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Full text of "Darwin considéré au point de vue des causes de son succès et de l'importance de ses travaux"

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LE. (A 





DARWIN 


CONSIDÉRÉ 


AU POINT DE VUE DES CAUSES DE SON SUCCÉS 


ET 


DE L'IMPORTANCE DE SES TRAVAUX 
PAR 


M. Alph. DE CANDOLLE 


DEUXIÈME ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE 


GENÈVE 
H. GEORG, LIBRAIRE DE L'UNIVERSITÉ 
BALE ET LYON, MÊME MAISON 


vs 1882 


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DAR WIN 


CONSIDÉRÉ 


AU POINT DE VUE DES CAUSES DE SON SUCCES 
ET DE L'IMPORTANCE DE SES TRAVAUX 


OUVRAGES DE M. ALPHONSE DE CANDOLLE 


Lois de la nomenclature botanique adoptées par le 
Congrès international de botanique à Paris en août 1867. 
2me édit. in-8°. Genève, Georg, 1867. Fr. 2 — 


La Phytographie ou l’art de décrire les végétaux consi- 
dérés sous différents points de vue. Paris, Masson, 1880. 
1 vol. in-8° de xxiv-484 pages. Fr. 10 — 


OUVRAGES DE M. CASIMIR DE CANDOLLE 
De la production naturelle et artificielle du liège 
dans le chêne-liège. In-4°, 3 planches, 1880. Fr. 3 50 


Anatomie comparée des feuilles chez quelques familles 
de Dicotylédones. In-4°, 84 p. et 2 pl. 1879. Fr. 5 — 


Considérations sur l’étude de la Phyllotaxie. In-8°, 
78 p. et 2 pl. 1881. Fr.-30b0 


Nouvelles recherches sur les Pipéracées. In-4°, 17 p. 
et 15 pl. 1882. Fr. 10 


DARWIN 


CONSIDÉRÉ 


AU POINT DE VUE DES CAUSES DE SON SUCCEN 


ET 


DE L'IMPORTANCE DE SES TRAVAUX 


PAR 
/ 
4 


M. Alph. DE CANDOLLE 


DEUXIÈME ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE 


7 LRN VFE 





GENÈVE 
H. GEORG, LIBRAIRE DE L’'UNIVERSITÉ 
BALE ET LYON, MÊME MAISON 


1882 





DARWIN 


Les hommes qui influent d'une manière no- 
table sur la direction des idées doivent toujours 
leur succès à la combinaison de deux causes : 
une capacité exceptionnelle et l’existence d’un 
certain état des esprits ou de certaines aspi- 
rations chez les personnes qu'ils espèrent en- 
traîner. On l’a remarqué sur le grand théâtre 
du monde, pour les fondateurs de religions et 
de dynasties. Dans le cercle moins étendu des 
sciences, on peut faire la même observation. Il 
y à des moments où d'anciennes idées commen- 
cent à peser, où les méthodes sont jugées insuf- 
fisantes, où les savants qui travaillent dans une 
branche éprouvent du malaise et aspirent à 
quelque chose de nouveau. Qu'un homme auda- 


6 

cieux, capable et persévérant se montre alors, 
il a les meilleures chances d’être écouté. 

Pour les naturalistes, Charles Darwin a paru 
dans un de ces moments. | 

J'en appelle aux souvenirs de ceux qui tra- 
vaillaient et réfléchissaient en 1859, date de 
l'ouvrage sur l’Origine des espèces. L'édifice de 
la science était menacé. Des faits nouveaux le 
battaient en brèche de tous côtés. Aïnsi, les 
descripteurs ne savaient plus ce qu'il fallait 
penser des espèces, qu’on avait pris l'habitude 
pendant longtemps de considérer comme des 
groupes définis, à peu près immuables, pro- 
duits, il y a quelques milliers d'années, par des 
causes que l'homme ne pouvait comprendre. 
D’après des savants très distingués, l’histoire 
naturelle avait pour objet unique d’étudier ces 
groupes, leurs organes tels qu’on les voit, leur 
manière de vivre et leurs ressemblances, qui 
déterminent des associations d’un ordre plus 
élevé. Ce qui avait précédé, ce qui pouvait sui- 
vre était forcément hypothétique; il ne valait 
pas la peine d’y penser. Des arguments sérieux, 


7 


j'en conviens, étaient donnés en faveur de la 
fixité dans la succession des formes. 

Toutefois, il existait, et 1l à toujours existé, 
une opinion contraire d’après laquelle les êtres 
successifs ont été et sont variables indéfiniment. 
C’est ce qu’on a appelé la théorie de l'évolution 
ou du transformisme ‘. Darwin n’a jamais pré- 
tendu l’avoir découverte, mais il à eu la gloire 
de montrer mieux que personne comment les 
phénomènes ont pu se passer et il a appuyé la 
théorie d’une foule d'observations et de ré- 
flexions originales. Avec sa bonne foi parfaite, 
il se plaisait à mentionner ses prédécesseurs, 
tels que de Lamarck, Erasmus Darwin, son 
aïeul, et autres, mais il ne les a pas tous con- 
nus. Dans une visite que j'ai eu le plaisir de lui 
faire, en.1880, j'ai pu lui signaler un ouvrage 
bien curieux, plus ancien que ceux de Lamarck, 
et dont pérsonne jusqu'ici n’a parlé, si ce n’est 
pour les choses secondaires qui s’y trouvent. 

Qu'on me permette une courte digression sur 
cet évolutioniste complètement oublié. 


1 Voir la note additionnelle A. 


; 

Il ne ressemblait en rien à Diderot, chez le- 
quel on à découvert récemment des idées ana- 
logues'. Tout homme d'imagination peut se 
lancer dans des hypothèses. Cela ne compte 
pas dans la science. Il faut que les théories sor- 
tent lentement et laborieusement des faits. Le 
savant modeste qui procédait de cette manière, 
avant de Lamarck et mieux que lui, est Du- 
chesne, dans son istoire naturelle des Frai- 
siers, ouvrage publié en 1766 °. l’auteur était 
horticulteur et professeur d'histoire naturelle 
dans un collège. Son instruction était aussi 
variée que solide. Voici l'observation de lui 
qu’on cite quelquefois, sans remarquer l’origi- 
nalité des conséquences qu'il en avait déduites. 
Ayant semé des graines du fraisier sauvage, 
dit des bois, qu'il avait recueillies autour de 


1 Revue des Deux Mondes, octobre, 1879. 

? Un volume in-8°, qui comprend l’ Histoire naturelle des 
fraisiers (324 pages et un tableau), et des Remarques par- 
ticulières (118 p.). Le premier des ouvrages de Lamarck, 
Système des animaux sans vertèbres, est de 1801. Ses Re- 
cherches sur l’organisation des corps vivants ont paru plus 
tard, et sa Philosophie zoologique en 1809. La métamor- 
phose des plantes, par Gæthe, est de 1790. 





9 

Versailles, 1l vit, à sa grande surprise, que la 
plupart des pieds obtenus avaient une seule 
foliole, au lieu des trois qui caractérisent ordi- 
nairement les feuilles de lPespèce. Il sema des 
graines de ces individus singuliers qui donnè- 
rent la même forme. Elle s’est conservée de- 
puis. Les botanistes nomment ce nouveau frai- 
sier Fragaria monophylla. Duchesne partit de 
ce fait et d’autres qu'il avait observés dans la 
culture pour raisonner, d'une manière très pro- 
fonde, sur les formes nouvelles plus ou moins 
héréditaires, et sur ce qu’on peut appeler es- 
pèce, race ou variété. Il estime que beaucoup 
de formes désignées comme espèces sont des 
races, dont l’origine peut être constatée ou au 
_ moinsprésumée, et il laisse tomber de sa plume 
des mots véritablement extraordinaires pour 
l’époque. Ainsi, en parlant de la classification 
des espèces, genres et familles, il dit‘: 

« L'ordre généaiogique est le seul que la 
< nature indique, le seul qui satisfasse pleine- 


! Page 220. 


10 


< ment l'esprit; tout autre estarbitraire et vide 
«< d'idées. » 

Il se hasarde même à donner‘ un arbre gé- 
néalogique des fraisiers, construit d’après les 
descendances qu’il connaissait ou présumait. 
C’est ce que font aujourd’hui des auteurs ultra- 
darwinistes, avec la différence que Duchesne 
avait constaté une des descendances, tandis 
qu'eux les supposent toutes, d’après des vues 
hypothétiques et des raisonnements plus ou 
moins contestables. 

Personne ne fit attention aux idées émises 
par Duchesne, à ce point qu'un biographe con- 
sciencieux, qui prononça son éloge dans une 
séance publique, les omit entièrement”. 

De Lamarck fut moins dédaigné, parce qu'il 
parlait des animaux, plus connus que les végé- 
taux, et qu'il indiquait une cause, par laquelle, 


l Page 228. 

2? Silvestre, Notice sur A.-N. Duchesne, lue dans la séance 
publique de la Société royale d'agriculture, Mémoires, 
1827, tome I, p. 129-152. Voir plus loin la note addition- 
nelle B. 


11 


d’après certains faits démontrés, les organes 
varient quelquefois dans des générations suc- 
cessives. Cette cause — l’usage fréquent d’un 
organe — fut jugée insuffisante. On la tourna 
même en ridicule. Dans ce temps, certaines 
idées préconçues jouaient un grand rôle. De 
Lamarck aurait eu dix fois plus de mérite qu'il 
ne serait pas parvenu à faire pencher la balance 
du côté du transformisme. 

C’est de 1840 à 1850 que des progrès dans 
toutes les divisions des sciences naturelles 
changèrent la face du problème. Les botanistes 
et les zoologistes décrivaient alors une infinité 
d'espèces nouvelles et s’efforçaient de mieux 
distinguer les anciennes. Mais, plus ils se don- 
naient de peine, plus les limites des espèces 
semblaient vagues et ondoyantes. La valeur 
de ces groupes était reconnue inégale. On si- 
onalait beaucoup de transitions de lun à l’au- 
tre, et le critère, obtenu quelquefois par de 
longues expériences sur la fécondation, n’était 
plus aussi certain qu'on lavait supposé. En 
général, les espèces bien distinctes par la forme 


12 


extérieure ne se croisent pas et surtout ne don- 
nent pas des produits féconds indéfiniment, 
mais il y à des exceptions. Par exemple, dans 
la famille très homogène des cucurbitacées, 
M. Naudin a constaté que les espèces du genre 
Cucurbita ne peuvent pas se féconder l’une par : 
l’autre, tandis que dans le genre Luffa deux 
espèces, nettement différentes par les caractè- 
res extérieurs, se fécondent. Au fond, cela si- 
gnifie qu'elles ont des diversités internes plus 
grandes que les externes. L’impossibilité 
d’avoir un critère absolu pour distinguer les 
espèces est aussi réel que pour distinguer les 
genres, les familles et les classes. 

Personne ne doit en conclure que ces grou- 
pes n'existent pas, seulement ils flottent dans 
un milieu plus ou moins vague. Même chose 
se présente dans des catégories de groupes 
d’une autre nature. Il serait impossible, par 
exemple, de donner des caractères absolus 
pour distinguer un hameau d’un village, un vil- 
Jage d’un bourg, un bourg d’une ville. Cepen- 
dant les réunions d'habitations représentées 


15 

par ces termes existent bien. Assez souvent 
on est embarrassé pour appliquer un de ces 
mots, et dans certaines circonstances un village 
devient un bourg ou même une ville. Londres 
n’a point de limites et à beaucoup varié. C’est 
cependant quelque chose de réel. IT est aisé de 
comprendre, par cet exemple, pourquoi l’incer- 
titude reconnue dans la délimitation des espè- 
ces disposait à admettre des variations succes- 
sives. Étudiées d’ailleurs de près, comme l’a 
fait Darwin, dans la culture et la domestication, 
les espèces des deux règnes se sont trouvées 
variables à un degré extraordinaire. 

Tandis que les descripteurs se tourmentaient 
et sentaient vaciller leur point d'appui, les dé- 
couvertes en paléontologie s’accumulaient et 
montraient de plus en plus la diversité succes- 
sive des êtres. Cuvier recourut alors à l’hypo- 
thèse de créations subites et multiples, vérita- 
bles coups de théâtre. Il fut remarqué aussi- 
tôt que des espèces avaient paru ou disparu 
successivement, une à une, et l’hypothèse 
fut mort-née. 


14 


La distribution actuelle des espèces végéta- 
les, considérée particulièrement dans les îles, 
me contraignit d'admettre, en 1855", quatre 
ans avant le premier ouvrage théorique de 
Darwin”, une création, dans certain cas, de 
nouvelles formes spécifiques dérivées des an- 
ciennes. Je prouvais, en outre, surabondam- 
ment, que la majorité des espèces remonte à 
des temps plus reculés qu’on ne le supposait et 
qu'elles ont traversé des changements géologi- 
ques ou climatériques. Lyell habituait alors les 
géologues à considérer de petites causes, pen- 
dant des temps très longs, comme produisant 
beaucoup d'effet. La notion astronomique de 
temps infinis pénétrait de cette manière dans 
les sciences naturelles. Cinq ou six mille ans 
devenaient peu de chose dans l’histoire des 
êtres organisés. Enfin, les découvertes de Baer 
sur l’évolution des individus analogue à celle 
des espèces, et l'étude plus fréquente des mons- 


! Géographie botanique raisonnée, 2 vol. in-8°. 
à 


? On the origin of species by means of natural selection, 
in-8°, 1859. 


15 


truosités ébranlaient également les anciennes 
idées. L’incertitude se répandait dans toutes 
les directions. Les faits de classification, de 
paléontologie, de géographie botanique et z00- 
logique, d’organogénie, ne pouvaient plus se 
comprendre. [Il fallait sortir du cercle dun 
temps limité et de l'opinion d’une fixité presque 
complète des formes. 

Alors parut Darwin! 

Aucun homme n’était plus capable de ratta- 
cher tous les phénomènes à la théorie du trans- 
formisme, qu'il expliquait en outre par une 


cause très importante — la sélection — à la- 





quelle personne n'avait pensé, si ce n’est Wal- 
lace, qui en avait eu l’idée de son côté au même 
moment. Wallace est zoologiste. Darwin était 
physiologiste, botaniste, zoologiste, et même 
géologue. Le récit de son voyage autour du 
monde, ses descriptions des Cirrhipèdes et son 
mémoire sur les îles madréporiques le mon- 
traient bien, et toutes ses publications ulté- 
rieures plus importantes reposent sur cette 
prodigieuse variété de connaissances. Il pou- 


16 


vait découvrir et discuter des arguments dans 
toutes les sciences naturelles. Mème des appli- 
cations assez dédaignées lui étaient fami- | 
lières. Il s'était fait éleveur de pigeons, pour 
constater les variations d’une espèce dont le 
public anglais s'occupe volontiers. Il observait 
des influencés des animaux sur les végétaux, 
auxquelles on avait à peine pensé et il en tirait 
des conséquences curieuses. Armé d’une grande 
persévérance, de beaucoup de méthode, d’une 
sagacité extraordinaire, aussi fort dans les dé- 
tails que dans les idées générales, il a pu im- 
primer aux sciences naturelles une impulsion, 
dont on n'avait pas eu d'exemple, et qui s’étend 
jusqu'aux sciences sociales et historiques. 
Dans toutes les branches de Pactivité hu- 
maine il y à un trait commun aux individus 
vraiment supérieurs. C’est de ne négliger au- 
cun fait particulier, tout en visant à des théo- 
ries ou à des actes d’une importance majeure. 
Ainsi, un grand général s'occupe à la fois de la 
nourriture ou même de la chaussure de ses 
hommes et de plans stratégiques. Un grand 


17 


jurisconsulte peut plaider le mur mitoyen 
et rédiger un code. Parmi les naturalistes, 
Darwin à eu ce caractère exceptionnel de capa- 
cité. Le terrain ou espace qu'il parcourait dans 
ses recherches — ce qu'on appelle en anglais 
d’un mot qui nous manque, the range — est 
extraordinaire. Dans ses livres, l'abondance 
des détails se combine avec des vues théoriques 
fort élevées. La multitude des exemples peut 
fatiguer, mais si l’auteur avait trié les prinei- 
paux et laissé de côté les autres, on aurait 
douté de sa grande impartialité, et son immense 
érudition serait restée dans l’ombre. Il à tou- 
jours eu soin de donner le pour et le contre, 
les arguments forts et les faibles. Au lecteur 
de comparer, trier et conclure. La méthode 
n’est pas didactique. Elle est purement scien- 
tifique. 

La rédaction de Darwin n’était pas précisé- 
ment littéraire. Sa construction de phrases, 
emploi de certains mots et la division des 
chapitres laissent quelquefois à désirer, mais la 
grandeur de l’œuvre est incontestable. Je dis 

3 


15 


de l’œuvre, parce que chaque ouvrage, malgré 
sa spécialité, concourt à un ensemble qu'on à 
qualifié très vite du nom de darwinisme. Le 
premier de ces ouvrages théoriques, celui sur 
l’Origine des espèces, salué par quelques natu- 
ralistes comme laurore d’un nouveau Jour, 
avait frappé les autres et le public d'une sorte 
de stupeur, mêlée parfois d’indignation. La ba- 
taille était engagée brusquement, audacieuse- 
ment, mais Darwin avait des réserves qu'il 
lançait coup sur coup. Les critiques dans les 
journaux et les académies ne pouvaient tenir 
contre une succession rapide de livres pleins de 
faits nouveaux et de vues originales. C'était 
comme une invasion par des forces accablan- 
tes. La conspiration du silence, qui réussit 
quelquefois, n’était pas possible. Les plus ré- 
calcitrants furent obligés d'écouter, de discu- 
ter, et tel qui d’abord accordait à Darwin une 
minime part de vérité lui cédait bientôt une 
moitié ou davantage. Les timides, qui s’effraient 
des hypothèses, ne pouvaient pas méconnaître 
la valeur des expériences du savant anglais sur 





19 


la fécondation des plantes et sur l’hérédité dans 
les produits. Certaines oppositions passionnées, 
d’une origine étrangère à la science, ont fait 
lire les ouvrages du novateur. Le public, d’une 
ignorance profonde sur l’état des sciences na- 
turelles depuis dix ans, se figurait que tout 
y était nouveau. Il revoyait d’ailleurs, avec 
plaisir, ce qu'on avait jadis, des livres d'histoire 
naturelle qui n'étaient ni de pures descrip- 
tions, ni de la chimie, ni de l'anatomie. Darwin 
ramenait à l’étude des phénomènes de la végé- 
tation et des mœurs des animaux qui avaient 
plu dans les ouvrages de Réaumur, de Bonnet, 
d’'Huber et autres patients observateurs. On 
sentait encore une fois la vie et l’unité dans 
les êtres organisés. 

La contenance de Darwin à l'égard de ses 
adversaires fut assez curieuse. Évidemment il 
v’aimait pas la polémique. Au lieu de répondre 
il poursuivait sa marche. Lui qui n’attaquait 
pas la religion, ne se faisait aucun souci d’af- 
fronter les idées ou les préjugés de personnes 
pieuses, qu'il connaissait et estimait. Était-ce 


20 

l'effet d’un sentiment, assez commun chez les 
hommes de science, que la vérité plane au-des- 
sus de tout et qu’on doit la faire connaître, 
même à ses dépens ? Pensait-il que ses princi- 
pes n'étant pas contraires aux bases de toute 
opinion religieuse, c'était aux théologiens de 
s'arranger avec eux et avec les faits? Pour- 
quoi naccepteraient-ils pas l’évolution des 
êtres comme 1ls ont accepté, depuis Galilée, 
la rotation de la terre, depuis de Laplace, 
la formation successive des corps célestes, 
depuis Lyell, les dépôts lents et irréguliers 
des couches terrestres ? Ces vérités scientifi- 
ques, et d’autres encore, se sont répandues 
dans le monde, jusqu’en Chine Elles r’ont ren- 
versé ni le christianisme ni le mahométisme 
ni le bouddhisme. 

La suite a montré que Darwim avait eu 
raison de se taire et de compter sur les effets 
du temps. Ses deux volumes de la Descen- 
dance de l’homme ont paru en 1871. Ils 
avaient redoublé les clameurs contre lui; 
mais bientôt quelques hommes éclairés, laï- 


21 


ques ou ecclésiastiques, sincèrement attachés 
aux idées religieuses, lont défendu ‘, et onze 
ans après, quand l’illustre naturaliste est mort, 
des sermons ont été prêchés à Saint-Paul et 
dans plusieurs autres églises de Londres, pour 
établir que le darwinisme n’est pas opposé à la 
religion. Ses obsèques ont eu lieu dans l’ab- 
baye de Westminster, sans aucune opposition, 
avec le concours du clergé anglican et des plus 
hautes notabilités du pays. Il est question 
maintenant de lui élever une statue, et ce sont 
des archevêques et évêques unis à des pairs 
d'Angleterre et à des savants qui ouvrent une 
souscription dans ce but *. 


! Je recommanderai aux personnes qui s’occupent des 
rapports de la science avec la religion la lecture du petit 
volume publié, en Amérique, par le D' Asa Gray. Il est in- 
titulé : Natural science and religion, New-York, 1880. Il se 
compose de deux conférences faites par l’auteur dans 
Pécole de théologie du collège de Yale. La première expose, 
très clairement, les découvertes modernes en histoire na- 
turelle, la doctrine de l’évolution et les rapports entre les 
deux règnes organisés. La seconde est sur la question con- 
sidérée à un point de vue religieux. 

2 Voir la note additionnelle C, 


22 


L'influence de Darwin n’est pas venue seu- 
lement de sa capacité et des circonstances dans 
lesquelies il à paru. Elle s'explique aussi par 
ses conditions de famille et sa position indé- 
pendante. Personne n'ignore que son père et 
son aïeul étaient médecins, habitués comme 
tels à l'observation, et remarquables par une 
grande sagacité. Erasmus était de plus un 
poète, un naturaliste, un chimiste, enfin un 
homme de beaucoup d'esprit. La notice que 
Darwin à publiée sur lui en tête de la traduc- 
tion d’une biographie allemande par Krause ‘est 
bien curieuse. Elle constate de singulières res- 
semblances d'idées entre l’aïeul et le petit-fils, 
qui cependant ne se sont pas connus, car le pre- 
mier est mort une année avant la naissance du 
second. Erasmus* était frappé de la « lutte 
pour l'existence, > dont Charles a parlé si sou- 
vent. Elle lui paraissait une loi générale chez 
les êtres organisés. Certains appendices, inu- 


* Erasmus Darwin, by Ernest Krause, with a preliminary 
notice by Charles Darwin, un volume in-8°, Londres, 1879. 
2 2? 2? 
2-Pages 115, 153 1455177 etc 





23 


tiles ou incomplets, dans les végétaux et les 
animaux étaient pour lui des restes d'anciens 
organes, à la suite de changements d’une gé- 
nération à l’autre. Il remarquait les ressem- 
blances bizarres appelées de nos jours #mimi- 
ques (de Panglais mimicry), les effets de la pré- 
dominance chez les animaux des individus les 
plus forts dans les relations des deux sexes ; il 
connaissait des plantes insectivores, etc., etc. 
D'un autre côté on ne trouve pas dans les poè- 
mes d’'Erasmus, dans les notes qui les accom- 
pagnent et dans ses ouvrages spéciaux de phy- 
siologie et d'histoire naturelle, l'idée principale, 
essentielle, conséquence forcée des choses, qui 
produit des effets incontestables : la sélection. 
Ni Duchesne, ni Lamarck, n1 Erasmus Darwin, 
tous précurseurs du grand Darwin moderne, 
n'avaient découvert pour expliquer la succes- 
sion des formes une cause aussi efficace. Pro- 
bablement elle n’est pas la seule, maïs on l’ap- 
pellera toujours un facteur d’une importance 
capitale ‘. 


1 Voir la note additionnelle D. 


24 

Darwin à tiré l’idée de la sélection naturelle 
de l'ouvrage de Malthus. Il l’a dit lui-même 
dans lintroduction à l’Origine des espèces et 
dans une lettre que Hæckel a publiée‘. Je 
n’admets pas que cela diminue son mérite. Au 
contraire, c’est un trait de génie d’avoir com- 
pris que toutes les espèces animales et végéta- 
les se comportent comme lespèce humaine, 
dans la lutte et la survivance des plus forts. 
Nous avions tous lu Malthus sans le voir. 

En comparant les trois principaux précur- 
seurs de Charles Darwin, j'ai remarqué avec 
surprise, que, pour la manière d'exposer les 
faits et de raisonner, il ressemble plus à Du- 
chesne, dont il n'avait pas lu l'ouvrage, qu’à 
de Lamarck ou Erasmus Darwin. Lamarck est 
plus systématique. Erasmus aperçoit beaucoup 
de choses qu’il n’approfondit pas. Il est diffus 
et manque de méthode scientifique. Pour la 
richesse des observations, pour l’emploi conti- 
nuel d'expériences difficiles, de même que pour 


‘ Hæckel, Histoire naturelle de la création, chap. VI, 





20 


l’ensemble des doctrines et la grandeur des 
vues la supériorité de Charles est évidente. 

La nombreuse descendance d’'Erasmus Dar- 
win a montré des goûts d'observation et de 
réflexion. M. Francis Galton, auteur de re- 
cherches originales et intéressantes sur l’héré- 
dité *, est petit-fils, par sa mère, d’Erasmus. 
MM. George et Francis Darwin, fils de Char- 
les, sont déjà connus, l’un par des mémoires 
remarquables d'astronomie mathématique et 
de statistique, l’autre par des expériences in- 
téressantes sur des sujets de physiologie. Il 
est difficile de ne pas admettre dans ce cas une 
influence héréditaire, mais elle a été sans doute 
corroborée par un désir très naturel d'écouter 
des conseils ou d’imiter. En général, l’hérédité 
explique la nature des organes, des facultés ct 
des tendances, mais l’usage qu’on fait de ces 
moyens résulte de la volonté, et celle-ci dépend 
beaucoup des conseils et des exemples, combi- 


\ 
! Galton, Hereditary genius, un volume in-8°, 1869 ; 
Englishmen of science, their nature and nurture, in-8°, 1874. 
4 


26 


nés avec la pression des circonstances dans 
lesquelles chacun se trouve. 

Darwin a eu l’avantage d’une position de 
fortune tout à fait indépendante‘. En sa qualité 
d'Anglais, il n’a pas eu de service militaire obli- 
gatoire. À l’âge le plus important pour un jeune 
homme, au lieu d’entrer forcément dans une 
caserne, il a pu s'engager volontairement, à 
ses frais, dans une expédition scientifique 
autour du monde. Le trésor de renseignements 
et d'idées qu'il a accumulé pendant ce voyage 
de cinq ans a été dépensé peu à peu dans ses 
nombreuses publications. Sir Joseph Hooker 
a débuté de la même manière, et chacun sait 
quel profit il en est résulté pour la science. 

Darwin n’a exercé aucune fonction publique, 
si ce n’est d’être #nagistrate dans son comté, ce 
qui ne demande pas beaucoup de temps. Il n’a 
jamais professé, mais par ses livres il s’est fait 
plus de disciples et a mieux répandu ses idées 
que s’il s'était adressé à des auditoires de mille 


? Voir la note additionnelle KE. 





21 


élèves. Toute son attention, toutes ses forces 
se sont concentrées sur des travaux de recher- 
ches. Il était doué d’une si grande activité 
d'esprit qu'il ne s’est pas laissé endormir par 
une résidence continue, été et hiver, à la cam- 
pagne, loin des ressources littéraires et des 
conversations scientifiques. C’est un exemple 
assez rare. Presque tous les littérateurs et 
hommes de science de premier ordre ont vécu, 
pendant une partie au moins de l’année, dans 
une ville. On ne peut guère citer que deux 
exceptions, de deux genres très différents : 
Voltaire et Darwin. 

J’ai eu la satisfaction de passer une journée 
dans la maison, désormais célèbre, de Down, 
près Beckenham. Il me tardait de causer une 
seconde fois avec Darwin, que j'avais vu en 
1839, et avec lequel j'entretenais une corres- 
pondance pleine d'intérêt‘. C’est par une belle 
matinée d'automne, en 1880, que je me suis 
rendu à la station d’Orpington, où m’attendait 


1 Voir la note additionnelle F. 


28 


le break de mon illustre ami. Le trajet jusqu’à 
Down prend une heure. Il ne présente rien de 
remarquable, si ce n’est la résidence, entourée 
de beaux arbres, de sir John Lubbock, l’hono- 
rable représentant à la Chambre des Commu- 
nes du haut commerce et de la science. Je ne 
parlerai pas ici de l’accueil aimable qui m'a été 
fait à Down, et du plaisir que j'éprouvais à 
causer familièrement avec M. et Me Darwin 
et leur fils Francis. Je note seulement que 
Darwin septuagénaire était plus animé et pa- 
raissait plus heureux que je ne l'avais vu qua- 
rante et un ans auparavant. Il avait l’œil vif et 
une expression enjouée, tandis que ses photo- 
graphies montrent plutôt la conformation de sa 
tête, d’un philosophe de l’antiquité. Sa conver- 
sation variée, franche, gracieuse, tout à fait 
d’un gentleman, me rappelait celle des savants 
d'Oxford et de Cambridge. Le ton général en 
était d'accord avec celui deses ouvrages, comme 
cela arrive chez les hommes sincères, dépour- 
vus de toute espèce de charlatanisme. Il s’ex- 
primait dans un anglais facile à comprendre 


29 
pour un étranger, plus voisin de Bulwer ou 
Macaulay que de Dickens ou Carlisle. Je lui 
demandai des nouvelles du comité, dont il était 
membre, qui s'occupe de la réforme de l’ortho- 
graphe anglaise, et comme j'énonçais l’idée 
que des changements modérés seraient ceux 
auxquels le public ferait le meilleur accueil, il 
me répondit en riant: Pour moi, of course 
(cela va sans dire), je suis pour les change- 
ments les plus radicaux. 

Nous fûmes mieux d'accord sur un autre 
point, qu'un homme de science, jusqu'à l’âge le 
plus avancé, doit s'intéresser aux idées nou- 
velles, et les accepter, s’il les trouve Justes. 
C'était au plus haut degré, me disait-il, le senti- 
ment de mon ami Lyell, mais il le poussait jus- 
qu’à se rendre quelquefois à la première objec- 
tion venue et j'étais obligé alors de le défendre 
contre lui-même. Darwin avait plus de fermeté 
dans ses opinions, soit par tempérament, soit 
parce qu’il n'avait rien publié sans de longues 
réflexions. Depuis le retour de son grand voyage 
il avait mis vingt ans à préparer dans sa tête 


30 


et par une série d'observations le volume sur 
l’origine des espèces. 

Autour de la maison rien ne m’a paru rester 
des anciens travaux du propriétaire. Darwin 
employait des moyens simples. Ce n’est pas lui 
qui aurait demandé de construire des palais 
pour y loger des laboratoires. J’ai cherché la 
serre dans laquelle de si belles expériences ont 
été faites sur les hybrides végétaux. Elle ne 
contenait plus qu'un cep de vigne. Une seule 
chose n’a frappé, bien qu'elle ne soit pas rare 
en Angleterre, où l’on aime les animaux. Une 
génisse, un poulain päturaient autour de nous, 
avec la tranquillité qui suppose de bons mai- 
tres, et J'entendais les aboiements joyeux de la 
race canine. Vraiment, me disais-je, l’histoire 
des variations chez les animaux a été faite ici, 
et les observations doivent continuer, car Dar- 
win n'est jamais inactif. Je ne me doutais pas 
de marcher sur les habitations de ces êtres 
infimes, appelés vers de terre, objet d’un der- 
nier ouvrage dans lequel Darwin a montré une 
fois de plus que les petites causes produisent 





31 


à la longue de grands effets. Il s’en occupait 
depuis trente ans, mais je l’ignorais. 

Rentrés à la maison, Darwin me fit voir sa 
bibliothèque, grande pièce du rez-de-chaussée, 
très commode pour un homme studieux : beau- 
coup de livres sur les rayons ; du jour de deux 
côtés ; une table pour écrire et une autre pour 
les appareils destinés aux expériences. Celui 
sur les mouvements des tiges et des racines 
était encore en action. Darwin me donna une 
idée de son avant-dernier ouvrage, qui était 
alors sous presse. Il eut l’obligeance de w’ap- 
prendre que pour ses notes 1l avait employé, de 
lui-même, précisément le procédé des frag- 
ments détachés que mon père et moi avons 
suivi et dont j'ai parlé en détail dans ma Phy- 
tographie. Quatre-vingts ans de notre expé- 
rience m'avaient montré sa valeur. J’en suis plus 
convaincu que jamais, puisque Darwin lPavait 
imaginé de son côté. Cette méthode donne aux 
travaux plus d’exactitude, supplée à la mémoire 
et gagne des années. 

J'aurais aimé voir les registres d’expérien- 


ces, qui ont dù être bien compliqués dans cer- 
tains cas, mais les heures s’écoulaient comme 
des minutes. Il m'a fallu prendre congé. De 
précieux souvenirs me restent de cette visite. 
Je les place à côté de ceux que n’ont laissés 
les Jussieu, les Brongniart, les Geoffroy Saint- 
Hilaire, Cuvier, Arago, Robert Brown, de 
Martius, sir William Hooker et autres savants 
illustres avec lesquels, dans ma longue car- 
rière, j'ai eu le bonheur de m’entretenir assez 
souvent. 





NOTES ADDITIONNELLES 





0) 


Note À. 


Le mot transformisme est préférable à celui d'évolution, 
attendu que les changements successifs de formes ne sont 
pas toujours dans le sens d’un plus grand développement. 
Il se fait quelquefois des changements dans le sens d’une 
simplification. Aïnsi les parasites, animaux ou végétaux, 
sont des états simplifiés de certaines organisations; de 
même les animaux qui vivent dans des cavernes et les plan- 
tes aquatiques. On ne sait pas toujours, dans ces struc- 
tures, ce qui est un non-développement ou un retour vers 
un état simple après plusieurs générations compliquées, 
mais on peut constater ou présumer, dans certains cas, ce 
qu’il en est. M. Ray Lankester a publié, en 1880, un petit 
volume intitulé Dégénérescence (Degeneration a chapter in 
Darwinism, in-12), sans se douter que les dégénérescences 
et avortements étaient un des articles principaux de la 
théorie élémentaire de la botanique, par de Candolle ". 

L'avantage du mot transformisme est de pouvoir com- 
prendre toutes les modifications de formes, soit variées sur 
des êtres analogues et successives du même organe sur un 
individu (métamorphoses de Linné et Gœthe), soit succes- 
sives d’une génération à l’autre; tantôt marchant vers une 
plus grande complication (évolution) et tantôt vers une 
simplification (dégénérescences, avortements) ; habituelles 
et peu considérables ou rares et énormes (monstruosités). 


1 Voir l'édition de 1819, p. 105. 





36 


Note B. 


> 


Plusieurs savants tels que Büchner, Hæckel, Seïdlitz, 
ont parlé des précurseurs de Charles Darwin dans la théo- 
rie du transformisme, mais aucun n’a mentionné Duchesne. 


Il y a bien d’autres omissions dans la liste de trente-six 


noms qui se trouve à la page 57 de Seidlitz, Die Darwi- 
rische Theorie, Leïpzig, 1875, surtout en ce qui concerne 
la métamorphose dans les végétaux. Le premier auteur 
qu’il indique est Gæthe, en 1790, tandis que Duchesne est 
de vingt-six ans plus ancien. Gœthe, comme plus tard 
Geoffroy Saint-Hilaire et de Candolle, parlait de métamor- 
phoses ou états différents autour de certaines moyennes 
soit types, et Duchesne, de véritables filiations successives 
par génération. 


Note C. 


Un comité vient de se constituer à Londres pour élever 
une statue à Darwin et créer un fonds destiné à l’encou- 
ragement des sciences biologiques. Ce comité a pour prin- 
cipaux membres les archevêques de Canterbury et de 
York, l’évêque d’Exeter, les doyens de Westminster, Saint- 
Paul et Christchurch, les dues d’Argyll, Devonshire et 
Northumberland, le marquis de Salisbury, les comtes de 
Derby, Ducie, Granville, Spencer, plusieurs autres Pairs 
d'Angleterre, plusieurs membres de la Chambre des Com- 
munes, les chefs des universités principales des trois royau- 
mes, et une quarantaine de personnes marquantes dans les 
sciences physiques ou naturelles. Les ambassadeurs dAlle- 


+ - s'ibedé 





37 


magne, de France et d’Italie, ainsi que les ministres de 
Suède et d'Amérique en font partie également, ce qui 
donne à la souscription un caractère cosmopolite. 


Note D. 


Le publie et beaucoup de savants qui ne sont pas natu- 
ralistes se trompent lorsqu'ils s’imaginent que le transfor- 
misme est une hypothèse. Il est un fait, bien démontré. 
Les hypothèses se rapportent à la manière de comprendre 
comment les variations de formes ont eu lieu et se sont 
propagées. 

Pour le transformisme lui-même il y a une preuve plus 
forte que toutes les autres, qui lui donne le caractère 
d’un fait acquis à la science. Voici cette preuve en peu de 
mots : 

La paléontologie démontre que des êtres organisés dif- 
férents ont succédé les uns aux autres, pendant une série 
incalculable de siècles. En même temps, on n’a jamais vu 
un animal provenir d’autre chose que d’un animal et une 
plante d'une plante. 

Nous ne saurions rien de plus que la démonstration se- 
rait complète, mais l'observation ajoute ceci : 1° Les géné- 
rations actuelles de plantes ou d'animaux sont rarement 
identiques et de temps en temps elles offrent entre les pa- 
rents et les produits des diversités assez grandes; 2° les 
êtres qui se sont succédé dans les temps géologiques sont 
d'autant moins différents qu’ils se rapprochaiïient davantage 
pour l’époque de leur existence; 3° chaque individu, végé- 
tal ou animal, passe dans son développement, par des for- 


38 


mes assez analogues à celles des êtres qui ont existé dans 
les temps plus anciens; 4° les espèces qui se ressemblent 
sont fréquemment de la même région, comme si elles pro- 
venaient d’une souche commune ou de plusieurs individus 
jadis semblables. 

La sélection aussi est un fait. C’est même ce qu’on ap- 
pelle communément la force des choses. 

Les hypothèses commencent lorsqu'on veut expliquer le 
rôle de la sélection dans chaque cas particulier. Il est 
clair qu’il ne peut pas y avoir de preuves directes, puisque 
les transformations se sont passées avant nous. Il en est 
de cela comme des événements historiques. Ainsi personne 
ne doute que d’habiles généraux ne gagnent des victoires, 
mais on ne peut pas toujours dire si le gain d’une bataille 
doit être attribué au général commandant ou à la valeur 
des soldats ou à telle autre cause. D’ailleurs la sélection, 
comme l’a dit souvent Darwin, ne fait que conserver cer- 
taines formes au milieu de beaucoup d’autres, et les varia- 
tions sur lesquelles elle opère ont des causes multiples, 
dont il a indiqué plusieurs avec une sagacité remarquable. 

C’est là, dans les origines des variations, que les hy- 
pothèses se présentent naturellement à l’esprit. On se 
demande, par exemple, si les espèces n’ont pas peut-être, 
en elles-mêmes, une cause de force d’abord croissante, en- 
suite décroissante, comme on le voit dans chaque individu. 
Quelques auteurs supposent qu'à certaines époques les 
transformations dans les êtres organisés ont été plus rapi- 
des ou plus communes qu’à l’ordinaire. Le sort futur de ces 
hypothèses et de celles concernant chaque espèce en par- 
ticulier ne touche pas la démonstration générale qu’il y à 
eu des transformations. La question de savoir si des êtres 
organisés proviennent quelquefois de corps inorganiques 





39 


est également indifférente sous ce rapport. Jusqu'à pré- 
sent on n’a pas constaté le passage d’un corps inorganique 
à un corps organisé, mais on n’a pas prouvé non plus que 
ce soit impossible. Si l’on découvre un fait de ce genre, il 
en résultera seulement que les transformations s'étendent 
plus loin qu’on ne pensait. 





Note E. 


Je n’ai jamais eu la curiosité indiserète de m’informer 
de la fortune de Darwin, mais les journaux ont fait con- 
naître que sa succession à été déclarée de 146,000 liv. st. 
-(3,650,000 fr.), indépendamment de la propriété de Down, 
et, je suppose, du capital qu’il s'était créé par ses ouvrages, 
dont la vente continuera longtemps. Sur lemploi que 
Darwin faisait de ses revenus je me permettrai seulement 
deux réflexions, parce qu’elles contribuent à expliquer sa 
brillante carrière scientifique. Il avait su éviter les corvées 
du monde et du luxe, et s’était donné aïnsi du loisir pour 
travailler. Malgré ses ressources pécuniaires, il suivait le 
principe excellent de faire soi-même tout ce qu’on peut 
faire bien soi-même. Les meilleurs ouvrages, dans tous les 
genres, se font par des efforts individuels ; ils ne sont pas 
commandés. Si les administrations donnent souvent des 
produits médiocres, c’est que les chefs et sous-chefs sont 
trop disposés à faire faire au lieu de faire. 





40 


Note F. 


J’ai lieu d'espérer qu’on publiera tout ou partie des 
lettres de Darwin. Elles feraient bien ressortir l’excellence 
de son caractère, toujours noble, modeste et aimable. On 
verrait à quel point il s’intéressait aux travaux des autres. 
Chez lui le plaisir de rendre justice à chacun était poussé 
à un rare degré. Jamais aussi il n'avait la moindre trace 
de ces petites jalousies ou susceptibilités qui déplaisent 
quelquefois chez les hommes supérieurs. 





PUBLICATIONS BOTANIQUES 


DE 
AU GHORG, ÉDITEUR 


GENÈVE - BALE - LYON 


Annales de la Soc. botanique de Lyon. Ie à V° année, 

gr. in-8°. 1872—76. 44 50 
Ie année 1872—73. — 8 fr. 

MerGer. Recherches sur le rôle des stomates dans les phénomènes 

d'échanges gazeux entre la plante et l’atmosphère. 24 p. — Roux. 


Etude sur les mouvements des carpelles de l’Erodium ciconium 12 p. 
— PERRET. Note sur l'Orchis purpurea-morio. 2 p. — MAGnin. Mis- 


cellanées mycologiques. 6 p. — Herborisation de la Soc. à Haute— 
ville. 8 p. — Cusin. Plantes rares du Grand-Camp. 6 p. — SAINT- 
LAGER. Plantes méridionales de la Flore lyonnaise. 8 p. — Cusin. 


Herborisation de la Soc. à la Grande-Chartreuse. 6 p. — MÉœav. 
Aire de dispersion du Viola Paillouxi. 3 p. — SainT-LAGER. Cata- 
logue de la Flore du bassin du Rhône. 1° fasc., p. 1-32, 


Ie année 1873—74. Nr. 1-8: 10 fr. 


N0 1. SainT-LaAGER. Catalogue de la Flore du bassin du Rhône. 
2° fasc., p. 33-114. 

N° 2. Contient les Procès-verbaux des Séances du 7 août 1873 au 
25 mai 1874. 68 p. et 1 pl. 

N°3. Cusin. Notice sur la Flore du Pilat. 5 p. — SaiINT-LAGER. 
Géologie du Pilat dans ses rapports avec la flore, 2 p. — MaGnin. 
Compte rendu des herborisations de la Soc. botan. de France autour 
de Gap. 10 p. — SARGNoOU. Herborisations dans les Gueyras et au 
Mont Viso. Phanérogames et Mousses. 10 p. — THERRY. Fougères, 
Lichens et Champignons récoltés aux environs de Gap et dans les 
Gueyras. 8 p. 


IIIe année 1874—75. Nr. 1 et 2: 8 fr. 


N° 1. SaINT-LAGER. Catalogue de la Flore du bassin du Rhône. 
3° fasc., p. 115-186. 


6 


42 


N° 2. Depar. Note sur une mousse nouvelle, le-Leptobryum dioi-— 
cum. 3 p. — MÉAU. Compte rendu de l’herborisation à Hauteville, 
dans la forêt de Mazières et au Vély. 12 p. — SaInT-LAGER. Notice 
sur la végétation de la forêt d’Arvières ct du Colombier du Bugey. 
14 p. 

IVe année 1875—76. Nr. 1 et 2. fr. 11 50. 

N° 1. Les Procès-verbaux des séances du 4 novembre 1875 au 
10 février 1876. 114 p. 

N° 2. SAINT-LAGER. Catalogue de la Flore du bassin du Rhône. 
4e fasc., p. 187-334. 


Ve année 1876—77. — 7 fr. 
232 p. av. 3 pl. 
VE fr. 11. — VIL fr. 8. — VIIL fr. 10 50. — IX 1, fr. 5. 
Babey, C.-M. Phil. Flore jurassienne ou description des 


plantes qui croissent naturellement dans les montagnes 
du Jura et les plaines qui sont au pied. 4 vol. in-8, 1846, 


au lieu de 36 fr. 20 — 
Bernoulli (C.-G.) Die Gefässkryptogamen der Schweiz. 
In-8°. 1857. (Publié à fr. 2 50.) Prix réduit 1 50 


Boissier (Edm.) Voyage botanique dans le midi de l’Es- 
pagne pendant l’année 1837. 2 vol. gr. in-4°, 206 pl. 


1839—45. br. 150 — 
cart. 162 — 

Quelques exemplaires sur papier vélin avec planches 
coloriées (publié à 400 —) DD — 


Boissier (Edm.) Icones Euphorbiarum, ou figures de 122 
espèces du genre Euphorbia, dess. par Heyland, avec 
des considérations sur la classification et la distribution 
géograph. des plantes de ce genre. In-fol. 120 pl. lith. 
1866. 70 — 

— Diagnosis plantarum orientalium. 1'° et 2° série, 13 
fascicules; 3° série, 6 fasc. In-8°. Genève 1842 à 1859. 

à 3 — 
z*+ Les fascicules 1, 3, 6 et 7 sont épuisés. 


— Plantæ Aucherianæ ; fasc. I et IL. In-8. à 3 — 





43 
— Description de deux nouv. Crucifères des Alpes et du 
Piémont. In-4°. 2 pl. pus 
— Centuria Euphorbiarum. Genève 1860. 1 — 
— Flora orientalis sive enumeratio plantarum in Oriente 
a Græcia et Ægypto ad Indiæ fines hucusque observa- 
tarum. Vol. I. Thalamifloræ. In-8°, 1017 p. 1867. 20 — 


— — Vol. IL. Calycifloræ. In-8°, 1160 p. 1872. 25 — 
— — Vol. III. Calycifloræ Gamopetalæ. 1055 p. 1875. 

25 — 

- — — Vol. IV. Corolliflorarum. 1875—79. 26 — 


++ Une flore d'Orient où toutes les espèces nouvellement décrites 
seront systématiquement classées est devenue nécessaire à la botani- 
que proprement dite; c’est done un vrai service que M. Boissier, con- 
naisseur si parfait de la végétation de l'Orient, a rendu aux sciences 
en se livrant à un travail si colossal que la « Flora orientalis. » 

4% BoissiER galt schon zur Zeit als er seine « Diagnosis pl. or. » 
verôffentlichte, als der Befahigtste zur Abfassung einer « Flora orien- 
talis. » Mit dem Material, welches B. zu seiner Bearbeitung zur Ver- 
fügung stand, musste etwas Grossartiges geleistet werden. » 

Botan. Zeitung, 1867, 20 Dez. 


— Plantarum orientalium novarum decas prima ex floræ 
orientalis vol. tertio exituro excerpta. In-8°. 1875. 1 — 
— et Buhse. Aufzählung der in einer Reise durch Trans- 
kaukasien und Persien gesammelten Pflanzen. In-4, 
avec 10 pl. et 1 carte. 1860. 10 — 
— — et Reuter. Pugillus plantarum novarum Africæ bo- 
realis Hispaniæque australis. In-8°. Genevæ, 1852. 3 — 


Burnat (E.) et À. Gremli, les Roses des Alpes maritimes. 
Etudes sur Les roses qui croissent spontanément dans la 
chaîne des Alpes maritimes et le département français 
de ce nom. 136 p. in-8, 1879. 4 — 

— et W. Barbey, Notes sur un voyage botanique dans les 
iles Baléares et dans la province de Valence (Espagne) 
mai-juin 1881, 63 p. in-8° avec 1 pl. 1882. 3 — 

Brun (J.) Diatomées des Alpes et du Jura et de la région 
suisse et française des environs de Genève. 146 p. in-8 
avec 9 planches. 1880, 10 — 


+ 


Bulletin des travaux de la Société botanique de Genève. 


Année 1879 et 1880 in-8° avec 1 planche. 3 70 
4*+ Renferme entre autres : Prof. Müller, les Characées genevoi- 
ses. — Id. Nouvelle classification végétale. 


Candolle (Alph. de). Lois de la Nomenclature botanique, 
adoptées par le Congrès international de botanique à 
Paris, en août 1867. 2° édit. In-8°. 1867. 2 — 

— Regeln d. botanischen Nomenclatur, deutsche Ausgabe. 
In-8°. 1867. 2 — 

Christ (D: H.) Ueber die Pflanzendecke des Juragebirgs. 
In-8°. 1868. 1 — 

— Die Rosen der Schweiz mit Berücksichtigung der 
umliegenden Gebiete Mittel- und Süd-Europa’s. Ein 
HAINE Versuch. In-8°, 220 p. 1875. Di 
#4 La monographie de M. CHRIST est appelée à faire sensation ; 

elle est le résultat de longues et patientes recherches. 

— Le monde végétal de la Suisse, trad. de Pallemand. 
Beau vol. in-8° illustré. 

*.* Sous presse pour paraître en 1883. 

Compte rendu des travaux de la Société Hallérienne. Ge- 
nève, 1852—56, in-8°, très rare. 10 — 

D’Angreville (J.-E.) Flore valaisanne, 217 p. Genève, 
1863. 275 

Déséglise (Alf.) Catalogue raisonné ou énumération mé- 
thod. des espèces du genre rosier pour l’Europe, l'Asie 
et l’Afrique, spécialement les Rosiers de la France et 


de l'Angleterre, in-8°, 1877. © 6 — 
— Description et observation sur plusieurs rosiers de la 
flore française, fasc. 1 et 2, 1880 —81. 2 — 


— Menthæ Opizianæ, Extrait du < Naturalientausch » et du 
« Nomenclator botanicus » avec une clef analytique. 
In-8°, 1881. 2 

— et Th. Durand, Description de nouvelles Menthes. 
In-8°, 1879. 2 


45 


— Florula Genevensis advena avec supplém. 1878—81. 
D bre 


Excursion (Une) au Montblanc. 2° édit. In-8°, 3 pl. 1859. 
ES 
#*+ Enthält Details über die Mont-Blanc-Flora. 


Fauconnet (D: Ch.) Herborisations au Salève. In-8°. 1867. 


AU 
— Promenades botaniques aux Voirons et supplément 
aux herborisations. In-8°. 1868. 2 — 
— Excursions botaniques dans le Bas-Valais. In-8°, 145 
p., 1872. ge 
Gillot (X.) Étude sur la flore du Beaujolais. In-8°. 1880. 
Dee 


Hagenbach (C.-F.) Tentamen floræ basileensis exhib. 
plantas phanerogamas sponte nascent. C. Bauhini effig. 
et2tab. col. Acced. Supplementum. Pet. in-8°. 1821 — 
1843. (Publié à 17 50.) Prix réduit. 8 — 

Magnin (D: A.) Résumé des principaux travaux publiés 
sur les plantes carnivores. In-8, 19 p. Lyon, 1877. 1 — 

— Les Lichens utiles. Gr. in-8°, 27 p. 1225 


Mueller (D: Jean). Monographie de la famille des Résé- 
dacées. In-4°, 289 p., 10 pl. lith. 1857. (Publié à 25 —) 
Prix réduit 15 — 
Ouvrage couronné par le prix quinquennal fondé par Pyr. de Can- 

dolle. La seule monographie qui ait été publiée sur les Résédacées. 

— Principes de classification des Lichens et énumérations 
des Lichens des environs de Genève. In-4°, 3 pl. 1862. 

Ras: 

Rion (Chanoiïine). Guide du botaniste en Valais, publié par 

Ritz et Wolff sous les auspices de la section Monte- 


Rosa du $. A. C. (Sion). 244 p. 1872. b — 
Saint-Lager, Nouvelles remarques sur la nomenclature 
botanique. In-8°. 1881. 2 — 


Schacht (D.-H.). Les arbres. Études sur leur structure et 


46 


leur végétation. Traduit de l’allemand, par E. Morren. 
Ouvrage publié sous les auspices de feu M. le baron A. 
de Humboldt. In-8°, illustré de 250 gravures sur bois 
et 5 planches lithographiées. Prix réduit. 7 — 
Schærer (L.-E.) Lichenes helvetici exsiccati. 650 Nros en 
26 fascicules en 13 cart. avec 1 vol. de texte in-4°. Bernæ, 


1823—52. 200 — 
x”; Presque épuisé. 
— Lichenes inediti. 150 Nres. In-4°. 45 = 
— Enumeratio critica Lichenum Europæorum. In-8°, avec 
pl. col. Bernæ, 1850. in — 
— Spicilegium Lichenum helveticorum. 12 sectiones. In-4°. 
Bernæ, 1823—1842. 30 — 


z*. Tiré à 250 exemplaires. 
Schwendener (Prof.) Die Algentypen der Flechtenpomi- 
dien. Programm der Rectoratsfeier. In-4°, 42 p. 8 col. 


Tfin. 1869. 5 — 
Tissière (M.-P.-G.). Guide du botaniste sur le grand St.- 
Bernard. In-12°, 118 p. 1868. 2 — 


Minks (D' Arth.). Das Microgonidium. Ein Beitrag zur 
Kenntniss des wahren Wesens der Flechten. 249 p. 
in-8° avec 6 planches coloriées. 1879. 15 — 

























Lois de la nomenclature botanique adoptées pa r 
Congrès international de botanique à Paris en août 186 
2me édit. in-8°. Genève, Georg, 1867. Fr, 2 = 


La Phytographie ou l’art de décrire les végétaux consi- 
 dérés sous différents points de vue. Paris, Masson, 1880. 
1 vol. in-8° de xxiv-484 pages. Fr. 10 — 


dans le chêne-liège. In-4°, 3 planches, 1880. Fr 60 


Anatomie comparée des feuilles chez quelques familles 
de Dicotylédones. In-4°, 84 p. et 2 pl. 1879. Fr. 5 — 


Considérations sur l’étude de la Phyllotaxie. In-8°, | 
78 p. et 2 pl. 1881. Fr. 3 50. 


Nouvelles recherches sur les Pipéracées. In-4°, 17 D. » 
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