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Full text of "David d'Angers et ses relations littéraires : correspondance du maître avec Victor Hugo ... [et al.]"

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DA\H)  D'ANGERS 


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SES   RELVnONS   LITTÉRAIRES 


CORRESPONDANCE   DU    MAITRE 


V|<;Ti)I  iHtfilAND,    DK    VrCNY,    LAMENNAIS, 

BAI.KAC.,    (;ilAni.t,j,    ioI.J»    tV    '.,i.i  îiY    MORGAN,    COOPER,     HUMIIOLDT, 

hÀl"»:H.    TU.'  K,  <;iU,EOKL,    ETC. 


Lauri>^3l  'J«  ria^tiUit 
(Acadéniif-  fiaoïai't*  iai  Aradéiiiio  don  iieaux-arts) 


AVEC    UN    c  O  p.  '  s  A  :  V    i  !><  r*  n  :  T    D  f    r.  i  v'  i  : ,    li  '  a  N  G  E  R  S 


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PARIS  y 

E.  PLON,  NOURRÎT  kt  <■  ,  IMl'lllMELHS  ÉBÎÏEURS 


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DAVID    D'ANGERS 


SES    RELATIONS    LITTERAIRES 


L'auteur  et  les  éditeurs  réservent  leurs  droits  de  traduction  et  de 
reproduction  à  l' étranger. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  ministère  de  l'intérieur  (section  de  la  librairie) 
en  novembre  1890 


AUTRES    OUVRAGES    DE   M.    HENRY  JOUIN 


SSa-vid  d'Angers,  sa  vie,    son   ceuvre,  ses  écrits   et  ses   contem- 

poraîns.  Deux  portraits  du  maître  d'après  Ingres  et  Ernest  Hébert,  de 
l'Institut,  23  plaaclies  et  un  fac-similé  gravés  par  A.  Durand.  2  vol.  grand 
in-S». 

(Ouvrage  couronné  par  l'Académie  française.) 

Antoine  Coyzevox,  sa  vie,  sonceuvre  etseseontemporains,  précédé 
d'une  étude  sur  l'École  française  de  sculpture  avant  le  XNll"  siècle.  1  vol. 
in-12. 

(Ouvrage  couronné  par  l'Académie  des  beaux-arts.) 

Maiti-es  contcmporaîiis  :  Fromentin,  Corot,  Henri  Regnault,  Léon 
Coguiet,  Joufïroy,  Gustave  Doré,  Baudry,  etc.  1  vol.  in-12. 

Esîlictique  du  scsilpteur.  Philosophie  de  l'art  plastique;  la  Statue,  le 
Groupe,  le  Buste,  le  Bas-Relief,  les  Pierres  gravées,  les  Médailles.  1  vol. 
in-8°.  - 

Histoire  et  description  des  Musées  d'Jl^ngers  :  Musée  de  peinture  et 
de  sculpture.  Musée  David,  Cabinet  Turpin  de  Crissé,  Musée  Saint-Jean. 
1  vol.  grand  in-S". 

Charles  lie  Brun  et  les  arts  sous  liouis  XIV.  Le  premier  Peintre,  sa 
vie,  son  œuvre,  ses  écrits,  ses  contemporains,  son  influence,  d'après  le 
manuscrit  de  Nivelon  et  de  nombreuses  pièces  inédites.  Un  portrait  du 
maître  par  Eugène  Burney,  d'après  le  buste  de  Coyzevox.  1  vol.  in-4''. 


PARIS.    TYP.    DE    E.    PLON,    KOURRIT    ET    C'°,    HUE    CARANCIÈRE,     10. 


^*^^^ 


(  1845) 


Iti- 


DAVID  D'ANGERS 


ET 


SES  RELATIONS   LITTÉRAIRES 


CORRESPONDANCE   DU    MAITRE 

A  ^  E  c 

VlCl'OU    IR'GO,     LAMAI'.TINE,     CU ATKAl" DIUAND,     DE    VIGNY,    LAMENNAIS, 

RAL/.AC,     CIIAULET,     LOUIS    ET    VICTOIl    PAVIE,     LADY    MOllGAN,     GOOPEH,     UVMnOLDI 

RAUCII,    TIECK,     UERZELIUS,     SCULEGEL,     E'IG. 

1'  L  u  L  1  É  E     p  .V  H 

M.  HENRY   JOUIN 

Lauréat  de  l'Institut 
(Académie  française  et  Académie  des  beaux- arts) 


AVEC    UN    PORTRAIT    INÉDIT    DE    DAVID    D'ANGERS 


PARIS 


LIBRAIRIE      PLON 


E.  PLON,  NOURRIT  et  C'%  IiMPRIMEURS-ÉDlTEURS 


R  U  K     G  A  U  A  N  C  I  li  II  E  ,      10 


1890 
Tous  droits   réserves 


ROBERT    DAVID    D'AN&ERS 


FILS      DU      STATUAIRE 


Hommage  de  gratitude 
H.    J. 


INTRODUCTION 


Nous  avons  publié,  voilà  quelque  douze  ans,  la  Vie  de 
David  d'Angers.  Un  volume  d'Écrits  du  maître  faisait 
suite  à  notre  récit.  Plus  de  cent  lettres  de  l'artiste  ont 
trouvé  place  dans  ce  volume.  On  a  pu  croire  que  le  sujet 
de  notre  étude  était  épuisé.  Revenir  sur  David  est  chose 
permise  à  tous,  sauf  peut-être  à  son  biographe.  Notre 
modèle  n'a-t-il  pas  posé  sous  nos  yeux  aussi  longuement 
que  nous  l'avons  voulu?  Qui  nous  obligeait  à  fermer  le 
livre  dont  nous  seul  avions  tracé  le  plan?  Lorsqu'on 
quitte  la  tribune,  c'est  apparemment  qu'on  n'a  plus  rien 
à  dire,  et  ajouter  à  son  propre  discours  est  une  marque 
d'inexpérience  ou  de  faiblesse. 

Soitl  L'objection  semble  juste.  Y  répondrons-nous?  Inu- 
tile. Nous  ne  sommes  pas  atteint. 

En  effet,  ce  livre  n'est  pas  un  appendice  au  livre  an- 
cien :  c'en  est  le  complément. 

Ce  livre  n'est  pas  notre  œuvre  :  David  et  les  hommes 
de  son  temps  l'ont  écrit. 

En  le  publiant,  nous  ne  faisons  que  mettre  au  jour  ce 
qu'on  pourrait  appeler  les  «  Mémoires  des  autres  ». 

De  nos  jugements  sur  les  hommes  ou  les  choses  inci- 
demment  rappelés    dans  les  lettres  qui   vont  suivre,  de 


IV  INTRODUCTION 

nos  appréciations  personnelles  sur  l'art  durant  la  pre- 
mière moitié  de  ce  siècle,  il  ne  saurait  être  question  dans 
ce  volume. 

Editeur  responsable,  mais  non  pas  auteur,  tel  est  le 
titre  qu'il  nous  siérait  de  prendre  au  sujet  de  cette  publi- 
cation. 

Souhaité  bien  plutôt  que  prémédité,  ce  recueil  a  pris 
forme  à  la  suite  de  circonstances  imprévues.  La  majeure 
partie  des  lettres  qui  le  composent  étaient  conservées  par 
un  homme  de  grand  cœur  et  de  haut  esprit,  Victor  Pavie, 
concitoyen  de  David  d'Angers,  «  ami  et  fils  d'ami», 
comme  il  aimait  à  le  dire  de  lui-même,  lorsqu'il  voulait 
marquer  son  rang  dans  le  cercle  intime  du  statuaire. 

Victor  Pavie,  plus  âgé  que  nous  de  trente  années, 
voulait  bien  nous  honorer  de  son  affectueuse  estime. 
Déjà,  lorsque  nous  composions  la  Vie  du  maître,  Victor 
Pavie  nous  avait  communiqué  de  précieux  fragments  de 
la  correspondance  de  David  avec  Louis  Pavie,  son  père. 
Plus  timide,  plus  réservé  à  l'endroit  des  lettres  dont  il 
était  le  destinataire  et  souvent  l'objet,  Victor  Pavie 
avait  désiré  que  de  son  vivant  on  ne  révélât  pas  au  public 
ce  que  pensait  de  lui  David  d'Angers.  Sa  modestie  prenait 
ombrage  d'une  amitié  dont  il  était  fier,  et  que  ni  l'absence, 
ni  les  divergences  d'opinion  sur  bien  des  points,  ni  l'iné- 
galité des  conditions  n'avaient  refroidie  ou  troublée,  ne 
fût-ce  qu'un  seul  jour,  pendant  une  période  de  plus  de 
trente  ans.  Même  silence  d'ailleurs  de  la  part  de  Victor 
Pavie  à  l'endroit  de  ses  relations  avec  Victor  Hugo,  Sainte- 
Beuve,  Delacroix  et  maint  autre  à  qui  le  succès,  le  bruit,  le 
renom  durable,  la  gloire  entrevue  sinon  déjà  possédée  ne 
firent  point  oublier  l'homme  d'élite,  le  sage  réfugié,  là-bas, 
dans  sa  province,  sous  le  ciel  tempéré  de   l'Anjou,    près 


INTRODUCTION  V 

des  rives  toujours  vertes  de  la  Loire  aux  flots  d'or,  loin  de 
la  presse  qui  aide  aux  réputations,  loin  des  académies  qui 
les  consacrent,  loin  de  Paris,  enfin,  où,  de  nos  jours,  les 
forces  intellectuelles  demeurent  centralisées  et  se  déve- 
loppent par  le  contact,  la  lutte  ou  l'assimilation.  Combien 
parmi  les  illustres  amis  de  Victor  Pavie  qui  le  considéraient 
comme  un  esprit  supérieur  et  le  proclamaient  volontiers 
l'un  de  leurs  pairs! 

David  ne  s'était  pas  soustrait  au  charme  de  cette  intel- 
ligence prime-sautière,  de  ce  cœur  droit  et  enthousiaste. 
Heureux  de  donner  confiance  à  son  ami,  le  statuaire 
écrivait  avec  abandon,  avec  chaleur,  à  Victor  Pavie.  Celui- 
ci 'disparu,  il  ne  nous  semble  pas  qu'il  y  ait  lieu  de  faire 
aucune  restriction  sur  les  éloges  qu'il  s'est  attirés.  Où  le 
destinataire  se  plaisait  à  voir  quelque  hyperbole,  nous  ne 
découvrons  que  l'expression  juste  d'appréciations  encou- 
rageantes, souvent  flatteuses,  mais  avant  tout  sincères  et 
méritées.  Les  proches  de  Victor  Pavie  auront  donc  bien 
servi  sa  mémoire  en  nous  permettant  de  transcrire  plu- 
sieurs centaines  de  lettres  du  sculpteur  pieusement  gar- 
dées par  celui  qui  les  avait  rerues. 

En  possession  de  ces  manuscrits,  nous  nous  sommes 
adressé  au  fils  du  statuaire,  M.  Robert  David  d'Angers, 
qui,  avec  une  parfaite  bonne  grâce,  nous  a  confié  non  seu- 
lement les  réponses  de  Victor  Pavie,  mais  les  autographes 
des  contemporains  du  maître,  saluant  en  lui  de  tous  les 
points  du  monde  un  artisan  de  leur  gloire. 

Cette  fois,  nous  nous  sentions  trop  riche. 

Sous  peine  d'offrir  au  lecteur  un  ensemble  d'écrits  éga- 
lement curieux,  mais  sans  unité,  nous  étions  tenu  de  pro- 
céder à  une  sélection  sévère. 

Un  livre  est  une  construction,  petite    ou  grande.  Tout 


VI  INTRODUCTION 

édifice  comporte  une  salle  d'honneur  et  des  pièces  acces- 
soires. L'orientation,  la  superficie  constituent  pour  la  salle 
d'honneur  la  justification  du  titre  dont  on  la  décore.  Il 
nous  a  paru  convenable  d'apporter  un  juste  équilibre 
dans  la  publication  que  nous  allions  entreprendre.  A 
David,  à  ses  écrits,  la  salle  d'honneur,  vaste,  aérée,  en 
pleine  lumière;  à  ses  correspondants,  sans  en  excepter 
Victor  Pavie,  dont  les  lettres  foisonnent  sous  nos  doigts, 
toutes  originales,  pleines  de  souffle  et  de  hautes  pensées, 
le  jour  discret,  l'espace  mesuré  des  pièces  accessoires. 
Diei  sufficit  malitia  sua.  Nous  reviendrons  plus  tard 
sur  les  pages  mises  en  réserve,  et,  cette  fois,  David 
cédera  la  salle  d'honneur  à  son  ami..  Aujourd'hui,  la  parole 
est  au  statuaire. 

C'est  à  peine  si  de  temps  à  autre  quelques-uns  de  ses 
contemporains  lui  donneront  la  réplique.  Nous  n'avons  au- 
torisé ces  interruptions  que  dans  la  mesure  où  il  nous 
paraissait  utile  de  nommer  les  hôtes  de  l'atelier  du  maître, 
de  dire  quels  hommes  éminents  lui  firent  cortège  durant 
sa  vie.  C'est  qu'en  efî"et  les  adulations  tardives,  pour  être 
souvent  plus  durables  que  les  acclamations  de  la  première 
heure,  n'ont  point  ce  caractère  particulier  de  la  parole 
échangée,  de  l'hommage  qui  va  droit  à  l'homme  que  l'on 
a  le  dessein  d'honorer.  Les  portraitistes  anciens  aimaient 
à  inscrire  au  bas  de  leurs  grandes  effigies,  peintes  ou 
sculptées  en  face  du  modèle,  «  ad  vivum  ».  Faisons  comme 
eux.  Mettons  au  jour  des  lettres,  des  pages  qui  complètent 
le  portrait  du  maître  «  ad  vivum  ». 

Un  poète  a  dit  : 

Aux  yeux  obliques  de  l'envie 
L'homme  vivant  n'est  jamais  beau  ; 
Mort,  ses  vertus,  son  nom,  sa  vie 
Resplendissent  sur  son  tombeau. 


INTRODUCTION  VII 

Donnons  tort  au  poète.  Montrons  que  David  vivant  a 
compté  d'illustres  amitiés. 

Les  néologismes  les  plus  barbares  ont  cours  aujourd'hui 
parmi  les  lettrés  qui  ne  craignent  pas  d'avouer  en  quelle 
estime  ils  tiennent  un  autographe,  une  pièce  manuscrite 
signée  par  un  maître.  Ce  sont  là,  disent-ils,  des  «  documents 
humains  ».  Il  ne  faudrait  pas  presser  beaucoup  cette  locu- 
tion bizarre  pour  se  convaincre  do  ce  qu'elle  a  de  prud- 
hommesque.  Tout  ce  qui  tient  à  l'homme  est  «  humain  ». 
Toutefois,  nous  prenons  acte   du  barbarisme  en  vigueur. 

Il  est  l'indice  d'une  préférence,  d'une  vogue  qui  suffi- 
raient peut-être  à  justifier  notre  publication  nouvelle. 

L'époque  actuelle  manque  de  sérénité.  Tout  le  monde 
parle,  tout  le  monde  écrit.  Dans  ces  conditions,  sortir  du 
rang  est  malaisé.  Les  littérateurs  ne  constituent  plus  une 
élite  :  ils  sont  la  foule.  La  science,  le  talent,  qui  autrefois 
étaient  le  patrimoine  d'intelhgences  aptes  à  féconder  les 
germes,  à  porter  des  fruits,  apparaissent  à  l'état  de  pailles 
légères,  sans  consistance  et  sans  durée,  à  la  surface  de 
toute  glèbe,  je  veux  dire  de  chaque  cerveau  de  vingt  ans. 
Plus  de  racines  vigoureuses,  plus  de  chênes  en  espérance, 
mais,  en  revanche,  partout  des  herbes  folles  et  un  peu  de 
poussière  en  perspective. 

Que  font,  dans  ce  tumulte,  les  gens  avisés,  peu  sou- 
cieux de  scruter  leurs  propres  pensées  et,  par  contre, 
impatients  d'acquérir  le  renom  d'historiens? 

On  les  voit  exhumer  quelques  pièces  poudreuses,  des 
chartes,  des  lettres  revêtues  de  hautes  et  fières  signatures, 
et  ils  éditent  ces  pièces.  Inscrire  son  nom  au-dessous  de 
celui  d'un  diplomate,  d'un  capitaine,  d'un  ministre,  d'un' 
chef  d'empire  ou  d'un  artiste,  n'est  point  une  maladresse. 
Le  reflet  d'une  gloire  ancienne  projeté  sur  la  réputation 


VIII  INTRODUCTION 

d'un  lettré  da  nos  jours  n'est  pas  de  nature  à  compro- 
mettre les  intérêts  de  notre  contemporain.  Le  passé  qui  se 
mêle  au  présent  le  grandit.  C'est  ce  qui  explique,  n'en 
doutez  pas,  le  nombre  considérable  de  publications  «docu- 
mentaires »  mises  au  jour  à  notre  époque.  Les  historiens 
de  l'avenir  ne  se  plaindront  pas  de  notre  penchant  pour  les 
livres  de  cet  ordre.  Nous  traçons  la  voie,  nous  nivelons 
le  sol.  Le  penseur  de  demain  bénéficiera  de  notre  labeur 
d'aujourd'hui. 

Conclusion  :  mobile  intéressé,  résultat  heureux.  Mais, 
nous-mêmes,  n'aurions-nous  pas  cédé  comme  tant  d'autres 
au  désir  de  rapprocher  notre  nom  de  celui  d'un  maître 
disparu?  Notre  ambition  aurait-elle  été  que  la  même  page 
parlât  au  public  de  David  d'Angers  et  de  nous?  Evidem- 
ment non.  Ce  rapprochement,  honorable  pour  nous,  est 
chose  faite  depuis  longtemps.  Autre  a  donc  été  notre  but. 

Toute  gloire  humaine,  si  grande  qu'on  la  suppose,  ren- 
contre tôt  ou  tard  un  juge  implacable  :  le  Temps.  Or,  ce 
dieu  terrible,  à  la  différence  des  juges  de  la  terre,  qui  tour 
à  tour  absolvent  ou  condamnent,  est  invariable  dans  son 
verdict.  La  sentence  qu'il  prononce  est  toujours  la  même  : 
l'oubli.  Les  natures  généreuses  ne  s'accommodent  point 
de  cette  impassible  sévérité.  L'homme  s'impatiente  ;  le 
penseur  se  révolte  en  face  de  cette  incessante  condamna- 
tion. Il  se  sent  humilié  par  ce  jugement  uniforme  qui  tou- 
jours frappe  sur  ceux  dont  les  exemples,  les  vertus,  le 
génie  seraient  un  appui  ou  une  leçon  pour  leurs  descen- 
dants. 

C'est  alors  qu'on  voit  se  dresser,  dans  sa  conscience, 
l'être  d'un  jour  qui  s'en  prend  aux  siècles,  l'atome  intel- 
ligent qui  tient  tête  à  la  force  aveugle.  Et,  pour  une 
heure,  l'inconnu  décroît.  L'oubli  se  sent  troublé  dans  ses 


INTRODUCTION  IX 

profondeurs.  L'ombre  laisse  échapper  quelque  chose  de 
sa  proie  au  profit  de  la  lumière.  Plongeur  intrépide,  le 
révolté  dont  je  parle  rapporte  sur  le  rivage  toutes  les 
épaves  que  ses  bras  robustes  ont  pu  détacher  du  lit  plein 
de  tourbe  d'un  océan  de  doute,  d'obscurité.  Et  les  frag- 
ments disjoints  de  la  statue  se  rapprochent  et  se  juxtapo- 
sent. Une  grande  mémoire  est  reconquise.  Les  ruines  ont 
cessé  d'être.  Le  temps  est  dompté,  sinon  vaincu. 

L'homme  qui  opère  ces  prodiges  s'appelle  un  historien. 
Il  serait  plus  juste  de  lui  donner  le  nom  de  défenseur. 
L'histoire  n'est  autre  chose  qu'un  plaidoyer.  L'historien 
soutient  une  cause.  Son  client  est  plus  qu'un  inculpé.  Le 
temps  a  fait  de  lui  un  condamné.  Le  premier  juge  a  porté 
contre  lui  une  peine  perpétuelle.  Exclu  de  la  pensée 
humaine,  il  est  un  déporté.  Je  me  trompe,  l'oubli  l'enve- 
loppe, c'est  un  disparu.  Le  néant  l'a  repris.  Mais  l'histo- 
rien se  lève  pour  plaider  en  appel.  Il  retrace  la  vie  labo- 
rieuse de  son  client,  sa  haute  fortune,  ses  bienfaits,  ses 
œuvres,  ses  malheurs.  L'oreille  n'était  pas  préparée  à 
cette  rude  défense.  Les  esprits  ont  leurs  préjugés.  La  salle 
d'audience  est  distraite,  soupçonneuse,  hostile  peut-être. 

Que  fera  le  défenseur? 

Il  citera  des  témoins.  On  verra  paraître  dans  le  prétoire 
les  contemporains  du  condamné.  On  les  entendra  dire  ce 
qu'il  fut.  Ils  révéleront  à  tous,  sans  réticences,  les  vertus 
comme  les  fautes  de  l'homme  qu'ils  ont  coudoyé,  aimé, 
haï  à  l'époque  de  leur  vie  terrestre.  Tous  feront  des  dépo- 
sitions authentiques,  écrites  aux  jours  lointains  de  leur 
rencontre  avec  l'homme  en  cause.  Indiscutable,  leur  té- 
moignage éclairera  donc  le  débat.  Le  public,  admis  à  pro- 
noncer dans  ces  grandes  assises,  fera  deux  parts  des  dépo- 
sitions apportées  à  la  barre.  Les  unes,  réclamées  par  le 
défenseur,  deviendront  autant  de  «  documents  à  l'appui  »  ; 


X  INTRODUCTION 

les  autres,  retenues  par  le  juge  suprême,  prendront  le  ca- 
ractère de  a  pièces  à  conviction  ». 

Puis,  cédant  à  ce  penchant  particulier  dont  nous  parlons 
plus  haut,  le  juge,  avant  de  rendre  son  arrêt,  voudra 
savoir  du  défenseur  s'il  n'a  pas  découvert  quelques  écrits 
de  son  client  ;  on  lui  demandera  de  produire  les  pages  in- 
times qu'il  a  pu  se  procurer,  les  confidences  de  son  héros 
tracées  dans  l'abandon  d'une  âme  qui  se  livre  sans  soup- 
çonner la  publicité  possible  de  lettres  dictées  par  l'amitié 
et  placées  sous  la  garde  de  l'amitié. 

Telle  est,  de  nos  jours,  la  tâche  exigée  du  défenseur  de 
toute  mémoire  illustre,  la  tâche  de  l'historien. 

Nous  avions  essayé,  en  écrivant  la  Vie  de  David  d'Angers, 
de  remplir  en  tous  points  les  obligations  qui  s'imposaient 
à  nous.  Notre  livre  contient  des  lettres  du  maître.  Nous 
n'avons  pas  omis  de  parler  de  ses  contemporains.  Mais,  on 
l'a  vu,  de  nombreux  écrits  du  sculpteur  avaient  été  réser- 
vés par  leurs  destinataires.  D'autre  part,  les  témoignages 
des  hommes  de  sa  génération  n'ont  pas  trouvé  place,  sous 
leur  forme  intégrale,  dans  la  biographie  de  David  d'Angers. 
A  ce  double  point  de  vue,  il  était  donc  permis  de  regretter 
que  toutes  les  pièces  du  procès  n'eussent  pas  été  produites. 
Il  nous  a  paru  juste  d'y  revenir.  Ce  livre  est  un  document 
à  l'appui  du  livre  antérieur. 

Au  lecteur  de  dire  si  notre  publication  est  opportune. 
David  n'était  pas,  au  sens  propre  du  mot,  un  lettré.  Ses 
écrits  ne  revêtent  pas  toujours  une  forme  irréprochable. 
En  revanche,  ils  nous  révèlent  une  intelligence  élevée, 
sans  cesse  en  travail;  ils  trahissent  un  cœur  ardent,  d'une 
droiture  à  l'abri  de  toute  défaillance,  plein  de  compassion 
pour  ceux  qui  souffrent,  de  dévouement  intègre  pour  la 
patrie,  d'amour  pour  l'humanité  tout  entière.  Nous  avions 


INTRODUCTION  XI 

relevé  ces  caractéristiques  d'une  personnalité  vraiment 
exceptionnelle.  Mais  on  avait  pu  croire  à  notre  partialité 
bienveillante.  Cette  fois,  c'est  David  qui  parle  ;  c'est  lui 
qui  se  dénonce. 

Quant  aux  contemporains  illustres  du  statuaire,  qui 
l'ont  tenu  pour  l'un  des  leurs,  ils  se  nomment,  dans  les 
lettres  françaises  :  Chateaubriand,  Lamennais,  Lamartine, 
Victor  Hugo,  Musset,  de  Vigny,  Balzac,  A^ictor  Cousin, 
Ballanche,  Cormenin,  Sainte-Beuve,  Stendhal,  Droz, 
Nodier;  dans  la  politique  :  La  Fayette,  Lakanal;  dans  la 
science  :  Lacépède,  Chevreul,  Poinsot,  Jomard;  dans  l'art: 
Roland,  Charlet,  Delacroix,  Hittorff,  Henriquel- Dupont  ; 
à  l'étranger  :  Schelling,  Schlegel,  Berzélius,  Hahnemann, 
Rauch,  Cooper,  Miçkiewicz,  Ludwig  Tieck,  Amélia  Opie, 
lady  Morgan,  Dumont  de  Genève,  Humboldt.  Tous  exal- 
tent le  maître  français.  Nous  ne  pouvions  donc  mieux 
faire,  pensons-nous,  que  de  mettre  au  jour  ces  archives 
ignorées,  ces  lettres  intimes  à  l'aide  desquelles  le  lecteur 
jugera,  nous  l'espérons,  de  la  modération  scrupuleusement 
gardée  par  l'historien  de  David.  Si  pourtant  il  advenait , 
contrairement  à  nos  prévisions,  que  certains  de  ces  «  docu- 
ments à  l'appui  »  devinssent  «  des  pièces  à  conviction  », 
nous  n'aurions  pas  le  droit  de  nous  en  plaindre.  Notre  seul 
but  n'a  t-il  pas  été  d'augmenter  la  somme  de  vérité  sur  la 
vie  et  sur  l'œuvre  de  David  d'Angers? 

Au  surplus,  oublions  un  instant  le  profit  que  peut  reti- 
rer de  ce  volume  la  mémoire  du  maître  :  une  leçon  se  dé- 
gage des  lettres  que  nous  avons  sous  les  yeux.  Elles  nous 
montrent  un  artiste  en  relations  étroites  avec  les  écrivains 
de  son  époque.  L'exemple  est  bon.  L'artiste,  aussi  bien 
que  l'écrivain,  est  un  interprète  de  pensée.  Tous  deux  par- 
lent une  langue  différente,  mais  ils  tendent  au  môme  but. 


XII  INTRODUCTION 

A  rencontre  des  hommes  d'application,  tels  que  le  législa- 
teur, le  magistrat,  le  soldat,  l'industriel,  on  distingue  les 
hommes  d'inspiration,  c'est-à-dire  le  philosophe,  l'orateur, 
le  poète,  l'historien.  A  ceux-ci  se  rattache  l'artiste.  Victor 
Hugo  le  rappelle  dans  une  page  lyrique  dédiée  précisément 
à  David,  lorsque,  délimitant  le  champ  d'action  des  hom- 
mes de  pensée  suivant  le  mode  d'expression  propre  à 
chacun ,  il  vient  de  dire  :  «  La  forme  au  statuaire  1  »  A 
peine  a-t-il  énoncé  cet  axiome  qu'il  s'empresse  d'ajouter: 

La  forme,  ô  grand  sculpteur,  c'est  tout  et  ce  n'est  rien: 
Ce  n'est  rien  sans  l'esprit,  c'est  tout  avec  l'idée. 

Or,  le  penseur,  habile  à  parler  salangue,  estun  auxiliaire 
précieux  pour  l'artiste  qui,  le  plus  souvent, n'a  pas  bénéficié 
d'une  formation  littéraire.  Si  bien  doué  qu'on  le  veuille, 
l'homme  dont  l'esprit  n'a  point  été  discipliné  à  l'heure  de 
la  jeunesse    éprouvera   toujours  quelque  embarras  dans 
l'expression  juste  de  l'idée.  L'inexpérience,  la  gaucherie, 
des   fautes  plus   graves  encore  déparent  maint  ouvrage 
moderne  sorti  des  mains  du  peintre  ou  du  statuaire.  Est- 
ce   indifférence  ou  présomption  ?  Je  ne  puis  le  dire,  mais 
soyez  sûr  que   l'artiste   contemporain  dont  je  parle  s'est 
abstenu  de  vivre  dans  l'intimité  des  lettrés.  Ceux-ci  l'au- 
raient averti   à  temps  de  son  erreur,  tandis  que  le  chef- 
d'œuvre  incomplet   du  maître  ombrageux   qui  a   craint 
d'ouvrir  son  atelier  au  penseur  en  pleine  possession  de 
ses  facultés  intellectuelles,  va  porter  à  jamais  l'empreinte 
de  lacunes  regrettables.  Les  artistes  de  la  Renaissance  se 
montraient  moins  méfiants  à  l'endroit  des  hauts  esprits  de 
leur  époque.  Dans  l'ancienne  France,  le  peintre  et  le  sculp- 
teur nous  apparaissent  en  société  constante  avec  les  phi- 
losophes ou  les  poètes:  Champaigne  fréquente  Port-Royal, 
Le  Sueur  est  l'ami  des  Chartreux,  Mignard  est  chez  Mo- 


INTRODUCTION  XIII 

lière,  Le  Brun  chez  Corneille.  Au  début  de  notre  siècle, 
les  exemples  de  cette  fraternité  sont  nombreux,  mais  l'ar- 
tiste qui  semble  plus  qu'aucun  autre  s'être  pénétré  de 
l'honneur,  du  bienfait  qui  découleraient  pour  lui  de  son 
intimité  avec  les  hommes  de  lettres  de  son  temps,  c'est 
David  d'Angers.  Répétons-le,  l'exemple  est  bon,  et  il  nous 
plaît  de  le  mettre  en  pleine  lumière. 

Toutefois,  ce  retour  de  notre  part  vers  une  grande 
figure  dont  nous  avons  déjàlonguement  entretenu  le  public 
pourra  surprendre.  Nous  l'expliquerions  volontiers  par  le 
besoin  qu'on  éprouve  de  parachever  une  œuvre  caressée. 
L'histoire  d'un  homme  illustre  est-elle  jamais  close?  Non. 
Mais,  il  y  a  plus,  nous  ne  sommes  pas  loin  de  croire  à  la 
vertu  d'un  talisman  mystérieux  qui  toujours  nous  rap- 
proche de  David.  Hahent  sua  fata  memoriœ.  Qu'il  nous 
soit  permis  d'ouvrir  ici  une  parenthèse. 

Celui  qui  écrit  ces  lignes  a  vu  le  jour  dans  la  ville  na- 
tale du  statuaire.  Il  est  vrai  qu'un  demi-siècle  sépare  la 
naissance  du  maître  de  celle  de  son  biographe,  mais  à  la 
distance  de  cent  pas  on  retrouverait  l'emplacement  de 
leurs  berceaux. 

Nos  premières  impressions  d'art,  alors  que  nous  étions 
enfant,  nous  les  avons  goûtées  au  Musée  David,  où  les 
effigies  sans  nombre  des  hommes  de  pensée  forment  un 
ensemble  grandiose,  presque  magique,  fait  pour  frapper 
l'esprit.  Nous  avions  moins  de  quinze  ans  lorsque  David 
mourut  à  Paris,  dans  sa  demeure  de  la  rue  d'Assas,  au- 
jourd'hui détruite  par  le  tracé  de  la  rue  de  Rennes.  Jamais 
nous  n'avions  vu  notre  artiste ,  mais  la  nouvelle  dfe 
sa  mort  nous  émut  profondément.  Nous  la  jugions  un 
vide  pour  l'École  française,  une  calamité  publique  pour  la 
province  natale  du  sculpteur,  et.  qu'on  nous  pardonne  cet 


XIV  INTRODUCTION 

aveu,  une  sorte  de  deuil  domestique  pour  nous-même. 
L'un  de  nos  rêves  d'enfant  s'évanouissait.  L'espoir  long- 
temps nourri  de  rencontrer  un  jour  le  mâle  ouvrier  de 
tant  d'œuvres  robustes  nous  échappait.  David  était  mort. 
Pendant  de  longues  heures  nous  assaillîmes  de  questions 
l'un  de  nos  professeurs,  car  nous  étions  encore  au  col- 
lège; nous  voulions  savoir  en  quoi  consiste  le  modelage 
de  la  terre,  sa  cuisson,  le  moulage,  la  fonte.  Un  point  sur- 
tout nous  intriguait.  Avait-on  conservé  les  plâtres  origi- 
naux de  David  d'Angers,  de  telle  sorte  qu'il  fût  possible 
de  procéder  à  une  fonte  nouvelle  si,  par  hasard,  une  œuvre 
du  maître  disparu  venait  à  subir  quelque  outrage  ?  Il  était 
manifeste  pour  le  psychologue  ou  le  simple  observateur 
que  l'enfant  curieux,  aux  interrogations  pressantes,  avait 
voué  à  David  une  sorte  d'affectueuse  admiration  qui  déjà 
lui  permettait  de  vivre  par  la  pensée,  en  dépit  du  temps 
ou  de  l'espace,  dans  l'intimité  de  son  modèle. 

Adieu  donc,  jeune  ami  que  je  n'ai  pas  connu, 

a  dit  un  poète  de  ce  siècle  en  déplorant  de  n'avoir  pu 
converser  avec  André  Chénier.  Pour  un  peu,  nous  aurions 
retouché  le  vers  de  notre  devancier,  afin  de  l'adapter  à  nos 
regrets;  pour  un  peu,  nous  aurions  dit  nous-même  : 

Adieu,  maître  puissant  que  je  n'ai  pas  connu! 

La  ville  d'Angers  commanda,  dès  1856,  le  buste  du 
sculpteur.  Toussaint,  l'élève  de  David,  honoré  de  cette 
commande,  mais  empêché  par  la  maladie  de  répondre 
promptement  au  vœu  des  Angevins,  retint  plusieurs  an- 
nées dans  son  atelier  le  marbre  ébauché.  Cependant 
on  annonçait  de  temps  à  autre  l'achèvement  du  buste 
et  son  inauguration  prochaine.  Nous  pouvions  avoir  dix- 
huit  ans,  lorsqu'au  retour  d'une  station  prolongée  au  Musée 


INTRODUCTION  XV 

David,  nous  entreprîmes  de  composer  le  poème  d'une 
cantate  destinée,  dans  notre  esprit,  à  rehausser  l'éclat 
de  la  réception  du  buste.  Notre  poème  était  dialogué.  Les 
personnages  de  cette  scène  lyrique,  c'est  à  David  que  nous 
les  avions  demandés.  La  Jeune  Grecque,  Philopœmen, 
l'Enfant  à  la  grappe,  Condé,  Bo7ichamps,  André  Ché- 
nier.  Barra,  Bernardin  de  Saint-Pierre  avaient  leurs 
stances  dans  cette  composition.  Des  chœurs  alternaient 
avec  les  voix  de  ces  grandes  ombres,  rendant  hommage  au 
génie  créateur  qui  les  avait  rappelées  à  la  lumière.  Notre 
ode  triomphale  terminée,  nous  l'offrîmes  à  M™^  Da- 
vid. Cet  envoi  nous  valut  une  lettre  flatteuse,  soigneuse- 
ment classée  dans  notre  portefeuille  d'autographes.  Mais 
'inauguration  si  souvent  annoncée  se  fit  encore  attendre 
quatre  années.  Elle  n'eut  lieu  qu'en  mars  1863.  Naturelle- 
ment, notre  poème  n'avait  pas  trouvé  de  compositeur. 
Nous  avons  su  depuis  qu'il  n'existait  plus  trace  de  ces 
rimes  de  jeunesse,  et  leur  disparition,  loin  de  nous  attris- 
ter, nous  rassure.  Il  ne  messied  pas  d'attendre  l'âge  de 
la  maturité  pour  s'essayer  à  l'éloge  des  maîtres. 

Le  jour  de  l'inauguration,  nous  dûmes  renoncer  à  péné- 
trer dans  la  Galerie  David,  où  Victor  Pavie  prononça  un 
discours  brillant,  dicté  par  le  sens  critique  le  plus  élevé, 
par  l'amitié  la  plus  vraie. 

Ces  échecs  devaient-ils  nous  rendre  moins  chère  la  mé- 
moire de  David  ?  Nullement.  C'est  en  1863  que  nous  étu- 
dions son  œuvre  avec  méthode.  Nous  nous  appliquons  à 
combler  les  lacunes,  à  éclaircir  les  doutes  que  laissaient 
subsister  les  écrivains  qui  s'étaient  occupés  du  statuaire. 
Établir  la  chronologie  de  ses  ouvrages  n'était  pas  chose 
aisée.  Toutefois,  aidé  par  les  indications  de  M™^  David, 
nous  triomphons  de  l'obstacle,  et  en  1870,  quelques  se- 
maines seulement  avant  que  la  guerre  éclatât,  avec  ses 


XVI  INTRODUCTION 

anxiétés  et  presque  aussitôt  ses  deuils,  nous  mettions  au 
jour  un  volume  dans  lequel  étaient  sommairement  ana- 
lysés la  vie  et  l'œuvre  de  l'artiste. 

La  Notice  dont  nous  parlons  se  fermait  sur  ces  lignes  : 
<r  Ce  n'est  point  la  vie  du  sculpteur  que  nous  venons  d'é- 
crire ;  nous  n'avons  guère  tracé  que  l'esquisse  incorrecte 
d'une  grande  figure  à  laquelle  il  ne  convient  pas  de  consa- 
crer seulement  quelques  lignes  éparses  ou  une  brochure, 
mais  qui  a  droit  au  Livre.  Il  se  fera.  Souhaitons  que  ce 
soit  l'œuvre  d'un  Angevin.   » 

Entre  temps,  au  début  de  1872,  un  photographe  d'An- 
gers, M.  Lebiez,  nous  racontait  cet  épisode  douloureux  de 
l'année  terrible.  Un  officier  en  garnison  dans  la  ville  lui 
avait  commandé  sa  photographie.  La  facture  du  praticien 
pouvait  s'élever  à  cinquante  francs.  Survient  la  déclara- 
tion de  guerre.  L'officier  reçoit  l'ordre  de  gagner  la  fron- 
tière menacée.  Il  vient  trouver  son  créancier.  «  Je  vous 
dois  quelque  argent,  dit-il  au  photographe,  mais  en  ce 
moment  je  n'ose  disposer  de  mes  épargnes.  Acceptez  en 
gage  un  objet  précieux.  C'est  le  premier  buste  qu'ait 
sculpté  David  d'Angers.  Il  est  daté  de  1810  et  signé  «  David 
fils  ».  Il  représente  un  jeune  lieutenant,  Angevin  d'origine, 
Charles  Poupard,  ami  du  sculpteur.  Je  tiens  à  cet  ouvrage. 
Si  je  reviens  vivant  de  la  campagne,  je  vous  payerai  ma 
dette  et  vous  me  rendrez  le  buste .  Si  je  meurs,  vous  l'ap- 
prendrez par  mon  silence,  et,  dans  ce  cas,  l'œuvre  de  David 
sera  vôtre.  » 

Le  triste  pressentiment  de  l'officier  s'était  réalisé.  Son 
silence  ne  laissait  aucun  doute  sur  sa  mort.  On  savait 
d'ailleurs  que  le  régiment  dans  lequel  il  commandait  avait 
été  enseveli  sous  les  ruines  de  Bazeilles.  «  —  Tenez-moi 
compte  de  la  dette  de  l'officier,  me  dit  Lebiez,  et  je  vous 
cède  le  buste.  Toutefois,  si  jamais  mon  débiteur  donnait 


INTRODUCTION  XVII 

signe  de  vie,  notre  présent  contrat  deviendrait  nul.  J'accep- 
tai. Le  vaincu  de  Bazeilles  est  toujours  muet,  et  depuis 
quinze  ans  le  buste  du  lieutenant  Poupard  est  au  Musée 
David,  oii  il  a  été  déposé  sous  réserve. 

En  1873  j'étais  à  Paris.  Le  Livre  que  j'estimais  mérité 
par  David,  j'espérais  bien  l'écrire.  Un  certain  jour,  la 
maxime  de  Shakespeare  me  traverse  l'esprit.  Quelle  peut 
bien  être  cette  maxime,  direz-vous?  Shakespeare  a  laissé 
bien  des  pages,  et  vraisemblablement  plus  d'une  maxime 
est  tombée  de  sa  plume.  C'est  chose  probable,  mais  la 
grande  maxime  du  poète  à'Hamlet  et  du  Roi  Lear,  celle 
que  chacun  de  nous  doit  connaître  et  mettre  en  pratique 
sous  peine  de  ne  jamais  être  quelqu'un,  la  voici  : 

«  Je  ne  sais  pas  pourquoi  j'en  suis  encore  à  me  dire  ceci  est  à  faire, 
lorsque  j'ai  force  et  raison  de  le  faire.  » 

Essayez  parfois  de  méditer  sur  cette  forte  parole.  Qui- 
conque en  saisira  le  sens  donnera  sa  propre  mesure.  Elle 
est  un  stimulant  à  l'action  soudaine.  Elle  est  le  désaveu 
des  ajournements,  des  lenteurs  chez  l'homme,  dont  les 
jours  sont  comptés. 

C'était  le  25  décembre  1874  que  le  mot  de  Shakespeare 
nous  était  revenu.  Le  soir  même  nous  tracions  les  pre- 
mières lignes  de  la  Yie  du  maître,  achevée  deux  ans 
plus  tard,  imprimée  en  1877,  offerte  au  début  de  l'année 
suivante  à  M'"^  David,  peu  de  semaines  avant  sa  mort. 
La  veuve  du  statuaire  nous  fit  parvenir  ce  billet  trop 
élogieux,  mais  bien  touchant,  tracé  d'une  main  brisée  par 
la    maladie  : 

(  Merci,  Monsieur!  je  puis  mourir. Maintenant  notre  nom  vivra! 

(1  l'Emilie  David  d'Angers.  » 


XVIII  INTRODUCTION 

Il  faut  tout  dire.  Nous  avions  éprouvé  quelque  difficulté, 
dans  les  premiers  mois  de  1875,  à  vaincre  les  hésitations 
de  M™"^  David  au  sujet  de  notre  ouvrage.  La  veuve  du 
maître  avait  espéré  que  la  Vie  de  son  mari  serait  compo- 
sée par  Victor  Pavie.  Au  surplus,  quelques  lettres  de  Da- 
vid nous  révèlent  que  Victor  Pavie  avait  été  constitué  en 
quelque  sorte  comme  le  gardien  autorisé  d'une  mémoire 
qui  lui  demeura  toujours  chère.  Mais  Victor  Pavie,  par 
un  sentiment  de  réserve  excessive,  bien  fait  pour  nous 
rendre  perplexe,  ne  s'estimait  pas  préparé  à  entreprendre 
et.  à  mener  à  terme  le  récit  d'une  existence  aussi  remplie 
que  celle  du  statuaire.  Cette  tâche  séduisante  l'effrayait. 
Nous  l'avions  entendu  se  retrancher  derrière  les  années, 
les  occupations,  une  santé  chancelante.  De  ce  côté,  nous 
étions  donc  certain  de  ne  pas  empiéter  sur  les  droits  de 
l'amitié.  Il  nous  fallait  maintenant  obtenir  le  concours 
bienveillant  de  M^^^  David  afin  de  faire  bénéficier  notre 
travail  des  notes  inédites,  des  détails  intimes  que  seuls 
les  proches  d'un  homme  illustre  sont  en  mesure  de  four- 
nir avec  exactitude. 

Ce  concours  nous  fut  d'abord  refusé. 

Notre  ennui  fut  profond.  Les  conséquences  du  refus  de 
M™^  David  pouvaient  être  fâcheuses  pour  notre  livre. 
Si  cruelle  que  fût  notre  déception,  elle  n'alla  pas  cepen- 
dant jusqu'à  nous  faire   renoncer  à  notre  entreprise. 

Des  pièces  assez  nombreuses  avaient  été  recueillies  par 
nous  dans  les  dépôts  d'archives,  dans  les  cabinets  d'ama- 
teurs. Des  lettres  de  la  vingtième  année  adressées  par 
David  à  l'un  de  ses  camarades  d'enfance  étaient  entre  nos 
mains.  Notre  premier  chapitre  renfermait  plus  d'un  trait  cu- 
rieux, ignoré,  sur  l'enfance  du  maître.  Cette  partie  de  notre 
œuvre  terminée,  nous  oSrîmes  à  M""*  David  d'en  en- 
tendre la  lecture.  N'était-il  pas  convenable  qu'elle  eût,  le 


INTRODUCTION  XIX 

cas  échéant,  la  faculté  de  relever  les  erreurs  de  notre  récit? 
La  réponse  se  fit  attendre  ;  puis,  rendez-vous  nous  fut 
donné  ruePétrelle,  dans  l'atelier  de  M.  Robert  David. 

C'est  là  qu'en  présence  de  la  veuve  et  du  fils  du  statuaire 
eut  lieu  la  communication  des  premiers  feuillets  de 
notre  manuscrit.  L'épreuve  réussit  au  delà  de  toute  espé- 
rance. Sa  lecture  achevée,  l'auteur  prit  congé.  Mais,  dès 
le  lendemain,  M'"*'  David  lui  apportait  dans  son  cabinet 
tout  ce  qu'elle  avait  conservé  de  notes  écrites,  de  lettres, 
de  journaux,  de  brochures  ayant  trait  à  son  mari. 

Et  pendant  de  longs  mois  les  deux  auditeurs  de  la  rue 
Pétrelle  s'acheminèrent,  à  des  intervalles  inégaux,  vers  la 
demeure  du  biographe  de  David  pour  entendre  la  lecture 
de  chaque  chapitre  du  livre  en  préparation,  au  fur  et  à 
mesure  que  l'auteur  l'avait  terminé.  Est-il  besoin  de  le 
dire?  cette  collaboration  m'a  été  grandement  utile. 

Par  une  coïncidence  qui  n'eut  rien  de  préconçu,  les  faits 
que  je  relate  ici  se  passèrent  rue  d'Assas,  à  quelques  pas 
du  lieu  oi!i  était  mort  David ,  oii  il  avait  vécu  vingt  an- 
nées, d'oii  étaient  partis  le  Talma,  le  Giitenberg,  le  Che- 
verus,  le  Bichat,  le  Larrey,  Y  Enfant  à  la  grappe,  le 
Jean  Bart,  le  Bernardin  de  Saint-Pierre  et  tant  d'autres 
œuvres!  Il  semblait  que  l'historien  du  statuaire  eût  voulu 
se  rapproclier  de  l'atelier  de  son  modèle  afin  de  se  mieux 
pénétrer  des  pensées  du  maître.  A  l'exemple  de  David,  il 
avait  déserté  l'Anjou,  et  planté  sa  tente  dans  le  voisinage 
le  plus  rapproché  de  la  maison  de  son  héros.  —  Singulière 
rencontre  t 

Ce  n'est  pas  tout. 

Le  livre  composé,  il  fallut  songera  l'impression.  Or,  le 
plus  fortuitement  du  monde,  on  vit  l'auteur,  nanti  de  son 
manuscrit,  se  diriger  vers  l'hôtel  Garance  ou  Garancée, 
reconstruit  au  dix-septième   siècle   pour  René  de  Rieux , 


XX  INTRODUCTION 

évêque  et  comte  de  Léon,  dénommé  successivement  depuis, 
au  dire  de  Lefeuve,  hôtel  de  Sourdéac,  de  la  Soudière,  de 
MontagU;  de  Lubersac,  de  Roquelaure,  et,  il  y  a  quarante 
ans,  mairie  du  XP  arrondissement.  Or,  notre  lecteur  trou- 
vera plus  loin,  sous  la  date  du  15  mars  1848,  une  lettre  de 
David  à  Victor  Pavie  dans  laquelle  il  lui  apprend  qu'au 
lendemain  des  journées  de  Février,  il  fut  informé  qu'on  l'a- 
vait nommé  maire  et,  peu  après,  direc  teur  des  Musées 
nationaux.  Déclinant  l'honneur  d'occuper  le  poste  rétribué 
de  directeur  des  Musées,  l'artiste  accepta  les  fonctions 
gratuites  de  maire  du  XP  arrondissement.  Et  c'est  préci- 
sément dans  l'ancienne  mairie  que  résident  aujourd'hui 
M.  Pion  et  ses  associés  qui  acceptèrent  d'éditer  notre  livre. 
La  Vie  du  maître  a  donc  été  imprimée  au  lieu  même  où  il 
avait  vécu  durant  plusieurs  années,  consacrant  ses  jours 
et  ses  veilles  au  maintien  de  l'ordre,  à  une  époque  agitée 
de  notre  histoire  contemporaine. 

Du  moins,  pensera  le  lecteur,  la  chaîne  des  coïncidences 
n'a  pas  dû  se  prolonger? 

Erreur. 

L'histoire  du  statuaire,  avons-nous  dit,  fut  composée 
auprès  de  son  atelier.  Une  fois  encore  nous  nous  sommes 
rapproché,  sans  y  songer,  de  l'une  des  demeures  de  David. 
Ces  lignes  sont  tracées  dans  l'hôtel  de  Beauvau,  contigu 
à  l'ancienne  mairie  du  XP  arrondissement. 

Pour  peu  que  le  talisman  garde  sa  vertu,  nous  voilà  tenu 
de  dater  de  Géphisia  ou  de  Missolonghi,  d'oii  le  maître  a 
écrit  pendant  ses  mois  d'exil  quelques-unes  de  ses  plus 
belles  lettres,  la  prochaine  publication  que  nous  ferions 
sur  lui. 

Eh  quoi!  encore  un  livre!  Cette  fois,  n'aurons-nous  pas 
tout  dit?  Reviendrons-nous  sans  cesse  sur  le  même  ai^- 
tiste?La  prudence  et  Musset  conseillent  de  ne  jurer  de 


INTRODUCTION  XXI 

rien  t  Nous -même  nous  avons  pris  pour  règle  de  parler  des 
maîtres  «  à  loisir,  sans  lassitude  et  avec  amour  ».  N'enga- 
geons donc  point  l'avenir.  Réservons  notre  liberté.  Mais,  à 
tout  événement,  il  n'est  que  temps  de  fermer  cette  paren- 
thèse. Nos  souvenirs  personnels  tiennent  trop  de  place  ici, 
puisque  nous  avions  le  projet  de  n'offrir  au  lecteur  que 
les  «  Mémoires  des  autres  »I 


Nous  aurons  à  faire,  au  cours  des  pages  qui  vont  suivre,  de  fréquents 
renvois  à  deux  ouvrages  dans  lesquels  il  est  longuement  parlé  de  David 
d'Angers  et  de  son  œuvre.  Ce  sont  nos  propres  publications  : 

David  d'Angers,  sa  vie,  son  œuvre,  ses  écrits  et  ses  contemporains 
(Paris,  E.  Pion,  Nourrit  et  0%  1878,  2  vol.  in-8°). 

Histoire  et  description  des  Musées  d'Angers  :  Musée  de  peinture  et  de 
sculpture,  Musée  David,  etc.  (Paris,  mênaes  éditeurs,  iSSo,  1  vol.  in-8»). 

Nous  inscrivons  ici,  pour  n'y  plus  revenir,  le  titre  développé  de  ces 
deux  ouvrages,  que  nous  donnerons  désormais  en  l'abrégeant.  Nous 
allégerons  de  la  sorte,  autant  que  possible,  les  notes  et  commentaires, 
d'ailleurs  très  succincts,  nécessaires  à  l'éclaircissement  des  autographes 
insérés  dans  ce  recueil. 


DAVID    D'ANGERS 


ET   SES   RELATIONS    LITTERAIRES 


1811 


I 

Pajoii,  Roland,    Louis   David,    Dejoux,    "Vincent,   Ménageot, 
Lecomte,  Lemercier,  Jeuffroy,  au  maire  d'Angers. 

Demande  d'une  pension   en  faveur  de  P.-J.  David,    élève  de  l'École  des 
beaux-arts  à  Paris. 

Paris,   12  février  1811. 

A  Monsieur  le  Maire  de  la  ville  d'Angers. 
Monsieur, 

J'ose  solliciter  votre  bienveillance  en  faveur  d'un  jeune  artiste 
natif  d'Angers,  nommé  David. 

Ce  jeune  homme,  venu  à  Paris  depuis  un  peu  plus  de  deux 
années,  avec  le  désir  de  s'occuper  de  l'étude  de  la  sculpture,  s'est 
livré  à  ce  travail  avec  beaucoup  de  zèle,  et  avec  tant  de  succès 
qu'il  a  remporté,  l'année  dernière,  le  deuxième  grand-prix  de 
sculpture.  11  vient,  tout  récemment  encore,  de  remporter  le  prix 
de  la  «  tète  d'expression  »,  qui  lui  a  été  décerné  d'une  voix  una- 
nime. 

De  tels  succès  ne  sont  point  ordinaires  parmi  les  jeunes  élèves, 
et  ils  sont  d'autant  plus  étonnants  pour  le  jeune  David  qu'il 
est  nécessairement  détourné  de  ses  éludes  par  Tobligalion  de 

1 


2  DAVID   D'ANGERS 

pourvoir  à  sa  subsistance.  Son  père,  qui  peut  à  peine  suffire  à 
la  sienne  et  à  celle  de  ses  autres  enfants,  est  dans  l'impossibilité 
de  le  secourir.  Il  serait  à  désirer  que  la  commune  d'Angers  pût 
assurer  à  cet  intéressant  jeune  homme  un  secours  annuel  qui 
l'aidât  à  poursuivre  ses  études,  sans  qu'il  en  fût  sans  cesse  dé- 
tourné par  la  nécessité  de  gagner  sa  vie. 

La  ville  de  Liège  a  accordé  un  bienfait  de  cette  nature  à  un 
jeune  sculpteur  nommé  Rutxhiel,  présentement  à  Rome,  après 
avoir  remporté  le  grand-prix. 

Il  y  a  tout  lieu  d'espérer  que  le  jeune  David  ne  tardera  pas  à 
obtenir  le  même  succès.  11  n'en  serait  probablement  privé  que 
par  la  nécessité  de  travailler  pour  vivre  ;  alors  vous  concevez^ 
Monsieur,  combien  il  importe  de  le  mettre  à  même  d'étudier  sans 
interruption. 

J'ai  pensé  ne  pouvoir  m'adresser  mieux  qu'à  vous,  pour  sol- 
liciter cette  faveur  de  votre  commune. 

Vous  aurez  la  gloire  de  contribuer  aux  succès  d'un  artiste  qui, 
dévoré  du  désir  de  se  distinguer  et  doué  par  la  nature  des  plus 
heureuses  dispositions,  ne  pourra  qu'illustrer  son  pays. 

Je  n'ajouterai  qu'un  fait  qui  vous  donnera  une  idée  du  zèle  de 
ce  jeune  homme  :  je  l'ai  vu  cet  hiver  travailler  sans  feu,  se  nour- 
rissant de  pain  et  d'eau  et  passant  les  nuits  à  étudier. 

La  meilleure  constitution  ne  pourrait  résister  longtemps  à  un 
tel  régime. 

Il  ne  tient  qu'à  vous  d'adoucir  son  sort,  et  j'espère  tout  de  votre 
zèle  et  de  votre  amour  pour  les  arts. 

Agréez,  Monsieur  le  Maire,  l'assurance  de  la  parfaite  considé- 
ration de  votre  très  humble  serviteur, 

Pajou,  peintre  d'histoire. 

Rue  Jacob,  16,  faubourg  Saint-Germain; 

J'appuie  la  présente  sollicitation  en  faveur  du  jeune  David,  qui 
en  a  un  très  grand  besoin  et  qui  le  mérite  par  ses  excellentes 
qualités. 

Roland, 

Membre  de  l'Institut  et  de  la  Légion   d'honneur, 
et  professeur  des  Écoles  spéciales  des  beaux-arts. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  3 

On  ne  psut  dire  rien  de  plus  vrai  que  ce  qui  est  relaté  dans  la 
présente  demande  :  les  progrès  du  jeune  David  se  sont  passés  en 
quelque  sorte  sous  mes  yeux  et  je  puis  assurer  également  que  je 
n'ai  jamais  vu  de  pareilles  dispositions. 

David, 

Premier  Peintre  de  S.  M.'] 'Empereur, 
officier  de  la  Légion  d'iioniieur, 
merabi'e  de  l'Inslitut  ImpùriaL 

Dejoux, 

Sculpteur,  membre  de  l'Institut 
et  de  la  Légion  d'honneur. 

Je  me  plais  à  donner  au  jeune  David  un  témoignage  de  l'estime 
que  je  fais  de  sa  personne  et  de  ses  talents  distingués. 

Vincent, 

Membre  de  la  Légion  d'honneur 
et  de  l'Institut  de  France. 
Professeur  aux  Écoles  spéciales  des  beaux-arts  à  Paris. 

Je  rends  ici  témoignage  des  bonnes  dispositions  et  de  la  con- 
duite parfaite  de  M.  David,  dont  j'ai  suivi  les  études  à  l'Académie, 
où  il  a  remporté  avec  honneur  plusieurs  prix  qui  attestent  un 
talent  qui  n'attend  que  le  moyen  de  se  perfectionner.  Ce  jeune 
artiste,  si  intéressant  sous  tous  les  rapports,  qui  a  beaucoup  reçu 
de  la  nature  et  rien  de  la  fortune,  serait  en  tout  on  ne  peut  plus 
digne  de  ce  que  les  amis  des  arts  et  la  ville  d'Angers  pourraient 
faire  pour  lui  faciliter  le  moyen  de  poursuivre  ses  études  et  de 
contribuer  un  jour  à  l'honneur  de  l'art  du  statuaire  et  de  sa 
patrie. 

Ménageot, 

Ancien  directeur  de  l'Académie  de  France  à  Rome. 
Professeur  de  Ecoles  des  beaux-arts. 
Membre  de  l'Institut  et  de  la  Légion  d'honneur. 

Certifié  véritable  le  témoignage  rendu  aux  talents  et  aux 
bonnes  mœurs  du  jeune  David. 

F.  Lecomte, 

Meml)ro  de  l'Institut. 
Recteur   et  administrateur  des  Écoles  de  peinture, 
sculpture  et  architecture. 

Je  connais  le  jeune  artiste  David  et  je  l'estime  autant   que 


4  DAVID    D'ANGERS 

je  l'affectionne.   Si  sa  ville  natale  peut  venir  à  son  secours,  je 
crois  qu'elle  ne  peut  faire  une  meilleure  œuvre. 

Lemercier. 

Jeuffroy, 

Membre  de  l'Institut,  professeur  de  l'Ecole  Impériale 
de  gravure  sur  pierres  fines. 

Archives  vninicipales  d'Angers.  —  Est-Il  nécessaire  de  présenter  au 
lecteur  chacun  des  signataires  de  cette  lettre,  tout  à  l'honneur  de  David 
encore  élève  de  l'Ecole  des  beaux-arts?  C'est  d'abord  le  peintre  Jacques- 
Auguste  Pajou,  puis  le  sculpteur  Roland  (Philippe-Laurent),  maître  de 
David,  puis  le  peintre  des  Sublnes,  qui  avait  également  donné  ses  leçons  à 
son  jeune  homonyme,  le  sculpteur  Claude  Dejoux,  les  peintres  François- 
André  Vincent  et  François-Guillaume  Ménageot,  le  sculpteur  Félix  Lecomte, 
le  graveur  en  pierres  fines  Romain-Vincent  Jeuffroy  et  enfin  Lemercier. 
Quel  est  ce  Lemercier?  L'absence  de  titre  à  la  suite  du  nom  autorise  plus 
d'une  hypothèse.  A  tout  hasard  nous  apportons  la  nôtre.  Nous  devons  être 
en  présence  de  Louis-Jean-Népomucène  Lemercier,  entré  à  l'Académie 
française  en  1810.  Mais  que  viendrait  faire  un  littérateur  au  milieu  de  tant 
.  d'artistes  ?  Ne  nous  hâtons  pas  de  le  proscrire.  Lemercier  a  quelque  droit 
de  signer  une  requête  que  revêt  de  sa  griffe  Louis  David,  le  Premier  Peintre 
de  l'Empereur.  Ouvrez  le  discours  de  réception  à  l'Académie  française  de 
Victor  Hugo,  successeur  de  Lemercier  :  vous  y  lirez  que  le  poète  d'Aga- 
memnon  fut  l'ami  de  David.  Ouvrez  les  Archives  de  l'Art  français  :  vous  y 
trouverez  une  lettre  du  peintre  au  marquis  de  Brusiartdans  laquelle  David 
ne  craint  pas  de  revendiquer  le  poète  pour  son  élève.  Au  surplus,  Lemer- 
cier s'autoiise  ici  de  son  amitié  pour  l'artiste  angevin.  L'amitié  a  partout 
le  droit  de  se  faire  entendre.  Il  est  à  remarquer  que  la  requête  adressée  au 
maire  d'Angers,  et  qui  reçut  d'ailleurs  un  accueil  favorable,  valut  à  ses 
auteurs  une  récompense  flatteuse.  De  retour  d'Italie,  David  d'Angers 
modela  le  médaillon  de  la  plupart  des  signataires  de  la  lettre  ci-dessus. 
Pajou,  Roland,  Louis  David,  Dejoux  et  Lemercier  reçurent  du  statuaire  cet 
hommage  délicat.  Vincent  et  Ménageot  étaient  morts  en  1816,  au  moment  où 
notre  David  était  à  Londres.  Lecomte  ayant  succombé  en  février  1817,  son 
protégé  de  1811  n'eut  pas  le  temps  de  reproduire  son  profil.  Reste  Jeuffroy, 
mort  seulement  en  18:26,  presque  octogénaire,  mais  Jeuffroy  vivait  dans 
ses  derniers  temps  hors  de  Paris.  Rien  de  surprenant  à  ce  que  David  n'ait 
pu  commodément  reconnaître  le  service  dont  il  lui  était  redevable.  Le 
maire  d'Angers  obtint  sans  peine  de  la  municipalité  un  secours  de  cinq 
cents  francs  pour  l'artiste  si  chaleureusement  recommandé.  Puis,  en  cette 
même  année  1811,  David  ayant  remporté  le  grand-prix,  une  allocation  de 
1,200  francs  lui  fut  alors  votée  par  sa  ville  natale. 


ET   SES  RELATIONS   LITTÉRAIRES  5 

1812 
II 

David  au  sculpteur  Philippe  Roland. 

La  nature  et  l'aiiLique.  —  Rome.  —  Monte  Cavallo.  —  La  statue 
du  Jeune  Berger. 

Rome,  le  ^23  mai  1812. 

Mon  cher  Maître, 

Je  parais  à  vos  yeux  un  homme  négligent  :  en  apparence  je 
mérite  ce  reproche,  mais  je  pense  que  quand  je  vous  aurai  dit 
quels  sont  les  motifs  qui  m'ont  empêché  de  vous  écrire,  j'ose 
croire  que  je  ne  vous  paraîtrai  plus  si  coupable. 

D'abord,  dans  les  lettres  que  j'ai  écrites  à  M.  Pajou,  je  l'ai  tou- 
jours prié  de  vous  présenter  mon  respect.  Je  ne  voulais  pas  vous 
écrire  sans  vous  envoyer  le  croquis  de  ma  figure.  J'ai  cherché  à 
voir  toutes  les  belles  choses  que  cette  superbe  Rome  renferme,  et 
c'est,  il  me  semble,  dans  les  premiers  instants  oîi  l'on  arrive  dans 
cette  ville  qu'on  doit  voir  beaucoup;  c'est  la  seule  raison  qui  m'a 
engagé  à  faire  une  figure  de  jeune  homme,  ce  qui  ne  me  tiendra 
pas  très  longtems;  outre  cela  que  le  modèle  est  très  beau,  et  tout 
est  beau  à  étudier  dans  celte  pose,  je  n'ai  pas  balancé  à  faire 
cette  figure-là.  J'ai  dessein  de  mettre  à  ses  pieds  un  petit  che- 
vreau qu'il  vient  de  tuer  par  mégarde. 

Je  tâche  autant  qu'il  m'est  possible  de  suivre  dans  mes  études 
la  route  que  vos  précieuses  leçons  m'ont  tracée  ;  je  ne  manque  pas 
d'aller  tous  les  soirs  étudier  d'après  le  modèle  qui  pose  à  l'Aca- 
démie. Je  dessine  d'après  l'antique  :  je  sais  que  vous  m'avez  tou- 
jours dit  que  l'antique  servait  à  faire  voir  les  beautés  qui  existent 
dans  la  nature.  Privé  du  bonheur  d'avoir  tous  les  jours   vos 
conseils,  il  ne  me  reste  de  ressources,  tant  que  je  serai  à  Rome, 
que  ces  deux  maîtres,  la  nature  et  l'antique;  je  dois  à  vos  con- 
seils la  connaissance  du  fruit  qu'on  peut  tirer  de  l'étude  de  ces 
deux  maîtres,  et  j'ose  croire  que  vous  mettrez  le  comble  à  tous 
les  bienfaits  dont  vous  m'avez  honoré  en  me  donnant  toujours 
vos  avis. 


6  DAVID  D'ANGERS 

Je  vais  souvent  voir  les  statues  de  Monte  Gavallo;  je  vais  tâcher 
de  dessiner  ces  figures  de  tous  les  côtés  et  de  les  mesurer.  Il  me 
semble  que  ces  figures  sont  un  type  qui  montre  ce  que  doivent 
être  des  statues  exposées  à  l'air.  Elles  me  paraissent  beaucoup 
plus  grandes  qu'elles  ne  sont  réellement  ;  de  quelque  manière 
qu'elles  soient  éclairées,  c'est  toujours  de  la  sculpture  surpre- 
nante. Voilà  l'effet  que  ces  figures  me  font.  Après  cela,  j'attends 
votre  sentiment  sur  cette  sculpture,  parce  que  je  me  défie  de  mon 
inexpérience.  Je  pourrais  peut-être  voir  avec  les  yeux  d'un  jeune 
homme  qui  est  enthousiaste  de  ce  que  les  Grecs  ont  produit. 

Cette  année,  je  vais  l'aire  cette  figure  de  jeune  homme:  je  la  fais 
juste  de  la  grandeur  du  modèle;  l'année  prochaine,  un  bas-relief; 
pendant  ce  temps-là,  je  m'occuperai  de  trouver  le  sujet  d'une 
figure  de  ronde  bosse  que  je  désire  exécuter,  en  marbre,  s'il  m'est 
possible.  Je  vous  prie  de  me  dire  ce  que  vous  pensez  de  ces 
projets-là. 

Gomme  je  ne  peux  travailler  toute  la  journée  à  ma  figure,  ce 
qui  me  reste  de  temps  je  l'emploie  à  dessiner  d'après  l'antique  : 
cela  varie  mon  genre  de  travail  d'une  manière  avantageuse. 

Je  vous  assure  que  je  fais  tout  mon  possible  pour  qu'un  jour 
vous  vous  applaudissiez  des  bontés  que  vous  avez  eues  pour  moi  ; 
bontés  qui  m'inspirent  de  vifs  sentiments  de  reconnaissance. 
Veuillez,  je  vous  prie,  en  agréer  respectueusement  le  témoignage, 
ainsi  que  celui  de  mon  respect. 

Votre  élève, 
David  fils. 

Je  vous  prie  de  présenter  mon  respect  à  M""^  Roland,  ainsi  qu'à 
M.  et  à  M-^e  Lucas,  et  à  ce  respectable  M.  Dejoux  et  à  M.  Vincent. 

P.  S.  —  Si  j'étais  à  Paris,  j'aurais  eu  le  plaisir  de  vous  em- 
brasser et  de  vous  souhaiter  une  bonne  fête;  je  vous  assure  que 
c'est  une  grande  privation  pour  moi.  Je  m'en  dédommage  comme 
jele  puis:  ne  pouvant  vous  parler  ni  vous  voir, je  vous  écris;  de 
cette  manière  je  passe  une  journée  avec  vous,  c'est  une  journée 
de  bonheur. 

Je  viens  d'apprendre  que  trois  de  vos  élèves  venaient  d'être 
reçus  aux  prix  :  j'en  suis  enchanté  pour  ce  bon  Massa  ;  je  leur  désire 
beaucoup  de  bonheur.  Je  pense  que  Van  Gheel  doit  travailler  avec 
beaucoup  de  courage  ;  il  a  de  bien  belles  espérances  cette  année. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  7 

Collection  A.  Bovet.  —  Cette  lettre  a  d'abord  fait  partie  du  cabinet  Lucas 
de  Montigny,  gendre  du  sculpteur  Roland.  Les  autographes  rassemblés  par 
cet  amateur  a3'ant  été  mis  en  vente  eu  1860,  la  lettre  de  David  passa  entre 
les  mains  de  M.  Charabry,  dont  la  collection  fut  vendue  en  1881.  C'est  à 
cette  époque  que  M._Bovet  devint  possesseur  de  la  lettre  qu'on  vient  de  lire. 
Elle  a  de  nouveau  passé  en  vente  en  1885.  La  statue  du  Jeune  Berger  dont 
parle  notre  artiste  est  aujourd'hui  au  Musée  David.  D'api'ès  le  croquis  à 
la  plume  joint  à  la  lettre  du  23  mai  1812,  nous  voyons  que  le  sculpteur 
avait  placé  un  chevreau  demi-couché  et  percé  d'une  flèche  aux  pieds  de  son 
Berger.  Roland  désapprouva  sans  doute  la  présence  de  l'animal.  Il  n'en 
reste  pas  trace  dans  l'œuvre  définitive  de  David.  Une  seconde  lettre  de 
l'artiste,  également  adressée  à  Roland,  sous  la  date  du  18  décembre  1812, 
contient  l'annonce  de  l'achèvement  du  Jeu7ie  Berger.[{Yoir  David  d'Angers, 
etc.,  t.  II,  p.  363.) 


III 

Madame   Benoist  à  David. 

Bontés  de  Canova  pour  le  sculpteur.  —  Louis  David.  —  Aparicio. 

1812  (?). 

A  M.  David,  sculpteur,  pensionnaire  à  Rome. 

J'ai  reçu  votre  lettre,  mon  cher  David.  Je  suis  ravie  des  bontés 
de  Canova.  Yoyez-le  et  dites-lui  mille  tendres  choses  pour  une 
personne  qui  l'aime  et  le  révère.  Tout  le  bien  qu'il  vous  fera, 
j'en  prends  ma  part  de  reconnaissance;  dites-le-lui  bien. 

Travaillez  beaucoup.  David  vous  remercie  de  votre  souvenir; 
il  vous  garde,  ainsi  qu'à  notre  bon  Aparicio,  toute  son  amitié. 
.Te  suis  pressée  et  ne  puis  vous  en  dire  plus.  J'ai  vu  la  famille 
M...  qui  vous  est  bien  attachée.  Je  verrai  votre  père  à  Angers.  Je 
pars  dans  un  mois. 

Recevez  l'assurance  de  mon  attachement, 

Emilie  Benoist. 
L'on  me  presse.  Adieu.  Revenez  avec  un  grand  talent. 

Colleclion  David  d'Angers. —  Cette  lettre  n'est  pas  datée.  Nous  la  suppo- 
sons écrite  en  1812.  Marie-Guilhelmine  Lavillc-Leroux,  peintre,  élève  de 
M"""  Vigée-Lebrun  et  de  Louis  David,  avait  épousé,  en  l'an  VI,  Pierre-Vincent 
Benoist,  homme  politique  et  publiciste,  né  à  Angers  en  17o8,  mort  en  1834. 
M""  Benoist,  fort  connue  à  son  époque  comme  portraitiste,  avait  obtenu  au 
Salon  de  1804  une  médaille  de  première  classe.  C'est  à  M™"  Benoist  que  sont 
dédiées  les  Lettres  sur  la  mythologie  de  Demousliers.  José  Aparicio,  élève 
de  Louis  David,  était  pensionnaire  durci  d'Espagne  à  Paris.  Sa  réputation, 
fondée  dés  1804,  ne  fut  pas  moins  grande  que  celle  de  Girodet. 


DAVID  D'ANGERS 


1816 


IV 
Cartellier    à  David. 

Commande  du  Condé. 


Juillet  1816. 


A  Monsieur  David,  statuaire. 

Je  m'empresse,  Monsieur^  de  vous  prévenir  que  le  ministre 
vient  de  vous  charger  d'une  statue.  Venez  me  voir  demain  entre 
8  et  9  heures  du  matin,  je  vous  donnerai  des  renseignements  à 
ce  sujet.  J'éprouve  un  grand  plaisir  à  vous  apprendre  cette  nou- 
velle qui  vient  de  me  parvenir  à  l'instant. 

Votre  dévoué  serviteur, 

Cartellier. 

Collection  David  d'Angers.  —  Ce  billet,  non  daté,  [fut  écrit  entre  le  11  et 
le  16  juillet  1816  et  a  trait  au  Condé.  Le  sculpteur  Roland  avait  reçu  la  com- 
mande d'une  statue  de  Condé  que  la  mort  ne  lui  laissa  pas  le  temps  d'exé- 
cuter. Roland  mourut  le  11  juillet  1816.  C'est  alors  que  l'on  eut  la  pensée  de 
charger  David  de  succéder  à  son  maître  dans  l'exécution  de  la  statue  du 
vainqueur  de  Roci'oy,  destinée  à  la  décoration  du  pont  Louis  XVL  II  n'est 
pas  téméraire  de  penser  que  le  sculpteur  Pierre  Cartellier,  membre  de  l'Ins- 
titut, a  pu  s'intéresser  à  David  en  cette  occasion  d'une  importance  capitale 
pour  l'avenir  du  jeune  artiste.  La  commande  officielle,  signée  de  Laine, 
ministre  de  l'Intérieur,  porte  la  date  du  16  juillet  1816. 


De  Villemorge  à  David. 

La  statue  de  Condé.  —  La  Tête  d'Ulysse. 

Angers,  le  i"  août  1816. 

Le  Maire  de  la  ville  d'Angers,  chevalier  de  V Ordre  royal 
et   militaire  de  Saint-Louis.,  à  Monsieur  David,  sculpteur. 

Monsieur, 

Ayant  appris  par  les  papiers  publics  la  preuve  honorable  de 
confiance  en  vos  talens,  que  S.  Exe.  le  ministre  de  l'Intérieur  vient 
de  vous  donner,  j'ai  su  par  cette  annonce  même  votre  retour  à 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  9 

Paris  et  j'en  profite  pour  vous  exprimer  moi-même  combien  le 
conseil  municipal  de  la  ville  d'Angers  et  moi  avons  été  satisfaits 
de  l'offre  que  vous  avez  faite  à  votre  ville  natale  de  votre  premier 
ouvrage  en  marbre.  Votre  Tête  d' Ulysse  -est  exposée  au  iMuseum 
et  y  réunit  tous  les  suffrages;  elle  nous  donne  la  certitude  que 
vous  justifierez  le  choix  qu'on  a  fait  de  vous  pour  traiter  un  des 
plus  beaux  comme  un  des  plus  grands  sujets  de  notre  histoire, 
et  cette  distinction  flatteuse  qui  vous  est  accordée  est-  un  motif 
de  joie  pour  vos  compatriotes  en  général  et  l'administration  de 
la  ville  d'Angers  en  particulier. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  une  parfaite  considération,  Monsieur, 
votre  très  humble  serviteur, 

De  Villemorge. 

Collection  Henry  Jouin.  —  La  commande  faite  à  David  par  le  ministre  de 
l'Intérieur  dont  il  est  parlé  ici  est  celle  du  Condé.  (Voir  David  d'Angers,  etc., 
t.  I,  p.  118.) 


1822 

Yl 
David  à   Pavie  père. 

La  statue  de  Bonchamps. 

Paris,  ce  24  juillet  1822. 

Monsieur, 

Il  y  a  peu  de  jours,  M.  le  préfet  d'Angers  était  ici  ;  il  a  paru 
content  du  monument  de  Bonchamps.  Cela  m'a  fait  plaisir,  car  je 
fais  de  mon  mieux  ;  l'idée  que  ce  monument  devait  représenter 
un  de  nos  compatriotes  et  être  placé  dans  notre  cher  pays  m'a 
engagé  à  l'entreprendre  pour  la  faible  somme  qu'on  me  donne  et 
qui  suffira  à  peine  à  payer  les  frais. 

Adieu,  Monsieur,  conservez-moi  toujours  une  part  dans  votre 
amitié,  et  croyez  au  sincère  attachement  de  votre  très  humble 
serviteur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  monument  de  Bonchamps  dont  il  sera  parlé  fré- 
queiameut  dans  les  lettres  qui  vont  suivre  est  érigé  à  Saint-Florent,  en 
Vendée. 


10  DAVID  D'ANGERS 

1824 
VII 

David  à  Pavie  père. 

Sur  une  «  Epître  à  David,  statuaire  ». 

21  aoust  1824. 

Mon  cher  ami, 

Je  dois  vous  paraître  bien  négligent. 

De  grâce,  ne  méjugez  pas  défavorablement;  je  désirais  vous 
dire  l'efifet  que  votre  trop  bienveillante  Épître  a  produit  ;  je  l'ai 
communiquée  à  quelques-uns  de  mes  bons  amis  qui  l'ont  trouvée 
■écrite  avec  beaucoup  de  verve  et  d'une  touchante  mélancolie  ; 
M.  le  duc  de  Brissac  en  est  très  content;  il  l'a  gardée. 

Bon  ami,  je  sens  que  je  ne  puis  trouver  d'expressions  assez 
fortes  pour  vous  témoigner  toute  ma  reconnaissance;  ce  qui  me 
touche  vivement,  c'est  la  constante  amitié  dont  vous  n'avez  cessé 
de  me  donner  des  preuves  ;  croyez  que  mon  cœur  en  connaît 
tout  le  prix.  Mais,  cher  ami,  il  me  semble  que  cette  amitié  vous 
;a  poussé  trop  loin  ;  je  ne  suis  point  un  sujet  digne  d'inspirer 
votre  beau  talent;  pour  que  les  récompenses  soient  honorables, 
il  ne  faut  pas  qu'elles  soient  prodiguées  ;  je  n'ai  encore  rien 
fait  pour  mériter  de  pareils  éloges. 

Je  vous  ai  souvent  parlé  avec  toute  l'ardeur  possible  du  désir 
que  j'avais  de  vous  voir  produire  quelques  ouvrages  littéraires, 
persuadé  que  vous  ne  pouvez  qu'illustrer  notre  cher  pays.  Vous 
avez  de  beaux  sujets,  dont  vous  m'avez  parlé;  la  Vendée  même 
peut  vous  en  fournir  de  grands.  J'admire  toujours  le  courage  qui 
lutte  contre  de  grands  obstacles. 

Que  de  choses  j'ai  à  vous  dire!  Gomme  j'attends  avec  impa- 
tience le  moment  heureux  qui  me  rapprochera  de  vous  !  Je  me 
rappelle  nos  projets  !  Comme  le  temps  me  paraît  long  !  Je  vou- 
drais vous  écrire  encore,  mais  je  suis  accablé  d'affaires  pour  le 
Salon  dont  l'ouverture  est  proche,  et  je  n'ai  pas  terminé  mes 
ouvrages. 

Quand  vous  visitez  les  environs  de  notre  délicieuse  contrée, 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  11 

rappelez-vous  quelquefois  de  votre  compatriote,  qui  les  a  gravés 
dans  son  cœur,  ainsi  que  le  souvenir  des  bons  Angevins. 

Adieu,  bon  ami,  indulgence  pour  mon  griffonnage,  et  assu- 
rance de  l'éternelle  amitié  de  votre  dévoué  compatriote, 

David, 

Collection  Pavie.  —  Louis  Pavie,  compatriote  et  condisciple  de  Chevreul 
et  de  David  à  l'Ecole  centrale  d'Angers,  est  resté  l'ami  du  sculpteur  jusqu'à 
son  dernier  jour.  Littérateur,  fondateur  du  journal  les  Affiches  d'Angers  et 
imprimeur,  Louis  Pavie  publia  en  1824  une  Epitve  à  M.  P.-J.  David,  sta- 
tuaire, auteur  du  Monument  de  Boncliamps  exposé  au  Salon  de  i 824.  (In-12, 
12  p.)  C'est  au  sujet  de  cet  opuscule  que  David  a  écrit  la  lettre  qui  précède. 


VIII 

David  à  Pavie  père. 

La  Religion.   —  Statue  de    Racine.  —  L'Innocence  implorant   la  Justice. 

Paris,  ce    25  décembre  1824. 

Je  profite  de  votre  obligeance,  mon  cher  ami,  pour  vous  prier 
de  remettre  cette  lettre  à  Madame  Papiau.  Je  profite  aussi  de 
cette  occasion  pour  vous  réitérer  l'assurance  de  mon  éternelle 
amitié  et  des  vœux  que  je  fais  pour  votre  bonheur. 

Depuis  que  j'ai  eu  le  plaisir  de  vous  voir,  j'ai  travaillé  beau- 
coup. Enfin  le  modèle  de  la  statue  de  Racine  est  terminé,  et  le 
bas-relief  de  la  cour  du  Louvre  le  sera  dans  deux  ou  trois  jours. 
Tous  ces  travaux  m'ont  empêché  de  voir  votre  fils  aussi  sou- 
vent que  je  l'aurais  désiré.  Il  est  si  bon,  si  intéressant  que  c'est 
vraiment  une  privation  pour  moi  quand  je  ne  le  vois  pas.  J'ai 
acquis  la  conviction  que  la  tendresse  paternelle  ne  vous  a  point 
aveuglé  à  son  égard  ;  vous  ne  m'en  aviez  rien  dit  de  trop.  De- 
main dimanche  il  vient  dîner  avec  moi-,  nous  parlerons  de  vous, 
de  ses  chers  parents,  car  c'est  tout  son  bonheur. 

Adieu,  cher  ami,  portez-vous  bien,  et  croyez  à  l'entier  dé- 
vouement de  votre  ami, 

David. 

Collection  Pavie.  —  La  lettre  destinée  à  M™"  Papiau  de  laVerric  et  dont 
il  est  parlé  ici  était  relative  au  petit  monument  élevé  à  la  mémoire  de 
son  fils  Raymond,  mort  à  neuf  ans  en  182i\  Ce  monument  représente  la 
Religion.  Il  a  été  érigé  dans  le  cimetière  d'Angers.  Le  bas-relief  do  la  cour 
du  Louvre  a  pour  su'joiV Innocence  implorant  la  Justice.  [David  d'Angers, 
etc., t.  II,  pp.  461,462,475.) 


12  DAVID  D'ANGERS 

1825 

IX 
David    à    Pavie    père. 

Sur  une  page  de  poésie. 

Paris,  ce  21  mars  1825. 

Mon  cher  ami, 

Le  sujet  que  vous  avez  traité  est  touchant  et  écrit  avec  une 
grande  verve  ;  quoique  vous  en  disiez,  je  crois  que  vous  devez 
renoncer  aux  chansons  pour  prendre  ce  genre  élevé  qui  con- 
vient à  votre  talent  et  à  votre  caractère.  C'est  aussi  le  seul  qui  con- 
vienne aux  hommes.  Je  ne  connais  rien  à  ce  qu'on  appelle  la  fac- 
ture des  vers  :  quand  j'en  lis  je  cherche  des  idées,  et  j'en  al 
beaucoup  trouvé  dans  votre  dernier  ouvrage;  il  m'a  intéressé 
vivement,  aussi  je  réclame  de  votre  amitié  un  exemplaire. 

En  revenant  de  conduire  au  cimetière  notre  malheureux  com- 
patriote Béclard,  j'ai  rencontré  notre  jeune  ami;  il  m'a  dit  que 
vous  ne  tarderiez  pas  à  venir  nous  voir  à  Paris.  Yenez,  venez, 
cher  ami,  vous  nous  rendrez  bien  heureux  tous  les  deux. 

Recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement  de  votre  ami, 

David. 

Collection  Pavie.  — Béclard  (Pierre-Augustin),  médecin  distingué,  né  à 
Angers  en  1788,  est  mort  à  Paris  en  1825.  L'ami  rencontré  au  retour  des 
obsèques  du  docteur  Béclard,  c'est  Victor  Pavie,  alors  collégien  à  Paris. 


David  à   Victor  Pavie. 

Une  ode  sur  Béclard.  —  La  Religion. 

Ce  vendredi  22  avril  1825. 

Mon  cher  ami. 

J'ai  lu  avec  un  bien  grand  intérêt  les  vers  que  vous  venez  de 
faire  pour  Béclard.  11  me  semble  qu'ils  sont  pleins  de  verve. 

Dimanche  matin,  vers  deux  heures,  j'irai  à  votre  pension  pour 
vous  faire  sortir.  Nous  en  causerons. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  13 

J'attends  avec  impatience  l'épitaphe  que  votre  ptre  doit  m'en- 
voyer  pour  graver  sur  le  tombeau  que  je  fais  pour  M'""=  Papiau. 
Tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. —  Il  est  parlé  du  tombeau  de  Raymond  Papiau  dans  la 
lettre  du  :2o  décembre  1824. 


XI 

David  à  Victor  Pavie. 

Conseils  à  un  collégien. 

Ce  dimanche  \."  mai  1825. 

Combien  j'ai  été  contrarié  de  n'avoir  pas  pu  retourner  à  votre 
pension,  jeudi  passé.  Je  suis  si  pressé  !  Ne  m'en  voulez  pas,  mon 
jeune  ami,  si  jeudi  prochain  je  ne  vais  pas  vous  voir  :  j'ai  un 
modèle  vivant  qui  pose  depuis  le  matin  jusqu'au  soir  ;  mais 
de  dimanche  en  huit  j'irai  vous  cliercher  et  nous  dînerons  en- 
semble. 

Courage,  travaillez  beaucoup,  c'est  le  moyen  de  chasser  l'en- 
nui. Rien  ne  doit  vous  effrayer  si  vous  voulez  faire  de  grandes 
choses.  Un  ruisseau  est  arrêté  par  une  digue,  le  torrent  la 
franchit. 

J'ai  fait  voir  votre  pièce  de  vers  à  des  hommes  qui  s'occupent 
beaucoup  de  littérature.  Ils  en  ont  fait  un  grand  éloge,  eu  égard 
à  votre  jeunesse.  Je  dois  vous  dire  qu'ils  pensent  que  si  vous 
continuez  ainsi,  nous  aurons  un  poète  distingué  de  plus  en 
France.  Vous  devez  concevoir  combien  j'ai  été  content  d'enten- 
dre dire  toutes  choses  que  j'avais  pensées  de  mon  jeune  compa- 
triote. 

Tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

Si  vous  avez  besoin  de  quelque  chose,  voici  mon  adresse  : 
Place  de  l'Estrapade,  n°  34. 

Collection  Parie.  —  Lasuscription  de  cette  lettre  porte  :  «  M.  Pavi(\  lue 
Saint-Antoine,  pension  de  M.  Fuvart.  »La  pièce  de  vers  dont  parle  ici  Daviil 
est  l'ode  sur  Béclard. 


J4  DAVID  D'ANGERS 

XII 
Victor  Pavie  à,  David. 

David  en  Anjou.  —  L'inauguration  du  Boncluimps.  —  Le  roi  René. 

Paris,  10  juillet  1825. 

Monsieur, 

Mon  frère  et  mon  père  ne  parlent  dans  leur  lettre  que  de 
M.  David.  Puissent-ils  vous  dédommager  au  centuple  de  toutes 
les  bontés  que  vous  m'avez  témoignées  de  si  bonne  grâce,  de  ces 
complaisances  si  gênantes  pour  un  artiste,  si  incompatibles  avec 
ses  travaux.  Pour  sentir  le  prix  de  ce  que  l'on  possède,  il  faut  le 
perdre.  Aussi  ne  me  suis-je  jamais  si  bien  aperçu  qu'aujourd'hui 
du  plaisir  que  me  procurait  votre  présence.  Je  puis  vous  assurer 
que  si  cette  année  passée  à  Paris  m'a  été  de  quelqu'avantage,  je 
l'ai  dû  principalement  à  vos  conseils  et  à  votre  manière  d'envi- 
sager qui  m'ont  agrandi  les  idées.  Tout  votre  mérite  n'a  pu  faire 
de  moi  un  observateur  cette  année.  Mais  je  sens  maintenant  le 
prix  de  l'observation,  que  je  ne  sentais  pas  autrefois,  et  c'est 
toujours  un  pas  de  fait. 

Quelqu'impatience  que  j'éprouve  à  vous  revoir  quelques  jours 
encore,  à  vous  questionner  à  mon  aise,  je  vous  invite  de  tout 
mon  cœur  à  prolonger  votre  séjour  longtemps,  d'autant  plus  que 
ces  visites  se  renouvellent  rarement  de  votre  part.  Vous  avez  en- 
trepris votre  voyage  par  la  plus  belle  saison,  assez  tard  pour  les 
fruits,  assez  tôt  pour  les  fleurs.  C'est  le  temps,  où  déjà  moins 
fraîche  mais  plus  grande,  moins  riante  mais  plus  majestueuse, 
la  nature  a  quitté  la  robe  délicate  du  printemps  pour  se  draper 
du  large  manteau  de  l'été.  Quel  atelier  pour  un  statuaire!  Que  de 
formes  à  reproduire  !  Que  de  germes  féconds  pour  de  grands 
sujets  !  Quel  plaisir  pour  moi  de  feuilleter  à  votre  retour  votre 
portefeuille  tout  chargé  des  sites  de  la  Loire,  des  rochers  de  la 
Bau mette,  et  des  figures  franches  et  naïves  des  braves  Vendéens  ! 
Votre  corps  et  votre  esprit  réclamaient  également  ce  pèlerinage 
poétique.  11  était  utile  pour  vous  d'arracher  vos  pieds  à  la  fange 
de  la  capitale  pour  retremper  votre  imagination  à  l'horizon  pur 
et  azuré  de  l'Anjou.  Votre  âme,  si  longtemps  comprimée,  avait 
besoin  de  s'épancher  quelques  instants  sur  la  tombe  d'un  père, 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  45. 

au  milieu  des  souvenirs  de  votre  jeunesse,  entre  les  bras  de  vos 
amis. 

C'est  donc  pour  le  12  du  mois  qu'est  fixée  l'inauguration  du 
Bonchamps.  C'est  le  jour  où,  dans  cette  église  même,  théâtre  de 
ses  derniers  bienfaits,  son  ombre  s'élèvera  encore,  et  la  gorge 
tendue,  la  bouche  béante^  les  yeux  voilés  par  la  mort,  pronon- 
cera de  son  lit  funèbre,  avec  une  tristesse  sombre  et  religieuse, 
ces  mémorables  paroles  :  «  Grâce  aux  prisonniers  !  »  Ce  n'est 
pas  à  un  observateur  comme  vous  que  je  recommanderai  d'exa- 
miner tous  les  détails  de  cette  cérémonie  solennelle,  pour  m'en 
rendre  compte  au  retour.  N'épargnez  donc  rien  pour  la  revêtir 
d'une  pompe  qui  en  éternise  à  jamais  le  souvenir.  Que  sait-on  ! 
Si,  par  une  impression  salutaire,  l'inauguration  du  Bonchamps 
pouvait  convertir  en  entier  le  caractère  de  nos  compatriotes  !  Si» 
à  l'aspect  de  cette  figure  sublime,  notre  patrie  pouvait  secouer  sa 
léthargie  profonde  et  penser  aux  héros  qu'elle  a  portés  dans  son 
sein  !  Profitez  de  celte  impression  passagère  qui  peut  avoir  de 
grands  effets.  Ce  serait  peut-être  le  moment  de  proclamer  dans 
l'église  même,  aux  pieds  de  la  statue,  une  nouvelle  souscription 
qui  s'ouvrirait  de  suite  en  faveur  du  bon  René  ? 

Adieu,  Monsieur,  j'augure  tout  de  votre  voyage  à  Angers,  et 
de  la  secousse  que  vous  communiquerez  à  tous  ceux  à  qui  il  bat 
quelque  chose  dans  l'àme.  Autre  chose  est  d'avoir  des  projets 
vagues  de  monument,  autre  chose  d'avoir  l'artiste  même  auprès 
de  vous  qui  vous  éleclrise  par  son  enthousiasme,  vous  expose 
toutes  ses  idées,  et  en  presse  l'exécution. 

Tout  à  vous  pour  la  vie, 
Yictor  Pavie. 

P.  S. —  Je  vous  prie  instamment  de  faire  part,  avec  franchise, 
à  mon  père,  de  tous  ces  défauts  qui  ont  pu  jusqu'à  ce  jour  lui 
échapper  dans  ma  personne,  mais  que  vos  regards  perçants  au- 
ront découverts  ;  je  l'ai  chargé  aussi  de  vous  questionner  là- 
dessus,  afin  qu'il  m'en  corrige  ces  vacances. 


Collection  David  d'Anr/evs.  — Voir  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  449-153. 
Les  dernières  lignes  do  cette  lettre  indiquent  que  dès  182S  le  statuaire  son- 
geait à  élever  en  Anjou  un  monument  au  roi  René.  Evidemment  il  s'était 
ouvert  de  ce  projet  à  Yictor  l'avie. 


16  DAVID  D'ANGERS 


XIII 


David  à  Pavie  père. 

Retour  à  Paris.  —  Delusse. 

Paris,  le  25  août  1825. 

Mon  cher  bon  ami, 

Me  voilà  enfin  arrivé  dans  la  grande  ville  sans  aucun  accident 
grave,  ce  qui  m'étonne,  car  j'ai  été  bien  souffrant  tout  le  temps 
du  voyage  ;  j'ai  même  été  sur  le  point  de  quitter  la  diligence  de 
Tours,  mais  je  me  suis  rappelé  mon  antique  courage  et  enfin  j'ai 
revu  les  rives  de  la  Seine,  je  ne  dirai  pas  avec  plaisir,  car  cette 
maudite  terre  parisienne  est  pour  moi  une  terre  de  douleurs. 

Rome,  Rome,  voilà  la  chimère  qui  me  soutient. 

Je  vais  reprendre  mes  occupations  de  l'atelier,  alors  mes  idées 
seront  moins  tristes;  puis  le  souvenir  de  l'accueil  bienveillant  de 
mes  chers  compatriotes  m'encouragera  à  travailler  afin  de  me 
rendre  digne  de  l'intérêt  qu'ils  me  témoignent. 

Mon  cher  ami,  je  n'oublierai  jamais  tout  ce  que  vous  avez  fait 
pour  moi  ;  les  paroles  rendraient  difficilement  toute  l'expression 
de  ma  gratitude. 

Recevez,  cher  ami,  l'assurance  du  dévouement  sans  bornes  et 
de  l'inaltérable  amitié  de  votre  compatriote, 

DAvm. 

P.  S.  —  Dans  quelques  jours  vous  ferez  bien,  je  pense,  de 
dire  à  mon  brave  maître  M.  Delusse,  que  je  lui  ai  trouvé  des 
souscripteurs,  cela  lui  donnera  du  courage.  Je  regrette  beaucoup 
que  mes  moyens  ne  me  permettent  pas  de  lui  être  utile  d'une 
manière  plus  digne  de  ma  reconnaissance.  Employez  tous  les 
moyens  possibles  pour  lui  trouver  des  souscripteurs. 

Collection  Pavie.  —  Jean-Jacques  Delusse,  premier  maître  de  David  et 
conservateur  du  Musée  en  1825,  était  dans  une  situation  des  plus  précaii'es. 
Dessinateur  habile,  il  avait  prié  David  de  lui  procurer  quelques  ressources 
par  le  placement  de  ses  dessins  entre  les  mains  d'amateurs.  Le  statuaire, 
de  retour  à  Paris,  s'empresse  de  faire  dire  à  son  vieux  maître  qu'il  lui  a 
trouvé  des  souscripteurs!  Touchant  subterfuge  de  l'artiste  qui  craint  d'hu- 
milier son  professeur  par  l'offrande  directe  d'un  secours.  (Voir  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  I,  p.  154.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  17 

XIV 
David  au  baron  Taylor. 

Le  cliùleau  de  la  Bourgonnière,  en  Anjou. 

Veiidredi  matin  (décembre   1825?), 

Monsieur  le  baron, 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  parler  d'un  admirable  monument 
construit  par  les  Templiers  et  qui  est  dans  une  parfaite  conser- 
vation, dans  le  château  de  la  Bourgonnière,  près  Saint-Florent, 
dans  la  Vendée.  Le  propriétaire  est  depuis  quelques  jours  à  Paris; 
il  serait  charmé  de  vous  donner  des  renseignements  sur  ce  mo- 
nument. Si  vous  pouviez  nous  recevoir  dimanche  prochain  ou 
tout  autre  jour  qui  vous  conviendrait  mieux,  vous  nous  obligeriez. 

Veuillez,  Monsieur  le  baron,  recevoir  l'assurance  du  profond 
respect  de  votre  très  humble  serviteur, 

David. 

Collection  Taylor.  —  II  est  permis  de  supposer  que  David,  en  signalant 
au  baron  Taylor  les  curiosités  du  château  de  la  Bourgonnière,  a  pour  but 
d'appeler  sur  cet  édifice  l'attention  des  auteurs  des  Voyages  pittoresques 
et  romantiques  dans  l'ancienne  France. 


1826 


XV 

David  à  Pavie  père. 

Le  journal  les  Affiches  d'Angers.  —  Le  peintre  Cadeau.  —  Le  docteur 
Ollivier. —  Les  Cambresiens  et  le  monument  de  Fénelon.  —  Voyage  à 
Bruxelles. — La  tombe  de  Louis  David.  —  Waterloo.  —  Denain.  — 
Athènes.  —  La  cause  des  Grecs. 

Paris,  lu  février  1828. 

Mon  cher  ami. 

Noire  jeune  ami  m'a  communiqué  deux  numéros  du  journal 
que  vous  venez  de  l'aire  paraître.  C'est  une  bien  heureuse  idée 
que  vous  avez  eue.  Vous  pourrez  dire  à  juste  titre  que  vous  avez 
réveillé  la  muse   angevine.   Parlez  le  plus  souvent  que   vous 

2 


j8  DAVID  D'ANGERS 

pourrez  de  l'ouvrage  de  cet  excellent  M.  Bodin ;parlez-en,  ce  sont 
nos  archives;  parlez  aussi  de  la  vie  du  roi  René;  parlez  de  notre 
future  Académie;  il  est  honteux  qu'elle  ne  soit  point  encore  insti- 
tuée. Je  veux  être  au  nombre  de  vos  abonnés,  c'est  une  affaire 
convenue;  vous  m'enverrez  les  numéros  qui  ont  paru.  Cadeau  a 
aussi  l'intention  de  s'abonner  et  je  crois  qu'Ollivier  ne  tardera 
pas  à  en  faire  autant.  Je  verrai  s'il  ne  serait  pas  possible  de  faire 
prendre  un  abonnement  par  M.  Bossange  pour  sa  galerie  litté- 
raire. Pensez  donc  à  votre  itinéraire  de  la  Vendée. 

Ma  statue  de  Fénelon  est  arrivée  à  bon  port;  elle  a  été  inaugu- 
rée d'une  manière  digne  du  sujet.  Après  le  discours  prononcé  en 
chaire,  l'évêque,  suivi  de  son  clergé,  a  été  bénir  le  monument. 

Ne  voulant  pas  me  mettre  en  évidence,  j'étais  resté  à  causer 
dans  un  coin  de  l'église  avec  un  officier  angevin,  qui  est  en  gar- 
nison à  Cambrai.  Le  sous-préfet  est  venu  m'annoncerque  l'évê- 
que m'attendait  auprès  du  monument.  Je  m'y  suis  rendu.  Alors 
Monseigneur  a  prononcé  un  éloge  dont  il  a  eu  la  bonté  de  m'en- 
voyer  la  copie  que  je  vais  joindre  à  cette  lettre.  La  ville  de  Cam- 
brai fait  graver  le  monument  au  trait,  et  va  faire  imprimer  une 
notice  sur  ce  monument  et  un  extrait  de  tous  les  journaux  qui  en 
ont  parlé;  le  maire  en  enverra  des  exemplaires  à  tous  les  préfets 
de  la  France.  Convenez  que  ces  gens  du  Nord  ne  sont  pas  si  froids 
qu'on  le  pense,  pour  les  arts.  Je  vous  avais  donné  cette  idée  pour 
notre  Bonchamps  ;  c'eût  été  un  moyen  de  le  faire  connaître.  La 
ville  a  fait  frapper  une  médaille  représentant  la  tête  de  Fénelon 
d'un  côté,  et  sur  le  revers  le  monument.  11  n'y  aura  qu'un  exem- 
plaire en  or.  Il  est  destiné  au  Roi,  les  autres  seront  en  argent  et 
en  bronze;  on  doit  m'en  envoyer  une. 

Yous  connaissiez  mon  intention  d'aller  voir  M.  Louis  David;  je 
voulais  encore  lui  témoigner  de  vive  voix  toute  ma  reconnais- 
sance, mais  je  n'ai  pu  que  déposer  sur  son  cercueil  une  couronne 
de  lauriers  avec  ces  mots  que  j'ai  attachés  à  la  couronne  :  Un 
élève  reconnaissant  est  venu  sur  cette  terre  étrangère  pour  saluer 
ta  dépouille  morHellc  et  déposer  sur  ta  tombe  cette  faible  marque 
de  son  admiration.  J'ai  tellement  pris  mes  précautions  qu'il  n'y  a 
que  le  sacristain  (qui  m'a  introduit  dans  le  caveau  oii  sont  les 
restes  de  M.  David)  qui  m'ait  vu,  et  encore  ignore-t-il  mon  nom; 
j'ai  éprouvé  une  espèce  de  soulagement  après  cette  action.  C'était 
l'unique  but  de  mon  voyage  en  Belgique. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  49 

J'ai  VU  la  plaine  de  Waterloo,  de  douloureuse  mémoire On 

y  élève  une  montagne  qui  a  deux  cents  pieds  de  hauteur  sur  la- 
quelle on  placera  un  lion  colossal  en  bronze  :  on  a  choisi  pour  ce 
monument  l'endroit  où  le  prince  d'Orange  a  été  blessé. 

J'ai  vu  la  plaine  de  Denain.  J'aurais  bien  voulu  voir  Jemma- 
pes,  mais  j'y  suis  passé  de  nuit. 

J'ai  voulu  en  repassant  par  Cambrai  aller  dire  adieu  à  Fénelon; 
j'ai  été  confirmé  dans  ce  que  l'on  m'avait  dit,  que  les  paysans 
venaient  s'agenouiller  devant  le  monument  et  y  dire  leurs  prières. 
Ils  l'appellent  Saint  Fénelon. 

Voilà  bien  longtemps  que  je  parle  de  moi  Si  je  ne  connaissais 
pas  votre  amitié,  je  craindrais  d'être  importun;  il  faut  que  je 
vous  prie  de  me  rendre  encore  quelques  services.  Je  vous  envoie 
une  livraison  d'un  Voyage  à  Athènes,  ouvrage  qu'un  de  mes 
bons  amis  publie.  L'homme  a  un  très  grand  talent  et  son  ouvrage 
est  parfait.  Tâchez  d'en  placer  quelques  exemplaires.  Cette  livrai- 
son est  à  moi,  veillez,  je  vous  prie,  à  ce  qu'il  n'y  arrive  aucun  ac- 
cident. Je  vous  envoyé  par  la  même  occasion  des  prospectus.  Je 
vous  prierai  aussi  de  faire  remettre  à  Royer  de  Ghàtelais,  qui 
demeure  place  du  Pilori,  des  prospectus  pour  les  Grecs,  il  doit  se 
charger  de  faire  souscrire.  A  notre  dernier  dîner,  nous  avons  tous 
souscrit.  Il  est  question  de  cela  dans  la  Pandore,  je  vous 
l'envoie.  Vous  verrez  s'il  est  convenable  que  vous  mettiez  cet 
article  dans  votre  journal. 

Monsieur  et  Madame  de  Bouille  m'ont  demandé  de  vos  nou- 
velles et  m'ont  chargé  de  vous  faire  leurs  compliments. 

Adieu,  cher  ami,  recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement 
de  votre  fidèle  ami, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Il  s'agit  au  début  de  la  lettre  de  la  communication, 
par  Victor  Pavie,  d'un  numéro  des  Affiches  d'Angers  rédigées  par  Louis 
Pavie.  Cadeau  (René),  peintre  angevin,  avait  été  le  condisciple  de  David  à 
l'École  centrale.  Gharles-Prospcr  OUivier,  né  à  Angers,  s'est  fait  dés  ix^i5 
une  réputation  méritée  à  Paris.  Emule  d'Orfda,  il  fut  investi  de  la  charge 
de  médecin  juré  près  le'  tribunal  de  première  instance  de  la  Seine.  Le 
peintre  Louis  David,  maître  du  statuaire,  était  mort  à  Bruxelles  le  27  dé- 
cembre iSiu.  Il  y  avait  donc  à  peine  deux  semaines  que  l'auteur  du  Léo- 
nidus  avait  succombé  lorsque  le  sculpteur  alla  déposer  une  couronne  sur 
son  tombeau.  Le  Voi/age  à  A/hènes  cal  un  recueil  de  portraits,  de  vues  et 
de  costumes  par  Louis  Dupré,  élève  de  Louis  David.  (Paris,  Dondey-Dupré, 
gr.  in-fol.  182o.'i  La  Pandore,  citée  par  David  à  la  fin  de  cette  lettre,  était  un 
journal  qui  avait  remplacé  le  Miroir.  Fondée  le  10  juillet  1823,  la  Pandore 
a  cessé  de  paraître  le  11  mai  1830. 


20  DAVID    D'ANGERS 

XVI 

David  à  F.-J.  Navez. 

La  Rencontre  d'isaac  et  de  Réhecca.   —  Monument   à  élever  à  Louis  David. 
—  Le  comte  de  Forbin.  —  Gros.  —  De  Potter,  Suys  et  Van  GheeL 


Monsieur, 


Pans,  ce  20  mars  1826. 


Vous  trouverez  ci-joint  une  lettre  de  M.  de  Forbin.  J'ai  reçu 
cette  lettre  ces  jours  derniers.  Je  m'empresse  de  vous  la  faire 
parvenir.  Elle  vous  expliquera  le  genre  de  service  que  M.  de 
Forbin  attend  de  vous.  Veuillez  m'indiquer  par  quel  moyen  je 
pourrais  vous  faire  passer  l'argent  pour  le  vernis. 

Je  saisis  avec  bien  du  plaisir  cette  occasion  de  correspondre 
avec  vous,  et  de  vous  dire  que  j'ai  trouvé  un  bien  grand  charme 
dans  votre  conversation  qui  est  celle  d'un  artiste  passionné  pour 
son  art  et  appelé  à  faire  de  grandes  choses.  Je  regrette  beaucoup 
de  n'avoir  pas  pu  rester  plus  longtemps  à  Bruxelles;  j'aurais  été 
bien  enchanté  de  savoir  de  vous  de  nouveaux  détails  sur  notre 
maître,  mais  j'espère  un  jour  pouvoir  recommencer  ce  voyage. 
Je  verrai  alors  votre  tableau  de  Réhecca  terminé  ;  cet  ouvrage 
doit  faire  époque  dans  votre  vie  ;  il  est  impossible  que  ce  ne  soit 
pas  un  magnifique  tableau,  puisque  les  têtes  ont  déjà  une  expres- 
sion si  sul)lime.  J'en  ai  parlé  à  plusieurs  de  nos  bons  amis  qui 
apprécient  bien  et  votre  grand  talent  et  votre  caractère. 

J'ai  vu  M.  Gros,  je  lui  ai  fait  vos  compliments;  il  m'a  chargé 
de  le  rappeler  à  votre  souvenir. 

Je  voudrais  bien  que  nous  fissions  une  souscription  pour 
vous  envoyer  des  fonds;  alors  vous  pourriez  élever  un  monu- 
ment à  notre  digne  maître.  Il  y  a  bien  des  gens  timides  ici 

Cependant,  je  ne  désespère  pas  que  nous  ne  puissions  vous  aider 
à  rendre  hommage,  comme  il  convient  de  le  faire,  à  la  mémoire 
de  cet  homme  immortel.  Il  sera  bien  glorieux  pour  la  Bel- 
gique d'avoir  donné  asile  aux  cendres  de  cet  illustre  proscrit. 
J'ai  appris  que  vous  aviez  ouvert  une  souscription  à  Bruxelles. 
Adieu,  Monsieur,  recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement 
de  votre  très  humble  serviteur, 

DAvm^, 
place  de  l'Estrapade,  no  34. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  21 

Veuillez,  je  vous  prie,  dire  mille  choses  honnêtes  de  ma  part 
à  Messieurs  de  Potter,  Suys  et  Van  Gheel. 
L'ami  Dupré  me  charge  de  vous  faire  ses  compliments. 

Bibliothèque  de  Bruxelles.  Legs  Navez.  —  Le  destinataire  de  cette  lettre, 
François-Joseph  Navez,  né  à  Cliarleroi,  étudiait  à  Paris  dans  l'atelier  de 
Louis  David,  lorsqu'une  sentence  d'exil  atteignit  l'ancien  Conventionnel. 
Navez  suivit  David  en  Belgique  et  demeura  l'ami  du  maître  français.  Le 
tableau  représentant  la  Rencontre  d'Isaac  et  de  Rébecca,  auquel  il  est  fait 
allusion  parle  sculpteur,  est  l'une  des  pages  les  plus  achevées  du  peintre 
belge.  Cette  œuvre  est  au  Musée  de  la  Haye.  Le  comte  de  Forbin,  nommé 
dans  cette  page,  était  membre  de  l'Institut  de  France  et  directeur  des  Mu- 
sées royaux  depuis  1816.  Le  peintre  Gros,  élève  de  David,  avait  été  le 
condisciple  de  Navez.  Le  publiciste  belge  Louis-Joseph-Antoine  de  Potter 
fut  un  ami  personnel  du  statuaire.  Suys  (Tilman-François),  élève  de  Percier, 
est  larchitecte  de  l'hôtel  d'Arenberg  à  Bruxelles.  Van  Gheel,  on  l'a  vu 
plus  haut  (p.  6),  avait  étudié  la  sculpture  sous  Roland.  Dupré  (Augustin)  est 
le  graveur  en  médailles,  ami  du  statuaire.  David  a  modelé  son  profil.  (David 
d'Angers,  etc.,  t.  I,  p,  26o,  et  t.  II,  p.  478.)  Nous  devons  la  communication 
de  cette  lettre  à  l'obhgeance  de  M.Hymans. 


XVII 

Granet  à  David, 

Sur  la  nomination  du  statuaire  à  l'Institut. 

Ce  8  août  18211. 
E  viva  mossu  David  ! 

J'apprends  votre  nomination  à  l'instant  et  je  m'empresse, 
mon  cher  ami,  de  vous  faire  mon  sincère  compliment.  La  suot-a 
nera  en  fait  autant,  et  lorsque  vous  aurez  fini  vos  courses  de  de- 
voir nous  espérons  que  vous  voudrez  bien  donner  un  moment 
à  l'amitié.  Mille  compliments  à  l'ami  Dupré,  et  vous,  comptez 
toujours  sur  vos  vieux  amis  de  la  rue  St-Lazare. 

Adieu,  tout  à  vous, 

Granet. 


Collection  David  d'Angers.  —  L'élection  de  David  à  l'Académie  des  benux- 
arts  avait  eu  lieu  le  b  août  1820.  La  suora  nera  est  sans  doute  vme  allusion 
du  peintre  à  l'une  de  ses  propres  sœurs.  Il  est  question  de  Dupré  dans  la 
lettre  qui  précède,  adressée  par  David  à  Navez. 


â2  DAVID  D'ANGERS 

XVIII 
David  à  Victor   Pavie. 

Casimir   Delavigne.  —   M""    Belloc.   —  Le   buste  de  Fénelon.    —  Walter 
Scott.  —  Cooper. 

Novembre  1826. 

Ne  craignez  pas,  mon  jeune  ami,  que  je  vous  fasse  des  repro- 
ches de  ce  que  vous  ne  venez  pas  à  Paris  cette  année.  Je  connais 
trop  votre  passion  pour  l'étude  et  surtout  pour  celle  qu'on  ne 
peut  faire  qu'à  Paris,  pour  ne  pas  admirer  au  contraire  le  senti- 
ment de  tendresse  filiale  qui  vous  fait  retarder  vos  honorables 
projets  pour  obéir  aux  volontés  d'un  père  qui  a  besoin  de  votre 
aide.  J'ai,  à  la  vérité,  les  plus  grandes  espérances  pour  votre 
glorieux  avenir.  Mais  croyez,  cher  ami,  que  je  vous  aimerai 
toujours  de  toute  mon  âme,  n'importe  dans  quelle  situation  il 
plaira  au  sort  de  vous  placer. 

J'avais  demandé  à  Casimir  Delavigne  la  permission  de  vous 
présenter  à  lui.  Il  a  dit  oui  avec  cette  bonne  physionomie  que 
vous  auriez  tant  aimé  voir  parce  qu'on  y  lit  toute  son  àme. 
Madame  Belloc  m'avait  permis  aussi  de  vous  conduire  à  ses 
soirées.  Enfin  patience,  «  le  temps  est  gros  de  l'avenir.  » 

Je  vois  bien  rarement  notre  bon  Mazure,  mais  je  sais  qu'il  me 
sera  au  moins  possible  de  le  voir  quelquefois.  Quand  j'ai  l'avan- 
tage de  le  rencontrer,  nous  nous  entretenons  longuement  de 
notre  cher  Victor.  Vous  êtes  notre  désir,  notre  espérance  :  écri- 
vez-nous le  plus  souvent  qu'il  vous  sera  possible. 

J'ai  effectivement  de  très  grandes  chances  pour  le  monument 
de  Las  Casas.  Quel  bonheur  si  j'avais  à  représenter  les  traits  de 
ce  bienfaiteur  de  l'humanité!  Le  garde  des  sceaux  vient  de  me 
charger  de  l'exécution  en  marbre  du  buste  de  Fénelon  ;  je  suis 
bien  content  de  refaire  cette  tête.  Elle  aura  une  expression  diffé- 
rente de  celle  de  la  statue. 

Walter  Scott  est  déjà  reparti  pour  Londres.  J'aurais  bien 
désiré  le  voir,  mais  la  personne  qui  pouvait  me  mettre  en  rap- 
port avec  lui  n'est  pas  à  Paris.  La  semaine  prochaine  on  doit  me 
faire  dîner  avec  Cooper;  je  ferai  son  buste.  Si  vous  n'avez  pas 
encore  lu  ses  ouvrages,  lisez-les,  vous  y  trouverez  des  caractères 
vigoureusement  tracés. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  23 

Je  vais  sous  peu  de  jours  vous  envoyer  une  pièce  de  vers 
composée  par  un  de  mes  amis,  jeune  peintre  distingué,  qui  a 
étudié  la  peinture  chez  David,  et  la  vie  à  l'école  du  malheur. 

Je  serais  bien  aise  que  votre  père  me  fît  le  plaisir  d'insérer 
cette  pièce  de  vers  dans  son  journal,  et  de  m'envoyer  la  feuille 
pour  que  je  puisse  la  lui  donner. 

Adieu,  cher  ami,  pensez  quelquefois  à  celui  qui  ne  vous  ou- 
bliera jamais. 

Tout  à  vous  de  cœur, 

David, 

Colleclion  Pay/e.  — Casimir  Delavigne  était  en  relations  amicales  avec  David 
dès  1825.  Adolphe  Mazure,  nommé  dans  cette  lettre,  fut  successivement 
professeur  de  philosophie  et  inspecteur  de  l'académie  de  Glermont.  Anne- 
Louise  Swanton,  fille  d'un  officier  supérieur  irlandais,  devenue  M™"  Belloc, 
avait  récemment  publié  un  livre  de  circonstance,  Bonaparte  et  les  Grecs. 
David  n'allait  pas  tarder  à  modeler  le  médaillon  de  M™»  Belloc.  Le  buste 
de  Fénelon,  exécuté  en  marbre,  fut  terminé  pour  le  Salon  de  1827.  Walter 
Scott  avait  passé  quelques  semaines  à  Paris,  à  la  recherche  d'anecdotes 
dont  il  projetait  d'enrichir  l'Histoire  de  Napoléon.  On  parlait  des  fréquents 
entretiens  de  Macdonald  et  de  Marmont  avec  le  romancier,  qui  disparut 
subitement.  Il  était  de  retour  en  Ecosse  le  23  février  18^7.  On  sait  que 
Fenimore  Gooper  vint  en  France  en  1826  sur  le  conseil  de  ses  médecins,  et 
qu'il  remplit  durant  trois  années  les  fonctions  de  consul  à  Lyon.  David  se 
tint  parole.  Le  buste  de  Gooper  fut  exposé  au  Salon  de  1827. 


1827 

XIX 
David  à  Victor  Pavie. 

La  plume,  outil  rebelle.  —  Victor  Hugo.  — •  Casimir  Delavigne  dans  l'op- 
position. —  «  Poésies  de  Victor  Pavie.  »  —  Le  poète  et  la  natui'e.  —  Une 
parole  d'Young.  —  Qu'il  ne  faut  pas  suivre  le  sentier  d'autrui. 

Paris,   31  mars  1827. 

Cher  ami, 

Ne  m'en  veuillez  pas  si  je  tarde  tant  à  répondre  à  vos  aima- 
bles et  trop  désirées  lettres.  Je  suis  paresseux,  et  puis  j'ai  tint  de 
choses  à  vous  dire  et  tant  de  peine  à  exprimer  mes  idées  avec  la 
plume  !  Tout  cela  me  fâche  contre  moi.  Cependant  je  puis  vous 


24  DAVID  D'ANGERS 

assurer  que  je  pense  bien  souvent  à  vous,  que  je  cherche  avec 
avidité  le.5  vers  signés  de  vos  initiales.  Depuis  que  je  connais 
votre  Maison  avec  Victor  Hugo,  je  Us  ses  vers.  Il  devrait  obser- 
ver une  nature  neuve;  cela,  je  crois,  conviendrait  à  son  génie. 

Il  y  a  longtemps  que  je  n'ai  vu  notre  brave  ami  Mazure.  Il  est 
malheureux.  J'ai  parlé  de  lui  à  Casimir  Delavigne.  Il  paraît  que 
celui-ci  n'a  pas  pu  réussir  à  lui  faire  obtenir  un  poste.  Il  faut 
dire  aussi  que  Casimir  se  trouve  en  opposition  avec  le  Gouver- 
nement :  cela  nuit  à  notre  brave  ami. 

Commencez  donc,  cher  ami,  à  faire  quelque  chose  d'un  peu 
important.  Les  sujets  ne  manquent  pas.  Je  serai  bien  heureux 
quand  je  verrai  chez  les  libraires  de  Paris  :  Poésies  de  Victor 
Pavie. 

Yous  pouvez  faire  d'immenses  études  à  Angers.  Vous  avez 
journellement  des  modèles  vivants  autour  de  vous.  Cherchez  à 
pénétrer  l'homme  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie.  Re- 
montez à  la  source,  laissez,  laissez  tous  ceux  qui  vous  ont  pré- 
cédé. 

Young  dit  dans  sa  préface  qu'il  voudrait  voir  brûler  tous  les 
livres,  y  compris  la  Bible  et  les  ouvrages  d'Homère. 

Nous  sommes  actuellement  dans  le  siècle  des  traductions.  Que 
de  génies  sublimes  volontairement  condamnés  à  se  traîner  dans 
l'obscurité  derrière  les  autres  ! 

Observez  la  nature,  fouillez-la  dans  ses  replis  les  plus  cachés; 
rendez  vos  impressions,  et  Angers  aura  son  Homère. 

Adieu,  bon  et  tendre  ami. 

Votre  dévoué, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  Les  Affiches  d'Angers  renfermaient  assez  fréquem- 
meni  des  pièces  de  poésie  par  Victor  Pavie  signées  de  ses  seules  initia- 
les. Le  poète  angevin  était  dès  cette  époque  en  relations  suivies  avec  Victor 
Hugo.  Ce  fut  Louis  Pavie  qui,  en  1826  ou  1827,  accrédita  David  auprès  de 
l'auteur  des  Odes  et  Ballades.  Young  rappelé  ici  avait  frappé  par  ses 
Méditations  de  la  nuit  l'esprit  du  statuaire,  qui  traça  plus  d'une  fois  des 
croquis  de  monuments  à  la  mémoii'e  du  poète  anglais,  hommages  qu'il 
n'exécuta  point. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  25 

XX 

David  à  Victor  Pavie. 

Chez  Royer-Gollard.  —  ChevreuL  —  Légendes  angevines.  —  L'ombre  du 
maréchal  Ney.  —  Le  ferrement  des  galériens.  —  Victor  Hugo.  —  La 
préface  de  Cromwell. 

Paris,  19  novembre  1827. 

Mon  cher  Victor, 

Tout  ce  que  je  lis  de  vos  écrits  me  confirme  dans  mes  idées  à 
TOtre  égard. 

Ces  jours  derniers,  à  la  réception  de  Royer-Collard,  j'étais  à 
côté  de  Chevreul  et  je  pensais  qu'il  y  aurait  bientôt  aussi  un 
poète  angevin  ;  cela  dépend  de  vous,  mon  cher  enfant.  Comme  je 
serais  heureux  !  Travaillez,  travaillez;  la  nature  est  partout;  les 
choses  qui  paraissent  le  moins  poétiques  le  sont  souvent  beau- 
coup. Votre  père  m'a  souvent  parlé  d'un  projet  qu'il  avait  de 
composer  une  histoire  ou  une  pièce  de  vers  sur  Pierre-Lise  et  le 
Pont  aux  Filles!  11  y  a  bien  d'autres  endroits  qui  peuvent  être  le 
sujet  de  compositions. 

Un  soir,  je  me  promenais  du  côté  de  l'Observatoire.  Je  m'ar- 
rêtai, retenu  par  le  souvenir  d'une  illustre  victime.  Je  m'étais  assis 
à  l'endroit  où  Ney  a  été  fusillé.  A  force  d'y  penser,  je  crus  le  voir 
en  réalité.  Ma  tête  s'était  exaltée.  Si  je  savais  écrire,  que  d'im- 
pressions j'aurais  pu  rendre,  mon  ami  !  Écrivez  n'importe  com- 
ment. Votre  prose  est  aussi  bonne  que  vos  vers.  Je  comprends 
qu'il  y  a  davantage  d'émulation  à  Paris,  mais  n'est-il  pas  digne 
de  vous  de  lutter  dans  l'isolement  de  la  province? 

Je  vois  souvent  notre  ami  Hugo;  nous  sommes  allés  assister  au 
ferrement  des  galériens  à  Bicêtre.  Combien  j'aime  Hugo  avec 
son  àme  ardente  et  tout  antique  ! 

Je  lis  actuellement  le  Dante,  Hugo  n'est  pas  sans  quelque  res- 
semblance avec  ce  poète.  Il  vient  de  nous  lire  sa  préface  de 
Cromivell.  Quelle  profondeur  de  pensées!  A  elle  seule,  cette  pré- 
face est  un  code  de  littérature. 

Adieu,  adieu,  mon  bon  et  brave  ami  ;  aimez-moi  comme  vous 
aime  votre  dévoué, 

David. 

Collection  Pavie.  — On  n'a  pas  oublié  la  grande  popularilé  que  s'était 
acquise  Royer-Collard  on  combattant  la  loi  d'aincssc,  et  son  élection  dans 
sejit  collèges  en  1827.  Le   salon  politique  de  ce  personnage    important  de 


26  DAVID  D'ANGERS 

l'opposition  libérale  était  des  plus  fréquentés.  'Eugène  Chevreul,  compa- 
triote et  ami  de  David,  était  membre  de  l'Académie  des  sciences  depuis 
1826,  où  il  avait  succédé  au  chimiste  angevin  Louis  Proust.  Pierre-Lise  est 
un  quartier  d'Angers  construit  sur  d'anciennes  carrières  d'ardoises  ;  le  Pont 
aux  Filles  doit  être  cherché  dans  la  commune  d'Ecouflant,  près  Angers.  Il 
est  à  peine  utile  de  rappeler  que  le  monument  du  maréchal  Ney  qui  décore 
le  carrefour  de  l'Observatoire  n'était  point  érigé  en  1827.  Il  date  seulement 
de  1853.  La  présence  de  Victor  Hugo  à  Bicêtre  ne  fut  pas  sans  profit,  on  peut 
le  croire,  pour  l'auteur  du  Dernier  jour  d'un  condamné,  qui  parut  en  1829. 
Nos  lecteurs  savent  que  les  épisodes  de  cette  étude  psychologique  se  dé- 
roulent à  Bicêtre.  La  préface  de  Cromwell  porte  la  date  d'octobre  1827.  Il  se- 
rait puéril  d'insister  aujourd'hui  sur  la  valeur  de  ce  manifeste  sans  mesure, 
sans  ordre,  paradoxal,  mais  étincelant  de  belles  pensées  et  de  traits  vi- 
goureux. Le  «  cénacle  »  composé  de  Vigny,  Emile  Deschamps,  Sainte- 
Beuve,  Louis  Boulanger,  et  d'autres  écrivains  ou  artistes  de  talent,  avait  eu 
.  la  primeur  de  cette  préface.  David  prenait  place  à  ses  heures  dans  le  cé- 
nacle, mais  on  a  vu  déjà  que  Casimir  Delavigne  était  pour  lui  un  ami. 
Chateaubriand  ne  lui  semblera  pas  indigne  de  recevoir  son  hommage. 
David  a  donc  gardé  une  indépendance  relative  vis-à-vis  des  classiques  et 
des  romantiques. 


XX[ 
David  à  Pavie  père. 

Un  portrait  du  maître.  —  Hugo.  —  Le  médaillon  de  Delacroix. 

Paris,  22  décembre  1827.         ' 

Mon  cher  ami, 

Monsieur  L...  a  bien  voulu  se  charger  de  vous  faire  passer  deux 
portraits  de  votre  ami.  Je  vous  prie  de  les  accepter.  Je  crois  que 
vous  serez  content  de  celui  dessiné  par  Dupré.  Je  viens  d'en  dé- 
poser un  autre  chez  M.  L...  pour  notre  ami  Delusse;  il  vous  arri- 
vera sous  peu  de  jours.  Dites  à  Yictor  que  je  suis  assez  pares- 
seux pour  ne  pas  avoir  terminé  le  portrait  de  Lacroix,  j'ai  besoin 
encore  d'une  séance.  Sous  peu  de  jours  je  répondrai  à  l'aimable 
lettre  de  Victor. 

Je  suis  toujours  enchanté  que  vous  m'ayez  fait  connaître 
Hugo. 

Adieu,  cher  ami,  recevez  mes  vœux  bien  sincères  pour  le  re- 
nouvellement de  l'année,  et  croyez  à  l'inaltérable  amitié  de  votre 

dévoué, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  Le  portrait  de  David,  mentionné  ici,  est  une  lithogra- 
phie de  Louis  Dupré.  Nagler  (tome  IV,  p.   19)  signale    cette    composition. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  27 

C'est  à  Louis  Pavie  que  le  sculpteur  était  redevable  de  ses  relations  avec 
Victor  Tiugo. (David  d'Aiigers,  etc.,  t.  l,  p.  199.)  David  appelle  volontiers 
le  peintre  des  i1/a55flcce,j  de  Scio  «  Lacroix  »  pour  «  Delacroix  ». 


1828 

XXII 
La  Fayette  à  David. 

Au  sujet  de  la  tentative  d'assassinat  commise  sur  David. 

La  Grange,  15  janvier  1828. 

Le  cruel  accident  que  Monsieur  David  Yient  d'éprouver  a 
consterné  les  habitants  de  La  Grange.  La  vive  inquiétude  que  nous 
avons  eue,  en  commun  avec  ses  autres  amis,  a  été  successive- 
ment soulagée  par  les  nouvelles  subséquentes.  Je  m'empresserai, 
en  arrivant  à  Paris,  d'aller  en  savoir  par  moi-même.  Mais  je  ne 
veux  pas  attendre  plus  longtemps  avant  de  lui  témoigner  l'afflic- 
tion et  l'anxiété  que  j'ai  ressenties,  ainsi  que  mes  vœux  pour 
son  rétablissement  le  plus  prompt  possible,  et  le  sincère  et  recon- 
naissant attachement  que  je  lui  ai  voué  de  tout  mon  cœur. 

La  Fayette. 

Collection  David  d'Angers.  —  On  trouvera  les  détails  de  la  tentative 
d'assassinat  commise  sur  l'artiste  dans  David  d'Angers,  etc.  (t.  I,  pp.  180- 
189  et  574).  Ce  billet  est  daté  du  château  de  La  Grange  en  Brie  (Seine-et- 
Marne),  résidence  du  général. 


XXIII 
David  à  Pavie   père. 

Convalescence  du  maître. 

Paris,  22  janvier  1828. 

Cher  ami,  je  profite  du  voyage  de  Monsieur  Bodinier  pour  vous 
faire  remettre  ces  lignes;  ce  sont  les  premières  que  j'écris  depuis 
mon  malheureux  accident.  Je  ne  veux  pas  rester  plus  longtemps 
sans  vous  écrire  :  vous  me  témoignez  tant  d'amitié  I 

Votre  lettre  m'a  rendu  bien  service.  Elle  a  été  d'une  réelle 


28  DAVID  D'ANGERS 

ressource  pour  mon  cœur.  Mon  ami,  je  vous  ai  toujours  trouvé 
dans  les  grandes  circonstances  de  ma  vie.  Certes,  c'était  une 
grave  circonstance,  ce  dernier  événement,  puisqu'il  pouvait  in- 
terrompre une  existence  dont  j'ai  besoin  encore  pour  mettre  à 
exécution  quelques  ouvrages  auxquels  je  désire  bien  attacher 
mon  nom. 

Je  regarde  comme  un  miracle  d'être  réchappé  de  cette  crise; 
je  reviens  à  la  vie.  Je  la  recommence.  Je  ne  sais  si  c'est  un 
bonheur,  car  elle  a  été  déjà  bien  fatigante  pour  moi  ;  elle  a  été 
une  longue  agonie  et  je  n'ai  même  plus  d'illusions. 

Je  ne  prévois  pas,  cher  bon  ami,  pouvoir  faire  un  voyage  en 
Anjou  cette  année  ;  mes  travaux  me  forceront  de  rester  à  Paris. 

J'aurais  bien  désiré  envoyer  mon  portrait  à  tous  mes  bons  amis 
d'Angers,  mais  je  n'en  ai  plus  que  trois  que  je  vais  vous  envoyer; 
vous  savez  à  qui  je  les  destine.  Dupré  a  vendu  la  pierre  litho- 
graphique à  Ghaillou  et  Potrelle,  marchands  d'estampes,  rue 
Saint-Honoré. 

Adieu,  mon  brave  ami,  soyez  heureux  et  recevez  l'assurance 
de  mon  inviolable  attachement, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  porteur  de  cette  lettre  est  le  peintre  Guillaume 
Bodiaier,  compatriote  de  David. 


XXIV 

David  à  Victor  Pavie. 

Retour  à  la  santé.  —  Le  Corsaire  rouge.  —  Edouard  MoU. 

Paris,  30  mars  1828. 

Cher  ami, 

Je  n'ai  que  quelques  minutes  pour  m'entretenir  avec  vous; 
j'en  suis  effrayé,  j'ai  tant  de  choses  à  vous  dire  !  Enfin  je  profi- 
terai de  ces  courts  instants  pour  vous  remercier  de  votre  bon 
souvenir.  Vos  lettres,  cher  ami,  sont  un  baume  pour  mes  bles- 
sures; on  est  si  heureux  de  ne  pas  porter  ses  affections  sur  des 
ingrats!...  Je  viens  d'éprouver  une  vigoureuse  tempête.  Je  tra- 
vaille à  la  conservation  de  mon  vaisseau.  Il  est  bien  fatigué, 


Eï   SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  29 

mais  le  pilote  est  toujours  au  gouvernail...;  il  arrivera  au  port, 
quoiqu'il  y  ait  encore  des  nuages  bien  noirs  à  l'horizon.  Enfin, 
s'il  arrive  brisé  dans  le  port,  quelques  amis  en  recueilleront  sans 
doute  les  fragments. 

Cher  ami,  en  parlant  marine,  je   pense  au  Corsaire  rouge  de 
mon  bon  ami  Cooper.  L'avez-vous  lu?  11  m'a  bien  intéressé. 

Adieu,  cher  ami,  embrassez  pour  moi  mon  bon  ami,  votre 
père. 

David. 

Je  vous  recommande  M.  Moll,  qui  veut  bien  se  charger  de  ma 
lettre. 

Colleclion  Pavie.  —  Edouard  Moll,  l'architecte,  porteur  de  ce  billet,  est 
Angevin.  Il  a  construit  dans  sa  ville  natale  l'Hospice  général  Sainte-Marie, 
dont  les  plans,  exposés  au  Salon  de  1859,  valurent  une  médaille  à  l'auteur. 
Cooper,  on  l'a  vu  plus  haut,  habitait  la  France  depuis  1826.  Il  était  en  rela- 
tions avec  David.  Le  Co7'saire  rouge  parut  cette  môme  année.  Nul  doute 
que  l'auteur  n'ait  offert  son  nouveau  livre  au  statuaire. 


XXV 

David  à  Pavie  père. 

Départ    pour   l'Angleterre. 

Paris,  22  avril  1828. 

Cher  ami, 

J'ai  reçu  avec  bien  du  plaisir  votre  dernière  lettre,  et  j'ai  vu 
notre  jeune  ami  Théodore.  Nous  allons  donc  tous  trois  entrepren- 
dre un  voyage  intéressant.  Il  nous  manquera  bien  certainement 
une  personne  que  nous  aimons  de  tout  notre  cœur.  Oui,  cher  ami , 
vous  nous  manquez.  Voilà  comme  jamais  un  bonheur  ne  peut 
être  complet. 

Salut  et  amitié  inaltérable, 

David. 

Je  pense  que  Dupré  viendra  avec  nous. 

Collection  Pavie.  —    Annonce  du    voyage  que  David   fît  en  Angleterre 
accompagné  de  Victor  et  de  Théodore  Fa  vie.  Le  Salon  de  Londres  et  l'es- 


30  DAVID  D'ANGERS 

poir  de  modeler  le  buste  de  Walter  Scott  attiraient  le  statuaire  dans  la 
Grande-Bretagne.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  189-192.)  Louis  Dupré  ne 
fut  pas  du  voyage. 


XXVI 

David  à  Pavie  père. 

Retour  à  Paris.  —  Victor  Pavie. 

Paris,  31  mai  1828. 

Cher  ami, 

Vous  allez  revoir  vos  chers  enfants;  ils  ont  contemplé  beau- 
coup de  belles  choses.  Je  suis  bien  persuadé  que  ce  voyage  ne 
sortira  jamais  de  leur  mémoire.  Je  serais  bien  étonné  si  cela  ne 
montait  pas  la  tête  à  Victor,  pour  lui  faire  produire  un  ouvrage 
digne  de  l'idée  que  nous  avons  de  lui.  Il  faut  l'entretenir  dans 
cette  pensée,  cher  ami.  Victor  a  besoin  d'être  stimulé.  Il  est  trop 
craintif,  trop  hésitant.  Il  ne  faut  pas  qu'il  se  borne  à  admirer  les 
autres.  La  nature  l'a  généreusement  doué.  Qu'il  en  profite. 

Je  dois  vous  dire^  cher  ami,  que  je  suis  enchanté  de  la  société 
de  ces  deux  bons  amis  :  ils  ont  été  bons,  bienveillants,  patients 
avec  moi;  aussi  j'en  suis  très  reconnaissant  et  je  les  aime  de 
toute  mon  àme. 

Adieu,  cher  bon  ami,  aimez-moi  toujours  et  soyez  bien  assuré 
de  la  réciprocité  de  mes  sentiments  à  votre  égard, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  compagnon  de  route  de  David,  Victor  Pavie,  n'a 
pas  laissé  d'études  sur  l'Angleterre,  mais  il  a  raconté  dans  des  pages  étince- 
lantes  et  enthousiastes  le  voyage  accompli  à  Londres  sous  la  conduite  du 
sculpteur.  (OEuvres  choisies  de  Victor  Pavie,  t.  I,  pp.  7-12.) 


XXVII 
Madame  Récamier   à   David. 

Rendez-vous  pris  pour  une  séance  de  pose. 
Madame  Récamier  serait  charmée  que  Monsieur  David  pût, 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  31 

sans  déranger  aucun  de  ses  projels,lui  donner  quelques  momens 
de  sa  soirée,  demain  vendredi. 
Elle  le  prie  d'agréer  tous  ses  compliments. 

RÉCAMIER. 

Ce  jeudi  3  juillet  1828. 

Collection  Henry  Jouin.  —  Ce  billet  a  évidemment  trait  au  médaillon  non 
daté  de  M"">  Récamier,  l'un  des  plus  achevés  que  le  statuaire  ait  mode- 
lés. L'autographe  de  M™»  Récamier,  échappé  des  mains  de  David,  res- 
saisi par  nous  dans  une  vente,  est  devenu  notre  propriété  à  une  époque 
trop  tardive  pour  qu'il  nous  ait  été  possible  d'indiquer  avec  précision  dans 
notre  livre  Mi/sées  d'Angers  la  date  d'exécution  de  ce  portrait.  David  se 
prêtait  volontiers  aux  exigences  de  ses  modèles  qui  ne  daignaient  pas 
venir  jusqua  lui.  Il  allait  à  eux.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  200,  202,243, 
246,  247.) 


XXVIIl 


Alfred  de  Vigny  à,  David. 

Le  médaillon  de  l'auteur  de  Cinq-Mars  et  le  profil  de  Victor  Hugo. 

Bellefontaine,  8  août  1828. 

Comment  a'Ous  remercier  assez  de  ces  deux  belles  médailles 
que  je  viens  de  recevoir  ici?  Que  je  suis  touché  profondément 
de  cette  marque  d'estime  que  vous  m'avez  donnée!  C'est  lorsque 
vous  avez  eu  la  pensée  et  le  désir  de  conserver  mes  traits  que 
j'ai  commencé  de  croire  à  moi-môme  un  peu.  Je  vaux,  bien  plus 
à  mes  yeux  depuis  ce  temps-là.  La  postérité  en  voyant  votre 
ouvrage  pourra  croire  que  les  miens  ont  eu  quelque  prix  dans 
notre  tems. 

Pour  moi,  cette  médaille  sera  toujours  un  précieux  témoi- 
gnage de  votre  amitié  dont  elle  éternisera  la  date;  j'en  vois  bien 
le  commencement,  mais  j'espère  n'en  jamais  voir  la  fin.  Croyez 
bien,  rare  et  beau  génie,  que  l'attachement  que  je  vous  donne 
en  échange  durera  aussi  longtemps  que  moi-même. 

Votre  ami, 

Alfred  de  Vigny. 

P.  S.  —  En  vous  écrivant,  j'ai  mes  chères  médailles  devant 
moi,  et  mes  yeux  ne  cessent  de  passer  de  la  gloire  à  la  gloire  et 


32  DAVID   D'ANGERS 

de  l'amitié  à  l'amitié  en  allant  de  l'image  de  mon  cher  Victor  à 
votre  nom.  J'irai  bientôt  vous  embrasser  tous  les  deux. 

Collection  David  d'Angers.  —  La  médaille  de  Vigny  et  celle  de  Victor 
Hugo  datent  de  1828.  (Musées  d'Angers,  p.  128.)  Le  statuaii'e,  on  le  voit,  ne 
se  bornait  pas  à  ofîrir  à  ses  modèles  un  bi'onze  original,  il  y  joignait  encore 
des  profils  d'amis.  Alfred  de  Vigny  avait  offert  à  David  un  exemplaire  du 
Cinq-Mars  avec  une  dédicace  en  vers  d'une  rare  énergie.  (Voir  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  I,  p.  243.) 


XXIX 


David    à   Yictor  Pavie. 

OfTre  du  buste  de  Louis  Pavie.  —  Paul  Foucher.  —  Mazure.  —  Quatremère 
de  Quincy.  —  L'ode  A  David,  statuaire,  par  Victor  Hugo.  —  Burns,  le 
poète  laboureur.  —  Hippolyte  Maindron. 

Paris,  13  août  1828. 

Cher  ami, 

Depuis  six  jours,  l'objet  que  je  t'envoie  est  chargé  au  roulage. 
Ainsi,  va  vite  recommander  qu'on  le  retienne  jusqu'à  l'époque 
voulue.  Fais  promptement  confectionner  un  piédestal  un  peu 
large;  puis  tâche  qu'il  soit  bien  éclairé  (l'objet  qui  sera  sur  le 
piédestal,  cela  s'entend). 

Notre  brave  ami  Foucher  est  bien  contrarié  de  ne  pouvoir  pas 
visiter  notre  pays,  celte  année;  j'en  suis  fâché  pour  toi,  parce  que 
c'eût  été  un  bon  et  beau  sujet  de  délassement.  Si  vous  étiez 
réunis,  il  parviendrait  à  te  donner  plus  de  confiance  en  toi;  nous 
verrions  plus  souvent  des  productions  de  ta  plume. 

Tu  me  parles  d'un  projet  que  tu  as,  mais  de  la  manière  dont 
tu  m'as  expliqué  cela,  je  suis  dan,sJe  plus  beau  vague  possible. 

Je  voudrais  bien  voir  notre  ami  Mazure,  mais,  en  vérité,  je  n'ai 
pas  une  minute  à  moi;  autrefois  il  venait  à  l'ateher,  cela  me 
faisait  un  bien  grand  plaisir,  nous  parlions  de  toi,  de  nos  amis 
d'Angers;  il  ne  vient  plus.  Je  l'avais  présenté  à  Quatremère.  Cet 
homme  pouvait,  par  la  suite,  lui  procurer  une  place  qui  l'eût 
rendu  indépendant.  Hugo  aurait  pu  aussi  lui  fournir  plus 
d'une  occasion  de  se  faire  connaître.  On  ne  le  voit  pas  ;  j'en 
suis  fâché,  car  je  l'aime  de  tout  mon  cœur. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  33 

Enfin  Hugo  m'a  lu  l'ode  faite  pour  moi;  il  y  a  une  idée  à 
chaque  mot,  et  cette  idée  est  grande  comme  Phidias.  Si  tu  pou- 
vais te  la  procurer  par  Foucher,  tu  verrais  que  c'est  quelque 
chose  de  colossal. 

Adieu,  cher  ami,  courage,  patience,  voilà  les  vœux  de  ton 
ami, 

David. 

Je  lis  actuellement  des  poésies  de  Burns.  C'était  un  laboureur, 
il  n'est  pas  sorti  d'auprès  de  sa  charrue,  et  ses  ouvrages  sont 
connus  dans  toute  l'Europe.  Maine-et-Loire  est  un  pays  bien 
poétique;  songes- y. 

Je  vais  envoyer  une  lettre  au  maire  d'Angers  en  faveur  de 
Maindron;  il  faut  que  ton  père  l'appuie. 

Collection  Pavie.  —  David  avait  exécuté  le  buste  de  Louis  Pavie,  exposé 
au  Salon  de  1827.  Le  marbre  devait  être  offert  le  25  août  1828,  date  de 
la  fête  de  Pavie  père.  Il  s'agissait  donc  de  retenir  au  roulage  l'œuvre  de 
David  afin  d'en  ménager  la  surprise  à  Louis  Pavie  au  moment  oppoi'tun. 
(David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  168.)  Paul  Foucher,  beau-frère  de  Victor 
Hugo,  n'avait,  en  1828,  encore  rien  publié  des  ouvrages  qui  lui  ont  valu  la 
célébrité.  Quatremère  do  Quincv,  l'archéologue  érudit,  avait  été  nommé 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  beaux-arts  en  1816,  et  son  influence  à 
l'Institut  était  considérable.  L'ode  de  Victor  Hugo  «  A  David,  statuaire  »,  in- 
sérée dans  les  Feuilles  d'automne,  est  digne  de  l'éloge  qu'en  fait  ici  le 
sculpteur.  Robert  Burns,  le  poète  écossais  qui,  dans  ses  premiers  ouvrages, 
a  retrouvé  le  charme  des  Géorgiques,  n'est  guère  lu  de  nos  jours.  Sa  répu- 
tation n'était  pas  éteinte  en  1828.  Une  édition  récente  de  ses  poésies  avait 
paru  à  Londres.  Hippolyte  Maindron,  sculpteur  angevin,  élève  de  David, 
sera  plus  d'une  fois  nommé  dans  la  suite  de  cette  correspondance. 


XXX 


David  à  Pavie  père. 

Le  buste  de  Louis  Pavie.  —  Les  «  à  peu  près  »  de  l'artiste  comparés  à  la 
nature.  —  M"»"  Delpiiine  Gay,  Tastu,  PasLa,  le  maréchal  Jourdun,  Méri- 
mée, Boulanger,  de  Vigny,  Hugo,  le  capitaine  Parry.  —  Chez  Georges 
Cuvier.  —  Maindron. 

Paris,  5  septembre  1828. 

Cher  ami, 

Je  veux  vous  remercier  des  choses  aimables  qu'il  vous   plaît 
de  penser  de  mon  ouvrage,  mais  je  veux  aussi  vous  gronder  de 


34  DAVID    D'ANGERS 

votre  extrême  modestie.  Votre  physionomie  dit  bien  davantage 
que  mon  marbre.  Eh!  mon  Dieu,  nous  autres  sculpteurs,  nous 
ne  faisons  que  de  bien  faibles  «  à  peu  près  »  de  la  nature.  Je 
vous  avoue  que  j'ai  toujours  été  humilié  quand  j'ai  comparé 
mes  ouvrages  avec  la  nature.  Enfin,  j'ai  eu  des  instants  de  bon- 
heur en  travaillant  à  votre  buste,  parce  que  je  pensais  à  notre  sin- 
cère amitié,  à  toutes  les  preuves  que  j'en  ai  reçues  de  vous,  à 
votre  bonne  mère  que  je  respecte  de  toute  mon  àme,  à  nos  jeu- 
nes amis  que  j'aime  de  tout  mon  cœur,  et  à  notre  pays  que  j'i- 
dolâtre. Dites  à  Victor  que  je  suis  trop  paresseux  pour  lui  écrire 
cette  fois  ;  que  nous  parlons  souvent  de  lui,  que  j'y  pense  tou- 
jours, que  je  lui  fais  des  médailles  à  encombrer  sa  chambre  : 
DelphineGay,  M™^Tastu,  M'"^Pasta,le  maréchal  Jourdan,  Mérimée, 
Boulanger,  de  Vigny,  Hugo  et  le  capitaine  Parry,  avec  lequel  j'ai 
dîné  hier  soir  chez  Guvier. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

P.  S.  —  Protégez  ce  pauvre  Maindron  pour  hii  faire  avoir 
une  pension  de  cinq  cents  francs.  J'ai  écrit  au  maire  à  cet  égard. 
Je  viens  de  faire  avoir  à  notre  jeune  ami  une  somme  de  deux 
cents  francs  de  la  duchesse  de  Berri.  Maindron  est  un  homme  qui 
mérite  que  l'on  s'intéresse  à  lui. 

Collection  Pavle.  —  Cette  lettre  est  une  réponse  aux  remerciements  que 
Louis  Pavie  avait  adressés  à  David  sur  son  buste.  Les  médaillons  men- 
tionnés ici  par  le  statuaire  ont  été  exécutés  en  1828.  Delphine  Gay,  déjà 
célèbre,  on  le  sait,  par  son  poème  sur  lesSœz«'s  de  Sainte-Camille,  que  l'A- 
cadémie française  avait  couronné  en  1822;  M^i^Tastu,  l'auteur  des  Oiseaux 
du  Sacre;  M™«  Pasta,  la  cantatrice  applaudie  que  ses  différends  avec  Ros- 
sini  obligeaient  à  quitter  la  France;  Jourdan,  le  héros  de  Fleurus,  maréchal 
d'empire  ;  Prosper  Mérimée,  l'habile  inventeur  du  théâtre  de  Clara  Gazul; 
le  peintre  Louis  Boulanger  sont  connus.  Sir  WiUiam-Edward  Parry  nous 
est  moins  familier.  Navigateur  audacieux,  Parry  s'était  voué  à  l'explora- 
tion périlleuse  de  l'océan  Arctique.  David  le  rencontre  à  la  table  du  natu- 
raliste Georges  Cuvier.  11  médite  de  modeler  son  médaillon,  mais  ce  ne 
sera  toutefois  qu'un  projet. 


ET   SES   RELATIONS  LITTl^RAIRES  33 

XXXI 

Delphine  Gay  à,  David. 

Le   médaillon  de  Delphine  Gay.  ' 

Villiers,  ce  15  septembre  1828. 

Je  reçois  avec  bien  de  l'orgueil,  Monsieur,  ce  bronze^  flatteur 
qui  se  charge  de  m'envoyer  tout  droit  à  la  postérité  ;  je  voudrais 
que  mes  vers  eussent  la  môme  puissance,  j'essayerais  de  vous 
répondre,  mais  votre  beau  talent  n'a  besoin  que  de  lui  pour 
éterniser  sa  gloire. 

J'espère  qu'à  notre  retour  à  Paris  vous  viendrez  chercher  vous- 
même  nos  affectueux  remerciemens. 


Collection  David  d'Angers. 


Delphine  Gay. 


XXXII 


Victor  Hugo  à  David. 

Le  ferrement  des  galériens.  —  Le  médaillon  du  poète. 

Ce  17  octobre  1828. 

J'ai,  cher  ami,  une  lettre  de  M.  de  Belleyme  qui  nous  donne 
entrée  à  Bicêtre  pour  le  22,  jour  de  ferrement  de  la  chaîue.  Si 
vous  avez  un  moment,  venez  me  voir  sous  peu  :  que  nous  con- 
venions de  la  marche  que  nous  suivrons. 

Votre  ami, 

Victor  Hugo. 

Je  rouvre  ma  lettre  pour  vous  remercier  mille  fois,  autant  de 
fois  que  c'est  admirable. 

Collection  David  d'Angers.  —  On  a  vu  par  la  lettre  du  19  novembre  1827 
que  l'artiste  et  le  poète  avaient  assisté  déjà  au  ferrement  des  galériens  à 
Bicêtre.  Le  post-scriptum  a  tritit  à  la  réception  du  premier  médaillon 
modelé  par  David,  d'après  Victor  Hugo.  Cette  médaille  porte  le  millésime 
de  1828.  {Musées  d'Angers,  p.  128.) 


36  DAVîD    D'ANGERS 


XXXIII 

Dumont  de  Genève  à  David. 

Le  buste  de  Jùromie  Bentham.  —  Lord  Lansdowne.  —  Pradier. —  La  statue 
de  Jean-Jacques  Rousseau. 

Aux  Philosophes,  près  de  Genève,  17  octobre  1828. 

Monsieur, 

J'ai  différé  de  vous  répondre  jusqu'au  moment  où  je  pourrois 
vous  annoncer  l'arrivée  de  la  caisse  contenant  le  buste  de  M.  Ben- 
tham. Je  l'ai  reçue  parfaitement  bien  conditionnée.  J'ai  été  frappé 
de  la  ressemblance,  du  caractère,  de  l'énergie  de  cette  tête  si 
difficile  à  bien  rendre,  en  conservant  la  force  de  l'expression 
avec  tous  les  signes  d'un  âge  avancé.  C'est  un  ouvrage  d'une 
grande  beauté.  Tous  les  amis  de  Bentham  doivent  être  bien  con- 
tents de  voir  cet  hommage  rendu  à  son  génie  par  un  artiste  étran- 
ger. Leur  reconnoissance  est  un  prix  que  votre  désintéressement 
ne  peut  pas  refuser.  La  mienne  vous  est  toute  acquise.  Ce  buste 
est  le  plus  grand  ornement  de  mon  salon;  il  me  rappellera  tou- 
jours l'honneur  que  vous  m'avez  fait,  et  il  est  placé  comme  il 
doit  l'être,  tout  près  de  la  collection  des  œuvres  de  Bentham. 

Lord  Lansdowne  est  en  voyage,  mais  il  retourne  à  Londres  à 
la  fin  de  l'année,  et  je  ne  manquerai  pas  de  lui  rappeler  que 
vous  avez  destiné  le  marbre  à  orner  son  musée,  jusqu'à  ce  qu'on 
ait  pu  lui  trouver  une  place  convenable  et  permanente  dans 
quelque  établissement  public.  Je  puis  vous  assurer  qu'il  est  très 
satisfait  d'en  être  le  dépositaire. 

Nous  avons  fait  une  souscription  chez  nous  pour  une  statue  de 
Rousseau,  en  bronze.  M.  Pradier,  comme  Genevois  autant  que 
comme  artiste  distingué,  a  été  prié  de  se  charger  de  ce  monu- 
ment. S'il  arrivoit,  par  quelque  circonstance,  qu'il  ne  lui  convînt 
pas  de  le  faire,  je  proposerois  à  notre  comité  de  s'adresser  à 
vous,  Monsieur,  poui"  cette  entreprise;  l'admirateur  de  Bentham 
ne  peut  pas  manquer  d'être  celui  de  Jean-Jacques;  la  même 
devise  s'appliqueroit  à  leurs  ouvrages,  et  quoique  leur  genre  de 
composition  soit  aussi  différent  que  possible,  il  y  a  pourtant 
même  but,  et  même  bien  des  ressemblances  de  caractère  que  je 
pourrois  tracer. 


ET   SES  RELATIONS   LITTERAIRES  37 

Veuillez,  Monsieur,  agréer  mes  remerciements  les  plus  sincè- 
res et  l'assurance  de  la  haute  considération  avec  la(iuelle  je  suis 
votre  très  dévoué  serviteur, 

Et.  DUMONT. 

Collection  David  d'Angers.  —  Pierre-Étienne-Louis  Dumont,  publiciste 
genevois,  avait  consacré  son  talent  à  populariser  les  doctrines  utilitaires 
de  son  ami  le  moraliste  anglais  Jérémie  Bentham.  David,  ayant  sculpté  le 
buste  de  Bentham,  fit  hommage  d'un  exemplaire  en  bronze  à  Dumont. 
Bentham  est  un  haut  esprit  et  c'est  aussi  un  caractère.  L'empereur  de 
Russie,  frappé  du  mérite  de  ses  écrits  sur  la  législation,  lui  offrit  une  bague 
de  valeur  qu'il  accompagna  d'une  lettre  flatteuse.  Bentham  exprima  cour- 
toisement à  l'empereur  le  désir  de  ne  conserver  cjue  la  lettre,  l'estimant 
plus  précieuse  que  le  joyau,  qu'il  renvoya.  Henri  Petty  Fitz-Maurice,  troi- 
sième marquis  de  Lansdowne,  est  trop  connu  comme  homme  d'Etat  pour 
qu'il  soit  utile  de  parler  longuement  de  lui.  Nous  supposions,  d'après  des 
notes  communiquées  par  la  famille  du  statuaire,  que  le  buste  en  marbre  de 
Bentham  avait  été  oQ'ertau  modèle,  mort  seulement  en  1832.  Dumont  semble 
contredire  celte  opinion.  David  aurait  offert  son  marbre  à  lord  Lansdowne 
pour  qu'il  fût  placé,  provisoirement  au  moins,  dans  la  galerie  de  cet 
homme  d'État.  îîentham  aurait-il  décliné  l'honneur  de  posséder  son  buste, 
comme  il  avait  refusé  le  présent  du  czar?  James  Pradier,  né  à  Genève, 
accepta  d'exécuter  la  statue  de  Jean-Jacques,  son  compatriote,  qui  fut  éri- 
gée en  1855  à  la  pointe  du  lac  Léman. 


XXXIV 


Victor  Hugo  à  David. 

Le  médaillon  du  poète.  —  Emile  Deschamps. 

Paris,  octobre  18'28  (?) 

Mille  fois  merci,  cher  ami,  de  mon  admirable  cadeau.  Mainte- 
nant, il  me  faut  une  grâce.  Étnile  Deschamps  vient  dîner  avec 
nous  samedi,  et  je  lui  ai  promis  que  le  grand  statuaire  serait  des 
nôtres. 

Vous  ne  me  ferez  pas  mentir,  j'espère,  et  nous  vous  aurons  à 
six  heures,  n'est-ce  pas?  Vous  voyez  que  je  suis  insatiable. 

El  vueslro  amigo, 

Victor  Hugo. 

Collection  Daoid  d'Angers.  —  Nous  supposons  que  la  première  plu'ase  de 
cette  lettre  a  trait  au  médaillon  du  poute.  Emile  Descliamps,  né  en  17'J1, 
publia  L'n  1828  son  recueil  de  poésies  Études  françaises  et  étrangères.  Des- 
champs laisait  parlii'  du  «  cénacle  ». 


38  DAVID  D'ANGERS 


XXXV 

Victor  Hugo  à  David. 

Contre-temps.  —  Le  buste  de    Lamai'tine. 

Ce  1"  novembre  1828. 

Je  suis  bien  contrarié,  cher  ami  ;  une  affaire  pressante  a  forcé 
Lamartine  de  partir  inopinément  avant-hier.  11  est  vrai  qu'il  re- 
viendra au  mois  de  janvier  passer  trois  mois  à  Paris  et  qu'il 
compte  bien  que  vous  serez  toujours  dans  les  mêmes  dispositions 
à  son  égard;  mais  c'est  une  chose  dure  pour  moi  que  d'attendre 
deux  mois  un  de  vos  chefs-d'œuvre. 

Sans  adieu.  J'espère  bien  toujours  vous  servir  de  satellite  ce 
soir,  si  je  ne  suis  pas  trop  enroué.  A  quelle  heure  vous  atten- 
drai-je,  à  propos? 

A  vous  du  fond  du  cœur, 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d'Angers.  —  Une  lettre  du  poète  des  Méditations  au 
comte  de  Virieu,  écrite  de  Paris  le  28  octobre  1828,  annonce  sou  départ 
pour  le  30  ;  il  passe  les  mois  de  novembre  et  de  décembre  à  Saint-Point. 
{Correspondance  de  Lamartine,  i.  III,  pp.  119-130.)  Il  s'agit  évidemment  dans 
03  billet  d'une  séance  réclamée  par  David  pour  entreprendre  le  buste  de- 
Lamartine. 


XXXVI 


Victor  Hugo  à  David. 

Madame  Adèle  Hugo.  — Une  séance  ajournée. 

Paris.  Ce  samedi  matin....   (1828?) 

Voyez,  cher  ami,  si  ce  n'est  pas  une  fatalité  !  Ma  femme,  qui 
se  porte  bien  toute  l'année,  s'avise  d'être  incommodée  aujour- 
d'hui, et  incommodée  de  la  seule  incommodité  peut-être  qui 
puisse  altérer  un  profil.  Elle  a  horriblement  mal  aux  dents  et, 
en  outre,  les  lèvres  enflées  et  cuisantes.  Vous  n'auriez  donc  au- 
jourd'hui qu'un  modèle  souffrant  et  défiguré.  Or,  je  me  souciais 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  39 

fort  peu  de  vous  prévenir  de  ce  contre-temps,  tenant  beaucoup 
à  la  joie  de  vous  voir  aujourd'hui,  et  prévoyant  que  cette  lettre 
nous  en  priverait  peut-être,  mais  ma  femme  me  rappelle  com- 
bien votre  temps  est  précieux,  et  mon  égoïsme  cède.  Venez  pour- 
tant, n'est-ce  pas?  si  vous  pouvez,  et  n'oubliez  pas  que  personne 
ne  vous  admire  plus  que  moi,  parce  que  personne  ne  vous  aime 
davantage. 

Victor  Hugo. 

P.  S.  —  Ma  femme  compte  bien  qu'il  ne  sera  plus  question  de 
son  bobo  lundi. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  de  M"»  Hugo,  exécuté  peu 
après  l'envoi  de  cette  lettre,  porte  la  date  de  1828.  {Musées  d'Angers, 
p.  344.) 


XXXVII 


Ballanche  à  David. 

Une   lecture  du  Moïse  de  Chateaubriand. 


Paris.  Mercredi  matin., 

Monsieur, 

Il  doit  y  avoir,  dimanche  prochain,  à  8  heures  du  soir,  une 
lecture  de  Moïse,  chez  Madame  Récamier,  à  l'Abbaye-au-Bois. 
M.  de  Chateaubriand  doit  y  assister  parce  qu'il  a  désiré  l'en- 
tendre pour  mieux  juger  de  l'ensemble  de  la  pièce. 

Je  suis  chargé  de  vous  engager  à  vous  trouver  à  cette  lecture, 
qui  ne  peut  manquer  de  vous  intéresser. 

Gomme  le  nombre  des  personnes  engagées  à  y  assister  est  fort 
restreint,  vous  êtes  prié,  Monsieur,  de  ne  point  en  parler  d'ici 
là. 

Je  m'estime  heureux  d'avoir  à  remplir  auprès  de  vous,  Mon- 
sieur, une  commission  dont  l'objet  ne  peut  que  vous  être 
agréable. 

Veuillez  bien  recevoir,  Monsieur,  les  nouvelles  assurances  de 
tous  mes  sentiments. 

Ballanche. 


40  DAVID    D'ANGERS 

Collection  David  d'Angers.  —  Ballanche,  le  penseur  prophétique  qui 
allait  signer  la  Vinion  cVUébal,  a  omis  de  dater  ce  billet,  écrit  au  nom  de 
M^'Récamier.  Mais  Chateaubriand,  dans  la  préface  de  sa  tragédie,  nous 
apprend  que  cette  pièce  fut  lue  au  Comité  du  Théâtre-Français  en  1828  et 
reçue  à  l'unanimité.  Nous  sommes  donc  autorisé  à  penser  que  les  lec- 
tures faites  chez  M^^  Récamier  datent  de  la  même  année.  La  situation  poli- 
tique de  Chateaubriand  lui  fit  retirer  sa  pièce,  qui  ne  fut  pas  jouée. 


1829 

XXXVIII 

John  Franklin  à,  David. 

Un  portrait  flatté.  —  Projet  de  David  de  retourner  en  Angleterre. 

23,  rue  du  Devonshire  Portland  place,  12  mars  1829  . 

Mon  cher  Monsieur, 

Permettez-moi  de  vous  envoyer  mes  plus  chauds  remerciements 
pour  votre  aimable  présent  du  médaillon  qui  a  fait  un  plaisir 
universel  à  mes  amis.  Ils  en  apprécient  la  ressemblance  visible  et 
la  belle  exécution. 

Ma  femme  continue  à  insister  sur  ce  que  le  nez  est  trop  long  et 
sur  ce  que  vous  m'y  avez  fait  trop  beau.  Mais,  dans  son  cœur, 
elle  est  réellement  plus  heureuse  que  personne  de  l'attention  que 
vous  avez  eue  de  me  flatter. 

Elle  me  prie  de  vous  dire,  comme  je  le  fais  moi-même,  com- 
bien nous  serons  vraiment  heureux  de  vous  offrir,  au  printemps^ 
la  bienvenue  en  Angleterre;  nous  espérons  qu'il  sera  en  notre 
pouvoir  de  contribuer  d'une  manière  quelconque  à  rendre  votre 
séjour  ici  satisfaisant  et  agréable. 

Je  suis,  cher    Monsieur,    votre    serviteur   reconnaissant     et 

fidèle, 

John  Franklin. 

Collection  David  d'Angers.  —  Cette  lettre  est  écrite  en  anglais.  John 
Franklin,  émule  de  Parry,  est  justement  célèbre  par  ses  explorations  répé- 
tées dans  les  régions  polaii^es.  Son  caractère  enjoué  lui  permit  d'endurer  les 
plus  dures  privations  sans  se  laisser  abattre.  La  lettre  que  nous  donnons 
ici  renferme  une  preuve  de  cet  enjouement.  La  médaille  de  Franklin  porte 
la  date  de  1829.  {Musées  d'Angers,  p.  344.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  41 


XXXIX 

David  à  Pavie  père. 

Suites  d'un  accident.  —Destitution  de  Delusse. 

Paris,  13  mars  1829, 

Cher  bon  ami, 

J'aurais  voulu  répondre  plus  tôt  à  ta  lettre,  mais  j'ai  éprouvé 
une  si  grande  contrariété  et  tant  de  souffrances,  depuis  huit  se- 
maines, que  j'avais  peu  le  courage  d'écrire,  surtout  comme  je 
suis  obligé  de  le  faire  avec  ma  main  gauche  (qui  est  bien  gauche). 
J'ai  eu  un  os  de  brisé  dans  la  main  droite,  11  a  fallu  me  mettre 
encore  à  la  disposition  de  Dubois.  Tu  juges  quel  doit  être  mon 
tourment,  comme  cela  dérange  mes  travaux  !  Cet  accident  m'est 
arrivé  dans  le  mois  de  janvier;  c'est  un  bien  triste  anniversaire. 
Enfin,  sous  peu,  j'espère  reprendre  mes  travaux. 

Je  suis  bien  profondément  affligé  de  la  nouvelle  concernant 
notre  ami  Delusse.  Pauvre  vieillard!  Par  ce  coup  on  l'assassine. 
Cela  me  paraît  une  infamie.  N'était-il  pas  possible  d'attendre  en- 
core quelque  temps  afin  de  laisser  finir  doucement  à  ce  vieillard 
le  peu  d'années  qu'il  lui  reste  à  vivre! Quelle  rage  subite  pour  les 
arts  vient  de  prendre  à  nos  compatriotes  ? 

Il  y  a  à  peu  près  six  ans  que  j'avais  eu  le  bonheurde  détourner 
un  semblable  coup  qui  se  tramait  contre  notre  pauvre  ami.  J'ai 
vu  ce  matin  Victor  ;  tu  comprends  facilement  son  exaspération  ; 
son  âme  si  noble  ne  peut  jamais  croire  à  de  semblables  passe- 
droits.  Victor  se  porte  bien  et  travaille  beaucoup. 

Adieu,  cher  ami,  crois  aux  sentiments  de  ton  dévoué  ami  de 
cœur  et  d'âme. 

Tout  à  toi , 

David.    . 

Collection  Pavie.  —  David  ayant  fait  une  chute  en  janvier  1828,  à  peu 
près  à  la  date  anniversaire  de  la  tentative  d'assassinat  qui  avait  failli  lui 
coûter  la  vie  en  1827,  force  lui  fut  de  recourir  aux  soins  (lu  célèbre  chirur- 
gien, le  baron  Dubois.  Delusse,  le  premier  maître  du  statuaire,  qui  aclievait 
dans  la  gène  une  vie  de  travail  et  de  désintéressemeut,  fut  privé  eu  1829  de 
ses  fonctions  de  conservateur  du  Musée  d'Angers. 


-42  DAVID  D'ANGERS 

XL 

David  au  maire'  de  Rouen. 

Offre  du  modèle  de  la  statue  de  Bonchamps  au  Musée  de  Rouen. 

Paris,  20  avril  1829. 

Monsieur  le  Maire, 

J'ai  reçu  avec  bien  de  la  reconnaissance  la  lettre  par  laquelle 
vous  m'annoncez  que  le  modèle  de  la  statue  de  Bonchamps  est 
arrivé  à  Rouen. 

Je  vous  remercie  beaucoup  des  choses  flatteuses  que  vous  dai- 
gnez me  dire  à  l'égard  de  cette  statue  ;  votre  suffrage  augmente 
singulièrement  le  plaisir  que  j'éprouve  d'avoir  un  de  mes  ou- 
vrages dans  votre  ville. 

Agréez,  Monsieur  le  Maire,  l'assurance  du  profond  respect  de 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

DAvm. 

Archives  municipales  de  Rouen.  —  David  regretta  plus  tard  de  ne  pou- 
voir doter  le  Musée  d'Angers  du  modèle  de  la  statue  du  héros  vendéen.  Il 
•exprima  ce  regret  aux  Angevins  et  rappela  les  démarches  qu'il  avait  faites 
auprès  de  la  ville  de  Rouen  dans  le  but  de  rentrer  en  possession  de  cet 
■ouvrage.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  500.)  Celui  qui  écrit  ces  lignes 
reprit  en  1872,  mais  sans  succès,  les  négociations  entamées  par  le  statuaire. 
(Voir  Proposition  au  sujet  du  modèle  de  la  statue  de  Bonchamps,  Angers, 
in-S",  6  pages.)  A  la  vente  des  autographes  de  la  collection  Fillon,  en  1879, 
a  passé  une  lettre  du  maître  au  peintre  Bellangé,  directeur  du  Musée  de 
Rouen,  relative  à  la  cession  au  Musée  David  du  modèle  de  la  statue  de 
Bonchamps.  Cette  lettre  porte  la  date  du  1^''  août  1846. 


XLI 

David  à  Pavie  père. 

Projet  de  voyage  à  Weimar.  —  Gœthe.  —  Victor  Pavie.  —  «  L'Américain.  » 

Paris,  27  juillet  1829. 

Cher  bon  ami, 

Tu  connais  mon  culte  pour  les  grands  hommes  ;  il  en  est  un 
dont  je  veux  étudier  et  contempler  les  traits,  c'est  Gœthe.  Dans 


ET   SES   RELATIONS   LITTÉRAIRES  43 

peu  de  jours  j'espère  être  auprès  de  lui.  Veux-tu  me  permettre 
d'emmener  avec  moi  mon  jeune  ami  ?  Je  t'avoue  que  c'est  la 
chose  que  je  désire  le  plus  au  monde.  Cependant,  cher  ami,  je 
préfère  ton  bonheur  au  mien.  Si  ce  voyage  te  contrarie,  nous 
n'en  parlerons  plus.  Gela  me  fera  mal,  mais  que  ne  ferais-je  pas 
pour  toi  dont  l'amitié  est  si  persévérante  ?  Ecoute,  ton  fils  va 
passer  son  examen  dans  peu  de  jours  ;  aussitôt  nous  partirions, 
car  il  veut  être  à  Angers  à  une  certaine  époque  qui  est  bien  chère 
à  son  cœur.  Tout  cela  peut  très  bien  s'arranger,  parce  que  je  ne 
puis  être  longtemps  absent  de  Paris.  Voilà  mon  projet:  3  jours 
pour  le  voyage,  4  jours  au  plus  pour  mon  travail,  et  3  jours  pour 
revenir  à  Paris.  Gomme  il  faut  dire  toute  sa  pensée  à  son  unique 
ami,  peut-être  que  3  jours  de  plus  pourraient  me  transporter 
dans  une  campagne  auprès  d'Angers,  où  là,  ignoré  de  mes  com- 
patriotes, je  pourrais  serrer  mon  ami  dans  mes  bras.  Gela  est  le 
délire  de  mon  imagination  ;  tu  es  toujours  dans  ce  qu'elle 
conçoit. 

Gher  ami,  je  le  répète,  que  ton  amitié  pour  moi  ne  te  fasse  pas 
faire  un  sacrifice  trop  grand. 

Je  n'ai  pas  répondu  à  ta  lettre;  je  suis  bien  coupable,  elle  était 
si  bonne!  Elle  m'a  vivement  attendri.  Cependant,  j'ai  parlé  à 
notre  jeune  ami  de  nos  sentiments  à  tous  les  deux,  et  que  dire  à 
«ne  àme  si  noble  qui  va  au-devant  de  tout  ce  qui  est  juste?  Sois 
tranquille,  tu  auras  des  fils  dignes  de  toi  ;  si  je  tenais  1'  «  Améri- 
cain »  je  l'embrasserais  de  tout  mon  cœur.  Nous  avons  eu  une 
conversation  qui  ne  s'effacera  jamais  de  ma  mémoire;  ce  sera  un 
homme  ! 

Adieu,  cher  ami.  Réponds-moi  de  suite. 

Ton  fidèle, 

David. 


Colleclion  Pavie.  —  David,  en  se  proposant  de  précipiter  son  voyage  à 
Weimar,  avait  pour  but  de  permettre  à  Victor  Pavie  d'être  en  Anjou  le 
25  août,  date  de  la  fête  do  Pavie  père.  La  maison  de  campagne  où  David 
parle  d'aller  s'enfermer  incognito  est  la  propriété  des  Pavie,  les  Rangear- 
diéres,  à  une  lieue  d'Angers.  Le  personnage  que  le  statuaire  désigne  fami- 
lièrement sous  le  surnom  de  «  l'Américain  »  n'est  autre  que  l'orientaliste 
Théodore  Pavie,  frère  de  Victor. 


44  DAVID  D'ANGERS 


XLII 


David  à  Pavie  père. 

Retour  de  Weimar. 

Paris,  18  septembre  1829. 

Cher  bon  ami, 

Notre  jeune  ami  va  te  revoir  ;  je  ne  veux  pas  qu'il  me  quitte 
sans  te  remettre  un  mot  de  moi.  J'aurais  bien  voulu  l'accompa- 
gner, mais  notre  voyage  a  été  trop  long  pour  que  je  me  permette 
encore  une  absence.  Je  le  regrette  beaucoup,  car  cette  excursion 
aurait  mis  le  comble  à  ma  joie.  Notre  départ  s'est  trouvé  retardé 
contre  mon  attente.  Victor  te  contera  tout,  et  tu  reconnaîtras  qu'il 
était  impossible  de  faire  autrement  que  nous  n'avons  fait,  car  il 
nous  fallait  profiter  d'un  voyage  aussi  intéressant  que  celui 
d'Allemagne.  Je  crois  que  le  séjour  de  Victor  à  Weimar  laissera 
dans  l'àme  de  notre  ami  des  traces  profondes.  Je  serais  surpris 
que  le  spectacle  dont  il  a  joui  n'eût  pas  une  grande  influence  sur 
ses  études  littéraires.  Quant  à  moi,  les  semaines  passées  resser- 
rent, s'il  est  possible,  les  liens  d'amitié  qui  m'ont  toujours  atta- 
ché à  ce  cher  enfant. 

En  arrivant,  ce  matin,  j'ai  trouvé  une  lettre  de  Théodore^  une 
lettre  écrite  avec  son  cœur.  J'avoue  que  je  suis  bien  sensible  à 
son  obligeant  souvenir. 

Adieu,  bon  et  sincère  ami.  Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. 


XLIII 


David  à  Victor  Pavie. 

Les  démolisseurs. —  Une  lecture  A'ilernani  chez  Victor  Hugo.  —  Othello, 
Hamlet  d'Alfred  de  Vigny.  —  Le  buste  de  Gœthe. 

Paris,  1"  octobre  1829. 

Cher  ami, 
J'ai  reçu  ta  lettre  avec  bien  du  plaisir.  Je  voulais  y  répondre 


ET   SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  43 

longuement,  mais  j'aurais  tant  à  te  dire  qu'il  faut  que  j'attende 
ton  retour  à  Paris. 

Pauvre  Angers,  comme  on  l'abîme  !  Dans  vingt  ans  on  ne  recon- 
naîtra plus  notre  chère  patrie,  mais  alors  on  n'y  mettra  plus  les 
pieds  et  on  ira  habiter  la  campagne  qui  peut-être  conservera  sa 
physionomie;  je  dis  peut-être,  car  les  hommes  gâtent  tout  ce 
quils  touchent. 

Hugo  nous  a  lu  un  nouveau  drame,  qui  vient  d'être  reçu  aux 
Français.  Il  est  toujours  le  grand  homme,  mais  celte  pièce  me 
paraît  moins  faite  pour  la  scène  que  Marion.  11  y  a  dans  la  der- 
nière beaucoup  de  philosophie  allemande, mais  à  la  scène  il  faut 
de  l'action. 

Une  chose  qui  m'est  bien  pénible,  c'est  que  de  Vigny  et  Hugo 
sont  brouillés.  Hugo  a  obtenu  de  l'aire  jouer  sa  pièce  avant 
VOthello  de  de  Vigny. 

De  Vigny  vient  de  nous  lire  son  Hamlet.  Admirable! 

Adieu,  santé  et  joie.  Amitié  de  ton  tout  dévoué, 

DAvm. 

P.  S.  —  Il  me  serait  bien  difficile  de  te  dire  ce  que  pense  Hugo 
du  buste  de  Gœthe,  ce  buste  n'étant  pas  encore  arrivé.  H  est  pro- 
bablement perdu.  C'est  ma  faute,  ma  très  grande  faute. 

Collection  Pavie.  —  Les  doléances  du  statuaire  sur  les  démolitions  que 
l'on  fait  subir  aux  quartiers  pittoresques  de  sa  ville  natale  sont  fondées. 
On  retrouve  la  trace  de  semblables  rep;rets  sous  la  plume  de  tous  les  Ange- 
vins épris  de  l'antique  cité,  à  peu  prés  renouvelée  depuis  soixante  ans. 
Hernani,  lu  par  son  auteur  devant  David,  est  de  la  part  de  l'artiste  l'objet 
d'une  critique  fort  juste.  On  sait  que  le  drame  de  Marion  Delornie,  interdit 
par  la  censure  sous  le  gouvernement  de  Charles  X,  avait  été  composé  avant 
Hernani.  Alfred  de  Vigny  et  Victor  Hugo  sont  en  lutte  auprès  du  Comité 
du  Théâtre-Français.  Nous  sommes  loin  de  l'entente  cordiale  attestée  par 
de  Vigny  dans  sa  lettre  du  8  août  1828,  publiée  plus  haut  (p.  31).  Othello,  un 
instant  supplanté  par  Hernani,  iul  en  fin  de  compte  joué  avant  le  drame  de 
Victor  Hugo.  Le  buste  de  Gœthe,  modelé  par  le  statuaire  à  Weiniar,  puis 
moulé,  n'arriva  en  France  que  tardivement  et  après  des  péripéties  de  plus 
d'une  sorte.  (Voir  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  240.)  A  l'époque  où  nous 
sommes,  David  désospéiait  de  pouvoir  traduire  eu  mai'bre  l'image  de 
Gœthe,  faute  du  plâtre  égaré,  sinon  détruit. 


46  DAVID  D'ANGERS 


XLIV 


David  à  Victor  Pavie. 

Le  buste  de  Gœt'he.  —   Représentation  d'Othello.  —  Lamartine  candidat  à 

l'Académie. 

Paris,  21  octobre  1829. 

Cher  bon  ami, 

J'ai  lu  avec  bien  du  plaisir  le  dernier  journal  d'Angers.  Ton 
article  sur  Gœthe  est  admirablement  bien  écrit.  Tu  as  fait  un 
portrait  de  main  de  maître.  Je  crains  bien  que  mon  buste  soit 
peu  digne  de  tout  ce  que  ton  amitié  pour  moi  t'a  fait  dire  dans 
cet  article.  Je  ne  sais  plus,  au  fait,  ce  que  j'ai  fait.  Je  ne  peux 
pas  me  représenter  en  imagination  cet  ouvrage.  Enfin,  pour 
comble  d'ennuis,  je  n'entends  plus  parler  de  rien  à  cet  égard; 
la  caisse  est  peut-être  perdue  ? 

Ce  que  l'on  m'avait  dit  pour  VOthello  n'aura  pas  lieu;  on  le 
donne  samedi  prochain;  cependant,  nos  amis  sont  toujours  dans 
un  très  grand  refroidissement. 

On  parle  beaucoup  de  la  nomination  de  Lamartine;  je  désire 
ardemment  son  succès,  pour  lui,  qui  en  a  bien  envie,  et  pour  le 
corps  que  cela  honorerait. 

Si  tu  peux  disposer  de  quelques  exemplaires  du  journal  dans 
lequel  tu  parles  de  Gœthe,  fais-moi  le  plaisir  de  me  les  envoyer. 

Adieu,  cher  ami,  embrasse  ton  père  pour  moi,  présente  mon 
respect  à  madame  Pavie,  et  crois  à  l'éternelle  amitié  de  ton  tout 
dévoué, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  L'article  auquel  fait  allusion  David  avait  paru  dans 
les  Affiches  d'Angers.  L'élection  de  Lamartine  eut  lieu  le  S  novembre. 
L'iiistoire  épisodique  de  cette  élection  est  à  lire  dans  la  Correspondance  de 
Lamartine  (t.  III,  pp.  16S-182). 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  47 

XLV 
David  à  Jullien  de  Paris. 

La  fête  de  Gœlhe.  —  Miçkiewicz. 

Paris,  24  octobre  1829. 

Monsieur, 

La  lettre  de  M.  Quetelet  rend  très  exactement  ce  qui  s'est  passé 
à  Weimar,  le  jour  de  lafètc  de  Gœthe.  Il  parle  de  M,  Miçkiewicz, 
jeune  poète  polonais.  Yous  pourriez  peut-être,  dans  votre  article, 
dire  que  ce  poète  a  été  exilé  en  Sibérie  pendant  sept  années,  parce 
qu'il  a  osé  élever  la  voix  pour  l'afFranchissement  de  son  pays* 
vous  pourriez  dire  que  c'est  le  poète  le  plus  remarquable  de  son 
pays,  qu'il  a  publié  déjà  plusieurs  volumes  remplis  de  cette  poé- 
sie toute  d'àme. 

Quand  vous  écrirez  à  M.  Quetelet,  veuillez  avoir  la  bonté  de  le 
remercier  de  son  bon  souvenir  à  mon  égard,  et  lui  présenter 
mes  compliments  affectueux. 

Votre  bien  dévoué  de  cœur, 

David. 

Collection  Duhmnfaut.  —  Le  publiciste  Jullien ,  destinataire  de  cette 
lettre,  était  alors  directeur  de  la  Revue  encyclopédique  îonàbQYi&v  \\i\  en  1818. 
Kous  avons  parlé  de  la  rencontre  du  statuaire  avec  Miçkiewicz  à  Weimar. 
(David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  231-234.)  A.  Quetelet  est  l'astronome  et  le 
statisticien  belge  dont  le  médaillon  a  été  modelé  par  David  en  1830.  [Musées 
d'Angers,  p.  137.) 


XLVI 


M""^  Sophie  Gay   à,  David. 

Le  buste  de  Cliateaubriand. 

Dimanche...  décembre  (1829  ?) 

M""  et  M"*  Gay  ont  l'honneur  de  se  rappeler  au  souvenir  de 
Monsieur  David,  et  lui  font  demander  si  elles  pourraient,  sans 
trop  le  déranger,  aller  voir,  ce  matin,  vers  trois  heures,  sou  beau 
buste  de  l'auteur  des  iVartijrs. 

Elles  le  prient  d'agréer  leurs  complimens  distingués. 


48  DAVID  D'ANGERS 

Collection  David  d'Angers.  — Ce  billet  n'est  pas  daté,  mais  le  marbre  du 
buste  de  Chateaubriand  ayant  été  exposé  en  janvier  1830,  il  est  admissible 
qu'on  ait  pu  voir  cet  ouvrage  dans  l'atelier  du  maître  en  décembre  1829. 
La  locution  «  ce  matin  »  doit  être  prise  ici  dans  le  sens  de  «  matinée  »,  et 
l'on  sait  que  la  matinée,  dans  la  langue  mondaine,  ne  prend  fin  qu'à  l'heure 
du  diner,  c'est-à-dire  à  6  ou  7  heures  du  soir. 


1830 


XLVU 

Lady  Morgan  à  David. 

Le  buste  de  lady  Morgan.  — Alexandre  Dumas.  —  Mérimée. 

Dublin,  Kildare  Street,  30  mars  1830. 

Lady  Morgan  sera  charmée  de  se  rappeler  au  souvenir  de 
Monsieur  David.  Chose  peut-être  très  difficile,  sinon  pas  impos- 
sible ;  cependant  elle  profite  de  l'occasion  du  départ  du  comte  de 
Caudaux  (consul  à  Dublin)  pour  réitérer  au  jeune  «  Canova 
français  »  l'expression  de  son  admiration  pour  ce  beau  talent  qui 
est  si  franchement  voué  à  éterniser  les  traits  des  grands  apôtres 
de  la  liberté.  Lady  Morgan  prie  Monsieur  David  de  permettre  au 
comte  de  Ganclaux  de  voir  son  intéressant  atelier  et  le  buste  de 
lady  Morgan  dont  elle  serait  si  reconnaissante  d'avoir  un  exem- 
plaire en  plâtre.  Monsieur  de  Ganclaux  se  chargerait  de  toute  la 
la  dépense  si  Monsieur  David  voulait  bien  se  charger  de  l'embal- 
lage. Mais  lady  Morgan  désire  le  succès  de  sa  prière  plus  qu'elle 
ne  l'attend.  Lady  Morgan  désire  présenter  ses  compliments  à 
M.Bumas  dont  l'admirable  Hen7'i  III  fait  les  délices  de  tous  ceux 
qu'elle  a  jugés  dignes  de  le  lire,  dans  un  pays  où  la  littérature 
française  moderne  est  absolument  inconnue.  Sir  Charles,  miss 
Clarke  et  lady  Morgan  se  rappellent  avec  le  plaisir  le  plus  vif  les 
heureux  moments  qu'ils  ont  passés  dans  l'atelier  de  Monsieur 
David  avec  autant  d'instruction  que  d'amusement.  C'est  dans  cet 
aimable  souvenir  que  lady  Morgan  ajoute  un  petit  mot  pour 
M.Mérimée,  dont  elle  prend  la  liberté  de  charger  Monsieur  David. 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  49 

Collection  David  d'Angers.  —  Lady  Morgan,  publiciste,  irlandaise  d'ori- 
gine, a  fait  de  fréquentes  apparitions  dans  le  monde  littéraire  de  Paris. 
David  sculpta  son  buste  et  modela  son  médaillon.  (David  d'Angers,  etc., 
t.  I,  pp.  194,  202,  223.  247,  2o4,  2oo.)  Le  buste  de  lad}'  Morgan  porte  la 
date  de  1830.  {Musées  d'Angers,  p.  133.)  La  lettre  que  nous  publions  ici  au- 
torise à  penser  que  le  marbre  dut  être  sculpté  dés  1829.  Ou  sait  que  le 
drame  de  Henri  III  fut  joué  en  1828. 


XLYIII 


Lamartine  à  David. 

Le  buste  du  poète. 

Château  de  Saint-Point,  14  juillet  1830. 

J'ai  reçu  le  buste.  Je  lui  fais  faire  un  digne  piédestal,  et  il  sera 
dans  un  mois  livré  à  la  juste  admiration  du  pays.  Recevez  de 
nouveau  des  remerciements  que  j'espère  vous  exprimer  plus  for- 
tement dans  ma  langue,  un  jour.  Avez-vous  enfin  reçu  de  ïliou- 
venin  mon  édition  préparée  pour  vous,  et  que  j'ai  eu  tant  de 
regrets  de  ne  pas  vous  offrir  en  personne  ? 

Nous  partons  demain  pour  la  Suisse  et  la  Savoie  ;  songez  à 
nous  si  vous  prenez  cette  route  pendant  l'été.  A  la  fin  d'août,  nous 
serons  à  Saint-Point,  solitude  qui  serait  fière  de  vous  recevoir. 

Je  n'ai  que  le  tems  de  vous  remercier  encore  et  de  vous  de- 
mander la  petite  note  des  déboursés  de  l'emballeur  et  que  je  ferai 
porter  chez  vous. 

Ma  famille  entière,  que  vous  avez  consacrée  en  moi  par  cette 
œuvre  de  votre  génie,  s'unit  à  ma  reconnaissance  et  à  mon 
orgueil.  C'est  un  titre  dans  l'avenir  qu'un  buste  de  David. 

Lamartlne. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  buste  de  Lamartine,  l'un  dos  plus  re- 
marquables que  David  ait  sculptés,  a  été  modelé  eu  1829  et  traduit  eu  mar- 
bre en  1830.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  213.) 


50  DAVID  D'ANGERS 


XLIX 


Lady  Morgan  à,  David. 

Les  journées  de  Juillet  jugées  par  lady  Morgan.  —  Le  buste  de  l'écrivain. 

Août   1830. 

Je  vous  présente  mes  sincères  félicitations,  Monsieur,  comme 
à  tous  les  vrais  amis  de  la  liberté  et  du  bonheur  humain.  La 
grande  semaine  de  France  est  la  plus  grande  depuis  la  première 
de  la  Création.  Au  reste,  je  vous  écris  pour  vous  prier  de  ne  pas 
encore  envoyer  ma  tête  ici. 

J'irai  la  chercher  tantôt. 

En  attendant,  et  toujours,  votre  toute  obligée, 

Sidney  Morgan. 

Collection  Henry  Jouin.  —  La  dernière  phrase  est  assez  explicite  :  il  s'agit 
du  buste  en  marbre  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 


Lady  Morgan  à  David. 

Une  ombi-elle  oubliée. 

Paris,  septembre  1830. 

Voulez-vous  bien  vous  mettre  sous  l'ombre  de  mon  petit  pa- 
rasol, demain,  en  venant  me  voir  ?  Je  l'ai  laissé  dans  votre 
atelier. 

S.  Morgan. 
Hôtel  de  la  Terrasse,  rue  Rivoli. 

Collection  David  d'Angers. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  M 


LI 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  modèle  du  Coudé.    —  Le  coq    gaulois.  —   Lady  Morgan.  — 
Couturier  de  Vienne.  —  «  Notre-Dame  de  Paris.  » 

Paris,  12  octobre  1830. 

Cher  ami, 

Il  y  a  déjà  assez  longtemps  que  j'ai  écrit  à  ton  père  pour  lui 
demander  s'il  croit  que  le  modèle  de  mon  Condé  serait  bien  reçu 
à  Angers.  J'attends  avec  bien  de  l'impatience  sa  réponse,  parce 
que  l'on  va  abattre  les  ateliers  du  Gros-Caillou.  Réponds-moi  de 
«uite,  tu  m'obligeras  beaucoup. 

Fais-moi  le  plaisir  de  dire  à  Lachèse  que  le  modèle  du  coq  est 
terminé,  que  le  fondeur  s'en  occupe,  que  l'opération  de  la  fonte 
ne  sera,  je  pense,  pas  longue.  Dans  une  quinzaine,  j'espère  pou- 
voir faire  partir  mon  coq  pour  Angers. 

11  vient  de  paraître  un  nouvel  ouvrage  de  lady  Morgan,  dans 
lequel  elle  dit  les  choses  les  plus  agréables  pour  moi.  Je  suis 
bien  contrarié  de  ne  pas  être  en  mesure  de  lui  répondre  par 
l'envoi  de  son  buste. 

On  vient  de  traduire  les  Leçons  sur  les  arts  faites  à  Berlin  par 
Schlegel;  le  traducteur  m'a  dédié  cet  ouvrage  par  une  préface 
extrêmement  aimable.  Il  y  a  dans  cet  ouvrage  des  idées  qui  sont 
très  justes  sur  les  arts. 

Ton  tout  dévoué  ami, 

David. 

J'ai  dîné  chez  Victor,  jeudi  dernier;  il  nous  a  lu  un  chapitre  de 
Notre-Dame.  Cet  ouvrage  est  très  avancé. 

Collection  Pavie  —  Le  coq  gaulois,  annoncé  dans  cette  lettre,  fut  une 
offre  do  David  à  la  garde  nationale  d'Angers.  Ce  coq  surmonta  le  drapeau 
de  la  milice  citoyenne.  La  traduction  des  Lfçons  sur  iliisloire  et  la  théorie 
des  Beaux-Arts,  de  Schlegel.  est  l'œuvre  de  Couturier  de  Vienne  (Paris,  1830, 
in-S").  Unededicace.de  quatre  pages  presque  lyriques,  signée  du  traduc- 
teur, ouvre  le  volume.  Notre-Dame  de  Paris  parut  en  1831.  David  nous 
apprend  ici  que  le  poète  ne  refusa  pas  de  lire  à  ses  amis  quelques  cliapi- 
tres  de  sonreuvre  nouvelle.  Cette  assertion  est  d'ailleurs  conforme  à  l'aveu 
de  Victor  Ilugo  lui-même  dans  un  livre  écrit  sous  sa  dictée.  {Vlc'or  Hugo 
raconté  par  un  témoin  de  sa  vie,  t.  II,  p.  34o.) 


52  DAVID  D'ANGERS 


LU 


Chateaubriand  à  David. 

Un  marbre  vu  aux  flambeaux. 

Paris,  19  octobre  1830. 

Quelques  personnes,  Monsieur,  veulent  admirer  le  beau  buste 
aux  flambeaux  :  elles  seroient  bien  heureuses  de  voir  en  même 
temps  l'auteur  et  l'ouvrage.  Voulez-vous  donc,  Monsieur,  nous 
faire  l'honneur,  à  Madame  de  Chateaubriand  et  à  moi,  de  venir 
dîner  dans  notre  hermitage,  dimanche  prochain,  24,  à  6  heures 
précises? 

Agréez,  Monsieur,  je  vous  prie,  mes  compliments  les  plus 
empressés. 

Chateaubriand. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  buste  de  Chateaubriand,  d'un  modelé 
puissant  et  distingué,  porte  la  date  del829.  Le  marbre,  terminéen  1830, fut 
exposé  au  Musée  Golbert  avant  d'être  offert  au  modèle.  Il  est  aujourd'hui 
la  propriété  de  M""  Sibylle  de  Chateaubriand  et  décore  le  ravissant  vesti- 
bule du  château  de  Combourg,  près  Saint-Malo.  (Voir  David  d'Angers,  etc. 
t.  I,  pp.  214-215.) 


LUI 


Prosper   Mérimée  à,  David. 

Inadvertance.  —  Le  chapeau  du  romancier.  —  Lady  Morgan. 

1830  (?) 

M"«  Sophie  dit  que  vous  avez  pris  mon  chapeau  ;  je  crois  avoir 
le  vôtre.  Le  mien  est  de  Bouyrat,  et  était  accompagné  de  gants 
jaunes. 

Je  tâcherai  de  passer  à  votre  atelier  dans  la  journée.  On  dit 
que  vous  avez  lady  Morgan? 

Mille  compliments. 

P'^  MÉRIMÉE. 

Collection  David  d'Angers.  —  Nous  ne  pouvons  dire  dans  quelle  soirée 
David  et  Mérimée  échangèrent  involontairement  leurs  chapeaux.' 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  53 

1831 

LIY 

Madame  Récamier  à    David. 

Uue  lecture  par  Delphine  Gay. 

Ce   vendi-edi,  21  janvier  1831 . 

Madame  Récamier  ayant  obtenu  de  M"^  Delphine  Gay  la 
promesse  de  faire  entendre  chez  elle,  dimanche  matin,  à  quatre 
heures,  quelques  chants  de  son  poème,  serait  charmée  que  cette 
espérance  décidât  Monsieur  David  à  lui  donner  quelques  mo- 
ments de  sa  matinée. 

Collection  David  cT Angers.  —  Le  poème  en  question  doit  être  «  Napo- 
line  »,  publié  seulement  en  1833.  On  a  vu  plus  haut,  'dans  le  commen- 
taire de  la  lettre  de  M™»  Sophie  Gay,  de  décembre  1829,  que  le  mot 
«  matin  »  a  ici  le  sens  de  «  matinée  ». 


David  à   Lamartine. 

La  médaille  du  poète.  —  Pages  blanches. 

Paris,  12  février  1831. 

Monsieur  et  cher  collègue, 

Je  viens  de  remettre  entre  les  mains  de  M.  Amédée  Parseval 
une  petite  caisse  contenant  votre  profil  en  bronze,  qu'il  veut  bien 
me  faire  le  plaisir  de  vous  faire  parvenir.  Ce  nouvel  essai  pour 
représenter  vos  traits  rend  bien  peu  les  impressions  de  mon 
admiration  pour  votre  sublime  génie. 

J'ai  reçu  avec  bien  de  la  reconnaissance  votre  œuvre  que 
M.  Soulié  a  eu  la  bonté  de  me  remettre  de  votre  part.  J'ai  vu 
avec  bien  de  l'émotion  que  vous  aviez  fait  réserver  quelques 
feuilles  de  papier  dans  l'intention  d'y  écrire  quelque  chose.  .le 
serai  bien  heureux  de  posséder  quelques  lignes  tracées  par  le 
plus  grand  poète  de  l'Europe. 

Veuillez,  .Monsieur,  recevoir  favorablement  l'assurance  du 
profond  respect  de  votre  très  humble  serviteur, 

David. 


54  DAVID  D'ANGERS 

Collection  Lamartine.  —  Le  profil  modèle  du  poète  des  Méditations  porte- 
la  date  de  1830.  {Musées  d'Angers,  p.  134.)  Lamartine  s'était  proposé  d'écrire 
quelques  vers  spécialement  dédiés  à  David  sur  des  pages  réservées  en  tête 
de  l'exemplaire  relié  de  ses  poésies  qu'il  offrit  au  statuaire.  Ce  projet  ne 
reçut  son  exécution  que  le  !«■■  mai  1847,  comme  on  le  verra  plus  loin. 


LVI 

Lamartine  à  David. 

Le  médaillon  du  poète. 

Mâcon,  19  février  1831. 

J'ai  reçu,  Monsieur  et  illustre  collègue,  le  beau  médaillon  que 
vous  avez  bien  voulu  consacrer  à  un  homme  trop  périssable. 
Rien  ne  me  surprend  néanmoins  de  ce  qui  me  prouve  votre 
prévention  favorable  pour  moi  :  depuis  la  première  preuve  que 
vous  m'en  avez  donnée.  Je  ne  crois  point  à  mon  immortalité, 
mais  je  crois  à  la  longue  durée  des  souvenirs  de  famille  qu'un 
ouvrage  de  vous  perpétuera  dans  la  mienne,  et  c'est  à  ce  titre 
surtout  que  votre  buste  et  la  médaille  en  bronze  me  sont  pré- 
cieux. 

J'ai  bien  regretté  que  les  relieurs  de  M.  Soulié  aient  tant  retardé 
le  faible  hommage  que  je  vous  devais.  Je  remplirai  bientôt  les 
pages  blanches  de  quelques  lignes  bien  senties,  mais  qui  n'ont 
ni  l'éclat  ni  la  durée  du  métal  où  vous  transformez  vous-même 
vos  pensées.  Vos  pages  sont  de  bronze  et  de  marbre^  les  nôtres 
s'envolent  comme  le  papier. 

J'ai  trouvé  dans  la  caisse  qui  renfermait  la  médaille,  des  vers 
de  M.  Richard  de  Corné,  dont  je  dois  vous  remercier  avant  lui, 
puisque  je  les  reçois  de  vous  et  par  vous.  Je  vais  l'en  remercier 
lui-même.  Je  vois  qu'il  sent  comme  vous  et  moi  cette  nature,  qui 
n'a  une  langue  si  sublime  que  pour  ceux  qui  ont  un  sens  déplus 
pour  l'entendre  et  l'interpréter. 

Adieu,  Monsieur  et  cher  collègue,  à  vous  revoir  bientôt  à  Paris, 
dans  cet  atelier  oiî  votre  pensée  se  réfléchit  dans  tant  de  chefs- 
d'œuvre. 

Al.  DE  Lamartine. 

P.  S.  —  J'arrive  d'une  course  de  cinq  semaines,  qui  a  retardé 
mon  plaisir  et  ma  réponse. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  Sa 

Collection  David  d'Angers.  —  Cette  lettre  répond  à  celle  de  David,  datée 
du  12  février  1831.  Nous  ne  parlerons  pas  des  vers  d'un  inconnu  qui, 
sans  doute,  avait  réclamé  le  bienveillant  appui  du  statuaire  pour  faire  par- 
venir son  hommage  au  poète  des  Méditations. 


LYII 

Charles  Nodier  à  David. 

La  médaille  de  l'auteur  de   Trilhy. 

Paris,  1"  mai  1831. 

Mon  cher  David, 

Permettez-moi  de  vous  apostropher  familièrement  de  votre 
nom,  qui  dit  tant  de  choses,  au  lieu  de  ce  triste  et  pâle  «  Mon- 
sieur »,  qui  ne  dit  rien  du  tout. 

Il  y  a  plusieurs  jours  que  je  devrois  vous  avoir  écrit,  si  nul 
étoit  tenu  à  l'impossible,  et  si  la  reconnaissance  pouvoit  ranimer 
les  morts  avec  la  même  facilité  que  votre  génie; 

Mais  depuis  que  je  vous  ai  vu,  peu  s'en  est  fallu  que  je  n'eusse 
l'ingrate  malice  de  soustraire  à  vos  beaux  médaillons  un  des 
objets  de  comparaison  qui  en  attestent  le  mieux  la  ressemblance, 
et  c'est  vraiment  miracle  s'il  reste,  aujourd'hui,  autre  chose  de 
Charles  Nodier  que  l'admirable  image  dans  laquelle  vous  avez 
imprimé  à  sa  triste  figure  le  sceau  de  votre  immortalité. 

Enfin,  je  vis  encore,  si  cela  s'appelle  vivre,  et  j'éprouve  au 
moins  que  tout  sentiment  moral  n'est  pas  éteint,  puisque  je 
retrouve  encore  votre  souvenir  avec  tant  de  plaisir  dans  mon 
cœur. 

Ce  sentiment,  autorisez-moi,  je  vous  en  prie,  à  en  différer 
l'expression  plus  vive  et  plus  complète  jusqu'au  moment  où  ma 
pauvre  main  aura  plus  d'aptitude  à  conduire  une  plume  sur  le 
papier.  Les  expressions  me  manqueront  toujours  pour  cela, 
mais,  aujourd'hui,  je  n'aurois  pas  même  la  force  de  les  tracer. 

Croyez,  en  attendant,  mon  cher  David,  à  l'inviolable  attache- 
ment d'un  homme  qui  vous  aime  comme  il  vous  admire. 

Charles  Nodier. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  de  Nodier  fut  modelé  en  1831. 
{Musées  d'Angers,  pp.  345-340.) 


56  DAVID  D'AN{iERS 


LVIII 
David  à  Coudray. 

Envoi  du  buste  en  marbre  de  Gœthe.  " 

Pai'is,  15  mai  1831. 

Monsieur  et  bien  honorable  ami, 

Le  buste  de  Goethe  est  en  route  pour  Dresde  depuis  plus  de 
quinze  jours-,  la  caisse  a  été  tout  particulièrement  recommandée 
par  l'ambassade  de  Saxe.  [1  y  a  tout  lieu  de  penser  que  mon 
ouvrage  arrivera  à  sa  destination  sans  accident. 

Je  suis  heureux  de  vous  remercier  encore  de  m'avoir  mis  à 
même  de  reproduire  les  traits  de  votre  immortel  ami.  J'ai  soigné 
cet  ouvrage  avec  toute  l'ardeur  possible,  et  j'y  trouvais  d'autant 
plus  de  charme  qu'un  monde  d'impressions  se  sont  renouvelées 
dans  mon  souvenir,  avec  cette  faculté  que  nous  avons  dans  les 
arts  de  faire  poser  dans  notre  mémoire  les  personnages  que  nous 
voulons  représenter  et  d'illuminer  leurs  traits  avec  notre  âme. 
Tout  le  tems  que  j'ai  travaillé  à  cette  apparition,  le  grand  homme 
était  auprès  de  moi;  je  le  voyais  aussi  distinctement  que  lorsque 
j'étais  dans  son  salon  à  copier  ses  traits;  j'entendais  sa  voix,  avec 
ses  différentes  inflexions,  et  je  voyais  ses  nobles  traits  s'animer 
au  feu  des  grandes  idées  dont  il  daignait  me  faire  part.  Comme 
toute  ma  vie  s'est  passée  à  copier  les  traits  des  grands  et  nobles 
types  de  l'humanité,  toutes  ces  belles  apparitions  me  créent  un 
monde  sublime,  qui  me  console,  ou  me  fait  regarder  en  pitié  le 
monde  réel,  si  positif,  si  égoïste  et  si  rempli  de  déceptions.  Ce- 
pendant, quand  on  a  comme  moi  une  profonde  vénération  pour 
le  génie,  on  doit  beaucoup  souff'rir  en  pensant  à  l'art  qui  est  tou- 
jours infirme  pour  rendre  ce  que  l'âme  a  senti.  Cela  est  la  con- 
séquence de  ce  que  celle-ci  est  obligée  d'employer  la  matière  pour 
donner  une  forme  à  ses  électriques  inspirations.  Aussi  toute 
notre  vie  se  passe  t-clle  en  tristes  et  misérables  à  peu  près.  Heu- 
reux encore,  cependant,  quand  ces  à  peu  près  ont  pour  mobile 
une  noble  et  généreuse  intuition. 

Croyez,  cher  et  honorable  ami,  que  je  mettrai  toujours  au  nom- 
bre des  instants  heureux  de  ma  vie  ceux  que  j'ai  passés  auprès 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  57 

de  vous;  que  ce  souvenir  ne  me  quitte  pas,  et  ne  s'éteindra 
qu'avec  la  vie  de  votre  tout  dévoué  de  cœur. 

Je  me  reportais  à  ces  vives  émotions  que  j'éprouvais  lorsque, 
travaillant  avec  recueillement  à  cette  image  tant  désirée,  la  grande 
et  sublime  forme  m'apparaissait  tout  à  coup  sans  bruit  (j'ai 
rarement  vu  marcher  avec  tant  de  calme  et  moins  de  bruit)  ;  il 
me  disait  :  «  Eh  bien  !  vous  vous  occupez  de  votre  vieil  ami?  » 
Et  enfin,  je  l'entends  encore,  lorsque  son  buste  fut  terminé,  me 
dire  avec  un  accent  qui  bien  certainement  avait  passé  par  son 
cœur  :  «  Donnez-nous  quelques  jours;  je  suis  bien  vieux,  nous 
ne  nous  reverrons  plus  !  Tous  qui  avez  encore  tant  d'années 
à  rester  dans  cette  vie,  c'est  un  léger  sacrifice  que  je  vous  de- 
mande! ;) 

Collection  David  d'Angers.  —  Cette  lettre  existe  à  l'état  de  minute  ori- 
ginale dans  les  papiers  du  raaitre.  Goudray,  architecte  français,  fixé  àWei- 
mar,  et  ami  de  Gœthe,  avait  introduit  le  statuaire  auprès  du  poète.  L'artiste 
a  modelé  le  médaillon  de  Goudray.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  218-219.) 
Le  buste  en  marbre,  de  Gœthe,  exposé  au  Salon  de  1831,  fut  retiré  avant  la 
clôture  de  l'exposition  et  expédié  à  Weimar. 


LIX 

David  à  Pavie  père. 

Louis  Pavie  témoin  au  mariage  de  David.  —  Hippolyte  Maindron. 

Paris,  4  juin  1831. 

Mon  cher  ami, 

Cette  nouvelle  preuve  de  ton  amitié  me  rend  bien  heureux. 
Celui  qui  a  pris  tant  d'intérêt  à  mon  sort  dans  toutes  les  circon- 
stances de  ma  vie,  sera  témoin  d'un  acte  qui  doit  avoir  une  si 
grande  influence  pour  moi.  Reçois  l'expression,  bien  vivement 
sentie,  de  mon  éternelle  reconnaissance.  M.  La  Revellière  n'ayant 
pas  pu  encore  terminer  toutes  les  affaires,  mon  union  avec  sa 
nièce  ne  pourra  avoir  lieu  que  le  mois  prochain.  Aussitôt  que  je 
saurai  l'époque,  je  t'en  avertirai  et  je  ferai  en  sorte  que  cela 
s'arrange  avec  tes  affaires. 

Notre  Maindron  n'est  pas  heureux.  La  route  des  concours  lui 
est  fermée;  il  a  30  aus;il  n'a  plus  actuellement  d'espérance  que 


58  DAVID  D'ANGERS 

dans  les  expositions  du  Salon,  mais  il  aurait  besoin  d'étudier  en 
Italie.  Si  la  ville  pouvait  lui  faire  une  pension  de  mille  francs 
pendant  deux  ans,  il  pourrait  faire  un  ouvrage  à  Rome.  Cet  ou- 
vrage serait  exposé  au  Salon  qui  aura  lieu  dans  deux  ans;  l'auteur 
serait  remarqué  par  le  Gouvernement  et  aurait  droit  aux  travaux, 
et  son  sort  serait  assuré.  Cet  homme  eat  bien  digne  de  la  bien- 
veillante protection  delà  ville  d'Angers  ;  il  a  des  dispositions  très 
remarquables,  et  un  courage  digne  des  plus  grands  éloges. 
Fais-moi  le  plaisir  de  voir  Monsieur  le  Maire;  dis-lui  qu'en  ac- 
cordant sa  protection  à  cet  intéressant  artiste,  il  fera  un  acte 
de  la  plus  grande  justice,  et  combien  je  serais  heureux  si  la  ville 
d'Angers  m'accordait  encore  cette  nouvelle  preuve  de  sa  bien- 
veillance pour  moi  ! 

Adieu,  cher  bon  ami,  à  toi  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  — David,  qui  allait  épouser  M"°  Emilie  Maillocheau, 
petite-fille  de  Louis-Marie  La  Revellière-Lepeaux,  avait  reçu  la  promesse 
de  Louis  Pavie  que  celui-ci  serait  témoin  à  son  mariage.  L'artiste  parle  de 
M.  La  Revellière  et  de  sa  «  nièce  ».  C'est  à  Ossian  La  Revellière,  fils  du 
Conventionnel,  qu'il  fait  allusion. 


LX 

Lady  Morgan  à  David. 

Réception  du  buste  de  lady  Morgan.  —  Les  «   Mémoires  sur  la  vie  et  le 
siècle  de  Salvator  Rosa  ». 

Ce  11  de  juin,  Hôtel  de  la  Terrasse,  1831. 

Vous  êtes  trop  bon,  trop  généreux,  cher  Monsieur  David.  Ce 
n'est  rien  de  vous  remercier,  lorsqu'on  ne  peut  vous  exprimer 
tous  les  sentimens  d'admiration  et  d'estime  que  vous  inspirez... 
Que  je  suis  fière  de  votre  bel  ouvrage  qui  nous  honore  tant  tous 
les  deux,  vous  comme  artiste,  et  moi  comme  le  sujet.  La  res- 
semblance est  parfaite.  Mon  mari  en  est  enchanté,  et  vous  ex- 
primera ses  remerciements  demain,  à  midi  et  demi,  quand  il 
compte  m'accompagner  à  votre  atelier. 

Je  vous  prie  d'accepter  le  petit  ouvrage  que  je  viens  de  recevoir 
en  ce  moment  de  mon  relieur.   Le  sculpteur  du  Grand  Condé 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  59 

trouvera  dans  le  beau  caractère  da  grand  peintre  napolitain 
plus  qu'un  trait  de  ressemblance  avec  ses  propres  scntimens, 
et  son  génie  hardi  et  courageux.  Avec  mille  respects  et  amitiés, 

Sidney  Morgan. 
J'écris  mon  jargon  au  milieu  d'une  foule. 

Collection  David  cV Angers.  —  Nous  donnons,  en  tête  de  cette  lettre,  le 
titre  exact  du  livre  que  lady  Morgan  a  écrit  sur  le  peintre  napolitain.  La 
traduction  française  de  cet  ouvrage  forme  2  vol.  in-8",  datés  de  1824. 


LXI 

David  à  Pavie  père. 

Marseille.  —  La  poésie  du  midi  de  la  France.  —  Une  fleur  cueillie  pi'és  de 
Notre-Dame  de  la  Garde.  —  Les  flèches  de  la  cathédrale  d'Angers. 

Marseille,  22  août  1831. 

Cher  bon  ami, 

Voilà  déjà  huit  jours  que  nous  sommes  à  Marseille.  Demain 
nous  partons  pour  Toulon.  Le  jour  de  notre  arrivée  ici,  nous 
avons  été  régalés  d'une  révolte.  Il  y  a  eu  quelques  personnes  de 
tuées.  C'était  une  conspiration  carliste.  Les  carlistes  ont  eu  le 
dessous,  et  les  chefs  sont  pris. 

C'est  une  bien  admirable  chose  que  la  ville  et  les  environs  de 
Marseille;  c'est  l'Italie,  la  Grèce,  avec  leur  ciel  de  cristal,  leurs 
beaux  êtres  faits  pour  inspirer  les  artistes. 

Hier,  nous  avons  été  voir  coucher  le  soleil,  au  pied  de  l'église 
de  Notre-Dame  de  la  Garde,  qui  est  construite  sur  une  montagne. 
Voilà  un  peuple  qui  sait  placer  dignement  le  temple  de  la  divi- 
nité !  C'était  le  système  des  Grecs  et  des  Romains.  J'ai  cueilli  sur 
cette  montagne,  auprès  de  l'église,  une  petite  fleur  que  tu  trou- 
veras dans  cette  lettre. 

Jai  souvent  pensé  à  toi  et  à  nos  deux  bons  amis  pendant  le 
cours  de  notre  voyage.  Combien  vous  seriez  heureux  de  voir  ce 
paradis  de  notre  l)elle  France!  Que  de  poésie  !  Que  font  donc  nos 
peintres!  Au  lieu  d'être  à  intriguer  à  Paris,  à  faire  des  pastiches 
de  Bonington  et  des  peintres  anglais,  ils  pourraient  copier  ici 
une  nature  sul)lime  et  variée. 


60  DAVID  D'ANGERS 

Quand  nous  reviendrons  de  Toulon,  nous  resterons  peu  de 
jours  à  Marseille,  et  nous  rentrerons  à  Paris  par  Nîmes,  Taras- 
con,  etc.  Tu  vois  que  nous  avons  encore  de  bien  belles  choses 
à  voir.  J'ai  humé  de  loin  l'air  de  la  Grèce  et  de  l'Italie,  mais, 
mais !  ! 

Je  viens  d'apprendre  que  le  malheur  arrivé  à  notre  cathédrale 
n'est  pas  aussi  grand  qu'on  l'avait  dit.  Je  viens  d'apprendre  aussi 
que  Victor  avait  écrit  quelques  lignes  sur  cet  événement. 

Reçois  l'assurance  de  mon  inaltérable  amitié, 

David. 

Emilie  me  charge  de  la  rappeler  à  ton  souvenir. 
A  bientôt  !  !  !  ! 

Collection  Pavie.  —  Les  flèches  delà  cathédrale  d'Angers,  atteintes  par 
la  foudre,  avaient  été  la  proie  d'un  incendie. 


LXIl 


Victor  Hugo  à  David. 

Les  répétitions  de  Catherine  II.  —  La  médaille  de  M"=  Georges. 

Samedi  soir   (septembre  1831). 

Mon  bon  ami,  il  est  minuit.  J'arrive  du  théâtre.  Voyez  quelle 
fatalité!  M"e  Georges  a  précisément  demain,  à  l'heure  dite,  une 
indispensable  répétition  de  Catherine  II.  Elle  vous  supplie  de 
l'excuser,  et  surtout  de  ne  pas  renoncer  à  inscrire  son  profil  sur 
vos  impérissables  tablettes  de  bronze.  J'espère  que  cette  lettre  que 
je  vous  ferai  tenir  demain  matin  vous  arrivera  à  temps. 

A  vous  du  fond  du  cœur, 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d'Angers.  —  Catherine  II,  par  Lockroy  et  Arnould,  ayant 
été  représentée  à  l'Odéon  le  29  septembre  1831,  nous  sommes  ainsi  en  me- 
sure d'assigner  une  date  approximative  au  billet  non  daté  de  Victor  Hugo. 
Le  médaillon  de  M"«  Georges,  ajourné  par  un  contre-temps,  fut  modelé  seu- 
lement en  1833.  (Musées  d'Angers,  p.  147.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  61 

LXIII 

Béranger  à  David. 

Le  médaillon  de  Manuel. 

Paris,  24  décembre  1831. 

Combien  je  regrette  d'être  venu  trop  tard  !  Ce  n'était  plus  pour 

vous  exprimer  ma  reconnaissance,  mais  mon  admiration  pour 

votre  magnifique  médaillon.   Au  travail  le  plus  vrai,  le  plus 

large,  le  plus  savant,  il  joint  une  ressemblance  qui  frappe  tous 

les  amis  de  Manuel  qui  l'ont  vu  chez  moi.  Voilà  ce  que  je  voulais 

vous  dire,  et  vous  devez,  d'après  cela,  deviner  tous  les  sentimens 

que  votre  présent  m'inspire. 

A  vous  de  cœur, 

BÉRANGER. 

Collection  David  cPAnr/ej's.  —  Manuel,  député  de  'l'opposition  en  1823,  a 
joui  d'une  popularité  que  Victor  Hugo  a  eu  le  secret  de  réveiller  vers  18oo. 
Le  médaillon  en  marbre,  de  proportions  colossales,  sculpté  en  1831  par 
David,  fut  offert  à  Béranger,  ami  intime  de  l'homme  politique  disparu  en 
1827.  Ce  marbre  est  aujourd'hui  au  musée  de  l'hùtel  Carnavalet.  (Musées 
d'Angers,  pp.  138,333.) 


LXIV 

David  à   Ferdinand  de  Lasteyrie. 

Un  bal  costumé  chez  Alexandre  Dumas. 

Vendredi  matin (février  1832.) 

Mon  cher  Ferdinand, 

Dumas  étant  extrêmement  occupé  des  apprêts  de  son  bal,  et 
n'ayant  pas  de  papier  sous  la  main  pour  vous  écrire,  m'a  chargé 
de  vous  inviter  pour  sa  réunion.  11  sera  enchanté  de  faire  la  con- 
naissance du  fils  de  M.  de  Lasteyrie.  Ainsi  pensez  à  votre  costume, 
car  c'est  de  rigueur.  Vous  savez  que  c'est  pour  demain  samedi. 
Présentez,  je  vous  prie,  mes  respectueux  hommages  à 
Monsieur  et  à  Madame  de  Lasteyrie. 

Yotre  tout  dévoué, 

David. 


62  DAVID  D'ANGERS 

Collection  Lasteyrie.  —  Ferdinand  de  Lasteyrie,  homme  politique,  écri- 
vain d'art,  membre  de  l'Institut,  esprit  délié,  d'un  dévouement  et  d'une  affa- 
bilité qui  lui  assuraient  toutes  les  sympathies,  a  été  pour  David  un  ami  et 
un  guide  précieux  en  plus  d'une  occasion.  Le  biographe  du  maître  lui  est 
redevable  de  renseignements  et  de  bons  offices  dont  il  garde  le  souvenir. 
Lasteyrie,  né  en  1810,  avait  vingt-deux  ans  lorsqu'il  reçut  ce  billet.  Il  était 
déjà  connu  pour  avoir  rempli  l'office  d'aide  de  camp  du  général  La  Fayette, 
son  parent,  durant  les  journées  de  Juillet.  L'annonce  tapageuse  du  bal 
costumé  que  préparait  Dumas  était  faite  pour  tenter  un  jeune  homme. 
David  lui  obtint  l'invitation  qu'il  convoitait.  Le  bal  du  romancier  est  resté 
légendaire;  mais  comment  en  parler  après  ce  qu'en  a  raconté  Dumas  lui- 
même  dans  ses  Mémoires  (t.  IX,  pp.  68-107)?  C'est  là  qu'il  faut  aller  puiser 
le  récit  tour  à  tour  désopilant  et  sérieux  de  cette  fête  unique. 


LXY 


David  à  Victor  Pavie. 

Statues  de  Corneille,  de  Talma  et  de  Jefferson.  —  Visite  à  Chateaubriand 
dans  sa  prison.  —  Stella.  —  Le  Roi  s'amuse.  —  Le  peintre  Blondel.  — 
Paul  Delaroche.  —  Victor  Schnetz.  —  Le  poète  Barthélémy. 

Paris,  25  juin  1832. 

Mon  cher  Victor, 

Ta  lettre  m'a  fait  un  bien  vif  plaisir;  je  suis  si  inquiet  sur  tout 
ce  qui  se  passe  dans  notre  ville  que  quelques  lignes  seront  tou- 
jours bien  précieuses  pour  moi.  Ainsi,  cher  ami,  prends  courage 
et  écris-moi  le  plus  souvent  qu'il  te  sera  possible. 

Je  travaille  beaucoup  actuellement;  je  voudrais  tâcher  d'avoir 
terminé  à  la  tin  de  l'été  le  Corneille,  le  Talma  et  la  statue  de 
JelFerson  qui  sera  exécutée  en  bronze  pour  New- York  ;  après 
cela,  j'espère  voyager  un  peu  avec  Emilie.  Paris  me  dégoûte^  il 
y  a  une  odeur  de  sang  qui  fait  mal. 

J'ai  été  voir  Chateaubriand  dans  sa  prison;  je  l'ai  trouvé  tou- 
jours le  même,  c'est-à-dire  calme  et  résolu  à  tout;  un  homme  de 
ce  caractère  ne  conspire  pas  ;  il  a  imprimé  son  opinion  ;  c'est  une 
guerre  d'homme  d'honneur. 

As-tu  lu  l'ouvrage  de  de  Vigny,  Stello?  Selon  moi,  on  y 
retrouve  toujours  le  génie  d'un  poète,  mais  trop  le  grand  sei- 
gneur vexé  contre  la  pauvre  espèce  humaine,  qui  a  eu  le  très 
grand  tort  de  ne  pas  recevoir  ses  drames  avec  tout  le  respect  dû 
à  sa  seigneurie. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  63 

Hugo  nous  prépare  un  drame.  Il  a  déjà  fait  les  deux  premiers 
actes;  il  y  a  bien  longtemps  que  je  ne  l'ai  vu;  on  dit  que  ses  yeux 
vont  mieux. 

Ce  matin,  je  vais  aller  voir  Barthélémy.  J'aime  ce  poète  parce 
qu'il  employé  son  génie  à  servir  la  cause  de  la  liberté. 

L'Institut  vient  do  nommer  Blondel!  !  et  nous  étions  six  pour 
Delaroche.  Schnetz  n'a  eu  que  trois  voix.  Quelle  honte! 

Adieu,  cher  ami,  santé  et  bonheur,  ce  sont  les  vœux  de  ton 
dévoué  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Cette  lettre  a  été  insérée  dans  l'ouvrage  Victor  Pavie, 
sa  jeunesse,  ses  relations  littéraires,  sous  la  date  fautive  de  1831.  Les  faits 
auxquels  David  fait  allusion  ici  se  sont  passés  en  1832.  Chateaubriand  a 
raconté  l'histoire  de  sa  détention  en  juin  1832,  motivée  par  sa  correspon- 
dance avec  Berryer,  détenu  à  Nantes  pour  s'être  intéressé  à  la  descente  de 
la  duchesse  de  Berry  eu  Vendée.  (Mémoires d outre-tombe,  t.  V,pp.  ^78-300.) 
La  phrase  dans  laquelle  l'artiste  parle  de  sang  vei"sé  est  une  allusion  aux 
troubles  qui  prirent  naissance  le  jour  du  convoi  du  général  Lamai'que  (5  et 
6  juin).  L'opinion  de  David  sur  Stella  n'a  pas  été  démentie  par  notre  géné- 
ration. Ce  livi-e  paradoxal,  plein  de  chimère  et  d'amertume  calculée,  n'a  plus 
de  lecteurs.  Stello  parut  en  1832.  Le  drame  que  prépare  Victor  Hugo  s'ap- 
pellera le  Roi  s'amuse.  Commencé  avec  le  mois  de  juin  1832,  le  premier 
acte  était  achevé  le  .5  juin.  (Victor  Hugo  raconté  par  un  témoin  de  sa  vie, 
t.  II,  p.  374.)  La  pièce  fut  jouée  le  22  novembre  suivant.  Le  poète  satirique 
Auguste-Marseille  Barthélémy  reçut  des  mains  de  David  son  profil  modelé 
en  cette  môme  année  1832.  Merry-Joseph  Blondel,  peintre  d'histoire  et  de 
portraits,  élève  de  Rcgnauit,  fut  élu  à  l'Académie  des  beaux-arts  le  2  juin 
1832,  succédant  à  Lethière.  Delaroche,  qui  a  eu  six  voix  en  cette  même 
journée,  n'attendra  que  quelques  mois  pour  succéder  à  Meynier  (novembre 
1832).  Quant  à  Schnetz,  son  stage  à  la  porte  de  l'Académie  sera  long.  Les 
trois  voix  obtenues  par  lui  en  1832  ne  se  transformeront  en  majorité  que  le 
25  février  1837,  date  à  laquelle  Schnetz  prendra  possession  du  fauteuil  de 
Gérard, 


LXYI 


Népomucène  Lemercier  à  David. 

Réception  du  médaillon  du  poète. 

Paris,  oe  7  juillet  1832. 

Mon  cher  et  célèbre  confrère, 

J'aurais  voulu  que  vous  lussiez  lémcin  de  la  réception  de  votre 
charmante  lettre    et  du   beau    présent    qu'elle    accompagnait. 


64  DAVID    D'ANGERS 

M™'=  Lemercier  et  ma  fille  n'en  étaient  pas  moins  enchantées  que 
moi-même.  Prenez  garde!  Vous  m'aurez  inspiré  de  l'orgueil  en 
me  faisant  croire  à  un  long  souvenir  de  ma  personne  ;  mais  on 
m'excusera  sans  doute  puisque  votre  ciseau  donne  un  gage  d'im- 
mortalité. Me  voilà  par  vous  au  rang  de  vos  admirables  médail- 
lons historiques,  et  je  me  glorifie  de  cette  dignité  que  je  dois  à 
l'excellence  de  votre  art.  Il  m'est  doux  d'avoir  mérité  à  vos  yeux 
de  devenir  l'objet  d'un  ouvrage  aussi  durable  que  le  vôtre. 

J'irai  vous  exprimer  toute  ma  reconnaissance  et  ma  vive 
amitié. 

Votre  dévoué, 

N.  Lemercier. 

Collection  David  d'Angers.  —  C'est  en  1832  que  l'artiste  modela  la  mé- 
daille de  Lemercier.  {Musées  d'Angers,  pp.  143  et  334.)  Convient-il  de  voir  dans 
cet  hommage  l'expression  de  la  gratitude  du  maître  au  sujet  de  l'apostille 
relevée  sur  la  première  lettre  de  ce  recueil  ? 


LVII 


Rauch  à  David. 

Humboldt.  —  Le  sculpteur  Rauch,  associé  étranger  de  l'Institut  de  France. 
—  Un  fragment  de  groupe.  —  Gérard.  —  Ingres.  —  Cortot. 

Berlin,  29  juillet  1832. 

Monsieur, 

Avec  le  plus  grand  plaisir  j'ai  reçu  par  S.  E.  M.  le  baron  Alex, 
de  Humboldt,  retournant  à  Berlin,  vos  saluts,  et  les  nouvelles  de 
votre  activité  dans  votre  beau  et  fertile  talent.  Vous  avez  su  vous 
assurer  le  bonheur  de  la  famille  en  choisissant  une  jeune,  jolie  et 
très  aimable  épouse.  C'est  un  bonheur  qui  vous  accompagnera 
avec  ses  charmes  par  toute  la  vie,  ce  que  je  désire  avec  le  plus 
vif  intérêt,  en  vous  faisant  parvenir  mes  sincères  félicitations. 
M.  de  Humboldt  nous  a  laissé  l'espérance  de  vous  voir  un  jour 
que  vous  viendrez  par  Munich  et  Vienne  jusqu'à  Beriin  ;  ce  qui 
me  rendra  très  heureux. 

Ne  sachant  pas  écrire  une  langue  étrangère,  j'étais  toujours 
fâché  et  troublé  par  mes  propres  reproches,  de  ne  vous  avoir  pas 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  6S 

porté  mes  remerciements  pour  la  grande  attention  que  vous  et 
M.  le  baron  Gérard  avez  eue  de  me  proposer  comme  membre 
correspondant  de  l'Institut  de  France.  C'est  un  bonheur  que  je 
n'attendais  pas,  et  dont  je  ne  suis  redevable  qu'à  vous.  Monsieur, 
et  à  votre  extrême  indulgence.  Je  vous  prie  d'avoir  la  bonté  de 
faire  mes  compliments  à  M.  Gérard. 

Il  y  aura  six  semaines  que  j'ai  expédié  une  petite  statue  (en 
marbre,  dans  l'attitude  suppliante),  portrait  d'un  fils  de  M.  Paul 
Demidoff,  à  l'adresse  de  Madame  Annette  Baudin,  rue  Saint- 
Lazare,  41,  à  Paris,  et  je  prends  la  liberté  de  vous  prier,  quand  la 
caisse  arrivera  ou  sera  arrivée,  d'envoyer  quelqu'un  de  votre  ate- 
lier, pour  que  la  statue  soit  posée  près  d'une  fenêtre,  et  sur  un 
piédestal  de  deux  pieds  et  quelques  pouces.  L'original  de  cette 
figure  fait  partie  d'un  groupe  en  bronze  de  trois  figures  décorant 
le  monument  du  docteur  A. -H.  Franke,  placé  dans  la  cour  du 
grand  hôtel  des  Orphelins,  à  Halle  sur  Saale. 

Nous  avons,  au  mois  de  septembre,  notre  exposition  à  l'Aca- 
démie. Est-ce  que  vous  n'avez  rien  sous  la  main  que  vous  puis- 
siez nous  envoyer?  La  moindre  chose  nous  rendrait  heureux! 

Je  vous  prie  de  faire  mes  compliments  à  Madame  votre  épouse 
et  à  MM.  Ingres  et  Cortot. 

Avec  la  plus  haute  considération  et  amitié,  j'ai  l'honneur 
d'être^  Monsieur,  votre  très  humble  et  très  dévoué  serviteur, 

Rauch, 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  sculpteur  prussien  Christian  Rauch  fut 
élu  membre  correspondant  de  l'Institut  le  :28  avril  1830,  et  associé  éU'an- 
ger  du  même  corps  le  io  décembre  1832.  La  lettre  ci-jointe  décida-t-elle 
les  membres  de  l'Académie  à  honorer  d'un  titre  plus  recherché  que  celui 
de  correspondant  le  sculpteur  allemand  ?  Le  monument  du  philanthrope 
Francke,  à  Halle,  est  connu,  mais  ce  qu'on  ignorait,  c'est  que  Tune  des 
ligures  de  ce  monument  est  un  portrait.  Rauch,  chargé  de  sculpter  la  statue 
d'un  fils  de  Paul  Demidoff,  fit  d'abord  entrer  cette  figure  dans  le  groupe  qui 
devait  constituer  le  monument  de  Francke.  On  voit  ici  que  Rauch  était  en 
relation  avec  Gérard,  Ingres,  Gortot  et  David. 


(56  DAVID  D'ANGERS 


LXVIII 


Victor   Pavie  à  David- 
La  Provence  vue  par  un  poète.  —  Marseille.  —  L'Arc  de  triomphe.  —  Aix. 
—  René  d'Anjou.  —  Hyères.  —  Avignon, 

Nîmes,  23  septembre  1832. 

Mon  cher  monsieur  David, 

C'est  de  Marseille  ou  d'Aix  que  j'aurais  dû  vous  écrire.  Je  le 
voulais,  mais  je  ne  le  pouvais  :  les  heures  filaient,  nous  courions, 
nous  gagnions  le  large,  et  pour  un  peu  plus,  le  ciel  eût  été 
moins  bleu. C'est  ce  que  je  ne  voulais  pas;  je  tenais  à  vous  écrire 
sous  votre  ciel,  sinon  dans  une  de  vos  villes.  A  Marseille,  vite  à 
TArc  de  Triomphe,  dont  votre  laborieux  praticien  nous  a  ouvert 
la  porte,  ciselant,  fouillant  toujours.  Quant  à  vos  lents  et  insi- 
pides confrères,  je  ne  sais  d'où  ils  en  sont  encore,  mais  rien  de 
leur  étroite  cervelle  n'a  été  promulgué  au  grand  jour  du  soleil. 
Vous  et  Puget  vous  attendez  toujours. 

Notre  bon  René  a  été  pour  le  retour  :  car  nous  avions  brûlé 
Aix  en  passant.  Tous  m'avez  ramené  à  ce  pauvre  homme,  dont 
jusqu'icije  rougissais  presque  pour  notre  ville,  tant  il  me  semblait 
laid  et  nul.  Mais  quand  les  miraculeuses  portes  de  la  cathédrale 
ont  roulé  pour  nous  sous  la  clef  d'un  suisse  mystérieux,  que  nous 
eûmes  été  initiés  peu  à  peu  aux  secrets  de  cet  édifice  unique,  et 
que  les  deux  battants  d'un  tableau  d'une  candeur  extatique  signé 
René  d'Anjou  et  de  Provence  s'ouvrirent  devant  nous,  j'ai  com- 
pris l'existence  d'un  homme  chez  qui  l'art  était  devenu  une  des 
plus  hautes  dignités  du  malheur.  J'ai  compris  aussi  cette  figure 
dont  la  naïveté  rehaussait  la  laideur  populaire.  J'ai  abouti,  en  le 
revoyant,  à  l'intelligence  de  votre  œuvre,  qui,  la  première,  m'a- 
vait acheminé  déjà  à  l'intelligence  de  la  sienne. 

C'est  ici,  en  face  de  la  Maison  Carrée,  que  l'on  vient  retremper 
son  horreur  contre  la  Bourse  et  la  Madeleine.  Partout  ici,  j'ai  joui 
du  grec  comme  jamais.  J'avais  besoin  d'une  trêve  à  ma  fureur 
pour  le  gothique  qui  me  tournait  le  sang.  J'y  reviendrai  de  meil- 
leur cœur  que  jamais  après  cette  saine  et  tonique  purgation.  Les 
ruines  sont  plus  vivantes  ici.  Le  pouls  bat  plus  vite  qu'au  Mu- 
sée 5  tout  transpire  à  travers  ce  ciel  qui  n'est  pas  une  voûte  de 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  G7 

papier  bleu  collé,  avec  des  lambeaux  de  tapisseries  pour  nuages, 
mais  de  l'air,  de  l'air  sans  rivages,  ce  ciel,  océan  dont  le  ncMre 
n'est  qu'une  rivière,  où  des  flocons  de  vapeur  glissent  comme  le 
navire  sur  l'Océan. 

J'ai  vu  Hyères  et  ses  orangers,  le  Rhône  et  ses  montagnes, 
Marseille,  cette  ville  du  Levant,  les  gorges  d'011ioules,si  terribles, 
si  sauvages,  et  le  souvenir  le  plus  ancien  déjà,  celui  qui  domine 
tous  les  autres,  devant  lequel  rien  ne  prévaudra,  c'est  cet  étrange 
Avignon,  perdu,  isolé,  devant  lequel  tout  le  monde  passe,  cette 
ville  des  papes,  cette  pure  Rome  chrétienne,  sans  Louve  ni  Romu- 
lus,  aux  ruines  amoncelées,  aux  deux  tombeaux  qui  survivent 
comme  des  revenants  à  tant  de  tombeaux,  aux  femmes  vertes  et 
bleues,  aux  petitesfiUes  toutes  graves,  posant  comme  des  statues, 
s'oubliant  vivre  au  milieu  d'une  rue,  dans  la  boue  du  ruisseau, 
pour  s'adonner,  ça  et  là,  par  je  ne  sais  quel  instinct  du  passé,  à 
des  rêveries  inarticulées  dont  le  coude  du  passant  moderne  vient 
à  peine  les  distraire.  Ici  ma  plume  se  cabre Je  reste  sur  Avi- 
gnon. Revenez-y  vous-même. 

Du  fond  du  cœur  à  jamais, 

Victor  Pavie. 

Collection  Davidd'Angers.  — L'Arc  de  triomphe  de  Marseille  est  en  partie 
décoré  par  David.  (Musées  d'Angers,  pp.  '104-10o.)  Victor  Pavie  s'est  laissé 
surprendre  par  une  tradition  ancienne  lorsque,  dans  la  cathédrale  d'Aix, 
il  a  vu  le  triptyque  communément  désigné  sous  le  titre  le  Buisson  carient. 
Cette  peinture  n'est  pas  signée.  On  l'attribuait  au  roi  René.  C'était  une 
faute.  René  d'Anjou  l'avait  seulement  commandée  pour  sa  chapelle  des 
Carmes  au  peintre  Nicolas  Froment  d'Avignon.  Cette  peinture  fut  exécutée 
de  1475  à  1479.  Nous  décrivons  ce  triptyque  dans  notre  ouvrage  sur  les 
Portraits  nationaux  exposés  à  Paris  en  1878  (pp.  4-5). 


LXIX 


Alfred  de  Musset  à  David. 

Le  médaillon  de  Musset.  —  Un  souvenir  d'Hoffmann. 

...18M(?) 

Mon  cher  David,  je  suis  allé  chez   Micheli  pour  avoir  de  vos 
médailles;  il  demande  une  autorisation  de  vous  pour  cela;  soyez 


63  DAVID    D'ANGERS 

assez  bon  pour  m'envoyer  deux  mots  de  votre  main  pour 
Micheli  et  pour  votre  petit  Cardillac  des  Enfants  rouges;  vous 
obligerez  votre  dévoué  de  cœur, 

Alf .  DE  Mdsset. 

Collection  David  d' Angers.  —  Que  signifie  le  surnom  de  «  Cardillac  » 
appliqué  à  Musset?  Nous  supposons  que  le  souvenir  de  René  Cardillac, 
rhabile  orfèvre  mis  en  scène  par  Hoffmann  dans  son  conte  fantastique 
Mademoiselle  de  Scudéri,  n'est  pas  étrangère  l'allusion  du  poète.  Mais  ce 
D'est  là  qu'une  hypothèse,  une  piste,  non  une  solution. 


LXX 


Armand  Carrel  à  David. 

Sur  la  médaille  du  publiciste.  —  Le  teint  bronzé  de  Carrel. 

...  1832  ? 

Comment  vous  remercier,  mon  cher  David,  d'une  ciiose  si 
belle?  On  est  chez  moi  d'une  joie  et  d'une  reconnaissance  que  je 
veux  qu'on  puisse  vous  témoigner  bientôt;  vous  m'entendez  et 
j'espère  que  vous  ne  me  refuserez  pas. 

Le  bronze  est  magnifique  et  le  plâtre  n'en  pouvait  pas  donner 
l'idée.  Il  me  faut  une  occasion  si  intéressante  pour  moi  pour  que 
j'aie  pu  apprécier  la  supériorité  des  effets  produits  parle  bronze. 
C'est  aussi  un  peu  la  couleur  de  mon  teint,  et  c'est  peut-être  une 
des  raisons  pour  lesquelles  on  me  reconnaîtra  si  bien  dans  votre 
bronze.  Grand  merci  de  l'immortalité  que  je   vais  vous   devoir. 

Je  vous  prie  de  faire  agréer  à  Madame  David  mes  hommages 
les  plus  respectueux  et  de  croire  à  ma  vive  reconnaissance, 

A.  Carrel. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  profil  de  Carrel,  d'une  rare  énergie,  fut 
modelé  en  1832.  [Musées  d'Angers,  p.  14:i.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  6» 


1833 


LXXI 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  Salon.  —  Lucrèce  Borgia.  —  L'appartement  de  Victor  Hugo  à  la  place 
Royale. —  Auguste  Barbier.  —  Madame  Yalmore.  —  Les  statues  de 
Corneille,  de  Jeû'orson  et  de  Philopœmen. 

Paris,  20  janvier  1833. 

Mon  cher  Victor, 

Voilà  encore  le  Salon  ajourné;  c'est  ce  qui  sera  cause  sans 
doute  du  retard  que  tu  mettras  à  venir  nous  voir  à  Paris,  et 
c'est  pour  cela  que  je  t'écris  ces  lignes,  parce  qu'il  y  a  bien  long- 
temps, trop  longtemps  que  je  n'ai  reçu  de  tes  nouvelles.  Je  ne 
vois  aucun  Angevin.  Ceux  que  je  pourrais  voir  sont  des  juste-mi- 
lieu furieux,  et  je  suis  à  l'égard  d'Angers  comme  si  j'en  étais  à 
six  cents  lieues.  A  propos  d'éloigncment,  Théodore  a-t-il  écrit  ? 
Gomme  il  y  a  longtemps  qu'il  est  parti,  je  pense  bien  souvent  à 
lui,  et  tu  me  feras  grand  plaisir  de  me  donner  de  ses  nouvelles 
quand  tu  en  auras  reçu. 

Hugo  va  donner  une  nouvelle  pièce,  dans  une  huitaine  de  jours. 
Le  sujet  est  Lucrèce  Borgia;  il  l'a  faite  en  quinze  jours.  Voilà 
ce  que  j'ai  entendu  dire.  Il  aurait  amplifié  l'histoire,  qui  est  déjà 
assez  scandaleuse  et  abominable.  Il  fait  Lucrèce  devenir  amou- 
reuse du  fils  qu'elle  a  eu  de  Borgia.  On  craint  bien  que  toutes 
ces  horreurs  ne  révoltent.  Gela  m'a  fait  bien  du  mal  à  entendre. 
Comment  ce  génie  colossal  n'a-t-il  pas  le  sens  de  ce  que  l'art 
doit  repousser  ?  Gela  n'est  pourtant  pas  très  difficile.  On  peut 
interroger  les  masses.  Elles  ont  un  tact  exquis. 

J'ai  été  faire  visite  à  Hugo,  place  Royale.  Les  appartements 
sont  d'une  grandeur  et  d'une  beauté  très  remarquables;  puis, 
toutes  les  maisons  qui  entourent  cette  place  ont  appartenu  à  des 
personnages  historique^.  Mais  ils  avaient  de  vastes  cheminées 
dans  lesquelles  on  mettait  des  arbres!  Actuellement  on  a  de 
petites  cheminées,  et  ces  vastes  pièces  sont  des  magasins  à  bons 
rhumes  de  cerveau. 


70  DAVID  D'ANGERS 

Je  viens  de  faire  la  connaissance  de  Barbier.  Tu  ne  l'aimes 
pas?  Je  trouve  cependant  que  cet  homme  a  un  génie  puissant. 
Il  m'a  remué  fortement,  mais  tu  sais  que  j'aime  aussi  ce  qui  est 
noble  et  beau.  Peut-être  que  ses  opinions  politiques  ont  réveillé 
mes  passions.  Gela  pourrait  bien  être.  C'est  ce  qui  prouve  qu'il 
est  bien  difficile  déjuger  ses  contemporains.  Il  va  faire  paraître 
demain  un  poème  ;  je  l'attends  avec  impatience. 

J'oubliais  de  te  dire  que  j'ai  eu  le  bonheur  de  voir  M"^  Val- 
more.  Rien  n'est  comparable  à  cette  femme.  Son  âme  sublime 
est  bien  visible  sur  ses  traits.  Ses  traits  sont  laids,  et  elle  est  ad- 
mirable. Je  rougis  quand  je  regarde  la  médaille  que  j'en  ai  faite. 
Elle  dit  ses  vers  d'une  manière  aussi  mélodieuse  que  Lamartine. 
Tu  verras  bientôt,  dans  son  nouveau  volume,  des  vers  à  Paga- 
nini.  Emilie  et  moi  pleurions  comme  des  enfants.  Quel  monu- 
ment elle  vient  d'élever  à  cet  homme  ! 

Après  demain,  on  va  mouler  ma  statue  de  Corneille  et  celle  de 
Jefferson.  Actuellement,  je  vais  commencer  Philopœmen  et  tout 
ce  que  tu  connais. 

Je  crois  que  nous  pourrons  coucher  dans  notre  nouvelle  mai- 
son vers  le  commencement  du  mois  prochain.  Mille  tendres  ami- 
tiés à  ton  père. 

Ton  dévoué  ami  de  cœur, 
DAvm. 

Collection  Pavie.  —  Quelques  fragments  de  cette  lettre  ont  été  publiés 
dans  Victor  Pavie,  sa  jeunesse,  ses  relations  littéraires.  Le  Salon  de  1833 
s'ouvrit  le  1""'  mars;  le  précédent,  celui  de  1831,  s'était  ouvert  le  l''"'  mai. 
David,  en  parlant  d'un  ajournement,  se  fait  donc  l'écho  d'une  nouvelle  bien- 
tôt démentie.  Le  drame  de  Victor  Hugo  Lucrèce  Borgia  fut  l'eprésenté  en 
janvier  1833  et  publié  le  mois  suivant.  La  préface  de  l'auteur  porte  la  date 
du  12  février.  Le  poème  qu'Auguste  Barbier  fit  succéder  aux  lamhes  et 
qu'il  publia  en  1833  est  llPianto.  Les  principaux  sujets  traités  par  le  poète 
lui  avaient  été  inspirés  au  cours  d'un  voyage  en  Italie.  Marceline  Des- 
bordes, mariée  en  1817  à  l'acteur  Valmore,  a  publié  en  1833,  outre  deux 
romans  en  prose,  son  recueil  de  vers  les  Pleurs.  Le  médaillon  de  M"^  Val- 
more, modelé  par  David,  date  de  1832.  {Musées  d'Angers,  p.  143.)  L'ar- 
tiste a  déjà  parlé  des  statues  de  Corneille  et  de  Jefferson  dans  sa  lettre  du 
23  juin  1832.  Le  Philopœmen,  aujourd'hui  au  Louvre,  ne  fut  achevé 
qu'en  1837.  L'esquisse  porte  la  date  de  1836.  Il  n'est  donc  pas  certain 
que  David  se  soit  occupé,  dès  1833,  comme  il  en  avait  le  projet,  de  la  statue 
de  Philopœmen.  [Musées  d'Angers,  pp.  106,  342,  351.) 


ET  SES   RELATIONS    LITTÉRAIRES  71 


LXXII 

Rauch  à  David. 

La  statue  du  jeune  Demidoff  par  Rauch.  —  Les  estampes  du  monument 
du  général  Foy.  —Projet  de  David  de  se  rendre  à  Berlin.  —  Le  monu- 
ment de  Blûcher.  —  Le  sculpteur  Alvarez. 

Berlin,  25  février  1833. 

Monsieur  et  cher  collègue, 

Avec  le  plus  grand  plaisir,  j'ai  reçu  votre  très  aimable  lettre 
du  26  octobre.  Je  vous  en  suis  très  obligé,  et  vous  remercie  éga- 
lement des  renseignements  que  vous  avez  eu  l'extrême  bonté  de 
me  donner  sur  le  petit  marbre  envoyé  d'ici  à  M^^Baudin.  Je  vous 
ai  encore  beaucoup  de  gratitude  de  trouver  ce  marbre  accep- 
table pour  l'exposition  prochaine. 

Quelques  heures  avant  l'arrivée  de  votre  chère  lettre,  j'avais 
l'agréable  surprise  de  me  voir  apporter  l'album  contenant  les 
gravures  de  votre  beau  monument  du  général  Foy,  dont  vous 
avez  su  fixer  la  mémoire  avec  un  talent  unique  qui  vous  est  bien 
propre,  et  qui  aurait  suffi  à  éterniser  la  mémoire  du  grand 
homme  de  la  manière  la  plus  digne,  si  l'histoire  ne  s'était  char- 
gée de  ce  soin. 

Ce  qui  me  plaît  surtout,  c'est  que  vous  avez  caractérisé  l'épo- 
que à  laquelle  a  vécu  le  général  par  l'individualité  de  ses  amis, 
toujours  représentés  près  de  lui  jusqu'à  la  tombe,  tandis  que  la 
statue  du  héros  lui-même  est  traitée  suivant  le  mode  iconique. 
Ce  travail  sera  vivement  apprécié  de  la  postérité,  pour  laquelle 
votre  génie  fertile  ne  manquera  pas  de  produire  encore  dans  une 
mesure  très  glorieuse. 

Nos  artistes,  ainsi  que  moi,  ont  vivement  regretté  que  vous 
ayez  été  empêché  d'envoyer  quelques-uns  de  vos  ouvrages  à 
notre  exposition  de  Berlin.  Mais  nous  nous  ilattons  de  les  voir 
exposés  au  mois  de  septembre  1834.  Et  d'après  l'intéressante 
promesse  contenue  dans  votre  lettre,  nous  espérons  avoir  l'avan- 
tage de  vous  posséder  ici,  lorsque  vous  entreprendrez  le  voyage, 
projeté  par  vous,  de  Munich,  Vienne,  Dresde  et  Berlin. 

Vous  m'excuserez,  Monsieur,  si  la  présente  réponse  ne  vous 
est  pas  parvenue  plus  tôt,  mais  j'espérais  y  joindre  quelques 


72  DAVID  D'ANGERS 

épreuves  des  gravures  faites  d'après  les  bas-reliefs  du  monument 
du  maréchal  prince  Blùcher  à  Berlin.  Ces  estampes  devaient  vous 
être  portées  par  un  de  nos  artistes,  mais  qui  tardera  encore  de 
quelques  semaines.  Je  prends  donc  le  parti  d'expédier  ma  lettre 
d'avance. 

M.  le  baron  de  Humboldt  m'a  chargé  de  vous  présenter 
ses  saluts  les  plus  respectueux,  ainsi  qu'à  M.  le  baron  Gérard.  En 
même  temps,  vous  m'obligerez  beaucoup  de  renouveler  en  mon 
nom  l'expression  de  mes  sentiments  les  plus  distingués  à  M.  le 
baron  Gérard,  à  MM.  Ingres  et  Gortot,  auxquels,  ainsi  qu'à 
vous,  je  dois  sûrement  l'honneur  de  ma  nomination  d'associé  de 
l'Académie  royale,  à  la  place  de  notre  digne  ami,  feu  M.  Alvarez, 
de  Madrid.  Ma  lettre  exprimant  les  sentiments  de  la  plus  recon- 
naissante gratitude  a  été  adressée  à  M.  le  président  Quatremère 
de  Quincy  par  la  légation. 

A  Madame  votre  épouse  je  vous  prie  de  faire  mes  compliments 
les  plus  empressés.  Quant  à  vous,  recevez  l'assurance  de  la  plus 
haute  considération  et  amitié  avec  lesquelles  je  me  recommande 
à  votre  souvenir. 

J'ai  l'honneur  d'être,   Monsieur,    votre  très  humble  et   très 

dévoué  serviteur, 

Rauch, 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  marbre  expédié  par  Rauch  à  M"^  Bau- 
diii  à  Paris  est  signalé  dans  la  lettre  du  sculpteur  allemand  publiée 
plus  haut  sous  la  date  du  29  juillet  1832.  On  verra  par  la  lettre  qui  va 
suivre  pourquoi  l'œuvre  de  Rauch  ne  fut  point  exposée  au  Salon  de  l\iris- 
en  1833.  Rauch  a  successivement  exécuté  le  momunent  de  Bliicher  à 
Breslau  et  la  statue  de  ce  général  pour  Berlin.  Le  sculpteur  José  Alvarez, 
auquel  succéda  Rauch  comme  associé  étranger  de  l'Institut  de  France, 
était  né  en  1768  à  Priego,  prés  Gordoue.  Il  est  mort  à  Rome  le  10  décembre 
1827,  après  avoir  été  employé  par  Napoléon  I"  à  la  décoration  du  palais- 
de  Monte  Gavallo. 


LXXIII 


David  à  Rauch. 

Bouterweck.   —   Le  monument  de  Blûcher.  —  Gœthe.  —  M""=  Baudin.  — 

Le  Salon. 

Paris,  14  avril  1833. 

Mon  cher  collègue, 
J'ai  reçu  avec  bien  de  la  reconnaissance  les  gravures  de  vos 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  73 

ouvrages  qui  m'ont  été  remises  par  M.  Bouterweck.  J'avais  eu 
l'avantage  de  voir  les  modèles  chez  M.  de  Gœthe  à  Weimar. 
J'avais  été  frappé  du  beau  style,  de  l'originalité  et  de  la  naïve 
expression  de  la  nature  si  bien  sentie. 

Personne  n'admire  plus  que  moi  votre  grand  et  noble  talent; 
c'est  bien  aimable  à  vous  de  m'avoir  mis  à  môme  de  posséder 
un  souvenir  de  vos  ouvrages. 

A  l'époque  de  l'ouverture  du  Salon,  je  me  suis  présenté 
chez  Madame  Baudin  pour  faire  exposer  votre  statue,  mais 
M™®  Baudin  était  absente  de  Paris,  et  nous  avons  un  règle- 
ment extrêmement  sévère  qui  ne  permet  pas  de  recevoir  les  ou- 
vrages qui  ne  seraient  pas  apportés  avant  le  jour  de  l'ouverture. 
C'est  cette  raison  aussi  qui  est  cause  que  je  n'ai  pas  pu  envoyer 
mes  ouvrages  cette  année  au  Louvre.  Votre  statue  est  admira- 
blement bien  placée  chez  M""^  Baudin  dans  un  salon  unique- 
ment consacré  à  cet  ouvrage.  J'ai  été  étonné  de  ne  pas  voir 
votre  nom  gravé  sur  la  plinthe.  Je  vais  réparer  cet  oubli.  Votre 
nom  doit  tenir  une  place  trop  honorable  dans  la  mémoire  des 
hommes  pour  qu'il  ne  soit  pas  inscrit  sur  tous  vos  ouvrages. 

Recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement  de  votre  collègue 
et  admirateur, 

DAvm. 

Rue  d'Assas,  14. 

P.  S.  —  J'ai  fait  vos  compliments  aux  personnes  que  vous 
m'aviez  désignées.  Elles  m'ont  chargé  de  vous  remercier  et  de 
les  rappeler  à  votre  souvenir. 

Veuillez  présenter  mes  respectueux  hommages  à  M.  de 
Humboldt. 

Collection  Eggers,  à  Berlin.  —  Bouterweck,  porteur  des  estampes  de 
Rauch,  estpeut-être  un  fils  de  Frédéric  Bouterweck,  le  philosophe  allemand 
qui  a  signé  l'ouvrage  Idées  d'une  Estliétujue  du  Beau  ?  La  phrase  dans 
laquelle  David  exprime  le  regret  de  n'avoir  pu  exposer  au  Salon  de  1833 
n'est  pas  rigoureusement  exacte.  Un  ouvrage  de  lui,  un  seul,  il  est  vrai,  a 
paru  au  Louvre  cette  année-là.  C'est  le  buste  en  marbre  de  Boulay  de  la 
Meurthe. 


74  DAVID  D'ANGERS 


LXXIV 


David  à  Pavie  père. 

Une   tombe.    —    Un  berceau. 

Paris,  31  mai  1833. 

Cher  bon  ami, 

Nous  venons  d'être  bien  péniblement  surpris  par  l'épouvan- 
table nouvelle  que  tu  viens  de  nous  donner.  Je  crois  que  per- 
sonne au  monde  ne  peut  sentir  davantage  la  pénible  situation 
dans  laquelle  ce  malheur  a  dû  vous  plonger,  toi  et  notre  cher 
Victor  ;  et  quand  Théodore  l'apprendra  !  Pauvre  jeune  homme, 
il  n'était  pas  là  pour  recevoir  la  bénédiction  de  sa  grand'mère  ! 
C'est  un  noble  lien  qui  vient  de  se  rompre,  pour  toi,  avec  le 
passé,  mais  il  te  reste  dans  tes  deux  fils  des  attaches  puissantes 
qui  te  lient  avec  l'avenir.  Pour  nous,  nos  cœurs  et  nos  pensées 
sont  toujours  avec  toi.  Je  viens  de  voir  Hugo;  il  prend  une  vive 
part  à  ton  malheur. 

Emilie  vient  d'accoucher  heureusement.  L'enfant  est  un  peu 
souffrant  ;  quand  on  a  déjà  éprouvé  un  malheur  on  est  si 
craintif  ! 

Dis  à  notre  cher  Victor  que  j'ai  reçu  avec  bien  du  plaisir  sa 
bonne  lettre  et  que  sous  peu  je  lui  répondrai. 

Adieu,  tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  deuil  auquel  fait  allusion  le  statuaire  est  la  mort 
de  la  mère  de  Louis  Pavie.  L'enfant  nouveau-né  au  foyer  de  l'artiste  est 
M.  Robert  David. 


LXXV 
Droz  à  David. 

La  médaille  du  philosophe. 

Possy,  près  Paris,  26  juillet  1833. 

Mon  cher  confrère, 
Je  ne  puis  vous  dire  combien  je  suis  touché  du  témoignage 


ET  SES    RELATIONS    LITTERAIRES  75 

d'amitié  que  vous  venez  de  me  donner.  Vous  savez  combien  je 
fais  cas  de  votre  talent  et  de  votre  caractère;  ainsi  vous  savez 
pourquoi  je  tiens  beaucoup  à  avoir  une  part  dans  votre  estime 
et  dans  votre  affection. 

Le  portrait  est  arrivé  hier  à  Passy  ;  ma  femme  en  a  été  en- 
chantée; elle  veut  aller  aujourd'hui  même  vous  remercier,  et 
c'est  elle  qui  se  charge  de  ma  lettre,  en  attendant  que  j'aie  le 
plaisir  de  vous  embrasser. 

Maintenant  que  vous  m'avez  comblé  de  vos  dons,  je  vous 
serais  très  obligé  de  dire  au  mouleur  de  couler  pour  moi  six  por- 
traits en  bronze  et  dix  en  plâtre.  Puis,  je  vous  serais  obligé  de 
lui  dire  aussi  de  les  faire  porter  chez  mon  gendre,  M.  Michelot, 
rue  de  La  Chaise,  n°  24. 

Présentez,  je  vous  prie,  mes  respects  à  votre  digne  femme,  à 
la  digne  fille  d'un  des  meilleurs  hommes  que  j'aie  connus. 

Encore  une  fois,  je  vous  remercie  do  cœur. 

Croyez  à  ma  profonde  estime  et  à  mon  inviolable  attachement, 

Jos,  Droz. 

Collection  David  d'Angers.  —  François-Xavier-Joseph  Droz,  le  philosophe 
aimable  et  paisible  dont  la  vie  s'écoula  «  douce  comme  le  ruisseau  »,  était 
entré  à  l'Académie  française  en  1824  et  à  l'Académie  des  sciences  morales 
en  1832.  L'Institut  récompensait  par  cette  double  élection  l'auteur  de  l'Art 
d'être  heureux.  David  voulut  rendre  hommage  au  penseur  qui  a  signé  les 
Etudes  sur  le  Beau  dans  les  Arts,  et  il  modela  le  profil  de  Droz  en  1833. 
{Musées  d'Anrjers,  p.  149.) 


LXXVl 


Victor  Hugo  à  David. 

Pluie  de  médailles.  —  Thiers,  ministre  du  Commerce.  —  Les  statues  du 
pont  des  Saints-Pères. 

Paris,   3  août  1833. 

.Parrive  de  la  campagne,  mon  cher  David,  et  je  trouve  tous 
les  trésors  de  bronze  que  vous  m'avez  envoyés.  C'est  bien  vous. 
Toujours  grand  artiste  et  toujours  bon  ami! 

J'ai  fait  dans  V Europe  littéraire,  il  y  a  une  vingtaine  de  jours, 
un  petit  article  sur  votre  affaire  avec  Thiers.  .l'avais  recommandé 
qu'on  vous  le  fît  tenir.  L'a-t-on  fait  ? 

Je  vous  serre  la  main.  Victor  Hugo. 


76  DAVID  D'ANGERS 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  statuaire  avait  coutume  d'offrir  réguliè- 
rement au  poète  un  exemplaire  des  médaillons  qu'il  venait  de  modeler. 
L'article  auquel  Victor  Hugo  fait  allusion  se  trouve  dans  Y  Europe  littéraire 
du  17  juillet  1833.  Il  a  trait  à  la  commande  des  quatre  statues  destinées  à  la 
décoration  du  pont  des  Saints-Pères  ou  du  Carrousel,  alors  en  construction 
sous  la  direction  de  l'architecte  Polonceau.  Quatre  artistes,  parmi  lesquels 
David  et  Pradier,  avaient  été  chargés  d'exécuter  les  statues  du  nouveau 
pont,  lorsque,  par  caprice  et  de  sa  seule  autorité,  Thiers,  ministre  du  Com- 
merce depuis  le  31  décembre  1832,  annula  les  commandes  faites  et  chargea 
Petitot  de  l'ensemble  du  travail.  L'article  de  Victor  Hugo  ne  manque  ni 
de  logique,  ni  d'ironie  mordante.  Une  entrevue  orageuse  avait  eu  lieu, 
semble-t-il,  entre  Pradier,  David  et  le  ministre  aisément  irritable. 


LXXVII 
David  à  Pavie  père. 

Cahiers  d'anatomie.  —  Robert  David  enfant.  —  Retsch. 

Paris,  23  décembre  1833. 

Mon  cher  ami, 

Quand  l'occasion  se  présentera,  fais-moi  le  plaisir  de  faire  voir 
les  cahiers  d'anatomie  que  j'ai  laissés  chez  toi,  à  Bigot  et  à 
Mirault,  en  leur  rappelant  la  promesse  qu'ils  m'ont  faite  déplacer 
un  exemplaire  de  cet  ouvrage  à  l'École  de  médecine.  J'ai  aussi  la 
promesse  de  Négrier  à  cet  égard.  D'après  l'espérance  qui  m'en  a 
été  donnée  par  ces  Messieurs,  j'ai  annoncé  cette  nouvelle  aux 
auteurs.  Leur  publication  est  du  plus  haut  intérêt  pour  la  science  : 
on  aura  donc  fait  une  bonne  acquisition  pour  l'École. 

Emilie  et  moi  nous  vous  souhaitons  à  tous  les  deux  mille 
choses  heureuses  pour  la  nouvelle  année.  Robert,  qui  s'était  mis 
à  danser  depuis  à  peu  près  deux  mois,  chante  actuellement;  il 
n'est  pas  trop  difficile  sur  le  choix  des  airs,  mais  sa  musique 
nous  fait  presque  autant  de  plaisir  que  celle  de  Rossini,  et  puis 
nous  attendons  une  dent  vers  le  premier  de  l'an  !  !  ! 

Tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

P.  S.  —  Dis  à  Victor  que  j'ai  vu  les  compositions  de  Retsch, 
d'après  les  œuvres  de  Schiller  ;  c'est  bien  beau. 

Collection  Pavie.  —  Les  docteurs  Bigot,  Mirault  et  Négrier  ont  exercé  la 
médecine,  avec  éclat,  à  Angers.  Les  estampes  de  Retsch,  d'après  les  poè- 
mes de  Schiller,  sont  au  nombre  d'une  centaine. 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  77 

1834 

LXXVIII 

NiemceAvicz   à  David. 

Profil  de  vieillard.  —  Gros.  —  Casimir  Delavigne.  —  Eugène  Scribe. 

Paris,  30  janyier  1834. 

Monsieur, 

J'étais  bien  souffrant  hier  lorsqu'on  m'a  apporté  votre  aimable 
lettre  et  le  beau  présent  qui  l'accompagnait.  Ce  matin,  quoique 
faible  encore,  je  me  lève  et  m'empresse  de  vous  en  témoigner, 
Monsieur,  mes  remerciemens  les  plus  sincères.  Vous,  Monsieur, 
et  M.  Gros,  vous  avez  ramassé  ma  vieille  figure  avant  qu'elle 
tombe  en  poussière.  C'est  donc  les  deux  noms  illustres  de  David 
et  de  Gros  qui  feront  que  le  mien  ne  périra  pas  entièrement. 
Aussitôt  que  je  me  sentirai  en  état  de  sortir,  je  me  rendrai  en 
personne  dans  votre  atelier,  pour  voir  encore  une  fois  vos  chefs- 
d'œuvre  et  vous  réitérer  tous  mes  remerciements. 

Veuillez  agréer  les  assurances  de  ma  considération  la  plus  dis- 
tinguée. Présentez  mes  compliments  à  Madame  David.  J'em- 
brasse aussi  le  joli  petit  bonhomme. 

J'ai  l'honneur  d'être,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très  obligé 
serviteur, 

Julien-Ursin  Niemcewigz. 

P.  S.  —  Je  vous  remercie  infiniment  de  vous  occuper  de  me 
procurer  la  connaissance  de  M.  Casimir  Delavigne.  Comment 
faire  pour  connaître  M.  Scribe? 

Collection  David  d'Angers.  —  La  médaille  de  Niemcevvicz  fut  exécutée  en 
1833.  (Musées  d'Angers,  p.  laO.)  Le  poète  polonais  avait  alors  soixante-seize 
uns,  et  David  a  modelé  son  profil  ravagé  avec  une  fidélité  qui  n'est  pas 
exempte  de  charme.  Niemcewiez  s'était  fixé  à  Paris  en  1832.  Gros  avait  aus- 
sitôt recherché  la  société  du  poète  des  Chants  historiques,  de  l'auteur  plein 
de  fiaesse  des  Lettres  lithuaniennes,  el  s'était  empressé  de  peindre  son  por- 
trait. L'arrivée  récente  de  Niemcewiez  à  Paris  explique  le  post-scriptum  de 
sa  lettre.  Il  désire  conuaitre  certains  hommes  en  renom  dans  les  lettres, 
notamment  Delavigne  et  Scribe,  mais  il  ne  sait  comment  parvenir  jusqu'à 
eux. 


DAVID  D'ANGERS 


LXXIX 


David  à  Victor  Pavie. 


Marteau  ou  enclume.  —  Concours  poétique  à  l'occasion  de  l'inauguration 
du  Corneille.  —  L'Étude  sur  Mirabeau,  par  Victor  Hugo.  —  Michelet.  — 
Walter  Scott.  —  Le  Fronton  de  l'église  de  la  Madeleine. 

Paris,  18  février  1834. 

Mon  cher  Yictor, 

J'ai  lu  avec  peine  dans  ta  dernière  lettre  que  tu  éprouvais  de 
vifs  cliagrins.  Ton  âme  aimante  et  sensible  doit  souvent  trouver 
du  mécompte  dans  la  vie.  Quand  on  est  loyal,  on  joue  cartes  sur 
table  avec  des  gens  qui  jouent  jeu  serré.  J'ai  entendu  des  bonnes 
gens  dire  que,  dans  ce  monde,  si  on  n'était  pas  marteau  il  fallait 
être  enclume  ;  cela  est  inévitable  ;  il  est  bon  que  l'expérience 
serve  au  moins  à  s'épargner  à  soi-même  d'être  trop  souvent  en- 
clume. Cependant,  celte  expérience  de  la  vie  ne  change  pas  le 
cœur  de  l'homme  naturellement  bon^  mais  elle  prépare  à  des 
jours  de  profonde  mélancolie...  Toi,  ami,  qui  as  encore  un 
pied  dans  le  berceau,  que  sera-ce  quand  les  hommes  vont  presser 
ta  vie  comme  un  citron  dont  ils  piétineront  l'enveloppe,  après 
s'être  assurés  qu'on  n'en  peut  plus  rien  tirer  ?  Je  crois  qu'il  ne  faut 
pas  trop  accentuer  ces  tristes  idées.  11  y  a  encore  de  bonnes  et 
tendres  âmes.  Quand  on  a  le  bonheur  de  les  rencontrer,  on  a  le 
paradis  sur  la  terre. 

Je  t'envoie  le  programme  d'un  concours  ouvert  à  Rouen  pour 
l'inauguration  de  la  statue  de  Corneille.  Si  tu  gagnais  le  prix  !  Le 
poète  et  le  sculpteur  angevins  !  Qu'en  dis-tu  ? 

Je  viens  de  lire  l'Éloge  de  Mirabeau.  Ceux  qui  ont  écrit  sur  cet 
homme  ont  toujours  été  embarrassés  pour  aborder  l'époque  où 
il  semble  abandonner  la  sainte  cause  du  peuple.  Ils  n'ont  pas 
compris  qu'il  avait  à  se  venger  de  la  royauté,  ce  qui  explique  sa 
fureur  contre  elle.  Mais  aussi  il  était  marquis,  et  surtout  cor- 
rompu, n'ayant  aucune  conviction  ;  cela  explique  le  temps  d'arrêt 
qui  marque  la  fin  de  sa  carrière. 

L'ouvrage  d'Hugo  est  peut-être  trop  brillant;  les  détails  poé- 
tiques l'emportent  trop  sur  les  masses,  qui  seules  sont  faites  pour 
impressionner  fortement.  Ce  sont  elles  qui  restent  dans  l'imagi- 
nation. Les  détails  ne  sont  saisis  que  par  les  petits  esprits  et  les 


ET   SES   RELATIONS   LITTERAIRES  79 

enfants,  qui  ne  peuvent  pas  être  à  la  hauteur  des  grandes  pen- 
sées. 11  me  semble  qu'un  ouvrage  de  littérature  doit  ressembler 
à  un  monument  qui  tire  sa  beauté  du  grandiose  des  lignes,  ou  à 
une  femme  dont  la  beauté  n'a  pas  besoin  du  secours  des  bijoux. 
C'est  le  défaut  des  modernes;  même  le  digue  et  admirable  Miche- 
let  n'en  est  pas  exempt.  La  musique  de  Rossini  accentue,  pour 
moi,  ce  défaut.  Les  modernes  ont  Tair  de  ces  charlatans  qui  font 
beaucoup  de  bruit  afin  d'attirer  l'attention  de  la  foule.  N'est-ce 
pas  que  quand  nous  avons  vu  Walter  Scott,  seul,  il  nous  a  paru 
bien  plus  grand  que  si  nous  l'avions  trouvé  entouré  d'emblèmes 
mis  auprès  de  lui  pour  expliquer  son  génie  ?  Encore  une  fois,  il 
faut  être  avare  de  détails.  Cependant,  quand  ils  sont  placés  à 
propos,  ils  peuvent  donner  de  la  force  à  l'idée  principale.  Les 
détails  n'indiquent  jamais  que  la  vie  physique.  Les  masses 
expriment  la  vie  morale. 

On  vient  de  découvrir  le  Fronton  de  la  Madeleine.  Le  sculpteur 
est  un  habile  ouvrier,  mais  il  ne  se  doute  nullement  du  moral 
de  son  art.  S'il  avait  voulu  consulter  la  nature,  il  aurait  vu  que 
les  moines  et  les  religieuses  portent  des  vêtements  extrêmement 
amples,  et  d'étoffe  très  épaisse,  afin  d'éloigner  toute  idée  de  sen- 
sualité, tandis  que  ce  sentiment  domine  dans  la  mythologie 
grecque.  Les  artistes  gothiques  ont  seuls  compris  le  caractère 
qui  convient  à  notre  religion  :  il  faut  dire  qu'ils  étaient  croyants  ! 

La  Madeleine  a  la  tête  levée  vers  le  Christ,  elle  a  l'air  de  causer 
avec  lui.  Quelle  différence  si  elle  avait  eu  la  tête  penchée  vers  la 
terre,  comme  se  jugeant  indigne  de  regarder  Dieu  !  Tant  d'humi- 
lité aurait  intéressé  à  elle,  au  lieu  que,  dans  le  bas-relief,  elle 
cherche  à  plaider  sa  cause  comme  une  actrice.  Ma  foi,  je  ne  me 
sens  aucun  intérêt  pour  elle.  Ce  sculpteur  a  une  tête  et  un  cœur 
de  bois. 

J'espère  que  tu  vas  venir  voir  le  Salon  de  cette  année.  Tu  ne 
peux  faire  autrement. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  L'inauguration  de  la  statue  do  Corneille  à  Rouen  eut 
lieu  le  19  octobre  1834,  mais  on  se  préoccupa  de  longue  date  de  rehausser 
l'éclat  de  cette  solennité.  VElude  sur  Mirabeau,  par  Victor  Hugo,  parut 
au  début  de  l'année  1834.  Ce  travail  a  pris  place  dans  Litlérature  et  philo- 
sophie mêlées .  Michclct,  à  l'époque  où  David  tient  la  plumo,  avait  publié 
entre  autres  ouvrages,  son  P/'écis  de  l'histoire  de  France  jusqu'à  la  Révolution 


80  DAVID   D'ANGERS 

française  (1833).  Le  Fronton  de  l'église  de  la  Madeleine,  jugé  avec 
beaucoup  de  justesse  par  David,  est  l'œuvre  de  Philippe-Joseph-Henri 
Lemaire,  qui  entra  à  l'Académie  des  beaux-arts  en  1845, 


LXXX 


David  à  Pavie  père. 

Inauguration  du  buste  de  Billard.  —  Thiers   et  le  Fronton   du  Panthéon. 

, ..mai  1834  (?). 

Mon  cher  ami^ 

Je  viens  de  lire  l'article  sur  Billard  dans  ton  journal;  je  suis 
reconnaissant  des  lignes  aimables  qui  me  sont  adressées.  J'ai  aussi 
reçu  la  petite  brochure  dans  laquelle  sont  insérés  les  discours 
qui  ont  été  prononcés  le  jour  de  l'inauguration  du  buste;  je  suis 
bien  reconnaissant  à  mes  compatriotes  du  souvenir  bienveillant 
qu'ils  me  conservent. 

M.  Thiers  est  on  ne  peut  plus  aimable  avec  moi;  il  veut  que  je 
continue  le  Fronton  du  Panthéon.  Il  est  enchanté  de  la  composi- 
tion. Quelque  temps  après  ton  départ,  j'avais  reçu  une  lettre  de 
son  secrétaire  dans  laquelle  il  me  faisait  donner  l'assurance  qu'il 
n'avait  aucune  rancune  contre  moi!!! 

Adieu,  cher  ami,  reçois  l'assurance  de  notre  constante  amitié, 

David. 

Notre  petit  Robert  jouit  d'une  santé  vraiment  admirable;  tu 
juges  de  notre  bonheur! 

Collection  Pavie.  —  Le  buste  du  docteur  angevin  Charles-Michel  Billard, 
mort  à  Paris  à  l'âge  de  trente-deux  ans,  a  été  inauguré  le  14  juin  1833. 
Thiers,  rentré  au  ministère  de  l'Intérieur  le  4  avril  1834,  invita  David  à 
l'une  de  ses  premières  réceptions.  L'artiste  ayant  décliné  l'invitation, 
Thiers  ne  crut  pas  inutile  d'assurer  David  qu'il  ne  se  sentait  pas  blessé 
par  cette  abstention  volontaire.  En  approuvant  la  composition  duFronton 
du  Panthéon,  Thiers  se  distingue  de  l'un  de  ses  successeurs  à  l'Intérieur, 
qui  aura  de  vifs  démêlés  avec  David  au  sujet  de  cet  important  travail. 


I  ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  81 

[LXXXI 

David  à  Lamartine. 

Exposition  de  la  Jeune  Grecque  au  tombeau  de  Marco  Botzaris. 

Lundi  matin,  14  août  '1834. 

Monsieur, 

La  statue  que  je  donne  à  la  Grèce,  et  qui  doit  être  placée  sur  le 
tombeau  de  Marco  Botzaris,  est  exposée  au  musée  Golbert,  rue 
Vivienne,  n°  2;  je  serais  heureux  qu'il  vous  fût  possible  de  dis- 
poser de  quelques  instants  pour  aller  la  A^oir;  elle  ne  sera  visible 
que  peu  de  jours. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  respect,  votre  très  humble  servi- 
teur, 

David. 

P.  S.  —  L'extrême  embarras  dans  lequel  je  me  trouve,  pour 
terminer  un  ouvrage  avant  mon  départ  pour  l'Allemagne,  est  la 
raison  qui  m'a  empêché  d'avoir  l'honneur  de  vous  voir;  mais  je 
ne  partirai  pas  sans  aller  vous  faire  mes  adieux  et  prendre  vos 
commissions. 

Collection  Lamartine.  —  La  Jeune  Grecque  datait  de  1827.  Le  marbre 
avait  paru  au  SaJon  de  cette  même  année.  L'exposition  de  1834  dans  la 
galerie  Vivienne  fut  très  courte.  {Micsées  d'Angers,  p.  101.)  Il  est  longue- 
ment parlé  de  cet  ouvrage, l'un  Ces  plus  attachants  que  le  maîti'e  ait  laissés, 
dans  David  d'Angers^  etc.  (t.  I,  pp.  171-179,  478-483,  594). 


LXXXII 


David  à  Pavie  père. 

Départ  du  statuaire  pour   rAlIeniagnc.  —  David  fa-t  son  teslament. 

Paris,   4  septembre  1834. 

Mon  cher  ami, 

Nous  partons  à  l'instant  pour  notre  voyage  d'Allemagne. 
Nous  allons  voir  probablement  bien  des  choses  intéressantes, 
mais  nos  pensées  seront  souvent  à   Angers.  Nous  n'oublierons 

G 


82  DAVID   D'ANGERS 

pas  que  nous  y  avons  trois  amis,  qui  nous  conservent  une  place 
dans  leur  cœur. 

Nous  avons  écrit  nos  dispositions  à  l'égard  de  notre  pauvre 
petit  Robert;  si  un  accident  nous  retirait  de  la  vie  tous  les  deux, 
nous  t'aimons  tant  que  nous  pensons  bien  que  tu  ne  refuserais 
pas  d'être  utile  à  notre  enfant. 

Adieu,  mille  tendres  amitiés  de  notre  part, 

A  toi  de  cœur, 
David. 

Collectio7i  Pavie.  —  Un  second  billet  du  statuaire,  daté  du  même  jour  e*^ 
adressé  à  Louis  Pavie,  renferme  ce  post-sci'iptum  ; 

Nous  avons  déposé,  dans  notre  secrétaire,  notre  testament. 
C'est  une  consolation  pour  nous  de  penser  que  notre  pauvre  petit 
Robert  trouverait  en  toi  un  soutien  dans  la  vie. 


LXXXÏII 


David   à  Pavie   père. 

L'Allemagne  vue  par  un  ai'tiste  en  1834.  —  Le  peintre  Carl-VVillielm  Wach. 
—  Raucii.  — Adalbert  de  Cliamisso.  —  Ludwig  ïieck.  — L'amour  de  la 
patrie. 

Dresden^  30  octobre  1834. 

Mon  cher  ami, 

Un  volume  ne  suffirait  pas  pour  te  donner  une  idée  de  toutes 
les  sensations  heureuses  que  j'ai  éprouvées  jusqu'alors  dans  cet 
imposant  voyage  d'Allemagne.  Gomment  parler  de  cette  nature 
si  grande,  si  poétique;  de  ces  hommes  pleins  de  science,  de 
génie,  si  bons,  si  aimants  !  Quand  je  pen-e  à  t'en  donner  une 
idée,  les  sujets  arrivent  en  foule  à  ma  mémoire,  et  je  ne  sais  par 
oti  commencer,  et  je  n'ai  que  cette  feuille  de  papier.  Quand  nous 
avons  fait  le  voyage  d'Allemagne  avec  Victor,  nous  étions  si 
pleins  de  la  grande  figure  que  nous  venions  de  voir,  que  tout 
nous  paraissait  petit  et  insignifiant.  En  repassant  par  les  lieux 
que  nous  avions  visités,  j'ai  éprouvé  un  sentiment  de  honte  en 
pensant  que  cette  nature  grandiose   ne  m'avait  pas  remué  da- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  83 

vantage  à  mon  premier  voyage.  Tout  porte  à  de  sérieuses  ré- 
flexions dans  ce  pays,  dont  les  habitants  ont  conservé  quelque 
chose  de  primitif  dans  leurs  mœurs.  Le  peuple  allemand  n'a  pas, 
comme  tant  d'autres,  ce  ral'tinement  de  civilisation  minaudière 
qui  est,  je  crois,  le  cachet  de  la  décrépitude  d'une  nation;  la 
nature,  en  Allemagne,  est  grandiose,  sévère,  et  la  terre  d'une 
abondance  extraordinaire.  Depuis  l'Alsace  jusqu'à  Magdebourg, 
qui  est  à  peu  près  à  vingt  lieues  de  Berlin,  la  terre  rapporte  tous 
les  ans  deux  récoltes;  aussi  elle  porte  un  peuple  heureux  et  la- 
borieux. Derrière  les  immenses  forêts  d'arbres  d'un  vert  sombre, 
vous  voyez  de  belles  montagnes  bleues  dont  les  formes  sont 
énergique  et  dessinées  à  grands  contours.  Ce  n'est  pas  comme  en 
Italie,  où  les  montagnes  élèvent  leurs  ossements  arides  jusqu'au 
ciel,  et  où  vous  ne  voyez  aucune  végétation.  Dans  la  Germanie, 
vous  êtes  sûr  que  sur  ces  montagnes,  si  belles  pour  le  paysa- 
giste, l'agriculture  règne  aussi.  Des  routes  magnifiques  sillonnent 
l'Allemagne,  et,  ce  qui  peint  la  bonté  de  ce  peuple,  des  berceaux 
bien  ombragés  et  des  fontaines  sont  là  de  distance  en  distance, 
pour  le  pauvre  voyageur.  Des  postillons  qui  jouent  presque  tou- 
jours leurs  airs  nationaux,  et  partout  une  politesse,  une  urba- 
nité et  une  probité  qui  sont  de  tous  les  instants,  parmi  les  gens 
qui  servent  les  voyageurs.  Tout  cela  n'est  point  de  l'engoue- 
ment de  ma  part,  c'est  de  la  justice. 

Nous  avons  passé  un  mois  à  Barlin;  nous  nous  sommes  juste- 
ment trouvés  à  l'époque  du  Salon,  ce  qui  était  extrêmement 
intéressant  pour  moi.  Les  peintres  de  paysage  pourraient  certai- 
nement rivaliser  avec  les  nôtres,  mais  les  peintres  d'histoire  sont 
d'une  médiocrité  désolante.  Il  y  en  a  cependant  un,  M.  Wach, 
qui  a  un  talent  extrêmement  remarquable  ;  il  est  élève  de  Gros. 
La  sculpture  est  très  faible,  à  l'exposition,  mais  il  y  a  à  Berlin 
un  homme  d'un  très  grand  talent,  c'est  Rauch;  j'ai  fait  son 
buste. 

J'ai  vu  beaucoup  de  littérateurs  très  distingués.  J'ai  fait  la 
connaissance  de  M.  de  Chamisso,  émigré  français,  qui  s'est  fait 
naturaliser  Allemand;  c'est  l'auteur  de  Pierre  Schlemihl,  l'homme 
quia  perdu  son  ombre;  il  est  aussi  très  grand  poète. 

J'ai  fait  plusieurs  médailles,  et  enfin  nous  nous  sommes  arra- 
chés des  bras  de  tant  d'amis  que  nous  nous  étions  faits  dans 
cette  ville,  où  il  y  a  de  si  belles  et  de  si  grandes  choses  à  v(  ir. 


U  DAVID   D'ANGERS 

Cette  ville,  bâtie  au  milieu  d'une  mer  de  sable  et  dont  les  envi- 
rons, cependant,  finiront  par  se  couvrir  d'une  végétation  vigou- 
reuse, a  vraiment  excité  mon  admiration.  Il  est  curieux  de  voir 
des  arbres  gigantesques  sortir  du  sable.  C'est  le  triomphe  de 
l'agriculture.  Tous  les  ans  elle  conquiert  et  fertilise  de  nouvelles 
plaines  de  sable. 

Nous  sommes  à  Dresde  depuis  le  24  ;  j'ai  vu  le  grand  littéra- 
teur Tieck  ;  j'ai  déjà  commencé  son  buste  colossal.  Tieck  est  la 
grande  figure  de  la  littérature  allemande.  Il  a  une  tête  digne  de 
son  génie.  J'espère  bientôt  avoir  terminé  ce  buste,  et  une  petite 
statue  que  je  fais  d'après  lui.  Après  cela  nous  irons  à  Weimar,  à 
Stuttgard,  à  Nuremberg  et  à  Munich,  puis  nous  reviendrons  en 
France  par  la  Belgique. 

Nous  faisons  dans  chaque  ville  de  nouveaux  mis,  que  nous 
quittons  avec  le  cœur  bien  serré,  parce  que  nous  pensons  bien 
que  nous  ne  les  reverrons  plus.  A  Berlin,  il  y  avait  bien  des 
larmes  qui  roulaient  dans  les  yeux,  mais  je  rougis  de  le  dire  : 

Plus  je  vis  d'étrangers,  plus  j'aimai  ma  patrie! 

Pourquoi  mes  pensées  sont-elles  souvent  à  Angers? 

Ton  dévoué  ami  de  cœur, 

David. 

Nous  avons  souvent  des  nouvelles  de  Robert. 

Collection  Pavie.  —  Sur  le  peintre  Wach,  élève  de  Gros  et  aussi  du  baron 
Gérard,  on  peut  consulter  Nagler  (t.  XXI,  pp.  30-34).  Ghamisso,  natura- 
liste, peintre,  mais  principalement  coniiu  par  son  curieux  roman  Pierre 
Schlemihl,  posa  devant  David,  qui  voulut  ajouter  à  sa  collection  le  profil 
modelé  du  romancier.  [Musées  d'Angers,  pp.  1S6,  354.) 


LXXXIV 

David  à  Rauch. 

Gratitude  du  maître.  —  Le   sculpteur    Rietschell.  —  Le  buste  de  Ludwig 
lieck.  — Fauteuil  de  modèle. 

Dresde octobre  1834. 

Mon  bon  et  honorable  ami, 
Je  ne  puis  laisser  partir  votre  élève  sans  le  prier  de  se  charger 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  8n 

de  ce  billet  pour  vous.  Je  ne  puis  vous  dire  combien  je  suis  re- 
connaissant des  soins  obligeants  qu'il  m'a  prodigués  depuis  que 
je  suis  ici.  Je  n'en  perdrai  jamais  le  souvenir  et  je  serais  bien 
heureux  si  un  jour  il  me  mettait  à  même  de  lui  montrer  toute 
ma  gratitude.  J'ai  vu  avec  le  plus  vif  intérêt  ses  ouvrages.  J'ai  vu 
aussi  des  dessins  de  lui,  pleins  du  sentiment  vrai  de  la  nature. 
Je  voudrais  voir  confier  à  ce  digne  jeune  homme  de  grands 
travaux ,  car  il  y  a  de  puissantes  énergies  dans  cette  âme 
d'artiste. 

Gomme  vous  le  pensiez,  je  n'ai  pu  résister  au  désir  d'essayer  le 
buste  du  grand  littérateur.  Sa  tête  est  si  monumentale  !  si  pleine 
d'expression  qu'il  m'a  été  impossible  de  ne  pas  chercher  à  fixer 
mes  souvenirs  autrement  que  par  la  pensée  !  Le  buste  est  pres- 
que achevé.  Nous  allons  sous  peu  de  jours  quitter  Dresde  et  nous 
acheminer  vers  Paris,  le  cœur  plein  de  beaux  et  nobles  souvenirs 
recueillis  dans  cette  chère  Allemagne. 

J'avais  oublié  de  vous  donner  le  croquis  du  fauteuil  qui  me 
sert  pour  asseoir  mes  modèles.  Je  m'empresse  de  réparer  cet 
oubli. 

Présentez,  je  vous  prie,  mes  respectueux  hommages  à  Madame 
d'Alton,  et  croyez  aux  sentiments  d'inaltérable  amitié  qu'a  pour 

vous  votre  tout  dévoué  de  cœur, 

DAvm. 

Mille  affectueux  souvenirs  de  ma  part  à  Monsieur  Tieck. 

Les  lignes  suivantes,  en  marge  de  la  1"  page,  sont  écrites  et  signées  de 
iM°>°  David  : 

.le  profite  du  peu  de  papier  qui  reste  pour  prier  M.  Rauch  de 
vouloir  bien  assurer  M'"^  d'Alton  de  mon  affectueux  souvenir  et 
de  croire  à  tous  mes  sentiments  de  considération  et  d'estime  pour 
lui.  Emilie  DAvm. 

Collection  Eggers,  à  Berlin. —  L'élève  de  Rauch,  dont  les  bons  offices  ont 
(■•té  si  utiles  à  David,  est  Ernest  Rietschell,  sculpteur  de  mérite.  Le  maître 
français  modela  le  médaillon  de  Rietschell  pendant  son  séjour  à  Dresde. 
{Musées  d'Angers,  p.  154.)  Le  buste  colossal  de  Ludwig  Tieck,  l'auteur 
des  Contes  populaires  et  des  Voyages  de  Stei'ubald,  (ul  modelé  à  Dresde  en 
octobre  1834.  Le  marbre,  exécuté  à  Paris  l'année  suivante,  fut  offert  au 
modèle.  David  modela  en  outre  une  statuette  du  littérateur,  ainsi  que  son 
niédaWlon.  {Musées  d'Angei's,\t.  151,  et  David  d'A7îgers,  etc.,  t.  I,  pp.  292-298  ; 
t.  II,  p.  374.)  A  la  lettre  que  nous  donnons  ici  était  joint  un  croquis  à 
la  plume  représentant  le  haut  fauteuil,  monté  sur  deux  marches,  qui  ser- 
rait au  statuaire  français  pour  poser  commodément  ses  modèles. 


8*î  DAVID  D'ANGERS 

LXXXV 

David  à  Victor  Pavie. 

La  Walhalla,  le  Temple  de  l'honneur.  —  Le  paj'sage.  —  Mission  du 
sculpteur  à  notre  époque.  —  Projet  d'un  monument  aux  grands  hommes. 
—  Ludwig  Tieck.  —  Les  peintres  Friedrich  et  Retsch.  —  Carus.  —  Noto- 
riété de  Victor  Hugo,  Lamartine,  Nodier,  Balzac  et  Vitet  en  Allemagne. 

Ratisbonne,  le  6  décembre  1834. 

Mon  cher  Victor, 

Ce  matin  j'ai  été  voir  la  Walhalla,  qui  est  à  deux  lieues  de  Ra- 
tisbonne. J'étais  seul,  car  Emilie  a  été  assez  gravement  indisposée 
cette  nuit.  Pour  arriver  au  pied  de  la  montagne  sur  laquelle  est 
le  monument,  il  faut  traverser  une  immense  plaine  ensemencée 
de  blé,  et  dans  laquelle  on  ne  voit  pas  un  seul  arbre.  Il  faisait 
un  brouillard  extrêmement  épais.  Le  ciel  semblait  se  confondre 
avec  la  terre.  Seules,  quelques  lignes  brunâtres  faisaient  pressen- 
tir par  intervalles  la  terre.  Les  hommes,  pareils  à  des  ombres  gi- 
gantesques (car  le  brouillard  allonge  les  objets  parce  qu'il  empêche 
de  percevoir  des  points  de  comparaison),  erraient  dans  ce  vague. 
Une  croix,  quelques  ombres  à  genoux  :  c'étaient  des  paysans 
chargés  de  fardeaux  qui  se  rendaient  au  m^arché  de  Ratisbonne. 
Enfin,  j'ai  traversé  un  village  composé  de  masures,  et  dont  l'uni- 
que rue  n'a  sans  doute  pas  été  repavée  depuis  Gharlemagne.  En 
sortant  de  ce  village,  on  commence  à  gravir  la  montagne.  A  une 
assez  grande  hauteur,  on  trouve  une  église  et  des  stations  de  dis- 
tance en  distance  sur  lesquelles  sont  des  peintures  qui  représen- 
tent la  vie  de  Jésus-Christ.  On  continue  à  gravir  par  des  sentiers 
très  étroits  et  extrêmement  rapides,  et  à  travers  une  forêt  de 
chênes  dont  les  feuilles  desséchées  contrastent  avec  la  verdure 
de  quelques  grands  sapins  qui  sont  là  comme  un  symbole  de 
l'espérance. 

Différents  sentiers  vont  en  descendant  vers  la  plaine,  c'est 
pour  ceux  qui  n'ont  pas  le  courage  de  persévérer.  Enfin,  on  ar- 
rive sur  le  sommet.  La  première  chose  qui  frappe  la  vue,  c'est  le 
monument  enveloppé  depuis  la  base  jusqu'à  la  toiture  d'une  en- 
ceinte de  planches  de  sapins  très  bien  jointes.  Ceci  est  pour  em- 
pêcher la  gelée  de  causer  du  dégât.  Cette  enceinte  est  le  cercueil 
du  temple  en  construction;  il  en  sortira  un  jour  brillant  comme 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  S7 

l'àme  sort  du  tombeau.  Le  temple  est  actuellement  construit  jus- 
qu'à la  corniche,  et  les  colonnes  qui  l'entourent  sont  déjà  sorties 
du  sol  à  plus  de  huit  pieds.  Tout  le  monument  sera  en  marbre 
blanc  tiré  des  carrières  de  Salzbourg.  L'intérieur  sera  revêtu  de 
marbre  rouge,  extrait  aussi  des  carrières  de  la  Bavière.Les  bustes 
en  marbre  se  détacheront  parfaitement  bien  sur  un  pareil  fond. 
Il  y  aura  six  statues  de  la  Victoire  qui  orneront  l'intérieur.  Un 
immense  escalier  entre  les  rochers  descendra  du  monument  au 
Danube,  qui  coule  au  pied  de  la  montagne.  On  m'a  dit  que  de 
cette  montagne  on  avait  une  vue  admirable.  Pour  moi,  j'avoue 
que  ce  brouillard  qui  cachait  la  terre  me  paraissait  plus  poétique 
qu'un  ciel  pur  et  sans  nuage.  C'est  bien  là  ce  qui  caractérise  le 
Panthéon  du  Nord,  le  Paradis  invisible  à  la  terre.  L'idée  d'avoir 
élevé  ce  monument  à  la  gloire  est  grande  et  morale;  elle  rendra 
les  hommes  meilleurs.  Quelle  noble  mission  les  artistes  ont  à 
remplir,  en  consacrant  les  grandes  actions  qui  honorent  l'huma- 
nité !  C'est  l'art  bien  compris  qui  ramènera  l'esprit  humain  à 
la  morale  pure  comme  elle  a  été  enseignée  par  le  Christ. 

Les  artistes,  en  donnant  une  forme  à  la  vertu,  la  rendront  plus 
visible  et  plus  compréhensible  aux  masses  sur  cette  montagne. 
Devant  un  admirable  monument,  involontairement  ma  pensée  se 
porte  vers  notre  cher  Anjou.  Dans  un  de  ces  moments  de  délire 
d'imagination,  je  voyais  s'élever  sur  les  rochers  de  la  Pointe, 
près  la  Pierre-Bécherelle,  un  monument  simple,  mais  d'un  style 
noble  comme  sa  destination,  et  les  bustes  des  hommes  remar- 
quables de  l'Anjou  et  de  tous  les  pays  venir  y  prendre  place. 
Quelle  gloire  pour  notre  pays,  et  même,  puisque  notre  siècle  est 
si  positif,  quelle  source  de  prospérité;  car  les  monuments  attirent 
les  voyageurs!  Je  serais  bien  heureux  si  un  pareil  projet  s'exécu- 
tait! J'y  contribuerais  bien  de  tous  mes  moyens. 

J'ai  tant  vu,  tant  admiré  dans  ce  voyage  qui  doit  laisser  des 
traces  profondes  dans  ma  mémoire,  qu'il  m'est  bien  difficile  de 
savoir  par  oii  commencer  à  l'écrire  de  tout  cela.  Berlin,  Dresde, 
Nuremberg,  Weimar!  J'ai  des  volumes  de  sensations  pour  chaque 
ville.  Nuremberg,  c'est  quelque  chose  d'étourdissant.  Là  au  moins 
on  est  consolé,  on  oublie  les  infernaux  démolisseurs. 

Dresde  est  aussi  la  ville  la  plus  poétique  que  je  connaisse.  Et 
ses  grands  hommes,  Tieck!  et  Friedrich!  le  seul  peintre  de 
paysage  qui  ait  eu  jusqu'alors  le  pouvoir  de  remuer  toutes  les 


83  DAVID   D'ANGERS 

facultés  de  mon  âme,  celui  enfin  qui  a  créé  un  nouveau  genre  :  la 
tragédie  du  paysage.  Et  Retsch,  l'homme  de  génie,  de  grand 
génie,  aussi  bon  qu'il  est  grand!  Et  Garus,  grand  peintre,  grand 
médecin,  grand  naturaliste,  faisant  faire  des  progrès  à  la  science 
dans  toutes  les  branches  dont  il  s'occupe!  Et  ces  hommes -là 
vivent  modestement  à  Dresde! 

Demain  matin,  nous  partons  pour  Munich  où  nous  resterons 
huit  jours.  De  là  à  Stuttgard,  et  ensuite  en  France.  J'espère  que 
nous  y  serons  quelques  jours  avant  le  premier  janvier. 

Adieu,  cher  ami,  embrasse  ton  père  et  Théodore  pour  moi  et 
crois  toujours  à  mon  éternelle  amitié, 

David. 

Tous  nos  littérateurs  sont  ici  connus,  lus  et  la  plupart  admirés. 
Hugo,  Lamartine  et  Nodier,  qui  est  la  grande  figure  littéraire  pour 
l'Allemagne  !  Balzac  est  adoré,  mais  ce  qui  t'étonnera  sans  doute 
c'est  que  Vitet  a  une  réputation  colossale  pour  son  ouvrage  sur  les 
Barricades.  On  rend  justice  à  notre  jeune  littérature,  qui  est,  à 
îa  vérité,  étincelante  de  talents.  En  Allemagne,  il  ne  reste  plus 
que  quelques  hommes  bien  rares,  qui  sont  là,  comme  dans  une 
forêt,  où  l'on  a  fait  une  grande  coupe ,  on  laisse  de  distance  en 
distance  de  grands  arbres  pour  consoler  de  la  perte  des  autres  et 
pour  cacher  la  petitesse  des  rejetons!  Il  fautdire  que  la  jeune  lit- 
térature en  Allemagne  est  remarquablement  faible. 

Je  ne  sais  si  tu  pourras  lire  ce  croquis  informe  de  lettre.  Si  tu 
savais  comme  je  suis  poursuivi  par  le  tems  !  Adieu,  à  revoir,  à 
bientôt. 

Collection  Pavie.  —  La  Walhalla  ou  Temple  de  l'honneur,  construite  sur 
une  colline  de  cent  mètres  d'élévation,  a  coûté  plus  de  trente  et  un  millions. 
Les  travaux,  commencés  en  1830,  ne  prirent  fin  qu'en  1842.  Rauch,Schwan- 
Ihaler,  Wagner.Rietschell  ont  concouru  à  la  décoration  intérieure  du  temple 
dont  Klenze  a  été  l'architecte.  La  Pierre-Bécherelle  était,  à  l'époque  où 
écrit  David,  un  bloc  gigantesque  émergeant  au  bord  de  la  Loire,  à  l'embou- 
chure de  la  Maine.  Le  tracé  du  chemin  de  fer  d'Angers  à  Nantes  a  nécessité 
le  nivellement  d'une  partie  notable  de  cette  roche,  et  l'artiste  n'estimerait 
plus  aujourd'hui  qu'il  fût  possible  de  faire  de  cette  élévation  la  base  d'un 
monument  quelconque.  Friedrich,  le  paysagiste,  Retsch,  le  peintre 
d'histoire  et  de  portraits,  reçurent  de  David  leurs  médailles  modelées  ad 
vivwn  et  dnU'C^  de  1834.  {\fusées  d'Angers,  p.  155.)  Le  maître  fit  plus 
pour  Carus,  mudecin  et  peintre;  il  sculpta  son  buste  de  proportions  colos- 
sales et  modela  son  médaillon.  {Musées  d'Angers,  pp.  lol-152.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  89 

1835 

LXXXVl 

David  à  Victor  Pavie. 

Maladie  du  maître.  —  Edition  projetée  des  Poésies  de  Du  Bellay.  —  Le 
cimetière  d'Angers.  —  La  Gerbe.  —  Modestie  du  statuaire.  —  Le  mé- 
daillon de  Schelling. 

Paris,  28  janvier  18^5. 

Mon  cher  Victor, 

Ces  lignes  sont  les  premières  que  j'écris  depuis  un  mois  que  je 
suis  à  lutter  contre  la  maladie.  Tout  me  fait  espérer  que  je  serai 
hors  de  cet  ennui  dans  quelques  semaines,  puisque  je  suis  en 
convalescence  et  que  chaque  jour  le  mieux  se  fait  sentir. 

J'ai  reçu  ta  lettre  dernière  avec  bien  du  plaisir.  Je  te  félicite 
bien  du  parti  que  tu  as  pris  de  rendre  au  monde  notre  vieux 
poète  angevin.  Je  suis  persuadé  qu'en  fouillant  encore  plus  pro- 
fondément, tu  trouveras  quelques  vieilles  légendes  dont  tu 
pourras  tirer  parti. 

Tu  me  parles  de  l'intention  que  tu  as  de  mettre  le  fragment 
sur  un  cimetière  d'Angers,  dans  la  Gerbe  ;  je  ne  sais  si  c'est  la 
maladie  qui  me  rend  p'us  timide,  mais  je  t'avoue  que  je  suis 
elïrayé  de  cette  résolution  qui  t'a  été  inspirée  par  ton  extrême 
amitié  pour  moi. 

Ne  sachant  pas  écrire,  le  style  doit  être  nécessairement  mauvais. 
Je  sais  bien  que  ma  prose  est  l'expression  naïve,  spontanée  d'un 
pauvre  cœur  cruellement  déchiré,  mais  cela  seul  suffit-il  à  une 
époque  comme  la  nôtre  où  il  y  a  tant  de  personnes  qui  font  sou- 
vent plus  attention  à  la  manière  dont  une  idée  est  présentée  qu'à 
l'idée  elle-même?  Dans  le  fragment  en  question  il  y  a  des  phrases 
qui  pourraient  déplaire  aux  Angevins.  En  plus  d'un  endroit  on 
me  reconnaîtrait  trop  et  alors  je  ne  serais  pas  ménage,  et  je 
désire  que  les  voyages  que  je  ferai  à  Angers  soient  toujours  aussi 
agréables  pour  moi  qu'ils  l'ont  été  par  le  passé.  Je  livre  toutes 
ces  réflexions  à  ton  bon  jugement.  Après  cela^  nous  avons  tou- 
jours ton  père  dont  le  jugement  est  si  sûr;  nous  pouvons  en  toute 
sûreté  nous  en  rapporter  à  ce  qu'il  décidera. 


90  DAVID  D'ANGERS 

Adieu,  mille  tendres  choses  à  ton  père  et  à  Théodore  de  ma  part 
et  crois  aux  sentiments  que  t'a  voués  ton  ami  de  cœur, 

DAvm. 

P.  S.  —  J'ai  été  seul  à  Munich;  j'y  ai  passé  cinq  jours.  J'y  ai 
fait  la  médaille  du  célèbre  Schelling. 

Collection  Pavîe.  —  Le  «  vieux  poète  angevin  »  dont  parle  ici  David  est 
Joachim  Du  Bellay,  dont  Victor  Pavie,  un  instant  imprimeur,  a  publié  les 
«  Œuvres  choisies  »  précédées  d'une  notice  par  Sainte-Beuve  (1841,  gr. 
in-8°).  Un  prospectus  chaleureux  signé  de  Victor  Pavie  valut  à  l'éditeur 
l'adhésion  de  trente  souscripteurs!  David  aimait  à  visiter  les  cimetières, 
et  au  retour  de  ses  excursions  aux  champs  de  repos  il  avait  coutume  de 
noter  ses  impressions.  Le  fragment  que  Pavie  se  proposa  de  publier  dans 
la  Gerbe  a  été  en  partie  inséré  par  nous  dans  le  Supplément  littéraire  du 
Figaro,  le  1"  novembre  1884.  C'est  dans  un  cimetière,  David  l'a  raconté  lui- 
même,  qu'ayant  aperçu  «  une  petite  fille  à  genoux  sur  un  tombeau  épelant 
avec  son  doigt  l'inscription  qui  y  était  gravée  »,  il  s'inspira  de  cette  ren- 
contre pour  composer  la  Jeune  Grecque  au  tombeau  de  Marco  Botzaris. 
(David  d' Angeles,  etc.,  t.  I,  p.  172  ;-t.  II,  pp.  344-345.)  La  Gerbe,  recueil  de 
prose  et  de  vers  fondé  par  Victor  Pavie,  Adrien  Maillard  et  plusieurs  autres 
écrivains  de  l'Anjou,  n'a  eu  que  trois  années  d'existence  (1834-1836,  3  vol. 
in-8").  Le  médaillon  de  Schelling,  modelé  d'après  nature,  porte  la  date  de 
1834.  {Musées  d'Angers,  p.  136.) 


LXXXYII 


Eugène   Delacroix  à  David. 

Camaraderie.  —  Une  œuvre  de  Prud'hon.  —  Le  médaillon  de  l'impératrice 

Joséphine. 

Paris,  ce  10  mars  1835. 

Mon  cher  ami, 

Madame  de  Forget  me  dit  que  vous  n'avez  pas  vu  le  superbe 
portrait  de  Prud'hon  de  l'impératrice  Joséphine  qui  se  trouve  dans 
ce  moment  chez  Madame  de  Querelles,  sa  cousine.  Je  crois  que 
vous  devriez  le  voir  avant  de  faire  le  vôtre  :  cela  me  paraît  très 
ressemblant  quoiqu'idéalisé,  et  cela  ne  peut  que  vous  servir  beau- 
coup. Elle  se  reproche  vivement  de  n'avoir  pas  pensé  jusqu'ici  à 
vous  en  parler  et  vous  fait  dire  que  vous  pourrez  le  voir  chez 
Madame  la  comtesse  de  Querelles,  rue  de  Matignon,  14, n'importe 
à  quelle  heure,  même  le  matin  :  vous  auriez  seulement  la  bonté, 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  91 

dans  le  cas  où  elle  n'y  serait  pas,  de  dire  pourquoi  vous  venez. 
Recevez,  mon  cher  ami,  mille  amitiés  bien  dévouées, 

E.  Delacroix. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  de  l'impératrice  Joséphine, 
l'un  des  plus  achevés  que  l'artiste  ait  modelés,  est  sans  date.  {Musées  d' An- 
gers,t^.  199.)  La  baronne  de  Forget, nommée  dans  cette  lettre,  reçutde  David 
en  1847  son  propi'e  médaillon.  (Ibid.,  p.  193.) 


LXXXYIII 

David    à  Rauch. 

Le  buste  de  Rauch.  —  Les  médaillons  de  Schinkel  et  de  Klenze. 

Taris,  1-i  mai  1835. 

Mon  bon  et  cher  collègue, 

En  arrivant  à  Paris  j'ai  été  pris  d'une  violente  maladie  qui  m'a 
retenu  longtems  au  lit,  etd'autrepart  j'attendais  l'occasion  d'une 
personne  de  ma  connaissance  qui  devait  passer  par  Berlin  pour 
aller  en  Russie,  mais  voilà  que  cette  personne  a  changé  de  direc- 
tion :  elle  s'est  embarquée  au  Havre  pour  Hambourg,  me  voilà 
donc  réduit  à  vous  écrire  par  la  voie  ordinaire. 

Il  y  a  assez  longtems  que  j'ai  reçu  la  caisse  contenant  votre 
buste  et  les  autres  objets.  Tout  est  arrivé  en  bon  état.  Votre  buste 
est  très  avancé  en  marbre.  A  mon  retour  de  Marseille  (car  je  pars 
avec  Emilie,  dans  quelques  heures,  pour  cette  ville),  J'espère  vous 
envoyer  et  bustes  et  médaillons  pour  nos  amis.  Je  pense  bien 
souvent  à  mon  voyage  d'Allemagne.  Je  pense  à  vous,  si  bon,  si 
grand  artiste,  et  que  j'aime  tant.  Je  veux  croire  que  vous  vous 
rappellerez  quelquefois  que  vous  avez  à  Paris  un  homme  qui 
vous  est  bien  dévoué  de  cœur.  Dites  à  M.  Schinkel  que  si  je 
n'étais  pas  si  pressé  par  mon  départ  je  lui  aurais  écrit.  Dites-lui 
bien  que  nous  n'oublierons  jamais  l'aimable  réception  qu'il  nous 
a  faite  dans  sa  famille  si  intéressante,  si  bonne!  Rappelez-nous 
aussi  au  souvenir  de  M.  et  M"<=  Bcûte.  M.  Beiite  m'a  adressé  un 
jeune  fondeur,  mais  il  m'a  été  impossible  de  le  conduire  chez 
notre  fondeur,  comme  M.  Beûte  paraissait  le  désirer. 


92  DAVID  D'ANGERS 

Adieu,  recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement  de  votre 

collègue  et  ami  de  cœur, 

David. 

En  envoyant  à  M.  Schinkel  sa  médaille  je  lui  enverrai  celle  de 
M,  de  Klenze,  comme  à  ce  dernier  je  vais  envoyer  celle  de 
xM.  Schinkel. 

Les  lignes  suivantes  sont  écrites  et  signées  par  M""^  David: 

Je  prie  M.  Rauch  devouioir  bien  me  rappeler  au  souvenir  affec- 
tueux de  M™^  d'Alton.  Je  songe  souvent  à  elle,  à  ses  jolies  petites 
filles  et  au  petit  garçon,  dont  elle  est  si  fîère.  Je  le  prie  aussi  de 
ne  pas  m'oublier  près  deM"^  Schinkel,  safamille,M™^Wichmann, 
etc.,  et  de  recevoir  pour  lui  l'assurance  de  mon  admiration  et  de 
mon  affectueuse  considération. 

Emilie  David. 

Collection  Eggers,  à  Berlin.  —  La  médaille  de  l'architecte  Charles-Fré- 
déric Schinkel  porte  le  millésime  de  1834  ;  celle  de  Louis-Léon  de  Klenze, 
architecte  bavarois,  est  datée  de  la  même  année.  {Musées  d'Angers,  p.  134.) 


LXXXIX 
Xavier  Marinier  à  David. 

La  statuette  de  Ludwig  Tieck.  — Projet  de  médaillon. 

Paris,...  mai  1835(7). 

Monsieur, 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  de  cette  charmante  statue 
de  Tieck  que  vous  avez  bien  voulu  m'envoyer.  Rien  ne  pouvait 
me  faire  plus  de  plaisir.  Je  l'ai  placée  sur  ma  cheminée.  C'est  tout 
à  la  fois  un  souvenir  de  poète,  et  un  souvenir  d'artiste. 

Voici  quelques  livres  allemands,  pris  au  hasard  dans  ceux  que 
les  journalistes  d'Allemagne  m'envoient  de  temps  à  autre.  Je 
désire  qu'ils  puissent  intéresser  M'"^  David,  et  vous  me  feriez  un 
bien  grand  plaisir  si  vous  vouliez  les  accepter.  Une  fois  que  j'en 
ai  rendu  compte,  je  n'en  ai  plus  aucun  besoin,  et  c'est  si  peu  de 
chose  que  j'ai  honte  de  vous  les  offrir.  Plus  tard  j'en  aurai  peut- 
être  d'autres  qui  seront  meilleurs,  et  je  les  mettrai  à  votre  dis- 
position. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  93 

Je  serai  coraplètemeut  libre  toute  cette  semaine,  et  je  profiterai 
avec  joie  de  l'offre  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire.  Quand 
vous  aurez  un  moment,  écrivez-moi  un  mot.  Je  serai  fier  d'aller 
poser  devant  vous. 

Adieu,  Monsieur,  recevez  l'assurance  de  tous  mes  sentiments. 

Votre  dévoué^ 

X.  Marmier. 

Collection  David  d Angers.  —  M.  Xavier  Marmier,  à  qui  sa  profonde  con- 
naissance des  langues  allemande  et  Scandinave  avait  valu  la  direction  de 
la  Revue  germanique,  s'était  rendu  en  Allemagne  en  1832  et  y  avait  sé- 
journé. Nul  doute  que  David  se  soit  entretenu  de  l'écrivain  français  avec 
Tieck;  aussi  s'empresse-t-il  d'offrir  la  statuette  du  littérateur  allemand  à 
M.  Marmier.  Le  médaillon  projeté  de  M.  Marmier  fut  modelé  en  1835.  [Mu- 
sées d'Angers,  p.  l.o9.) 


XG 
David  à  Pavie  père. 

Mariage    de    Victor    Pavie, 

Pai'is,  26  juin  1835. 

Mon  cher  ami, 

Nous  sommes  de  retour  depuis  hier,  et  nous  avons  trouvé  ta 
lettre  qui  nous  a  procuré  une  bien  vive  satisfaction.  Enfin,  voilà 
un  acte  qui  va  décider  de  l'avenir  de  notre  bon  et  cher  Victor  ; 
ce  que  je  désire  de  toute  mon  âme,  c'est  que  la  femme  à  laquelle 
il  va  lier  sa  vie  le  comprenne  bien,  et  alors  ils  seront  tous  les 
deux  aussi  heureux  qu'on  peut  l'être  dans  cette  vie  toute  de  tri- 
bulations et  de  déceptions.  Certes,  nos  vœux  les  plus  ardents,  à 
Emilie  et  à  moi,  seront  toujours  pour  leur  plus  grand  bonheur 
possible. 

Mous  désirons  beaucoup  nous  trouver  à  la  cérémonie  du  ma- 
riage ;  rien  ne  pourra  nous  en  empêcher,  hors  l'obligation  où  je 
suis  de  rester  tout  le  mois  d'août  à  Paris,  étant  professeur  à 
l'Académie  tout  le  mois... 

J'espère  que  notre  bonne  étoile  fera  que  la  cérémonie  aura 
lieu  avant  ou  après  le  mois  d'août. 

J'ai  bien  besoin  d'être  quelques  jours  au  milieu  de  vous,  chers 


94  DAVID    D'ANGERS 

amis  ;  il  y  a  si  longtems  que  nous  n'avons  passé  de  ces  bonnes 
et  heureuses  soirées  qui  me  font  tant  de  bien  ! 
Adieu,  mille  sentiments  d'amitié  et  de  cœur, 

David. 

Collectio7i  Pavie. — A  la  date  du  26  juin  1833,  David  rentre  de  Marseille,  et 
non  d'Allemagne,  comme  l'a  supposé  M.  Théodore  Pavie,  qui  a  publié  cette 
lettre  dans  l'ouvrage  Victor  Pavie,  sa  jeunesse,  ses  relations  littéraires.  La 
demande  de  David  quant  à  la  date  du  mariage  projeté  ne  fut  point  ac- 
cueillie. C'est  précisément  le  mois  d'août  qui  fut  choisi.  Ce  contre-temps 
n'empêcha  point  David  d'assister  à  la  cérémonie,  où  se  trouvèrent  M""'  Vic- 
tor Hugo,  sa  fille  Léopoldine,  son  père  M.  Foucher,  Sainte-Beuve,  Adrien 
Maillard,  etc.  Les  vers  que  Sainte-Beuve  improvisa  pour  la  circonstance 
sont  connus.  Le  poète  leur  a  donné  place  dans  ses  œuvres.  [Poésies  com- 
plètes de  Sainte-Beuve,  in-12,  1869,  pp.  336-338.)  Ceux  que  lut  Adrien  Mail- 
lard ne  sont  pas  moins  beaux  que  les  stances  de  Sainte-Beuve.  (Victor  Pa- 
vie, sa  jeunesse,  etc.,  pp.  164-163. ) 


XGI 

David  à  Pavie  père. 

L'air  natal.  —  Robert  David. 

Paris.  1"  juillet  1835. 

Mon  cher  ami, 

Si  rien  ne  nous  en  empêche,  nous  serons  à  Angers  mardi,  je 
pense,  le  soir.  Aurais-tu  la  bonté  de  nous  retenir  au  Cheval  blanc 
deux  chambres  donnant  l'une  dans  l'autre,  dont  l'une  pour  nous 
et  la  seconde  pour  Robert  et  sa  bonne?  Ce  bon  petit,  nous  profi- 
tons de  cette  circonstance  pour  lui  faire  respirer  l'air  du  pays 
qu'il  doit  adopter  de  cœur  comme  son  pays  natal. 

Mille  tendres  et   sincères  amitiés  pour  nous  tous  à  vous  trois, 

David. 

Collection  Pavie. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  93 

CXIl 

Hahnemann  à,  David. 

Le  médaillon  du  fondateur  de  la  médecine  homœopathique- 

11  octobre  1835. 

Mon  cher  Monsieur, 

J'ai  reçu  la  belle  médaille  que  vous  avez  bien  voulu  faire  de 
moi  et  m  envoyer  hier  avec  une  aimable  lettre,  dont  je  ne  puis 
accepter  les  louanges,  que  parce  qu'elles  me  sont  un  témoignage 
de  l'intérêt  que  mon  art  vous  inspire. 

Je  ne  sais  comment  vous  remercier  de  tout  ce  que  vous  faites 
pour  moi  avec  tant  de  grâce,  et  vous  prie  d'être  bien  assuré  de  la 
reconnaissance  que  j'en  éprouve. 

Je  serai  heureux  si  l'occasion  de  vous  servir  aussi  se  présente, 
et  j'espère  que  vous  me  la  procurerez  souvent. 

Je  vous  présente  mes  amitiés  sincères  et  suis  votre  dévoué, 

Samuel  Hahnemann. 

Collection  David  cT Angers.  —  Le  médaillon  d'Hahnemann  est  daté  de 
183a.  L'artiste  ne  s'estima  pas  satisfait  de  ce  premier  hommage.  Il  exécuta, 
deux  ans  après,  un  buste  eu  marbre,  du  médecin  allemand,  dans  des  propor- 
tions colossales,  et  l'olfrit  au  modèle.  (Musées  d'Angers,  pp.  1(30  et   164.) 


XGIII 


Mistress  Opie   à  David. 

Médaille  du  romancier. —  Publications  françaises.  —  Sœur  Marthe.  — Sœur 
Saint-Yincent,  de  la  congrégation  de  Sainte-Camille.  —  Souvenir  de  l'im- 
pératrice Joséphine. 

Ce  2*  de  l'onxiômo  mois  (1835  ?) 

Cher  et  généreux  David,  comment  puis-je  oser  me  rappeler  à 
ton  souvenir  après  un  si  long  silence,  et,  apparemment,  un  oubli 
entier  de  tout  ce  que  je  te  dois  ! 

Comment  est-il  possible  que  je  ne  t'aie  jamais  remercié  de 
toutes  tes  bontés  I   Comment  est-il  possible  que  je  n'aie  jamais 


96  DAVID  D'ANGERS 

accusé  réception  des  trésors  de  l'art,  et  de  la  science,  et  de  la 
poésie  que  tu  as  eu  la  bonté  de  m'envoyer,  et  qui  me  sont  par- 
venus pendant  mon  séjour  à  Londres  ! 

Hélas  !  ma  conscience  me  répond  :  «Oui,  ingrate  !  Tu  n'as  ja- 
mais remercié  ton  admirable  ami  !  » 

Vite  !  vite  !  il  faut  t'humilier  devant  ton  bienfaiteur,  et  lui 
demander  pardon  de  tes  péchés. 

Madame  ma  conscience,  je  t'obéis.  Monsieur  David,  je  te  tends 
les  mains  dans  l'attitude  de  la  supplication,  et  je  te  dis  :  «  Mea 
culpa.  )) 

Eh  bien!  parlons  d'autres  choses.  Je  me  suis  pardonnée,  le 
courage  me  revient,  et  je  vais  faire  comme  de  coutume. 

Je  te  remercie  bien  de  la  petite  brochure  qui  parle  de  la  sœur 
de  charité  nommée  Sœur  Marthe,  mais  elle  n'est  pas  ma  bonne 
petite  amie,  la  Sœur  de  Sainte-Camille  qui  venoit  me  voir  si 
souvent  à  Paris  (Madame  0...  l'a  beaucoup  connue)  et  que  j'ai 
vue  sur  la  colline  de  Montmartre,  gardant  les  brebis  que  José- 
phine lui  avoit  léguées.  Après  sa  mort,  on  a  imprimé  une  notice 
de  sa  vie.  Elle  se  nommoit  Monnoi,  je  crois,  ou  Mauroy.  Elle 
n'avoit  pas  plus  de  4  pieds  et  demi  de  hauteur  (anglais)  ;  elle 
avoit  de  beaux  yeux  noirs  et  étincelants,  et  le  teint  le  plus  bril- 
lant, mais  le  bâton  dont  elle  se  servoit  pour  garder  son  trou- 
peau étoit  plus  haut  qu'elle  et  je  soupçonne  qu'elle  manquoit  ab- 
solument de  jambes.  Cette  bonne  petite  nonne  soignoit  les  sol- 
dats françois  quand  ils  soutfroient  de  la  peste  à  Barcelone,  et  Del- 
phine Gay  a  chanté  ses  bonnes  œuvres  et  celles  de  sa  sœur  aussi 
dans  un  des  jolis  petits  volumes  que  tu  m'as  donnés.  Oh!  j'ai 
cru  que  je  t'avois  conté  tout  cela,  et  que  je  t'avois  dépeint  son 
premier  abord  chez  moi  dans  l'année  31. 

J'ai  dû  ouvrir  ma  porte  pendant  que  je  revois  entre  chien  et 
loup,  et  deux  grands  chiens  se  sont  jetés  sur  moi  tout  en  me  ca- 
ressant, et  une  petite  femme  les  suivoit  !  Enfin,  je  me  suis  écriée: 
«  Je  vois  la  chère  Sœur  de  Sainte-Camille.  »  —  «  Et  moi,  ré- 
pondit-elle ,  je  vois  enfin  la  bonne  madame  Opie  !  »  Nous  nous 
sommes  embrassées  et  nous  nous  sommes  vouées  l'une  à  l'au- 
tre une  amitié  éternelle!  C'est  de  cette  petite  sœur  que  je  vou- 
drois  me  procurer  la  biographie.  Maintenant,  cher,  j'ai  à  te  dire 
que  mon  ouvrage  est  discontinué.  Je  travaille  à  un  autre,  mais, 
à  n'en  point  douter,  je  reprendroi  le  premier  un  de  ces  jours.  Il 


ET  SES  RELATIONS   LITTÉRAIRES  97 

y  a  des  sujets  qu'à  cette  heure  je  sens  que  je  ne  dois  pas  traiter. 
Adieu  !  fais  bien  mes  amitiés  à  la  chère  Émihe,  et  fais-moi  la 
justice  de  croire  que  je  suis  toujours  la  rcconnoissante  et  fidèle 
amie, 

A.  Opie. 

Collection  David  d'Angers.  —  Amelia  Aklerson,  mistress  Opie,  romancier 
anglais,  mje  en  1769,  morte  en  1853,  s'était  affiliée  en  1825  à  la  secte  des 
quakers  dont  elle  adopta,  non  seulement  le  costume,  mais  le  tutoiementtra- 
ditionnelqui  ne  souffre  pas  d'exceptions.  Mistress  Opie  vint  à  trois  reprises 
à  Paris,  en  1802,  en  1829  et  en  1830.  Douée  d'un  caractère  affable,  d'un 
esprit  enthousiaste,  d'un  cœur  généreux,  elle  compta  en  France  de  nom- 
breux amis,  parmi  lesquels  le  général  La  Fayette,  plusieurs  membres  de  la 
famille  d'Orléans  et  David. Celui-ci  modela  successivement  le  médaillon  de 
laquakeresse  en  1829  et  sculpta  son  buste  en  marbre  en  1836.  Ces  deux  por- 
traits furent  offerts  au  modèle.  (Musées  d' Angers,  \ypAd2  et  161.)Lacorrespon- 
dance  de  mistress  Opie  avec  David  est  volumineuse.  Nous  en  possédons  la 
majeure  partie.  Elle  pourra  faire  l'objet  d'un  travail  spécial.  La  lettre  insé- 
l'ée  ici  ne  laisse  pas  d'être  obscure.  Mistress  Opie  a  demandé  à  David  de 
lui  envoyer  une  brochure  sur  une  Sœur  de  charité  dont  elle  omet  de  pré- 
ciser le  nom.  L'artiste  se  procure  la  biographie  de  Sœur  Marthe  (Anne 
Biget),  née  en  1748,  nioi^te  en  1824,  et  qui,  durant  la  période  révolutionnaire 
et  l'Empii-e,  prodigua  les  soins  de  son  inépuisable  dévouement  aux  prison- 
niers de  guerre  de  toutes  les  nations  que  la  fortune  des  armes  amenait  en 
France.  Outre  la  croix  de  la  Légion  d'honneur,  Sœur  Marthe  avait  reçu  en 
1815  des  décorations  des  empereurs  d'Autriche  et  de  Russie,  des  rois  de 
Prusse  et  d'Espagne.  David  avait  dû  s'y  tromper.  Sœur  Marthe  étant  alors 
la  personnalité  la  plus  célèbre  de  la  charité  chrétienne,  il  s'était  procuré 
la  vie  de  cette  femme  de  bien  et  l'avait  fait  parvenir  à  mistress  Opie.  Mais 
ce  n'était  pas  cela  que  cherchait  le  romancier  anglais.  Elle  avait  besoin  de 
lire  la  vie  de  Sœur  Saint- Vincent,  de  la  congrégation  de  Sainte-Camille,  qui 
s'était  illustrée  en  1821  à  Barcelone  pendant  l'épidémie  de  fièvre  jaune,  en 
compagnie  des  médecins  français  Audouard,  Bally,  François,  Jouarry,Mazet 
et  Pariset.  C'est  la  Sœur  Saint- Vincent,  improprement  désignée  ici  par 
mistress  Opie  sous  le  nom  de  Sœur  Camille,  qui  a  fourni  le  sujet  de  la  pièce 
de  vers  présentée  par  Delphine  Gay  à  l'Académie  françaiseen  1822.  {Poésies 
complètes,  1876,  in-12,  p.  37.)  Nous  laissons  à  mistress  Opie  la  responsabi- 
lité de  l'anecdote  qu'elle  raconte  sur  la  Sœur  Saint-Vincent,  occupée  en 
1831  à  garder  sur  la  butte  Montmartre  un  troupeau  qu'elle  aurait  dû  à  la 
libéralité  de  l'impératrice  Joséphine,  morte  en  1814.  Si  tous  ces  détails  sont 
véridiques,  la  bergère  de  1831  ne  se  serait  donc  pas  révélée  pour  la  pre- 
mière fois  par  sa  charité  en  1821?  Elle  aurait  donc,  par  son  dévouement 
sur  les  champs  de  bataille  ou  dans  les  liôpilaux  pendant  l'Empire,  attiré 
sur  elle  l'attention  de  la  première  femme  de  Napoléon  I"  ? 


98  DAVID  D'ANGERS 

XCIV 

Schelling  à  David. 

La  médaille  du  philosophe.  —  Le  buste  de  Gœthe  à  Munich. 

Munich,  24  décembre  -1835. 

Monsieur, 

Je  vous  suis  infiniment  reconnaissant  des  deux  médaillons  que 
vous  avez  bien  voulu  m'envoyer;  le  mien  surtout  me  présente 
un  souvenir  d'autant  plus  précieux  qu'il  joint  au  mérite  de  me 
venir  de  vous  celui  d'une  œuvre  remarquable  par  le  caractère 
d'expression  et  de  vie  que  vous  lui  avez  su  imprimer,  et  que  tous 
ceux  de  mes  amis  à  qui  je  l'ai  montré  n'ont  pu  se  lasser 
d'admirer.  Je  vous  en  réitère  mes  sincères  remerciements. 

L'Académie  des  sciences  (car  nous  en  avons  aussi  une  des 
beaux-arts)  recevra  avec  beaucoup  de  reconnaissance  le  buste 
de  Gœthe  que  vous  voulez  bien  lui  offrir,  et  elle  en  disposera  du 
reste  tout  à  fait  au  gré  de  vos  désirs.  Il  faudrait  qu'elle  éprouvât 
de  quelque  autre  part  une  opposition  à  ses  vues  pour  que  ce  buste 
ne  fût  pas  placé  où  vous  désirez  le  voir.  Ayez  la  bonté  d'être 
assuré  que  je  saurai  bien  conduire  cette  affaire,  pourvu  que 
d'autres  ne  s'en  mêlent  pas. 

Madame  Schelling  est  bien  sensible  à  votre  souvenir  et  vous 
fait  dire  mille  belles  choses.  Nous  verrons  avec  bien  du  plaisir  se 
réaliser  l'espoir  que  vous  nous  donnez  de  vous  revoir  bientôt  à 
Munich.  Nous  espérons  avoir  le  plaisir  de  faire  en  même  temps 
la  connaissance  de  Madame  votre  épouse. 

Veuillez  en  attendant,  Monsieur,  être  persuadé  des  sentiments 
de  considération  et  de  respect  avec  lesquels  je  suis.  Monsieur, 
votre  très  humble  serviteur, 

Schelling. 

P.  S.  —  Ce  nom,  que  je  viens  de  signer,  ne  pourrait-il  pas 
être  corrigé  sur  le  médaillon?  On  y  lit  Schalling  au  lieu  de 
Schelling. 

Collection  David  d'Angers.  —  On  a  vu  plus  haut  que  l'artiste  n'avait  pu 
se  faire  accompagner  de  sa  femme  à  Munich,  celle-ci  s'étant  trouvée  grave- 
ment indisposée  au  cours  du  voyage  d'Allemagne.  La  réplique  du  buste 
de  Gœthe  offerte  par  David  à  la  ville  de  Munich  est  en  marbre,  {Musées 
d'Angers,  p.  137.) 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  tJÔ 

1836 

XGV 
Théodore    Lebreton  à   David. 

Le  médaillon  du  poète  ouviùcr.  —  Hyacinthe  Langlois. 

Rouen,  20  janvier  1836. 

Monsieur, 

S'il  est  un  honneur  auquel  je  dois  être  bien  sensible,  c'est  à 
celui  de  voir  mes  traits  reproduits  par  la  main  célèbre  qui  nous 
a  rendu  notre  sublime  Corneille  et  tant  d'autres  illustrations  dont 
s'honore  la  France.  Je  l'avouerai,  Monsieur,  le  porte  artisan  s'est 
enorgueilli  de  cette  ovation  en  songeant  que  l'obscurité  aurait 
pour  toujours  étouffé  ses  élans  si  quelques  hommes  généreux,  au 
nombre  desquels  se  trouve  notre  bon  et  savant  M.  Langlois,  ne 
s'étaient  empressés  d'encourager  ses  essais.  Une  âme  d'artiste 
comme  celle  de  ce  dernier  est  empreinte  d'une  lumière  si  vive 
que  pour  elle  il  n'est  rien  d'obscur  partout  où  elle  rencontre  le 
germe  des  beaux-arts.  C'est,  comme  vous  le  savez,  Monsieur,  la 
main  de  ce  zélé  protecteur  qui  crayonna  ces  traits  qu'un  travail 
physique  et  moral  ont  rendus  si  cadavéreux. 

Ce  dessin  parfait  de  ressemblance  touché  par  votre  beau  ta- 
lent ne  pouvait  manquer  d'être  un  chef-d'œuvre.  C'est  ainsi 
qu'en  ont  jugé  plusieurs  artistes.  Je  ne  terminerai  point  cette 
épître  sans  vous  remercier  du  plaisir  que  m'ont  fait  éprouver  les 
nobles  sentiments  exprimés  dans  la  vôtre.  Votre  réflexion  sur  la 
mission  du  poète  m'a  inspiré  une  ode  que  j'ai  l'honneur  do  vous 
dédier.  Je  vous  prie  d'accepter  cette  fleur  du  prolétaire  à  la- 
quelle je  joins  le  sentiment  de  mon  inexprimable  reconnaissance. 

Agréez,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  plus  haute  consi- 
dération, 

Théodore  Lebreton, 
oiinrier, 

Rouen,  place  du  Vieux-Marché,  n»  2. 

CollecUon  David  d'Angers.  —  Théodore  Lebreton,  imprimeur  sur  étoffes 
et  poète,  avait  reçu  la  visite  de  David  lorsque  celui-ci  se  rendit  à  Rouen  à 
l'occasion  de  la  statue  de  Corneille.  L'artiste  a  raconté  les  impressions  que 
fit  naître  en  lui  sa  rencontre  avec  lepocte  ouvrier.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I 
pp. 277-278.)  N'ayant  pas  le  loisir    de  modeler  le  profil  de  Lebreton  durant 


iOO  DAVID  D'ANGERS 

son  trop  rapide  séjour  à  Rouen,  l'ai'tiste  pria  l'antiquaire  Hyacinthe  Lan- 
glois,  de  Pont-de-l'Arche,  dessinateur  habile,  de  lui  faire  parvenir  un  crayon 
d'après  la  tête  du  poète  rouennais.  Ce  fut  ce  crayon  qui  servit  de  document 
au  statuaire  pour  l'exécution  de  la  médaille  de  Lebreton.  C'est  en  1837  que 
fut  publié  le  premier  recueil  de  poésies  de  l'imprimeur  sur  étoffes.  Il  a 
pour  titre  Heures  de  repos  d'un  ouvrier  {Rouen,  in-18).  L'année  suivante 
vit  paraître  une  deuxième  édition.  Un  portrait  du  poète,  à  l'eau-forte,  orne 
le  frontispice.  Au-dessous  du  portrait,  la  légende  :  E.  H.  Langlois  ad  viv. 
amiciter  aq.f.  eff.  Dans  le  volume,  trois  pièces  intéi^essent  David  :  Lamis- 
sion  du  Poêle,  ode  dédiée  au  statuaire;  le  Fronton  du  Panthéon,  et  Sur  la 
statue  de  Corneille  par  M.  David.  Lebreton,  mort  récemment  bibliothécaire 
de  sa  ville  natale,  avait  été  élu  député  en  1848  par  130,000  de  ses  conci- 
toyens. 


XGYI 

David  à  Raueh. 

Médaillon  du  statuaire  prussien.  —  Le  Fronton  du  Panthéon.  —  Statues  de 
Cuvier  et  de  Talma.  —  Philopœmen.  —  Statue  projetée  de  M°'«  de  Staél. 
L'Enfant  à  la  grappe.  —  Bustes  de  Rauch,  de  Ticck  et  de  Berzélius. 

Paris,  2  mars  183G. 

Mon  bien  bon  ami  et  honorable  collègue, 

Je  viens  de  recevoir  avec  bien  du  plaisir  la  lettre  que  vous 
aviez  charge  M.  Herzfeld  de  me  remettre.  Je  serai  heureux  de 
faire  tout  ce  qui  dépendra  de  moi  pour  être  utile  à  ce  jeune 
homme,  qui  me  paraît  tout  à  fait  digne  d'inspirer  un  vif  intérêt. 

11  y  a  à  peu  près  dix  jours  que  je  vous  ai  adressé  une  caisse 
que  j"ai  pris  la  liberté  de  recommander  aux  soins  de  M.  Beûte, 
parce  que  l'on  m'a  dit  qu'elle  arriverait  ainsi  sans  être  visitée 
par  la  douane.  Dans  cette  caisse,  il  y  a  un  paquet  contenant 
votre  médaillon  et  un  petit  rouleau  de  petites  gravures  faites 
d'après  quelques-uns  de  mes  ouvrages.  On  grave  actuellement 
les  bas-reliefs  et  les  statues  qui  décorent  l'arc  de  Marseille  (que 
je  viens  de  terminer).  Quand  ces  gravures  seront  achevées, 
je  vous  les  enverrai. 

J'éprouve  un  bien  grand  plaisir  à  apprendre  que  vous  êtes 
occupé  de  travaux  importants.  Ce  sont  de  beaux  et  nobles  ouvra- 
ges que  vous  offrirez  à  l'admiration  de  votre  chère  patrie  et  à 
celle  de  l'Europe,  car  les  productions  du  génie  sont  le  patrimoine 
du  monde  entier.  Je  voudrais  que  l'on  fût  bien  pénétré  de  cette 
idée,   qui   me   semble  juste,    et   alors   toutes  les  prétentions 


ET  SES   RELATIONS  LITTÉRAIRES  101 

étroites  de  nationalités   disparaîtraient  de    la    grande    famille 
humaine. 

Nous  parlons  souvent^  Emilie  et  moi,  de  notre  intéressant 
voyage  d'Allemagne  et  surtout  de  notre  séjour  à  Berlin.  Ça  été 
une  des  circonstances  les  plus  heureuses  de  ma  vie,  que  celle 
d'avoir  resserré  avec  vous  les  liens  d'une  amitié  qui  doit  être 
aussi  durable  que  ma  vie;  dites  donc  bien  à  la  respectable  l'amillc 
Schinkel,  à  M.  et  à  M"»  Beùte,  tout  ce  que  vous  jugerez  de  plus 
aimable  de  notre  part,  ainsi  qu'aux  personnes  qui  veulent  bien 
quelquefois  se  rappelerdenous, notamment  M. et  M™°  >Yichmann. 

Je  m'occupe  actuellement  du  Fronton  du  Panthéon,  d'une 
seconde  statue  de  Guvier,  mais  une  autre  composition  que  celle 
qui  a  été  inaugurée  l'été  passé  à  Montbéliard  et  dont  vous  allez 
avoir  un  trait.  La  statue  de  Talma  (en  marbre)  va  être  terminée 
dans  un  mois,  et  celle  de  Philopœmen,  aussi  en  marbre,  le  sera 
probablement  dans  le  courant  de  l'été  ;  enfin,  je  prépare  la  statue 
de  M""^  de  Staèl,  et  celle  de  mon  Robert,  qui  est  suspendu  à  un 
cep  de  vigne  pour  manger  une  grappe  de  raisin.  Je  l'ai  surpris 
dans  ce  mouvement  au  milieu  de  mon  jardin,  et  je  suis  bien 
aise  de  l'occasion  qui  m'est  offerte  de  fixer  les  traits  de  mon  cher 
enfant  alors  qu'il  est  encore  dans  l'âge  le  plus  tendre. 

Emilie  me  charge  de  vous  dire  bien  des  choses  affectueuses 
ainsi  qu'à  Madam^e  votre  fille.  Veuillez  lui  présenter  mes  respec- 
tueux, hommages.  Votre  ami  dévoué  de  cœur, 

David. 

Eq  marge  de  la  première  page  sont  écrites  les  lignes  suivantes  : 

Vous  serez  bien  bon  si  vous  voulez  bien  faire  remettre  tous 
les  paquets  qui  sont  dans  la  caisse  à  leur  adresse.  Votre  buste 
est  presque  terminé.  Sous  peu  j'espère  vous  l'envoyer, ainsi  qu'à 
M.  Tieck,  de  Dresde,  le  sien,  et  à  Berzélius,  celui  que  j'ai  fait 
durant  son  dernier  voyage  à  Paris. 

Collection  Eggers,  à  Berlin,  —  Le  médaillon  de  Rauch,  modelé  en  1835, 
fut  coulé  en  bronze  en  18:>6.  La  statue  de  Cuvier,  dilTérente  de  celle  de 
Montbéliard,  est  au  Muséum  d'histoire  naturelle,  à  l^arls.  Le  marbre  porte 
le  millésime  de  1838.  La  statue  de  Talma  décore  le  vestibule  du  Théâtre- 
Français.  Elle  porto  la  date  de  1837.  Le  Philopœmen,  aujourd'hui  au 
Musée  du  Louvre,  est  daté  de  1838,  mais  c'est  1837  qu'il  eût  fallu  graver 
sur  le  socle.  La  statue  de  M""=  de  Staël  est  demeurée  à  l'état  d'es- 
quisses, au  nombre  de  deux,  dans  lesquelles  l'écrivain  est  représentée 
assise.  (David  d'Angers,  olc,  t.  II,  p.  i'Ji.)  L'Enfant  à  la  grappe,  modelé 
en  1837,  fut  exposé  en  marbre  au  Salon  de  1843.  De  curieux  détails  sur  cet 


102  DAVID    D'ANGERS 

ouvrage  sont  consignés  dans  la  \ie  du  maître.  {David  d'Angers,  etc.,  1. 1, 
p.  308.)  Le  buste  de  Rauch,  modelé  en  dix- huit  heures  au  cours  du 
voyage  du  maître  en  Allemagne  (octobre  1834),  est  de  proportions  colossa- 
les, ainsi  que  les  bustes  de  Tieck  et  de  Berzélius.  Ces  trois  œuvres,  exécu- 
tées en  marbre  au  cours  de  1836,  furent  offertes  aux  personnages  qu'elles 
représentent.  (Dayid  d'Angers,  eic,  t.  I,  pp.  288-289.  Musées  d'Angers, 
pp.  151,  157.) 


XGVH 


Sergent-Marceau  à  David. 

Le  médaillon    du   graveur.  —  Le  général  Marceau.  —  Ses  portraits.  —  Sa 
chevelure.  —  Son  costume  préféré.  —  M»"  de  Ghâteaugiron. 

Nice,  le  29  mars  1836. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  il  y  a  trois  jours,  le  cadeau  que  vous 
m'avez  fait,  en  très  bon  état.  Aux  témoignages  de  ma  sensibilité 
pour  la  peine  que  vous  avez  prise  et  pour  votre  complaisance  à 
me  l'avoir  envoyé  si  bien  monté,  je  dois  vous  dire  que  le  portrait 
est  aussitôt  reconnu  que  vu  par  tous  ceux  à  qui  je  me  suis  em- 
pressé de  le  montrer ,  et  que  parmi  ceux-là  il  en  est  quelques- 
uns  en  état  d'apprécier  les  ouvrages  des  arts  qui  ont  admiré  le 
«  faire  »  de  l'artiste.  M.  de  Canclaux  l'a  vu  avec  un  grand  plai- 
sir. J'ai  donné  un  do  ceux  en  stuc  à  M.  Dutertre,  le  peintre  qui 
a  fait  le  dessin,  et  le  second,  je  l'ai  donné  à  la  personne  que 
M™"  Hahnemann  (M'^"  d'Hervilly)  avait  chargé  de  le  faire  exécu- 
ter et  de  lui  envoyer;  si  vous  la  voyez,  faites-lui  mes  rcmercie- 
mens  particuliers  de  l'intérêt  qu'elle  a  mis  à  me  voir  placé  par 
vous  dans  une  galerie  où  quelques-uns,  comme  moi,  devront 
leur  place  à  votre  talent  plus  qu'à  leur  mérite,  et  nous  enverra 
tous  avec  vous  à  la  postérité. 

Je  serais  flatté  d'avoir  le  catalogue  des  médaillons  qui  sont  en 
vente.  Peut-être  qu'ici,  oii  se  réunissent  pendant  cinq  à  six  mois 
beaucoup  d'étrangers,  quelques-uns  des  marchands  ou  libraires 
qui  les  attirent  dans  leurs  magasins  en  vendraient,  soit  en 
bronze,  soit  en  plomb,  ou  en  stuc. 

Vous  avez  raison  de  regretter  de  n'avoir  pas  le  médaillon  du 
général  Marceau,  dont  la  réputation  est  européenne,  et  le  seul  que 
l'étranger  ait  couronné,  après  l'avoir  combattu.  Son  nom  est 
prononcé  avec  vénération   partout,  et  lord  Byron,  si  célèbre,  a 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  103 

écrit  à  mon  épouse  «  qu'il  vénérait  sa  mémoire  ».  Le  roi  de 
Prusse,  dans  un  des  actes  de  la  chancellerie,  l'a  appelé  «  un 
héros  )).  Vous  voyez  que  ce  n'est  pas  moi,  son  beau-frère,  son 
ami,  qui  vous  dis  que  c'est  une  lacune  dans  votre  galerie,  c'est 
l'Europe  qui  le  dit. 

Vous  pouvez  réparer  cette  perte  facilement.  Son  buste  en 
marbre  existe  aux  Tuileries,  dans  la  salle  des  Maréchaux.  Il  n'a 
pas  été  fait,  à  la  vérité,  sur  la  nature,  mais  d'après  :  1°  un  por- 
trait gravé  en  couleur  par  moi  (qui  est  au  Cabinet  des  Estampes 
de  la  Bibliothèque  royale),  dessiné  et  peint  par  moi  d'après  lui, 
un  an  avant  sa  mort;  2°  deux  portraits  en  miniature  peints  par 
M.  Dumont,  frère  du  sculpteur  ;  3"  d'après  les  avis  donnés  au 
sculpteur  par  moi,  par  mon  épouse,  sa  sœur  chérie,  qui  l'avait 
élevé,  par  M"^  de  Chàteaugiron,  son  amante,  dont  il  allait  être 
l'époux.  Ce  fut  ainsi  que  M.  Dumont  fit  le  modèle  en  terre,  et 
il  consulta  encore  en  finissant  le  marbre.  En  voilà  assez  pour 
l'authenticité.  Ne  prenez  pas  d'autre  modèle  ;  tous  ceux  qui  se 
trouvent  dans  le  commerce  sont  des  copies  très  infidèles  de  ma 
gravure,  car  il  ne  fut  dessiné  et  peint  que  par  M.  Dumont  pour 
un  médaillon  et  une  bague  de  mon  épouse.  Elle  ne  les  a  confiés 
à  personne,et  d'ailleurs  il  n'avait  alors  que  vingt-quatre  ans,  et 
il  était  délicat.  Lorsque  je  l'ai  peint,  il  avait  acquis  toute  sa 
force,  et  sa  physionomie  un  caractère  mâle. 

Je  vous  ferai  observer  que  ma  gravure  le  représente  sous  l'uni- 
forme de  colonel  de  chasseurs,  avec  l'habit  qu'il  portait  lorsqu'il 
fut  blessé.  Dans  les  grandes  actions,  il  revêtait  cet  uniforme,  et 
non  l'habit  brodé  de  général  de  division  ;  alors  ses  longs  cheveux 
étaient,  ou  tressés  et  relevés  derrière  les  oreilles,  ou  plus  sou- 
vent noués  comme  je  l'ai  peint;  il  les  partageait  sur  son  front 
comme  font  aujourd'hui  les  femmes. 

Lorsqu'il  était  en  grande  tenue  avec  l'habit  brodé,  il  avait  ses 
cheveux  très  longs  comme  les  anciens  Gaulois,  flottans  sur  ses 
épaules  et  sur  son  dos,  sans  peignes  pour  les  retenir,  tellement 
que  lorsqu'il  écrivait  il  était  obligé  de  les  écarter  de  son  front 
parce  qu'ils  lui  couvraient  les  yeux.  Vous  le  verrez  dans  le  petit 
croquis  que  j'ai  fait  pendant  que  nous  dînions,  un  an  avant  sa 
mort. 

Quelle  singularité  pour  un  militaire,  direz-vous?  et  qui  avait 
de  belles  manières,  point    original...  C'est  que  son  amante,  la 


104  DAVID  D'ANGERS 

jeune  comtesse  bretonne  qui  avait  de  superbes  cheveux  châtain 
clair  les  portait  ainsi  sans  frisure,  à  l'usage  des  paysans  de  la 
basse  Bretagne.  Un  simple  ruban  noir  autour  de  sa  tête  les  rete- 
nait écartés  de  son  visage.  Marceau,  amoureux,  voulut  imiter 
celle  qu'il  chérissait,  qui  devait  être  sa  compagne.  C'était  une  idée 
chevaleresque  des  preux  de  l'ancien  tems,  et  rien  ne  la  lui  fit 
abandonner.  Ceci  peut  vous  guider  dans  le  choix  que  vous  ferez. 
Je  dois  vous  dire,  —  ce  que  ses  camarades  ignoraient,  —  que  s'il 
se  mettait  en  chasseur  un  jour  de  bataille,  c'est  qu'il  risquait  d'y 
mourir  pour  sa  patrie,  en  pensant  à  son  amante  dont  il  avait  le 
portrait  qu'on  a  trouvé  sui-  son  cœur^,  et  qu'il  avait  lait  broder 
sur  sa  sabretasche  le  chiffre  de  son  amie.  «  Je  mourrai  sur  ce 
chiffre  »,  me  disait-il  ainsi  qu'à  sa  sœur,  ce  qui  a  été;  au  lieu 
qu'avec  l'habit  brodé  il  n'eût  pas  eu  ce  chiffre. 

Je  vous  ai  entretenu  longtems  sur  cet  objet  et  il  ne  me  reste 
que  peu  de  place  pour  vous  réitérer  mes  remerciemens  et  vous 
engager  à  remplir  la  promesse  que  vous  m'avez  faite  de  vous 
voir  l'an  prochain  à  Nice,  oii  il  n'y  a  pas  d'hiver,  ce  que  vous 
ne  trouvez  pas  à  Paris. 

Je  suis  votre  reconnaissant, 

Sergent-Marceau. 

P.  S.  —  M.  de  Ganclaux  vous  salue  et  vous  prie  de  ne  pas  lui 
envoyer  ici  lady  Morgan,  quand  vous  pourrez  en  disposer, 
mais  de  la  remettre  à  M.  Paul  de  Nairac,  rue  Gaumartin,  chaus- 
sée d'An  tin,  n"  12. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  du  graveur  Antoine-François 
Sergent,  dit  Sergent-Marceau, porte  le  millésime  de  1835.  (Mu-fées  d'Angers, 
p.  160.)  Sergent,  conventionnel,  avait  épousé  Marie  Desgraviers-Marceau, 
sœur  du  général  de  division,  née  en  1754,  morte  à  Nice  en  1834.  Retiré  à 
Nice  depuis  1830,  Sergent  ne  vint  pas  poser  chez  David.  C'est  un  dessin 
d'André  Dutertre,  élève  de  Vien,  qui  servit  de  document  au  statuaire  pour 
le  médaillon  de  Sergent.  Le  portrait  du  général  Marceau  gravé  par  son 
beau-frère  date  de  1798.  Le  buste  de  la  salle  des  Maréchaux,  sculpté  par 
Edme  Dumont,  a  figuré  en  plâtre  au  Salon  de  1800  et  en  marbre  au  Salon  de 
1801.  Marceau  étant  mort  le  20  septembre  1796,  les  diverses  représentations 
rappelées  ici  sont,  on  le  voit,  à  peu  de  chose  près,  contemporaines  du  mo- 
dèle. C'est  à  l'initiative  de  Sergent-Marceau  que  nous  devons  de  posséder  à 
l'entrée  des  Champs-Elysées  les  Chevaux  de  Marly,  de  Guillaume  Goustou. 
David  n'a  pas  modelé  le  médaillon  de  Marceau,  malgré  l'invitation  que  ren- 
ferme cette  lettre,  mais  il  a  donné  place  au  général  dans  le  frontispice  des- 
siné pour  une  «  Histoire  de  la  Vendée  militaire  ».  (Musées  d'Angers,  p.  349.) 


ET  SES    RELATIONS  LITTÉRAIRES  lOS 

XGVIIl 

Lamartine  à  David. 

Hommage  de  Jocelyn. 

A  mai  1836, 

Monsieur  et  cher  confrère, 

Je  ne  fais  jamais  rien  sans  me  souvenir  de  vous  et  sans  me 
dire:  «M.  David  le  lira-t-il?  et  en  sera-t-il  satisfait?  »  Il  faut 
bien  que  je  pense  à  laisser  un  nom  à  ce  beau  buste  que  votre 
ciseau  a  consacré.  Recevez  donc  aussi  ce  petit  épisode  de  ma 
longue  pensée  poétique  et  puisse-t-il  vous  faire  passer  une  heure 
de  loisir.  Mais  recevez-le  bien  moins  comme  un  hommage  d'ar- 
tiste à  artiste  que  comme  un  bien  sincère  souvenir  de  reconnais- 
sance et  d'amitié.  J'ai  été  il  y  a  un  mois  vous  chercher  rue  de 
Fleurus.  Depuis,  j'ai  été  malade,  c'est  ce  qui  m'empêche  d'aller 
vous  porter  moi-même  Jocelyn. 

Tout  à  vous, 

Lamartine. 

Collection  Henry  Jouin.  —  Jocelyn  parut  en  1836  (2  vol.  in-S").  David  se 
sépara  de  l'exemplaire  que  lui  avait  offert  le  poète  pour  en  enriciiir  Théo- 
dore Lebreton,  le  poète  artisan  rouennais  dont  il  est  parlé  plus  haut.  Ce 
don  du  statuaire  est  mentionné  dans  la  préface  des  Heures  de  repos  d'un 
ouvrier ,  édition  de  1838. 


XCIX 


Colettis  à,  David. 

OfTre  de  la  Jeune  Grecque  au  tombeau   de   Boizaris.  —  Le  maître  reçoit  la 
croix  de  l'Ordre  du  Sauveur  de  Grèce. 

Paiis,  21  mai  1836. 

Monsieur, 

J'ai  l'honneur  de  vous  transmettre  le  brevet  et  la  croix  en 
argent  de  chevalier  de  l'Ordre  royal  du  Sauveur,  que  Sa  Majesté 
le  roi  de  Grèce  s'est  plu  à  vous  décerner,  en  considération  des 
sentiments  de  Philhellénisme  dont  vous  avez  fait  preuve. 


106  DAVID  D'ANGERS 

C'est  un  véritableplaisir  pour  moi,  Monsieur,  d'avoir  été  chargé 
de  vous  transmettre  moi-même  les  insignes  de  cet  Ordre  dont 
l'éclat  se  relève  par  le  mérite  de  légionnaires  d'un  talent  aussi 
remarquable  que  le  vôtre. 

En  vous  priant  d'agréer  mes  sincères  félicitations,  je  saisis 
cette  occasion  de  vous  assurer  de  ma  considération  la  plus  dis- 
tinguée, 

J.    GOLETTIS. 

Collection  David  cV Angers.  —  J.  Golettis,  homme  d'État  grec,  avait  reçu, 
dès  1830,  soa  médaillon  modelé  par  Tia,v\à..  [Musées  d'Angers,  t^.  137.)  Le 
maître  s'était  fait  admettre  dans  la  Société  hellénique  à  Paris,  le  2  jan- 
vier 1829. 


David  à  "Victor  Pavie. 

Aloysius  Bertrand. 

Paris,  22  mai  1836. 

Mon  cher  Victor, 

J'ai  vu  le  «  Maçon  »,  tu  sais  ce  poète  si  naïf  dont  Sainte- 
Beuve  nous  a  lu  des  vers.  Il  avait  pris  une  velléité  à  Renduel 
d'imprimer  son  œuvre;  mais  il  a  réfléchi  que  la  saison  n'était 
pas  bonne  ;  ainsi  nous  voilà  retardés  jusqu'à  l'année  prochaine. 
Est-ce  humiliant  pour  le  génie  que  le  commerce  avec  sa  froide 
raison  vienne  refouler  dans  l'obscurité  de  nobles  inspirations  ! 

Mille  tendres  amitiés, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  «  Le  Maçon  »  est  le  surnom  qu'avait  donné  Sainte- 
Beuve  à  Aloysius  Bertrand,  l'auteur  du  Gaspard  de  la  nuit,  dont  la  pièce 
Ja  plus  achevée  a  pour  titre  le  Maçon.  Il  semble,  d'après  cette  lettre,  que  la 
première  rencontre  de  David  avec  le  romantique  Bertrand  date  seulement 
de  1836.  Les  relations  de  l'ai'tiste  avec  l'écrivain  sans  ressource,  mort  à 
l'hospice  Necker,  furent  des  plus  touchantes.  Il  en  est  longuement  parlé 
dans  la  Vie  du  maître.  [David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  244,  246,  353-353, 
S06,  523;  t.  II,  pp.  189,  409-412.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  107 

CI 

David  à  Pavie  père. 

Qu'il  faut  respecter  les  opiaious  d'autrui.  —  Toute  grande  vie  est  au  prix 

de  l'audace. 

Paris,  le  6  juin  1836. 

Non,  mon  cher  Pavie,  nous  ne  nous  sommes  pas  quittés  mé- 
contents l'un  de  l'autre,  j'aime  à  me  le  persuader;  du  moins  de 
mon  côté  il  n'est  resté  aucune  impression  de  mécontentement  ; 
je  pense  avoir  assez  d'esprit  de  justice  pour  respecter  l'opinion 
des  autres  quand  elle  est  l'expression  de  leur  conviction.  Tu 
sais  qu'en  politique  la  nôtre  a  toujours  été  opposée,  et  cepen- 
dant jamais  le  moindre  nuage  ne  s'est  élevé  entre  nous.  Conti- 
nuons donc  toujours  ainsi. 

Pour  Dieu,  cher  ami,  n'apportons  pas  de  susceptibilité  dans 
nos  rapports  avec  nos  amis  ;  il  y  a  assez  de  tribulations  ailleurs  ; 
réservons-nous  pour  la  lutte  que  nous  sommes  obligés  de  sou- 
tenir continuellement.  Et  puis,  vois-tu,  il  faut  excuser  le  vieux 
marin  qui  ayant  affronté  dliorribles  tempêtes  s'étonne,  à  tort 
sans  doute,  que  d'autres  les  redoutent,  et  enfin  j'ai  toujours  vu 
que  les  hommes  qui  ont  accompli  une  grande  et  noble  destinée 
savaient  oser.  Prends  mes  idées  pour  des  utopies,  mais  crois  à 
la  sincérité  de  mon  entier  dévouement  de  cœur, 

D.wm. 

Collection  Pavie. 


Cil 
David  à  Pavie  père. 

Hélène  David. 

Paris,  1"  juillet  1836. 

Mon  cher  ami. 

Cette  nuit,  Emilie  est  accouchée   heureusement  d'une  fille. 
Jusqu'à  présent,  la  mère  cl  l'enfant  se  portent  parfaitement  bien. 


108  DAVID  D'ANGERS 

Nous  sommes  très  contents  et  très  heureux.  C'est  pour  cela  que 
nous  ne  voulons  pas  tarder  à  te  faire  part  de  cette  bonne  nou- 
velle qui,  j'en  suis  sûr,  sera  bien  reçue  par  toi  et  nos  amis  Vic- 
tor et  sa  femme. 

Dans  deux  mois,  s'il  ne  nous  arrive  rien  de  contraire,  nous  se- 
rons tous  à  Angers.  Ce  voyage  nous  fera  du  bien  en  nous  per- 
mettant de  respirer  un  autre  air  que  celui  que  l'on  respire  ici. 
Pour  moi  j'en  ai  bien  besoin. 

Ton  ami  et  dévoué  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  M"'=  Hélène  David  porte  aujourd'hui  le  nom  de  ma- 
dame Leferme. 


cm 

Lud-wig    Tieck  à  David. 

Le  buste  du  poète.  —  Le  marbre  confère  l'immortalité.  —  M™"  David. 

Dresde,  19  juillet  1836. 

Très  honoré  ami, 

Lorsqu'on  reçoit  de  grands  bienfaits  et  des  présents,  celui  qui 
reçoit  est  toujours  dans  un  certain  embarras  pour  répliquer,  pour 
exprimer  sa  reconnaissance  du  grand  et  inappréciable  don  qui 
lui  a  été  fait.  C'est  dans  cet  embarras  que  je  me  trouve  à  votre 
égard.  Le  grand  et  puissant  buste  en  marbre  est  arrivé  sans  au- 
cun dommage  et  tout  à  fait  bien  conservé.  Vous  pouvez  vous 
imaginer  avec  quel  empressement  je  suis  allé  le  voir  et  comment 
tous  mes  amis,  surtout  ceux  qui  ont  vu  le  modèle,  ont  partagé 
tous  mes  sentiments.  Quelle  impression  ne  ressent-on  pas  de  se 
voir  agrandi  et  idéalisé  avec  une  telle  puissance?  Tout  ce  qui 
nous  entoure  disparaît  et  on  semble  sortir  de  son  époque,  tant  la 
contemplation  du  buste  nous  transporte  à  l'infini  et  à  l'absolu. 
Une  telle  image  est  comme  un  appel  à  la  postérité  et  aux  siècles 
futurs.  On  est  presque  effrayé  en  se  disant  en  soi-même  :  «  Voilà 
donc  ton  image,  tes  traits  !  Voilà  donc  comment  tu  jettes  des  re- 
gards hautains,  suffisants,  sur  tes  contemporains!  » 

Mais,  aussi  bien   que  je  le  peux,  je  remercie  le  grand  artiste. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  109 

Ainsi  donc  mon  époque  reçoit  mon  image  et  la  génération  future 
la  contemplera  comme  quelque  chose  de  gigantesque.  Ala  vérité, 
je  ne  suis  pas  ainsi,  car  on  s'étonnerait  qu'il  ne  soit  pas  sorti  de 
mon  cerveau  des  productions  plus  grandes  que  celles  que  j'ai 
laissées  au  monde. 

J'ai  donc  fait  placer  le  beau  buste  dans  le  Salon  de  notre  ex- 
position annuelle,  afin  que  le  public  puisse  jouir  dès  le  jour  de 
l'ouverture  du  Salon  de  ce  magnifique  chef-d'œuvre,  et  je  suis 
persuadé  d'avance  qu'il  produira  une  grande  sensation  parmi  les 
amis,  les  connaisseurs  et  les  amateurs. 

Ne  me  regardez  pas  comme  un  ingrat  si  vous  ne  recevez  en 
échange  d'un  si  beau  et  si  grand  présent  que  cette  lettre  insigni- 
lîante.  Je  préfère  l'écrire  en  allemand,  parce  que  je  me  rappelle 
très  bien  avec  quelle  perfection  votre  aimable  épouse  parle  notre 
langue;  elle  sera  donc  assez  bonne  pour  vous  traduire  cette  épître. 
Cette  dame  pleine  d'instruction  et  de  talents,  en  lisant  ces  lignes 
d'un  ami,  verra  combien  celui  qui  les  a  tracées  l'estime  et  la 
respecte;  avec  quelle  joie  et  quelles  délices  il  se  rappelle  les 
heures  qu'elle  a  bien  voulu  passer  avec  lai  et  sa  famille,  et  les 
lectures  qu'elle  lui  a  faites  !  Un  homme  comme  David  n'a  pas 
besoin  qu'on  lui  exprime  combien  on  estime  et  on; admire  son 
talent.  Le  véritable  artiste  se  suffit  à  lui-même. 

J'espère  revoir  encore  l'artiste  et  le  statuaire,  soit  ici,  soit  que 
j'aille  le  trouver  chez  lui. 

Ma  famille  joint  ses  salutations  aux  miennes,  de  même  que  la 
comtesse  Finkeustein.  David  vit  dans  notre  pensée  et  dans  notre 
cœur,  et  ce  n'est  pas  sans  émotion  ni  sans  fierté  que  je  me 
nomme  et  signe  son  ami, 

Ludwig  TiECK. 

Collection  David cV Anrjers  — Cette  lettre. traduite  en  français  par  M'"°  Da- 
vid, a  été  publiée  dans  le  journal  les  Affiches  d'Angers,  du  28  février  1837. 
On  a  vu  plus  haut,  sous  la  date  d'octobre  1834,  que  David  avait  modelé  le 
buste  de  Tieck,  de  proportions  colossales,  en  présence  du  modèle.  C'est  dans 
l'atelier  du  peintre  Vogel,  à  Dresde,  que  le  maître  français  avait  exéeuté  cet 
ouvrage.  Le  mai-bre,  terminé  seulement  en  1837,  fut  oil'ertà  Tieck. 


dlO  DAVID  D'ANGERS 

CIV 
Haering  à  David. 

La  médaille  du  romancier.  —  Heures  de  spleen.  —  Un  poète  bâtisseur. — 
La  jeune  Allemagne.  —  Tieck.  —  Chamisso.  —  Holtei.  —  Ampère.  — 
Humboldt. 


iuiUot  1836(?). 


Monsieur  et  très  cher  ami, 

J'aurais  avant  tout  à  m'excuser  auprès  de  yous  d'avoir  gardé 
un  si  long  silence  après  une  communication  si  importante. 

Ce  n'est  pas  négligence!  comment  pourrais-je  m'en  justifier? 
Si  j'avais  suivi  ma  première  impression,  je  vous  aurais  écrit  sur- 
le-champ  une  très  longue  lettre  pleine  de  remerciements.  Mais  j'ai 
été  obligé  de  m'absenter  pour  des  affaires,  et  depuis  lors  j'ai  voulu 
attendre  l'arrivée  du  cadeau  annoncé.  Hier  je  l'ai  reçu  de 
M.  Beûte  et  je  viens  m'acquitter  de  ma  dette. 

Si  vous  aviez  pu  me  voir  lorsque  j'ai  reçu  votre  lettre  d'avis, 
vous  vous  seriez  senti  récompensé  de  vos  peines.  J'étais  dans  une 
situation  d'esprit  que  ne  peuvent  avoir  que  des  artistes  ou  des 
poètes,  qui,  naturellement,  se  trouvent  quelquefois  aux  anti- 
podes de  la  clarté  et  de  l'inspiration.  C'était  une  de  ces  époques 
où  l'on  se  croit  abandonné  du  génie,  et  lorsque  celui-ci  est  absent 
et  que  le  sang  noir  prend  le  dessus,  tout,  depuis  les  ailes  du  génie 
jusqu'à  la  plante  de  nos  pieds,  nous  déplaît,  nous  paraît  en  déshar- 
monie,  de  travers,  comme  aussi  tout  ce  avec  quoi  je  me  trouve 
en  rapport.  Tout  ce  qui  nous  arrive  alors  devient  intention. 
Tout  paraît  se  réunir  en  un  vaste  plan  pour  nous  écraser, 
nous  annuler!  C'était  dans  un  de  ces  moments  de  spleen  oij, 
comme  poète,  je  me  sentais  annulé,  persécuté,  méconnu,  Dieu 
sait  quoi  !  qu'arriva  votre  lettre. 

Le  célèbre  David,  après  un  voyage  triomphal  à  travers  l'Eu- 
rope, après  une  absence  de  quelques  années,  n'a  non  seulement 
pas  oublié  son  ami  de  Berlin,  mais  s'est  rappelé  de  lui  d'une 
manière  qui  dépasse  les  espérances  les  plus  vives. 

En  vérité,  jamais  rien  ne  m'a  plus  agréablement  surpris  que 
votre  lettre.  Mais,  mettant  de  côté  le  spleen  et  la  vanité,  j'ai  été 
enchanté  d'y  trouver  plus  que  le  cadeau  :  votre  intention  ! 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  ili 

J'ai  reconnu  dans  le  peu  de  lignes  de  votre  lettre,  plus  qu'un 
compliment  sincère  ;j'ytrouvai  un  souvenir  personnel  qui  me  fait 
vivement  regretter  de  ne  pas  nous  être  rencontrés  plus  tôt,  et  plus 
souvent.  Parmi  tous  vos  compatriotes,  je  n'ai  trouvé  qu'en  vous  et 
en  Ampère  un  élément  pour  lequel  vous  n'avez  pas  d'expression, 
et  nous  seulement  un  demi-mot.  Puissions-nous  nous  revoir 
et  alors  pour  plus  longtems  ! 

Votre  cadeau  a  été  une  surprise  et  m'a  rendu  honteux.  Suis-je 
donc  une  perfection  telle  qu'elle  soit  digne  de  la  main  du  premiei 
sculpteur  de  France?  La  valeur  du  poète  est,  en  général,  tombée 
très  bas  chez  nous  et  celle  des  arts  est  tellement  montée  chez 
vous  que  ceci  n'est  pas  une  question  provenant  simplement  de 
modestie.  J'aurais  voulu  avoir  une  place  dans  votre  hvre  d'es- 
quisses, comme  album,  souvenir  d'un  talent  ami  ;  mais  un  chef- 
d  œuvre  pareil  de  la  main  d'un  David,  c'est,  il  me  semble,  trop 
d'honneur  pour  le  nouvelliste  allemand  W.  Alexis.  Enfin  je  vous 
suis  redevable  d'un  des  moments  les  plus  heureux  dans  cette 
année  sombre. 

Je  ne  puis  pas  décider  si  je  suis  ressemblant.  Je  dois  en  douter 
lorsque  j'admire  ce  bel  ouvrage  dans  lequel  l'artiste  a  mis  plus  de 
noble  et  nette  expression  que  r.e  comporte  mon  visage  insigni- 
fiant. Ma  mère  me  disait  :  «  Ne  t'imagine  pas  ressembler  à  cette 
belle  tête!  »  Que  mes  autres  amis  ne  jugent  comme  ils  voudront, 
l'ouvrage  sera  toujours  un  bel  ornement  dans  mon  appartement 
et  un  précieux  souvenir  d'amitié.  Vous  m'avez  promis  un  exem- 
plaire du  médaillon  d'Ampère  ;  au  lieu  de  cela  je  reçois  des 
bustes,  deux  gypses,  des  deux  architectes  Schinkel  et  Klenze. 
Est-ce  une  erreur  ou  une  ironie  amicale?  Cela  ne  vient  pas  de 
votre  part,  à  coup  sûr,  car  il  est  peu  probable  que  vous  ayez  con- 
naissance de  la  manie  dans  laquelle  je  suis  tombé  depuis  votre 
départ.  Je  bâtis  des  maisons!  une  petite  chaumière  aux  bords 
de  la  mer  Baltique,  à  Héringtdorf,  endroit  agréablement  situé  où 
l'on  prend  des  bains,  et  portant  par  hasard  mon  nom  ;  le  pays 
coUineux  du  rivage  est  aussi  pittoresque  qu'aucun  des  sites  du 
Nord.  Je  bâtis  là,  pour  l'embellissement  de  la  maison  achetée,  des 
étages,  des  ailes,  des  tours  et  des  belvédères.  Le  tout  en  minia- 
ture; mais  les  difficultés  à  vaincre  sont  si  nombreuses  que 
l'homme  raisonnable  est  oijligé  de  compter,  afin  de  ne  pas  entre- 
prendre au  delà  de  ses  moyens  bornes. 


412  DAVID  D'ANGERS 

Combien  j'aimerais  à  vous  montrer  et  à  Tarai  Ampère  ces  mer- 
veilles! Un  petit  jardin  près  de  la  maison  et  une  vue  enchante- 
resse sur  des  vergers  d'arbres  majestueux  peuvent  transporter, 
sans  efforts,  mon  imagination  au  milieu  d'une  forêt  superbe.  Au 
milieu  d'une  ville  comme  Berlin,  la  maison  et  sa  situation  doivent 
sembler  admirables,  Cachalmstrasse,  n»  57. 

Jouer  à  l'architecte  est,  au  reste,  non  seulement  une  manie  chez 
moi,  mais  une  récréation.  Notre  littérature  est  dans  un  état 
pitoyable.  La  jeune  école  de  poésie  s'élève  avec  une  arrogance 
que  ses  produits  ne  justifient  pas.  Elle  se  nomme  la  Jeune  Alle- 
magne. Mais  je  ne  puis  lui  accorder  que  l'incarnation  de  très 
antiques' folies.  L'oreille  de  l'àne  perce  sous  la  chevelure  élégante. 
Une  époque  qui  commence  par  détruire  tout  ce  qui  était  révéré 
et  sans  rien  produire  qui  dénote  de  la  vigueur,  me  paraît  bien 
sujette  à  caution. 

Personne  n'approuve  les  mesures  de  police  qu'employé  le 
Gouvernement  contre  cette  jeunesse,  parce  que  cela  lui  donne  une 
importance  qu'elle  n'a  pas.  Mais  leurs  attaques  contre  les  hommes 
dont  l'Allemagne  est  vaine  n'en  sont  pas  moins  révoltantes.  Leurs 
sorties  juvéniles  contre  Louis  ïieck  sont  abominables.  David,  qui 
a  tellement  distingué  le  digne  poète  que  nous  lui  en  avons  tous 
de  la  reconnaissance,  éprouvera  à  ce  sujet  le  même  sentiment. 
Il  paraît  en  littérature,  à  la  vérité,  quelques  ouvrages  bons  et 
remarquables;  mais  tout  est  isolé.  Il  n'y  a  pas  d'ensemble,  par  la 
raison  que  les  opinions  sur  les  premiers  principes  ne  sont  pas 
arrêtées.  Pendant  que  les  arts  fleurissent,  il  règne  dans  le  public 
une  grande  indifférence  pour  la  poésie.  Le  poète  ne  sait  où  cher- 
cher la  lumière.  Nous  avons  perdu  la  croyance  au  passé;  l'ave- 
nir, de  la  manière  dont  il  s'annonce,  n'est  pas  fait  pour  donner 
des  inspirations. 

FNotre  société  littéraire  vit  toujours,  mais  sans  grande  impulsion. 
Que  nous  serions  heureux  de  vous  revoir  encore  parmi  nous! 
Chamisso  est  parti  pour  les  bains  de  Silésie.  La  poitrine  est  telle- 
ment attaquée  qu'on  était  résigné  à  le  perdre  bientôt.  Maintenant 
les  médecins  donnent  quelque  nouvel  espoir.  Il  a  préparé  une 
édition  de  ses  œuvres  complètes  avec  sa  biographie.  Le  pauvre 
Holtei  est  malheureux.  Son  idée  d'être  à  la  fois  poète  et  comédien 
paraissait  réussir  à  Vienne.  Mais  voilà  son  directeur  qui  manque, 
le  théâtre  qui  fait  banqueroute,  et  lui,  à  la  tête  d'une   troupe 


ET   SES   RELATIONS,  LITTERAIRES  113 

ambulante,  court  le  monde.  Voir  un  pareil  talent  dans  la  misère  ! 
Les  comédiens  envieux  par  nature  ne  laissent  pas  arriver  le 
gentilhomme  poète  qu'ils  veulent  réformer.  Vienne,  avec  sa  cen- 
sure, n'aurait  pas  pu  lui  convenir.  La  mort  du  père  Ampère  a 
effrayé  quelques  amis  du  fils.  Le  vieux  papa  a  sans  doute  bien 
rempli  sa  tâche.  A.  de  Humbold  s'intéresse  vivement  à  notre  ami, 
auquel  je  ne  vous  charge  pas  de  faire  mes  compliments,  parce 
que  cela  s'entend  et  que  d'ailleurs  il  lira  ma  lettre. 

J'entends  peu  parler  de  mes  amis  suédois.  Mais  j'ai  eu  la  visite 
de  deux  Anglais  qui  se  préparaient  à  faire  le  voyage  de  Scandi- 
navie d'après  ma  relation  de  voyage.  Vraiment  les  Anglais  font 
des  pas  de  géans  dans  le  progrès  de  l'entendement. 

Je  ne  dis  pas  que  je  ne  prenne  mon  essor  pour  aller  voir  mes 
amis  à  Paris.  En  attendant,  je  vous  enverrai  quelques-unes  de 
mes  poésies  (ballades),  les  seuls  ouvrages  un  peu  gais  que  je 
puisse  trouver.  Je  ne  veux  pas  vous  envoyer  les  produits  de  mon 
humeur  noire.  Conservez-moi  votre  bon  souvenir. 

Haering. 

Collection  David  cV Angers.  —  Guillaume  Haering,  le  romancier  et  poète 
allemand  qui  a  signé  la  plupart  de  ses  ouvrages  du  pseudonyme  «  Wilibald 
Alexis  »,  reçut  son  médaillon  en  1836.  Le  bronze  est  daté  1834.  La  mort 
d'André-Marie  Ampère,  survenue  en  juin  1836  et  dont  il  est  parlé  ici,  nous 
permet  de  fixer  l'époque  approximative  de  cette  lettre,  non  datée  par  son 
auteur.  Du  mouvement  littéraire  en  Allemagne  tracé  par  un  témoin 
compétent,  nous  n'avons  rien  à  dire.  Les  personnages  nommés  par  iïaering 
sont  connus  de  notre  lecteur,  à  l'exception  de  Charles  de  Holtei,  littérateur 
et  comédien  allemand.  Holtei  peut  èlre  considéré  comme  le  créateur  du 
vaudeville  en  Allemagne.  Il  sera  parlé  plus   loin  de  Humboldt. 


GV 

A.  de  Ghamisso  à  David. 

La  médaille  du  romancier.  —  Déranger. 

Derlir,  ce  10  août  1830. 

Monsieur  et  très  illustre  compatriote, 

La  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  est  du 
LS  mars,  mais  elle  a  précédé  de  longtemps  l'envoi  que  vous 
maunoncicz    et  que  j'attendais  en  avare  pour  vous    faire  mes 

8 


114  DAVID  D'ANGERS 

remerciements.  J'étais,  lorsque  la  caisse  est  arrivée,  dans  les  mon- 
tagnes de  la  Silésie,  où  les  médecins,  pour  se  débarrasser  quelque 
temps  de  moi,  m'avaient  envoyé  prendre  l'air.  J'en  reviens,  et 
ma  première  affaire  est  de  serrer  respectueusement  et  affectueu- 
sement la  main  qui  immortalisera  ma  face  et  mon  nom.  Bien  que 
les  éditions  de  mes  vers  s'épuisent  et  se  réitèrent  encore  dans  ces 
temps  rapides  et  oublieux,  je  ne  comptais  d'avenir  que  la  portée 
de  la  mémoire  des  gamins  qui  apprennent  mes  vers  par  cœur 
pour  les  réciter  à  l'école. 

Me  voilà,  de  la  main  de  David,  coulé  en  bronze  !  J'accepte  en 
humilité  de  cœur  ce  gage  d'amitié,  qui  me  rappellera  les  moments 
bien  chers  que  m'a  conservés  votre  bienveillance  durant  votre 
séjour  à  Berlin.  Vous  me  reportiez  dans  ma  première  patrie  et 
nous  parlions  ensemble  de  Béranger,  que  je  respecte  comme  mon 
maître  et  aime  comme  un  vieil  ami.  Je  suis  aujourd'hui  vieux 
et  cassé;  j'ai  fini  mon  temps.  Cependant,  je  jouis  du  passé  et  du 
présent^  résigné  quant  à  l'avenir  et  plus  satisfait  du  lot  qui  m'a 
été  départi,  que  bien  d'autres  qui  sont  plus  enviés  que  moi. 

Daignez,  Monsieur,  recevoir  mes  humbles  et  affectueux  remer- 
ciements et  l'assurance  de  l'admiration  de  votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur, 

Adalbert  de  Ghamisso. 

Collection  David  d'Angers.  —  Haering,  dans  la  lettre  qu'on  a  lu  plus 
haut,  s'était  trop  pi'essé  de  considérer  Ghamisso  comme  perdu  pour  jamais 
dans  les  profondeurs  de  la  Silésie.  Le  poète  est  rentré  dans  sa  patrie  d'adop- 
tion, et  il  parle  avec  une  rare  élégance  la  langue  de  sa  première  patrie. 
Ghamisso  est  mort  le  21  août  1838. 


G  VI 

David    à    Raiicli. 

Offre  du  buste  de  Rauch.  —  Souvenirs  de  jeunesse.  —  Brandt. 

Paris,  25  août  1836. 

Mon  bien  honorable  collègue. 

Je  viens  de  confier  au  roulage  votre  buste;  j'ai  pris  la  liberté 
de  l'adresser  à  M.  Beûte,  comme  il  me  l'avait  permis  une  fois 
pour  toutes  lorsque  j'aurais  quelque  chose  à  vous  adresser. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  US 

A  Rome,  vos  premiers  ouvrages,  cher  ami,  m'avaient  déjà  in- 
spiré pour  vous  une  bien  profonde  estime.  Plus  tard,  quand  j'ai 
connu  votre  noble  vie,  je  vous  ai  aimé  de  tout  mon  cœur.  J'ai 
voulu  imprimer  sur  le  marbre,  dune  manière  durable,  les  senti- 
ments qui  m'animent  à  votre  égard.  Ce  buste,  que  j'ai  tant  de 
plaisir  à  vous  offrir,  n'e&t  pas  aussi  digne  de  vous  que  je  l'aurais 
désiré,  mais  vous  le  recevrez,  n'est-ce  pas,  plutôt  pour  l'intention 
que  pour  la  valeur  du  travail  ?  Il  vous  rappellera  quelquefois 
l'auteur,  qui  vous  a  voué  une  éternelle  et  bien  sincère  amitié,  et 
qui  compte  les  jours  qu'il  a  passés  auprès  de  vous  comme  des 
jours  heureux  de  sa  vie. 

Emilie  me  charge  de  la  rappeler  à  votre  souvenir  et  vous  prie 
de  dire  bien  des  choses  affectueuses  de  sa  part  à  M"^^  d'Alton. 

Veuillez  aussi  présenter  à  celte  dame  mes  respectueux  hom- 
mages. 

Adieu,  cher  ami,  soyez  heureux  et  croyez  à  la  profonde  estime 
de  votre  tout  dévoué  de  cœur, 

David. 

# 

N'oubliez  pas,  je  vous  prie,  de  présenter  l'expression  de  mon 
respect  à  M.  de  Humboldt. 

P.  S.  —  J'oubliais  de  vous  dire  que  nous  avons  un  accroisse- 
ment de  famille  :  il  nous  est  venu  une  petite  fille  et  notre  Robert 
se  porte  très  bien. 

Rappelez -nous  au  bon  souvenir  de  M.  et  de  M"""  Schinkel  et 
de  M.  et  de  M'^'^  Beûte. 

Il  y  plusieurs  mois  que  je  vous  ai  adressé  une  caisse  contenant 
votre  médaillon,  ceux  de  31.  Schinkel,  de  Chamisso,  Brandt, 
ïieck.  L'avez-vous  reçue? 

Collection  Egçjers,  à  Berlin.  —  H. -F.  Brandt,  dont  le  nom  ne  s'est  pas  en* 
core  rencontré  dans  les  lettres  qui  précédent,  est  le  graveur  en  médailles 
allemand.  Son  médaillon,  modelé  par  David,  porte  la  date  de  1834.  (Musées 
d'Angers,  p.  loo.) 


116  DAVID  D'ANGERS 

GVIl 

Carus  à  David. 

Le  buste  du  naturaliste.  —  L'oreille  droite.  —  Rietschell.  —  Le  dernier 
livre  de  Carus.  —  Le  buste  de  Cuvier.  —  Le  congrès  médical  d'Iéna.  — 
Hélène  David. 

Dresde,  25  septembre  1836. 

Mon  très  cher  ami. 

Le  buste  est  arrivé,  ce  superbe  témoignage  de  votre  affection 
et  de  votre  art.  Nous  tous  sommes  ici  dans  l'admiration  de  cet 
excellent  travail.  On  admire  surtout,  mon  bon  Rietschell  en  tête, 
le  front  et  l'oreille  droite.  C'est  qu'en  effet,  si  l'on  se  place  devant 
votre  beau  buste  éclairé  à  la  lumière  artificielle,  le  soir,  le  carac- 
tère que  revêtent  ces  parties  et  l'œuvre  dans  son  ensemble  est 
vraiment  magnifique. 

Je  vous  apprends  que  le  Journal  de  mon  voyage  à  Paris  et  sur 
les  bords  du  Rhin  a  paru,  ce  Journal  dans  lequel  j'ai  essayé  de 
dire,  entre  autres  choses,  l'estime  profonde  que  j'éprouve  pour 
mon  ami  David,  estime  partagée  parla  France  entière. 

Comme  savant,  j'ai  retiré  de  sérieux  profils  de  mon  excursion 
en  France,  de  mon  séjour  dans  votre  capitale;  mais  comme 
homme,  j'ai  gagné  plus  encore  à  pénétrer  le  cœur  d'un  ami  tel 
que  vous.  Mon  libraire  a  reçu  l'ordre  devons  faire  parvenir  sans 
retard  un  exemplaire  de  ce  Journal.  Vous  y  trouverez  comme 
frontispice  une  gravure  d'après  votre  beau  buste  de  Cuvier. 

J'étais  récemment  à  léna.  Nous  venons  d'avoir  une  réunion  des 
médecins  et  des  naturalistes  de  l'Allemagne.  J'aurais  beaucoup  à 
vous  dire  de  cette  assemblée.  Venez  donc  bientôt  vers  nous,  je 
vous  en  prie.  Ne  tardez  pas.  Dieu  sait  ce  qui  peut  arriver  plus 
tard . 

Vous  ne  doutez  pas  du  plaisir  que  nous  a  causé  l'annonce  de  la 
naissance  d'une  petite  fille  à  votre  foyer.  L'ouvrage  doit  être  digne 
de  l'artiste  qui  en  est  l'auteur.  Acceptez  pour  vous  et  pour 
Madame  votre  épouse,  ma  très  chère  et  bien  estimée  amie,  mes 
sincères  félicitations  et  celles  de  toute  ma  famille. 

N'oubliez  pas  de  nous  écrire  de  temps  à  autre.  Chaque  lettre 
de  vous  est  pour  nous  une  fête  de  famille  et  renouvelle  peur  moi 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  117 

les  douces  impressions  que  j'ai  gardées  de  mon  séjour  dans  votre 
charmante  maison. 
Donc^  au  revoir.  Tout  à  vous, 

Carus. 

Collection  David  d'Angers. —  Charles-Gustave  Carus,  médecin,  naturaliste 
et  peintre  de  paysages,  dont  il  est  parlé  déjà  sous  la  date  du  6  décembre 
1834,  reçut  de  David  son  médaillon  en  bronze,  daté  de  1834,  et  son  buste  en 
marbre  de  proportions  colossales,  portant  le  même  millésime,  bien  que  ce 
dernier  ouvrage  n'ait  été  achevé  qu'en  1836.  (Musées  i/'iln^e^'^, pp.  151-152.) 
Carus  avait  une  déformation  curieuse  :  l'oreille  droite,  chez  lui,  était 
plus  développée  que  l'oreille  gauche.  David  n'éluda  pas  ce  signe  dis- 
tinctif  en  sculptant  le  portrait  de  son  ami.  C'est  à  l'exactitude  du  sta- 
tuaire dans  l'interprétation  de  cette  partie  de  la  tète  que  fait  allusion  Carus 
au  début  de  sa  lettre.  Nommé  médecin  du  roi  de  Saxe  en  1827,  Carus 
fut  chargé  d'accompagner,  deux  ans  plus  tard,  le  prince  Frédéric-Au- 
guste en  Suisse  et  en  Italie.  Le  naturaliste  vint  en  France  et  publia  en  1836 
la  relation  non  moins  humoristique  que  scientifique  de  son  voyage  à  Paris. 
Les  Lettres  sur  la  peinture  de  paysage  (1831)  et  la  Symbolique  du  visage  de 
r^o?n?ne  (1833)  permettent  d'apprécier  Carus  sous  son  double  aspect  de  phy- 
siologiste et  de  peintre.  Les  publications  scientifiques  de  Carus  sont  nom- 
breuses et  remai'quables. 


CVIII 


David  au  maire  d'Angers. 

Offre  du    modèle  de  la  statue    de  Talma.  —  Le    buste  de  Dumouriez  par 

Houdon. 

Paris,  5  décembre  1836. 

Monsieur  le  Maire, 

Pouvant  actuellement  disposer  du  modèle  en  plâtre  de  la  sta- 
tue de  Talma,  je  m'empresse  de  l'offrir  à  la  ville  d'Angers.  Vous 
m'obligeriez  beaucoup  si  vous  vouliez  bien  faire  placer  cette 
figure  dans  le  foyer  de  notre  salle  de  spectacle. 

Vous  trouverez  ci-incluses  les  mesures  nécessaires  à  l'archi- 
tecte pour  l'exécution  du  piédestal  qui  devra  être  en  bois.  Je 
pourrai  vous  envoyer  mon  ouvrage  à  la  fin  du  mois. 

J'ai  été  assez  heureux  pour  faire  l'acquisition  d'une  terre  cuite 
exécutée  par  le  célèbre  Houdon  ;  c'est  pour  ainsi  dire  un  manu- 
scrit,la  terre  étant  l'œuvre  de  l'artiste  seul  et  sa  premirre  pensée. 
Elle  représente  le  général  Dumouriez.  J'aurai  l'honneur  de  vous 
l'envoyer  pour  votre  Musée. 

Jai  l'honneur,  etc.,  David. 


118  DAVID  D'ANGERS 

Cette  lettre  a  été  publiée  dans  le  Journal  d'Angers  du  1"  janvier  1837. 
Le  modèle  du  Talma,  après  avoir  décoré  le  foyer  du  Théâtre  d'Angers, 
est  aujourd'hui  au  Musée  David.  Le  buste  de  Dumouriez  s'y  trouve  égale- 
ment. {Musées  cV Angers,  pp.  103-104  et  212.)  L'histoire  de  la  statue  de 
Talma,  pleine  d'incidents,  a  été  racontée  dans  la  Vie  du  maître.  {David 
d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  251,  254,  316,  317,  544,  575,  591-592;  t.  [I,pp.  176, 
484,  512.) 


GIX 

Henriquel  Dupont  à  David, 

Le  médaillon  du  graveur.  —  Ressemblance  révélatrice. 

1836  (?) 

Je  ne  puis  assez  vous  remercier,  mon  cher  Monsieur,  d'avoir 
bien  voulu  me  donner  une  place  dans  votre  galerie  ;  c'est  beau- 
coup d'honneur  pour  moi. 

Hier  au  soir,  je  dînais  comme  à  l'ordinaire  à  mon  cabaret.  Un 
petit  homme  près  de  qui  j'étais  placé  ne  cessait  de  me  regarder 
et  dit  à  son  voisin  :  «  Je  ne  connais  point  M.  Dupont,  je  ne  l'ai 
jamais  vu,  mais  je  suis  bien  sûr  qu'il  est  là  à  côté  de  moi  »... 
C'était  Richard. 

Veuillez,  moucher  Monsieur,  agréer  les  complimens  de  votre 

bien  dévoué  de  cœur, 

H.  Dupont. 

Collection  David  d'Angers.  —  Cette  lettre  est  sans  date,  mais  le  médail- 
lon d'Henriquel  Dupont  porte  le  millésime  de  1836.  Richard,  nommé  dans 
cette  page,  est  le  fondeur  de  David.  Le  statuaire  modela  en  1834  la  médaille 
de  ce  collaborateur  intelligent  autant  que  dévoué.  (Musées  d'Angers,  t^i^.  154 
et  161.) 


1837 


ex 

David  à  "Victor  Pavie. 

La  plume  et  le  ciseau. — Lenteurs  du  marbre.  —  Croquis  écrits.  —  Profession 
de  foi.  —  La  prière.  — L'épi  donné.  — Sarrut  et  la  Biographie  des  hom- 
mes du  Jour.  —  Le  faciès  de  Victor  Hugo.  —  Bustes  de  Lamennais  et  de 
Garrel.  —  Statue  de  Garrel.  —  Bustes  de  Berzélius  et  de  Gérard. 

Paris,  le  3  février  1837. 

Je  suis  en  retard,  mon  cher  Victor,  pour  répondre  à  toutes  tes 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  119 

bonnes  et  aimables  lettres.  En  vérité  je  suis  débordé  par  trop  de 
sensations  et  d'occupations  différentes  qui  me  prennent  mon 
temps  et  m'empêchent  de  mieux  employer  mes  heures  à  traiter 
avec  toi  de  ces  sujets  qui  nous  ont  l'ait  passer  ensemble  des  in- 
stants si  heureux  et  m'ont  laissé  des  souvenirs  ineffaçables.  .le  le 
regrette  bien,  surtout  quand  je  pense  à  rinsuftisance  de  ma 
maudite  plume  qui  traduit  en  plomb  ce  que  ma  pensée  avait  rêvé 
en  or.  Combien  j'ai  à  me  plaindre  du  sort  qui  ne  m'a  pas  mis  à 
même  d'étudier  l'instrument  qui  obéit  à  la  pensée,  car,  vois-tu, 
la  sculpture  est  un  art  trop  lent;  le  corps  est  obligé  de  s'user 
pour  rendre  une  pensée;  et  la  poésie  des  objets  qui  nous  entou- 
rent est  si  puissante  et  si  abondante  que  je  me  sens  toujours 
malheureux  de  ne  pouvoir  leur  donner  une  forme  par  des 
moyens  plus  prompts  que  ceux  de  mon  art. 

C'est  pour  cela  que  j'écris  beaucoup  sur  les  objets  qui  me 
frappent.  Que  de  motifs  de  poèmes  touchants,  de  statues  et  de 
tableaux!  Depuis  que  j'étudie  avec  attention  la  nature,  j'aime 
moins  les  productions  des  hommes,  à  moins  que  ce  ne  soient 
celles  des  hommes  qui  ont  été  fanatiques  de  la  nature.  Mais  toutes 
les  productions  qui  tiennent  à  des  Tnodes,  à  des  conventions,  par 
conséquent  à  des  systèmes,  je  me  dérange  difficilement  pour  les 
voir.  Il  m'est  souvent  arrivé  d'aller  dans  des  galeries  de  tableaux 
et  d'y  faire  des  études  précieuses  pour  moi  d'après  les  specta- 
teurs qui  m'entouraient.  Je  ne  pousse  pas  l'exclusivisme  jusqu'à 
prétendre  que  l'étude  des  grands  maîtres  soit  une  chose  inutile  ; 
bien  au  contraire.  Mais  quand  ils  vous  ont  ouvert  les  yeux,  formé 
le  goût  et  appris  à  voir  la  nature,  il  faut  se  prosterner  devant 
elle  et  lui  vouer  un  culte  de  fidélité.  Christophe  Colomb  a  décou- 
vert le  Nouveau-xMonde,  mais  il  n'a  pas  pu  l'explorer  entière- 
ment. Pour  revenir  à  mes  croquis  écrits,  je  t'en  envoie  un  que 
tu  trouveras  joint  à  cette  lettre.  J'en  ai  bien  d'autres  qui  t'arri- 
veront  successivement,  s'il  ne  me  vient  pas  à  l'idée  que  cela 
pourrait  te  paraître  fastidieux. 

Une  chose  m'a  longtemps  arrêté,  c'est  la  crainte  de  te  choquer 
sur  quelques  points  de  tes  croyances.  Enfant  d'un  siècle  positif 
qui,  à  l'aide  de  la  science,  lève  un  coin  du  voile  sous  lequel  sont 
restés  cachés  les  mystères  de  la  nature  aux  yeux  des  générations 
qui  l'ont  précédé,  le  doute  m'agite  souvent.  Je  crois  à  un  Être 
créateur,  mais  il  m'est  impossible  de  donner  à  ma  croyance  une 


120  DAVID   D'ANGERS 

forme  exclusive.  Je  m'unis  do  cœur  à  toutes  les  religions.  Je  prie 
auprès  du  musulman;  je  me  prosterne  avec  le  sauvage  qui  adore 
le  soleil.  Je  pense  que  toutes  ces  différentes  formes  de  la  prière 
sont  l'expression  des  types  divers  que  le  grand  Etre  a  dispersés 
dans  la  Création.  L'acte  sublime  do  la  prière,  de  quelque  ma- 
nière qu'elle  soit  proférée,  m'inspire  le  plus  religieux  respect.  Je 
vénère  l'être  qui  explique  son  cœur  à  Dieu,  et  lorsqu'exténuépar 
Ses  travaux  de  cotte  vie,  je  m'assieds  au  bord  de  mon  pénible  sil- 
lon, à  l'ombre  de  la  gerbe  que  j'ai  coupée,  si  un  do  mes  frères 
vient  me  tendre  la  main,  je  lui  donne  un  épi,  c'est  là  encore  une 
de  mes  prières.  Yoilà  ma  profession  de  foi,  cher  ami.  Ce  qui  pré- 
cède pourrait  servir  de  réfutation  à  la  biographie  que  Sarrutm'a 
consacrée  et  dans  laquelle  on  me  présente  au  lecteur  comme  un 
homme  sans  croyances.  Quand  je  n'aurais  eu  que  ma  foi  dans  les 
grands  hommes  qui  sont,  eux  aussi,  les  types  de  ce  qu'il  y  a  de 
grand  et  de  généreux  dans  la  Création,  c'eût  été  déjà,  ce  me  sem- 
ble, un  motif  assez  sérieux  de  ne  pas  m'attribuer  un  caractère 
d'incroyance  qui  ne  peut  me  convenir. 

J'ai  enfin  commencé  le  buste  de  notre  Hugo;  jevais  faire  tout 
ce  qui  dépendra  de  moi  pour  tâcher  de  laisser  une  œuvre  digne 
do  l'admiration  que  j'ai  pour  son  génie.  Il  est  temps  d'entre- 
prendre ce  travail,  car  la  partie  sensuelle  du  visage  de  notre 
ami  commence  à  lutter  vigoureusement  avec  la  partie  intelli- 
gente, c'est-à-dire  que  le  bas  du  visage  est  presque  aussi  large 
que  le  front.  Dans  peu  vous  aurez  le  plâtre  au  Musée  d'Angers. 

Le  buste  de  M.  de  Lamennais  est  déjà  très  avancé  en  marbre. 
C'est  encore  une  dette  d'admiration  qui  va  bientôt  être  payée. 

Le  buste  d'Armand  Carrel  est  terminé.  Je  vais  le  faire  couler 
en  bronze  et  je  l'offrirai  à  la  ville  de  Rouen.  Le  buste  de  Carrel 
en  bronze,  cela  va  bien  à  cet  homme  d'une  si  puissante  énergie! 
J'ai  fait  aussi  sa  statue  dans  la  proportion  de  deux  pieds  et  demi. 
Je  le  représente  à  la  Chambre  des  Pairs,  à  l'instant  oii  il  les  ac- 
cuse d'avoir  été  les  assassins  du  maréchal  Ney! 

Le  buste  en  marbre  de  Berzélius  (la  grande  figure  de  chimiste 
de  l'Europe)  est  terminé.  Je  vais  le  lui  envoyer  on  présent,  à 
Stockholm. 

Tu  sais  que  j'avais  modelé  le  buste  de  Gérard,  peu  de  jours 
avant  sa  mort.  J'ai  l'intention  de  donner  le  marbre  à  l'Institut. 
Quand  je  proposai  à  Gérard  de  faire  son  buste,  il   me  prit  les 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  121 

deux  mains  et  il  me  dit:  «  Merci,  mille  fois  !  on  me  jette  dans  la 
boue  et  vous  me  relevez  !  » 

Je  ne  sais  bientôt  plus  oîi  écrire;  je  quitte  la  plume,  mais  je  ne 
cesse  de  penser  à  toi.  Jeté  souhaite,  ainsi  qu'à  M'"°Pavie,  santé, 
bonheur  et  prospérité.  Emilie  se  joint  à  moi  de  tout  son  cœur. 

Ton  dévoué  ami, 
DAvm. 

Collection  Pavie.  —  David  a  laissé  de  nombreuses  pages  manuscrites  sur 
des  sujets  de  tout  ordre.  La  plupart  furent  offertes  par  le  maître  à  Victor 
Pavie  qui  nous  a  permis  d'en  prendre  copie.  Beaucoup  de  ces  pages  ont 
trouvé  place  dans  notre  ouvrage  David  d'Angers,  etc.  (t.  11,  pp-  3-457.) 
Mais  nous  possédons  encore  les  éléments  de  plusieurs  volumes.  La  Biogra- 
phie des  hommes  du  jour,  par  Sarrut  et  Saint-Edme,  commencée  en  1835,  a 
pris  fin  en  1842.  Cette  publication  comporte  G  vol.  gr.  in-S".  Une  édition 
augmentée  formant  neuf  volumes  parut  en  1847.  On  y  trouvela  notice  sur 
David  au  tome  III  (pp.  65-69).  Le  maître  est  présenté,  dans  une  phrase 
incidente  des  biographes,  comme  étranger  à  toute  croyance,  à  tout  senti- 
ment religieux.  C'est  contre  cette  assertion  gratuite  et  mal  fondée  que 
s'élève  David  au  cours  de  sa  lettre  à  Victor  Pavie.  Le  buste  de  Victor 
Hugo,  dont  il  est  parlé  ici,  porte  le  millésime  del837.Le  poète  est  représenté 
avec  l'indication  du  costume  du  temps.  Le  marbre  fut  offert  au  poète.  Le 
modèle  en  plâtre  est  au  Musée  David,  où  l'artiste  le  déposa  en  1838.  (Musées 
d'Angers,  pp.  162-1C3.)  Il  sera  parlé  ultérieurement  du  buste  de  Lamen- 
nais. La  terre  cuite  du  buste  de  Carrel  est  à  Angers;  le  bronze  est  au 
Musée  de  Rouen;  la  statue  du  journaliste,  exécutée  en  1839,  fut  coulée  en 
bronze  et  placée  sur  la  tombe  de  Carrel  au  cimetière  de  Saint-Mandé. 
(Musées  d'Angers,  p.  109.)  Le  buste  colossal  du  chimiste  suédois  Jean- 
Jacques  Berzélius,  exécuté  en  marbre  en  1837,  fut  offert  au  modèle.  Le 
plâtre  original  est  au  Musée  David.  L'artiste  avait  modelé  dès  1835  le  mé- 
daillon du  chimiste.  [Musées  d'Angers,  p.  157.  David  d'Angers,  etc.,  t.  I, 
p.  202;  t.  II,  p.  375.)  Le  baron  Gérard  est  mort  le  12  janvier  1837. 
M"*  Ancelot  a  raconté  la  fin  mélancolique  de  ce  grand  artiste.  {Les 
Saloîis  de  Paris,  pp.  78-82.)  C'est  le  8  décembre  1836  que  David  avait  com- 
mencé le  buste  de  son  collègue"  presque  aveugle  ».  Le  marbre,  offert  par 
son  auteur,  est  à  l'Institut;  le  plâtre  original  est  au  Musée  David.  (Musées 
d'Angers,  p.  163.  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  378-379;  t.  II, p.  380.) 


GXl 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  buste  de  Victor   Hugo.  —  Robert  David. 

Paris,  8  février  1S37. 

Mon  cher  Victor,, 
Le   buste  de  Hugo  est  presque  achevé,   notre    ami     paraît 


122  DAVID  D'ANGERS 

content.  Il  vient  avec  beaucoup  d'assiduité.  Nous  parlons  souvent 
de  toi,  et  il  est  facile  de  voir  qu'il  t'a  conservé  une  large  part 
dans  son  cœur. 

Notre  pauvre  Robert  vient  d'être  très  dangereusement  malade. 
On  craignait  le  croup,  et  tu  sais  que  cette  maladie  ne  laisse  que 
peu  d'instants  pour  la  combattre.  Enfin,  le  voilà  hors  de  danger  ; 
nous  avons  un  poids  de  moins  sur  le  cœur.  Est-ce  donc  vivre 
que  d'être  sans  cesse  dans  des  transes  mortelles  au  sujet  de  ceux 
que  nous  aimons! 

A  toi  de  cœur, 

David. 

Collecllon  Pavie. 


CXII 

David  à  Schnetz. 

L'élection  de  Sclinelz  ù  l'Institut. 

Paris,  24  février  1837. 

Mon  cher  ami, 

C'est  demain  que  votre  sort  va  se  décider. 

Rappelez-vous  ce  que  j'ai  toujours  pensé  de  vous  et  de  votre 
talent.  Ce  sera  une  chose  bien  agréable  pour  moi  de  vous  donner 
la  preuve  de  mes  sentiments  à  votre  endroit. 

Mille  amitiés  de  cœur, 

David. 

Veniredi  matin. 

Collection  Gaston  Le  Breton.  —  Victor  Schnetz  fut  élu  à  l'Académie  des 
beaux-arts  le  25  féA'rier  1837.  Ce  billet  est  la  réponse  à  une  démarche  faite 
par  Schnetz  pour  s'assurer  la  voix  de  David  au  scrutin  du  25  février. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  12^ 

GXIII 

David    à  Victor    Pavie. 

La  statue  de  Talma.—  Bustes  de  Racine  et  de  Rossini.  —Adrien  Maillard. 

Paris,  5  mars   1837. 

Mon  cher  ami, 

Sous  peu,  le  Talma  va  partir  pour  Angers.  Il  sera  suivi  du 
buste  de  Racine  et  de  celui  de  Rossini  ;  ces  trois  œuvres  vont 
commencer  la  décoration  du  foyer  de  notre  salle  de  spectacle. 

Crois  à  mon  inviolable  amitié, 

David. 

Tu  auras  sans  doute  remis  à  notre  ami  Adrien  Maillard  la 
lettre  que  je  lui  adressais.  Dis-lui  encore  mille  choses  amicales 
de  ma  part. 

Collection  Pavie.  —  Le  modèle  en  plâtre  du  busto  de  Racine  est  au 
Musée  David.  Cet  ouvrage  date  de  1832.  Le  maître  avait  sculpté  dès  1830' 
le  buste  de  Rossini.  Le  marbre  avait  été  offert  au  modèle.  Le  plâtre  est 
aujourd'hui  au  Musée  David.  (Musées  d'Angers,  pp.  133  et  140.)  Adrien 
Maillard  préparait,  à  l'époque  où  lui  écrit  l'artiste,  son  Elude  sur  la  vie  et 
les  ouvrages  de  David  d'Angers,  statuaire.  (Angers,  Y.  Pavie,  1838,  in-8°.) 


GXIV 


Victor  Hugo  à  David. 

Le  buste  du  poète.  —  Les  Voix  intérieures. 

Paris.  6  juillet  1837. 

Demain  vendredi  nous  irons  admirer  votre  nouvelle  œuvre. 
Ma  femme  veut  venir  avec  moi.  .le  vous  porterai  le  livre  que  je 
viens  de  publier.  Mais  qu'est-ce  que  ma  ciselure  à  côté  de  votre- 
poésie? 

Je  vous  serre  la  main,  Victor  Huno. 

Collection  David  (FAngers.  —  L'ouvrage  que  Victor  Hugo  se  propose- 
d'offrir  au  statuaire  est  son  recueil  Les  Voix  intérieures ,  publié  depuis 
quelques  jours  seulement. 


124  DAVID  D'ANGERS 


G  XV 


David  à  Rauch. 

Le  triumvirat  de  Weimar.  —  La  médaille  de  Klenze.  —  Le  Fronton  du 
Panthéon.  —  Riquet.  —  Gutenberg.  —  Cuvier.  —  Philopœmen.  —  La 
Douane  de  Rouen.  —  Le  Jeune  Barra.  —  Groupe  du  général  Gobert. 

Paris,   16  jniUet  1837. 

Mon  cher  ami, 

Je  saisis  avec  bien  du  plaisir  l'occasion  qui  se  présente  de 
me  rappeler  à  votre  souvenir. 

Le  jeune  homme  qui  vous  remettra  cette  lettre  a  travaillé  con- 
tinuellement dans  mon  atelier.  C'est  un  artiste  qui  mérite  de 
tixer  tout  l'intérêt  sur  sa  position.  Il  a  un  caractère  distingué, 
des  dispositions  très  remarquables,  mais  il  lui  faudrait  des 
moyens  pécuniaires  pour  pouvoir  étudier  son  art.  Si  vous  voyez 
quelques  occasions  de  lui  être  utile,  faites-le,  vous  m'obligerez 
beaucoup,  et  vous  ferez  une  bonne  œuvre. 

J'entends  toujours  parler  avec  un  nouvel  intérêt  de  vos  pro- 
ductions. Mes  relations  très  fréquentes  avec  l'Allemagne  me 
mettent  à  même  de  suivre  le  degré  d'avancement  de  vos  glo- 
rieux travaux,  mais  je  ne  serai  content  que  quand  vous  aurez  à 
reproduire  le  noble  triumvirat  de  Weimar  :  Goethe,  Schiller, 
Herder.  Quand  j'ai  vu  la  Duchesse, je  lui  ai  dit  qu'il  n'y  avait  que 
vous  au  monde  fait  pour  représenter  de  pareils  hommes.  Je 
croyais  avoir  fait  quelqu'impression  sur  son  esprit,  à  cet  égard, 
mais,  mon  ami,  combien  il  y  a  de  petitesse  à  notre  époque  froi- 
dement positive! 

Je  vous  prie  de  rechercher  le  médaillon  en  bronze  de  M.  de 
Klenze  qui  était  destiné  à  M.  Schinkel.  Il  paraît  que  vous  l'avez 
renvoyé  à  Munich,  ou  qu'il  a  été  donné  à  M.  Wilibald  Alexis 
(Haering).  Vous  me  rendrez  service  en  faisant  en  sorte  qu'il  re- 
vienne à  M.  Schinkel. 

Je  viens  de  terminer  le  Fronton  du  Panthéon.  Quand  la  gravure 
en  sera  faite,  je  vous  en  enverrai  une  épreuve. 

Deux  statues  colossales  sont  sur  le  point  d'être  mises  à  la  dis- 
position du  fondeur-,  l'une  est  celle  de  Riquet,  l'inventeur  du 
fameux  canal  du  Languedoc,  qui  joint  les  deux  mers,  et  l'autre 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  125 

celle  de  Guteiiberg,  destinée  à  la  ville  de  Strasbourg.  Je  me  suis 
occupé  aussi  de  celle  de  Guvier,  en  marbre,  pour  le  Jardin  des 
plantes,  de  Philopœmen  pour  le  jardin  des  Tuileries,  de  divers 
travaux  pour  la  Douane  de  Rouen  et  d'un  jeune  Tambour  répu- 
blicain, mourant  en  serrant  une  cocarde  tricolore  sur  son  cœur. 
Tous  ces  ouvrages  seront  terminés  à  la  fin  de  cette  saison,  et 
l'hiver  prochain  je  préparerai  les  modèles  d'un  monument  repré- 
sentant un  général  à  cheval  qui  a  reçu  la  mort  en  Espagne.  Des 
bas-reliefs  de  batailles  entoureront  le  piédestal.  C'est  cet  ouvrage 
que  j'ai  l'intention  d'aller  faire  en  Italie  vers  le  printemps  pro- 
chain, et  alors  je  passerai  par  l'Allemagne;  peut-être  nous  ver- 
rons-nous ? 

Adieu,  mille  souhaits  de  bonheur  pour  vous  et  votre  bonne 
famille. 

Votre  bien  dévoué  ami, 

David. 

Emilie  se  rappelle  à  votre  souvenir  et  vous  prie  de  présenter 
ses  amitiés  à  M""^  d'Alton. 

Veuillez  me  rappeler  au  souvenir  bienveillant  de  M.  de  Hum- 
boldt. 

Collection  Eggers,  à  Berlin.  —  On  a  vu  par  la  lettre  d'Haeving,  de  juil- 
let 1836,  que  celui-ci  n'avait  pas  reçu  sans  surprise  le  médaillon  deKlenze. 
Le  Fronton  du  Panthéon  fut  découvert  en  septembre  1837.  La  commande 
datait  du  16  novembre  1830.  (David  cVAngers,  etc.,  t.  I,  pp.  321-337, 
.592-593.)  La  statue  de  Riquet,  érigée  à  Béziers,  fut  terminée  en  1838  ;  celle 
de  Gutenberg  ne  fut  inaugurée  qu'en  1840,  à  Strasbourg;  celle  de  Guvier, 
placée  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris,  porte  la  date  de  1838;  celle 
de  Philopœmen,  aujourd'hui  au  Louvre,  était  achevée  en  septembre  1837  ; 
les  hauts  reliefs  du  Commerce  et  de  la  Navigation,  qui  décorent  la  Douane 
de  Rouen,  avaient  été  modelés  en  1837;  la  statue  du  Jeune  Barra  porte  le 
millésime  de  1838  ;  le  groupe  de  Gobert  occupera  l'artiste  jusqu'en  1847. 
[Musées  d'Angers,  pp.  106,  110,  116.) 


GXVI 

Hittorf  à   David. 

Le  médaillon  de    Percier.  —  Le  Fronton  du  Panthéon. 

Ce  19  juillet  1837. 

Mon  cher  ami, 
Vous  m'avez  fait  un   plaisir  bien  vif  en  m'envoyant  le  beau 


126  DAVID  D'ANGERS 

médaillon  de  mon  cher  et  digne  maître.  Je  pourrai  le  contem- 
pler tous  les  jours,  et  c'est  une  grande  jouissance  que  je  vous 
devrai. 

J'ai  lu  avec  bien  de  l'intérêt  plusieurs  articles  dans  les 
journaux  sur  votre  dernier,  important  et  bel  ouvrage; 
votre  pensée  paraît  avoir  été  bien  comprise,  bien  appréciée  et 
approuvée;  j'ai  été  bien  heureux  et  j'espère  que  votre  succès 
sera  complet  et  unanime  lorsque  l'ensemble  pourra  être  jugé  : 
ce  sera  un  beau  moment  pour  vous.  Que  le  bon  Dieu  vous  en 
réserve  encore  plusieurs  comme  cela,  c'est  ce  que  je  désire  pour 
vous  et  pour  lui. 

Votre  tout  dévoué  ami, 

HiTTORF. 

Collection  David  d Angers.  —  Le  maître  d'Hittorff  est  Percier,  mort  en  1838. 
Le  médaillon  de  Percier  porte  le  millésime  de  1835.  Une  médaille  allégori- 
que fut  composée  par  David  en  1839  à  la  mémoire  de  VevcÎQV.  {Musées  d'An- 
gers, pp.  160,  200.)  L'important  ouvrage  de  David  auquel  Hittorfï  fait 
allusion  est  le  Fronton  du  Panthéon. 


CXVII 


Berzélius  à  David. 

Le  buste  du  chimiste. 

Stockholm,  ce  24  juillet  1837. 

Monsieur  et  ami, 

Le  magnifique  buste  est  arrivé,  déjà  depuis  quinze  jours, 
ainsi  que  le  beau  cortège  des  Humboldt,  Dulong,  Thenard,  etc., 
etc.,  dont  votre  amitié  l'avoit  entouré.  Mille  et  mille  actions  de 
grâces  de  la  part  de  votre  ami  reconnoissant,  qui  n'a  que  sa 
reconnoissance  à  vous  offrir  en  échange. 

11  s'agit  à  présent  de  placer  le  buste  d'une  manière  convenable. 
Les  conseils  de  mes  amis  se  croisent,  de  manière  que  je  me 
trouve  dans  le  même  embarras,  comme  si  je  n'avois  consulté 
personne.  Heureusement  que  mes  appartements  sont  de  16  pieds 
de  hauteur,  de  manière  à  admettre  que  le  buste  soit  placé  assez 
en  haut.  Vous  m'avez  promis  de  venir  vous-même  en  famille 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  127 

pour  voir  comment  on  l'aura  placé.  J'espère  que  rien  n'empê- 
chera que  cette  promesse  soit  remplie. 

Je  vous  avois  adressé  une  lettre  avec  un  ami,  M.  Palmsteds, 
qui  devoit  se  rendre  à  Paris.  Je  suppose  qu'il  vous  l'aura  déjà 
remise. 

Ma  femme  me  prie  de  vous  dire  mille  choses  obligeantes  de  sa 
part. 

Ayez  la  bonté  de  présenter  mes  respects  à  M"'^  David. 

Yotre  ami  reconnoissant  et  dévoué, 
Jac.  Berzélius. 

Collection  David  d'Angers.  —  Voir  plus  haut  la  lettre  de  David  à  Victor 
Pavie,  sous  la  date  du  3  février  1837. 


GXVIIl 

David  à  Victor  Pavie. 

Les  Heures  de  repos  d'un  ouvrier.  —  Le  Fronton. 

Paris,  19   août  1837. 

Mon  cher  ami, 

Je  te  fais  parvenir  six  exemplaires  des  Poésies  de  cet  ouvrier  de 
Rouen  dont  je  t'ai  déjà  tant  parlé.  11  s'est  trouvé  à  Rouen  un  im- 
primeur qui  a  compris  combien  la  situation  de  cet  homme  de 
génie  était  intéressante.  Il  a  publié  ce  petit  volume  à  ses  frais. 
Nous,  les  amis  de  l'auteur,  nous  allons  tâcher  de  faire  écouler 
cette  édition  le  plus  promptement  possible,  afin  de  mettre  à 
même  ce  brave  homme  de  donner  un  autre  volume  qui  renfer- 
mera des  vers  plus  en  rapport  avec  le  génie  et  la  situation  de  Le- 
brelon,  car  il  se  propose  de  nous  initier  aux  souffrances  de  cette 
classe  d'ouvriers  que  nous  ne  voyons  que  du  haut  de  nos  balcons 
dorés.  Quelle  mine  à  exploiter  !  Que  de  longs  et  poétiques  cris 
de  douleur  il  fera  entendre!  Dieu  veuille  qu'il  ne  parle  pas  à 
(les  sourds  ! 

Tu  verras,  ami,  si  tu  peux  placer  quelques-uns  des  volumes 
([ue  je  t'envoie.  Si,  par  hasard,  tu  en  avais  besoin  do  nouveaux, 
je  t'en  enverrais. 


128  DAVID  D'A.TSGERS 

Je  n'ai  pas  à  te  faire  l'historique  de  toutes  les  chicanes  que 
j'essuie  de  la  part  du  pouvoir  à  l'égard  du  Fronton.  Tous  les 
journaux  en  ont  assez  parlé.  Le  Gouvernement  ne  s'attendait 
pas  à  rencontrer  un  artiste  assez  convaincu  de  la  noble  mission 
des  arts  pour  résister  avec  une  énergie  imperturbable  à  ses  tor- 
tueux caprices .  J'ai  d'ailleurs  eu  la  satisfaction  de  recevoir  les 
félicitations  de  mes  amis  et  môme  de  bien  des  personnes  que  je 
ne  connais  pas.  Gela  est  certes  une  grande  consolation,  bien  que 
le  véritable  patriote  la  trouve  avant  tout  dans  son  cœur  lorsqu'il 
a  conscience  d'avoir  fait  son  devoir. 

Je  travaille  avec  assiduité  pour  tâcher  de  quitter  Paris  au 
moins  pour  un  mois,  mais  ce  ne  sera  pas  avant  octobre. 

Adieu,  mon  ami  ;  bonne  santé  à  toute  la  famille  et  croyez  aux 
affectueux  sentiments  d'Emilie  et  de  moi. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David  . 

Chaque  volume  des  Poésies  de  Lebreton  coûte  trois  francs 
dix  sous. 

Collection  Pavie.  —  Il  est  parlé  des  Poésies  de  Lebreton,  Heures  de  repos 
d'un  ouvrier,  dans  le  commentaire  de  la  lettre  du  poète  artisan  du  20  jan- 
vier 1836,  publiée  plus  haut. 


GXIX 

David   à  Pavie  père. 

Le  Fronton  découvert.  —  Joacliim  Du  Bellay.  — Philopœmen. 

Paris,  9  septembre  1837. 

Mon  cher  ami, 

Mon  procès  est  enfin  gagné,  le  Fronton  du  Panthéon  est 
découvert;  c'était  une  bien  misérable  chicanerie  de  la  part  du 
pouvoir  ;  tous  les  coups  sont  retombés  sur  lui. 

Dis  à  Victor  que  je  n'ai  point  oublié  son  dessin  pour  l'ou- 
vrage qu'il  projette.  Sous  peu,  je  le  lui  enverrai.  Il  m'excusera 
de  ce  retard  en  pensant  à  l'encombrement  de  tous  mes  travaux. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  129 

La  semaine  prochaine  je  vais  envoyer  la  statue  de  Pliilopœmen 
sur  son  piédestal  des  Tuileries. 

A  toi, 

David. 

Robert  et  Hélène  se  portent  toujours  admirablement  bien. 

Collection  Pavie.  —  Le  dessin  que  David  se  propose  d'offrir  à  Victor 
Pavie  est  le  portrait  de  Du  Bellay,  qui  doit  figurer  en  tète  de  l'édition  des 
OEuvres  choisies  du  poète  auyeviu,  en  préparation. 


cxx 

Victor  Hugo  à  David. 

Alberto  Nota.  —  Le  Fronton  du  Panthéon. 

Paris,  21  septemire  1837. 

Cher  ami, 

Je  trouve  votre  lettre  en  passant  à  Paris  et  je  me  hâte  d'y  ré- 
pondre. 

Je  serai  bien  charmé  de  connaître  M.  Nota,  mais  figurez-vous 
que  demain  vendredi  je  suis  pris  par  une  ancienne  invitation  à 
dîner  chez  notre  ami  Guttinguer,  à  Saint-Germain  ! 

Nous  sommes  encore  à  Auteuil,  toute  ma  famille  et  moi,  jus- 
qu'au 2  octobre.  Si  M.  Nota  reste  à  Paris  jusque-là,  je  serai  heu- 
reux de  l'aller  chercher  chez  lui  ou  de  le  recevoir  place  Royale. 
S'il  part  avant  cette  époque,  soyez  assez  bon  pour  me  faire  dire 
son  jour  et  le  vôtre,  et  je  viendrai  exprès  à  Paris.  J'y  suis  déjà 
venu  exprès  pour  vous. 

Je  vous  ai  rendu  visite  au  Panthéon. 

Vous  avez  fait  là  un  maître  fronton.  C'est  une  grande  et  belle 
œuvre  pour  les  amis  comme  pour  les  ennemis,  de  loin  comme 
de  près.  Je  vous  aime  et  je  vous  envie  d'écrire  des  poèmes  im- 
mortels avec  une  matière  éternelle. 

Je  vous  serre  fraternellement  la  main, 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d'Angers. —  Le  baron  Alberto  Nota,  l'un  dos  rérovateurs 
do  la  littérature  dramatique  en  Italie,  et  le  plus  brillant  écrivain  de  l'école  de 


130  DAVID    D'ANGERS 


Goldoni,  était,  en  1837,  admiaistrateur  du  district  de  Casai.  Venu  à  Paris 
pendant  l'été  de  cette  même  année.  Nota  dut  à  l'admiration  de  David  pour 
ses  écrits  de  remporter  son  médaillon  modelé  par  le  maitre.  {Musées  d'An- 
gei'S,  pp.  165-166.) 


GXXI 


Lamennais  à  David. 

Textes  évangéliques  pour  le  Christ  écrivant  sur  le  globe  du  Monde. 

Paris,  26  septembre  1837. 

Voyez,  mon  cher  David,  si,  parmi  les  passages  suivants,  il  s'en 
trouve  un  qui  aille  à  votre  but.  On  n'a,  d'ailleurs,  dans  l'Évan- 
gile, que  l'embarras  du  choix. 

Discite  a  me,  quia  mitis  sum  et  humilis  corde.  —  Apprenez  de 
moi,  parce  que  je  suis  doux  et  humble  de  cœur.  S.  Math. 

Fx  fructibus  eorum  cognoscetis  eos.  —  Vous  les  connaîtrez 
par  leurs  fruits.  Id. 

Qui  petit  a  te,  da  ei. —  Donnez  à  celui  qui  vous  demande.  Id. 

Estole  miséricordes,  sicut  et  Pater  vester  misericors  est.  — 
Soyez  miséricordieux,  comme  votre  Père  est  miséricordieux. 
S.  Luc. 

Et  ipsi  non  intellexerunt  verbum  quod  locutus  est  ad  eos.  — 
Ils  n'ont  point  compris  la  parole  qui  leur  a  été  dite.  Id. 

Exemplum  dedi  vobis,  iit  quemadmodum  ego  feci  vobis,  ita  et 
vos  faciatis.  —  Je  vous  ai  donné  l'exemple,  afin  que  vous  fassiez 
comme  je  vous  ai  fait.  S.  Jean. 

Ego  sum  via,  et  veritas,  et  vita.  —  Je  suis  la  voie,  et  la  vérité, 
et  la  vie.  Id. 

Pacem  meam  relinquo  vobls,  pacem  meam  do  vobis.  —  Je  vous 
laisse  ma  paix,  je  vous  donne  ma  paix.  Id. 

Hoc  est  prœceptum  meum,  ut  diligatis  invicem,  sicut  clilexi  vos. — 
Ceci  est  mon  préci^pte,  que  vous  vous  aimiez  les  uns  les 
autres  comme  je  vous  ai  aimés.  Id. 

Si  rien  de  tout  cela  ne  vous  convient,  on  cherchera  autre 
chose. 

Votre  bien  dévoué, 

F.  Lamennais. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  131 

Collection  David  cC Angers,.  —  Le  maître  ayant  projeté  de  faire  un  dessin 
dans  lequel  serait  représenté  le  Christ  traçant  sur  le  globe  du  Monde  les 
trois  mots  :  Liberté,  Egalité,  Fraternité,  pria  Lamennais  de  lui  fournir  un 
texte  évangélique  susceptible  d'accompagner  son  travail.  Nous  avons  ici 
la  réponse  de  Lamennais.  Quel  fut  le  verset  que  choisit  David?  Son  dessin 
ayant  été  détruit,  nous  ne  pouvons  répondre  à  cette  question. 


CXXII 


Augustin  Serres  à  David. 

Le  Fronton  du  Panthéon. 


Illustre  collègue, 


Paris....,  septembre  1837  (?) 


Quel  faible  opuscule  je  vous  envoie  en  compensation  du  Fron- 
ton que  j'ai  admiré  hier  matin!  Je  suis  encore  sous  l'influence 
des  émotions  vives  que  j'ai  éprouvées.  Il  me  semblait  que  j'avais 
acquis  un  nouveau  sens,  tant  je  sentais  vivre  et  penser  votre 
pierre  ! 

Si  Buffon  a  dit  :  «  Le  style,  c'est  l'homme  »,  ceux  qui  vous 
connaissent  diront  avec  plus  de  raison  :  «  Votre  Fronton,  c'est 
vous,  c'est  vous  tout  entier!  » 

C'est  l'adoration  de  la  Patrie  se  traduisant  sous  toutes  les  foi*- 
mes;  se  réfléchissant  sur  la  figure  du  guerrier  comme  sur  celle  du 
magistrat,  sur  les  traits  du  poùte  comme  sur  ceux  de  l'orateur, 
sur  la  tête  du  savant  comme  sur  celle  du  prêtre! 

C'est  qu'en  eff"ot  l'amour  de  la  patrie  est  le  lien  commun  de 
tous  les  citoyens!  Il  y  a  dans  tous  les  cœurs  une  libre  qui  lui 
appartient,  et  vous  l'avez  l'ait  vibrer  d'une  manière  admirable! 

Illustre  collègue,  recevez  mes  remerciements  pour  les  sensa- 
tions que  j'ai  ressenties  à  l'aspect  de  votre  chef-d'œuvre,  et  lisez- 
moi  avec  indulgence. 

Votre  dévoué  collègue  et  admirateur. 

Serres. 

CollecUon  David  d'Angers.  — Celte  lettre  n'est  pas  datée,  mais  on  a  vu  par 
la  lettre  du  maître  à  Pavie  père,  du  9  septembre  1837,  que  le  Fronton  venait 
d'être  découvert.  Il  y  a  tout  lieu  de  penser  que  les  lignes  qui  précédent 
furent  écrites  en  septembre.  Antoine-Etienne-Renaud-Augustin  Serres, 
membre  de  l'Académie  des  sciences  depuis  1S28,  était  non  seulement  l'ami 
du  statuaire,  mais  encore  son  médecin.  Serres  reçut  des  mains  du  sculpteur 
son  profil  modelé  en  1838.  (Musées  d'Angers,  p.  IGS.) 


132  DAVID  D'ANGERS 


CXXIII 

David  à  Victor  Pavie. 

Dessin  d'une  Annonciation  de  la  Vierge.  —  Le  médaillon  d'Adrien  Maillard. 
—  Etude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  David  d'Angers. 

Paris,  6   février  1838. 

Mon  cher  Victor, 

J'espérais  que  cette  lettre  te  serait  remise  par  ton  père,  mais 
il  a  eu  hâte  de  retourner  à  Angers.  Gela  ne  m'étonne  pas,  son  tems 
était  trop  tristement  employé  ici  pour  qu'il  pût  s'y  plaire.  Pour 
ma  part  je  regrette  beaucoup  que  mon  infernale  maladie  m'ait 
souvent  privé  de  sa  bonne  et  aimable  société.  A  peine  si  j'ai  pu 
passer  quelques  heures  avec  lui,  puis  aussitôt  que  j'ai  pu  mar- 
cher^ il  a  fallu  rentrer  dans  le  tourbillon  des  affaires,  des  ridicules 
obligations  sociales.  Les  hommes  ne  savent  qu'inventer  pour  se 
mettre  continuellement  à  la  torture.  Je  maudis  notre  civilisation 
qui  fait  de  chacun  de  nous  autant  d'esclaves.  Nous  sommes  ab- 
surdes, mille  fois  absurdes  ! 

Il  y  avait  bien  longtems  que  j'avais  jeté  sur  le  papier  la  pensée 
d'une  Annonciation  avec  une  seule  ligure.  J'avais  été  frappé  de 
l'expression,  si  souvent  reproduite  dans  l'Écriture  sainte,  du  Saint- 
Esprit  sous  la  forme  d'une  douce  colombe.  Voilà  ce  que  j'ai  cher- 
ché à  rendre  dans  le  croquis  que  je  t'envoie.  Tu  verras,  tu  con- 
sulteras les  maîtres  en  ce  genre  de  question,  et  si  mon  idée  était 
approuvée,  elle  pourrait  bien  s'imprimer  un  jour  sur  le  marbre, 
et  ensuite  occuper  un  coin  dans  notre  église  Saint-Maurice. 

Dans  la  caisse  qui  contiendra  le  cadre  que  je  t'envoie,  il  y 
aura  une  épreuve  en  bronze  du  profil  de  Maillard,  que  tu  voudras 
bien  remettre  à  Adrien.  Tu  trouveras  aussi  un  journal  de  Rouen 
qui  parle  des  bas-reliefs  de  la  Douane. 

J'ai  lu  avec  bien  de  l'attention  le  manuscrit  de  Maillard,  que  tu 
m'avais  envoyé.  Je  me  suis  permis  de  rectifier  seulement  quel- 
ques erreurs  de  date.  Si  cette  biographie  était  celle  d'un  autre 
sculpteur,  j'aurais  été  ravi  du  talent  vraiment  très  remarquable 
qu'a  développé  notre  jeune  ami  au  cours  de  cet  ouvrage; 
mais,  en  vérité,  les  éloges  et  les  expressions  me  paraissent  trop 
louangeurs  pour  moi.  Gomment  oserai-je  jamais  donner  cette 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  133 

biographie  à  quelqu'un?  Tu  me  demandes  combien  il  faut  en  im- 
primer? Moi,  je  dirais  très  peu.  D'abord  parce  qu'il  ne  faut  pas 
espérer  en  vendre,  ce  serait  une  très  fausse  spéculation;  ensuite 
une  source  de  satires  et  dépassions  envieuses  déchaînées  contre 
moi.  J'ai  assez  à  lutter  actuellement,  et  la  tête  la  plus  énergique 
n'a  qu'une  certaine  somme  de  forces  à  dépenser  dans  ces  tristes 
luttes.  Il  serait  si  important  cependant  d'avoir  une  vie  calme 
afin  de  pouvoir  s'occuper  des  arts  I 

Enfin,  cher  ami,  vous  ferez,  toi  et  le  bon  ami  Maillard,  ce  que 
vous  jugerez  convenable  à  cet  égard.  Ma  reconnaissance  pour  ce 
que  vous  pensez  de  moi  doit  me  faire  fermer  les  yeux  sur  les 
tribulations  qui  peuvent  être  la  conséquence  de  cette  entreprise. 
Adieu,  à  toi  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  projet  de  bas-relief,  représentant  Y  Annonciation 
de  la  Vierge,  ne  comporte  qu'un  personnage.  La  Vierge,  debout,  semble 
écouter  la  voix  mystérieuse  d'une  colombe  posée  sur  son  épaule.  Sur  le 
fond  est  écrit  :  Ave  Maria.  Le  médaillon  d'Adrien  Maillard  porte  la  date 
de  1837.  [Musées  d'Angers,  p.  165.)  La  biographie  dont  s'entretient  le 
maître  avec  son  correspondant  est  V Étude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  David 
d'Angers,  publiée  à  Angers,  en  1838,  par  Adrien  Maillard.  Ce  travail  excel- 
lent, plein  de  renseignements  puisés  à  la  meilleure  source,  a  été  maintes 
fois  consulté  par  nous  lorsque  nous  composions  la  Vie  du  statuaire. 


1838 


CXXIV 

Madame  Valmore  à  David. 

La  médaille  du  poète  des  Pleurs.   —  La  statue  de  Corneille.  —  Théodore 

Lebreton. 

Paris,  i2  février  1838. 

A  quoi  pensez-vous,  Monsieur,  de  m'accabler  d'une  telle  recon- 
naissance? Je  ne  peux  ni  l'acquitter  ni  l'exprimer,  et  j'en  suis  de- 
meurée saisie  à  mon  retour  d'un  voyage  à  Rouen,  où  je  venais 
déparier  des  yeux  et  du  cœur  à  l'une  de  vos  plus  belles  gloires. 

Si  je  l'avais  ignoré,  c'est  là  aussi  que  j'aurais  appris  qu'il  n'y 
a  rien  au  monde  de  meilleur  que  Monsieur  David,  et  que  là  aussi 
son  cœur  a  laissé  des  traces  comme  son  génie. 


134  DAVID  D'ANGERS 

Il  ne  devinera  jamais  combien  il  m'a  été  doux  de  trouver  sa 
signature  six  fois  sur  les  traits  de  sa  plus  honorée  et  plus  humble 
servante, 

Marceline  Valmore. 

Collection  David  d'Angers.  —  L'allusion  délicate  de  M"'^  Valmore  à  la 
générosité  de  David  lui  est  suggérée  par  les  attentions  du  maître  à  l'endroit 
du  poète  ouvrier  de  Rouen,  Lebreton.  La  préface  des  Heures  de  repos  d'un 
ouvrier  nous  révèle  que  M""=  Valmore  avait  été  l'une  des  premièi^es  à 
signaler  au  public  le  talent  poétique  dt;  l'imprimeur  sur  étoffes.  La  der- 
nière phrase  de  la  lettre  ci-dessus  dévoile  la  prodigalité  du  maître  qui  a 
offert  à  M""!  Valmore  six  exemplaires  de  son  médaillon. 


cxxv 


Victor  Pavie  à  David. 

Sur  le  dessin  de  V Annonciation  de  la  Vierge. 

Angers,  16  février  1838. 

J'ai  reçu  votre  cadeau,  mon  cher  Monsieur  David.  Pour  ce  qui 
est  licite  et  dans  la  tradition,  les  maîtres  en  cette  matière  juge- 
ront, ainsi  que  vous  le  dites,  et  je  m'inchnerai  le  premier  devant 
le  dogme  de  ma  foi.  Mais  quelque  sentence  qu'ils  en  portent, 
votre  œuvre  restera  comme  une  des  plus  suaves  et  des  plus 
tendres  interprétations  du  sujet.  Overbeck  bénirait  cette  chaste 
et  frêle  image,  enveloppée  de  ses  voiles  comme  son  âme  de  son 
corps  ;  ce  que  chante  la  colombe  penchée  sur  son  épaule  est  un 
chant  que  les  hommes  n'auraient  chanté  jamais;  les  ailes  de  l'oi- 
seau blanc  sont  communes  à  la  femme  ;  l'esprit  passe,  et  le  doux 
corps  s'en  imprègne  rêveusement;  l'humanité  tressaille  dans  l'en- 
fantement glorieux,  dont  ce  sein  abrité  se  féconde.  Qui  ne  pleu- 
rerait à  cette  vue,  songeant  qu'il  est  régénéré  par  là  ! 

Mon  cher  Monsieur  David,  vous  voyant  croire  ainsi  dans  le 
fond  de  votre  pensée  et  pratiquer  dans  vos  œuvres,  je  me  sens 
plus  près  de  vous  et  je  vous  étreins  plus  fort.  Ce  ne  sont  point 
des  visions  dont  votre  esprit  se  fascine  dans  les  combinaisons  de 
l'àme  avec  le  cœur.  Les  fantaisies  n'ont  point  cette  sérénité  de 
lignes,  ce  silencieux  amour  qui  prie  en  écoutant.  Entre  cette 
efitigie  éclose  de  votre  choix  après  une  impatiente  et  respectueuse 
couvée,  —  et  ces  images  grossières  dont  de  vils  salariés  enlu- 


ET  SES   RELATIONS  LITTERAIRES  l.":: 

minent  pompeusement  les  marges  les  plus  saintes,  —  je  vois  plus 
que  le  génie  qui  les  relègue  à  vos  pieds,  j'y  vois  aussi  des  larmes 
amassées  à  l'autel,  au  temps  de  vos  naïves  et  merveilleuses 
croyances,  larmes  qui  ne  tarissent  pas,  qui  coulent  de  temps  en 
temps,  arrosant  les  sujets  chers  à  votre  ciseau  d'une  rosée  in- 
connue aux  artistes  de  la  foule.  Oh  !  laissez-moi  penser  que  Dieu 
vous  les  comptera  ! 

L'abbé  X...,  prêtre  haut  et  intelligent,  sort  d'ici.  En  sus  de 
son  admiration  profonde,  il  ne  voit  rien  que  de  très  orthodoxe 
dans  yotre  Annonciation. 

Adieu,  je  vous  embrasse,  et  charge  M'"''  David  des  mille  amitiés 
de  ma  femme;  de  loin,  mon  père  se  joint  à  nous  deux. 

Victor  Pavie. 

Collection  David  d  Angers.  — Le  dessin  du  maître  représentantri«?io?2C(fl- 
tion  fait  partie  de  la  collection  Pavie.  (Dai'û/  cT  Angers, eic.,\..\l,  pp.4S8,  510.) 


CXXVI 


David  à  Lamennais. 

Offre  du  Christ    écrivant  su  '  le  globe   du  Monde. 

Paris,  'i  mars  1838. 

Depuis  longtems  j'ai  essayé  de  composer  quelques  sujets  prin- 
cipaux de  la  vie  du  Christ.  Dans  l'un,  je  voulais  le  représenter 
assis  sur  le  Monde,  écrivant  avec  son  sang  :  «  Liberté,  Égalité, 
Fraternité  »,  ce  qui  me  semble  le  résumé  de  sa  morale  sublime. 
Nous  avons  foi  dans  cette  charte  divine,  nous  autres  républicains- 
Nos  pères  l'avaient  inscrite  sur  leurs  drapeaux  que  la  mitraille 
de  tant  de  victoires  a  consacrés. 

.l'ai  cherché  à  rendre  cette  grande  idée  dans  le  faible  croquis 
que  je  serais  heureux  de  vous  voir  accepter.  En  conservant  ce 
modeste  souvenir  d'un  homme  qui  vous  est  tout  dévoué  de  cœur, 
vous  comblerez  de  joie  votre  constant  admirateur  et  respectueux 
serviteur, 

David. 

Collection  Henry  Jouin.  —  On  a  vu  plus  haut,  sous  la  date  du  20  septem- 
bre 1837,  que  David  se  disposait  à  exécuter  un  Christ   écrivant  sur  le  globe 


i36  ,  DAVID  D'xVNGERS 

du  Monde.  Le  maître  avait  ou  recours  à  Lamennais  pour  le  choix  d'un 
texte  évangélique  pouvant  accompagner  son  dessin.  L'œuvre  terminée,  c'est 
à  Lamennais  qu'il  en  fit  hommage.  Une  réplique  avec  variantes  fut  offerte 
par  David  à  Victor  Pavie.  Ce  second  travail  existe;  le  premier  dessin  a  été 
détruit.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  II,  p.  494.) 


CXXVII 


Lamennais  à  David. 

Le  Christ  écrivant  sur  le  globe  du  Monde. 

Paris,  5  mars  1838. 

Je  ne  sais,  Monsieur  et  illustre  ami,  comment  vous  exprimer 
et  ma  reconnaissance  et  mon  admiration.  Plus  je  regarde,  plus 
j'étudie  votre  magnifique  tableau  (car  c'en  est  un),  plus  elle  s'ac- 
croît. C'est  une  pensée  à  la  Michel-Ange,  simple,  profonde,  gran- 
diose. Oh!  oui,  ce  sont  là  les  trois  mots  que  le  Christ  a  écrits  sur 
le  Monde,  qu'il  y  a  écrits  de  son  sang,  et  qu'à  peine  encore 
savons-nous  épeler.  Mais  quand  bientôt  cette  féconde  parole  sera 
descendue  dans  le  cœar  des  peuples,  qu'ils  y  auront  reconnu  la 
sainte  loi  de  l'humanité  et  le  salut  de  l'avenir,  tout  changera  et  la 
terre  sera  belle  alors,  et  la  voix  de  bénédiction,  le  cri  d'allégresse* 
qui  s'en  élèvera  comme  le  parfum  de  l'âme  réjouira  tout  ce  qui 
sent  dans  l'univers. 

Tout  à  vous,  mon  illustre  ami, 


F.  Lamennais. 


Collection  David  d'Angers, 


CXXVIII 


Victor  Pavie  à  David. 

Retour  sur  r.4/iao«ct«^i'Jrt  de  la  Vierge.  —  L'Étude  sur  la  vie  et  les  ouvra- 
ges de  David,  par  Adrien  Maillard.  —  Les  Poésies  de  Lebreton. 

Angers,  20  mars  1838. 

Mon  cher  Monsieur  David, 
Je  reviens  à  cette  Vierge  dont  je  ne  puis  me  détacher.  N'ayant 


ET  SES  RELATIONS   LITTÉRAIRES  J37 

à  VOUS  payer  d'un  tel  cadeau  qu'avec  les  seules  paroles  d'une 
reconnaissance  profonde,  je  sens  naître  le  remords  de  ne  vous 
en  avoir  point  assez  dit  dans  le  temps.  J'y  reviens  chaque  matin  et 
j'y  retourne  chaque  soir  ;  c'est  à  genoux  à  ses  pieds  que  je  fais 
ma  prière,  et  si  cette  prière  lui  arrive,  certes  ce  ne  saurait  être 
sans  vous  traverser  en  passant.  C'est  là  mon  idée  fixe,  et  soulîrez 
que  j'y  reste,  que  sorti  de  ce  giron  oiî  vous  berça  jadis  l'instinct 
d'une  foi  naïve,  aveugle  et  vagissante,  fort  et  ferme  aujourd'hui 
et  le  ciseau  à  la  main,  vous  y  rentrez  de  l'aveu  d'une  intelligence 
voyageuse,  qui  a  fait  le  tour  de  tout  avant  de  s'abriter  quelque 
part.  Qu'Overbeck  me  comprenne  et  que  le  Seigneur  m'exauce  ! 

C'est  le  soupir  sur  les  lèvres  et  les  larmes  aux  yeux  que  j'ai  dû 
briser  sur  votre  ordre  les  formes  qui  contenaient  le  travail  de 
Maillard.  Il  vous  importait  peu,  du  reste,  je  le  comprends,  que 
ceux  qui  ont  des  yeux  pour  ne  point  voir  vos  œuvres  épelassent 
oui  ou  non,  dans  une  langue  inconnue,  des  interprétations  qui 
ne  les  atteindraient  pas. 

J'ai  annoncé,  vanté  autant  que  je  l'ai  pu  les  Poésies  de  Lebreton, 
ce  haut  cœur  qui  vous  aime.  —  Rien'  Le  seul  exemplaire  à  dé- 
duire c'est  le  mien,  dont  je  vous  envoie  le  montant  joint  à  celui 
des  avances  que  M™'  David  a  bien  voulu  faire  pour  ma 
femme. 

Adieu,  je  vous  embrasse,, 

Victor  Pavie. 

Collection  David  cC Angers.  —  VÉlude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  David, 
par  Adrien  Maillard,  ayant  été  tirée  à  petit  nombre  et  distribuée  à  quel- 
ques amis,  les  formes  furent  détruites  à  la  demande  du  statuaire.  Les  Heures 
de  repos  dun  ouvrier,  de  Lebreton.  avaient  été  envoyées  le  19  août  1837,  à 
six  exemplaires,  à  Victor  Pavie,  alors  libraire-éditeur  à  Angers.  Un  seul 
exemplaire  fut  vendu,  et  encore  est-ce  Pavie  qui  le  retint  pour  sa  biblio-- 
thèque  personnelle! 


GXXIX 
David  à  Victor  Pavie. 

Une  «  ode  à  Riquet  ».  —  Los  lettres  de  Léopold  Robert.  —  La   staliic  de 
sainte  Cécile.  —  Moll.  —    Le  médaillon   d'Hélène  David.  —  Estampe* 


138  DAVID  D'ANGERS 

d'après  le  Fronton  du  Panthéon.  —  Cottreau  le  Chouan.  —  Savoie,  l'an- 
cien soldat  de  la  République. 

Paris,  le  8  mai  1838. 

Mon  cher  Victor, 

J'ai  lu  et  relu  bien  des  fois  ton  admirable  éloge  de  Riquet. 
C'est  colossal  ;  jamais,  je  crois,  tu  ne  t'étais  élevé  à  une  si  grande 
hauteur.  Clarté  et  sublimité  de  pensées,  voilà  ce  qui  distingue 
ton  œuvre.  Combien  de  belle  et  noble  poésie  il  y  a  dans  ton 
âme  !  Quel  avenir  immense  pour  toi,  mon  ami  !  Suis  énergique- 
ment  le  vœu  de  la  nature;  elle  t'a  fait  poète;  il  faut  lui  obéir. 

As-tu  lu  les  lettres  d'un  autre  grand  poète,  de  Robert  le  pein- 
tre? Je  t'engage  à  lire  ce  touchant  recueil.  Il  y  a  là  de  grandes  et 
profondes  réflexions  sur  les  arts.  Il  faut  avouer  que  la  nature  est 
bien  barbare  envers  ses  enfants  de  génie.  Ceux  qui  apprennent 
aux  autres  hommes  à  l'admirer  n'éprouvent  que  malheur,  tandis 
que  la  nullité  est  choyée,  caressée  par  cette  nature  qui  n'est 
qu'une  énigme  perpétuelle,  si  le  hasard  n'en  est  pas  la  véritable 
expression. 

Sous  peu  de  jours,  je  vais  écrire  à  l'évéque  d'Angers  pour  lui 
annoncer  le  prochain  envoi  de  la  statue  de  sainte  Cécile.  J'ai  en- 
gagé M.  Moll  à  faire  le  dessin  d'un  piédestal  qui  me  paraît  bien 
conçu.  Quand  ce  piédestal  sera  adopté,  il  faudra  se  presser  de  le 
faire  exécuter,  afin  qu'il  soit  prêt  quand  la  statue  arrivera.  Pour 
cette  prompte  exécution  et  pour  l'adoption  du  dessin,  il  faudra 
que  M.  Morel  nous  aide  de  tout  son  pouvoir.  Je  crois  que  tu  seras 
content  du  dessin  du  piédestal. 

Je  vais  t'envoyer  une  caisse  dans  laquelle  il  y  aura  un  rouleau 
de  gravures  du  Fronton  du  Panthéon,  que  je  destine  à  quelques- 
uns  de  mes  amis  d'Angers  et  de  Nantes.  Pour  cette  ville,  tu 
trouveras  facilement,  je  pense,  une  occasion.  11  y  aura  trois  mé- 
daillons de  notre  petite  Hélène  :  l'un  t'est  destiné  ;  quant  aux  deux 
autres,  tu  me  feras  plaisir  si  tu  veux  bien  en  faire  parvenir  un  à 
M.  Maillocheau,  et  faire  déposer  l'autre  chez  MM"^^  Boyleau.  Je  te 
demande  pardon  de  tout  l'embarras  que  je  t'occasionne.  Tu 
trouveras  dans  cette  caisse  un  portrait  de  «  Cottereau  ».  C'est 
cette  différence  de  nom  qui  fait  que  nous  n'avons  pas  pu  obtenir 
de  M''^  Goquereau  tout  ce  que  nous  espérions. 

Tu  te  souviens  de  notre  visite  à  ce  brave  philosophe  qui  vit 
dans  une  cave  près  du  Château,  le  nommé  Savoie?  Si  tu  pouvais 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  139 

apprendre  le  lieu  de  sa  naissance  (je  crois  que  c'est  Lyon), 
à  quel  âge  il  a  pris  du  service,  quelques  particularités  de  sa  vie, 
enfin  quelques  points  des  plus  saillants  de  son  histoire,  tu  m'obli- 
gerais beaucoup.  Son  souvenir  m'est  resté  dans  la  mémoire.  Je 
l'estime  de  ne  pas  avoir  voulu  servir  le  despote  de  son  pays.  Le 
sentiment  républicain  est  trop  noble,  trop  sacré  pour  qu'on  ne 
se  voue  pas  à  lui  de  toutes  les  forces  de  son  âme. 
Présente  mes  respectueux  hommages  à  M™*  Pavie. 

Ton  tout  dévoué  ami, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Un  concours  poétique  ayant  été  ouvert  à  Béziers  à 
l'occasion  de  l'inauguration  prochaine  dans  cette  ville  de  la  statue  de  Riquet 
par  David,  Victor  Pavie  se  mit  sur  les  rangs  avec  une  Ode  qui  remporta 
le  second  prix.  [Musées  d'Angers,  pp.  108-109.  David  d'Angers,  etc.,  t.  I, 
pp.  361-363.  Victor  Pavie,  sajeunesse,  etc.,  Y).  199.)  L'ouvrage  sur  Léopold 
Robert,  auquel  fait  allusion  David,  est  la  publication  de  Delécluze  intitulée: 
Notice  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Léopold  Robert,  suivie  de  la  description 
des  quatre  tableaux  de  ce  peintre  :  l'hnprovisateur  napolitain ,  la  Madone 
de  r Arc,  les  Moissonneurs  et  les  Pêcheurs  de  l'Adriatique  (1838,  in-8°).  La 
statue  de  sainte  Cécile,  en  marbre,  offerte  par  David  à  la  cathédrale  d'An- 
gers, date  de  1837.  (Musées  d'Angers,  p.  106.)  Le  médaillon  d'Hélène 
David,  fille  du  statuaire,  porte  le  millésime  de  1838.  (Musées  d'Angers, 
p.  170.1  M.  Maillocheau,  MM""  Boyleau  sont  des  membres  de  la  famille  de 
M""^  David.  Cottereau  le  Chouan,  Savoie,  le  vieux  soldat  de  la  République, 
étaient  les  représentants  d'une  époque  de  luttes  dont  le  statuaire  recher- 
chait avidement  les  témoins,  afin  de  conserver  leurs  profils.  Il  avait  vu 
Cottereau,  et,  celui-ci  étant  mort,  il  avait  essayé  d'obtenir  d'une  demoi- 
selle Coquereau  quelques  notes  biographiques  sur  le  Chouan  disparu.  David 
suppose  à  tort  qu'on  a  pris  une  fausse  piste  en  s'adressant  à  M"'=  Coque- 
reau. Il  se  trompe.  La  quasi-similitude  des  noms  s'explique.  Les  Coquereau 
et  les  Cottereau  avaient  combattu  sous  le  même  drapeau.  Mais  les  uns 
comme  les  autres,  aussi  bien  que  Savoie,  ne  pouvaient  raconter  que  leurs 
batailles,  dont  le  souvenir  demeurait  confus  dans  leurs  cerveaux  usés  par 
les  années  et  la  misère.  En  1838,  Savoie  était  mort. 


cxxx 


Victor  Hugo   à   David. 

Le  buste  du  poète. 


21  mai  18:!8. 


Sous  cette  forme  magnifique,  mon  ami,  c'est  l'immortalité  que 
vous  m'envoyez.  Une  pareille  dette  est  de  celles  dont   on  ne 


440  DAVID  D'ANGERS 

s'acquitte  jamais  ;  j'essaierai  cependant,  non  de  la  payer,  mais 
de  la  reconnaître. 

Vous  êtes  un  homme  admirable  et  je  vous  aime, 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d Angers.  —  Ce  billet  est  l'accusé  de  réception  du  buste 
en  marbre  dont  il  est  parlé  sous  la  date  du  3  février   1837. 


CXXXI 

David  à   Victor  Pavie. 

La  statue  de  sainte  Cécile. 

Paris,  i2  juin  1838. 

Mon  cher  Victor, 

Je  viens  de  mettre  une  caisse  au  roulage.  Tu  la  recevras 
franche  de  port.  Elle  contient  plusieurs  esquisses  pour  toi  et 
une  petite  Vierge  gothique.  Ton  nom  est  écrit  sur  tous  les  ob- 
jets qui  te  sont  destinés. 

Après-demain,  la  caisse  contenant  la  statue  de  sainte  Cécile 
sera  confiée  au  roulage  et  sous  peu  de  jours,  par  conséquent, 
elle  sera  rendue  à  Angers.  C'est  alors  que  je  te  prie  en  grâce  de 
surveiller  le  décaissement,  d'engager  les  charpentiers  à  ne  pas 
mettre  les  mains  dessus,  car  ils  tacheraient  le  marbre.  Il  serait 
aisé  d'entourer  avec  du  linge  les  endroits  qu'ils  seront  obligés 
de  saisir  pour  l'élever  sur  son  piédestal.  Il  faudra  faire  venir  le 
mouleur  qui  demeure  dans  la  rue  Saint-Aubin  pour  qu'il  scelle 
la  lyre  avec  du  plâtre.  S'il  y  avait  des  taches  occasionnées  par  le 
frottement  des  doigts  sur  la  statue,  tu  pourrais  les  faire  enlever 
avec  une  éponge  mouillée.  Voilà  bien  des  ennuis  que  je  vais 
l'occasionner,  mais  tu  es  si  bon  pour  moi  que  je  n'hésite  pas  à 
te  charger  de  cette  corvée. 

A  toi  de  tout  cœur,  David. 

Je  te  prie  aussi  de  demander  à  l'Évêque  qu'il  donne  des 
ordres  pour  que  l'on  ne  décaisse  pas  la  statue  avant  que  le 
piédestal  soit  totalement  achevé. 

Collection  Pavie. 


ET  SES   RELATIONS   LITTERAIRES  141 

GXXXII 
David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  renonce  à  exécuter  l'Annonciation  de  la  Vierge.  —  Projet  de 
groupe  représentant /a  Vierge  et  l'Enfant  Jésus.  —  Le  respect  des  croyan- 
ces d'autrui. 

Paris,  15  juillet  1838. 

Mon  cher  Victor, 

Les  réflexions  qui  t'ont  été  faites  sur  la  composition  de  notre 
Annonciation  de  la  Vierge  ne  me  découragent  pas.  Je  ferai  une 
Vierge  avec  l'Enfant.  C'est  un  sujet  à  la  fois  touchant  et  sublime. 
Ces  deux  êtres  mystérieux  ne  sont-ils  pas  dignes  de  la  vénéra- 
tion des  hommes  ?  Je  nourris  cette  idée  depuis  mon  séjour  en 
Italie,  oii  la  Madone  est  l'objet  du  culte  d'un  peuple  qui  sent 
exclusivement  par  le  cœur. 

J'abandonne  donc  ma  première  idée  qui  m'avait  cependant 
vivement  séduit  par  sa  simplicité  et  son  originalité. 

Cette  jeune  fille  et  la  colombe,  deux  êtres  si  purs!  Cela  ne 
me  paraissait  pas  contradictoire  avec  les  dogmes  chrétiens.  Tou- 
tefois, je  ne  puis  être  juge  dans  ces  sortes  de  matières;  c'est 
pour  cette  raison  que  je  t'ai  prié  de  consulter  des  personnes 
instruites,  parce  que  tout  ce  qui  tient  aux  croyances  des  hommes 
est  sacré  pour  moi,  et  je  bannirai  toujours  de  mes  ouvrages  le 
moindre  détail  susceptible  d'être  jugé  ridicule,  alors  surtout  que 
le  sujet  traité  touche  à  la  foi  religieuse. 

Je  te  remercie  bien  de  penser  à  faire  une  nouvelle  édition  de 
la  petite  brochure  de  Maillard.  Un  si  grand  nombre  de  personnes 
me  la  demandent  que  je  me  vois  forcé  de  l'importuner  encore 
à  cet  égard. 

Ton  bien  dévoué  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  La  composition  du  hd.?,-rQ\\c  daV Annonciation  ayant 
soulevé  quelques  critiques  de  la  part  déjuges  qui  l'avaient  peut-être  exa- 
miné au  point  de  vue  d'une  orthodoxie  trop  rigoureuse,  David  abandonna 
son  projet,  non  sans  quelque  regret,  comme  on  vient  de  le  voir.  Il  ne 
donna  pas  suite  au  groupe  de  la  Vierge  et  l'Enfant,  dont  il  parle  ici. 


142  DAVID  D'ANGERS 


GXXXIII 

Louis-Napoléon  à,  David. 

Projet    de  monument    à   la    mémoire  de   la   reine  Hortense.  —  Bartolini 
préféré  à  David. 

Arenenberg,  ce  17  juillet  1838. 

Monsieur, 

Après  la  mort  de  ma  mère,  je  m'étais  adressé  à  plusieurs 
artistes,  et  à  vous  particulièrement,  afin  d'avoir  plusieurs  projets 
relatifs  au  monument  que  je  voulais  faire  élever  dans  la  cha- 
pelle de  Rueil. 

Je  désirais  surtout  que  ce  fût  un  sculpteur  français  qui  fût 
chargé  de  l'exécution  ;  et  votre  talent  si  connu  eût  été  pour  moi 
une  raison  de  plus  de  vous  prier  de  vous  en  charger;  mais  mon 
père,  qui  entre  pour  moitié  dans  les  frais,  désire  que  ce  monument 
soit  fait  sous  ses  yeux,  et  par  un  sculpteur  qui  ait  connu  ma 
mère,  c'est  ce  qui  l'a  engagé  à  vouloir  que  Bartolini  se  chargeât 
de  cet  ouvrage. 

Vous  concevez.  Monsieur,  combien,  après  l'obligeance  que 
vous  m'avez  témoignée,  il  doit  m'être  pénible  de  ne  pas  pouvoir 
accepter  vos  services. 

Recevez,  avec  mes  regrets,  l'assurance  de  mes  sentiments  dis- 
tingués. 

Napoléon  Louis. 

CollectionDavid  cV  Angers .  —  Le  prince  Louis-Napoléon, depuisNapoléon  III, 
avait  demandé  au  maître,  et  obtenu  de  lui,  qu'il  modelât  une  esquisse  de 
la  statue  de  la  reine  Hortense.  [David  d'Angers,  etc.,  1. 1,  p.  387  ;  t.  II,  p.  492.) 
Cette  esquisse  fait  partie  de  la  collection  Pavie.  La  reine  Hortense,  décédée  le 
5  octobre  1837,  au  château  d'Arenenberg,  en  Suisse,  avait  exprimé  le  vœu 
que  ses  restes  fussent  déposés  auprès  de  ceux  de  sa  mère,  l'impératrice 
Joséphine,  dans  l'église  de  Rueil.  Le  monument  que  firent  élever  dans 
cette  église  l'ex-roi  de  Hollande  et  son  fils,  le   prince  Louis,  fut  inauguré 

20  avril  1846.  C'est  Bartohni  qui  avait  exécuté  la  statue  de  la  Reine. 
(Rueil,  par  Jacquin.  Paris,  1846,  pp.  93-99.) Cette  œuvre,  ayant  déplu  au 
prince  Louis,  fut  remplacée  par  une  statue  nouvelle,  due  au  ciseau  d'Au- 
guste Barre. 


ET  SES   RELATIONS  LITTERAIRES  143 

CXXXIV 
Charlet  à  David. 

La  chaire  de  professeur  de  dessin  à  l'École  polytechnique.  —  Philopœtnen . 

Paris,  8  août  1838. 

Quoique  tu  me  regardes  comme  le  dernier  des  citoyens  français, 
ou  plutôt  que  tu  ne  me  regardes  plus,  ce  qui  ne  me  regarde  pas, 
attendu  que  je  n'enregistre  pas  ces  puérilités  de  la  vie  humaine, 
j'ose  encore  lever  mon  front  d'esclave  vers  toi,  parce  que  je  sais 
que  tu  es  bon  dans  le  fond,  et  que  j'ai  toujours  eu  pour  ton  ta- 
lent une  haute  estime.  Car,  Dieu  merci,  ce  n'est  pas  pour  te  le  re- 
procher,, mais  j'ai  osé  braver  la  fureur  des  Atrides  et  méprendre 
aux  crins  avec  le  dernier  des  Éparainondas,  pour  défendre  ton 
Philopœmen,  que  ces  hauts  titrés  regardent  comme  un  cra- 
paud du  faubourg  des  allumettes.  J'ai  beau  leur  crier  :  «  Mais 
au  moins  il  est  vivant,  mais  ce  n'est  pas  un  mannequin  d'Aga- 
memnon,  mais  voyez  donc  ce  dos,  ces  bras,  cette  poitrine,  mais 
cela  est  une  magnifique  étude,  cela  palpite,  c'est  de  la  vie  enfin, 
la  vie  !  ce  principe  premier  de  toute  chose...  »  Enfin  je  me  suis 
fait  traiter  de  faiseur  de  bons  hommes  et  d'ignobilité  d'homme 
ne  comprenant  pas  le  beau,  d'àme  sans  élévation.  Mais  comme 
je  le  dis  plus  haut,  je  n'enregistre  pas  ces  puérilités. 

Mais  ce  n'est  pas  de  tout  ceci  qu'il  s'agit.  Dépose  un  instant 
ton  faisceau  consulaire  et  veuille  m'écouter,  car  dans  ta  poitrine 
de  fer  un  cœur  d'honnête  homme  doit  encore  battre  avec  cha- 
leur. Voici  ce  qui  m'amène.  L'Institut  va  être  appelé  à  ajouter  un 
candidat  de  son  choix  à  côté  de  celui  proposé  par  l'École  polytech- 
nique; je  me  suis  mis  sur  les  rangs.  Du  côté  de  l'École  un  candidat 
prétend  avoir  toutes  les  voix,  c'est  M.  Dulong  fils,  qui  n'a  que  le 
titre  de  fils  de  Dulong,  reconnaissant  sa  profonde  impuissance, 
mais  qui  dit  :  «  Je  suis  le  fils  de  Dulong.  »  Moi  j'ose  dire  que  cette 
exploitation  de  l'hérédité,  dans  ce  cas,  est  encore  plus  ridicule  que 
celle  de  la  Chambre  des  pairs,  ajoutant  à  cela  que  M.  Dulong, 
parce  qu'il  s'appelle  Dulong,  vient,  sous  l'intluence  de  M  Arago, 
d'être  nommé  professeur  de  dessin  aux  Ponts  et  Chaussées  (2,000 
francs).  Or,  il  ne  se  conlcntc  pas  do  cela,  et  veut  encore,  en 


144  DAVID  D'ANGERS 

exploitant  l'ombre  de  son  père,  se  faire  nommer  à  l'Ecole  poly- 
technique. 

L'Institut  peut  Joindre  un  nom,  mais,  de  ce  côté,  Langlois, 
digne  et  honorable  Atride  (fils  d'Io  et  du  centaure  Ghiron),  s'em- 
presse de  se  mettre  sur  les  rangs,  et  je  ne  doute  pas  qu'il  n'ait 
l'avantage  sur   moi,  parce  qu'il  est  de  l'Institut. 

Pourtant,  une  réflexion  fort  sage  et  fort  juste  peut  être  faite. 
Depuis  nombre  d'années  le  cours  de  dessin  de  l'École  ne  produit 
rien;  les  maîtres  y  viennent  faire  leurs  factions,  puis  les  élèves 
dorment  dans  le  poste  à  l'ombre  et  sous  la  protection  d'Agamem- 
non,  d'Ajax  et  de  Patrocle.  M.  Arago  et  quelques  hommes  supé- 
rieurs ont  reconnu  la  profonde  nullité  de  ce  cours,  et  voudraient 
lui  redonner  de  la  vie  ;  ils  ont  pensé  que  j'étais  leur  homme; 
moi  je  ne  recule  pas,  je  pense  aussi  pouvoir  y  rendre  service,  et 
cela  avec  désintéressement,  car  on  a  l,oOO  fr.  de  traitement. 

Voici  ce  qui  me  fait  penser  que  je  puis  être  une  spécialité  en 
cette  circonstance,  c'est  que  ces  jeunes  gens  ne  sont  pas  desti- 
nés à  la  peinture  et  à  la  sculpture.  Il  ne  leur  faut  que  des  choses 
nourrissantes  pour  leur  avenir.  Les  trois  quarts  sont  pour  le  génie 
militaireet  l'artillerie,  donc  il  faut  qu'ils  soient  en  état  de  rapporter 
des  matériaux  pour  l'histoire  militaire  du  pays.  Il  leur  faut  quel- 
qu'un qui  leur  apprenne  à  poser  vigoureusement  un  homme  sur 
ses  pieds  et  à  ne  pas  chercher  les  Grecs  quand  on  leur  demandera 
un  Turc.  Un  homme  qui  traite  avec  quelque  rapidité  et  une 
figure  et  un  bout  de  paysage,  qui,  enfin,  sans  leur  faire  mépriser 
le  père  Laocoon,  leur  dise  :  «  C'est  beau,  c'est  très  beau,  mais 
faites  ce  qui  remue  autour  de  vous,  car  nous  devons  nous  trans- 
mettre tels  que  nous  sommes  à  nos  descendans,  pour  qu'ils  ne 
nous  représentent  pas  en  Romains  avec  des  perruques  à  36  mar- 
teaux. )) 

Tu  me  comprendras,  j'en  suis  certain,  car  je  crois  être  un  peu 
dans  ton  sentiment  comme  art,  et  quoique  tu  me  regardes  comme 
le  plus  abruti  des  esclaves,  je  suis  certain  que  tu  parleras  en 
mon  sens  avec  tes  amis,  si  tu  en  as,  car,  vois-tu,  dans  ce  monde, 
les  amis  sont  comme  les  fiacres,  on  ne  les  trouve  que  quand  il 
fait  beau.  Et  moi  je  les  compare  à  ces  billets  donnés  à  des  amis, 
et  sur  lesquels  l'auteur  compte;  mais  vienne  l'orage  du  parterre, 
mes  gaillards  sont  les  premiers  à  dire  que  l'auteur  est  un  brave 
garçon,  mais  que  c'est  détestable,  et  ils  sifflent  des  premiers  pour 


ET  SES   RELATIONS  LITTERAIRES  145 

ne  pas  avoir  l'air  d'être  des  billets  donnés.  Si  je  n'avais  pas  en- 
tendu des  hommes  estimables  dire:  «  Je  suis  l'ami  de  David,  c'est 
un  homme  de  talent,  mais  ce  Philopœnien,  ha!  dame!  hô!hê... 
Voyez  les  antiques...  il  y  a  bien  du  talent...  certainement... 
Oui!  mais  c'est  détestable!...  comme  goût...  »,  je  ne  te  ferais 
pas  ces  réflexions  d'une  harmonieuse  philosophie. 

Donc ,  il  faut  souvent  préférer  certains  ennemis  à  certains 
amis.  C'est  ce  qui  me  fait  venir  à  toi,  quoique  tu  sois  mon  en- 
nemi. Je  ne  te  demande  pas  ta  voix  sans  réflexion,  tu  jugeras. 
Continue  à  ne  pas  me  regarder  puisque  cela  farrange  et  que  cela 
m'est  indifférent.  Le  tems  est  plus  fort  que  toi,  je  le  laisse  faire. 
Ne  me  réponds  pas  parce  que  tu  ne  dois  pas  me  répondre. 
Fais  ce  que  te  dictera  ta  conscience  que  seulement  j'ai  voulu 
éclairer  pour  te  mettre  à  même  de  juger. 

Prends  la  présente  en  bonne  part  et  parfaite  cordialité,  fais 
encore  Philopœnien  et  tu  pourras  compter  sur  ton  ennemi  in- 
time. 

Adieu, 

Charlet. 

Collection  David  d'Angers.  —  Charlet  et  le  maître  (''taient  liés  de  longue 
date  avant  1830.  La  révolution  de  Juillet  les  sépara.  Toutefois,  ils  ne  ces- 
sèrent pas  de  s'estimer  mutuellement,  et  le  statuaire  a  laissé  sur  son  ami 
plus  d'une  page  touchante.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  392-393;  t.  II, 
p.  139.)  Nul  doute  que  l'auteur  du  Philopœmen  n'ait  chaudement  soutenu 
la  candidature  de  Charlet,  qui  obtint  la  chaire  de  dessin  qu'il  convoitait... 
aux  appointements  modestes  de  1,.500  francs. 


cxxxv 

Rauch  à  David. 

Iliimboldt.  —  Le  monument  de  G;Ethe.  —  Les  Victoires  de  la  Wallialla.  — 
Le  monument  de  Gobert.  —  La  statue  d'Albert  Durer.  —  Amazone  en 
lutte  avec  un  léopard,  par  Kiss.  —  Les  bustes  de  Tieck  et  de  Carus. 

Bcrlio,  13  août  1838. 

Mon  très  cher  ami  et  honorable  collègue, 

D'après  ce  que  racontent  les  journaux  et  nos  artistes,  aussi 
bien  que  les  voyageurs  qui  ont  occasion  do  passer  par  votre 
atelier,  où  ils  voient  et  admirent  vos  travaux,  votre  activité  est 

10 


146  DAVID  D'ANGERS 

prodigieuse.  De  plus,  vous  êtes  heureux  au  sein  de  votre  famille, 
où  notre  ami  M.  le  baron  Alexandre  de  Humboldt  aura  l'obli- 
geance de  vous  remettre  ces  lignes  qui  n'ont  d'autre  but  que  de 
me  rappeler  à  votre  souvenir  et  à  votre  toujours  chère  amitié. 

La  grande  duchesse  de  Weimar  m'a  parlé  souvent  de  vous  à 
propos  du  monument  de  Gœthe,  Schiller,  etc.,  et  de  l'intérêt  que 
vous  portez  aux  hommes  illustres,  à  quelque  nation  qu'ils  appar- 
tiennent. Mais  personne  ne  partage  avec  Elle  ce  noble  enthou 
siasme  susceptible  de  réaliser  dans  notre  patrie  des  monuments 
dignes  de  la  postérité.  Cette  noble  dame  est  trop  peu  secondée 
dans  ses  projets. 

Je  suis  toujours  occupé  par  les  marbres  et  les  modèles  des  six 
Victoires  destinées  à  la  Walhalla,  et  le  marbre  du  Danube,  pour 
S.  M.  l'empereur  Nicolas,  et  outre  ma  demi- douzaine  de  Fïc boires, 
j'en  dois  faire  deux  autres  en  bronze  appelées  à  prendre  place 
dans  le  jardin  de  Charlotlembourg.  On  coulera  bientôt  la  statue 
d'Albrecht  Durer  à  Nurenberg  et  le  groupe  des  deux  premiers 
princes  de  la  Pologne  Miecislas  et  Boleslas.  Les  costumes  de  ces 
trois  derniers  sujets  sont  très  favorables  à  la  sculpture,  et  je  me 
flatte  d'en  avoir  profité.  Les  princes  polonais  se  rattachent 
au  onzième  siècle.  Durer  appartient  au  seizième,  et  j'ai  pu  l'étu- 
dier d'après  ses  propres  tableaux  du  Musée  de  Vienne. 

Vous  me  parlez  dans  votre  dernière  lettre  d'un  monument 
équestre  que  vous  pensez  faire  en  Italie.  Mais,  plus  récemment, 
j'ai  appris  que  vous  vous  occupiez  du  modèle  de  ce  groupe,  ce 
qui  m'a  causé  un  vif  plaisir,  car  vous  ne  trouveriez  pas  de  che- 
vaux aussi  parfaits  en  Italie  que  ceux  qui  existent  autour  de 
vous,  à  Paris.  En  tout  cas,  je  ne  puis  que  vous  féliciter  d'avoir 
à  exécuter  une  œuvre  aussi  intéressante  que  l'est  ce  travail  qui 
achèvera  de  fonder  votre  gloire. 

Un  de  mes  premiers  élèves,  M.  Kiss,  né  dans  la  haute  Silésie, 
est  occupé  en  ce  moment  à  un  groupe  colossal  représentant  une 
Amazone  à  cheval  en  lutte  avec  un  léopard  qui  va  bondir  par- 
dessus la  monture  de  la  guerrière.  La  composition  est  très  heu- 
reuse. L'exécution,  qui  révèle  un  réel  talent  et  des  connaissances 
profondes,  bénéficie  de  l'étude  de  nos  superbes  chevaux.  Je  ne 
crois  pas  que  dans  ce  genre  on  ait  fait  rien  de  meilleur. 

J'ai  projeté  depuis  six  ans  un  monument  de  Frédéric  le  Grand, 
par  ordre  duRoi,  et  j'ai  déjà  modelé  différentes  esquisses,  mais 


ET   SES   RELATIONS  LITTÉRAIRES  147 

sans  succès,  quoique  ma  première  esquisse  ait  eu  la  fortune  de 
plaire  à  tout  le  monde;  mais  on  ne  finit  pas  de  décider  l'exécu- 
tion du  monument.  Je  mourrai  comme  vous  sans  avoir  eu  la  sa- 
tisfaction de  me  voir  confier  le  sujet  que  j'estime  le  plus  favo- 
rable à  l'art  du  sculpteur, 

A  Dresde,  j'ai  vu  avec  une  très  grande  satisfaction  vos  deux 
superbes  bustes  de  L.  Tieck  et  de  M.  Carus,  lesquels  j'estime 
être  vos  meilleurs  portraits. 

Ma  famille  vous  remercie  de  votre  aimable  souvenir,  et  me 
charge  de  renouveler  ses  hommages  à  Madame  votre  chère 
épouse ,  de  même  que  je  vous  prie  pour  ma  part  de  l'assurer 
de  mon  amitié  et  de  mes  souhaits  de  bonheur. 

Recevez  l'assurance  de  l'entier  dévouement  de  votre  sincère 
ami  et  collègue, 

Rauch  . 

Collection  David  d'Angers. —  Il  est  parlé  plus  haut,  sous  la  date  du  6  dé- 
cembre 1834,  de  la  participation  de  Rauch  à  la  décoration  de  la  Walhalla. 
La  statue  d'Albert  Durer  a  pris  place  dans  ce  temple. 


CXXXVl 


David  à  Victor  Pavie. 

Le  peuple  de  Réziers.  —  Médaillon  de  Bouchotte.  —  La  cathédrale  de  Metz. 
—  Un  pêcheur  à  la  ligne.  — Le  soleil  du  Midi.  —  Philosophie.  —  Les 
Pyrénées.  —  Rêverie.  —  La  statue  de  l'Humanité. 

Montpellier,  5  novembre  1838. 

Mon  cher  Victor, 

J'ai  quitté  Béziers  le  23  octobre  et  fait  mes  adieux  à  mon  cher 
Riquel  qui  est  là  sous  un  beau  ciel  au  milieu  d'une  population 
pleine  d'enthousiasme  pour  les  grands  et  nobles  souvenirs.  Ces 
bons  habitants  ont  fêté  le  sculpteur  du  grand  homme  d'une  ma- 
nière presque  impossible  à  décrire.  Le  peuple,  qui  partout  a  seul 
une  âme  impressionnable,  s'est  chargé  d'exprimer  ses  sentimens 
à  ton  ami.  Toutes  les  nuits  il  venait  sous  mes  croisées  chanter 
des  hymnes  qu'il  avait  composés  pour  moi.  Et  souvent  quand 
je  passais  dans  les  rues,  il  tombait  à  mes  pieds  des  couronnes 
de    lauriers.   Tous   les   hommes  se  découvraient   devant  moi. 


148  DAVID   D'ANGERS 

Ordinairement,  dans  les  fêtes  publiques,  le  peuple  est  spectateur  : 
là  il  s'est  fait  acteur.  Cette  fête  a  eu  un  caractère  original. 

Voilà  bien  des  lieues  que  nous  faisons  depuis  notre  départ  de 
Paris.  J'ai  Joui  à  plein  cœur  de  la  vue  du  Nord,  et  ensuite  de  ce 
beau  pays  méridional  qui  est  comme  une  préface  de  l'Italie.  A 
Metz,  j'ai  éprouvé  une  vive  impression  en  revoyant  une  cité 
que  j'avais  traversée  avec  toi.  J"ai  fait  le  portrait  du  célèbre  Bou- 
chotte,  ministre  de  la  Guerre  du  tems  de  la  République.  Je  suis 
bien  heureux  quand  il  m'est  possible  de  serrer  la  main  de  ces 
géants,  témoins  d'une  si  grande  et  si  noble  époque.  J'ai  visité 
dans  tous  ses  détails  la  magnifique  cathédrale  que  nous  avions 
tant  admirée  ensemble.  J'ai  aussi  revu,  non  sans  sourire,  le  même 
homme  auprès  duquel  nous  nous  étions  arrêtés  si  longtemps  sur 
un  pont  où  il  était  occupé  à  pêcher  à  la  ligne.  Je  l'ai  retrouvé  à 
la  môme  place,  prenant  plaisir  à  la  même  chose.  Rien  de  changé, 
sauf  que  lorsque  nous  l'avions  vu  il  portait  un  chapeau  ciré  et 
une  veste,  tandis  qu'actuellement  il  est  vêtu  d'un  gilet  de  tricot 
et  coiffé  d'un  bonnet  de  coton.  L'homme,  cette  chrysalide  hu- 
maine, tourne  incessamment  dans  le  même  cercle.  Il  y  a  deux 
raille  ans,  un  autre  pêcheur  devait  se  trouver  là,  tenant  une  li- 
gne, selon  toute  vraisemblance;  seul  le  costume  a  changé.  C'est 
pour  cela,  il  me  semble,  que  les  artistes  devraient  ne  s'occuper 
que  de  l'homme  tel  qu'il  est  sorti  des  mains  de  la  nature,  sans 
prendre  souci  de  la  défroque,  qui  n'est  que  l'expression  d'un 
caprice  et  de  la  bizarrerie  de  la  créature. 

J'ai  éprouvé  un  bien  vif  bonheur  en  revoyant  la  promenadedu 
Pérou  à  Montpellier.  J'ai  assisté  à  un  beau  coucher  du  soleil.  Le 
ciel  était  pur  comme  il  l'est  dans  le  midi  de  la  France.  Il  me  sem- 
blait que  mon  être  grandissait  et  s'élevait  vers  ce  ciel;  mes  pou- 
mons aspiraient,  en  se  dilatant,  l'air  si  pur,  si  onctueux  de  ce 
beau  climat.  Cette  impression  d'élévation  vers  le  ciel  est  toute 
physique.  C'est  par  une  raison  contraire  que  sous  un  ciel  couvert 
et  brumeux,  il  semble  que  vous  ayez  sur  la  tête  une  calotte  de 
plomb  qui  vous  refoule  vers  la  terre  et  vous  oppresse.  Quand  on 
est  impressionné  par  les  merveilles  de  la  nature  éclairée  par  un 
beau  ciel,  on  est  porté  à  penser  qu'un  être  microscopique  tel  que 
l'homme  sonde  les  profondeurs  aériennes  et  terrestres.  Il  grandit 
alors  de  toute  sa  petitesse,  c'est-à-dire  d'une  manière  incommen- 
surable. L'essence  immatérielle  qui  anime  son  cerveau  est  donc 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  149 

une  portion  de  l'infini,  et  il  est  donc  juste  de  penser  que  quand 
la  main  invisible  qui  met  en  mouvement  la  matière  l'a  quitté, 
cette  matière  est  gisante  et  inerte  comme  la  feuille  jaunie  avec 
ses  fibres  desséchées  ou  comme  la  barque  vermoulue  privée  de 
son  pilote.  C'est  en  face  de  la  mer,  des  montagnes  et  du  ciel,  de- 
vant ces  pages  sublimes,  qu'il  est  impossible  que  l'homme  ne  lise 
pas  sa  destinée  future. 

Je  suis  enfin  entré  dans  le  cœur  des  Pyrénées,  j'ai  vu  l'Espagne 
à  sa  frontière.  A  Laruns,  je  suis  allé  visiter  la  carrière  de  marbre 
deLouvie.  Elle  produit  l'effet,  vue  de  loin,  d'une  blessure  laite 
dans  la  montagne;  on  dirait  une  tache  d'argent.  Les  nuages  font 
une  ceinture  à  cette  montagne,  tandis  que  son  sommet  émarge 
dans  la  lumière.  C'est  à  la  base  de  la  montagne  que  l'homme 
accroche  son  habitation.  C'est  là  qu'il  trouve  ces  mines  de  cuivre 
et  de  fer  qu'il  exploite,  mais  la  cime  élevée  est  inaccessible  pour 
lui.  Ainsi  des  fières  pensées  du  génie  qui  sont  en  relations  avec 
le  ciel  et  bien  souvent  intraduisibles  pour  l'humanité. 

Que  de  générations  passent  et  vivent  à  l'abri  do  ces  hautes 
montagnes  avec  les  seules  aspirations  végétatives,  à  l'exemple  de 
ces  brebis  qui  dévorent  l'herbe  et  les  fleurs  que  produit  le  sol! 
Quel  mystère  que  celui  qm  pousse  des  hommes  à  s'approprier, 
avec  le  secours  de  la  poudre  à  canon,  des  blocs  de  marbre  dont 
les  Deucalions  vont  s'emparer  pour  créer  un  monde  de  statues, 
rendre  visibles,  consacrer  les  traits  des  hautes  intelligences  qui 
sont  la  gloire  ou  l'opprobre  du  genre  humain!  Les  unesélectrise- 
ront  les  jeunes  âmes  et  leur  montreront  la  route  du  beau  et  du 
vrai;  les  autres  feront  détester  le  vice  en  le  présentant  dans  toute 
sa  laideur.  Ces  pages  de  marbre  blanc  attendent  le  sublime  écri- 
vain, au  cœur  pur,  mais  elles  auront  aussi  leur  destinée.  L'une 
appellera  l'admiration  sur  le  sujet  traité  par  l'artiste;  l'autre  sera 
l'objet  de  malédictions,  quoique  d'une  matière  aussi  pure  et 
aussi  transparente  que  la  première.  C'est  la  forme  qui  particularise 
le  marbre  sculpté.  N'en  est-il  pas  de  même  pour  Ihomme?  Par 
instants,  des  blocs  se  détachent  d'eux-mêmes  de  la  montagne  et 
roulent,  entraînant  dans  leur  chute  la  chaumière  qui  donnait 
asile  à  une  humble  famille.  Le  sculpteur  regarde  ces  masses  avec 
admiration,  les  mesure,  et  sa  puissante  volonté  leur  donnera  la 
forme  des  dieux  ou  des  héros.  J'ai  longtems  rêvé  devant  ces  co- 
lossales masses  de  rocher  qui,  après  avoir  si  longtems  menacé  le 


150  DAVID  D'ANGERS 

ciel,  tombent,  encore  noircies  par  les  orages,  et  s'arrêtent  à  la 
portée  de  la  main  du  statuaire,  assez  semblables  au  grand  homme 
qui  vient  poser  devant  l'artiste. 

Toutes  les  maisons  des  villages  environîiants  sont  construites 
avec  du  marbre.  J'avoue  que  j'éprouvais  un  sentiment  pénible  en 
voyant  cette  belle  matière  employée  ainsi  en  grands  blocs,  servir 
à  clore  des  écuries,  des  toits  à  porcs.  Combien  de  représentations 
possibles  de  grands  hommes  sont  là  souillées  par  des  ordures  ! 
Mais  que  la  main  paternelle  du  statuaire  vienne,  la  croûte  im- 
monde, fangeuse  disparaîtra,  et  le  marbre  reprendra  son  éclat.  Il 
sera  digne  delà  forme  qui  viendra  l'animer.  N'en  a-t-il  pas  été 
souvent  ainsi  à  l'égard  de  certains  hommes  malheureux  et  mé- 
connus dans  leur  jeunesse  qui,  ensuite  aperçus  et  compris  par 
un  être  bon,  sont  devenus  des  guides  pour  leur  époque  ? 

Souvent,  en  contemplant  une  de  ces  montagnes  de  marbre,  je 
sculptais,  par  la  pensée,  la  statue  de  VBumanité.  Sa  tête  dans  le 
ciel  aurait  les  étoiles  pour  couronne,  et  cette  tête  se  reposerait 
sur  une  harpe  tenue  par  la  main  gauche  du  personnage.  Les 
quatre  Parties  du  monde,  représentées  par  des  enfants,  seraient 
sur  son  vaste  giron  ;  l'Afrique  et  l'Amérique  apparaîtraient  encore 
suspendues  à  ses  mamelles,  tandis  que  l'Asie  et  l'Europe  essaie- 
raient d'atteindre  aux  cordes  de  la  harpe  avec  leurs  faibles  mains; 
la  dernière  tiendrait  un  livre  dans  sa  main  droite.  La  grande  figure 
de  l'Humanité  aurait  pour  attribut  la  plume  qui  lui  sert  à  écrire 
le  code  de  l'émancipation.  Les  pieds  de  l'Humanité  toucheraient 
à  la  terre.  L'eau  serait  représentée  par  les  torrents  qui  arrosent 
les  montagnes  ;  le  feu  par  les  forges  qui  brûlent  continuellement 
pour  façonner  le  fer  qu'on  en  extrait;  les  nuages  voileraient  sa 
noble  tête  et  seraient  le  symbole  des  vicissitudes  humaines. 

Nous  partons  pour  Bordeaux,  et  si  rien  ne  dérange  nos  projets 
nous  passerons  par  Angers.  Toutes  les  nobles  et  grandes  inspira- 
tions recueillies  aumiheude  cette  admirable  nature  ont  besoin 
d'être  scellées  par  les  précieuses  effusions  du  cœur.  Il  me  tarde 
d'être  assis  dans  une  certaine  salle  de  la  rue  Saint-Laud,  auprès 
de  bons  amis.  Ainsi,  vers  une  quinzaine,  nous  espérons  être  parmi 
vous. 

En  attendant  le  plaisir  de  vous  serrer  dans  nos  bras,  nous  vous 
souhaitons  une  bonne  santé  à  tous  et  nous  vous  prions,  Emilie 
et  moi,  de  croire  à  notre  inaltérable  amitié. 

Tout  à  toi  de  cœur,  David. 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  131 

Je  suis  tellement  pressé  que  je  ne  relis  pas  ma  lettre.  Je  ne 
sais  ce  que  tu  penseras  de  ce  barbouillage  peut-être  incohérent. 

Collection  Pavie.  — Nous  avons  relevé  sur  les  carnets  du  maître  une 
page  relative  aux  carrières  de  Louvie,  publiée  par  nous,  dans  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  II,  pp.  341-342.  Cette  page  date  de  1836.  Deux  ans  plus  tard,  au 
même  lieu,  David  éprouve  les  sensations  qui  l'avaient  agité  une  première 
fois  et  il  fait  Victor  Pavie  le  confident  de  ses  pensées  sur  le  marbre  sta- 
tuaire. L'inauguration  de  la  statue  de  Riquet,  à  Béziers,  avait  eu  lieu  le 
21  octobre  1838.  Le  médaillon  de  Bouchotte  porte  le  millésime  de  1838. 
{Musées  d'Angers,  p.  167.) 


GXXXVII 


Lady  Morgan  à  David. 

L'écrivain  irlandais  fixé  à  Londres.  —  Son  buste  sculpté  par  David.  —  Un 
portrait  de  lady  Morgan,  par  sa  nièce.  —  Demi-cécité.  —  Les  Voyages 
d'Alexandre  Dumas. 

London,  10  décembre  1838. 
Williems  Street,  Belgrave  square. 

Mon  cher  Monsieur  David, 

Vous  croyez  peut-être  que  je  suis  femme  à  oublier  un  des  plus 
aimables  hommes,  et  le  plus  illustre  artiste  de  la  France!  Ne 
vous  flattez  pas!  Vous  ne  serez  jamais  quitte  de  ma  reconnais- 
sance et  comptez  que,  quelque  beau  jour,  quand  vous  m'atten- 
drez le  moins,  vous  me  trouverez  à  votre  côté  vous  renouvelant 
mes  remerciements  pour  le  bel  ouvrage  par  lequel  vous  avez 
bien  voulu  me  recommander  à  la  postérité.  Voilà  votre  buste  en 
("ace  de  la  table  d'où  je  vous  adresse  ce  petit  billet. 

J'ai  quitté  l'Irlande  à  tout  jamais!  Le  buste  a  été  mon  compa- 
gnon de  voyage,  comme  il  est  la  gloire  de  ma  maison  à  Londres. 
Venez  voir  les  hommages  offerts  à  votre  génie  par  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  distingué  en  fait  de  goût,  dans  cette  vaste  capitale  du 
monde  entier!  En  attendant,  acceptez,  je  vous  prie,  un  portrait 
fait  d'aprrsle  même  modèle  que  vous  avez  tant  embelli.  C'est 
seulement  donné  en  étrennespour  me  rappeler  à  votre  souvenir; 
c'est  fait  par  une  de  mes  chères  nièces  (sœur  cadette  de  la  petite 
Sidney  qui,  depuis  que  vous  l'avez  vue,  a  été  l'épouse  la  plus 
heureuse,  comme  elle  est  maintenant  la  veuve   la  plus  désolée  : 


152  DAVID   D'ANGERS 

voilà,  hélas!  la  vie).  Veuillez  bien  présenter  mes  compliments 
très  distingués  à  Madame  votre  épouse,  dont  je  désire  beaucoup 
faire  la  connaissance,  et  croire  pour  vous,  mon  cher  Monsieur 
David,  tout  ce  que  l'estime  et  l'admiration  peut  dicter. 

Sydney  Morgan. 

P.  S. — Sir  Charles  se  porte  à  merveille  et  me  charge  de  toutes 
sortes  d'amitiés  de  sa  part.  Je  suis,  moi,  très  bien  portante  aussi, 
mais  devenue  si  aveugle  que  j'ai  de  la  peine  à  tracer  ce  griffon- 
nage, et  je  crains  que  ma  petite  gloriole  d'auteur  soit  éclipsée 
pour  toujours.  De  la  sorte  vos  journaux  n'auront  plus  d'occasion 
de  m'attaquer  comme  ils  l'ont  si  souvent  fait,  surtout  à  l'occasion 
de  mon  dernier  ouvrage  sur  la  France.  Cependant,  j'ai  toujours 
aimé  la  France,  et  j'ai  toujours  dit  la  vérité,  ou  ce  que  j'ai  cru 
l'être. 

Je  ne  vois  plus  ce  que  j'écris  !  Rappelez-moi  à  Alexandre 
Dumas;  je  viens  en  ce  moment  de  lire  ses  jolis  Voyages. 

Collection  Henry  Jouin.  —  Sir  Charles,  désigné  ici  par  son  seul  prénom,  est 
le  mari  de  l'écrivain,  sir  Charles  Morgan,  médecin  et  littérateur,  qui  avait 
épousé  miss  Sidney  Owenson,  en  1811. 


1839 

GXXXVIII 
David  à  Victor  Pavîe. 

Les  joies  du  foyer.  —  La  statue  de  Barra.  —  Le  Salon  de  1839.  —  Bustes 
d'Arago,  de  Lamennais,  de  Destutt  de  Tracy,  de  l'abbé  Grégoire  et  de 
M"«  Mars. 

Paris,  5  février  1839. 

Mon  cher  Victor, 
Je  n'ai  que  quelques  minutes  pour  t'écrire  par  cette  occasion 
qui  se  présente-,  et  j'en  profite  pour  te  dire  combien  nous  som- 
mes heureux,  Emilie  et  moi,  d'avoir  appris  que  M""^  Pavie  était 
heureusement  accouchée  d'un  garçon.  Voici,  mon  cher  ami,  un 
bien  puissant  motif  de  bonheur  et  de  consolation  pour  vous  deux. 
Avec  le  monde  intérieur  que  l'on  se  crée  en  famille,  on  peut  aisé- 
ment se  passer  du  monde  extérieur,  et  cela  est  une  grâce  bien 
généreuse  du  ciel.  Pour  moi,  qui  ai  déjà  une  longue  expérience 


ET   SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  153 

delà  vie,  il  n'y  a  pas  de  jour  que  je  ne  rende  grâce  au  ciel  de 
m'avoir  si  heureusement  favorisé  sous  ce  rapport. 

Je  travaille  avec  la  plus  grande  ardeur  pour  le  Salon  prochain. 
Le  petit  Tambour  est  totalement  terminé,  et  j'espère  pouvoir  en- 
voyer à  l'exposition  les  bustes  en  marbre  d'Arago,  de  Lamennais, 
de  Tracy,  de  Grégoire  et  de  M""  Mars. 

Dis  bien  des  choses  affectueuses  de  la  part  d'Emilie  et  de  la 
mienne  à  ton  père,  et  présente  mes  respectueux  hommages  à 
M"*  Pavie.  Emilie  me  charge  de  la  rappeler  à  son  bon  et  aimable 
souvenir. 

Ton  bien  dévoué  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  La  statue  en  marbre  du  Jeune  Barra  porte  le  millé- 
sime de  1838.  Le  buste  en  terre  cuite  de  Lamennais  date  de  1837;  le 
marbre  est  de  1839.  Le  buste  de  Destult  de  Tracy  fut  également  modelé 
en  1837  et  traduit  en  marbre  en  1839.  Celui  de  l'abbé  Grégoii'e,  objet  de 
nombreuses  répliques,  est  daté  de  1828.  Celui  de  M"«  Mars  avait  été  modelé 
en  1823.  Le  marbre  ne  fut  exécuté  qu'en  1839.  David  se  tint  parole  :  les 
divers  ouvrages  dont  nous  venons  de  parler,  ainsi  que  le  buste  d'Arago, 
furent  exposés  au  Salonde  1839.  (Musées cV Angers,  ^-p.  108,123, 126-127,  164.) 


GXXXIX 

Sainte-Beuve  à  David. 

Le  buste  d'André  Chénier. 

Ce  samedi  2  mars  (1839?). 

Mon  cher  David, 

Voici  un  André  Chénier.  J'ai  noté  au  tome  II,  p.  94,  quelques 
vers  qui  me  semblent  résumer  toute  sa  vie  :  vous  les  trouverez 
encadrés  au  crayon.  J'irai  d'ailleurs  en  causer  avec  vous  un  jour 
du  commencement  de  la  semaine  prochaine,  et  voir  le  nouveau 
demi-dieu  naissant.  Théodore  en  est  enchanté. 

A  vous  de  cœur, 

Sainte-Beuve. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  buste  d'André  Chénier,  sculpté  par  le 
maître,  porte  la  date  de  1839.  David  avait  sans  doute  conçu  le  projet  de  graver 
sur  le  socle  quelques  vers  du  poète  ayant  un  caractère  aulobiograpiiique. 


134  DAVID  D'ANGERS 

(Musées  d'Angers,  p.  171.  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  164,  380,381.)  Le 
passage  visé  par  Sainte-Beuve  dans  l'édition  Renduel  (1833,  2  vol.  in-S"), 
€st  tiré  de  la  XVI"  Elégie.  Il  comporte  les  neuf  vers  qui  suivent  : 

Qui  ne  sait  être  pauvre  est  né  pour  l'esclavage. 

Qu'il  serve  donc  les  grands,  les  flatte,  les  ménage^ 

Qu'il  plie,  en  approchant  de  ces  superbes  fronts, 

Sa  tête  à  la  prière,  et  son  âme  aux  affronts, 

Pour  qu'il  puisse,  enrichi  de  ces  affronts  utiles, 

Enrichir  à  son  tour  quelques  têtes  serviles. 

Une  pauvreté  libre  est  un  trésor  si  doux  ! 

Il  est  si  doux,  si  beau,  de  s'être  fait  soi-même, 

De  devoir  tout  à  soi,  tout  aux  beaux-arts  qu'on  aime! 


GXL 
David  à  Rauch. 

Une  lettre  d'introduction.  —  VÉtude  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  David 
par  Adrien  Maillard.  —  Ilumboldt.  —  Schinkel. 

Paris,  12  avril  1839. 

Mon  cher  et  honorable  ami, 

Un  des  hommes  pour  lequel  j'ai  la  plus  haute  estime,  M.  Via- 
lard,  banquier  à  Montpellier,  va  voyager  dans  votre  pays.  11  a  le 
plus  vif  enthousiasme  pour  tout  ce  qui  est  beau  et  noble  dans  les 
productions  du  génie.  C'est  pour  cette  raison  que  je  lui  donne 
cette  lettre  d'introduction  auprès  de  vous  afin  qu'il  puisse  admi- 
rer vos  ouvrages.  Admettez-le  donc  au  milieu  de  vos  chefs- 
d'œuvre,  et  vous  verrez  qu'il  a  une  âme  faite  pour  les  com- 
prendre et  les  apprécier. 

Je  suis  heureux  aussi  de  pouvoir  profiter  de  cette  occasion  pour 
me  rappeler  à  votre  bon  et  cher  souvenir  et  vous  dire  que  vous 
êtes  bien  souvent  le  motif  de  notre  conversation,  à  Emilie  et  à 
moi.  Combien  nous  désirons  vous  revoir  à  Berlin  !  Souvent  je 
me  suis  cru  à  la  veille  de  réaliser  ce  désir,  mais  l'impérieuse  né- 
cessité des  travaux  est  toujours  là  avec  son  inflexibilité,  et  force 
est  à  moi  de  me  soumettre. 

Quand  on  considère  l'art  comme  un  moyen  de  plaider  la 
grande  cause  de  l'humanité  (ce  rêve  de  toute  ma  vie),  on  se  sent 
le  besoin  de  travailler  afin  de  présenter  aux  hommes  quelques 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  lb5 

sujets  que  le  cœur  a  conçus,  car  les  artistes  ont,  ce  me  semble, 
une  bien  haute  mission  philosophique  à  accomplir. 

Je  prie  M.  Vialard  de  vouloir  bien  vous  remettre  une  petite 
brochure  qui  vient  de  paraître.  Cette  biographie  de  votre  ami, 
quoique  écrite  avec  trop  de  bienveillance  en  ce  qui  touche  mes 
ouvrages,  est  juste  cependant  sous  le  rapport  des  idées  pohtiques 
qui  ont  toujours  été  le  mobile  de  ma  vie  d'artiste. 

Depuis  longtems  je  m'étais  procuré  votre  biographie.  C'est 
une  chose  bien  agréable  d'être  initié  à  quelques  détails  de  la  vie 
privée  d'un  homme  que  l'on  aime. 

Je  suis  toujours  très  heureux  d'apprendre  des  nouvelles  de 
votre  santé  et  d'entendre  parler  des  beaux  ouvrages  qui  sortent 
de  votre  ciseau.  Continuez  toujours  avec  le  même  succès,  mon 
ami,  et  croyez  à  tous  mes  sentiments  de  profonde  estime  et  d'a- 
mitié de  cœur, 

David. 

Veuillez  me  rappeler  au  souvenir  bienveillant  de  M.  de  Hum- 
boldt,  et  ne  m'oubliez  pas  non  plus  ainsi  qu'Emilie  auprès  de 
votre  ami  Schinkel  et  de  sa  famille. 

Collection  Eggers,  à  Berlin. 


CXLI 


David  à  Pavie  père. 

Victor  Pavie.  — Que  l'aclivitù  intellecLuL-lle  exige  le  séjour  de  Paris. 

Paris,  4  mai   1839. 

Mon  cher  ami, 

Après  un  trop  court  séjour  ici,  voilà  déjà  notre  cher  Victor  qui 
nous  quitte.  Je  ne  puis  me  taire  sur  le  vif  regret  que  j'éprouve 
de  voir  sa  haute  et  noble  intelligence  toujours  éloignée  d'un 
centre  d'émulation  où  il  serait  si  bien  fait  pour  tenir  une  place 
extrêmement  convenable,  avec  un  génie  si  éminent  et  une  âme 
si  pure  ! 

Que  de  beaux  et  nobles  ouvrages  seraient  légués  au  monde! 
Assez  d'àmes  souillées  par  les  errements  vicieux  de  notre  pauvre 


156  DAVID  D'ANGERS 

société  l'infectent  de  leurs  productions,  pour  qu'on  se  sente  pé- 
nétré d'un  profond  sentiment  d'amertume  en  voyant  un  sem- 
blable esprit  aller  lutter  contre  les  irritantes  et  paralysantes  in- 
fluences de  la  province.  Pourquoi  n'a-t-il  pas  été  compris?  Pour- 
quoi ce  jeune  arbre  est-il  obligé  de  végéter  sur  un  terrain  si  in- 
grat ?  Dieu  le  sait.  Ce  qui  est  de  toute  évidence  pour  moi,  c'est  qu'il 
y  a  dans  ce  noble  cœur  et  dans  cette  belle  âme  si  ardente  tout  un 
avenir  de  grandes  œuvres  littéraires,  et  que  cet  homme  n'est  pas 
à  la  place  que  la  nature  lui  avait  assignée. 

Enfin,  mon  ami,  il  va  te  revoir,  ce  qui  est  pour  lui  un  bien 
grand  bonheur,  car  il  comprend  toute  la  tendre  sollicitude  de 
ton  affection  à  son  égard,  et  s'il  ne  peut  se  livrer  entièrement  aux 
impulsions  de  son  talent,  du  moins  sous  le  rapport  désaffections 
du  cœur  il  n'a  rien  à  désirer. 

Adieu,  cher  ami,  crois  toujours  aux  sentiments  d'affection  et 
d'entier  dévouement  que  nous  te  gardons  Emilie  et  moi. 

A  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. 


CXLII 


David  à  Victor  Pavie. 

Le  statuaire  Leysener.  —  Une  existence  d'artiste  à  reconstituer. 

Paris,  5  juillet   1839. 

Mon  cher  Victor, 

J'ai  reçu  avec  le  plus  vif  intérêt  ta  bonne  lettre  par  laquelle  tu 
m'apprends  que  la  santé  des  êtres  qui  te  sont  chers  est  bonne. 
C'est  déjà  une  chose  bien  importante  que  le  calme  heureux  du 
cœur,  surtout  pour  un  homme  qui,  comme  toi,  ne  vit  que  de 
cette  vie-là. 

Eh  bien,  es-tu  parvenu  à  trouver  des  renseignements  satisfai- 
sants sur  Leysener?  Je  suis  vraiment  émerveillé  quand  je  pense 
qu'un  artiste  aussi  distingué  est  venu  vivre  au  milieu  de  nous, 
surtout  à  une  époque  oi^i  le  goût  des  arts  ne  devait  pas  être  très 
répandu.  Quelles  ont  dû  être  les  circonstances  qui  ont  forcé  cette 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  157 

étoile  à  venir  répandre  la  lumière  dans  un  coin  aussi  obscur?  Il 
doit  y  avoir  derrière  ceci  quelques-unes  de  ces  dévorantes  crises 
qui  compriment  trop  souvent  la  vie  de  l'artiste. 

Tous  les  ouvrages  de  cet  homme  ont  disparu.  Il  ne  reste  que 
la  face  sublime  d'un  Christ.  Elle  seule  le  révèle  à  notre  admira- 
tion, et  son  nom  est  resté  seulement  dans  le  souvenir  d'un  anti- 
quaire et  de  nous  deux  à  peu  près.  Il  faut,  mon  ami,  l'emparer 
de  ce  souvenir  pour  que  ton  génie  lui  donne  une  forme.  Il  faut 
remuer  cette  poussière  du  tombeau  pour  en  faire  sortir  quelque 
chose  de  grand  et  de  noble  comme  tout  ce  qui  s'échappe  de  ton 
àme. 

Adieu,  cher  ami,  courage  et  persévérance,  et  souviens-toi 
quelquefois  de  ton  tout  dévoué  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Le  sculpteur  Jean-Sébastien  Leysener,  né  en  1728 
dans  la  principauté  de  Wurtzbourg,  s'est  fixé  vei's  1760  à  Angers,  où  il  est 
mort  en  1781.  Son  œuvre  la  plus  connue  est  une  Tête  de  Christ  provenant 
de  l'abbaye  Saint- Aubin  d'Angers.  Victor  Pavie  a  consacré  à  cette  sculpture 
des  pages  d'une  pénétrante  élévation  (1846).  De  son  côté,  Davida  modelé, 
vers  la  même  époque,  le  profil  du  sculpteur  allemand.  (Musées  d'Angers, 
p.  194.) 


GXLIII 
Alfred  de  Vigny  à  David. 

A  la  recherche  de  l'adresse  de  Miçkiewicz. 

Paris,  21  juillet  1839. 

J'ai  besoin  de  savoir  l'adresse  de  M.  Miçkiev^^icz,  mon  cher 
David;  voulez-vous  me  l'écrire?  Est-il  encore  à  Saint-Germain? 
On  m'a  dit  à  Londres  qu'il  avait  éprouvé  des  peines  nouvelles. 
Ne  serait-il  pas  content  de  revoir  un  de  ses  anciens  amis  et  d'en- 
tendre parler  de  ceux  qu'il  a  en  Angleterre  ? 
Tout  à  vous  mille  fois, 

Alfred  de  Vigny, 
6,  rue  des  Eciuies-d'Arlois. 
Collection  David  d'Angers. 


138  DAYID   D'ANGERS 


CXLIV 

David,  à  Victor  Pavie. 

M.  Lenepveu.  —  La  statue  d'Ambroise  Paré.  —  Les  monuments  de  Gobert 
et  de    Gutenberg. 

Paris,  4  août  1839. 

Mon  cher  Victor, 

Je  ne  veux  pas  laisser  partir  le  jeune  Lenepveu  sans  lui 
donner  ce  petit  mot  de  souvenir  pour  toi. 

11  y  a  une  sentence  antique,  je  crois,  qui  conseille  de  ne  pas 
laisser  croître  l'herbe  devant  la  porte  de  ses  amis. 

Je  travaille  beaucoup  pour  terminer  tous  les  ouvrages  dont 
les  modèles  sont  en  train  dans  mon  atelier.  Sous  peu  je  vais  hvrer 
au  fondeur  le  modèle  de  la  statue  d'Ambroise  Paré.  Bientôt  aussi 
les  bas-reliefs  du  monument  de  Gobert  seront  terminés. 

Gutenberg  est  fondu  en  bronze,  et  je  m'occupe  des  bas- 
reliefs  qui  doivent  décorer  le  piédestal.  Les  journées,  quoique 
longues  actuellement,  me  paraissent  trop  courtes.  Le  travail  est 
un  grand  bienfait,  car  il  nous  fait  oubher  ou  ne  pas  voir  bien 
des  vilenies. 

Adieu,  cher  ami,  pense  à  celui  qui  est  de  tout  cœur  à  toi, 

David  . 

Collection  Pavie.  —  La  statue  d'Ambroise  Paré  a  été  érigée  à  Laval,  le 
29  juillet  1840.  Le  modèle  porte  le  millésime  de  1839.  Quatre  bas-reliefs 
décorent  les  faces  du  piédestal  du  monument  de  Gobert  au  cimetière  du 
Père-Lachaise.  Pareil  nombre  de  bas-reliefs  entourent  le  monument  de 
Gutenberg  à  Strasbourg.  {Musées  d'Angers,  pp.  109,  110, 116.) 


GXLY 


David  à  un  publiciste. 

De  la  nécessité  d'un  palais  consacré  aux  expositions. 

Paiis,  10  novembre  1839. 

Monsieur, 
L'exposition  de  tableaux  qui  va  avoir  lieu  au  Louvre   aura 


ET   SES  RELATIONS  LITTERAIRES  159 

pour  inconvénient  de  couvrir  de  charpente  et  de  toile  pendant 
six  mois  les  chefs-d'œuvre  des  grands  maîtres.  Pendant  ce  temps 
ils  seront  enlevés  aux  études  des  artistes,  à  la  curiosité  des  étran- 
gers, et  non  seulement  ces  précieuses  créations  seront  privées 
d'air,  mais  exposées  à  être  crevées  et  détériorées  par  la  maladresse 
des  ouvriers...  Pourquoi  le  Gouvernement  ne  fait-il  pas  con- 
struire un  monument  spécial  plutôt  que  de  dépenser  annuelle- 
ment des  sommes  considérables  en  baraques  provisoires? 

Cette  lettre  a  passé  en  vente  le  20  avril  1825.  —  A  l'époque  où  l'auto- 
graphe de  David  était  mis  aux  enchères,  le  palais  qu'il  avait  souhaité  de 
voir  construit  s'élevait  aux  Champs-Elysées  et  les  Salons  annuels  avaient 
pour  jamais  déserté  le  Musée  du  Louvre. 


GXLVI 
David  à  Lamennais. 

Offre  du  buste  de  l'écrivain, 

Paris,  14  novembre  183D. 

A  vous  le  plus  grand  écrivain  de  notre  époque,  à  vous  sublime 
et  constant  apôtre  de  la  sainte  liberté,  à  vous  ange  consolateur 
des  pauvres  nations  qui  languissent  depuis  tant  de  siècles  sous 
le  sceptre  de  for  des  rois,  j'offre  cette  faible  image,  ce  marbre  que 
j'ai  tâché  d'assouplir  avec  mon  cœur.  Recevez-le  avec  indul- 
gence. S'il  n'est  pas  aussi  digne  de  vous  que  je  l'aurais  désiré,  cette 
lacune  ne  peut  être  attribuée  qu'à  l'insulfisance  démon  talent,  car 
je  vous  admire  de  toutes  les  forces  de  mon  âme,  et  je  vous  aime 
du  plus  profond  de  mon  cœur. 

Vous  le  recevrez,  n'est-ce  pas,  comme  un  faible,  mais  sincère 
hommage  !  C'est  le  fragment  de  la  statue  que  la  postérité  recon- 
naissante vous  élèvera  un  jour. 

Votre  tout  dévoué  et  respectueux  serviteur, 

DAvm  d'Angers. 

Collection  David  d'Angers.  —  Nous  avons  trouvé  dans  les  papiers  du 
maître  ce  premier  jet  de  la  lettre  du  statuaire  à  Lamennais.  L'autographe 
adressé  à  l'écrivain  a  passé  en  vente  en  1887,  avec  la  collection  Deutu.  11  se 
trouve  reproduit  au  tome  II  du  catalogue  de  ce  cabinet. 


160  DAVID   D'ANGERS 

CXLVII 
Lamennais  à  David. 

Réception  du  buste.  —  La  cause  de  la  liberté. 

Paris,  16  novembre   1839. 

Vous  n'êtes  pas  seulement  un  grand  artiste,  mon  cher  David, 
vous  êtes  encore  un  grand  citoyen  ;  jugez  donc  combien  m'est 
précieuse  l'estime  que  vous  accordez  à  mes  foibles  travaux  !  Je 
ne  partage  point  l'illusion  de  votre  amitié  sur  leur  impor- 
tance, mais  je  crois  mériter  l'opinion  que  vous  avez  de  moi,  quand 
vous  comptez  sur  mon  dévouement  profond,  inaltérable  à  la 
cause  du  peuple  et  de  la  liberté.  Jusqu'au  dernier  moment,  je 
combattrai  pour  elle,  plein  de  foi  dans  l'avenir  que  Dieu  pré- 
pare au  monde.  Vous  avez  voulu  que  les  traits  du  vieux  soldat 
ne  restassent  point  inconnus  à  ceux  qui  continueront  la  guerre 
sainte,  et  en  les  reproduisant  sur  le  marbre,  votre  génie  leur  a 
donné  une  magnifique  immortalité.  D'autres  vous  ont  exprimé 
déjà  leur  admiration  pour  votre  œuvre  ;  il  m'est  doux  d'y  join- 
dre les  remerciements  du  cœur.  Veuillez,  mon  cher  David,  les 
agréer,  avecl'assurance  de  ma  fraternelle  affection. 

F.  Lamennais. 

Collection  David  d'Angers. 


1840 

CXLVIII 

David  à  Victor  Pavie, 

L'hiver  à  Paris.  —  David  acquiert  une  maison  dans  le  Midi.  —  Projet    de 
reconstitution  du  tombeau  de  René  d'Anjou  dans  la  cathédrale  d'Angers. 

Paris,  2  janvier  1840. 

Mon  cher  Victor, 
J'ai  passé  bien  des  jours,  accablé  sous  le  poids  de  grandes 
souffrances  et  de  bien  tristes  pensées,  depuis  qu'une  malheureuse 
imprudence  m'a  occasionné  une  fluxion  de  poitrine,  mais  actuel- 


ET  SES   RELATIONS  LITTERAIRES  161 

lement  je  suis  en  pleine  convalescence,  et  tout  me  porte  à 
croire  que  je  pourrai  encore  tenir  ma  petite  place  parmi  les 
vivants. 

Les  hivers  me  sont  funestes  à  Paris.  Le  froid  est  contraire  à 
mon  tempérament.  Il  me  faut  du  soleil.  Je  ne  puis  m'arran- 
ger  de  la  vie  aquatique  de  la  capitale.  La  boue  physique  et  mo- 
rale de  cette  ville  me  fait  horreur.  J'étouffe  ici  ;  un  ciel  pur, 
l'immensité,  des  montagnes  et  la  mer;  voir  les  hommes  de  loin, 
en  passant,  comme  les  aperçoit  un  voyageur,  voilà  ce  que  je 
désire  ardemment. 

Mon  médecin  m'engage  fortement  à  aller  passer  les  hivers 
dans  le  midi  de  la  France.  C'est  ce  que  je  ferai  l'hiver  prochain, 
et  c  est  pour  cela  que  je  viens  d'acquérir  une  petite  maison,  sin- 
gulièrement située,  à  la  vérité.  Elle  est  sur  une  montagne  qui,  à 
une  époque  reculée,  renfermait  un  volcan  dans  son  sein.  D'un 
côté,  on  a  la  vue  de  la  mer,  et  de  l'autre,  celle  des  montagnes 
des  Gévennes. 

Nous  avons  l'intention  de  vendre  notre  maison  de  Ghavagnes. 

Quelques  jours  avant  ma  maladie,  j'avais  reçu  une  lettre  de 
M.  de  Beauregard,  président  de  la  Société  d'Agriculture.  Il  me 
disait  que  les  fonds  souscrits  pour  le  monument  du  roi  René 
s'élevaient  à  la  somme  de  2,S00  francs.  Il  me  demandait  en  outre 
s'il  ne  me  serait  pas  possible  de  sculpter  les  deux  figures  pour 
ce  prix,  ajoutant  que  le  Gouvernement,  par  l'intermédiaire  du 
Préfet,  fournirait  le  marbre,  et  qu'à  la  rigueur  on  pourrait  ne 
faire  que  la  seule  statue  du  roi  René.  A  cela,  je  répondrai  :  qu'il 
ne  faut  pas  croire  que  le  marbre  donné  par  le  Gouvernement  soit 
d'un  grand  secours,  car  pour  deux  figures  couchées,  il  n'est  pas 
besoin  d'un  bloc  considérable,  et  qu'ensuite  le  Gouvernement  n'a 
plus  de  marbre  dans  ses  magasins.  Les  sculpteurs  qu'il  emploie 
sont  actuellement  obligés  d'en  faire  venir  à  leurs  frais.  Geci  est 
un  fait.  De  plus,  pour  ce  qui  me  regarde,  c'est-à-dire  la  sculpture 
des  statues,  quand  j'avais  demandé  huit  mille  francs,  ce  n'était 
certainement  pas  suffisant  pour  couvrir  mes  frais  de  moulage,  de 
praticien,  de  charpentiers,  le  mouvement  des  blocs,  etc.,  etc., 
toutes  choses  qu'il  est  difficile  d'expliquer  et  que  tu  connais  bien, 
toi  qui  as  suivi  mes  travaux.  Enfin, quoique  je  sois  très  heureux 
de  donner  mon  temps  à  raescompatriotes,  cependant  je  voudrais 

11 


162  DAVID  D'ANGERS 

au  moins  retirer  l'argent  que  je  suis  obligé  de  débourser  pour  les 
ouvriers  qui  travaillent  à  mes  ouvrages. 

A  1  égard  de  la  suppression  de  la  figure  de  femme,,  il  ne  faut 
pas  y  penser;  cela  serait  trop  mesquin.  Il  y  a  lieu  de  restituer 
le  monument  tel  qu'il  était  avant  sa  destruction. 

Tu  m'obligeras  en  voulant  bien  causer  de  cela  avec  M.  deBeau- 
regard,  et  lui  dire  le  motif  qui  m'a  empêché  de  répondre  à  sa 
lettre  comme  je  l'aurais  désiré. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  David  ne  conserva  que  quelques  années  l'habitation 
qu'il  avait  acquise  dans  le  Midi.  Chavagnes  est  une  localité  du  dépar- 
tement de  Maine-et-Loire,  canton  de  Thouarcé.  Le  projet  de  reconstituer 
le  tombeau  de  René  d'Anjou  dans  la  cathédrale  d'Angers  ne  se  réalisa  pas. 


GXLIX 
David  à  Lamartine. 

Offre  d'une  esquisse  de  la  statue  de  Gutenberg. 

Paris,  6  février  1840. 

Mon  cher  collègue, 

Veuillez  accepter  une  esquisse  de  la  statue  de  Gutenberg  que 
j'ai  le  plaisir  de  vous  offrir. 

Ce  monument  auquel  vous  prêtez  votre  puissant  appui  s'élèvera 
bientôt  sur  une  des  places  de  Strasbourg.  La  mémoire  du  grand 
imprimeur  recevra  un  nouvel  éclat  par  les  nobles  accents  que 
crée  votre  sublime  génie.  Soyez  bien  persuadé  que  tous  ceux 
qui  révèrent  Gutenberg,  pour  avoir,  par  sa  sublime  découverte, 
hâté  l'émancipation  du  genre  humain,  vous  conserveront  dans 
leur  cœur  une  large  part  de  reconnaissance. 

Je  serais  allé  vous  porter  moi-même,  mon  cher  collègue,  cette 
petite  esquisse,  si  je  n'étais  encore  forcé  aux  plus  grands  ména- 
gements pour  achever  la  parfaite  convalescence  d'une  maladie 
extrêmement  grave  dont  j'ai  été  atteint  il  y  a  près  de  trois  mois. 

Agréez,  je  vous  prie,  mon  cher  collègue,  l'assurance  de  ma 
parlaite  considération  et  de  mon  entier  dévouement  de  cœur. 

DAvm. 

Collection  Lamartine. 


ET   SES   RELATIONS  LITTERAIRES  163 

CL 
Pariset  à  David. 

Le  médaillon  de  Pariset. 

Paris,  7  février  1840. 

Tout  aux  ordres  du  sublime  ciseau.  Je  suppose  que  jedoisme 
rendre  dans  son  atelier.  Mais  où? 
Les  jeudis,  et  les  samedis,  surtout,  de  midi  à  cinq  heures. 
Qu'il  dispose,  et  parle.  J'obéis. 

Mes  respects  à  ses  pieds, 

E.  Pariset. 

Collection  David  d'Angers.  —  Etienne  Pariset,  membre  de  l'Académie  des 
sciences  morales  et  Secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  de  médecine,  écri- 
vain fertile  et  délié,  vécut  dans  une  grande  intimité  avec  David,  qui  mo- 
dela son  médaillon  en  1840.  Ce  billet  est  la  réponse  du  médecin  à  l'appel 
du  statuaire. 


CLI 

Pariset  à,  David. 

Une  séance  ajournée. 

Paris,  13  février  1840. 

Aurez-vous  pitié  demoi?  Me  pardonnerez-vous  ce  qui  m'ar- 
rive?  Je  rentre  de  la  Salpêlrière,  et  je  rencontre  besogne  sur  beso- 
gne! Pelion  sur  Ossa.  Souffrez  que  ce  soit  jeudi  prochain  de  2  à 
3  heures,  et  pardon,  et  pardon.  J'ai  honte  de  moi  et  je  vous  sup- 
plie de  me  conserver  toujours  la  même  bienveillance. 

A  vous,  avec  respect  et  gratitude, 

E.  Pariset. 

Collection  David  d!Anyers. 


164  DAVID   D  ANGERS 


GLU 

David  à,  Victor  Pavie. 

Une  lecture  chez  Lamennais. 

Paris,  9  mars  1840. 

Mon  cher  Victor, 

Aujourd'hui,  j'ai  passé  plusieurs  heures  auprès  de  M.  de  La- 
mennais ;  il  m'a  lu  des  fragments  de  son  grand  ouvrage  de  philo- 
sophie qui,  j'espère,  sera  bientôt  hvré  à  l'impression.  Le  chapitre 
sur  la  philosophie  de  l'art  chez  tous  les  peuples  et  les  phases 
qu'il  a  traversées  à  différentes  époques  est  vraiment  sublime. 
Quelle  poésie  !  Quelle  profondeur  de  pensées  unies  à  un  style  si 
pur  et  si  animé!  J'ai  senti  un  bien  vif  bonheur  d'être  initié  à 
cette  source  si  précieuse  qui  doit  bientôt  se  répandre  dans  le 
monde  intellectuel  comme  un  océan  de  lumière.  Il  m'était  im- 
possible de  ne  pas  être  profondément  ému  en  recueillant  de  si 
hautes  pensées  émanant  de  l'homme  sublime  que  j'avais  devant 
moi.  Cet  homme  si  bon,  si  noble,  si  plein  de  tendre  affection 
pour  la  pauvre  et  trop  souvent  ingrate  espèce  humaine,  cet 
apôtre  de  la  vérité,  ce  philosophe  compatissant  de  l'avenir,  vit 
au  milieu  des  privations  de  tout  genre,  car  le  peu  qu'il  a,  il  le 
partage  avec  les  aflligés  ;  cet  homme  auquel  l'avenir  élèvera  des 
statues  occupe  pour  le  présent  un  petit  appartement  sous  le  toit. 
La  maison  qu'il  habite  donne  sur  le  boulevard,  au  coin  de  la 
rue  de  la  Michodière.  L'irniombrable  quantité  de  voitures  qui 
roulent  sur  le  boulevard  font  continuellement  trembler  la  maison, 
et  lorsque  la  tête  du  grand  écrivain  s'illuminait  enlisant,  je  pen- 
sais à  Moïse  sur  le  mont  Sinaï,  ébranlé  par  le  tonnerre  qui  gron- 
dait à  ses  pieds.  Ah!  certainement,  cet  homme  qui  porte  l'univers 
en  volcan  dans  son  cerveau  devait  aussi  habiter  prôs  du  ciel  ;  il 
convenait  qu'il  vit  sans  cesse  à  ses  pieds  des  myriades  d'êtres  qui 
paraissent  autant  de  fourmis  agitées,  ignorantes  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  dans  la  boue,  leur  cher  et  constant  élément.  Leur  vue 
troublée  ne  saurait  fixer  l'astre  qui  brille  au  dessus  d'eux. 
M.  de  Lamennais  est  un  de  ces  astres  trop  rares  à  notre  époque 
qui  doit, en  jetant  une  vive  lumière  sur  elle,  l'empêcher  dêlre 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  165 

un  jour  complètement  ensevelie  dans  la  nuit  obscure  de  l'oubli. 
Dieu  envoie  à  la  terre,  même  dans  les  instants  les  plus  désespérés, 
de  ces  hommes  types,  phares  resplendissants,  qui  attestent  la 
présence  de  l'àme  divine  au-dessus  de  la  matière. 

Dans  la  petite  chambre  de  mon  illustre  ami,  j'ai  vu,  non  sans 
un  sentiment  profond  de  reconnaissance,  deux  de  mes  ouvra- 
ges :  son  buste  en  marbre,  que  je  lui  ai  donné,  et  le  dessin  repré- 
sentant le  Christ  assis  sur  le  iMonde  et  écrivant  avec  son  sang  ce 
code  éternel  de  l'humanité  :  Liberté,  Égalité,  Fraternité. 

En  sortant  de  chez  M.  de  Lamennais,  je  ne  pus  m'empêcher 
de  gémir  sur  l'ingratitude  et  la  cupide  méchanceté  des  hommes. 
Tous  ceux  qui  ont  voué  leur  génie  et  leur  existence  à  l'amélio- 
ration de  l'espèce  humaine  ont  été  malheureux  et  calomniés,  et 
la  haine  de  l'immense  quantité  d'hommes  qui  profitent  des  abus 
les  a  souvent  poursuivis  bien  au  delà  du  cercueil.  Peu  de  voix 
se  sont  élevées  pour  les  défendre.  Quelques  lignes  seulement  ar- 
rachées à  une  évidence  trop  puissante  sont  réservées  à  ces  bien- 
faiteurs de  l'humanité.  Mais  qu'une  tête  couronnée  bouleverse 
des  nations,  mette  l'Europe  à  feu  et  à  sang,  plonge  des  milliers  de 
familles  dans  le  deuil,  des  peuples  dans  l'esclavage^,  alors  des 
volumes  ne  suffisent  pas  même  pour  raconter  tous  ces  hauts 
faits  ! 

La  justice  n'est  donc  pas  possible  sur  cette  terre  ?  Sans  doute 
que  Dieu  a  voulu  la  réserver  pour  une  autre  vie,  car  si  l'homme 
trouvait  le  bonheur,  la  vérité,  dans  celle-ci,  il  prendrait  la  pré- 
face pour  le  livre,  livre  sublime  qu'il  lira  quand  il  aura  laissé 
sa  chaîne  matérielle  dans  le  cercueil. 

Emilie  et  moi,  nous  vous  souhaitons  à  tous  bonheur  et  santé. 

A  toi  de  cœur, 

David. 

Colleclion  Pavie.  —  Les  chapitres  lus  par  Lamennais  au  statuaire  ont 
pris  la  forme  d'un  volume  sous  le  titre  De  l'Art  pt  chi  Beau  (in-12),  après 
avoir  été  publiés  dans  le  tome  \\l  d.^  Y  Esquisse  d'une  pliUosophie.  [{^•à.v'i^, 
1841-184C,  4  vol.  in-8".) 


166  DAVID   D'ANGERS 


GLIII 


Le  baron  Petit  à  David. 

La  médaille  du  général. 

Paris,  17  mars  1840. 

Monsieur, 

Plusieurs  fois  je  me  suis  présenté  chez  vous  pour  vous  prier 
d'agréer  mes  sentiments  et  mes  bien  sincères  remerciements  de 
l'envoi  obligeant  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire.  Je  suis 
confus,  et  pénétré  de  la  plus  vive  reconnaissance.  Je  voudrais 
bien  trouver  des  expressions  qui  pussent  vous  exprimer  toute 
ma  gratitude.  Mais  cela  est  au-dessus  de  mon  pouvoir.  Vous  avez 
voulu,  Monsieur,  consacrer  quelques-uns  de  vos  moments  à  re- 
tracer les  traits  d'un  vieux  soldat  dont  tout  le  mérite  consiste 
aujourd'hui  dans  son  amour  de  la  Patrie,  comme  à  une  autre 
époque,  douloureusement  célèbre,  il  ne  fut  connu  que  par  son 
dévouement  au  héros  des  siècles  modernes.  Si  mon  nom,  Mon- 
sieur, peut  échapper  à  l'oubli,  je  le  devrai  à  votre  beau  talent 
comme  à  celui  de  M.  Horace  Vernet. 

Veuillez,  Monsieur,  agréer  les  sentiments'  de  haute  considéra- 
tion et  de  reconnaissance  avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être 
votre  très  humble  serviteur. 

Lieutenant-général ,  pair  de  France, 

Baron  Petit, 

Collection  David  d'Angers.  — •  On  se  souvient  de  l'honneur  fait  au  baron 
Petit  par  Napoléon  lors  des  adieux  de  Fontainebleau.  La  médaille  du  géné- 
ral fut  modelée  en  1840.  {Musées  d'Angers,  p.  178.) 


GLIV 
Pariset  à  David. 

Le  médecin  en  possession   de  sa  médaille. 

Paris,  ce  29  mars  1840, 

Million  de  grâces  pour  vous,  grand  Phidias!  Me  voilà  immor- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  167 

talisé  par  votre  beau  talent,  de  qui  vous  pouvez  dire  cere  peren- 
nius.  Mon  respect  pour  Madame  ;  mes  tendresses  pour  vous.Vous 
m'apprendriez  à  être  fier  de  moi  ;  maisje  ne  le  suis  et  ne  le  serai 
jamais  que  de  vos  bontés, 

E.  Pariset. 

Collection  David  d'Angers. 


CLV 

Victor  Cousin  à  David. 

Une  invitation.  — Hugo  et  Lamartine. 

Paris,  ...   avril  1840  {?). 

Cher  David, 

Ce  n'est  pas  le  Ministre  qui  vous  invite,  c'est  le  confrère,  c'est 
l'ami.  Que  l'ami  fasse  donc  un  effort  et  vienne  prendre  place 
entre  Hugo  et  Lamartine. 

A  jeudi. 

Tout  à  vous  de  cœur, 

V.  Cousin. 

Collection  David  d Angers.  —  Victor  Cousin  reçut  le  portefeuille  de  l'In- 
struction publique  le  1"  mars  1840  et  resta  ministre  jusqu'au  29  octobre  de 
la  même  année.  Ce  billet  donne  la  mesure  de  la  courtoisie  et  de  la  bienveil- 
lance du  ministre. 


GLVI 


David  à,  Victor  Pavie. 

L'inauguration  du  monument  de  Gutenberg.  —  L'abbé  Mongazon.  — 
Projet  de  nommer  David  officier  de  la  Légion  d'honneur. 

Paris,  n  mai  1840. 

Mon  cher  Victor, 
Je  ne   puis  penser  aux.  belles  fêtes  qui    vont  avoir  lieu    à 


168  DAVID  D'ANGERS 

Strasbourg  sans  désirer  de  tout  mon  cœur  que  tu  viennes  y 
participer.  Pense  au  bonheur  que  j'éprouverais  de  passer 
encore  quelques  jours  avec  toi  dans  cette  vieille  et  poétique 
ville.  Je  t'avoue  qu'il  m'est  impossible  de  renoncer  à  cet  espoir. 

Je  t'envoie  une  biographie  de  Gutenberg.  Ne  te  serait-il  pas 
possible  d'écrire  quelque  chose  sur  cet  homme  immense  qui  a 
rendu  un  si  éminent  service  au  genre  humain  ?  Ton  hommage 
serait  bien  reçu,  j'en  suis  siir,  par  la  Commission  du  monument, 
et  si  tu  venais  assister  à  cette  fête,  la  ville  d'Angers  serait  repré- 
sentée par  deux  de  ses  enfants  qui  ne  lui  sont  pas  les  moins 
dévoués. 

Je  m'occupe  avec  M  Moll  de  la  composition  du  monument  à  la 
mémoire  de  M.  Mongazon;  j'attends  que  mon  idée  soit  arrêtée 
sur  le  papier  pour  répondre  à  Mgi"  l'évêque. 

J'ai  été  très  heureux  de  constater  que  nous  avions  la  même 
pensée  quant  à  la  composition  du  bas-relief.  Mon  intention  est 
de  représenter  M.  Mongazon  entouré  de  jeunes  enfants  et  même 
de  ses  élèves  qui  sont  devenus  prêtres.  Ne  pourrais-tu  m'envoyer 
une  biographie  de  cet  homme? 

Le  ministre  actuel  voulait  m'affubler  de  la  rosette  de  la  légion 
que  l'on  appelle  encore  la  Légion  d'honneur;  j'ai  refusé. 

J'avais  déjà  refusé  les  invitations  à  dîner  de  mes  amis  Cousin 
et  Thiers. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

Tâche  de  venir  à  Strasbourg  ;  nous  avons  si  rarement  l'occa- 
sion  de  nous  voir  ! 

Collection  Pavie.  —  Les  fêtes  de  l'inauguration  du  Gutenberg  à  Stras- 
bourg eurent  lieu  les  24,  25  et  26  juin  1840.  {Musées  d'Angers,  pp.  109-110. 
David  d'Angers,  eic,  t.  I»  pp.  373-376.)  David  dut  modifier  le  bas-relief 
de  «  l'Europe  »  qui  décore  l'une  des  faces  du  piédestal.  Plusieurs  lettres 
relatives  à  ce  changement  passent  en  vente  assez  fréquemment.  Il  ne  nous 
a  pas  été  donné  de  les  ressaisir  aux  enchères  du  29  novembre  1876,  des 
14  et  30  mars  1882;  mais  nous  savons  en  substance  ce  qu'elles  renferment 
par  les  notes  autographes  du  maître  résumées  dans  David  d'Angers,  etc., 
t.  I,  pp.  590-591.  Le  bas -relief  du  monument  de  l'abbé  Mongazon  repré- 
sente une  Distribution  de  prix.  (Musées  d'Angers,  p.  111.) 


ET  SES  RELATIONS   LITTÉRAIRES  169 

CLVII 

David  à  Victor  Pavie. 

Gutenberg.  —  Bichat,  —  Bernardin  de  Saint-Pierre. 

Paris,  31  mai  1840. 

Mon  cher  Victor, 

M.  Moll  va  passer  quelques  jours  à  Angers.  Je  l'ai  bien  engagé 
à  s'entendre  avec  toi  pour  la  place  à  choisir  touchant  le  monu- 
ment de  M.  Mongazon.  Ensuite,  à  son  retour  à  Paris,  nous  nous 
occuperons  du  dessin  et  nous  l'enverrons  sans  retard  à  Angers. 

Je  ne  puis  te  dire  tout  le  regret  que  j'éprouve  que  tu  ne  puisses 
venir  à  Strasbourg.  Ta  réponse  m'a  d'autant  plus  affligé  qu'elle 
était  contraire  à  mes  prévisions. 

Je  travaille  beaucoup  pour  terminer  les  modèles  des  bas-reliefs 
du  monument  de  Gutenberg.  Enfin,  voilà  encore  un  ouvrage 
achevé,  et  j'en  suis  heureux,  car  je  désirais  bien  ardemment  de 
pouvoir  m'acquitter  de  cet  hommage. 

Thorvaldsen  a  fait  l'homme  qui  imprime,  moi  j'ai  cherché  à 
rendre  les  conséquences  de  la  découverte  de  l'imprimerie.  Je 
t'assure  que,  dans  ma  dernière  maladie,  l'un  de  mes  chagrins  les 
plus  amers,  c'était  la  crainte  de  ne  pas  terminer  ce  monument. 

Actuellement,  je  travaille  à  influencer  les  compatriotes  de  Bi- 
chat,afin  défaire  sa  statue.  Ils  n'ont  pas,  disent-ils,  assez  d'argent 
pour  payer  les  frais  du  bronze.  Et  bien,  je  leur  propose  du  fer. 

Ambroise  Paré  etBichat!  Voilà  deux  grandes  gloires  dont  je 
serais  heureux  de  laisser  le  souvenir  imprimé  sur  une  matière 
durable. 

A  l'égard  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  je  n'ai  pas  encore 
l'ordre  de  commencer.  Quel  malheur  pour  moi  d'être  toujours 
entravé  dans  mes  plus  chers  désirs  ! 

Adieu,  cher  ami,  pense  quelquefois  à  ton  bien  dévoué  de  tout 
cœur, 

David. 

N'oublie  pas,  mon  ami,  de  recommander  tout  particulièrement 
la  vente  de  notre  maison  de  Chasagics  à  M.  Vallée. 
Présente  mes  respectueux   hommages  à  M'"°   Pdvie.  Dis  bien 


170  DAVID  D'ANGERS 

des  choses  amicales  de  notre  part  à  ton  père,  et  dis  à  M'"®  Pavie 
qu'Emilie  se  rappelle  à  son  bon  souvenir. 

Collection  Pavie.  — Le  monumeat  de  Bichat,  érigé  à  Bourg,  ne  fut  inau- 
guré que  le  24  août  1843.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  365-366.)  La 
statue  de  Bernardin  de  Saint-Pierre  ne  prit  place  sur  son  piédestal,  au 
Havre,  que  le  9  août  1852.  {Musées  d'Angers,  p.  118.  David  d'Angers,  etc., 
t.  L  p.  449.) 


GLVIII 

David  à  Rauch. 

Lazare-Hippolyte  Garnot. 

Strasbourg,  28  juin  1840. 

Mon  bon  et  honorable  ami, 

C'est  M.  Garnot,  membre  de  la  Chambre  des  députés,  fils  du 
célèbre  Garnot,  ministre  de  la  Guerre  du  tems  de  la  Républi- 
que française,  qui  aura  le  plaisir  de  vous  remettre  cette  lettre. 
Je  vous  le  recommande  tout  particulièrement  comme  l'un  de 
mes  meilleurs  amis.  C'est  d'ailleurs  un  de  nos  hommes  les  plus 
distingués  par  son  honorable  caractère  et  son  mérite  littéraire. 
Soyez  donc  assez  bon  pour  faire  à  son  égard  ce  que  vous  feriez 
pour  moi.  J'envie  bien  son  sort,  car  il  va  avoir  l'avantage  de 
pouvoir  admirer  vos  célèbres  productions. 

Il  m'en  coûte  beaucoup,  mon  ami,  étant  si  près  de  votre  pays, 
de  ne  pouvoir  aller  encore  une  fois  passer  quelques  instants 
auprès  de  vous,  et  renouveler  ces  sensations  si  heureuses  pour 
moi  dont  le  souvenir  restera  toujours  gravé  dans  ma  mémoire. 
Mais  l'impérieux  devoir  me  force  de  retourner  à  Paris  pour  ter- 
miner des  travaux  commencés  depuis  longtems  et  retardés  par 
une  cruelle  maladie  qui  m'a  fait  perdre  près  de  cinq  mois  de 
l'année  passée. 

Quand  les  bas-reliefs  qui  décorent  le  piédestal  de  la  statue  de 
Gutenberg  seront  dessinés,  je  m'empresserai  de  vous  les  en- 
voyer. C'est  un  monument  dont  l'exécution  m'a  bien  vivement 
intéressé. 

Adieu,  cher  ami,  recevez  l'assurance  des  vœux  bien  sincères 


ET  SES  RELATIONS  LITTERA1;RES  171 

que  nous  formons,  Emilie  et  moi,  pour  votre  bonheur  et  celui 
de  votre  intéressante  famille. 

Tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

Madame  Garnot  accompagne  son  mari. 

Collection  Eggers,  à  Berlin.  —  Garnot,  mort  en  1888,  sénateur  et  membre 
de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  a  vécu  dans  la  plus 
étroite  intimité  avec  David.  Garnot  et  David  ont  donné  leurs  soins  à  la 
publication  des  Mémoires  de  Bertrand  Barrère  de  Vieuzac,  d'après  les  ma- 
nuscrits autographes  du  Conventionnel  (1842-1843,  4  vol.  in-8°). 


GLIX 

Lakanal   à  David. 

Le  buste  du  Conventionnel. 

Paris,  8  août  1840. 

Illustre  citoyen, 

Votre  génie  dispose  de  l'immortalité  ;  il  vous  a  plu  d'en  faire^ 
en  ma  faveur,  un  prodigue  usage.  Je  prends  acte  de  l'extrême 
répugnance  que  je  vous  ai  toujours  montrée  pour  recevoir  cet 
immense  et  immérité  bienfait.  En  voyant,  hier,  votre  bel  ouvrage, 
j'ai  été  émerveillé  de  votre  sublime  talent,  et  humilié  do  mon 
faible  mérite.  J'ai  rappelé  involontairement  l'histoire  de  cet  ar- 
tiste célèbre  qui  ayant  balancé  à  faire,  d'un  bloc  de  marbre,  une 
cuvette  ou  un  dieu,  se  décida  pour  ce  dernier  parti.  Cette  devise  : 
«  A  l'immortel  »,  est  une  concession  d'un  de  vos  droits,  mais  on 
peut  être  impunément  généreux  quand  on  nage  dans  l'abon- 
dance. J'aurais  préféré  l'inscription  bien  plus  glorieuse  à  mes 
yeux,  et  bien  plus  chère  à  mon  cœur  :  «  A  Lakanal,  David,  son 
ami.  »  J'aurais  montré  celle-là  avec  orgueil;  j'aurai  soin  de  celer 
l'autre.  Cette  Convention,  vraiment  nationale  ,  composée  en 
majorité  d'hommes  de  bronze,  de  lions  du  désert  et  qui  ordonna 
la  victoire  et  se  lit  obéir,  arrivera  à  l'immortalité;  faible  soldat  à 
sa  suite,  mon  seul  titre  à  cet  honneur  aura  été  de  n'avoir  jamais 
fait  un  pas,  ni  en  arrière,  ni  à  côté,  sur  le  chemin  qui  conduit 
à  la  liberté,  à  la  véritable  gloire,  à  la  réelle  indépendance  de  la 


172  DAVID  D'ANGERS 

Patrie.  Ce  sentiment  serait  le  plus  puissant  que  j'éprouve,  s'it 
ne  cédait  à  mon  respectueux  dévouement  pour  votre  personne. 

Lakanal. 

Collection  David  (T Angers.  —  On  connaît  l'attitude  de  Joseph  Lakanal 
durant  la  période  révolutionnaire  à  l'endroit  des  institutions  scientifiques, 
dont  il  assura  la  conservation.  Les  Écoles  centrales,  l'École  des  langues 
orientales  vivantes  sont  dues  en  partie  à  son  initiative.  Le  buste  de  Lakanal, 
exécuté  en  marbre  et  offert  au  modèle,  date  de  1839.  La  terre  cuite  origi- 
nale est  au  Musée  David.  Le  statuaire  modela,  en  1843,  le  profd  de  l'homme 
politique.  (Musées  d'Angers,  pp.  171-172,  186.) 


CLX 
David  à  Tévêque  d'Angers. 

Esquisse  du  monument  de  l'abbé  Mongazon. 

Paris,  17  septembre  1840. 

Monseigneur, 

M.  Moll,  qui  a  bien  voulu  prêter  son  talent  au  monument  que 
vous  avez  l'intention  d'élever  à  la  mémoire  de  M.  Mongazon, 
aura  l'honneur  ;de  vous  présenter  mon  esquisse  afin  que  vous 
puissiez  ou  donner  votre  approbation  à  ce  projet,  ou  proposer 
des  changemens. 

Les  fonds  dont  vous  pouvez  disposer  pour  l'érection  de  ce 
monument  sont  bien  restreints,  et  il  ne  faudrait  cependant  pas 
faire  quelque  chose  de  trop  mesquin.  C'est  pourquoi  je  ne 
demanderai  que  les  frais  de  marbre  et  de  praticien,  c'est-à-dire 
mille  francs  pour  le  buste  et  deux  mille  cinq  cents  pour  le  bas- 
relief;  trop  heureux  de  saisir  cette  circonstance  d'offrir  gratuite- 
ment à  mes  compatriotes  mon  travail  et  mon  tems. 

Agréez,  je  vous  prie.  Monseigneur,  l'assurance  de  la  parfaite 
considération  avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'être, 

Votre  très  humble  serviteur, 

David. 

Archives  du  Petit  Séminaire  Mongazon,  à  Angers. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  173 


CLXI 

David  à  Victor  Pavie. 

L'édilion  des  Poésies  de  Du  Bellay.  —  Il  ne  faut  prendre    du  passé  que  ce 

qui  est  grand. 

Paris,  27  octobre  1840. 

Mon  bon  et  cher  Victor, 

Emilie  et  moi  sommes  bien  heureux  de  la  bonne  nouvelle  que 
tu  nous  as  annoncée.  Que  Dieu  veille  et  conserve  parmi  nous  le 
cher  petit  Maurice  ! 

Nous  faisons  aussi  des  vœux  pour  que  la  santé  de  sa  mère  soit 
parfaite. 

J'applaudis  de  tout  cœur  à  l'heureuse  idée  que  tu  as  d'exhu- 
mer l'un  de  nos  anciens  poètes  angevins,  et  je  te  prie  de  ne  pas 
oublier  de  me  mettre  sur  la  liste  des  souscripteurs.  C'est  bien 
d'élever  un  monument  à  un  homme  avec  ses  œuvres. 

Espérons  que  la  génération  qui  nous  suivra  donnera  une  forme 
avec  le  marbre  ou  le  bronze  à  son  admiration  pour  les  grands 
littérateurs  qui  ont  tant  honoré  le  nom  angevin.  Nous  autres, 
BOUS  sommes  les  manœuvres;  nous  apportons  des  matériaux 
pour  la  construction  de  l'édifice  social  qui  doit  un  jour  protéger 
le  genre  humain.  Mais  ne  prenons  du  passé  que  ce  qui  est  bon 
et  généreux,  car  malheureusement  le  crime  et  le  despotisme  ont 
aussi  leur  poésie  qui  souvent  a  plus  de  puissance  sur  les  imagi- 
nations que  les  annales  de  la  vertu  et  du  désintéressement. 

Soyons  donc  constamment  à  l'œuvre,  ayons  toujours  les  regards 
fixés  vers  l'avenir,  vers  l'astre  régénérateur,  et  ne  nous  laissons 
pas  troubler  par  des  nuages  sombres  qui  le  voilent  quelquefois. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  Le  projet  auquel  il  est  fait  allusion  dans  cette  lettre 
est  celui  d'éditer  les  œuvres  du  poète  angevin  Du  Bellay,  projet  que  mit  à 
exécution  Victor  Pavie,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  laaut. 


174  DAVID    D'ANGERS 

GLXII 

David  au  maire  de  Besançon. 

La  statue  d'Ulysse  par  Petit. 

Paris,  4  décembre  1840. 

Monsieur  le  Maire, 

Vous  allez  recevoir  sous  peu  une  statue  de  M.  Petit,  qui  a  fait 
partie  du  dernier  concours  pour  le  prix  de  Rome  :  c'est  moi  qui 
lui  ai  conseillé  de  la  faire  mouler,  car  j'en  étais  très  content.  Il 
n'y  a  pas  eu  de  grand-prix  cette  année,  à  l'étonnement  de  beau- 
coup d'artistes  ;]  mais  certes,  si  l'Institut  ne  se  fût  pas  montré  si 
sévère,  il  n'eût  pu  donner  le  prix  qu'à  M.  Petit,  J'ai  appris  avec 
plaisir  que  ses  camarades  voulaient  faire  mouler  son  ouvrage  à 
leurs  frais  ;  c'est,  sans  doute,  le  meilleur  éloge  de  son  travail,  car 
vous  le  savez,  Monsieur,  les  jeunes  gens  se  jugent  entre  eux 
ordinairement  avec  beaucoup  d'impartialité  et  de  justesse. 
Agréez,  etc. 

David  d'Angers. 

Archives  municipales  de  Besançon.  —  Jean-  Claude  Petit,  deuxième 
grand-prix  en  1839,  a  pris  part  au  concours  de  1840,  dont  le  sujet  était 
Ulysse  tendant  la  corde  de  son  arc.  Cette  statue  est  aujourd'hui  au  Musée 
de  Besançon. 


CLXIII 


David  à,  Victor  Pavie. 

Le  monument  de  l'abbé  Mongazon.  —  Le  costume  moderne  et  la  sculpture. 
—  Lamennais  en  cour  d'assises.  —  Chateaubriand. 

Paris,  27   décembre  1840. 

Cher  Victor, 

Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  MM.  les  membres' de  la  Com- 
mission du  monument  de  M.  Mongazon.  Ils  me  disent  de  m'oc- 
cuper  sans  retard  de  l'exécution  de  la  sculpture,  ce  que  je  ferai 
le  plus  tôt  possible. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  1.5 

Ne  pourrais-tu  pas  me  donner  une  idée  du  costume  des  jeunes 
élèves  du  collège  de  Beaupreau?  Il  faut  être  le  plus  vrai  possible 
quand  on  reste  dans  l'actualité. 

Hier,  j'ai  passé  une  des  journées  les  plus  affreuses  dont  je 
puisse  conserver  le  souvenir.  C'était  le  procès  de  M.  de  Lamen- 
nais. M.  de  Chateaubriand,  que  les  larmes  suffoquaient,  n'a  pu 
rester  jusqu'à  la  un  de  l'audience;  moi,  j'ai  eu  ce  triste  courage. 
Mon  ami,  aucune  parole  ne  peut  rendre  l'émotion  du  peuple 
quand,  à  plusieurs  reprises,  il  a  entendu  Ihomme  au  génie  su- 
blime, flagellé  par  un  humble  séide  du  pouvoir,  couvert  de  la 
robe  d'avocat  général,  qu'il  déshonore.  Le  peuple,  dans  son  gé- 
néreux instinct,  a  étouffé  de  sa  puissante  voix  les  insolences  du 
magistrat,  et  il  a  consolé  son  noble  ami.  Mais  un  ordre  du  prési- 
dent a  fait  évacuer  la  salle,  et  le  grand  homme  est  resté  devant 
ses  juges,  entouré  seulement  d'un  petit  nombre  d'amis.  Demain, 
cet  apôtre  entrera  dans  une  prison  pour  expier  pendant  un  an  le 
crime  d'avoir  plaidé  la  cause  sacrée  du  peuple.  Honte  !  mille  l'ois 
honte  ! 

Adieu,  cher  ami,  pense  quelquefois  à  ton  bien  dévoué  de  cœur, 

DAvm. 

Collection  Pavie.  —  L'abbé  Mongazon  ayant  dirigé  le  collège  de  Beau- 
préau  avant  de  fonder  le  Petit  Séminaire  d'Angers,  le  bas-relief  du  monu- 
ment sculpté  par  David,  et  représentant  une  Distribution  de  prix,  rappelle, 
dans  ses  lignes  essentielles,  une  cérémonie  qui  aurait  eu  Beaupreau  pour 
théâtre.  Le  procès  intenté  à  Lamennais  avait  été  motivé  par  la  publication 

du  livre  Le  Pays  et  le  Gouvernement.  Condamné  à  un  an  de  prison  et  à 
2,000  fr.   d'amende,  Lamennais  expia  sa  peine  à  Sainte-Pélagie,  dans  une 

pièce  située  sous  les  toits,  et  dont  le  prisonnier  ne  franchit  pas  le  seuil 

une  seule  fois  durant  ses  douze  mois  de  détention. 


CLXIV 
Pariset  à  David. 

L'inauguration  du  monument   d'Ambroise  Paré. 

Paris....   1840  (?). 

Ami, 
On   m'envoye  à  Laval,  à  l'inauguration  de  votre  nouveau 


476  ■  DAVID  D'ANGERS 

chef-d'œuvre.  Y  serez  -  vous  ?  et  comment  allez- vous?  Si  nous 
allions  ensemble! 
J'attends  un  mot  de  vous. 

E.  Pariset. 

Collection  David  cC Angers.  —  Pariset  avait  été  désigné  par  l'Académie 
de  médecine  pour  la  représenter  à  l'inauguration  de  la  statue  d'Ambroise 
Paré.  Cette  cérémonie  eut  lieu  à  Laval  le  29  juillet  1840.  La  lettre  de  Pariset 
n'est  pas  datée. 


1841 

GLXV 

David  à  Victor  Pavie. 

EnLréede  Lamennais  à  Sainte-Pélagie. —  Le  portrait  de  Du  Bellay.  —  Tous- 
saint Grille.  —  François  Grille.  —  Théodore  Pavie.  —  Burnouf . 

Paris,  28  janvier  1841. 

Mon  cher  Victor, 

Quoique  le  National  nous  eût  fait  connaître  que  M.  de  Lamen- 
nais ne  voulait  pas  que  ses  nombreux  amis  vinssent  assister  à 
son  entrée  en  prison,  cependant  bon  nombre  de  patriotes  ont 
voulu  recevoir  son  dernier  salut.  Nous  étions  là,  silencieusement, 
la  tête  découverte.  Une  femme  du  peuple  s'est  chargée  d'exprimer 
dans  sa  naïveté  ce  que  nous  éprouvions  :  «  Voilà  donc  comme 
l'on  traite  les  hommes  généreux  qui  plaident  la  cause  du  peuple  !  » 
Et  enfin  les  verrou x  ont  grincé  derrière  notre  subUme  ami. 

Je  suis  entièrement  à  ta  disposition  pour  notre  digne  compa- 
triote Du  Bellay.  Je  dessinerai  sa  tête  ;  ne  pourrait-on  pas  l'en- 
tourer d'un  cadre  qui  symbolisât  le  génie  de  notre  poète?  Je  crois 
qu'il  faudrait  faire  graver  le  portrait,  car  une  lithographie  ne  se- 
rait pas  digne  du  monument  typographique  que  tu  veux  élever. 
Mets-moi  à  même  de  commencer  sans  retard  ;  tu  dois  penser  que 
je  serai  heureux  de  participer  à  ton  œuvre  avec  mon  crayon. 
Avise  à  l'entourage  du  portrait. 

J'ai  parlé  à  M.  Turpin  de  Crissé  de  ton  projet;  il  m'a  chargé 
de  te  prier  de  le  compter  au  nombre  de  tes  souscripteurs.  Tu 
sais  que,  dans  l'une  de  mes  précédentes  lettres,  je  t'avais  dit 
de  ne  pas  oublier  mon  nom  sur  ta  liste.  Je  suis  bien  étonné  que 


ET    SES   RELATIONS    LITTÉRAIRES  177 

M.  Grille  ait  enfin  consenti  à  te  prêter  le  portrait  de  Du  Bellay; 
il  ne  faut  pas  alors  lui  laisser  le  tems  de  la  réflexion  ;  prends 
garde  ! 

Tu  m'obligeras  beaucoup  de  dire  à  M.  Grille,  le  bibliothécaire, 
que  je  n'ai  pas  encore  reçu  les  brochures  qu'il  m'annonçait,  et 
que  je  suis  très-tourmenté  par  les  personnes  de  Verdun  qui  me 
demandent  de  leur  renvoyer  ces  brochures. 

Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  Théodore.  Elle  est  datée  du 
20  mars  18i0  et  écrite  de  Pondichéry.  La  santé  de  ton  frère  était 
parfaitement  bonne,  mais  il  se  plaignait  de  l'excessive  chaleur 
qui  énerve  les  hommes  les  plus  énergiques.  Notre  ami  pense 
avec  regret  à  notre  chère  France;  il  voudrait  jouir  du  froid  de 
notre  climat.  Cependant  il  se  préparait  à  continuer  son  voyage. 

Comme  j'ignore  où  lui  adresser  les  quelques  mots  qu'il  me  de- 
mande, je  te  les  envoie;  tu  verras  s'il  est  possible  de  les  glisser 
dans  un  paquet  que  tu  lui  destineras. 

M.  Burnouf  m'a  dit  qu'il  avait  reçu  du  voyageur  une  longue 
lettre  et  des  dessins.  Il  se  proposait  do  faire  imprimer  la  letire 
ou  au  moins  quelques  extraits. 

Adieu^  cher  ami;  mille  affectueux  souhaits  à  tous.  Tout  à  toi, 

David. 

Je  reçois  à  l'instant  une  lettre  de  M.  Grille.  Il  m'annonce  qu'une 
brochure  extrêmement  rare  sur  le  siège  de  Verdun,  qui  m'avait 
été  prêtée,  a  été  perdue  par  lui,  Grille.  Je  viens  de  lui  écrire  pour 
lui  dire  que  je  ne  pouvais  recevoir  une  semblable  défaite. 

Collection  Pavie.  —  David  dessina  le  portrait  de  Du  Bellay,  pour  l'édition 
projetée  par  Victor  Pavie,  en  s'aidant  d'un  portrait  ancien  possédé  par 
un  amateur  angevin,  Toussaint  Grille,  peu  prêteur  de  sa  nature.  De  là  le 
((  prends  garde  !  »  du  maître  à  son  ami.  François  Grille,  neveu  du 
précédent,  publiciste  infatigable,  avait  obtenu  de  David  le  prêt  obligeant 
de  divers  opuscules  relatifs  au  siège  de  Verdun.  L'artiste  avait  lui- 
même  sollicité  de  leurs  propriétaires  la  communication  do  ces  écrits. 
Le  comte  Turpin  de  Crissé,  né  à  Paris,  mais  d'origine  angevine,  peintre, 
collectionneur,  membre  de  ITnstilut,  a  légué  son  cabinet  d'œuvres  d'art 
et  de  curiosités  à  la  ville  d'Angers  en  18o9.  L'orientaliste  Eugène 
Burnouf  suivait  avec  un  vif  intérêt  les  voyages  d'études  de  Tiiéodore 
l'avic.  David  avait  modelé  le  profil  de  Burnouf  en  18i0.  {Musées  d'Angers, 
p.  17G.) 


178  DAVID  D'ANGERS 


GLXVI 


David  à  Victor  Pavie. 

Eugène  Ghevreul.  —  Le  monument  de  Bonchamps.  —  La  première  pensée 
de  la  statue  de  sainte  Cécile.  —  Yisile  à  Lamennais  dans  sa  prison. 

Paris,  26  février  1841. 

Cher  Victor, 

Je  t'annonce  un  nouveau  souscripteur  pour  ton  édition  du 
poète  Du  Bellay,  c'est  Ghevreul  qui  m'a  chargé  de  cette  commis- 
sion . 

J'avais  prié  M.  Moll  de  me  tracer  l'architecture  du  monument 
de  Bonchamps,  afin  que  je  puisse  dessiner  la  figure  et  les  bas- 
reliefs  pour  les  faire  lithographier  comme  nous  en  étions  conve- 
nus. Mais  M.  Moll  m'a  fort  judicieusement  observé  que  le  daguer- 
réotype nous  donnerait  un  dessin  plus  exact  et  qu'ensuite  je 
pourrais  le  faire  exécuter  en  lithographie,  et  que  cette  opération 
m'éviterait  une  perte  de  tems.  M.  Moll  doit  causer  de  cela  avec 
toi.  Tu  sais  que  cette  reproduction  est  un  de  nos  anciens  projets. 
Je  voudrais  faire  connaître  davantage  le  monument  de  Saint- 
Florent. 

Je  vais  envoyer  quelques  ouvrages  au  Musée  d'Angers.  Je  met- 
trai dans  la  caisse  un  petit  croquis  en  terre  cuite  de  la  première 
pensée  de  Sainte  Cécile^  c'est  un  embryon  encore  bien  informe, 
mais  il  n'y  a  qu'à  ses  meilleurs  amis  que  l'on  donne  ainsi  ses 
croquis  «  intimes  ».  Cette  terre  cuite  est  pour  toi. 

Je  suis  allé  voir  M.  de  Lamennais,  la  semaine  dernière.  J'ai 
rencontré  Béranger  et  j'ai  passé  des  heures  bien  intéressantes 
avec  ces  deux  grands  hommes.  Je  n'ai  pu  obtenir  la  permission 
de  voir  le  prisonnier  qu'une  fois  par  mois  ;  l'afiluence  des  visi- 
teurs est  très-grande. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  179 

GLXVII 

Sainte-Beuve  à  David. 

Une  lettre  du  statuaire  sur  la  mort  d'Aloysius  Bertrand. 

Ce  lundi avril  1841  (?). 

Je  reçois,  mon  cher  David,  votre  très  bonne  et  très  touchante 
lettre  :  je  la  joins  à  mes  autres  notes,  comme  la  plus  précieuse 
de  celle  qui  doit  tout  couronner. 

Vous  avez  dû  recevoir  un  mot  de  Pavie  au  sujet  de  cette  pu- 
blication. 

Mille  amitiés  reconnaissantes, 

Sainte-Beuve. 

J'offre  mes  humbles  hommages  à  Madame  David. 

Collection  David  d'Angers.  —  La  très  belle  lettre  de  David  à  Sainte-Beuve 
sur  les  derniers  moments  de  Bertrand  a  été  publiée  par  nous  dans  les 
Écrits  du  maître.  (David  d'Angers,  t.  II,  pp.  409-412.)  C'est  une  page  remar- 
quable et  qui  fait  le  plus  grand  honneur  au  statuaire. 


GLXVIII 
Victor  Hugo  à  David. 

Mort  d'Aloysius  Bertrand. 

Paris,    3  mai    1841. 

Merci,  cher  David.  Je  vous  ferai  la  fameuse  réponse  :  «  J'y 
pensais.  »  La  mort  de  ce  pauvre  poète  m'afflige  profondément. 
Je  tâcherai  d'écrire  quelques  lignes  durables  sur  son  linceul. 
Mais  n'oubliez  pas  que  vous  pouvez  bien  plus  que  moi.  Je  n'ai 
qu'une  fouille  de  papier,  chose  qu'on  déchire  et  qui  s'envole. 
Vous,  mon  grand  sculpteur,  vous  avez  l'éternité  du  marbre  et  du 
bronze. 

A  bientôt.  Mettez-moi  aux  pieds  de  Madame  David.  Je  vous 

embrasse. 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d'Angers.  —  Il  est  parlé  plus  haut  de  Bertrand,  mort  à 


180  DAVID  D'ANGERS 

l'hospice  Necker,  entre  les  bras  de  David.  Victor  Hugo,  croyons-nous,  n'a 
pas  donaé  suite  à  son  projet  d'écrire  sur  le  romantique  auteur  du  Maçon. 


GLXIX 


David  à  Victor  Pavie. 

Les  écrits  du  maître.  —  Le  peintre  et  sculpteur  Donas.  —  Qu'il  convient 
d'interroger  les  vieillards.  —  Pas  de  vraie  grandeur  sans  croyance. —  Le 
manuscrit  d'Aloysius  Bertrand.  —  Renduel.  —  Sainte-Beuve.  —  François 
Grille.  —  Tecliener. 

Paris,  1"  août  18M, 

Mon  cher  Victor, 

Je  t'ai  adressé  la  biographie  de  Lebreton.  J'ai  encore  deux 
autres  écrits  à  t'envoyer,  mais  il  faut  que  je  les  copie,  et  je  n'ai 
que  de  bien  rares  moments  à  donner  à  ce  genre  de  travail.  Ce- 
pendant les  biographies  de  sculpteurs  dont  je  m'occupe  offrent 
un  certain  intérêt  pour  moi,  car  je  puis  y  exposer  quelques-unes 
des  idées  que  l'étude  et  l'expérience  m'ont  suggérées.  Toutes  ces 
idées  sont  consignées  dans  des  notes  éparses.  11  faudrait  en  faire 
un  faisceau,  mais  la  création  plastique  parle  plus  haut  actuelle- 
ment que  l'analyse.  Cependant  toutes  les  minutes  qui  sont  à  ma 
disposition  je  les  consacre  à  écrire. 

Ne  te  rebute  pas  auprès  de  M.  Donas.  Il  me  produit  l'effet  d'un 
vieux  manuscrit  sur  lequel  le  tems  a  effacé  bien  des  lignes.  Il  y 
a  beaucoup  de  taches  d'encre  et  d'huile,  mais  quelques  lignes 
encore  lisibles  pourront  te  faire  deviner  le  sens  des  autres.  Je 
t'engage  bien  à  feuilleter  tous  ces  vieux  documents  qui  peuvent 
encore  exister  et  qui  ont  glissé,  inaperçus,  sous  lafaulx  du  tems. 
Si  l'on  avait  pu  parcourir  la  Vendée,  il  y  a  une  vingtaine  d'an- 
nées, que  de  renseignemens  curieux  n'aurait-on  pas  ravis  à  la 
terre  qui  les  a  engloutis!  Cependant  ce  travail  peut  encore. se 
faire  par  les  enfants  de  ces  géants  !  Penses-y  donc  sérieu- 
sement. 

Pense  à  ton  vieux  soldat  d'Egypte!  Ces  hommes  de  fer  ont  été 
trempés  par  le  souffle  brûlant  de  la  liberté.  Il  est  bien  vrai  qu'il 
ne  peut  y  avoir  d'héroïsme  sans  une  profonde  et  noble  croyance, 
et  c'est  ce  qui  explique  pourquoi  notre  époque  est  si  abaissée. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  181 

C'est  qu'il  n'y  a  plus  de  croyance  que  dans  l'intérêt  qui  aplatit 
l'âme  à  l'égal  d'une  pièce  de  cent  sous.  Bientôt  on  n'osera  plus 
vanter  à  des  enfants  dégénérés  les  grandes  actions  de  leurs 
pères,  car  ils  sont  tout  près  d'en  rire. 

Pour  nous,  qui  cherchons  à  élever  notre  âme  vers  les  idées 

qui  peuvent  l'épurer,  fouillons  imperturbablement  dans  la  vie 

de  ces  hommes  sublimes  qui  nous  ont  précédés;  élevons-leur  des 

monuments,  quelque  modeste  que  soit  le  rang  où  le  sort  les  a 

placés. 

J'ai  enfin  le  manuscrit  de  Bertrand.  Renduel  s'est  mieux  con- 
duit que  je  ne  le  craignais.  Il  me  l'a  rendu  pour  le  prix  qu'il  en 
avait  donné.  Emilie  est  actuellement  occupée  à  en  faire  une 
copie  pour  l'imprimeur,  et  Sainte-Beuve  va  écrire  une  notice. 
Voilà  toujours  un  monument  assuré  à  la  mémoire  de  ce  mal- 
heureux Bertrand  ! 

J'ai  été  obligé  d'écrire  à  M.  Grille  pour  lui  demander  l'adresse 
de  ce  M.  Techener  qu'il  a  chargé  de  me  remettre  le  Siège  d'An- 
gers. Je  convois  bien  que  l'on  ait  pu  écrire  à  Bœrhave  «  en  Eu- 
rope »,  mais  M.  Techener  est  moins  connu. 

Je  vais  aussi  m'occuper  de  notre  poète  angevin  Du  Bellay. 

Je  serais  bien  content  si  le  daguerréotype  pouvait  nous  don- 
ner une  bonne  reproduction  du  monument  de  Bonchamps. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Roch-Jean-Baptiste  Donas,  peintre  et  sculpteur,  né 
à  Angers  en  1762,  après  un  séjour  prolongé  à  Paris,  est  revenu  à  Angers,  où 
il  est  mort  en  1849.  Renduel,  l'éditeur,  avait  acheté  de  Bertrand  le  ma- 
nuscrit du  Gaspard  de  la  nuit.  Après  la  mort  du  poète,  David  racheta  celte 
œuvre  de  ses  deniers  et  concurremment  avec  Sainte-Beuve  et  Victor 
Pavie  en  assura  la  publication.  La  lettre  de  David  à  Renduel  relative  au 
rachat  dont  nous  parlons  est  signalée  dans  la  ifeuue  des  autographes  de 
juillet  1876  (p.  6,  n°  59).  Le  Sièfje  d'Angers  est  un  ouvrage  de  François 
Grille  publié  en  1841  chez  Victor  Pavie,  sous  la  signature  «  Un  amateur  ». 


182  DAVID  D'ANGERS 


CLXX 


ScMegel  à  David. 

La  médaille  du  critique. 


Monsieur, 


Berlin,  27  août  1841. 


Vous  avez  dû  me  croire  bien  coupable,  puisqu'en  m'adressant 
à  Bonn  votre  lettre  trop  flatteuse  pour  moi,  vous  ne  saviez  pas 
que  j'étais  à  l'autre  extrémité  de  l'Allemagne.  J'ai  été  appelé  ici 
par  ordre  du  Roi  pour  prendre  part  aux  travaux  d'une  commis- 
sion littéraire  et  académique.  J'étais  incertain  combien  de  temps 
je  m'arrêterais  en  chemin  ;  j'ai  donc  chargé  les  personnes  qui 
veillent  à  ma  maison  de  garder  les  lettres  arrivées  pour  moi,  jus- 
qu'à ce  que  je  pusse  leur  indiquer  une  adresse  sûre.  Voilà  la 
cause  d'un  retard  considérable.  Plus  tard,  j'appris  l'arrivée  du 
médaillon  à  Bonn.  Je  n'ai  pas  voulu  l'exposer  à  un  nouveau  trans- 
port, comptant  retourner  au  plus  tôt  vers  mes  dieux  Pénates.  Je 
n'ai  donc  pas  encore  eu  le  plaisir  de  le  voir.  Mais  mes  amis  là- 
bas  le  trouvent  fort  ressemblant.  Hélas  !  Monsieur,  vous  avez 
prodigué  votre  admirable  talent  à  un  sujet  peu  digne  de  vous. 
Gela  eût  mieux  valu  la  peine,  il  y  a  un  demi-siècle  :  au  moins 
on  m'a  dit  quelquefois  que  je  n'étais  pas  trop  mal  alors.  Par 
un  excès  de  bienveillance  vous  avez  voulu  transmettre  à  la 
postérité,  si  toutefois  elle  s'informe  de  moi,  les  débris  que  les 
ravages  du  temps  m'ont  laissés.  Je  ne  suis  pas  encore  retombé 
en  enfance,  c'est  l'essentiel. 

Mes  amis  Frédéric  Tieck  et  Rauch  me  chargent  de  leurs  salu- 
tations les  plus  empressées.  Je  suis  à  la  veille  de  mon  départ  : 
aussitôt  arrivé  à  Bonn,  je  ne  tarderai  pas  à  vous  écrire. 

Je  vous  prie  de  me  rappeler  au  souvenir  de  Madame  David. 

Veuillez  agréer,  Monsieur,  l'hommage  de  mon  admiration  et  de 
ma  reconnaissance. 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur^ 

SCHLEGEL. 

Collection  David  d'Anrjers. — Le  critique  allemand  avait  soi.xante-quatorze 
ans  lorsqu'il  écrivait  cette  lettre.  Le  médaillon  de  Schlegel  porte  le  mille- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  183 

sime  de  1840,  mais  le  profil  de  l'écrivain  qui  a  servi  de  base  à  la  médaille  avait 
été  recueilli  par  David,  en  présence  de  son  modèle,  au  cours  du  voyage  de 
1834.  {Musées  d'Angers,  p.  179.  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  28G.) 


CLXXI 


David   à   Victor    Pavie. 

Le  Gaspard  de  la  nuit  édité  par  Pavie.  —  Aloysius  Bertrand.  —  Portrait 
de  Du  Bellay.  —  Le  Tombeau  de  Garnier-Pagès.  —  Collaboration  de 
David  au  Dictionnaire  politique.  —  Maladie.  — Le  Bonchamps.  —  Gan- 
dolle.  —  Bastard.  —  Burnouf.  —  Broussais.  —  Une  lettre  à  Sainte-Beuve. 

Paris,  3  novembre   1841. 

Mon  bon  et  clier  Victor, 

Je  te  remercie  bien  de  ta  généreuse  décision  à  l'égard  de  l'im- 
pression de  Gaspard  de  la  nuit.  Le  libraire  La  Bitte  consent  à 
recevoir  un  dépôt  de  cet  ouvrage  chez  lui.  Je  le  crois  en  bonne 
situation  pour  en  favoriser  la  vente. 

Quand  tu  auras  retiré  tes  frais,  le  reste  de  la  vente  sera  pour  la 
vieille  mère.  Pauvre  Bertrand  !  Ses  parents  n'étaient  nullement 
dignes  de  lui;  il  y  a  là  un  drame  de  famille  bien  honteux  et  sur 
lequel  il  faut  jeter  un  voile  épais.  Sans  doute  qu'il  devait  en  être 
ainsi  afin  que  sa  vie  si  douleureuse  en  reçût  plus  de  relief;  il 
fallait  qu'il  ne  pût  éprouver  aucun  adoucissement  au  sein  d'une 
famille  qu'il  chérissait  cependant  de  toute  son  âme.  Pour  lui 
comme  pour  tant  d'autres,  le  malheur  s'est  assis  en  maître  à 
l'intérieur  de  sa  maison.  Ce  qui  est  curieux,  c'est  que  le  soin  de 
la  mémoire  du  poète  soit  dévolu  à  trois  hommes  qui,  certes, 
n'ont  jamais  eu  de  relations  intimes  avec  lui.  Remercions-en  le 
sort  qui  a  bien  voulu  nous  favoriser  de  cette  mission. 

J'ai  bien  tardé  à  terminer  le  dessin  de  Du  Bellay.  Enfin  les 
graveurs  Leloir  et  Andrew  l'ont  entre  les  mains.  Ils  s'en  sont 
emparés  sans  retard,  négligeant  de  me  dire  quel  prix  exigera  la 
gravure,  parce  que  je  leur  ai  dit  que  ce  travail  m'était  person- 
nel; ils  m'ont  témoigné  le  désir  de  me  traiter  en  ami  I  Pour  que 
la  gravure  puisse  être  jointe  au  livre,  il  faut  que  le  dessin  soit 
réduit  un  peu  ;  ils  vont  donc  s'en  occuper  et  ils  m'ont  promis  que 
vers  le  mois  de  décembre  nous  aurions  la  gravure  sur  bois. 


184  DAVID  D'ANGERS 

L'impression  de  ton  livre  m'a  paru  très  belle.  Voici  donc  une 
de  nos  gloires  angevines  dignement  exhumées  désormais  de  la 
poussière  des  bibliothèques. 

Je  puis  enfin  te  faire  parvenir  VAlmanach  populaire  de  l'année 
1842  qui  vient  d'être  rendu  à  la  libre  circulation  que  lui  avait 
refusée,  pendant  quelques  jours,  M.  le  Préfet  de  police.  Tu  verras 
dans  ce  petit  volume  un  article  de  moi,  extrêmement  court, 
attendu  qu'on  ne  peut  accorder  que  très  peu  de  pages  à  chaque 
auteur.  Tu  verras  aussi  une  gravure  représentant  le  Tombeau  de 
Garnier-Pagès.  C'est  une  tribune  en  marbre  blanc  exhaussée  sur 
des  gradins  de  même  matière.  Sur  cette  tribune  se  voient  une  cou- 
ronne civique  et  des  papiers  sur  lesquels  seront  inscrits  les  titres 
des  discours  les  plus  remarquables  de  Garnier-Pagès;  au  pied  de 
la  tribune  sera  le  cercueil  en  granit  noir  sur  lequel  on  verra 
gravé  le  nom  du  tribun.  Ce  monument  sera  élevé  sur  des  gra- 
dins de  granit  de  Cherbourg.  Cette  idée  m'est  venue  le  jour  de 
l'enterrement  en  voyant  les  orateurs  montés  sur  un  tombeau  qui 
leur  servait  de  tribune,  et  ayant  à  leurs  pieds  le  cercueil.  Je  lis 
aussitôt  une  esquisse  qui  a  reçu  l'approbation  des  membres  de 
la  Commission. 

Tu  sais  que  j'ai  fait  plusieurs  articles  pour  le  Dictionnaire  po- 
litique, édité  par  Pagnerre.  Il  y  a  peu  de  jours  que  celui  sur  les 
Récompenses  nationales  vient  de  paraître  ;  je  pense  que  tu 
pourras  te  procurer  à  Angers  les  livraisons  de  cet  ouvrage  qui 
est  presque  terminé. 

Eh!  bien,  cher  ami,  n'existe-il  pas  une  fatalité  sur  moi?  Au 
milieu  d'un  ardent  travail  qui  devait  bien  promptement  me 
mettre  à  même  d'exécuter  mes  projets  de  voyage,  j'ai  été  pris 
d'une  maladie  bien  douloureuse,  en  vérité,  et  je  suis  encore  in- 
certain du  terme  de  mes  souffrances,  car  les  douleurs  rhumatis- 
males suivent  exactement  les  variations  de  la  température.  Com- 
bien j'ai  souffert  physiquement  et  moralement!  Que  de  sombres 
et  pénibles  réflexions  viennent m'assiéger  !  Quelles  nuits!  A  me- 
sure que  j'avance  dans  la  vie,  je  sens  que  je  n'ai  plus  assez  de 
forces  pour  résister  à  toutes  les  émotions  causées  par  les  frois- 
sements d'une  société  qui  m'enK-vc  presque  journellement  des 
lambeaux  d'existence,  me  livrant,  ainsi  affaibli,  en  proie  aux  ma- 
ladies. Pour  être  heureux,  il  faudrait  avoir  des  nerfs  de  fil  de  fer 
et  un  cœur  sans  pulsations  devant  le  spectacle  des  misères  de  ses 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  185 

semblables.  Enfin,  il  faudrait  être  comme  cette  innombrable 
quantité  d'industriels  et  d'hommes  d'affaires  qui  promènent  avec 
insolence  un  visage  fleuri,  se  vantant  à  tout  propos  de  l'énergie 
de  leur  caractère  qui  ne  consiste,  à  vrai  dire^  que  dans  un' 
égoïsme  développé. 

Enfin,  depuis  hier  je  vais  un  peu  mieux,  et,  Dieu  aidant,  peut- 
être  que  je  pourrai  dans  quelque  temps  reprendre  mes  travaux. 
Ce  n'est  que  dans  mon  atelier  que  j'éprouve  un  certain  soulage- 
ment à  mes  ennuis  ;  là,  je  vis  au  moins  avec  de  grands  et  nobles 
souvenirs,  avec  les  types  vénérables  de  l'humanité,  et  si  mes 
affaires  me  forcent  de  m'arracher  parfois  à  ce  milieu  salutaire, 
j'y  rentre  le  plus  tôt  possible  pour  me  débarrasser  de  la  bouc 
physique  et  morale  qui  s'était  attachée  à  moi. 

Je  regrette  beaucoup  que  lu  ne  puisses  m'envoyer  dès  mainte- 
nant une  épreuve  daguerréotypée  du  monument  de  Bonchamps; 
j'aurais  mis  sans  retard  le  graveur  à  l'œuvre.  Eh  !  mon  Dieu, 
Saint -Florent  n'est  cependant  pas  très  loin  d'Angers.  Comment 
se  fait-il  que  la  personne  qui  possède  un  instrument  pour  da- 
guerréûtyper  ne  consente  pas  à  perdre  quelques  jours? 

J'ai  envoyé  de  nouveaux  médaillons  au  Musée  d'Angers  ;  mais 
j'ai  vu  dans  le  livret  que  tu  m'as  fait  remettre  que  l'on  avait 
changé  beaucoup  de  noms.  Fais-moi  le  plaisir  de  voir  M.  Mercier 
pour  lui  donner  les  noms  qu'il  ne  pourrait  pas  lire.  Je  com- 
prends fort  bien  que  les  noms  allemands  ne  sont  pas  toujours 
faciles  à  déchiffrer.  Dans  les  derniers  cadres  que  je  viens  d'en- 
voyer, le  médaillon  de  Schlegel  peut  embarrasser,  car  l'S  est 
formée  à  l'allemande  et  peu  lisible  pour  les  Français. 

J'ai  annoncé  à  M.  Mercier  que  tu  voudrais  bien  me  rendre  le 
service  d'éclaircir  quelques  noms,  toi  qui  as  assisté  à  l'exécu- 
tion de  la  majeure  partie  de  ces  médaillons. 

Parmi  les  médaillons  que  tu  as  reçus,  il  y  en  a  deux  de  M.  de 
Candolle.  Fais-moi  le  plaisir  d"cn  faire  remettre  un  à  M.  Bastard, 
médecin  à  Ghalonnes,  pour  lequel  le  célèbre  naturaliste  genevois 
avait  une  bien  haute  estime. 

Théodore  te  remettra  un  médaillon  de  M.  Burnouf  que  tu  n'as 
pas  encore,  je  crois;  je  le  charge  aussi  du  médaillon  de 
Broussais;  s'il  s'en  trouve  un  dans  ta  collection  tu  donneras 
celui-ci  à  M.  Mirault. 

Il  faut,  mon  ami,  que  tu  fasses  faire  une  liste  bien  exacte  des 


186  DAVID  D'ANGERS 

médaillons  qui  sont  chez  toi,  afin  que  je  complète  ceux  qui  te 
manquent. 

Adieu,  cher  ami.  Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

P.  S.  —  Je  joins  à  ces  feuilles  le  brouillon  de  la  lettre  que 
j'écrivis  le  soir  même  de  la  mort  de  Bertrand  à  Sainte-Beuve. 
Cette  mort  est  un  des  nombreux  événements  qui  ont  tant  con- 
tribué à  déchirer  mon  cœur.  Garde  cette  triste  page;  un  jour, 
peut-être,  j'en  exhumerai  de  mes  souvenirs  d'autres  pour  toi. 

Collection  Parie.  —  Les  œuvres  d'Aloysius  Bertrand,  dont  la  publication 
avait  été  projetée  par  David  et  Sainte-Beuve,  furent  éditées  par  Victor 
Pavie,  en  1842.  Le  Tombeau  de  Garnier-Pagès,  dessiné  à  l'aquarelle  par 
David,  ne  fut  pas  exécuté  par  le  maître. (David  d'Angers,  etc.,  t. II,  p.  49.3.) 
Quatre  études  furent  composées  par  David  et  publiées  dans  le  Dictionnaire 
politique  de  E.  Duclerc  et  Pagnerre.  Noiis  avons  reproduit  l'étude  sur  les 
Expositions  nationales  et  celle  sur  les  Arcs  de  triomphe  dans  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  II,  pp.  327-338.  Le  médaillon  de  Gandolle,  le  botaniste 
genevois,  porte  la  date  de  1833.  {Musées  d'Angers,  pp.  149-150.)  Toussaint 
Bastard,  né  en  1784,  mort  en  1846,  médecin,  puis  directeur  du  Jardin  des 
plantes  d'Angers,  fît,  enl811,un  séjour  de  deux  mois  en  Auvergne,  dans  la 
compagnie  de  CandoUe,  et  rapporta  de  cette  excursion  un'herbier  considé- 
rable. La  médaille  du  docteur  Broussais,  non  datée,  doit  avoir  été  exé- 
cutée en  1841.  (Musées  d'Angers,  p.  181.)  Il  est  parlé  plus  haut,  dans  le 
commentaire  de  la  lettre  de  Sainte-Beuve,  datée  d'avril  1841,  des  pages 
éloquentes  inspirées  au  statuaire  par  la  mort  d'Aloysius  Bertrand. 


GLXXII 

David,  à  Victor  Pavie. 

Un  deuil.  —  Le  berceau  de  gazon.  —  L'enfant  et  l'homme, 

Paris,  15  novembre  18-41 . 

Cher  ami, 

Sans  prévoir  qu'un  malheur  aussi  affreux  dût  vous  visiter,  ce- 
pendant nous  éprouvions  quelques  inquiétudes  parce  que  Théo- 
dore nous  avait  dit  qu'une  lettre  écrite  par  une  personne  de  ta 
maison  annonçait  de  sérieuses  craintes  sur  la  santé  de  votre  pau- 
vre petit  enfant.  Enfin  ta  lettre  vient  de  nous  frapper  de  stupeur, 
car  plusieurs  raisons  très  graves  semblent  augmenter  les  dou- 
loureuses émotions  qui  te  rongent.  Chers  amis,  croyez  que  dans 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  187 

un  coin  de  la  rue  d'Assas,  deux  âmes  qui  vous  aiment  éprouvent 
un  violent  contre-coup  de  l'événement  qui  vient  de  couvrir  d'un 
voile  de  deuil  votre  existence.  Nous  en  avons  gémi,  car  nous 
aussi  nous  conservons  une  plaie  de  ce  genre  dans  le  cœur.  Il  faut 
que  cette  plaie  soit  aussi  durable  que  notre  vie^  puisque  chaque 
fois  que  je  retourne  voir  le  berceau  de  gazon  du  petit  Paul,  d'a- 
mers regrets  viennent  s'appesantir  sur  mon  âme.  Et  cependant 
que  perdent-ils  en  ne  restant  pas  sur  cette  terre,  ces  enfants  dis- 
parus? Eh!  mon  Dieu,  si  l'on  était  raisonnable,  on  devrait  bien 
plutôt  remercier  le  ciel  qui,  dans  sa  bonté,  retire  quelques  êtres 
de  ce  monde,  véritable  gouffre  d'illusions  empoisonnées.  Ce- 
pendant celte  vie  n'est  peut-être  que  l'épreuve  par  laquelle  il 
faut  passer  pour  arriver  à  une  autre  vie  meilleure? 

Un  enfant....  C'est  une  de  ces  visions  que  l'âme  semble  quel- 
quefois aller  puiser  au  ciel  et  qui  s'évapore  si  les  sens  essaient  de 
lui  donner  une  forme.  La  forme,  c'est  l'homme.  L'enfant,  c'est 
le  choc  rapide  et  lumineux  de  l'inspiration.  Vois  comme  la  forme 
homme  devient  misérable  à  mesure  qu'elle  se  complète  !  Si  la 
nature  ne  s'empressait  de  jeter  son  linceul  sur  cette  forme 
promptemeni  caduque,  les  hommes  finiraient  par  maudire  leur 
existence.  C'est  peut-être  pour  cela  qu'il  ne  faut  pas  trop  regretter 
la  disparition  de  ces  douces  et  angéliques  visions  qui  retournent 
dès  l'aube  vers  leur  patrie. 

Bon  et  cher  Victor,  nous  te  prions  en  grâce  de  ne  pas  nous 
laisser  sans  nouvelles  de  la  santé  de  M""^  Pavie.  Quelques  mots 
calmeront  notre  anxiété  à  cet  égard.  Nous  ne  cesserons  de  faire 
des  vœux  du  plus  profond  et  du  plus  pur  de  notre  cœur  pour 
que  le  calme  renaisse  sous  votre  toit  et  que  votre  santé  soit  par- 
faite à  tous. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

CollecAion  Pavie.  —  Victor  Pavie  venait  de  perdre  son  premier  enfant 
âgé  de  deux  ans  et  demi. 


188  DAVID  D'ANGERS 


GLXXIII 

David  à  "Victor  Pavie 

Ange  emportant  un  enfant.  —  Le  poète  angevin  Le  Loyer.  —  Le  buste  de 

Du  Bellay. 

Paris,  10  décembre  1841. 

Cher  ami;, 

Ta  lettre  m'a  trouvé  occupé  de  la  composition  d'un  petit 
dessin  représentant  un  Ange  emportant  au  ciel  vin  petit  enfant. 
ïu  vois  que  j'avais  devancé  ton  désir.  Envoie-moi  la  mesure 
bien  exacte  de  l'espace  que  tu  réserves,sur  la  croix, à  la  gravure 
du  sujet.  Je  ferai  un  dessin  au  trait  qui  pourra  être  reproduit 
par  un  calque. 

Nous  sommes  bien  heureux,  Emilie  et  moi,  des  bonnes  nou- 
velles que  tu  nous  donnes  de  la  santé  de  M""^  Pavie.  Nous  fai- 
sons des  vœux  pour  que  cela  dure. 

Adieu,  ami,  sois  plus  heureux  que  par  le  passé,  et  crois  à  mon 
dévouement  de  tout  cœur, 

DAvm. 

Envoie-moi  la  mesure  en  question. 

J'ai  lu  avec  un  bien  vif  et  réel  intérêt  ta  biographie  de  Pierre 
Le  Loyer.  Voilà  encore  une  des  gloires  poétiques  de  notre  Anjou 
que  tu  as  exhumée. 

J'aimerais  aussi  un  jour  faire  le  buste  de  Du  Bellay  et  celui  de 
Le  Loyer,  et  les  donner  aux  villages  qui  les  ont  vus  naître. 
Si  Dieu  me  prête  vie  cela  se  fera. 

Collection  Pavie.  — Le  dessin  représentant  un  Ange  emportant  un  enfant 
a  été  traduit  en  bas-relief  dans  le  cimetière  de  Saint-Melaine  sur  la  tombe 
du  petit  Joseph  Pavie.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  426;  t.  H,  p.  495.) 
Pierre  Le  Loyer  (1550-1634),  poète,  né  à  Huillé,  près  Durtal,  mort  à  Angers, 
avait  remporté,  en  1572,  le  prix  de  l'Eglantine  aux  Jeux  Floraux.  Du 
Bellay  était  né  à  Lire.  Si  le  projet  de  David  se  fût  réalisé,  les  bourgs  de 
Huillé  et  de  Lire  posséderaient  les  monuments  de  deux  poètes  angevins  du 
seizième  siècle. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  189 

1842 

CLXXIV 

David  à  Victor  Pavie. 

Du  Bellay.  —  Berthe.  —  Leysener.  —  Donas.  —  Charles  Lenorraant.  —  Le 
monument  de  Bichat.  —  Projet  du  maître  d'aller  ouvrir  à  Athènes  une 
école  de  sculpture.  —  Dantan  et  ses  «  charges  ».  —  Les  manuscrits 
d'Aloysius  Bertrand.  —  Corbière .  —  La  statue  de  Bernardin  de  Saint- 
Pierre  . 

Paris,  2  janvier  1842. 

Cher  ami, 

Je  m'occupe  le  plus  activement  possible  du  monument  du 
pauvre  petit.  Je  l'enverrai  aussitôt  qu'il  sera  terminé. 

Je  suis  bien  contrarié  du  retard  que  met  M.  Le  Loir  à  la  gra- 
vure du  portrait  de  Du  Bellay.  Je  sens  que  cela  doit  être  extrê- 
mement ennuyeuxpour  toi.  Je  lui  ai  fait  visites  sur  visites,  sans 
pouvoir  le  rencontrer.  Je  lui  ai  aussi  écrit  plusieurs  lettres  qui 
sont  restées  sans  réponse.  Aujourd'hui  seulement,  il  est  venu 
me  dire  que  le  dessinateur  sur  bois  ne  lui  avait  remis  la  plan- 
che que  depuis  deux  jours.  Il  m'a  juré  sa  parole  d'honneur  qu'il 
allait  s'y  mettre  sans  retard  et  que  nous  en  serions  bientôt  pos- 
sesseurs. A  tout  péché  miséricorde. 

J'ai  reçu  de  M.  Berthe  (d'Angers)  une  petite  note  sur  Leysener, 
Il  me  dit  que  c'était  toi  qui  l'avais  engagé  à  me  l'envoyer.  II 
t'aura  mal  compris.  Je  vois  avec  peine  la  stérilité  des  documents 
sur  cet  artiste.  Si  tous  ses  ouvrages  étaient  encore  visibles,  il  y 
aurait  sans  doute  de  quoi  t'inspirer  de  belles  pages,  car  l'auteur 
de  la  Tète  de  Christ  que  l'on  voit  chez  M.  Grille  était  un  homme 
de  grand  mérite.  Sa  vie  a  dû  être  très  simple,  et  je  me  souviens 
que  mon  père  m'a  souvent  dit  qu'il  buvait  copieusement  de 
notre  vin  d'Anjou.  Quelle  triste  note,  n'est-ce  pas?  Je  me  le  figure 
comme  Ohmacht^  homme  d'instinct,  attaché  profondément  aux 
nobles  et  aux  prêtres  parce  qu'ils  le  faisaient  travailler.  Du  reste, 
aucune  idée  philosophique.  Il  éprouvait  sans  doute  peu  d'émo- 
tions en  face  des  poétiques  expressions  de  la  nature  ;  il  vivait 
étranger  à  ces  grands  et  religieux  sentiments  de  patriotisme  qui 
font  que  l'artiste  descend  dans  l'arène  quand  les  intérêts  de  la 
patrie  sont  discutés  ;  il  dut  ignorer  que  chacune  des  productions 


190  DAVID  D'ANGERS 

de  l'homme  de  pensée  lui  enlève  une  parcelle  de  sa  vie,  et  le  fait 
ruine  avant  Tàge.  Pour  celui-ci  l'art  est  un  sacerdoce,  un  moyen 
•de  plaider  une  sainte  cause  :  celle  de  l'humanité,  de  la  vertu,  de 
la  grandeur  et  de  la  noblesse.  Ne  sont-ce  pas  là  les  seuls 
mobiles  qui  agissent  sur  le  cœur  de  l'artiste?  S'il  advenait  qu'un 
peuple  égaré  voulût  profaner  le  génie,  le  devoir  du  statuaire  est 
de  briser  ses  ciseaux  et  de  laisser  à  d'autres  le  triste  métier  qui, 
en  les  assimilant  aux  histrions,  les  fait  ramper  avec  eux  sous 
les  bravos  d'une  foule  hébétée. 

Si  tu  veux  encore  trouver  quelques  linéaments  plastiques  du 
ciseau  de  Leysener,  va  donc  visiter  la  maison  de  M.  de  Pigne- 
rolles  ;  il  y  a  là  des  bas-reliefs  qui  m'ont  paru  assez  bien.  A  la 
vérité  j'étais  bien  jeune  quand  je  les  ai  vus. 

Tu  devrais  souvent  voir  M.  Donas  et  faire  résonner  cette 
vieille  cloche  oxydée.  Elle  peut  rendre  encore  quelques  sons. 

M.  Lenormant  est  de  retour  de  Grèce  depuis  quelques  jours 
seulement.  Ce  qu'il  m'a  raconté  de  son  voyage  me  fait  éprouver 
un  profond  regret  de  ne  pas  avoir  pu  exécuter  le  projet  que 
j'avais  formé.  Il  m'avait  annoncé  à  plusieurs  Grecs  de  mes  amis 
qui  occupent  les  premiers  emplois  dans  ce  pays.  Enfin,  rien  n'est 
encore  abandonné  à  l'égard  de  ce  projet,  et  l'hiver  prochain  je 
puis  aller  m'établir  à  Athènes  où  il  reste  encore  de  vieux  défen- 
seurs de  la  cause  libérale  qui  attendent  la  consécration  de  mon 
ciseau. 

Je  termine  actuellement  le  monument  de  Bichat,  et  j'espère 
qu'il  sera  achevé  vers  le  milieu  du  mois  prochain.  Je  partirai 
aussitôt  pour  aller  à  Saint-Béat,  faire  exécuter  en  marbre  le 
groupe  du  général  Gobert.  Ensuite  je  reviendrai  en  mai  pour 
mon  mois  de  professorat^  puis  je  retournerai  à  Baréges  pour 
prendre  les  eaux,  et  au  mois  de  septembre  je  porterai  mes  re- 
gards et  mon  cœur  vers  cette  chère  Grèce  que  j'ai  si  longtemps 
désiré  voir.  L'ambassadeur  grec  et  tous  mes  amis  qui  habitent 
ce  pays  m'engagent  depuis  longtemps  à  aller  m'y  fixer  pour 
y  ouvrir  une  école  de  sculpture. 

Qui  peut  me  retenir  dans  cette  France,  au  milieu  d'un  peuple 
énervé  qui  ne  comprend  plus  le  sentiment  de  patriotisme?  La 
vogue  est  aux  Dantan  qui  le  font  rire  en  accentuant  le  côté  in- 
firme des  hommes  distingués.  Essayez  donc  après  cela  d'intéresser 
le  peuple  à  l'imago  des  héros,  des  bienfaiteurs  de  l'humanité! 
Vous  ne  serez  pas  compris. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  191 

Si  le  manuscrit  de  Bertrand  était  à  moi,  certes,  je  serais  très 
heureux  de  le  donner  à  la  ville  d'Angers,  mais  il  n'en  est  rien. 
Ces  feuilles  recueillies  par  moi  sur  un  grabat  d'hôpital  qui,  quel- 
ques jours  plus  tard,  auraient  sans  doute  servi  à  allumer  la  pipe 
des  garçons  de  salle,  appartiennent  à  la  famille,  à  laquelle  je  vais 
les  restituer  aussitôt  que  tu  me  les  auras  remises.  II  y  a  peu  de 
jours  que  M""'  Bertrand  est  venue  me  les  demander.  Ainsi  ne  les 
laisse  pas  entrer  dans  le  greffe  de  M.  Grille,  car  c'est  l'antre  de 
Trophonius. 

Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  mon  ami  Corbière.  Il  m'an- 
nonce que  le  Conseil  municipal  a  décidé  l'érection  de  la  statue 
de  Bernardin  de  Saint-Pierre  et  accepte  avec  reconnaissance 
Folfre  que  j'ai  faite  de  mon  modèle.  Encore  une  émotion  à 
joindre  à  toutes  celles  que  j'ai  déjà  éprouvées!  II  faut  que  le 
peuple  du  Havre  soit  industriel  jusqu'à  la  racine  des  cheveux 
pour  se  faire  tant  prier  d'élever  un  monument  à  un  homme 
aussi  justement  célèbre  que  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Si  ces 
marchands  n'avaient  étouffé  sous  la  préoccupation  du  lucre  tout 
sentiment  élevé,  ils  auraient  voté  par  acclamation,  et  depuis  de 
longues  années,  non  pas  une  statue,  mais  un  temple  à  l'auteur  de 
Paul  et  Virginie! 

Enfin  mes  émotions  ne  sont  pas  encore  terminées.  Corbière 
m'a  annoncé  la  lettre  affirmative  du  maire,  et  elle  ne  vient  pas... 
Cartilage  n'a  pas  eu  de  poètes  ni  d'artistes. 

Adieu,  ami,  soyez  tous  heureux.  Pensez  quelquefois  à  nous 
qui  vous  aimons  bien.  Emilie  souhaite  toute  sorte  de  bonheur  à 
M™'  Pavie,à  laquelle  tu  présenteras  mes  respectueux  hommages. 

Tout  à  loi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. —  Jacques-André  Berthe,  né  en  1763,  mort  en  1846,  avait 
pris  part,  dans  les  rangs  des  Républicains,  à  l'insurrection  de  l'Ouest,  durant 
l'époque  révolutionnaire.  Gardien  du  Musée  David  en  1839,  Berthe,  relieur 
de  sa  profession,  a  laissé  d'intéressants  manuscrits  sur  les  événements 
qu'il  avait  traversés  et  les  hommes  marquants  de  son  époque.  Il  est 
parlé  plus  haut  du  sculpteur  Leysener,  à  l'occasion  de  la  lettre  do  David, 
à  Victor  Pavie,  en  date  du  o  juillet  1830.  Ghai'les  Lenormant,  mort  à 
Athènes  en  1859,  a  fait  de  fréquents  voyages  en  Grèce.  Le  maiti'e  fut  inti- 
mement lié  avec  lui  et  modela  son  médaillon  dès  1830.  (Musées  d'Angers, 
p.  134.)  Nous  avons  parlé  des  monuments  de  Bichat  et  de  Bernardin  de 
Saint-Pierre,  au  sujet  de  la  lettre  de  l'artiste  à  Pavie,  en  date  du  31  mai 
1840.  On  connaît  les  «  charges  »  de  Dantan  le  jeune,  trop  poiupeuse- 
meut  décorées  du  litre  de  «  Musée  ».  Les  manuscrits  de  Bertrand,  dont  il 


192  DAVID  D'ANGERS 

est  question  ici,  sont  des  ébauches  tracées  par  le  poète,  durant  son  séjour 
à  l'tiospice  Necker.  Le  «  greffe  »  de  M.  Grille  est  la  Bibliothèque  d'Angers, 
dont  François  Grille  était  le  conservateur.  Le  romancier  Corbière  habi- 
tait le  Havre  en  1842.  L'artiste,  estimant  en  lui  l'écrivain  et  le  patriote, 
avait  modelé  son  médaillon  en  i8o5.  (Musées  d'Angers,  p.  159;  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  II,  p.  374.) 


GLXXV 


David    à   Victor  Pavie. 

Du  Bellay.  —  h' Ange  emportant  un  enfant.  —  Une  sœur  du  Conventionnel 
Oudot.  —  Leysener.  —  Le  Gaspard  de  la  nuit.  —  Théodore  Lebreton. 

Paris,  31    janvier  1842. 

Cher  Victor, 

Je  reçois  à  l'instinit  la  planche  de  la  gravure  de  Du  Bellay.  Je 
désespérais  de  la  posséder  jamais,  malgré  mes  incessantes  deman- 
des. Enfin  la  voilà  et  je  m'empresse  de  te  la  faire  parvenir.  Je 
pense  que  tu  ne  seras  pas  trop  mécontent  de  cette  gravure.  J'ai 
donné  la  somme  de  vingt  francs,  déboursé  du  graveur  pour  le 
dessinateur  ordinairement  chargé  du  soin  de  reporter  sur  le 
bois  le  dessin  sur  papier.  Tu  vois  que  MM.  Le  Loir  et  Andrew 
m'ont  traité  en  ami. 

Sous  peu,  j'espère  t'envoyer  le  dessin  sur  papier  et  celui  du 
monument  du  pauvre  petit,  ainsi  que  la  petite  croix.  Excuse- 
moi,  cher  ami,  si  je  suis  si  long,  mais  je  suis  si  horriblement 
pressé  par  le  monument  de  Bichat  et  le  groupe  équestre,  et  si 
effrayé  de  me  trouver  encore  à  Paris  vers  l'équino.x^e  du  prin- 
temps que  je  ne  me  donne  pas  un  moment  de  repos.  Je  vou- 
drais bien  tâcher  de  fuir  les  tourments  de  l'enfer  qui  m'atten- 
dent indubitablement  si  je  reste  ici. 

Je  t'envoie  l'extrait  mortuaire  de  Leysener  que  M.  Berthe  m'a 
transmis,  croyant  qu'il  me  serait  probablement  utile.  Va  donc 
voir  la  sœur  d'un  de  mes  amis  révolutionnaires,  Oudot.  Cette 
brave  femme  m'a  fait  passer  des  instants  bien  intéressants  en  me 
parlant  des  antiques  familles  angevines.  C'est  une  bibliothèque 
vivante.  Elle  avait  beaucoup  connu  ma  mère.  Tu  juges  comme 
je  l'ai  fait  parler  longuement  sur  ce  cher  sujet!  Je  ne  serais  pas 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  193 

étonné  que  tu  ne  parvinsses  à  avoir  quelques  détails,  de  ce  côté, 
sur  le  statuaire. 

Hier,  j'ai  rencontré  Sainte-Beuve,  qui  m'a  demandé  si  je  savais 
où  en  est  l'impression  du  Gaspard  de  la  nuit.  Il  m'a  dit  que  quand 
tu  lui  enverrais  les  épreuves,  il  am-ait  besoin  du  manuscrit  que 
tu  as  entre  les  mains,  et  môme  de  ceux  que  nous  avons  à  la 
maison,  pour  y  intercaler  quelques  nouveaux  morceaux. 

Nous  sommes  trcs  inquiets,  rue  d'Assas,  de  vos  chères  santés. 
Un  mot  de  ta  part  à  cet  égard  nous  fera  plaisir. 

Le  roulage  a  commis  une  lourde  bêtise.  Je  lui  avais  dit  de 
l'adresser  tes  caisses  franches  de  port,  au  lieu  de  cela  on  t'a  fait 
payer,  et  ce  sont  les  caisses  pour  le  Musée  qui  sont  arrivées 
franches  de  port.  J'en  ai  été  bien  contrarié. 

Adieu,  cher  ami.  Emilie  et  moi  désirons  que  vous  soyez  tous 
en  parfaite  santé  et  bien  heureux. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

L'année  dernière  j'étais  à  Rouen.  Je  me  suis  trouvé  avec  l'édi- 
teur d'un  volume  de  Poésies  de  Lebreton.  J'ai  été  engagé  à 
souscrire  et  à  faire  souscrire  mes  amis.  J'ai  pris  sur  moi  de  faire 
mettre  ton  nom,  et  je  t'envoie  le  volume  qui  vient  de  m'être 
remis. 

Collection  Pavie.  — David  a  modelé  le  médaillon  du  Conventionnel  Oudol 
en  1835.  (Musées  cC Angers,  p.  158.)  La  publication  de  Lebreton,  le  poète 
artisan  de  Rouen,  dont  il  est  pai-lé  ici,  a  pour  titre  ;  Nouvelles  Heures  de 
repos  d'un  ouvrier  (Rouen,  1842,  in-8°). 


GLXXVI 


Victor  Pavie  à  David. 

Le  portrait  de  Du  Bellay.  —  Mariage  de  Théodore  Pavie.  —  Le  Gaspard  de 
lu  nuit.  —  Chasse  aux  souvenirs  sur  Leysener.  —  Le  Rhin,  par  Victor 
Hugo.  —  Cacliot  ou  cabanon. 

Angei-s,  7  février  1842. 

Mon  cher  Monsieur  David. 

J'ai  décacheté  votre  lettre  avec  cette  inquiétude  qu'une  con- 

13 


i94  DAVID  D'ANGERS 

science  alarmée  comporte  naturellement  avec  elle  :  j'étais  en 
retard  vis-à-vis  de  vous. 

Vous,  loin  de  me  gronder,  vous  m'envoyez  une  gravure  admi- 
rable où  Du  Bellay  revit  mieux  qu'il  n'a  jamais  vécu.  Vous  me 
demandez  pardon  de  m'avoir  fait  payer  la  bienvenue  de  ce  que 
d'autres  auraient  payé  son  pesant  d'or.  Vous  traitez  de  «  liberté  » 
cette  attention  amie  d'avoir  inscrit  mon  nom  sur  le  registre  d'un 
poète.  Toutes  choses  qui  sont  bien  de  vous  et  auxquelles  on 
vous  reconnaît! 

Une  lettre  de  mon  père  a  traversé  notre  silence.  Elle  vous  a 
conté  comme  quoi  Théodore,  après  «  avoir  servi  de  ceinture  à  la 
terre  »,  —  ainsi  que  le  grand  Shakespeare,  fait  parler  Ariel,  — 
était  venu  redemander  aux  cendres  de  son  foyer  le  dernier  mot 
de  la  famille.  Simple,  aimante,  enthousiaste  des  devoirs  du 
mariage,  aspirant  à  servir  comme  d'autres  à  commander,  la 
femme  qu'il  a  choisie  promet  à  son  été  repos,  fraîcheur,  ombre 
et  rosée.  Viendrez-vous?  îront-ils?  L'entrevue  souhaitée  se  fera- 
t-elle  à  Angers  ou  à  Paris?  Tout  en  vous  renouvelant  à  cette 
chère  occasion  les  vœux  qui  furent  exaucés  à  la  mienne,  nous 
souscrivons  d'avance  avec  une  résignation  d'amis  à  vos  projets 
de  santé,  de  travaux  et  de  voyage,  si  malmenés  jusqu'à  ce  jour. 
11  est  certain  que  cette  terre  d'où  s'elface  à  mesure  l'ancienne 
trace  de  vos  pas  se  décolore  à  mes  yeux  de  tout  son  prestige  de 
patrie.  La  salle  où  gisent  vos  œuvres,  silencieuse  de  vous, 
m'attristait  l'autre  jour  et  me  semblait  votre  mausolée! 

La  gravure  de  Du  Bellay,  disais-je  donc,  est  une  traduction 
magnifique,  et  qui  me  fera  patienter  jusqu'à  la  venue  de  l'ori- 
ginal. L'épreuve  qui  s'y  trouve  jointe  me  servira  de  modèle. 
J'attends  sous  quelques  jours  encre  et  papier  de  PariS;,  qui  me 
mettront  à  même  de  réaliser  quelque  chose  de  mes  religieux 
désirs  à  cet  égard. 

Gaspard  avance  vraiment.  Je  ne  le  quitte  plus  de  vue  :  les 
défunts  avant  les  vivants.  J'avouerai  qu'à  ma  honte  et  à  mon 
crève-cœur  cette  devise,  hélas!  n'a  été  jusqu'ici  que  trop  en- 
freinte. Mais  je  l'affiche  à  mon  chevet,  où  elle  me  réveillera 
chaque  matin. 

La  journée  de  samedi  s'est  écoulée  tout  entière  à  glaner  des 
souvenirs  dans  le  champ  du  vieux  Leysener...  Non  seulement  sa 
moisson,   mais  celle  de  'sa  génération  est  faite;  ceux  qui   ne 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  1% 

dorment  pas  sous  terre  dorment  dessus.  M.  Bcrthe  s'ennuie  de 
mes  iniportunités  et  me  relance  de  la  belle  manière.  —  M.  Grille 
(l'oncle)  est  malade.  Quelle  bonne  fortune  pour  lui!  Pouvoir  tirer 
le  verrou  sur  soi,  sur  ses  papiers,  sur  son  musée  et  sur  ses 
livres  !  N'avoir  plus  rien  à  dire,  et,  chose  plus  douce  encore, 
n'avoir  plus  rien  à  montrer!  —  «  M.  Bonnet  n'y  est  pas,  repassez 
demain,  s'il  vous  plaît.  »  —  Pour  M'^^  Hudou,  elle  vit,  celle-là. 
Quel  volcan,  quelle  lave  de  souvenirs  débordés!  Gomme  je 
sortais  de  chez  elle,  des  Muettes  plein  les  yeux,  et  des  tintements 
plein  les  oreilles,  tous  ceux  que  je  rencontrai  en  me  rendant  à  la 
maison  me  semblèrent  si  nuls  et  si  ternes  que  je  crus  coudoyer 
autant  de  cadavres  sur  le  chemin.  Elle  prétend  que  les  parents 
en  savent  plus  qu'ils  n'en  disent;  que  l'opinion  les  gêne,  par 
souvenir  du  fils,  républicain  ardent,  sculpteur  aussi  lui-mèmC; 
auteur  du  buste  de  notre  fantastique  ami  Kadelberg.  Je  n'ai  plus 
qu'une  porte  où  frapper  désormais.  C'est  celle  d'un  ancien  litté- 
rateur d'ici,  le  sieur  Papin,  maintenant  domicilié  à  Saumur,  et 
dont  la  femme  est  nièce  de  Leysener.  Je  viens  de  cacheter  ma 
lettre  à  son  adresse.  Après  quoi  je  saurai,  ou  bien  j'ignorerai. 

Avez-vous  remonté  le  Rhin,  non  en  bateau,  cette  fois,  ni  en 
voiture,  mais  en  Victor  Hugo?  G'est  lui,  deux  fois  pour  une, 
réverbéré  dans  le  fleuve,  poète  sans  fin,  tirant  de  ceci  une  voix, 
et  de  cela  une  étincelle.  A-t-on  pétri  le  monde  avec  ce  despo- 
tisme étrange  qui  fait  que  tout  le  paysage  ne  jure  que  par  lui!  Un 
si  rude  gantelet,  à  la  longue,  vous  froisse.  On  revient  de  cette 
lecture  suffoqué  et  meurtri,  comme  une  proie  tombée  des  serres 
d'un  aigle. 

M.  **'  est  fou.  Homme  de  talent  et  de  cœur,  poète  aussi  dans 
son  art,  ce  vil  métier  des  autres,  et  le  dernier  typographe  qu'eiàt 
avoué  Gutenberg.  J'ai  appris  cela  hier,  comme  une  chose 
quelconque,  de  la  bouche  vulgaire  d'un  commis  voyageur. 
L'amour  des  traditions,  l'enthousiasme  du  beau,  l'horreur  des 
spéculations  mercantiles  ont  travaillé  sa  tête  et  bouleversé  son 
cerveau.  C'était  mon  maître,  et  je  le  pleure.  Cachot  ou  cabanon, 
c'est,  par  le  temps  qui  court,  la  destination  du  génie.  — Et  Ber- 
trand qui  allonge  sous  le  pli  do  vos  draps  sa  blême  tête  pour  me 
dire  :  «  Vous  avez  oublié  l'hôpital!  » 

Croyez,  notre  bien  cher,  à  nos  inviolables  amitiés, 

Victor  Pavie. 


196  DAVID  D'ANGERS 

CjUecUon  David  d'Angers.  —  L'ouvrage  do  Victor  Hugo,  Le  Rhin,  lettres 
à  un  ami,  parut  en  janvier  1842  (2  vol.  in-8°). 


CLXXVII 


David  à  Victor  Pavie. 

Tombeau  de  Joseph  Pavie.  —  Les  «  Pourquoi  de  l'enfant  ».  —  Symbolisme 
du  monument  de  Bichat.  —  Angoisses  d'artiste.  — Sérénades. —  Paysage. 
—  Souvenir  d'enfance.  —  Leysener.  —  Eugène  Delacroix.  —  Critique  des 
expositions.  —  Visite  à  la  tombe  d'Aloysius  Bertrand.  —  Le  roi  René. — 
Présent  de  la  ville  de  Strasbourg. 

Paris,  27  mai  1842. 

Je  suis  bien  en  retard  pour  te  répondre,  mon  cher  Victor  ;  la 
vie  agitée  des  voyages  en  est  la  cause.  Ce  n'est  pas  oubli,  car 
toutes  les  impressions  heureuses  que  j'ai  éprouvées  m'ont  rap- 
pelé ton  cher  souvenir.  Je  suis  heureux  que  tu  aies  reçu  avec 
quelque  intérêt  le  croquis  que  je  t'avais  adressé  avant  mon  dé- 
part, tristes  linéaments  confiés  à  cette  fragile  feuille  de  papier, 
monument  éphémère  quand  on  le  compare  à  celui  que  le  malheur 
sculpte  dans  notre  cœur.  Le  malheur  est  un  colosse  qui  tôt  ou 
tard  pèse  de  tout  son  poids  sur  notre  vie  et  l'écrase  impitoyable- 
ment. J'ai  travaillé  à  ce  croquis  avec  tout  le  cœur  possible,  avec 
de  bien  vives  émotions  à  ton  sujet  et  d'affreuses  transes  pour 
mes  deux  enfants,  car  le  jour  où  le  marbrier  avait  déposé  la 
croix  chez  moi,  ces  pauvres  petits  furent  frappés  de  la  maladie 
dont  mon  Hélène  n'est  pas  encore  tout  à  fait  guérie.  Parfois,  lors- 
que je  travaillais  au  dessin  du  pauvre  Joseph,  mes  enfants  ve- 
naient auprès  de  moi,  puis,  avec  une  voix  rendue  sonore  comme 
du  cristal  par  la  maladie,  ils  m'adressaient  des  questions  qui 
souvent  appelaient  des  larmes  à  ma  paupière.  «  N'est-ce  pas, 
disait  Hélène,  que  l'on  meurt  quelquefois?  —  Oui,  ma  pauvre 
enfant  ;  que  Dieu  nous  prenne  en  pitié  !  » 

Avant  de  quitter  Paris,  j'avais  terminé  deux  groupes  :  celui 
du  général  Gobert  avec  le  guérilla.  Dans  le  groupe  de  Bichat, 
j'ai  cherché  à  élever  un  monument  à  la  science  de  la  physio- 
logie. Trois  existences  se  présentent  sur  ce  piédestal  :  l'une 
rêveuse,  végétative,  pure  comme  l'aurore  d'un  jour  sans 
nuages;  l'autre  occupe  le  milieu,  la  partie  la  plus  élevée  de  cette 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  197 

pyramide  humaine.  Celle-là  est  passionnée,  dévorée  par  les 
émotions;  elle  pense  et  se  consume;  elle  essaye  de  lever  un 
coin  du  voile  qui  cache  les  mystérieux  secrets  de  la  Création. 
Enlin,  à  la  base  de  cette  pyramide  est  la  mort,  autre  exis- 
tence obscure,  hiéroglyphique.  C'est  cette  transformation  que  la 
lampe  de  la  science,  celle  qui  éclaira  Hippocrate,  illuminera 
de  ses  rayons.  Le  scalpel  et  les  instruments  d'anatomie  rappel- 
lent la  dissection.  Voilà  une  trilogie.  Les  anciens  aimaient  à  pro- 
céder d'après  cette  méthode.  J'en  ai  fait  usage  pour  exposer  mon 
drame  physiologique.  Si  j'ai  posé  la  main  de  Bichat  sur  le  cœur 
de  l'enfant,  c'est  que  là  réside  le  foyer  le  plus  ardent  de  la  vie. 
Dès  le  principe,  ma  composition  s'est  présentée  claire  à  ma  pen- 
sée. Mon  programme  est  très  simple.  N'est-il  pas  vrai  que  le  mé- 
decin prend  l'homme  au  berceau,  le  soutient  jusqu'à  la  tombe, 
et  restant  fidèle  à  sa  dépouille  y  cherche  des  lumières,  pour 
éclairer  les  sublimes  et  miraculeuses  manifestations  de  la  vie  ? 
Une  grande  jouissance  m'était  réservée  dans  la  réalisation  de  ce 
travail  ;  je  consacrais  pour  l'avenir  les  traits  de  mon  Robert. 
Puis  je  me  disais  :  Peut-être  cette  union  avec  un  grand  homme 
portera-t-elle  bonheur  à  ce  cher  enfant  !  Travaille,  pauvre  artiste, 
sois  le  jouet  continuel  des  émotions  qui  détruisent  ta  vie  par  lam- 
beaux, tâche  de  fouiller  dans  les  replis  les  plus  profonds  du  cœur, 
cherche  à  faire  passer  les  manifestations  de  l'âme  sur  la  pierre, 
tu  rencontreras  soudain  des  êtres  prétentieux  et  nuls  qui  te 
crieront  :  «  Prends  garde  !  tu  exagères  les  têtes  de  tes  person- 
nages !  Il  faut  que  je  puisse  te  comprendre  !...  »  Ah  !  mille  fois 
malheureux  celui  qui  peut  comprendre  toutes  les  transes,  les 
agonies  de  l'artiste!  Souvent,  la  nuit, lorsque  le  sommeil  le  fuit, 
son  œuvre  hante  sa  pensée,  elle  lui  apparaît  toute  défectueuse  ; 
son  cœur  serré  par  l'anévrisme  bat  convulsivement;  la  sueur 
couvre  son  front  ;  il  se  prend  à  désespérer  de  la  réussite  de  cette 
statue  qu'il  aimait  tant  !  Mais  la  lumière  calme  ses  angoisses.  II 
reprend  son  travail  avec  ardeur,  et  l'illusion,  ange  consolateur 
de  l'homme,  vient  de  nouveau  le  soutenir  dans  son  pénible 
labeur,  pour  l'abandonner  encore  au  retour  de  la  nuit  prochaine. 
X'oilà,  mon  ami,  l'histoire  de  ma  vie  d'artiste.  Aucun  de  mes  ou- 
vrages qui  ne  m'ait  fait  traverser  cette  épreuve  ;  mais  l'art,  avec 
sa  puissante  et  irrésistible  voix,  est  là  qui  vous  dit  :  «  Marche!  » 
PuiS;,  il  y  a  aussi   de   bien  douces   et  nobles  compensations. 


198  DAVID  D'ANGERS 

Si,  dans  une  ville  oi^  tous  croyez  être  arrivé  sans  être  vu  des 
personnes  qui  peuvent  vous  faire  connaître,  la  Marseillaise, 
sublime  chant  de  liberté,  retentit  tout  à  coup  dans  la  nuit  et  vous 
arrache  au  sommeil,  l'entraînante  harmonie  vous  rappelle  que 
votre  nom  n'est  pas  effacé  du  souvenir  de  vos  amis  ;  c'est  une  sorte 
de  baume  qui  cicatrise  les  anciennes  blessures  ;  le  cœur  se  re- 
prend à  la  vie;  l'avenir  s'embellit  de  nouveau.  Au  cours  des 
manifestations  si  chaleureuses  dont  j'ai  été  l'objet  dans  plusieurs 
villes,  lors  de  mon  dernier  voyage,  ce  qui  m'a  le  plus  touché, 
c'est  que  l'on  n'a  jamais  séparé  le  patriote  du  statuaire. 

J'aime  le  midi  de  la  France,  la  nature  y  est  passionnée. 
J'aime  la  désolation  de  ses  paysages,  qui  semblent  porter  les 
traces  d'une  des  brûlantes  révolutions  du  globe.  J'aime  ces  oasis 
délicieuses  qui  forment  un  si  heureux  contraste  avec  les  lignes 
sauvages  et  grandioses  d'un  sol  que  la  main  de  l'homme  ne  peut 
féconder  par  la  culture. 

Je  pense  qu'actuellement  tu  dois  avoir  des  documents  exacts 
sur  le  sculpteur  Leysener.  Combien  je  regrette  de  ne  pas  avoir 
noté  de  précieux  renseignements  que  mon  père  avait  recueillis 
sur  cet  homme  et  aussi  sur  des  faits  très  curieux  de  la  guerre  de 
la  Vendée  !  Mon  père,  avec  son  imagination  ardente,  avait  été 
naturellement  frappé  du  talent  de  ce  statuaire  dont  tu  veux  con- 
server le  souvenir;  il  en  parlait  bien  souvent,  et  moi  je  ne  prê- 
tais qu'une  trop  légère  attention  à  ses  récits.  Cependant  je  me 
souviens  bien  que,  tout  petit  garçon,  je  grimpais  sur  un  autel 
dévasté  de  l'église  en  ruine  de  Saint-Aubin,  et  que  là  je  me  cram- 
ponnais à  un  fragment  de  statue  de  Vierge  que  mon  père  m'avait 
dit  être  de  notre  statuaire.  Je  passais  mes  petites  mains  avec 
curiosité  sur  les  pieds  encore  bien  conservés,  et  j'habituais  ma 
jeune  pensée  à  désirer  suivre  cette  noble  carrière  des  arts. 
Cherche,  mon  ami,  feuillette  les  vieilles  archives  vivantes  que 
le  temps  a  oubliées  sur  la  terre;  tu  en  trouveras  beaucoup  comme 
M"^  Oudot  qui  expriment  leurs  idées  à  peu  près  comme  ces 
mots  à  rebours  que  l'on  trouve  sur  le  papier  buvard  qui  a  servi 
longtemps.  Qu'importe?  Un  mot  déformé  est  parfois  précieux 
sur  le  sujet  dont  on  s'occupe.  Il  y  a  aussi  d'autres  vieux  sou- 
venirs qui  font  songer  à  ces  manuscrits  calcinés  par  la  lave  du 
Vésuve.  Ceux-là  se  révèlent  à  vous  par  de  grandes  lignes  qui 
vous  font  pénétrer  de  sublimes  pensées  :  ce  sont  les  Chateau- 
briand, les  Lamennais, 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  199 

Je  viens  de  rencontrer  Lacroix,  qui  m'a  dit  avoir  perdu  le 
prospectus  de  l'exposition  d'Angers  que  tu  lui  avais  envoyé; 
malheureusement,  il  m'a  été  impossible  de  lui  en  donner  un 
exemplaire;  j'en  avais  disposé.  Je  n'ai  rien  à  envoyer,  hors  les 
bas-reliei's  du  Gulenherg  qui  viennent  d'être  fondus.  Tous  faites 
bien,  mes  amis,  de  tâcher  de  former  le  goût  des  Angevins  ;  puis 
c'est  la  mode  actuellement  de  faire  des  expositions.  Il  faut  que 
cette  mode  s'use  comme  toutes  celles  qui  sortent  de  la  tête  hu- 
maine. Dans  le  temps  où  l'art  était  en  plus  grande  vénération,  on 
ne  faisait  pas  d'exposition,  de  bazard.  L'art  était  partout  sur  les 
monuments;  il  était  à  sa  place;  il  avait  un  but.  On  ne  voyait 
pas  un  sujet  profane  auprès  d'un  sujet  religieux;  la  vertu  auprès 
du  vice,  la  charge  auprès  de  ce  qui  est  noble.  Aussi  l'art  était  pur 
et  respecté.  Actuellement,  c'est  un  objet  de  commerce  et  de 
curiosité;  on  ne  tient  pas  à  acheter  des  tableaux,  puisque  l'on 
peut  en  avoir  souvent  la  vue  par  des  expositions.  C'est  à  notre 
égard  ce  que  sont  les  cabinets  littéraires  pour  les  littérateurs. 

Et  mon  pauvre  Bertrand!  Lorsque  je  suis  allé  visiter  sa  tombe, 
une  pensée  est  venue  me  frapper  au  cœur.  11  me  semblait  que 
le  poète  me  demandait  avec  douleur  :  «  Et  mon  monument  lit- 
téraire! » 

Pense-t-on  à  faire  le  tombeau  du  roi  René?  Bien  certainement 
je  penserai  à  m'occuper  de  la  figure  vers  le  printemps  prochain; 
il  faut  eniîn  élever  un  monument  à  cet  homme.  Que  nous  som- 
mes Gaulois,  en  vérité!  Nous  ne  nous  exaltons  pas  assez  pour 
les  nobles  souvenirs;  notre  argent  est  collé  à  notre  colfre- fort 
quand  il  s'agit  d'une  manifestation  de  l'àme.  Ah  !  si  c'était  pour 
des  fêtes,  des  banquets,  cela  serait  bien  différent  ! 

Le  15  du  mois  de  juin,  je  quitterai  Paris  pour  les  Pyrénées,  et 
il  est  probable  que  je  retrouverai  la  santé. 

Soyez  tous  heureux,  chers  amis,  et  croyez  à  notre  sincère  et 
éternelle  amitié. 

DAvm. 

P.  S.  —  Je  viens  de  recevoir  de  la  ville  de  Strasbourg  une 
magnifique  coupe  ciselée  par  Kirstein.  Ce  qui  m'a  rendu  bien 
heureux,  c'est  le  nom  d'Angers  qu'ils  ont  joint  au  mien.  Le  nom 
du  fils  auprès  de  celui  de  sa  mère!  Voilà  les  véritables  récom- 
penses. Cela  vaut  mille  fois  mieux  que  les  croix  obtenues  par 
faveur. 


200  DAVID  D'ANGERS 

Collection  Pavie .  —  L'enfant  placé  près  de  Bichat.dans  le  monument  de 
Bourg,  rappelle  les  traits  du  fils  du  statuaire  en  1841.  C'est  M.  Robert 
David  qui  a  posé  pour  cette  figure.  L'abbaye  de  Saint-Aubin,  dont  parle 
le  maître,  existait  à  Angers,  au  centre  de  la  ville.  C'est  sur  son  emplace- 
ment que  s'élèvent  aujourd'hui  les  bâtiments  de  la  Préfecture.  Lacroix, 
on  l'a  vu  déjà,  est  le  peintre  Eugène  Delacroix.  La  coupe  ciselée  par 
Kirstein  fut  offerte  par  la  ville  de  Strasbourg  à  l'auteur  du  monument  de 
Gutenberg. 


GLXXVIII 

David  à  Victor  Pavie. 

Robert  David.  —  Le  Gutenberg  à  l'Imprimerie  royale.  — Le  pays  natal.  — 
L'atelier  d'élèves  de  David  passe  sous  la  direction  de  Rude.  —  Second 
buste  de  Victor  Hugo.  —  Les  carnets  du  maître.  — Les  monuments  du 
cardinal  de  Cheverus  et  de  l'abbé  Mongazon.  —  Paul  Delaroche.  — 
Rendez-vous  en  Grèce. 

Paris,  19  juin  1842. 

Mon  chev  Victor^ 

Sans  une  grave  maladie  qui  vient  encore  de  s'emparer  du 
pauvre  Robert,  je  ne  serais  plus  à  Paris,  Cependant,  je  pense  que 
bientôt  il  me  sera  possible  de  quitter  cette  ville,  car  mon  jeune 
malade  entre  en  convalescence. 

Je  viens  de  charger  au  roulage  plusieurs  caisses  pour  le  Musée 
d'Angers,  et  une  qui  t'est  destinée.  Celle-ci  contient  des  frag- 
ments, en  bien  mauvais  état,  de  deux  bas-reliefs  du  monument 
de  Gutenberg.  Tu  les  feras  porter  à  la  campagne.  Un  jour  le  sta- 
tuaire vieilli  contemplera,  sur  le  seuil  de  ta  porte,  tes  jeunes 
enfants  jouant  avec  les  têles  des  figures  de  ces  bas-reliefs.  Il  sera 
heureux  qu'au  moins  ses  ouvrages  puissent  amuser  cette  jeune 
génération.  Cette  fois  je  me  suis  bien  expliqué  :  la  caisse  doit 
t'être  remise  franche  de  port. 

Micheli  est  actuellement  occupé  au  moulage  des  quatre  bas- 
reliefs  qui^  avec  la  figure  de  Gutenberg,  doivent  être  placés  dans 
l'une  des  grandes  salles  de  l'Imprimerie  dont  M.  Lebrun  est  direc- 
teur. Aussitôt  que  le  moulage  sera  terminé,  des  ordres  seront 
donnés  pour  que  les  plâtres  soient  envoyés  à  Angers.  S'ils  n'ar- 
rivent pas  trop  tard,  tu  pourras  les  faire  placer  à  l'exposition  qui 
va  avoir  lieu. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  201 

J'ai  reçu  avec  reconnaissance  le  journal  dans  lequel  tu  as  inséré 
un  article  sur  mes  travaux.  Merci  mille  fois.  Ta  voix  s'est  encore 
élevée  en  laveur  de  ton  vieil  ami. 

Ne  crois  pas,  cher  ami;,  que  la  terre  de  la  patrie  puisse  être 
jamais  brûlante  à  mes  pieds.  Non,  mille  fois  non.  Je  l'aime  de 
toute  mon  âme.  Elle  a  pour  moi  le  charme  d'un  premier  amour 
heureux.  Mes  pensées  les  plus  chères  lui  sont  acquises,  et  je  vou- 
drais lui  confier  toutes  mes  douleurs,  comme  on  fait  à  une 
mère.  Mais  je  suis  un  pauvre  infirme  de  corps  qui  a  besoin  de 
chercher  à  calmer  ses  souffrances  sous  un  ciel  plus  chaud,  afin  de 
pouvoir  consacrer  encore  quelques-unes  des  années  qui  peuvent 
me  rester  à  mériter,  par  de  nouveaux  ouvrages,  la  bienveillante 
attention  de  mes  compatriotes.  Mon  cœur  et  mon  âme  renferment 
encore  quelques  nobles  visions  auxquelles  je  serais  heureux  de 
donner  une  forme  durable.  Cette  idée  me  poursuit  sans  relâche; 
elle  domine  toutes  autres  affections. 

Après  vingt-deux  années  de  tendre  et  constante  sollicitude, 
mes  élèves  viennent  de  me  quitter.  Afin  que  mes  absences  ne 
nuisissent  pas  trop  à  la  direction  de  leurs  études,  j'avais  prié 
M.  Husson  d'aller  constamment  leur  donner  ses  conseils.  Ils  sont 
venus  me  demander  un  autre  maître.  Je  les  ai  recommandés  d'a- 
bord à  M.  Petitot,  qui  a  refusé,  puis  à  M.  Rude,  qui  a  accepté.  Ils 
ont  aussitôt  écrit  une  lettre  de  remerciement,  signée  de  tous,  à  ce 
dernier,  et  je  suis  rentré  dans  ma  solitude...  Pourquoi  auraient- 
ils  eu  quelques  égards  envers  un  homme  qui  leur  avait  donné  ses 
leçons  gratuites,  qui  en  avait  sauvé  plusieurs  de  la  conscription, 
aidé  certains  autres  de  sa  bourse  lors  des  concours  du  prix  de 
Rome,  qui  leur  avait  prodigué  ses  consolations  quand  ils  étaient 
malades?  En  étant  polis,  je  ne  dis  pas  reconnaissants,  ils  n'eus- 
sent pas  été  les  enfants  de  ce  temps  d'égoïsme  et  d'ingratitude. 
Je  sais  bien  qu'ils  me  reprochent  de  ne  leur  avoir  donné  ma  voix 
dans  les  concours  qu'à  mérite  égal  avec  leurs  concurrents,  de  l'a- 
voir toujours  réservée  aux  élèves  des  autres  maîtres  lorsque  ceux- 
ci  la  méritaient  mieux  que  les  miens.  Je  sais  bien  qu'ils  peuvent 
me  dire  que  les  autres  maîtres  n'ont  pas  montré  toujours  tantde 
scrupule,  mais  ma  conscience  m'est  trop  chère  pour  la  sacrifier 
en  aucune  occasion,  et  ma  vie  prouvera  que  je  ne  suis  pas  répu- 
blicain de  nom  seulement. 

Avant  d'entreprendre  un  voyage,  j'ai  toujours   l'habitude   de 


202  DAVID  D'ANGERS 

mettre  ordre  à  mes  affaires.  Je  viens  de  faire  un  testament  qui 
prouvera,  je  l'espère,  mon  admiration  et  ma  tendre  amitié  pour 
Hugo  :  c'est  son  buste;  car  le  premier  essai  n'était  qu'un  portrait. 
Je  l'ai  débarrassé  de  ses  vêtements,  je  lui  ai  mis  une  couronne  de 
laurier  sur  la  tête.  Ce  buste  sera  coulé  en  bronze  et  donné  par 
moi  à  la  ville  de  Besançon.  Je  tenais  beaucoup  à  faire  compren- 
dre à  ses  insouciants  compatriotes  qu'au  moins  il  existe  hors  de 
chez  eux  des  hommes  susceptibles  d'être  constants  admirateurs 
du  génie,  et  qu'enfin  on  n'est  pas  «  prophète  dans  son  pays 
natal  ». 

Sous  peu  de  jours,  je  crois  pouvoir  partir.  Je  vais  encore  éprou- 
ver de  grandes  et  saisissantes  impressions  à  la  vue  des  beautés  de 
ce  pays  méridional  que  j'aime  tant.  Je  vais,  comme  j'en  ai  toujours 
eu  l'habitude,  noter  dans  des  petits  livrets  une  partie  de  mes 
émotions.  Un  jour,  après  moi,  tu  en  seras  le  dépositaire.  Tu  y 
trouveras,  sans  doute,  des  pensées  d'artiste.  Tout  ce  qui  frappe 
mon  imagination  devient  de  l'art,  et  cela  doit  être  nécessaire- 
ment, puisque  nous  sommes  voués  durant  toute  notre  vie  au 
«  compte  rendu  »  de  la  nature  visible  et  intellectuelle. 

Quand  je  reviendrai,  je  terminerai  la  statue  du  vénérable 
M.  de  Cheverus. 

Le  monument  de  M.  Mongazon  est  en  train,  mais  c'est  un 
ouvrage  qui  a  pris  une  grande  extension  par  le  bas-relief  qui  re- 
présente une  Distribution  de  prix.  La  bonne  et  patriarcale  tète  de 
cet  homme  m'a  fait  plaisir  à  reproduire. 

Tu  vois,  ami,  que  lorsque  je  reviens  à  Paris,  mes  instants  sont 
exclusivement  employés  à  faire  de  nouveaux  travaux  qui  ne 
pourraient  être  exécutés  si  j'allais  me  reposer  dans  notre  pays. 

Mais  toi,  tu  ne  viens  plus  à  nos  expositions,  tu  n'as  pas  même 
vu  le  dernier  travail  de  Delaroche,  travail  dont  je  te  parlerai  dans 
ma  prochaine  lettre.  Viendras-tu  me  retrouver  en  Grèce?  Serai- 
je  plus  heureux  cette  fois  qu'à  l'inauguration  du  Gutenberg  ? 

Adieu,  cher  ami,  soyez  heureux  tous  et  croyez-nous,  Emilie  et 
moi,  tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  — Un  exemplaire  en  plâtre  du  monument  de  Gutenberg, 
offert  à  M.  Lebrun,  directeur  de  l'Imprimerie  royale,  décore  un  atelier  de 
cet  établissement.  Un  exemplaire  en  fonte,  exécuté  à  une  date  postéi'ieure, 
a  été  placé  dans  lacour  d'honneur  de  l'ancienHôtel  de  Rohan.(ili2«ee5  (i?'^n- 
gers,  pp.   109-110.)  Le  buste  de  Victor  Hugo,  la  tête  laurée,  porte  la  date 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  203 

de  i842.  Le  marbre  fut  offert  au  modèle. {Davidd'Angers, etc., t. ï, p. 582;i.U, 
p.  418.)  Les  carnets  du  maître,  au  nombre  de  plus  de  cinquante,  ont  été 
offerts  par  M.  Robert  David  à  celui  qui  écrit  ces  lignes.  Un  grand  nombre 
de  notes  extraites  de  ces  carnets  ont  trouvé  place  dans  les  écrits  du  sta- 
tuaire. (David  d'Angers,  etc.,  t.  Il,  pp.  3-447.)  Le  monument  de  Cheverus, 
érigé  à  Mayenne,  fut  inauguré  le  8  août  1844.  Le  travail  de  Paul  Dela- 
roche,  auquel  fait  allusion  David,  est  la  peinture  murale  de  l'Hémicycle  à 
l'École  des  beaux-arts. 


GLXXIX 

David  à  Victor  Pavie. 

Aloysius  Bertrand  et  ses  proches.  —  Le  cardinal  do  Cheverus  et  Fénelon. 

Paris,  27  juin  1842. 

Cher  Victor, 

Robert  n'étant  pas  encore  tout  à  fait  rétabli,  je  n'ai  pas  pu 
quitter  Paris,  mais  j'espère  pouvoir  le  faire  samedi  prochain  ou 
dimanche.  Ainsi,  tu  pourrais  encore  ra'écrire  si  tu  avais  quel- 
ques choses  à  me  dire.  D'ailleurs,  les  lettres  qui  me  seront  adres- 
sées ici  me  seront  envoyées  au  lieu  où  je  voyagerai. 

11  m'a  été  impossible  d'empêcher  M"''-'  Bertrand  de  t'écrire.  Je 
sens  combien  tu  dois  être  ennuyé  d'être  ainsi  tracassé.  Que 
veux-tu?  cette  femme  est  comme  une  âme  en  peine.  Quand  je  la 
vois  venir,  elle  me  semble  une  apparition  du  malheureux  jeune 
homme.  Ce  n'est  certes  pas  celle  de  sa  belle  et  poétique  imagi- 
nation, mais  bien  la  matérielle  expression  des  misérables  en- 
traves qui  ont  eu  raison  de  sa  frêle  existence.  Ah  !  combien  il 
aura  dû  souffrir  ainsi  entouré  d'êtres  qui  ne  pouvaient  le  com- 
prendre! Quel  long  drame  passé  dans  les  sinistres  mansardes  où 
tant  de  misère  était  abritée!  Je  ne  suis  plus  étonné  des  traces  de 
blessures  occasionnées  par  ce  dur  voisinage  que  j'apercevais 
sur  son  âme  si  délicate.  Il  y  a  vraiment  une  malédiction  attachée 
à  tous  ceux  que  la  nature  a  inscrits  sur  son  livre  d'immortalité. 
Il  semble  qu'elle  veuille  se  venger  de  ces  devins  qui  cherchent 
à  pénétrer  ses  énigmes. 

Je  suis  tourmenté,  parce  que  Miclieli  n'a  pas  encore  terminé 
le  moulage  des  bas-reliefs,  et  comme  il  est  très  pressé  d'ailleurs, 
je  crains  que  ces  bas-reliefs  n'arrivent  pas  à  temps  pour  votre 


204  DAVID  D'ANGERS 

exposition.  Enfin,  il  m'a  promis  qu'il  les  expédierait  aussitôt  que 
sa  besogne  sera  terminée. 

J'ai  mis  en  train  le  monument  de  M.  de  Cheverus  ;  je  le  ter- 
minerai à  mon  retour  à  Paris.  Ce  travail  m'intéresse  beaucoup. 
C'était  un  homme  tout  à  fait  digne  d'être  mis  en  parallèle  avec 
Fénelon.  Il  y  avait  entre  eux  une  grande  similitude,  quant  aux 
sentiments  d'humanité,  mais  l'évoque  de  Cambrai  avait  le  double 
don  du  génie  et  des  généreuses  passions  du  cœur.  La  réunion  de 
ces  deux  qualités  dans  un  grand  homme  en  fait  une  exception. 

Présente  mes  respectueux  hommages  à  Madame  Pavie. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

Collection  Pavie. 


CLXXX 


David  à  "Victor  Pavie. 

Baréges.  —  Gavarnie.  —  Paysage.  —  Le  lac  de  Gaube.  —  Un  drame  sur  le 
lac.  —  Légende.  —  L'étude  de  Victor  Pavie  sur  Leysener.  —  Hawke.  — 
Paul  Delaroche  et  l'Hémicycle  de  l'École  des  beaux-arts.  —  Critique.  — 
V Apothéose  d'Homère,  par  Ingres.  —  Caractéristiques  des  deux  œuvres. 
—  La  garnison  de  Baréges.  —  Retour  à  Paris. 

Baréges,  4  août  1842. 

Depuis  dix-huit  jours  nous  sommes  à  Baréges,  cher  Victor. 
C'est  un  bien  triste  séjour.  Une  seule  rue  entre  deux  montagnes. 
Le  Gave,  qui  bondit  avec  un  bruit  sinistre  sur  des  fragments  de 
granit,  descend  parallèlement  à  la  rue.  La  chambre  de  laquelle 
je  t'écris  donne  d'un  côté  sur  le  Gave,  et  de  l'autre  sur  cette  rue, 
autre  torrent  qui  roule  continuellement  bien  des  misères,  desti- 
nées, comme  les  eaux  qui  hurlent  avec  tant  d'énergie,  à  se  repro- 
duire perpétuellement  et  à  s'engouffrer  dans  les  entrailles  du 
globe.  L'àme  est  attristée  de  voir  ces  processions  de  gens  cris- 
pés, disloqués;  ces  figures  mangées  jusqu'aux  os,  guidées  par 
deux  yeux  ternes  qui  vous  regardent  avec  envie  comme  les  yeux 
d'un  homme  qui  sortirait  du  cercueil  après  quelques  mois  de 
séjour.  En  voyant  tous  ces  gens  marcher,  l'un  avec  une  seule 
jambe  et  des   béquilles,   l'autre  avec  une  jambe  attachée  au- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  20o 

dessous  du  menton,  on  serait  porté  à  croire  que  tous  les  télé- 
graphes de  France  se  sont  donné  rendez-vous  ici.  Les  premiers 
jours  de  mon  arrivée,  je  boitais,  j'étais  tenté  de  me  courber, 
tant  l'imitation  de  ceux  qui  nous  entourent  a  de  puissance  sur 
nous,  et  je  regrette  que  Dieu  n'ait  pas  été  plus  généreux  en 
types  nobles  ;  ceux-ci  paraissent  à  de  trop  rares  époques  sur  la 
terre. 

Si  Baréges  est  d'une  austérité  inflexible,  il  y  a  dans  les  envi- 
rons de  merveilleux  effets  de  la  nature  à  contempler,  et  il  est 
impossible  de  rester  dans  ce  pays  le  cœur  vide  de  saisissantes 
émotions.  J'ai  vu  à  Gavarnie  la  magnifique  cascade  qui  mérite 
bien  sa  réputation.  J'ai  vu  aussi  une  foire  espagnole.  Voilà  des 
hommes  qui  ont  un  costume  pittoresque  et  énergique  !  Je  ne  pou- 
vais, en  regardant  ces  hommes  si  beaux,  à  la  tournure  si  noble, 
m'empécher  de  sourire  de  pitié  en  pensant  à  nos  paysans  gau- 
lois habillés  de  loques  couleur  d'ardoise,  à  l'air  rusé,  à  la  face 
enluminée  par  l'ivrognerie,  accompagnés  de  leurs  femmes  si 
niaisement  ajustées.  Décidément,  les  Gaulois  n'ont  jamais  eu  de 
goût,  et  ce  qui  est  désespérant,  ils  n'en  auront  jamais.  Ils  sont 
trop  orgueilleux  pour  emprunter  aux  autres  peuples  ce  qui  leur 
manque. 

Les  excursions  dans  les  montagnes  sont  éiectrisantes  d'intérêt, 
mais  les  émotions  sont  aussi  bien  violentes.  Quand,  pendant  cinq 
heures,  on  a  continuellement  un  horrible  précipice  à  côté  de  soi, 
les  idées  les  plus  mélancoliques  vous  assaillent.  Que  de  fois 
n'ai-je  pas  tremblé  en  voyant  Emilie  et  mon  fou,  mon  insouciant 
Robert  courant  devant  moi  sur  un  sentier  étroit!  Puis,  je  posais 
le  regard  sur  les  fleurs  des  montagnes  dont  notre  guide  avait 
orné  la  tête  de  nos  chevaux,  et  je  me  souvenais  que  les  anciens 
avaient  coutume  de  couronner  les  victimes  avant  de  les  conduire 
à  la  mort.  Rien  de  sublime  comme  le  spectacle  de  ces  montagnes 
de  granit  qui  semblent  en  lutte  avec  le  ciel  et  dont  se  détachent, 
de  temps  à  autre,  des  blocs  énormes.  Quelle  lutte  mystérieuse 
et  gigantesque  dans  la  nature!  Quelle  énigme  pour  nous! 

Il  y  a  peu  de  jours  que  nous  avons  été  visiter  Gautercts  et  ce 
fameux  lac  deGaube,  qui  est  sur  une  montagne.  Là,  en  1832,  il 
s'est  passé  un  drame  dont  le  récit  m'a  vivement  ému.  Un  jeune 
Anglais,  après  avoir  bu  une  bouteille  de  rhum,  a  contraint,  par 
la  force^  sa  femme  à  le  suivre   dans  une  barque,  et  lorsqu'ils 


f06  DAVID  D'ANGERS 

eurent  disparu  derrière  un  rocher, on  entendit  des  cris  perçants, 
et  peu  après  on  aperçut  la  barque  \ide  voguant  au  hasard.  On  a 
élevé  à  ces  disparus  un  tombeau  sur  le  rocher  qui  avance  dans 
le  lac  comme  une  chaloupe  attachée  au  rivage.  Un  paysan  qui, 
durant  la  belle  saison,  garde  la  masure  destinée  à  servir  d'abri 
aux  voyageurs,  me  disait  qu'un  pâtre  prétend  avoir  vu,  la  nuit, 
sur  le  lac,  une  barque  fantastique  dans  laquelle  deux  personnes 
luttaient  avec  efforts;  puis  la  vision  disparaissait,  et  l'on  en- 
tendait des  cris  plaintifs  mêlés  de  rires  infernaux.  Deux  lumières 
semblaient  se  poursuivre  sur  l'eau  et  venaient  se  poser  sur  le 
monument.  C'est  quelque  chose  de  grand  que  ce  tombeau  sur  la 
montagne!  Un  drame  près  du  ciel!  La  victime  auprès  de  son 
meurtrier,  dans  le  même  cercueil!  Et  quand  on  pense  que  cet 
emblème  de  mort  roulera  tôt  ou  tard  dans  la  plaine  avec  le  bloc 
géant  qui  lui  sert  d'appui  ! 

J'ai  été  bien  heureux  de  lire  ici  ce  que  tu  as  écrit  surLeysener. 
Ce  sont  des  pages  profondément  et  admirablement  bien  senties. 
Si  le  destin  du  statuaire  a  été  assez  cruel  pour  le  faire  s'égarer 
dans  notre  Anjou,  au  moins,  comme  compensation,  il  s'est  trouvé 
là  une  âme  qui  lui  a  élevé  un  monument,  car^  cher  ami,  tes 
pages  conserveront  son  souvenif  parmi  les  hommes.  Cette  œuvre 
était  digne  de  toi.  Je  suis  heureux  de  savoir  qu'il  existe  encore  un 
portrait  de  ce  statuaire.  Tu  devrais  engager  M.  Havs^ke  à  en  faire 
une  gravure,  ou  M.  Ménard  un  dessin.  Pour  moi,  je  désirerais  bien 
qu'on  me  l'envoyât  pendant  quelques  jours  pour  en  faire  un  mé- 
daillon en  bronze  ;  tu  tâcheras  d'arranger  cela,  je  t'en  prie. 

Voici  quelques-unes  de  mes  idées  sur  le  travail  de  Paul  Dela- 
roche,  à  l'École  des  beaux-arts,  dans  la  salle  destinée  aux  diffé- 
rents cours  spéciaux  et  aux  distributions  de  prix.  Le  peintre  avait 
à  représenter  la  réunion  de  tous  les  artistes  qui  ont  brillé  aux 
diverses  époques  de  l'histoire.  Tout  à  fait  au  miheu  de  l'Hémi- 
cycle, on  voit  les  trois  grandes  gloires  artistiques  de  la  Grèce  : 
Apelle,  Phidias  et  Ictinus  ;  à  leurs  pieds,  une  femme  à  demi  nue 
jette  avec  violence  des  couronnes  qu'elle  vient  de  ramasser  à 
terre.  De  chaque  côté  sont  des  femmes  :  allégories  do  l'art  ro- 
main, gothique  et  de  la  Renaissance.  Ensuite  se  voient  les  grandes 
célébrités  de  tous  .les  pays,  depuis  la  Renaissance  jusqu'à 
Louis  XIV. 

La  première  impression  que  j'ai  éprouvée  en  apercevant  tous 


ET  SES   RELATIONS   LITTERAIRES  207 

ces  hommes  bavardant  avec  des  gestes  outrés,  des  poses  manié- 
rées, a  été  que  je  me  trouvais  en  face  d'une  assemblée  de  fous.  Les 
artistes  devraient  bien  se  persuader  que  l'on  ne  peint  pas  des 
paroles;  que  ce  sont  les  actions  qui  sont  leur  véritable  langage. 
A  cet  égard,  je  me  rappelle  qu'un  jour,  sur  laroule  de  Montpellier 
à  Béziers,  je  vis  une  femme  qui  gesticulait  d'une  manière  très 
étrange.  Je  la  crus  folie.  Gela  me  lit  réfléchir  à  un  grand  prin- 
cipe d'art,  c'est  que  les  gestes  doivent  être  extrêmement  simples, 
et  c'est  surtout  dans  le  sujet  que  Delaroche  avait  à  traiter  que 
ce  principe  devait  avoir  son  application.  Quand  je  vois  une  réu- 
nion d'hommes  distingués,  j'éprouve  le  désir  d'entendre  ce  qu'ils 
disent,  afin  de  profiter  de  leurs  lumières.  A  quoi  me  servirait  de 
les  voir  se  démener  comme  des  énergumènes,  si  je  ne  pouvais 
les  comprendre?  Au  contraire,  si,  calmes,  réfléchis,  plongés  dans 
de  profondes  méditations,  ils  se  présentaient  à  ma  vue,  alors  je 
penserais  à  ce  que  chacun  a  fait  de  grand  pour  se  rendre  digne 
de  la  vénération  des  hommes.  Ma  tête  s'exalterait  et  j'assisterais 
à  leur  apothéose.  D'ailleurs,  les  artistes  ne  doivent  parler  que  sur 
la  toile  ou  le  marbre.  Les  bavards,  ceux  qui  dépensent  leur  temps 
en  conversations,  n'ont  jamais  été  que  des  artistes  médiocres. 
Tout  ce  qui  est  dépensé  par  la  parole  est  autant  de  perdu  pour 
l'immortalité  de  l'artiste.  Toute  la  vie  des  maîtres  doit  s'écouler 
dans  le  silence  do  l'atelier  ou  dans  une  religieuse  contemplation 
des  créations  de  la  nature. 

Le  statuaire,  dès  l'instant  qu'il  prend  le  ciseau  pour  représen- 
ter un  grand  homme,  sent  que  c'est  une  apothéose  qu'il  va  faire, 
un  poème  avec  une  seule  figure  qu'il  va  tracer.  Ce  n'est  pas 
l'homme  physique  seulement,  c'est  l'être  immatériel  qui  doit  en- 
velopper la  matière  et  lui  servir  d'auréole,  afin  de  faire  comprendre 
aux  spectateurs  que  cette  apparition  est  celle  de  l'homme  des- 
tiné par  la  nature  à  laisser  un  monument  durable  et  utile  à  l'hu- 
manité. Ce  n'est  pas  seulement  le  grand  homme  que  l'on  doit 
chercher  à  faire  resplendir  dans  tout  l'éclat  de  sa  gloire,  c'est, 
ou  la  réalisation  d'un  grand  fait  historique,  ou  le  point  le  plus 
élevé  cil  la  science  a  été  portée  par  celui  dont  on  veut  consacrer 
les  traits.  L'homme  de  génie  aspire  à  lui  toutes  les  intelligences 
qui  se  trouvent  disséminées  sur  la  terre.  Elles  sont  ses  bras;  lui 
est  la  tête,  le  centre,  l'unité,  le  résumé,  et  il  devient  le  mythe 
d'une  époque.  Voilà  la  statue. 


208  DAVID   D'ANGERS 

Les  êtres  grands  par  le  cœur  ont  aussi  leur  majesté  surhu- 
maine. TelsNiobé  la  mère,  le  Laocoon,  et,  dans  le  christianisme, 
Jésus,  sublime  législateur,  qui  a  donné  au  monde  la  plus  grande 
idée  de  charité  qu'on  ait  jamais  entendu  formuler  sur  ce  globe! 
C'est  par  la  profondeur  de  la  pensée  que  le  statuaire  peut  se  ren- 
dre digne  de  sa  haute  mission.  Il  ne  peut  ni  ne  doit  prétendre  à 
la  vérité  matérielle  delà  nature  physique.  La  matière  qu'il  emploie 
pour  fixer  ses  inspirations  est  un  invincible  empêchement  à  l'il- 
lusion. Dans  le  sujet  qui  nous  occupe,  le  peintre  devait  se  faire 
statuaire.  Chaque  figure  prise  à  part  devait  être  la  synthèse  d'un 
poème. 

Dans  les  scènes  do  la  vie  active,  la  peinture  peut  rendre  le 
mouvement,  elle  peut  aspirer  à  la  magie  de  l'illusion,  et  c'est  par 
là  que  se  distingue  l'art  moderne.  Les  Grecs,  moins  matériels, 
ne  cherchaient  pas  le  mensonge  des  effets  d'optique.  Leur  but 
constant  était  l'homme  physique  et  moral  dans  sa  plus  saisissante 
pureté.  Tout  cela,  chez  eux,  était  éclairé  de  la  lumière  du  ciel, 
tandis  que  les  peintres  modernes  ont  éclairé  leurs  figures  au  jour 
amoindri  d'un  soupirail  de  cave.  Or,  on  peut  juger  du  degré  de 
matérialisme  auquel  un  peuple  est  tombé,  par  l'étude  de  ses 
productions  d'art.  Les  Espagnols  et  les  Flamands  nous  offrent 
un  exemple  frappant  de  la  vérité  de  ce  que  je  dis,  tandis  que  les 
Italiens  ont  généralement,  surtout  à  l'époque  la  plus  brillante  de 
leur  histoire,  baigné  leurs  scènes  religieuses  de  lumière  céleste. 
Le  peintre  a  l'avantage  de  pouvoir  compléter  et  rendre  précise  la 
scène  qui  l'occupe,  à  l'aide  de  groupes  et  d'accessoires  qui  expli- 
quent le  sujet.  Il  peut  user  de  toutes  les  ressources  de  la  palette. 
Toutefois,  lorsqu'il  médite  une  apothéose,  il  doit,  je  le  répète,  se 
faire  statuaire  par  la  simplicité  du  mouvement.  La  couleur  même 
dont  il  se  servira  ne  devrait  pas  avoir  la  puissance  dont  elle  revêt 
les  scènes  de  la  vie  active.  Une  apparition  n'a  pas  la  consistance 
d'une  réalité. 

J'aurais  voulu  trouver  cela  dans  le  tableau  de  l'École  des  beaux- 
arts.  Cette  Distribution  de  récompenses  à  laquelle  assistent  tous 
ces  lumineux  génies  des  temps  anciens  devait  être  imprégnée  de 
plus  de  recueillement.  Les  grands  hommes  qui  se  sont  davan- 
tage inspirés  de  l'art  grec  devaient  se  rapprocher  de  leurs  types 
et  regarder  avec  admiration  les  trois  chefs  de  cette  sublime  école 
athénienne.  Ceux-ci  n'auraient  pas  dû  être  dessinés   avec  une 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  209 

uniformité  qui  pourrait  faire  croire  qu'ils  sont  sortis  du  même 
moule.  Apelle  et  Ictinus  devaient  avoir  des  formes  plus  délicates 
que  Phidias,  les  statuaires  ayant  besoin  de  lutter  contre  les  mon- 
tagnes dont  ils  font  jaillir  l'immortalité. 

Pour  particulariser  l'art  grec  et  cette  pensée  incessante  de 
beauté  qui  l'a  toujours  guidé,  les  Grâces,  qui  ont  été  son  flam- 
beau, qui  l'ont  doté  d'une  couronne  permanente,  toujours  plus 
brillante  à  mesure  que  les  siècles  apportent  leurs  éléments  de 
comparaison,  auraient  utilement  aidé  à  bien  saisir  le  caractère 
de  ces  trois  gloires  de  l'école  ancienne.  Leur  pose  différente,  et 
en  rapport  avec  le  génie  de  chaque  artiste,  aurait  fait  comprendre 
l'admirable  variété  qui  existe  dans  les  ouvrages  du  peuple 
grec. 

L'Art  gothique,  avec  son  église  dans  les  mains,  aurait  pu  avoir 
une  physionomie  plus  mélancolique.  Il  eût  été  bon  d'indiquer 
que  ce  sont  les  inspirations  du  cœur  qui  ont  dirigé  les  religieux 
artistes  de  l'époque  gothique. 

L'Art  romain  est  le  grec  abâtardi.  Il  a  travaillé  pour  des  maî- 
tres qui  n'ont  jamais  compris  les  douces  émotions  ou  les  philo- 
sophiques aperçus  du  génie  poétique. 

Dans  la  figure  de  la  Renaissance,  il  eût  été  opportun  de  rappe- 
ler, par  le  costume,  la  pose  et  les  formes  du  personnage,  que  l'art 
avait  établi  son  atelier  dans  l'antichambre  des  rois  et  des  grands 
d'alors;  qu'il  s'était  affublé  des  fragments  presque  déteints  du 
manteau  grec,  unis  avec  la  friperie  bizarre,  pleine  d'afféterie,  du 
goût  de  son  époque. 

Il  n'aurait  pas  fallu  représenter  la  Gloire  à  genoux,  ramassant 
des  couronnes  dans  la  poussière  pour  les  jeter  à  la  tête  du  spec- 
tateur. Il  n'aurait  pas  fallu  faire  exécuter  tant  de  gestes  inexpli- 
cables à  des  hommes  qui,  au  contraire,  devaient  s'entretenir  à 
voix  basse  et  avec  décence,  comme  cela  se  pratique  quand  on  est 
admis  dans  un  lieu  que  l'on  respecte. 

.le  n'aurais  pas  voulu  voir  Michel-Ange,  l'homme  du  mouve- 
ment, assis,  ayant  l'air  d'un  vieux  buveur  qui  cuve  son  vin  et 
médite  sur  l'ivresse  du  lendemain. 

Le  suave  et  angélique  Raphaël  pose  avec  manière  comme  un 
François  ["'l  Et  mon  cher  Puget,  lui  dont  l'âme  brûlante  a  su 
donner  au  marbre  une  vie  plus  puissante  que  la  vie  réelle,  je 
n'aurais  pas  voulu  le  voir  ramassé  sur  lui-même  comme  un 

14 


210  DAVID  D'ANGERS 

paralytique  ou  un  tailleur.  L'être  qui  possède  en  lui  la  vie  accen- 
tuée a  au  contraire  besoin  d'extension  :  l'immensité  est  son  do- 
maine. 

Chaque  époque  léguant  aux  suivantes  quelque  chose  qui  lui 
donne  son  cachet,  cela  aurait  pu  être  indiqué  par  des  accessoires 
autres  que  le  costume,  qui  n'est,  en  somme,  qu'une  ressource 
banale  aux  mains  de  l'artiste. 

Tout  ce  bavardage  qui  fait  songer  à  une  place  publique  ne  peut 
inspirer  aucune  vénération  au  spectateur.  On  voit  aussi  que  le 
peintre,  par  l'arrangement  des  figures,  a  eu  la  préoccupation  de 
simuler  le  velours,  la  soie  et  tous  les  haillons  somptueux  que 
recherche  la  mode.  Quelle  misère!  Mais  n'est-ce  pas  l'homme  qui 
laisse  le  souvenir  de  son  génie  !  Ses  vêtements,  c'est  l'affaire  du 
tailleur  et  le  tribut  payé  aux  absurdes  exigences  de  la  société.  La 
médiocrité,  avec  un  peu  d'adresse,  obtiendra  toujours  des  effets 
agréables  avec  le  secours  des  différentes  étoffes,  mais  il  n'appar- 
tient qu'au  peintre  de  génie  de  copier  l'ouvrage  de  Dieu.  La  cou- 
leur, c'est  l'expression  de  la  matière  ;  la  forme,  c'est  celle  de  ce 
qu'il  y  a  d'immatériel  en  nous. 

Combien  V Apothéose  d'Homère  est  supérieure!  Quelle  noble  et 
sublime  réunion  de  grands  hommes  !  Ils  ne  sont  plus  sur  la 
terre.  Il  semble  que  c'est  notre  âme  qui  les  perçoit.  Ils  ne  con- 
servent plus  qu'une  indication  de  la  teinte  terrestre  qui  colorait 
le  corps  dont  s'enveloppait  leur  âme  et  dont  elle  s'est  débar- 
rassée. Ainsi  le  papillon  conserve  sur  ses  ailes  la  poussière  colorée 
des  fleurs  qui  l'ont  abrité.  Ainsi  une  lumière  mystérieuse  baigne 
le  beau  visage  d'une  Jeune  fille.  Cette  page  est  celle  d'un  homme 
de  génie^  c'est  une  hymne  sublime  à  la  Création.  La  peinture 
de  Delaroche  est  un  savant  tableau  de  genre ,  de  grandes  di- 
mensions. L'artiste  a  fait  le  portrait  en  pied  des  représentants 
de  chaque  âge  de  l'art,  il  ne  nous  a  pas  rendu  leur  apparition 
historique  et  poétique. 

Sous  peu,  nous  allons  quitter  Baréges  pour  retourner  à  Paris. 
Je  dirai  adieu  avec  plaisir  à  cet  endroit.  Je  ne  verrai  plus  cette 
rue  que  l'on  croirait  peuplée  des  damnés  de  l'Enfer  du  Dante. 
Toutes  ces  infirmités  ont  beau  se  cacher  sous  les  friperies  du 
luxe,  elles  ne  m'en  paraissent  que  plus  pénibles  à  voir.  Je  ne 
regretterai  même  pas  les  trois  gendarmes  si  débonnaires  qui  vont 
donner  la  main  aux  voyageurs  pour  descendre  de  voiture,  qui 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  xMl 

ferment  les  portières,  qui  jouent  avec  les  enfants  et  font  enfin 
tout  ce  qui  est  dans  les  attributions  du  paisible  citadin.  Je  no  re- 
gretterai pas  l'unique  sergent  de  ville  qui  cire  les  bottes  des 
voyageurs,  fait  les  commissions,  vend  des  boîtes  de  sardines, 
annonce  avec  le  son  d'une  cloche  les  ventes  ou  les  eflets  perdus 
et  enfin,  vers  midi,  prend  son  costume,  son  sabre  inoffensif  et 
reçoit  pour  quelques  sous  des  taloches  des  jeunes  désœuvrés  de 
l'estaminet.  Que  penses-tu  delà  garnison  d'une  des  frontières 
d'Espagne  ? 

Adieu,  cher  ami,  sois  heureux  et  tous  ceux. qui  te  sont  chers; 
dis-leur  de  la  part  d'Emilie  et  de  moi  mille  choses  aimables,  et 
crois  à  mon  entier  dévouement  de  cœur. 

David. 

Collection  Parie.  —  Pierre  Hawke,  nommé  dans  cette  lettre,  est  un  pein- 
tre dessinateur  qui  a  séjourné  longtemps  à  Angers.  Hawke  a  pris  part  aux 
Salons  de  1839  et  de  1841,  avec  des  dessins  à  la  plume  représentant  des 
vues  d'Angers  et  de  Nantes. 


CLXXXI 

Reboul  à  David. 

La  médaille  du  poète.  —  L'esthétique  du  maître. 

Nimes,  le  6  septembre  IS'iî, 

Monsieur, 

Je  n'ai  que  le  temps  de  vous  remercier  de  votre  magnifique 
envoy.  Cela  a  réjoui  toute  ma  famille,  et  c'est  autant  en  son 
nom  qu'au  mien  que  je  viens  vous  témoigner  toute  notre  recon- 
naissance :  le  poète,  plus  tard,  si  la  muse  daigne  le  gratifier  de 
quelque  inspiration,  se  réserve  de  le  faire  d'une  autre  manière. 

Oui,  Monsieur,  en  jetant  les  yeux  sur  le  médaillon  qui  offre 
l'empreinte  de  mes  traits,  je  me  rappellerai  de  vous,  et  surtout 
de  l'entretien  que  nous  eiîmes  ensemble  et  dans  lequel  vous 
développâtes  les  théories  de  l'art,  que  vous  faisiez  descendre  de 
la  source  de  toute  intelligence,  et  de  cotte  réponse  faite  à  un 
jeune  artiste  qui  vous  demandait  le  secret  du  sublime  :  «  Soyez 
homme  d'honneur.  »  Toute  cette  éloquence  de  conversation, 
mille  fois  plus  persuasive  que  le  langage  d'apparat  et  les  pages 


212  DAVID  D'ANGERS 

les  plus  brillantes,  est  là,  fixée  dans  mon  souvenir,  et  certes, 
l'insigne  honneur  que  je  viens  de  recevoir  de  vous  ne  servira 
pas  peu  à  l'y  maintenir,  s'il  est  possible,  encore  davantage. 

Mes  respectueux  souvenirs  à  Madame  David. 

Je  suis,  Monsieur,  avec  une  vive  reconnaissance,  votre  tout 
dévoué  serviteur  et  admirateur, 

J.  Reboul. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon    de  Jean  Reboul,  le  poète 
boulanger  de  Nîmes,  porte  la  date  de  1842.  (Musées  d'Angers,  p.  183.) 


CLXXXII 

Magu  à  David. 

,    Le  médaillon  du  poète. 

Lizy-snr-Ourcq,  le  29  novembre  1842. 

Monsieur, 

J'ai  reçu,  hier  soir,  la  caisse  que  vous  avez  eu  la  bonté  de 
m'adresser,  et  je  m'empresse  de  vous  en  accuser  réception. 

Je  ne  sais  vraiment  en  quels  termes  vous  exprimer  toute  la 
joie  que  m'a  causé  votre  beau  présent.  La  reproduction  de  mes 
traits  par  le  premier  statuaire  de  l'Europe  est  une  chose  à  la- 
quelle j'étais  loin  de  m'attendre  il  y  a  quatre  ans.  Moi,  pauvre 
ouvrier  que  j'étais,  vivant  obscur  et  caché,  ne  rêvant  aucune 
célébrité,  faisant  des  vers  par  passe-tems,  et  pour  remplir 
les  quelques  heures  de  repos  indispensables  à  l'artisan  pour 
réparer  ses  forces  et  supporter  le  travail,  combien  je  me  félicite 
d'avoir  si  bien  employé  ces  moments  de  loisir,  et  de  ne  pas  les 
avoir  dépensés  au  cabaret,  puisqu'ils  m'ont  procuré  l'inesti- 
mable bonheur  d'être  distingué  d'hommes  si  chers  aux  beaux- 
arts  et  à  la  Patrie,  tels  que  vous,  Monsieur,  et  notre  illustre  ami 
Béranger!  Quel  motif  d'encouragement  pour  moi!  J'ai  déjà  un 
pied  hors  du  bourbier.  Si  le  destin  veut  que  j'en  puisse  retirer 
l'autre,  ce  que  je  n'ose  trop  espérer,  je  pourrai  me  livrer  à 
mon  penchant  dominant,  celui  d'écrire,  et  je  n'oublierai  pas 
ceux  qui  n'ont  pas  dédaigné  de  remarquer,  d'encourager,  et 
d'employer  leur  talent  à  illustrer  le  pauvre  tisserand. 

En  attendant  la  fin  de  la  réalisation  de  mon  «  rêve  d'or  »,  je 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  2J3 

VOUS  prie,  Monsieur,  d'agréer,  avec  mes  remerciements,  l'assu- 
rance de  la  vive  et  éternelle  reconnaissance  de  celui  qui  a 
pour  vous  la  plus  profonde  estime  et  le  plus  entier  dévouement, 

Magu, 

tisserand. 

P.  S.  —  Les  trois  médaillons  étaient  dans  le  meilleur  état 
quand  je  les  ai  reçus. 

Ma  femme  et  ma  fille  me  prient  de  vous  faire  agréer  leurs  très 
humbles  salutations;  ma  fille  surtout  vous  remercie  des  vœux 
que  vous  avez  faits  pour  son  avenir. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  de  Magu,  le  poète  tisserand 
de  Lizy-sur-Ourcq,  porte  le  millésime  de  1842.  (Musées  d'Angers,  p.  183; 
David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  246-247.) 


GLXXXIII 


Emile     Deschamps   à    David. 

Le  buste  d'André  Chénier. 

Paris,  novembre  1842. 

Cher  et  illustre  ami, 

Je  ne  saurais  vous  dire  avec  quel  enthousiasme  j'ai  revu 
tous  vos  chefs-d'œuvre  et  avec  quelle  reconnaissance  j'ai 
retrouvé  votre  si  cordiale  amitié  !  Que  Dieu  me  rende  la  santé 
et  les  forces  pour  vous  l'exprimer! 

Ma  femme  est  bien  sensible  aux  souvenirs  si  doux  de 
Madame  David,  et  elle  joint  ici  tous  ses  plus  empressés  compli- 
ments à  mes  respectueux  hommages. 

Et  je  finis  en  vous  serrant  cette  main  qui  fait  tant  de  magnifi- 
ques œuvres. 

Votre  ami, 

Emile  Deschamps. 

P.  S.  —  Je  trouve  une  occasion  de  prévenir  mon  frrro,  qui 
préviendra  Alfred  de  Vigny.  Quant  à  moi,  je  ne  parlerai  plus 
que  de  votre  admirable  André  Chénier.  Il  n'y  a  que  vous  pour 


214  DAVID  D'ANGERS 

exécuter  aussi  merveilleusement  les  plus  génc'reuses  idées,  et 
toute  la  génération  philosophique  et  poétique  vous  doit  sa 
reconnaissance  et  aussi  son  admiration. 

A   MONSIEUR  DAVID   d'ANGERS 

Sur  son  magnifique  buste  d'André  Chénier. 

Cette  tête  oij  la  Muse  eut  son  trône,  un  moment, 
Que  fît  tomber  la  hache  au  début  de  son  rêve, 
Sous  ton  ciseau  divin,  à  nos  yeux,   se  relève... 
Et  pour  vivre  éternellement  ! 

Emile  Deschamps. 

Collection  David   d'Angers. 


CLXXXIV 
David  à    Balzac. 

Hommages  du  romancier  à  l'artiste. 

Jeudi  matin...  (1842?) 

Mon  cher  Monsieur  de  Balzac, 

J'ai  reçu  avec  bien  de  la  reconnaissance  les  belles  œuvres  que 
vous  avez  bien  voulu  m'envoyer. 

Bientôt  je  tâcherai  de  rendre  par  le  bronze  et  le  marbre  mon 
admiration  pour  votre  puissant  génie. 

A  vous  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  J.  Gigoux. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  215 

GLXXXV 
Lamartine  à    David. 

Le  buste   d'André  Chénier   ofTeii  au  poète  des  Méditations.  —  La  vie  de 
Gutenberg,  par  Lamartine. 

Paris,  17  février  1843. 

Yoici  le  porteur  du  beau  buste  de  Chénier.  Je  le  conserverai  à 
double  titre  d'un  double  géiiie.  Ut  scidptura  poesis.  Et  surtout 
comme  un  gage  de  plus  d  une  amitié  à  laquelle  je  devrai  un  peu 
de  postérité. 

Vos  bas-reliefs  pour  Strasbourg  auront  leur  épigraphe  de  moi 
au  printemps. 

Tout  à  vous  de  cœur, 

LAMARTmE. 

Collection  David  d'Angers.  —  On  a  vu  plus  haut  que  le  buste  d'André 
Chénier  date  de  1839.  Est-ce  un  bronze  ou  une  terre  cuite  que  reçut  Lamar- 
tine en  1843?  La  destination  du  bronze  original  nous  échappe.  {Musées 
d'Angers,  p.  171.)  Lamartine  se  promet  d'écrire  la  vie  de  Gutenberg 
et  de  parler,  à  cette  occasion,  du  monument  sculpté  par  David  à  Stras- 
bourg. Mais  il  ne  faut  pas  s'y  méprendre,  l'attachement  du  poète  pour  le 
statuaire  n'eut  rien  de  profond,  et  l'auteur  des  Méditations  saisit  ù.  peine 
ce  qu'il  y  avait  d'originalité,  de  puissance  et  de  désintéressement  chez 
l'artiste.  {Cours  familier  de  littérature,  t.  VI,  p.  415;  t.  XVIII,  pp.  287-288. 
David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  213.) 


GLXXXVI 

David  à  M.  de  Saint- Amour. 

Le  buste  de  Parent-Réal.  —  Le  médaillon  de  Lazare  Carnot.  —  Mignet. — 
L'éloge  de  Daunou.  —  Projet  d'exécuter  le  buste  du  compositeur  Mon- 
signy. 

Paris,   3  juin    1843. 

Monsieur, 

J'ai  surveillé  l'encaissement  du  buste  de  M.  Parent-Réal. 
Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  arrivera  à  sa  destination  sans 
aucun   accident.    Si   vous    étiez   dans    l'intention    d'utiliser  le 


216  DAVID  D'ANGERS 

modèle  en  plâtre  qui  a  servi  à  l'exécution,  il  sera  à  votre  dispo- 
sition quand  vous  le  désirerez. 

Il  y  a  déjà  longtemps  que  j'ai  fait  le  médaillon  de  Garnot,  de 
grandeur  naturelle.  Son  fils  vient  d'en  faire  tirer  une  épreuve 
en  bronze,  et  le  modèle  est  resté  chez  le  fondeur,  pour  l'épreuve 
que  vous  devez  lui  commander. 

M.  Mignet  vient  de  lire  à  l'Institut  un  éloge  de  Daunou.  On 
doit  regretter  que  cet  habile  écrivain  ait  été  gêné  par  sa  position, 
qui  l'a  empêché  d'aborder  franchement  la  grande  époque  à  la- 
quelle a  participé  l'austère  Républicain  dont  il  voulait  nous 
retracer  la  vie.  Gomment  dire  au  public  que  M.  Daunou  avait 
refusé  la  croix,  quand  on  porte  au  cou  le  cordon  de  comman- 
deur et  que  l'on  est  chamarré  de  croix!  Comment  dire  que 
M.  Daunou  avait  donné  sa  démission  d'une  place  le  jour  où  il 
accepta  la  direction  des  Archives,  lorsque  l'on  a  pour  amis  in- 
times des  hommes  qui  cumulent  !  Gomment  critiquer  la  faiblesse 
du  vieillard  qui,  dans  ses  dernières  années,  a  accepté  la  pairie, 
quand  on  est  entouré  d'hommes  qui  croient  que  c'est  la  position 
la  plus  honorable!  Mais,  fort  heureusement,  l'histoire  est  au- 
dessus  des  petites  passions  contemporaines.  Elle  donne  aux  évé- 
nements et  aux  hommes  la  véritable  place  qui  leur  convient. 
Et  Daunou  en  aura  une  assez  grande  et  assez  belle  pour  que  sa 
mémoire  prenne  un  rang  parmi  les  hommes  éminents  de  la 
sublime  Convention;  et  il  faut  espérer  que  l'avenir  lui  élèvera 
une  statue  pour  venger  la  lésinerie  de  ses  contemporains. 

Si  nous  faisions  le  buste  de  Monsigny?  Vous  devriez  bien  ob- 
tenir un  autre  marbre  que  celui  que  vous  m'avez  fait  donner. 
En  vérité,  c'est  comme  si  l'on  travaillait  du  caillou.  Les  prati- 
ciens demandent  le  double  du  prix  convenu.  Il  y  a  actuellement 
au  magasin  des  blocs  de  Saint-Béat  qui  sont  fort  beaux  ;  tâchez 
donc  de  vous  en  faire  donner  un. 

J'ai  l'honneur  d'être,  Monsieur,  avec  la  plus  haute  considéra- 
ration^  votre  très  humble  serviteur, 

David. 


Collection  Bannyaux.  —  Le  buste  de  Nicolas-Joseph-Marie  Parent-Réal, 
exécuté  pour  la  famille  du  modèle,  date  de  1834.  Sept  ans  plus  tard,  une 
souscription  nationale  fut  ouverte  dans  le  but  déplacer  le  buste  de  l'homme 
politique  au  Musée  de  Saint-Omer.  C'est  alors  que  David  fit  une  réplique 
en  marbre  de  son  premier  travail.  La  lettre  qu'on  vient  de  lire  a  trait  au 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  217 

second  buste.  Le  médaillon  de  Lazare  Carnot,  de  proportions  colossales, 
date  de  1836.  {Musées  d'Angers,  p.  161.)  David  avait  modelé,  dès  1830,  le 
profil  de  Daunou.  {IbicL,  p.  133.)  Le  maître  n'exécuta  pas  le  buste  de 
Monsigny. 


GLXXXVII 

David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  du  roi  René.  —  Le  monument  de  l'abbé  Mongazon.  -  Jean  Bart. 
—  Des  vers  de  Louise  Colet.  —  Entre  Académiciens.  —  Le  jury  du 
Salon. 

Paris,  27  juillet  1843. 

Cher  ami, 

La  statue  du  roi  René  est  très  avancée;  cependant,  il  me  faut 
encore  un  vigoureux  travail  pour  terminer  le  modèle,  le  faire 
couler  en  plâtre  et  transporter  à  Angers.  Toutes  ces  tracasseries 
me  tourmentent  et  ne  font  pas  de  bien  à  mon  état  maladif. 

Sous  peu  de  jours,  je  ferai  encaisser  le  buste  et  le  bas-relief 
qui  doivent  décorer  le  monument  de  M.  Mongazon;  tu  peux  en 
prévenir  ces  messieurs. 

Voilà  encore  le  Jean  Bart  à  la  merci  des  idées  étroites  de  mal- 
heureux industriels!  Le  Gouvernement  leur  a  refusé  du  bronze, 
et  les  voilà  aux  champs!  Ils  sont  découragés!  Cependant,  s'ils 
voulaient  faire  le  sacrifice  de  quelques  écus,  ils  pourraient  com- 
pléter bien  promptement  la  somme  nécessaire  à  la  fonte  de  la 
statue.  Le  sacrifice  de  mon  temps  n'est  pas  encore  suffisant  :  il 
faudrait  que  je  fisse  celui  de  la  fonte  à  mes  frais. 

Je  ne  puis  t' exprimer  le  dégoût  insurmontable  que  me  font 
éprouver  toutes  ces  mystifications,  occasionnées  par  mes  rap- 
ports avec  les  hommes  d'argent.  Ceux-là  n'ont  pour  idée  fixe 
que  la  spéculation,  et  leur  cœur  est  transformé  en  bourse;  ils 
ont  rompu  avec  tous  les  sentiments  généreux. 

Il  faut  que  les  travaux  intellectuels  portent  avec  eux  un 
attrait  bien  puissant,  bien  au-dessus  de  la  misérable  réalité  de  ce 
monde  boueux,  pour  que  tant  d'êtres  généreux  passent  leur 
existence  à  illustrer  un  pays  peuplé  et  gouverné  par  tant 
d'ineptie  et  d'égoïsme. 


218  DAVID  D'ANGERS 

As-tu  lu  les  miàérables  vers  de  M""*  Golet  sur  Molière?  Quelle 
honte  pour  l'Académie! 

J'ai  eu  l'occasion  d'assister  un  jour  à  la  lecture  d'une  ving- 
taine de  pièces  soumises  à  l'Académie.  Voilà  comment  cela  se 
faisait  :  Ancelot  lisait  à  peu  près  une  page  au  milieu  des  conver- 
sations et  des  éclats  de  rire  de  MM.  Etienne,  Cousin,  Mignet, 
Dupaty,  etc. ,  etc.  Alors,  on  demandait  à  passer  outre,  malgré 
les  protestations  de  Hugo  et  même  de  Soumet.  Telle  est  la  justice 
des  hommes,  celle  que  l'on  est  en  droit  d'attendre  de  ses  con- 
frères! C'est  la  profonde  connaissance  que  j'ai  du  cœur  humain 
qui  méfait  demander,  de  toute  l'énergie  de  mon  âme,  la  sup- 
pression du  jury,  quel  qu'il  soit,  pour  l'admission  des  ouvrages 
d'art  au  Salon. 

Plus  j'avance  dans  la  vie,  plus  je  suis  convaincu  que  la  raison 
et  la  justice  seront  toujours  en  minorité  dans  ce  monde  où. 
régnent  les  passions  les  plus  viles. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David, 

Collection  Pavie.  —  La  statue  du  roi  René  dont  parle  David  est  celle 
qui  fut  inaugurée  en  1853,  à  Angers,  auprès  du  Château,  dans  lequel  est  né 
René  d'Anjou.  L'initiative  de  ce  monument  est  due  au  comte  Théodore  de 
Quatrebarbes,  qui  avait  fait  les  frais  d'une  superbe  édition  des  Œuvres  du 
prince  écrivain  (Angers  1844-1846,  4  vol.  in-4°).  D'après  la  lettre  que  nous 
publions  ici,  nous  sommes  en  droit  de  penser  qu'on  avait  demandé  à  l'ar- 
tiste de  soumettre  aux  Angevins  le  modèle  en  plâtre  de  sa  statue  avant 
qu'il  fût  procédé  à  la  fonte.  La  statue  de  Jean  Bart,  en  bronze,  a  été 
inaugurée  à  Dunkerque  le  7  septembre  1845.  Les  vers  de  Louise  Golet 
auxquels  il  est  fait  allusion  dans  cette  lettre  furent  composés  à  l'occasion 
de  l'érection  de  la  fontaine  Molière.  Ils  ont  pour  titre  le  Monument  de 
Molière  (1843,  in-S").  Gette  pièce  fut  couronnée  par  l'Académie  française. 


GLXXXVIII 

David    à  Schelling. 

Le  buste  de  Gœthe.  —  Opinion   de    Gœthe  sur    le  placement  des  œuvres 
d'art  de  grandes  proportions. 

Paris,  le  6  ooût  1843. 

J'ai  travaillé  à  cet  ouvrage  (le  buste  de  Gœthe)  avec  toute  l'ar- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  219 

dcur  que  m'inspiraient  mon  admiration  et  ma  vénération  pour 
le  grand  homme  qui  m'avait  reçu  avectantde  bienveillance  dans 
son  intimité.  C'est  une  belle  et  noble  mission  que  celle  de  l'ar- 
tiste, de  la  statuaire  qui,  par  sa  durée,  parle  à  l'avenir  le  plus 
reculé.  C'est  aussi  pour  cela  que  l'art  ne  doit  consacrer  que  les 
types  qui  honorent  l'humanité.  Gœthe  aimait  beaucoup  la  pro- 
portion colossale  pour  de  certaines  personnifications.  Il  me  di- 
sait :  «  Rien  ne  me  paraît  absurde  comme  l'idée  d'élever  à  une 
très  grande  hauteur  les  ouvrages  d'une  grande  dimension.  11 
faut,  au  contraire,  les  rapprocher  du  spectateur,  afin  qu'il  voye 
bien  que  l'on  a  eu  l'intention  de  réaliser  ce  que  l'imagination 
inspire  quand  un  homme  est  grand  par  son  génie.  »  J'ai  donc  été 
heureux  de  voir  ainsi  confirmer  ce  que  j'avais  toujours  pensé. 

Vous  trouverez  ci-joint  la  proportion  d'un  piédestal  comme 
je  pense  qu'il  devrait  être  sous  le  rapport  des  proportions. 
Bien  entendu  que  vous  n'en  tiendrez  compte  qu'autant  que  cela 
ne  dérangera  en  rien  vos  projets  de  symétrie  architecturale. 

Les  autographes  des  hommes  de  la  Révolution  sont  rares, 
actuellement  surtout  que  l'on  comprend  toutes  les  gigantesques 
et  miraculeuses  choses  faites  par  la  sublime  Convention;  l'admi- 
ration pour  ces  nobles  républicains  a  grandi  à  mesure  que  les 
brouillards  amoncelés  par  l'Empire  et  les  Bourbons  se  sont  dis- 
sipés devant  la  lumière  de  l'histoire.  On  ne  peut  penser  sans  un 
vif  sentiment  de  vénération  à  cette  formidable  Convention  lut- 
tant avec  succès  contre  toute  l'Europe,  créant  les  écoles  pri- 
maires, les  écoles  centrales,  l'École  polytechnique,  des  bibliothè- 
ques et  des  musées  dans  toute  la  France,  des  écoles  d'arts  et 
métiers,  enfin  créant  un  muséum  d'antiquités  nationales  pour 
sauver  tous  les  monuments  historiques  de  la  France  (ce  monu- 
ment des  Petits- Augustins  a  été  détruit  par  les  Bourbons  en 
1815!!).  Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  toutes  les  mer- 
veilleuses pensées  sorties  du  cerveau  de  la  nation  affranchie,  pour 
un  moment,  du  despotisme  de  ses  maîtres  couronnés. 

David. 

Collection  Bovet.  —  Cette  lettre  a  passé  en  vente  en  1885.  Elle  fait  suite 
à  celle  fie  Schoiiing  publiée  plus  haut  sous  la  date  du  24  décembre  183.j. 
L'exemplaire  du  buste  de  Gœthe  dont  il  est  parlé  ici  fut  placé  dans  l'une 
des  salles  de  l'Académie  des  sciences  de  Munich. 


2aO  DAVID  D'ANGERS 


GLXXXIX 


David  à  Victor  Pavie. 

L'esquisse  du  monument  de  Gobert.  —  Le  l'oi  René.  —  Beaurepaire. 

Paris,  16  août  1843. 

C'est  ta  faute,  cher  ami,  si  tu  vas  te  trouver  encombré  par  mes 
ouvrages,  au  point,  je  crois,  que  tu  seras  probablement  obligé 
de  louer  une  maison  si  tu  veux  t'assurer  un  lieu  de  refuge. 

Je  viens  encore  de  confier  au  roulage  le  petit  modèle  du  groupe 
du  général  Gobert.  Tu  verras  à  le  nicher  dans  quelque  coin. 

Je  te  remercie  beaucoup  des  bonnes  nouvelles  que  tu  nous  as 
données  sur  la  santé  de  notre  bien  cher  Théodore,  car  nous  com- 
mencions à  être  très  inquiets.  Pour  moi  qui  craignais  bien  que 
mes  souffrances  à  l'estomac  ne  prissent  un  caractère  chronique, 
m'en  voilà  presque  débarrassé,  et  j'ai  pu  me  livrer  avec  toute 
l'ardeur  possible  à  l'exécution  du  modèle  de  la  statue  du  roi 
René,  qui,  je  pense,  pourra  être  achevée  pour  l'époque  fixée. 

Voilà  donc  enfin  la  première  statue  que  mes  compatriotes  veu- 
lent bien  me  permettre  d'exécuter  à  leur  intention.  Celle-là,  du 
moins,  ne  froissera  en  rien  leur  susceptibilité.  Mais  je  n'en  regrette 
pas  moins  amèrement  de  ne  pas  avoir  pu  payer  mon  tribut  à 
l'héroïsme,  en  représentant  l'énergique  figure  de  Beaurepaire. 

J'aime  que  l'on  écrive  l'histoire  avec  le  bronze  et  le  marbre. 
Ce  sont  des  pages  qu'il  est  bon  de  tracer,  mais  il  ne  faut  pas  être 
exclusif.  Chaque  homme  est  grand  dans  le  cercle  que  sa  convic- 
tion lui  a  fait  choisir.  C'est  une  auréole  qu'on  ne  peut  lui  refuser. 
D'ailleurs,  ce  qui  est  écrit  et  dans  les  mains  de  tous  peut  bien 
aussi  être  rendu  visible  par  la  forme. 

J'attends  toujours  avec  patience  que  tu  trouves  enfin  un 
homme  qui,  au  lieu  d'aller  passer  trois  jours  à  la  chasse,  veuille 
bien  en  passer  deux  à  Saint-Florent.  Attendons... 

Emilie  et  moi  nous  vous  souhaitons  à  tous  bonheur,  santé,  et 
nous  vous  prions  de  ne  pas  nous  séparer  de  votre  cher  souvenir. 

A  toi  de  tout  cœur, 

David  . 

Collection  Pavie.  —  Les  dernières  lignes  ont  trait  au  daguerréotype  du 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  221 

monument  de  Bonchamps  érigo  ù  Saint-Florent,   daguerréotype  plusieurs 
fois  demandé  par  l'artiste. 


GXG 

Ëlie  de  Beaumont  à  David. 

La  médaille  du  géologue. 

Paris,  24  août  1843. 

Monsieur  et  très  honoré  confrère, 

Je  viens  de  recevoir  les  deux  exemplaires  du  médaillon  que 
vous  avez  bien  voulu  me  faire  l'honneur,  et  permettez -moi  de 
dire  plutôt  l'amitié,  de  me  consacrer.  J'étais  bien  peu  digne,  as- 
surément, de  figurer  parmi  tant  d'hommes  célèbres  dont  vous 
avez  conservé  les  traits  à  la  postérité,  et  à  côté  des  hautes  illus- 
trations dont  votre  admirable  talent  a  su  exprimer  môme  le  génie, 
mais  je  n'en  sens  que  mieux  tout  le  prix  de  l'honneur  que  vous 
avez  bien  voulu  me  faire  et  du  sentiment  bienveillant  qui  vous  a 
porté  à  dérober  en  ma  faveur  quelques-uns  des  instans  que 
vous  savez  si  bien  employer  pour  votre  gloire  et  pour  celle  de  la 
France. 

Agréez,  je  vous  prie.  Monsieur  et  très  honoré  collègue,  l'ex- 
pression de  ma  profonde  reconnaissance  et  celle  des  sentiments 
d'admiration  et  de  haute  estime 

De  votre  dévoué  confrère, 

L.  Eue  de  Beaumont. 

Collection  David  d'Anfjers.  —  Le  médaillon  modelé  par  David,  d'après 
Élie  de  Beaumont,  porte  le  millésime  de  1843.  (Mtisées  dAngers,  p.  18S.) 


222  DAVID  D'ANGERS 


GXGI 


Humboldt  à  David. 

Un  anniversaire.  —  Réception  du  buste  de  Humboldt  à  Berlin.  —  Intimité 
d'Arago  et  de  David.  —  Les  récents  ouvi^ages  de  Rauch,  de  Kiss,  de  Cor- 
nélius et  de  Klot.  —  Fêtes  à  Berlin.  —  Lectures  publiques  par  Ludwig 
ïieck. 

Berlin,  ce  1 5  septembre  ISiS. 

Né  sous  l'influence  pas  tout  à  fait  maligne  de  la  grande  comète 
de  1769,  j'ai  vu  hier  (14  septembre)  mon  Ik"  automne.  Ma  fête 
a  été  embellie  par  votre  amitié,  par  votre  munificence,  mon  cher 
et  excellent  confrère.  Les  artistes,  les  littérateurs,  les  savans, 
ceux-mêmes  qui  me  félicitent,  comme  Jules  Janin  étoit  félicité 
par  les  envieux  confrères  lors  de  la  Villa  gagnée  en  loterie,  rem- 
plissent ma  maison.  Le  trésor^  votre  magnifique  cadeau,  est  ar- 
rivé sain  et  sauf  peu  de  jours  avant  ma  fête.  L'anniversaire  de 
ma  naissance  antédiluvienne,  c'est  un  gros  lot  que  je  ne  dois  pas 
au  hazard  :  ma  bonne  fortune  c'est  votre  bienveillance  pour  moi. 
Cette  belle  inscription  toute  lapidaire:  «  à  A...  de  H...,  David  d'An- 
gers )),  a  pourtant  une  réticence  que  je  déplore,  il  y  manque  ce 
que  j'avois  sollicité  comme  une  faveur,  ces  trois  mots  qui  disent 
tant  :  «  à  son  ami  H...,  David  d'Angers.  »  Je  porte  envie  à  M.  Arago 
pour  tant  de  grandes  et  nobles  qualités,  dons  du  génie  et  du 
cœur  ;  faut-il  donc  que  dans  mes  rapports  avec  vous,  rapports 
de  dévouement  et  de  reconnoissance,  je  lui  sois  encore  inférieur? 
Partisan  le  plus  ancien  de  l'égalité,  je  veux  en  profiter  le  pre- 
mier pour  m'agrandir.  Je  dénonce  l'ennemi  dans  vos  foyers  do- 
mestiques, c'est  l'admirable  et  spirituelle  Madame  David  (admira- 
ble, quand  elle  est  bonne  pour  moi)  qui  m'a  nui  auprès  de  vous. 
Elle  a  craint  que  le  beau  marbre  fût  placé  par  moi  dans  ma  de- 
meure à  Sans-Souci  :  elle  n'a  pas  voulu  que  je  pusse  me  glorifier 
du  titre  d'ami  au  haut  d'une  colline  qu'on  disoit  destinée  à  une 
tombe  royale.  Hélas  !  la  colline  ne  renferme  que  la  tombe  de 
quelques  chiens  que  le  «  philosophe  »  (malin)  du  lieu  aimoit 
peut-être  un  peu  plus  que  les  hommes. 

Rauch,  un  de  vos  plus  dévoués  et  plus  ardents  admirateurs  en 
Allemagne,  Rauch,  qui  a  le  tort  d'être  bien  fidèlement  attaché  à 
Madame  David,  a  voulu  déballer  le  chef-d'œuvre.  Le  buste  étoit 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  223 

encore  prisonnier  dans  la  caisse,  qu'il  admiroit  déjà  la  ressem- 
blance, la  suavité  et  le  fini  du  travail,  le  style  grandiose  qui  ca- 
ractérise vos  conceptions  et  leur  donne  une  élévation  intellec- 
tuelle digne  des  plus  nobles  époques  de  la  sculpture.  Nos  jour- 
naux vont  suppléer  à  la  modestie  de  votre  réticence,  mon  illustre 
confrère  ;  ils  doivent  dire  que  David  d'Angers  a  daigné  élever  un 
monument  «  à  son  ami  Alexandre  de  H...  »,  qu'il  a  partagé  cette 
gloire  avecArago,  avec  Goethe  et  Rauch,  et  que  cette  munificence 
insigne  que  je  ne  risquerai  pas  dénommer  toute  «  royale  »,  ac- 
cordée aux  hommes  de  la  «  rive  droite  »,  doit  inspirer  une  vive 
et  éternelle  reconnoissance  à  ceux  qui  ont  des  sentiments  géné- 
reux, qui  peuvent  comprendre  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans  un  en- 
thousiasme vrai  et  désintéressé.  Je  voudrois  pouvoir  vous  remer- 
cier après  avoir  parlé  du  «  trésor  »,  échantillon  du  plus  beau 
marbre  de  vos  Pyrénées,  de  l'aimable  lettre  par  laquelle  vous 
avez  daigné  m'annoncer  l'envoi.  Je  voudrois  vous  demander,  si 
c'est  en  votre  pouvoir,  un  trait  gravé  de  votre  magnifique  Philo- 
pœmen;  vous  dire  que  les  deux  statues  équestres  de  Frédéric  II, 
par  Rauch  et  Kiss,  pour  Berlin  et  Breslau,  sont  prêtes  à  être  fon- 
dues; que  le  groupe  colossal  de  rAma:;one  combattant  à  cheval 
contre  un  tigre,  par  Kiss,  est  placé  sur  les  escaliers  du  Musée 
dont  Cornélius  peint  les  fresques;  que  Rauch  travaille  au  pendant 
[Combat  d'un  lion)]  que  nous  venons  de  recevoir  de  Pétersbourg 
deux  colosses,  les  Chevaux  en  bronze  de  M.  Klot,  célèbre,  comme 
vous  le  savez,  par  l'étude  anatomique  des  plus  belles  races  de 
chevaux  modernes,  comme  par  la  vivacité  de  mouvement  qu'il 
sait  donner  à  ses  créations.  Mais  je  dois  me  priver  du  bonheur  de 
m'entretenir  avec  vous,  mon  cher  ami.  Nous  vivons,  depuis 
l'arrivée  de  l'Empereur,  de  toute  sa  famille  et  d'une  voye  lactée 
de  princes  allemands,  dans  des  devoirs  pas  tout  à  fait  littéraires, 
entre  Berlin  et  Sans-Souci  ;  entre  des  manœuvres  de  cavalerie  et 
des  tragédies  de  Sophocle  et  d'Euripide  {Antigone  etMédée),  en- 
tre la  choucroute  qui  a  eu  l'honneur  de  jouer  un  rôle  dans  les 

mystères que  vous  ne  lisez  pas  par  suite  de  votre   insigne 

ignorance!    et  des  lectures  de  Galderon  et  de  Shakespeare  par 
l'infatigable  Tieck. 

Jo  crains  de  troubler  votre  repos  philosophique,  et,  après  avoir 
embrassé  les  chorsenfans,  je  termine  en  vous  offrant  à  vous,  mon 
excellent  confrère,età  Madame  David  (si  toutefois  elle  est  revenue 


224  DAVID  D'ANGERS 

de  Tréport)  l'hommage  de  ma  vieille  et  respectueuse  admiration. 

Alexandre  Humboldt. 

P.  S.  —  Mes  tendres  amitiés  à  notre  Arago^  mes  respects  à 
M.  et  à  Madame  Mathieu  et  à  l'infante  M"^  Lucie  Mathieu.  Des 
amitiés  aussi   à  notre  confrère  M.   Laugier. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  postscript um  a  trait  à  Claude-Louis 
Mathieu,  beau-frère  d'Arago,  et  à  Ernest  Laugier  l'astronome,  mort  en  1872. 


GXCII 


David  à,  Victor  Pavie. 

La  mort  tragique  de  Léopoldine  Hugo.  —  Chateaubriand.  —  La  barque 
renversée.  —  Le  tombeau  de  Nelson.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre.  —  Le 
monument  de  Gobert. 

Paris,  18  septembre  1843. 

Mon  cher  Victor,  _         , 

La  maison  de  la  place  Royale  est  triste,  silencieuse.  La  nuit, 
cependant,  on  doit  entendre  les  éclats  de  voix  que  la  douleur  fait 
pousser  à  la  pauvre  mère,  qui  a  continuellement  devant  les  yeux 
la  chevelure  de  la  noyée.  Durant  le  jour,  Hugo  tient  embrassés  ses 
enfants  assis  sur  ses  genoux.  La  jeune  sœur  ne  connaît  pas  encore 
toute  l'étendue  du  malheur;  on  ne  lui  a  parlé  que  de  la  mort  de 
M.  Vacquerie. 

Quand  nous  voyons  une  étoile  glissant  dans  le  ciel  et  semblant 
s'abîmer  dans  le  mystère  de  l'éternité,  notre  œil  la  suit  avec  in- 
différence-, mais  qu'une  pauvre  créature  nous  soit  ravie,  alors 
c'est  un  drame  affreux  qui  brise  notre  cœur,  et  cependant  qu'est 
ce  faible  atome  en  comparaison  d'un  monde? 

La  vie  est  une  lumière  qui  nous  aide  à  nous  conduire  vers  le 
cercueil.  Pour  cette  pauvre  Didine,  cette  lumière  s'est  éteinte  dans 
l'Océan,  au  lieu  de  s'anéantir  au  souffle  des  passions.  Tôt  ou  tard 
les  forêts  tiennent  à  notre  disposition  les  planches  de  notre  cer- 
cueil, et  la  nature  se  rit  de  la  mort  de  l'homme,  comme  l'enfant, 
de  la  bulle  de  savon,  qu'une  autre  a  bientôt  remplacée.  Qu'im- 
porte que  cette  lumière  soit  renfermée  dans  une  lampe  d'or  ou 
d'argile  !  C'est  toujours  la  même  fragilité. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  225 

Chateaubriand  s'éteint.  Des  lueurs  paraissent  encore  quelque- 
fois, reflétées  par  cette  précieuse  lampe  d'or,  et  illuminent  les 
objets  qui  l'entourent  et  qui  probablement  sans  lui  seraient  tou- 
jours restés  dans  l'obscurité. 

Si  j'avais  un  conseil  à  donner  à  Hugo,  je  l'engagerais  à  faire 
fondre  en  bronze  la  barque,  et  je  la  renverserais  sur  les  quatre 
cercueils. 

En  1812,  étant  à  Rome,  dans  l'atelier  de  Canova,  avec  lord 
Worth,  à  visiter  le  tombeau  de  Nelson,  je  dis  à  ce  lord  :  «  Il 
serait  convenable  de  l'aire  fondre  la  quille  du  vaisseau  sur  lequel 
est  mort  votre  grand  marin,  de  la  renverser  sur  son  cercueil,  et 
ensuite  vous  pourriez  y  asseoir  la  Vicloire.  Cette  idée  serait  com- 
prise par  le  peuple.  » 

Je  viens  de  recevoir  une  lettre  du  maire  du  Havre  qui  me  dit 
qu'il  faudra  attendre  des  temps  plus  heureux  pour  l'exécution  de 
la  statue  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  la  ville  ne  pouvant  à  pré- 
sent faire  les  frais,  même  par  souscription,  de  la  somme  de  huit 
mille  francs  que  coiJterait  la  fonte  en  bronze!  Voilà,  cher  ami, 
un  coup  qui  m'est  plus  pénible  que  je  ne  puis  l'exprimer  ici.  Je 
le  vois,  je  ne  pourrai  faire  ce  que  j'ai  tant  souhaité  pour  la  mé- 
moire du  grand  écrivain  ! 

L'un  des  députés  de  Maine-et-Loire  avait  obtenu  deux  petits 
morceaux  de  marbre  pour  l'exécution  du  buste  de  M.  Mongazon 
et  du  bas-relief  ;  aussi,  en  raison  de  ce  fait,  est-il  possible  de 
diminuer  cinq  cents  francs  sur  la  somme  que  j'avais  demandée 
pour  mes  frais  de  praticiens  et  de  marbre;  je  te  prie  de  préve- 
nir le  plus  prompteraent  possible  ces  messieurs  de  cette  diminu- 
tion. 

Je  suis  dans  de  grands  tourments  à  l'égard  du  bloc  qui  doit 
servir  à  l'exécution  du  monument  de  Gobert.  Ce  sont  des  embar- 
ras, des  demandes  exagérées  d'argent  vraiment  étranges.  Comme 
l'on  sait  très  bien  qu'il  faut  que  je  finisse  par  faire  venir  ce  bloc 
à  Paris,  marchand,  praticien,  rouliers,  marins,  tout  cela  veut 
avoir  sa  part  à  la  curée.  Il  est  probable  que  je  me  verrai  obligé 
d'ajouter  de  l'argent  de  ma  poche  en  sus  du  marché  que  j'ai  fait 
pour  ce  monument. 

M.  Leclrre,  l'architecte,  m'a  horriblement  trompé  en  me  don- 
nant des  prix  du  tiers  moindre  de  ceux  que  je  suis  forcé  de  don- 
ner. Cela  m'a  engagé  à  faire  un  marché  trop  modéré  et  qui  me 


226  DAVID  D'ANGERS 

devient  onéreux.  Tu  vois  que  les  ennuis  m'accablent  en  tout  et 
partout. 
Mille  tendres  amitiés  à  toi  et  aux  tiens. 

David. 

Collection  Pavie.  —  On  connaît  le  drame  de  Villequier,  où  Charles  Vac- 
querie  et  sa  jeune  femme  Léopoldine  Hugo  trouvèrent  la  mort.  Les  Paz^ca 
me^  des  Contemplations  témoignent  de  l'immense  douleur  que  ressentit 
le  poète  en  ces  tragiques  circonstances.  Dans  une  vente  d'autographes 
faite  à  Paris  le  22  novembre  1881  a  passé  une  lettre  de  David  relative  à  la 
statue  de  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Le  maître  s'exprime  ainsi  :  «  Le 
désir  que  j'ai  de  faire  ce  monument  est  inspiré  par  mon  admiration  pour 
le  grand  littérateur.  L'honneur  que  je  souhaite  retirer  du  don  que  je  fais  de 
mon  travail  est  de  pouvoir  inscrire  mon  nom  aux  pieds  du  grand  homme, 
et  ma  reconnaissance  sera  éternelle  envers  la  ville  qui  aura  bien  voulu 
recevoir  mon  offrande.  »  Ces  lignes  sont  datées  du  29  août  1843. 
Achille  Leclère,  architecte,  membre  de  l'Institut  et  ami  de  David,  a  plus 
d'une  fois  collaboré  aux  monuments  dont  le  maître  exécutait  la  sculpture. 


CXGIII 
Duret    à  David. 

Une  candidature  à  l'Académie. 

Septembre  1843  (?). 

Monsieur, 

Une  place  vacante  s'offre  en  ce  moment  à  l'Académie.  Venir 
réclamer  votre  appui  en  ma  faveur,  serait  peut-être  une  indis- 
crétion; mais  si  la  statue  de  Mercure  inventant  la  lyre,  une  Tête 
de  femme  en  marbre,  un  Danseur  en  bronze  et  la  statue  de  Mo- 
lière méritent  votre  intérêt,  Monsieur,  je  me  trouverai  trop 
honoré  d'obtenir  votre  suffrage. 

J'ai  l'honneur  d'être  respectueusement,  Monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur, 

F.  Duret. 

Collection  David  cC Angers.  —  Le  sculpteur  Duret  a  été  reçu  membre  de 
l'Académie  des  beaux-arts  le  30  septembre  1843.  David  lui  donna-t-il  sa 
voix? Il  est  permis  de  le  supposer,  car  les  deux  artistes  s'estimaient  profon- 
dément, et  Duret,  après  la  mort  de  son  confrère  à  l'Institut,  écrivit  sur  lui 
une  page  qui  lui  fait  le  plus  grand  honneur.  {David  d'Angers^  etc.,  t.  l, 
pp.  345-547.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  227 


CXGIV 

Charlet  à  David 

Visite  du  maître  au  dessinateur. 

Paris,    ce  samedi  21  octobre  1843. 

La  peste  a  quelquefois  son  bon  côté;  ici  c'est  la  fièvre,  je  la  re- 
mercie donc  de  m'avoir  procuré  l'occasion  de  te  serrer  la  main. 
Il  y  a,  vois-tu,  des  hommes  qui  ne  doivent  pas  être  mal  ensem- 
ble et  qui  ne  le  peuvent  pas,  parce  qu'ils  donneraient  trop  beau 
jeu  aux  misérables  saltimbanques  qui  exploitent  notre  pauvre 
pays.  Il  faut  que  tout  ce  qui  a  quelque  valeur,  quelque  influence, 
se  serre  et  prenne  part  au  combat  moral  qui  se  livre  aujour- 
d'hui pour  arrêter  le  flot  corrompu.  Nous  marchons  à  une  grande 
crise.  Je  ne  sais  si  elle  est  éloignée,  mais  les  nuages  se  forment 
et  se  massent.  Je  sens  et  je  vois. 

Je  suis  très  sensible  et  très  touché  de  ton  bon  souvenir  de 
vieille  camaraderie.  Tu  as  agi  en  homme  d'esprit  et  de  cœur. 
Tu  peux  compter  sur  un  retour  bien  loyal  et  bien  sincère.  Quoi- 
que éloigné,  la  haute  estime  que  je  professe  pour  ton  talent  m'a 
toujours  tenu  dans  les  rangs  de  tes  amis  et  admirateurs,  qui 
sont  nombreux  ;  mais,  tu  le  sais,  on  a  ses  ennemis  et  ta  haute 
position  excite  l'envie,  mais  les  ennemis  et  les  envieux  sont 
nécessaires  comme  la  bile. 

Je  vais  bien,  l'appétit  elle  est  bonne,  mais  la  jambe  y  va  mal  ; 
le  couturier  est  affaibli. 

N'étant  pas  trop  en  état  d'aller  te  voir,  tu  m'excuseras  et  ne  ^ 
me  taxeras  pas  d'indifférence. 

Bonjour  et  bonne  amitié, 
Gharlet. 

Collection  David  d'Angers. 


228  DAVID  D'ANGERS 

GXCV 

David  à  Victor  Pavie. 

La  gravure  du  monument  de  Bonchamps.  —  Projet  de  statue  à  Denis  Papin 
pour  la  ville  de  Blois. 

Paris,  12  novembre  1843. 

Cher  ami, 

J'ai  reçu  avec  une  bien  vive  satisfaction  les  deux  épreuves 
faites  au  daguerréotype,  d'après  le  monument  de  Bonchamps.  Il 
y  en  a  une  qui  est  vraiment  admirable,  et  c'est  celle  que  j'ai 
confiée  à  Leroux  pour  exécuter  une  gravure.  Il  va  charger  de 
ce  travail  l'un  de  ses  plus  habiles  élèves. 

Nous  verrons  plus  tard  s'il  ne  serait  pas  possible  de  joindre 
à  la  notice  les  portraits  des  soldats  de  Bonchamps,  ce  qui  serait 
un  monument  curieux  pour  l'avenir. 

Tu  as  sans  doute  appris  qu'Arago  et  moi  avons  été  à  Blois 
pour  désigner  l'emplacement  du  monument  de  Papin.  Nous  n'en 
avons  pas  trouvé  de  plus  digne  que  le  milieu  du  pont.  Là,  la 
statue  aurait  pour  fond  le  ciel.  Les  bateaux  qui  remontent  la 
Loire,  pour  passer  sous  le  pont,  sont  obligés  d'incliner  la  che- 
minée conductrice  de  la  vapeur.  Ce  sera  le  salut  répété  de  la 
machine  devant  son  inventeur.  Puis,  le  grand  homme  aura 
le  visage  tourné  vers  la  mer,  et  vers  notre  cher  Angers.  Je  met- 
trai une  rame  brisée  à  ses  pieds.  Ce  sera,  certes,  un  grand  bon- 
heur pour  moi  d'avoir  présenté  à  l'avenir  l'image  de  Gutenberg 
et  de  Papin.  Qu'en  penses-tu  ? 

A  toi  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  Jean-Marie  Leroux,  élève  de  Louis  David,  a  gravé 
une  grande  partie  des  statues  de  David  d'Angers.  Le  maître  n'obtint 
pas  de  sculpter  le  Denis  Papin.  Des  ajournements  successifs  lui  enlevè- 
rent le  plaisir  qu'il  se  promettait  dans  l'exécution  de  ce  monument.  (David 
d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  412-413.)  Ce  fut  l'un  de  ses  élèves,  M.  Aimé  Millet, 
qui,  récemment,  reçut  la  commande  promise  autrefois  à  David  par  la  ville 
de  Blois.  Le  bronze  de  M.  Millet  fut  inauguré  le  29  août  1880.  Il  se  dresse 
sur  un  terre-plein  de  l'Escalier  monumental  bien  connu  de  tous  ceux  qui 
ont  visité  Blois.  M.  Millet  a  donné  à  son  personnage  deux  attributs  :  la 
marmite  autoclave  et  la  Bible.  La  rame  brisée  que  projetait  David  n'a  pas 
tenté  le  statuaire  de  nos  jours.  Elle  aurait  eu  son  éloquence. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  ?29 


GXGYl 

David  à  Balzac. 

La  médaille  du  romancier. 

Mardi  soir. . .  1843  (?). 

Je  suis  heureux,  cher  Monsieur,  que  vous  n'ayez  pas  trouvé 
mon  croquis  trop  indigne  de  vous,  et  je  serai  aussi  heureux  si  la 
vue  de  cet  ouvrage  me  vaut  quelquefois  une  place  dans  votre 
souvenir. 

Tous  me  feriez  beaucoup  de  peine  si  vous  me  parliez  encore 
des  petits  frais  qu'a  nécessités  votre  médaillon  ;  c'est  une  misère  à 
laquelle  je  vous  supplie  de  ne  plus  penser. 

Je  joins  ici  les  quelques  lignes  pour  M.  Micheli,  mouleur,  rue 
Guénégaud;  elles  vous  serviront  à  vous  procurer  tous  les  mé- 
daillons que  vous  désirez. 

Mille  amitiés  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  J.  Gigoux. —  Le  croquis  auquel  fait  allusion  l'artiste  représente 
Balzac  vu  de  proGl  à  droite.  Dans  l'angle  inférieur  est  écrit  :  A  Madame  de 
Surville,  ce  croquis  fait  d'après  so7i  illustre  frère,  par  David,  1843.  Le  sta- 
tuaire usa  de  ce  dessin  pour  la  composition  du  buste  du  romancier,  dont  il 
sera  parlé  plus  loin. 


GXGVII 

David  à.  Balzac. 

Une  dédicace.  —  Projet  d'exécuter  le  buste  du  romancier. 

Jeudi  matin...    1843  (?). 

Mon  cher  de  Balzac, 

J'ai  bien  vivement  regretté  de  ne  pas  m'être  trouvé  chez  moi 
pour  vous  dire  combien  je  suis  reconnaissant  et  honoré  que  mon 
nom  ait  été  consacré  par  vous  sur  l'un  de  vos  ouvrages;  c'est 
un  passeport  pour  l'immortalité  que  vous  venez  de  me  donner. 

Je  voudrais  que  mon  talent  fût  en  rapport  avec  mon  admiration 


230  DAVID  D'ANGERS 

pour  votre  génie;  l'on  verrait  alors  reproduite  parle  marbre  une 
image  digne  de  vous.  Cependant,  comme  je  snis  sûr  de  mon 
zèle  et  de  mon    désir  de  réussir,  attendez-vous  à  recevoir  sous 
peu  une  lettre  pour  vous  prier  de  venir  poser  à  mon  atelier. 
Croyez  à  mon  bien  sincère  et  entier  dévouement  de  cœur, 

David. 

Collection  J.  Gigoux.  —  David  fait  allusion  dans  ce  billet  à  la  dédicace 
du  roman  de  Balzac  le  Curé  de  Tours.  En  voici  le  texte  : 

«  A  David,  statuaire.  La  durée  de  l'œuvre  sur  laquelle  j'inscris  votre 
nom,  deux  fois  illustre  dans  ce  siècle,  est  très  problématique,  tandis  que 
vous  gravez  le  mien  sur  le  bronze  qui  survit  aux  nations,  ne  fût-il  frappé 
que  par  le  vulgaire  marteau  du  monnayeur.  Les  numismates  ne  seront-ils 
pas  embarrassés  de  tant  de  têtes  couronnées  dans  votre  atelier,  quand  ils 
retrouveront  parmi  les  cendres  de  I^aris  ces  existences  par  vous  perpétuées 
au  delà  de  la  vie  des  peuples,  et  dans  lesquelles  ils  voudront  voir  des  dynas- 
ties? A  vous  donc  ce  divin  privilège,  à  moi  la  reconnaissance. 

«  De  Balzac.  » 


GXGVIII 


David  à  Victor  Pavie. 

Heures  de  mélancolie.  —  Projet  de  voyage  en  Bretagne.  —  Le  Bernardin 
de  Saint-Pierre.  —  Le  tombeau  de  Napoléon  aux  Invalides.  —  Interven- 
tion de  Gavé.  —  Eloge  de  Duret,  par  David.  —  La  statue  de  Jean  Bart. 
—  Le  buste  de  Marie-Joseph  Ghénier.  —  Le  tombeau  du  roi  René.  — 
M.  de  Nerbonne.  —  Adrien  Maillard . 

Paris,  14  février  1844, 

Cher  ami, 

Je  viens  de  recevoir  avec  une  bien  vive  reconnaissance  ta 
bonne  et  chère  lettre,  et  je  te  prie  de  m'excuser  si  je  n'ai  pas 
encore  répondu  à  celle  que  j'avais  reçue  dans  le  mois  de  janvier. 

Depuis  longtemps,  je  suis  sous  l'influence  funeste  d'une  atonie 
morale  qui  m'ôte  le  courage  d'écrire.  11  faut  que  mon  mal  soit 
bien  puissant,  puisque  ma  paresse  se  fait  sentir  envers  toi  ;  toi, 
le  seul  ami  que  je  possède  et  auquel  j'aime  tant  à  ouvrir  mon 
âme;  toi,  dont  le  sympathique  attachement  ne  s'est  jamais 
démenti.  A  la  vérité,  que  peuvent  être  quelques  lignes  lorsque 
j'aurais  besoin  d'un  volume  pour  exprimer  mes  sentiments  à  ton 
égard  ? 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  231 

Toutes  mes  perplexités  politiques,  les  angles  aigus  auxquels  je 
me  suis  heurté  dans  ma  carrière  d'artiste,  s'ajoutent  aux  cruelles 
angoisses  que  me  fait  éprouver  la  crainte  de  ne  pouvoir  donner 
une  forme  durable,  par  l'art,  à  quelques  nobles  visions  qui  demeu- 
reront probablement  ensevelies  dans  le  cercueil  avec  moi.  Je  ne 
suis  plus  qu'un  feu  qui  se  consume  sans  échauffer.  Quelle  doulou- 
reuse pensée  de  ne  laisser  à  l'avenir  que  des  à  peu  près  de  ce 
que  l'on  aurait  pu  faire! 

Je  regrette  bien  que  ce  soient  tous  les  tourments  qui  s'accu- 
mulent sur  toi  qui  t'aient  empêché  de  venir  passer  quelques  jours 
auprès  de  nous.  Cependant,  si  tu  peux  réaliser  le  xoyage  que  tu 
projettes,  ce  sera  pour  toi  une  bien  grande  compensation.  Vers 
l'équinoxe  de  printemps,  je  tâcherai  de  m'échapper  du  grand 
hôpital  de  fous  qui  me  retient  captif,  hélas!  bien  malgré  moi. 
J'irai,  je  ne  sais  guère  où,  peut-être  au  Havre  voir  mon  ami 
Corbière,  et  peut-être  que  si  son  bâtiment  était  en  partance  pour 
Morlaix,  je  pourrais  bien  faire  cette  excursion.  Je  suis  bien  per- 
suadé que,  vu  la  situation  d'esprit  dans  laquelle  je  me  trouve,  ce 
sauvage  pays  pourrait  encore  remuer  mon  imagination,  car  je  ne 
suis  pas  exclusif.  J'aime  à  observer  les  différentes  manifestations 
des  croyances  qui  se  sont  succédé  dans  l'esprit  humain.  Je 
verrais,  avec  un  puissant  et  mélancolique  intérêt,  ces  roches  aux 
proportions  colossales  que  des  hommes  fanatiques  et  barbares, 
dénués  de  goût,  ont  élevées  sous  l'empire  d'un  culte  fait  pour 
surprendre  ceux  qui  n'ont  pas  médité  profondément  sur  les 
infirmités  inhérentes  à  la  pauvre  espèce  humaine.  Je  m'incline- 
rais devant  ces  vieilles  églises  gothiques  qui  s'élèvent  vers  le  ciel 
comme  des  prières  et  des  larmes  pétrifiées.  Certes,  les  monu- 
ments druidiques  et  ceux  élevés  par  les  chrétiens  sont  une  source 
inépuisable  d'émotions  vives,  surtout  pour  l'homme  qui  a  beau- 
coup vécu  et  par  conséquent  beaucoup  souffert.  Et  si  je  pouvais, 
sur  cette  terre  des  vieux  souvenirs,  serrer  une  main  amie,  quel 
bonheur  !  Pourrai-je  réal  iser  ce  projet?  Je  ne  le  crois  pas,  car  rien 
ne  me  réussit  de  tout  ce  que  rêve  ma  pensée.  Au  moins  je  te 
verrai  passer  par  Paris,  pour  peu  que  cette  maudite  maladie,  qui 
vient  me  visiter  aux  équinoxes,  ne  m'ait  p  as  forcé  dem'éloigner. 

Je  crois  t'avoir  dit,  dans  l'une  de  mes  lettres,  que  le  maire  du 
Havre  m'avait  écrit  que  la  ville  ne  pouvait  actuellement  s'occuper 
de  l'exécution  de  la  statue  de  Bernardin  de  Saint- Pierre,  ce  qui 


232  DAVID  D'ANGERS 

me  paraissait  une  défaite  honnête  afin  de  m'engager  à  ne  plus  y 
penser.  Tu  comprends  quelle  peine  j'ai  dû  éprouver  !  Mais,  à  la 
mort  de  Casimir  Delavigne,  les  bourgeois  libéraux  ont  voulu 
manifester  leur  admiration  à  leur  poète.  Corbière  m'a  dit  qu'il 
pensait  que  je  ferais  bien  d'offrir  le  modèle  de  la  statue  de  l'au- 
teur des  Messéniennes,  qu'alors  cela  forcerait  peut-être  les  Havrais 
à  faire  les  frais  de  la  fonte  des  deux  statues.  J'ai  donc  écrit  au 
maire,  qui  ne  m'a  pas  encore  honoré  d'une  réponse.  Tu  sais  toutes 
mes  supplications,  toutes  mes  anxiétés  afin  de  pouvoir  élever  un 
monument  à  l'auteur  de  Paul  et  Virginie!  Si  ma  correspondance 
à  cet  égard  a  été  conservée,  ce  sera  assez  curieux  de  voir  les  ten- 
tatives du  statuaire  pour  faire  agréer  le  don  de  son  admiration 
au  grand  génie  dont  la  réputation  est  européenne. 

.  A  l'égard  des  statues  de  la  Guerre  et  de  la  Législation,  qui 
doivent  être  placées  à  l'entrée  du  monument  de  Napoléon,  et  que 
les  journaux  ont  dit  m'être  confiées,  cette  nouvelle  m'a  bien 
étonné,  et  j'ai  cru  que  c'était  une  mystification.  Quelques  jours 
après  avoir  lu  l'article  en  question,  M.  Cave,  qui  fait  partie  d'une 
commission  pour  les  écoles  gratuites  de  dessin  dont  je  suis 
membre,  m'écrivit,  durant  la  séance,  qu'il  serait  bien  heureux 
que  la  sculpture  du  monument  du  grand  homme  fût  confiée  à  un 
homme  digne  d'un  pareil  travail;  que,  pour  lui,  il  lutterait  tant 
que  cela  lui  serait  possible,  afin  que  j'eusse  cette  commande  ; 
qu'il  avait  effectivement  à  lutter  contre  le  ministre,  continuelle- 
ment obsédé  par  les  députés  les  plus  influents,  afin  de  donner 
ces  deux  statues  à  M.  Duret.  Je  lui  répondis  que  j'éprouvais  une 
bien  vive  reconnaissance  pour  sa  bonne  intention  à  mon  égard, 
mais  que  M.  Duret  était  un  homme  d'un  immense  talent,  et  que 
je  pensais  qu'il  était  impossible  de  confier  un  ouvrage  important 
à  de  meilleurs  mains;  que  je  ne  pouvais  accepter  ce  travail;  que 
si  une  autre  occasion  se  présentait,  je  me  recommandais  à  son 
bon  souvenir.  Il  me  répondit  aussitôt,  sur  la  même  feuille,  que 
M.  Duret  n'était  pas  un  homme  d'un  immense  talent  ;  que  quand 
il  aurait  des  statuettes  et  des  danseurs  à  faire,  il  l'en  chargerait; 
qu'il  fallait  un  talent  sévère  et  éprouvé  pour  un  semblable  monu- 
ment. Je  répUquai  que  je  renouvelais  mon  refus,  et  que  je  le 
priais  de  me  conserver  encore  ma  vieille  réputation  d'honnêteté 
envers  mes  confrères.  L'affaire  en  est  restée  là.  M.  Duret  a  fait 
agir  énergiquement  tous  ses  députés.  11  y  a  peu  de  jours,  j'ai  ren- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  233 

contré  M.  le  comte  de  Noé,  qui,  après  m'avoir  fait  de  grands 
éloges  sur  ma  conduite,  m'a  chargé  de  dire  à  mon  confrère  que 
lui,  MM.  Vitet  et  de  Siméon,  avaient  été  chez  le  ministre  et  avaient 
obtenu  de  lui  qu'il  signât  la  lettre  de  commande.  Je  me  suis  donc 
chargé  sans  retard  de  porter  à  M.  Duret  cette  bonne  nouvelle.  Tu 
comprends  qu'il  était  de  mon  devoir  de  me  retirer  devant  un 
statuaire  qui  désirait  avoir  un  travail  intéressant.  11  paraît  que 
c'est  dans  toutes  circonstances  le  rôle  qui  m'est  réservé.  Je 
l'accepte  en  m'inclinant  devant  mon  sort.  Il  y  a  déjà  plusieurs 
mois  que  ce  jeune  statuaire  était  venu  me  consulter  sur  la  com- 
position de  ces  figures. 

Le  modèle  de  la  statue  de  Jean  Bart  est  bien  avancé.  Je  crois 
que  tu  seras  assez  content  de  l'énergie  que  j'ai  cherché  à  mettre 
dans  la  pose  de  cet  homme  d'action.  C'est  un  boulet  de  canon 
qui  arrive  à  l'abordage. 

Je  viens  de  terminer  le  modèle  du  buste  de  Marie-Joseph 
Chénier.  Je  l'ai  fait  d'après  un  portrait  peint  par  David.  Je  suis 
heureux  d'avoir  élevé  un  monument  au  pur  et  honorable  repré- 
sentant républicain,  au  grand  poète  patriote  qui  a  toutes  mes 
sympathies  sans  aucune  restriction.  J'avais  fait  celui  de  son  frère 
avec  mes  sympathies  d'artiste. 

11  faut  enfin  que  nous  restituions  le  tombeau  du  roi  René.  Je 
vais  m'occuper  du  modèle.  Tu  me  diras  de  quelle  somme  la  com- 
mission peut  disposer,  parce  qu'alors  je  verrai  si  je  peux  acheter 
le  marbre  nécessaire  et  payer  les  praticiens  avec  cette  somme.  11 
ne  faut  pas  penser  à  avoir  du  marbre  du  Gouvernement^,  il  n'y 
en  a  plus  dans  les  magasins.  Je  te  prie  de  me  faire  donner  par 
l'architecte  les  mesures  extrêmement  justes  et  de  m'envoyer  la 
lithographie  représentant  les  deux  statues  telles  qu'elles  étaient 
dans  l'ancien  monument.  Il  sera  convenable  de  les  reproduire 
avec  toute  l'exactitude  possible. 

Dis  bien  des  choses  amicales  de  ma  part  à  M.  de  Nerbonne; 
dis-lui  que  je  ne  lui  ai  pas  répondu  parce  que  je  n'aime  pas  la 
polémique  politique.  Il  a  eu  très  tort  de  croire  que  ses  opinions 
m'avaient  choqué.  Dieu  merci,  je  n'ai  pas  les  idées  assez  étroites 
pour  cela  ;  je  respecte  les  convictions  do  mes  amis;  je  désire  qu'ils 
agissent  ainsi  à  mon  égard.  C'est  la  véritable  liberté. 

Adieu,  cher  ami,  sois  heureux  et  tous  ceux  qui  t'intéressent; 
rappelle-nous,  Emilie  et  moi,  à  leur  bon  souvenir. 

Ton  tout  dévoué  de  cœur,  David. 


234  DAVID  D'ANGERS 

P.  S.  —  C'est  notre  compatriote,  M.  de  la  Chauvinière,  qui  m'a 
proposé  pour  exécuter  la  statue  de  Mathieu  de  Dombasle.  Ce 
projet  n'est  encore  qu'un  embryon.  Fais-moi  le  plaisir  de  dire 
à  Adrien  Maillard  que  j'ai  besoin  d'avoir  de  suite  la  Vie  de  M.  de 
Cheveriis,  que  je  lui  avais  prêtée.  Il  n'est  donc  pas  possible  de 
retrouver  les  deux  premiers  volumes  des  Mémoires  de  Barrère, 
que  j'avais  envoyés  à  notre  bibliothèque  et  qui  ont  été  mis  par 
moi  dans  une  caisse  adressée  au  Musée? 

Collection  Pavie.  —  François  Gavé,  qui  remplit  les  fonctions  de  directeur 
des  beaux-arts  sous  le  gouvernement  de  Juillet,  témoigna  en  plus  d'une 
occasion  la  haute  estime  que  lui  inspiraient  le  caractère  et  le  talent  de 
David.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  389-390.)  Une  lettre  de  Balzac,  datée 
du  10  janvier  1844,  à  son  ami  Fontémoing,  habitant  Dunkerque,  a  trait  à 
la  statue  de  Jean  Bart.  Cette  lettre  ayant  été  publiée,  nous  ne  croyons  pas 
devoir  en  rappeler  les  termes  chaleureux.  Le  buste  en  marbre  de  Marie- 
Joseph  de  Ghénier  porte  le  millésime  de  1845.  L'artiste  l'offrit  au  Théâtre- 
Français.  La  terre  cuite,  exécutée  en  1844,  est  au  Musée  David.  {Musées 
d'Angers,  p.  187.)  Henri- Aubin  de  Nerbonne,  poète  et  littérateur  angevin, 
né  en  1807,  est  mort  en  1849. 


GXGIX 


David  à  Rauch. 

David  élu  membre  de  l'Académie  de  Berlin.  —  De  statuaire  à  statuaire.  — 
Voyage  de  Rietschell  à  Paris. 

Paris,  9  mars  1844. 

Mon  cher  ami, 

J'ai  reçu  avec  un  bien  vif  plaisir  et  avec  une  profonde  recon- 
naissance la  nouvelle  que  vous  me  donnez  de  ma  nomination  de 
membre  de  l'Académie  de  Berlin.  J'ai  été  d'autant  plus  surpris 
que  je  ne  m'attendais  nullement  à  un  semblable  honneur;  mais 
je  ne  puis  me  dissimuler  aussi  que  je  le  dois  presque  entière- 
ment à  votre  généreuse  et  aimable  intervention.  Merci  donc,  cher 
ami. 

Depuis  bien  longtems  vous  m'avez  annoncé  l'envoi  que  vous 
me  faisiez  du  modèle  de  l'une  de  vos  statues  ;  à  moins  qu'il  ne 
soit  arrivé  quelqu'accident,  je  ne  puis  m'expliquer  pourquoi  je 
ne  l'ai  pas  encore  reçu.  Vous  devriez  bien  faire  prendre  des 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  235 

informations  par  votre  commissionnaire  à  cet  égard.  Il  est  bien 
rare  que  les  objets  arrivent  à  bon  port  s'ils  ne  sont  expédiés 
sous  la  protection  d'un  ambassadeur. 

J'entends  par  la  voix  de  la  Renommée  parler  souvent  de  vos 
beaux  et  majestueux  travaux.  Combien  je  serais  heureux  de  pou- 
voir aller  vous  serrer  la  main  dans  votre  atelier^  de  vous  voir 
entouré  de  ces  monuments  qui  consacreront  si  glorieusement 
votre  nom  dans  les  fastes  immortels  de  la  gloire!  Quelques  lieues 
nous  séparent,  il  faudrait  peu  de  temps  pour  les  franchir,  et 
cependant  nous  restons  cloués  dans  nos  ateliers.  C'est  une  rude 
et  tenace  profession  que  celle  du  statuaire  ;  il  faut  une  grande 
énergie  pour  lutter  contre  toutes  ses  exigences  physiques  et 
morales. 

J'ai  vu  avec  un  bien  grand  plaisir  votre  élève  M,  Rietschell;  il 
est  venu  passer  quelques  jours  à  Paris.  Nous  nous  sommes  sou- 
vent entretenus  de  vous  ;  c'est  un  homme  de  cœur,  il  sait  vous 
apprécier  dignement. 

Adieu,  cher  ami,  croyez  à  tous  mes  sentiments  d'entier  dévoue- 
ment et  d'amitié  sincère, 

David. 

Collection  Eggers,  à  Berlin. 


ce 

David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  Casimir  Delavigne.  —  Première  esquisse.  —  Le  monument 
de  Larrey.  —  Les  bas-reliefs  du  monument  de  Cheverus.  —  Buste  de 
Coulhon.  —  Un  bal  masquù  à  l'Odéon.  —  L'inconnu.  —  Accident  de 
voiture.  —  Robert  David.  —  Le  buste  de  Victor  Hugo. 

Paris,  5  avril  1844. 

Cher  Victor, 

Comme  je  sais  tout  l'intérêt  que  tu  prends  à  ce  qui  me  touche, 
je  ne  veux  pas  tarder  plus  longtemps  à  te  dire  que  je  viens  de 
recevoir  une  lettre  du  maire  de  la  ville  du  Havre,  m'inlbrmant 
que  le  Conseil  municipal  accepte  la  proposition  que  j'avais  laite 
de  donner  lo  modèle  de  la  statue  de  Casimir  Delavigne  pour  ma 


236  DAVID  D'ANGERS 

part  de  souscription.  Quoique  j'eusse  renouvelé  mon  offre  pour 
celle  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  le  maire  ne  me  parle  que  de 
l'auteur  des  Messéniennes.  Cependant,  comme  il  y  a  tout  lieu 
d'espérer  que  la  souscription  ouverte  à  Paris  et  au  Havre  fournira 
une  somme  assez  forte,  l'auteur  de  Paul  et  Virginie  passera  par 
dessus  le  marché!  S'il  en  était  autrement,  tu  comprends  com- 
bien je  serais  affligé,  car  cet  écrivain  a  toutes  mes  sympathies 
littéraires.  Mais,  envisagée  sous  un  certain  aspect,  la  physiono- 
mie du  talent  de  l'auteur  des  Messéniennes  peut  inspirer  un  artiste 
patriote. 

Ma  première  pensée  serait  de  représenter  Casimir  Delavigne 
debout  et  déposant  aux  pieds  de  la  statue  de  la  France  les  Poé- 
sies par  lesquelles  il  a  protesté  contre  l'avilissement  de  la  patrie. 
La  France^  semblable  à  la  statue  de  la  Résignation,  tiendra  un 
glaive  brisé,  et  à  ses  pieds  je  mettrai  l'aigle  mort.  Tu  te  souviens 
de  la  composition  que  j'ai  projetée  pour  Bernardin  de  Saint- 
Pierre  ? 

Je  viens  d'être  chargé  du  monument  à  élever  au  chirurgien 
Larrey,  cet  homme  célèbre  qui  a  laissé  une  mémoire  si  vénérable  ; 
ce  héros  qui  pansait  les  blessés  à  travers  la  mitraille;  qui  allait 
retourner  les  cadavres,  les  soirs  de  bataille,  pour  chercher  quel- 
ques étincelles  de  vie,  afin  de  rendre  à  la  patrie  quelques-uns  de 
ses  défenseurs.  Son  monument  sera  placé  dans  la  cour  d'entrée 
du  Val-de-Gràce. 

Actuellement,  je  m'occupe  avec  activité  de  la  statue  de  Jean 
Bart,  le  rude  marin  dont  on  a  dit  qu'il  arrivait  à  l'abordage 
comme  un  boulet  de  canon.  En  même  temps  je  termine  les  bas- 
reliefs  du  monument  du  cardinal  de  Gheverus.  Deux  sont  déjà 
terminés  :  ils  représentent  l'évêque  pansant  un  vieux  nègre,  et  un 
marin  rencontrant,  au  retour  d'un  voyage,  le  noble  prélat  chargé 
d'un  fagot  de  bois  destiné  au  foyer  de  la  femme  du  marin  gra- 
vement malade.  Dans  un  troisième  bas-relief,  au  lieu  de  repré- 
senter l'évêque  bénissant,  à  Bordeaux,  les  enfants  des  écoles  mu- 
tuelles, je  rappellerai  l'instant  oii,  arrivant  sur  les  côtes  de  France, 
le  bâtiment  qui  le  portait  fut  assailli  par  une  tempête.  On  verra 
l'équipage  et  les  passagers  rassurés  par  le  prêtre  et  recevant  sa 
bénédiction.  Ce  drame  me  paraît  plus  saibiisant. 

Enfin,  je  fais  le  buste  de  Couthon,  d'après  un  admirable  por- 
trait peint  d'après  nature.  C'est  encore  un  de  ces  hommes  dont 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  237 

le  noble  dévouement  à  la  patrie  a  été  dénigré  par  ses  ennemis 
implacables,  et  cependant  sa  ville  natale  rend  hommage  à  la 
bonté  de  son  cœur  et  à  la  douceur  de  ses  mœurs,  mais  c'est  à 
l'avenir  qu'est  réservé  le  soin  de  rétablir  les  faits  à  leur  juste 
valeur  et  de  faire  la  part  des  terribles  circonstances  dans  les- 
quelles ces  hommes  gigantesques  se  sont  trouvés.  Voici  ce  qu'il 
a  écrit  au  bas  de  son  portrait  :  «  Dieu  et  la  loi,  la  vej'tu  et  la 
probité  à  l'ordre  du  jour.  Point  de  république  sa)îs  mœurs,  de 
patriotisme  sans  vertus.  » 

Maintenant  que  je  t'ai  entretenu  du  statuaire  et  que  tu  Tas  vu 
sur  son  champ  de  bataille,  il  faut  que  je  te  parle  d'un  double 
péril  auquel,  grâce  à  son  ange  gardien,  il  lui  a  été  donné 
d'échapper.  J'avais  assisté  à  uq  bal  chez  M.  Benoît,  notre  compa- 
triote. Il  était  minuit  passé  lorsque  j'en  sortis.  En  traversant  la 
place  de  l'Odéon,  je  m'arrêtai  à  regarder  des  masques.  J'étudiais 
cette  préface  animée  de  ce  qui  se  passait  dans  l'intérieur  du 
théâtre.  Quoique  très  attentif  au  spectacle  d'une  foule  en  dé- 
lire, qui  croit  s'amuser  lorsqu'elle  est  sous  l'influence  d'une  sorte 
de  fièvre,  je  fus  frappé  de  l'attitude  d'une  homme  drapé  dans 
un  manteau  et  ayant  un  masque  sur  le  visage.  Je  le  vis  s'atta- 
chant  à  mes  pas.  Ses  mouvements  me  parurent  singuliers.  Il 
m'épiait.  Soudain  il  disparut.  Mais  lorsque  je  rentrais  chez  moi, 
je  le  retrouvai  debout  au  milieu  de  la  chaussée^  rue  de  Vaugirard, 
à  l'entrée  de  la  rue  d'Assas.  11  fit  un  écart  brusque  évidemment 
motivé  par  l'intention  de  venir  sur  moi.  Des  chanteurs  qui  reve- 
naient sans  doute  de  la  Barrière  se  firent  entendre.  Cela  parut 
modifier  le  plan  de  mon  inconnu.  Je  me  hâtai,  mais  je  m'aperçus 
qu'il  allongeait  le  pas,  et  déjà  sa  grande  ombre  se  dessinait  sur 
le  trottoir.  Je  frappai  à  ma  porte,  qui  me  fut  ouverte  sans  retard, 
et  presque  aussitôt  après  qu'elle  fut  refermée  j'entendis  frapper 
un  violent  coup.  Le  concierge,  sans  ouvrir,  essaya  de  savoir  ce 
que  l'on  voulait.  Personne  ne  répondit  à  sa  demande.  Plus  d'une 
demi-heure  après,  les  aboiements  du  chien  me  firent  penser  que 
l'inconnu  rôdait  toujours  près  du  portail.  Quel  est  cet  homme 
qui,  certes,  n'est  pas  un  voleur?  Serait-ce  encore  l'auteur  de  la 
tentative  d'assassinat  de  la  rue  de  l'Abbaye?  Geluiqui  m'a  si  sou- 
vent poursuivi  de  ses  lettres  anonymes,  écrites  parfois  avec  du 
sang?  Se  disposait-il  à  passer  la  nuit  au  bal  et,  m'ayant  aperçu, 
aura-t-il    conçu   le  projet   d'assouvir  sa   vengeance   dans  des 


238  DAVID  D'ANGERS 

conditions  qui  lui  parurent,  cette  fois,  pleines  de  sécurité?  Ce  ne 
sont  là  que  des  conjectures.  Mais  ce  soupçon  m'oppresse. 

Environ  un  mois  après,  le  12  mars,  jour  anniversaire  de  ma 
naissance,  je  revenais  à  la  maison,  avec  Robert,  vers  huit  heures 
du  soir.  Lorsque  nous  descendîmes  de  l'omnibus  de  la  Bourse, 
sur  la  place  Saint-Sulpice,  beaucoup  de  voitures  se  croisaient. 
Nous  fûmes  renversés  par  un  cheval  attelé  à  un  cabriolet  que 
nous  n'avions  pas  entendu.  Mon  premier  mouvement  fut  de  re- 
pousser de  toutes  mes  forces  le  pauvre  enfant  pour  qu'au  moins 
il  échappât  à  la  mort.  Quoique  foulé  aux  pieds  du  cheval,  j'eus 
encore  la  présence  d'esprit  de  me  rouler,  afin  que  la  voiture  ne 
passât  pas  sur  mon  corps,  et  lorsque  je  sentis  que  la  roue  allait 
m'écraser  le  pied,  j'eus  encore  le  temps  de  le  retirer  ;  elle  ne 
passa  que  sur  le  bout  de  ma  botte. 

Aussitôt  que  je  fus  relevé,  Robert  me  serra  avec  effusion  dans 
ses  bras  sans  dire  un  mot  :  éloquence  que  je  n'oublierai  jamais 
et  qui  me  touche  encore  jusqu'aux  larmes,  surtout  quand  je 
pense  que  le  pauvre  enfant  a  été  si  proche  d'une  fin  tragique. 

C'est  quelque  chose  d'inouï  que  la  rapidité  avec  laquelle  les 
idées  se  succèdent  dans  les  grandes  crises  qui  touchent  à  notre 
conservation. 

En  moins  d'un  mois,  à  peu  près,  j'ai  été  deux  fois  menacé  dans 
ma  vie.  Après  une  existence  si  pleine  de  vicissitudes  et  de 
drames,  je  veux  espérer  que  le  destin  me  réserve  encore  pour 
écrire  quelques  pages  en  marbre  ou  en  bronze  et  pour  penser  à 
toi,  cher  et  bon  ami. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm. 

P.  S.  —  Je  viens  de  recevoir  de  Berlin  la  nouvelle  de  ma 
nomination  de  membre  de  l'Académie.  Humboldt  m'avait  de- 
mandé si  je  voulais  avoir  la  croix  avec  cette  nomination.  Je  lui 
ai  répondu  que  je  ne  faisais  cas  que  de  mon  élection  comme 
membre  de  l'Académie.  Il  existe  assez  de  gens  qui  aspirent  aux 
cordons  ;  je  leur  laisse  avec  plaisir  cette  absurdité. 

Le  buste  de  Hugo  est  terminé  en  marbre.  J'ai  la  conviction 
que  l'avenir  ratifiera  l'idée  que  j'ai  eue  de  le  couronner  ;  dans  tous 
les  cas  ce  n'est  point  une  flatterie  de  ma  part,  car  ce  sentiment 
n'a  jamais  existé  chez  moi.  Je  n'ai  cédé  qu'à  mon  admiration 
pour  le  génie. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  239 

Collection  Pavie.  —  La  statue  de  Casimir  Delavigne,  exécutée  pour  la 
ville  du  Havre,  fut  inaugurée  en  môme  temps  que  celle  de  Bernardin  de 
Saint-Pierre,  le  9  aoûtlSo!2.  Le  maître  modifia  son  premier  projet,  quanta 
la  pose  du  poète  des  Messéniennes.  Celui-ci  est  assis,  et  la  main  froisse  les 
plis  d'un  drapeau.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  448-449.)  Le  monument 
de  Larrey  a  été  inauguré  à  Paris  en  août  4850.  (Musées  d'Angers,  pp.  115- 
116.)  Le  buste  de  Georges  Couthon,  le  conventionnel,  ne  porte  aucune 
date.  Le  maître  n'exécuta  point  cet  ouvrage  en  marbre.  La  terre  cuite  est 
au  Musée  David.  (Musées  d'Angers,  p.  189.) 


CCI 

Le  Ministre  d'État  de  Saxe  à  David. 

Le  culte  du  maître  pour  les  poètes  allemands.  —  Il  reçoit  la  croix  du 
Mérite  civil.  —  Le  buste  de  Gœthe  à  la  Bibliothèque  de  Dresde- 
Dresde,  ce  15  avril  1844. 

Monsieur, 

Sa  Majesté  le  Roi  de  Saxe,  mon  auguste  Maître,  ayant  été  in- 
struite du  yif  intérêt  que  vous  portez  aux  célèbres  poètes  de  l'Al- 
lemagne, 'comme  du  précieux  présent  du  buste  de  Gœthe,  en 
marbre,  que  vous  avez  bien  voulu  faire  à  la  Bibliothèque  royale, 
a  daigné,  en  témoignage  de  sahaute  bienveillance,  vous  conférer 
la  croix  de  son  ordre  pour  le  Mérite  civil. 

Chargé  de  vous  informer  de  cette  distinction,  Monsieur,  et  de 
vous  remettre  en  même  temps,  ci-joint,  le  décret,  les  statuts  et 
la  décoration  de  cet  ordre,  je  m'en  acquitte  avec  d'autant  plus  de 
plaisir  et  d'empressement  que  j'apprécie  dans  toute  sa  grande 
valeur  le  chef-d'œuvre  dont  vous  avez  enrichi  avec  tant  de  libé- 
ralité une  des  collections  royales  confiées  à  ma  surveillance. 

Je  saisis  d'ailleurs  cette  occasion,  bien  agréable  pour  moi,  pour 
vous  prier,  Monsieur,  d'agréer  les  assurances  de  la  considération 
la  plus  distinguée  avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'être,  Monsieur, 
votre  très  humble  et  obéissant  serviteur. 

Le  Ministre  d'État, 

De  WlETERSllElM. 
Collection  David  d'Angers, 


240  DAVID  D'ANGERS 


CGII 


David  à  Victor  Pavie. 

La  ville  de  Brest.—  Les  Bretons.  —  Carnac.  —  Retour  sur   les  sculpteurs 
d'jjgine.  —  Le  port,  l'arsenal,  l'hôpital.  —  Deux  guides  incommodes. 

Brest,  la  1"  mai  1844. 

Cher  ami, 

Me  voilà  sur  la  route  de  notre  cher  Angers,  et  cependant  je  ne 
puis  encore  aller  t'y  serrer  la  main.  Il  faut  que  je  retourne  à  Paris. 
Mais  du  moins  ces  quelques  lignes  te  porteront  de  mes  nouvelles. 
Je  suis  ici  avec  ma  petite  Hélène  seulement. 

Quelle  ville  que  celle  où  je  vis  actuellement!  Elle  me  fait  l'effet 
d'une  fournaise.  Quel  mélange  !  Le  crime  en  bonnet  de  galérien, 
l'héroïsme  sous  le  petit  chapeau  ciré  du  marin.  Peu  de  belles 
femmes.  Ce  que  je  connais  de  la  Bretagne  me  porterait  à  croire 
que  le  peuple  n'y  est  pas  beau.  11  me  semble  de  granit.  Il  en  a 
tout  le  caractère.  Enfin  apparaissent  les  pâles  figures  étiolées  de 
quelques  bourgeois,  qui  se  croient  obligés  de  prendre  une  pose 
énergique,  pour  se  mettre  en  harmonie  avec  le  milieu  qui  les 
enveloppe.  On  dirait  des  araignées  qui  se  mirent  dans  la  cuirasse 
d'un  brave. 

J'aurais  bien  voulu  voir  Carnac.  C'était  là  l'un  de  mes  grands 
désirs.  Si  j'avais  été  seul,  je  l'aurais  pu  réaliser;  mais  il  faut  que 
je  rentre  et  que  je  m'attache  au  piquet  pour  décrire  de  nouveau 
mon  cercle  habituel. 

Quel  art  sauvage  que  celui  de  la  Bretagne  !  Toutes  les  sculp- 
tures semblent  faites  par  des  hommes  en  butte  à  l'adversité,  et  au 
bruit  des  tempêtes.  J'aime  cela.  Du  moins,  de  pareilles  œuvres 
portent-elles  le  cachet  de  la  durée.  Ces  sculptures  gauloises 
m'ont  rappelé,  par  leur  procédé,  les  sculptures  d'Égine,  à  la  dif- 
férence que  le  peuple  d'Égine  était  beau.  Il  s'est  révélé  dans  ses 
monuments,  tandis  que  les  laids  Gaulois  ont  reproduit  partout 
leurs  tètes  sauvages  et  effrayantes. 

Adieu.  De  tout  cœur  à  toi, 

DAvm. 

P.  S. —  Je  viens  de  visiter  le  port,  l'arsenal  et  l'hôpital.  J'étais 
conduit  par  un  négociant  qui  fait  chaque  année  pour  plus  de  sept 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  241 

millions  d'affaires  clans  les  toiles!  et  par  un  professeur  du  Jardin 
des  plantes!  !  11  m'a  fallu  passer  rapidement  au  milieu  des  galé- 
riens, et  cependant  j'aurais  tant  souhaité  d'observer  ces  hommes, 
rebut  de  la  société,  parmi  lesquels  plus  d'un,  peut-être,  avait  l'é- 
toffe d'un  héros;  il  ne  lui  aura  manqué  qu'un  champ  d'action. 
Mais  avec  mes  guides,  si  étrangement  choisis,  il  m'a  fallu  m'exta- 
sier  devant  des  toiles  et  trouver  admirable  un  jardin  grand  comme 
une  serviette.  J'ai  dû  m'arrcter  devant  des  peaux  d'animaux  rem- 
bourées  de  foin;  il  m'a  fallu  contempler  des  fauves  empaillés,  la 
prunelle  tournée  vers  le  ciel.  Il  n'y  a  rien  de  bête  comme  les 
ganaches  quand  elles  veulent  faire  du  sentiment.  Quel  malheur 
d'être  obligé  d'avoir  recours  aux  hommes  en  «  position  »  pour 
pénétrer  dans  les  endroits  où  se  trouvent  les  pages  les  plus  cu- 
rieuses à  étudier  par  l'artiste! 

Collection  Pavie. 


CGIII 


Victor  Hugo   à  David. 

Le  buste  laurc  du  poète  des  Feuilles  d'automne. 

Paris,  ce  samedi  soir,  ii  octobre  1S44. 

Quelle  magnifique  chose,  cher  et  grand  David,  et  quel  royal 
présent  !  quel  sublime  et  éternel  témoignage  de  votre  amitié  pour 
moi  !  Le  respect  et  l'enthousiasme  pour  votre  génie  entoureront  ce 
marbre  dans  la  postérité,  et  il  en  viendra  quelque  chose  jusqu'à 
moi.  0  grand  statuaire,  que  vous  êtes  puissant!  Vous  créez  des 
chefs-d'œuvre  comme  Dieu,  et  comme  lui  vous  donnez  l'im- 
mortalité. 

Je  vous  envoie  un  cri  d'admiration  et  de  reconnaissance  en 
attendant  que  j'aille  vous  serrer  la  main.  Mettez  mes  plus  tendres 
respects  aux  pieds  de  Madame  David. 

Victor  Hugo.  * 

Collection  David  d'Angers.  —  On  a  vu  plus  haut,  sous  la  date  du 
19  juin  1842,  que  le  inaîlro  modelait  ce  second  buste  du  poète.  La  terre 
cuite,  conservée  au  Musée  David,  est  de  1842;  le  marbre,  achevé  en  1844, 
fut  offert  au  modèle.  {Musées  d'Anyers,^.iM.) 

16 


242  DAVID  D'ANGERS 

CGIV 

David  à  Victor  Pavie. 

Un  deuil.  —  Rome.  —  Les  Pyrénées.  —  Rêverie. 

Paris.  31  octobre  1844. 

Cher  ami, 

A  l'instant  où  j'allais  t'écrire  pour  te  remercier  de  tes  bonnes 
et  intéressantes  lettres  sur  ton  voyage  d'Italie ,  on  me  remet  le 
pli  par  lequel  j'apprendsle  nouveau  malheur  qui  vient  de  te  frap- 
per. Il  faut  donc  que  notre  existence  se  passe  continuellement  à 
gémir  sur  nous  ou  sur  nos  amis!  Il  y  a  peu  de  temps,  j'entendais 
dire  à  Chateaubriand  qu'il  ne  voudrait  pas  recommencer  la  vie. 
Effectivement,  les  âmes  de  sa  trempe  doivent  être  toujours  mal- 
heureuses. Mais,  en  vérité,  le  sort  est  injuste.  Tandis  qu'il  laisse 
peser  une  main  de  fer  sur  le  cœur  de  tant  d'êtres  distingués,  il 
choie  avec  la  plus  grande  tendresse,  en  apparence  du  moins,  une 
masse  d'êtres  nuls  et  égoïstes.  Mon  propre  cœur,  si  souvent  et  si 
horriblement  froissé,  m'inchne  à  me  plaindre  avec  amertume,  et 
je  sens  qu'au  lieu  de  te  consoler,  je  t'afflige  peut-être.  Crois 
cependant,  mon  ami,  que,  malgré  les  peines  que  j'éprouve,  je 
prends  une  bien  large  part  à  ton  chagrin.  La  terrible  nouvelle 
m'afflige  profondément. 

Tes  lettres  sur  l'Italie,  et  ce  que  m'a  dit  Théodore,  prouvent 
que  tu  as  bien  apprécié  cet  admirable  pays.  C'est  effectivement 
le  seul  coin  du  globe  qui  offre,  réunis,  les  grands  et  immortels 
souvenirs.  C'est  en  même  temps  le  plus  beau  pays  que  l'àme 
puisse  rêver.  Que  de  nuits  délicieuses  j'ai  passées  dans  les  ruines 
des  monuments  de  Rome!  Car,  alors,  tous  les  mannequins,  les 
pygmées  en  culottes  de  velours  avaient  disparu,  et  mon  imagina- 
tion se  donnait  libre  cours  sur  cette  race  gigantesque  des  anciens 
Romains.  Tu  as  dû  éprouver  de  profondes  et  mélancoliques  sen- 
sations en  visitant  les  catacombes. 

J'ai  fait,  de  mon  côté,  un  bien  beau  voyage  dans  mes  chères 
Pyrénées.  Si  je  n'ai  pas  rapporté  une  santé  parfaite,  j'ai  le  cœur 
rempli  de  délicieuses  visions.  C'est  une  nature  grandiose  que 
celle  des  Pyrénées,  et  Dieu  l'anime  de  couleurs  admirables. 

Je  n'oublierai  jamais  la  journée  que  j'ai  passée  sur  la  montagne 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  243 

de  Louvie,  près  Laruns,  où  l'on  tire  du  marbre  statuaire.  Aux 
approches  de  la  nuit,  j'ai  joui  d'un  spectacle  ravissant.  Le  soleil 
se  couchait,  et  la  lune  se  levait  au  même  instant.  Le  ciel  était  si 
pur  qu'il  me  semblait  que  je  le  touchais  du  front,  et  dans  mon 
extase,  j'avais  une  sorte  de  vague  instinct  qu'il  me  suffirait  d'é- 
tendre les  bras  pour  atteindre  aux  deux  astres  qui  m'environ- 
naient. A  de  semblables  instants,  la  matière  qui  est  en  nous,  hon- 
teuse et  résignée,  se  tait,  et  l'àme  plane  librement  dans  l'espace. 
Mille  tendres  amitiés  à  ton  père  ;  mes  respectueux  hommages  à 
]yimc  pavie,  et  crois-moi  toujours  à  toi  de  tout  cœur, 

David. 

Collection  ]  Pavie.  —  Les  premières  lignes  de  cette  lettre  ont  trait  à  la 
mort  d'un  enfant  de  Victor  Pavie. 


Cher  ami. 


GGV 

David  à  Balzac. 

Le  buste  du  romancier. 

Parisj   12  janvier  18-45. 


Votre  buste  est  tout  à  fait  terminé;  si  mercredi  prochain  vous 
pouvez  venir  le  voir,  je  vous  attendrai. 

Puissent  vos  amis  ne  pas  trouver  cet  ouvrage  indigne  du  grand 
historien  du  cœur  humain  ! 

DAvm  d'Angers. 

Collection  J.  Giqoux. —  Cette  lettre  porte  pour  suscription  :  A  Monsieur 
de  Balzac,  chez  Madame  Surville,  47,  rue  des  Martyrs.  —  Le  modèle  en 
terre  cuite  du  buste  de  Balzac  porte  le  millésime  de  1844. Le  marbre,  exécuté 
en  1845,  fut  offert  au  modèle.  Un  bronze  décore  la  tombe  du  romancier 
au  cimetière  du  Pèrc-Lachaise.  {Musées  d'Angers,  pp.  187  et  353.) 


244  DAVID  D'ANGERS 

GCVI 
David  à  Victor  Pavie. 

La  médaille  de  Leysener.  —  La  gravure  du  Bonchamps.  —  Le  monument 
de  Gheverus.  —  Restitution  du  tombeau  du  roi  René.  —  Bernardin  de 
Saint-Pierre.  —  Gasimir  Delavigne.  —  Gavé  et  la  statue  de  Poussin. 

Paris,  13  février  1845. 

Mon  bon  et  cher  ami, 

Je  n'ai  pas  besoin  de  te  dire  que  ta  lettre  m'a  fait  bien  plaisir. 
J'ai  tant  besoin  d'être  sûr  que  tu  penses  quelquefois  à  moi  !  Je 
comptais,  cependant,  que  nous  t'aurions  vu  cet  hiver  à  Paris. 
Pouvons-nous  croire  que  ton  voyage  n'est  que  différé  et  que  tu 
viendras  au  Salon  prochain? 

J'espère  sous  peu  de  jours  t'envoyer  le  portrait  de  Leysener; 
Je  suis  honteux  d'en  avoir  privé  si  longtemps  ses  parents. 

Leroux  n'ayant  pas  le  temps  de  s'occuper  de  la  gravure  du 
Bonchamps,  c'est  l'un  de  ses  élèves  qui  en  est  chargé;  on  me  fait 
espérer  que  nous  l'aurons  bientôt. 

Bientôt  aussi,  je  pense  que  je  t'enverrai  les  bas-reliefs  en 
terre  cuite  du  monument  du  cardinal  de  Gheverus.  Dieu  veuille 
qu'ils  ne  se  brisent  pas  à  la  cuisson,  ce  qui  n'arrive  que  trop  sou- 
vent. Quand  tu  iras  à  Mayenne,  je  serai  bien  content  de  connaître 
ton  opinion  sur  la  statue  et  les  bas-reliefs. 

Je  suis  tourmenté  depuis  longtemps  du  désir  de  voir  le  tom- 
beau de  René  d'Anjou  rétabli  dans  l'église  de  Saint-Maurice.  Si 
j'avais  quelques  travaux  commandés,  si  je  n'étais  pas  obligé  de 
donner  mes  modèles  aux  villes  qui  veulent  bien  les  accepter, 
j'aurais  fait  don  de  la  statue  de  notre  compatriote  et  de  celle 
de  sa  femme  à  notre  ville,  mais  je  commence  à  m'épuiser,  et 
cependant  je  voudrais  encore  planter  ce  monument.  Ne  serait- 
il  donc  pas  possible  de  me  donner  trois  mille  francs?  Je  fourni- 
rais au  reste  pour  payer  les  praticiens  et  couvrir  les  irais  du 
marbre.  Vois  donc,  cher  ami,  à  causer  de  cela  avec  M.  de  Beaure- 
gard.  Demande-lui  quelle  serait  la  somme  dont  il  pourrait  dispo- 
ser pour  ce  travail,  il  faut  aussi  réserver  quelque  chose  pour  la 
sculpture  en  pierre  du  tombsau,  mais  je  pense  que  cela  ne  coû- 
tera pas  cher,  puisque  ce  sera  la  tâche  des  sculpteurs  du  pays. 


ET  SES  RELATIONS   LITTERAIRES  2*5 

Si  nous  pouvions  mettre  cette  affaire  en  train,  il  faudrait  m'en- 
voyer  la  proportion  bien  exacte  des  figures,  et  alors  je  pourrais 
commencer,  et  bientôt  le  tombeau  de  notre  compatriote  serait 
restitué. 

Je  suis  toujours  dans  l'alternative  la  plus  pénible  pour  la  statue 
de  Bernardin  de  Saint-Pierre  et  celle  de  Casimir  Delavigne.  Les 
marchands  du  Havre,  voyant  que  la  ville  de  Paris  avait  souscrit, 
ont  trouvé  plus  commode  de  ne  rien  donner.  Alors  la  commis- 
sion de  Paris,  dont  M.  Jules  Janin  est  membre  très  influent,  me 
chicane.  Le  Gouvernement  me  conteste  lé^  droit  de  donner  mes 
ouvrages  !  C'est  ainsi  que  M.  Cave  vient  de  m'enlever  la  statue 
du  Poussin,  qui  m'avait  été  promise  par  la  commission  de  Rouen 
et  des  Andelys  depuis  plus  de  dix  années  :  misères  bien  décou- 
rageantes que  tout  cela... 

Adieu,  cher  ami,  sois  heureux  et  crois  à  mon  inviolable  amitié. 
De  tout  cœur, 

David. 

Collection  Pavle.  —  La  statue  de  Nicolas  Poussin,  érigée  aux  Andelys, 
lieu  natal  du  peintre,  est  l'œuvre  du  sculpteur  Louis  Brian.  Elle  fut  inau- 
gurée avec  éclat,  le  15  juin  1851.  David  a  modelé  le  profil  de  Poussin,  la 
tètelaurée,  en  1830.  {Musées  d'Angers,  pp.  134  et  135.) 


GGVII 

David   à  Rauch. 

Profession  de  foi.  —  Mission  de  l'art.  —  Réduction  du  buste  de  Ilumboldt. 

Paris,  le  l"  juin  1845. 

Cher  et  honorable  ami, 

J'attendais  pour  répondre  à  votre  aimable  lettre  le  départ  de 
M.  de  Humboldt,  mais  je  ne  l'ai  connu  que  le  jour  même,  et  alors 
je  n'avais  plus  le  temps  de  profiter  de  son  obligeance. 

Vous  me  demandez  si  j'ai  reçu  la  caisse  contenant  le  modèle 
d'un  de  vos  ouvrages?  Non,  il  ne  m'est  pas  parvenu. 

J'apprends  toujours  avec  bien  du  bonheur  vos  grands  succès 
dans  votre  art,  et  le  nom  des  grands  personnages  dont  vous  lé- 
guez la  noble  image  à  l'avenir.  Tous  ceux  qui  aiment  l'art  doivent 


246  DAVID  D'ANGERS 

se  réjouir  de  voir  un  aussi  grand  talent  que  le  vôtre  à  même  de 
produire  des  œuvres  si  dignes  do  l'admiration. 

Dans  Fune  de  vos  lettres,  vous  me  dites  que  vous  aimeriez  à 
écrire  à  l'Institut,  pour  lui  donner  des  renseignements  sur  les 
ouvrages  d'art  qui  sont  produits  en  Allemagne,  s'il  vous  était 
possible  de  le  faire  dans  votre  langue.  J'ai  fait  connaître  ce  désir 
à  notre  secrétaire  perpétuel,  M.  Raoul-Rocliette,  qui  m'a  chargé 
de  vous  dire  que  vos  communications  en  allemand  seraient  tra- 
duites par  lui  et  lues  à  l'Institut. 

Vous  m'exprimez  votre  étonnement  de  ne  pas  voir  mon  nom 
plus  souvent  dans  les  journaux.  Je  suis,  mon  ami,  dans  une  po- 
sition tout  à  fait  exceptionnelle.  Mon  opinion  républicaine,  gé- 
néreusement exprimée  dans  toutes  les  circonstances,  est  le  motif 
de  mon  exclusion  des  commandes  du  Gouvernement.  Je  suis  donc 
mon  Souverain  et  mon  Ministre  de  l'Intérieur.  C'est  moi  qui  me 
commande  des  statues  de  grands  hommes  qui  décorent  des  places 
publiques  des  villes  de  France.  Quand  un  homme  est  grand  par 
son  génie,  je  lui  élève  un  monument  selon  mes  moyens  ;  je  ne 
vais  jamais  chercher  les  hommes  au  pouvoir.  D'ailleurs,  c'est 
bien  rarement  chez  les  hommes  en  situation  que  se  trouve  le 
génie  grand  et  noble  auquel  j'aime  à  rendre  hommage.  Il  se 
rencontre  bien  parfois  une  exception,  mais  cela  ne  fait  rien  à  la 
règle  qui  est  malheureusement  trop  générale.  Pour  obtenir  un 
piédestal,  il  faut  que  je  fasse  cadeau  de  mon  ouvrage.  Gela  ne 
m'enrichit  pas,  mais  je  satisfais  un  puissant  besoin  de  mon 
cœur,  et  je  sers  ma  cause,  qui  est  celle  de  l'avenir.  Je  regarde 
l'art,  non  comme  un  moyen  d'acquérir  la  fortune  ou  la  gloire, 
mais  bien  plutôt  comme  devant  servir  à  moraliser  les  hommes 
en  ne  leur  présentant  que  ce  qui  porte  avec  soi  de  grands  et 
généreux  enseignemens. 

Adieu,  cher  ami,  conservez-moi  toujours  une  petite  place  dans 
votre  souvenir  et  croyez  à  tout  mon  affectueux  dévouement. 

DAvm  d'Angers, 

Sous  peu  j'enverrai  à  M.  de  Humboldt  une  petite  caisse  con- 
tenant une  réduction  de  son  buste,  et  j'y  joindrai  pour  vous  une 
nouvelle  biographie  dans  laquelle  sont  consignés  mes  travaux. 
Vous  y  verrez  que  votre  ami  travaille  toujours  activement. 

Collection  Eggers,  à  Berlin. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  247 


GGVIII 

David  à  Victor  Pavie. 

Conseils  à  l'écrivain.   —  Le  poète  et  l'artiste.  —  Do    riuimeur  voyageuse 
chez  les  modernes.  —  Lions  en  cage. 

Pavis,  2  juillet  1813. 

Cher  ami, 

Emilie  et  moi  avons  lu  tes  vers  avec  un  bien  vif  intérêt.  Ce 
n'est  pas  seulement  du  talent  que  tu  as  mis  dans  cette  page; 
c'est  du  génie,  de  l'àme,  et  il  en  est  ainsi  de  tout  ce  qui  sort  de 
ta  plume.  Mon  cher  Victor,  crois  ton  vieil  ami,  travaille  toujours, 
et  ta  persévérance  fera  qu'un  jour  on  te  rendra  justice.  Assez 
d'hommes  abusent  du  don  précieux  du  talent  pour  corrompre 
leurs  semblables.  C'est  un  devoir  religieux  qui  s'impose  au  trop 
petit  nombre  d'intelligences  susceptibles  d'aimer  l'humanité, 
de  la  diriger  vers  des  pensées  généreuses. 

Les  littérateurs  communiquent  directement  avec  l'àme  de  leurs 
lecteurs.  Nous,  hélas  !  nous  sommes  obligés  de  matérialiser  nos 
pensées,  d'avoir  recours  à  des  ouvriers  stupides  et  vaniteux,  de 
voir  poser  devant  nous  la  corruption,  la  débauche  pour  rendre 
la  vertu  ;  la  bassesse  la  plus  abjecte  pour  représenter  l'héroïsme  ! 

Tu  as  raison  de  faire  le  voyage  que  tu  projettes  pour  l'amélio- 
ration delà  santé  de  tes  chers  petits  enfants.  D'ailleurs,  ce  voyage 
te  fera  du  bien.  A  changer  de  lieu,  les  idées  et  la  santé  gagnent 
toujours.  Pour  moi,  je  suis  oblig('^  de  rester  à  Paris.  Je  res- 
semble aux  lions  de  nos  ménageries,  qui  usent  leur  front 
contre  les  barreaux  de  leurs  cages.  C'est  une  chose  digne  de 
remarque  que  cet  impérieux  besoin  qu'ont  les  hommes  de 
notre  époque  de  changer  de  place  I  La  terre  nous  brûle  les 
pieds.  Nous  ressemblons  au  malade  qui  croit  qu'en  se  tournant 
sur  son  lit  de  douleur  il  va  trouver  quelque  soulagement. 

Tu  dois  avoir  reçu  des  caisses  contenant  divers  ouvrages  que 
je  te  destine.  Tu  ne  trouveras  que  trois  bas-reliefs  de  Cheverus. 
Celui  du  pauvre  nègre  a  été  si  maltraité  à  la  cuisson  que  j'ai  été 
obligé  de  le  briser. 

Je  viens  encore  d'écrire  à  Soyer  pour  lui  demander  l'adresse 
du  fondeur  qui  édite  la  statuette  de  Gutenbcrg. 


248  DAVID  D'ANGERS 

Adieu,  cher   et  bien   bon   ami,   crois-moi  pour  toujours  ton 
dévoué  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


GGIX 


David    à    "Victor  Pavie. 

Rude,  candidat  à  l'Institut.  —  Les  élections  académiques.  —  Pose  de  la 
statue  de  Jean  Bart  aux  flambeaux.  —  Enthousiasme  des  marins.  — 
L'inauguration. 

Paris,  12  septembre  1845. 

Cher  Victor, 

Emilie  et  nos  enfants  sont  dans  les  environs  du  Havre  pour 
prendre  les  bains  de  mer.  .Te  n'ai  pas  pu  aller  avec  eux  parce 
que  nous  avons  une  nomination  à  faire  à  l'Institut  à  la  place  de 
M.Bosio.  Je  porte  Rude  pour  cette  place,  mais  je  crains  bien  qu'il 
ne  soit  pas  nommé,  parce  que  c'est  l'homme  qui  y  a  le  plus  de 
droits.  C'est  une  grande  absurdité  de  permettre  aux  corps  savants 
de  se  recruter  eux-mêmes.  Toutes  les  médiocrités  s'entendent 
pour  éloigner  les  hommes  de  talent.  Je  me  suis  prononcé  avec 
énergie  pour  Rude,  et  me  voilà  avec  de  nouveaux  ennemis  irré- 
conciliables, car  MM.  les  candidats  ne  me  pardonneront  jamais 
mon  vote  pour  cet  artiste,  mais  je  préfère  l'animosité  d'autrui 
à  un  acte  de  faiblesse.  La  nomination  devant  'se  faire  samedi 
prochain,  le  lundi  suivant  j'irai  rejoindre  ma  famille  pour 
passer  quelques  jours  avec  elle. 

L'inauguration  de  la  statue  de  Jean  Bart  vient  d'avoir  lieu.  Il 
paraît  qu'elle  a  été  magnifique.  Voilà  ce  que  dit  le  journal  :  «  Lors- 
qu'on a  levé  le  voile  qui  couvrait  la  statue  (ce  voile  était  le  pavil- 
lon dunkerquois)  aux  acclamations  de  la  foule  qui  inondait  la  place 
et  ses  abords,  qui  se  pressait  aux  croisées  et  jusque  sur  les  toits 
des  maisons...  envoyant  Jean  Bart  debout  marchant  à  l'abordage, 
le  peuple  disait  :  «  On  croirait  qu'il  vit  !  »  et  ce  jugement  de  la 
foule  nous  semble  le  plus  beau  triomphe  de  l'artiste.  » 

Lorsque  la  statue  est  entrée  à  Dunkerque,  couchée  sur  un  char 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  249 

et  enveloppée  dans  un  drapeau,  tout  le  peuple  l'entourait.  On  la 
élevée  sur  son  piédestal  la  nuit,  afin  de  ne  pas  être  gêné  par  la 
foule.  Un  commandant  de  vaisseau  a  réclamé  la  faveur  de  pouvoir 
la  placer  sur  le  piédestal,  aidé  par  les  hommes  de  son  équipage. 
Cet  homme,  le  chapeau  à  la  main,  a  découvert  la  tête  et  l'a  em- 
brassée. Tous  les  marins  qui  assistaient  au  travail  ont  demandé 
à  en  faire  autant.  La  personne  qui  m'a  fait  connaître  ce  trait  m'a 
dit  qu'elle  avait  été  profondément  émue  en  voyant  tous  ces 
marins,  tête  nue,  allant  processionuellement  embrasser  JeanBart. 
Cette  scène  aux  flambeaux  devait  être  d'un  grand  effet. 

En  embrassant  pour  moi  ton  père,  dis-lui  que  j'ai  lu  avec  bien 
de  l'intérêt  sa  notice  sur  M.  de  Nerbonne,  et  que  je  le  remercie 
beaucoup  de  me  l'avoir  fait  remettre. 

Crois  toujours  à  mes  sentiments  de  sincère  etconstante  amitié. 

A  jamais  à  toi, 

David. 

Tu  me  rends  bien  heureux  en  m'envoyant  tes  vers;  merci, 
mille  fois  merci. 

Collection  Pavie.  —  Ainsi  que  le  prévoyait  avec  trop  de  raisons  David, 
le  fauteuil  de  Bosio  n'échut  point  à  Rude.  Ce  fut  Lemaire  qui  obtint  le  plus 
grand  nombre  de  suffrages.  On  a  vu  plus  haut,  par  la  lettre  de  David  à 
Victor  Pavie,  sous  la  date  du  18  février  1834,  ce  que  l'auteur  de  l'œil-de- 
bœuf  de  la  cour  du  Louvre  pensait  du  fronton  de  l'église  de  la  Made- 
leine sculpté  par  Lemaire.  La  statue  de  Jean  Bart  fut  inaugurée  le 
7  septembre  1845.  Balzac,  dans  une  lettre  à  Fontéraoing,  du  mois  de  sep- 
tembre 1845,  parle  de  cette  inauguration  et  s'exprime  ainsi  : 

«  On  a  été  bien  chiche  du  nom  de  David  dans  les  récits  de  votre  fête 
nationale,  ra  m'a  frappé;  c'est  un  républicain;  mais  c'est  le  plus  loyal,  le 
plus  estimable  des  hommes.  J'en  connais  peu  à  lui  comparer  dans  la  vie 
privée,  sans  compter  ses  grandeurs  d'artiste.  >. 


ccx 

Théophile  Gautier  à  David. 

Avances  du  orilique  au  sculpteur  dans  le  but  d'obtenir  son  médaillon. 

Par.s,  17   sepluiiibie  1815. 

Monsieur, 
iNotrc  ami  Préault  m'a  laissé  pressentir  que  vous  ne  seriez  pas 


250  DAVID  D'ANGERS 

éloigné  do  vouloir  bien  faire  mon  médaillon.  C'est  un  honneur 
que  je  n'aurais  pas  osé  espérer;  mais  puisque  vous  me  jugez  digne 
de  figurer  dans  cette  glorieuse  collection,  je  suis  tout  à  votre  dis- 
position et  je  vous  remercie  du  fond  du  cœur. 

Agréez,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  considération  la  plus  dis- 
tinguée. 

Théophile  Gautier, 
rue  Navarin,  14. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  sculpteur  Préault  avait  reçu  les  leçons 
de  David.  Le  profil  de  Théophile  Gautier  porte  le  millésime  de  1845.  Il  est 
probable  que  le  maître  accueillit  sans  retard  la  requête  de  l'écrivain. 
[Musées  d'Angers,  p.  190.) 


CGXI 

David  à  Victor  Pavie. 

Ovations  faites  au  maître  par  la  ville  de  Dunkerque.    —   Saint-Omer.  — 
Calais.  —  Le  vaisseau  le  David  d'Angers.  —  Réduction  du  Gutenberg. 

Taris,    15    octobre  lSi5. 

Cher  ami, 

Me  voilà  de  retour  ici  depuis  peu  de  jours;  je  reviens,  le  cœur 
plein  de  douces  émotions.  Je  n'avais  pas  voulu  me  trouver  à 
l'inauguration  de  la  statue  de  Jean  Bart,  parce  que  je  tenais  à  évi- 
ter des  manifestations  qui  me  font  toujours  du  mal  et  qui  ne 
conviennent  nullement  à  mon  caractère.  Je  pensais  cependant 
qu'il  était  important  que  je  visse  l'eifet  de  mon  travail  en  place, 
cela  étant  d'une  grande  utilité  pour  un  statuaire,  et  en  allant  à 
Dunkerque  quinze  jours  après  les  fêtes,  je  supposais  qu'il  me 
serait  possible  de  passer  quelques  jours  dans  l'intimité  de  la  fa- 
mille de  mon  ami  M.  Morel,  président  de  la  commission.  Mais, 
le  soir  de  mon  arrivée,  toute  la  ville  était  en  mouvement,  les 
rues  remplies  de  monde,  et,  dans  la  cour  des  Messageries,  un  dé- 
tachement de  la  garde  nationale  m'attendait  pour  me  conduire 
à  ma  demeure.  Le  peuple  n'a  cessé  de  crier  :  «  Vive  David 
d'Angers  1  »  jusque  chez  mon  ami.  Le  lendemain,  M.  Morel,  sous 
le  prétexte  de  me  faire  voir  la  ville,  me  conduisit  sur  la  place 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  231 

d'armes  où  est  la  statue.  Toutes  les  autorités,  le  clergé,  la  garde 
nationale,  les  marins,  les  pêcheurs,  leurs  femmes  avec  leurs  cos- 
tumes si  pittoresques,  la  musique,  étaient  là  à  m'attendre.  Juge 
de  mon  émotion!  On  m'a  fait  passer  devant  tout  ce  monde.  En- 
suite on  m'a  conduit  près  de  la  statue,  au  pied  de  laquelle  étaient 
les  autorités  et  le  clergé.  Le  maire  a  prononcé  un  discours,  et 
ensuite  deux  cents  voix,  ont  chanté  l'hymne  qui  avait  été  com- 
posé pour  la  cérémonie.  Puis  le  canon  a  grondé,  et  l'on  m'a  re- 
conduit au  milieu  du  cortège,  musique  en  tète,  chez  M.  Morel. 
Là  encore,  on  est  venu  prononcer  des  discours  qui  ont  été  très 
nombreux;  ensuite  le  cortège  a  défilé,  toujours  avec  le  clergé, 
ce  qui  m'a  vivement  ému,  car  il  se  faisait  citoyen  dans  cette 
circonstance.  Toutes  les  maisons  ont  été  pavoisées  de  drapeaux. 
Pendant  les  quarante-huit  heures  de  séjour  que  j'ai  fait  à 
Dunkerque,  et  tandis  que  l'on  recevait  ainsi  l'artiste,  enfant  du 
peuple,  la  mère  de  la  reine  d'Angleterre  traversait  la  ville,  reçue 
seulement  par  un  sous-préfet,  sans  que  le  peuple  y  fît  attention. 

L'accueil  que  les  Dunkerquois  m'ont  fait  passe  tout  ce  que 
l'imagination  peut  rêver.  J'étais  accablé  d'émotions,  et  pourtant 
c'était  moi  qui  étais  leur  obligé,  car  ils  m'ont  procuré  le  moyen 
d'attacher  mon  nom  à  l'image  d'un  héros. 

Un  jour,  les  marins  ont  voulu  me  conduire  en  rade.  Avant 
d'entrer  dans  le  canot,  j'ai  dû  traverser  un  marché  où  se  tien- 
nent les  femmes  des  marins  et  des  pêcheurs.  Là,  j'ai  été  entouré 
par  ces  femmes,  qui  ne  savaient  comment  m'exprimer  leur  con- 
tentement. Elles  m'ofifrirent  des  bouquets,  et  ce  qui  me  toucha 
jusqu'aux  larmes,  ce  fut  leur  cordialité  si  franche  et  si  sponta- 
née. Dans  ce  marché,  il  y  a  une  Vierge  bien  ancienne  et  en  grande 
vénération.  Ces  braves  femmes  lui  avaient  mis  les  ornements 
dont  on  la  revêt  seulement  aux  grandes  solennités.  Une  femme, 
belle  et  jeune,  mère  de  sept  enfants,  me  présenta  l'un  d'eux  en 
me  demandant  de  l'embrasser.  «  Cela,  me  dit-elle,  lui  portera 
bonheur  !  » 

Voilà,  cher  ami,  quelques  traits  relatifs  à  mon  passage  au  mi- 
lieu de  cette  généreuse  population.  Saint-Omer  et  Calais  m'ont 
aussi  honoré  de  brillantes  manifestations. 

Hier,  j'ai  reçu  une  lettre  d'un  armateur  qui  fait  construire  un 
navire  ;   il   mo  prie  de  lui  permettre  de  le  nommer  le  David 
d'Angers.  Voilà  donc  que  mon  nom  va  sillonner  les  mers,  associé 


2S2  DAVID  D'ANGERS 

à  celui  de  ma  bien-aimée  ville  d'Angers.  Tu  comprendras,  toi, 
mon  ami,  toute  la  satisfaction  que  mon  cœur  ressent  de  pareils 
hommages. 
Adieu,  cher  ami,  mille  tendres  amitiés  à  vous  tous.  A  toi  de 

cœur  aussi, 

David  . 

P.  S.  —  J'ai  oublié  dans  ma  précédente  lettre  de  te  dire  que 
j'avais  vu  le  fondeur,  qui  m'a  dit  que, pour  mes  amis,  la  statuette 
en  bronze  de  Gutenberg  ne  coûterait  que  quatre-vingts  francs. 

Collection  Pavie. —  Le  vaisseaule  David  d'Angers  périt  dans  une  tempête, 
alors  que  l'artiste  supportait  avec  peine  ses  jours  d'exil.  Cet  événe- 
ment le  troubla.  Il  est  longuement  parlé  du  Jean  Bart  et  des  rapports  du 
maître  avec  les  habitants  de  Dunkerque  dans  David  d'Angers,  etc.,  t.  I, 
pp.  398-403. 


GGXII 


Hippolyte,  baron  Larrey,  à  David. 

Sur  la  statue  de  Dominique-Jean,  baron  Larrey. 

Paris,  18  décembre  1845. 

Mon  ami, 
Je  voudrais  vous  écrire,  selon  mon  cœur,  ce  que  je  n'ai  bien 
su  vous  dire,  en  voyant  renaître,  par  la  toute  puissance  de  votre 
talent,  la  grande  figure  de  mon  père.  Mais  ce  sentiment-là,  je  ne 
saurais  l'exprimer  par  des  mots  ;  il  est  si  lié  à  ma  tendresse  et  à 
mon  respect  pour  lui,  à  mon  amitié  et  à  mon  admiration  pour 
vous,  qu'il  m'impose  le  silence  des  joies  ineffables  de  l'àrae. 
Merci,  mon  généreux  et  illustre  ami  David,  merci;  l'avenir,  peut- 
être,  me  permettra  mieux  que  le  présent  de  vous  vouer  aussi  un 
culte  de  reconnaissance  et  de  vénération  filiales. 

H.  Larrey. 

Collection  David  d'Angers. — Les  événements  qui  marquèrent  les  dernières 
années  de  l'artiste  permirent  au  baron  Larrey  de  se  montrer  fidèle  à  son 
ami.  Nul  n'a  su  prendre  en  main  la  cause  du  statuaire  ou  de  ses  œuvres 
avec  plus  d'à-propos  et  de  courage  que  ne  le  fit  le  baron  Larrey  au  début  de 
l'Empire.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  409,  456,  458,  484,  589.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  253 

GGXIII 

David  à  Charles  Poney. 

La  médaille  du   poète. 

Paris,  -i  décem!)re  1845. 

Mon  cher  Monsieur  Poney, 

Vous  allez  recevoir  votre  médaillon  en  bronze.  Je  désire  que 
vous  éprouviez  quelque  satisfaction  de  voir  cette  œuvre  d'un 
Jiomme  qui  n'a  jamais  consacré  son  temps  qu'à  la  représentation 
des  traits  des  hommes  qui  honorent  l'humanité  par  leur  patrio- 
tisme et  leur  génie. 

J'ai  refusé  de  faire  la  statue  des  princes  et  des  rois,  et  j'ai  été 
heureux  de  reproduire  l'image  de  l'homme  du  peuple  qui  consa- 
cra les  inspirations  de  son  génie  poétique  à  la  noble  cause  de 
la  liberté.  Je  remercie  le  sort  qui  vous  a  fait  passer  par  Paris,  afin 
que  je  puisse  réaliser  le  projet  que  j'avais  formé  depuis  longtems 
de  vous  donner  un  témoignage  de  ma  profonde  estime  pour 
votre  génie  poétique. 

Croyez,  je  vous  prie,  mon  cher  Monsieur,  à  tous  mes  senti- 
ments les  plus  dévoués. 

David  d'Angers. 

Collection  Poney.  —  Cliarles  Poney,  poète  maeon,  né  en  1821,  à  Toulon, 
publia,  dés  1S42,  son  recueil  les  Marines.  David  modela  le  proiil  du  poète 
ouvrier  en  1845. 


CGXIV 


David  à,  Gigoux. 

Cliarlct  sur  son  lit  de  mort. 


Morcredi  soir...  décembre  1845. 


Si  vous  voulez,  cher  ami,  dessiner  la  tête  d'un  homme  de  génie, 
venez  me  prendre  demain  matin  à  onze  heures.  Nous  irons  chez 
Charlet,  qui  sera  très  content  de  vous  recevoir. 


2b4  DAVID  D'ANGERS 

Apportez  vos  affaires  pour  commencer  de  suite. 
Tout  à  vous  de  cœur, 

David. 

Collection  Henry  Jotiin. 


ccxv 

David  à  Gigoux. 

Les  dernières  heures  de  Gharlet.  —  Situation  précaire  de  sa  veuve. 

Paris,  29  décembre  1845. 

Cher  ami, 

Charlet  vient  de  mourir  :  il  laisse  une  femme  digne  du  plus 
grand  intérêt,  et  par  les  nobles  qualités  qui  la  distinguent,  et  par 
sa  triste  position,  car  elle  reste  seule,  chargée  de  deux  enfants 
dont  l'éducation  est  loin  d'être  terminée. 

La  dernière  fois  que  nous  nous  sommes  vus,  je  vous  ai  dit 
combien  j'étais  heureux  des  bonnes  intentions  qu'avait  témoi- 
gnées M.  Gavé  à  l'égard  de  W^"  Gharlet,  si  elle  venait  à  perdre 
son  mari.  L'instant  de  réaliser  cette  généreuse  promesse  est  ar- 
rivé ;  la  France  entière  applaudira  à  un  acte  de  justice,  qui  hono- 
rera la  mémoire  d'un  homme  dont  elle  s'enorgueillit  à  si  juste 
titre.  Gharlet  estjraort  aujourd'hui  à  cinq  heures  de  l'après-midi  ; 
il  avait  travaillé  une  partie  de  la  nuit  à  un  Napoléon  à  cheval 
d'un  dessin  extrêmement  remarquable.  Les  arts  ont  fait  en  lui 
une  perte  irréparable,  car  nul  comme  Gharlet  n'a  su  imprimer  ce 
cachet  vivant  et  héroïque  d'une  armée  qui  a  étonné  le  monde 
entier  et  dont  les  gigantesques  travaux  paraîtront  peut-être  fa- 
buleux à  l'avenir. 

Je  m'adresse  d'abord  à  vous,  cher  ami,  parce  que  je  sais  com- 
bien vous  prenez  avec  cœur  toutes  les  occasions  d'une  bonne  et 
utile  action,  et  que  si  vous  pouvez  appuyer  ma  recommandation 
auprès  de  M.  Gavé,  vous  vous  empresserez  de  le  faire. 
Votre  bien  dévoué  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  255 

Collection  Cottenet.  —  Cette  lettre  a  passé  en  vente  en  1882.  Le  peintre 
Gigoux  étant  très  lié  avec  Gavé,  David  jugea  prudent  de  lui  confier  les 
intérêts  de  la  veuve  de  Gharlet. 


GCXVI 


David  à  Adrien  Maillard. 

La  mission  de  l'art.  —  Ce  qu'il   faut  penser  d'un  Napoléon  achevai  pour 
l'église  des  Invalides. 

1845  (?) 
Mon  cher  Adrien, 

En  lisant  dans  le  Journal  d'Angers  l'article  qui  me  concerne, 
j'ai  reconnu  une  main  amie,  et  par  conséquent  j*ai  pensé  que 
cela  ne  pouvait  venir  que  de  vous.  Je  vous  remercie  de  tout 
cœur. 

Je  vous  assure  que  je  vois  donner  tous  les  travaux  aux  autres 
statuaires  sans  que  cela  m'arrache  un  seul  regret.  Tant  mieux 
si  le  choix  tombe  sur  des  hommes  de  talent,  car,  avant  tout,  c'est 
la  gloire  de  notre  chère  patrie  que  j'envisage.  Je  désire  bien 
ardemment  que  la  France  conserve  dans  les  arts  le  premier  rang 
qu'à  tant  de  titres  elle  tient  en  Europe. 

Il  faut,  mon  ami,  avoir  une  conviction  profonde  et  ne  jamais 
en  dévier;  ne  jamais  faire  de  concessions  à  un  pouvoir  que  l'on 
désapprouve.  L'art  est  une  belle  chose,  sans  doute,  mais  il  doit 
servir  à  améliorer  le  sort  de  l'homme  en  épurant  ses  mœurs,  en 
échauffant  son  âme  par  d'héroïques  exemples.  C'est  à  ce  titre 
seulement  que  l'art  est  vraiment  noble.  Mais  s'il  se  plie  aux 
caprices  d'un  pouvoir  aveugle  ou  tyrannique,  il  devient  nuisible 
et  méprisable;  or,  voilà  où  en  sont  réduits  trop  souvent  les 
artistes;  si  par  hasard  on  leur  commande  un  .sujet  tiré  de  l'his- 
toire de  la  Révolution  pour  orner  les  «  catacombes  »  de  Versail- 
les, c'est  une  pensée  gouvernementale  qui  dicte  la  composition. 

En  ce  qui  me  concerne,  je  ne  puis  qu'attendre  des  temps  meil- 
leurs^ si  Dieu  en  réserve  cacore  à  notre  patrie.  D'ici  là,  je  tâche- 
rai d'exécuter  quelques  sujets  élevés  que  je  porte  dans  mon  cœur 
depuis  bien  longtemps. 

Je   ne   regrette  pas  non  plus    de    ne    pas    être  chargé  du 


256  DAVID  D'ANGERS 

monument  de  Napoléon  ;  cet  homme  a  fait  tant  de  mal  à  laliber- 
té!  lia  montré  si  peu  de  noblesse  envers  la  nation  qui  lui  avait 
confiéscs  plus  chers  intérêts  avec  tant  de  générosité! En  vérité, il 
y  a  dans  ce  souvenir  de  quoi  paralyser  le  cœur  d'un  républicain. 
En  prenant,  cependant,  Napoléon  sous  le  point  de  vue  poétique, 
certes,  c'est  un  grand  homme  qui  aura  une  large  place  dans  l'his- 
toire. Observé  sous  ce  point  de  vue,  il  rentre  dans  le  domaine 
des  arts  qui  peuvent  perpétuer  ses  traits.  Mais  ne  vous  semble- 
t-il  pas  que  l'idée  de  le  représenter  à  cheval  sur  son  tombeau 
est  une  de  ces  absurdités  les  plus  grandes?  Je  voudrais  que  Ton 
mît  sur  son  cercueil  son  chapeau,  son  épée,  son  nom  et  une 
couronne  de  laurier;  c'est  ainsi  qu'Horace  Vernet  a  compris  sa 
composition  sur  Sainte-Hélène. 

Quel  plus  grand  et  plus  sublime  monument  peut-on  élever  à 
un  homme  que  de  graver  son  nom.  s'il  est  populaire?  Combien 
de  grands  hommes  de  l'antiquité  dont  nous  vénérons  la  mémoire 
et  dont  les  ouvrages  ont  disparu  !  En  lisant  le  nom  d'un  héros, 
chacun  compose  son  poème  dont  la  trame  n'est  pas  imposée  par 
l'artiste. 

Que  l'art  s'empare  des  hauts  faits,  des  grandes  actions  ;  qu'il 
les  immortalise  sur  les  places  publiques,  dans  les  temples,  etc., 
etc.,  ce  sont  là  de  beaux  livres;  mais  sur  une  tombe,  sur  des 
débris  que  ronge  la  mort,  suprême  mystère  de  l'existence  hu- 
maine, quelques  syllabes  auxquelles  les  hommes  attachent  une 
signification  héroïque  auront  plus  d'éloquence,  n'est-il  pas  vrai? 
que  n'en  saurait  avoir  un  ridicule  cavalier  sur  un  cercueil. 

Adieu,  cher  ami,  croyez  à  tous  mes  sentiments  d'estime  et 
d'amitié  bien  sincère, 

DAvm, 

Mille  amitiés  à  vos  chers  parents. 

Collection  David  d'Angers. —  On  a  vu  dans  le  commentaire  de  la  lettre  de 
David  à  Victor  Pavie,  datée  du  6  février  1838,  quel  rôle  de  biographe  attentif 
Adrien  Maillard  a  voulu  remplir  auprès  du  statuaire,  son  compatriote.  Outre 
VÉtude  publiée  en  brochure,  Adrien  Maillard  a  fait  paraître,  durant  une 
période  de  dix  années,  de  nombreux  articles  sur  le  maître  dans  les  revues 
ou  journaux  de  l'Anjou.  Le  projet  bizarre  de  représenter  Napoléon  à 
cheval  sur  son  tombeau  fît  quelque  bruit  vers  la  fin  du  gouvernement  de 
Juillet,  mais  on  l'abandonna  promptement,  et  l'on  eut  raison. 


ET  SES    RELATIONS  LITTERAIRES  237 

GGXVII 

Poney  à  David. 

Le  inûdaillon  du  poète.  —  La  statue  de  Jean   Bart.  —  Profils    modelés    de 
George  Sand  et  de  Byron. 

Toulon,  4  janvier  184G. 

Quel  magnifique  bouquet  de  bonne  année  vous  m'avez  envoyé, 
mon  illustre  maestro!  Et  combien  je  vous  dois  de  bonheur  et  de 
gratitude  pour  ce  cadeau  doublement  précieux  !  Permettez-moi 
d'étreindre  avec  une  respectueuse  effusion  vos  deux  nobles  mains, 
et  de  chercher  à  communiquer  à  votre  cœur,  par  cette  étreinte 
magnétique,  tout  ce  que  le  mien  ressent  de  vénération  et  d'ad- 
miration pour  votre  personne  et  pour  votre  génie. 

Habitant  un  port  de  mer,  je  compte  beaucoup  d'amis  dans  la 
marine.  Tous  ces  chers  marins  sont  venus  admirer  votre  beau 
médaillon.  Ils  vous  aiment  beaucoup,  je  vous  assure,  surtout  de- 
puis que  vous  avez  immortalisé  une  seconde  fois,  par  le  ciseau, 
une  de  leurs  plus  grandes  gloires  :  Jean  Bart. 

Mon  portrait,  gravé  par  vous,  a  pris  place  parmi  les  monuments 
de  famille  dont  je  m'honore  :  monuments  que  m'a  valu  mon 
modeste  talent  de  poète.  11  sera  pour  mes  enfans  une  relique 
aussi  sacrée  qu'il  l'est  pour  moi,  et  il  perpétuera  à  lui  seul  le  sou- 
venir de  mon  voyage  à  Paris,  des  glorieuses  circonstances  qui 
l'ont  accompagné  et  de  l'accueil,  dont  je  serai  éternellement  fier 
et  heureux,  que  vous  avez  daigné  me  faire  dans  votre  sanctuaire 
d'où  sont  sortis  tant  de  chefs-d'œuvre. 

Merci,  merci  mille  fois  de  votre  lettre  flatteuse,  des  médaillons 
de  George  Sand  et  de  Byron.  Vous  m'avez  créé  un  musée  où  je 
trouve  les  traits  des  visages  aimés  de  mon  cœur.  Merci,  merci 
mille  fois  encore .  Mettez  mes  plus  respectueux  hommages  aux 
pieds  de  Madame  David;  embrassez  bien  pour  moi  vos  deux  beaux 
enfants  que  je  bénis  avec  mon  cœur  de  poète  et  de  père.  Rap- 
pelez-moi au  souvenir  de  votre  auguste  ami,  qui  m'a  fait  ce  que 
je  suis,  et  croyez-moi  tout  à  vous  d'inaltérable  dévouement,  d'ad- 
miration et  de  vive  reconnaissance, 

Charles  Poncy. 

Collection  David  (VAnriers.  —  La  médaille  do  Byroii  fut  modelée  par  l'ar- 
tiste vers  1838.  {Musées  d'Angers,  p.  170.) 

17 


238  DAVID  D'ANGERS 

GGXVIII 

David  à  Jules  de  Saint-Amour. 

Une  composition  musicale  sur  Jean  Bart. 

Paris,  21  février  1846. 

Mon  cher  Monsieur, 

J'approuve  complètement  l'idée  que  vous  avez  de  faire  repré- 
senter autour  de  la  base  de  la  statue  de  Jean  Bart  des  groupes 
de  valseurs.  Quand  le  morceau  de  musique  que  vous  avez  com- 
posé sera  imprimé,  soyez  donc  assez  bon  pour  m'en  envoyer 
une  épreuve. 

Vous  me  demandez  quelle  est  la  lithographie  du  Jean  Bart  qui 
me  semble  la  meilleure  ;  c'est  celle  que  l'on  vend  à  Dunkerque. 

Madame  David  me  charge  de  vous  remercier  de  l'aimable  atten- 
tion que  vous  avez  eue  de  lui  envoyer  deux  exemplaires  de  ma 
biographie.  Pour  moi,  je  n'oublierai  jamais  toutes  les  preuves  de 
bienveillance  et  d'amitié  que  vous  ne  cessez  de  me  donner. 

Excusez-moi,  je  vous  prie,  du  retard  que  j'ai  mis  à  répondre 
à  votre  aimable  lettre.  Mes  nombreuses  occupations  absorbent 
tellement  mes  instants  que  ma  main  est  forcée  de  tenir  plus  sou- 
vent le  ciseau  que  la  plume. 

Recevez,  je  vous  prie,  l'assurance  de  ma  considération  la  plus 
distinguée  et  de  mon  entier  dévouement  de  cœur. 

David  d'Angers. 

P.  S.  — En  visitant,  avec  mes  amis,  le  magasin  qui  sert  àren- 
fermer  des  objets  de  décoration  pour  les  iêtes  que  donne  la  ville 
de  Saint-Omer,  j'ai  été  affligé  de  voir  le  groupe  très  remarquable 
que  M.  Husson  a  donné  à  la  ville,  relégué  dans  un  coin.  Faites 
donc  tout  ce  qui  sera  en  votre  pouvoir  pour  que  cet  ouvrage  soit 
placé  dignement.  Est-ce  que  vous  n'auriez  pas  encore  de  Musée 
dans  votre  ville? 

Je  vous  recommande  tout  particulièrement  cette  note. 

Collection  Dannyaux.  —  Le  groupe  d'Aristide  Husson,  élève  de  David 
d'Angers,  auquel  il  est  fait  allusion  dans  ce  post-scriptum,  représente 
Adam  et  Eve.  Cet  ouvrage  est  un  envoi  de  Rome.  Il  a  pris  place  dans  le 
Musée  de  Saint-Omer  depuis  un  certain  nombre  d'années. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  2S9 


CGXIX 

David  à  Victor  Pavie. 

L'étude  Bonchamps  et  sa  statue.  —  Fonte  de  l'esquisse  du  Gulenherg. 
—  Adrien    Maillard. 

Paris,  M  avril  1840. 

Cher  ami, 

Je  viens  de  voir  Maillard,  qui  m'a  remis  ta  lettre  et  le  manu- 
scrit sur  Bonchamps.  Je  l'ai  lu  avec  un  nouvel  intérêt.  C'est  un 
bel  éloge,  rapide  et  cependant  substantiel.  C'est  un  digne  hommage 
à  la  mémoire  de  ce  brave  militaire.  Je  n'aurai  qu'une  bien  légère 
observation  à  faire  concernant  Stofflet,  duquel  tu  dis  qu'il  man- 
quait de  noblesse.  Cette  expression  pourrait  être  prise  dans  un 
autre  sens  que  celui  que  tu  as  eu  l'intention  d'y  attacher.  Je  crois 
que  si  tu  disais  que  ses  idées  manquaient  de  noblesse  ou  de 
générosité,  ta  pensée  serait  la  môme.  Tu  vois  que  c'est  un  détail 
bien  puéril  ;  aussi  n'en  tiens  aucun  compte. 

Actuellement  je  suis  à  la  disposition  de  l'imprimeur.  Qu'il  me 
fasse  dire  combien  il  veut  d'épreuves  de  la  gravure  et  qu'il  me 
dise  aussi  quelle  est  la  marge  qu'il  faudra  réserver;  je  crois  que 
celle  indiquée  par  la  planche  en  cuivre  suffira. 

Je  t'assure  que  je  suis  très  heureux  que  tu  aies  fait  fondre  le 
petit  Gutenberg  ;  ce  sera  au  moins  un  monument  durable.  Il  n'y 
a  que  toi  pour  avoir  de  ces  idées,  et,  il  faut  bien  le  dire,  c'est  la 
première  fois  que  mes  compatriotes  ont  voulu  avoir  autre  chose 
que  du  plâtre,  lorsqu'il  s'agit  d'œuvres  sorties  de  mes  mains.  Nous 
sommes  encore  bien  Gaulois  au  point  de  vue  des  arts  dans  notre 
cher  pays.  Cependant  il  ne  faut  pas  désespérer.  Tu  connais  le 
proverbe  :  «  Rien  n'est  plus  trompeur  que  l'eau  qui  dort.  » 

Je  n'ai  vu  que  quelques  instants  Maillard.  Il  va  repartir  immé- 
diatement. C'est  m'accorder  bien  peu  après  tant  d'années  d'éloi- 
gnement  de  Paris  ;  mais  ce  que  je  regrette,  c'est  que  tu  n'aies  pu 
venir  1  Qui  sait  combien  de  temps  passera  sans  que  nous  puis- 
sions nous  voir? 

Soyez  heureux,  chers  amis,  et  crois-moi  toujours  de  tout  cœur 
à  toi, 

David. 


260  DAVID  D'ANGERS 

CoUeciion  Pavie.  —  L'étude  Bonchamps  et  sa  statue,  ornée  de  la  planche 
gravée  par  Leroux,  fut  publiée  à  Angers  (novembre  1846,  gr.  in-8°  de 
46  pages).  C'est  le  même  texte  que  publia  VAiHiste,  mais  avec  quelques 
coupures.  L'esquisse  du  Gutenberg  fut  fondue  aux  frais  de  Victor  Pavie. 


GGXX 


David  à  Victor  Pavie, 

La  mort  tragique  d'un  enfant.  —  Mourir  jeune  est  peut-être   un  bienfait. 

Paris,  4  mai  1846. 

L'épouvantable  malheur  qui  vient  de  vous  accabler,  mon  bien 
cher  ami,  a  eu  ici  un  douloureux  et  durable  retentissement. 
Nous  en  sommes  atterrés.  Aucune  expression  ne  peut  rendre  le 
vif  chagrin  que  nous  éprouvons.  11  n'y  a  qu'à  s'incliner  sous  les 
coups  d'un  sort  qu'on  pourrait  accuser  de  cruauté  si  l'on  ne 
croyait  à  la  Providence  et  à  de  mystérieux  desseins  hors  de  la 
portée  de  l'intelligence  humaine. 

Ces  drames  sinistres  ne  paraissent  destinés  qu'à  l'innocence  et 
à  la  vertu  la  plus  pure.  Qui  sait  si  la  pitié  de  Dieu  ne  s'étend 
pas  quelquefois  sur  des  êtres  qu'il  prévoit  devoir  être  par  la  suite 
trop  accessibles  aux  dures  épreuves  de  la  vie  et  qu'il  veut  ainsi 
leur  épargner? Combien  d'entre  nous  qui  regrettent  de  n'avoir 
pas  été  soustraits,  dès  l'enfance,  aux  tortures  de  chaque  jour... 

Je  sais  combien  il  y  a  dans  ton  cœur  de  noble  résignation.  Crois- 
moi,  mon  ami,  ne  pleure  pas  sur  celui  qui  se  trouve  de  si  bonne 
heure  débarrassé  de  son  long  et  pénible  voyage.  Ressaisis  toute 
ta  force  morale  pour  relever  la  digne  compagne  de  ta  vie,  si 
cruellement  éprouvée^  ton  bon  père  doublement  accablé  sous  le 
poids  de  sa  douleur  et  de  la  vôtre. 

A  vous  de  cœur  pour  nous  tous, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  Cette  lettre  a  trait  à  la  mort  d'un  enfant  de  Victor 
Piivie,  noyé  dans  une  pièce  d'eau   sous  les  yeux  de  ses  proches. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  201 

CGXXI 

David  à  son  fils  Robert. 

Délit  d'écolier. 

Paris,  21  mai  1846. 

C'est  la  première  fois  depuis  treize  ans,  Robert,  que  ton  jour 
de  naissance  se  passera  sans  que  je  t'aie  embiassé.  11  m'est 
extrêmement  pénible  de  penser  que  c'est  ta  mauvaise  conduite 
qui  te  fera  manquer  à  la  réunion  de  famille.  Tu  dois  pourtant 
savoir  que  notre  plus  grand  bonheur,  à  ta  mère  et  à  moi,  est  de 
vous  rassembler  heureux  autour  de  nous. 

Songe,  mon  enfant,  que  tu  entres  aujourd'hui  dans  ta  quator- 
zième année;  que  nous  vivons  dans  un  temps  où  chacun,  pour 
réussir,  doit  valoir  par  lui-même,  et  que  si  tu  laisses  se  perdre 
ainsi  l'occasion  si  heureuse  pour  toi,  et  pour  nous,  de  profiter  des 
excellentes  leçons  et  des  conseils  bienveillants  de  M.  Kùhn,  un 
jour  viendra  où  tu  regretteras  amèrement  ta  paresse  et  ton  indo- 
cilité, mais  il  ne  sera  plus  temps  de  se  repentir. 

Nous  espérons  que  tu  réfléchiras  sérieusement  aujourd'hui  et 
que,  prenant  au  début  de  cette  nouvelle  année  de  fortes  résolu- 
tions, tu  ne  nous  donneras  plus  que  de  la  satisfaction,  si  néces- 
saire à  notre  bonheur  à  tous. 

David  d'Angers. 

Collection  David  d'Angers.  —  La  suscription  de  ce  billet  porte  :  «  Mon- 
sieur Robert  David  d'Angers,  chez  Monsieur  Kûhn,  3o,  rue  Madame.  » 


GGXXII 

Jomard  à  David. 

La  médaille  du  géographe. 

Paris,  3  juia  lî-^iO. 

A  David  d'Angers. 

Aux  artistes  et  aux  poètes,    il  appartient  de  créer  :  c'est  le 
poète  (|uc  Dieu  a  fait  à  son  image  et  non  pas  l'homme;  il  anime 


262  DAVID  D'ANGERS 

le  néant  et  fait  quelque  chose  de  rien  ;  c'est  pour  cela  qu'on  dit  le 
divin  Michel-Ange  et  le  divin  Homère.  Ainsi  venez-vous  de  faire 
en  donnant  de  l'âme  et  de  la  physionomie  à  des  traits  vulgaires. 
L'enveloppe  cache  peut-être  quelque  chose,  vous  l'avez  fait 
sortir;  mais  il  fallait  l'œil,  le  génie  de  l'artiste-poète  pour  créer 
une  expression  là  où  d'autres  n'ont  rien  vu  ou  rien  su  décou- 
vrir; puisse  l'amitié  n'avoir  pas  trompé  sa  main! 

JOMARD. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  médaillon  d'Edme-François  Jomard, 
géographe,  membre  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  fut 
modelé  en  1846.  Jomard  avait  alors  soixante-neuf  ans. 


CGXXIII 


David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  Dombasle.  —  Le  piédestal  du  Gutetiberg.  —  Qu'il  ne  faut  pas 
se  laisser  abattre  par  le  malheur. 

Paris,  U  juin  1846. 

Mon  bon  et  cher  Victor, 

Je  pars  sous  peu  d'heures  pour  aller  à  Nancy  désigner  la  place 
qui  conviendrait  à  la  statue  de  M.  de  Dombasle,  et  fixer  les  pro- 
portions de  cette  statue.  Quand  j'aurai  terminé,  j'irai  à  Strasbourg 
pour  vérifier  si  le  piédestal  de  la  statue  de  Gutenberg  n'est  pas  trop 
peu  élevé.  On  le  pense  dans  le  pays,  et  plusieurs  voyageurs  m'ont 
parlé  dans  ce  sens.  S'il  en  était  ainsi,  larchitecte  pourrait  l'élever 
de  quelques  pieds,  sans  grandes  difficultés  ;  mais  il  est  bon  que 
je  m'assure  si  cela  est  d'une  sérieuse  nécessité. 

Je  vais  revoir  ce  que  nous  avons  admiré  ensemble,  non 
plus  avec  ces  belles  et  poétiques  illusions  qui  ont  rendu  notre 
voyage  un  des  points  les  plus  saillants  de  ma  vie.  Depuis  lors,  les 
déceptions  ont  fait  leur  oeuvre  en  moi. 

Le  malheur  t'a  éprouvé  bien  cruellement^  cher  ami.  Mais,  en 
grâce,  ne  courbe  pas  la  tête  devant  lui.  C'est  un  implacable 
ennemi  qu'il  faut  s'habituer  à  regarder  toujours  en  face;  il  sert 
à  retremper  notre  âme,  il  nous  force  à  lutter  pour  assurer  le 
calme,  le  bonheur  des  êtres  qui  ont  droit  à  nos  affections. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  2G3 

Nous  apprenons  que  tu  te  laisses  accabler  par  un  chagrin  qui, 
à  la  longue,  peut  te  devenir  funeste,  à  toi,  à  tes  parents  et  à  tes 
chers  enfants;  une  semblable  douleur  serait  excusable  chez  un 
homme  qui  n'aurait  pas,  comme  toi,  le  bonheur  de  croire  à  une 
autre  vie. 

Je  ne  passe  pas  une  seule  journée  sans  penser  à  toi. 

Adieu ,  cher  ami ,  présente  mes  hommages  à  Madame  Pavie  et 
crois-moi  pour  la  vie  tout  à  toi  de  cœur, 

David. 

P.  S.  —  Rends-moi  le  service  de  prendre,  à  la  mairie,  mon 
extrait  de  naissance,  que  tu  m'enverrais;  j'en  ai  besoin  pour 
cesser  mon  service  dans  la  garde  nationale. 

Collection  Pavie.  —  La  statue  de  Mathieu  de  Dombasie,   érigée  à  Nancy, 
fut  inaugurée  en  1850.  {David  cT Angers,  etc.,  t.  Il,  p.  503.) 


GCXXIV 


Henri  de  Latouche  à  David. 

Les  médailles  commémoratives  des  Quatre  Sergents  de  la  Rochelle  et  des 
frères  Bandiera. — Les  profils  modelés  de  Chateaubriand  et  de  Déranger. 
—  Godefroid  Cavaignac.  —  La  médaille  du  maître. 

Aulnay,  30  août  1846, 

Il  faut,  mon  grand  artiste,  que  je  sois  bien  malade,  bien  faible, 
bien  mécontent  de  tout  mon  être  chétif,  pour  n'avoir  pas  encore 
accompli  mon  dessein  d'aller  vous  chercher  à  Paris  et  de  vous 
posséder  un  jour  dans  nos  bois.  Quelle  fête  je  me  fais  d'entendre, 
en  présence  d'un  beau  paysage,  parler  cette  âme  qui  fait  sortir 
du  feu  de  la  cendre  des  morts  et  rallume  à  cette  source  le  flam- 
beau de  la  liberté  ! 

Je  n'ai  pas  David  ici  ;  mais  j'ai  du  moins  les  glorieux  Sergents, 
les  quatre  couronnes  sur  un  billot,  et  l'urne  des  Bandiera.  Merci 
cent  fois,  mon  illustre  ami.  Chateaubriand  et  Béranger  augmen- 
tent depuis  longtemps  ma  collection  poétique,  il  ne  me  manque 
que  le  profil  de  Cavaignac  et  le  vôtre.  Voyez  si  je  suis  indiscret! 
et  si,  comme  les  enfants,  je  ne  demande  pas  la   bouche  pleine! 


264  DAVID  D'ANGERS 

Au  premier  jour  de  santé  je  prends  la  voie  de  fer,  j'arrive  à 
l'atelier  vous  voler  le  temps  de  faire  un  chef-d'œuvre  et  je  vous 
emmène  dans  notre  pays  des  loups;  lesquels  valent  mieux  encore 
que  les  conservateurs  et  les  Français  indifférents. 

A  vous  de  cœur, 

H.  DE  Latouche. 

Collection  David  d'A7igers.  —  La  médaille  des  Quatre  Sergents  de  la  Ro- 
chelle fut  modelée  par  l'artiste  en  1846.  La  face  comporte  quatre  profils 
accolés  deux  par  deux;  au  revers  est  représentée  la  Liberté,  debout  prés 
d'un  billot,  sur  lequel  elle  dépose  quatre  couronnes.  {Musées  d'Angers, 
pp.  191.)  La  médaille  commémorative  de  l'exécution  des  frères  Bandiera, 
fusillés  à  Cosenza  le  25  juillet  1844,  pour  avoir  conspiré  contre  l'Autriche,  fut 
modelée  l'année  même  de  la  mort  de  ces  patriotes  italiens.  La  face  représente 
l'Italie  approchant  une  torche  de  la  flamme  qui  s'échappe  d'une  urne  funé- 
raire sur  laquelle  est  gravé  :  Nostris  ex  ossibus  ultor.  {Musées  d'Angers, 
pp.  200-201.)  Le  profil  modelé  de  Chateaubriand  date  de  1830  ;  celui  de 
Béranger,  de  1830  également;  celui  de  Godefroid  Cavaignac,  publiciste, 
de  1834.  {Musées  d'Angers,  pp.  134,  153,  344-345.) 


GGXXV 

David  à  son  fils  Robert. 

Conseils  du  père  et  de  l'artiste. 

Août  1846. 

Mon  cher  Robert, 

Je  pense  que  Thérèse  va  te  trouver  en  parfaite  santé;  amuse- 
toi  bien,  mais  quand  tu  as  quelques  instants,  occupe-toi  de  choses 
sérieuses.  Dessine  tout  ce  qui  se  présente  à  toi  :  des  barques  sur 
le  rivage,  avec  des  marins  auprès  ;  un  cheval  au  repos  près  d'une 
voiture;  des  maisons;  les  petites  baraques  des  baigneurs.  Tout 
cela  t'habituera  à  rendre  les  formes  de  la  nature  sur  le  papier. 
Écris  aussi  tout  ce  qui  te  paraît  remarquable  sous  le  rapport  du 
sentiment,  et  lis  le  plus  que  tu  pourras.  La  lecture  est  un  auxi- 
liaire immense  pour  l'imagination  ;  c'est  ainsi  qu'on  amasse  une 
précieuse  bibliothèque  dans  son  cerveau,  et  celle-là,  on  la  porte 
toujours  avec  soi. 

Sois  docile  aux  conseils  de  ta  mère  et  des  personnes  qui  doi- 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  2C5 

vent  à  leur  vie  déjà  longue  l'expérience  si  utile  pour  soi  et  pour 
les  autres. 
Sois  heureux  et  aime  tes  parents  comme  ils  t'aiment. 

Tout  à  toi, 

David. 

Collection  David  d'Angers.  — Thérèse  Olivier,  tel  est  le  nom  de  la  domes- 
tique dévouée  qui  vécut  durant  de  longues  années  au  service  du  statuaire. 
Son  profil,  modelé  en  1836,  a  pris  place  dans  la  collection  des  médaillons 
du  maître.  {Musées  d'Angers,  p.  162.) 


CGXXVf 

David  à,  Victor    Pavie. 

Médaille  comméraoralive  de  la  mort  du  maréchal  Ney.  —  David  écrivain  : 
V Éloge  du  sculpteur  Roland;  YÉtude  sur  Canova,  —  Médailles  des  Quatre 
Sergents  de  la  Rochelle,  des  frères  Bandiera,  des  Massacres  de  Galicie, 
du  Neuf  Thermidor,  de  Labédoyére,  des  frères  Faucher.  —  Mission  de 
l'art.  —  Bustes  des  docteurs  Garnier  et  Ollivier.  —  Le  monument  de  René 
d'Anjou.  —  Les  bas-reliefs  du  théâtre  de  Bèziers.  —  L'architecte  Binet. 
—  Le  buste  de  M""  Mars.  —  Le  Musée  David  inapprécié.  —  Le  Voyage 
en  Halle  de  Victor  Pavie. 

Paris,  27  octobre  1846. 

Cher  ami, 

Je  joins  un  paquet  de  gravures,  un  Almanach  populaire  dans 
lequel  tu  verras  un  trait  de  la  médaille  que  je  viens  de  faire  pa- 
raître sur  la  mort  du  maréchal  Ney,  et  un  épisode  de  ce  déplo- 
rable assassinat  politique. 

Je  viens  de  gagner  une  médaille  d'or  pour  V Éloge  de  mon  maî- 
tre Roland.  Ce  prix  était  proposé  par  la  ville  de  Lille,  patrie  du 
statuaire.  On  m'a  demandé  cet  Éloge  pour  l'insérer  dans 
YArtisle. 

Le  Siècle  de  Napoléon  édité  par  Gurmer  est-il  parvenu  jusqu'à 
Angers?  Il  y  a  de  moi  l'article  sur  Ganova.  Tous  ces  écrits  ne  me 
prennent  rien  du  temps  que  je  dois  consacrer  à  ma  sculpture;  je 
les  compose  en  prélevant  quel({ues  heures  sur  mon  sommeil. 

J'ai  commencé  une  collection  de  médailles,  face  et  revers,  con- 
sacrées à  des  drames  politiques.  Les  Sergents  de  la  Rochelle,  le 
maréchal  Ney,  les  l'rères  Bandiera.  J'ai  fait  deux  médailles    sur 


268  DAVID  D'ANGERS 

les  massacres  de  Galicie;  d'un  cuté,  on  voit  la  Liberté,  appuyée 
sur  un  fusil,  écrivant  avec  une  baïonnette  sur  une  potence  : 
Massacres  de  Galicie.  Metternich.  Brendt.  Au  revers,  j'ai 
mis  le  flambeau  qui  éclaire,  le  sabre  qui  venge,  et  au  milieu, 
cette  inscription  :  «  La  Démocratie  française  a  fait  frapper 
cette  médaille  pour  livrer  les  auteurs  des  massacres  de 
Galicie  à  Vexécration  du  monde  et  de  la  postérité.  »  J'ai  fait  une 
autre  médaille  grande  comme  une  pièce  de  cent  sous.  On  y  voit  la 
tête  de  la  Liberté  ayant  pour  exergue  :  «  Démocratie  française;  » 
puis  une  baïonnette  et  une  plume.  Derrière,  la  potence  est  figu- 
rée, autour  :  «  Massacres  de  Galicie  »,  et  sous  la  potence  : 
((  Metternich  et  Brendt  voués  à  l'exécration  de  Vavenir.  » 

Je  suis  occupé  de  faire  le  Neuf  Thermidor,  la  mort  de  Labé- 
doyère,  et  celle  des  deux  frères  Faucher.  Je  crois  que  la  véritable 
mission  de  l'artiste  est  de  plaider  de  grandes  et  nobles  causes, 
utiles  à  l'humanité',  et  non  de  l'amuser  en  faisant  de  l'art  pour 
l'art.  Ainsi  conçu,  notre  rôle  nous  permet  tout  au  plus  de  riva- 
liser avec  les  histrions  et  les  sauteurs  de  corde. 

J'espère  bien  que  les  bustes  de  Garnier  et  d'Olhvier  pourront 
vous  arriver  vers  les  premiers  jours  de  la  Saint-Martin. 

Je  m'occupe  activement  des  douze  statues  qui  doivent  décorer 
le  piédestal  du  monument  du  roi  René.  C'est  un  immense  tra- 
vail. 

J'ai  fait  pour  le  théâtre  de  Béziers  des  bas-reliefs  renfermant 
une  tragédie  de  Sophocle  (âFc^ipe),  une  de  Corneille  {le  Cid),  une 
comédie  d'Aristophane  (les  Nuées),  une  de  Molière  (le  Tartuffe). 
Il  y  a  aussi  les  portraits  d'une  proportion  colossale  de  ces  quatre 
grands  hommes. 

J'ai  conservé  un  plâtre  des  bas-reliefs  et  je  crois  qu'ils  pour- 
raient être  placés  convenablement  sous  le  péristyle  du  théâtre 
d'Angers.  J'avais  chargé  M.  Moll  de  s'occuper  de  cela,  mais  je 
n'avais  pas  réfléchi  que  ma  demande  était  de  nature  à  soulever 
les  objections  de  l'architecte...  Vois  donc  M.  Binet;  fais-lui  part 
de  mon  projet;  dis-lui  que  les  bas-rehefs  mesurent  six  mètres  de 
longueur  sur  un  mètre  neuf  centimètres  de  hauteur.  Informe-moi 
s'il  y  a  un  buste  de  M'^"  Mars  dans  le  foyer  du  théâtre.  Je  pour- 
rais envoyer  le  modèle  en  plâtre  que  j'ai  encore  à  ma  disposition. 

Fais  une  visite  au  Musée,  et  dis-moi  si  les  modèles  que  j'en- 
voie ne  gênent  pas  trop.  M.  Moll  m'a  fait  entendre  qu'il  y  avait 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRE'S  267 

assez  de  plâtre  comme  cela,  que  c'était  M.  le  Maire  qui  pensait 
ainsi.  Si  je  disposais  seulement  de  figures  d'études,  certes,  je 
ne  voudrais  pas  les  envoyer  à  Angers,  mais  j'offre  des  statues, 
des  portraits  de  grands  hommes.  De  pareilles  œuvres  ont  un  inté- 
rêt national  qui  doit  me  servir  d'excuse  auprès  de  mes  compa- 
triotes. 

J'ai  lu  avec  un  bien  vif  et  sincère  intérêt  ton  Voyage  en  Italie. 
Il  faut  qu'on  te  lise  enfin.  Ne  reste  donc  pas  plus  longtemps  sur 
une  réserve  qui  n'est  pas  admissible  pour  ceux  qui  savent  com- 
bien de  nobles  trésors  sont  renfermés  dans  ton  cœur  et  dans 
ton  âme. 

Adieu,  cher  ami,  soyez  tous  heureux  et  pensez  souvent  à  nous. 
Ce  sont  nos  vœux  les  plus  fervents  à  Emilie  et  à  ton  tout  dévoué 
de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie.  —  La  médaille  consacrée  au  maréchal  Ney  fut  plus 
d'une  fois  modifiée  dans  ses  accessoires  et  dans  son  module.  Ce  travail 
date  de  1843-1846.  Nous  parlons  plus  haut  des  études  du  maître  sur 
Roland  et  Canova.  La  médaille  des  Massacres  de  Galicie  date  de  1846; 
celle  de  Labédoyère  est  sans  date,  de  même  que  celle  des  frères  Faucher. 
Le  maître  ne  donna  pas  suite  à  son  projet  de  médaille  sur  le  Neuf  Ther- 
midor. Le  buste,  de  proportions  colossales,  du  docteur  François-Claude 
Garnier  fut  exécuté  en  1846  par  souscription  publique.  Le  buste  de 
Charles-Prosper  Ollivier  date  également  de  1846.  C'est  un  bronze  colossal 
exécuté  à  l'aide  d'une  souscription.  Ces  deux  bustes  d'Angevins  sont  à 
Angers.  Les  modèles  des  bas-reliefs  du  théâtre  de  Réziers  ont  pris  place 
au  Musée  David.  Est-ce  Binet,  l'architecte,  qui  s'est  opposé  à  ce  que  les 
quatre  ouvrages  du  maître  offerts  par  lui  décorassent  le  péristyle  du 
théâtre  d'Angers  construit  en  1821  ?  Ne  le  regrettons  pas,  car  le  monument 
élevé  par  Binet  est  devenu  la  proie  des  flammes  en  1865.  Le  modèle  du 
buste  de  M"«  Mars  date  de  1823.  Il  est  au  Musée  David.  Le  Voyage  en 
Italie  de  Victor  Pavie,  publié  dans  l'Artiste,  a  été  repris  sous  le  titre 
«  Rome  »  par  l'éditeur  des  Œuvres  choisies  de  l'ami  de  David  (t.  I). 
(Musées  d'Angers,  pp.  113,  123,  189,  199,  201,  336;  David  d'Angers,  etc., 
t.  I,  p.  424,  t.  Il,  p.  503.) 


GGXXVII 


David  à,  Victor  Pavie. 

Projet  de  groupe   pour  la  cathédrale    d'Angers.  —  Sinite  parvulos.  —  Le 
tombeau   de  René  d'Anjou.  —   Son   monument.  —    Bonchamps   et  sa 


268  DAVID  D'ANGERS 

statue,   par  Victor   Pavie.  —  Le   Voyage  en  Italie.—  Le    plâtre  après 
la  fonte. 

Paris,  3  janviej'  1847. 

Cher  ami, 

Une  indisposition  assez  grave,  causée  par  mon  rhumatisme, 
m'a  empêché  de  t'écrire  aussi  promptement  que  je  l'aurais  désiré. 
J'avais  besoin  de  te  remercier  de  la  bonne  nouvelle  que  tu  m'a- 
vais fait  connaître  concernant  les  statues  que  j'ai  depuis  si  long- 
temps le  projet  de  faire  pour  notre  église  de  Saint-Maurice.  Ce 
sont  deux  beaux  et  admirables  sujets  à  traiter,  mais  aussi  d'une 
difficulté  très  grande,  car  ce  sont  les  deux  personnifications  les 
plus  sublimes  du  christianisme.  Enfin  je  serai  heureux  d'essayer 
aussi  comme  tant  d'autres  artistes.  J'ai  reçu  une  lettre  extrême- 
ment bienveillante  de  Monseigneur  l'Évêque.  11  m'annonce  celle 
de  MM.  les  membres  du  Chapitre. 

Je  crois  me  rappeler  que  je  t'ai  fait  voir  un  croquis  que  j'avais 
fait  de  la  Vierge  et  un  autre  du  Christ,  que  je  représentais  à  l'in- 
stant où  il  dit  :  «  Laissez  venir  à  moi  les  petits  enfants.  »  Pour  indi- 
quer l'universalité  du  culte,  j'ai  mis  un  petit  enfant  nègre  et  un 
sauvage.  Cet  instant  de  la  vie  du  Christ  m'a  toujours  paru  extrême- 
ment touchant.  Je  ne  l'ai  pas  encore  vu  traité  en  ronde-bosse.  Si 
nous  arrivons  à  la  réalisation  de  notre  projet,  ce  sera  une  belle 
occasion  pour  moi  d'aborder  des  sujets  de  l'ordre  le  plus  élevé. 

Je  ne  perds  pas  de  vue  non  plus  le  tombeau  de  notre  René.  Il 
faut  que  ce  monument  soit  restitué  à  sa  place. 

J'ai  communiqué  ton  article  sur  Bonchamps  à  plusieurs  per- 
sonnes, qui  l'ont  trouvé  parfaitement  bien  écrit  et  plein  de  nobles 
inspirations.  L'Artiste  va  le  publier  avec  la  gravure. 

Ce  que  tu  nous  as  donné  sur  l'itahe  m'a  vivement  touché.  J'y 
ai  retrouvé  de  mes  anciennes  sensations  bien  agrandies  en  pas- 
sant par  ton  cerveau  poétique.  Tu  vois,  cher  ami,  qu'il  ne  tient 
qu'à  toi  de  te  faire  un  nom  extrêmement  honorable  dans  la  litté- 
rature. Quand  on  a  un  cœur  aussi  impressionnable  que  le  tien, 
une  âme  aussi  pure  et  aussi  poétique,  on  doit  écrire.  Assez  d'hom- 
mes déshonorent,  profanent  leur  plume  ;  il  est  juste  que  des 
hommes  d'élite  viennent  opposer  une  digue  au  torrent  iangeux. 

On  publie  un  ouvrage  lithographique  sur  notre  Musée  d'Angers. 
Je  désirerais  bien  connaître  ton  opinion  sur  cette  publication,  et 
savoir  si  les  lithographies  sont  bien  faites. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  269 

Je  désire  que  tu  voies  M.  Mercier.  J'ai  oublié  dans  ma  dernière 
lettre  de  lui  dire  qu'il  faudrait,  lorsqu'un  modèle  lui  arrive  tout 
noirci  par  le  travail  du  fondeur,  le  faire  nettoyer  avec  des  pin- 
ceaux, trempés  dans  de  l'eau  de  lessive;  quand  on  a  bien  nettoyé 
avec  un  gros  pinceau ,  on  assèche  le  plâtre  avec  une  éponge. 
Cette  opération  donne  au  plâtre  une  certaine  teinte  un  peu  jau- 
nâtre qui  est  agréable  à  la  vue. 

Les  statues  qui  doivent  décorer  le  piédestal  de  notre  René  sont 
déjà  très  avancées;  j'y  ai  travaillé  avec  une  grande  ardeur.  Toutes 
les  fois  qu'il  s'agit  de  notre  cher  Anjou,  je  ne  puis  résister  au 
désir  d'y  penser  avant  de  m'occuper  d'autre  chose.  C'est  te  dire 
que  j'ai  laissé  en  souffrance  Casimir  Delavigne,  Bernardin  de 
Saint-Pierre,  etc.,  etc.,  pour  les  deux  bustes  de  Garnier  etd'Olli- 
vier,  et  enfin  pour  les  statues  du  piédestal  de  René,  travail  en 
vérité  considérable. 

Crois-moi  toujours  de  tout  cœur  à  toi, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  Le  projet  du  maître  de  doter  la  cathédrale  d'Angers 
d'une  statue  du  Christ  et  d'une  statue  de  la  Vierge,  mentionné  au  Journal 
de  Maine-et-Loire  du  23  novembre  1846,  ne  se  réalisa  pas.  [David  d'Angers, 
etc.,  t.  I,  p.  425.)  On  voit  ici  que  l'artiste  eût  volontiers  transformé  les 
deux  statues  projetées  en  un  groupe,  naturellement  plus  important,  dans 
lequel  il  eût  traduit  la  parole  évangélique  :  Sinite  parvulos  venire  ad  me. 


GGXXVIII 

David  à,  Victor  Pavie. 

L'approche  du  Salon.  —  Acliéveraent  du  monument  de  René  d'Anjou.  — 
Etude  sur  Roland. 

Paris,  29  mars  1847. 

Cher  ami, 

Si  j'ai  bonne  mémoire,  il  me  semble  que  tu  avais  l'intention  de 
venir  à  Paris  pour  l'époque  du  Salon.  Si  tu  persistes  toujours 
dans  ce  projet,  il  me  serait  bien  agréable  de  savoir  à  quelle  date 
précise  tu  espères  entreprendre  ton  voyage,  car  moi-même  j'en 
projette  un,  à  la  vérité  très  court,  mais  qui  serait  pour  moi  la 
source  d'une  grande  contrariété  s'il  me  privait  quelques  jours 


270  DAVID  D'ArsGERS 

seulement  de  te  voir.  Les  occasions  de  nous  rencontrer  devien- 
nent si  rares,  et  la  vie  s'écoule  avec  une  si  effrayante  rapidité! 

Je  suis  sûr  actuellement  que  l'évêque  d'Angers  a  reçu  ma  lettre. 
Le  moyen  dont  j'ai  usé  était  le  seul  pratique^  car  il  paraîtrait  que 
le  service  de  la  poste  se  fait  très  mal  dans  notre  cher  Anjou. 

Me  voilà  arrivé  aux  dernières  figures  du  piédestal  de  la  statue 
du  roi  René.  J'ai  retardé  tous  mes  travaux  afin  de  terminer  promp- 
tement  ce  monument. 

Pagnerre  vient  de  faire  tirer  des  épreuves  de  ma  notice  sur 
Roland,  le  statuaire.  Je  vais  t'en  faire  parvenir  quelques  exem- 
plaires que  tu  voudras  bien  faire  remettre  aux  personnes  dont 
je  vais  écrire  le  nom  sur  la  couverture. 

Adieu,  cher  ami,  assure  toute  ta  famille  de  nos  sentiments  les 
plus  affectueux. 

A  toi  de  cœur, 

David. 

Collection  Pavie. 


GGXXIX 
Lamartine  à  David. 

Paris,  1"  mai  1847. 

Conte  arabe. 

Dieu  dit  un  jour  à  son  soleil  : 
Toi  par  qui  mon  nom  luit  !  toi  que  ma  droite  envoie 
Porter  à  l'univers  ma  splendeur  et  ma  joie 
Pour  que  tout  firmament  me  loue  à  son  réveil  ! 

De  ces  dons  que  répand  ta  lumière, 
De  ces  pas  de  géant  que  lu  fais  dans  les  cieux, 
De  ces  rayons  vivants  que  boit  cliaque  paupière. 
Qui  te  rend,  réponds-moi,  dans  toute  ta  carrière, 
Plus  semblable  à  moi-même  et  plus  grand  à  tes  yeux? 

—  Le  soleil  répondit  en  se  voilant  la  face  : 
Ce  n'est  pas  d'éclairer  l'immensurable  espace, 
De  faire  étinceler  les  sables  des  déserts, 
De  fondre  du  Liban  la  couronne  de  glace. 
Ni  de  me  contempler  dans  le  miroir  des  mers, 
Ni  d'écumer  de  feu  sur  les  vagues  des  airs  ! 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  271 

Mais  c'est  de  me  glisser  aux  fentes  de  la  pierre 
Du  cachot  où  languit  le  captif  dans  sa  tour. 
Et  d'y  sécher  au  bord  d'une  paupière 
Que  réjouit  dans  l'ombre  un  seul  rayon  de  jour  !... 
—  Bien  !  reprit  Jehova,  c'est  comme  mon  amour  !... 

Ce  que  dit  le  rayon  au  bienfaiteur  suprême, 
Moi,  l'insecte  chantant,  je  le  dis  à  moi-même  : 
Ce  qui  donne  à  ma  lyreuii  frisson  de  bonheur, 
Ce  n'est  pas  de  frémir  d'un  vain  soufûe  de  gloire, 
IN'i  de  jeler  au  teras  un  nom  pour  la  mémoire, 
Mais  c'est  de  résonner  dans  la  nuit  du  mystère 
Pour  l'âme  d'un  ami,  d'un  pauvre  solitaire 
Qui  n'a  qu'un  son  lointain  pour  tout  bien  sur  la  terre, 
Et  d'y  glisser  ma  voix  par  les  fentes  du  cœur! 

Al.  DE  Lamartine. 

Collection  David  d Angers.  —  Lamartine  a  corrigé  les  quatre  derniers  vers. 
Avant  la  correction,  ils  étaient  ainsi  conçus  : 

Mais  c'est  de  pénétrer  par  les  fentes  du  cœur. 

Dans  l'âme  d'un solitaire 

Que  le  monde  abandonne  et  qui  n'a,  sur  la  terre, 
Qu'un  écho  dans  ma  voix  pour sa  douleur. 

Cette  première  version  eût  été,  prosodiquement  parlant,  plus  correcte, 
puisque  la  rime  féminine  du  cinquième  vers  n'aurait  pas  été  suivie  d'une 
rime  féminine  que  sa  désinence  conseillait  de  reporter  plus  loin.  Les  vers 
que  nous  donnons  ici  sont  la  réalisation  d'un  projet  déjà  ancien  chez  La- 
martine. Il  en  est  question  dans  le  commentaire  de  la  lettre  de  David  au 
poète  des  Méditations,  publiée  plus  haut  sous  la  date  du  12  février  1831. 


GGXXX 

David  à  Rauch. 

Les  études  du  maître  sur  Roland,  Canova,  Thorvaldsen.  —  Projet  d'une 
étude  sur  Rauch.  —  La  médaille  de  Karl  Ritter.  —  A  la  poursuite  d'un 
croquis  d'Hoffmann. 

Paris,  18  mai  1847 . 

Cher  ami, 

Votre  dernière  lettre  m'a  rendu  bien  heureux  et  je  suis 
toujours  fier  de  votre  amitié,  qui  ne  peut,  je  vous  assure,  ren- 
contrer une  âme  mieux  faite  que  la  mienne  pour  vous  appré- 
cier. 


272  DAVID  D'ANGERS 

J'entends  avec  bonheur  parler  de  vos  grands  et  nobles  tra- 
vaux. Je  sais  que  votre  santé  est  bonne,  et  j'en  éprouve  un  vif 
bonheur,  parce  que  vous  pouvez  léguer  à  l'avenir  des  ouvrages 
qui,  en  consacrant  dignement  votre  nom,  seront  un  puissant 
stimulant  pour  les  artistes  et  une  gloire  immortelle  pour  votre 
patrie. 

Je  ne  désespère  pas  de  pouvoir  encore  aller  vous  serrer  la  main 
dans  votre  atelier  ;  du  moins  c'est  le  vœu  le  plus  cher  de  mon 
cœur. 

Je  joins  à  cette  lettre  une  notice  sur  Roland,  le  statuaire  mon 
maître. 

Depuis  longtems  je  m'occupe,  à  mes  moments  de  loisir,  d'é- 
crire mes  réflexions  sur  les  ouvrages  des  statuaires.  C'est  une 
bonne  et  agréable  étude  pour  moi,  et  aussi  un  moyen  d'émettre 
quelques  idées  sur  un  art  que  j'ai  longtems  étudié  et  que 
j'aime  tant. 

J'ai  fait  un  travail  sur  Ganova,  dont  il  a  paru  un  extrait  dans 
le  Siècle  de  Napoléo7i,  et  un  sur  Thorvaldsen.  Celui-ci  a  été 
inséré  dans  un  petit  journal  appelé  Journal  du  Mois.  J'en  ai 
d'autres  dans  différentes  publications. 

Je  serai  heureux,  cher  ami,  de  parler  de  vous  bientôt  et  de  dire, 
dans  un  examen  de  vos  travaux,  tout  ce  que  votre  grand  talent 
m'inspire. 

Adieu,  pensez  quelquefois  à  celui  qui  vous  est  dévoué  de  tout 
cœur, 

David  d'Angers. 

Vous  trouverez  un  exemplaire  pour  Ritter,  que  je  vous  prie  de 
lui  remettre  de  ma  part.  Je  vous  avoue  que  j'étais  très-inquiet  du 
médaillon  que  je  lui  avais  envoyé,  et  j'ai  attendu  vainement  une 
petite  lettre  de  réception  de  lui. 

Cher  ami,  vous  m'obligeriez  si  vous  pouviez  me  trouver  un 
croquis  original,  non  gravé,  de  la  main  d'Hoffmann  ;  je  désire 
beaucoup  en  posséder  un  ;  pensez-y  donc,  je  vous  en  prie. 

Colleclion  Eggers,  à  Berlin.  —  David  n'a  pas  donné  suite  à  son  projet 
d'étude  sur  Rauch.  Le  profil  du  géograplie  allemand  Karl  Ritter  a  été 
modelé  par  le  maître  en  1845.  (Musées  d'Angers,  p.  190.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  273 

CGXXXI 

David  à  Lucas  de  Montigny. 

A  la  reclierclic  de  la  sigualure  de  Gallamare. 

Paris,  25  juin  1847. 

Monsieur, 

J'ai  fait  des  recherches  infructueuses  pour  me  procurer  une 
signature  du  statuaire  Antoine  Gallamare.  Aufiez-vous  un  auto- 
graphe de  cet  artiste  et  voudriez-vous  me  le  prêter  pour  quel- 
ques instants  ? 

Excusez-moi  de  mes  continuelles  importunités  et  croyez-moi 
toujours 

Votre  bien  dévoué  serviteur, 

David  d'Angers. 


Colleclion  Dubrunfaut.  —  Cette  lettre  a  passé  en  vente  le  18  janvier 
On  sait  quel  usage  voulait  faire  le  maître  de  la  signature  du  statuaire 
Cliarles-Antoine  Gallamare.  Il  se  proposait  de  la  reproduire  en  fac-similé 
sur  le  médaillon  de  cet  artiste.  Le  médaillon  n'est  pas  daté,  mais  il  doit 
avoir  été  modelé  en  1847.  La  signature  et  le  parafe  s'y  trouvent  gravés  à 
l'ébauchoir.  Montigrty  avait  donc  pu  répondre  à  la  demande  de  David 
comme  le  souhaitait  celui-ci  ?  (Mzwe'e^  d'Angers,  pp.  197-198.)  Une  longue 
étude  sur  Gallamare  a  été  recueillie  par  nous  dans  l'ouvrage  David  d'An- 
gers, etc.,  t.  II,  pp.  133-146. 


GGXXXII 


David    à    Victor  Pavie. 

Le  monument  de    Gobert.    —  Statues   de   Gasimir  Delavigne  et  de  David 
l'urry.  —  Qu'il  faut  encourager  les  artistes  fixés  en  province. 

Paris,  2  juillet  1847. 

Sous  peu  de  jours,  cher  Victor,  vous  allez  être  tous  réunis. 
Théodore  vient   de  traverser   Paris   pour    vous  rejoindre. 

.le  regrette  qu'il  n'ait  pas  pu  trouver  un  instant  pour  aller 
au  cimetière  du   Pèrc-Lachaise.   Le   monument    de   Gobert  est 

18 


274  DAVID  D'ANGERS 

totalement  terminé.  Il  aurait  pu  te  faire  part  de  ses  observations 
sur  cet  ouvrage. 

Le  modèle  de  la  statue  de  Casimir  Delavigne  est  achevé.  Je 
vais  m'occuper  de  finir  la  statue  de  David  Purry.  pour  Neucliâtel, 
en  Suisse.  J'espère  bien  que  le  mouleur  pourra  s'en  emparer 
avant  la  fin  de  ce  mois,  car  je  dois  partir  vers  les  premiers  jours 
d'août  pour  aller  dans  les  Pyrénées,  où  je  ne  resterai  que  fort 
peu  de  temps,  afin  de  revenir  reprendre  mes  travaux,  et  assister 
aux  jugements  des  concours  de  l'Académie. 

J^es  douze  statues  du  monument  de  René  d'Anjou  vont  être 
fondues  sous  peu  de  jours. 

Je  ne  me  souviens  pas  si,  dans  la  liste  des  personnes  auxquel- 
les je  t'avais  prié  de  donner  une  notice  de  la  vie  de  Roland,  j'a- 
vais inscrit  le  nom  de  M.  Renou.  Je  crois  que  c'est  bien  là  le  nom 
de  la  personne  qui  a  fait  paraître  quelques  articles  sur  les  arts 
dans  le  Précurseur  de  V Ouest.  A  propos  de  ce  rédacteur,  dans  un 
de  ses  articles,  il  avait  annoncé  qu'il  parlerait  des  jeunes  statuai- 
res angevins.  C'était  une  très  bonne  idée  à  laquelle  je  serais 
charmé  de  lui  voir  donner  suite.  C'est  bien  de  stimuler  les 
jeunes  artistes,  espoir  de  notre  cher  pays  ;  il  faut  que 
dans  les  provinces  on  cherche  à  encourager  et  à  remonter  le 
moral  des  hommes  qui  consacrent  leur  existence  à  honorer  leur 
pays  par  la  littérature  ou  les  arts.  Trop  longtemps  leurs  conci- 
toyens les  ont  étouffés  sous  le  sarcasme,  comme  si  le  génie  ne 
pouvait  pas  se  révéler  en  province  tout  aussi  bien  qu'à  Paris  ! 

Adieu,  cher  ami.  Emilie  et  moi  formons  des  vœux  bien  sin- 
cères pour  ta  bonne  famille,  pour  son  bonheur  et  sa  prospé- 
rité. 

A  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

ColteclionPavie.  —  La  statue  de  David  Purry,  bienfaiteur  de  la  ville  de 
Neuchàtel,  fut  iaaugurée  le  6  juillet  1835.  {David  d'Angers^  t.  Il,  p.  504.) 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  275 

CGXXXIII 

David    à  Victor  Pavie. 

Départ  pour  les  Pyrénées.  —  Hélène  David.  —  Le  monument  de  René 
d'Anjou.  —  Offre  du  modèle  des  douze  statuettes  au  Musée  d'anti- 
quités d'Angers. 

Paris,  14  août  1847. 

Je  puis  enfin,  cher  ami,  m'échapper  de  Paris.  J'ai  éprouvé 
tant  de  fâcheux  contre-temps  que  je  doute  encore  que  nous 
puissions  arriver  sains  et  saufs  à  Baréges.  Hélène  est  encore 
malade  au  lit,  mais  il  n'y  a  plus  de  danger,  et,  d'autre  part,  Emilie 
est  très  souffrante.  J'espère  que  le  changement  d'air  lui  fera  du 
bien.  Nous  partons  donc  demain  matin  tous  les  trois,  sans  notre 
pauvre  petite  convalescente,  qui  a  le  cœur  bien  gros  de  notre 
départ . 

Tes  caisses  sont  expédiées.   Tu  vas  les   recevoir  sous  peu. 
Assiste  à  leur  ouverture;  car  il  y  a  les  croquis  des  figures  qui 
décorent  le  monument  du  roi  René  que  j'ai  cloués  en  dedans 
du  couvercle  de  la  caisse. 

J'ai  fait  ajouter  une  certaine  quantité  de  nouveaux  médail- 
lons qui  ne  sont  même  pas  encore  à  Angers. 

Le  monument,  complet  pour  la  sculpture,  de  notre  René,  va 
bientôt  être  expédié  à  Angers.  M.  de  Quatrebarbes  presse 
beaucoup  ce  départ. 

Je  vais  enfin  pendant  quelques  jours  respirer  l'air  des  monta- 
gnes et  tâcher  d'oublier,  la  tête  près  du  ciel,  toute  la  boue  mo- 
rale des  villes.  Sois  sûr  que  toi  et  tes  chers  parents  vous  êtes 
unis  dans  ma  pensée  au  petit  nombre  d'êtres  qui  m'attachent  à 
une  vie  dure  à  supporter. 

A  toi  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

P.  S.  —  Je  m'occuperai  à  mon  retour  de  restaurer  les  mo- 
dèles des  petites  statues  du  piédestal  du  roi  René.  Demande  à 
M.  Godard  s'il  veut  les  placer  dans  son  Musée;  je  les  lui  enver- 
rais. Ce  sont  des  personnages  historiques  de  notre  vieil  Anjou. 

Nous  resterons  â  Baréges  jus(ju'au  7  septembre,  au  plus  lard. 


276  DAVID  D'ANGERS 

Si  tu  avais  à  m'écrire,  je  serais  heureux  de  recevoir  de  tes  nou- 
velles. 

Collection  Pavie.  — M.'Godard-Faultrier,  nommé  dans  le  post-.sc7H2:)ium 
de  cette  lettre,  a  fondé,  il  y  a  un  demi-siècle,  à  Angers,  un  Musée  archéolo- 
gique dont  il  est  demeuré  jusqu'à  ce  jour  le  directeur  zélé.  Les  modèles  des 
douze  statuettes  du  monument  de  René  d'Anjou,  acceptés  par  M.  Godard, 
prirent  place  dans  le  Musée  confié  à  ses  soins. 


CCXXXIV 


David  à  "Victor  Pavie. 


Jules-Eugène  Lenepveu,  grand  prix  de  Rome.  —  Projet  d'une  statue  de  la 
Vierge  pour  la  cathédrale  d'Angers. 

Paris,  30  septembre  1847. 

Cher  ami, 

Cette  lettre  te  sera  remise  par  M.  Lenepveu,  bon  et  intéressant 
jeune  homme  auquel  j'ai  été  heureux  de  donner  mon  vote  pour 
le  prix  de  Rome  qu'il  vient  d'obtenir.  Il  y  a  un  bel  avenir  dans 
cet  artiste,  dont  j'estime  beaucoup  le  caractère. 

A  notre  retour  à  Paris,  nous  avons  reçu  les  lignes,  si  pleines 
d'intérêt  pour  nous,  que  tu  nous  adressais.  Merci  mille  fois, 
cher  ami.  Elles  m'ont  fait  beaucoup  de  bien.  Des  amis  tels  que 
toi  font  sentir  davantage  le  prix  du  miracle  qui  fait  que  nous 
sommes  encore  de  ce  monde,  qui,  bien  que  fertile  en  doulou- 
reuses émotions,  offre  cependant  quelques  compensations  sous 
le  rapport  du  cœur. 

Dans  la  lettre  que  tu  m'as  adressée  à  Baréges,  tu  me  parles  du 
placement  projeté  de  la  statue  de  la  Vierge  dans  un  endroit  qui 
me  paraît  parfaitement  convenable.  Cependant,  il  y  a  bien  long- 
temps que  je  n'ai  vu  notre  cathédrale,  et  je  crains  que  mes  sou- 
venirs ne  soient  pas  très  précis.  C'est  à  vous,  qui  êtes  sur  les 
lieux,  à  décider  cette  question,  et  tes  observations  à  cet  égard 
vaudront  mille  fois  mieux  qu'aucune  autre. 

Je  vais  m'occuper  de  terminer  plusieurs  ouvrages  qui  sont 
commencés  depuis  longtemps,  et  ensuite  je  me  donnerai  entiè- 
rement à  l'exécution  de  nos  statues  de  Saint-Maurice. 

Adieu,  cher  ami,  tout  à  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  277 

Collec/ionPavie.  —  A  la  suite  de  pourparlers  entre  Victor  Pavic,  man- 
dataii'c  de  David,  et  l'évêque  d'Angers,  le  maître  devait  sculpter,  non  plus 
deux  statues,  mais  ime  seule,  pour  la  cathédrale.  C'est  une  F/erg-e  que  l'on 
demandait  à  l'artiste  d'exécuter  afin  de  décorer  l'autel  du  transept  do 
gauche. 


cxxxv 

Thoré  à  David. 

Une  fausse  nouvelle. 

Paris,  8  mars  1848. 

Mon  cher  ami. 

J'apprends  avec  joie,  —  mais  est-ce  bien  sûr?  —  votre  nomi- 
nation aux  beaux-arts.  Yous  représentez,  mieux  que  personne, 
l'art  que  nous  avons  toujours  désiré,  l'art  républicain,  l'art 
populaire,  l'art  de  l'avenir. 

Votre  nom  est  européen  et  fera  rayonner  en  Europe  l'art  fran- 
çais. Vos  œuvres  sont  en  Grèce,  en  Amérique,  en  Allemagne, 
partout  où  une  pensée  généreuse  a  provoqué  votre  beau  talent. 

Les  artistes  seront  heureux  de  vous  avoir  pour  drapeau,  en 
avant  de  la  République. 

Fraternité, 

T.  Thoré. 

Collection  David  d'Angers.  —  Théophile  Thoré,  plus  connu  sous  le  pseu- 
donyme de  W.  Burgcr,  ami  du  maître,  avait  reçu  de  lui  son  médaillon  en 
1847.  (Musées  d'Angers,  p.  19a.)  On  veri'a  par  la  lettre  de  David  à  Victor 
Pavie,  en  date  du  15  mars  1848,  que  notre  artiste  déclina  l'honneur  d'admi- 
nistrer les  Musées  nationaux,  de  même  qu'il  refusa  de  prendre  la  Direction 
des  beaux-arts  au  Ministère  de  l'Intérieur. 


CGXXXVI 


David   à   Victbr   Pavie. 

La  révolution  de  Février,  —  Le  maître  est  nommé  maire  du  XI"   arrondis- 
sement. —  Il  refuse  la  charge  de  Directeur  des  Musées  nationaux. 

Paris,  1.")  mars  IS4S. 

Cher  ami. 
Ces  quelques  lignes  sont  écrites  pour  te  prouver  qu'au  milieu 


278  DAVID  D'ANGERS 

des  innombrables  difficultés  qui  viennent  m'assaillir  de  toutes 
parts,  ton  cher  souvenir  m'est  toujours  présent. 

J'ai  assisté  au  plus  grand,  au  plus  noble  spectacle  qu'il  soit 
donné  à  l'homme  de  voir,  pendant  les  trois  journées  révolution- 
naires. Nuit  et  jour  je  n'ai  pas  quitté  les  barricades,  et  je  suis 
plein  d'admiration  pour  ce  grand  et  sublime  peuple  se  présen- 
tant la  poitrine  nue  devant  des  masses  innombrables  de  baïon- 
nettes, poussé  seulement  par  cet  instinct  de  la  sainte  liberté. 
Qu'ils  sont  grands,  ces  généreux  républicains!  Et  comme  il  fallait 
que  ce  sentiment  fût  profondément  imprimé  dans  les  âmes 
pour  qu'il  mît  en  mouvement  toute  cette  masse  d'hommes  ! 

A  trois  heures  du  matin,  lorsque  les  barricades  étaient  encore 
toutes  fumantes  de  poudre  et  teintes  d'un  sang  généreux,  je 
m'étais  couché  tout  habillé  afin  de  prendre  quelques  instants  de 
repos.  Plusieurs  citoyens  vinrent  m'annoncer  qu'on  m'avait 
nommé  maire,  et  au  même  instant  un  exprès  m'apporta  ma  no- 
mination de  Directeur  des  Musées  nationaux.  Je  répondis  aus- 
sitôt que  je  refusais  cette  place,  et  je  me  rendis  à  mon  poste  de 
maire.  Depuis,  j'ai  refusé  deux  fois  d'être  chargé  de  la  direction 
des  arts  au  Ministère  de  l'Intérieur.  Je  crois  qu'en  acceptant  le 
poste  périlleux  de  maire  j'ai  été  utile,  car  le  peuple  me  connaît, 
et  j'ai  empêché  des  malheurs  inévitables  dans  les  circonstances 
que  nous  traversons  et  où  toutes  les  passions  sont  en  lutte. 

Il  y  a  deux  jours  que  j'ai  reçu  une  lettre  du  maire  de  Dun- 
kerque  qui  m'annonçait  qu'une  rue,  à  laquelle  on  avait  autrefois 
donné  le  nom  de  rue  de  Chartres,  portait  actuellement  celui 
de  David  d'Angers.  J'en  ai  été  d'autant  plus  heureux  que  le  nom 
de  notre  chère  cité,  qui  déjà  parcourt  les  mers  gravé  sur  la  proue 
d'un  vaisseau,  se  trouve  aujourd'hui  inscrit  sur  les  murs  d'une 
ville  française. 

Tout  marche  bien  à  Paris.  On  commence  à  comprendre  que 
le  gouvernement  républicain  est  désormais  possible.  Les  partis 
se  rendent  compte  que  la  République  peut  soulever  la  tempête 
et  aussi  la  calmer Toutefois,  le  calme  ne  peut  pas  se  mani- 
fester immédiatement  après  une  commotion  aussi  grandiose. 
Quand  un  vaisseau  va  sombrer,  s'il  s'en  trouve  un  qui  recueille 
les  passagers  et  leurs  bagages,  il  doit  nécessairement  exister,  sur 
le  navire  sauveur,  un  très  grand  désordre,  mais  avec  un  peu  de 
tems  chacun  retrouvera  sa  case  et  l'ordre  renaîtra. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  279 

Adieu,  mou  cher  Victor,  embrasse  pour  moi  tous  ceux  qui  te 
sont  chers  et  crois-moi  toujours  à  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

P.  S.  —  Depuis  la  Révolution,  je  n'ai  pas  remis  le  pied  dans 
mon  atelier.  Avant  d'être  artiste,  il  faut  être  citoyen.  Voilà  ma 
devise. 

Viendras-tu  voir  notre  exposition?  J'ai  gagné  le  procès  de  la 
liberté  des  Salons  avec  l'aide  de  coups  de  fusil. 

Vive  la  République  ! 

Collection  Pavie.  —  Le  XI"  aiTondisscment  est  aujourd'hui  le  VI%  avec 
diverses  modifications  dans  son  porimètre.  La  mairie  où  David  siégea  est 
située  rue  Garancière,  n"  8. 


GGXXXVII 

David  à  Victor    Pavie. 

Que  l'artiste  doit  céder  le  pas  au  citoyen.  —  Les  élections  à  Paris. 

Paris,  1"'  mai  1848. 

Cher  ami, 

J'ai  reçu  avec  bien  du  plaisir  ta  bonne  lettre. 

J'ai  été  heureux  de  connaître  par  toi  l'expression  vivante  du 
cœur  angevin. 

Me  voilà  donc  appelé  à  assister  à  la  fondation  do  ce  grand  et 
généreux  gouvernement,  qui  ne  pouvait  être  imposé  au  monde 
que  par  la  France  :  elle,  le  cerveau  du  monde  I 

Je  ne  me  suis  jamais  dissimulé  quel  sacrifice  je  m'imposais  en 
acceptant  ce  mandat.  Me  voilà  éloigné  momentanément  de  mon 
cher  atelier,  de  mes  grands,  si  grands  et  si  beaux  modèles,  quand 
on  ne  les  voit  ({u'à  travers  l'auréole  de  leur  gloire.  Mais  j'ai  tou- 
jours pensé  qu'avant  d'être  artiste,  il  fallait  être  citoyen.  Et  tout 
homme  qui  penserait  différemment  serait  un  lâche. 

J'ai  eu  à  Paris  près  de  quatre-vingt  mille  voix.  Certes,  c'est 
une  minorité  extrêmement  honorable.  Tout  le  monde  est  per- 
suadé que  si  j'eusse  voulu  faire  comme  les  autres  candidats:  ré- 
pandre à  profusion  des  professions  de  foi,  j'aurais  pu  être  nommé 


280  DAVID  D'ANGERS 

à  Paris,  Je  suis  très  heureux  de  ne  pas  avoir  employé  des  moyens 

qui  ne  conviennent  nullement  à  mon  caractère. 

Adieu,  cher  ami;  embrasse  pour  moi  ton  bon  et  cher  père,  mon 

vieil  et  constant  ami. 

A  toi  de  cœur, 

DAvm  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


GGXXXYIII 

David  à   Victor    Pavie. 

Le  maître  fait  l'abandon  de  son  indemnité  de  représentant  du  peuple 
à  des  œuvres  de  bienfaisance. 

Paris,  28  juillet  1848. 

Cher  ami, 

J'ai  déjà  offert,  en  dons  patriotiques,  mes  deux  premiers  mois 
d'indemnité  de  représentant.  Je  viens  d'annoncer  à  Bordillon 
que  j'allais  lui  envoyer  le  montant  de  ce  mois  en  le  chargeant 
de  l'offrir  de  ma  part  au  bureau  de  bienfaisance  d'Angers. 

La  confiance  reprend  d'une  manière  vraiment  remarquable 
ici  ;  tout  porte  à  croire  que  nos  mauvais  jours  sont  passés,  et  que 
notre  belle  patrie  pourra  jouir  avec  calme  des  bienfaits  que  la 
République  peut  seule  donner  à  l'humanité. 

Soyez  heureux,  mes  amis,  et  crois-moi  toujours  à  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  David  avait  été  élu  représentant  de  Maine-et-Loire,  par 
72,597  voix,  aux  élections  du  23  avril  1848.  {David  d'Angers,  etc.,  t.  I,p.  433.) 


GGXXXIX 

David   à  Victor    Pavie. 

L'Anjou.  —  L'amitié.  —  Le  devoir.  —  Robert  David.  —  Divergence 
d'opinions  entre  Victor  Hugo  et  David. 

Taris,...  août  1848. 

Mon  cher  Victor, 
Ma  famille  va  enfin  passer  quelque  temps  dans  notre    cher 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  281 

Anjou.  Elle  va  jouir  de  notre  beau  ciel  et  continuer  ces  bons  en- 
tretiens si  rares  malheureusement  depuis  bien  des  années.  Pour 
moi,  me  voilà  soudé  à  mon  poste  comme  un  soldat  en  faction 
dans  une  ville  de  guerre.  Si  l'amitié  me  dit  tout  ce  que  je  perds 
de  douces  émotions,  le  patriotisme  me  dit  aussi  avec  son  langage 
sévère  :  «  Tu  dois  faire  ton  devoir  avant  tout  »,  et  je  me  résigne 
avec  courage.  Les  courts  instants  que  nous  passons  dans  cette 
triste  vie  ne  doivent  jamais  être  dépensés  à  satisfaire  notre 
égoïsme. 

Je  désire  beaucoup  qu'Emilie  passe  le  plus  de  tems  possible 
auprès  de  toi  ;  quand  elle  sera  de  retour,  je  t'entendrai  par  sa 
bouche.  Fais  voir  à  mon  Robert  le  plus  que  tu  pourras  de  notre 
ville.  Je  désire  qu'il  l'aime  autant  que  je  l'aime.  Parle  à  ce  cher 
enfant  comme  à  un  homme  :  il  est  fait  pour  t'entendrc. 

J'ai  dit  à  Hugo  qu'Émihe  partait  pour  l'Anjou  avec  ses  enfants. 
Il  m'a  chargé  de  te  faire  dire  toutes  choses  aimables  de  sa  part. 
Sa  conduite  politique  m'afflige  beaucoup.  Comment  le  génie 
peut-il  s'amoindrir  ainsi,  et  le  cœur  ne  pas  battre  pour  la 
patrie,  réveillée  par  quelque  chose  d'aussi  grand  que  ce  qui  se 
passe  sous  nos  yeux? 

Adieu,  soyez  tous  heureux,  et  crois-moi  toujours  à  toi  de  tout 
cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


CCXL 


David  à  Madame  Geoffroy  Saint-Hilaire. 

Lo  maitre  abandonne   son  indemnité  de  représentant  à  l'OEuvre 
des  Crèches. 

Pai-is,  5  octobi'e  1848. 

Madame, 

Permettez-moi  do  vous  offrir  un  mois  do  mon  traitement  de 
représentant  pour  la  Crèche  dont  vous  êtes  présidente.  Permet- 
tez-moi aussi  de  vous  exprimer  toute  ma^  reconnaissance  pour 
la  noble  tâche  que  vous  poursuivez  avec  tant  de  zèle  en 
venant  ainsi  en  aide  à  de  pauvres  mères  et  à  de  petits  êtres  si 


282  DAVID  D'ANGERS 

intéressants  par  leur  faiblesse  même.  Vous  leur  léguez,  Madame, 
un  titre  à  vous  bénir.  Puissent-ils  plus  tard,  inspirés  par  un  tel 
exemple,  comprendre  que  notre  mission  sur  la  terre  doit  être 
toute  fraternelle! 

Veuillez  agréer,  Madame,  l'assurance  de  mon  respectueux  dé- 
vouement. 

David  d'Angers. 

A  cette  lettre  est  jointe  la  quittance  à  souche  ci-après  : 
N»  215.  —  Le  10  octobre  1848,  il  a  été  payé  par  M.  David 
d'Angers  et  enregistré  en  recette  sous  le  numéro  ci-contre  du 
livre  à  souche,  en  même  temps  qu'au  compte-journal,  la  somme 
de  sept  cent  quarante-cinq  francs,  que  M"'«  Geoffroy  de  Saint- 
Hilaire  a  remis  au  trésorier  p""  la  Crèche  du  12^. 

Le  Receveur, 


OUDOT. 


Collection  Geoffroy  Saînt-Hilaire. 


GCXLI 


M™^  Isidore  Geoffroy  Saint-Hilaire. 

Remerciements  au  nom  de  l'OEuvre  des  Crèches. 

Paris,  jeudi  à  midi,  5  octobre  1848. 

Je  n'ai  pu,  Monsieur,  répondre  que  par  mon  émotion  à  Madame 
David,  quand  elle  m'a  remis  votre  don  magnifique  pour  nos 
crèches.  Cependant,  dussé-je,  sous  l'impression  de  la  vive  sensi- 
bilité que  j'éprouve,  vous  offrir  trop  incomplètement  ma  recon- 
naissance, je  cède  au  besoin  de  vous  l'exprimer  dès  ce  moment. 

En  recevant  de  vous,  Monsieur,  ce  secours  pour  nos  pauvres 
petits  enfants,  j'ai  versé  de  douces  larmes.  Mais  je  sens^,  sans 
m'en  accuser,  qu'elles  ne  coulaient  pas  seulement  à  la  pensée  du 
bienfait  qui  venait  ainsi  trouver  ces  innocentes  créatures  dans 
leurs  berceaux  si  dénués.  Elles  coulaient  encore  à  la  pensée, 
dont  mon  cœur  jouissait,  dans  ses  sentiments  pour  vous  :  à  celle 
qui  montre,  par  une  noble  exception,  le  génie  se  préoccupant 
des  souffrances  du  pauvre,  et  descendant,  de  sa  sphère  élevée, 
aux  détails  les  plus  touchants  de  la  bienfaisance  ! 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  283 

Je  suis  déjà  unie  bien  profondément,  Monsieur,  à  la  gratitude 
que  vous  portera  l'œuvre  des  Crèches  du  XII"  arrondissement  ; 
mais  je  vous  en  dois  une  toute  particulière  pour  le  bonliour 
d'être  la  distributrice  de  vos  si  larges  charités  :  sentant  bien, 
dans  toute  Ihumilité  de  mon  peu  de  valeur,  que  les  leçons 
données  à  nos  jeunes  générations  leur  arriveront  par  les  exemples 
de  nos  grands  citoyens,  comme  aussi  par  le  souvenir  des  belles 
actions  transmises  à  la  postérité  par  le  ciseau  de  l'homme  de 
cœur  et  de  génie  dont  je  bénis  le  nom,  sans  le  tracer  ici. 

Agréez,  Monsieur,  tous  mes  sentiments,  et  veuillez  qu'en  les 
adressant  je  ne  sépare  pas  de  vous  M"^  David,  que  j'ai 
embrassée  ce  matin  dans  une  effusion  bien  sincère. 

P.  Geoffroy  Saim-Hilaire. 

Collection  David  d'Angers. 


GCXLII 


David  à  Victor  Pavie. 

Désintéressement  du  maître.  —  Abandon  de  son  indemnité  de  représentant 
aux  bureaux  de  bienfaisance.  —  Variétés  littéraires. 

Paris,  26  octobre  1848. 

Cher  Victor, 

Il  y  a  quelque  temps  déjà  que  j'ai  envoyé  un  mois  de  mon 
traitement  de  représentant  à  la  salle  d'asile  d'Angers.  L'indem- 
nité de  ce  mois-ci  va  parvenir  aux  bureaux  de  bienfaisance  de 
notre  ville.  Durant  tout  le  tems  que  je  serai  à  la  représentation, 
je  veux,  comme  par  le  passé,  que  mon  indemnité  soit  versée  aux 
bureaux  de  bienfaisance.  En  agissant  ainsi,  je  rentrerai  dans 
mon  atelier  sans  devoir  un  seul  denier  à  la  République,  que  j'ai 
toujours  aimée  et  servie  avec  un  désintéressement  que  je  con- 
sidère comme  mon  devoir,  mais  dont  peu  de  personnes  connaî- 
tront toute  l'étendue. 

Si  tu  peux  te  procurer  le  Courrier  ou  la  Réforme  du  18  août 
18i8,  tu  liras  un  article  que  j'ai  fait  paraître  sur  l'Arc  de  triomphe 
de  l'Étoile. 

J'espère  bientôt  t'envoyer  deux  Almanachs  dans  lesquels  j'ai 


284  DAVID  D'ANGERS 

fait  paraître  deux  articles,  l'un  sur  David,  le  peintre  révolution- 
naire, l'autre  sur  un  Factionnaire  oublié  par  ses  camarades. 

Il  y  a  un  certain  tems,  on  m'avait  écrit  d'Angers  pour  me  de- 
mander quelques  articles  pour  une  Revue  mensuelle;  je  n'en  ai 
plus  entendu  parler.  Est-ce  qu'une  publication  littéraire  ne  pour- 
rait pas  être  entreprise  de  nouveau  ?  Y  aurait-il  trop  d'apathie 
dans  notre  cher  Anjou? 

Adieu,  ami,  soyez  toujours  heureux. 

A  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavîe.  —  Le  statuaire  a  laissé  sur  Louis  David,  le  peintre, 
diverses  études.  Une  notice  assez  étendue,  dont  le  manuscrit  autographe 
avait  été  offert  à  Victor  Pavie,  a  été  reproduite  dans  l'ouvrage  David  cV An- 
gers, etc.,  t.  If,  pp.  162-166. 


CGXLIII 


David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  abandonne  la  vie  politique.  —  Lamartine,  Victor  Hugo,  Lamen- 
nais à  la  Constituante.  —  Souvenir  de  Platon.  —  Les  OEuvres  d'Aloysius 
Bertrand . 

Paris,  7  juin  1849. 

Je  suis  bien  en  retard,  mon  cher  Victor,  pour  répondre  aux 
lettres  que  j'ai  reçues  de  toi,  et  qui  me  rendent  bien  heureux^ 
sois  en  certain,  car  personne  n'apprécie  mieux  que  moi  toute  la 
puissance  et  la  sincérité  de  ton  amitié  pour  moi;  et  si  ma  réponse 
est  si  tardive,  ce  n'est  pas  faute  de  penser  à  toi,  mais  le  torrent 
d'affaires  que  tu  comprends  fort  bien  est  mon  excuse. 

Enfin,  je  viens  de  rentrer  dans  mon  atelier;  j'ai  besoin  de 
vivre  avec  de  vrais  grands  hommes. 

Deux  poètes  de  génie  siègent  sur  les  bancs  de  l'Assemblée  natio- 
nale, mais  sans  comprendre  ni  l'un  ni  l'autre  la  haute  mission 
qui  leur  était  assignée.  L'un,  élevé  dans  des  idées  de  vaine  gran- 
deur, n'a  pas  assez  d'émotion  dans  le  cœur  pour  la  sainte  cause 
du  peuple,  et  alors  il  ne  peut  entrer  profondément  dans  les  en- 
trailles de  notre  société  haletante.  C'est  un  sublime  naturaliste 
qui  décrit  ce  qu'il  voit  avec  son  génie  poétique;  mais  encore  une 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  285 

fois,  le  cœur  chez  lui  n'est  pas  impressionné.  Selon  moi,  une 
phrase  de  Tun  de  ses  ouvrages  (les  Confidences)  le  fait  parfaite- 
ment bien  comprendre  et  peint  tout  l'homme  ;  c'est  lorsqu'à 
propos  de  cette  Napolitaine  qui  l'aimait  jusqu'à  mourir  pour  lui, 
il  dit  :  ((  J'étais  le  miroir  dans  lequel  venaient  se  refléter  les 
rayons  brûlants  de  l'àme  ardente  de  cette  jeune  fille,  mais  je  ne 
faisais  que  les  refléter...  » 

Au  moins  cette  haute  intelligence  a  toujours  eu  do  nobles 
accents.  Jamais  la  bassesse  et  le  sensualisme  ne  l'ont  effleurée; 
mais  encore  cette  distinction  de  sentimens  ne  s'accentue  que 
trop  par  le  luxe  des  voitures,  des  valets,  et  c'est,  selon  moi,  mal 
comprendre  la  véritable  noblesse. 

L'autre,  d'une  nature  plus  sensuelle,  ne  sait  pas  s'élever  au- 
dessus  de  la  vanité  bourgeoise.  Il  tient  plus  à  ce  titre  de  comte, 
que  Napoléon  jetait  volontiers,  avec  dédain,  à  ses  soldats,  qu'au 
don  si  rare,  si  précieux,  que  la  nature  a  déposé  en  lui  avec  tant 
de  générosité.  Son  ambition  va  jusqu'à  l'habit  de  pair,  et  il 
déserte  cette  grande  cause  populaire  qui  devrait  être  la  sienne, 
puisqu'il  est,  somme  toute,  un  enfant  du  peuple.  Quand  on  voit 
son  appartement,  on  est  saisi  par  cette  pensée  que  celui  qui 
s'entoure  des  vieilles  défroques  des  siècles  passés  est  incapable  de 
saisir  ce  qu'il  y  a  de  grand,  de  sublime,  dans  l'époque  à  laquelle 
nous  appartenons;  notre  temps  est  la  réalité  :  le  passé  est  une 
ombre. 

Depuis  une  année,  j'ai  profondément  gémi  sur  ces  deux 
hommes.  J'ai  souffert  pour  leur  gloire  seulement,  car  la  Révolu- 
tion qui  va  changer  la  face  du  vieux  monde  est  un  de  ces  faits 
trop  puissants,  trop  en  harmonie  avec  les  aspirations  des  sociétés 
modernes  pour  que  son  sort  dépende  de  la  résistance  ou  de 
l'appui  de  quelques  hommes.  On  a  pu,  je  le  reconnais,  opposer 
pendant  quelques  années  une  digue  au  torrent,  mais  le  torrent 
franchira  la  digue;  il  entraînera  toutes  les  barrières. 

Platon  avait  bien  raison  d'exclure  de  sa  république  les  poètes 
et  les  artistes;  ils  ne  sont  bons,  le  plus  souvent,  qu'à  être  les 
valets  des  rois. 

M.  de  Lamennais  n'a  pas  manqué  à  sa  noble  mission  évangé- 
lique.  Il  est  toujours  le  véritable  apôtre  de  la  cause  du  peuple; 
c'est  là,  selon  moi,  la  religion  pratique  et  en  rapport  avec  la 
dignité  humaine.  Mille  fois  honneur  à  cette  àme  d'éUte  ! 


286  DAVID  D'ANGERS 

Pourrais-tu,  cher  ami,  me  trouver  à  acheter  les  OEuvres  de 
Bertrand  ?  J'avais  prêté  mon  exemplaire  à  Lamartine;  tu  conçois 
qu'il  est  perdu,  et  cependant  je  voudrais  en  avoir  un. 

Adieu,  soyez  heureux  et  pensez  quelquefois  à  nous,  qui  ne 
vous  oublierons  Jamais. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

DAvm  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


CGXLIV 

David  à  Victor  Pavie. 

Rêverie.  —  Le  pic  du  Midi.  —  Le  prêtre  géologue.  —  Henri  de  Nerbonne. 

Paris.  23  novembre  1849. 

Cher  Victor, 

Me  voilà  tout  à  fait  immergé  dans  les  brouillards  parisiens, 
pensant  aux  choses  admirables  que  j'ai  vues,  si  émouvantes,  que 
mon  âme  les  perçoit  encore,  malgré  l'effrayant  contraste  que  j'ai 
continuellement  sous  les  yeux.  Ainsi,  lorsque  la  nuit  je  fume 
mon  cigare  sur  ma  terrasse,  les  nuages  blancs  qui  s'accumulent 
à  l'horizon  me  font  songer  aux  Pyrénées;  les  tuyaux  de  chemi- 
née me  produisent  l'effet  de  mâts  de  vaisseaux,  et  de  la  sorte, 
durant  quelques  minutes,  de  douces  illusions  viennent  me  con- 
soler. Bientôt  la  neige  va  blanchir  les  toits,  mais  je  ne  retrou- 
verai pas  la  saisissante  impression  que  j'ai  gardée  d'un  lever  du 
soleil,  que  j'ai  attendu  pendant  toute  une  nuit  sur  le  pic  du 
Midi^  au  milieu  d'une  neige  éternelle. 

J'ai  fait  une  rencontre  dans  les  Pyrénées,  en  allant  à  Gavarnie, 
dont  je  ne  perdrai  jamais  le  souvenir.  C'est  celle  d'un  prêtre 
que  j'avais  aperçu  à  une  grande  profondeur,  près  d'un  torrent. 
Il  était  accompagné  de  deux  jeunes  ecclésiastiques.  Cet  homme 
est  un  savant  géologue,  qui  ne  craint  pas  d'affaiblir  sa  foi  reli- 
gieuse s'il  constate,  en  lisant  dans  le  grand  livre  de  la  nature, 
que  le  globe  est  plus  ancien  qu'on  ne  l'a  cru  généralement,  et 
qu'il  y  a  eu  plusieurs  déluges...  11  ne  craint  pas  de  contempler 
l'univers  et  de  réchauffer  son  cœur  à  ce  grand  spectacle. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  287 

Je  regrette  bien  que  les  trop  courts  instants  passés  avec  lui 
doivent  être  probablement  les  seuls  qu'il  me  soit  permis  d'es- 
pérer. 

L'Espagne,  cher  ami,  est  un  pays  qu'il  faut  visiter.  C'est  le 
grandiose  dans  sa  plus  saisissante  expression.  Là,  comme  par 
toute  l'Europe,  il  se  fait  un  mouvement  intellectuel  qui  partici- 
pera énergiquement  au  grand  mouvement  que  l'humanité  se 
prépare  à  effectuer. 

Les  regrets  que  tu  exprimes  sur  la  perte  de  Nerbonne  doivent 
être  légitimes,  car  s'il  a  conquis  l'affection  d'un  homme  tel  que 
toi,  il  faut  bien  qu'il  l'ait  méritée.  Quant  à  moi,  je  ne  le  connais- 
sais pas  assez  pour  me  faire  une  idée  bien  juste  de  sa  valeur. 

Adieu,  cher  ami,  rappelle  Emilie  au  bon  souvenir  de 
M'"'=Pavic;  ne  nous  oublie  pas  auprès  de  tes  bons  parents,  et 
aime-moi  comme  je  t'aime. 

A  toi  de  cœur, 

DAvm  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


GGXLV 


David  à   Victor    Pavie. 

Les  bas-reliefs  du  monument  de  Larrey.   —  La   statue  de  Gerbert.  — 
Bernardin  de  Saint-Pierre.  — François  Grille. 

Paris,  11  avril  1850. 

Mon  cher  Victor, 

Je  ne  sais  comment  m'excuser  du  long  retard  que  j'ai  mis  à 
l'écrire.  Chaque  jour,  je  me  fais  d'amers  reproches  de  cette  ap- 
parente négligence,  puis  les  heures,  les  mois  s'écoulent,  et  mon 
tort  devient  plus  grand.  Ce  n'est  certainement  pas  faute  dépen- 
ser à  toi,  car  il  n'est  pas  de  jour  que  je  ne  te  fasse  dans  mon 
cœur,  dans  mon  esprit,  de  longues  lettres  qui,  comme  de  juste, 
ma  paresse  aidant,  restent  dans  le  néant  ou  vont  se  perdre  au 
milieu  du  chaos  des  occupations  qui  viennent  m'assaillir. 

Emilie  et  Robert  sont  allés  durant  les  vacances  de  Pâques  à 
Londres.  Le  pauvre  garçon  a  été  horriblement  malade  .sur  mer. 


288  DAVID  D'ANGERS 

A  l'entendre,  il  ne  veut  plus  mettre  le  pied  sur  un  bâtiment, 
mais  à  la  première  occasion...  Selon  toutes  probabilités,  il  aura 
la  joie  de  passer  quelques  jours  auprès  de  toi  dans  notre  cher 
Anjou. 

Je  suis  actuellement  occupé  à  terminer  le  dernier  bas-relief 
du  piédestal  de  la  statue  de  Larrey.  Malheureusement,  je  me  vois 
forcé  de  suspendre  pendant  quelque  temps  ce  travail,  par  suite 
de  douleurs  rhumatismales  qui  me  font  beaucoup  souffrir.  Lors- 
que le  fondeur  aura  terminé,  j'enverrai  les  modèles  à  Angers. 
Les  sujets  de  ces  bas-reliefs  sont  :  la  Bataille  des  Pyramides, 
le  Passage  de  la  Bérésina,  la  Bataille  d'Austerlitz  et  celle  de 
Sommo-Sierra.  Partout  le  courageux  chirurgien  est  représenté 
pansant  les  blessés  sous  le  feu  des  combattants.  Ce  travail  m'a 
intéressé  :  c'est  la  vie,  le  mouvement,  et  cela  aurait  pu  prêter  au 
pittoresque  plastique. 

Après  ce  monument  terminé,  je  reprendrai  Gerbert,  qui  gémit 
depuis  plusieurs  années,  engourdi  sous  les  linges  mouillés 
comnie  un  enfant  dans  de  vieux  langes.  Puis  viendra  enfin  le 
tour  de  mon  cher  Bernardin  de  Saint-Pierre,  celui  qui  me 
tenait  le  plus  au  cœur,  et  celui  qu'une  fatalité  ajourne  toujours! 

Adieu,  cher  ami.  A  toi  de  cœur, 

David   d'Angers. 

P.  S.  —  Je  viens  de  lire  avec  un  bien  vif  intérêt  l'ouvrage  que 
Grille  a  publié  sur  le  Premier  bataillon  de  Mayenne-et-Loire . 

Collection  Pavie.  —  Le  monument  de  Gerbert,  pape  sous  le  nom  de 
Sylvestre  II,  érigé  à  Aurillac,  a  été  inauguré  le  16  octobre  18S1.  (Musées 
d'Angers,  pp.  117-118.  David  cV Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  450-453,  503,  521;  t.  II, 
pp.  505-50G.)  11  est  parlé  précédemment  du  livre  de  François  Grille  auquel 
fait  allusion  David. 


GCXLVI 


David  à  Victor  Pavie. 

Robert  David.  —  Le  monument  de    Gerbert.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre. 
—  Souvenirs  de  1811.  —  Histoire  anecdotique  d'une  statue.  —  La  veuve 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  289 

de  Bernardin  de  Saint-Pierre  dans  l'atelier  du  maître. —  Le  Musée  David 
à  la  lumière  nocturne.  —  Gheverus.  —  Mathieu  de  Dombasle. 

Paris,  12  août  1850, 

Cher  ami, 

Je  ne  puis  laisser  partir  Emilie  sans  lui  donner  cette  lettre 
pour  toi  ;  c'est  un  souvenir  que  je  suis  toujours  heureux  de  te 
faire  parvenir,  et  c'est  aussi  un  remerciement  pour  la  lettre  que 
j'ai  reçue  de  toi  il  y  a  peu  de  jours.  Ma  famille  va  donc  avoir  le 
bonheur  de  voir  notre  bien-aimé  pays,  notre  chère  «  Capoue 
moderne  ».  Robert  va  jouir  du  benedetlo  far  niente.  Dis-lui,  je 
t'en  prie,  et  souvent,  qu'il  ne  faut  pas  qu'il  s'endorme  trop 
longtemps  dans  les  douceurs  amollissantes  delà  vie;  qu'il  pense 
à  choisir  une  profession,  à  acquérir  de  la  gloire,  si  cela  est  pos- 
sible, ou  tout  au  moins  à  se  rendre  indépendant  (par  son  talent) 
des  circonstances  qui  peuvent  lui  ravir  sa  fortune.  On  entrevoit 
à  l'horizon  des  nuages  précurseurs  des  tempêtes. 

On  moule  actuellement  deux  statues  dont  je  viens  de  terminer 
le  modèle  :  celle  de  Gerbert  (Silvestre  II)  et  celle  de  mon  cher 
Bernardin  de  Saint-Pierre.  J'éprouvais  des  transes  mortelles,  tant 
je  craignais  de  ne  pouvoir  faire  cet  ouvrage.  Lorsque  je  reçus  à 
l'Institut  ma  couronne  pour  le  prix  de  Rome,  l'illustre  vieillard 
était  présent.  Je  ne  puis  rendre  l'émotion  que  je  ressentis  en 
voyant  l'homme  dont  les  ouvrages  m'avaient  si  souvent  exalté. 
Au  cours  de  mes  nuits  studieuses,  lorsque  j'habitais  la  rue  des 
Gordiers,  près  du  Panthéon,  s'il  advenait  que  la  fatigue  et  le 
sommeil  fussent  sur  le  point  de  triompher  de  mon  couragC;,  je 
lisais  quelques  pages  de  Paul  et  Virginie  ou  bien  à.'Atala.  Des 
larmes  abondantes  inondaient  mon  visage,  et  la  réaction  était 
produite.  Je  me  remettais  à  l'ouvrage.  En  voyant  Bernardin  de 
Saint-Pierre  témoin  de  mon  triomphe,  auquel  il  avait  si  puissam- 
ment coopéré  par  son  chef-d'œuvre,  je  me  suis  promis  d'élever 
un  monument  à  cet  homme.  J'ai  fait  de  même  pour  Chateau- 
briand. A  la  vérité,  je  ne  lui  ai  offert  qu'un  buste;  en  revanche, 
mes  ressources  pécuniaires  m'ont  permis  de  faire  cette  offre  sans 
le  secours  d'autrui.  Quant  à  la  statue  de  Bernardin  de  Saint-Pierre, 
les  frais  du  bronze  étant  considérables,  j'ai  dû  avoir  recours  aux 
Havrais,  auxquels  je  proposai  ma  composition  à  titre  gratuit. 
Mais  comment  dirai-je  toutes  les  lettres,  les  démarches  qu'il  m'a 
fallu  faire  depuis  18i!2,  pour  obtenir  cette  faveur  qu'on  m'accorde 

19 


290  DAVID  D'ANGERS 

enfin!  C'est  quelque  chose  d'inouï.  On  avait  ouvert  une  sous- 
cription qui  n'a  presque  rien  produit.  C'est  alors  que  des  amis  à 
moi,  fixés  au  Havre,  m'appelèrent,  et  je  fus  conduit  par  eux  chez 
leurs  compatriotes  millionnaires.  Là,  nous  étions  obligés  de 
faire  antichambre  ;  puis  on  nous  accordait  un  moment  d'au- 
dience; à  grand'peine  recevais-je  l'accueil  que  l'on  fait  à  un  im- 
portun. On  me  répétait  :  «  La  ville  est  engagée  dans  des  opéra- 
tions importantes.  Bernardin  de  Saint-Pierre  était,  sans  doute, 
un  bon  écrivain,  mais  il  n'a  laissé  qu'un  petit  volume  qu'on  lit 
avec  quelque  plaisir,  à  la  vérité,  Paul  et  Virginie,  mais  encore 
une  fois,  il  paraît  difficile  de  réaliser  une  somme  convenable 
pour  lui  élever  un  monument.  Ne  serait-il  pas  plus  opportun 
d'élever  une  statue  à  François  I"?..  »  Et  je  m'en  revenais  à 
Paris  l'âme  brisée. 

Enfin,  Casimir  Delavigne  mort,  mon  ami  Corbière  (l'auteur 
des  Romans  maritimes)  me  dit  :  ((  Offre-leur  le  modèle  de  Casi- 
mir, et  Bernardin  passera  par-dessus  le  marché.  » 

J'ai  suivi  son  conseil,  et  l'affaire  est  actuellement  conclue.  Il  ne 
faut  pas  cependant  croire  que  la  souscription  relative  à  la  statue 
de  Delavigne  ait  produit  une  somme  énorme.  En  dépit  de  l'en- 
thousiasme que  le  poète  avait  inspiré  par  son  libérahsme 
«  bâtard  »  aux  armateurs,  ses  compatriotes,  c'est  à  peine  si  les 
fonds  recueillis  ont  suffi  à  payer  maigrement  le  fondeur.  Mais 
qu'importe?  Je  pouvais  me  mettre  à  l'œuvre  pour  la  seconde  sta- 
tue; c'était  l'essentiel.  Un  jour  que  la  veuve  de  l'auteur  des 
Études  de  la  Nature  vint  me  voir,  elle  me  dit  :  «  Je  sais  tout  ce 
que  vous  faites  pour  la  mémoire  de  Bernardin  de  Saint-Pierre, 
permettez  que  je  vous  remette  ces  six  billets  de  mille  francs;  ce 
n'est  pas  un  paiement,  je  le  sais,  mais  cela  vous  aidera  toujours 
à  couvrir  vos  premiers  frais.  »  Je  n'acceptai  pas  ses  billets,  la 
priant  de  les  faire  parvenir  au  maire  du  Havre  pour  qu'ils 
fussent  employés  aux  dépenses  de  la  fonte.  Elle  se  rendit  à  mon 
observation.  Je  lui  fis  voir  alors  mon  modèle,  qui  l'émut  vive- 
ment. Un  mois  après,  elle  était  morte.  La  pauvre  femme  était 
tellement  malade  lorsqu'elle  vint  me  voir,  qu'elle  s'était  fait 
porter  de  sa  voiture  à  mon  atelier. 

As-tu  jamais  eu  la  pensée  d'aller  voir  notre  Musée  la  nuit, 
lorsque  la  lune  y  répand  sa  clarté? Ce  doit  être  d'un  effet  curieux. 
Tous  ces  portraits  de  grands  hommes,  cette  immobilité  plastique 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  291 

de  tant  de  gloires,  sur  un  seul  point  de  notre  Anjou,  sont  de 
nature  à  frapper  l'imagination. 

Une  nuit,  je  me  suis  avisé  de  recueillir  dans  mon  atelier  les 
impressions  que  faisait  naître  en  moi  la  statue  do  mon  petit 
Barra,  éclairée  par  les  rayons  lunaires.  Si  je  l'ose,  un  jour,  je 
t'enverrai  ce  manuscrit  et  quelques  autres  qui  te  sont  destinés  et 
que  j'ai  rédigés  sous  forme  do  lettres.  Je  pense  souvent  à  toi, 
cher  ami;  il  n'y  a  pas  un  de  mes  ouvrages  qui  n'ait  été  créé  à 
travers  ton  souvenir.  Tant  que  mon  cœur  battra  dans  ma  poi- 
trine, ses  plus  chères  préoccupations  seront  toujours  pour  toi. 

Dis  donc,  pourquoi  n'as-tu  pas  assisté  à  l'inauguration  de  la 
statue  de  Ghcverus?  Le  caractère  de  ce  prêtre  devait  être  compris 
par  toi,  car  il  était  tolérant  et  plein  de  charité  pour  la  pauvre  et 
infirme  humanité.  Il  a  bien  fallu,  d'ailleurs,  qu'il  m'apparût 
sous  cet  aspect,  car  je  choisis  mes  héros  ! 

Vers  les  premiers  jours  de  septembre,  on  va  inaugurer  à 
Nancy  la  statue  de  Mathieu  de  Dombasle,  La  charrue  y  apparaî- 
tra sur  un  piédestal  auprès  de  l'agronome.  Je  ne  ferai  jamais  la 
statue  d'un  industriel;  ce  sont  les  gens  de  négoce  qui  cor- 
rompent et  démoralisent  les  nations.  Quand  les  Romains  ont 
abandonné  la  charrue  pour  se  livrer  au  commerce,  ils  ont  eu  des 
empereurs,  des  maîtres. 

Présente  mes  respectueux  hommages  à  Madame  Pavie  et  crois 
toujours  à  tous  mes  sentiments  de  cœur  et  d'àme  pour  toi. 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  Il  est  longuement  parlé  des  veilles  du  maître,  durant 
ses  années  d'études,  dans  l'ouvrage  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  42-45. 
La  visite  de  la  veuve  de  Bernardin  de  Saint-Pierre  à  l'atelier  de  David  eut 
lieu  en  novembre  1847.  On  sait  que  M'""  Bernardin  de  Saint-Pierre,  veuve 
en  1814,  avait  épousé  en  secondes  noces  Aimé  Martin,  le  fidèle  disci- 
ple de  l'auteur  de  Pf«<^  et  Virginie.  Aimé  Martin  mourut  le  22  juin  1847, 
M""=  Aimé  Martin  ne  survécut  à  son  mari  que  quelques  mois.  Elle  suc- 
comba au  mois  de  novembre  de  la  même  année.  Au  moment  où  nous 
reporte  David,  M«"=  Aimé  Martin,  veuve  pour  la  seconde  fois,  redevient, 
au.Y  yeux  du  statuaire,  la  femme  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  dont  elle  ne 
cessa  d'ailleurs  d'honorer  la  mémoire,  secondée  dans  cette  tâche  par  le 
zélé  de  son  second  mari.  La  séance  à  laquelle  David  reçut  le  grand  prix  do 
Rome  en  présence  de  l'Institut  et  sous  les  yeux  do  Bernardin  de  Saint- 
Pierre  eut  lieu  le  ii  octobre  1811.  Le  secrétaire  perpétuel  donna  lecture,  au 
cours  de  cette  réunion,  de  l'éloge  de  Cliandct. 


292  DAVID  D'ANGERS 

GGXLVII 
David  à  Victor  Pavie. 

La  Sainte  Cécile.  —  Appel  d'ami. 

Paris,  12  décembre  1850. 

Je  te  remercie  beaucoup,  mon  cher  Victor,  de  m'avoir  fait 
connaître  sans  retard  le  résultat  heureux  de  ta  négociation  en 
faveur  de  ma  pauvre  Sainte  Cécile.  Enfin,  elle  rentrera  donc  dans 
son  sanctuaire,  celui  qui  lui  avait  été  destiné  avec  tant  d'accord, 
et  même  avec  un  certain  enthousiasme,  si  J'ai  bonne  mémoire. 
De  mon  vivant,  du  moins,  je  n'essuierai  pas  un  affront  si  cruel. 

Emilie  m'a  dit  que  tu  avais  l'intention  de  venir  à  Paris  avec 
]y[rae  Pavie  pour  y  passer  quelques  jours.  Nous  retirerons  le  sinet 
du  livre,  ce  livre  de  causeries  intimes  que  j'aime  tant  à  lire  avec 
toi  ;  nous  reprendrons  les  premiers  chapitres,  où  il  y  a  tant  de 
pages  douces  à  mon  cœur,  par  leurs  souvenirs. 

Adieu.  Mille  bonheurs  à  vous  tous. 
A  toi  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  La  négociation  heureusement  conduite  par  l'ami  du 
maître  eut  pour  objet  de  faire  réintégrer  dans  le  chœur  de  la  cathédrale 
d'Angers  la  statue  de  sainte  Cécile,  momentanément  privée  de  la  place 
qu'elle  occupait,  par  suite  d'aménagements  intérieurs. 


GGXLYIII 


David  à  Victor  Pavie. 

L'air  natal.  —  Pressentiments.  —  L'inauguration  du  Gerbert.  —  La  statue 
de  Drouot.  —  Deuxième  statue  de  Bichat.  —  Beaurepaire. 

Paris,  12  août  1851. 

Gher  ami, 

Ges  quelques  mots  de  souvenir  vont  t'être  remis  par  Emilie  et 
nos  enfants.  Ils  vont  respirer  ce  bon  air  de  notre  cher  pays  que 
j'aimerais  tant  respirer  moi-même  et  qui  me  ferait  tant  de  bien 
au  cœur.  Ils  vont  enfin  pouvoir  passer  quelques  instants  auprès 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  293 

de  toi  et  de  M™=  Victor;  ils  verront  tes  enfants,  que  je  voudrais 
serrer  contre  mon  cœur  avant  de  quitter  la  vie.  A  son  retour, 
tout  mon  monde  me  rapportera  vos  souvenirs.  Ce  n'est  pas  évi- 
demment tout  ce  que  je  souhaiterais,  mais  il  me  faut  prendre 
patience.  Un  jour  peut-être  je  vous  irai  voir  chez  vous  ;  mais, 
hélas  !  alors  mes  pas  traînants,  comme  ceux  d'un  homme  qui 
approche  de  la  tombe,  en  raison  de  l'amitié  que  tu  me  portes, 
éveilleront  chez  toi  de  tristes  pensées.  11  en  sera  ce  que  la  Provi- 
dence décidera. 

Je  viens  de  terminer  le  dernier  des  trois  grands  bas-reliefs 
qui  doivent  décorer  le  piédestal  du  Gerbert.  L'inauguration  du 
monument  aura  lieu  dans  le  mois  d'octobre. 

La  statue  de  Drouot  est  presque  achevée,  et  j'ai  composé  celle 
de  Bichat,  qui  doit  décorer  la  cour  de  l'École  de  médecine;  je  ne 
te  parle  pas  de  la  composition,  car  je  crois  que  tu  la  connais.  Je 
ferai  cette  statue  cet  hiver,  ainsi  que  celle  de  Beaurcpaire.  Nous 
verrons  si  nos  compatriotes  auront  assez  d'énergie  pour  élever 
un  monument  à  un  homme  qui  a  laissé  un  si  noble  exemple  de 
patriotisme. 

Adieu,  cher  ami.  A  toi  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

CollecLlon  Pavie.  —  La  statue  de  Bichat,  destinée  à  l'Ecole  de  médecine 
de  Paris,  fut  esquissée  en  1851.  David,  entravé  par  l'exil  et  la  maladie,  ne 
put  donner  ses  soins  comme  il  l'eût  souhaité  à  l'exécution  du  modèle  défi- 
nitif. Fondue  à  l'aide  du  produit  d'une  souscription  nationale,  la  statue 
de  Bichat  fut  inaugurée  plus  d'une  année  après  la  mort  du  statuaire,  le 
16  juillet  1837.  {Musées  d'Angers,  pp.  118-119.) 


GGXLIX 
David  à  sa  femme. 

Le  coup  d'État. 

Du  dépôt  de  la  Préfecture.  Pistole  n'  7. 

Mardi.  0  décembre  1S5I. 

Chère  amie. 
Je  suis  à  la  Préfecture  de  police. 
Je  vous  embrasse  tous.  A  toi  de  cœur, 

Pierre-Jean  David  d'Angers. 

Colleclion  David  d'Anrjcrs. 


294  DAVID  D'ANGERS 

GGL 

David  à  son  fils  Robert. 

La  carrière  médicale.  —  Les  joies  de  la  famille.  —  Antoine  de  Potter. 

Bruxelles,  24   février  1852. 

Je  désire  beaucoup,  mon  cher  Robert,  que  cette  lettre  te 
trouve  en  bonne  santé,  car  tu  as  besoin  de  santé  pour  tes  études. 

Je  crois,  d'après  ce  que  je  lis  dans  les  journaux,  que  les  jours 
gras  doivent  être  très  bruyants  à  Paris.  Ici,  ils  sont  presque  nuls; 
nos  bons  Belges  s'agitent  beaucoup  comme  des  pots  de  bière 
qui  se  heurtent.  Ils  n'ont  pas  comme  nous  autres  Gaulois  cette 
furia  qui  nous  ferait  danser  sur  le  bord  d'un  précipice. 

Ma  santé  est  assez  bonne,  malgré  quelques  malaises  qui  me 
font  craindre  ou  la  grippe  ou  un  rhume^  mais  ce  n'est  pas  de 
longue  durée,  et  j'en  suis  très  heureux,  car  notre  providentielle 
Thérèse  n'est  pas  là  pour  me  donner  ses  bons  soins.  Je  pense 
que  tous  ces  malaises  sont  la  conséquence  de  mon  rhumatisme 
qui  me  tourmente  continuellement,  et  qui  est  ravivé  par  l'humi- 
dité incessante  de  ce  maudit  pays,  bien  nommé  Pays  bas. 

Quand  je  vois  mon  ancien  collègue,  M.  Laussedat,  s'être  fait 
une  position  ici,  par  sa  profession  de  médecin,  je  m'applaudis  dé 
ta  résolution  de  suivre  cette  carrière.  Elle  offre  une  puissante 
ressource  au  milieu  des  tourmentes  politiques,  et  l'on  y  peut 
conquérir  un  brillant  avenir. 

Sois  bien  docile  envers  ta  bonne  mère  ;  prodigue-lui  tous  tes 
soins,  toute  ton  affection.  L'avenir  te  convaincra  que  nous  n'a- 
vons pas  d'amie  plus  tendre,  plus  désintéressée  que  notre  mère. 
C'est  le  don  le  plus  précieux  du  ciel,  et  je  pleure  quelquefois  bien 
amèrement;  lorsque  je  me  souviens  que,  sans  y  prendre  garde, 
j'ai  pu  causer  à  la  mienne  quelques  chagrins  par  mon  irrita- 
bilité. Sois  également  bon  avec  ta  sœur  :  c'est  encore  une  amie 
qui  ne  te  fera  pas  défaut,  tandis  que  les  autres  t'abandonneront, 
si  le  sort  te  devient  contraire,  car  le  bonheur  est  aveugle  et 
changeant  sur  cette  terre  de  continuelle  misère. 

J'attends  avec  une  grande  impatience  l'instant  de  me  réunir  à 
vous,  mes  bons  amis.  Il  n'y  a  de  vrai  au  monde  que  les  joies 
de  la  famille. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  295 

La  famille  de  Potter  pense  à  toi  et  s'est  vivement  intéressée  à 
ta  santé.  Elle  a  été  heureuse  d'apprendre  que  ton  indisposition 
n'avait  pas  eu  de  suite.  Eleuther  est  un  charmant  garçon  que 
j'aime  beaucoup;  il  est  très  studieux,  et,  la  nature  aidant,  il 
pourra  devenir  un  homme  de  talent. 

Adieu,  mon  cher  Robert,  je  t'embrasse  de  tout  mon  cœur. 
Tout  à  toi, 

David  d'Angers. 

Collection  David  d'Angers.  —  Cette  lettre,  datée  de  Bruxelles,  est  la  pre- 
mière que  le  maître  ait  adressée  à  son  iils,  après  la  sentence  d'exil  portée 
contre  lui,  au  lendemain  du  coup  d'État.  Aimé  Laussedat,  nommé  ici, 
avait  été  frappé  comme  David  de  la  peine  du  bannissement.  Établi  à 
Bruxelles,  Laussedat  fonda  dans  cette  ville  le  journal  Y  Art  médical,  et  fut 
élu  associé  de  l'Académie  de  médecine  de  Belgique.  Il  est  parlé  plus  haut 
d'Antoine  de  Potter,  dans  le  commentaire  d'une  lettre  de  septembre  1837. 
On  peut  consulter,  sur  l'exil  du  statuaire,  l'ouvrage  David  d'Angers, 
etc.,  t.  I,  pp.  433-486. 


GGLI 
David  à  Victor  Pavie. 

Hemling.  —  Yan  Eyck.  —  Rubens.  —  Le  peuple  belge.  —  Voix  d'en- 
fants. —  Les  monuments  gothiques.  —  Ostende.  —  Du  peu  de  durée  de 
la  gloire.  —  Le  buste  de  La  Fayette.  —  Naufrage  du  David  d'Angers.  — • 
Projet  de  déplacement  du  fronton  du  Panthéon. 

Bruges,  20  mars  1852. 

Bon  et  cher  ami. 

Ta  première  lettre  m'a  été  remise  en  prison  ;  c'était  un  rayon 
de  soleil  traversant  les  barres  de  fer  de  mon  cachot;  ta  dernière 
me  parvient  dans  ma  nouvelle  prison  de  l'exil;  car,  comme 
disait  Danton,  on  n'emporte  pas  la  terre  de  la  Patrie  à  la  semelle 
de  ses  souliers. 

Pour  changer  ma  prison  de  Bruxelles,  j'ai  parcouru  la  Belgique, 
j'ai  passé  huit  jours  à  Bruges.  Tous  les  jours  j'allais  à  l'hôpital 
Saint-.Iean  admirer  les  sublimes  peintures  de  Flemling.  C'était, 
dit-on,  un  soldat  qui,  durant  une  maladie,  fut  recueilli  dans  cet 
hospice  et  soigné  par  les  religieuses.  Avant  de  prendre  congé  de 
ses  bienfaitrices,  il  a  exécuté  les  chefs-d'œuvre  que  nous  admi- 
rons. C'était  payer  en  noble  artiste  la  dette  de  la  reconnaissance. 

Hemling  et  Van  Eyck  sont  les  seuls  maîtres  dignes  de  ce  nom. 


296  DAVID  D'ANGERS 

Comme  les  Rubens  et  ceux  de  son  siècle  sont  boursouflés,  gros- 
siers avec  leurs  prétentions  à  ce  qu'ils  appellent  la  couleur,  et 
tous  ces  tons  verts,  jaunes  et  rouges,  qui  sont  plutôt  l'indice  des 
infirmités  humaines  !  Quelle  différence  avec";mes  maîtres  adorés  1 
Là,  tout  est  dans  la  lumière,  et  cependant  les  figures  ont  une  sail- 
lie inconcevable;  l'imagination  fait  le  reste.  La  chair  des  person- 
nages est  pure  comme  leur  âme;  les  gestes  sont  sobres  de  mou- 
vements et  d'un  dramatique  qui  nous  ravit  par  la  vérité  naïve. 
Ce  trompe-l'œil,  dont  nos  prétendus  coloristes  font  tant  de 
cas,  est  faux  comme  le  mensonge  et  ne  convient  qu'à  de  petits 
tableaux  de  genre.  L'histoire  est  trop  grave  pour  recourir  à  cette 
séduction  des  sens. 

J'ai  vu  avec  intérêt  les  églises  et  les  hôtels  de  ville,  pure  ex- 
pression du  gothique,  dont  chaque  ville  conserve  précieusement 
les  restes.  Les  monuments  religieux,  revêtus  de  la  teinte  des  siè- 
cles, frappent  l'imagination  par  leurs  formes  singulières,  par  l'a- 
bondance de  leurs  sculptures,  par  leurs  nervures,  les  flèches  qui 
peignent  si  bien  la  sombre  et  orageuse  destinée  de  l'homme; 
c'est  de  la  douleur  pétrifiée.  Malgré  moi,  mon  imagination  se 
porte  vers  les  trois  temples  grecs  qui  sont  depuis  des  siècles  dans 
la  plaine  de  Pœstum.  Ils  ont  perdu  leurs  sculptures;  il  n'y  a  plus 
que  le  squelette,  mais  sublime  par  ses  lignes  majestueuses  et 
nobles  ;  ils  ne  menacent  pas  le  ciel  comme  les  monuments  gothi- 
ques qui  semblent  lutter  avec  les  orages  et  vouloir  percer  la  nue; 
mais  ils  sont  en  rapport  avec  un  ciel  qui  les  aime  et  les  protège. 

J'ai  passé  plusieurs  jours  à  Ostende;  dès  le  matin  jusqu'au  soir, 
je  restais  sur  la  jetée  en  bois  qui  s'avance  hardiment  dans  la 
mer.  Là,  tout  seul,  je  vivais  avec  ma  pensée,  hélas  I  aussi  tour- 
mentée que  les  flots  qui  venaient  hurler  contre  la  charpente.  Un 
jour,  j'ai  eu  la  chance  d'assister  à  une  tempête  ;  j'étais  obligé  de 
me  cramponner  à  une  pièce  de  bois  pour  ne  pas  être  emporté  à 
la  mer.  Un  navire  arrive  trop  près  de  la  jetée;  il  est  lancé  sur 
une  des  pièces  de  bois  qu'il  déchire  et  fait  tomber  dans  la  mer. 
Sur  ce  morceau  de  bois,  j'avais  remarqué  une  très  grande 
quantité  de  noms  de  voyageurs,  les  uns  gravés  profondément 
avec  l'acier,  les  autres  plus  modestement  tracés  au  crayon.  Ceux 
qui  les  écrivaient  pensaient  léguer  leur  nom  à  l'avenir.  Eh  bien, 
cette  pièce  de  bois  sera  rejetée  un  jour  sur  le  rivage  :  la  femme 
d'un  pauvre  pêcheur  l'aura  recueillie  pour  préparer  le  repas  et 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  297 

récliauffer  les  membres  engourdis  de  la  famille  ;  voilà  la  gloire  ! 

Me  voilà  de  retour  ici,  traînant  péniblement  ma  vie,  au  milieu 
de  ces  figures  ternes  qui  rappellent  les  eaux  décolorées  des  ca- 
naux boueux  dont  les  villes  de  la  Belgique  sont  sillonnées.  Même 
dans  les  joies  du  carnaval,  les  Belges  ne  parviennent  pas  à  s'a- 
muser; s'ils  s'agitent,  on  dirait  des  pots  de  bière  qui  se  heurtent; 
mais  ma  grande  consolation  est  de  voir  surgir  partout  de  belles 
petites  têtes  blondes  d'enfants.  L'homme,  à  son  aurore,  est  beau, 
mais  lorsque  la  vie  s'est  emparée  de  lui,  les  passions  impriment 
sur  ses  traits  de  hideux  stigmates  qui  affligent  le  regard. 

On  entend  peu  de  musique  dans  ce  pays.   Toutefois,  un   soir, 
traversant  une  rue  de  Louvain,  je  me  suis  senti  profondément 
remué  par  les  enfants  d'une  pension  qui  chantaient  en   chœur  : 
Où  peut-on  être  mieux  qu'au  sein  de  sa  famille  ! 

Ce  chant  naïf,  en  réveillant  chez  moi  de  cruels  souvenirs,  m'a 
fait  pleurer  amèrement  et  passer  une  nuit  bien  douloureuse. 

Mon  cher  ami,  mon  étoile  commence  à  pàhr.  Je  touche  à  la  fin 
de  ma  carrière.  11  y  a  plus  d'un  an  déjà,  un  navire  auquel  les  ha- 
bitants de  Dunkerque  avaient  donné  mon  nom  s'est  perdu  corps 
et  biens  sur  des  rochers  ;  je  viens  de  lire,  dans  un  journal,  que  le 
buste  colossal  du  général  La  Fayette,  que  j'avais  donné  à  l'Amé- 
rique, a  été  totalement  détruit  dans  l'incendie  de  la  bibliothèque 
de  Washington  ;  on  va  démolir  le  fronton  du  Panthéon,  et  enfin 
je  suis  exilé! 

Mais,  mon  ami,  je  m'aperçois  que  je  parle  seulement  de  moi, 
tandis  que  toi  tu  te  trouves  accablé  par  de  vives  douleurs.  Ex- 
cuse, chez  moi,  ce  retour  sur  le  triste  sort  de  l'homme,  durant 
son  pèlerinage  terrestre.  La  mélancolie  ronge  ma  vie  au  moment 
où  je  touche  au  terme  ;  le  malheur  m'empêche  de  réaliser  quel- 
ques ouvrages  que  j'espérais  exécuter.  La  solitude  dans  laquelle 
je  vis  n'est  pas  faite  pour  me  rendre  le  courage  qui  me  permet- 
trait peut-être  de  sortir  vainqueur  de  cette  lutte  suprême. 

Adieu,  adieu,  mon  cher  Victor;  pense  quelquefois  à  ton 
vieil  et  constant  ami, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie .  — Plusieurs  fragments  de  cette  lettre  ont  été  publii'S 
dans  l'ouvrage  Victor  Pavie,  sa  jeunesse,  etc.  Le  fronton  du  Pantiiéon 
fut  menacé,  sinon  d'être  détruit,  tout  au  moins  d'être  transporté  dans  le 
parc  de  Versailles.  (David  d'Angers,  etc.,  1. 1,  pp.  o'J2-o93.) 


298  DAVID  D'ANGERS 


GGLIl 


David   à  Victor  Pavie. 

Le  mont  Hymette.  —  L'Ilissus.  —  Le  Pnyx.  —  Le  temple  de  Thésée.  — 
Salamine.  —  Hélène  David.  —  Le  buste  de  Canaris.  —  Le  roi  de  Grèce 
désireux  d'avoir  son  buste  de  la  main  du  maître.  —  Pradier.  —  Souve- 
nirs profanés.  —  Edmond  About  et  le  buste  de  Canaris.  —  Léon  Cosnier. 
,  .  — Un  Angevin  jardinier  du  roi  de  Grèce.  —  Mélancolie.  —  La  Grèce  et 

'    l'Italie.  —  Le  monument  de  Botzaris. 

Athènes,  3  juillet  185- . 

Cher  Victor, 

J'écris  ces  lignes  sur  l'appui  de  ma  fenêtre,  en  face  de  l'Acro- 
pole, éternel  piédestal  qui  porte  les  ruines  vénérables  d'une  reli- 
gion effacée  et  d'une  glorieuse  civilisation  éteinte.  Ces  colonnes 
isolées  semblent  de  loin  des  bras  décharnés,  qui  se  lèvent  sup- 
pliants vers  les  dieux  qui  les  ont  abandonnés  ;  à  ma  gauche, 
dans  la  plaine,  les  vestiges  du  temple  de  Jupiter  ;  près  de  ce 
temple,  au  pied  du  mont  Hymette,  est  l'Ilissus,  primitivement 
une  rivière  et  actuellement  un  lit  desséché,  seulement  sillonné 
de  rares  filets  d'eau  bourbeuse  qui  clapotent  entre  des  cailloux. 
Autrefois,  ses  rives  étaient  embellies  par  des  platanes  et  des  lau- 
riers-roses ;  c'était  sous  ces  ombrages  que  Socrate  et  Platon 
aimaient  à  se  promener.  Au  coucher  du  soleil,  le  mont  Hymette 
reçoit  ses  derniers  embrasements  qui  le  colorent  d'une  teinte 
violàtre  et  souvent  rose,  transparente,  insaisissable  par  le  pin- 
ceau en  raison  de  sa  mobile  et  suave  dégradation.  A  ma  droite, 
le  Pnyx  et  sa  tribune  parfaitement  respectée  par  le  temps,  à 
laquelle  il  ne  manque  qu'un  Démosthène  et  un  peuple  digne  de 
l'entendre.  Tout  près  et  presque  en  face,  on  voit  une  montagne 
où  se  tenait  le  célèbre  Aréopage,  où  Minerve  venait  déposer  dans 
l'urne  un  vote  pour  absoudre  un  citoyen,  ce  qu'elle  a  malheu- 
reusement oublié  de  faire  pour  Socrate!  Là  encore  on  gémit  sur 
l'ingratitude  des  enfants  de  Sophocle,  qui  traînèrent  leur  père 
devant  ce  tribunal.  Un  peu  plus  bas,  le  temple  de  Thésée;  plus 
loin  encore,  le  Pirée,  et  enfin  à  l'horizon,  et  toujours  à  droite,  les 
belles  montagnes  du  Péloponèse  et  la  baie  de  Salamine,  où  les 
Athéniens  vainquirent  les  Perses  qui  venaient  pour  les  asservir; 
on  voit  aussi  la  montagne  d'Eleusis  et  la  voie  sacrée  qui  y  con- 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  299 

duisait.  Tous  les  soirs  j'assiste  au  grand  et  toujours  nouveau  spec- 
tacle du  coucher  du  soleil  ;  jamais  le  sublime  peintre  ne  répète 
ses  variés  et  magnifiques  effets.  Quelle  parole  pourrait  dire  la 
solennité  de  cet  embrasement  du  ciel  et  de  la  terre  1  Toutes  ces 
magnificences  ont  bien  quelquefois  le  pouvoir  d'éclaircir  le 
brouillard  qui  obscurcit  trop  souvent  le  miroir  de  mon  âme  ;  je 
porte  dans  mon  cœur  un  chagrin  qui  pourra  bien  éteindre  ma 
vie  si  ma  situation  ne  change  pas. 

J'ai  avec  moi  ma  pauvre  Hélène,  à  laquelle  je  cachetant  que  je 
le  puis  mes  angoisses.  Cette  douce  enfant  est  impuissante  à  me 
consoler,  car  elle  n'a,  Dieu  merci,  pas  encore  conscience  des 
orages  de  la  vie.  Je  suis  donc  seul,  seul  au  monde. 

J'ai  voulu  travailler;  pour  moi  le  travail  est  une  consolation 
puissante;  j'ai  fait  le  buste  de  Canaris,  de  cet  homme  extraordi- 
naire qui  allait  accrocher  son  brûlot  aux.  vaisseaux,  turcs  et  qui  a 
si  énergiquement  contribué  à  l'indépendance  de  sa  patrie.  Je 
n'ai  pas  été  chez  le  Roi,  comme  il  le  désirait,  pour  faire  son 
buste.  Fidèle  à  ma  vie  entière,  j'ai  cherché  à  élever  un  monu- 
ment au  malheur  héroïque  et  aux  hommes  de  génie,  lorsque  je 
n'avais  rien  à  espérer,  ni  grâce,  ni  faveur.  J'aurai  au  moins  cet 
honneur. 

Je  lisais,  il  y  a  quelques  jours,  dans  V Artiste,  que  Pradier  fai- 
sait le  buste  d'un  homme  d'une  moralité  douteuse,  M.  R...  Mais 
ce  personnage  est  un  fonctionnaire  puissant!  Je  n'ai  pas  à  me 
reprocher  une  semblable  adulation. 

Ici,  on  ne  peut  s'occuper  des  arts  :  pas  de  terre  à  modeler,  pas 
de  mouleur,  pas  de  praticien  :  c'est  comme  si  l'on  était  dans  un 
désert.  Que  je  comprends  bien  les  douleurs  d'Ovide  dans  son 
exil!  Ici  il  y  aune  vanité  et  une  nullité  effrayantes;  le  culte  vain 
—  et  non  cette  admiration  sérieuse  —  qu'ils  professent  pour 
leurs  ancêtres  esta  son  comble.  Les  rues  portent  toutes  les  noms 
immortels  de  Thémistocle,  d'Aristide;  les  hommes  mêmes  sont 
affublés  de  ces  grands  noms,  comme  ces  enfants  de  nobles  qui 
n'ont  plus  que  les  titres  de  leurs  aïeux,  sans  en  avoir  les  vertus 
qui  les  avaient  recommandés  à  l'admiration  des  siècles.  Ce  peuple 
ne  dépouillera  plus  sa  nullité  présente.  Jamais,  d'ailleurs,  on 
n'a  vu  une  nation  reconquérir  sa  gloire  disparue.  L'histoire  est 
là  pour  confirmer  cette  vérité.  On  ne  peut  galvaniser  un  vieux 
coi'ps  pourri. 


300  DAVID  D'ANGERS 

La  terre  à  modeler  dont  se  servirent  Phidias  et  Praxitèle  est 
vieillie,  usée,  et  ne  se  prête  plus  aux  doigts  du  statuaire;  l'en- 
thousiasme pour  l'art  n'existe  plus. 

Dans  les  rues  décorées  de  grands  noms  passe  un  ruisseau  pes- 
tilentiel qui  cause  aux  habitants  la  fièvre  dont  ils  sont  rongés,  et 
cependant  toute  la  nuit  ils  dorment  dehors,  les  pauvres  sur  des 
nattes,  et  les  riches  sur  les  terrasses  de  leurs  maisons.  Sur  les 
piédestaux  qui  supportaient  des  dieux,  on  voit  le  Grec  d'au- 
jourd'hui cherchant  à  se  débarrasser  de  la  vermine  qui  le  dé- 
vore ;  sur  les  autels  où  l'on  offrait  des  sacrifices  aux  dieux,  on 
vend  de  la  friture  et  des  haillons!  Partout  misère  affreuse  et  luxe 
effréné;  c'est  un  sujet  de  profonde  méditation.  On  serait  tenté  de 
penser  que  les  peuples  qui  mentent  à  leurs  croyances  tombent 
dans  l'abjection  et  ensuite  dans  l'oubli. 

J'ai  coiffé  Canaris  de  son  bonnet  de  marin,  qui  est  très  pitto- 
resque. J'ai  fait,  d'après  mon  buste,  un  dessin  qu'un  jeune  Fran- 
çais a  envoyé  à  V Illustration,  en  l'accompagnant  d'une  notice. 
Si  l'éditeur  n'a  pas  peur  de  se  compromettre  en  parlant  de  moi, 
tu  verras  cela  dans  le  prochain  numéro.  A  propos,  j'ai  appris  que 
ce  bon  Léon  Cosnier  avait  fait  imprimer  quelques  lignes  me  con- 
cernant. Romercie-le  bien  pour  moi,  et  dis-lui  que  cela  m'a  été 
très  sensible  dans  un  instant  où  tout  le  monde  m'abandonne. 

Dans  ces  mois  de  grandes  chaleurs  on  est  obligé  de  quitter 
Athènes.  J'ai  loué  chez  un  paysan  d'un  petit  village,  tout  près  de 
Marathon,  deux  petites  chambres.  J'ai  dû  me  décidera  cela  pour 
Hélène,  dont  la  santé  commençait  à  chanceler. 

Il  y  a  à  Athènes  un  Angevin  nommé  Barrault,  jardinier  du  Roi. 
Il  a  fait  une  petite  fortune,  et  il  lui  tarde  de  quitter  ce  pays 
pour  jouir  d'une  vie  tranquille  dans  notre  cher  Anjou. 

Malgré  mes  chagrins,  j'ai  pourtant  rêvé  quelques  sujets  que 
j'aurais  été  heureux  d'exécuter,  avant  de  quitter  ce  monde  où 
j'ai  tant  souffert,  mais  les  embarras  de  tous  genres  arrêtent  ici 
l'artiste  et  surtout  le  statuaire.  Je  quitte  donc  ce  pays  sans  avoir 
pu  accomplir  de  nobles  projets,  et  cependant  je  sens  qu'il  y 
avait  encore  quelque  chose  dans  mon  cœui-. 

L'Italie  offre  bien  plus  de  ressources  à  l'artiste.  D'abord  tous 
les  plus  beaux  ouvrages  grecs  sont  dans  ce  pays. 

Ici,  il  n'y  a  que  des  fragments  et  une  très  grande  quantité  d'in- 
scriptions, précieuses  seulement  pour  les  archéologues.  En  Italie^ 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  301 

on  trouve  un  peuple  impressionnable  en  face  des  productions 
de  l'art,  et  aussi  tous  les  moyens  faciles  d'exécution.  En  Grèce,  le 
peuple  est  si  brutal,  si  absurde,  qu'il  ne  se  fait  aucun  scrupule 
de  donner  des  coups  de  pioche  dans  des  monuments  de  sculp- 
ture. Il  brise  par  plaisir,  comme  un  enfant.  Voilà  les  grossiers 
descendants  de  la  nation  la  plus  spirituelle  et  la  plus  sensible 
aux  arts  qui  ait  paru  sur  la  terre!  C'est  l'or  qui  s'est  changé 
en  vil  plomb.  L'exemple  de  la  Grèce  devrait  être  une  grande 
leçon  pour  les  peuples  modernes. 

J'avais  commencé  cette  lettre  à  Athènes,  et  je  l'ai  terminée  ici 
pour  ne  pas  laisser  passer  trop  de  temps  sans  me  rappeler  à  ton 
bon  et  cher  souvenir. 

Adieu,  cher  ami,  Je  vous  souhaite  à  tous  le  plus  grand 
bonheur  possible. 

Adieu,  adieu,  tout  à  toi, 

David  d'Angers. 

P.  S.  —  J'entends  dire  que  ce  mois-ci  on  va  inaugurer  au 
Havre  les  statues  de  Bernardin  et  de  Casimir  Delavigne;  et  le 
pauvre  statuaire  languit  sur  la  terre  d'exil  ! 

Avant  le  jour,  je  suis  à  ma  fenêtre  à  attendre  le  lever  du  so- 
leil, l'œil  fixé  sur  le  ciel,  consolateur  des  affligés.  Je  vois  des 
nuages  qui  courent  vers  la  France;  ah!  si  je  pouvais  me  fondre 
avec  eux,  aller  me  répandre  avec  toutes  les  larmes  de  mon  cœur 
sur  ce  pays,  objet  de  tous  mes  regrets  !  Mais  l'homme  attaché 
au  sol  par  la  matière  n'a  de  ressources  que  la  mort  pour  ne  plus 
sentir  la  douleur,  et  toutes  ses  espérances  les  plus  chères  sont 
aussi  incertaines,  aussi  fragiles  que  ces  lignes  que  je  trace  d'une 
main  fiévreuse.  Pleure,  pleure,  mon  cœur,  sur  l'avilissement  de 
ta  patrie.  Elle  est  donc  maudite  par  le  ciel?... 

J'espère  que  cette  lettre  n'aura  pas  le  sort  de  celle  que  je  t'ai 
jadis  adressée  d'Espagne. 

Je  regrette  bien  d'avoir  donné  à  ces  sauvages  stupides  le  mo- 
nument de  Botzaris.  Cette  pauvre  petite  que  j'avais  soignée  avec 
tant  d'amour,  qui  m'a  coûté  tant  de  veilles,  on  me  dit  qu'elle  est 
déjà  mutilée  !  Au  moins  si  je  l'avais  laissée  en  France,  peut-être, 
lorsque  ma  main  sera  glacée  par  la  mort,  n'aurait-on  pas  oublié 
l'auteur.  «  Peut-être I  »  car  on  a  vu  souvent  la  haine  poursuivre 
l'homme  au  delà  de  son  tombeau. 

Adieu  mille  lois. 


302  DAVID  D'ANGERS 

Collection  Pavie. —  Divers' fragments  de  cette  lettre  ont  trouvé  place 
dans  l'ouvrage  Victor  Pavie,  sa  jeunesse,  etc.  Le  buste  de  Constantin  Cana- 
ris, exécuté  à  Athènes,  fut  offert  au  modèle.  (David  d'Angers,  etc.,  t.  I, 
pp.  466-469,  473.)  La  localité  voisine  d'Athènes  où  le  maître  se  réfugie 
durant  les  grandes  chaleurs  des  mois  d'été  est  Képhissia  ou  Céphisia,  à 
deux  heures  de  voiture  de  la  capitale.  David,  en  parlant  de  Pradier  dans 
cette  lettre,  paraît  ignorer  que  son  confrère  soit  décédé.  Pradier  est  mort  le 
5  juin  1852.  L'article  d'Edmond  About,  envoyé  kV Illustration  avec  le  cro- 
quis du  buste  de  Canaris,  faillit  avoir  des  conséquences  très  graves  pour 
le  jeune  polémiste,  alors  pensionnaire  de  l'École  française  d'Athènes.  Il  est 
parlé  des  mesures  prises  par  l'autorité  supérieure  contre  Edmond  About, 
dans  l'ouvrage  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  pp.  469-470.  Léon  Cosnier, 
littérateur  angevin,  avait  publié,  non  sans  quelque  courage,  dans  le  Journal 
de  Maine-et-Loire,  organe  officiel  de  l'administration  départementale,  un 
article  élogieux  sur  David,  essayant  ainsi  de  déterminer  un  courant  d'opi- 
nion de  nature  à  hâter  la  rentrée  du  maître  dans  sa  patrie. 


GGLIII 


David  à  son  fils  Robert. 

La  Grèce  contemporaine.  —  Douce  France  !  —  Pradier.  —  Désillusions.  — 
Les  socialistes.  —  L'homme  n'est  pas  mùr  pour  la  liberté.  —  Le  buste 
de  Canaris.  —  Le  maître  souhaite  de  rentrer  en  France. 

Képhissia,  18  Juillet  1852. 

Mon  cher  Robert^, 

Ce  matin,  en  accompagnant  Hélène,  qui  est  allée  dessiner  d'a- 
près nature,  j'ai  appris  que  c'était  aujourd'hui  dimanche,  et  cela 
nous  a  presque  étonnés,  car  nous  vivons  absolument  comme 
dans  une  prison,  réduits  à  la  vie  végétative,  ne  pouvant  sortir 
que  le  matin,  jusqu'à  huit  heures  environ.  Dès  ce  moment,  on 
éprouve  une  chaleur  accablante.  Il  faut  rentrer  pour  ne  plus 
sortir,  car  au  bout  de  chaque  promenade  il  y  a  la  fièvre  qui  vous 
attend.  Le  soir,  on  peut  encore  faire  une  courte  sortie  ;  mais 
comment,  dans  de  telles  conditions,  visiter  le  pays  et  travailler? 
Oh!  si  ta  mère  pouvait  comprendre  tout  le  dégoût  et  les  tribu- 
lations qui  vous  attendent  hors  de  la  patrie,  elle  n'estimerait  pas 
possible  de  la  quitter.  Où  trouver  jamais  une  contrée  comme  la 
France?  Certes,  je  ne  me  fais  pas  d'illusions  sur  notre  France 
actuelle;  je  gémis  profondément  de  la  voir  humiliée,  mais  notre 
patrie   sera  toujours  la  douce  France,  une  nation  choisie   où 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  ?03 

l'artiste  n'est  pas  regardé  comme  une  bètc  curieuse  par  les  or- 
gueilleux et  les  ignorants. 

La  main  de  Pradier  glacée  par  la  mort,  et  la  mienne  enchaî- 
née par  le  malheur  !  Quelle  fatalité  que  ta  mère  ait  jugé  possi- 
ble pour  moi  de  vivre  autre  part  qu'en  France!  Je  serais  actuel- 
lement tranquille  dans  mon  atelier,  créant  des  ouvrages  qui, 
peut-être,  seraient  utiles  à  ma  réputation;  je  ne  dévorerais  pas 
mon  existence  dans  un  exil  dont  la  durée  eût  été  courte  si  nous 
n'avions  pas  mis  tant  de  raideur  et  d'imprudence  dans  nos  dis- 
cours... On  a  bien  le  droit  de  conserver  son  opinion  dans  son 
cœur,  et  il  n'est  guère  possible  qu'il  en  soit  autrement  lorsqu'on 
est  demeuré  fidèle  pendant  toute  une  vie  aux  mêmes  principes 
politiques;  maison  ne  peut  pas  toujours  combattre  la  poitrine 
nue  contre  des  ennemis  plastronnes ,  surtout  si  l'on  est  seul ,  ou 
entouré  de  gens  qui  ont  compromis  une  noble  cause  par  leurs  idées 
antisociales.  Aussi,  vois  si  Pierre  Leroux  est  inquiété  !  Les  hom- 
mes de  sa  trempe  ont  trop  bien  servi  nos  adversaires.  Je  les  ai 
toujours  jugés  comme  nos  ennemis  les  plus  redoutables;  ils 
ont  formulé  des  idées  qui  feront  bien  du  mal  aux  générations  à 
venir.  Mes  prévisions  datent  de  loin  sur  cette  pernicieuse  école, 
et  cependant  j'ai  été  entraîné  dans  ce  torrent...  Partout  où  l'on 
porte  ses  pas,  chaque  fois  que  l'on  jette  un  regard  observateur 
sur  le  monde,  on  reconnaît  que  l'homme  n'est  pas  mûr  pour  la 
liberté.  Son  orgueil,  son  égoïsme  l'empêcheront  longtemps  en- 
core d'user  de  ce  divin  bienfait  ;  et  le  malheur  quelquefois  est 
réservé  aux  hommes  qui  ont  consacré  leur  existence  à  l'émanci- 
pation de  leurs  semblables  :  témoins,  le  Christ,  Moïse  et  Socrate, 
sans  parler  de  quelques  grandes  figures  françaises,  dont  le  nom 
est  actuellement  une  épouvante  pour  la  génération  actuelle, 
prompte  à  se  vautrer  dans  le  luxe,  conséquence  naturelle  de  l'a- 
mour de  l'or. 

Ici,  au  milieu  d'une  misère  affreuse,  on  voit  le  luxe  le  plus 
effréné.  Le  peuple  grec  voudrait  commencer  par  où  les  autres 
finissent;  aussi  ne  se  fera-t-il  jamais  rien  do  grand  chez  les 
Grecs  modernes.  Ils  ont  beau  se  parer,  s'affubler  des  noms  de 
leurs  sublimes  ancêtres  :  ce  sont  des  fils  dégénérés.  Ils  me  rap- 
pellent les  jeunes  gens  de  notre  pays  dont  les  aïeux  ont  conquis 
glorieusement  un  titre  en  faisant  quelque  action  d'éclat,  tandis 
qu'héritiers  indignes,  ces  jeunes  hommes  traînent  dans  la  boue 


304  DAVID  D'ANGERS 

des  orgies  leur  grand  nom.  Il  existe  à  Athènes  un  marchand  de 
fromage  et  de  menue  mercerie  nommé  Platon.  Non,  ce  peuple 
n'est  qu'un  cadavre  auquel  on  s'est  efforcé  de  rendre  la  vie  en  le 
galvanisant,  mais  en  vain.  D'ailleurs,  l'histoire  est  là  pour  nous 
apprendre  que  jamais  un  peuple  qui  a  eu  ses  siècles  de  gloire  ne 
s'est  relevé  de  sa  chute,  et  toutes  les  nations  antiques  ont  suc- 
combé par  le  luxe.  Ce  sont  là,  mon  fils,  de  dures  et  tristes  vérités 
que  tout  le  monde  sait^,  mais  dont  les  peuples  ne  savent  pas  faire 
leur  profit.  Peut-être,  après  tout,  ne  le  peuvent-ils  pas,  car  il  y  a 
dans  la  Création  un  mystère  inexplicable  qui  veut  que  toute  chose 
ait  son  commencement,  son  apogée,  sa  fin.  C'est  une  grande  loi 
contre  laquelle  l'homme  ne  peut  rien.  Voyez  ce  pauvre  Lycur- 
gue,  avec  ses  institutions  !  Elles  avaient  un  sens  profond,  et 
cependant  elles  n'ont  produit  qu'un  peuple  de  sauvages. 

Je  suis  toujours  dans  de  grandes  transes  en  pensant  à  tes  con- 
cours. Si  tu  réussissais,  cela  viendrait  me  consoler  et  me  ferait 
un  grand  bien,  car  ce  que  je  désire  le  plus  au  monde,  c'est  que 
tu  deviennes  un  homme  de  talent  pour  te  rendre  indépendant.  Il 
va  sans  dire  que  je  souhaite  avant  tout  que  ton  caractère  soit  no- 
ble et  généreux,  car  le  caractère  et  le  talent  ne  devraient  jamais 
être  séparés.  Si  tu  passes  bien  tes  examens,  il  faudra  aller  avec  ta 
mère  en  Anjou;  vous  avez  là  bien  des  douleurs  à  consoler,  et  tu 
trouveras  aussi  dans  notre  pays  quelques  instants  de  distraction. 
Si  la  bourse  de  ta  mère  le  permettait,  vous  pourriez  aller  visiter 
la  Bretagne,  Là,  on  vit  à  bon  compte,  à  la  condition,  toutefois,  de 
ne  pas  faire  les  grands  seigneurs.  Victor  Pavie  vous  accompagne- 
rait probablement,  ou  notre  cousin  Victor. 

Aussitôt  que  j'aurai  terminé  le  buste  de  Canaris,  je  m'embar- 
querai «  avec  plaisir  »  pour  me  rendre  à  Nice.  Là,  ta  mère  pourra 
venir  chercher  Hélène,  et  nous  songerons  enfin  à  préparer  ma 
rentrée  en  France!  Que  diable!  Je  ne  suis  sur  aucune  liste  de 
proscription,  mon  nom  n'a  été  prononcé  dans  aucun  procès,  je 
n'ai  jamais  fait  partie  d'aucune  société  secrète,  je  ne  désire  que 
trouver  un  port  tranquille  dans  mon  atelier,  et  je  suis  certain  que 
rien  ne  m'en  fera  sortir  désormais.  Je  connais  trop  les  hommes 
à  leur  valeur,  ils  m'ont  assez  exploité.  Qu'au  moins  les  quelques 
années  qui  me  restent  encore  à  vivre  me  soient  réservées  dans 
le  calme;  que  je  m'appartienne  et  puisse  observer  à  loisir  les 
fourmis  qui  s'agitent  impuissantes  dans  la  spirale  des  révolutions. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  305 

Adieu,  cher  enfant,  travaille  avec  ardeur,  aime  bien  ta  mère, 
rends-lui  la  vie  la  plus  heureuse  possible,  et  pense  à  celui  qui  ne 
t'oublie  jamais.  Hélène  t'embrasse  de  tout  son  cœur. 

David  d'Angers. 
P.  S.  —  Ne  m'oublie  pas  auprès  de  notre  bonne  Thérèse. 

Collection  David  d'Angers. 


CGLIV 


David  à  son  fils  Robert. 

Echec  réparable.  —  Conseils  paternels.  —  Thiers  et  Rémusat  rentrent 
en  France.  —  Augustin  Serres. 

Képhissia,    21  août  1852. 

C'est  aujourd'hui  dimanche,  je  veux  consacrer  ce  jour  à  m'en- 
tretenir  avec  toi,  mon  cher  Robert,  et  à  déplorer  le  fâcheux 
contre-temps  de  ta  non-réussite  dans  ton  dernier  examen.  Ne 
crois  pas  que  je  t'accuse  de  ne  pas  avoir  fait  tout  ce  qui  pouvait 
dépendre  de  toi.  Loin  de  moi  cette  pensée.  Je  suis  juste  et  je  sais 
que  ces  sortes  d'examens  sont  extrêmement  difficiles.  Je  sais  aussi 
combien  la  timidité  paralyse  les  moyens,  et  alors  quelles  cruel- 
les émotions  viennent  vous  assaillir!  Mais,  mon  ami,  rien  n'est 
perdu,  tu  reparaîtras  plus  fort  et  plus  aguerri  la  prochaine  fois. 
Courage  donc,  aie  bonne  confiance  en  toi,  l'avenir  te  récompen- 
sera amplement  de  cet  échec  passager. 

Si  une  organisation  sensible  et  impressionnable  est  quelque- 
fois une  cause  d'insuccès,  la  réussite  n'est  que  plus  éclatante  à 
son  heure,  et  la  sensibilité  distingue  souvent  les  hommes  appelés 
à  exécuter  de  grandes  choses;  mais  encore  faut-il  (ju'ils  aient  le 
bon  esprit  de  ne  pas  se  décourager. 

Tous  les  jours  je  me  réjouis  qun  tu  te  sois  voué  à  cette  admi- 
rable science  de  la  physiologie.  Plus  tu  avanceras,  plus  tu  trou- 
veras des  motifs  d'enthousiasme,  et  tu  seras  entraîné  par  le  désir 
d'attacher  ton  nom  à  de  grandes  découvertes  utiles  à  l'humanité. 
Ta  curiosité  se  sentira  stimulée  par  l'étude  de  la  nature  ;  Ion 
âme  s'élèvera  vers  les  hautes  régions,  et  alors  tu  oubheras  les 

20 


306  DAVID  D'ANGERS 

misérables  luttes  humaines.  Ah  !  mon  pauvre  enfant,  comme  cette 
impressionnabilité,  qui  te  retarde  un  jour  dans  tes  examens,  le 
réserve  de  souffrances  dans  l'avenir  par  le  contact  de  la  société! 
Qui  le  sait  mieux  que  moi!  N'ai-jepas  été  la  continuelle  victime 
de  ce  contact? 

Mon  père  disait  avec  beaucoup  de  bon  sens  :  «  Dans  ce  monde, 
il  faut  être  marteau  ou  enclume.  »  Moi,  j'ai  toujours  été  en- 
clume... 

Te  voilà,  cher  enfant,  dans  notre  beau  et  bon  pays  d'Anjou. 
Tâche  d'y  passer  ton  temps  agréablement;  tâche  aussi  que  ta 
mère  ne  s'ennuie  pas  trop.  Elle  sait  que  le  vœu  le  plus  ardent  de 
mon  cœur  est  que  nous  puissions  nous  réunir  à  courte  date.  Ce- 
pendant j'applaudis  à  la  sage  résolution  que  ta  mère  a  prise 
d'aller  en  Anjou.  Économie  et  pensée  d'avenir  pour  vous  en 
seront,  je  l'espère,  la  conséquence. 

Je  viens  de  voir  dans  un  journal  français  que  Thiers,  Rémusat, 
etc.,  etc.,  sont  autorisés  à  rentrer.  J'ai  parcouru  également  une 
seconde  liste  d'exilés  auxquels  les  portes  sont  rouvertes  :  mon 
nom  ne  s'y  trouve  pas,  mais  comme  je  ne  suis  porté  sur  aucun 
état  de  proscription,  je  crois  que  je  puis  rentrer.  Ta  mère  me 
faisait  entrevoir  cette  espérance  dans  sa  dernière  lettre,  et 
depuis  lors  je  me  sens  le  cœur  plus  à  l'aise.  Si  ce  ne  sont  pas  les 
Français  qui  m'attirent,  c'est  la  terre  de  la  patrie...;  puis,  je  serais 
au  milieu  de  vous,  mes  chers  amis,  vous  qui  êtes  ce  que  j'ai 
de  plus  cher  au  monde.  Pour  toi,  mon  fils,  sois  bien  assuré  de 
toute  ma  tendresse.  Mon  affection  pour  toi  durera  aussi  longtemps 
que  mon  cœur  battra  dans  ma  poitrine.  Nous  vois-tu  à  côté  l'un 
de  l'autre,  quand  nous  irons  ensemble  au  spectacle!  Je  n'ai  pas 
voulu  y  mettre  les  pieds  depuis  notre  cruelle  séparation,  car  j'ai 
toujours  porté  le  deuil  avec  moi  depuis  mon  départ  de  Paris. 

Dis  à  mon  bon  Victor  Pavie  que  j'ai  reçu  avec  bonheur 
sa  lettre,  et  que  lorsque  nous  serons  ensemble  je  lui  expliquerai 
toute  ma  pensée  sur  les  Grecs  des  temps  anciens. 

Je  ne  sais  si  ta  mère  a  transcrit  pour  M.  Serres  un  passage 
d'une  de  mes  lettres  sur  la  physionomie  des  Grecs. 
Adieu,  Robert,  je  t'embrasse  comme  je  t'aime,  de  tout  mon 

cœur, 

David  d'Angers. 

Rappelle-moi  au  bon  et  cher  souvenir  de  Victor  La  Revellière. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  307 

Collection  David  cV Angers.  —  Il  est   parlé  d'Augustin  Serres  dans  une 
lettre  de  septembre  1837. 


CGLV 


David  à  son  fils  Robert. 

Aux  portes  de  la  France. 

Nice,  28  décembre  1852. 

A  loi,  cher  enfant,  mes  vœux  pour  que  cette  nouvelle  année 
te  soit  heureuse  et  favorable  au  double  point  de  vue  de  la  santé 
et  des  succès  dans  l'étude.  En  ce  qui  me  regarde,  cette  année 
sera  bonne  si  je  puis  être  réuni  bientôt  à  vous  pour  ne  plus  vous 
quitter,  jouir  du  bonheur  de  la  famille  et  reprendre  mes  travaux, 
qui  auront  le  don  de  calmer  les  douloureuses  émotions  que  me 
causent  les  malheurs  et  l'abaissement  de  notre  pauvre  patrie. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

Embrasse  pour  moi  notre  bonne  Thérèse. 

Collection  David  d  Angers. 


GGLVI 


David  à  son  fils  Robert. 

IVojct  de  publication  sur  l'analomie  dans  ses  rapports  avec  l'expression. 

Nice,  mardi...  décembre  1852. 

Ta  dernière  lettre,  cher  Robert,  est  venue  fort  à  propos  pour 
rompre  la  monotonie  de  notre  vie.  Les  détails  que  tu  nous  don- 
nes sur  l'emploi  de  ton  temps  m'ont  fait  plaisir.  Plus  tard,  tu 
t'applaudiras  d'avoir  eu  une  jeunesse  studieuse,  car  le  travail, 
en  vous  procurant  le  moyen  d'acquérir  de  la  gloire,  console  aussi 
de  bien  des  peines.  C'est  un  bienfait  que  j'éprouve  ici  mémo 
lorsque  je  m'occupe  des  arts;  ([uc  serait-ce  si  j'étais  tranquille 
dans  mon  atelier  de  la  rue  d'Assas  ? 


308  DAVID  D'ANGERS 

Dans  une  de  ses  lettres,  ta  mère  t'a  dit  que  je  désirais  faire, 
avec  toi,  un  ouvrage  sur  Fanatomie  dans  ses  rapports  avec 
l'expression.  Il  nous  faudra  dessiner  des  têtes  exprimant  des  pas- 
sions diverses,  et  indiquer  quels  sont  les  muscles  qui  concou- 
rent à  ces  expressions  différentes.  Tu  vois  que  j'aurai  besoin  de 
têtes  bien  disséquées.  II  nous  faudra  pénétrer  la  névrologie,  étu- 
dier les  muscles  du  col,  qui  jouent  aussi  leur  rôle,  ainsi  que  la 
veine  jugulaire,  surtout  dans  les  passions  violentes.  Ce  serait 
bien  d'attacher  nos  deux  noms  à  un  même  travail  qui,  je  crois, 
pourrait  être  utile  aux  artistes.  Il  y  a  longtemps  que  je  poursuis 
ce  projet,  mais  tes  études  anatomiques  me  disposent  à  le  mettre 
à  exécution,  Dieu  aidant.  Il  ne  faut  rien  dire  de  cela;  c'est  pour 
nous  deux  seulement. 

Courage,  cher  enfant,  continue  toujours  à  te  conduire  digne- 
ment ;  cela  te  portera  bonheur,  car  tu  mériteras  l'estime  de  tout 
le  monde,  et  tu  apporteras  une  grande  consolation  à  tes  parents, 
et  à  celui  qui  en  a  tant  besoin  pour  supporter  toutes  les  tribula- 
tions qui  l'assiègent  moralement  et  physiquement. 

Adieu,  mille  tendres  pensées.  A  toi  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  David  d'Angers. 


GGLVII 


David  à  Victor  Pavie. 

Visite  au    tombeau  de  Marco  Botzaris.  —  La  Grèce  oublieuse.  —  Ottfried 
MuUer,  Santa  Rosa,  Byron.  —  Léon  Gosnier. 

Nice,  10  janvier  1853. 

Bien  cher  Victor, 

Cette  feuille  de  papier  te  parviendra  sans  avoir  un  trop  long 
espace  à  traverser.  Peu  à  peu  j'approche  de  cette  France  que 
j'aime  tant.  J'ai  constamment  mes  regard  fixés  vers  elle.  Je  vois 
le  soleil  se  coucher  derrière  Antibes  ;  le  ciel,  alors  couleur  de 
feu,  réfléchit  dans  la  mer  une  teinte  de  sang,  et  les  vagues  hou- 
leuses viennent  battre  le  rivage  de  Nice.  Leur  bruit  ressemble 
aux  aboiements  des  dogues  qui  rappellent  aux  prisonniers  les 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  300 

obstacles  à  vaincre  pour  recouvrer  la  liberté.  Dire  ce  que  je 
souffre,  ce  serait  rouvrir  les  plaies  profondes  de  mon  cœur. 

Cependant,  les  portes  de  la  patrie  ne  devraient  pas  m'être  in- 
terdites. Mes  mains  sont  pures.  J'ai  voté  l'abolition  de  la  peine 
de  mort,  et  cependant  je  suis  exilé  !  Oh  !  bizarrerie  des  destinées 
humaines  sur  cette  terre,  les  rôles  sont  presque  toujours  in- 
tervertis... 

Avant  de  quitter  la  Grèce,  j'ai  voulu  dire  adieu  à  ma  pauvre 
petite  fille  du  tombeau  de  Marco  Botzaris  ;  je  savais  vaguement 
qu'elle  avait  éprouvé  les  injures  des  Grecs  qui,  soit  dit  en  pas- 
sant, n'ont  aucun  respect  pour  les  glorieux  défenseurs  de  leur 
patrie.  Et  comment  ces  stupides  Palicares  en  auraient-ils?  Ce  ne 
lut  pas  l'amour  de  l'indépendance  nationale  qui  leur  mit  les 
armes  à  la  main,  ce  fut  seulement  le  fanatisme. 

En  foulant  de  mes  pieds  cette  terre  de  Missolonghi,  imbibée 
de  tant  de  sang,  j'aperçus  un  vaste  tumulus  auprès  du  monu- 
ment de  Marco  Botzaris.  Non  loin  de  la  redoute  où  ce  guerrier 
reçut  la  mort,  on  voit  encore  la  culasse  de  plusieurs  canons,  ce 
qui  imprime  au  site  un  caractère  militaire  et  poétique. 

Du  plus  loin  que  je  découvris  ma  pauvre  petite,  mon  cœur 
palpita  violemment.  Une  espèce  d'hallucination  me  laissa  croire 
que,  triste  et  plaintive,  elle  me  faisait  reproche  de  l'avoir  exilée 
au  milieu  de  Barbares.  Nous  avions  vécu  si  longtemps  en- 
semble! Je  m'imaginais  que  le  marbre  s'était  pénétré  des  émo- 
tions qui  m'avaient  agité  durant  tant  de  nuits  quand  je  terminais 
cette  forme  de  ma  pensée. 

En  gravissant  les  gradins  qui  conduisent  au  tombeau  du  héros, 
je  vis  que  la  mélancolique  enfant  était  toute  mutilée.  Les  oreilles 
arrachées,  la  main,  dont  le  doigt  épelait  l'mscription,  également 
brisée.  Les  deux  pieds  avaient  subi  le  môme  outrage.  Je  te  le  dis, 
en  vérité,  ce  n'est  pas  sur  mon  ouvrage  que  j'ai  gémi,  c'est  bien 
plutôt  sur  le  sort  réservé  aux  grands  hommes,  de  leur  vivant, 
et  dans  leur  mémoire.  Certes,  si  les  peuples  n'ont  pas  l'intelli- 
gence des  créations  de  l'art,  ils  devraient  au  moins  respecter  le 
nom  do  ceux  qui  ont  sacrifie  leur  vie  à  l'indépendance  nationale. 
Celui  de  Marco  Botzaris  méritait  un  culte  de  gratitude.  Si  j'eusse 
été  seul  à  Missolonghi,  j'eusse  versé  des  larmes  amèrcs  sur  un 
semblable  oubli. 

Yoilà,  cher  ami,  les  prétendus   descendants  do   Thémislocle, 


310  DAVID  D'ANGERS 

d'Aristide,  etc.  Parmi  de  trop  nombreux  traits,  je  veux  t'en  ci- 
ter deux  qui  t'expliqueront  le  mépris  que  j'éprouve  en  face  du 
peuple  grec.  Un  homme  célèbre,  l'Allemand  Muller,  savant  ar- 
chéologue et  grand  poète,  après  avoir  publié  un  volume  d'hellé- 
nique admirable  de  pensées  patriotiques,  bien  faites  pour  con- 
quérir des  défenseurs  à  la  Grèce,  est  venu  y  chercher  une  mort 
glorieuse,  et  son  tombeau  a  été  élevé  par  ses  compatriotes,  sur 
un  monticule,  à  l'endroit  oii  était  l'ancienne  Académie.  Eh  bien! 
ce  tombeau  sert  de  cible.  Il  est  tout  criblé  de  balles,  et  le  cou- 
ronnement en  a  été  brisé  par  des  décharges  multipliées.  Au 
cours  de  la  guerre  de  l'indépendance,  un  Piémontais,  Santa 
Rosa,  fut  tué.  Les  soldats  français  lui  avaient  érigé  un  monu- 
ment sépulcral.  Le  dessin  de  ce  tombeau  a  même  été  gravé.  Des 
compatriotes  de  ce  guerrier  ont  voulu  dernièrement  visiter  cette 
tombe.  Elle  a  disparu  complètement.  On  se  sera  probablement 
servi  des  pierres  pour  construire  une  loge  à  porcs. 

J'ai  vainement  cherché  la  tombe  de  Byron.  Elle  a  disparu 
dans  ce  grand  champ  de  mort  où,  malgré  la  précaution  religieuse 
que  l'on  prend  pour  se  diriger,  souvent  on  entend  crier  des  os- 
sements de  têtes  humaines  enfouies  sous  l'herbe  et  les  ronces. 

Si  les  Turcs  sont  de  stupides  fanatiques,  si  ce  fanatisme  les 
rend  insensibles  aux  productions  des  arts,  au  moins  ils  ont  la 
probité  et  le  profond  respect  de  la  parole  donnée,  tandis  que  les 
Grecs  sont  les  gens  les  plus  perfides  qui  existent  au  monde,  et  ce 
que  Virgile  a  dit  d'eux  est  encore  vrai.  Tous  les  voyageurs  qui 
ont  longtemps  vécu  dans  l'Orient  s'accordent  sur  ce  point. 

Adieu,  mon  bon  Victor,  mille  tendres  souvenirs  à  vous   tous. 

A  toi  de  cœur, 

DAvm  d'Angers. 

N'oublie  pas  de  dire  à  mon  cher  Léon  Gosnier  combien  je  suis 
reconnaissant  de  son  courageux  souvenir  à  mon  égard;  et  s'il  se 
trouve  encore  quelques  Angevins  qui  ne  m'aient  pas  oublié,  à 
eux  aussi  tous  mes  sentiments  de  reconnaissance. 

Collection  Pavie. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  311 

GGLVIII 
David  à  son  fils  Robert. 

Les  brouillards  de  la  patrie  préférables  au  soleil  do  l'exil. 

Nice,  13  janvier  1853. 

Cher  enfant,  —  lorsque  j'écris  ces  lignes,  le  soleil  se  couche 
majestueusement  derrière  Antibes,  mais  j'aimerais  mieux  être 
auprès  de  toi  au  milieu  des  brouillards  de  notre  cher  pays.  Adieu, 
porte-toi  bien,  embrasse  pour  moi  Thérèse. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  David  cV Angers. 


GGLIX 
David  à  son   fils  Robert. 

Le  maître  rentre  en  France. 

Nice,  10  février  1853. 

Mon  cher  Robert, 

Nous  partons  après-demain  (samedi)  et  nous  pensons  être  à 
Lyon  le  vendredi  18,  car,  pour  éviter  de  me  fatiguer  par  trop, 
nous  nous  arrêterons  presque  partout.  Adresse-nous  donc  une 
lettre  pour  nous  donner  de  tes  nouvelles,  pas  plus  tard  que  mer- 
credi prochain,  poste  restante,  Lyon  (Rhône). 

D'après  ce  que  nous  apprenons,  le  temps  est  très  mauvais  en 
France,  et  cela  m'effraie,  car  ma  santé  n'est  pas  des  meilleures. 
A  la  grâce  de  Dieu  ! 

Nous  t'embrassons  tous  les  trois  en  attendant  que  nous  puis- 
sions te  presser  en  personne  dans  nos  bras,  comme  nous  t'ai- 
mons. Embrasse  notre  Thérèse  pour  nous. 

Tout  à  toi, 

DAvm  d'Angers. 

Collection  David  (V Angers. 


312  DAVID  D'ANGERS 


GGLX 


Victor  Pavie  à  David. 

Retour  du  maître  à  Paris.  —  Andegavi  molles.  —  Inauguration  du' 
monument  de  René  d'Anjou. 

Angers,  le  22  mars  1853. 

Cher  exilée 

Vous  trouverez  pour  factionnaire  à  votre  porte  cette  lettre, 
ce  courrier  de  nos  félicitations  à  tous.  Le  printemps  qui  se  lève 
sur  la  route  de  la  patrie  va  vous  servir  d'escorte  depuis  Mar- 
seille jusqu'à  Paris.  Le  marronnier  du  20  mars  vous  présentera 
ses  premières  feuilles,  et  puis  après,  les  fleurs,  et  puis  après,  les 
fruits.  Les  araignées  de  la  rue  d'Assas  vont  déchirer  leurs  toiles, 
derrière  lesquelles  apparaîtront,  à  la  suite  des  statues  ébauchées, 
les  mille  œuvres  rêvées  que  vous  ramenez  de  l'étranger.  Le 
spectacle  se  retourne  avec  les  impressions  de  l'àrae,  et  voilà  que 
la  Grèce,  la  Grèce  inhospitalière  et  sauvage,  vue  de  votre  balcon 
de  Paris,  se  repeuple  de  héros  et  colore  de  son  passé  les  blanches 
ruines  de  l'Acropole. 

J'eusse  désiré  plus  ;  j'eusse  voulu  que  ce  passeport  émanât 
d'une  motion  de  vos  compatriotes  réclamant  pour  votre  réinté- 
gration sur  le  sol  de  la  grande  patrie.  Mais  c'eût  été  trop  beau, 
et,  quand  la  Grèce  se  renie,  on  ne  saurait  demander  que  l'Anjou 
se  transfigure  à  ce  point.  Et  puis,  franchement,  ce  ne  serait 
plus  nous  et  nous  ne  serions  plus  molles;  en  abjurant  son  génie, 
qui  sait  si  notre  cher  pays  ne  courrait  pas  le  risque  de  s'abjurer 
lui-même  !  Je  crois^  vaille  que  vaille,  à  quelque  réaction  prochaine 
à  votre  égard.  11  est  question,  pour  la  fête  du  Sacre ^  de  l'inaugu- 
ration, en  cavalcade  pittoresque,  de  ce  jeune  roi  René  qui  fré- 
mit sur  son  piédestal  derrière  son  buisson  de  cratœgus  et  de 
troènes. 

Nous  viendrez-vous  alors?  Nous  viendrez-vous  plus  tôt,  ce  qui 
serait  le  plus  sûr,  vu  l'illusion  des  projets  de  l'homme?  Je  don- 
nerai campos  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  notaires  pédants,  d'avoués 
paperassiers  et  d'avocats  enroués  et  barbouilleurs  pour  ce  jour-là. 
Je  vous  réserve  de  ma  cave  une  bouteille  de  ce  Bonneseaux  que 
nous  bûmes  en  janvier  à  l'espoir  de  votre  retour,  en  société  de 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  313 

Robert  malade,  ce  qui  me  fit  rêver  noir  de  la  réalisation  de  mes 
vœux. 

Au  revoir,  chers  amis.  Un  mot  sur  votre  installation  par  ce 
temps  froid,  le  meilleur,  suivant  moi,  de  ceux  qui  pouvaient 
vous  sourire.  Un  trop  vif  rayon  de  mars  eût  mis  le  feu  à  votre 
cœur. 

A  vous  pour  tous, 

Victor  Pavie. 

Collection  David  d" Angers.  —  Le  monument  de  René  d'Anjou  fut  inau- 
guré le  l"  juin  1853,  et  depuis  plusieurs  années  déjà  la  statue  de  René, 
déposée  sur  des  madriers  en  guise  de  socle,  dans  le  Jardin  fruitier  de  la 
ville,  se  morfondait  à  portée  de  la  main  des  promeneurs  en  attendant  que 
les  débats  ouverts  sur  l'emplacement  à  choisir  eussent  pris  fin.  David  n'as- 
sista pas  à  l'inauguration  de  son  ouvrage. 


GGLXI 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  de  retour  dans  son  atelier.  —  Mélancolie.  —  Le  monument  de 
René  d'Anjou.  —  Lamartine.  —  Intégrité  des  républicains  de  1848.  — 
Mauzoni.  —  Peintures  murales  de  l'Hôtel  de  la  Préfecture  d'Angers. 

Paris,  2-2  avril  1853. 

Me  voilà  enfin,  cher  ami,  rentré  dans  mon  atelier.  Je  vais  tâ- 
cher de  vivre  avec  de  grands  souvenirs;  je  vais  me  créer  un 
monde  imaginaire,  en  dehors  de  la  triste  réaUté.  Mais  les  plaies 
profondes  qui  ont  déchiré  mon  pauvre  cœur  ne  se  cicatriseront 
jamais.  Je  ne  pourrai  jamais  oubUcr  qu'un  homme  dont  la  vie  a 
été  consacrée  à  préparer,  selon  ses  moyens,  l'amélioration  du 
sort  de  ses  semblables,  a  été  traîné  dans  un  cachot  et  jeté  en 
exil  comme  un  malfaiteur.  Je  ne  puis  me  faire  à  la  pensée  que 
l'abnégation  la  plus  vraie,  le  désintéressement  le  plus  absolu 
provoquent  le  sourire  et  la  pitié  des  hommes!  Quoi!  la  vertu 
taxée  de  niaiserie  et  d'absurdité!  En  vérité,  en  face  d'un  tel 
spectacle,  on  douterait  de  soi-même,  si  une  religieuse  conviction 
ne  vous  rappelait  impérieusement  que  la  dignité  de  la  vie,  le 
sens  de  la  justice  sont  d'essence  supérieure,  de  par  une  loi  puis- 
sante de  la  nature. 


314  DAVID  D'ANGERS 

Je  viens  de  recevoir  le  Journal  de  Maine-et-Loire,  dans  lequel 
on  parle  de  l'érection  prochaine  du  monument  de  René  d'Anjou. 
J'espère  qu'on  rendra  justice,  en  face  de  cet  ouvrage,  à  l'indé- 
pendance du  caractère  de  l'artiste  républicain,  dont  la  conviction 
a  toujours  été  qu'il  ne  faut  pas  répudier  les  gloires  d'une  époque 
disparue.  L'histoire  est  utile,  quand  elle  ne  servirait  qu'à  enga- 
ger les  générations  à  être  de  leur  temps,  à  progresser  dans  le 
sens  du  plus  grand  bien  de  tous,  sans  se  rendre  solidaires  d'er- 
reurs qui  n'ont  été  que  la  conséquence  du  défaut  de  lumière  et 
de  la  barbarie  des  premiers  âges  du  monde;  bien  barbares,  en 
effet,  puisque,  plus  voisins  que  nous  de  la  venue  du  Christ,  ils 
n'ont  pas  compris  ses  grandes  et  sublimes  leçons  de  liberté  et 
d'humanité. 

Adieu.  Mes  tendres  et  constants  souvenirs  à  vous  tous.  A  toi 
de  cœur, 

David. 

P.  S.  —  J'ai  vu,  il  y  a  peu  de  jours,  Lamartine,  toujours  très 
souffrant,  et  cependant  travaillant  énormément.  Il  quitte  son 
hôtel  pour  aller  habiter  un  logement  moins  spacieux.  Comme 
tous  les  républicains  qui  ont  été  à  la  tête  des  affaires  publiques, 
il  s'en  est  retiré  pauvre.  L'histoire,  espérons-le,  sera  plus  équi- 
table que  les  misérables  et  lâches  contemporains. 

Je  ne  me  souviens  pas  si  je  t'ai  dit  qu'à  mon  passage  à  Milan, 
j'avais  été  voir  Manzoni.  C'est  un  beau  vieillard.  Il  ressemble 
beaucoup  à  Chateaubriand.  Il  est  difficile  de  lui  être  présenté, 
mais,  quand  il  a  connu  mon  désir,  il  m'a  reçu  avec  toute  l'affec- 
tion possible.  Je  n'étais  plus  un  étranger  pour  lui  :  entre  nous 
deux,  même  sympathie  littéraire  et  politique. 

Est-ce  qu'il  ne  te  serait  pas  possible  de  me  procurer  une  copie 
au  trait  des  peintures  murales  qui  ont  été  retrouvées  à  la  Préfec- 
ture ?  Tu  m'obligerais. 

Collection  Pavie.  —  La  visite  du  maître  à  Manzoni  est  l'objet  d'une  page 
intéressante  dans  l'ouvrage  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  484.  Des  tra- 
vaux entrepris  à  l'Hôtel  de  la  Préfecture  d'Angers  (ancienne  abbaye  de 
Saint-Aubin)  firent  découvrir,  le  17  décembre  1853,  trois  voussures  peintes. 
Au  nombre  des  sujets  traités  sur  ces  parois  par  un  artiste  du  onzième  ou 
du  douzième  siècle  se  trouvent  Samson  en  lutte  avec  un  lion.  Deux  lions 
attaquant  un  porc,  etc. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  315 

CCLXII 
David  à  Victor  Pavie. 

Les  peintures  d'Hippolyte  Flandiiu  dans  l'église  de  Saint-Vincent  do  Paul. 

Paris.  7  juin  1853. 

Cher  ami, 

Je  viens  de  voir  l'œuvre  de  Flandrin.  Voilà  de  la  peinture  reli- 
gieuse, du  dessin  de  la  plus  grande  noblesse  et  vrai,  mais  non 
de  cette  vérité  triviale  dont  on  détourne  la  vue  lorsqu'elle  se 
présente  dans  l'individu,  rebut  de  la  Création.  C'est  aussi  de  la 
couleur  distinguée,  non  celle  qui  indique  un  être  malade.  L'art 
est  bien  admirable  et  bien  consolant  quand  il  est  compris  ainsi. 

Adieu,  cher  ami.  A  toi  de  tout  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  Les  peintures  de  Flandrin,  dans  l'église  de  Saint- 
Vincent- de-Paul,  à  Paris,  furent  commencées  en  1830  et  achevées  en  1854. 
Au  moment  où  écrit  David,  cette  décoration  était  fort  avancée. 


GGLXIII 

Madame  Belloc  à  David. 

La  médaille  do  mistress  Beecher-Stowe. 

Paris,  29  août  1853. 

Monsieur, 

J'aurais  voulu  vous  accuser  réception  de  suite  de  votre  beau 
médaillon  de  M"""  Stowe  et  de  la  lettre  qui  l'accompagnait  pour 
elle;  mais  j'ai  été  tellement  absorbée  par  votre  trop  court  pas- 
sage chez  moi  que  je  n'ai  pu  en  trouver  le  moment. 

Je  vous  adresse  aujourd'hui,  Monsieur,  la  lettre  qu'elle  m'a 
chargée  de  vous  faire  parvenir.  Combien  je  regrette  que  vous 
ayez  été  absent,  ainsi  que  W""  David,  pendant  ces  huit  derniers 
jours!  Votre  nature  d'artiste  aurait  si  bien  joui  des  nuances  si 
riches  et  si  variées   de   l'esprit  et  du   cœur  de  cette  femme 


316  DAVID  D'ANGERS 

remarquable  1  Je  n'ai,  pour  ma  part,  jamais  rencontré  une  organi- 
sation plus  admirable  et  plus  complète.  Elle  a  puisé  en  elle  les 
plus  beaux  types  de  son  livre.  Elle  aurait,  au  besoin,  la  reli- 
gieuse constance  de  Tom  dans  le  martyre  enduré  pour  sa  foi  et 
pour  la  liberté;  elle  a  la  constante  et  tendre  pitié  de  son  angé- 
lique  Eva  pour  tout  ce  qui  soutire,  la  tine  et  incisive  ironie  de 
Saint-Clair,  le  parfait  et  énergique  amour  maternel  d'Elisa,  et  tout 
cela  s'anime  d'une  gaieté  naïve  et  charmante  ! 

Je  regrette  presque  d'avoir  joui  à  peu  près  seule  de  cette  déli- 
cieuse intimité,  et  de  n'avoir  pu  la  faire  partager  à  nos  amis, 
tous  absents  de  Paris  à  cette  époque  de  l'année. 

Veuillez,  Monsieur,  me  rappeler  au  souvenir  de  Madame  David 
et  recevoir  pour  vous  et  pour  elle  l'expression  de  nos  sentiments 
de  haute  et  profonde  considération. 

Louise  Swanton-Belloc. 

Collection  David  d'Angers.  —  C'est  chez  M"»  Belloc,  femme  de  lettres 
française,  d'origine  irlandaise,  qu'était  descendue  mistress  Beecher-Stowe, 
lorsqu'elle  vint  à  Paris.  M"»  Belloc  connaissait  David,  qui  avait  modelé  son 
médadlon  dés  1830.  Ce  fut  elle  qui  préseuLa  l'auteur  de  la  Case  de  V oncle 
Tom  au  statuaire. 


GCLXIV 


Mistress  Beecher-Sto^we  à  David. 

La  médaille  du  romancier. 


Août  1853. 


Permettez- moi  de  vous  exprimer  tous  mes  remerciements  pour 
le  médaillon,  magnifiquement  exécuté,  que  vous  m'avez  envoyé. 

Gomme  je  sais  mieux  ce  que  j'éprouve  que  ce  à  quoi  je  res- 
semble, je  ne  puis  exprimer  une  opinion,  quant  à  la  ressem- 
blance, mais  votre  œuvre  aura  toujours  une  haute  valeur  à  mes 
yeux,  comme  l'expression  des  aimables  pensées  et  de  la  considé- 
ration de  l'auteur. 

Mon  cœur  répond  sincèrement  aux  aimables  sentiments  que 
vous  exprimez  pour  moi.  Puissiez-vous  vivre  longtemps.  Mon- 
sieur, pour  goûter  tous  les  charmes  de  votre  art,  qui  est  admirable. 

Votre  amie  bien  sincèrement, 

E.  B.-Stowe. 


ET  SES  RELATIONS  LITTERAIRES  3l7 

Collection  David  cVAngera. —  C'est  le  24  juin  ISoSque  l'auteur  delà  Case 
de  l'oncle  Tom,  de  passage  à  Paris,  se  rendit  dans  l'atelier  du  maître. 
David  dessina,  ce  jour-là  môme,  le  profil  du  romancier  américain.  Le  mois 
suivant,  ce  dessin  servit  de  document  pour  l'exécution  de  la  médaille  qui 
fut  envoyée  au  modèle.  (Musées  d'Angers,  p.  197.)  Nous  avons  publié  dans 
Y  Artiste  (1"  mars  18'.)0)  une  étude  anecdotique  sous  le  titre  Mistress  Beecher- 
Stowe  et  David  d'Angers. 


CGLXV 


David,   à  Victor  Hugo. 

Le  buste  du  jjoète. 

Paris,  30  avril  1854. 

Bien  cher  et  noble  ami,  j'ai  reçu  des  raains  de  M.  Paul  Meu- 
rice  votre  bonne  et  affectueuse  lettre  et  j'ai  recueilli  votre  buste, 
qui  est  actuellement  placé  dans  mon  atelier.  Sa  vue  rappelle  à 
tous  nos  amis  l'illustre  et  immortel  exilé. . . 

David. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  maître  avait  conservé  la  minute  de  ce 
billet. 


GGLXVI 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  achève  le  monument  de  Drouot. 

Paris,  5  mtd    1854'. 

Cher  ami, 

.l'aurais  bien  besoin  d'aller  respirer  l'air  de  mon  bien-aimé  pays 
natal,  mais  je  suis  contraint  de  rester  à  Paris,  au  milieu  des  dé- 
combres de  rues  tout  entières  qui  tombent  comme  par  enchante- 
ment. Néron  a  fait  subir  par  l'incendie  le  même  sort  à  la  ville 
de  Rome 

J'ai  encore  deux  bas-reliel's  du  monument  de  Drouot  à  ter- 
miner, et  je  suis  pressé  de  les  achever.  La  malheureuse  maladie 


318  DAVID  D'ANGERS 

dont  j'ai   souffert  l'hiver    passé  est  la   seule    cause   de  mon 
retard. 

Ces  lignes  sont  seulement  pour  te  dire  que  je  te  souhaite  toute 
sorte  de  bonheur.  A  toi, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie. 


CGLXVIl 


David   à  Benjamin  Fillon. 

n    des   r 
avec  1 
postérité. 


La  collection    des    médailles   modelées    par   le    statuaire.  —  L'être  mora 
s'identifie    avec   l'homme    extérieur.  —    Le   sculpteur  travaille  pour  la 


Paris,  l"  septembre  1854. 


Qui  n'a  pour  soi  que  la  naissance,  la  richesse,  l'éclat  du  rang 
social,  n'est  point  mon  fait.  Mon  Panthéon  n'est  ouvert  qu'à  la 
vertu,  qu'au  patriotisme,  qu'au  génie  fécond  en  bienfaits  pour 
l'humanité. 

Le  désir  de  rendre  hommage  à  la  mémoire  de  quelques  grands 
hommes  du  passé  m'a  seul  fait  produire  des  médaillons  que  je 
n'ai  pas  pris  sur  nature  ;  encore  les  ai-je  moins  exécutés  d'après 
les  portraits,  parfois  peu  ressemblants,  dont  je  pouvais  disposer, 
qu'à  l'aide  de  l'étude  approfondie  du  caractère  de  chaque  per- 
sonnage, et  de  sa  tournure  d'esprit.  Je  ne  me  dissimule  pas  ce 
que  ce  procédé  a  d'incomplet;  cependant,  comme  je  cherche  à 
mettre  dans  les  traits  un  reflet  de  l'àme,  je  suis  sûrement  arrivé 
plus  près  de  la  vérité  que  si  je  me  fusse  tenu  exclusivement  à 
copier  des  modèles,  souvent  défectueux,  plus  souvent  encore  de 
seconde  ou  de  troisième  main.  C'est  à  l'être  moral  que  je  m'a- 
dresse d'abord;  dans  mon  esprit,  il  ne  fait  bientôt  plus  qu'un 
avec  l'homme  extérieur.  C'est  alors  que  je  me  mets  à  l'œuvre. 
Mes  bustes  ont  été  faits  suivant  la  même  méthode.  La  postérité, 
qu'un  artiste  doit  toujours  avoir  en  vue  lorsqu'il  travaille,  com- 
prendra mieux  ainsi  nos  contemporains  illustres. 


David  d'Angers. 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  319 

Collection  Fillon.  —  Cette  lettre  a  été  réservée  lors  do  la  vente  de  la  col- 
leclion  Fillon. 


GGLXVIII 


David   à   Victor  Pavie. 

Les  a  Saints  de  Solesnies  ».  —  Germain  Pilon. —  Le  Frontispice  de 
l'Histoire  de  la  Vendée. 

Paris,  12  octobre  1854, 

J'ai  un  peu  tardé,  cher  ami,  à  répondre  à  ta  dernière  lettre,  parce 
que  je  pensais  que  je  pouvais  faire  un  petit  voyage  dans  notre 
Anjou,  mais  le  mauvais  temps,  la  saison  trop  avancée  déjà  me 
forcent  à  remettre  à  l'année  prochaine  le  bonheur  que  j'éprou- 
verais avoir  notre  cher  pays  et  surtout  à  te  serrer  la  main,  à 
Feneu,  au  milieu  de  ta  chère  famille. 

Je  me  réjouissais  de  pouvoir  aller  avec  toi  visiter  les  «  Saints 
de  Solesmes»  dont  j'ai  tant  entendu  parler  et  que,  je  ne  sais  par 
quelle  fatalité,  j'ai  toujours  été  empêché  de  voir.  Mon  désir  s'est 
surtout  accru  depuis  que  j'ai  appris  que  cet  ouvrage  est  de  Ger- 
main Pilon,  presque  notre  compatriote,  car  il  est  né  à  Loué,  une 
petite  ville  proche  du  Mans.  Je  suis  bien  persuadé  que  les  Man- 
ceaux  ne  savent  pas  qu'ils  ont  eu  un  si  sublime  compatriote. 
Ah!  si  c'était  un  de  ces  orgueilleux  fainéants  de  seigneur  ou  de 
tueur  d'hommes,  alors  sa  mémoire  serait  consignée  sur  les  places 
publiques  ou  transmise  par  le  nom  d'une  rue. 

Bientôt;,  quand  j'enverrai  de  nouveaux  cadres  de  médaillons 
à  Angers,  tu  verras  celui  de  ce  grand  statuaire.  Ce  n'est  pas  une 
tète  aristocratique;  non,  c'est  mieux  que  cela,  c'est  celle  d'un 
homme  utile,  d'un  homme  de  génie. 

L'exposition  prochaine,  à  Paris,  va  nous  amener  beaucoup  de 
visiteurs.  Je  pense  que  tu  nous  viendras;  alors  je  passerai  encore 
avec  toi  quelques  bons  instants. 

Je  ne  sais  si  tu  connais  M.  Fillon,  qui  habite  Foi) tenay  (Vendée); 
il  s'occupe  d'archéologie,  et  il  va  publier  un  ouvrage  composé 
de  documents  historiques  sur  la  guerre  de  la  Vendée.  Il  m'a  de- 
mandé un  dessin  qu'il  veut  faire  graver  à  Nantes  pour  le  frontis- 
pice de  son  livre. 


320  DAVID  D'ANGERS 

J'ai  représenté  l'Histoire  couronnée  de  cyprès,  ayant  près  d'elle 
la  Justice  qui  l'éclairé  de  son  flambeau.  Sur  les  marches  de  l'es- 
trade, j'ai  représenté  le  général  Hoche,  appuyé  sur  une  charrue, 
et  présentant  une  branche  d'olivier,  ce  que  fait  aussi  le  second 
pacificateur,  Travot.  De  l'autre  côté,  les  généraux  vendéens  :  notre 
Bonchamps  est  au  premier  plan.  Sur  le  premier  gradin,  j'ai 
mis  une  mère  entourée  de  ses  enfants.  C'est,  je  crois,  une  juste 
image  de  la  sécurité  que  procure  la  paix.  Je  ne  sais  si  cela  con- 
viendra à  M.  Fillon;  nous  verrons.  Adieu,  cher  ami. 
A  toi  de  cœur, 

David  d'Angers. 

Collection  Pavie.  —  David  donna  suite  à  son  projet  de  visite  aux  «  Saints 
de  Solesmes  »,  en  1855.  Ces  sculptures,  conservées  dans  le  couvent  des 
Bénédictins  de  Solesmes,  près  Sablé-sur-Sarthe,  faussement  attribuées  à 
Germain  Pilon,  sont  dues  à  divers  artistes  dont  on  n'est  pas  encore  parvenu 
à  découvrir  le  nom.  La  médaille  modelée  par  David  d'après  Germain 
Pilon  est  d'une  rare  énergie.  L'œuvre  n'est  pas  datée.  {Musées  d'Angers, 
p.  348.1  On  sait  aujourd'hui  que  Germain  Pilon  n'est  pas,  ainsi  qu'on  l'a 
cru  longtemps,  originaire  du  Maine.  Il  a  vu  le  jour  à  Paris.  Le  frontis- 
pice de  VHistoire  de  la  Vendée  n'a  pas  été  gravé.  Benjamin  Fillon,  en  de- 
mandant cette  page  à  l'artiste,  n'était  qu'un  intermédiaire.  Le  livre  projeté 
devait  être  écrit  par  M.  Matifeu  de  Montaigu.  Le  dessin  du  maître  est  au 
Musée  David.  (Musées  d'Angers,  pp.  349-350;  David  d'Angers,  etc.,  t.  II, 
pp.  446-447.) 


CGLXIX 

David  à  "Victor  Pavie. 

Mélancolie.  —  Projets  de  voyage  en  Anjou. 

Paris,  5  février  1855. 

Cher  Victor, 

J'ai  été,  comme  tu  le  penses,  bien  heureux  de  ton  excellente 
lettre  et  charmé  de  vous  savoir  tous  en  bonne  santé.  J'aime  à 
espérer  que  les  vœux  de  ton  inaltérable  amitié  me  porteront 
bonheur  pour  cette  année  1855.  J'en  ai  bien  besoin,  car  je  l'ai 
inaugurée  par  un  rhumatisme  dans  le  pied  qui  depuis  plus  d'un 
mois  me  force  à  ronger  douloureusement  mon  frein  au  coin  du 
feu.  Je  ressemble  à  un  bâtiment  à  vapeur  qui  a  perdu  sa  roue  et 


ET  SES  RELATIONS  LITTÉRAIRES  321 

dont  la  marche  est  ainsi  arrêtée.  Quand  pourrai-je  reprendre   la 
mienne  ? 

La  mort  de  ce  pauvre  Jean  va  tristement  affliger  ton  père  ; 
autrefois  ces  vieux  serviteurs,  devenus  dans  notre  époque  de 
«  haute  »  civilisation  une  anomalie,  mouraient  de  vieillesse  chez 
leurs  maîtres  après  s'être  dévoués  à  plusieurs  générations,  tels 
que  ces  vieux  arbres  qui  donnent  encore  leurs  fruits  et  leur  om- 
brage aux  petits  enfants  de  ceux  qui  les  ont  plantés  ! 

Dans  mes  longues  insommies,  je  pense  à  notre  cher  Anjou. 
Combien  sont  puissants  les  souvenirs  du  jeune  âge  et  du  pays 
natal,  souvenirs  toujours  palpitants  !  Dans  la  jeunesse,  soutenus 
par  tous,  fêtés  par  tous,  n'inspirant  aucune  jalousie,  nous  savons 
trouver  un  beau  côté  à  toute  chose  ;  les  tourments  dont  nous 
sommes  la  source  pour  nos  parents,  loin  de  les  décourager,  les 
attachent  à  nous  davantage.  Je  me  souviens  d'avoir  vu  des  vais- 
seaux en  construction  abrités  par  un  toit,  soignés  avec  amour 
par  la  main  paternelle  de  l'architecte,  puis  enfin  lancés  à  la  mer  : 
ils  se  balançaient  majestueusement  en  attendant  les  orages  qui 
les  feraient  sombrer  sur  les  récifs,  heureux  encore  si  leur  desti- 
née ne  leur  réservait  pas  de  pourrir  dans  un  coin  du  port  !  J'ai 
souvent  pensé  au  sort  de  ces  belles  machines,  œuvres  du  génie, 
et  je  l'ai  comparé  au  sort  de  l'homme. 

Si  je  pouvais  effectuer  mon  projet,  j'irais,  en  revenant  de  Baré- 
ges,  respirer  l'air  tant  désiré  de  notre  pays.  J'ai  soif  de  passer 
quelques  jours  à  Feneu.  J'y  pense  bien  souvent.  J'ai  toujours 
souhaité  de  connaître  l'habitation  de  ceux  que  j'aime  ;  il  me 
semble  que  cela  m'aide  à  vivre  de  leur  vie  et  me  tient  près  d'eux 
quoique  absent. 

J'espère  aussi  que  notre  exposition  monstre  t'amènera  à  Paris, 

Adieu,  cher  ami.  Embrasse  bien  pour  moi  tes  enfants. 

Tout  à  toi  de  cœur, 

David   d'Angers, 

CoUcclion  l'avie.  —  Fencu  est  une  commune  'de  l'arrondissement  d'An- 
gers, où  Victor  Pavie  avait  une  maison  de  campagne. 


21 


APPENDICE 


I 

Victor  Hugo  à  M"'^  David 
La   mort  de  David. 

Guernesey,  0  janvier  1856. 
Hauteville-House. 

]|  n'y  a  [)as,  Madame,  de  consolation  pour  une  telle  perte,  pas 
plus  qu'il  n'y  a  de  remplaçant  pour  un  tel  mort.  Le  grand  sculp- 
teur est  mort,  l'homme  excellent  est  mort,  le  vide  ne  sera  com- 
blé ni  dans  votre  cœur,  ni  dans  la  gloire. 

11  est  parti,  lui,  daos  son  pays  ,  et,  Ihuinanité  dans  l'ombre, 
lui,  le  voilà  dans  la  lumière.  Envions-le  :  tendons  les  bras,  nous, 
les  cncliainés  et  les  exilés,  vers  lui,  le  rapatrié  et  le  délivré. 

Ma  douleur  est  profonde,  mais  je  n'ose  en  parler  à  la  vôtre. 
C'était  mon  frère  :  mais  c'était  la  moitié  de  votre  àme.  Permet- 
tez-moi seulement  de  pleurer  avec  vous.  Madame,  à  vos  pieds. 

Victor  Hugo. 

Collection  David  d'Angers. 


II 

Humboldt  à.  M""»  David. 
Souvenirs  du  passage  du  maitre  à  Berlin. 

Berlin,  11  janvier  1850. 

Madame, 
J'ose,  dans  les  premiers  jours  de  la  plus  profonde  douleur, 


324  DAVID  D'ANGERS 

VOUS  adresser  ces  lignes  comme  un  des  hommes  les  plus  dévoués 
à  l'homme  illustre  qui  m'a  honoré  de  sa  vive  affection.  Lors- 
qu'un grand  talent  est  réuni  à  un  beau  caractère,  à  une  grande 
élévation  de  sentimens,  à  une  fermeté  inébranlable  dans  les  prin- 
cipes, à  une  bienveillante  aménité  dans  tous  les  rapports  de  sa  vie 
sociale,  le  reflet  d'une  telle  perte  est  doublement  amer  pour  un 
vieillard  de  quatre-vingt-six  ans,  qui  va  quitter  la  terre  après 
ceux  qu'il  croyait  précéder  de  longtemps,  d'après  les  lois  de  la 
nature.  Je  me  sens  touché  jusqu'aux  larmes,  quand  je  me  rap- 
pelle cette  fraîcheur  d'idées,  cette  résignation  noble  et  toute  phi- 
losophique qui  animaient  sa  spirituelle  conversation  quand  J'eus 
le  bonheur  de  l'embrasser  la  dernière  fois,  à  son  passage  par  Berlin, 
accompagné  d'une  fille  charmante.  Il  quittait,  par  devoir  moral, 
le  foyer  domestique.  La  grandeur,  l'admirable  énergie  de  votre 
caractère  vous  faisaient  approuver  ce  beau  sacrifice.  M.  David  me 
paraissait  alors  dans  toute  l'ancienne  vigueur  physique  et  morale. 
Je  le  recevais,  environné  des  marques  de  sa  trop  généreuse 
bienveillance  !  Je  crains  que  le  climat,  les  fatigues  du  voyage  et 
des  contrariétés  éprouvées  en  Grèce,  là  où  les  impressions  au- 
raient dû  être  les  plus  douces,  n'aient  ébranlé  sa  constitution.  Ma 
douleur  la  plus  vive  est  partagée  ici  par  notre  grand  maître 
Rauch,  dont  les  sentiments  égalent  ma  reconnaissance,  mon 
attachement  à  celui  que  nous  pleurons,  ma  respectueuse  admi- 
ration pour  vous,  Madame.  Je  vous  demande  en  grâce,  quand 
vous  aurez  quelque  moment  de  calme  intérieur,  de  m'accorder 
un  petit  signe  de  vie  ;  de  me  parler  en  quelques  lignes  (car  je 
me  sens  tout  fier  de  votre  amitié)  des  dernières  semaines  de  mon 
ancien  ami  et  illustre  confrère,  de  vos  enfants  si  dignes  de  leurs 
parents!  Ma  santé  se  soutient  au  milieu  d'une  vie  agitée;  elle  se 
soutient  par  le  travail  mêœe. 

Daignez  offrir  mes  tendres  amitiés  à  la  famille  Arago. 

Hommage  d'admiration,  de  dévouement  et  de  reconnaissance. 

A.  HUMBOLDT. 

Que  d'élèves  de  son  école,  que  de  jeunes  gens  répandus  par 
l'Europe  qui  ont  joui  de  son  bienfaisant  appui  !  ! 

Collection  David  d'Angers. 


APPENDICE  325 

III 

Ary    Scheffer    à    M""»  David. 
Un  portrait  de  David  d'Angers. 

Paris,  24   février  1856. 

Madame, 

Il  y  a  une  trentaine  d'années  que  j'ai  peint  le  portrait  de 
M.  David,  que  je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer.  Les  grands  tra- 
vaux et  les  pensées  graves  n'avaient  pas  alors  laissé  leurs  pro- 
fondes empreintes  sur  ses  traits.  Malgré  cela,  vous  retrouverez 
peut-être  quelque  ressemblance  dans  cette  peinture.  J'ose  vous 
prier  de  l'accepter  comme  un  faible  témoignage  de  mon  admira- 
tion pour  l'illustre  artiste,  tant  regretté,  et  comme  une  preuve 
de  ma  respectueuse  sympathie  dans  votre  douleur. 

Ary  Scheffer. 

Collection  David  d'Angers.  —  Le  statuaire  et  Ary  Scheffer  avaient  été 
très  liés.  David  avait  modelé  le  profil  du  peintre  en  1828.  (Musées  d'Angers^ 
p.  129.)  On  peut  lire  dans  David  d'Angers,  etc.,  t.  I,  p.  209,  d'intéi-essants 
détails  sur  le  buste  et  le  portrait  peint  de  Déranger,  exécutés  en  une  seule 
séance,  dans  l'atelier  du  sculpteur  en  1829,  par  David  et  Ary  Scheffer. 


IV 

Victor  Hugo  à  M™^  David. 

La  mort  de  David.  —  Les  Contemplations.  —  Le  buste  du  poèt.3« 

Guernesey,  13  mai  (1856  î) 

Je  ne  veux  pas,  Madame,  que  cette  lettre  parte  sans  vous  porter 
mon  remerciement,  mon  respect  et  mon  souvenir.  Vous  êtes  la 
veuve  de  notre  grand  David  d'Angers,  et  vous  êtes  sa  digne  veuve 
comme  vous  avez  été  sa  digne  femme.  A  cette  heure,  toutes  les 
fois  que  je  me  tourne  vers  la  patrie,  c'est  surtout  vers  les  om- 
bres que  je  me  tourne,  car  c'est  là  qu'est  la  gloire,  la 
fierté,  la  grandeur  des  âmes,  la  lumière,  et  il  y  a  maintenant 
plus  de  vie  dans  les  morts  que  dans  les  vivants.  David  est  une 


326  DAVID  D'ANGERS 

des  ombres  auxquelles  je  parle  le  plus  souvent,  ombre  moi- 
même.  Mon  exil  est  comme  voisin  de  son  tombeau,  et  je  vois 
distinctement  sa  grande  âme  hors  de  ce  monde  comme  je  vois  sa 
grande  vie  dans  l'histoire  sévère  de  notre  temps.  Soyez  fière, 
Madame,  du  nom  grave  et  illustre  que  vous  portez.  David  est  au- 
jourd'hui une  figure  de  mémoire,  une  renommée  de  marbre, 
un  habitant  du  piédestal,  après  en  avoir  été  l'ouvrier.  Aujour- 
d'hui la  mort  a  sacré  l'homme  et  le  statuaire  est  statue.  L'ombre 
qu'il  jette  sur  vous,  Madame,  donne  à  votre  vie  la  forme  de  la 
gloire. 

Je  suis  heureux  que  le  livre  des  Contemplations  ait  été  lu  par 
vous.  Vous  y  avez  retrouvé  nos  chers  souvenirs,  et  nos  aspira- 
tions communes.  L'exil  a  cela  de  bon  qu'il  met  le  sceau  sur 
l'homme  et  qu'il  conserve  l'âme  telle  qu'elle  est. 

Avant  peu,  peut-être,  Madame,  ma  famille  vous  demandera  de 
lui  rendre  ce  buste  qui  est  ma  figure,  ce  qui  est  peu  de  chose, 
mais  qui  est  un  chef-d'œuvre  de  David,  ce  qui  est  tout.  C'est 
lui  encore  plus  que  moi,  et  c'est  pour  cela  que  nous  voulons 
l'avoir  parmi  nous. 

Je  mets  à  vos  pieds  ma  tendre  et  respectueuse  amitié. 

V.  Hugo. 

CoUeclion  David  d'Angers. —  Ces  lignes  sont  le  post-scriptum  tracé  par  le 
poète  sur  une  lettre  de  M""=  Hugo  à  M"»  David  d'Angers.  Les  Contempla- 
tions parurent  en  18S6  (2  vol.  in-S").  Nous  avons  donc  lieu  de  penser  que 
l'autographe  du  poêle,  daté  du  13  mai,  se  rattache  à  l'année  18S6. 


"Victor  Hugo  à  Robert  David. 

La  statue  de  David  d'Angers. 

Paris,  M  octobre  1880. 

Monsieur, 

Votre  lettre  m'émeut.  Il  faut  une  impossibilité  absolue  pour  me 
priver  d'être  mêlé  à  tous  ceux  qui  vont  saluer  ce  puissant  esprit, 
ce  vaillant  cœur,  cette  gloire!  David  honorera  ce  siècle.  J'ai  dit 
mon  regret  profond  aux  honorables  représentants  que  la  noble 


APPENDICE  327 

ville  d'Angers  a  bien  voulu  m'envoyer  ;  je  vous  le  répète,  à 
vous  que  j'ai  vu  petit  près  de  lui  si  grand,  à  vous  le  cher  en- 
fant de  ce  mort  illustre.  Je  serai  là  pourtant,  ma  pensée  y  sera, 
je  ne  serai  pas  absent  pour  lui;  j'assisterai  à  cette  solennité,  à 
cette  consécration,  à  ce  couronnement.  Mon  cœur  et  mon  âme 
y  seront.  Certes,  David  me  connaît  bien,  et  j'aurai  ma  part  de 
cette  fête  :  la  France  lui  payant  sa  dette  auguste,  la  statue  au 
statuaire. 

Je  vous  serre  dans  mes  bras. 

Victor  Hugo  . 

Collection  David  cV Angers.  —  Cette  lettre  a  trait  à  la  fête  d'inaugura- 
tion de  la  statue  de  David  d'Angers,  sculptée  par  Hubert  Louis-Noël,  et 
érifrée  en  octobre  1880  dans  la  ville  natale  du  maître. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES 

iNOMS  DE  PERSONNES  ET  DE  LIEUX 

AINSI  QUE  DES  TITRES   d'oEUVRES    PEINTES ,   DESSINÉES  OU   SCULPTÉES 
MENTIONNÉS    DANS    CET  OUVRAGE 


Abbaj-e-au-Bois,  39. 
Adout  (Edmond),  écrivain,  302. 
Adam  et  Eve,  groupe,  258 . 
Affiches  d'Angers,    journal,    19,  24, 

46,  109. 
Agamemnon,  143,  144. 
Aix  (catliédrale  d'),  66,  67. 
Ajax,  144. 

Alderson  (Amelia).  Voy.   Opie. 
Al manack  populaire,  184,  265. 
Alton  (M""  d'),  85,  92,  115,  125. 
Alvarez  (José),  sculpteur,  72. 
Amazone  en  lutte  avec  un    léopard, 

groupe,  145,  146,  223. 

Ampkre  (André-Marie),  physicien, 
111-113. 

Angelot  (Jacques),  auteur  drama- 
tique, 218. 

Ancelot  (Marguerite-Louise-Virgi- 
nie Chardon,  madame),  écrivain, 
121. 

Andelys  (les),  245. 
Andrew,  graveur,  183,  192. 
Ange  emportaiit  un  enfant,    bas-re- 
lief, 188,  198. 

Angers,  1-4,  7.9,  11,  12,24-27,32, 
33,  45,  46,  51,  69,  81,  84,  88,  89, 
94,  117,  123,  132,  137,  138,  140, 
150,  168,  109,  172,  181,  184,  185, 
188,191,  193,  199,  200,211,217, 
218,  228,  240,   252,  260,  265,  267, 


268,    270,  275,  276,   277,  280,  283, 
284,  312,  327. 

Angers.  —  Abbaye  Saint-Aubin, 
157,  198,  200,  314. 

—  Académie,  18. 

—  Archives  municipales,  4. 

—  Bibliothèque,  192. 

—  Cathédrale,  60,  132,  139,  162, 
244,  268,  269,276,277,  292, 

—  Cimetière,  11. 

—  École  centrale,  19. 

—  École  de  médecine,  76. 

—  Hospice  de  Sainte-Marie,  29. 

—  Jardin  fruitier,  313. 

—  Jardin  des  plantes,  186. 

—  Musée,  41,  42,  H7,  118,  120.  121, 
123,  172,  178,  185,  200,  234,  239, 
241,  266-268,  275,  276,319,  320. 

—  Petit  Séminaire  Mongazon,  168, 
169,172,  174,  17a. 

--  Préfecture,  200,  314. 

—  Théâtre,  117,  118,   123,  200,  267. 
Antigone,  223. 

Antibes,  308,  311. 

Aparicio  (José),  peintre,  7. 

Apelle,  peintre,  200,  209. 

Arago  (François),  astronome,  143, 
144,  222-224,228,324.   Buste,  153. 

Arcliivcs  de  Vart  français,  publica- 
tion, 4. 


330 


DAVID  D'ANGERS 


Arenenberg  (château  d'),  145!. 

Aristide,  299,  310. 

Aristophane,  266. 

AuNOULD,  auteur  dramatique,  60. 

Art  médical  {l'),  journal,  295. 

Artiste  ir],  journal,  260,  265,  267, 
268,  299,  317. 

Athènes,  190,  191,298-302,  304. 

AuDOUARD,  médecin,  97. 

Aulnay,  263. 

Aurillac,  288. 

Austerlitz  [bataille  d!),  bas-rehef, 
288. 

Auteuil,  près  Paris,  129. 

Avignon,  67. 

Ballanche  (Pierre-Simon),  philoso- 
phe, XI,  39,  40. 

Bally,  médecin,  97. 

Balzac  (Honoré  de),  romancier,  XI, 
88,  214,  234,249.  Buste,  230,  243. 
Médaillon,  229. 

ANDIERA  (les  frères),  patriotes  ita- 
liens. Médaille,  263-265. 

Babbier  (Auguste),  poète,  70. 

Barcelone,  96,97. 

Baréges,  190,  204-210,  275,  276,  321. 

Barra  (Joseph),  soldat  de  la  Répu- 
bhque.  Statue,  XV,  125,  153.  291. 

Barrault, jardinier,  300. 

Barre  (Auguste),  sculpteur,  142. 

Barrère  DE  ViEuzAC  (Bertrand),  con- 
ventionnel, 171,  234. 

Bart  (Jean),  marin.  Statue,  XIX, 
217,  218,  233,  234,  236,  248-252, 
257,  238. 

Barthélémy        (Auguste-Marseille), 

poète.  Médaillon,  63. 
Bartolini      (Lorenzo),     sculpteur, 
142. 

Bastard  (Toussaint),  médecin,  185. 

Baudin  (M"-»  Annette),  65,  71-73. 

Bazeilles,  XVI,  XVII. 

Beaupreau  (collège  de),  175. 

Beauregard  (M.  de),  161,  162,  244. 

Beaurepaire  (Nicolas-Joseph),  com- 
mandant. Projet  de  statue,  220, 
293. 

Béclard  (Pierre-Augustin),  méde- 
cin, 12,  13. 

Beecher-Stowe  (mistress),  roman- 
cier. Médaillon,  315-317. 


Bell  ANGE  (Joseph-Louis-Hippolyte)> 

peintre,  42. 
Bellefontaine,  31. 
Belleyme  (M.  de),  35. 
Be L Loc  (Anne -Louise  S wanton ,  M'»") . 

écrivain,  22,   315,    Médaillon,    23, 

316. 
Benoist      (Marie-Guilhelmine     La- 
ville-Leroux,  madame),  peintre,  7. 
Benoist  (Pierre-Vincent),    écrivain, 

7. 
Benoit  (M.),  237. 
BENTHAM(Jérémie),  moraliste.  Buste, 

36,  37. 
Béranger  (Pierre-Jean    de),    poète, 

61,  114,  178,  212.  Buste  et  portrait, 

323.  Médaillon,  263,  264. 
Bérésina  [Passage  de  la),  bas-relie.', 

288. 
Berger  (le  Jeune),  statue,  6.  7. 
Beriin,  51,  64,  71,  73,  83-85,  87,  91, 

92,  101,    110,    112-115,     125,    145, 

154,  155,  171,  182,222,    223,    234, 

235,  238,  246,  272,  323,  324. 
Berthe     (Jacques-Andrél,     relieur, 

189,  192,  195. 
BERTRAND(Louis,  dit  Aloysius),  poète, 

106,    179-181,    183,    186,    191-193, 

199,  203,  286. 
Bertrand  (M'»^),  183,  191,  203. 
Bbrry    (Marie-Caroline-Ferdinande- 

Louise  de  Bourbon,  duchesse  de), 

34,  63. 
Berryer  (Antoine-Pierre),  avocat.  63. 
Berzelius  (Jean-Jacques),  chimiste, 

XI.  Buste,  101,  102,    120,  121,  126, 

127.  Médaillon,  121. 
Besançon, 174,  202. 
Beute  (M.  et  Mii«),  91,  100,  101,  110, 

114,  115. 
Beyle  (Henri),  romancier,  XI. 
Béziers,  125,  139,  147,  151,  207. 
—  Théâtre,  266,  267. 
Bichat  (Marie- François-Xavier),'phy- 

siologiste.  Statue,   XIX,  169,  170, 

190-192,  196,  197,  200,  293. 
Biget  (Anne).  Voy. Marthe    (Sœur). 
Bigot  (Théodore-Charles),  médecin, 

76. 
Billard   (Charles-Michel),  médecin. 

Buste,  80. 
Binet  (Mathurin),   architecte  ,   266, 

267. 
Blois,  228. 


TABLE  ALPHABETIQUE 


331 


Blondel  (Merry-Josepli), peintre,  63. 

BLacHER  (le  maréchal  prince).  Mo- 
nument et  statue,    72. 

BoDiN  (Jean-Fran(,"ois),  historien.  18- 

BoDixiER  (Guillaume), peintre,  27,28. 

BoERHAVE  (Ilerraann),  médecin,  ISl. 

BoLESLAs,  prince  polonais,  14(). 

Bonaparte. Voy.  Napoléox. 

Bo.vcHAMPS  (Artus  de),  'général  ven- 
déen. Monument,  XV,  9,  M,  15, 
18,  42.  178, 181,  183,  221,228,  244, 
259,  260,  268,  320. 

BoNixGTo.v  (Richard-Parkes),  pein- 
tre, 39. 

Bonn,  182. 

Bonneseaux  (Maine-et-Loii'e),  312. 

Bonnet  (M.),  193. 

Bordeaux,  130,  236. 

BoRDiLLON  (Grégoire),  homme  poli- 
tique, 280. 

BoRGiA  (Lucrèce),  69,70. 

Bosio( Jean-François- Josephj,  sculp- 
teur, 248,  249.  " 

BOSSANGE   (M.),    18. 

BoTZARis  (Marco),  général  grec. 
Tombeau,  81,  90,  103,  301,  309. 

BoucHOTTE  (Jean-Baptiste-Noël),  mi- 
nistre de  la  guerre.  Médaillon, 
148,  131. 

BooiLLÉ  (M.  et  M""'  de),  19. 

Boulanger  (Louis),  peintre,    26,  34. 

BouLAY  DE  LA  Mecrthe  (Autoine- 
Jacques-Glaude-Joseph,  comte). 
Buste,  73. 

Bourg,  170,  200. 

Bourgonnière  (château  de  la),  17. 

Bouterwek  (...),  73. 

Bouterwek  (Frédéric),  philosophe, 
73. 

BouYRAT,  chapelier,  32. 

BovET  (A),  collectionneur,  7,  219. 

BOYLE.\U  (M"-:^),  138,  139. 

Bhandf  (IL-F.),  graveur  en  médail- 
les. Médaillon,  113. 

Brendt,  2G6. 

Breslau,  72,  223. 

Brest,  240. 

Brian  (Louis),  sculpteur,  243. 

Brissac  (le  duc  de),  10. 

Broussais  (Ga.simir),  mé(|,;cin.  Mé- 
daillon, 183,  186. 


Bruges,  293. 

Brulart,  (Le  marquis  de),  4. 

Bruxelles,  19,  20,  294,  293. 

—  Bibliothèque,  21. 

—  Hôtel  d'Areaberg,  21 . 

Bltfkon  (Jean-Louis  Leglerc,  comte 
de),  naturaliste,  131. 

Buisson  ardent  (le),  peinture,  67. 

Bltoxarroti  (Michel-Angiolo),  pein- 
tre,  sculpteur  et  arcliitecte, 209. 262. 

Bl^rger  (W.).  Voy.  Thoré  (Théo- 
phile). 

BuRNOUF  (Eugène),  orientaliste.  Mé- 
daillon, 177,  183. 

Burns  (Robert),  poète,  33. 

Byron  (Georges  Gordon,  lord),  102. 
310.  Médaillon,  237. 

Cadeau  (René),  peintre,  18,  19. 

Calais,  231. 

Galderon  (Pedro),  poète,  223. 

Callamare  (Gharles-Anloine),  sculp- 
teur. Médaillon,  273. 

Cambrai,  18,19,  204. 

Camille  (Sœur).  Yoy.  Saint- Vin- 
cent. 

Canaris  (Constantin),  marin  grec. 
Buste.  299,  300,  302,  304. 

Ganclaux  (le  comte  de),  consul,  48, 
102,  104. 

Gandolle  (Auguste-Pyrame  de),  bo- 
taniste. Médaillon,  183,   186.  .,„.,,, 

Ganova  (Antoine),  sculpteur,  7,  223, 
263,  267,  272 . 

Gardillac  (René),  orfèvre,  68. 

Carnac,  240. 

Garnot  (Lazare-Nicolas-Marguerite), 
conventionnel  ,  170.  Médaillon  , 
216,  217. 

Garnot  (Lazare-IIippolyte),  homme 
politique,  sénateur,  170,  171,  216. 

Garnot  (M™^  Lazarc-Hippolyte),  171 . 

Garrel  (Armand),  publiciste.  Sta- 
tue et  buste,  120,  121  .Médaillon,  68 . 

Cartellier  (Pierre),  sculpteur,  8. 

Carthage,  191. 

Garus  (Charles-Gustave),  médecin, 
naturaliste  et  peintre.  Buste,  88, 
116,  117,  147.  Médaillon,  88,  117. 

Gauterels,  203. 

Gavaignac  (Godefroid),  pujjliciste. 
Médaillon,  263,  264. 

Gavé  (François),  directeur  des  beaux- 
arts,  232,  234,  243.  234,  233. 


332 


DAVID  D'ANGERS 


Cécile  [Sainte).  Statue,  138-140,  178, 

292. 
Géphisia.  Voy.  Képhissia. 
Ghaillod,  marchand  d'estampes,  28. 
Chalounes,  185. 
Ghambry,  amateur,  7. 
Chamisso  (Adalbert  de),  naturaliste, 

romancier  et  peintre,  82,  83,  112. 

Médaillon,  84,  113-115.  ' 
Ghampaigne    (Philippe  de),   peintre, 

XII. 
Gharlemagne,  86. 
Gharleroi,  21. 
Gharles  X,  45. 

Gharlet  (Nicolas-Toussaint),   dessi- 
nateur   et    peintre,    XI,    143-145, 

227,  253-255. 
Gharlet  (M""=  Vve),  254,  255. 
Ghai'Iottembourg  (jardin  de),  146. 
Ghateacbriand    (François-René,  vi- 
comte   de),    écrivain,  XI,  26,    39_, 
r   40,  62,  63,  175,  198,  225,  242,  314. 

Buste,  47,  48,  52,  289.    Médaillon, 

263,  264. 
Ghateaubriand  (M"'=  de),  52. 
Chateaubriand  (M"'=  Sibylle  de),  52. 
Ghateaugiron  (M"°  de),  103. 
Chaudet  (Antoine-Denis),  sculpteur, 

291, 
Ghauvinière  (M.  de  la),  234. 
Ghavagnes    (Maine-et-Loire)  ,    161, 

162,  169. 
Ghénier    (André    de),    poète,   XIV. 

Buste,  XV,  153,  154,  213-215. 
Ghénier    (Marie-Joseph  de),   poète. 

Buste,  233,  234. 
Gherbourg,  184. 
Chevaux,    de  Mariy ,    groupes   par 

Goustou,  104. 
Chevaux,  sculptures  par  KIot,  223. 
Gheverus  (J.  Lefébure  de),  cardinal. 

Statue,  XIX,  202-203,  234,  236,244, 

247,  291. 

Ghevreul  (Michel-Eugène),  chimiste, 
XI,  11,  25,  26,  178. 

Ghiron  (le  centaure),  144. 

Ghrist.  Voy.  Jésus-Christ. 

Cid  (le),  bas-relief,  266,  267. 

Clark  (Miss),  48. 

Clermont,  23. 

Golet  (Louise),  poète,  218. 


Golettis  (J.),  homme    d'État,  105, 

106.  Médaillon,  106. 
Colomb  (Christophe),  navigateur,  119. 
Combat  d'un  lion,  groupe,  223. 
Combourg  (château  de),  près  Saint- 

Malo,  52. 
Commerce  (le),  haut-relief,  125. 
GoxDÉ  (Louis  II,  prince  de),  dit    le 

Grand    Gondé,    capitaine.  Statue, 

XV,  8,  9,  51,  59. 
GooPER  (Fenimore),    romancier,  XI, 

29.  Buste,  22,  23,  29. 
Coq  {un],  sculptui-e,  51. 
Coquereau  (M""),  138,  139. 
Corbière      (Jean  -  Antoine  -  René  - 

Edouard),    romancier,    191,   290. 

Médaillon,  192. 
Gordoue,  72. 

Gormenin  (Louis  de),  publiciste,  XL 
Corné,  54. 
Corneille  (Pierre),  poète,  XIII,  266. 

Statue,  62,  70,78,  79,  99,  133. 

Cornélius  (Pierre    de),  peintre,  223. 

Gortot  (Jean-Pierre),  sculpteur,  65, 
72. 

Gosenza,  264. 

Cosnier  (Léon),  littérateur,  300,302, 
310. 

Gottenet,   collectionneur,  255. 

Gottereau  le  Chouan.  139.  Porti'ait, 
138. 

Goudray,  architecte,  56.  Médaillon, 
57. 

Courrier  (Ze),  journal,  283. 

Cousin  (Victor),  philosophe,  XI,  167, 
168,  218. 

Goustou  (Guillaume),  sculpteur,  104. 

Couthon  (Georges),  conventionnel. 
Buste  et  portrait  peint,  236,  237, 
239. 

Couturier  de  Vienne  (H.-J.-B),  pu- 
bliciste, 51. 

Curmer,  éditeur,  265. 

GuviER  (Georges),  naturaliste,  34. 
Statue,  101,  125.  Buste,  116. 

Dannyaux,  collectionneur,  216,  258. 

Danseur  {un),  statue,  226. 

Dantan  (Jean-Pierre)  jeune,  sculp- 
teur, 190,    191. 

Dante  Alighieri,  poète,  25,  210. 

Danton  (Georges-Jacques),  conven- 
tionnel, 295. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


333 


Danube  [le),  statue,  146. 

Dauxou  (Pierre-  Claude- François), 
homme  politique,  21d.  Médaillon, 
217. 

David  père  (l'ierrc-Louis), sculpteur, 
189, 198. 

David  d'Angers  (Pierre-Jean),  sculp- 
teur. Buste,  XIV,  XV.  Portrait 
littio^rapliié,  26.  Portrait  peint, 
32o.  Statue,  326,  327. 

David  d'Axgeks  (Emile  Maillocheau, 
madame),  XV,  XVII,  XVIII,  XIX, 
58,  68,  72.  74.  76.  77,  85,  86,  91-93, 
97,  98,  101,  107,  108,  109,  115,116, 
121  125,  127,128,135,137,  139, 
147,  150,  152.  153,-156,  165,  1117, 
170  171,  173,  179.  181,  182,  188, 
191^193,  202,204.  211-213,  220, 
222,  223,  233,  241 .  247,  248,  257, 
258,  207,  274, 275, 281-283, 287,  289, 
292-294,  302-306,  ^08,  311,  315, 
316,  323-326. 

D.wid  d' Angers  (Paul),  187. 

David  d'Angers  (Robert),  sculpteur, 
I  V,  XIX,  74,  76,  80,  82,  84,  90, 
94,  115,  122,  129,  196,  197,  200, 
203,  204,  238,  257,  261,  264,  281, 
287-289,  292,  294,  295,  302-311, 
313,  326,  327.  Statues,  XV,  XIX, 
101,  102,  197. 

David   d'Angers  (Hélène).    Voy.    Le- 

FERME    (M""^). 

David  (Jacques-Louis),  peintre,  1,  3, 

4.  7,   18,  19,  21,  23,  228,  233,  284. 

Médaillon,  4. 
Dejocx  (Claude),  sculpteur,  1,  3,  6. 

Médaillon,  4. 
Delacroix  (Eugène),  peintre.  IV,  XI, 

90,  91,  199,   200.  Portrait,  26,   27. 
Delaroche    (Paul),   peintre,  63,  202, 

203,  200-210. 
Dei.avigne  (Casimir),  poète,  21,  22, 

24,   20,  77,  232.  Statue,  235,  236, 

239,  245,  269,  274,  290,  301. 
Deléclcze  (Etienne-Jean),  peintre  et 

écrivain,  139. 
Delor.\ie  (Marion),  45. 
Delcsse  (Jean-Jacques),  dessinateur, 

16,  26,  41. 
Demidoi'f  (Paul),  65. 
Démosthène,  298. 
Demoustiers  (Charles-Albert),  poète, 

7. 
Donain,  19. 
Dexïu,    éditeur    el    collectionneur, 

159. 


Desdordes  (Marceline).    Voy.    Val- 

JIORE. 

Deschamps    (Emile),    poète,    26,    37, 
213,  214. 

Destutt   de    Tracy   ("Antoine-Loiiis- 

Claude),  philosophe.    Buste,   153. 

Dictionnaire  politique  (le),  184,  18G. 

Distribution  de  prix,  has-velieî,  168, 

175,  202. 

Dombasle  (Mathieu  de),  agronome. 

Statue,  234,  262,  263,  291. 
DoNAs  (Roch-Jean-Baptiste),  peintre 

et  sculpteur,  180,  181,  190. 
Dresde,  56,  71,  82,  84,  85,  87,  88,  101 

109,  147,  239. 
Drouot    (Antoine,   comte),  général 

Monument,  293,  317. 
Droz  (François-Xavier- Joseph),  phi 

losophe,  XI.  Médaillon,  74,  75. 
Du  Bellay  (Joachira),  poète,  89,  90 

173,   178,  181.  Portrait,  128,   129 

176,  177,  183,  189,  192,  194.  Projet 
de  buste,  188. 

Dublin,  48. 

Dubois  (Antoine,  baron),  chirurgien, 

41. 
DuBRUNFAUT,  coUsctionneur,  47,273. 
Duclerc  (E.),  éditeur,  180. 
Dul-ong  (Pierre-Louisi,  chimiste,  126. 
DuLONG,  fils,  dessinateur,  143. 
Dumas  (Alexandre),    romancier,   48, 

61,  62,  1.52. 
DuMONT    (frère    de   Jacques-Edme,', 

peintre,  103. 
DuMONT  (Jacques-Edme),   sculpteur, 

103,  104. 
DcMONT    (Pierre-Etienne-Louis),   dit 

DuMONT  de  Genève,  publiciste,  XI, 

36,  37, 
DuMOURiEZ  (Charles-François),  géné- 
ral. Buste,  117,  118. 
Dunkerquc,  218.    234,  248-252,  258, 

278,  297. 
DuPATY  (Louis-Emmanuel),  écrivain, 

218. 
DupRÉ   (Augustin),  graveur  en  mé- 
dailles. Médaillon,  21. 
DuPRÉ (Louis), peintre  ctlilhograplie, 

19,  26,  28-30. 
Durer  (Albert),  peintre    et  graveur. 

Statue,  140,  147. 
Duret  (Francisque),  sculpteur,  226, 

232,233. 
Durtal  (Maine-ot-Loire),  188. 


334 


DAVID    D'ANGERS 


DuTERTRE  (André),  peintre,  102. 

Ecouflant,  près  Angers,  26. 

Eggers,  collectionneur,  73,  83,  92, 
101,  115,  125,  155,  171,  235,  246, 
272. 

Egine,  240. 

Eue  de  Beaumont  (Jean-Baptiste- 
Armand-Louis-Léonce),  géologue. 
Médaillon,  221. 

Enfant  à  la  grappe  (/'),  XV,  XIX, 
101,  102. 

Etienne  (Charles-Guillaume),  écri- 
vain, 218. 

Euripide,  223. 

Europe  littéraire  [V),  journal.  75,76. 

Eve.  Voy.  Adam  et  Eve. 

Eyck  (Jan  Van),  peintre,  296. 

Faucher  (les  frères),  généraux.  Mé- 
daillon, 266,  267. 

Favart  (la  pension),  13. 

Femme  [une  têle  de),  buste,  226. 

Fénelon  (François  de  Salignac  de  La 
Mothe),  archevêque  de  Cambrai, 
240.  Statue,  18,  19.  Buste,  22,  23. 

Feneu  (Maine-et-Loire),  319,  321. 

Figaro  (le),  joui'nal,  90. 

FiLLON  (Benjamin),  archéologue,  42, 
318,  319,  320. 

Finkenstein  (la  comtesse  de),  109. 

Fitz-Maurice.  Voy.  Lansdowne. 

Flandtun  (Hippolyte),  peintre,    313- 

Fleurus,  34. 

Fontainebleau,  166. 

FoNTÉMOiNG  (M.),  234,  249, 

Fontenay-le-Gomte  (Vendée),  319. 

FoRBiN  (  Louis-Nicolas-Philippe-Au- 
guste, comte  de),  peintre  el  écri- 
vain, directeur  des  musées  royaux, 
20,  21. 

FoRGET  (la  baronne  de),  90.  Médail- 
lon, 91. 

FoucHER  père,  94. 

FoucHER  (Paul),  écrivain,  32,  33, 

FoY  (Maximilien-Sébastien),  général. 
Monument,  71. 

Francke  (A. -H.),  philanthrope.  Mo- 
nument, 63. 

Franklin  (John),   navigateur,  40. 

François  I",  209,  290. 

François,  médecin,  97. 

Frédéric  Auguste  (le  prince),  117. 


Frédéric    II,  le  Grand.  Monument, 
146,  147.  Statues,  223. 

Friedrich  (Gaspard-David),  peintre 
87.  Médaillon,  88. 

Froment  (Nicolas),  peintre,  67. 
Frontispice,  dessin,  319,  320. 
Galicie  {les  massacres  de),  médaille, 

266,  267. 
Garnier  (François-Claude),  médecin. 

Buste,  266,  267,  269. 

Garnier-Pagès.   Projet  de  tombeau, 

184,  186. 
Gaube  (le  lac  de),  205,  206. 
Gautier     (Théophile),     littérateur. 

Médaillon,  249,230. 

Gavarnie,  près  Baréges,   203,  286. 
Gay   (M'"    Delphine),    poète,  47,  53, 
96,  97.  Médaillon,  34,  33. 

Gay   (M""    Sophie),   romancier,    47, 

53. 
Genève,  37. 

Geoffroy  Saint-Hilaire  {M°«  Isidore), 

281-283. 
Georges    (M"'=),    actrice.    Médaillon, 

60. 
Gérard    (François -Pascal,    baron\ 

peintre,  63,  63,  72,  84.  Buste,  120, 

121. 

Gerbe  (la),  journal,  89,  90. 
Gerbert.  Voy.  Sylvestre  IL 
Gheel  (Van),   sculpteur,  6,  21. 
GiGoux    (Jean),    peintre,    214,   229, 
230,  243,  253-233. 

Girodet-Trioson  (Anne-Louis),  pein- 
tre, 7. 

GoBERT  (J.-N.),  général.  Monument, 
125,  145,  146,  158,  190,  196,  220, 
223,  273. 

Godard-Faultrier  (Victor),  archéo- 
logue, 275,  276. 

Goethe  (Jean-Wolgang),  poète,  47, 
73,  124,  223.  Buste,  42,  43,  45,  46, 
56,  57,  98,  146,  218,  219,  239. 

Goldoni  (Carlo),  poète,  130. 

Granet  (François-Marie),  peintre,  21. 

Grecque  (la  Jeune),  statue,  XV,  81 , 
90,  103. 

Grégoire  (l'abbé  Henri).  Buste,  153. 

Grille  (François) ,  bibliothécaire  , 
177,  181,  189,  192,  288. 

Grille    (Toussaint),    amateur,    177, 

191,  195. 
Gros  (Antoine-Jean,  baron),  peintre, 

20,  21,  77,  83,  84. 


TABLE    ALPHABETIQUE 


335 


Gucrnesey,  323,  325. 
Guerre  {la),  statue,  232. 
GuTENBERG  (Joan),  195.  Statue,  XIX, 
125,   158,   162,  167,  170,  199.  200, 
202,  215,  228,  262.  Statuette,  247, 
252,  259,  260. 

GuTTiXGUER  (Ulrich),  poète,  129. 

Haeiung    (Guillaume    dit  WiLicAi.n, 
Alexis),  romancier,  114,  124,  125. 
Médaillon,  110-113. 
Hahnemanx  (Samuel),    médecin,  XI, 
Buste  et  médaillon,  95. 

Hah\eman.\  (Mélanie  d'Hervill3%  M"'"), 
102. 

Halle  sur  Saale,  65. 

Hambourg,  91. 

Havre  (le),  91.  170,  191,  192,  225, 
231,  232,  235,  236,  239,  245,  248, 
290,  301. 

IIawke  (Pierre),  peintre  et  dessina- 
teur, 206,  211. 

Haye  (La),  21. 

Hemlixg  (Hansi,  peintre,  295,  296. 

Hexriquel-Dupont  (Louis-Pierre)  , 
graveur,  XI.  Médaillon,  118. 

Herder  (Jean-Gottfried),  écrivain, 
124. 

Héringtdorf,  111. 

Hervilly.  Voy.  Hahnemanx. 

Herzfeld  (M.),  100. 

IIippocrate,  197. 

HiTTORF  (Jacques -Ignace),  architecte, 
XI,  125,  126. 

Hoche  (Lazare),  général,  320. 

Hoffmann  (Ernest -Théodore- Wil- 
helm),  romancier,  68,  272. 

Holtei  (Charles  de),  poète  et  comé- 
dien, 112,  113. 

Homère,  24, 262.  Apothéose  d'— ,  pein- 
ture, 210. 

Hortexse  (la  reine).  Statue,  142. 

IIouuoN  (Jean-Antoine) ,  sculpteur, 
117. 

HUDOU  (Mlle),  19.5. 

Iluillé  (Maine-et-Loire),  188. 

ihGo  ,'Marie-Victor,  comte),  IV,  XI, 
XII, ~ 4,  24-27.  :J2.  33,  38,  39,  4.5, 
51,  60,  61,  63,  69,  70,  74-76,  78, 
79,88,129,  167,  179.  180,  195,196, 

-  218.  224-226,  281,  284.  285,  323, 
32.5-:}27.  Bnste,  120-123,  139,  140, 
202,  238,  241,317,  326.  Médaillon, 
32.  34,  35,  37. 

Hugo  (Adèle  Foucher,  M""=  Victor), 


94,  123,  224,  326.  Médaillon,  38, 
39. 

Hugo  (Léopoldine),  94,  224,  226. 

Humanité  (T).  projet  de  groupe,  150. 

HuMBOLDT  (Alexandre,  baron  de),  na- 
turaliste, XI,  64,  72.  73,113,  115, 
125,  126,  146,  155,  23S,  323,  324. 
Buste,  222-224,  246. 

HussoN  (Aristide),  sculpteur,  201 ,  258. 

Hymans  (Henry),  écrivain,  21. 

Ilyéres,  67. 

IcTiNus,  architecte  grec,  206.  209. 

léna,  116. 

Illustration  [V),    journal,  300,  302. 

lo,  144. 

Isaac  {Rencontre  cl']  et  de  Rébecca, 
peinture,  20,  21. 

Ingres  (Jean-Dominique- Augustin), 
peintre,  05,  72,  204,  210. 

Innocence  implorant  la  Justice  [V], 
bas-relief,  H. 

Jacquin,  écrivain,  142. 

Jaxix  (Jules),  littérateur,  222,  245. 

Jean,  domestique,  321. 

Jean  l'évangéliste  (saint),  130. 

Jefferson  (Thomas),  président  des 
Etats-Unis.  Statue,  62,70. 

Jehova,  271. 

Jemmapes,  19. 

Jésus-Christ,  86,  87,  208,  303,  314,  — 
écrivant  sur  le  globe  du  Monde. 
dessin,  130,131,  135,  136,  16o.Tcto 
de  — ,  sculpture,  157,  189. 

Jeuffroy  (Romain-Vincent),  graveur 

en  médailles,  1.  Médaillon,  4. 
JoMARD  (Edm. -François),  géographe. 

Médaillon,  201,  262. 
Joséphine  (l'irapératrice),  96,  97,142. 

Portrait,  90.  Médaillon,  91. 
JouARRY,  médecin,  97. 
JouiN  (Henry),  sa  collection,  9,  31, 

50,  105, 1.35,  1.52,  254. 
JouRDAN    (Jean-Baptiste) ,    maréchal 

de  France.  Médaillon,  34. 
Journal  d'Angers,  118,  255. 
Journal  de  Maine-et-Loire,  269,  302, 

314. 
Journal  du  mois  (le),  272. 
Jui.T.iEN    DE   Paris     (Marc- Antoine), 

publiciste,  47. 
Jupiter,  298. 
Kadelbeug,  195. 


336 


DAVID  D'ANGERS 


Képhissia  ou  Céphisia,  XX,  302,305. 

KiRSTEiN  (Jacques-Frédéric),  ciseleur, 
199,  200. 

Kiss  (Auguste),  sculpteur,  146,  223. 

Klenze  CLouis-Léon  de),  architecte, 

88,  111.  Médaillon,  91,  92, 124,125. 
Klot,  sculpteur,  223. 
Kdhn,  chef  d'institution,  261. 
Labédoyère  (Charles  HacHET,  comte 

DE),  colonel.  Médaillon,  266,  267. 
La  Bitte,  libraire,  183. 
Lacépède  (Etienne  de  Làville,  comte 

de),  naturaliste,  XL 
Lachèse  (M.),  51. 
La  Fayette  (Gilbert  Motier,  marquis 

de),  général,  XI,  27,  62,  97.  Buste, 

297. 

La  Grange  en  Brie  (château  de),  27. 

Laine  (Joseph- Henri-Joachim,  vi- 
comte), homme  d'Etat,  8. 

Lakanal  (Joseph),  conventionnel,  XL 
Buste,  171,  172.  Médaillon,  172. 

Lamarque  (Maximilien,  comte),  gé- 
néral, 63. 

Lamartine  (Alphonse  de  Prat,  dit), 
poète,  XI,  46,  54,  70,  81,  88,  105, 
162, 167,  215,270,  271,  284-286,314. 
Buste,  38,  49.  Médaillon,  53,  54. 

Lamennais  (l'abbé  Félicité-Robert 
de),  écrivain,  XI,  130,131.  135,136, 
175,  176,178,198,  285.  Buste,  120, 
121,  153,  159,  160,  164,  165. 

Langlois  (Jérôme-Martin) ,  peintre, 
144. 

Langlois  (Hyacinthe),  antiquaire  et 
dessinateur,  99,  100. 

Lansdowne  (Henri  Petty  Fitz-Mau- 
rice,  marquis  de),  36,  37. 

Laocoon  (/e),  groupe,  208. 

La  Revellière-Lepeaux  (Louis-Ma- 
rie), conventionnel,  58. 

La  Revellière-Lepeaux  (Ossian),  57, 
58. 

La  Revellière-Lepeaox  (Victorin), 
304,  306. 

Larrey  (Dominique-Jean,  baron), 
chirurgien.  Statue,  236,  239,  252, 
288. 

Larrey  (Hyppolite,  baron),  chirur- 
gien, membre  de  l'Institut,  252. 

Laruns,  149,  243. 

Lasteyrie  (Ferdinand  de),  archéo- 
logue, 61,  62. 

Lasteyrie  (M.  et  M"'  de),  61. 


Las  Casas  (Barthélémy  de),  domini- 
cain, 22. 

Latodche  (Henri  de),  écrivain,    263, 

264. 
Laugier  (Ernest),    astronome,  "  224. 
Laussedat  (Aimé),  médecin,  294,  295. 
Laval,  158,  175,  176. 
Laville-Leroux.  Voy.  Benoist  (M"°). 
Lebiez,  photographe,  XVI. 
Le   Breton  (Gaston),    conservateur 

du  musée    céramique    de  Rouen, 

1^:2. 

Lebreton  (Théodore),  poète  impri- 
meur sur  étoffes,  105, 127, 128, 134, 
137,  180,  193.  Médaillon,  99,    100. 

Le  Brun  (Charles),  peintre,    XIII. 

Lebrun  (Pierre-Antoine)  ,  poète  , 
200,  202. 

Leclère    (Achille),  architecte,    225. 

Lecomte  (Félix),    sculpteur,  1,  3,   4. 

Leferme  (Hélène  David  d'Angers, ma- 
dame), 107,  108,115,116,  129,196, 
240,  257,  275.  292.  294,  299,  300, 
302,  304,  305,  311,  324.  Médail- 
lon, 138,  139. 

Lefeuve  (Charles),  historien, XX. 
Législation  (la),  statue,  232. 
Leloir,  graveur,  183,  189,  192. 
Le  Loyer  (Pierre),  poète.  Projet    de 
buste,  188. 

Lemaire  (Philippe-Joseph-Henri)  , 
sculpteur,  80,249. 

Lemercier     (Louis-  Jean-  Népomu- 

céne),  poète,  1.  Médaillon,  4,    63, 

64. 
Lemercier  (M^^    et  M"=),  64. 
Lexepveu    (Jules-Eugène),    peintre, 

membre  de  l'Institut,  158,  276. 
Lenormant  (Charles),    archéologue, 

190.  Médaillon,  191. 
Léonidas,  peinture,  19. 

Leroux  (Jean-Marie),  graveur,  228, 
244,  260. 

Leroux  (Pierre),  philosophe,  303. 

Le  Sueur    (Eustachc),  peintre,  XII. 

Lethière  (Guillaume-Guillon),  pein- 
tre, 63. 

Leysener  (Jean-Sébastien)  ,  sculp- 
teur, 156,  189-192,  194,  195,  198. 
Médaillon,  157,  244.  Portrait,  206. 

Liège,  2. 

Lille,  265. 

Lioîisaitiquant  un  porc,  peinture, 
314. 


TABLE  ALPHABÉjTIQUE 


337 


Lire  (Maine-ot-Loire),  188. 

Lizy-sur-Ourcq,  212,  213. 

LocKROY  (Joseph-Philippe  SiMOX.dit), 
auteur  dramatique,  60. 

Londres,  4,  22,  29, 30,  33,  36,  96, 151, 
137,  287. 

Loué  (Sarthe),  319. 

Louis  XIV,  206. 

Louis-NoEL  (Hubert),  sculpteur,  327. 

Louvio  (carrière  de),  149,  151,  243. 

Luc  l'évangé LISTE  (saiut),   130. 

Lycurgue, 304. 

Lyon,  23,  139,  311. 

>L\CD0XALD  (Etienne-Jacques  -  Jo- 
seph-Alexandre) ,  maréchal  de 
France,  23. 

Madrid,   72. 

Magdebourg,  83. 

MAGu(Marie-Eléonore)  ,  poète  tisse- 
rand. Médaillon,  212,  213. 

Maillard  (Adrien),  écrivain,  90,  94, 
123,  137,  141.  154,  153,  234,  235, 
256,  259.  Médaillon,  132,  133. 

Maillocheau  (M.),  138,  139. 

MAi.\DRON(Hippolyte),  sculpteur,  33, 
34,  57,  58. 

Manuel  ^Jacques-Antoine),  député. 
Médaillon,  61. 

Man'zoxi  (Alexandre,  comte),  poète, 

314. 
Marathon,  300. 

Marceau  (François-Séverin  Desgra- 
viers), général,   102-104. 

Marie-Madeleine  (sainte),  79. 

Marmier  (Xavier),  écrivain,  92,  93. 
Médaillon,  93. 

Marmoxt  (Auguste-Frédéric-Louis 
ViEssE  de),  maréchal  de  France, 
23. 

Mars  (Anne  -  Françoise-  Hippolyte 
BouTET,  dite  mademoiselle),  comé- 
dienne. Buste,  153,  266,  267. 

Marseille,  59,  60,  91,  94,  312. 

—  Arc  de  triomphe,  66,  67,  100. 

Marthe  (Anne  Biget,  Sœur),  96,  97. 

Marti.n-  (Aimé),  écrivain,  291. 

Massa  (Toussaint),  sculpteur,   6. 

Mathieu  (Claude-Louis),  astronome, 
224. 

Mathieu   l'évangéliste  (saint),  130. 

Matipeu  de  Mo.ntaigu  (M.),  historien, 
320. 


Mauroy.  Voy.  Monnoi. 
Mayenne,  203,244. 
Mazet,  médecin,  97. 

Mazure  (Adolphe),  inspecteur  d'Aca- 
démie, 22-24,  32. 
Médée,  223. 

Mé\ageot  (François  -  Guillaume) , 
peintre,  1,  3,  4. 

Ménaud  (Alfred-Pierre),  dessinateur, 
206. 

Mercier  (J.-M.), peintre,  183,  269. 

Mercure  inventant  la  lyre,  statue, 
226. 

Mérimée  (Prosper),  écrivain,  48,  52. 
Médaillon,  34. 

Metternich  (Clément-  Wenceslas, 
prince  de),  homme  politique,  266. 

Metz,  148. 

Meurice  (Paul),  romancier,  317. 

Meynier  (Charles),  peintre,  63. 

Michel-Ange.  Voy.    Buonarroti. 

MicHELi,  mouleur,  67,  68,  200,  203, 
229. 

Michelet  (Jules),  historien,  79 . 

Michelot  (M.),  73. 

Miçkiewicz  (Adam),  poète,  XI,  47, 
157. 

Miecislas,  prince  polonais,  146. 

Mignard  (Pierre),  peintre,  XII. 

Mignet     (François-Auguste-Marie), 

historien,  216,  218. 
Milan,  314. 

Millet  (Aimé),  sculpteur,  228. 
Minerve,  298. 
Mirabeau  (Honoré-Gabriel  Riquetti, 

comte  de),  homme  politique,  78,79. 
Mirault,  médecin,  76,  185. 
Miroir  (le),  journal,  19. 
Missolonghi,  XX,  309. 
Moïse,  164,  303. 

Molière  (Jean-Baptiste  Poquelin  , 
dit),  Xll-Xlll,  218,  266.  Statue, 
226. 

Moll  (Edouard),  architecte,  29, 138, 
168,  109,  172,  178,  266. 

Mongazon  (l'abbé  Urbain  Loir),  fon- 
dateur du  petit  Séminaire  d'An- 
gers. Monument,  168,  169,  172- 
174,  202,  217,  225. 

Monnoi  ou  Mauroy,  Sœur  de  Sainte- 
Camille,  96. 

MoNsiGNY     (Pierre-Alexandre     de), 

22 


338 


DAVID  D'ANGERS 


compositeur.  Projet  de  buste,  216, 
217. 
Montbéliard,  101. 

MoNTiGNY  (Lucas  de),  collectionneur, 

6,  7,  273. 
MoNTiGNY  (M^o  Lucas    de), 6,  7. 
Montpellier,  147,  148,  1S4,  207. 
MoREL  (l'abbé),  138. 

MoREL  (M.),  maire,  de  Dunkergue, 
250,  251. 

Morgan  (sir  Charles),  médecin  et 
littérateur,  48,  152. 

Morgan  (miss  Sidney-Owexson  lady), 
publiciste,  XI,  52.  59,  152.  Buste, 
48,  49,  50,  51,  58,  104,  151.  Médail- 
lon, 49.  Portrait,  151. 

Morlaix,  231. 

Muller  (Ottfried),  archéologue,  308, 
310. 

Munich,  64,  71,  84,  88,  90,  98,  124, 
219. 

MassET  (Alfred  de),  poète,  XI,  XX. 
Médaillon,  67,  68. 

Nagler,  biographe,  26,84. 

Nairac  (M.  Paul  de),  104. 

Nancy, 262,  263,  291, 

Nantes,  63,  88,  138,  211,  319. 

Napoléon  I«%  23,  72,  97,  166,  285. 
Monument,  232.  Projet  de  monu- 
ment, 256,  —  achevai,  dessin, 254. 

Napoléon  (Louis),  roi  de  Hollande, 
142. 

Napoléon  III  (le  prince  Louis-Na- 
poléon, depuisj,  142. 

Navez  (François-Joseph),  peintre, 
20,  21. 

Navigation  {la),  haut-relief,  125. 

Négrier  (Charles),  médecin,  76. 

Nelson  (Horatio),  amiral,  225. 

Nerbonne    (Henri-Aubin   de),  poète 

et  littérateur,  234,  249,  287. 
NÉRON,  317. 

Neufchâtel,  274. 

New-York,  62. 

Ney  (Michel),  maréchal  de  France, 

25,  26,   120.  Médaillon,  265,  267. 
Nice,  102,  104,  304,  307,  308,  311. 
Nicolas  I",  empereur  de  Russie,  146. 
Niemcewicz    (Julien-Ursin)  ,    poète. 

Médaillon,  77. 
Nimes,  60,  211,  212. 
Niobét  208. 


Nodier  (Charles),    écrivain,  XI,   88. 

Médaillon,  55. 
NoÉ  (le  comte  de),  233. 

Nota  (le  baron  Alberto),  écrivain, 
129.  Médaillon,  130. 

Nuées  (les),  bas-relief,  266,  267. 

Nuremberg,  84,  87,  146. 

Œdipe,  bas-relief,  266,  267. 

Ohmacht  (Landelin),  sculpteur,  189. 

Olivier   (Thérèse),    domestique    de 

David  d'Angers,  264,  294,  305,  307, 

311.  Médaillon,  265. 
Ollioules,  67. 
Ollivier  (Charles -Prosper),  médecin. 

18,  19.  Buste,  266,  267,  269. 
Opie    (Amélia   Alderson,  mistress), 

romancier,  XI,   95,  96.    Buste   et 

médaillon,  97. 
Orange  (le  prince  d'),  19. 
Orfil  a   (Mathieu  -  Joseph  -  Bonaven- 

ture),  chimiste,  19. 
Orléans  (famille  d'),  97. 
Ostende,  296. 

OuDOT,  receveur  de  la  Crèche  du  12^ 
arrondissement  de  Paris,  282. 

OuDOT  (Charles-Fz'ançois),  conven- 
tionnel, 192.  Médaillon,  193. 

OuDOT  (Une  sœur  de),  192,  198. 

OvERBECK  (Bonaventure  Van),  pein- 
tre, 134,  137. 

Ovide,  299. 

Paganini  (Nicolo),  violoniste,  70. 

Pagnerre,  éditeur.  184,  186,  270. 

Pajou  (Jacques-Auguste),  peintre,  1, 
2,  5.  Médaillon,  4. 

Palmsteds  (M.),  127. 

Pandore  {la),  journal,  19. 

Papiau  de  la    Verrie  (M™"),  11,   13. 

Papiad  de  la  Verrie  (Raymond), 
11,13.  ' 

Papin  (Louis- Guillaume),  littérateur,  . 
195. 

Papin  (Denis),  physicien.  Projet  de 
statue,  226. 

Paré  (Ambroise),  médecin,  169.  Mo- 
nument, 158, 175,  176. 

Parent-Réal  (Nicolas-Joseph-Marie), 
homme  politique.  Buste,  215, 
216. 

Paris.  —  'Abbaye    de  Port -Royal, 
—  Arc  de  triomphe  de  l'Étoile,  283^ 


TABLE  ALPHABETIQUE 


339 


Paris.  —  Cabinet  des  estampes  de  la 
Bibliothèque  Nationale,  103. 

—  Carrefour  de  l'Observatoire  25,  26. 

—  Champs-Elysées,    104,  139. 

—  Cimetière    du  Père-Lachaise,  12, 
158,  243,  274. 

-  Colline  de  Montmartre,  96,  97. 

—  Cour  du  Louvre,  11,  249. 

—  École  des  beaux-arts,  203,206-210. 

—  Ecole  de  médecine,   293. 

—  École   polytechnique,    143,   144, 
143,  219. 

—  Eglise  delaMadeleine,  66,  80,249. 

—  Église  de  Saint- Vincent  de  Paul, 
315. 

—  Fontaine  Molière,  218. 

—  Hospice  et  prison  de  Bicêtre,  25, 
26,  35. 

—  Hospice  Necker,  106,  180,  192. 

-  Hospice  de  la  Salpêtrière,  163. 

—  Hospice  du  Val-de-Grâce,  236. 

—  Hôtel  de  Beauvau,  XX. 

—  Hôtel  de  la  Bourse,  66. 

—  Hôtel  Garance  ou  Garancée,  XIX. 

—  Hôtel  de  Lubersac,  XX. 

—  Hôtel  de  Montagu,  XX. 

—  Hôtel  de  Rohan,  202. 

—  Hôtel  de  Roquelaure,  XX. 

—  Hôtel  de  la  Sordière,  XX. 

—  Hôtel  de  Sourdéac,  XX. 

—  Imprimerie  Royale,  200,  202. 

—  Institut,  121. 

—  Jardins  des  Tuileries,  123,  129. 

—  Mairie  du  XP  arrondissement,  XX. 

—  Musée  Carnavalet,  61. 

—  Musée  Colbert,  52,  81. 

—  Muséum  d'histoire  naturelle,  101, 
125. 

—  Musée  du  Louvre,  70,  101,   125, 
158,  159. 

—  Musée  des  Petits- Augustins,  219. 

—  Palais  des  Tuileries,  103,  104. 

—  Panthéon,  80,  101,    124-120,  128, 
129,131,  1.38,297. 

—  Pont  Louis  XVI,  8. 

—  Pont  des  Saints-Pères  ou  du  Car- 
rousel, 76. 

—  Prison   de   Sainte-Pélagie,    175, 
176. 

—  Théâtre-Français,  40,45,  101,234. 


Paris.  —  Théâtre  de  l'Odéon,  60. 
Pariset  (Etienne),   médecin,  97, 175, 
176.  Médaillon,  163,166,  167. 

Paruv  (sir  William-Edwards),  navi- 
gateur, 34,  40. 
Parseval  (Amédée),  53. 
Passy,  près  Paris,  73. 

Pasta  (M""=  Giuditta),  cantatrice.  Mé- 
daillon, 34. 

Patrocle,  144. 

Pavie  (Joseph).  Tombeau,  188,  189, 
192,  196. 

Pavie  père  (Louis),  imprimeur  et 
écrivain,    IV,    9-12,  16-19,   24-30, 

33,  34-41,  44,  57-60,  74,  76,  80- 
84,  93-94,  107,  108,  128,  129,  131, 
132,  153,  135,  156,  194,  249,  260, 
280,321.  Buste,  32-34. 

Pavie  (Marie-Madeleine  Fabre,  ma- 
dame Louis-Victor),  74. 

Pavie  (Maurice),  173. 

Pavie  (Théodore),  orientaliste,  29, 
43,  44,  69,74,88,  94,  133,  177,  183, 
186,  194,  220,  242,  273. 

Pavie  (Victor),  poète  et  littérateur, 
IV,  V,  VI,  XV,  XVIII,  XX,  9,  11, 
12-16,    19,    22,    23-26,    28-30,  32- 

34,  41,  43-46,  31,  58,  60,  62,  63,  66, 
67,  69,  70,  74,  76,  78-80,  82,  86-90, 
93,  94,  100-108,  118,  119,  120-123, 
127-129,  132-142,  131-153,  155-158, 
160,  161, 102, 164, 1 65, 167, 168, 173- 
181,  183-211,217,218,  220,224-226, 
228,  230-235,  240,241,247-252,  256, 
2.39,260,262,  265-270,  273,275-280, 
28.3-292,  295-302,  304,306,308-310, 
312-315,  317,  319-321. 

Pavie  (M""  Victor),  46,  108,  121,  135, 
137,  139,  132,  133,  169,  170,  187, 
188,  191,  204,  243,  263,  287,  291, 
292,  293. 

Percier  (Charles),  architecte,  21.  Mé- 
daillon, 125,  126. 

Petit  (Jean-Martin,  baron),  général. 

Médaillon  et  portrait,  156. 
Petit  (Jean-Claude),  sculpteur,  174. 

Petitot  (Louis- Messidor  Lebon), 
sculpteur,  76,  201. 

Petty.   Voy.  Lansdowne. 

Phidias,  sculpteur,  33,  167,  206,  209, 

300. 
Philopœmen.  Statue,    XV,   70,  101, 

125,  129,  143,  145,  223. 
Pierre-Bécherelle  (lii),  près   Angers, 

87,  88. 

PlG.NEROI.LKS   (M.    DE),    190, 


340 


DAVID  D'ANGERS 


Pilon  (Germain),  sculpteur.  Médail- 
lon, 319,  320. 

Platon, 283,  298. 

Platon,  marchand  mercier,  304. 

Plon,  Nourrit  et  G''%  imprimeurs, 
XX. 

Pœstum,  296. 

PoiNsoT  (Louis),  géomètre,  XI. 

Pointe  (la),  près  Angers,  87. 

PoLONCEAU  (Jean-Barthélemy- Ca- 
mille), ingénieur,  76. 

PoNCY  (Charles)  poète  maçon.  Mé- 
daillon, 253,  257. 

Pondichéry,   177. 

PoTRELLE,  marchand  d'estampes,  28. 

PoTTER  (Louis-Joseph- Antoine  de), 
publiciste,  21,  295. 

PoTTER  (Eleuther  de),  293. 

PouPARD  (Charles),  lieutenant,  XVI, 
XVII. 

Poussin  (Nicolas),  peintre.  Statue  et 
médaillon,  243. 

Pradier  (James),  sculpteur,  36,  37, 
76,  302,  303. 

Praxitèle,  sculpteur,  300. 

Préault  (Antoine-Augustin),  sculp- 
teur, 249,  230. 

Précurseur  de  l'Ouest  (le),  journal, 
274. 

Priego,  près  Gordoue,  72. 

Proust  (Louis),  chimiste,  26. 

Prud'hon  (Pierre),  peintre,  90. 

Puget  ^Pierre),  sculpteur,  66,  209. 

PuRRY (David),  philanthrope.  Statue, 
274. 

Pyramides  {bataille  des),  bas-relief, 
288. 

Quatrebarbes  (Théodore,  comte  de), 
218,275. 

QuATREMÈRE  DE  QuiNCY  (Antoiue- 
Ghrysostomej ,  archéologue  ,  32, 
33,  72. 

Querelles  (La  comtesse  de),  90. 

QuETELET  (A.),  astronome.  Médail- 
lon, 47. 

R...  Buste,  299. 

Racine  (Jean)  poète.  Statue,  11. 
Buste,  123. 

Rangeardières  (les),  près  Angers, 
43. 

Raoul-Rochette  (Désiré),  archéo- 
logue, 246. 


Raphaël.  Voy.  Sanzio. 

Ratisbonne,  86. 

Rauch  (Christian),  sculpteur,  XI,  64, 
63.  71-73,  84,  83,  88,  124,  123,  14.3- 
147,  170,  171,  182,  222,  223.  234, 
235,  245,  246,  271,  272,  324.  Buste. 
83,  91,  92,  101,  102,  114,  115.  Mé- 
daillon, 100.  101. 

Rébecca.  Voy.  Isaac. 

Reboul  (Jean),  poète  boulanger. 
Médaillon,  211,  212. 

Récamier  (Jeanne  -  Françoise-Julie 
Bernard,  madame),  39,  40,  33. 
Médaillon,  30,  31. 

Réforme  (la),  journal,  283. 

Regnault  (Jean-Baptiste),  peintre, 
63. 

Religion  {la),  bas-relief,  11,  13. 

Rémusat  (Charles-François  -Marie, 
comte  de),  homme  politique,  306. 

Renduel,  éditeur,  106,  134,  181. 

René  d'Anjou,  18,  66,  67.  Statue,  15, 
217,  218,  220,  266,  269,  270,  274- 
276,  312-314.  Tombeau,  161,  162 
199,  233,  244,  245,  268. 

Renou,  publiciste,  274. 

Retsch  (Moritz),  peintre  et  graveur, 
76,  86.  Médaillon,  88. 

Revue  germanique,  journal,  93. 

Richard  (Louis),  fondeur,  118. 

Richard,  poète,  54.  55. 

Rietschell  (Ernest),  sculpteur,  84, 
88,  116,  235.  Médaillon,  85. 

Rieux  (René  de),  évéque  de  Léon,  XIX. 

Riquet  (Pierre-Paul),  ingénieur,  138. 
Statue,  124,  125,  139,  147,  151. 

Ritter  (Karl),  géographe,  272. 

Robert  (Léopold),  peintre,  138,  139. 

Rocroy,  8. 

Roland  (Philippe-Laurent),  sculp- 
teur, XI,  1,  2,  4-8,  21,  267,  270, 
272,  274.  Médaillon,  4. 

Roland  (Madame  Philippe -Lau- 
rent), 6. 

Rome,  5,  72,  115,  225,  317. 

RoMULus,  67. 

RosA  (Salvator),  peintre,  38,  59. 

RossiNi  (Joacchino),  compositeur, 
34,  76,  79.  Buste,  123. 

Rouen,  42,  78,  79,  99,  100,  121,  125, 

127,  132,  133,  193,  245. 

Rousseau  (Jean-Jacques),philosophe, 
Statue,  36,  37. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


341 


RoYER  DE  Chatelais    (M.),  19. 

RoYER-CoLLARn  (Pierre-Paul), homme 
politique,  25. 

RuDExs  (Pierro-Paul),  peintre,  296. 

Ride  (François),  sculpteur,  201,  24S, 
249. 

Rueil.  près  Paris,  142. 

RuTXHiEL  (Henri-Joseph),  sculpteur, 
2. 

Sablé-sur-Sarlhe,  320. 

Saint-Amour  (Jules  de),  homme  poli- 
tique, 215,  216,  2o8. 

Saint-Béat,  190.  216. 

Saint-Edme.  Voy.  Sarrut. 

Saint-  Florent  (Maine-et-Loire),  9, 17, 
178,  ISo,  220,221. 

Saint-Germain,  129,  lo7. 

Saint-Mandé  (cimetière  de),  121. 

Saint-Melaine    (cimetière  de),  188. 

Saint-Malo,  52. 

Saint-Omer,  251,  258. 

—  Musée,  216,  258. 

Saint-Pétersbourg,  223. 

Saint-Pierre  (Bernardin  de),  écri- 
vain, XIX.  Statue,  XV,  169,  170, 
191,  225,  226.  236,  239,  245,  269, 
288-291,  301. 

Saint -Pierre  (M""'  Bernardin  de), 
290,  291 . 

Saiiit-Point  (château  de),  38,  49. 

Saint- Vincent  (Sœur,  delà  congré- 
gation de  Sainte-Camille),  96,  97. 

Sainte  -  Beuve  (Charles  -  Augustin), 
critique,  IV,  XI,  26,  90,  94,  106, 
153,  154,  179,  181,  186,  193. 

Salamine,  298. 

Salzbourg,  87. 

Samson  en  lutte  avec  un  lion,  pein- 
ture, 314. 

Sand  (George),  romancier.  Médaillon, 

257. 
Sans-Souci  (château  de),  222,  223. 
Santa  RosA,  patriote  piémontais,  310. 
Sanzio  (Raffacllo),  peintre,  209. 

Sarrut  et  Saint-Edme,  publicistes, 
120,  121. 

Saumur  (Maino-ct-Loiro,  195. 
Savoie,  soldatde  laRépubli(iue,  138, 
139. 

Scheffer  (Ary),  peintre.  Médaillon, 
328. 

ScHELLiNG    (Frédéric-Guillaume- Jo- 


seph de),  philosophe,  XI,  218,219. 
Médaillon,  89,  90,  98. 

S  CHELLING  (M"'^),   98. 

Schiller  (J.  -  Frédéric  -Christophe), 
poète,  76,124,  146. 

ScHiNKEL  (Charles-Frédéric),  archi- 
tecte, 111,  124.  Médaillon,  91,  92, 
115. 

ScHiNKEL  (famille),  92,  101,  115,  155- 

ScHLEGEL  (Auguste-Guillaume  de)  , 
poète  et  critique,  XI,  51.  Médail- 
lon, 182,  183,185. 

ScHNETZ  (Victor),  peintre,  63,  122. 

Schwanthaler  (Charles),  sculpteur, 
88. 

Scott  (Walter),  romancier,  22,  23, 
79.  Buste,  30. 

Scribe  (Eugène),  auteur  dramatique, 
77. 

ScuDÉRi  (M"»  de),  68. 

Serres  (Antoine  -  Etienne  -  Renaud- 
Augustin),  médecin,  306,  307.  Mé- 
daillon, 131. 

Sergent-Marceau  (Antoine-François 
Sergent,  dit),  graveur.  Médaillon, 
102-104. 

Sergent-Marceau  (Marie  Desgraviers 
Marceau,  madame),  103,  104. 

Sergents  de  la  Rochelle  {les  quatre). 
Médaillon,  263,264,  265. 

Shakespeare  (William),  poète,  XVII, 
194,  223. 

SiMÉoN  (Joscph-Balthasar,  vicomte), 
directeur  des  beaux-arts,  233. 

Sinaï  (le  mont),  164. 

Sinite  parvulos,  projet  de  statue  ou 
de  bas-relief,  268,  269. 

Socrate,  298,303. 

Solesmes  (couvent  des  Bénédictins 
de),  319,  320. 

Sojnmo-Sierra  (bataille  de),  bas-re- 
lief, 288. 

Sophie  (M"«),  52. 

Sophocle,  223,  266,  298. 

SouLiÉ,  relieur,  53,  54. 

Soumet  (Alexandre),  poète,  218. 

Soyer,  fondeur,  247. 

Staël  (Anne-Louise-Germaine  Nec- 
ker,  baronne  de),  écrivain.  Projet 
do  statue,  101. 

Stendhal.  Voir  Beyle  (Henri). 

Stockholm,  126. 

Stofflet  (Nicolas),  général  vendéen, 
259. 


3 12 


DAVID  D'ANGERS 


Strasbourg,  123,   138,  162,  168,   169, 

170,  199,  200,  213,  262. 
Stuttgard,  84,  88. 
SoRViLLE  (M»'^  de),  229,  243. 
SuYS  (Tilman-François),    architecte, 

21. 
Sw ANTON  (Aimée-Louise).  Voy.  Bel- 

LOC  (M°=). 
Sylvestre  II  (Gerbert,  pape  sous  le 

nom    de).    Monument,   288,   289, 

293. 

Talma (François-Joseph),  tragédien. 
Statue,  XIX,  62,  101,  117,  118, 
123. 

Tambour  {le  petit).  Voy.  Barra. 

Tarascon,  60. 

Tartuffe  [le),  bas-relief,  266,  267. 

Tastu  (M"=  Amable),  poète.  Médail- 
lon, 34. 

Taylor  (Isidore -Séverin- Justin,  ba- 
ron), écrivain,  17. 

Techener,  libraire,  181. 

Thémistocle,  299,  309. 

Thenard  (Louis  -  Jacques,  baron), 
chimiste,  126. 

Thésée,  298. 

Thermidor  (le  neuf).  Projet  de  mé- 
daille, 266,  267. 

Thiers  (Adolphej,  historien,  75,  76, 
80,  168,  306. 

Thoré  (Théophile),  plus  connu  sous 
le  pseudonyme  de  W.  Burger,  lit- 
térateur. Médaillon,  277. 

Thorvaldsen  (Bertel),  sculpteur,  169, 
272. 

Thouarcé  (Maine-et-Loire),  162. 

Thouvenin;  (M.),  49. 

TiECK  (Frédéric),  sculpteur,  182. 

Tieck  (Ludwig),  littérateur,  XI,  87, 
112,  223.  Buste,  81,  84,  83,  101, 
102,  108,  109,  147.  Statuette,  81, 
84,  83,92,93.  Médaillon,   85,  113, 

Toulon,  59,  60,253. 

Tours,  230. 

Toussaint  (Armand),  sculpteur,  XIV. 

Travot  (Jean-Pierre,  baron), général, 
320. 

Tréport  (le),  224. 

Trophonius,  191. 

Turpix  DE  Crissé  (Lancelot-Théodore, 
comte),  peintre,  176,  177. 

Ulysse  {Tête  d'),  buste,  9. 


Ulysse  tendant  la  corde  de  son  arc, 
statue,  174. 

Vacquerie  (Charles),  224,  226. 

Valmore,  acteur,  70. 

Valmore  (Marceline  Desrordes,  ma- 
dame), poète  et  romancier.  Mé- 
daillon, 70,  133,  134. 

Vallée  (M.),  169. 

Verdun,  177. 

Vernet  (Horace),  peintre,  166,   236. 

Versailles,  255,  297. 

ViALARD,  banquier,  154,  155. 

Victoires  {les),  statues,  146. 

ViEN   (Joseph-Marie),  peintre,    104. 

Vienne  (Autriche),  64,  71,  112,   113, 

146. 
Vierge  (Annonciation  de  la), dessin, 

132-137,  14i.  —.statue,    198,  251. 

—,   projet  de  statue,  268,  269,276, 

277. 

— et  i'Enfant  Jésus,projet  de  groupe, 
141. 

Vigée-Lebrun  (Elisabeth-Louise  Vi- 
GÉE,  madame),  peintre.  7. 

Vigny  (Alfred  de),  poète,  XI,  26,  45, 
62,  63,  157,  213.  Médaillon,  31,  32, 
34. 

ViLLEMORGE  (M.  de),  maire  d'Angers, 
8,  9, 

Villequier,  226. 

Villiers,  35. 

Vincent  (François-André),    peintre, 

1,3,4,  6. 
Virgile,  310. 
ViRiEu  (le  comte  de),  38. 
Vitet  (Louis)  écrivain,  88, 233. 

VoGELDE  Vogelstein  (Charles- Chris- 
tian), peintre,  109. 

Wach  (Carl-Wilhelm),  peintre,    82, 

83,  84. 
Wagner,  peintre,  88. 

Walhalla  (la)  près  Ratisbonne,  86, 
88,  146,  147. 

Washington  (bibliothèque  de),  297. 

Waterloo,  19. 

Weimar  (la  grande  duchesse  de), 
146. 


Weimar,  43-45,  47,    57,  73, 
124. 

WlCHJIANN  (M.),  92,  101. 


i,   87, 


TABLE  ALPHABETIQUE 


343 


WlCHMAMN  (M""»),   92, 

WiETERSHEiM  (de),  miiiistre  d'Etat  de 

Saxe,  239. 
WiLiBALD  (Alexis;,  pseudonyme  de 


Haering    (Guillaume).     Voy.     ce 

nom. 
\YoRTH  (Lord),  225. 
YocNG  (Edouard),  poète,  24. 


TABLE  DES  MATIEIIES 


Dédicace  a  Robert  David  d'Angers I 

Introdcction m 

Avis  au  lecteur XXIII 

CORRESPONDANCE. 

•1811 

I.  Pajou,  Roland,  Louis   David,  Dejoux,  Vincent,  Ménageot, 
Lecomte,  Lemercier,  Jeuffroy,  au  maire  d'Angers. 

Demande  d'une   pension  en  faveur  de  P.-J.   David,  élève 
de  l'École  des  beaux-arts  à  Paris 1 

1812 

II.  David  au  sculpteur  Philippe  Roland. 

La  nature  et  l'antique.  —  Rome.   —  Monte  Cavallo.    — 

La  statue  du  Jeune  Berger 5 

III.  Madame  Benoist  à  David. 

Bontés  de  Canova  pour  le  sculpteur.  —  Louis  David.  — 
Aparicio.. 7 

181 G 

IV.  Cartellier  à  David. 

Commande  du  Condé 8 

Y.  De  Villemorge  à  David. 

La  statue  de  Condé.  —  La  Têle  d'Ulysse 8 

1832 

VI.  David  à  Pavie  père. 

La  statue  de  Bonchamps 9 

1851 

VII.  David  à  Pavie  père. 

Sur  une  «  Épitre  à  David,  statuaire  » 10 

VIII.  David  à  Pavie  père. 

La  Religion.  —Statue  de  Racine.  —  L'Innocence  implorant 
la  Justice 1 1 

1823 

IX.  David  à  Pavie  père. 

Sur  une  page  do  poésie ■'S 


346  DAVID   D'ANGERS 

X.  David  à  Victor  Pavie. 

Une  ode    sur  Béclard.  —  La  Religion 12 

XI.  David  à  Victor  Pavie. 

Conseils  à  un  collégien 13 

XII.  Victor  Pavie  à  David. 

David  en  Anjou.  —  L'inauguration  du  Bonchamps.  — Le 
roi  René 14 

XIII.  David  à  Pavie  père. 

Retour  à  Paris .  —  Delusse 16 

XIV.  David  au  baron  Taylor. 

Le  château  de  la  Bourgonniére,  en  Anjou 17 

1836 

XV.  David  à  Pavie  père. 

Le  journal  les  Affiches  d'Angers.  —  Le  peintre  Cadeau.  — 
Le  docteur  Ollivier.  —  Les  Gambresiens  et  le  monument 
de  Fénelon.  —  Voyage  à  Bruxelles.  —  La  tombe  de  Louis 
David.  —  Waterloo.  —  Denain.  —  Athènes.  —  La  cause 
des  Grecs... 17 

XVI.  David  à  F.-J.  Navez. 

La  Rencontre  cCIsaac  et  de  Rébecca.  —  Monument  à  élever 
à  Louis  David.  —  Le  comte  de  Forbin.  —  Gros.  —  De 
Potter,  Suys  et  Van  Gheel 20 

XVII.  Granet  à  David. 

Sur  la  nomination  du  statuaire  à  l'Institut 21 

XVIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Casimir  Delavigne.  —  M""  Belloc.  —  Le  buste  de  Fénelon. 

—  Walter  Scott.  —  Cooper 22 

1887 

XIX.  David  à  Victor  Pavie. 

La  plume,  outil  rebelle.  —  Victor  Hugo.  —  Casimir  Dela- 
vigne dans  l'opposition.  —  «  Poésies  de  Victor  Pavie.  » 

—  Le    poète  et   la  nature.    —   Une  parole  d'Young.  — 
Qu'il  ne  faut  pas  suivre  le  sentier  d'autrui 23 

XX.  David  à  Victor  Pavie. 

Chez  Royer-CoUard.  —  Chevreul.  — Légendes  angevines.  — 
L'ombre  du  maréchal  Ney.  —  Le  ferrement  des  galériens. 

—  Victor  Hugo.  —  La  préface  de  Cromwell 25 

XXI.  David  à  Pavie  père. 

Un  portrait  du  maître.  —  Hugo,  —  Le  médaillon  de  De- 
lacroix          26 

1828 

XXn.  La  Fayette  à  David. 

Au  sujet  de  la  tentative  d'assassinat  commise  sur  David.        27 

XXIIl.  David  à  Pavie  père. 

Convalescence  du  mai  tre 27 


TABLE  DES  MATIERES 


347 


XXIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Retour  à  la  santù.—  Le  Corsaire  ronge.  —  Edouard  MoU.        28 

XXV.  David  à  Pavie  père. 

Départ  pour  l'Angleterre 29 

XXVI.  David  à  Pavie  père. 

Retour  à  Paris.  —  Victor  Pavie 30 

XXVII.  Madame  Récamier  à  David. 

Rendez-vous  pris  pour  une  séance  de  pose 30 

XXVIII.  Alfred  de  Vigny  à  David. 

Le  médaillon  de  l'auteur  de  Cinq-Mars  et  le  profil  de 
Victor  Hugo 31 

XXIX.  David  à  Victor  Pavie. 

Offre  du  buste  de  Louis  Pavie.  —  Paul  Foucher. —  Ma- 
zure.  —  Quatrenière  de  Quincy.  —  L'ode  A  David, 
statuaire,  par  Victor  Hugo.  —  Burns,  le  poète  labou- 
reur. —  Hippolyte  Maindron 32 

XXX.  David  à  Pavie  père. 

Le  buste  do  Louis  Pavie.  —  Les  «  à  peu  près  »  de  l'ar- 
tiste comparés  à  la  nature.  —  M"""  Delphine  Gay, 
Tastu,  Pasta,  le  maréchal  Jourdan,  Mérimée,  Bou- 
langer, de  Vigny,  Hugo,  le  capitaine  Parry.  —  Chez 
Georges  Cuvier.  —  Maindron 33 

XXXI.  Delphine   Gay  à  David. 

Le  médaillon  de  Delphine  Gay 35 

XXXII.  Victor  Hugo  à  David. 

Le  ferrement  des  galériens.  —  Le  médaillon  du  poète.        35 

XXXIII.  Dumont  de  Genève  à  David. 

Le  buste  de  Jérémie  Beutham,  — Lord  Lansdowne.  — 
Pradier.  —  La  statue  de  Jean-Jacques  Rousseau 36 

XXXIV.  Victor  Hugo  à  David. 

Le  médaillon  du  poète.  —  Emile  Deschamps 37 

XXXV.  Victor  Hugo  à  David. 

Contre-temps.  — Le  buste  de  Lamartine 38 

XXXVI.  Victor  Hugo  à  David. 

Madame  Adèle  Hugo.  —  Une  séance  ajournée 38 

XXXVII.  BaUanche   à  David. 

Une  lecture  du  Moïse  de  Chateaubriand 39 


18S9 

XXXVIII.  John  Franklin  à  David. 

Un  portrait  flatté.   — Projet  de  David  de  retourner  en 
Angleterre 40 

XXIX.  David  à  Pavie  père. 

Suites  d'un  accident.  —  Dostilutiuii  de  Delusse 41 


348  DAVID  D'ANGERS 

XL.  David  au  maire  de  Rouen. 

•   Offre   du  modèle  de  la  statue  de  Bonchamps  au  Musée 

de  Rouen 42 

XLI.  David  à  Pavie  père. 

Projet  de  voyage  à  Weimar.  —  Gœthe.  —  Victor  Pavie. 
—  «  L'Américain.  » 42 

XLIL  David  à  Pavie  père. 

Retour  de  Weimar 44 

XLIIL  David  à  Victor  Pavie. 

Les  démolisseurs.  —  Une  lecture  d'Hernani  chez  Victor 
Hugo.  —  Othello,  Hamlet  d'Alfred  de  Vigny.  —  Le 
buste  de  Gœthe 4  4 

XLIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Le   buste  de  Gœthe.    —  Représentation    d'Othello.    — 

Lamartine  candidat   à  l'Académie 46 

XLV.  David  à  JuUien  de  Paris, 

La  fête  de  Gœthe.  —  Miçkiewicz 47 

XLVL  M™"  Sophie  Gay  à  David. 

Le  buste  de  Chateaubriand 47 

1830 

XLVII.  Lady  Morgan  à  David. 

Le  buste  de  lady  Morgan.  —  Alexandre  Dumas.  —  Mé- 
rimée         4  8 

XLVIIL  Lamartine  à  David. 

Le  buste  du  poète 49 

XLIX.  Lady  Morgan  à  David. 

Les  journées  de  Juillet  jugées  par  lady  Morgan.  —  Le 
buste  de  l'écrivain 50 

L.  Lady  Morgan  à  David. 

Une  ombrelle  oubliée 50 

LI.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  modèle  du  Condè.  —  Le  coq  gaulois,  —  Lady  Morgan. 
—  Couturier  de  Vienne.  —  «  Notre-Dame  de  Paris.  »        SI 

LU.  Chateaubriand  à  David. 

Un  marbre  vu  aux  flambeaux 52 

Lin.                        Prosper  Mérimée  à  David.                         •    • 
Inadvertance.   —  Le  chapeau   du   romancier.  —  Lady 
Morgan 52 

1831 

LIV.  Madame  Récamier  à  David. 

Une  lecture  par  Delphine  Gay 53 

LV.  David  à  Lamartine. 

La  médaille  du  poète.  —  Pages  blanches 53 


TABLE  DES  MATIERES  349 

L\l.  Lamartine  à   David. 

Le  médaillon  du  poète 54 

LVn.  Charles  Nodier  à  David. 

La  médaille  de  l'auteui'  de  Triibij 55 

LVIIL  David  à  Coudray. 

Envoi  du  buste  eu  marbre  de  Gœthe 56 

LÎX.  David  à  Pavie  père. 

Louis  Pavie  témoin  au  mariage  de  David.  —  Hippolyte 
Maindrou 57 

LX.  Lady  Morgan  à  David. 

Réception  du  buste  de  lady  Morgan.  —  Les  «  Mémoires 
sur  la  vie  et  le  siècle  de  Salvator  Rosa  » 58 

LXI.  David  à  Pavie  père. 

Marseille.  —  La  poésie  du  midi  de  la  France.  —  Une 
fleur  cueillie  près  de  Notre-Dame  de  la  Garde.  —  Les 
flèches  de  la  cathédrale  d'Angers 59 

LXII.  Victor  Hugo  à  David. 

Les  répétitions  de  Catherine  II.  —  La  médaille  de  Ma- 
demoiselle Geoi'ges 60 

LXIII.  Déranger  à  David. 

Le  médaillon  de  Manuel 61 

LXIV.  David  à  Ferdinand  de  Lasteyrie. 

Un  bal  costumé  chez  Alexandre  Dumas 61 

LXV.  David  à  Victor  Pavie. 

Statues  de  Corneille,  de  Talma  et  de  Jefferson.  —  Visite 
à  Chateaubriand  dans  sa  prison.  —  Stella.  —  Le  Roi 
s'amuse.  —  Le  peintre  Blondel.  —  Paul  Delaroche.  — 
Victor  Schnotz.  —  Le  poète  Barthélémy 62 

LXYI.  Népomucène  Lemercier  à  David. 

Réception  du  médaillon  du  poète 63 

LXVII.  Rauch  à  David. 

Humboldt.  —  Le  sculpteur  Rauch,  associé  étranger  de 
l'Institut  de  France.  —  Un  fragment  de  groupe.  — 
Gérard.  —  Ingres.  —  Gortot 64 

LXVIII.  Victor  Pavie  à  David. 

La  Provence  vue  par  un  poète.  — Marseille.  —  L'Arc  de 
triomphe.  —  Aix.  —  René  d'Anjou.  —  Hyères.  —  Avi- 
gnon          66 

LXIX.  Alfred  de  Musset  à  David. 

Le  médaillon  de  Musset.  —  Un  souvenir  d'Hoffmann...         67 
LXX.  Armand  Carrel  à  David. 

Sur  la  médaille  du  pui)licisl('.  —  Le  teint  bronzé  de 
Carrel 68 


350  DAVID  D'ANGERS 

1833 

LXXI.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  Salon.  — Lucrèce  Borgla.  —  L'appartement  de  Victor 
Hugo  à  la  place  Royale.  —  Auguste  Barbier.  —  Ma- 
dame Valmore.  —  Les  statues  de  Corneille,  de  Jeffer- 
son  et  de  Philopœmen 69 

LXXII.  Rauch  à  David. 

La  statue  du  jeune  Demidoff,  par  Rauch.  —  Les 
estampes  du  monument  du  général  Foy.  — Projet  de 
David  de  se  rendre  à  Berlin.  —  Le  monument  de  Blûcher. 

—  Le  sculpteur  Alvarez 71 

LXXIII.  David  à  Rauch. 

Bouterweck.  —  Le  monument  de  Bliicher.  —  Gœthe.  — 
M""  Baudin.   —  Le  Salon 72 

LXXIV.  David  à  Pavie  père. 

Une  tombe .  —  Un  berceau 74 

LXXV.  Droz  à  David 

La  médaille  du  philosophe , 74 

LXXVI.  Victor  Hugo  à  David. 

Pluie  de  médailles.  —  Thiers,   ministre  du  Commerce. 

—  Les  statues  du  pont  des  Saints-Pères 73 

LXXVII.  David  à  Pavie  père. 

Cahiers  d'anatomie.  —  Robert  David  enfant.  —  Retsch.        76 


1834 

LXXVIII.  Niemcewicz  à  David. 

Profil  de  vieillard.  —  Gros.  —  Casimir  Delavigne.  — 
Eugène    Scribe 77 

LXXIX.  David  à  Victor  Pavie. 

Marteau  ou  enclume.  — Concours  poétique  à  l'occasion 
de  l'inauguration  du  Corneille .  —  V Etude  sur  Mira- 
beau, par  Victor  Hugo.  —  Michelet.  —  Walter  Scott. 
—  Le  Fronton  de  l'église  de  la  Madeleine 78 

LXXX.  David  à  Pavie  père. 

Inauguration  du  buste  de  Billard.  —  Thiers  et  le  Fron- 
ton du  Panthéon 80 

LXXXI.  David  à  Lamartine. 

Exposition  de  la  Jeune  Grecque  au  tombeau  de  Marco 
Botzaris 81 

LXXXII.  David  à  Pavie  père. 

Départ  du  statuaire  pour  l'Allemagne.  —  David  fait  son 
testament 8t 

LXXXIII.  David  à  Pavie  père. 

L'Allemagne  vue  par  un  artiste  en  1834.  —  Le  peintre 
Garl-Wilhelm  Wach.  —  Rauch. — AdalbertdeChamisso. 
Ludwig  Tieck.  —  L'amour  de  la  patrie . . .  ■ 82 


TABLE  DES  MATIERES 


351 


LXXXIV. 


LXXXV. 


LXXXVI. 

LXXXVII. 

LXXXVIII. 

LXXXIX. 

XG. 
XGI. 
XCII. 

XCIII. 
XCIV. 

XGV. 
XGVI. 


David  à  Rauch. 

Gratitude  du  maître.  —  Le  sculpteur  Rietschell.  —  Le 
buste  de  Ludwig  Tieck.  —  Fauteuil  de  modèle 84 

David  à  Victor  Pavie. 

La  Wallialla,  le  Temple  de  l'honneur.  —  Le  paysage.  — 
Mission  du  sculpteur  à  notre  époque.  —  Projet  d'un 
monument  aux  grands  hommes,  —  Ludwig  Tieck.  — 
Les  peintres  Friedrich  et  Retsch.  — Garus.  —  Notoriété 
de  Victor  Hugo,  Lamartine,  Nodier,  Balzac  et  Vitet  en 
Allemagne 86 

1835 

David  à  Victor  Pavie. 

Maladie  du  maître.  —  Edition  projetée  des  Poésies  de 
Du  Bellay.  —  Le  cimetière  d'Angers.  — La  Gerbe. — 
Modestie  du  statuaire.  —  Le  médaillon  de  Schelling.        89 

Eugène  Delacroix  à  David. 

Camaraderie.  —  Une  œuvre  de  Prud'hon.  —  Le  mé- 
daillon de  l'impératrice  Joséphine 90 

David  à  Rauch. 
Le  buste  de  Rauch.  —  Les  médaillons  de  Schinkel  et  de 
Klenze 91 

Xavier  Marmier  à  David. 
La  statuette  de  Ludwig  Tieck.  —  Projet  de  médaillon.        92 
David  à  Pavie  père. 

Mariage  de  Victor  Pavie 93 

David  à  Pavie  père. 

L'air  natal .  —  Robert  David. 94 

Hahnemann  à  David. 
Le  médaillon  du  fondateur   de  la  médecine    homœopa- 
thique 93 

Mistress  Opie  à  David. 

Médaille  du  romancier. — Publications  françaises.  — 
Sœur  Marthe.  —  Sœur  Saint- Vincent,  de  la  congréga- 
tion de  Sainte -Camille.  —  Souvenir  de  l'impératrice 
Joséphine 95 

Schelling  à  David. 
La    médaille    du    philosophe.  —    Le  buste  de  Gœthe  à 
Munich 98 

1836 

Théodore  Lebreton  à  David. 

Le  médaillon  du  poète  ouvrier.  —  Hyacinthe  Langlois.        99 

David  à  Rauch. 

Médaillon  du  statuaire  prussien.  —  Le  Fronton  du  Pan- 
théon. —  Statues  de  Guvier  et  de  Talma.  —  Philopœ- 
men.  —  Statue  projetée  de  M""  de  Staël.  —  V Enfant 


352  DAVID  D'ANGERS 

à  la  grappe.  —  Bustes  deRauch,  de  Tieck  et  de  Berzé- 
lius..., 100 

XCAII.  Sergent-Marceau  à  David. 

Le  médaillon  du  graveur.  —  Le  général  Marceau.  — 
Ses  portraits.  —  Sa  chevelure. —  Son  costume  préféré. 

—  M"»  de  Ghâteaugiron 102 

XGVin.  Lamartine  à  David. 

Hommage  de  Jocelyn 105 

XGIX.  Colettis  à  David. 

Offre  de  la.  Jeune  Grecque  au  tombeau  de  Botzaris.  —  Le 
maître  reçoit  la  croix  de  l'Ordre  du  Sauveur  de  Grèce.      105 

G.  David  à  Victor  Pavie. 

Aloysius  Bertrand 106 

GL  David  à  Pavie  père. 

Qu'il  faut  respecter  les  opinions  d'autrui.  — Toute  grande 
vie  est  au  prix  de  l'audace 107 

GII.  David  à  Pavie  père. 

Hélène  David 107 

GUI.  Ludwig  Tieck  à  David. 

Le  buste  du  poète.  —  Le  marbre  confère  l'immortalité. 

—  M™=  David 108 

GIV.  Haering  à  David. 

La  médaille  du  romancier.  —  Heures  de  spleen.  —  Un 
poète  bâtisseur.  —  La  jeune  Allemagne.  —  Tieck.  — 
Chamisso.  —  Holtei.  — Ampère.  — Humboldt 110 

GV.  A.  de  Chamisso  à  David. 

La  médaille  du  romancier.  —  Béranger. 113 

GVl.  David  à  Rauch. 

Offre  du  buste  de  Rauch.  —  Souvenirs  de  jeunesse.  — 
Brandt H4 

GVII.  Carus  à  David. 

Le  buste  du  naturaliste.  — L'oreille  droite.  —  Rietschell. 

—  Le  dernier  livre  de  Garus.  —  Le  buste  de  Guvier. 

—  Le  congrès  médical  d'Iéna.  —  Hélène  David 116 

GVIII.  David  au  maire  d'Angers. 

Offre  du  modèle  de  la  statue  de  Talma.  —  Le  buste  de 
Dumouriez  par  Iloudon 117 

GIX.  Henriquel  Dupont  à  David. 

Le  médaillon  du  graveur.  —Ressemblance  révélatrice.      118 

1837 

GX.  David  à  Victor  Pavie. 

La  plume  et  le  ciseau.  —  Lenteurs  du  marbre.  —  Gro- 
quis  écrits.  —  Profession  de  foi.  —  La  prière.  —  L'épi 
donné.  — San'ut  et  Idi.  Biographie  des  hommes  du  jour. 

—  Le  faciès  de  Victor  Hugo .   —  Bustes  de  Lamennais 


TABLE  DES  MATIÈRES  353 

et  de  Carrel.  —  Statue  de  Garrel.  —  Bustes  de  Berzé- 

lius  et  de  Gérard 118 

CXI.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  buste  de  Victor  Hugo.  —  Robert  David 121 

GXII.  David  à  Schnetz. 

L'élection  uc  Schnetz  à  l'Institut 122 

CXIII.  David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  Talma.  —  Bustes  de  Racine  et  de  Rossini. 
—  Adrien  Maillard ; 123 

CXIV.  Victor  Hugo  à  David. 

Le  buste  du  poète.  —  Les  Voix  intérieures 123 

GXV.  David  à  Rauch. 

Le  triumvirat  de  Weimar.  — La  médaille  de  Klenze.  — 
Le  Fronton  du  Panthéon.  — Riguet.  —  Gutenberg .  — 
Cuvier. —  Philopœmen.  —  La  Douane  de  Rouen.  — 
Le  Jeune  Barra.  —  Groupe  du  général  Gobert.. . . . . .      124 

GXVI.  Hittorf  à  David. 

Le  médaillon  de  Percier.  —  Le  Fronton  du  Panthéon.      125 
CXVII.  Berzélius  à  David. 

Le  buste  du  chimiste 126 

GXVIII.  David  à   Victor  Pavie. 

Les  Heures  de  repos  d'un  ouvrier .  —  Le  Fronton ■     127 

CXIX.  David  à  Pavie  père. 

Le  Fronton  découvert.  —  Joachim  Du  Bellay.  —  Philo- 
pœmen       128 

CXX.  Victor  Hugo  à  David. 

Alberto  Nota.  —  Le  Fronton  du  Panthéon 129 

CXXI.  Lamennais  à  David. 

Textes  évangéliques  pour  le  Christ  écrivaiit  sur  le  globe 
du  Monde 130 

CXXII.  Augustin  Serres  à  David. 

Le  Fronton  du  Panthéon 131 

CXXIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Dessin  d'une  Annojiciatio7i  de  la  Vierge.  —  Le  médaillon 
d'Adrien  Maillard.  —  Etude  sur  la  vie  et  les  ouvrages 
de  David  d Angers 132 

«838 

CXXIV.  Madame  Valmore  à  David. 

La  médaille  du  poêle  des  Pleurs.  —  La  statue  de  Gor- 
neille.  —  Théodore  Lebreton 133 

GXXV.  Victor  Pavie  à  David. 

Sur  le  dessin  de  V Annonciation  de  lu  Vierge : 134 

CXXVI.  David  à  Lamennais. 

Offre  du  Christ  écrivant  sur  le  globe  du  Monde. 13a 

23 


354  DAVID  D'ANGERS 

GXXVII,  Lamennais  à  David. 

Le  Christ  écrivant  sur  le  globe  du  Monde 136 

GXXVIII.  Victor  Pavie  à  David. 

Retour  sur  V Annonciation  de  la  Vierge.  —  L'Etude  sur 
la  vie  et  les  ouvrages  de  David,  par  Adi^ien  Maillard. 

—  Les  Poésies  de  Lebreton 136 

GXXIX.  David  à  Victor  Pavie, 

Une  «  ode  à  Riquet  ».  —  Les  lettres  de  Léopold  Robert. 

—  La  statue  de  sainte  Cécile.  — Moll.  —  Le  médaillon 
d'Hélène  David.  —  Estampes  d'après  le  Fronton  du 
Panthéon.  —  Gottreau  le  Gliouan.  —  Savoie,  l'ancien 
soldat  de  la  République 137 

GXXX.  Victor  Hugo  à  David. 

Le  buste  du  poète , 139 

GXXXI.  David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  sainte  Cécile 140 

GXXXIL  David  à  Victor  Pavie. 

Le  maitre  renonce  k  exécuter  Y An7ionciation  de  la  Vierge. 

—  Projet  de  groupe  représentant  la  Vierge  et  VEnfant 
Jésus.  —  Le  respect  des  croyances  d'autrui 141 

GXXXIIL  Louis-Napoléon  à  David. 

Projet  de  monument  à  la  mémoire  de  la  reine  Hortense. 

—  Bartolini  préféré        David 142 

GXXXIV.  Charlet  à  David. 

La  chaire  de  professeur  de  dessin  à  l'École  polytech- 
nique .   —  Philopœmen 143 

GXXXY.  Rauch  à  David. 

Humboldt. — Le  monument  de  Gœthe.  —  Les  Victoires 
de  la  Walhalla.  —  Le  monument  de  Gobert.  —  La 
statue  d'Albert  Durer.  —  Amazone  en  lutte  avec  un 
léopard,  par  Kiss.  —  Les  bustes  deTieck  et  de  Garus.      143. 

CXXXVI.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  peuple  de  Béziers.  —  Médaillon  de  Bouchotte.  —  La 
cathédrale  de  Metz.  —  Un  pêcheur  à  la  ligne.  —  Le 
soleil  du  Midi.  —  Philosophie.  —  Les  Pyrénées.  — 
Rêverie.  —  La  statue  de  l'Humanité 147 

GXXXVIL  Lady  Morgan  à  David. 

L'écrivain  irlandais  fixé  à  Londres.  — Son  buste  sculpté 
par  David.  — Un  portrait  de  lady  Morgan  par  sa  nièce. 

—  Demi-cécité.   —  Les  Voyages  d'Alexandre  Dumas.      151 


1839 

GXXXVin.  David  à  Victor  Pavie. 

Les  joies  du  foyer.  —  La  statue  de  Barra.  —  Le  Salon 
de  1839. — Bustes  d'Arago,  de  Lamennais,  de  Destutt 
de  Tracy,  de  l'abbé  Grégoire  et  de  M'"  Mars 152 


TABLE  DES  ^iATIERES  355 

CXXXIX.  Sainte-Beuve  à  David. 

Le  buste  d'André  Chùnier 153 

GXL.  David  à  Rauch. 

Une  lettre  d'introduclion.  —  VElude  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  de  David,  par  Adrien  Maillard.  — Iluni- 
boldt!  —  Scliinlcol. loi 

CXLL  David  à  Pavie  père. 

Victor  Pavie.  —  Que  l'activité  intellectuelle  exige  le 
séjour  de  Paris 153 

GXLir.  David   à  Victor  Pavie. 

Le  statuaire  Leyscner.  —  Une  existence  d'artiste  à 
reconstituer 156 

CXLIII.  Alfred  de  Vigny  à  David. 

A  la  recherche  do  l'adresse  de  Miçkiewicz 157 

CXLIV.  David  à  Victor  Pavie. 

M.    Lenepveu. —  La  statue  d'Ambroise   Paré.  — Los 

monuments   de  Gobert  et  de  Gutenberg 158 

CXLV.  David  à  un  publiciste. 

Do  la  nécessité  d'un  palais  consacré  aux  expositions.       158 
GXLVL  David  à  Lamennais. 

Offre  du  buste  de  l'écrivain 159 

GXLYII.  Lamennais  à  David. 

Réceplion  du  buste.  — La  cause  de  la  liberté 100 

1840 

CXLVIII.  David  à  Victor  Pavie. 

L'hiver  à  Paris.  —  David  acquiert  une  maison  dans 
le  Midi.  -  Projet  de  reconstitution  du  tombeau  de 
René  d'Anjou  dans  la  cathédrale  d'Angers 160 

GXLIX.  David  à  Lamartine. 

Offre  d'une  esquisse  do  la  statue  de  Gutenberg 162 

GL.  Pariset  à  David. 

Le  médaillon  de  Pariset 103 

CLL  Pariset   à  David. 

Une  séance  ajournée 103 

GLII.  David  à  Victor  Pavie. 

Une  lecture  chez  Lamennais 164 

CLIII.  Le  baron  Petit  à  David. 

La  médaille  du  général. 166 

CLIV.  Pariset  à  David. 

Le  médecin  en  possession  de  sa  médaille 1 00 

tlLV.  Victor  Cousin  à  David. 

Une  invitation.  —  llu'n)  et  Lamartine 167 


356 


DAVID  D'ANGERS 


GLVI.  David  à  Victor  Pavie. 

L'inauguration  du  monument  de  Gutenberg.  —  L'abbé 
Mongazon.  — Projet  de  nommer  David  oflicier  de  la 
Légion  d'honneur 167 

GLVn.  David  à  Victor  Pavie . 

Gutenberg.  —  Bichat.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre.      169 

CLVIIL  David  à  Rauch. 

Lazare-Hippolyte  Garnot 170 

GLIX.  Lakanal  à  David. 

Le  buste  du  Gonventionnel 171 

GLX.  David  à  l'évêque  d'Angers. 

Esquisse  du  monument  de  l'abbé  Mongazon 472 

CLXL  David  à  Victor  Pavie. 

L'édition  des  Poésies  de  Du  Bellay.  —  11  ne  faut  pren- 
dre du  passé  que  ce  qui  est  grand 173 

GLXIL  David  au  maire  de  Besançon. 

La  statue  d'Ulysse  par  Petit 174 

GLXIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  monument  de  l'abbé  Mongazon ,  —  Le  costume 
moderne  et  la  sculpture. — Lamennais  en  cour  d'as- 
sises. —  Ghateaubriand 174 

GLXIV,  ParisetàDavid. 

L'inauguration  du  monument  d'Ambroise  Paré 173 

1841 


GLXV.  David  à  Victor  Pavie. 

Entrée  de  Lamennais  à  Sainte-Pélagie.  —  Le  portrait 
de  Du  Bellay.  —  Toussaint  Grille.  —  François  Grille. 

—  Théodore  Pavie.  —  Burnouf 176 

GLXVL  David  à  Victor  Pavie. 

Eugène  Ghevreul,  —  Le  monument  de  Bonchamps.  — 
La  première  pensée  de  la  statue  de  sainte  Gécile.  — 
Visite  à  Lamennais  dans  sa  prison 178 

CLXVn.  Sainte-Beuve  à  David. 

Une  lettre  du  statuaire  sur  la  mort  d'Aloysius  Bertrand.      179 

GLXVIII.  Victor  Hugo  à  David. 

Mort  d'Aloysius  Bertrand 179^ 

CLXIX.  David  à  Victor  Pavie. 

Les  écrits  du  martre.  — Le  peintre  et  sculpteur  Donas. 

—  Qu'il  convient  d'interroger  les  vieillards.  —  Pas 
de  vraie  grandeur  sans  croyance.  —  Le  manuscrit 
d'Aloysius   Bertrand.  —  Renduel.  —  Sainte-Beuve. 

—  François  Grille.  —  Techener 180 

CLXX.  Schlegel  à  David. 

La  médaille  du  critique 1 82 


TABLE  DES  MATIERES 


■357 


CLXXI.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  Gaspard  de  la  nuit  (Vlitè  par  Pavie.  —  Aloysius 
Bertrand.  —  Portrait  do  Du  Bellay.  —  Le  Tombeau 
de  Garniei'-Pagès.  —  Collaboration  de  David  au 
Dictionnaire  polilique.  — Maladie.  —  Le  Bonchamps. 
—  Gandolle.  —  Bastard.  — Burnouf.  —  Broussais. — 
Une  lettre  à  Sainte-Beuve 183 

CLXXIL  David  à  Victor  Pavie. 

Un  deuil.  —  Le  berceau  de  gazon.  —  L'enfant  et 
riiounne 186 

GLXXIIL  David  à  Victor  Pavie. 

Anc/e  emportant  un  enfant.  —  Le  poète  angevin  Le 
Loyer.  —  Le  buste  de  Du  Bellay 188 

184S 


CLXXIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Du  Bellay.  — Berthe.  — Leysener.  — Donas. —  Charles 
Lenormant.  —  Le  monument  deBichat.  — Projet  du 
mailre  d'aller  ouvrir  à  Athènes  une  école  de  sculp- 
ture. —  Dantau  et  ses  «  charges  ».  —  Les  manu- 
scrits d'Aloysius  Bertrand.  — Corbière.  —La  statue 
de  Bernardin  de  Saint-Pierre 189 

CLXXV.  David  à  Victor  Pavie. 

Du  Bellay.  —  L'Ange  emportant  un  enfant.  —  Une 
sœur  du  Conventionnel  Oudot.  —  Leysener.  —  Le 
Gaspard  de  la  nuit.  —  Théodore  Lebreton 192 

CLXXVI.  Victor  Pavie  à  David. 

Le  poi'trait  de  Du  Bellay.  —  Mariage  de  Théodore 
Pavie.  —  Le  Gaspard  de  la  nuit.  —  Chasse  aux  sou- 
venirs sur  Leysener.  —  Le  Rhin,  par  Victor  Hugo. 

—  Cachot  ou  cabanon 193 

CLXXVII.  David  à  Victor  Pavie. 

Tombeau  de  Joseph  l^avie.  — Les  «  Pourquoi  de  l'en- 
fant ».  —  Symbolisme  du  monument  de  Bichat.  — 
Angoisses  d'artiste.  —  Séi'énades.  — Paysage.  — 
Souvenir  d'eiifance.  —  Leysener.  —  Eugène  Dela- 
croix. —  Critique  des  expositions.  —  Visite  à  la 
tombe  d'Aloysius  Bertrand.  —  Le  roi  René.  —  Pré- 
sent de  la  ville  de  Strasbourg 196 

CLXXVIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Robert  David.  —  Le  Gutenberg  à  l'Imprimerie  Royale. 

—  Le  pays  natal.  —  L'atelier  d'élèves  de  David 
passe  sous  la  direction  de  Rude.  —  Second  buste 
de  Victor  Hugo.  —  Les  carnets  du  maître.  —  Les 
monuments  du  cardinal  de  Cheverus  et  de  l'abbé 
Mongazon.  —  Paul  Delaroche.  —  Rendez- vous  en 
Grèce 200 


338 


DAVID  D'ANGERS 


CLXXIX. 


CLXXX. 


CLXXXI. 

CLXXXII. 
CLXXXIII. 
GLXXXIY. 

CLXXX V. 

CLXXX  VI. 

CLXXXVII. 

CLXXXVIII . 

CLXXXIX. 

CXC. 
CXCI. 

CXGII. 


David  à  Victor  Pavie. 

Aloysius  Bertrand  et  ses  proches.  —  Le  cardinal  de 
Ciieverus  et  Fénelon 203 

David  à  Victor  Pavie . 

Baréges.  —  Gavarnie.  —  Paysage.  —  Le  lac  de  G  aube. 

—  Un  drame  sur  le  lac.  —  Légende.  —  L'étude  de 
Victor  Pavie  sur  Leysener.  —  Hawke.  —  Paul  Dela- 
roche  et  l'Hémicycle  de  l'École  des  beaux-arts.  — 
Critique.  —  V Apothéose    d'Homère,    par  Ingres.  — 

■    Caractéristique  des  deux  œuvres.  —  La  garnison  de 

Baréges.  —  Retour  à  Paris 204 

Reboal  à    David. 

La  médaille  du  poète.  —  L'esthétique  du  maître 211 

Magu  à  David. 

Le  médaillon  du  poète 212 

Emile  Deschamps  à  David 

Le  buste  d'André  Chénier 213 

David  à  Balzac. 

Hommages  du  romancier  à  l'artiste 214 

Lamartine  à  David. 
Le    buste  d'André  Chénier   offert  au  poète   des  Médi- 
tations. —  La  vie  de  Gutenberg,  par  Lamartine 215 

David  à  M.  de  Saint- Amour. 

Le  buste  de  Pareut-Réal.  —  Le  médaillon  de  Lazare 
Carnot.  —  Mignet.  —  L'éloge  de  Daunou.  —  Projet 
d'exécute-r  le  buste  du  compositeur  Monsigny 215 

David  à  Victor  Pavie. 
La  statue   du  roi   René.  —   Le  monument  de  l'abbé 
Mongazon.  —  Jean  Bart.  —  Des  vers  de  Louise  Colet. 

—  Entre  Académiciens.  —  Le  jury  du  Salon 217 

David  à  Schelling. 
Lo  buste  de  Gœthe.  —  Opinion  de  Goethe  sur  le  place- 
ment des  œuvres  d'art  de  grandes    proportions 218 

David  à  Victor  Pavie. 
L'esquisse  du  monument  de  Gobert.  —  Le  roi  René. 

—  Beaurepaire 220 

Elle  de  Beaumont  à  David. 
La  médaille  du  géologue 221 

Humboldt  à  David. 

Un  anniversaire.  — Réception  du  buste  de  Humboldt 
à  Berlin.  —  Intimité  d'Arago  et  de  David.  —  Les 
récents  ouvrages  de  Raucli,  de  Kiss,  de  Cornélius  et 
de  Klot.  —  Fêtes  à  Berhn.  —  Lectures  publiques 
par  Ludwig  Tieck 222 

David  à  Victor  Pavie. 

La  mort  tragique  de  Léopoldine  Hugo.  —  Chateau- 
briand. —  La  barque   renversée.  —  Le  tombeau  de 


TABLE  DES  MATIERES 


359 


Nelson.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre.  — Le  monu- 
ment de  Gober t 224 

CXCin.  Duret  à  David. 

Une  candidature  à  l'Acadéniio 226 

CXCIV.  Charlet  à  David. 

Visite  du  maître  au  dessinateur 227 

CXCV.  David  à  Victor  Pavie. 

La  gravure  du  monument  de  Bonchamps.  —  Projet 
de  statue  à  Denis  Papin  pour  la  ville  de  Blois 228 

CXCVL  David  à  Balzac. 

La  médaille  du  romancier. 229 

CXGVn.  David  à  Balzac. 

Une  dédicace.  —  Projet  d'exécuter  le  buste  du  ro- 
mancier        229 

GXCVIII.  David  à  Victor  Pavie . 

Heures  de  mélancolie.  —  Projet  de  voyage  en  Breta- 
gne. —  Le  Bernardin  de  Saint-Pierre.  —  Le  tom- 
beau de  Napoléon  aux  Invalides.  —  Intervention  de 
Gavé.  —  Eloge  de  Duret,  par  David.  —  La  statue  de 
Jean  Bart.  —  Le  buste  de  Marie-Joseph  Ghénier.  — 
Le  tombeau  du  roi  René.  —  M.  de  Nerbonnc.  — 
Adrien  Maillard 230 

GXGIX.  David  à  Rauch. 

David  élu  membre  de  l'Académie  de  Berlin.  —  De 
statuaire  à  statuaire.  —  Voyage  de  Rietschell  à 
Paris 234 

ce.  David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  Casimir  Delavigne.  —  Première  esquisse. 
—  Le  monument  de  Larrey.  —  Les  bas-reliefs  du 
monument  de  Cheverus..  —  Buste  de  Gouthon.  — 
Un  bal  masqué  à  l'Odéon. — L'inconnu.  — Accident 
de  voitm-e.  —  Robert  David.  —  Le  buste  de  Victor 
Hugo 235 

CCI.  Le  Ministre  d'État  de  Saxe  à  David. 

Le  culte  du  maître  pour  les  poètes  allemands.  —  Il 
re(;oit  la  croix  du  Mérite  civil.  —  Lebuste  de  Gœthe 
à  la  Bibliothèque  de  Dresde 239 

CGII.  David  à  Victor  Pavie. 

La  ville  de  Brest.  —  Les  Bretons.  — Carnac.  —  Retour 
sur  les  sculpteurs  d'Égine.  —  Le  port,  l'arsenal,  l'hô- 
pital. —  Deux  guides  incommodes 240 

CCIII.  Victor  Hugo  à  David. 

Le  buste  lauré  du  poète  des  Feuilles  d'automne 241 

CCIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Un  deuil.  —  Rome.  —  Les  Pyrénées.  —Rêverie 242 

CG\'.  David  à  Balzac. 

Lo  buste  du  romancier 243 


360 


DAVID  D'ANGERS 


GGVI.  David  à  Victor  Pavie. 

La  médaille  de  Leysener.  —  La  gravure  du  Bonchamps. 

—  Le    monument  de  Cheverus.  —  Restitution  du 
tombeau  du  roi  René.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre. 

—  Casimir  Delavigne.  — Gavé  et  la  statue  de  Pous- 
sin        2U 

CCVn.  David  à  Rauch. 

Profession  de  foi.  —  Mission  de  l'art.  —  Réduction  du 
buste  de  Humboldt 245 

GCVin.  David  à  Victor  Pavie. 

Conseils  à  l'écrivain.  —  Le  poète  et  l'artiste.  —  De 
l'humeur  voyageuse  chez  les  modernes.  —  Lions  en 
cage 247 

GCIX.  David  à  Victor  Pavie. 

Rude,  candidat  à  l'Institut.  —  Les  élections  académi- 
ques. —  Pose  de  la  statue  de  Jean  Bart  aux  flam- 
beaux. —  Enthousiasme  des  marins.  —  L'inaugu- 
ration         248 

CGX.  Théophile  Gauthier  à  David. 

Avances  du  critique  au  sculpteur  dans  le  but  d'obtenir 
son    médaillon... 249 

CGXI.  David  à  Victor  Pavie. 

Ovations  faites  au  maître  par  la  ville  de  Dunkerque. 

—  Saint-Omer.  —  Calais.  —  Le  vaisseau    le  David 
d'Angers.  —  Réduction  du  Gutenberg 230 

GCXII.  Hipppolyte,  baron  Larrey,  à  David. 

Sur  la  statue  de  Dominique-Jean,  baron  Larrey 232 

GGXIII.  David  à  Charles  Poney. 

La  médaille  du  poète 233 

;CCXIV.  David  à  Gigoux. 

Gharlet  sur'son  lit  de  mort 253 

CGXV.  David  à  Gigoux. 

Les  dernières  heures  de  Ghai'let.  —  Situation  précaire 
de  sa  veuve 234 

CCXVI.  David    à  Adrien  Maillard. 

La  mission  de  l'art.  —  Ce  qu'il  faut  penser  d'un  Napo- 
léon à  cheval  pour  l'église  des  InvaHdes 255 

CCXVII.  Poney  à  David. 

Le  médaillon  du  poète.  —  La  statue  de  Jean  Bart.  — 
Profils  modelés  de  George  Sand  et  de  Byron 257 

GGXVIII.  David  à  Jules  de  Saint-Amour. 

Une  composition  musicale  sur  Jean  Bart 258 

CGXIX.  David  à  Victor  Pavie. 

L'étude  Bonchamps  et  sa  statue.  —  Fonte  de  l'esquisse 
du  Gutenberg.  —  Adrien  Maillard 259 


TABLE  DES  MATIÈRES 


361 


CCXX.  David  à  Victor  Pavie. 

La  mort  tragique  d'un  enfant.  —  Mourir  jeune  est 
peut-être  un  bienlait 2G0 

CCXXL  David  à  son  fils  Robert. 

Délit  d'écolier 261 

CCXXn.  Jomard  à  David. 

La  médaille  du  géographe 261 

CCXXIH.  David  à  Victor  Pavie. 

La  statue  de  Dombasle.  —  Le  piédestal  du  Gutenberg. 
Qu'il  ne  faut  pas  se  laisser  abattre  par  le  malheur.      26  2 

CCXXIV.  Henri  de  Latouche  à  David. 

Les  médailles  commémoratives  des  Quatre-Sergents 
de  la  Rochelle  et  des  frères  Bandiera.  —  Les  profils 
modelés  de  Chateaubriand  et  de  Bérauger.  —  Gode- 
froid  Cavaignac.  —  La  médaille  du  maître 263 

CCXXV.  David  à  son  fils  Robert. 

Conseils  du  père  et  de  l'artiste 264 

CCXXVI.  David  à  Victor  Pavie. 

Médaille  commémorative  de  la  mort  du  maréchal  Ney. 

—  David  écrivain  :  ÏEloge  du  sculpteur  Roland  ; 
VÉtude  sur  Canova.  — Médailles  des  Quatre  Sergents 
de  la  Rochelle,  des  frères  Bandiera,  des  Massacres 
de  Galicie,  du  Neuf  Thermidor,  de  Labédoyère,  des 
frères  Faucher.  —  Mission  de  l'art.  —  Buste  des 
docteurs  Garnier  et  OUivier.  —  Le  monument  de 
René  d'Anjou.  —  Les  bas-reliefs  du  théâtre  de  Bé- 
ziers.  —  L'architecte  Binet. — Le  buste  de  M"»  Mars. 

—  Le  Musée  David  inapprécié.  —  Le  Voyage  en 
Italie  de  Victor  Pavie 265 

CCXXVII.  David  à  Victor  Pavie. 

Projet  de  groupe  pour  la  cathédrale  d'Angers.  — Slnile 
j)arvulos.  —  Le  tombeau  de  René  d'Anjou.  —  Son 
monument.  —  Bonckamps  et  sa  statue,  par  Victor 
Pavie.  —  Le  Voyage  en  Italie.  —  Le  plâtre  après  la 
fonte 267 

CCXXVIII.  David  à  Victor  Pavie. 

L'approche  du  Salon.  —  Achèvement  du  monument  de 
René  d'Anjou.  —  Etude  sur  Roland 269 

CCXXIX.  Lamartine  à  David.  270 

Conte  arabe. 

CCXXX.  David  à  Rauch. 

Les  études  du  maître  sur  Roland,  Canova.  Thorvaldsen. 

—  Projet  d'une  étude  sur  Rauch.  —  La  médaille  de 
Karl  Ritter.  —  A  la  poursuite  d'un  croquis  d'Hoff- 
mann        271 


362 


DAVID  D'ANGERS 


GGXXXI.  David  à  Lucas  de  Montigny. 

A  la  recherche  de  la  signature  do  Gallamare 273 

GCXXXII.  David  à  Victor  Pavie? 

Le  monument  de  Gobert.  —  Statues  de  Gasimir  Dela- 
vigne  et  de  David  Purry.  —  Qu'il  faut  encourager 
les  artistes  fixés  en  province 273 

GGXXXIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Départ  pour  les  Pyrénées.  —  Hélène  David.  —  Le  mo- 
nument de  René  d'Anjou.  —  OfTre  du  modèle  des 
douze  statuettes    au  Musée    d'antiquités  d'Angers.      275 

CGXXXIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Jules-Eugène  Lenepveu,  grand  prix  de  Rome.  -^  Projet 
d'une  statue  de  la  Vierge  pour  la  cathédrale  d'An- 
gers        276 

CGXXXV.  Thoré  à  David. 

Une  fausse  nouvelle 277 

GGXXXVI.  David  à  Victor  Pavie. 

La  révolution  de  Février.  —  Le  maître  est  nommé 
maire  du  XI"  arrondissement.  —  Il  refuse  la  charge 
de  Directeur  des  Musées  nationaux 277 

CGXXXVII.  David  à  Victor  Pavie. 

Que  l'artiste  doit  céder  le  pas  au  citoyen.  —  Les  élec- 
tions à  Paris 279 

GGXXXVIII.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  fait  l'abandon  de  son  indemnité  de  repré- 
sentant du  peuple  à  des  oeuvres  de  bienfaisance...      280 

GGXXXIX.  David  à  Victor  Pavie. 

L'Anjou.  —  L'amitié.  —  Le  devoir.  —  Roberd  David. 
—  Divergence  d'opinions  entre  Victor  Hugo  etDavid.      280 

GGXL.  David  à  Madame  Geoffroy  Saint-Hilaire. 

Le  maître  abandonne  son  indemnité  de  représentant 
à  rOEuvre  des  Crèches 281 

CGXLI.  M"'  Isidore  Geoffroy  Saint-Hilaire  à  David. 

Remerciements  au  nom  de  l'OEuvre  des  Grèches 282 

GGXLII.  David  à  Victor  Pavie. 

Désintéressement  du  maître.  —  Abandon  de  son  in- 
demnité de  représentant  aux  bureaux  de  bienfai- 
sance. —  Variétés  littéraires 283 

CGXLin.  David  à  Victor  Pavie. 

Le   maître  abandonne  la  vie  politique.  —  Lamartine, 
Victor  Hugo,  Lamennais  à  la  Gonstituante.  —  Sou- 
venirs de  Platon.  —   Les   OEuvres  d'Aloysius  Ber- 
.       trand 284 


TABLE  DES  MATIERES 


363 


CGXLIV.  David  à  Victor  Pavie. 

Rôverio.  —  Le  pic  du  Midi.  —  Le  prêtre  géologue.  — 

Henri  de  Nerboiiue. 28G 

CCXLV.  David  à  Victor  Pavie. 

Les  bas-reliefs  du  monument  de  Larrey.  —  La  sLaluc 
de  Gerbert.  —  Bernardin  de  Saint-Pierre.  —  Fran- 
çois Grille 287 

GCXLYL  David  à  Victor  Pavie. 

Robert  David.  —  Le  monument  de  Gerbert.  —  Ber- 
nardin de  Saint-Pierre.  —  Souvenirs  de  1811.  — 
Histoire  anecdotique  d'une  statue.  —  La  veuve  de 
Bernardin   de  Saint-Pierre  dans  l'atelier  du  maître. 

—  Le  Musée  David  à  la  lumière  nocturne.  —  Clieve- 

rus.  —  Mathieu    de   Dombasle 288 

GCXLVn.  David  à  Victor  Pavie. 

La  Sainte  Cécile.  —  Appel  d'ami 292 

GCXLVin.  David  à  Victor  Pavie. 

L'air  natal.  —  Pressentiments.  —  L'inauguration  du 
Gerbert.  —  La  statue  de  Drouot.  —  Deuxième  statue 

de  Bicliat.  —  Beaurepaire 292 

CCXLIX.  David  à  sa  femme. 

Le  coup  d'État 293 

GCL.  David  à  son  fils  Robert. 

La  carrière  médicale.  —  Les  joies   de   la   famille.  — 

Antoine  de  Potter 294 

CGLL  David  à  Victor  Pavie. 

Heraling.  —  Yan  Eyck. —  Rubens.  —  Le  peuple  belge. 

—  Voix  d'enfants.  —  Les  monuments  gothiques.  — 
Ostende.  —  Du  peu  de  durée  de  la  gloire.  —  Le 
bu.stc  de  La  Fayette.  — Naufrage  du  David  d'Angers. 

—  Projet  de  déplacemenUlu  Fronton  du  Panthéon..       293 
GGLII.  David  à  Victor  Pavie. 

Le  mont  Hymette.  —  L'Illissus.  —  Le  Pnyx.  —  Le 
temple  de  Thésée.  —  Salamine.  —  Hélène  David. — 
Le  buste  de  Canaris.  —  Le  roi  de  Grèce  désireux 
d'avoir  son  buste  de  la  main  du  maître.  — Pradier. 

—  Souvenirs  profanés. —  Edmond  About  et  le  buste 
de  Ganaris.  —  Léon  Gosnier.  —  Un  Angevin  jardi- 
nier du  roi  de  Grèce.  —  Mélancolie.  —  La  Grèce  et 
l'Italie.  —  Le  monument  de  Botzaris 298 

CGLIII.  David  à  son  fils  Robert. 

La  Grèce  contemporaine.  — Douce  France!  —  Pradier. 

—  Désillu.sions.  —  Les  socialistes.  —  L'homme  n'est 
pas  niùr  pour  la  liberté.  —  Le  buste  de  Ganaris.  — 

Le  maître  souhaite  de  rentrer  en  France 302 

GCLIV.  David  à  son  fils  Robert. 

Echec  ré|iiirable.  —  Goiiseils  paternels.  —  Tliiers  et 
Rèmusat  rentrent  en  France.  —  Augustin  Serres...       305 


364 


CGLV. 
GGLVI , 

CCLVII. 

GGLVIII. 

CGLIX. 
CGLX. 

CCLXI. 

GGLXII. 

CGLXIII. 

CGLXIV. 

GGLXV. 

GGLXVI. 

CCLXVII. 

GCLXVIII. 
GGLXIX. 


DAVID  D'ANGERS 

David  à  son  fils  Robert. 

Aux  portes  de  la  France 307 

David  à  son  fils  Robert. 

Projet  de  publication  sur  l'anatomie  dans  ses  rapports 
avec  l'expression ^      307 

David  à  Victor  Pavie. 

"Visite  au  tombeau  de  Marco  Botzaris.  —  La  Grèce  ou- 
blieuse. —  Ottfried  Muller,  Santa  Rosa,  Byron.  — 
Léon  Cosnier 308 

David  à  son  fils  Robert. 

Les  brouillards  de  la  patrie  préférables  au  soleil  de 
l'exil 311 

David  à  son  fils  Robert. 

Le  maître  rentre  en  France 311 

Victor  Pavie  à  David. 

Retour  du  maître  à  Paris.  —  Andegavi  molles.  — 
Inauguration  du  monument  de  René  d'Anjou 312 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  de  retour  dans  son  atelier.  —  Mélancolie.  — 
Le  monument  de  René  d'Anjou.  —  Lamartine.  —  Inté- 
grité des  républicains  de  1848.  —  Manzoni.  —  Pein- 
tures murales  de  l'Hôtel  de  la  Préfecture  d'Angers.      313 

David  à  Victor  Pavie. 

Les  peintures  d'Hippolyte  Flandrin  dans  l'église  de 
Saint- Vincent  de  Paul 315 

Madame  Relloc  à  David. 

La  médaille  de  mistress  Beecher-Stowe 315 

Mistress  Eeecher-Stov7e  à   David. 
La  médaille  du  romancier 316 

David  à  Victor  Hugo. 

Le  buste  du  poète 317 

David  à  Victor  Pavie. 

Le  maître  achève  le  monument  de  Drouot 317 

David  à  Benjamin  Fillon. 
La  collection  des  médailles  modelées  par  le  statuaire. 

—  L'être  moral  s'identifie  avec  l'homme  extérieur. 

—  Le  sculpteur  travaille  pour  la  postérité 318 

David  à  Victor  Pavie. 

Les  «  Saints  de  Solesmes  ».  —  Germain  Pilon.  —  Le 
Frontispice  de  VHisioire  de  la  Vendée 319 

David  à  Victor  Pavie. 
Mélancolie.  —  Projets  de  voyage  en  Anjou 320 


TABLE   DES  MATIÈRES  365 

APPENDICE 

I.  Victor  Hugo  à  M™»  David. 

La  mort  de  David ;   323 

II.  Humboldt  à  M»"  David. 

Souvenirs  du  passage  du  maître  à  Berlin 323 

III.  Ary  Scheffer  à  M"»  David. 

Un  portrait  de  David  d'Angers 323 

IV.  Victor  Hugo  à  M^^  David. 

La  mort  de  David.  —  Les  Contemplations,  —  Le  buste 

du  poète 325 

V.  Victor  Hugo  à  Robert  David. 

La  statue  de  David  d'Angers 326 

Table    alphabétique     des  no.ms  de    personnes  et  de  lieux,  ainsi    que    des 

TITRES    d'oeuvres     PEINTES,      DESSINÉES     OU     SCULPTÉES,    MENTIONNÉS    DANS 

cet  ouvrage 329 

Table  des  matières 345 


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