  la  main  un  écu  semé  de  fleurs  de  lis. 
Pièce  de  54  au  marc,  12  de  pied,  titrant  24  carats,  valant,  d'après  la  dite 
ordonnance  20  sous  tournois  (Cf.  Blanchet  et  Dieudonné,  Manuel  de 
Numismatique,  t.  II,  p.  247  et  249). 

2)  Écu  soleil  ou  écu  sol  :  frappé  pour  la  première  fois  par  Louis  XI 
comme  suite  à  l'Ordonnance  du  20  novembre  1475.  C'était  alors  une  pièce 
de  70  au  marc,  titrant  23  1  /8  carats  et  courant  pour  33  s.  t.  Par  les  Ordon- 
nances des  13  août  1497,  25  avril  1498  et  23  janvier  1515,  Charles  VIII, 
Louis  XII  et  François  I^r  frappèrent  respectivement  le  même  écu,  mais 
celui-ci  courait  alors  pour  36  s.  3  d.  —  Par  l'Ordonnance  du  21  juillet  1515 
(François  I^r)  on  changea  légèrement  la  taille  à  71  1  /6  au  marc,  on  remonta 
le  titre  à  23  carats  et  on  fixa  le  cours  à  40  s.  t.  —  Par  l'Ordonnance  du 
18  mai  1519,  sous  François  1^^  on  en  tailla  71  1  /2  au  marc  et  le  titre 
fut  abaissé  à  22  3/4  carats. 

^)  L'aulne  mesurait  1,188  m. 

*)  Ceci  est  une  erreur  :  les  premiers  francs  à  pied  semblent  bien  avoir 
été  frappés  sous  Charles  V,  d'après  l'Ordonnance  du  22  avril  1365  (Cf. 
Dieudonné,  op.  cit.,  t.  II,  p.  268).  —  Le  nom  officiel  était  :  denier  aux 
fleurs  de  lis  d'or.  On  l'appela  franc  à  cause  de  la  confusion  qui  commençait 
h  s'établir  entre  les  termes  de  franc  et  de  livre.  —  Pièce  de  64  au  marc,  à 
24  carats,  au  pied  de  10,5,  courant  pour  20  s.  t. 

^)  Les  francs  à  cheval  furent  frappés  pour  la  première  fois  sous  Jean  II 
le  Bon  pour  sa  rançon.  Pied  de  10,5,  pièce  de  63  au  marc,  titrant  24  carats, 
courant  pour  20  s.  t.  —  Charles  V  (Ordonnance  du  27  juillet  ou  du  3  sep- 
tembre 1364)  fit  frapper  la  même  monnaie,  un  peu  meilleure  par  consé- 
quent que  le  franc  à  pied  dont  on  taillait  64  au  marc.  —  Sous  Charles  VII 
(Ordonnance  de  novembre  1423),  on  en  taillait  80  au  marc  et  la  pièce 
courait  pour  20  s.  t. 

®)  D'après  Dieudonné  {op.  cit.,  t.  II,  227-228),  le  gros  tournois  de 
Saint-Louis  (Ordonnance  du  15  août  1266)  était  une  pièce  de  58  au  marc, 
titrant  12  d.  et  courant  pour  12  d.  —  On  en  tailla  de  plus  en  plus  au  marc  : 
sous  Charles  V  (Ordonnance  du  22  avril  1365),  96  au  marc.  —  Mais  le  titre 
ne  fut  que  deux  fois  abaissé  au-dessous  de  12  d.  (argent  pur)  :  sous  Phi- 
lippe le  Bel  de  1303  à  1305  (9  d.)  et  sous  Jean  le  Bon  (Ordonnance  du 
Languedoc)  à  11  d.  12  gr. 

')  Le  douzain  de  Henri  II  était  une  pièce  de  94  au  marc,  titrant  3  d.  16  gr 
et  courant  pour  1  s.  t.  (Ordonnance  du  31  janvier  1549).  —  Les  monnaies 
de  François  II  furent  identiques  à  celles  de  Henri  IL  —  Quant  à  Charles  IX 
il  abaissa  le  poids  du  douzain  en  en  faisant  tailler  102  au  marc,  mais  seu- 


68  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 


lement  le  13  janvier  1572,  c'est-à-dire  longtemps  après  la  rédaction  des 
Paradoxes  et  de  la  Response. 

*)  L*écu  d'or  de  Cliarles  IX,  pièce  de  72  1  /2  au  marc,  de  11,8  de  pied, 
titrant  23  carats  courait  pour  50  s.  t.  (Ordonnance  du  30  août  1561).  — 
L*Opdonnance  du  9  juin  1573  le  porta  même  ultérieurement  à  54  s.  t. 

L.  B. 


b^ 


IV 


LA  RESPONSE 
DE  MAISTRE  lEAN 
BODIN  ADVOCAT  EN  LA  COVR 
AU   PARADOXE    DE    MONSIEUR    DE    MALESTROIT, 
TOUCHANT  L'ENCHERISSEMENT  DE  TOUTES  CHO- 
SES,  &  LE  MOYEN  D'Y  REMÉDIER. 


A   PARIS 

CHtEZ    MARTIN    LE    lEUNE,    RUE    S.    lEAN    DE 

SEIG^ 

1568 


^ 


NOTICE 


Le  texte  de  l'édition  de  la  Response  que  nous  donnons  ici 
est  la  reproduction  intégrale  de  l'édition  originale  de  1568, 
dont  il  existe  à  notre  connaissance  deux  exemplaires  conservés 
à  la  Bibliothèque  Nationale  sous  les  cotes  XE  535  et  Rés. 
LF"  20.B.  Ce  dernier  exemplaire  a  été  annoté  par  un  lecteur 
presque  contemporain  de  Jean  Bodin.  Les  seules  modifications 
que  nous  nous  soyons  permis  d'effectuer  concernent,  comme 
pour  le  texte  de  Malestroit,  le  changement  des  «  v  »  en  «  u  » 
et  la  suppression  des  «  n  »  suscrits.  Nous  nous  sommes  stricte- 
ment interdit  tout  autre  modification. 

Les  variantes  complètes  de  l'édition  de  1578,  dont  nous 
reproduisons  également  la  préface,  figurent  en  note.  Elles 
ont  été  prises  sur  un  exemplaire  de  la  seconde  édition  (1578) 
de  Bodin  conservé  à  la  Bibliothèque  Nationale  sous  la  cote 
LF"  20.C. 

Les  indications  de  folios  se  rapportent  à  l'édition  originale, 
sauf  celles  intercalées  dans  le  texte  des  variantes  qui  se  rap- 
portent à  l'édition  de  1578. 

L.  B. 


<" 


Jean    BODIN 
Périrait  d'après  une  gravure  du  Cabinet  des  Estampes. 


Monnaie.  PI.  III 


-r 


[F01.C.4.V0] 

PRÉFACE  DE  L'ÉDITION  DE  1578 
POUR  LE  LIVRE  DES  MONNOYES 

lAQUES   DU   PUYS,    LIBRAIRE    lURÉ    :   AU    LECTEUR   SALUT 

Messieurs  il  y  a  douze  ans  que  ce  livre  fui  imprimé, 
Se  bien  tosi  après  tourné  en  Anglois  par  commandement 
de  VArchevesque  de  Canturbie  Chancelier  d* Angleterre, 
éc  iugé  fort  utile  à  la  Republique.  Et  d'autant  que  Vau- 
theur  ayant  preveu  éc  prédit  les  inconveniens  que  pouvait 
amener  V incertitude  des  monnayes  il  avait  conseillé  de 
chasser  éc  décrier  le  billon,  Se  monstre  les  moyens  d'asseurer 
le  cours  Se  pris  des  monnayes  invariable,  en  les  réduisant 
à  trois  métaux  simples,  or,  argent  Se  cuivre  pur,  comme 
de  faict  on  à  (sic)  commencé  pour  le  regard  de  la  mon- 
naye de  cuivre  :  Se  si  on  eust  continué  aussi  bien  pour  les 
autres  métaux,  la  Republique  ne  fust  pas  tombée  es  diffi- 
culiez  ou  elle  se  void  réduite.  Se  qui  pourront  causer  de 
grans  troubles,  si  bien  tost  on  n*y  remédie  :  C'est  pourquoy 
ie  me  suis  advisé  estant  requis  de  plusieurs,  de  remettre  le 
mesme  livre  soubz  la  presse  :  reveu,  augmenté,  Se  corrigé 
de  beaucoup,  ce  pendant  vous  prandrez  en  gré  le  bon  vou- 
loir que  Vay  en  cela  de  servir  au  public. 


[Fol.a.2.Ro] 

A  Monsieur  Prévost,  seigneur  de  Morsan  ^,  président 
pour  le  Roy  en  sa  cour  de  Parlement. 

Vous  sçavez,  Monsieur,  les  plaintes  ordinaires  qu^on 
faid  de  renchérissement  de  toutes  choses  :  les  assemblées 
qu'on  a  f aides  par  tous  les  quartiers  de  ceste  ville  pour  y 
donner  ordre  :  la  peine  qu'on  a  prise  à  sçavoir  d'où  pro- 
cédait telle  charte  :  à  laquelle  messieurs  du  Menil  ^  Se  du 
Faur  ^  advocats  du  Roy,  que  nature  semble  avoir  consacrez 
au  bien  public,  se  sont  efforcez  de  remédier.  Enfin  Mon- 
sieur de  Malestroit,  homme  qui  méritait  bien  que  un  plus 
grand  que  moy  luy  fist  response,  employé  en  cesV  affaire 
par  commandement  du  Roy,  a  publié  un  petit  livret  de 
paradoxes,  où  il  soustient  contre  l'opinion  de  tout  le  monde, 
que  rien  n'est  enchéri  depuis  trois  cens  ans.  Ce  qu'il  a  faid 
croyre  à  plusieurs.  Se  par  ce  moyen  appaisé  les  plaintes 
de  beaucoup  d'hommes.  Mais  ces  iours  passez  ayant  leu 
son  discours,  [Fol.a.2.V^'\  ie  me  suis  advisé  de  luy  res- 
pondre  pour  eclarcir  Se  faire  entendre  ce  point  qui  est  de 
grande  conséquence  à  tous  en  gênerai.  Se  à  chacun  en  par- 
ticulier :  à  la  charge,  s'il  vous  plaist,  que  vous  serez  arbitre 
d'honneur,  m'asseurant  que  Monsieur  de  Malestroit  en 
sera  d'accord.  Car  pour  bien  iuger  un  paradoxe,  ou  bien 
une  opinion  contraire  à  la  commune,  il  fault  un  iuge  tel 
que  vous  à  qui  nature  a  donné  l'esprit  si  clair  Se  le  iuge- 
menl  si  entier,  qu'il  est  malaisé  entre  cent  mil  d'en  trouver 
un  pareil.  Ce  que  ie  ne  mets  point  en  vos  louanges  pour 
estre  un  don  de  nature,  mais  bien  d'estre  acompli  d'un 
sçavoir  gentil  Se  libéral  :  d'avoir  une  si  grande  expérience 
des  af aires  d' estât  qui  vous  sont  en  telle  recommendation, 
que  un  chacun  sçait  que  vous  avez  long  temps  oublié  les 


JEAN    BODIN  75 

vostres  :  combien  que  c'est  mal  parlé  à  moy  :  car  celuy  ne 
peut  oublier  le  particulier  qui  gouverne  si  sagement  le 
public,  comme  vous  avez  monstre  aux  plus  grandes  charges 
de  la  Republique,  &  sus  tout  au  gouvernement  de  Provence, 
qui  rend  un  perpétuel  iesmoignage,  que  la  prudence  Se 
dextérité  incroyable  dont  vous  avez  usé  pour  manier  ce 
peuple  farouche,  en  un  temps  si  périlleux  avec  une  sévérité 
entremeslee  de  douceur,  mérite  de  gouverner  non  pas  une 
province,  mais  un  royaume  :  ce  qui  m^asseure  au  cas  qui 
s'offre,  non  seulement  que  vous  donnerez  [Fol.a.S.R^]  cer- 
tain iugement  de  ceste  question,  ains  aussi  que  vous  sçaurez 
bien  trouver  les  moyens  de  remédier  à  la  charte,  que  nous 
voyons,  en  ce  qu'il  sera  possible  à  V esprit  humain  de  pouvoir 
prudemment  adviser,  meurement  entreprendre^  <&  heureu- 
sement exécuter. 


[Fol.a.3.Vo] 

La  Response  de  Maistre  lean  Bodin,  advocat  en  la 
Cour,  au  Paradoxe  de  Monsieur  de  Malestroit,  touchant 
l'encherissement  de  toutes  choses  &  le  moyen  d'y 
remédier. 

Devant  que  passer  outre  «,  ie  mettray  brièvement 
les  raisons  de  Monsieur  de  Malestroit  ^.  On  ne  peult, 
dit  il,  se  plaindre  que  une  chose  soit  maintenant  plus 
chère  qu'elle  n'estoit  il  y  a  trois  cens  ans  :  sinon  que  pour 
l'achepter  il  faille  maintenant  bailler  plus  d'or  ou  d'ar- 
gent que  Ion  ne  bailloit  lors.  Or  est  il  que  pour  l'achapt 
de  toutes  choses  Ion  ne  baille  point  maintenant  plus  d'or 
ny  d'argent  qu'on  en  bailloit  alors.  Donques  puis  ledict 
temps  rien  n'est  enchéri  en  France.  Voyla  sa  conclusion, 
qui  est  nécessaire,  si  on  luy  donne  la  mineure,  &  pour  la 
preuve  d'icelle,  l'aulne  de  velours,  dit  il,  au  temps  du 
Roy  Philippe  de  Valois  ne  coustoit  que  quatre  escuz  aussi 
bons,  voire  meilleurs  [Fol.a.4.Ro]  en  poix  &  en  valeur 
que  noz  escuz  soleil  *,  &  chaque  escu  ne  valoit  que  vingt 
souz  monnoye  d'argent  :  maintenant  que  l'escu  vaut 
cinquante  souz,  il  faut  dix  livres  pour  aulne,  qui  ne 
valent  non  plus  que  les  quatre  escuz.  Donques  ladicte 
aulne  de  velours  n'est  point  maintenant  plus  chère 
qu'elle  estoit  alors.  Il  passe  plus  outre  à  toutes  marchan- 
dises Latines  ^,  voire  iusques  à  noz  vins  &  bleds,  mais 


«^  devant  que  passer  outre,  manque  dans  Védition 
de  1578. 

^)  les  raisons  de  Malestroit. 


JEAN    BODIN  77 

toutesfois  il  n'a  point  de  guarend  ^.  le  luy  accorde 
l'exemple  du  velours  :  mais  ce  n'est  pas  la  raison  de  tirer 
en  conséquence  de  toutes  choses  le  pris  du  velours,  qui 


^)  ...toutesfois  il  n'a  pas  de  garend.  Quand  aux 
velours,  le  seigneur  de  Malestroit  s'abuse  de  dire  que 
l'aulne  ne  coustoit  que  quatre  escuz  du  temps  de  Phi- 
lippe le  Bel  :  car  il  faudroit  premièrement  vérifier  qu'il 
y  eust  du  velours  en  France  de  ce  temps  la  :  car  ceux 
qui  l'ont  voulu  monstrer  par  lustinian,  ou  il  parle  de 
Holoberis  &  Holoburis  n'ont  pas  esté  reçeuz,  &  qu'ainsi 
soit  l'ordonnance  de  Philippe  le  Bel,  publiée  l'an  1294 
&  enregistrée  en  la  Chambre  des  Comptes,  &  non  impri- 
mée, que  le  seigneur  de  Malestroit,  maistre  des  comptes, 
la  pouvoit  voir  au  livre  intitulé,  ordinaliones  sandi 
Ludovici  pro  iranquillo  statu  regni,  fol.  44,  porte  diserte- 
ment  &  en  plus  de  cinquante  articles  la  forme  d'accous- 
tremens  que  chacun  doit  porter  depuis  la  personne  des 
Princes  iusques  aux  moindres  valets,  &  toutesfois  il 
n'est  question  ny  près  ny  poing  de  soye  ny  de  satin, 
ny  de  velours,  ny  de  damas,  ny  de  demy  soye,  ny  de 
satin,  ny  d'aucune  estofïe  qui  en  approche,  combien 
que  l'ordonnance  permet  de  porter  l'or  en  chesnes  &  cein- 
tures à  certaines,  sans  aucune  défense  de  porter  soye, 
soit  aux  hommes  ou  femmes.  Princes  ou  marchans, 
maistres  ou  valets,  ce  qu'elle  n'eust  pas  oublié,  veu  que 
le  premier  article  commence  par  défense  qui  est  tel  : 
Nulle  bourgeoise  n'aura  chesne,  le  second,  Item  nul 
bourgeois  ou  bourgeoise  ne  portera  or  ny  pierres  pré- 
cieuses, ny  ceinture  d'or  ny  couronne  d'or,  ny  d'argent, 
ny  fourrures  de  verd,  de  gris,  ny  d'hermines,  ce  quy 
n'est  pas  défendu  aux  nobles. 

C'est  donc  un  abus  d'apporter  l'exemple  du  velours, 
quy  n'estoit  lors  en  France  ny  peut-estre  en  lieu  du 
monde  :  car  on  aportoit  bien  des  espices  de  l'Indie  d'où 
la  soye  est  venue,  de  l'Arabie  heureuse  quy  est  bien  plus 


78  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

estoit  lors  la  plus  chère  marchandise  du  Levant,  veu 
qu'il  n'y  avoit  presque  autres  villes  que  Damasque  en 
Surie,  &  Bourse,  ^  en  Natolie,  que  les  anciens  appelloyent 
Prusia,  ou  Ion  fîst  les  velours  &  damas.  Peu  à  peu  la 
Grèce  &  l'Italie  en  ont  eu  l'usage  :  &  il  n'y  a  pas  cent 
ans  que  les  moulins  à  soye,  que  nous  avons  prins  des 
Genevois,  estoyent  incognuz  en  France.  Maintenant  que 
Tours,  Lion,  Avignon,  Toulouze,  &  autres  villes  de  ce 
Royaume  sont  pleines  de  telles  marchandises,  iaçoit  que 
tout  le  monde  en  porte,  ce  qu'on  ne  faisoit  lors,  toutesfois 
en  si  grande  quantité,  l'aulne  du  meilleur  velours  ne 
devroit  pas  couster  [Fol. a. 4. V®]  plus  d'un  escu  à  la  raison 
qu'il  faisoit  lors,  comme  ie  monstreray  tantost.  Mais  il 
suffît  pour  ceste  heure  avoir  montré  qu'il  ne  faut  pas 
mettre  le  velours  pour  l'exemple  des  autres  marchan- 
dises Latines,  &  beaucoup  moins  de  toutes  choses.  Quand 
aux  vins  &  bleds,  il  est  tout  certain  qu'ils  coustent  plus 
cher  au  triple  «  qu'ilz  ne  faisoyent  il  y  a  cent  ans,  ce  que 
ie  puis  dire  avoir  veu  aux  Cadastres  de  Toulouze,  ou  le 
sestier  '  de  bled,  qui  fait  à  peu  près  la  moitié  du  nostre, 
ne  valoit  que  cinq  souz,  maintenant  ils  couste  soixante 
souz  au  pris  le  plus  commun  :  qui  est  quatre  fois  plus 
cher  ^  qu'il  ne  faisoit  lors.  Et  sans  cercher  plus  loing 
qu'en  ceste  ville,  nous  trouvons  aux  registres  du  Ghas- 
telet,  que  le  muy  du  meilleur  blé  de  rente  mesure  de 
Paris,  ne  coustoit  que  six  vintz  livres  l'an  cinq  cens 
vint  &  quatre,  iaçoit  que  deux  ans  au  paravant  les  bleds 
avoyent  gelé  :  sur  laquelle  estimation  estoyent  fondez  les 
iugemens  du  chastelet.  L'an  cinq  cens  trente  le  pris 
haussa  iusques  à  cent  quarante  &  quatre  livres  :  &  par 


loing  que  Bourse,  ou  le  velours  a  esté  trouvé.  Et  quand 
je  luy  accorderois  l'exemple  du  velours... 

*^)  plus  cher  vingt  fois  qu'ils  ne  faisoyent. 

^)  vingt  fois  plus  cher. 


JEAN    BODIN  79 

arrest  de  la  cour  fut  cassé  fait  à  moindre  pris.  Maintenant 
que  le  pris  ordinaire  est  haussé  plus  d'un  tiers,  les 
contracts  faits  au  pris  des  arrests  de  [Fol.b.l.Ro]  pan 
cinq  cens  trente  &  un,  seroyent  déclarez  usuraires,  si 
le  debteur  n'avoit  le  chois  de  payer  argent  pour  grain 
au  pris  du  denier  douze.  le  ne  parle  point  de  l'an  cinq 
cens  soixante  &  cinq,  que  le  muy  de  blé  commun  cous- 
toit  au  mois  de  May  deux  cens  soixante  livres  en  pur 
achapt  :  mais  ie  parle  des  années  communes  depuis 
quarante  ans  seulement,  nous  voyons  que  le  blé  de  rente 
qui  coustoit  cinquante  escuz  soleil,  afin  que  nous  ne 
parlions  point  de  livres,  maintenant  couste  deux  fois 
plus,  tellement  que  le  meilleur  blé  en  pur  achapt  couste 
de  pris  ordinaire  six  vingtz  livres,  qui  est  autant  qu'il 
coustoit  de  rente  il  y  a  quarante  ans.  Par  ainsi.  Mon- 
sieur de  Malestroit  "  ne  debvoit  pas  tirer  en  exemple  les 
fruitz.  Mais  pour  mieux  vérifier  ce  que  ie  di,  laissons  les 
fruitz  &  venons  au  pris  des  terres  qui  ne  peuvent  croistre 
ny  diminuer,  ny  estre  altérées  de  leur  bonté  naturelle, 
pourveu  qu'on  ne  les  moque  point,  comme  Ion  dict,  mais 
qu'on  les  cultive  comme  on  a  fait  depuis  que  Ceres  dame 
de  Sicile  en  monstra  l'usage.  Car  il  n'est  pas  vraysem- 
blable  que  la  terre  pour  vieillir  perde  sa  vigueur,  comme 
plusieurs  pensent  ^.  Et  qu'ainsi  soit,  depuis  que  Dieu 
posa  la  France  entre  [Fol.b.l.Vo]  l'Espagne,  l'Italie, 
l'Angleterre  &  l'Alemagne,  il  pourveut  aussi  qu'elle  fust 
la  mère  nourice  portant  au  sein  le  cornet  d'abondance, 
qui  ne  fut  oncques  &  ne  sera  iamais  vuide,  ce  que  les 
peuples  d'Asie  &  d'Afrique  ont  bien  cognu  &  confessé, 
comme  on  peut  voir  par  touts  leurs  escrits,  &  mesme- 


^)  par  ainsi  Malestroit. 

^)  plusieurs  pensent  (bien  que  Dieu  par  sa  iuste 
vengeance  a  envoyé  la  stérilité  depuis  quelques  années). 
Et  qu'ainsi  soit... 


80  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

ment  en  la  harangue  du  Roy  Agrippa,  voulant  renger  les 
luifs  rebelles  &  mutins  soubs  l'obéissance  des  Romains, 
Voyez,  dit  il,  la  Gaule,  qui  a  trois  cens  quinze  peuples 
environnez  des  Alpes,  du  Rhin,  l'Océan  &  des  Pyrénées, 
qui  arrouse  presque  toute  la  terre  de  sourses  inépuisa- 
bles de  tous  biens  :  neantmoins  ces  peuples  belliqueux 
ont  plié  soubs  la  puissance  de  cest  Empire  après  avoir 
vaillamment  combatu  quatre  vint  ans,  plus  estonnez 
de  l'heur  &  grandeur  des  Romains,  qu'afîoibliz  de  lan- 
gueur, veu  qu'ils  n'ont  que  douze  cens  soldats  pour  toute 
garnison,  qui  n'est  pas  à  peu  près  tant  d'hommes  que  de 
bonnes  villes.  Par  la  nous  voyons  que  la  France  n'estoit 
pas  lors  plus  stérile  qu'elle  est  maintenant.  Monstrons 
aussi  qu'elle  n'est  pas  auiourd'huy  moins  fertile.  Giceron 
parlant  de  la  fertilité  de  Sicile,  que  les  Romains  appel- 
loyent  leur  grenier,  dit  que  la  meilleure  terre  n'aportoit 
[Fol.b.2.Ro]  que  douze  pour  un,  encore,  dit  il,  qu'elle 
fust  favorisée  des  dieux.  Nous  avons  auiourd'huy  en 
nostre  vallée  de  Loire,  en  Brie,  en  Xaintonge,  en  l'Ali- 
magne  d'Auvergne,  en  Languedoc,  &  mesmes  en  l'isle 
de  France  de  meilleures  terres  au  iugement  de  tous  les 
paysans.  Et  neantmoins  nous  voyons  que  depuis  cin- 
quante ans,  le  prix  de  la  terre,  a  creu,  non  pas  au  double, 
ains  au  triple,  tellement  que  l'arpent  ^  de  la  meilleure 
terre  labourable  au  plat  pays,  qui  ne  coustoit  ancienne- 
ment que  dix  ou  douze  escuz,  la  vigne  trente,  auiourd'huy 
se  vend  le  double,  voire  le  triple  d'escuz  pesans  un 
diziesme  moins  qu'ils  pesoyent  il  y  a  trois  cens  ans,  ce 
que  Monsieur  de  Malestroit  "  m'accordera  s'il  veut  pren- 
dre la  peine  de  feuilleter  tant  soit  peu  noz  registres.  Et 
sans  recercher  les  contraz  particuliers,  qu'on  peut  voir 
partout,  ie  vous  appelle  à  tesmoing.  Monsieur,  qui  avez 
souvent  manié  tous  les  aveuz  de  la  chambre,  &  tous  les 


«j  ce  que    Malestroit. 


J.  o 


LA     RESPONSE 

DE     MAISTRE      lEAN 

BODIN     ADVOCAT     EN    LA    COVR 

au  paradoxe  de  monfieur  de  Maleftroit, 
touchant lenchei iflement de  toutes cho- 
fes^  &  le  moyen  d  y  remédier. 

^monfieur  PreuoJJ,  Seigneur  de  Morfan, 

Prejîdent  pour  le  Roy  en  [a 

cour  de  parlement. 


/'^^h 


A    P  A  R  I  S> 

Chez  Martin  le  leune,  rue  S.  Fcan  de 
Latran  à  rcnfeigoc  du  Serpent. 

I  $  (T  8. 


Jean  BODIN 
-fac-similé   de   la  page    de   Titre   de   l'édition    original* 
(Bibliothèque  Nationale). 
Monnaie.  PI.  IV 


I.-80 


JEAN    BODIN  81 

contratz  du  trésor  de  France,  si  les  Baronnies,  Contez, 
Duchez  qui  ont  esté  aliénées  ou  reunies  à  la  Couronne,  ne 
valent  pas  autant  de  revenu  qu'elles  ont  esté  pour  une  fois 
vendues.  Chacun  sçait  que  "  le  Conté  d'Avignon  vaut 
deux  fois  autant  de  revenu  qu'il  a  esté  engagé.  l'ay 
apprins  [Fol.b.2.Vo]  de  Monsieur  Fauchet  conseiller,  que 
ie  tiens  pour  un  fidèle  registre  de  belles  antiquitez,  que 
Herpin  vendit  le  duché  de  Berri  au  Roy  Philippe  pre- 
mier l'an  mil  cent  pour  accompagner  Godfroy  de  Bouil- 
lon, &  ce  pour  la  somme  de  cent  mil  souz  d'or  ^.  Il  y  a 
ainsi  en  noz  annales,  comme  il  faut  entendre  aux  loix  des 
Lombars,  Saxons,  Francons,  Ripuaires,  ou  Ion  voit 
toutes  les  amendes  taxées  par  souz,  comme  quand  il  est 
dit,  qui  aura  tué  un  homme  libre  payra  cent  souz  :  qui 
l'aura  lié  payra  dix  souz,  ce  que  ie  dy  en  passant,  par  ce 
que  i'ay  vu  un  procès  des  anciens  statuts  de  la  ville 
d'Amiens,  sus  ce  que  les  parties  sans  propos  prennoyent 
les  souz  pour  noz  douzains.  Aussi  est  il  certain  que  les 
premiers  souz  d'argent  ne  furent  forgez  que  deux  cens 
après  par  sainct  Louys.  Prenons  le  cas  que  tels  souz  d'or 
fussent  du  poix  &  valeur  des  souz  d'or  de  lustinian,  car 
les  loix  de  tous  ses  peuples  furent  faires  quasi  en  mesme 
temps  :  ce  ne  seroyent  ^  au  plus  fort  que  cent  mil  ange- 
lotz^,  ou  cent  reaies  d'or  comme  ie  diray  tantost,  car  le 
sol  mesmes  d'argent  ne  pesoit  pas  tant  de  beaucoup,  & 


^)  que  le  Conté  de  Venize  &  d'Avignon  vaut  deux 
fois  autant  de  revenu  qu'il  a  esté  engagé.  Charles  le 
sage  achepta  le  conté  d'Auxerre  du  Comte,  payant 
trente  &  ung  mil  francs  d'or  :  qui  sont  autant  d'escuz 
ou  environ.  I'ay  apprins  de  Monsieur  Fauchet... 

^)  soixante  mil  souz   d'or. 

^j  ce  ne  seroyent  au  plus  fort  que  soixante  mil 
angelotz,  ou  soixante  mil  reaies  d'or,  comme  ie  diray 
tantost... 


LE   BRANCHU 


82  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

est  vraysemblable  que  le  sol  d'or  fut  forgé  de  mesmes 
pois  :  toutesfois  ie  veux  bien  qu'il  pesé  [Fol.b.S.Ro]  le 
sol  de  lustinian.  le  trouve  aussi  aux  antiquitez  d'Italie, 
que  l'empereur  Henri  de  Lutzenbourg  «,  vendit  Luque 
aux  habitans  douze  mil  escus,  &  Florence  six  mil. 
Auiourd'huy,  il  y  a  cent  maisons  en  Florence  qui  valent 
trois  fois  autant  que  la  ville  fut  vendue.  Et  si  Mon- 
sieur de  Malestroit  ne  se  contente  de  telles  antiquitez, 
prennons  les  anciens  aveux  de  la  Chambre  :  prenons 
les  coustumes  de  France,  &  mesmes  celles  de  mon  pays 
d'Aniou  :  nous  trouverons  l'article  cccc  xc  ix.  qui  porte 
ces  mots  :  Charge  de  mestail  xxv  s.  tourn.  charge  de 
seigle  xxii  s.  six  den.  charge  d'orge  xv  s.  le  chevereau 
trois  s.  &  quatre  den.  chapon  xii  den.  poulie  viii  den. 
mouton  gras  sept  s.  six  den.  Corvées  de  bœufs  à  iournee 
d'yver  dix  den.  L'an  mil  cinq  cens  huit  la  coustume  du 
arrêtée  &  homologuée.  le  trouve  que  celle  d'Auvergne 
en  fait  meilleur  conte,  car  le  mouton  gras  avec  la  laine 
n'est  prisé  que  cinq  s.  le  chevereau  xviii  den.  la  poulie 
six  den.  le  conin  dix  den.  l'oyson  six  den.  le  veau  v.  s.  le 
cochon  dix  den.  le  pan  deux  s.  le  faison  xx  den.  le  pigeon 
un  d.  la  charettee  de  foin  à  cinq  quintaux  xv  souz. 
manœuvre  de  bras  en  esté  six  den.  en  hiver  quatre  den. 
charroy  à  bœufs  en  hiver  xii  den.  [Fol.b.S.V®]  En  Bour- 


«j  l'empereur  Roi  vendit  Luque  aux  habitans  douze 
mil  escuz,  &  Florence  six  mil  :  comme  escrit  Blonde 
au  lib.  huictiesme  de  la  seconde  décade,  auiourd'huy, 
il  y  a  cent  maisons  en  Florence  qui  valent  trois  fois 
autant  que  la  ville  fut  vendue.  Nous  trouvons  aussi 
aux  ordonnances  de  Philippe  le  Long,  du  droict  de 
bourgeoisie  en  dacte  de  1318,  qu'il  est  porté  que  celuy 
qui  voudra  avoir  droit  de  bourgeoisie  en  autre  lieu  du 
royaume,  qu'il  sera  tenu  acheter  une  maison  du  prix 
de  Lx  solz  parisis.  Et  si  Malestroit... 


JEAN    BODIN  83 

bonnois,  la  charrettee  de  foin  à  douze  quinteaux  n'est 
prisée  par  la  coustume  que  dix  souz  en  l'article  ccccc  Iv 
&  en  pré  cinq  s.. aux  coustumes  de  la  marche  accordées 
l'an  mil  cinq  cens  vingt  &  un,  la  chair  du  mouton  entier 
sans  laine  n'est  prisée  que  deux  s.  six  d.  la  chartee  de 
foin  pesant  quinze  quintaux  douze  s.  la  charretée  de  bois 
douze  d.  le  veau  xviii  den.  l'oye  douze  den.  Par  la  cous- 
tume de  Troye  en  Ghampaigne  le  sestier  du  meilleur 
froment  mesure  de  Troye  n'est  estimé  que  xx  s.  tourn. 
le  seigle  dix  s.  l'orge  sept  s.  l'avoine  cinq  s.  la  iournée 
d'un  homme  douze  den.  d'une  femme  six  den.  Icy  Mon- 
sieur de  Malestroit  «  ne  peut  dire  que  depuis  soixante 
ans  tout  n'aye  enchéri  dix  fois  autant  pour  le  moins,  ie 
dis  en  quelque  monnoye  qu'il  prenne,  comme  ie  mons- 
trerai  tantost.  car  si  une  terre  ne  peult  estre  vendue  que 
au  denier  vingt  &  cinq  ou  trente  pour  le  plus  en  sei- 
gneurie &  iustice,  par  conséquent  le  pris  des  terres  est 
dix  fois  plus  haut  qu'il  n'estoit  il  y  a  soixante  ans.  Qui 
recerchera  plus  haut  les  aveux  &  registres,  il  trouvera 
que  c'estoit  bien  cher  eu  égard  au  prix  ancien.  le  laisse 
une  infinité  de  pareils  exemples,  sans  toucher  au  doigt 
ce  que  un  chacun  voit  à  l'œil,  [Fol.b.4.Ro]  &  me  sufist 
pour  ceste  heure  d'avoir  monstre  la  charte  aux  duchez, 
villes  et  contez,  &  aux  terres  qui  ne  peuvent  empirer 
par  vieillesse.  Ce  qu'on  entendra  beaucoup  plus  aisément, 
si  on  sçait  l'origine  &  cause  de  la  charte. 

le  trouve  que  la  charte  que  nous  voyons  vient  pour 
trois  causes  *.  La  principale  &  presque  seule  (que  per- 
sonne iusques  icy  n'a  touchée)  est  l'abondance  d'or 
&  d'argent  qui  est  auiourd'huy  en  ce  royaume  plus 
grande  qu'elle  n'a  esté  il  y  a  quatre  cens  ans.  le  ne  passe 


^)  Icy  Malestroit  ne  peut  dire... 

^)  vient  quasy  pour  quatre  ou  cinq  causes. 


84  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

point  plus  oultre,  aussi  l'extraict  des  registres  de  la  Cour 
&  de  la  Chambre  que  i'ay,  ne  passe  point  quatre  cens 
ans.  le  surplus,  il  le  faut  cueillir  de  vieilles  histoires  avec 
peu  d'asseurance.  La  seconde  occasion  de  charte  vient 
en  partie  des  monopoles.  La  troisième  est  la  disette,  qui 
est  causée  tant  par  la  traitte  que  par  le  degast  «.  La 
dernière  est  le  plaisir  des  roys  &  grans  seigneurs,  qui 
hausse  le  pris  des  choses  qu'ils  aiment.  le  toucheray 
brièvement  tous  ces  poincts.  La  principale  cause  qui 
encherist  toutes  choses  en  quelque  lieu  que  ce  soit,  est 
l'abondance  de  ce  qui  donne  estimation  &  pris  aux 
i  choses.  Plutarque  &  Pline  tesmoignent,  qu'après  la 
I  conqueste  du  royaume  de  Macédoine  sus  le  roy  Perses, 
(le  capitaine  [Fol.b.4.Vo]  Paul  jEmyl  aporta  tant  d'or 
&  d'argent  en  Romme,  que  le  peuple  fut  afranchi  de 
payer  tailles,  &  le  pris  des  terres  en  la  Romaigne  haussa 
des  deux  tiers  en  un  moment  ^.  Ce  n'estoit  donc  pas  la 
disette  des  terres  qui  ne  peuvent  croistre  ny  diminuer, 
ny  le  monopole,  qui  ne  peut  avoir  lieu  en  tel  cas  :  mais 
c'estoit  l'abondance  d'or  &  d'argent  qui  cause  le  mespris 
d'iceluy,  &  la  charte  des  choses  prisées,  comme  il  advint 
à  la  venue  de  la  royne  de  Candace,  que  l'escripture 
sainte  appelle  royne  de  Saba,  en  la  ville  de  Jérusalem, 
où  elle  aporta  tant  de  pierres  précieuses  qu'on  les  fouloit 
f    aux  pieds.   Et  quand  l'Espagnol  se   fist  seigneur  des 

I    terres  neufves,  les  coignees  &  cousteaux  estoyent  plus 

I 

^)  le  degast.  La  quatriesme  est  le  plaisir  des  roys  & 
grans  seigneurs  qui  hausse  le  pris  des  choses  qu'ils 
aiment.  La  cinquiesme  est  pour  le  pris  des  monnoyes, 
ravalé  de  son  ancienne  estimation.   le  toucheray... 

^)  en  un  moment.  Et  Suétone  dict  que  l'Empereur 
Auguste  apporta  tant  de  richesses  d'Egypte  que  l'usure 
diminua,  &  le  pris  des  terres  fut  plus  cher  de  beaucoup 
qu'il  n'estoit  au  paravant.  Ce  n'est  donc  pas  la  disette... 


JEAN    BODIN  85 

cher  vendus  que  les  perles  &  pierres  précieuses,  car  il 
n'y  avoit  cousteaux  que  de  bois  &  de  pierre,  &  force 
perles.  C'est  donc  l'abondance  qui  cause  le  mespris. 
En  quoy  l'Empereur  Tibère  s'abusoit  bien  fort,  faisant 
trencher  la  teste  à  celuy  qui  avoit  rendu  le  verre  mol 
&  maleable,  de  peur,  comme  dit  Pline,  que  si  la  chose 
estoit  evantee,  l'or  ne  perdit  son  crédit.  Car  l'abondance 
de  verre,  qui  se  fait  quasi  de  toutes  pierres,  &  de  plu- 
sieurs herbes,  eust  tousiours  causé  le  mespris  ^^.  Ainsi 
advient-  [Fol.c.l.Ro]  il  de  toutes  choses. 

Il  faut  donc  monstrer  qu'il  n'y  avoit  pas  tant  d'or 
&  d'argent  en  ce  royaume  il  y  a  trois  cens  ans  "  qu'il  y  a 
maintenant,  ce  que  l'on  cognoist  à  veiie  d'œil.  Car  s'il 
y  a  de  l'argent  par  pays,  il  ne  peut  estre  si  bien  caché, 
que  les  Princes  ne  le  trouvent  en  leur  nécessité.  Or  est  il 
que  le  roy  lean  ne  peut  oncques  trouver  soixante  mil! 
francs  à  crédit  (prenons  que  ce  soyent  escuz)  en  son- 
extrême  nécessité,  &  depuis  la  iournée  de  Poictiers  qu'il 
fut  prisonnier  huit  ans  des  Anglois,  ny  ses  enfans,  ny! 
ses  amis,  ny  son  peuple,  ny  luy  mesme  qui  vint  en  per-  \ 
sonne,  ne  peut  trouver  sa  rançon,   &  fut  contraint  de  \ 
s'en  retourner  en  Angleterre  attendant  qu'on  luy  feroit    \ 
argent  *.  Sainct  Louys  fut  en  mesme  peine  estant  pri-    j 
sonnier  en  Aegypte.  Il  n'est  pas  vraysemblable  que  le  J 
peuple  François,  lequel  naturellement  ayme  son  roy, 


^)  trois  cens  ans,  au  temps  duquel  parle  Malestroit, 
qu'il  y  a  maintenant... 

^)  qu'on  luy  feroit  argent.  Et  la  rançon  du  Roy 
d'Escosse  quy  fut  prisonnier  12  ans  après,  n'estoit  que 
de  cent  mil  nobles  d'or  que  le  roy  d'Escosse  ne  peut 
trouver,  de  sorte  que  Charles  V  Roy  luy  promit  payer 
sa  rançon,  en  traittant  alliance  avec  Robert  Roy  d'Es- 
cosse, 1371,  comme  il  appert  par  le  traitté.  Sainct  Louys.. 


86  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

&  lors  plus  que  iamais,  &  mesmes  un  tel  roy,  qui  n'eust 
oncques,  &  peut  estre  encores  moins  aura  cy  après  son 
pareil,  eust  voulu  souffrir  de  le  voir  esclave  des  Mahome- 
tistes,  qu'il  avoyent  lors  en  extrême  horreur,  toutesfois 
Saladin  «  fust  contraint  pour  en  tirer  quelque  chose, 
laisser  le  roy  pour  faire  sa  rançon,  prenant  pour  gage 
[Fol.c.l.Vo]  l'hostie  qu'il  portoit  avec  luy,  &  sans  la 
dévotion  qu'avoit  le  bon  roy,  elle  fut  demouree  pour  les 
gages  ^.  Aussi  lisons  nous  en  nos  vieilles  histoires,  qu'à 
faute  d'argent  on  fist  monnoye  de  cuyr  avec  un  clou 
d'argent  ^^.  le  m'en  rapporte  à  ce  qui  est.  Or  si  nous 
venons  à  nostre  aage,  nous  trouverons  qu'en  six  mois 
le  roy  a  trouvé  en  Paris,  sans  aller  plus  loing,  plus  de 
trois  millions  quatre  cens  mil  livres  hors  les  deniers  des 
offices,  qui  furent  aussy  trouvez  en  Paris  ^,  &  les  deniers 
des  aydes  &  du  dommaine,  qui  montent  beaucoup  plus. 
Vray  est  que  la  nécessité  forçoit  notre  Prince  pour  nous 
rendre  la  lumière  de  la  Paix.  Prenons  l'aage  de  Charles 
septiesme,  qui  mist  le  premier  la  solde  sus  le  peuple,  &  souf- 
frit beaucoup  de  mutineries  de  ses  subiects,  combien  qu'il 
eust  donné  la  chasse  aux  Anglois,  &  acquis  autant  en  dix 
ans  que  ses  pères  avoyent  perdu  en  deux  cens  :  neantmoins 
il  ne  peut  trouver  qu'un  million  &  sept  cens  mil  francz 
pour  toutes  charges,  comme  escript  Philippe  de  Gomines  ** 


^)  fut  contraint  le  laisser  pour  faire  sa  rançon,  pre- 
nant pour  gage... 

^)  pour  les  gages.  l'en  trouve  qui  disent,  qu'il  n'es- 
toit  question  que  de  deux  cens  mil  bezans  d'or,  que  le 
seigneur  de  loinville  estime  cinq  cens  mil  livres,  &  dict 
que  la  Royne  avoit  la  rançon  en  ses  coffres,  ie  m'en 
rapporte  à  ce  quy  est.  Aussi  lisons  nous... 

<^j  en  Paris,  outre  les  deniers  des  aides  &  du  domaine.. 

^)  de  Gommines.  Et  Gharles  VI  son  père  ne  levoit 
que  GGGG  mil  livres,  de  quoy  les  estatz  tenuz  à  Paris 


JEAN    BODIN  87 

Son  fils  Louys  unziesme  ayant  réuni  les  duchez  de  Bour- 
gogne, d'Aniou  &  le  conté  de  Provence  à  la  couronne, 
print  trois  millions  de  plus  que  son  père,  de  quoy  le 


1444  se  plaignoyent  fort.  &  neantmoins  Charles  IX 
levoit  quatorze  millions  l'an  MDLXXII.  Louys  unziesme 
ayant  réuni  les  duchez  de  Bourgogne,  d'Aniou,  &  le 
conté  de  Provence  à  la  couronne,  &  plusieurs  grandes 
confiscations,  print  trois  millions  de  plus  que  son  père, 
de  quoy  le  peuple  se  sentoit  si  foulé  que  à  la  venue  de 
Charle  huictiesme  son  fils,  il  fut  ordonné  à  la  requeste 
&  instance  des  estatz,  que  la  moitié  des  charges  seroyent 
tranchées.  Depuis  l'abondance  d'or  &  d'argent  a  faict 
que  pour  la  charte  des  choses,  &  vilité  d'argent,  les 
charges  ont  esté  plus  grandes,  &  le  mariage  de  la  fille 
aisnee  du  Roy  Henry  a  eu  quatre  cens  mil  escuz  en 
mariage,  les  autres  n'en  ont  pas  eu  moins,  qui  estoit 
hausser  quatre  fois  autant  que  Renée  de  France,  fille 
de  François  ^^,  avoit  eu  en  mariage,  c'est  à  sçavoir  cens 
mil  escuz.  Et  si  on  demande,  ou  estoit  l'or  &  l'argent, 
il  se  trouve  que  l'Italie  pour  la  grandeur  de  la  trafique 
&  asseurance  de  la  paix  entre  les  Princes,  avoir  attiré 
tout  l'or  de  l'Europe  :  &  de  faict  on  trouve  que  au 
mesme  temps  de  l'ordonnance  de  Charles  V,  que  les 
filles  de  France  n'avoyent  que  Ix  mil  livres  en  mariage 
une  fois  payée,  Galeace  2.  Viconte  de  Milan  donna 
deux  cens  mil  escuz  pour  le  mariage  de  sa  fille  avec 
Lyonet  filz  du  Roy  d'Angleterre,  &  son  frère  Barnabo, 
quy  avoit  la  moitié  du  viconté  de  Milan,  donna  deux 
millions  d'or  pour  le  mariage  de  neuf  filles  légitimes, 
&  deux  bastardes,  encores  qu'il  eust  cinq  enfants  masles 
légitimes,  &  deux  bastards,  comme  nous  lisons  en  l'his- 
toire de  Milan,  &  son  neveu  Galeace,  premier  Duc  de 
Milan,  maria  sa  sœur  Valentine  à  Louys  de  France  duc 
d'Orléans,  luy  donna  en  mariage  quatre  mil  florins  d'or, 


88  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

peuple  se  sentoit  si  foulé  que  [Fol.c.2.R<>]  à  la  venue  de 
Charles  huictiesme  son  fils,  il  fut  ordonné  à  la  requeste 
&  instance  des  Estatz,  que  la  moitié  des  charges  seroyent 
retrenchees.  Que  Monsieur  de  Malestroit  feuilte  les 
registres  de  la  chambre,  il  sera  d'accord  avec  moy,  qu'on 
a  trouvé  plus  d'or  &  d'argent  en  France  pour  la  nécessité 
du  roy  &  de  la  repub.  depuis  l'an  cinq  cens  quinze 
iusques  à  l'an  soixante  huit,  qu'on  avoit  peu  trouver  au 
paravant  en  deux  cens  ans.  Et  si  on  veut  dire  qu'il  n'y 
a  pas  plus  d'or  &  d'argent  qu'il  y  avoit,  mais  que  depuis 
peu  de  temps  les  Italiens  nous  ont  preste  ceste  charité, 
on  peut  iuger  le  contraire  :  car  il  est  certain  que  de  tout 
temps,  il  y  a  eu  des  bannis  de  ce  pays  la,  qui  outre  les 
ordures  qu'ils  ont  aporté  en  ce  royaume,  ont  tousiours 
fait  la  guerre  à  Dieu  &  au  pauvre  peuple,  s'efforceant 
par  tous  moyens  d'arracher  la  bonté  naturelle  du  cueur 
de  noz  rois,  en  haine  de  quoy  ils  furent  chassez  de  France, 
&  leur  bien  confisqué  du  temps  de  Philippe  le  Long,  & 
depuis  ce  temps  la  tousiours  noz  pères  ont  taxé  au  double 
les  lettres  qu'on  appelle  Lombardes  à  la  chancellerie. 
Aussi  trouvons-nous  que  Philippe  le  Bel  «  imposa  le 
premier  la  gabelle  sus  le  sel,  qui  a  haussé  de  quatre 
deniers  [Fol.c.2.V<>]  pour  livre  à  quarante-cinq  livres 
sur  muy  ou  environ  *  :  &  cela  fut  fait  à  la  suasion  d'un 


six  cens  soixante  sept  marcs  d'argent  en  douaire,  sans 
ses  ioyaux,  &  le  Comté  d'Ast,  &  promesse  que  le  Duché 
de  Milan  iroit  à  Valentine  &  à  ses  héritiers  défaillant 
les  masles.  Louys  Sforce  surnomme  le  Noir,  gouverneur 
de  Milan,  maria  sa  niepce  Blanche  Sforce  avec  l'Empe- 
reur Maximilian,  luy  bailla  quatre  cens  mil  escuz  & 
soixante  mil  ducatz  en  mariage,  1494,  oultre  quatre 
cens  mil  escuz  qu'il  paya  depuis  l'investiture  de  Milan, 
que  monsieur  de  Malestroit  feuillette... 

^)  Phihppe  de  Valois. 

^)  sur  muy  &  plus.  Ils  eussent  donc  bien  trouvé... 


JEAN    BODIN  89 

messere  Mincion  ^^.  Ils  eussent  donc  bien  trouvé  l'argent 
s'il  y  en  eust  eu  autant  qu'à  présent,  car  Philippe  le  Long 
ne  fist  point  de  conscience  de  demander  au  peuple  la 
cinquiesme  partie  des  biens  d'un  chacun  «. 

Mais,  dira  quelqu'un,  d'où  est  venu  tant  d'or  &  d'ar- 
gent depuis  ce  temps  la  ?  le  trouve  que  le  marchand 
&  l'artisan,  qui  font  venir  l'or  &  l'argent  cessoyent 
alors.  Car  le  François  ayant  un  pays  des  plus  fertiles 
du  monde,  s'adonnoit  à  labourer  la  terre  &  nourrir  le 
bestail  ^,  qui  est  la  plus  mesnagerie  de  France,  tellement 
que  la  trafique  du  levant  n'avoit  point  de  cours,  pour  la 
crainte  des  Barbares  qui  tiennent  la  costé  d'Afrique, 
&  des  Alarbes,  que  noz  pères  appelloyent  Sarasins,  qui 
commandoyent  en  toute  la  mer  Méditerranée  traitant 
les  Chrétiens  qu'ils  prenoyent,  comme  esclaves  à  la 
cadene  ^*.  Et  quand  à  la  trafique  du  Ponant,  elle  estoit 
du  tout  incognue  devant  que  l'Espaignol  eust  fait  voile 
en  la  mer  des  Indes.  loint  aussi  que  l'Anglois,  qui  tenoit 
les  pors  de  Guyenne  &  de  Normandie,  nous  avoit  clos 
les  avenues  d'Espaigne  &  des  isles.  D'autre  part,  les 
querelles  [Fol.c.3.Ro]  de  la  maison  d'Aniou  &  d'Aragon, 
nous  coupoyent  les  pors  d'Italie.  Mais  depuis  six  vingt 
ans  <^,  nous  avons  donné  la  chasse  aux  Anglois,  &  le  Por- 
tugalois  cinglant  en  haute  mer  avec  la  boussole,  s'est 
fait  maistre  du  Golfe  de  Perse,  &  en  partie  de  la  mer 
rouge,  &  par  ce  moyen  a  rempli  ses  vaisseaux  de  la 
richesse  des  Indes  &  de  l'Arabie  plantureuse,  frustrant 
les  Venetiens  &  Genevois  qui  prenoyent  la  marchandise 
de  l'Egypte  &  de  la  Surie,  ou  elle  estoit  aportee  par  la 
caravanne  des  Alarbes  &  Persans,  pour  nous  la  vendre  en 


«J  la  cinquiesme  partie  du  revenu  d'un  chacun. 
^)   &  nourrir  son   bestail. 
*^)  cent  cinquante   ans... 


90  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

détail  &  au  pois  de  l'or.  En  ce  mesme  temps,  le  Castilian 
ayant  mis  soubs  sa  puissance  les  terres  nefves  pleines 
d'or  &  d'argent  en  a  rempli  TEspaigne,  &  a  monstre 
la  route  à  noz  Pilotes,  pour  faire  le  tour  de  l'Afrique 
avec  un  merveilleux  profit  «.  Or  est  il  que  l'Espaignol, 
qui  ne  tient  vie  que  de  France,  estant  contraint  par 
force  inévitable  de  prendre  icy  les  bleds,  les  toiles,  les 
draps,  le  pastel,  le  rodon  ^^,  le  papier,  les  livres,  voire  la 
menuiserie  &  tous  ouvrages  de  main,  nous  va  cercher 
au  bout  du  monde  l'or  &  l'argent  &  les  épiceries.  D'aus- 
tre  costé  l'Anglois,  l'Ecossois,  &  tout  le  peuple  de 
Norvège,  Suéde,   Danemarch,    &  de  la  coste  Baltique 


«J  avec  un  merveilleux  profit.  Il  est  incroyable,  & 
toutesfois  véritable,  qu'il  est  venu  du  Peru,  depuis 
l'an  1533,  qui  fut  conquis  par  les  Pyurres  plus  de  cent 
millions  d'or,  &  deux  fois  autant  d'argent,  la  rançon 
du  roy  Atubalira  revenoit  à  1.326.000  bezans  d'or,  lors 
au  Peru  les  chausses  de  drap  coustoient  trois  cens  ducats  ; 
la  cape  mil  ducats  :  le  bon  cheval,  quatre  ou  cinq  mil  : 
le  bocal  de  vin  deux  cens  ducats  :  comme  tesmoigne 
l'histoire  des  indes.  Et  neantmoins  Augustin  de  Zarate, 
maistre  des  comtes  du  roy  Gathohque,  a  trouvé  que  les 
officiers  du  roy  Catholique  au  Peru,  sont  demeurez  en 
débet  aux  comtes  arrestez  de  dix  huict  cens  mil  bezans 
d'or,  &  de  six  cens  mil  liv.  d'argent,  sans  la  trafique  & 
profïit  incroyable  que  le  roy  de  Portugal  faict  aux 
moluques,  ou  croissent  les  doux  de  girofles,  canelles 
&  autres  drogues  précieuses,  les  ayant  eues  de  l'Empe- 
reur Charles  V  par  engagement  pour  350.000  ducats, 
lors  qu'il  passa  à  Boulongne  la  Grasse,  pour  se  faire 
couronner  Empereur,  que  les  Italiens  ont  voulu  déga- 
ger &  payer  la  somme  content  :  mais  l'Empereur  n'a 
pas  voulu  pour  l'alliance  des  deux  maisons.  Or  est  il 
que  l'Espaignol... 


JEAN    BODIN  91 

[F0I.C.3.V0]  qui  ont  une  infinité  de  minières,  vont  fouyr 
les  mestaux  au  centre  de  la  terre,  pour  achepter  noz  vins, 
noz  safrans,  noz  pruneaux,  nostre  pastel,  &  surtout 
nostre  sel,  qui  est  une  manne  que  Dieu  nous  donne  d'une 
grâce  spéciale  avec  peu  de  labeur,  car  la  chaleur  défail- 
lant au  peuple  de  Septentrion  outre  le  quarante  sep- 
tiesme  degré,  le  sel  ne  s'y  peut  faire,  &  au  desoubs  du 
quarante  &  deuxiesme,  la  chaleur  trop  ardente  rend  le 
sel  corrosif  «,  qui  gaste  les  personnes  &  les  saleures,  tel- 
lement que  les  salines  de  la  Franche  conté  &  la  pierre  de 
sel  en  Espaigne  &  en  Hongrie,  n'approche  en  rien  qui 
soit  de  la  bonté  du  nostre.  Cela  fait  que  l'Anglois,  le 
Flameng,  &  l'Escossois,  qui  font  grande  trafique  de 
poissons  salez,  chargent  bien  souvent  de  sable  leurs 
vaisseaux  à  faute  de  marchandise,  pour  venir  achepter 
nostre  sel  à  beaux  deniers  contans.  L'autre  occasion 
de  tant  de  biens  qui  nous  sont  venuz  depuis  six  ou  sept 
vint  ans,  c'est  le  peuple  infini  qui  est  multiplié  en  ce 
royaume,  depuis  que  les  guerres  civiles  de  la  maison 
d'Orléans  &  de  Bourgogne  furent  assopies  :  ce  qui  nous 
a  fait  sentir  la  douceur  de  la  paix,  &  jouir  du  fruit  d'icelle 
un  long  temps,  &  iusques  aux  troubles  de  la  [Fol.c.4.R<^] 
religion,  car  la  guerre  de  l'estranger  que  nous  avons  eu 
depuis  ce  temps  la,  n'estoit  qu'une  purgation  de  mau- 
vaises humeurs  nécessaire  à  tout  le  corps  de  la  repub. 
Au  paravant  le  plat  pays  &  presque  les  villes  estoyent 
désertes  pour  les  ravages  des  guerres  civiles,  pendant 
lesquelles  les  Anglois  avoyent  sacagé  les  villes,  bruslé 
les  villages,  meurtri,  pillé,  tué  une  bonne  partie  du 
peuple  François,  &  rongé  le  surplus  iusques  aux  os  :  qui 
estoit  cause  de  faire  cesser  l'agriculture,  la  trafique,  & 


^)  plus  corrosif,  &  encores  plus  le  sel  des  minières 
d'Hespaigne,  Naples  &  de  Poulongne  :  qui  gaste  bien 
souvent... 


92  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tous  ars  mécaniques.  Mais  depuis  cent  ans  on  a  défriché 
un  pays  infini  de  forests  &  de  landes,  basti  plusieurs  vil- 
lages, peuplé  les  villes,  tellement  que  le  plus  grand  bien 
d'Espaigne,  qui  d'ailleurs  est  déserte,  vient  des  colonies 
Françoises,  qui  vont  à  la  file  en  Espaigne,  &  principa- 
lement d'Auvergne  &  du  Limousin  ;  si  bien  qu'en  Navarre 
&  Aragon  presque  tous  les  vignerons,  laboureurs,  char- 
pentiers, maçons,  menuisiers,  tailleurs  de  pierres,  tour- 
neurs, charons,  voituriers,  chartiers,  cordiers,  carriers, 
selliers,  boureliers,  sont  François,  car  l'Espagnol  est 
paresseux  à  merveilles,  hors  le  fait  des  armes  &  de  la 
trafique,  &  pour  ceste  cause  il  aime  le  François  actif 
&  serviable,  comme  il  fist  cognoistre  à  l'entreprinse 
[F0I.C.4.V0]  du  prieur  de  Capnoe  "  à  Valence,  ou  il  se 
trouva  dix  mil  François,  serviteurs  &  artisans,  qu'on 
vouloit  molester  comme  ayant  eu  part  à  la  coniuration 
contre  Maximilian,  qui  lors  estoit  lieutenant  gênerai  en 
Espaigne  :  mais  il  advint  que  les  maistres  &  habitans  de 
Valence  les  cautionnèrent  tous.  Il  y  en  a  aussi  grand 
nombre  en  Italie. 

Encores  y  a-t-il  une  autre  occasion  des  richesses  de 
France,  c'est  la  trafique  du  Levant,  qui  nous  a  esté 
ouverte  par  l'amitié  de  la  maison  de  France  avec  la  mai- 
son des  Othomans  du  temps  du  Roy  François  premier. 
Tellement  que  les  marchans  françois  depuis  ce  temps  la 
ont  tenu  boutique  en  Alexandrie,  au  Gayre,  à  Barut,  à 
Tripoli,  aussi  bien  que  les  Venetiens  &  Genevois,  & 
n'avons  pas  moins  de  crédit  à  Faix  &  à  Maroch,  que  l'Es- 
paignol.  Ge  qui  nous  a  esté  découvert  depuis  que  les 
luifs  chassez  d'Espaigne  par  Ferdinand  se  retirèrent  au 
bas  pays  de  Languedoc  &  nous  accoustumerent  ^  à 
trafiquer  en  Barbarie. 


^)  prieur  de  Gapoue. 

^)  accoustumerent  les  François  à  trafiquer... 


r 


JEAN    BODIN  93 

La  dernière  cause  de  l'abondance  d'or  &  d'argent  a 
esté  la  banque  de  Lyon,  qui  fut  ouverte,  à  dire  la  vérité, 
par  le  Roy  Henry  des  lors  qu'il  n'estoit  que  dauphin, 
prenant  à  dix,  puis  à  seize  «,  &  iusques  à  vint  pour  cent 
en  [Fol.d.LRo]  sa  nécessité.  Soudain  les  Florentins, 
Luquois,  Genevois,  Suisses,  Alemans  afriandez  de  la 
grandeur  du  profit  aporterent  une  infinité  d'or  &  d'ar- 
gent en  France,  &  plusieurs  s'y  habituèrent,  tant  pour 
la  douceur  de  l'air,  que  pour  la  bonté  naturelle  du  peuple, 
&  la  fertilité  du  pays.  Par  mesme  moyen  les  rentes  cons- 
tituées sus  la  Ville  de  Paris,  qui  montent  de  quatorze 
à  quinze  cent  mil  livres  tous  les  ans  ^,  ont  aleché  Testran- 
ger  qui  aporte  icy  ses  deniers  pour  y  faire  profit,  &  enfin 
s'y  habitue  ;  ce  qui  a  fort  enrichi  ceste  ville.  Vray  est 
que  les  ars  mécaniques  &  la  marchandise  auroit  bien 
plus  grand  cours  à  mon  advis,  sans  estre  diminué  par  la 
trafique  d'argent  qu'on  fait  :  &  la  Ville  seroit  beaucoup 
plus  riche,  si  on  faisoit  comme  à  Gènes,  ou  la  maison 
Saint-Georges  prend  l'argent  de  tous  ceux  qui  ne  veulent 
aporter  au  denier  cinq  ^,  &  le  baille  aux  marchands  pour 
trafiquer  au  denier  douze  ou  quinze,  qui  est  un  moyen 
qui  a  causé  la  grandeur  &  richesse  de  ceste  ville  la,  &  qui 
me  semble  fort  expédient  pour  le  public  &  pour  le  par- 
ticulier. Combien  que  i'estime  encore  plus  la  prudence 
&  bonté  de  deux  grands  Empereurs,  Antonins  le  Piteux 
&  Alexandre  Severe,  qui  bailloyent  [Fol.  d.LV^]  l'argent 
de  l'Espargne  aux  particuliers  a  quatre  pour  cent,  qui 


^)  L'autre  cause  de  l'abondance  a  esté  la  banque 
de  Lyon,  qui  fut  ouverte,  à  dire  la  vérité,  par  le  Roy 
François  premier,  quy  commença  à  prendre  l'argent 
à  huit,  &  son  successeur  à  dix,  puis  à  seize... 

^)  quy  montent  à  trois  cens  cinquante  mil  livres 
tous  les  ans. 

^)  en  aporter  au  denier  vingt... 


94  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ii*est  qu'au  denier  vint  &  cinq  «  :  &  par  ce  moyen  ostans 
l'occasion  aux  financiers  de  piller  le  public,  les  pauvres 
subiects  trafiquoyent  &  gaingnoyent  beaucoup,  &  le 
Prince  n'estoit  point  contraint  de  emprunter,  ny  vendre 
son  domaine,  ny  escorcher  son  peuple,  ains  au  contraire 
le  bon  Alexandre  ménageant  de  ceste  sorte,  ravalla  les 
daces  ^^  &  impost  de  trente  pars  :  tellement  que  celuy 
qui  payoit  trente  &  un  escu  de  taille  &  subside  soubs 
Heliogabale  (monstre  de  nature)  n'en  paya  qu'un  soubs 
Alexandre. 

Voila,  Monsieur,  les  moyens  qui  nous  ont  aporté  l'or 
&  l'argent  en  abondance  depuis  deux  cens  ans.  Il  y  en 
a  beaucoup  plus  en  Espaigne  &  en  Italie  qu'en  France, 
parce  que  la  noblesse  mesmes  en  Italie  trafique,  &  le 
peuple  d'Espaigne  n'a  autre  occupation,  aussi  tout  est 
plus  cher  en  Espaigne  &  en  Italie  qu'en  France,  &  plus 
en  Espaigne  qu'en  Italie,  &  mesmes  le  service  &  les 
oeuvres  de  main,  ce  qui  attire  noz  Auvergnatz  &  Limou- 
sins en  Espagne,  comme  i'ay  sceu  d'eux  mesmes,  par  ce 
qu'ils  gaignent  au  triple  de  ce  qu'ils  font  en  France  :  car 
l'Espagnol  riche,  hautain  &  paresseux,  vend  sa  peine 
bien  cher,  [Fol.d.2.R**]  tesmoing  Glenard,  qui  met  en  ses 
epistres  au  chapitre  de  despence,  en  un  seul  article,  pour 
faire  sa  barbe  en  Portugal  quinze  ducatz  pour  an.  C'est 
doncques  abondance  d'or  &  d'argent  qui  cause  en  partie 
la  charte  des  choses. 

le  passeray  l'autre  occasion  de  charte  par  ce  qu'elle 
n'est  pas  si  considérable  au  cas  qui  s'offre,  c'est  à  sçavoir 
les  monopoles  des  marchans,  artisans  &  gaignedeniers  : 


^)  vingt  &  cinq  :  &  qui  plus  est  Auguste  en  bailloit 
sans  intérêt  à  ceux  qui  bailloient  caution  de  payer  le 
double  à  faute  de  rendre  l'argent  au  temps  prefix, 
comme  dit  Suétone,  &  par  ce  moyen... 


JEAN    BODIN  95 

lors  qui  s'assemblent  pour  assoir  le  pris  des  marchandises 
ou  pour  enchérir  leurs  iournees  &  ouvrages.  &  par  ce  que 
telles  assemblées  se  couvrent  ordinairement  du  voile 
de  religion,  le  Chancelier  Poyet  ^^  avoit  sagement  advisé 
qu'on  debvoit  oster  &  retrencher  les  confrairies,  ce  qui  a 
esté  depuis  confirmé  à  la  requeste  des  estatz  à  Orléans, 
tellement  qu'il  n'y  a  point  de  faute  de  bonnes  loix. 

La  troisième  cause  de  renchérissement  est  la  disette, 
qui  advient  par  deux  moyens.  L'un  est  pour  la  traitte 
trop  grande  qui  se  fait  hors  le  royaume,  ou  pour  l'em- 
peschement  d'y  aporter  les  choses  nécessaires  :  l'autre 
pour  le  degast  qu'on  en  fait.  Quand  à  la  traitte,  il  est 
certain  que  nous  avons  les  vins  &  bleds  à  meilleur  conte 
pendant  la  guerre  [Fol.d.2.Vo]  avec  l'Espagnol  &  le 
Flameng,  qu'après  la  guerre,  lorsque  la  traitte  est  per- 
mise, car  les  fermiers  en  partie  sont  contraints  de  faire 
argent  :  le  marchant  n'ose  charger  ses  vaisseaux  :  les 
seigneurs  ne  peuvent  longuement  garder  ce  qui  est  péris- 
sable, &  par  conséquent  il  faut  que  le  peuple  vive  à  bon 
marché  :  car  nos  pères  nous  ont  aprins  un  ancien  pro- 
verbe, que  la  France  ne  fut  iamais  afamee,  c'est  à  dire 
qu'elle  a  richement  de  quoy  nourir  son  peuple  quelque 
mauvaise  année  qui  survienne,  pourveu  que  l'estranger 
ne  vuide  noz  granges.  Or  est  il  certain  que  le  blé  n'est 
pas  si  tost  en  grain,  que  l'Espagnol  ne  l'emporte,  d'autant 
que  l'Espagne,  hormis  l'Arragon  &  la  Grenade,  est  fort 
stérile,  iont  la  paresse  qui  est  naturelle  au  peuple,  comme 
i'ay  dit  :  tellement  qu'en  Portugal  les  marchans  blatiers 
ont  tous  les  privilèges  qu'il  est  possible,  &  entre  autres 
il  est  défendu  de  prendre  prisonnier  quiconque  porte  du 
blé  à  vendre,  autrement  le  peuple  acableroit  le  sergeant, 
pourveu  que  celuy  qui  porte  le  blé  dise  tout  haut, 
Traho  dridigo,  c'est  à  dire,  ie  porte  du  blé  «.  Cela  fait 


^)  ie  porte  du  blé.  Et  combien  qu'il  soit  défendu 
de  tirer  l'or  &  l'argent  d'Espaigne  sus  grandes  peines, 


96  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  TEspagnol  emporte  grande  quantité  de  blé.  D'autre 
part  le  pays  de  Languedoc  &  de  Provence  en  fournit 
presque  [Fol.d.S.Ro]  la  Toscane  &  la  Barbarie,  cela 
cause  l'abondance  d'argent  &  la  charte  du  blé  :  car  nous 
ne  tirons  quasi  autres  marchandises  d'Espagne  que  les 
huiles  &  les  épiceries,  encores  les  meilleures  drogues  nous 
viennent  de  Barbarie  &  du  Levant.  De  l'Italie  nous  avons 
tous  les  aluns,  &  quelques  sarges  &  soyes  :  combien 
que  le  bas  pays  de  Languedoc  &  de  la  Provence  a  plus 
d'huiles  qu'il  n'en  faut  pour  noz  provisions.  Et  quand 
aux  sarges  &  soyes,  il  s'en  fait  bien  d'aussi  bonnes  en 
ce  royaume  qu'en  Florence  &  à  Gènes,  au  iugement  des 
maistres,  &  les  marchans  en  sçavent  bien  faire  leur  pro- 
fit, les  batizant  à  leur  plaisir.  Quand  aux  aluns,  si  nous 
voulions  couper  les  veines  du  mont  Pyrenee,  il  est  cer- 
tain que  nous  y  trouverions  des  sources  non  seulement 
d'alun,  ains  aussi  d'or  &  d'argent,  veu  que  plusieurs 
Alemans  en  ont  fait  bon  raport,  &  maistre  Dominique 
Bertin  ^^,  m'a  monstre  sus  les  lieux,  &  en  a  fait  la 
preuve  au  Roy  Henry  de  tous  métaux  avec  une  infinité 
de  couperose,  d'aluns  &  de  marcasite.  Entre  autres 
choses  il  c'est  trouvé,  que  il  y  a  plus  d'alun  qu'il  n'en 
faut  pour  toute  la  France,  iaçoit  qu'il  en  vient  d'Ita- 
lie pour  plus  d'un  million  tous  les  ans,  comme  il  a 
[Fol.  d.3.Vo]  vérifie.  C'est  à  luy  à  qui  nous  debvons  les 
beaux  marbres  noirs,  blancs,  madrez,  iaspes,  serpentines, 
qu'il  nous  envoyé  des  monts  Pyrénées  iusques  à  Paris  : 
&  m'asseure  que  s'il  avoit  le  crédit,  nous  n'aurions  plus 
que  faire  des  aluns  d'Italie.  En  quoy  faisant  l'Italien 
n'auroit  plus  que  les  afiquetz,  des  fausses  pierres,  &  des 
parfums  pour  tirer  l'argent  de  ce  royaume,  c'est  le 
moyen  qu'ils  ont  trouvé,  n'ayant  plus  que  troquer  avec 


si  est-il  permis  pour  le  blé  seulement.  Ce  la  fait  que 
l'Espagnol... 


JEAN    BODIN  97 

nos  marchandises,  de  nous  vendre  des  fumées,  qui  sont 
si  chères,  qu'il  y  a  tel  parfumeur  Italien  qui  a  vendu  à 
un  seigneur  de  ce  royaume,  comme  vous  sçavez,  pour 
quatre  cens  escuz  de  gans,  &  n'en  avoit  que  pour  sa 
provision.  Si  mes  souhaitz  avoient  lieu,  ie  desirerois  que 
les  princes  en  fissent  aussi  peu  d'estime  que  Vespasian 
l'Empereur,  ie  m'asseure  que  les  parfums  de  Gascogne 
osteroyent  la  charte  à  ceux  d'Italie. 

Quant  à  la  quatriesme  cause  de  renchérissement, 
elle  provient  du  plaisir  des  princes,  qui  donnent  le  pris 
aux  choses,  car  c'est  une  reigle  générale  en  matière 
d'estat  &  de  republiques,  que  Platon  a  le  premier  aper- 
ceue,  que  non  seulement  les  rois  donnent  loy  aux 
subiects,  ains  aussi  changent  les  mœurs  &  façons 
[Fol.d.4.Ro]  de  vivre  à  leur  plaisir,  soit  en  vice,  soit  en 
vertu,  soit  es  choses  indifférentes.  le  n'useray  d'autre 
exemple  que  du  roy  François  premier,  qui  se  fist  tondre 
pour  guérir  d'une  blessure  qu'il  avoit  en  la  teste  : 
soudain  le  courtisan,  &  puis  tout  le  peuple  fut  tondu, 
tellement  qu'on  se  moque  auiourd'huy  des  longs  cheveux 
qui  estoit  l'ancienne  marque  de  beauté,  &  de  liberté 
(aussi  la  perruque  blonde  est  iugee  des  anciens  la  beauté 
du  peuple  du  Septentrion)  tellement  que  noz  premiers 
roys  défendirent  aux  subiects,  hors  mis  aux  Françons 
naturels,  de  porter  longs  cheveux,  en  signe  de  servitude  : 
coustume  qui  dura  iusques  à  ce  que  Pierre  Lombard 
Evesque  de  Paris  ^^  fist  lever  les  défenses  par  autorité 
qu'avoyent  lors  les  Evesques  sus  les  roys.  Qui  suffit  en 
passant,  pour  monstrer  que  le  peuple  se  conforme  tou- 
siours  à  la  volonté  du  prince,  &  par  conséquent  prise 
&  encherist  tout  ce  que  les  grans  seigneurs  ayment, 
encores  que  les  choses  en  fussent  indignes  «. 


^)  fussent   indignes.    Gomme    l'Empereur  Garucala 
donna  la  charge  inestimable  à  l'ambre  iaune,  comme  dit 


LE    BRANCHU 


^  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Nous  avons  veu  trois  grands  princes  d'un  mesme 
temps,  à  l'envy  l'un  de  l'autre  qui  auroit  de  plus  belles 
pierres,  de  plus  sçavants  hommes,  &  de  plus  gentilz 
artisans,  à  sçavoir  le  grand  roy  François,  le  Pape  Paul 
troisiesme  [Fol.d.4.Vo]  &  le  roy  Henry  d'Angleterre  : 
si  bien  que  le  roy  François  ne  voulust  iamais  que  le  roy 
d'Angleterre  eust  monsieur  Budé,  quelque  requeste 
qu'il  en  fist  :  &  si  aima  mieux  payer  soixante  mil  escuz 
d'un  diamant  «,  que  le  roy  d'Angleterre  l'emportast  sur 
luy.  soudain  la  noblesse  &  le  peuple  commença  d'estu- 
dier  en  toutes  sciences,  &  d'achepter  pierres  pretieuses, 
quoy  qu'elles  coustassent  :  tellement  que  les  Italiens 
ayant  senti  le  vent  de  noz  appetitz,  en  ont  plus  falsifié 
en  vingt  ans,  que  l'Indie  n'en  produisit  onques  de  natu- 
relles :  ce  qu'eux  mesmes  n'ont  peu  celer,  appellant  le 
François  lourdaut,  comme  escrit  Cardan  ^^,  de  se  laisser 
ainsi  escorner.  Depuis  que  le  roy  Henry  mesprisa  les 
pierreries,  on  n'en  veid  iamais  si  grand  marché,  c'estoit 
donc  le  plaisir  des  grands  seigneurs  qui  haussoit  le  pris 
des  pierres  pretieuses,  &  non  pas  la  disette,  veu  que 
telles  pierres  ne  peuvent  diminuer  ny  périr,  hors  mis 
l'Emeraude,  qui  est  un  peu  fragile,  &  la  perle  qui  noir- 
cist  &  se  pourist  à  la  longue.  Mais  quand  les  grands 
seigneurs,  voyent  leurs  suiects  avoir  à  foison  les  choses 
qu'ils  ayment,  ils  commencent  à  les  mépriser.  loint  aussi 
que  l'abondance  de  soy  cause  le  mespris,  comme  nous 
voyons  de  la  perle,  [Fol.e.l.R^]  qui  est  à  si  grand  marché 
pour  l'abondance  qui  en  est  venue  des  terres  neufves  ^, 


l'hystoire,  pour  ce  qu'il  estoit  de  la  couleur  des  cheveux 
de  sa  mie.  Nous  avons  veu... 

^)  soixante  douze  mil  escuz  sol  tresbuschans  d'un 
diament... 

^)  des  terres  neufves,  car  il  se  trouve  es  histoires 
des  Indes  que  le  quint  aporté  à  l'Empereur  revenoit 


JEAN    BODIN  99 

&  neantmoins  c'estoit  anciennement  le  plus  précieux 
des  ioyau  de  nature,  comme  dit  Pline,  encores  disons 
nous  en  commun  proverbe  d'un  homme  illustre,  ou  d'une 
chose  belle  par  excellence,  c'est  une  perle.  &  le  grand 
Negus,  que  nous  appelions  Preste  lean,  seigneur  de 
cinquante  provinces,  met  en  son  titre  d'honneur,  lochan 
Belul,  qui  est  à  dire,  perle  pretieuse.  La  perle  estoit 
donc  la  chose  la  plus  chère  qui  fut  au  monde  ancienne- 
ment, tant  pour  la  rarité,  qui  estoit  telle  qu'on  les 
appelloit  uniones,  que  pour  l'estimation  qu'en  faisoyent 
les  Princes,  qui  estoit  estrange  &  presque  incroyable. 
Quoy  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  que  la  royne  Cleopatre 
en  avoit  deux  du  pois  d'une  once,  estimées  cinq  cens 
mil  escuz.  Elle  en  avalla  une  par  gageure  après  l'avoir 
liquéfiée  :  l'autre  fut  emportée  par  Auguste  pour  la 
plus  belle  dépouille  de  sa  victoire,  qu'il  fist  tailler  en 
deux,  pour  attacher  aux  aureilles  de  Venus.  Nous  en 
avons  veu  depuis  huit  ans  une  à  la  blanque  ^^,  qui  pezoit 
peu  moins  de  demye  once,  enrichie  de  cinq  grosses 
pierres  pretieuses  :  &  neantmoins  tout  le  bénéfice  ne 
fut  estimé  que  treize  cens  escuz,  qui  estoit  [Fol.e.l.V**] 
beaucoup  au  iugement  des  lapidaires  :  pour  monstrer 
que  l'abondance  des  perles  a  causé  le  mespris,  &  du 
mespris  est  venu  le  bon  marché.  Autant  pouvons  nous 
dire  de  la  peinture,  que  les  princes  du  Levant,  &  mes- 
mement  Alexandre  le  Grand,  avoyent  mis  en  si  grand 
crédit,  que  le  tableau  de  Venus  sortant  des  eaus,  que 
Apelles  avoit  peint,  fut  achepté  soixante  mil  escuz  : 
Alexandre  luy  donna  du  sien  deux  cens  talens,  qui 
valent  six  vins  mil  escuz.  Les  tableaux  des  autres 
peintres  n'estoyent  pas  tant  prisez,  mais  les  moindres 
coustoyent  bien  cher.  Apelles  ne  fist  point  de  difficulté 


à  160  livres  de  poix  pour  une  fois  seulement  :  &  neant- 
moins c'estoit  anciennement... 


100  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

d'achepter  un  tableau  de  Protogene  cinquante  mil  escuz. 
Nous  en  avons  de  Michel  l'Ange,  Rhaphael  Durbin,  de 
Durel,  &  sans  aller  plus  loing,  un  de  Monsieur  de  Gla- 
gny  ^^  en  la  galerie  de  Fonteine  Beleau,  qui  est  un  chef 
d'œuvre  admirable,  que  plusieurs  ont  paragonné  aux 
tableaux  d'Apelles  :  il  y  en  a  plusieurs  autres  d'un  mer- 
veilleux artifice,  mais  ils  n'approchent  en  rien  qui  soit 
au  pris  des  anciens  :  parce  que  les  princes  en  font  peu 
d'estime,  &  que  tous  les  peuples  du  Levant  &  de  Bar- 
barie iusques  en  Perse,  ont  en  extrême  abomination 
tous  pourtraitz  des  choses  que  nature  produist,  craignant 
f ailler  au  commandement  [Fol.e.2.Ro]  qui  dit,  Tailler 
ne  te  feras  image  :  tellement  que  les  peintres,  mouleurs, 
fondeurs,  imagers,  enlumineurs,  n'ont  place  ny  crédit 
en  ces  pays  la  non  plus  que  leurs  ouvrages.  C'est  donc  en 
partie  le  plaisir  des  grands  seigneurs  qui  fait  les  choses 
enchérir. 

La  dernière  cause  de  renchérissement  est  le  degast 
qu'on  fait  des  choses  qu'on  deveroit  ménager.  La  soye 
deveroit  estre  à  grand  marché,  veu  qu'on  en  fait  tant 
en  ce  royaume,  outre  celle  qui  vient  d'Italie.  La  charte 
vient  du  degast  :  car  on  ne  s'en  contente  pas  d'en  acous- 
trer  les  belistres  &  laquais  ^3,  ains  aussi  on  la  découpe 
de  telle  sorte,  qu'elle  ne  peut  durer  ni  servir  qu'à  un 
maistre  :  ce  que  les  Turcs,  comme  i'ay  entendu,  nous 
reprochent  à  bon  droit,  nous  appellans  enragez  &  for- 
cenez  de  gaster,  comme  en  despit  de  Dieu,  les  biens 
qu'il  nous  donne.  Ils  en  ont  sans  comparaison  plus  que 
nous,  mais  sus  la  vie  qu'on  osast  en  découper.  Autant 
nous  en  prend  il  pour  la  draperie,  &  principalement 
pour  les  chausses,  ou  Ion  employé  le  triple  de  ce  qu'il 
en  faut,  avec  tant  de  balafres  &  dechiquetures,  que  les 
pauvres  gens  ne  s'en  peuvent  servir,  après  que  monsieur 
en  est  degousté.  Il  y  a  bien  plus,  c'est  qu'on  en  use 
trois  paires  pour  [Fol.e.2.Vo]  une,  &  pour  donner  grâce 


JEAN    BODIN  101 

aux  chausses,  il  faut  une  aulne  d'estofe  plus  qu'aupa- 
ravant à  faire  un  casaquin.  On  a  fait  de  beaux  editz, 
mais  ils  ne  servent  de  rien  :  car  puis  qu'on  porte  à  la 
cour  ce  qui  est  défendu,  on  en  portera  par  tout,  telle- 
ment que  les  sergeans  sont  intimidez  par  les  uns,  & 
corrompus  par  les  autres.  loint  aussi  qu'en  matière 
d'habits,  on  estimera  tousiours  sot  &  lourdaut  celuy 
qui  ne  s'accoustre  à  la  mode  qui  court  :  laquelle  mode 
nous  est  venue  d'Espagne,  tout  ainsi  que  la  vertugade, 
que  nous  avons  empruntée  des  Mauresques  :  avec  tel 
advantage,  que  les  portes  sont  trop  estroictes  pour  y 
passer,  qui  est  bien  loin  de  l'ancienne  modestie  de  noz 
pères,  qui  portoyent  les  accoustremens,  comme  dit 
Gesar,  uniz  &  pressez  sus  le  corps,  raportant  la  propor- 
tion &  beauté  des  membres  :  les  Alemans  au  contraire 
les  portoyent  larges  ^4  ;  ^e  qui  aporte  un  degast 
incroyable  :  du  degast  vient  la  disette  :  de  la  disette  vient 
en  partie  la  charte  d'acoustremens.  outre  la  façon  qui 
passe  bien  souvent  le  pris  des  estofes  :  pour  les  enrichir 
de  broderies,  pourfileures,  passemens,  franges,  tortils, 
canetilles,  recamures,  chenettes,  hors,  piqueûres,  arrière- 
points,  &  autres  pratiques  qu'on  invente  de  [Fol.e.S.Ro] 
jour  à  autre  «.  Et  de  telles  braveries  on  vient  aux  meubles 
de  la  maison,  aux  lictz  de  draps  d'or,  ou  broderies 
exquises,  au  bufetz  d'or  &  d'argent,  &  afm  que  tout 
s 'entresuive,  il  faut  bastir  ou  se  loger  magnifiquement, 
&  que  les  meubles  soyent  sortables  à  la  maison,  &  la 
manière  de  vivre  convenable  aux  vestemens  :  tellement 
qu'il  faut  garnir  la  table  de  plusieurs  metz.  car  le  Fran- 
çois pour  la  nature  de  sa  région,  qui  est  plus  froide  que 


^)  de  iour  à  l'autre,  car  après  la  défense  des  drap» 
d'or  &  d'argent,  il  se  trouva  des  dames  qui  portoyent 
des  robes  faites  à  Milan  du  pris  de  cinq  cens  escuz  la 
façon  sans  or  ny  pierreries.  Et  de  telles  braveries... 


10^  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


fï- 


l'Espagne  &  l'Italie,  ne  peut  vivre  de  curedens  comme 
^^ l'Italien.  De  la  vient  la  super fluité  excessive  en  toutes 
sortes  de  viandes,  &  la  friandise  incogneue  à  noz  pères, 
qui  a  tellement  vaincu  ce  royaume,  qu'il  n'y  a  pas  les 
valetz  de  boutique,  qui  ne  veuillent  disner  à  la  table 
du  More  à  un  escu,  les  maistres  à  deux  escuz  pour 
teste  «.  Toutesfois  ce  ne  sont  pas  encore  les  plus  grands 
excès,  veu  qu'il  se  trouva  en  revoyant  le  procès  des 
financiers,  que  l'un  d'entre  eux  envoyoit  de  Paris 
iusques  en  Flandres  douze  botes  de  chemises  blanchir 
à  un  teston  ^s  pour  pièce  :  &  jamais  ne  donnoit  moins  d'un 
teston  pour  les  espingles  ^.  Ce  fut  l'une  des  raisons  qui 
meut  du  Prat  chancelier,  de  se  faire  ennemy  juré  de  tels 
laronneaus,  qui  gastent  la  simplicité  du  peuple,  & 
enchérissent  toutes  [Fol.e.S.Vo]  choses  de  propos  déli- 
bère :  &  le  pis  que  i'y  voy,  c'est  au  despens  du  prince 
&  du  peuple.  le  dy  donques  que  de  tels  degatz  &  super- 
fluitez  vient  en  partie  la  charte  de  vivres  que  nous 
voyons.  le  laisse  à  dire  que  c'est  la  source  de  tous  vices 
&  calamitez  d'une  repub.,  car  il  faut  ioiier,  emprunter, 
vendre  &  se  déborder  en  toutes  voluptez  :  en  fin  payer 
se'i  créanciers  en  belles  cessions,  ou  en  faillites.  Mais 
si  les  anciennes  loix  des  Romains,  Grégeois,  Hebrieux, 
Aegyptiens,  avoyent  aussi  bien  lieu  en  France  comme 
en  toute  l'Ethiopie,  c'est  à  sçavoir  qu'on  adjugeast  le 
debteur  à  faute  de  payement  au  créancier,  pour  le  vendre 
ou  s'en  servir,  on  ne  verroit  pas  tant  de  voleurs,  de 
cessionnaires  &  de  banqueroutiers,  ny  la  charte  que 
nous  voyons  causée  des  excès,  ne  seroit  pas  si  grande 
de  beaucoup. 


"j  à  deux  escuz  par  tête,  qui  est  l'une  des  pestes  de 
Paris  la  plus  pernicieuse.  Toutesfois... 

^)  pour  les  espingles  :  aussi  Dieu  s'en  vengea,  car 
le  bourreau  après  l'avoir  estranglè,  luy  despouilla 
usques  à  sa  chemise,  ce  fut  l'une  des  raisons... 


JEAN    BODIN  103 

Icy,  me  dira  quelqu'un  :  Si  les  choses  alloyent  en 
enchérissant  en  partie  pour  le  degast,  en  partie  aussi  pour 
l'abondance  d'or  &  d'argent,  nous  serions  en  fin  tous 
d'or  «  &  personne  ne  pouroit  vivre  pour  la  charte.  Il 
est  vray  :  mais  les  guerres  &  calamitez  qui  adviennent 
aux  republiques,  arrestent  bien  le  cours  de  la  fortune  : 
comme  nous  voyons  les  [Fol.e.4.Ro]  Romains  avoir 
vescu  fort  echarcement,  &  si  faut  dire,  en  merveilleuse 
pauvreté  quasi  cinq  cens  ans,  lors  qu'ils  n'avoyent  que 
grosse  monnoye  d'erain,  du  pois  d'une  livre,  &  sans 
marque  iusques  au  roy  Servius.  aussi  ne  forgerent-ils 
monnoye  d'argent  que  l'an  quatre  cens  quatre  vins 
&  cinq,  après  la  fondation  de  Homme,  comme  on  peut 
voir  aux  fastes,  soixante  &  deux  ans  après,  on  usa  de 
monnoye  d'or.  Voyons  donc  le  pris  des  choses  de  ce 
temps-la,  nous  trouverons  que  le  mouton  n'estoit  estimé 
que  dix  asses  d'erain,  que  le  docte  Budé  prend  pour  trois 
sous  &  demy  de  son  temps,  &  au  plus  fort  quatre  des 
nostres  :  le  bœuf  cent  asses,  qu'il  estime  un  escu  cou- 
ronne. &  fut  le  pris  estimé  par  la  loy  Ateria  Trapeia, 
deux  cens  quatre  vins  ans  après  la  fondation  de  Homme  : 
au  quel  temps  la  solde  du  piéton,  dit  Polybe,  n'estoit 
que  deux  oboles,  au  centenier  quatre,  à  l'homme  de 
cheval  un  denier,  qui  valoit  trois  souz  &  demy  ^.  Quand 
au  pris  des  autres  vivres,  on  le  peut  iuger  par  la  loy  Fan- 
nia,  qui  retrenchea  la  despence  l'an  cinq  cens  quatre  vins 
&  douze  après  la  fondation,  avec  défense  espresse  de 
despendre  plus  de  cent  asses,  qui  est  un  escu  couronne, 


^)  nous  serions  en  fm  tous  d'or  manque  dans  V édi- 
tion de  1578. 

^)  trois  sous  &  demy  de  la  monnoye  forgée  à  quatre 
deniers  douze  grains.  Nous  lisons  en  Plutarque  que  le 
pris  du  mouton  au  temps  de  Solon  n'estoit  que  d'une 
drachme  :  qui  estoit  une  septiesme  partie  moins  que  à 
Homme  deux  cens  ans  après.  —  Quant  au  pris... 


104  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

aux  banquetz  qui  se  faysoyent  les  [Fol.e.4.Vo]  iours  des 
grands  ieux  :  aux  autres  iours  dix  asses,  à  la  charge  qu'il 
n'y  auroit  point  de  volaille,  excepté  la  poule  de  pailler  ^^  : 
&  fut  cest  edict  publié  par  toute  l'Italie  à  la  requeste 
de  Didius  tribun  du  peuple.  Soixante  &  quatre  ans  après, 
Crassus  le  riche  "  voyant  que  les  vivres  peu  a  peu  enche- 
rissoyent,  permist  de  despendre  cent  asses  les  iours  de 
foire,  des  calendes,  nones  &  ides  ;  &  aux  nopces  deux 
cens  asses,  qui  font  deux  escuz  :  trois  livres  de  chair  sèche 
une  livre  de  chair  salée,  des  fruits  tant  qu'on  voudroit. 
aux  autres  iours,  trente  asses,  qui  font  le  teston.  Vingt 
&  sept  ans  ensuyvant,  lors  que  la  ville  fut  enrichie  de  la 
dépouille  de  Grèce  &  d'Asie,  on  ne  pouvoit  tenir  la 
bride  au  peuple,  ioint  aussi  que  pour  l'abondance  d'or 
&  d'argent  tout  estoit  fort  enchéri,  Sulla  Dictateur 
voyant  les  anciennes  ordonnances  s'en  aller  en  fumée, 
retranchea  la  despence  tant  qu'il  peut,  &  toutesfois 
permist  qu'elle  fust  plus  grande  des  deux  tiers  que  Cras- 
sus n'avoit  fait  :  iaçoit  qu'il  diminuast  la  taxe  des  vivres. 
Trente  &  six  ans  après,  César,  le  plus  sobre  seigneur  qui 
fut  onques,  voyant  tout  le  peuple  débordé  en  banquetz 
excessifs,  fist  quelque  edict,  par  lequel  il  défendit  de 
passer  vint  &  cinq  escuz  [Fol.f.l.R®]  aux  nopces  :  & 
quand  aux  autres  iours  de  festes  &  foires,  sept  escuz  & 
demy,  qui  estoit  dix  fois  plus  que  Sulla  n'avoit  permis. 
Et  neantmoins  on  faisoit  si  peu  de  conte  de  ses  edicts, 
qu'il  fust  contraint  pour  les  exécuter,  d'aller  secrètement 
au  marche.  Aussi  depuis  ne  se  trouva  personne  qui  en 
fist  aucune  ordonance.  Et  mesmes  Caligula  voulut  mons- 
trer  exemple  à  ses  subiects  de  toute  prodigalité,  dépen- 
dant en  moins  d'un  an  vint  &  deux  millions  d'or,  que 
Tibère  avoit  espargnez. 

Or  voyons  combien  l'abondance  d'or  &  d'argent,  & 


^)  Crassus  le  riche  censeur. 


JEAN    BODIN  105 

le  degast  fist  enchérir  les  choses  depuis  Sulla  iusques  a 
Caligula,  qui  ne  sont  pas  cent  ans.  nous  trouverons  que 
les  poissons  delicatz,  comme  le  mulet,  le  turbot,  la  dorade 
le  denté,  l'esturgeon,  la  murène  s'acheptoyent  au  pois 
d'argent  pur  &  sec  com  dit  Galen.  Il  y  eut  bien  un 
f riant,  qui  ne  mérite  pas  d'estre  nommé,  qui  paya  deux 
cens  escuz  d'un  mulet  de  mer  ne  pezant  que  deux  livres, 
qui  estoit  l'achepter  au  pois  de  l'or.  Nous  en  peschons 
en  nostre  mer  Oceane,  &  quelquefois  en  Loire,  ou  ils  se 
dégorgent,  de  trois  &  quatre  livres  pour  quinze  ou  vint 
sous,  parce  que  les  grands  seigneurs  &  [Fol.f.l.V^]  le 
peuple  ayme  mieux  la  chair. 

De  ces  exemples  nous  pouvons  iuger  la  charte  de 
toutes  autres  choses,  car  le  pan  des  le  temps  de  Varron 
coustoit  cinquante  deniers  d'argent,  qui  font  cinq  escuz. 
depuis  lequel  temps  le  pris  de  toutes  choses  haussa  dix 
fois  autant,  comme  nous  avons  monstre,  ce  seroit  au  pris 
de  quarante  ou  cinquante  escuz  le  pan.  Pline  passe  plus 
outre,  car  il  dit  qu'un  nomme  Hirrius  presta  six  mil 
murènes,  qui  n'ont  rien  semblable  à  nos  lamproyes  que  la 
longueur,  au  pois  &  au  nombre,  à  la  charge  de  luy  en 
rendre  autant,  &  n'en  voulut  vendre  pour  or  ny  pour 
argent,  de  quoy  on  faisoit  peu  de  conte  pour  l'abondance 
qui  estoit  en  Romme.  car  ce  n'estoit  pas  la  disette  des 
choses,  veu  que  de  toutes  pars  du  monde  on  aportoit  la 
comme  au  marché.  Vray  est  que  les  excez  aidoyent  bien 
à  enchérir  les  vivres  :  car  il  se  trouvoit  que  les  riches  ne 
sçavoyent  quelque  fois  comment  despencer  leur  bien  :  ce 
qui  advint  à  Aesope  ioueur  de  tragédies,  lequel  pour  entrer 
en  appétit,  se  faisoit  servir  un  plat  estime  quinze  mil 
escuz,  plein  de  rossignols  chantans,  estourneaux,  merles 
&  autres  oyseaux  qui  avoyent  aprins  a  parler.  Encores 
que  tels  oyseaux  soyent  faides  &  malplaisans  [Fol.f.2.Ro] 


106  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

toutesfois  le  coust  "  leur  donnoit  bon  goust.  Le  fils  crai- 
gnant faire  deshonneur  au  père,  humoit  des  perles  liqué- 
fiées d'un  pris  inestimable.  Et  ne  faut  point  s'esbahir 
qu'un  ioueur  de  tragédies  eust  tant  d'escuz  :  car  les  bou- 
fons  et  ioueurs  de  farces  estoyent  en  si  grand  crédit,  que 
Roscius  avoit  trente  &  six  mil  escuz  de  l'espargne  cha- 
cun an,  pour  faire  le  badin  une  douzaine  de  fois  devant 
le  peuple,  outre  le  profit  qu'il  tiroit  de  ses  ieux  parti- 
culiers. 

Mais  pour  monstrer  à  l'œil  l'abondance  d'or  &  d'ar- 
gent, il  n'y  a  point  de  meilleur  exemple  que  d'Apicius 
maistre  queux,  auquel  après  avoir  mangé  quinze  cens 
mil  escuz  restoyent  encores  deux  cens  cinquante  mil, 
toutesfois  craignant  mourir  de  faim,  il  s'empoisonna, 
comme  tesmoignent  plusieurs  historiens.  Ce  qui  me  fait 
croire  estre  véritable  ce  qu'on  dit  de  Giceron,  qu'il  eut 
une  maison  estimée  cinquante  mil  escuz  pour  plaider 
une  cause  ;  car  puis  que  les  plaisans  avoyent  si  grand 
crédit  envers  le  peuple,  ce  n'estoit  pas  de  merveille  si  un 
tel  advocat  estoit  si  bien  payé. 

Or  est  il  que  tout  l'or  &  l'argent  leur  vint  en  six 
vingts  ans,  par  la  dépouille  de  tout  [Fol.f.2.Vo]  le  monde, 
qu'aporterent  en  Romme  les  Scipions,  Paul  AEmyl, 
Marins,  Sulla,  Luculle,  Pompée,  César  &  mesmement 
ces  deux  derniers  :  car  Pompée  conquist  tant  de  pays, 


^)  le  coust  lui  donnoit  bon  goust.  Et  mesme  Athe- 
naeus  raconte  de  luy  qu'estant  arrive  en  Sclavonie 
pour  y  manger  des  escreviches  qu'on  estimoit  fort  en 
ce  pays  la  :  devant  que  descendre  du  navire  on  luy  dit 
qu'il  y  en  avoit  sans  comparaison  de  plus  belles  &  meil- 
leures en  la  coste  d'Afrique  :  ce  que  ayant  entendu  il 
fist  voile  vers  l'Afrique  pour  en  manger.  Le  fils  craignant. . . 


JEAN    BODIN  107 

qu'il  fist  monter  le  revenu  de  l'Empire  à  huit  millions 
cinq  cens  mil  escuz,  qui  estoit  le  double  &  trois  cin- 
quiesmes  plus  qu'au  paravant.  César  aporta  quarante 
millions  d'escuz  a  l'espagne,  outre  les  prodigalitez  qu'il 
faisoit  :  car  pour  une  fois  il  donna  à  Paul  Consul  neuf 
cens  mil  escuz  pour  ne  sonner  mot  :  &  à  Curion  Tribun 
quinze  cens  mil  escuz  pour  estre  de  sa  ligue.  Marc  Antoine 
passa  bien  plus  outre,  s'il  est  vray  ce  que  Plutarque  & 
Apian  en  escrivent  :  car  il  donna  a  son  armée  pour  les 
agréables  services  deux  cens  mil  talens  :  cela  revient  à 
six  vins  millions  d'escuz.  ce  qui  est  aucunement  croyable, 
veu  que  l'Empereur  Adrian,  qui  estoit  sage  ménager, 
pour  avoir  la  bonne  grâce  des  légions,  qui  estoyent  au 
nombre  de  quarante,  donna  dix  millions  d'escuz. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'esbahir  si  les  choses  estoyent 
chères,  veu  l'abondance  d'or  &  d'argent  qui  estoit  en 
Romme.  Mais  ses  ecxes  &  braveries  ne  durèrent  pas 
touiours  :  car  en  moins  de  trois  cens  ans,  les  Parthes, 
les  [Fol.f.S.Ro]  Goths,  Herules,  Hongres  &  autres  cruelles 
nations  fouragerent  tout  l'Empire  &  mesmes  l'italie, 
foulèrent  aux  pieds  les  Romains,  bruslerent  leur  ville, 
butinèrent  leur  dépouilles.  Ainsi  advient  il  a  toutes 
républiques,  de  naistre  &  croistre  peu  à  peu,  &  puis 
florir  en  richesses  &  puissance,  en  après  s'enviellir  & 
aller  en  décadence,  iusques  a  ce  qu'elles  soyent  du  tout 
ruinées,  comme  i'ay  monstre  au  discours  sus  Testât 
des  republiques  en  la  Méthode  des  histoires. 

Nous  avons  discouru  les  raisons  de  renchérissement 
des  choses  :  Reste  à  monstrer,  que  Monsieur  de  Males- 
troit  «  s'est  aussi  mespris  au  titre  des  monnoyes  forgées 
en  ce  royaume  depuis  trois  cens  ans.  Car  il  dit  que  saint 


°j  Malestroit... 


108  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Louys  fist  forger  les  premiers  souz  valans  douze  deniers, 
&  qu'il  n'y  en  avoit  que  soixante  &  quatre  au  Marc.  Il 
dit  aussi  que  du  temps  de  Philippe  de  Valois,  Tescu 
d'or  aux  fleurs  de  lis  sans  nombre,  de  meilleur  pois  & 
aloy  que  le  nostre,  ne  valoit  que  vint  souz.  Puis  après 
que  le  roy  lean  fist  forger  les  francs  à  pied  ^^  et  à  cheval  ^^ 
d'or  fm,  qui  ne  valoyent  que  vint  souz.  D'avantage  que 
le  sou  d'argent  de  ce  temps-la  en  valoit  cinq  des  nostres. 
Il  ne  dit  point  de  quel  titre,  de  quel  [Fol.f.S.Vo]  pois  et 
aloy  estoient  les  monnoyes. 

Quand  a  ce  dernier  point,  il  se  contredit  luy  mesmes  : 
car  il  est  d'acord  que  l'escu  vieil  ^^,  qui  peze  trois  deniers 
trebuchans,  ne  vaut  que  soixante  souz  des  nostres  ^  : 
tellement  que  le  sol  ancien  de  fm  argent  n'en  vaudroit 
que  trois  des  nostres  :  &  toutesfois  les  francs  à  pied  &  à 
cheval  pezent  moins  que  les  escuz  vieux  de  quatre 
grains  ^^,  et  ne  sont  pas  de  meilleur  aloy  :  veu  qu'aux 
uns  &  aux  autres,  il  y  a  un  quart  de  carat  de  rèmede. 
aussi  par  l'ordonnance  de  l'an  cinq  cens  soixante  &  un, 
le  vieil  escu  est  à  soixante  souz,  &  le  franc  à  pied  ou  à 
cheval  à  cinquante  cinq  souz.  Par  ainsi  il  se  mesprend 
quasi  de  la  moitié,  quant  à  la  proportion  des  souz  anciens 
&  des  nostres.  car  s'il  estoit  ainsi  comme  il  dit,  que  le  sol 
ancien  de  fin  argent  valust  cinq  fois  autant  comme  les 
nostres,  l'escu  vieil  vaudroit  cent  souz,  le  franc  à  pied 
ou  à  cheval  quatre  livres  dix  souz. 

En  second  lieu  monsieur  de  Malestroit  ^  se  mesprend, 
laissant  entre  saint  Louys  &  Philippe  de  Valois  cent 
xxiii  ans,  pendant  lequel  temps  Philippe  le  Bel,  arrière 


^)  des  nôtres  forgez  par  l'ordonnance  du  Roy  Fran- 
çois premier  tellement  que  le  sol... 
^)  Malestroit. 


JEAN    BODIN  109 

fils  de  saint  Louys,  l'an  mil  trois  cens,  afoiblit  tellement 
la  monnoye  d'argent,  qu'un  sol  de  l'ancienne  [Fol.f.4.  Ro] 
monnoye  en  valoit  trois  de  nouveaux,  comme  nous  trou- 
vons en  noz  registres  &  mesmes  en  nos  Annales,  &  en 
l'histoire  d'Antonin,  de  laquelle  m'a  adverti  Monsieur  de 
Livres  ^^,  homme  accompli  en  bon  sçavoir.  Et  combien 
que  pour  apaiser  la  mutinerie  du  peuple  la  monnoye  fut 
réduite  a  l'ancienne  valeur,  si  est  ce  que  dix  ans  après 
elle  fut  si  fort  afoiblie,  que  le  sol  n'avoit  que  trois  deniers 
&  demi  d'argent  :  tellement  que  les  trois  pars  «  estoyent 
de  cuivre  :  qui  est  la  plus  foible  monnoye  qu'on  aye  veu 
de  nostre  temps,  car  l'an  cinq  cens  cinquante  &  un,  les 
souz  forgez  par  l'ordonance  du  roy  Henry  tienent  trois 
deniers  &  demy  d'argent.  On  n'a  iamais  veu  de  nostre 
mémoire  plus  d'aliage  en  billon.  Il  faut  donc  conclure, 
puis  que  le  sol  estoit  de  mesme  titre,  de  mesme  pied,  de 
mesme  aloy,  &  qu'il  y  avoit  autant  d'aliage  il  y  a  trois 
cens  ans,  comme  a  présent,  que  la  démonstration  de 
monsieur  de  Malestroit,  ^  &  ses  exemples  ne  peuvent  avoir 
lieu,  car  iaçoit  que  Charles  le  Bel  restitua  l'ancien  titre 
des  souz  a  douze  deniers  le  roy  l'an  mil  trois  cens  vingt 
&  deux,  toutesfois  six  mois  après  il  l'afoiblit  de  toute  la 
moitié. 

Nous  trouvons  vien  d'avantage  par  noz  [Fol.f.4.Vo] 
registres,  que  l'an  mil  quatre  cens  vingt  &  deux,  le 
titre  des  souz  estoit  si  foible,  que  le  marc  d'argent  valoit 
quatre  vingt  livres  tournois,  qui  sont  seize  cens  pièces 
pour  marc  d'euvre  :  tellement  qu'un  de  noz  sous  ^  vaut 
à  ce  conte  cinq  souz  de  ceux  la,  qui  est  bien  tout  le 


^)  deux  parts  &  demy  estoyent  de  cuivre  :  qui  est 
la  plus  foible... 
^)  Malestroit. 
^)  qu'un  des  solz  du  roy  Henry  II. 


110  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

contraire  de  ce  que  monsieur  de  Malestroit  "  a  mis  en 
avant,  qu'un  sol  ancien  en  valoit  cinq  des  nostres  :  veu 
qu'il  y  a  cent  cinquante  ans,  que  cinq  souz  n'en  valoyent 
qu'un  des  nostres.  Il  faut  donc  qu'il  raporte  ce  mot 
ancien  à  certaines  années  seulement,  &  non  pas  à  toutes, 
comme  il  fait  depuis  trois  cens  ans. 

Bref,  qui  voudra  feuilleter  au  livre  noir,  qui  est  en 
la  chambre  du  Procureur  du  roy  au  chastelet  de  Paris, 
il  trouvera  que  l'an  mil  quatre  cens  &  vingt,  lors  que  les 
Anglois  tenoyent  Paris,  l'escu  fut  mis  a  soixante  souz, 
le  mouton  ^^  a  quarante,  les  nobles  ^^  a  sept  livres,  qui 
est  le  pris  &  valeur  du  iourd'huy  ^.  Vray  est  que  Gharle 
septiesme,  l'an  quatre  cens  vingt  &  deux  au  mois  de 
Novembre,  fit  forger  nouvelle  monnoye  a  douze  deniers  : 
tellement  que  le  marc  d'argent  de  quatre  vins  livres 
fut  remis  a  huit  livres  quatre  souz  tournois,  mais  l'an 
mil  quatre  cens  cinquante  [Fol.g.l.R^]  &  trois,  on 
forgea  des  souz  a  cinq  deniers  d'aloy  ^,  qui  est  rabatu 
de  la  forte  monnoye  beaucoup  plus  de  la  moitié. 

C'est  donc  un  paralogisme  en  matière  d'argumens, 
de  prendre  une  année  que  la  monnoye  a  esté  la  plus  forte 
pour  estimer  les  choses,  &  laisser  les  années  qu'elle  a 
esté  la  plus  foible,  qui  sont  plus  fréquentes  sans  compa- 
raison que  les  bonnes  années  :  comme  en  cas  pareil  qui 
voudroit  tirer  en  conséquence  des  autres  choses,  le  bon 
marche  d'alumettes  ^*  qui  est  en  Paris. 

l'ay  monstre  cy  devant  que  le  pris  des  choses  taxé 
par  les  coustumes  de  ce  royaume,  accordées  &  homo- 


«J  Malestroit. 

^)  du  temps  du  règne  du  roy  Henry  II. 

^J  cinq  deniers  de  loy. 


JEAN    BODIN  111 

loguees  depuis  cinquante,  les  autres  depuis  soixante  ans, 
estoit  dix  fois  moindre  qu'il  n'est  a  présent.  &  toutes  fois 
il  est  certain  que  les  estats  &  les  députez  pour  accorder 
les  coustumes,  n'ont  pas  suyvi  le  moindre,  ny  le  plus  haut 
pris  :  mais  la  plus  commune  estimation  qui  estoit  lors, 
comme  noz  loix  nous  enseignent.  &  neantmoins  le  cha- 
pon n'est  qu'à  douze  deniers  tournois  par  toutes  les 
coustumes  d'Aniou,  Poitou,  la  Marche,  Ghampaigne, 
Bourbonnois,  &  autres  :  la  poule  a  six  den.,  la  perdris 
a  quinze  den.,  le  mouton  gras  avec  la  laine  sept  [Fol.g.l. 
Vo]  souz,  le  cochon  dix  den.,  le  mouton  commun  &  le 
veau  a  cinq  souz,  le  chevreau  trois  souz,  la  charge  de 
froment  a  xxx  s.  la  chartée  de  foin  pezant  quinze  quin- 
taux, dix  s.  qui  font  dix  boteaux  pour  un  sol,  le  boteau 
pesant  quinze  livres,  c'est  la  coustume  d'Auvergne.  En 
Bourbonnois  les  douze  quintaux  estoyent  estimez  dix 
souz,  le  tonneau  de  vin  trente  s.,  le  tonneau  de  miel 
XXV  s.  arpent  de  bois  revenant  deux  s.  six  den.  arpent 
de  vigne  xxx  s.  de  rente,  livre  de  beurre  quatre  den. 
d'huile  de  noix  autant  :  de  suif  autant.  G'estoit  du  temps 
de  Louys  douziesme,  comme  i'ay  dit  cy  dessus  :  lors  que 
les  souz,  qui  sont  a  trois  deniers  xii  grains,  estoyent  à 
quatre  deniers  xii  grains.  Par  ainsi  le  sol  du  temps  de 
Louys  douziesme  ne  sçauroit  au  plus  valoir  qu'un  liard 
d'avantage  que  le  nostre  °,  en  quelque  sorte  que  ce  soit  : 
&  les  quatre  souz  ne  vaudroyent  pas  cinq  des  nostres, 
dont  il  s'ensuit  bien  que  le  veau  &  le  mouton  avec  la 
laine,  ne  devroit  estre  estimé  que  six  souz  &  trois  deniers 
de  nostre  billon  pour  le  plus,  puisqu'il  y  a  soixante  ans 
que  par  toute  la  France,  il  n'estoit  prisé  que  cinq  souz. 
Autant  peut  on  dire  des  autres  choses.  Or  nous  voyons 
que  par  estimation  commune,  [Fol.g.2.Ro]  l'un  &  l'autre 
vaut  quatre  livres,  ou  cent  souz,  voire  six   livres  en 


«j  que  celuy  du  règne  de  Henry  II. 


112  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Paris,  qui  est  vingt  fois  plus  cher  «  qu'il  ne  coustoit  lors. 
Si  donc  les  fruitz  de  la  terre,  le  bestail,  la  volaille  cous- 
toyent  dix  ou  douze  fois  moins  ^  qu'ils  ne  font,  le  revenu 
des  terres  &  seigneuries  estoit  d'autant  moins  estimé, 
&  les  baux  à  ferme  à  meilleur  conte  :  &  par  mesme  rai- 
son les  terres  dix  fois  moins  prisées,  car  la  meilleure  terre 
roturière  n'est  estimée  qu'au  denier  xx  ou  xxv,  le  fief 
au  denier  xxx,  la  maison  ^  au  denier  cinquante,  telle- 
ment que  la  terre  qui  valoit  mil  escuz  de  ferme  il  y  a 
soixante  ans  n'estoit  vendue  que  xxv  ou  au  plus  cher 
xxx  mil  escuz.  Si  donc  la  ferme  a  creu  à  cinq  ou  six  mil 
escuz,  la  terre  se  vendra  cent  cinquante  mil  escuz,  qui 
lors  ne  valoit  que  trente  mil.  Quand  aux  corvées  &  iour- 
nees  de  maneuvres,  nous  voyons  de  toute  ancienneté, 
qu'elles  estoyent  quasi  taxées  à  un  denier  d'argent,  qui 
valoit  peu  plus  que  le  real  d'Espagne  :  &  la  solde 
ancienne  de  l'homme  de  cheval,  n'estoit  qu'un  denier, 
comme  dit  Polybe  :  en  fin  l'homme  de  pied  eut  un  denier 
par  iour,  ce  qui  fut  garde  mesmes  du  temps  d'Auguste, 
comme  escript  Tacite.  Vray  est  que  les  dons  faits  aux 
armées  pour  les  agréables  services,  [Fol.g.2.Vo],  valoyent 
vingt  fois  autant  que  la  solde.  De  la  est  venu,  comme  ie 
croy,  nostre  mot  Gagne-denier,  qui  se  prend  seulement 
pour  ceux  qui  louent  leur  iournee  :  &  mesmes  en  l'Evan- 
gile, le  maistre  dit  a  quelques  vignerons  envieux  de  sa 
libéralité  envers  les  autres.  N'avez  vous  pas  le  denier  que 
ie  vous  ay  promis  pour  la  iournee  ?  ^  Toutesfois  par  noz 
coustumes  arrestees,  comme  i'ay  dit,  &  corrigées  depuis 
soixante  ans,  la  iournee  de  l'homme  en  esté,  n'est  prisée 


^)  vingt  ou  trente  fois  plus  cher. 
^)  dix  ou  douze  ou  vingt  fois  moins. 
^)  la  maison  de  bonne  estofe. 

'^)  pour  la  iournee  ?  Qui  estoit  la  drachme  en  Grèce 
pour  la  iournee  du  vigneron  &  du  soldat.  Toutesfois... 


JEAN    BODIN  113 

que  six  den.,  en  hyver  quatre  den.  &  avec  sa  charette 
à  boeufs  douze  den.  La  monnoye  noire  ^^  n'est  point 
diminuée  ny  haussée  de  pied  depuis  ny  au  paravant 
soixante  ans  :  &  toutesfois  on  voit  que  pour  six  deniers 
le  vigneron,  le  brassier,  le  maneuvre,  le  soldat,  ne  se 
contente  pas  de  cinq  souz  :  mesmes  en  ce  pays  ils  en 
veulent  huit  ou  dix,  remonstrans  qu'ils  ne  peuvent  autre- 
ment vivre.  Quant  à  la  corvée  des  boeufs,  elle  est  esti- 
mée vingt  s.  au  meilleur  marché,  c'est  donc  vingt  fois 
autant  qu'elle  estoit  prisée  il  y  a  soixante  ans,  en  quelque 
monnoye  qu'on  le  prenne,  qui  est  cause  que  les  iuges, 
qui  ont  bien  puissance  de  plier,  non  pas  de  rompre  les 
coustumes,  quand  il  est  question  d'assiettes,  rentes, 
estimation  de  fruitz  ou  d'autres  [Fol.g.S.Ro]  choses 
semblables,  ils  ne  se  servent  plus  des  coustumes  :  ains 
se  rapportent  à  l'ordonance  touchant  l'estimation  des 
fruitz,  ioint  la  commune  valeur  «. 

Nous  avons  parlé  de  la  monnoye  blanche,  disons 
aussi  de  la  monnoye  d'or,  afin  qu'on  puisse  iuger  à 
veûe  d'œil  que  ce  n'est  pas  pour  avoir  altéré  les  mon- 
noyes  que  tout  est  enchéri.  le  trouve  que  la  plus  fine 
monnoye  d'or  forgée  depuis  trois  cens  ans  en  quelque 
pays  que  ce  soit,  n'est  point  plus  forte  de  vingt  &  trois 
avec  trois  quars  de  carat  :  comme  sont  le  noble,  les 
vieux  ducatz  de  Venise,  Florence,  Sienne,  Portugal,  le 
Seraph  de  Turquie,  les  Medins  ^^  de  Barbarie,  les  medalles 
anciennes  des  Romains,  les  doubles  ducatz  vieux  de 
Castille,  les  moutons  à  la  grand  laine,  les  escuz  vieux, 
les  salutz,  les  francs  à  pied  &  à  cheval,  les  vieux  ange- 
lotz  :  les  escuz  couronne  ne  sont  pas  si  forts  de  beau- 


^)  ioint  la  commune  valeur  :  ou  bien  ils  ordonnent 
que  les  parties  conviendront  de  prizeurs  pour  estimer 
les  choses.  —  Nous  avons  parle  de  la  monnoye  blanche... 


LE  BRANCHU 


114  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

coup  :  les  Milrais  valent  mieux  &  les  escuz  soleil  :  puis 
après  les  Henriz  &  doubles  Henriz,  les  reaies  d'or,  pis- 
tolets, &  doubles  ducatz  de  Portugal  sont  plus  foi- 
blés,  quant  aux  autres  monnoyes,  ou  il  y  a  moins  de 
XXII  caratz,  c'est  a  dire,  s'il  y  a  plus  de  la  douziesme 
partie  d'aliage,  soit  cuivre  ou  argent,  [Fol.g.S.Vo]  & 
moins  des  dix  pars  d'or,  ce  n'est  pas  or,  sinon  en 
ouvrage,  tout  ainsi  que  l'argent  qui  est  plus  bas  que  de 
dix  deniers,  ou  pour  mieux  dire  qui  a  plus  d'un  sixiesme 
d'aliage  d'estain  «,  ou  de  cuivre  :  &  moins  des  cinq  pars 
d'argent,  ce  n'est  point  argent  en  matière  de  monnoye,. 
mais  billon.  &  pour  ceste  cause  les  anciens  appelloyent 
Electre  l'or  ou  la  cinquiesme  partie  est  d'argent.  Posons 
donc  le  cas  que  l'escu  viel,  &  le  franc  à  pied  &  à  cheval, 
qui  sont  les  monnoyes  desquelles  se  sert  monsieur  de 
Malestroit,  soyent  a  xxxiii  (sic)  caratz,  avec  un  carat 
de  remède  :  les  escuz  au  soleil  à  xxiii  &  un  huictiesme 
de  remède,  suyvant  l'ordonnance  de  l'an  cinq  cens 
quarante  :  ou  a  xxiii  caratz  &  un  quart  de  carat  de 
remède,  comme  sont  les  escuz  forgez  par  l'ordonnance 
du  roy  Henry,  il  n'y  aura  qu'un  carat  de  différence  aux 
vieux.  &  quant  au  pois,  les  escuz  sol  de  l'an  cinq  cens 
quarante,  pezent  deux  deniers  seize  grains  trebuschans, 
à  soixante  &  douze  au  marc,  autant  que  Justinian 
l'Empereur  en  met  à  la  livre,  ce  qui  a  donne  occasion 
à  monsieur  du  Moulin  ^,  l'honneur  des  Jurisconsultes,, 
d'égaler  l'escu  de  lustinian  &  le  nostre  a  mesme  pied.. 
Mais  il  y  a  autant  à  dire  que  de  deux  a  trois,  car  tout 
ainsi  [Fol.g.4.Ro]  que  le  marc  à  huit  onces,  &  la  livre 
de  lustinian  douze  :  aussi  l'escu  d'or  forge  par  son 
ordonnance,  qu'il  nomme  Solidus,  est  d'un  tiers  plus 
pezant  que  le  nostre,  quasi  comme  l'angelot.  Depuis, 


«J  d'estain   manque  dans   Védilion   de   1578. 
^)  monsieur  Charles  Moulin. 


JEAN    BODIN  115 

par  ordonnance  du  roy  Henry  "  on  en  a  forge  à  deux 
deniers  quinze,  &  puis  quatorze  grains  trebuschans. 
Or  est-il  que  le  franc  d'or  peze  moins  de  quatre  grains 
que  Tescu  vieux,  &  plus  que  Tescu  sol  forge  l'an  mil 
cinq  cens  quarante,  de  quatre  grains.  Si  donc  nous 
raportons  le  pied  de  l'un  à  l'autre,  nous  trouverons  que 
l'escu  veiel  ne  vaut  qu'une  huictiesme  plus  que  l'escu 
sol  :  &  le  franc  d'or  près  d'une  neufviesme  plus  que  le 
mesme  escu  sol  :  car  il  y  a  huit  escuz  vieux  en  l'once, 
neuf  au  soleil,  dix  couronne  ^  :  de  francs  d'or  il  y  en  a 
moins  de  neuf,  &  plus  d'huit,  aussi  l'escu  veiel  par 
l'ordonnance  <^  est  à  soixante,  le  franc  à  cinquante  cinq^ 
l'escu  sol  à  cinquante  deux,  l'escu  couronne  à  cinquante 
billon  ^. 

Il  faut  donc  conclure,  que  si  la  maison  qui  s'est 
vendue  deux  cens  vieux  escuz  il  y  a  six  vings  ans,  auiour- 
d'huy  se  vend  huit  cens  escuz  sol,  qui  valent  deux  mil 
livres  tournois  de  nostre  billon,  ostant  un  huitiesme  que 
l'escu  veiel  vaut  plus  que  l'escu  sol,  restent  six  cens 
soixante  &  treize  escuz  sol,  qui  valent  *  [Fol.g.4.Vo] 
mil  sept  cens  cinquante  livres,  ou  trente  &  cinq  mil  souz 
de  nostre  monnoye,  &  si  nous  posons  le  cas  que  fussent 
francs  d'or,  il  n'en  faudroit  tirer  qu'une  neufviesme, 
resteroyent  sept  cens  quatre  vings  escuz  sol,  que  se  vend 
la  maison,  qui  est  trois  fois  plus  qu'elle  ne  coustoit  de 
ce  temps-la.  ce  que  i'ay  bien  voulu  conter  par  le  menu, 
d'autant  que  monsieur  de  Malestroit^  n'a  point  dit  quelle 


^)  du  roy  Henry  deuxiesme. 

^)  dix  couronne  :  &  un  denier  XX.  grains  davan- 
taige  :  de  francs  d'or... 

^)  par  l'ordonnance  du  roy  Henry  second. 
^)  à  cinquante  solz. 

^)  qui  valent  du  temps  du  roy  Henry  second. 
f)  Malestroit. 


116  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

porportion  il  y  avoit  entre  les  escuz  pour  les  accommoder 
à  noz  contracts. 

Voila  quant  a  renchérissement  en  gênerai,  sans  tou- 
cher aux  changemens  particuliers,  qui  font  enchérir  les 
choses  de  leur  pris  ordinaire  :  comme  les  vivres  en  temps 
de  famine  ;  les  armes  en  temps  de  guerre  :  le  bois  en 
hyver  :  l'eau  aux  déserts  de  Lybie,  ou  il  se  trouve  un 
tombeau  en  la  plaine  d'Azoa,  qui  porte  tesmoignage  en 
lettres  gravées,  qu'un  marchand  achepta  d'un  voiturier 
une  coupe  d'eau  dix  mille  ducatz,  &  neantmoins  l'achep- 
teur  &  le  vendeur  moururent  de  soif,  comme  escript 
Léon  d'Afrique  :  ou  bien  les  ouvrages  de  main,  &  la 
quinquallerie  aux  lieux  ou  il  ne  s'en  fait  point,  qui  sont 
ordinairement  à  meilleur  marche  aux  villes  pleines 
d'artizans,  comme  à  Limoges,  Milan,  Nuremberg, 
[Fol.h.LRo],  Gènes,  Paris,  Damasque,  Venise  :  ou  bien 
pour  l'abondance  du  peuple  &  d'argent  qui  est  en  un 
lieu  plus  qu'en  autre  :  comme  à  Stambol,  Romme, 
Paris,  Lyon,  Venise,  Florence,  Anvers,  Seville,  Londres  : 
ou  la  cour  des  rois,  ou  grands  seigneurs  :  ou  marchans, 
attire  le  peuple  &  l'argent,  les  vivres  y  sont  plus  chers  «  : 
ou  que  le  changement  vient  pour  un  edict  nouveau, 
comme  il  advint  à  Romme,  ou  les  maisons  furent  sou- 


«^  les  vivres  y  sont  plus  chers  :  comme  il  advenoit 
ordinairement  en  Rome,  ou  l'abondance  d'or  &  d'ar- 
gent, &  de  peuples  qui  y  accouroient  de  tous  costez  du 
monde,  la  famine  estoit  souvent,  de  sorte  qu'Auguste 
fut  contrainct  de  chasser  de  la  ville  les  haraz  d'esclaves 
<&  de  gladiateurs,  &  tous  les  estrangers,  excepte  les  mais- 
tres  de  la  ieunesse  &  et  les  médecins,  outre  vingt  & 
huict  colonies,  qu'il  tira  de  Rome  pour  les  repartir  en 
toute  l'Italie.  Quelquefois  aussi  le  changement  vient 
pour  un  edict  nouveau,  comme  il  advint  à  Rome... 


JEAN    BODIN  117 

dain  encheries  de  moitié,  par  l'edict  de  Trajan,  qui 
ordonna  que  tous  ceux  qui  voudroyent  avoir  estatz  & 
offices  honorables,  employassent  la  tierce  partie  de  leurs 
biens  en  achapt  d'héritages  en  Romme  ou  aux  environs. 
Toutes  ces  choses  particulières  ne  sont  pas  considérables 
au  cas  qui  s'offre,  qui  est  gênerai. 

Or  puis  que  nous  sçavons  que  les  choses  sont  enche- 
ries, &  les  causes  de  renchérissement,  qui  sont  les  deux 
pointz  principaux  que  nous  avions  à  prouver  à  Mon- 
sieur de  Malestroit  ^  :  reste  maintenant  d'y  remédier  au  \  y 
moins  mal  qu'il  sera  possible  :  ce  que  monsieur  de  Maies-  ' 
troit  ^  n'a  touche  aucunement,  tenant  pour  tout  certain 
que  rien  n'encherist. 

Premièrement  l'abondance  d'or  &  d'argent,  qui  est  ^ 
la  richesse  d'un  pays,  doibt  en  [Fol.h.l.Vo]  partie  excuser 
la  charte  :  car  s'il  y  avoit  en  telle  disette  que  le  temps 
passé,  il  est  bien  certain  que  toutes  choses  seroyent 
d'autant  moins  prisées  &  acheptees  que  l'or  &  l'argent 
seroit  plus  estime. 

Quant  aux  monopoles  &  degatz  qui  se  font,  i'en  ay 
touche  cy  dessus  ce  qu'il  m'en  sembloit.  Mais  pour 
néant  on  fait  de  belles  ordonances  touchant  les  mono- 
poles, les  excès  des  vivres  &  vestemens,  si  on  ne  les  veut 
exécuter  :  &  toutefois,  elles  ne  seront  iamais  exécutées, 
si  le  Roy  par  sa  bonté  ne  les  fait  garder  aux  courtizans  : 
car  le  surplus  du  peuple  se  gouverne  à  l'exemple  du 
courtizan  en  matière  de  pompes  &  d'excès  :  &  ne  fut 
iamais  republique  en  laquelle  la  santé  ou  la  maladie  ne 
descoulast  du  chef  à  tous  les  membres. 


«J  Malestroit. 
^J  Malestroit. 


118  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

Quant  à  la  traite  des  marchandises  qui  sortent  de  ce 
royaume,  il  y  a  plusieurs  grands  personages  qui  s'effor- 
cent, &  se  sont  efforcez  par  ditz  &  par  escripts  de  la 
retrencher  du  tout,  s'il  leur  estoit  possible  :  croyans  que 
nous  pouvons  vivre  heureusement  &  à  grand  marché 
sans  rien  bailler,  ny  recevoir  de  l'estranger.  mais  ils 
s'abusent  à  mon  advis  :  car  nous  avons  affaire  des  estran- 
gers,  &  ne  sçaurions  [Fol.h.2.Ro]  nous  en  passer.  le 
confesse  que  nous  leur  envoyons  blé,  vin,  sel,  safran, 
pastel,  pruneaux,  papier,  drap  &  grosses  toiles  ;  aussi 
avons-nous  d'eux  en  contrechange,  premièrement  tous 
les  métaux,  hormis  le  fer  :  nous  avons  d'eux,  or,  argent, 
éstain,  cuivre,  plomb,  acier,  vif  argent,  alun,  souphre, 
vitriol,  couperoze,  cynabre,  huiles,  cire,  miel,  poix,  bresil, 
ebene,  fustel,  gaiac,  yvoire,  maroquins,  toiles  fines, 
couleurs  de  conchenil,  escarlate,  cramoysi,  drogues  de 
toutes  sortes,  épiceries,  sucres,  chevaux,  saleueres  de 
saumons,  sardines,  maquereaux,  molues,  bref  une  infi- 
nité de  bons  livres  &  excellens  ouvrages  de  main. 

Et  quand  nous  pourions  passer  de  telles  marchan- 
dises, ce  qui  n'est  possible  du  tout  :  mais  quand  ainsi 
seroit  que  nous  en  aurions  à  revendre,  encores  devenons 
nous  tousiours  trafiquer,  vendre,  achepter,  eschanger, 
prester,  voire  plustost  donner  une  partie  de  noz  biens 
aux  estrangers,  &  mesmes  à  noz  voisins,  quand  ce  ne 
seroit  que  pour  communiquer  &  entretenir  une  bonne 
amitié  entre  eux  &  nous. 

le  di  plus,  quand  nous  serions  accompliz  des  dons, 
Dieu  de  tout  ce  qui  peut  estre  donne  aux  hommes,  en 
armes  &  en  loix,  sans  crainte  [Fol.h.2.Vo]  ny  espérance 
d'autruy,  si  est  ce  que  nous  leur  debvons  ceste  charité, 
par  obligation  naturelle,  de  leur  communiquer  les  grâces 
que  Dieu  nous  auroit  faites,  les  apprendre  &  façonner 
en  tout  honneur  &  vertu.  En  quoy  les  Romains  se  ren- 


JEAN    BODIN  119 

dirent  indignes  de  commander,  lors  que  la  grandeur  de 
leur  puissance  touchoit  iusques  au  ciel,  &  qu'ils  avoyent 
estendu  leur  Empire  depuis  le  soleil  couchant  iusques 
au  soleil  levant,  il  se  trouva  quelques  peuples  qui  leur 
envoyèrent  ambassade  pour  se  renger  soubs  leur  puis- 
sance, &  leur  obeyr  volontairement.  Les  Romains  voyans 
qu'il  n'y  avoit  rien  à  gagner,  refusèrent  telles  offres, 
comme  escript  Appian,  qui  est  un  tour  le  plus  lasche,  & 
une  injure  faite  à  Dieu  la  plus  vilaine  qui  fut  onques  : 
comme  si  la  maieste  de  commander  &  faire  iustice,  & 
mesmes  aux  pauvres  peuples  mal  apprins,  n'estoit  pas 
le  plus  grand  don  de  Dieu,  &  le  plus  grand  honneur  que 
peut  recevoir  l'homme  en  ce  monde,  c'estoit  bien  loin 
de  leur  communiquer  leurs  biens  &  richesses,  comme  ils 
debvoyent  faire. 

Mais,  dira  quelqu'un,  Platon  &  Lycurgue  ont  défendu 
la  trafique  avec  l'estranger,  craignant  que  leurs  subiects 
fussent  gastez  [Fol.h.S.Ro]  &  corrompuz.  Il  est  vray, 
mais  l'un  a  songé  ce  qu'il  ne  peut  iamais  exécuté,  quoy 
qu'il  essayast  :  l'autre  a  exécuté  ce  que  iamais  homme 
n'osa  espérer.  &  toutesfois  l'un  &  l'autre  eust  mieux 
fait,  si  ie  ne  suis  fort  trompé,  de  permettre  la  trafique, 
comme  sagement  a  fait  Moyse,  qui  a  bien  monstre  qu'il 
estoit  plus  grand  maistre  que  ces  deux  la  :  car  la  lumière 
de  vertu  est  si  claire,  que  non  seulement  elle  chasse  les 
ténèbres  des  vicieux,  ains  aussi  liust  d'autant  plus  qu'elle 
est  communiquée.  Toutesfois  nous  ne  pouvons  pas  nous 
prévaloir  tellement  en  noz  vertuz,  que  l'estranger  n'ayt 
de  quoy  nous  rendre  la  pareille. 

Encores,  dit  on,  il  ne  faut  pas  donner  noz  biens  pour 
néant  aux  estrangers,  &  mesmes  à  noz  ennemis,  aussi 
nous  y  donnons  bon  ordre  :  &  toutesfois  quand  nous  le 
ferions  en  ayant  à  suffisance,  nous  gagnerions  plus  leur 
amitié  qu'a  leur  faire  la  guerre  :  puisque  Dieu,  auquel 


120  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

nous  avons  iuré  &  faisons  la  guerre  sans  trefves,  nous 
monstre  exemple  avec  une  prodigalité  démesurée.  Mais 
parce  que  cecy  ne  peut  entrer  au  cerveau  de  ceux  qui  ne 
font  estât  que  du  gaing,  quoy  qu'il  soit  sordide  &  deshon- 
neste,  Dieu  par  sa  prudence  admirable  y  a  donné  bon 
ordre  :  car  il  a  tellement  [Fol.H.3.Vo]  départi  ses  grâces, 
qu'il  n'y  a  pays  au  monde  si  plantureux,  qui  n'aye  faute 
de  beaucoup  de  choses.  Ce  que  Dieu  semble  avoir  fait, 
pour  entretenir  tous  les  subiects  de  sa  republique  en 
amitié,  ou  pour  le  moins  empescher  qu'ils  ne  se  facent 
longtemps  la  guerre,  ayans  toujours  afaire  les  uns  des 
autres  2'. 

le  serois  bien  d'advis,  si  mes  advis  avoyent  lieu,  qu'il 
fut  défendu  de  trafiquer  avec  l'Italien  pour  des  atours, 
des  perfums,  du  plomb,  du  parchemin,  des  fausses 
pierres,  des  poizons  :  &  mesme  clore  le  passage  à  tous  les 
banqueroutiers  &  bannis  de  leur  pays  :  si  ce  n'estoit 
qu'ilz  fussent  bannis  pour  estre  trop  vertueux,  comme  on 
faisoit  en  Athènes  &  en  Ephese  :  &  qu'à  ceste  fin  l'es- 
tranger  fist  apparoir  d'attestation  du  prince  ou  de  la 
seigneurie.  Gela  donneroit  exemple  aux  autres  peuples  de 
faire  le  pareil,  &  feroit  trembler  les  meschans  qui  n'au- 
royent  seur  accès  en  lieu  du  monde.  Mais,  à  ce  que  ie 
voy,  les  paysans  &  infidèles  nous  feront  la  leçon  :  car  il  se 
trouve  que  Mehemet  nommé  le  Grand,  Empereur  des 
Turcs,  en  a  monstre  bel  exemple  en  la  personne  d'un 
meurtrier,  lequel  après  avoir  assassiné  Iulian  de  Médicis 
en  pleine  eglize,  s'estoit  retire  à  Stambol  siège  de  l'Em- 
pire [F0I.H.4.R0].  Ge  grand  seigneur  le  renvoya  pieds 
&  poings  liez  à  Florence  pour  en  faire  iustice.  Mais  tandis 
que  nous  oumrons  la  fenêtre  aux  bannis,  le  mauvais  air 
&  la  peste  y  entrera  tousiours,  &  n'aurons  jamais  faute 
de  daciers,  qui  hument  le  sang,  rongent  les  os  &  sucent 
la  mouelle  du  prince  &  du  peuple  :  voire  qui  font  louange 
&  vertu  par  livres  imprimez  des  vices  les  plus  exécrables 


JEAN    BODIN  121 

du  monde,  que  iamais  noz  pères  n'ont  pensé  :  &  toutes- 
fois  il  n'y  a  que  telles  gens  bien  venuz  &  cheriz  partout. 

Quant  aux  autres  estrangers,  ie  désire  que  non  seule- 
ment on  les  traite  en  douceur  &  amitié,  ains  aussi  qu'on 
venge  Tiniure  à  eux  faite  a  toute  rigueur,  comme  la  loy 
de  Dieu  commande  :  voire  mesme  qu'on  leur  quite  le 
droit  d'aubeine,  qui  n'a  lieu  qu'en  ce  royaume  &  en 
Angleterre  «,  à  la  charge  que  l'héritier  soit  habitant  du 
pays,  aussi  bien  voyons-nous  qu'il  n'en  revient  que  le 
deshonneur  à  la  France,  &  le  profit  aux  sansues  de  la 
cour  :  ioint  que  cela  empesche  le  cours  de  la  trafique,  qui 
doibt  estre  franche,  &  libre,  pour  la  richesse  &  grandeur 
d*un  royaume. 

Il  ne  reste  qu'un  argument  auquel  il  faut  respondre 
en  un  mot.  Quand  la  traite  à  (sic)  lieu  [F0I.H.40V.], 
disent-ils,  toutes  choses  enchérissent  au  pays.  le  leur  nye 
ce  point  la,  car  ce  qui  entre  au  lieu  de  ce  qui  sort,  cause 
le  bon  marché  de  ce  qui  defailloit.  D'avantage,  il  semble 
à  les  ouir,  que  le  marchant  donne  son  bien  pour  néant  : 
ou  que  les  richesses  des  Indes  &  de  l'Arabie  heureuse 
croissent  en  noz  landes.  le  n'excepteray  que  le  blé, 
duquel  la  traite  se  doibt  gouverner  plus  sagement  qu'on 
ne  fait,  car  nous  voyons  des  chartez  &  famines  intolé- 
rables a  faute  d'y  prouvoir  :  tellement  que  la  France,  qui 
doibt  estre  le  grenier,  de  tout  le  Ponant,  reçoit  les  navires 
pleines  de  meschant  blé  noir,  qu'on  ameine  le  plus  sou- 
vent de  la  coste  Baltique  :  qui  est  une  grande  honte  à 
nous.  Le  moyen  d'y  donner  ordre,  c'est  d'avoir  en  cha- 
cune ville  un  grenier  public,  comme  on  avoit  ancienne- 
ment es  villes  bien  réglées  ^,  &  que  tous  les  ans  on  renou- 


^)  qui  n'a  lieu  qu'en  ce  royaume  &  en  Angleterre 
manque  dans  Védiîion  de  1578. 

^)  villes  bien  réglées  &  en  ce  royaume,  devant  les 


122  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

velast  le  viel  blé.  En  quoy  faisant,  on  ne  verroit  jamais 
la  charte  si  grande  qu'on  voit  :  car  outre  ce  qu'on  auroit 
provision  pour  les  mauvaises  années,  on  retrencheroit 
aussi  les  monopotes  des  marchans  qui  serrent  tout  le 
ble,  &  souvent  l'acheptent  en  herbe,  pour  y  asseoir  le 
pris  à  leur  plaisir. 

Voila  un  moyen  par  lequel  loseph  grand  [Fol.i.l.V®] 
maistre  d'Egypte,  sauva  sept  années  de  famine  quasi 
en  tout  le  monde,  &  Traian  par  mesme  moyen  sauva 
TEgypte  de  famine  une  année,  combien  que  l'Egypte 
soit  la  mère  nourrice  du  Levant. 

Quant  à  l'advis  de  quelques-uns,  qui  veulent  qu'on 
arrache  les  vignes  pour  mettre  tout  en  blé,  ou  pour  le 
moins  qu'il  soit  défendu  de  planter  vignes  pour  l'ad- 
venir  «  :  les  paysans  s'en  moquent  a  bon  droit  :  aussi 
Dieu  par  sa  grâce  a  bien  donné  ordre  que  tout  ne  fut  pas 
en  vigne  ny  en  ble.  car  la  meilleure  terre  pour  la  vigne 
ne  vaut  rien  pour  le  blé,  d'autant  que  l'un  ayme  la 
plaine  forte  &  grasse,  l'autre  demande  les  coustaux  pier- 
reux. D'avantage,  la  vigne  ne  peut  croistre  outre  le 
quarante  neufviesme  degré  pour  la  froidure,  tellement 
que  tous  les  peuples  de  Septentrion  n'ont  autres  vins  que 


querelles  de  la  maison  d'Orléans  &  de  Bourgogne,  &  que 
tous  les  ans... 

^)  pour  l'advenir.  le  trouve  bien  que  Domitian 
l'Empereur  en  fist  un  edit  par  le  quel  il  fit  défense  de 
plus  planter  &  commanda  qu'en  tous  les  gouvernements 
de  l'Empire  hors  d'Itahe  on  arrachapt  la  moitié  des 
vignes  :  mais  il  ne  fut  oncques  exécuté,  aussi  Marc 
Varron  tient  que  c'est  le  plus  précieux  héritage  de 
tous,  &  les  paysans  s'en  moquent  à  bon  droit  de  telles 
ordonnances.  Et  Dieu  par  sa  grâce... 


JEAN    BODIN  123 

de  France  &  du  Rhin  :  &  toutesfois  ils  en  sont  si  frians, 
qu'ils  crèvent  de  force  d'en  boire.  Par  ainsi  arrachant  les 
vignes,  on  arracheroit  l'une  des  plus  grandes  richesses 
de  France. 

Mais  il  y  a  bien  un  moyen  lequel  mis  en  avant  par  les 
maistres  docteurs  en  matière  d'impost,  soulageroit  mer- 
veilleusement le  peuple,  &  enrichiroit  le  royaume,  c'est 
qu'on  [Fol.i.l.Vo]  mist  une  partie  des  charges  ordinaires 
sus  la  traite  foraine  du  blé,  vin,  sel,  pastel,  toiles,  & 
draps  :  &  principalement  sur  le  vin,  sel  &  blé,  qui  sont 
trois  élémens  desquels  dépend,  après  Dieu,  la  vie  de 
l'estranger,  &  qui  jamais  ne  peuvent  faillir.  Les  minières 
de  Septentrion  &  des  Indes  s'epuizent  en  peu  de  temps, 
&  l'or  une  fois  épuise  en  peut  renaistre  qu'en  mille  ans, 
comme  disent  les  soufleurs  ^^  :  mais  noz  sources  vives 
de  blé,  vin  et  sel,  sont  inépuisables.  Si  donques  une  partie 
des  charges  ordinaires  estoit  mise  sus  la  traite  foraine, 
nous  en  aurions  beaucoup  meilleur  conte  dedans  le 
royaume  :  car  l'estranger  en  prendroit  plus  echarsement, 
&  l'achepteroit  au  pois  d'argent  :  ce  qui  enrichiroit  ce 
royaume,  veu  qu'il  ne  s'en  peut  passer.  &  quelques 
défenses  qu'on  aye  fait  en  Flandres  de  ne  prendre  du  sel 
de  France,  si  est  ce  que  les  estatz  du  pays  ont  touiours 
remonstre  que  leurs  saleures  se  gastoyent  au  sel  d'Espa- 
gne, &  de  la  Franche  conté.  Et  quand  il  advient  que  les 
marez  salans  &  brouages  de  France  ont  faute  de  sel  pour 
les  pluyes  ou  froidures,  l'estranger  ne  laisse  pas  de 
l'achepter  au  triple  pour  en  avoir,  quoy  qu'il  couste.  Or 
est-il  que  le  sel  est  à  meilleur  marche  en  Angleterre,  en 
[Fol.i.2.Ro]  Escosse  &  en  Flandres,  qu'il  n'est  en  France, 
hormis  en  la  Guyenne  :  qui  est  une  lourde  incongruité 
en  matière  d'estat  &  de  ménagerie.  Autant  en  advient-il 
pour  les  vins  ^^  et  pastels,  sus  lesquels  les  princes  estran- 
gers  mettent  l'impost  le  plus  excessif  qu'il  est  possible, 
qui  tourneroit  au  profit  du  roy  &  du  royaume,  si  on 


124  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

mettoit  une  partie  des  charges  ordinaires  sus  la  traite 
foraine  ".  Ce  moyen  la  m'a  semble  notable  pour  remédier 
a  renchérissement  des  choses  nécessaires  en  ce  royaume, 
&  sans  lesquelles  l'estranger  ne  peut  vivre. 

le  mettray  encores  ce  point  icy  pour  obvier  a  la 
charte  des  vivres,  qui  pourra  sembler  fort  nouveau  a 
plusieurs  :  mais  ie  m'asseure  que  monsieur  de  Maies- 
troit  *,  qui  est  amoureux  de  paradoxes,  ne  le  trouvera 


^)  sur  la  traitte  foraine.  Si  on  dit  que  les  estrangers 
auroient  iuste  occasion  de  s'en  plaindre,  obstant  les 
traictez  de  commerce,  il  y  a  bonne  response,  c'est  que 
nonobstant  les  traittez  ils  ne  cessent  d'imposer  sur  leurs 
marchandises,  &,  qui  plus  est,  les  ordonnances  d'Angle- 
terre &  de  Polongne,  dépendent  de  transporter  hors 
leurs  pays  aucune  peaux,  de  sorte  que  les  minières 
d'Angleterre  estants  epuizees,  il  ne  leur  reste  plus  rien 
que  des  laines,  draps  &  saleures.  Encores  ont  ils  def- 
f  endu  estroittement  &  soubs  grandes  peines  que  la  toison 
des  ouailles  ne  soit  transportée,  comme  il  a  esté  faict 
en  ce  royaume,  à  la  fin  que  les  pauvres  suietz  ayant  le 
moyen  de  gaigner  leur  vie  à  la  drapperie,  &  que  le 
proffît  de  la  main  demeure  au  royaume  :  mais  il  n'y  a 
edictz  qui  tiennent,  car  pour  une  somme  d'argent  on 
obtient  un  passeport,  comme  il  se  fait  en  ce  royaume, 
duquel  les  Italiens  tirent  infinie  quantité  de  laines  par 
le  moyen  des  octroys  qu'ilz  obtiennent,  ce  qui  apporte 
un  dommage  incroyable  à  tout  le  royaume,  car  les 
marchandises  défendues  d'être  transportées  s'enché- 
rissent en  pays  estranger,  &  demeurent  aux  posses- 
seurs &  marchands  du  royaume  sus  les  bras,  s'ils  ne  les 
baillent  pour  néant  à  ceux  qui  ont  la  puissance  d'en 
enlever  :  &  les  artizans  &  le  pauvre  peuple  meurt  de 
faim.  Ce  moyen  la  m'a  semble  notable... 

^)  Malestroit. 


JEAN    BODIN  125 

pas  estrange.  C'est  que  l'usage  du  poisson  fut  remis  en 
tel  crédit  qu'il  a  esté  anciennement  :  car  il  est  tout  cer- 
tain que  le  pauvre  peuple  auroit  bien  meilleur  conte  du 
bœuf,  du  porc,  du  mouton  &  des  saleures,  &  les  vol- 
lailles  seroyent  à  pris  plus  raisonnable.  Or  il  nous  seroit 
fort  aysé,  car  la  France  est  posée  entre  la  mer  Océane 
&  Méditerranée,  qui  est  un  advantage  que  peuple  sur  la 
terre,  hors  mis  [Fol.i.2.Vo]  l'Espagnol,  ne  peut  avoir. 
Mais  outre  l'Espagne,  qui  a  fort  peu  d'eaues,  &  qui 
tarissent  bien  souvent,  nous  avons  cent  millions  de 
fonteines,  de  ruisseaux,  de  rivières,  de  lacs,  d'estangs, 
de  viviers  pleins  de  poisson  :  &  toutesfois  on  n'en  mange 
qu'à  regret,  &  lorsque  l'usage  de  chair  est  défendu  :  tel- 
lement qu'il  y  en  a  plusieurs  qui  aimeroyent  mieux 
manger  du  lard  iaune  le  iour  de  Pasques,  que  d'un  estur- 
geon, qui  est  cause  que  le  poisson  demeure,  &  la  chair 
encherist  :  car  les  chassemarees  n'emploieront  pas  leur 
peine  &  argent,  voyant  qu'on  ne  fait  conte  du  poisson, 
qui  s'entremange  par  faute  de  le  manger,  &  croy  qu'il 
nous  chasseroit  des  villes  s'il  pouvoit  vivre  en  terre  : 
comme  il  advint  aux  habitans  des  isles  de  Maiorque  & 
Minorque,  qui  furent  tellement  assiégez  par  les  connins  *°, 
qu'ils  desdaignoyent,  que  force  leur  fut,  comme  escript 
Strabon,  d'envoyer  ambassades  vers  Auguste  pour  avoir 
secours  d'une  légion  contre  tels  ennemis  qui  fourageoyent 
tout  le  plat  pays,  &  ruinoyent  les  villes  de  fond  en  comble. 

Toutesfois  il  y  a  de  petits  médecins  que  le  gentil  Aris- 
tophane appelle  Scatophages,  qui  font  boire  leur  faute 
au  pauvre  poisson  [Fol.i.S.R^],  &  le  décrient  estroitte- 
ment  :  ou  bien  pour  mettre  leur  mestier  en  crédit,  se 
voyant  peu  prisez,  tyrannisent  les  appetitz  des  hommes. 
le  n'entend  rien  en  leur  science,  &  ne  puis  pas  iuger  si  le 
poisson  est  si  mal  sain  qu'ils  disent  :  toutesfois  ie  m'en 
raporte  à  leur  grand  père  Sylvius,  qui  les  blasmoit  fort 
aigrement,  levant  les  défenses  qu'ils  font  de  manger 


126  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

poisson,  après  avoir  montre  leur  abus  à  veue  d'œil.  Vray 
est  qu'il  defendoit  la  variété  des  mets,  &  les  poissons 
salez,  &  vouloit  qu'on  assaisonnast  le  poisson  sans  eau 
s'il  estoit  possible.  Maistre  Galen  dit  bien  d'avantage 
en  deux  lieux  de  ses  œuvres,  qu'il  n'y  a  nourriture  au 
monde  meilleure  ny  plus  aisée  que  des  poissons  de  roche, 
qui  sont  infiniz,  &  en  fait  beaucoup  plus  d'estime  que 
des  pans,  ny  des  faizans.  Ce  qui  a  grande  apparence, 
outre  l'expérience  qu'un  chacun  en  peut  faire  :  veu  que 
le  poisson  est  si  sain  de  son  naturel,  qu'il  n'est  subiect  à 
maladie  quelconque.  Il  n'est  iamais  ladre,  comme  le  porc 
&  le  lièvre  :  ny  teigneux,  comme  le  mouton,  ny  punais, 
comme  le  bouc  :  aussi  n'est-il  point  subiect  aux  hydro- 
pisies,  comme  les  brebis  :  ny  aux  apostemes,  comme  les 
bœufs  :  ny  au  mal  caduc,  comme  les  cailles  &  cocs  d'Inde  : 
ny  aux  [Fol.i.3.Vo]  inflammations,  comme  les  poules  & 
chapons  :  ny  aux  poux  &  passereaux,  comme  les  pigeons. 
Aussi  voit-on  qu'en  la  loy  de  Dieu  les  porceaux  &  lièvres, 
qui  sont  presque  tous  ladres  au  pays  de  Midy,  &  tous 
oyseaux  de  proye,  &  les  bestes  au  pied  rond,  ou  bien  au 
pied  fourchu  qui  ne  remaschent  point,  sont  défendues 
comme  infettes  &  malsaines  ;  mais  tout  le  poisson  est 
permis,  hormis  certain  poisson  mol  &  visqueux.  Et  n'est 
pas  vraysemblable  que  Dieu  eust  crée  quatre  cens  sortes 
de  poisson,  qui  ne  couste  rien  à  nourrir  &  quasi  tout 
propre  à  l'usage  humain,  s'il  estoit  malsain  :  veu  mesmes 
qu'il  n'y  a  pas  quarante  sortes  de  bestes  terrestres  &  de 
volaille  qui  puissent  servir  de  nourriture.  le  confesse 
bien  qu'il  n'y  a  rien  pire  pour  l'estomac  que  manger  chair 
&  poisson  ensemble,  pour  la  variété,  mais  on  peut  bien 
en  user  séparément. 

Quoy  qu'il  en  soit,  Apicieus  le  Grand  maistre  queux, 
friand  s'il  y  en  eut  onques  en  tout  le  monde,  &  Athenee 
au  banquet  des  sages,  nous  tesmoignent,  que  les  Grégeois 
&  Latins  ne  faisoyent  estât,  en  matière  de  friandize. 


JEAN    BODIN  127 

que  de  poisson,  que  nous  mangeons  par  pénitence  : 
tellement  que  les  grands  seigneurs  s'appeloyent  par 
honneur  Daurade,  Murène,  [Fol.i.4.Ro],  Brochet  :  & 
ne  faysoyent  friands  banquets  que  de  poisson,  tesmoing 
celuy  de  l'Empereur  Galigula,  qui  dura  six  mois  :  & 
pour  le  faire  on  pescha  toute  la  mer  Méditerranée. 
Quelquefois  pour  la  variété  on  y  mesloit  le  Pan,  le 
Faisan,  la  Grive,  le  Becfigue,  le  Levrauld,  ou  le  grand 
porc  sanglier  farcy  de  toutes  sortes  de  volailles  :  toutes- 
fois  les  poissons  emportoyent  tousiours  l'honneur,  & 
se  vendoyent  quelque  fois  au  pois  d'argent,  comme  i'ay 
dit  cy  dessus,  voire  se  portoyent  en  grand  triumphe 
sus  la  table  ". 

Or  est  il  que  le  poisson  de  nostre  mer  Oceane  est  sans 
comparaison  plus  grand,  plus  gras  &  de  meilleur  goust 
que  celuy  de  la  mer  Méditerranée,  de  quoy  Rondelet 
nous  a  bien  adverti  en  son  livre  des  poissons  &  ceux-là 
en  peuvent  bien  iuger,  qui  à  mesme  table  ont  gousté 
du  poisson  de  l'une  &  de  l'autre  mer,  comme  on  fait 
à  Toulouze,  ou  la  marée  vient  des  deux  mers,  à  sçavoir 
d'Agde  &  de  Bayonne.  &  qui  plus  est,  il  n'y  a  coste 
de  mer,  qui  n'aye  variété  de  poisson.  La  coste  de  Picar- 
die, ou  la  mer  est  sabloneuse,  porte  le  poisson  plat  : 
la  coste  de  Normandie  &  de  Guyenne,  qui  est  pierreuse, 
porte  le  poisson  de  roche  :  la  coste  de  Bretaigne,  qui  est 
limoneuse  *^  [Fol.i.4.Vo],  porte  les  poissons  ronds,  comme 
Lamproyes,  Congres,  Merluz.  Et  quasi  chacune  sayson 
ameine  ses  poissons  :  tantost  les  harens  frais,  tantost 
les  maquereaux,  tantost  les  lamproyes  &  autres  sem- 
blables :  tellement  que  les  hommes  ne  sçurent  iamais. 


^)  sus  la  table.  Et  Gaton  mesme  de  son  temps  se 
plaignoit  desia  (sic)  qu'un  poisson  estoit  plus  cher  vendu 
qu'un  bœuf,  comme  dict  Plutarque.  —  Or  est  il... 


128  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

d'où  viennent  tout  à  coup  ces  peuples  de  harens  à  miliars 
vers  la  coste  de  France  &  d'Angleterre  :  de  sardines  en 
Galice,  de  Thons  au  destroit  de  Stambol,  d'Anchois  à 
la  coste  de  Provence  ",  de  Murènes  en  la  mer  de  Sicile  : 
&  toutesfois  il  faut  confesser  que  ce  grand  proviseur 
du  monde  ne  les  a  créés  que  pour  nos  nécessitez.  le  laisse 
à  parler  du  poisson  d'eau  douce,  qui  se  trouve  partout. 

Si  donques  le  poisson  avoit  le  crédit  qu'il  a  eu  le 
temps  passe,  il  y  auroit  une  infinité  de  chassemarées, 
<fe,  peupleroit  on  les  estangs  &  viviers  plus  soigneusement 
qu'on  ne  fait  :  on  mangeroit  la  marée  depuis  Septembre 
iusques  en  Mars,  lorsqu'elle  est  la  meilleure,  sans  attendre 
la  quaresme,  que  le  poisson  commence  à  frayer  &  perdre 
son  meilleur  goust.  Cela  feroit  que  le  menu  peuple,  les 
paysans  &  les  artisans  auroyent  bon  marche  de  la  chair, 
&  par  conséquence  la  volaille  seroit  aussi  à  meilleur 
conte. 

[Fol.k.l.Ro].  Il  me  souvient  de  la  raison  du  doc- 
teur Picard  ^  bonne  &  politique,  en  ce  qu'il  remonstra 
au  feu  roy  Henry,  s'il  permettoit  l'usage  des  œufs  en 
caresme,  qu'on  ne  trouveroit  ny  poules  ny  poulets  après 
Pasques.  Car  mesme  en  Angleterre,  qui  est  pleine  de 
troupeaux  &  de  volailles,  encores  que  la  discrétion  de 
viande  soit  ostee,  si  est  ce  neantmoins  qu'ils  sont 
contraints  d'entretenir  les  défenses  de  manger  chair  à 
certains  iours  de  la  sepmaine,  voyant  la  chair  enchérir, 
toutefois  parce  que  la  royne  &  les  grands  seigneurs 
contreviennent  à  leurs  défenses,  le  peuple  n'en  fait  pas 
tel  conte  qu'il  debvroit. 

Mais  il  me  semble  qu'il  y  a  bien  un  moyen  plus  expé- 


«/  de  Provence,  de  baleines  aux  orcades,  d'alozes 
en  Barbarie^  de  molues  aux  terres  neufves,  de  Murènes... 


JEAN    BODIN  129 

dient,  sans  aucunes  défenses  :  car  il  n'y  a  rien  plus  doux 
ny  plus  agréable  à  l'homme  que  ce  qu'il  luy  est  défendu, 
quand  celuy  qui  donne  la  loy  contrevient  à  la  défense. 
Gela  fait  que  la  plus  part  du  peuple  trouve  la  chair  si 
bonne  &  le  poisson  de  si  mauvais  goust,  parce  que  ceux 
qui  défendent  la  chair,  ne  vivent  d'autre  chose  :  tes- 
moing  le  bon  Evesque  Espagnol,  qui  mua  le  chapon  en 
poisson  au  iour  maigre,  après  avoir  dit  quelques  mots  : 
demeurant  toutesfois  la  forme  accidentale  &  le  goust 
du  chapon,  comme  recite  Poge  [Fol.k.l.Vo]  Florentin. 
Au  contraire,  si  le  prince  vient  une  fois  à  lever  les 
défenses,  &  neantmoins  qu'il  se  face  servir  du  poisson, 
tous  les  grands  seigneurs  &  courtisans  le  suyveront, 
&  puis  tout  le  peuple.  Voila  le  seul  moyen  de  mettre 
le  poisson  en  crédit.  le  n'useray  d'autre  exemple  plus 
ancien  pour  vérifier  mon  dire,  que  de  celuy  d'Adrian  *^ 
Flameng  de  nation,  qui  de  pauvre  escholier  nourri  de 
merluz,  fut  créé  Pape,  par  le  moyen  de  son  disciple 
Charles  cinquiesme  Empereur.  Et  parce  qu'il  aymoit 
fort,  &  loûoit  sans  propos  le  merluz  salé,  cela  fist  que 
ses  courtizans  &  béguins  consistoriaux  en  mangeoyent 
contre  leur  conscience,  pour  gratifier  sa  sainteté  :  sou- 
dain tout  le  peuple  y  courut  à  l'envy,  comme  escript 
Paul  love  au  livre  des  poissons  :  si  bien  qu'il  n'y  avoit 
rien  plus  cher  à  Romme  que  le  merluz  salé,  car  les  fins 
courtizans  contrefont  tousiours  les  princes,  &  mesmes 
es  choses  les  plus  ridicules  :  comme  il  advint  à  Ferrand 
roy  de  Naples,  qui  avoit  naturellement  le  col  tors  :  ses 
courtizans  pour  luy  complaire,  tournoyent  le  col  comme 
luy.  Le  surplus  du  peuple,  &  mesmes  les  fols  et  ignorans, 
se  paissent  d'opinions  &  suyvent  les  grands.  Voilà  le 
paradoxe  qui  me  semble  [Fol.k.2.Ro]  considérable  en 
matière  de  vivres,  pour  remédier  à  la  charte. 

Quant  au  dernier  point,  qui  peut  aucunement  tenir 
les  marchandizes  à  pris  égal,  c'est  l'équalite  des  mon- 

LE    BRANCHU  9 


130  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

noyés  «.  Aussi  est  il  certain,  qu'on  ne  verra  iamais  cesser 
les  abus  qui  se  font,  qu'on  n'ait  réduit  toutes  les  mon- 
noyes  à  trois  sortes,  &  au  plus  haut  titre  qu'il  sera 
possible,  après  avoir  décrie  tout  le  billon.  C'est  le  seul 
moyen  d'exterminer  les  faux  monnoyeurs  :  descorner 
les  flateurs,  qui  font  hausser  &  rabaisser  le  pied  des 
monnoyes  :  d'arrester  à  peu  près  l'estimation  &  pris 
des  choses  :  bref,  de  moyenner  l'aisance  de  la  trafique. 

le  di  donc,  que  si  toute  la  monnoye  d'or  estoit  à 
vingt  &  trois  caratz  sans  remède  :  toute  la  monnoye 
blanche  a  onze  deniers  douze  grains  argent  le  roy  :  le 
surplus  de  la  monnoye  de  rosette  pure,  &  que  la 
monnoye  d'or  &  d'argent  fut  marquée  au  moulin  pour 
obvier  aux  roigneurs,  on  cognoistroit  fort  aisément  la 
bonté  des  monnoyes  à  l'œil,  au  son,  au  pli,  au  pois,  à  la 
touche,  sans  feu  ny  burin  :  &  ne  se  pouroyent  falsifier 
qu'on  ne  l'aperceust.  Et  pour  empescher  que  le  milieu 
de  la  monnoye  ne  fut  altère,  il  faudroit  que  [Fol.k.2.Vo] 
la  plus  pezante  pièce  d'or  &  d'argent  ne  fut  que  de  quatre 
deniers  de  pois,  comme  l'Angelot  &  le  demy  teston. 
Car  il  n'est  pas  malaise  de  falsifier  les  monnoyes  espesses  : 
comme  la  Portugaloise,  le  lochindaller  **,  que  nous 
appelons  locondalle  :  comme  anciennement  aussi  la 
monnoye  d'or  que  fist  forger  Heliogabale  du  pois  de 
trois  marcs  &  demy  :  &  celles  qui  furent  forgées  d'un 
marc  d'or  au  coing  de  Constantinople,  dont  l'empereur 
Tibère  second  fist  présent  à  nostre  roy  Childeric  de 
cinquante. 

Que  telles  monnoyes  sont  aysees  à  falsifier,  on  l'a 


"^  Depuis  ces  mots  légalisation  des  monnaies  jus- 
qu'aux mots  C'est  donc  une  injustice  barbaresque,  p.  144. 
Voir  longue  variante  placée  après  la  fin  du  texte,  ci-après, 
p.  146. 


JEAN    BODIN  131 

veu  par  expérience  aux  Dalers  d'Almagne,  dont  la  plus 
part  est  presque  à  onze  deniers  par  le  bord,  &  au  milieu 
à  six  ou  sept  deniers  seulement.  Nous  voyons  aussi  le 
teston  faux  à  six  ou  sept  deniers,  sans  que  le  pauvre 
homme  l'apercoyve,  ny  au  pois,  ny  au  son,  ny  à  l'œil, 
&  si  le  faux  monnoyeur  fait  le  teston  à  neuf  deniers 
d'argent,  les  plus  avisez  y  sont  trompez.  Et  ne  faut  point 
dire  que  le  ieu  ne  vaudroit  pas  la  chandelle,  car  en  douze 
marcs  d'œuvre  il  y  a  trois  marcs  d'empirance  :  les  frais 
ne  seroyent  pas  si  grans,  qu'il  n'y  ait  du  gaing  beaucoup. 

Quant  au  billon  qui  porte  moins  de  trois  deniers 
[Fol.k.3.Ro]  douze  grains  d'aloy,  comme  noz  douzains 
&  caroluz  :  ou  de  quatre  deniers,  comme  les  pièces  de 
trois  &  de  six  blancs,  on  y  perd  la  cognoissance,  telle- 
ment que  le  faussaire,  en  fait  ce  qu'il  veut.  Ou  si  la 
monnoye  blanche  estoit  d'argent  à  unze  deniers  douze 
grains  d'aloy,  &  pour  pièce  ne  pezoit  que  quatre  deniers 
pour  le  plus,  la  moindre  un  obole,  il  seroit  très  malaisé 
qu'on  la  peust  falsifier,  que  soudain  l'œil  &  le  son  ne 
découvrist  la  fausseté.  Et  pour  obvier  aux  roigneures, 
il  ne  faut  que  le  moulin  ;  car  nous  voyons  que  l'ancienne 
monnoye  d'or  &  d'argent  qui  vient  d'Espagne,  ne  se 
peut  falsifier  qu'on  ne  le  voye  facilement,  mais  la  plus 
part  est  roignee  :  ce  qu'on  ne  peut  faire  de  la  monnoye 
forgée  au  moulin.  Pour  le  faire  court,  le  faussaire  n'a 
moyen  de  forger  monnoye  réprouvée,  que  par  le  billon  : 
qui  estoit  la  cause  de  tant  de  faux  monnoyeurs  qui 
estoyent  anciennement  en  Grèce,  et  maintenant  en 
France  :  car  Demosthene  escript  au  plaidoye  contre 
Timocrate,  que  la  coustume  de  plusieurs  villes  estoit  de 
mesler  le  plomb  ou  l'estain  doux  avec  le  cuivre  &  l'argent, 
aussi  se  plaint  il  fort  des  faux  monnoyeurs  de  son  temps. 

On  me  dira  que  l'eau  fort  peut  emporter  [Fol.k.S.V^] 
ce  qu'on  veut  de  l'argent,  sans  effacer  la  figure  ny  la 


132  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

rondeur.  Il  est  vray  :  mais  l'eau  fort  couste  plus  que 
ne  vaut  le  profit  de  l'argent  qu'on  en  tire  :  ioint  aussi 
qu'il  y  a  tousiours  de  la  perte  d'argent,  &  que  l'érosion 
&  le  pois  découvre  la  fausseté. 

Quant  à  la  monnoye  d'or,  il  suffira  bien  qu'elle  soit 
a  vingt  &  trois  caratz  sans  remède  ^^  :  en  quoy  on  espar- 
gneroit  les  grands  fraiz  qu'il  faut  faire  pour  afTmer  l'or 
au  feu  &  au  cyment  royal,  &  la  monnoye  seroit  plus 
solide,  sans  qu'il  peust  rien  dépérir  à  la  longue,  mais 
nous  afïinons  si  bien  l'or,  que  outre  les  fraiz  qu'il  faut 
faire,  il  s'use  à  la  longue  &  est  fragile,  &  ne  peut  longue- 
ment porter  sa  marque. 

D'avantage,  laissant  les  fraiz  qu'on  fait  pour  affiner 
l'or,  laissant  aussi  la  fragilité  &  l'usance,  ce  qui  a  mesme 
raison  en  l'argent  pur  à  douze  deniers  :  il  y  a  une  autre 
perte  que  noz  orfèvres  &  monnoyeurs  ne  pensent  pas  : 
car  ils  tiennent  pour  certain  que  l'or,  non  plus  que 
l'argent  pur,  ne  peut  diminuer  au  feu.  &  toutesfois, 
la  vérité  est,  qu'en  tirant  l'aliage  l'or  &  l'argent  s'en 
vont  &  se  consument  peu  a  peu  :  comme  en  tirant  les 
mauvaises  humeurs  il  y  va  du  bon  sang.  Et  qu'ainsi  soit 
[Fol.k.4.Ro],  l'eau  de  départ,  que  le  Cointe  nous  a  trou- 
vée depuis  soixante  ans,  en  fait  la  preuve,  :  car  ayant 
réduit  l'argent  en  eau  liquide,  l'or  demeure  pur  à  vingt 
&  quatre  caratz  :  &  neantmoins  le  laissant  en  la  four- 
naize  il  diminue  de  pois.  Il  faut  donc  conclure  que  l'or 
se  pert  &  consume  au  feu  :  ce  que  nos  orfèvres  ne  peuvent 
croire,  pour  n'avoir  pas  la  patience  d'en  faire  longuement 
la  preuve,  ou  craignans  quelque  perte.  Mais  qui  voudra 
abréger  le  temps,  qu'on  prenne  un  vieil  escu,  &  après 
l'avoir  réduit  au  vingt  &  quatriesme  carat  par  l'eau 
forte  afinee  de  salpestre,  de  couperose  &  de  sel  Ammo- 
niac ;  qu'on  le  peze,  &  puis  qu'on  le  mette  avec  le  sel 
Ammoniac  &  l'arsenic  quelque  temps  :  puis  le  sel  osté, 


JEAN    BODIN  133 

qu'on  jette  le  tout  en  la  fournaize  avec  du  soufre  vif, 
il  n'y  sera  pas  long  temps  après  le  soufre  consumé, 
qu'on  n'aperçoive  le  pois  estre  diminue.  Qu'on  le 
remette  derechef  avec  l'arsenic,  le  sel  Ammoniac  &  le 
soufre  vif,  on  verra  la  diminution  de  pois  à  chacune 
fois,  iusques  a  ce  qu'il  soit  tout  consume,  combien  qu'il 
suffît  pour  la  démonstration  qu'il  soit  diminué  tant  soit 
peu,  après  avoir  passe  par  l'eau  fort  :  veu  que  la  dimi- 
nution ne  peut  estre  que  d'or  fm.  Il  y  a  bien  plus, 
l'arsenic  [Fol.k.4.Vo]  seul,  qui  est  la  poizon  des  ani- 
maux, des  plantes  &  des  métaux,  le  consume  à  la  longue 
sans  feu  :  ce  que  l'Empereur  Caligula  voulut  esprouver 
à  sa  grande  perte,  comme  escript  Pline.  Autrement  ce 
seroit  errer  aux  principes  de  nature,  de  poser  un  corps 
naturel,  &  mesmement  corps  compose,  &  si  terrestre 
comme  est  l'or,  qui  ne  peust  perdre  sa  forme,  car  de  soy 
il  ne  la  sçauroit  perdre  n'estant  subiet  à  corrosion  ny 
rouilleure  :  ioint  aussi  que  le  feu  réduit  tout  en  cendre, 
ou  en  verre,  ou  en  flamme,  ou  en  fumée.  l'ay  esté  en 
l'erreur  du  vulgaire  iusques  a  ce  que  l'expérience  m'en 
a  asseuré,  &  la  raison  naturelle  m'a  contraint  d'en 
voir  la  preuve.  Ils  disent  le  semblable  d'argent  pur  en 
coipelle  à  xii  den.  mais  si  on  voit  l'or  pur  se  consumer, 
a  plus  forte  raison  l'argent  fin  *^. 

Par  ainsi  pour  éviter  à  la  perte  de  l'or  qui  se  fait  en 
l'afmant  au  cyment  royal,  &  au  feu,  &  à  l'usance,  & 
au  déchet,  &  à  la  fragilité,  il  suffît  que  l'or  soit  à  vingt 
&  trois  caratz  sans  remède,  par  ce  moyen  il  aura  assez 
de  corps  &  d'aliage  pour  durer  &  porter  sa  marque,  & 
sera  meilleur  que  l'or  d'escu  sol  d'un  huitiesme  de  carat 
&  plus.  Et  ne  faut  pas  craindre  que  le  faussaire  tire  l'or 
des  escuz  avec  l'eau  [Fol.l.l.Ro]  royal  affinée  de  sel 
Ammoniac  (ce  qu'ils  on  trouvé  depuis  quelque  temps) 
car  soudain  le  pois  descouvre  la  faute,  &  ne  sçauroyent 
donner  charge  qui  dure,  ou  qui  ne  se  voye.  Ioint  aussi 


134  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  les  fraiz  de  Teau  fort  sont  trop  grans  pour  le  peu  de 
profit,  &  que  l'érosion  se  congnoist  quand  on  y  regarde 
de  près.  Et  pour  éviter  que  Testranger  ne  donne  cours 
à  sa  monnoye,  au  preiudice  de  la  nostre,  il  faut  la  décrier, 
si  elle  n'est  de  mesme  aloy  que  la  nostre,  car  la  monnoye 
d'Italie  &  d'Espagne,  est  bien  loing  de  l'ancien  titre. 

Quant  à  la  monnoye  d'erain  pur,  le  faux  monnoyeur 
n'y  peut  rien  gagner,  en  sorte  que  ce  soit,  car  mesme  la 
façon  &  la  difficulté  de  la  forge  couste  bien  cher  ;  mais 
estans  les  doubles  &  deniers  aloyez  d'argent,  on  y  peut 
beaucoup  gagner,  tirant  l'argent  &  forgeant  grande 
quantité,  comme  fist  Pinatel,  qui  déroba  pour  un  coup 
quatre  cens  mil  francs  en  ceste  sorte.  C'est  la  raison 
pour  laquelle  on  doibt  faire  telle  monnoye  d'erain  pur 
sans  argent,  ny  estain,  ny  poudre,  i'entends  de  rosette  *', 
comme  à  Venize  &  en  Espagne  :  car  le  denier  d'argent, 
ou  dix  huit  grains  qu'on  met  aux  doubles  &  deniers,  ne 
se  peut  iamais  cognoistre  qu'à  la  fonte.  D'avantage, 
l'aysance  [Fol.l.l.Vo]  de  telle  monnoye  pour  estre  de 
rosette  pure,  se  forgera  plus  large  &  plus  espesse,  &  ne 
coustera  pas  tant  a  la  façon,  &  n'y  aura  pas  tant  de 
déchet  :  aussi  le  peuple  y  poura  estre  grandement  sou- 
lage, si  on  veut  faire  quatre  degrez  de  telle  monnoye 
sans  argent,  à  sçavoir  le  denier,  le  double,  le  liard  &  le 
quatrin,  ou  qu'on  l'appelle  comme  on  voudra,  autre- 
ment la  moindre  monnoye  d'argent  à  onze  deniers 
douze  grains  le  roy,  seroit  trop  petite,  &  cousteroit 
trop  à  mettre  en  œuvre. 

En  quoy  la  royne  d'Angleterre  a  fait  une  grande 
faute,  décriant  tout  le  billon,  &  la  monnoye  d'erain  en 
son  pays,  &  faisant  batre  monnoye  presque  d'argent 
pur  ^^  :  qui  est  un  grand  dommage  au  pauvre  peuple, 
car  la  moindre  monnoye,  qui  est  un  Pené  bien  fort  petit, 
vaut  huit  deniers  obole  :  tellement  que  le  pauvre  peuple 
est  contraint  d'user  de  mailles  de  plomb,   &  ne  peut 


JEAN    BODIN  135 

achepter  en  menues  danrees  sans  perte  *^  :  &  quant  à 
l'indigent,  il  ne  peut  trouver  aisément  qui  luy  face  une 
charité  :  qui  est  couper  la  gorge  aux  pauvres.  Au 
contraire  en  Espagne  ils  forgent  trente  &  six  petitz 
Cornadiz  :  &  à  Venise  &  presque  en  toute  l'Italie  trente 
&  six  Bagatins,  qui  ne  valent  qu'un  douzain  des  nostres. 
[F0I.I.2.R0]  Ils  font  encores  pis  au  Liège  &  en  Loraine, 
ou  les  quarante  &  huit  souz  d'erain  ne  valent  qu'un 
douzain  des  nostres,  :  qui  est  une  perte  au  public  pour 
la  façon  de  la  monnoye,  &  n'aporte  aucun  profit  au 
particulier,  ny  au  pauvre  indigent,  mesmement  en 
Espagne  &  Italie,  ou  les  vivres  sont  beaucoup  plus  chers 
qu'en  France. 

Quant  au  moulin,  on  dit  qu'il  y  a  trop  de  cizaille 
&  trop  de  déchet,  car  en  cent  marcs,  il  ne  s'en  peut 
trouver  que  soixante  &  dix  marcs  d'œuvre,  ou  il  n'en 
faut  pas  un  ou  deux  marcs  au  marteau.  l'accorde  que 
les  frais  sont  plus  grands  :  mais  outre  ce  que  la  mon- 
noye du  moulin  est  plus  belle  &  plus  aysee  à  faire  de 
beaucoup,  le  roigneur  n'en  peut  rien  emporter  qu'on 
ne  l'apercoyve  :  &  quant  à  la  monnoye  du  marteau,  le 
faux  monnoyeur  en  fait  ce  qu'il  veut.  Toutefois  il  s'est 
trouvé  homme  qui  a  monstre  un  autre  expédient  que  le 
moulin,  en  la  présence  du  roy  :  mais  on  a  trop  d'affaires 
pour  y  penser. 

Voila  donc  pour  l'aysance  &  façon  des  trois  mon- 
Tioyes,  d'or,  d'argent  &  de  rosette  :  laquelle  estant  forgée 
€omme  i'ay  dit,  fera  cognoistre  son  titre  iusques  aux 
petits  enfans,  ayant  le  son,  le  pli,  le  pois,  la  couleur,  la 
IFol.l.2.V<^]  touche,  la  marque  si  asseuree,  que  le  faus- 
saire ne  la  pourra  iamais  altérer.  Qui  est  un  point  de 
telle  conséquence,  qu'un  chacun  sçait,  Se  qui  nous 
debvroit  mouvoir  à  l'exécuter,  quand  bien  il  n'y  auroit 
^utre  profit,  veu  qu'il  n'y  a  peste  en  la  republique  plus 
domageable  :  &  toutesfois  on  ne  voit  autre  chose  que 


136  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

faux  monnoyeurs  &  soufleurs,  lesquels  après  avoir 
multiplié  tout  en  rien,  pour  recouvrer  leur  perte,  forgent 
la  fausse  monnoye,  qui  n'auroit  jamais  cours,  si  ce  que 
i'ay  dit  avait  lieu. 

Mais  il  y  a  bien  un  autre  point  outre  cela  :  c'est  que  la 
flaterie  des  courtizans,  qui  font  changer  le  pied  des 
monnoyes,  sera  par  ce  moyen  rabatue.  Car  le  billon  estant 
une  fois  décrié,  encores  qu'après  on  le  vueille  remettre 
sus,  il  n'y  aura  celuy  qui  ne  le  regette  :  comme  il  advint 
l'an  mil  trois  cens  &  six,  que  Philippe  le  Bel  altéra  le 
premier  la  monnoye  d'argent  pur,  lequel  pour  ceste 
cause  Dante  appelle  Falsificatore  di  moneia  :  il  y  eut 
une  merveilleuse  peine  à  luy  donner  cours,  tellement 
que  le  peuple  de  Paris  se  mutina,  pilla  &  saccagea  les 
maisons  d'Etienne  Barbette,  &  alla  mesmes  assiéger 
le  roy  au  temple,  iettant  son  disner  qu'on  luy  portoit, 
en  [F0I.I.3.R0]  la  fange,  avec  plusieurs  insolences.  Et 
combien  que  le  roy  en  fist  quelque  punition,  toutesfois 
craignant  plus  grande  esmeute,  il  restitua  la  monnoye 
d'argent  pour  ce  coup  la  au  premier  pied.  Vray  est  que 
dix  ans  après  elle  fut  derechef  afoiblie  de  la  moitié. 

On  me  dira,  qu'afoiblir  la  loy,  &  hausser  le  pris  des 
monnoyes,  c'est  un  moyen  prompt  en  nécessité,  pour 
fournir  argent  au  roy  sans  fouler  le  peuple.  Il  y  a  double 
response  :  premièrement,  c'est  une  imposture  &  une 
pure  tromperie  des  courtizans,  de  dire  que  le  roy  &  le 
peuple  y  gagne,  veu  que  l'un  &  l'autre  y  perd  à  veiie 
d'œil  :  tout  ainsi  que  prendre  sus  une  vigne  sans  la 
couper  ny  façonner.  &  par  ce  moyen  la  faire  mourir 
en  trois  ou  quatre  ans  :  autant  en  advient-il  quand  on 
afoiblit  les  monnoyes  &  qu'on  hausse  le  pris.  En  second 
lieu  nécessité  n'a  point  de  loy,  si  la  nécessité  y  estoit  : 
&  neantmoins  ie  n'ay  iamais  leu  qu'on  l'ayt  fait  en  ce 
royaume  par  nécessité  :  ains  au  contraire  Charles  sep- 
tiesme  en  son  extrême  nécessité,  lors  qu'on  l'appelloit 


JEAN    BODIN  137 

roy  de  Bourges,  dix  iours  après  la  mort  de  son  père,  l'an 
mil  quatre  cens  vingt  &  deux,  au  mois  de  novembre, 
fist  forger  la  plus  forte  monnoye  d'argent  qui  fut  onques, 
car  elle  [Fol.l.S.Vo]  tenoit  douze  deniers  sans  aucune 
empirance.  &  lors  qu'il  eut  donné  la  chasse  aux  Anglois, 
&  recouvert  son  royaume  en  pleine  et  haute  paix,  il 
afoiblit  la  monnoye  d'argent  beaucoup  plus  que  de  la 
moitié  :  car  l'an  mil  quatre  cens  cinquante  &  trois,  il 
fist  forger  les  souz  à  cinq  deniers  d'aloy.  Autant  en  fist 
Philippe  le  Bel,  qui  afoiblit  la  monnoye  presque  de  deux 
tiers  sans  aucun  besoin,  sinon  à  l'appétit  des  flateurs. 

Fay  bien  leu  que  les  Romains  l'ont  pratiqué  en  la 
première  guerre  Punique,  lors  que  l'asse,  monnoye  d'erain 
qui  pezoit  douze  onces,  fut  réduit  tout  à  coup  à  deux 
onces,  demeurant  sa  valeur  première.  &  en  la  guerre 
contre  Annibal  il  fut  mis  à  une  once  pour  mesme  pris  : 
&  depuis  par  la  loy  Papiria  réduit  à  demy  once  pour 
mesme  valeur,  ce  qui  estoit  nécessaire  pour  trois  raisons  : 
premièrement  pour  les  grandes  pertes  qu'ils  receurent 
alors  des  ennemis  &  la  nécessité  extrême  ou  ils  tombèrent. 
En  second  lieu  pour  la  pezanteur  de  la  monnoye  qui 
estoit  d'une  livre.  En  troisiesme  lieu,  que  la  monnoye 
d'erain  estoit  trop  forte  de  sept  pars,  huit  faisant  le 
tout  :  car  la  livre  d'argent  à  ce  conte,  valoit  huit  cens 
quarante  livres  d'erain  :  qui  [Fol.l.4.Ro]  n'est  estimé 
par  la  loy  d'Alexandre  Severe,  que  cent  livres  pour  une, 
pose  que  ce  ne  fust  leton  ny  cuyvre.  Mais  la  première 
faute  vint  de  Druse  ^^  Tribun  du  peuple,  qui  mesla  au 
denier  d'argent  fm  l'huitiesme  partie  d'erain.  Marc 
Antoine  fist  encore  pis,  brouillant  l'argent,  le  fer  & 
l'erain  ensemble. 

Le  troisiesme  profit  qu'on  recevra  de  la  monnoye 
forgée  comme  i'ay  dit,  c'est  que  l'estranger  aportera 
force  marchandise,  &  en  fera  meilleur  conte,  comme  on 
voit  en  Espagne,  ou  les  ducats,  doubles  ducats  &  reaies 


138  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

anciennes  attirent  Testranger,  qui  laisse  sa  marchandise 
à  vil  pris  pour  avoir  de  telle  monnoye,  quoi  qu'il  soit 
défendu  de  l'emporter  du  pays  (ce  qu'il  faudroit  aussi 
défendre  en  ce  royaume)  &  y  gagner  en  son  pays,  la 
forgeant  au  coing  de  son  prince.  Ainsi  faisons-nous  des 
veielles  reaies,  qui  sont  à  douze  deniers  trois  grains 
d'argent,  les  monnoyeurs  de  France  y  gagnent  sept  souz 
pour  le  moins  sus  le  marc.  Et  le  Flameng  nous  laisse  la 
marchandise  à  meilleur  pris,  pour  emporter  noz  testons 
au  bas  pays,  &  forger  les  pièces  de  quarante  &  trois 
souz,  beaucoup  plus  foibles  que  noz  testons  :  tellement 
qu'ils  gagnent  xxv  souz  sus  le  marc. 

[F0I.I.4.V0]  Au  contraire  si  la  monnoye  est  trop  foible 
pour  son  pris,  il  faut  troquer  avec  l'estranger  à  perte  de 
finance  :  car  il  ne  veut  point  de  telle  monnoye,  qu'au 
pris  qu'il  la  peut  mettre  en  son  pays.  Et  si  on  n'a  de 
quoy  bailler  en  contreschange  de  la  marchandise,  le  pays 
demeure  pauvre  :  comme  anciennement  le  pays  de 
Lacedemone,  ou  Lycurgue  après  avoir  décrié  l'or,  l'ar- 
gent &  l'erain,  fist  forger  une  lourde  &  pezante  monnoye 
de  fer  en  forme  de  baston,  à  la  trempe  de  vinaigre,  qui 
le  rendoit  si  esclatant  qu'il  ne  pouvoit  mesmes  servir  à 
faire  des  doux.  Qui  estoit  cause  que  le  pays  estoit  fort 
pauvre  :  car  l'estranger  n'y  trafîquoit  aucunement. 
Vray  est  qu'en  recompense  il  ny  avoit  prince  qui  leur 
fist  la  guerre  pour  leurs  richesses,  aussi  n'y  avoit  il  point 
d'orfèvres,  ny  de  ioyauliers,  ny  de  faux  monnoyeurs,  ny 
de  coupebourses  :  mais  ce  bon  prince-la  fist  ce  que 
iamais  homme  n'osa  atenter  :  &  mesmes  les  Lacedemo- 
niens  vainqueurs  des  estrangers,  ayans  oublie  la  leçon 
de  leur  maistre,  &  receu  l'usage  d'or  et  d'argent,  ne  l'ont 
jamais  peu  chasser,  quelque  force  que  leurs  roys  y 
employassent,  qui  furent  estranglez  &  tuez  à  la  pour- 
suite. Par  ainsi  puis  que  nous  sommes  contraints  d'user 
(Fol.m.l.R<>]   des  métaux,   pour  donner  loy    &  pris  à 


JEAN    BODIN  139 

toutes  choses,  il  faut  s'efforcer  de  la  faire  forte  &  bonne 
&  de  trois  métaux  seulement,  à  sçavoir  d'or,  d'argent  & 
d'erain,  en  la  sorte  &  pour  les  raisons  que  i'ay  dit. 

Et  ne  puis  aprouver  la  coustume  de  Mauritanie  & 
de  la  Guynee,  qui  use  d'or  pulverizé  au  lieu  de  monnoye 
marquée,  comme  i'ay  sceu  de  noz  marchans  qui  trafi- 
quent en  ce  pays-la  car  il  n'est  possible  qu'on  n'y  face 
de  la  tromperie,  veu  qu'il  n'y  a  moyen  de  cognoistre  l'or 
qu'au  pois,  &  qu'il  faut  mettre  la  poudre  en  coipelle. 

On  fait  bien  en  Aethiopie,  &  presque  en  toute  le  reste 
d'Afrique,  monnoye  d'or  marquée,  mais  pour  le  peu 
d'argent  qu'il  y  a  &  d'erain,  ils  usent  de  monnoye  de 
sel  en  forme  quaree,  comme  escript  Alvarez  :  ce  qui 
empesche  l'aysance  de  la  trafique,  pour  la  pezanteur, 
vilité  &  fragilité  du  sel. 

En  plusieurs  autres  lieux  on  fait  la  petite  monnoye 
de  leton,  ou  de  cuyvre,  ce  qui  apporte  grande  incommo- 
dité pour  la  vilité  de  telles  matières.  Mais  la  rosette 
estant  le  plus  précieux  métal  après  l'or  &  l'argent,  ne 
doibt  point  estre  aliee  d'autre  meslange  pour  la  convertir 
en  leton  ou  en  cuyvre.  Et  par  ce  [Fol.m.l.Vo]  moyen  on 
pourra  faire  la  monnoye  de  rosette  large,  &  faciliter  la 
forge,  qui  ne  coustera  pas  tant  de  beaucoup,  tellement 
que  la  monnoye  d'argent  qui  pezera  xii  grains,  vaudra 
xxiii  pièces  de  la  moindre  monnoye  d'erain  de  deux 
deniers  de  pois,  qui  est  la  proportion  d'un  marc  d'argent 
à  cent  de  rosette,  anciennement  gardée  par  la  loy  d'Ar- 
cadius  Empereur  qui  est  aujourd'hui  «usitée  en  ce 
royaume  à  peu  près  ^^.  Vray  est  qu'en  Almagne  d'où 
elle  vient,  on  en  a  meilleur  marché  :  combien  que  long- 
temps auparavant  par  la  loy  Papiria,  que  l'asse  fut 
réduit  à  demy  once,  la  livre  d'argent  n'en  valoit  que 
trente  &  cinq  d'erain,  ou  peu  auparavant  elle  en  valoit 
soixante  &  dix  :  &  devant  la  première  guerre  Punique, 


140  ÉCRITS    NOTABLES   SUR    LA   MONNAIE 

la  livre  d'argent  valoit  huit  cent  quarante  livres  d'erain, 
comme  j'ay  dit  cy  dessus.  Mais  pour  faire  le  calcul,  il 
est  besoing  d'entendre  que  le  denier  Romain  estoit  la 
septiesme  partie  de  l'once,  &  non  pas  l'huitiesme,  comme 
a  pense  le  docte  Budé.  en  quoy  toutesfois  il  a  suivi  les 
anciens  Grecs  &  Latins,  qui  luy  ont  failli  de  guarend  : 
car  pour  faire  le  conte  rond,  ils  ont  esgalé  la  dragme,  qui 
est  l'huitiesme  partie  de  l'once,  au  denier  qui  est  la 
septiesme  :  ce  [Fol. m. 2. R^]  qui  fait  un  erreur  fort  notable 
aux  grandes  sommes.  Et  pour  ceste  cause,  Apian,  Pline, 
&  Celse,  ont  prins  garde  de  plus  près,  &  dechifré  sub- 
tilement la  différence,  monstrant  que  le  denier  vaut  une 
dragme  &  trois  septiesmes  de  dragme.  de  quoy  George 
Agricole  nous  a  adverti.  Il  y  a  pareille  faute  en  ce  que 
Budé  a  prins  la  mine  pour  la  livre  :  comme  qui  diroit 
escuz  de  nostre  monnoye.  ce  qui  advient  souvent  en 
noz  histoires  :  on  peut  entendre  escuz  sol,  ou  escuz  vieux, 
ou  escuz  couronne  :  &  toutesfois  il  y  a  autant  à  dire,  que 
entre  huit  neuf,  &  dix,  car  pour  faire  l'once,  il  ne  faut 
que  huit  escuz  vieux,  neuf  soleil  &  dix  couronne.  Noz 
historiens  font  une  mesme  faute,  quand  ils  font  esgaux  les 
marcs  de  Paris  ^^,  Boulogne  ^^,  Venize,  Gènes,  Provence, 
Touraine,  qui  sont  tous  difîerens  en  onces.  Ce  que  i'ay 
bien  voulu  toucher  pour  entendre  le  calcul  que  i'ay  fait 
cy  dessus,  &  la  proportion  des  métaux,  &  que  plusieurs 
suyvent  l'opinion  de  monsieur  Budé  sans  y  prendre  garde. 

Mais  il  y  a  une  obiection  à  ce  que  i'ay  dit  touchant 
le  decri  du  billon  :  c'est  que  le  pauvre  peuple  seroit 
ruiné,  veu  que  la  richesse  du  pauvre  ne  gist  qu'au  billon. 
le  ne  suis  pas  [Fol.m.2.Vo]  d'avis  qu'on  le  décrie  tout  à 
coup  :  mais  qu'on  n'en  forge  point  pour  l'advenir,  & 
peu  à  peu  on  s'en  défera  avec  moins  de  perte.  Et  quand 
bien  on  l'auroit  décrié  tout  en  un  moment,  pourveu  que 
le  roy  portast  la  moitié  de  la  perte,  le  peuple  l'autre, 
encore  y  auroit-il  beaucoup  plus  d'avantage  pour  le 


JEAN    BODIN  141 

peuple,  que  forger  de  foible  monnoye,  &  après  luy  avoir 
donné  cours,  la  décrier.  le  ne  sache  homme  de  bon  iuge- 
ment,  qui  ne  soit  d'avis  qu'il  vaut  beaucoup  mieux 
soufrir  une  telle  saignée,  pour  tirer  les  mauvaises  humeurs, 
que  de  languir  d'une  fièvre  perpétuelle,  qui  redouble  si 
souvent  ses  accès,  car  nous  voyons  que  depuis  l'an  mil 
cinq  cens  trente  &  huit  sans  aller  plus  loing,  qu'on  ruina 
dix  mil  personnes  en  décriant  les  vaches  de  Bretagne  ^*, 
&  dix  ans  après  que  tout  le  billon  roigné  fut  décrié,  il 
s'est  forgé  des  souz  du  temps  du  roy  Henry  à  trois 
deniers  douze  grains  d'aloy,  qui  ne  valent  pas  le  billon 
ancien  roigné,  ny  la  vache  décriée.  Et  neantmoins  on 
hausse  tantost  le  pris  du  billon  sans  hausser  l'aloy,  pour 
resiouir  le  peuple,  comme  un  malade  quand  on  le  fait 
boire  froid  :  car  cela  est  bien  cher  vendu  au  decri.  D'avan- 
tage les  faux  monnoyeurs  ont  mil  moyens  d'altérer  le 
billon  [Fol.m.S.Ro]  de  divers  aloy,  comme  est  l'aloy  du 
denier,  au  double,  &  de  cestuy  cy  au  liard  au  souz,  & 
des  soux  aux  pièces  de  trois  &  de  six  blancs,  qui  tenoyent 
quatre  deniers  argent  le  roy  :  mais  on  n'en  voit  plus 
d'autant  que  les  maistres  des  monnoyes  y  ont  senti 
du  profit  à  les  convertir  en  autre  billon. 

Or  le  pis  que  i'y  voy,  c'est  qu'en  telles  tromperies  la 
republique  &  le  pauvre  peuple  est  ruiné  :  &  n'y  a  que 
les  trésoriers,  monnoyeurs,  faussaires  &  usuriers  qui 
gagnent,  car  les  uns  prestent  à  grand  interest  le  billon, 
&  puis  trouvent  moyen  de  le  faire  décrier,  pour  estre 
payez  en  forte  monnoye  :  les  autres  acheptent  à  vil  pris 
le  billon  décrie,  car  le  peuple  est  contraint  de  le  vendre 
au  plaisir  des  changeurs  &  maistres  des  monnoyes,  si 
on  ne  le  vend  au  marc.  Les  autres  empruntent  de  tous 
costez,  ayant  senti  le  vent  qu'on  veut  hausser  la  valeur 
des  monnoyes  :  ou  bien  eux  mesmes  sollicitent  les  princes 
à  ceste  fin  :  comme  i'ay  aprins  que  fist  un  grand  seigneur 
en  ce  royaume,  que  vous  sçavez,  monsieur,  qui  avoit 


142  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

cent  mil  escuz  en  ses  coffres  il  mania  si  bien  cest  afaire, 
qu'il  fist  soudain  hausser  le  pris  de  l'escu  soleil  de  qua- 
rante à  quarante  cinq  souz  pour  y  gagner  tout  à  coup 
vingt  &  cinq  mil  [Fol.m.S.V^]  francs.  Et  combien  que  le 
roy  y  gagne  pour  un  temps,  toutesfois  il  advient  après 
que  la  pauvreté  du  peuple  redonde  sus  luy,  comme 
disoit  Adrian  l'empereur  du  fisque  qui  ressembloit  à  la 
rate,  laquelle  ne  peut  enfler  que  tous  les  membres  ne 
seichent,  aussi  le  prince  ne  peut  gagner  en  ceste  sorte, 
que  le  peuple  n'en  soufre  beaucoup,  &  luy  encores  plus. 
ce  qui  n'adviendroit  pas  s'il  n'y  avoit  du  tout  point  de 
billon  :  car  haussant  le  pris  de  l'or,  il  faudroit  par 
contrainte  abaisser  le  pris  de  l'argent  :  ce  qui  n'est  pas 
en  la  puissance  des  princes,  si  ce  n'estoit  du  consente- 
ment commun  de  tout  les  monarques  &  seigneurs  sou- 
verains ^^  :  &  si  un  prince  le  fait  en  son  pays,  il  oste  la 
trafique,  ou  bien  il  s'apauvrist,  &  ses  subiects,  qui  sont 
par  ce  moyen  contraints  de  troquer  à  perte  avec  l'es- 
tranger,  comme  i'ay  dit.  Aussi  il  ne  se  trouve  point  de 
prince  qui  change  la  proportion  de  l'or  à  l'argent,  qui 
est  quasi  comme  d'un  à  douze,  gardée  en  toute  l'Eu- 
rope ^^  :  tellement  que  le  marc  d'or  à  xxiiii  caratz,  vaut 
douze  marcs  d'argent  à  douze  deniers  sans  remède,  qui 
est  le  pris  à  peu  près  d'Espagne  &  d'Italie,  ou  la  livre 
d'or  vaut  onze  livres  &  deux  tiers  d'argent  :  en  Ale- 
magne  elle  vaut  un  peu  plus  de  douze  :  [Fol.m.4.Ro]  car 
ou  il  y  a  plus  d'argent,  il  est  moins  prise.  L'ancienne 
valeur  &  proportion  de  l'or  à  l'argent,  qui  se  gardoit  en 
Grèce  &  en  Asie,  il  y  a  plus  de  deux  mil  ans,  comme  tes- 
moigne  Hérodote,  estoit  de  treize  livres  d'argent  à  une 
d'or.  Six  cens  après  au  traité  d'Aetolie,  il  fut  arresté  que 
les  Aetoliens  pairoyent  aux  Romains  pour  la  livre  d'or 
dix  livres  d'argent,  s'il  n'y  a  faute  au  nombre  de  Tite 
Live,  comme  il  est  vraysembable  :  veu  qu'il  se  trouve 
trois  cens  ans  après  ou  environ  que  la  livre  d'or  valoit 
quinze  livres  d'argent  qui  seroit  un  changement  trop 


JEAN    BODIN  143 

grand  en  si  peu  de  temps  :  si  ce  n'estoit  que  Tor  fut  de 
beaucoup  plus  fin  que  l'argent,  &  en  l'autre  exemple 
au  contraire,  car  i'ay  veu  des  medales  d'or  de  Vespasian, 
à  qui  Pline  dédie  son  œuvre,  qui  sont  à  vingt  &  quatre 
caratz,  &  n'y  a  pas  un  trente  &  deuxiesme  de  carat 
d'empirance,  au  rapport  des  maistres  généraux  des  mon- 
noyes  qui  en  ont  fait  l'essay.  le  ne  trouve  point  que 
l'or  ayt  iamais  esté  à  plus  haut  pris,  &  depuis  est  tou- 
siours  rabaissé,  car  par  l'ordonnance  d'Alexandre  Severe, 
la  livre  d'or  fut  estimée  quatorze  livres  &  demye  d'ar- 
gent, &  depuis  ce  temps-la  le  pris  est  rabaissé  iusques 
à  douze,  qui  est  à  peu  près  la  juste  [Fol.m.4.Vo]  propor- 
tion du  vray  pris.  Car  si  nous  prenons  le  moindre  pris, 
a  sçavoir  dix  pour  un,  qui  fut  au  temps  du  traite  d'Aetolie 
&  le  plus  haut  qui  fut  oncques,  à  sçavoir  un  pour  quinze 
du  temps  de  Pline,  nous  trouverons  que  le  moyen  esgal 
entre  deux  est  une  livre  d'or  pour  douze  &  demye  d'ar- 
gent. Nous  suivons  iustement  le  pris  d'un  pour  douze, 
qui  est  quasi  commun  en  toute  l'Europe,  l'Asie  l'Afri- 
que :  hormis  que  vers  le  pays  de  Septentrion,  ou  les 
minières  d'argent  abondent,  &  bien  peu  d'or,  le  pris  de 
l'or  est  un  peu  plus  haut  :  &  au  contraire  vers  le  pays 
Méridional  &  des  Indes,  ou  il  y  a  plus  d'or,  le  pris  d'ar- 
gent est  plus  haut  qu'au  pays  froid.  Mais  la  proportion 
ne  passe  point  ordinairement  une  vingt  &  quatriesme 
partie  plus  ou  moins,  qui  est  une  iustice  nécessaire  & 
convenable  à  tous  les  peuples  quasi  comme  une  ordo- 
nance  &  loy  commune  publiée  à  la  requeste  des  repu- 
bliques en  gênerai,  pour  entretenir  l'aliance,  trafique  & 
amitié  envers  les  uns  &  les  autres.  Qui  fut  la  raison 
pour  quoy  le  Roy  des  Indes,  ayant  veu  la  mesme  pro- 
portion de  l'or  à  l'argent  qui  estoit  en  son  pays,  estre 
gardée  par  les  Romains,  au  rapport  qu'en  faisoit  l'am- 
bassadeur, loua  leur  iustice.  car  la  [Fol.n.l.R®]  monnoye 
est  une  loy  à  bien  parler  :  aussi  les  Grégeois  appellent 
la  monnoye  &  la  loy  d'un  mesme  nom,  comme  nous 


144  ÉCRITS   NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

disons  loy  &  aloy.  Et  tout  ainsi  que  la  loy  est  une  chose 
sainte,  &  qui  ne  doibt  estre  violée  :  aussi  la  monnoye 
est  une  chose  sainte  qui  ne  doibt  estre  altérée,  depuis 
qu'on  luy  a  donné  son  vray  titre  &  iuste  valeur. 

Ce  seroit  donc  une  iniustice  Barbaresque  <^,  &  une  perte 
inévitable  au  pays,  si  un  prince  alteroit  pour  son  plaisir 
le  pris  de  l'or  &  de  l'argent,  haussant  ou  rabaissant  le 
pied  des  monnoyes  forgées  de  ces  deux  métaux  en  mesme 
degré  de  bonté  ^.  Car  il  y  a  autant  à  dire  de  l'or  à  vingt 
&  trois  caratz,  au  pris  de  l'or  fin,  qu'il  y  a  de  l'argent  a 
onze  deniers  douze  grains,  au  pris  de  l'argent  fm  à  douze 
deniers.  Et  quand  bien  il  se  trouvera  prince  si  mal 
conseillé,  il  ruinera  son  peuple,  son  pays,  &  soy  mesmes. 
Mais  tenant  le  cours  &  titre  des  monnoyes  que  i'ay  dit, 
on  fera  cesser  un  million  de  pertes  qu'on  voit  pour  le 
payement  des  debvoirs  en  forte  ou  en  foible  monnoye, 
en  or  ou  en  argent,  en  escuz  vieux  ou  nouveaux.  Et  par 
mesme  moyen  les  revenuz  &  rentes  seront  asseurees  : 
l'estimation  des  choses  mieux  réglée  :  le  changement 
[Fol.n.l.V®]  incertain  des  monnoyes  osté  :  la  trafique 
plus  aisée  :  la  France  enrichie  :  les  courtizans  escornez  : 
les  faux  monnoyeurs  bannis  :  &  le  pauvre  peuple  soulagé. 


^)  Fin  de  la  variante  placée  ci-après,  p,  416. 

^)  en  mesme  degré  de  bonté,  &  ne  trouveroit  prince 
ny  peuple  voisin  qui  voulust  traiter  commerce  avec  luy, 
sinon  en  espèces.  Et  pour  monstrer  que  les  trois  métaux 
ainsi  forgez  que  i'ay  dit  tiendront  la  proportion  natu- 
relle &  convenable,  il  appert  en  ce  qu'il  y  a  autant  à 
dire  de  l'or  à  vingt  &  trois  carats,  au  prix  de  l'or  fin, 
qu'il  y  a  d'argent  à  onze  deniers  douze  grains,  au  prix 
de  l'argent  fin  à  douze  deniers. 

Et  par  ainsi  tenant  le  cours  &  titre  des  monnoyes  que 
i'ay  dit,  on  fera  cesser  un  million  de  procez  qu'on  voit  pour 
le  payement  des  debvoirs  en  forte  ou  enfoible  monnoye... 


JEAN    BODIN  145 

Voila,  monsieur,  les  raisons  qui  sont,  a  mon  advis, 
nécessaires,  ou  pour  le  moins  apparentes,  touchant  la 
charte  des  choses  &  Tordre  qu'on  y  peut  donner.  Mais 
pour  cognoistre  au  vray  si  elles  sont  mettables,  il  ne  faut 
que  les  rapporter  à  la  touche  vifve  de  vostre  meilleur 
iugement,  qui  en  fera  Tessay  beaucoup  mieux  que  la 
pierre  Lydienne,  ny  que  le  feu  ne  sçauroit  faire  de  l'or, 
ce  qui  m'a  donné  plus  d'asseurance  de  mettre  le  tout  en 
lumière  au  veu  d'un  chacun,  car  qui  seroit  celuy  qui 
voudroit  reprouver  ce  que  vous  aurez  une  fois  aprouvé  ? 
Ce  n'est  pas  toutefois  que  ie  pense  en  estre  creu,  qui 
seroit  chose  par  trop  ridicule  :  &  moins  encore  pour 
contredire  personne  :  ains  pour  semondre  ceux  qui  sont 
mieux  entenduz  aux  affaires  d'estat,  d'y  prendre  garde 
un  peu  plus  soigneusement  qu'on  ne  fait.  Et  mesmes 
pourinciter  monsieur  de  Malestroit^à  continuer,  comme 
il  a  commence,  en  un  si  beau  subiet.  en  quoy  faisant  les 
princes  souverains,  qui  ont  puissance  de  donner  la  loy, 
avec  ceux  qui  leur  donnent  [Fol.n.2.Ro]  conseil,  seront, 
comme  ie  croy,  plus  résolus  en  ce  qu'il  faut  ordonner  pour 
l'honneur  &  accroissement  de  la  republique,  après  avoir 
entendu  de  plusieurs  les  iustes  plaintes  &  doléances  du 
pauvre  peuple,  qui  sent  bien  la  douleur,  mais  la  plus 
part  ne  peut  pas  bien  iuger  d'où  elle  procède,  &  ceux 
qui  en  ont  quelque  iugement  plus  certain,  ne  peuvent 
avoir  audience,  ny  autre  moyen  que  par  escripts,  pour 
faire  entendre  la  maladie  à  ceux  qui  peuvent  aisément  y 
remédier. 


«j  Malestroit. 


FIN 


LE   BRANCHU  10 


(BODIN) 
Variante  de  la  p.  130  «  à  la  p.  144  « 

«J  l'egalite  des  monnoyes.  Car  si  la  monnoye,  qui 
doit  régler  le  prix  de  toutes  choses,  est  muable  &  incer- 
taine :  il  n'y  a  personne  qui  puisse  faire  estât  au  yray 
de  ce  qu'il  a  :  les  contracts  seront  incertains  ;  les  charges, 
taxes,  gages,  pensions  &  vacations  incertaines  :  les 
peines  pécuniaires  [Fol.p.4.Ro]  &  amendes  limitées 
par  les  coustumes  &  ordonnances  seront  aussi  muables, 
&  incertaines  :  brief  tout  Testât  des  finances,  &  de  plu- 
sieurs affaires  publiques  &  particulières  seront  en  sus- 
pens, chose  qui  est  encores  plus  à  craindre  si  les  mon- 
noyes sont  falsifiées  par  les  Princes  qui  sont  garends 
&  debteurs  de  iustice  à  leurs  subiects  :  Car  le  Prince  ne 
peut  altérer  le  pied  des  monnoyes  au  preiudice  des 
subiects,  &  encore  moins  des  estrangers  qui  traitent 
avec  luy,  &  trafiquent  avec  les  siens,  attendu  qu'il  est 
subiect  au  droit  des  gens  :  sans  encourir  l'infamie  de 
faux  monnoyeur  :  comme  le  Roy  Philippe  le  Bel  fut 
appelle  du  poète  Dante,  falsificaîore  di  moneia,  pour 
avoir  le  premier  afoibli  la  monnoye  d'argent  en  ce 
Royaume  de  la  moitié  de  loy  :  qui  donna  occasion  de 
grans  troubles  à  ses  subiects,  &  de  très  pernicieux 
exemple  aux  Princes  estrangers  :  dont  il  se  repentit 
bien  tard,  enioignant  à  son  fils  Louys  Hutin  par  son  tes- 
tament, qu'il  se  gardast  bien  d'afïoiblir  les  monnoyes. 
Et  pour  ceste  mesme  cause,  Pierre  III,  Roy  d'Arragon 
confisqua  l'Etat  du  Roy  de  Malorque  &  Minorque,  qu'il 
pretendoit  estre  son  vassal  pour  avoir  [Fol.p.4.Vo] 
afïoibli  les  monnoyes.  Combien  que  les  Roys  mesmes 


JEAN    BODIN  147 

d'Arragon  en  abusèrent  aussi,  de  sorte  que  le  Pape 
Innocent  III  leurs  fist  défense,  comme  à  ses  vassaux, 
d'en  user  plus  ainsi  *  :  suivant  lesquelles  défenses,  les 
Roysd'Arragonvenans  à  la  couronne,  protestoyent  de  ne 
changer  le  cours,  ny  le  pied  des  monnoyes  approuvées. 
Mais  il  ne  suffit  pas  de  faire  telles  protestations,  si  la  loy 
&  le  poids  des  monnoyes  n'est  règle  comme  il  faut  :  afin 
que  les  Princes  ny  les  subiects  ne  les  puissent  falsifier 
quand  ilz  voudront  ce  qu'ilz  feront  tousiours  ayans  l'oc- 
casion, quoy  qu'on  les  deust  roustir  &  bouillir.  Or  le  fon- 
dement de  tous  les  faux  monnoyeurs,  laveurs,  roigneurs, 
billonneurs,  &  des  escharcetez,  &  foiblages  des  monnoyes 
ne  vient  que  de  la  meslange  qu'on  fait  des  métaux  :  car 
on  ne  sçauroit  supposer  un  metail  pur  &  simple  pour  un 
autre,  obstant  la  couleur,  le  poids,  le  corps,  le  son  &  la 
nature  de  chacun  différente  des  autres  comme  ie  remons- 
tray,  quand  ie  fus  député  par  les  estats,  villes  &  prevos- 
tez  du  pays  de  Vermandois,  pour  aller  [Fol.q.l.R^]  aux 
estats  de  France.  Il  faut  donc  pour  obvier  aux  inconve- 
niens  que  i'ay  déduits,  ordonner  en  toute  republique, 
que  les  monnoyes  soyent  de  métaux  simples  &  publier 
l'edit  de  Tacite  Empereur  de  Rome  **  portant  défense  sus 
peine  de  confiscation  de  corps,  &  de  biens,  de  mesler  l'or 
avec  l'argent,  ny  l'argent  avec  le  cuivre,  ny  le  cuivre  avec 
l'estain,  ou  plomb.  Vray  est  qu'on  peut  excepter  de  l'or- 
donnance la  mistion  du  cuivre  avec  l'estain,  qui  fait  le 
bronze  &  metail  sonnant,  qui  lors  n'estoit  pas  en  tel  usage 
qu'il  est  :  &  la  mistion  de  l'estain  doux  avec  le  cuivre  pour 
la  fonte  des  artilleries.  Car  il  n'est  pas  nécessaire,  de  mes- 
ler la  vingtiesme  partie  de  plomb  avec  l'estain  fin  pour  le 
rendre  plus  malléable,  puis  qu'on  peut  le  jetter  &  mettre 
en  œuvre  sans  telle  mistion,  qui  gaste  la  bonté  de  l'estain 
&  qui  ne  se  peut  iamais  deslier  du  plomb.  Et  au  surplus, 


*  /.  cap.  quanlo  de  iure  iurando.  2.  Pelr.  Belug.  in  specul.  princ.  anno 
1245  &  1336. 

**  3,  Vopiscus  in  Taciîo. 


148  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  la  défense  tienne,  tant  pour  le  regard  des  monnoycs, 
que  pour  les  ouvrages  des  orfèvres  &  tireurs  d'or  :  ou 
les  fausetez  sont  encore  plus  ordinaires  que  es  monnoyes  : 
d'autant  que  la  preuve  [Fol.q.l.Vo]  n'en  est  pas  si  facile, 
&  que  bien  souvent  l'artifice  est  presque  aussi  cher 
que  la  matière  :  en  quoy  Archimede  s'abusa,  voulant 
descouvrir  combien  l'orfèvre  avoit  desrobé  sus  la  grand 
couronne  d'or  du  Roy  Hieron  :  qui  ne  vouloit  pas  perdre 
la  façon  (lors  ils  ne  sçavoyent  pas  l'usage  de  la  pierre 
de  touche).  Il  print  deux  masses  l'une  d'or  &  l'autre 
d'argent,  pour  sçavoir  combien  l'un  et  l'autre  jetteroit 
d'eau  hors  d'un  vaisseau,  plus  ou  moins  que  la  couronne  : 
&  par  la  proportion  d'eau  il  iugea  le  volume  des  deux 
métaux  &  que  l'orfèvre  avoit  desrobé  la  cinquiesme 
partie,  mais  son  iugement  estoit  incertain  :  car  il  sup- 
posoit  que  l'aliage  n'estoit  que  d'argent,  iaçoit  que  les 
orfèvres  pour  donner  à  l'ouvrage  d'or  plus  de  beauté, 
&  de  fermeté,  &  à  moindres  frais,  font  l'aliage  de  cuivre 
pur,  quand  ils  peuvent  :  qui  est  beaucoup  plus  léger 
que  l'argent,  qui  rend  l'or  blafe,  &  pale  de  couleur  : 
&  le  cuivre  retient  la  couleur  plus  vive,  &  par  conséquent 
le  cuivre  a  plus  de  corps  &  de  volume  que  l'argent  en 
poids  égal,  autant  qu'il  y  [FoLq.2.Ro]  a  de  treize  à 
onze,  &  est  de  cuivre  &  d'argent,  il  estoit  impossible 
de  faire  le  vray  iugement  si  on  ne  sçavoit  combien  il  y  a 
de  l'un,  &  de  l'autre,  &  encores  qu'il  soit  cogneu,  si  est 
ce  que  l'erreur  insensible  qui  se  fait  à  mesurer  les  goûtes 
d'eau,  est  grand  pour  la  différence  du  volume  des 
métaux,  &  il  n'y  a  si  subtil  afTineur,  ny  orfèvre  au  monde, 
qui  puisse  iuger  à  la  pierre  de  touche  combien  il  y  a 
d'argent  &  de  cuivre  en  l'or,  si  l'aliage  est  de  l'un  & 
de  l'autre,  et  d'autant  que  les  orfèvres  &  ioyauliers  ont 
tousiours  fait  plainte  qu'ils  ne  pouvoient  besoigner  sans 
perte  en  or  à  vingt  deux  carats,  sans  remède,  ou  d'or 
fin  à  un  quart  de  remède  suivant  l'ordonnance  du  Roy 
François  l'an  M.D.XL.   &  que  nonobstant  toutes  les 


JEAN    BODIN  149 

ordonnances  ils  font  ouvrage  à  vingt,  &  bien  souvent 
à  XIX  carats,  de  sorte  qu'en  vingt  quatre  marcs  il  y  a 
cinq  marcs  de  cuivre  ou  d'argent,  lequel  par  trait  de 
temps  est  forgé  en  monnoye  faible  par  les  faussaires 
qui  veulent  y  profiter,  il  est  plus  que  nécessaire  de  faire 
défense  qu'il  ne  se  face  aucun  ouvrage  [Fol.q.2.Vo]  d'or 
qui  ne  soit  suivant  l'ordonnance,  sus  la  mesme  peine 
de  confiscation  de  corps  &  de  biens,  afîin  aussi  que  par 
ce  moyen  l'usage  de  l'or  en  meubles  &  doreures  soit 
pur.  Et  d'autant  qu'il  est  impossible  comme  disent  les 
affîneurs,  d'affiner  l'or  au  vingt  &  quatriesme  carat 
qu'il  n'y  ait  quelque  peu  d'autre  metail,  ny  l'argent  au 
douziesme  denier,  qu'il  n'y  reste  aucun  aliage,  &  mesmes 
que  raffinement  précis  suivant  l'ordonnance,  de  vingt 
trois  &  trois  quarts  de  carats  à  un  huictiesme  de  remède, 
&  de  l'argent  à  douze  deniers  deux  grains  &  trois  quarts, 
tel  qu'il  est  es  Reaux  d'Espaigne  :  ou  bien  onze  deniers 
dix-huict  grains  comme  il  est  au  poinçon  de  Paris,  qu'il 
n'y  ait  du  déchet,  qu'il  ne  couste  beaucoup,  outre  la 
difficulté,  &  longueur  du  temps,  on  peut  faire  que  l'or 
en  ouvrage  &  en  monnoye  soit  à  vingt  trois  carats  & 
l'argent  à  onze  deniers  douze  grains  de  fm,  l'un  & 
l'autre  sans  remède  :  &  en  ce  faisant  la  proportion  sera 
esgale  de  l'or  à  l'argent  :  car  en  l'autre  l'empirance  est 
esgale,  c'est  à  dire  qu'en  vingt  quatre  livres  d'argent 
[Fol.q.S.Ro]  à  onze  deniers  douze  grains  &  en  vingt  trois 
carats  il  y  a  une  livre  d'autre  metail  qui  n'est  point  or, 
&  une  livre  de  metail  en  l'argent,  qui  n'est  point  argent, 
soit  cuivre  ou  autre  metail,  &  tel  argent  s'appelle  en  ce 
Royaume  argent  le  Roy  :  auquel  la  vingt  &  quatriesme 
partie  est  de  cuivre.  Et  par  mesme  moyen  la  monnoye 
d'or  &  d'argent  sera  plus  forte  &  plus  durable.  En  quoy 
faisant  on  gaigne  aussi  beaucoup  à  l'ouvrage,  au  feu, 
au  ciment,  &  on  évite  le  déchet,  l'usance  &  la  fragilité. 
Et  afin  que  la  iuste  proportion  de  l'or  à  l'argent,  qui  est 
en  toute  l'Europe  &  aus  régions  voisines  à  douze  pour 


150  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

un  à  peu  près,  soit  aussi  gardée  aux  poids  des  mon- 
noyes,  il  est  besoin  de  forger  les  monnoyes  d'or  &  d'ar- 
gent à  mesme  poids,  de  seize  &  trente-deux,  &  soixante 
&  quatre  pièces  au  marc  :  sans  qu'on  puisse  forger  la 
monnoye  plus  forte  de  poids,  ny  plus  foible  aussi  :  pour 
éviter  d'une  part  la  difficulté  de  la  forge,  &  la  fragilité 
de  la  monnoye,  d'or  &  d'argent  fin,  qui  seroit  plus  léger 
d'un  denier  de  poids  :  &  d'autre  part  la  facilité  de  fal- 
sifier [Fol.q.S.Vo]  l'une  &  l'autre  monnoye,  pour  l'espes- 
seur  d'icelle,  comme  il  se  fait  es  portugueses  d'or  & 
dallers  d'argent,  qui  ont  une  once  de  poids  &  plus, 
comme  estoit  aussi  la  monnoye  d'or  pesant  trois  marcs 
&  demy,  qui  fîst  forger  l'empereur  Heliogabal,  &  celle 
qui  fut  forgée  au  coing  de  Constantinople  d'un  marc 
de  poids,  dont  l'empereur  Tibère  fit  présent  à  nostre 
Roy  Ghilderic  de  cinquante.  En  quoy  faisant,  ny  les 
changeurs,  ny  les  marchans,  ny  les  orfèvres  ne  pourront 
aucunement  décevoir  le  menu  peuple,  ny  ceux  qui  ne 
cognoissent  ny  la  loy  ny  le  poids  :  car  tousiours  on  sera 
contrainct  de  bailler  douze  pièces  d'argent  pour  une  d'or, 
&  chacune  des  pièces  d'argent  poisera  autant  que  la 
pièce  d'or  de  mesme  marque,  comme  on  voit  es  simples 
reaux  d'Espaigne,  qui  poizent  autant  que  les  escuz  sol, 
qui  sont  au  poids  de  l'ordonnance  de  mil  cinq  cens 
quarante,  à  sçavoir  deux  deniers  seize  grains  :  &  que 
les  douze  reaux  simples  valent  iustement  [Fol.q.4.Ro]  un 
escu,  &  afin  qu'on  ne  se  puisse  abuser  au  changement 
des  dictes  pièces,  tant  d'or  que  d'argent  ny  prendre  les 
simples  pour  doubles  comme  il  se  fait  souvent  es  reaux 
d'Espaigne,  il  est  besoin  que  les  marques  soient  diffé- 
rentes, &  non  pas  comme  celles  d'Espaigne  qui  sont 
semblables.  Et  toutesfois  quant  à  l'argent,  afin  qu'on 
tienne  les  tiltres  certains  de  solz,  petits  deniers  &  livres, 
comme  il  est  porté  par  l'edit  du  Roy  Henry  II.  fait 
Tan  MDLI.  &  à  cause  du  payement  des  cens,  amendes, 
&  droits  seigneuriaux  portez  es  coustumes    &  ordon- 


JEAN    BODIN  151 

nances,  le  sol  sera  de  trois  deniers  de  poids  argent  le 
Roy,  comme  dit  est,  &  de  lxiiii  au  marc,  &  les  4  vau- 
dront la  livre  qui  court,  qui  est  le  plus  iuste  prix  qu'on 
peut  donner,  &  chacune  pièce  se  pourra  diviser  en  trois, 
de  sorte  que  chacune  poizer  a  un  denier  &  sera  de  quatre 
petits  deniers  de  cours  :  &  s'appellera  denier  commun  : 
afin  que  le  sol  vaille  tousiours  douze  deniers,  &  que 
les  plaintes  que  font  les  seigneurs,  pour  le  payement 
de  leurs  droits  seigneuriaux,  qui  estoient  anciennement 
[Fol.q.4.V'^]  payez  en  forte  monnoye  blanche  cessent, 
estans  remis  sus  la  forge  des  sols  tels  qu'ils  estoient  au 
temps  de  sainct  Louys,  c'est  à  dire  de  lxiiii  au  marc 
argent  le  Roy.  Et  quant  aux  autres  rentes  foncières 
&  hypothécaires  constituées  en  argent,  qu'elles  soyent 
payez  eu  esgard  à  la  valeur  que  tenoit  le  sol  au  temps 
qu'elles  furent  constituées,  laquelle  valeur  n'a  esté  que 
de  quatre  deniers  de  loy  pour  le  plus  depuis  cent  ans  : 
qui  n'est  que  la  tierce  partie  du  sold  ancien,  tel  qu'il  est 
nécessaire  de  remettre  en  usage.  Telle  estoit  la  dragme 
d'argent  usitée  en  toute  la  Grèce,  à  sçavoir  la  huictiesme 
partie  de  l'once,  que  nous  appelions  gros,  &  de  mesme 
poids  que  les  solz  que  fist  forger  sainct  Louys,  qui 
s'appelloyent  gros  tournois,  &  solz  tournois  ;  sur  les- 
quels solz  tournois  sont  réglez  tous  les  anciens  contracta 
&  adveuz,  &  plusieurs  traitez  non  seulement  du 
Royaume,  ains  aussi  les  estrangers  comme  au  traicté 
fait  entre  les  Bernois  &  les  trois  petits  cantons,  il  est  dit 
que  les  gages  des  soldats  sera  un  sol  tournois  qui  estoit 
pareille  en  ce  Royaume,  &  s'appelle  [Fol.r.l.R<^]  solde 
pour  ceste  cause,  qui  estoit  la  mesme  solde  des  Romains 
comme  dict  Tacite,  &  des  Grecs,  comme  nous  lisons  en 
Pollux  :  car  la  dragme  est  de  mesme  poids  que  le  sol 
tournois.  Les  Vénitiens  ont  suivi  les  anciens,  &  font 
l'once  de  huict  gros  ou  dragmes,  &  la  dragme  de 
xxiiii  deniers,  &  le  denier  de  deux  oboles  ou  xxiiii  grains, 
,€omme  nous  faisons  en  France,  &  se  faict  en  Espaigne, 


152  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

&  en  Afrique,  de  laquelle  reigle  il  ne  se  faut  départir, 
comme  estant  treancienne  en  toute  la  Grèce  &  régions 
Orientales. 

Vray  est  que  les  anciens  Romains  ayans  l'once  égale 
aux  Grecs,  c'est  à  sçavoir  de  cinq  cens  septante  &  six 
grains,  la  divisoient  en  sept  deniers  de  leur  monnoye,  & 
leur  denier  valoit  une  dragme  attique,  &  trois  septiesmes 
davantage.  En  quoy  Budé  s'est  abusé  disant  qu'il  y 
avoit  huict  deniers  en  l'once,  &  que  le  denier  Romain 
estoit  égal  à  la  dragme  Attique  :  combien  qu'il  est  cer- 
tain que  la  livre  Romaine  n'avoit  que  xii  onces,  &  la 
mine  Grecque  seize  onces,  comme  [Fol.r.l.V^]  la  livre 
des  marchands  en  ce  royaume  :  ce  que  Georges  Agricola 
a  très  bien  monstre  par  le  calcul  de  Pline,  Appian, 
Suétone  &  Celse,  si  donc  on  veut  forger  les  pièces  d'or 
&  d'argent  de  mesme  poids,  &  de  mesme  nom,  &  de 
mesme  loy  :  c'est  à  dire  qu'il  y  ayt  non  plus  d'alliage  en 
l'or  qu'en  l'argent  :  elles  ne  peuvent  iamais  hausser  nii 
baisser  de  prix  :  comme  il  se  fait  plus  souvent  que  tous 
les  mois,  à  l'appétit  de  ceux  qui  ont  puissance  auprès 
des  Princes,  lesquels  amassent  &  empruntent  les  mon- 
noyés  fortes,  &  puis  les  font  hausser  :  de  sorte  qu'il  s'en 
est  trouvé  un  lequel  ayant  emprunté  iusques  à  cent  mil 
escuz,  fîst  hausser  le  prix  de  cinq  sols  tout  à  coup  sus 
l'escu,  &  gaigna  vingt  cinq  mil  francs.  Un  autre  fist 
ravaller  le  cours  des  monnoyes  au  mois  de  Mars,  &  le 
haussa  au  mois  d'Avril,  après  avoir  receu  le  quartier. 
On  tranchera  aussi  toutes  les  falsifications  des  mon- 
noyes, &  les  plus  grossiers  &  ignorans  cognoistront  la 
bonté  de  l'une,  &  de  l'autre  monnoye  à  l'œil,  au  son,  au 
poids,  sans  feu,  sans  burin,  sans  touche.  Car  puisque 
tous  [Fol.r.2.Ro]  les  peuples  depuis  deux  mil  ans,  & 
plus,  ont  presque  tousiours  gardé,  &  gardent  encores 
la  raison  esgale  de  l'or  à  l'argent,  il  sera  impossible^ 
Se  au  peuple,   &  au  Prince  de  hausser,  ny  baisser,  ny. 


JEAN    BODIN  153 

altérer  le  prix  des  monnoyes  d'or  &  d'argent  estans  le 
billon  banni  de  la  Republique  :  &  l'or  au  vingt  & 
troisiesme  carat.  Et  neantmoins  pour  soulager  le  menu 
peuple  il  est  aussi  besoin,  ou  de  forger  la  troisiesme 
espèce  de  monnoye  de  cuivre  pur,  sans  calamine,  ny 
autre  mistion  de  metail  ainsi  qu'on  a  commencé,  & 
comme  il  se  fait  en  Espaigne,  &  en  Italie,  ou  bien  divi- 
ser le  marc  d'argent  en  quinze  cens  trente  six  pièces, 
chacune  pièce  de  neuf  grains.  Car  la  Royne  d'Angleterre 
ayant  du  tout  décrié  le  billon,  &  réduit  toutes  les  mon- 
noyes à  deux  espèces  seulement,  la  moindre  monnoye 
d'argent,  qui  est  le  pené,  vaut  huict  deniers  ou  environ, 
qui  faict  qu'on  ne  peut  achapter  à  moindre  prix  les 
menues  danrees,  &  qui  pis  est,  on  ne  peut  faire  charité 
à  un  pauvre  moindre  que  d'un  pené,  qui  empesche 
plusieurs  de  rien  donner.  Mais  il  seroit  beaucoup  [Fol.r. 
2.V0]  plus  expédient  de  n'avoir  autre  monnoye  que  d'or, 
&  d'argent,  s'il  estoit  possible  de  forger  monnoye  plus 
petite  que  le  pené,  &  qu'on  voulust  diviser  le  marc 
d'argent  aussi  menu  comme  en  Lorraine,  qui  en  font 
huit  mil  pièces,  qu'on  appelle  Angevines,  dont  les  deux 
cens  ne  valent  qu'un  Real,  &  les  quarante  un  sol  de 
nostre  billon  :  &  sont  d'argent  assez  fin,  &  en  faisant  la 
moitié  moins,  elles  seront  plus  solides,  &  de  la  loy  que 
i'ay  dit,  &  se  pourront  tailler  &  marquer  d'un  poinçon 
tranchant  en  un  mesme  instant.  Car  le  prix  du  cuivre, 
estant  variable  en  tout  pays,  &  en  tout  temps,  n'est 
pas  bien  propre  à  faire  monnoye,  qu'on  doit  tenir  tant 
qu'on  peut  invariable  &  immuable  de  prix,  ioint  aussi 
qu'il  n'y  a  metail  plus  subiect  à  la  roûilleure  qui  ronge 
la  marque  &  la  matière.  Et  quant  au  prix,  nous  lisons 
que  du  temps  de  la  guerre  Punique  la  livre  d'argent, 
valoit  huict  cens  quarante  livre  de  cuivre  pur,  à  douze 
onces  la  livre  :  &  lors  le  denier  d'argent  pur,  qui  estoit 
la  septiesme  partie  de  l'once,  fut  haussé  de  dix  livres 
de  cuivre,  qui  valoit  [Fol.r.S.Ro]  à  seize  livres,  comme 


154  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

dit  Pline,  qui  estoit  à  la  raison  de  huict  cens  quatre 
vingts  seize  livres  de  cuivre  pour  une  livre  d'argent, 
la  livre  estant  de  xii  onces,  depuis  la  moindre  monnoye, 
qui  estoit  une  livre  de  cuivre,  fut  apetissee  de  moitié 
par  la  loy  Papiria,  demeurant  en  mesme  valeur,  &  lors 
que  l'argent  vint  en  plus  grande  abondance,  elle  fut 
réduite  au  quart  demeurant  en  mesme  valeur,  qui  estoit 
à  la  raison  de  deux  cens  xxiiii  livres  de  cuivre  la  livre 
d'argent  :  qu'est  à  peu  près  l'estimation  du  cuivre  en 
ce  royaume,  où  les  cent  livres  à  seize  onces  la  livre,  ne 
valent  que  dix-huit  francs  :  &  en  Alemagne  il  est  encores 
à  meilleur  prix  oresque  les  meubles  &  les  Eglises  mesme 
en  soyent  couvertes  en  plusieurs  lieux,  mais  il  est  plus 
cher  en  Italie,  &  encores  plus  en  Espaigne,  &  en  Afrique, 
ou  il  y  en  a  beaucoup  moins.  Qui  est  bien  loin  de  l'esti- 
mation du  cuivre,  que  fîst  TEmpereur  Arcadius,  qui 
avalûa  la  livre  d'or  à  cent  livres  de  cuivre,  ce  qui  ne 
peut  estre  faict,  que  par  la  manière  de  provision  [Fol. 
r.3.V<^]  attendu  que  l'abondance  de  ce  metail,  eu  esgard 
à  l'argent,  diminura.  on  me  dira  que  l'abondance  d'ar- 
gent peut  aussi  apporter  la  diminution  de  son  prix  : 
comme  de  faict  nous  lisons  en  Tite  Live  que  par  le  traité 
faict  entre  les  Aetoliens  &  les  Romains,  il  fut  dit,  que 
les  Aetoliens  payeroient  pour  dix  livres  d'argent,  une 
livre  d'or,  &  neantmoins  par  l'ordonnance  d'Arcadius 
la  livre  d'or  est  estimée  quatorze  livres  d'argent,  & 
deux  cinquiesmes  d'avantage  *  :  car  il  veut  qu'on  paye 
cinq  solz  d'or  pour  une  livre  d'argent  :  &  fait  soixante 
&  douze  solz  d'or  en  la  livre,  de  sorte  que  cinq  solz 
est  iustement  la  quatorziesme  partie  de  la  livre,  & 
deux  cinquiesmes  d'avantage,  &  à  présent  le  prix 
est  de  douze  pour  un,  &  quelque  peu  moins.  Vray  est 
que  par  cy  devant  le  marc  d'or  fin  estoit  estime  cent 
octante  &  cinq  livres  :  &  le  marc  d'argent  xv.  livres  xv. 

*  3.1. vie. de  auri  prelio,c.  —  A.l.quolies  cunque  de  susceploribx. 


JEAN    BODIN  155 

solz  tournois,  de  sorte  qu'il  falloit  pour  un  marc  d'or 
fin  hors  œuvre,  onze  marcs  cinq  onces,  xxiii.  deniers 
cinq  grains  argent  le  Roy  hors  œuvre,  vers  les  pays  de 
Septentrion  [Fol.r.4.Ro]  ou  il  y  a  plusieurs  minières 
d'argent,  &  fort  peu  d'or  :  &  par  l'estimation  faicte 
en  la  chambre  du  Pape,  le  marc  d'or  est  prisé  douze 
marcs  d'argent  &  quatre  cinquiesmes,  qui  estoit  à  peu 
près  le  prix  de  l'or  à  l'argent  il  y  a  deux  mil  cinq  cens  ans  : 
car  nous  lisons  en  Hérodote  que  la  livre  d'or  valoit 
treize  livres  d'argent  :  &  les  Hebrieux  en  leurs  pandectes, 
mettent  le  denier  d'or  pour  vingt  &  cinq  d'argent  :  les 
monnoyes  d'or  estans  doubles  à  celle  d'argent,  qui  seroit 
douze  &  demy  pour  un.  Aussi  lisons  nous  qu'au  temps 
des  Perses,  &  alors  que  les  Republiques  de  la  Grèce  fleu- 
rissoyent  l'once  d'or  valoit  une  livre  d'argent  :  car  le 
stater  Darique  du  poids  d'une  once  valoit  une  livre 
d'argent,  comme  dit  lullius  Pollux. 

En  quoy  on  peut  iuger  que  le  prix  de  ces  deux  métaux 
est  à  son  ancien  pied.  Mais  l'estimation  de  l'or  fut  aug- 
mentée soubz  les  derniers  Empereurs,  pour  le  degast 
d'or  qui  se  faisoit  à  dorer  toutes  choses,  comme  fîst 
Néron  son  grand  Palais  tout  doré,  qui  [Fol.r.4.V<']  avoit 
les  galeries  de  mille  pas  :  &  après  luy  Vespasian  qui 
employa  à  dorer  le  Campidol  la  valeur  de  sept  millions 
deux  cens  mil  escus  couronne  :  &  mesmes  Agrippa  dora 
toute  la  couverture  du  temple  Panthéon,  pour  garder  le 
cuivre  de  rouiller  :  comme  on  fait  aussi  du  fer  qu'on 
dore  pour  le  garentir  de  la  rouillure  :  &  mesme  l'argent 
souvent  est  doré,  iaçoit  qu'il  ne  souffre  iamais  rouillure, 
&  si  les  Princes  ne  font  défenses  de  dorer,  il  faudra  par 
nécessité  que  le  prix  de  l'or  croisse,  attendu  que  l'argent 
n'ayant  point  de  tenue,  n'est  point  ou  peu  employé  pour 
argenter,  ioint  aussi  que  les  minières  de  Septentrion 
raportent  beaucoup  d'argent,  &  point  d'or  :  &  celles  des 
terres  neufves,  raportent  beaucoup  plus  d'argent  que 


156  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

d'or.  Neantmoins  le  changement  de  prix  qui  se  fait  par 
long  trait  de  temps  est  insensible,  qui  ne  peut  empescher 
que  la  loy  des  monnoyes  forgées  de  ces  deux  métaux  ne 
soit  esgale  en  toutes  Republiques,  chassant  du  tout  le 
billon  ioint  aussi  que  la  trafique  communiquée  à  toute  la 
terre  plus  que  iamais,  ne  peut  souffrir  [Fol.s.l.Ro] 
variété  notable  du  prix  d'or,  &  d'argent,  que  du  commun 
consentement  de  tous  les  peuples  :  car  mesmes  du  temps 
d'Auguste  la  proportion  d'or,  &  d'argent  estoit  esgale, 
aux  Indes-Orientales,  &  semblable  à  celle  d'Occident  : 
ce  que  ayant  cogneu  un  Roy  des  Indes,  loua  la  iustice 
des  Romains,  comme  dit  Pline.  Mais  il  est  impossible 
d'arrester  le  prix  des  choses  retenant  le  billon,  qui  est 
par  tout  différent  &  inégal  :  car  tout  ainsi  que  le  prix  de 
toute  chose  diminue,  diminuant  la  valeur  des  monnoyes, 
comme  dit  la  loy,  aussi  croist  il  en  augmentant  le  prix 
des  monnoyes.  Et  faut  qu'il  croisse  &  diminue,  puis  qu'il 
n'y  a  prince  qui  tienne  loy  de  billon  esgale  aux  autres 
Republiques  ny  en  la  sienne  mesme,  d'autant  que  la  loy 
du  sold,  est  différente  à  celle  des  testons,  &  des  petits 
deniers,  doubles,  liards,  pièces  de  six,  &  de  trois  blancs  : 
qui  ne  demeurent  gueres  en  mesme  estât.  La  première 
ouverture  qu'on  fist  en  ce  Royaume  d'afïoiblir  l'argent 
monnoyé,  &  d'y  mesler  la  vingt  &  quatriesme  partie 
de  cuivre,  fut  pour  donner  occasion  aux  mar  [Fol.s.l.Vo] 
chans  d'apporter  l'argent  en  ce  Royaume,  qui  n'en  a 
point  :  qui  estoit  donner  la  vingt-quatriesme  partie 
d'argent  à  l'estranger  :  car  autant  valoyent  en  France 
unze  deniers  &  demy  d'argent,  que  douze  deniers  au 
pays  d'autruy,  mais  il  n'estoit  point  de  besoin  :  veu  le& 
richesses  de  la  France  qu'on  viendra  tousjours  chercher 
apportant  l'or  et  l'argent  de  tous  costez.  Ce  mal  print 
accroissement  au  temps  de  Philippe  le  Bel  qui  afïoiblit 
la  monnoye  blanche  de  moitié,  l'an  M. CGC.  y  mestant 
autant  de  cuivre  que  d'argent,  quelque  temps  après 
on  la  diminua  iusques  au  tiers,  de  sorte  que  les  nou- 


JEAN    BODIN  157 

veaux  solz  ne  valoyent  que  le  tiers  des  anciens,  & 
l'an  M.GGGGXXII.  la  loy  des  solz  estoit  si  foible,  que  le 
marc  d'argent  valoit  quatre  vingts  livres  tournois,  & 
avoit  seize  de  ces  pièces  pour  marc  d'œuvre.  Vray  est  que 
l'année  mesme  Gharles  VII.  reprenant  la  couronne  qu'on 
luy  avoit  ostee,  pour  entretenir  son  crédit,  fist  forger  au 
mois  de  Novembre  nouvelle  monnoye  forte  &  bonne, 
tellement  que  le  marc  d'argent  fut  mis  à  huit  livres  : 
mais  en  fin  il  [Fol.s.2.Ro]  fist  forger  les  solz  à  cinq  deniers 
de  loy  l'an  M.GGGGLIII.  &  depuis  peu  à  peu  ilz  ont 
tousjours  diminué  :  tellement  que  le  Roy  François  I.  en 
fist  forger  l'an  M.D.XL.  à  trois  deniers  seize  grains  de 
loy  :  le  Roy  Henry  à  trois  deniers  douze  grains  :  de  sorte 
que  l'ancien  sol  d'argent  le  roy,  en  valoit  près  de  quatre, 
demeurant  tousjours  l'estimation  pareille.  Les  autres 
Princes  n'ont  pas  mieux  fait  :  car  le  creutzer  d'Almaigne 
qui  estoit  anciennement  d'argent  à  onze  deniers  quatre 
grains,  est  maintenant  à  quatre  deniers  seize  grains  :  les 
solz  de  Voirtburg,  &  le  Reichz  groschen  à  six  deniers, 
c'est  à-dire  moitié  argent  moitié  cuivre.  Le  Scheslind, 
le  Rapin,  les  deniers  de  Strasbourg  à  quatre  deniers 
douze  grains,  le  Rapefemin  à  quatre  deniers  trois  grains, 
&  les  florins  d'argent  à  onze  deniers  quatre  grains, 
comme  aussi  sont  les  pièces  de  cinq,  &  de  dix  creutzers. 
Les  solz  de  Flandre  ou  patars  dont  les  xx  valent  xxiiii 
des  nostres,  ne  sont  qu'à  trois  deniers  dix  huit  grains  de 
loy,  &  plus  de  deux  tiers  est  de  cuivre,  la  pièce  de  quatre 
patars  est  à  vu  den.  dix  [Fol.s.2.Vo]  grains  de  loy,  les 
brelingues  de  Gueldres  sont  à  huict  deniers  de  loy  :  &  le 
tiers  est  de  cuivre.  Par  cy  devant  les  solz,  ou  gros  d'An- 
gleterre, estoyent  à  dix  deniers,  vingt  &  deux  grains, 
&  iamais  tout  ce  billon  n'a  esté  plus  de  vingt  ou  trente 
ans  à  mesme  loy,  ny  à  mesme  poids.  Et  de  la  est  venu  la 
différence  de  la  livre  de  gros  tournois,  petitz,  moyens  : 
la  livre  de  Normandie,  la  livre  de  Bretaigne,  la  livre  de 
Paris,  qui  sont  toutes  différentes,  comme  on  peut  voir 


158  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

encores  aux  taxes  de  la  chambre  du  Pape.  Et  en  Espagne 
la  livre  de  Barcelonne,  de  Tolède,  de  Malorque  :  en 
Angleterre,  la  livre  Desterlings  en  vaut  huit  des  nostres. 
Et  en  Ecosse  il  y  a  deux  livres  fort  différentes,  l'une 
d'Esterlings,  l'autre  usagere.  Et  n'y  a  Prince  en  Italie 
qui  n'ait  sa  livre  de  monnoye  différente  aux  autres, 
comme  en  cas  pareil  le  marc  par  tout  a  huict  onces  : 
mais  l'once  du  bas  pays  est  plus  foible  de  six  grains,  que 
la  nostre,  &  celle  de  Coulongne  de  neuf  grains  :  &  au 
contraire  celle  de  Paris  est  plus  forte  d'une  once  :  &  le 
[F0I.S.3.R0]  marc  de  Naples  à  neuf  gros  :  celuy  de  Salerne 
en  a  dix  :  &  n'y  a  presque  ville  en  Italie  qui  n'ait  son 
marc  différend  des  autres  :  ce  qui  rend  encores  plus  diffi- 
cile le  pied  du  billon,  estant  le  poids  &  la  loy  si  différends, 
qui  fait  que  le  pauvre  peuple  est  bien  fort  travaillé,  & 
perd  beaucoup  aux  changes  :  &  généralement  tous  ceux 
qui  n'entendent  le  pair,  comme  parlent  les  banquiers, 
c'est  à  dire  la  valeur  de  la  monnoye  de  change  d'un  lieu 
à  un  autre  :  C'est  pourquoy  on  dit  encores  d'un  homme 
rompu  aux  affaires,  qu'il  entend  le  pair,  comme  chose 
bien  difficile.  Car  on  a  si  bien  obscurci  le  fait  des  monnoyes 
par  le  moyen  du  billonnage,  que  la  plus  part  du  peuple 
n'y  voit  goûte  :  &  tout  ainsi  que  les  artisans,  marchans, 
&  chacun  en  son  art  déguise  bien  souvent  son  ouvrage, 
comme  plusieurs  médecins  qui  parlent  Latin  devant  les 
femmes,  &  usent  de  characteres  Grecs,  de  mots  Arabes, 
&  de  notes  Latines  abrégées,  &  brouillent  quelquesfois 
leur  escripture  si  bien  qu'on  ne  la  peut  lire,  craignant 
si  on  decouvroit  leurs  re-  [Fol.s.S.V^]  ceptes  qu'on  n'en 
fist  pas  si  grande  estime  qu'on  fait  :  aussi  les  monnoyeurs 
au  lieu  de  parler  clairement,  &  dire  que  la  masse  d'or, 
des  douze  pars  en  a  deux  de  cuivre,  ou  d'autre  metaîl, 
ils  disent  que  c'est  de  l'or  à  vingt  carats  :  &  pour  dire 
que  la  pièce  de  trois  blancs  est  moitié  cuivre,  ils  disent 
que  c'est  de  l'argent  à  six  deniers  de  fin,  deux  deniers 
de  poids,  et  quinze  deniers  de  cours  :  donnant  aux  deniers 


JEAN    BODIN  159 

&  aux  carats,  essence,  qualité  &  quantité  contre  nature. 

Et  au  lieu  de  dire,  le  marc  a  soixante  pièces,  ils  disent 
de  cinq  sols  de  taille.  Puis  après  ils  font  une  monnoye 
stable,  l'autre  instable,  &  la  troisiesme  imaginative  : 
iaçoit  qu'il  n'y  en  a  pas  une  stable,  &  le  changement,  & 
imagination  vient  pour  avoir  afïoibli  le  poids,  &  tricoté 
la  purité  d'or  &  d'argent.  Car  le  ducat  courant  de  Venise, 
Rome,  Naples,  Palerme,  &  Messine  qui  est  une  monnoye 
imaginative,  estoit  anciennement  la  vraye  monnoye  d'or 
pesant  un  Angelot,  ou  bien  un  Medin  de  Barbarie,  & 
quatre  deniers  d'avantage,  qui  est  iustement  l'Impériale 
de  Flandres  de  mesme  [Fol.s.4.Ro]  poids,  &  loy,  que 
l'ancien  ducat  valant  dix  carlins  d'argent,  &  le  carlin 
dix  solds  du  pays  :  à  quarante  six  pièces  pour  marc  d'or 
&  six  pour  once  qu'ils  divisent  en  trente  tari,  &  le  tari 
en  vingt  grains  qui  est  un  gros  sus  l'once  plusque  l'once 
commune,  qui  na  que  huit  gros,  la  loy  appelle  cette 
monnoye  d'or  solidus,  tel  que  l'Angelot  à  quarante  huict 
pièces  pour  marc,  &  soixante  &  douze  pour  livre  Romaine 
à  douze  onces,  qui  a  longuement  eu  son  cours  porté  par 
les  loix  des  Grecs,  Allemans,  Anglois,  François,  Bour- 
guignons :  &  n'est  rien  autre  chose  que  l'ecu  sol  de 
France,  c'est  à  dire  solidus,  que  les  monnoyeurs  n'ayant 
bien  entendu  le  mot  solidus,  ont  depuis  cinquante  ans 
figuré  par  un  Soleil,  toutesfois  le  peuple  maistre  des 
parolles,  retenant  l'antiquité  l'appelle  encores  escu  Sol 
qui  pesoit  anciennement  quatre  deniers  comme  l'Ange- 
lot :  &  depuis  les  Princes  petit  à  petit,  &  grain  à  grain 
l'ont  fait  venir  à  trois  deniers,  qui  est  l'escu  vieil  :  &  du 
temps  du  Roy  Jean,  l'escu  vieil  estant  diminué  peu  à 
peu,  comme  l'ancien  escu  [Fol.s.4.Vo]  sol,  de  trois  grains, 
on  forgea  les  escuz  à  deux  deniers  xx  grains  de  poids 
de  mesme  loy  que  les  anciens,  qui  furent  appeliez  francz 
à  pied,  &  à  cheval  (car  lors  ilz  appelloyent  les  François 
Francz,  comme  encores  tout  l'Orient  les  peuples  d'Occi- 
dent sont  appeliez  Franques)   auquel  temps  l'escu  de 


160  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

Bourgongne,  qu'on  appelle  Ride,  fut  aussi  forgé  de  mesme 
poids  &  loy,  &  ont  duré  iusques  au  temps  de  Charles  VIII. 
que  Tescu  de  France  fut  diminué  de  six  grains  de  poidz, 
&  de  trois  quartz  de  carat  de  fin  :  car  les  anciens  estoient 
à  XXIII  &  trois  quarts  de  carat,  &  les  escuz  couronne 
à  XXIII  caratz.  Depuis  le  Roy  François  I  corrigeant  un 
peu  l'escu  couronne,  fîst  forger  les  escuz  sol  à  deux 
deniers  seize  grains,  &  de  mesme  loy  que  l'escu  couronne, 
fors  un  huitiesme  de  remède  :  qui  est  demeuré  iusques 
au  Roy  Henry  qu'il  fist  fortifier  de  quatre  grains 
de  poidz,  &  par  Gharle  IX  diminué  de  cinq  grains 
l'an  M.D.LXI.  Mais  les  escuz  vieux  ou  ducats  de  Venise, 
Gennes,  Florence,  Sennes,  Gastille,  Portugal,  Hongrie, 
ont  gardé  la  loy  de  xxiii  [Fol.t.l.Ro]  &  trois  quarts  de 
carat,  &  deux  deniers  dix  huit  grains  de  poids,  iusques 
à  l'an  mil  cinq  cens  quarante,  que  l'Empereur  Gharle 
cinquiesme,  affoiblit  la  loy  des  escus  d'Espaigne  d'un 
carat,  &  trois  quarts  &  de  trois  grains  de  poids,  faisant 
forger  à  xxii.  carats  deux  deniers  quinze  grains  de  poids 
les  escus  de  Gastille,  Valence,  &  Arragon,  qu'on  dit 
pistolets  :  donnant  un  fort  mauvais  exemple  aux  autres 
Princes  de  faire  le  semblable,  comme  firent  les  Princes 
d'Italie  :  qui  ont  fait  forger  à  xxii.  carats,  &  au  dessoubs 
de  fin,  &  de  poids  deux  deniers  seize  grains  :  comme  sont 
les  escus  de  Rome,  Luque,  Boulongne,  Saluce,  Gennes, 
Sennes,  Sicile,  Milan,  Ancone,  Matoûe,  Ferrare,  Florence, 
&  les  nouveaux  escus  de  Venise.  Vray  est  que  le  Pape 
Paul  III.  commença,  faisant  forger  des  escus  soubs  son 
nom  de  xxi.  carat,  &  demi,  &  de  deux  deniers  xiiii.  grains 
de  poids  &  ceux  d'Avignon  forgez  au  mesme  temps 
soubs  le  nom  d'Alexandre  Farez  légat  petit  filz  du  Pape, 
sont  encores  plus  foibles  de  loy,  &  diminuez  de  cinq 
deniers  de  [Fol.t.l.V^]  poids,  ce  qui  apporte  un  dommage 
incroyable  aux  subiects  &  profit  aux  faux  monnoyeurs, 
billonneurs,  &  marchans,  qui  tinrent  la  forte  monnoye 
du  pays,  pour  en  forger  de  foible  au  coing  d'autruy.  Ge 


JEAN    BODIN  161 

qui  est  encores  plus  ordinaire  en  la  monnoye  blanche 
de  haute  loy,  &  au  dessus  d'onze  deniers  de  fin  :  comme 
les  reaux  de  Gastille,  qui  tiennent  tous  onze  deniers  trois 
grains  de  fin  :  sus  lesquelles  les  autres  Princes  ont  gaigné 
beaucoup  par  cy  devant  :  car  mesmes  estant  converties 
en  testons  de  France  sus  cent  mil  livres  il  y  avoit  profit 
de  six  mil  cinq  cens  livres,  sans  afïoiblir  la  loy  du  teston 
de  France,  qui  tient  dix  deniers  dix  sept  grains  de  fin. 
Et  par  mesme  moyen  les  Suisses  qui  convertissoient  les 
testons  de  France,  en  testons  de  Soleure,  Lucerne,  Under- 
val,  gaignoient  sus  chacun  marc,  quarante  &  un  sol  onze 
deniers  tournois,  &  neuf  vingt  sixiesmes  de  denier  :  car 
ceux  de  Lucerne,  Soleure  &  Underval,  ne  sont  qu'à  neuf 
deniers  dix  huit  grains,  qui  sont  xxiii.  grains  de  fin, 
moins  que  ceux  de  France  pour  marc,  qui  valoient  vingt 
cinq  sols  tour-  [Fol.t.2.Ro]  nois.  Et  quant  au  poids, 
ceux  de  France,  sont  du  moins  à  vingt  cinq  testons,  & 
cinq  huitiesmes  de  teston  pour  marc,  qui  est  trois  hui- 
tiesmes  de  teston  pour  marc,  que  les  testons  de  Soleure 
sont  plus  foibles  au  poids,  qui  valoient  quatre  sols  trois 
deniers  tournois.  Et  parce  que  les  dits  testons  ne  peuvent 
estre  avalûez  que  pour  argent  de  basse  loy,  qu'on  appelle 
billon,  estans  au  dessous  de  dix  deniers  de  fin,  à  l'esti- 
mation de  quatorze  livres  dix  sept  sols  quatre  deniers 
tournois  le  marc  de  fin  :  &  les  testons  de  France  pour 
estre  plus  hauts  de  dix  deniers  de  fin,  sont  avalûez  pour 
argent  de  haute  loy,  qui  vaut  à  mesme  proportion  quinze 
livres  treize  sols  tournois  le  marc  de  fin,  &  pour  la  diffé- 
rence de  l'argent  de  haute  loy  à  basse  loy,  lesdits  testons 
sont  moindres  que  ceux  de  France  de  douze  sols  huit 
deniers  tournois  pour  marc  de  testons.  Par  ainsi  les  tes- 
tons de  Soleure  valent  moins  que  ceux  de  France  de 
quarante  &  un  sols  unze  deniers  tournois  pour  marc, 
revenant  pour  chacune  pièce  des  dits  testons,  un  sol 
onze  deniers  tournois,  &  neuf  vint  &  sixiesmes  de  denier 
[Fol.t.2.V<^]  ceux  de  Berne,  pour  estre  à  neuf  deniers 

LE    BRANCHU  11 


162  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

vingt  grains  de  fin  pour  marc,  valent  un  denier  tournois 
pour  pièce  d'avantage  que  ceux  de  Soleure.  Or  en  gai- 
gnant  seulement  dix  sols  pour  marc,  c'est  un  profit  bien 
grand.  Les  Flamens  font  le  semblable,  convertissans  les 
testons  de  France  en  reaux  de  Flandres.  Les  ordonnances 
de  chacun  Prince,  ont  bien  pourveu  que  l'or,  &  l'argent 
ne  fust  transporté  aux  estranges  soubz  grandes  peines  : 
mais  il  est  impossible  de  les  exécuter,  que  il  n'en  soit 
emporté  beaucoup  &  par  mer  &  par  terre.  Et  quand 
ores  on  garderoit  si  bien,  qu'il  n'en  sortist  rien  du  tout, 
si  est-ce  que  les  subiects  auront  tousiours  beau  moyen 
de  billonner,  difformer,  altérer,  &  fondre  les  monnoyes 
blanches,  &  rouges,  s'il  y  a  diversité  de  loy  :  soit  en 
vertu  des  permissions  données  à  quelques  orfèvres,  soit 
contre  les  défenses  :  car  ilz  emboursent  le  défaut  de  loy 
qui  se  trouve  en  leurs  ouvrages,  tant  pour  les  remèdes 
qui  leur  sont  permis,  que  de  l'email,  &  soudure,  dont  ilz 
usent,  employans  en  ouvrage  les  bonnes  espèces,  &  se 
moquent  [Fol.t.S.Ro]  des  loix,  &  ordonnances  qu'on 
fait  sur  le  prix  du  marc  d'or,  &  d'argent,  faisans  porter 
sus  la  façon  des  ouvrages  tel  prix  que  bon  leur  semble, 
en  sorte  qu'il  est  tousiours  plus  cher  vendu  aux  orfèvres, 
qu'il  n'est  porté  par  les  ordonnances  :  l'argent  de  qua- 
rante ou  cinquante  sols  :  l'or  de  douze  ou  treize  livres 
sus  marc  qui  fait  que  l'or  &  l'argent  est  acheté  plus  cher 
des  orfèvres,  &  marchans,  qu'il  n'est  des  monnoyeurs, 
qui  ne  peuvent  passer  l'ordonnance  du  Roy  pour  l'achapt 
des  matières,  ny  pour  la  forge.  Et  si  tost  que  la  matière 
est  forgée  en  monnoye  plus  forte  de  poidz,  ou  de  loy 
que  celle  des  princes  voisins,  elle  est  fondue,  &  recueillie 
par  les  affmeurs,  &  orfèvres  pour  la  convertir  en  ouvrage, 
ou  par  les  estrangers,  pour  en  forger  monnoyes  à  leur 
pied  :  à  quoy  les  changeurs  servent  comme  ministres, 
&  soubz  ombre  d'accommoder  le  peuple  de  monnoyes, 
trafiquent  avec  les  orfèvres  &  marchans  estrangers  :  car 
il  est  certain,  &  s'est  trouvé  que  depuis  vingt  cinq  ans 


JEAN    BODIN  163 

que  les  petits  sols  furent  descriez,  il  en  a  esté  forgé  en 
ce  roy-  [Fol.t.S.V^]  aume  pour  plus  de  xxv  millions  de 
livres  outre  les  pièces  de  trois,  &  de  six  blancs,  qui  ne  se 
trouvent  plus,  parce  que  les  affîneurs,  &  orfèvres  y  ont 
trouvé  profit.  Qui  fait  que  ceux  qui  ont  beaucoup  de 
vaisselle  d'or  &  d'argent  ne  s'en  peuvent  ayder  :  car 
l'ayant  achaptee  bien  cher  des  orfèvres,  ne  la  veulent 
bailler  avec  si  grande  perte  :  &  mesmes  le  Roy  Gharle  IX 
perdit  beaucoup,  ayant  réduit  sa  vaisselle  en  monnoye, 
au  lieu  qu'auparavant  la  loy  des  monnoyes  d'argent 
estoit  tousjours  esgale  à  la  loy  des  orfèvres,  tellement 
qu'on  ne  pouvoit  rien  perdre  en  la  vaisselle  que  la  façon  : 
ce  qui  nous  est  encores  demeuré  en  commun  proverbe, 
c'est  vaisselle  d'argent,  on  n'y  perd  que  la  façon.  Il  faut 
donc  pour  retrancher  tous  ces  inconveniens  que  la  loy 
des  monnoyes,  &  des  ouvrages  d'or  &  d'argent  soit 
esgale  :  c'est  à  sçavoir  à  xxiii  carats  en  l'or  sans  remède, 
&  onze  deniers  douze  grains  en  argent.  On  avoit  trouvé 
moyen  d'obvier  aucunement  aux  abus,  en  affermant  le 
revenu  des  monnoyes,  &  des  confiscations  &  amendes 
qui  proviendroient  des  forfaitures,  &  la  ferme  délivrée 
[Fol.t.4,Ro]  l'an  mil  cinq  cens  soixante  quatre,  pour  la 
somme  de  cinquante  mil  livres  par  an  :  Toutesfois  cela 
fut  aboly  à  Moulins  l'an  M.D.LVI.  &  les  monnoyes 
affermées  à  ceux  qui  offriroient  de  forger  plus  grande 
quantité  de  marcz  d'or  &  d'argent  :  qui  est  bien  couper 
quelques  branches,  &  rameaux,  mais  la  racine  des  abuz 
demeurant,  jamais  on  ne  cessera  d'y  faire  fraude.  La 
racine  des  abuz  est  la  confusion  des  trois  métaux,  or, 
argent,  &  cuivre,  laquelle  cessant,  ny  le  suiect,  ny  l'es- 
tranger,  n'y  pourra  faire  aucune  fraude,  qui  ne  soit  aussi 
tost  descouverte.  Car  tout  ainsi  que  la  monnoye  de  cuivre 
ou  de  rosette  pure  n'a  point  eu  de  lieu  en  ce  royaume, 
d'autant  qu'on  n'y  en  forgeoit  point,  aussi  le  billon 
estant  descrié,  avec  defîenses  d'en  forger,  le  billon  de 
l'estranger  en  sera  aussi  du  tout  banny,  &  ne  faut  espérer 

LE   BRANCHU  11* 


164  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  les  estrangers,  &  suiets  cessent  de  billonner  en  par- 
ticulier, &  recevoir  toutes  monnoyes  estrangeres,  tant 
que  le  Prince  &  la  Republique  feront  forger  du  billon. 
Combien  qu'il  y  a  encores  un  autre  proffît,  &  en  public, 
&  en  particulier,  qui  revient  [Fol.t.4.Vo]  de  la  défense  que 
j'ay  dict  de  mesler  les  métaux,  c'est  d'éviter  à  l'advenir 
la  perte  de  l'argent,  qui  n'est  compté  pour  rien  en  l'or 
de  quatorze  carats,  &  au  dessus,  &  se  perd  pour  les  fraiz 
de  raffinement  qui  se  fait  par  voye  de  ciment  Royal, 
ou  par  eau  de  départ  :  car  il  faut  du  moins  soixante  sols 
pour  départir  un  marc,  &  neantmoins  la  perte  est  fort 
grande  en  quantité  notable,  comme  tous  les  florins 
d'Almaigne  ne  sont  que  à  seize  caratz,  ou  seize  &  demy 
pour  le  plus,  qui  sont  du  moins  en  cent  mil  marcz  trente 
&  trois  mil  marcz  de  perte,  &  à  quatorze  caratz  qua- 
rante mil  marcz  &  plus.  Et  outre  ce  que  j'ay  dit  les 
abuz  des  officiers  des  monnoyes  cesseront,  pour  le  regard 
des  echarcetez,  &  foiblages,  sur  lesquelz  les  gages  des 
officiers  estoyent  pris  :  pour  lesquelz  faire  cesser  Henry  II 
Roy  de  France  avoit  ordonné  qu'ilz  feroyent  payez  par 
les  receveurs  des  lieux,  laquelle  ordonnance  quoy  qu'elle 
fust  saincte,  si  est-ce  toutesfois  qu'elle  fut  cassée  par 
Charle  IX  sus  la  remonstrance  de  la  chambre  des  comptes 
de  Paris,  qui  fist  entendre  que  le  Roy  [Fol.v.l.Ro]  per- 
doit  tous  les  ans  plus  de  dix  mil  livres,  au  lieu  de  tirer 
profit  de  ses  monnoyes  :  d'autant  que  les  officiers  estoyent 
payez  &  ne  faisoyent  quasi  rien.  Mais  le  vray  moyen 
pour  y  remédier,  est  de  suprimer  tous  les  officiers  des 
monnoyes  hormis  ceux  qui  seront  en  l'une  des  villes, 
pour  forger  toutes  les  monnoyes,  &  les  faire  payer  par 
le  receveur  des  lieux,  demeurant  le  droit  de  seigneuriage, 
que  les  anciens  toutesfois  ne  cognoissoient,  &  n'estoit 
rien  déduit  sur  la  monnoye,  non  pas  mesme  le  droit  de 
brassage,  comme  il  seroit  fort  nécessaire,  ou  plustost 
qu'on  mist  une  taille  sur  les  sujets  pour  la  forge  des 
monnoyes,  pour  abolir  le  droit  de  seigneuriage   &  de 


JEAN    BODIN  165 

brassage,  comme  il  se  faisoit  anciennement  en  Normandie 
&  se  fait  encores  en  Polongne  pour  obvier  au  dommage 
&  perte  incroyable  que  soufrent  les  suiets.  Aussi  par 
ce  moyen  la  variété  du  prix  du  marc  d*or,  &  d'argent, 
qui  cause  un  million  d'abus  cessera.  Et  les  espèces  estran- 
geres,  ne  seront  receûes  que  pour  mettre  en  fonte,  sans 
rien  compter  pour  le  seigneuriage  [Fol.v.l.V®]  ny  pour 
le  brassage  :  nonobstant  les  lettres  obtenues  par  les 
Princes  voisins,  pour  exposer  au  prix  d'autruy  leurs 
monnoyes  à  tel  prix  qu'en  leur  territoire.  Et  pour  oster 
toute  occasion  de  falsifier,  altérer,  n'y  changer  la  loy 
receuë  des  monnoyes  d'or  &  d'argent,  il  sera  besoin 
de  forger  toutes  les  monnoyes  en  une  seule  ville,  où 
résideront  les  luges  des  monnoyes,  &  supprimer  les 
autres  si  la  Monarchie,  ou  Republique  n'est  de  si  grande 
estenduë,  qu'il  soit  besoin  d'en  establir  d'avantage 
auquel  lieu  tous  les  affineurs  besoigneront  avec  défenses 
sus  peine  de  la  vie,  d'affmer  en  autre  lieu  :  car  de  ceux  là 
viennent  les  plus  grandz  abus  :  &  donner  la  cognois- 
sance  aux  luges  ordinaires  par  prévention  de  punir  tous 
les  abuz  qui  s'y  commettront  :  car  on  sçait  assez  combien 
il  y  a  eu  d'abuz  en  la  forge  des  monnoyes  de  ce  Royaume, 
&  aux  boistres,  pour  le  peu  de  luges,  ausquelz  la  cognois- 
sance  est  attribuée  privativement  à  tous  autres  :  &  mes- 
mement  après  la  suppression  des  généraux  subsidiaires. 
Il  est  donc  bien  nécessaire  de  suivre  l'exemple  [Fol.v.2.Ro] 
des  anciens  Romains,  qui  n'avoyent  pour  tous  les 
subiects  d'Italie  que  le  temple  de  Junon,  où  se  for- 
geoyent  trois  sortes  de  monnoyes  pures,  &  simples,  à 
sçavoir  d'or,  d'argent,  &  de  cuivre,  &  trois  maistres  des 
monnoyes,  qu'ilz  faisoyent  forger,  &  affiner  en  public, 
&  en  veuë  d'un  chacun.  Et  afin  que  personne  ne  fust 
abusé  aux  prix  des  monnoyes,  on  establit  aussi  un  lieu 
pour  faire  l'essay  des  monnoyes  à  la  requeste  de  Marins 
Gratidianus.  Aussi  lisons  nous  qu'en  ce  Royaume  par 
ordonnance  de  Charlemaigne  il  fut  defîendu  de  forger 


166  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

autre  monnoye  qu'en  son  palais.  Mais  depuis  que  les 
Roys  Philippe  le  Bel,  Charle  son  fils,  &  lean  establirent 
plusieurs  monnoyes  en  ce  Royaume,  &  plusieurs  mais- 
tres,  gardes,  Prevosts,  &  autres  officiers  en  chacune 
monnoye,  les  abuz  se  sont  aussi  multipliez.  Icy  peut 
estre  on  me  dira  que  les  Perses,  Grecs,  &  Romains,  for- 
geoyent  les  monnoyes  pures  d'or,  d'argent,  &  de  cuivre 
à  la  plus  haute  loy  que  faire  se  pouvoit,  &  neantmoins 
on  ne  laissoit  pas  de  les  falsifier,  comme  nous  lisons  en 
[F0I.V.2.V0]  Demosthene  au  plaidoyé  contre  Timocrate. 
le  respond  qu'il  est  bien  difficile  d'en  nettoyer  du  tout  la 
Republique  :  mais  pour  mal  qu'il  y  en  a,  il  ne  s'en  trou- 
vera pas  dix,  ostant  la  difficulté  qu'il  y  aura,  estant  la 
loy  d'or,  &  d'argent  cogneu  à  chacun,  par  le  moyen  que 
i'ay  déduit.  Et  s'il  se  trouve  prince  si  mal  conseillé 
d'altérer  la  bonté  des  monnoyes  pour  y  gaigner,  comme 
Marc  Antoine,  qui  fist  forger  monnoye  blanche  de  basse 
loy,  tost  après  elle  sera  rejettee,  outre  le  blasme  qu'il  en 
recevra  d'un  chacun  :  &  le  danger  de  la  rébellion  des 
subiects  qui  fut  grande,  au  temps  que  Philippe  le  Bel 
affoiblit  la  loy  des  monnoyes.  Quoy  qu'il  en  soit,  il  est 
bien  certain  qu'il  n'y  eut  onques  moins  de  faux  mon- 
noyeurs  qu'il  y  avoit  du  temps  des  Romains,  qui  n'avoient 
monnoye  d'or,  ny  d'argent,  qui  ne  fust  de  haute  loy.  Car 
mesmes  le  Tribun  Livius  Drufus,  fut  blasme  de  ce  qu'il 
avoit  présenté  requeste,  tendant  à  fin  que  en  la  monnoye 
d'argent  on  melast  la  huitiesme  partie  de  cuivre,  ou 
comme  nous  disons,  qu'on  forgeast  à  dix  deniers  xii 
[Fol.v.S.Ro]  grains  de  fin,  qui  monstre  bien  que  deslors 
mesmes  on  ne  vouloit  pas  souffrir  la  confusion  d'or  Se 
d'argent,  &  que  l'argent  estoit  de  la  plus  haute  loy, 
comme  estoit  aussi  l'or,  ainsi  qu'on  peut  avoir  des 
médailles  d'or  qui  sont  à  xxiii  &  trois  quartz  de  carat, 
&  mesmes  il  s'en  trouve  de  la  marque  de  Vespasian 
Empereur,  où  il  n'y  a  à  dire  qu'un  trente  &  deuxiesme 
de  carat,  que  l'or  ne  soit  à  xxiiii  caratz,  qui  est  le  plus 


JEAN    BODIN  167 

fin  or  qu'on  puisse  voir.  Mais  il  sufïist  pour  les  causes 
que  i'ay  déduites,  que  l'or  soit  à  xxiii  caratz,  &  l'argent 
à  onze  deniers  douze  grains  :  afin  aussi  qu'on  n'ayt  point 
d'occasion  de  se  excuser,  qu'on  n'est  pas  maistre  du  feu, 
&  qu'on  demande  un  quart,  ou  pour  le  moins  un  huic- 
tiesme  de  remède  :  qui  est  cause  de  beaucoup  d'abuz  : 
laissant  toutesfois  deux  félins  de  remède  sur  le  marc  de 
monnoye  forgée  au  coing.  Encores  peut  on  dire  qu'il 
seroit  plus  expédient  de  forger  pour  le  moins  des  doubles, 
&  deniers  de  basse  loy,  pour  éviter  à  la  pesanteur  de  la 
monnoye  de  cuivre.  le  dy  que  si  on  permet  de  forger 
billon,  pour  [Fol.v.3.V<^]  petit  qu'il  soit,  qu'il  sera  tiré 
en  conséquence  des  liards,  &  sols,  &  sera  tousiours  à 
recommencer.  Et  encores  qu'on  ne  forgeast  que  doubles, 
&  deniers,  neantmoins  c'est  tousiours  faire  ouverture 
aux  faux-monnoyeurs  de  tromper  le  menu  peuple,  pour 
lequel  ceste  monnoye  est  forgée,  &  en  laquelle  il  ne 
cognoist  rien,  &  moins  encore  se  soucie  de  la  prendre, 
pour  le  peu  de  prix  qu'elle  vaut,  sans  s'en  quérir  de  la 
bonté,  ou  valeur  d'icelle.  I'ay  une  lettre  de  laques  Pina- 
tel  au  Roy  Henry  II  où  il  y  a  ces  mots.  Sire,  je  veux  bien 
vous  advertir,  que  depuis  six  mois  on  a  forger  en  une 
de  voz  monnoyes  des  douzains  foibles  pour  chacun 
marc  sur  le  poids  de  xx  sols,  &  sus  la  loy  de  quatre  sols, 
quand  il  plaira  à  vostre  maiesté  ie  vous  feray  voir  l'ou- 
vrage, &  vous  feray  entendre  le  grand  dommage  que 
vous,  &  vostre  peuple  en  recevez,  &  aurez  encore  plus 
grand,  si  par  vostre  maiesté  n'y  est  pourveu  à  toute 
rigueur.  C'estoit  alors  qu'il  forgea  les  pièces  de  six  blancs 
par  mandement  du  Roy,  de  quatre  deniers  de  loy,  & 
deux  grains  de  remède,  &  quatre  [Fol.v.4.Ro]  deniers 
quatorze  grains  de  poids  :  qui  estoit  le  meilleur  billon 
qui  fust  lors  en  France  :  aussi  fut-il  bien  tost  fondu,  en 
sorte  qu'on  n'en  voit  quasi  plus.  Or  chacun  sçait  que  le 
dommage  que  recevoit  le  Roy  &  le  peuple  de  vingt  & 
quatre  sols  sur  le  marc,  revenoit  à  plus  de  xxv  pour  cent. 


168  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Et  neantmoins  le  mesme  Pinatel,  ayant  arraché  soubz 
main  une  commission  de  la  chambre  des  généraux  des 
monnoyes  Tan  M.DLII  fist  forger  des  doubles,  &  des 
deniers,  à  Villeneufve  d'Avignon,  &  à  Villefranche  de 
Rouergue,  qui  ne  furent  estimez  que  xii  sols  le  marc  : 
&  fut  vérifié,  qu'il  avoit  par  ce  moyen  desrobé  de  clair 
&  net  peu  moins  de  quatre  cens  mil  livres,  &  avoit 
rechapté  sa  grâce  par  cinquante  mil  livres  qu'il  donna  à 
une  dame,  qui  fist  différer  le  supplice,  plustot  que  donner 
la  grâce.  le  dy  donc  qu'il  ne  faut  aucunement  souffrir  le 
billon  en  sorte  quelconque,  qui  voudra  nettoyer  sa 
Republique  de  fausses  monnoyes.  Aussi  par  ce  moyen 
cessera  le  dommage  que  reçoit  le  pauvre  peuple  au  decri 
des  monnoyes  [Fol.v.4.Vo]  ou  diminution  du  prix  d'icelles, 
après  qu'on  les  a  affoiblies,  &  n'auront  plus  de  lieu  auprès 
des  princes,  ceux  qui  leur  font  entendre  le  proffit  qu'ilz 
peuvent  recevoir  de  leurs  monnoyes  :  comme  fist  un 
certain  officier  des  monnoyes,  qui  faisoit  entendre  au 
conseil  des  finances,  &  l'escrivit  au  Roy  Charle  IX  qu'il 
pouvoit  faire  un  grand  profïît  de  ses  monnoyes,  au  sou- 
lagement de  son  peuple  :  &  de  fait  par  son  calcul  il  se 
trouvoit  que  chacun  marc  d'or  fin  mis  en  œuvre,  rendoit 
au  Roy  huit  livres  tournois,  au  lieu  qu'il  n'en  recevoit 
que  XXV  sols  quatre  deniers,  &  seize  vingt  &  troisiesmes 
de  denier  :  &  pour  marc  d'argent  le  Roy  mis  en  œuvre, 
quarante  sols  tournois,  au  lieu  que  le  Roy  n'en  recevoit 
que  seize  deniers  mis  en  œuvre  de  testons.  Il  conseilloit 
de  forger  monnoye  d'argent  le  Roy  de  douze  sols  tour- 
nois de  cours,  &  de  xxx  pièces  au  marc,  du  poids  de 
six  deniers  neuf  grains  trebuschans,  les  demis,  &  quarts 
à  l'equipolent  :  &  la  monnoye  d'or  à  xxiiii  carats,  un 
carat  de  remède  de  xxx  pièces  au  marc  &  de  mesme 
poids  [Fol.x.l.Ro]  que  l'argent  à  six  livres  tournois  :  & 
neantmoins  il  vouloit  aussi  qu'on  forgeast  du  menu 
billon  de  trois  deniers  de  loy,  de  trois  cens  xx  pièces  au 
marc  &  de  trois  deniers  de  cours,  &  tout  autre  sorte  de 


JEAN    BODIN  169 

billon  au  dessoubz  de  dix  deniers  fin,  arrestant  le  marc 
à  quatorze  livres  tournois.  Voila  son  advis  qui  futre  jette, 
comme  il  meritoit,  aussi  est-ce  chose  fort  ridicule  de 
penser  que  le  Roy  peust  tirer  un  si  grand  profit  de  ses 
monnoyes  au  soulagement  du  peuple  :  s'il  est  vray  ce 
que  dit  Platon,  que  il  n'y  a  personne  qui  gaigne,  qu'un 
autre  n'y  perde,  &  la  perte  par  nécessité  inévitable 
tomboit  sus  le  subiect,  puisque  l'estranger  n'en  sentoit 
rien.  Bien  est-il  vray  qu'il  seroit  besoin  que  quelque 
grand  Prince  moyennast  cela  par  ses  Ambassadeurs 
envers  les  autres,  affm  que  tous  les  Princes  d'un  com- 
mun consentement  fissent  aussi  defïences  de  plus  forger 
de  billon,  mettant  la  loy  des  monnoyes  d'or  &  d'argent 
comme  il  a  esté  dit  cy  dessus,  &  usant  du  marc  à  huict 
gros  ou  dragmes,  &  de  cinq  cens  soixante  &  dix  grains 
pour  once,  qui  est  la  plus  [Fol.x.l.V®]  commune,  ce  qui 
ne  seroit  pas  difficile  :  attendu  que  le  Roy  Catholique 
&  la  Royne  d'Angleterre  ont  desia  banni  tout  le  billon  : 
&  mesmes  que  toutes  les  monnoyes  d'or  d'Espaigne, 
hormis  les  pistolets,  &  la  monnoye  de  Portugal,  sont  à 
plus  haute  loy  que  ie  n'ay  dit,  &  toute  la  monnoye  d'ar- 
gent à  onze  deniers  trois  grains,  qui  est  la  plus  forte  qui 
soit.  Et  seroit  bon  faire  la  monnoye  en  forme  de  médailles 
moulées,  comme  faisoient  les  anciens  Grecz,  Latins, 
Hebrieux,  Persans,  Egyptiens  :  car  les  frais  en  seroient 
beaucoup  moindres,  &  la  facilité  plus  grande,  &  la 
rotondité  parfaite,  pour  empescher  les  roigneurs  :  &  ne 
seroit  pas  suiette  à  estre  ployée,  &  rompue,  ioint  aussi 
que  la  marque  demeureroit  à  iamais.  On  n'auroit  point 
la  teste  rompue  à  marteller,  &  ne  seroit  besoin  de  tailleur, 
&  n'y  auroit  aucun  déchet  pour  la  cisaille,  ny  de  remède 
sus  le  poids,  comme  il  est  nécessaire  qu'on  donne  deux 
ferlins  pour  le  moins  sur  le  marc  forgé  au  coing  :  ioint 
qu'il  s'en  feroit  plus  en  un  iour,  qu'il  ne  s'en  fait  en  un  an, 
on  osteroit  aussi  l'occasion  [Fol.x.2.Ro]  aux  faux  mon- 
noyeurs  de  mesler  les  métaux  si  facilement  comme  ils 


170  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

font  aux  presses,  au  coing,  où  la  pièce  s'estend  en  largeur 
qui  couvre  l'espesseur  :  &  le  moule  feroit  toutes  les 
médailles  d'un  mesme  metail  esgales,  en  grosseurs,  poids, 
largeur,  &  forme  :  ou  si  le  faux  monnoyeur  vouloit  mes- 
1er  du  cuivre  avec  l'or,  plus  que  la  loy  de  xxiii  carats, 
le  volume  du  cuivre  qui  est  en  poids  esgal  plus  grand 
deux  fois  &  une  huitiesme  que  n'est  pas  le  volume  d'or, 
ou  plus  léger  que  l'or  deux  fois,  &  une  huitiesme  en  masse 
esgales  feroit  la  médaille  plus  grosse  de  beaucoup,  & 
descouvriroit  la  fausseté  :  car  il  est  tout  certain  que  si  la 
masse  d'or  esgale  à  la  masse  de  cuivre,  poize  quinze  cens 
cinquante  &  un  ferlin,  la  masse  de  cuivre,  ne  poizera 
que  sept  cens  xxix  ferlins,  qui  est  comme  dix  sept  à 
huit,  en  gros  poids  :  comme  i'ay  aprins  de  François 
M.  de  Foix  le  grand  Archimede  de  nostre  aage  &  qui  le 
premier  a  descouvert  la  vraye  proportion  des  métaux  en 
poids  &  en  volume.  Nous  ferons  mesme  iugement  de 
l'argent  qui  a  plus  grand  volume  [Fol.x.2.Vo]  que  l'or 
en  poidz  esgal,  ou  que  l'or  est  plus  pesant  que  l'argent 
en  masse  esgale  une  fois,  &  quatre  cinquiesmes  :  qui  est 
comme  m.d.l.i.  à  m.ccc.lxvi  ou  neuf  à  cinq,  &  du  cuivre 
à  l'argent  comme  xi  à  xiii  ou  précisément  comme 
M.cc.xxix  à  D.ccc.LXVi  qui  approchent  de  plus  près  au 
poidz,  &  au  volume  que  les  autres  :  horsmis  le  plomb  qui 
est  plus  pesant  que  l'argent,  d'autant  qu'il  y  a  diffé- 
rence de  XV  à  xiiii  ou  plus  précisément  de  dccclxvi 
à  Dccccxxix  mais  ilz  ne  s'en  peuvent  servir  pour  falsi- 
fier, d'autant  qu'il  se  délie  de  tous  métaux,  horsmis  de 
l'estain.  Et  moins  peuvent  ilz  user  de  l'estain  qui  est  la 
poison  de  tous  les  métaux  :  &  ne  peut  estre  ietté  pour 
argent  :  attendu  qu'il  est  plus  léger  d'autant  qu'il  y  a  de 
neuf  à  quatorze,  ou  précisément  de  dc  à  dccccxxix  & 
beaucoup  moins  peut  estre  desguisé  pour  or,  qui  est  plus 
pesant  que  l'estain  en  masse  esgale,  ou  plus  petit  de 
corps  en  poidz  esgal,  d'autant  qu'il  y  a  entre  dix  huit 
&  sept,  ou  iustement  entre  m.d.li  &  dc  qui  est  deux  fois 


JEAN    BODIN  171 

&  quatre  septiesmes  [Fol.x.3.Ro]  plus  pesant.  Quant 
au  fer  les  faussaires  n'en  peuvent  abuser  par  fusion, 
d'autant  qu'il  ne  reçoit  meslange  ny  d'or  ny  d'argent  : 
&  la  contiguité  des  lames  sus  fer,  n'est  pas  difficile  à 
cognoistre.  Pline  l'appelle  ferrumination,  de  laquelle 
usoyent  les  faux  monnoyeurs  de  son  temps  :  &  de  fait 
le  Sieur  de  Villemor  commissaire  des  guerres  m'a  fait 
veoir  une  ancienne  médaille  de  fer  couverte  d'argent  en 
ceste  sorte,  toutesfois  le  poids,  &  le  volume  descouvre  la 
fausseté  y  regardant  de  près  ;  car  l'argent  est  plus  pesant 
que  le  fer  en  masse  esgale,  ou  moindre  de  volume  en 
poidz  esgal,  d'autant  qu'il  y  a  de  quatre  à  trois,  ou  pré- 
cisément de  DcccLXvi  à  dcxxxiiii.  Et  quant  à  l'or,  il  est 
impossible  que  la  ferrumination  puisse  de  rien  servir 
aux  faux  monnoyeurs,  veu  que  l'or  est  plus  petit  de 
corps  que  le  fer  en  poidz  esgal,  ou  plus  pesant  en  masse 
esgale  d'autant  qu'il  y  a  de  six  à  neuf,  ou  m.d.lvi  à 
DCXXXIIII.  Aussi  n'est  il  pas  à  craindre  que  le  vif  argent 
puisse  servir  à  falsifier  ces  deux  métaux,  bien  qu'il 
approche  autant  au  poidz  [Fol.x.S.V^]  de  l'or  que  sept 
à  huict,  ou  M.CLViii  à  m.d.li  par  ce  qu'ilz  n'ont  encores 
si  bien  sceu  l'arrest,  qu'il  ne  s'en  vole  en  fumée.  Voila 
quant  à  la  forme  des  monnoyes,  &  le  profïit  qui  revie- 
droit  d'estre  moulées  :  comme  elles  estoyent  ancienne- 
ment &  iusques  à  ce  qu'il  y  eut  si  peu  d'or  &  d'argent 
après  que  les  mines  furent  espuisees,  &  ces  deux  métaux 
usez,  perdus,  cachez,  ou  dissipez,  on  fut  contraint  de 
faire  la  monnoye  si  déliée,  qu'il  ne  falloit  que  le  marteau 
pour  la  marquer  :  ce  qui  depuis  a  esté  cause  de  beaucoup 
d'abus,  mais  tout  ainsi  que  les  premiers  hommes  qui 
avoyent  peu  d'or  &  d'argent,  le  marquoient  au  marteau  : 
&  depuis  ayant  plus  grande  quantité  commencement  à 
le  mouler  :  aussi  faut-il  maintenant,  retourner  aux  moules. 
On  avoit  commencé  à  forger  au  moulin,  mais  il  s'est 
trouvé  que  la  marque  ne  se  pouvoit  assez  bien  imprimer, 
&  qu'il  y  avoit  tousiours  trente  marcs  de  cizaille  sur 


172  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA    MONNAIE 

cent  marcs  de  matière,  au  lieu  qu'il  n'y  en  a  qu'un  ou 
deux  au  coing  :  &  mesmes  que  le  son  estoit  différant  aux 
monnoyes  de  coing  :  &  qui  plus  est,  on  trouvoit  que  les 
pièces  n'estoyent  pas  [Fol.x.4.Ro]  toutes  de  mesmes 
poids,  par  ce  que  les  lames  se  faisoyent  plus  déliées  en 
un  endroit  qu'en  l'autre.  Quant  à  ce  que  i'ay  dit,  que  le 
marc  d'or  &  d'argent,  se  doibt  diviser  en  pièces  esgales 
de  poids,  sans  fractions  de  pièces  sus  marc,  ny  de  deniers 
sus  pièce,  ny  de  grains  sus  deniers  ;  l'utilité  y  est  fort 
évidente  tant  pour  les  changes  des  marcs,  &  des  pièces, 
que  pour  l'estimation,  poids,  &  cours  indubitable.  Ainsi 
faisoyent  les  anciens  :  car  la  pièce  d'or  &  d'argent  pezant 
quatre  gros  ou  dragmes,  qui  est  la  moitié  d'une  once, 
sera  esgale  au  sicle  des  Hebrieux,  &  la  pièce  de  deux  gros, 
ou  de  XXXII  au  marc,  sera  esgale  au  stater  Attique,  &  au 
Philippus  ancien  &  aux  nobles  à  la  rose,  &  aux  médailles 
d'or  des  anciens  Romains,  que  la  loy  appelle,  aureus  :  & 
la  pièce  d'un  gros,  ou  sol  tournois,  ou  dragme  Attique, 
&  à  la  zuza  des  Hebrieux,  qui  estoit  en  Grèce  &  en  tout 
l'Orient  la  iournee  des  brassiers.  Vray  est  que  le  denier 
d'argent  des  Romains,  estoit  plus  fort  de  poids  de  trois 
septiesmes  :  qui  estoit  aussi  la  iournee  du  soldat  Romain 
du  temps  d'Auguste  :  [Fol.x.4.Vo]  qui  est  un  peu  plus 
que  le  simple  real  d'Espaigne.  Et  si  les  mutations,  & 
changemens  qui  se  font  tout  à  coup  sont  dommageables 
pernicieuses,  on  pourra  y  procéder  peu  à  peu,  faisant 
forger  les  monnoyes  comme  i'ay  dit,  afin  qu'un  chacun 
ayt  loisir  de  se  défaire  du  billon  à  moindre  perte.  Sur  ces 
diffîcultez  estant  à  Blois  aux  estatz  député  de  la  province 
de  Vermandois,  je  fuz  appelle  avec  le  premier  Président 
&  trois  généraux  des  monnoyes,  &  Marcel  surintendant 
aux  finances,  afin  de  remédier  aux  abuz  des  monnoyes, 
&  en  fin  il  fut  résolu  que  tout  ce  que  i'ay  dict  cy  dessus, 
que  ie  remonstray  sommairement  estoit  bien  nécessaire, 
&  neantmoins  que  la  difficulté  &  maladies  de  la  repu- 
blique qui  estoyent  incurables  ne  le  pourroyent  souffrir, 


JEAN    BODIN  173 

qui  estoit  à  dire,  qu'il  valoit  mieux  souffrir  que  le  malade 
périsse  en  langueur,  que  de  luy  faire  boire  une  médecine 
fascheuse  pour  le  guérir.  le  confesse  bien  que  l'argent 
en  billon  ne  reviendra  qu'à  l'a  moitié  estant  purifié  à 
onze  deniers  douze  grains,  mais  aussi  c'est  pour  iamais 
[Fol.y.l.Ro]  si  une  fois  on  tient  la  loy  establie,  comme 
dit  est.  Et  si  on  le  fait,  il  est  impossible  d'éviter  la  ruine 
de  la  Republique.  Et  quand  bien  on  l'auroit  descrié  tout 
en  un  moment,  pourveu  que  le  Roy  portast  la  moytié 
de  la  perte,  le  peuple  l'autre,  encores  y  auroit  il  beaucoup 
plus  d'avantage  pour  le  peuple,  que  forger  de  foible 
monnoye,  &  après  luy  avoir  donné  cours,  la  décrier,  on 
voit  plus  souvent  que  tous  les  ans,  voire  tous  les  mois, 
tous  les  iours,  &  à  chacun  moment,  hausser  le  cours  des 
monnoyes,  &  autant  de  pris  que  de  pays,  que  de  villes, 
que  de  villages.  le  ne  sçache  homme  de  bon  iugement, 
qui  ne  soit  d'avis  qu'il  vaut  beaucoup  mieux  souffrir 
une  telle  saignée,  pour  tirer  les  mauvaises  humeurs,  que 
de  languir  d'une  fièvre  perpétuelle,  qui  redouble  si 
souvent  ses  accès  :  car  nous  voyons  que  depuis  l'an  mil 
cinq  cens  trente  &  huict,  sans  aller  plus  loing,  qu'on 
décria  les  vaches  de  foix,  &  dix  ans  après  tout  le  billon 
roigné,  il  s'est  forgé  des  solz  du  temps  du  Roy  Henry  II 
à  trois  deniers  douze  [Fol.y.l.Vo]  grains  d'aloy,  &  au 
temps  de  Charles  neufiesme  à  trois  deniers  d'argent,  qui 
ne  valent  pas  le  billon  ancien  roigné,  ny  la  vache  décriée. 
Et  neantmoins  on  hausse  tantost  le  prix  du  billon  sans 
hausser  l'aloy,  pour  reiouir  le  peuple,  comme  un  malade 
quand  on  le  fait  boire  froid  :  car  cela  est  bien  cher  vendu 
au  descry. 

C'est  doncques  une  iniustice  Barbaresque... 


NOTES 


^)  Bernard  Prévost,  seigneur  de  Morsan  :  membre  du  Parlement  de 
Paris,  il  fut  président  de  la  Commission  remplaçant  le  Parlement  d'Aix 
(1565).  Revenu  à  Paris,  il  y  mourut  en  1585. 

*)  Jean-Baptiste  du  Mesnil.  Né  le  29  septembre  1517  à  Paris  et  mort 
à  Paris  le  2  juillet  1569.  Avocat  du  roi  en  1556,  il  se  rendit  célèbre  aux 
grands  jours  de  Poitiers.  :  «  11  faisait,  écrit  Loyseau  (Vie  de  B.  du  Mesnil 
avec  les  remarques  de  Ch.  Joly,  dans  les  Opuscules  de  Loyseau),  presque  tous 
les  arrêts  de  l'audience  et  ses  conclusions  étaient  presque  toujours  suivies. 
Il  ne  se  dressait  aucun  édit,  ni  rien  de  conséquence  au  Conseil  du  Roi  qui 
ne  passât  par  sa  plume.  »  Du  Mesnil  espérait  obtenir  la  présidence  du 
Parlement  de  Paris,  mais  ce  fut  de  l'Hôpital  qui  l'obtint. 

*)  Guy  du  Faur  de  Pibrac,  né  à  Toulouse  en  1529,  mort  à  Paris  en  1588. 
Auteur  de  Quatrains  Moraux;  Bodin  lui  dédiera  La  République. 

*)  V.  supra,  p.  67,  note  2. 

*)  D'après  M.  Hauser  cette  expression  de  marchandises  latines,  que  l'on 
retrouve  à  la  page  suivante,  serait  spéciale  à  Bodin  et  signifierait  des  mar- 
chandiges  et  denrées  de  luxe  de  provenance  du  Levant  (Hauser,  op.  cit., 
p.  76).  L'emploi  antérieur  de  cette  expression  par  Malestroit  (V.  supra, 
p.  000)  semble  avoir  échappé  au  savant  professeur  ;  non  seulement  Males- 
troit parle  incidemment  de  marchandises  latines,  mais  encore  il  les  défii>it 
comme  des  produits  de  garde,  par  opposition  aux  denrées  périssables. 

*)  Aujourd'hui  Brousse.  V.  dans  Hauser  (op.  cit.,  p.  77)  le  détail  des 
édits  somptuaires. 

')  Sestier  ou  setier  :  le  setier  de  Paris  pour  les  grains  était  la  douzième 
partie  du  muid.  Celui-ci  était  lui-même  une  mesure  très  variable  suivant 
les  régions  ;  à  Paris,  il  valait  environ  15,60  hectolitres. 

®)  La  contenance  de  l'arpent  variait  assez  sensiblement  suivant  les 
régions.  Dans  les  environs  de  Paris,  il  oscillait  entre  34  et  52  ares.  En  règle 
générale,  on  peut  prendre  45  ares  comme  contenance  moyenne  de  l'arpent. 
Il  existe  d'ailleurs  une  concordance  nette  entre  toutes  les  anciennes  mesures 
agraires  :  acre,  arpent,  Morgen,  Tag,  jour  (ou  journal)  :  elles  représentaient, 
ou  représentent,  en  moyenne  de  40  à  50  ares. 

*)  Angelot  ou  angel,  V.  le  commentaire  du  Compendieux  ou  bref  examen, 
infra,  note  91. 

10)  Comparer  le  Compendieux  ou  bref  examen...,  §  133. 

^^)  V.  le  passage  des  manuscrits  de  Haies  où  celui-ci  parle  de  la  monnaie 
de  cuir  de  Frédéric,  variante  au  §  180. 

")  Ceci  est  une  erreur  de  la  part  de  Bodin  :  Renée  de  France  était  la 
fille  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne.  Née  en  1510  à  Blois,  elle  épousa 
Hercule  d'Esté,  duc  de  Ferrare,  et  mourut  à  Montargis  en  1575. 

^*)  Sur  les  hypothèses  relatives  à  ce  personnage.  V.  Hauser,  op.  cit., 
p.  84-85. 

^*)  Cadène  :  d'après  M.  Hauser  {op.  cit.,  p.  86),  c'est  la  forme  espagnole 
du  mot  chaîne.  D'après  Oscar  Bloch,  au  contraire  {Dictionnaire  éiymolo- 


176  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


gique  de  la  langue  française,  p.  110),  le  mot  cadène  est  emprunté  au  pro- 
vençal cadena.  Cadène  signifie  chaîne  de  forçats  :  on  sait  que  les  galères 
étaient  stationnées  dans  les  ports  de  la  Méditerranée.  On  trouve  également 
au  XVI*  siècle,  cal(h)ene,  qui  peut  être  l'italien  catena  ou  le  latin  caiena, 

1*)  Rodon  :  M.  Hauser  n'a  pu  identifier  ce  mot. 

^')  Daces,  taxes  nouvelles. 

")  Guillaume  Poyet  naquit  vers  1474  aux  Granges,  près  de  Saint- 
Rémi  de  la  Varanne  (Anjou),  mort  en  avril  1548.  Avocat  général  en  1531, 
président  à  mortier  en  1534,  chancelier  en  1538,  il  fut  emprisonné  à  la 
Bastille  en  1542  et  dégradé  de  la  charge  de  chancelier  le  24  avril  1545  ;  à 
cette  occasion  François  !«'  se  montra  furieux  de  ce  que  la  peine  n'ait  pas 
été  plus  forte.  Caractère  très  intéressé  et,  par  certains  côtés,  méprisable, 
Poyet  fut  l'un  des  inspirateurs  de  l'ordonnance  de  Villers-Cotterets  (1539). 

1^)  Dominique  Bertin,  seigneur  de  Saint-Julien,  capitaine  de  Luchon, 
architecte  du  Roi  ;  il  s'occupait  de  l'expédition  à  Paris  des  marbres  des 
Pyrénées.  Sur  ses  rapports  avec  Bodin,  V.  Hauser,  op.  cil.,  p.  93. 

1»)  Sur  Pierre  Lombard,  V.  un  ouvrage  de  Protois  {Pierre  Lombard, 
Paris,  1881). 

20)  Jérôme  Cardan  fut  un  célèbre  médecin  et  philosophe  italien.  Fils 
naturel  de  Fabio  Cardan,  il  naquit  à  Paris  le  24  septembre  1501  et  mourut 
à  Rome  le  21  septembre  1576.  Son  meilleur  ouvrage  est  le  De  sublililate 
(1550).  L'édition,  d'ailleurs  incomplète,  de  ses  œuvres  en  1663  ne  compte 
pas  moins  de  dix  volumes  in-folio  (V.  Hœfer,  Nouvelle  biographie  générale, 
t.  vii,  p.  686-696). 

2^)  La  blanque  était  un  jeu  de  hasard  se  jouant  avec  52  cartes  enfer- 
mées chacune  dans  un  étui  en  bois.  Les  blanques  furent  interdites  en  1536 
mais  n'en  continuèrent  pas  moins.  D'après  M.  Hauser  {op.  cit.,  p.  96) 
l'Aumône  Générale  à  Lyon  y  recourait  fréquemment.  En  1591  notamment, 
elle  lança  5.220  billets  de  20  sols  chacun  pour  15  lots. 

22)  Sur  le  tableau  de  M.  de  Clagny,  V.  Hauser,  op.  cil,  p.  96-97. 

^^)  V.  un  passage  analogue  dans  le  Compendieux  ou  bref  examen,  §  145- 
146. 

**)  Ceci  semble  une  erreur  de  la  part  de  Bodin. 

25)  Le  Teston  est  une  monnaie  d'argent  frappée  sous  Louis  XII  dont 
la  valeur  a  varié  entre  10  et  12  sols. 

2*)  Poule  de  pailler,  volaille  ordinaire  de  poulailler,  par  opposition  au 
chapon. 

2')  V,  supra,  p.  67,  note  4. 

2^)  V.  supra,  p.  67,  note  5. 

2»j  V.  supra,  p.  67,  note  1. 

30)  4  grains,  soit  0,212  gr.  Le  grain  pèse  0,053  gr. 

^^)  M.  de  Livres,  seigneur  de  HumeroUes.  D'après  La  République  (IV,  ii, 
p.  388)  c'est  lui  qui  aurait  poussé  Bodin  à  livrer  son  manuscrit  à  l'impres- 
sion. V.  Hauser,  op.  cit.,  p.  103. 

32)  Mouton  ou  agnel  d'or  :  en  1354,  on  en  taillait  52  au  marc,  au  titre 
de  24  carats.  En  1416,  on  en  taillait  96  au  marc  au  titre  de  22  carats. 

33)  Noble  :  V.  infra,  commentaire  du  Compendieux  ou  bref  examen..., 
t.  II,  note  57. 

3*)  Alumettes  :  ce  sont  de  petits  copeaux  de  bois  ou  des  cordes  de 
chanvre  soufrées. 

35)  Monnaie  de  billon,  par  opposition  à  la  monnaie  d'argent  ou  monnaie 
blanche. 

3«)  Seraph  et  Médin,  V.  Hauser,  op.  cit.,  p.  106. 


JEAN    BODIN  177 


*')  Comparer  le  Compendieux  ou  bref  examen...,  §  110  et  la  note. 

*®)  Soufleurs  :  alchimistes. 

^*)  Une  allusion  à  ce  sujet  est  faite  dans  le  Compendieux  ou  bref  examen.., 
§  121. 

40)  Connin,  ou  connil  :  lapin.  Cf.  Rabelais  :  «  Puis...  alloit  voir  prendre 
quelque  connil  aux  fillets.  »  {Gargantua,  i,  xxii). 

*^)  Il  est  assez  curieux  de  présenter  comme  «  limoneuses  ».  les  côtes  de 
Bretagne.  M.  Hauser  prétend  que  Bodin  a  eu  ainsi  en  vue  les  estuaires 
bretons.  N'aurait-il  pas  pensé  plutôt  à  l'estuaire  de  la  Loire  et  à  la  côte 
Saintongeaise  ?  Il  aurait  englobé  la  majeure  partie  de  la  côte  bretonne 
dans  «  la  coste  de  Normandie...  qui  est  pierreuse  »  et  qu'elle  continue 
directement. 

*2)  M.  Hauser  n'a  trouvé  aucune  source  sûre  relative  à  ce  personnage, 

**)  Adrien  Florisse,  né  à  Utrecht  en  1459.  Précepteur  de  Charles-Quint, 
il  fut  cardinal  en  1516,  régent  d'Espagne,  d'abord  avec  Ximenès,  puis  seul 
et  fut  élu  pape  en  1522.  Mort  à  Rome  en  1523. 

**)  Joachimthaller,  de  Joachim  et  de  Thaï,  vallée.  V.  Hauser,  op.  cit., 
p.  130. 

*5)  23  carats  sans  remède,  soit  958,33  o/oq. 

*')  Comparer  le  Compendieux  ou  bref  examen...,  §  131. 

*')  De  rosette,  c'est-à-dire  de  cuivre. 

*®)  C'est  certainement  la  plus  grande  erreur  de  Bodin  que  de  n'avoir 
pas  su  distinguer  l'exacte  portée  de  la  réforme  anglaise  de  1561.  Sans 
doute,  comme  le  dit  M.  Hauser  {op.  cit.,  p.  131)  cette  réforme  n'alla  pas 
sans  difficultés  au  début,  mais,  à  l'époque  où  écrivait  Bodin,  c'est-à-dire 
sept  années  après,  ces  difficultés  avaient,  sinon  complètement,  du  moins 
presque  complètement  disparu.  La  réforme  d'Elisabeth  en  1561  a  été 
l'une  des  causes  les  plus  importantes  de  la  grandeur  et  de  la  prospérité 
anglaises. 

*•)  En  réalité,  étant  donnée  la  hausse  considérable  des  prix,  cette  dif- 
ficulté n'était  pas  aussi  importante  que  le  prétendait  Bodin.  Celui-ci  fait 
d'ailleurs  erreur  en  prétendant  que  le  penny  était  la  plus  petite  monnaie 
ayant  cours  en  Angleterre  :  il  y  avait  également  des  pièces  d'argent  de 
3  farthings,  soit  3  /4  de  penny  (V.  Proclamation  for  the  abassing  of  Cognes, 
mars  1561). 

50)  Marcus  Livius  Drusus,  tribun  du  Peuple  en  122  avant  J.-C. 

")  Comparer  le  Compendieux  ou  Bref  Examen...,  variante  au  §  180- 

^2)  Le  marc  de  Paris  pesait  8  onces,  ou  64  gros,  ou  4.608  grains,  ou 
244  3  /4  grammes  environ. 

*^)  Boulogne,  mis  pour  Bologne. 

5*)  Vaches  de  Bretagne  :  M.  Hauser  signale  avec  raison  qu'il  n'existait 
pas  de  vaches  de  Bretagne  {op.  cit.,  p.  133).  Il  pense  que  Bodin  a  fait 
confusion  avec  les  vaches  de  Béarn  qui  valaient  6  d.  et  couraient  pour  10  d. 
11  signale  également  l'existence  des  vaches  de  Foix.  Il  convient  de  remar- 
quer que  Bodin  s'est  aperçu  de  son  erreur  et,  dans  l'édition  de  1578,  a 
remplacé  vaches  de  Bretagne  par  vaches  de  Foix  (V.  variante,  p.  173)» 

55)  Comparer  le  Compendieux  ou  bref  examen...,  §  125-126. 

^^)  Comparer  le  Compendieux  ou  bref  examen...  variante  au  §  180. 

L.  B. 


v')^ 


TABLE  DES  MATIÈRES 


TOME  PREMIER 


Pages 


La  collection  des  principaux  économistes vu 

Avant-propos xi 

Introduction xxiii 

I.  —  NICOLAS  COPERNIC 1 

Notice  (L.  B.) 3 

Discours  sur  la  Frappe  des  Monnaies 5 

Notice 23 

Lettre  de  Copernic  à  Félix  Reich  sur  la  monnaie  25 

Notes  (L.  B.) 28 

II.  —  Opinions  communes  sur  la  monnaie  :  savoir 
s'il  serait  plus  honnête  et  plus  avantageux 
pour  la  maison  et  la  principauté  de  Saxe  de 
conserver  la  bonne  monnaie  ancienne  ou  d'en 
adopter  une  de  moindre  valeur 31 

Notice  (L.  B.) 33 

Texte 35 

Notes  (L.B.) 47 

III.  —  Les  PARADOXES  DU  Seigneur  DE  Malestroict, 
conseiller  DU  Roi  et  maistre  ordinaire  de  ses 
comptes,  sur  le  faict  des  monnoyes  présentez 

A   SA   MaIESTÉ,   au   mois   DE    MARS,    MDLXVI 49 

Notice  (L.B.) 51 

Reproduction  d'une  feuille  manuscrite  intercalée 

dans  une  édition  des  Paradoxes 53 

Texte 55 

Notes  (L.  B.)    67 

IV.  —  La  response  de  Maistre  Iean  Bodin  advo- 

CAT   en    la    cour   au    PARADOXE    DE    MONSIEUR   DE 

Malestroit    touchant    l'enchérissement    de 

TOUTES    CHOSES    ET    LE    MOYEN    d'y    REMÉDIER  ....  69 

Notice  (L.  B.) 7l 

Texte 73 

Notes  (L.  B.)    174 


s 


ILLUSTRATIONS  ET  HORS-TEXTE 


Pages 

Portrait  de  Copernic 1 

Fac-similé   de  l'édition  originale    des   Paradoxes   de 

Malestroit 56 

Portrait  de  Jean  Bodin 72 

Fac-similé  de  l'édition  originale   de   la  Response    de 

Jean  Bodin 80 


Imprimerie  des  Presses  Universitaires  de  France.  —  Vendôme- Paris 


^ 


ÉCRITS  NOTABLES 

SUR   LA   MONNAIE 

XVI®    SIÈCLE 

DE  COPERNIC  A  DAVANZATI 


COLLECTION  DES  PRINCIPAUX  ÉCONOMISTES 

NOUVELLE    ÉDITION 

 

ÉCRITS   NOTABLES 

SUR  LA  MONNAIE 

XVIe  SIÈCLE 

DE  COPERNIC  A  DAVAKZATI 


Reproduits,  traduits,  d'après  les  éditions  originales  et  les  manuscrits 
Avec  une  introduction,  des  notices  et  des  notes 


par 
Jean- Yves  LE  BRANCHU 

Docteur  en  Droit 


Tome  II 

AVEC  TROIS  PLANCHES  HORS-TEXTE 


PARIS 
LIBRAIRIE  FÉLIX  ALCAN 

108,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    108 

1934 
Tons  droits  de  reproduction,  d'adaptation  et  de  traduction  réservés  pour  tous  paya 


'^ 


1 


A 


/ 


Sir  Thomas  GRESHAM 
Portrait  d'après  une  gravure  du  Cabinet  des  Estampes. 


Monnaie.  PI.  V 


II.-l 


L'AVIS  DE  SIR  THOMAS  GRESHAM 
MERCIER,  CONCERNANT  LA  CHUTE 

DU  CHANGE,  1558,  A  SA,  TRÈS 
EXCELLENTE  MAJESTÉ  LA  REINE 


lE    EKANCHU 


Voici  le  texte  de  la  légende  manuscrite  que  Ton  peut 
voir  au  bas  de  notre  gravure  : 

The  lively  portraiture  of  ye  most  worthy  Cittizen,  Sr,  Tho- 
mas Gresham^  who  amongst  many  other  ads  (wherby 
he  hath  eterniz'd  his  never  dying  famé)  did  at  his 
own  proper  cost,  bild  ye  Royal  Exchange  of  London. 
Also  He  founded  a  colledg,  and  endowed  it  with  livings 
for  7  learned  men,  for  the  (teac)  hing  of  Ihe  1  libérait 
sciences.  Se  ca. 

BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE,  CABINET  DES  ESTAMPES,  N.  2 


NOTICE 


Le  texte  que  nous  reproduisons  est  celui  qui  a  été  réim- 
primé (en  anglais)  par  de  Laveleye,  dans  le  Jahrbiïcher  fur 
Nationalôkonomie  und  Statistik,  t.  xxxviii,  iv,  1882,  pp.  114  et 
suivantes. 

Nous  nous  permettons  d'adresser  nos  sincères  remercie- 
ments à  Mesdemoiselles  S.  Benoit  et  F.  Rainaud  pour  l'aide 
efficace  qu'elles  ont  bien  voulu  nous  accorder. 

L.  B. 


n 


L'AVIS  DE  SIR  THOMAS  GRESHAM,  MERCIER, 

CONCERNANT  LA  CHUTE  DU  CHANGE,  1558 

A  SA  TRÈS  EXCELLENTE  MAJESTÉ 


Il  peut  intéresser  Votre  Majesté  de  savoir  que  la 
première  occasion  de  la  chute  du  change  arriva  par  le 
fait  de  Sa  Majesté  le  Roi,  feu  votre  père,  par  suite  de 
l'affaiblissement  de  sa  monnaie,  de  six  onces  de  fin  à 
trois  onces  de  fin  ^.  Cet  affaiblissement  fit  tomber  le 
change  de  xxvi  s.  viii  d.  à  xiii  s.  iv  d.  et  ce  fut  la  raison 
pour  laquelle  tout  votre  or  fut  exporté  de  votre  royaume. 

En  second  lieu,  en  raison  de  ses  guerres,  Sa  Majesté|^ 
le  Roi  s'endetta  largement  dans  les  Flandres,  et,  pourjX 
le  paiement  de  ses  dettes,  il  n'avait  d'autre  moyen  quej 
de  le  faire  par  le  change  et  d'exporter  son  or  pour  le] 
règlement. 

En  troisième  lieu,  il  faut  incriminer  la  grande  liberté 
du  Siillyarde  ^  et  l'octroi  de  licences  pour  l'exportation 
de  votre  laine  et  des  autres  marchandises  en  dehors  de 
votre  royaume,  ^  ce  qui  est  présentement  la  question  la 
plus  importante  qu'a  à  prévoir  Votre  Majesté  en  ce  qui 
concerne  son  royaume  :  que  Votre  Majesté  veille  à  ne 
jamais  rétablir  les  steydes  *  appelés  le  Stillyarde  dans 
leurs  anciens  privilèges,  car  ceux-ci  ont  été  la  cause 
principale  du  déclin  de  votre  royaume  et  de  la  ruine 
de  ses  marchands. 


Pour  le  redressement  de  ces  choses,  en  Tan  1551, 


8  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Sa  Majesté  le  Roi,  feu  votre  frère  ^,  me  chargea  d'être 
son  agent,  mettant  en  moi  sa  confiance,  tant  pour  le 
paiement  de  ses  dettes  que  pour  le  redressement  du 
change,  lequel  était  à  cette  époque  à  xv  et  xvi  shillings 
flamands  la  livre  sterling,  votre  monnaie  courante, 
telle  qu'elle  est  à  présent,  ne  représentant  pas  réelle- 
ment X  shillings  en  valeur.  Je  m'efforçai  tout  d'abord, 
avec  le  Roi  et  Monseigneur  de  Northumberland  ^,  de 
renverser  le  Stillyarde  ou  bien  cette  réforme  n'aurait 
pu  aboutir,  car  les  gens  du  Stillyarde  conservaient  le 
change  fort  bas  à  cause  de  cette  considération  :  là  ou 
vos  propres  marchands  payaient  à  l'étranger  xiv  d. 
comme  droits  sur  les  lettres  de  change,  eux  ne  payaient 
que  IX  d.  ;  et  de  même,  pour  celles  importées  dans  votre 
royaume,  vos  propres  marchands  payaient  xii  d.  par 
livre  sterling  et  le  Stillyarde  m  d.  seulement,  ce  qui  fait 
une  différence  de  v  shillings  pour  cent.  Et  comme 
c'étaient  des  hommes  ayant  la  haute  main  sur  le  change, 
ils  pouvaient  vendre  ce  qu'ils  passaient  à  des  prix  plus 
bas  que  vos  propres  marchands,  ayant  gagné  avec  les 
droits  V  livres  pour  cent  livres  '',  ce  qui,  dans  le  cours  du 
temps,  aurait  ruiné  tout  votre  royaume  et  ses  marchands. 

En  second  lieu,  je  convins  avec  Sa  Majesté  le  Roi, 
votre  frère,  d'ouvrir  un  compte  avec  ses  propres  mar- 
chands ;  et  ainsi,  au  moment  opportun,  je  conclus  affaire 
avec  eux  à  un  prix  de  transport  déterminé  (le  change 
étant  encore  à  xvi  s.)  pour  que  chacun  cède  au  Roi 
ses  traites  sur  Anvers  au  cours  de  xv  shillings  flamands, 
pour  être  remboursé  dans  un  délai  de  deux  mois  " 
par  XX  s.  sur  la  Place  de  Londres  ;  ce  dont  le  Roi  les 
remboursa  en  espèces  pour  un  montant  de  lx.m.l. 
Et  ainsi,  six  mois  plus  tard,  je  fis  une  opération  identique 
sur  leurs  effets  pour  une  somme  dont  le  montant  s'éleva 
à  Lxx.  ml.,  faisant  payer  xxii  s.  flamands  par  Livre 
Sterling.  Par  ces  moyens,  j'accumulai  beaucoup  de  numé- 


GRESHAM  y 

raire  dans  les  caisses  du  Roi  et  sa  rareté  sur  le  marché 
fit  monter  le  change  à  xxiii  s.  iv  d.  Ainsi  j'ai  non  seule- 
ment remboursé  les  dettes  de  Sa  Majesté  le  Roi  votre 
frère  (en  lui  épargnant  VI  ou  VII  s.  par  Livre),  mais  encore 
j*ai  conservé  dans  le  royaume  les  espèces  en  circulation 
ce  dont  Monsieur  le  Secrétaire  Sissille  a  eu  pleine  et 
entière  connaissance. 

En  troisième  lieu,  je  fis  de  même  décrier  toutes  les 
monnaies  étrangères,  de  façon  qu'elles  soient  toutes 
apportées  aux  Monnaies  de  Sa  Majesté.  A  ce  moment, 
le  Roi  votre  frère  mourut  et,  pour  récompenser  mes 
services,  l'évêque  de  Minchester  chercha  à  me  desservir 
et  je  n'étais  cru  en  rien  de  ce  que  j'avançais  ;  contre 
toute  bonne  raison,  le  dit  évêque  ordonna  que  la  cou- 
ronne française  aurait  cours  pour  vi  s.  iv  d.  la  pistole 
pour  VI  s.  II  d.  et  le  réal  d'argent  pour  vi  s.  En  consé- 
quence le  change  tomba  immédiatement  à  xx  s.  vi  d. 
et  à  XXI  s.  taux  auquel  il  s'est  depuis  constamment 
maintenu.  Et  c'est  ainsi  par  cette  politique  et  en  consé- 
quence de  ce  taux  que  j'ai  remboursé  les  dettes  de 
Sa  Majesté  votre  sœur  à  concurrence  de  ccccxxxv  ml. 

En  quatrième  lieu,  il  ressort  clairement  de  ces  faits 
et  il  apparaîtra  à  Votre  Majesté  que  le  change  est  la 
chose  qui  ruine  les  princes,  jusqu'à  la  complète  des- 
truction de  leurs  royaumes,  si  on  ne  le  surveille  avec 
habileté  ;  le  change  est  de  même  le  premier  et  le  meilleur 
moyen  pour  Votre  Majesté  et  son  royaume  de  recouvrer 
des  espèces  d'or  et  d'argent,  c'est  le  moyen  qui  rend 
bon  marché  toutes  les  marchandises  étrangères,  vos 
propres  marchandises  et  tous  les  différents  genres  de 
victuailles,  c'est  le  moyen  qui,  en  outre,  conservera 
dans  votre  royaume  les  espèces  d'or  et  d'argent.  Ainsi, 
pour  montrer  un  exemple  à  Votre  Altesse,  si  le  change 
est  actuellement  à  xxii  s.,  tous  les  marchands  s'efîor- 


10  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ceront  d'apporter  dans  votre  royaume  des  espèces  d*or 
et  d'argent  :  car  si  un  marchand  voulait  s'acquitter  au 
moyen  du  change,  il  devrait  débourser  xxii  shillings 
flamands  pour  obtenir  xx  shillings  sterling  ;  s'il  apporte 
au  contraire  en  or  et  en  argent,  cela  ne  lui  coûtera  que 
XXI  s.  IV  d.,  d'où  une  économie  pour  lui  de  viii  d.  par 
livre  ;  si  le  change  ne  faisait  que  se  maintenir  à  ce  taux 
,de  XXII  s.,  en  peu  d'années  votre  royaume  serait  pros- 
père, car  le  numéraire  y  serait  toujours  abondant,  les 
marchands  réalisant  une  économie  de  v  livres  pour 
cent  livres  à  payer  leurs  dettes  par  le  change  au  lieu 
d'exporter  des  espèces  d'or  ou  argent.  En  conséquence, 
plus  le  taux  du  change  sera  élevé  et  plus  prospéreront 
Votre  Majesté,  son  royaume  et  toute  la  communauté 
et  ce  taux  du  change  peut  être  seulement  maintenu 
par  bonne  politique  et  par  la  providence  divine,  car  la 
valeur  intrinsèque  de  la  monnaie  de  votre  royaume 
n'excède  pas  x  s.  par  livre. 

En  résumé,  s'il  plaît  à  Votre  Majesté  de  rendre  à  son 
royaume  sa  prospérité  d'antan,  Votre  Majesté  n'a  pas 
d'autres  moyens  que,  premièrement,  au  moment  oppor- 
tun, de  changer  en  bonne  monnaie  à  xi  onces  de  fin 
votre  basse  monnaie  d'argent  actuelle,  et  la  monnaie 
d'or  dans  la  même  proportion  ; 

Secondement,  de  ne  jamais  rendre  au  Stillyarde  les 
privilèges  qu'il  avait  usurpés  ; 

Troisièmement,  de  n'accorder  qu'aussi  peu  que  pos- 
sible de  licences  d'exportation  ; 

Quatrièmement,  de  contracter  le  moins  possible  de 
dettes  outre-mer  ; 

Cinquièmement,  de  conserver  votre  crédit,  et  spé- 


GRESHAM  U 

cialement  avec  vos  propres  marchands,  car  ce  sont  eux 
qui,  en  cas  de  besoin,  vous  doivent  assistance.  Je  sup- 
plierai ainsi  très  humblement  Votre  Majesté  d'accepter 
en  bonne  part  ce  pauvre  avis  que  je  lui  offre  ;  de  temps 
en  temps,  quand  j'en  aurai  l'opportunité,  je  le  rappel- 
lerai à  Votre  Altesse,  suivant  la  confiance  qu'a  reposé 
en  moi  Votre  Majesté,  suppliant  le  Seigneur  de  me 
donner  la  grâce  et  la  fortune  de  voir  mes  services  tou- 
jours agréés  par  Votre  Altesse.  Que  Notre  Seigneur 
conserve  en  santé  Votre  noble  Majesté  et  qu'il  vous 
fasse  longtemps  régner  sur  nous,  en  accroissant  sans 
cesse  l'honneur  de  ce  règne. 

Le  très  humble,  très  fidèle  et 

très  obéissant  sujet  de  Votre 

Majesté, 

Thomas  Gresham,  Mercier. 


NOTES 


1)  La  réforme  monétaire  de  Henri  VIII  est  du  13  mai  1344  (36. 
Henry   VIII). 

2)  Slillyarde  ou  plus  ordinairement  Steelyard  :  primitivement,  ce  mot 
signifiait  une  balance  avec  bras  mobile  ou  glissait  un  poids  (le  mot  existe 
toujours  dans  la  langue  anglaise).  Par  extension  on  donna  ce  nom  à  un 
terrain  situé  à  Londres  non  loin  de  London  Bridge  où  étaient  conservées 
les  grandes  balances  de  la  Cité  de  Londres  sur  lesquelles  étaient  officielle- 
ment pesées  toutes  les  marchandises  importées  ou  exportées.  A  cet  endroit 
vinrent  s'établir  des  «  Easterlings  »  ou  marchands  de  la  Ligue  Hanséatique 
de  Brème,  Lubeck,  Hambourg,  etc.  En  compensation  de  l'argent  que  ce3 
marchands  prêtèrent  à  plusieurs  rois  d'Angleterre,  ces  marchands  furent 
exemptés  de  la  taxe  de  leur  Guilde,  ainsi  que  des  autres  impôts  dus  au  roi 
par  leur  personne  ou  leurs  marchandises,  de  telle  sorte  que  les  restrictions 
imposées  aux  autres  étrangers  et  aux  Anglais  ne  les  concernaient  aucune- 
ment. Ces  privilèges  empêchaient  toute  concurrence  anglaise  à  l'étranger 
et  causèrent  de  nombreuses  plaintes  de  la  part  des  marchands  anglais, 
spécialement  ceux  de  la  Cité  de  Londres.  Le  nom  du  terrain  où  étaient 
établis  ces  marchands,  Steelyard  ou  Slillyarde,  finit  par  être  appliqué  à 
ces  marchands  eux-mêmes  et,  dans  le  texte  de  Gresham,  ce  mot  signifie 
la  colonie  des  marchands  étrangers  de  la  Ligue  Hanséatique  vivant  dans 
le  Steelyard.  Les  privilèges  de  ces  marchands  furent  abolis  par  la  Reine 
Elisabeth. 

3)  V.  Compendieux  ou  bref  examen...,  §  111. 

*)  Steydes  est  probablement  l'équivalent  de  «  stade  »,  proche  de  «  stead  » 
comme  dans  «  homestead  ».  D'autre  part  «  staithe  »,  mot  dérivant  de  la 
même  racine,  désigne  l'endroit  où  sont  débarquées  les  marchandises.  Une 
partie  du  rivage  où  l'on  débarque  le  poisson  à  Hastings  est  encore  appelée 
le  «  stade  ».  Sleyde  signifie  donc  la  partie  du  rivage  affectée  aux  marchandises 
là  où  est  établi  le  Slillyarde,  c'est-à-dire  les  marchands  privilégiés  de  la 
Ligue  Hanséatique.  Ces  marchands  avaient  des  colonies  dans  d'autres 
ports  que  Londres,  notamment  à  Hull,  Lynn-Regis,  Boston,  etc.,  ce  qui 
explique  la  forme  pluriel  de  «  Steydes  ».  Ces  deux  expressions,  Slillyarde 
et  Steydes,  nous  ont  paru  intraduisibles  en  français  :  nous  avons  préféré 
leur  laisser  leur  forme  originale  et  en  donner,  en  note,  l'explication. 

«)  Edouard  VI,  roi  de  1547  à  1553. 

®)  Il  s'agit  ici  de  John  Dudley,  duke  of  Northumberland,  fils  d'Edmund 
Dudley  et  d'Elisabeth  Grey.  Son  père  était  conseiller  privé  d'Henry  VIII. 
Né  vers  1502,  il  fut  en  1538  député  gouverneur  de  Calais,  sa  fortune  poli- 
tique fut  ensuite  très  rapide  :  gardien  des  marches  d'Ecosse  en  1542,  il  fut 
créé  vicomte  Lisle  cette  même  année  ;  l'année  suivante  il  est  conseiller 
privé  et  chevalier  de  la  Jarretière  ;  en  1544  gouverneur  de  Boulogne. 
Exécuteur  testamentaire  d'Henry  VIII,  il  fut  très  en  faveur  sous  le  règne 
de  son  successeur  Edouard  VI  :  créé  comte  de  Warwick  et  nommé  grand 


GRESHAM  13 


chambellan  d'Angleterre  en  1547,  il  fut,  cette  même  année,  chef  de  l'armée 
contre  l'Ecosse  (victoire  de  Pinkie).  Il  prit  une  part  importante  à  la  guerre 
civile  en  1549.  Peu  après  il  fut  créé  duc  de  Northumberland  (1551)  et 
Lord-Chancelier  (1552).  Il  tomba  ensuite  en  disgrâce  et  fut,  le  22  août  1553, 
exécuté  à  la  Tour. 

')  5  %  est  le  bénéfice  approximatif  des  marchands  du  Stillyarde.  Les 
marchands  anglais  payaient  en  effet  14  et  12  d.  soit  2  s.  2  d.  par  livre 
sterling  ou  £  10-6-8  pour  cent  livres.  Les  marchands  du  Stillyarde  n'avaient 
à  débourser  que  9  et  3  d.  soit  1  s.  par  livre  et  5  livres  pour  cent,  ce  qui, 
sur  la  base  de  cent  livres,  représentait  en  leur  faveur  un  avantage  de 
£  5-6-8. 

®)  At  doblle  usans,  délai  de  deux  mois.  Cf.  T.  Wilson,  Discourse  on 
Usury,  1572  :  «  It  shal  go  al  usance  which  is  a  moneWs  lime,  al  24s.  4<i.  and 
al  double  usance,  which  is  Iwo  moneths'  lime,  at  24s.  Sd.  » 

L.  B. 


VI 

COMPENDIEUX  OU  BREF  EXAMEN  DE 
QUELQUES  PLAINTES  GOUTUMIÈRES 
A  DIVERS  DE  NOS  COMPATRIOTES 
DES  TEMPS  PRÉSENTS  :  LESQUEL- 
LES, BIEN  QU'EN  PARTIE  INJUS- 
TES ET  SANS  FONDEMENT,  SE 
TROUVENT  CEPENDANT  ICI,  SOUS 
FORME  DE  DIALOGUES,  COMPLETE- 
MENT DÉBATTUES  ET  DISCUTÉES  « 


PAR    W.    S.    GENTILHOMME 

IMPRIMÉ    A    LONDRES    PAR   THOMAS    MARSCHE 

FLEETSTREATE,    PRÈS    l'ÉGLISE    DE    SAINT- 

DUNSTONES 

1581 

CUM  privilegio 


^)  Ce  titre  existe  seulement  dans  S. 


Monnaie.  PI.  Vf 


n.-P.  Itf 


\-1 


NOTICE 


On  possède  de  cet  ouvrage  des  textes  et  des  éditions  assez 
nombreux  ;  en  voici  la  liste  : 

i)  Manuscrit  appartenant  à  Mr.  William  Lambarde  (désigné 

dans  notre  édition  par  l'abréviation  L.). 
ii)  Manuscrit  ayant  appartenu  au  Comte  de  Jersey,  puis  à  la 
Bodleian  Library  (Bodleian,  MSS,  C.273)  (désigné  dans 
notre  édition  par  l'abréviation  B.). 
iii)  Manuscrit  de  Hatfîeld  (Catalogue  Hatfield,  MSS,  i.52). 
(Ce  manuscrit,  découvert  assez  tard,  est  resté  ignoré 
de  Miss   Lamond.) 
iv)  Edition  de  1581,  chez  Thomas  Marsche  à  Londres.  Publiée 

par  W.  S.  Gentleman.  1  Volume  in-4. 
v)  Réimpression  par  Charles  Marsch  attribuant  l'œuvre  à 

William  Shakespeare.  1  Volume  in-8,  Londres  1751. 
vi)  Edition  de  la  Harleian  Miscellany,  t.  IX.  1  Volume  in-4, 

Londres  1808. 
vii)  Edition  du  Pamphleteer,  t.  V,  1  Volume  in-8,  Londres 

1813. 
viii)  Edition  de  la  New  Shakespeare  Society,  Série  VI,  iii. 
1  Volume  in-8  Londres  1876  (désignée  dans  notre  édi- 
tion par  l'abréviation  S.), 
ix)  Edition  Lamond  d'après  le  Lambarde  Manuscript,  avec 
les  variantes  de  B  et  de  S.  1  Volume  in-8  couronne, 
Cambridge  1893. 
x)  Edition  allemande  du  Dr.  Léser.  Traducteur  Dr.  Hoops. 
Sammlung   altérer   und    neuerer    staatswirtschafilicher 
Schriften.  Volume  V,  1895. 
xi)  Traduction  Tersen,  Dijon,  1904. 

xii)  Réimpression  de  l'édition  Lamond,  1  Volume  in-8  cou- 
ronne, Cambridge  1929  (désignée  dans  notre  édition 
par  l'abréviation  LD.). 
Toutes  les  éditions  anglaises  de  cette  œuvre,  sauf  l'édition 
Lamond,  reproduisent  l'édition  originale  de  1581. 

Le  texte  que  nous  traduisons  et  pubhons  est  celui  de  l'édi- 
tion de  1581  d'après  la  réimpression  de  la  Shakespeare  Society 
(S).  Nous  ajoutons  en  note  les  viariantes  du  Lambarde  MS  (L) 
et  du  Bodleian  MS  (B)  d'après  l'édition  Lamond  (LD).  Nous 
avons  toutefois  écarté  volontairement  un  assez  grand  nombre 

LE    BRANCHU  II  2 


18  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

de  variantes  de  pure  forme  ou  n'affectant  que  la  grammaire  : 
celles-ci  en  effet,  dont  l'intérêt  peut  être  considérable  en  anglais, 
ne  se  comprendraient  pas  dans  notre  édition  française  et 
seraient  même  intraduisibles  pour  la  plupart. 

Pour  plus  de  clarté,  nous  avons  divisé  le  texte  en  para- 
graphes correspondant  chacun  à  une  idée  centrale.  Les  titres 
sont  groupés,  comme  dans  l'édition  originale  et  dans  les  Manus- 
crits, en  une  table  au  début  de  l'ouvrage  (Table  des  choses 
notables  contenues  en  ce  livre)  ;  dans  notre  édition,  à  ces 
titres  correspondent  des  numéros  qui  sont  ceux  des  paragra- 
phes que  concernent  spécialement  les  titres  et  des  indications 
de  folios  se  rapportant  à  l'édition  originale.  Dans  celle-ci,  les 
titres  figuraient  également  en  marge  :  nous  ne  les  avons  pas 
reproduits  ici,  cette  disposition  nuisant,  à  notre  avis,  à  la 
netteté  de  l'œuvre,  pas  plus  que  nous  n'avons  adopté  le  dispo- 
sitif de  Miss  Lamond  (titres  dans  le  corps  même  du  texte)  et 
ce  pour  la  même  raison.  L'indication  des  numéros  correspon- 
dants permet  de  replacer  le  titre  vis-à-vis  du  paragraphe  qu'il 
concerne. 

A  côté  de  ces  titres  se  trouvent  également,  dans  l'édition 
originale,  des  sous-titres  ou  plutôt  quelques  explications  de 
texte  et  quelques  références  :  nous  les  avons  placés  en  note, 
mais  leur  typographie  diffère  de  celle  du  texte  et  des  variantes 
(la  typographie  du  texte  et  des  variantes  étant  identiques. 
V.  à  ce  sujet  la  notice  générale  au  début  du  volume). 

Les  indications  de  folios  qui  se  trouvent  dans  le  corps 
même  du  texte  se  rapportent  à  l'édition  de  158L  Ceux,  au 
contraire,  indiqués  dans  les  deux  longues  variantes  aux  para- 
graphes 180  et  205  (L.Fol.62.Vo),  etc.,  se  rapportent  à  la 
pagination  du  Lambarde  MS. 

L.  B. 


[Fol.**.Ro] 


A  la  Dame  la  plus 
vertueuse  et  la  plus  sa- 
vante, ma  très  chère 
et  souveraine  Princesse, 
Elisabeth,  par  la  Grâce 
de  Dieu,  Reine  d'An- 
gleterre, de  France  et 
d'Irlande,  Défenderesse 
de  la  Foi,  etc.. 


Considérant  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  chose  dont  on 
ait  ouï  dans  les  âges  écoulés  et  jusqu'à  présent,  aussi 
parfaitement  faite  ou  modelée  soit-elle  par  l'Art  ou 
par  la  Nature,  qui  n'ait,  un  jour  ou  l'autre,  par  l'effet 
d'invention  ou  de  suspicion,  encouru  le  blâme  de  quel- 
qu'envieuse  personne,  je  ne  m'étonne  point  outre  mesure, 
très  Puissante  Princesse,  si  dans  votre  gouvernement 
si  noble  et  si  fameux  (votre  gouvernement  dont  la 
gloire  est  maintenant  répandue  et  connue  sur  la  sur- 
face entière  du  globe),  il  se  trouve  quelques  personnes 
mal  disposées,  si  aveuglées  par  la  malice  et  si  enchainées 
qu'elles  soient  à  leurs  propres  et  partiales  idées,  qu'elles 
ne  peuvent  cependant  empêcher  les  esprits  impartiaux 
de  juger  et  les  langues  respectueuses  de  rapporter  une 
vérité  bien  connue  touchant  la  perfection  de  votre  gloire. 
Mais  ces  hommes,  certainement  contredits  par  le  témoi- 
gnage de  leur  propre  conscience,  se  trouvent  sans  nul 
doute,  condamnés  du  consentement  commun  de  tous 
ceux  qui  sont  sages  et  impartiaux. 

Et  bien  que  tout  ceci  soit  si  clair  et  si  manifeste  que 
ce  ne  puisse  être  dénié,  je  ne  pouvais  pas,  très  renommée 
Souveraine,  ne  pas  le  mentionner,  étant  donné  que  ce 


20  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

fut  illustré  par  la  récente  et  singulière  clémence  de 
Votre  Majesté  qui  me  pardonna  partie  de  ma  conduite 
contraire  à  mes  devoirs  ;  je  ne  pouvais  que  chercher  à 
reconnaître  votre  gracieuse  bonté  à  mon  égard  en  vous 
présentant  ce  faible  et  simple  présent,  ouvrage  dans 
lequel  [Fol.**.V<>]  j'ai  essayé  de  répondre  à  quelques 
critiques  et  objections  qui  se  trouvent  ordinairement 
et  journellement  dans  le  langage  de  nombreuses  per- 
sonnes et  pour  lequel  je  demande  très  humblement  la 
favorable  acceptation  de  Votre  Grâce, 

Je  proteste  aussi  en  toute  humilité  que  mon  but  n'est 
pas,  dans  la  discussion  des  choses  ici  disputées,  de 
définir  ce  qui,  en  toute  sagesse,  devrait  être  considéré 
comme  préjudiciel  à  l'autorité  publique  :  mon  but  est 
seulement  d'alléguer  ce  en  quoi  je  pense  trouver  quelque 
probabilité  d'arrêter  les  plaintes  de  certaines  personnes 
mal  inspirées,  dont  la  curiosité  en  cette  matière  réclame 
une  satisfaction  plus  étendue  que  ne  le  permettrait  la 
bonne  modestie. 

Aussi  est-ce  à  cause  de  ce  zèle  et  de  cette  bonne 
volonté  concernant  votre  royaume  que  j'ai  été  amené  à 
entreprendre  cette  œuvre,  car  je  préfère  exposer  aux 
autres  ma  maladresse  que  paraître  ingrat  envers  vous 
et  présumant  de  votre  ancienne  et  coutumière  clémence, 
j'ai  été  assez  osé  pour  mettre  cet  ouvrage  sous  votre 
gracieuse  protection,  m'assurant  et  me  persuadant  qu'il 
obtiendrait  un  meilleur  accueil  chez  les  autres  si  le  nom 
de  votre  Majesté  le  précédait,  comme  si  c'eut  été  là 
un  très  riche  joyau  ou  un  très  rare  ornement  destiné  à 
embellir  et  à  recommander  le  dit  ouvrage. 

Que  Dieu  préserve  Votre  Majesté,  avec  une  infinie 
augmentation  de  toutes  les  bénédictions  qui  vous  sont 
données,  et  qu'il  accorde  que  vos  jours  de  vie  ici  bas 
sur  cette  terre  puissent  être  augmentés,  si  telle  est  Sa 
volonté,  même  au  delà  du  cours  ordinaire  de  la  Nature. 
Qu'étant  donné  que  vous  avez  déjà  régné  suffisamment 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  21 

pour  que  votre  propre  honneur  et  votre  propre  gloire 
durent  chez  tous  nos  descendants,  vous  puissiez  conti- 
nuer à  demeurer  avec  nous  encore  de  nombreuses  années, 
jusqu'à  l'entier  contentement  (s'il  peut  jamais  être 
atteint)  de  nous  autres  vos  loyaux  sujets  et  pour  l'éta- 
blissement parfait  et  éternel  de  cette  florissante  paix  et 
tranquilité  dans  votre  royaume. 

Le  très  humble  et  très  ai- 
mant sujet  de  Votre  Majesté 
W.  S.  «  1 


«^  toute  cette  dédicace  existe  seulement  dans  S. 


[Feuille**iij.Ro] 

TABLE  DES  CHOSES  NOTABLES 
CONTENUES  EN  CET  OUVRAGE 

PRÉFACE  : 

[1]  Qu'aucun  homme  n'est  étranger  à  la 
communauté  dans  laquelle  il  se 
trouve Fol.LRo 

[3]  Que  de  beaucoup  d'avis  on  recueille 

bon  conseil FoLLY» 

[4]  Que  tout  homme  doit  être  crédité 

dans  son  propre  métier Fol.LV® 

[6]  Pourquoi  ce  livre  se  compose  de  dia- 
logues           F0I.2.R0 

7]  Le  plan  général  de  l'ouvrage Fol.2.Ro 


'i 


LE   PREMIER  DIALOGUE 


[11]  Que  les  hommes  ne  sont  pas  nés  seu- 
lement pour  eux-mêmes Fol.3.R<* 

[12]  La  plainte  des  fermiers  sur  les  clôtures         Fol.B.V® 

[13]  La  plainte  des  artisans  sur  la  cherté 

des  victuailles Fol.3.Vo 

[14]  La  plainte  des  marchands  sur  la  déca- 
dence des  villes  et  autres  sujets 
communs Fol.4.R® 

[15]  Que  bien  des  choses  inutiles  ont  été 
supprimées  et  que  pourtant  rien 
ne  s'est  amélioré Fol.4.R<> 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  23 

[16]  De  la  cherté  des  marchandises  étran- 
gères           F0I.4.R0 

[17]  De  la  cherté  de  tout  genre  de  vic- 
tuailles          F0I.4.R0 

[18]  Que  les  clôtures  ne  seraient  point  la 

cause  de  cette  cherté Fol.4.Vo 

[19]  Que  les  gentilshommes  se  sentent  les 

plus  gênés  par  cette  cherté Fol.4.Vo 

[21]  La  plainte  des  artisans  contre  les  gen- 
tilshommes qui  prennent  en  main 
des  fermes Fol.4.V<> 

[22]  L'artisan  se  plaint  de  ne  pouvoir  faire 
travailler  des  apprentis  à  cause  de 
la  cherté  des  victuailles Fol.5.Ro 

[24]  Le  gentilhomme  se  plaint  de  ne  pou- 
voir tenir  son  rang  comme  il  avait 
coutume  de  le  faire    Fol.5.Ro 

[25]  Pourquoi  les  gentilshommes  aban- 
donnent leurs  propriétés Fol.5.V® 

[26]  Pourquoi  les  gentilshommes  prennent 

des  fermes  en  leurs  propres  mains         Fol.5.V<^ 

[27]  Une  plainte  contre  l'élevage  des  mou- 
tons          F0I.5.V0 

[29]  Le  docteur  se  plaint  pour  les  hommes 

de  sa  sorte F0I.6.R0 

[30]  Une  plainte  contre  les  savants F0I.6.R0 

[32]  Pourquoi  l'instruction  baissera  pro- 
bablement dans  l'avenir F0I.6.V0 

[33]  Savoir  si  un  royaume  peut  être  bien 

gouverné  sans  personnes  instruites         F0I.6.V0 

[34]  Que  les  savants  ont  toujours  eu  la    „ 
souveraineté  sur  les  gens  sans  ins- 
truction           F0I.7.R0 

[35]  Savoir  si  un  homme  peut  être  sage 

sans  être  savant    Fol.7.R<* 

[36]  Que  le  savoir  supplée  au  manque  d'ex- 


24  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

périence  et  que  de  cette  expérience 

découle  la  sagesse Fol.7.Ro 

[38]  Les  merveilleux  dons  que  nous  acqué- 
rons par  l'instruction F0I.8.R0 

[39]  Qu'il  n'y  a  pas  de  faculté  qui  ne  soit 
rendue  plus  complète  par  l'ins- 
truction    F0I.8.V0 

[40]  Comment  César  surpassa  tous  les 
autres  capitaines  par  la  raison  de 
son  grand  savoir  joint  à  son  cou- 
rage   F0I.8.V0 

[42]  [Feuille **iij.Vo]  Que  la  connaissance 
de  la  Philosophie  morale  est  indis- 
pensable à  un  conseiller Fol.9.Ro 

[44]  Ce  qui  rend  les  savants  si  peu  nom- 
breux    F0I.9.V0 

[45]  Que  les  jeunes  étudiants  sont  toujours 
trop  pressés  en  énonçant  leurs 
jugements Fol.9.Vo 

[46]  Que  Pythagore  commandait,  pour  un 

temps,  le  silence  à  ses  disciples. .         Fol.9.V<> 

[47]  Que  Platon  commandait  qu'aucun 
homme  ignorant  la  géométrie, 
n'entre  en  son  école Fol.lO.R" 

[48]  Quel  mal  peut  advenir  si  l'on  souffre 
les  gens  de  juger  dans  des  matières 
où  ils  ne  sont  point  coutumiers. .       Fol. 10. R^ 

[49]  Que  ce  n'est  pas  une  instruction  suf- 
fisante que  de  connaître  des  lan- 
gues et  de  savoir  l'écriture Fol.lO.R^ 

[50]  Pourquoi  baisserait  l'instruction    . .       Fol.  10. V^ 

[52]  Que  la  gêne  atteint  tous  les  hommes .       Fol.ll.R® 

[53]  Comme  quoi  les  marchands,  mieux 
que  toute  autre  personne,  peuvent 
se  garantir  contre  les  altérations 
de  la  monnaie Fol. 11. R® 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  25 

[54]  De  l'épuisement  de  notre  vieille  mon- 
naie         Fol.ll.Ro 

[55]  Savoir  si  le  métal  dont  est  faite  la 

monnaie  influe  de  quelque  manière       Fol.l  1  .V® 

[56]  Quels  sont  les  gens  les  plus  atteints 

par  la  dite  cherté Fol.l l.V® 

[57]  Que  le  Prince  a  perdu  le  plus  par 

cette  cherté  universelle    Fol.l  LV® 

[58]  Quel  danger  ce  serait  pour  le  royaume 
si  le  Prince  avait  besoin  d'argent 
en  des  jours  critiques Fol.l2.Ro 

[60]  Comment  S.  M.  la  Reine  "  ne  peut 
avoir  d'argent  quand  ses  sujets 
n*en  ont  point Fol.l2.Vo 

[62]  Une  récapitulation  des  griefs  com- 
muns        Fol.13.Ro 

LE  SECOND  DIALOGUE  : 

[63]  Que  c'est  une  cherté  extraordinaire 

qui  vient  en  période  d'abondance       Fol.  13. V^ 

[65]  La  cause  de  cette  cherté  est  attribuée 

aux  gentilshommes Fol. 14. R® 

[66]  Comment  la  cause  de  cette  cherté  est 
attribuée  aux  fermiers  par  les  gen- 
tilshonmies Fol.14.Ro 

[67]  La  défense  du  gentilhomme  et  son 

offre  raisonnable    Fol.l4.Ro 

[68]  Le  Fermier  refuse  et  met  la  faute  sur 

les  forgerons  et  les  tailleurs Fol.H.V® 

[69]  Si  toutes  les  terres  voyaient  leur  fer- 
mage diminuer,  savoir  si  cette 
mesure  remédierait  à  cette  cherté.       Fol.  15.  R^ 


«^  B.  :  Comment  le  Roi  ne  peut.., 


26  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[70]  Qu'il  n'est  pas  logique  que  les  étran- 
gers vendent  leur  marchandises 
chères  et  nous  les  nôtres  bon  mar- 
ché         Fol.15.Ro 

[71]  Une  autre  offre  du  gentilhomme  faite 

au  fermier Fol.l5.Ro 

[72]  Savoir  si  cette  cherté  serait  amendée 
dans  le  cas  où  les  fermiers  seraient 
obligés  de  baisser  le  prix  de  leurs 
produits Fol.15.Vo 

[75]  Les  étrangers  ne  prennent  partout 
que  de  l'argent  pour  les  marchan- 
dises qu'ils  vendent  en  excédent 
de  leurs  achats Fol.16.Vo 

[76]  Les  étrangers  et  tous  les  marchands 
apportent  des  marchandises  qui 
sont  le  meilleur  marché  chez  eux 
et  le  plus  cher  chez  nous Fol.16.Vo 

[77]  Pourquoi  il  en  est  ainsi Fol.l7.Ro 

[79]  Celui  qui  vend  bon  marché  et  achète 

cher  ne  prospérera  pas  facilement       Fol.l7.Vo 

[80]  Il  n'est  pas  possible  d'empêcher  notre 
argent  de  quitter  ce  royaume  s'il 
est  plus  estimé  ailleurs  qu'ici 
même Fol.l7.Vo 

[82]  Que  la  cherté  ne  provient  ni  du  fait 
du  gentilhomme,  ni  de  celui  du 
fermier Fol.18.Ro 

[83]  Les  échanges  avant  l'invention  de  la 

monnaie Fol.18.Ro 

[85]  Une  plainte  contre  les  éleveurs  de    " 

moutons Fol.18.Vo 

[86]  Que  les  clôtures  sont  une  cause  de 
désolation  et  affaiblissent  la  force 
du  Royaume Fol.18.Vo 

[87]  Les  raisons  de  défendre  les  clôtures.       Fol.18.Vo 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  27 

[88]  Quelle  est  l'espèce  de  clôture  la  plus 

désastreuse    Fol.l9.Ro 

[89]  Savoir  si  ce  qui  est  profitable  à  l'un 
est  profitable  à  tout  autre,  s'ils  se 
servent  du  même  argument  ....  Fol.l9.R° 
[90]  Chaque  produit  doit  être  encouragé 
aussi  longtemps  qu'il  ne  nuit  pas 
aux  autres  produits  importants. .  Fol.l9.Vo 
[92]  Personne  ne  doit  abuser  de  sa  propre 
chose  au  préjudice  de  la  commu- 
nauté         Fol.20.Ro 

[94]  Comment  l'on  pourrait  remédier  aux 
clôtures  sans  intervention  de  la 

loi Fol.20.Vo 

[96]  Qu'une  restriction  pourrait  être  mise 
sur  la  laine  comme  sur  le  grain  et 
qu'il  pourrait  être  interdit  d'ex- 
porter de  la  laine  brute Fol.21.Ro 

[99]  Les  raisons  pour  lesquelles  le  Fermier 
devrait  avoir  la  liberté  de  vendre 
ses  produits  comme  le  peuvent  les 
autres  producteurs Fol.21.Vo 

[100]  Que  le  Fermier  gagne  davantage  par 

l'élevage Fol.22.Ro 

[102]  Que  le  profit  encourage  toutes  les 

facultés Fol.22.Vo 

[103]  Que,  dans  un  Royaume,  certaines 
actions  doivent  être  encouragées 
par  des  récompenses  et  d'autres 
interdites  sous  peine  de  forte  péna- 
lités         Fol.22.Vo 

[104]  Moins  d'honneur  et  de  profit  donné 
à  un  art,  moins  cet  art  sera  pra- 
tiqué         Fol.23.Ro 

[107]  Le  profit  rendra  les  fermiers  plus 
riches  et  plus  nombreux  et,  par 


28  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

voie  de  conséquence,  fera  baisser 

le  prix  du  grain Fol.23.Vo 

[111]  Savoir  si  les  douanes  royales  per- 
draient par  une  restriction  de 
l'exportation  de  la  laine  brute . . .       Fol.24.Vo 

[112]  Comment  les  étrangers  nous  achètent 
pour  peu  de  chose  nos  produits  les 
plus  importants Fol.25.Ro 

[113]  De  notre  goût  dans  la  demande  des 

produits  étrangers Fol. 25. R® 

[114]  L'accroissement  du  nombre  des  mer- 
ciers et  des  bonnetiers  au-dessus  de 
ce  qu'il  devrait  être  normalement .       Fol.25.V® 

[115]  Comment  les  étrangers  trouvent  aisé- 
ment le  moyen  d'obtenir  de  l'ar- 
gent de  choses  sans  valeur,  aussi 
bien  que  s'il  s'agissait  de  mines 
d'or  ou  d'argent    Fol.25.Vo 

[116]  Comment   les   étrangers   pourvoient 

leurs  peuples  avec  nos  produits. .       Fol.25.Vo 

[118]  Pourquoi  les  étrangers  peuvent  ache- 
ter les  marchandises  qu'ils  fabri- 
quent plus  facilement  que  nous  ne 
pouvons  acquérir  celles  fabri- 
quées par  nous-mêmes  ;  et  cepen- 
dant il  serait  mieux  pour  nous 
d'acheter  nos  propres  marchan- 
dises, bien  qu'elles  soient  chères.       Fol.26.R<^ 

[119]  Le  profit  le  plus  durable  et  le  plus 
universel  est  plus  précieux  qu'un 
profit  particulier  et  de  courte 
durée Fol.26.Vo 

[120]  Savoir  si  de  telles  restrictions  affec- 
tent les  alliances  conclues  avec 
des  princes  étrangers Fol.26.Vo 

[121]  Qu'on  ne  doit  s'attacher  à  aucune 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  29 

alliance  qui  ne  soit  conclue  pour 

le  bien  du  Royaume Fol.27.Ro 

[122]  Un  bon  exemple  à  suivre  dans  les  rela- 
tions avec  les  étrangers Fol. 27. R® 

[123]  Quels  maux  proviennent  ou  peuvent 
provenir  de  l'altération  des  mon- 
naies        Fol.27.Vo 

[126]  Que  la  substance  et  le  poids  sont 
estimés  dans  une  monnaie  et  non 
point  sa  dénomination Fol.28.Vo 

[127]  Que  la  nécessité  du  trafic  mutuel  et 
la  commodité  des  échanges  font 
diviser  la  monnaie Fol.29.R° 

[128]  Que  l'or  et  l'argent  sont  les  métaux 
les  plus  pratiques  pour  la  frappe 
des  monnaies Fol.29.Ro 

[130]  Pourquoi  l'or  et  l'argent  sont  estimés 

avant  tous  les  autres  métaux. . . .       Fol.30.R<> 

[134]  Pourquoi  l'argent  et  l'or  furent  mon- 
nayés        FoI.31.Ro 

[135]  Parfois  le  cuivre,  l'argent  et  l'or 
étaient  pesés  avant  que  l'on  frappe 
des  monnaies Fol.31.Ro 

[136]  Pourquoi  une  perte  provient  de  la 

perte  de  crédit   Fol.31.Vo 

[137]  Ce  que  nous  apportent  les  étrangers 
pour  notre  commodité  et  en 
échange  de  notre  argent  et  de  nos 
principales  marchandises Fol.32.Ro 

[138]  Comment  notre  ancienne  monnaie 
peut  être  exportée  sans  que  notre 
Prince  et  ses  officiers  en  soient 
avertis Fol.32.Ro 

[139]  Que  nous  avons  suscité  nous-mêmes 
le  moyen  le  plus  simple  de  faire 
fuir  notre  argent. Fol. 32. V® 


30  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

[141]  Pourquoi  les  choses  sont  aussi  chères 

dans  ce  Royaume Fol. 32. V^ 

[142]  Quelques-uns  ont  gagné  par  suite  de 

l'altération  des  monnaies Fol.33.Ro 

[143]  Ceux  qui  ont  perdu  par  suite  de  l'alté- 
ration des  monnaies Fol.33.Ro 

[145]  De  l'excès  dans  les  vêtements Fol.33.Vo 

[147]  Qu'en  temps  de  paix  on  doit  s'at- 
tendre à  la  guerre Fol. 34. V^ 

[148]  De  l'excès  dans  les  bâtiments Fol.35.Ro 

[151]  Comment  l'altération  des  monnaies 
fait  perdre  le  Prince  plus  que  tout 
autre Fol.35.Vo 

L'argent  est  appelé  le    nerf   de    la 

guerre  « 

....    Pour  faire  de  nouveau  rentrer  notre 

argent  «    .... 

[154]  Savoir   s'il   serait  mieux  que  toute 

notre  laine  soit  exportée  brute. . .       Fol.36.Vo 

[156]  Que  le  commerce  doit  être  augmenté 

en  tous  points  plutôt  que  diminué       Fol.37.Ro 

[160]  Des  trois  sortes  de  commerce    ....       Fol. 37. V® 

[161]  L'un  fait  sortir  notre  argent Fol.37.Vo 

[162]  L'autre  dépense  dans  le  pays  ce  qu'il 

y  gagne Fol.38.Ro 

[163]  Le  troisième  nous  fait  apporter  de 
l'argent  et  doit,  par  conséquent, 
être  encouragé Fol.38.R<* 

[164]  Le  commerce  enrichit  des  pays  qui 

sans  cela  seraient  stériles Fol.38.V<> 

[165]  Les  alliances  avec  les  étrangers  doi- 
vent être  recherchées  et  mainte- 
nues         Fol.39.Ro 


^)  Ces  titres  existent  dans  B.  mais  manquent  dans  S. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  31 

[166]  Savoir  si  de  grandes  armées  «  sont 
aussi  nécessaires  en  ce  royaume 
qu'en  France    Fol.39.Ro 

[167]  Que  l'on  ne  doit  pas  soulager  un 
moindre  mal  par  un  plus  grand 
mal Fol.39.Vo 

LE  TROISIÈME  DIALOGUE  : 

[167]  Les  plaintes  communes Fol.40.Vo 

[171]  Que  l'on  doit  chercher  la  cause  ori- 
ginale de  chaque  chose Fol.41.Ro 

[172]  Qu'il  y  a  diverses  sortes  de  causes .. .       Fol.41.Vo 

[174]  Comment  une  chose  est  cause  d'une 

autre  et  celle-ci  d'une  troisième. .       Fol.42.Ro 

[176]  La  réponse  des  étrangers  touchant 

cette  cherté Fol.42.Vo 

[180]  Que  les  altérations  des  monnaies 
sont  la  véritable  cause  de  cette 
cherté  et,  par  conséquent,  de  tous 
les  autres  maux Fol.43.Vo 

Soit  par  l'exemple,  soit  par  la  loi  on 

doit  remédier  à  tout  ^ .... 

. . . .  Toutes  les  monnaies  qui  ont  cours 
ensemble  doivent  être  également 
proportionnées  les  unes  aux  au- 
tres ^ 

Que  l'alliage  des  métaux  est  cause  de 

fraude  * .... 

Non  seulement  la  substance  et  la  qua- 
lité du  métal  doivent  être  régle- 


^)  B.  :  gentzdarmes  ;  S.  :  great  Armyes. 

^)  Tous  ces  titres  figurent  dans  B.,  mais  manquent 
dans  S.  ;  ils  correspondaient  à  des  passages  assez  longs 
supprimés  dans  S.  V.  les  notes  de  variantes,  à  §  180. 


32  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

mentées  suivant  la  coutume,  mais 
aussi  la  dénomination  des  pièces 
de  monnaie  ^   

....  Que  la  pièce  de  monnaie  est  la  com- 
mune mesure  « 

....  Qu*il  n'est  pas  suffisant  à  un  homme 
d'être  payé  par  le  même  nombre 
de  pièces  de  monnaie,  mais  qu'il 
lui  faut  aussi  la  quantité  du 
métal  « 

....  Qu'il  n'y  a  pas  d'importance  à  ce  que 
quelques  monnaies  soient  de 
cuivre  si  elles  maintiennent  l'esti- 
mation de  leur  valeur  en  regard 
de  l'or  et  de  l'argent  " 

Que  la  proportion  qui  existait  entre 

l'or  et  l'argent  il  y  a  deux  mille 
ans  est  la  même  aujourd'hui  «... 

....  Gomment  on  pourrait  avoir  des  fonds 
pour  la  réforme  de  la  monnaie  " . . 

....  Un  souverain  devrait  avoir  beaucoup 
d'argent  ou,  sinon  lui,  ses  sujets, 
pour  le  cas  de  besoin  « 

....  Ce  qui  est  généralement  estimé  ne 
doit  pas  être  rejeté  d'un  royaume 
qui  trafique  avec  les  autres  «. . . . 

....  Que  la  monnaie  fut,  à  un  moment, 
faite  de  cuir,  mais  en  période  de 
grande  nécessité  et  seulement 
pour  peu  de  temps  "   

....  Gomment  les  fondeurs  de  monnaie 
la  multiplient  « 


^)  Tous  ces  litres  figurent  dans  B.,  mais  manquent 
dans  S.  ;  ils  correspondaient  à  des  passages  assez  longs 
supprimés  dans  S.  V .  les  notes  de  variantes^  à  §  180. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  33 

Un  rare  exemple  de  fondeurs  " .... 

Un  cas  à  considérer  si  l'on  altère  la 

monnaie  touchant  les  rentes 
récemment  relevées  "    .... 

[188]  Gomment  l'on  pourrait  remédier  aux 

clôtures    Fol.46.Ro 

[194]  Du  déclin  des  villes Fol.47.Vo 

[195]  Les  causes  du  déclin  des  villes Fol.48.Ro 

[197]  L'art  que  l'on  doit  encourager  dans 
une  ville  est  celui  qui  rapporte  le 
plus  à  celle-ci Fol.49.Ro 

[198]  Les  villes  sont  enrichies  par  le  com- 
merce         Fol.49.Ro 

[203]  La  cause  des  schismes  ^  en  matière 

de  religion Fol.51.R<> 

[209]  Les  fautes  des  laïques Fol.53.Vo 

[211]  Gomment  l'on  peut  remédier  à  ces 

schismes  ^ Fol.54.V<^ 

[213]  L'évêque  de  Rome  n'est  pas  impar- 
tial '^ Fol.55.Ro 


^)  Tous  ces  titres  figurent  dans  B.^  mais  manquent 
dans  S.  ;  ils  correspondaient  à  des  passages  assez  longs 
supprimés  dans  S.  V.  les  notes  de  variantes,  à  §  180. 

^)  B.   :  schisme  ^. 

^)  manque  dans  J5. 


iM  braKchu  —  n 


[Fol.l.Ro] 

PRÉFACE 


Une  brève  étude  concernant  la  Richesse 
Publique  de  ce  Royaume  d'Angleterre  ^. 

[1]  Considérant  les  diverses  et  nombreuses  plaintes 
de  nos  compatriotes,  plaintes  concernant  les  grands 
changements  survenus  dans  la  richesse  publique  au 
cours  de  ces  dernières  années,  j'ai  pensé  bien  faire  à  ce 
moment  en  écrivant  les  discours  probables  que  sug- 
géraient les  faits,  tels  que  je  les  ai  entendus  parfois 
d'hommes  de  grand  savoir  et  de  profond  jugement.  Sans 
doute,  ne  suis-je  point  de  ceux  auxquels  appartiennent 
spécialement  l'organisation  et  la  réforme  de  la  chose 
publique,  cependant,  étant  donné  que  je  suis  moi-même 
un  membre  de  cette  communauté,  et  pour  favoriser 
celle-ci  par  tous  les  moyens  qui  me  sont  possibles  *, 


«  j  B.  :  Discours  sur  la  richesse  publique  de  ce  royaume 
d'Angleterre  ;  L.  :  pas  de  titre  après  The  Préface. 

^)  L.  &  B.  :  Considérant  les  nombreuses  plaintes 
des  gens  touchant  la  décadence  de  ce  royaume  d'Angle- 
terre où  nous  nous  trouvons  maintenant,  considérant 
que  la  dite  décadence  est  plus  discutée  aujourd'hui 
qu'autrefois,  les  uns  l'attribuant  à  telle  chose,  les  autres 
à  telle  autre,  bien  que  je  ne  sois  pas  un  des  conseillers 
du  roi  auxquels  appartiennent  principalement  la  réforme 
et  l'administration  du  royaume,  étant  donné  cependant 
que  je  suis  moi-même  un  membre  de  cette  communauté 


COMPENDIEUX    OU    BREF   EXAMEN...  35 

je  ne  puis  me  considérer  et  me  compter  comme  un  simple 
étranger  en  cette  matière,  pas  plus  qu'un  homme  sur 
un  bateau  en  péril  de  naufrage  ne  pourrait  dire,  sous 
prétexte  qu'il  n'est  ni  le  capitaine,  ni  le  pilote  de  ce 
navire,  que  le  danger  ne  le  concerne  aucunement.  Aussi, 
mes  affaires  m'en  laissant  aujourd'hui  le  temps  «,  j'ai 
pensé  que  je  ne  pourrais  pas  appliquer  mon  étude  à 
meilleure  fin  que  de  publier  et  de  faire  connaître  des 
choses  de  ce  genre,  telles  que  je  les  ai  entendues  dis- 
cuter ^. 

[2]  Savoir  tout  d'abord  les  choses  dont  les  hommes 
sont  les  plus  gênés  ;  ensuite,  quelle  est  la  cause  de  ces 
faits  ;  ceci  connu,  lesquelles  de  ces  causes  pourrait-on 
supprimer  et  quel  serait  l'état  de  la  communauté  une 
fois  réformée.  Vous  pouvez  sans  doute  m'objecter  qu'il 
y  a  des  hommes  plus  instruits  que  moi  qui  [Fol.l.Vo]  se 
sont  occupés  de  tout  cela,  cependant,  comme  dit  le  pro- 
verbe, les  ignorants  font  parfois  découvrir  la  vérité  et 
autant  il  y  a  de  têtes,  autant  il  y  a  d'opinions.  C'est  la 
raison  pour  laquelle  plus  les  Princes  possèdent  de 
sagesse  (bien  qu'ils  ne  seront  jamais  aussi  sages  que  ne 
l'est  notre  très  bonne  souveraine)  ^,  plus  ils  ont  de  conseil- 
lers (de  même  que  notre  noble  et  gracieuse  reine  en  choisit 
chaque  jour  de  nouveaux)  ^,  car  ce  qu'un  ne  peut  per- 
cevoir, un  autre  le  découvre.  Les  dons  de  l'esprit  sont 
si  divers  que  certains  excellent  dans  la  mémoire,  d'autres 
dans  l'invention  **,  d'autres  dans  le  jugement;  certains 


et  appelé  à  faire  partie  de  la  Chambre  où  l'on  devrait 
traiter  ces  questions,  je  ne  puis  me  considérer... 

^)  L.  :  mes  affaires  me  laissant  à  présent  en  vacances. 

^)  L.  :  j'ai  pensé  que  je  ne  pourrais  appliquer  mon 
étude  à  meilleure  fin  que  de  raisonner  avec  moi-même. 

<^j  Ces  parenthèses  existent  seulement  dans  S: 

^)  D'autres  dans  l'invention  manque  dans  L. 


36  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sont   prêts   immédiatement,   d'autres   seulement   après 
mûre  réflexion. 

[3]  Bien  qu'aucun  de  ceux-ci,  pris  individuellement, 
ne  rende  l'entendement  de  la  chose  parfait,  un  homme 
moins  intelligent  qu'eux,  une  fois  réuni  ce  que  tous 
avaient  dit  de  meilleur,  en  fera  une  plaisante  et  parfaite 
guirlande  pour  s'en  adorner  l'esprit.  Aussi,  dans  cet 
ouvrage,  ne  voudrais-je  pas  avoir  seulement  des  savants 
dont  les  avis  sont  particulièrement  estimés,  mais  encore 
des  Marchands,  des  Fermiers  et  des  Artisans,  qui,  dans 
les  discussions,  sont  choisis  libres  et  pondérés,  et  qui 
sont  appelés  à  donner  leur  avis  en  ce  qui  concerne  les 
choses  de  leur  métier. 

[4]  Par  quelques  points  de  leurs  arguments,  ils 
peuvent  démontrer  ce  que  l'homme  le  plus  savant  d'un 
royaume  ne  peut  découvrir  :  c'est  une  maxime,  une 
chose  reçue  comme  une  vérité  absolue  que  l'on  doit  faire 
crédit  à  chacun  dans  le  métier  où  il  est  le  plus  exercé. 
Ainsi  Apelle  ^,  ce  peintre  remarquable,  n'avait-il  pas 
exposé  sa  belle  peinture  de  Vénus  aux  regards  de  tous 
les  passants,  dans  le  but,  en  écoutant  les  remarques  de 
chacun  concernant  son  propre  métier,  d'ajouter  ce  qui 
manquait  à  son  œuvre  ;  et  il  encourageait  les  critiques 
de  tous,  aussi  longtemps  qu'ils  se  maintenaient  dans  les 
limites  de  leurs  facultés  et  ne  s'occupaient  pas  du  métier 
d'un  autre.  Aussi,  bien  que  l'on  puisse  me  répondre 
comme  il  [Appelle]  lui  répondit  [au  cordonnier],  je  ne 
m'en  plaindrai  cependant  pas  si  j'ai  dépassé  [Fol.2.R<^] 
mes  possibilités. 

[5]  Étant  donné  toutefois  que  la  plus  grande  part 
de  cet  ouvrage  s'occupe  de  la  police  ou  du  bon  gouver- 
nement d'un  royaume,  comme  je  suis  moi-même  un 
«  Member  of  Philosophy  Moral  »,  matière  que  j'ai  quelque 


I 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  37 

peu  étudiée,  je  serai  assez  audacieux,  vis-à-vis  de  mes 
compatriotes  (qui,  je  n'en  doute  pas,  construiront  toutes 
choses  pour  le  mieux),  pour  faire  part  ici  des  pauvres 
et  simples  idées  que  j'ai  récoltées  de  la  conversation 
de  nombreux  et  divers  notables,  entendus  par  moi 
raisonner  sur  ce  sujet  «.  Aussi,  bien  que  je  toucherai 
dans  ce  livre  quelques  questions  qui  certainement 
n'auraient  pas  dû  l'être  si  l'on  considère  la  science 
qu'elles  nécessitent,  étant  donnée  cependant  la  fin  pour 
laquelle  on  en  parle,  j'estime  qu'elles  ne  peuvent  blesser 
personne.  Car,  aussi  difficile  que  la  guérison  d'un  mal  dont 
on  ne  voudrait  s'ouvrir  à  son  médecin,  est  le  redresse- 
ment d'un  abus  dont  on  refuserait  de  discuter. 

[6]  Pour  aller  directement  au  sujet,  faisant  auda- 
cieusement  état  de  votre  bon  vouloir,  ce  genre  de  rai- 
sonnement m'a  semblé  le  meilleur  pour  découvrir  la 
vérité,  raisonnement  qui  est  fait  au  moyen  de  dialogues 
ou  de  colloques,  où  les  arguments  sont  donnés  pour  et 
contre,  aussi  bien  en  faveur  de  la  question  dont  il  s'agit 
que  contre  elle. 

[7]  J'ai  pensé  qu'il  était  préférable  d'adopter  le 
plan  suivant  pour  la  discussion  de  cette  matière,  savoir  : 
en  premier  lieu,  rappeler  les  plaintes  communes  et  uni- 
verselles des  hommes  d'aujourd'hui  ;  en  second  lieu 
rechercher  la  véritable  cause  et  la  véritable  occasion 
de  ces  plaintes  ;  en  troisième  lieu  et  finalement,  envisager 
les  remèdes  possibles  à  tous  ces  faits.  Aussi  vous  raconte- 
rai-je    les    discussions    qu'a    soutenues    récemiment    un 


")  L.  :  vis-à-vis  de  vous  qui,  je  n'en  doute'  pas, 
construirez  toutes  choses  pour  le  mieux,  pour  faire  ici 
part  de  mes  pauvres  idées.  Et  ceci  entre  nous  deux  pour 
être  pesé  et  discuté  et  non  pour  être  répandu  à  l'étranger. 


38  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

chevalier  «  avec  certaines  autres  personnes  dont  je  ne 
veux  point  vous  laisser  ignorer  l'identité,  parce  qu'il  y 
avait  parmi  elles,  des  membres  de  chacune  des  classes 
qui  se  trouvent  aujourd'hui  lésées  ^,  savoir  :  un  Chevalier 
comme  je  l'ai  dit  d'abord,  un  Marchand,  un  Docteur, 
un  Fermier  et  un  Artisan.  Au  début,  le  Chevalier  résuma 
la  discussion  de  la  manière  suivante  ^  : 


[F0I.2.V0] 

LE  PREMIER  DIALOGUE 

[8]  Le  Chevalier.  —  L'autre  jour,  après  que  mes 
collègues  les  juges  de  paix  *  de  ce  district  ^  et  moi-même 
ayons  prononcé  la  volonté  de  la  Reine  «  sur  diverses 
matières  i  et  attribué  la  charge  du  procès  ^,  la  chaleur 
et  le  bruit  de  l'assemblée  m'ayant  fatigué,  je  pensai 
à  me  réfugier  dans  la  demeure  d'un  mien  ami  en  cette 
ville,  lequel  est  marchand  de  vin,  avec  l'intention  d'y 
manger  un  morceau  de  viande,  car  j'étais  à  jeun,  emme- 
nant avec  moi  un  brave  fermier,  que  j'aime  beaucoup 
pour  sa  bonne  et  honnête  discrétion.  Là,  comme  nous 
étions  arrivés  et  avions  à  peine  eu  le  temps  de  nous 
asseoir  dans  une  salle,  voici  que  se  dirige  vers  moi  un 
marchand  de  cette  cité,  homme  riche  et  estimé,  qui 
demande  au  fermier  de  venir  souper  avec  lui.  —  Non 
point,  dis-je,  il  n'abandonnera  pas  maintenant  ma 
compagnie,  bien  qu'il  dinerait  beaucoup  mieux  en  la  vôtre. 


^)  L.  &  B.  :  que  m'a  dit  avoir  soutenu  un  chevalier. 

^)  parce  que...  lésées  manque  dans  L.  et  dans  B, 

'^)  L.  &  B.  :  variante  de  forme, 

^)  S,  dit  comminalty  ;  L.  ;  countrie  et  B.  :  countye. 

^)  L.  &  B.  :  du  Roi. 

/)  L.  &  B.  :  sur  les  clôtures. 


h 


COMPENDIEUX    OU    BREF   EXAMEN...  39 

[9]  Le  Marchand.  —  Alors  (dit  le  Marchand),  je 
vais  envoyer  chez  moi  pour  un  pâté  de  venaison  que  j'y 
ai  et  pour  y  mander  un  de  mes  amis  et  un  voisin  que 
j'ai  invités  à  souper  et  nous  prendrons  la  liberté  de 
festoyer  ici  en  votre  compagnie.  Mon  hôte  n'est  pas 
non  plus  un  étranger  pour  vous,  aussi  je  crois  qu'il  sera 
aussi  heureux  de  votre  compagnie  que  vous  de  la  sienne. 

Le  Chevalier.  —  Qui  est-ce  donc  ? 

Le  Marchand.  —  Le  docteur  Pandotheus. 

Le  Chevalier.  —  Vraiment  ?  Sur  ma  foi,  il  sera  le 
bienvenu  ;  nous  aurons,  de  sa  part,  de  bons  et  sages 
avis,  car  il  est  connu  comme  un  homme  instruit  et 
pondéré. 

[10]  Le  Marchand  l'envoie  immédiatement  quérir 
et  il  vient  parmi  nous,  amenant  [Fol.S.R^]  avec  lui  un 
honnête  homme,  bonnetier  dans  cette  même  cité,  venu 
pour  s'entretenir  avec  le  dit  marchand.  Après  les  salua- 
tions  d'usage  entre  le  docteur  et  moi-même  (salutations 
dont  vous  connaissez  la  manière),  après  avoir  renouvelé 
une  vieille  connaissance  qui  a  longtemps  existé  entre 
nous  deux,  nous  nous  assîmes  tous  et,  après  avoir  mangé 
un  morceau  pour  satisfaire  l'acuité  de  nos   appétits  : 

Le  Docteur.  —  Sur  ma  foi,  me  dit  le  docteur,  vous 
faites  beaucoup  de  zèle,  vous  autres,  les  juges  de  paix 
dans  chaque  pays,  à  siéger  presque  toutes  les  semaines 
et  à  faire  comparaître  devant  vous  de  pauvres  hommes 
dont  les  fermes  restent  sans  surveillance  «. 

Le  Chevalier.  —  Certainement.  Cependant  nous 
faut-il  servir  le  souverain  et  le  Royaume,  car  Dieu  et  le 
Prince  ne  nous  ont  donné  les  revenus  que  nous  possé- 
dons que  pour  que  nous  soyons  de  quelque  utilité  à  nos 
voisins. 


^)  L,  &  B.  :  de  pauvres  hommes  viennent  devant 
vous  dont  les  fermes  restent  sans  surveillance^. 


40  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[11]  Le  Docteur.  —  Cela  est  bien  si  vous  le  prenez 
ainsi,  car  la  Nature  vous  a  donné  cette  conviction, 
comme  à  tous  ceux  qui  suivent  sa  claire  lumière,  abso- 
lument comme  les  sages  l'ont  rappelé  ''^  disant  que  nous 
n'étions  pas  nés  uniquement  pour  nous-mêmes,  mais 
aussi,  en  partie,  pour  servir  notre  pays,  nos  parents, 
nos  amis  et  nos  voisins.  Aussi  les  vertus  existent-elles 
en  nous  naturellement,  vertus  dont  l'effet  est  d'être 
bon  envers  les  autres  ;  agir  ainsi,  c'est  montrer  l'image 
de  Dieu  et  de  l'homme  ^,  dont  la  caractéristique  est 
d'être  bon  pour  les  autres  et  de  répandre  sa  bonté  tout 
autour  de  lui,  comme  ne  le  font  point  les  avares  ou  les 
envieux.  D'autres  hommes,  qui  ne  ressemblent  en  rien 
à  cette  image  divine,  ne  recherchent  pas  le  bénéfice 
commun,  mais  seulement  leur  propre  conservation  et 
celle  de  leur  propre  famille.  Aussi  si  nous  prétendons 
être  jugés,  non  pas  comme  ces  derniers,  êtres  très  vils, 
mais  comme  proches  de  Dieu,  c'est-à-dire  comme  étant 
très  bons,  cherchons  à  faire  du  bien  aux  autres,  cher- 
chons à  ne  pas  préférer  le  bien-être  de  cette  carcasse 
(semblable  aux  bêtes  sauvages),  mais  à  préférer  au 
contraire  les  vertus  de  l'esprit,  ce  par  quoi  nous  serons 
semblables  à   Dieu  lui-même   [Fol.S.V^]. 

[12]  Le  Fermier.  —  Aussi  (dit  le  Fermier),  pour 
toutes  vos  peines  (signifiant  par  là  les  miennes)  et  pour 
les  nôtres  je  souhaite  que  vous  n'ayez  jamais  plus  mau- 
vaise «  Commission  »  à  remplir  que  celle  d'à  présent. 
Jamais  nous  n'avons  perdu  plus  de  jours  de  travail  que 
par  celle-ci. 

Le  Chevalier.  —  Pourquoi  donc  ? 

Le  Fermier.  —  Mon  Dieu,  par  ce  que  ces  clôtures 
sont  notre  mort  à  tous,  parce  qu'elles  nous  font  payer 
plus  cher  la  terre  que  nous  cultivons  et  font  que,  pour 
notre  argent,  nous  ne  pouvons  plus  avoir  de  terre  à 
labourer.  Tout  est  pris  par  le  pâturage,  pâture  pour 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  41 

moutons  ou  pour  gros  bétail,  et  cela  dans  une  telle  pro- 
portion que  je  connais  dans  un  rayon  de  six  miles  autour 
de  ma  demeure  une  douzaine  de  charrues  qui  ont  été 
abandonnées  au  cours  de  ces  sept  dernières  années  «. 
Là  où  trois  douzaines  de  personnes  et  même  davantage  ^ 
gagnaient  leur  vie,  à  présent  un  seul  homme  avec  ses 
troupeaux  ^  possède  tout  ^.  Ce  n'est  pas  là  la  raison  la 
moins  importante  des  émeutes  passées  ^  :  à  cause  de  ces 
clôtures,  beaucoup  ne  peuvent  plus  gagner  leur  vie  et  se 
trouvent  sans  occupation  ;  aussi  la  nécessité  les  fait-elle 
désirer  ardamment  un  changement  ;  ils  espèrent  en  venir 
par  là  à  quelque  chose  de  meilleur,  bien  assurés  que, 
quoiqu'il  advienne,  leur  état  ne  pourrait  être  plus  mau- 
vais qu'auparavant.  De  plus,  tout  est  si  cher  qu'ils  ne 
peuvent  vivre  de  leur  salaire  journalier. 

[13]  Le  Bonnetier.  —  Je  possède  moi-même  pas 
mal  d'expérience  sur  ce  sujet,  car  j'ai  été  obligé  de  donner 
à  mes  ouvriers  deux  pence  de  plus  par  jour,  que  je  n'avais 
coutume  de  le  faire  et  encore  me  disent-ils  qu'ils  ne 
peuvent  pas  vivre  suffisamment  de  ce  salaire  ^^.  Je  sais 
pertinemment  que  le  plus  économe  d'entre  eux  ne  peut 
mettre  de  côté  que  fort  peu  de  chose  à  la  fm  de  l'année. 
A  cause  de  cette  cherté  dont  vous  parlez,  nous  autres 
artisans,  nous  ne  pouvons  conserver  que  fort  peu  d'ap- 
prentis et  parfois  même  aucun  comme  nous  aimerions 
le  faire.  C'est  la  raison  pour  laquelle  les  villes  ^  qui  étaient 
autrefois  riches  et  peuplées  sont  aujourd'hui  (comme  vous 
le  savez  tous),  tombées  dans  une  grande  pauvreté  et 
désolation  par  suite  du  manque  d'habitants. 


^)  L.  :  deux  dernières  années. 
^)  L.  &  B.  :  quarante  personnes. 
^)  L.  &  B.  :  un  homme  et  son  berger. 
'^J  passées  manque  dans  L.  et  dans  B. 
^)  L.  &  B.  :  cette  ville. 


42  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA   MONNAIE 

[14]  Le  Marchand.  —  C'est  le  cas  de  la  plupart  des 
villes  d'Angleterre,  Londres  [Fol.4.Ro]  seule  exceptée  ;  il 
n'y  a  pas  que  les  bonnes  villes  qui  soient  ainsi  ruinées 
dans  leurs  maisons,  dans  leurs  murs  <*,  dans  leurs  rues  et 
autres  bâtiments,  les  campagnes  le  sont  également  dans 
leurs  routes  et  dans  leurs  ponts  ^^.  Une  telle  pauvreté 
règne  partout  que  bien  peu  d'hommes  peuvent  épargner 
suffisamment  pour  donner  quelque  chose  pour  la  répa- 
ration de  ces  chemins,  de  ces  ponts  et  des  autres  édifices 
communs. 

[15]  Bien  que  beaucoup  de  choses  qui  étaient  autre- 
fois l'occasion  de  grandes  dépenses,  telles  que  les  Jeux 
de  Mai,  les  fêtes  et  les  carrousels,  les  paris  lors  des  chasses, 
des  luttes,  des  courses  et  du  lancement  du  poids  ou  de  la 
barre,  et,  de  plus,  les  pardons,  les  pèlerinages  et  les 
offrandes  ^,  et  bien  d'autres  encore  aient  été  supprimées, 
je  ne  vois  pas  cependant  que  nous  en  soyons  plus  riches  : 
nous  en  sommes  plutôt  plus  pauvres. 

[16]  D'où  provient  cette  pauvreté,  je  ne  saurais  le 
dire  étant  donné  renchérissement  de  tout,  enchérisse- 
ment  comme  il  n'y  en  avait  jamais  eu  pendant  quelques 
vingt  ou  trente  ans  ^  et  affectant  non  seulement  les 
choses  produites  en  ce  Royaume,  mais  encore  toutes  les 
autres  marchandises  que  nous  achetons  outre-mer,  telles 
que  les  soies,  les  vins,  les  huiles,  le  bois,  la  garance,  le 
fer,  l'acier,  la  cire,  les  textiles,  les  toiles  de  lin  et  de  coton, 
les  tissus  de  laine,  les  couvertures,  les  tapis,  les  voitures, 
les  tapisseries,  les  épices  etc.  Et  il  en  est  de  même  de 
tous  les  objets  manufacturés,  comme  le  papier,  blanc  ou 


«j  dans  les  murs  manque  dans  L. 

^)  L.  &  B.  :  représentations  théâtrales. 

<^j  L.  &  B.  :  tel  que  je  n'en  avais  jamais  vu. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  43 

brun,  les  verres  (que  ce  soient  des  verres  pour  boire, 
des  miroirs  ou  du  verre  pour  fenêtres),  les  épingles,  les 
aiguilles,  les  couteaux,  les  poignards,  les  chapeaux,  les 
manteaux,  les  broches,  les  boutons  et  les  rubans. 

[17]  Je  sais  bien  que  toutes  ces  choses  coûtent  aujour- 
d'hui un  tiers  de  plus  qu'elles  ne  coûtaient  il  y  a  quelques 
années  "  ^^  ;  je  sais  bien  que  toutes  les  victuailles  sont 
aussi  chères  ou  même  encore  plus  chères,  et  la  cause  n'en 
est  pas,  ce  me  semble,  dans  ces  marchandises  elles-mêmes, 
car  je  n'ai  jamais  vu  une  telle  abondance  de  céréales, 
de  foin  et  de  bestiaux  de  tous  genres  telle  que  celle  que 
nous  avons  à  présent  et  que  nous  avons  eu,  vous  le  savez, 
durant  ces  vingt  dernières  années  *,  Dieu  en  soit  loué  1 
Si  les  clôtures  en  étaient  la  cause,  ou  tout  autre  raison,  ce 
serait  dommage,  mais  on  pourrait  les  supprimer. 

[18]  Le  Chevalier.  —  Du  moment  que  vous  avez 
une  grande  abondance  de  toutes  choses,  de  grains  et  de 
bétail  [F0I.4.V0]  comme  vous  le  dites,  il  ne  semble  pas 
que  cette  cherté  provienne  des  clôtures,  car  elle  n'est 
pas  le  fait  de  la  rareté  des  céréales  ;  celles-ci  sont  abon- 
dantes et  l'ont  été  continuellement  ces  années  passées, 
Dieu  en  soit  loué  !  Cette  cherté  ne  peut  également  pro- 
venir de  la  rareté  du  bétail,  car  c'est  le  système  des 
clôtures  qui  en  nourrit  le  plus. 

[19]  Je  constate  cependant  qu'il  existe  une  cherté 
extraordinaire  de  toutes  choses  et  que  tous  ceux  de  mon 
rang  et  moi-même  sommes  ceux  qui  en  soufîront  le  plus, 
nous  qui  n'avons  rien  à  vendre,  qui  ne  possédons  aucune 
occupation  pour  vivre,  qui  n'avons  que  nos  terres.  Car 
vous  trois,  je  veux  dire,  vous  mon  voisin  le  Fermier, 


^)  L.  &  B.  :  il  y  a  sept  ans. 

^)  L.   &  B.  :  trois  dernières  années. 


44  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

VOUS,  maître  Mercier  «  et  vous  mon  bon  Bonnetier  avec 
les  autres  artisans,  vous  pouvez  fort  bien  vous  défendre  : 
vous  élevez  le  prix  de  ce  que  vous  vendez  dans  la  mesure 
où  se  sont  élevés  les  prix  des  autres  choses.  Mais  nous, 
nous  n'avons  rien  à  vendre  dont  nous  puissions  élever  le 
prix  pour  contrebalancer  les  choses  que  nous  sommes 
obligés  d'acheter. 

[20]  Le  Fermier.  —  Si  fait  :  vous  haussez  le  prix  de 
vos  terres  et  vous  prenez  également  en  main  fermes  et 
pâturages,  là  où  devraient  vivre  de  pauvres  gens  comme 
moi,  et  vous  ne  vivez  plus  seulement  du  produit  de  vos 
terres  ^. 

[21]  Le  Marchand  (et  le  Bonnetier).  —  Sur  mon 
âme,  vous  dites  vrai,  s'exclama  le  Marchand,  et  le  Bon- 
netier dit  de  même,  ajoutant  que  la  situation  des  pauvres 
artisans  n'était  pas  bonne  depuis  que  les  gentilhommes  se 
faisaient  éleveurs.  Caries  artisans  ne  peuvent  plus  aujour- 
d'hui, ajouta-t-il,  se  procurer  de  la  boisson  et  de  la 
nourriture  pour  leurs  apprentis  et  leurs  domestiques, 
sans  qu'il  leur  en  coûtât  le  double  d'autrefois.  Beaucoup 
de  ceux  de  mon  état  et  d'autres  artisans  seraient  autre- 
fois morts  riches  et  auraient  été  à  même  de  laisser  hon- 
nêtement de  quoi  vivre  à  leur  femme  et  à  leurs  enfants  ; 
en  plus  de  cela,  ils  laissaient  de  l'argent  pour  quel- 
qu'œuvre  utile,  telle  que  la  réparation  d'un  chemin  ou 
la  construction  d'un  pont,  choses  qui  maintenant  tom- 
bent partout  en  ruines.  Quelques  uns  achetaient  égale- 
ment des  terres,  ce  qui  aidait  les  débutants  pauvres, 
[F0I.5.R0]  et  même,  à  un  certain  moment,  ils  ont  eu  tant 
de  superflu  qu'ils  pouvaient  en  laisser  une  partie  pour 


^)  h.  :  maître  Marchand. 

^)  L.  &  B.  :  vous  devriez  vivre  seulement. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  45 

l'entretien  d'un  prêtre  ou  comme  fondation  dans  une 
église  ^^. 

[22]  Aujourd'hui,  par  contre,  nous  avons  à  peine  le 
moyen  de  vivre  sans  nous  endetter,  en  ne  conservant  que 
peu  ou  pas  de  domestiques,  à  l'exception  d'un  ou  deux 
apprentis.  Aussi  les  ouvriers,  qu'ils  soient  de  notre  corps 
de  métier,  de  celui  des  tisserands  ou  d'un  autre,  étant 
forcés  de  rester  sans  travail,  forment-ils  le  plus  fort 
contingent  de  ces  rudes  personnes,  faiseuses  d'émeutes, 
pour  le  plus  grand  trouble,  non  seulement  de  S.  M.  la 
Reine  «,  mais  encore  de  tout  son  peuple  ^^.  Gomme  vous 
le  savez,  que  peut-on  prendre  là  où  il  n'y  a  rien  ^^  ^^  ? 

[23]  Le  Marchand.  — -  Cela  est  vrai,  mais  vous 
connaissez  les  actes  dignes  d'éloges  que  des  hommes  de 
ma  corporation  ont  accomplis  en  cette  cité  ;  vous  connais- 
sez l'hôpital  qui  se  trouve  à  l'extrémité  de  la  ville  et  où 
les  malheureux  sont  soignés  :  il  fut  fondé  il  n'y  a  pas 
longtemps  par  un  membre  de  ma  corporation,  qui  s'ima- 
ginait par  là  stimuler  la  prospérité  de  la  ville,  alors  en 
décadence  ^  ;  et  malgré  cela,  la  décadence  s'est  affirmée 
chaque  jour  de  plus  en  plus  et  je  ne  saurais  dire  si  elle  se 
prolongera  plus  longtemps. 

[24]  Le  Chevalier.  —  Je  sais  qu'il  est  exact  que 
vous  ne  vous  plaignez  pas  sans  cause,  mais  il  est  hors  de 
doute  que  mes  pareils  et  moi,  je  veux  dire  tous  les  gen- 
tilshommes, ont  encore  beaucoup  plus  de  raisons  de  se 


«;  L.  &  B.  :  le  Roi. 

^)  L.  &  B.  :  ...  membre  de  ma  corporation  ;  quant  à 
l'octroi  de  cette  ville,  vous  savez  comment  il  fut  der- 
nièrement rédimé  par  mon  beau-père,  qui  s'imaginait 
par  là... 


46  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

plaindre  qu'aucun  d'entre  vous.  Comme  les  prix  ont, 
ainsi  que  je  l'ai  dit,  monté  partout  et  dans  d'énormes 
proportions,  vous  pouvez  plus  facilement  vivre  selon 
votre  rang  qu'il  ne  nous  est  possible  de  le  faire,  car  vous 
pouvez  hausser  le  prix  de  vos  produits  (et  vous  le  faites) 
dans  la  mesure  où  montent  les  prix  des  victuailles  et  de 
tout  ce  qui  est  nécessaire.  Quant  à  nous,  nous  ne  pouvons 
en  faire  autant,  car,  s'il  est  vrai  que  pour  une  partie  de 
mes  terres  (celles  qui  proviennent  d'achats  ou  celles  dont 
les  baux,  accordés  par  mes  ancêtres  ou  par  moi  vien- 
nent à  expiration)  s'il  est  vrai  que,  pour  cette  partie,  je 
touche  une  rente  plus  élevée  qu'autrefois  ou  que  j'élève 
le  loyer  (forcé  de  le  faire  par  suite  des  plus  grandes 
dépenses  de  ma  maison),  je  ne  pense  pas  cependant  que, 
dans  le  cours  de  ma  [Fol.5.Vo]  vie,  plus  d'un  tiers  de 
mes  terres  soit  ainsi  à  ma  disposition  de  telle  sorte  que 
j'en  puisse  élever  la  location  ;  pour  tout  le  reste,  par  suite 
des  baux  et  des  concessions  accordés  avant  moi  et  qui 
sont  encore  en  cours,  les  choses  en  resteront  là  pendant 
la  plus  grande  part  de  ma  vie  et  peut-être  de  celle  de  mes 
fils. 

[25]  Aussi,  comme  nous  ne  pouvons  élever  le  prix 
de  nos  produits,  comme  vous  en  avez  la  possibilité  et 
comme  il  me  semble  que  ce  serait  justice,  et  parce  que 
nous  ne  le  pouvons  pas,  là  est  la  raison  pour  laquelle 
beaucoup  d'entre  nous,  comme  vous  le  savez,  ont  été 
obligés  d'abandonner  leurs  propriétés  et  de  se  réfugier 
dans  une  simple  chambre  à  Londres  ou  d'aller  à  la  Cour 
sans  y  être  appelés,  ayant  seulement  avec  eux  un  domes- 
tique et  un  laquais,  alors  qu'autrefois  ils  avaient  chez 
eux  une  demi-douzaine  de  domestiques  et  de  vingt  à 
vingt-cinq  "  autres  personnes  chaque  jour  de  la  semaine. 


9  L.  :  trente  personnes. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN.,.  47 

Parmi  ceux  d'entre  nous  qui  habitent  encore  la  campagne, 
ils  ne  peuvent  avec  deux  cents  livres  sterling  de  revenu 
avoir  un  train  de  maison  comparable  à  celui  que  nous 
aurions  pu  avoir  avec  deux  cents  marcs  il  y  a  seulement 
seize  ans. 

[26]  Aussi  sommes-nous  forcés,  ou  bien  de  diminuer 
nos  dépenses  d'un  tiers,  ou  bien  d'augmenter  d'un  tiers 
nos  revenus,  et  comme  nous  ne  pouvons  augmenter  le 
revenu  de  nos  terres  louées,  beaucoup  d'entre  nous  sont- 
ils  obligés  de  conserver  quelques  pièces  de  leurs  propres 
terres  quand  elles  tombent  à  leur  disposition  ou  d'acheter 
quelqu'autre  ferme  et  d'y  élever  des  moutons  ou  du 
bétail,  pour  parer  ainsi  à  la  baisse  de  nos  revenus  et 
encore  n'est-ce  là  que  bien  peu  de  chose. 

[27]  Le  Fermier.  —  Certes  ces  moutons  sont  la 
cause  de  tous  ces  malheurs,  car  ils  ont  chassé  les  fermiers 
de  la  campagne,  faisant  ainsi  monter  le  prix  de  toutes 
les  denrées  alimentaires.  Partout  maintenant,  il  n'y  a  que 
des  moutons  et  des  moutons  ;  il  serait  bien  préférable 
qu'il  y  ait  sur  la  même  terre  non  seulement  des  moutons, 
mais  aussi  des  vaches,  des  agneaux,  des  porcs,  des  oies, 
de  la  volaille,  des  œufs,  du  beurre  et  du  fromage,  et,  en 
même  temps,  du  froment  et  de  l'orge. 

[28]  Le  Docteur.  —  A  ce  moment  le  Docteur,  qui 
pendant  tout  [Fol.ô.R^]  ce  temps  là  avait  réfléchi 
appuyé  sur  son  coude,  se  redressa  et  dit  :  vous  me  prou- 
vez tous  trois  que  vous  avez  tous  «  de  justes  raisons  de 
vous  plaindre. 

Le  Bonnetier.  —  En  vérité,  il  en  est  ainsi  ;  il  n'y  a 


^)  L.  &  B.  :  que  nous  avons  tous. 


k 


48  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

que  vous  autres,  gens  d'Église,  qui  ne  travaillez  pas  pour 
gagner  votre  vie  et  en  avez  cependant  assez  pour  vivre  «. 

[29]  Le  Docteur.  —  Vous  dites  vrai,  nous  avons 
moins  de  raisons  de  nous  plaindre.  Cependant,  vous  le 
savez  bien,  nous  ne  sommes  pas  aussi  riches  que  nous 
l'avons  été  :  les  premiers  fruits  et  les  dimes  sont  prélevés 
sur  nos  rentes.  Avec  le  reste,  toutefois,  nous  pourrions 
vivre  assez  bien,  si  nous  avions  la  paix  de  l'esprit  et  de  la 
conscience.  Bien  que  nous  ne  travaillions  point,  comme 
vous  le  faites  remarquer,  manuellement,  nous  travaillons 
cependant  avec  nos  cerveaux,  que  nous  fatiguons  ainsi 
davantage  que  nous  ne  le  ferions  par  n'importe  quel 
exercice  corporel  ;  il  nous  est  facile  de  nous  rendre 
compte,  par  notre  mine,  combien  nous  sommes  pâles 
et  combien  nos  corps  sont  rendus  faibles  et  maladifs 
par  le  manque  d'exercice  corporel  ^^. 

[30]  Le  Bonnetier.  —  Si  je  faisais  partie  du  conseil 
de  la  Reine  ^,  je  vous  procurerais  un  remède,  de  telle 
sorte  que  vous  n'attrapiez  plus  de  maladies  par  suite  du 
défaut  d'exercice.  Je  vous  mettrais  à  la  charrue  et  à  la 
charrette,  car  vous  ne  procurez  aucun  bien  par  vos 
études,  mais,  au  contraire,  vous  faites  les  gens  se  que- 
reller, les  uns  avec  cette  opinion,  les  autres  avec  cette 
autre  opinion,  les  uns  pensant  de  cette  façon,  les  autres 
de  cette  autre,  et  ils  appliquent  leur  façon  de  voir  avec 
autant  d'âpreté  que  si  la  vérité  se  trouvait  sûrement 
dans  ce  qu'ils  affirment.  Ces  discussions  ne  sont  point 
la  moindre  cause  des  révoltes  récentes  du  peuple  '^,  les 


^)  L.  &  B.  :  ajoutent  ici  :  et  qui  n'avez  pas,  comme 
nous,  des  charges  dans  vos  mains. 
^)  L.  &  B.  :  du  Roi. 
'^J  le  mot  récentes  manque  dans  L  et  dans  B. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  49 

uns  tenant  pour  une  opinion,  les  autres  pour  une  autre. 
A  mon  avis,  il  n'y  a  aucune  importance  à  ce  que  nous 
possédions  ou  non  des  hommes  instruits  et  savants. 

[31]  Le  Chevalier.  —  A  Dieu  ne  plaise  qu'il  en  soit 
ainsi,  voisin  !  Gomment  le  Prince  aurait-il  alors  des 
conseillers  ?  Gomment  la  religion  chrétienne  nous  serait- 
elle  enseignée  ?  Gomment  connaitrions-nous  l'état  des 
autres  royaumes  et  comment  nous  serait-il  possible  de 
communiquer  avec  les  étrangers,  si  ce  n'est  par  l'ins- 
truction et  par  le  bénéfice  des  lettres  ? 

Le  Docteur.  —  Soyez  sans  crainte  là  dessus,  ami  bon- 
netier :  nous  n'aurons  bientôt  plus  beaucoup  d'hommes 
instruits,  si  les  circonstances  ne  changent  point. 

Le  Bonnetier.  —  Je  ne  veux  pas  dire  par  là  que  je 
ne  voudrais  plus  d'hommes  qui  apprennent  à  lire  et  à 
écrire,  qui  sachent  les  langues  employées  dans  les  pays 
voisins,  de  sorte  que  nous  puissions  communiquer  avec 
les  étrangers  et  eux  avec  nous  ;  c'est  de  même  une  bonne 
chose  que  de  [F0I.6.V0]  pouvoir  lire  les  Écritures  Saintes 
en  notre  langue  maternelle.  Mais  quant  à  vos  prédi- 
cations (excepté  si  vous  vous  entendiez  mieux  entre 
vous),  cela  ne  fait  rien  que  nous  n'en  ayons  que  fort 
peu,  car  de  leurs  divergences  vient  la  divergence  des 
opinions. 

[32]  Le  Docteur.  —  Vous  ne  vous  souciez  alors 
d'aucune  autre  science  que  de  la  connaissance  des  lan- 
gues, de  l'écriture  et  de  la  lecture.  Vous  semblez  bien 
d'ailleurs  en  cela  n'être  pas  aujourd'hui  le  seul  de  cette 
opinion,  car  lorsque  les  gens  envoient  leurs  fils  à  l'Uni- 
versité, ils  ne  souffrent  pas  que  ceux-ci  y  demeurent 
dès  qu'ils  ont  une  infime  connaissance  de  latin  :  ils  les 
retirent  alors  de  l'Université,  les  placent  comme  clerc 
chez  un  homme  de  loi  quelconque,  comme  secrétaire 
chez  quelque  célébrité  et  leur  font  ainsi  gagner  leur  vie. 

LE   BRANCHU  II  4 


50  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

De  telle  sorte  que  les  Universités  sont,  en  quelque  sorte, 
vides,  et  je  crois  que  ce  sera  là  la  raison  pour  laquelle 
ce  royaume  se  trouvera  bientôt  dépourvu  de  sages  poli- 
tiques et  le  pays  sera,  à  la  fin,  sujet  d'autres  nations  où 
nous  avons  auparavant  fait  la  loi. 

Le  Chevalier.  —  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  autres 
gentilshommes  ne  parvenions  point,  par  notre  conduite 
à  la  guerre,  à  vous  empêcher  de  devenir  sujets  d'une 
autre  nation  !  La  bravoure  des  cœurs  anglais  ne  le  souf- 
frirait jamais,  quand  bien  même  il  n'y  aurait  plus  du  tout 
de  savants  dans  ce  royaume. 

[33]  Le  Docteur.  —  Un  empire  ou  un  royaume 
n'est  pas  tant  conquis  et  conservé  par  la  bravoure  ou 
la  force  de  ses  hommes  de  guerre  que  par  la  sagesse  ou 
la  bonne  politique  de  ses  hommes  de  loi.  Nous  voyons 
que,  dans  tous  les  genres  de  gouvernement,  les  gens  les 
plus  sages  ont,  pour  la  plus  grande  part,  la  souveraineté 
sur  les  ignorants  :  dans  chaque  foyer,  le  plus  habile,  dans 
chaque  cité  le  plus  sage  et  le  meilleur  politique,  dans 
chaque  royaume  le  plus  savant  sont  généralement  placés 
pour  gouverner  le  reste.  Parmi  toutes  les  nations  du 
monde,  celles  qui  sont  instruites  et  civilisées  ont  la  haute 
main  sur  les  autres,  quoique  leurs  forces  soient  inférieures 
à  celles  de  ces  dernières. 

[34]  Les  empires  des  Grecs  et  des  Romains  [Fol.7.Ro] 
en  sont  la  preuve,  car,  chez  eux,  la  sagesse  et  le  savoir 
étaient  des  plus  estimés  et  ces  empires  furent  plus  éten- 
dus et  durèrent  plus  longtemps  que  les  autres.  Et  pour- 
quoi trouveriez-vous  étrange  que  vous  puissiez  être 
vaincus  comme  d'autres  habitants  de  ce  royaume  le 
furent  avant  vous  et  qui  se  considéraient  comme  aussi 
braves  que  vous  :  comme  les  Saxons  furent  battus  par 
les  Normands,  avant  eux  les  Romains  par  les  Saxons 
et,  au  début,  les  Bretons  par  les  Romains  ? 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  51 

Le  Chevalier.  —  Il  peut  y  avoir  suffisamment 
d'hommes  capables  bien  que  sans  grand  savoir.  J'en  ai 
connu  plusieurs,  tout  à  fait  sagaces  et  habiles,  qui  ne 
savaient  même  pas  lire,  et,  au  contraire,  j'ai  connu  beau- 
coup d'autres  hommes  très  savants  qui  étaient  de  véri- 
tables idiots  en  ce  qui  concernait  toute  affaire  leur 
advenant. 

[35]  Le  Docteur.  —  Je  ne  le  nie  point,  mais  j'af- 
firme que  si  des  hommes  aussi  sages  que  ceux  dont  vous 
parlez  avaient  eu  de  l'instruction,  ils  auraient  été  encore 
bien  supérieurs  ;  quant  aux  autres,  que  vous  appelez 
simples,  sans  instruction  ils  eussent  été  des  sots.  Quelque 
soit  le  temps  pendant  lequel  il  s'y  adonne,  l'exercice  de 
la  guerre  ne  rend  pas  chaque  homme  digne  d'être  capi- 
taine ;  il  n'y  a  en  pas  non  plus,  si  apte  soit-il  à  la  guerre, 
qui  ne  soit  rendu  encore  plus  apte  par  l'exercice  de  celle- 
ci  ;  qu'est-ce  donc  qui  rend  les  vieillards  généralement 
plus  sages  que  les  jeunes,  si  ce  n'est  leur  plus  grande 
expérience  ? 

Le  Chevalier.  —  Oui,  l'expérience  est  une  grande 
utilité  pour  l'esprit  de  l'homme,  je  le  confesse.  Mais  que 
vient  faire  ici  l'instruction  ? 

[36]  Le  Docteur.  —  Si  vous  admettez  que  l'expé- 
rience est  une  aide,  je  ne  doute  point  que  vous  n'admet- 
tiez également  que  l'instruction  ne  soit  une  grande  aide 
pour  le  développement  de  la  sagesse.  Pour  mettre  la  dis- 
cussion sur  un  terrain  solide,  disons  que  l'expérience 
et  la  mémoire  engendrent  la  sagesse,  sont  un  peu  comme 
les  parents  de  celle-ci,  car  c'est  en  vain  que  l'on  acquer- 
rait de  l'expérience  si  celle-ci  n'était  pas  conservée  par 
la  mémoire.  Aussi,  si  je  puis  vous  prouver  qu'à  la  fois 
l'expérience  [Fol.7.Vo]  et  la  mémoire  sont  développées 
par  le  savoir,  vous  devrez  alors  me  concéder  que  l'ins- 
truction aide  également  l'esprit  et  l'augmente. 


52  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[37]  Vous  admettez  que  rexpérience  d'un  vieillard 
le  rend  plus  sage  qu'un  jeune  homme  parce  qu'il  a  vu 
plus  de  choses  que  ce  dernier.  Mais  le  vieillard  n'a  été 
témoin  que  des  faits  qui  se  sont  produits  durant  sa  propre 
existence,  et  l'homme  instruit,  tout  au  contraire,  ne 
possède  pas  seulement  l'expérience  de  son  époque,  mais 
aussi  celle  qu'ont  acquis  un  grand  nombre  de  ses  pré- 
décesseurs, en  vérité,  depuis  que  le  monde  a  commencé. 
Aussi  a-t-il  nécessairement  plus  d'expérience  que  le 
vieillard  illettré,  de  quelque  grand  âge  qu'il  puisse  être. 
Ensuite,  un  si  grand  nombre  de  faits  «  qu'il  sait  s'être 
produits  dans  tous  les  temps  ne  pourraient  être  bien 
retenus  par  aucun  homme,  s'ils  n'étaient  conservés  par 
l'écriture.  Si  l'homme  illettré  a  oublié  une  seule  fois  la 
chose  dont  il  a  été  témoin,  il  ne  s'en  souviendra  jamais 
plus,  tandis  que  l'homme  instruit  possède  son  livre  pour 
lui  rappeler  les  faits  qu'il  oublierait  sans  cela.  Aussi, 
de  même  que  celui  qui  a  vécu  cent  ans  a  nécessairement 
plus  d'expérience  que  celui  qui  a  vécu  seulement  cin- 
quante ans,  de  même  celui  qui  a  devant  lui  l'histoire 
du  monde  comme  si  elle  était  écrite  devant  lui  sur  une 
table  relatant  les  choses  arrivées  depuis  un  milliers 
d'années  possède  une  plus  grande  expérience  que  celui 
qui  n'a  vécu  qu'un  siècle.  Comme  celui  qui  a  voyagé 
dans  de  nombreuses  contrées  a  plus  d'expérience  que 
celui  qui  n'a  jamais  quitté  son  pays  natal,  l'homme  ins- 
truit, se  rendant  compte  par  la  Cosmographie,  l'Histoire 
et  les  autres  sciences  des  usages  et  des  coutumes  de  cha- 
que peuple  (et  cela  de  beaucoup  plus  de  pays  qu'il  n'est 
possible  à  un  voyageur  de  visiter,  et,  d'autre  part,  il 
apprendra  beaucoup  plus  ainsi  que  par  un  court  séjour), 
cet  homme  instruit  possède  une  plus  large  expérience  que 
le  voyageur  illettré,  et,  par  conséquent,  davantage  de 


^)  L.  :  toutes  ces  causes. 


COMPENDIEUX   OU    BREF   EXAMEN...  53 

sagesse,  étant  par  ailleurs  équivalent  en  intelligence  et 
en  mémoire. 

[38]  J'en  viens  maintenant  aux  merveilleux  avan- 
tages que  nous  acquérons  par  l'instruction,  c'est-à-dire 
que  le  savoir  supplée  chez  l'homme  [Fol.S.R®]  à  la  plus 
grande  lacune  que  quelques  écrivains  ont  dit  exister 
dans  l'humanité,  à  savoir  la  brièveté  de  la  vie,  la  gros- 
sièreté et  la  lourdeur  de  notre  corps.  En  ce  qui  concerne 
la  brièveté  de  la  vie,  divers  animaux,  tels  que  le  cerf  et 
beaucoup  d'autres,  et,  pour  ce  qui  est  de  la  grossièreté 
de  notre  corps,  tous  les  oiseaux  semblent  bien  surpasser 
l'homme.  Mais  alors  qu'il  est  dénié  à  l'homme  de  vivre 
au  delà  d'un  siècle  ou  à  peu  près,  il  peut  en  réalité  vivre 
de  nombreuses  années,  deux  ou  trois  fois  plus,  par  l'avan- 
tage que  procure  l'instruction,  parce  qu'il  voit  dans  les 
livres  les  événements  et  les  faits  de  tous  les  temps.  En 
admettant  qu'il  eût  vécu  lui-même  pendant  tout  ce 
temps,  il  n'aurait  rien  eu  de  plus  pour  lui  que  cette 
expérience  des  choses  :  le  reste  n'aurait  été  que  du  tra- 
vail ;  il  possède  actuellement  la  même  expérience  au 
moyen  des  lettres,  sans  aucune  sorte  de  travail  et  sans 
les  dangers  auxquels  il  aurait  été  exposé  s'il  avait  vécu 
tout  ce  temps-là.  Quant  à  l'autre  point,  nous  qui  ne 
sommes  pas  aussi  agiles  ni  aussi  légers  que  les  oiseaux  et 
qui  ne  pouvons  converser  d'un  endroit  à  un  autre,  par 
l'instruction  nous  acquérons  les  même  avantages  que 
nous  aurions  par  ces  pérégrinations  si  nous  pouvions 
voler  d'un  pays  à  l'autre  comme  le  font  les  oiseaux  ;  et 
cet  avantage,  nous  l'obtenons  avec  moins  de  peine  et 
moins  de  danger.  Est-ce  que  nous  ne  pouvons  pas,  au 
moyen  de  la  Cosmographie,  nous  rendre  compte  de  la 
situation,  de  la  température  et  des  qualités  de  chaque 
pays  ?  Ne  pouvons-nous  pas  nous  en  rendre  compte  bien 
mieux  et  avec  moins  de  peine  que  s'il  nous  était  donné 
de  survoler  ces  pays  ?  Car  ce  que  beaucoup  ont  appris 


54  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

par  leurs  longs  voyage  et  avec  des  dangers  considérables, 
il  nous  est  donné  de  l'apprendre  avec  facilité  et  plaisir. 
Ne  pouvons-nous  point,  pas  l'Astronomie,  connaître  le 
mouvement  des  planètes,  leur  aspect  et  leurs  caractères 
avec  autant  de  certitude  que  si  nous  étions  au  milieu 
d'elles  ?  Sûrement,  nous  le  pouvons  :  car,  dites-moi, 
comment  les  savants  en  sont-ils  jusqu'à  présent  venus 
à  cette  exacte  et  parfaite  connaissance  ?  N'y  sont-ils 
pas  parvenus  par  l'observation  et  l'examen  des  faits  ? 
Ainsi  pouvons-nous  l'apprendre  par  leurs  propres  écrits  «. 
[Fol.S.V^]  Toutes  ces  connaissances,  nous  ne  pourrions 
jamais  les  obtenir  seulement  par  la  vue,  quand  bien 
même  nous  serions  aussi  léger  que  n'importe  quel  oiseau. 

[39]  Existe-t-il  quelque  chose  de  profitable  ou  de 
nécessaire  pour  la  conduite  de  l'homme  sur  cette  terre 
qu'on  ne  trouve  point  dans  l'instruction,  et  cela  d'une 
manière  plus  parfaite  et  plus  complète  qu'aucun  homme 
ne  pourrait  l'obtenir  par  l'expérience  de  chaque  jour  de 
son  existence  ?  Vous,  Sire  Chevalier  dans  l'art  de  la 
guerre,  vous  bon  Fermier,  dans  l'agriculture,  vous  n'êtes 
pas  tellement  parfaits  dans  ces  sciences  que  vous  ne 
puissiez  en  apprendre  beaucoup  de  points  que  votre 
expérience  ne  vous  a  pas  révélés,  si  exactement  ces 
sciences  sont-elles  enseignées  et  présentées  dans  les 
livres  ;  vous  les  trouveriez,  vous.  Sire  Chevalier,  dans 
l'ouvrage  de  Vigetius  ^i  et  vous,  bon  Fermier,  dans  celui 
de  Columella  ^2. 

Le  Chevalier.  —  Je  le  répète,  ne  pourrions-nous  pas 
avoir  cela  en  anglais  et  le  lire  bien  que  nous  n'ayons 
jamais  été  à  l'école? 

[40]  Le  Docteur.  —  Oui,  sans  doute  ;  et  pourtant 


«j  le  passage  sûrement  nous  le  pouvons...  propres 
écrits  est  une  addition  de  S. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  55 

sans  l'aide  d'autres  sciences,  vous  n'arriveriez  pas  à  la 
parfaite  compréhension  de  ces  livres  :  sans  l'arithméti- 
que qui  vous  aidera  à  disposer  et  à  ordonner  vos  hommes  ; 
sans  la  géométrie  qui  vous  permettra  de  dessiner  des 
ponts  et  des  engins  capables  de  venir  à  bout  des  villes  et 
des  forteresses.  C'est  en  quoi  César  surpassa  tous  les 
autres  capitaines,  à  cause  de  la  connaissance  qu'il  avait 
de  tout  cela,  et  il  accomplit  des  exploits  remarquables 
qu'un  homme  ignorant  n'aurait  jamais  pu  réaliser.  Et  si 
vous  faites  la  guerre  sur  mer,  comment  pourriez-vous 
savoir  vers  quelle  côte  vous  vous  dirigez  sans  la  connais- 
sance de  la  latitude  et  de  la  longitude  par  les  étoiles  ? 

[41]  Et  maintenant,  en  ce  qui  vous  concerne.  Fer- 
mier, pour  parfaire,  la  connaissance  de  l'agriculture, 
vous  avez  besoin  de  l'Astronomie  ;  il  faut  savoir  sous 
quelle  position  des  planètes  et  sous  quel  signe  du  zodia- 
que il  convient  de  labourer,  de  semer,  de  récolter,  de 
greffer,  de  couper  vos  fagots  ou  votre  bois  ;  cela  est  néces- 
saire pour  connaître  le  temps  probable,  pour  vous  occuper 
de  votre  grain  et  de  votre  foin,  pour  les  rentrer  et  rentrer 
votre  bétail  ;  cela  est  nécessaire  pour  apprendre  une 
partie  de  la  médecine,  appelée  art  vétérinaire,  [Fol.9.R°] 
par  laquelle  vous  pouvez  connaître  les  maladies  de  vos 
bêtes  et  les  guérir.  En  ce  qui  concerne  ensuite  l'arpentage 
exact  de  la  terre,  n'avez-vous  pas  besoin  de  quelques 
notions  de  géométrie  pour  être  un  parfait  fermier  ?  Pour 
ce  qui  est  des  bâtiments,  quel  est  le  charpentier  ou  le 
maçon,  si  expert  ou  habile  soit-il,  qui  ne  puisse  en  appren- 
dre davantage  par  la  lecture  de  Vitruvius  ^^  et  d'autres 
écrivains  de  l'architecture,  c'est-à-dire  la  science  du 
bâtiment. 

[42]  Si  l'on  passe  aux  sciences  de  la  logique  et  de  la 
rhétorique,  de  laquelle  de  ces  sciences,  dont  la  première 
traite  de  la  sélection  de  la  bonne  raison  des  fausses  et 


56  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

la  seconde  de  ce  qui  doit  être  appliqué  au  peuple  comme 
chose  profitable  et  utile,  de  laquelle  de  ces  sciences  un 
bon  et  parfait  conseiller  pourrait-il  se  passer  ?  Dites-moi 
donc  quel  conseil  pourrait  être  parfait,  quel  royaume 
pourrait  être  bien  gouverné  là  où  aucun  des  gouvernants 
et  des  conseillers  n'aurait  étudié  la  philosophie  ?  Spécia- 
lement cette  partie  de  la  philosophie  qui  s'occupe  des 
hommes  et  des  choses  (l'autre  partie  de  la  philosophie 
enseigne  la  science  naturelle  et  se  nomme  la  médecine 
et  je  ne  m'en  occupe  pas  pour  le  présent),  car  est-il  une 
partie  du  royaume  qui  soit  négligée  par  la  philosophie 
morale  ?  N'enseigne-t-elle  point  d'abord  comment  cha- 
que homme  devrait  se  gouverner  honnêtement  lui- 
même  ?  En  second  lieu,  elle  montre  comment  il  doit 
guider  sagement  sa  famille  et  d'une  façon  profitable  ;  et 
troisièmement,  elle  enseigne  comment  une  cité,  un 
royaume  ou  tout  autre  communauté  devrait  être  bien 
ordonné  et  gouverné  en  temps  de  paix  comme  en  temps 
de  guerre.  Quel  état  pourrait  exister  sans  un  souverain 
ou  des  conseillers  experts  en  ce  genre  de  science  ?  Ceci 
confirme  le  point  dont  nous  discutons  actuellement  :  si 
des  gens  experts  en  cette  science  étaient  consultés  et 
suivis,  l'Etat  serait  ordonné  de  telle  sorte  que  bien  peu 
auraient  des  raisons  de  se  plaindre.  Aussi  Platon,  ce 
divin  philosophe,  dit-il  qu'un  état  est  heureux  où  le 
Prince  est  un  philosophe  ou  bien  où  un  philosophe  est 
le  souverain. 

[43]  Le  Chevalier.  —  J'ai  tout  d'abord  pensé  qu'il 
n'existait  pas  d'autre  savoir  [Fol.9.Vo]  dans  le  monde 
en  dehors  de  celui  que  possèdent  ces  hommes  qui  sont 
ou  docteurs  en  théologie  ou  docteurs  en  droit  ou  docteurs 
en  médecine  ;  car  le  premier  est  un  habile  prêcheur,  le 
second  connaît  des  choses  intellectuelles  et  le  troisième 
est  expert  en  médecine  et  dans  l'art  d'examiner  l'urine 
des  gens  malades.  Et  vous  me  parlez  maintenant  de 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  57 

nombreuses  autres  sciences  indispensables  à  chaque 
royaume  et  dont  je  n'ai  jamais  rien  ouï  dire  auparavant. 
Mais,  ou  bien  il  n'y  a  que  bien  peu  de  savants  qui  les 
connaissent  véritablement,  ou  bien  ils  ne  font  montre 
que  d'une  faible  partie  de  leur  savoir. 

[44]  Le  Docteur.  —  En  vérité,  il  n'y  a  que  bien 
peu  aujourd'hui  qui  connaissent  à  fond  ces  sciences  et 
il  y  en  a  encore  moins  qui  soient  estimés  davantage  pour 
leur  savoir  et  appelés  à  donner  leurs  conseils.  Aussi,  les 
autres,  s'apercevant  que  ces  sciences  ne  sont  ni  estimées, 
ni  profitables,  se  contentent-ils  de  celles  où  ils  voient 
quelque  valeur  pratique,  telles  que  la  théologie,  la  loi 
ou  la  médecine,  bien  qu'ils  ne  peuvent  y  exceller  sans  le 
secours  des  sciences  dont  nous  avons  parlé.  C'est  pour 
cette  raison  que  les  Universités  exigent  que  l'on  soit 
bachelier  et  maître-es-arts  avant  d'aborder  l'étude  de  la 
théologie  ;  ces  arts  sont  les  sept  sciences  libérales  :  la 
grammaire,  la  logique,  la  rhétorique,  l'arithmétique,  la 
géométrie,  la  musique  et  l'astronomie. 

[45]  Et  maintenant,  les  étudiants  ne  s'en  occupent 
que  fort  peu  :  ils  s'adonnent  à  l'étude  de  la  théologie 
avant  d'avoir  acquis  du  jugement  par  ces  dites  sciences, 
ce  qui  les  fait  tomber  dans  toutes  ces  diversités  d'opi- 
nions auxquelles  vous  faisiez  allusion.  Tous  les  débutants,, 
en  n'importe  quelle  science,  sont  trop  pressés  de  juger 
des  choses  (car  c'est  l'expérience  qui  instruit  les  hommes) 
et.  une  fois  leur  opinion  exprimée,  ils  ne  veulent  rien 
entendre  de  ce  qui  est  contraire  à  cette  opinion  :  ou  bien 
ils  interprètent  cette  contradiction  suivant  leur  propre 
fantaisie,  ou  bien  ils  lui  dénient  toute  valeur. 

[46]  Pythagore,  aux  disciples  qui  venaient  étudier 
ses   sciences   profanes,   imposait  le   silence   pour  sept 


58  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

années  ",  pour  que,  pendant  tout  ce  temps,  ils  ne  se 
mêlent  que  d'écouter  et  non  point  de  raisonner.  Et 
[Fol.lO.Ro]  de  nos  jours,  en  ce  qui  concerne  la  théologie, 
on  souffrira  qu'un  étudiant  qui  n'a  pas  lu  l'Écriture 
pendant  plus  de  six  mois,  non  seulement  raisonne  et 
s'enquière  des  choses  (ce  qui  serait  toi  érable),  mais  on 
lui  permettra  d'affirmer  de  nouvelles  et  bizarres  inter- 
prétations de  ces  mêmes  faits,  interprétations  dont  on 
n'a  jamais  ouï  auparavant.  Comment  venir  à  bout  de 
ces  divergences  tant  qu'on  souffrira  cela  ? 

[47]  Platon  interdisait  à  tout  homme  ignorant  la 
géométrie  d'entrer  en  son  école  ^^  et,  dans  cette  haute 
école  de  théologie  ^^,  on  permettra  l'entrée  à  celui  qui 
ne  connaitra  pas  sa  Grammaire  et  encore  moins  tout 
autre  science.  Je  ne  dis  pas  qu'on  lui  permettra  d'ap- 
prendre, ce  qui  pourrait  être  autorisé,  mais  de  juger. 

[48]  C'est  alors  que  se  produit  une  chose  dont  le  dit 
Platon  disait  qu'elle  était  suffisante  à  elle  seule  pour 
ruiner,  quand  elle  se  manifeste,  tout  un  royaume,  et 
qui  est  telle  :  qu'on  prend  sur  soi  de  juger  des  choses 
qu'on  ne  connaît  réellement  point,  comme  pour  les 
jeunes  gens  de  donner  leur  opinion  sur  des  choses  qu'il 
appartient  aux  vieillards  de  juger,  comme  les  enfants 
de  juger  leurs  pères,  les  serviteurs  leurs  maîtres  et  les 
hommes  leurs  supérieurs.  Quel  navire  peut  être  long- 
temps préservé  du  naufrage  dont  chacun  prendra  sur 
soi  d'être  le  pilote  ?  Quelle  maison  sera  bien  gouvernée 
où  chaque  serviteur  voudra  être  le  maître  et  le  chef  ? 

[49]  Je  fais  ainsi  beaucoup  l'éloge  du  savoir,  non  pas 
seulement  parce  que  j'ai  entendu  mon  ami  ici  présent  (le 


«j  L.  :  cinq  ans  ^K 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  59 

bonnetier),  mais  parce  que  j'en  connais  beaucoup  « 
aujourd'hui  qui  partagent  son  opinion,  qui  se  soucient 
peu  de  toute  instruction,  mais  seulement  de  savoir  lire, 
écrire  et  d'apprendre  des  langues.  Ces  hommes,  je  puis 
bien  les  comparer  à  ceux  qui  estiment  plus  l'écorce  que 
l'arbre,  l'enveloppe  que  le  fruit  lui-même.  Ceux  qui  vou- 
draient nous  retirer  la  science  semblent,  ce  faisant, 
vouloir  éloigner  le  brillant  soleil  de  la  terre,  car  le  soleil 
n'est  pas  plus  nécessaire  à  la  croissance  de  toute  chose 
ici-bas  que  ne  l'est  le  savoir  pour  l'accroissement  de  la 
civilisation,  de  la  sagesse  et  de  la  bonne  politique.  De 
même  que  les  hommes  raisonnables,  par  le  don  de  la 
raison,  valent  mieux  que  les  autres  hommes,  de  même 
un  homme  instruit  vaut  mieux  que  n'importe  quel  autre 
[Fol.  10. V^]  par  le  vernis  et  l'ornement  que  ces  sciences 
procurent  à  la  raison. 

[50]  Le  Chevalier.  —  Sur  ma  foi,  je  suis  heureux 
d'avoir  eu  la  chance  de  vous  rencontrer  aujourd'hui, 
car  on  apprend  toujours  d'un  homme  sage.  Mais  ^  je  me 
souviens  que  vous  avez  dit  tout  à  l'heure  à  mon  voisin 
le  Bonnetier  que  nous  n'aurions  bientôt,  si  rien  ne  change, 
que  bien  peu  d'hommes  instruits.  Que  vouliez-vous  dire 
par  là  et  quelle  en  serait  la  cause  ? 

Le  Docteur.  —  Je  vous  en  ai  déjà  montré  une  des 
causes  importantes  :  c'était  lorsque  je  vous  ai  dit  que  la 
plupart  des  hommes  pensaient  que  savoir  lire  et  écrire 
était  suffisant  comme  instruction.  Une  autre  raison  est 
qu'ils  constatent  qu'aucune  préférence  n'est  réservée 
aux  gens  instruits,  qu'on  ne  leur  accorde  ni  estime,  ni 
honneur,  comme  cela  avait  lieu  par  le  passé.  A  présent, 
c'est  plutôt  le  contraire  :  plus  on  est  instruit  et  plus 


«)  beaucoup  manque  dans  L. 

^)  sur  ma  foi...  mais  manque  dans  L. 


60  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

les  ennuis,  les  pertes  et  les  vexations  vous  accablent. 
Le  Chevalier.  —  A  Dieu  ne  plaise  !  et  pourquoi  ? 

[51]  Le  Docteur.  —  Mon  Dieu,  n'avez-vous  pas  vu 
combien  d'hommes  savants  ont  eu  d'ennuis  récemment, 
au  cours  de  ces  vingt  ou  trente  dernières  années  "  pour 
avoir  donné  leur  opinion  au  sujet  des  choses  qui  vinrent 
en  discussion  ?  Ne  savez-vous  pas  que  lorsqu'une  opinion 
a  été  établie  ceux  qui  se  dressent  contre  elle  sont  inquié- 
tés ?  et  tout  de  suite  après,  lorsque  l'opinion  contraire 
a  été  admise  à  son  tour,  ceux  qui  tenaient  pour  l'opinion 
précédente  ne  sont-ils  pas  inquiétés  pour  énoncer  un 
avis  contraire  ?  Aussi  aucune  des  deux  parties  n'a-t-elle 
échappé,  qu'elle  soit  frappée  la  première  ou  la  dernière, 
de  quelque  côté  qu'elle  se  trouve.  Il  n'y  avaient  d'excep- 
tion que  pour  quelques  girouettes  qui  pouvaient  changer 
leur  opinions  en  même  temps  que  la  majorité  et  la  partie 
la  plus  puissante  changeaient  les  leurs.  Et  quels  sont 
ceux  qui  furent  inquiétés  ?  Les  représentants  les  plus 
remarquables  des  deux  partis,  car  ce  sont  les  seuls  qui 
en  vinrent  à  la  discussion  de  ces  matières,  bien  que 
voyant,  comme  récompense  du  [Fol.lLR*^]  mérite,  non 
point  l'honneur  et  la  richesse,  mais  au  contraire  le 
déshonneur  et  la  disgrâce  ^.  Qui  donc  voudra  appliquer 
ses  enfants  à  une  science  qui  ne  peut  rapporter  de  meil- 
leurs fruits  ?  Quel  escholier  aura  le  courage  d'étudier 
pour  arriver  à  un  tel  résultat  ?  Le  petit  nombre  d'étu- 
diants et  l'abandon  de  nos  Universités  montrent  que 
ceci  est  plus  vrai  qu'aucun  homme  ne  saurait  le  prouver 
par  son  discours  ^7. 


^)  L.  &  B.  :  douze  ou  treize  années. 

^)  L.  :  ceux  qui,  cherchant  l'honneur  et  la  richesse, 
étaient  récompensés  de  leur  mérite  par  le  deshonneur 
et  la  disgrâce. 


COMPENDIEUX    OU    BREF   EXAMEN...  61 

[52]  Le  Marchand.  —  Je  m'aperçois  que  chacun 
aujourd'hui  a  des  sujets  de  plainte  et,  aussi  loin  que  je 
puis  voir,  que  personne  n'est  épargné.  Le  gentilhomme 
ne  peut  vivre  seulement  sur  ses  terres,  comme  son  père 
le  faisait  ;  les  artisans  ne  peuvent  faire  travailler  un  aussi 
grand  nombre  d'apprentis  parce  que  la  nourriture  est 
trop  chère  ;  le  fermier  se  plaint  de  ce  que  le  loyer  de  sa 
terre  est  plus  élevé  qu'autrefois  ;  enfin  nous  autres  mar- 
chands nous  payons  beaucoup  plus  cher  tout  ce  qui  nous 
vient  d'outre-mer  «.  Cette  grande  cherté  (je  parle  en 
comparaison  des  temps  anciens)  a  toujours  subsisté 
depuis  la  dévaluation  de  notre  monnaie  anglaise,  laquelle 
eût  lieu  dans  les  dernières  années  du  roi  Henri  VIII  *. 

[53]  Le  Docteur.  —  Je  n'en  doute  point.  Mais 
cependant,  si  quelqu'un  a  pu  se  garantir  de  ces  évène- 

*  Dévaluation  de  notre  monnaie. 


^)  la  phrase  cette  grande  cherté...  Henri  VIII  est 
une  addition  de  S.  gui,  par  contre^  a  supprimé  le  passage 
suivant  de  L.  et  de  B.  :  ...tout  ce  qui  nous  vient  d'outre- 
mer, même  d'un  tiers  plus  cher.  Et  comme  les  marchands 
d'outre-mer  ne  veulent  point  recevoir  notre  monnaie 
pour  leurs  denrées,  nous  sommes  obligés  d'acquérir 
pour  eux  [pour  les  payer]  des  marchandises  anglaises. 
Celles-ci  nous  coûtent  moitié  ou  un  tiers  plus  cher 
qu'autrefois,  car  nous  payons  huit  shillings  un  yard 
d'étoffe  qu'il  y  a  dix  ans  nous  aurions  acheté  quatre 
shiUings  huit  pence  ^8.  Et  une  fois  que  nous  nous  sommes 
ainsi  procuré,  à  des  prix  élevés,  des  marchandises  étran- 
gères, nous  n'avons  pas  pour  elles  une  aussi  bonne 
vente  qu'autrefois,  car  il  n'y  a  plus  autant  d'acheteurs 
par  suite  du  manque  de  pouvoir  d'achat.  Pour  les 
marchandises  que  nous  vendons,  nous  considérons  le 
prix  auquel  nous  les  avons  achetées. 


62  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ments,  vous  avez  été  également  à  même  de  le  faire  ; 
car  quelque  soit  ce  qui  arrive  dans  l'échange  des  choses, 
vous  autres  marchands  vous  le  découvrez  de  suite. 

[54]  Par  exemple,  vous  avez  accaparé  l'argent  aussi- 
tôt que  vous  avez  eu  vent  du  surhaussement  dont  il 
a  été  l'objet.  Vous  avez  ramassé  ainsi  toute  la  vieille 
monnaie  dans  la  majeure  partie  du  royaume  et  vous 
avez  trouvé  le  moyen  de  l'exporter,  de  telle  sorte  que 
bien  peu  de  cette  ancienne  monnaie  a  été  laissée  dans 
ce  royaume,  ce  qui,  à  mon  avis,  est  une  des  plus  grandes 
causes  de  la  cherté  de  toutes  choses  qui  a  eu  lieu  depuis. 

Le  Chevalier.  —  Comment  cela  se  peut-il  ?  Est-ce 
que  la  monnaie  dont  nous  usons  entre  nous  importe, 
du  moment  qu'elle  a  cours  partout,  quand  bien  même 
elle  serait  de  cuir  ? 

[55]  Le  Docteur.  —  Sans  doute  le  dit-on  commu- 
nément, mais  la  vérité  est  toute  contraire,  comme  je 
pourrais  le  prouver,  non  seulement  par  le  sens  commun, 
mais  encore  [FoLlLY®]  par  l'expérience  et  le  résultat 
qui  l'ont  démontrée.  A  présent,  toutefois,  nous  ne 
raisonnons  pas  sur  les  causes  de  ces  griefs,  mais  sur  la 
question  de  savoir  quelles  sont  les  classes  touchées  par 
cette  cherté.  Bien  que  j'entende  chacun  se  plaindre 
de  telle  chose  ou  de  telle  autre,  considérons  cependant 
que  beaucoup  ont  à  vendre  des  marchandises  dont  ils 
haussent  les  prix  dans  la  mesure  où  montent  les  prix 
des  choses  qu'ils  achètent  :  ainsi  le  marchand,  s'il  achète 
cher  vendra  également  cher  ;  ainsi  ces  artisans  (comme 
les  chapeliers,  les  tailleurs  et  les  cordonniers)  et  les 
fermiers  «  peuvent  vendre  leurs  denrées  aussi  chères  que 
l'est  le  prix  des  victuailles,  de  la  laine  ou  de  l'acier 


^)  L.  :  maréchal-ferrand. 


COMPENDIEUX    OU    BREF   EXAMEN...  63 

qu'ils  achètent.  J'ai  vu  une  cape  valoir  14  d.,  aussi 
bonne  que  celui  que  je  puis  acheter  aujourd'hui  pour 
2  s.  6  d.  ;  vous  avez  entendu  dire  de  quelle  manière 
sont  montés  les  prix  du  drap  ;  à  présent  une  paire  de 
souliers  coûte  12  d.  et  cependant  autrefois  j'en  ai  acheté 
de  meilleurs  pour  6  d.  ;  aujourd'hui,  je  ne  puis  faire 
ferrer  un  cheval  pour  moins  de  10  ou  12  d.  alors  que  j'ai 
vécu  le  temps  où  le  prix  ordinaire  était  de  6  d.  «  *. 

[56]  Gela  étant,  je  ne  puis  admettre  que  ces  hommes 
(marchands,  artisans  ou  fermiers)  aient  vraiment  à  se 
plaindre  de  cette  cherté  universelle  ;  ceux  qui  le  pour- 
raient sont  ceux  dont  les  revenus  et  les  salaires  se  trou- 
vent fixés  définitivement,  comme  pour  les  laboureurs 
à  8  d.  ^  par  jour,  pour  les  ouvriers  de  tous  métiers,  pour 
les  domestiques  payés  40  s.  l'année,  pour  les  gentils- 
hommes dont  les  terres  ont  été  louées,  soit  par  leurs 
ancêtres,  soit  par  eux-mêmes  ou  bien  à  vie  ou  bien  pour 
tant  d'années,  de  telle  sorte  qu'ils  ne  peuvent  point  en 
hausser  le  fermage  (bien  qu'ils  le  voudraient)  et  cepen- 
dant ils  subissent  la  hausse  des  prix  sur  toutes  les 
choses  qu'ils  achètent. 

[57]  Et  la  Reine  dont  nous  n'avons  rien  dit  jus- 
qu'ici ?  Comme  elle  touche  surtout  des  revenus  annuels 
et  fixés  définitivement,  c'est  elle  qui  devrait  avoir  perdu 
le  plus  du  fait  de  cette  cherté  et  spécialement  par  suite 
de  l'altération  de  la  monnaie.  D'un  homme  possédant 

*  Hausse  des  prix  :  cape,  14  d.  à  30  d.  ;  souliers,  6  d.  à  1  s.  ;  ferrage 
d'un  cheval,  6  d.  à  10  d.  ou  12  d. 


^)  S.  a  supprimé  ici  le  passage  suivant  de  h,  et  de  B.  : 
...  de  six  pence  pour  ferrer  les  quatre  pieds  d'un  cheval 
et  8  d.  étaient  alors  le  maximum  du  prix. 

^)  L.  &  B.  :  six  pence  2». 


64  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

un  grand  nombre  de  clients,  s41  acceptait  que  ceux-ci 
le  paient  dorénavant  toutes  les  semaines  en  épingles  ^® 
au  lieu  de  la  payer  en  argent  comme  autrefois  [Fol.  12. R^] 
je  crois  qu'il  perdrait  beaucoup  de  ce  fait  «.  Ainsi,  quant 
à  nous,  qui  sommes,  en  quelque  sorte,  les  fournisseurs 
du  Prince,  nous  n'avons  pour  la  plupart  qu'un  pauvre 
revenu  et  une  bonne  partie  en  revient  au  souverain. 
Si  Son  Altesse  nous  prend  le  surplus  de  nos  gains  éva- 
lués en  cette  basse  *  monnaie  <^,  cela  ira-t-il  aussi  loin 
que  de  la  bonne  monnaie  pour  l'achat  des  choses  néces- 
saires à  elle-même  et  au  royaume  ? 

[58]  Je  ne  le  crois  certainement  point  ;  car,  bien 
que  Sa  Grâce  pourrait  obtenir  en  ce  royaume  ce  dont 
elle  a  besoin  à  son  propre  prix  ^^  [et  S.  M.  ne  pourrait  le 
faire  sans  léser  grandement  ses  sujets),  du  moment  que 
S.  M.  est  obligée  d'acheter  au  delà  des  mers,  non  seule- 
ment les  choses  nécessaires  pour  sa  maison  ou  les  orne- 
ments destinés  à  sa  personne,  sa  famille  et  ses  chevaux 
(ces  achats  pourraient  d'ailleurs  être  diminués  par 
Sa  Grâce),  mais  encore  les  fournitures  pour  la  guerre, 
qui,  en  aucun  cas,  ne  peuvent  être  supprimées,  telles 
que  les  armes  de  toutes  sortes,  l'artillerie,  les  ancres, 
les  cables,  le  goudron,  le  fer  et  l'acier,  et,  je  vais  plus 
loin,  des  armes  à  feu,  de  la  poudre  et  mille  autres  objets 
dont  je  ne  puis  me  souvenir  et  que  Sa  Grâce  achète 
quelquefois  ^  outre-mer  aux  prix  qu'exigent  les  étran- 


«J  L.  :  d'un  homme...  s'il  acceptait  que  ceux-ci  lui 
paient  1  d.  par  semaine  au  lieu  de  lui  donner  2d.  qu'il 
perdrait... 

^)  L.  &  B.  :  cette  nouvelle  monnaie. 

'^J  S.  a  supprimé  ici  le  passage  suivant  de  L.  et  de  B.  : 
en  cette  basse  monnaie,  là  où  il  avait  coutume  d'être 
payé  en  bonne  monnaie. 

^)  L,  &  B.  :  que  Sa  Grâce  doit  acheter  outre-mer  ^^. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  65 

gers.  Je  ne  parle  point  de  la  hausse  des  charges  de  la 
maison  de  Sa  Grâce,  ce  qui  est  commun  à  Sa  Grâce  et 
aux  autres  nobles.  Aussi  dis-je  que  S.  M.  doit  avoir 
perdu  plus  que  tout  autre  par  cette  commune  cherté  ; 
et  ce  ne  serait  pas  seulement  une  perte,  mais  aussi  un 
danger  pour  le  royaume  et  pour  tous  ses  sujets,  si  Sa 
Grâce  avait  besoin  d'argent  pour  acquérir  les  dites  pro- 
visions nécessaires  à  la  guerre  ou  pour  trouver  des  soldats 
en  cas  de  besoin,  ce  qui  dépasse  (en  gravité)  toutes  les 
pertes  privées  dont  nous  parlons  ^^. 

[59]  Le  Bonnetier.  —  Nous  avons  ouï  dire  que  la 
Monnaie  de  S.  M.  la  Reine  comble  toutes  les  pertes, 
par  les  gains  qu'en  obtient  S.  M.  ou  par  quelqu'autre 
moyen  ;  s'il  lui  manque  de  l'argent,  elle  y  supplée  par 
les  subsides  et  par  les  impôts  levés  sur  ses  [Fol.l2.Vo] 
sujets,  de  telle  sorte  que  Sa  Grâce  ne  peut  man- 
quer d'argent  aussi  longtemps  que  ses  sujets  en 
possèdent. 

[60]  Le  Docteur.  —  Vous  faites  bien  de  dire  «  aussi 
longtemps  que  ses  sujets  en  possèdent  »,  car  il  est 
normal  que  la  Reine  en  ait  aussi  longtemps  qu'ils  en 
ont.  Mais  s'ils  n'en  ont  point  ?  Car  ils  ne  peuvent  en 
avoir  quand  il  n'y  a  plus  d'espèces  dans  le  royaume. 
En  ce  qui  concerne  le  profit  que  procure  le  monnayage, 
je  crois ,  pouvoir  le  comparer  ainsi  :  c'est  comme  si  un 
homme  voulait  arracher  ses  arbres  jusqu'à  la  racine 
pour  en  retirer  plus  d'argent  en  une  fois  et  perdre  après 
le  profit  qui  pourrait  croître  annuellement  ou  comme 
s'il  prétendait  couper  jusqu'à  la  racine  la  laine  de  ses 
moutons  ^*.  Quant  aux  subsides,  comment  peuvent-ils 
être  importants  lorsque  les  sujets  n'ont  que  peu  de 
chose  à  donner  ?  Et  encore  ce  moyen  d'obtenir  de 
l'argent  n'est-il  pas  toujours  bon  pour  la  sûreté  du 
Prince  :  nous  voyons  souvent  l'argent  provenant  de  ces 

LE    BRANCHU   Il  5 


66  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

subsides  dépensé  pour  apaiser  le  peuple  qui  s'insurge 
en  partie  à  cause  de  ces  mêmes  subsides. 

[61]  Le  Chevalier.  —  Comme  notre  bonne  chance 
a  été  de  nous  rencontrer  avec  un  homme  aussi  sage  que 
vous,  Maître  Docteur,  j'aurais  voulu  que  nous  allions 
jusqu'au  bout  de  la  discussion  en  cette  matière,  et, 
comme  nous  avons  constaté  les  véritables  griefs  d'un 
chacun,  je  souhaiterais  que  nous  recherchions  les  causes 
de  ces  griefs,  et,  ces  causes  une  fois  connues,  leur  remède 
nous  apparaîtrait  peut-être.  Bien  que  nous  ne  soyions 
point  parmi  ceux  qui  peuvent  réformer  ces  choses,  il 
se  pourrait  cependant  que  quelques-uns  d'entre  nous  se 
trouvent  à  même  de  suggérer  à  d'autres  ce  qui  pourrait 
hâter  et  aider  leur  redressement. 

Le  Docteur.  —  Au  nom  de  Dieu,  je  serai  heureux 
de  vous  consacrer  ce  jour  pour  satisfaire  à  votre  désir 
et,  bien  que  cette  discussion  ne  fasse  peut-être  pas 
beaucoup  de  bien,  elle  ne  peut  cependant  faire  aucun 
mal  ni  offenser  personne,  étant  donné  qu'elle  se  pour- 
suit ici  entre  nous  et  courtoisement. 

[62]  Le  Chevalier.  —  Non  point  !  Qui  donc  pour- 
rait se  fâcher  de  ce  que  quelqu'un  se  trouvant  dans 
une  maison  et  observant  quelque  défaut  dans  les  poutres 
[Fol.13.Ro]  de  cette  maison  étudia  ce  défaut  et  en 
avisa  le  propriétaire  de  la  maison  ou  quelque  habitant 
de  celle-ci,  aussi  bien  pour  sa  propre  sauvegarde  que 
pour  celle  des  autres  ?  Nous  avons,  pour  nous,  procédé 
à  la  recherche  des  griefs  qui,  autant  que  je  puis  m'en, 
rendre  compte,  se  résument  en  trois  points  *,  c'est-à-dire  l 
cherté  de  toute  chose  en  comparaison  du  passé  (bieii 
que  rien  ne  manque)  «  ;  ruine  des  campagnes  par  les 

*  Maux  :  cherté,  clôtures,  manque  de  travail,  divisions  religieuses. 


«j  en  comparaison...  rien  ne  manque  addition  de  S*. 


COMPENDIEUX    OU    BREF   EXAMEN...  67 

clôtures  et  ruine  des  villes  par  suite  du  manque  de  tra- 
vail ;  divisions  de  l'opinion  en  matière  de  religion  qui 
font  les  hommes  aller  d'un  côté  et  de  l'autre  et  les 
portent  à  se  combattre  entre  eux.  Allons  maintenant 
au  jardin,  sous  la  treille,  où  étant  assis  à  l'ombre,  dans 
un  endroit  frais,  nous  pourrons  procéder  à  loisir  à  la 
discussion  de  cette  matière.  J'arrangerai  notre  souper 
avec  mon  hôte  pour  que  nous  puissions  le  prendre 
ensemble. 

Au  nom  de  Dieu  !  s'exclama  chacun,  car  nous  sommes 
fatigués  d'être  demeurés  si  longtemps  ici  ! 
Et  nous  partîmes  tous  pour  le  jardin. 


LE  SECOND  DIALOGUE 

dans  lequel  sont  examinées 
les  causes  ou  les  occasions 
des  dits  griefs«  [Fol.13.Vo] 


[63]  Le  Chevalier.  —  Après  nous  être  promenés 
quelque  temps  dans  le  jardin,  j'ai  réfléchi  longtemps, 
jusqu'à  ce  que  j'entende  autre  chose  de  la  communica- 
tion du  docteur.  Celui-ci,  en  effet,  m'avait  paru  un 
homme  fort  instruit,  ne  ressemblant  en  aucune  façon  à 
la  généralité  des  clercs  qui  ne  peuvent  parler  d'autre 
chose  que  de  la  science  qu'ils  professent  :  de  théologie 
s'ils  sont  théologiens,  de  loi  s'ils  sont  hommes  de  loi  et 
seulement  de  médecine  s'il  s'agit  de  médecins.  Cet  homme 
au  contraire,  parlait  naturellement  de  toutes  choses, 
comme^ quelqu'un"  qui  a  tout  vu  et  qui,  à  une  bonne 


«j  le  sous-titre  manque  dans  L. 


68  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

instruction,  joint  un  esprit  clair.  Aussi  le  poussai-je,  lui 
et  le  reste  de  nos  compagnons,  à  reprendre  notre  dis- 
cussion là  où  nous  l'avions  laissée  et  tout  d'abord  à 
rechercher  quelles  seraient  les  causes  de  cette  commune 
et  universelle  cherté  de  toutes  choses,  en  comparaison 
avec  le  passé  «.  Et  je  parlai  ainsi  au  docteur  : 

[64]  Je  me  demande  vraiment,  maître  Docteur, 
quelles  pourraient  être  les  causes  de  cette  cherté,  étant 
donné  que  toutes  les  choses  (Dieu  en  soit  loué  !)  sont  si 
abondantes.  Il  n'y  a  jamais  eu  plus  de  bétail  qu'il  n'y 
en  a  maintenant  de  toutes  sortes.  C'est  cependant  la 
rareté  des  choses  qui  détermine  leur  cherté.  Cette  cherté 
qui  vient  lors  d'une  telle  abondance  me  semble  extraor- 
dinaire et  contraire  aux  principes  ^. 

Le  Docteur.  —  Sir,  c'est  là,  il  n'y  a  pas  de  doute,  un 
fait  à  étudier  et  digne  de  discussion.  Laissez-moi  enten- 
dre votre  opinion  à  chacun  et  je  vous  donnerai  la  mienne. 

f  [65]  Le  Fermier.  —  Je  crois  que  c'est  votre  faute, 
'  gentilshommes,  si  cette  hausse  [FoLl4.Ro]  des  prix  s'est 
produite.  La  raison  est  que  vous  avez  tellement  augmenté 
le  prix  de  vos  fermages  que  les  hommes  qui  vivent  de  la 
;  terre  doivent  nécessairement  vendre  plus  cher  ou  bien 
(   ils  ne  seraient  jamais  à  même  de  payer  leur  fermages  ^^. 

p  [66]  Le  Chevalier.  —  Et  moi,  je  prétends  que  c'est 
I  de  votre  faute  à  vous  fermiers  si  nous  sommes  obligés 
I  de  louer  plus  cher  nos  terres  *,  et  cela  parce  que  nous 
devons  acheter  à  de  si  hauts  prix  toutes  les  choses  qui 


L 


*  récemment  importante  hausse  des  prix. 


«J  en  comparaison  avec  le  passé  addition  de  S. 
^)  la  phrase  cette   cherté...   principes  est  prononcée 
dans  B.  par  le  docteur. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  69 

nous  viennent  de  vous,  telles  que  les  grains,  le  bétail,  les 
oies,  les  porcs,  les  chapons,  les  poulets,  le  beurre  et  les 
œufs.  Pourquoi  toutes  ces  denrées  que  vous  vendez 
sont-elles  plus  chères  de  moitié  qu*il  n'y  a  trente  ans  «  ? 
Ne  pouvez  pas  vous  rappeler,  voisin,  qu'il  y  a  trente 
ans  «,  je  pouvais,  dans  cette  ville  ^^  acheter  le  meilleur 
porc  ou  la  meilleure  oie  qu'il  me  soit  possible  de  trou- 
ver pour  quatre  d.  alors  qu'ils  me  coûtent  aujourd'hui 
douze  d.  ?  J'avais  un  bon  chapon  pour  trois  ou  quatre  d., 
un  poulet  ou  une  poule  pour  le  même  prix,  alors  qu'ils 
valent  maintenant  deux  ou  trois  fois  ^  autant.  Et  il  en  va 
de  même  pour  les  choses  plus  importantes  comme  un 
bœuf  ou  un  mouton. 

Le  Fermier.  —  Je  vous  l'accorde,  mais  je  maintiens 
que  vous  et  vos  semblables,  les  propriétaires,  en  êtes  les 
premiers  responsables,  parce  que  vous  avez  élevé  le 
prix  de  vos  fermages. 

[67]  Le  Chevalier.  —  En  tout  cas,  si  vos  semblables 
et  vous-même  pouvez  accepter  ce  que  je  vais  vous  pro- 
poser, cela  pourrait  être  une  aide  :  à  condition  que  vous 
vendiez  toutes  vos  denrées  au  prix  d'il  y  a  trente  ans  '^^ 
je  me  fais  fort  de  persuader  à  tous  les  gentilhommes  de 
vous  louer  vos  terres  au  prix  d'il  y  a  trente  ans  ^  ;  et  la 
preuve  que  la  faute  en  est  plus  à  vous,  fermiers,  qu'à  nous 
autres  gentilshommes,  apparaît  en  ceci  :  toutes  les  terres 
du  royaume  n'ont  pas  été  augmentées,  car  tous  les  baux 
et  les  tenures  ne  sont  pas  expirés  et  leur  fermage  ne 
peut  être  élevé,  quoique  le  veuillent  les  propriétaires. 
Il  y  a  même  quelques  nobles  et  quelques  gentilshommes 
qui  n'augmenteront  point  le  prix  de  la  rente,  lorsque 


«j  L.  &  B.  :  huit  ans. 

^)  ou  trois  fois,  addition  de  S. 

«^  L.   &  B.  :  vingt  ans. 


70  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

leurs  terres  viendront  à  leur  disposition,  et  ainsi  une 
grande  partie  "  des  terres  du  royaume  est  encore  à  son 
ancien  prix  ^'.  Et  cependant,  il  n'y  a  aucun  d'entre 
vous  qui  ne  vendent  toutes  ses  denrées  moitié  plus 
chères  qu'ils  n'avaient  coutume  de  le  faire  autrefois,  et 
les  gentilhommes  qui  augmentent  le  prix  de  leurs  fer- 
mages ne  le  portent  généralement  point  [Fol.  14. V®]  au 
double  ;  toutefois  je  confesse  que  quelques-uns  d'entre 
nous  qui  reçurent  des  terres  du  Roi,  terres  qui  apparte- 
naient auparavant  à  des  abbayes  ou  à  des  prieurés  et 
qui  n'étaient  jamais  louées  à  leur  vraie  valeur,  ou  que 
nous  avons  acquises  de  quelqu'autre  manière,  avons 
élevé  le  prix  du  fermage  au  dessus  de  ce  qu'il  était,  mais 
cependant  tout  cela  ne  forme  pas  la  moitié  des  terres  du 
royaume. 

Le  Docteur.  —  Que  dites-vous  de  sa  proposition  ? 
Voulez-vous  vendre  vos  denrées  comme  vous  aviez  cou- 
tume de  le  faire  ?  Il  vous  laissera  alors  avoir  sa  terre  au 
prix  que  vous  aviez  l'habitude  de  payer. 

Lorsque  le  Fermier  eût  réfléchi  un  moment,  il 
répondit  : 

[68]  Le  Fermier.  —  Si  le  prix  de  toutes  les  choses  que 
je  dois  acheter  par  ailleurs  est  baissé,  j'en  serais  content  ; 
au  cas  contraire,  non. 

Le  Docteur.  —  Et  quelles  sont  ces  choses  ? 

Le  Fermier.  —  Mon  Dieu  !  du  fer  pour  ma  charrue, 
pour  mes  herses  et  mes  charrettes,  du  goudron  pour  mes 
moutons,  des  souliers,  des  coiffures,  des  toiles  de  lin  et 
des  draps  de  laine  pour  ma  famille.  Si  je  devais  acheter 
tout  cela  aussi  cher  que  je  le  fais  à  présent  et  vendre 
cependant  mes  produits  bon  marché,  je  ne  pourrais 
jamais  vivre,  bien  que  mon  fermage  soit  diminué  ;  je  ne 


«j  L.  &  B.  :  la  plupart  des  terres. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  71 

le  pourrais  que  si  le  prix  des  choses  dont  j'ai  parlé  est 
également  abaissé. 

Le  Docteur.  —  Je  vois  qu'avant  que  vous  ne  puis- 
siez vendre  vos  denrées  bon  marché,  il  faut  que  le  prix 
de  vos  fournitures  soit  abaissé  aussi  bien  que  celui  de 
votre   fermage. 

Le  Fermier.  —  Oui,  mais  je  crois  que  si  le  prix  des 
terres  était  diminué,  le  prix  de  toutes  les  autres  choses 
diminuerait  également. 

[69]  Le  Docteur.  —  A  condition  que  tous  les  pro- 
priétaires  de   ce  royaume  consentent  à   ce  que  leurs 
terres  restent  aux  mains  de  leurs  tenanciers  aux  mêmes 
prix  de  location  qu'il  y  a  trente  ans  «.  Vous  avez  déjà  dit 
que  vous  ne  pouviez  vendre  vos  denrées  aussi  bon  marché 
que  vous  le  pouviez  il  y  a  vingt  ans  ^^  parce  que  le  prix 
de  vos  fournitures  s'est  élevé  ;  si  vous  dites  que  ces 
hommes  devraient  être  amenés  à  vous  livrer  tout  d'abord 
à  meilleur  marché  ces  fournitures  que  vous  leur  achetez 
et  qu'ensuite  vous  leur  vendrez  les  vôtres  également 
meilleur   marché,    comment   les    [Fol.l5.R<>]    obliger   à 
agir  ainsi  ?  Ceux  qui  nous  vendent  des  marchandises  ; 
telles  que  le  fer,  le  goudron,  le  lin  et  autres  objets  sont  1 
des  étrangers  en  dehors  de  l'autorité  de  notre  Souveraine  j 
Dame.  ~^ 

[70]  Et  maintenant  dites-moi  :  dans  le  cas  où  vous 
ne  pourriez  les  obliger  à  agir  ainsi,  serait-il  expédient 
pojir  nous  de  souffrir  que  les  étrangers  vendent  leurs 
marchandises  chères  et  nous  les  nôtres  bon  marché  ?  S'il 
en  était  ainsi,  il  en  résulterait  un  grand  enrichissement 
des  autres  pays  et  un  grand  appauvrissement  du  nôtre, 
car  les  étrangers  obtiendraient  beaucoup  d'argent  pour 


^)  L.  &  B.  :  vingt  ans. 


72  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

leurs  propres  marchandises  et  nous  achèteraient  les 
nôtres  pour  fort  peu  de  chose,  à  moins  que  vous  ne  puis- 
siez établir  un  prix  de  nos  denrées  pour  nous-mêmes  et 
un  autre  prix  pour  les  étrangers  ;  mais  je  ne  vois  pas 
comment  cela  serait  possible. 

[71]  Le  Chevalier.  —  Non,  mais  je  puis  faire  à 
mon  voisin  une  autre  offre  raisonnable  s'il  refuse  celle- 
ci  ".  Que  les  fermages  de  mes  tenanciers  soient  augmentés 
comme  augmentent  les  prix  et  je  serai  content. 

Le  Fermier.  —  Que  voulez-vous  dire  par  là  ? 

Le  Chevalier.  —  Je  veux  dire  ceci  :  vous  vendez 
aujourd'hui  trente  groates  *°  ce  que  vous  aviez  coutume 
de  vendre  autrefois  vingt  groates  ;  que  le  fermage  soit 
augmenté  dans  la  même  proportion,  c'est  à  dire  dix 
shillings  ^  pour  chaque  vingt  groates  de  vieille  rente  et 
ainsi  dans  la  mesure  où  montent  les  prix  de  vos  denrées  ; 


^)  S.  a  passé  ici  le  passage  suivant  de  L.  et  de  B.  : 
...refuse  celle-ci.  Que  mes  tenanciers  me  paient  dans  la 
même  monnaie  qu'ils  me  payaient  il  y  a  vingt  ans  lorsqu'à 
été  conclu  le  premier  arrangement  au  sujet  de  mes 
terres  ;  je  serai  cependant  content  de  les  payer  eux- 
mêmes  pour  toutes  choses  au  prix  où  elles  vont  aujour- 
d'hui en  monnaie  courante  et  je  ne  doute  point  d'ame- 
ner tous  les  autres  gentilshommes  à  un  semblable 
accord  ^^. 

Le  Fermier  :  Gomment  le  pourrais-je  ?  Je  dois  payer 
mon  fermage  en  telles  choses  que  je  puisse  obtenir, 
aussi  devez-vous  prendre  pour  ma  rente  une  monnaie 
semblable  à  celle  que  je  reçois  en  échange  de  mes  pro- 
duits. 

Le  Chevalier  :  Oui,  mais  alors  que  votre  fermage  soit 
augmenté  comme  augmentent  les  prix... 

^)  L.  &  B.  :  dix  shillings  de  paiement. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  73 

je  conserve  cependant  ma  terre  à  son  ancienne  valeur. 

Le  Fermier.  —  Mon  marché  était  de  payer  seulement 
£  6-13-4  de  rente  annuelle  pour  ma  tenure  et  je  les  paie 
exactement  ;  vous  ne  pouvez  m'en  demander  davantage. 

Le  Chevalier.  —  Je  ne  puis  rien  objecter  contre 
cela  et  cependant  je  me  rends  compte  que  je  serai  encore 
le  perdant  par  ce  marché,  quoique  je  ne  puisse  dire 
pourquoi  ;  mais  je  vois  que  vous  vendez  plus  cher  ce 
que  vous  produisez  et  moi,  je  vends  bon  marché  ce  qui 
me  permet  de  vivre.  Venez  à  mon  aide.  Maître  Docteur, 
je  vous  en  prie,  car  le  Fermier  m'a  poussé  dans  mes 
derniers   retranchements. 

[72]  Le  Docteur.  —  Mon  Dieu  !  Je  pense  qu'en 
ce  qui  concerne  cette  affaire,  c'est  plutôt  vous  qui  avez 
joué  ce  rôle,  c'est-à-dire  que  vous  l'avez  amené  à  confes- 
ser que  cette  cherté  n'était  pas  votre  fait.  Bien  qu'il  se 
défende  [Fol. 15. V®]  par  un  argument  d'apparence  légal 
en  ce  qui  concerne  son  paiement,  il  semble  cependant 
avouer,  par  ce  fait  que  la  loi  vous  oblige  à  exiger  peu  de 
votre  terre  et  qu'il  n'y  a  pas  de  loi  pour  l'empêcher  lui, 
de  vendre  ses  produits  aussi  chers  qu'il  le  veut.  Pour 
votre  but,  il  est  sufïisant  d'avoir  prouvé  que  loin  d'être 
la  cause  première  de  cette  cherté,  vous  avez  au  contraire 
raison  (les  prix  des  choses  s'élevant  comme  ils  l'ont 
fait)  d'augmenter  le  prix  de  vos  produits  (ce  sont  vos 
terres)  ou  d'être  payé  d'après  l'ancien  fermage  si  vous 
avez  rendu  votre  terre  indisponible  "  ;  de  savoir  si  vous 
êtes  obligé  d'acheter  vos  fournitures  au  nouveau  tarif, 
nous  en  parlerons  plus  tard,  ou  laissons-le  à  considérer 
aux  autres  hommes  sages. 

[73]  Voyons  maintenant  si  les  prix  baisseraient  dans 


^)  L.  :  si  vous  avez  loué  votre  terre. 


74  ÉCRITS    NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

le  cas  où  les  fermiers  seraient  forcés  de  vendre  bon 
marché  leurs  denrées.  Supposons  notre  monnaie  anglaise 
basse  et  moins  estimée  à  l'étranger  que  dans  notre 
royaume,  comme  cela  a  généralement  été  le  cas  avant 
qu'elle  ne  soit  restaurée  par  notre  noble  Princesse 
actuellement  régnante  ".  Le  cas  est  tel  *  :  le  fermier 
aurait  commandement  de  vendre  son  blé  à  8  d.  le  bois- 
seau, son  seigle  à  6  d.,  son  orge  à  4  d.,  son  porc  et  son 
oie  à  4  d.,  son  chapon  à  4  d.  ^,  ses  poules  à  1  d.,  sa  laine 
à  1  marc  la  todde,  ses  bœufs  et  ses  moutons  d'après  les 
prix  des  temps  passés  *^.  Le  fermier  aurait  ainsi  suffi- 
samment pour  payer  son  propriétaire,  de  même  qu'autre- 
fois ;  son  propriétaire,  de  son  côté,  a  autant  de  revenu 
qu'il  avait  l'habitude  d'en  avoir,  et  ce  même  revenu, 
si  les  prix  sont  ainsi  fixés,  pourra  acheter  autant  de 
marchandises  que  l'aurait  pu  faire  le  fermage  payé  en 
ancienne  monnaie  avec  les  prix  d'autrefois.  Ainsi  jus- 
qu'ici ni  le  propriétaire,  ni  le  tenancier  ne  sont  lésés. 
Allons  plus  loin  :  le  fermier  doit  acheter  du  fer,  du  sel, 
du  goudron,  de  la  poix  ;  supposons  qu'il  produise  son 
propre  lin  ^^  et  que  le  prix  des  étoffes  de  lin  ou  de  laine 
et  du  cuir  soit  fixé  d'après  la  même  proportion.  Le  gen- 
tilhomme **  doit  acheter  des  vins,  des  épices,  des  soie- 
ries [Fol.16.Ro],  des  armes,  du  verre  pour  ses  fenêtres, 
du  fer  aussi  pour  armes  et  instruments,  d'autres  produits 
nécessaires  tels  que  le  sel,  l'huile  et  encore  beaucoup 
d'autres  choses  diverses,  plus  que  je  n'en  puis  nommer. 
De  ces  choses,  certaines  sont  indispensables,  telles  que 

*  Même  si  l'on  ordonnait  au  fermier  de  vendre  aux  anciens  prix  et 
au  propriétaire  de  ne  demander  que  l'ancien  fermage... 

•♦  ...les  vins,  les  verres  pour  fenêtres  étrangers,  etc...  pourraient-ils... 


^)  La  phrase  notre  monnaie  anglaise...  actuellement 
régnante  est  une  addition  de  S. 
^)  B.  :  trois  pence. 


COMPENDIEUX   OU    BREF    EXAMEN...  75 

le  fer  et  le  sel  (dont  ce  royaume  ne  produit  guère  que  la 
moitié  de  ce  qui  lui  est  nécessaire),  de  l'huile,  du  goudron, 
de  la  poix  et  de  la  résine  que  nous  ne  produisons  aucune- 
ment. Sans  quelques  unes  des  autres  marchandises, 
nous  pourrions  sans  doute  vivre,  mais  seulement  d'une 
manière  grossière  et  barbare,  ainsi  les  vins,  les  épices 
et  les  soieries.  Tout  cela  doit  être  acquis  outre-mer  *  ^ 
les  achèterions-nous  aussi  bon  marché  que  le  seraient 
proportionnellement  nos  propres  marchandises  ?  Cer- 
tains le  penseraient,  car  lorsque  les  étrangers  verraient 
qu'avec  moins  d'argent  qu'ils  avaient  coutume  de  deman- 
der de  leurs  marchandises,  ils  pourraient  acheter  autant 
de  produits  de  ce  royaume  qu'ils  le  faisaient  aupara- 
vant avec  davantage  d'argent,  ils  se  contenteraient  de 
demander  une  moindre  somme  d'argent  en  échange  de 
leurs  produits,  si  le  pouvoir  d'achat  de  celle-ci  était  aussi 
grand  |que  celui  de  la  plus  grande  quantité  d'argent  \ 
qu'ils  exigeaient  auparavant  et  ainsi  ils  vendraient  leurs  | 
marchandises  bon  marché.  Ainsi,  par  exemple,  s'ils"" 
vendent  à  présent  un  yard  de  velours  20  ou  22  shil- 
lings, et  s'ils  paient  cette  somme  pour  une  todde  de 
laine,  ne  vaudrait-il  pas  autant  pour  eux  vendre  leur 
velours  un  marc  le  yard,  si,  pour  un  marc,  ils  pouvaient 
obtenir  une  todde  de  laine  ? 

[74]  Le  Chevalier.  —  Je  le  penserais,  car,  de  cette 
façon,  ils  n'y  perdraient  pas  davantage  qu'ils  ne  le 
font  maintenant.  La  même  raison  peut  valoir  pour  le 
fer,  les  vins,  le  sel,  les  épices,  les  huiles,  le  goudron,  la 
poix,  le  lin,  le  chanvre  et  les  autres  marchandises 
d'outre-mer. 

Le  Docteur.  —  Si  je  vous  posais  la  question  de 
savoir  s'ils  pourraient  être  obligés  de  vendre  ainsi  leurs 
marchandises  ou  de  ne  pas  les  vendre,  qu'en  diriez- 
vous  ? 

•  ...être  achetés  à  des  prix  aussi  bas  ? 


76  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Le  Chevalier.  —  Gela  n'a  pas  d'importance  qu'il 

en  soit  ainsi  ou  non  et  je  ne  pense  d'ailleurs  pas  que 

cela  soit  possible,  car  ils  sont  en  dehors  des  états  du 

Prince  et  libres  de   nous   apporter  ou  non  leurs  mar- 

/  chandises.  Mais  étant  donné  qu'ils  pourraient  obtenir 

1  ici  des  produits  proportionnellement  aussi  bon  marché 

I  qu'ils  vendent  les  leurs,  et  qu'ils  pourraient  en  obtenir 

I  autant  qu'ils  en  avaient  auparavant  pour  un  prix  plus 

élevé,  ils  nous  apporteront  volontiers  leurs  marchandises 

et  les  vendront  de  cette  façon. 

[      [75]  Le  Docteur.  —  [Fol.16.Vo]  Gela  j'en  doute, 
à  cause  de  l'hypothèse  que  nous  avons  faite  de  notre 
'  basse  monnaie  "  ;  car  je  pense  que  les  marchands  étran- 
:  gers  nous  vendraient  aussi  cher  qu'ils  le  font  maintenant 
I  ou  ne  nous  apporteraient  rien.  Il  vous  faut  comprendre 
I  qu'ils  ne  viennent  pas  toujours  ici  pour  nos  produits, 
mais  quelquefois  pour  vendre  les  leurs,  sachant  qu'ils 
jen  trouveraient  ici  la  meilleure  vente  possible,  et  pour 
[acheter,  dans  d'autres  pays,  d'autres  marchandises,  là 
où  elles  sont  le  meilleur  marché  ;  quelquefois,  ils  vendent 
dans  une  partie  du  royaume  les  denrées  qui  y  sont  les 
plus  recherchées   et  ils  vont   acheter   dans   une   autre 
partie  du  royaume  les  produits  qui  s'y  trouvent  abon- 
dants et  bon  marché,  ou  bien  ils  vont  les  acquérir  partie 
dans  ce  pays,  partie  dans  un  autre.  Pour  ce  but,  une 
monnaie  universellement  courante  est  la  plus  pratique, 
spécialement   s'ils   ont  l'intention   de   l'employer   dans 
un  autre  pays,  là  où  ils  se  seront  débarrassés  de  leur 
f  marchandises.    Maintenant,    si   notre   monnaie   n'avait 
I  pas  cours  dans  d'autres  pays  comme  elle  a  cours  ici  ^, 
I 


^)  à  cause  de  l'hypothèse...  basse  monnaie  addition  \ 

de  S. 

^)  Dans  L.  et  dans  B.  cette  phrase  n'est  pas  au  condi- 
tionnel. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  77 

l'étranger  subirait  de  fortes  pertes  s'il  était  forcé  de/ 
prendre  notre  monnaie  en  échange  de  ses  marchandises  ;j 
il  aurait  intérêt  à  conduire  ailleurs  ses  marchandises,) 
là  où  il  pourrait  obtenir  une  monnaie  ayant  cours  par-l 
tout,  une  monnaie  qu'il  puisse  employer  quand  et  où  \ 
il  en  a  l'occasion.  -J 

[76]  S'ils   ne   désiraient   que   nos   marchandises   en 
échange  des  leurs,  ne  pensez-vous  point  qu'ils  s'effor- 
ceraient de  nous  apporter  telles  marchandises  qui  soient    . 
le  meilleur  marché  chez  eux  et  le  plus  cher  chez  nous  ?    ! 

Le  Chevalier.  —  Oui,  c'est  sans  doute  là  la  politique 
de  tous  les  marchands. 

Le  Docteur.  —  Et  quelles  marchandises  pensez- 
vous  qu'ils  nous  apportent  ? 

Le  Chevalier.  —  Mon  Dieu  !  des  verreries  de  toutes 
sortes,  des  étoffes  et  des  papiers  de  couleur,  des  oranges, 
des  pommes,  des  cerises,  des  gants  parfumés  et  tels 
autres  objets  de  luxe. 

Le  Docteur.  —  Vous  dites  bien  ;  peut-être  nous 
tenteront-ils  avec  de  semblables  objets  qui  sont  bon 
marché  chez  eux  :  il  ne  leur  en  coûte  que  le  travail  et 
sans  cela  leurs  habitants  seraient  inoccupés.  Cependant 
ces  objets  peuvent  se  vendre  aussi  cher  en  d'autres 
endroits  qu'ici.  Mais  lorsque  nous  réfléchissons  à  notre 
manque  de  fer,  d'acier,  de  sel,  de  chanvre,  de  lin  et  d'autres 
matériaux  de  ce  genre,  nous  nous  apercevons  qu'il  n'y 
aura  pas  de  demande  ici  pour  ces  marchandises  légères 
dont  vous  parlez  :  [Fol. 17. R^]  elles  seront  rejetées  et  les 
autres  demandées.  Quelles  autres  choses  pensez-vous 
qu'ils  nous  apportent  «  ? 

Le  Chevalier.  —  Peut-être  voulez-vous  dire  des 
soieries,  des  vins,  des  épices  ? 


^)  Dans  L.  la  phrase  quelles  autres  choses...  apportent 
est  placée  dans  la  bouche  du  chevalier. 


78  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

Le  Docteur.  • —  Non  pas,  car  ces  choses  se  vendent 
aussi  bien  ailleurs  qu'ici. 

[77]  Le  Chevalier.  • —  Que  pourraient-ils  alors 
nous  apporter  qui  soit  très  bon  marché  chez  eux  et  très 
chéri  chez  nous  ? 

Le  Docteur.  —  Du  cuivre  ^,  ils  ne  s'occuperaient  en 
vérité  que  du  cuivre  :  celui-ci  est  bon  marché  chez  eux 
et  ici,  chez  nous,  il  joue  en  partie  le  rôle  de  l'argent,  aussi 
est-il  très  cher.  C'est  cela  qu'ils  nous  apporteraient. 

Le  Chevalier.  —  Mais  comment  ?  Sous  la  forme 
de  pots,  de  vaisseaux  ou  d'autres  objets  de  cuivre  ? 

Le  Docteur.  —  Non  pas  ;  personne  ne  voudrait 
prendre  de  telles  marchandises  ;  on  ne  voudrait  que  du 
cuivre. 

Le  Chevalier.  —  Mais  comment  alors  ? 

[78]  (Le  Docteur).  —  Alors  le  Docteur  me^dit  ^ 
que  ce  serait  sous  forme  de  monnaie  de  billon  fabriquée 
outre-mer,  exactement  semblable  à  notre  monnaie, 
qu'ils  nous  apporteraient  en  quantité.  Lorsqu'ils  voient 
que  le  cuivre  monnayé  est  ici  aussi  estimé  que  l'argent, 


"j  S.  a  supprimé  ici  le  passage  suivant  de  h.  et  de  B.  : 

Le  Chevalier  :  Que  pourraient-ils...  très  cher  chez 
nous  ? 

Le  Docteur  :  Je  ne  vous  le  confierai  point  ou  je  ne 
vous  le  dirai  qu'à  l'oreille,  car  il  ne  serait  pas  bon  que 
cela  soit  connu  à  l'étranger. 

Le  Chevalier.  —  Je  vous  prie,  dites-le  moi. 

Le  Docteur.  —  Je  vous  connais  pour  un  homme 
plein  de  zèle  pour  Sa  Majesté  royale  et  son  royaume  et 
à  qui  l'on  peut  se  fier.  C'est,  je  puis  vous  le  dire,  du 
cuivre.  Ils  ne  s'occuperaient  en  vérité... 

^)  L.  &  B.  :  me  souffla  à  l'oreille. 


COMPENDIEUX    OU    BERF    EXAMEN...  79 

il  nous  en  apportent  pour  nos  marchandises,  comme 
par  exemple  pour  nos  laines,  nos  peaux,  notre  fromage, 
notre  beurre,  nos  étoffes,  notre  étain  et  notre  plomb, 
produits  que  chacun  sera  heureux  de  vendre  pour  le 
maximum  qu'il  en  pourra  tirer.  Gomme  les  étrangers 
leur  offrent  plus  d'argent  qu'ils  ne  peuvent  en  obtenir 
dans  ce  pays,  ils  vendront  plus  volontiers  aux  étran- 
gers qu'à  nous-mêmes,  car,  chez  nous,  les  prix  sont 
fixés  *^.  Les  étrangers  peuvent  avoir  cette  monnaie 
pour  peu  de  chose,  car  ils  la  fabriquent  eux-mêmes  et 
la  matière  dont  ils  la  font  est  bon  marché  *  ;  aussi  en 
donneront-ils  pour  les  dites  marchandises  autant  qu'on 
leur  en  demandera.  Bien  qu'ils  ne  fassent  pas  eux-mêmes 
de  semblable  monnaie,  ils  doivent  payer  davantage  nos 
marchandises,  ou  bien  personne  ne  leur  en  apportera 
s'il  est  possible  d'en  obtenir  autant,  chez  soi,  de  ses 
voisins  ;  les  étrangers  doivent  avoir  cela  en  considéra- 
tion lorsqu'ils  fixent  le  prix  des  produits  d'outre-mer 
qu'ils  vendent,  et,  ainsi,  ils  doivent  les  vendre  plus  cher. 
En  agissant  de  cette  façon,  ils  peuvent  épuiser  nos 
produits  principaux,  en  nous  donnant  en  échange  du 
cuivre  avec  lequel  il  ne  nous  serait  pas  possible  d'ache- 
ter de  semblables  [Fol.l7.Vo]  marchandises  selon  nos 
désirs,  si  elles  n'existaient  en  quantité  dans  notre  pays. 
Il  en  est  de  cela  comme  de  l'échange  dont  parle  Homère 
que  Glaucus  fit  avec  Diomède  **,  quand  il  lui  donna  son 
armure  d'or  pour  une  de  cuivre. 

[79]  D'un  autre  côté,  ils  sont  amenés  à  nous  vendre 
plus  cher  leurs  marchandises  et,  alors,  si  ce  fermier,  ce 
gentilhomme  et  aussi  tout  le  monde  en  ce  royaume 
étaient  obligés  de  vendre  leurs  marchandises  bon  mar- 
ché et  d'acheter  cher  tout  ce  qui  vient  d'outre-mer, 

*  Basse  monnaie  fabriquée  à  l'étranger  et  échangée  contre  des  mar- 
jî  chandises  anglaises. 

P  **  Glauci  &  Diomedis  permuta tio. 


80  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

je  ne  puis  m'imaginer  comment  ils  pourraient  longtemps 
prospérer  :  car  je  n'ai  jamais  connu  personne  qui  s'enri- 
chit en  achetant  cher  et  en  vendant  bon  marché  pendant 
un  certain  temps. 

Le  Chevalier.  —  Il  peut  y  avoir  des  enquêteurs 
pour  ces  monnayeurs  dont  vous  parlez  et  qui  viennent 
ici,  il  peut  y  avoir  des  sanctions  établies  ;  de  même 
pour  les  marchandises,  de  manière  qu'aucune  ne  soit 
exportée. 

[80]  Le  Docteur.  —  Il  ne  peut  exister  de  contrôle 
assez  sévère  pour  que  vous  ne  soyiez  déçu  en  ces  deux 
points,  aussi  bien  pour  l'importation  de  monnaie  que 
pour  l'exportation  des  marchandises,  car  beaucoup 
trouveront  de  nombreux  moyen  de  passer  en  fraude 
n'importe  quelle  marchandise  ;  bien  que  nous  soyions 
entourés  d'une  bonne  barrière  (c'est  à  dire  la  mer),  il 
y  a  cependant  en  elle  de  nombreuses  portes  pour  entrer 
et  pour  sortir  sans  que  le  maître  le  sache.  Quelqu'un 
n'a  qu'une  petite  maison,  avec  sa  famille,  il  n'y  a  qu'une 
seule  porte  pour  entrer  et  pour  sortir,  le  maître  de 
maison  ne  sera  jamais  tellement  attentif  que  quelque 
chose  ne  soit  dérobé  ;  à  plus  forte  raison  cela  arrivera- 
t-il  dans  le  cas  d'un  grand  royaume  comme  celui-ci  qui 
a  tellement  de  portes  et  de  chemins  pour  y  entrer  et 
pour  en  sortir. 

[81]  Même  si  les  étrangers  se  contentaient  de  prendre 
nos  marchandises  en  échange  des  leurs,  qu'est-ce  qui  les 
ferait  baisser  les  prix  de  leurs  denrées,  bien  que  les  nôtres 
leur  soient  vendues  bon  marché  ?  nous  serions  alors  encore 
les  perdants  et  eux  les  gagnants,  car  ils  vendraient  cher  et 
achèteraient  bon  marché,  et,  par  conséquent,  s'enrichi- 
raient et  nous  appauvriraient.  Encore,  si  j'avais,  par 
hypothèse,  haussé  [Fol. 18. R®]  le  prix  de  nos  marchan- 
dises plutôt  que  des  leurs  (comme  nous  le  faisons  main- 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  81 

tenant),  bien  qu'il  y  ait  déjà  quelques  perdants,  il  y  en  a 
moins  dans  ce  cas  que  dans  l'autre. 

[82]  Cependant  quelle  affaire  ce  serait  de  fixer  le 
prix  de  chaque  petit  objet,  ce  qui  aurait  lieu  si  l'on  devait 
abaisser,  par  voie  d'autorité,  le  prix  de  chaque  chose. 
Je  ne  puis  imaginer  «  qu'aucun  d'entre  vous  (je  veux 
dire  vous  gentilhomme  et  vous  bon  fermier)  puisse  remé- 
dier à  cette  cherté,  car  si  celle-ci  était  votre  fait,  elle 
pourrait  également  être  corrigée  par  vous  en  abandon- 
nant ce  qui  en  était  la  cause. 

[83]  Et  même  si  vous  rameniez,  vous  vos  fermages 
et  vous  le  prix  de  vos  denrées  à  l'ancien  taux,  cela  ne 
pourrait  cependant  amener  les  étrangers,  comme  je  l'ai 
dit,  à  abaisser  le  prix  de  leur  marchandises  ;  aussi  long- 
temps que  celles-ci  seront  chères,  il  ne  sera  pas  profitable 
de  rendre  vos  produits  bon  marché,  et  vous  ne  le  pourriez 
même  point,  malgré  votre  désir,  si  ce  n'est  dans  le  cas 
où  vous  pourriez  trouver  le  moyen  pour  nous  de  vivre 
sans  les  étrangers  et  pour  eux  de  vivre  sans  nous,  ce  que 
je  pense  impossible,  ou  bien  dans  le  cas  où  vous  pourriez 
échanger  marchandises  contre  marchandises,  sans  l'aide 
de  la  monnaie,  ainsi  qu'il  en  était  avant  que  l'on  ne 
fabrique  de  la  monnaie,  comme  je  l'ai  lu  pour  le  temps 
d'Homère  et  comme  l'affirme  la  Loi  Civile  **.  Une  telle 
pratique  serait  difficile  et  demanderait  de  nombreux 
chargements  et  déchargements  de  marchandise,  au  lieu 
que  maintenant,  à  l'aide  de  la  monnaie,  quelqu'un  peut 
chercher  au  loin,  sans  trop  d'ennuis  de  transport,  les 


^)  la  phrase  suivante  de  B.  manque  dans  L.  et  dans  S.  : 
Je  ne  puis  m'imaginer  que  la  cherté  soit  née  du  fait  de 
l'un  d'entre  vous  (je  veux  dire...)  et  qu'aucun  d'entre 
vous  puisse  remédier... 


LE    BRANCHU   II 


82  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

marchandises,  dont  il  avait  besoin  ;  il  serait  très  difficile 
également  de  trouver  des  marchandises  d'égale  valeur 
que  l'un  possédât  pour  payer  l'autre  ". 

[84]  Le  Fermier.  —  Si  ni  le  gentilhomme,  ni  moi 
ne  pouvons  remédier  à  cette  cherté,  qui  donc  est  à  même 
d'intervenir  ? 

Le  Docteur.  —  Je  vous  donnerai  plus  tard  mon 
opinion  là  dessus  ;  découvrons  d'abord  la  raison  de  cette 
cherté.  Laissez-moi  apprendre  quelle  autre  chose  en 
pourrait  être  la  cause. 

[85]  Le  Bonnetier.  —  Mon  Dieu  !  ces  clôtures  et 
ces  grands  pâturages  sont  une  des  causes  principales 
de  cette  cherté  ;  par  ce  fait  on  place  aujourd'hui  la 
terre  arable  [Fol.  18. V^],  qui,  auparavant,  nourrissait  de 
nombreux  pauvres  hojnmes,  dans  la  main  d'un  seul,  et 
là  où  l'on  récoltait  des  céréales  de  toutes  espèces,  là  où 
on  élevait  du  bétail  de  tout  genre,  il  n'y  a  maintenant 
plus  que  des  moutons  :  au  lieu  des  cent  ou  deux  cents 
personnages  qui  vivaient  là,  il  n'y  a  aujourd'hui  que 
trois  ou  quatre  bergers  et  le  maître  qui  y  vivent  *^. 

[86]  Le  Docteur.  —  Vous  touchez  là  une  matière 
qui  est  fort  à  considérer,  bien  que  je  ne  pense  point  que 
ce  soit  là  la  seule  cause  de  cette  actuelle  cherté.  Je  pense 
toutefois  que  si  ce  mode  de  clôtures  augmente  autant 
au  cours  des  trente  prochaines  années  ^  qu'il  ne  l'a  fait 
durant  ces  trente  dernières  années  ^,  cela  peut  conduire 
à  une  grande  désolation  et  à  l'affaiblissement  de  la  force 
de  ce  royaume  ^,  ce  qui  est  plus  à  craindre  que  la  cherté 


^)  la  phrase  n'est  pas  terminée  dans  B. 

^)  L.  &  B.  :  vingt  ans  *«. 

^)  L.  &  B.  :  de  la  puissance  du  Roi  dans  ce  royaume. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  83 

elle-même.  Parmi  les  choses  dont  vous  avez  parlé,  je 
crois  plutôt  que  ces  clôtures  sont  l'occasion  de  ces  sau- 
vages et  malheureuses  émeutes  qui  ont  eu  lieu  parmi 
nous  :  car,  par  le  fait  de  ces  clôtures,  beaucoup  de  sujets 
n'avaient  plus  de  terre  pour  vivre  comme  ils  en  avaient 
auparavant  et  il  n'y  avait  plus  de  travail  pour  tous  ;  aussi, 
la  population  augmentant  encore  et  les  salaires  dimi- 
nuant, il  s'ensuit  nécessairement  qu'une  grande  partie 
du  peuple  sera  inoccupé  et  manquera  d'argent.  Gomme  la 
faim  est  chose  très  amère  à  supporter,  ceux  qui  manquent 
murmurent  contre  ceux  qui  possèdent  beaucoup  et 
déterminent  ces  émeutes. 

[87]  Le  Chevalier.  —  L'expérience  semble  prou- 
ver parfaitement  que  les  clôtures  sont  profitables  et 
non  point  néfastes  pour  la  communauté,  car  nous  voyons 
que  les  régions  où  il  en  existe  le  plus  sont  fort  riches, 
comme  l'Essex,  le  Kent,  le  comté  de  Northampton  «  etc.. 
J'ai  entendu  une  fois  un  homme  de  loi  dire  que  ceci 
était  considéré  comme  une  maxime  dans  le  loi  civile  : 
«  que  ce  qui  est  possédé  en  commun  par  beaucoup  est 
négligé  par  tous  »  *.  L'expérience  a  montré  que  les  tenan- 
ciers en  commun  ne  sont  pas  d'aussi  bons  fermiers  que 
chaque  homme  possédant  sa  part  à  lui.  J'ai  ouï  dire 
aussi  que  dans  la  plupart  des  contrées  d'outre-mer  on 
[Fol.19.Ro]  ne  sait  pas  ce  que  c'est  qu'un  commun. 

[88]  Le  Docteur.  —  Je  ne  parle  pas  de  toutes  les 
clôtures  pas  plus  que  de  tous  les  communs,  mais  seulement 
des  clôtures  qui  ont  changé  en  pâturage  la  terre  arable 
des  communaux  et  des  clôtures  efîectuées  d'une  façon  vio- 

*  Quod  in  commun!  possidetur,  ad  omnibus  negligitur. 


«J  L.   &  B.  :  Devonshire  à  la  place  de  Northamp- 
tonshire  *'. 


84  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

lente  sans  juste  compensation  pour  ceux  qui  avaient  un 
droit  sur  ces  biens  communs.  Car  si  la  terre  avait  été 
divisée  avec  l'intention  d'y  continuer  la  culture  et  si 
chaque  homme  qui  avait  un  droit  sur  les  communaux 
avait  obtenu,  pour  sa  part,  une  pièce  de  terre  enclose, 
je  crois  qu'aucun  mal,  mais  plutôt  du  bien,  en  serait 
advenu,  si  chacun  avait  adhéré  au  partage  *^  *^.  Mais 
cette  réforme  ne  devrait  pas  être  faite  brusquement,  car 
il  existe  de  nombreux  pauvres  cottagers  en  Angleterre 
qui,  n'ayant  pour  vivre  aucune  terre  en  propre  *,  ne 
possèdent  que  leur  travail  manuel  et  ne  trouvent  aide 
que  sur  les  dits  communaux  ;  si  ceux-ci  étaient  soudaine- 
ment soustraits  à  cet  usage,  cela  pourrait  occasionner 
dans  le  Royaume  un  grand  tumulte  et  un  grand  désordre. 
Peut-être  aussi,  si  l'on  souffrait  que  les  gens  puissent 
enclore  leurs  terres  sous  la  condition  de  les  conserver  en 
labours,  après  quelque  temps  les  changeraient-ils  en  pâtu- 
rages, comme  ils  le  font  trop  rapidement  maintenant  «  ^^. 

[89]  Le  Chevalier.  —  S'ils  trouvent  ainsi  plus  de 
profit,  pourquoi  ne  le  ferait-il  pas  ? 

Le  Docteur.  —  Je  puis  vous  dire  assez  bien  pour- 
quoi ils  ne  le  devraient  pas  :  parce  qu'ils  ne  doivent  pas 
acquérir  du  profit  pour  eux-mêmes  au  moyen  de  ce  qui 
est  nuisible  aux  autres  ^^.  Toute  la  question  est  de  savoir 
comment  on  peut  les  amener  à  ne  pas  le  faire,  car  aussi 
longtemps  qu'ils  trouveront  plus  de  profit  par  le  pâtu- 
rage que  par  le  labourage,  ils  enclôreront  et  transfor- 
meront en  pâturages  la  terre  arable. 

Le  Chevalier.  —  (Dit  le  Chevalier)  :  cela  pourrait 
être  interdit  par  des  lois  ^^,  si  cette  interdiction  était 

*  Les  pauvTes  sans  terres. 


«j  L.  :  ...trop  rapidement,  et  le  plus  rapidement,  \o 
plus  triste. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  OO 

profitable  au  royaume,  mais  tout  le  monde  n'est  pas 
d'accord  sur  ce  point. 

Le  Docteur.  —  Je  le  sais  bien,  aussi  était-il  difficile 
de  faire  une  loi  à  ce  sujet  :  il  y  en  a  tellement  qui  résistent, 
trouvant  profit  en  cette  matière  !  Et  si  cette  loi  était 
faite,  malgré  elle  les  hommes  cherchant  le  plus  grand 
profit  tourneraient  la  loi  d'une  manière  ou  d'une  autre. 

Le  Chevalier.  —  [Fol.l9.Vo]  J'ai  souvent  entendu 
raisonner  là-dessus  et  quelques  uns  donnaient  cette 
raison  en  faveur  du  maintien  des  clôtures  ^^  :  chaque 
homme  est  membre  de  la  communauté  et  ce  qui  est 
profitable  à  l'un  le  sera  à  l'autre  s'il  veut  exercer  le 
même  métier.  Aussi  ce  qui  est  profitable  à  moi  et  à  un 
autre  peut  l'être  à  tous,  et,  ainsi,  à  tout  le  royaume.  De 
même  qu'un  grand  trésor  consiste  en  de  nombreux  sous 
et  que  chaque  sou  ajouté  à  un  autre,  puis  à  un  troisième, 
à  un  quatrième,  etc.,  arrive  à  former  une  grosse  somme, 
ainsi  les  hommes,  ajoutés  les  uns  aux  autres,  forment-ils 
tout  le  peuple  d'un  royaume. 

Le  Docteur.  —  La  raison  est  bonne  si  l'on  y 
ajoute  quelque  chose  :  il  est  exact  qu'une  chose  profi- 
table à  chacun  en  particulier  et  qui  n'est  pas  préjudi- 
ciable aux  autres  est  un  bien  pour  la  communauté.  Mais 
il  ne  peut  en  être  autrement,  car,  sans  cela,  les  vols 
et  les  larcins  qui  sont  peut-être  profitables  à  quelques- 
uns  le  seraient  également  pour  la  communauté,  ce  que 
personne  n'admettra.  En  ce  qui  concerne  les  clôtures, 
le  cas  est  tel  :  *  même  si  elles  sont  profitables  à  un 
homme,  elles  sont  un  préjudice  pour  beaucoup.  Je  pense 
que  ceci  est  une  réponse  suffisante  à  cet  argument. 

[90]  Le  Chevalier.  —  Aussi  présenteront-ils  une 
autre  raison,  disant  que  nos  productions  devraient  tou- 
jours être  développées,  autant  qu'il  est  possible  de  le 

*  Les  clôtures  profitent  à  l'un  et  nuisent  à  beaucoup. 


86  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

faire  et  ces  moutons  sont  une  des  richesses  les  plus  consi- 
dérables que  nous  possédions  :  aussi  devraient-ils  être 
augmentés   autant   que   possible. 

Le  Docteur.  —  Je  pourrais  répondre  à  cet  argument 
de  la  même  manière  qu'à  l'autre  :  il  est  exact  que  nous 
devrions  développer  nos  productions  autant  que  nous 
le  pouvons,  à  condition  toutefois  qu'un  produit  ne 
nuise  pas  à  nos  autres  produits  ".  L'élevage  des  lapins, 
des  chevreuils  et  autres  animaux  de  ce  genre  est  une 
richesse  pour  le  royaume  et  cependant,  si  nous  trans- 
formions notre  terre  arable  en  terrains  pour  nourrir 
ces  animaux  et  si  nous  abandonnions  la  charrue  et  les 
autres  richesses  qui  en  découlent,  ce  serait  une  grande 
folie. 

[91]  Le  Chevalier.  —  [Fol.20.Ro]  Ils  diront  encore 
que  tous  les  terrains  ne  sont  pas  bons  pour  l'élevage 
des  moutons. 

Le  Docteur.  —  C'est  de  la  très  mauvaise  terre, 
mais  elle  sert  ou  bien  à  élever  des  moutons,  ou  bien  à  les 
engraisser.  Si  tout  ce  qui  est  favorable  à  l'un  de  ces 
buts  était  consacré  à  l'élevage  des  moutons,  où  pour- 
rait-on cultiver  nos   autres  produits  ? 

Le  Chevalier.  —  Tous  ne  peuvent  le  faire,  bien  que 
quelques-uns  le  fassent. 

Le  Docteur.  —  Pourquoi  les  laisser  tous  agir  comme 
ils  voient  agir  quelques-uns  ?  Qu'est-ce  qui  pourrait  le 
mieux  les  encourager  que  de  voir  ceux  qui  le  font 
devenir,  en  peu  de  temps,  des  hommes  riches  et  res- 
pectés ?  Si  tous,  chacun  suivant  l'exemple  de  l'autre, 
se  mettaient  à  élever  des  moutons,  qu'adviendrait  il, 
sinon  une  véritable  solitude  et  une  complète  désolation 
de  tout  le  royaume,  où  il  n'y  aurait  plus,  à  la  place 


9  L.  :  aux  autres  produits. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  87 

d'hommes,  que  des  moutons  et  des  bergers,  de  telle  sorte 
qu'il  serait  une  proie  pour  les  ennemis  qui  l'attaqueraient 
les  premiers  *  ?  Car,  en  effet,  ces  éleveurs  de  moutons 
et  leurs  bergers  ne  pourraient  offrir  aucune  résistance  à 
l'ennemi    ^^. 

[92]  Le  Chevalier.  —  Peut-on  les  empêcher  de 
tirer  le  plus  de  profit  possible  de  ce  qui  leur  appartient  ? 

Le  Docteur.  —  Mais  certainement  !  On  ne  peut 
user  de  sa  propre  chose  «  de  telle  sorte  qu'elle  nuise  à  la 
communauté.  Cependant,  étant  donné  ce  que  je  vois, 
bien  que  ces  clôtures  soient  une  chose  à  laquelle  il 
importe  de  remédier,  je  ne  puis  cependant  imaginer 
qu'elles  soient  la  seule  cause  de  cette  cherté,  car  si  ces 
clôtures  et  cet  élevage  surabondant  se  trouvaient  l'occa- 
sion de  la  cherté  de  quoique  ce  soit,  ce  devrait  être 
surtout  des  grains  :  or  à  présent,  depuis  de  nombreuses 
années  ^,  nous  avons  du  grain  assez  bon  marché.  Les 
prix  les  plus  élevés  étaient  ceux  du  bétail,  comme  ceux 
des  bœufs  et  des  moutons,  dont  pourtant  l'élevage  est 
plus  développé  que  diminué  par  les  pâturages  et  les 
clôtures   ^^. 

[93]  Le  Chevalier.  —  Si  cela  est,  pourquoi  les  gens 
seraient-ils  aussi  lésés  par  ces  clôtures  ? 

Le  Docteur.  —  Certainement,  ils  le  sont,  et  ce  n'est 
point  sans  cause  :  car,  en  ces  nombreuses  dernières 
années  ^,  par  la  grande  bonté  de  Dieu,  nous  avons  eu 
[Fol.20.Vo]  énormément  de  grain,  aussi  a-t-il  été  bon 

*  Si  tous  élevaient  des  moutons,  il  n'y  aurait  plus  d'hommes  et  l'An- 
gleterre serait  la  proie  de  ses  ennemis. 


^)  L.  &  B.  :  on  ne  peut  abuser. 

^)  L.  &  B.  :  dans  ces  deux  ou  trois  dernières  années. 

<^j  L.  &  B.  :  trois  ou  quatre  dernières  années. 


88  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

marché  (un  acre  de  terre  produisant  autant  de  grain 
qu'autrefois  le  faisaient  généralement  deux  acres), 
cependant,  si  ces  années  ne  s'étaient  montrées  que 
médiocrement  productrices  de  céréales,  il  n'y  a  pas  de 
doute  que  nous  aurions  eu  une  grande  cherté  des  grains 
comme  nous  l'avons  des  autres  choses.  Cela  a  été,  en 
quelque  sorte,  la  destruction  des  biens  communaux 
des  pauvres.  Si  à  l'avenir  il  se  trouvait  quelques  années 
de  mauvaise  récolte  de  céréales,  nous  serions  assurés 
d'être  en  grande  difficulté  avec  le  prix  des  grains,  ce  qui 
devrait  arriver,  de  la  même  manière  que  nous  nous 
trouvons  aujourd'hui  avec  le  prix  des  autres  denrées  *, 
et  cela  spécialement  si  nous  n'avons  pas  assez  de  grains 
pour  la  consommation  du  royaume,  ce  qui  peut  advenir 
plus  aisément  que  par  le  passé,  étant  donné  qu'il  y  a 
eu  beaucoup  de  terres  transformées  en  pâturages.  Chaque 
homme  cherchera  où  se  trouve  le  plus  grand  profit  et 
il  verra  qu'il  y  a  beaucoup  plus  d'avantages  dans  le 
pâturage  et  l'élevage  que  dans  le  labourage  et  la  culture. 
Aussi  longtemps  qu'il  en  sera  ainsi,  les  pâtures  s'aug- 
menteront toujours  aux  dépens  des  labours,  en  dépit 
de  toutes  les  lois  qui  pourraient  être  édictées  pour 
l'empêcher. 

[94]  Le  Chevalier.  —  Et  comment  pensez-vous 
alors  qu'on  puisse  y  remédier  ? 

Le  Docteur.  —  En  rendant  le  profit  du  labourage 
aussi  important,  toutes  choses  étant  égales,  que  ne  l'est 
celui  de  l'herbager  et  celui  de  l'éleveur  de  moutons. 

Le  Chevalier.  —  Comment  pourrait-on  l'obtenir  ? 

Le  Docteur.  —  Mon  Dieu  !  j'aperçois  deux  manières 
de  faire,  mais  je  crains  que  ces  projets  ne  vous  paraissent 
tout  d'abord  si  déplaisants,  avant  que  vous  les  consi- 


*  Seules  les  dernières  bonnes  récoltes  ont  empêché  la  ruine  complète 
des  pauvres  gens. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  89 

dériez  à  fond,  que  vous  les  rejettiez  avant  de  les  avoir 
examinés  :  car  nous  parlons  maintenant  du  moyen 
d'avoir  les  choses  bon  marché,  aussi,  si  je  vous  indique 
un  moyen  qui  les  rendrait  plus  chères  pour  un  temps, 
ma  proposition  sera  rejetée  sans  hésitation,  comme  celle 
d'un  homme  parlant  contre  les  idées  de  tous. 

Le  Chevalier.  —  Dites  cependant  sans  ménage- 
ments ce  que  vous  pensez,  et,  bien  que  votre  argument 
ne  paraisse  pas  raisonnable  au  premier  abord,  nous 
écouterons  comment  vous  pouvez  l'amener  à  une  fm 
raisonnable. 

Le  Docteur.  —  Rappelez-vous  ce  que  nous  avons 
à  discuter  :  non  pas  seulement  la  question  de  savoir 
comment  le  prix  des  choses  pourrait  être  abaissé,  mais 
[F0I.2LR0]  aussi  comment  on  pourrait  empêcher  ces 
clôtures  et  comment  la  culture  pourrait  être  intensifiée. 
Du  prix  des  choses,  nous  parlerons  plus  tard. 

Le  Chevalier.  —  Nous  nous  souviendrons  fort  bien 
de  tout  cela. 

[95]  Le  Docteur.  —  Qu'est-ce  qui  fait  que  les  gens 
multiplient  si  volontiers  pâturages  et  clôtures  ? 

Le  Chevalier.  —  Mais  c'est  le  profit  qu'ils  en  tirent! 

Le  Docteur.  —  C'est  très  exact  et  il  n'y  a  point 
d'autres  raisons.  Trouvez  alors  le  moyen  d'arriver  à 
l'une  des  deux  choses  que  je  vais  vous  dire  et  vous  ren- 
drez les  gens  aussi  disposés  à  labourer  qu'ils  ne  le  sont 
maintenant  à  créer  des  pâturages. 

Le  Chevalier.  —  Quelles  sont  ces  deux  choses  ? 

Le  Docteur.  —  Mon  Dieu  !  ou  bien  rendre  les  gains 
provenant  du  pâturage  aussi  faibles  que  ceux  provenant 
du  labourage,  ou  bien  faire  en  sorte  que  le  profit  du 
labourage  soit  aussi  considérable  que  celui  donné  aupa- 
ravant par  le  pâturage  *.  Je  ne  doute  point  alors  que  le 

*  Rendre  l'élevage  moins  productif  ou  le  labourage  davantage. 


90  ÉCRITS   NOTABLES   SUR   LA   MONNAIE 

labourage  ne  soit  aussi  estimé  par  tous  que  le  pâturage. 
Le  Chevalier.  —  Et  comment  peut-on  y  parvenir  ? 

[96]  Le  Docteur.  —  La  première  manière  est  de 
rendre  le  prix  de  la  laine  aussi  bas  pour  les  éleveurs  que 
ne  Test  le  prix  du  grain  pour  les  cultivateurs.  Gela  arri- 
vera si  vous  prohibez  l'exportation  de  la  laine,  comme 
on  le  fait  pour  les  grains  ",  ou  bien  si  on  augmente  les 
droits  sur  la  laine  qui  est  exportée  brute.  Par  ce  moyen, 
le  prix  de  la  laine  sera  abaissé  pour  l'éleveur,  bien  que 
son  prix  ne  diminuera  pas  outre-mer  :  l'augmentation 
du  prix  de  vente  aux  étrangers  viendra  à  Sa  Majesté, 
ce  qui  serait  aussi  profitable  pour  le  royaume  que  s'il 
allait  aux  éleveurs  et  pourrait  les  libérer  du  paiement 
d'autres  subsides.  Ceci  pour  diminuer  le  prix  des  laines. 

[97]  Maintenant,  pour  hausser  le  prix  du  grain, 
pour  le  rendre  aussi  profitable  ^  aux  fermiers  que  l'est 
le  prix  de  laine  pour  les  éleveurs,  ce  pourrait  être  obtenu 
en  en  laissant  toujours  l'exportation  libre,  comme  c'est 
le  cas  à  présent  pour  la  laine  *. 

[98]  Le  Marchand.  —  Par  les  deux  premiers  moyens 
on  expédierait  moins  de  laine  à  l'étranger  qu'on  ne  le 

*  L'exportation  des  grains  devrait  être  aussi  libre  que  celle  de  la  laine. 


^)  S.  a  passé  ici  le  passage  suivant  de  L.  et  de  B.  : 
Vous  avez  une  loi  ordonnant  que  le  grain  ne  soit  pas 
exporté  s'il  vaut  plus  d'un  noble  ^'  le  quarter  ^^  et  s'il 
vaut  moins,  vous  lui  accordez  libre  passage  ;  que  l'on 
interdise  ainsi  l'exportation  de  la  laine  si  elle  vaut  plus 
de  3  s.  14  d.  la  tod  ^^  et,  si  elle  vaut  moins,  donnez-lui 
libre  passage  ;  c'est  là  un  des  moyens  ^^.  Un  autre  moyen 
est  d'augmenter  les  droits  sur  la  laine... 

^)  h,  &  B.  :  le  rendre  équivalent. 


I 


I 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  91 

fait  maintenant  et  aussi  les  Douanes  de  Sa  Majesté 
[Fol.21.Vo]  y  «  perdraient  ;  par  votre  dernier  moyen,  le 
prix  du  grain  monterait  considérablement,  ce  qui  lése- 
rait beaucoup  de  gens. 

Le  Docteur.  —  Je  vois  bien  qu'il  serait  plus  cher 
au  début,  mais  si  je  puis  vous  persuader  qu'il  serait  rai- 
sonnable qu'il  en  soit  ainsi,  que  ce  ne  serait  aucunement 
un  dommage  pour  le  royaume,  mais  au  contraire,  un 
grand  profit  pour  lui,  je  pense  que  vous  serez  alors 
content  qu'il  en  soit  ainsi.  Pour  ce  qui  est  des  Douanes 
de  Sa  Majesté,  j'en  parlerai  plus  tard. 

Le  Marchand.  —  Je  vous  l'accorde  si  vous  pouvez 
le  prouver. 

[99]  Le  Docteur.  —  Je  le  ferai,  bien  que  la  matière 
soit  assez  compliquée.  Comme  je  vous  l'ai  dit  tout 
d'abord,  ce  moyen,  à  première  vue,  déplairait  à  beau- 
coup ;  ils  objecteraient  :  «  Voudriez-vous  rendre  le  grain 
plus  cher  qu'il  ne  l'est  ?  N'avons-nous  pas  ^  une  cherté 
suffisante  sans  cela  ?  Cela  ne  sera  point.  Je  vous  prie  de 
trouver  le  moyen  de  le  rendre  meilleur  marché,  si  cela 
se  peut,  car  il  est  déjà  assez  cher  sans  cela.  »  Et  d'autres 
raisons  semblables  seraient  énoncées.  Mais  laissons 
maintenant  le  fermier  répondre  ceci  :  «  Vous  autres, 
éleveurs,  n'avez-vous  pas  haussé  le  prix  de  vos  laines 
et  de  vos  peaux  ?  et  vous,  marchands,  tailleurs  et  bonne- 
tiers, n'avez-vous  pas  haussé  le  prix  de  vos  marchan- 
dises de  telle  sorte  qu'il  est  le  double  de  ce  qu'il  était  ? 
N'y  a-t-il  pas  alors  une  bonne  raison  pour  que  nous 
haussions  également  le  prix  de  notre  grain  ?  Pourquoi 
auriez-vous  complète  liberté  et  pourquoi  la  nôtre 
serait-elle  restreinte  ?   Ou   bien   que  cette  liberté  soit 


^)  L.  &  B.  :  et  les  profits  de  ses  entrepôts  ^^. 
^)  L.   &  B.  :  n'avez-vous  pas...  ? 


92  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

limitée  pour  tous,  ou  bien  que  nous  l'ayons  tous  entière. 
Vous  pouvez  vendre  votre  laine  outre-mer  ^,  vos  peaux, 
votre  suif,  vos  fromages,  votre  beurre  et  votre  cuir  (ce 
qui  provient  uniquement  de  l'élevage),  vous  pouvez  les 
vendre  comme  vous  le  désirez  et  le  plus  cher  que  vous 
le  pouvez  ;  et  nous,  nous  ne  pourrons  exporter  notre 
blé,  à  moins  qu'il  ne  soit  à  dix  pence  le  boisseau  ou 
au-dessous  ^^,  ce  qui  revient  à  dire  que,  nous  autres 
cultivateurs,  nous  ne  pourrons  vendre  nos  produits, 
excepté  s'ils  sont  pour  rien  ou  pour  si  peu  de  chose  que 
nous  ne  saurions  en  vivre.  »  Ne  pensez-vous  pas  que  si 
le  fermier  ici  présent  avait  prononcé  ces  mots,  il  n'au- 
rait pas  dit  là  quelque  chose  de  [Fol.22.Ro]  raisonnable  ? 

[100]  Le  Fermier.  —  Je  vous  remercie  de  tout  mon 
cœur,  car  vous  avez  parlé  là  dessus  plus  que  je  n'aurais 
pu  le  faire  moi-même  et  cependant  il  n'y  avait  rien  qui 
ne  soit  absolument  exact.  Nous  sentions  le  mal,  mais 
nous  ne  savions  quelle  en  était  la  cause  ;  beaucoup 
d'entre  nous  se  sont  rendus  compte  il  y  a  déjà  long- 
temps ^  que  notre  profit  provenant  du  labourage  était 
faible,  et  aussi  certains  de  mes  voisins,  qui  avaient  par  le 
passé  quelques-uns  deux,  d'autres  trois,  d'autres  encore 
quatre  charrues  leur  appartenant,  ont  abandonné,  les 
uns  partie,  les  autres  la  totalité  de  leurs  charrues  ^  et  ont 
changé  en  pâturages  partie  ou  totalité  de  leurs  terres 
arables.  Ils  sont  devenus  fort  riches  de  ce  fait.  Chaque 
jour,  quelques  uns  d'entre  nous  enclosent  en  pâturages 
une  partie  de  leurs  terres  ^,  et,  si  ce  n'était  que  notre  terre 


^)  h.  :  vous  pouvez  vendre  avec  profit  outre-mer 
vos  peaux... 

^)  L.  :  douze  ans  auparavant. 

^)  L.  :  quelques  uns  ont  abandonné  la  totalité  de 
leurs   charrues. 

^)  Variantes  de  forme  de  L.  et  de  B. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  93 

se  trouve  parmi  les  champs  communs,  enclavés  les  uns 
dans  les  autres,  je  pense  aussi  que  nos  champs  auraient 
été  enclos  de  l'agrément  de  tous,  il  y  a  déjà  longtemps  ou 
tout  au  moins  à  présent  ^^  ®*.  Pour  dire  vrai,  moi  qui 
n'ai  point  enclos  ma  terre,  ou  seulement  une  petite  partie, 
je  n'aurais  jamais  été  capable  d'amasser  le  fermage  de 
mon  propriétaire  si  ce  n'avait  été  au  moyen  d'un  petit 
troupeau  «  de  bœufs  et  de  vaches,  de  moutons,  de  porcs, 
d'oies  et  de  poules  que  je  possède  et  que  je  nourris  sur 
ma  terre.  Gomme  leur  prix  est  assez  bon,  j'en  tire  plus 
de  profit  net  que  je  ne  le  fais  de  tout  mon  grain  ;  je  n'ai 
cependant  qu'un  très  maigre  revenu  car  beaucoup  de 
choses  nécessaires  à  la  culture  sont  aujourd'hui  consi- 
dérablement plus  chères  qu'elles  ne  l'étaient  autrefois. 

[101]  Le  Bonnetier.  —  Quoique  cet  argument  du 
Maître  Docteur  ici  présent  vous  plaise  beaucoup  à  vous 
qui  êtes  fermier,  il  ne  vous  satisfait  pas  du  tout,  nous 
autres  artisans,  qui  sommes  obligés  d'acheter  du  grain 
à  la  fois  pour  le  pain  et  pour  le  malt.  Lorsque  vous  dites. 
Maître  Docteur,  qu'il  y  a  d'aussi  bonnes  raisons  pour  le 
fermier  de  hausser  le  prix  de  son  grain  et  d'en  avoir  la 
libre  exportation,  que  pour  nous  de  hausser  le  prix  de 
nos  marchandises  et  de  les  exporter,  je  ne  puis  vrai- 
ment le  nier,  mais  je  dirais  cependant  que  chaque  hom.me 
a  davantage  besoin  de  grain  que  d'autres  marchandises  ^^ 

[102]  Le  Docteur.  —  [Fol.22.Vo]  Aussi,  plus  le  grain 
est  nécessaire  et  plus  on  doit  encourager  les  hommes  qui 
le  produisent,  car  s'ils  voient  qu'il  n'y  a  pas  autant  de 
profit  à  attendre  du  labourage  que  d'autres  métiers,  ne 
pensez-vous  pas  qu'ils  laisseront  là  le  labourage  pour 
s'adonner  à  un  autre  commerce  qu'ils  jugeront  plus  pro- 


^)  h.    &  B.   :  un  petit  élevage. 


94  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

fitable  ?  Vous  pouvez  vous  en  rendre  compte  par  les 
agissements  des  voisins  de  cet  honnête  homme  qui  ont 
transformé  en  pâturages  leurs  terres  arables,  parce  qu'ils 
voyaient  plus  de  profit  dans  l'élevage  que  dans  la  culture. 
N'y  a-t-il  pas  en  latin  «  un  vieux  proverbe,  Honos  alil 
artes  ^^  ?  c'est-à-dire  que  le  profit  et  le  bénéfice  aug- 
mentent chaque  faculté  et  ce  proverbe  est  tellement  vrai 
qu'il  est  accepté  du  consentement  commun  de  tous  les 
hommes. 

[103]  Il  nous  faut  aussi  comprendre  que  tout  ce  qui 
doit  être  fait  dans  un  royaume  ne  doit  pas  être  forcé 
ou  contraint  par  les  strictes  pénalités  de  la  loi  :  une  partie 
seulement  doit  l'être  ainsi,  le  reste  doit  plutôt  être  sti- 
mulé par  l'attrait  et  les  récompenses.  Quelle  loi  en  efîet 
peut  obliger  les  hommes  à  être  industrieux  dans  le  tra- 
vail et  dans  les  exercices  corporels  ou  les  contraindre  à 
être  studieux  dans  l'étude  de  quelque  science  ou  de  quel- 
que connaissance  de  l'esprit  ?  Gela  peut  se  trouver  fort 
bien  provoqué,  encouragé,  rendu  attrayant.  Si  ceux  qui 
sont  industrieux  et  travailleurs  sont  bien  récompensés 
de  leurs  peines,  si  on  souffre  qu'ils  fassent  des  bénéfices 
et  s'enrichissent  comme  récompense  de  leurs  travaux,  si, 
de  même,  les  gens  instruits  ont  de  l'avancement  et  sont 
honorés  dans  la  mesure  de  leur  savoir,  chacun  s'efforcera 
alors,  ou  bien  d'être  industrieux  dans  le  travail  manuel, 
ou  bien  d'être  studieux  dans  les  choses  qui  conduisent 
au  savoir. 

[104]  Otez-leur  ces  récompenses  et  essayez  de  les 
contraindre  ^  par  des  lois  ;  qui  donc  voudra  alors  bêcher 
ou  labourer  le  sol,  ou  exercer  quelque  métier  manuel 


^)  L.  :  n'y  a-t-il  pas  dans  la  conversation...  ? 
^)  L.  :  et  n'essayez  point  de  les  contraindre. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  95 

demandant  de  l'effort  ?  Qui  s'aventurera  sur  les  mers  à 
la  recherche  de  quelque  marchandise  ou  qui  se  servira 
d'une  faculté  dans  l'exercice  de  laquelle  se  trouverait 
du  péril  ou  du  danger,  voyant  que  sa  récompense  ne 
sera  pas  plus  importante  que  celle  de  celui  qui  ne  fait 
rien  ?  Vous  me  répondrez  peut-être  que  toute  leur 
récompense  ne  sera  pas  supprimée  mais  seulement  une 
partie.  Vous  devez  cependant  m'accorder  que,  si  toutes 
ces  récompenses  leur  étaient  retirées,  toutes  ces  facul- 
tés doivent  [Fol.23.Ro]  nécessairement  décliner  ;  aussi, 
si  on  en  diminue  une  partie,  l'usage  de  ces  facultés  dimi- 
nuera-t-il  dans  la  même  proportion,  et  le  moins  les 
hommes  seront  récompensés  et  estimés,  le  moins  ils 
seront  occupés. 

[105]  Pour  en  revenir  à  notre  sujet,  je  crois  très 
nécessaire  de  trouver  un  moyen  de  favoriser  les  fermiers 
et  je  ne  puis  voir  comment  on  pourrait  arriver  à  ce  résul- 
tat, sinon  en  faisant  entrevoir  davantage  de  profit  aux 
hommes  qui,  dès  lors  s'adonneraient  plus  joyeusement 
à  ce  métier.  La  preuve  que  ceci  est  vrai  (c'est-à-dire  que 
certaines  choses  dans  un  état  doivent  être  imposées  par 
des  sanctions  et  d'autres  rendues  attrayantes  par  des 
récompenses)  peut  apparaître  "  dans  ce  qu'écrit  le  sage 
et  politique  sénateur  Tullius  *  disant  que  c'était  les 
paroles  mêmes  de  Solon  (qui  était  un  des  sept  sages  de 
la  Grèce  et,  de  ces  sept,  le  seul  qui  fit  des  lois)  qu'un  état 
était  tenu  principalement  par  deux  choses,  des  récom- 
penses et  des  sanctions  ;  je  déduis  de  ces  paroles  que  les 
hommes  devraient  être  incités  à  bien  agir  par  des 
récompenses  et  des  avantages  ^  et  empêchés  de  mal  faire 

*  Tullius  in  Ep.  ad  att.«' 


^)  h.  :  comme  il  apparait. 

^j  L.  :  par  des  prix.  —  B.  :  par  des  présents. 


96  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

par  des  sanctions.  Ne  croyez-vous  pas,  si  les  fermiers 
ne  sont  pas  plus  favorisés  et  encouragés  au  labourage 
qu'ils  ne  le  sont  à  présent,  que  dans  quelque  temps  tel- 
tement  de  charrues  seront  abandonnées  (et  je  crains  que 
cela  ne  soit  déjà),  que  s'il  advient  une  mauvaise  année, 
comme  cela  se  produit  ordinairement  tous  les  sept  ans, 
nous  n'aurions  pas  seulement  la  cherté,  mais  aussi  la 
disette  des  grains,  que  nous  serions  obligés  de  quérir  à 
l'étranger  et  de  payer  très  cher  ? 

[106]  Le  Chevalier.  —  Gomment  voudriez-vous  les 
encourager  davantage  au  labourage  ? 

Le  Docteur.  —  En  leur  permettent  d'obtenir  par 
lui  plus  de  profit  qu'ils  n'en  ont  et  en  leur  donnant  la 
liberté  de  vendre  leur  grain  toujours  et  partout,  aussi 
librement  que  les  autres  hommes  vendent  leurs  autres 
produits  *.  Mais  alors,  il  n'y  a  pas  de  doute,  le  prix  du 
grain  montera,  au  début  plus  qu'au  bout  d'un  certain 
temps.  Cependant  ce  prix  déterminerait  chacun  à  char- 
mer le  sol,  à  labourer  de  vastes  terres  et  à  transformer 
en  terres  arables  celles  qui  sont  maintenant  encloses 
pour  la  pâture,  car  chaque  homme  s'adonnera  de  préfé- 
rence (Fol.23.Vo]  au  métier  où  il  voit  le  plus  de  profit.  Il 
s'ensuivra  forcément  une  grande  abondance  de  grain 
dans  le  Royaume,  ce  qui  amènera  également,  pour  cette 
raison,  beaucoup  d'argent  ;  en  outre,  l'abondance  des 
autres  denrées  sera  accrue  parmi  nous. 

[107]  Le  Chevalier.  —  Je  voudrais  vous  entendre 
dire  comment. 

Le  Docteur.  —  Vous  avez  entendu  que,  par  cette 
libre  vente  du  grain,  le  profit  du  fermier  sera  augmenté. 
Il  est  démontré  que  tout  homme  s'adonnera  naturelle- 
ment au  métier  dans  lequel  il  voit  du  profit  ;  aussi  les 

*  Le  libre  trafic  du  grain  est  une  nécessité. 


\ 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  97 

gens  se  mettront-ils  volontiers  à  l'agriculture  et  plus  il 
y  a  d'agriculteurs  «,  plus  il  doit  y  avoir  de  grain  ;  plus  il 
y  a  de  grain,  plus  il  doit  être  bon  marché  et  aussi  plus 
en  doit-il  rester  au  delà  de  la  consommation  du  royaume. 
Ce  qui  peut  être  épargné  dans  une  bonne  année  nous 
apportera  de  nouveau  du  grain  ou  bien  les  marchandises 
des  autres  pays  qui  nous  sont  nécessaires.  Plus  il  y  aura 
d'agriculteurs  et  plus  nous  aurons  d'élevages  de  toutes 
sortes  :  bovins,  moutons,  porcs,  oies,  poules,  chapons  et 
poulets  ^,  car  cela  dépend  beaucoup  du  grain. 

[108]  Le  Chevalier.  —  Si  l'on  vendait,  lors  d'une 
bonne  année,  tout  ce  qui  dépasse  la  consommation  du 
royaume,  que  ferions-nous  s'il  survenait  une  mauvaise 
récolte,  quand  il  n'y  aurait  plus  de  stocks  de  grains  laissés 
de  l'année  précédente  ? 

Le  Docteur.  —  Tout  d'abord,  vous  devez  considérer 
que  les  gens  seront  sûrs  de  conserver  dans  le  royaume 
assez  de  grain  pour  leur  usage  avant  qu'ils  n'en  expor- 
tent. Ayant  la  liberté  de  vendre  selon  leur  bon  plaisir, 
ne  doutez  pas  qu'ils  vendent  leur  grain  deux  ou  trois 
pence  meilleur  marché  dans  le  royaume  plutôt  que 
d'avoir  la  charge  du  transport  et  les  risques  de  l'aventure 
en  l'exportant  et  en  le  vendant  plus  cher,  excepté  s'il 
s'agit  d'un  gain  beaucoup  plus  élevé  *.  Et  ainsi,  poussés 
par  l'esprit  de  lucre,  les  gens  conserveront  beaucoup  de 
grains  en  attendant  une  année  de  haut  prix  dans  le  pays, 
ce  qui  implique  des  stocks  importants. 

[109]  [Fol.24.Ro]  Et  même  s'ils  n'agissaient  pas  ainsi, 
même  si,  lors  d'une  bonne  année,  ils  exportaient  tout  le 

*  Les  fermiers  conserveront  certainement  des  stocks  de  blé. 


«^  B.  :  et  le  plus  il  y  en  aura,  le  plus  de  grain... 
^)  L.   &  B.  :  ...  oies,  œufs,  beurre  et  fromages... 


LB    BRANCHU 


98  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

surplus  de  la  consommation  du  royaume,  étant  donné 
cependant  *,  par  les  raisons  sus-énoncées,  que  beau- 
coup plus  de  charrues  seraient  au  travail  qu'il  n'en 
faudrait  au  royaume  dans  une  bonne  année,  s'il  sur- 
vient une  mauvaise  récolte,  le  grain  produit  par  des 
charrues  aussi  nombreuses  que  dans  une  bonne  année 
serait  plus  que  suffisant  (en  mauvaise  année)  ou,  du 
moins,  serait  suffisant  pour  la  consommation  de  Royaume. 
Ainsi  le  Royaume  aurait-il  suffisamment  de  grain  dans 
une  mauvaise  année,  pas  davantage  qu'il  n'en  serait 
nécessaire  dans  une  bonne  année  et  le  surplus  pourrait-il 
alors  être  échangé  contre  de  grosses  sommes  d'argent  ou 
de  nombreuses  marchandises,  tandis  qu'à  présent,  lors 
d'une  bonne  récolte,  nous  n'avons  que  ce  qui  est  néces- 
saire pour  le  royaume. 

[110]  S'il  arrive  une  très  mauvaise  année,  nous  man- 
querons évidemment  de  grain  chez  nous  et  nous  serons 
obligés  de  l'acquérir  outre-mer.  Mais  alors,  si  les  étran- 
gers étaient  aussi  jaloux  que  nous  le  sommes,  ne  pour- 
raient-ils pas  dire,  lorsque  nous  avons  besoin  de  grain 
chez  eux,  qu'il  n'y  a  aucune  raison  pour  qu'ils  nous  en 
laissent  avoir  chez  eux  quand  il  n'y  en  a  pas  chez  nous, 
étant  donné  qu'ils  ne  peuvent  en  obtenir  chez  nous 
quand  nous  en  avons  beaucoup  ^^.  Certainement,  le 
sens  commun  voudrait  qu'un  pays  aide  un  autre  en  cas 
de  besoin  ;  aussi  Dieu  a-t-il  ordonné  **  qu'aucun  pays  ne 
posséderait  toutes  les  marchandises,  mais,  au  contraire, 
que  ce  qui  manque  à  l'un,  un  autre  l'apporterait,  que 
ce  qui  manque  à  un  pays  cette  année,  un  autre  l'ait  en 
abondance,  afin  que  les  hommes  puissent  apprendre  qu'ils 
ont  besoin  de  l'aide  les  uns  des  autres  et  que  par  là  l'ami- 
tié et  l'esprit  de  société  croissent  parmi  eux  ^^  Mais 

*  Le  libre-échange  des  grains  en  augmenterait  tellement   la   culture 
que  nous  en  aurions  suffisamment,  même  lors  d'une  mauvaise  année. 
**  Dieu  a  ordonné  qu'un  pays  aide  l'autre. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  99 

nous,  nous  voudrions  agir  comme  si  nous  n'avions  besoin 
d'aucun  autre  pays  sur  terre,  comme  si  nous  pouvions 
vivre  par  nous-mêmes,  comme  si  nous  pouvions  produire 
tout  ce  qui  nous  est  nécessaire,  alors  que,  si  Dieu  a  été 
très  généreux  à  notre  égard  et  nous  a  donné  de  grandes 
richesses,  nous  ne  pouvons  cependant  vivre  sans  les 
produits  des  autres  *.  Par  exemple,  bien  que  nous 
possédions  du  fer  et  du  sel,  nous  n'en  avons  cependant 
[Fol.24.Vo]  pas  le  tiers  de  ce  qui  est  nécessaire  au 
royaume  et  cela  ne  peut  être  épargné  si  l'on  veut  que  la 
culture  prospère  ;  pour  le  goudron,  la  résine,  la  poix, 
l'huile  et  l'acier,  nous  n'en  avons  pas  du  tout  et,  quant 
aux  vins  "^^^  aux  épices,  aux  toiles  de  lin,  aux  soies  et  aux 
colorants,  nous  n'en  avons  pas  non  plus,  bien  qu'il  nous 
soit  possible  de  vivre  sans  eux,  d'une  manière  grossière 
et  peu  civilisée  toutefois  **.  Je  ne  nie  cependant  pas 
que  nous  achetons  outre-mer  de  nombreux  objets  qu'il 
nous  serait  loisible  d'avoir  ici  en  quantité  suffisante  et 
beaucoup  d'autres  dont  nous  pourrions  nous  passer 
complètement  ;  mais  de  cela,  si  j'ai  le  temps,  je  parlerai 
plus  longuement  par  la  suite. 

[111]  Mais  revenons  à  présent  au  premier  point  dont 
j'ai  parlé,  savoir  :  favoriser  la  culture  en  abaissant  le 
prix  des  laines  et  des  peaux.  Je  ne  pense  pas  toutefois 
que  ce  moyen  soit  aussi  bon  que  l'autre,  car  je  ne  prise 
guère  une  mesure  propre  à  diminuer  l'une  de  nos  pro- 
ductions, si  ce  n'est  cependant  pour  augmenter  une 
autre  production  préférable  ;  mais  si  les  deux  produc- 
tions peuvent  être  augmentées  concouramment,  comme 
je  crois  qu'elles  pourraient  l'être  par  le  premier  moyen, 
je  préfère  de  beaucoup  celui-ci  ^^.  Vous  avez  prétendu 
néanmoins,  frère  Mercier,  que,  soit   par  la   restriction 


*  Nous  ne  pouvons  vivre  sans  les  produits  des  autres  pays... 
**  ...  et  nous  devrions  commercer  librement  avec  eux. 


100  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

de  rexportation  de  la  laine  et  des  autres  marchandises 
jusqu'à  ce  que  leur  prix  soit  égal,  dans  ce  royaume,  au 
prix  du  grain,  soit  par  le  relèvement  des  droits  de  douane 
sur  la  laine  et  autres  marchandises  jusqu'au  même  résul- 
tat, les  recettes  des  douanes  royales  diminueraient.  Per- 
sonnellement, je  ne  le  pense  pas,  car  on  percevrait  tout 
autant  pour  peu  de  laines  exportées  avec  un  droit  de 
douane  élevé,  qu'on  le  fait  à  présent  pour  beaucoup  de 
laines  exportées  avec  un  faible  droit.  D'autre  part,  ce 
que  Sa  Grâce  pourrait  perdre  par  ses  droits  sur  la  laine, 
elle  le  regagnerait,  ou  même  davantage,  par  les  droits 
de  douane  sur  les  étoffes  fabriquées  dans  ce  royaume. 

[112]  Mais  un  point  que  je  remarque  à  propos  de  ce 
dernier  moyen  et  que  nous  devrons  mettre  en  pratique 
si  celui-ci  est  adopté,  c'est-à-dire  si  nous  conservons 
par  devers  nous  beaucoup  de  nos  produits,  est  que  nous 
serons  obligés  de  nous  passer  de  nombreux  autres  objets 
que  nous  achetons  maintenant  outre-mer,  car  nous 
devons  toujours  prendre  soin  de  ne  pas  acheter  aux 
étrangers  plus  que  [Fol.25.Ro]  nous  leur  vendons,  ou 
autrement  nous  nous  appauvririons  et  nous  les  enrichire- 
rions  «  '^  *^  Qq  ne  serait  point  d'un  bon  fermier,  ne  pos- 
sédant pour  vivre  que  les  produits  de  sa  culture,  s'il 
achetait  au  marché  plus  qu'il  n'y  vend  '^.  C'est  un  point 
par  lequel  nous  pourrions  conserver,  beaucoup  d'argent 
dans  ce  royaume,  si  nous  le  voulions,  et  je  m'émerveille 
que  personne  n'y  prête  attention.  Quelle  quantité  de 
bagatelles  vous  viennent  ici  d'outre-mer,  bagatelles  dont 
nous  pourrions  nous  passer  totalement  ou  bien  qu'il 
nous  serait  facile  de  fabriquer  en  ce  royaume  ;  nous 

*  Nous  devons  conserver  en  équilibre  la  balance  du  commerce  avec 
l'étranger. 


^)  OU   autrement...   enrichire rions  manque  dans   L. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  101 

payons  pour  elles  chaque  année  des  sommes  considé- 
rables ou  bien  nous  échangeons  contre  elles  des  mar- 
chandises subtantielles  et  nécessaires,  dont  il  nous  serait 
loisible  d'obtenir  de  grosses  sommes  *.  Je  veux  désigner 
par  là  les  miroirs,  les  verres  à  boire,  les  verres  pour  fenê- 
tres, les  cadrans,  les  tables,  les  cartes,  les  balles,  les  pan- 
tins, les  plumes,  les  encriers,  les  cure-dents,  les  gants,  les 
couteaux,  les  dagues,  les  bourses,  les  broches,  les  ferrets, 
les  boutons  de  soie  et  d'argent,  les  pots  de  terre,  les 
épingles  et  les  clous,  les  sonnettes  de  faucon,  le  papier 
blanc  et  brun  et  mille  autres  objets  semblables  dont  on 
pourrait  se  passer  ou  que  l'on  pourrait  fabriquer  dans  ce 
royaume  en  quantité  suffisante  pour  nous  "'*. 

[113]  Pour  d'autres  marchandises,  les  étrangers  les 
fabriquent  avec  nos  propres  produits  et  nous  les  ren- 
voient :  ainsi,  ils  occupent  leur  propre  population  et 
enlèvent  beaucoup  d'argent  à  ce  royaume.  Avec  notre 
laine,  ils  fabriquent  des  étoffes,  des  capes,  des  serges  ; 
avec  nos  peaux,  ils  font  du  cuir  d'Espagne,  des  gants, 
des  ceintures  ;  avec  notre  étain,  des  salières,  des  cuillères 
et  des  plats  ;  avec  nos  vieilles  toiles,  nos  vieux  draps  et 
chiffons,  du  papier  blanc  et  brun.  Combien  pensez-vous 
qu'il  sorte  d'argent  du  royaume  pour  chacune  de  ces 
choses  ?  Pour  tous  ces  objets  ensemble,  cela  dépasse 
mon  estimation  **.  Personne  aujourd'hui  ne  se  contente 
de  gants  s'ils  ne  sont  fabriqués  en  France  ou  en  Espagne, 
de  serges  si  elles  ne  sont  teintes  dans  les  Flandres,  de 
toiles  si  elles  ne  proviennent  de  France  ou  de  Frise  ;  on 
exige  des  bourses,  des  broches  ou  des  ferrets  fabriqués  à 
Venise  ou  à  Milan,  des  dagues,  des  épées  [Fol.25.Vo],  des 
couteaux  ou  des  ceintures  de  provenance  espagnole  ou 


*  Bagatelles  étrangères  dont  nous  pourrions  nous  passer  ou  que  nous 
pourrions  fabriquer  ici. 

**  Les  marchandises  étrangères  à  la  mode  en  Angleterre. 


102  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

étrangère  et  il  en  est  ainsi  jusqu'aux  éperons  que  l'on 
s'en  va  quérir  à  Milan. 

[114]  J'ai  entendu  dire  qu'il  y  a  une  quarantaine 
d'années  «,  il  existait  peu  de  ces  commerçants  qui  ven- 
dent des  capes  françaises  ou  milanaises,  de  la  verrerie, 
des  couteaux,  des  dagues,  des  épées  et  autres  objets 
semblables  ;  il  n'y  en  avait  pas  une  douzaine  dans  tout 
Londres,  et,  maintenant,  de  la  Tour  à  Westminster, 
chaque  rue  en  est  pleine  :  leurs  boutiques  brillent  et 
resplendissent  de  glaces  et  de  verreries  *,  de  toutes 
sortes  de  vaisseaux  de  cristal,  de  coupes  peintes,  de 
dagues  ornementées,  de  couteaux,  d'épées  et  de  cein- 
tures, ce  qui  est  propre  à  forcer  tout  homme  pondéré 
à  les  examiner  et  à  acheter  quelque  chose,  quoique  ce  ne 
serve  à  aucun  usage  réel. 

[115]  Quel  besoin  ont-ils  outre-mer  de  voyager 
jusqu'au  Pérou  ou  jusqu'à  d'autres  contrées  éloignées, 
d'essayer  de  tirer,  après  beaucoup  d'efforts,  du  sable 
de  rivières  comme  le  Tage  en  Espagne,  le  Pactole  en 
Asie  et  le  Gange  dans  l'Inde,  de  petits  morceaux  d'or 
ou  de  creuser  les  profondes  entrailles  de  la  terre  pour 
découvrir  des  mines  d'or  et  d'argent,  alors  qu'avec  le 
vil  argile  trouvé  tout  près,  avec  des  pierres  ou  des 
racines  de  fougères,  ils  peuvent  faire  du  véritable  or  et 
de  l'argent  véritable  ^,  et  bien  davantage  que  n'en  pro- 
duiraient un  bon  nombre  de  mines  d'argent  ou  d'or  ! 
Je  pense  qu'il  n'y  a  pas  moins  de  cent  mille  livres  par 
an  qui  sont  distraites  de  notre  argent  pour  des  choses 
qui  n'ont  pas  de  valeur  en  elles-mêmes,  qui  n'en  ont  que 

*  Les  verreries  brillantes,  etc.,  tentent  les  acheteurs. 


^)  L.   &  B.  :  j'ai  vu  il  y  a  vingt  ans. 
^)  L.  :  de  l'or  et  de  l'argent. 


I 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  103 

par  le  travail  des  ouvriers,  lesquels  besognent  à  nos 
dépens. 

[116]  Que  nous  sommes  ridicules  de  souffrir,  nous 
qui  nous  en  apercevons,  qu'une  continuelle  spoliation 
soit  ainsi  faite  de  notre  bien  et  de  notre  argent  *  ! 
Et  surtout  de  souffrir  que  nos  propres  marchandises 
soient  exportées,  servent  au  travail  des  étrangers  et 
qu'ensuite  nous  les  rachetions  de  ces  mêmes  étrangers  ! 
De  notre  laine,  ils  fabriquent  des  serges,  des  draps  de 
Frise,  des  capes  et  les  rapportent  ici  pour  être  de  nouveau 
vendus.  Je  vous  prie  de  bien  remarquer  ce  qu'ils  font  '^^  : 
ils  nous  font  payer  à  la  fin  nos  propres  marchandises  ; 
nous  payons  les  douanes  étrangères,  le  travail  des  étran- 
gers [Fol.26.Ro]  et  leurs  couleurs  et  enfin  une  seconde 
douane  pour  le  retour  des  marchandises  dans  ce 
royaume  ;  tandis  **  qu'en  travaillant  ces  matériaux  dans 
le  royaume,  nos  propres  habitants  besogneraient  aux 
dépens  des  étrangers,  les  douanes  seraient  supportées 
par  les  étrangers  pour  le  bénéfice  de  la  Reine  et  le  profit 
net  resterait  dans  le  royaume. 

[117]  Le  Chevalier.  —  Si  vous  estimez  ces  mar- 
chandises et  d'autres  qui  sont  annuellement  exportées 
outre-mer  dans  le  même  but,  vous  en  faites  trop  peu  de 
cas  ***.  Une  chose  que  j'ai  remarquée,  c'est  que,  bien 
que  les  étrangers  achètent  leurs  laines  chères,  et  cela 
est  heureux,  et  bien  qu'ils  paient  deux  fois  la  douane, 
c'est-à-dire  à  l'exportation  de  la  laine  et  quand  elle 
revient  sous  forme  d'étoffes  et  de  capes  ",  ces  articles 

*  Quels  ânes  nous  sommes  de  payer  100.000  £  par  an  pour  des  futi- 
lités étrangères  ! 

**  Pourquoi  ne  fabriquons-nous  pas  dans  le  pays  nos  propres  objets  ? 

***  Le  fabricant  étranger  qui  paie  double  taxe  vend  moins  cher  que  le 
fabricant  anglais. 


^)  L.  :  SOUS  forme  de  capes. 


104  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sont   cependant   meilleur   marché   que   ceux   fabriqués 
dans  ce  royaume.  D'où  cela  vient-il  ?  Je  ne  sais. 

[118]  Le  Docteur.  —  Que  cela  provienne  de  notre 
paresse,  de  nos  prix  élevés  ou  de  notre  oisiveté,  défauts 
auxquels  nous  autres  Anglais  sommes  peut-être  plus 
portés  qu'aucune  autre  nation,  je  l'ignore.  Il  serait 
cependant  préférable  de  payer  ces  marchandises  plus 
chères  à  nos  compatriotes  que  moins  chères  aux  étran- 
gers, car  ce  faible  profit  qui  s'en  va  ainsi  est  absolument 
perdu  pour  le  royaume  et,  au  contraire,  quelque  soit  le 
bénéfice  remporté  par  l'un  de  nous  sur  un  autre,  il  est 
sauvé  pour  le  royaume.  Voici  un  argument  semblable 
au  vôtre  que  me  tint  un  libraire  lorsque  je  lui  demandai 
pourquoi  nous  n'avions  pas  de  papier  blanc  et  brun 
fabriqué  dans  ce  royaume  aussi  bien  qu'on  en  fait  outre- 
mer. Il  me  répondit  alors  *  :  qu'on  en  avait  fabriqué 
ici  pendant  un  certain  temps  «,  mais,  à  la  fin,  le  fabri- 
cant, s'apercevant  qu'il  ne  pouvait  céder  son  papier 
aussi  bon  marché  que  celui  qui  venait  d'outre-mer, 
abandonna  son  industrie  ;  il  n'était  pas  à  blâmer,  car 
personne  ne  donnera  jamais  plus  pour  du  papier  fabri- 
qué ici.  Mais  j'aurais  voulu,  ou  bien  qu'on  empêchât 
le  papier  d'entrer  dans  le  royaume,  ou  bien  qu'il  soit 
tellement  taxé  à  la  douane  qu'une  fois  rendu  sur  le 
marché,  nos  fabricants  puissent  offrir  leur  papier  moins 
cher  que  les  étrangers  ne  pourraient  offrir  le  leur  [Fol.26. 
Vo]  étant  données  les  douanes. 

[119]  Le  Chevalier.  —  Vous  dites  là  une  chose 
que  n'agréerait  pas  l'attorney  de  la  Reine,  car  si  une 
telle  marchandise  était  fabriquée  dans  le  royaume,  les 

*  Un  fabriquant  anglais  de  papier  ruiné  par  le  papier  étranger. 


^)  aussi  bien...   un  certain  temps  manque  dans  L. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  105 

douanes  de  la  Reine  y  perdraient  par  la  raison  que  peu 
ou  pas  du  tout  de  ces  marchandises  ne  viendraient 
d'outre-mer. 

Le  Docteur.  —  Si  l'attorney  de  la  Reine  considé- 
rait aussi  bien  le  profit  futur  que  le  profit  présent,  il 
accepterait  volontiers  cela,  car,  par  ce  moyen,  une  ines- 
timable somme  d'argent  serait  épargnée  dans  ce 
royaume,  ce  qui  ne  pourrait  augmenter  seulement  le 
profit  des  sujets,  mais  aussi  nécessairement  celui  de  la 
Reine,  car  de  la  richesse  des  sujets  découle  le  profit 
de  la  Reine.  A  mon  sens,  ce  n'est  pas  par  un  bénéfice 
actuel  que  l'on  pourvoit  pour  le  mieux  au  profit  du 
Prince,  mais  plutôt  par  des  droits  pouvant  être  suppor- 
tés longtemps  et  sans  peine  par  ses  sujets. 

[120]  Le  Chevalier.  —  Vous  voudriez  que  l'on 
fasse  une  loi  édictant  que  telle  marchandise  pouvant 
être  fabriquée  aussi  bien  ici  qu'outre-mer  ne  sera  pas 
importée  de  l'étranger  pour  être  vendue  dans  ce  royaume. 

Le  Docteur.  —  Oui,  certes,  je  le  voudrais. 

Le  Chevalier.  —  Je  faisais  partie  du  Parlement 
quand  on  proposa  une  mesure  semblable  '^,  mais  affec- 
tant seulement  les  capes  :  aucune  cape  fabriquée  outre- 
mer n'aurait  pu  être  vendue  dans  ce  royaume.  Il  fut 
répondu  par  un  grand  homme  sage  que  l'on  devait 
craindre  que  cela  n'affecta  l'alliance  conclue  entre 
Sa  Majesté  et  un  Prince  étranger  '^'^.  Que  pensez-vous 
que  l'on  eût  dit  alors  si  vous  aviez  proposé  une  loi 
ordonnant  qu'aucune  marchandise  fabriquée  outre-mer 
avec  notre  laine,  notre  étain,  notre  plomb  ou  nos  peaux 
ne  soit  vendue  ici  '^  ? 

[121]  Le  Docteur.  —  Je  ne  puis  dire  si  cela  affecte- 
rait l'alliance,  ni  s'il  existe  une  telle  alliance  ou  non  ; 
à  mon  avis,  une  alliance  est  bonne  lorsqu'elle  nous 
permet  d'édicter  des  lois  obligeant  nos  propres  sujets, 


106  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

lois  qui  pourraient  leur  être  profitables  [Fol.27.Ro]. 
S'il  existait  quelqu'alliance  contraire,  je  voudrais  qu'elle 
soit  plutôt  brisée  que  maintenue,  car,  brisée,  elle  nous 
ferait  du  bien,  et  maintenue  du  mal.  Je  suppose  que 
lorsqu'on  établit  une  alliance,  celle-ci  doit  être  faite 
pour  le  bien  du  royaume  et  non  pour  son  désavantage  ; 
aussi,  une  alliance  désavantageant  notre  pays  ne  devrait 
pas  être  prisée. 

Le  Chevalier.  —  Qu'arriverait-il  si  on  établissait 
outre-mer  une  loi  identique,  disant  que  les  marchandises 
fabriquées  dans  ce  royaume  ne  seraient  pas  vendues 
là-bas,  comme  on  l'a  fait  récemment,  lorsque  nous  avons 
projeté  une  loi  ordonnant  que  les  vins  ne  soient  pas 
amenés  ici  par  des  bateaux  étrangers  ^^  ? 

[122]  Le  Docteur.  —  Ils  seraient  plus  vite  obligés 
de  rapporter  leur  loi  que  nous  la  nôtre  :  car  si  nos  mar- 
chandises leur  sont  nécessaires  *,  telles  que  les  étoffes, 
les  cuirs,  la  bière,  le  suif,  le  beurre,  les  fromages,  la 
vaisselle  d'étain,  etc.,  les  leurs  nous  sont  plus  plaisirs 
que  nécessités  **,  comme  les  tables,  les  cartes,  les  gants 
parfumés,  la  verrerie,  les  cadrans,  les  oranges,  les 
pommes  et  les  cerises.  Nous  pourrions  certainement  nous 
passer  de  leurs  principaux  produits  plus  facilement 
qu'eux  ne  pourraient  les  conserver,  tels  que  vins,  soie, 
épices,  fer  et  sel.  Je  voudrais  que  nous  ne  fassions  que 
suivre  l'exemple  d'un  pauvre  port  des  Marches  de  Galles 
dont  j'ai  entendu  parler  récemment,  appelé  Garmar- 
then  ***,  où  vint  d'Angleterre,  chargé  de  pommes,  un 
navire  qui  avait  coutume  autrefois  d'apporter  du  grain  : 
la  ville  ordonna  que  personne  n'acheta  des  dites  pommes 
sous  peine  de  sévères  sanctions  et  le  navire  demeura 
ainsi  si  longtemps  dans  le  port  sans  vendre   que  les 

*  Les  exportations  anglaises.. 

**  ...  et  les  importations. 

***  Le  Bailli  de  Carmarthen  qui  refusa  de  laisser  les  pommes  anglaises... 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  107 

pommes  pourrirent  et  furent  perdues.  Lorsque  le  pro- 
priétaire demanda  au  baillif  pourquoi  il  avait  interdit 
la  vente  *,  celui-ci  répondit  que  le  dit  bateau  venait 
chercher  les  meilleures  marchandises  du  pays,  telles 
que  de  la  frise,  des  draps  et  de  la  laine,  et,  en  échange, 
il  n'aurait  laissé  dans  le  pays  que  des  pommes,  qui 
auraient  été  dépensées  et  gaspillées  en  moins  d'une 
semaine.  Le  baillif  ajouta  :  «  Apportez-nous  [Fol.27.Vo], 
comme  vous  aviez  coutume,  du  grain  et  du  malt,  choses 
dont  le  pays  a  besoin  ;  vous  serez  toujours  les  bienvenus 
et  vous  en  aurez  libre  vente  dans  notre  port.  »  Ne 
pensez-vous  pas  que  les  villes  de  Londres,  de  Southamp- 
ton,  de  Bristol,  de  Chester  et  d'autres  encore  ne  pour- 
raient prendre,  dans  cette  afïaire,  une  bonne  leçon,  de 
cette  pauvre  bourgade  galloise  ?  Ne  pourraient-elles  pas 
dire,  quand  arrivent  des  vaisseaux  chargés  d'oranges, 
de  pommes  reinettes  et  de  cerises  que,  s'ils  veulent 
prendre  en  échange  des  prunes,  et  des  fraises,  ils  auraient 
marché  libre  **  ?  Lorsqu'ils  apportent  de  la  verrerie, 
des  pantins  et  autres  colifichets,  ils  auraient  en  échange 
de  semblables  futilités,  telles  qu'on  peut  s'en  procurer 
dans  le  royaume,  comme  il  y  en  a  beaucoup.  Mais,  s'ils 
viennent  chercher  nos  laines,  nos  draps  et  nos  serges, 
nos  grains,  notre  étain,  notre  plomb  et  même  aussi 
notre  or  et  notre  argent,  et  telles  autres  marchandises 
substantielles  et  nécessaires,  qu'ils  nous  apportent  en 
échange  du  lin,  du  goudron,  de  l'huile,  du  poisson  et  de 
semblables  articles  ***,  et  qu'ils  ne  nous  traitent  pas 
comme  des  enfants  à  qui  l'on  donne  une  pomme  en 
échange  du  plus  beau  joyau.  De  cette  façon,  nous  nous 
appauvrissons   de  notre   argent   et  de   nos   principales 

*  ...  être  échangées  contre  les  étoffes  et  la  laine  galloises. 

**  Pourquoi  n'imitons-nous  pas  les  Gallois  et  ne  refusons-nous  pas 
d'échanger... 

**"■  nos  étoffes  et  nos  métaux  contre  des  futilités  étrangères,  etc., 
et  ne  consentons-nous  pas  à  les  échanger  seulement  contre  du  bon  lin,  du 
poisson,  etc.  ? 


108  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

marchandises  et  nous  ne  pouvons  nous  en  apercevoir, 
telle  est  la  finesse  d'esprit  des  étrangers  et  la  grossièreté 
du  nôtre  '®. 

[123]  Ce  serait  cependant  plus  tolérable  si  nous 
n'avions  fait  que  favoriser  les  desseins  des  étrangers, 
mais  nous  avons,  ces  temps  derniers  «,  trouvé  beaucoup 
d'autres  moyens  pour  travailler  nous-mêmes  à  notre 
propre  appauvrissement.  J'en  reviens  maintenant  à  ce 
fait  dont  vous  avez  déjà  parlé,  frère  Mercier,  et  que 
je  pense  être  la  cause  principale  de  toute  cette  cherté 
(en  comparaison  avec  les  anciens  temps)  ^  et  de  l'appau- 
vrissement manifeste  du  royaume  ;  cela  pourrait  même, 
en  peu  de  temps,  occasionner  la  destruction  de  celui-ci 
si  l'on  n'y  remédie  point  :  c'est  la  dévaluation  ou,  plutôt 
la  corruption  de  notre  monnaie  *.  Par  ce  fait,  nous 
avons  procuré  aux  étrangers  un  moyen,  non  seulement 
d'acquérir  avec  du  cuivre  notre  or  et  notre  argent  et 
d'épuiser  ainsi  les  réserves  du  royaume,  mais  aussi 
d'acheter  nos  principaux  produits  [Fol.28.Ro]  à  très 
bon  compte.  On  avait  cependant  pensé  que  ce  serait  là 
une  façon,  non  seulement  de  faire  rentrer  notre  argent, 
mais  encore  d'en  prendre  beaucoup  du  leur  ;  l'expérience 
a  toutefois  clairement  prouvé  le  contraire  et  il  faudrait 
être  bien  fou  maintenant  pour  conserver  quelque  doute 
là-dessus. 

[124]  Le  Chevalier.  —  Certes,  je  suis  un  grand  fou 
moi-même,  car  je  ne  peux  voir  quel  désavantage  ce 
serait   pour   le   royaume    d'avoir   comme   monnaie   tel 

*  La  principale  cause  de  tous  nos  maux  est  la  dévaluation  de  notre 
monnaie. 


^)  L.  &  B.  :  mais  à  présent. 

^)  en  comparaison...   anciens  temps  addition  de  S. 


r 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  109 

métal  plutôt  que  tel  autre  *  :  étant  donné  que  la  mon- 
naie n'est  qu'un  signe,  signe  qui  circule  d'un  homme  à 
un  autre,  lorsqu'elle  est  frappée  avec  le  sceau  du  Prince 
pour  être  courante,  qu'importe  le  métal  dont  elle  est 
faite,  qu'importerait  même  qu'elle  soit  de  cuir  ou  de 
papier  ? 

[125]  Le  Docteur.  —  Vous  parlez  comme  le  font 
la  plupart  des  hommes  et  ils  sont  cependant  bien  loin 
de  la  vérité,  comme  tous  ceux  qui  ne  considèrent  pas 
le  fond  des  choses.  Si  cet  argument  était  vrai.  Dieu  ne 
nous  enverrait  jamais  de  cherté  à  laquelle  le  Prince  ne 
puisse  promptement  remédier  **  :  ainsi,  si  le  grain 
valait  une  couronne  le  boisseau,  le  Prince  pourrait  se 
munir  lui-même  et  munir  ses  sujets  d'un  nombre  suffi- 
sant de  couronnes  fabriquées  en  cuivre  pour  le  payer  ; 
de  cette  façon,  il  rendrait  aussi  aisé  pour  lui  et  pour  ses 
sujets  l'achat  d'un  boisseau  de  grain  pour  une  couronne 
de  cuivre,  qu'il  leur  est  actuellement  facile  de  donner  un 
penny  pour  un  boisseau.  Le  Prince  pourrait  élever  l'es- 
timation de  sa  monnaie  dans  la  mesure  où  monterait 
le  prix  du  grain  et  conserver  ainsi  la  monnaie  au  même 
taux,  bien  que,  nominalement,  elle  semblerait  monter  : 
par  exemple,  supposons  que  cette  année  le  grain  soit  à 
une  groate  le  boisseau  et  l'année  suivante  à  deux  groates, 
le  Prince  pourrait  ordonner  que  la  groate  soit  estimée 
huit  pence,  et,  si  le  boisseau  de  grain  montait  à  douze 
pence,  il  pourrait  élever  à  douze  pence  l'estimation  de 
la  groate.  Aussi,  ou  bien  en  fabriquant  des  monnaies 
avec  d'autres  métaux  que  ceux  dont  la  valeur  est  uni- 
versellement acceptée,  ou  bien  en  élevant  la  valeur  de 
la  vieille  monnaie  fabriquée  en  métaux  estimés,  le 
Prince  pourrait,  si  notre  raison  était  bonne,  conserver, 

*  La  monnaie  pourrait  être  faite  avec  n'importe  quel  métal,  avec  du 
cuir  ou  du  papier. 

**  Argument  contre  une  monnaie  sans  base  d'or  ou  d'argent. 


110  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

non  seulement  le  grain  mais  aussi  toutes  les  denrées  et 
marchandises  nécessaires  à  [Fol.28.Vo]  la  vie  de  l'homme 
au  même  prix,  bien  que  varient  apparamment  les  termes 
de  ce  prix.  Mais  vous  pouvez  vous  rendre  compte  par 
l'expérience  qu'il  en  est  autrement,  car  lorsque  Dieu 
envoie  la  cherté,  soit  des  grains,  soit  des  autres  choses, 
il  n'y  a  ni  Empereur  ni  Roi  qui  puisse  y  remédier, 
ce  qu'ils  feraient  volontiers  si  c'était  en  leur  pouvoir, 
aussi  bien  pour  leur  propre  tranquillité  que  pour  celle 
de  leurs  sujets  ;  et,  si  votre  argument  était  exact,  ils 
pourraient  le  faire  rapidement,  soit  en  fabriquant  avec 
de  vils  métaux  des  monnaies  de  telle  valeur  qu'ils  vou- 
draient, soit  en  augmentant  la  valeur  des  monnaies 
fabriquées  en  métaux  précieux  dans  la  proportion  qu'ils 
voudraient. 

[126]  A  première  vue  cependant,  on  penserait  que, 
dans  son  Royaume,  un  Prince  pourrait  le  faire  aisément, 
pourrait  rendre  courante  la  monnaie  qu'il  voudrait  et 
à  la  valeur  qui  lui  plairait  ;  mais  ceux  qui  pensent  ainsi 
ne  remarquent  que  les  apparences  et  non  point  la  réalité, 
comme  si  quelqu'un  ne  faisait  aucune  différence  entre 
six  groates  pesant  une  once  d'argent  ^  et  douze  groates 
qui  ne  font  en  tout  qu'une  once  d'argent  :  par  la  groate 
de  la  première  sorte,  on  entend  un  sixième  d'once  d'ar- 
gent et  par  celle  de  la  seconde  espèce  un  douzième 
d'once.  Il  y  a  ainsi  autant  de  différence  entre  une 
groate  et  l'autre  qu'il  y  en  a  entre  deux  et  un,  entre  la 
chose  entière  et  la  moitié,  bien  que  toutes  deux  soient 
appelées  du  même  nom,  c'est-à-dire  une  groate  *.  Nous 
devons  considérer  que,  bien  que  l'or  et  l'argent  soient 

*  Les  marchandises  sont  les  sujets  de  l'échange  quoique  sous  le  cou- 
vert de  la  monnaie. 


^)  L.  :  une  demi-once  d'argent. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  111 

des  métaux  communément  employés  pour  frapper  la 
monnaie,  ils  ne  sont  que  des  signes  pour  l'échange  des 
choses  entre  les  hommes  :  ce  sont  réellement  des  mar- 
chandises nécessaires  à  l'usage  de  l'homme  qui  sont 
échangées  sous  le  couvert  de  la  monnaie,  et  c'est  l'abon- 
dance ou  la  rareté  de  ces  marchandises  qui  fait  que  leur 
prix  est  élevé  ou  bas. 

[127]  Comme  il  était  très  encombrant  et  très  onéreux 
de  transporter  les  marchandises  que  nous  possédons  en 
abondance  pour  les  échanger  contre  celles  que  nous  dési- 
rons «,  et  ce,  à  la  fois,  à  cause  de  leurs  poids  et  parce 
qu'elles  ne  peuvent  être  transportées  [Fol.29.Ro]  si  loin 
sans  dommage,  pas  plus  qu'elles  ne  se  trouveraient  tou- 
jours de  valeur  proportionnelle  (étant  donné  qu'on  doit 
toujours  recevoir  une  valeur  égale  de  marchandises  pour 
ses  propres  marchandises)  *,  aussi  l'or  et  l'argent 
furent-ils  inventés  comme  marchandises  de  faible  poids, 
de  grande  valeur,  nullement  encombrantes  à  transporter 
et  peu  susceptibles  de  dommage  et  de  perte  durant  ce 
transport.  D'autre  part,  ils  peuvent  être  divisés  sans 
aucun  dommage  en  de  nombreuses  pièces  et  portions 
pour  devenir  un  moyen  d'échange  de  toutes  marchan- 
dises ^  et  si  la  chose  avait  encore  à  être  faite,  la  néces- 
sité nous  ferait  adopter  de  nouveau  le  même  moyen. 
Supposons  par  exemple  que  nous  ne  nous  servions  point 
de  monnaie,  mais  que  nous  usions  seulement  du  troc, 
comme  j'ai  lu  qu'il  en  a  été  ainsi  **  :  nous  pourrions,  à 
un  inoment  donné,  avoir  en  notre  royaume  une  abon- 

*  Aristo.  lib.  5.   Eth. 

**  Hom.  F.  de  emptione  et  vendicatione.  Lib.  I.^i   82. 


«j  que    nous    possédons...    les    marchandises    que 
manque  dans  L. 

^)  variante  de  forme  de  L.  et  de  B. 


112  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

dance  de  marchandises  telles  que  grains,  laines,  peaux, 
fromages,  beurre  et  autres  semblables  quUl  y  en  aurait 
suffisamment  pour  nous  ;  il  nous  resterait  alors  une 
grande  quantité  de  ces  produits  que  nous  ne  pourrions 
ni  dépenser  pour  nos  besoins,  ni  conserver  longtemps 
sans  perte.  Ne  serions-nous  pas  heureux  d'échanger 
cette  abondance  de  choses  qui  ne  peuvent  être  gardées 
facilement  contre  telles  marchandises  qui  le  peuvent  "  ? 
Et  celles-ci,  nous  pourrions  les  échanger  ensuite  contre 
de  semblables  marchandises,  ou  contre  d'autres  aussi 
nécessaires,  lorsque  la  rareté  s'en  ferait  sentir  parmi 
nous.  Oui,  nous  chercherions  certainement  à  obtenir  en 
échange  telle  marchandise  qui  prenne  le  moins  de  place 
possible,  qui  se  conserve  le  plus  longtemps  sans  perte, 
que  l'on  puisse  transporter  de  place  en  place  avec  le 
moins  de  frais  et  qui  ait  cours  partout  et  toujours. 

[128]  L'or  et  l'argent  ne  sont-elles  pas  les  matières 
qui  possèdent  au  suprême  degré  ces  qualités  ?  Je  veux 
dire  qu'elles  sont  de  grande  valeur,  très  légères  pour  le 
transport,  les  plus  capables  de  se  conserver  longtemps, 
les  plus  aptes  à  recevoir  une  forme  ou  une  empreinte, 
ayant  cours  partout  et  les  plus  aisées  à  diviser  sans  perte 
en  de  nombreux  fragments.  Pour  quelques-uns  de  ces 
points,  j'avoue  que  les  pierres  précieuses  sont  préfé- 
rables à  la  fois  à  l'argent  et  à  l'or,  pour  leur  valeur  et 
leur  légèreté  *,  mais  elles  ne  sont  point  divisibles 
[Fol.29.Vo]  sans  perte  de  substance,  pas  plus  qu'elles 
ne  peuvent  être  réunies  après  avoir  été  divisées  une 
fois  ;    beaucoup    d'entre    elles    ne    se    trouvent    point 

*  les  pierres  précieuses  ne  sont  pas  aussi  favorables. 


^)  L.  :  ne  serions  pas  heureux  alors  d'échanger  cette 
abondance  de  choses  contre  les  marchandises  que  j'ai 
mentionnées  ? 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  113 

exemptes  de  nombreux  dangers  entraînant  leur  perte  ; 
d'autre  part,  elles  ne  peuvent  facilement  recevoir  une 
marque  ou  une  empreinte  et  elles  ne  sont  pas  si  uni- 
versellement estimées  ;  aussi  ne  sont-elles  point  aussi 
propres,  comme  instruments  d'échange,  que  ne  le  sont 
l'argent  et  l'or,  bien  qu'elles  pourraient  l'être  par  leur 
valeur  ^^  et  leur  légèreté.  Comme  l'or  et  l'argent  pos- 
sèdent en  eux  toutes  ces  qualités,  ils  ont  été  choisis  par 
l'assentiment  commun  du  monde  entier  *  (du  monde 
quelque  peu  civilisé)  pour  être  les  instruments  d'échange 
par  lesquels  on  mesure  toutes  choses,  étant  très  aptes  à 
être,  ou  bien  transportés  au  loin,  ou  bien  conservés  en 
stock  en  place  des  choses  dont  nous  avons  abondance, 
ou  bien  employés  à  l'achat,  par  leur  intermédiaire,  des 
autres  choses  qui  nous  manquent,  là  et  quand  nous  en 
avons  le  plus  besoin.  Par  exemple,  si  l'on  ne  connaissait 
pas  la  monnaie,  mais  seulement  le  troc,  comme  j'ai  dit 
qu'il  en  a  été  parfois,  examinons  ce  cas  :  un  homme 
récolte  en  une  année  tant  de  grain  qu'il  ne  pourrait 
l'utiliser  facilement  dans  sa  maison  pendant  les  quatre 
années  suivantes  «  et  il  s'aperçoit  qu'il  lui  sera  impos- 
sible de  le  conserver  aussi  longtemps  ou  jusqu'à  ce 
qu'arrive  une  année  de  disette  ou  de  cherté  :  s'il  le  fai- 
sait, une  grande  partie  de  ce  grain  ou  tout  ce  grain  se 
perdrait.  Ne  serait-il  pas  sage  pour  lui  d'échanger  le 
surplus  de  ce  grain  contre  une  autre  marchandise  qui 
puisse  être  conservée  longtemps  sans  danger  de  perte 
et  de  diminution  et  contre  laquelle  il  pourra  à  tout 
moment  obtenir,  soit  à  nouveau  du  grain  suivant  ses 
besoins,  soit  tout  autre  chose  nécessaire  **?  Sans  doute, 

*  Publica   mensura.   Aristo.    Eth. 

**  Les  commodités  d'une  monnaie  métallique. 


^)  L.   :  l'utihser  pendant  les  quelques  années  sui- 
vantes. 


LE    BRANCHU   II 


114  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

si  ron  avait  pas  d'argent  ou  d'or  «,  y  aurait-il  de  Tétain, 
du  cuivre  ou  du  plomb  ou  quelqu'autre  matière  sem- 
blable qui  puisse  se  conserver  avec  le  moins  de  perte  ; 
il  désirerait  naturellement  celle  qui  ait  le  plus  de  valeur 
pour  le  moins  de  poids,  qui  soit  la  moins  susceptible  de 
se  corrompre  ou  de  se  perdre  et  la  plus  universellement 
acceptée,  ce  en  quoi  l'or  et  l'argent  surpassent  tous  les 
autres  métaux. 

[129]  Le  Chevalier.  —  Qu'est-ce  qui  fait  que  ces 
métaux  ont  une  plus  grande  valeur  que  les  autres  ? 

Le  Docteur.  —  Sans  doute  leur  supériorité  sur  les 
autres  métaux,  à  la  fois  [Fol.30.Ro]  g^  ce  qui  concerne 
l'agrément  qu'ils  procurent,  leur  usage  et,  en  partie, 
leur  rareté. 

Le  Chevalier.  —  Quelles  sont  ces  qualités  ?  Si 
vous  appréciez  l'or  pour  son  poids,  sa  malléabilité,  le 
plomb  lui  est  préférable  ;  si  vous  le  louez  pour  sa  cou- 
leur *,  l'argent  (dont  la  teinte  ressemble  à  celle  du  jour 
pour  sa  clarté),  le  surpasse  de  l'avis  de  beaucoup.  Les 
hérauts  le  préfèrent  dans  les  armoiries,  parce  qu'il  est 
vu  de  plus  loin  sur  le  blason  et  il  ne  semble  jamais  d'une 
autre  couleur  que  la  sienne,  même  quand  il  est  éloigné, 
alors  que  tous  les  autres  métaux  paraissent  noirs  et 
perdent  ainsi  la  force  de  leur  couleur. 

[130]  Le  Docteur.  —  Autant  le  plomb  se  rapproche 
de  l'or  sur  ces  points  (je  parle  de  son  poids  et  de  sa  mal- 
léabilité), autant  il  est  surpassé  par  d'autres  qualités 
plus  ou  moins  importantes  ;  par  sa  couleur,  de  l'avis 
d'autres  personnes,  l'or  surpasse  l'argent,  car  il  ressemble 
à  celle  des  corps  célestes,  comme  le  soleil  et  les  étoiles 

*  Les  avantages  de  l'argent. 


«^  L.  :  s'il  n'y  avait  ni  or  ni  argent. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN..,  115 

qui  sont  les  choses  les  plus  excellentes  qui  tombent  sous 
les  sens  de  l'homme.  Il  est  équivalent  à  l'argent  pour  les 
armoiries  ;  je  ne  sais  combien  il  est  estimé,  mais  je  vois 
que  les  Princes  blasonnent  leurs  armes  surtout  avec  cette 
couleur,  je  ne  puis  dire  si  c'est  pour  son  excellence  ou 
parce  qu'ils  aiment  beaucoup  le  métal  dont  elle  est 
faite. 

[131]  Mais,  maintenant,  parlons  de  leurs  autres 
qualités  :  l'or  n'est  jamais  altéré  ou  consumé  parle  feu, 
au  contraire,  plus  il  est  brûlé,  plus  il  est  pur,  ce  qui  ne 
peut  être  dit  d'aucun  autre  métal  *.  Il  résiste  à  l'usage 
et  ne  souille  point  ce  qu'il  touche,  comme  le  fait  l'argent 
avec  lequel  nous  pouvons  tracer  des  lignes,  ce  qui  est 
une  preuve,  qu'il  s'effrite,  bien  que  les  écrivains  s'émer- 
veillent qu'il  trace  une  ligne  si  noire  étant  lui-même 
d'une  telle  clarté.  Il  n'y  a  ni  rouille  ni  impureté  qui 
puisse  attaquer  l'or  ou  en  effriter  la  substance  ;  il  résiste 
à  l'usure  et  sans  dommage  aux  liqueurs  de  sel  et  de 
vinaigre  qui  attaquent  toutes  les  autres  choses  ;  il  n'a 
pas  besoin  de  feu  pour  devenir  or  comme  les  autres 
métaux  en  ont  besoin  :  il  l'est  aussitôt  qu'il  est  décou- 
vert ;  sans  laine,  il  est  tissé  [Fol.SO.V^]  comme  de  la 
laine  ;  il  peut  être  facilement  transformé  en  feuilles  d'une 
minceur  extraordinaire  ;  vous  pouvez  orner  ou  dorer 
avec  lui  d'autres  métaux,  même  des  pierres  et  du  bois  ; 
il  n'est  nullement  inférieur  en  commodité  à  l'argent 
pour  faire  des  vaisseaux  et  autres  instruments,  mais 
plutôt  plus  pur,  plus  propre  et  plus  doux  pour  conserver 
quelque  liqueur. 

[132]  Après  lui  vient  l'argent  pour  l'estime  qu'on  lui 
porte  aussi  bien  que  pour  sa  netteté,  sa  beauté,  sa  dou- 
ceur, sa  clarté  **.  Il  ne  sert  pas  seulement  à  fabriquer 

*  La  supériorité  de  l'Or  sur  l'Argent 
**  Les  usages  de  l'argent... 


116  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

des  vaisseaux  ou  autres  instruments,  mais  il  est  aussi 
tissé,  mais  non  pas  sans  laine  comme  peut  l'être  l'or, 
bien  qu'autrefois  on  ne  pouvait  tisser  que  l'or,  comme 
je  l'ai  entendu  dire  *  :  les  vêtements  d'Église  étaient 
alors  faits  ^  seulement  d'or,  mais,  depuis  peu  de  temps, 
ils  sont  fabriqués  également  avec  de  l'argent,  et,  tissés 
avec  de  la  soie  et  de  la  dorure,  ils  imitent  les  anciens 
vêtements  où  l'or  était  plus  abondant  qu'à  présent.  Pour 
parler  maintenant  des  autres  métaux,  vous  savez  quels 
sont  leurs  usages  et  ces  métaux  seraient  plus  prisés  si 
l'or  et  l'argent  n'existaient  point. 

[133]  Je  vous  ai  dit  que  la  rareté  déterminait  encore 
davantage  **  la  valeur  des  dits  métaux,  or  et  argent  : 
car,  comme  ils  surpassent  les  autres  en  qualité,  Dame 
Nature  ^  semble  les  avoir  placés  de  façon  qu'ils  soient  plus 
difficiles  à  atteindre  que  ses  autres  dons,  pour  nous  mon- 
trer que  les  choses  précieuses  sont  rares  et  que  les  plus 
précieuses,  comme  elles  sont  les  plus  difficiles  à  atteindre, 
doivent  être  les  plus  estimées.  Si  le  verre  ***  comme 
le  dit  bien  Erasme  ^*,  était  aussi  rare  que  l'argent,  il 
serait  aussi  cher  que  celui-ci  et  non  point  sans  cause  ^^  : 
car  qui  pourrait  vitrer  une  fenêtre  avec  de  l'argent,  de 
telle  sorte  qu'il  puisse  se  préserver  des  injures  du  temps 
et  cependant  recevoir  dans  sa  maison  la  lumière  à  travers 
l'argent  aussi  bien  qu'avec  le  verre  ?  Ainsi,  quant  à 
l'usage,  je  pourrais  mettre  d'autres  choses  avant  l'or 
et  l'argent,  telles  que  le  fer  et  l'acier,  avec  lesquels  on 
peut  fabriquer  des  instruments  servant  à  maints  usages, 
et  meilleurs  que  ceux  d'or  ou  d'argent  ;  mais  pour  le  but 

*  ...  il  est  maintenant  tissé  en  vêtements  d'Église. 

**  La  rareté  de  l'Or  et  de  l'Argent  font  leur  valeur... 

'•"'"''  ...  si  le  verre  était  aussi  rare  que  l'argent,  il  serait  aussi  cher. 


«^  L.  &  B.  :  les  vêtements  étaient  alors  faits. 
^)  L.  :  de  nouveau  la  Nature. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  117 

dont  nous  parlons,  l'argent  et  Tor  surpassent  clairement 
tous  les  autres  métaux.  Je  ne  m'apesantis  point  sur  cette 
matière.  Je  vous  ai  ainsi  montré  quelques  raisons  pour 
lesquelles  l'or  et  l'argent  sont  plus  estimés  que  les  autres 
métaux. 

[134]  Le  Chevalier.  —  [Fol.31.Ro]  Pourquoi  les 
rois  et  les  princes  frappent-ils  en  monnaies  ces  métaux 
et  d'autres  encore  ?  Seulement  parce  qu'ils  voulaient 
que  cette  monnaie,  de  quelque  valeur  qu'elle  soit,  soit 
estimée  à  la  valeur  qu'ils  lui  donnaient,  ce  qu'ils  auraient 
fait  en  vain  s'ils  n'avaient  pu  rendre  l'estimation  «  du 
métal  qui  portait  cette  marque  meilleure  ou  pire.  J'ai- 
merais mieux  avoir  pour  aller  faire  des  échanges  à  l'étran- 
ger des  petits  coins  ou  des  petites  plaques  d'argent  ou 
d'or  sans  aucune  marque. 

[135]  Le  Docteur.  —  Il  en  a  été  sûrement  ainsi, 
même  chez  les  Romains,  lorsque  ni  le  cuivre,  ni  l'argent, 
ni  l'or  n'étaient  monnayés,  mais  seulement  estimés 
d'après  leur  poids.  C'est  de  ce  temps  là  que  proviennent 
ces  appellations  de  monnaies  telles  que  libra^  pondo, 
dipondius,  solidus^  denariiis  *,  noms  de  poids  qui  furent 
ensuite  donnés  aux  monnaies  répondant  aux  mêmes 
poids.  De  même,  les  officiers  qui  avaient  coutume  de 
peser  ces  métaux  bruts  étaient  appelés  libri-pendes,  ce 
dont  nous  avons  mention  dans  la  loi  civile.  Mais  à  cause 
du  trafic  important,  du  nombre  d'acheteurs  et  autres 
raisons  semblables,  il  était  ennuyeux  et  fatiguant  d'at- 
tendre la  pesée  de  ces  métaux  ;  on  trouva  bon  que  les 
Princes  frappent  ces  métaux  avec  de  nombreuses  mar- 

*  Plini.  lib.   33.  cap.  386. 


^)    Variante    de    forme    de    S.     non     signalée     par 
Miss  Lamond  (esta te  au  lieu  d'estimation). 


118  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ques,  selon  leur  poids,  pour  assurer  celui  qui  les  recevait 
qu'il  n'avait  pas  moins  que  le  poids  indiqué  *.  Pour 
prendre  un  exemple  plus  clair,  ils  frappèrent  le  poids  d'une 
livre  avec  la  marque  d'une  livre,  l'once  avec  la  marque 
de  l'once  et  d'autres  marques  variables  selon  la  variété 
des  autres  pièces  **.  C'est  alors  que  prirent  naissance 
les  noms  des  monnaies,  de  telle  sorte  que  le  peuple  n'eût 
plus  besoin  d'être  troublé  par  le  pesage  et  l'essayage 
de  chaque  pièce,  étant  assuré,  par  la  marque  du  Prince, 
que  chaque  pièce  contenait  le  poids  indiqué  sur  chacune 
par  sa  marque.  Le  crédit  des  Princes  était  alors  tel 
parmi  leurs  sujets  que  ceux-ci  n'en  doutaient  point. 
Lorsqu'ils  essayèrent  d'agir  autrement,  c'est-à-dire  de 
marquer  la  demi-livre  avec  la  marque  d'une  livre  et  la 
demi-once  avec  la  marque  d'une  once,  [Fol.3LVo]  pen- 
dant quelque  temps,  leur  crédit  rendit  ces  monnaies 
courantes. 

[136]  Comme  je  l'ai  lu,  les  Romains  pratiquèrent  ce 
moyen  plus  d'une  fois,  mais  aussitôt  que  la  chose  était 
découverte,  les  deux  pièces  d'une  demi-livre  n'avaient 
pas  plus  de  valeur  qu'autrefois  celle  d'une  livre  «,  et  à  la 
lin,  ils  perdaient,  dans  le  paiement  de  leurs  rentes, 
douanes  et  impôts  autant  qu'ils  avaient  gagné  au  début. 
En  conséquence,  ils  perdirent  leur  crédit  exactement 
comme  je  sais  que  l'ont  fait  certaines  villes  d'Angleterre 
qui  avaient  coutume  de  fabriquer  leurs  étoffes  d'une 
certaine  longueur  et  largeur  et  d'y  apposer  leur  sceau  ***. 
Tant  qu'elles  conservèrent  réellement  leurs  mesures,  les 
étrangers  ne  faisaient  que  regarder  le  sceau  et  prenaient 

*  Just.  de  test.  ord.  §  187. 
**  la  marque  faite  pour  garantir  le  poids. 

***  Quelques  villes  anglaises  mettaient  un  sceau  sur  leurs  étoffes  bien 
mesurées  et  les  acheteurs  achetaient  uniquement  d'après  le  sceau. 


^)  L.  :  que  l'autre. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  119 

les  marchandises,  ce  qui  faisait  que  ces  villes  vendirent 
beaucoup  de  leurs  étoffes  et  connurent  une  grande 
prospérité  *.  Ensuite  quelques-unes  de  ces  villes,  ne 
se  contentant  plus  d'un  gain  raisonnable  et  désirant 
devantage,  fabriquèrent  des  étoffes  de  moindre  longueur, 
largeur  et  qualité  qu'elles  avaient  coutume  de  le  faire, 
obtenant  cependant  par  la  garantie  du  sceau  «  autant 
d'argent  qu'elles  en  recevaient  auparavant  pour  de 
bonnes  étoffes.  Pendant  un  temps,  elles  gagnèrent  beau- 
coup d'argent,  se  servant  du  crédit  de  leurs  prédéces- 
seurs pour  satisfaire  leur  esprit  de  lucre,  ce  qui  fut  puni 
par  la  perte  de  leur  prospérité  **  :  car,  lorsque  fut 
reconnue  la  malfaçon  de  ces  étoffes  ^^,  les  autres,  bien 
qu'elles  fussent  honnêtement  fabriquées,  ne  furent  pas 
acceptées  comme  telles  malgré  leur  sceau,  elles  le  furent 
même  moins  à  cause  de  ce  même  sceau  :  les  ayant  trou- 
vées mal  faites  en  quelques  parties,  on  se  méfia  du  tout  ; 
les  étrangers  voulaient  payer  moins  ces  étoffes  que 
d'autres  semblables  n'ayant  pas  le  sceau,  et,  par  ce  fait, 
le  crédit  des  dites  cités  fut  ruiné  et  ces  villes  tombèrent 
complètement  en  décadence  ^^. 

[137]  N'avez-vous  pas  vu  que  notre  monnaie  fut  dis- 
créditée immédiatement  après  son  altération  dans  les 
dernières  années  du  Roi  Henry  [Fol.32.Ro]  VIII  '',  spé- 
cialement parmi  les  étrangers  qui,  auparavant,  désiraient 

*  Alors  quelques  fraudeurs  apposèrent  le  sceau  sur  des  étoffes  n'ayant 
pas  la  mesure. 

**  La  fraude  fut  découverte  et  le  sceau  discrédita  même  les  bonnes 
étoffes. 


^)  Variante  de  forme  de  L. 

^)  L.  &  B.  :  ne  voyez-vous  pas  que  notre  monnaie 
est  déjà  discréditée  parmi  les  étrangers  qui  toujours 
auparavant  désiraient  nous  servir  avant  toutes  les 
autres  nations,  à  cause  de  la  qualité  de  notre  monnaie. 


120  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

nous  servir  avant  toutes  les  autres  nations,  selon  nos 
besoins,  à  cause  de  la  bonté  de  notre  monnaie  *  ?  Et 
maintenant,  ils  ne  nous  vendent  plus  rien  si  ce  n'est  en 
échange  de  marchandises  telles  que  laines,  peaux,  suif, 
beurre,  fromages,  étain  et  plomb.  Pour  ces  marchandises 
ils  avaient  coutume  de  nous  apporter  autrefois  ou  bien 
de  l'or  et  de  l'argent,  ou  d'autres  produits  aussi  utiles  ; 
à  présent,  ils  nous  envoient  ces  bagatelles  dont  j'ai  parlé 
auparavant  telles  que  de  la  verrerie,  des  pots  de  porce- 
laine, des  balles  de  tennis,  des  papiers,  des  ceintures, 
des  broches,  des  boutons,  des  cadrans  et  autres  mar- 
chandises légères  et  futiles  qui  ne  leur  sont  d'aucun 
usage,  ou  bien  (si  ce  que  j'ai  entendu  est  vrai,  comme  je 
vous  l'ai  dit  à  l'oreille  auparavant),  ils  nous  envoient  du 
cuivre  pour  notre  or,  notre  argent  et  pour  nos  dites  mar- 
chandises **.  Je  vous  garantis  que  vous  ne  verrez  pas 
d'or  et  d'argent  nous  être  apportés  d'outre-mer  comme 
cela  était  la  coutume  auparavant  et  ce  n'est  pas  étonnant 
pourquoi  nous  en  apporteraient-ils  puisque  ces  métaux 
ne  sont  point  estimés  ici  ?  Aussi  ai-je  entendu  présenter 
comme  vérité,  et  je  crois  que  c'en  est  une  parce  que  la 
chose  est  possible,  qu'après  la  dévaluation  et  l'altération 
de  notre  monnaie,  les  étrangers  la  contrefirent  et  trou- 
vèrent le  moyen  d'en  transporter  ici  de  grandes  quan- 
tités et  de  l'échanger  contre  notre  vieil  or  et  argent  et 
contre  nos  principaux  produits  ;  je  vous  demande  quel 
danger  cette  pratique  ferait  courir  à  ce  royaume  si  elle 
était  tolérée  seulement  peu  de  temps  ? 

[138]  Le  Chevalier.  —  Il  y  a  des  inspecteurs 
qui,  s'ils  font  leur  devoir,  pourraient  prévenir  cela 
assez  facilement  en  empêchant  à  la  fois  cette  fausse 


*  Ainsi  fut  reconnue  notre  basse  monnaie  et  les  étrangers  ne  vou- 
lurent plus  prendre  que  nos  produits  :  laines,  fromages,  étain,  etc.,  en 
échange  de  leurs  verrerie,  papiers,  boutons,  etc. 

**  De  la  monnaie  dévaluée  anglaise  importée  de  l'étranger. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  121 

monnaie  d'entrer  et  notre  vieille  monnaie  de  sortir. 
Le  Docteur.  —  Je  l'ai  objecté  à  quelqu'un  qui  me 
racontait  la  même  histoire  et  il  me  répondit  qu'il  y  avait 
de  nombreux  moyens  de  tromper  les  inspecteurs,  même 
si  ceux-ci  étaient  loyaux  ;  par  exemple  en  mettant  la 
dite  monnaie  dans  le  ballast  des  navires  ou  dans  quelque 
vaisseau  de  vin  ou  d'autre  liqueur  transporté  [Fol.32.V^] 
chez  nous  ou  de  chez  nous  ;  ensuite  chaque  partie  du 
rivage  de  ce  royaume  n'a  pas  d'inspecteurs  et,  s'il  y  en 
avait,  ils  ne  seraient  pas  de  tels  saints  qu'ils  ne  puissent 
être  corrompus  par  de  l'argent. 

[139]  En  outre,  n'a-t-on  point  proclamé  que  la 
vieille  monnaie,  spécialement  celle  d'or,  ne  devrait  pas 
avoir  cours  ici  au-dessus  d'un  prix  donné  ^®  ?  N'était-ce 
pas  là  le  moyen  le  plus  simple  de  faire  fuir  notre  or  ? 
Toute  chose  va  là  où  elle  est  le  plus  estimée  et  ainsi  notre 
monnaie  s'en  alla-t-elle  en  masse  «. 

[140]  Le  Chevalier.  —  Je  crois  bien  que  ce  sont 
là  les  moyens  d'épuiser  notre  vieille  monnaie  que  vous 
avez  discutés  ;  mais  comment  cela  pourrait-il  rendre, 
depuis  ce  temps  ^,  toute  chose  si  chère  chez  nous  (comme 
vous  dites  qu'il  en  est  ainsi)  ?  Je  ne  puis  en  percevoir  la 
raison. 

Le  Docteur.  —  Pourquoi  ?  Ne  voyez-vous  pas  que 
pour  ces  raisons  nous  payons  plus  cher  à  présent  ^  tout 
objet  qui  nous  vient  d'outre-mer  que  nous  avions  cou- 
tume de  le  faire  autrefois  ? 

Le  Chevalier.  —  Ce  ne  peut-être  nié. 


^)  L.  :  s'en  va-t-elle  par  des  navires. 
^)  depuis  ce  temps  addition  de  ^. 
^)  L.  :  que  l'on  paie  plus  cher.  —  B.  :  que  vous  payez 
plus  cher. 


122  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Le  Docteur.  —  Mais  dans  quelle  proportion  pensez- 
vous  que  cela  soit  ? 

Le  Chevalier.  —  Du  tiers  pour  la  plupart  des  choses. 

Le  Docteur.  —  Ceux  qui  achètent  cher  ne  doivent- 
ils  pas  vendre  cher  leurs  marchandises  ? 

Le  Chevalier.  —  Cela  est  vrai  s'ils  ont  l'intention 
de  prospérer,  car  celui  qui  vend  bon  marché  et  achète 
cher  ne  s'enrichira  jamais. 

Le  Docteur.  —  Vous  avez  vous-même  énoncer  la 
raison  pour  laquelle  les  choses  sont  si  chères  dans  ce 
royaume  ^  :  nous  sommes  obligés  d'acheter  cher  tout  ce 
qui  nous  vient  d'outre-mer,  et  par  conséquent,  nous 
devons  vendre  aussi  cher  nos  marchandises  ou  autrement 
nous  ferions  de  mauvais  marchés.  Bien  que  le  raisonne- 
ment éclaircisse  ceci,  l'expérience  le  rend  encore  plus 
clair  :  car,  lorsque  vous  dites  que  toute  chose  acquise 
outre-mer  est  ordinairement  plus  chère  du  tiers  qu'elle 
ne  l'était,  ne  voyez-vous  point  une  hausse  de  la  même 
proportion  ou  même  supérieure  dans  nos  marchandises  ^  ? 


^)  L.  :  en  dehors  de  ce  royaume. 

^)  S.  a  passé  ici  le  passage  suivant  de  L.  et  de  B.  : 
...et  même  dans  l'ancienne  monnaie  ?  L'angelot  ^^  qui 
ne  valait  auparavant  que  vingt  grotes  ^^  n'en  vaut-il 
pas  maintenant  trente  et  toutes  les  autres  monnaies 
dans  la  même  proportion  ?  Mais  je  pense  qu'il  n'y  a 
maintenant  pas  plus  d'argent  dans  les  trente  grotes 
qu'auparavant  dans  les  vingt  grotes,  s'il  y  en  a  même 
autant.  J'en  déduis,  en  mettant  de  côté  la  monnaie, 
que  nous  obtiendrions  outre-mer  autant  de  soie,  de  vin 
et  d'huile  en  échange  de  notre  todde  de  laine  que  nous 
aurions  pu  en  avoir  avant  l'altération  de  cette  monnaie. 

Le  Marchand.  —  Je  vous  servirais  volontiers  sur 
cette  base. 

Le  Chevalier.  —  Comment  pouvons-nous... 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  123 

[141]  Le  Chevalier.  —  Comment  pouvons-nous 
perdre  lorsque  nous  vendons  nos  marchandises  aussi 
cher  que  nous  achetons  les  leurs  "  ? 

Le  Docteur.  —  [Fol.33.Ro]  Pour  certains,  je  ne  vois 
pas  qu'il  y  ait  perte  ;  pour  d'autres,  il  y  a  gain  plus  qu'il 
n'y  a  perte  ;  mais  pour  d'autres  cependant  il  y  a  plus  de 
perte  qu'il  n'y  a  eu  de  profit  pour  les  précédents.  Le 
résultat  général  est  le  complet  appauvrissement  du 
royaume  et  l'affaiblissement  du  pouvoir  de  Sa  Majesté. 

Le  Chevalier.  —  Je  vous  prie,  qui  voulez  désigner 
ainsi  ?  Et  tout  d'abord  quels  sont  ceux  qui,  d'après  vous, 
n'ont  pas  perdu  de  ce  fait  ^^  ? 

Le  Docteur.  —  Je  veux  dire  ceux  qui  vivent  en 
achetant  et  en  vendant,  car,  comme  ils  achètent  cher,  ils 
vendent  également  cher. 

[142]  Le  Chevalier.  —  Et  quels  sont  alors  ceux  qui 
ont  gagné  par  ce  procédé  ? 

Le  Docteur.  —  Mon  Dieu,  tous  ceux  qui  ont  en 
mains  des  entreprises  et  des  fermes  à  l'ancienne  rente  : 
ils  paient  d'après  l'ancien  taux  et  vendent  au  nouveau, 
c'est-à-dire  qu'ils  paient  bon  marché  leur  terre  et  ven- 
dent cher  tout  ce  qu'elle  produit. 

[143]  Le  Chevalier.  —  Quels  sont  maintenant 
ceux  qui,  d'après  vous,  ont  perdu  davantage  que  n'ont 
gagné  ces  derniers  ? 

Le  Docteur.  —  Ce  sont  tous  les  nobles,  les  gentils- 
hommes et  tous  ceux  qui  vivent  d'une  rente  ou  d'une 
pension,  ne  cultivent  point  le  sol  et  ne  s'occupent  point 
de  vendre. 

Le  Chevalier.  —  Je  désirerais  que  vous  considériez 


^)  L.  :  les  nôtres. 


124  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ceux-ci  comme  vous  l'avez  fait  pour  les  autres  «,  un  par 
un,  et  dans  l'ordre. 

Le  Docteur.  —  Volontiers.  Tout  d'abord  les  nobles 
et  les  gentilshommes  vivent  pour  la  plus  grande  part  des 
revenus  annuels  de  leurs  terres  et  des  pensions  qui  leur 
sont  octroyées  par  le  Prince.  Vous  savez  que  celui  qui 
peut  dépenser  à  présent  £  300  par  an,  provenant  de  ses 
revenu  et  pension,  ne  peut  pas  garder  aussi  bien  son 
rang  que  son  père  ou  tout  autre  avant  lui  qui  ne  pouvait 
cependant  dépenser  que  £  200  :  vous  pouvez  vous  rendre 
compte  que  c'est  là  une  grande  diminution  de  ses  res- 
sources que  de  lui  prendre  le  tiers  de  son  revenu.  Aussi 
les  gentilshommes  essaient-ils  d'accroître  le  produit  de 
leurs  terres  en  augmentant  leurs  fermages  ou  en  prenant 
en  main  des  fermes  et  des  pâturages  comme  vous  les 
voyez  faire,  et  tous  cherchent  à  maintenir  un  train  de 
vie  semblable  à  celui  de  leurs  prédécesseurs  [Fol.33.Vo] 
et  cependant,  ils  ne  peuvent  y  parvenir.  D'autres,  voyant 
s'accroître  les  charges  de  leur  maison  dans  une  telle 
proportion  abandonnent  leurs  propriétés  et  les  rempla- 
cent par  des  appartements  à  Londres  ou  près  de  la  Cour  *, 
où  ils  vivent  maintenant,  quelques  uns  avec  un  ou  deux 
domestiques,  alors  qu'ils  avaient  coutume  d'entretenir 
chaque  jour  dans  leur  maison  trente  ou  quarante  per- 
sonnes et  de  faire  du  bien  dans  le  pays  en  maintenant  la 
règle  et  le  bon  ordre  parmi  leurs  voisins  **. 

[144]  Les  autres  sont  les  domestiques  et  les  soldats, 
qui,  ne  recevant  que  leurs  anciens  gages  et  soldes  fixes, 
ne  peuvent  plus  vivre  comme  auparavant  sans  recourir 
à  la  rapine  et  au  vol.  Vous  savez  qu'à  présent  **  douze 

*  Des  gentilshommes  abandonnent  leurs  propriétés  et  prennent  des 
appartements  à  Londres. 

**  12  d.  n'ont  pas  plus  d'usage  maintenant  que  8  d.  autrefois. 


^)  pour  les  autres  manque  dans  L. 


COMPENDIEUX   OU    BREF    EXAMEN...  125 

pence  "  par  jour  n'ont  pas  tant  d'usage  que  huit  pence  * 
autrefois,  aussi  les  hommes  sont-ils  beaucoup  moins 
bien  disposés  à  servir  le  Prince  qu'ils  ne  l'étaient.  Alors 
qu'autrefois  quarante  shillings  par  an  étaient  une  solde 
honnête  pour  un  yeoman,  et  vingt  pence  par  semaine 
un  salaire  suffisant  pour  un  domestique,  à  présent,  le 
double  pourrait  à  peine  suffire  à  leur  entretien  *. 

[145]  Le  Chevalier.  —  C'est  le  résultat  de  leurs 
excès  autant  dans  la  parure  que  dans  la  bonne  chère, 
car,  à  présent,  les  domestiques  sont  vêtus  plus  luxueuse- 
ment et  paraissent  beaucoup  plus  élégants  que  leurs 
maîtres  ne  l'étaient  dans  le  passé  ^^. 

Le  Docteur.  —  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  ce  ne  soit 
là  une  grande  cause  de  l'augmentation  des  charges  d'une 
maison  ^.  J'ai  connu  le  temps  **  où  un  serviteur  était 
content  avec  un  manteau  de  Kendall  en  été  et  un  de  Frise 
en  hiver,  avec  un  haut  de  chausses  blanc  ordinaire  fait 
à  sa  mesure,  avec  un  morceau  de  bœuf  ou  quelqu'autre 
plat  de  viande  bouillie  ^  toute  la  semaine.  Mainte- 
nant ***  il  voudra  avoir  pour  l'été,  au  moins  un  man- 
teau de  l'étoffe  la  plus  fine  qu'il  soit  possible  d'acheter, 
ses  hauts  de  chausses  de  la  serge  la  plus  fine  et  celle-ci 
teinte  de  couleurs  étrangères,  de  couleurs  des  Flandres 
ou  de  grenat  français,  si  bien  qu'un  Prince  ou  un  grand 
seigneur  ne  peut  en  porter  de  plus  fine  s'il  porte  du  drap. 
Ensuite,  leurs  vêtements  devront  être  ornés,  tailladés 

*  La  solde  d'un  yeoman  —  40  s.  par  an  —  et  les  gages  d'un  domes- 
tique —  20  d.  par  semaine  —  sont  doublés. 
*"•  L'habillement  des  domestiques  autrefois. 
***  Le  somptueux  habillement  des  domestiques  à  présent. 


^)  L.  &  B.  :  six  pence. 

^)  L.  &  B.  :  quatre  pence. 

^J  L.  :  une  grande  charge  de  maison. 

^)  L.  :  ou  quelqu'autre  plat. 


126  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

et  brodés  et  leurs  hauts  de  chausses  si  brodés  de  soie  que 
le  coût  de  la  main  d'œuvre  [Fol.34.R<>]  excédera  le  prix 
de  l'étofle. 

[146]  Cette  manière  de  faire  n'est  pas  réprimée 
comme  elle  devrait  l'être,  mais,  au  contraire,  elle  est 
plutôt  encouragée  par  les  maîtres  *,  qui  rivalisent  les 
uns  avec  les  autres  pour  savoir  lequel  sera  le  plus  superbe 
et  dont  la  suite  peut,  en  temps  de  fête,  être  la  plus  pro- 
digue et  la  plus  joyeuse  ;  aussi,  à  cause  de  ces  excès, 
sont-ils  obligés  le  reste  de  l'année  de  conserver  moins 
de  serviteurs.  De  même  pour  leurs  excès  de  table  **  : 
ils  en  font  de  tels  à  certaines  périodes  que  pendant  tout 
le  reste  de  l'année  ils  n'ont  plus  aucun  train  de  maison 
ou,  tout  au  moins,  très  réduit.  Des  excès  semblables, 
aussi  bien  dans  la  parure  que  dans  la  nourriture,  ont  eu 
lieu  à  Rome  un  peu  avant  le  déclin  de  l'Empire,  si  bien 
que  des  hommes  sages  ont  pensé  que  c'était  là  la  cause 
de  ce  déclin  ;  aussi  Gaton  et  divers  sages  sénateurs  de 
ce  temps  voulaient-ils  que  l'on  fassent  des  lois  pour 
restreindre  de  tels  excès.  Ceci  ne  fut  pas  exécuté  à  cause 
de  l'opinion  de  certains  qui  maintenaient  le  contraire  ; 
il  s'ensuivit  de  l'orgueil,  de  l'orgueil  naquit  la  division 
et  de  celle-ci  la  ruine  complète  de  l'État.  Je  prie  Dieu 
que  ce  royaume  puisse  être  frappé  de  cet  exemple  et 
spécialement  Londres  ***,  la  tête  de  l'Empire,  où  de 
pareils  excès  sont  les  plus  fréquents,  pour  cette  raison 
que  la  richesse  de  ce  royaume  y  est  concentrée,  comme 
le  grain  d'un  champ  est  ramassé  dans  un  grenier  ;  géné- 
ralement, dans  les  autres  parties  du  royaume,  la  loi  de 
la  nécessité  empêche  les  gens  de  se  livrer  à  de  semblables 
excès,  soit  dans  la  parure,  soit  dans  la  nourriture.  Je 
crois  que  nous  étions  beaucoup  plus  redoutés  de  nos 

*  Les  maîtres  s'efforcent  d'avoir  la  suite  la  plus  somptueuse. 

*♦  Maintenant  les  excès  de  table. 

***  Londres  se  livre  aux  plus  grands  excès  en  parure  et  en  nourriture. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  127 

ennemis  lorsque  nos  gentilshommes  allaient  vêtus  sans 
recherche  et  nos  serviteurs  de  façon  modeste  *,  sans 
taillades  ni  broderies,  portant  sur  la  cuisse,  au  lieu 
de  celles-ci  et  de  légères  épées  à  la  mode,  leurs  lourdes 
rapières  et  leurs  boucliers  ;  lorsqu'ils  chevauchaint,  ils 
avaient  de  bonnes  lances  dans  les  mains,  au  lieu  des 
baguettes  blanches  qu'ils  portent  maintenant,  beau- 
coup plus  comme  de  nobles  dames  que  comme  des 
hommes.  Tous  ces  raffinements  rendent  certainement 
nos  compatriotes  efféminés  et  sans  force. 

[147]  Le  Chevalier.  —  Nous  pouvons  nous  féli- 
citer qu'à  cause  de  la  longue  paix  et  du  calme  dans  le 
royaume,  les  hommes  ne  soient  plus  obligés  de  chevau- 
cher aussi  fortement  armés.  Le  monde  était  troublé 
[Fol. 34. V^]  aussi  bien  au  dehors  que  dans  ce  pays, 
lorsque  les  hommes  allaient  et  chevauchaient  comme 
vous  le  dites. 

Le  Docteur.  —  Pouvez-vous  affirmer  que  ce  temps 
ne  reviendra  pas  bientôt  ?  Les  sages  prétendent  qu'en 
temps  de  paix  on  doit  s'attendre  à  la  guerre  et  la  pré- 
parer et,  qu'en  temps  de  guerre,  on  doit  agir  de  même 
en  vue  de  la  paix.  Si  l'on  pouvait  toujours  être  sûr  de 
celle-ci,  personne  n'aurait  besoin  d'hommes  d'armes, 
mais,  comme  il  en  est  autrement,  comme  l'iniquité  des 
hommes  est  telle  qu'ils  ne  peuvent  demeurer  longtemps 
sans  guerres  et  comme  nous  reconnaissons  qu'ici,  en 
Angleterre,  notre  force  principale  réside  dans  nos  ser- 
viteurs et  dans  nos  yeomen  **  ^^,  il  serait  sage  de  les 
exercer  en  temps  de  paix  avec  le  même  équipement,  la 
même  nourriture  et  les  mêmes  difficultés  qu'ils  auront 
nécessairement  à  supporter  en  temps  de  guerre,  de  telle 
sorte  que  ce  ne  soit  pas  une  nouveauté  pour  eux  quand 

*  On  porte  à  présent  des  épées  légères  au  lieu  de  lourdes  rapières, 
des  baguettes  blanches  au  lieu  de  lances  :  les  hommes  sont  si  efféminés. 
**  La  force  de  l'Angleterre  réside  dans  les  serviteurs  et  dans  les  Yeomen. 


128  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

arrivera  celle-ci  ;  leurs  corps  seront  ainsi  plus  forts  et 
plus  endurcis  qu'ils  ne  l'étaient  auparavant.  Que  mes 
paroles  n'aient  aucun  crédit  si  les  raffinements  et  l'amol- 
lissement n'ont  point  été  la  principale  cause  °  de  l'assujet- 
tissement des  grands  empires  qui  ont  existé. 

Le  Chevalier.  —  Sûrement,  vous  dites  vrai  et  cela 
repose  sur  de  bonnes  raisons.  Je  dois  ajouter  que  je  l'ai 
expérimenté  moi-même  *,  car  mes  hommes  sont  si 
amollis  en  temps  de  paix  qu'ils  ne  peuvent,  en  temps 
de  guerre,  supporter  de  lourdes  armures,  mais  seulement 
des  cottes  de  mailles  ou  des  vêtements  de  lin  qu'un  coup 
de  feu  peut  transpercer. 

[148]  Et  que  dites-vous  des  bâtiments  que  nous 
avons  construits  récemment  en  Angleterre  d'une  façon 
beaucoup  plus  excessive  qu'à  aucune  époque  anté- 
rieure **  ?  Est-ce  que  cela  n'appauvrit  pas  le  royaume 
et  fait  que  les  hommes  conservent  moins  de  mai- 
sons »7  »8  9 

Le  Docteur.  —  Je  dis  que  tout  cela  est  le  signe  et 
l'ornement  de  la  paix  ^  et,  il  n'y  a  pas  de  doute,  que 
c'est  là  la  cause  du  moins  grand  nombre  de  demeures 
habitées,  étant  donné  que  le  prix  de  la  construction  et 
de  l'entretien  de  ces  maisons  serait  consacré  sans  cela 
aux  dépenses  domestiques.  Toutefois,  cela  n'appauvrit  en 
rien  le  royaume  ***,  car  toutes  les  dépenses  de  construc- 
tion, pour  la  plus  grande  part  sont  faites  parmi  nous- 
mêmes  et  rFol.35.Ro,  coté  par  erreur  36.Ro]  parmi, 
nos  voisins  et  compatriotes  :  comme  parmi  charpentiers, 

*  Les  hommes  ne   peuvent  supporter  maintenant  que  des   armures 
légères. 

**  Nouvelles  maisons  somptueuses. 

***  Les  bâtiments  sont  bons  pour  le  royaume. 


^)  L.  :  la  juste  cause. 

^)  L.  :  le  signe  d'ornement  de  la  paix. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  129 

maçons  et  manœuvres  ;  font  exception  les  hommes  qui 
ornementent  et  peignent  les  maisons,  car,  en  ce  cas, 
beaucoup  d'argent  peut  être  dépensé  et  sans  aucun  usage. 
Également  les  tapisseries  d'Arras,  les  verdures  et  les 
ouvrages  de  tapisserie  quand  il  y  en  a  font  sortir  beau- 
coup de  notre  argent  au  profit  des  Flandres  et  d'autres 
pays  étrangers  où  on  peut  les  acheter. 

[149]  Le  Chevalier.  —  Cependant,  Sir,  je  dois  vous 
faire  souvenir  d'une  autre  chose  qu'on  suppose  avoir 
été  une  grande  cause  de  l'envoi  d'argent  à  l'étranger  : 
c'est  lorsque  ces  dernières  années  de  nombreuses  terres 
vinrent  à  la  couronne  "  par  suite  de  la  dissolution  de 
monastères,  de  collèges  et  de  chapitres  *.  On  suppose 
que  cette  cause  agit  de  deux  manières  pour  diminuer 
l'argent  du  royaume  :  l'une  est  que  les  revenus  des  dites 
terres  étaient  auparavant  dépensés  dans  le  pays,  cir- 
culaient ici  de  mains  en  mains  pour  l'achat  de  victuailles, 
d'étoffes  et  autres  objets,  alors  que  maintenant  cet 
argent  sort  du  royaume  ;  l'autre  est  que  certains  hommes 
possédant  alors  des  richesses  et  de  la  fortune  les  dis- 
persèrent afin  d'acheter  des  parcelles  des  dites  terres 
les  payant  en  marchandises.  D'une  manière  ou  d'une 
autre,  toutes  les  richesses  du  pays  sont  anéanties  ^. 

Le  Docteur.  —  Il  est  vrai  que  cela  a  appauvri  le 
pays  pour  un  temps  et  l'aurait  maintenu  ainsi  si  Sa 
Majesté  le  Roi  n'avait  point  dispersé  de  nouveau  les 
mêmes  terres  dans  le  pays  ;  mais  après  que  Son  Altesse  '^ 
se  fut  défaite  de  beaucoup  de  ces  possessions,   partie 

♦  La  prise  par  la  couronne  des  terres  de  l'Église  n'a-t-elle  pas  envoyé 
beaucoup  d'argent  à  l'étranger  ? 


^)  L.  &  B.  :  vinrent  dans  les  mains  du  Roi. 

^)  L.  :  le  pays  est  entièrement  ruiné, 

'^J  L.   &  B.  :  mais  maintenant  que  Son  Altesse. 


LE    BRANCHU  II 


130  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

par  dons  et  partie  par  ventes,  la  masse  d'argent  s'est 
accrue  et  s'accroîtra  encore  "  pour  devenir  aussi  impor- 
tante qu'elle  l'a  jamais  été,  si  elle  n'en  est  empêchée 
par  d'autres  causes  *.  Je  ne  considère  pas  que  cela 
soit  une  cause  importante  de  la  cherté  que  nous  subis- 
sons, car  le  sol  demeure  :  sa  possession  seule  est  trans- 
férée d'une  personne  à  l'autre. 

[150]  Le  Chevalier.  —  Revenons  maintenant  au 
sujet  de  la  monnaie  là  où  nous  [Fol.35.Vol  l'avons  laissé  : 
j'ai  entendu  votre  opinion  ^  disant  que  l'altération  de  la 
monnaie  dans  le  royaume  n'a  pas  causé  de  préjudice  à 
certains  hommes  tels  qu'acheteurs  et  vendeurs  ;  à 
d'autres,  comme  les  fermiers  qui  avaient  de  la  terre  à 
l'ancienne  rente,  elle  fit  du  bien  ;  et  certains  autres  tels 
que  les  gentilshommes,  les  soldats,  les  domestiques  et 
tous  ceux  qui  vivent  d'une  rente  et  d'une  pension  fixe 
y  perdirent  beaucoup.  Mais  je  vous  ai  ouï  dire  que  le 
Prince  y  perdit  considérablement,  si  bien  que  ce  pour- 
rait devenir,  dans  le  cours  des  temps,  un  grand  péril 
pour  le  royaume  tout  entier  **.  Je  me  demande  com- 
ment il  en  pourrait  être  ainsi,  car  j'ai  entendu  dire  par 
des  hommes  sages  que  le  père  de  Sa  Majesté  gagna, 
par  suite  de  l'altération  de  la  monnaie,  d'inestimables 
sommes  d'argent. 

[151  j  Le  Docteur.  —  Ainsi  en  fut-il  pour  un  temps, 
mais  je  compare  ces  gains  à  ceux  des  gens  qui  vendent 
leurs  terres  pour  obtenir  en  une  fois  une  plus  grosse 

*  Non  :  cela  a  simplement  transféré  la  possession  de  la  terre  d'une 
personne  à   l'autre. 

**  Comment  la  dévaluation  de  notre  monnaie  sous  Henri  VI II  a-t-elle 
nui  au  pays  ? 


*^)  L.   &  B.  :  s'accroît  bientôt. 
^')  L.  :  leurs   opinions. 


I 


I 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  131 

somme  d'argent  et  perdent  pom^  toujours  l'accroisse- 
ment continuel  dont  ils  auraient  profité.  Car  vous 
savez  que  tout  l'argent  de  ce  royaume  doit  une  fois, 
en  peu  d'années,  par  un  moyen  ou  un  autre,  revenir 
aux  mains  du  Prince  et,  de  là,  il  sera  réparti  de  nouveau 
entre  ses  sujets,  comme  tous  les  ruisseaux  courent  vers 
la  mer  Océane  et,  de  celle-ci,  se  dispersent  à  nouveau. 
L'argent  vint  ainsi  dans  les  coffres  du  Roi,  d'abord  sous 
forme  de  bon  métal  "  et  en  sortit  sous  celle  que  vous 
avez  vue  jadis  *.  Bien  que  cela  ne  semble,  à  première 
vue,  appauvrir  que  les  sujets,  cela  appauvrit  également 
le  Prince  au  bout  d'un  certain  temps  *.  Si  le  Prince, 
en  temps  de  guerre,  avait  besoin  d'argent  pour  acheter 
des  armures,  des  armes,  des  équipements  de  navires, 
des  canons  et  de  l'artillerie,  choses  nécessaires  pour  la 
guerre,  et  s'il  ne  pouvait  par  aucun  moyen  les  acheter 
à  ses  sujets,  comment  se  trouverait  le  Royaume  ?  En 
très  mauvais  état  certainement  ;  aussi  la  monnaie  et 
l'argent  ne  sont-ils  pas  sans  cause  appelés  par  les  sages 
nervi  bollorum,  c'est  à  dire  les  nerfs  de  la  guerre  **. 
Ceci  est  le  plus  grand  danger  que  je  considère  pouvoir 
advenir,  par  suite  du  manque  d'argent,  au  Prince  et 
au  Royaume  [Fol.36.Ro]  :  car,  bien  qu'un  Prince  puisse 
rendre  courante  dans  son  Royaume  la  monnaie  qu'il 
veut,  les  étrangers  cependant  ne  peuvent  être  obligés 
de  l'accepter. 

[152]  Je  vous  accorde  que,  si  les  gens  pouvaient  vivre 
ici  sans  acheter  quoique  ce  soit  à  l'étranger,  nous  pour- 

*  Comment  le  Prince  peut-il  acheter  des  armes  et  de    l'artillerie  à 
l'étranger  avec  une  monnaie  dévalorisée  ? 
**  L'argent  :  les  nerfs  de  la  guerre. 


^)  L.  &  B.  :  l'argent  y  vint  (dans  les  mains  du  Roi) 
dernièrement  sous  forme  de  bon  métal. 
^)  L.   &  B.  :  que  vous  voyez  à  présent. 


132  ÉCRITS    NOTABLES    SUR   LA    MONNAIE 

rions  'avoir  la  monnaie  que  nous  voudrions  *  ;  mais 
du  moment  que  nous  avons  besoin  des  autres  et  eux  de 
nous,  nous  devons  régler  nos  affaires  non  pas  d'après 
nos  propres  fantaisies,  mais  d'après  les  habitudes  du 
marché  mondial  et  nous  ne  devons  pas  fixer  suivant 
notre  bon  plaisir  le  prix  des  choses  :  nous  devons  suivre 
les  prix  du  marché  universel  du  monde.  Je  vous  accorde 
aussi  que  le  cuivre  a  déjà  été  monnayé  en  quelques 
endroits,  et  même  le  cuir  :  mais  j'ai  toujours  lu  que 
c'était  en  période  d'extrême  besoin  et  que  ce  ne  devait 
pas  être  pris  en  exemple,  mais,  au  contraire,  évité  autant 
que  possible. 

[153]  Si  toute  notre  monnaie  est  dépensée  ou  épui- 
sée (comme  cela  advint  dans  les  dernières  années  du 
règne  du  Roi  Henri  VIII),  j'aurais  désiré  que  n'importe 
quel  autre  moyen  fût  adopté  pour  son  rétablissement, 
plutôt  que  voir  sa  dévaluation,  dévaluation  qui  ne  pro- 
fita au  Prince  que  fort  peu  de  temps,  qui  ne  lui  permit 
de  franchir  que  quelques  difficultés  présentes  et  qui  lui 
I  a  nui  pendant  longtemps  **.  Je  suis  persuadé  que,  dans 
\  notre    royaume,    l'on    pourrait    rapidement    retrouver 

\  l'abondance  de  monnaie  «  par  ces  deux  moyens  :  1)  *** 

l.. 

*  Nous  ne  pouvons  avoir  une  monnaie  dévaluée  ou  une  monnaie 
de  fantaisie  aussi  longtemps  que  nous  désirons  acheter  des  marchandises 
étrangères. 

**  Les  deux  remèdes  de  W.  S.  :  ... 

***  ...1)  arrêter  les  importations  de  futilités... 


^)  Le  passage  si  toute  notre  monnaie...  l'abondance 
de  monnaie  est  une  addition  de  S.  qui  a  supprimé  le 
passage  suivant  de  L.  &  B.  :  aussi  dis-je  ici  que  si  en 
France  et  dans  les  Flandres  on  a  de  semblables  mon- 
naies, celles-ci  n'empêchent  pas  toutes  les  autres  bonnes 
monnaies  d'exister  :  elles  ont  cours  avec  les  autres  et 
il  y  en  a  en  abondance.  Gomme  je  n'ai  point  l'expérience 
de  leur  usage,  je  pense  qu'il  serait  sage  que  nous  appre- 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  133 

si  nous  interdisions  l'importation  et  la  vente  de  toutes 
ces  futilités  dont  je  vous  ai  entretenu  qui  nous  sont 
apportées  d'outre-mer  et  si  nous  ordonnions  que  nul 
objet  fabriqué  à  l'étranger  avec  nos  propres  marchan- 
dises ne  soit  vendu  ici  ;  2)  *  si  nous  édictions  qu'aucune 
de  nos  marchandises  ne  soit  exportée  à  l'état  brut,  car 
si  elle  était  travaillée  ici  et  exportée  ensuite,  elle  nous 
rapporterait  beaucoup  d'argent,  et  ce  en  peu  de  temps. 

[154]  Le  Chevalier.  —  Vous  êtes  ici  d'une  opinion 
contraire  à  celle  de  beaucoup  de  sages  qui  pensent  qu'il 
serait  préférable  que  toute  notre  laine  soit  exportée  à 
l'état  brut  de  telle  sorte  qu'il  n'y  ait  plus  aucun  tisserand 
à  travailler  dans  ce  royaume  **. 

Le  Docteur.  —  A  mon  avis,  il  est  étrange  que 
quelqu'un  puisse  penser  ainsi  !  Et  qu'est-ce  qui  les 
porte  à  être  [Fol.36.Vo]  de  cette  opinion,  je  vous  prie  ? 


*  ...2)  interdire  l'exportation  de  produits  à  Tétat  brut. 
**  Pas  de  tisserands  en  Angleterre. 


nions  d'eux  comment  ils  se  servent  de  ces  monnaies, 
comment  ils  font  pour  les  conserver  les  unes  et  les 
autres  au  taux  fixé,  si  bien  qu'ils  ne  désirent  jamais 
quelques-unes  des  nôtres  pour  une  plus  grande  valeur 
que  celle  estimée  chez  eux,  et  que  nous  ne  désirons  point 
leurs  monnaies,  les  prisant  davantage  chez  nous  qu'ils 
ne  le  font  chez  eux.  Ainsi  serions-nous  sûrs  de  conserver 
désormais  notre  monnaie  et  pour  recouvrer  celle  d'au- 
trefois qui  est  déjà  partie,  on  pourrait  ordonner  que 
telle  de  nos  marchandises  ne  leur  soit  vendue  que  contre 
de  l'or  ou  de  l'argent  ou  bien  pour  le  tiers  ou  la  moitié 
contre  des  monnaies  ayant  cours  partout  ;  la  nôtre 
pourrait  être  ainsi  recouvrée  par  ces  deux  moyens  : 
1)  si  nous  interdisions... 


134  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Le  Chevalier.  —  Je  vais  vous  le  dire  *.  Ils  partent 
de  ce  principe  que  toutes  les  insurrections  et  les  émeutes  " 
sont,  pour  la  plus  grande  part,  le  fait  de  ces  tisserands  : 
car  lorsque  les  tisserands  ne  peuvent  vendre  outre-mer, 
un  grand  nombre  d'entre  eux  sont  inoccupés,  et,  étant 
inoccupés,  ils  se  rassemblent  et  murmurent  contre  le 
manque  de  travail  ;  ils  saississent  l'occasion  d'une  que- 
relle ou  d'une  autre  pour  entraîner  dans  la  révolte  les 
pauvres  gens  qui  sont  aussi  inoccupés  qu'eux.  Parfois, 
lors  des  guerres,  les  tisserands  ne  peuvent  avoir  une 
vente  constante.  S'ils  prennent  chaque  fois  l'occasion 
de  se  révolter,  on  pense  qu'il  vaudrait  mieux  qu'il  n'y 
en  ait  aucun  dans  le  royaume  et  que,  par  conséquent, 
toute  la  laine  soit  exportée  brute  plutôt  que  d'être 
travaillée  ici. 

[155]  Le  Docteur.  —  Ainsi  peut-il  paraître  à  ceux 
qui  ne  considèrent  qu'un  inconvénient  sans  voir  les 
autres.  Certainement,  quiconque  a  de  nombreuses  per- 
sonnes sous  son  autorité  aura  de  la  difficulté  à  les  main- 
tenir en  paix,  comme  celui  qui  a  une  nombreuse  famille 
a  parfois  du  mal  à  la  diriger.  Ce  serait  une  politique  mes- 
quine pour  un  Prince  de  diminuer  le  nombre  de  ses  sujets, 
pour  un  maître  de  maison  de  renvoyer  ses  domestiques 
parce  qu'ils  ne  voudraient  avoir  aucun  ennui  à  les  diri- 
ger *  :  celui  qui  agirait  ainsi  pourrait  être  assimilé  à  un 
homme  qui  vendrait  sa  terre  pour  s'épargner  le  souci 
de  l'administrer  **.  Je  pense  qu'il  serait  bon  non  seule- 

*  Des  tisserands  sans  travail  sont  la  cause  de  toutes  les  insurrection». 
**  Nous  désirons  que  le  tissage  soit  accru  et  que  d'autres  commerces 
soient  introduits. 


«^  émeutes  manque  dans  L.  et  dans  B. 
^)  le  passage  ce  serait  une  politique 


[ue...   les   diriger 
manque   dans   L 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  135 

ment  de  donner  plus  d'importance  au  tissage,  mais  encore 
de  créer  d'autres  occupations  et  métiers  où  travaillerait 
notre  peuple,  plutôt  que  de  lui  en  retirer,  surtout  quand 
il  s'agit  d'un  métier  comme  le  tissage  qui  occupe  des  mil- 
liers d'ouvriers  et  enrichit  la  ville  et  la  campagne. 

[156]  A  Venise,  comme  je  l'ai  entendu,  et  dans  bien 
d'autres  pays  d'outre-mer,  on  encourage  et  on  récom- 
pense toute  personne  qui  apporte  [Fol.37.Ro]  un  nouvel 
art  ou  un  nouveau  métier  qui  puisse  donner  du  travail 
au  peuple  et  soit  susceptible  à  la  fois  de  nourrir  les 
ouvriers  et  de  rapporter  au  pays  soit  de  l'argent,  soit 
d'autres  marchandises.  Mettrons-nous  des  obstacles  au 
travail  en  détruisant  notre  meilleur  et  plus  profitable 
commerce  qui  est  le  tissage  ?  Je  voudrais  bien  savoir 
quel  autre  métier  pourrait  nous  apporter  autant  d'argent 
de  l'étranger  «  ou  pourrait  occuper  autant  de  gens,  si  le 
tissage  était  abandonné  ? 

[157]  Le  Chevalier.  —  Mon  Dieu  !  nous  pourrions 
obtenir  de  nos  laines  suffisamment  d'argent  de  l'étran- 
ger, même  si  elles  n'étaient  point  travaillées  dans  le 
royaume.  Quant  aux  tisserands  *,  ils  pourraient  se  mettre 
à  la  charrue  et  à  la  culture,  ce  qui  donnerait  davantage 
d'agriculteurs  et  moins  d'éleveurs,  quand  tous  ceux  qui 
sont  maintenant  employés  au  tissage  s'occuperaient 
d'agriculture. 

Le  Docteur.  —  Pour  ce  que  vous  avez  dit  tout 
d'abord,  à  savoir  que  la  laine  suffirait  à  nous  apporter  de 
l'argent,  si  cela  était  (et  cela  ne  l'est  point  à  la  vérité)  * 
ce  fait  ne  serait  pas  avantageux  pour  la  richesse  ni  pour 

*  Mettons  les  tisserands  à  la  charrue. 


^)  L.  :  d'outre-mer  et  de  l'étranger. 
^)  L.  :  cela  n'est  point  jugé. 


136  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

l'avenir  du  Royaume  :  car  lorsque  chacun  se  mettra  à 
élever  des  moutons  *  et  à  accroître  ainsi  la  production 
de  la  laine,  à  la  longue  tous  les  autres  métiers  seront 
abandonnés  et  un  seul  subsistera,  l'élevage  des  moutons  ; 
mais  vous  savez  que  fort  peu  de  bergers  suffiraient  pour 
un  comté  tout  entier  et  aussi,  au  cours  des  temps,  n'y 
aurait-il  plus  que  quelques  bergers  **  insuffisants  pour 
servir  le  Prince  en  cas  de  besoin  ou  pour  défendre  le 
royaume  contre  ses  ennemis. 

[158]  Quant  à  l'autre  partie  de  votre  "  raisonnement, 
par  laquelle  vous  voudriez  que  ces  tisserands  se  mettent 
à  la  culture,  comment  un  si  grand  nombre  de  gens  pour- 
raient-ils le  faire  et  y  gagner  leur  vie,  alors  que  ceux  qui 
s'y  adonnent  déjà  n'y  trouvent  qu'un  très  petit  bénéfice  ? 
Si  vous  m'objectez  qu'ils  auraient  à  tout  moment  libre 
vente  de  [Fol.37.Vo]  leurs  grains  outre-mer,  vient  alors 
le  même  inconvénient  que  vous  pensiez  éviter  en  les  reti- 
rant du  tissage  :  certaines  années,  soit  à  cause  de  la 
guerre,  soit  à  cause  de  l'abondance  générale  outre-mer, 
il  arriverait  qu'ils  n'aient  point  de  vente  pour  leurs  grains 
et  ils  seraient  ainsi  amenés  à  être  inoccupés,  par  consé- 
quent à  se  rassembler  et  à  fomenter  des  émeutes,  comme 
celles  dont  vous  avez  parlé. 

[159]  En  France  ***  existe  beaucoup  plus  de  métiers 
et  d'artisans  qu'ici  ;  ceux-ci  ont  maintes  fois  déjà  fomenté 
des  rébellions  et  des  émeutes  dans  ce  pays  ;  personne 
cependant  ne  veut  supprimer  ces  artisans,  car  on  sait 

*  Si  chacun  élevait  des  moutons... 

**  ...nous  n'aurions  pas  d'hommes  pour  défendre  le  royaume.  Et  si 
les  tisserands  devenaient  cultivateurs,  ils  mourraient  de  faim. 

***  En  France  il  y  a  de  nombreux  métiers  et  les  artisans  y  fomentent 
des  troubles,  mais  personne  ne  pense  à  supprimer  les  hommes... 


^)  h.  :  de  notre  raisonnement. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  137 

que  les  plus  grands  princes  ne  pourraient,  sans  ces  arti- 
sans, maintenir  leurs  états.  Tous  leurs  droits,  douanes, 
taxes,  impôts  et  subsides  ne  proviennent-ils  pas  princi- 
palement de  ces  artisans  ?  Quel  roi  pourrait  maintenir 
son  État  avec  les  seuls  revenus  annuels  de  ses  terres  ? 
De  même  que  dans  une  maison,  de  nombreux  serviteurs 
bien  employés  gagnent  chacun  quelque  chose  pour  leur 
maître,  de  même  dans  un  royaume  *,  chaque  artisan 
gagne  quelque  chose  et  cela  rapporte  en  définitive  chaque 
année  au  roi  et  au  royaume  ". 

*  ...  qui  sont  les  richesses  de  la  terre. 


^)  S.  a  passé  ici  le  passage  suivant  de  L.  et  de  B.  : 
...au  roi  et  à  son  royaume. 

Le  Chevalier.  —  Eh  bien  !  Vous  avez  entendu  de 
quel  avis  sont  beaucoup  de  gens  plus  sages  que  moi. 

Le  Docteur.  —  Je  sais  qu'il  y  a  dans  le  royaume 
beaucoup  d'hommes  importants  à  partager  cette  opi- 
nion, sans  cela  on  n'aurait  pas  doublé  le  droit  de  douane 
sur  les  étofïes^^,  ni  imposé  de  xiid.  sur  chaque  livre 
toutes  les  étoffes  fabriquées  en  ce  royaume  ^^^  :  c'était 
là  le  meilleur  moyen  de  déterminer  les  tisserands  à  aban- 
donner leur  métier,  comme  je  crains  qu'il  en  soit  ainsi 
advenu  ;  cela  a  provoqué  également  une  grande  part 
des  ennuis  dont  vous  avez  été  témoin  ici  l'été  dernier 
et  en  occasionnera  certainement  d'autres  s'ils  ne  main- 
tiennent à  cette  opinion.  Et  maintenant  que  nous 
sommes  entrés... 

Ainsi  le  long  speech  que  S.  place  dans  la  bouche  du 
Chevalier  est  en  réalité  un  discours  du  Docteur^  comme  le 
montre  d'ailleurs  le  ton  ainsi  que  les  arguments  employés. 
A  la  fin  de  ce  discours  et  avant  l'autre  intervention,  S. 
écrit  de  nouveau  Le  Chevalier,  ce  qui  prouve  qu'il  n'a 
pas  voulu  réellement  changer  le  texte  des  MSS  et  que 
ceci  n'est  dû  qu'à  une  omission  de  sa  part. 


138  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[160]  Le  Chevalier.  —  Et  maintenant  que  nous 
sommes  entrés  dans  la  discussion  sur  les  artisans  et  les 
commerçants,  je  vais  les  diviser  :  certains  ne  servent 
qu'à  faire  sortir  l'argent  de  ce  pays,  d'autres  dépensent 
de  nouveau  dans  le  pays  l'argent  qu'il  y  ont  gagné  et 
enfin  la  troisième  catégorie  d'artisans  consiste  en  ceux 
qui  apportent  de  l'argent  dans  le  pays. 

[161]  Dans  la  première  catégorie  *,  je  range  les 
merciers,  les  épiciers,  les  marchands  de  vin  et  tous  ceux 
qui  vendent  des  marchandises  fabriquées  outre-mer  et, 
en  échange  de  celles-ci,  nous  prennent  notre  monnaie  ; 
ces  commerçants,  je  les  tiens  pour  tolérables,  mais  non 
point  pour  nécessaires  dans  un  royaume  :  on  pourrait 
s'en  passer  mieux  que  tous  autres  ;  si  nous  n'avions 
point  d'autres  artisans  qui  nous  rapportent  autant  d'ar- 
gent que  ceux-ci  n'en  font  [Fol.38.Ro  coté  par  erreur 
34. Ro]   sortir,   nous   perdrions  beaucoup    de   leur   fait. 

[162]  Dans  I.t  seconde  catégorie  entrent  les  cordon- 
niers, tailleurs,  charpentiers,  maçons,  couvreurs,  bou- 
chers, boulangers,  et  pourvoyeurs  de  toutes  sortes  qui 
dépensent  leur  argent  dans  le  pays,  de  même  qu'ils  l'y 
gagnent,  mais  ils  ne  nous  en  rapportent  point, 

[163]  Aussi  devons-nous  encourager  la  troisième  caté- 
gorie :  elle  se  compose  de  tisserands,  de  tanneurs,  de 
bonnetiers  et  de  filateurs,  les  seuls  que  je  connaisse  qui, 
par  leur  commerce  et  leur  métier,  nous  rapportent  de 
l'argent.  Quant  à  nos  laines,  nos  peaux,  notre  étain, 
notre  plomb,  nos  beurres  et  fromages,  ce  sont  les  pro- 
duits de  notre  sol  qui  ne  requièrent  que  le  travail  d'un 
petit  nombre  :  si  nous  nous  contentions  de  ces  produits 
et  ne  récherchions  pas  d'autres  commerces  pour  nous 

*  1)  petits  importateurs. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  139 

occuper,  peu  de  gens  suffiraient  à  leur  production  et  ils 
n'en  nourriraient  également  que  fort  peu.  Notre  Royaume 
serait  ainsi  comme  une  grange  plus  peuplée  de  bêtes 
que  d'hommes  et  il  serait  sujet  à  devenir  la  proie  des 
autres  nations  :  c'est  là  ce  qui  est  le  plus  à  craindre  et 
ce  que  l'on  doit  éviter,  car  le  pays  par  lui-même  est  plus 
apte  à  produire  "  des  choses  nécessaires  au  dévelop- 
pement du  bétail  qu'à  la  nourriture  des  hommes  *, 
si  Pomponius  Mêla  **  ^^  est  digne  de  foi,  lui  qui  décri- 
vant cette  île  s'exprime  ainsi  :  Plana  ingens  &  ferax  : 
sed  eorum,  que  pecora,  quàm  homines  benignius  alant, 
c'est  à  dire,  elle  est  plate,  étendue  et  productive,  mais 
de  ce  qui  est  propre  à  nourrir  les  bêtes  plutôt  que  les 
hommes.  Les  forêts,  les  chasses,  les  parcs,  les  marais 
et  les  terres  incultes,  plus  nombreux  ici  qu'ils  ne  le  sont 
ordinairement  ailleurs,  prouvent  que  celui-ci  n'était  pas 
tout-à-fait  vain  dans  ce  qu'il  affirmait.  Le  pays  n'a  pas 
autant  de  terres  arables,  de  vignobles,  d'oliveraies, 
d'arbres  fruitiers  et  de  telles  autres  choses  nécessaires 
à  la  vie  de  l'homme,  demandant  pour  leur  culture  une 
main-d'œuvre  nombreuse  si  bien  que  ces  produits  nour- 
rissent beaucoup  de  gens,  que  n'en  ont  la  France  ^  et 
différents  autres  pays.  Aussi  si  toutes  les  terres  [Fol.38. 
V^']  du  pays  qui  sont  aptes  à  ce  genre  de  culture  étaient 
transformées  dans  la  mesure  du  possible  pour  de  tels 
usages  qui  nourrissent  beaucoup  de  gens,  les  villes  et 
les  cités  seraient  de  nouveau  remplies  de  toutes  sortes 
d'artisans,  non  seulement  de  tisserands,  car  le  tissage 
est,  comme  il  l'a  toujours  été,  notre  occupation  natu- 
relle, mais  encore  de  bonnetiers,  de  gantiers,  de  fabri- 

*  Notre  terre  produit  plutôt  de  la  nourriture  pour  les  bêtes  que  pour 
les  hommes. 

**  Pomp.   Me. 


")  L.  &  B.  :  comme  il  a  été  dit  auparavant  ^^^. 
^)  L.  :  La  France,  l'Espagne  et  différents  autres  pays. 


140  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

cants  de  papier,  de  verriers,  de  peintres  ",  d'orfèvres,  de 
forgerons  de  toutes  sortes,  de  fabricants  de  couvertures, 
d'aiguilles,  d'épingles,  etc.  *.  Nous  n'aurions  pas  seu- 
lement de  ces  choses  à  notre  suffisance  dans  ce  royaume 
(et  ils  nous  serait  possible  d'économiser  ainsi  beaucoup 
d'argent  exporté  maintenant  pour  leur  achat),  mais 
nous  pourrions  également  en  exporter  et  les  échanger 
contre  d'autres  marchandises  nécessaires  ou  contre  de 
l'argent.  Ceci  accroîtrait  dans  le  royaume  la  population 
capable  de  le  défendre  et  aussi  nous  épargnerait  beau- 
coup d'argent  et  nous  en  ferait  gagner. 

[164]  De  pareils  métiers  enrichissent  divers  pays 
qui  sans  cela  seraient  fort  pauvres. 

Voyez  quelles  richesses  ils  apportent  à  des  contrées 
où  l'on  en  use  avec  profit  **,  les  pays  de  Flandre  et  d'Alle- 
magne le  montrent  bien,  là  où,  à  cause  de  ces  métiers, 
il  existe  des  cités  si  nombreuses  et  si  riches  qu'il  semble 
presque  impossible  que  si  peu  de  terre  nourrisse  tant 
d'hommes.  C'est  pourquoi,  à  mon  avis,  ils  sont  bien 
loin  d'une  juste  considération  ceux  qui  ne  veulent  pas 
avoir  ou  n'avoir  que  très  peu  de  tissages  dans  ce  royaume, 
sous  prétexte  que  c'est  l'occasion,  à  certains  moments, 
de  difficultés  ou  de  tumultes  occasionnés  par  le  manque 
de  vente.  Il  n'y  a  rien,  aussi  utile  et  nécessaire  que  ce 
soit  pour  l'usage  de  l'homme,  qui,  de  temps  en  temps, 
par  suite  d'une  direction  maladroite,  ne  se  trouve  être 
l'occasion  d'ennuis  ;  il  en  est  même  ainsi  du  feu  et  de 
l'eau  pourtant  si  nécessaires  que  rien  ne  peut  l'être 
davantage. 

*  On  désire  de  nouveaux  métiers  en  Angleterre. 
**  Voyez  comment  les  Flandres  et  l'Allemagne  sont  enrichies  par  leurs 
manufactures. 


«^  L.  :  au  lieu  de  peintres,  pointers,  c'est  à  dire  fabri- 
cants de  ferrets  et  d'aiguillettes  ^^^, 


I 


t 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  141 

[165]  Le  Chevalier.  —  Cependant,  Maître  Docteur, 
nous  ne  sommes  point  dans  une  position  semblable  à 
celle  de  la  France  ou  des  Flandres  dont  vous  parlez  : 
si  ces  pays  ne  peuvent  vendre  d'un  côté,  ils  le  peuvent 
de  beaucoup  d'autres,  car  la  terre  ferme  les  entoure  ; 
s'ils  sont  en  guerre  avec  un  voisin,  ils  seront  amis  avec 
un  autre  [Fol.39.Ro]  dans  le  pays  duquel  ils  pourront 
envoyer  leurs  marchandises  pour  y  être  vendues. 

Le  Docteur.  —  Nous  pourrions  être  ainsi  si  nous 
étions  assez  sages  pour  conserver  toujours  à  notre  dis- 
position un  ami  ou  un  autre.  Qui  serait  assez  fou  pour 
ne  pas  agir  de  la  sorte  ?  Que  les  hommes  considèrent 
quelles  amitiés  ce  royaume  a  eues  dans  le  passé  et,  si 
celles-ci  sont  maintenant  perdues  ou  ont  été  depuis 
entravées  d'une  façon  quelconque,  remplaçons-les  par 
d'autres,  ou,  sans  cela,  donnons  aussi  peu  d'occasions 
que  possible  de  briser  avec  nos  voisins.  Le  sage,  je  m'en 
souviens,  dit  dans  l'Ecclesiaste  :  Non  est  bonum  homini 
esse  solum. 

[166]  Le  Chevalier.  —  Aussi  en  France  existe-t-il 
diverses  bandes  d'hommes  d'armes  dans  maintes  places 
du  royaume  pour  réprimer  vivement  de  semblables 
troubles  s'ils  éclatent.  Si  nous  en  avions  ici,  nous  pour- 
rions nous  permettre  d'avoir  autant  d'artisans  qu'ils 
en  ont. 

Le  Fermier.  —  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  ayons 
jamais  pareils  tyrans  à  venir  parmi  nous  *  !  Car  on  dit 
que  dans  le  pays  de  France  ils  s'emparent  des  poules, 
des  poulets,  des  porcs  et  des  autres  provisions  des  pauvres 
gens,  sans  rien  donner  en  échange,  si  ce  n'est  le  mauvais 
tour  de  leur  ravir  leurs  femmes  et  leurs  filles. 

Le  Marchand.  —  Il  en  est  toujours  ainsi  (dit  le 
Marchand),  ajoutant  à  cela  qu'il  pensait  que  ce  serait 

*  Tyrannie  sur  les  pauvres  en  France. 


142  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

roccasion  de  faire  naître  des  troubles  plutôt  que  de  les 
apaiser,  car  (comme  il  dit)  les  Anglais  ne  supporteraient 
jamais  de  souffrir  des  injures  et  des  mauvais  traitements 
comme  ceux  qu'il  avait  entendu  dire  être  usés  envers 
les  sujets  de  France  que,  par  dérision,  on  appelle, 
paysans  *  "  ^^^. 

Le  Chevalier.  —  Mon  Dieu,  le  Prince  pourrait  fort 
bien,  sous  peine  de  sévères  sanctions,  les  empêcher  de 
commettre  des  outrages. 

Le  Docteur.  —  Et  qu'arriverait-il  s'il  n'était  pas 
en  son  pouvoir  de  le  faire  ?  Les  Romains  ont  eu,  à  cer- 
tains moments,  dans  diverses  places,  de  semblables 
soldats  :  ceux-ci  servaient,  pensait-on,  à  la  défense  de 
l'Empire,  mais,  à  la  fin  [Fol.39.Vo],  ils  renversèrent 
celui-ci.  Jules  César  le  déclare  formellement,  et,  bien 
souvent  après,  quand  mouraient  des  Empereurs,  les 
soldats  soutenaient  l'empereur  qu'ils  avaient  élu,  quel- 
quefois un  esclave  ou  un  serf,  contrairement  à  l'élection 
faite  par  le  Sénat  de  Rome,  conseiller  suprême  de  l'Em- 
pire, et  cela  jusqu'à  ce  que  l'Empire  entier  fut  complète- 
ment détruit.  Ce  n'est  point  en  vue  de  révolte  de  ses 
sujets  que  la  France  conserve  ses  soldats  **,  mais 
c'est  à  cause  de  l'état  et  de  la  nécessité  du  pays,  envi- 
ronné d'ennemis,  sans  mer  ou  mur  entre  eux,  contre  les 
incursions  ^  et  les  invasions  desquels  elle  est  obligée 
de  les  conserver.  Elle  les  abandonnerait  volontiers, 
mais  elle  n'ose  point  de  peur  de  ses  voisins.  Quelques 
sages  ont  dit  et  écrit  ***  que  ces  dits  hommes  d'armes 
pourraient  à  la  fin  occasionner  la  destruction  de  leur 


*  «  Paysans  »  français. 

**  La  France  doit  conserver  des  troupes... 

***  ...et  cependant  celles-ci  peuvent  détruire  le  pays. 


^)  variante  de  forme  de  L. 

^)  L.  :  les  injures  et  les  invasions. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  143 

royaume.  Quant  à  nous,  outre  la  force  de  notre  empire 
et  sa  situation  par  rapport  aux  autres  pays,  qui  ne 
requerrons  point  de  tels  hommes,  les  revenus  de  ce 
royaume  ne  seraient  pas  suffisants  pour  en  entretenir 
un  aussi  grand  nombre  que  la  France  ;  et  si  nous  en 
entretenions  un  nombre  moins  considérable,  nous  nous 
montrerions  inférieurs  en  pouvoir  à  la  France,  vis-à-vis 
de  laquelle  nous  avons  été  jusqu'à  présent  comptés 
comme  supérieurs  en  succès  à  cause  de  la  bravoure  de 
nos  cœurs  anglais  «. 

[167]  Aussi  ne  voudrais-je  pas  voir  un  faible  mal 
guéri  par  un  plus  grand,  ni  apporter,  pour  éviter  des 
séditions  populaires  qui  se  produisent  très  rarement  et 
sont  vite  apaisées,  un  joug  continuel  et  charger  à  la 
fois  le  Prince  et  le  peuple. 

Le  Chevalier.  —  Vous  dites  bien  et  aussi  ne 
puis-je  rien  objecter  de  plus  à  vos  paroles  ;  je  désirerais 
cependant  que  celles-ci  puissent  satisfaire  les  autres 
aussi  bien  que  moi-même. 

[168]  Le  Docteur.  —  Il  est  temps  maintenant  de 
terminer  ;  je  vous  ai  troublés  ici  avec  une  longue  et 
ennuyeuse   conversation. 

Le  Chevalier.  —  Je  serais  heureux  d'être  troublé 
plus  longtemps  de  cette  manière. 

Le  Marchand  et  le  Bonnetier.  —  Et  nous  aussi, 
quand  bien  même  cela  durerait  tout  ce  jour,  si  ce  n'était 
vous    déranger   vous-même,    gentil    maître    Docteur. 

Le  Chevalier.  —  [Fol.40.Ro,  coté  par  erreur  36. R®] 
Cependant,  le  point  le  plus  important  dont  nous  avons 
parlé  n'est  pas  encore  résolu,  c'est-à-dire  de  savoir 
comment  on  pourrait  remédier  à  ces  choses.  Aussi  nous 


«J  L.  &  B.  :  la  bravoure  de  nos  seuls  sujets. 


144  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

ne  vous  quitterons  point  avant  d'avoir  entendu  votre 
opinion. 

Le  Docteur.  —  Par  le  nom  de  Dieu,  je  vous  expo- 
serai ma  fantaisie  là-dessus,  mais  allons  d'abord  souper. 

Et  ainsi  nous  allâmes  tous  souper,  là  où  notre  hôte 
avait  honnêtement  préparé  à  dîner  pour  nous  «. 


IFoL40.VoJ 


LE  TROISIÈME  DIALOGUE  ^ 

où  sont  étudiés  quelques 

remèdes  pour  les  mêmes 

maux  ^ 


[169]  Le  Chevalier.  —  Après  nous  être  bien  délas- 
sés au  souper,  j'ai  longuement  réfléchi  en  attendant  le 
jugement  du  Maître  Docteur  sur  le  remède  des  choses 
ici  rappelées,  savoir  comment  elles  pourraient  être  selon 
lui  le  mieux  redressées,  avec  le  moins  de  danger  et  de 
changement.  (Donc  lui  parlai-je  ainsi)  :  Gomme  vous 
avez  montré  (bon  Maître  Docteur)  *  nos  maux  et  aussi 
les  causes  de  ces  maux,  nous  vous  prions  de  ne  pas  nous 
laisser  sans  remèdes  propres  à  ces  maux.  Vous  nous  avez 
persuadés,  et  nous  nous  en  apercevons  bien  nous-mêmes, 
que  nous  ne  sommes  point  en  aussi  bonne  situation  que 
nous  l'avons  été  par  le  passé.  Vous  nous  avez  montré  les 

*  S'il  vous  plait,  Docteur,  dites-nous  les  remèdes  pour  les  maux  de 
notre  pays. 


«j  et  ainsi...  pour  nous  manque  dans  L. 

V  L.  :  pas  de  titre  après  le  troisième   dialogue. 

^^  B.  :  les  dits  maux. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  145 

causes  probables  qui  nous  ont  amenés  à  cet  état,  aussi 
nous  vous  prions  de  nous  exposer  le  remède  possible 
à  nos  maux. 

[170]  Le  Docteur.  —  Quand  un  homme  a  dégagé 
son  mal  et  la  cause  de  celui-ci,  il  se  trouve  en  bonne  voie 
de  guérison,  car,  lorsqu'il  connaît  la  cause  du  mal,  il 
peut  facilement  éviter  cette  cause  et,  celle-ci  évitée,  le 
mal  disparaît  également.  Comme  le  dit  le  philosophe  : 
sublata  causa,  tollitur  effedus.  Récapitulons  tout  d'abord 
les  maux,  puis  les  causes  de  ces  maux  et  troisièmement, 
allons  à  la  recherche  des  remèdes  *.  Tout  d'abord  cette 
universelle  [Fol.41.Ro]  cherté,  en  comparaison  avec  le 
passé  ",  est  le  mal  principal  dont  se  plaignent  tous  les 
hommes  *  ;  en  second  lieu,  les  clôtures  et  la  transforma- 
tion de  la  terre  arable  en  pâturages  ;  en  troisième  lieu, 
la  décadence  des  villes,  des  communes  et  des  villages  ; 
et  enfin  la  division  et  la  diversité  des  opinions  en  matière 
de  rehgion. 

[171]  Jusqu'ici,  je  vous  ai  montré  diverses  occasions 
ou  causes  de  ces  maux,  suivant  la  différence  d'opinion 
et  d'esprit  d'un  chacun  **.  A  présent,  je  ferai  découler 
ces  maux  d'une  seule  cause,  mais  seulement  de  celle  que 
je  pense  être  la  véritable  occasion  du  mal.  Comme  je 
vous  l'ai  montré  auparavant,  diverses  personnes  jugent 

*  Les  maux  sont  : 
i)  la  cherté  ; 

ii)  les  clôtures  et  la  transformation  de  la  terre  arable  en  pâturages  ; 

iii)  la  décadence  des  villes  ; 

iv)  les  différences  religieuses. 
**  Le  Prologue  du  docteur. 


^)  en  comparaison  avec  le  passé  addition  de  S. 
^)  L.  &  B.  :  en  second  lieu,  l'épuisement  de  la  mon- 
naie de  ce  Royaume  ;  troisièmement,  les  clôtures...  ^^^. 

LE    BRANCHU  II  10 


146  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

différemment  que  ceci  ou  cela  est  la  cause  ou  l'occasion 
de  tel  ou  tel  mal,  parce  qu'il  peut  y  avoir  diverses  causes 
pour  une  chose  et  cependant  il  n'y  en  a  qu'une  qui  l'oc- 
casionne ;  recherchons  donc  la  cause,  laissant  de  côté 
toutes  les  causes  accessoires  qui  sont  amenées  par  la 
cause  originelle  *.  Quand  une  foule  se  presse  dans  un 
étroit  passage,  celui  qui  est  en  tête  est  poussé  par  celui 
qui  se  trouve  derrière  lui,  celui-ci  par  celui  qui  le  suit 
lui-même  et  le  troisième  par  quelque  chose  de  fort  et  de 
violent  qui  le  fait  avancer,  ce  qui  est  la  première  et  prin- 
cipale cause  de  la  poussée  de  ceux  qui  se  trouvent  devant 
lui  :  s'il  était  retenu  et  s'il  s'arrêtait,  tous  les  autres 
s'arrêteraient  également.  Pour  rendre  ceci  plus  clair  **  : 
dans  une  horloge  se  trouvent  de  nombreuses  roues, 
cependant  la  première  une  fois  mise  en  mouvement  fait 
agir  la  seconde,  celle-ci  la  troisième,  etc.,  jusqu'à  la 
dernière  qui  fait  agir  l'instrument  frappant  l'heure  ***. 
De  même  dans  la  construction  d'une  maison  :  il  y  a  le 
maître  qui  veut  que  cette  maison  soit  bâtie,  il  y  a  le 
charpentier  et  les  matériaux  nécessaires  à  la  construction  ; 
ces  matériaux  restent  inertes  jusqu'à  ce  que  l'ouvrier 
les  emploie  ;  cet  ouvrier  ne  travaille  que  lorsque  le  maître 
l'y  intéresse  par  de  bons  salaires  :  aussi  le  maître  est-il  la 
cause  principale  de  la  construction  de  cette  maison. 

[172]  Cette  cause  ****  est  appelée  cause  efficiente 
par  les  savants  parce  qu'elle  détermine  l'existence  de 
l'objet  principal.  Persuadez  à  cet  homme  d'abandonner 
cette  construction  et  la  maison  n'existera  jamais  ;  la 
maison  cependant  ne  peut  être  construite  sans  les  maté- 
riaux et  sans  les  ouvriers  ;  [Fol.41.Vo]  aussi  ces  autres 
causes  sont-elles  appelées  par  certains  causae  sine  quitus 


*  Analogie  avec  :  i)  une  foule  dans  un  étroit  passage... 

**  ii)  une  horloge  et... 

***  ...iii)  la  construction  d'une  maison. 

****  La  cause  originelle  appelée  efficiente. 


( 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  147 

non  et  par  d'autres  materiales  Se  formules.  Mais  toutes 
tendent  vers  le  même  but  :  c'est  la  cause  efficiente  qui 
est  la  cause  principale  sans  l'intervention  de  laquelle 
la  chose  ne  pourrait  exister.  Gomme  dans  l'esprit  d'un 
chacun  existe  cette  croyance  qu'une  fois  suppriméeja 
cause,  l'effet  est  également  supprimé  *,  les  hommes 
essayèrent  de  discerner  sans  jugement  les  causes ''des 
choses  dont  nous  parlons,  sans  séparer  la  cause  princi- 
pale des  causes  secondaires  ;  aussi,  en  supprimant  ces 
causes  qui  ne  sont  que  secondaires,  comme  ils  le  firent, 
ils  n'approchèrent  point  du  remède  qu'ils  cherchaient  **. 
Il  en  est  ainsi  comme  de  la  femme  d'Ajax  qui  perdit  son 
mari  dans  le  navire  appelé  Argos  et  qui  souhaitait  que 
les  pins  qui  servirent  à  la  construction  du  navire  n'aient 
jamais  été  abattus  dans  le  bois  de  Peleius,  alors  que  ce 
n'était  pas  la  cause  efficiente  de  la  perte  de  son  mari, 
mais  au  contraire  le  feu  qui  fut  jeté  sur  le  dit  navire  et 
qui  l'enflamma  ***.  De  semblables  causes  sont  appelées 
causes  lointaines,  parce  qu'elles  se  trouvent  trop  éloi- 
gnées ;  elles  n'agissent  pas  par  elles-mêmes  et  il  faut 
qu'une  autre  les  fasse  agir. 

[173]  Peut-être,  comme  je  m'éloigne  ainsi  de  mon 
sujet,  pensera-t-on  que  je  m'éloigne  également  de  mon 
but  ;  venons-en  cependant  à  notre  discussion  et  appli- 
quons-lui ce  que  je  viens  de  dire.  Quelques  uns  pensent 
que  cette  cherté  est  l'œuvre  du  fermier  qui  vend  trop 
cher  ses  produits  ;  d'autres  pensent  que  c'est  le  seigneur 
qui  augmente  trop  le  prix  de  sa  terre  ****  ;  certains 
accusent  les  clôtures  et  certains  autres  l'élévation  de 
notre  monnaie  ou  son  altération.  Aussi,  en  supprimant 
quelqu'une  de  ces  choses  (celle  qui,  d'après  leur  opinion, 


*  Il  faut  distinguer  la  cause  principale  des  causes  secondaires. 
**  Cic.  top.  Lib.  5. 

***  Les  causes  lointaines  n'ont  pas  besoin  d'être  considérées. 
****  Sublata  cause  lollihir  effecius. 


148  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

était  la  cause  principale  de  cette  cherté),  quelques  uns 
pensèrent-ils  remédier  à  celle-ci  ;  mais  l'essai  montra 
qu'ils  n'avaient  point  touché  à  la  cause  efficiente  et 
principale  et  leurs  expédients  n'aboutirent  pas  *  : 
s'ils  avaient  abouti,  le  mal  eût  disparu  complètement, 
car  cela  est  propre  à  la  cause  principale,  qu'aussitôt 
supprimée  l'effet  disparaît  également.  [Fol. 42. R®].  Je 
confesse  cependant  que  toutes  ces  choses  prirent  nais- 
sance avec  cette  cherté,  de  telle  sorte  que  chacune  d'elles 
semblerait  être  la  cause  de  cette  dernière  ;  il  n'y  a 
cependant  pas  de  bonne  preuve  qu'elles  en  soient  les 
causes  **,  pas  plus  que  le  clocher  qui  fut  construit 
à  Douvres  ne  fut  celle  de  la  décadence  de  son  port, 
parce  que  le  port  commença  à  décliner  à  l'époque  où 
fut  construit  le  clocher.  Certainement,  là  ne  sont  point 
les  causes  efficientes  de  cette  cherté,  bien  que  quelques- 
unes  puissent  être  la  conséquence  d'une  autre  ^^®. 

[174]  Mais,  comme  je  l'ai  déjà  fait  remarquer 
d'hommes  se  poussant  les  uns  les  autres  dans  un  cor- 
ridor, lorsque  seul  le  premier  de  tous  est  cause  initiale 
de  ce  mouvement,  ainsi  pour  le  sujet  dont  nous  parlons, 
il  y  a  quelque  chose  qui  est  la  cause  originelle  de  ces 
autres  causes  qui  ne  sont  que  secondaires  et  les  fait 
devenir  elles-mêmes  causes  de  faits  différents.  Ainsi  la 
hausse  de  tous  les  prix  des  victuailles  par  le  fait  du  fer- 
mier est  la  cause  de  la  hausse  du  fermage  de  sa  terre  ; 
le  fait  pour  les  gentilshommes  de  prendre  tellement  de 
fermes  en  leurs  propres  mains,  et  cela  parce  qu'ils  sont 
amenés  à  acheter  si  cher  leurs  provisions,  est  à  son  tour 
une  cause  importante  du  nombre  des  clôtures  :  car  les 
gentilshommes  ayant  beaucoup  de  terre  en  leur  posses- 
sion et  n'étant  pas  à  même  de  la  cultiver  et  de  la  labou- 

*  La  cause  principale  ou  efficiente  de  cette  cherté  n'a  pas  encore 
été  touchée. 

*•  Le  clocher  de  Tendernen  et  le  port  de  Douvres. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  149 

rer  entièrement  (ce  qui  demande  l'industrie,  le  travail 
et  l'entretien  de  nombreuses  personnes),  convertissent 
la  plus  grande  partie  de  cette  terre  en  pâturages,  ce  qui 
requière  moins  de  charges  de  personnel  et  rapporte 
cependant  un  profit  plus  considérable. 

[175]  Ainsi,  une  chose  découle  d'une  autre  et  en 
met  une  autre  en  mouvement,  cependant  un  élément 
premier  est  la  cause  principale  de  toute  cette  impulsion 
et  de  ce  mouvement  circulaire.  Je  vous  ai  montré  en 
passant  que  la  cause  principale  n'était  le  fait  ni  du 
fermier,  ni  du  gentilhomme  ;  voyons  si  elle  est  celui  du 
marchand  *.  Il  semble  qu'étant  donné  que  toutes  les 
marchandises  sont  plus  chères  qu'elles  n'avaient  cou- 
tume de  l'être,  le  fermier  est  conduit  à  vendre  plus  cher 
ses  produits.  Maintenant  que  la  chose  en  est  là,  comment 
pouvez-vous.  Maître  Marchand,  vous  disculper  d'être 
la  cause  de  cette  cherté  ? 

Le  Marchand.  —  [Fol.42.Vo]  Je  le  peux  très  faci- 
lement. Sir,  car  si  nous  vendons  maintenant  tout  plus 
cher  que  nous  n'avions  coutume,  nous  achetons  égale- 
ment plus  cher  aux  étrangers.  Laissons-les  se  disculper 
nous  nous  l'avons  fait  en  ce  qui  nous  concerne. 

[176]  Le  Docteur.  —  Ils  ne  sont  point  là  pour 
répondre  ;  s'ils  étaient  là,  je  leur  demanderais  pour- 
quoi ils  vendent  leur  marchandises  plus  cher  qu'autre- 
fois ? 

Le  Marchand.  —  Mon  Dieu,  j'en  ai  entendu  beau- 
coup jusqu'ici,  lorsqu'on  leur  posait  cette  question, 
répondre  de  deux  manières.  L'une  était  qu'ils  ne  ven- 
daient pas  en  réalité  plus  cher  qu'ils  n'en  avaient  l'habi- 
tude, donnant  pour  preuve  qu'ils  ne  prenaient  en  échange 
de  leurs  marchandises  qu'autant  et  pas  davantage  des 

*  La  cause  principale  de  cette  cherté  est-elle  dans  le  Marchand  ? 


150  ÉCRITS    NOTABL?:S    SUR    LA    MONNAIE 

nôtres  qu'ils  n'avaient  coutume.  Ainsi,  pour  une  todde 
de  notre  laine,  ils  donnent  autant  de  vin,  d'épices  ou 
de  soie  qu'ils  en  donnaient  autrefois  pour  une  pareille 
quantité  ;  ils  donnent,  pour  une  once  d'argent  ou  d'or, 
autant  de  marchandises  qu'ils  en  ont  toujours  donné  *. 
L'autre  réponse  était  que  si  nous  croyions  qu'ils  vendent 
plus  cher  leurs  marchandises  sous  prétexte  qu'ils  deman- 
dent plus  de  pièces  de  notre  monnaie  qu'autrefois,  ce 
n'est  point  là  leur  faute,  disaient-ils,  mais  la  nôtre  qui 
avons  réduit  nos  pièces  ou  leur  avons  donné  une  valeur 
moindre  que  celle  qu'elles  avaient  dans  le  passé.  Aussi 
en  exigent-ils  un  plus  grand  nombre  en  échange  de 
leurs  marchanaises  ",  disant  qu'ils  se  souciaient  peu  du 
nom  que  nous  donnons  à  nos  pièces  de  monnaie,  qu'ils 
ne  considèrent  que  leur  poids  et  leur  valeur  réelle,  celle 
à  laquelle  elles  sont  estimées  partout  dans  le  monde. 

[177]  Le  Chevalier.  —  Je  leur  aurais  répliqué 
ainsi  :  s'ils  ne  venaient  ici  que  pour  nos  marchandises, 
que  leur  importaient  le  poids  et  la  valeur  de  notre 
monnaie  **  ?  Ils  auraient  pu  obtenir  autant  de  nos 
produits  en  échange  des  leurs  qu'ils  avaient  coutume. 
S'ils  venaient  au  contraire  pour  notre  or  et  notre  argent, 
il  n'a  jamais  été  légal  que  je  sache,  pas  plus  qu'il  n'est 
bon,  qu'ils  nous  en  prennent.  Aussi  je  ne  pense  pas  qu'il 
existe  de  raison  pour  vendre  leurs  marchandises  plus 
cher  qu'ils  le  faisaient  autrefois. 

[178]  Le  Docteur.  —  [Fol.43.Ro]  Ils  auraient  pu 
répondre  que,  lorsqu'ils  avaient  les  marchandises  que 

*  C'est  parce  que  notre  monnaie  a  été  dévaluée  qu'ils  en  demandent 
davantage  en  échange  de  leurs  marchandises. 

**  Alors,  que  les  étrangers  prennent  nos  marchandises  et  laissent  notre 
monnaie  tranquille. 


^)  L.   :  pour  nos  marchandises. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  151 

nous  désirions,  il  n'arrivait  pas  toujours  que  nous  pos- 
sédions toutes  celles  qu'ils  cherchaient  *.  Comme  ils 
avaient  peut-être  davantage  de  marchandises  néces- 
saires pour  nous  que  nous  ne  possédions  de  produits 
désirés  par  eux,  ils  étaient  heureux  de  recevoir  de  nous 
tel  objet  courant  dans  la  plupart  des  pays,  qui  puisse 
acheter  ailleurs,  selon  leur  bon  plaisir,  ce  qu'ils  recher- 
chaient :  et  cet  objet,  diront-ils,  n'était  pas  notre  mon- 
naie. Quant  à  nos  lois  interdisant  l'exportation  outre- 
mer d'or  et  d'argent,  ils  ne  s'en  soucient  point,  car  ils 
peuvent  en  obtenir  facilement  :  ils  ont  de  nombreux 
moyens  de  le  faire,  moyens  que  je  vous  ai  déjà  rappelés. 
En  ce  qui  concerne  notre  monnaie,  ils  pourraient  arguer 
finalement  de  ce  que  nous  ne  l'estimons  point  nous- 
mêmes  d'après  son  nom,  mais  au  contraire  d'après  la 
valeur  et  la  quantité  de  matière  dont  elle  est  faite,  car 
s'ils  nous  avaient  apporté  une  demi-once  d'argent,  nous 
ne  la  prendrions  point  pour  une  once,  pas  plus  que  s'ils 
nous  apportaient  du  cuivre  mélangé  à  de  l'argent,  nous 
ne  le  prendrions  pour  de  l'argent  pur  ;  si  nous  ne  vou- 
lons pas  l'accepter  de  leurs  mains,  pourquoi  le  pren- 
draient-ils des  nôtres  ?  Ils  n'ont  rencontré  personne  ici 
qui  ne  veuille  plus  volontiers  une  coupe  d'argent  qu'une 
coupe  de  cuivre  ;  il  en  est  même  ainsi  des  directeurs  de 
nos  Monnaies,  quoique  ceux-ci,  en  d'autres  cas,  per- 
suadent les  gens  que  l'une  est  aussi  bonne  que  l'autre  i^^. 
Voyant  que  nous  prisons  l'une  bien  davantage  que 
l'autre,  comme  le  fait  d'ailleurs  le  monde  entier,  pourquoi 
n'estimeraient-ils  pas  notre  monnaie  d'après  la  quantité 
et  la  valeur  de  sa  substance,  d'après  le  taux  auquel  on 
l'évalue,  à  la  fois  chez  nous  et  dans  toutes  les  autres 
places  **  ?  Comme  à  présent  dans  un  grand  nombre  de 


*  Mais  supposez  qu'ils  ne  veuillent  pas  autant  de  nos  marchandises 
que  nous  en  désirons  des  leurs... 

**  ...  pourquoi  prendraient-ils,  pour  le  solde,  notre  monnaie  dévaluée 
comme  si  elle  était  pure  ? 


152  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

pièces,  il  n'y  a  que  la  valeur  qui  se  trouvait  dans  un 
moindre  nombre  auparavant,  ils  demandent  en  consé- 
quence un  plus  grand  nombre  de  pièces  de  monnaie, 
mais  cependant  la  même  valeur  en  substance,  qu'ils 
avaient  coutume  d'exiger  en  échange  de  leurs  mar- 
chandises. Voyons  maintenant  à  qui  va  la  cause  de  cette 
cherté,  car,  quant  aux  étrangers,  je  crois  qu'ils  se  sont 
raisonnablement  excusés  et  ont  rejeté  cette  accusation. 

[179]  Le  Chevalier.  —  [Fol.43.Vo]  D'après  vos 
arguments,  la  cause  doit  en  être  à  la  monnaie  et,  par 
voie  de  conséquence,  à  Sa  Majesté  le  Roi  par  le  com- 

j     mandement  duquel  celle-ci  fut  altérée. 

L-  Le  Docteur.  —  Oui,  mais  peut-être  la  cause 
remonte-t-elle  encore  plus  loin,  jusqu'à  ceux  qui  furent 
les  premiers  conseillers  de  cette  opération,  prétextant 
qu'il  en  découlerait  un  grand  et  notable  profit  pour 
Sa  Majesté  *  :  si  Sa  Grâce  avait  pu  se  rendre  compte 
que  cette  mesure  ne  donnait  qu'un  profit  momentané 
et  qu'elle  occasionnait  une  perte  constante  à  la  fois  à 
Sa  Majesté  et  à  son  Royaume,  Elle  et  son  peuple  auraient 
pu  être  amenés  à  renoncer  facilement  à  la  pratique  de 
ce  simple  moyen  «.  Mais,  de  même  qu'un  homme  qui 
pense  en  guérir  un  autre  au  moyen  d'une  médecine  qu'il 
juge  bonne  n'est  pas  beaucoup  à  blâmer  si  celle-ci  est 
reconnue  mauvaise,  de  même  Sa  Majesté  (sous  le  règne 
de  laquelle  ceci  fut  accompli,  ce  qu'on  ne  peut  supposer 
avoir  été  destiné  à  produire  une  perte,  mais  bien  plutôt 
un  avantage  pour  Elle  et  pour  ses  sujets)  ^  ne  doit  être 

*  Henri  VIII  dévalua  notre  monnaie,  pensant  que  ce  serait  un  grand 
bénéfice  pour  le  royaume  :  mais  ce  fut  une  grande  perte. 


«j  L.  &  B.  :  peut  être  rapidement  révoqué. 
^)  L.  &  B.  :  pas  plus  que  le  père  de  Sa  Majesté,  ne 
doit  être... 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  153 

aucunement  blâmée,  bien  que  le  résultat  fut  contraire 
au  but  proposé. 

[180]  Le  Chevalier.  —  Alors  vous  pensez  vraiment 
que  l'altération  de  la  monnaie  a  été  la  première  et  prin- 
cipale cause  de  cette  universelle  cherté  ? 

Le  Docteur.  —  Oui,  il  n'y  a  pas  de  doute,  c'est  la 
cause  d'une  grande  partie  des  maux  dont  nous  avons 
parlé,  car  c'est  la  cause  originelle  de  tous  :  outre  que  la 
chose  est  évidente  par  elle-même,  l'expérience  et 
l'épreuve  la  rendent  encore  plus  évidente.  Avec  l'alté- 
ration de  la  monnaie  débuta  cette  cherté,  et,  à  mesure 
que  la  monnaie  devenait  plus  mauvaise,  montait  le  prix 
de  toute  chose  :  que  ceci  est  vrai,  les  quelques  pièces  de 
l'ancienne  monnaie  qui  subsistèrent  en  sont  la  preuve, 
car,  avec  celles-ci,  on  pouvait  obtenir  autant  de  mar- 
chandises à  l'étranger  et  dans  ce  royaume  qu'on  avait 
coutume  d'en  avoir.  En  effet,  lorsque  la  mesure  devient 
plus  petite,  le  nombre  de  mesures  augmente  afm  d'arri- 
ver au  même  résultat,  et,  comme  ceci  n'affecta  pas  égale- 
ment tous  les  hommes,  les  uns  subirent  de  grandes  pertes 
et  les  autres  en  retirèrent  de  grands  profits,  ce  qui 
occasionna  tout  d'abord  "  un  mécontentement  général. 
Aussi,  pour  conclure  [Fol.44.Ro],  je  pense  que  cette 
altération  de  la  monnaie  *  a  été  la  cause  originelle  de  ce 
qu'en  premier  lieu  les  étrangers  nous  vendirent  plus 
cher  leurs  marchandises  ;  ceci  eût  pour  résultat  que 
tous  les  fermiers  et  tenanciers  qui  produisaient  quelques 
denrées  les  vendirent  également  plus  cher.  Leur  cherté 
amena  les  gentilshommes  à  augmenter  leurs  fermages, 
à  prendre  en  mains  propres  des  fermes  pour  en  tirer 

*  La  dévaluation  de  notre  monnaie  fut  la  cause  originelle  de  la  cherté. 


«^  tout  d'abord,   addition  de  S. 


154  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

meilleur  profit  et,  par  voie  de  conséquence,  à  enclore 
davantage  de  terres  «. 

[181]  Le  Chevalier.  —  Si  ceci  était  la  cause  prin- 


«^  Les  §  181  à  185  inclus  sont  une  addition  de  S.  qui  a 
supprimé  des  passages  fort  importants  des  manuscrits. 
Voici  le  texte  de  L.  et  de  B.,  identique  sauf  quelques 
variantes  de  forme  que  nous  ne  citons  pas.  Les  sous- 
titres  sont  entre  crochets  et  en  italique  : 

[L.Fol.62.Ro]  Le  Chevalier.  —  Et  quel  est  mainte- 
nant le  remède  à  tout  cela  ? 

Le  Docteur.  —  [Soit  par  Vexemple,  soit  par  la  loi, 
toute  chose  doit  être  rectifiée].  Si  ceci  est  la  cause  effi- 
ciente, comme  je  le  crois,  vous  voyez  vous-même  le 
moyen  d'y  remédier  :  je  n'en  vois  pas  d'autres,  pour 
redresser  une  chose  dérangée,  que  l'exemple  ou  la  loi. 
Si  vous  choisissez  le  premier  moyen,  vous  pouvez 
prendre  comme  exemple  soit  notre  Royaume  quand  tout 
allait  bien  soit  un  autre  royaume  que  nous  voyons  bien 
ordonné  et  à  l'exemple  duquel  nous  pouvons  conformer 
nos  affaires.  Si  l'autre  moyen  nous  agrée  mieux,  nous 
devons  rechercher  quelles  sont  les  vraies  causes  de  ces 
effets  et,  en  supprimant  les  causes  principales  et  effi- 
cientes, ces  effets  disparaîtront  également,  comme  je 
l'ai   dit  souvent. 

Le  Chevalier.  —  Je  vous  prie,  expliquez  clairement 
votre  plan  :  quelle  sont  les  causes  que  vous  auriez 
supprimées  et  comment  ces  choses  pourraient-elles  être 
redressées  ? 

Le  Docteur.  —  Je  le  ferai,  à  condition  toutefois 
que,  si  vous  n'admettez  pas  mon  raisonnement,  vous  le 
critiquiez  et  donniez  votre  opinion  là-dessus  ;  si  vous 
l'admettez  en  tout  ou  partie,  usez-en  selon  votre  bon 
plaisir.  [Le  remède  est  la  restauration  de  la  monnaie  à 
ses  anciens  taux  et  dénomination.]  Je  veux  dire  (dit-il) 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  155 

cipale  de  la  cherté,  comme  il  semble  bien  d'après  de 
grandes  probabilités,  comment  se  fait-il  selon  vous, 
Maître  Docteur  (car  vous  dites  que  si  la  cause  est  sup- 


que  toute  la  monnaie  actuellement  courante  ne  le  soit 
plus  à  partir  d'une  certaine  date,  que  les  gens  l'acceptent 
seulement  d'après  l'estimation  du  métal  contenu  :  à 
partir  de  ce  moment,  seront  seules  courantes  l'ancienne 
et  la  nouvelle  monnaie,  d'après  une  même  valeur,  un 
même  poids,  une  même  dénomination  et  ainsi  la  mon- 
naie sera-t-elle  rétablie  à  son  ancien  taux  et  à  son 
ancienne  bonté. 

Le  Chevalier.  —  [L.Fol.62.Vo]  Tout  le  Trésor  de 
ce  Royaume  ne  pourrait  être  ainsi  traité  en  une  seule 
fois  ;  il  pourrait  être  rétabli  ainsi  peu  à  peu,  partie 
cette  année,  partie  l'année  suivante. 

Le  Docteur.  —  Que  voulez-vous  dire  ? 

Le  Chevalier.  —  Je  veux  dire  ceci  :  améliorez  la 
grote  d'un  demi-penny  cette  année  et  d'un  demi-penny 
l'année  suivante. 

Le  Docteur.  —  Qu'à  Dieu  ne  plaise  vous  avisiez 
le  Roi  d'agir  ainsi  !  Ce  serait  un  moyen  d'augmenter 
les  charges  du  roi  sans  remédier  aucunement  à  la 
chose  ^^^. 

Le  Chevalier.  —  Comment  donc  ? 

Le  Docteur.  —  Mon  Dieu,  je  vous  le  prouverai 
ainsi  :  si  le  roi  voulait  améliorer  la  monnaie  que  nous 
possédons  d'une  valeur  donnée,  par  exemple  d'un  penny 
ou  davantage  par  pièce,  vous  admettrez  que,  lorsque 
cette  monnaie  est  exportée,  elle  sera  en  juste  valeur 
préférable  d'un  penny  ou  même  davantage  à  celle  que 
nous  avons  maintenant. 

Le  Chevalier.  —  Oui,  sans  doute. 

Le  Docteur.  —  Alors  cette  monnaie  ne  sera-t-elle 
pas  aussi  courante  que  l'autre  à  l'étranger  ? 

Le  Chevalier.  —  Oui. 


156  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

primée,  Tefïet  disparaît  également),  comment  se  fait-il 
que  les  prix  de  toutes  choses  ne  soient  pas  revenus  à  leur 
ancien  taux,  alors  que  depuis  longtemps  notre  monnaie 
anglaise  *  (au  grand  honneur  de  notre  noble  Princesse 

•  Mais  la  Reine  Elisabeth  rendit  à  notre  monnaie  sa  pureté  primitive. 


Le  Docteur.  —  Lorsque  les  orfèvres,  les  marchands 
et  les  autres  personnes  expertes  en  métaux  s'aperçoivent 
qu'une  grote  est  meilleure  que  l'autre  et  que  cependant 
ils  obtiennent  autant  de  marchandises  pour  la  mauvaise 
grote  que  pour  la  bonne,  ne  conservent-ils  pas  toujours 
les  bonnes  pour  les  employer  à  quelqu'autre  usage  ? 
[Toutes  les  monnaies  qui  ont  cours  ensemble  doivent  être 
également  proportionnées  les  unes  aux  autres.]  Ils  agiront 
ainsi  sans  aucun  doute,  comme  ils  l'ont  fait  avec  les 
nouvelles  pièces  d'or  [L.Fol.63.Ro]  car,  s'apercevant 
que  la  nouvelle  pièce  d'or  était  meilleure  que  la  nouvelle 
pièce  d'argent  fabriquée  pour  être  de  même  valeur,  ils 
accaparèrent  tout  l'or,  aussi  vite  qu'il  sortait  de  la  Mon- 
naie, et  le  conservèrent  pour  d'autres  usages,  de  telle 
sorte  que  maintenant  nous  n'avons  guère  que  de  l'an- 
cienne monnaie  d'or.  Ainsi  Sa  Majesté  le  Roi  perd  de 
l'argent  et  le  remède  essayé  n'a  aucun  effet.  Tout  cela 
parce  qu'il  n'y  a  pas  d'égale  proportion  entre  les  mon- 
naies, parce  que  l'une  est  meilleure  que  l'autre.  J'avais 
l'intention  de  vous  exposer  un  autre  moyen  :  si  Sa 
Majesté  le  Roi  faisait  rentrer  soudainement  toute  la 
monnaie  actuellement  courante  et  créait  une  nouvelle 
monnaie  quelque  peu  meilleure,  mais  pas  aussi  pure 
cependant  que  l'ancienne,  je  crois  qu'une  semblable 
déception  serait  occasionnée  au  Roi  par  ces  monnayeurs  ; 
car  lorsque  les  métaux  sont  fondus  ensemble,  ils  ne  peu- 
vent être  également  proportionnés  sans  être  de  nouveau 
séparés   les   uns   des   autres,   les  monnayeurs   peuvent 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  157 

actuellement  régnante)  a  été  entièrement  ramenée  à  sa 
perfection  et  à  sa  pureté  d'antan  ? 

Le  Docteur.  —  En  vérité,  Sir,  je  dois  vous  confes- 
ser (bien  qu'à  première  vue  cela  puisse  sembler  contre- 


agir  comme  ils  veulent  et  user  pour  leur  propre  avan- 
tage de  cette  incertitude.  [L'alliage  des  métaux  esl 
cause  de  fraude.]  Si  dans  une  once  ils  sont  trouvés  en 
faute,  ils  pourraient  dire  :  nous  avons  fondu  ensemble 
de  grandes  quantités  de  métaux  et  ce  qui  manque  à 
notre  standard  dans  cette  portion  est  suppléé  dans  une 
autre  portion.  Ils  ne  peuvent  jamais  être  tenu  à  accom- 
plir leur  devoir  qui  doit  être  laissé  à  leur  propre 
conscience  et  celle-ci,  j'en  ai  peur,  sera  assez  large.  Ce 
moyen  cependant  n'affecte  qu'un  des  côtés  de  la  chose 
et  ce  qui  est  arrangé  d'une  part  est  perdu  de  l'autre. 

Le  Chevalier.  —  [L.Fol.63.Vo].  Gomment  !  Le  Roi 
diminuerait  la  grote  et  toutes  les  autres  monnaies  ? 

Le  Docteur.  —  Toutes  reviendraient  alors  à  la 
même  estimation,  car  j'ai  pris  10  livres  de  cuivre  contre 
une  once  d'argent.  Il  n'est  au  pouvoir  d'aucun  prince 
de  faire  qu'une  once  d'argent  en  vaille  deux  et  pas  plus 
pour  l'or  que  pour  quelqu'autre  métal  ;  je  préférerais 
avoir  un  demi-penny  qui  soit  appelé  un  demi-penny 
plutôt  qu'un  demi-penny  qui  soit  appelé  penny.  Un 
homme  peut  changer  le  nom  des  choses,  mais  non  point 
la  valeur  des  choses  pendant  longtemps,  excepté  si 
nous  étions  dans  un  pays  tel  qu'on  s'imagine  être 
l'Utopie  qui  n'a  point  de  trafic  avec  d'autres  contrées. 
Aussi  voudrais-je  que  l'on  conserve  une  juste  et  conve- 
nable proportion,  non  seulement  en  qualité,  mais  aussi 
en  quantité  ;  [Non  seulement  la  substance  et  la  quantité ^ 
mais  aussi  la  dénomination  des  pièces  doit  être  suivant 
Vusage]  si  vous  admettez  l'altération  de  l'une  ou  de 
l'autre  monnaie,  vous  devez  également  admettre  de 
nombreux  abus,  car,  quoique  le  Prince  puisse  frapper 


158  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

dire  en  partie  mes  affirmations  antérieures)  que  bien 
que  notre  monnaie  aujourd'hui  et  depuis  longtemps 
ait  été  restaurée  à  son  ancienne  bonté,  cependant  la 
cherté  de  toutes  choses,  que  j'ai  affirmé  auparavant 
avoir  procédé  de  la  dévaluation  de  notre  monnaie  sub- 


des  monnaies  de  nom  et  de  poids  différents,  bien  qu'elles 
ne  soient  jamais  aussi  pures  que  les  anciennes,  étant 
donné  que  dans  les  rentes,  les  salaires,  les  dettes  et  les 
droits  des  hommes  vivants  on  se  sert  du  nom  des  mon- 
naies existant  avant  cette  réforme,  telles  que  livres, 
marcs,  nobles,  réaux  et  shillings  et  étant  données  les 
écritures  faites  d'après  ces  dénominations,  vous  ne 
pouvez  pas  les  changer  sans  modifier  également  dans 
une  large  mesure  les  revenus,  les  dettes  et  les  droits 
d'un  chacun.  Ceci  est  bien  apparu  lors  de  l'altération 
de  la  monnaie  lorsqu'elle  a  eu  lieu,  [L.Fol.64.Ro]  alté- 
ration dont  pourraient  s'apercevoir  dans  leurs  comptes, 
s'ils  considéraient  bien  le  sujet,  Sa  Majesté  le  Roi  prin- 
cipalement et  ensuite  les  nobles  et  les  gentilshommes 
de  ce  Royaume. 

Le  Chevalier.  —  Gela,  je  sens  moi-même  que  c'est 
vrai,  bien  que  je  n'en  sache  point  la  raison  :  car,  bien 
que  je  puisse  dépenser  maintenant  plus  qu'il  y  a  seize 
ans,  je  ne  suis  cependant  plus  à  même  de  tenir  maison 
comme  je  le  faisais  alors. 

Le  Docteur.  —  Il  n'est  pas  étonnant  qu'il  en  soit 
ainsi.  Vous  vous  souvenez,  je  pense,  de  ce  que  je  vous 
ai  dit  ce  matin  :  à  savoir  que  chez  Aristote  [Que  la  mon- 
naie est  commune  mesure.  Aristote.  li.  5.  cap.  5.  Eth.]  la 
monnaie  est  appelée  une  commune  mesure  de  toutes 
les  choses.  Envisagez  le  cas  où  vous  n'auriez  pas  de  rente 
payable  en  monnaie,  mais  seulement  en  telles  marchan- 
dises qui  vous  sont  nécessaires,  ainsi  en  tant  de  bois- 
seaux de  grain  ou  en  tant  de  yards  d'étoffe.  Le  yard 
et  le  boisseau  n'ont  pas  changé  de  valeur  depuis  le  temps 


COMPENDIELX    OU    BREF    EXAMEN...  159 

siste  et  continue  parmi  nous  *.  Votre  doute,  exprimé 
fort  judicieusement  et  concernant  bien  le  sujet,  est 
digne  de  considération,  mais  je  me  rends  tellement  bien 
compte  de  la  difficulté  que  ce  ne  serait  point  de  bonne 
modestie  que  d'en  entreprendre  la  critique  sans  études 
plus  approfondies. 

[182]  Le  Chevalier.  —  Je  vous  prie,  Sir,  d'aban- 
donner pour  cette  fois  l'excuse  de  la  modestie.  J*ai  bien 
compris,    par    vos    discussions    antérieures,    que    vous 

*  Vrai.  Et  la  cherté  dure  encore. 


où  VOUS  avez  loué  vos  terres.  [Qu'il  n'est  pas  suffisant 
pour  un  homme  d'être  payé  par  un  nombre  égal  de  pièces 
de  monnaie,  mais  qu'il  lui  faut  aussi  la  quantité  de  métal.] 
Si  le  boisseau  et  le  yard  étaient  diminués  de  moitié  et 
si  cependant  vous  n'étiez  payé  que  par  autant  de  bois- 
seaux de  grain  ou  de  yards  d'étoffe  que  vous  l'étiez 
avant  la  diminution  de  ces  mesures,  pourriez-vous 
nourrir  et  vêtir  autant  de  personnes  qu'auparavant  ? 

Le  Chevalier.  —  Non,  moitié  moins  seulement, 
car  c'est  la  proportion  qui  manque,  par  votre  calcul, 
à  la  quantité  totale  de  marchandises.  Mais  la  monnaie 
est-elle  une  commune  mesure  que  l'on  peut  diminuer 
et  raccourcir  comme  les  autres  ? 

Le  Docteur.  —  Ce  n'est  pas  seulement  mon  opi- 
nion, mais  aussi  celle  d'Aristote,  comme  je  l'ai  dit  aupa- 
ravant, le  plus  subtil  philosophe  qui  ait  jamais  existé. 

Le  Chevalier.  —  [L.Fol.64.Vo]  Mon  Dieu,  si  cela 
est  vrai,  c'est  le  Roi  qui  perd  le  plus  et  ensuite  ses 
nobles  et  ses  gentilshommes  qui  sont  sa  force  principale 
en  temps  de  besoin  ;  perdent  également  tous  les  gens 
qui  sont  payés  en  cette  mesure,  étant  appointés  depuis 
longtemps  en  un  certain  nombre  de  livres,  de  marcs  et 
de  shillings.  Je  m'aperçois  aussi  que  ceux  qui  les  paient 


160  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

n'êtes  pas,  sans  de  nouvelles  réflexions,  suffisamment 
démuni  de  science  pour  nous  satisfaire  là  dessus  et  même, 
si  besoin  était,  en  des  matières  encore  plus  importantes. 


en  cette  nouvelle  mesure,  sans  en  augmenter  le  nombre, 
y  gagnent  nécessairement  beaucoup. 

Le  Docteur.  —  Je  pense  que  vous  vous  en  rendez 
compte  vous-même  ? 

Le  Chevalier.  —  Oui  sans  doute  il  doit  en  être 
ainsi.  Mais  encore  une  chose  que  je  voulais  vous  deman- 
der :  comment  fait-on  en  France  et  dans  les  Flandres, 
là  où  l'on  a  de  la  monnaie  de  cuivre,  de  la  monnaie  mixte, 
de  la  monnaie  d'argent  pur  et  de  la  monnaie  d'or  courant 
ensemble  ? 

Le  Docteur.  —  C'est  en  conservant  une  juste  pro- 
portion entre  chaque  métal,  ainsi  de  cent  pour  un  pour 
le  cuivre  à  l'égard  de  l'argent  et  de  12  pour  un  pour 
l'argent  vis-à-vis  de  l'or.  [Qu'il  n'y  a  pas  d'importance 
à  ce  que  quelques  monnaies  soient  de  cuivre,  si  Von  conserve 
une  juste  estimation  de  leur  valeur  vis-à-vis  de  celle  de 
l'argent  et  de  ior.]  Quant  à  la  proportion  de  l'argent  à 
l'égard  de  l'or,  je  ne  pense  pas  qu'elle  puisse  être  modi- 
fiée par  l'autorité  de  quelque  Prince,  si  cela  était  pos- 
sible, un  Prince  ou  une  autre  personne  l'eût  déjà  fait 
depuis  deux  mille  ans,  car  c'est  depuis  ce  temps  que 
Platon,  qui  était  un  autre  philosophe  appelé  le  divin 
Platon  pour  sa  parfaite  sagesse,  dans  son  dialogue 
nommé  Hipparchius  [Plato  in  dial,  Hipparch.]  montra 
que  cette  dite  proportion  existait  en  son  temps  entre 
l'argent  et  l'or.  Elle  est  la  même  encore  maintenant, 
car,  aujourd'hui,  douze  onces  d'argent  ne  valent  qu'une 
once  d'or  fin.  [Que  la  proportion  qui  existait  entre  Vor 
et  r argent  il  y  a  deux  mille  ans  est  encore  la  même  aujour- 
d'hui.] Lorsque  six  angelots  pesaient  une  once  d'or, 
vingt  grotes  pesant  douze  onces  d'argent  valaient  un 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  161 

Le  Docteur.  —  Eh  bien  j'accepte  (puisque  vous  le 
voulez  ainsi)  [Fol.44.Vo]  de  me  rendre  à  votre  désir. 
Je  vous  donnerai  franchement  mon  opinion  là-dessus, 

^ 


angelot  et  ainsi  40d.  d'argent  correspondaient  à  40s. 
d'or. 

Le  Chevalier.  —  [L.Fol.65.Ro].  Vous  souhaitez 
que  nous  retournions  aux  vieux  chemins  que  nous  avons 
quittés,  mais  toute  la  difficulté  est  de  savoir  comment 
y  retourner. 

Le  Docteur.  —  Cela  demande  sûrement  quelqu'in- 
telligente  et  prudente  disposition,  mais  cela  n'est  pas  si 
difficile  et  les  inconvénients  qui  en  découleront,  car  il 
y  en  aura  nécessairement,  seront  moindres  que  ceux 
provenant  de  la  monnaie  telle  qu'elle  est  à  présent  et 
qui,  sans  nul  doute,  seront  de  plus  en  plus  nombreux. 
D'autre  part  les  choses  reviennent  naturellement  et 
avec  moins  de  difficultés  au  commerce  traditionnel 
qu'elles  ne  s'adaptent  à  un  usage  nouveau  et  extra- 
vagant ;  les  gens  seront  heureux  de  retrouver  ce  dont 
ils  avaient  l'habitude  et  ainsi  ils  supporteront  quelques 
peines  pour  y  revenir. 

Le  Chevalier.  —  Eh  bien,  présentez  cette  réforme 
telle  que  vous  la  comprenez  et  que  mes  amis  et  moi 
entendent  quels  inconvénients  peuvent  en  résulter. 

Le  Docteur.  —  Vous  me  soumettez  une  question 
importante  qui  excède  mon  simple  esprit.  Elle  devrait 
être  examinée  par  les  membres  du  Conseil  ou  du  Parle- 
ment ou  par  quelques  hommes  sages  et  instruits  choisis 
par  eux  et  réunis  pour  la  discuter.  Peut-être  ai- je  ici 
dépassé  mon  rôle  en  allant  jusqu'à  dire  que  la  chose 
devait  être  faite. 

Le  Chevalier.  —  Quel  mal  peut-il  y  avoir,  car,  bien 
que  nous  imaginions  ici  que  toute  la  communauté  est 
représentée   par  nous,   nos   résolutions   ne   seront   pas 

LE    BRANCHU   II  11 


162  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

à  condition  toutefois  que,  si  vous  ne  l'admettez  point, 
VOUS  le  critiquiez  et  que  vous  me  fassiez  part  de  vos 
propres  fantaisies  et  jugements  sur  cette  matière.  Il 
existe,  à  mon  avis,  deux  causes  spéciales  *  pour  les- 
quelles, nonobstant  la  réforme  de  notre  monnaie,  cette 

*  Deux  causes  de  la  cherté  des  choses  : 


publiées  ?  Gela  peut  produire  ce  bon  résultat  :  c'est 
qu'en  vous  écoutant,  Maître  Docteur,  j'entende  quelque 
sage  raison  que,  lorsque  je  ferai  partie  du  Parlement 
(ce  dont  je  suis  indigne),  je  pourrais  exposer  et  faire 
entendre  à  quelques  hommes  pour  le  plus  grand  bien 
de  tous.  [L.Fol.65.Vo]  Aussi,  exposez-nous  votre  projet, 
il  ne  nous  servira  pas  à  nous-mêmes. 

Le  Docteur.  —  Il  est  dangereux  de  se  mêler  des 
affaires  du  Roi,  surtout  si  cela  peut-être  à  même  de  dimi- 
nuer ses  revenus. 

Le  Chevalier.  —  Gela  serait  vrai  si  on  en  parlait  là 
où  cela  pourrait  faire  du  mal  et  dans  cette  intention. 

Le  Docteur.  —  Je  n'agis  pas  ainsi,  mais  au 
contraire  pour  le  meilleur  but  et,  j'en  prends  Dieu  à 
témoin,  pour  le  plus  grand  profit,  honneur  et  sûreté 
dans  l'avenir  de  Sa  Majesté  le  Roi.  Cependant  quel- 
ques-uns diront  peut-être  qu'il  ne  m'appartient  pas 
d'étudier  cette  affaire  ;  oui,  je  suis  le  sujet  du  Roi  et 
je  lui  dois,  non  seulement  l'obéissance,  mais  encore  tout 
le  respect  à  la  fois  dans  l'exemple  et  dans  le  conseil. 
Je  présenterai  donc  ainsi  le  cas  :  supposons  que  le  Roi 
proclame  qu'après  la  prochaine  Saint-Michel  il  n'y  aura 
plus  de  monnaie  à  avoir  cours  en  ce  royaume,  mais 
seulement  au  nouveau  taux  ;  chacun  devra  apporter 
à  la  Monnaie  du  Roi  toute  sa  nouvelle  monnaie  et  là 
on  lui  donnera  des  reçus  disant  que  pour  chaque  10  s. 
de  la  nouvelle  monnaie  apportée  au  Roi,  celui-ci  lui 
donnera,  entre  la  Saint-Michel  et  la  Noël  suivante  ou 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  163 

cherté  des  choses  (en  comparaison  avec  le  passé)  subsiste 
parmi  nous. 

[183]  La  première  est  qu'immédiatement  après  la 
dévaluation  de  notre  monnaie  sous  le  règne  du  Roi 
Henri  VIII  i°®,  tous  les  prix  montèrent,  affectant  toutes 


I 


tout  autre  époque,  un  angelot  noble  de  bon  or  ou  de 
bon  argent  et  à  l'ancienne  valeur,  c'est  à  dire  dix  grotes 
pour  l'once  d'argent  et  six  angelots  pour  l'once  d'or.. 
Je  vous  demande  quel  mal  en  adviendrait  ? 

Le  Chevalier.  —  Mon  Dieu,  il  n'y  aurait  aucun  mal 
si  cela  pouvait  réussir  ;  mais  où  le  Roi  trouverait-il 
suffisamment  de  fonds  pour  tout  cela  ?  Sa  Grâce  n'en  a 
pas  beaucoup  dans  son  propre  trésor,  peut-être,  n'en 
a-t-elle,  même  avec  tous  ses  sujets,  pas  assez  pour  tout 
le  trafic  du  Royaume. 

Le  Docteur.  —  [L.F0I.66.R0].  Je  ne  conteste  point 
qu'il  faudra  un,  deux  ou  trois  ans  avant  que  ce  Royaume 
en  soit  aussi  bien  pourvu  qu'il  ne  l'était  auparavant  et 
que  Sa  Majesté  le  Roi  aura  quelques  besoins  d'argent 
pour  réussir  tout  cela  :  mais  la  difficulté  n'est  pas  si 
grande  qu'elle  paraît  et  elle  existerait  surtout  au  début. 
[Comment  on  pourrait  avoir  des  fonds  pour  la  réforme  de 
la  monnaie.]  Tout  d'abord  Sa  Majesté  le  Roi  aurait  des 
fonds  au  moyen  de  la  nouvelle  monnaie  qui  serait  appor- 
tée à  la  Monnaie.  Il  y  a  encore  dans  le  Royaume  un  peu 
de  l'ancienne  monnaie  qui  serait  apportée  au  Roi  pour 
être  divisée,  si  son  estimation  était  juste  ;  il  y  a  égale- 
ment de  la  vaisselle  que  les  gens  seraient  heureux  d'ap- 
porter pour  la  monnayer  s'ils  pouvaient  avoir  en  place 
du  pur  argent  comme  ils  en  avaient  l'habitude.  Une 
disposition  pourrait  être  prise  pour  un  temps  interdisant 
que  la  laine,  les  étoffes,  l'étain  ou  quelqu'autres  mar- 
chandises semblables  soient  exportées,  à  moins  qu'elles 


164  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

les  classes  de  la  société  *.  Il  devait  arriver,  comme  vous 
le  savez,  que  les  gentilshommes,  qui  ne  vivaient  que  du 
revenu  de  leurs  terres,  en  furent  autant  ou  davantage 
les  victimes  (comme  cela  a  été  prouvé)  que  n'importe 

*  i)  la  dévaluation  de  notre  monnaie  par  Henri  VIII.  Ainsi  prix  en 
hausse... 


ne  soient  payées  en  bon  or  ou  en  argent  d'après  l'ancien 
taux.  Et  si  Sa  Grâce  pouvait  s'arranger  de  manière  que 
les  gens  puissent  avoir  de  la  monnaie  de  billon  frappée 
moins  chère,  aussi  bon  marché  qu'autrefois,  ceux-ci 
apporteraient  vite  de  l'argent  à  la  Monnaie. 

Le  Chevalier.  —  Gela  demanderait  longtemps  avant 
que  suffisamment  d'argent  et  d'or  soit  apporté  et  frappé 
pour  subvenir  aux  besoins  du  Royaume  !  Gomment  pen- 
dant ce  temps  les  gens  feraient-ils  le  commerce,  étant 
donné  qu'auparavant  ils  manquaient  déjà  d'espèces? 

Le  Docteur.  —  Partie  par  le  troc,  partie  au  moyen 
de  cette  monnaie  corrigée,  comme  celle  qui  fut  expor- 
tée, jusqu'à  ce  qu'il  en  soit  fabriqué  davantage. 

Le  Ghevalier.  —  Gomment  le  Roi  et  les  gentils- 
hommes seraient-ils  payés  de  leurs  rentes  pendant  ce 
temps  ? 

Le  Docteur.  —  Sa  Majesté  le  Roi  pourrait  être 
payée  en  sa  monnaie  actuelle  [L.Fol.ôô.V^']  et  les  gen- 
tilshommes en  produits  des  terres  de  leurs  tenanciers 
estimés  un  certain  prix,  en  paiement  de  la  rente  pour 
la  première  demi-année.  Pour  les  six  mois  suivants, 
il  y  aurait  assez  d'or  et  d'argent  donné  en  échange  de 
nos  laines,  peaux,  étain,  plomb  et  autres  marchandises 
pour  payer  les  rentes  du  roi  et  des  autres  seigneurs,  car 
je  crois  que  chaque  tenancier  récolte  annuellement 
suffisamment  d'un  produit  ou  d'un  autre  pour  payer  le 
fermage  de  son  seigneur  et  les  seigneurs  peuvent,  de  leur 
côté,  épargner  suffisamment  du  produit  qu'ils  reçoivent 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  165 

quelle  autre  personne.  Ceci  admis,  les  gentilshommes 
désireux  de  conserver  leur  crédit  en  maintenant  leur 
rang  comme  leurs  ancêtres  ont  été  forcés,  aussi  souvent 
qu'expiraient  les  baux  conclus  par  eux-mêmes  ou  par 
leurs  ancêtres,  de  ne  pas  les  renouveler  sans  que  le  nou- 


de  leurs  tenanciers  pour  payer  la  redevance  de  Sa 
Majesté  le  Roi.  S'il  n'y  avait  rien  d'autre  à  compliquer 
cette  affaire,  cela  suffirait  à  procurer  en  un  an  assez 
de  bonne  monnaie  pour  le  trafic  du  Royaume,  car  il 
n'y  a  pas  de  tenancier  qui  puisse  dédenser  plus  qu'il 
ne  produit,  pas  de  propriétaire  qui  puisse  dépenser  plus 
que  ses  revenus  annuels  :  si,  parmi  eux,  un  le  fait,  un 
autre  en  épargnera  autant.  Si  une  année  ne  pourvoit 
pas  le  Royaume  d'assez  de  bonne  monnaie,  une  autre 
le  fera  et  une  troisième  nous  rendra  plus  riches  que  nous 
ne  l'avons  jamais  été.  [Un  souverain  devrait  avoir  beau- 
coup d'argent^  ou,  sinon,  lui,  ses  sujets.]  Il  n'est  pas 
suffisant  pour  un  Prince  ou  un  royaume  d'avoir  seule- 
ment assez  d'argent  pour  une  année  et  de  vivre,  comme 
l'on  dit,  au  jour  le  jour  ^^°  :  il  devrait  avoir  quelque 
réserve  pour  les  événements  imprévus,  tels  que  guerre 
et  disette.  Car  si  nous  avions  des  guerres  ou  une  disette, 
comme  cela  est  déjà  arrivé,  et  que  nous  ayions  besoin 
de  munitions,  d'artillerie  ou  d'une  aide  quelconque  de 
l'étranger,  ce  n'est  pas  la  monnaie  que  nous  possédons 
maintenant  qui  nous  les  procurerait  [L.Fol.67.R<^]  ;  de 
même,  si  nous  souffrions  d'une  grande  disette  de  grains 
dans  le  Royaume,  à  cause  de  laquelle,  nous  serions  obligés 
d'aller  en  quérir  à  l'étranger,  ce  n'est  pas  notre  monnaie 
actuelle  qui  en  achèterait  ;  quant  à  nos  autres  mar- 
chandises, en  cas  de  famine  elles  ne  seraient  pas  à  même 
d'y  suppléer,  étant  donné  qu'à  présent,  dans  les  bonnes 
années,  elles  ne  constituent  qu'à  peine  le  nécessaire. 
Et  que  ferions-nous  si  la  guerre  et  la  disette  advenaient 


166  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

veau  fermage  soit  beaucoup  plus  élevé  que  l'ancien  *  ; 
cette  hausse  des  fermages  a  continué  depuis  lors  et 
jusqu'aujourd'hui.  Il  en  résulte  que  le  fermier  est  forcé, 
étant  donné  que  son  fermage  est  plus  élevé  qu'autrefois 
et  continue  de  l'être,  de  vendre  plus  cher  ses  produits 

*  ...cette  hausse  des  prix  fit  monter  les  fermages... 


en  même  temps,  comme  cela  a  déjà  été  ?  Nous  serions 
sûrement  en  mauvaise  posture  et  en  grand  péril  vis-à-vis 
des  étrangers.  D'un  autre  côté,  si  nous  possédions  des 
réserves  suffisantes  d'argent  dans  le  Royaume,  quoi- 
qu'adviennent  en  même  temps  la  guerre  et  la  disette, 
nous  serions  à  même  de  les  supporter  pour  une  année, 
ou  deux,  ou  trois.  J'aimerais  mieux  qu'un  millier 
d'hommes  possèdent  entre  eux,  dans  une  année  de 
cherté,  100.000  £  de  bonnes  monnaie  que  d'avoir  un 
millier  de  granges  pleines  de  grain  d'une  valeur  de 
100  £  chacune  :  car  la  monnaie  permettrait  d'acheter 
autant  de  grain  qu'en  contiendraient  toutes  ces  granges. 
La  monnaie  est,  comme  elle  l'était,  une  réserve  de  toute 
marchandise  désirée,  ainsi  que  je  vous  l'ai  déjà  dit 
dans  notre  discussion  ;  c'est  la  marchandise  qui  peut 
être  conservée  le  plus  longtemps  sans  perte,  la  plus 
facile  à  transporter  ici  et  là  pour  tout  échange  et  la 
plus  universellement  courante  si  elle  est  d'or  et  d'ar- 
gent. Néanmoins,  si  ce  n'était  pour  la  difficulté  du 
transport,  j'aimerais  autant  avoir  du  cuivre,  de  l'étain, 
du  plomb  pour  une  valeur  égale  à  celle  de  la  monnaie, 
car  ces  métaux  se  conservent  aussi  bien,  sont  partout 
reçus  à  leur  valeur,  mais  ils  sont  très  difficiles  à  trans- 
porter. Si  quelqu'un  manque  d'une  marchandise  existant 
à  Londres,  alors  que  lui-même  habite  Berwick,  ne 
serait-il  pas  beaucoup  plus  aisé  pour  lui  d'avoir  une 
marchandise  à  donner  en  échange  de  celle  dont  il  a 
besoin   telle   [L.Fol.67.Vo]    qu'il   puisse   la   transporter 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  167 

et  de  continuer  à  le  faire  *.  Il  en  résulte  également 
pour  les  autres  artisans  l'obligation  de  maintenir  une 
égale  proportion  dans  les  autres  marchandises.  Ainsi 
cette  cherté  naquit  au  début  (comme  je  l'ai  déjà  dit),  de 
l'altération   de   la  monnaie  et  j'attribue  en  partie  sa 

*  ...et  ceci  fit  monter  le  prix  de  la  nourriture  et  de  tous  autres  articles. 


dans  ses  manches  jusqu'à  concurrence  de  la  valeur 
de  100  £  et  de  venir  à  Londres  sur  un  bidet,  à  peu  de 
frais,  plutôt  que  d'avoir  une  marchandise  de  cette 
valeur  qui  demanderait  un  chariot  pour  la  transporter  ? 

Le  Chevalier.  —  Oui  sans  doute,  mais  il  serait  plus 
à  l'abri  du  vol  ainsi. 

Le  Docteur.  —  Cela  est  vrai,  mais  il  serait  encore 
plus  à  l'abri  du  vol  s'il  ne  possédait  rien. 

Le  Chevalier.  —  J'ai  entendu  divers  hommes  de 
votre  profession  se  plaindre  des  premiers  inventeurs 
de  l'or  et  de  l'argent,  parce  que  ceux-ci  étaient  respon- 
sables de  nombreux  meurtres,  félonies  et  malheurs  : 
car  c'est  l'esprit  de  lucre  qui  conduit  l'homme  au  mal. 

Le  Docteur.  —  Je  sais  qu'ils  se  plaignent  aussi 
bien  des  fondeurs  d'argent  et  d'or  que  de  ceux  de  fer 
et  d'acier,  sous  prétexte  que  ces  métaux  sont  les  ins- 
truments de  nombreux  meurtres  et  massacres.  [Que  ce 
qui  est  généralement  estimé  ne  doit  pas  être  rejeté  d'un 
royaume  qui  trafique  avec  les  autres.]  Aussi  désirerais-je 
qu'aucun  de  ces  métaux  ne  soit  aussi  répandu.  Mais  si 
nous  abandonnions  nos  outils  et  nos  armes  sans  que  le 
fassent  les  autres  pays,  nous  nous  priverions  de  toute 
défense  et  deviendrions  leur  proie  ;  ainsi,  si  nous  aban- 
donnions notre  or  et  notre  argent  à  cause  du  mal  qui 
découle,  non  pas  d'eux-mêmes,  mais  de  leur  mauvais 
usage,  et  si  les  autres  pays  les  conservaient,  nous  nous 
affaiblierions  nous-mêmes  et  nous  leur  donnerions  la 
force.  Bien  qu'il  soit  recommandable  à  certains,  pour  la 


168  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

continuation  à  l'augmentation  des  fermages  qui  ont  été 
haussés  depuis  ce  temps  et  continueront  vraisemblable- 
ment à  l'être  [Fol.45.R<>]  je  ne  sais  pendant  combien  de 
temps  *.  Si  nous  voulions  rétablir  chez  nous  les 
anciens  prix,  la  restauration  de  notre  bonne  monnaie 

*  Si  nous  désirons  nos  anciennes  valeurs  ou  prix,  nous  devons  abais- 
ser les  fermages. 


vie  contemplative,  de  mettre  de  côté,  autant  que  pos- 
sible, l'usage  de  notre  monnaie,  il  n'est  pas  nécessaire 
pour  le  Royaume  que  tous  en  fassent  autant,  pas  plus 
qu'il  ne  convient  que  tous  les  hommes  soient  vierges, 
quoique  cela  puisse  être  bon  dans  certains  cas. 

Le  Chevalier.  —  [L.F0I.68.R0]  J'ai  entendu  dire 
que  les  Princes  avaient  monnayé  du  cuir  et  en  avaient 
fait  une  monnaie  courante  en  cas  de  besoin. 

Le  Docteur.  —  Vous  pouviez  bien  dire  que  c'était 
en  temps  de  grand  besoin  et  seulement  pour  une  courte 
période  ;  je  n'ai  cependant  jamais  lu  que  plus  d'un 
Prince  l'ait  fait  :  celui-ci  était  appelé  Frédéric,  surnommé 
Barberousse^^i,  un  des  Empereurs  d'Allemagne  qui 
vivait  en  l'an  de  grâce  1193  ou  environ.  [Que  la  monnaie 
fut  à  un  moment  faite  de  cuir^  mais  en  période  de  grande 
nécessité  et  seulement  pour  peu  de  temps.]  Une  fois,  pen- 
dant une  guerre,  en  temps  de  grand  besoin,  comme  son 
argent  était  épuisé  et  que  ses  soldats  étaient  prêts  à 
le  quitter,  il  frappa  une  monnaie  de  cuir  et  fixa  dans 
chaque  pièce  un  clou  d'argent  avec  sa  marque  ^^^  .  n 
désirait  que  ses  soldats  l'acceptent  pour  lors  au  lieu  de 
bonne  monnaie,  les  assurant  qu'après  la  fm  de  la  guerre 
il  les  rembourserait  en  bonne  monnaie  courante,  ce  qu'il 
fit.  Par  ce  moyen,  il  conserva  ses  soldats,  mena  à  bien 
cette  entreprise,  reprit  cette  monnaie  de  cuir  et  la  rem- 
boursa en  bonne  monnaie.  Ainsi,  les  Princes  qui  conser- 
vent leur  crédit  et  tiennent  leurs  promesses  peuvent 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  109 

qui  est  déjà  faite  (et  auparavant  la  baisse  des  fermages 
aurait  suffi)  ne  servira  point  de  nos  jours,  excepté  si  les 
fermages  sont  abaissés,  ce  qui  ne  peut  être  accompli 
sans  le  consentement  commun  de  tous  les  propriétaires 
du  Royaume. 


accomplir,  en  temps  de  besoin,  de  merveilleuses  choses 
parmi  leurs  sujets  et,  s'ils  ne  le  faisaient  pas,  ils  seraient 
amenés  à  rechercher  de  l'aide  chez  les  étrangers,  à  leur 
grand  dommage  comme  l'expérience  l'a  montré  il  n'y 
a  pas  longtemps  ^^^, 

Le  Chevalier.  —  Mais  pour  en  revenir  au  point 
où  nous  en  sommes  restés,  si  le  Roi  donnait  des  angelots 
(comme  vous  le  dites)  pour  chaque  10  s.  de  nouvelles 
pièces  apportées  à  la  Monnaie,  les  revenus  d'une  année 
entière  de  Sa  Grâce  y  suffiraient  à  peine. 

Le  Docteur.  —  Ce  serait  une  année  de  revenu  bien 
employée  celle  qui  ainsi  en  sauverait  dix,  comme  ce 
serait  un  bon  marché,  avec  la  rente  d'une  ou  de  deux 
années,  d'acquérir  le  terrain  pour  toujours.  Si  Sa 
Majesté  le  Roi  donnait  à  ses  sujets  un  bon  angelot  pour 
le  noble  actuellement  en  cours  [L.F0I.68.V0].  Sa  Grâce 
ferait  comme  l'a  fait  Frédéric.  Et  cependant  le  Roi 
aurait  plus  longtemps  besoin  de  la  monnaie  de  ses 
sujets  (comme  la  raison  et  la  nécessité  le  veulent)  et, 
par  ce  règlement,  il  gagnerait  le  tiers,  puisque,  pour 
chaque  10s.  Sa  Grâce  donnerait  un  noble. 

Le  Chevalier.  —  Mais  alors  si  les  gens  avaient  leur 
monnaie  frappée  pour  peu  de  chose  ou  même  pour  rien, 
si  ce  n'est  le  travail  des  ouvriers.  Sa  Majesté  le  Roi  qui 
trouve  actuellement  un  grand  profit  dans  le  mon- 
nayage perdrait  beaucoup  du  fait  de  votre  réforme. 

Le  Docteur.  —  Aussi  je  ne  doute  point  que  les 
monnayeurs  n'aident  en  cela  le  Roi  et  ses  conseillers, 
mais  je  ne  les  croirais  pas  plus  en  cela  que  je  ne  les 


170  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[184]  Une  autre  raison  *  que  je  puis  entrevoir 
est  l'abondance  extrême  de  numéraire  qui  existe  aujour- 
d'hui dans  nos  pays  en  beaucoup  plus  grande  quantité 
que  nos  ancêtres  n'en  ont  jamais  vu  par  le  passé  ^^*. 

*  ii)  la  grande   augmentation  de  nos  jours  de  la  monnaie  en  pro- 
venance de  l'Inde,  etc. 


croyais  auparavant  en  ce  qu'ils  avaient  promis  sans 
pouvoir  le  réussir  :  lorsqu'ils  prétendaient  faire  de 
l'argent  avec  du  cuivre  et  de  l'or  avec  de  l'argent. 
[Comment  les  monnayeurs  entendent  la  multiplication.] 
Je  dois  cependant  confesser  qu'ils  ont  bien  changé  notre 
cuivre  en  argent  et  notre  argent  en  or,  sous  leur  propre 
direction,  mais,  en  même  temps,  ils  ont  épuisé  les  coffres 
du  Prince  et  son  patrimoine  qui  est  le  Royaume  ;  ils 
l'ont  fait  comme  les  alchimistes  avaient  coutume  d'agir 
avec  les  gens,  leur  promettant  d'accroître  leurs  biens 
alors  qu'en  réalité  il  les  diminuaient  ;  les  monnayeurs 
eux  l'accroissent  en  nombre,  mais,  d'autre  part,  en  dimi- 
nue deux  fois  plus  la  valeur.  Ainsi,  au  lieu  d'un  penny, 
il  donnent  deux  pence  [L.Fol.69.Ro],  mais  de  telle 
manière  que  l'ancien  penny  en  valait  trois  de  la  nou- 
velle espèce.  Bien  qu'ils  persuadent  au  Prince  que  le 
bénéfice  de  tout  cela  reviendra  à  Sa  Grâce,  le  profit 
le  plus  considérable  restera  cependant  entre  leurs  mains. 
Et  pourquoi  ?  Parce  que  la  proportion  des  métaux  est 
si  incertaine  à  reconnaître  par  l'essayage  que  les  offi- 
ciers du  Roi  ne  peuvent  pas  toujours  les  obUger  à  conser- 
ver un  certain  standard.  Et  même  s'ils  y  parvenaient, 
l'opération  ne  profiterait  pas  tellement  au  Roi  qu'il 
semble  à  première  vue  :  la  plus  grande  part  du  bénéfice 
va  aux  monnayeurs,  comme  elle  avait  coutume  d'aller 
aux  alchimistes  et  aux  charlatans.  Cela  apparaît  bien 
par  l'exemple  de  ceux  qui  exercent  ou  ont  exercé  ce 
métier   :   ils   s'enrichissent   soudainement  comme   s'ils 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  171 

Qui  donc  ignore  les  quantités  infinies  d'or  et  d'argent 
recueillies  chaque  année  dans  les  Indes  et  dans  les  autres 
pays  et  transportées  sur  nos  côtes  ?  C'est  absolument 
certain,  car  cela  apparaît  de  l'avis  commun  de  tous  les 
hommes    âgés   qui    vivent    aujourd'hui    *.    Ils    disent 

*  Il  y  a  quelques  années,  un  homme  avec  30  ou  40  £  par  an  était 
considéré  comme  riche  ;  on  le  regarde  presque  comme  un  mendiant. 


avaient  trouvé  l'anneau  de  Gigès,  ainsi  que  le  dit  le 
proverbe.  Gela  paraît  encore  par  l'exemple  d'un  honnête 
homme  appelé  Knight  [Son  nom  était  Knight]  qui,  je 
le  sais,  occupa  des  fonctions  à  la  Monnaie,  mais  seule- 
ment, comme  je  l'ai  entendu  dire,  deux  ans  environ, 
après  quoi  il  tomba  malade  et  mourut.  Sur  son  lit  de 
mort  (comme  c'était  un  très  honnête  homme,  fort 
consciencieux)  s'apercevant  qu'il  avait  gagné  par  son 
emploi  plus  que  son  salaire.  [Un  rare  exemple  de  mon- 
nayeur.]  ^^^,  il  légua  au  Roi  environ  1.000  marcs,  comme 
on  me  l'a  affirmé,  en  compensation  des  gains  illégaux 
obtenus  aux  dépens  du  Roi,  absolument  comme  les 
gens  avaient  coutume  de  faire  des  legs  à  leur  église 
paroissiale  en  compensation  des  dîmes  oubliées.  Si  un 
honnête  homme  peut  gagner  autant  d'argent  en  si  peu 
de  temps,  que  ne  peut  donc  faire  celui  qui  n'a  pas  de 
conscience  ?  [L.Fol.69.Vo].  Mais,  pour  répondre  à  votre 
objection,  le  Roi  ne  gagne  pas  par  son  monnayage 
autant  qu'il  perd  dans  ses  revenus  annuels,  douanes, 
subsides,  amendes  et  autres  profits  semblables,  quand 
la  même  monnaie  revient  à  Sa  Grâce. 

Le  Chevalier.  —  Si  votre  projet  veut  qu'après  la 
Saint-Michel  prochaine  tout  le  monde  soit  obligé  de 
payer  toutes  sortes  de  redevances  d'après  l'ancienne 
monnaie,  considérons  alors  ce  cas  :  quelqu'un,  depuis  le 
surhaussement  de  la  monnaie,  a  loué  des  terres  à  10  £ 
par  an  [Un  cas  à  considérer  si  Von  change  la  monnaie, 


172  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tous  qu'autrefois,  jusqu'à  la  limite  de  leur  mémoire 
celui  qui,  toutes  charges  déduites,  possédait  un  revenu 
de  30  ou  40  £  était  considéré  comme  un  homme  riche  et 
tout  à  fait  en  état  de  tenir  maison  parmi  ses  voisins, 
mais,  de  nos  jours,  un  homme  de  cette  catégorie  est  si 


iouchant  les  rentes  récemment  élevées]  qui,  avant  cette 
réforme,  ne  valaient  que  20  nobles  par  an,  pas  plus 
qu'elles  ne  vaudraient  à  présent  si  l'on  rétablit  la  mon- 
naie à  son  ancien  taux  :  comment  cet  homme  fera-t-il, 
et  comment  feront  les  autres,  fort  nombreux  dans  le 
Royaume,  et  qui  sont  dans  le  même  cas  ?  Ils  seraient 
probablement  ruinés  s'ils  étaient  obligés  de  payer  leurs 
10  £  par  an  au  taux  de  l'ancienne  monnaie. 

Le  Docteur.  —  Vous  faites  bien  de  le  rappeler  : 
beaucoup  se  trouveraient  en  mauvaise  posture  si  l'on 
ne  remédiait  à  ce  cas.  Bien  que  ce  ne  soit  pas  un  mal 
aussi  grave  de  laisser  quelques-uns  payer  de  cette  façon 
que  cela  n'était  généralement,  pour  tous  les  proprié- 
taires du  Royaume,  de  recevoir  leurs  rentes  au  taux 
actuel  de  la  monnaie,  on  devrait  pourtant  y  remédier, 
étant  donné  que  ce  peut  être  fait  aisément  de  cette  façon  : 
tous  ceux  qui  ont  pris  à  ferme  des  terres  ou  des  pro- 
priétés depuis  le  rehaussement  de  la  monnaie  ne  don- 
neraient, à  partir  de  la  Saint-Michel  suivante,  pour 
chaque  10  shillings  qu'ils  devaient  [L.Fol.70.Ro]  qu'un 
angelot  de  la  monnaie  réformée,  de  la  même  valeur  que 
l'ancien  angelot.  Ainsi  ni  tenanciers,  ni  propriétaires 
ne  seraient  lésés  et  les  marchés  seraient  maintenus. 

Le  Chevalier.  —  Alors  j'objecterai  ceci  :  si  un 
.homme  s'était  engagé  à  payer  100  £  après  la  Saint-Michel 
prochaine,  il  devra  les  payer  en  la  monnaie  alors  cou- 
rante, qui  excéderait  en  valeur  de  100  nobles  les  100  £ 
existant  lors  du  contrat  ;  il  y  perdrait  beaucoup,  et  ce 
sans  raison,  étant  donné  qu'il  comptait  payer  en  la 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  173 

loin  d'être  réputé  bon  maître  de  maison  ou  homme  riche 
qu'il  est  presque  considéré  comme  un  mendiant.  Aussi 
ces  deux  raisons  me  semblent  contenir  en  elles  une  pro- 
babilité suffisante  quant  aux  causes  et  à  la  continuation 
de  cette  universelle  cherté  ^^^. 

[185]  Le  Chevalier.  —  Sans  doute  ;  mais,  Sir,  si 
l'accroissement  du  numéraire  est  en  partie  l'occasion 
de  cette  cherté  continue,  il  est  aussi  vraisemblable  que 
dans  d'autres  nations  voisines,  là  où  sont  apportées 
chaque  année  de  grandes  quantités  d'or  et  d'argent,  le 


monnaie  courante  du  moment  où  il  avait  contracté. 
Gomment  celui-ci  agirait-il  ? 

Le  Docteur.  —  On  pourrait  également  remédier 
à  ce  cas  comme  au  précédent  :  les  débiteurs,  pour  toute 
obligation  née  avant  le  renforcement  de  la  monnaie, 
pour  chaque  10  shillings  qu'ils  devaient  ne  paieraient 
qu'un  angelot  noble.  Ainsi,  pour  les  100  £  qu'il  devait 
par  ce  contrat,  il  s'acquitterait  par  le  paiement  de 
100  marcs  de  la  monnaie  réformée  et  personne  ne  serait 
lésé. 

Le  Chevalier.  —  Comment  feraient  ceux  qui 
avaient  affermé  des  terres  ou  s'étaient  obligés  avant  le 
renforcement  de  la  monnaie  ? 

Le  Docteur.  —  En  ce  qui  concerne  les  terres  louées 
avant  le  renforcemeut  ou  l'altération  de  la  monnaie, 
comme  pour  les  dettes  contractées,  personne  ne  devrait 
être  obligé  de  payer  d'après  l'ancien  taux,  car  cela  ne 
fut  pas  convenu  lors  de  la  conclusion  des  marchés  ;  une 
semblable  disposition  ne  fut  cependant  pas  prise  lorsque 
la  monnaie  fut  altérée  tout  d'abord,  ce  qui  occasionna 
des  pertes  à  tous  les  nobles  et  à  tous  les  gentilshommes. 
[L.F0I.7O.V0]  Peut-être  divers  autres  cas  semblables 
pourraient-ils  se  présenter  à  l'occasion  de  cette  alté- 


174  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

prix  des  victuailles  et  des  autres  marchandises  sembla- 
bles montent  comme  augmente  le  numéraire. 

Le  Docteur.  —  Il  en  est  ainsi  et  aussi,  pour  expri- 
mer franchement  mon  opinion,  je  ne  considère  pas,  étant 
données  les  difficultés  dont  j'ai  parlé  pour  ramener  toutes 
nos  [Fol.45.Vo]  marchandises  anglaises  à  leurs  anciens 
prix,  qu'une  telle  réforme  soit  profitable  ni  sans  inconvé- 
nient pour  le  Royaume,  excepté  si  nous  désirons  que 
nos  produits  soient  vendus  bon  marché  aux  étrangers 
et  que,  d'un  autre  côté,  les  leurs  nous  soient  vendus  cher, 
ce  qui  ne  pourrait  manquer  d'occasionner  un  grand 
appauvrissement  du  Royaume  en  fort  peu  de  temps. 

[186]  Le  Chevalier.  —  Maintenant  que  vous  avez 
si  bien  touché  la  cause  de  cette  cherté  et  que  vous  avez 


ration  quant  aux  paiements,  car,  lors  de  la  promulga- 
tion de  quelque  nouvelle  ordonnance,  il  est  fort  difficile 
de  la  rendre  assez  parfaite  pour  ne  léser  personne  et 
c'est  impossible.  Il  est  suffisant,  comme  le  dit  ce  bon 
politique,  le  sénateur  TuUius,  qu'elle  puisse  profiter 
au  plus  grand  nombre  et  ne  léser  qu'une  petite  partie. 
Toutefois,  l'on  pourrait  remédier  à  des  cas  semblables  à 
mesure  qu'ils  se  présenteraient.  Je  vous  ai  fait  part 
ainsi  de  ma  simple  opinion,  comme  quoi  je  pense  que 
l'on  pourrait  remédier  facilement  à  cette  universelle 
cherté,  dont  la  cause  est  en  nous-mêmes  et  non  pas 
dans  la  volonté  de  Dieu.  Car  lorsque  Dieu  est  disposé 
à  nous  envoyer  la  cherté  de  quelque  chose,  comme  celle 
des  grains,  du  bétail  ou  d'autres  victuailles,  aucun  remède 
humain  ne  peut  agir  :  seules  le  peuvent  la  prière  et  la 
réforme  de  la  vie  pour  la  punition  de  laquelle  II  nous 
l'a  envoyée. 

Le   Chevalier.   —  Maintenant  que  vous   avez   si 
bien  touché  la  cause  de  cette  cherté...  (§  186). 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  175 

dégagé  ce  que  Ton  peut  désirer  ou  en  espérer  (et  vous 
l'avez  fait  si  bien  que  j'en  suis  entièrement  satisfait)  *, 
je  vous  prie  de  me  montrer  les  remèdes  à  ces  clôtures, 
dont  tout  le  Royaume  se  plaint  tellement  et  s'est  plaint 
si  longtemps.  Vous  avez  bien  montré  comment  elles 
sont  une  cause  de  désolation  dans  ce  Royaume  et  com- 
ment elles  sont  dues  au  plus  grand  profit  que  les  gens 
tirent  du  pâturage  par  rapport  au  labourage  ce  qui  fait 
qu'ils  s'y  adonnent  tellement.  Je  voudrais  savoir  main- 
tenant comment  on  pourrait  y  remédier,  car  je  connais 
ce  sujet  depuis  longtemps  :  je  l'ai  souvent  discuté,  aussi 
bien  au  Parlement  qu'au  Conseil,  et  bien  peu  de  mesures 
eurent  de  l'effet. 

Le  Docteur.  —  Si  après  tous  ces  hommes  sages  du 
Parlement  et  des  Conseils  je  prenais  sur  moi  de  les  cor- 
riger ^^^  et  de  trouver  un  remède  aux  clôtures,  ce  qu'ils 
n'ont  jamais  pu  faire,  je  serais  à  bon  droit  considéré 
comme  très  orgueilleux. 

Le  Chevalier.  —  Dites  cependant  votre  opinion 
là  dessus,  car,  même  si  vous  manquiez  de  bons  moyens 
pour  réformer  les  clôtures,  ce  ne  serait  pas  plus  une 
humiliation  pour  vous  que  cela  ne  l'a  été  pour  tous  ces 
hommes  sages  dont  vous  parlez. 

[187]  Le  Docteur.  —  Vous  dites  vrai  ;  comme  je 
n'ai  rien  dit  en  tout  cela  que  j'ai  considéré  comme  une 
loi  ou  une  chose  définitivement  fixée,  mais  plutôt  comme 
des  arguments  à  considérer  par  les  autres  hommes  et  à 
admettre  ou  à  rejeter  suivant  ce  qui  leur  en  semblera 
bon,  aussi,  comme  vous  m'avez  déjà  accordé  votre  atten- 
tion jusqu'ici,  je  ne  me  priverai  pas  d'énoncer  mon 
opinion  là-dessus  [Fol.46.Ro].  Je  dois  cependant  conser- 
ver la  base  dont  j'ai  parlé  :  rechercher  la  cause  effective 
de  ces  clôtures  et  redresser  la  chose  en  supprimant  cette 
cause. 

♦  S'il  vous  plaît,  dites-moi  les  remèdes  aux  clôtures  des  terres  communes. 


176  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

Le  Chevalier.  —  Faites  ainsi,  je  vous  prie.  Gela 
me  semble  très  raisonnable  comme  ce  que  j'ai  entendu 
dire  par  un  bon  médecin  lorsque  je  souffrais  d'une 
fièvre  *  :  lorsque  je  lui  demandai  pourquoi  il  me  don- 
nait des  purges  qui  me  rendaient  encore  plus  faible  que 
je  ne  l'étais  (et  je  l'étais  déjà  suffisamment  !),  ajoutant 
qu'il  aurait  mieux  fait  de  me  donner  des  remèdes  qui 
m'auraient  rendu  plus  fort  **,  il  me  répondit  alors  que 
la  bile  était  la  cause  de  ma  maladie  et  qu'il  me  donnait 
ces  purges  pour  chasser  cette  humeur,  si  bien  que  celle-ci 
une  fois  chassée,  étant  la  cause  de  ma  maladie,  cette 
dernière  me  quitterait  également.  Aussi  je  vous  prie 
d'user  de  votre  ordre  accoutumé  en  cette  matière  et  de 
nous  dire  quelle  est  la  cause  de  ces  clôtures. 

Le  Docteur.  —  Je  vous  ai  déjà  montré,  lors  de 
notre  discussion  dans  le  jardin,  ce  que  je  pensais  en  être 
la  cause  et  j'ai  esquissé,  en  partie,  le  remède  à  ces  clôtures. 

Le  Chevalier.  —  Certains  d'entre  nous  ont  alors 
énoncé  leur  opinion,  mais  nous  vous  prions  maintenant 
de  nous  dire  laquelle,  parmi  toutes  ces  causes,  vous 
considérez  comme  la  cause  nécessaire  et  efficiente. 

[188]  Le  Docteur.  —  A  dire  vrai  ***,  c'est  l'avarice 
que  je  pense  être  la  principale  cause,  mais  pouvons-nous 
essayer  de  supprimer  tout  esprit  de  lucre  chez  l'homme  ? 
Non,  pas  plus  que  nous  ne  pouvons  envisager  les  hommes 
sans  richesses  «,  sans  bonheur,  sans  peur  et  sans  toutes 
autres  affections.  Nous  devons  alors  supprimer  chez  les 
hommes  l'occasion  de  la  convoitise  à  ce  sujet.  Qu'est-ce 
à  dire  ?  C'est  la  profit  supplémentaire  qu'ils  voient  pro- 
venir de  ces  clôtures.  Ceci  peut  être  opéré  par  Tun  des 

*  Sublala  cause  iolliiur  effeclus. 

**  Un  médecin  donne  des  purges  pour  supprimer  a  cause  :  la  bile. 

***  L'avarice  est  la  principale  cause  de  ces  clôtures. 


9  L.  &  B.  :  sans  colère. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  177 

deux  moyens  suivants  *  :  ou  bien  par  la  diminution 
du  profit  qu'on  obtient  par  l'élevage  **,  ou  bien  par 
l'accroissement  du  profit  provenant  de  la  culture,  jus- 
qu'à ce  que  celle-ci  soit  aussi  bonne  et  aussi  rémunéra- 
trice que  l'élevage  pour  ceux  qui  l'exercent,  car  chaque 
homme  (comme  le  dit  Platon)  ***  recherche  naturel- 
lement le  gain  et  ce  en  quoi  il  voit  [Fol. 46. V®]  le  plus 
de  profit,  il  s'y  adonne  le  plus  volontiers  ^^^.  Je  vous  ai 
montré  déjà  qu'il  y  a  plus  de  bénéfice  à  faire  de  l'élevage 
sur  dix  acres  qu'à  en  labourer  vingt  ****.  Les  causes 
en  sont  nombreuses  *****  :  Tune  d'elles  est  que  l'éle- 
vage demande  moins  de  charges  et  moins  de  travail 
ce  qui,  dans  le  labourage,  absorbe  la  plus  grande  partie 
du  gain,  bien  qu'il  soit  vrai  que  le  labourage  de  10  acres 
rapporte  généralement  plus  au  maître  et  à  ses  hommes 
que  l'élevage  pratiqué  sur  20  acres.  Une  autre  grande 
cause  est  que  tout  ce  qui  provient  de  l'élevage  a  vente 
libre  à  la  fois  ici  et  outre-mer  et  peut  être  vendu  au  plus 
haut  prix  possible.  C'est  le  contraire  pour  les  produits 
du  labourage,  car  celui-ci  demande  beaucoup  de  tra- 
vailleurs et  beaucoup  de  peines  ;  si  le  grain  est  bon 
marché,  il  paie  à  peine  les  charges  du  labourage  et  si 
son  prix  monte,  soit  dans  ce  Royaume,  soit  à  l'étranger, 
le  pauvre  fermier  est  empêché  de  vendre  son  grain.  Aussi 
n'aura-t-il  ensuite  aucun  plaisir  à  charmer,  ce  qui  fait 
que  chacun  abandonne  le  labourage  pour  l'élevage,  ce 
dont  proviennent  toutes  ces  clôtures. 

[189]  Le  Chevalier.  —  Et  maintenant  quel  est  le 
remède  à  cela  ? 

Le  Docteur.  —  Mon  Dieu,  quant  au  premier  point> 

*  i)  diminuez  le  profit  de  l'élevage  ou 
*♦  ii)  augmentez  celui  du  labourage. 
***  Omnes  sunl  cupidi. 

♦»♦♦  Qu'il  y  a  plus  de  profit  maintenant  par  l'élevage  que  par  le 
labourage. 

*♦♦♦♦  Les  causes  qui  font  que  le  labourage  rapporte  si  peu. 

LE    BRANCHU  II  12 


178  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

c'est-à-dire  celui  touchant  les  charges  inégales  de  l'éle- 
vage et  du  labourage,  ce  ne  peut  être  modifié  en  raison 
de  la  nature  même  de  ces  deux  industries.  Aussi  la  langue 
latine  *  appelle-t-elle  l'une  de  celles-ci,  le  labourage, 
praturriy  ce  qui  ressemble  beaucoup  à  paratum  qui  signifie 
prêt. 

[190]  Quant  à  l'autre  question  **,  c'est-à-dire  la 
liberté  pour  le  fermier  de  pouvoir  toujours  vendre  son 
grain,  soit  à  l'intérieur  du  Royaume,  soit  en  dehors  de 
celui-ci,  de  la  même  manière  que  l'éleveur  peut  vendre 
ses  produits,  on  pourrait  y  remédier  ;  ceci  amènerait  les 
fermiers  à  labourer  plus  volontiers  et  les  autres,  les 
voyant  s'enrichir,  transformeraient  en  labours  leurs 
pâtures.  Bien  que  ces  mesures  occasionnent  pour  un 
temps  une  hausse  des  prix,  elles  feraient  cependant 
labourer  bien  davantage,  et,  par  conséquent,  il  y  aurait 
beaucoup  plus  de  grains,  ce  qui,  en  période  d'abondance, 
ferait  rentrer  beaucoup  d'argent  dans  le  Royaume,  et, 
lors  d'une  mauvaise  année,  suffirait  au  royaume,  comme 
je  Tai  montré  [Fol.47.Ro]  auparavant.  Ainsi  par  le  profit 
et  par  d'autres  privilèges  les  gens  seraient-ils  amenés 
davantage  à  la  charrue. 

[191]  J'ai  lu  que,  dans  ce  Royaume  ***,  il  y  avait 
autrefois  une  règle  par  laquelle  tout  homme  qui  avait 
enfreint  la  loi  pouvait  prendre,  pour  sa  sauvegarde,  le 
manche  de  la  charrue  ^^^.  Cette  occupation  était  égale- 
ment si  honorable  chez  les  Romains  que  l'un  d'eux  fut 
enlevé  à  sa  charrue  pour  être  consul  à  Rome  et,  à  la  fin 
de  l'année,  il  ne  pensa  pas  déchoir  en  revenant  à  cette 
même  occupation.  Quel  métier  est  plus  nécessaire  ou 
profitable  à  la  vie  humaine  que  celui-là  ?  Quel  commerce 

*  Praium  quasi  paratum. 

**  Qu'il  ne  devrait  pas  y  avoir  de  restriction  sur  la  vente  des  grains. 

***  Le  manche  de  la  charrue  a  été  considéré  comme  un  sanctuaire. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  179 

demande  plus  d'art  que  le  labourage  qui  est  peu  consi- 
déré aujourd'hui,  qui  est  même  méprisé  *  !  Il  en  est  «  qui 
considèrent  les  laboureurs,  grâce  auxquels  les  plus 
orgueilleux  d'entre  eux  doivent  de  vivre,  comme  des 
vilains,  des  paysans  ou  des  esclaves.  Je  m'émerveille 
même  beaucoup  (étant  donné  que  l'on  pense  cette  pro- 
fession basse  et  méprisable),  que  certains  s'occupent 
encore  de  culture  :  car  si  l'honneur  nourrit  toutes  les 
sciences,  le  deshonneur  les  fait  décliner.  Aussi,  si  vous 
voulez  accroître  la  culture  **,  vous  devez  l'honorer  et 
l'encourager,  c'est-à-dire  permettre  aux  cultivateurs  d'en 
obtenir  un  honnête  profit  ;  du  moment  d'ailleurs  que  ce 
profit  adviendra  à  notre  pays,  pourquoi  en  seriez-vous 
chagrins  ? 

[192]  Un  autre  moyen  est  de  réduire  les  profits  de 
l'élevage  ***  :  lorsqu'un  impôt  doit  être  accordé  au 
Prince,  si  les  terres  sont  taxées,  imposez  un  acre  de  pâtu- 
rages autant  que  deux  de  terre  arable  ;  ou  bien  imposez 
les  laines,  les  peaux  et  tels  autres  produits  de  l'élevage 
exportés  bruts  d'un  impôt  double  de  celui  frappant  le 
grain  transporté  ****.  Ainsi,  en  accroissant  le  profit  du 
labourage  et  en  diminuant  celui  de  l'élevage,  je  ne  doute 
pas  que  la  culture  soit  plus  recherchée  et  l'élevage  moins 
et,  en  conséquence,  que  les  clôtures  seront  arrêtées. 

[193]  Il  y  a  aussi  une  règle  ancienne  qui,  si  on  la 
conserve,  aiderait  à  ce  dessein  :  là  où  les  gens  possèdent 
des  communaux  et  ont  leurs  parcelles  si  mêlées  les  unes 

*  La  culture  est  maintenant  méprisée  ;  les  fermiers  sont  considérés 
comme  des  vilains. 

**  Honorez  la  culture,  donnez-lui  du  profit... 

***  ...mettez  un  double  impôt  sur  les  pâturages  et  sur  la  laine  exportée. 

****  Ainsi  on  découragera  l'élevage  et  on  arrêtera  les  clôtures. 


^)  h.    &  B.   :  la  noblesse  existante  les  considère... 


180  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA.    MONNAIE 

aux  autres  que,  même  s'ils  le  voulaient,  ils  ne  pourraient, 
aussi  longtemps  que  cela  existe,  enclore  une  part  des 
dits  champs.  [Fol.47.Vo].  Mais,  depuis  quelque  temps, 
diverses  personnes,  trouvant  plus  de  profit  dans  l'élevage 
que  dans  la  culture,  ont  trouvé  le  moyen,  ou  d'acheter 
à  leurs  voisins  les  parcelles  autour  des  leurs,  ou  d'échan- 
ger tant  d'acres  en  cet  endroit  contre  tant  d'acres  en 
cet  autre  endroit,  de  telle  sorte  qu'ils  peuvent  réunir 
ensemble  leurs  terres  et,  ainsi,  les  enclore  *.  Pour 
éviter  cela,  je  crois  qu'il  en  était  ainsi  dans  l'ancien 
temps,  il  faudrait  que  chaque  tenancier  ne  possède  pas 
sa  terre  d'un  seul  tenant  «,  mais  qu'elle  soit  mêlée  avec 
celles  de  ses  voisins,  qu'il  ait  ici  3  acres  et  son  voisin 
autant  et,  plus  loin  qu'il  en  ait  3  ou  4  autres.  C'est  ainsi 
que  sont  la  plupart  des  communaux  que  je  connais  dans 
ce  pays  et  je  pense  qu'il  serait  bon  de  continuer  de  cette 
façon  pour  éviter  les  dites  clôtures.  Voilà  ce  qui  est  tou- 
chant ce  sujet. 

[194]  Le  Marchand  ^.  —  Maintenant  que  vous  nous 
avez  donné  votre  avis  sur  cette  universelle  cherté  et  sur 
les  clôtures,  je  vous  prie  de  nous  faire  savoir  ce  qui  est 
la  cause  du  déclin  des  bonnes  villes  de  ce  Royaume,  de 
tous  les  ponts,  routes  et  hôpitaux  et  comment  on  pour- 
rait y  remédier  et  les  restaurer.  Car  les  fermiers  et  les 
habitants  de  la  campagne  ne  souffrent  pas  dans  celle-ci 
aussi  grande  misère  que  les  citadins  et  les  bourgeois  à 
l'intérieur  de  leurs  murs. 

*  Conservez    l'ancien   système   des   terres   enmêlées,    propriétés    de 
personnes  différentes.  Cela  les  oblige  tous  à  conserver  leurs  terres  ouvertes. 


^)  variante  de  forme  de  lu.  &  B.  non  relevée  par 
Miss  Lamond. 

^)  Dans  L.  &  B.  ce  passage  est  placé  dans  la  bouche 
du  Chevalier. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  181 

Le  Docteur.  —  Du  moment  que  j'ai  commencé  à 
vous  donner  mon  opinion  sur  tous  ces  sujets,  j'irai  jus- 
qu'au bout  *.  A  mon  sens,  les  métiers  pratiqués  autrefois 
dans  les  villes  étaient  la  cause  de  leur  richesse  «  et  l'aban- 
don de  ces  métiers  est  celle  du  déclin  de  ces  mêmes  villes. 
Aussi,  si  ces  métiers  y  étaient  remis  en  honneur,  elles 
recouvriraient  leur  richesse  d'antan. 

Le  Marchand.  —  Je  crois  volontiers  que  le  déclin 
de  ces  métiers  a  occasionné  la  décadence  de  ces  villes^ 
mais  quel  a  été,  je  vous  prie,  [Fol.48.R<*]  la  cause  de  la 
décadence  de  ces  métiers  ? 

[195]  Le  Docteur.  —  Je  vais  vous  le  dire  :  tant  que 
les  gens  se  contentaient  de  tels  articles  fabriqués  dans 
les  villes  voisines,  les  habitants  de  nos  villes  et  de  nos 
cités  avaient  du  travail  **.  J'ai  connu  le  temps  où  les 
gens  se  trouvaient  bien  de  capes,  de  chapeaux,  de  cein- 
tures, d'aiguillettes  et  de  toutes  sortes  de  vêtements 
fabriqués  dans  les  villes  voisines  :  si  bien  que  ces  villes 
étaient  occupées,  avaient  du  travail  et  cependant  l'ar- 
gent que  l'on  donnait  pour  ces  articles  restait  dans  le 
pays.  Actuellement,  à  la  campagne,  le  plus  pauvre  jeune 
homme  ne  peut  se  contenter  d'une  ceinture  ou  d'aiguil- 
lettes de  cuir,  de  couteaux  ou  de  dagues  fabriqués  dans 
le  voisinage.  Spécialement  ***,  il  n'y  a  pas  un  gentil- 
homme qui  soit  satisfait  d'avoir  *  une  cape,  un  manteau, 
des  hauts-de-chausses  ou  une  chemise  fabriqués  dans 
sa  campagne  :  il  doit  faire  venir  tout  cet  habillement 

*  Ramenez  aux  villes  leurs  anciens  métiers. 

**  Autrefois  les  gens  se  contentaient  de  ceintures  faites  à  la  cam- 
pagne, etc.  Maintenant  il  n'y  a  plus  de  pauvre  qui  soit  ainsi  et... 

♦**  ...pas  de  gentilhomme  qui  porte  des  vêtements  fabriqués  à  la 
campagne.  Tout  doit  venir  de  Londres  et  est  souvent  fabriqué  à  Tétranger. 


°j  dans  les  villes...  leur  richesse  manque  dans  B. 
^)  d'une  ceinture  de  cuir...  d'avoir  manque  dans  L. 


182  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

de  Londres,  et,  cependant,  de  nombreux  articles  n'y  sont 
pas  fabriqués,  mais  le  sont  outre-mer  ^^o  p^r  ce  fait, 
les  artisans  de  nos  bonnes  villes  sont  inoccupés,  alors 
que  les  métiers,  à  Londres  et  surtout  dans  les  villes 
d'outre-mer,  marchent  fort  bien,  même  à  nos  dépens. 

[196]  Aussi  voudrais-je  que  quelque  mesure  soit 
prise  pour  éviter  l'importation  de  semblables  baga- 
telles *  qui  viennent  d'outre-mer  et  spécialement  de 
celles  qui  pourraient  être  fabriquées  chez  nous  ;  on 
pourrait,  soit  s'en  passer  tout  à  fait,  soit  s'en  servir 
moins  **,  comme  ces  verres  à  boire  et  ces  miroirs,  ces 
étoffes  coloriées,  ces  gants  parfumés,  ces  dagues,  cou- 
teaux, aiguillettes  et  mille  autres  choses  pareilles.  De 
même  pour  les  soies,  les  vins  et  les  épices  :  cela  n'aurait 
aucun  inconvénient  si  on  en  importait  moins.  Mais 
surtout,  je  voudrais  ***  qu'aucun  article  fabriqué  avec 
nos  propres  produits  comme  les  laines,  peaux,  étain, 
ne  soit  importé  d'outre-mer  pour  être  vendu  ici,  mais  au 
contraire,  que  toutes  ces  marchandises  soient  manu- 
facturées dans  le  Royaume.  Ne  serait-il  pas  préférable 
de  faire  travailler  ainsi  notre  peuple,  plutôt  que  des 
étrangers  ?  Je  suis  sûr  que  20.000  personnes  ****  de  ce 
Royaume  pourraient  ainsi  trouver  du  travail,  alors  que 
ces  20.000  personnes  travaillent  maintenant  à  l'étranger 
ces  mêmes  articles,  qui  sont  fabriqués  actuellement 
outre-mer  «  et  [Fol.48.Vo]  qui  pourraient  l'être  ici.  Le 
Prince  ne  serait-il  pas  heureux  d'une  aide  quelconque 

*  Nous  pourrions  arrêter  cela,  soit  en  fabriquant  ici  ces  bagatelles, 
soit  en  ne  s'en  servant  point. 
**  Bagatelles  étrangères. 

***  Aucun  de  nos  produits  (laine,  étain,  etc.),  ne  devrait  être  réimporté. 
****  Cela  donnerait  du  travail  à  20.000  personnes. 


^)  qui  sont  fabriqués  maintenant  outre-mer  manque 
dans  L. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  183 

lui  permettant  de  nourrir  10.000  personnes  toute  Tannée, 
sans  charger  son  trésor  d'un  penny  en  plus  ?  Je  crois  * 
que  l'on  pourrait  manufacturer  ici  ces  articles,  non  seu- 
lement en  quantité  suffisante  pour  faire  travailler  beau- 
coup d'ouvriers  pour  les  besoins  du  Royaume,  mais 
aussi  pour  en  exporter  :  ainsi  toutes  sortes  d'étoffes 
et  de  serges,  de  laines  filées,  des  couvertures  et  des  tapis, 
de  tapisserie,  des  capes,  des  manches  tricotées,  des 
culottes,  des  jupes  et  des  chapeaux  ;  ensuite,  du 
papier  **  blanc  et  brun,  du  parchemin,  du  velin  et 
autres  espèces  d'articles  de  cuir  tels  que  gants,  aiguil- 
lettes, ceintures  «,  des  peaux  pour  jaquettes  ;  toute 
sorte  de  vaisselle  d'étain  et  aussi  tous  objets  de  verre, 
des  pots  de  terre,  des  balles  de  tennis,  des  cartes,  des 
tables  et  des  échiquiers,  du  moment  que  nous  avons 
besoin  de  choses  semblables  ;  ^  également  des  dagues, 
des  couteaux,  des  marteaux,  des  scies,  des  ciseaux,  des 
haches  et  tous  articles  de  fer  ***.  Ne  devrions-nous 
pas  être  honteux  d'acheter  tout  cela  aux  étrangers  et 
de  faire  ainsi  travailler  un  grand  nombre  de  leurs  habi- 
tants, dont,  comme  je  l'ai  dit,  nous  supportons  à  présent 
la  nourriture  et  les  salaires  ****,  alors  que  tout  ce 
profit  pourrait  être  conservé  pour  le  Royaume,  de  telle 
sorte  que  ce  bénéfice  nous  resterait  et  nous  reviendrait 
d'où  il  va  maintenant  ? 

[197]  Pour  l'étabhssement  de  ces  métiers,  je  voudrais 


*  Nous  pourrions  fabriquer  ici  toutes  espèces  d'étoffes  et  de  vête- 
ments... 

**  ...  ainsi  que  du  papier,  tous  articles  de  cuirs,  cartes,  échiquiers  et... 

***  tous  articles  de  fer. 

****  Tout  l'argent  destiné  à  ces  articles  va  maintenant  à  l'étranger. 


^)  des  capes,  des  manches...  aiguillettes,  ceintures 
manque  dans  B. 

^)  échiquiers...   choses  semblables  manque  dans  L. 


184  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

que  soient  surtout  encouragés  et  préférés  ceux  qui 
apportent  le  plus  d'avantages  et  d'argent  au  pays.  On 
doit  considérer  trois  sortes  de  commerce  :  *  l'un  fait 
sortir  l'argent  du  pays  ;  le  second  n'en  fait  pas  sortir 
mais  n'en  fait  pas  rentrer  non  plus  :  ce  qu'on  gagne  est 
dépensé  dans  le  pays  ;  le  troisième  apporte  de  l'argent 
dans  le  pays.  Dans  la  première  catégorie  **  se  trouvent 
les  marchands  de  vin,  les  marchands  de  modes,  les 
merciers,  les  vendeurs  de  futaine,  les  épiciers,  les  apo- 
thicaires qui  vendent  des  marchandises  fabriquées  outre- 
mer et  ne  font  qu'épuiser  l'argent  du  pays.  Dans  la 
seconde  catégorie  ***,  se  rangent  les  marchands  de  vic- 
tuailles, les  bouchers,  les  boulangers,  les  brasseurs,  les 
tailleurs,  les  cordonniers,  les  selliers,  les  charpentiers, 
les  menuisiers,  les  maçons,  les  forgerons,  les  tourneurs 
et  [Fol.49.Ro],  les  cercliers  qui,  s'ils  n'exportent  aucune 
monnaie,  n'en  font  également  rentrer  aucune  :  ils  dépen- 
sent là  où  ils  gagnent.  Dans  la  troisième  catégorie,  il  y  a 
les  tisserands,  les  fabricants  de  capes,  les  fileurs  de  laine, 
les  potiers  d'étain,  les  tanneurs,  seuls  artisans  qu'à 
présent  que  je  puis  compter  comme  faisant  rentrer  de 
l'argent  dans  le  Royaume.  Aussi  doit-on  encourager 
ces  métiers  là  où  ils  existent  et  en  créer  là  où  ils  n'exis- 
tent pas,  ainsi  que  d'autres  commerces  ****  tels  que  la 
fabrication  des  verres,  celle  des  épées,  des  dagues,  des 
couteaux  et  de  tous  autres  instruments  de  fer  et  d'acier, 
aussi  bien  que  celle  des  épingles,  des  aiguillettes,  du  fil 
et  de  toutes  sortes  de  papiers  et  de  parchemins. 

[198]  J'ai  entendu  dire  que  le  principal  commerce 
de  Goventry  résidait  *****  dans  la  fabrication  du  fil 


*  Trois  sortes  de  commerçants  : 
**    i)  les  importateurs  font  sortir  notre  argent. 
***  ii)  les  autres  commerçants  dépensent  leurs  gains  dans  le  pays. 
****  Nouveaux  métiers  à  créer. 

*****  Coventry  a  perdu  sa  fabrication  de  fil  bleu  et  Bristol  son  indus- 
trie  d'aiguillettes. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  185 

bleu  et  que  la  ville  s'enrichissait  de  cette  seule  manière. 
Maintenant,  notre  fil  vient  d'outre-mer,  le  commerce 
de  Goventry  est  en  décadence,  et,  par  conséquent,  la 
ville  l'est  également.  Bristol  avait  une  grande  spécia- 
lité de  fabrication  d'aiguillettes  et  c'était  le  principal 
commerce  de  la  ville.  Ainsi,  bien  que  ces  deux  indus- 
tries se  rangent  parmi  les  plus  petites  qui  soient,  il  y 
avait  cependant  deux  grandes  villes  dont  elles  étaient 
le  principal  soutien.  J'ai  entendu  dire  à  Venise  * 
(aujourd'hui  la  plus  florissante  cité  de  l'Europe)  que  si 
on  entend  parler  d'un  ouvrier  habile  en  quelque  métier, 
on  essaiera  de  l'amener  à  venir  demeurer  dans  la  ville  : 
car  il  est  merveilleux  de  voir  combien  un  bon  artisan 
rapporte  à  une  ville,  bien  que  lui-même  ne  gagne  que 
peu  de  chose  dans  son  métier.  Par  exemple  que  d'argent 
apporte  un  filateur  de  laine  à  la  ville  où  il  habite  **  ! 
Que  de  gens  trouvent  de  l'occupation  grâce  à  lui  !  Je 
ne  puis  suffisamment  le  répéter,  car,  grâce  à  quelques 
filateurs,  des  villes  «  ont  acquis  grande  richesse  et  pros- 
périté. Il  en  est  de  même  du  tissage  et  de  la  draperie. 
Mais  là  où  d'autres  cités  attirent  à  elles  les  bons  ouvriers, 
les  nôtres  les  chassent  ***.  [Fol.49.Vo]  J'ai  connu  de  bons 
artisans  venus  de  loin  vers  quelques  villes  de  ce  Royaume 
ayant  l'intention  de  s'y  établir  et,  parce  qu'ils  n'étaient 
pas  citoyens  (mais  surtout  parce  qu'ils  étaient  meil- 
leurs ouvriers  que  n'importe  qui  dans  la  ville),  on  ne 
souffrit  pas  qu'ils  y  travaillent.  Les  corps  de  métiers 
dans  ces  villes  formaient  des  corporations  telles  que 
personne  ne  pouvait  travailler  dans  leur  métier  sans 
s'être  au  préalable  entendu  avec  elles  ^^^, 

♦  Venise  fait  venir  chez  elle  les  artisans  habiles. 

**  Voyez  que  d'argent  apporte  à  une  ville  un  filateur  de  laine  I 

***  Nous  chassons  follement  de  nos  villes  les  habiles  ouvriers. 


'j  L.   &  B.  :  Norwich  le  prouve  suffisamment 


121 


186  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[199]  Le  Bonnetier.  —  Pensez-vous  raisonnable 
qu'un  étranger  soit  aussi  libre  dans  une  cité  ou  une  ville 
que  ceux  qui  y  sont  apprentis  ?  S'il  en  était  ainsi,  per- 
sonne ne  voudrait  être  apprenti  en  n'importe  quel 
métier. 

Le  Docteur.  —  Je  ne  dis  point  qu'il  doive  avoir 
une  liberté  ou  des  privilèges  égaux,  mais  comme  une 
corporation  n'est  qu'un  corps  particulier  d'une  ville 
ou  d'une  cité,  je  voudrais  que  l'on  considère  davantage 
la  richesse  de  la  cité  entière,  plutôt  que  le  profit  ou  les 
privilèges  d'un  métier  ou  d'un  commerce.  Bien  que 
communément  personne  ne  doive  être  admis  à  travail- 
ler, sauf  ceux  qui  sont  libres,  lorsque  cependant  se  pré- 
sente un  ouvrier  particulièrement  habile  en  quelque 
métier  *,  qui,  par  son  savoir,  pourrait  à  la  fois  instruire 
les  ouvriers  de  la  ville  et  apporter  à  celle-ci  un  grand 
profit,  je  voudrais  que,  dans  ce  cas,  la  liberté  et  les  pri- 
vilèges cèdent  le  pas  à  l'intérêt  public  et  qu'un  pareil 
homme  soit,  étant  donnée  son  habileté,  volontiers  admis 
à  la  franchise  de  cette  ville,  sans  qu'on  le  charge  d'une 
taxe  quelconque  pour  son  entrée  ou  pour  son  établis- 
sement. En  effet  **,  lorsqu'une  ville  est  en  décadence 
et  manque  d'artisans  pour  y  exercer  les  métiers  qui  y 
florissaient  autrefois  ou  qui,  en  raison  de  la  situation  et 
des  facilités  de  la  dite  ville,  pourraient  y  être  pratiqués, 
je  voudrais  que  des  hommes  habiles  soient  attirés 
d'autres  endroits  où  ils  sont  nombreux  pour  venir  habi- 
ter dans  ces  villes  en  déclin  :  qu'on  leur  offre  la  franchise, 
une  habitation  [Fol.50.Ro],  ou  qu'on  leur  avance  de 
l'argent  du  fonds  commun  de  la  ville  ;  lorsque  la  ville 
possède  suffisamment  de  ces  artisans,  on  peut  alors 
interdire  la  venue  des  étrangers.  Mais  tant  que  la  ville 


*  De  très  habiles  artisans  ne  devraient  pas  seulement  être   libre 
dans  une  ville... 

**  ...mais,  dans  une  ville  en  décadence,  on  devrait  leur  donner  une 
habitation  et  leur  avancer  de  l'argent. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  18/ 

manque  d'artisans,  il  n'est  point  de  bonne  politique, 
pour  la  restauration  de  celle-ci,  d'empêcher  la  venue 
des  artisans  étrangers. 

[200]  Pour  la  plus  grande  part,  les  villes  sont  enri- 
chies par  les  artisans  de  toutes  sortes,  mais  spécialement 
par  ceux  qui  fabriquent  des  marchandises  destinées  à 
être  vendues  à  l'étranger  et  qui  rapportent  de  l'argent 
au  pays  *  ;  ce  sont  des  artisans  tels  que  les  tisserands, 
les  fabricants  de  capes,  les  filateurs  de  laine,  les  fabri- 
cants de  chapeaux,  d'aiguillettes,  d'épingles,  les  pein- 
tres «,  les  fondeurs,  tous  ceux  qui  s'occupent  des  métaux, 
les  couteliers,  les  gantiers,  les  tanneurs,  les  fabricants 
de  parchemins,  de  ceintures,  de  bourses,  de  papier,  de 
fil,  de  paniers,  les  tourneurs  et  beaucoup  d'autres  sem- 
blables. Quant  aux  merciers,  aux  marchands  de  vin  et 
aux  épiciers  **,  je  ne  puis  voir  ce  qu'ils  font  dans  une 
ville,  si  ce  n'est  de  faire  vivre  cinq  ou  six  maisons  en 
en  appauvrissant  dix  fois  autant  ^.  Mais,  du  moment 
que  les  hommes  ont  besoin  de  soies,  de  vin  et  d'épices, 
il  leur  est  aussi  bon  de  dépenser  leur  argent  dans  leur 
propre  ville  que  d'être  obligé  de  chercher  ailleurs  ces 
denrées.  Quant  aux  autres  artisans,  comme  je  l'ai  dit 
auparavant,  même  s'ils  ne  font  pas  perdre  d'argent  au 
pays,  ils  ne  lui  en  rapporte  pas  ;  ce  sont  les  tailleurs,  les 
cordonniers,  les  charpentiers,  les  menuisiers,  les  cou- 
vreurs, les  maçons,  les  bouchers,  les  marchands  de  vic- 
tuailles et  autres. 


*  Les  fabricants  de  marchandises  pour  l'exportation  devraient  être 
encouragés. 

*♦  Les  détaillants  vendant  des  objets  importés  vivent  sur  leurs  clients 
et  font  plus  de  mal  que  de  bien. 


«j  L.  &  B.  :  potiers  d'étain  au  lieu  de  peintres  ^^s 
^)  L.  :  deux  fois  autant. 


188  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIK 

[201]  Une  autre  mesure  qui,  je  crois,  pourrait  aider 
beaucoup  les  villes  en  déclin  *  serait  qu'on  ordonnât 
que  toutes  les  marchandises  fabriquées  en  ces  villes 
aient  une  marque  spéciale  et  que  cette  marque  ne  soit 
apposée  que  sur  telles  marchandises  honnêtement  fabri- 
quées ;  et  aussi  que  les  artisans  qui  n'habitent  pas  les 
villes  ^24  qi^  pour  la  commodité  de  leur  métier,  ne  le 
peuvent  point  **,  tels  que  les  foulons,  les  tanneurs  et 
les  tisserands,  soient  forcés  d'être  sous  la  direction  d'une 
bonne  ville  ou  d'une  autre  et  qu'ils  ne  puissent  vendre 
de  marchandises,  sauf  celles  marquées  du  sceau  de  la 
ville  dont  ils  dépendent  ***.  Par  ces  deux  moyens  «, 
c'est-à-dire,  tout  d'abord  [Fol.50.Vo]  par  l'arrêt  de 
l'importation  des  marchandises  fabriquées  à  l'étranger 
et  qui  pourraient  l'être  chez  nous  ;  en  second  lieu  par 
la  restriction  de  l'exportation  à  l'état  brut  de  nos  laines, 
peaux,  étain  et  autres  produits  et,  en  troisième  lieu, 
par  la  venue,  sous  le  contrôle  des  cités,  d'artisans  habi- 
tant au  dehors,  fabriquant  des  marchandises  susceptibles 
d'être  exportées,  par  l'examen  de  ces  marchandises  et 
par  l'apposition  sur  elles,  avant  qu'elles  puissent  être 
vendues,  du  sceau  de  la  ville,  je  pense  que  nos  cités 
pourraient  bientôt  retrouver  leur  ancienne  richesse,  ou 
même  davantage  si  elles  suivaient  cet  avis. 

[202]  Le  Chevalier.  —  Nous  vous  prions  maintenant 
de  passer  au  dernier  point  dont  vous  aviez  parlé  ****  : 
savoir  comment  on  pourrait  supprimer  cette  diversité 

*  Chaque  ville  devrait  mettre  son  sceau  sur  les  marchandises  fabri- 
quées chez  elle. 

**  Les  artisans  de  la  campagne  devraient  être  affiliées  à  quelque 
ville. 

♦**  Les  trois  remèdes  de  S.  concernant  le  déclin  des  villes. 

♦♦*♦  Quel  est  le  remède  pour  les  discussions  religieuses  ? 


'^  L.  :  deux  moyens.  —  B.  :  trois  moyens. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  189 

d'opinion  qui  trouble  énormément  le  peuple,  qui  amène, 
parmi  ce  peuple,  des  divisions  et  des  révoltes,  qui  occa- 
sionne des  querelles  entre  voisins,  entre  père  et  fils, 
entre  homme  et  femme  et  qui  est  plus  à  craindre  que 
toutes  les  pertes  matérielles  dont  nous  avons  parlé. 
Même  si  nous  restions  toujours  aussi  pauvres,  mais  si 
nous  nous  entendions  entre  nous,  nous  nous  relèverions 
rapidement. 

[203]  Le  Docteur.  —  Vous  dites  vrai  *  :  avec  la 
concorde,  les  choses  délicates  croissent  et  deviennent 
fortes  ;  au  contraire,  par  la  discorde,  les  choses  fortes 
deviennent  faibles.  Il  est  incontestablement  vrai  cet 
axiome  qui  affirme  que  «  tout  Royaume  divisé  contre 
lui-même  sera  détruit  ».  C'est  pourquoi  je  ne  puis 
m'empècher  d'émettre  ici  mon  opinion  :  comment  un 
aussi  grand  malheur  peut  être  évité  en  ce  Royaume. 
J'userai  de  la  même  méthode  en  recherchant  la  cause  ori- 
ginelle et  je  montrerai  le  remède  en  supprimant  celle-ci. 
Je  crois  **  que  la  cause  la  plus  importante  réside  dans 
les  péchés  de  ceux  «  qui  sont  les  ministres  des  Mystères 
et  de  la  Parole  sacrée  du  Christ,  aussi  bien  que  dans 
les  vôtres  qui  êtes  le  troupeau.  Des  nôtres  tout  d'abord, 
nous  qui  nous  sommes,  contrairement  à  notre  caractère 
et  à  notre  profession,  adonnés  à  toutes  sortes  de  choses 
matérielles  ;  nous  nous  sommes  adonnés  non  seulement 
aussi  [Fol.51.Ro]  bassement  que  les  laïcs,  mais  encore 
davantage,  à  l'orgueil,  à  la  convoitise  et  à  d'autres 
défauts  *.  Aussi  vous  autres  laïcs,  ne  nous  voyant  pas 

*  Concordia  que  res  crescunt,  discordia  maxime  dilabunlur. 
**  Les  péchés  des  ministres  et  des  laïcs  sont  la  cause  de  nos  troubles 
religieux. 


«j  L.   &  B.  :  de  nous  qui  sommes  ^^^. 
^)  L.   &  B.  :  et  à  la  luxure. 


190  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

parfaits,  vous  nous  avez  pensé  indignes  «  d'être  vos 
éducateurs  et  vos  pasteurs,  à  la  doctrine  desquels  vous 
deviez  faire  crédit  et  que  vous  voyiez  vivre  différem- 
ment de  cette  doctrine  :  vous  avez  pris  sur  vous  de  juger 
des  choses  spirituelles,  vous  à  qui  cela  n'appartient 
point.  Un  inconvénient  en  entraîne  toujours  un  autre 
après  lui  :  aussi  longtemps  que  les  ministres  de  l'Église 
ont  eu  une  conduite  conforme  à  leur  doctrine  *, 
aussi  longtemps  tous  les  hommes,  même  les  plus  grands 
princes  de  la  terre  et  les  savants  les  plus  sages,  étaient 
contents  de  croire  à  notre  doctrine  et  de  nous  obéir  en 
toutes  matières  concernant  l'âme  ;  depuis  que  nous 
avons  perdu  cette  perfection  de  vie,  nous  avons  perdu 
aussi  notre  crédit  et  la  sainte  doctrine  du  Christ  a  souf- 
fert grandement  de  notre  vie  coupable.  Nous  avons 
ainsi  fourni  la  première  cause  de  ce  mal  et  vous  l'avez 
prise  comme  un  instrument  pour  occasionner  ce  schisme. 
Bien  que  tous  nous  soyons  coupables,  le  remède  devrait 
s'attaquer  à  la  racine  de  ce  mal  que  je  crois  résider  dans 
les  ministres  et  dans  les  pasteurs  spirituels.  Pour  être 
franc  avec  vous  et  pour  ne  pas  plus  dissimuler  nos 
propres  fautes  que  je  n'ai  caché  les  vôtres,  à  moins  que 
nous  ne  nous  réformions  d'abord  nous-mêmes,  je  n'ai 
pas  grand  espoir  de  voir  se  terminer  ce  schisme  général 
et  cette  division  dans  la  religion  ;  ils  peuvent  peut-être 
être  apaisés  pour  un  temps  par  voie  d'autorité,  mais 
jamais  assez  pour  ne  pas  renaître  de  nouveau,  à  moins 
que  nous  ne  nous  réformions. 

[204]  Le  Chevalier.  —  Mon  Dieu,  je  pense  que  vous 
avez  été  déjà  bien  disciphnés  et  réformés  (et  il  y  avait 
de   bonnes   raisons   pour  ce   faire)   notamment  par  la 

*  Tant  que  les  ministres  se  sont  conformés  à  ce  qu'il  prêchaient, 
tous  leur  obéissaient. 


«^  L.  :  je  pense  que  nous  sommes  indignes. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  191 

confiscation  d'un  grand  nombre  de  vos  propriétés,  par 
la  charge  d'impôts  tant  annuels  que  proportionnels  sur 
vos  bénéfices  et  par  d'autres  moyens  encore.  Quelle 
autre  réforme  voudriez-vous  subir  ? 

Le  Docteur.  —  Il  n'y  a  pas  de  doute,  nous  aurions 
été  suffisamment  châtiés  si  cela  avait  servi,  mais  cer- 
tains maîtres  avec  peu  de  coups  [Fol.51.Vo]  instruiront 
leurs  élèves  mieux  que  d'autres  peuvent  le  faire  en  les 
punissant  beaucoup  ;  de  même,  certains  écoliers  seront 
améliorés  avec  moins  de  punitions  que  d'autres.  C'est 
ainsi  que  nous  sommes  à  présent  *  :  vous,  punissant 
beaucoup  et  instruisant  peu  et  nous,  nous  souciant  peu 
des  coups  et  n'apprenant  que  peu  de  chose.  Car,  malgré 
les  punitions  que  nous  avons  endurées,  les  reproches, 
la  révélation  et  la  publication  de  nos  fautes,  voyez 
combien  peu  d'entre  nous  se  sont  réformés  eux-mêmes  ** 
en  ce  qui  concerne  les  devoirs  auxquels  nous  sommes 
astreints  à  la  fois  par  la  loi  divine  et  par  nos  lois  et 
décrets  canoniques  ^^^. 

[205]  Combien  d'entre  nous  ont  résilié  leurs  béné- 
fices afin  de  résider  vraiment,  ce  à  quoi  nous  sommes 
obligés,  non  seulement  par  les  dites  lois,  mais  encore 
par  celles  de  ce  Royaume  ?  Y  en  a-t-il  moins  aujour- 
d'hui ***  qu'autrefois  qui  ont  essayé  d'accumuler  béné- 
fice sur  bénéfice,  alors  que  nous  sommes  à  peine  capables 
de  rempHr  les  charges  de  l'un  d'eux  ?  Existe-t-il  mainte- 
nant une  épreuve  ou  un  examen  plus  sérieux  pour 
l'admission    des    ministres    de    l'Église    ****   «  ?    Une 

*  Nous  autres,  membres  du  Clergé,  nous  avons  été  châtiés,  mais  avec 
peu  de  bons  résultats. 

**  Un  plus  grand  nombre  d'entre  nous  vivent-ils  maintenant  dans 
leurs  paroisses  ? 

***  Les  péchés  du  Clergé  anglais. 

****  Abstentionnisme,  cumul,  manque  de  soin  dans  l'ordination  et 
dans  les  visites  pastorales. 


^)  L.  &  B.  :  des  prêtres  eh  des  ministres  de  l'Église. 


192  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

recherche  plus  exacte  d'hommes  dignes  d'être  admis 
à  la  direction  des  âmes  est-elle  faite  par  nos  évèques  ? 
Nos  Évèques,  Doyens  et  Archidiacres  appliquent-ils 
mieux  à  présent  dans  leurs  visites  pastorales  nos  canons 
et  nos  décrets  qu'ils  ne  le  faisaient  auparavant  ?  *  Nos 
prélats  et  nos  évèques  exercent-ils  mieux  qu'autrefois 
l'hospitalité,  la  résidence,  le  ministère  de  la  parole  de 
Dieu  et  leurs  autres  devoirs  ?  Ne  s'attardent-ils  pas 
dans  leurs  palais  et  dans  leurs  manoirs  loin  de  leurs 
églises,  cathédrales,  comme  ils  avaient  coutume,  et  ne 
visitent-ils  pas  à  peine  une  fois  l'an  leur  église  princi- 
pale où  ils  devraient  résider  continuellement  ?  Ne 
sont-ils  pas  aussi  indignes  que  jamais  de  prêcher  la 
parole  de  Dieu,  malgré  ces  châtiments  que  Dieu  leur 
envoie  ?  Ils  sont  si  aveugles  qu'ils  ne  peuvent  com- 
prendre pourquoi  ils  les  subissent  et  les  attribuent  à 
d'autres  causes,  comme  à  la  convoitise  des  laïcs  désirant 
leurs  propriétés  ou  à  la  haine  contractée  envers  eux  ° 
[F0I.52.R**],  ou  parce  qu'ils  ne  peuvent  admettre  la 
réforme  de  l'Église  ou  à  tout  autre  cause  qu'ils  ima- 
ginent et  ils  pensent  que  l'indignation  soulevée  contre 
eux  tombera  d'elle-même.  Je  prie  Dieu  que  cette  indi- 
gnation ne  s'accroisse  pas  davantage,  mais  je  crains 
qu'elle  ne  le  fasse  si  nous  ne  nous  amendons  pas.  Gom- 
ment les  gens  seraient-ils  satisfaits  **  de  verser  la  dîme 
des  produits  qu'ils  obtiennent  de  leur  travail  à  la  sueur 
de  leur  front  quand  ils  ne  peuvent  avoir  en  échange  des 
consolations,  pas  plus  spirituelles  que  matérielles  ?  Quel 
laïc  se  fera  scrupule  de  retenir  cette  dîme  en  ses  mains 

*  Les  évèques  s'attardent  dans  leurs  palais  venant  seulement  une  fois 
Tan  dans  leurs  cathédrales. 

**  Qui  nous  pais  volontiers  les  dîmes  à  nous  autres,  membres  du  clergé, 
quand  nous  ne  faisons  rien  pour  eux  ? 


^)  L.  &  B.  :  envers  eux  ou  par  haine  de  l'évèque  de 
Rome  ou  parce  qu'ils... 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  193 

quand  il  voit  que  nous  ne  faisons  rien  de  plus  que  lui 
pour  la  mériter  ?  Quel  crédit  accordera-t-on  à  notre 
doctrine  si  on  nous  voit  vivre  aussi  légèrement  ?  Quel 
respect  aura-t-on  pour  nous,  pour  nos  personnes,  dans 
les  manières  desquelles  on  ne  découvre  aucune  gra- 
vité «  ?  Passons  maintenant  de  ce  sujet  à  d'autres  :  il 
y  a  de  nombreuses  et  excellentes  ordonnances  édictées 


«^  S.  a  passé  ici  le  passage  suivant^  identique,  à  peu 
de  choses  près  dans  L.  et  dans  B.  : 

«  [Le  Docteur]  Je  n'ai  parlé  jusqu'ici  que  de  l'abus 
que  nous  avons  fait  des  salaires  qui  nous  étaient  dûs 
par  les  lois,  venons-en  maintenant  aux  bénéfices  que 
nous  nous  sommes  procurés  en  dehors  de  celles-ci  ;  en 
même  temps  que  nous  recherchions  des  bénéfices  illé- 
gaux, nous  avons  perdu  beaucoup  de  ce  qui  nous  était 
dû.  Y  a-t-il  un  sacrement  si  saint  soit-il  et  d'essence 
divine  que  nous  n'ayons  vendu  pour  en  retirer  quelque 
profit  ?  Cependant  le  Christ  nous  a  ordonné  de  donner 
gratuitement  ce  que  nous  avons  reçu  gratuitement. 
Quant  au  plus  saint  des  sacrements,  celui  du  Corps  et 
de  Sang  du  Christ,  n'en  avons-nous  point  [L.Fol.SO.V^] 
vendu  le  service,  en  partie,  ou  presque  totalement 
comme  les  Trentains  ?  ce  qui  a  fait  mépriser  ce  mystère 
sacré  à  cause  de  l'abus  que  nous  en  avons  fait.  Un 
mariage  se  conclue-t-il,  un  baptême  est-il  administré 
sans  que  quelque  chose  nous  revienne  ?  La  confession 
était  aussi  un  moyen,  une  grande  cause  de  profit,  lorsque, 
pour  pénitence,  nous  ordonnions  aux  fidèles  de  donner 
quelque  chose  à  nos  églises,  soit  pour  ceci,  soit  pour  cela. 
Je  crois  aussi  qu'il  n'y  a  pas  d'ordination  sans  que 
quelque  salaire  en  revienne  à  nos  chanceliers  ou  à  leurs 
clercs.  Comment  étaient  vendus  les  services  et  les  prières 
pour  les  morts  !  celui  qui  a  donné  le  plus  d'argent  en 
a  le  plus  ;  si  les  prières,  cependant,  avaient  suivi  les 

LE   BRANCHU  II  13 


194  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

généralement  par  Tautorité  des  Conseils,  disant  que  * 
tout  archidiacre  doit  visiter  en  personne  chaque  année 
son  territoire  religieux  que  l'évèque  doit  visiter  le  dio- 
cèse tout  entier  tous  les  trois  ans  pour  constater  ce  qui 
est  à  réformer,  soit  d'une  façon  privée,  soit  d'une  façon 
publique,  de  telle  sorte  que  les  fautes  privées  puissent 

*  Archidiacres  et  évèques  n'observent  pas  les  lois. 


aumônes,  prières  volontaires  et  non  pas  prescrites, 
je  crois  qu'elles  n'auraient  pas  fait  tort  ;  mais  limitées, 
comme  elles  l'étaient,  je  ne  pense  pas  qu'elles  soient 
aussi  profitables  :  car  elles  ne  procédaient  pas  de  la 
dévotion,  mais  de  l'esprit  de  lucre  et  n'étaient  pas  tant 
estimées  d'après  leur  valeur  que  d'après  leur  nombre 
et  leur  quantité.  [L.F0I.8I.R0]  Je  ne  blâme  que  la  vente 
de  ces  choses  saintes  que  je  ne  puis  permettre  dans  aucun 
cas,  pas  même  l'apparence  de  cette  vente  qui  puisse 
donner  quelque  soupçon  au  peuple.  Aussi,  cette  collecte 
qui  se  fait  à  Pâques,  je  souhaiterais  qu'elle  n'eût  pas 
lieu,  bien  qu'elle  soit  pour  l'offrande  du  pain  et  du  vin 
et  quoique  les  pasteurs,  les  curés  et  les  censeurs  devraient 
en  perdre  quelque  profit  :  mieux  vaut  une  petite  perte 
d'argent  que  celle  d'une  âme  qui  aurait  pu  en  être  scan- 
dalisée. Nous  entendons  ce  que  disent  les  pauvres, 
quand  ils  mendient  de  l'argent  pour  l'apporter  à  la 
table  de  Dieu.  On  se  plaignait  de  choses  semblables 
avant  la  Réforme  et  cependant  on  n'y  remédiait  alors 
en  rien  :  de  graves  inconvénients  en  résultèrent.  Et  nous, 
nous  passons  sur  toutes  ces  petites  choses  comme  si 
elles  ne  nous  touchaient  aucunement  ;  si  nous  ne  les 
réformons  point,  elles  qui  sont  si  notoires  et  si  mani- 
festes à  tous,  si  contraires  aux  lois  et  aux  canons,  notam- 
ment ceux  concernant  la  résidence,  l'unité  des  béné- 
fices, la  libre  et  gratuite  administration  des  sacrements, 
comment,  peut-il  y  avoir  quelqu'espoir  que  nous  réfor- 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  195 

être  redressées  tout  de  suite  et  les  fautes  publiques  au 
Synode  suivant.  Mais  ils  donnent  des  procurations  *, 
ils  ne  visitent  pas  en  personne  comme  ils  le  devraient, 
mais  par  députés  plus  attachés  à  leur  procuration  qu^à 
l'accomplissement  de  réformes  **.  L'argent  est  bien 
perçu,  mais  la  cause  pour  laquelle  il  l'est  n'existe  plus  : 
le  salaire  est  exigé,  mais  le  travail  pour  lequel  il  était 
dû  n'est  pas  fait.  Il  existe  une  autre  excellente  ordon- 
nance  ^^^  du  même  caractère  que  la  précédente  «  :  chaque 
évèque  doit  tenir  chaque  année  un  synode  du  tout  le  clergé 
dans  son  diocèse  et  chaque  archevêque  tous  les  trois  ans 
un  synode  pour  la  totalité  de  sa  province,  de  telle  sorte  que 
si  quelque  fait  digne  de  réforme  advient  dans  le  diocèse, 
on  puisse  en  référer  à  l'assemblée  provinciale  si  la  ques- 
tion paraît  douteuse  à  l'évêque  ou  ne  peut  être  réformée 
que  par  une  autorité  supérieure  à  la  sienne  ***.  [Fol.52Vo.] 
Où  ont  lieu  à  présent  ces  synodes  ?  Cependant  les  évè- 
ques  reçoivent  chaque  année  des  pauvres  prêtres  leurs 
droits  d'assemblée.  De  ces  excellentes  règles,  rien  n'est 
observé,  sauf  ce  qui  est  profitable  aux  évêques,  c'est-à- 
dire  les  procurations  et  les  droits  de  synode,  le  reste  est 
supprimé  :  la  charge  reste  et  le  devoir  est  oublié  ;  il 
vaudrait  mieux  que  l'un  et  l'autre  disparaissent  ^  plutôt 
que  soit  supprimé  le  bon  et  que  le  mauvais  subsiste. 

*  Procurations. 

**  Les  péchés  du  clergé  anglais.  Les  évèques  perçoivent  de  l'argent 
pour  leurs  visites,  mais  ne  les  font  pas. 

***  Ils  perçoivent  de  l'argent  pour  la  tenue  de  leurs  synodes,  mais 
ne  les  tiennent  jamais. 


mions  [L.Fol.Sl.V^]  ces  affaires  qui  sont  secrètes  entre 
Dieu  et  nous  ?  Ainsi,  en  ce  qui  concerne  notre  conduite 
et  nos  manières,  il  y  a  de  nombreuses  et  excellentes 
ordonnances... 

^)  Il  existe...  que  la  précédente  manque  dans  L. 

^)  Ils  vaudrait  mieux...  disparaissent  manque  dans  L. 


196  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

[206]  S'ils  prétendent  que,  de  nos  jours,  ces  visites 
et  ces  synodes  ne  sont  pas  nécessaires,  alors  il  n'y  en 
eût  jamais  besoin  car  aujourd'hui  il  y  a  plus  de  choses 
à  redresser  qu'a  aucune  époque  *  et  les  réformes 
n*ont  jamais  été  plus  nécessaires.  Mais  nos  prélats  ajou- 
teront qu'ils  n'osent  pas  établir  de  règle  en  ces  synodes 
par  crainte  de  praemunire  ^^s.  Quel  besoin  y  a-t-il  de 
nouvelles  lois  ^^9  ?  Pourquoi  ne  se  contentent-ils  point 
de  faire  exécuter  celles  déjà  existantes,  surtout  depuis 
qu'ils  ont  pour  cela  l'aide  des  lois  temporelles  ?  N'a- 
t-on  **  fait  au  Parlement  des  statuts  concernant  la 
résidence  et  la  restriction  du  cumul  des  bénéfices,  ce  qui 
n'eût  pas  été  nécessaire  si  nous  avions  observé  nos  pro- 
pres règles  ?  Ne  faut-il  pas  ***  que  d'autres  nous 
corrigent  et  nous  réforment  lorsque  nous  ne  le  pouvons 
nous-mêmes  ?  Est-il  étonnant  que  nous  n'ayons  plus  de 
crédit  quand  notre  vie  et  notre  conduite  sont  contraires 
à  notre  profession  et  à  nos  propres  lois  ?  Est-il  étonnant 
que  la  religion  souffre  scandales,  offenses  et  opprobes  à 
cause  de  nos  défauts,  ce  dont  on  nous  demandera 
compte  «  ? 

[207]  Aussi,  si  nous  voulons  supprimer  ce  schisme  de 
l'Église  du  Christ  ****,  réformons-nous  tout  d'abord  et 
mettons  nos  lois  à  exécution  :  renonçons  à  nos  bénéfices 
pour  pouvoir  résider  et  contentons-nous  d'un  bénéfice 
et  de  la  prébende  qui  nous  est  allouée  pour  notre  minis- 
tère sans  rechercher  d'autres  gains  extraordinaires  et 

*  Et  cependant  une  réforme  n'a  jamais  été  aussi  nécessaire  qu'à 
présent. 

**  Nous  avons  de  bonnes  lois,  mais  ne  les  appliquons  pas... 

***  ...aussi  les   laïcs   devraient  nous   forcer  à   le   faire. 

****  Si  nous  autres,  membres  du  Clergé,  désirons  faire  cesser  ce  schisme, 
réformons-nous  nous-mêmes. 

«j  offenses...  compte  manque  dans  L.,  variantes  de 
forme  de  B. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  197 

illégaux  *.  Qu'y  a-t-il,  pour  un  homme,  de  plus  conforme 
à  la  raison  que  de  passer  son  temps  là  où  il  reçoit  son 
salaire  et  de  remplir  roffice  pour  lequel  il  reçoit  une 
prébende  ?  [Fol.53.Ro]  Étant  donné  que  chaque  bénéfice 
est  le  salaire  d'un  homme  **  (s'il  ne  l'est  point,  il 
pourrait  être  modifié  jusqu'à  ce  qu'il  soit  suffisant  et 
jusqu'à  ce  que  chacun  soit  chargé  du  travail  d*un  homme) 
quelle  raison  y  a-t-il  pour  qu'un  seul  obtienne  le  salaire 
et  soit  chargé  du  travail  de  deux  hommes,  là  où  il  ne 
peut  accomplir  que  le  travail  d'un  seul  ?  Obtenir  davan- 
tage et  se  décharger  d'une  partie  de  la  besogne  va  trop 
contre  la  raison.  Quelques  uns  diront  peut-être  que  cer- 
tains d'entre  eux  méritent  de  plus  larges  prébendes  et 
qu'un  seul  bénéfice  est  trop  peu  pour  eux.  Mais  n'y  a-t-il 
pas  autant  de  degrés  dans  la  variété  des  bénéfices  que 
dans  les  qualités  des  hommes  ?  Sans  doute,  il  y  a  encore 
dans  ce  Royaume  ***  (Dieu  soit  loué  !)  des  bénéfices 
de  valeur  diverses,  depuis  1.000  marcs  «  jusqu'à  20  marcs 
pour  être  conférés  à  chacun  selon  sa  valeur  et  son  rang. 
Si  un  maigre  bénéfice  est  vacant,  que  l'on  s'en  contente 
jusqu'à  ce  qu'un  meilleur  le  devienne,  et  si  l'on  pense  que 
quelqu'un  en  mérite  un  meilleur,  que  celui-ci  abandonne 
le  premier  et  prenne  ce  meilleur,  car  le  plus  maigre  béné- 
fice est  salaire  suffisant  pour  un  homme  qui,  sans  cela, 
n'en  recevrait  aucun  si  ce  bénéfice  et  d'autres  semblables, 
étaient  accumulés  dans  les  mains  des  grands.  Je  sais 
formellement  ****  que  ceux  qui  ont  de  maigres  béné- 
fices résident  plus  ordinairement  et  accordent,  sur  ce 
bénéfice,  une  meilleure  hospitalité  que  ceux  qui  en  pos- 

*  Propter  offlcium  dalur  beneflcium. 
♦*  Les  péchés  du  Clerçé  anglais. 

***  Nous  avons  des  bénéfices  de  1.000  à  20  marcs  pour  les  hommes, 
suivant  leur  capacité. 

****  Le  clergé  pauvre  réside  davantage  que  le  clergé  riche. 


«;  L.  &  B.  :  depuis  4.000  ou  5.000  marcs. 


198  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

sèdent  de  plus  importants.  Il  est  un  proverbe  commun, 
lis  meary  in  Hall  Whan  Beardes  wags  ail  ^^^.  Examinez 
maintenant  tout  un  diocèse  :  vous  ne  trouverez  pas 
vingt  prêtres  résidents  "  ayant  chacun  40£  ^  de  prébende  * 
et  sur  tous  les  bénéfices  du  diocèse,  vous  ne  trouverez 
guère  qu'un  pasteur  résident  sur  quatre. 

[208]  Dans  quel  office  temporel  trouve-t-on  plus 
d'abus  que  dans  ces  offices  spirituels  cependant  plus 
importants  ?  Je  prie  Dieu  d'envoyer  à  nos  prélats  des 
yeux  pour  voir  ces  énormités,  car  ils  semblent  si  aveugles 
qu'ils  ne  peuvent  les  apercevoir.  Je  ne  doute  pas  ** 
qu'alors  ils  n'acomplissent  ces  réformes  sans  délai  ^, 
et,  s'ils  ne  le  font  point,  je  prie  Dieu  d'envoyer  à  nos 
magistrats  temporels  la  volonté  de  réformer  ces  choses 
par  leur  pouvoir  séculier  et  d'essayer  de  les  amender 
[Fol.53.Vo]  en  s'attaquant  plutôt  à  leurs  propriétés.  Les 
Princes  chrétiens  ne  portent  pas  en  vain  une  épée  et  il 
n'est  pas  tellement  extraordinaire  de  les  voir  châtier  les 
prélats  qui  négligent  leurs  devoirs.  Voilà  qui  est  dit 
touchant  la  réforme  de  ceux  qui  sont  ministres  de 
l'Église  d. 

[209]  Pour  parler  maintenant  de  ce  qui  doit  être 
réformé  quant  à  nous  qui  sommes  laïcs  «,  vous  devez  vous 

*  Nous  n'avons  pas  20  pasteurs  résidents  ayant  40  £  par  an.  Il  n'est 
pas  un  pasteur  sur  quatre  qui  réside... 

♦*  ...si  les  évèques  ne  réforment  pas  ceci,  je  prie  Dieu  que  les  laïcs 
le  fassent. 


«j  L.  &  B.  :  deux  pasteurs. 
b)  L.  :  10  £. 

'^J  Je  n'ai  pas  de  doute...  sans  délai  manque  dans  L. 
^)  L.   &  B.  :  de    nous    qui    sommes    ministres    de 
l'Église. 

«^  L.   &  B.  :  à  vous  qui  êtes  laïcs. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  199 

souvenir  *  que  tous  ceux  qui  s'adonnent  à  l'étude  de 
quelque  science  sont  communément  sujet  à  l'un  de  ces 
deux  vices  (comme  le  rapporte  ce  grand  clec  Tullius)  :  ** 
l'un  est  de  prendre  des  choses  que  nous  ne  connaissons 
point  pour  des  choses  connues  comme  si  nous  les  avions 
étudiées  ;  pour  éviter  cette  faute,  les  hommes  devraient 
prendre  leur  temps  et  bien  considérer  les  choses  avant  de 
formuler  leur  jugement  sur  elles  ;  l'autre  vice  est  d'ac- 
corder trop  de  temps  et  de  travail  à  l'étude  de  choses 
obscures  et  difficiles  qui  ne  sont  pas  nécessaires.  Consi- 
dérons maintenant  si  ces  défauts  n'existent  pas  de  nos 
jours  parmi  vous.  Vous  êtes  tous  désireux  à  présent  de 
comprendre  l'Écriture  Sainte  et  cela  est  bien,  car  il  n'est 
pas  de  désir  meilleur,  plus  honnête  et  plus  nécessaire  pour 
un  chrétien.  Mais  ne  voyez-vous  pas  de  nombreux  jeunes 
gens  prendre  sur  eux,  avant  qu'ils  aient  passé  du  temps 
ou  accordé  de  la  bonne  considération  à  l'étude  de  l'Écri- 
ture, de  juger  des  questions  importantes  et  controversées 
sur  un  avis  trop  rapide,  soit  de  leur  propre  invention, 
soit  de  l'invention  d'autres  personnes,  avant  qu'ils  aient 
pris  le  temps  de  voir  ce  qu'on  pourrait  y  objecter  ***  ^^^ 

[210]  Ce  défaut  n'est  pas  seulement  observé  chez  ceux 
qui  étudient  les  Écritures,  mais  encore  chez  tous  les  jeunes 
étudiants  en  toutes  les  autres  sciences.  Vous  ne  trouverez 
pas  un  jeune  homme  n'ayant  pas  travaillé  plus  de  trois 
ans  à  la  loi  de  ce  Royaume  plus  prêt  à  vous  résoudre  un 
cas  douteux  de  cette  loi,  que  lui-même  ou  un  autre  ne 
le  serait  après  douze  ou  quatorze  années  d'études.  Il  en 
est  ainsi  sans  doute  des  jeunes  grammairiens,  logiciens, 
rhétoriciens  et  étudiants  des  autres  sciences.  Ainsi 
Pythagore  ^^^  interdisait-il  [Fol.54.Ro]  à  ses  élèves  de 

*  Cicero,  de  offi,  Lih.  ii^i 

**  La  présomption  des  laïcs  mal  informés  dans  le  jugement  des  choses 
de  la  religion. 

***  Tous  les  jeunes  étudiants  sont  impudents,  que  ce  soit  en  théo- 
logie, droit,  grammaire  ou  tout  autre  science. 


200  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

parler  pendant  les  cinq  premières  années  passées  près 
de  lui,  leçon  que,  par  Dieu  !  je  voudrais  vous  voir  obser- 
ver avant  que  vous  n'énonciez  aucun  jugement  concer- 
nant l'Écriture  Sainte  *.  Je  ne  doute  pas  qu'après  sept 
années  d'études,  par  le  rapprochement  d'un  passage  de 
l'Écriture  avec  un  autre,  vous  n'éprouviez  de  plus  grandes 
difficultés  et  ne  soyiez  plus  scrupuleux  à  donner  une 
réponse  à  ces  questions  d'ordre  spirituel  que  vous  ne 
Têtes  maintenant.  Le  mal  vient  **  des  jugements  hâtifs 
formulés  en  cette  matière  ;  lorsqu'un  homme  a  exprimé 
une  fois  son  avis  sur  quelque  chose,  il  pense  que  c'est 
une  honte  pour  lui  d'être  obligé  d'abandonner  cet  avis 
affirmé  comme  véridique,  car  tout  ce  qu'il  dit  après,  il 
s'en  sert  comme  preuve  de  son  opinion  et  l'imposera, 
non  seulement  avec  des  paroles  et  des  arguments,  mais 
aussi  avec  le  pouvoir  et  l'autorité  qu'il  peut  posséder 
et  il  travaillera  à  amener  à  la  même  croyance  le  plus 
grand  nombre  possible,  comme  si  son  opinion  était  la 
seule  vraie  ^.  A  cause  de  cela  ^,  si  nous  ne  cherchons  que 
la  vérité  ***,  on  ne  doit  pas  penser  qu'elle  est  toujours 
du  côté  du  parti  qui  obtient  la  haute  main  par  le  pouvoir, 
l'autorité  ou  les  suffrages  extorqués. 

[211]  Dans  la  recherche  de  la  vérité,  il  n'en  est  pas 
de  même  que  dans  une  lutte  ou  une  bataille,  car,  dans 
celles-ci,  celui  qui  triomphe  a  la  victoire,  et,  dans  l'au- 
tre, au  contraire,  celui  qui  est  réduit  au  silence  ou  qui 

*  Personne  ne  devrait  énoncer  une  opinion  sur  les  difficultés  concer- 
nant la  Bible  avant  de  l'avoir  étudiée  7  années. 
**  Les  inconvénients  des  jugements  hâtifs. 
***  La  vérité  n'obtient  pas  toujours  le  plus  de  suffrages. 


^)  Variante  de  forme  des  Manuscrits  non  relevée 
par  Miss  Lamond. 

^)  à  cause  de  cela  manque  dans  L.  et  dans  B.  (Variante 
non  relevée  par  Miss  Lamond). 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  201 

est  battu  remporte  cependant  la  victoire  et  conquiert  la 
vérité  *.  Du  moment  que  nous  nous  contentons  de 
la  connaissance  de  la  vérité,  pourquoi  nous  divisons-nous 
en  factions  et  en  partis  ?  Que  cela  soit  discuté  tranquil- 
lement, débattu  et  examiné  par  les  hommes  au  jugement 
desquels  appartiennent  ces  matières.  Pourvu  évidem- 
ment que  pendant  ce  temps  aucun  des  partis  n'use  de 
violence  contre  l'autre  pour  l'amener  par  la  force  à  telle 
ou  telle  croyance  jusqu'à  ce  que  la  totalité  ou  la  plus 
grande  partie  de  ceux  à  qui  revient  la  discussion  de  telles 
choses  [Fol.54.Vo]  se  décident  librement  et  tranchent 
la  discussion.  C'est  le  seul  moyen  **  de  terminer  de  sem- 
blables controverses  et  du  moment*** que  celles-ci  doi- 
vent avoir  une  fin,  il  vaut  mieux  en  terminer  de  bonne 
heure  que  trop  tard,  avant  que  plus  de  mal  n'ait  découlé 
de  ce  schisme  dangereux,  comme  cela  eût  déjà  lieu 
ailleurs,  en  d'autres  pays,  même  devant  nos  yeux,  pour 
des  choses  semblables  et  qui  sont  trop  lamentables  pour 
être  rappelées.  De  quelle  perte  de  chrétiens,  de  quelle 
diminution  «  de  la  foi  chrétienne,  de  quelles  guerres 
continuelles  la  faction  des  Aryens  n'a-t-elle  pas  été, 
l'occasion  ?  N'a-t-elle  pas,  à  la  longue,  arraché  et  séparé 
toute  l'Asie  et  l'Afrique  de  la  foi  chrétienne  ?  La  religion, 
ou  plutôt  cette  mauvaise  superstition  des  Turcs,  n'est- 
elle  pas  greffée  sur  la  foi  aryenne  ?  N'a-t-elle  pas  eu  sa 
racine  dans  cette  secte  ?  Gomme  il  n'y  a  pas  de  division 
plus  dangereuse  que  celle  provenant  de  matières  de 
religion  ****,  il  est  tout  à  fait  expédient  et  nécessaire  d'y 
remédier  rapidement,  ce  qui  ne  peut  être  accompli  par 

*  Pourquoi  ceux  qui  recherchent  la  vérité  se  divisent-ils  en  factions  ? 
**  Comment  Constantin  le  Grand  fit  au  temps  d'Arius. 
***  Que  toutes  les  questions  soient  discutées  par  des  experts  et  que  la 
majorité  décide. 

♦***  Le  seul  moyen  d'arrêter  les  divisions  est  de  tenir  un  Concile  Général- 


«j  L.  :  division.  —  B.  :  destruction. 


202  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA   MONNAIE 

d'autre  moyen  que  par  un  conseil  libre  et  général,  ce  qui 
a  toujours  eu  lieu  depuis  le  temps  des  apôtres,  qui,  les 
premiers,  considérèrent  ce  remède  comme  le  seul  moyen 
de  calmer  et  d'apaiser  (même  de  leurs  jours)  toute  contro- 
verse religieuse.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  le  Saint- 
Esprit  *,  suivant  sa  promesse,  sera  présent  dans  une 
pareille  assemblée,  réunie  ni  par  force,  ni  par  intrigue. 

[212]  Mais,  dirons-nous  maintenant,  bien  que  pour 
notre  part,  nous  mettions  de  côté  la  partialité  et  que  nous 
n'usions  pas  de  coertion  pour  recruter  les  membres  et 
les  voix  qui  favoriseraient  notre  parti,  qui  peut  assurer 
que  l'Évèque  de  Rome  et  les  autres  prélats  fassent  de 
même  ?  Si  vous  le  dites,  vous  énoncez  certainement  une 
chose  importante,  car  ce  sont  des  hommes  et  ils  sont  plus 
sujets  aux  intrigues  que  vous-mêmes.  Mais,  je  serai  assez 
audacieux  suivant  çaa  manière,  pour  donner  ici  mon 
avis,  aussi  bien  que  dans  les  autres  questions.  Tout  ce 
qui  prête  de  nos  jours  à  la  controverse,  je  le  considère 
comme  une  des  deux  choses  suivantes  **  :  ou  bien 
ce  qui  touche  aux  bénéfices  et  aux  émoluments  des 
prélats  et  des  ministres  [Fol.55.Ro]  de  l'Église,  ou  bien 
ce  qui  concerne  les  questions  religieuses  «. 

[213]  Pour  ce  qui  est  des  articles  concernant  la  reli- 
gion, je  souhaiterais  qu'on  les  discute  de  la  manière 

*  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  l'Esprit  Saint  n'y  vienne.  Cependant 
l'évèque  de  Rome  (ou  Pape)  constitue  une  difficulté. 

**  Nos  discussions  portent  sur  :  i)  le  salaire  du  clergé  ;  ii)  des 
questions  religieuses. 


«^  L.  &  B.  :  comme  une  des  trois  choses  suivantes  : 
ou  bien  ce  qui  touche  la  rehgion  seule,  ou  bien  les  béné- 
fices et  les  émoluments  des  prélats  et  des  ministres  de 
l'ÉgHse,  ou  bien  ce  qui  touche  partie  l'une  et  partie 
l'autre. 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  203 

dont  on  Ta  toujours  fait  et  dont  ils  devraient  l'être  afin 
d'obtenir  un  jugement  *.  Quant  aux  articles  touchant 
aux  bénéfices  des  ecclésiastiques,  je  voudrais  qu'ils 
soient  laissés  à  la  décision  des  pouvoirs  séculiers,  car  ils 
ne  concernent  que  des  choses  matérielles  ;  personne  ne 
peut  craindre  que  les  magistrats  n'octroient  pas  un 
salaire  suffisant  à  ceux  qui  servent  un  but  si  honorable 
que  l'enseignement  de  la  sainte  parole  de  Dieu  et  l'ad- 
ministration de  ses  sacrements.  Allant  plus  loin  **, 
je  voudrais  que,  pour  les  questions  touchant  l'évêque  de 
Rome  et  sa  juridiction,  il  soit  écarté  et  que  d'autres 
personnes  impartiales,  choisies  parmi  les  Princes  chré- 
tiens, dirigent  ou  président  le  Conseil  pendant  que  cette 
question  sera  débattue  (s'il  plaît  aux  Princes  chrétiens 
de  tenir  conseil  avec  cette  prostituée  de  Babylone)  <* 
car  personne  ne  doit  être  juge  de  sa  propre  cause.  Je 
n'ai  fait  là  que  toucher  brièvement  les  questions  prin- 
cipales suivant  ma  simple  fantaisie,  en  en  soumettant 
l'acceptation  ou  le  rejet  de  tout  ou  partie  à  votre  meil- 
leur jugement. 

[214]  Le  Chevalier.  —  Je  suis  fâché  qu'il  soit 
maintenant  si  tard  qu'il  faille  nous  séparer. 

Le  Marchand,  le  Fermier  et  le  Bonnetier.  — 
Et  nous  aussi  vraiment.  Mais  nous  espérons,  avant  que 
vous  ne  quittiez  la  ville,  avoir  de  nouveaux  entretiens 
avec  vous. 

Le  Docteur.  —  J'en  serais  heureux  si  je  m'attarde 
dans  cette  ville,  mais  je  ne  sais  vraiment  si  je  resterai 
ici  après  demain  matin.  Si  je  le  fais  (pour  toutes  choses 
sur  lesquelles  vous  désireriez  mon  simple  jugement), 

*  Que  le  clerçé  tranche  (ii)  et  les  pouvoirs  séculiers  (i). 
•*  Comment  agir  avec  l'évêque  de  Rome. 


^)  s'il  plaît  aux  Princes...  Babylone  addition  de  S. 


204  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

VOUS  entendrez  plus  loin  mon  opinion.  Entre  temps,  je 
vous  prie  de  me  considérer  comme  quelqu'un  qui  *, 
s'il  a  émis  quelqu'avis  qui  puisse  préjudiciable  au 
Royaume,  est  prêt  à  s'en  dédire  et  à  se  soumettre  au 
jugement  de  tout  autre  personne  qui  soit  capable  de 
montrer  comment  tous  ces  maux  ou  une  partie  de 
ceux-ci  [F0I.55.V®]  peuvent  être  amendés  par  tout  autre 
moyen  meilleur,  car  je  sais  que  plusieurs  milliers  de  per- 
sonnes en  ce  pays  pourraient  en  discourir  mieux  que  je 
ne  l'ai  fait.  Et  ainsi,  pour  le  présent,  je  prends  congé  de 
vous  tous  «. 

[215]  Le  Chevalier.  —  Nous  nous  quittâmes  de 
cette  façon  pour  cette  fois,  mais,  le  lendemain,  quand 
j'appris  que  le  Maître  Docteur  avait  quitté  la  ville,  je 
pensai  qu'il  serait  bon  que  cette  discussion  ne  soit  point 
perdue  **  :  je  la  rapportai  donc  dans  mon  livre  privé, 
avec  l'intention,  si  l'occasion  s'en  présentait,  d'apporter 
quelques  unes  des  raisons  du  Docteur  là  où  elles  pour- 
raient prendre  place  ou  pourraient  être  réfutées  autre- 
ment que  je  n'en  avais  été  capable.  Et  j'ai  ainsi  briève- 
ment noté  la  dite  discussion,  comme  vous  le  voyez. 

FINIS 

IMPRINTED 
AT    LONDON    IN    FLEESTREATE 
NEERE    UNTO    SAINCTE    DUN- 
STONES    CHURCH,    BY    THO- 
MAS   MARSCHE 


*  Le  Docteur  est  prêt  à  se  soumettre  à  l'avis  d'un  plus  sage  docteur 
sur  les  maux  de  son  époque. 

•*  J'ai  consigné  brièvement  les  raisons  du  docteur. 


«  j  mais  je  ne  sais  vraiment...  de  vous  tous  addition 
de  S. 


NOTES 


^)  Ces  louanges  hyperboliques  ne  paraissaient  aucunement  exagérées 
à  l'époque,  surtout  s'adressant  à  la  Reine  Elisabeth  qui  fut  l'objet  d'une 
véritable  vénération  de  la  part  de  ses  sujets.  Le  lecture  des  ouvrages  his- 
toriques se  rapportant  à  cette  époque,  et  même  des  romans  historiques, 
expriment  fort  bien  les  sentiments  des  Anglais  à  l'égard  de  leur  souveraine 
et  montrent  en  même  temps  les  exagérations  coutumières  de  langage. 
V.  entre  autres  à  ce  sujet  Westward  Ho  I  roman  de  Kingsley. 

2)  Schisme  se  trouve  au  singulier  dans  les  MSS  et  au  pluriel  dans  l'édi- 
tion de  1581  ;  cela  prouve  que  l'auteur  primitif  n'avait  pas  l'idée  de  publier 
son  œuvre  et  faisait  ouvertement  allusion  au  schisme  d'Henri  VIII  et  à 
la  création  de  l'Église  d'Angleterre  (comme  le  montrent  également  d'autres 
passages).  W.  S.,  obligé  à  davantage  de  prudence  par  suite  de  la  publica- 
tion de  l'ouvrage,  généralisa  l'allusion  et  mit  le  mot  au  pluriel. 

')  L'Histoire  d'Apelle  est  racontée  par  Pline  {Nal.  Hist.,  xxxv,  85)  et 
par  Valerius  Maximus  (viii,  xii,  3).  Une  anecdote  semblable  est  attribuée 
par  Lucien  {Pro  Image,  xiv)  à  Phidias  (N.  Lamond). 

*)  lusUces  of  Peace.  Nous  rappelons  que  leurs  attributions  sont  beau- 
coup plus  étendues,  et  l'étaient  encore  davantage  à  cette  époque,  que 
celles  des  juges  de  paix  français. 

^)  Pour  le  sujet  de  la  discussion,  V.  Haies,  Défense  {Briiish  Muséum, 
Lansdown,  238,  f.  305)  reproduit  dans  LD.,  p.  148  et  s.  réfer.  à  p.  13,  ligne  2. 

*)  D'après  Miss  Lamond,  devant  la  Comission  des  Clôtures,  les  Jus- 
tices of  Peace  étaient  présents,  mais  c'était  au  sheriff  à  convoquer  les 
témoins,  aussi  la  variante  de  L.  et  de  B.  semble-t-elle  préférable. 

')  Comparer  Haies,  Charge  {Sirype,  Eccl.  Mem.,  II,  ii,  352)  cité  dans  LD. 
p.  151,  réfer.  à  p.  14,  ligne  30. 

®)  Cf.  Platon,  E pitres  ;  Ciceron,  De  Finibus,  ii,  xiv,  45  (N.  Lamond). 

")  V.  des  textes  analogues  de  John  Coke  cités  dans  LD.  p.  151,  réfer. 
à  p.  15,  ligne  21). 

10)  D'après  Rogers  (A  History  of  Agriculture  and  Priées  in  Engand 
from  ihe  year  after  the  Oxford  Parliament  (1259)  to  the  Commencement  of 
Ihe  Continental  War  (1793),  iv,  521,  524)  les  salaires  nominaux  ont, 
de  1542  à  1549  monté  dans  la  proportion  suivante  :  charpentiers,  6  1  /2  d. 
à  8  1  /2  d.  ;  couvreurs,  6  1  /2  d.  à  8  d.  ;  travail  non  spécialisé,  4  d.  à  5  d. 
La  moyenne  1551-1560  est  supérieure  d'environ  3  d.  à  celle  de  1531-1540 
(Cité  dans  LD.,  p.  152,  réfer.  à  p.  15,  ligne  31). 

")  D'après  le  statut  2*3.  Edouard  VI.  15,  le  paiement  des  Fee  Farms 
par  les  villes  était  suspendu  pendant  trois  ans,  à  condition  que  la  taxe 
soit  levée  comme  à  l'ordinaire  et  que  l'argent  produit  aille  à  la  réparation 
des  remparts  et  des  ponts  et  à  fournir  du  travail  aux  pauvres.  Haies  semble 
avoir  été  chargé  de  ce  bill  (N.  Lamond).  V.  également  :  Commons  Jour- 
nal, 1«'  mars  1549. 

12)  Comparer  Latimer  :  «  Car  là  où  i  1  y  avait  un  grand  nombre  de  mai- 


206  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


sons  et  d'habitants,  on  ne  trouve  maintenant  qu'un  berger  et  son  chien  !  » 
(Sermons  devant  le  Roi  Edouard  VI,  l). 

13)  Le  caractère  séditieux  de  certaines  pièces  fut  la  raison  invoquée  pour 
la  prohibition  de  celles-ci  (N.  Lamond). 

1*)  L'interdiction  des  mystères  n'amena  pas  l'arrêt  immédiat  de  ces 
représentations  :  les  Chester  Mysteries  furent  repris  pour  la  dernière  fois 
en  1574  et  la  dernière  représentation  de  la  Passion  de  Jésus-Christ  eut  lieu 
un  Vendredi  Saint  sous  le  règne  de  Jacques  I*'. 

i**)  D'après  Rogers  {op.  cil.,  iv)  la  hausse  des  prix  de  la  décade  1531- 
1548  à  la  décade  1551-1560  fut,  pour  les  tuiles,  de  4  s.  11  1  /2  d.  à  9  s.  5  3  /4  d.  ; 
pour  le  verre,  de  4  d.  à  7  1  /4  d.  ;  pour  la  toile  de  lin,  de  8  s.  1  d.  à  18  s.  9  d.  ; 
pour  le  canvas  (grosse  toile  servant  surtout  à  faire  des  voiles),  de  4  s.  7  d. 
à  7  s.  9  d.  (N.  Lamond) 

i«)  V.  dans  LD,  p.  153,  réfer.  à  p,  18,  ligne  14,  les  détails  de  certains 
legs  faits  à  des  institutions  charitables  par  différents  commerçants  maires 
de  Coventry. 

")  A  Coventry,  il  y  eut  des  émeutes  notamment  en  1374,  1480,  1495 
et  1525.  Pour  plus  de  détails,  V.  LD,  pp.  153-154,  réfer.  à  p.  18,  ligne  26. 

")  V.  à  ce  sujet  LD.,  p.  154,  réfer.  à  p.  18,  ligne  31-33. 

")  V.  un  passage  très  intéressant  des  Ads  of  Ihe  Privy  Council 
(6  mai  1548,  p.  193)  reproduit  dans  LD.,  p.  155,  réfer.  à  p.  19,  ligne  3. 

20)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  {Sermons  devant  le  Roi 
Edouard  VI,  i).  «  Nous  autres,  gens  d'Église,  nous  avions  trop  ;  mais  ce 
trop  nous  a  été  enlevé  et  maintenant  nous  n'avons  pas  suffisamment.  Pour 
ma  part,  je  n'ai  pas  à  me  plaindre,  car,  j'en  remercie  Dieu  et  le  Roi,  j'ai 
suffisamment  :  Dieu  est  mon  juge  et  je  ne  suis  pas  venu  pour  implorer 
quelque  chose  de  quelqu'un,  mais  j'en  connais  qui  ont  trop  peu.  Ces  quelques 
paroles  couvrent  une  sérieuse  affaire  :  une  importante  réforme  devrait  avoir 
lieu  là.  Je  connais  une  importante  ville-marché,  avec  quelques  hameaux  et 
habitants,  où  ceux-ci  tirent  de  leurs  travaux  la  valeur  de  50  £  par  an  : 
le  vicaire  chargé  d'une  cure  aussi  importante  n'a  que  12  ou  14  marcs  par 
an  ;  avec  cette  pension,  il  est  incapable  d'acheter  des  livres  ou  de  donner 
à  boire  à  son  voisin.  Tout  le  large  profit  s'en  va  par  un  autre  chemin.  » 

21)  Flavius  Renatus  Vigetius  (iv»  siècle  avant  Jésus-Christ),  auteur  du 
Rei  Mililaris  Insîilula  en  5  volumes  (N.  Lamond). 

22)  Lucius  Junius  Moderatus  Columella,  né  à  Cadix  dans  le  premier 
siècle  avant  notre  ère  écrivit  un  traité  sur  l'agriculture. 

28)  Marcus  Vitruvius  Pollio  composa  un  traité  en  10  livres  De  Archi- 
tedura  avant  10  avant  J.-C.  (N.  Lamond). 

24)  D'après  Miss  Lamond,  le  texte  de  L.  semble  le  plus  correct. 

25)  Opinion  ordinairement  attribuée  à  Pythagore  (N.  Lamond).  V.  des 
passages  analogues,  §  209-210. 

26)  C'est  à  dire  l'Université. 

2')  Comparer  les  passages  suivants  de  Latimer  (Sermon  on  ihe  Plough)  : 
«  Dans  le  passé,  quand  mouraient  des  hommes  riches  à  Londres,  il  avaient 
coutume  d'aider  par  des  bourses  les  étudiants  pauvres  des  Universités. 
Quand  on  mourait,  on  léguait  d'importantes  sommes  d'argent  pour  le 
soulagement  des  pauvres.  Lorsque  j'étais  moi-même  étudiant  à  Cambridge, 
j'entendais  chanter  les  louanges  de  la  ville  de  Londres  et  j'en  connaissais 
beaucoup  qui  avaient  reçu  une  aide  des  riches  citoyens  de  Londres  ;  mais, 
à  présent,  je  ne  peux  plus  entendre  de  telles  louanges,  même  si  je  m'en 
inquiète  et  si  je  les  recherche  :  la  charité  est  maintenant  froide  comme  la 
cire,  elle  n'aide  plus  l'étudiant,  elle  ne  secourt  plus  le  pauvre...  Pourquoi 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  207 


les  nobles  et  les  jeunes  gentilshommes  d'Angleterre  ne  sont-ils  pas  élevés 
en  savoir  et  dans  la  connaissance  de  Dieu  de  telle  sorte  qu'ils  soient  capables 
de  remplir  des  missions  dans  la  communauté  ?...  En  vérité,  le  peuple  sera 
comme  seront  les  nobles  et  la  seule  raison  pour  laquelle  maintenant  les 
nobles  ne  peuvent  être  nommés  lords  présidents  est  qu'ils  n'ont  pas  été 
élevés  dans  l'instruction.  Aussi,  pour  l'amour  de  Dieu,  nommez  des  profes- 
seurs et  des  maîtres  d'école,  ô  vous  qui  avez  charge  de  la  jeunesse  1  Donnez 
aux  maîtres  des  bénéfices  dignes  de  leurs  peines,  pour  qu'ils  puissent  ins- 
truire leurs  élèves  en  grammaire,  en  logique,  en  rhétorique,  en  philosophie, 
en  loi  civile  et  dans  la  parole  de  Dieu,  que  je  ne  puis  laisser  sans  en  parler.  » 

28)  D'après  Rogers  {op.  cil.,  iv,  587),  le  prix  de  l'étoffe  en  1530-1533 
(prix  alors  exceptionnellement  bas)  était  de  52  à  53  s.  ;  ce  même  prix  était 
de  112  s.  en  1548  et  de  153  s.  en  1549  (N.  Lamond). 

2*)  Épingles  signifiant  petits  cadeaux  en  nature. 

30)  C'est-à-dire  au  prix  fixé  par  elle,  au  prix  taxé. 

31)  Suivant  Rogers  {op.  cit.,  iv,  523)  le  prix  du  travail  non  spécialisé 
était  de  5  d.  en  1549  et  de  8  d.  en  1581  (N.  Lamond). 

32)  La  fabrication  de  la  poudre  à  canon  est  réputée  avoir  été  introduite 
en  Angleterre  sous  le  règne  d'Elisabeth  (Camden,  Elizabeth,  Londres,  1561) 
d'où  la  modification  apportée  par  S. 

*3)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  {Sermons  devant  le  Roi 
Edouard  VI,  I)  «  Il  (le  Roi)  n'aura  pas  en  sa  possession  trop  d'or  ni  d'ar- 
gent '.  Pensez-vous  qu'il  y  en  ait  jamais  trop  pour  un  roi  ?  Dieu  en  permet 
beaucoup  à  un  roi,  car  il  a  de  grandes  charges  et  beaucoup  d'occasions  de 
dépenser  d'importantes  sommes  pour  la  défense  et  la  sécurité  de  son 
royaume  et  de  ses  sujets.  Il  est  nécessaire  qu'un  roi  ait  toujours  un  trésor 
prêt  pour  ces  circonstances  et  pour  d'autres  affaires  semblables  qui  lui 
arrivent  journellement.  Si  ce  trésor  n'est  pas  suffisant,  il  peut  légalement 
et  avec  une  conscience  tranquille  lever  des  taxes  sur  ses  sujets.  Il  ne 
serait  pas  bon  que  l'argent  se  trouve  dans  le  bourse  des  sujets  quand  le 
roi  en  a  besoin  :  cela  leur  serait  nuisible,  car  le  manque  de  trésor  royal 
pourrait  occasionner  le  manque  d'argent  chez  les  sujets  et  ce  qui  leur  res- 
terait pourrait  ne  pas  leur  appartenir  longtemps.  Aussi,  pour  des  occasions 
nécessaires  et  utiles,  la  parole  de  Dieu  permet  au  roi  de  prendre  à  ses  sujets. 
Mais  le  si  trésor  royal  est  suffisant  et  si  les  charges  des  sujets  ne  sont  que 
pour  des  choses  vaines,  de  telle  sorte  que  le  roi  réclame  beaucoup  à  ses 
sujets  (qui  se  trouvent  peut-être  dans  un  grand  dénuement),  cette  demande 
est  faite  de  convoitise  et  tombe  sous  le  coup  du  «  trop  »  que  Dieu  défend  au 
Roi  de  posséder  dans  cet  endroit  de  l'Écriture  Sainte.  » 

3*)  Sir  Thomas  Smith,  auteur  présumé  du  dialogue,  ne  semble  pas  s'être 
aperçu  de  ce  fait,  car,  lorsqu'on  projetait  de  dévaluer  la  monnaie,  il  écrivit 
au  Lord  Protecteur  parlant  du  bénéfice  qu'en  retirerait  la  Monnaie  et, 
par  conséquent,  l'État  (N.  Lamond). 

36)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  {Sermon  devant  le  Roi 
Edouard  VI,  I)  :  «  Je  dois  dire  que  vous  autres  propriétaires,  vous  préle- 
veurs  de  rentes,  vous  «  step-lords  »,  je  puis  m' exprimer  ainsi,  vous  recevez 
trop,  chaque  année,  de  vos  propriétés.  Ce  qui  était  loué  auparavant  30 
à  40  £  par  an  (ce  qui,  comme  revenu  non  gagné  d'une  possession,  est  une 
honnête  part  de  la  sueur  et  du  travail  d'un  autre  homme),  l'est  maintenant 
de  50  à  100  £  par  an.  De  ce  «  trop  »  provient  cette  monstrueuse  et  pro- 
digieuse cherté  qui  est  l'œuvre  de  l'homme,  bien  que  Dieu  nous  octroie 
avec  abondance  les  fruits  de  la  terre,  nous  les  octroie  miséricordieusement, 
contrairement  à  ce  que  nous  méritons.  Ce  «  trop  »  que  possèdent  les  hommes 


208  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


riches  a  causé  une  telle  cherté  que  les  pauvres  gens  qui  vivent  de  leur 
travail  ne  peuvent,  avec  la  sueur  de  leurs  visages,  gagner  de  quoi  se  nourrir, 
tant  est  chère  toute  sorte  de  victuailles  :  porcs,  oies,  chapons,  poulets, 
œufs,  etc...  Ces  choses  et  d'autres  ont  été  si  haussées,  d'une  manière  non 
raisonnable  1  Je  crois  vraiment,  si  cela  continue,  que  nous  serons  à  la  fln 
amenés  à  payer  un  porc  1  £.  » 

3*)  D'après  Miss  Lamond,  «  dans  cette  ville  »  manque  dans  l'édition 
de  1581.  Ces  mots  se  trouvent  cependant  dans  S. 

3')  D'après  Rogers  {op.  cit.,  iv,  725)  la  hausse  des  rentes  devient  beau- 
coup plus  sensible  sous  le  règne  d'Elisabeth,  car  les  obstacles  auxquels 
fait  allusion  le  chevalier  furent  graduellement  surmontés  (N.  Lamond). 

3®)  Ici  S.  a  oublié  de  corriger  20  ans  en  30  ans  comme  il  l'avait  fait 
quelques  lignes  auparavant. 

39)  Notons  une  certaine  concordance  de  vues  entre  le  Chevallier  et 
Malestroit. 

40)  La  groate,  groat  ou  grote  est  une  monnaie  d'argent  dont  on  tail- 
lait, après  la  réforme  de  1526,  135  par  livre  Troy  (La  troy  pound  pesait 
373,238  grammes)  Le  cours  de  la  groate  fut  successivement  de  4  d.  (1544), 
3  d.  (30  avril  1551),  2  d.  (juillet  1551). 

*^)  Le  passage  étant  purement  hypothétique,  S.  n'a  pas  cherché  à 
rajuster  les  prix  à  leur  niveau  de  1581,  époque  où  (Rogers,  op.  cil.,  iv,  292) 
le  blé  valait  2  s.  1  d.  le  boisseau  et  le  seigle  1  s.  3  d.  (N.  Lamond).  La  Todde 
de  laine  pesait  12,699  kgr. 

*2)  D'après  le  statut  24.  Henry  VIII.  C.  4  et  ss.  on  était  tenu,  pour 
chaques  60  acres  de  labour,  à  cultiver  1  /4  d'acre  de  lin  (N.  Lamond). 

*^)  Sur  la  taxation  des  prix  à  cette  époque,  V.  LD.,  p.  162,  note  à  p.  45. 
ligne  27-28. 

**)  Cf.  Illiade,  vi,  234,  vii,  472.  Odyssée,  i,  430,  V.  également  Pline, 
Hisl.  nal.,  xxxiii,  C.  1,  6.  —  Pour  la  Loi  Civile,  Lambarde  a  copié  en  marge 
du  MS  du  dialogue  le  passage  en  question  {Digeste  xviii,  titre  I,  1)  repro- 
duit dans  LD.,  pp.  164-165,  note  à  p.  47,  ligne  33. 

*5)  Sur  les  maux  provoqués  par  les  clôtures.  V.  différents  textes  cités 
dans  LD,.  p.  165,  note  à  p.  48,  ligne  20. 

*'j  Cette  variante  n'est  pas  signalée  par  Miss  Lamond. 

*7)  D'après  Miss  Lamond,  Devonshire  est  préférable  car,  en  1607, 
le  Devonshire  possédait  de  nombreuses  clôtures  et  était  fort  riche,  alors 
que  le  Northamptonshire  était  considéré  comme  un  comté  typique  sans 
clôtures.  Cependant  il  y  eut  certains  essais  de  clôtures  dans  le  Northamp- 
tonshire, en  même  temps  que  dans  le  Buckinghamshire  et  l'Oxfordshire 
(V.  Cunningham.  Growth  of  English  Industry,  ii,  702). 

48)  Sur  les  distinctions  du  Docteur  et  de  Haies  quant  aux  maux  ou  aux 
biens  provoqués  par  les  différents  genres  de  clôtures,  V.  Strype  {Ecc. 
Mem.,  II,  ii,  362)  et  LD.,  p.  166,  note  à  p.  49,  ligne  22. 

4»)  Comparer  Fitzherbert  {Surveyinge,  c.  40)  et  Tusser  {Five  Hundred 
Points,  c.  53)  (N.  Lamond). 

60)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  :  «  Dans  ce  Parlement  dont 
je  parle,  les  gentilshommes  et  les  Communes  étaient  en  désaccord,  comme 
ils  l'étaient  encore  récemment.  Les  gentilshommes  propriétaires  avaient 
besoin  de  beaucoup  des  terres  de  leurs  tenanciers  ;  ils  avaient  besoin  égale- 
ment d'un  Acte  du  Parlement  qui  leur  permette  légalement  d'enclore  telle 
portion  qu'il  leur  plairait  de  la  terre  de  leurs  tenanciers  et  des  communaux. 
Il  fut  fait  beaucoup  de  bruit  autour  de  cet  acte  :  à  la  fln  on  conclua  à  les 
autoriser  à  agir  ainsi,  à  condition  qu'ils  laissent  suffisamment  de  terre 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  209 


pour  le  tenancier...  S'ils  n'ont  laissé  alors  aux  tenanciers  et  aux  pauvres 
communs  pas  plus  qu'il  n'était  suffisant,  s'ils  leur  en  ont  encore  retiré 
depuis  ce  temps,  ceux-ci  n'en  ont  plus  suffisamment.  »  {Sermons  devant 
le  Roi  Edouard  VI,  VIII). 

•^1)  Comparer  un  passage  de  Haies  cité  dans  LD.,  p.  166,  note  à  p.  50, 
ligne  11  et  reproduit  d'après  Strype,  op.  cil.,  II,  ii,  354). 

*2)  Les  principales  lois  édictées  dans  ce  but  et  dont  parle  Haies  dans 
sa  Charge  sont  les  textes  suivants  :  4  Henry  VII,  c.  16.  —  7.  Henry  VIII, 
cl.  —  25.  Henry  VIII,  c.  13.  —  27.  Henry  VIII,  c.  22.  Leur  résultat  ne 
fut  pas  très  sensible.  Pour  la  législation  antérieure  à  1517,  V.  Leadam, 
Transactions  of  the  Royal  Historical  Society,  N.  S.  VI,  167  (N.  Lamond). 

*^)  Sur  l'origine  possible  de  cet  argument,  V.  LD.,  p.  167,  note  à  p.  50, 
ligne  27. 

^*)  Comparer  Haies,  Charge  (Strype,  op.  cit.,  352)  concernant  châteaux 
et  boulevards  le  long  des  côtes.  Une  mesure  prise  à  ce  sujet  concernant 
l'île  de  Wight  est  le  statut  4.  Henry  VII,  c.  16  (N.  Lamond). 

^5)  D'après  Rogers  (op.  cit.,  iv,  352-353)  le  prix  des  bovins  était  de 
28  s.  7  1  /2  d.  de  1531-1540  ;  de  51.  s.  6  1  /2  d.  en  1548  ;  de  70  s.  4  d.  en  1549. 
V.  également  Haies,  cité  par  Miss  Lamond  avec  une  référence  à  Tomas  More 
(LD.,  p.  167-168,  note  à  p.  52,  ligne  22). 

5«)  Cette  phrase  expose  un  principe  qui  fut  longtemps  mis  en  pratique 
en  Angleterre,  spécialement  lors  des  droits  sur  les  grains  introduits  en  1689. 
Cf.  Faber,  Agrarschtdz,  p.  2.  More,  Utopie,  p.  71  (N.  Lamond). 

")  Le  noble  d'or  ou  noble  commença  à  être  frappé  en  1344  :  titre  de 
24  carats  avec  un  quart  de  carat  de  remède.  Sous  Edouard  III,  on  en 
taillait  39  1  /2  à  la  Tower  Pound  et  il  courait  pour  6  s.  8  d.  On  frappait 
en  même  temps  des  Mailles  nobles  (un  demi  noble)  et  des  Farthing  nobles 
(un  quart  de  noble).  Toujours  sous  le  même  règne,  on  abaissa  le  poids 
à  5  dwts.  8  4/7  grains  et  on  en  taillait  42  à  la  Tower  Pound  ;  puis  on  e  n 
tailla  45  poids  de  5  dwts.  8  grains,  même  cours. 

Sous  Henri  IV,  on  en  tailla  50  à  la  Tower  Pound,  poids  de  4  dwts. 
19  1/4  gr.,  même  cours. 

Sous  Edouard  IV,  cours  de  8  s.  4  d.  Puis  on  frappe  des  nobles  à  la  rose 
ou  riais  :  taille  de  45  à  la  Tower  Pound,  poids  de  5  dwts.  8  grains,  cours 
de  10  s.  Ce  cours  subsista  pendant  tout  le  règne  d'Henri  VII  et  les  pre- 
mières années  de  celui  d'Henri  VIII.  II  fut  ensuite  successivement  porté 
à  11  s.  3  d.  (1526),  12  s.  (1544),  14  s.  6  d.  (1548),  puis  à  15  s.  La  réforme  de 
1561  le  ramena  à  10  s. 

En  1526  on  avait  également  frappé  le  George  noble  de  2  dwts.  23  fr. 
de  23  carats  3  1/2  gr.  de  titre  et  courant  pour  6  s.  8  d. 

^®)  Quarter,  mesure  de  volume  valant  8  boisseaux,  soit  290,80  litres. 

*•)  Tod  ou  todde,  mesure  valant  12,699  kgr. 

^)  La  loi  en  question  est  15.  Henry  VI,  c.  2  rendue  perpétuelle  par 
23.  Henry  VI,  c.  3,  §  5.  La  hausse  des  prix  rendit  cette  mesure  inopérante 
sous  le  règne  d'Edouard  VI,  V,  LD.,  p.  168-619,  note  à  p.  54,  ligne  26-32. 

*^)  Par  entrepôt,  l'auteur  primitif  désignait  probablement  Calais.  La 
perte  de  cette  ville  sous  le  règne  de  Marie  Tudor  (1558)  rendait  cette  allu- 
sion inutile  et  explique  sa  suppression  dans  S. 

•^)  C'est  à  dire  à  1  noble  le  quarter. 

•')  D'après  Miss  Lamond,  le  fermier  du  dialogue  serait  également  éle- 
veur ou  herbager.  De  nombreux  éleveurs  furent  maires  de  Coventry  au 
xvi«  s.  V.  LD.,  p.  169,  note  à  p.  57,  ligne  2. 

•*)  Comparer  l'opinion  du  Docteur,  §  193. 

LE    BRANCHU  II  14 


210  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


•*)  Sur  les  arguments  du  Bonnetier  et  la  politique  générale  du  temps, 
V.  LD.,  p.  169,  note  à  p.  57,  ligne  17. 

••)  Ciceron,  Tusculanes,  i,  4. 

•')  Cette  référence  est  une  erreur.  D'après  Miss  Lamond,  la  référence 
exacte  est  Ep.  ad  Brutum,  i,  xv,  3. 

•8)  Pour  ce  passage,  V.  F.  D.  Matthew,  cité  dans  LD.,  p.  170,  note  à 
p.  61,  ligne  20. 

••)  Comparer  le  passage  suivant  de  Sully  :  «  Vostre  Majesté  doit  mettre 
en  considération  qu'autant  qu'il  y  a  de  divers  climats,  régions  et  contrées, 
autant  semble-t-il  que  Dieu  les  aye  voulu  diversement  faire  abonder  en 
certaines  proprietez,  commoditez,  denrées,  matières,  arts  et  mestiers  spé- 
ciaux et  particuliers  qui  ne  sont  point  communes,  ou  pour  le  moins  de  telle 
bonté  en  autres  lieux  afin  que,  par  le  traffic  et  le  commerce  de  ces  choses 
(dont  les  uns  ont  abondance  et  les  autres  disette),  la  fréquentation,  conver- 
sation et  société  humaine  soit  entretenue  entre  les  nations,  tant  esloignees 
peussent-elles  estre  les  unes  des  autres.  »  (Michaud  et  Poujoulat.  Nouvelle 
CollecUon  de  Mémoires  relatifs  à  V Histoire  de  France,  II  t.  ii,  p.  515.  —  Cité 
par  Harsin,  Les  Doctrines  monétaires  et  financières  en  France  du  XV  l^ 
au  XVIII''  siècle,  p.  74,  note  2.) 

'<*)  Dans  L.,  en  marçe  du  Manuscrit,  note  de  Lambarde  :  le  vin  est 
utile  pour  le  ravitaillement  en  temps  de  guerre. 

'^)  Il  y  a  ici  dans  S.  une  faute  de  ponctuation  :  ...as  by  the  last  devise 
I  thinke  they  might  be  ;  I  allowe  that  way  better,  nevertheless,  where  as 
you  (brother  Mercer)...  au  lieu  de  :  I  thinke  they  might  be,  I  allowe  that 
way  better  ;  nevertheless... 

'*)  Note  manuscrite  en  marge  de  L.  :  si  nous  exportons  des  marchandises 
valant  plus  que  celles  que  nous  importons,  le  surplus  vient  en  argent  ;  mais 
si  nous  importons  davantage,  le  surplus  doit  être  également  payé  en  argent 
et  c'est  là  le  moyen  d'augmenter  ou  de  diminuer  la  masse  monétaire, 
excepté  cette  petite  quantité  de  monnaie  qui  existe  toujours  dans  le 
royaume. 

'^)  Dans  L.  :  note  manuscrite  en  marge  :  Oportel  patrem  familias  ven- 
dacem  esse  non  emacem  :  Marc.  Cato  (La  référence  est  De  Agriculture,  ii). 

'*)  Comparer  des  passages  similaires  dans  Harrison  {op.  cit.,  références 
à  l'édition  de  1587),  ii,  ix,  p.  325,  col.  2  ;  ii,  x,  p.  236,  col.  1.  ;  cités  dans  S., 
p.  106-107. 

'^)  Comparer  le  passage  suivant  de  Harrison  {op.  cit.  édit.  1587,  iii,  x, 
p.  236)  :  «  Quelques  uns  d'entre  eux  (marchands  étrangers)  peuvent  dire 
d'eux-mêmes  qu'ils  achètent  à  un  Anglais  la  peau  d'un  renard  pour  une 
groate  (c'est  à  dire  4  d.)  et  lui  font  donner  après  12  d.  pour  la  queue.  » 

'*)  V.  Gommons  Journal,  5  et  24  janvier  1549  et  LD.  Introduction, 
p.  xviii. 

")  L'alliance  avec  la  France  renouvelée  le  4  mars  1547  avait  été  conclue 
en  1546.  L'interdiction  d'importer  des  capes  l'aurait  affectée,  car  celles-ci 
venaient,  au  moins  en  partie,  de  France.  V.  une  clause  de  la  convention 
reproduite  dans  LD.,  p.  172,  note  à  p.  67,  ligne  7. 

'*)  Le  texte  de  S.  est  ici  incomplet  :  «  if  yee  would  hâve  moued  a  lawe 
to  be  made  [that  nothinge  made]  of  our  wool,  or  Tynne,  or  Led,  or  Hydes, 
beyond  sea,  should  hâve  bene  sould  heere  ?  »  Les  mots  entre  crochets  man- 
quent et  rendent  le  sens  incompréhensible  ;  cette  erreur  n'est  pas  relevée 
par  Miss  Lamond. 

'•)  Les  acts  5  R.  II,  st.  i,  c.  3,  et  4.  Henry  VIL  c.  10  avaient  prohibé 
l'importation  des  vins  de  Gascogne  et  des  bois  de  Toulouse  par  des  navires 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  211 


étrangers.  En  1588,  une  permission  d'importation  fut  accordée  du  1«'  sep- 
tembre au  l«r  octobre  de  chaque  année  (5  &  6  Edward  VI,  c.  18).  En  1559, 
toutes  ces  interdictions  furent  rapportées  (1.  Elisabeth,  c.  13)  pour  être 
rétablies  en  1563  par  le  statut  5.  Elizabelh,  c.  5,  §  8  (N.  Lamond). 

80)  Sur  cette  opinion,  V.  LD.,  p.  173,  note  à  p.  67,  ligne  33  et  Adam 
Smitti,  Wealth  of  Nations,  iv,  i,  p.  177. 

81)  Référence  à  un  passage  du  Digeste  (xxiii,  titre  I)  où  l'on  trouve  une 
allusion  à  Vllliade.  Le  F.  est  une  abréviation  commune  pour  le  Digeste 
(N.   Lamond). 

82)  La  citation  a  été  copiée  par  Lambarde  à  la  fin  de  son  manuscrit  et 
se  trouve  reproduite  dans  LD.,  p.  174-174,  note  à  p.  73,  ligne  7. 

83)  Dans  S.  il  y  a  pièces  au  lieu  de  priées. 

84)  D'après  Miss  Lamond,  l'allusion  concernerait  un  passage  de  Enco- 
mium  Moriae,  passage  cité  dans  LD.,  p.  175,  note  à  p.  75,  ligne  23. 

85)  V.  Bodin,  Response...,  supra,  tome  I,  p.  85. 
8«)  Pline,  Hist.  Nalur.,  xxxiii,  iii,  42. 

8')  Institutes  II,  titre  X,  i.  De  teslamentis  ordinandis. 

88)  Un  acte  fut  passé  en  1552  (5  &  6.  Edward  VI,  c.  6)  pour  remédier 
à  ces  malfaçons  (N.  Lamond). 

8')  Latimer  parle  aussi  de  malfaçons  nombreuses  ;  celles-ci  ne  s'éten- 
daient d'ailleurs  pas  seulement  à  l'industrie,  comme  le  prouve  le  second 
passage  cité  :  «  J'entends  dire  qu'il  se  produit  des  malfaçons  dans  la  fabri- 
cation des  marchandises.  Gomment  dites-vous  ?  N'e&t-il  pas  étonnant 
d'entendre  que  les  fabricants  de  drap  soient  devenus  apothicaires  ?...  Si 
son  étoffe  est  longue  de  17  yards,  il  la  mettra  sur  une  roue  et  la  tirera  avec 
des  cordes,  la  torturera  jusqu'à  ce  que  les  nerfs  se  brisent  et,  ainsi,  il  lui 
donnera  18  yards  de  longueur  !  Quand  il  l'ont  amenée  à  cette  perfection, 
il  usent  d'une  belle  adresse  pour  lui  redonner  son  épaisseur  :  ils  fabriquent 
une  poudre  pour  cela  et  jouent  ainsi  à  l'apothicaire  ;  ils  la  nomment  poudre 
de  mouton  et  ils  l'incorporent  de  telle  façon  au  drap  que  c'est  merveille 
à  considérer  ;  vraiment  une  bonne  invention  ! . , .  Ces  manœuvres  viennent 
de  l'esprit  de  convoitise,  elles  sont  un  véritable  vol.  »  {Sermons  devant  le 
Roi  Edouard  VI,  111).  «  J'ai  entendu  que  certains  qui  possédaient  une 
vache  stérile  et  qui  auraient  voulu  cependant  en  obtenir  une  importante 
somme  d'argent,  prennent  le  veau  d'une  autre  vache,  le  mette  à  la  leur  et 
viennent  ainsi  au  marché  prétendant  que  cette  vache  a  porté  ce  veau  : 
ils  vendent  de  cette  façon  leur  vache  6  ou  8  shillings  plus  cher  qu'ils  ne 
l'auraient  fait  sans  cela...  Je  vais  vous  narrer  une  autre  tromperie  :  je 
connais  des  paysans  qui  vont  au  marché  avec  un  quarter  de  grain.  Ils  vou- 
draient y  vendre  cher  le  mauvais  comme  le  bon,  aussi  adoptent-ils  ce  moyen  : 
au  fond  du  sac,  ils  placent  un  boisseau  de  bon  malt  ou  de  bon  grain,  puis 
deux  boisseaux  du  plus  mauvais  qu'ils  ont  et  enfin  un  boisseaux  de  bon  sur 
le  dessus  et  ils  viennent  ainsi  au  marché.  Voici  que  vient  un  acheteur  qui 
demande  :  «  Sir,  est-ce  du  bon  malt  ?»  «  Je  vous  assure,  répond  l'autre, 
«  qu'il  n'y  en  a  pas  de  meilleur  dans  cette  ville.  »  Et  ainsi  il  vend  son  malt 
ou  son  grain  au  mieux,  quoiqu'il  n'y  en  ait  que  deux  boisseaux  de  bon 
dans  le  sac...  Je  pourrais  vous  raconter  une  autre  tromperie,  comment  on 
fait  peser  la  laine  davantage,  mais  je  ne  le  ferai  point.  »  {Sermon  on  the 
Lord' s  Prayer). 

»0)  V.  Proclamation  du  11  avril  1549,  LD.,  p.  176-177. 
•1)  L'angelot  ou  angel  était  une  monnaie  d'or  qui  devait  son  nom  à 
l'effigie  de  saint  Michel  terrassant  le  démon.  Sous  Edouard  IV,  son  titre 
était  de  24  carats  avec  trois  quarts  de  carats  de  remède  ;  on  en  taillait  67  1  /2 


212  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


à  la  Tower  Pound  et  la  pièce  courait  pour  6  s.  8  d.  —  Par  un  avis  en  Conseil 
en  date  du  5  novembre  1526,  Henri  VIII  en  fit  tailler  72  à  la  Troy  Pound 
(La  Troy  Pound  remplaça  la  Tower  Pound  ou  Livre  de  Cologne  et  pesait 
373,238  grammes)  et  le  cours  fut  de  7  s.  6  d.  Ce  cours  fut  porté  à  8  s.  (1544) 
et  à  9  s.  8  d.  (1548). 

En  1552  (Edouard  VI)  on  en  taille  70  à  la  Troy  Pound,  au  titre  de 
23  carats  3  1  /2  gr.  et  l'angelot  court  pour  10  s.  La  réforme  de  1561  le  ramena 
à  6  s.  8  d.  —  L'angel  vaut  un  tiers  de  souverain. 

'2)  La  groate  valant  4  d.,  20  groates  faisaient  6  s.  8  d. 

•*)  Dans  S.  on  a  passé  ici  le  mot  «  no  »,  c'est  à  dire  que  le  texte  se  pré- 
sente ainsi  :  et  tout  d'abord  quels  sont  ceux  qui,  d'après  vous,  ont  perdu 
par  ce  fait  ? 

'*)  Les  désordres  de  1549  semblent  avoir  été  l'occasion  des  premières 
nominations  de  Lords  Lieutenants  pour  maintenir  le  bon  ordre  parmi  leurs 
voisins  (N.  Lamond). 

•5)  Comparer  Harrison,  England,  II,  vi  &  vii,  pp.  144-145  et  pp.  167- 
172. 

•*)  Comparer  Haies'  Charge  dans  Strype,  Ecc.  Mem,,  II,  ii,  353 
(N.  Lamond). 

*')  V.  Harrison.  op.  cit.  c.  XII. 

*®)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  :  «  Toute  la  passion  des 
hommes  réside  à  présent  dans  la  construction  de  gaies  et  somptueuses 
demeures  ;  elle  réside  dans  la  construction  et  dans  la  démolition  et  ils  n'ont 
jamais  fini  de  bâtir.  »  {Sermons  devant  le  Roi  Edouard  VI,  VIII). 

"*)  D'après  Hall  [Customs,  ii,  140)  cette  mesure  ne  daterait  que  du  règne 
de  Marie  Tudor.  Haies  toutefois  aurait  été  partisan  d'une  semblable  impo- 
sition (V.  LD.,  pp.  xliv  et  ss.). 

^^)  Cette  loi  est  le  texte  2*3.  Edward  VI,  c.  36.  8  &  9  ;  appliquée 
en  1549,  elle  fut  rapidement  abolie  (V.  pour  plus  de  détails,  LD.,  pp.  xi-xii 
et  les  références  au  Journal  of  House  of  Gommons). 

101)  Comparer  une  affirmation  analogue  au  91. 

102)  Pomponius  Mêla,  géographe  latin  du  i^r  siècle.  La  référence  du 
texte  est  De  situ  Orbis,  iii,  vi,  45. 

103)  La  version  de  L.  (pointers)  semble  préférable  à  celle  de  B.  et  de  L. 
Comparer  LD.,  p.  180,  note  à  p.  93,  ligne  7. 

104)  Sur  le  terme  paysans,  V.  LD.,  p.  180,  note  à  p.  94,  ligne  30. 

106)  Tous  les  développements  consacrés  à  la  dévaluation  de  la  monnaie 
et  à  l'exportation  de  l'or  et  de  l'argent  manquent  également  dans  S.  Dans 
cette  édition,  le  dialogue  se  compose  seulement  de  4  parties  au  lieu  de  5 
dans  les  manuscrits. 

io«)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  :  où  la  même  histoire  est 
racontée  :  «  Master  More  fut  une  fois  envoyé  dans  le  Comté  de  Kent  pour 
aider  à  découvrir,  si  la  chose  était  possible,  la  cause  des  sables  de  Goodwin 
et  du  banc  qui  barrait  l'entrée  du  port  de  Sandwich.  Voici  venir  Mas- 
ter More  :  il  convoqua  devant  lui  les  habitants,  ceux  que  l'on  pouvait  penser 
être  hommes  d'expérience,  les  plus  capables  de  l'instruire  de  l'affaire 
concernant  l'arrêt  du  port  de  Sandwich.  Parmi  ceux  qui  vinrent  devant 
lui,  se  trouvait  un  vieillard  au  chef  blanc,  que  l'on  pensait  n'avoir  pas 
loin  de  cent  ans.  Quand  Master  More  aperçut  ce  vieillard,  il  pensa  qu'il 
serait  bon  de  l'entendre  donner  son  avis  sur  cette  affaire,  car,  étant  un 
vieillard,  il  était  probable  qu'il  en  savait  davantage  sur  cette  affaire  que 
n'importe  quelle  personne  présente.  Aussi  Master  More  appela-t-il  devant 
lui  le  vieillard  et  lui  dit  :  «  Père,  dites-moi,  si  vous  le  pouvez,  quelle  est  la 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  213 


•  cause  de  cette  grande  levée  de  sables  et  de  bancs  par  là  devant  le  port, 
«  qui  Febstruent  de  telle  manière  qu'aucun  navire  ne  peut  y  arriver  ? 
«  Vous  êtes  l'homme  le  plus  âgé  que  je  puis  apercevoir  parmi  ceux  ici 
«  présents,  aussi,  si  quelqu'un  peut  en  dire  la  cause,  c'est  vous  qui  le 
«  pouvez  ;  en  tous  cas,  vous  en  savez  plus  que  personne  ici.  »  «  Oui,  sans 
«  doute,  bon  maître,  dit  le  vieillard,  car  j'ai  bien  près  de  cent  ans  et  aucun 
«  de  ceux-ci  n'approche  de  mon  âge.  »  «  Alors,  repartit  Master  More,  que 
«  dites-vous  là-dessus  ?  Que  pensez-vous  être  la  cause  des  sables  et  des 
«  bancs  qui  obstruent  le  port  de  Sandwich  ?  »  «  Oh,  Sir,  répondit-il,  je  suis 
«  un  vieillard  et  je  pense  que  c'est  le  clocher  de  Tenterton  qui  en  est  la 
«  cause.  Je  suis  bien  vieux,  Sir,  et  je  puis  me  souvenir  de  la  construction 
«  du  clocher  de  Tenterton  et  aussi  de  l'époque  où  il  n'existait  pas.  Avant 
«  que  le  clocher  ne  fut  en  construction,  on  ne  parlait  aucunement  de 
«  sables  ou  de  bancs  obstruant  le  port,  aussi  pensais-je  que  la  constructiort 
«  du  clocher  de  Tenterton  est  la  cause  de  la  destruction  et  de  la  décadence 
«  du  port  de  Sandwich  »  {Dernier  Sermon,  8»,  devant  le  Roi  Edouard  VI), 

^^)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  :  «  Devrions-nous  avoir 
des  ministres  de  l'Église,  contrôleurs  des  Monnaies  ?...  le  dicton  populaire 
dit  que,  depuis  que  les  prêtres  sont  monnayeurs,  la  monnaie  est  plus 
mauvaise  qu'elle  ne  l'était  auparavant  et  l'on  dit  que  la  mauvaise  qualité 
de  la  monnaie  a  rendu  plus  cher  toutes  choses  »  (Sermon  on  the  Plough). 

1**®)  L'effet  pernicieux  de  cette  proposition  n'a  pas  été  reconnue  par 
l'auteur  du  Policy  to  Reduce  ihis  Reaime  of  Englande.  V.  le  passage  cité 
dans  LD.,  p.  188,  note  à  p.  105,  ligne  25. 

10»)  Le  surhaussement  des  monnaies  par  Henri  VIII  eût  lieu  le 
16  mai  1544  par  le  statut  36.  Henry  VIII.  L'once  d'or  fut  portée  à  48  s. 
et  celle  d'argent  à  4  s. 

110)  Le  texte  anglais  est  intraduisible  littéralement  :  ...  «  and  so  to  live 
as  they  say  from  hand  to  mouthe...  » 

111)  Ceci  semble  une  erreur.  Barberousse  mourut  en  1193.  Le  fait  doit 
se  rapporter  à  Frédéric  II  (né  en  1194)  qui  usa  de  cet  expédient  au  siège  de 
Faenza  en  1240  (Cf.  Villani,  Islorie  Florentine,  v,  21).  Une  mesure  semblable 
fut  prise  par  le  Doge  Domenico  Michèle  en  1123  à  Jaffa  (N.  Lamond), 

112)  V.  Bodin,  Response...  supra,  tome  I,  p.  86. 

113)  Ceci  semble  se  rapporter  aux  rapports  du  Roi  d'Angleterre  avec 
les  Fugger  d'Anvers. 

11*)  Comparer  Bodin,  Response,..  supra,  tome  I,  p.  83  et  s. 

115)  Comparer  les  passages  suivants  de  Latimer  :  «  Et  maintenant,  je 
m'adresse  à  vous,  mes  maîtres  monnayeurs...  :  Je  vous  demande  d'être 
loyaux  envers  le  Roi.  Il  l'a  été  envers  vous,  soyez-le  envers  lui,  soyez-le 
à  l'égard  de  nos  propres  âmes.  Vous  êtes  bien  connus,  on  sait  ce  que  vous 
étiez  avant  d'occuper  votre  office,  on  sait  quelles  terres  vous  possédiez 
alors,  on  sait  celles  que  vous  avez  achetées  depuis  et  les  constructions  que 
vous  faites  tous  les  jours...  Après  mon  premier  prêche  sur  la  Restitution, 
un  brave  homme  fut  saisi  de  remords  et  m'avoua  qu'il  avait  trompé  le  Roi 
et  qu'il  voulait  restituer  :  aussi,  au  premier  Carême,  20  £  vinrent-elles  entre 
mes  mains,  destinées  à  être  rendues  pour  l'usage  du  Roi.  Il  m'en  avait 
promis  encore  20  pour  le  même  Carême,  mais  il  ne  put  les  réunir  et  elles 
n'arrivèrent  pas.  Le  Carême  suivant  je  reçus  encore  320  £  que  je  remis  au 
Conseil  du  Roi.  On  me  demanda  qui  opérait  cette  restitution;  mais  aurais-je 
dû  le  nommer  ?  Non,  on  m'aurait  plutôt  tué.  Et  ce  Carême-ci,  je  reçus 
136  £  et  10  shillings  que  j'ai  remis  aujourd'hui  même  au  Conseil  du  Roi. 
Ainsi  cet  homme  a-t-il  opéré  une  sainte  restitution.  «  Ainsi,  dis-je  à  un  noble 


214  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


«  qui  fait  partie  du  Conseil  du  Roi,  si  tous  ceux  qui  ont  trompé  le  Roi  vou- 
«  laient  ainsi  réparer  leurs  fautes,  cela  rapporterait  bien,  je  pense,  20.000  £ 
«  au  Roi  ?»  «  Oh  !  répondit  l'autre,  cela  monterait  bien  à  100.000  £.  » 
(Dernier  Sermon,  8®,  devant  le  Roi  Edouard  VI.) 

ii«)  Comparer  le  passage  suivant  de  Latimer  :  «  Mon  père  était  un 
yeoman  et  ne  possédait  pas  de  terres  en  propre  ;  il  n'avait  qu'une  ferme 
d'un  loyer  de  3  ou  4  £  par  an  au  plus,  et,  là-dessus,  il  labourait  assez  pour 
entretenir  une  douzaine  d'hommes.  Il  avait  un  parcours  pour  100  moutons 
et  ma  mère  trayait  30  vaches.  Il  était  capable  d'entretenir  pour  le  Roi  un 
harnais  et  un  cheval  pendant  qu'il  se  rendait  là  où  il  devait  recevoir  la 
solde  du  Roi.  Je  me  souviens  d'avoir  bouclé  son  harnais  quand  il  se  rendit 
à  Balckheath.  Il  m'envoya  à  l'école,  sans  cela  je  ne  serais  pas  à  même  de 
prêcher  maintenant  devant  Sa  Majesté  le  Roi.  Il  maria  mes  sœurs  avec 
5  £  ou  20  nobles  chacune  et  il  les  éleva  dans  la  piété  et  dans  la  crainte  de 
Dieu.  Il  pratiquait  l'hospitalité  envers  ses  voisins  moins  fortunés  et  il 
donnait  l'aumône  aux  pauvres.  Il  tirait  tout  cela  de  la  dite  ferme  où  celui 
qui  y  est  maintenant  paie  16  £  par  an  ou  davantage  et  n'est  pas  à  même  de 
faire  quoique  ce  soit  pour  son  Prince,  pour  lui-même  ou  pour  ses  enfants, 
n'est  pas  à  même  de  donner  au  pauvre  un  verre  de  boisson.  »  (\^'  Sermon 
devant  le  Roi  Edouard  VI.) 

"')  Le  texte  anglais  est  tel  :  «  If  I  then,  after  so  many  wise  heades  as 
were  in  those  Parliaments  and  Counsayles,  would  take  upon  me  to  correct 
(as  they  say)  Magnificat...  »  Cette  expression  est  une  locution  proverbiale 
inusitée  aujourd'hui  qu'il  nous  a  semblé  impossible  de  traduire  littéralement. 

"*)  Platon  (Hipparchus,  232,  c.)  (N.  Lamond). 

Il')  Laws  of  Alfred,  xiii.  —  Laws  of  Elhelred,  vii,  16  (N.  Lamond). 

^20)  On  retrouve  dans  Shakespeare  des  allusions  aux  somptuosités  ves- 
timentaires de  l'époque.  Ainsi  on  portait  des  bas  et  des  jarretières  de  soie- 
d'un  grand  prix  et  le  Prince  Henri,  dans  Henri  IV,  s'exprime  ainsi  dédai- 
gneusement sur  le  compte  d'un  personnage  ;  «  Veux-tu  voler  ce  pourpoint 
de  cuir  à  boutons  de  cristal,  aux  cheveux  coupés  en  rond,  bague  d'agate 
au  doigt,  bas  noirs   jarretières  de  flanelle...  »  {Henri  IV,  ii,  iv). 

121)  Norwich,  ville  très  florissante  en  1549,  souffrit  considérablement 
de  la  révolte  de  Kett  et  son  industrie  lainière  était  fort  en  déclin  en  1565. 
Son  commerce  reprit,  mais  elle  n'était  certainement  pas  un  bon  exemple 
de  ville  florissante  en  1581  (N.  Lamond).  Ceci  explique  la  variante  de  S. 

122)  V.  Ashley,  Economie  History,  i,  ii,  77  ;  Hibbert,  Gilds,  64-82  ; 
Cunningham,  op.  cit.,  ii,  37-47  (N.  Lamond). 

123)  Le  texte  de  L.  et  de  B.  est  beaucoup  plus  vraisemblable  que  celui 
de  S.  On  ne  peut  guère  compter  un  peintre  parmi  les  artisans  dont  les 
œuvres  sont  susceptibles  d'exportation. 

124)  V.  un  texte  du  Debate  of  the  Heraldes  (1550)  de  John  Coke,  cité 
dans  LD.,  p.  195,  note  à  p.  130,  ligne  25. 

1^^)  Dans  L.  et  dans  B.,  le  Docteur  est  constamment  représenté  comme 
faisant  partie  des  ordres.  S.  a  modifié  une  partie  de  ses  phrases  et  remplace 
le  plus  souvent  «  nous  »  par  «  ils  »  lorsque  le  Docteur  parle  du  clergé.  V.  en 
particulier  la  fin  du  §  208  et  le  début  du  §  209.  Toutefois  S.  a  assez  souvent 
oublié  d'effectuer  ces  retouches. 

12»)  Dans  tous  les  textes  de  l'époque,  on  retrouve  des  plaintes  sem- 
blables, notamment  dans  les  Sermons  de  Latimer  dont  Miss  Lamond  cite 
de  nombreux  extraits.  A  vrai  dire,  il  n'y  a  guère  de  pages  dans  ces  Sermons 
où  Latimer  ne  se  fasse  l'interprète  de  critiques  analogues  ;  c'est  pourquoi 
nous  n'en  citons  aucun  extrait,  car,  pour  être  vraiment  complet,  il  faudrait 


COMPENDIEUX    OU    BREF    EXAMEN...  21:5 


citer  une  bonne  partie  de  son  œuvre,  beaucoup  plus  que  n'en  a  cité 
Miss  Lamond. 

12')  Canon  xiii  de  Lanfranc  à  Winchester  en  1071  (N,  Lamond). 

12*)  Ads  de  praemunire  (corruption  du  mot  latin  praemonere).  Dans 
es  statuts  religieux  anglais,  on  désignait  ainsi  les  acts  ayant  pour  but  de 
prévenir  les  empiétements  de  la  juridiction  ecclésiastique  sur  le  pouvoir 
civil. 

"•)  Dans  les  Manuscrits  en  marge  :  Voyez  Sermon  du  Docteur  Collette. 

1**)  Nous  avons  préféré  ne  pas  traduire  le  proverbe  (car  il  est  intradui- 
sible littéralement),  et  lui  laisser,  dans  le  texte,  sa  forme  originale. 

131)  Ciceron,  De  Officiis,  i,  18  (N.  Lamond). 

132)  V.  un  passage  analogue,  §  46-47. 

133)  V.  Supra  un  passage  analogue,  §  46  et  la  note  se  référant  à  ce 
passage. 

L.  B. 


eÇ 


DAVANZATl 
Portrait  d'après  une  gravure  du  Cabinet  des  Estampes. 


Monnaie.  PI.  VII 


II.-P.  216 


vil 

B.  DAVANZATI  BOSTICHI 
LEÇON  SUR  LES  MONNAIES 


vn 


NOTICE 


La  Lezione  délie  Monete  de  Bernado  Davanzati  ou  Davan- 
zati-Bostichi  a  fait  l'objet  de  nombreuses  éditions  en  Italie. 
Elle  fut  faite  en  1588  devant  l'Académie  Florentine,  mais  le 
texte  n'en  fut  publié  qu'en  1638,  dans  un  ouvrage  contenant 
d'autres  écrits  de  Davanzati,  sous  le  titre  Scisma  d'Inghilterra 
ed  alire  opérette  delVautore. 

Le  texte  reproduisait,  à  quelques  variantes  de  forme  près, 
les  trois  manuscrits  que  Ton  possède  de  la  Lezione  délie  Monete. 
Etant  donné  le  peu  d'intérêt  de  ces  variantes,  qui,  presque 
toutes,  ne  sont  autres  que  d'insignifiants  changements  de 
termes,  et  d'ailleurs  à  peu  près  impossibles  à  rendre  en  fran- 
çais, nous  n'avons  pas  cru  devoir  les  reproduire  dans  notre 
traduction. 


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Parmi  les  autres  éditions,  citons  les  plus  importantes  : 

Edition  Comino,  1  Vol.  in-8,  Padoue,  1727. 
Prose  Florentine,  Florence,  1729  (Collection  de  Monetis 
Italiae,  Vol.  iv,  partie  ii). 
iii)  Edition  Salvini,  Milan,  1752,  Vol.  iv,  partie  iv. 
iv)  Edition  de  Livourne,  1779,  2  Vol.  in-8. 
v)  Edition  Custodi,  Scritti  Classici  iialiani  di  economia  poli- 

tica,  Parte  antica,  tome  II,  Milan  1804. 
vi)  Edition  de  Sienne,  1828,  1  vol.  in-8. 
viij  Edition  de  Milan,  1829,  1  Vol.  in-16. 
viii)  Edition  Gondoliere,  Notizia  marcantili  délie  Monete  e  de 
Cambi,  Venize,  1840. 
ix)  Edition  Bindi,  Opère  di  Bernardo  Davanzati,  Florence, 
1853. 

Une  traduction  anglaise  par  John  Totland  fut  publiée 
à  Londres  en  1686  (1  Vol.  in-4o). 

Toutes  ces  éditions  reproduisent  le  texte  de  l'édition  ori- 
ginale en  donnant  parfois  en  note  les  variantes  des  manuscrits 
(notamment  les  éditions  Custodi  et  Bindi). 

L.  B. 


Au  Très  Illustre  et  Révérendissime  Seigneur 

PIERO    USIMBARDI 

Bernardo  Davanzati,  Salut  ! 

Messire  Baccio  Valori,  le  Chevalier,  qui  a  sur  moi 
toute  puissance,  m'a,  pendant  son  dernier  Consulat  à 
l'Académie  Florentine,  imposé  une  leçon,  et,  comme  je 
ne  sais  pas  m'éloigner  de  ma  profession,  ni  presque  des 
alentours  de  ma  demeure,  je  traitai  des  monnaies  et 
des  nécessités  des  Princes.  Il  m'a  semblé  bon  d'offrir 
cet  ouvrage  à  Votre  Illustre  Seigneurie,  qui  tient  les 
clés  de  notre  cœur,  en  témoignage  de  notre  ancienne 
amitié,  de  mon  nouveau  respect  pour  elle  et  pour  le  bien 
public,  si  jamais  quelque  chose  existe  en  cette  leçon  que 
ne  soit  pas  indigne  de  considération. 

Que  Dieu  notre  Seigneur  comble  Votre  Seigneurie  de 
ses  grâces  ! 

De  Florence,  le  premier  Mai  1588. 


1^ 


LEÇON  SUR  LES  MONNAIES 


Dans  les  entrailles  de  la  terre,  le  soleil  et  la  chaleur 
interne,  en  les  distillant  presque,  tirent  les  sucs  et  les 
substances  les  meilleures  qui,  introduits  dans  les  pores, 
dans  les  veines  et  dans  les  mines  terrestres,  s'y  congèlent 
et,  durcis  et  mûris  par  le  temps,  s'y  transforment  en 
métaux.  Parmi  ceux-ci,  les  jdus  parfaits  et  les  plus  rares 
sont  l'or  et  l'argent,  car  ces  deux  métaux  brillants  sem- 
blent être  faits  de  couleur  et  de  splendeur.  Ni  le  feu,  ni 
les  parasites,  ni  la  rouille,  ni  l'usage  ne  les  consomment  ; 
ils  s'étendent  en  fils  et  en  feuilles  d'une  incroyable 
ténuité  et  d'une  longueur  surprenante  et  ils  possèdent 
en  eux  je  ne  sais  quoi  de  divin  :  c'est  la  raison  pour 
laquelle  quelques  peuples  indiens,  quand  ils  extraient 
l'or,  jeûnent,  s'abstiennent  des  femmes  et  de  tout  plaisir, 
d'après  une  ancienne  coutume  religieuse.  Mais  l'or  et 
l'argent  ne  servent  par  nature  que  peu  à  notre  vie  pour 
laquelle  furent  crées  toutes  les  choses  terrestres,  si  bien 
que  les  hommes  en  ont  presque  honte  ;  ils  se  sont  accor- 
dés à  leur  donner  une  valeur  égale  à  celle  de  tous  les 
autres  biens,  à  les  faire  prix  et  mesure  de  toutes  choses 
et  les  instruments  qui  tournent  et  retournent  le  globe 
tout  entier.  Nous  pouvons  les  appeler  causes  secondes 
d'une  vie  heureuse  puisqu'ils  nous  procurent  tous  ces 
biens  :  c'est  pourquoi  beaucoup  en  ont  fait  des  dieux  en 
les  voyant  rendre  possibles  des  choses  impossibles.  Il 
n'y  a  pas  de  forteresse  qui  puisse  résister  à  un  petit  âne 
chargé  d'or,  a  dit  ce  monarque  guerrier  qui  savait  bien 
la  portée  de  ses  paroles  ^.  Les  miracles  accomplis  par 
l'or  nous  sont  montrés  par  la  fable  bien  connue  de  Danaé 


224  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

et  par  celle  du  pâtre  lydien  Giges  qui,  sous  terre,  prit 
au  doigt  du  cadavre  la  bague  d'or  par  laquelle  il  fut 
rendu  invisible  ;  il  entra  dans  la  chambre  de  son  roi, 
coucha  avec  la  reine  et,  avec  l'aide  de  celle-ci,  trahit 
le  roi,  le  tua  et  s'empara  du  royaume. 

En  considérant  donc  le  pouvoir  et  l'importance  que 
possède  l'or  dans  les  affaires  humaines  et  en  voyant  que 
Socrate  abandonnait  aux  dieux  le  soin  des  choses  divines 
et  naturelles  et  enseignait  la  moralité  et  les  usages  qui 
nous  sont  propres,  j'estime  qu'il  n'est  point  méprisable, 
ni  hors  de  propos,  ni  inconvenant  pour  moi  de  traiter 
ce  sujet  que  j'ai  choisi  pour  vous  parler,  très  nobles 
académiciens  florentins,  et  je  discourerai  brièvement, 
à  la  manière  de  notre  cité,  de  l'or,  de  l'argent  et  des 
monnaies,  puisque  la  violence  qu'on  m'a  faite,  bien 
qu'amicale  et  gentille,  m'amène  ici  aujourd'hui  fatigué, 
las  et  distrait  depuis  tant  d'années  de  toute  étude 
littéraire.  Je  demande  votre  attention,  car  par  nature 
je  suis  très  succinct  et  je  le  serai  encore  de  propos 
délibéré. 

Notre  corps  mortel  devant  servir  de  gaine  ^  à  notre 
âme  immortelle  et  d'essence  divine  fut  modelé  comme  il 
convenait  au  serviteur  d'une  si  grande  dame,  c'est-à-dire 
qu'il  fut  de  noble  complexion,  délicat,  tendre  et  gentil,  nu 
et  désarmé  vis-à-vis  des  rigueurs  du  temps  et  des  bêtes 
sauvages  et,  de  ce  fait,  il  nécessitait  beaucoup  de  choses 
que  personne  ne  pourrait  se  procurer  toute  seule  :  c'est 
pourquoi  nous  vivons  dans  les  villes  pour  nous  aider  les 
uns  les  autres  par  nos  fonctions  différentes,  nos  grades 
et  nos  exercices  divers.  Tout  homme  ne  nait  pas  apte  à 
n'importe  quel  métier,  mais  chacun  peut  en  exercer  un, 
de  même  que  tous  les  climats  produisent  tous  les  fruits 
de  la  terre,  parce  que  les  étoiles  et  le  soleil  frappent 
celle-ci  sous  des  angles  et  des  aspects  différents  suivant 


DAVANZATI  225 

la  diversité  des  lieux.  Il  en  résulte  qu'un  homme  travaille 
et  se  fatigue  non  pas  pour  lui  tout  seul,  mais  aussi  pour 
les  autres,  et  les  autres  pour  lui  ^  ;  une  ville  et  un  royaume 
fournissent  à  une  autre  ville  et  à  un  autre  royaume  leur 
superflu  et  ils  en  reçoivent  ce  qui  leur  fait  défaut  :  ainsi 
tous  les  biens  provenant,  soit  de  la  nature,  soit  de  l'in- 
dustrie sont  mis  en  commun  et  l'on  en  jouit  au  moyen 
du  commerce  humain.  Celui-ci  fut  à  l'origine  un  simple 
échange  d'une  chose  contre  une  autre,  comme  il  en  est 
encore  aujourd'hui  entre  les  peuples  qui  ne  sont  point 
civilisés.  Mais  il  était  malaisé  de  savoir  qui  recherchait 
la  chose  que  tu  possédais  en  trop  grosse  quantité,  ou 
qui  avait  en  trop  de  celle  que  tu  recherchais,  ou  encore 
de  savoir  où  transporter,  où  conserver,  et  où  distribuer 
ces  objets  de  manière  à  satisfaire  les  deux  parties.  La 
nécessité,  qui  enseigne  à  trouver  les  remèdes,  fit  d'abord 
choisir  quelques  lieux  où  beaucoup  de  gens,  venant 
d'endroits  différents  avec  leurs  marchandises,  s'arran- 
geaient entre  eux  plus  aisément  :  ce  fut  l'origine  des 
marchés  et  des  foires.  Cette  occasion  favorable  en  fît 
découvrir  une  autre  plus  grande  et  Ton  comprit  que, 
de  même  qu'on  avait  choisi  un  lieu  d'échange,  de  même 
on  pouvait  adopter  une  chose  et  la  faire  valoir  pour  toutes 
les  autres,  faire  donner  et  recevoir  tout  autre  objet 
contre  une  certaine  quantité  de  celle-ci,  comme  si  elle 
était  la  médiatrice  ou  l'origine  de  la  valeur  univer- 
selle des  choses,  comme  si  elle  en  était  l'essence  et  la 
substance  *. 

Dans  l'antiquité  ^,  on  fît  d'abord  choix  du  cuivre, 
qui  fut  très  employé  et  que  le  consentement  commun 
de  tous  les  peuples  éleva,  par  un  ferme  accord,  à  une  si 
haute  fonction  que  celui  qui  avait  en  trop  d'une  chose 
donnait  volontiers  ce  surplus  pour  la  quantité  de  cuivre 
à  laquelle  cette  chose  était  comparée,  c'est  à  dire  estimée 
de  la  même  valeur  ;  il  le  donnait  ensuite  en  échange 

LB   BRANCHU  —  II  15 


226  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

d'une  autre  chose  qui  lui  faisait  défaut,  ou  bien  il  le 
gardait  en  vue  de  ses  besoins  futurs,  le  conservant  dans 
une  petite  caisse,  comme  un  garant  ;  ce  fut  là  l'origine 
de  la  vente  et  de  l'achat,  de  la  comparaison  comme  disent 
les  Toscans  ^. 

Par  la  suite,  la  merveille  de  l'or  et  de  l'argent  leur 
fit  obtenir  la  première  place.  On  se  servait  d'abord  du 
métal  en  morceaux  bruts,  pris  comme  ils  venaient  ; 
puis,  comme  aux  choses  connues  on  en  ajoute  aisément 
de  nouvelles,  on  en  arriva  à  peser  le  métal,  à  le  marquer 
et  à  faire  les  monnaies.  Les  auteurs  ne  s'accordent  pas 
sur  le  point  de  savoir  où,  quand  et  qui  fit  pour  la  première 
fois  des  monnaies  :  Hérodote  prétend  que  ce  fut  en 
Lydie,  d'autres  à  Nascos,  Strabon  à  Egine  ;  les  uns  en 
Attique,  les  autres  en  Lycie  par  le  roi  Érittono  ;  Lucain 
en  Thessalie  par  le  roi  Ion.  Les  livres  saints  disent  que 
ce  fut  Gain,  par  esprit  de  lucre  ;  Tubalcain  est  réputé 
s'être  enrichi  en  travaillant  le  cuivre  et  le  fer,  mais 
on  ne  saisit  pas  si,  avant  le  Déluge,  la  monnaie  existait 
déjà  ;  après,  toutefois,  les  livres  saints  en  parlent  claire- 
ment. Abraham  acheta  à  Ephraim  un  terrain  pour  qua- 
rante sicles  d'argent,  monnaie  ayant  cours  parmi  les 
marchands,  ;  Joseph  fut  vendu  au  prix  de  vingt  pièces 
d'argent  ;  Moise  imposa  un  demi  sicle  par  tête,  ce  qui 
faisait  deux  drachmes  d'argent;  Thésée,  qui  régnait  à 
Athènes  à  l'époque  où  les  Juges  gouvernaient  Israël, 
frappa  une  monnaie  d'argent  avec  un  bœuf  pour  encou- 
rager les  hommes  aux  travaux  de  la  campagne  ;  Janus 
dans  le  Latium,  quand  il  accueillit  dans  son  royaume 
Saturne,  arrivé  par  mer  et  chassé  par  Jupiter  (d'où 
s'ensuivirent  les  siècles  si  bien  conduits  et  si  célébrés 
de  l'âge  d'or),  frappa  une  monnaie  de  cuivre,  en  souvenir 
de  cette  courtoisie,  avec  Janus  Bifrons  et  le  rostre  du 
navire  ;  les  Romains  fabriquèrent  d'abord  une  monnaie 
de  cuivre  sans  empreinte  du  poids  d'une  livre  et  Tappe- 


DAVANZATI  227 

lèrent  oes  gravis^  as  assis  et  pondo  ;  Servius  Tullius 
grava  sur  la  monnaie  un  des  animaux  domestiques 
qui  étaient  la  richesse  des  anciens,  d'où  le  nom  de  pécule  ^. 
L'an  GCGLXXXIII  de  Rome,  on  y  monnaya  l'argent  et, 
soixante-douze  ans  plus  tard,  l'or.  Nous  autres  Floren- 
tins, l'an  MGGLII,  ayant  battu  les  Siennois  aux  Monts 
Alcins,  frappâmes  le  florin  d'or  pur,  qui  a  tellement  plû 
au  monde  entier  que  chaque  pays  ensuite  voulut  battre 
semblable  monnaie  et  la  dénommer  florin. 

La  monnaie  s'appelle  en  latin  moneta,  pecunia  *, 
nummus  ;  en  grec,  vofxCafxa,  XP'^JH-^»  xépjxa  ;  en  italien, 
pecunia,  monela,  danari^  danaio.  On  la  dit  monnaie 
parce  que  son  signe  nous  avertit  de  sa  dénomination, 
de  sa  valeur  et  de  sa  bonté.  D'après  leur  empreinte,  elles 
furent  appelées  bigati,  Philippes,  sagittaires,  hommes 
d^ armes  ;  et  aussi  le  juge,  qui  en  avait  pris  mille  à  la 
suite  d'un  jugement  inique,  plaisanta  méchamment, 
disant  :  «  Qui  est-ce  qui  pouvait  résister  à  mille  hommes 
d'armes  ?  »  L'empreinte  du  X  sur  la  monnaie  romaine 
la  faisait  appeler  denarius  et  lui  donnait  la  valeur  de 
dix  as.  La  fleur  de  lis  donnait  son  nom  à  notre  florin 
et  montrait  qu'il  était  florentin,  comme  la  rose  pour  le 
rodiano.  L'empreinte  nous  rappelle  encore  quelqu'évè- 
nement,  comme  le  rostre  du  navire  à  propos  de  la  dite 
courtoisie  de  Janus,  et  le  petit  navire  submergé  avec  la 
devise  Quare  duhilasti  ?  nous  parle  des  vicissitudes 
surmontées  par  le  Pape  Glément  VIL  La  monnaie  se 
nomma  pecunia  venant  de  pécule,  comme  nous  l'avons 
dit  ;  nummOj  du  mot  grec  vo{xb(xa  qui  signifie  chose  légale 
ou  chose  faite  par  la  loi  *,  puisque  la  monnaie  est  établie 
reine  des  choses  ;  on  l'appelle  xprjfxa  pour  sa  bonté  et 
son  utilité,  puisqu'elle  nous  procure  toutes  les  choses 
bonnes  et  utiles  que  l'on  nomme  xp^H-a'c'a  ;  xépjxa  semble 
indiquer  la  menue  monnaie,  faite  pour  les  petites 
dépenses  et  les  petites  gens.   Nous  nous  servons  des 

LE    BRANCHU  Il  15* 


228  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

vocables  latins  et  du  mot  denier  qui  représentait  une 
espèce  de  monnaie,  car  nous  appelons  denaro  ou  denari 
la  monnaie  en  général. 

Nous  avons  dit  ainsi  l'invention,  l'utilité,  le  temps, 
les  lieux,  les  auteurs,  les  noms  de  la  monnaie,  il  nous 
reste  à  présent  à  en  définir  l'essence  :  la  Monnaie,  c'est 
l'or,  l'argent  ou  le  cuivre  monnayés  par  le  pouvoir 
public  et  à  son  gré  et  rendus,  par  les  peuples,  prix,  et 
mesure  des  choses,  afin  de  les  négocier  aisément. 

Je  dis  d'or,  d'argent  ou  de  cuivre  parce  que  les 
peuples  ont  choisi  ces  trois  métaux  pour  en  faire  des 
monnaies  ;  si  un  prince  (et  j'appelle  prince  l'organisme 
gouvernant  l'Etat,  que  ce  soit  une  personne  ou  plusieurs, 
quelques  citoyens  ou  tous)  frappait  des  monnaies  de  fer, 
de  plomb,  de  bois,  de  liège,  de  cuir,  de  papier  ou  de  sel, 
comme  on  l'a  déjà  fait,  ou  encore  d'autres  matières, 
cette  monnaie  ne  serait  pas  acceptée  en  dehors  de  son 
état,  comme  étant  différente  de  la  matière  généralement 
employée  à  cet  usage  :  ce  ne  serait  pas  une  monnaie 
universelle,  mais  seulement  un  prix  particulier,  une 
marque  ou  un  billet,  une  promesse  de  la  propre  main 
du  prince  qui  l'oblige  à  rembourser  au  porteur  une  valeur 
équivalente  en  véritable  monnaie,  comme  on  y  a  déjà 
recouru  lorsque,  à  défaut  de  vraie  monnaie,  l'utilité 
publique  a  forcé  de  recourir  à  de  semblables  expédients. 
Les  Romains  appelèrent  leur  Maitres  des  Monnaies  les 
trois  hommes  qui  présidaient  à  l'affinage  et  à  la  frappe 
du  cuivre,  de  l'argent  et  de  l'or.  Ulpien,  Pomponius  et 
les  gens  instruits  des  choses  de  la  loi  disent  clairement 
que  les  seules  monnaies  qui  soient  bonnes  sont  celles 
d'or,  d'argent  ou  de  cuivre  ;  c'est  pourquoi  Marc-Antoine 
fut  flétri  pour  avoir,  entre  autres  choses,  fabriqué  des 
monnaies  d'argent  de  bas  aloi,  mélangé  avec  du  fer. 


DAVANZATI  229 

J'ai  dit  «  frappé  par  le  pouvoir  public  »  parce  qu'on 
trouve  rarement  les  métaux  à  l'état  pur  ;  il  convient 
donc,  pour  faire  des  monnaies  toutes  égales,  de  réduire 
le  métal  à  un  même  degré  de  fin,  de  tailler  toutes  les 
monnaies  au  même  poids  et  d'y  mettre  une  empreinte 
pour  qu'on  sache  qu'elles  sont  selon  la  loi,  sans  qu'on  soit 
obligé  d'en  faire  l'essai  chaque  fois.  Ce  n'est  donc  pas  la 
tâche  des  particuliers,  suspects  de  fraude,  mais  celle 
du  prince,  père  de  tous  les  citoyens  ;  aussi  personne  ne 
peut-elle  faire  des  monnaies  avec  le  métal  qu'elle  pos- 
sède, même  si  la  monnaie  était  bonne,  sous  peine  de 
faux  :  on  doit  l'apporter  à  l'Hôtel  des  Monnaies  et  là 
on  le  prend,  on  le  pèse,  ou  en  fait  l'essai,  on  l'enregistre, 
on  l'allie,  on  le  fond,  on  l'écrase,  on  le  taille,  on  l'ajuste 
on  le  frappe  et  on  agit  comme  l'exige  la  loi. 

J'ai  dit  «  à  son  gré  »  parce  que  la  monnaie  peut  être 
faite  d'une  façon  ou  d'une  autre,  c'est  à  dire  ronde  ou 
carrée,  grosse  ou  petite,  plus  ou  moins  pure,  portant 
telle  ou  telle  empreinte,  de  telle  ou  telle  dénomination  ; 
ce  sont  des  particularités  remis  à  l'arbitre  du  prince  ;^il 
suffit  qu'il  ne  touche  pas  à  la  substance,  ce  qui  n'est  pas 
en  son  pouvoir,  c'est  à  dire  qu'il  ne  fasse  monnaie  que 
des  trois  métaux,  qu'il  ne  lui  donne  pas  un  prix  menteur, 
comme  elle  en  aurait  si  en  elle  ne  se  trouvait  pas  ren- 
fermée la  quantité  de  métal  pur  qui  correspond  au 
nom  qu'on  lui  donne,  de  manière  que  le  peuple,  trompé 
par  la  garantie  de  l'état  dont  le  rôle  est  de  le  défendre, 
put  dire  comme  disait  le  loup  aux  bergers  qui  mangeaient 
la  brebis  :  «  Si  c'était  moi,  vous  crieriez  au  secours  et 
vous  soulèveriez  tout  le  pays.  » 

J'ai  dit  «  rendus  par  les  peuples  prix  et  mesure  de 
toutes  choses  »  parce  qu'en  cela  sont  tombés  d'accord 
tous  les  hommes  et  non  parce  que  ces  métaux  possèdent, 
de  leur  propre  nature,  une  telle  valeur.  Un  veau  véri- 


230 


ECRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 


Çif^ 


table  est  plus  noble  que  le  veau  d'or,  mais  combien  il 
est  moins  apprécié  !  Un  œuf,  qui  coûte  un  demi  grain 
d'or,  aurait  encore  suffi,  le  dixième  jour,  à  conserver  en 
vie  le  Comte  Ugolin  dans  la  Tour  de  la  Faim,  tandis  que 
tout  l'or  du  monde  n'y  serait  pas  parvenu^Qù'y  a-t-il 
de  plus  important  pour  notre  vie  q^Uë"1é''BTé?  Dix  mille 
grains  de  blé  néanmoins  se   vendent    aujourd'hui    un 
grain  d'or.  Comment  se  fait-il  que  des  choses,  si  précieuses 
de  par  leur  nature  même,  vaillent  si  peu  d'or  ?  Pourquoi 
une  chose  vaut-elle  plus  que  les  autres  au  lieu  de  valoir 
autant  qu'elle,  pourquoi  équivaut-elle  à  telle  quantité 
d'or  plutôt  qu'à  telle  autre  ?  1  Voyons  si  la  cause,  par 
aventure,  n^èst  pas  la  suivante  :  tous  les  hommes  tra- 
vaillent pour  être  heureux  et  ils  pensent  trouver  leur 
bonheur  dans  la  satisfaction  de  tous  leurs  désirs  et  de 
tous  leurs  besoins  ;  pour  cette  raison  la  nature  a  fait 
bonnes  toutes  les  choses  terrestres  :  la  somme  de  celles 
si,  en  vertu  de  l'accord  conclu  par  les  hommes,  vaut  tout 
l'or  (et  en  même  temps  j'entends  l'argent  c'.  le  cuivre) 
qui  se  travaille  ;  tous  les  hommes  donc  désirent  tout  l'or 
pour  acquérir  toutes  les  choses,  pour  satisfaire  à  tous 
leurs  désirs  et  à  tous  leurs  besoins,  pour  être  heureux. 
I  Les  parties  ont  la  même  nature  que  le  tout  ;  c'est  pour- 
quoi si  une  chose  cause  et  produit  une  certaine  partie 
du  bonheur  total  d'un  royaume,  d'une  ville  ou  d'une 
homme,  elle  vaut  une  égale  partie  de  tout  son  or  ou  de 
\  tout  son  travail  ;  elle  cause  un  bonheur  proportionné 
'  au  désir  et  au  besoin  ;  puisque  c'est  selon  sa  soif  que  l'on 
,  jouit  de  la  boisson,  le  désir  vient  de  l'appétit  et  du  goût  ; 
^  /)e  besoin  dépend  de  la  nature,  de  la  saison,  du  degré, 
|fdu  lieu,  de  l'excellence,  de  la  rareté  ou  de  l'abondance 
I  et  tout  cela  prend  sa  mesure  en  changeant  perpétuel- 
If  lement. 


Aussi,  pour  constater  chaque  jour  la  règle  et  la  pro- 
portion mathématique  que  les  choses  ont  entre  elles  et 


DAVANZATI  231 

avec  l'or,  il  faudrait,  du  haut  du  ciel  ou  de  quelque 
observatoire  très  élevé,  pouvoir  contempler  les  choses  qui 
existent  et  qui  se  font  sur  terre,  ou  bien  plutôt  compter 
leurs  images  reproduites  et  réfléchies  dans  le  ciel  comme 
dans  un  fidèle  miroir.  Nous  abandonnerions  alors  tous 

|TiO"s  calculs  et  nous  dirions  :  «  11  y  a  sur  la  terre  tant  d'or, 
tant  de  choses,  tant  d'hommes,  tant  de  besoins  ;  dans  la 
mesure  où  chaque  chose  satisfait  des  besoins,  sa  valeur 
sera  de  tant  de  choses  ou  de  tant  d'or.  »  Mais,  d'ici  bas, 
nous  découvrons  à  peine  le  peu  de  choses  qui  nous  entou- 
rent et  nous  leur  donnons  un  prix  selon  que  nous  les 
voyons  plus  ou  moins  demandées  en  chaque  lieu  et  en 
chaque  temps.  Les  marchands  en  sont  promptement 
et  fort  bien  avertis  et  c'est  pourquoi  ils  connaissent 

\  admirablement  les  prix  des  choses. 


Il  convient  à  présent  d'illustrer  par  des  exemples  ce 
que  nous  avons  dit.  Pindare  s'exprime  ainsi  :  l'eau  est 
excellente  et,  sans  elle,  on  ne  vit  pas  ;  mais,  puisqu'elle 
existe  en  abondance  pour  tous,  Jérémie  se  plaint  avec 
raison  que  l'on  doive  payer  pour  la  boire.  Le  rat  est  un 
animal  fort  dégoûtant,  mais  au  siège  de  Gasilino  on  en 
vendit  un  deux  cents  florins,  tellement  tout  était  cher, 
et  ce  prix  ne  fut  pas  particulièrement  élevé,  car  celui 
qui  le  vendit  mourut  de  faim  et  l'autre  fut  sauvé  ^^.  Un 
très  bon  outil  vaut  beaucoup  d'argent  pour  le  bon 
artisan,  mais  celui  qui  ne  le  connait  pas  ne  l'estime  point  : 
c'est  pour  cela  qu'Esati  refusa  et  que  le  coq  d'Esope 
abandonna  le  joyau.  Apizio  au  contraire,  que  PHne  sur- 
nomme une  mare  profonde  ^^  mangea  deux  millions  et 
demi  en  or  et,  se  voyant  demeurer  avec  un  quart  de 
million  seulement,  s'empoisonna,  pensant  être  tombé 
dans  le  dénuement  ^^  ;  ce  fut  d'ailleurs,  prétend  Martial, 
le  morceau  le  plus  précieux  qu'il  eut  avalé.  Aristote, 
qui  avait  meilleur  goût,  acheta  quelques  livres  de  Spen- 
sippo,    philosophe    décédé   à    son    époque,    pour    vingt 


232  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

mille  deux  cent  cinquante  ducats  au  soleil  (je  réduis  les 
anciens  talents,  comme  le  veut  Budé,  à  cette  monnaie 
pour  me  faire  entendre  plus  clairement)  et  Alexandre  le 
Grand  lui  en  donna  quarante-huit  mille  pour  composer 
l'histoire  des  animaux.  Virgile,  pour  chacun  des  vingt 
et^un  vers  qui,  dans  le  sixième  chant  de  l'Enéide,  pleu- 
rant Marcellus,  eut  dix  sesterces,  ce  qui  fit  en  tout  quatre 
mille  deux  cent  cinquante  florins.  Des  vases,  des  pierres, 
des  peintures,  des  statues  et  d'autres  œuvres  d'art  ont 
été  achetés  pour  des  prix  exagérés,  par  orgueil  humain 
et  parce  que  ceux  qui  les  achetèrent  trouvèrent  en  eux 
une  si  grande  part  de  leur  bonheur,  qu'ils  équivalaient, 
selon  eux,  à  une  aussi  grande  quantité  d'or.  De  même, 
les  habitants  du  Pérou  échangeaient  tout  d'abord  contre 
des  morceaux  d'or  un  miroir,  une  gousse  d'ail,  une 
aiguille,  un  grelot,  parce  qu'il  se  faisaient  fête  et  se 
sentaient  plus  de  joie  de  ces  objets,  qui  leur  étaient  nou- 
veaux et  merveilleux,  que  de  cet  or  dont  ils  avaient  de 
trop.  Et  quand  tout  l'or  de  ces  contrées  sera  transporté 
et  répandu  dans  nos  pays  (ce  qui  adviendra  bientôt  si 
l'on  continue  ces  riches  voyages  qui,  commencés  en 
Tan  MDXXXIIII  avec  moins  d'un  million  d'or,  dépouilles 
de  Guzco  et  du  roi  Atabalipa,  arrivent  aujourd'hui  à 
des  seize  et  dix-huit  millions  à  la  fois,  et  qui  ont  fait 
augmenter  le  prix  des  choses  de  un  à  trois,  signe  que 
nous  avons  davantage  d'or),  il  conviendra  alors,  comme 
l'or  sera  complètement  avili,  de  trouver  quelque  chose  de 
plus  rare  pour  en  faire  de  la  monnaie  ou  bien  d'en  revenir 
à  l'antique  pratique  du  troc.  Gela  nous  suffît  quant  à 
l'essence  de  la  monnaie. 

^^  Disons  à  présent  quelques  mots  sur  la  pratique  et 
l'usage.  Quelques  uns  prétendent  que  c'est  un  mal  pour 
nous  que  d'avoir  découvert  la  monnaie  pour  la  raison 
suivante  :  la  cupidité  par  rapport  aux  choses  ne  serait 
pas  si  grande,  ni  ne  causerait  tant  de  maux  que  l'avarice, 


DAVANZATI  233 

la  cupidité  de  l'or,  du  fait  qu*on  ne  peut  pas  mettre 
de  côté  et  thésauriser  autant  de  choses  qu'on  le  peut 
pour  l'or.  Je  réponds,  avec  Epictète,  que  chaque  chose 
a  deux  faces  et  peut  être  prise  et  employée  comme  un 
bien  ou  comme  un  mal  :  «  Ilav  Tcpayfxa  Suo  s/et.  Xa6a<;  ttjv 
(xev  9opY)^Y3i)  TTjv  Ss  a9optTov  »  ;  ainsi   les  médecines,   les 
lois,  la  sagesse  humaine,  lorsqu'elles  sont  mal  employées, 
on  ne  peut  y  opposer  de  remède  ;  doit-on  pour  cela  les 
proscrire  de  la  République  ?  Sous  prétexte  que  la  vue 
de  beaucoup  d'objets  détourne  l'esprit  de  la  contempla- 
tion, doit-on  pour  cela  arracher  les  yeux  à  tous  les  phi- 
losophes, comme  à  Démocrite  ?  Tout  acier  se  rouille, 
il  faut  savoir  le  nettoyer.  L'argent  fut  une  découverte 
très  utile,  un  outil  capable  de  faire  un  bien  infini  ;  si 
quelqu'un  en  use  mal,  on  doit  blâmer  et  corriger  moins 
la  chose  employée  que  celui  qui  en  fait  usage.  D'impor- 
tants et  solennels  auteurs  prétendent  que  l'argent  est 
le  nerf  de  la  guerre  et  de  la  République  ^3,  mais  il  me 
parait   qu'il    devrait   être    plus   proprement   appelé   le 
deuxième  sang,  car,  comme  le  sang  qui  est  le  suc  et  la 
substance  de  la  nourriture  dans  le  corps  naturel,  qui, 
courant  des  grosses  veines  dans  les  plus  minces,  arrose 
toute  la  chair  ^^  (et  celle-ci  le  boit  de  même  que  la  terre 
aride   absorbe   la   pluie   attendue,   bien   qu'une   partie 
s'évapore  par  le  fait  de  la  chaleur),  ainsi  l'argent  qui  est 
le  suc  et  la  substance  excellente  de  la  terre,  comme  nous 
l'avons  dit,  en  se  répandant  des  groses  bourses  dans  les 
petites,  influe  à  chacun  du  sang  nouveau,  qui  est  dépensé 
et  s'en  va  continuellement  dans  les  choses  dont  on  use 
dans  la  vie,  en  échange  desquelles  il  rentre  dans  les 
mêmes  grosses  bourses  ;  de  cette  façon  en  circulant  il 
maintient  en  vie  le  corps  de  la  République.  Aussi  est-il 
bien  facile  de  comprendre  que  chaque  état  a  besoin  d'une 
certaine  quantité  de  monnaie  en  circulation,  de  môme 
que  chaque  corps  demande  une  certaine  quantité  de 
sang  qui  l'irrigue,  parce  que  si  la  monnaie  reste  dans  la 


234  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

tête,  l'État  sera  atteint  d'atrophie,  d'hydropisie,  de 
diabète,  de  phtisie  ou  d'une  semblable  maladie,  comme 
il  serait  arrivé  à  Rome  lorsqu'à  la  suite  de  nombreuses 
accusations,  condamnations,  tueries  et  ventes  de  biens, 
toute  la  monnaie  passa  au  fisc,  si  Tibère  n'avait  pas 
ouvert  l'écluse  de  millies  sesieriium  :  cela  fit  deux  mil- 
lions et  demi  en  or  qu'il  donna  aux  banques  pour  qu'elles 
les  prêtent,  sur  un  gage  d'une  valeur  double,  à  ceux  qui 
avaient  des  dettes  pour  trois  ans  et  sans  intérêt.  On  doit 
donc  faire  grand  cas  de  ce  membre  vivant  de  la  Répu- 
blique, on  doit  le  sauver  des  maux  qui  peuvent  lui  adve- 
nir s'il  est  mal  surveillé  et  qui  sont  :  l'altération,  le 
monopole,  la  simonie,  l'usure  et  d'autres  déjà  blâmés 
et  partout  connus.  Cependant,  laissant  de  côté  ces  maux, 
je  ne  parlerai  que  d'un  seul  qui  n'est  pas  aussi  connu  et 
que  les  princes  négligent  :  le  fait  qu'ils  rendent  la  mon- 
naie plus  mauvaise  de  jour  en  jour.  Nous  devons  montrer 
la  racine  de  ce  mal,  le  dommage,  le  scandale  qui  en  résul- 
tent, le  remède  possible  et  nous  terminerons  ainsi. 

La  racine  de  ce  mal,  comme  celle  de  tous  les  autres, 
réside  dans  la  cupidité,  qui  découvre  de  nombreuses 
occasions  et  de  nombreuses  excuses  pour  faire  affaiblir 
la  monnaie  ;  ce  fait,  toutefois,  est  le  plus  important  :  une 
fois  que  la  monnaie  a  été  frappée,  elle  diminue  de  poids 
avec  le  temps,  à  cause  d'un  long  usage  et  à  force  d'être 
comptée,  ou  bien  parce  qu'on  lui  enlève  disons  un  grain 
d'or  ;  le  peuple  ne  s'aperçoit  de  rien  ou  ne  prend  pas 
garde  pour  si  peu  et  la  monnaie  continue  à  avoir  cours. 
Le  monnayeur  malhonnête  dit  à  son  seigneur  :  «  Puisque 
ta  monnaie  a  cours,  même  étant  plus  légère  d'un  grain, 
il  vaut  mieux  que  ce  soit  toi  qui  en  profite,  plutôt  que 
ce  soit  un  autre  qui  la  rogne  »,  et,  ainsi,  il  l'affaiblit  d'un 
grain.  Les  princes  voisins,  ce  voyant,  affaiblissent  aussi 
leur  monnaie.  Après  un  certain  temps  l'histoire  se  répète 
et  la  monnaie  diminue  encore  d'un  grain,  puis  d'un  autre, 


DAVANZATI  235 

puis  d'un  autre  encore  :  si  bien  que  dans  toute  l'Europe, 
au  cours  de  ces  soixante  dernières  années,  ce  poison  a 
rongé  plus  du  tiers  de  ce  membre.  Si  nous  continuons 
ainsi,  nous  réduirons  bientôt  ce  membre  à  rien,  ou  bien 
nous  le  réduirons  à  ces  cappelli  d'aguti  qui  étaient  peut- 
être  les  monnaies  de  fer  que  Lycurgue  donna  aux  Spar- 
tiates. Le  dommage  est  évident,  car,  autant  la  monnaie 
s'affaiblit,  soit  par  l'alliage,  soit  par  le  poids,  autant 
diminuent  les  revenus  du  Trésor  Public,  les  créances  et 
le  pouvoir  d'achat  des  particuliers,  par  ce  qu'on  obtient 
moins  d'or  et  moins  d'argent  et  que  celui  qui  a  moins  de 
métal  ne  peut  acheter  autant  de  choses,  autant  de  vrais 
biens  :  car  il  advient  toujours  qu'à  peine  la  monnaie  est 
affaiblie  que  les  choses  enchérissent  et  c'est  justice. 
Gomme  disait  le  Garafulla,  qui  n'était  pas  insensé,  je 
vends  signifie  :  qu'il  vienne  et  je  donne  ;  les  choses  qui  se 
vendent  se  donnent  pour  qu'il  nous  vienne  la  quantité 
d'argent  ordinaire,  que  l'on  s'imagine  trouver  dans  la 
monnaie,  et  non  pour  des  signes  ou  des  rêves  ou  des 
pièces  de  monnaie.  Si  aujourd'hui  on  trouve  en  cent  neuf 
pièces  de  monnaie  la  même  quantité  d'argent  qui  se 
trouvait  d'ordinaire  en  cent  pièces,  ne  faut-il  pas  payer 
par  cent  neuf  pièces  ce  qui  s'achetait  avec  cent  ? 

Notre  florin  ^^  valait,  il  y  a  soixante  ans,  sept  lires  ; 
aujourd'hui  il  s'échange  pour  dix  lires  ;  pourquoi  ? 
Parce  que  ces  sept  lires  contenaient  la  même  quantité 
de  matière  et  aussi  bonne  qu'aujourd'hui  en  renferment 
dix  Hres,  de  sorte  que  les  sept  lires  d'aujourd'hui  n'ont 
plus  la  faculté  d'acheter  un  florin  entier,  mais  seulement 
les  sept  dixièmes.  Les  autres  trois  partis  se  sont  éva- 
nouies, les  facultés  des  particuliers  sont  diminuées  de 
même  que  les  revenus  publics,  parce  qu'avec  sept  lires, 
on  ne  met  pas  aujourd'hui  de  côté  un  florin  entier,  mais 
seulement  les  sept  dixièmes  de  ce  florin.  On  voit  ici  quel 
dommage  les  princes  se  font  à  eux-mêmes  :  il  gagnent 


236  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

la  valeur  de  cet  affaiblissement  une  fois  en  la  prenant 
au  pauvre  peuple  et  ils  la   perdent  chaque  fois  qu'ils 
recouvrent  leurs  revenus  en  monnaie  dépréciée.  C'est 
de  là  que  naissent  le  désordre  et  la  confusion,  car  le 
peuple,  avec  le  changement  des  monnaies  et  des  prix  qui 
mesurent  les  choses,  est  un  étranger  dans  son  propre 
pays  et  n'est  pas  moins  confondu  que  si  on  altérait  les 
poids,  les  mesures  publiques  des  solides  et  des  liquides, 
des  blés  et  des  liqueurs  et  les  longueurs  avec  lesquelles  il 
a  coutume  de  contracter.  Que  peut-on  faire  de  pire  à  la 
République  que  de  changer  chaque  jour  de  loi,  de  mon- 
naie, d'usage  et  de  coutume,  et  de  renouveler  les  mem- 
bres, de  troubler  presque  la  source  ordinaire  de  la  ville 
ou,   plutôt,   de   l'empoisonner  ?    On   engendre   ainsi  la 
confusion  entre  les  mêmes  monnaies,  parce  que  lorsqu^on 
diminue  la  qualité  de  celle  d'argent,  il  convient  d'élever 
le  prix  de  celle  d'or,  comme  nous  avons  dit  de  notre 
florin  qu'on  haussa  de  sept  à  dix  livres,  sinon  la  commune 
proportion  entre  l'argent  et  l'or,  qui  est  aujourd'hui  de 
un  à  douze  ou  treize,  ne  serait  plus  respectée  et  tout  l'or 
serait  acheté  et  transporté  là  où  il  vaut  davantage  d'ar- 
gent. Pour  les  paiements  donc,  les  legs,  les  emphythéoses, 
les  rentes,  les  produits  et  pour  toute  dette  née  au  temps 
où  la  monnaie  était  bonne,  adviennent  des  difficultés 
et  des  litiges.  Le  débiteur  d'un  florin  d'or  de  sept  lires 
dit  :  voici  sept  lires  ;  le  créancier  répond  :  tu  m'en  don- 
neras dix,  la  somme  qu'aujourd'hui  vaut  le  florin  d'or 
que  tu  me  dois  rembourser,  ou  bien  tu  trouveras  et  tu 
me  donneras  le  même  florin  d'or  avec  l'empreinte  du  lis 
et  la  frappe  de  ce  temps-là.  Le  débiteur  réplique  :  si  je 
te  donne  un  florin  de  sept  lires,  comme  l'exige  le  papier, 
je  fais  déjà  beaucoup  ;  si  le  prince  a  affaibli  la  lire,  c'est 
une  tempête  pour  tout  le  monde  et  nous  sommes  tous 
dans  la  même  barque  ;  plains-toi  au  prince.  Et  ils  ont 
raison  de  s'en  plaindre,  les  peuples  forcés  à  des  litiges 
et  à  des  querelles  si  ardues  que  les  savants  n'ont  pas 


DAVANZATI  237 

encore  pu  les  démêler  :  en  prétendant  les  uns  soutenir 
la  convention,  les  autres  ce  qu'on  entend  par  elle,  les 
uns  exigent  la  rigueur  et  les  autres  l'équité. 

Quel  remède  a  le  prince  pour  ne  pas  affaiblir  la  mon- 
naie ?  Il  advient  qu'elle  l'est,  soit  par  les  voisins,  soit 
par  le  temps,  soit  par  fraude  et  alors  sa  bonne  monnaie  se 
trouvera  immédiatement  endommagée  et  soustraite  : 
elle  disparaitra  et  reviendra  mauvaise  ;  la  ville  se  rem- 
plira de  monnaies  étrangères  de  bas  aloi  et  rognées  et  le 
peuple  s'en  nourrira  comme  d'un  pain  mêlé  de  vesce. 
Voici  ma  réponse  :  on  ne  doit  absolument  pas  supporter 
de  pareilles  monnaies  pour  que  chacun  soit  protégé 
contre  la  tromperie  ;  il  faut  les  enlever,  mais  d'une 
manière  adroite  et  discrête  et  désigner  quelqu'un  qui 
les  prenne  et  les  paie  leur  juste  prix,  sans  en  faire  une 
source  de  rente  ou  de  profit  ;  ainsi  chacun  les  apportera 
pour  les  changer  et  obéira  volontiers,  ne  devant  pas  en 
subir  un  dommage,  ou  seulement  un  dommage  fort 
minime.  Ainsi  un  grand  maitre  de  la  sagesse,  dans  le 
chapitre  V  de  ses  lois,  ordonna  que  la  République  n'en- 
levât pas  monnaie  à  celui  qui  venait  de  l'étranger  avec 
des  pièces  étrangères,  mais  qu'elle  les  lui  échangeât 
pour  ce  qu'il  y  avait  en  elles  de  valeur  vraie,  selon  la 
valeur  de  la  monnaie  du  pays  ^^.  Que  la  monnaie  soit 
emportée  à  l'étranger  et  refondue  parce  qu'elle  est  trop 
bonne,  ce  danger  n'existe  pas  ainsi,  puisqu'elle  n'a  pas 
été  donnée  à  celui  qui  l'emporte,  mais,  au  contraire, 
qu'il  l'a  payée  comme  bonne  et  que,  pour  l'obtenir,  il 
a  dû,  comme  l'on  dit,  laisser  son  poil  et  que  celle  qui  a 
été  refaite  mauvaise  se  dépense  et  s'échange  comme 
mauvaise.  Cent  lires  florentines  s'échangent  contre  cent 
six  lires  lucquoises  ;  celui  qui  prendra  à  Florence  cent 
lires  pour  les  échanger  aura  vainement  travaillé.  C'est 
pourquoi  on  ne  voit  pas  Lucques,  ni  aucune  autre  ville 
soustraire  à   Florence  sa   monnaie    pour  la   frapper  à' 


238  ÉCRITS    NOTABLKS    SUR    LA    MONNAIE 

nouveau,  puisque  l'échange  de  toutes  manières  la  nivèle 
et  lui  donne  sa  valeur  vraie.  Ce  n'est  donc  pas  un  bon 
expédient  que  d'affaiblir  ta  monnaie  sous  prétexte  que 
d'autres  le  font  ;  au  contraire,  celle  que  l'on  a  choisie 
une  fois  doit  être  conservée  afm  qu'il  n'advienne  aux 
peuples  ni  tromperie,  ni  dommage,  ni  scandale.  Les 
Égyptiens  coupaient  les  deux  mains  à  celui  qui  falsifiait 
les  poids  publics,  c'est  à  dire  les  mesures  ;  mais  quelle 
plus  grande  imposture  y  a-t-il  que  d'affaiblir  la  monnaie, 
c'est-à-dire  de  diminuer  tout  doucement  les  facultés 
du  peuple  ?  Rome  assiégée  et  épuisée  par  Annibal  frappa 
son  as  d'une  once,  qui  était  auparavant  d'une  livre 
et  l'on  payait  ainsi  une  once  de  cuivre  toute  chose  qui 
valait  une  livre  de  ce  métal  ;  mais  elle  fit  cela  par  déci- 
sion publique  dans  une  très  grande  extrémité  et,  après 
que  celle-ci  fut  passée,  elle  ne  le  continua  pas  ;  si,  au 
contraire,  cette  pratique  eût  été  conservée,  comme  la 
valeur  de  la  monnaie  diminuait  de  douze  à  un,  les  prix 
des  choses  auraient  augmentés  de  un  à  douze.  La  petite 
paysanne,  accoutumée  à  vendre  un  as  de  douze  onces 
sa  douzaine  d'œufs,  et  voyant  dans  sa  main  un  as  réduit 
à  une  once,  aurait  dit  :  «  Messire,  ou  vous  me  baillerez 
un  as  de  douze  onces,  ou  vous  m'en  baillerez  douze  de 
ceux-ci  qui  sont  réduits  à  une  once,  ou  je  vous  donnerai 
un  seul  œuf  pour  un  as.  » 

Qu'on  abandonne  donc  la  pensée  d'affaiblir  les  mon- 
naies, que  l'on  arrache  la  racine  de  ce  mal,  que  l'on 
agisse  de  manière  que  celui  qui  batte  monnaie  ne  profite 
en  aucun  cas  ;  en  vérité,  affaiblir  le  métal  d'autrui,  l'or 
et  l'argent,  lorsqu'on  vient  pour  en  faire  faire  de  la  mon- 
naie, est  une  chose  qui  fait  scandale  :  c'est  comme  s'em- 
parer des  œufs  qu'on  envoie  pour  les  faire  bénir.  Indi- 
gnité avide  punie  par  Dieu  de  la  mort  comme  pour  le 
prêtre  Élie  à  Silo  ;  de  même  la  mort  d'Ofui  et  de  Fuices, 
de  ses  fils  et  de  ses  ministres  qui  arrachaient,  pour  le 


DAVANZATI  239 

manger  un  morceau  de  chacune  des  victime  qu'on  leur 
apportait  pour  le  sacrifice.  Les  paiens  agissaient  mieux, 
eux  qui,  en  dehors  de  la  graisse  qui  coulait,  mangeaient 
toute  la  victime,  comme  si  les  Dieux  n'en  voulaient  que 
l'âme,  comme  le  disent  Strabon  et  Catulle  : 

Gnarus  ut  accepto  veneretur  carminé  divos  : 
-  Omentum  in  flamma  pingue  liquefaciens. 

Pour  supprimer  toute  tentation,  pour  purifier  tous 
les  signes  et  pour  prendre  la  chose  complètement  hono- 
rable, claire  et  sûre,  il  faudrait  que  le  prix  de  la  monnaie 
soit  égal  à  sa  valeur  réelle,  c'est  à  dire  au  pouvoir 
d'achat  de  l'or  et  de  l'argent  qu'elle  contient,  il  faudrait 
que  le  métal  en  lingot  vaille  autant  que  celui  qui  est 
monnayé,  si  l'alliage  est  le  même,  et  l'on  devrait  pouvoir 
à  son  gré  et  sans  aucune  dépense  transformer,  comme 
un  animal  amphibie,  le  métal  en  monnaie  et  la  monnaie 
en  métal.  Enfin  le  monnayeur  devrait  rendre  en  monnaie 
la  même  quantité  de  métal  qu'il  a  reçu  pour  cet  usage. 
Voudrais-tu  donc  que  celui  qui  batte  monnaie  en  fasse 
les  frais  ?  Certainement,  puisque  nombreux  sont  ceux 
qui  soutiennent  qu'une  pareille  dépense  concerne  la 
communauté  qui  doit  maintenir  le  sang  dans  la  Répu- 
blique, comme  la  concerne  la  solde  des  soldats  et  les 
appointements  des  magistrats  pour  le  maintien  de  la 
liberté  et  de  la  justice.  Il  semble  raisonnable  à  d'autres  ^' 
que  la  monnaie  doive  payer  elle-même  pour  être  mon- 
nayée et  que  pour  cela  elle  devienne  moins  bonne  et 
qu'elle  vaille  plus  que  le  métal  qu'elle  contient,  comme 
la  vaisselle,  les  ornements  et  tout  autre  matière  travail- 
lée ;  dans  certains  cas  même,  le  travail  vaut  plus  que 
la  matière  elle-même  ^*,  ainsi  pour  les  deux  gobelets 
d'argent  ciselés  par  Mentor  et  que  l'orateur  Lucius 
Crassus  acheta  pour  deux  mille  cinq  cents  florins  d'or 
et  il  ne  but  jamais  ensuite  dans  ces  gobelets  ^*.  Les 


240  ÉCRITS    NOTABLES    SUR    LA    MONNAIE 

maris  d'aujourd'hui  savent  bien  que  les  broderies,  les 
ouvrages  de  leurs  femmes  coûtent  plus  cher  que  le  drap 
lui-même.  L'ancien  usage  enfin  de  tirer  de  la  monnaie 
les  frais  de  frappe,  les  peuples  le  voient  et  en  souffrent  ; 
il  est  prescrit  et  les  princes  en  ont  l'entière  disposition. 
Je  ne  veux  pas  disputer  avec  les  maitres,  mais  je  prétends 
que,  même  si  celui  qui  bat  monnaie  ne  doit  pas  en  sup- 
porter la  dépense,  il  doit  la  réduire  au  moins  le  plus  pos- 
sible. Que  l'on  fasse  plutôt  moins  belles  les  monnaies. 
Mais  pourquoi,  comme  le  demandent  certains  et  en  par- 
ticulier Bodin  20,  ne  revient-on  pas  à  l'ancienne  méthode 
de  les  fondre  ?  On  y  trouverait  toutes  sortes  d'avantages. 
Deux  poinçons  d'acier  imprimeraient  l'endroit  et  l'avers 
d'une  monnaie  en  deux  moules  ou  matrices  de  cuivre, 
où  deux  hommes,  sans  autre  dépense  en  dehors  de  celle 
du  nettoyage  et  du  charbon,  en  couleraient  chaque  jour 
pour  une  grande  somme,  toutes  égales  en  poids  et  de 
corps,  et,  par  cela  même,  plus  propres  à  laisser  découvrir 
la  fraude  et  la  fausseté,  la  monnaie  faite  d'un  métal 
faux,  qui  est  plus  légère,  ne  pouvant  se  dissimuler  à 
l'épreuve  de  la  balance  si  elle  est  de  dimensions  ordi- 
naires, ni  à  celle  de  la  vue  si  elle  est  plus  ou  moins  large 
ou  épaisse.  Elles  seraient  complètement  justifiées  si  les 
officiers  restaient  là  à  les  voir  fondre,  allier  et  couler, 
derrière  de  grandes  fenêtres  à  barreaux,  construites  par 
nos  bons  et  sages  citoyens  d'autrefois,  imitant  en  cela 
les  Romains  qui  faisaient  saintement,  dans  le  temple 
grand  ouvert  de  Junon,  cette  jalouse  fabrication  des 
monnaies,  afin  que  le  peuple  puisse  voir  ses  affaires. 
Qui  est-ce  qui  ne  voit  pas  que,  de  cette  façon,  le  dépense, 
la  fraude,  le  profit  injuste  seraient  arrachés  comme  de 
mauvaises  racines  qui,  coupées,  repoussent  toujours,  et 
rendent  toujours  plus  mauvaises  les  monnaies  ?  Enfin, 
presque  comme  corollaire,  j'ajouterai  que  le  commerce 
humain  a  tant  de  difficultés  et  d'ennuis  par  le  fait  de  ces 
maudites  monnaies  ^i,  qu'il  vaudrait  peut-être  mieux 


DAVANZATI  241 

s'en  passer  et  se  servir  de  l'or  et  de  l'argent  au  poids  et 
au  détail,  comme  dans  les  temps  anciens  et  comme  ont 
encore  coutume  de  faire  aujourd'hui  les  Chinois,  qui 
portent  sur  eux  comme  outils  les  ciseaux  et  le  briquet 
et  n'ont  à  combattre  qu'avec  l'alliage,  qui,  avec  de  la 
pratique  et  la  pierre  de  touche,  peut  être  reconnu. 

Sur  la  formation  des  métaux,  sur  l'excellence  de  l'or 
et  de  l'argent,  sur  l'origine  de  la  vente  et  de  l'achat,  sur 
la  monnaie,  sur  la  question  de  savoir  par  qui  elle  fut 
inventée  et  employée,  sur  les  dénominations,  l'essence, 
l'importance  de  la  monnaie,  sur  son  affaiblissement  et 
son  origine,  sur  le  dommage,  le  scandale  et  le  remède,  il 
suffit  d'avoir  montré,  ô  mes  très  patients  auditeurs  ! 
ces  quelques  faits,  que  j'ai  estimés  propres  en  ce  lieu  et 
dans  ce  temps  si  limité,  non  pas  à  vous  instruire,  mais  à 
vous  distraire. 


NOTES 


^)  Comparer  les  textes  suivants  :  Orunia  castella  expugnari  posse  dice- 
bat  (Philippus).  In  quae  modo  asellus  onustus  auro  posset  ascendere  {Ep. 
ad  Atlicnm,  chap.  xiv).  Omnia  pecunia  efflci  possunt  (Ciceron,  Ad.  Verrii,  v). 

2)  Tertullien  appelle  la  chair  «  vagina  afllutus  Dei  »  (De  Resurreclione 
Garnis,  chap.    ix). 

3)  Non  nobis  solum  nati  sumus,  ortus  que  nostri  partem  patria,  partem 
parentes  vindicant,  partem  amici  (Ciceron,  De  Officiis,  livre  I). 

*)  Cf.  Aristote,  Ethique,  livre  v,  chapitre  v. 

^)  Comparer  Galiani,  Délia  Moneta,  chap.  iv. 

*)  Acheter  se  dit  comprare  ou  comperare,  comparer  comparare  ;  Davan- 
zati  identifie  les  deux  termes. 

7)  Cf.  Pline,  livre  XXXIII,  chap.  iii. 

*)  Aurum,  argentum,  possessiones,  breviter  dicam  pecuniam,  totum 
enim  quidquid  homine  possident  in  terra,  omnia  quorum  domini  sunt, 
pecunia  vocatur  :  servus  sit,  vas,  ager,  arbor,  pecus,  quidquid  horum  est, 
pecunia  dicitur.  Et  inde  est  primum  vocata  pecunia  ;  ideo  quia  antiqui 
totum  quod  habetant,  in  pecudibus,  pecoribus  habebant,  a  pecora  pecunia 
vocata.  »  (Saint  Augustin,  Sermon,  239). 

•)  Aristote,  Éthique,  livre  v,  chap.  v. 

^^)  Pline,  livre  viii,  chap.  Ivii.  —  Frontin,  Stralagem.,  livre  iv,  chap.  v. 

^^)  Nepotum  omnium  altissimus  gurges,  livre  x,  chap.  xlviii. 

^2)  Senèque,  de  Consolai,  ad  Helu.,  chap.  x. 

^*)  Ciceron,  Philipp.  5  :  Primum  nervos  belli  pecuniam  infinitam. 

1*)  V.  la  préface  de  l'édition  de  Livourne  (1779),  passage  cité  dans  l'édi- 
tion des  Scriiiori  classici  italiani,  p.  37  et  dans  l'édition  Bindi,  t.  II,  p.  449. 

1^)  Une  note  de  l'édition  de  Livourne  renvoie  aux  ouvrages  suivants  : 
D'  Giovanni  Targioni  Tozetti,  Memorie  délia  società  Columbaria,  vol.  II, 
dissert.  5.  —  R.  P.  Vincenzo  Fineschi,  Calestie  e  Douizie,  Firenze,  1767. 

*•)  Platon,  De  Legibus,  5. 

")  V.  le  passage  où  Copernic  soutient  l'opinion  contraire,  Supra,  t.  I, 
p.  6,  16  et  20. 

^®)  Pline,  livre  xxxiii,  chap.  ii. 

*•)  Ulpien,  I,  Mulieris,  13  et  s.  Plerumque  plus  manus  pretio  quam  in  re. 

a«)  V.  Bodin,  Supra,  t.  I,  p.  135. 

*i)  Tertullien,  De  PoeniL,  chap.  vi  :  Si  ergo  qui  venditant,  prius  num- 
mum,  que  paciscuntur  examinant,  ne  sclaptus,  neve  rasus,  ne  adulter. 

L.  B. 


FIN 


v^ 


TABLE  DES  MATIÈRES 


TOME  DEUXIÈME 


Pages 


V.  —  L'Avis  de  Sir  Thomas   Gresham,   Mercier, 

CONCERNANT    LA    CHUTE    DU    CHANGE,     1558,    A    SA 

Très  Excellente  Majesté  la  Reine. 1 

Notice  (L.  B.) 5 

Texte 7 

Notes  (L.  B.) 12 

VI.    CoMPENDIEUX  ou  bref  EXAMEN  DE  QUELQUES 

PLAINTES  COUTUMIÈRES  A  DIVERS  DE  NOS  COMPA- 
TRIOTES DES  TEMPS  PRÉSENTS,  LESQUELLES,  BIEN 
qu'en  partie  INJUSTES  ET  SANS  FONDEMENT,  SE 
TROUVENT  CEPENDANT  ICI,  SOUS  FORME  DE  DIA- 
LOGUES, COMPLÈTEMENT  DÉBATTUES  ET  RAISONNÉES  15 

Notice  (L.  B.) 17 

Texte 19 

Notes  (L.  B.) 205 

VII.  —  Bernardo    Davanzati    :    Leçon    sur    les 
Monnaies 217 

Notice  (L.  B.). 219 

Texte 221 

Notes  (L.  B.) 242 


ILLUSTRATIONS  ET  HORS-TEXTE 

Portrait  de  Sir  Thomas  Gresham 1 

Fac-similé  de  l'édition  originale  du    Compendieux  ou 

bref  examen 16 

Portrait  de  Bernardo  Davanzati. 216 


Imprinserie  des  Presses  Universitaires  de  France.  —  Vendôme-Paris 


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