DA\H) D'ANGERS
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SES RELVnONS LITTÉRAIRES
CORRESPONDANCE DU MAITRE
V|<;Ti)I iHtfilAND, DK VrCNY, LAMENNAIS,
BAI.KAC., (;ilAni.t,j, ioI.J» tV '.,i.i îiY MORGAN, COOPER, HUMIIOLDT,
hÀl"»:H. TU.' K, <;iU,EOKL, ETC.
Lauri>^3l 'J« ria^tiUit
(Acadéniif- fiaoïai't* iai Aradéiiiio don iieaux-arts)
AVEC UN c O p. ' s A : V i !>< r* n : T D f r. i v' i : , li ' a N G E R S
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E. PLON, NOURRÎT kt <■ , IMl'lllMELHS ÉBÎÏEURS
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DAVID D'ANGERS
SES RELATIONS LITTERAIRES
L'auteur et les éditeurs réservent leurs droits de traduction et de
reproduction à l' étranger.
Ce volume a été déposé au ministère de l'intérieur (section de la librairie)
en novembre 1890
AUTRES OUVRAGES DE M. HENRY JOUIN
SSa-vid d'Angers, sa vie, son ceuvre, ses écrits et ses contem-
poraîns. Deux portraits du maître d'après Ingres et Ernest Hébert, de
l'Institut, 23 plaaclies et un fac-similé gravés par A. Durand. 2 vol. grand
in-S».
(Ouvrage couronné par l'Académie française.)
Antoine Coyzevox, sa vie, sonceuvre etseseontemporains, précédé
d'une étude sur l'École française de sculpture avant le XNll" siècle. 1 vol.
in-12.
(Ouvrage couronné par l'Académie des beaux-arts.)
Maiti-es contcmporaîiis : Fromentin, Corot, Henri Regnault, Léon
Coguiet, Joufïroy, Gustave Doré, Baudry, etc. 1 vol. in-12.
Esîlictique du scsilpteur. Philosophie de l'art plastique; la Statue, le
Groupe, le Buste, le Bas-Relief, les Pierres gravées, les Médailles. 1 vol.
in-8°. -
Histoire et description des Musées d'Jl^ngers : Musée de peinture et
de sculpture. Musée David, Cabinet Turpin de Crissé, Musée Saint-Jean.
1 vol. grand in-S".
Charles lie Brun et les arts sous liouis XIV. Le premier Peintre, sa
vie, son œuvre, ses écrits, ses contemporains, son influence, d'après le
manuscrit de Nivelon et de nombreuses pièces inédites. Un portrait du
maître par Eugène Burney, d'après le buste de Coyzevox. 1 vol. in-4''.
PARIS. TYP. DE E. PLON, KOURRIT ET C'°, HUE CARANCIÈRE, 10.
^*^^^
( 1845)
Iti-
DAVID D'ANGERS
ET
SES RELATIONS LITTÉRAIRES
CORRESPONDANCE DU MAITRE
A ^ E c
VlCl'OU IR'GO, LAMAI'.TINE, CU ATKAl" DIUAND, DE VIGNY, LAMENNAIS,
RAL/.AC, CIIAULET, LOUIS ET VICTOIl PAVIE, LADY MOllGAN, GOOPEH, UVMnOLDI
RAUCII, TIECK, UERZELIUS, SCULEGEL, E'IG.
1' L u L 1 É E p .V H
M. HENRY JOUIN
Lauréat de l'Institut
(Académie française et Académie des beaux- arts)
AVEC UN PORTRAIT INÉDIT DE DAVID D'ANGERS
PARIS
LIBRAIRIE PLON
E. PLON, NOURRIT et C'% IiMPRIMEURS-ÉDlTEURS
R U K G A U A N C I li II E , 10
1890
Tous droits réserves
ROBERT DAVID D'AN&ERS
FILS DU STATUAIRE
Hommage de gratitude
H. J.
INTRODUCTION
Nous avons publié, voilà quelque douze ans, la Vie de
David d'Angers. Un volume d'Écrits du maître faisait
suite à notre récit. Plus de cent lettres de l'artiste ont
trouvé place dans ce volume. On a pu croire que le sujet
de notre étude était épuisé. Revenir sur David est chose
permise à tous, sauf peut-être à son biographe. Notre
modèle n'a-t-il pas posé sous nos yeux aussi longuement
que nous l'avons voulu? Qui nous obligeait à fermer le
livre dont nous seul avions tracé le plan? Lorsqu'on
quitte la tribune, c'est apparemment qu'on n'a plus rien
à dire, et ajouter à son propre discours est une marque
d'inexpérience ou de faiblesse.
Soitl L'objection semble juste. Y répondrons-nous? Inu-
tile. Nous ne sommes pas atteint.
En effet, ce livre n'est pas un appendice au livre an-
cien : c'en est le complément.
Ce livre n'est pas notre œuvre : David et les hommes
de son temps l'ont écrit.
En le publiant, nous ne faisons que mettre au jour ce
qu'on pourrait appeler les « Mémoires des autres ».
De nos jugements sur les hommes ou les choses inci-
demment rappelés dans les lettres qui vont suivre, de
IV INTRODUCTION
nos appréciations personnelles sur l'art durant la pre-
mière moitié de ce siècle, il ne saurait être question dans
ce volume.
Editeur responsable, mais non pas auteur, tel est le
titre qu'il nous siérait de prendre au sujet de cette publi-
cation.
Souhaité bien plutôt que prémédité, ce recueil a pris
forme à la suite de circonstances imprévues. La majeure
partie des lettres qui le composent étaient conservées par
un homme de grand cœur et de haut esprit, Victor Pavie,
concitoyen de David d'Angers, « ami et fils d'ami»,
comme il aimait à le dire de lui-même, lorsqu'il voulait
marquer son rang dans le cercle intime du statuaire.
Victor Pavie, plus âgé que nous de trente années,
voulait bien nous honorer de son affectueuse estime.
Déjà, lorsque nous composions la Vie du maître, Victor
Pavie nous avait communiqué de précieux fragments de
la correspondance de David avec Louis Pavie, son père.
Plus timide, plus réservé à l'endroit des lettres dont il
était le destinataire et souvent l'objet, Victor Pavie
avait désiré que de son vivant on ne révélât pas au public
ce que pensait de lui David d'Angers. Sa modestie prenait
ombrage d'une amitié dont il était fier, et que ni l'absence,
ni les divergences d'opinion sur bien des points, ni l'iné-
galité des conditions n'avaient refroidie ou troublée, ne
fût-ce qu'un seul jour, pendant une période de plus de
trente ans. Même silence d'ailleurs de la part de Victor
Pavie à l'endroit de ses relations avec Victor Hugo, Sainte-
Beuve, Delacroix et maint autre à qui le succès, le bruit, le
renom durable, la gloire entrevue sinon déjà possédée ne
firent point oublier l'homme d'élite, le sage réfugié, là-bas,
dans sa province, sous le ciel tempéré de l'Anjou, près
INTRODUCTION V
des rives toujours vertes de la Loire aux flots d'or, loin de
la presse qui aide aux réputations, loin des académies qui
les consacrent, loin de Paris, enfin, où, de nos jours, les
forces intellectuelles demeurent centralisées et se déve-
loppent par le contact, la lutte ou l'assimilation. Combien
parmi les illustres amis de Victor Pavie qui le considéraient
comme un esprit supérieur et le proclamaient volontiers
l'un de leurs pairs!
David ne s'était pas soustrait au charme de cette intel-
ligence prime-sautière, de ce cœur droit et enthousiaste.
Heureux de donner confiance à son ami, le statuaire
écrivait avec abandon, avec chaleur, à Victor Pavie. Celui-
ci 'disparu, il ne nous semble pas qu'il y ait lieu de faire
aucune restriction sur les éloges qu'il s'est attirés. Où le
destinataire se plaisait à voir quelque hyperbole, nous ne
découvrons que l'expression juste d'appréciations encou-
rageantes, souvent flatteuses, mais avant tout sincères et
méritées. Les proches de Victor Pavie auront donc bien
servi sa mémoire en nous permettant de transcrire plu-
sieurs centaines de lettres du sculpteur pieusement gar-
dées par celui qui les avait rerues.
En possession de ces manuscrits, nous nous sommes
adressé au fils du statuaire, M. Robert David d'Angers,
qui, avec une parfaite bonne grâce, nous a confié non seu-
lement les réponses de Victor Pavie, mais les autographes
des contemporains du maître, saluant en lui de tous les
points du monde un artisan de leur gloire.
Cette fois, nous nous sentions trop riche.
Sous peine d'offrir au lecteur un ensemble d'écrits éga-
lement curieux, mais sans unité, nous étions tenu de pro-
céder à une sélection sévère.
Un livre est une construction, petite ou grande. Tout
VI INTRODUCTION
édifice comporte une salle d'honneur et des pièces acces-
soires. L'orientation, la superficie constituent pour la salle
d'honneur la justification du titre dont on la décore. Il
nous a paru convenable d'apporter un juste équilibre
dans la publication que nous allions entreprendre. A
David, à ses écrits, la salle d'honneur, vaste, aérée, en
pleine lumière; à ses correspondants, sans en excepter
Victor Pavie, dont les lettres foisonnent sous nos doigts,
toutes originales, pleines de souffle et de hautes pensées,
le jour discret, l'espace mesuré des pièces accessoires.
Diei sufficit malitia sua. Nous reviendrons plus tard
sur les pages mises en réserve, et, cette fois, David
cédera la salle d'honneur à son ami.. Aujourd'hui, la parole
est au statuaire.
C'est à peine si de temps à autre quelques-uns de ses
contemporains lui donneront la réplique. Nous n'avons au-
torisé ces interruptions que dans la mesure où il nous
paraissait utile de nommer les hôtes de l'atelier du maître,
de dire quels hommes éminents lui firent cortège durant
sa vie. C'est qu'en efî"et les adulations tardives, pour être
souvent plus durables que les acclamations de la première
heure, n'ont point ce caractère particulier de la parole
échangée, de l'hommage qui va droit à l'homme que l'on
a le dessein d'honorer. Les portraitistes anciens aimaient
à inscrire au bas de leurs grandes effigies, peintes ou
sculptées en face du modèle, « ad vivum ». Faisons comme
eux. Mettons au jour des lettres, des pages qui complètent
le portrait du maître « ad vivum ».
Un poète a dit :
Aux yeux obliques de l'envie
L'homme vivant n'est jamais beau ;
Mort, ses vertus, son nom, sa vie
Resplendissent sur son tombeau.
INTRODUCTION VII
Donnons tort au poète. Montrons que David vivant a
compté d'illustres amitiés.
Les néologismes les plus barbares ont cours aujourd'hui
parmi les lettrés qui ne craignent pas d'avouer en quelle
estime ils tiennent un autographe, une pièce manuscrite
signée par un maître. Ce sont là, disent-ils, des « documents
humains ». Il ne faudrait pas presser beaucoup cette locu-
tion bizarre pour se convaincre do ce qu'elle a de prud-
hommesque. Tout ce qui tient à l'homme est « humain ».
Toutefois, nous prenons acte du barbarisme en vigueur.
Il est l'indice d'une préférence, d'une vogue qui suffi-
raient peut-être à justifier notre publication nouvelle.
L'époque actuelle manque de sérénité. Tout le monde
parle, tout le monde écrit. Dans ces conditions, sortir du
rang est malaisé. Les littérateurs ne constituent plus une
élite : ils sont la foule. La science, le talent, qui autrefois
étaient le patrimoine d'intelhgences aptes à féconder les
germes, à porter des fruits, apparaissent à l'état de pailles
légères, sans consistance et sans durée, à la surface de
toute glèbe, je veux dire de chaque cerveau de vingt ans.
Plus de racines vigoureuses, plus de chênes en espérance,
mais, en revanche, partout des herbes folles et un peu de
poussière en perspective.
Que font, dans ce tumulte, les gens avisés, peu sou-
cieux de scruter leurs propres pensées et, par contre,
impatients d'acquérir le renom d'historiens?
On les voit exhumer quelques pièces poudreuses, des
chartes, des lettres revêtues de hautes et fières signatures,
et ils éditent ces pièces. Inscrire son nom au-dessous de
celui d'un diplomate, d'un capitaine, d'un ministre, d'un'
chef d'empire ou d'un artiste, n'est point une maladresse.
Le reflet d'une gloire ancienne projeté sur la réputation
VIII INTRODUCTION
d'un lettré da nos jours n'est pas de nature à compro-
mettre les intérêts de notre contemporain. Le passé qui se
mêle au présent le grandit. C'est ce qui explique, n'en
doutez pas, le nombre considérable de publications «docu-
mentaires » mises au jour à notre époque. Les historiens
de l'avenir ne se plaindront pas de notre penchant pour les
livres de cet ordre. Nous traçons la voie, nous nivelons
le sol. Le penseur de demain bénéficiera de notre labeur
d'aujourd'hui.
Conclusion : mobile intéressé, résultat heureux. Mais,
nous-mêmes, n'aurions-nous pas cédé comme tant d'autres
au désir de rapprocher notre nom de celui d'un maître
disparu? Notre ambition aurait-elle été que la même page
parlât au public de David d'Angers et de nous? Evidem-
ment non. Ce rapprochement, honorable pour nous, est
chose faite depuis longtemps. Autre a donc été notre but.
Toute gloire humaine, si grande qu'on la suppose, ren-
contre tôt ou tard un juge implacable : le Temps. Or, ce
dieu terrible, à la différence des juges de la terre, qui tour
à tour absolvent ou condamnent, est invariable dans son
verdict. La sentence qu'il prononce est toujours la même :
l'oubli. Les natures généreuses ne s'accommodent point
de cette impassible sévérité. L'homme s'impatiente ; le
penseur se révolte en face de cette incessante condamna-
tion. Il se sent humilié par ce jugement uniforme qui tou-
jours frappe sur ceux dont les exemples, les vertus, le
génie seraient un appui ou une leçon pour leurs descen-
dants.
C'est alors qu'on voit se dresser, dans sa conscience,
l'être d'un jour qui s'en prend aux siècles, l'atome intel-
ligent qui tient tête à la force aveugle. Et, pour une
heure, l'inconnu décroît. L'oubli se sent troublé dans ses
INTRODUCTION IX
profondeurs. L'ombre laisse échapper quelque chose de
sa proie au profit de la lumière. Plongeur intrépide, le
révolté dont je parle rapporte sur le rivage toutes les
épaves que ses bras robustes ont pu détacher du lit plein
de tourbe d'un océan de doute, d'obscurité. Et les frag-
ments disjoints de la statue se rapprochent et se juxtapo-
sent. Une grande mémoire est reconquise. Les ruines ont
cessé d'être. Le temps est dompté, sinon vaincu.
L'homme qui opère ces prodiges s'appelle un historien.
Il serait plus juste de lui donner le nom de défenseur.
L'histoire n'est autre chose qu'un plaidoyer. L'historien
soutient une cause. Son client est plus qu'un inculpé. Le
temps a fait de lui un condamné. Le premier juge a porté
contre lui une peine perpétuelle. Exclu de la pensée
humaine, il est un déporté. Je me trompe, l'oubli l'enve-
loppe, c'est un disparu. Le néant l'a repris. Mais l'histo-
rien se lève pour plaider en appel. Il retrace la vie labo-
rieuse de son client, sa haute fortune, ses bienfaits, ses
œuvres, ses malheurs. L'oreille n'était pas préparée à
cette rude défense. Les esprits ont leurs préjugés. La salle
d'audience est distraite, soupçonneuse, hostile peut-être.
Que fera le défenseur?
Il citera des témoins. On verra paraître dans le prétoire
les contemporains du condamné. On les entendra dire ce
qu'il fut. Ils révéleront à tous, sans réticences, les vertus
comme les fautes de l'homme qu'ils ont coudoyé, aimé,
haï à l'époque de leur vie terrestre. Tous feront des dépo-
sitions authentiques, écrites aux jours lointains de leur
rencontre avec l'homme en cause. Indiscutable, leur té-
moignage éclairera donc le débat. Le public, admis à pro-
noncer dans ces grandes assises, fera deux parts des dépo-
sitions apportées à la barre. Les unes, réclamées par le
défenseur, deviendront autant de « documents à l'appui » ;
X INTRODUCTION
les autres, retenues par le juge suprême, prendront le ca-
ractère de a pièces à conviction ».
Puis, cédant à ce penchant particulier dont nous parlons
plus haut, le juge, avant de rendre son arrêt, voudra
savoir du défenseur s'il n'a pas découvert quelques écrits
de son client ; on lui demandera de produire les pages in-
times qu'il a pu se procurer, les confidences de son héros
tracées dans l'abandon d'une âme qui se livre sans soup-
çonner la publicité possible de lettres dictées par l'amitié
et placées sous la garde de l'amitié.
Telle est, de nos jours, la tâche exigée du défenseur de
toute mémoire illustre, la tâche de l'historien.
Nous avions essayé, en écrivant la Vie de David d'Angers,
de remplir en tous points les obligations qui s'imposaient
à nous. Notre livre contient des lettres du maître. Nous
n'avons pas omis de parler de ses contemporains. Mais, on
l'a vu, de nombreux écrits du sculpteur avaient été réser-
vés par leurs destinataires. D'autre part, les témoignages
des hommes de sa génération n'ont pas trouvé place, sous
leur forme intégrale, dans la biographie de David d'Angers.
A ce double point de vue, il était donc permis de regretter
que toutes les pièces du procès n'eussent pas été produites.
Il nous a paru juste d'y revenir. Ce livre est un document
à l'appui du livre antérieur.
Au lecteur de dire si notre publication est opportune.
David n'était pas, au sens propre du mot, un lettré. Ses
écrits ne revêtent pas toujours une forme irréprochable.
En revanche, ils nous révèlent une intelligence élevée,
sans cesse en travail; ils trahissent un cœur ardent, d'une
droiture à l'abri de toute défaillance, plein de compassion
pour ceux qui souffrent, de dévouement intègre pour la
patrie, d'amour pour l'humanité tout entière. Nous avions
INTRODUCTION XI
relevé ces caractéristiques d'une personnalité vraiment
exceptionnelle. Mais on avait pu croire à notre partialité
bienveillante. Cette fois, c'est David qui parle ; c'est lui
qui se dénonce.
Quant aux contemporains illustres du statuaire, qui
l'ont tenu pour l'un des leurs, ils se nomment, dans les
lettres françaises : Chateaubriand, Lamennais, Lamartine,
Victor Hugo, Musset, de Vigny, Balzac, A^ictor Cousin,
Ballanche, Cormenin, Sainte-Beuve, Stendhal, Droz,
Nodier; dans la politique : La Fayette, Lakanal; dans la
science : Lacépède, Chevreul, Poinsot, Jomard; dans l'art:
Roland, Charlet, Delacroix, Hittorff, Henriquel- Dupont ;
à l'étranger : Schelling, Schlegel, Berzélius, Hahnemann,
Rauch, Cooper, Miçkiewicz, Ludwig Tieck, Amélia Opie,
lady Morgan, Dumont de Genève, Humboldt. Tous exal-
tent le maître français. Nous ne pouvions donc mieux
faire, pensons-nous, que de mettre au jour ces archives
ignorées, ces lettres intimes à l'aide desquelles le lecteur
jugera, nous l'espérons, de la modération scrupuleusement
gardée par l'historien de David. Si pourtant il advenait ,
contrairement à nos prévisions, que certains de ces « docu-
ments à l'appui » devinssent « des pièces à conviction »,
nous n'aurions pas le droit de nous en plaindre. Notre seul
but n'a t-il pas été d'augmenter la somme de vérité sur la
vie et sur l'œuvre de David d'Angers?
Au surplus, oublions un instant le profit que peut reti-
rer de ce volume la mémoire du maître : une leçon se dé-
gage des lettres que nous avons sous les yeux. Elles nous
montrent un artiste en relations étroites avec les écrivains
de son époque. L'exemple est bon. L'artiste, aussi bien
que l'écrivain, est un interprète de pensée. Tous deux par-
lent une langue différente, mais ils tendent au môme but.
XII INTRODUCTION
A rencontre des hommes d'application, tels que le législa-
teur, le magistrat, le soldat, l'industriel, on distingue les
hommes d'inspiration, c'est-à-dire le philosophe, l'orateur,
le poète, l'historien. A ceux-ci se rattache l'artiste. Victor
Hugo le rappelle dans une page lyrique dédiée précisément
à David, lorsque, délimitant le champ d'action des hom-
mes de pensée suivant le mode d'expression propre à
chacun , il vient de dire : « La forme au statuaire 1 » A
peine a-t-il énoncé cet axiome qu'il s'empresse d'ajouter:
La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien:
Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée.
Or, le penseur, habile à parler salangue, estun auxiliaire
précieux pour l'artiste qui, le plus souvent, n'a pas bénéficié
d'une formation littéraire. Si bien doué qu'on le veuille,
l'homme dont l'esprit n'a point été discipliné à l'heure de
la jeunesse éprouvera toujours quelque embarras dans
l'expression juste de l'idée. L'inexpérience, la gaucherie,
des fautes plus graves encore déparent maint ouvrage
moderne sorti des mains du peintre ou du statuaire. Est-
ce indifférence ou présomption ? Je ne puis le dire, mais
soyez sûr que l'artiste contemporain dont je parle s'est
abstenu de vivre dans l'intimité des lettrés. Ceux-ci l'au-
raient averti à temps de son erreur, tandis que le chef-
d'œuvre incomplet du maître ombrageux qui a craint
d'ouvrir son atelier au penseur en pleine possession de
ses facultés intellectuelles, va porter à jamais l'empreinte
de lacunes regrettables. Les artistes de la Renaissance se
montraient moins méfiants à l'endroit des hauts esprits de
leur époque. Dans l'ancienne France, le peintre et le sculp-
teur nous apparaissent en société constante avec les phi-
losophes ou les poètes: Champaigne fréquente Port-Royal,
Le Sueur est l'ami des Chartreux, Mignard est chez Mo-
INTRODUCTION XIII
lière, Le Brun chez Corneille. Au début de notre siècle,
les exemples de cette fraternité sont nombreux, mais l'ar-
tiste qui semble plus qu'aucun autre s'être pénétré de
l'honneur, du bienfait qui découleraient pour lui de son
intimité avec les hommes de lettres de son temps, c'est
David d'Angers. Répétons-le, l'exemple est bon, et il nous
plaît de le mettre en pleine lumière.
Toutefois, ce retour de notre part vers une grande
figure dont nous avons déjàlonguement entretenu le public
pourra surprendre. Nous l'expliquerions volontiers par le
besoin qu'on éprouve de parachever une œuvre caressée.
L'histoire d'un homme illustre est-elle jamais close? Non.
Mais, il y a plus, nous ne sommes pas loin de croire à la
vertu d'un talisman mystérieux qui toujours nous rap-
proche de David. Hahent sua fata memoriœ. Qu'il nous
soit permis d'ouvrir ici une parenthèse.
Celui qui écrit ces lignes a vu le jour dans la ville na-
tale du statuaire. Il est vrai qu'un demi-siècle sépare la
naissance du maître de celle de son biographe, mais à la
distance de cent pas on retrouverait l'emplacement de
leurs berceaux.
Nos premières impressions d'art, alors que nous étions
enfant, nous les avons goûtées au Musée David, où les
effigies sans nombre des hommes de pensée forment un
ensemble grandiose, presque magique, fait pour frapper
l'esprit. Nous avions moins de quinze ans lorsque David
mourut à Paris, dans sa demeure de la rue d'Assas, au-
jourd'hui détruite par le tracé de la rue de Rennes. Jamais
nous n'avions vu notre artiste , mais la nouvelle dfe
sa mort nous émut profondément. Nous la jugions un
vide pour l'École française, une calamité publique pour la
province natale du sculpteur, et. qu'on nous pardonne cet
XIV INTRODUCTION
aveu, une sorte de deuil domestique pour nous-même.
L'un de nos rêves d'enfant s'évanouissait. L'espoir long-
temps nourri de rencontrer un jour le mâle ouvrier de
tant d'œuvres robustes nous échappait. David était mort.
Pendant de longues heures nous assaillîmes de questions
l'un de nos professeurs, car nous étions encore au col-
lège; nous voulions savoir en quoi consiste le modelage
de la terre, sa cuisson, le moulage, la fonte. Un point sur-
tout nous intriguait. Avait-on conservé les plâtres origi-
naux de David d'Angers, de telle sorte qu'il fût possible
de procéder à une fonte nouvelle si, par hasard, une œuvre
du maître disparu venait à subir quelque outrage ? Il était
manifeste pour le psychologue ou le simple observateur
que l'enfant curieux, aux interrogations pressantes, avait
voué à David une sorte d'affectueuse admiration qui déjà
lui permettait de vivre par la pensée, en dépit du temps
ou de l'espace, dans l'intimité de son modèle.
Adieu donc, jeune ami que je n'ai pas connu,
a dit un poète de ce siècle en déplorant de n'avoir pu
converser avec André Chénier. Pour un peu, nous aurions
retouché le vers de notre devancier, afin de l'adapter à nos
regrets; pour un peu, nous aurions dit nous-même :
Adieu, maître puissant que je n'ai pas connu!
La ville d'Angers commanda, dès 1856, le buste du
sculpteur. Toussaint, l'élève de David, honoré de cette
commande, mais empêché par la maladie de répondre
promptement au vœu des Angevins, retint plusieurs an-
nées dans son atelier le marbre ébauché. Cependant
on annonçait de temps à autre l'achèvement du buste
et son inauguration prochaine. Nous pouvions avoir dix-
huit ans, lorsqu'au retour d'une station prolongée au Musée
INTRODUCTION XV
David, nous entreprîmes de composer le poème d'une
cantate destinée, dans notre esprit, à rehausser l'éclat
de la réception du buste. Notre poème était dialogué. Les
personnages de cette scène lyrique, c'est à David que nous
les avions demandés. La Jeune Grecque, Philopœmen,
l'Enfant à la grappe, Condé, Bo7ichamps, André Ché-
nier. Barra, Bernardin de Saint-Pierre avaient leurs
stances dans cette composition. Des chœurs alternaient
avec les voix de ces grandes ombres, rendant hommage au
génie créateur qui les avait rappelées à la lumière. Notre
ode triomphale terminée, nous l'offrîmes à M™^ Da-
vid. Cet envoi nous valut une lettre flatteuse, soigneuse-
ment classée dans notre portefeuille d'autographes. Mais
'inauguration si souvent annoncée se fit encore attendre
quatre années. Elle n'eut lieu qu'en mars 1863. Naturelle-
ment, notre poème n'avait pas trouvé de compositeur.
Nous avons su depuis qu'il n'existait plus trace de ces
rimes de jeunesse, et leur disparition, loin de nous attris-
ter, nous rassure. Il ne messied pas d'attendre l'âge de
la maturité pour s'essayer à l'éloge des maîtres.
Le jour de l'inauguration, nous dûmes renoncer à péné-
trer dans la Galerie David, où Victor Pavie prononça un
discours brillant, dicté par le sens critique le plus élevé,
par l'amitié la plus vraie.
Ces échecs devaient-ils nous rendre moins chère la mé-
moire de David ? Nullement. C'est en 1863 que nous étu-
dions son œuvre avec méthode. Nous nous appliquons à
combler les lacunes, à éclaircir les doutes que laissaient
subsister les écrivains qui s'étaient occupés du statuaire.
Établir la chronologie de ses ouvrages n'était pas chose
aisée. Toutefois, aidé par les indications de M™^ David,
nous triomphons de l'obstacle, et en 1870, quelques se-
maines seulement avant que la guerre éclatât, avec ses
XVI INTRODUCTION
anxiétés et presque aussitôt ses deuils, nous mettions au
jour un volume dans lequel étaient sommairement ana-
lysés la vie et l'œuvre de l'artiste.
La Notice dont nous parlons se fermait sur ces lignes :
<r Ce n'est point la vie du sculpteur que nous venons d'é-
crire ; nous n'avons guère tracé que l'esquisse incorrecte
d'une grande figure à laquelle il ne convient pas de consa-
crer seulement quelques lignes éparses ou une brochure,
mais qui a droit au Livre. Il se fera. Souhaitons que ce
soit l'œuvre d'un Angevin. »
Entre temps, au début de 1872, un photographe d'An-
gers, M. Lebiez, nous racontait cet épisode douloureux de
l'année terrible. Un officier en garnison dans la ville lui
avait commandé sa photographie. La facture du praticien
pouvait s'élever à cinquante francs. Survient la déclara-
tion de guerre. L'officier reçoit l'ordre de gagner la fron-
tière menacée. Il vient trouver son créancier. « Je vous
dois quelque argent, dit-il au photographe, mais en ce
moment je n'ose disposer de mes épargnes. Acceptez en
gage un objet précieux. C'est le premier buste qu'ait
sculpté David d'Angers. Il est daté de 1810 et signé « David
fils ». Il représente un jeune lieutenant, Angevin d'origine,
Charles Poupard, ami du sculpteur. Je tiens à cet ouvrage.
Si je reviens vivant de la campagne, je vous payerai ma
dette et vous me rendrez le buste . Si je meurs, vous l'ap-
prendrez par mon silence, et, dans ce cas, l'œuvre de David
sera vôtre. »
Le triste pressentiment de l'officier s'était réalisé. Son
silence ne laissait aucun doute sur sa mort. On savait
d'ailleurs que le régiment dans lequel il commandait avait
été enseveli sous les ruines de Bazeilles. « — Tenez-moi
compte de la dette de l'officier, me dit Lebiez, et je vous
cède le buste. Toutefois, si jamais mon débiteur donnait
INTRODUCTION XVII
signe de vie, notre présent contrat deviendrait nul. J'accep-
tai. Le vaincu de Bazeilles est toujours muet, et depuis
quinze ans le buste du lieutenant Poupard est au Musée
David, oii il a été déposé sous réserve.
En 1873 j'étais à Paris. Le Livre que j'estimais mérité
par David, j'espérais bien l'écrire. Un certain jour, la
maxime de Shakespeare me traverse l'esprit. Quelle peut
bien être cette maxime, direz-vous? Shakespeare a laissé
bien des pages, et vraisemblablement plus d'une maxime
est tombée de sa plume. C'est chose probable, mais la
grande maxime du poète à'Hamlet et du Roi Lear, celle
que chacun de nous doit connaître et mettre en pratique
sous peine de ne jamais être quelqu'un, la voici :
« Je ne sais pas pourquoi j'en suis encore à me dire ceci est à faire,
lorsque j'ai force et raison de le faire. »
Essayez parfois de méditer sur cette forte parole. Qui-
conque en saisira le sens donnera sa propre mesure. Elle
est un stimulant à l'action soudaine. Elle est le désaveu
des ajournements, des lenteurs chez l'homme, dont les
jours sont comptés.
C'était le 25 décembre 1874 que le mot de Shakespeare
nous était revenu. Le soir même nous tracions les pre-
mières lignes de la Yie du maître, achevée deux ans
plus tard, imprimée en 1877, offerte au début de l'année
suivante à M'"^ David, peu de semaines avant sa mort.
La veuve du statuaire nous fit parvenir ce billet trop
élogieux, mais bien touchant, tracé d'une main brisée par
la maladie :
( Merci, Monsieur! je puis mourir. Maintenant notre nom vivra!
(1 l'Emilie David d'Angers. »
XVIII INTRODUCTION
Il faut tout dire. Nous avions éprouvé quelque difficulté,
dans les premiers mois de 1875, à vaincre les hésitations
de M™"^ David au sujet de notre ouvrage. La veuve du
maître avait espéré que la Vie de son mari serait compo-
sée par Victor Pavie. Au surplus, quelques lettres de Da-
vid nous révèlent que Victor Pavie avait été constitué en
quelque sorte comme le gardien autorisé d'une mémoire
qui lui demeura toujours chère. Mais Victor Pavie, par
un sentiment de réserve excessive, bien fait pour nous
rendre perplexe, ne s'estimait pas préparé à entreprendre
et. à mener à terme le récit d'une existence aussi remplie
que celle du statuaire. Cette tâche séduisante l'effrayait.
Nous l'avions entendu se retrancher derrière les années,
les occupations, une santé chancelante. De ce côté, nous
étions donc certain de ne pas empiéter sur les droits de
l'amitié. Il nous fallait maintenant obtenir le concours
bienveillant de M^^^ David afin de faire bénéficier notre
travail des notes inédites, des détails intimes que seuls
les proches d'un homme illustre sont en mesure de four-
nir avec exactitude.
Ce concours nous fut d'abord refusé.
Notre ennui fut profond. Les conséquences du refus de
M™^ David pouvaient être fâcheuses pour notre livre.
Si cruelle que fût notre déception, elle n'alla pas cepen-
dant jusqu'à nous faire renoncer à notre entreprise.
Des pièces assez nombreuses avaient été recueillies par
nous dans les dépôts d'archives, dans les cabinets d'ama-
teurs. Des lettres de la vingtième année adressées par
David à l'un de ses camarades d'enfance étaient entre nos
mains. Notre premier chapitre renfermait plus d'un trait cu-
rieux, ignoré, sur l'enfance du maître. Cette partie de notre
œuvre terminée, nous oSrîmes à M""* David d'en en-
tendre la lecture. N'était-il pas convenable qu'elle eût, le
INTRODUCTION XIX
cas échéant, la faculté de relever les erreurs de notre récit?
La réponse se fit attendre ; puis, rendez-vous nous fut
donné ruePétrelle, dans l'atelier de M. Robert David.
C'est là qu'en présence de la veuve et du fils du statuaire
eut lieu la communication des premiers feuillets de
notre manuscrit. L'épreuve réussit au delà de toute espé-
rance. Sa lecture achevée, l'auteur prit congé. Mais, dès
le lendemain, M'"*' David lui apportait dans son cabinet
tout ce qu'elle avait conservé de notes écrites, de lettres,
de journaux, de brochures ayant trait à son mari.
Et pendant de longs mois les deux auditeurs de la rue
Pétrelle s'acheminèrent, à des intervalles inégaux, vers la
demeure du biographe de David pour entendre la lecture
de chaque chapitre du livre en préparation, au fur et à
mesure que l'auteur l'avait terminé. Est-il besoin de le
dire? cette collaboration m'a été grandement utile.
Par une coïncidence qui n'eut rien de préconçu, les faits
que je relate ici se passèrent rue d'Assas, à quelques pas
du lieu oi!i était mort David , oii il avait vécu vingt an-
nées, d'oii étaient partis le Talma, le Giitenberg, le Che-
verus, le Bichat, le Larrey, Y Enfant à la grappe, le
Jean Bart, le Bernardin de Saint-Pierre et tant d'autres
œuvres! Il semblait que l'historien du statuaire eût voulu
se rapproclier de l'atelier de son modèle afin de se mieux
pénétrer des pensées du maître. A l'exemple de David, il
avait déserté l'Anjou, et planté sa tente dans le voisinage
le plus rapproché de la maison de son héros. — Singulière
rencontre t
Ce n'est pas tout.
Le livre composé, il fallut songera l'impression. Or, le
plus fortuitement du monde, on vit l'auteur, nanti de son
manuscrit, se diriger vers l'hôtel Garance ou Garancée,
reconstruit au dix-septième siècle pour René de Rieux ,
XX INTRODUCTION
évêque et comte de Léon, dénommé successivement depuis,
au dire de Lefeuve, hôtel de Sourdéac, de la Soudière, de
MontagU; de Lubersac, de Roquelaure, et, il y a quarante
ans, mairie du XP arrondissement. Or, notre lecteur trou-
vera plus loin, sous la date du 15 mars 1848, une lettre de
David à Victor Pavie dans laquelle il lui apprend qu'au
lendemain des journées de Février, il fut informé qu'on l'a-
vait nommé maire et, peu après, direc teur des Musées
nationaux. Déclinant l'honneur d'occuper le poste rétribué
de directeur des Musées, l'artiste accepta les fonctions
gratuites de maire du XP arrondissement. Et c'est préci-
sément dans l'ancienne mairie que résident aujourd'hui
M. Pion et ses associés qui acceptèrent d'éditer notre livre.
La Vie du maître a donc été imprimée au lieu même où il
avait vécu durant plusieurs années, consacrant ses jours
et ses veilles au maintien de l'ordre, à une époque agitée
de notre histoire contemporaine.
Du moins, pensera le lecteur, la chaîne des coïncidences
n'a pas dû se prolonger?
Erreur.
L'histoire du statuaire, avons-nous dit, fut composée
auprès de son atelier. Une fois encore nous nous sommes
rapproché, sans y songer, de l'une des demeures de David.
Ces lignes sont tracées dans l'hôtel de Beauvau, contigu
à l'ancienne mairie du XP arrondissement.
Pour peu que le talisman garde sa vertu, nous voilà tenu
de dater de Géphisia ou de Missolonghi, d'oii le maître a
écrit pendant ses mois d'exil quelques-unes de ses plus
belles lettres, la prochaine publication que nous ferions
sur lui.
Eh quoi! encore un livre! Cette fois, n'aurons-nous pas
tout dit? Reviendrons-nous sans cesse sur le même ai^-
tiste?La prudence et Musset conseillent de ne jurer de
INTRODUCTION XXI
rien t Nous -même nous avons pris pour règle de parler des
maîtres « à loisir, sans lassitude et avec amour ». N'enga-
geons donc point l'avenir. Réservons notre liberté. Mais, à
tout événement, il n'est que temps de fermer cette paren-
thèse. Nos souvenirs personnels tiennent trop de place ici,
puisque nous avions le projet de n'offrir au lecteur que
les « Mémoires des autres »I
Nous aurons à faire, au cours des pages qui vont suivre, de fréquents
renvois à deux ouvrages dans lesquels il est longuement parlé de David
d'Angers et de son œuvre. Ce sont nos propres publications :
David d'Angers, sa vie, son œuvre, ses écrits et ses contemporains
(Paris, E. Pion, Nourrit et 0% 1878, 2 vol. in-8°).
Histoire et description des Musées d'Angers : Musée de peinture et de
sculpture, Musée David, etc. (Paris, mênaes éditeurs, iSSo, 1 vol. in-8»).
Nous inscrivons ici, pour n'y plus revenir, le titre développé de ces
deux ouvrages, que nous donnerons désormais en l'abrégeant. Nous
allégerons de la sorte, autant que possible, les notes et commentaires,
d'ailleurs très succincts, nécessaires à l'éclaircissement des autographes
insérés dans ce recueil.
DAVID D'ANGERS
ET SES RELATIONS LITTERAIRES
1811
I
Pajoii, Roland, Louis David, Dejoux, "Vincent, Ménageot,
Lecomte, Lemercier, Jeuffroy, au maire d'Angers.
Demande d'une pension en faveur de P.-J. David, élève de l'École des
beaux-arts à Paris.
Paris, 12 février 1811.
A Monsieur le Maire de la ville d'Angers.
Monsieur,
J'ose solliciter votre bienveillance en faveur d'un jeune artiste
natif d'Angers, nommé David.
Ce jeune homme, venu à Paris depuis un peu plus de deux
années, avec le désir de s'occuper de l'étude de la sculpture, s'est
livré à ce travail avec beaucoup de zèle, et avec tant de succès
qu'il a remporté, l'année dernière, le deuxième grand-prix de
sculpture. 11 vient, tout récemment encore, de remporter le prix
de la « tète d'expression », qui lui a été décerné d'une voix una-
nime.
De tels succès ne sont point ordinaires parmi les jeunes élèves,
et ils sont d'autant plus étonnants pour le jeune David qu'il
est nécessairement détourné de ses éludes par Tobligalion de
1
2 DAVID D'ANGERS
pourvoir à sa subsistance. Son père, qui peut à peine suffire à
la sienne et à celle de ses autres enfants, est dans l'impossibilité
de le secourir. Il serait à désirer que la commune d'Angers pût
assurer à cet intéressant jeune homme un secours annuel qui
l'aidât à poursuivre ses études, sans qu'il en fût sans cesse dé-
tourné par la nécessité de gagner sa vie.
La ville de Liège a accordé un bienfait de cette nature à un
jeune sculpteur nommé Rutxhiel, présentement à Rome, après
avoir remporté le grand-prix.
Il y a tout lieu d'espérer que le jeune David ne tardera pas à
obtenir le même succès. 11 n'en serait probablement privé que
par la nécessité de travailler pour vivre ; alors vous concevez^
Monsieur, combien il importe de le mettre à même d'étudier sans
interruption.
J'ai pensé ne pouvoir m'adresser mieux qu'à vous, pour sol-
liciter cette faveur de votre commune.
Vous aurez la gloire de contribuer aux succès d'un artiste qui,
dévoré du désir de se distinguer et doué par la nature des plus
heureuses dispositions, ne pourra qu'illustrer son pays.
Je n'ajouterai qu'un fait qui vous donnera une idée du zèle de
ce jeune homme : je l'ai vu cet hiver travailler sans feu, se nour-
rissant de pain et d'eau et passant les nuits à étudier.
La meilleure constitution ne pourrait résister longtemps à un
tel régime.
Il ne tient qu'à vous d'adoucir son sort, et j'espère tout de votre
zèle et de votre amour pour les arts.
Agréez, Monsieur le Maire, l'assurance de la parfaite considé-
ration de votre très humble serviteur,
Pajou, peintre d'histoire.
Rue Jacob, 16, faubourg Saint-Germain;
J'appuie la présente sollicitation en faveur du jeune David, qui
en a un très grand besoin et qui le mérite par ses excellentes
qualités.
Roland,
Membre de l'Institut et de la Légion d'honneur,
et professeur des Écoles spéciales des beaux-arts.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 3
On ne psut dire rien de plus vrai que ce qui est relaté dans la
présente demande : les progrès du jeune David se sont passés en
quelque sorte sous mes yeux et je puis assurer également que je
n'ai jamais vu de pareilles dispositions.
David,
Premier Peintre de S. M.'] 'Empereur,
officier de la Légion d'iioniieur,
merabi'e de l'Inslitut ImpùriaL
Dejoux,
Sculpteur, membre de l'Institut
et de la Légion d'honneur.
Je me plais à donner au jeune David un témoignage de l'estime
que je fais de sa personne et de ses talents distingués.
Vincent,
Membre de la Légion d'honneur
et de l'Institut de France.
Professeur aux Écoles spéciales des beaux-arts à Paris.
Je rends ici témoignage des bonnes dispositions et de la con-
duite parfaite de M. David, dont j'ai suivi les études à l'Académie,
où il a remporté avec honneur plusieurs prix qui attestent un
talent qui n'attend que le moyen de se perfectionner. Ce jeune
artiste, si intéressant sous tous les rapports, qui a beaucoup reçu
de la nature et rien de la fortune, serait en tout on ne peut plus
digne de ce que les amis des arts et la ville d'Angers pourraient
faire pour lui faciliter le moyen de poursuivre ses études et de
contribuer un jour à l'honneur de l'art du statuaire et de sa
patrie.
Ménageot,
Ancien directeur de l'Académie de France à Rome.
Professeur de Ecoles des beaux-arts.
Membre de l'Institut et de la Légion d'honneur.
Certifié véritable le témoignage rendu aux talents et aux
bonnes mœurs du jeune David.
F. Lecomte,
Meml)ro de l'Institut.
Recteur et administrateur des Écoles de peinture,
sculpture et architecture.
Je connais le jeune artiste David et je l'estime autant que
4 DAVID D'ANGERS
je l'affectionne. Si sa ville natale peut venir à son secours, je
crois qu'elle ne peut faire une meilleure œuvre.
Lemercier.
Jeuffroy,
Membre de l'Institut, professeur de l'Ecole Impériale
de gravure sur pierres fines.
Archives vninicipales d'Angers. — Est-Il nécessaire de présenter au
lecteur chacun des signataires de cette lettre, tout à l'honneur de David
encore élève de l'Ecole des beaux-arts? C'est d'abord le peintre Jacques-
Auguste Pajou, puis le sculpteur Roland (Philippe-Laurent), maître de
David, puis le peintre des Sublnes, qui avait également donné ses leçons à
son jeune homonyme, le sculpteur Claude Dejoux, les peintres François-
André Vincent et François-Guillaume Ménageot, le sculpteur Félix Lecomte,
le graveur en pierres fines Romain-Vincent Jeuffroy et enfin Lemercier.
Quel est ce Lemercier? L'absence de titre à la suite du nom autorise plus
d'une hypothèse. A tout hasard nous apportons la nôtre. Nous devons être
en présence de Louis-Jean-Népomucène Lemercier, entré à l'Académie
française en 1810. Mais que viendrait faire un littérateur au milieu de tant
. d'artistes ? Ne nous hâtons pas de le proscrire. Lemercier a quelque droit
de signer une requête que revêt de sa griffe Louis David, le Premier Peintre
de l'Empereur. Ouvrez le discours de réception à l'Académie française de
Victor Hugo, successeur de Lemercier : vous y lirez que le poète d'Aga-
memnon fut l'ami de David. Ouvrez les Archives de l'Art français : vous y
trouverez une lettre du peintre au marquis de Brusiartdans laquelle David
ne craint pas de revendiquer le poète pour son élève. Au surplus, Lemer-
cier s'autoiise ici de son amitié pour l'artiste angevin. L'amitié a partout
le droit de se faire entendre. Il est à remarquer que la requête adressée au
maire d'Angers, et qui reçut d'ailleurs un accueil favorable, valut à ses
auteurs une récompense flatteuse. De retour d'Italie, David d'Angers
modela le médaillon de la plupart des signataires de la lettre ci-dessus.
Pajou, Roland, Louis David, Dejoux et Lemercier reçurent du statuaire cet
hommage délicat. Vincent et Ménageot étaient morts en 1816, au moment où
notre David était à Londres. Lecomte ayant succombé en février 1817, son
protégé de 1811 n'eut pas le temps de reproduire son profil. Reste Jeuffroy,
mort seulement en 18:26, presque octogénaire, mais Jeuffroy vivait dans
ses derniers temps hors de Paris. Rien de surprenant à ce que David n'ait
pu commodément reconnaître le service dont il lui était redevable. Le
maire d'Angers obtint sans peine de la municipalité un secours de cinq
cents francs pour l'artiste si chaleureusement recommandé. Puis, en cette
même année 1811, David ayant remporté le grand-prix, une allocation de
1,200 francs lui fut alors votée par sa ville natale.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 5
1812
II
David au sculpteur Philippe Roland.
La nature et l'aiiLique. — Rome. — Monte Cavallo. — La statue
du Jeune Berger.
Rome, le ^23 mai 1812.
Mon cher Maître,
Je parais à vos yeux un homme négligent : en apparence je
mérite ce reproche, mais je pense que quand je vous aurai dit
quels sont les motifs qui m'ont empêché de vous écrire, j'ose
croire que je ne vous paraîtrai plus si coupable.
D'abord, dans les lettres que j'ai écrites à M. Pajou, je l'ai tou-
jours prié de vous présenter mon respect. Je ne voulais pas vous
écrire sans vous envoyer le croquis de ma figure. J'ai cherché à
voir toutes les belles choses que cette superbe Rome renferme, et
c'est, il me semble, dans les premiers instants oîi l'on arrive dans
cette ville qu'on doit voir beaucoup; c'est la seule raison qui m'a
engagé à faire une figure de jeune homme, ce qui ne me tiendra
pas très longtems; outre cela que le modèle est très beau, et tout
est beau à étudier dans celte pose, je n'ai pas balancé à faire
cette figure-là. J'ai dessein de mettre à ses pieds un petit che-
vreau qu'il vient de tuer par mégarde.
Je tâche autant qu'il m'est possible de suivre dans mes études
la route que vos précieuses leçons m'ont tracée ; je ne manque pas
d'aller tous les soirs étudier d'après le modèle qui pose à l'Aca-
démie. Je dessine d'après l'antique : je sais que vous m'avez tou-
jours dit que l'antique servait à faire voir les beautés qui existent
dans la nature. Privé du bonheur d'avoir tous les jours vos
conseils, il ne me reste de ressources, tant que je serai à Rome,
que ces deux maîtres, la nature et l'antique; je dois à vos con-
seils la connaissance du fruit qu'on peut tirer de l'étude de ces
deux maîtres, et j'ose croire que vous mettrez le comble à tous
les bienfaits dont vous m'avez honoré en me donnant toujours
vos avis.
6 DAVID D'ANGERS
Je vais souvent voir les statues de Monte Gavallo; je vais tâcher
de dessiner ces figures de tous les côtés et de les mesurer. Il me
semble que ces figures sont un type qui montre ce que doivent
être des statues exposées à l'air. Elles me paraissent beaucoup
plus grandes qu'elles ne sont réellement ; de quelque manière
qu'elles soient éclairées, c'est toujours de la sculpture surpre-
nante. Voilà l'effet que ces figures me font. Après cela, j'attends
votre sentiment sur cette sculpture, parce que je me défie de mon
inexpérience. Je pourrais peut-être voir avec les yeux d'un jeune
homme qui est enthousiaste de ce que les Grecs ont produit.
Cette année, je vais l'aire cette figure de jeune homme: je la fais
juste de la grandeur du modèle; l'année prochaine, un bas-relief;
pendant ce temps-là, je m'occuperai de trouver le sujet d'une
figure de ronde bosse que je désire exécuter, en marbre, s'il m'est
possible. Je vous prie de me dire ce que vous pensez de ces
projets-là.
Gomme je ne peux travailler toute la journée à ma figure, ce
qui me reste de temps je l'emploie à dessiner d'après l'antique :
cela varie mon genre de travail d'une manière avantageuse.
Je vous assure que je fais tout mon possible pour qu'un jour
vous vous applaudissiez des bontés que vous avez eues pour moi ;
bontés qui m'inspirent de vifs sentiments de reconnaissance.
Veuillez, je vous prie, en agréer respectueusement le témoignage,
ainsi que celui de mon respect.
Votre élève,
David fils.
Je vous prie de présenter mon respect à M""^ Roland, ainsi qu'à
M. et à M-^e Lucas, et à ce respectable M. Dejoux et à M. Vincent.
P. S. — Si j'étais à Paris, j'aurais eu le plaisir de vous em-
brasser et de vous souhaiter une bonne fête; je vous assure que
c'est une grande privation pour moi. Je m'en dédommage comme
jele puis: ne pouvant vous parler ni vous voir, je vous écris; de
cette manière je passe une journée avec vous, c'est une journée
de bonheur.
Je viens d'apprendre que trois de vos élèves venaient d'être
reçus aux prix : j'en suis enchanté pour ce bon Massa ; je leur désire
beaucoup de bonheur. Je pense que Van Gheel doit travailler avec
beaucoup de courage ; il a de bien belles espérances cette année.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 7
Collection A. Bovet. — Cette lettre a d'abord fait partie du cabinet Lucas
de Montigny, gendre du sculpteur Roland. Les autographes rassemblés par
cet amateur a3'ant été mis en vente eu 1860, la lettre de David passa entre
les mains de M. Charabry, dont la collection fut vendue en 1881. C'est à
cette époque que M._Bovet devint possesseur de la lettre qu'on vient de lire.
Elle a de nouveau passé en vente en 1885. La statue du Jeune Berger dont
parle notre artiste est aujourd'hui au Musée David. D'api'ès le croquis à
la plume joint à la lettre du 23 mai 1812, nous voyons que le sculpteur
avait placé un chevreau demi-couché et percé d'une flèche aux pieds de son
Berger. Roland désapprouva sans doute la présence de l'animal. Il n'en
reste pas trace dans l'œuvre définitive de David. Une seconde lettre de
l'artiste, également adressée à Roland, sous la date du 18 décembre 1812,
contient l'annonce de l'achèvement du Jeu7ie Berger.[{Yoir David d'Angers,
etc., t. II, p. 363.)
III
Madame Benoist à David.
Bontés de Canova pour le sculpteur. — Louis David. — Aparicio.
1812 (?).
A M. David, sculpteur, pensionnaire à Rome.
J'ai reçu votre lettre, mon cher David. Je suis ravie des bontés
de Canova. Yoyez-le et dites-lui mille tendres choses pour une
personne qui l'aime et le révère. Tout le bien qu'il vous fera,
j'en prends ma part de reconnaissance; dites-le-lui bien.
Travaillez beaucoup. David vous remercie de votre souvenir;
il vous garde, ainsi qu'à notre bon Aparicio, toute son amitié.
.Te suis pressée et ne puis vous en dire plus. J'ai vu la famille
M... qui vous est bien attachée. Je verrai votre père à Angers. Je
pars dans un mois.
Recevez l'assurance de mon attachement,
Emilie Benoist.
L'on me presse. Adieu. Revenez avec un grand talent.
Colleclion David d'Angers. — Cette lettre n'est pas datée. Nous la suppo-
sons écrite en 1812. Marie-Guilhelmine Lavillc-Leroux, peintre, élève de
M""" Vigée-Lebrun et de Louis David, avait épousé, en l'an VI, Pierre-Vincent
Benoist, homme politique et publiciste, né à Angers en 17o8, mort en 1834.
M"" Benoist, fort connue à son époque comme portraitiste, avait obtenu au
Salon de 1804 une médaille de première classe. C'est à M™" Benoist que sont
dédiées les Lettres sur la mythologie de Demousliers. José Aparicio, élève
de Louis David, était pensionnaire durci d'Espagne à Paris. Sa réputation,
fondée dés 1804, ne fut pas moins grande que celle de Girodet.
DAVID D'ANGERS
1816
IV
Cartellier à David.
Commande du Condé.
Juillet 1816.
A Monsieur David, statuaire.
Je m'empresse, Monsieur^ de vous prévenir que le ministre
vient de vous charger d'une statue. Venez me voir demain entre
8 et 9 heures du matin, je vous donnerai des renseignements à
ce sujet. J'éprouve un grand plaisir à vous apprendre cette nou-
velle qui vient de me parvenir à l'instant.
Votre dévoué serviteur,
Cartellier.
Collection David d'Angers. — Ce billet, non daté, [fut écrit entre le 11 et
le 16 juillet 1816 et a trait au Condé. Le sculpteur Roland avait reçu la com-
mande d'une statue de Condé que la mort ne lui laissa pas le temps d'exé-
cuter. Roland mourut le 11 juillet 1816. C'est alors que l'on eut la pensée de
charger David de succéder à son maître dans l'exécution de la statue du
vainqueur de Roci'oy, destinée à la décoration du pont Louis XVL II n'est
pas téméraire de penser que le sculpteur Pierre Cartellier, membre de l'Ins-
titut, a pu s'intéresser à David en cette occasion d'une importance capitale
pour l'avenir du jeune artiste. La commande officielle, signée de Laine,
ministre de l'Intérieur, porte la date du 16 juillet 1816.
De Villemorge à David.
La statue de Condé. — La Tête d'Ulysse.
Angers, le i" août 1816.
Le Maire de la ville d'Angers, chevalier de V Ordre royal
et militaire de Saint-Louis., à Monsieur David, sculpteur.
Monsieur,
Ayant appris par les papiers publics la preuve honorable de
confiance en vos talens, que S. Exe. le ministre de l'Intérieur vient
de vous donner, j'ai su par cette annonce même votre retour à
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 9
Paris et j'en profite pour vous exprimer moi-même combien le
conseil municipal de la ville d'Angers et moi avons été satisfaits
de l'offre que vous avez faite à votre ville natale de votre premier
ouvrage en marbre. Votre Tête d' Ulysse -est exposée au iMuseum
et y réunit tous les suffrages; elle nous donne la certitude que
vous justifierez le choix qu'on a fait de vous pour traiter un des
plus beaux comme un des plus grands sujets de notre histoire,
et cette distinction flatteuse qui vous est accordée est- un motif
de joie pour vos compatriotes en général et l'administration de
la ville d'Angers en particulier.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite considération, Monsieur,
votre très humble serviteur,
De Villemorge.
Collection Henry Jouin. — La commande faite à David par le ministre de
l'Intérieur dont il est parlé ici est celle du Condé. (Voir David d'Angers, etc.,
t. I, p. 118.)
1822
Yl
David à Pavie père.
La statue de Bonchamps.
Paris, ce 24 juillet 1822.
Monsieur,
Il y a peu de jours, M. le préfet d'Angers était ici ; il a paru
content du monument de Bonchamps. Cela m'a fait plaisir, car je
fais de mon mieux ; l'idée que ce monument devait représenter
un de nos compatriotes et être placé dans notre cher pays m'a
engagé à l'entreprendre pour la faible somme qu'on me donne et
qui suffira à peine à payer les frais.
Adieu, Monsieur, conservez-moi toujours une part dans votre
amitié, et croyez au sincère attachement de votre très humble
serviteur,
David.
Collection Pavie. — Le monument de Bonchamps dont il sera parlé fré-
queiameut dans les lettres qui vont suivre est érigé à Saint-Florent, en
Vendée.
10 DAVID D'ANGERS
1824
VII
David à Pavie père.
Sur une « Epître à David, statuaire ».
21 aoust 1824.
Mon cher ami,
Je dois vous paraître bien négligent.
De grâce, ne méjugez pas défavorablement; je désirais vous
dire l'efifet que votre trop bienveillante Épître a produit ; je l'ai
communiquée à quelques-uns de mes bons amis qui l'ont trouvée
■écrite avec beaucoup de verve et d'une touchante mélancolie ;
M. le duc de Brissac en est très content; il l'a gardée.
Bon ami, je sens que je ne puis trouver d'expressions assez
fortes pour vous témoigner toute ma reconnaissance; ce qui me
touche vivement, c'est la constante amitié dont vous n'avez cessé
de me donner des preuves ; croyez que mon cœur en connaît
tout le prix. Mais, cher ami, il me semble que cette amitié vous
;a poussé trop loin ; je ne suis point un sujet digne d'inspirer
votre beau talent; pour que les récompenses soient honorables,
il ne faut pas qu'elles soient prodiguées ; je n'ai encore rien
fait pour mériter de pareils éloges.
Je vous ai souvent parlé avec toute l'ardeur possible du désir
que j'avais de vous voir produire quelques ouvrages littéraires,
persuadé que vous ne pouvez qu'illustrer notre cher pays. Vous
avez de beaux sujets, dont vous m'avez parlé; la Vendée même
peut vous en fournir de grands. J'admire toujours le courage qui
lutte contre de grands obstacles.
Que de choses j'ai à vous dire! Gomme j'attends avec impa-
tience le moment heureux qui me rapprochera de vous ! Je me
rappelle nos projets ! Comme le temps me paraît long ! Je vou-
drais vous écrire encore, mais je suis accablé d'affaires pour le
Salon dont l'ouverture est proche, et je n'ai pas terminé mes
ouvrages.
Quand vous visitez les environs de notre délicieuse contrée,
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 11
rappelez-vous quelquefois de votre compatriote, qui les a gravés
dans son cœur, ainsi que le souvenir des bons Angevins.
Adieu, bon ami, indulgence pour mon griffonnage, et assu-
rance de l'éternelle amitié de votre dévoué compatriote,
David,
Collection Pavie. — Louis Pavie, compatriote et condisciple de Chevreul
et de David à l'Ecole centrale d'Angers, est resté l'ami du sculpteur jusqu'à
son dernier jour. Littérateur, fondateur du journal les Affiches d'Angers et
imprimeur, Louis Pavie publia en 1824 une Epitve à M. P.-J. David, sta-
tuaire, auteur du Monument de Boncliamps exposé au Salon de i 824. (In-12,
12 p.) C'est au sujet de cet opuscule que David a écrit la lettre qui précède.
VIII
David à Pavie père.
La Religion. — Statue de Racine. — L'Innocence implorant la Justice.
Paris, ce 25 décembre 1824.
Je profite de votre obligeance, mon cher ami, pour vous prier
de remettre cette lettre à Madame Papiau. Je profite aussi de
cette occasion pour vous réitérer l'assurance de mon éternelle
amitié et des vœux que je fais pour votre bonheur.
Depuis que j'ai eu le plaisir de vous voir, j'ai travaillé beau-
coup. Enfin le modèle de la statue de Racine est terminé, et le
bas-relief de la cour du Louvre le sera dans deux ou trois jours.
Tous ces travaux m'ont empêché de voir votre fils aussi sou-
vent que je l'aurais désiré. Il est si bon, si intéressant que c'est
vraiment une privation pour moi quand je ne le vois pas. J'ai
acquis la conviction que la tendresse paternelle ne vous a point
aveuglé à son égard ; vous ne m'en aviez rien dit de trop. De-
main dimanche il vient dîner avec moi-, nous parlerons de vous,
de ses chers parents, car c'est tout son bonheur.
Adieu, cher ami, portez-vous bien, et croyez à l'entier dé-
vouement de votre ami,
David.
Collection Pavie. — La lettre destinée à M™" Papiau de laVerric et dont
il est parlé ici était relative au petit monument élevé à la mémoire de
son fils Raymond, mort à neuf ans en 182i\ Ce monument représente la
Religion. Il a été érigé dans le cimetière d'Angers. Le bas-relief do la cour
du Louvre a pour su'joiV Innocence implorant la Justice. [David d'Angers,
etc., t. II, pp. 461,462,475.)
12 DAVID D'ANGERS
1825
IX
David à Pavie père.
Sur une page de poésie.
Paris, ce 21 mars 1825.
Mon cher ami,
Le sujet que vous avez traité est touchant et écrit avec une
grande verve ; quoique vous en disiez, je crois que vous devez
renoncer aux chansons pour prendre ce genre élevé qui con-
vient à votre talent et à votre caractère. C'est aussi le seul qui con-
vienne aux hommes. Je ne connais rien à ce qu'on appelle la fac-
ture des vers : quand j'en lis je cherche des idées, et j'en al
beaucoup trouvé dans votre dernier ouvrage; il m'a intéressé
vivement, aussi je réclame de votre amitié un exemplaire.
En revenant de conduire au cimetière notre malheureux com-
patriote Béclard, j'ai rencontré notre jeune ami; il m'a dit que
vous ne tarderiez pas à venir nous voir à Paris. Yenez, venez,
cher ami, vous nous rendrez bien heureux tous les deux.
Recevez l'assurance de l'entier dévouement de votre ami,
David.
Collection Pavie. — Béclard (Pierre-Augustin), médecin distingué, né à
Angers en 1788, est mort à Paris en 1825. L'ami rencontré au retour des
obsèques du docteur Béclard, c'est Victor Pavie, alors collégien à Paris.
David à Victor Pavie.
Une ode sur Béclard. — La Religion.
Ce vendredi 22 avril 1825.
Mon cher ami.
J'ai lu avec un bien grand intérêt les vers que vous venez de
faire pour Béclard. 11 me semble qu'ils sont pleins de verve.
Dimanche matin, vers deux heures, j'irai à votre pension pour
vous faire sortir. Nous en causerons.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 13
J'attends avec impatience l'épitaphe que votre ptre doit m'en-
voyer pour graver sur le tombeau que je fais pour M'""= Papiau.
Tout à vous de cœur,
David.
Collection Pavie. — Il est parlé du tombeau de Raymond Papiau dans la
lettre du :2o décembre 1824.
XI
David à Victor Pavie.
Conseils à un collégien.
Ce dimanche \." mai 1825.
Combien j'ai été contrarié de n'avoir pas pu retourner à votre
pension, jeudi passé. Je suis si pressé ! Ne m'en voulez pas, mon
jeune ami, si jeudi prochain je ne vais pas vous voir : j'ai un
modèle vivant qui pose depuis le matin jusqu'au soir ; mais
de dimanche en huit j'irai vous cliercher et nous dînerons en-
semble.
Courage, travaillez beaucoup, c'est le moyen de chasser l'en-
nui. Rien ne doit vous effrayer si vous voulez faire de grandes
choses. Un ruisseau est arrêté par une digue, le torrent la
franchit.
J'ai fait voir votre pièce de vers à des hommes qui s'occupent
beaucoup de littérature. Ils en ont fait un grand éloge, eu égard
à votre jeunesse. Je dois vous dire qu'ils pensent que si vous
continuez ainsi, nous aurons un poète distingué de plus en
France. Vous devez concevoir combien j'ai été content d'enten-
dre dire toutes choses que j'avais pensées de mon jeune compa-
triote.
Tout à vous de cœur,
David.
Si vous avez besoin de quelque chose, voici mon adresse :
Place de l'Estrapade, n° 34.
Collection Parie. — Lasuscription de cette lettre porte : « M. Pavi(\ lue
Saint-Antoine, pension de M. Fuvart. »La pièce de vers dont parle ici Daviil
est l'ode sur Béclard.
J4 DAVID D'ANGERS
XII
Victor Pavie à, David.
David en Anjou. — L'inauguration du Boncluimps. — Le roi René.
Paris, 10 juillet 1825.
Monsieur,
Mon frère et mon père ne parlent dans leur lettre que de
M. David. Puissent-ils vous dédommager au centuple de toutes
les bontés que vous m'avez témoignées de si bonne grâce, de ces
complaisances si gênantes pour un artiste, si incompatibles avec
ses travaux. Pour sentir le prix de ce que l'on possède, il faut le
perdre. Aussi ne me suis-je jamais si bien aperçu qu'aujourd'hui
du plaisir que me procurait votre présence. Je puis vous assurer
que si cette année passée à Paris m'a été de quelqu'avantage, je
l'ai dû principalement à vos conseils et à votre manière d'envi-
sager qui m'ont agrandi les idées. Tout votre mérite n'a pu faire
de moi un observateur cette année. Mais je sens maintenant le
prix de l'observation, que je ne sentais pas autrefois, et c'est
toujours un pas de fait.
Quelqu'impatience que j'éprouve à vous revoir quelques jours
encore, à vous questionner à mon aise, je vous invite de tout
mon cœur à prolonger votre séjour longtemps, d'autant plus que
ces visites se renouvellent rarement de votre part. Vous avez en-
trepris votre voyage par la plus belle saison, assez tard pour les
fruits, assez tôt pour les fleurs. C'est le temps, où déjà moins
fraîche mais plus grande, moins riante mais plus majestueuse,
la nature a quitté la robe délicate du printemps pour se draper
du large manteau de l'été. Quel atelier pour un statuaire! Que de
formes à reproduire ! Que de germes féconds pour de grands
sujets ! Quel plaisir pour moi de feuilleter à votre retour votre
portefeuille tout chargé des sites de la Loire, des rochers de la
Bau mette, et des figures franches et naïves des braves Vendéens !
Votre corps et votre esprit réclamaient également ce pèlerinage
poétique. 11 était utile pour vous d'arracher vos pieds à la fange
de la capitale pour retremper votre imagination à l'horizon pur
et azuré de l'Anjou. Votre âme, si longtemps comprimée, avait
besoin de s'épancher quelques instants sur la tombe d'un père,
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 45.
au milieu des souvenirs de votre jeunesse, entre les bras de vos
amis.
C'est donc pour le 12 du mois qu'est fixée l'inauguration du
Bonchamps. C'est le jour où, dans cette église même, théâtre de
ses derniers bienfaits, son ombre s'élèvera encore, et la gorge
tendue, la bouche béante^ les yeux voilés par la mort, pronon-
cera de son lit funèbre, avec une tristesse sombre et religieuse,
ces mémorables paroles : « Grâce aux prisonniers ! » Ce n'est
pas à un observateur comme vous que je recommanderai d'exa-
miner tous les détails de cette cérémonie solennelle, pour m'en
rendre compte au retour. N'épargnez donc rien pour la revêtir
d'une pompe qui en éternise à jamais le souvenir. Que sait-on !
Si, par une impression salutaire, l'inauguration du Bonchamps
pouvait convertir en entier le caractère de nos compatriotes ! Si»
à l'aspect de cette figure sublime, notre patrie pouvait secouer sa
léthargie profonde et penser aux héros qu'elle a portés dans son
sein ! Profitez de celte impression passagère qui peut avoir de
grands effets. Ce serait peut-être le moment de proclamer dans
l'église même, aux pieds de la statue, une nouvelle souscription
qui s'ouvrirait de suite en faveur du bon René ?
Adieu, Monsieur, j'augure tout de votre voyage à Angers, et
de la secousse que vous communiquerez à tous ceux à qui il bat
quelque chose dans l'àme. Autre chose est d'avoir des projets
vagues de monument, autre chose d'avoir l'artiste même auprès
de vous qui vous éleclrise par son enthousiasme, vous expose
toutes ses idées, et en presse l'exécution.
Tout à vous pour la vie,
Yictor Pavie.
P. S. — Je vous prie instamment de faire part, avec franchise,
à mon père, de tous ces défauts qui ont pu jusqu'à ce jour lui
échapper dans ma personne, mais que vos regards perçants au-
ront découverts ; je l'ai chargé aussi de vous questionner là-
dessus, afin qu'il m'en corrige ces vacances.
Collection David d'Anr/evs. — Voir David d'Angers, etc., t. I, pp. 449-153.
Les dernières lignes do cette lettre indiquent que dès 182S le statuaire son-
geait à élever en Anjou un monument au roi René. Evidemment il s'était
ouvert de ce projet à Yictor l'avie.
16 DAVID D'ANGERS
XIII
David à Pavie père.
Retour à Paris. — Delusse.
Paris, le 25 août 1825.
Mon cher bon ami,
Me voilà enfin arrivé dans la grande ville sans aucun accident
grave, ce qui m'étonne, car j'ai été bien souffrant tout le temps
du voyage ; j'ai même été sur le point de quitter la diligence de
Tours, mais je me suis rappelé mon antique courage et enfin j'ai
revu les rives de la Seine, je ne dirai pas avec plaisir, car cette
maudite terre parisienne est pour moi une terre de douleurs.
Rome, Rome, voilà la chimère qui me soutient.
Je vais reprendre mes occupations de l'atelier, alors mes idées
seront moins tristes; puis le souvenir de l'accueil bienveillant de
mes chers compatriotes m'encouragera à travailler afin de me
rendre digne de l'intérêt qu'ils me témoignent.
Mon cher ami, je n'oublierai jamais tout ce que vous avez fait
pour moi ; les paroles rendraient difficilement toute l'expression
de ma gratitude.
Recevez, cher ami, l'assurance du dévouement sans bornes et
de l'inaltérable amitié de votre compatriote,
DAvm.
P. S. — Dans quelques jours vous ferez bien, je pense, de
dire à mon brave maître M. Delusse, que je lui ai trouvé des
souscripteurs, cela lui donnera du courage. Je regrette beaucoup
que mes moyens ne me permettent pas de lui être utile d'une
manière plus digne de ma reconnaissance. Employez tous les
moyens possibles pour lui trouver des souscripteurs.
Collection Pavie. — Jean-Jacques Delusse, premier maître de David et
conservateur du Musée en 1825, était dans une situation des plus précaii'es.
Dessinateur habile, il avait prié David de lui procurer quelques ressources
par le placement de ses dessins entre les mains d'amateurs. Le statuaire,
de retour à Paris, s'empresse de faire dire à son vieux maître qu'il lui a
trouvé des souscripteurs! Touchant subterfuge de l'artiste qui craint d'hu-
milier son professeur par l'offrande directe d'un secours. (Voir David d'An-
gers, etc., t. I, p. 154.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 17
XIV
David au baron Taylor.
Le cliùleau de la Bourgonnière, en Anjou.
Veiidredi matin (décembre 1825?),
Monsieur le baron,
J'ai eu l'honneur de vous parler d'un admirable monument
construit par les Templiers et qui est dans une parfaite conser-
vation, dans le château de la Bourgonnière, près Saint-Florent,
dans la Vendée. Le propriétaire est depuis quelques jours à Paris;
il serait charmé de vous donner des renseignements sur ce mo-
nument. Si vous pouviez nous recevoir dimanche prochain ou
tout autre jour qui vous conviendrait mieux, vous nous obligeriez.
Veuillez, Monsieur le baron, recevoir l'assurance du profond
respect de votre très humble serviteur,
David.
Collection Taylor. — II est permis de supposer que David, en signalant
au baron Taylor les curiosités du château de la Bourgonnière, a pour but
d'appeler sur cet édifice l'attention des auteurs des Voyages pittoresques
et romantiques dans l'ancienne France.
1826
XV
David à Pavie père.
Le journal les Affiches d'Angers. — Le peintre Cadeau. — Le docteur
Ollivier. — Les Cambresiens et le monument de Fénelon. — Voyage à
Bruxelles. — La tombe de Louis David. — Waterloo. — Denain. —
Athènes. — La cause des Grecs.
Paris, lu février 1828.
Mon cher ami.
Noire jeune ami m'a communiqué deux numéros du journal
que vous venez de l'aire paraître. C'est une bien heureuse idée
que vous avez eue. Vous pourrez dire à juste titre que vous avez
réveillé la muse angevine. Parlez le plus souvent que vous
2
j8 DAVID D'ANGERS
pourrez de l'ouvrage de cet excellent M. Bodin ;parlez-en, ce sont
nos archives; parlez aussi de la vie du roi René; parlez de notre
future Académie; il est honteux qu'elle ne soit point encore insti-
tuée. Je veux être au nombre de vos abonnés, c'est une affaire
convenue; vous m'enverrez les numéros qui ont paru. Cadeau a
aussi l'intention de s'abonner et je crois qu'Ollivier ne tardera
pas à en faire autant. Je verrai s'il ne serait pas possible de faire
prendre un abonnement par M. Bossange pour sa galerie litté-
raire. Pensez donc à votre itinéraire de la Vendée.
Ma statue de Fénelon est arrivée à bon port; elle a été inaugu-
rée d'une manière digne du sujet. Après le discours prononcé en
chaire, l'évêque, suivi de son clergé, a été bénir le monument.
Ne voulant pas me mettre en évidence, j'étais resté à causer
dans un coin de l'église avec un officier angevin, qui est en gar-
nison à Cambrai. Le sous-préfet est venu m'annoncerque l'évê-
que m'attendait auprès du monument. Je m'y suis rendu. Alors
Monseigneur a prononcé un éloge dont il a eu la bonté de m'en-
voyer la copie que je vais joindre à cette lettre. La ville de Cam-
brai fait graver le monument au trait, et va faire imprimer une
notice sur ce monument et un extrait de tous les journaux qui en
ont parlé; le maire en enverra des exemplaires à tous les préfets
de la France. Convenez que ces gens du Nord ne sont pas si froids
qu'on le pense, pour les arts. Je vous avais donné cette idée pour
notre Bonchamps ; c'eût été un moyen de le faire connaître. La
ville a fait frapper une médaille représentant la tête de Fénelon
d'un côté, et sur le revers le monument. 11 n'y aura qu'un exem-
plaire en or. Il est destiné au Roi, les autres seront en argent et
en bronze; on doit m'en envoyer une.
Yous connaissiez mon intention d'aller voir M. Louis David; je
voulais encore lui témoigner de vive voix toute ma reconnais-
sance, mais je n'ai pu que déposer sur son cercueil une couronne
de lauriers avec ces mots que j'ai attachés à la couronne : Un
élève reconnaissant est venu sur cette terre étrangère pour saluer
ta dépouille morHellc et déposer sur ta tombe cette faible marque
de son admiration. J'ai tellement pris mes précautions qu'il n'y a
que le sacristain (qui m'a introduit dans le caveau oii sont les
restes de M. David) qui m'ait vu, et encore ignore-t-il mon nom;
j'ai éprouvé une espèce de soulagement après cette action. C'était
l'unique but de mon voyage en Belgique.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 49
J'ai VU la plaine de Waterloo, de douloureuse mémoire On
y élève une montagne qui a deux cents pieds de hauteur sur la-
quelle on placera un lion colossal en bronze : on a choisi pour ce
monument l'endroit où le prince d'Orange a été blessé.
J'ai vu la plaine de Denain. J'aurais bien voulu voir Jemma-
pes, mais j'y suis passé de nuit.
J'ai voulu en repassant par Cambrai aller dire adieu à Fénelon;
j'ai été confirmé dans ce que l'on m'avait dit, que les paysans
venaient s'agenouiller devant le monument et y dire leurs prières.
Ils l'appellent Saint Fénelon.
Voilà bien longtemps que je parle de moi Si je ne connaissais
pas votre amitié, je craindrais d'être importun; il faut que je
vous prie de me rendre encore quelques services. Je vous envoie
une livraison d'un Voyage à Athènes, ouvrage qu'un de mes
bons amis publie. L'homme a un très grand talent et son ouvrage
est parfait. Tâchez d'en placer quelques exemplaires. Cette livrai-
son est à moi, veillez, je vous prie, à ce qu'il n'y arrive aucun ac-
cident. Je vous envoyé par la même occasion des prospectus. Je
vous prierai aussi de faire remettre à Royer de Ghàtelais, qui
demeure place du Pilori, des prospectus pour les Grecs, il doit se
charger de faire souscrire. A notre dernier dîner, nous avons tous
souscrit. Il est question de cela dans la Pandore, je vous
l'envoie. Vous verrez s'il est convenable que vous mettiez cet
article dans votre journal.
Monsieur et Madame de Bouille m'ont demandé de vos nou-
velles et m'ont chargé de vous faire leurs compliments.
Adieu, cher ami, recevez l'assurance de l'entier dévouement
de votre fidèle ami,
David.
Collection Pavie. — Il s'agit au début de la lettre de la communication,
par Victor Pavie, d'un numéro des Affiches d'Angers rédigées par Louis
Pavie. Cadeau (René), peintre angevin, avait été le condisciple de David à
l'École centrale. Gharles-Prospcr OUivier, né à Angers, s'est fait dés ix^i5
une réputation méritée à Paris. Emule d'Orfda, il fut investi de la charge
de médecin juré près le' tribunal de première instance de la Seine. Le
peintre Louis David, maître du statuaire, était mort à Bruxelles le 27 dé-
cembre iSiu. Il y avait donc à peine deux semaines que l'auteur du Léo-
nidus avait succombé lorsque le sculpteur alla déposer une couronne sur
son tombeau. Le Voi/age à A/hènes cal un recueil de portraits, de vues et
de costumes par Louis Dupré, élève de Louis David. (Paris, Dondey-Dupré,
gr. in-fol. 182o.'i La Pandore, citée par David à la fin de cette lettre, était un
journal qui avait remplacé le Miroir. Fondée le 10 juillet 1823, la Pandore
a cessé de paraître le 11 mai 1830.
20 DAVID D'ANGERS
XVI
David à F.-J. Navez.
La Rencontre d'isaac et de Réhecca. — Monument à élever à Louis David.
— Le comte de Forbin. — Gros. — De Potter, Suys et Van GheeL
Monsieur,
Pans, ce 20 mars 1826.
Vous trouverez ci-joint une lettre de M. de Forbin. J'ai reçu
cette lettre ces jours derniers. Je m'empresse de vous la faire
parvenir. Elle vous expliquera le genre de service que M. de
Forbin attend de vous. Veuillez m'indiquer par quel moyen je
pourrais vous faire passer l'argent pour le vernis.
Je saisis avec bien du plaisir cette occasion de correspondre
avec vous, et de vous dire que j'ai trouvé un bien grand charme
dans votre conversation qui est celle d'un artiste passionné pour
son art et appelé à faire de grandes choses. Je regrette beaucoup
de n'avoir pas pu rester plus longtemps à Bruxelles; j'aurais été
bien enchanté de savoir de vous de nouveaux détails sur notre
maître, mais j'espère un jour pouvoir recommencer ce voyage.
Je verrai alors votre tableau de Réhecca terminé ; cet ouvrage
doit faire époque dans votre vie ; il est impossible que ce ne soit
pas un magnifique tableau, puisque les têtes ont déjà une expres-
sion si sul)lime. J'en ai parlé à plusieurs de nos bons amis qui
apprécient bien et votre grand talent et votre caractère.
J'ai vu M. Gros, je lui ai fait vos compliments; il m'a chargé
de le rappeler à votre souvenir.
Je voudrais bien que nous fissions une souscription pour
vous envoyer des fonds; alors vous pourriez élever un monu-
ment à notre digne maître. Il y a bien des gens timides ici
Cependant, je ne désespère pas que nous ne puissions vous aider
à rendre hommage, comme il convient de le faire, à la mémoire
de cet homme immortel. Il sera bien glorieux pour la Bel-
gique d'avoir donné asile aux cendres de cet illustre proscrit.
J'ai appris que vous aviez ouvert une souscription à Bruxelles.
Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de l'entier dévouement
de votre très humble serviteur,
DAvm^,
place de l'Estrapade, no 34.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 21
Veuillez, je vous prie, dire mille choses honnêtes de ma part
à Messieurs de Potter, Suys et Van Gheel.
L'ami Dupré me charge de vous faire ses compliments.
Bibliothèque de Bruxelles. Legs Navez. — Le destinataire de cette lettre,
François-Joseph Navez, né à Cliarleroi, étudiait à Paris dans l'atelier de
Louis David, lorsqu'une sentence d'exil atteignit l'ancien Conventionnel.
Navez suivit David en Belgique et demeura l'ami du maître français. Le
tableau représentant la Rencontre d'Isaac et de Rébecca, auquel il est fait
allusion parle sculpteur, est l'une des pages les plus achevées du peintre
belge. Cette œuvre est au Musée de la Haye. Le comte de Forbin, nommé
dans cette page, était membre de l'Institut de France et directeur des Mu-
sées royaux depuis 1816. Le peintre Gros, élève de David, avait été le
condisciple de Navez. Le publiciste belge Louis-Joseph-Antoine de Potter
fut un ami personnel du statuaire. Suys (Tilman-François), élève de Percier,
est larchitecte de l'hôtel d'Arenberg à Bruxelles. Van Gheel, on l'a vu
plus haut (p. 6), avait étudié la sculpture sous Roland. Dupré (Augustin) est
le graveur en médailles, ami du statuaire. David a modelé son profil. (David
d'Angers, etc., t. I, p, 26o, et t. II, p. 478.) Nous devons la communication
de cette lettre à l'obhgeance de M.Hymans.
XVII
Granet à David,
Sur la nomination du statuaire à l'Institut.
Ce 8 août 18211.
E viva mossu David !
J'apprends votre nomination à l'instant et je m'empresse,
mon cher ami, de vous faire mon sincère compliment. La suot-a
nera en fait autant, et lorsque vous aurez fini vos courses de de-
voir nous espérons que vous voudrez bien donner un moment
à l'amitié. Mille compliments à l'ami Dupré, et vous, comptez
toujours sur vos vieux amis de la rue St-Lazare.
Adieu, tout à vous,
Granet.
Collection David d'Angers. — L'élection de David à l'Académie des benux-
arts avait eu lieu le b août 1820. La suora nera est sans doute vme allusion
du peintre à l'une de ses propres sœurs. Il est question de Dupré dans la
lettre qui précède, adressée par David à Navez.
â2 DAVID D'ANGERS
XVIII
David à Victor Pavie.
Casimir Delavigne. — M"" Belloc. — Le buste de Fénelon. — Walter
Scott. — Cooper.
Novembre 1826.
Ne craignez pas, mon jeune ami, que je vous fasse des repro-
ches de ce que vous ne venez pas à Paris cette année. Je connais
trop votre passion pour l'étude et surtout pour celle qu'on ne
peut faire qu'à Paris, pour ne pas admirer au contraire le senti-
ment de tendresse filiale qui vous fait retarder vos honorables
projets pour obéir aux volontés d'un père qui a besoin de votre
aide. J'ai, à la vérité, les plus grandes espérances pour votre
glorieux avenir. Mais croyez, cher ami, que je vous aimerai
toujours de toute mon âme, n'importe dans quelle situation il
plaira au sort de vous placer.
J'avais demandé à Casimir Delavigne la permission de vous
présenter à lui. Il a dit oui avec cette bonne physionomie que
vous auriez tant aimé voir parce qu'on y lit toute son àme.
Madame Belloc m'avait permis aussi de vous conduire à ses
soirées. Enfin patience, « le temps est gros de l'avenir. »
Je vois bien rarement notre bon Mazure, mais je sais qu'il me
sera au moins possible de le voir quelquefois. Quand j'ai l'avan-
tage de le rencontrer, nous nous entretenons longuement de
notre cher Victor. Vous êtes notre désir, notre espérance : écri-
vez-nous le plus souvent qu'il vous sera possible.
J'ai effectivement de très grandes chances pour le monument
de Las Casas. Quel bonheur si j'avais à représenter les traits de
ce bienfaiteur de l'humanité! Le garde des sceaux vient de me
charger de l'exécution en marbre du buste de Fénelon ; je suis
bien content de refaire cette tête. Elle aura une expression diffé-
rente de celle de la statue.
Walter Scott est déjà reparti pour Londres. J'aurais bien
désiré le voir, mais la personne qui pouvait me mettre en rap-
port avec lui n'est pas à Paris. La semaine prochaine on doit me
faire dîner avec Cooper; je ferai son buste. Si vous n'avez pas
encore lu ses ouvrages, lisez-les, vous y trouverez des caractères
vigoureusement tracés.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 23
Je vais sous peu de jours vous envoyer une pièce de vers
composée par un de mes amis, jeune peintre distingué, qui a
étudié la peinture chez David, et la vie à l'école du malheur.
Je serais bien aise que votre père me fît le plaisir d'insérer
cette pièce de vers dans son journal, et de m'envoyer la feuille
pour que je puisse la lui donner.
Adieu, cher ami, pensez quelquefois à celui qui ne vous ou-
bliera jamais.
Tout à vous de cœur,
David,
Colleclion Pay/e. — Casimir Delavigne était en relations amicales avec David
dès 1825. Adolphe Mazure, nommé dans cette lettre, fut successivement
professeur de philosophie et inspecteur de l'académie de Glermont. Anne-
Louise Swanton, fille d'un officier supérieur irlandais, devenue M™" Belloc,
avait récemment publié un livre de circonstance, Bonaparte et les Grecs.
David n'allait pas tarder à modeler le médaillon de M™» Belloc. Le buste
de Fénelon, exécuté en marbre, fut terminé pour le Salon de 1827. Walter
Scott avait passé quelques semaines à Paris, à la recherche d'anecdotes
dont il projetait d'enrichir l'Histoire de Napoléon. On parlait des fréquents
entretiens de Macdonald et de Marmont avec le romancier, qui disparut
subitement. Il était de retour en Ecosse le 23 février 18^7. On sait que
Fenimore Gooper vint en France en 1826 sur le conseil de ses médecins, et
qu'il remplit durant trois années les fonctions de consul à Lyon. David se
tint parole. Le buste de Gooper fut exposé au Salon de 1827.
1827
XIX
David à Victor Pavie.
La plume, outil rebelle. — Victor Hugo. — • Casimir Delavigne dans l'op-
position. — « Poésies de Victor Pavie. » — Le poète et la natui'e. — Une
parole d'Young. — Qu'il ne faut pas suivre le sentier d'autrui.
Paris, 31 mars 1827.
Cher ami,
Ne m'en veuillez pas si je tarde tant à répondre à vos aima-
bles et trop désirées lettres. Je suis paresseux, et puis j'ai tint de
choses à vous dire et tant de peine à exprimer mes idées avec la
plume ! Tout cela me fâche contre moi. Cependant je puis vous
24 DAVID D'ANGERS
assurer que je pense bien souvent à vous, que je cherche avec
avidité le.5 vers signés de vos initiales. Depuis que je connais
votre Maison avec Victor Hugo, je Us ses vers. Il devrait obser-
ver une nature neuve; cela, je crois, conviendrait à son génie.
Il y a longtemps que je n'ai vu notre brave ami Mazure. Il est
malheureux. J'ai parlé de lui à Casimir Delavigne. Il paraît que
celui-ci n'a pas pu réussir à lui faire obtenir un poste. Il faut
dire aussi que Casimir se trouve en opposition avec le Gouver-
nement : cela nuit à notre brave ami.
Commencez donc, cher ami, à faire quelque chose d'un peu
important. Les sujets ne manquent pas. Je serai bien heureux
quand je verrai chez les libraires de Paris : Poésies de Victor
Pavie.
Yous pouvez faire d'immenses études à Angers. Vous avez
journellement des modèles vivants autour de vous. Cherchez à
pénétrer l'homme dans toutes les circonstances de la vie. Re-
montez à la source, laissez, laissez tous ceux qui vous ont pré-
cédé.
Young dit dans sa préface qu'il voudrait voir brûler tous les
livres, y compris la Bible et les ouvrages d'Homère.
Nous sommes actuellement dans le siècle des traductions. Que
de génies sublimes volontairement condamnés à se traîner dans
l'obscurité derrière les autres !
Observez la nature, fouillez-la dans ses replis les plus cachés;
rendez vos impressions, et Angers aura son Homère.
Adieu, bon et tendre ami.
Votre dévoué,
DAvm.
Collection Pavie. — Les Affiches d'Angers renfermaient assez fréquem-
meni des pièces de poésie par Victor Pavie signées de ses seules initia-
les. Le poète angevin était dès cette époque en relations suivies avec Victor
Hugo. Ce fut Louis Pavie qui, en 1826 ou 1827, accrédita David auprès de
l'auteur des Odes et Ballades. Young rappelé ici avait frappé par ses
Méditations de la nuit l'esprit du statuaire, qui traça plus d'une fois des
croquis de monuments à la mémoii'e du poète anglais, hommages qu'il
n'exécuta point.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 25
XX
David à Victor Pavie.
Chez Royer-Gollard. — ChevreuL — Légendes angevines. — L'ombre du
maréchal Ney. — Le ferrement des galériens. — Victor Hugo. — La
préface de Cromwell.
Paris, 19 novembre 1827.
Mon cher Victor,
Tout ce que je lis de vos écrits me confirme dans mes idées à
TOtre égard.
Ces jours derniers, à la réception de Royer-Collard, j'étais à
côté de Chevreul et je pensais qu'il y aurait bientôt aussi un
poète angevin ; cela dépend de vous, mon cher enfant. Comme je
serais heureux ! Travaillez, travaillez; la nature est partout; les
choses qui paraissent le moins poétiques le sont souvent beau-
coup. Votre père m'a souvent parlé d'un projet qu'il avait de
composer une histoire ou une pièce de vers sur Pierre-Lise et le
Pont aux Filles! 11 y a bien d'autres endroits qui peuvent être le
sujet de compositions.
Un soir, je me promenais du côté de l'Observatoire. Je m'ar-
rêtai, retenu par le souvenir d'une illustre victime. Je m'étais assis
à l'endroit où Ney a été fusillé. A force d'y penser, je crus le voir
en réalité. Ma tête s'était exaltée. Si je savais écrire, que d'im-
pressions j'aurais pu rendre, mon ami ! Écrivez n'importe com-
ment. Votre prose est aussi bonne que vos vers. Je comprends
qu'il y a davantage d'émulation à Paris, mais n'est-il pas digne
de vous de lutter dans l'isolement de la province?
Je vois souvent notre ami Hugo; nous sommes allés assister au
ferrement des galériens à Bicêtre. Combien j'aime Hugo avec
son àme ardente et tout antique !
Je lis actuellement le Dante, Hugo n'est pas sans quelque res-
semblance avec ce poète. Il vient de nous lire sa préface de
Cromivell. Quelle profondeur de pensées! A elle seule, cette pré-
face est un code de littérature.
Adieu, adieu, mon bon et brave ami ; aimez-moi comme vous
aime votre dévoué,
David.
Collection Pavie. — On n'a pas oublié la grande popularilé que s'était
acquise Royer-Collard on combattant la loi d'aincssc, et son élection dans
sejit collèges en 1827. Le salon politique de ce personnage important de
26 DAVID D'ANGERS
l'opposition libérale était des plus fréquentés. 'Eugène Chevreul, compa-
triote et ami de David, était membre de l'Académie des sciences depuis
1826, où il avait succédé au chimiste angevin Louis Proust. Pierre-Lise est
un quartier d'Angers construit sur d'anciennes carrières d'ardoises ; le Pont
aux Filles doit être cherché dans la commune d'Ecouflant, près Angers. Il
est à peine utile de rappeler que le monument du maréchal Ney qui décore
le carrefour de l'Observatoire n'était point érigé en 1827. Il date seulement
de 1853. La présence de Victor Hugo à Bicêtre ne fut pas sans profit, on peut
le croire, pour l'auteur du Dernier jour d'un condamné, qui parut en 1829.
Nos lecteurs savent que les épisodes de cette étude psychologique se dé-
roulent à Bicêtre. La préface de Cromwell porte la date d'octobre 1827. Il se-
rait puéril d'insister aujourd'hui sur la valeur de ce manifeste sans mesure,
sans ordre, paradoxal, mais étincelant de belles pensées et de traits vi-
goureux. Le « cénacle » composé de Vigny, Emile Deschamps, Sainte-
Beuve, Louis Boulanger, et d'autres écrivains ou artistes de talent, avait eu
. la primeur de cette préface. David prenait place à ses heures dans le cé-
nacle, mais on a vu déjà que Casimir Delavigne était pour lui un ami.
Chateaubriand ne lui semblera pas indigne de recevoir son hommage.
David a donc gardé une indépendance relative vis-à-vis des classiques et
des romantiques.
XX[
David à Pavie père.
Un portrait du maître. — Hugo. — Le médaillon de Delacroix.
Paris, 22 décembre 1827. '
Mon cher ami,
Monsieur L... a bien voulu se charger de vous faire passer deux
portraits de votre ami. Je vous prie de les accepter. Je crois que
vous serez content de celui dessiné par Dupré. Je viens d'en dé-
poser un autre chez M. L... pour notre ami Delusse; il vous arri-
vera sous peu de jours. Dites à Yictor que je suis assez pares-
seux pour ne pas avoir terminé le portrait de Lacroix, j'ai besoin
encore d'une séance. Sous peu de jours je répondrai à l'aimable
lettre de Victor.
Je suis toujours enchanté que vous m'ayez fait connaître
Hugo.
Adieu, cher ami, recevez mes vœux bien sincères pour le re-
nouvellement de l'année, et croyez à l'inaltérable amitié de votre
dévoué,
DAvm.
Collection Pavie. — Le portrait de David, mentionné ici, est une lithogra-
phie de Louis Dupré. Nagler (tome IV, p. 19) signale cette composition.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 27
C'est à Louis Pavie que le sculpteur était redevable de ses relations avec
Victor Tiugo. (David d'Aiigers, etc., t. l, p. 199.) David appelle volontiers
le peintre des i1/a55flcce,j de Scio « Lacroix » pour « Delacroix ».
1828
XXII
La Fayette à David.
Au sujet de la tentative d'assassinat commise sur David.
La Grange, 15 janvier 1828.
Le cruel accident que Monsieur David Yient d'éprouver a
consterné les habitants de La Grange. La vive inquiétude que nous
avons eue, en commun avec ses autres amis, a été successive-
ment soulagée par les nouvelles subséquentes. Je m'empresserai,
en arrivant à Paris, d'aller en savoir par moi-même. Mais je ne
veux pas attendre plus longtemps avant de lui témoigner l'afflic-
tion et l'anxiété que j'ai ressenties, ainsi que mes vœux pour
son rétablissement le plus prompt possible, et le sincère et recon-
naissant attachement que je lui ai voué de tout mon cœur.
La Fayette.
Collection David d'Angers. — On trouvera les détails de la tentative
d'assassinat commise sur l'artiste dans David d'Angers, etc. (t. I, pp. 180-
189 et 574). Ce billet est daté du château de La Grange en Brie (Seine-et-
Marne), résidence du général.
XXIII
David à Pavie père.
Convalescence du maître.
Paris, 22 janvier 1828.
Cher ami, je profite du voyage de Monsieur Bodinier pour vous
faire remettre ces lignes; ce sont les premières que j'écris depuis
mon malheureux accident. Je ne veux pas rester plus longtemps
sans vous écrire : vous me témoignez tant d'amitié I
Votre lettre m'a rendu bien service. Elle a été d'une réelle
28 DAVID D'ANGERS
ressource pour mon cœur. Mon ami, je vous ai toujours trouvé
dans les grandes circonstances de ma vie. Certes, c'était une
grave circonstance, ce dernier événement, puisqu'il pouvait in-
terrompre une existence dont j'ai besoin encore pour mettre à
exécution quelques ouvrages auxquels je désire bien attacher
mon nom.
Je regarde comme un miracle d'être réchappé de cette crise;
je reviens à la vie. Je la recommence. Je ne sais si c'est un
bonheur, car elle a été déjà bien fatigante pour moi ; elle a été
une longue agonie et je n'ai même plus d'illusions.
Je ne prévois pas, cher bon ami, pouvoir faire un voyage en
Anjou cette année ; mes travaux me forceront de rester à Paris.
J'aurais bien désiré envoyer mon portrait à tous mes bons amis
d'Angers, mais je n'en ai plus que trois que je vais vous envoyer;
vous savez à qui je les destine. Dupré a vendu la pierre litho-
graphique à Ghaillou et Potrelle, marchands d'estampes, rue
Saint-Honoré.
Adieu, mon brave ami, soyez heureux et recevez l'assurance
de mon inviolable attachement,
David.
Collection Pavie. — Le porteur de cette lettre est le peintre Guillaume
Bodiaier, compatriote de David.
XXIV
David à Victor Pavie.
Retour à la santé. — Le Corsaire rouge. — Edouard MoU.
Paris, 30 mars 1828.
Cher ami,
Je n'ai que quelques minutes pour m'entretenir avec vous;
j'en suis effrayé, j'ai tant de choses à vous dire ! Enfin je profi-
terai de ces courts instants pour vous remercier de votre bon
souvenir. Vos lettres, cher ami, sont un baume pour mes bles-
sures; on est si heureux de ne pas porter ses affections sur des
ingrats!... Je viens d'éprouver une vigoureuse tempête. Je tra-
vaille à la conservation de mon vaisseau. Il est bien fatigué,
Eï SES RELATIONS LITTÉRAIRES 29
mais le pilote est toujours au gouvernail...; il arrivera au port,
quoiqu'il y ait encore des nuages bien noirs à l'horizon. Enfin,
s'il arrive brisé dans le port, quelques amis en recueilleront sans
doute les fragments.
Cher ami, en parlant marine, je pense au Corsaire rouge de
mon bon ami Cooper. L'avez-vous lu? 11 m'a bien intéressé.
Adieu, cher ami, embrassez pour moi mon bon ami, votre
père.
David.
Je vous recommande M. Moll, qui veut bien se charger de ma
lettre.
Colleclion Pavie. — Edouard Moll, l'architecte, porteur de ce billet, est
Angevin. Il a construit dans sa ville natale l'Hospice général Sainte-Marie,
dont les plans, exposés au Salon de 1859, valurent une médaille à l'auteur.
Cooper, on l'a vu plus haut, habitait la France depuis 1826. Il était en rela-
tions avec David. Le Co7'saire rouge parut cette môme année. Nul doute
que l'auteur n'ait offert son nouveau livre au statuaire.
XXV
David à Pavie père.
Départ pour l'Angleterre.
Paris, 22 avril 1828.
Cher ami,
J'ai reçu avec bien du plaisir votre dernière lettre, et j'ai vu
notre jeune ami Théodore. Nous allons donc tous trois entrepren-
dre un voyage intéressant. Il nous manquera bien certainement
une personne que nous aimons de tout notre cœur. Oui, cher ami ,
vous nous manquez. Voilà comme jamais un bonheur ne peut
être complet.
Salut et amitié inaltérable,
David.
Je pense que Dupré viendra avec nous.
Collection Pavie. — Annonce du voyage que David fît en Angleterre
accompagné de Victor et de Théodore Fa vie. Le Salon de Londres et l'es-
30 DAVID D'ANGERS
poir de modeler le buste de Walter Scott attiraient le statuaire dans la
Grande-Bretagne. {David d'Angers, etc., t. I, pp. 189-192.) Louis Dupré ne
fut pas du voyage.
XXVI
David à Pavie père.
Retour à Paris. — Victor Pavie.
Paris, 31 mai 1828.
Cher ami,
Vous allez revoir vos chers enfants; ils ont contemplé beau-
coup de belles choses. Je suis bien persuadé que ce voyage ne
sortira jamais de leur mémoire. Je serais bien étonné si cela ne
montait pas la tête à Victor, pour lui faire produire un ouvrage
digne de l'idée que nous avons de lui. Il faut l'entretenir dans
cette pensée, cher ami. Victor a besoin d'être stimulé. Il est trop
craintif, trop hésitant. Il ne faut pas qu'il se borne à admirer les
autres. La nature l'a généreusement doué. Qu'il en profite.
Je dois vous dire^ cher ami, que je suis enchanté de la société
de ces deux bons amis : ils ont été bons, bienveillants, patients
avec moi; aussi j'en suis très reconnaissant et je les aime de
toute mon àme.
Adieu, cher bon ami, aimez-moi toujours et soyez bien assuré
de la réciprocité de mes sentiments à votre égard,
David.
Collection Pavie. — Le compagnon de route de David, Victor Pavie, n'a
pas laissé d'études sur l'Angleterre, mais il a raconté dans des pages étince-
lantes et enthousiastes le voyage accompli à Londres sous la conduite du
sculpteur. (OEuvres choisies de Victor Pavie, t. I, pp. 7-12.)
XXVII
Madame Récamier à David.
Rendez-vous pris pour une séance de pose.
Madame Récamier serait charmée que Monsieur David pût,
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 31
sans déranger aucun de ses projels,lui donner quelques momens
de sa soirée, demain vendredi.
Elle le prie d'agréer tous ses compliments.
RÉCAMIER.
Ce jeudi 3 juillet 1828.
Collection Henry Jouin. — Ce billet a évidemment trait au médaillon non
daté de M""> Récamier, l'un des plus achevés que le statuaire ait mode-
lés. L'autographe de M™» Récamier, échappé des mains de David, res-
saisi par nous dans une vente, est devenu notre propriété à une époque
trop tardive pour qu'il nous ait été possible d'indiquer avec précision dans
notre livre Mi/sées d'Angers la date d'exécution de ce portrait. David se
prêtait volontiers aux exigences de ses modèles qui ne daignaient pas
venir jusqua lui. Il allait à eux. (David d'Angers, etc., t. I, pp. 200, 202,243,
246, 247.)
XXVIIl
Alfred de Vigny à, David.
Le médaillon de l'auteur de Cinq-Mars et le profil de Victor Hugo.
Bellefontaine, 8 août 1828.
Comment a'Ous remercier assez de ces deux belles médailles
que je viens de recevoir ici? Que je suis touché profondément
de cette marque d'estime que vous m'avez donnée! C'est lorsque
vous avez eu la pensée et le désir de conserver mes traits que
j'ai commencé de croire à moi-môme un peu. Je vaux, bien plus
à mes yeux depuis ce temps-là. La postérité en voyant votre
ouvrage pourra croire que les miens ont eu quelque prix dans
notre tems.
Pour moi, cette médaille sera toujours un précieux témoi-
gnage de votre amitié dont elle éternisera la date; j'en vois bien
le commencement, mais j'espère n'en jamais voir la fin. Croyez
bien, rare et beau génie, que l'attachement que je vous donne
en échange durera aussi longtemps que moi-même.
Votre ami,
Alfred de Vigny.
P. S. — En vous écrivant, j'ai mes chères médailles devant
moi, et mes yeux ne cessent de passer de la gloire à la gloire et
32 DAVID D'ANGERS
de l'amitié à l'amitié en allant de l'image de mon cher Victor à
votre nom. J'irai bientôt vous embrasser tous les deux.
Collection David d'Angers. — La médaille de Vigny et celle de Victor
Hugo datent de 1828. (Musées d'Angers, p. 128.) Le statuaii'e, on le voit, ne
se bornait pas à ofîrir à ses modèles un bi'onze original, il y joignait encore
des profils d'amis. Alfred de Vigny avait offert à David un exemplaire du
Cinq-Mars avec une dédicace en vers d'une rare énergie. (Voir David d'An-
gers, etc., t. I, p. 243.)
XXIX
David à Yictor Pavie.
OfTre du buste de Louis Pavie. — Paul Foucher. — Mazure. — Quatremère
de Quincy. — L'ode A David, statuaire, par Victor Hugo. — Burns, le
poète laboureur. — Hippolyte Maindron.
Paris, 13 août 1828.
Cher ami,
Depuis six jours, l'objet que je t'envoie est chargé au roulage.
Ainsi, va vite recommander qu'on le retienne jusqu'à l'époque
voulue. Fais promptement confectionner un piédestal un peu
large; puis tâche qu'il soit bien éclairé (l'objet qui sera sur le
piédestal, cela s'entend).
Notre brave ami Foucher est bien contrarié de ne pouvoir pas
visiter notre pays, celte année; j'en suis fâché pour toi, parce que
c'eût été un bon et beau sujet de délassement. Si vous étiez
réunis, il parviendrait à te donner plus de confiance en toi; nous
verrions plus souvent des productions de ta plume.
Tu me parles d'un projet que tu as, mais de la manière dont
tu m'as expliqué cela, je suis dan,sJe plus beau vague possible.
Je voudrais bien voir notre ami Mazure, mais, en vérité, je n'ai
pas une minute à moi; autrefois il venait à l'ateher, cela me
faisait un bien grand plaisir, nous parlions de toi, de nos amis
d'Angers; il ne vient plus. Je l'avais présenté à Quatremère. Cet
homme pouvait, par la suite, lui procurer une place qui l'eût
rendu indépendant. Hugo aurait pu aussi lui fournir plus
d'une occasion de se faire connaître. On ne le voit pas ; j'en
suis fâché, car je l'aime de tout mon cœur.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 33
Enfin Hugo m'a lu l'ode faite pour moi; il y a une idée à
chaque mot, et cette idée est grande comme Phidias. Si tu pou-
vais te la procurer par Foucher, tu verrais que c'est quelque
chose de colossal.
Adieu, cher ami, courage, patience, voilà les vœux de ton
ami,
David.
Je lis actuellement des poésies de Burns. C'était un laboureur,
il n'est pas sorti d'auprès de sa charrue, et ses ouvrages sont
connus dans toute l'Europe. Maine-et-Loire est un pays bien
poétique; songes- y.
Je vais envoyer une lettre au maire d'Angers en faveur de
Maindron; il faut que ton père l'appuie.
Collection Pavie. — David avait exécuté le buste de Louis Pavie, exposé
au Salon de 1827. Le marbre devait être offert le 25 août 1828, date de
la fête de Pavie père. Il s'agissait donc de retenir au roulage l'œuvre de
David afin d'en ménager la surprise à Louis Pavie au moment oppoi'tun.
(David d'Angers, etc., t. I, p. 168.) Paul Foucher, beau-frère de Victor
Hugo, n'avait, en 1828, encore rien publié des ouvrages qui lui ont valu la
célébrité. Quatremère do Quincv, l'archéologue érudit, avait été nommé
secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts en 1816, et son influence à
l'Institut était considérable. L'ode de Victor Hugo « A David, statuaire », in-
sérée dans les Feuilles d'automne, est digne de l'éloge qu'en fait ici le
sculpteur. Robert Burns, le poète écossais qui, dans ses premiers ouvrages,
a retrouvé le charme des Géorgiques, n'est guère lu de nos jours. Sa répu-
tation n'était pas éteinte en 1828. Une édition récente de ses poésies avait
paru à Londres. Hippolyte Maindron, sculpteur angevin, élève de David,
sera plus d'une fois nommé dans la suite de cette correspondance.
XXX
David à Pavie père.
Le buste de Louis Pavie. — Les « à peu près » de l'artiste comparés à la
nature. — M"»" Delpiiine Gay, Tastu, PasLa, le maréchal Jourdun, Méri-
mée, Boulanger, de Vigny, Hugo, le capitaine Parry. — Chez Georges
Cuvier. — Maindron.
Paris, 5 septembre 1828.
Cher ami,
Je veux vous remercier des choses aimables qu'il vous plaît
de penser de mon ouvrage, mais je veux aussi vous gronder de
34 DAVID D'ANGERS
votre extrême modestie. Votre physionomie dit bien davantage
que mon marbre. Eh! mon Dieu, nous autres sculpteurs, nous
ne faisons que de bien faibles « à peu près » de la nature. Je
vous avoue que j'ai toujours été humilié quand j'ai comparé
mes ouvrages avec la nature. Enfin, j'ai eu des instants de bon-
heur en travaillant à votre buste, parce que je pensais à notre sin-
cère amitié, à toutes les preuves que j'en ai reçues de vous, à
votre bonne mère que je respecte de toute mon àme, à nos jeu-
nes amis que j'aime de tout mon cœur, et à notre pays que j'i-
dolâtre. Dites à Victor que je suis trop paresseux pour lui écrire
cette fois ; que nous parlons souvent de lui, que j'y pense tou-
jours, que je lui fais des médailles à encombrer sa chambre :
DelphineGay, M™^Tastu, M'"^Pasta,le maréchal Jourdan, Mérimée,
Boulanger, de Vigny, Hugo et le capitaine Parry, avec lequel j'ai
dîné hier soir chez Guvier.
Adieu, cher ami, tout à vous de cœur,
David.
P. S. — Protégez ce pauvre Maindron pour hii faire avoir
une pension de cinq cents francs. J'ai écrit au maire à cet égard.
Je viens de faire avoir à notre jeune ami une somme de deux
cents francs de la duchesse de Berri. Maindron est un homme qui
mérite que l'on s'intéresse à lui.
Collection Pavle. — Cette lettre est une réponse aux remerciements que
Louis Pavie avait adressés à David sur son buste. Les médaillons men-
tionnés ici par le statuaire ont été exécutés en 1828. Delphine Gay, déjà
célèbre, on le sait, par son poème sur lesSœz«'s de Sainte-Camille, que l'A-
cadémie française avait couronné en 1822; M^i^Tastu, l'auteur des Oiseaux
du Sacre; M™« Pasta, la cantatrice applaudie que ses différends avec Ros-
sini obligeaient à quitter la France; Jourdan, le héros de Fleurus, maréchal
d'empire ; Prosper Mérimée, l'habile inventeur du théâtre de Clara Gazul;
le peintre Louis Boulanger sont connus. Sir WiUiam-Edward Parry nous
est moins familier. Navigateur audacieux, Parry s'était voué à l'explora-
tion périlleuse de l'océan Arctique. David le rencontre à la table du natu-
raliste Georges Cuvier. 11 médite de modeler son médaillon, mais ce ne
sera toutefois qu'un projet.
ET SES RELATIONS LITTl^RAIRES 33
XXXI
Delphine Gay à, David.
Le médaillon de Delphine Gay. '
Villiers, ce 15 septembre 1828.
Je reçois avec bien de l'orgueil, Monsieur, ce bronze^ flatteur
qui se charge de m'envoyer tout droit à la postérité ; je voudrais
que mes vers eussent la môme puissance, j'essayerais de vous
répondre, mais votre beau talent n'a besoin que de lui pour
éterniser sa gloire.
J'espère qu'à notre retour à Paris vous viendrez chercher vous-
même nos affectueux remerciemens.
Collection David d'Angers.
Delphine Gay.
XXXII
Victor Hugo à David.
Le ferrement des galériens. — Le médaillon du poète.
Ce 17 octobre 1828.
J'ai, cher ami, une lettre de M. de Belleyme qui nous donne
entrée à Bicêtre pour le 22, jour de ferrement de la chaîue. Si
vous avez un moment, venez me voir sous peu : que nous con-
venions de la marche que nous suivrons.
Votre ami,
Victor Hugo.
Je rouvre ma lettre pour vous remercier mille fois, autant de
fois que c'est admirable.
Collection David d'Angers. — On a vu par la lettre du 19 novembre 1827
que l'artiste et le poète avaient assisté déjà au ferrement des galériens à
Bicêtre. Le post-scriptum a tritit à la réception du premier médaillon
modelé par David, d'après Victor Hugo. Cette médaille porte le millésime
de 1828. {Musées d'Angers, p. 128.)
36 DAVîD D'ANGERS
XXXIII
Dumont de Genève à David.
Le buste de Jùromie Bentham. — Lord Lansdowne. — Pradier. — La statue
de Jean-Jacques Rousseau.
Aux Philosophes, près de Genève, 17 octobre 1828.
Monsieur,
J'ai différé de vous répondre jusqu'au moment où je pourrois
vous annoncer l'arrivée de la caisse contenant le buste de M. Ben-
tham. Je l'ai reçue parfaitement bien conditionnée. J'ai été frappé
de la ressemblance, du caractère, de l'énergie de cette tête si
difficile à bien rendre, en conservant la force de l'expression
avec tous les signes d'un âge avancé. C'est un ouvrage d'une
grande beauté. Tous les amis de Bentham doivent être bien con-
tents de voir cet hommage rendu à son génie par un artiste étran-
ger. Leur reconnoissance est un prix que votre désintéressement
ne peut pas refuser. La mienne vous est toute acquise. Ce buste
est le plus grand ornement de mon salon; il me rappellera tou-
jours l'honneur que vous m'avez fait, et il est placé comme il
doit l'être, tout près de la collection des œuvres de Bentham.
Lord Lansdowne est en voyage, mais il retourne à Londres à
la fin de l'année, et je ne manquerai pas de lui rappeler que
vous avez destiné le marbre à orner son musée, jusqu'à ce qu'on
ait pu lui trouver une place convenable et permanente dans
quelque établissement public. Je puis vous assurer qu'il est très
satisfait d'en être le dépositaire.
Nous avons fait une souscription chez nous pour une statue de
Rousseau, en bronze. M. Pradier, comme Genevois autant que
comme artiste distingué, a été prié de se charger de ce monu-
ment. S'il arrivoit, par quelque circonstance, qu'il ne lui convînt
pas de le faire, je proposerois à notre comité de s'adresser à
vous, Monsieur, poui" cette entreprise; l'admirateur de Bentham
ne peut pas manquer d'être celui de Jean-Jacques; la même
devise s'appliqueroit à leurs ouvrages, et quoique leur genre de
composition soit aussi différent que possible, il y a pourtant
même but, et même bien des ressemblances de caractère que je
pourrois tracer.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 37
Veuillez, Monsieur, agréer mes remerciements les plus sincè-
res et l'assurance de la haute considération avec la(iuelle je suis
votre très dévoué serviteur,
Et. DUMONT.
Collection David d'Angers. — Pierre-Étienne-Louis Dumont, publiciste
genevois, avait consacré son talent à populariser les doctrines utilitaires
de son ami le moraliste anglais Jérémie Bentham. David, ayant sculpté le
buste de Bentham, fit hommage d'un exemplaire en bronze à Dumont.
Bentham est un haut esprit et c'est aussi un caractère. L'empereur de
Russie, frappé du mérite de ses écrits sur la législation, lui offrit une bague
de valeur qu'il accompagna d'une lettre flatteuse. Bentham exprima cour-
toisement à l'empereur le désir de ne conserver cjue la lettre, l'estimant
plus précieuse que le joyau, qu'il renvoya. Henri Petty Fitz-Maurice, troi-
sième marquis de Lansdowne, est trop connu comme homme d'Etat pour
qu'il soit utile de parler longuement de lui. Nous supposions, d'après des
notes communiquées par la famille du statuaire, que le buste en marbre de
Bentham avait été oQ'ertau modèle, mort seulement en 1832. Dumont semble
contredire celte opinion. David aurait offert son marbre à lord Lansdowne
pour qu'il fût placé, provisoirement au moins, dans la galerie de cet
homme d'État. îîentham aurait-il décliné l'honneur de posséder son buste,
comme il avait refusé le présent du czar? James Pradier, né à Genève,
accepta d'exécuter la statue de Jean-Jacques, son compatriote, qui fut éri-
gée en 1855 à la pointe du lac Léman.
XXXIV
Victor Hugo à David.
Le médaillon du poète. — Emile Deschamps.
Paris, octobre 18'28 (?)
Mille fois merci, cher ami, de mon admirable cadeau. Mainte-
nant, il me faut une grâce. Étnile Deschamps vient dîner avec
nous samedi, et je lui ai promis que le grand statuaire serait des
nôtres.
Vous ne me ferez pas mentir, j'espère, et nous vous aurons à
six heures, n'est-ce pas? Vous voyez que je suis insatiable.
El vueslro amigo,
Victor Hugo.
Collection Daoid d'Angers. — Nous supposons que la première plu'ase de
cette lettre a trait au médaillon du poute. Emile Descliamps, né en 17'J1,
publia L'n 1828 son recueil de poésies Études françaises et étrangères. Des-
champs laisait parlii' du « cénacle ».
38 DAVID D'ANGERS
XXXV
Victor Hugo à David.
Contre-temps. — Le buste de Lamai'tine.
Ce 1" novembre 1828.
Je suis bien contrarié, cher ami ; une affaire pressante a forcé
Lamartine de partir inopinément avant-hier. 11 est vrai qu'il re-
viendra au mois de janvier passer trois mois à Paris et qu'il
compte bien que vous serez toujours dans les mêmes dispositions
à son égard; mais c'est une chose dure pour moi que d'attendre
deux mois un de vos chefs-d'œuvre.
Sans adieu. J'espère bien toujours vous servir de satellite ce
soir, si je ne suis pas trop enroué. A quelle heure vous atten-
drai-je, à propos?
A vous du fond du cœur,
Victor Hugo.
Collection David d'Angers. — Une lettre du poète des Méditations au
comte de Virieu, écrite de Paris le 28 octobre 1828, annonce sou départ
pour le 30 ; il passe les mois de novembre et de décembre à Saint-Point.
{Correspondance de Lamartine, i. III, pp. 119-130.) Il s'agit évidemment dans
03 billet d'une séance réclamée par David pour entreprendre le buste de-
Lamartine.
XXXVI
Victor Hugo à David.
Madame Adèle Hugo. — Une séance ajournée.
Paris. Ce samedi matin.... (1828?)
Voyez, cher ami, si ce n'est pas une fatalité ! Ma femme, qui
se porte bien toute l'année, s'avise d'être incommodée aujour-
d'hui, et incommodée de la seule incommodité peut-être qui
puisse altérer un profil. Elle a horriblement mal aux dents et,
en outre, les lèvres enflées et cuisantes. Vous n'auriez donc au-
jourd'hui qu'un modèle souffrant et défiguré. Or, je me souciais
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 39
fort peu de vous prévenir de ce contre-temps, tenant beaucoup
à la joie de vous voir aujourd'hui, et prévoyant que cette lettre
nous en priverait peut-être, mais ma femme me rappelle com-
bien votre temps est précieux, et mon égoïsme cède. Venez pour-
tant, n'est-ce pas? si vous pouvez, et n'oubliez pas que personne
ne vous admire plus que moi, parce que personne ne vous aime
davantage.
Victor Hugo.
P. S. — Ma femme compte bien qu'il ne sera plus question de
son bobo lundi.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de M"» Hugo, exécuté peu
après l'envoi de cette lettre, porte la date de 1828. {Musées d'Angers,
p. 344.)
XXXVII
Ballanche à David.
Une lecture du Moïse de Chateaubriand.
Paris. Mercredi matin.,
Monsieur,
Il doit y avoir, dimanche prochain, à 8 heures du soir, une
lecture de Moïse, chez Madame Récamier, à l'Abbaye-au-Bois.
M. de Chateaubriand doit y assister parce qu'il a désiré l'en-
tendre pour mieux juger de l'ensemble de la pièce.
Je suis chargé de vous engager à vous trouver à cette lecture,
qui ne peut manquer de vous intéresser.
Gomme le nombre des personnes engagées à y assister est fort
restreint, vous êtes prié, Monsieur, de ne point en parler d'ici
là.
Je m'estime heureux d'avoir à remplir auprès de vous, Mon-
sieur, une commission dont l'objet ne peut que vous être
agréable.
Veuillez bien recevoir, Monsieur, les nouvelles assurances de
tous mes sentiments.
Ballanche.
40 DAVID D'ANGERS
Collection David d'Angers. — Ballanche, le penseur prophétique qui
allait signer la Vinion cVUébal, a omis de dater ce billet, écrit au nom de
M^'Récamier. Mais Chateaubriand, dans la préface de sa tragédie, nous
apprend que cette pièce fut lue au Comité du Théâtre-Français en 1828 et
reçue à l'unanimité. Nous sommes donc autorisé à penser que les lec-
tures faites chez M^^ Récamier datent de la même année. La situation poli-
tique de Chateaubriand lui fit retirer sa pièce, qui ne fut pas jouée.
1829
XXXVIII
John Franklin à, David.
Un portrait flatté. — Projet de David de retourner en Angleterre.
23, rue du Devonshire Portland place, 12 mars 1829 .
Mon cher Monsieur,
Permettez-moi de vous envoyer mes plus chauds remerciements
pour votre aimable présent du médaillon qui a fait un plaisir
universel à mes amis. Ils en apprécient la ressemblance visible et
la belle exécution.
Ma femme continue à insister sur ce que le nez est trop long et
sur ce que vous m'y avez fait trop beau. Mais, dans son cœur,
elle est réellement plus heureuse que personne de l'attention que
vous avez eue de me flatter.
Elle me prie de vous dire, comme je le fais moi-même, com-
bien nous serons vraiment heureux de vous offrir, au printemps^
la bienvenue en Angleterre; nous espérons qu'il sera en notre
pouvoir de contribuer d'une manière quelconque à rendre votre
séjour ici satisfaisant et agréable.
Je suis, cher Monsieur, votre serviteur reconnaissant et
fidèle,
John Franklin.
Collection David d'Angers. — Cette lettre est écrite en anglais. John
Franklin, émule de Parry, est justement célèbre par ses explorations répé-
tées dans les régions polaii^es. Son caractère enjoué lui permit d'endurer les
plus dures privations sans se laisser abattre. La lettre que nous donnons
ici renferme une preuve de cet enjouement. La médaille de Franklin porte
la date de 1829. {Musées d'Angers, p. 344.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 41
XXXIX
David à Pavie père.
Suites d'un accident. —Destitution de Delusse.
Paris, 13 mars 1829,
Cher bon ami,
J'aurais voulu répondre plus tôt à ta lettre, mais j'ai éprouvé
une si grande contrariété et tant de souffrances, depuis huit se-
maines, que j'avais peu le courage d'écrire, surtout comme je
suis obligé de le faire avec ma main gauche (qui est bien gauche).
J'ai eu un os de brisé dans la main droite, 11 a fallu me mettre
encore à la disposition de Dubois. Tu juges quel doit être mon
tourment, comme cela dérange mes travaux ! Cet accident m'est
arrivé dans le mois de janvier; c'est un bien triste anniversaire.
Enfin, sous peu, j'espère reprendre mes travaux.
Je suis bien profondément affligé de la nouvelle concernant
notre ami Delusse. Pauvre vieillard! Par ce coup on l'assassine.
Cela me paraît une infamie. N'était-il pas possible d'attendre en-
core quelque temps afin de laisser finir doucement à ce vieillard
le peu d'années qu'il lui reste à vivre! Quelle rage subite pour les
arts vient de prendre à nos compatriotes ?
Il y a à peu près six ans que j'avais eu le bonheurde détourner
un semblable coup qui se tramait contre notre pauvre ami. J'ai
vu ce matin Victor ; tu comprends facilement son exaspération ;
son âme si noble ne peut jamais croire à de semblables passe-
droits. Victor se porte bien et travaille beaucoup.
Adieu, cher ami, crois aux sentiments de ton dévoué ami de
cœur et d'âme.
Tout à toi ,
David. .
Collection Pavie. — David ayant fait une chute en janvier 1828, à peu
près à la date anniversaire de la tentative d'assassinat qui avait failli lui
coûter la vie en 1827, force lui fut de recourir aux soins (lu célèbre chirur-
gien, le baron Dubois. Delusse, le premier maître du statuaire, qui aclievait
dans la gène une vie de travail et de désintéressemeut, fut privé eu 1829 de
ses fonctions de conservateur du Musée d'Angers.
-42 DAVID D'ANGERS
XL
David au maire' de Rouen.
Offre du modèle de la statue de Bonchamps au Musée de Rouen.
Paris, 20 avril 1829.
Monsieur le Maire,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance la lettre par laquelle
vous m'annoncez que le modèle de la statue de Bonchamps est
arrivé à Rouen.
Je vous remercie beaucoup des choses flatteuses que vous dai-
gnez me dire à l'égard de cette statue ; votre suffrage augmente
singulièrement le plaisir que j'éprouve d'avoir un de mes ou-
vrages dans votre ville.
Agréez, Monsieur le Maire, l'assurance du profond respect de
votre très humble et très obéissant serviteur,
DAvm.
Archives municipales de Rouen. — David regretta plus tard de ne pou-
voir doter le Musée d'Angers du modèle de la statue du héros vendéen. Il
•exprima ce regret aux Angevins et rappela les démarches qu'il avait faites
auprès de la ville de Rouen dans le but de rentrer en possession de cet
■ouvrage. {David d'Angers, etc., t. I, p. 500.) Celui qui écrit ces lignes
reprit en 1872, mais sans succès, les négociations entamées par le statuaire.
(Voir Proposition au sujet du modèle de la statue de Bonchamps, Angers,
in-S", 6 pages.) A la vente des autographes de la collection Fillon, en 1879,
a passé une lettre du maître au peintre Bellangé, directeur du Musée de
Rouen, relative à la cession au Musée David du modèle de la statue de
Bonchamps. Cette lettre porte la date du 1^'' août 1846.
XLI
David à Pavie père.
Projet de voyage à Weimar. — Gœthe. — Victor Pavie. — « L'Américain. »
Paris, 27 juillet 1829.
Cher bon ami,
Tu connais mon culte pour les grands hommes ; il en est un
dont je veux étudier et contempler les traits, c'est Gœthe. Dans
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 43
peu de jours j'espère être auprès de lui. Veux-tu me permettre
d'emmener avec moi mon jeune ami ? Je t'avoue que c'est la
chose que je désire le plus au monde. Cependant, cher ami, je
préfère ton bonheur au mien. Si ce voyage te contrarie, nous
n'en parlerons plus. Gela me fera mal, mais que ne ferais-je pas
pour toi dont l'amitié est si persévérante ? Ecoute, ton fils va
passer son examen dans peu de jours ; aussitôt nous partirions,
car il veut être à Angers à une certaine époque qui est bien chère
à son cœur. Tout cela peut très bien s'arranger, parce que je ne
puis être longtemps absent de Paris. Voilà mon projet: 3 jours
pour le voyage, 4 jours au plus pour mon travail, et 3 jours pour
revenir à Paris. Gomme il faut dire toute sa pensée à son unique
ami, peut-être que 3 jours de plus pourraient me transporter
dans une campagne auprès d'Angers, où là, ignoré de mes com-
patriotes, je pourrais serrer mon ami dans mes bras. Gela est le
délire de mon imagination ; tu es toujours dans ce qu'elle
conçoit.
Gher ami, je le répète, que ton amitié pour moi ne te fasse pas
faire un sacrifice trop grand.
Je n'ai pas répondu à ta lettre; je suis bien coupable, elle était
si bonne! Elle m'a vivement attendri. Cependant, j'ai parlé à
notre jeune ami de nos sentiments à tous les deux, et que dire à
«ne àme si noble qui va au-devant de tout ce qui est juste? Sois
tranquille, tu auras des fils dignes de toi ; si je tenais 1' « Améri-
cain » je l'embrasserais de tout mon cœur. Nous avons eu une
conversation qui ne s'effacera jamais de ma mémoire; ce sera un
homme !
Adieu, cher ami. Réponds-moi de suite.
Ton fidèle,
David.
Colleclion Pavie. — David, en se proposant de précipiter son voyage à
Weimar, avait pour but de permettre à Victor Pavie d'être en Anjou le
25 août, date de la fête do Pavie père. La maison de campagne où David
parle d'aller s'enfermer incognito est la propriété des Pavie, les Rangear-
diéres, à une lieue d'Angers. Le personnage que le statuaire désigne fami-
lièrement sous le surnom de « l'Américain » n'est autre que l'orientaliste
Théodore Pavie, frère de Victor.
44 DAVID D'ANGERS
XLII
David à Pavie père.
Retour de Weimar.
Paris, 18 septembre 1829.
Cher bon ami,
Notre jeune ami va te revoir ; je ne veux pas qu'il me quitte
sans te remettre un mot de moi. J'aurais bien voulu l'accompa-
gner, mais notre voyage a été trop long pour que je me permette
encore une absence. Je le regrette beaucoup, car cette excursion
aurait mis le comble à ma joie. Notre départ s'est trouvé retardé
contre mon attente. Victor te contera tout, et tu reconnaîtras qu'il
était impossible de faire autrement que nous n'avons fait, car il
nous fallait profiter d'un voyage aussi intéressant que celui
d'Allemagne. Je crois que le séjour de Victor à Weimar laissera
dans l'àme de notre ami des traces profondes. Je serais surpris
que le spectacle dont il a joui n'eût pas une grande influence sur
ses études littéraires. Quant à moi, les semaines passées resser-
rent, s'il est possible, les liens d'amitié qui m'ont toujours atta-
ché à ce cher enfant.
En arrivant, ce matin, j'ai trouvé une lettre de Théodore^ une
lettre écrite avec son cœur. J'avoue que je suis bien sensible à
son obligeant souvenir.
Adieu, bon et sincère ami. Tout à toi de cœur,
David.
Collection Pavie.
XLIII
David à Victor Pavie.
Les démolisseurs. — Une lecture A'ilernani chez Victor Hugo. — Othello,
Hamlet d'Alfred de Vigny. — Le buste de Gœthe.
Paris, 1" octobre 1829.
Cher ami,
J'ai reçu ta lettre avec bien du plaisir. Je voulais y répondre
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 43
longuement, mais j'aurais tant à te dire qu'il faut que j'attende
ton retour à Paris.
Pauvre Angers, comme on l'abîme ! Dans vingt ans on ne recon-
naîtra plus notre chère patrie, mais alors on n'y mettra plus les
pieds et on ira habiter la campagne qui peut-être conservera sa
physionomie; je dis peut-être, car les hommes gâtent tout ce
quils touchent.
Hugo nous a lu un nouveau drame, qui vient d'être reçu aux
Français. Il est toujours le grand homme, mais celte pièce me
paraît moins faite pour la scène que Marion. 11 y a dans la der-
nière beaucoup de philosophie allemande, mais à la scène il faut
de l'action.
Une chose qui m'est bien pénible, c'est que de Vigny et Hugo
sont brouillés. Hugo a obtenu de l'aire jouer sa pièce avant
VOthello de de Vigny.
De Vigny vient de nous lire son Hamlet. Admirable!
Adieu, santé et joie. Amitié de ton tout dévoué,
DAvm.
P. S. — Il me serait bien difficile de te dire ce que pense Hugo
du buste de Gœthe, ce buste n'étant pas encore arrivé. H est pro-
bablement perdu. C'est ma faute, ma très grande faute.
Collection Pavie. — Les doléances du statuaire sur les démolitions que
l'on fait subir aux quartiers pittoresques de sa ville natale sont fondées.
On retrouve la trace de semblables rep;rets sous la plume de tous les Ange-
vins épris de l'antique cité, à peu prés renouvelée depuis soixante ans.
Hernani, lu par son auteur devant David, est de la part de l'artiste l'objet
d'une critique fort juste. On sait que le drame de Marion Delornie, interdit
par la censure sous le gouvernement de Charles X, avait été composé avant
Hernani. Alfred de Vigny et Victor Hugo sont en lutte auprès du Comité
du Théâtre-Français. Nous sommes loin de l'entente cordiale attestée par
de Vigny dans sa lettre du 8 août 1828, publiée plus haut (p. 31). Othello, un
instant supplanté par Hernani, iul en fin de compte joué avant le drame de
Victor Hugo. Le buste de Gœthe, modelé par le statuaire à Weiniar, puis
moulé, n'arriva en France que tardivement et après des péripéties de plus
d'une sorte. (Voir David d'Angers, etc., t. I, p. 240.) A l'époque où nous
sommes, David désospéiait de pouvoir traduire eu mai'bre l'image de
Gœthe, faute du plâtre égaré, sinon détruit.
46 DAVID D'ANGERS
XLIV
David à Victor Pavie.
Le buste de Gœt'he. — Représentation d'Othello. — Lamartine candidat à
l'Académie.
Paris, 21 octobre 1829.
Cher bon ami,
J'ai lu avec bien du plaisir le dernier journal d'Angers. Ton
article sur Gœthe est admirablement bien écrit. Tu as fait un
portrait de main de maître. Je crains bien que mon buste soit
peu digne de tout ce que ton amitié pour moi t'a fait dire dans
cet article. Je ne sais plus, au fait, ce que j'ai fait. Je ne peux
pas me représenter en imagination cet ouvrage. Enfin, pour
comble d'ennuis, je n'entends plus parler de rien à cet égard;
la caisse est peut-être perdue ?
Ce que l'on m'avait dit pour VOthello n'aura pas lieu; on le
donne samedi prochain; cependant, nos amis sont toujours dans
un très grand refroidissement.
On parle beaucoup de la nomination de Lamartine; je désire
ardemment son succès, pour lui, qui en a bien envie, et pour le
corps que cela honorerait.
Si tu peux disposer de quelques exemplaires du journal dans
lequel tu parles de Gœthe, fais-moi le plaisir de me les envoyer.
Adieu, cher ami, embrasse ton père pour moi, présente mon
respect à madame Pavie, et crois à l'éternelle amitié de ton tout
dévoué,
DAvm.
Collection Pavie. — L'article auquel fait allusion David avait paru dans
les Affiches d'Angers. L'élection de Lamartine eut lieu le S novembre.
L'iiistoire épisodique de cette élection est à lire dans la Correspondance de
Lamartine (t. III, pp. 16S-182).
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 47
XLV
David à Jullien de Paris.
La fête de Gœlhe. — Miçkiewicz.
Paris, 24 octobre 1829.
Monsieur,
La lettre de M. Quetelet rend très exactement ce qui s'est passé
à Weimar, le jour de lafètc de Gœthe. Il parle de M, Miçkiewicz,
jeune poète polonais. Yous pourriez peut-être, dans votre article,
dire que ce poète a été exilé en Sibérie pendant sept années, parce
qu'il a osé élever la voix pour l'afFranchissement de son pays*
vous pourriez dire que c'est le poète le plus remarquable de son
pays, qu'il a publié déjà plusieurs volumes remplis de cette poé-
sie toute d'àme.
Quand vous écrirez à M. Quetelet, veuillez avoir la bonté de le
remercier de son bon souvenir à mon égard, et lui présenter
mes compliments affectueux.
Votre bien dévoué de cœur,
David.
Collection Duhmnfaut. — Le publiciste Jullien , destinataire de cette
lettre, était alors directeur de la Revue encyclopédique îonàbQYi&v \\i\ en 1818.
Kous avons parlé de la rencontre du statuaire avec Miçkiewicz à Weimar.
(David d'Angers, etc., t. I, pp. 231-234.) A. Quetelet est l'astronome et le
statisticien belge dont le médaillon a été modelé par David en 1830. [Musées
d'Angers, p. 137.)
XLVI
M""^ Sophie Gay à, David.
Le buste de Cliateaubriand.
Dimanche... décembre (1829 ?)
M"" et M"* Gay ont l'honneur de se rappeler au souvenir de
Monsieur David, et lui font demander si elles pourraient, sans
trop le déranger, aller voir, ce matin, vers trois heures, sou beau
buste de l'auteur des iVartijrs.
Elles le prient d'agréer leurs complimens distingués.
48 DAVID D'ANGERS
Collection David d'Angers. — Ce billet n'est pas daté, mais le marbre du
buste de Chateaubriand ayant été exposé en janvier 1830, il est admissible
qu'on ait pu voir cet ouvrage dans l'atelier du maître en décembre 1829.
La locution « ce matin » doit être prise ici dans le sens de « matinée », et
l'on sait que la matinée, dans la langue mondaine, ne prend fin qu'à l'heure
du diner, c'est-à-dire à 6 ou 7 heures du soir.
1830
XLVU
Lady Morgan à David.
Le buste de lady Morgan. — Alexandre Dumas. — Mérimée.
Dublin, Kildare Street, 30 mars 1830.
Lady Morgan sera charmée de se rappeler au souvenir de
Monsieur David. Chose peut-être très difficile, sinon pas impos-
sible ; cependant elle profite de l'occasion du départ du comte de
Caudaux (consul à Dublin) pour réitérer au jeune « Canova
français » l'expression de son admiration pour ce beau talent qui
est si franchement voué à éterniser les traits des grands apôtres
de la liberté. Lady Morgan prie Monsieur David de permettre au
comte de Ganclaux de voir son intéressant atelier et le buste de
lady Morgan dont elle serait si reconnaissante d'avoir un exem-
plaire en plâtre. Monsieur de Ganclaux se chargerait de toute la
la dépense si Monsieur David voulait bien se charger de l'embal-
lage. Mais lady Morgan désire le succès de sa prière plus qu'elle
ne l'attend. Lady Morgan désire présenter ses compliments à
M.Bumas dont l'admirable Hen7'i III fait les délices de tous ceux
qu'elle a jugés dignes de le lire, dans un pays où la littérature
française moderne est absolument inconnue. Sir Charles, miss
Clarke et lady Morgan se rappellent avec le plaisir le plus vif les
heureux moments qu'ils ont passés dans l'atelier de Monsieur
David avec autant d'instruction que d'amusement. C'est dans cet
aimable souvenir que lady Morgan ajoute un petit mot pour
M.Mérimée, dont elle prend la liberté de charger Monsieur David.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 49
Collection David d'Angers. — Lady Morgan, publiciste, irlandaise d'ori-
gine, a fait de fréquentes apparitions dans le monde littéraire de Paris.
David sculpta son buste et modela son médaillon. (David d'Angers, etc.,
t. I, pp. 194, 202, 223. 247, 2o4, 2oo.) Le buste de lad}' Morgan porte la
date de 1830. {Musées d'Angers, p. 133.) La lettre que nous publions ici au-
torise à penser que le marbre dut être sculpté dés 1829. Ou sait que le
drame de Henri III fut joué en 1828.
XLYIII
Lamartine à David.
Le buste du poète.
Château de Saint-Point, 14 juillet 1830.
J'ai reçu le buste. Je lui fais faire un digne piédestal, et il sera
dans un mois livré à la juste admiration du pays. Recevez de
nouveau des remerciements que j'espère vous exprimer plus for-
tement dans ma langue, un jour. Avez-vous enfin reçu de ïliou-
venin mon édition préparée pour vous, et que j'ai eu tant de
regrets de ne pas vous offrir en personne ?
Nous partons demain pour la Suisse et la Savoie ; songez à
nous si vous prenez cette route pendant l'été. A la fin d'août, nous
serons à Saint-Point, solitude qui serait fière de vous recevoir.
Je n'ai que le tems de vous remercier encore et de vous de-
mander la petite note des déboursés de l'emballeur et que je ferai
porter chez vous.
Ma famille entière, que vous avez consacrée en moi par cette
œuvre de votre génie, s'unit à ma reconnaissance et à mon
orgueil. C'est un titre dans l'avenir qu'un buste de David.
Lamartlne.
Collection David d'Angers. — Le buste de Lamartine, l'un dos plus re-
marquables que David ait sculptés, a été modelé eu 1829 et traduit eu mar-
bre en 1830. {David d'Angers, etc., t. I, p. 213.)
50 DAVID D'ANGERS
XLIX
Lady Morgan à, David.
Les journées de Juillet jugées par lady Morgan. — Le buste de l'écrivain.
Août 1830.
Je vous présente mes sincères félicitations, Monsieur, comme
à tous les vrais amis de la liberté et du bonheur humain. La
grande semaine de France est la plus grande depuis la première
de la Création. Au reste, je vous écris pour vous prier de ne pas
encore envoyer ma tête ici.
J'irai la chercher tantôt.
En attendant, et toujours, votre toute obligée,
Sidney Morgan.
Collection Henry Jouin. — La dernière phrase est assez explicite : il s'agit
du buste en marbre dont nous avons parlé plus haut.
Lady Morgan à David.
Une ombi-elle oubliée.
Paris, septembre 1830.
Voulez-vous bien vous mettre sous l'ombre de mon petit pa-
rasol, demain, en venant me voir ? Je l'ai laissé dans votre
atelier.
S. Morgan.
Hôtel de la Terrasse, rue Rivoli.
Collection David d'Angers.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES M
LI
David à Victor Pavie.
Le modèle du Coudé. — Le coq gaulois. — Lady Morgan. —
Couturier de Vienne. — « Notre-Dame de Paris. »
Paris, 12 octobre 1830.
Cher ami,
Il y a déjà assez longtemps que j'ai écrit à ton père pour lui
demander s'il croit que le modèle de mon Condé serait bien reçu
à Angers. J'attends avec bien de l'impatience sa réponse, parce
que l'on va abattre les ateliers du Gros-Caillou. Réponds-moi de
«uite, tu m'obligeras beaucoup.
Fais-moi le plaisir de dire à Lachèse que le modèle du coq est
terminé, que le fondeur s'en occupe, que l'opération de la fonte
ne sera, je pense, pas longue. Dans une quinzaine, j'espère pou-
voir faire partir mon coq pour Angers.
11 vient de paraître un nouvel ouvrage de lady Morgan, dans
lequel elle dit les choses les plus agréables pour moi. Je suis
bien contrarié de ne pas être en mesure de lui répondre par
l'envoi de son buste.
On vient de traduire les Leçons sur les arts faites à Berlin par
Schlegel; le traducteur m'a dédié cet ouvrage par une préface
extrêmement aimable. Il y a dans cet ouvrage des idées qui sont
très justes sur les arts.
Ton tout dévoué ami,
David.
J'ai dîné chez Victor, jeudi dernier; il nous a lu un chapitre de
Notre-Dame. Cet ouvrage est très avancé.
Collection Pavie — Le coq gaulois, annoncé dans cette lettre, fut une
offre do David à la garde nationale d'Angers. Ce coq surmonta le drapeau
de la milice citoyenne. La traduction des Lfçons sur iliisloire et la théorie
des Beaux-Arts, de Schlegel. est l'œuvre de Couturier de Vienne (Paris, 1830,
in-S"). Unededicace.de quatre pages presque lyriques, signée du traduc-
teur, ouvre le volume. Notre-Dame de Paris parut en 1831. David nous
apprend ici que le poète ne refusa pas de lire à ses amis quelques cliapi-
tres de sonreuvre nouvelle. Cette assertion est d'ailleurs conforme à l'aveu
de Victor Ilugo lui-même dans un livre écrit sous sa dictée. {Vlc'or Hugo
raconté par un témoin de sa vie, t. II, p. 34o.)
52 DAVID D'ANGERS
LU
Chateaubriand à David.
Un marbre vu aux flambeaux.
Paris, 19 octobre 1830.
Quelques personnes, Monsieur, veulent admirer le beau buste
aux flambeaux : elles seroient bien heureuses de voir en même
temps l'auteur et l'ouvrage. Voulez-vous donc, Monsieur, nous
faire l'honneur, à Madame de Chateaubriand et à moi, de venir
dîner dans notre hermitage, dimanche prochain, 24, à 6 heures
précises?
Agréez, Monsieur, je vous prie, mes compliments les plus
empressés.
Chateaubriand.
Collection David d'Angers. — Le buste de Chateaubriand, d'un modelé
puissant et distingué, porte la date del829. Le marbre, terminéen 1830, fut
exposé au Musée Golbert avant d'être offert au modèle. Il est aujourd'hui
la propriété de M"" Sibylle de Chateaubriand et décore le ravissant vesti-
bule du château de Combourg, près Saint-Malo. (Voir David d'Angers, etc.
t. I, pp. 214-215.)
LUI
Prosper Mérimée à, David.
Inadvertance. — Le chapeau du romancier. — Lady Morgan.
1830 (?)
M"« Sophie dit que vous avez pris mon chapeau ; je crois avoir
le vôtre. Le mien est de Bouyrat, et était accompagné de gants
jaunes.
Je tâcherai de passer à votre atelier dans la journée. On dit
que vous avez lady Morgan?
Mille compliments.
P'^ MÉRIMÉE.
Collection David d'Angers. — Nous ne pouvons dire dans quelle soirée
David et Mérimée échangèrent involontairement leurs chapeaux.'
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 53
1831
LIY
Madame Récamier à David.
Uue lecture par Delphine Gay.
Ce vendi-edi, 21 janvier 1831 .
Madame Récamier ayant obtenu de M"^ Delphine Gay la
promesse de faire entendre chez elle, dimanche matin, à quatre
heures, quelques chants de son poème, serait charmée que cette
espérance décidât Monsieur David à lui donner quelques mo-
ments de sa matinée.
Collection David cT Angers. — Le poème en question doit être « Napo-
line », publié seulement en 1833. On a vu plus haut, 'dans le commen-
taire de la lettre de M™» Sophie Gay, de décembre 1829, que le mot
« matin » a ici le sens de « matinée ».
David à Lamartine.
La médaille du poète. — Pages blanches.
Paris, 12 février 1831.
Monsieur et cher collègue,
Je viens de remettre entre les mains de M. Amédée Parseval
une petite caisse contenant votre profil en bronze, qu'il veut bien
me faire le plaisir de vous faire parvenir. Ce nouvel essai pour
représenter vos traits rend bien peu les impressions de mon
admiration pour votre sublime génie.
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance votre œuvre que
M. Soulié a eu la bonté de me remettre de votre part. J'ai vu
avec bien de l'émotion que vous aviez fait réserver quelques
feuilles de papier dans l'intention d'y écrire quelque chose. .le
serai bien heureux de posséder quelques lignes tracées par le
plus grand poète de l'Europe.
Veuillez, .Monsieur, recevoir favorablement l'assurance du
profond respect de votre très humble serviteur,
David.
54 DAVID D'ANGERS
Collection Lamartine. — Le profil modèle du poète des Méditations porte-
la date de 1830. {Musées d'Angers, p. 134.) Lamartine s'était proposé d'écrire
quelques vers spécialement dédiés à David sur des pages réservées en tête
de l'exemplaire relié de ses poésies qu'il offrit au statuaire. Ce projet ne
reçut son exécution que le !«■■ mai 1847, comme on le verra plus loin.
LVI
Lamartine à David.
Le médaillon du poète.
Mâcon, 19 février 1831.
J'ai reçu, Monsieur et illustre collègue, le beau médaillon que
vous avez bien voulu consacrer à un homme trop périssable.
Rien ne me surprend néanmoins de ce qui me prouve votre
prévention favorable pour moi : depuis la première preuve que
vous m'en avez donnée. Je ne crois point à mon immortalité,
mais je crois à la longue durée des souvenirs de famille qu'un
ouvrage de vous perpétuera dans la mienne, et c'est à ce titre
surtout que votre buste et la médaille en bronze me sont pré-
cieux.
J'ai bien regretté que les relieurs de M. Soulié aient tant retardé
le faible hommage que je vous devais. Je remplirai bientôt les
pages blanches de quelques lignes bien senties, mais qui n'ont
ni l'éclat ni la durée du métal où vous transformez vous-même
vos pensées. Vos pages sont de bronze et de marbre^ les nôtres
s'envolent comme le papier.
J'ai trouvé dans la caisse qui renfermait la médaille, des vers
de M. Richard de Corné, dont je dois vous remercier avant lui,
puisque je les reçois de vous et par vous. Je vais l'en remercier
lui-même. Je vois qu'il sent comme vous et moi cette nature, qui
n'a une langue si sublime que pour ceux qui ont un sens déplus
pour l'entendre et l'interpréter.
Adieu, Monsieur et cher collègue, à vous revoir bientôt à Paris,
dans cet atelier oiî votre pensée se réfléchit dans tant de chefs-
d'œuvre.
Al. DE Lamartine.
P. S. — J'arrive d'une course de cinq semaines, qui a retardé
mon plaisir et ma réponse.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES Sa
Collection David d'Angers. — Cette lettre répond à celle de David, datée
du 12 février 1831. Nous ne parlerons pas des vers d'un inconnu qui,
sans doute, avait réclamé le bienveillant appui du statuaire pour faire par-
venir son hommage au poète des Méditations.
LYII
Charles Nodier à David.
La médaille de l'auteur de Trilhy.
Paris, 1" mai 1831.
Mon cher David,
Permettez-moi de vous apostropher familièrement de votre
nom, qui dit tant de choses, au lieu de ce triste et pâle « Mon-
sieur », qui ne dit rien du tout.
Il y a plusieurs jours que je devrois vous avoir écrit, si nul
étoit tenu à l'impossible, et si la reconnaissance pouvoit ranimer
les morts avec la même facilité que votre génie;
Mais depuis que je vous ai vu, peu s'en est fallu que je n'eusse
l'ingrate malice de soustraire à vos beaux médaillons un des
objets de comparaison qui en attestent le mieux la ressemblance,
et c'est vraiment miracle s'il reste, aujourd'hui, autre chose de
Charles Nodier que l'admirable image dans laquelle vous avez
imprimé à sa triste figure le sceau de votre immortalité.
Enfin, je vis encore, si cela s'appelle vivre, et j'éprouve au
moins que tout sentiment moral n'est pas éteint, puisque je
retrouve encore votre souvenir avec tant de plaisir dans mon
cœur.
Ce sentiment, autorisez-moi, je vous en prie, à en différer
l'expression plus vive et plus complète jusqu'au moment où ma
pauvre main aura plus d'aptitude à conduire une plume sur le
papier. Les expressions me manqueront toujours pour cela,
mais, aujourd'hui, je n'aurois pas même la force de les tracer.
Croyez, en attendant, mon cher David, à l'inviolable attache-
ment d'un homme qui vous aime comme il vous admire.
Charles Nodier.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de Nodier fut modelé en 1831.
{Musées d'Angers, pp. 345-340.)
56 DAVID D'AN{iERS
LVIII
David à Coudray.
Envoi du buste en marbre de Gœthe. "
Pai'is, 15 mai 1831.
Monsieur et bien honorable ami,
Le buste de Goethe est en route pour Dresde depuis plus de
quinze jours-, la caisse a été tout particulièrement recommandée
par l'ambassade de Saxe. [1 y a tout lieu de penser que mon
ouvrage arrivera à sa destination sans accident.
Je suis heureux de vous remercier encore de m'avoir mis à
même de reproduire les traits de votre immortel ami. J'ai soigné
cet ouvrage avec toute l'ardeur possible, et j'y trouvais d'autant
plus de charme qu'un monde d'impressions se sont renouvelées
dans mon souvenir, avec cette faculté que nous avons dans les
arts de faire poser dans notre mémoire les personnages que nous
voulons représenter et d'illuminer leurs traits avec notre âme.
Tout le tems que j'ai travaillé à cette apparition, le grand homme
était auprès de moi; je le voyais aussi distinctement que lorsque
j'étais dans son salon à copier ses traits; j'entendais sa voix, avec
ses différentes inflexions, et je voyais ses nobles traits s'animer
au feu des grandes idées dont il daignait me faire part. Comme
toute ma vie s'est passée à copier les traits des grands et nobles
types de l'humanité, toutes ces belles apparitions me créent un
monde sublime, qui me console, ou me fait regarder en pitié le
monde réel, si positif, si égoïste et si rempli de déceptions. Ce-
pendant, quand on a comme moi une profonde vénération pour
le génie, on doit beaucoup souff'rir en pensant à l'art qui est tou-
jours infirme pour rendre ce que l'âme a senti. Cela est la con-
séquence de ce que celle-ci est obligée d'employer la matière pour
donner une forme à ses électriques inspirations. Aussi toute
notre vie se passe t-clle en tristes et misérables à peu près. Heu-
reux encore, cependant, quand ces à peu près ont pour mobile
une noble et généreuse intuition.
Croyez, cher et honorable ami, que je mettrai toujours au nom-
bre des instants heureux de ma vie ceux que j'ai passés auprès
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 57
de vous; que ce souvenir ne me quitte pas, et ne s'éteindra
qu'avec la vie de votre tout dévoué de cœur.
Je me reportais à ces vives émotions que j'éprouvais lorsque,
travaillant avec recueillement à cette image tant désirée, la grande
et sublime forme m'apparaissait tout à coup sans bruit (j'ai
rarement vu marcher avec tant de calme et moins de bruit) ; il
me disait : « Eh bien ! vous vous occupez de votre vieil ami? »
Et enfin, je l'entends encore, lorsque son buste fut terminé, me
dire avec un accent qui bien certainement avait passé par son
cœur : « Donnez-nous quelques jours; je suis bien vieux, nous
ne nous reverrons plus ! Tous qui avez encore tant d'années
à rester dans cette vie, c'est un léger sacrifice que je vous de-
mande! ;)
Collection David d'Angers. — Cette lettre existe à l'état de minute ori-
ginale dans les papiers du raaitre. Goudray, architecte français, fixé àWei-
mar, et ami de Gœthe, avait introduit le statuaire auprès du poète. L'artiste
a modelé le médaillon de Goudray. (David d'Angers, etc., t. I, pp. 218-219.)
Le buste en marbre, de Gœthe, exposé au Salon de 1831, fut retiré avant la
clôture de l'exposition et expédié à Weimar.
LIX
David à Pavie père.
Louis Pavie témoin au mariage de David. — Hippolyte Maindron.
Paris, 4 juin 1831.
Mon cher ami,
Cette nouvelle preuve de ton amitié me rend bien heureux.
Celui qui a pris tant d'intérêt à mon sort dans toutes les circon-
stances de ma vie, sera témoin d'un acte qui doit avoir une si
grande influence pour moi. Reçois l'expression, bien vivement
sentie, de mon éternelle reconnaissance. M. La Revellière n'ayant
pas pu encore terminer toutes les affaires, mon union avec sa
nièce ne pourra avoir lieu que le mois prochain. Aussitôt que je
saurai l'époque, je t'en avertirai et je ferai en sorte que cela
s'arrange avec tes affaires.
Notre Maindron n'est pas heureux. La route des concours lui
est fermée; il a 30 aus;il n'a plus actuellement d'espérance que
58 DAVID D'ANGERS
dans les expositions du Salon, mais il aurait besoin d'étudier en
Italie. Si la ville pouvait lui faire une pension de mille francs
pendant deux ans, il pourrait faire un ouvrage à Rome. Cet ou-
vrage serait exposé au Salon qui aura lieu dans deux ans; l'auteur
serait remarqué par le Gouvernement et aurait droit aux travaux,
et son sort serait assuré. Cet homme eat bien digne de la bien-
veillante protection delà ville d'Angers ; il a des dispositions très
remarquables, et un courage digne des plus grands éloges.
Fais-moi le plaisir de voir Monsieur le Maire; dis-lui qu'en ac-
cordant sa protection à cet intéressant artiste, il fera un acte
de la plus grande justice, et combien je serais heureux si la ville
d'Angers m'accordait encore cette nouvelle preuve de sa bien-
veillance pour moi !
Adieu, cher bon ami, à toi de tout cœur,
David.
Collection Pavie. — David, qui allait épouser M"° Emilie Maillocheau,
petite-fille de Louis-Marie La Revellière-Lepeaux, avait reçu la promesse
de Louis Pavie que celui-ci serait témoin à son mariage. L'artiste parle de
M. La Revellière et de sa « nièce ». C'est à Ossian La Revellière, fils du
Conventionnel, qu'il fait allusion.
LX
Lady Morgan à David.
Réception du buste de lady Morgan. — Les « Mémoires sur la vie et le
siècle de Salvator Rosa ».
Ce 11 de juin, Hôtel de la Terrasse, 1831.
Vous êtes trop bon, trop généreux, cher Monsieur David. Ce
n'est rien de vous remercier, lorsqu'on ne peut vous exprimer
tous les sentimens d'admiration et d'estime que vous inspirez...
Que je suis fière de votre bel ouvrage qui nous honore tant tous
les deux, vous comme artiste, et moi comme le sujet. La res-
semblance est parfaite. Mon mari en est enchanté, et vous ex-
primera ses remerciements demain, à midi et demi, quand il
compte m'accompagner à votre atelier.
Je vous prie d'accepter le petit ouvrage que je viens de recevoir
en ce moment de mon relieur. Le sculpteur du Grand Condé
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 59
trouvera dans le beau caractère da grand peintre napolitain
plus qu'un trait de ressemblance avec ses propres scntimens,
et son génie hardi et courageux. Avec mille respects et amitiés,
Sidney Morgan.
J'écris mon jargon au milieu d'une foule.
Collection David cV Angers. — Nous donnons, en tête de cette lettre, le
titre exact du livre que lady Morgan a écrit sur le peintre napolitain. La
traduction française de cet ouvrage forme 2 vol. in-8", datés de 1824.
LXI
David à Pavie père.
Marseille. — La poésie du midi de la France. — Une fleur cueillie pi'és de
Notre-Dame de la Garde. — Les flèches de la cathédrale d'Angers.
Marseille, 22 août 1831.
Cher bon ami,
Voilà déjà huit jours que nous sommes à Marseille. Demain
nous partons pour Toulon. Le jour de notre arrivée ici, nous
avons été régalés d'une révolte. Il y a eu quelques personnes de
tuées. C'était une conspiration carliste. Les carlistes ont eu le
dessous, et les chefs sont pris.
C'est une bien admirable chose que la ville et les environs de
Marseille; c'est l'Italie, la Grèce, avec leur ciel de cristal, leurs
beaux êtres faits pour inspirer les artistes.
Hier, nous avons été voir coucher le soleil, au pied de l'église
de Notre-Dame de la Garde, qui est construite sur une montagne.
Voilà un peuple qui sait placer dignement le temple de la divi-
nité ! C'était le système des Grecs et des Romains. J'ai cueilli sur
cette montagne, auprès de l'église, une petite fleur que tu trou-
veras dans cette lettre.
Jai souvent pensé à toi et à nos deux bons amis pendant le
cours de notre voyage. Combien vous seriez heureux de voir ce
paradis de notre l)elle France! Que de poésie ! Que font donc nos
peintres! Au lieu d'être à intriguer à Paris, à faire des pastiches
de Bonington et des peintres anglais, ils pourraient copier ici
une nature sul)lime et variée.
60 DAVID D'ANGERS
Quand nous reviendrons de Toulon, nous resterons peu de
jours à Marseille, et nous rentrerons à Paris par Nîmes, Taras-
con, etc. Tu vois que nous avons encore de bien belles choses
à voir. J'ai humé de loin l'air de la Grèce et de l'Italie, mais,
mais ! !
Je viens d'apprendre que le malheur arrivé à notre cathédrale
n'est pas aussi grand qu'on l'avait dit. Je viens d'apprendre aussi
que Victor avait écrit quelques lignes sur cet événement.
Reçois l'assurance de mon inaltérable amitié,
David.
Emilie me charge de la rappeler à ton souvenir.
A bientôt ! ! ! !
Collection Pavie. — Les flèches delà cathédrale d'Angers, atteintes par
la foudre, avaient été la proie d'un incendie.
LXIl
Victor Hugo à David.
Les répétitions de Catherine II. — La médaille de M"= Georges.
Samedi soir (septembre 1831).
Mon bon ami, il est minuit. J'arrive du théâtre. Voyez quelle
fatalité! M"e Georges a précisément demain, à l'heure dite, une
indispensable répétition de Catherine II. Elle vous supplie de
l'excuser, et surtout de ne pas renoncer à inscrire son profil sur
vos impérissables tablettes de bronze. J'espère que cette lettre que
je vous ferai tenir demain matin vous arrivera à temps.
A vous du fond du cœur,
Victor Hugo.
Collection David d'Angers. — Catherine II, par Lockroy et Arnould, ayant
été représentée à l'Odéon le 29 septembre 1831, nous sommes ainsi en me-
sure d'assigner une date approximative au billet non daté de Victor Hugo.
Le médaillon de M"« Georges, ajourné par un contre-temps, fut modelé seu-
lement en 1833. (Musées d'Angers, p. 147.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 61
LXIII
Béranger à David.
Le médaillon de Manuel.
Paris, 24 décembre 1831.
Combien je regrette d'être venu trop tard ! Ce n'était plus pour
vous exprimer ma reconnaissance, mais mon admiration pour
votre magnifique médaillon. Au travail le plus vrai, le plus
large, le plus savant, il joint une ressemblance qui frappe tous
les amis de Manuel qui l'ont vu chez moi. Voilà ce que je voulais
vous dire, et vous devez, d'après cela, deviner tous les sentimens
que votre présent m'inspire.
A vous de cœur,
BÉRANGER.
Collection David cPAnr/ej's. — Manuel, député de 'l'opposition en 1823, a
joui d'une popularité que Victor Hugo a eu le secret de réveiller vers 18oo.
Le médaillon en marbre, de proportions colossales, sculpté en 1831 par
David, fut offert à Béranger, ami intime de l'homme politique disparu en
1827. Ce marbre est aujourd'hui au musée de l'hùtel Carnavalet. (Musées
d'Angers, pp. 138,333.)
LXIV
David à Ferdinand de Lasteyrie.
Un bal costumé chez Alexandre Dumas.
Vendredi matin (février 1832.)
Mon cher Ferdinand,
Dumas étant extrêmement occupé des apprêts de son bal, et
n'ayant pas de papier sous la main pour vous écrire, m'a chargé
de vous inviter pour sa réunion. 11 sera enchanté de faire la con-
naissance du fils de M. de Lasteyrie. Ainsi pensez à votre costume,
car c'est de rigueur. Vous savez que c'est pour demain samedi.
Présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à
Monsieur et à Madame de Lasteyrie.
Yotre tout dévoué,
David.
62 DAVID D'ANGERS
Collection Lasteyrie. — Ferdinand de Lasteyrie, homme politique, écri-
vain d'art, membre de l'Institut, esprit délié, d'un dévouement et d'une affa-
bilité qui lui assuraient toutes les sympathies, a été pour David un ami et
un guide précieux en plus d'une occasion. Le biographe du maître lui est
redevable de renseignements et de bons offices dont il garde le souvenir.
Lasteyrie, né en 1810, avait vingt-deux ans lorsqu'il reçut ce billet. Il était
déjà connu pour avoir rempli l'office d'aide de camp du général La Fayette,
son parent, durant les journées de Juillet. L'annonce tapageuse du bal
costumé que préparait Dumas était faite pour tenter un jeune homme.
David lui obtint l'invitation qu'il convoitait. Le bal du romancier est resté
légendaire; mais comment en parler après ce qu'en a raconté Dumas lui-
même dans ses Mémoires (t. IX, pp. 68-107)? C'est là qu'il faut aller puiser
le récit tour à tour désopilant et sérieux de cette fête unique.
LXY
David à Victor Pavie.
Statues de Corneille, de Talma et de Jefferson. — Visite à Chateaubriand
dans sa prison. — Stella. — Le Roi s'amuse. — Le peintre Blondel. —
Paul Delaroche. — Victor Schnetz. — Le poète Barthélémy.
Paris, 25 juin 1832.
Mon cher Victor,
Ta lettre m'a fait un bien vif plaisir; je suis si inquiet sur tout
ce qui se passe dans notre ville que quelques lignes seront tou-
jours bien précieuses pour moi. Ainsi, cher ami, prends courage
et écris-moi le plus souvent qu'il te sera possible.
Je travaille beaucoup actuellement; je voudrais tâcher d'avoir
terminé à la tin de l'été le Corneille, le Talma et la statue de
JelFerson qui sera exécutée en bronze pour New- York ; après
cela, j'espère voyager un peu avec Emilie. Paris me dégoûte^ il
y a une odeur de sang qui fait mal.
J'ai été voir Chateaubriand dans sa prison; je l'ai trouvé tou-
jours le même, c'est-à-dire calme et résolu à tout; un homme de
ce caractère ne conspire pas ; il a imprimé son opinion ; c'est une
guerre d'homme d'honneur.
As-tu lu l'ouvrage de de Vigny, Stello? Selon moi, on y
retrouve toujours le génie d'un poète, mais trop le grand sei-
gneur vexé contre la pauvre espèce humaine, qui a eu le très
grand tort de ne pas recevoir ses drames avec tout le respect dû
à sa seigneurie.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 63
Hugo nous prépare un drame. Il a déjà fait les deux premiers
actes; il y a bien longtemps que je ne l'ai vu; on dit que ses yeux
vont mieux.
Ce matin, je vais aller voir Barthélémy. J'aime ce poète parce
qu'il employé son génie à servir la cause de la liberté.
L'Institut vient do nommer Blondel! ! et nous étions six pour
Delaroche. Schnetz n'a eu que trois voix. Quelle honte!
Adieu, cher ami, santé et bonheur, ce sont les vœux de ton
dévoué de cœur,
David.
Collection Pavie. — Cette lettre a été insérée dans l'ouvrage Victor Pavie,
sa jeunesse, ses relations littéraires, sous la date fautive de 1831. Les faits
auxquels David fait allusion ici se sont passés en 1832. Chateaubriand a
raconté l'histoire de sa détention en juin 1832, motivée par sa correspon-
dance avec Berryer, détenu à Nantes pour s'être intéressé à la descente de
la duchesse de Berry eu Vendée. (Mémoires d outre-tombe, t. V,pp. ^78-300.)
La phrase dans laquelle l'artiste parle de sang vei"sé est une allusion aux
troubles qui prirent naissance le jour du convoi du général Lamai'que (5 et
6 juin). L'opinion de David sur Stella n'a pas été démentie par notre géné-
ration. Ce livi-e paradoxal, plein de chimère et d'amertume calculée, n'a plus
de lecteurs. Stello parut en 1832. Le drame que prépare Victor Hugo s'ap-
pellera le Roi s'amuse. Commencé avec le mois de juin 1832, le premier
acte était achevé le .5 juin. (Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie,
t. II, p. 374.) La pièce fut jouée le 22 novembre suivant. Le poète satirique
Auguste-Marseille Barthélémy reçut des mains de David son profil modelé
en cette môme année 1832. Merry-Joseph Blondel, peintre d'histoire et de
portraits, élève de Rcgnauit, fut élu à l'Académie des beaux-arts le 2 juin
1832, succédant à Lethière. Delaroche, qui a eu six voix en cette même
journée, n'attendra que quelques mois pour succéder à Meynier (novembre
1832). Quant à Schnetz, son stage à la porte de l'Académie sera long. Les
trois voix obtenues par lui en 1832 ne se transformeront en majorité que le
25 février 1837, date à laquelle Schnetz prendra possession du fauteuil de
Gérard,
LXYI
Népomucène Lemercier à David.
Réception du médaillon du poète.
Paris, oe 7 juillet 1832.
Mon cher et célèbre confrère,
J'aurais voulu que vous lussiez lémcin de la réception de votre
charmante lettre et du beau présent qu'elle accompagnait.
64 DAVID D'ANGERS
M™'= Lemercier et ma fille n'en étaient pas moins enchantées que
moi-même. Prenez garde! Vous m'aurez inspiré de l'orgueil en
me faisant croire à un long souvenir de ma personne ; mais on
m'excusera sans doute puisque votre ciseau donne un gage d'im-
mortalité. Me voilà par vous au rang de vos admirables médail-
lons historiques, et je me glorifie de cette dignité que je dois à
l'excellence de votre art. Il m'est doux d'avoir mérité à vos yeux
de devenir l'objet d'un ouvrage aussi durable que le vôtre.
J'irai vous exprimer toute ma reconnaissance et ma vive
amitié.
Votre dévoué,
N. Lemercier.
Collection David d'Angers. — C'est en 1832 que l'artiste modela la mé-
daille de Lemercier. {Musées d'Angers, pp. 143 et 334.) Convient-il de voir dans
cet hommage l'expression de la gratitude du maître au sujet de l'apostille
relevée sur la première lettre de ce recueil ?
LVII
Rauch à David.
Humboldt. — Le sculpteur Rauch, associé étranger de l'Institut de France.
— Un fragment de groupe. — Gérard. — Ingres. — Cortot.
Berlin, 29 juillet 1832.
Monsieur,
Avec le plus grand plaisir j'ai reçu par S. E. M. le baron Alex,
de Humboldt, retournant à Berlin, vos saluts, et les nouvelles de
votre activité dans votre beau et fertile talent. Vous avez su vous
assurer le bonheur de la famille en choisissant une jeune, jolie et
très aimable épouse. C'est un bonheur qui vous accompagnera
avec ses charmes par toute la vie, ce que je désire avec le plus
vif intérêt, en vous faisant parvenir mes sincères félicitations.
M. de Humboldt nous a laissé l'espérance de vous voir un jour
que vous viendrez par Munich et Vienne jusqu'à Beriin ; ce qui
me rendra très heureux.
Ne sachant pas écrire une langue étrangère, j'étais toujours
fâché et troublé par mes propres reproches, de ne vous avoir pas
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 6S
porté mes remerciements pour la grande attention que vous et
M. le baron Gérard avez eue de me proposer comme membre
correspondant de l'Institut de France. C'est un bonheur que je
n'attendais pas, et dont je ne suis redevable qu'à vous. Monsieur,
et à votre extrême indulgence. Je vous prie d'avoir la bonté de
faire mes compliments à M. Gérard.
Il y aura six semaines que j'ai expédié une petite statue (en
marbre, dans l'attitude suppliante), portrait d'un fils de M. Paul
Demidoff, à l'adresse de Madame Annette Baudin, rue Saint-
Lazare, 41, à Paris, et je prends la liberté de vous prier, quand la
caisse arrivera ou sera arrivée, d'envoyer quelqu'un de votre ate-
lier, pour que la statue soit posée près d'une fenêtre, et sur un
piédestal de deux pieds et quelques pouces. L'original de cette
figure fait partie d'un groupe en bronze de trois figures décorant
le monument du docteur A. -H. Franke, placé dans la cour du
grand hôtel des Orphelins, à Halle sur Saale.
Nous avons, au mois de septembre, notre exposition à l'Aca-
démie. Est-ce que vous n'avez rien sous la main que vous puis-
siez nous envoyer? La moindre chose nous rendrait heureux!
Je vous prie de faire mes compliments à Madame votre épouse
et à MM. Ingres et Cortot.
Avec la plus haute considération et amitié, j'ai l'honneur
d'être^ Monsieur, votre très humble et très dévoué serviteur,
Rauch,
Collection David d'Angers. — Le sculpteur prussien Christian Rauch fut
élu membre correspondant de l'Institut le :28 avril 1830, et associé éU'an-
ger du même corps le io décembre 1832. La lettre ci-jointe décida-t-elle
les membres de l'Académie à honorer d'un titre plus recherché que celui
de correspondant le sculpteur allemand ? Le monument du philanthrope
Francke, à Halle, est connu, mais ce qu'on ignorait, c'est que Tune des
ligures de ce monument est un portrait. Rauch, chargé de sculpter la statue
d'un fils de Paul Demidoff, fit d'abord entrer cette figure dans le groupe qui
devait constituer le monument de Francke. On voit ici que Rauch était en
relation avec Gérard, Ingres, Gortot et David.
(56 DAVID D'ANGERS
LXVIII
Victor Pavie à David-
La Provence vue par un poète. — Marseille. — L'Arc de triomphe. — Aix.
— René d'Anjou. — Hyères. — Avignon,
Nîmes, 23 septembre 1832.
Mon cher monsieur David,
C'est de Marseille ou d'Aix que j'aurais dû vous écrire. Je le
voulais, mais je ne le pouvais : les heures filaient, nous courions,
nous gagnions le large, et pour un peu plus, le ciel eût été
moins bleu. C'est ce que je ne voulais pas; je tenais à vous écrire
sous votre ciel, sinon dans une de vos villes. A Marseille, vite à
TArc de Triomphe, dont votre laborieux praticien nous a ouvert
la porte, ciselant, fouillant toujours. Quant à vos lents et insi-
pides confrères, je ne sais d'où ils en sont encore, mais rien de
leur étroite cervelle n'a été promulgué au grand jour du soleil.
Vous et Puget vous attendez toujours.
Notre bon René a été pour le retour : car nous avions brûlé
Aix en passant. Tous m'avez ramené à ce pauvre homme, dont
jusqu'icije rougissais presque pour notre ville, tant il me semblait
laid et nul. Mais quand les miraculeuses portes de la cathédrale
ont roulé pour nous sous la clef d'un suisse mystérieux, que nous
eûmes été initiés peu à peu aux secrets de cet édifice unique, et
que les deux battants d'un tableau d'une candeur extatique signé
René d'Anjou et de Provence s'ouvrirent devant nous, j'ai com-
pris l'existence d'un homme chez qui l'art était devenu une des
plus hautes dignités du malheur. J'ai compris aussi cette figure
dont la naïveté rehaussait la laideur populaire. J'ai abouti, en le
revoyant, à l'intelligence de votre œuvre, qui, la première, m'a-
vait acheminé déjà à l'intelligence de la sienne.
C'est ici, en face de la Maison Carrée, que l'on vient retremper
son horreur contre la Bourse et la Madeleine. Partout ici, j'ai joui
du grec comme jamais. J'avais besoin d'une trêve à ma fureur
pour le gothique qui me tournait le sang. J'y reviendrai de meil-
leur cœur que jamais après cette saine et tonique purgation. Les
ruines sont plus vivantes ici. Le pouls bat plus vite qu'au Mu-
sée 5 tout transpire à travers ce ciel qui n'est pas une voûte de
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES G7
papier bleu collé, avec des lambeaux de tapisseries pour nuages,
mais de l'air, de l'air sans rivages, ce ciel, océan dont le ncMre
n'est qu'une rivière, où des flocons de vapeur glissent comme le
navire sur l'Océan.
J'ai vu Hyères et ses orangers, le Rhône et ses montagnes,
Marseille, cette ville du Levant, les gorges d'011ioules,si terribles,
si sauvages, et le souvenir le plus ancien déjà, celui qui domine
tous les autres, devant lequel rien ne prévaudra, c'est cet étrange
Avignon, perdu, isolé, devant lequel tout le monde passe, cette
ville des papes, cette pure Rome chrétienne, sans Louve ni Romu-
lus, aux ruines amoncelées, aux deux tombeaux qui survivent
comme des revenants à tant de tombeaux, aux femmes vertes et
bleues, aux petitesfiUes toutes graves, posant comme des statues,
s'oubliant vivre au milieu d'une rue, dans la boue du ruisseau,
pour s'adonner, ça et là, par je ne sais quel instinct du passé, à
des rêveries inarticulées dont le coude du passant moderne vient
à peine les distraire. Ici ma plume se cabre Je reste sur Avi-
gnon. Revenez-y vous-même.
Du fond du cœur à jamais,
Victor Pavie.
Collection Davidd'Angers. — L'Arc de triomphe de Marseille est en partie
décoré par David. (Musées d'Angers, pp. '104-10o.) Victor Pavie s'est laissé
surprendre par une tradition ancienne lorsque, dans la cathédrale d'Aix,
il a vu le triptyque communément désigné sous le titre le Buisson carient.
Cette peinture n'est pas signée. On l'attribuait au roi René. C'était une
faute. René d'Anjou l'avait seulement commandée pour sa chapelle des
Carmes au peintre Nicolas Froment d'Avignon. Cette peinture fut exécutée
de 1475 à 1479. Nous décrivons ce triptyque dans notre ouvrage sur les
Portraits nationaux exposés à Paris en 1878 (pp. 4-5).
LXIX
Alfred de Musset à David.
Le médaillon de Musset. — Un souvenir d'Hoffmann.
...18M(?)
Mon cher David, je suis allé chez Micheli pour avoir de vos
médailles; il demande une autorisation de vous pour cela; soyez
63 DAVID D'ANGERS
assez bon pour m'envoyer deux mots de votre main pour
Micheli et pour votre petit Cardillac des Enfants rouges; vous
obligerez votre dévoué de cœur,
Alf . DE Mdsset.
Collection David d' Angers. — Que signifie le surnom de « Cardillac »
appliqué à Musset? Nous supposons que le souvenir de René Cardillac,
rhabile orfèvre mis en scène par Hoffmann dans son conte fantastique
Mademoiselle de Scudéri, n'est pas étrangère l'allusion du poète. Mais ce
D'est là qu'une hypothèse, une piste, non une solution.
LXX
Armand Carrel à David.
Sur la médaille du publiciste. — Le teint bronzé de Carrel.
... 1832 ?
Comment vous remercier, mon cher David, d'une ciiose si
belle? On est chez moi d'une joie et d'une reconnaissance que je
veux qu'on puisse vous témoigner bientôt; vous m'entendez et
j'espère que vous ne me refuserez pas.
Le bronze est magnifique et le plâtre n'en pouvait pas donner
l'idée. Il me faut une occasion si intéressante pour moi pour que
j'aie pu apprécier la supériorité des effets produits parle bronze.
C'est aussi un peu la couleur de mon teint, et c'est peut-être une
des raisons pour lesquelles on me reconnaîtra si bien dans votre
bronze. Grand merci de l'immortalité que je vais vous devoir.
Je vous prie de faire agréer à Madame David mes hommages
les plus respectueux et de croire à ma vive reconnaissance,
A. Carrel.
Collection David d'Angers. — Le profil de Carrel, d'une rare énergie, fut
modelé en 1832. [Musées d'Angers, p. 14:i.)
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 6»
1833
LXXI
David à Victor Pavie.
Le Salon. — Lucrèce Borgia. — L'appartement de Victor Hugo à la place
Royale. — Auguste Barbier. — Madame Yalmore. — Les statues de
Corneille, de Jeû'orson et de Philopœmen.
Paris, 20 janvier 1833.
Mon cher Victor,
Voilà encore le Salon ajourné; c'est ce qui sera cause sans
doute du retard que tu mettras à venir nous voir à Paris, et
c'est pour cela que je t'écris ces lignes, parce qu'il y a bien long-
temps, trop longtemps que je n'ai reçu de tes nouvelles. Je ne
vois aucun Angevin. Ceux que je pourrais voir sont des juste-mi-
lieu furieux, et je suis à l'égard d'Angers comme si j'en étais à
six cents lieues. A propos d'éloigncment, Théodore a-t-il écrit ?
Gomme il y a longtemps qu'il est parti, je pense bien souvent à
lui, et tu me feras grand plaisir de me donner de ses nouvelles
quand tu en auras reçu.
Hugo va donner une nouvelle pièce, dans une huitaine de jours.
Le sujet est Lucrèce Borgia; il l'a faite en quinze jours. Voilà
ce que j'ai entendu dire. Il aurait amplifié l'histoire, qui est déjà
assez scandaleuse et abominable. Il fait Lucrèce devenir amou-
reuse du fils qu'elle a eu de Borgia. On craint bien que toutes
ces horreurs ne révoltent. Gela m'a fait bien du mal à entendre.
Comment ce génie colossal n'a-t-il pas le sens de ce que l'art
doit repousser ? Gela n'est pourtant pas très difficile. On peut
interroger les masses. Elles ont un tact exquis.
J'ai été faire visite à Hugo, place Royale. Les appartements
sont d'une grandeur et d'une beauté très remarquables; puis,
toutes les maisons qui entourent cette place ont appartenu à des
personnages historique^. Mais ils avaient de vastes cheminées
dans lesquelles on mettait des arbres! Actuellement on a de
petites cheminées, et ces vastes pièces sont des magasins à bons
rhumes de cerveau.
70 DAVID D'ANGERS
Je viens de faire la connaissance de Barbier. Tu ne l'aimes
pas? Je trouve cependant que cet homme a un génie puissant.
Il m'a remué fortement, mais tu sais que j'aime aussi ce qui est
noble et beau. Peut-être que ses opinions politiques ont réveillé
mes passions. Gela pourrait bien être. C'est ce qui prouve qu'il
est bien difficile déjuger ses contemporains. Il va faire paraître
demain un poème ; je l'attends avec impatience.
J'oubliais de te dire que j'ai eu le bonheur de voir M"^ Val-
more. Rien n'est comparable à cette femme. Son âme sublime
est bien visible sur ses traits. Ses traits sont laids, et elle est ad-
mirable. Je rougis quand je regarde la médaille que j'en ai faite.
Elle dit ses vers d'une manière aussi mélodieuse que Lamartine.
Tu verras bientôt, dans son nouveau volume, des vers à Paga-
nini. Emilie et moi pleurions comme des enfants. Quel monu-
ment elle vient d'élever à cet homme !
Après demain, on va mouler ma statue de Corneille et celle de
Jefferson. Actuellement, je vais commencer Philopœmen et tout
ce que tu connais.
Je crois que nous pourrons coucher dans notre nouvelle mai-
son vers le commencement du mois prochain. Mille tendres ami-
tiés à ton père.
Ton dévoué ami de cœur,
DAvm.
Collection Pavie. — Quelques fragments de cette lettre ont été publiés
dans Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires. Le Salon de 1833
s'ouvrit le 1""' mars; le précédent, celui de 1831, s'était ouvert le l''"' mai.
David, en parlant d'un ajournement, se fait donc l'écho d'une nouvelle bien-
tôt démentie. Le drame de Victor Hugo Lucrèce Borgia fut l'eprésenté en
janvier 1833 et publié le mois suivant. La préface de l'auteur porte la date
du 12 février. Le poème qu'Auguste Barbier fit succéder aux lamhes et
qu'il publia en 1833 est llPianto. Les principaux sujets traités par le poète
lui avaient été inspirés au cours d'un voyage en Italie. Marceline Des-
bordes, mariée en 1817 à l'acteur Valmore, a publié en 1833, outre deux
romans en prose, son recueil de vers les Pleurs. Le médaillon de M"^ Val-
more, modelé par David, date de 1832. {Musées d'Angers, p. 143.) L'ar-
tiste a déjà parlé des statues de Corneille et de Jefferson dans sa lettre du
23 juin 1832. Le Philopœmen, aujourd'hui au Louvre, ne fut achevé
qu'en 1837. L'esquisse porte la date de 1836. Il n'est donc pas certain
que David se soit occupé, dès 1833, comme il en avait le projet, de la statue
de Philopœmen. [Musées d'Angers, pp. 106, 342, 351.)
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 71
LXXII
Rauch à David.
La statue du jeune Demidoff par Rauch. — Les estampes du monument
du général Foy. —Projet de David de se rendre à Berlin. — Le monu-
ment de Blûcher. — Le sculpteur Alvarez.
Berlin, 25 février 1833.
Monsieur et cher collègue,
Avec le plus grand plaisir, j'ai reçu votre très aimable lettre
du 26 octobre. Je vous en suis très obligé, et vous remercie éga-
lement des renseignements que vous avez eu l'extrême bonté de
me donner sur le petit marbre envoyé d'ici à M^^Baudin. Je vous
ai encore beaucoup de gratitude de trouver ce marbre accep-
table pour l'exposition prochaine.
Quelques heures avant l'arrivée de votre chère lettre, j'avais
l'agréable surprise de me voir apporter l'album contenant les
gravures de votre beau monument du général Foy, dont vous
avez su fixer la mémoire avec un talent unique qui vous est bien
propre, et qui aurait suffi à éterniser la mémoire du grand
homme de la manière la plus digne, si l'histoire ne s'était char-
gée de ce soin.
Ce qui me plaît surtout, c'est que vous avez caractérisé l'épo-
que à laquelle a vécu le général par l'individualité de ses amis,
toujours représentés près de lui jusqu'à la tombe, tandis que la
statue du héros lui-même est traitée suivant le mode iconique.
Ce travail sera vivement apprécié de la postérité, pour laquelle
votre génie fertile ne manquera pas de produire encore dans une
mesure très glorieuse.
Nos artistes, ainsi que moi, ont vivement regretté que vous
ayez été empêché d'envoyer quelques-uns de vos ouvrages à
notre exposition de Berlin. Mais nous nous ilattons de les voir
exposés au mois de septembre 1834. Et d'après l'intéressante
promesse contenue dans votre lettre, nous espérons avoir l'avan-
tage de vous posséder ici, lorsque vous entreprendrez le voyage,
projeté par vous, de Munich, Vienne, Dresde et Berlin.
Vous m'excuserez, Monsieur, si la présente réponse ne vous
est pas parvenue plus tôt, mais j'espérais y joindre quelques
72 DAVID D'ANGERS
épreuves des gravures faites d'après les bas-reliefs du monument
du maréchal prince Blùcher à Berlin. Ces estampes devaient vous
être portées par un de nos artistes, mais qui tardera encore de
quelques semaines. Je prends donc le parti d'expédier ma lettre
d'avance.
M. le baron de Humboldt m'a chargé de vous présenter
ses saluts les plus respectueux, ainsi qu'à M. le baron Gérard. En
même temps, vous m'obligerez beaucoup de renouveler en mon
nom l'expression de mes sentiments les plus distingués à M. le
baron Gérard, à MM. Ingres et Gortot, auxquels, ainsi qu'à
vous, je dois sûrement l'honneur de ma nomination d'associé de
l'Académie royale, à la place de notre digne ami, feu M. Alvarez,
de Madrid. Ma lettre exprimant les sentiments de la plus recon-
naissante gratitude a été adressée à M. le président Quatremère
de Quincy par la légation.
A Madame votre épouse je vous prie de faire mes compliments
les plus empressés. Quant à vous, recevez l'assurance de la plus
haute considération et amitié avec lesquelles je me recommande
à votre souvenir.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très
dévoué serviteur,
Rauch,
Collection David d'Angers. — Le marbre expédié par Rauch à M"^ Bau-
diii à Paris est signalé dans la lettre du sculpteur allemand publiée
plus haut sous la date du 29 juillet 1832. On verra par la lettre qui va
suivre pourquoi l'œuvre de Rauch ne fut point exposée au Salon de l\iris-
en 1833. Rauch a successivement exécuté le momunent de Bliicher à
Breslau et la statue de ce général pour Berlin. Le sculpteur José Alvarez,
auquel succéda Rauch comme associé étranger de l'Institut de France,
était né en 1768 à Priego, prés Gordoue. Il est mort à Rome le 10 décembre
1827, après avoir été employé par Napoléon I" à la décoration du palais-
de Monte Gavallo.
LXXIII
David à Rauch.
Bouterweck. — Le monument de Blûcher. — Gœthe. — M""= Baudin. —
Le Salon.
Paris, 14 avril 1833.
Mon cher collègue,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance les gravures de vos
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 73
ouvrages qui m'ont été remises par M. Bouterweck. J'avais eu
l'avantage de voir les modèles chez M. de Gœthe à Weimar.
J'avais été frappé du beau style, de l'originalité et de la naïve
expression de la nature si bien sentie.
Personne n'admire plus que moi votre grand et noble talent;
c'est bien aimable à vous de m'avoir mis à môme de posséder
un souvenir de vos ouvrages.
A l'époque de l'ouverture du Salon, je me suis présenté
chez Madame Baudin pour faire exposer votre statue, mais
M™® Baudin était absente de Paris, et nous avons un règle-
ment extrêmement sévère qui ne permet pas de recevoir les ou-
vrages qui ne seraient pas apportés avant le jour de l'ouverture.
C'est cette raison aussi qui est cause que je n'ai pas pu envoyer
mes ouvrages cette année au Louvre. Votre statue est admira-
blement bien placée chez M""^ Baudin dans un salon unique-
ment consacré à cet ouvrage. J'ai été étonné de ne pas voir
votre nom gravé sur la plinthe. Je vais réparer cet oubli. Votre
nom doit tenir une place trop honorable dans la mémoire des
hommes pour qu'il ne soit pas inscrit sur tous vos ouvrages.
Recevez l'assurance de l'entier dévouement de votre collègue
et admirateur,
DAvm.
Rue d'Assas, 14.
P. S. — J'ai fait vos compliments aux personnes que vous
m'aviez désignées. Elles m'ont chargé de vous remercier et de
les rappeler à votre souvenir.
Veuillez présenter mes respectueux hommages à M. de
Humboldt.
Collection Eggers, à Berlin. — Bouterweck, porteur des estampes de
Rauch, estpeut-être un fils de Frédéric Bouterweck, le philosophe allemand
qui a signé l'ouvrage Idées d'une Estliétujue du Beau ? La phrase dans
laquelle David exprime le regret de n'avoir pu exposer au Salon de 1833
n'est pas rigoureusement exacte. Un ouvrage de lui, un seul, il est vrai, a
paru au Louvre cette année-là. C'est le buste en marbre de Boulay de la
Meurthe.
74 DAVID D'ANGERS
LXXIV
David à Pavie père.
Une tombe. — Un berceau.
Paris, 31 mai 1833.
Cher bon ami,
Nous venons d'être bien péniblement surpris par l'épouvan-
table nouvelle que tu viens de nous donner. Je crois que per-
sonne au monde ne peut sentir davantage la pénible situation
dans laquelle ce malheur a dû vous plonger, toi et notre cher
Victor ; et quand Théodore l'apprendra ! Pauvre jeune homme,
il n'était pas là pour recevoir la bénédiction de sa grand'mère !
C'est un noble lien qui vient de se rompre, pour toi, avec le
passé, mais il te reste dans tes deux fils des attaches puissantes
qui te lient avec l'avenir. Pour nous, nos cœurs et nos pensées
sont toujours avec toi. Je viens de voir Hugo; il prend une vive
part à ton malheur.
Emilie vient d'accoucher heureusement. L'enfant est un peu
souffrant ; quand on a déjà éprouvé un malheur on est si
craintif !
Dis à notre cher Victor que j'ai reçu avec bien du plaisir sa
bonne lettre et que sous peu je lui répondrai.
Adieu, tout à toi de cœur,
David.
Collection Pavie. — Le deuil auquel fait allusion le statuaire est la mort
de la mère de Louis Pavie. L'enfant nouveau-né au foyer de l'artiste est
M. Robert David.
LXXV
Droz à David.
La médaille du philosophe.
Possy, près Paris, 26 juillet 1833.
Mon cher confrère,
Je ne puis vous dire combien je suis touché du témoignage
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 75
d'amitié que vous venez de me donner. Vous savez combien je
fais cas de votre talent et de votre caractère; ainsi vous savez
pourquoi je tiens beaucoup à avoir une part dans votre estime
et dans votre affection.
Le portrait est arrivé hier à Passy ; ma femme en a été en-
chantée; elle veut aller aujourd'hui même vous remercier, et
c'est elle qui se charge de ma lettre, en attendant que j'aie le
plaisir de vous embrasser.
Maintenant que vous m'avez comblé de vos dons, je vous
serais très obligé de dire au mouleur de couler pour moi six por-
traits en bronze et dix en plâtre. Puis, je vous serais obligé de
lui dire aussi de les faire porter chez mon gendre, M. Michelot,
rue de La Chaise, n° 24.
Présentez, je vous prie, mes respects à votre digne femme, à
la digne fille d'un des meilleurs hommes que j'aie connus.
Encore une fois, je vous remercie do cœur.
Croyez à ma profonde estime et à mon inviolable attachement,
Jos, Droz.
Collection David d'Angers. — François-Xavier-Joseph Droz, le philosophe
aimable et paisible dont la vie s'écoula « douce comme le ruisseau », était
entré à l'Académie française en 1824 et à l'Académie des sciences morales
en 1832. L'Institut récompensait par cette double élection l'auteur de l'Art
d'être heureux. David voulut rendre hommage au penseur qui a signé les
Etudes sur le Beau dans les Arts, et il modela le profil de Droz en 1833.
{Musées d'Anrjers, p. 149.)
LXXVl
Victor Hugo à David.
Pluie de médailles. — Thiers, ministre du Commerce. — Les statues du
pont des Saints-Pères.
Paris, 3 août 1833.
.Parrive de la campagne, mon cher David, et je trouve tous
les trésors de bronze que vous m'avez envoyés. C'est bien vous.
Toujours grand artiste et toujours bon ami!
J'ai fait dans V Europe littéraire, il y a une vingtaine de jours,
un petit article sur votre affaire avec Thiers. .l'avais recommandé
qu'on vous le fît tenir. L'a-t-on fait ?
Je vous serre la main. Victor Hugo.
76 DAVID D'ANGERS
Collection David d'Angers. — Le statuaire avait coutume d'offrir réguliè-
rement au poète un exemplaire des médaillons qu'il venait de modeler.
L'article auquel Victor Hugo fait allusion se trouve dans Y Europe littéraire
du 17 juillet 1833. Il a trait à la commande des quatre statues destinées à la
décoration du pont des Saints-Pères ou du Carrousel, alors en construction
sous la direction de l'architecte Polonceau. Quatre artistes, parmi lesquels
David et Pradier, avaient été chargés d'exécuter les statues du nouveau
pont, lorsque, par caprice et de sa seule autorité, Thiers, ministre du Com-
merce depuis le 31 décembre 1832, annula les commandes faites et chargea
Petitot de l'ensemble du travail. L'article de Victor Hugo ne manque ni
de logique, ni d'ironie mordante. Une entrevue orageuse avait eu lieu,
semble-t-il, entre Pradier, David et le ministre aisément irritable.
LXXVII
David à Pavie père.
Cahiers d'anatomie. — Robert David enfant. — Retsch.
Paris, 23 décembre 1833.
Mon cher ami,
Quand l'occasion se présentera, fais-moi le plaisir de faire voir
les cahiers d'anatomie que j'ai laissés chez toi, à Bigot et à
Mirault, en leur rappelant la promesse qu'ils m'ont faite déplacer
un exemplaire de cet ouvrage à l'École de médecine. J'ai aussi la
promesse de Négrier à cet égard. D'après l'espérance qui m'en a
été donnée par ces Messieurs, j'ai annoncé cette nouvelle aux
auteurs. Leur publication est du plus haut intérêt pour la science :
on aura donc fait une bonne acquisition pour l'École.
Emilie et moi nous vous souhaitons à tous les deux mille
choses heureuses pour la nouvelle année. Robert, qui s'était mis
à danser depuis à peu près deux mois, chante actuellement; il
n'est pas trop difficile sur le choix des airs, mais sa musique
nous fait presque autant de plaisir que celle de Rossini, et puis
nous attendons une dent vers le premier de l'an ! ! !
Tout à toi de cœur,
DAvm.
P. S. — Dis à Victor que j'ai vu les compositions de Retsch,
d'après les œuvres de Schiller ; c'est bien beau.
Collection Pavie. — Les docteurs Bigot, Mirault et Négrier ont exercé la
médecine, avec éclat, à Angers. Les estampes de Retsch, d'après les poè-
mes de Schiller, sont au nombre d'une centaine.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 77
1834
LXXVIII
NiemceAvicz à David.
Profil de vieillard. — Gros. — Casimir Delavigne. — Eugène Scribe.
Paris, 30 janyier 1834.
Monsieur,
J'étais bien souffrant hier lorsqu'on m'a apporté votre aimable
lettre et le beau présent qui l'accompagnait. Ce matin, quoique
faible encore, je me lève et m'empresse de vous en témoigner,
Monsieur, mes remerciemens les plus sincères. Vous, Monsieur,
et M. Gros, vous avez ramassé ma vieille figure avant qu'elle
tombe en poussière. C'est donc les deux noms illustres de David
et de Gros qui feront que le mien ne périra pas entièrement.
Aussitôt que je me sentirai en état de sortir, je me rendrai en
personne dans votre atelier, pour voir encore une fois vos chefs-
d'œuvre et vous réitérer tous mes remerciements.
Veuillez agréer les assurances de ma considération la plus dis-
tinguée. Présentez mes compliments à Madame David. J'em-
brasse aussi le joli petit bonhomme.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obligé
serviteur,
Julien-Ursin Niemcewigz.
P. S. — Je vous remercie infiniment de vous occuper de me
procurer la connaissance de M. Casimir Delavigne. Comment
faire pour connaître M. Scribe?
Collection David d'Angers. — La médaille de Niemcevvicz fut exécutée en
1833. (Musées d'Angers, p. laO.) Le poète polonais avait alors soixante-seize
uns, et David a modelé son profil ravagé avec une fidélité qui n'est pas
exempte de charme. Niemcewiez s'était fixé à Paris en 1832. Gros avait aus-
sitôt recherché la société du poète des Chants historiques, de l'auteur plein
de fiaesse des Lettres lithuaniennes, el s'était empressé de peindre son por-
trait. L'arrivée récente de Niemcewiez à Paris explique le post-scriptum de
sa lettre. Il désire conuaitre certains hommes en renom dans les lettres,
notamment Delavigne et Scribe, mais il ne sait comment parvenir jusqu'à
eux.
DAVID D'ANGERS
LXXIX
David à Victor Pavie.
Marteau ou enclume. — Concours poétique à l'occasion de l'inauguration
du Corneille. — L'Étude sur Mirabeau, par Victor Hugo. — Michelet. —
Walter Scott. — Le Fronton de l'église de la Madeleine.
Paris, 18 février 1834.
Mon cher Yictor,
J'ai lu avec peine dans ta dernière lettre que tu éprouvais de
vifs cliagrins. Ton âme aimante et sensible doit souvent trouver
du mécompte dans la vie. Quand on est loyal, on joue cartes sur
table avec des gens qui jouent jeu serré. J'ai entendu des bonnes
gens dire que, dans ce monde, si on n'était pas marteau il fallait
être enclume ; cela est inévitable ; il est bon que l'expérience
serve au moins à s'épargner à soi-même d'être trop souvent en-
clume. Cependant, celte expérience de la vie ne change pas le
cœur de l'homme naturellement bon^ mais elle prépare à des
jours de profonde mélancolie... Toi, ami, qui as encore un
pied dans le berceau, que sera-ce quand les hommes vont presser
ta vie comme un citron dont ils piétineront l'enveloppe, après
s'être assurés qu'on n'en peut plus rien tirer ? Je crois qu'il ne faut
pas trop accentuer ces tristes idées. 11 y a encore de bonnes et
tendres âmes. Quand on a le bonheur de les rencontrer, on a le
paradis sur la terre.
Je t'envoie le programme d'un concours ouvert à Rouen pour
l'inauguration de la statue de Corneille. Si tu gagnais le prix ! Le
poète et le sculpteur angevins ! Qu'en dis-tu ?
Je viens de lire l'Éloge de Mirabeau. Ceux qui ont écrit sur cet
homme ont toujours été embarrassés pour aborder l'époque où
il semble abandonner la sainte cause du peuple. Ils n'ont pas
compris qu'il avait à se venger de la royauté, ce qui explique sa
fureur contre elle. Mais aussi il était marquis, et surtout cor-
rompu, n'ayant aucune conviction ; cela explique le temps d'arrêt
qui marque la fin de sa carrière.
L'ouvrage d'Hugo est peut-être trop brillant; les détails poé-
tiques l'emportent trop sur les masses, qui seules sont faites pour
impressionner fortement. Ce sont elles qui restent dans l'imagi-
nation. Les détails ne sont saisis que par les petits esprits et les
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 79
enfants, qui ne peuvent pas être à la hauteur des grandes pen-
sées. 11 me semble qu'un ouvrage de littérature doit ressembler
à un monument qui tire sa beauté du grandiose des lignes, ou à
une femme dont la beauté n'a pas besoin du secours des bijoux.
C'est le défaut des modernes; même le digue et admirable Miche-
let n'en est pas exempt. La musique de Rossini accentue, pour
moi, ce défaut. Les modernes ont Tair de ces charlatans qui font
beaucoup de bruit afin d'attirer l'attention de la foule. N'est-ce
pas que quand nous avons vu Walter Scott, seul, il nous a paru
bien plus grand que si nous l'avions trouvé entouré d'emblèmes
mis auprès de lui pour expliquer son génie ? Encore une fois, il
faut être avare de détails. Cependant, quand ils sont placés à
propos, ils peuvent donner de la force à l'idée principale. Les
détails n'indiquent jamais que la vie physique. Les masses
expriment la vie morale.
On vient de découvrir le Fronton de la Madeleine. Le sculpteur
est un habile ouvrier, mais il ne se doute nullement du moral
de son art. S'il avait voulu consulter la nature, il aurait vu que
les moines et les religieuses portent des vêtements extrêmement
amples, et d'étoffe très épaisse, afin d'éloigner toute idée de sen-
sualité, tandis que ce sentiment domine dans la mythologie
grecque. Les artistes gothiques ont seuls compris le caractère
qui convient à notre religion : il faut dire qu'ils étaient croyants !
La Madeleine a la tête levée vers le Christ, elle a l'air de causer
avec lui. Quelle différence si elle avait eu la tête penchée vers la
terre, comme se jugeant indigne de regarder Dieu ! Tant d'humi-
lité aurait intéressé à elle, au lieu que, dans le bas-relief, elle
cherche à plaider sa cause comme une actrice. Ma foi, je ne me
sens aucun intérêt pour elle. Ce sculpteur a une tête et un cœur
de bois.
J'espère que tu vas venir voir le Salon de cette année. Tu ne
peux faire autrement.
Adieu, cher ami, tout à toi de cœur,
DAvm.
Collection Pavie. — L'inauguration de la statue do Corneille à Rouen eut
lieu le 19 octobre 1834, mais on se préoccupa de longue date de rehausser
l'éclat de cette solennité. VElude sur Mirabeau, par Victor Hugo, parut
au début de l'année 1834. Ce travail a pris place dans Litlérature et philo-
sophie mêlées . Michclct, à l'époque où David tient la plumo, avait publié
entre autres ouvrages, son P/'écis de l'histoire de France jusqu'à la Révolution
80 DAVID D'ANGERS
française (1833). Le Fronton de l'église de la Madeleine, jugé avec
beaucoup de justesse par David, est l'œuvre de Philippe-Joseph-Henri
Lemaire, qui entra à l'Académie des beaux-arts en 1845,
LXXX
David à Pavie père.
Inauguration du buste de Billard. — Thiers et le Fronton du Panthéon.
, ..mai 1834 (?).
Mon cher ami^
Je viens de lire l'article sur Billard dans ton journal; je suis
reconnaissant des lignes aimables qui me sont adressées. J'ai aussi
reçu la petite brochure dans laquelle sont insérés les discours
qui ont été prononcés le jour de l'inauguration du buste; je suis
bien reconnaissant à mes compatriotes du souvenir bienveillant
qu'ils me conservent.
M. Thiers est on ne peut plus aimable avec moi; il veut que je
continue le Fronton du Panthéon. Il est enchanté de la composi-
tion. Quelque temps après ton départ, j'avais reçu une lettre de
son secrétaire dans laquelle il me faisait donner l'assurance qu'il
n'avait aucune rancune contre moi!!!
Adieu, cher ami, reçois l'assurance de notre constante amitié,
David.
Notre petit Robert jouit d'une santé vraiment admirable; tu
juges de notre bonheur!
Collection Pavie. — Le buste du docteur angevin Charles-Michel Billard,
mort à Paris à l'âge de trente-deux ans, a été inauguré le 14 juin 1833.
Thiers, rentré au ministère de l'Intérieur le 4 avril 1834, invita David à
l'une de ses premières réceptions. L'artiste ayant décliné l'invitation,
Thiers ne crut pas inutile d'assurer David qu'il ne se sentait pas blessé
par cette abstention volontaire. En approuvant la composition duFronton
du Panthéon, Thiers se distingue de l'un de ses successeurs à l'Intérieur,
qui aura de vifs démêlés avec David au sujet de cet important travail.
I ET SES RELATIONS LITTERAIRES 81
[LXXXI
David à Lamartine.
Exposition de la Jeune Grecque au tombeau de Marco Botzaris.
Lundi matin, 14 août '1834.
Monsieur,
La statue que je donne à la Grèce, et qui doit être placée sur le
tombeau de Marco Botzaris, est exposée au musée Golbert, rue
Vivienne, n° 2; je serais heureux qu'il vous fût possible de dis-
poser de quelques instants pour aller la A^oir; elle ne sera visible
que peu de jours.
J'ai l'honneur d'être, avec respect, votre très humble servi-
teur,
David.
P. S. — L'extrême embarras dans lequel je me trouve, pour
terminer un ouvrage avant mon départ pour l'Allemagne, est la
raison qui m'a empêché d'avoir l'honneur de vous voir; mais je
ne partirai pas sans aller vous faire mes adieux et prendre vos
commissions.
Collection Lamartine. — La Jeune Grecque datait de 1827. Le marbre
avait paru au SaJon de cette même année. L'exposition de 1834 dans la
galerie Vivienne fut très courte. {Micsées d'Angers, p. 101.) Il est longue-
ment parlé de cet ouvrage, l'un Ces plus attachants que le maîti'e ait laissés,
dans David d'Angers^ etc. (t. I, pp. 171-179, 478-483, 594).
LXXXII
David à Pavie père.
Départ du statuaire pour rAlIeniagnc. — David fa-t son teslament.
Paris, 4 septembre 1834.
Mon cher ami,
Nous partons à l'instant pour notre voyage d'Allemagne.
Nous allons voir probablement bien des choses intéressantes,
mais nos pensées seront souvent à Angers. Nous n'oublierons
G
82 DAVID D'ANGERS
pas que nous y avons trois amis, qui nous conservent une place
dans leur cœur.
Nous avons écrit nos dispositions à l'égard de notre pauvre
petit Robert; si un accident nous retirait de la vie tous les deux,
nous t'aimons tant que nous pensons bien que tu ne refuserais
pas d'être utile à notre enfant.
Adieu, mille tendres amitiés de notre part,
A toi de cœur,
David.
Collectio7i Pavie. — Un second billet du statuaire, daté du même jour e*^
adressé à Louis Pavie, renferme ce post-sci'iptum ;
Nous avons déposé, dans notre secrétaire, notre testament.
C'est une consolation pour nous de penser que notre pauvre petit
Robert trouverait en toi un soutien dans la vie.
LXXXÏII
David à Pavie père.
L'Allemagne vue par un ai'tiste en 1834. — Le peintre Carl-VVillielm Wach.
— Raucii. — Adalbert de Cliamisso. — Ludwig ïieck. — L'amour de la
patrie.
Dresden^ 30 octobre 1834.
Mon cher ami,
Un volume ne suffirait pas pour te donner une idée de toutes
les sensations heureuses que j'ai éprouvées jusqu'alors dans cet
imposant voyage d'Allemagne. Gomment parler de cette nature
si grande, si poétique; de ces hommes pleins de science, de
génie, si bons, si aimants ! Quand je pen-e à t'en donner une
idée, les sujets arrivent en foule à ma mémoire, et je ne sais par
oti commencer, et je n'ai que cette feuille de papier. Quand nous
avons fait le voyage d'Allemagne avec Victor, nous étions si
pleins de la grande figure que nous venions de voir, que tout
nous paraissait petit et insignifiant. En repassant par les lieux
que nous avions visités, j'ai éprouvé un sentiment de honte en
pensant que cette nature grandiose ne m'avait pas remué da-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 83
vantage à mon premier voyage. Tout porte à de sérieuses ré-
flexions dans ce pays, dont les habitants ont conservé quelque
chose de primitif dans leurs mœurs. Le peuple allemand n'a pas,
comme tant d'autres, ce ral'tinement de civilisation minaudière
qui est, je crois, le cachet de la décrépitude d'une nation; la
nature, en Allemagne, est grandiose, sévère, et la terre d'une
abondance extraordinaire. Depuis l'Alsace jusqu'à Magdebourg,
qui est à peu près à vingt lieues de Berlin, la terre rapporte tous
les ans deux récoltes; aussi elle porte un peuple heureux et la-
borieux. Derrière les immenses forêts d'arbres d'un vert sombre,
vous voyez de belles montagnes bleues dont les formes sont
énergique et dessinées à grands contours. Ce n'est pas comme en
Italie, où les montagnes élèvent leurs ossements arides jusqu'au
ciel, et où vous ne voyez aucune végétation. Dans la Germanie,
vous êtes sûr que sur ces montagnes, si belles pour le paysa-
giste, l'agriculture règne aussi. Des routes magnifiques sillonnent
l'Allemagne, et, ce qui peint la bonté de ce peuple, des berceaux
bien ombragés et des fontaines sont là de distance en distance,
pour le pauvre voyageur. Des postillons qui jouent presque tou-
jours leurs airs nationaux, et partout une politesse, une urba-
nité et une probité qui sont de tous les instants, parmi les gens
qui servent les voyageurs. Tout cela n'est point de l'engoue-
ment de ma part, c'est de la justice.
Nous avons passé un mois à Barlin; nous nous sommes juste-
ment trouvés à l'époque du Salon, ce qui était extrêmement
intéressant pour moi. Les peintres de paysage pourraient certai-
nement rivaliser avec les nôtres, mais les peintres d'histoire sont
d'une médiocrité désolante. Il y en a cependant un, M. Wach,
qui a un talent extrêmement remarquable ; il est élève de Gros.
La sculpture est très faible, à l'exposition, mais il y a à Berlin
un homme d'un très grand talent, c'est Rauch; j'ai fait son
buste.
J'ai vu beaucoup de littérateurs très distingués. J'ai fait la
connaissance de M. de Chamisso, émigré français, qui s'est fait
naturaliser Allemand; c'est l'auteur de Pierre Schlemihl, l'homme
quia perdu son ombre; il est aussi très grand poète.
J'ai fait plusieurs médailles, et enfin nous nous sommes arra-
chés des bras de tant d'amis que nous nous étions faits dans
cette ville, où il y a de si belles et de si grandes choses à v( ir.
U DAVID D'ANGERS
Cette ville, bâtie au milieu d'une mer de sable et dont les envi-
rons, cependant, finiront par se couvrir d'une végétation vigou-
reuse, a vraiment excité mon admiration. Il est curieux de voir
des arbres gigantesques sortir du sable. C'est le triomphe de
l'agriculture. Tous les ans elle conquiert et fertilise de nouvelles
plaines de sable.
Nous sommes à Dresde depuis le 24 ; j'ai vu le grand littéra-
teur Tieck ; j'ai déjà commencé son buste colossal. Tieck est la
grande figure de la littérature allemande. Il a une tête digne de
son génie. J'espère bientôt avoir terminé ce buste, et une petite
statue que je fais d'après lui. Après cela nous irons à Weimar, à
Stuttgard, à Nuremberg et à Munich, puis nous reviendrons en
France par la Belgique.
Nous faisons dans chaque ville de nouveaux mis, que nous
quittons avec le cœur bien serré, parce que nous pensons bien
que nous ne les reverrons plus. A Berlin, il y avait bien des
larmes qui roulaient dans les yeux, mais je rougis de le dire :
Plus je vis d'étrangers, plus j'aimai ma patrie!
Pourquoi mes pensées sont-elles souvent à Angers?
Ton dévoué ami de cœur,
David.
Nous avons souvent des nouvelles de Robert.
Collection Pavie. — Sur le peintre Wach, élève de Gros et aussi du baron
Gérard, on peut consulter Nagler (t. XXI, pp. 30-34). Ghamisso, natura-
liste, peintre, mais principalement coniiu par son curieux roman Pierre
Schlemihl, posa devant David, qui voulut ajouter à sa collection le profil
modelé du romancier. [Musées d'Angers, pp. 1S6, 354.)
LXXXIV
David à Rauch.
Gratitude du maître. — Le sculpteur Rietschell. — Le buste de Ludwig
lieck. — Fauteuil de modèle.
Dresde octobre 1834.
Mon bon et honorable ami,
Je ne puis laisser partir votre élève sans le prier de se charger
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 8n
de ce billet pour vous. Je ne puis vous dire combien je suis re-
connaissant des soins obligeants qu'il m'a prodigués depuis que
je suis ici. Je n'en perdrai jamais le souvenir et je serais bien
heureux si un jour il me mettait à même de lui montrer toute
ma gratitude. J'ai vu avec le plus vif intérêt ses ouvrages. J'ai vu
aussi des dessins de lui, pleins du sentiment vrai de la nature.
Je voudrais voir confier à ce digne jeune homme de grands
travaux , car il y a de puissantes énergies dans cette âme
d'artiste.
Gomme vous le pensiez, je n'ai pu résister au désir d'essayer le
buste du grand littérateur. Sa tête est si monumentale ! si pleine
d'expression qu'il m'a été impossible de ne pas chercher à fixer
mes souvenirs autrement que par la pensée ! Le buste est pres-
que achevé. Nous allons sous peu de jours quitter Dresde et nous
acheminer vers Paris, le cœur plein de beaux et nobles souvenirs
recueillis dans cette chère Allemagne.
J'avais oublié de vous donner le croquis du fauteuil qui me
sert pour asseoir mes modèles. Je m'empresse de réparer cet
oubli.
Présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à Madame
d'Alton, et croyez aux sentiments d'inaltérable amitié qu'a pour
vous votre tout dévoué de cœur,
DAvm.
Mille affectueux souvenirs de ma part à Monsieur Tieck.
Les lignes suivantes, en marge de la 1" page, sont écrites et signées de
iM°>° David :
.le profite du peu de papier qui reste pour prier M. Rauch de
vouloir bien assurer M'"^ d'Alton de mon affectueux souvenir et
de croire à tous mes sentiments de considération et d'estime pour
lui. Emilie DAvm.
Collection Eggers, à Berlin. — L'élève de Rauch, dont les bons offices ont
(■•té si utiles à David, est Ernest Rietschell, sculpteur de mérite. Le maître
français modela le médaillon de Rietschell pendant son séjour à Dresde.
{Musées d'Angers, p. 154.) Le buste colossal de Ludwig Tieck, l'auteur
des Contes populaires et des Voyages de Stei'ubald, (ul modelé à Dresde en
octobre 1834. Le marbre, exécuté à Paris l'année suivante, fut offert au
modèle. David modela en outre une statuette du littérateur, ainsi que son
niédaWlon. {Musées d'Angei's,\t. 151, et David d'A7îgers, etc., t. I, pp. 292-298 ;
t. II, p. 374.) A la lettre que nous donnons ici était joint un croquis à
la plume représentant le haut fauteuil, monté sur deux marches, qui ser-
rait au statuaire français pour poser commodément ses modèles.
8*î DAVID D'ANGERS
LXXXV
David à Victor Pavie.
La Walhalla, le Temple de l'honneur. — Le paj'sage. — Mission du
sculpteur à notre époque. — Projet d'un monument aux grands hommes.
— Ludwig Tieck. — Les peintres Friedrich et Retsch. — Carus. — Noto-
riété de Victor Hugo, Lamartine, Nodier, Balzac et Vitet en Allemagne.
Ratisbonne, le 6 décembre 1834.
Mon cher Victor,
Ce matin j'ai été voir la Walhalla, qui est à deux lieues de Ra-
tisbonne. J'étais seul, car Emilie a été assez gravement indisposée
cette nuit. Pour arriver au pied de la montagne sur laquelle est
le monument, il faut traverser une immense plaine ensemencée
de blé, et dans laquelle on ne voit pas un seul arbre. Il faisait
un brouillard extrêmement épais. Le ciel semblait se confondre
avec la terre. Seules, quelques lignes brunâtres faisaient pressen-
tir par intervalles la terre. Les hommes, pareils à des ombres gi-
gantesques (car le brouillard allonge les objets parce qu'il empêche
de percevoir des points de comparaison), erraient dans ce vague.
Une croix, quelques ombres à genoux : c'étaient des paysans
chargés de fardeaux qui se rendaient au m^arché de Ratisbonne.
Enfin, j'ai traversé un village composé de masures, et dont l'uni-
que rue n'a sans doute pas été repavée depuis Gharlemagne. En
sortant de ce village, on commence à gravir la montagne. A une
assez grande hauteur, on trouve une église et des stations de dis-
tance en distance sur lesquelles sont des peintures qui représen-
tent la vie de Jésus-Christ. On continue à gravir par des sentiers
très étroits et extrêmement rapides, et à travers une forêt de
chênes dont les feuilles desséchées contrastent avec la verdure
de quelques grands sapins qui sont là comme un symbole de
l'espérance.
Différents sentiers vont en descendant vers la plaine, c'est
pour ceux qui n'ont pas le courage de persévérer. Enfin, on ar-
rive sur le sommet. La première chose qui frappe la vue, c'est le
monument enveloppé depuis la base jusqu'à la toiture d'une en-
ceinte de planches de sapins très bien jointes. Ceci est pour em-
pêcher la gelée de causer du dégât. Cette enceinte est le cercueil
du temple en construction; il en sortira un jour brillant comme
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES S7
l'àme sort du tombeau. Le temple est actuellement construit jus-
qu'à la corniche, et les colonnes qui l'entourent sont déjà sorties
du sol à plus de huit pieds. Tout le monument sera en marbre
blanc tiré des carrières de Salzbourg. L'intérieur sera revêtu de
marbre rouge, extrait aussi des carrières de la Bavière.Les bustes
en marbre se détacheront parfaitement bien sur un pareil fond.
Il y aura six statues de la Victoire qui orneront l'intérieur. Un
immense escalier entre les rochers descendra du monument au
Danube, qui coule au pied de la montagne. On m'a dit que de
cette montagne on avait une vue admirable. Pour moi, j'avoue
que ce brouillard qui cachait la terre me paraissait plus poétique
qu'un ciel pur et sans nuage. C'est bien là ce qui caractérise le
Panthéon du Nord, le Paradis invisible à la terre. L'idée d'avoir
élevé ce monument à la gloire est grande et morale; elle rendra
les hommes meilleurs. Quelle noble mission les artistes ont à
remplir, en consacrant les grandes actions qui honorent l'huma-
nité ! C'est l'art bien compris qui ramènera l'esprit humain à
la morale pure comme elle a été enseignée par le Christ.
Les artistes, en donnant une forme à la vertu, la rendront plus
visible et plus compréhensible aux masses sur cette montagne.
Devant un admirable monument, involontairement ma pensée se
porte vers notre cher Anjou. Dans un de ces moments de délire
d'imagination, je voyais s'élever sur les rochers de la Pointe,
près la Pierre-Bécherelle, un monument simple, mais d'un style
noble comme sa destination, et les bustes des hommes remar-
quables de l'Anjou et de tous les pays venir y prendre place.
Quelle gloire pour notre pays, et même, puisque notre siècle est
si positif, quelle source de prospérité; car les monuments attirent
les voyageurs! Je serais bien heureux si un pareil projet s'exécu-
tait! J'y contribuerais bien de tous mes moyens.
J'ai tant vu, tant admiré dans ce voyage qui doit laisser des
traces profondes dans ma mémoire, qu'il m'est bien difficile de
savoir par oii commencer à l'écrire de tout cela. Berlin, Dresde,
Nuremberg, Weimar! J'ai des volumes de sensations pour chaque
ville. Nuremberg, c'est quelque chose d'étourdissant. Là au moins
on est consolé, on oublie les infernaux démolisseurs.
Dresde est aussi la ville la plus poétique que je connaisse. Et
ses grands hommes, Tieck! et Friedrich! le seul peintre de
paysage qui ait eu jusqu'alors le pouvoir de remuer toutes les
83 DAVID D'ANGERS
facultés de mon âme, celui enfin qui a créé un nouveau genre : la
tragédie du paysage. Et Retsch, l'homme de génie, de grand
génie, aussi bon qu'il est grand! Et Garus, grand peintre, grand
médecin, grand naturaliste, faisant faire des progrès à la science
dans toutes les branches dont il s'occupe! Et ces hommes -là
vivent modestement à Dresde!
Demain matin, nous partons pour Munich où nous resterons
huit jours. De là à Stuttgard, et ensuite en France. J'espère que
nous y serons quelques jours avant le premier janvier.
Adieu, cher ami, embrasse ton père et Théodore pour moi et
crois toujours à mon éternelle amitié,
David.
Tous nos littérateurs sont ici connus, lus et la plupart admirés.
Hugo, Lamartine et Nodier, qui est la grande figure littéraire pour
l'Allemagne ! Balzac est adoré, mais ce qui t'étonnera sans doute
c'est que Vitet a une réputation colossale pour son ouvrage sur les
Barricades. On rend justice à notre jeune littérature, qui est, à
îa vérité, étincelante de talents. En Allemagne, il ne reste plus
que quelques hommes bien rares, qui sont là, comme dans une
forêt, où l'on a fait une grande coupe , on laisse de distance en
distance de grands arbres pour consoler de la perte des autres et
pour cacher la petitesse des rejetons! Il fautdire que la jeune lit-
térature en Allemagne est remarquablement faible.
Je ne sais si tu pourras lire ce croquis informe de lettre. Si tu
savais comme je suis poursuivi par le tems ! Adieu, à revoir, à
bientôt.
Collection Pavie. — La Walhalla ou Temple de l'honneur, construite sur
une colline de cent mètres d'élévation, a coûté plus de trente et un millions.
Les travaux, commencés en 1830, ne prirent fin qu'en 1842. Rauch,Schwan-
Ihaler, Wagner.Rietschell ont concouru à la décoration intérieure du temple
dont Klenze a été l'architecte. La Pierre-Bécherelle était, à l'époque où
écrit David, un bloc gigantesque émergeant au bord de la Loire, à l'embou-
chure de la Maine. Le tracé du chemin de fer d'Angers à Nantes a nécessité
le nivellement d'une partie notable de cette roche, et l'artiste n'estimerait
plus aujourd'hui qu'il fût possible de faire de cette élévation la base d'un
monument quelconque. Friedrich, le paysagiste, Retsch, le peintre
d'histoire et de portraits, reçurent de David leurs médailles modelées ad
vivwn et dnU'C^ de 1834. {\fusées d'Angers, p. 155.) Le maître fit plus
pour Carus, mudecin et peintre; il sculpta son buste de proportions colos-
sales et modela son médaillon. {Musées d'Angers, pp. lol-152.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 89
1835
LXXXVl
David à Victor Pavie.
Maladie du maître. — Edition projetée des Poésies de Du Bellay. — Le
cimetière d'Angers. — La Gerbe. — Modestie du statuaire. — Le mé-
daillon de Schelling.
Paris, 28 janvier 18^5.
Mon cher Victor,
Ces lignes sont les premières que j'écris depuis un mois que je
suis à lutter contre la maladie. Tout me fait espérer que je serai
hors de cet ennui dans quelques semaines, puisque je suis en
convalescence et que chaque jour le mieux se fait sentir.
J'ai reçu ta lettre dernière avec bien du plaisir. Je te félicite
bien du parti que tu as pris de rendre au monde notre vieux
poète angevin. Je suis persuadé qu'en fouillant encore plus pro-
fondément, tu trouveras quelques vieilles légendes dont tu
pourras tirer parti.
Tu me parles de l'intention que tu as de mettre le fragment
sur un cimetière d'Angers, dans la Gerbe ; je ne sais si c'est la
maladie qui me rend p'us timide, mais je t'avoue que je suis
elïrayé de cette résolution qui t'a été inspirée par ton extrême
amitié pour moi.
Ne sachant pas écrire, le style doit être nécessairement mauvais.
Je sais bien que ma prose est l'expression naïve, spontanée d'un
pauvre cœur cruellement déchiré, mais cela seul suffit-il à une
époque comme la nôtre où il y a tant de personnes qui font sou-
vent plus attention à la manière dont une idée est présentée qu'à
l'idée elle-même? Dans le fragment en question il y a des phrases
qui pourraient déplaire aux Angevins. En plus d'un endroit on
me reconnaîtrait trop et alors je ne serais pas ménage, et je
désire que les voyages que je ferai à Angers soient toujours aussi
agréables pour moi qu'ils l'ont été par le passé. Je livre toutes
ces réflexions à ton bon jugement. Après cela^ nous avons tou-
jours ton père dont le jugement est si sûr; nous pouvons en toute
sûreté nous en rapporter à ce qu'il décidera.
90 DAVID D'ANGERS
Adieu, mille tendres choses à ton père et à Théodore de ma part
et crois aux sentiments que t'a voués ton ami de cœur,
DAvm.
P. S. — J'ai été seul à Munich; j'y ai passé cinq jours. J'y ai
fait la médaille du célèbre Schelling.
Collection Pavîe. — Le « vieux poète angevin » dont parle ici David est
Joachim Du Bellay, dont Victor Pavie, un instant imprimeur, a publié les
« Œuvres choisies » précédées d'une notice par Sainte-Beuve (1841, gr.
in-8°). Un prospectus chaleureux signé de Victor Pavie valut à l'éditeur
l'adhésion de trente souscripteurs! David aimait à visiter les cimetières,
et au retour de ses excursions aux champs de repos il avait coutume de
noter ses impressions. Le fragment que Pavie se proposa de publier dans
la Gerbe a été en partie inséré par nous dans le Supplément littéraire du
Figaro, le 1" novembre 1884. C'est dans un cimetière, David l'a raconté lui-
même, qu'ayant aperçu « une petite fille à genoux sur un tombeau épelant
avec son doigt l'inscription qui y était gravée », il s'inspira de cette ren-
contre pour composer la Jeune Grecque au tombeau de Marco Botzaris.
(David d' Angeles, etc., t. I, p. 172 ;-t. II, pp. 344-345.) La Gerbe, recueil de
prose et de vers fondé par Victor Pavie, Adrien Maillard et plusieurs autres
écrivains de l'Anjou, n'a eu que trois années d'existence (1834-1836, 3 vol.
in-8"). Le médaillon de Schelling, modelé d'après nature, porte la date de
1834. {Musées d'Angers, p. 136.)
LXXXYII
Eugène Delacroix à David.
Camaraderie. — Une œuvre de Prud'hon. — Le médaillon de l'impératrice
Joséphine.
Paris, ce 10 mars 1835.
Mon cher ami,
Madame de Forget me dit que vous n'avez pas vu le superbe
portrait de Prud'hon de l'impératrice Joséphine qui se trouve dans
ce moment chez Madame de Querelles, sa cousine. Je crois que
vous devriez le voir avant de faire le vôtre : cela me paraît très
ressemblant quoiqu'idéalisé, et cela ne peut que vous servir beau-
coup. Elle se reproche vivement de n'avoir pas pensé jusqu'ici à
vous en parler et vous fait dire que vous pourrez le voir chez
Madame la comtesse de Querelles, rue de Matignon, 14, n'importe
à quelle heure, même le matin : vous auriez seulement la bonté,
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 91
dans le cas où elle n'y serait pas, de dire pourquoi vous venez.
Recevez, mon cher ami, mille amitiés bien dévouées,
E. Delacroix.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de l'impératrice Joséphine,
l'un des plus achevés que l'artiste ait modelés, est sans date. {Musées d' An-
gers,t^. 199.) La baronne de Forget, nommée dans cette lettre, reçutde David
en 1847 son propi'e médaillon. (Ibid., p. 193.)
LXXXYIII
David à Rauch.
Le buste de Rauch. — Les médaillons de Schinkel et de Klenze.
Taris, 1-i mai 1835.
Mon bon et cher collègue,
En arrivant à Paris j'ai été pris d'une violente maladie qui m'a
retenu longtems au lit, etd'autrepart j'attendais l'occasion d'une
personne de ma connaissance qui devait passer par Berlin pour
aller en Russie, mais voilà que cette personne a changé de direc-
tion : elle s'est embarquée au Havre pour Hambourg, me voilà
donc réduit à vous écrire par la voie ordinaire.
Il y a assez longtems que j'ai reçu la caisse contenant votre
buste et les autres objets. Tout est arrivé en bon état. Votre buste
est très avancé en marbre. A mon retour de Marseille (car je pars
avec Emilie, dans quelques heures, pour cette ville), J'espère vous
envoyer et bustes et médaillons pour nos amis. Je pense bien
souvent à mon voyage d'Allemagne. Je pense à vous, si bon, si
grand artiste, et que j'aime tant. Je veux croire que vous vous
rappellerez quelquefois que vous avez à Paris un homme qui
vous est bien dévoué de cœur. Dites à M. Schinkel que si je
n'étais pas si pressé par mon départ je lui aurais écrit. Dites-lui
bien que nous n'oublierons jamais l'aimable réception qu'il nous
a faite dans sa famille si intéressante, si bonne! Rappelez-nous
aussi au souvenir de M. et M"<= Bcûte. M. Beiite m'a adressé un
jeune fondeur, mais il m'a été impossible de le conduire chez
notre fondeur, comme M. Beûte paraissait le désirer.
92 DAVID D'ANGERS
Adieu, recevez l'assurance de l'entier dévouement de votre
collègue et ami de cœur,
David.
En envoyant à M. Schinkel sa médaille je lui enverrai celle de
M, de Klenze, comme à ce dernier je vais envoyer celle de
xM. Schinkel.
Les lignes suivantes sont écrites et signées par M""^ David:
Je prie M. Rauch devouioir bien me rappeler au souvenir affec-
tueux de M™^ d'Alton. Je songe souvent à elle, à ses jolies petites
filles et au petit garçon, dont elle est si fîère. Je le prie aussi de
ne pas m'oublier près deM"^ Schinkel, safamille,M™^Wichmann,
etc., et de recevoir pour lui l'assurance de mon admiration et de
mon affectueuse considération.
Emilie David.
Collection Eggers, à Berlin. — La médaille de l'architecte Charles-Fré-
déric Schinkel porte le millésime de 1834 ; celle de Louis-Léon de Klenze,
architecte bavarois, est datée de la même année. {Musées d'Angers, p. 134.)
LXXXIX
Xavier Marinier à David.
La statuette de Ludwig Tieck. — Projet de médaillon.
Paris,... mai 1835(7).
Monsieur,
Je vous remercie de tout mon cœur de cette charmante statue
de Tieck que vous avez bien voulu m'envoyer. Rien ne pouvait
me faire plus de plaisir. Je l'ai placée sur ma cheminée. C'est tout
à la fois un souvenir de poète, et un souvenir d'artiste.
Voici quelques livres allemands, pris au hasard dans ceux que
les journalistes d'Allemagne m'envoient de temps à autre. Je
désire qu'ils puissent intéresser M'"^ David, et vous me feriez un
bien grand plaisir si vous vouliez les accepter. Une fois que j'en
ai rendu compte, je n'en ai plus aucun besoin, et c'est si peu de
chose que j'ai honte de vous les offrir. Plus tard j'en aurai peut-
être d'autres qui seront meilleurs, et je les mettrai à votre dis-
position.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 93
Je serai coraplètemeut libre toute cette semaine, et je profiterai
avec joie de l'offre que vous avez bien voulu me faire. Quand
vous aurez un moment, écrivez-moi un mot. Je serai fier d'aller
poser devant vous.
Adieu, Monsieur, recevez l'assurance de tous mes sentiments.
Votre dévoué^
X. Marmier.
Collection David d Angers. — M. Xavier Marmier, à qui sa profonde con-
naissance des langues allemande et Scandinave avait valu la direction de
la Revue germanique, s'était rendu en Allemagne en 1832 et y avait sé-
journé. Nul doute que David se soit entretenu de l'écrivain français avec
Tieck; aussi s'empresse-t-il d'offrir la statuette du littérateur allemand à
M. Marmier. Le médaillon projeté de M. Marmier fut modelé en 1835. [Mu-
sées d'Angers, p. l.o9.)
XG
David à Pavie père.
Mariage de Victor Pavie,
Pai'is, 26 juin 1835.
Mon cher ami,
Nous sommes de retour depuis hier, et nous avons trouvé ta
lettre qui nous a procuré une bien vive satisfaction. Enfin, voilà
un acte qui va décider de l'avenir de notre bon et cher Victor ;
ce que je désire de toute mon âme, c'est que la femme à laquelle
il va lier sa vie le comprenne bien, et alors ils seront tous les
deux aussi heureux qu'on peut l'être dans cette vie toute de tri-
bulations et de déceptions. Certes, nos vœux les plus ardents, à
Emilie et à moi, seront toujours pour leur plus grand bonheur
possible.
Mous désirons beaucoup nous trouver à la cérémonie du ma-
riage ; rien ne pourra nous en empêcher, hors l'obligation où je
suis de rester tout le mois d'août à Paris, étant professeur à
l'Académie tout le mois...
J'espère que notre bonne étoile fera que la cérémonie aura
lieu avant ou après le mois d'août.
J'ai bien besoin d'être quelques jours au milieu de vous, chers
94 DAVID D'ANGERS
amis ; il y a si longtems que nous n'avons passé de ces bonnes
et heureuses soirées qui me font tant de bien !
Adieu, mille sentiments d'amitié et de cœur,
David.
Collectio7i Pavie. — A la date du 26 juin 1833, David rentre de Marseille, et
non d'Allemagne, comme l'a supposé M. Théodore Pavie, qui a publié cette
lettre dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires. La
demande de David quant à la date du mariage projeté ne fut point ac-
cueillie. C'est précisément le mois d'août qui fut choisi. Ce contre-temps
n'empêcha point David d'assister à la cérémonie, où se trouvèrent M""' Vic-
tor Hugo, sa fille Léopoldine, son père M. Foucher, Sainte-Beuve, Adrien
Maillard, etc. Les vers que Sainte-Beuve improvisa pour la circonstance
sont connus. Le poète leur a donné place dans ses œuvres. [Poésies com-
plètes de Sainte-Beuve, in-12, 1869, pp. 336-338.) Ceux que lut Adrien Mail-
lard ne sont pas moins beaux que les stances de Sainte-Beuve. (Victor Pa-
vie, sa jeunesse, etc., pp. 164-163. )
XGI
David à Pavie père.
L'air natal. — Robert David.
Paris. 1" juillet 1835.
Mon cher ami,
Si rien ne nous en empêche, nous serons à Angers mardi, je
pense, le soir. Aurais-tu la bonté de nous retenir au Cheval blanc
deux chambres donnant l'une dans l'autre, dont l'une pour nous
et la seconde pour Robert et sa bonne? Ce bon petit, nous profi-
tons de cette circonstance pour lui faire respirer l'air du pays
qu'il doit adopter de cœur comme son pays natal.
Mille tendres et sincères amitiés pour nous tous à vous trois,
David.
Collection Pavie.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 93
CXIl
Hahnemann à, David.
Le médaillon du fondateur de la médecine homœopathique-
11 octobre 1835.
Mon cher Monsieur,
J'ai reçu la belle médaille que vous avez bien voulu faire de
moi et m envoyer hier avec une aimable lettre, dont je ne puis
accepter les louanges, que parce qu'elles me sont un témoignage
de l'intérêt que mon art vous inspire.
Je ne sais comment vous remercier de tout ce que vous faites
pour moi avec tant de grâce, et vous prie d'être bien assuré de la
reconnaissance que j'en éprouve.
Je serai heureux si l'occasion de vous servir aussi se présente,
et j'espère que vous me la procurerez souvent.
Je vous présente mes amitiés sincères et suis votre dévoué,
Samuel Hahnemann.
Collection David cT Angers. — Le médaillon d'Hahnemann est daté de
183a. L'artiste ne s'estima pas satisfait de ce premier hommage. Il exécuta,
deux ans après, un buste eu marbre, du médecin allemand, dans des propor-
tions colossales, et l'olfrit au modèle. (Musées d'Angers, pp. 1(30 et 164.)
XGIII
Mistress Opie à David.
Médaille du romancier. — Publications françaises. — Sœur Marthe. — Sœur
Saint-Yincent, de la congrégation de Sainte-Camille. — Souvenir de l'im-
pératrice Joséphine.
Ce 2* de l'onxiômo mois (1835 ?)
Cher et généreux David, comment puis-je oser me rappeler à
ton souvenir après un si long silence, et, apparemment, un oubli
entier de tout ce que je te dois !
Comment est-il possible que je ne t'aie jamais remercié de
toutes tes bontés I Comment est-il possible que je n'aie jamais
96 DAVID D'ANGERS
accusé réception des trésors de l'art, et de la science, et de la
poésie que tu as eu la bonté de m'envoyer, et qui me sont par-
venus pendant mon séjour à Londres !
Hélas ! ma conscience me répond : «Oui, ingrate ! Tu n'as ja-
mais remercié ton admirable ami ! »
Vite ! vite ! il faut t'humilier devant ton bienfaiteur, et lui
demander pardon de tes péchés.
Madame ma conscience, je t'obéis. Monsieur David, je te tends
les mains dans l'attitude de la supplication, et je te dis : « Mea
culpa. ))
Eh bien! parlons d'autres choses. Je me suis pardonnée, le
courage me revient, et je vais faire comme de coutume.
Je te remercie bien de la petite brochure qui parle de la sœur
de charité nommée Sœur Marthe, mais elle n'est pas ma bonne
petite amie, la Sœur de Sainte-Camille qui venoit me voir si
souvent à Paris (Madame 0... l'a beaucoup connue) et que j'ai
vue sur la colline de Montmartre, gardant les brebis que José-
phine lui avoit léguées. Après sa mort, on a imprimé une notice
de sa vie. Elle se nommoit Monnoi, je crois, ou Mauroy. Elle
n'avoit pas plus de 4 pieds et demi de hauteur (anglais) ; elle
avoit de beaux yeux noirs et étincelants, et le teint le plus bril-
lant, mais le bâton dont elle se servoit pour garder son trou-
peau étoit plus haut qu'elle et je soupçonne qu'elle manquoit ab-
solument de jambes. Cette bonne petite nonne soignoit les sol-
dats françois quand ils soutfroient de la peste à Barcelone, et Del-
phine Gay a chanté ses bonnes œuvres et celles de sa sœur aussi
dans un des jolis petits volumes que tu m'as donnés. Oh! j'ai
cru que je t'avois conté tout cela, et que je t'avois dépeint son
premier abord chez moi dans l'année 31.
J'ai dû ouvrir ma porte pendant que je revois entre chien et
loup, et deux grands chiens se sont jetés sur moi tout en me ca-
ressant, et une petite femme les suivoit ! Enfin, je me suis écriée:
« Je vois la chère Sœur de Sainte-Camille. » — « Et moi, ré-
pondit-elle , je vois enfin la bonne madame Opie ! » Nous nous
sommes embrassées et nous nous sommes vouées l'une à l'au-
tre une amitié éternelle! C'est de cette petite sœur que je vou-
drois me procurer la biographie. Maintenant, cher, j'ai à te dire
que mon ouvrage est discontinué. Je travaille à un autre, mais,
à n'en point douter, je reprendroi le premier un de ces jours. Il
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 97
y a des sujets qu'à cette heure je sens que je ne dois pas traiter.
Adieu ! fais bien mes amitiés à la chère Émihe, et fais-moi la
justice de croire que je suis toujours la rcconnoissante et fidèle
amie,
A. Opie.
Collection David d'Angers. — Amelia Aklerson, mistress Opie, romancier
anglais, mje en 1769, morte en 1853, s'était affiliée en 1825 à la secte des
quakers dont elle adopta, non seulement le costume, mais le tutoiementtra-
ditionnelqui ne souffre pas d'exceptions. Mistress Opie vint à trois reprises
à Paris, en 1802, en 1829 et en 1830. Douée d'un caractère affable, d'un
esprit enthousiaste, d'un cœur généreux, elle compta en France de nom-
breux amis, parmi lesquels le général La Fayette, plusieurs membres de la
famille d'Orléans et David. Celui-ci modela successivement le médaillon de
laquakeresse en 1829 et sculpta son buste en marbre en 1836. Ces deux por-
traits furent offerts au modèle. (Musées d' Angers, \ypAd2 et 161.)Lacorrespon-
dance de mistress Opie avec David est volumineuse. Nous en possédons la
majeure partie. Elle pourra faire l'objet d'un travail spécial. La lettre insé-
l'ée ici ne laisse pas d'être obscure. Mistress Opie a demandé à David de
lui envoyer une brochure sur une Sœur de charité dont elle omet de pré-
ciser le nom. L'artiste se procure la biographie de Sœur Marthe (Anne
Biget), née en 1748, nioi^te en 1824, et qui, durant la période révolutionnaire
et l'Empii-e, prodigua les soins de son inépuisable dévouement aux prison-
niers de guerre de toutes les nations que la fortune des armes amenait en
France. Outre la croix de la Légion d'honneur, Sœur Marthe avait reçu en
1815 des décorations des empereurs d'Autriche et de Russie, des rois de
Prusse et d'Espagne. David avait dû s'y tromper. Sœur Marthe étant alors
la personnalité la plus célèbre de la charité chrétienne, il s'était procuré
la vie de cette femme de bien et l'avait fait parvenir à mistress Opie. Mais
ce n'était pas cela que cherchait le romancier anglais. Elle avait besoin de
lire la vie de Sœur Saint- Vincent, de la congrégation de Sainte-Camille, qui
s'était illustrée en 1821 à Barcelone pendant l'épidémie de fièvre jaune, en
compagnie des médecins français Audouard, Bally, François, Jouarry,Mazet
et Pariset. C'est la Sœur Saint- Vincent, improprement désignée ici par
mistress Opie sous le nom de Sœur Camille, qui a fourni le sujet de la pièce
de vers présentée par Delphine Gay à l'Académie françaiseen 1822. {Poésies
complètes, 1876, in-12, p. 37.) Nous laissons à mistress Opie la responsabi-
lité de l'anecdote qu'elle raconte sur la Sœur Saint-Vincent, occupée en
1831 à garder sur la butte Montmartre un troupeau qu'elle aurait dû à la
libéralité de l'impératrice Joséphine, morte en 1814. Si tous ces détails sont
véridiques, la bergère de 1831 ne se serait donc pas révélée pour la pre-
mière fois par sa charité en 1821? Elle aurait donc, par son dévouement
sur les champs de bataille ou dans les liôpilaux pendant l'Empire, attiré
sur elle l'attention de la première femme de Napoléon I" ?
98 DAVID D'ANGERS
XCIV
Schelling à David.
La médaille du philosophe. — Le buste de Gœthe à Munich.
Munich, 24 décembre -1835.
Monsieur,
Je vous suis infiniment reconnaissant des deux médaillons que
vous avez bien voulu m'envoyer; le mien surtout me présente
un souvenir d'autant plus précieux qu'il joint au mérite de me
venir de vous celui d'une œuvre remarquable par le caractère
d'expression et de vie que vous lui avez su imprimer, et que tous
ceux de mes amis à qui je l'ai montré n'ont pu se lasser
d'admirer. Je vous en réitère mes sincères remerciements.
L'Académie des sciences (car nous en avons aussi une des
beaux-arts) recevra avec beaucoup de reconnaissance le buste
de Gœthe que vous voulez bien lui offrir, et elle en disposera du
reste tout à fait au gré de vos désirs. Il faudrait qu'elle éprouvât
de quelque autre part une opposition à ses vues pour que ce buste
ne fût pas placé où vous désirez le voir. Ayez la bonté d'être
assuré que je saurai bien conduire cette affaire, pourvu que
d'autres ne s'en mêlent pas.
Madame Schelling est bien sensible à votre souvenir et vous
fait dire mille belles choses. Nous verrons avec bien du plaisir se
réaliser l'espoir que vous nous donnez de vous revoir bientôt à
Munich. Nous espérons avoir le plaisir de faire en même temps
la connaissance de Madame votre épouse.
Veuillez en attendant, Monsieur, être persuadé des sentiments
de considération et de respect avec lesquels je suis. Monsieur,
votre très humble serviteur,
Schelling.
P. S. — Ce nom, que je viens de signer, ne pourrait-il pas
être corrigé sur le médaillon? On y lit Schalling au lieu de
Schelling.
Collection David d'Angers. — On a vu plus haut que l'artiste n'avait pu
se faire accompagner de sa femme à Munich, celle-ci s'étant trouvée grave-
ment indisposée au cours du voyage d'Allemagne. La réplique du buste
de Gœthe offerte par David à la ville de Munich est en marbre, {Musées
d'Angers, p. 137.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES tJÔ
1836
XGV
Théodore Lebreton à David.
Le médaillon du poète ouviùcr. — Hyacinthe Langlois.
Rouen, 20 janvier 1836.
Monsieur,
S'il est un honneur auquel je dois être bien sensible, c'est à
celui de voir mes traits reproduits par la main célèbre qui nous
a rendu notre sublime Corneille et tant d'autres illustrations dont
s'honore la France. Je l'avouerai, Monsieur, le porte artisan s'est
enorgueilli de cette ovation en songeant que l'obscurité aurait
pour toujours étouffé ses élans si quelques hommes généreux, au
nombre desquels se trouve notre bon et savant M. Langlois, ne
s'étaient empressés d'encourager ses essais. Une âme d'artiste
comme celle de ce dernier est empreinte d'une lumière si vive
que pour elle il n'est rien d'obscur partout où elle rencontre le
germe des beaux-arts. C'est, comme vous le savez, Monsieur, la
main de ce zélé protecteur qui crayonna ces traits qu'un travail
physique et moral ont rendus si cadavéreux.
Ce dessin parfait de ressemblance touché par votre beau ta-
lent ne pouvait manquer d'être un chef-d'œuvre. C'est ainsi
qu'en ont jugé plusieurs artistes. Je ne terminerai point cette
épître sans vous remercier du plaisir que m'ont fait éprouver les
nobles sentiments exprimés dans la vôtre. Votre réflexion sur la
mission du poète m'a inspiré une ode que j'ai l'honneur do vous
dédier. Je vous prie d'accepter cette fleur du prolétaire à la-
quelle je joins le sentiment de mon inexprimable reconnaissance.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma plus haute consi-
dération,
Théodore Lebreton,
oiinrier,
Rouen, place du Vieux-Marché, n» 2.
CollecUon David d'Angers. — Théodore Lebreton, imprimeur sur étoffes
et poète, avait reçu la visite de David lorsque celui-ci se rendit à Rouen à
l'occasion de la statue de Corneille. L'artiste a raconté les impressions que
fit naître en lui sa rencontre avec lepocte ouvrier. (David d'Angers, etc., t. I
pp. 277-278.) N'ayant pas le loisir de modeler le profil de Lebreton durant
iOO DAVID D'ANGERS
son trop rapide séjour à Rouen, l'ai'tiste pria l'antiquaire Hyacinthe Lan-
glois, de Pont-de-l'Arche, dessinateur habile, de lui faire parvenir un crayon
d'après la tête du poète rouennais. Ce fut ce crayon qui servit de document
au statuaire pour l'exécution de la médaille de Lebreton. C'est en 1837 que
fut publié le premier recueil de poésies de l'imprimeur sur étoffes. Il a
pour titre Heures de repos d'un ouvrier {Rouen, in-18). L'année suivante
vit paraître une deuxième édition. Un portrait du poète, à l'eau-forte, orne
le frontispice. Au-dessous du portrait, la légende : E. H. Langlois ad viv.
amiciter aq.f. eff. Dans le volume, trois pièces intéi^essent David : Lamis-
sion du Poêle, ode dédiée au statuaire; le Fronton du Panthéon, et Sur la
statue de Corneille par M. David. Lebreton, mort récemment bibliothécaire
de sa ville natale, avait été élu député en 1848 par 130,000 de ses conci-
toyens.
XGYI
David à Raueh.
Médaillon du statuaire prussien. — Le Fronton du Panthéon. — Statues de
Cuvier et de Talma. — Philopœmen. — Statue projetée de M°'« de Staél.
L'Enfant à la grappe. — Bustes de Rauch, de Ticck et de Berzélius.
Paris, 2 mars 183G.
Mon bien bon ami et honorable collègue,
Je viens de recevoir avec bien du plaisir la lettre que vous
aviez charge M. Herzfeld de me remettre. Je serai heureux de
faire tout ce qui dépendra de moi pour être utile à ce jeune
homme, qui me paraît tout à fait digne d'inspirer un vif intérêt.
11 y a à peu près dix jours que je vous ai adressé une caisse
que j"ai pris la liberté de recommander aux soins de M. Beûte,
parce que l'on m'a dit qu'elle arriverait ainsi sans être visitée
par la douane. Dans cette caisse, il y a un paquet contenant
votre médaillon et un petit rouleau de petites gravures faites
d'après quelques-uns de mes ouvrages. On grave actuellement
les bas-reliefs et les statues qui décorent l'arc de Marseille (que
je viens de terminer). Quand ces gravures seront achevées,
je vous les enverrai.
J'éprouve un bien grand plaisir à apprendre que vous êtes
occupé de travaux importants. Ce sont de beaux et nobles ouvra-
ges que vous offrirez à l'admiration de votre chère patrie et à
celle de l'Europe, car les productions du génie sont le patrimoine
du monde entier. Je voudrais que l'on fût bien pénétré de cette
idée, qui me semble juste, et alors toutes les prétentions
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 101
étroites de nationalités disparaîtraient de la grande famille
humaine.
Nous parlons souvent^ Emilie et moi, de notre intéressant
voyage d'Allemagne et surtout de notre séjour à Berlin. Ça été
une des circonstances les plus heureuses de ma vie, que celle
d'avoir resserré avec vous les liens d'une amitié qui doit être
aussi durable que ma vie; dites donc bien à la respectable l'amillc
Schinkel, à M. et à M"» Beùte, tout ce que vous jugerez de plus
aimable de notre part, ainsi qu'aux personnes qui veulent bien
quelquefois se rappelerdenous, notamment M. et M™° >Yichmann.
Je m'occupe actuellement du Fronton du Panthéon, d'une
seconde statue de Guvier, mais une autre composition que celle
qui a été inaugurée l'été passé à Montbéliard et dont vous allez
avoir un trait. La statue de Talma (en marbre) va être terminée
dans un mois, et celle de Philopœmen, aussi en marbre, le sera
probablement dans le courant de l'été ; enfin, je prépare la statue
de M""^ de Staèl, et celle de mon Robert, qui est suspendu à un
cep de vigne pour manger une grappe de raisin. Je l'ai surpris
dans ce mouvement au milieu de mon jardin, et je suis bien
aise de l'occasion qui m'est offerte de fixer les traits de mon cher
enfant alors qu'il est encore dans l'âge le plus tendre.
Emilie me charge de vous dire bien des choses affectueuses
ainsi qu'à Madam^e votre fille. Veuillez lui présenter mes respec-
tueux, hommages. Votre ami dévoué de cœur,
David.
Eq marge de la première page sont écrites les lignes suivantes :
Vous serez bien bon si vous voulez bien faire remettre tous
les paquets qui sont dans la caisse à leur adresse. Votre buste
est presque terminé. Sous peu j'espère vous l'envoyer, ainsi qu'à
M. Tieck, de Dresde, le sien, et à Berzélius, celui que j'ai fait
durant son dernier voyage à Paris.
Collection Eggers, à Berlin, — Le médaillon de Rauch, modelé en 1835,
fut coulé en bronze en 18:>6. La statue de Cuvier, dilTérente de celle de
Montbéliard, est au Muséum d'histoire naturelle, à l^arls. Le marbre porte
le millésime de 1838. La statue de Talma décore le vestibule du Théâtre-
Français. Elle porto la date de 1837. Le Philopœmen, aujourd'hui au
Musée du Louvre, est daté de 1838, mais c'est 1837 qu'il eût fallu graver
sur le socle. La statue de M""= de Staël est demeurée à l'état d'es-
quisses, au nombre de deux, dans lesquelles l'écrivain est représentée
assise. (David d'Angers, olc, t. II, p. i'Ji.) L'Enfant à la grappe, modelé
en 1837, fut exposé en marbre au Salon de 1843. De curieux détails sur cet
102 DAVID D'ANGERS
ouvrage sont consignés dans la \ie du maître. {David d'Angers, etc., 1. 1,
p. 308.) Le buste de Rauch, modelé en dix- huit heures au cours du
voyage du maître en Allemagne (octobre 1834), est de proportions colossa-
les, ainsi que les bustes de Tieck et de Berzélius. Ces trois œuvres, exécu-
tées en marbre au cours de 1836, furent offertes aux personnages qu'elles
représentent. (Dayid d'Angers, eic, t. I, pp. 288-289. Musées d'Angers,
pp. 151, 157.)
XGVH
Sergent-Marceau à David.
Le médaillon du graveur. — Le général Marceau. — Ses portraits. — Sa
chevelure. — Son costume préféré. — M»" de Ghâteaugiron.
Nice, le 29 mars 1836.
J'ai reçu, Monsieur, il y a trois jours, le cadeau que vous
m'avez fait, en très bon état. Aux témoignages de ma sensibilité
pour la peine que vous avez prise et pour votre complaisance à
me l'avoir envoyé si bien monté, je dois vous dire que le portrait
est aussitôt reconnu que vu par tous ceux à qui je me suis em-
pressé de le montrer , et que parmi ceux-là il en est quelques-
uns en état d'apprécier les ouvrages des arts qui ont admiré le
« faire » de l'artiste. M. de Canclaux l'a vu avec un grand plai-
sir. J'ai donné un do ceux en stuc à M. Dutertre, le peintre qui
a fait le dessin, et le second, je l'ai donné à la personne que
M™" Hahnemann (M'^" d'Hervilly) avait chargé de le faire exécu-
ter et de lui envoyer; si vous la voyez, faites-lui mes rcmercie-
mens particuliers de l'intérêt qu'elle a mis à me voir placé par
vous dans une galerie où quelques-uns, comme moi, devront
leur place à votre talent plus qu'à leur mérite, et nous enverra
tous avec vous à la postérité.
Je serais flatté d'avoir le catalogue des médaillons qui sont en
vente. Peut-être qu'ici, oii se réunissent pendant cinq à six mois
beaucoup d'étrangers, quelques-uns des marchands ou libraires
qui les attirent dans leurs magasins en vendraient, soit en
bronze, soit en plomb, ou en stuc.
Vous avez raison de regretter de n'avoir pas le médaillon du
général Marceau, dont la réputation est européenne, et le seul que
l'étranger ait couronné, après l'avoir combattu. Son nom est
prononcé avec vénération partout, et lord Byron, si célèbre, a
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 103
écrit à mon épouse « qu'il vénérait sa mémoire ». Le roi de
Prusse, dans un des actes de la chancellerie, l'a appelé « un
héros )). Vous voyez que ce n'est pas moi, son beau-frère, son
ami, qui vous dis que c'est une lacune dans votre galerie, c'est
l'Europe qui le dit.
Vous pouvez réparer cette perte facilement. Son buste en
marbre existe aux Tuileries, dans la salle des Maréchaux. Il n'a
pas été fait, à la vérité, sur la nature, mais d'après : 1° un por-
trait gravé en couleur par moi (qui est au Cabinet des Estampes
de la Bibliothèque royale), dessiné et peint par moi d'après lui,
un an avant sa mort; 2° deux portraits en miniature peints par
M. Dumont, frère du sculpteur ; 3" d'après les avis donnés au
sculpteur par moi, par mon épouse, sa sœur chérie, qui l'avait
élevé, par M"^ de Chàteaugiron, son amante, dont il allait être
l'époux. Ce fut ainsi que M. Dumont fit le modèle en terre, et
il consulta encore en finissant le marbre. En voilà assez pour
l'authenticité. Ne prenez pas d'autre modèle ; tous ceux qui se
trouvent dans le commerce sont des copies très infidèles de ma
gravure, car il ne fut dessiné et peint que par M. Dumont pour
un médaillon et une bague de mon épouse. Elle ne les a confiés
à personne,et d'ailleurs il n'avait alors que vingt-quatre ans, et
il était délicat. Lorsque je l'ai peint, il avait acquis toute sa
force, et sa physionomie un caractère mâle.
Je vous ferai observer que ma gravure le représente sous l'uni-
forme de colonel de chasseurs, avec l'habit qu'il portait lorsqu'il
fut blessé. Dans les grandes actions, il revêtait cet uniforme, et
non l'habit brodé de général de division ; alors ses longs cheveux
étaient, ou tressés et relevés derrière les oreilles, ou plus sou-
vent noués comme je l'ai peint; il les partageait sur son front
comme font aujourd'hui les femmes.
Lorsqu'il était en grande tenue avec l'habit brodé, il avait ses
cheveux très longs comme les anciens Gaulois, flottans sur ses
épaules et sur son dos, sans peignes pour les retenir, tellement
que lorsqu'il écrivait il était obligé de les écarter de son front
parce qu'ils lui couvraient les yeux. Vous le verrez dans le petit
croquis que j'ai fait pendant que nous dînions, un an avant sa
mort.
Quelle singularité pour un militaire, direz-vous? et qui avait
de belles manières, point original... C'est que son amante, la
104 DAVID D'ANGERS
jeune comtesse bretonne qui avait de superbes cheveux châtain
clair les portait ainsi sans frisure, à l'usage des paysans de la
basse Bretagne. Un simple ruban noir autour de sa tête les rete-
nait écartés de son visage. Marceau, amoureux, voulut imiter
celle qu'il chérissait, qui devait être sa compagne. C'était une idée
chevaleresque des preux de l'ancien tems, et rien ne la lui fit
abandonner. Ceci peut vous guider dans le choix que vous ferez.
Je dois vous dire, — ce que ses camarades ignoraient, — que s'il
se mettait en chasseur un jour de bataille, c'est qu'il risquait d'y
mourir pour sa patrie, en pensant à son amante dont il avait le
portrait qu'on a trouvé sui- son cœur^, et qu'il avait lait broder
sur sa sabretasche le chiffre de son amie. « Je mourrai sur ce
chiffre », me disait-il ainsi qu'à sa sœur, ce qui a été; au lieu
qu'avec l'habit brodé il n'eût pas eu ce chiffre.
Je vous ai entretenu longtems sur cet objet et il ne me reste
que peu de place pour vous réitérer mes remerciemens et vous
engager à remplir la promesse que vous m'avez faite de vous
voir l'an prochain à Nice, oii il n'y a pas d'hiver, ce que vous
ne trouvez pas à Paris.
Je suis votre reconnaissant,
Sergent-Marceau.
P. S. — M. de Ganclaux vous salue et vous prie de ne pas lui
envoyer ici lady Morgan, quand vous pourrez en disposer,
mais de la remettre à M. Paul de Nairac, rue Gaumartin, chaus-
sée d'An tin, n" 12.
Collection David d'Angers. — Le médaillon du graveur Antoine-François
Sergent, dit Sergent-Marceau, porte le millésime de 1835. (Mu-fées d'Angers,
p. 160.) Sergent, conventionnel, avait épousé Marie Desgraviers-Marceau,
sœur du général de division, née en 1754, morte à Nice en 1834. Retiré à
Nice depuis 1830, Sergent ne vint pas poser chez David. C'est un dessin
d'André Dutertre, élève de Vien, qui servit de document au statuaire pour
le médaillon de Sergent. Le portrait du général Marceau gravé par son
beau-frère date de 1798. Le buste de la salle des Maréchaux, sculpté par
Edme Dumont, a figuré en plâtre au Salon de 1800 et en marbre au Salon de
1801. Marceau étant mort le 20 septembre 1796, les diverses représentations
rappelées ici sont, on le voit, à peu de chose près, contemporaines du mo-
dèle. C'est à l'initiative de Sergent-Marceau que nous devons de posséder à
l'entrée des Champs-Elysées les Chevaux de Marly, de Guillaume Goustou.
David n'a pas modelé le médaillon de Marceau, malgré l'invitation que ren-
ferme cette lettre, mais il a donné place au général dans le frontispice des-
siné pour une « Histoire de la Vendée militaire ». (Musées d'Angers, p. 349.)
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES lOS
XGVIIl
Lamartine à David.
Hommage de Jocelyn.
A mai 1836,
Monsieur et cher confrère,
Je ne fais jamais rien sans me souvenir de vous et sans me
dire: «M. David le lira-t-il? et en sera-t-il satisfait? » Il faut
bien que je pense à laisser un nom à ce beau buste que votre
ciseau a consacré. Recevez donc aussi ce petit épisode de ma
longue pensée poétique et puisse-t-il vous faire passer une heure
de loisir. Mais recevez-le bien moins comme un hommage d'ar-
tiste à artiste que comme un bien sincère souvenir de reconnais-
sance et d'amitié. J'ai été il y a un mois vous chercher rue de
Fleurus. Depuis, j'ai été malade, c'est ce qui m'empêche d'aller
vous porter moi-même Jocelyn.
Tout à vous,
Lamartine.
Collection Henry Jouin. — Jocelyn parut en 1836 (2 vol. in-S"). David se
sépara de l'exemplaire que lui avait offert le poète pour en enriciiir Théo-
dore Lebreton, le poète artisan rouennais dont il est parlé plus haut. Ce
don du statuaire est mentionné dans la préface des Heures de repos d'un
ouvrier , édition de 1838.
XCIX
Colettis à, David.
OfTre de la Jeune Grecque au tombeau de Boizaris. — Le maître reçoit la
croix de l'Ordre du Sauveur de Grèce.
Paiis, 21 mai 1836.
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous transmettre le brevet et la croix en
argent de chevalier de l'Ordre royal du Sauveur, que Sa Majesté
le roi de Grèce s'est plu à vous décerner, en considération des
sentiments de Philhellénisme dont vous avez fait preuve.
106 DAVID D'ANGERS
C'est un véritableplaisir pour moi, Monsieur, d'avoir été chargé
de vous transmettre moi-même les insignes de cet Ordre dont
l'éclat se relève par le mérite de légionnaires d'un talent aussi
remarquable que le vôtre.
En vous priant d'agréer mes sincères félicitations, je saisis
cette occasion de vous assurer de ma considération la plus dis-
tinguée,
J. GOLETTIS.
Collection David cV Angers. — J. Golettis, homme d'État grec, avait reçu,
dès 1830, soa médaillon modelé par Tia,v\à.. [Musées d'Angers, t^. 137.) Le
maître s'était fait admettre dans la Société hellénique à Paris, le 2 jan-
vier 1829.
David à "Victor Pavie.
Aloysius Bertrand.
Paris, 22 mai 1836.
Mon cher Victor,
J'ai vu le « Maçon », tu sais ce poète si naïf dont Sainte-
Beuve nous a lu des vers. Il avait pris une velléité à Renduel
d'imprimer son œuvre; mais il a réfléchi que la saison n'était
pas bonne ; ainsi nous voilà retardés jusqu'à l'année prochaine.
Est-ce humiliant pour le génie que le commerce avec sa froide
raison vienne refouler dans l'obscurité de nobles inspirations !
Mille tendres amitiés,
DAvm.
Collection Pavie. — « Le Maçon » est le surnom qu'avait donné Sainte-
Beuve à Aloysius Bertrand, l'auteur du Gaspard de la nuit, dont la pièce
Ja plus achevée a pour titre le Maçon. Il semble, d'après cette lettre, que la
première rencontre de David avec le romantique Bertrand date seulement
de 1836. Les relations de l'ai'tiste avec l'écrivain sans ressource, mort à
l'hospice Necker, furent des plus touchantes. Il en est longuement parlé
dans la Vie du maître. [David d'Angers, etc., t. I, pp. 244, 246, 353-353,
S06, 523; t. II, pp. 189, 409-412.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 107
CI
David à Pavie père.
Qu'il faut respecter les opiaious d'autrui. — Toute grande vie est au prix
de l'audace.
Paris, le 6 juin 1836.
Non, mon cher Pavie, nous ne nous sommes pas quittés mé-
contents l'un de l'autre, j'aime à me le persuader; du moins de
mon côté il n'est resté aucune impression de mécontentement ;
je pense avoir assez d'esprit de justice pour respecter l'opinion
des autres quand elle est l'expression de leur conviction. Tu
sais qu'en politique la nôtre a toujours été opposée, et cepen-
dant jamais le moindre nuage ne s'est élevé entre nous. Conti-
nuons donc toujours ainsi.
Pour Dieu, cher ami, n'apportons pas de susceptibilité dans
nos rapports avec nos amis ; il y a assez de tribulations ailleurs ;
réservons-nous pour la lutte que nous sommes obligés de sou-
tenir continuellement. Et puis, vois-tu, il faut excuser le vieux
marin qui ayant affronté dliorribles tempêtes s'étonne, à tort
sans doute, que d'autres les redoutent, et enfin j'ai toujours vu
que les hommes qui ont accompli une grande et noble destinée
savaient oser. Prends mes idées pour des utopies, mais crois à
la sincérité de mon entier dévouement de cœur,
D.wm.
Collection Pavie.
Cil
David à Pavie père.
Hélène David.
Paris, 1" juillet 1836.
Mon cher ami.
Cette nuit, Emilie est accouchée heureusement d'une fille.
Jusqu'à présent, la mère cl l'enfant se portent parfaitement bien.
108 DAVID D'ANGERS
Nous sommes très contents et très heureux. C'est pour cela que
nous ne voulons pas tarder à te faire part de cette bonne nou-
velle qui, j'en suis sûr, sera bien reçue par toi et nos amis Vic-
tor et sa femme.
Dans deux mois, s'il ne nous arrive rien de contraire, nous se-
rons tous à Angers. Ce voyage nous fera du bien en nous per-
mettant de respirer un autre air que celui que l'on respire ici.
Pour moi j'en ai bien besoin.
Ton ami et dévoué de cœur,
David.
Collection Pavie. — M"'= Hélène David porte aujourd'hui le nom de ma-
dame Leferme.
cm
Lud-wig Tieck à David.
Le buste du poète. — Le marbre confère l'immortalité. — M™" David.
Dresde, 19 juillet 1836.
Très honoré ami,
Lorsqu'on reçoit de grands bienfaits et des présents, celui qui
reçoit est toujours dans un certain embarras pour répliquer, pour
exprimer sa reconnaissance du grand et inappréciable don qui
lui a été fait. C'est dans cet embarras que je me trouve à votre
égard. Le grand et puissant buste en marbre est arrivé sans au-
cun dommage et tout à fait bien conservé. Vous pouvez vous
imaginer avec quel empressement je suis allé le voir et comment
tous mes amis, surtout ceux qui ont vu le modèle, ont partagé
tous mes sentiments. Quelle impression ne ressent-on pas de se
voir agrandi et idéalisé avec une telle puissance? Tout ce qui
nous entoure disparaît et on semble sortir de son époque, tant la
contemplation du buste nous transporte à l'infini et à l'absolu.
Une telle image est comme un appel à la postérité et aux siècles
futurs. On est presque effrayé en se disant en soi-même : « Voilà
donc ton image, tes traits ! Voilà donc comment tu jettes des re-
gards hautains, suffisants, sur tes contemporains! »
Mais, aussi bien que je le peux, je remercie le grand artiste.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 109
Ainsi donc mon époque reçoit mon image et la génération future
la contemplera comme quelque chose de gigantesque. Ala vérité,
je ne suis pas ainsi, car on s'étonnerait qu'il ne soit pas sorti de
mon cerveau des productions plus grandes que celles que j'ai
laissées au monde.
J'ai donc fait placer le beau buste dans le Salon de notre ex-
position annuelle, afin que le public puisse jouir dès le jour de
l'ouverture du Salon de ce magnifique chef-d'œuvre, et je suis
persuadé d'avance qu'il produira une grande sensation parmi les
amis, les connaisseurs et les amateurs.
Ne me regardez pas comme un ingrat si vous ne recevez en
échange d'un si beau et si grand présent que cette lettre insigni-
lîante. Je préfère l'écrire en allemand, parce que je me rappelle
très bien avec quelle perfection votre aimable épouse parle notre
langue; elle sera donc assez bonne pour vous traduire cette épître.
Cette dame pleine d'instruction et de talents, en lisant ces lignes
d'un ami, verra combien celui qui les a tracées l'estime et la
respecte; avec quelle joie et quelles délices il se rappelle les
heures qu'elle a bien voulu passer avec lai et sa famille, et les
lectures qu'elle lui a faites ! Un homme comme David n'a pas
besoin qu'on lui exprime combien on estime et on; admire son
talent. Le véritable artiste se suffit à lui-même.
J'espère revoir encore l'artiste et le statuaire, soit ici, soit que
j'aille le trouver chez lui.
Ma famille joint ses salutations aux miennes, de même que la
comtesse Finkeustein. David vit dans notre pensée et dans notre
cœur, et ce n'est pas sans émotion ni sans fierté que je me
nomme et signe son ami,
Ludwig TiECK.
Collection David cV Anrjers — Cette lettre. traduite en français par M'"° Da-
vid, a été publiée dans le journal les Affiches d'Angers, du 28 février 1837.
On a vu plus haut, sous la date d'octobre 1834, que David avait modelé le
buste de Tieck, de proportions colossales, en présence du modèle. C'est dans
l'atelier du peintre Vogel, à Dresde, que le maître français avait exéeuté cet
ouvrage. Le mai-bre, terminé seulement en 1837, fut oil'ertà Tieck.
dlO DAVID D'ANGERS
CIV
Haering à David.
La médaille du romancier. — Heures de spleen. — Un poète bâtisseur. —
La jeune Allemagne. — Tieck. — Chamisso. — Holtei. — Ampère. —
Humboldt.
iuiUot 1836(?).
Monsieur et très cher ami,
J'aurais avant tout à m'excuser auprès de yous d'avoir gardé
un si long silence après une communication si importante.
Ce n'est pas négligence! comment pourrais-je m'en justifier?
Si j'avais suivi ma première impression, je vous aurais écrit sur-
le-champ une très longue lettre pleine de remerciements. Mais j'ai
été obligé de m'absenter pour des affaires, et depuis lors j'ai voulu
attendre l'arrivée du cadeau annoncé. Hier je l'ai reçu de
M. Beûte et je viens m'acquitter de ma dette.
Si vous aviez pu me voir lorsque j'ai reçu votre lettre d'avis,
vous vous seriez senti récompensé de vos peines. J'étais dans une
situation d'esprit que ne peuvent avoir que des artistes ou des
poètes, qui, naturellement, se trouvent quelquefois aux anti-
podes de la clarté et de l'inspiration. C'était une de ces époques
où l'on se croit abandonné du génie, et lorsque celui-ci est absent
et que le sang noir prend le dessus, tout, depuis les ailes du génie
jusqu'à la plante de nos pieds, nous déplaît, nous paraît en déshar-
monie, de travers, comme aussi tout ce avec quoi je me trouve
en rapport. Tout ce qui nous arrive alors devient intention.
Tout paraît se réunir en un vaste plan pour nous écraser,
nous annuler! C'était dans un de ces moments de spleen oij,
comme poète, je me sentais annulé, persécuté, méconnu, Dieu
sait quoi ! qu'arriva votre lettre.
Le célèbre David, après un voyage triomphal à travers l'Eu-
rope, après une absence de quelques années, n'a non seulement
pas oublié son ami de Berlin, mais s'est rappelé de lui d'une
manière qui dépasse les espérances les plus vives.
En vérité, jamais rien ne m'a plus agréablement surpris que
votre lettre. Mais, mettant de côté le spleen et la vanité, j'ai été
enchanté d'y trouver plus que le cadeau : votre intention !
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES ili
J'ai reconnu dans le peu de lignes de votre lettre, plus qu'un
compliment sincère ;j'ytrouvai un souvenir personnel qui me fait
vivement regretter de ne pas nous être rencontrés plus tôt, et plus
souvent. Parmi tous vos compatriotes, je n'ai trouvé qu'en vous et
en Ampère un élément pour lequel vous n'avez pas d'expression,
et nous seulement un demi-mot. Puissions-nous nous revoir
et alors pour plus longtems !
Votre cadeau a été une surprise et m'a rendu honteux. Suis-je
donc une perfection telle qu'elle soit digne de la main du premiei
sculpteur de France? La valeur du poète est, en général, tombée
très bas chez nous et celle des arts est tellement montée chez
vous que ceci n'est pas une question provenant simplement de
modestie. J'aurais voulu avoir une place dans votre hvre d'es-
quisses, comme album, souvenir d'un talent ami ; mais un chef-
d œuvre pareil de la main d'un David, c'est, il me semble, trop
d'honneur pour le nouvelliste allemand W. Alexis. Enfin je vous
suis redevable d'un des moments les plus heureux dans cette
année sombre.
Je ne puis pas décider si je suis ressemblant. Je dois en douter
lorsque j'admire ce bel ouvrage dans lequel l'artiste a mis plus de
noble et nette expression que r.e comporte mon visage insigni-
fiant. Ma mère me disait : « Ne t'imagine pas ressembler à cette
belle tête! » Que mes autres amis ne jugent comme ils voudront,
l'ouvrage sera toujours un bel ornement dans mon appartement
et un précieux souvenir d'amitié. Vous m'avez promis un exem-
plaire du médaillon d'Ampère ; au lieu de cela je reçois des
bustes, deux gypses, des deux architectes Schinkel et Klenze.
Est-ce une erreur ou une ironie amicale? Cela ne vient pas de
votre part, à coup sûr, car il est peu probable que vous ayez con-
naissance de la manie dans laquelle je suis tombé depuis votre
départ. Je bâtis des maisons! une petite chaumière aux bords
de la mer Baltique, à Héringtdorf, endroit agréablement situé où
l'on prend des bains, et portant par hasard mon nom ; le pays
coUineux du rivage est aussi pittoresque qu'aucun des sites du
Nord. Je bâtis là, pour l'embellissement de la maison achetée, des
étages, des ailes, des tours et des belvédères. Le tout en minia-
ture; mais les difficultés à vaincre sont si nombreuses que
l'homme raisonnable est oijligé de compter, afin de ne pas entre-
prendre au delà de ses moyens bornes.
412 DAVID D'ANGERS
Combien j'aimerais à vous montrer et à Tarai Ampère ces mer-
veilles! Un petit jardin près de la maison et une vue enchante-
resse sur des vergers d'arbres majestueux peuvent transporter,
sans efforts, mon imagination au milieu d'une forêt superbe. Au
milieu d'une ville comme Berlin, la maison et sa situation doivent
sembler admirables, Cachalmstrasse, n» 57.
Jouer à l'architecte est, au reste, non seulement une manie chez
moi, mais une récréation. Notre littérature est dans un état
pitoyable. La jeune école de poésie s'élève avec une arrogance
que ses produits ne justifient pas. Elle se nomme la Jeune Alle-
magne. Mais je ne puis lui accorder que l'incarnation de très
antiques' folies. L'oreille de l'àne perce sous la chevelure élégante.
Une époque qui commence par détruire tout ce qui était révéré
et sans rien produire qui dénote de la vigueur, me paraît bien
sujette à caution.
Personne n'approuve les mesures de police qu'employé le
Gouvernement contre cette jeunesse, parce que cela lui donne une
importance qu'elle n'a pas. Mais leurs attaques contre les hommes
dont l'Allemagne est vaine n'en sont pas moins révoltantes. Leurs
sorties juvéniles contre Louis ïieck sont abominables. David, qui
a tellement distingué le digne poète que nous lui en avons tous
de la reconnaissance, éprouvera à ce sujet le même sentiment.
Il paraît en littérature, à la vérité, quelques ouvrages bons et
remarquables; mais tout est isolé. Il n'y a pas d'ensemble, par la
raison que les opinions sur les premiers principes ne sont pas
arrêtées. Pendant que les arts fleurissent, il règne dans le public
une grande indifférence pour la poésie. Le poète ne sait où cher-
cher la lumière. Nous avons perdu la croyance au passé; l'ave-
nir, de la manière dont il s'annonce, n'est pas fait pour donner
des inspirations.
FNotre société littéraire vit toujours, mais sans grande impulsion.
Que nous serions heureux de vous revoir encore parmi nous!
Chamisso est parti pour les bains de Silésie. La poitrine est telle-
ment attaquée qu'on était résigné à le perdre bientôt. Maintenant
les médecins donnent quelque nouvel espoir. Il a préparé une
édition de ses œuvres complètes avec sa biographie. Le pauvre
Holtei est malheureux. Son idée d'être à la fois poète et comédien
paraissait réussir à Vienne. Mais voilà son directeur qui manque,
le théâtre qui fait banqueroute, et lui, à la tête d'une troupe
ET SES RELATIONS, LITTERAIRES 113
ambulante, court le monde. Voir un pareil talent dans la misère !
Les comédiens envieux par nature ne laissent pas arriver le
gentilhomme poète qu'ils veulent réformer. Vienne, avec sa cen-
sure, n'aurait pas pu lui convenir. La mort du père Ampère a
effrayé quelques amis du fils. Le vieux papa a sans doute bien
rempli sa tâche. A. de Humbold s'intéresse vivement à notre ami,
auquel je ne vous charge pas de faire mes compliments, parce
que cela s'entend et que d'ailleurs il lira ma lettre.
J'entends peu parler de mes amis suédois. Mais j'ai eu la visite
de deux Anglais qui se préparaient à faire le voyage de Scandi-
navie d'après ma relation de voyage. Vraiment les Anglais font
des pas de géans dans le progrès de l'entendement.
Je ne dis pas que je ne prenne mon essor pour aller voir mes
amis à Paris. En attendant, je vous enverrai quelques-unes de
mes poésies (ballades), les seuls ouvrages un peu gais que je
puisse trouver. Je ne veux pas vous envoyer les produits de mon
humeur noire. Conservez-moi votre bon souvenir.
Haering.
Collection David cV Angers. — Guillaume Haering, le romancier et poète
allemand qui a signé la plupart de ses ouvrages du pseudonyme « Wilibald
Alexis », reçut son médaillon en 1836. Le bronze est daté 1834. La mort
d'André-Marie Ampère, survenue en juin 1836 et dont il est parlé ici, nous
permet de fixer l'époque approximative de cette lettre, non datée par son
auteur. Du mouvement littéraire en Allemagne tracé par un témoin
compétent, nous n'avons rien à dire. Les personnages nommés par iïaering
sont connus de notre lecteur, à l'exception de Charles de Holtei, littérateur
et comédien allemand. Holtei peut èlre considéré comme le créateur du
vaudeville en Allemagne. Il sera parlé plus loin de Humboldt.
GV
A. de Ghamisso à David.
La médaille du romancier. — Déranger.
Derlir, ce 10 août 1830.
Monsieur et très illustre compatriote,
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire est du
LS mars, mais elle a précédé de longtemps l'envoi que vous
maunoncicz et que j'attendais en avare pour vous faire mes
8
114 DAVID D'ANGERS
remerciements. J'étais, lorsque la caisse est arrivée, dans les mon-
tagnes de la Silésie, où les médecins, pour se débarrasser quelque
temps de moi, m'avaient envoyé prendre l'air. J'en reviens, et
ma première affaire est de serrer respectueusement et affectueu-
sement la main qui immortalisera ma face et mon nom. Bien que
les éditions de mes vers s'épuisent et se réitèrent encore dans ces
temps rapides et oublieux, je ne comptais d'avenir que la portée
de la mémoire des gamins qui apprennent mes vers par cœur
pour les réciter à l'école.
Me voilà, de la main de David, coulé en bronze ! J'accepte en
humilité de cœur ce gage d'amitié, qui me rappellera les moments
bien chers que m'a conservés votre bienveillance durant votre
séjour à Berlin. Vous me reportiez dans ma première patrie et
nous parlions ensemble de Béranger, que je respecte comme mon
maître et aime comme un vieil ami. Je suis aujourd'hui vieux
et cassé; j'ai fini mon temps. Cependant, je jouis du passé et du
présent^ résigné quant à l'avenir et plus satisfait du lot qui m'a
été départi, que bien d'autres qui sont plus enviés que moi.
Daignez, Monsieur, recevoir mes humbles et affectueux remer-
ciements et l'assurance de l'admiration de votre très humble et
très obéissant serviteur,
Adalbert de Ghamisso.
Collection David d'Angers. — Haering, dans la lettre qu'on a lu plus
haut, s'était trop pi'essé de considérer Ghamisso comme perdu pour jamais
dans les profondeurs de la Silésie. Le poète est rentré dans sa patrie d'adop-
tion, et il parle avec une rare élégance la langue de sa première patrie.
Ghamisso est mort le 21 août 1838.
G VI
David à Raiicli.
Offre du buste de Rauch. — Souvenirs de jeunesse. — Brandt.
Paris, 25 août 1836.
Mon bien honorable collègue.
Je viens de confier au roulage votre buste; j'ai pris la liberté
de l'adresser à M. Beûte, comme il me l'avait permis une fois
pour toutes lorsque j'aurais quelque chose à vous adresser.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES US
A Rome, vos premiers ouvrages, cher ami, m'avaient déjà in-
spiré pour vous une bien profonde estime. Plus tard, quand j'ai
connu votre noble vie, je vous ai aimé de tout mon cœur. J'ai
voulu imprimer sur le marbre, dune manière durable, les senti-
ments qui m'animent à votre égard. Ce buste, que j'ai tant de
plaisir à vous offrir, n'e&t pas aussi digne de vous que je l'aurais
désiré, mais vous le recevrez, n'est-ce pas, plutôt pour l'intention
que pour la valeur du travail ? Il vous rappellera quelquefois
l'auteur, qui vous a voué une éternelle et bien sincère amitié, et
qui compte les jours qu'il a passés auprès de vous comme des
jours heureux de sa vie.
Emilie me charge de la rappeler à votre souvenir et vous prie
de dire bien des choses affectueuses de sa part à M"^^ d'Alton.
Veuillez aussi présenter à celte dame mes respectueux hom-
mages.
Adieu, cher ami, soyez heureux et croyez à la profonde estime
de votre tout dévoué de cœur,
David.
#
N'oubliez pas, je vous prie, de présenter l'expression de mon
respect à M. de Humboldt.
P. S. — J'oubliais de vous dire que nous avons un accroisse-
ment de famille : il nous est venu une petite fille et notre Robert
se porte très bien.
Rappelez -nous au bon souvenir de M. et de M""" Schinkel et
de M. et de M'^'^ Beûte.
Il y plusieurs mois que je vous ai adressé une caisse contenant
votre médaillon, ceux de 31. Schinkel, de Chamisso, Brandt,
ïieck. L'avez-vous reçue?
Collection Egçjers, à Berlin. — H. -F. Brandt, dont le nom ne s'est pas en*
core rencontré dans les lettres qui précédent, est le graveur en médailles
allemand. Son médaillon, modelé par David, porte la date de 1834. (Musées
d'Angers, p. loo.)
116 DAVID D'ANGERS
GVIl
Carus à David.
Le buste du naturaliste. — L'oreille droite. — Rietschell. — Le dernier
livre de Carus. — Le buste de Cuvier. — Le congrès médical d'Iéna. —
Hélène David.
Dresde, 25 septembre 1836.
Mon très cher ami.
Le buste est arrivé, ce superbe témoignage de votre affection
et de votre art. Nous tous sommes ici dans l'admiration de cet
excellent travail. On admire surtout, mon bon Rietschell en tête,
le front et l'oreille droite. C'est qu'en effet, si l'on se place devant
votre beau buste éclairé à la lumière artificielle, le soir, le carac-
tère que revêtent ces parties et l'œuvre dans son ensemble est
vraiment magnifique.
Je vous apprends que le Journal de mon voyage à Paris et sur
les bords du Rhin a paru, ce Journal dans lequel j'ai essayé de
dire, entre autres choses, l'estime profonde que j'éprouve pour
mon ami David, estime partagée parla France entière.
Comme savant, j'ai retiré de sérieux profils de mon excursion
en France, de mon séjour dans votre capitale; mais comme
homme, j'ai gagné plus encore à pénétrer le cœur d'un ami tel
que vous. Mon libraire a reçu l'ordre devons faire parvenir sans
retard un exemplaire de ce Journal. Vous y trouverez comme
frontispice une gravure d'après votre beau buste de Cuvier.
J'étais récemment à léna. Nous venons d'avoir une réunion des
médecins et des naturalistes de l'Allemagne. J'aurais beaucoup à
vous dire de cette assemblée. Venez donc bientôt vers nous, je
vous en prie. Ne tardez pas. Dieu sait ce qui peut arriver plus
tard .
Vous ne doutez pas du plaisir que nous a causé l'annonce de la
naissance d'une petite fille à votre foyer. L'ouvrage doit être digne
de l'artiste qui en est l'auteur. Acceptez pour vous et pour
Madame votre épouse, ma très chère et bien estimée amie, mes
sincères félicitations et celles de toute ma famille.
N'oubliez pas de nous écrire de temps à autre. Chaque lettre
de vous est pour nous une fête de famille et renouvelle peur moi
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 117
les douces impressions que j'ai gardées de mon séjour dans votre
charmante maison.
Donc^ au revoir. Tout à vous,
Carus.
Collection David d'Angers. — Charles-Gustave Carus, médecin, naturaliste
et peintre de paysages, dont il est parlé déjà sous la date du 6 décembre
1834, reçut de David son médaillon en bronze, daté de 1834, et son buste en
marbre de proportions colossales, portant le même millésime, bien que ce
dernier ouvrage n'ait été achevé qu'en 1836. (Musées i/'iln^e^'^, pp. 151-152.)
Carus avait une déformation curieuse : l'oreille droite, chez lui, était
plus développée que l'oreille gauche. David n'éluda pas ce signe dis-
tinctif en sculptant le portrait de son ami. C'est à l'exactitude du sta-
tuaire dans l'interprétation de cette partie de la tète que fait allusion Carus
au début de sa lettre. Nommé médecin du roi de Saxe en 1827, Carus
fut chargé d'accompagner, deux ans plus tard, le prince Frédéric-Au-
guste en Suisse et en Italie. Le naturaliste vint en France et publia en 1836
la relation non moins humoristique que scientifique de son voyage à Paris.
Les Lettres sur la peinture de paysage (1831) et la Symbolique du visage de
r^o?n?ne (1833) permettent d'apprécier Carus sous son double aspect de phy-
siologiste et de peintre. Les publications scientifiques de Carus sont nom-
breuses et remai'quables.
CVIII
David au maire d'Angers.
Offre du modèle de la statue de Talma. — Le buste de Dumouriez par
Houdon.
Paris, 5 décembre 1836.
Monsieur le Maire,
Pouvant actuellement disposer du modèle en plâtre de la sta-
tue de Talma, je m'empresse de l'offrir à la ville d'Angers. Vous
m'obligeriez beaucoup si vous vouliez bien faire placer cette
figure dans le foyer de notre salle de spectacle.
Vous trouverez ci-incluses les mesures nécessaires à l'archi-
tecte pour l'exécution du piédestal qui devra être en bois. Je
pourrai vous envoyer mon ouvrage à la fin du mois.
J'ai été assez heureux pour faire l'acquisition d'une terre cuite
exécutée par le célèbre Houdon ; c'est pour ainsi dire un manu-
scrit,la terre étant l'œuvre de l'artiste seul et sa premirre pensée.
Elle représente le général Dumouriez. J'aurai l'honneur de vous
l'envoyer pour votre Musée.
Jai l'honneur, etc., David.
118 DAVID D'ANGERS
Cette lettre a été publiée dans le Journal d'Angers du 1" janvier 1837.
Le modèle du Talma, après avoir décoré le foyer du Théâtre d'Angers,
est aujourd'hui au Musée David. Le buste de Dumouriez s'y trouve égale-
ment. {Musées cV Angers, pp. 103-104 et 212.) L'histoire de la statue de
Talma, pleine d'incidents, a été racontée dans la Vie du maître. {David
d'Angers, etc., t. I, pp. 251, 254, 316, 317, 544, 575, 591-592; t. [I,pp. 176,
484, 512.)
GIX
Henriquel Dupont à David,
Le médaillon du graveur. — Ressemblance révélatrice.
1836 (?)
Je ne puis assez vous remercier, mon cher Monsieur, d'avoir
bien voulu me donner une place dans votre galerie ; c'est beau-
coup d'honneur pour moi.
Hier au soir, je dînais comme à l'ordinaire à mon cabaret. Un
petit homme près de qui j'étais placé ne cessait de me regarder
et dit à son voisin : « Je ne connais point M. Dupont, je ne l'ai
jamais vu, mais je suis bien sûr qu'il est là à côté de moi »...
C'était Richard.
Veuillez, moucher Monsieur, agréer les complimens de votre
bien dévoué de cœur,
H. Dupont.
Collection David d'Angers. — Cette lettre est sans date, mais le médail-
lon d'Henriquel Dupont porte le millésime de 1836. Richard, nommé dans
cette page, est le fondeur de David. Le statuaire modela en 1834 la médaille
de ce collaborateur intelligent autant que dévoué. (Musées d'Angers, t^i^. 154
et 161.)
1837
ex
David à "Victor Pavie.
La plume et le ciseau. — Lenteurs du marbre. — Croquis écrits. — Profession
de foi. — La prière. — L'épi donné. — Sarrut et la Biographie des hom-
mes du Jour. — Le faciès de Victor Hugo. — Bustes de Lamennais et de
Garrel. — Statue de Garrel. — Bustes de Berzélius et de Gérard.
Paris, le 3 février 1837.
Je suis en retard, mon cher Victor, pour répondre à toutes tes
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 119
bonnes et aimables lettres. En vérité je suis débordé par trop de
sensations et d'occupations différentes qui me prennent mon
temps et m'empêchent de mieux employer mes heures à traiter
avec toi de ces sujets qui nous ont l'ait passer ensemble des in-
stants si heureux et m'ont laissé des souvenirs ineffaçables. .le le
regrette bien, surtout quand je pense à rinsuftisance de ma
maudite plume qui traduit en plomb ce que ma pensée avait rêvé
en or. Combien j'ai à me plaindre du sort qui ne m'a pas mis à
même d'étudier l'instrument qui obéit à la pensée, car, vois-tu,
la sculpture est un art trop lent; le corps est obligé de s'user
pour rendre une pensée; et la poésie des objets qui nous entou-
rent est si puissante et si abondante que je me sens toujours
malheureux de ne pouvoir leur donner une forme par des
moyens plus prompts que ceux de mon art.
C'est pour cela que j'écris beaucoup sur les objets qui me
frappent. Que de motifs de poèmes touchants, de statues et de
tableaux! Depuis que j'étudie avec attention la nature, j'aime
moins les productions des hommes, à moins que ce ne soient
celles des hommes qui ont été fanatiques de la nature. Mais toutes
les productions qui tiennent à des Tnodes, à des conventions, par
conséquent à des systèmes, je me dérange difficilement pour les
voir. Il m'est souvent arrivé d'aller dans des galeries de tableaux
et d'y faire des études précieuses pour moi d'après les specta-
teurs qui m'entouraient. Je ne pousse pas l'exclusivisme jusqu'à
prétendre que l'étude des grands maîtres soit une chose inutile ;
bien au contraire. Mais quand ils vous ont ouvert les yeux, formé
le goût et appris à voir la nature, il faut se prosterner devant
elle et lui vouer un culte de fidélité. Christophe Colomb a décou-
vert le Nouveau-xMonde, mais il n'a pas pu l'explorer entière-
ment. Pour revenir à mes croquis écrits, je t'en envoie un que
tu trouveras joint à cette lettre. J'en ai bien d'autres qui t'arri-
veront successivement, s'il ne me vient pas à l'idée que cela
pourrait te paraître fastidieux.
Une chose m'a longtemps arrêté, c'est la crainte de te choquer
sur quelques points de tes croyances. Enfant d'un siècle positif
qui, à l'aide de la science, lève un coin du voile sous lequel sont
restés cachés les mystères de la nature aux yeux des générations
qui l'ont précédé, le doute m'agite souvent. Je crois à un Être
créateur, mais il m'est impossible de donner à ma croyance une
120 DAVID D'ANGERS
forme exclusive. Je m'unis do cœur à toutes les religions. Je prie
auprès du musulman; je me prosterne avec le sauvage qui adore
le soleil. Je pense que toutes ces différentes formes de la prière
sont l'expression des types divers que le grand Etre a dispersés
dans la Création. L'acte sublime do la prière, de quelque ma-
nière qu'elle soit proférée, m'inspire le plus religieux respect. Je
vénère l'être qui explique son cœur à Dieu, et lorsqu'exténuépar
Ses travaux de cotte vie, je m'assieds au bord de mon pénible sil-
lon, à l'ombre de la gerbe que j'ai coupée, si un do mes frères
vient me tendre la main, je lui donne un épi, c'est là encore une
de mes prières. Yoilà ma profession de foi, cher ami. Ce qui pré-
cède pourrait servir de réfutation à la biographie que Sarrutm'a
consacrée et dans laquelle on me présente au lecteur comme un
homme sans croyances. Quand je n'aurais eu que ma foi dans les
grands hommes qui sont, eux aussi, les types de ce qu'il y a de
grand et de généreux dans la Création, c'eût été déjà, ce me sem-
ble, un motif assez sérieux de ne pas m'attribuer un caractère
d'incroyance qui ne peut me convenir.
J'ai enfin commencé le buste de notre Hugo; jevais faire tout
ce qui dépendra de moi pour tâcher de laisser une œuvre digne
do l'admiration que j'ai pour son génie. Il est temps d'entre-
prendre ce travail, car la partie sensuelle du visage de notre
ami commence à lutter vigoureusement avec la partie intelli-
gente, c'est-à-dire que le bas du visage est presque aussi large
que le front. Dans peu vous aurez le plâtre au Musée d'Angers.
Le buste de M. de Lamennais est déjà très avancé en marbre.
C'est encore une dette d'admiration qui va bientôt être payée.
Le buste d'Armand Carrel est terminé. Je vais le faire couler
en bronze et je l'offrirai à la ville de Rouen. Le buste de Carrel
en bronze, cela va bien à cet homme d'une si puissante énergie!
J'ai fait aussi sa statue dans la proportion de deux pieds et demi.
Je le représente à la Chambre des Pairs, à l'instant oii il les ac-
cuse d'avoir été les assassins du maréchal Ney!
Le buste en marbre de Berzélius (la grande figure de chimiste
de l'Europe) est terminé. Je vais le lui envoyer on présent, à
Stockholm.
Tu sais que j'avais modelé le buste de Gérard, peu de jours
avant sa mort. J'ai l'intention de donner le marbre à l'Institut.
Quand je proposai à Gérard de faire son buste, il me prit les
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 121
deux mains et il me dit: « Merci, mille fois ! on me jette dans la
boue et vous me relevez ! »
Je ne sais bientôt plus oîi écrire; je quitte la plume, mais je ne
cesse de penser à toi. Jeté souhaite, ainsi qu'à M'"°Pavie, santé,
bonheur et prospérité. Emilie se joint à moi de tout son cœur.
Ton dévoué ami,
DAvm.
Collection Pavie. — David a laissé de nombreuses pages manuscrites sur
des sujets de tout ordre. La plupart furent offertes par le maître à Victor
Pavie qui nous a permis d'en prendre copie. Beaucoup de ces pages ont
trouvé place dans notre ouvrage David d'Angers, etc. (t. 11, pp- 3-457.)
Mais nous possédons encore les éléments de plusieurs volumes. La Biogra-
phie des hommes du jour, par Sarrut et Saint-Edme, commencée en 1835, a
pris fin en 1842. Cette publication comporte G vol. gr. in-S". Une édition
augmentée formant neuf volumes parut en 1847. On y trouvela notice sur
David au tome III (pp. 65-69). Le maître est présenté, dans une phrase
incidente des biographes, comme étranger à toute croyance, à tout senti-
ment religieux. C'est contre cette assertion gratuite et mal fondée que
s'élève David au cours de sa lettre à Victor Pavie. Le buste de Victor
Hugo, dont il est parlé ici, porte le millésime del837.Le poète est représenté
avec l'indication du costume du temps. Le marbre fut offert au poète. Le
modèle en plâtre est au Musée David, où l'artiste le déposa en 1838. (Musées
d'Angers, pp. 162-1C3.) Il sera parlé ultérieurement du buste de Lamen-
nais. La terre cuite du buste de Carrel est à Angers; le bronze est au
Musée de Rouen; la statue du journaliste, exécutée en 1839, fut coulée en
bronze et placée sur la tombe de Carrel au cimetière de Saint-Mandé.
(Musées d'Angers, p. 109.) Le buste colossal du chimiste suédois Jean-
Jacques Berzélius, exécuté en marbre en 1837, fut offert au modèle. Le
plâtre original est au Musée David. L'artiste avait modelé dès 1835 le mé-
daillon du chimiste. [Musées d'Angers, p. 157. David d'Angers, etc., t. I,
p. 202; t. II, p. 375.) Le baron Gérard est mort le 12 janvier 1837.
M"* Ancelot a raconté la fin mélancolique de ce grand artiste. {Les
Saloîis de Paris, pp. 78-82.) C'est le 8 décembre 1836 que David avait com-
mencé le buste de son collègue" presque aveugle ». Le marbre, offert par
son auteur, est à l'Institut; le plâtre original est au Musée David. (Musées
d'Angers, p. 163. David d'Angers, etc., t. I, pp. 378-379; t. II, p. 380.)
GXl
David à Victor Pavie.
Le buste de Victor Hugo. — Robert David.
Paris, 8 février 1S37.
Mon cher Victor,,
Le buste de Hugo est presque achevé, notre ami paraît
122 DAVID D'ANGERS
content. Il vient avec beaucoup d'assiduité. Nous parlons souvent
de toi, et il est facile de voir qu'il t'a conservé une large part
dans son cœur.
Notre pauvre Robert vient d'être très dangereusement malade.
On craignait le croup, et tu sais que cette maladie ne laisse que
peu d'instants pour la combattre. Enfin, le voilà hors de danger ;
nous avons un poids de moins sur le cœur. Est-ce donc vivre
que d'être sans cesse dans des transes mortelles au sujet de ceux
que nous aimons!
A toi de cœur,
David.
Collecllon Pavie.
CXII
David à Schnetz.
L'élection de Sclinelz ù l'Institut.
Paris, 24 février 1837.
Mon cher ami,
C'est demain que votre sort va se décider.
Rappelez-vous ce que j'ai toujours pensé de vous et de votre
talent. Ce sera une chose bien agréable pour moi de vous donner
la preuve de mes sentiments à votre endroit.
Mille amitiés de cœur,
David.
Veniredi matin.
Collection Gaston Le Breton. — Victor Schnetz fut élu à l'Académie des
beaux-arts le 25 féA'rier 1837. Ce billet est la réponse à une démarche faite
par Schnetz pour s'assurer la voix de David au scrutin du 25 février.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 12^
GXIII
David à Victor Pavie.
La statue de Talma.— Bustes de Racine et de Rossini. —Adrien Maillard.
Paris, 5 mars 1837.
Mon cher ami,
Sous peu, le Talma va partir pour Angers. Il sera suivi du
buste de Racine et de celui de Rossini ; ces trois œuvres vont
commencer la décoration du foyer de notre salle de spectacle.
Crois à mon inviolable amitié,
David.
Tu auras sans doute remis à notre ami Adrien Maillard la
lettre que je lui adressais. Dis-lui encore mille choses amicales
de ma part.
Collection Pavie. — Le modèle en plâtre du busto de Racine est au
Musée David. Cet ouvrage date de 1832. Le maître avait sculpté dès 1830'
le buste de Rossini. Le marbre avait été offert au modèle. Le plâtre est
aujourd'hui au Musée David. (Musées d'Angers, pp. 133 et 140.) Adrien
Maillard préparait, à l'époque où lui écrit l'artiste, son Elude sur la vie et
les ouvrages de David d'Angers, statuaire. (Angers, Y. Pavie, 1838, in-8°.)
GXIV
Victor Hugo à David.
Le buste du poète. — Les Voix intérieures.
Paris. 6 juillet 1837.
Demain vendredi nous irons admirer votre nouvelle œuvre.
Ma femme veut venir avec moi. .le vous porterai le livre que je
viens de publier. Mais qu'est-ce que ma ciselure à côté de votre-
poésie?
Je vous serre la main, Victor Huno.
Collection David (FAngers. — L'ouvrage que Victor Hugo se propose-
d'offrir au statuaire est son recueil Les Voix intérieures , publié depuis
quelques jours seulement.
124 DAVID D'ANGERS
G XV
David à Rauch.
Le triumvirat de Weimar. — La médaille de Klenze. — Le Fronton du
Panthéon. — Riquet. — Gutenberg. — Cuvier. — Philopœmen. — La
Douane de Rouen. — Le Jeune Barra. — Groupe du général Gobert.
Paris, 16 jniUet 1837.
Mon cher ami,
Je saisis avec bien du plaisir l'occasion qui se présente de
me rappeler à votre souvenir.
Le jeune homme qui vous remettra cette lettre a travaillé con-
tinuellement dans mon atelier. C'est un artiste qui mérite de
tixer tout l'intérêt sur sa position. Il a un caractère distingué,
des dispositions très remarquables, mais il lui faudrait des
moyens pécuniaires pour pouvoir étudier son art. Si vous voyez
quelques occasions de lui être utile, faites-le, vous m'obligerez
beaucoup, et vous ferez une bonne œuvre.
J'entends toujours parler avec un nouvel intérêt de vos pro-
ductions. Mes relations très fréquentes avec l'Allemagne me
mettent à même de suivre le degré d'avancement de vos glo-
rieux travaux, mais je ne serai content que quand vous aurez à
reproduire le noble triumvirat de Weimar : Goethe, Schiller,
Herder. Quand j'ai vu la Duchesse, je lui ai dit qu'il n'y avait que
vous au monde fait pour représenter de pareils hommes. Je
croyais avoir fait quelqu'impression sur son esprit, à cet égard,
mais, mon ami, combien il y a de petitesse à notre époque froi-
dement positive!
Je vous prie de rechercher le médaillon en bronze de M. de
Klenze qui était destiné à M. Schinkel. Il paraît que vous l'avez
renvoyé à Munich, ou qu'il a été donné à M. Wilibald Alexis
(Haering). Vous me rendrez service en faisant en sorte qu'il re-
vienne à M. Schinkel.
Je viens de terminer le Fronton du Panthéon. Quand la gravure
en sera faite, je vous en enverrai une épreuve.
Deux statues colossales sont sur le point d'être mises à la dis-
position du fondeur-, l'une est celle de Riquet, l'inventeur du
fameux canal du Languedoc, qui joint les deux mers, et l'autre
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 125
celle de Guteiiberg, destinée à la ville de Strasbourg. Je me suis
occupé aussi de celle de Guvier, en marbre, pour le Jardin des
plantes, de Philopœmen pour le jardin des Tuileries, de divers
travaux pour la Douane de Rouen et d'un jeune Tambour répu-
blicain, mourant en serrant une cocarde tricolore sur son cœur.
Tous ces ouvrages seront terminés à la fin de cette saison, et
l'hiver prochain je préparerai les modèles d'un monument repré-
sentant un général à cheval qui a reçu la mort en Espagne. Des
bas-reliefs de batailles entoureront le piédestal. C'est cet ouvrage
que j'ai l'intention d'aller faire en Italie vers le printemps pro-
chain, et alors je passerai par l'Allemagne; peut-être nous ver-
rons-nous ?
Adieu, mille souhaits de bonheur pour vous et votre bonne
famille.
Votre bien dévoué ami,
David.
Emilie se rappelle à votre souvenir et vous prie de présenter
ses amitiés à M""^ d'Alton.
Veuillez me rappeler au souvenir bienveillant de M. de Hum-
boldt.
Collection Eggers, à Berlin. — On a vu par la lettre d'Haeving, de juil-
let 1836, que celui-ci n'avait pas reçu sans surprise le médaillon deKlenze.
Le Fronton du Panthéon fut découvert en septembre 1837. La commande
datait du 16 novembre 1830. (David cVAngers, etc., t. I, pp. 321-337,
.592-593.) La statue de Riquet, érigée à Béziers, fut terminée en 1838 ; celle
de Gutenberg ne fut inaugurée qu'en 1840, à Strasbourg; celle de Guvier,
placée au Muséum d'histoire naturelle de Paris, porte la date de 1838; celle
de Philopœmen, aujourd'hui au Louvre, était achevée en septembre 1837 ;
les hauts reliefs du Commerce et de la Navigation, qui décorent la Douane
de Rouen, avaient été modelés en 1837; la statue du Jeune Barra porte le
millésime de 1838 ; le groupe de Gobert occupera l'artiste jusqu'en 1847.
[Musées d'Angers, pp. 106, 110, 116.)
GXVI
Hittorf à David.
Le médaillon de Percier. — Le Fronton du Panthéon.
Ce 19 juillet 1837.
Mon cher ami,
Vous m'avez fait un plaisir bien vif en m'envoyant le beau
126 DAVID D'ANGERS
médaillon de mon cher et digne maître. Je pourrai le contem-
pler tous les jours, et c'est une grande jouissance que je vous
devrai.
J'ai lu avec bien de l'intérêt plusieurs articles dans les
journaux sur votre dernier, important et bel ouvrage;
votre pensée paraît avoir été bien comprise, bien appréciée et
approuvée; j'ai été bien heureux et j'espère que votre succès
sera complet et unanime lorsque l'ensemble pourra être jugé :
ce sera un beau moment pour vous. Que le bon Dieu vous en
réserve encore plusieurs comme cela, c'est ce que je désire pour
vous et pour lui.
Votre tout dévoué ami,
HiTTORF.
Collection David d Angers. — Le maître d'Hittorff est Percier, mort en 1838.
Le médaillon de Percier porte le millésime de 1835. Une médaille allégori-
que fut composée par David en 1839 à la mémoire de VevcÎQV. {Musées d'An-
gers, pp. 160, 200.) L'important ouvrage de David auquel Hittorfï fait
allusion est le Fronton du Panthéon.
CXVII
Berzélius à David.
Le buste du chimiste.
Stockholm, ce 24 juillet 1837.
Monsieur et ami,
Le magnifique buste est arrivé, déjà depuis quinze jours,
ainsi que le beau cortège des Humboldt, Dulong, Thenard, etc.,
etc., dont votre amitié l'avoit entouré. Mille et mille actions de
grâces de la part de votre ami reconnoissant, qui n'a que sa
reconnoissance à vous offrir en échange.
11 s'agit à présent de placer le buste d'une manière convenable.
Les conseils de mes amis se croisent, de manière que je me
trouve dans le même embarras, comme si je n'avois consulté
personne. Heureusement que mes appartements sont de 16 pieds
de hauteur, de manière à admettre que le buste soit placé assez
en haut. Vous m'avez promis de venir vous-même en famille
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 127
pour voir comment on l'aura placé. J'espère que rien n'empê-
chera que cette promesse soit remplie.
Je vous avois adressé une lettre avec un ami, M. Palmsteds,
qui devoit se rendre à Paris. Je suppose qu'il vous l'aura déjà
remise.
Ma femme me prie de vous dire mille choses obligeantes de sa
part.
Ayez la bonté de présenter mes respects à M"'^ David.
Yotre ami reconnoissant et dévoué,
Jac. Berzélius.
Collection David d'Angers. — Voir plus haut la lettre de David à Victor
Pavie, sous la date du 3 février 1837.
GXVIIl
David à Victor Pavie.
Les Heures de repos d'un ouvrier. — Le Fronton.
Paris, 19 août 1837.
Mon cher ami,
Je te fais parvenir six exemplaires des Poésies de cet ouvrier de
Rouen dont je t'ai déjà tant parlé. 11 s'est trouvé à Rouen un im-
primeur qui a compris combien la situation de cet homme de
génie était intéressante. Il a publié ce petit volume à ses frais.
Nous, les amis de l'auteur, nous allons tâcher de faire écouler
cette édition le plus promptement possible, afin de mettre à
même ce brave homme de donner un autre volume qui renfer-
mera des vers plus en rapport avec le génie et la situation de Le-
brelon, car il se propose de nous initier aux souffrances de cette
classe d'ouvriers que nous ne voyons que du haut de nos balcons
dorés. Quelle mine à exploiter ! Que de longs et poétiques cris
de douleur il fera entendre! Dieu veuille qu'il ne parle pas à
(les sourds !
Tu verras, ami, si tu peux placer quelques-uns des volumes
([ue je t'envoie. Si, par hasard, tu en avais besoin do nouveaux,
je t'en enverrais.
128 DAVID D'A.TSGERS
Je n'ai pas à te faire l'historique de toutes les chicanes que
j'essuie de la part du pouvoir à l'égard du Fronton. Tous les
journaux en ont assez parlé. Le Gouvernement ne s'attendait
pas à rencontrer un artiste assez convaincu de la noble mission
des arts pour résister avec une énergie imperturbable à ses tor-
tueux caprices . J'ai d'ailleurs eu la satisfaction de recevoir les
félicitations de mes amis et môme de bien des personnes que je
ne connais pas. Gela est certes une grande consolation, bien que
le véritable patriote la trouve avant tout dans son cœur lorsqu'il
a conscience d'avoir fait son devoir.
Je travaille avec assiduité pour tâcher de quitter Paris au
moins pour un mois, mais ce ne sera pas avant octobre.
Adieu, mon ami ; bonne santé à toute la famille et croyez aux
affectueux sentiments d'Emilie et de moi.
Tout à toi de cœur,
David .
Chaque volume des Poésies de Lebreton coûte trois francs
dix sous.
Collection Pavie. — Il est parlé des Poésies de Lebreton, Heures de repos
d'un ouvrier, dans le commentaire de la lettre du poète artisan du 20 jan-
vier 1836, publiée plus haut.
GXIX
David à Pavie père.
Le Fronton découvert. — Joacliim Du Bellay. — Philopœmen.
Paris, 9 septembre 1837.
Mon cher ami,
Mon procès est enfin gagné, le Fronton du Panthéon est
découvert; c'était une bien misérable chicanerie de la part du
pouvoir ; tous les coups sont retombés sur lui.
Dis à Victor que je n'ai point oublié son dessin pour l'ou-
vrage qu'il projette. Sous peu, je le lui enverrai. Il m'excusera
de ce retard en pensant à l'encombrement de tous mes travaux.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 129
La semaine prochaine je vais envoyer la statue de Pliilopœmen
sur son piédestal des Tuileries.
A toi,
David.
Robert et Hélène se portent toujours admirablement bien.
Collection Pavie. — Le dessin que David se propose d'offrir à Victor
Pavie est le portrait de Du Bellay, qui doit figurer en tète de l'édition des
OEuvres choisies du poète auyeviu, en préparation.
cxx
Victor Hugo à David.
Alberto Nota. — Le Fronton du Panthéon.
Paris, 21 septemire 1837.
Cher ami,
Je trouve votre lettre en passant à Paris et je me hâte d'y ré-
pondre.
Je serai bien charmé de connaître M. Nota, mais figurez-vous
que demain vendredi je suis pris par une ancienne invitation à
dîner chez notre ami Guttinguer, à Saint-Germain !
Nous sommes encore à Auteuil, toute ma famille et moi, jus-
qu'au 2 octobre. Si M. Nota reste à Paris jusque-là, je serai heu-
reux de l'aller chercher chez lui ou de le recevoir place Royale.
S'il part avant cette époque, soyez assez bon pour me faire dire
son jour et le vôtre, et je viendrai exprès à Paris. J'y suis déjà
venu exprès pour vous.
Je vous ai rendu visite au Panthéon.
Vous avez fait là un maître fronton. C'est une grande et belle
œuvre pour les amis comme pour les ennemis, de loin comme
de près. Je vous aime et je vous envie d'écrire des poèmes im-
mortels avec une matière éternelle.
Je vous serre fraternellement la main,
Victor Hugo.
Collection David d'Angers. — Le baron Alberto Nota, l'un dos rérovateurs
do la littérature dramatique en Italie, et le plus brillant écrivain de l'école de
130 DAVID D'ANGERS
Goldoni, était, en 1837, admiaistrateur du district de Casai. Venu à Paris
pendant l'été de cette même année. Nota dut à l'admiration de David pour
ses écrits de remporter son médaillon modelé par le maitre. {Musées d'An-
gei'S, pp. 165-166.)
GXXI
Lamennais à David.
Textes évangéliques pour le Christ écrivant sur le globe du Monde.
Paris, 26 septembre 1837.
Voyez, mon cher David, si, parmi les passages suivants, il s'en
trouve un qui aille à votre but. On n'a, d'ailleurs, dans l'Évan-
gile, que l'embarras du choix.
Discite a me, quia mitis sum et humilis corde. — Apprenez de
moi, parce que je suis doux et humble de cœur. S. Math.
Fx fructibus eorum cognoscetis eos. — Vous les connaîtrez
par leurs fruits. Id.
Qui petit a te, da ei. — Donnez à celui qui vous demande. Id.
Estole miséricordes, sicut et Pater vester misericors est. —
Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.
S. Luc.
Et ipsi non intellexerunt verbum quod locutus est ad eos. —
Ils n'ont point compris la parole qui leur a été dite. Id.
Exemplum dedi vobis, iit quemadmodum ego feci vobis, ita et
vos faciatis. — Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez
comme je vous ai fait. S. Jean.
Ego sum via, et veritas, et vita. — Je suis la voie, et la vérité,
et la vie. Id.
Pacem meam relinquo vobls, pacem meam do vobis. — Je vous
laisse ma paix, je vous donne ma paix. Id.
Hoc est prœceptum meum, ut diligatis invicem, sicut clilexi vos. —
Ceci est mon préci^pte, que vous vous aimiez les uns les
autres comme je vous ai aimés. Id.
Si rien de tout cela ne vous convient, on cherchera autre
chose.
Votre bien dévoué,
F. Lamennais.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 131
Collection David cC Angers,. — Le maître ayant projeté de faire un dessin
dans lequel serait représenté le Christ traçant sur le globe du Monde les
trois mots : Liberté, Egalité, Fraternité, pria Lamennais de lui fournir un
texte évangélique susceptible d'accompagner son travail. Nous avons ici
la réponse de Lamennais. Quel fut le verset que choisit David? Son dessin
ayant été détruit, nous ne pouvons répondre à cette question.
CXXII
Augustin Serres à David.
Le Fronton du Panthéon.
Illustre collègue,
Paris...., septembre 1837 (?)
Quel faible opuscule je vous envoie en compensation du Fron-
ton que j'ai admiré hier matin! Je suis encore sous l'influence
des émotions vives que j'ai éprouvées. Il me semblait que j'avais
acquis un nouveau sens, tant je sentais vivre et penser votre
pierre !
Si Buffon a dit : « Le style, c'est l'homme », ceux qui vous
connaissent diront avec plus de raison : « Votre Fronton, c'est
vous, c'est vous tout entier! »
C'est l'adoration de la Patrie se traduisant sous toutes les foi*-
mes; se réfléchissant sur la figure du guerrier comme sur celle du
magistrat, sur les traits du poùte comme sur ceux de l'orateur,
sur la tête du savant comme sur celle du prêtre!
C'est qu'en eff"ot l'amour de la patrie est le lien commun de
tous les citoyens! Il y a dans tous les cœurs une libre qui lui
appartient, et vous l'avez l'ait vibrer d'une manière admirable!
Illustre collègue, recevez mes remerciements pour les sensa-
tions que j'ai ressenties à l'aspect de votre chef-d'œuvre, et lisez-
moi avec indulgence.
Votre dévoué collègue et admirateur.
Serres.
CollecUon David d'Angers. — Celte lettre n'est pas datée, mais on a vu par
la lettre du maître à Pavie père, du 9 septembre 1837, que le Fronton venait
d'être découvert. Il y a tout lieu de penser que les lignes qui précédent
furent écrites en septembre. Antoine-Etienne-Renaud-Augustin Serres,
membre de l'Académie des sciences depuis 1S28, était non seulement l'ami
du statuaire, mais encore son médecin. Serres reçut des mains du sculpteur
son profil modelé en 1838. (Musées d'Angers, p. IGS.)
132 DAVID D'ANGERS
CXXIII
David à Victor Pavie.
Dessin d'une Annonciation de la Vierge. — Le médaillon d'Adrien Maillard.
— Etude sur la vie et les ouvrages de David d'Angers.
Paris, 6 février 1838.
Mon cher Victor,
J'espérais que cette lettre te serait remise par ton père, mais
il a eu hâte de retourner à Angers. Gela ne m'étonne pas, son tems
était trop tristement employé ici pour qu'il pût s'y plaire. Pour
ma part je regrette beaucoup que mon infernale maladie m'ait
souvent privé de sa bonne et aimable société. A peine si j'ai pu
passer quelques heures avec lui, puis aussitôt que j'ai pu mar-
cher^ il a fallu rentrer dans le tourbillon des affaires, des ridicules
obligations sociales. Les hommes ne savent qu'inventer pour se
mettre continuellement à la torture. Je maudis notre civilisation
qui fait de chacun de nous autant d'esclaves. Nous sommes ab-
surdes, mille fois absurdes !
Il y avait bien longtems que j'avais jeté sur le papier la pensée
d'une Annonciation avec une seule ligure. J'avais été frappé de
l'expression, si souvent reproduite dans l'Écriture sainte, du Saint-
Esprit sous la forme d'une douce colombe. Voilà ce que j'ai cher-
ché à rendre dans le croquis que je t'envoie. Tu verras, tu con-
sulteras les maîtres en ce genre de question, et si mon idée était
approuvée, elle pourrait bien s'imprimer un jour sur le marbre,
et ensuite occuper un coin dans notre église Saint-Maurice.
Dans la caisse qui contiendra le cadre que je t'envoie, il y
aura une épreuve en bronze du profil de Maillard, que tu voudras
bien remettre à Adrien. Tu trouveras aussi un journal de Rouen
qui parle des bas-reliefs de la Douane.
J'ai lu avec bien de l'attention le manuscrit de Maillard, que tu
m'avais envoyé. Je me suis permis de rectifier seulement quel-
ques erreurs de date. Si cette biographie était celle d'un autre
sculpteur, j'aurais été ravi du talent vraiment très remarquable
qu'a développé notre jeune ami au cours de cet ouvrage;
mais, en vérité, les éloges et les expressions me paraissent trop
louangeurs pour moi. Gomment oserai-je jamais donner cette
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 133
biographie à quelqu'un? Tu me demandes combien il faut en im-
primer? Moi, je dirais très peu. D'abord parce qu'il ne faut pas
espérer en vendre, ce serait une très fausse spéculation; ensuite
une source de satires et dépassions envieuses déchaînées contre
moi. J'ai assez à lutter actuellement, et la tête la plus énergique
n'a qu'une certaine somme de forces à dépenser dans ces tristes
luttes. Il serait si important cependant d'avoir une vie calme
afin de pouvoir s'occuper des arts I
Enfin, cher ami, vous ferez, toi et le bon ami Maillard, ce que
vous jugerez convenable à cet égard. Ma reconnaissance pour ce
que vous pensez de moi doit me faire fermer les yeux sur les
tribulations qui peuvent être la conséquence de cette entreprise.
Adieu, à toi de tout cœur,
David.
Collection Pavie. — Le projet de bas-relief, représentant Y Annonciation
de la Vierge, ne comporte qu'un personnage. La Vierge, debout, semble
écouter la voix mystérieuse d'une colombe posée sur son épaule. Sur le
fond est écrit : Ave Maria. Le médaillon d'Adrien Maillard porte la date
de 1837. [Musées d'Angers, p. 165.) La biographie dont s'entretient le
maître avec son correspondant est V Étude sur la vie et les ouvrages de David
d'Angers, publiée à Angers, en 1838, par Adrien Maillard. Ce travail excel-
lent, plein de renseignements puisés à la meilleure source, a été maintes
fois consulté par nous lorsque nous composions la Vie du statuaire.
1838
CXXIV
Madame Valmore à David.
La médaille du poète des Pleurs. — La statue de Corneille. — Théodore
Lebreton.
Paris, i2 février 1838.
A quoi pensez-vous, Monsieur, de m'accabler d'une telle recon-
naissance? Je ne peux ni l'acquitter ni l'exprimer, et j'en suis de-
meurée saisie à mon retour d'un voyage à Rouen, où je venais
déparier des yeux et du cœur à l'une de vos plus belles gloires.
Si je l'avais ignoré, c'est là aussi que j'aurais appris qu'il n'y
a rien au monde de meilleur que Monsieur David, et que là aussi
son cœur a laissé des traces comme son génie.
134 DAVID D'ANGERS
Il ne devinera jamais combien il m'a été doux de trouver sa
signature six fois sur les traits de sa plus honorée et plus humble
servante,
Marceline Valmore.
Collection David d'Angers. — L'allusion délicate de M"'^ Valmore à la
générosité de David lui est suggérée par les attentions du maître à l'endroit
du poète ouvrier de Rouen, Lebreton. La préface des Heures de repos d'un
ouvrier nous révèle que M""= Valmore avait été l'une des premièi^es à
signaler au public le talent poétique dt; l'imprimeur sur étoffes. La der-
nière phrase de la lettre ci-dessus dévoile la prodigalité du maître qui a
offert à M""! Valmore six exemplaires de son médaillon.
cxxv
Victor Pavie à David.
Sur le dessin de V Annonciation de la Vierge.
Angers, 16 février 1838.
J'ai reçu votre cadeau, mon cher Monsieur David. Pour ce qui
est licite et dans la tradition, les maîtres en cette matière juge-
ront, ainsi que vous le dites, et je m'inchnerai le premier devant
le dogme de ma foi. Mais quelque sentence qu'ils en portent,
votre œuvre restera comme une des plus suaves et des plus
tendres interprétations du sujet. Overbeck bénirait cette chaste
et frêle image, enveloppée de ses voiles comme son âme de son
corps ; ce que chante la colombe penchée sur son épaule est un
chant que les hommes n'auraient chanté jamais; les ailes de l'oi-
seau blanc sont communes à la femme ; l'esprit passe, et le doux
corps s'en imprègne rêveusement; l'humanité tressaille dans l'en-
fantement glorieux, dont ce sein abrité se féconde. Qui ne pleu-
rerait à cette vue, songeant qu'il est régénéré par là !
Mon cher Monsieur David, vous voyant croire ainsi dans le
fond de votre pensée et pratiquer dans vos œuvres, je me sens
plus près de vous et je vous étreins plus fort. Ce ne sont point
des visions dont votre esprit se fascine dans les combinaisons de
l'àme avec le cœur. Les fantaisies n'ont point cette sérénité de
lignes, ce silencieux amour qui prie en écoutant. Entre cette
efitigie éclose de votre choix après une impatiente et respectueuse
couvée, — et ces images grossières dont de vils salariés enlu-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES l."::
minent pompeusement les marges les plus saintes, — je vois plus
que le génie qui les relègue à vos pieds, j'y vois aussi des larmes
amassées à l'autel, au temps de vos naïves et merveilleuses
croyances, larmes qui ne tarissent pas, qui coulent de temps en
temps, arrosant les sujets chers à votre ciseau d'une rosée in-
connue aux artistes de la foule. Oh ! laissez-moi penser que Dieu
vous les comptera !
L'abbé X..., prêtre haut et intelligent, sort d'ici. En sus de
son admiration profonde, il ne voit rien que de très orthodoxe
dans yotre Annonciation.
Adieu, je vous embrasse, et charge M'"'' David des mille amitiés
de ma femme; de loin, mon père se joint à nous deux.
Victor Pavie.
Collection David d Angers. — Le dessin du maître représentantri«?io?2C(fl-
tion fait partie de la collection Pavie. (Dai'û/ cT Angers, eic.,\..\l, pp.4S8, 510.)
CXXVI
David à Lamennais.
Offre du Christ écrivant su ' le globe du Monde.
Paris, 'i mars 1838.
Depuis longtems j'ai essayé de composer quelques sujets prin-
cipaux de la vie du Christ. Dans l'un, je voulais le représenter
assis sur le Monde, écrivant avec son sang : « Liberté, Égalité,
Fraternité », ce qui me semble le résumé de sa morale sublime.
Nous avons foi dans cette charte divine, nous autres républicains-
Nos pères l'avaient inscrite sur leurs drapeaux que la mitraille
de tant de victoires a consacrés.
.l'ai cherché à rendre cette grande idée dans le faible croquis
que je serais heureux de vous voir accepter. En conservant ce
modeste souvenir d'un homme qui vous est tout dévoué de cœur,
vous comblerez de joie votre constant admirateur et respectueux
serviteur,
David.
Collection Henry Jouin. — On a vu plus haut, sous la date du 20 septem-
bre 1837, que David se disposait à exécuter un Christ écrivant sur le globe
i36 , DAVID D'xVNGERS
du Monde. Le maître avait ou recours à Lamennais pour le choix d'un
texte évangélique pouvant accompagner son dessin. L'œuvre terminée, c'est
à Lamennais qu'il en fit hommage. Une réplique avec variantes fut offerte
par David à Victor Pavie. Ce second travail existe; le premier dessin a été
détruit. {David d'Angers, etc., t. II, p. 494.)
CXXVII
Lamennais à David.
Le Christ écrivant sur le globe du Monde.
Paris, 5 mars 1838.
Je ne sais, Monsieur et illustre ami, comment vous exprimer
et ma reconnaissance et mon admiration. Plus je regarde, plus
j'étudie votre magnifique tableau (car c'en est un), plus elle s'ac-
croît. C'est une pensée à la Michel-Ange, simple, profonde, gran-
diose. Oh! oui, ce sont là les trois mots que le Christ a écrits sur
le Monde, qu'il y a écrits de son sang, et qu'à peine encore
savons-nous épeler. Mais quand bientôt cette féconde parole sera
descendue dans le cœar des peuples, qu'ils y auront reconnu la
sainte loi de l'humanité et le salut de l'avenir, tout changera et la
terre sera belle alors, et la voix de bénédiction, le cri d'allégresse*
qui s'en élèvera comme le parfum de l'âme réjouira tout ce qui
sent dans l'univers.
Tout à vous, mon illustre ami,
F. Lamennais.
Collection David d'Angers,
CXXVIII
Victor Pavie à David.
Retour sur r.4/iao«ct«^i'Jrt de la Vierge. — L'Étude sur la vie et les ouvra-
ges de David, par Adrien Maillard. — Les Poésies de Lebreton.
Angers, 20 mars 1838.
Mon cher Monsieur David,
Je reviens à cette Vierge dont je ne puis me détacher. N'ayant
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES J37
à VOUS payer d'un tel cadeau qu'avec les seules paroles d'une
reconnaissance profonde, je sens naître le remords de ne vous
en avoir point assez dit dans le temps. J'y reviens chaque matin et
j'y retourne chaque soir ; c'est à genoux à ses pieds que je fais
ma prière, et si cette prière lui arrive, certes ce ne saurait être
sans vous traverser en passant. C'est là mon idée fixe, et soulîrez
que j'y reste, que sorti de ce giron oiî vous berça jadis l'instinct
d'une foi naïve, aveugle et vagissante, fort et ferme aujourd'hui
et le ciseau à la main, vous y rentrez de l'aveu d'une intelligence
voyageuse, qui a fait le tour de tout avant de s'abriter quelque
part. Qu'Overbeck me comprenne et que le Seigneur m'exauce !
C'est le soupir sur les lèvres et les larmes aux yeux que j'ai dû
briser sur votre ordre les formes qui contenaient le travail de
Maillard. Il vous importait peu, du reste, je le comprends, que
ceux qui ont des yeux pour ne point voir vos œuvres épelassent
oui ou non, dans une langue inconnue, des interprétations qui
ne les atteindraient pas.
J'ai annoncé, vanté autant que je l'ai pu les Poésies de Lebreton,
ce haut cœur qui vous aime. — Rien' Le seul exemplaire à dé-
duire c'est le mien, dont je vous envoie le montant joint à celui
des avances que M™' David a bien voulu faire pour ma
femme.
Adieu, je vous embrasse,,
Victor Pavie.
Collection David cC Angers. — VÉlude sur la vie et les ouvrages de David,
par Adrien Maillard, ayant été tirée à petit nombre et distribuée à quel-
ques amis, les formes furent détruites à la demande du statuaire. Les Heures
de repos dun ouvrier, de Lebreton. avaient été envoyées le 19 août 1837, à
six exemplaires, à Victor Pavie, alors libraire-éditeur à Angers. Un seul
exemplaire fut vendu, et encore est-ce Pavie qui le retint pour sa biblio--
thèque personnelle!
GXXIX
David à Victor Pavie.
Une « ode à Riquet ». — Los lettres de Léopold Robert. — La staliic de
sainte Cécile. — Moll. — Le médaillon d'Hélène David. — Estampe*
138 DAVID D'ANGERS
d'après le Fronton du Panthéon. — Cottreau le Chouan. — Savoie, l'an-
cien soldat de la République.
Paris, le 8 mai 1838.
Mon cher Victor,
J'ai lu et relu bien des fois ton admirable éloge de Riquet.
C'est colossal ; jamais, je crois, tu ne t'étais élevé à une si grande
hauteur. Clarté et sublimité de pensées, voilà ce qui distingue
ton œuvre. Combien de belle et noble poésie il y a dans ton
âme ! Quel avenir immense pour toi, mon ami ! Suis énergique-
ment le vœu de la nature; elle t'a fait poète; il faut lui obéir.
As-tu lu les lettres d'un autre grand poète, de Robert le pein-
tre? Je t'engage à lire ce touchant recueil. Il y a là de grandes et
profondes réflexions sur les arts. Il faut avouer que la nature est
bien barbare envers ses enfants de génie. Ceux qui apprennent
aux autres hommes à l'admirer n'éprouvent que malheur, tandis
que la nullité est choyée, caressée par cette nature qui n'est
qu'une énigme perpétuelle, si le hasard n'en est pas la véritable
expression.
Sous peu de jours, je vais écrire à l'évéque d'Angers pour lui
annoncer le prochain envoi de la statue de sainte Cécile. J'ai en-
gagé M. Moll à faire le dessin d'un piédestal qui me paraît bien
conçu. Quand ce piédestal sera adopté, il faudra se presser de le
faire exécuter, afin qu'il soit prêt quand la statue arrivera. Pour
cette prompte exécution et pour l'adoption du dessin, il faudra
que M. Morel nous aide de tout son pouvoir. Je crois que tu seras
content du dessin du piédestal.
Je vais t'envoyer une caisse dans laquelle il y aura un rouleau
de gravures du Fronton du Panthéon, que je destine à quelques-
uns de mes amis d'Angers et de Nantes. Pour cette ville, tu
trouveras facilement, je pense, une occasion. 11 y aura trois mé-
daillons de notre petite Hélène : l'un t'est destiné ; quant aux deux
autres, tu me feras plaisir si tu veux bien en faire parvenir un à
M. Maillocheau, et faire déposer l'autre chez MM"^^ Boyleau. Je te
demande pardon de tout l'embarras que je t'occasionne. Tu
trouveras dans cette caisse un portrait de « Cottereau ». C'est
cette différence de nom qui fait que nous n'avons pas pu obtenir
de M''^ Goquereau tout ce que nous espérions.
Tu te souviens de notre visite à ce brave philosophe qui vit
dans une cave près du Château, le nommé Savoie? Si tu pouvais
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 139
apprendre le lieu de sa naissance (je crois que c'est Lyon),
à quel âge il a pris du service, quelques particularités de sa vie,
enfin quelques points des plus saillants de son histoire, tu m'obli-
gerais beaucoup. Son souvenir m'est resté dans la mémoire. Je
l'estime de ne pas avoir voulu servir le despote de son pays. Le
sentiment républicain est trop noble, trop sacré pour qu'on ne
se voue pas à lui de toutes les forces de son âme.
Présente mes respectueux hommages à M™* Pavie.
Ton tout dévoué ami,
David.
Collection Pavie. — Un concours poétique ayant été ouvert à Béziers à
l'occasion de l'inauguration prochaine dans cette ville de la statue de Riquet
par David, Victor Pavie se mit sur les rangs avec une Ode qui remporta
le second prix. [Musées d'Angers, pp. 108-109. David d'Angers, etc., t. I,
pp. 361-363. Victor Pavie, sajeunesse, etc., Y). 199.) L'ouvrage sur Léopold
Robert, auquel fait allusion David, est la publication de Delécluze intitulée:
Notice sur la vie et les ouvrages de Léopold Robert, suivie de la description
des quatre tableaux de ce peintre : l'hnprovisateur napolitain , la Madone
de r Arc, les Moissonneurs et les Pêcheurs de l'Adriatique (1838, in-8°). La
statue de sainte Cécile, en marbre, offerte par David à la cathédrale d'An-
gers, date de 1837. (Musées d'Angers, p. 106.) Le médaillon d'Hélène
David, fille du statuaire, porte le millésime de 1838. (Musées d'Angers,
p. 170.1 M. Maillocheau, MM"" Boyleau sont des membres de la famille de
M""^ David. Cottereau le Chouan, Savoie, le vieux soldat de la République,
étaient les représentants d'une époque de luttes dont le statuaire recher-
chait avidement les témoins, afin de conserver leurs profils. Il avait vu
Cottereau, et, celui-ci étant mort, il avait essayé d'obtenir d'une demoi-
selle Coquereau quelques notes biographiques sur le Chouan disparu. David
suppose à tort qu'on a pris une fausse piste en s'adressant à M"'= Coque-
reau. Il se trompe. La quasi-similitude des noms s'explique. Les Coquereau
et les Cottereau avaient combattu sous le même drapeau. Mais les uns
comme les autres, aussi bien que Savoie, ne pouvaient raconter que leurs
batailles, dont le souvenir demeurait confus dans leurs cerveaux usés par
les années et la misère. En 1838, Savoie était mort.
cxxx
Victor Hugo à David.
Le buste du poète.
21 mai 18:!8.
Sous cette forme magnifique, mon ami, c'est l'immortalité que
vous m'envoyez. Une pareille dette est de celles dont on ne
440 DAVID D'ANGERS
s'acquitte jamais ; j'essaierai cependant, non de la payer, mais
de la reconnaître.
Vous êtes un homme admirable et je vous aime,
Victor Hugo.
Collection David d Angers. — Ce billet est l'accusé de réception du buste
en marbre dont il est parlé sous la date du 3 février 1837.
CXXXI
David à Victor Pavie.
La statue de sainte Cécile.
Paris, i2 juin 1838.
Mon cher Victor,
Je viens de mettre une caisse au roulage. Tu la recevras
franche de port. Elle contient plusieurs esquisses pour toi et
une petite Vierge gothique. Ton nom est écrit sur tous les ob-
jets qui te sont destinés.
Après-demain, la caisse contenant la statue de sainte Cécile
sera confiée au roulage et sous peu de jours, par conséquent,
elle sera rendue à Angers. C'est alors que je te prie en grâce de
surveiller le décaissement, d'engager les charpentiers à ne pas
mettre les mains dessus, car ils tacheraient le marbre. Il serait
aisé d'entourer avec du linge les endroits qu'ils seront obligés
de saisir pour l'élever sur son piédestal. Il faudra faire venir le
mouleur qui demeure dans la rue Saint-Aubin pour qu'il scelle
la lyre avec du plâtre. S'il y avait des taches occasionnées par le
frottement des doigts sur la statue, tu pourrais les faire enlever
avec une éponge mouillée. Voilà bien des ennuis que je vais
l'occasionner, mais tu es si bon pour moi que je n'hésite pas à
te charger de cette corvée.
A toi de tout cœur, David.
Je te prie aussi de demander à l'Évêque qu'il donne des
ordres pour que l'on ne décaisse pas la statue avant que le
piédestal soit totalement achevé.
Collection Pavie.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 141
GXXXII
David à Victor Pavie.
Le maître renonce à exécuter l'Annonciation de la Vierge. — Projet de
groupe représentant /a Vierge et l'Enfant Jésus. — Le respect des croyan-
ces d'autrui.
Paris, 15 juillet 1838.
Mon cher Victor,
Les réflexions qui t'ont été faites sur la composition de notre
Annonciation de la Vierge ne me découragent pas. Je ferai une
Vierge avec l'Enfant. C'est un sujet à la fois touchant et sublime.
Ces deux êtres mystérieux ne sont-ils pas dignes de la vénéra-
tion des hommes ? Je nourris cette idée depuis mon séjour en
Italie, oii la Madone est l'objet du culte d'un peuple qui sent
exclusivement par le cœur.
J'abandonne donc ma première idée qui m'avait cependant
vivement séduit par sa simplicité et son originalité.
Cette jeune fille et la colombe, deux êtres si purs! Cela ne
me paraissait pas contradictoire avec les dogmes chrétiens. Tou-
tefois, je ne puis être juge dans ces sortes de matières; c'est
pour cette raison que je t'ai prié de consulter des personnes
instruites, parce que tout ce qui tient aux croyances des hommes
est sacré pour moi, et je bannirai toujours de mes ouvrages le
moindre détail susceptible d'être jugé ridicule, alors surtout que
le sujet traité touche à la foi religieuse.
Je te remercie bien de penser à faire une nouvelle édition de
la petite brochure de Maillard. Un si grand nombre de personnes
me la demandent que je me vois forcé de l'importuner encore
à cet égard.
Ton bien dévoué de cœur,
David.
Collection Pavie. — La composition du hd.?,-rQ\\c daV Annonciation ayant
soulevé quelques critiques de la part déjuges qui l'avaient peut-être exa-
miné au point de vue d'une orthodoxie trop rigoureuse, David abandonna
son projet, non sans quelque regret, comme on vient de le voir. Il ne
donna pas suite au groupe de la Vierge et l'Enfant, dont il parle ici.
142 DAVID D'ANGERS
GXXXIII
Louis-Napoléon à, David.
Projet de monument à la mémoire de la reine Hortense. — Bartolini
préféré à David.
Arenenberg, ce 17 juillet 1838.
Monsieur,
Après la mort de ma mère, je m'étais adressé à plusieurs
artistes, et à vous particulièrement, afin d'avoir plusieurs projets
relatifs au monument que je voulais faire élever dans la cha-
pelle de Rueil.
Je désirais surtout que ce fût un sculpteur français qui fût
chargé de l'exécution ; et votre talent si connu eût été pour moi
une raison de plus de vous prier de vous en charger; mais mon
père, qui entre pour moitié dans les frais, désire que ce monument
soit fait sous ses yeux, et par un sculpteur qui ait connu ma
mère, c'est ce qui l'a engagé à vouloir que Bartolini se chargeât
de cet ouvrage.
Vous concevez. Monsieur, combien, après l'obligeance que
vous m'avez témoignée, il doit m'être pénible de ne pas pouvoir
accepter vos services.
Recevez, avec mes regrets, l'assurance de mes sentiments dis-
tingués.
Napoléon Louis.
CollectionDavid cV Angers . — Le prince Louis-Napoléon, depuisNapoléon III,
avait demandé au maître, et obtenu de lui, qu'il modelât une esquisse de
la statue de la reine Hortense. [David d'Angers, etc., 1. 1, p. 387 ; t. II, p. 492.)
Cette esquisse fait partie de la collection Pavie. La reine Hortense, décédée le
5 octobre 1837, au château d'Arenenberg, en Suisse, avait exprimé le vœu
que ses restes fussent déposés auprès de ceux de sa mère, l'impératrice
Joséphine, dans l'église de Rueil. Le monument que firent élever dans
cette église l'ex-roi de Hollande et son fils, le prince Louis, fut inauguré
20 avril 1846. C'est Bartohni qui avait exécuté la statue de la Reine.
(Rueil, par Jacquin. Paris, 1846, pp. 93-99.) Cette œuvre, ayant déplu au
prince Louis, fut remplacée par une statue nouvelle, due au ciseau d'Au-
guste Barre.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 143
CXXXIV
Charlet à David.
La chaire de professeur de dessin à l'École polytechnique. — Philopœtnen .
Paris, 8 août 1838.
Quoique tu me regardes comme le dernier des citoyens français,
ou plutôt que tu ne me regardes plus, ce qui ne me regarde pas,
attendu que je n'enregistre pas ces puérilités de la vie humaine,
j'ose encore lever mon front d'esclave vers toi, parce que je sais
que tu es bon dans le fond, et que j'ai toujours eu pour ton ta-
lent une haute estime. Car, Dieu merci, ce n'est pas pour te le re-
procher,, mais j'ai osé braver la fureur des Atrides et méprendre
aux crins avec le dernier des Éparainondas, pour défendre ton
Philopœmen, que ces hauts titrés regardent comme un cra-
paud du faubourg des allumettes. J'ai beau leur crier : « Mais
au moins il est vivant, mais ce n'est pas un mannequin d'Aga-
memnon, mais voyez donc ce dos, ces bras, cette poitrine, mais
cela est une magnifique étude, cela palpite, c'est de la vie enfin,
la vie ! ce principe premier de toute chose... » Enfin je me suis
fait traiter de faiseur de bons hommes et d'ignobilité d'homme
ne comprenant pas le beau, d'àme sans élévation. Mais comme
je le dis plus haut, je n'enregistre pas ces puérilités.
Mais ce n'est pas de tout ceci qu'il s'agit. Dépose un instant
ton faisceau consulaire et veuille m'écouter, car dans ta poitrine
de fer un cœur d'honnête homme doit encore battre avec cha-
leur. Voici ce qui m'amène. L'Institut va être appelé à ajouter un
candidat de son choix à côté de celui proposé par l'École polytech-
nique; je me suis mis sur les rangs. Du côté de l'École un candidat
prétend avoir toutes les voix, c'est M. Dulong fils, qui n'a que le
titre de fils de Dulong, reconnaissant sa profonde impuissance,
mais qui dit : « Je suis le fils de Dulong. » Moi j'ose dire que cette
exploitation de l'hérédité, dans ce cas, est encore plus ridicule que
celle de la Chambre des pairs, ajoutant à cela que M. Dulong,
parce qu'il s'appelle Dulong, vient, sous l'intluence de M Arago,
d'être nommé professeur de dessin aux Ponts et Chaussées (2,000
francs). Or, il ne se conlcntc pas do cela, et veut encore, en
144 DAVID D'ANGERS
exploitant l'ombre de son père, se faire nommer à l'Ecole poly-
technique.
L'Institut peut Joindre un nom, mais, de ce côté, Langlois,
digne et honorable Atride (fils d'Io et du centaure Ghiron), s'em-
presse de se mettre sur les rangs, et je ne doute pas qu'il n'ait
l'avantage sur moi, parce qu'il est de l'Institut.
Pourtant, une réflexion fort sage et fort juste peut être faite.
Depuis nombre d'années le cours de dessin de l'École ne produit
rien; les maîtres y viennent faire leurs factions, puis les élèves
dorment dans le poste à l'ombre et sous la protection d'Agamem-
non, d'Ajax et de Patrocle. M. Arago et quelques hommes supé-
rieurs ont reconnu la profonde nullité de ce cours, et voudraient
lui redonner de la vie ; ils ont pensé que j'étais leur homme;
moi je ne recule pas, je pense aussi pouvoir y rendre service, et
cela avec désintéressement, car on a l,oOO fr. de traitement.
Voici ce qui me fait penser que je puis être une spécialité en
cette circonstance, c'est que ces jeunes gens ne sont pas desti-
nés à la peinture et à la sculpture. Il ne leur faut que des choses
nourrissantes pour leur avenir. Les trois quarts sont pour le génie
militaireet l'artillerie, donc il faut qu'ils soient en état de rapporter
des matériaux pour l'histoire militaire du pays. Il leur faut quel-
qu'un qui leur apprenne à poser vigoureusement un homme sur
ses pieds et à ne pas chercher les Grecs quand on leur demandera
un Turc. Un homme qui traite avec quelque rapidité et une
figure et un bout de paysage, qui, enfin, sans leur faire mépriser
le père Laocoon, leur dise : « C'est beau, c'est très beau, mais
faites ce qui remue autour de vous, car nous devons nous trans-
mettre tels que nous sommes à nos descendans, pour qu'ils ne
nous représentent pas en Romains avec des perruques à 36 mar-
teaux. ))
Tu me comprendras, j'en suis certain, car je crois être un peu
dans ton sentiment comme art, et quoique tu me regardes comme
le plus abruti des esclaves, je suis certain que tu parleras en
mon sens avec tes amis, si tu en as, car, vois-tu, dans ce monde,
les amis sont comme les fiacres, on ne les trouve que quand il
fait beau. Et moi je les compare à ces billets donnés à des amis,
et sur lesquels l'auteur compte; mais vienne l'orage du parterre,
mes gaillards sont les premiers à dire que l'auteur est un brave
garçon, mais que c'est détestable, et ils sifflent des premiers pour
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 145
ne pas avoir l'air d'être des billets donnés. Si je n'avais pas en-
tendu des hommes estimables dire: « Je suis l'ami de David, c'est
un homme de talent, mais ce Philopœnien, ha! dame! hô!hê...
Voyez les antiques... il y a bien du talent... certainement...
Oui! mais c'est détestable!... comme goût... », je ne te ferais
pas ces réflexions d'une harmonieuse philosophie.
Donc , il faut souvent préférer certains ennemis à certains
amis. C'est ce qui me fait venir à toi, quoique tu sois mon en-
nemi. Je ne te demande pas ta voix sans réflexion, tu jugeras.
Continue à ne pas me regarder puisque cela farrange et que cela
m'est indifférent. Le tems est plus fort que toi, je le laisse faire.
Ne me réponds pas parce que tu ne dois pas me répondre.
Fais ce que te dictera ta conscience que seulement j'ai voulu
éclairer pour te mettre à même de juger.
Prends la présente en bonne part et parfaite cordialité, fais
encore Philopœnien et tu pourras compter sur ton ennemi in-
time.
Adieu,
Charlet.
Collection David d'Angers. — Charlet et le maître (''taient liés de longue
date avant 1830. La révolution de Juillet les sépara. Toutefois, ils ne ces-
sèrent pas de s'estimer mutuellement, et le statuaire a laissé sur son ami
plus d'une page touchante. (David d'Angers, etc., t. I, pp. 392-393; t. II,
p. 139.) Nul doute que l'auteur du Philopœmen n'ait chaudement soutenu
la candidature de Charlet, qui obtint la chaire de dessin qu'il convoitait...
aux appointements modestes de 1,.500 francs.
cxxxv
Rauch à David.
Iliimboldt. — Le monument de G;Ethe. — Les Victoires de la Wallialla. —
Le monument de Gobert. — La statue d'Albert Durer. — Amazone en
lutte avec un léopard, par Kiss. — Les bustes de Tieck et de Carus.
Bcrlio, 13 août 1838.
Mon très cher ami et honorable collègue,
D'après ce que racontent les journaux et nos artistes, aussi
bien que les voyageurs qui ont occasion do passer par votre
atelier, où ils voient et admirent vos travaux, votre activité est
10
146 DAVID D'ANGERS
prodigieuse. De plus, vous êtes heureux au sein de votre famille,
où notre ami M. le baron Alexandre de Humboldt aura l'obli-
geance de vous remettre ces lignes qui n'ont d'autre but que de
me rappeler à votre souvenir et à votre toujours chère amitié.
La grande duchesse de Weimar m'a parlé souvent de vous à
propos du monument de Gœthe, Schiller, etc., et de l'intérêt que
vous portez aux hommes illustres, à quelque nation qu'ils appar-
tiennent. Mais personne ne partage avec Elle ce noble enthou
siasme susceptible de réaliser dans notre patrie des monuments
dignes de la postérité. Cette noble dame est trop peu secondée
dans ses projets.
Je suis toujours occupé par les marbres et les modèles des six
Victoires destinées à la Walhalla, et le marbre du Danube, pour
S. M. l'empereur Nicolas, et outre ma demi- douzaine de Fïc boires,
j'en dois faire deux autres en bronze appelées à prendre place
dans le jardin de Charlotlembourg. On coulera bientôt la statue
d'Albrecht Durer à Nurenberg et le groupe des deux premiers
princes de la Pologne Miecislas et Boleslas. Les costumes de ces
trois derniers sujets sont très favorables à la sculpture, et je me
flatte d'en avoir profité. Les princes polonais se rattachent
au onzième siècle. Durer appartient au seizième, et j'ai pu l'étu-
dier d'après ses propres tableaux du Musée de Vienne.
Vous me parlez dans votre dernière lettre d'un monument
équestre que vous pensez faire en Italie. Mais, plus récemment,
j'ai appris que vous vous occupiez du modèle de ce groupe, ce
qui m'a causé un vif plaisir, car vous ne trouveriez pas de che-
vaux aussi parfaits en Italie que ceux qui existent autour de
vous, à Paris. En tout cas, je ne puis que vous féliciter d'avoir
à exécuter une œuvre aussi intéressante que l'est ce travail qui
achèvera de fonder votre gloire.
Un de mes premiers élèves, M. Kiss, né dans la haute Silésie,
est occupé en ce moment à un groupe colossal représentant une
Amazone à cheval en lutte avec un léopard qui va bondir par-
dessus la monture de la guerrière. La composition est très heu-
reuse. L'exécution, qui révèle un réel talent et des connaissances
profondes, bénéficie de l'étude de nos superbes chevaux. Je ne
crois pas que dans ce genre on ait fait rien de meilleur.
J'ai projeté depuis six ans un monument de Frédéric le Grand,
par ordre duRoi, et j'ai déjà modelé différentes esquisses, mais
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 147
sans succès, quoique ma première esquisse ait eu la fortune de
plaire à tout le monde; mais on ne finit pas de décider l'exécu-
tion du monument. Je mourrai comme vous sans avoir eu la sa-
tisfaction de me voir confier le sujet que j'estime le plus favo-
rable à l'art du sculpteur,
A Dresde, j'ai vu avec une très grande satisfaction vos deux
superbes bustes de L. Tieck et de M. Carus, lesquels j'estime
être vos meilleurs portraits.
Ma famille vous remercie de votre aimable souvenir, et me
charge de renouveler ses hommages à Madame votre chère
épouse , de même que je vous prie pour ma part de l'assurer
de mon amitié et de mes souhaits de bonheur.
Recevez l'assurance de l'entier dévouement de votre sincère
ami et collègue,
Rauch .
Collection David d'Angers. — Il est parlé plus haut, sous la date du 6 dé-
cembre 1834, de la participation de Rauch à la décoration de la Walhalla.
La statue d'Albert Durer a pris place dans ce temple.
CXXXVl
David à Victor Pavie.
Le peuple de Réziers. — Médaillon de Bouchotte. — La cathédrale de Metz.
— Un pêcheur à la ligne. — Le soleil du Midi. — Philosophie. — Les
Pyrénées. — Rêverie. — La statue de l'Humanité.
Montpellier, 5 novembre 1838.
Mon cher Victor,
J'ai quitté Béziers le 23 octobre et fait mes adieux à mon cher
Riquel qui est là sous un beau ciel au milieu d'une population
pleine d'enthousiasme pour les grands et nobles souvenirs. Ces
bons habitants ont fêté le sculpteur du grand homme d'une ma-
nière presque impossible à décrire. Le peuple, qui partout a seul
une âme impressionnable, s'est chargé d'exprimer ses sentimens
à ton ami. Toutes les nuits il venait sous mes croisées chanter
des hymnes qu'il avait composés pour moi. Et souvent quand
je passais dans les rues, il tombait à mes pieds des couronnes
de lauriers. Tous les hommes se découvraient devant moi.
148 DAVID D'ANGERS
Ordinairement, dans les fêtes publiques, le peuple est spectateur :
là il s'est fait acteur. Cette fête a eu un caractère original.
Voilà bien des lieues que nous faisons depuis notre départ de
Paris. J'ai Joui à plein cœur de la vue du Nord, et ensuite de ce
beau pays méridional qui est comme une préface de l'Italie. A
Metz, j'ai éprouvé une vive impression en revoyant une cité
que j'avais traversée avec toi. J"ai fait le portrait du célèbre Bou-
chotte, ministre de la Guerre du tems de la République. Je suis
bien heureux quand il m'est possible de serrer la main de ces
géants, témoins d'une si grande et si noble époque. J'ai visité
dans tous ses détails la magnifique cathédrale que nous avions
tant admirée ensemble. J'ai aussi revu, non sans sourire, le même
homme auprès duquel nous nous étions arrêtés si longtemps sur
un pont où il était occupé à pêcher à la ligne. Je l'ai retrouvé à
la môme place, prenant plaisir à la même chose. Rien de changé,
sauf que lorsque nous l'avions vu il portait un chapeau ciré et
une veste, tandis qu'actuellement il est vêtu d'un gilet de tricot
et coiffé d'un bonnet de coton. L'homme, cette chrysalide hu-
maine, tourne incessamment dans le même cercle. Il y a deux
raille ans, un autre pêcheur devait se trouver là, tenant une li-
gne, selon toute vraisemblance; seul le costume a changé. C'est
pour cela, il me semble, que les artistes devraient ne s'occuper
que de l'homme tel qu'il est sorti des mains de la nature, sans
prendre souci de la défroque, qui n'est que l'expression d'un
caprice et de la bizarrerie de la créature.
J'ai éprouvé un bien vif bonheur en revoyant la promenadedu
Pérou à Montpellier. J'ai assisté à un beau coucher du soleil. Le
ciel était pur comme il l'est dans le midi de la France. Il me sem-
blait que mon être grandissait et s'élevait vers ce ciel; mes pou-
mons aspiraient, en se dilatant, l'air si pur, si onctueux de ce
beau climat. Cette impression d'élévation vers le ciel est toute
physique. C'est par une raison contraire que sous un ciel couvert
et brumeux, il semble que vous ayez sur la tête une calotte de
plomb qui vous refoule vers la terre et vous oppresse. Quand on
est impressionné par les merveilles de la nature éclairée par un
beau ciel, on est porté à penser qu'un être microscopique tel que
l'homme sonde les profondeurs aériennes et terrestres. Il grandit
alors de toute sa petitesse, c'est-à-dire d'une manière incommen-
surable. L'essence immatérielle qui anime son cerveau est donc
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 149
une portion de l'infini, et il est donc juste de penser que quand
la main invisible qui met en mouvement la matière l'a quitté,
cette matière est gisante et inerte comme la feuille jaunie avec
ses fibres desséchées ou comme la barque vermoulue privée de
son pilote. C'est en face de la mer, des montagnes et du ciel, de-
vant ces pages sublimes, qu'il est impossible que l'homme ne lise
pas sa destinée future.
Je suis enfin entré dans le cœur des Pyrénées, j'ai vu l'Espagne
à sa frontière. A Laruns, je suis allé visiter la carrière de marbre
deLouvie. Elle produit l'effet, vue de loin, d'une blessure laite
dans la montagne; on dirait une tache d'argent. Les nuages font
une ceinture à cette montagne, tandis que son sommet émarge
dans la lumière. C'est à la base de la montagne que l'homme
accroche son habitation. C'est là qu'il trouve ces mines de cuivre
et de fer qu'il exploite, mais la cime élevée est inaccessible pour
lui. Ainsi des fières pensées du génie qui sont en relations avec
le ciel et bien souvent intraduisibles pour l'humanité.
Que de générations passent et vivent à l'abri do ces hautes
montagnes avec les seules aspirations végétatives, à l'exemple de
ces brebis qui dévorent l'herbe et les fleurs que produit le sol!
Quel mystère que celui qm pousse des hommes à s'approprier,
avec le secours de la poudre à canon, des blocs de marbre dont
les Deucalions vont s'emparer pour créer un monde de statues,
rendre visibles, consacrer les traits des hautes intelligences qui
sont la gloire ou l'opprobre du genre humain! Les unesélectrise-
ront les jeunes âmes et leur montreront la route du beau et du
vrai; les autres feront détester le vice en le présentant dans toute
sa laideur. Ces pages de marbre blanc attendent le sublime écri-
vain, au cœur pur, mais elles auront aussi leur destinée. L'une
appellera l'admiration sur le sujet traité par l'artiste; l'autre sera
l'objet de malédictions, quoique d'une matière aussi pure et
aussi transparente que la première. C'est la forme qui particularise
le marbre sculpté. N'en est-il pas de même pour Ihomme? Par
instants, des blocs se détachent d'eux-mêmes de la montagne et
roulent, entraînant dans leur chute la chaumière qui donnait
asile à une humble famille. Le sculpteur regarde ces masses avec
admiration, les mesure, et sa puissante volonté leur donnera la
forme des dieux ou des héros. J'ai longtems rêvé devant ces co-
lossales masses de rocher qui, après avoir si longtems menacé le
150 DAVID D'ANGERS
ciel, tombent, encore noircies par les orages, et s'arrêtent à la
portée de la main du statuaire, assez semblables au grand homme
qui vient poser devant l'artiste.
Toutes les maisons des villages environîiants sont construites
avec du marbre. J'avoue que j'éprouvais un sentiment pénible en
voyant cette belle matière employée ainsi en grands blocs, servir
à clore des écuries, des toits à porcs. Combien de représentations
possibles de grands hommes sont là souillées par des ordures !
Mais que la main paternelle du statuaire vienne, la croûte im-
monde, fangeuse disparaîtra, et le marbre reprendra son éclat. Il
sera digne delà forme qui viendra l'animer. N'en a-t-il pas été
souvent ainsi à l'égard de certains hommes malheureux et mé-
connus dans leur jeunesse qui, ensuite aperçus et compris par
un être bon, sont devenus des guides pour leur époque ?
Souvent, en contemplant une de ces montagnes de marbre, je
sculptais, par la pensée, la statue de VBumanité. Sa tête dans le
ciel aurait les étoiles pour couronne, et cette tête se reposerait
sur une harpe tenue par la main gauche du personnage. Les
quatre Parties du monde, représentées par des enfants, seraient
sur son vaste giron ; l'Afrique et l'Amérique apparaîtraient encore
suspendues à ses mamelles, tandis que l'Asie et l'Europe essaie-
raient d'atteindre aux cordes de la harpe avec leurs faibles mains;
la dernière tiendrait un livre dans sa main droite. La grande figure
de l'Humanité aurait pour attribut la plume qui lui sert à écrire
le code de l'émancipation. Les pieds de l'Humanité toucheraient
à la terre. L'eau serait représentée par les torrents qui arrosent
les montagnes ; le feu par les forges qui brûlent continuellement
pour façonner le fer qu'on en extrait; les nuages voileraient sa
noble tête et seraient le symbole des vicissitudes humaines.
Nous partons pour Bordeaux, et si rien ne dérange nos projets
nous passerons par Angers. Toutes les nobles et grandes inspira-
tions recueillies aumiheude cette admirable nature ont besoin
d'être scellées par les précieuses effusions du cœur. Il me tarde
d'être assis dans une certaine salle de la rue Saint-Laud, auprès
de bons amis. Ainsi, vers une quinzaine, nous espérons être parmi
vous.
En attendant le plaisir de vous serrer dans nos bras, nous vous
souhaitons une bonne santé à tous et nous vous prions, Emilie
et moi, de croire à notre inaltérable amitié.
Tout à toi de cœur, David.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 131
Je suis tellement pressé que je ne relis pas ma lettre. Je ne
sais ce que tu penseras de ce barbouillage peut-être incohérent.
Collection Pavie. — Nous avons relevé sur les carnets du maître une
page relative aux carrières de Louvie, publiée par nous, dans David d'An-
gers, etc., t. II, pp. 341-342. Cette page date de 1836. Deux ans plus tard, au
même lieu, David éprouve les sensations qui l'avaient agité une première
fois et il fait Victor Pavie le confident de ses pensées sur le marbre sta-
tuaire. L'inauguration de la statue de Riquet, à Béziers, avait eu lieu le
21 octobre 1838. Le médaillon de Bouchotte porte le millésime de 1838.
{Musées d'Angers, p. 167.)
GXXXVII
Lady Morgan à David.
L'écrivain irlandais fixé à Londres. — Son buste sculpté par David. — Un
portrait de lady Morgan, par sa nièce. — Demi-cécité. — Les Voyages
d'Alexandre Dumas.
London, 10 décembre 1838.
Williems Street, Belgrave square.
Mon cher Monsieur David,
Vous croyez peut-être que je suis femme à oublier un des plus
aimables hommes, et le plus illustre artiste de la France! Ne
vous flattez pas! Vous ne serez jamais quitte de ma reconnais-
sance et comptez que, quelque beau jour, quand vous m'atten-
drez le moins, vous me trouverez à votre côté vous renouvelant
mes remerciements pour le bel ouvrage par lequel vous avez
bien voulu me recommander à la postérité. Voilà votre buste en
("ace de la table d'où je vous adresse ce petit billet.
J'ai quitté l'Irlande à tout jamais! Le buste a été mon compa-
gnon de voyage, comme il est la gloire de ma maison à Londres.
Venez voir les hommages offerts à votre génie par tout ce qu'il
y a de plus distingué en fait de goût, dans cette vaste capitale du
monde entier! En attendant, acceptez, je vous prie, un portrait
fait d'aprrsle même modèle que vous avez tant embelli. C'est
seulement donné en étrennespour me rappeler à votre souvenir;
c'est fait par une de mes chères nièces (sœur cadette de la petite
Sidney qui, depuis que vous l'avez vue, a été l'épouse la plus
heureuse, comme elle est maintenant la veuve la plus désolée :
152 DAVID D'ANGERS
voilà, hélas! la vie). Veuillez bien présenter mes compliments
très distingués à Madame votre épouse, dont je désire beaucoup
faire la connaissance, et croire pour vous, mon cher Monsieur
David, tout ce que l'estime et l'admiration peut dicter.
Sydney Morgan.
P. S. — Sir Charles se porte à merveille et me charge de toutes
sortes d'amitiés de sa part. Je suis, moi, très bien portante aussi,
mais devenue si aveugle que j'ai de la peine à tracer ce griffon-
nage, et je crains que ma petite gloriole d'auteur soit éclipsée
pour toujours. De la sorte vos journaux n'auront plus d'occasion
de m'attaquer comme ils l'ont si souvent fait, surtout à l'occasion
de mon dernier ouvrage sur la France. Cependant, j'ai toujours
aimé la France, et j'ai toujours dit la vérité, ou ce que j'ai cru
l'être.
Je ne vois plus ce que j'écris ! Rappelez-moi à Alexandre
Dumas; je viens en ce moment de lire ses jolis Voyages.
Collection Henry Jouin. — Sir Charles, désigné ici par son seul prénom, est
le mari de l'écrivain, sir Charles Morgan, médecin et littérateur, qui avait
épousé miss Sidney Owenson, en 1811.
1839
GXXXVIII
David à Victor Pavîe.
Les joies du foyer. — La statue de Barra. — Le Salon de 1839. — Bustes
d'Arago, de Lamennais, de Destutt de Tracy, de l'abbé Grégoire et de
M"« Mars.
Paris, 5 février 1839.
Mon cher Victor,
Je n'ai que quelques minutes pour t'écrire par cette occasion
qui se présente-, et j'en profite pour te dire combien nous som-
mes heureux, Emilie et moi, d'avoir appris que M""^ Pavie était
heureusement accouchée d'un garçon. Voici, mon cher ami, un
bien puissant motif de bonheur et de consolation pour vous deux.
Avec le monde intérieur que l'on se crée en famille, on peut aisé-
ment se passer du monde extérieur, et cela est une grâce bien
généreuse du ciel. Pour moi, qui ai déjà une longue expérience
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 153
delà vie, il n'y a pas de jour que je ne rende grâce au ciel de
m'avoir si heureusement favorisé sous ce rapport.
Je travaille avec la plus grande ardeur pour le Salon prochain.
Le petit Tambour est totalement terminé, et j'espère pouvoir en-
voyer à l'exposition les bustes en marbre d'Arago, de Lamennais,
de Tracy, de Grégoire et de M"" Mars.
Dis bien des choses affectueuses de la part d'Emilie et de la
mienne à ton père, et présente mes respectueux hommages à
M"* Pavie. Emilie me charge de la rappeler à son bon et aimable
souvenir.
Ton bien dévoué de tout cœur,
David.
Collection Pavie. — La statue en marbre du Jeune Barra porte le millé-
sime de 1838. Le buste en terre cuite de Lamennais date de 1837; le
marbre est de 1839. Le buste de Destult de Tracy fut également modelé
en 1837 et traduit en marbre en 1839. Celui de l'abbé Grégoii'e, objet de
nombreuses répliques, est daté de 1828. Celui de M"« Mars avait été modelé
en 1823. Le marbre ne fut exécuté qu'en 1839. David se tint parole : les
divers ouvrages dont nous venons de parler, ainsi que le buste d'Arago,
furent exposés au Salonde 1839. (Musées cV Angers, ^-p. 108,123, 126-127, 164.)
GXXXIX
Sainte-Beuve à David.
Le buste d'André Chénier.
Ce samedi 2 mars (1839?).
Mon cher David,
Voici un André Chénier. J'ai noté au tome II, p. 94, quelques
vers qui me semblent résumer toute sa vie : vous les trouverez
encadrés au crayon. J'irai d'ailleurs en causer avec vous un jour
du commencement de la semaine prochaine, et voir le nouveau
demi-dieu naissant. Théodore en est enchanté.
A vous de cœur,
Sainte-Beuve.
Collection David d'Angers. — Le buste d'André Chénier, sculpté par le
maître, porte la date de 1839. David avait sans doute conçu le projet de graver
sur le socle quelques vers du poète ayant un caractère aulobiograpiiique.
134 DAVID D'ANGERS
(Musées d'Angers, p. 171. David d'Angers, etc., t. I, pp. 164, 380,381.) Le
passage visé par Sainte-Beuve dans l'édition Renduel (1833, 2 vol. in-S"),
€st tiré de la XVI" Elégie. Il comporte les neuf vers qui suivent :
Qui ne sait être pauvre est né pour l'esclavage.
Qu'il serve donc les grands, les flatte, les ménage^
Qu'il plie, en approchant de ces superbes fronts,
Sa tête à la prière, et son âme aux affronts,
Pour qu'il puisse, enrichi de ces affronts utiles,
Enrichir à son tour quelques têtes serviles.
Une pauvreté libre est un trésor si doux !
Il est si doux, si beau, de s'être fait soi-même,
De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu'on aime!
GXL
David à Rauch.
Une lettre d'introduction. — VÉtude sur la vie et les ouvrages de David
par Adrien Maillard. — Ilumboldt. — Schinkel.
Paris, 12 avril 1839.
Mon cher et honorable ami,
Un des hommes pour lequel j'ai la plus haute estime, M. Via-
lard, banquier à Montpellier, va voyager dans votre pays. 11 a le
plus vif enthousiasme pour tout ce qui est beau et noble dans les
productions du génie. C'est pour cette raison que je lui donne
cette lettre d'introduction auprès de vous afin qu'il puisse admi-
rer vos ouvrages. Admettez-le donc au milieu de vos chefs-
d'œuvre, et vous verrez qu'il a une âme faite pour les com-
prendre et les apprécier.
Je suis heureux aussi de pouvoir profiter de cette occasion pour
me rappeler à votre bon et cher souvenir et vous dire que vous
êtes bien souvent le motif de notre conversation, à Emilie et à
moi. Combien nous désirons vous revoir à Berlin ! Souvent je
me suis cru à la veille de réaliser ce désir, mais l'impérieuse né-
cessité des travaux est toujours là avec son inflexibilité, et force
est à moi de me soumettre.
Quand on considère l'art comme un moyen de plaider la
grande cause de l'humanité (ce rêve de toute ma vie), on se sent
le besoin de travailler afin de présenter aux hommes quelques
ET SES RELATIONS LITTERAIRES lb5
sujets que le cœur a conçus, car les artistes ont, ce me semble,
une bien haute mission philosophique à accomplir.
Je prie M. Vialard de vouloir bien vous remettre une petite
brochure qui vient de paraître. Cette biographie de votre ami,
quoique écrite avec trop de bienveillance en ce qui touche mes
ouvrages, est juste cependant sous le rapport des idées pohtiques
qui ont toujours été le mobile de ma vie d'artiste.
Depuis longtems je m'étais procuré votre biographie. C'est
une chose bien agréable d'être initié à quelques détails de la vie
privée d'un homme que l'on aime.
Je suis toujours très heureux d'apprendre des nouvelles de
votre santé et d'entendre parler des beaux ouvrages qui sortent
de votre ciseau. Continuez toujours avec le même succès, mon
ami, et croyez à tous mes sentiments de profonde estime et d'a-
mitié de cœur,
David.
Veuillez me rappeler au souvenir bienveillant de M. de Hum-
boldt, et ne m'oubliez pas non plus ainsi qu'Emilie auprès de
votre ami Schinkel et de sa famille.
Collection Eggers, à Berlin.
CXLI
David à Pavie père.
Victor Pavie. — Que l'aclivitù intellecLuL-lle exige le séjour de Paris.
Paris, 4 mai 1839.
Mon cher ami,
Après un trop court séjour ici, voilà déjà notre cher Victor qui
nous quitte. Je ne puis me taire sur le vif regret que j'éprouve
de voir sa haute et noble intelligence toujours éloignée d'un
centre d'émulation où il serait si bien fait pour tenir une place
extrêmement convenable, avec un génie si éminent et une âme
si pure !
Que de beaux et nobles ouvrages seraient légués au monde!
Assez d'àmes souillées par les errements vicieux de notre pauvre
156 DAVID D'ANGERS
société l'infectent de leurs productions, pour qu'on se sente pé-
nétré d'un profond sentiment d'amertume en voyant un sem-
blable esprit aller lutter contre les irritantes et paralysantes in-
fluences de la province. Pourquoi n'a-t-il pas été compris? Pour-
quoi ce jeune arbre est-il obligé de végéter sur un terrain si in-
grat ? Dieu le sait. Ce qui est de toute évidence pour moi, c'est qu'il
y a dans ce noble cœur et dans cette belle âme si ardente tout un
avenir de grandes œuvres littéraires, et que cet homme n'est pas
à la place que la nature lui avait assignée.
Enfin, mon ami, il va te revoir, ce qui est pour lui un bien
grand bonheur, car il comprend toute la tendre sollicitude de
ton affection à son égard, et s'il ne peut se livrer entièrement aux
impulsions de son talent, du moins sous le rapport désaffections
du cœur il n'a rien à désirer.
Adieu, cher ami, crois toujours aux sentiments d'affection et
d'entier dévouement que nous te gardons Emilie et moi.
A toi de cœur,
David.
Collection Pavie.
CXLII
David à Victor Pavie.
Le statuaire Leysener. — Une existence d'artiste à reconstituer.
Paris, 5 juillet 1839.
Mon cher Victor,
J'ai reçu avec le plus vif intérêt ta bonne lettre par laquelle tu
m'apprends que la santé des êtres qui te sont chers est bonne.
C'est déjà une chose bien importante que le calme heureux du
cœur, surtout pour un homme qui, comme toi, ne vit que de
cette vie-là.
Eh bien, es-tu parvenu à trouver des renseignements satisfai-
sants sur Leysener? Je suis vraiment émerveillé quand je pense
qu'un artiste aussi distingué est venu vivre au milieu de nous,
surtout à une époque oi^i le goût des arts ne devait pas être très
répandu. Quelles ont dû être les circonstances qui ont forcé cette
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 157
étoile à venir répandre la lumière dans un coin aussi obscur? Il
doit y avoir derrière ceci quelques-unes de ces dévorantes crises
qui compriment trop souvent la vie de l'artiste.
Tous les ouvrages de cet homme ont disparu. Il ne reste que
la face sublime d'un Christ. Elle seule le révèle à notre admira-
tion, et son nom est resté seulement dans le souvenir d'un anti-
quaire et de nous deux à peu près. Il faut, mon ami, l'emparer
de ce souvenir pour que ton génie lui donne une forme. Il faut
remuer cette poussière du tombeau pour en faire sortir quelque
chose de grand et de noble comme tout ce qui s'échappe de ton
àme.
Adieu, cher ami, courage et persévérance, et souviens-toi
quelquefois de ton tout dévoué de cœur,
David.
Collection Pavie. — Le sculpteur Jean-Sébastien Leysener, né en 1728
dans la principauté de Wurtzbourg, s'est fixé vei's 1760 à Angers, où il est
mort en 1781. Son œuvre la plus connue est une Tête de Christ provenant
de l'abbaye Saint- Aubin d'Angers. Victor Pavie a consacré à cette sculpture
des pages d'une pénétrante élévation (1846). De son côté, Davida modelé,
vers la même époque, le profil du sculpteur allemand. (Musées d'Angers,
p. 194.)
GXLIII
Alfred de Vigny à David.
A la recherche de l'adresse de Miçkiewicz.
Paris, 21 juillet 1839.
J'ai besoin de savoir l'adresse de M. Miçkiev^^icz, mon cher
David; voulez-vous me l'écrire? Est-il encore à Saint-Germain?
On m'a dit à Londres qu'il avait éprouvé des peines nouvelles.
Ne serait-il pas content de revoir un de ses anciens amis et d'en-
tendre parler de ceux qu'il a en Angleterre ?
Tout à vous mille fois,
Alfred de Vigny,
6, rue des Eciuies-d'Arlois.
Collection David d'Angers.
138 DAYID D'ANGERS
CXLIV
David, à Victor Pavie.
M. Lenepveu. — La statue d'Ambroise Paré. — Les monuments de Gobert
et de Gutenberg.
Paris, 4 août 1839.
Mon cher Victor,
Je ne veux pas laisser partir le jeune Lenepveu sans lui
donner ce petit mot de souvenir pour toi.
11 y a une sentence antique, je crois, qui conseille de ne pas
laisser croître l'herbe devant la porte de ses amis.
Je travaille beaucoup pour terminer tous les ouvrages dont
les modèles sont en train dans mon atelier. Sous peu je vais hvrer
au fondeur le modèle de la statue d'Ambroise Paré. Bientôt aussi
les bas-reliefs du monument de Gobert seront terminés.
Gutenberg est fondu en bronze, et je m'occupe des bas-
reliefs qui doivent décorer le piédestal. Les journées, quoique
longues actuellement, me paraissent trop courtes. Le travail est
un grand bienfait, car il nous fait oubher ou ne pas voir bien
des vilenies.
Adieu, cher ami, pense à celui qui est de tout cœur à toi,
David .
Collection Pavie. — La statue d'Ambroise Paré a été érigée à Laval, le
29 juillet 1840. Le modèle porte le millésime de 1839. Quatre bas-reliefs
décorent les faces du piédestal du monument de Gobert au cimetière du
Père-Lachaise. Pareil nombre de bas-reliefs entourent le monument de
Gutenberg à Strasbourg. {Musées d'Angers, pp. 109, 110, 116.)
GXLY
David à un publiciste.
De la nécessité d'un palais consacré aux expositions.
Paiis, 10 novembre 1839.
Monsieur,
L'exposition de tableaux qui va avoir lieu au Louvre aura
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 159
pour inconvénient de couvrir de charpente et de toile pendant
six mois les chefs-d'œuvre des grands maîtres. Pendant ce temps
ils seront enlevés aux études des artistes, à la curiosité des étran-
gers, et non seulement ces précieuses créations seront privées
d'air, mais exposées à être crevées et détériorées par la maladresse
des ouvriers... Pourquoi le Gouvernement ne fait-il pas con-
struire un monument spécial plutôt que de dépenser annuelle-
ment des sommes considérables en baraques provisoires?
Cette lettre a passé en vente le 20 avril 1825. — A l'époque où l'auto-
graphe de David était mis aux enchères, le palais qu'il avait souhaité de
voir construit s'élevait aux Champs-Elysées et les Salons annuels avaient
pour jamais déserté le Musée du Louvre.
GXLVI
David à Lamennais.
Offre du buste de l'écrivain,
Paris, 14 novembre 183D.
A vous le plus grand écrivain de notre époque, à vous sublime
et constant apôtre de la sainte liberté, à vous ange consolateur
des pauvres nations qui languissent depuis tant de siècles sous
le sceptre de for des rois, j'offre cette faible image, ce marbre que
j'ai tâché d'assouplir avec mon cœur. Recevez-le avec indul-
gence. S'il n'est pas aussi digne de vous que je l'aurais désiré, cette
lacune ne peut être attribuée qu'à l'insulfisance démon talent, car
je vous admire de toutes les forces de mon âme, et je vous aime
du plus profond de mon cœur.
Vous le recevrez, n'est-ce pas, comme un faible, mais sincère
hommage ! C'est le fragment de la statue que la postérité recon-
naissante vous élèvera un jour.
Votre tout dévoué et respectueux serviteur,
DAvm d'Angers.
Collection David d'Angers. — Nous avons trouvé dans les papiers du
maître ce premier jet de la lettre du statuaire à Lamennais. L'autographe
adressé à l'écrivain a passé en vente en 1887, avec la collection Deutu. 11 se
trouve reproduit au tome II du catalogue de ce cabinet.
160 DAVID D'ANGERS
CXLVII
Lamennais à David.
Réception du buste. — La cause de la liberté.
Paris, 16 novembre 1839.
Vous n'êtes pas seulement un grand artiste, mon cher David,
vous êtes encore un grand citoyen ; jugez donc combien m'est
précieuse l'estime que vous accordez à mes foibles travaux ! Je
ne partage point l'illusion de votre amitié sur leur impor-
tance, mais je crois mériter l'opinion que vous avez de moi, quand
vous comptez sur mon dévouement profond, inaltérable à la
cause du peuple et de la liberté. Jusqu'au dernier moment, je
combattrai pour elle, plein de foi dans l'avenir que Dieu pré-
pare au monde. Vous avez voulu que les traits du vieux soldat
ne restassent point inconnus à ceux qui continueront la guerre
sainte, et en les reproduisant sur le marbre, votre génie leur a
donné une magnifique immortalité. D'autres vous ont exprimé
déjà leur admiration pour votre œuvre ; il m'est doux d'y join-
dre les remerciements du cœur. Veuillez, mon cher David, les
agréer, avecl'assurance de ma fraternelle affection.
F. Lamennais.
Collection David d'Angers.
1840
CXLVIII
David à Victor Pavie,
L'hiver à Paris. — David acquiert une maison dans le Midi. — Projet de
reconstitution du tombeau de René d'Anjou dans la cathédrale d'Angers.
Paris, 2 janvier 1840.
Mon cher Victor,
J'ai passé bien des jours, accablé sous le poids de grandes
souffrances et de bien tristes pensées, depuis qu'une malheureuse
imprudence m'a occasionné une fluxion de poitrine, mais actuel-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 161
lement je suis en pleine convalescence, et tout me porte à
croire que je pourrai encore tenir ma petite place parmi les
vivants.
Les hivers me sont funestes à Paris. Le froid est contraire à
mon tempérament. Il me faut du soleil. Je ne puis m'arran-
ger de la vie aquatique de la capitale. La boue physique et mo-
rale de cette ville me fait horreur. J'étouffe ici ; un ciel pur,
l'immensité, des montagnes et la mer; voir les hommes de loin,
en passant, comme les aperçoit un voyageur, voilà ce que je
désire ardemment.
Mon médecin m'engage fortement à aller passer les hivers
dans le midi de la France. C'est ce que je ferai l'hiver prochain,
et c est pour cela que je viens d'acquérir une petite maison, sin-
gulièrement située, à la vérité. Elle est sur une montagne qui, à
une époque reculée, renfermait un volcan dans son sein. D'un
côté, on a la vue de la mer, et de l'autre, celle des montagnes
des Gévennes.
Nous avons l'intention de vendre notre maison de Ghavagnes.
Quelques jours avant ma maladie, j'avais reçu une lettre de
M. de Beauregard, président de la Société d'Agriculture. Il me
disait que les fonds souscrits pour le monument du roi René
s'élevaient à la somme de 2,S00 francs. Il me demandait en outre
s'il ne me serait pas possible de sculpter les deux figures pour
ce prix, ajoutant que le Gouvernement, par l'intermédiaire du
Préfet, fournirait le marbre, et qu'à la rigueur on pourrait ne
faire que la seule statue du roi René. A cela, je répondrai : qu'il
ne faut pas croire que le marbre donné par le Gouvernement soit
d'un grand secours, car pour deux figures couchées, il n'est pas
besoin d'un bloc considérable, et qu'ensuite le Gouvernement n'a
plus de marbre dans ses magasins. Les sculpteurs qu'il emploie
sont actuellement obligés d'en faire venir à leurs frais. Geci est
un fait. De plus, pour ce qui me regarde, c'est-à-dire la sculpture
des statues, quand j'avais demandé huit mille francs, ce n'était
certainement pas suffisant pour couvrir mes frais de moulage, de
praticien, de charpentiers, le mouvement des blocs, etc., etc.,
toutes choses qu'il est difficile d'expliquer et que tu connais bien,
toi qui as suivi mes travaux. Enfin, quoique je sois très heureux
de donner mon temps à raescompatriotes, cependant je voudrais
11
162 DAVID D'ANGERS
au moins retirer l'argent que je suis obligé de débourser pour les
ouvriers qui travaillent à mes ouvrages.
A 1 égard de la suppression de la figure de femme,, il ne faut
pas y penser; cela serait trop mesquin. Il y a lieu de restituer
le monument tel qu'il était avant sa destruction.
Tu m'obligeras en voulant bien causer de cela avec M. deBeau-
regard, et lui dire le motif qui m'a empêché de répondre à sa
lettre comme je l'aurais désiré.
Adieu, cher ami, tout à toi de cœur,
David.
Collection Pavie. — David ne conserva que quelques années l'habitation
qu'il avait acquise dans le Midi. Chavagnes est une localité du dépar-
tement de Maine-et-Loire, canton de Thouarcé. Le projet de reconstituer
le tombeau de René d'Anjou dans la cathédrale d'Angers ne se réalisa pas.
GXLIX
David à Lamartine.
Offre d'une esquisse de la statue de Gutenberg.
Paris, 6 février 1840.
Mon cher collègue,
Veuillez accepter une esquisse de la statue de Gutenberg que
j'ai le plaisir de vous offrir.
Ce monument auquel vous prêtez votre puissant appui s'élèvera
bientôt sur une des places de Strasbourg. La mémoire du grand
imprimeur recevra un nouvel éclat par les nobles accents que
crée votre sublime génie. Soyez bien persuadé que tous ceux
qui révèrent Gutenberg, pour avoir, par sa sublime découverte,
hâté l'émancipation du genre humain, vous conserveront dans
leur cœur une large part de reconnaissance.
Je serais allé vous porter moi-même, mon cher collègue, cette
petite esquisse, si je n'étais encore forcé aux plus grands ména-
gements pour achever la parfaite convalescence d'une maladie
extrêmement grave dont j'ai été atteint il y a près de trois mois.
Agréez, je vous prie, mon cher collègue, l'assurance de ma
parlaite considération et de mon entier dévouement de cœur.
DAvm.
Collection Lamartine.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 163
CL
Pariset à David.
Le médaillon de Pariset.
Paris, 7 février 1840.
Tout aux ordres du sublime ciseau. Je suppose que jedoisme
rendre dans son atelier. Mais où?
Les jeudis, et les samedis, surtout, de midi à cinq heures.
Qu'il dispose, et parle. J'obéis.
Mes respects à ses pieds,
E. Pariset.
Collection David d'Angers. — Etienne Pariset, membre de l'Académie des
sciences morales et Secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, écri-
vain fertile et délié, vécut dans une grande intimité avec David, qui mo-
dela son médaillon en 1840. Ce billet est la réponse du médecin à l'appel
du statuaire.
CLI
Pariset à, David.
Une séance ajournée.
Paris, 13 février 1840.
Aurez-vous pitié demoi? Me pardonnerez-vous ce qui m'ar-
rive? Je rentre de la Salpêlrière, et je rencontre besogne sur beso-
gne! Pelion sur Ossa. Souffrez que ce soit jeudi prochain de 2 à
3 heures, et pardon, et pardon. J'ai honte de moi et je vous sup-
plie de me conserver toujours la même bienveillance.
A vous, avec respect et gratitude,
E. Pariset.
Collection David d!Anyers.
164 DAVID D ANGERS
GLU
David à, Victor Pavie.
Une lecture chez Lamennais.
Paris, 9 mars 1840.
Mon cher Victor,
Aujourd'hui, j'ai passé plusieurs heures auprès de M. de La-
mennais ; il m'a lu des fragments de son grand ouvrage de philo-
sophie qui, j'espère, sera bientôt hvré à l'impression. Le chapitre
sur la philosophie de l'art chez tous les peuples et les phases
qu'il a traversées à différentes époques est vraiment sublime.
Quelle poésie ! Quelle profondeur de pensées unies à un style si
pur et si animé! J'ai senti un bien vif bonheur d'être initié à
cette source si précieuse qui doit bientôt se répandre dans le
monde intellectuel comme un océan de lumière. Il m'était im-
possible de ne pas être profondément ému en recueillant de si
hautes pensées émanant de l'homme sublime que j'avais devant
moi. Cet homme si bon, si noble, si plein de tendre affection
pour la pauvre et trop souvent ingrate espèce humaine, cet
apôtre de la vérité, ce philosophe compatissant de l'avenir, vit
au milieu des privations de tout genre, car le peu qu'il a, il le
partage avec les aflligés ; cet homme auquel l'avenir élèvera des
statues occupe pour le présent un petit appartement sous le toit.
La maison qu'il habite donne sur le boulevard, au coin de la
rue de la Michodière. L'irniombrable quantité de voitures qui
roulent sur le boulevard font continuellement trembler la maison,
et lorsque la tête du grand écrivain s'illuminait enlisant, je pen-
sais à Moïse sur le mont Sinaï, ébranlé par le tonnerre qui gron-
dait à ses pieds. Ah! certainement, cet homme qui porte l'univers
en volcan dans son cerveau devait aussi habiter prôs du ciel ; il
convenait qu'il vit sans cesse à ses pieds des myriades d'êtres qui
paraissent autant de fourmis agitées, ignorantes de tout ce qui
n'est pas dans la boue, leur cher et constant élément. Leur vue
troublée ne saurait fixer l'astre qui brille au dessus d'eux.
M. de Lamennais est un de ces astres trop rares à notre époque
qui doit, en jetant une vive lumière sur elle, l'empêcher dêlre
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 165
un jour complètement ensevelie dans la nuit obscure de l'oubli.
Dieu envoie à la terre, même dans les instants les plus désespérés,
de ces hommes types, phares resplendissants, qui attestent la
présence de l'àme divine au-dessus de la matière.
Dans la petite chambre de mon illustre ami, j'ai vu, non sans
un sentiment profond de reconnaissance, deux de mes ouvra-
ges : son buste en marbre, que je lui ai donné, et le dessin repré-
sentant le Christ assis sur le iMonde et écrivant avec son sang ce
code éternel de l'humanité : Liberté, Égalité, Fraternité.
En sortant de chez M. de Lamennais, je ne pus m'empêcher
de gémir sur l'ingratitude et la cupide méchanceté des hommes.
Tous ceux qui ont voué leur génie et leur existence à l'amélio-
ration de l'espèce humaine ont été malheureux et calomniés, et
la haine de l'immense quantité d'hommes qui profitent des abus
les a souvent poursuivis bien au delà du cercueil. Peu de voix
se sont élevées pour les défendre. Quelques lignes seulement ar-
rachées à une évidence trop puissante sont réservées à ces bien-
faiteurs de l'humanité. Mais qu'une tête couronnée bouleverse
des nations, mette l'Europe à feu et à sang, plonge des milliers de
familles dans le deuil, des peuples dans l'esclavage^, alors des
volumes ne suffisent pas même pour raconter tous ces hauts
faits !
La justice n'est donc pas possible sur cette terre ? Sans doute
que Dieu a voulu la réserver pour une autre vie, car si l'homme
trouvait le bonheur, la vérité, dans celle-ci, il prendrait la pré-
face pour le livre, livre sublime qu'il lira quand il aura laissé
sa chaîne matérielle dans le cercueil.
Emilie et moi, nous vous souhaitons à tous bonheur et santé.
A toi de cœur,
David.
Colleclion Pavie. — Les chapitres lus par Lamennais au statuaire ont
pris la forme d'un volume sous le titre De l'Art pt chi Beau (in-12), après
avoir été publiés dans le tome \\l d.^ Y Esquisse d'une pliUosophie. [{^•à.v'i^,
1841-184C, 4 vol. in-8".)
166 DAVID D'ANGERS
GLIII
Le baron Petit à David.
La médaille du général.
Paris, 17 mars 1840.
Monsieur,
Plusieurs fois je me suis présenté chez vous pour vous prier
d'agréer mes sentiments et mes bien sincères remerciements de
l'envoi obligeant que vous avez bien voulu me faire. Je suis
confus, et pénétré de la plus vive reconnaissance. Je voudrais
bien trouver des expressions qui pussent vous exprimer toute
ma gratitude. Mais cela est au-dessus de mon pouvoir. Vous avez
voulu, Monsieur, consacrer quelques-uns de vos moments à re-
tracer les traits d'un vieux soldat dont tout le mérite consiste
aujourd'hui dans son amour de la Patrie, comme à une autre
époque, douloureusement célèbre, il ne fut connu que par son
dévouement au héros des siècles modernes. Si mon nom, Mon-
sieur, peut échapper à l'oubli, je le devrai à votre beau talent
comme à celui de M. Horace Vernet.
Veuillez, Monsieur, agréer les sentiments' de haute considéra-
tion et de reconnaissance avec lesquels j'ai l'honneur d'être
votre très humble serviteur.
Lieutenant-général , pair de France,
Baron Petit,
Collection David d'Angers. — • On se souvient de l'honneur fait au baron
Petit par Napoléon lors des adieux de Fontainebleau. La médaille du géné-
ral fut modelée en 1840. {Musées d'Angers, p. 178.)
GLIV
Pariset à David.
Le médecin en possession de sa médaille.
Paris, ce 29 mars 1840,
Million de grâces pour vous, grand Phidias! Me voilà immor-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 167
talisé par votre beau talent, de qui vous pouvez dire cere peren-
nius. Mon respect pour Madame ; mes tendresses pour vous.Vous
m'apprendriez à être fier de moi ; maisje ne le suis et ne le serai
jamais que de vos bontés,
E. Pariset.
Collection David d'Angers.
CLV
Victor Cousin à David.
Une invitation. — Hugo et Lamartine.
Paris, ... avril 1840 {?).
Cher David,
Ce n'est pas le Ministre qui vous invite, c'est le confrère, c'est
l'ami. Que l'ami fasse donc un effort et vienne prendre place
entre Hugo et Lamartine.
A jeudi.
Tout à vous de cœur,
V. Cousin.
Collection David d Angers. — Victor Cousin reçut le portefeuille de l'In-
struction publique le 1" mars 1840 et resta ministre jusqu'au 29 octobre de
la même année. Ce billet donne la mesure de la courtoisie et de la bienveil-
lance du ministre.
GLVI
David à, Victor Pavie.
L'inauguration du monument de Gutenberg. — L'abbé Mongazon. —
Projet de nommer David officier de la Légion d'honneur.
Paris, n mai 1840.
Mon cher Victor,
Je ne puis penser aux. belles fêtes qui vont avoir lieu à
168 DAVID D'ANGERS
Strasbourg sans désirer de tout mon cœur que tu viennes y
participer. Pense au bonheur que j'éprouverais de passer
encore quelques jours avec toi dans cette vieille et poétique
ville. Je t'avoue qu'il m'est impossible de renoncer à cet espoir.
Je t'envoie une biographie de Gutenberg. Ne te serait-il pas
possible d'écrire quelque chose sur cet homme immense qui a
rendu un si éminent service au genre humain ? Ton hommage
serait bien reçu, j'en suis siir, par la Commission du monument,
et si tu venais assister à cette fête, la ville d'Angers serait repré-
sentée par deux de ses enfants qui ne lui sont pas les moins
dévoués.
Je m'occupe avec M Moll de la composition du monument à la
mémoire de M. Mongazon; j'attends que mon idée soit arrêtée
sur le papier pour répondre à Mgi" l'évêque.
J'ai été très heureux de constater que nous avions la même
pensée quant à la composition du bas-relief. Mon intention est
de représenter M. Mongazon entouré de jeunes enfants et même
de ses élèves qui sont devenus prêtres. Ne pourrais-tu m'envoyer
une biographie de cet homme?
Le ministre actuel voulait m'affubler de la rosette de la légion
que l'on appelle encore la Légion d'honneur; j'ai refusé.
J'avais déjà refusé les invitations à dîner de mes amis Cousin
et Thiers.
Adieu, cher ami, tout à toi de cœur,
DAvm.
Tâche de venir à Strasbourg ; nous avons si rarement l'occa-
sion de nous voir !
Collection Pavie. — Les fêtes de l'inauguration du Gutenberg à Stras-
bourg eurent lieu les 24, 25 et 26 juin 1840. {Musées d'Angers, pp. 109-110.
David d'Angers, eic, t. I» pp. 373-376.) David dut modifier le bas-relief
de « l'Europe » qui décore l'une des faces du piédestal. Plusieurs lettres
relatives à ce changement passent en vente assez fréquemment. Il ne nous
a pas été donné de les ressaisir aux enchères du 29 novembre 1876, des
14 et 30 mars 1882; mais nous savons en substance ce qu'elles renferment
par les notes autographes du maître résumées dans David d'Angers, etc.,
t. I, pp. 590-591. Le bas -relief du monument de l'abbé Mongazon repré-
sente une Distribution de prix. (Musées d'Angers, p. 111.)
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 169
CLVII
David à Victor Pavie.
Gutenberg. — Bichat, — Bernardin de Saint-Pierre.
Paris, 31 mai 1840.
Mon cher Victor,
M. Moll va passer quelques jours à Angers. Je l'ai bien engagé
à s'entendre avec toi pour la place à choisir touchant le monu-
ment de M. Mongazon. Ensuite, à son retour à Paris, nous nous
occuperons du dessin et nous l'enverrons sans retard à Angers.
Je ne puis te dire tout le regret que j'éprouve que tu ne puisses
venir à Strasbourg. Ta réponse m'a d'autant plus affligé qu'elle
était contraire à mes prévisions.
Je travaille beaucoup pour terminer les modèles des bas-reliefs
du monument de Gutenberg. Enfin, voilà encore un ouvrage
achevé, et j'en suis heureux, car je désirais bien ardemment de
pouvoir m'acquitter de cet hommage.
Thorvaldsen a fait l'homme qui imprime, moi j'ai cherché à
rendre les conséquences de la découverte de l'imprimerie. Je
t'assure que, dans ma dernière maladie, l'un de mes chagrins les
plus amers, c'était la crainte de ne pas terminer ce monument.
Actuellement, je travaille à influencer les compatriotes de Bi-
chat,afin défaire sa statue. Ils n'ont pas, disent-ils, assez d'argent
pour payer les frais du bronze. Et bien, je leur propose du fer.
Ambroise Paré etBichat! Voilà deux grandes gloires dont je
serais heureux de laisser le souvenir imprimé sur une matière
durable.
A l'égard de Bernardin de Saint-Pierre, je n'ai pas encore
l'ordre de commencer. Quel malheur pour moi d'être toujours
entravé dans mes plus chers désirs !
Adieu, cher ami, pense quelquefois à ton bien dévoué de tout
cœur,
David.
N'oublie pas, mon ami, de recommander tout particulièrement
la vente de notre maison de Chasagics à M. Vallée.
Présente mes respectueux hommages à M'"° Pdvie. Dis bien
170 DAVID D'ANGERS
des choses amicales de notre part à ton père, et dis à M'"® Pavie
qu'Emilie se rappelle à son bon souvenir.
Collection Pavie. — Le monumeat de Bichat, érigé à Bourg, ne fut inau-
guré que le 24 août 1843. {David d'Angers, etc., t. I, pp. 365-366.) La
statue de Bernardin de Saint-Pierre ne prit place sur son piédestal, au
Havre, que le 9 août 1852. {Musées d'Angers, p. 118. David d'Angers, etc.,
t. L p. 449.)
GLVIII
David à Rauch.
Lazare-Hippolyte Garnot.
Strasbourg, 28 juin 1840.
Mon bon et honorable ami,
C'est M. Garnot, membre de la Chambre des députés, fils du
célèbre Garnot, ministre de la Guerre du tems de la Républi-
que française, qui aura le plaisir de vous remettre cette lettre.
Je vous le recommande tout particulièrement comme l'un de
mes meilleurs amis. C'est d'ailleurs un de nos hommes les plus
distingués par son honorable caractère et son mérite littéraire.
Soyez donc assez bon pour faire à son égard ce que vous feriez
pour moi. J'envie bien son sort, car il va avoir l'avantage de
pouvoir admirer vos célèbres productions.
Il m'en coûte beaucoup, mon ami, étant si près de votre pays,
de ne pouvoir aller encore une fois passer quelques instants
auprès de vous, et renouveler ces sensations si heureuses pour
moi dont le souvenir restera toujours gravé dans ma mémoire.
Mais l'impérieux devoir me force de retourner à Paris pour ter-
miner des travaux commencés depuis longtems et retardés par
une cruelle maladie qui m'a fait perdre près de cinq mois de
l'année passée.
Quand les bas-reliefs qui décorent le piédestal de la statue de
Gutenberg seront dessinés, je m'empresserai de vous les en-
voyer. C'est un monument dont l'exécution m'a bien vivement
intéressé.
Adieu, cher ami, recevez l'assurance des vœux bien sincères
ET SES RELATIONS LITTERA1;RES 171
que nous formons, Emilie et moi, pour votre bonheur et celui
de votre intéressante famille.
Tout à vous de cœur,
David.
Madame Garnot accompagne son mari.
Collection Eggers, à Berlin. — Garnot, mort en 1888, sénateur et membre
de l'Académie des sciences morales et politiques, a vécu dans la plus
étroite intimité avec David. Garnot et David ont donné leurs soins à la
publication des Mémoires de Bertrand Barrère de Vieuzac, d'après les ma-
nuscrits autographes du Conventionnel (1842-1843, 4 vol. in-8°).
GLIX
Lakanal à David.
Le buste du Conventionnel.
Paris, 8 août 1840.
Illustre citoyen,
Votre génie dispose de l'immortalité ; il vous a plu d'en faire^
en ma faveur, un prodigue usage. Je prends acte de l'extrême
répugnance que je vous ai toujours montrée pour recevoir cet
immense et immérité bienfait. En voyant, hier, votre bel ouvrage,
j'ai été émerveillé de votre sublime talent, et humilié do mon
faible mérite. J'ai rappelé involontairement l'histoire de cet ar-
tiste célèbre qui ayant balancé à faire, d'un bloc de marbre, une
cuvette ou un dieu, se décida pour ce dernier parti. Cette devise :
« A l'immortel », est une concession d'un de vos droits, mais on
peut être impunément généreux quand on nage dans l'abon-
dance. J'aurais préféré l'inscription bien plus glorieuse à mes
yeux, et bien plus chère à mon cœur : « A Lakanal, David, son
ami. » J'aurais montré celle-là avec orgueil; j'aurai soin de celer
l'autre. Cette Convention, vraiment nationale , composée en
majorité d'hommes de bronze, de lions du désert et qui ordonna
la victoire et se lit obéir, arrivera à l'immortalité; faible soldat à
sa suite, mon seul titre à cet honneur aura été de n'avoir jamais
fait un pas, ni en arrière, ni à côté, sur le chemin qui conduit
à la liberté, à la véritable gloire, à la réelle indépendance de la
172 DAVID D'ANGERS
Patrie. Ce sentiment serait le plus puissant que j'éprouve, s'it
ne cédait à mon respectueux dévouement pour votre personne.
Lakanal.
Collection David (T Angers. — On connaît l'attitude de Joseph Lakanal
durant la période révolutionnaire à l'endroit des institutions scientifiques,
dont il assura la conservation. Les Écoles centrales, l'École des langues
orientales vivantes sont dues en partie à son initiative. Le buste de Lakanal,
exécuté en marbre et offert au modèle, date de 1839. La terre cuite origi-
nale est au Musée David. Le statuaire modela, en 1843, le profd de l'homme
politique. (Musées d'Angers, pp. 171-172, 186.)
CLX
David à Tévêque d'Angers.
Esquisse du monument de l'abbé Mongazon.
Paris, 17 septembre 1840.
Monseigneur,
M. Moll, qui a bien voulu prêter son talent au monument que
vous avez l'intention d'élever à la mémoire de M. Mongazon,
aura l'honneur ;de vous présenter mon esquisse afin que vous
puissiez ou donner votre approbation à ce projet, ou proposer
des changemens.
Les fonds dont vous pouvez disposer pour l'érection de ce
monument sont bien restreints, et il ne faudrait cependant pas
faire quelque chose de trop mesquin. C'est pourquoi je ne
demanderai que les frais de marbre et de praticien, c'est-à-dire
mille francs pour le buste et deux mille cinq cents pour le bas-
relief; trop heureux de saisir cette circonstance d'offrir gratuite-
ment à mes compatriotes mon travail et mon tems.
Agréez, je vous prie. Monseigneur, l'assurance de la parfaite
considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être,
Votre très humble serviteur,
David.
Archives du Petit Séminaire Mongazon, à Angers.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 173
CLXI
David à Victor Pavie.
L'édilion des Poésies de Du Bellay. — Il ne faut prendre du passé que ce
qui est grand.
Paris, 27 octobre 1840.
Mon bon et cher Victor,
Emilie et moi sommes bien heureux de la bonne nouvelle que
tu nous as annoncée. Que Dieu veille et conserve parmi nous le
cher petit Maurice !
Nous faisons aussi des vœux pour que la santé de sa mère soit
parfaite.
J'applaudis de tout cœur à l'heureuse idée que tu as d'exhu-
mer l'un de nos anciens poètes angevins, et je te prie de ne pas
oublier de me mettre sur la liste des souscripteurs. C'est bien
d'élever un monument à un homme avec ses œuvres.
Espérons que la génération qui nous suivra donnera une forme
avec le marbre ou le bronze à son admiration pour les grands
littérateurs qui ont tant honoré le nom angevin. Nous autres,
BOUS sommes les manœuvres; nous apportons des matériaux
pour la construction de l'édifice social qui doit un jour protéger
le genre humain. Mais ne prenons du passé que ce qui est bon
et généreux, car malheureusement le crime et le despotisme ont
aussi leur poésie qui souvent a plus de puissance sur les imagi-
nations que les annales de la vertu et du désintéressement.
Soyons donc constamment à l'œuvre, ayons toujours les regards
fixés vers l'avenir, vers l'astre régénérateur, et ne nous laissons
pas troubler par des nuages sombres qui le voilent quelquefois.
Adieu, cher ami, tout à toi de cœur,
DAvm.
Collection Pavie. — Le projet auquel il est fait allusion dans cette lettre
est celui d'éditer les œuvres du poète angevin Du Bellay, projet que mit à
exécution Victor Pavie, ainsi que nous l'avons dit plus laaut.
174 DAVID D'ANGERS
GLXII
David au maire de Besançon.
La statue d'Ulysse par Petit.
Paris, 4 décembre 1840.
Monsieur le Maire,
Vous allez recevoir sous peu une statue de M. Petit, qui a fait
partie du dernier concours pour le prix de Rome : c'est moi qui
lui ai conseillé de la faire mouler, car j'en étais très content. Il
n'y a pas eu de grand-prix cette année, à l'étonnement de beau-
coup d'artistes ;] mais certes, si l'Institut ne se fût pas montré si
sévère, il n'eût pu donner le prix qu'à M. Petit, J'ai appris avec
plaisir que ses camarades voulaient faire mouler son ouvrage à
leurs frais ; c'est, sans doute, le meilleur éloge de son travail, car
vous le savez, Monsieur, les jeunes gens se jugent entre eux
ordinairement avec beaucoup d'impartialité et de justesse.
Agréez, etc.
David d'Angers.
Archives municipales de Besançon. — Jean- Claude Petit, deuxième
grand-prix en 1839, a pris part au concours de 1840, dont le sujet était
Ulysse tendant la corde de son arc. Cette statue est aujourd'hui au Musée
de Besançon.
CLXIII
David à, Victor Pavie.
Le monument de l'abbé Mongazon. — Le costume moderne et la sculpture.
— Lamennais en cour d'assises. — Chateaubriand.
Paris, 27 décembre 1840.
Cher Victor,
Je viens de recevoir une lettre de MM. les membres' de la Com-
mission du monument de M. Mongazon. Ils me disent de m'oc-
cuper sans retard de l'exécution de la sculpture, ce que je ferai
le plus tôt possible.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 1.5
Ne pourrais-tu pas me donner une idée du costume des jeunes
élèves du collège de Beaupreau? Il faut être le plus vrai possible
quand on reste dans l'actualité.
Hier, j'ai passé une des journées les plus affreuses dont je
puisse conserver le souvenir. C'était le procès de M. de Lamen-
nais. M. de Chateaubriand, que les larmes suffoquaient, n'a pu
rester jusqu'à la un de l'audience; moi, j'ai eu ce triste courage.
Mon ami, aucune parole ne peut rendre l'émotion du peuple
quand, à plusieurs reprises, il a entendu Ihomme au génie su-
blime, flagellé par un humble séide du pouvoir, couvert de la
robe d'avocat général, qu'il déshonore. Le peuple, dans son gé-
néreux instinct, a étouffé de sa puissante voix les insolences du
magistrat, et il a consolé son noble ami. Mais un ordre du prési-
dent a fait évacuer la salle, et le grand homme est resté devant
ses juges, entouré seulement d'un petit nombre d'amis. Demain,
cet apôtre entrera dans une prison pour expier pendant un an le
crime d'avoir plaidé la cause sacrée du peuple. Honte ! mille l'ois
honte !
Adieu, cher ami, pense quelquefois à ton bien dévoué de cœur,
DAvm.
Collection Pavie. — L'abbé Mongazon ayant dirigé le collège de Beau-
préau avant de fonder le Petit Séminaire d'Angers, le bas-relief du monu-
ment sculpté par David, et représentant une Distribution de prix, rappelle,
dans ses lignes essentielles, une cérémonie qui aurait eu Beaupreau pour
théâtre. Le procès intenté à Lamennais avait été motivé par la publication
du livre Le Pays et le Gouvernement. Condamné à un an de prison et à
2,000 fr. d'amende, Lamennais expia sa peine à Sainte-Pélagie, dans une
pièce située sous les toits, et dont le prisonnier ne franchit pas le seuil
une seule fois durant ses douze mois de détention.
CLXIV
Pariset à David.
L'inauguration du monument d'Ambroise Paré.
Paris.... 1840 (?).
Ami,
On m'envoye à Laval, à l'inauguration de votre nouveau
476 ■ DAVID D'ANGERS
chef-d'œuvre. Y serez - vous ? et comment allez- vous? Si nous
allions ensemble!
J'attends un mot de vous.
E. Pariset.
Collection David cC Angers. — Pariset avait été désigné par l'Académie
de médecine pour la représenter à l'inauguration de la statue d'Ambroise
Paré. Cette cérémonie eut lieu à Laval le 29 juillet 1840. La lettre de Pariset
n'est pas datée.
1841
GLXV
David à Victor Pavie.
EnLréede Lamennais à Sainte-Pélagie. — Le portrait de Du Bellay. — Tous-
saint Grille. — François Grille. — Théodore Pavie. — Burnouf .
Paris, 28 janvier 1841.
Mon cher Victor,
Quoique le National nous eût fait connaître que M. de Lamen-
nais ne voulait pas que ses nombreux amis vinssent assister à
son entrée en prison, cependant bon nombre de patriotes ont
voulu recevoir son dernier salut. Nous étions là, silencieusement,
la tête découverte. Une femme du peuple s'est chargée d'exprimer
dans sa naïveté ce que nous éprouvions : « Voilà donc comme
l'on traite les hommes généreux qui plaident la cause du peuple ! »
Et enfin les verrou x ont grincé derrière notre subUme ami.
Je suis entièrement à ta disposition pour notre digne compa-
triote Du Bellay. Je dessinerai sa tête ; ne pourrait-on pas l'en-
tourer d'un cadre qui symbolisât le génie de notre poète? Je crois
qu'il faudrait faire graver le portrait, car une lithographie ne se-
rait pas digne du monument typographique que tu veux élever.
Mets-moi à même de commencer sans retard ; tu dois penser que
je serai heureux de participer à ton œuvre avec mon crayon.
Avise à l'entourage du portrait.
J'ai parlé à M. Turpin de Crissé de ton projet; il m'a chargé
de te prier de le compter au nombre de tes souscripteurs. Tu
sais que, dans l'une de mes précédentes lettres, je t'avais dit
de ne pas oublier mon nom sur ta liste. Je suis bien étonné que
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 177
M. Grille ait enfin consenti à te prêter le portrait de Du Bellay;
il ne faut pas alors lui laisser le tems de la réflexion ; prends
garde !
Tu m'obligeras beaucoup de dire à M. Grille, le bibliothécaire,
que je n'ai pas encore reçu les brochures qu'il m'annonçait, et
que je suis très-tourmenté par les personnes de Verdun qui me
demandent de leur renvoyer ces brochures.
Je viens de recevoir une lettre de Théodore. Elle est datée du
20 mars 18i0 et écrite de Pondichéry. La santé de ton frère était
parfaitement bonne, mais il se plaignait de l'excessive chaleur
qui énerve les hommes les plus énergiques. Notre ami pense
avec regret à notre chère France; il voudrait jouir du froid de
notre climat. Cependant il se préparait à continuer son voyage.
Comme j'ignore où lui adresser les quelques mots qu'il me de-
mande, je te les envoie; tu verras s'il est possible de les glisser
dans un paquet que tu lui destineras.
M. Burnouf m'a dit qu'il avait reçu du voyageur une longue
lettre et des dessins. Il se proposait do faire imprimer la letire
ou au moins quelques extraits.
Adieu^ cher ami; mille affectueux souhaits à tous. Tout à toi,
David.
Je reçois à l'instant une lettre de M. Grille. Il m'annonce qu'une
brochure extrêmement rare sur le siège de Verdun, qui m'avait
été prêtée, a été perdue par lui, Grille. Je viens de lui écrire pour
lui dire que je ne pouvais recevoir une semblable défaite.
Collection Pavie. — David dessina le portrait de Du Bellay, pour l'édition
projetée par Victor Pavie, en s'aidant d'un portrait ancien possédé par
un amateur angevin, Toussaint Grille, peu prêteur de sa nature. De là le
(( prends garde ! » du maître à son ami. François Grille, neveu du
précédent, publiciste infatigable, avait obtenu de David le prêt obligeant
de divers opuscules relatifs au siège de Verdun. L'artiste avait lui-
même sollicité de leurs propriétaires la communication do ces écrits.
Le comte Turpin de Crissé, né à Paris, mais d'origine angevine, peintre,
collectionneur, membre de ITnstilut, a légué son cabinet d'œuvres d'art
et de curiosités à la ville d'Angers en 18o9. L'orientaliste Eugène
Burnouf suivait avec un vif intérêt les voyages d'études de Tiiéodore
l'avic. David avait modelé le profil de Burnouf en 18i0. {Musées d'Angers,
p. 17G.)
178 DAVID D'ANGERS
GLXVI
David à Victor Pavie.
Eugène Ghevreul. — Le monument de Bonchamps. — La première pensée
de la statue de sainte Cécile. — Yisile à Lamennais dans sa prison.
Paris, 26 février 1841.
Cher Victor,
Je t'annonce un nouveau souscripteur pour ton édition du
poète Du Bellay, c'est Ghevreul qui m'a chargé de cette commis-
sion .
J'avais prié M. Moll de me tracer l'architecture du monument
de Bonchamps, afin que je puisse dessiner la figure et les bas-
reliefs pour les faire lithographier comme nous en étions conve-
nus. Mais M. Moll m'a fort judicieusement observé que le daguer-
réotype nous donnerait un dessin plus exact et qu'ensuite je
pourrais le faire exécuter en lithographie, et que cette opération
m'éviterait une perte de tems. M. Moll doit causer de cela avec
toi. Tu sais que cette reproduction est un de nos anciens projets.
Je voudrais faire connaître davantage le monument de Saint-
Florent.
Je vais envoyer quelques ouvrages au Musée d'Angers. Je met-
trai dans la caisse un petit croquis en terre cuite de la première
pensée de Sainte Cécile^ c'est un embryon encore bien informe,
mais il n'y a qu'à ses meilleurs amis que l'on donne ainsi ses
croquis « intimes ». Cette terre cuite est pour toi.
Je suis allé voir M. de Lamennais, la semaine dernière. J'ai
rencontré Béranger et j'ai passé des heures bien intéressantes
avec ces deux grands hommes. Je n'ai pu obtenir la permission
de voir le prisonnier qu'une fois par mois ; l'afiluence des visi-
teurs est très-grande.
Tout à toi de cœur,
David.
Collection Pavie.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 179
GLXVII
Sainte-Beuve à David.
Une lettre du statuaire sur la mort d'Aloysius Bertrand.
Ce lundi avril 1841 (?).
Je reçois, mon cher David, votre très bonne et très touchante
lettre : je la joins à mes autres notes, comme la plus précieuse
de celle qui doit tout couronner.
Vous avez dû recevoir un mot de Pavie au sujet de cette pu-
blication.
Mille amitiés reconnaissantes,
Sainte-Beuve.
J'offre mes humbles hommages à Madame David.
Collection David d'Angers. — La très belle lettre de David à Sainte-Beuve
sur les derniers moments de Bertrand a été publiée par nous dans les
Écrits du maître. (David d'Angers, t. II, pp. 409-412.) C'est une page remar-
quable et qui fait le plus grand honneur au statuaire.
GLXVIII
Victor Hugo à David.
Mort d'Aloysius Bertrand.
Paris, 3 mai 1841.
Merci, cher David. Je vous ferai la fameuse réponse : « J'y
pensais. » La mort de ce pauvre poète m'afflige profondément.
Je tâcherai d'écrire quelques lignes durables sur son linceul.
Mais n'oubliez pas que vous pouvez bien plus que moi. Je n'ai
qu'une fouille de papier, chose qu'on déchire et qui s'envole.
Vous, mon grand sculpteur, vous avez l'éternité du marbre et du
bronze.
A bientôt. Mettez-moi aux pieds de Madame David. Je vous
embrasse.
Victor Hugo.
Collection David d'Angers. — Il est parlé plus haut de Bertrand, mort à
180 DAVID D'ANGERS
l'hospice Necker, entre les bras de David. Victor Hugo, croyons-nous, n'a
pas donaé suite à son projet d'écrire sur le romantique auteur du Maçon.
GLXIX
David à Victor Pavie.
Les écrits du maître. — Le peintre et sculpteur Donas. — Qu'il convient
d'interroger les vieillards. — Pas de vraie grandeur sans croyance. — Le
manuscrit d'Aloysius Bertrand. — Renduel. — Sainte-Beuve. — François
Grille. — Tecliener.
Paris, 1" août 18M,
Mon cher Victor,
Je t'ai adressé la biographie de Lebreton. J'ai encore deux
autres écrits à t'envoyer, mais il faut que je les copie, et je n'ai
que de bien rares moments à donner à ce genre de travail. Ce-
pendant les biographies de sculpteurs dont je m'occupe offrent
un certain intérêt pour moi, car je puis y exposer quelques-unes
des idées que l'étude et l'expérience m'ont suggérées. Toutes ces
idées sont consignées dans des notes éparses. 11 faudrait en faire
un faisceau, mais la création plastique parle plus haut actuelle-
ment que l'analyse. Cependant toutes les minutes qui sont à ma
disposition je les consacre à écrire.
Ne te rebute pas auprès de M. Donas. Il me produit l'effet d'un
vieux manuscrit sur lequel le tems a effacé bien des lignes. Il y
a beaucoup de taches d'encre et d'huile, mais quelques lignes
encore lisibles pourront te faire deviner le sens des autres. Je
t'engage bien à feuilleter tous ces vieux documents qui peuvent
encore exister et qui ont glissé, inaperçus, sous lafaulx du tems.
Si l'on avait pu parcourir la Vendée, il y a une vingtaine d'an-
nées, que de renseignemens curieux n'aurait-on pas ravis à la
terre qui les a engloutis! Cependant ce travail peut encore. se
faire par les enfants de ces géants ! Penses-y donc sérieu-
sement.
Pense à ton vieux soldat d'Egypte! Ces hommes de fer ont été
trempés par le souffle brûlant de la liberté. Il est bien vrai qu'il
ne peut y avoir d'héroïsme sans une profonde et noble croyance,
et c'est ce qui explique pourquoi notre époque est si abaissée.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 181
C'est qu'il n'y a plus de croyance que dans l'intérêt qui aplatit
l'âme à l'égal d'une pièce de cent sous. Bientôt on n'osera plus
vanter à des enfants dégénérés les grandes actions de leurs
pères, car ils sont tout près d'en rire.
Pour nous, qui cherchons à élever notre âme vers les idées
qui peuvent l'épurer, fouillons imperturbablement dans la vie
de ces hommes sublimes qui nous ont précédés; élevons-leur des
monuments, quelque modeste que soit le rang où le sort les a
placés.
J'ai enfin le manuscrit de Bertrand. Renduel s'est mieux con-
duit que je ne le craignais. Il me l'a rendu pour le prix qu'il en
avait donné. Emilie est actuellement occupée à en faire une
copie pour l'imprimeur, et Sainte-Beuve va écrire une notice.
Voilà toujours un monument assuré à la mémoire de ce mal-
heureux Bertrand !
J'ai été obligé d'écrire à M. Grille pour lui demander l'adresse
de ce M. Techener qu'il a chargé de me remettre le Siège d'An-
gers. Je convois bien que l'on ait pu écrire à Bœrhave « en Eu-
rope », mais M. Techener est moins connu.
Je vais aussi m'occuper de notre poète angevin Du Bellay.
Je serais bien content si le daguerréotype pouvait nous don-
ner une bonne reproduction du monument de Bonchamps.
Tout à toi de cœur,
David.
Collection Pavie. — Roch-Jean-Baptiste Donas, peintre et sculpteur, né
à Angers en 1762, après un séjour prolongé à Paris, est revenu à Angers, où
il est mort en 1849. Renduel, l'éditeur, avait acheté de Bertrand le ma-
nuscrit du Gaspard de la nuit. Après la mort du poète, David racheta celte
œuvre de ses deniers et concurremment avec Sainte-Beuve et Victor
Pavie en assura la publication. La lettre de David à Renduel relative au
rachat dont nous parlons est signalée dans la ifeuue des autographes de
juillet 1876 (p. 6, n° 59). Le Sièfje d'Angers est un ouvrage de François
Grille publié en 1841 chez Victor Pavie, sous la signature « Un amateur ».
182 DAVID D'ANGERS
CLXX
ScMegel à David.
La médaille du critique.
Monsieur,
Berlin, 27 août 1841.
Vous avez dû me croire bien coupable, puisqu'en m'adressant
à Bonn votre lettre trop flatteuse pour moi, vous ne saviez pas
que j'étais à l'autre extrémité de l'Allemagne. J'ai été appelé ici
par ordre du Roi pour prendre part aux travaux d'une commis-
sion littéraire et académique. J'étais incertain combien de temps
je m'arrêterais en chemin ; j'ai donc chargé les personnes qui
veillent à ma maison de garder les lettres arrivées pour moi, jus-
qu'à ce que je pusse leur indiquer une adresse sûre. Voilà la
cause d'un retard considérable. Plus tard, j'appris l'arrivée du
médaillon à Bonn. Je n'ai pas voulu l'exposer à un nouveau trans-
port, comptant retourner au plus tôt vers mes dieux Pénates. Je
n'ai donc pas encore eu le plaisir de le voir. Mais mes amis là-
bas le trouvent fort ressemblant. Hélas ! Monsieur, vous avez
prodigué votre admirable talent à un sujet peu digne de vous.
Gela eût mieux valu la peine, il y a un demi-siècle : au moins
on m'a dit quelquefois que je n'étais pas trop mal alors. Par
un excès de bienveillance vous avez voulu transmettre à la
postérité, si toutefois elle s'informe de moi, les débris que les
ravages du temps m'ont laissés. Je ne suis pas encore retombé
en enfance, c'est l'essentiel.
Mes amis Frédéric Tieck et Rauch me chargent de leurs salu-
tations les plus empressées. Je suis à la veille de mon départ :
aussitôt arrivé à Bonn, je ne tarderai pas à vous écrire.
Je vous prie de me rappeler au souvenir de Madame David.
Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mon admiration et de
ma reconnaissance.
Votre très humble et très obéissant serviteur^
SCHLEGEL.
Collection David d'Anrjers. — Le critique allemand avait soi.xante-quatorze
ans lorsqu'il écrivait cette lettre. Le médaillon de Schlegel porte le mille-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 183
sime de 1840, mais le profil de l'écrivain qui a servi de base à la médaille avait
été recueilli par David, en présence de son modèle, au cours du voyage de
1834. {Musées d'Angers, p. 179. David d'Angers, etc., t. I, p. 28G.)
CLXXI
David à Victor Pavie.
Le Gaspard de la nuit édité par Pavie. — Aloysius Bertrand. — Portrait
de Du Bellay. — Le Tombeau de Garnier-Pagès. — Collaboration de
David au Dictionnaire politique. — Maladie. — Le Bonchamps. — Gan-
dolle. — Bastard. — Burnouf. — Broussais. — Une lettre à Sainte-Beuve.
Paris, 3 novembre 1841.
Mon bon et clier Victor,
Je te remercie bien de ta généreuse décision à l'égard de l'im-
pression de Gaspard de la nuit. Le libraire La Bitte consent à
recevoir un dépôt de cet ouvrage chez lui. Je le crois en bonne
situation pour en favoriser la vente.
Quand tu auras retiré tes frais, le reste de la vente sera pour la
vieille mère. Pauvre Bertrand ! Ses parents n'étaient nullement
dignes de lui; il y a là un drame de famille bien honteux et sur
lequel il faut jeter un voile épais. Sans doute qu'il devait en être
ainsi afin que sa vie si douleureuse en reçût plus de relief; il
fallait qu'il ne pût éprouver aucun adoucissement au sein d'une
famille qu'il chérissait cependant de toute son âme. Pour lui
comme pour tant d'autres, le malheur s'est assis en maître à
l'intérieur de sa maison. Ce qui est curieux, c'est que le soin de
la mémoire du poète soit dévolu à trois hommes qui, certes,
n'ont jamais eu de relations intimes avec lui. Remercions-en le
sort qui a bien voulu nous favoriser de cette mission.
J'ai bien tardé à terminer le dessin de Du Bellay. Enfin les
graveurs Leloir et Andrew l'ont entre les mains. Ils s'en sont
emparés sans retard, négligeant de me dire quel prix exigera la
gravure, parce que je leur ai dit que ce travail m'était person-
nel; ils m'ont témoigné le désir de me traiter en ami I Pour que
la gravure puisse être jointe au livre, il faut que le dessin soit
réduit un peu ; ils vont donc s'en occuper et ils m'ont promis que
vers le mois de décembre nous aurions la gravure sur bois.
184 DAVID D'ANGERS
L'impression de ton livre m'a paru très belle. Voici donc une
de nos gloires angevines dignement exhumées désormais de la
poussière des bibliothèques.
Je puis enfin te faire parvenir VAlmanach populaire de l'année
1842 qui vient d'être rendu à la libre circulation que lui avait
refusée, pendant quelques jours, M. le Préfet de police. Tu verras
dans ce petit volume un article de moi, extrêmement court,
attendu qu'on ne peut accorder que très peu de pages à chaque
auteur. Tu verras aussi une gravure représentant le Tombeau de
Garnier-Pagès. C'est une tribune en marbre blanc exhaussée sur
des gradins de même matière. Sur cette tribune se voient une cou-
ronne civique et des papiers sur lesquels seront inscrits les titres
des discours les plus remarquables de Garnier-Pagès; au pied de
la tribune sera le cercueil en granit noir sur lequel on verra
gravé le nom du tribun. Ce monument sera élevé sur des gra-
dins de granit de Cherbourg. Cette idée m'est venue le jour de
l'enterrement en voyant les orateurs montés sur un tombeau qui
leur servait de tribune, et ayant à leurs pieds le cercueil. Je lis
aussitôt une esquisse qui a reçu l'approbation des membres de
la Commission.
Tu sais que j'ai fait plusieurs articles pour le Dictionnaire po-
litique, édité par Pagnerre. Il y a peu de jours que celui sur les
Récompenses nationales vient de paraître ; je pense que tu
pourras te procurer à Angers les livraisons de cet ouvrage qui
est presque terminé.
Eh! bien, cher ami, n'existe-il pas une fatalité sur moi? Au
milieu d'un ardent travail qui devait bien promptement me
mettre à même d'exécuter mes projets de voyage, j'ai été pris
d'une maladie bien douloureuse, en vérité, et je suis encore in-
certain du terme de mes souffrances, car les douleurs rhumatis-
males suivent exactement les variations de la température. Com-
bien j'ai souffert physiquement et moralement! Que de sombres
et pénibles réflexions viennent m'assiéger ! Quelles nuits! A me-
sure que j'avance dans la vie, je sens que je n'ai plus assez de
forces pour résister à toutes les émotions causées par les frois-
sements d'une société qui m'enK-vc presque journellement des
lambeaux d'existence, me livrant, ainsi affaibli, en proie aux ma-
ladies. Pour être heureux, il faudrait avoir des nerfs de fil de fer
et un cœur sans pulsations devant le spectacle des misères de ses
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 185
semblables. Enfin, il faudrait être comme cette innombrable
quantité d'industriels et d'hommes d'affaires qui promènent avec
insolence un visage fleuri, se vantant à tout propos de l'énergie
de leur caractère qui ne consiste, à vrai dire^ que dans un'
égoïsme développé.
Enfin, depuis hier je vais un peu mieux, et, Dieu aidant, peut-
être que je pourrai dans quelque temps reprendre mes travaux.
Ce n'est que dans mon atelier que j'éprouve un certain soulage-
ment à mes ennuis ; là, je vis au moins avec de grands et nobles
souvenirs, avec les types vénérables de l'humanité, et si mes
affaires me forcent de m'arracher parfois à ce milieu salutaire,
j'y rentre le plus tôt possible pour me débarrasser de la bouc
physique et morale qui s'était attachée à moi.
Je regrette beaucoup que lu ne puisses m'envoyer dès mainte-
nant une épreuve daguerréotypée du monument de Bonchamps;
j'aurais mis sans retard le graveur à l'œuvre. Eh ! mon Dieu,
Saint -Florent n'est cependant pas très loin d'Angers. Comment
se fait-il que la personne qui possède un instrument pour da-
guerréûtyper ne consente pas à perdre quelques jours?
J'ai envoyé de nouveaux médaillons au Musée d'Angers ; mais
j'ai vu dans le livret que tu m'as fait remettre que l'on avait
changé beaucoup de noms. Fais-moi le plaisir de voir M. Mercier
pour lui donner les noms qu'il ne pourrait pas lire. Je com-
prends fort bien que les noms allemands ne sont pas toujours
faciles à déchiffrer. Dans les derniers cadres que je viens d'en-
voyer, le médaillon de Schlegel peut embarrasser, car l'S est
formée à l'allemande et peu lisible pour les Français.
J'ai annoncé à M. Mercier que tu voudrais bien me rendre le
service d'éclaircir quelques noms, toi qui as assisté à l'exécu-
tion de la majeure partie de ces médaillons.
Parmi les médaillons que tu as reçus, il y en a deux de M. de
Candolle. Fais-moi le plaisir d"cn faire remettre un à M. Bastard,
médecin à Ghalonnes, pour lequel le célèbre naturaliste genevois
avait une bien haute estime.
Théodore te remettra un médaillon de M. Burnouf que tu n'as
pas encore, je crois; je le charge aussi du médaillon de
Broussais; s'il s'en trouve un dans ta collection tu donneras
celui-ci à M. Mirault.
Il faut, mon ami, que tu fasses faire une liste bien exacte des
186 DAVID D'ANGERS
médaillons qui sont chez toi, afin que je complète ceux qui te
manquent.
Adieu, cher ami. Tout à toi de cœur,
David.
P. S. — Je joins à ces feuilles le brouillon de la lettre que
j'écrivis le soir même de la mort de Bertrand à Sainte-Beuve.
Cette mort est un des nombreux événements qui ont tant con-
tribué à déchirer mon cœur. Garde cette triste page; un jour,
peut-être, j'en exhumerai de mes souvenirs d'autres pour toi.
Collection Parie. — Les œuvres d'Aloysius Bertrand, dont la publication
avait été projetée par David et Sainte-Beuve, furent éditées par Victor
Pavie, en 1842. Le Tombeau de Garnier-Pagès, dessiné à l'aquarelle par
David, ne fut pas exécuté par le maître. (David d'Angers, etc., t. II, p. 49.3.)
Quatre études furent composées par David et publiées dans le Dictionnaire
politique de E. Duclerc et Pagnerre. Noiis avons reproduit l'étude sur les
Expositions nationales et celle sur les Arcs de triomphe dans David d'An-
gers, etc., t. II, pp. 327-338. Le médaillon de Gandolle, le botaniste
genevois, porte la date de 1833. {Musées d'Angers, pp. 149-150.) Toussaint
Bastard, né en 1784, mort en 1846, médecin, puis directeur du Jardin des
plantes d'Angers, fît, enl811,un séjour de deux mois en Auvergne, dans la
compagnie de CandoUe, et rapporta de cette excursion un'herbier considé-
rable. La médaille du docteur Broussais, non datée, doit avoir été exé-
cutée en 1841. (Musées d'Angers, p. 181.) Il est parlé plus haut, dans le
commentaire de la lettre de Sainte-Beuve, datée d'avril 1841, des pages
éloquentes inspirées au statuaire par la mort d'Aloysius Bertrand.
GLXXII
David, à Victor Pavie.
Un deuil. — Le berceau de gazon. — L'enfant et l'homme,
Paris, 15 novembre 18-41 .
Cher ami,
Sans prévoir qu'un malheur aussi affreux dût vous visiter, ce-
pendant nous éprouvions quelques inquiétudes parce que Théo-
dore nous avait dit qu'une lettre écrite par une personne de ta
maison annonçait de sérieuses craintes sur la santé de votre pau-
vre petit enfant. Enfin ta lettre vient de nous frapper de stupeur,
car plusieurs raisons très graves semblent augmenter les dou-
loureuses émotions qui te rongent. Chers amis, croyez que dans
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 187
un coin de la rue d'Assas, deux âmes qui vous aiment éprouvent
un violent contre-coup de l'événement qui vient de couvrir d'un
voile de deuil votre existence. Nous en avons gémi, car nous
aussi nous conservons une plaie de ce genre dans le cœur. Il faut
que cette plaie soit aussi durable que notre vie^ puisque chaque
fois que je retourne voir le berceau de gazon du petit Paul, d'a-
mers regrets viennent s'appesantir sur mon âme. Et cependant
que perdent-ils en ne restant pas sur cette terre, ces enfants dis-
parus? Eh! mon Dieu, si l'on était raisonnable, on devrait bien
plutôt remercier le ciel qui, dans sa bonté, retire quelques êtres
de ce monde, véritable gouffre d'illusions empoisonnées. Ce-
pendant celte vie n'est peut-être que l'épreuve par laquelle il
faut passer pour arriver à une autre vie meilleure?
Un enfant.... C'est une de ces visions que l'âme semble quel-
quefois aller puiser au ciel et qui s'évapore si les sens essaient de
lui donner une forme. La forme, c'est l'homme. L'enfant, c'est
le choc rapide et lumineux de l'inspiration. Vois comme la forme
homme devient misérable à mesure qu'elle se complète ! Si la
nature ne s'empressait de jeter son linceul sur cette forme
promptemeni caduque, les hommes finiraient par maudire leur
existence. C'est peut-être pour cela qu'il ne faut pas trop regretter
la disparition de ces douces et angéliques visions qui retournent
dès l'aube vers leur patrie.
Bon et cher Victor, nous te prions en grâce de ne pas nous
laisser sans nouvelles de la santé de M""^ Pavie. Quelques mots
calmeront notre anxiété à cet égard. Nous ne cesserons de faire
des vœux du plus profond et du plus pur de notre cœur pour
que le calme renaisse sous votre toit et que votre santé soit par-
faite à tous.
Tout à toi de cœur,
David.
CollecAion Pavie. — Victor Pavie venait de perdre son premier enfant
âgé de deux ans et demi.
188 DAVID D'ANGERS
GLXXIII
David à "Victor Pavie
Ange emportant un enfant. — Le poète angevin Le Loyer. — Le buste de
Du Bellay.
Paris, 10 décembre 1841.
Cher ami;,
Ta lettre m'a trouvé occupé de la composition d'un petit
dessin représentant un Ange emportant au ciel vin petit enfant.
ïu vois que j'avais devancé ton désir. Envoie-moi la mesure
bien exacte de l'espace que tu réserves,sur la croix, à la gravure
du sujet. Je ferai un dessin au trait qui pourra être reproduit
par un calque.
Nous sommes bien heureux, Emilie et moi, des bonnes nou-
velles que tu nous donnes de la santé de M""^ Pavie. Nous fai-
sons des vœux pour que cela dure.
Adieu, ami, sois plus heureux que par le passé, et crois à mon
dévouement de tout cœur,
DAvm.
Envoie-moi la mesure en question.
J'ai lu avec un bien vif et réel intérêt ta biographie de Pierre
Le Loyer. Voilà encore une des gloires poétiques de notre Anjou
que tu as exhumée.
J'aimerais aussi un jour faire le buste de Du Bellay et celui de
Le Loyer, et les donner aux villages qui les ont vus naître.
Si Dieu me prête vie cela se fera.
Collection Pavie. — Le dessin représentant un Ange emportant un enfant
a été traduit en bas-relief dans le cimetière de Saint-Melaine sur la tombe
du petit Joseph Pavie. (David d'Angers, etc., t. I, p. 426; t. H, p. 495.)
Pierre Le Loyer (1550-1634), poète, né à Huillé, près Durtal, mort à Angers,
avait remporté, en 1572, le prix de l'Eglantine aux Jeux Floraux. Du
Bellay était né à Lire. Si le projet de David se fût réalisé, les bourgs de
Huillé et de Lire posséderaient les monuments de deux poètes angevins du
seizième siècle.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 189
1842
CLXXIV
David à Victor Pavie.
Du Bellay. — Berthe. — Leysener. — Donas. — Charles Lenorraant. — Le
monument de Bichat. — Projet du maître d'aller ouvrir à Athènes une
école de sculpture. — Dantan et ses « charges ». — Les manuscrits
d'Aloysius Bertrand. — Corbière . — La statue de Bernardin de Saint-
Pierre .
Paris, 2 janvier 1842.
Cher ami,
Je m'occupe le plus activement possible du monument du
pauvre petit. Je l'enverrai aussitôt qu'il sera terminé.
Je suis bien contrarié du retard que met M. Le Loir à la gra-
vure du portrait de Du Bellay. Je sens que cela doit être extrê-
mement ennuyeuxpour toi. Je lui ai fait visites sur visites, sans
pouvoir le rencontrer. Je lui ai aussi écrit plusieurs lettres qui
sont restées sans réponse. Aujourd'hui seulement, il est venu
me dire que le dessinateur sur bois ne lui avait remis la plan-
che que depuis deux jours. Il m'a juré sa parole d'honneur qu'il
allait s'y mettre sans retard et que nous en serions bientôt pos-
sesseurs. A tout péché miséricorde.
J'ai reçu de M. Berthe (d'Angers) une petite note sur Leysener,
Il me dit que c'était toi qui l'avais engagé à me l'envoyer. II
t'aura mal compris. Je vois avec peine la stérilité des documents
sur cet artiste. Si tous ses ouvrages étaient encore visibles, il y
aurait sans doute de quoi t'inspirer de belles pages, car l'auteur
de la Tète de Christ que l'on voit chez M. Grille était un homme
de grand mérite. Sa vie a dû être très simple, et je me souviens
que mon père m'a souvent dit qu'il buvait copieusement de
notre vin d'Anjou. Quelle triste note, n'est-ce pas? Je me le figure
comme Ohmacht^ homme d'instinct, attaché profondément aux
nobles et aux prêtres parce qu'ils le faisaient travailler. Du reste,
aucune idée philosophique. Il éprouvait sans doute peu d'émo-
tions en face des poétiques expressions de la nature ; il vivait
étranger à ces grands et religieux sentiments de patriotisme qui
font que l'artiste descend dans l'arène quand les intérêts de la
patrie sont discutés ; il dut ignorer que chacune des productions
190 DAVID D'ANGERS
de l'homme de pensée lui enlève une parcelle de sa vie, et le fait
ruine avant Tàge. Pour celui-ci l'art est un sacerdoce, un moyen
•de plaider une sainte cause : celle de l'humanité, de la vertu, de
la grandeur et de la noblesse. Ne sont-ce pas là les seuls
mobiles qui agissent sur le cœur de l'artiste? S'il advenait qu'un
peuple égaré voulût profaner le génie, le devoir du statuaire est
de briser ses ciseaux et de laisser à d'autres le triste métier qui,
en les assimilant aux histrions, les fait ramper avec eux sous
les bravos d'une foule hébétée.
Si tu veux encore trouver quelques linéaments plastiques du
ciseau de Leysener, va donc visiter la maison de M. de Pigne-
rolles ; il y a là des bas-reliefs qui m'ont paru assez bien. A la
vérité j'étais bien jeune quand je les ai vus.
Tu devrais souvent voir M. Donas et faire résonner cette
vieille cloche oxydée. Elle peut rendre encore quelques sons.
M. Lenormant est de retour de Grèce depuis quelques jours
seulement. Ce qu'il m'a raconté de son voyage me fait éprouver
un profond regret de ne pas avoir pu exécuter le projet que
j'avais formé. Il m'avait annoncé à plusieurs Grecs de mes amis
qui occupent les premiers emplois dans ce pays. Enfin, rien n'est
encore abandonné à l'égard de ce projet, et l'hiver prochain je
puis aller m'établir à Athènes où il reste encore de vieux défen-
seurs de la cause libérale qui attendent la consécration de mon
ciseau.
Je termine actuellement le monument de Bichat, et j'espère
qu'il sera achevé vers le milieu du mois prochain. Je partirai
aussitôt pour aller à Saint-Béat, faire exécuter en marbre le
groupe du général Gobert. Ensuite je reviendrai en mai pour
mon mois de professorat^ puis je retournerai à Baréges pour
prendre les eaux, et au mois de septembre je porterai mes re-
gards et mon cœur vers cette chère Grèce que j'ai si longtemps
désiré voir. L'ambassadeur grec et tous mes amis qui habitent
ce pays m'engagent depuis longtemps à aller m'y fixer pour
y ouvrir une école de sculpture.
Qui peut me retenir dans cette France, au milieu d'un peuple
énervé qui ne comprend plus le sentiment de patriotisme? La
vogue est aux Dantan qui le font rire en accentuant le côté in-
firme des hommes distingués. Essayez donc après cela d'intéresser
le peuple à l'imago des héros, des bienfaiteurs de l'humanité!
Vous ne serez pas compris.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 191
Si le manuscrit de Bertrand était à moi, certes, je serais très
heureux de le donner à la ville d'Angers, mais il n'en est rien.
Ces feuilles recueillies par moi sur un grabat d'hôpital qui, quel-
ques jours plus tard, auraient sans doute servi à allumer la pipe
des garçons de salle, appartiennent à la famille, à laquelle je vais
les restituer aussitôt que tu me les auras remises. II y a peu de
jours que M""' Bertrand est venue me les demander. Ainsi ne les
laisse pas entrer dans le greffe de M. Grille, car c'est l'antre de
Trophonius.
Je viens de recevoir une lettre de mon ami Corbière. Il m'an-
nonce que le Conseil municipal a décidé l'érection de la statue
de Bernardin de Saint-Pierre et accepte avec reconnaissance
Folfre que j'ai faite de mon modèle. Encore une émotion à
joindre à toutes celles que j'ai déjà éprouvées! II faut que le
peuple du Havre soit industriel jusqu'à la racine des cheveux
pour se faire tant prier d'élever un monument à un homme
aussi justement célèbre que Bernardin de Saint-Pierre. Si ces
marchands n'avaient étouffé sous la préoccupation du lucre tout
sentiment élevé, ils auraient voté par acclamation, et depuis de
longues années, non pas une statue, mais un temple à l'auteur de
Paul et Virginie!
Enfin mes émotions ne sont pas encore terminées. Corbière
m'a annoncé la lettre affirmative du maire, et elle ne vient pas...
Cartilage n'a pas eu de poètes ni d'artistes.
Adieu, ami, soyez tous heureux. Pensez quelquefois à nous
qui vous aimons bien. Emilie souhaite toute sorte de bonheur à
M™' Pavie,à laquelle tu présenteras mes respectueux hommages.
Tout à loi de cœur,
David.
Collection Pavie. — Jacques-André Berthe, né en 1763, mort en 1846, avait
pris part, dans les rangs des Républicains, à l'insurrection de l'Ouest, durant
l'époque révolutionnaire. Gardien du Musée David en 1839, Berthe, relieur
de sa profession, a laissé d'intéressants manuscrits sur les événements
qu'il avait traversés et les hommes marquants de son époque. Il est
parlé plus haut du sculpteur Leysener, à l'occasion de la lettre do David,
à Victor Pavie, en date du o juillet 1830. Ghai'les Lenormant, mort à
Athènes en 1859, a fait de fréquents voyages en Grèce. Le maiti'e fut inti-
mement lié avec lui et modela son médaillon dès 1830. (Musées d'Angers,
p. 134.) Nous avons parlé des monuments de Bichat et de Bernardin de
Saint-Pierre, au sujet de la lettre de l'artiste à Pavie, en date du 31 mai
1840. On connaît les « charges » de Dantan le jeune, trop poiupeuse-
meut décorées du litre de « Musée ». Les manuscrits de Bertrand, dont il
192 DAVID D'ANGERS
est question ici, sont des ébauches tracées par le poète, durant son séjour
à l'tiospice Necker. Le « greffe » de M. Grille est la Bibliothèque d'Angers,
dont François Grille était le conservateur. Le romancier Corbière habi-
tait le Havre en 1842. L'artiste, estimant en lui l'écrivain et le patriote,
avait modelé son médaillon en i8o5. (Musées d'Angers, p. 159; David d'An-
gers, etc., t. II, p. 374.)
GLXXV
David à Victor Pavie.
Du Bellay. — h' Ange emportant un enfant. — Une sœur du Conventionnel
Oudot. — Leysener. — Le Gaspard de la nuit. — Théodore Lebreton.
Paris, 31 janvier 1842.
Cher Victor,
Je reçois à l'instinit la planche de la gravure de Du Bellay. Je
désespérais de la posséder jamais, malgré mes incessantes deman-
des. Enfin la voilà et je m'empresse de te la faire parvenir. Je
pense que tu ne seras pas trop mécontent de cette gravure. J'ai
donné la somme de vingt francs, déboursé du graveur pour le
dessinateur ordinairement chargé du soin de reporter sur le
bois le dessin sur papier. Tu vois que MM. Le Loir et Andrew
m'ont traité en ami.
Sous peu, j'espère t'envoyer le dessin sur papier et celui du
monument du pauvre petit, ainsi que la petite croix. Excuse-
moi, cher ami, si je suis si long, mais je suis si horriblement
pressé par le monument de Bichat et le groupe équestre, et si
effrayé de me trouver encore à Paris vers l'équino.x^e du prin-
temps que je ne me donne pas un moment de repos. Je vou-
drais bien tâcher de fuir les tourments de l'enfer qui m'atten-
dent indubitablement si je reste ici.
Je t'envoie l'extrait mortuaire de Leysener que M. Berthe m'a
transmis, croyant qu'il me serait probablement utile. Va donc
voir la sœur d'un de mes amis révolutionnaires, Oudot. Cette
brave femme m'a fait passer des instants bien intéressants en me
parlant des antiques familles angevines. C'est une bibliothèque
vivante. Elle avait beaucoup connu ma mère. Tu juges comme
je l'ai fait parler longuement sur ce cher sujet! Je ne serais pas
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 193
étonné que tu ne parvinsses à avoir quelques détails, de ce côté,
sur le statuaire.
Hier, j'ai rencontré Sainte-Beuve, qui m'a demandé si je savais
où en est l'impression du Gaspard de la nuit. Il m'a dit que quand
tu lui enverrais les épreuves, il am-ait besoin du manuscrit que
tu as entre les mains, et môme de ceux que nous avons à la
maison, pour y intercaler quelques nouveaux morceaux.
Nous sommes trcs inquiets, rue d'Assas, de vos chères santés.
Un mot de ta part à cet égard nous fera plaisir.
Le roulage a commis une lourde bêtise. Je lui avais dit de
l'adresser tes caisses franches de port, au lieu de cela on t'a fait
payer, et ce sont les caisses pour le Musée qui sont arrivées
franches de port. J'en ai été bien contrarié.
Adieu, cher ami. Emilie et moi désirons que vous soyez tous
en parfaite santé et bien heureux.
Tout à toi de cœur,
David.
L'année dernière j'étais à Rouen. Je me suis trouvé avec l'édi-
teur d'un volume de Poésies de Lebreton. J'ai été engagé à
souscrire et à faire souscrire mes amis. J'ai pris sur moi de faire
mettre ton nom, et je t'envoie le volume qui vient de m'être
remis.
Collection Pavie. — David a modelé le médaillon du Conventionnel Oudol
en 1835. (Musées cC Angers, p. 158.) La publication de Lebreton, le poète
artisan de Rouen, dont il est pai-lé ici, a pour titre ; Nouvelles Heures de
repos d'un ouvrier (Rouen, 1842, in-8°).
GLXXVI
Victor Pavie à David.
Le portrait de Du Bellay. — Mariage de Théodore Pavie. — Le Gaspard de
lu nuit. — Chasse aux souvenirs sur Leysener. — Le Rhin, par Victor
Hugo. — Cacliot ou cabanon.
Angei-s, 7 février 1842.
Mon cher Monsieur David.
J'ai décacheté votre lettre avec cette inquiétude qu'une con-
13
i94 DAVID D'ANGERS
science alarmée comporte naturellement avec elle : j'étais en
retard vis-à-vis de vous.
Vous, loin de me gronder, vous m'envoyez une gravure admi-
rable où Du Bellay revit mieux qu'il n'a jamais vécu. Vous me
demandez pardon de m'avoir fait payer la bienvenue de ce que
d'autres auraient payé son pesant d'or. Vous traitez de « liberté »
cette attention amie d'avoir inscrit mon nom sur le registre d'un
poète. Toutes choses qui sont bien de vous et auxquelles on
vous reconnaît!
Une lettre de mon père a traversé notre silence. Elle vous a
conté comme quoi Théodore, après « avoir servi de ceinture à la
terre », — ainsi que le grand Shakespeare, fait parler Ariel, —
était venu redemander aux cendres de son foyer le dernier mot
de la famille. Simple, aimante, enthousiaste des devoirs du
mariage, aspirant à servir comme d'autres à commander, la
femme qu'il a choisie promet à son été repos, fraîcheur, ombre
et rosée. Viendrez-vous? îront-ils? L'entrevue souhaitée se fera-
t-elle à Angers ou à Paris? Tout en vous renouvelant à cette
chère occasion les vœux qui furent exaucés à la mienne, nous
souscrivons d'avance avec une résignation d'amis à vos projets
de santé, de travaux et de voyage, si malmenés jusqu'à ce jour.
11 est certain que cette terre d'où s'elface à mesure l'ancienne
trace de vos pas se décolore à mes yeux de tout son prestige de
patrie. La salle où gisent vos œuvres, silencieuse de vous,
m'attristait l'autre jour et me semblait votre mausolée!
La gravure de Du Bellay, disais-je donc, est une traduction
magnifique, et qui me fera patienter jusqu'à la venue de l'ori-
ginal. L'épreuve qui s'y trouve jointe me servira de modèle.
J'attends sous quelques jours encre et papier de PariS;, qui me
mettront à même de réaliser quelque chose de mes religieux
désirs à cet égard.
Gaspard avance vraiment. Je ne le quitte plus de vue : les
défunts avant les vivants. J'avouerai qu'à ma honte et à mon
crève-cœur cette devise, hélas! n'a été jusqu'ici que trop en-
freinte. Mais je l'affiche à mon chevet, où elle me réveillera
chaque matin.
La journée de samedi s'est écoulée tout entière à glaner des
souvenirs dans le champ du vieux Leysener... Non seulement sa
moisson, mais celle de 'sa génération est faite; ceux qui ne
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 1%
dorment pas sous terre dorment dessus. M. Bcrthe s'ennuie de
mes iniportunités et me relance de la belle manière. — M. Grille
(l'oncle) est malade. Quelle bonne fortune pour lui! Pouvoir tirer
le verrou sur soi, sur ses papiers, sur son musée et sur ses
livres ! N'avoir plus rien à dire, et, chose plus douce encore,
n'avoir plus rien à montrer! — « M. Bonnet n'y est pas, repassez
demain, s'il vous plaît. » — Pour M'^^ Hudou, elle vit, celle-là.
Quel volcan, quelle lave de souvenirs débordés! Gomme je
sortais de chez elle, des Muettes plein les yeux, et des tintements
plein les oreilles, tous ceux que je rencontrai en me rendant à la
maison me semblèrent si nuls et si ternes que je crus coudoyer
autant de cadavres sur le chemin. Elle prétend que les parents
en savent plus qu'ils n'en disent; que l'opinion les gêne, par
souvenir du fils, républicain ardent, sculpteur aussi lui-mèmC;
auteur du buste de notre fantastique ami Kadelberg. Je n'ai plus
qu'une porte où frapper désormais. C'est celle d'un ancien litté-
rateur d'ici, le sieur Papin, maintenant domicilié à Saumur, et
dont la femme est nièce de Leysener. Je viens de cacheter ma
lettre à son adresse. Après quoi je saurai, ou bien j'ignorerai.
Avez-vous remonté le Rhin, non en bateau, cette fois, ni en
voiture, mais en Victor Hugo? G'est lui, deux fois pour une,
réverbéré dans le fleuve, poète sans fin, tirant de ceci une voix,
et de cela une étincelle. A-t-on pétri le monde avec ce despo-
tisme étrange qui fait que tout le paysage ne jure que par lui! Un
si rude gantelet, à la longue, vous froisse. On revient de cette
lecture suffoqué et meurtri, comme une proie tombée des serres
d'un aigle.
M. **' est fou. Homme de talent et de cœur, poète aussi dans
son art, ce vil métier des autres, et le dernier typographe qu'eiàt
avoué Gutenberg. J'ai appris cela hier, comme une chose
quelconque, de la bouche vulgaire d'un commis voyageur.
L'amour des traditions, l'enthousiasme du beau, l'horreur des
spéculations mercantiles ont travaillé sa tête et bouleversé son
cerveau. C'était mon maître, et je le pleure. Cachot ou cabanon,
c'est, par le temps qui court, la destination du génie. — Et Ber-
trand qui allonge sous le pli do vos draps sa blême tête pour me
dire : « Vous avez oublié l'hôpital! »
Croyez, notre bien cher, à nos inviolables amitiés,
Victor Pavie.
196 DAVID D'ANGERS
CjUecUon David d'Angers. — L'ouvrage do Victor Hugo, Le Rhin, lettres
à un ami, parut en janvier 1842 (2 vol. in-8°).
CLXXVII
David à Victor Pavie.
Tombeau de Joseph Pavie. — Les « Pourquoi de l'enfant ». — Symbolisme
du monument de Bichat. — Angoisses d'artiste. — Sérénades. — Paysage.
— Souvenir d'enfance. — Leysener. — Eugène Delacroix. — Critique des
expositions. — Visite à la tombe d'Aloysius Bertrand. — Le roi René. —
Présent de la ville de Strasbourg.
Paris, 27 mai 1842.
Je suis bien en retard pour te répondre, mon cher Victor ; la
vie agitée des voyages en est la cause. Ce n'est pas oubli, car
toutes les impressions heureuses que j'ai éprouvées m'ont rap-
pelé ton cher souvenir. Je suis heureux que tu aies reçu avec
quelque intérêt le croquis que je t'avais adressé avant mon dé-
part, tristes linéaments confiés à cette fragile feuille de papier,
monument éphémère quand on le compare à celui que le malheur
sculpte dans notre cœur. Le malheur est un colosse qui tôt ou
tard pèse de tout son poids sur notre vie et l'écrase impitoyable-
ment. J'ai travaillé à ce croquis avec tout le cœur possible, avec
de bien vives émotions à ton sujet et d'affreuses transes pour
mes deux enfants, car le jour où le marbrier avait déposé la
croix chez moi, ces pauvres petits furent frappés de la maladie
dont mon Hélène n'est pas encore tout à fait guérie. Parfois, lors-
que je travaillais au dessin du pauvre Joseph, mes enfants ve-
naient auprès de moi, puis, avec une voix rendue sonore comme
du cristal par la maladie, ils m'adressaient des questions qui
souvent appelaient des larmes à ma paupière. « N'est-ce pas,
disait Hélène, que l'on meurt quelquefois? — Oui, ma pauvre
enfant ; que Dieu nous prenne en pitié ! »
Avant de quitter Paris, j'avais terminé deux groupes : celui
du général Gobert avec le guérilla. Dans le groupe de Bichat,
j'ai cherché à élever un monument à la science de la physio-
logie. Trois existences se présentent sur ce piédestal : l'une
rêveuse, végétative, pure comme l'aurore d'un jour sans
nuages; l'autre occupe le milieu, la partie la plus élevée de cette
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 197
pyramide humaine. Celle-là est passionnée, dévorée par les
émotions; elle pense et se consume; elle essaye de lever un
coin du voile qui cache les mystérieux secrets de la Création.
Enlin, à la base de cette pyramide est la mort, autre exis-
tence obscure, hiéroglyphique. C'est cette transformation que la
lampe de la science, celle qui éclaira Hippocrate, illuminera
de ses rayons. Le scalpel et les instruments d'anatomie rappel-
lent la dissection. Voilà une trilogie. Les anciens aimaient à pro-
céder d'après cette méthode. J'en ai fait usage pour exposer mon
drame physiologique. Si j'ai posé la main de Bichat sur le cœur
de l'enfant, c'est que là réside le foyer le plus ardent de la vie.
Dès le principe, ma composition s'est présentée claire à ma pen-
sée. Mon programme est très simple. N'est-il pas vrai que le mé-
decin prend l'homme au berceau, le soutient jusqu'à la tombe,
et restant fidèle à sa dépouille y cherche des lumières, pour
éclairer les sublimes et miraculeuses manifestations de la vie ?
Une grande jouissance m'était réservée dans la réalisation de ce
travail ; je consacrais pour l'avenir les traits de mon Robert.
Puis je me disais : Peut-être cette union avec un grand homme
portera-t-elle bonheur à ce cher enfant ! Travaille, pauvre artiste,
sois le jouet continuel des émotions qui détruisent ta vie par lam-
beaux, tâche de fouiller dans les replis les plus profonds du cœur,
cherche à faire passer les manifestations de l'âme sur la pierre,
tu rencontreras soudain des êtres prétentieux et nuls qui te
crieront : « Prends garde ! tu exagères les têtes de tes person-
nages ! Il faut que je puisse te comprendre !... » Ah ! mille fois
malheureux celui qui peut comprendre toutes les transes, les
agonies de l'artiste! Souvent, la nuit, lorsque le sommeil le fuit,
son œuvre hante sa pensée, elle lui apparaît toute défectueuse ;
son cœur serré par l'anévrisme bat convulsivement; la sueur
couvre son front ; il se prend à désespérer de la réussite de cette
statue qu'il aimait tant ! Mais la lumière calme ses angoisses. II
reprend son travail avec ardeur, et l'illusion, ange consolateur
de l'homme, vient de nouveau le soutenir dans son pénible
labeur, pour l'abandonner encore au retour de la nuit prochaine.
X'oilà, mon ami, l'histoire de ma vie d'artiste. Aucun de mes ou-
vrages qui ne m'ait fait traverser cette épreuve ; mais l'art, avec
sa puissante et irrésistible voix, est là qui vous dit : « Marche! »
PuiS;, il y a aussi de bien douces et nobles compensations.
198 DAVID D'ANGERS
Si, dans une ville oi^ tous croyez être arrivé sans être vu des
personnes qui peuvent vous faire connaître, la Marseillaise,
sublime chant de liberté, retentit tout à coup dans la nuit et vous
arrache au sommeil, l'entraînante harmonie vous rappelle que
votre nom n'est pas effacé du souvenir de vos amis ; c'est une sorte
de baume qui cicatrise les anciennes blessures ; le cœur se re-
prend à la vie; l'avenir s'embellit de nouveau. Au cours des
manifestations si chaleureuses dont j'ai été l'objet dans plusieurs
villes, lors de mon dernier voyage, ce qui m'a le plus touché,
c'est que l'on n'a jamais séparé le patriote du statuaire.
J'aime le midi de la France, la nature y est passionnée.
J'aime la désolation de ses paysages, qui semblent porter les
traces d'une des brûlantes révolutions du globe. J'aime ces oasis
délicieuses qui forment un si heureux contraste avec les lignes
sauvages et grandioses d'un sol que la main de l'homme ne peut
féconder par la culture.
Je pense qu'actuellement tu dois avoir des documents exacts
sur le sculpteur Leysener. Combien je regrette de ne pas avoir
noté de précieux renseignements que mon père avait recueillis
sur cet homme et aussi sur des faits très curieux de la guerre de
la Vendée ! Mon père, avec son imagination ardente, avait été
naturellement frappé du talent de ce statuaire dont tu veux con-
server le souvenir; il en parlait bien souvent, et moi je ne prê-
tais qu'une trop légère attention à ses récits. Cependant je me
souviens bien que, tout petit garçon, je grimpais sur un autel
dévasté de l'église en ruine de Saint-Aubin, et que là je me cram-
ponnais à un fragment de statue de Vierge que mon père m'avait
dit être de notre statuaire. Je passais mes petites mains avec
curiosité sur les pieds encore bien conservés, et j'habituais ma
jeune pensée à désirer suivre cette noble carrière des arts.
Cherche, mon ami, feuillette les vieilles archives vivantes que
le temps a oubliées sur la terre; tu en trouveras beaucoup comme
M"^ Oudot qui expriment leurs idées à peu près comme ces
mots à rebours que l'on trouve sur le papier buvard qui a servi
longtemps. Qu'importe? Un mot déformé est parfois précieux
sur le sujet dont on s'occupe. Il y a aussi d'autres vieux sou-
venirs qui font songer à ces manuscrits calcinés par la lave du
Vésuve. Ceux-là se révèlent à vous par de grandes lignes qui
vous font pénétrer de sublimes pensées : ce sont les Chateau-
briand, les Lamennais,
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 199
Je viens de rencontrer Lacroix, qui m'a dit avoir perdu le
prospectus de l'exposition d'Angers que tu lui avais envoyé;
malheureusement, il m'a été impossible de lui en donner un
exemplaire; j'en avais disposé. Je n'ai rien à envoyer, hors les
bas-reliei's du Gulenherg qui viennent d'être fondus. Tous faites
bien, mes amis, de tâcher de former le goût des Angevins ; puis
c'est la mode actuellement de faire des expositions. Il faut que
cette mode s'use comme toutes celles qui sortent de la tête hu-
maine. Dans le temps où l'art était en plus grande vénération, on
ne faisait pas d'exposition, de bazard. L'art était partout sur les
monuments; il était à sa place; il avait un but. On ne voyait
pas un sujet profane auprès d'un sujet religieux; la vertu auprès
du vice, la charge auprès de ce qui est noble. Aussi l'art était pur
et respecté. Actuellement, c'est un objet de commerce et de
curiosité; on ne tient pas à acheter des tableaux, puisque l'on
peut en avoir souvent la vue par des expositions. C'est à notre
égard ce que sont les cabinets littéraires pour les littérateurs.
Et mon pauvre Bertrand! Lorsque je suis allé visiter sa tombe,
une pensée est venue me frapper au cœur. 11 me semblait que
le poète me demandait avec douleur : « Et mon monument lit-
téraire! »
Pense-t-on à faire le tombeau du roi René? Bien certainement
je penserai à m'occuper de la figure vers le printemps prochain;
il faut eniîn élever un monument à cet homme. Que nous som-
mes Gaulois, en vérité! Nous ne nous exaltons pas assez pour
les nobles souvenirs; notre argent est collé à notre colfre- fort
quand il s'agit d'une manifestation de l'àme. Ah ! si c'était pour
des fêtes, des banquets, cela serait bien différent !
Le 15 du mois de juin, je quitterai Paris pour les Pyrénées, et
il est probable que je retrouverai la santé.
Soyez tous heureux, chers amis, et croyez à notre sincère et
éternelle amitié.
DAvm.
P. S. — Je viens de recevoir de la ville de Strasbourg une
magnifique coupe ciselée par Kirstein. Ce qui m'a rendu bien
heureux, c'est le nom d'Angers qu'ils ont joint au mien. Le nom
du fils auprès de celui de sa mère! Voilà les véritables récom-
penses. Cela vaut mille fois mieux que les croix obtenues par
faveur.
200 DAVID D'ANGERS
Collection Pavie . — L'enfant placé près de Bichat.dans le monument de
Bourg, rappelle les traits du fils du statuaire en 1841. C'est M. Robert
David qui a posé pour cette figure. L'abbaye de Saint-Aubin, dont parle
le maître, existait à Angers, au centre de la ville. C'est sur son emplace-
ment que s'élèvent aujourd'hui les bâtiments de la Préfecture. Lacroix,
on l'a vu déjà, est le peintre Eugène Delacroix. La coupe ciselée par
Kirstein fut offerte par la ville de Strasbourg à l'auteur du monument de
Gutenberg.
GLXXVIII
David à Victor Pavie.
Robert David. — Le Gutenberg à l'Imprimerie royale. — Le pays natal. —
L'atelier d'élèves de David passe sous la direction de Rude. — Second
buste de Victor Hugo. — Les carnets du maître. — Les monuments du
cardinal de Cheverus et de l'abbé Mongazon. — Paul Delaroche. —
Rendez-vous en Grèce.
Paris, 19 juin 1842.
Mon chev Victor^
Sans une grave maladie qui vient encore de s'emparer du
pauvre Robert, je ne serais plus à Paris, Cependant, je pense que
bientôt il me sera possible de quitter cette ville, car mon jeune
malade entre en convalescence.
Je viens de charger au roulage plusieurs caisses pour le Musée
d'Angers, et une qui t'est destinée. Celle-ci contient des frag-
ments, en bien mauvais état, de deux bas-reliefs du monument
de Gutenberg. Tu les feras porter à la campagne. Un jour le sta-
tuaire vieilli contemplera, sur le seuil de ta porte, tes jeunes
enfants jouant avec les têles des figures de ces bas-reliefs. Il sera
heureux qu'au moins ses ouvrages puissent amuser cette jeune
génération. Cette fois je me suis bien expliqué : la caisse doit
t'être remise franche de port.
Micheli est actuellement occupé au moulage des quatre bas-
reliefs qui^ avec la figure de Gutenberg, doivent être placés dans
l'une des grandes salles de l'Imprimerie dont M. Lebrun est direc-
teur. Aussitôt que le moulage sera terminé, des ordres seront
donnés pour que les plâtres soient envoyés à Angers. S'ils n'ar-
rivent pas trop tard, tu pourras les faire placer à l'exposition qui
va avoir lieu.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 201
J'ai reçu avec reconnaissance le journal dans lequel tu as inséré
un article sur mes travaux. Merci mille fois. Ta voix s'est encore
élevée en laveur de ton vieil ami.
Ne crois pas, cher ami;, que la terre de la patrie puisse être
jamais brûlante à mes pieds. Non, mille fois non. Je l'aime de
toute mon âme. Elle a pour moi le charme d'un premier amour
heureux. Mes pensées les plus chères lui sont acquises, et je vou-
drais lui confier toutes mes douleurs, comme on fait à une
mère. Mais je suis un pauvre infirme de corps qui a besoin de
chercher à calmer ses souffrances sous un ciel plus chaud, afin de
pouvoir consacrer encore quelques-unes des années qui peuvent
me rester à mériter, par de nouveaux ouvrages, la bienveillante
attention de mes compatriotes. Mon cœur et mon âme renferment
encore quelques nobles visions auxquelles je serais heureux de
donner une forme durable. Cette idée me poursuit sans relâche;
elle domine toutes autres affections.
Après vingt-deux années de tendre et constante sollicitude,
mes élèves viennent de me quitter. Afin que mes absences ne
nuisissent pas trop à la direction de leurs études, j'avais prié
M. Husson d'aller constamment leur donner ses conseils. Ils sont
venus me demander un autre maître. Je les ai recommandés d'a-
bord à M. Petitot, qui a refusé, puis à M. Rude, qui a accepté. Ils
ont aussitôt écrit une lettre de remerciement, signée de tous, à ce
dernier, et je suis rentré dans ma solitude... Pourquoi auraient-
ils eu quelques égards envers un homme qui leur avait donné ses
leçons gratuites, qui en avait sauvé plusieurs de la conscription,
aidé certains autres de sa bourse lors des concours du prix de
Rome, qui leur avait prodigué ses consolations quand ils étaient
malades? En étant polis, je ne dis pas reconnaissants, ils n'eus-
sent pas été les enfants de ce temps d'égoïsme et d'ingratitude.
Je sais bien qu'ils me reprochent de ne leur avoir donné ma voix
dans les concours qu'à mérite égal avec leurs concurrents, de l'a-
voir toujours réservée aux élèves des autres maîtres lorsque ceux-
ci la méritaient mieux que les miens. Je sais bien qu'ils peuvent
me dire que les autres maîtres n'ont pas montré toujours tantde
scrupule, mais ma conscience m'est trop chère pour la sacrifier
en aucune occasion, et ma vie prouvera que je ne suis pas répu-
blicain de nom seulement.
Avant d'entreprendre un voyage, j'ai toujours l'habitude de
202 DAVID D'ANGERS
mettre ordre à mes affaires. Je viens de faire un testament qui
prouvera, je l'espère, mon admiration et ma tendre amitié pour
Hugo : c'est son buste; car le premier essai n'était qu'un portrait.
Je l'ai débarrassé de ses vêtements, je lui ai mis une couronne de
laurier sur la tête. Ce buste sera coulé en bronze et donné par
moi à la ville de Besançon. Je tenais beaucoup à faire compren-
dre à ses insouciants compatriotes qu'au moins il existe hors de
chez eux des hommes susceptibles d'être constants admirateurs
du génie, et qu'enfin on n'est pas « prophète dans son pays
natal ».
Sous peu de jours, je crois pouvoir partir. Je vais encore éprou-
ver de grandes et saisissantes impressions à la vue des beautés de
ce pays méridional que j'aime tant. Je vais, comme j'en ai toujours
eu l'habitude, noter dans des petits livrets une partie de mes
émotions. Un jour, après moi, tu en seras le dépositaire. Tu y
trouveras, sans doute, des pensées d'artiste. Tout ce qui frappe
mon imagination devient de l'art, et cela doit être nécessaire-
ment, puisque nous sommes voués durant toute notre vie au
« compte rendu » de la nature visible et intellectuelle.
Quand je reviendrai, je terminerai la statue du vénérable
M. de Cheverus.
Le monument de M. Mongazon est en train, mais c'est un
ouvrage qui a pris une grande extension par le bas-relief qui re-
présente une Distribution de prix. La bonne et patriarcale tète de
cet homme m'a fait plaisir à reproduire.
Tu vois, ami, que lorsque je reviens à Paris, mes instants sont
exclusivement employés à faire de nouveaux travaux qui ne
pourraient être exécutés si j'allais me reposer dans notre pays.
Mais toi, tu ne viens plus à nos expositions, tu n'as pas même
vu le dernier travail de Delaroche, travail dont je te parlerai dans
ma prochaine lettre. Viendras-tu me retrouver en Grèce? Serai-
je plus heureux cette fois qu'à l'inauguration du Gutenberg ?
Adieu, cher ami, soyez heureux tous et croyez-nous, Emilie et
moi, tout à vous de cœur,
David.
Collection Pavie. — Un exemplaire en plâtre du monument de Gutenberg,
offert à M. Lebrun, directeur de l'Imprimerie royale, décore un atelier de
cet établissement. Un exemplaire en fonte, exécuté à une date postéi'ieure,
a été placé dans lacour d'honneur de l'ancienHôtel de Rohan.(ili2«ee5 (i?'^n-
gers, pp. 109-110.) Le buste de Victor Hugo, la tête laurée, porte la date
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 203
de i842. Le marbre fut offert au modèle. {Davidd'Angers, etc., t. ï, p. 582;i.U,
p. 418.) Les carnets du maître, au nombre de plus de cinquante, ont été
offerts par M. Robert David à celui qui écrit ces lignes. Un grand nombre
de notes extraites de ces carnets ont trouvé place dans les écrits du sta-
tuaire. (David d'Angers, etc., t. Il, pp. 3-447.) Le monument de Cheverus,
érigé à Mayenne, fut inauguré le 8 août 1844. Le travail de Paul Dela-
roche, auquel fait allusion David, est la peinture murale de l'Hémicycle à
l'École des beaux-arts.
GLXXIX
David à Victor Pavie.
Aloysius Bertrand et ses proches. — Le cardinal do Cheverus et Fénelon.
Paris, 27 juin 1842.
Cher Victor,
Robert n'étant pas encore tout à fait rétabli, je n'ai pas pu
quitter Paris, mais j'espère pouvoir le faire samedi prochain ou
dimanche. Ainsi, tu pourrais encore ra'écrire si tu avais quel-
ques choses à me dire. D'ailleurs, les lettres qui me seront adres-
sées ici me seront envoyées au lieu où je voyagerai.
11 m'a été impossible d'empêcher M"''-' Bertrand de t'écrire. Je
sens combien tu dois être ennuyé d'être ainsi tracassé. Que
veux-tu? cette femme est comme une âme en peine. Quand je la
vois venir, elle me semble une apparition du malheureux jeune
homme. Ce n'est certes pas celle de sa belle et poétique imagi-
nation, mais bien la matérielle expression des misérables en-
traves qui ont eu raison de sa frêle existence. Ah ! combien il
aura dû souffrir ainsi entouré d'êtres qui ne pouvaient le com-
prendre! Quel long drame passé dans les sinistres mansardes où
tant de misère était abritée! Je ne suis plus étonné des traces de
blessures occasionnées par ce dur voisinage que j'apercevais
sur son âme si délicate. Il y a vraiment une malédiction attachée
à tous ceux que la nature a inscrits sur son livre d'immortalité.
Il semble qu'elle veuille se venger de ces devins qui cherchent
à pénétrer ses énigmes.
Je suis tourmenté, parce que Miclieli n'a pas encore terminé
le moulage des bas-reliefs, et comme il est très pressé d'ailleurs,
je crains que ces bas-reliefs n'arrivent pas à temps pour votre
204 DAVID D'ANGERS
exposition. Enfin, il m'a promis qu'il les expédierait aussitôt que
sa besogne sera terminée.
J'ai mis en train le monument de M. de Cheverus ; je le ter-
minerai à mon retour à Paris. Ce travail m'intéresse beaucoup.
C'était un homme tout à fait digne d'être mis en parallèle avec
Fénelon. Il y avait entre eux une grande similitude, quant aux
sentiments d'humanité, mais l'évoque de Cambrai avait le double
don du génie et des généreuses passions du cœur. La réunion de
ces deux qualités dans un grand homme en fait une exception.
Présente mes respectueux hommages à Madame Pavie.
Tout à toi de cœur,
DAvm.
Collection Pavie.
CLXXX
David à "Victor Pavie.
Baréges. — Gavarnie. — Paysage. — Le lac de Gaube. — Un drame sur le
lac. — Légende. — L'étude de Victor Pavie sur Leysener. — Hawke. —
Paul Delaroche et l'Hémicycle de l'École des beaux-arts. — Critique. —
V Apothéose d'Homère, par Ingres. — Caractéristiques des deux œuvres.
— La garnison de Baréges. — Retour à Paris.
Baréges, 4 août 1842.
Depuis dix-huit jours nous sommes à Baréges, cher Victor.
C'est un bien triste séjour. Une seule rue entre deux montagnes.
Le Gave, qui bondit avec un bruit sinistre sur des fragments de
granit, descend parallèlement à la rue. La chambre de laquelle
je t'écris donne d'un côté sur le Gave, et de l'autre sur cette rue,
autre torrent qui roule continuellement bien des misères, desti-
nées, comme les eaux qui hurlent avec tant d'énergie, à se repro-
duire perpétuellement et à s'engouffrer dans les entrailles du
globe. L'àme est attristée de voir ces processions de gens cris-
pés, disloqués; ces figures mangées jusqu'aux os, guidées par
deux yeux ternes qui vous regardent avec envie comme les yeux
d'un homme qui sortirait du cercueil après quelques mois de
séjour. En voyant tous ces gens marcher, l'un avec une seule
jambe et des béquilles, l'autre avec une jambe attachée au-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 20o
dessous du menton, on serait porté à croire que tous les télé-
graphes de France se sont donné rendez-vous ici. Les premiers
jours de mon arrivée, je boitais, j'étais tenté de me courber,
tant l'imitation de ceux qui nous entourent a de puissance sur
nous, et je regrette que Dieu n'ait pas été plus généreux en
types nobles ; ceux-ci paraissent à de trop rares époques sur la
terre.
Si Baréges est d'une austérité inflexible, il y a dans les envi-
rons de merveilleux effets de la nature à contempler, et il est
impossible de rester dans ce pays le cœur vide de saisissantes
émotions. J'ai vu à Gavarnie la magnifique cascade qui mérite
bien sa réputation. J'ai vu aussi une foire espagnole. Voilà des
hommes qui ont un costume pittoresque et énergique ! Je ne pou-
vais, en regardant ces hommes si beaux, à la tournure si noble,
m'empécher de sourire de pitié en pensant à nos paysans gau-
lois habillés de loques couleur d'ardoise, à l'air rusé, à la face
enluminée par l'ivrognerie, accompagnés de leurs femmes si
niaisement ajustées. Décidément, les Gaulois n'ont jamais eu de
goût, et ce qui est désespérant, ils n'en auront jamais. Ils sont
trop orgueilleux pour emprunter aux autres peuples ce qui leur
manque.
Les excursions dans les montagnes sont éiectrisantes d'intérêt,
mais les émotions sont aussi bien violentes. Quand, pendant cinq
heures, on a continuellement un horrible précipice à côté de soi,
les idées les plus mélancoliques vous assaillent. Que de fois
n'ai-je pas tremblé en voyant Emilie et mon fou, mon insouciant
Robert courant devant moi sur un sentier étroit! Puis, je posais
le regard sur les fleurs des montagnes dont notre guide avait
orné la tête de nos chevaux, et je me souvenais que les anciens
avaient coutume de couronner les victimes avant de les conduire
à la mort. Rien de sublime comme le spectacle de ces montagnes
de granit qui semblent en lutte avec le ciel et dont se détachent,
de temps à autre, des blocs énormes. Quelle lutte mystérieuse
et gigantesque dans la nature! Quelle énigme pour nous!
Il y a peu de jours que nous avons été visiter Gautercts et ce
fameux lac deGaube, qui est sur une montagne. Là, en 1832, il
s'est passé un drame dont le récit m'a vivement ému. Un jeune
Anglais, après avoir bu une bouteille de rhum, a contraint, par
la force^ sa femme à le suivre dans une barque, et lorsqu'ils
f06 DAVID D'ANGERS
eurent disparu derrière un rocher, on entendit des cris perçants,
et peu après on aperçut la barque \ide voguant au hasard. On a
élevé à ces disparus un tombeau sur le rocher qui avance dans
le lac comme une chaloupe attachée au rivage. Un paysan qui,
durant la belle saison, garde la masure destinée à servir d'abri
aux voyageurs, me disait qu'un pâtre prétend avoir vu, la nuit,
sur le lac, une barque fantastique dans laquelle deux personnes
luttaient avec efforts; puis la vision disparaissait, et l'on en-
tendait des cris plaintifs mêlés de rires infernaux. Deux lumières
semblaient se poursuivre sur l'eau et venaient se poser sur le
monument. C'est quelque chose de grand que ce tombeau sur la
montagne! Un drame près du ciel! La victime auprès de son
meurtrier, dans le même cercueil! Et quand on pense que cet
emblème de mort roulera tôt ou tard dans la plaine avec le bloc
géant qui lui sert d'appui !
J'ai été bien heureux de lire ici ce que tu as écrit surLeysener.
Ce sont des pages profondément et admirablement bien senties.
Si le destin du statuaire a été assez cruel pour le faire s'égarer
dans notre Anjou, au moins, comme compensation, il s'est trouvé
là une âme qui lui a élevé un monument, car^ cher ami, tes
pages conserveront son souvenif parmi les hommes. Cette œuvre
était digne de toi. Je suis heureux de savoir qu'il existe encore un
portrait de ce statuaire. Tu devrais engager M. Havs^ke à en faire
une gravure, ou M. Ménard un dessin. Pour moi, je désirerais bien
qu'on me l'envoyât pendant quelques jours pour en faire un mé-
daillon en bronze ; tu tâcheras d'arranger cela, je t'en prie.
Voici quelques-unes de mes idées sur le travail de Paul Dela-
roche, à l'École des beaux-arts, dans la salle destinée aux diffé-
rents cours spéciaux et aux distributions de prix. Le peintre avait
à représenter la réunion de tous les artistes qui ont brillé aux
diverses époques de l'histoire. Tout à fait au miheu de l'Hémi-
cycle, on voit les trois grandes gloires artistiques de la Grèce :
Apelle, Phidias et Ictinus ; à leurs pieds, une femme à demi nue
jette avec violence des couronnes qu'elle vient de ramasser à
terre. De chaque côté sont des femmes : allégories do l'art ro-
main, gothique et de la Renaissance. Ensuite se voient les grandes
célébrités de tous .les pays, depuis la Renaissance jusqu'à
Louis XIV.
La première impression que j'ai éprouvée en apercevant tous
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 207
ces hommes bavardant avec des gestes outrés, des poses manié-
rées, a été que je me trouvais en face d'une assemblée de fous. Les
artistes devraient bien se persuader que l'on ne peint pas des
paroles; que ce sont les actions qui sont leur véritable langage.
A cet égard, je me rappelle qu'un jour, sur laroule de Montpellier
à Béziers, je vis une femme qui gesticulait d'une manière très
étrange. Je la crus folie. Gela me lit réfléchir à un grand prin-
cipe d'art, c'est que les gestes doivent être extrêmement simples,
et c'est surtout dans le sujet que Delaroche avait à traiter que
ce principe devait avoir son application. Quand je vois une réu-
nion d'hommes distingués, j'éprouve le désir d'entendre ce qu'ils
disent, afin de profiter de leurs lumières. A quoi me servirait de
les voir se démener comme des énergumènes, si je ne pouvais
les comprendre? Au contraire, si, calmes, réfléchis, plongés dans
de profondes méditations, ils se présentaient à ma vue, alors je
penserais à ce que chacun a fait de grand pour se rendre digne
de la vénération des hommes. Ma tête s'exalterait et j'assisterais
à leur apothéose. D'ailleurs, les artistes ne doivent parler que sur
la toile ou le marbre. Les bavards, ceux qui dépensent leur temps
en conversations, n'ont jamais été que des artistes médiocres.
Tout ce qui est dépensé par la parole est autant de perdu pour
l'immortalité de l'artiste. Toute la vie des maîtres doit s'écouler
dans le silence do l'atelier ou dans une religieuse contemplation
des créations de la nature.
Le statuaire, dès l'instant qu'il prend le ciseau pour représen-
ter un grand homme, sent que c'est une apothéose qu'il va faire,
un poème avec une seule figure qu'il va tracer. Ce n'est pas
l'homme physique seulement, c'est l'être immatériel qui doit en-
velopper la matière et lui servir d'auréole, afin de faire comprendre
aux spectateurs que cette apparition est celle de l'homme des-
tiné par la nature à laisser un monument durable et utile à l'hu-
manité. Ce n'est pas seulement le grand homme que l'on doit
chercher à faire resplendir dans tout l'éclat de sa gloire, c'est,
ou la réalisation d'un grand fait historique, ou le point le plus
élevé cil la science a été portée par celui dont on veut consacrer
les traits. L'homme de génie aspire à lui toutes les intelligences
qui se trouvent disséminées sur la terre. Elles sont ses bras; lui
est la tête, le centre, l'unité, le résumé, et il devient le mythe
d'une époque. Voilà la statue.
208 DAVID D'ANGERS
Les êtres grands par le cœur ont aussi leur majesté surhu-
maine. TelsNiobé la mère, le Laocoon, et, dans le christianisme,
Jésus, sublime législateur, qui a donné au monde la plus grande
idée de charité qu'on ait jamais entendu formuler sur ce globe!
C'est par la profondeur de la pensée que le statuaire peut se ren-
dre digne de sa haute mission. Il ne peut ni ne doit prétendre à
la vérité matérielle delà nature physique. La matière qu'il emploie
pour fixer ses inspirations est un invincible empêchement à l'il-
lusion. Dans le sujet qui nous occupe, le peintre devait se faire
statuaire. Chaque figure prise à part devait être la synthèse d'un
poème.
Dans les scènes do la vie active, la peinture peut rendre le
mouvement, elle peut aspirer à la magie de l'illusion, et c'est par
là que se distingue l'art moderne. Les Grecs, moins matériels,
ne cherchaient pas le mensonge des effets d'optique. Leur but
constant était l'homme physique et moral dans sa plus saisissante
pureté. Tout cela, chez eux, était éclairé de la lumière du ciel,
tandis que les peintres modernes ont éclairé leurs figures au jour
amoindri d'un soupirail de cave. Or, on peut juger du degré de
matérialisme auquel un peuple est tombé, par l'étude de ses
productions d'art. Les Espagnols et les Flamands nous offrent
un exemple frappant de la vérité de ce que je dis, tandis que les
Italiens ont généralement, surtout à l'époque la plus brillante de
leur histoire, baigné leurs scènes religieuses de lumière céleste.
Le peintre a l'avantage de pouvoir compléter et rendre précise la
scène qui l'occupe, à l'aide de groupes et d'accessoires qui expli-
quent le sujet. Il peut user de toutes les ressources de la palette.
Toutefois, lorsqu'il médite une apothéose, il doit, je le répète, se
faire statuaire par la simplicité du mouvement. La couleur même
dont il se servira ne devrait pas avoir la puissance dont elle revêt
les scènes de la vie active. Une apparition n'a pas la consistance
d'une réalité.
J'aurais voulu trouver cela dans le tableau de l'École des beaux-
arts. Cette Distribution de récompenses à laquelle assistent tous
ces lumineux génies des temps anciens devait être imprégnée de
plus de recueillement. Les grands hommes qui se sont davan-
tage inspirés de l'art grec devaient se rapprocher de leurs types
et regarder avec admiration les trois chefs de cette sublime école
athénienne. Ceux-ci n'auraient pas dû être dessinés avec une
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 209
uniformité qui pourrait faire croire qu'ils sont sortis du même
moule. Apelle et Ictinus devaient avoir des formes plus délicates
que Phidias, les statuaires ayant besoin de lutter contre les mon-
tagnes dont ils font jaillir l'immortalité.
Pour particulariser l'art grec et cette pensée incessante de
beauté qui l'a toujours guidé, les Grâces, qui ont été son flam-
beau, qui l'ont doté d'une couronne permanente, toujours plus
brillante à mesure que les siècles apportent leurs éléments de
comparaison, auraient utilement aidé à bien saisir le caractère
de ces trois gloires de l'école ancienne. Leur pose différente, et
en rapport avec le génie de chaque artiste, aurait fait comprendre
l'admirable variété qui existe dans les ouvrages du peuple
grec.
L'Art gothique, avec son église dans les mains, aurait pu avoir
une physionomie plus mélancolique. Il eût été bon d'indiquer
que ce sont les inspirations du cœur qui ont dirigé les religieux
artistes de l'époque gothique.
L'Art romain est le grec abâtardi. Il a travaillé pour des maî-
tres qui n'ont jamais compris les douces émotions ou les philo-
sophiques aperçus du génie poétique.
Dans la figure de la Renaissance, il eût été opportun de rappe-
ler, par le costume, la pose et les formes du personnage, que l'art
avait établi son atelier dans l'antichambre des rois et des grands
d'alors; qu'il s'était affublé des fragments presque déteints du
manteau grec, unis avec la friperie bizarre, pleine d'afféterie, du
goût de son époque.
Il n'aurait pas fallu représenter la Gloire à genoux, ramassant
des couronnes dans la poussière pour les jeter à la tête du spec-
tateur. Il n'aurait pas fallu faire exécuter tant de gestes inexpli-
cables à des hommes qui, au contraire, devaient s'entretenir à
voix basse et avec décence, comme cela se pratique quand on est
admis dans un lieu que l'on respecte.
.le n'aurais pas voulu voir Michel-Ange, l'homme du mouve-
ment, assis, ayant l'air d'un vieux buveur qui cuve son vin et
médite sur l'ivresse du lendemain.
Le suave et angélique Raphaël pose avec manière comme un
François ["'l Et mon cher Puget, lui dont l'âme brûlante a su
donner au marbre une vie plus puissante que la vie réelle, je
n'aurais pas voulu le voir ramassé sur lui-même comme un
14
210 DAVID D'ANGERS
paralytique ou un tailleur. L'être qui possède en lui la vie accen-
tuée a au contraire besoin d'extension : l'immensité est son do-
maine.
Chaque époque léguant aux suivantes quelque chose qui lui
donne son cachet, cela aurait pu être indiqué par des accessoires
autres que le costume, qui n'est, en somme, qu'une ressource
banale aux mains de l'artiste.
Tout ce bavardage qui fait songer à une place publique ne peut
inspirer aucune vénération au spectateur. On voit aussi que le
peintre, par l'arrangement des figures, a eu la préoccupation de
simuler le velours, la soie et tous les haillons somptueux que
recherche la mode. Quelle misère! Mais n'est-ce pas l'homme qui
laisse le souvenir de son génie ! Ses vêtements, c'est l'affaire du
tailleur et le tribut payé aux absurdes exigences de la société. La
médiocrité, avec un peu d'adresse, obtiendra toujours des effets
agréables avec le secours des différentes étoffes, mais il n'appar-
tient qu'au peintre de génie de copier l'ouvrage de Dieu. La cou-
leur, c'est l'expression de la matière ; la forme, c'est celle de ce
qu'il y a d'immatériel en nous.
Combien V Apothéose d'Homère est supérieure! Quelle noble et
sublime réunion de grands hommes ! Ils ne sont plus sur la
terre. Il semble que c'est notre âme qui les perçoit. Ils ne con-
servent plus qu'une indication de la teinte terrestre qui colorait
le corps dont s'enveloppait leur âme et dont elle s'est débar-
rassée. Ainsi le papillon conserve sur ses ailes la poussière colorée
des fleurs qui l'ont abrité. Ainsi une lumière mystérieuse baigne
le beau visage d'une Jeune fille. Cette page est celle d'un homme
de génie^ c'est une hymne sublime à la Création. La peinture
de Delaroche est un savant tableau de genre , de grandes di-
mensions. L'artiste a fait le portrait en pied des représentants
de chaque âge de l'art, il ne nous a pas rendu leur apparition
historique et poétique.
Sous peu, nous allons quitter Baréges pour retourner à Paris.
Je dirai adieu avec plaisir à cet endroit. Je ne verrai plus cette
rue que l'on croirait peuplée des damnés de l'Enfer du Dante.
Toutes ces infirmités ont beau se cacher sous les friperies du
luxe, elles ne m'en paraissent que plus pénibles à voir. Je ne
regretterai même pas les trois gendarmes si débonnaires qui vont
donner la main aux voyageurs pour descendre de voiture, qui
ET SES RELATIONS LITTERAIRES xMl
ferment les portières, qui jouent avec les enfants et font enfin
tout ce qui est dans les attributions du paisible citadin. Je no re-
gretterai pas l'unique sergent de ville qui cire les bottes des
voyageurs, fait les commissions, vend des boîtes de sardines,
annonce avec le son d'une cloche les ventes ou les eflets perdus
et enfin, vers midi, prend son costume, son sabre inoffensif et
reçoit pour quelques sous des taloches des jeunes désœuvrés de
l'estaminet. Que penses-tu delà garnison d'une des frontières
d'Espagne ?
Adieu, cher ami, sois heureux et tous ceux. qui te sont chers;
dis-leur de la part d'Emilie et de moi mille choses aimables, et
crois à mon entier dévouement de cœur.
David.
Collection Parie. — Pierre Hawke, nommé dans cette lettre, est un pein-
tre dessinateur qui a séjourné longtemps à Angers. Hawke a pris part aux
Salons de 1839 et de 1841, avec des dessins à la plume représentant des
vues d'Angers et de Nantes.
CLXXXI
Reboul à David.
La médaille du poète. — L'esthétique du maître.
Nimes, le 6 septembre IS'iî,
Monsieur,
Je n'ai que le temps de vous remercier de votre magnifique
envoy. Cela a réjoui toute ma famille, et c'est autant en son
nom qu'au mien que je viens vous témoigner toute notre recon-
naissance : le poète, plus tard, si la muse daigne le gratifier de
quelque inspiration, se réserve de le faire d'une autre manière.
Oui, Monsieur, en jetant les yeux sur le médaillon qui offre
l'empreinte de mes traits, je me rappellerai de vous, et surtout
de l'entretien que nous eiîmes ensemble et dans lequel vous
développâtes les théories de l'art, que vous faisiez descendre de
la source de toute intelligence, et de cotte réponse faite à un
jeune artiste qui vous demandait le secret du sublime : « Soyez
homme d'honneur. » Toute cette éloquence de conversation,
mille fois plus persuasive que le langage d'apparat et les pages
212 DAVID D'ANGERS
les plus brillantes, est là, fixée dans mon souvenir, et certes,
l'insigne honneur que je viens de recevoir de vous ne servira
pas peu à l'y maintenir, s'il est possible, encore davantage.
Mes respectueux souvenirs à Madame David.
Je suis, Monsieur, avec une vive reconnaissance, votre tout
dévoué serviteur et admirateur,
J. Reboul.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de Jean Reboul, le poète
boulanger de Nîmes, porte la date de 1842. (Musées d'Angers, p. 183.)
CLXXXII
Magu à David.
, Le médaillon du poète.
Lizy-snr-Ourcq, le 29 novembre 1842.
Monsieur,
J'ai reçu, hier soir, la caisse que vous avez eu la bonté de
m'adresser, et je m'empresse de vous en accuser réception.
Je ne sais vraiment en quels termes vous exprimer toute la
joie que m'a causé votre beau présent. La reproduction de mes
traits par le premier statuaire de l'Europe est une chose à la-
quelle j'étais loin de m'attendre il y a quatre ans. Moi, pauvre
ouvrier que j'étais, vivant obscur et caché, ne rêvant aucune
célébrité, faisant des vers par passe-tems, et pour remplir
les quelques heures de repos indispensables à l'artisan pour
réparer ses forces et supporter le travail, combien je me félicite
d'avoir si bien employé ces moments de loisir, et de ne pas les
avoir dépensés au cabaret, puisqu'ils m'ont procuré l'inesti-
mable bonheur d'être distingué d'hommes si chers aux beaux-
arts et à la Patrie, tels que vous, Monsieur, et notre illustre ami
Béranger! Quel motif d'encouragement pour moi! J'ai déjà un
pied hors du bourbier. Si le destin veut que j'en puisse retirer
l'autre, ce que je n'ose trop espérer, je pourrai me livrer à
mon penchant dominant, celui d'écrire, et je n'oublierai pas
ceux qui n'ont pas dédaigné de remarquer, d'encourager, et
d'employer leur talent à illustrer le pauvre tisserand.
En attendant la fin de la réalisation de mon « rêve d'or », je
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 2J3
VOUS prie, Monsieur, d'agréer, avec mes remerciements, l'assu-
rance de la vive et éternelle reconnaissance de celui qui a
pour vous la plus profonde estime et le plus entier dévouement,
Magu,
tisserand.
P. S. — Les trois médaillons étaient dans le meilleur état
quand je les ai reçus.
Ma femme et ma fille me prient de vous faire agréer leurs très
humbles salutations; ma fille surtout vous remercie des vœux
que vous avez faits pour son avenir.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de Magu, le poète tisserand
de Lizy-sur-Ourcq, porte le millésime de 1842. (Musées d'Angers, p. 183;
David d'Angers, etc., t. I, pp. 246-247.)
GLXXXIII
Emile Deschamps à David.
Le buste d'André Chénier.
Paris, novembre 1842.
Cher et illustre ami,
Je ne saurais vous dire avec quel enthousiasme j'ai revu
tous vos chefs-d'œuvre et avec quelle reconnaissance j'ai
retrouvé votre si cordiale amitié ! Que Dieu me rende la santé
et les forces pour vous l'exprimer!
Ma femme est bien sensible aux souvenirs si doux de
Madame David, et elle joint ici tous ses plus empressés compli-
ments à mes respectueux hommages.
Et je finis en vous serrant cette main qui fait tant de magnifi-
ques œuvres.
Votre ami,
Emile Deschamps.
P. S. — Je trouve une occasion de prévenir mon frrro, qui
préviendra Alfred de Vigny. Quant à moi, je ne parlerai plus
que de votre admirable André Chénier. Il n'y a que vous pour
214 DAVID D'ANGERS
exécuter aussi merveilleusement les plus génc'reuses idées, et
toute la génération philosophique et poétique vous doit sa
reconnaissance et aussi son admiration.
A MONSIEUR DAVID d'ANGERS
Sur son magnifique buste d'André Chénier.
Cette tête oij la Muse eut son trône, un moment,
Que fît tomber la hache au début de son rêve,
Sous ton ciseau divin, à nos yeux, se relève...
Et pour vivre éternellement !
Emile Deschamps.
Collection David d'Angers.
CLXXXIV
David à Balzac.
Hommages du romancier à l'artiste.
Jeudi matin... (1842?)
Mon cher Monsieur de Balzac,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance les belles œuvres que
vous avez bien voulu m'envoyer.
Bientôt je tâcherai de rendre par le bronze et le marbre mon
admiration pour votre puissant génie.
A vous de tout cœur,
David.
Collection J. Gigoux.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 215
GLXXXV
Lamartine à David.
Le buste d'André Chénier ofTeii au poète des Méditations. — La vie de
Gutenberg, par Lamartine.
Paris, 17 février 1843.
Yoici le porteur du beau buste de Chénier. Je le conserverai à
double titre d'un double géiiie. Ut scidptura poesis. Et surtout
comme un gage de plus d une amitié à laquelle je devrai un peu
de postérité.
Vos bas-reliefs pour Strasbourg auront leur épigraphe de moi
au printemps.
Tout à vous de cœur,
LAMARTmE.
Collection David d'Angers. — On a vu plus haut que le buste d'André
Chénier date de 1839. Est-ce un bronze ou une terre cuite que reçut Lamar-
tine en 1843? La destination du bronze original nous échappe. {Musées
d'Angers, p. 171.) Lamartine se promet d'écrire la vie de Gutenberg
et de parler, à cette occasion, du monument sculpté par David à Stras-
bourg. Mais il ne faut pas s'y méprendre, l'attachement du poète pour le
statuaire n'eut rien de profond, et l'auteur des Méditations saisit ù. peine
ce qu'il y avait d'originalité, de puissance et de désintéressement chez
l'artiste. {Cours familier de littérature, t. VI, p. 415; t. XVIII, pp. 287-288.
David d'Angers, etc., t. I, p. 213.)
GLXXXVI
David à M. de Saint- Amour.
Le buste de Parent-Réal. — Le médaillon de Lazare Carnot. — Mignet. —
L'éloge de Daunou. — Projet d'exécuter le buste du compositeur Mon-
signy.
Paris, 3 juin 1843.
Monsieur,
J'ai surveillé l'encaissement du buste de M. Parent-Réal.
Il y a tout lieu de croire qu'il arrivera à sa destination sans
aucun accident. Si vous étiez dans l'intention d'utiliser le
216 DAVID D'ANGERS
modèle en plâtre qui a servi à l'exécution, il sera à votre dispo-
sition quand vous le désirerez.
Il y a déjà longtemps que j'ai fait le médaillon de Garnot, de
grandeur naturelle. Son fils vient d'en faire tirer une épreuve
en bronze, et le modèle est resté chez le fondeur, pour l'épreuve
que vous devez lui commander.
M. Mignet vient de lire à l'Institut un éloge de Daunou. On
doit regretter que cet habile écrivain ait été gêné par sa position,
qui l'a empêché d'aborder franchement la grande époque à la-
quelle a participé l'austère Républicain dont il voulait nous
retracer la vie. Gomment dire au public que M. Daunou avait
refusé la croix, quand on porte au cou le cordon de comman-
deur et que l'on est chamarré de croix! Comment dire que
M. Daunou avait donné sa démission d'une place le jour où il
accepta la direction des Archives, lorsque l'on a pour amis in-
times des hommes qui cumulent ! Gomment critiquer la faiblesse
du vieillard qui, dans ses dernières années, a accepté la pairie,
quand on est entouré d'hommes qui croient que c'est la position
la plus honorable! Mais, fort heureusement, l'histoire est au-
dessus des petites passions contemporaines. Elle donne aux évé-
nements et aux hommes la véritable place qui leur convient.
Et Daunou en aura une assez grande et assez belle pour que sa
mémoire prenne un rang parmi les hommes éminents de la
sublime Convention; et il faut espérer que l'avenir lui élèvera
une statue pour venger la lésinerie de ses contemporains.
Si nous faisions le buste de Monsigny? Vous devriez bien ob-
tenir un autre marbre que celui que vous m'avez fait donner.
En vérité, c'est comme si l'on travaillait du caillou. Les prati-
ciens demandent le double du prix convenu. Il y a actuellement
au magasin des blocs de Saint-Béat qui sont fort beaux ; tâchez
donc de vous en faire donner un.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec la plus haute considéra-
ration^ votre très humble serviteur,
David.
Collection Bannyaux. — Le buste de Nicolas-Joseph-Marie Parent-Réal,
exécuté pour la famille du modèle, date de 1834. Sept ans plus tard, une
souscription nationale fut ouverte dans le but déplacer le buste de l'homme
politique au Musée de Saint-Omer. C'est alors que David fit une réplique
en marbre de son premier travail. La lettre qu'on vient de lire a trait au
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 217
second buste. Le médaillon de Lazare Carnot, de proportions colossales,
date de 1836. {Musées d'Angers, p. 161.) David avait modelé, dès 1830, le
profil de Daunou. {IbicL, p. 133.) Le maître n'exécuta pas le buste de
Monsigny.
GLXXXVII
David à Victor Pavie.
La statue du roi René. — Le monument de l'abbé Mongazon. - Jean Bart.
— Des vers de Louise Colet. — Entre Académiciens. — Le jury du
Salon.
Paris, 27 juillet 1843.
Cher ami,
La statue du roi René est très avancée; cependant, il me faut
encore un vigoureux travail pour terminer le modèle, le faire
couler en plâtre et transporter à Angers. Toutes ces tracasseries
me tourmentent et ne font pas de bien à mon état maladif.
Sous peu de jours, je ferai encaisser le buste et le bas-relief
qui doivent décorer le monument de M. Mongazon; tu peux en
prévenir ces messieurs.
Voilà encore le Jean Bart à la merci des idées étroites de mal-
heureux industriels! Le Gouvernement leur a refusé du bronze,
et les voilà aux champs! Ils sont découragés! Cependant, s'ils
voulaient faire le sacrifice de quelques écus, ils pourraient com-
pléter bien promptement la somme nécessaire à la fonte de la
statue. Le sacrifice de mon temps n'est pas encore suffisant : il
faudrait que je fisse celui de la fonte à mes frais.
Je ne puis t' exprimer le dégoût insurmontable que me font
éprouver toutes ces mystifications, occasionnées par mes rap-
ports avec les hommes d'argent. Ceux-là n'ont pour idée fixe
que la spéculation, et leur cœur est transformé en bourse; ils
ont rompu avec tous les sentiments généreux.
Il faut que les travaux intellectuels portent avec eux un
attrait bien puissant, bien au-dessus de la misérable réalité de ce
monde boueux, pour que tant d'êtres généreux passent leur
existence à illustrer un pays peuplé et gouverné par tant
d'ineptie et d'égoïsme.
218 DAVID D'ANGERS
As-tu lu les miàérables vers de M""* Golet sur Molière? Quelle
honte pour l'Académie!
J'ai eu l'occasion d'assister un jour à la lecture d'une ving-
taine de pièces soumises à l'Académie. Voilà comment cela se
faisait : Ancelot lisait à peu près une page au milieu des conver-
sations et des éclats de rire de MM. Etienne, Cousin, Mignet,
Dupaty, etc. , etc. Alors, on demandait à passer outre, malgré
les protestations de Hugo et même de Soumet. Telle est la justice
des hommes, celle que l'on est en droit d'attendre de ses con-
frères! C'est la profonde connaissance que j'ai du cœur humain
qui méfait demander, de toute l'énergie de mon âme, la sup-
pression du jury, quel qu'il soit, pour l'admission des ouvrages
d'art au Salon.
Plus j'avance dans la vie, plus je suis convaincu que la raison
et la justice seront toujours en minorité dans ce monde où.
régnent les passions les plus viles.
Tout à toi de cœur,
David,
Collection Pavie. — La statue du roi René dont parle David est celle
qui fut inaugurée en 1853, à Angers, auprès du Château, dans lequel est né
René d'Anjou. L'initiative de ce monument est due au comte Théodore de
Quatrebarbes, qui avait fait les frais d'une superbe édition des Œuvres du
prince écrivain (Angers 1844-1846, 4 vol. in-4°). D'après la lettre que nous
publions ici, nous sommes en droit de penser qu'on avait demandé à l'ar-
tiste de soumettre aux Angevins le modèle en plâtre de sa statue avant
qu'il fût procédé à la fonte. La statue de Jean Bart, en bronze, a été
inaugurée à Dunkerque le 7 septembre 1845. Les vers de Louise Golet
auxquels il est fait allusion dans cette lettre furent composés à l'occasion
de l'érection de la fontaine Molière. Ils ont pour titre le Monument de
Molière (1843, in-S"). Gette pièce fut couronnée par l'Académie française.
GLXXXVIII
David à Schelling.
Le buste de Gœthe. — Opinion de Gœthe sur le placement des œuvres
d'art de grandes proportions.
Paris, le 6 ooût 1843.
J'ai travaillé à cet ouvrage (le buste de Gœthe) avec toute l'ar-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 219
dcur que m'inspiraient mon admiration et ma vénération pour
le grand homme qui m'avait reçu avectantde bienveillance dans
son intimité. C'est une belle et noble mission que celle de l'ar-
tiste, de la statuaire qui, par sa durée, parle à l'avenir le plus
reculé. C'est aussi pour cela que l'art ne doit consacrer que les
types qui honorent l'humanité. Gœthe aimait beaucoup la pro-
portion colossale pour de certaines personnifications. Il me di-
sait : « Rien ne me paraît absurde comme l'idée d'élever à une
très grande hauteur les ouvrages d'une grande dimension. 11
faut, au contraire, les rapprocher du spectateur, afin qu'il voye
bien que l'on a eu l'intention de réaliser ce que l'imagination
inspire quand un homme est grand par son génie. » J'ai donc été
heureux de voir ainsi confirmer ce que j'avais toujours pensé.
Vous trouverez ci-joint la proportion d'un piédestal comme
je pense qu'il devrait être sous le rapport des proportions.
Bien entendu que vous n'en tiendrez compte qu'autant que cela
ne dérangera en rien vos projets de symétrie architecturale.
Les autographes des hommes de la Révolution sont rares,
actuellement surtout que l'on comprend toutes les gigantesques
et miraculeuses choses faites par la sublime Convention; l'admi-
ration pour ces nobles républicains a grandi à mesure que les
brouillards amoncelés par l'Empire et les Bourbons se sont dis-
sipés devant la lumière de l'histoire. On ne peut penser sans un
vif sentiment de vénération à cette formidable Convention lut-
tant avec succès contre toute l'Europe, créant les écoles pri-
maires, les écoles centrales, l'École polytechnique, des bibliothè-
ques et des musées dans toute la France, des écoles d'arts et
métiers, enfin créant un muséum d'antiquités nationales pour
sauver tous les monuments historiques de la France (ce monu-
ment des Petits- Augustins a été détruit par les Bourbons en
1815!!). Il serait trop long d'énumérer ici toutes les mer-
veilleuses pensées sorties du cerveau de la nation affranchie, pour
un moment, du despotisme de ses maîtres couronnés.
David.
Collection Bovet. — Cette lettre a passé en vente en 1885. Elle fait suite
à celle fie Schoiiing publiée plus haut sous la date du 24 décembre 183.j.
L'exemplaire du buste de Gœthe dont il est parlé ici fut placé dans l'une
des salles de l'Académie des sciences de Munich.
2aO DAVID D'ANGERS
GLXXXIX
David à Victor Pavie.
L'esquisse du monument de Gobert. — Le l'oi René. — Beaurepaire.
Paris, 16 août 1843.
C'est ta faute, cher ami, si tu vas te trouver encombré par mes
ouvrages, au point, je crois, que tu seras probablement obligé
de louer une maison si tu veux t'assurer un lieu de refuge.
Je viens encore de confier au roulage le petit modèle du groupe
du général Gobert. Tu verras à le nicher dans quelque coin.
Je te remercie beaucoup des bonnes nouvelles que tu nous as
données sur la santé de notre bien cher Théodore, car nous com-
mencions à être très inquiets. Pour moi qui craignais bien que
mes souffrances à l'estomac ne prissent un caractère chronique,
m'en voilà presque débarrassé, et j'ai pu me livrer avec toute
l'ardeur possible à l'exécution du modèle de la statue du roi
René, qui, je pense, pourra être achevée pour l'époque fixée.
Voilà donc enfin la première statue que mes compatriotes veu-
lent bien me permettre d'exécuter à leur intention. Celle-là, du
moins, ne froissera en rien leur susceptibilité. Mais je n'en regrette
pas moins amèrement de ne pas avoir pu payer mon tribut à
l'héroïsme, en représentant l'énergique figure de Beaurepaire.
J'aime que l'on écrive l'histoire avec le bronze et le marbre.
Ce sont des pages qu'il est bon de tracer, mais il ne faut pas être
exclusif. Chaque homme est grand dans le cercle que sa convic-
tion lui a fait choisir. C'est une auréole qu'on ne peut lui refuser.
D'ailleurs, ce qui est écrit et dans les mains de tous peut bien
aussi être rendu visible par la forme.
J'attends toujours avec patience que tu trouves enfin un
homme qui, au lieu d'aller passer trois jours à la chasse, veuille
bien en passer deux à Saint-Florent. Attendons...
Emilie et moi nous vous souhaitons à tous bonheur, santé, et
nous vous prions de ne pas nous séparer de votre cher souvenir.
A toi de tout cœur,
David .
Collection Pavie. — Les dernières lignes ont trait au daguerréotype du
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 221
monument de Bonchamps érigo ù Saint-Florent, daguerréotype plusieurs
fois demandé par l'artiste.
GXG
Ëlie de Beaumont à David.
La médaille du géologue.
Paris, 24 août 1843.
Monsieur et très honoré confrère,
Je viens de recevoir les deux exemplaires du médaillon que
vous avez bien voulu me faire l'honneur, et permettez -moi de
dire plutôt l'amitié, de me consacrer. J'étais bien peu digne, as-
surément, de figurer parmi tant d'hommes célèbres dont vous
avez conservé les traits à la postérité, et à côté des hautes illus-
trations dont votre admirable talent a su exprimer môme le génie,
mais je n'en sens que mieux tout le prix de l'honneur que vous
avez bien voulu me faire et du sentiment bienveillant qui vous a
porté à dérober en ma faveur quelques-uns des instans que
vous savez si bien employer pour votre gloire et pour celle de la
France.
Agréez, je vous prie. Monsieur et très honoré collègue, l'ex-
pression de ma profonde reconnaissance et celle des sentiments
d'admiration et de haute estime
De votre dévoué confrère,
L. Eue de Beaumont.
Collection David d'Anfjers. — Le médaillon modelé par David, d'après
Élie de Beaumont, porte le millésime de 1843. (Mtisées dAngers, p. 18S.)
222 DAVID D'ANGERS
GXGI
Humboldt à David.
Un anniversaire. — Réception du buste de Humboldt à Berlin. — Intimité
d'Arago et de David. — Les récents ouvi^ages de Rauch, de Kiss, de Cor-
nélius et de Klot. — Fêtes à Berlin. — Lectures publiques par Ludwig
ïieck.
Berlin, ce 1 5 septembre ISiS.
Né sous l'influence pas tout à fait maligne de la grande comète
de 1769, j'ai vu hier (14 septembre) mon Ik" automne. Ma fête
a été embellie par votre amitié, par votre munificence, mon cher
et excellent confrère. Les artistes, les littérateurs, les savans,
ceux-mêmes qui me félicitent, comme Jules Janin étoit félicité
par les envieux confrères lors de la Villa gagnée en loterie, rem-
plissent ma maison. Le trésor^ votre magnifique cadeau, est ar-
rivé sain et sauf peu de jours avant ma fête. L'anniversaire de
ma naissance antédiluvienne, c'est un gros lot que je ne dois pas
au hazard : ma bonne fortune c'est votre bienveillance pour moi.
Cette belle inscription toute lapidaire: « à A... de H..., David d'An-
gers )), a pourtant une réticence que je déplore, il y manque ce
que j'avois sollicité comme une faveur, ces trois mots qui disent
tant : « à son ami H..., David d'Angers. » Je porte envie à M. Arago
pour tant de grandes et nobles qualités, dons du génie et du
cœur ; faut-il donc que dans mes rapports avec vous, rapports
de dévouement et de reconnoissance, je lui sois encore inférieur?
Partisan le plus ancien de l'égalité, je veux en profiter le pre-
mier pour m'agrandir. Je dénonce l'ennemi dans vos foyers do-
mestiques, c'est l'admirable et spirituelle Madame David (admira-
ble, quand elle est bonne pour moi) qui m'a nui auprès de vous.
Elle a craint que le beau marbre fût placé par moi dans ma de-
meure à Sans-Souci : elle n'a pas voulu que je pusse me glorifier
du titre d'ami au haut d'une colline qu'on disoit destinée à une
tombe royale. Hélas ! la colline ne renferme que la tombe de
quelques chiens que le « philosophe » (malin) du lieu aimoit
peut-être un peu plus que les hommes.
Rauch, un de vos plus dévoués et plus ardents admirateurs en
Allemagne, Rauch, qui a le tort d'être bien fidèlement attaché à
Madame David, a voulu déballer le chef-d'œuvre. Le buste étoit
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 223
encore prisonnier dans la caisse, qu'il admiroit déjà la ressem-
blance, la suavité et le fini du travail, le style grandiose qui ca-
ractérise vos conceptions et leur donne une élévation intellec-
tuelle digne des plus nobles époques de la sculpture. Nos jour-
naux vont suppléer à la modestie de votre réticence, mon illustre
confrère ; ils doivent dire que David d'Angers a daigné élever un
monument « à son ami Alexandre de H... », qu'il a partagé cette
gloire avecArago, avec Goethe et Rauch, et que cette munificence
insigne que je ne risquerai pas dénommer toute « royale », ac-
cordée aux hommes de la « rive droite », doit inspirer une vive
et éternelle reconnoissance à ceux qui ont des sentiments géné-
reux, qui peuvent comprendre ce qu'il y a de grand dans un en-
thousiasme vrai et désintéressé. Je voudrois pouvoir vous remer-
cier après avoir parlé du « trésor », échantillon du plus beau
marbre de vos Pyrénées, de l'aimable lettre par laquelle vous
avez daigné m'annoncer l'envoi. Je voudrois vous demander, si
c'est en votre pouvoir, un trait gravé de votre magnifique Philo-
pœmen; vous dire que les deux statues équestres de Frédéric II,
par Rauch et Kiss, pour Berlin et Breslau, sont prêtes à être fon-
dues; que le groupe colossal de rAma:;one combattant à cheval
contre un tigre, par Kiss, est placé sur les escaliers du Musée
dont Cornélius peint les fresques; que Rauch travaille au pendant
[Combat d'un lion)] que nous venons de recevoir de Pétersbourg
deux colosses, les Chevaux en bronze de M. Klot, célèbre, comme
vous le savez, par l'étude anatomique des plus belles races de
chevaux modernes, comme par la vivacité de mouvement qu'il
sait donner à ses créations. Mais je dois me priver du bonheur de
m'entretenir avec vous, mon cher ami. Nous vivons, depuis
l'arrivée de l'Empereur, de toute sa famille et d'une voye lactée
de princes allemands, dans des devoirs pas tout à fait littéraires,
entre Berlin et Sans-Souci ; entre des manœuvres de cavalerie et
des tragédies de Sophocle et d'Euripide {Antigone etMédée), en-
tre la choucroute qui a eu l'honneur de jouer un rôle dans les
mystères que vous ne lisez pas par suite de votre insigne
ignorance! et des lectures de Galderon et de Shakespeare par
l'infatigable Tieck.
Jo crains de troubler votre repos philosophique, et, après avoir
embrassé les chorsenfans, je termine en vous offrant à vous, mon
excellent confrère,età Madame David (si toutefois elle est revenue
224 DAVID D'ANGERS
de Tréport) l'hommage de ma vieille et respectueuse admiration.
Alexandre Humboldt.
P. S. — Mes tendres amitiés à notre Arago^ mes respects à
M. et à Madame Mathieu et à l'infante M"^ Lucie Mathieu. Des
amitiés aussi à notre confrère M. Laugier.
Collection David d'Angers. — Le postscript um a trait à Claude-Louis
Mathieu, beau-frère d'Arago, et à Ernest Laugier l'astronome, mort en 1872.
GXCII
David à, Victor Pavie.
La mort tragique de Léopoldine Hugo. — Chateaubriand. — La barque
renversée. — Le tombeau de Nelson. — Bernardin de Saint-Pierre. — Le
monument de Gobert.
Paris, 18 septembre 1843.
Mon cher Victor, _ ,
La maison de la place Royale est triste, silencieuse. La nuit,
cependant, on doit entendre les éclats de voix que la douleur fait
pousser à la pauvre mère, qui a continuellement devant les yeux
la chevelure de la noyée. Durant le jour, Hugo tient embrassés ses
enfants assis sur ses genoux. La jeune sœur ne connaît pas encore
toute l'étendue du malheur; on ne lui a parlé que de la mort de
M. Vacquerie.
Quand nous voyons une étoile glissant dans le ciel et semblant
s'abîmer dans le mystère de l'éternité, notre œil la suit avec in-
différence-, mais qu'une pauvre créature nous soit ravie, alors
c'est un drame affreux qui brise notre cœur, et cependant qu'est
ce faible atome en comparaison d'un monde?
La vie est une lumière qui nous aide à nous conduire vers le
cercueil. Pour cette pauvre Didine, cette lumière s'est éteinte dans
l'Océan, au lieu de s'anéantir au souffle des passions. Tôt ou tard
les forêts tiennent à notre disposition les planches de notre cer-
cueil, et la nature se rit de la mort de l'homme, comme l'enfant,
de la bulle de savon, qu'une autre a bientôt remplacée. Qu'im-
porte que cette lumière soit renfermée dans une lampe d'or ou
d'argile ! C'est toujours la même fragilité.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 225
Chateaubriand s'éteint. Des lueurs paraissent encore quelque-
fois, reflétées par cette précieuse lampe d'or, et illuminent les
objets qui l'entourent et qui probablement sans lui seraient tou-
jours restés dans l'obscurité.
Si j'avais un conseil à donner à Hugo, je l'engagerais à faire
fondre en bronze la barque, et je la renverserais sur les quatre
cercueils.
En 1812, étant à Rome, dans l'atelier de Canova, avec lord
Worth, à visiter le tombeau de Nelson, je dis à ce lord : « Il
serait convenable de l'aire fondre la quille du vaisseau sur lequel
est mort votre grand marin, de la renverser sur son cercueil, et
ensuite vous pourriez y asseoir la Vicloire. Cette idée serait com-
prise par le peuple. »
Je viens de recevoir une lettre du maire du Havre qui me dit
qu'il faudra attendre des temps plus heureux pour l'exécution de
la statue de Bernardin de Saint-Pierre, la ville ne pouvant à pré-
sent faire les frais, même par souscription, de la somme de huit
mille francs que coiJterait la fonte en bronze! Voilà, cher ami,
un coup qui m'est plus pénible que je ne puis l'exprimer ici. Je
le vois, je ne pourrai faire ce que j'ai tant souhaité pour la mé-
moire du grand écrivain !
L'un des députés de Maine-et-Loire avait obtenu deux petits
morceaux de marbre pour l'exécution du buste de M. Mongazon
et du bas-relief ; aussi, en raison de ce fait, est-il possible de
diminuer cinq cents francs sur la somme que j'avais demandée
pour mes frais de praticiens et de marbre; je te prie de préve-
nir le plus prompteraent possible ces messieurs de cette diminu-
tion.
Je suis dans de grands tourments à l'égard du bloc qui doit
servir à l'exécution du monument de Gobert. Ce sont des embar-
ras, des demandes exagérées d'argent vraiment étranges. Comme
l'on sait très bien qu'il faut que je finisse par faire venir ce bloc
à Paris, marchand, praticien, rouliers, marins, tout cela veut
avoir sa part à la curée. Il est probable que je me verrai obligé
d'ajouter de l'argent de ma poche en sus du marché que j'ai fait
pour ce monument.
M. Leclrre, l'architecte, m'a horriblement trompé en me don-
nant des prix du tiers moindre de ceux que je suis forcé de don-
ner. Cela m'a engagé à faire un marché trop modéré et qui me
226 DAVID D'ANGERS
devient onéreux. Tu vois que les ennuis m'accablent en tout et
partout.
Mille tendres amitiés à toi et aux tiens.
David.
Collection Pavie. — On connaît le drame de Villequier, où Charles Vac-
querie et sa jeune femme Léopoldine Hugo trouvèrent la mort. Les Paz^ca
me^ des Contemplations témoignent de l'immense douleur que ressentit
le poète en ces tragiques circonstances. Dans une vente d'autographes
faite à Paris le 22 novembre 1881 a passé une lettre de David relative à la
statue de Bernardin de Saint-Pierre. Le maître s'exprime ainsi : « Le
désir que j'ai de faire ce monument est inspiré par mon admiration pour
le grand littérateur. L'honneur que je souhaite retirer du don que je fais de
mon travail est de pouvoir inscrire mon nom aux pieds du grand homme,
et ma reconnaissance sera éternelle envers la ville qui aura bien voulu
recevoir mon offrande. » Ces lignes sont datées du 29 août 1843.
Achille Leclère, architecte, membre de l'Institut et ami de David, a plus
d'une fois collaboré aux monuments dont le maître exécutait la sculpture.
CXGIII
Duret à David.
Une candidature à l'Académie.
Septembre 1843 (?).
Monsieur,
Une place vacante s'offre en ce moment à l'Académie. Venir
réclamer votre appui en ma faveur, serait peut-être une indis-
crétion; mais si la statue de Mercure inventant la lyre, une Tête
de femme en marbre, un Danseur en bronze et la statue de Mo-
lière méritent votre intérêt, Monsieur, je me trouverai trop
honoré d'obtenir votre suffrage.
J'ai l'honneur d'être respectueusement, Monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur,
F. Duret.
Collection David cC Angers. — Le sculpteur Duret a été reçu membre de
l'Académie des beaux-arts le 30 septembre 1843. David lui donna-t-il sa
voix? Il est permis de le supposer, car les deux artistes s'estimaient profon-
dément, et Duret, après la mort de son confrère à l'Institut, écrivit sur lui
une page qui lui fait le plus grand honneur. {David d'Angers^ etc., t. l,
pp. 345-547.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 227
CXGIV
Charlet à David
Visite du maître au dessinateur.
Paris, ce samedi 21 octobre 1843.
La peste a quelquefois son bon côté; ici c'est la fièvre, je la re-
mercie donc de m'avoir procuré l'occasion de te serrer la main.
Il y a, vois-tu, des hommes qui ne doivent pas être mal ensem-
ble et qui ne le peuvent pas, parce qu'ils donneraient trop beau
jeu aux misérables saltimbanques qui exploitent notre pauvre
pays. Il faut que tout ce qui a quelque valeur, quelque influence,
se serre et prenne part au combat moral qui se livre aujour-
d'hui pour arrêter le flot corrompu. Nous marchons à une grande
crise. Je ne sais si elle est éloignée, mais les nuages se forment
et se massent. Je sens et je vois.
Je suis très sensible et très touché de ton bon souvenir de
vieille camaraderie. Tu as agi en homme d'esprit et de cœur.
Tu peux compter sur un retour bien loyal et bien sincère. Quoi-
que éloigné, la haute estime que je professe pour ton talent m'a
toujours tenu dans les rangs de tes amis et admirateurs, qui
sont nombreux ; mais, tu le sais, on a ses ennemis et ta haute
position excite l'envie, mais les ennemis et les envieux sont
nécessaires comme la bile.
Je vais bien, l'appétit elle est bonne, mais la jambe y va mal ;
le couturier est affaibli.
N'étant pas trop en état d'aller te voir, tu m'excuseras et ne ^
me taxeras pas d'indifférence.
Bonjour et bonne amitié,
Gharlet.
Collection David d'Angers.
228 DAVID D'ANGERS
GXCV
David à Victor Pavie.
La gravure du monument de Bonchamps. — Projet de statue à Denis Papin
pour la ville de Blois.
Paris, 12 novembre 1843.
Cher ami,
J'ai reçu avec une bien vive satisfaction les deux épreuves
faites au daguerréotype, d'après le monument de Bonchamps. Il
y en a une qui est vraiment admirable, et c'est celle que j'ai
confiée à Leroux pour exécuter une gravure. Il va charger de
ce travail l'un de ses plus habiles élèves.
Nous verrons plus tard s'il ne serait pas possible de joindre
à la notice les portraits des soldats de Bonchamps, ce qui serait
un monument curieux pour l'avenir.
Tu as sans doute appris qu'Arago et moi avons été à Blois
pour désigner l'emplacement du monument de Papin. Nous n'en
avons pas trouvé de plus digne que le milieu du pont. Là, la
statue aurait pour fond le ciel. Les bateaux qui remontent la
Loire, pour passer sous le pont, sont obligés d'incliner la che-
minée conductrice de la vapeur. Ce sera le salut répété de la
machine devant son inventeur. Puis, le grand homme aura
le visage tourné vers la mer, et vers notre cher Angers. Je met-
trai une rame brisée à ses pieds. Ce sera, certes, un grand bon-
heur pour moi d'avoir présenté à l'avenir l'image de Gutenberg
et de Papin. Qu'en penses-tu ?
A toi de tout cœur,
David.
Collection Pavie. — Jean-Marie Leroux, élève de Louis David, a gravé
une grande partie des statues de David d'Angers. Le maître n'obtint
pas de sculpter le Denis Papin. Des ajournements successifs lui enlevè-
rent le plaisir qu'il se promettait dans l'exécution de ce monument. (David
d'Angers, etc., t. I, pp. 412-413.) Ce fut l'un de ses élèves, M. Aimé Millet,
qui, récemment, reçut la commande promise autrefois à David par la ville
de Blois. Le bronze de M. Millet fut inauguré le 29 août 1880. Il se dresse
sur un terre-plein de l'Escalier monumental bien connu de tous ceux qui
ont visité Blois. M. Millet a donné à son personnage deux attributs : la
marmite autoclave et la Bible. La rame brisée que projetait David n'a pas
tenté le statuaire de nos jours. Elle aurait eu son éloquence.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES ?29
GXGYl
David à Balzac.
La médaille du romancier.
Mardi soir. . . 1843 (?).
Je suis heureux, cher Monsieur, que vous n'ayez pas trouvé
mon croquis trop indigne de vous, et je serai aussi heureux si la
vue de cet ouvrage me vaut quelquefois une place dans votre
souvenir.
Tous me feriez beaucoup de peine si vous me parliez encore
des petits frais qu'a nécessités votre médaillon ; c'est une misère à
laquelle je vous supplie de ne plus penser.
Je joins ici les quelques lignes pour M. Micheli, mouleur, rue
Guénégaud; elles vous serviront à vous procurer tous les mé-
daillons que vous désirez.
Mille amitiés de tout cœur,
David.
Collection J. Gigoux. — Le croquis auquel fait allusion l'artiste représente
Balzac vu de proGl à droite. Dans l'angle inférieur est écrit : A Madame de
Surville, ce croquis fait d'après so7i illustre frère, par David, 1843. Le sta-
tuaire usa de ce dessin pour la composition du buste du romancier, dont il
sera parlé plus loin.
GXGVII
David à. Balzac.
Une dédicace. — Projet d'exécuter le buste du romancier.
Jeudi matin... 1843 (?).
Mon cher de Balzac,
J'ai bien vivement regretté de ne pas m'être trouvé chez moi
pour vous dire combien je suis reconnaissant et honoré que mon
nom ait été consacré par vous sur l'un de vos ouvrages; c'est
un passeport pour l'immortalité que vous venez de me donner.
Je voudrais que mon talent fût en rapport avec mon admiration
230 DAVID D'ANGERS
pour votre génie; l'on verrait alors reproduite parle marbre une
image digne de vous. Cependant, comme je snis sûr de mon
zèle et de mon désir de réussir, attendez-vous à recevoir sous
peu une lettre pour vous prier de venir poser à mon atelier.
Croyez à mon bien sincère et entier dévouement de cœur,
David.
Collection J. Gigoux. — David fait allusion dans ce billet à la dédicace
du roman de Balzac le Curé de Tours. En voici le texte :
« A David, statuaire. La durée de l'œuvre sur laquelle j'inscris votre
nom, deux fois illustre dans ce siècle, est très problématique, tandis que
vous gravez le mien sur le bronze qui survit aux nations, ne fût-il frappé
que par le vulgaire marteau du monnayeur. Les numismates ne seront-ils
pas embarrassés de tant de têtes couronnées dans votre atelier, quand ils
retrouveront parmi les cendres de I^aris ces existences par vous perpétuées
au delà de la vie des peuples, et dans lesquelles ils voudront voir des dynas-
ties? A vous donc ce divin privilège, à moi la reconnaissance.
« De Balzac. »
GXGVIII
David à Victor Pavie.
Heures de mélancolie. — Projet de voyage en Bretagne. — Le Bernardin
de Saint-Pierre. — Le tombeau de Napoléon aux Invalides. — Interven-
tion de Gavé. — Eloge de Duret, par David. — La statue de Jean Bart.
— Le buste de Marie-Joseph Ghénier. — Le tombeau du roi René. —
M. de Nerbonne. — Adrien Maillard .
Paris, 14 février 1844,
Cher ami,
Je viens de recevoir avec une bien vive reconnaissance ta
bonne et chère lettre, et je te prie de m'excuser si je n'ai pas
encore répondu à celle que j'avais reçue dans le mois de janvier.
Depuis longtemps, je suis sous l'influence funeste d'une atonie
morale qui m'ôte le courage d'écrire. 11 faut que mon mal soit
bien puissant, puisque ma paresse se fait sentir envers toi ; toi,
le seul ami que je possède et auquel j'aime tant à ouvrir mon
âme; toi, dont le sympathique attachement ne s'est jamais
démenti. A la vérité, que peuvent être quelques lignes lorsque
j'aurais besoin d'un volume pour exprimer mes sentiments à ton
égard ?
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 231
Toutes mes perplexités politiques, les angles aigus auxquels je
me suis heurté dans ma carrière d'artiste, s'ajoutent aux cruelles
angoisses que me fait éprouver la crainte de ne pouvoir donner
une forme durable, par l'art, à quelques nobles visions qui demeu-
reront probablement ensevelies dans le cercueil avec moi. Je ne
suis plus qu'un feu qui se consume sans échauffer. Quelle doulou-
reuse pensée de ne laisser à l'avenir que des à peu près de ce
que l'on aurait pu faire!
Je regrette bien que ce soient tous les tourments qui s'accu-
mulent sur toi qui t'aient empêché de venir passer quelques jours
auprès de nous. Cependant, si tu peux réaliser le xoyage que tu
projettes, ce sera pour toi une bien grande compensation. Vers
l'équinoxe de printemps, je tâcherai de m'échapper du grand
hôpital de fous qui me retient captif, hélas! bien malgré moi.
J'irai, je ne sais guère où, peut-être au Havre voir mon ami
Corbière, et peut-être que si son bâtiment était en partance pour
Morlaix, je pourrais bien faire cette excursion. Je suis bien per-
suadé que, vu la situation d'esprit dans laquelle je me trouve, ce
sauvage pays pourrait encore remuer mon imagination, car je ne
suis pas exclusif. J'aime à observer les différentes manifestations
des croyances qui se sont succédé dans l'esprit humain. Je
verrais, avec un puissant et mélancolique intérêt, ces roches aux
proportions colossales que des hommes fanatiques et barbares,
dénués de goût, ont élevées sous l'empire d'un culte fait pour
surprendre ceux qui n'ont pas médité profondément sur les
infirmités inhérentes à la pauvre espèce humaine. Je m'incline-
rais devant ces vieilles églises gothiques qui s'élèvent vers le ciel
comme des prières et des larmes pétrifiées. Certes, les monu-
ments druidiques et ceux élevés par les chrétiens sont une source
inépuisable d'émotions vives, surtout pour l'homme qui a beau-
coup vécu et par conséquent beaucoup souffert. Et si je pouvais,
sur cette terre des vieux souvenirs, serrer une main amie, quel
bonheur ! Pourrai-je réal iser ce projet? Je ne le crois pas, car rien
ne me réussit de tout ce que rêve ma pensée. Au moins je te
verrai passer par Paris, pour peu que cette maudite maladie, qui
vient me visiter aux équinoxes, ne m'ait p as forcé dem'éloigner.
Je crois t'avoir dit, dans l'une de mes lettres, que le maire du
Havre m'avait écrit que la ville ne pouvait actuellement s'occuper
de l'exécution de la statue de Bernardin de Saint- Pierre, ce qui
232 DAVID D'ANGERS
me paraissait une défaite honnête afin de m'engager à ne plus y
penser. Tu comprends quelle peine j'ai dû éprouver ! Mais, à la
mort de Casimir Delavigne, les bourgeois libéraux ont voulu
manifester leur admiration à leur poète. Corbière m'a dit qu'il
pensait que je ferais bien d'offrir le modèle de la statue de l'au-
teur des Messéniennes, qu'alors cela forcerait peut-être les Havrais
à faire les frais de la fonte des deux statues. J'ai donc écrit au
maire, qui ne m'a pas encore honoré d'une réponse. Tu sais toutes
mes supplications, toutes mes anxiétés afin de pouvoir élever un
monument à l'auteur de Paul et Virginie! Si ma correspondance
à cet égard a été conservée, ce sera assez curieux de voir les ten-
tatives du statuaire pour faire agréer le don de son admiration
au grand génie dont la réputation est européenne.
. A l'égard des statues de la Guerre et de la Législation, qui
doivent être placées à l'entrée du monument de Napoléon, et que
les journaux ont dit m'être confiées, cette nouvelle m'a bien
étonné, et j'ai cru que c'était une mystification. Quelques jours
après avoir lu l'article en question, M. Cave, qui fait partie d'une
commission pour les écoles gratuites de dessin dont je suis
membre, m'écrivit, durant la séance, qu'il serait bien heureux
que la sculpture du monument du grand homme fût confiée à un
homme digne d'un pareil travail; que, pour lui, il lutterait tant
que cela lui serait possible, afin que j'eusse cette commande ;
qu'il avait effectivement à lutter contre le ministre, continuelle-
ment obsédé par les députés les plus influents, afin de donner
ces deux statues à M. Duret. Je lui répondis que j'éprouvais une
bien vive reconnaissance pour sa bonne intention à mon égard,
mais que M. Duret était un homme d'un immense talent, et que
je pensais qu'il était impossible de confier un ouvrage important
à de meilleurs mains; que je ne pouvais accepter ce travail; que
si une autre occasion se présentait, je me recommandais à son
bon souvenir. Il me répondit aussitôt, sur la même feuille, que
M. Duret n'était pas un homme d'un immense talent ; que quand
il aurait des statuettes et des danseurs à faire, il l'en chargerait;
qu'il fallait un talent sévère et éprouvé pour un semblable monu-
ment. Je répUquai que je renouvelais mon refus, et que je le
priais de me conserver encore ma vieille réputation d'honnêteté
envers mes confrères. L'affaire en est restée là. M. Duret a fait
agir énergiquement tous ses députés. 11 y a peu de jours, j'ai ren-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 233
contré M. le comte de Noé, qui, après m'avoir fait de grands
éloges sur ma conduite, m'a chargé de dire à mon confrère que
lui, MM. Vitet et de Siméon, avaient été chez le ministre et avaient
obtenu de lui qu'il signât la lettre de commande. Je me suis donc
chargé sans retard de porter à M. Duret cette bonne nouvelle. Tu
comprends qu'il était de mon devoir de me retirer devant un
statuaire qui désirait avoir un travail intéressant. 11 paraît que
c'est dans toutes circonstances le rôle qui m'est réservé. Je
l'accepte en m'inclinant devant mon sort. Il y a déjà plusieurs
mois que ce jeune statuaire était venu me consulter sur la com-
position de ces figures.
Le modèle de la statue de Jean Bart est bien avancé. Je crois
que tu seras assez content de l'énergie que j'ai cherché à mettre
dans la pose de cet homme d'action. C'est un boulet de canon
qui arrive à l'abordage.
Je viens de terminer le modèle du buste de Marie-Joseph
Chénier. Je l'ai fait d'après un portrait peint par David. Je suis
heureux d'avoir élevé un monument au pur et honorable repré-
sentant républicain, au grand poète patriote qui a toutes mes
sympathies sans aucune restriction. J'avais fait celui de son frère
avec mes sympathies d'artiste.
11 faut enfin que nous restituions le tombeau du roi René. Je
vais m'occuper du modèle. Tu me diras de quelle somme la com-
mission peut disposer, parce qu'alors je verrai si je peux acheter
le marbre nécessaire et payer les praticiens avec cette somme. 11
ne faut pas penser à avoir du marbre du Gouvernement^, il n'y
en a plus dans les magasins. Je te prie de me faire donner par
l'architecte les mesures extrêmement justes et de m'envoyer la
lithographie représentant les deux statues telles qu'elles étaient
dans l'ancien monument. Il sera convenable de les reproduire
avec toute l'exactitude possible.
Dis bien des choses amicales de ma part à M. de Nerbonne;
dis-lui que je ne lui ai pas répondu parce que je n'aime pas la
polémique politique. Il a eu très tort de croire que ses opinions
m'avaient choqué. Dieu merci, je n'ai pas les idées assez étroites
pour cela ; je respecte les convictions do mes amis; je désire qu'ils
agissent ainsi à mon égard. C'est la véritable liberté.
Adieu, cher ami, sois heureux et tous ceux qui t'intéressent;
rappelle-nous, Emilie et moi, à leur bon souvenir.
Ton tout dévoué de cœur, David.
234 DAVID D'ANGERS
P. S. — C'est notre compatriote, M. de la Chauvinière, qui m'a
proposé pour exécuter la statue de Mathieu de Dombasle. Ce
projet n'est encore qu'un embryon. Fais-moi le plaisir de dire
à Adrien Maillard que j'ai besoin d'avoir de suite la Vie de M. de
Cheveriis, que je lui avais prêtée. Il n'est donc pas possible de
retrouver les deux premiers volumes des Mémoires de Barrère,
que j'avais envoyés à notre bibliothèque et qui ont été mis par
moi dans une caisse adressée au Musée?
Collection Pavie. — François Gavé, qui remplit les fonctions de directeur
des beaux-arts sous le gouvernement de Juillet, témoigna en plus d'une
occasion la haute estime que lui inspiraient le caractère et le talent de
David. {David d'Angers, etc., t. I, pp. 389-390.) Une lettre de Balzac, datée
du 10 janvier 1844, à son ami Fontémoing, habitant Dunkerque, a trait à
la statue de Jean Bart. Cette lettre ayant été publiée, nous ne croyons pas
devoir en rappeler les termes chaleureux. Le buste en marbre de Marie-
Joseph de Ghénier porte le millésime de 1845. L'artiste l'offrit au Théâtre-
Français. La terre cuite, exécutée en 1844, est au Musée David. {Musées
d'Angers, p. 187.) Henri- Aubin de Nerbonne, poète et littérateur angevin,
né en 1807, est mort en 1849.
GXGIX
David à Rauch.
David élu membre de l'Académie de Berlin. — De statuaire à statuaire. —
Voyage de Rietschell à Paris.
Paris, 9 mars 1844.
Mon cher ami,
J'ai reçu avec un bien vif plaisir et avec une profonde recon-
naissance la nouvelle que vous me donnez de ma nomination de
membre de l'Académie de Berlin. J'ai été d'autant plus surpris
que je ne m'attendais nullement à un semblable honneur; mais
je ne puis me dissimuler aussi que je le dois presque entière-
ment à votre généreuse et aimable intervention. Merci donc, cher
ami.
Depuis bien longtems vous m'avez annoncé l'envoi que vous
me faisiez du modèle de l'une de vos statues ; à moins qu'il ne
soit arrivé quelqu'accident, je ne puis m'expliquer pourquoi je
ne l'ai pas encore reçu. Vous devriez bien faire prendre des
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 235
informations par votre commissionnaire à cet égard. Il est bien
rare que les objets arrivent à bon port s'ils ne sont expédiés
sous la protection d'un ambassadeur.
J'entends par la voix de la Renommée parler souvent de vos
beaux et majestueux travaux. Combien je serais heureux de pou-
voir aller vous serrer la main dans votre atelier^ de vous voir
entouré de ces monuments qui consacreront si glorieusement
votre nom dans les fastes immortels de la gloire! Quelques lieues
nous séparent, il faudrait peu de temps pour les franchir, et
cependant nous restons cloués dans nos ateliers. C'est une rude
et tenace profession que celle du statuaire ; il faut une grande
énergie pour lutter contre toutes ses exigences physiques et
morales.
J'ai vu avec un bien grand plaisir votre élève M, Rietschell; il
est venu passer quelques jours à Paris. Nous nous sommes sou-
vent entretenus de vous ; c'est un homme de cœur, il sait vous
apprécier dignement.
Adieu, cher ami, croyez à tous mes sentiments d'entier dévoue-
ment et d'amitié sincère,
David.
Collection Eggers, à Berlin.
ce
David à Victor Pavie.
La statue de Casimir Delavigne. — Première esquisse. — Le monument
de Larrey. — Les bas-reliefs du monument de Cheverus. — Buste de
Coulhon. — Un bal masquù à l'Odéon. — L'inconnu. — Accident de
voiture. — Robert David. — Le buste de Victor Hugo.
Paris, 5 avril 1844.
Cher Victor,
Comme je sais tout l'intérêt que tu prends à ce qui me touche,
je ne veux pas tarder plus longtemps à te dire que je viens de
recevoir une lettre du maire de la ville du Havre, m'inlbrmant
que le Conseil municipal accepte la proposition que j'avais laite
de donner lo modèle de la statue de Casimir Delavigne pour ma
236 DAVID D'ANGERS
part de souscription. Quoique j'eusse renouvelé mon offre pour
celle de Bernardin de Saint-Pierre, le maire ne me parle que de
l'auteur des Messéniennes. Cependant, comme il y a tout lieu
d'espérer que la souscription ouverte à Paris et au Havre fournira
une somme assez forte, l'auteur de Paul et Virginie passera par
dessus le marché! S'il en était autrement, tu comprends com-
bien je serais affligé, car cet écrivain a toutes mes sympathies
littéraires. Mais, envisagée sous un certain aspect, la physiono-
mie du talent de l'auteur des Messéniennes peut inspirer un artiste
patriote.
Ma première pensée serait de représenter Casimir Delavigne
debout et déposant aux pieds de la statue de la France les Poé-
sies par lesquelles il a protesté contre l'avilissement de la patrie.
La France^ semblable à la statue de la Résignation, tiendra un
glaive brisé, et à ses pieds je mettrai l'aigle mort. Tu te souviens
de la composition que j'ai projetée pour Bernardin de Saint-
Pierre ?
Je viens d'être chargé du monument à élever au chirurgien
Larrey, cet homme célèbre qui a laissé une mémoire si vénérable ;
ce héros qui pansait les blessés à travers la mitraille; qui allait
retourner les cadavres, les soirs de bataille, pour chercher quel-
ques étincelles de vie, afin de rendre à la patrie quelques-uns de
ses défenseurs. Son monument sera placé dans la cour d'entrée
du Val-de-Gràce.
Actuellement, je m'occupe avec activité de la statue de Jean
Bart, le rude marin dont on a dit qu'il arrivait à l'abordage
comme un boulet de canon. En même temps je termine les bas-
reliefs du monument du cardinal de Gheverus. Deux sont déjà
terminés : ils représentent l'évêque pansant un vieux nègre, et un
marin rencontrant, au retour d'un voyage, le noble prélat chargé
d'un fagot de bois destiné au foyer de la femme du marin gra-
vement malade. Dans un troisième bas-relief, au lieu de repré-
senter l'évêque bénissant, à Bordeaux, les enfants des écoles mu-
tuelles, je rappellerai l'instant oii, arrivant sur les côtes de France,
le bâtiment qui le portait fut assailli par une tempête. On verra
l'équipage et les passagers rassurés par le prêtre et recevant sa
bénédiction. Ce drame me paraît plus saibiisant.
Enfin, je fais le buste de Couthon, d'après un admirable por-
trait peint d'après nature. C'est encore un de ces hommes dont
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 237
le noble dévouement à la patrie a été dénigré par ses ennemis
implacables, et cependant sa ville natale rend hommage à la
bonté de son cœur et à la douceur de ses mœurs, mais c'est à
l'avenir qu'est réservé le soin de rétablir les faits à leur juste
valeur et de faire la part des terribles circonstances dans les-
quelles ces hommes gigantesques se sont trouvés. Voici ce qu'il
a écrit au bas de son portrait : « Dieu et la loi, la vej'tu et la
probité à l'ordre du jour. Point de république sa)îs mœurs, de
patriotisme sans vertus. »
Maintenant que je t'ai entretenu du statuaire et que tu Tas vu
sur son champ de bataille, il faut que je te parle d'un double
péril auquel, grâce à son ange gardien, il lui a été donné
d'échapper. J'avais assisté à uq bal chez M. Benoît, notre compa-
triote. Il était minuit passé lorsque j'en sortis. En traversant la
place de l'Odéon, je m'arrêtai à regarder des masques. J'étudiais
cette préface animée de ce qui se passait dans l'intérieur du
théâtre. Quoique très attentif au spectacle d'une foule en dé-
lire, qui croit s'amuser lorsqu'elle est sous l'influence d'une sorte
de fièvre, je fus frappé de l'attitude d'une homme drapé dans
un manteau et ayant un masque sur le visage. Je le vis s'atta-
chant à mes pas. Ses mouvements me parurent singuliers. Il
m'épiait. Soudain il disparut. Mais lorsque je rentrais chez moi,
je le retrouvai debout au milieu de la chaussée^ rue de Vaugirard,
à l'entrée de la rue d'Assas. 11 fit un écart brusque évidemment
motivé par l'intention de venir sur moi. Des chanteurs qui reve-
naient sans doute de la Barrière se firent entendre. Cela parut
modifier le plan de mon inconnu. Je me hâtai, mais je m'aperçus
qu'il allongeait le pas, et déjà sa grande ombre se dessinait sur
le trottoir. Je frappai à ma porte, qui me fut ouverte sans retard,
et presque aussitôt après qu'elle fut refermée j'entendis frapper
un violent coup. Le concierge, sans ouvrir, essaya de savoir ce
que l'on voulait. Personne ne répondit à sa demande. Plus d'une
demi-heure après, les aboiements du chien me firent penser que
l'inconnu rôdait toujours près du portail. Quel est cet homme
qui, certes, n'est pas un voleur? Serait-ce encore l'auteur de la
tentative d'assassinat de la rue de l'Abbaye? Geluiqui m'a si sou-
vent poursuivi de ses lettres anonymes, écrites parfois avec du
sang? Se disposait-il à passer la nuit au bal et, m'ayant aperçu,
aura-t-il conçu le projet d'assouvir sa vengeance dans des
238 DAVID D'ANGERS
conditions qui lui parurent, cette fois, pleines de sécurité? Ce ne
sont là que des conjectures. Mais ce soupçon m'oppresse.
Environ un mois après, le 12 mars, jour anniversaire de ma
naissance, je revenais à la maison, avec Robert, vers huit heures
du soir. Lorsque nous descendîmes de l'omnibus de la Bourse,
sur la place Saint-Sulpice, beaucoup de voitures se croisaient.
Nous fûmes renversés par un cheval attelé à un cabriolet que
nous n'avions pas entendu. Mon premier mouvement fut de re-
pousser de toutes mes forces le pauvre enfant pour qu'au moins
il échappât à la mort. Quoique foulé aux pieds du cheval, j'eus
encore la présence d'esprit de me rouler, afin que la voiture ne
passât pas sur mon corps, et lorsque je sentis que la roue allait
m'écraser le pied, j'eus encore le temps de le retirer ; elle ne
passa que sur le bout de ma botte.
Aussitôt que je fus relevé, Robert me serra avec effusion dans
ses bras sans dire un mot : éloquence que je n'oublierai jamais
et qui me touche encore jusqu'aux larmes, surtout quand je
pense que le pauvre enfant a été si proche d'une fin tragique.
C'est quelque chose d'inouï que la rapidité avec laquelle les
idées se succèdent dans les grandes crises qui touchent à notre
conservation.
En moins d'un mois, à peu près, j'ai été deux fois menacé dans
ma vie. Après une existence si pleine de vicissitudes et de
drames, je veux espérer que le destin me réserve encore pour
écrire quelques pages en marbre ou en bronze et pour penser à
toi, cher et bon ami.
Tout à toi de cœur,
DAvm.
P. S. — Je viens de recevoir de Berlin la nouvelle de ma
nomination de membre de l'Académie. Humboldt m'avait de-
mandé si je voulais avoir la croix avec cette nomination. Je lui
ai répondu que je ne faisais cas que de mon élection comme
membre de l'Académie. Il existe assez de gens qui aspirent aux
cordons ; je leur laisse avec plaisir cette absurdité.
Le buste de Hugo est terminé en marbre. J'ai la conviction
que l'avenir ratifiera l'idée que j'ai eue de le couronner ; dans tous
les cas ce n'est point une flatterie de ma part, car ce sentiment
n'a jamais existé chez moi. Je n'ai cédé qu'à mon admiration
pour le génie.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 239
Collection Pavie. — La statue de Casimir Delavigne, exécutée pour la
ville du Havre, fut inaugurée en môme temps que celle de Bernardin de
Saint-Pierre, le 9 aoûtlSo!2. Le maître modifia son premier projet, quanta
la pose du poète des Messéniennes. Celui-ci est assis, et la main froisse les
plis d'un drapeau. {David d'Angers, etc., t. I, pp. 448-449.) Le monument
de Larrey a été inauguré à Paris en août 4850. (Musées d'Angers, pp. 115-
116.) Le buste de Georges Couthon, le conventionnel, ne porte aucune
date. Le maître n'exécuta point cet ouvrage en marbre. La terre cuite est
au Musée David. (Musées d'Angers, p. 189.)
CCI
Le Ministre d'État de Saxe à David.
Le culte du maître pour les poètes allemands. — Il reçoit la croix du
Mérite civil. — Le buste de Gœthe à la Bibliothèque de Dresde-
Dresde, ce 15 avril 1844.
Monsieur,
Sa Majesté le Roi de Saxe, mon auguste Maître, ayant été in-
struite du yif intérêt que vous portez aux célèbres poètes de l'Al-
lemagne, 'comme du précieux présent du buste de Gœthe, en
marbre, que vous avez bien voulu faire à la Bibliothèque royale,
a daigné, en témoignage de sahaute bienveillance, vous conférer
la croix de son ordre pour le Mérite civil.
Chargé de vous informer de cette distinction, Monsieur, et de
vous remettre en même temps, ci-joint, le décret, les statuts et
la décoration de cet ordre, je m'en acquitte avec d'autant plus de
plaisir et d'empressement que j'apprécie dans toute sa grande
valeur le chef-d'œuvre dont vous avez enrichi avec tant de libé-
ralité une des collections royales confiées à ma surveillance.
Je saisis d'ailleurs cette occasion, bien agréable pour moi, pour
vous prier, Monsieur, d'agréer les assurances de la considération
la plus distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur,
votre très humble et obéissant serviteur.
Le Ministre d'État,
De WlETERSllElM.
Collection David d'Angers,
240 DAVID D'ANGERS
CGII
David à Victor Pavie.
La ville de Brest.— Les Bretons. — Carnac. — Retour sur les sculpteurs
d'jjgine. — Le port, l'arsenal, l'hôpital. — Deux guides incommodes.
Brest, la 1" mai 1844.
Cher ami,
Me voilà sur la route de notre cher Angers, et cependant je ne
puis encore aller t'y serrer la main. Il faut que je retourne à Paris.
Mais du moins ces quelques lignes te porteront de mes nouvelles.
Je suis ici avec ma petite Hélène seulement.
Quelle ville que celle où je vis actuellement! Elle me fait l'effet
d'une fournaise. Quel mélange ! Le crime en bonnet de galérien,
l'héroïsme sous le petit chapeau ciré du marin. Peu de belles
femmes. Ce que je connais de la Bretagne me porterait à croire
que le peuple n'y est pas beau. 11 me semble de granit. Il en a
tout le caractère. Enfin apparaissent les pâles figures étiolées de
quelques bourgeois, qui se croient obligés de prendre une pose
énergique, pour se mettre en harmonie avec le milieu qui les
enveloppe. On dirait des araignées qui se mirent dans la cuirasse
d'un brave.
J'aurais bien voulu voir Carnac. C'était là l'un de mes grands
désirs. Si j'avais été seul, je l'aurais pu réaliser; mais il faut que
je rentre et que je m'attache au piquet pour décrire de nouveau
mon cercle habituel.
Quel art sauvage que celui de la Bretagne ! Toutes les sculp-
tures semblent faites par des hommes en butte à l'adversité, et au
bruit des tempêtes. J'aime cela. Du moins, de pareilles œuvres
portent-elles le cachet de la durée. Ces sculptures gauloises
m'ont rappelé, par leur procédé, les sculptures d'Égine, à la dif-
férence que le peuple d'Égine était beau. Il s'est révélé dans ses
monuments, tandis que les laids Gaulois ont reproduit partout
leurs tètes sauvages et effrayantes.
Adieu. De tout cœur à toi,
DAvm.
P. S. — Je viens de visiter le port, l'arsenal et l'hôpital. J'étais
conduit par un négociant qui fait chaque année pour plus de sept
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 241
millions d'affaires clans les toiles! et par un professeur du Jardin
des plantes! ! 11 m'a fallu passer rapidement au milieu des galé-
riens, et cependant j'aurais tant souhaité d'observer ces hommes,
rebut de la société, parmi lesquels plus d'un, peut-être, avait l'é-
toffe d'un héros; il ne lui aura manqué qu'un champ d'action.
Mais avec mes guides, si étrangement choisis, il m'a fallu m'exta-
sier devant des toiles et trouver admirable un jardin grand comme
une serviette. J'ai dû m'arrcter devant des peaux d'animaux rem-
bourées de foin; il m'a fallu contempler des fauves empaillés, la
prunelle tournée vers le ciel. Il n'y a rien de bête comme les
ganaches quand elles veulent faire du sentiment. Quel malheur
d'être obligé d'avoir recours aux hommes en « position » pour
pénétrer dans les endroits où se trouvent les pages les plus cu-
rieuses à étudier par l'artiste!
Collection Pavie.
CGIII
Victor Hugo à David.
Le buste laurc du poète des Feuilles d'automne.
Paris, ce samedi soir, ii octobre 1S44.
Quelle magnifique chose, cher et grand David, et quel royal
présent ! quel sublime et éternel témoignage de votre amitié pour
moi ! Le respect et l'enthousiasme pour votre génie entoureront ce
marbre dans la postérité, et il en viendra quelque chose jusqu'à
moi. 0 grand statuaire, que vous êtes puissant! Vous créez des
chefs-d'œuvre comme Dieu, et comme lui vous donnez l'im-
mortalité.
Je vous envoie un cri d'admiration et de reconnaissance en
attendant que j'aille vous serrer la main. Mettez mes plus tendres
respects aux pieds de Madame David.
Victor Hugo. *
Collection David d'Angers. — On a vu plus haut, sous la date du
19 juin 1842, que le inaîlro modelait ce second buste du poète. La terre
cuite, conservée au Musée David, est de 1842; le marbre, achevé en 1844,
fut offert au modèle. {Musées d'Anyers,^.iM.)
16
242 DAVID D'ANGERS
CGIV
David à Victor Pavie.
Un deuil. — Rome. — Les Pyrénées. — Rêverie.
Paris. 31 octobre 1844.
Cher ami,
A l'instant où j'allais t'écrire pour te remercier de tes bonnes
et intéressantes lettres sur ton voyage d'Italie , on me remet le
pli par lequel j'apprendsle nouveau malheur qui vient de te frap-
per. Il faut donc que notre existence se passe continuellement à
gémir sur nous ou sur nos amis! Il y a peu de temps, j'entendais
dire à Chateaubriand qu'il ne voudrait pas recommencer la vie.
Effectivement, les âmes de sa trempe doivent être toujours mal-
heureuses. Mais, en vérité, le sort est injuste. Tandis qu'il laisse
peser une main de fer sur le cœur de tant d'êtres distingués, il
choie avec la plus grande tendresse, en apparence du moins, une
masse d'êtres nuls et égoïstes. Mon propre cœur, si souvent et si
horriblement froissé, m'inchne à me plaindre avec amertume, et
je sens qu'au lieu de te consoler, je t'afflige peut-être. Crois
cependant, mon ami, que, malgré les peines que j'éprouve, je
prends une bien large part à ton chagrin. La terrible nouvelle
m'afflige profondément.
Tes lettres sur l'Italie, et ce que m'a dit Théodore, prouvent
que tu as bien apprécié cet admirable pays. C'est effectivement
le seul coin du globe qui offre, réunis, les grands et immortels
souvenirs. C'est en même temps le plus beau pays que l'àme
puisse rêver. Que de nuits délicieuses j'ai passées dans les ruines
des monuments de Rome! Car, alors, tous les mannequins, les
pygmées en culottes de velours avaient disparu, et mon imagina-
tion se donnait libre cours sur cette race gigantesque des anciens
Romains. Tu as dû éprouver de profondes et mélancoliques sen-
sations en visitant les catacombes.
J'ai fait, de mon côté, un bien beau voyage dans mes chères
Pyrénées. Si je n'ai pas rapporté une santé parfaite, j'ai le cœur
rempli de délicieuses visions. C'est une nature grandiose que
celle des Pyrénées, et Dieu l'anime de couleurs admirables.
Je n'oublierai jamais la journée que j'ai passée sur la montagne
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 243
de Louvie, près Laruns, où l'on tire du marbre statuaire. Aux
approches de la nuit, j'ai joui d'un spectacle ravissant. Le soleil
se couchait, et la lune se levait au même instant. Le ciel était si
pur qu'il me semblait que je le touchais du front, et dans mon
extase, j'avais une sorte de vague instinct qu'il me suffirait d'é-
tendre les bras pour atteindre aux deux astres qui m'environ-
naient. A de semblables instants, la matière qui est en nous, hon-
teuse et résignée, se tait, et l'àme plane librement dans l'espace.
Mille tendres amitiés à ton père ; mes respectueux hommages à
]yimc pavie, et crois-moi toujours à toi de tout cœur,
David.
Collection ] Pavie. — Les premières lignes de cette lettre ont trait à la
mort d'un enfant de Victor Pavie.
Cher ami.
GGV
David à Balzac.
Le buste du romancier.
Parisj 12 janvier 18-45.
Votre buste est tout à fait terminé; si mercredi prochain vous
pouvez venir le voir, je vous attendrai.
Puissent vos amis ne pas trouver cet ouvrage indigne du grand
historien du cœur humain !
DAvm d'Angers.
Collection J. Giqoux. — Cette lettre porte pour suscription : A Monsieur
de Balzac, chez Madame Surville, 47, rue des Martyrs. — Le modèle en
terre cuite du buste de Balzac porte le millésime de 1844. Le marbre, exécuté
en 1845, fut offert au modèle. Un bronze décore la tombe du romancier
au cimetière du Pèrc-Lachaise. {Musées d'Angers, pp. 187 et 353.)
244 DAVID D'ANGERS
GCVI
David à Victor Pavie.
La médaille de Leysener. — La gravure du Bonchamps. — Le monument
de Gheverus. — Restitution du tombeau du roi René. — Bernardin de
Saint-Pierre. — Gasimir Delavigne. — Gavé et la statue de Poussin.
Paris, 13 février 1845.
Mon bon et cher ami,
Je n'ai pas besoin de te dire que ta lettre m'a fait bien plaisir.
J'ai tant besoin d'être sûr que tu penses quelquefois à moi ! Je
comptais, cependant, que nous t'aurions vu cet hiver à Paris.
Pouvons-nous croire que ton voyage n'est que différé et que tu
viendras au Salon prochain?
J'espère sous peu de jours t'envoyer le portrait de Leysener;
Je suis honteux d'en avoir privé si longtemps ses parents.
Leroux n'ayant pas le temps de s'occuper de la gravure du
Bonchamps, c'est l'un de ses élèves qui en est chargé; on me fait
espérer que nous l'aurons bientôt.
Bientôt aussi, je pense que je t'enverrai les bas-reliefs en
terre cuite du monument du cardinal de Gheverus. Dieu veuille
qu'ils ne se brisent pas à la cuisson, ce qui n'arrive que trop sou-
vent. Quand tu iras à Mayenne, je serai bien content de connaître
ton opinion sur la statue et les bas-reliefs.
Je suis tourmenté depuis longtemps du désir de voir le tom-
beau de René d'Anjou rétabli dans l'église de Saint-Maurice. Si
j'avais quelques travaux commandés, si je n'étais pas obligé de
donner mes modèles aux villes qui veulent bien les accepter,
j'aurais fait don de la statue de notre compatriote et de celle
de sa femme à notre ville, mais je commence à m'épuiser, et
cependant je voudrais encore planter ce monument. Ne serait-
il donc pas possible de me donner trois mille francs? Je fourni-
rais au reste pour payer les praticiens et couvrir les irais du
marbre. Vois donc, cher ami, à causer de cela avec M. de Beaure-
gard. Demande-lui quelle serait la somme dont il pourrait dispo-
ser pour ce travail, il faut aussi réserver quelque chose pour la
sculpture en pierre du tombsau, mais je pense que cela ne coû-
tera pas cher, puisque ce sera la tâche des sculpteurs du pays.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 2*5
Si nous pouvions mettre cette affaire en train, il faudrait m'en-
voyer la proportion bien exacte des figures, et alors je pourrais
commencer, et bientôt le tombeau de notre compatriote serait
restitué.
Je suis toujours dans l'alternative la plus pénible pour la statue
de Bernardin de Saint-Pierre et celle de Casimir Delavigne. Les
marchands du Havre, voyant que la ville de Paris avait souscrit,
ont trouvé plus commode de ne rien donner. Alors la commis-
sion de Paris, dont M. Jules Janin est membre très influent, me
chicane. Le Gouvernement me conteste lé^ droit de donner mes
ouvrages ! C'est ainsi que M. Cave vient de m'enlever la statue
du Poussin, qui m'avait été promise par la commission de Rouen
et des Andelys depuis plus de dix années : misères bien décou-
rageantes que tout cela...
Adieu, cher ami, sois heureux et crois à mon inviolable amitié.
De tout cœur,
David.
Collection Pavle. — La statue de Nicolas Poussin, érigée aux Andelys,
lieu natal du peintre, est l'œuvre du sculpteur Louis Brian. Elle fut inau-
gurée avec éclat, le 15 juin 1851. David a modelé le profil de Poussin, la
tètelaurée, en 1830. {Musées d'Angers, pp. 134 et 135.)
GGVII
David à Rauch.
Profession de foi. — Mission de l'art. — Réduction du buste de Ilumboldt.
Paris, le l" juin 1845.
Cher et honorable ami,
J'attendais pour répondre à votre aimable lettre le départ de
M. de Humboldt, mais je ne l'ai connu que le jour même, et alors
je n'avais plus le temps de profiter de son obligeance.
Vous me demandez si j'ai reçu la caisse contenant le modèle
d'un de vos ouvrages? Non, il ne m'est pas parvenu.
J'apprends toujours avec bien du bonheur vos grands succès
dans votre art, et le nom des grands personnages dont vous lé-
guez la noble image à l'avenir. Tous ceux qui aiment l'art doivent
246 DAVID D'ANGERS
se réjouir de voir un aussi grand talent que le vôtre à même de
produire des œuvres si dignes do l'admiration.
Dans Fune de vos lettres, vous me dites que vous aimeriez à
écrire à l'Institut, pour lui donner des renseignements sur les
ouvrages d'art qui sont produits en Allemagne, s'il vous était
possible de le faire dans votre langue. J'ai fait connaître ce désir
à notre secrétaire perpétuel, M. Raoul-Rocliette, qui m'a chargé
de vous dire que vos communications en allemand seraient tra-
duites par lui et lues à l'Institut.
Vous m'exprimez votre étonnement de ne pas voir mon nom
plus souvent dans les journaux. Je suis, mon ami, dans une po-
sition tout à fait exceptionnelle. Mon opinion républicaine, gé-
néreusement exprimée dans toutes les circonstances, est le motif
de mon exclusion des commandes du Gouvernement. Je suis donc
mon Souverain et mon Ministre de l'Intérieur. C'est moi qui me
commande des statues de grands hommes qui décorent des places
publiques des villes de France. Quand un homme est grand par
son génie, je lui élève un monument selon mes moyens ; je ne
vais jamais chercher les hommes au pouvoir. D'ailleurs, c'est
bien rarement chez les hommes en situation que se trouve le
génie grand et noble auquel j'aime à rendre hommage. Il se
rencontre bien parfois une exception, mais cela ne fait rien à la
règle qui est malheureusement trop générale. Pour obtenir un
piédestal, il faut que je fasse cadeau de mon ouvrage. Gela ne
m'enrichit pas, mais je satisfais un puissant besoin de mon
cœur, et je sers ma cause, qui est celle de l'avenir. Je regarde
l'art, non comme un moyen d'acquérir la fortune ou la gloire,
mais bien plutôt comme devant servir à moraliser les hommes
en ne leur présentant que ce qui porte avec soi de grands et
généreux enseignemens.
Adieu, cher ami, conservez-moi toujours une petite place dans
votre souvenir et croyez à tout mon affectueux dévouement.
DAvm d'Angers,
Sous peu j'enverrai à M. de Humboldt une petite caisse con-
tenant une réduction de son buste, et j'y joindrai pour vous une
nouvelle biographie dans laquelle sont consignés mes travaux.
Vous y verrez que votre ami travaille toujours activement.
Collection Eggers, à Berlin.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 247
GGVIII
David à Victor Pavie.
Conseils à l'écrivain. — Le poète et l'artiste. — Do riuimeur voyageuse
chez les modernes. — Lions en cage.
Pavis, 2 juillet 1813.
Cher ami,
Emilie et moi avons lu tes vers avec un bien vif intérêt. Ce
n'est pas seulement du talent que tu as mis dans cette page;
c'est du génie, de l'àme, et il en est ainsi de tout ce qui sort de
ta plume. Mon cher Victor, crois ton vieil ami, travaille toujours,
et ta persévérance fera qu'un jour on te rendra justice. Assez
d'hommes abusent du don précieux du talent pour corrompre
leurs semblables. C'est un devoir religieux qui s'impose au trop
petit nombre d'intelligences susceptibles d'aimer l'humanité,
de la diriger vers des pensées généreuses.
Les littérateurs communiquent directement avec l'àme de leurs
lecteurs. Nous, hélas ! nous sommes obligés de matérialiser nos
pensées, d'avoir recours à des ouvriers stupides et vaniteux, de
voir poser devant nous la corruption, la débauche pour rendre
la vertu ; la bassesse la plus abjecte pour représenter l'héroïsme !
Tu as raison de faire le voyage que tu projettes pour l'amélio-
ration delà santé de tes chers petits enfants. D'ailleurs, ce voyage
te fera du bien. A changer de lieu, les idées et la santé gagnent
toujours. Pour moi, je suis oblig('^ de rester à Paris. Je res-
semble aux lions de nos ménageries, qui usent leur front
contre les barreaux de leurs cages. C'est une chose digne de
remarque que cet impérieux besoin qu'ont les hommes de
notre époque de changer de place I La terre nous brûle les
pieds. Nous ressemblons au malade qui croit qu'en se tournant
sur son lit de douleur il va trouver quelque soulagement.
Tu dois avoir reçu des caisses contenant divers ouvrages que
je te destine. Tu ne trouveras que trois bas-reliefs de Cheverus.
Celui du pauvre nègre a été si maltraité à la cuisson que j'ai été
obligé de le briser.
Je viens encore d'écrire à Soyer pour lui demander l'adresse
du fondeur qui édite la statuette de Gutenbcrg.
248 DAVID D'ANGERS
Adieu, cher et bien bon ami, crois-moi pour toujours ton
dévoué de tout cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie.
GGIX
David à "Victor Pavie.
Rude, candidat à l'Institut. — Les élections académiques. — Pose de la
statue de Jean Bart aux flambeaux. — Enthousiasme des marins. —
L'inauguration.
Paris, 12 septembre 1845.
Cher Victor,
Emilie et nos enfants sont dans les environs du Havre pour
prendre les bains de mer. .Te n'ai pas pu aller avec eux parce
que nous avons une nomination à faire à l'Institut à la place de
M.Bosio. Je porte Rude pour cette place, mais je crains bien qu'il
ne soit pas nommé, parce que c'est l'homme qui y a le plus de
droits. C'est une grande absurdité de permettre aux corps savants
de se recruter eux-mêmes. Toutes les médiocrités s'entendent
pour éloigner les hommes de talent. Je me suis prononcé avec
énergie pour Rude, et me voilà avec de nouveaux ennemis irré-
conciliables, car MM. les candidats ne me pardonneront jamais
mon vote pour cet artiste, mais je préfère l'animosité d'autrui
à un acte de faiblesse. La nomination devant 'se faire samedi
prochain, le lundi suivant j'irai rejoindre ma famille pour
passer quelques jours avec elle.
L'inauguration de la statue de Jean Bart vient d'avoir lieu. Il
paraît qu'elle a été magnifique. Voilà ce que dit le journal : « Lors-
qu'on a levé le voile qui couvrait la statue (ce voile était le pavil-
lon dunkerquois) aux acclamations de la foule qui inondait la place
et ses abords, qui se pressait aux croisées et jusque sur les toits
des maisons... envoyant Jean Bart debout marchant à l'abordage,
le peuple disait : « On croirait qu'il vit ! » et ce jugement de la
foule nous semble le plus beau triomphe de l'artiste. »
Lorsque la statue est entrée à Dunkerque, couchée sur un char
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 249
et enveloppée dans un drapeau, tout le peuple l'entourait. On la
élevée sur son piédestal la nuit, afin de ne pas être gêné par la
foule. Un commandant de vaisseau a réclamé la faveur de pouvoir
la placer sur le piédestal, aidé par les hommes de son équipage.
Cet homme, le chapeau à la main, a découvert la tête et l'a em-
brassée. Tous les marins qui assistaient au travail ont demandé
à en faire autant. La personne qui m'a fait connaître ce trait m'a
dit qu'elle avait été profondément émue en voyant tous ces
marins, tête nue, allant processionuellement embrasser JeanBart.
Cette scène aux flambeaux devait être d'un grand effet.
En embrassant pour moi ton père, dis-lui que j'ai lu avec bien
de l'intérêt sa notice sur M. de Nerbonne, et que je le remercie
beaucoup de me l'avoir fait remettre.
Crois toujours à mes sentiments de sincère etconstante amitié.
A jamais à toi,
David.
Tu me rends bien heureux en m'envoyant tes vers; merci,
mille fois merci.
Collection Pavie. — Ainsi que le prévoyait avec trop de raisons David,
le fauteuil de Bosio n'échut point à Rude. Ce fut Lemaire qui obtint le plus
grand nombre de suffrages. On a vu plus haut, par la lettre de David à
Victor Pavie, sous la date du 18 février 1834, ce que l'auteur de l'œil-de-
bœuf de la cour du Louvre pensait du fronton de l'église de la Made-
leine sculpté par Lemaire. La statue de Jean Bart fut inaugurée le
7 septembre 1845. Balzac, dans une lettre à Fontéraoing, du mois de sep-
tembre 1845, parle de cette inauguration et s'exprime ainsi :
« On a été bien chiche du nom de David dans les récits de votre fête
nationale, ra m'a frappé; c'est un républicain; mais c'est le plus loyal, le
plus estimable des hommes. J'en connais peu à lui comparer dans la vie
privée, sans compter ses grandeurs d'artiste. >.
ccx
Théophile Gautier à David.
Avances du orilique au sculpteur dans le but d'obtenir son médaillon.
Par.s, 17 sepluiiibie 1815.
Monsieur,
iNotrc ami Préault m'a laissé pressentir que vous ne seriez pas
250 DAVID D'ANGERS
éloigné do vouloir bien faire mon médaillon. C'est un honneur
que je n'aurais pas osé espérer; mais puisque vous me jugez digne
de figurer dans cette glorieuse collection, je suis tout à votre dis-
position et je vous remercie du fond du cœur.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus dis-
tinguée.
Théophile Gautier,
rue Navarin, 14.
Collection David d'Angers. — Le sculpteur Préault avait reçu les leçons
de David. Le profil de Théophile Gautier porte le millésime de 1845. Il est
probable que le maître accueillit sans retard la requête de l'écrivain.
[Musées d'Angers, p. 190.)
CGXI
David à Victor Pavie.
Ovations faites au maître par la ville de Dunkerque. — Saint-Omer. —
Calais. — Le vaisseau le David d'Angers. — Réduction du Gutenberg.
Taris, 15 octobre lSi5.
Cher ami,
Me voilà de retour ici depuis peu de jours; je reviens, le cœur
plein de douces émotions. Je n'avais pas voulu me trouver à
l'inauguration de la statue de Jean Bart, parce que je tenais à évi-
ter des manifestations qui me font toujours du mal et qui ne
conviennent nullement à mon caractère. Je pensais cependant
qu'il était important que je visse l'eifet de mon travail en place,
cela étant d'une grande utilité pour un statuaire, et en allant à
Dunkerque quinze jours après les fêtes, je supposais qu'il me
serait possible de passer quelques jours dans l'intimité de la fa-
mille de mon ami M. Morel, président de la commission. Mais,
le soir de mon arrivée, toute la ville était en mouvement, les
rues remplies de monde, et, dans la cour des Messageries, un dé-
tachement de la garde nationale m'attendait pour me conduire
à ma demeure. Le peuple n'a cessé de crier : « Vive David
d'Angers 1 » jusque chez mon ami. Le lendemain, M. Morel, sous
le prétexte de me faire voir la ville, me conduisit sur la place
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 231
d'armes où est la statue. Toutes les autorités, le clergé, la garde
nationale, les marins, les pêcheurs, leurs femmes avec leurs cos-
tumes si pittoresques, la musique, étaient là à m'attendre. Juge
de mon émotion! On m'a fait passer devant tout ce monde. En-
suite on m'a conduit près de la statue, au pied de laquelle étaient
les autorités et le clergé. Le maire a prononcé un discours, et
ensuite deux cents voix, ont chanté l'hymne qui avait été com-
posé pour la cérémonie. Puis le canon a grondé, et l'on m'a re-
conduit au milieu du cortège, musique en tète, chez M. Morel.
Là encore, on est venu prononcer des discours qui ont été très
nombreux; ensuite le cortège a défilé, toujours avec le clergé,
ce qui m'a vivement ému, car il se faisait citoyen dans cette
circonstance. Toutes les maisons ont été pavoisées de drapeaux.
Pendant les quarante-huit heures de séjour que j'ai fait à
Dunkerque, et tandis que l'on recevait ainsi l'artiste, enfant du
peuple, la mère de la reine d'Angleterre traversait la ville, reçue
seulement par un sous-préfet, sans que le peuple y fît attention.
L'accueil que les Dunkerquois m'ont fait passe tout ce que
l'imagination peut rêver. J'étais accablé d'émotions, et pourtant
c'était moi qui étais leur obligé, car ils m'ont procuré le moyen
d'attacher mon nom à l'image d'un héros.
Un jour, les marins ont voulu me conduire en rade. Avant
d'entrer dans le canot, j'ai dû traverser un marché où se tien-
nent les femmes des marins et des pêcheurs. Là, j'ai été entouré
par ces femmes, qui ne savaient comment m'exprimer leur con-
tentement. Elles m'ofifrirent des bouquets, et ce qui me toucha
jusqu'aux larmes, ce fut leur cordialité si franche et si sponta-
née. Dans ce marché, il y a une Vierge bien ancienne et en grande
vénération. Ces braves femmes lui avaient mis les ornements
dont on la revêt seulement aux grandes solennités. Une femme,
belle et jeune, mère de sept enfants, me présenta l'un d'eux en
me demandant de l'embrasser. « Cela, me dit-elle, lui portera
bonheur ! »
Voilà, cher ami, quelques traits relatifs à mon passage au mi-
lieu de cette généreuse population. Saint-Omer et Calais m'ont
aussi honoré de brillantes manifestations.
Hier, j'ai reçu une lettre d'un armateur qui fait construire un
navire ; il mo prie de lui permettre de le nommer le David
d'Angers. Voilà donc que mon nom va sillonner les mers, associé
2S2 DAVID D'ANGERS
à celui de ma bien-aimée ville d'Angers. Tu comprendras, toi,
mon ami, toute la satisfaction que mon cœur ressent de pareils
hommages.
Adieu, cher ami, mille tendres amitiés à vous tous. A toi de
cœur aussi,
David .
P. S. — J'ai oublié dans ma précédente lettre de te dire que
j'avais vu le fondeur, qui m'a dit que, pour mes amis, la statuette
en bronze de Gutenberg ne coûterait que quatre-vingts francs.
Collection Pavie. — Le vaisseaule David d'Angers périt dans une tempête,
alors que l'artiste supportait avec peine ses jours d'exil. Cet événe-
ment le troubla. Il est longuement parlé du Jean Bart et des rapports du
maître avec les habitants de Dunkerque dans David d'Angers, etc., t. I,
pp. 398-403.
GGXII
Hippolyte, baron Larrey, à David.
Sur la statue de Dominique-Jean, baron Larrey.
Paris, 18 décembre 1845.
Mon ami,
Je voudrais vous écrire, selon mon cœur, ce que je n'ai bien
su vous dire, en voyant renaître, par la toute puissance de votre
talent, la grande figure de mon père. Mais ce sentiment-là, je ne
saurais l'exprimer par des mots ; il est si lié à ma tendresse et à
mon respect pour lui, à mon amitié et à mon admiration pour
vous, qu'il m'impose le silence des joies ineffables de l'àrae.
Merci, mon généreux et illustre ami David, merci; l'avenir, peut-
être, me permettra mieux que le présent de vous vouer aussi un
culte de reconnaissance et de vénération filiales.
H. Larrey.
Collection David d'Angers. — Les événements qui marquèrent les dernières
années de l'artiste permirent au baron Larrey de se montrer fidèle à son
ami. Nul n'a su prendre en main la cause du statuaire ou de ses œuvres
avec plus d'à-propos et de courage que ne le fit le baron Larrey au début de
l'Empire. (David d'Angers, etc., t. I, pp. 409, 456, 458, 484, 589.)
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 253
GGXIII
David à Charles Poney.
La médaille du poète.
Paris, -i décem!)re 1845.
Mon cher Monsieur Poney,
Vous allez recevoir votre médaillon en bronze. Je désire que
vous éprouviez quelque satisfaction de voir cette œuvre d'un
Jiomme qui n'a jamais consacré son temps qu'à la représentation
des traits des hommes qui honorent l'humanité par leur patrio-
tisme et leur génie.
J'ai refusé de faire la statue des princes et des rois, et j'ai été
heureux de reproduire l'image de l'homme du peuple qui consa-
cra les inspirations de son génie poétique à la noble cause de
la liberté. Je remercie le sort qui vous a fait passer par Paris, afin
que je puisse réaliser le projet que j'avais formé depuis longtems
de vous donner un témoignage de ma profonde estime pour
votre génie poétique.
Croyez, je vous prie, mon cher Monsieur, à tous mes senti-
ments les plus dévoués.
David d'Angers.
Collection Poney. — Cliarles Poney, poète maeon, né en 1821, à Toulon,
publia, dés 1S42, son recueil les Marines. David modela le proiil du poète
ouvrier en 1845.
CGXIV
David à, Gigoux.
Cliarlct sur son lit de mort.
Morcredi soir... décembre 1845.
Si vous voulez, cher ami, dessiner la tête d'un homme de génie,
venez me prendre demain matin à onze heures. Nous irons chez
Charlet, qui sera très content de vous recevoir.
2b4 DAVID D'ANGERS
Apportez vos affaires pour commencer de suite.
Tout à vous de cœur,
David.
Collection Henry Jotiin.
ccxv
David à Gigoux.
Les dernières heures de Gharlet. — Situation précaire de sa veuve.
Paris, 29 décembre 1845.
Cher ami,
Charlet vient de mourir : il laisse une femme digne du plus
grand intérêt, et par les nobles qualités qui la distinguent, et par
sa triste position, car elle reste seule, chargée de deux enfants
dont l'éducation est loin d'être terminée.
La dernière fois que nous nous sommes vus, je vous ai dit
combien j'étais heureux des bonnes intentions qu'avait témoi-
gnées M. Gavé à l'égard de W^" Gharlet, si elle venait à perdre
son mari. L'instant de réaliser cette généreuse promesse est ar-
rivé ; la France entière applaudira à un acte de justice, qui hono-
rera la mémoire d'un homme dont elle s'enorgueillit à si juste
titre. Gharlet estjraort aujourd'hui à cinq heures de l'après-midi ;
il avait travaillé une partie de la nuit à un Napoléon à cheval
d'un dessin extrêmement remarquable. Les arts ont fait en lui
une perte irréparable, car nul comme Gharlet n'a su imprimer ce
cachet vivant et héroïque d'une armée qui a étonné le monde
entier et dont les gigantesques travaux paraîtront peut-être fa-
buleux à l'avenir.
Je m'adresse d'abord à vous, cher ami, parce que je sais com-
bien vous prenez avec cœur toutes les occasions d'une bonne et
utile action, et que si vous pouvez appuyer ma recommandation
auprès de M. Gavé, vous vous empresserez de le faire.
Votre bien dévoué de tout cœur,
David d'Angers.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 255
Collection Cottenet. — Cette lettre a passé en vente en 1882. Le peintre
Gigoux étant très lié avec Gavé, David jugea prudent de lui confier les
intérêts de la veuve de Gharlet.
GCXVI
David à Adrien Maillard.
La mission de l'art. — Ce qu'il faut penser d'un Napoléon achevai pour
l'église des Invalides.
1845 (?)
Mon cher Adrien,
En lisant dans le Journal d'Angers l'article qui me concerne,
j'ai reconnu une main amie, et par conséquent j*ai pensé que
cela ne pouvait venir que de vous. Je vous remercie de tout
cœur.
Je vous assure que je vois donner tous les travaux aux autres
statuaires sans que cela m'arrache un seul regret. Tant mieux
si le choix tombe sur des hommes de talent, car, avant tout, c'est
la gloire de notre chère patrie que j'envisage. Je désire bien
ardemment que la France conserve dans les arts le premier rang
qu'à tant de titres elle tient en Europe.
Il faut, mon ami, avoir une conviction profonde et ne jamais
en dévier; ne jamais faire de concessions à un pouvoir que l'on
désapprouve. L'art est une belle chose, sans doute, mais il doit
servir à améliorer le sort de l'homme en épurant ses mœurs, en
échauffant son âme par d'héroïques exemples. C'est à ce titre
seulement que l'art est vraiment noble. Mais s'il se plie aux
caprices d'un pouvoir aveugle ou tyrannique, il devient nuisible
et méprisable; or, voilà où en sont réduits trop souvent les
artistes; si par hasard on leur commande un .sujet tiré de l'his-
toire de la Révolution pour orner les « catacombes » de Versail-
les, c'est une pensée gouvernementale qui dicte la composition.
En ce qui me concerne, je ne puis qu'attendre des temps meil-
leurs^ si Dieu en réserve cacore à notre patrie. D'ici là, je tâche-
rai d'exécuter quelques sujets élevés que je porte dans mon cœur
depuis bien longtemps.
Je ne regrette pas non plus de ne pas être chargé du
256 DAVID D'ANGERS
monument de Napoléon ; cet homme a fait tant de mal à laliber-
té! lia montré si peu de noblesse envers la nation qui lui avait
confiéscs plus chers intérêts avec tant de générosité! En vérité, il
y a dans ce souvenir de quoi paralyser le cœur d'un républicain.
En prenant, cependant, Napoléon sous le point de vue poétique,
certes, c'est un grand homme qui aura une large place dans l'his-
toire. Observé sous ce point de vue, il rentre dans le domaine
des arts qui peuvent perpétuer ses traits. Mais ne vous semble-
t-il pas que l'idée de le représenter à cheval sur son tombeau
est une de ces absurdités les plus grandes? Je voudrais que Ton
mît sur son cercueil son chapeau, son épée, son nom et une
couronne de laurier; c'est ainsi qu'Horace Vernet a compris sa
composition sur Sainte-Hélène.
Quel plus grand et plus sublime monument peut-on élever à
un homme que de graver son nom. s'il est populaire? Combien
de grands hommes de l'antiquité dont nous vénérons la mémoire
et dont les ouvrages ont disparu ! En lisant le nom d'un héros,
chacun compose son poème dont la trame n'est pas imposée par
l'artiste.
Que l'art s'empare des hauts faits, des grandes actions ; qu'il
les immortalise sur les places publiques, dans les temples, etc.,
etc., ce sont là de beaux livres; mais sur une tombe, sur des
débris que ronge la mort, suprême mystère de l'existence hu-
maine, quelques syllabes auxquelles les hommes attachent une
signification héroïque auront plus d'éloquence, n'est-il pas vrai?
que n'en saurait avoir un ridicule cavalier sur un cercueil.
Adieu, cher ami, croyez à tous mes sentiments d'estime et
d'amitié bien sincère,
DAvm,
Mille amitiés à vos chers parents.
Collection David d'Angers. — On a vu dans le commentaire de la lettre de
David à Victor Pavie, datée du 6 février 1838, quel rôle de biographe attentif
Adrien Maillard a voulu remplir auprès du statuaire, son compatriote. Outre
VÉtude publiée en brochure, Adrien Maillard a fait paraître, durant une
période de dix années, de nombreux articles sur le maître dans les revues
ou journaux de l'Anjou. Le projet bizarre de représenter Napoléon à
cheval sur son tombeau fît quelque bruit vers la fin du gouvernement de
Juillet, mais on l'abandonna promptement, et l'on eut raison.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 237
GGXVII
Poney à David.
Le inûdaillon du poète. — La statue de Jean Bart. — Profils modelés de
George Sand et de Byron.
Toulon, 4 janvier 184G.
Quel magnifique bouquet de bonne année vous m'avez envoyé,
mon illustre maestro! Et combien je vous dois de bonheur et de
gratitude pour ce cadeau doublement précieux ! Permettez-moi
d'étreindre avec une respectueuse effusion vos deux nobles mains,
et de chercher à communiquer à votre cœur, par cette étreinte
magnétique, tout ce que le mien ressent de vénération et d'ad-
miration pour votre personne et pour votre génie.
Habitant un port de mer, je compte beaucoup d'amis dans la
marine. Tous ces chers marins sont venus admirer votre beau
médaillon. Ils vous aiment beaucoup, je vous assure, surtout de-
puis que vous avez immortalisé une seconde fois, par le ciseau,
une de leurs plus grandes gloires : Jean Bart.
Mon portrait, gravé par vous, a pris place parmi les monuments
de famille dont je m'honore : monuments que m'a valu mon
modeste talent de poète. 11 sera pour mes enfans une relique
aussi sacrée qu'il l'est pour moi, et il perpétuera à lui seul le sou-
venir de mon voyage à Paris, des glorieuses circonstances qui
l'ont accompagné et de l'accueil, dont je serai éternellement fier
et heureux, que vous avez daigné me faire dans votre sanctuaire
d'où sont sortis tant de chefs-d'œuvre.
Merci, merci mille fois de votre lettre flatteuse, des médaillons
de George Sand et de Byron. Vous m'avez créé un musée où je
trouve les traits des visages aimés de mon cœur. Merci, merci
mille fois encore . Mettez mes plus respectueux hommages aux
pieds de Madame David; embrassez bien pour moi vos deux beaux
enfants que je bénis avec mon cœur de poète et de père. Rap-
pelez-moi au souvenir de votre auguste ami, qui m'a fait ce que
je suis, et croyez-moi tout à vous d'inaltérable dévouement, d'ad-
miration et de vive reconnaissance,
Charles Poncy.
Collection David (VAnriers. — La médaille do Byroii fut modelée par l'ar-
tiste vers 1838. {Musées d'Angers, p. 170.)
17
238 DAVID D'ANGERS
GGXVIII
David à Jules de Saint-Amour.
Une composition musicale sur Jean Bart.
Paris, 21 février 1846.
Mon cher Monsieur,
J'approuve complètement l'idée que vous avez de faire repré-
senter autour de la base de la statue de Jean Bart des groupes
de valseurs. Quand le morceau de musique que vous avez com-
posé sera imprimé, soyez donc assez bon pour m'en envoyer
une épreuve.
Vous me demandez quelle est la lithographie du Jean Bart qui
me semble la meilleure ; c'est celle que l'on vend à Dunkerque.
Madame David me charge de vous remercier de l'aimable atten-
tion que vous avez eue de lui envoyer deux exemplaires de ma
biographie. Pour moi, je n'oublierai jamais toutes les preuves de
bienveillance et d'amitié que vous ne cessez de me donner.
Excusez-moi, je vous prie, du retard que j'ai mis à répondre
à votre aimable lettre. Mes nombreuses occupations absorbent
tellement mes instants que ma main est forcée de tenir plus sou-
vent le ciseau que la plume.
Recevez, je vous prie, l'assurance de ma considération la plus
distinguée et de mon entier dévouement de cœur.
David d'Angers.
P. S. — En visitant, avec mes amis, le magasin qui sert àren-
fermer des objets de décoration pour les iêtes que donne la ville
de Saint-Omer, j'ai été affligé de voir le groupe très remarquable
que M. Husson a donné à la ville, relégué dans un coin. Faites
donc tout ce qui sera en votre pouvoir pour que cet ouvrage soit
placé dignement. Est-ce que vous n'auriez pas encore de Musée
dans votre ville?
Je vous recommande tout particulièrement cette note.
Collection Dannyaux. — Le groupe d'Aristide Husson, élève de David
d'Angers, auquel il est fait allusion dans ce post-scriptum, représente
Adam et Eve. Cet ouvrage est un envoi de Rome. Il a pris place dans le
Musée de Saint-Omer depuis un certain nombre d'années.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 2S9
CGXIX
David à Victor Pavie.
L'étude Bonchamps et sa statue. — Fonte de l'esquisse du Gulenherg.
— Adrien Maillard.
Paris, M avril 1840.
Cher ami,
Je viens de voir Maillard, qui m'a remis ta lettre et le manu-
scrit sur Bonchamps. Je l'ai lu avec un nouvel intérêt. C'est un
bel éloge, rapide et cependant substantiel. C'est un digne hommage
à la mémoire de ce brave militaire. Je n'aurai qu'une bien légère
observation à faire concernant Stofflet, duquel tu dis qu'il man-
quait de noblesse. Cette expression pourrait être prise dans un
autre sens que celui que tu as eu l'intention d'y attacher. Je crois
que si tu disais que ses idées manquaient de noblesse ou de
générosité, ta pensée serait la môme. Tu vois que c'est un détail
bien puéril ; aussi n'en tiens aucun compte.
Actuellement je suis à la disposition de l'imprimeur. Qu'il me
fasse dire combien il veut d'épreuves de la gravure et qu'il me
dise aussi quelle est la marge qu'il faudra réserver; je crois que
celle indiquée par la planche en cuivre suffira.
Je t'assure que je suis très heureux que tu aies fait fondre le
petit Gutenberg ; ce sera au moins un monument durable. Il n'y
a que toi pour avoir de ces idées, et, il faut bien le dire, c'est la
première fois que mes compatriotes ont voulu avoir autre chose
que du plâtre, lorsqu'il s'agit d'œuvres sorties de mes mains. Nous
sommes encore bien Gaulois au point de vue des arts dans notre
cher pays. Cependant il ne faut pas désespérer. Tu connais le
proverbe : « Rien n'est plus trompeur que l'eau qui dort. »
Je n'ai vu que quelques instants Maillard. Il va repartir immé-
diatement. C'est m'accorder bien peu après tant d'années d'éloi-
gnement de Paris ; mais ce que je regrette, c'est que tu n'aies pu
venir 1 Qui sait combien de temps passera sans que nous puis-
sions nous voir?
Soyez heureux, chers amis, et crois-moi toujours de tout cœur
à toi,
David.
260 DAVID D'ANGERS
CoUeciion Pavie. — L'étude Bonchamps et sa statue, ornée de la planche
gravée par Leroux, fut publiée à Angers (novembre 1846, gr. in-8° de
46 pages). C'est le même texte que publia VAiHiste, mais avec quelques
coupures. L'esquisse du Gutenberg fut fondue aux frais de Victor Pavie.
GGXX
David à Victor Pavie,
La mort tragique d'un enfant. — Mourir jeune est peut-être un bienfait.
Paris, 4 mai 1846.
L'épouvantable malheur qui vient de vous accabler, mon bien
cher ami, a eu ici un douloureux et durable retentissement.
Nous en sommes atterrés. Aucune expression ne peut rendre le
vif chagrin que nous éprouvons. 11 n'y a qu'à s'incliner sous les
coups d'un sort qu'on pourrait accuser de cruauté si l'on ne
croyait à la Providence et à de mystérieux desseins hors de la
portée de l'intelligence humaine.
Ces drames sinistres ne paraissent destinés qu'à l'innocence et
à la vertu la plus pure. Qui sait si la pitié de Dieu ne s'étend
pas quelquefois sur des êtres qu'il prévoit devoir être par la suite
trop accessibles aux dures épreuves de la vie et qu'il veut ainsi
leur épargner? Combien d'entre nous qui regrettent de n'avoir
pas été soustraits, dès l'enfance, aux tortures de chaque jour...
Je sais combien il y a dans ton cœur de noble résignation. Crois-
moi, mon ami, ne pleure pas sur celui qui se trouve de si bonne
heure débarrassé de son long et pénible voyage. Ressaisis toute
ta force morale pour relever la digne compagne de ta vie, si
cruellement éprouvée^ ton bon père doublement accablé sous le
poids de sa douleur et de la vôtre.
A vous de cœur pour nous tous,
David d'Angers.
Collection Pavie. — Cette lettre a trait à la mort d'un enfant de Victor
Piivie, noyé dans une pièce d'eau sous les yeux de ses proches.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 201
CGXXI
David à son fils Robert.
Délit d'écolier.
Paris, 21 mai 1846.
C'est la première fois depuis treize ans, Robert, que ton jour
de naissance se passera sans que je t'aie embiassé. 11 m'est
extrêmement pénible de penser que c'est ta mauvaise conduite
qui te fera manquer à la réunion de famille. Tu dois pourtant
savoir que notre plus grand bonheur, à ta mère et à moi, est de
vous rassembler heureux autour de nous.
Songe, mon enfant, que tu entres aujourd'hui dans ta quator-
zième année; que nous vivons dans un temps où chacun, pour
réussir, doit valoir par lui-même, et que si tu laisses se perdre
ainsi l'occasion si heureuse pour toi, et pour nous, de profiter des
excellentes leçons et des conseils bienveillants de M. Kùhn, un
jour viendra où tu regretteras amèrement ta paresse et ton indo-
cilité, mais il ne sera plus temps de se repentir.
Nous espérons que tu réfléchiras sérieusement aujourd'hui et
que, prenant au début de cette nouvelle année de fortes résolu-
tions, tu ne nous donneras plus que de la satisfaction, si néces-
saire à notre bonheur à tous.
David d'Angers.
Collection David d'Angers. — La suscription de ce billet porte : « Mon-
sieur Robert David d'Angers, chez Monsieur Kûhn, 3o, rue Madame. »
GGXXII
Jomard à David.
La médaille du géographe.
Paris, 3 juia lî-^iO.
A David d'Angers.
Aux artistes et aux poètes, il appartient de créer : c'est le
poète (|uc Dieu a fait à son image et non pas l'homme; il anime
262 DAVID D'ANGERS
le néant et fait quelque chose de rien ; c'est pour cela qu'on dit le
divin Michel-Ange et le divin Homère. Ainsi venez-vous de faire
en donnant de l'âme et de la physionomie à des traits vulgaires.
L'enveloppe cache peut-être quelque chose, vous l'avez fait
sortir; mais il fallait l'œil, le génie de l'artiste-poète pour créer
une expression là où d'autres n'ont rien vu ou rien su décou-
vrir; puisse l'amitié n'avoir pas trompé sa main!
JOMARD.
Collection David d'Angers. — Le médaillon d'Edme-François Jomard,
géographe, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, fut
modelé en 1846. Jomard avait alors soixante-neuf ans.
CGXXIII
David à Victor Pavie.
La statue de Dombasle. — Le piédestal du Gutetiberg. — Qu'il ne faut pas
se laisser abattre par le malheur.
Paris, U juin 1846.
Mon bon et cher Victor,
Je pars sous peu d'heures pour aller à Nancy désigner la place
qui conviendrait à la statue de M. de Dombasle, et fixer les pro-
portions de cette statue. Quand j'aurai terminé, j'irai à Strasbourg
pour vérifier si le piédestal de la statue de Gutenberg n'est pas trop
peu élevé. On le pense dans le pays, et plusieurs voyageurs m'ont
parlé dans ce sens. S'il en était ainsi, larchitecte pourrait l'élever
de quelques pieds, sans grandes difficultés ; mais il est bon que
je m'assure si cela est d'une sérieuse nécessité.
Je vais revoir ce que nous avons admiré ensemble, non
plus avec ces belles et poétiques illusions qui ont rendu notre
voyage un des points les plus saillants de ma vie. Depuis lors, les
déceptions ont fait leur oeuvre en moi.
Le malheur t'a éprouvé bien cruellement^ cher ami. Mais, en
grâce, ne courbe pas la tête devant lui. C'est un implacable
ennemi qu'il faut s'habituer à regarder toujours en face; il sert
à retremper notre âme, il nous force à lutter pour assurer le
calme, le bonheur des êtres qui ont droit à nos affections.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 2G3
Nous apprenons que tu te laisses accabler par un chagrin qui,
à la longue, peut te devenir funeste, à toi, à tes parents et à tes
chers enfants; une semblable douleur serait excusable chez un
homme qui n'aurait pas, comme toi, le bonheur de croire à une
autre vie.
Je ne passe pas une seule journée sans penser à toi.
Adieu , cher ami , présente mes hommages à Madame Pavie et
crois-moi pour la vie tout à toi de cœur,
David.
P. S. — Rends-moi le service de prendre, à la mairie, mon
extrait de naissance, que tu m'enverrais; j'en ai besoin pour
cesser mon service dans la garde nationale.
Collection Pavie. — La statue de Mathieu de Dombasie, érigée à Nancy,
fut inaugurée en 1850. {David cT Angers, etc., t. Il, p. 503.)
GCXXIV
Henri de Latouche à David.
Les médailles commémoratives des Quatre Sergents de la Rochelle et des
frères Bandiera. — Les profils modelés de Chateaubriand et de Déranger.
— Godefroid Cavaignac. — La médaille du maître.
Aulnay, 30 août 1846,
Il faut, mon grand artiste, que je sois bien malade, bien faible,
bien mécontent de tout mon être chétif, pour n'avoir pas encore
accompli mon dessein d'aller vous chercher à Paris et de vous
posséder un jour dans nos bois. Quelle fête je me fais d'entendre,
en présence d'un beau paysage, parler cette âme qui fait sortir
du feu de la cendre des morts et rallume à cette source le flam-
beau de la liberté !
Je n'ai pas David ici ; mais j'ai du moins les glorieux Sergents,
les quatre couronnes sur un billot, et l'urne des Bandiera. Merci
cent fois, mon illustre ami. Chateaubriand et Béranger augmen-
tent depuis longtemps ma collection poétique, il ne me manque
que le profil de Cavaignac et le vôtre. Voyez si je suis indiscret!
et si, comme les enfants, je ne demande pas la bouche pleine!
264 DAVID D'ANGERS
Au premier jour de santé je prends la voie de fer, j'arrive à
l'atelier vous voler le temps de faire un chef-d'œuvre et je vous
emmène dans notre pays des loups; lesquels valent mieux encore
que les conservateurs et les Français indifférents.
A vous de cœur,
H. DE Latouche.
Collection David d'A7igers. — La médaille des Quatre Sergents de la Ro-
chelle fut modelée par l'artiste en 1846. La face comporte quatre profils
accolés deux par deux; au revers est représentée la Liberté, debout prés
d'un billot, sur lequel elle dépose quatre couronnes. {Musées d'Angers,
pp. 191.) La médaille commémorative de l'exécution des frères Bandiera,
fusillés à Cosenza le 25 juillet 1844, pour avoir conspiré contre l'Autriche, fut
modelée l'année même de la mort de ces patriotes italiens. La face représente
l'Italie approchant une torche de la flamme qui s'échappe d'une urne funé-
raire sur laquelle est gravé : Nostris ex ossibus ultor. {Musées d'Angers,
pp. 200-201.) Le profil modelé de Chateaubriand date de 1830 ; celui de
Béranger, de 1830 également; celui de Godefroid Cavaignac, publiciste,
de 1834. {Musées d'Angers, pp. 134, 153, 344-345.)
GGXXV
David à son fils Robert.
Conseils du père et de l'artiste.
Août 1846.
Mon cher Robert,
Je pense que Thérèse va te trouver en parfaite santé; amuse-
toi bien, mais quand tu as quelques instants, occupe-toi de choses
sérieuses. Dessine tout ce qui se présente à toi : des barques sur
le rivage, avec des marins auprès ; un cheval au repos près d'une
voiture; des maisons; les petites baraques des baigneurs. Tout
cela t'habituera à rendre les formes de la nature sur le papier.
Écris aussi tout ce qui te paraît remarquable sous le rapport du
sentiment, et lis le plus que tu pourras. La lecture est un auxi-
liaire immense pour l'imagination ; c'est ainsi qu'on amasse une
précieuse bibliothèque dans son cerveau, et celle-là, on la porte
toujours avec soi.
Sois docile aux conseils de ta mère et des personnes qui doi-
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 2C5
vent à leur vie déjà longue l'expérience si utile pour soi et pour
les autres.
Sois heureux et aime tes parents comme ils t'aiment.
Tout à toi,
David.
Collection David d'Angers. — Thérèse Olivier, tel est le nom de la domes-
tique dévouée qui vécut durant de longues années au service du statuaire.
Son profil, modelé en 1836, a pris place dans la collection des médaillons
du maître. {Musées d'Angers, p. 162.)
CGXXVf
David à, Victor Pavie.
Médaille comméraoralive de la mort du maréchal Ney. — David écrivain :
V Éloge du sculpteur Roland; YÉtude sur Canova, — Médailles des Quatre
Sergents de la Rochelle, des frères Bandiera, des Massacres de Galicie,
du Neuf Thermidor, de Labédoyére, des frères Faucher. — Mission de
l'art. — Bustes des docteurs Garnier et Ollivier. — Le monument de René
d'Anjou. — Les bas-reliefs du théâtre de Bèziers. — L'architecte Binet.
— Le buste de M"" Mars. — Le Musée David inapprécié. — Le Voyage
en Halle de Victor Pavie.
Paris, 27 octobre 1846.
Cher ami,
Je joins un paquet de gravures, un Almanach populaire dans
lequel tu verras un trait de la médaille que je viens de faire pa-
raître sur la mort du maréchal Ney, et un épisode de ce déplo-
rable assassinat politique.
Je viens de gagner une médaille d'or pour V Éloge de mon maî-
tre Roland. Ce prix était proposé par la ville de Lille, patrie du
statuaire. On m'a demandé cet Éloge pour l'insérer dans
YArtisle.
Le Siècle de Napoléon édité par Gurmer est-il parvenu jusqu'à
Angers? Il y a de moi l'article sur Ganova. Tous ces écrits ne me
prennent rien du temps que je dois consacrer à ma sculpture; je
les compose en prélevant quel({ues heures sur mon sommeil.
J'ai commencé une collection de médailles, face et revers, con-
sacrées à des drames politiques. Les Sergents de la Rochelle, le
maréchal Ney, les l'rères Bandiera. J'ai fait deux médailles sur
268 DAVID D'ANGERS
les massacres de Galicie; d'un cuté, on voit la Liberté, appuyée
sur un fusil, écrivant avec une baïonnette sur une potence :
Massacres de Galicie. Metternich. Brendt. Au revers, j'ai
mis le flambeau qui éclaire, le sabre qui venge, et au milieu,
cette inscription : « La Démocratie française a fait frapper
cette médaille pour livrer les auteurs des massacres de
Galicie à Vexécration du monde et de la postérité. » J'ai fait une
autre médaille grande comme une pièce de cent sous. On y voit la
tête de la Liberté ayant pour exergue : « Démocratie française; »
puis une baïonnette et une plume. Derrière, la potence est figu-
rée, autour : « Massacres de Galicie », et sous la potence :
(( Metternich et Brendt voués à l'exécration de Vavenir. »
Je suis occupé de faire le Neuf Thermidor, la mort de Labé-
doyère, et celle des deux frères Faucher. Je crois que la véritable
mission de l'artiste est de plaider de grandes et nobles causes,
utiles à l'humanité', et non de l'amuser en faisant de l'art pour
l'art. Ainsi conçu, notre rôle nous permet tout au plus de riva-
liser avec les histrions et les sauteurs de corde.
J'espère bien que les bustes de Garnier et d'Olhvier pourront
vous arriver vers les premiers jours de la Saint-Martin.
Je m'occupe activement des douze statues qui doivent décorer
le piédestal du monument du roi René. C'est un immense tra-
vail.
J'ai fait pour le théâtre de Béziers des bas-reliefs renfermant
une tragédie de Sophocle (âFc^ipe), une de Corneille {le Cid), une
comédie d'Aristophane (les Nuées), une de Molière (le Tartuffe).
Il y a aussi les portraits d'une proportion colossale de ces quatre
grands hommes.
J'ai conservé un plâtre des bas-reliefs et je crois qu'ils pour-
raient être placés convenablement sous le péristyle du théâtre
d'Angers. J'avais chargé M. Moll de s'occuper de cela, mais je
n'avais pas réfléchi que ma demande était de nature à soulever
les objections de l'architecte... Vois donc M. Binet; fais-lui part
de mon projet; dis-lui que les bas-rehefs mesurent six mètres de
longueur sur un mètre neuf centimètres de hauteur. Informe-moi
s'il y a un buste de M'^" Mars dans le foyer du théâtre. Je pour-
rais envoyer le modèle en plâtre que j'ai encore à ma disposition.
Fais une visite au Musée, et dis-moi si les modèles que j'en-
voie ne gênent pas trop. M. Moll m'a fait entendre qu'il y avait
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRE'S 267
assez de plâtre comme cela, que c'était M. le Maire qui pensait
ainsi. Si je disposais seulement de figures d'études, certes, je
ne voudrais pas les envoyer à Angers, mais j'offre des statues,
des portraits de grands hommes. De pareilles œuvres ont un inté-
rêt national qui doit me servir d'excuse auprès de mes compa-
triotes.
J'ai lu avec un bien vif et sincère intérêt ton Voyage en Italie.
Il faut qu'on te lise enfin. Ne reste donc pas plus longtemps sur
une réserve qui n'est pas admissible pour ceux qui savent com-
bien de nobles trésors sont renfermés dans ton cœur et dans
ton âme.
Adieu, cher ami, soyez tous heureux et pensez souvent à nous.
Ce sont nos vœux les plus fervents à Emilie et à ton tout dévoué
de cœur,
David.
Collection Pavie. — La médaille consacrée au maréchal Ney fut plus
d'une fois modifiée dans ses accessoires et dans son module. Ce travail
date de 1843-1846. Nous parlons plus haut des études du maître sur
Roland et Canova. La médaille des Massacres de Galicie date de 1846;
celle de Labédoyère est sans date, de même que celle des frères Faucher.
Le maître ne donna pas suite à son projet de médaille sur le Neuf Ther-
midor. Le buste, de proportions colossales, du docteur François-Claude
Garnier fut exécuté en 1846 par souscription publique. Le buste de
Charles-Prosper Ollivier date également de 1846. C'est un bronze colossal
exécuté à l'aide d'une souscription. Ces deux bustes d'Angevins sont à
Angers. Les modèles des bas-reliefs du théâtre de Réziers ont pris place
au Musée David. Est-ce Binet, l'architecte, qui s'est opposé à ce que les
quatre ouvrages du maître offerts par lui décorassent le péristyle du
théâtre d'Angers construit en 1821 ? Ne le regrettons pas, car le monument
élevé par Binet est devenu la proie des flammes en 1865. Le modèle du
buste de M"« Mars date de 1823. Il est au Musée David. Le Voyage en
Italie de Victor Pavie, publié dans l'Artiste, a été repris sous le titre
« Rome » par l'éditeur des Œuvres choisies de l'ami de David (t. I).
(Musées d'Angers, pp. 113, 123, 189, 199, 201, 336; David d'Angers, etc.,
t. I, p. 424, t. Il, p. 503.)
GGXXVII
David à, Victor Pavie.
Projet de groupe pour la cathédrale d'Angers. — Sinite parvulos. — Le
tombeau de René d'Anjou. — Son monument. — Bonchamps et sa
268 DAVID D'ANGERS
statue, par Victor Pavie. — Le Voyage en Italie.— Le plâtre après
la fonte.
Paris, 3 janviej' 1847.
Cher ami,
Une indisposition assez grave, causée par mon rhumatisme,
m'a empêché de t'écrire aussi promptement que je l'aurais désiré.
J'avais besoin de te remercier de la bonne nouvelle que tu m'a-
vais fait connaître concernant les statues que j'ai depuis si long-
temps le projet de faire pour notre église de Saint-Maurice. Ce
sont deux beaux et admirables sujets à traiter, mais aussi d'une
difficulté très grande, car ce sont les deux personnifications les
plus sublimes du christianisme. Enfin je serai heureux d'essayer
aussi comme tant d'autres artistes. J'ai reçu une lettre extrême-
ment bienveillante de Monseigneur l'Évêque. 11 m'annonce celle
de MM. les membres du Chapitre.
Je crois me rappeler que je t'ai fait voir un croquis que j'avais
fait de la Vierge et un autre du Christ, que je représentais à l'in-
stant où il dit : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Pour indi-
quer l'universalité du culte, j'ai mis un petit enfant nègre et un
sauvage. Cet instant de la vie du Christ m'a toujours paru extrême-
ment touchant. Je ne l'ai pas encore vu traité en ronde-bosse. Si
nous arrivons à la réalisation de notre projet, ce sera une belle
occasion pour moi d'aborder des sujets de l'ordre le plus élevé.
Je ne perds pas de vue non plus le tombeau de notre René. Il
faut que ce monument soit restitué à sa place.
J'ai communiqué ton article sur Bonchamps à plusieurs per-
sonnes, qui l'ont trouvé parfaitement bien écrit et plein de nobles
inspirations. L'Artiste va le publier avec la gravure.
Ce que tu nous as donné sur l'itahe m'a vivement touché. J'y
ai retrouvé de mes anciennes sensations bien agrandies en pas-
sant par ton cerveau poétique. Tu vois, cher ami, qu'il ne tient
qu'à toi de te faire un nom extrêmement honorable dans la litté-
rature. Quand on a un cœur aussi impressionnable que le tien,
une âme aussi pure et aussi poétique, on doit écrire. Assez d'hom-
mes déshonorent, profanent leur plume ; il est juste que des
hommes d'élite viennent opposer une digue au torrent iangeux.
On publie un ouvrage lithographique sur notre Musée d'Angers.
Je désirerais bien connaître ton opinion sur cette publication, et
savoir si les lithographies sont bien faites.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 269
Je désire que tu voies M. Mercier. J'ai oublié dans ma dernière
lettre de lui dire qu'il faudrait, lorsqu'un modèle lui arrive tout
noirci par le travail du fondeur, le faire nettoyer avec des pin-
ceaux, trempés dans de l'eau de lessive; quand on a bien nettoyé
avec un gros pinceau , on assèche le plâtre avec une éponge.
Cette opération donne au plâtre une certaine teinte un peu jau-
nâtre qui est agréable à la vue.
Les statues qui doivent décorer le piédestal de notre René sont
déjà très avancées; j'y ai travaillé avec une grande ardeur. Toutes
les fois qu'il s'agit de notre cher Anjou, je ne puis résister au
désir d'y penser avant de m'occuper d'autre chose. C'est te dire
que j'ai laissé en souffrance Casimir Delavigne, Bernardin de
Saint-Pierre, etc., etc., pour les deux bustes de Garnier etd'Olli-
vier, et enfin pour les statues du piédestal de René, travail en
vérité considérable.
Crois-moi toujours de tout cœur à toi,
David d'Angers.
Collection Pavie. — Le projet du maître de doter la cathédrale d'Angers
d'une statue du Christ et d'une statue de la Vierge, mentionné au Journal
de Maine-et-Loire du 23 novembre 1846, ne se réalisa pas. [David d'Angers,
etc., t. I, p. 425.) On voit ici que l'artiste eût volontiers transformé les
deux statues projetées en un groupe, naturellement plus important, dans
lequel il eût traduit la parole évangélique : Sinite parvulos venire ad me.
GGXXVIII
David à, Victor Pavie.
L'approche du Salon. — Acliéveraent du monument de René d'Anjou. —
Etude sur Roland.
Paris, 29 mars 1847.
Cher ami,
Si j'ai bonne mémoire, il me semble que tu avais l'intention de
venir à Paris pour l'époque du Salon. Si tu persistes toujours
dans ce projet, il me serait bien agréable de savoir à quelle date
précise tu espères entreprendre ton voyage, car moi-même j'en
projette un, à la vérité très court, mais qui serait pour moi la
source d'une grande contrariété s'il me privait quelques jours
270 DAVID D'ArsGERS
seulement de te voir. Les occasions de nous rencontrer devien-
nent si rares, et la vie s'écoule avec une si effrayante rapidité!
Je suis sûr actuellement que l'évêque d'Angers a reçu ma lettre.
Le moyen dont j'ai usé était le seul pratique^ car il paraîtrait que
le service de la poste se fait très mal dans notre cher Anjou.
Me voilà arrivé aux dernières figures du piédestal de la statue
du roi René. J'ai retardé tous mes travaux afin de terminer promp-
tement ce monument.
Pagnerre vient de faire tirer des épreuves de ma notice sur
Roland, le statuaire. Je vais t'en faire parvenir quelques exem-
plaires que tu voudras bien faire remettre aux personnes dont
je vais écrire le nom sur la couverture.
Adieu, cher ami, assure toute ta famille de nos sentiments les
plus affectueux.
A toi de cœur,
David.
Collection Pavie.
GGXXIX
Lamartine à David.
Paris, 1" mai 1847.
Conte arabe.
Dieu dit un jour à son soleil :
Toi par qui mon nom luit ! toi que ma droite envoie
Porter à l'univers ma splendeur et ma joie
Pour que tout firmament me loue à son réveil !
De ces dons que répand ta lumière,
De ces pas de géant que lu fais dans les cieux,
De ces rayons vivants que boit cliaque paupière.
Qui te rend, réponds-moi, dans toute ta carrière,
Plus semblable à moi-même et plus grand à tes yeux?
— Le soleil répondit en se voilant la face :
Ce n'est pas d'éclairer l'immensurable espace,
De faire étinceler les sables des déserts,
De fondre du Liban la couronne de glace.
Ni de me contempler dans le miroir des mers,
Ni d'écumer de feu sur les vagues des airs !
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 271
Mais c'est de me glisser aux fentes de la pierre
Du cachot où languit le captif dans sa tour.
Et d'y sécher au bord d'une paupière
Que réjouit dans l'ombre un seul rayon de jour !...
— Bien ! reprit Jehova, c'est comme mon amour !...
Ce que dit le rayon au bienfaiteur suprême,
Moi, l'insecte chantant, je le dis à moi-même :
Ce qui donne à ma lyreuii frisson de bonheur,
Ce n'est pas de frémir d'un vain soufûe de gloire,
IN'i de jeler au teras un nom pour la mémoire,
Mais c'est de résonner dans la nuit du mystère
Pour l'âme d'un ami, d'un pauvre solitaire
Qui n'a qu'un son lointain pour tout bien sur la terre,
Et d'y glisser ma voix par les fentes du cœur!
Al. DE Lamartine.
Collection David d Angers. — Lamartine a corrigé les quatre derniers vers.
Avant la correction, ils étaient ainsi conçus :
Mais c'est de pénétrer par les fentes du cœur.
Dans l'âme d'un solitaire
Que le monde abandonne et qui n'a, sur la terre,
Qu'un écho dans ma voix pour sa douleur.
Cette première version eût été, prosodiquement parlant, plus correcte,
puisque la rime féminine du cinquième vers n'aurait pas été suivie d'une
rime féminine que sa désinence conseillait de reporter plus loin. Les vers
que nous donnons ici sont la réalisation d'un projet déjà ancien chez La-
martine. Il en est question dans le commentaire de la lettre de David au
poète des Méditations, publiée plus haut sous la date du 12 février 1831.
GGXXX
David à Rauch.
Les études du maître sur Roland, Canova, Thorvaldsen. — Projet d'une
étude sur Rauch. — La médaille de Karl Ritter. — A la poursuite d'un
croquis d'Hoffmann.
Paris, 18 mai 1847 .
Cher ami,
Votre dernière lettre m'a rendu bien heureux et je suis
toujours fier de votre amitié, qui ne peut, je vous assure, ren-
contrer une âme mieux faite que la mienne pour vous appré-
cier.
272 DAVID D'ANGERS
J'entends avec bonheur parler de vos grands et nobles tra-
vaux. Je sais que votre santé est bonne, et j'en éprouve un vif
bonheur, parce que vous pouvez léguer à l'avenir des ouvrages
qui, en consacrant dignement votre nom, seront un puissant
stimulant pour les artistes et une gloire immortelle pour votre
patrie.
Je ne désespère pas de pouvoir encore aller vous serrer la main
dans votre atelier ; du moins c'est le vœu le plus cher de mon
cœur.
Je joins à cette lettre une notice sur Roland, le statuaire mon
maître.
Depuis longtems je m'occupe, à mes moments de loisir, d'é-
crire mes réflexions sur les ouvrages des statuaires. C'est une
bonne et agréable étude pour moi, et aussi un moyen d'émettre
quelques idées sur un art que j'ai longtems étudié et que
j'aime tant.
J'ai fait un travail sur Ganova, dont il a paru un extrait dans
le Siècle de Napoléo7i, et un sur Thorvaldsen. Celui-ci a été
inséré dans un petit journal appelé Journal du Mois. J'en ai
d'autres dans différentes publications.
Je serai heureux, cher ami, de parler de vous bientôt et de dire,
dans un examen de vos travaux, tout ce que votre grand talent
m'inspire.
Adieu, pensez quelquefois à celui qui vous est dévoué de tout
cœur,
David d'Angers.
Vous trouverez un exemplaire pour Ritter, que je vous prie de
lui remettre de ma part. Je vous avoue que j'étais très-inquiet du
médaillon que je lui avais envoyé, et j'ai attendu vainement une
petite lettre de réception de lui.
Cher ami, vous m'obligeriez si vous pouviez me trouver un
croquis original, non gravé, de la main d'Hoffmann ; je désire
beaucoup en posséder un ; pensez-y donc, je vous en prie.
Colleclion Eggers, à Berlin. — David n'a pas donné suite à son projet
d'étude sur Rauch. Le profil du géograplie allemand Karl Ritter a été
modelé par le maître en 1845. (Musées d'Angers, p. 190.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 273
CGXXXI
David à Lucas de Montigny.
A la reclierclic de la sigualure de Gallamare.
Paris, 25 juin 1847.
Monsieur,
J'ai fait des recherches infructueuses pour me procurer une
signature du statuaire Antoine Gallamare. Aufiez-vous un auto-
graphe de cet artiste et voudriez-vous me le prêter pour quel-
ques instants ?
Excusez-moi de mes continuelles importunités et croyez-moi
toujours
Votre bien dévoué serviteur,
David d'Angers.
Colleclion Dubrunfaut. — Cette lettre a passé en vente le 18 janvier
On sait quel usage voulait faire le maître de la signature du statuaire
Cliarles-Antoine Gallamare. Il se proposait de la reproduire en fac-similé
sur le médaillon de cet artiste. Le médaillon n'est pas daté, mais il doit
avoir été modelé en 1847. La signature et le parafe s'y trouvent gravés à
l'ébauchoir. Montigrty avait donc pu répondre à la demande de David
comme le souhaitait celui-ci ? (Mzwe'e^ d'Angers, pp. 197-198.) Une longue
étude sur Gallamare a été recueillie par nous dans l'ouvrage David d'An-
gers, etc., t. II, pp. 133-146.
GGXXXII
David à Victor Pavie.
Le monument de Gobert. — Statues de Gasimir Delavigne et de David
l'urry. — Qu'il faut encourager les artistes fixés en province.
Paris, 2 juillet 1847.
Sous peu de jours, cher Victor, vous allez être tous réunis.
Théodore vient de traverser Paris pour vous rejoindre.
.le regrette qu'il n'ait pas pu trouver un instant pour aller
au cimetière du Pèrc-Lachaise. Le monument de Gobert est
18
274 DAVID D'ANGERS
totalement terminé. Il aurait pu te faire part de ses observations
sur cet ouvrage.
Le modèle de la statue de Casimir Delavigne est achevé. Je
vais m'occuper de finir la statue de David Purry. pour Neucliâtel,
en Suisse. J'espère bien que le mouleur pourra s'en emparer
avant la fin de ce mois, car je dois partir vers les premiers jours
d'août pour aller dans les Pyrénées, où je ne resterai que fort
peu de temps, afin de revenir reprendre mes travaux, et assister
aux jugements des concours de l'Académie.
J^es douze statues du monument de René d'Anjou vont être
fondues sous peu de jours.
Je ne me souviens pas si, dans la liste des personnes auxquel-
les je t'avais prié de donner une notice de la vie de Roland, j'a-
vais inscrit le nom de M. Renou. Je crois que c'est bien là le nom
de la personne qui a fait paraître quelques articles sur les arts
dans le Précurseur de V Ouest. A propos de ce rédacteur, dans un
de ses articles, il avait annoncé qu'il parlerait des jeunes statuai-
res angevins. C'était une très bonne idée à laquelle je serais
charmé de lui voir donner suite. C'est bien de stimuler les
jeunes artistes, espoir de notre cher pays ; il faut que
dans les provinces on cherche à encourager et à remonter le
moral des hommes qui consacrent leur existence à honorer leur
pays par la littérature ou les arts. Trop longtemps leurs conci-
toyens les ont étouffés sous le sarcasme, comme si le génie ne
pouvait pas se révéler en province tout aussi bien qu'à Paris !
Adieu, cher ami. Emilie et moi formons des vœux bien sin-
cères pour ta bonne famille, pour son bonheur et sa prospé-
rité.
A toi de cœur,
David d'Angers.
ColteclionPavie. — La statue de David Purry, bienfaiteur de la ville de
Neuchàtel, fut iaaugurée le 6 juillet 1835. {David d'Angers^ t. Il, p. 504.)
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 275
CGXXXIII
David à Victor Pavie.
Départ pour les Pyrénées. — Hélène David. — Le monument de René
d'Anjou. — Offre du modèle des douze statuettes au Musée d'anti-
quités d'Angers.
Paris, 14 août 1847.
Je puis enfin, cher ami, m'échapper de Paris. J'ai éprouvé
tant de fâcheux contre-temps que je doute encore que nous
puissions arriver sains et saufs à Baréges. Hélène est encore
malade au lit, mais il n'y a plus de danger, et, d'autre part, Emilie
est très souffrante. J'espère que le changement d'air lui fera du
bien. Nous partons donc demain matin tous les trois, sans notre
pauvre petite convalescente, qui a le cœur bien gros de notre
départ .
Tes caisses sont expédiées. Tu vas les recevoir sous peu.
Assiste à leur ouverture; car il y a les croquis des figures qui
décorent le monument du roi René que j'ai cloués en dedans
du couvercle de la caisse.
J'ai fait ajouter une certaine quantité de nouveaux médail-
lons qui ne sont même pas encore à Angers.
Le monument, complet pour la sculpture, de notre René, va
bientôt être expédié à Angers. M. de Quatrebarbes presse
beaucoup ce départ.
Je vais enfin pendant quelques jours respirer l'air des monta-
gnes et tâcher d'oublier, la tête près du ciel, toute la boue mo-
rale des villes. Sois sûr que toi et tes chers parents vous êtes
unis dans ma pensée au petit nombre d'êtres qui m'attachent à
une vie dure à supporter.
A toi de tout cœur,
David d'Angers.
P. S. — Je m'occuperai à mon retour de restaurer les mo-
dèles des petites statues du piédestal du roi René. Demande à
M. Godard s'il veut les placer dans son Musée; je les lui enver-
rais. Ce sont des personnages historiques de notre vieil Anjou.
Nous resterons â Baréges jus(ju'au 7 septembre, au plus lard.
276 DAVID D'ANGERS
Si tu avais à m'écrire, je serais heureux de recevoir de tes nou-
velles.
Collection Pavie. — M.'Godard-Faultrier, nommé dans le post-.sc7H2:)ium
de cette lettre, a fondé, il y a un demi-siècle, à Angers, un Musée archéolo-
gique dont il est demeuré jusqu'à ce jour le directeur zélé. Les modèles des
douze statuettes du monument de René d'Anjou, acceptés par M. Godard,
prirent place dans le Musée confié à ses soins.
CCXXXIV
David à "Victor Pavie.
Jules-Eugène Lenepveu, grand prix de Rome. — Projet d'une statue de la
Vierge pour la cathédrale d'Angers.
Paris, 30 septembre 1847.
Cher ami,
Cette lettre te sera remise par M. Lenepveu, bon et intéressant
jeune homme auquel j'ai été heureux de donner mon vote pour
le prix de Rome qu'il vient d'obtenir. Il y a un bel avenir dans
cet artiste, dont j'estime beaucoup le caractère.
A notre retour à Paris, nous avons reçu les lignes, si pleines
d'intérêt pour nous, que tu nous adressais. Merci mille fois,
cher ami. Elles m'ont fait beaucoup de bien. Des amis tels que
toi font sentir davantage le prix du miracle qui fait que nous
sommes encore de ce monde, qui, bien que fertile en doulou-
reuses émotions, offre cependant quelques compensations sous
le rapport du cœur.
Dans la lettre que tu m'as adressée à Baréges, tu me parles du
placement projeté de la statue de la Vierge dans un endroit qui
me paraît parfaitement convenable. Cependant, il y a bien long-
temps que je n'ai vu notre cathédrale, et je crains que mes sou-
venirs ne soient pas très précis. C'est à vous, qui êtes sur les
lieux, à décider cette question, et tes observations à cet égard
vaudront mille fois mieux qu'aucune autre.
Je vais m'occuper de terminer plusieurs ouvrages qui sont
commencés depuis longtemps, et ensuite je me donnerai entiè-
rement à l'exécution de nos statues de Saint-Maurice.
Adieu, cher ami, tout à toi de cœur,
David d'Angers.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 277
Collec/ionPavie. — A la suite de pourparlers entre Victor Pavic, man-
dataii'c de David, et l'évêque d'Angers, le maître devait sculpter, non plus
deux statues, mais ime seule, pour la cathédrale. C'est une F/erg-e que l'on
demandait à l'artiste d'exécuter afin de décorer l'autel du transept do
gauche.
cxxxv
Thoré à David.
Une fausse nouvelle.
Paris, 8 mars 1848.
Mon cher ami.
J'apprends avec joie, — mais est-ce bien sûr? — votre nomi-
nation aux beaux-arts. Yous représentez, mieux que personne,
l'art que nous avons toujours désiré, l'art républicain, l'art
populaire, l'art de l'avenir.
Votre nom est européen et fera rayonner en Europe l'art fran-
çais. Vos œuvres sont en Grèce, en Amérique, en Allemagne,
partout où une pensée généreuse a provoqué votre beau talent.
Les artistes seront heureux de vous avoir pour drapeau, en
avant de la République.
Fraternité,
T. Thoré.
Collection David d'Angers. — Théophile Thoré, plus connu sous le pseu-
donyme de W. Burgcr, ami du maître, avait reçu de lui son médaillon en
1847. (Musées d'Angers, p. 19a.) On veri'a par la lettre de David à Victor
Pavie, en date du 15 mars 1848, que notre artiste déclina l'honneur d'admi-
nistrer les Musées nationaux, de même qu'il refusa de prendre la Direction
des beaux-arts au Ministère de l'Intérieur.
CGXXXVI
David à Victbr Pavie.
La révolution de Février, — Le maître est nommé maire du XI" arrondis-
sement. — Il refuse la charge de Directeur des Musées nationaux.
Paris, 1.") mars IS4S.
Cher ami.
Ces quelques lignes sont écrites pour te prouver qu'au milieu
278 DAVID D'ANGERS
des innombrables difficultés qui viennent m'assaillir de toutes
parts, ton cher souvenir m'est toujours présent.
J'ai assisté au plus grand, au plus noble spectacle qu'il soit
donné à l'homme de voir, pendant les trois journées révolution-
naires. Nuit et jour je n'ai pas quitté les barricades, et je suis
plein d'admiration pour ce grand et sublime peuple se présen-
tant la poitrine nue devant des masses innombrables de baïon-
nettes, poussé seulement par cet instinct de la sainte liberté.
Qu'ils sont grands, ces généreux républicains! Et comme il fallait
que ce sentiment fût profondément imprimé dans les âmes
pour qu'il mît en mouvement toute cette masse d'hommes !
A trois heures du matin, lorsque les barricades étaient encore
toutes fumantes de poudre et teintes d'un sang généreux, je
m'étais couché tout habillé afin de prendre quelques instants de
repos. Plusieurs citoyens vinrent m'annoncer qu'on m'avait
nommé maire, et au même instant un exprès m'apporta ma no-
mination de Directeur des Musées nationaux. Je répondis aus-
sitôt que je refusais cette place, et je me rendis à mon poste de
maire. Depuis, j'ai refusé deux fois d'être chargé de la direction
des arts au Ministère de l'Intérieur. Je crois qu'en acceptant le
poste périlleux de maire j'ai été utile, car le peuple me connaît,
et j'ai empêché des malheurs inévitables dans les circonstances
que nous traversons et où toutes les passions sont en lutte.
Il y a deux jours que j'ai reçu une lettre du maire de Dun-
kerque qui m'annonçait qu'une rue, à laquelle on avait autrefois
donné le nom de rue de Chartres, portait actuellement celui
de David d'Angers. J'en ai été d'autant plus heureux que le nom
de notre chère cité, qui déjà parcourt les mers gravé sur la proue
d'un vaisseau, se trouve aujourd'hui inscrit sur les murs d'une
ville française.
Tout marche bien à Paris. On commence à comprendre que
le gouvernement républicain est désormais possible. Les partis
se rendent compte que la République peut soulever la tempête
et aussi la calmer Toutefois, le calme ne peut pas se mani-
fester immédiatement après une commotion aussi grandiose.
Quand un vaisseau va sombrer, s'il s'en trouve un qui recueille
les passagers et leurs bagages, il doit nécessairement exister, sur
le navire sauveur, un très grand désordre, mais avec un peu de
tems chacun retrouvera sa case et l'ordre renaîtra.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 279
Adieu, mou cher Victor, embrasse pour moi tous ceux qui te
sont chers et crois-moi toujours à toi de cœur,
David d'Angers.
P. S. — Depuis la Révolution, je n'ai pas remis le pied dans
mon atelier. Avant d'être artiste, il faut être citoyen. Voilà ma
devise.
Viendras-tu voir notre exposition? J'ai gagné le procès de la
liberté des Salons avec l'aide de coups de fusil.
Vive la République !
Collection Pavie. — Le XI" aiTondisscment est aujourd'hui le VI% avec
diverses modifications dans son porimètre. La mairie où David siégea est
située rue Garancière, n" 8.
GGXXXVII
David à Victor Pavie.
Que l'artiste doit céder le pas au citoyen. — Les élections à Paris.
Paris, 1"' mai 1848.
Cher ami,
J'ai reçu avec bien du plaisir ta bonne lettre.
J'ai été heureux de connaître par toi l'expression vivante du
cœur angevin.
Me voilà donc appelé à assister à la fondation do ce grand et
généreux gouvernement, qui ne pouvait être imposé au monde
que par la France : elle, le cerveau du monde I
Je ne me suis jamais dissimulé quel sacrifice je m'imposais en
acceptant ce mandat. Me voilà éloigné momentanément de mon
cher atelier, de mes grands, si grands et si beaux modèles, quand
on ne les voit ({u'à travers l'auréole de leur gloire. Mais j'ai tou-
jours pensé qu'avant d'être artiste, il fallait être citoyen. Et tout
homme qui penserait différemment serait un lâche.
J'ai eu à Paris près de quatre-vingt mille voix. Certes, c'est
une minorité extrêmement honorable. Tout le monde est per-
suadé que si j'eusse voulu faire comme les autres candidats: ré-
pandre à profusion des professions de foi, j'aurais pu être nommé
280 DAVID D'ANGERS
à Paris, Je suis très heureux de ne pas avoir employé des moyens
qui ne conviennent nullement à mon caractère.
Adieu, cher ami; embrasse pour moi ton bon et cher père, mon
vieil et constant ami.
A toi de cœur,
DAvm d'Angers.
Collection Pavie.
GGXXXYIII
David à Victor Pavie.
Le maître fait l'abandon de son indemnité de représentant du peuple
à des œuvres de bienfaisance.
Paris, 28 juillet 1848.
Cher ami,
J'ai déjà offert, en dons patriotiques, mes deux premiers mois
d'indemnité de représentant. Je viens d'annoncer à Bordillon
que j'allais lui envoyer le montant de ce mois en le chargeant
de l'offrir de ma part au bureau de bienfaisance d'Angers.
La confiance reprend d'une manière vraiment remarquable
ici ; tout porte à croire que nos mauvais jours sont passés, et que
notre belle patrie pourra jouir avec calme des bienfaits que la
République peut seule donner à l'humanité.
Soyez heureux, mes amis, et crois-moi toujours à toi de cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie. — David avait été élu représentant de Maine-et-Loire, par
72,597 voix, aux élections du 23 avril 1848. {David d'Angers, etc., t. I,p. 433.)
GGXXXIX
David à Victor Pavie.
L'Anjou. — L'amitié. — Le devoir. — Robert David. — Divergence
d'opinions entre Victor Hugo et David.
Taris,... août 1848.
Mon cher Victor,
Ma famille va enfin passer quelque temps dans notre cher
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 281
Anjou. Elle va jouir de notre beau ciel et continuer ces bons en-
tretiens si rares malheureusement depuis bien des années. Pour
moi, me voilà soudé à mon poste comme un soldat en faction
dans une ville de guerre. Si l'amitié me dit tout ce que je perds
de douces émotions, le patriotisme me dit aussi avec son langage
sévère : « Tu dois faire ton devoir avant tout », et je me résigne
avec courage. Les courts instants que nous passons dans cette
triste vie ne doivent jamais être dépensés à satisfaire notre
égoïsme.
Je désire beaucoup qu'Emilie passe le plus de tems possible
auprès de toi ; quand elle sera de retour, je t'entendrai par sa
bouche. Fais voir à mon Robert le plus que tu pourras de notre
ville. Je désire qu'il l'aime autant que je l'aime. Parle à ce cher
enfant comme à un homme : il est fait pour t'entendrc.
J'ai dit à Hugo qu'Émihe partait pour l'Anjou avec ses enfants.
Il m'a chargé de te faire dire toutes choses aimables de sa part.
Sa conduite politique m'afflige beaucoup. Comment le génie
peut-il s'amoindrir ainsi, et le cœur ne pas battre pour la
patrie, réveillée par quelque chose d'aussi grand que ce qui se
passe sous nos yeux?
Adieu, soyez tous heureux, et crois-moi toujours à toi de tout
cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie.
CCXL
David à Madame Geoffroy Saint-Hilaire.
Lo maitre abandonne son indemnité de représentant à l'OEuvre
des Crèches.
Pai-is, 5 octobi'e 1848.
Madame,
Permettez-moi do vous offrir un mois do mon traitement de
représentant pour la Crèche dont vous êtes présidente. Permet-
tez-moi aussi de vous exprimer toute ma^ reconnaissance pour
la noble tâche que vous poursuivez avec tant de zèle en
venant ainsi en aide à de pauvres mères et à de petits êtres si
282 DAVID D'ANGERS
intéressants par leur faiblesse même. Vous leur léguez, Madame,
un titre à vous bénir. Puissent-ils plus tard, inspirés par un tel
exemple, comprendre que notre mission sur la terre doit être
toute fraternelle!
Veuillez agréer, Madame, l'assurance de mon respectueux dé-
vouement.
David d'Angers.
A cette lettre est jointe la quittance à souche ci-après :
N» 215. — Le 10 octobre 1848, il a été payé par M. David
d'Angers et enregistré en recette sous le numéro ci-contre du
livre à souche, en même temps qu'au compte-journal, la somme
de sept cent quarante-cinq francs, que M"'« Geoffroy de Saint-
Hilaire a remis au trésorier p"" la Crèche du 12^.
Le Receveur,
OUDOT.
Collection Geoffroy Saînt-Hilaire.
GCXLI
M™^ Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.
Remerciements au nom de l'OEuvre des Crèches.
Paris, jeudi à midi, 5 octobre 1848.
Je n'ai pu, Monsieur, répondre que par mon émotion à Madame
David, quand elle m'a remis votre don magnifique pour nos
crèches. Cependant, dussé-je, sous l'impression de la vive sensi-
bilité que j'éprouve, vous offrir trop incomplètement ma recon-
naissance, je cède au besoin de vous l'exprimer dès ce moment.
En recevant de vous, Monsieur, ce secours pour nos pauvres
petits enfants, j'ai versé de douces larmes. Mais je sens^, sans
m'en accuser, qu'elles ne coulaient pas seulement à la pensée du
bienfait qui venait ainsi trouver ces innocentes créatures dans
leurs berceaux si dénués. Elles coulaient encore à la pensée,
dont mon cœur jouissait, dans ses sentiments pour vous : à celle
qui montre, par une noble exception, le génie se préoccupant
des souffrances du pauvre, et descendant, de sa sphère élevée,
aux détails les plus touchants de la bienfaisance !
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 283
Je suis déjà unie bien profondément, Monsieur, à la gratitude
que vous portera l'œuvre des Crèches du XII" arrondissement ;
mais je vous en dois une toute particulière pour le bonliour
d'être la distributrice de vos si larges charités : sentant bien,
dans toute Ihumilité de mon peu de valeur, que les leçons
données à nos jeunes générations leur arriveront par les exemples
de nos grands citoyens, comme aussi par le souvenir des belles
actions transmises à la postérité par le ciseau de l'homme de
cœur et de génie dont je bénis le nom, sans le tracer ici.
Agréez, Monsieur, tous mes sentiments, et veuillez qu'en les
adressant je ne sépare pas de vous M"^ David, que j'ai
embrassée ce matin dans une effusion bien sincère.
P. Geoffroy Saim-Hilaire.
Collection David d'Angers.
GCXLII
David à Victor Pavie.
Désintéressement du maître. — Abandon de son indemnité de représentant
aux bureaux de bienfaisance. — Variétés littéraires.
Paris, 26 octobre 1848.
Cher Victor,
Il y a quelque temps déjà que j'ai envoyé un mois de mon
traitement de représentant à la salle d'asile d'Angers. L'indem-
nité de ce mois-ci va parvenir aux bureaux de bienfaisance de
notre ville. Durant tout le tems que je serai à la représentation,
je veux, comme par le passé, que mon indemnité soit versée aux
bureaux de bienfaisance. En agissant ainsi, je rentrerai dans
mon atelier sans devoir un seul denier à la République, que j'ai
toujours aimée et servie avec un désintéressement que je con-
sidère comme mon devoir, mais dont peu de personnes connaî-
tront toute l'étendue.
Si tu peux te procurer le Courrier ou la Réforme du 18 août
18i8, tu liras un article que j'ai fait paraître sur l'Arc de triomphe
de l'Étoile.
J'espère bientôt t'envoyer deux Almanachs dans lesquels j'ai
284 DAVID D'ANGERS
fait paraître deux articles, l'un sur David, le peintre révolution-
naire, l'autre sur un Factionnaire oublié par ses camarades.
Il y a un certain tems, on m'avait écrit d'Angers pour me de-
mander quelques articles pour une Revue mensuelle; je n'en ai
plus entendu parler. Est-ce qu'une publication littéraire ne pour-
rait pas être entreprise de nouveau ? Y aurait-il trop d'apathie
dans notre cher Anjou?
Adieu, ami, soyez toujours heureux.
A toi de cœur,
David d'Angers.
Collection Pavîe. — Le statuaire a laissé sur Louis David, le peintre,
diverses études. Une notice assez étendue, dont le manuscrit autographe
avait été offert à Victor Pavie, a été reproduite dans l'ouvrage David cV An-
gers, etc., t. If, pp. 162-166.
CGXLIII
David à Victor Pavie.
Le maître abandonne la vie politique. — Lamartine, Victor Hugo, Lamen-
nais à la Constituante. — Souvenir de Platon. — Les OEuvres d'Aloysius
Bertrand .
Paris, 7 juin 1849.
Je suis bien en retard, mon cher Victor, pour répondre aux
lettres que j'ai reçues de toi, et qui me rendent bien heureux^
sois en certain, car personne n'apprécie mieux que moi toute la
puissance et la sincérité de ton amitié pour moi; et si ma réponse
est si tardive, ce n'est pas faute de penser à toi, mais le torrent
d'affaires que tu comprends fort bien est mon excuse.
Enfin, je viens de rentrer dans mon atelier; j'ai besoin de
vivre avec de vrais grands hommes.
Deux poètes de génie siègent sur les bancs de l'Assemblée natio-
nale, mais sans comprendre ni l'un ni l'autre la haute mission
qui leur était assignée. L'un, élevé dans des idées de vaine gran-
deur, n'a pas assez d'émotion dans le cœur pour la sainte cause
du peuple, et alors il ne peut entrer profondément dans les en-
trailles de notre société haletante. C'est un sublime naturaliste
qui décrit ce qu'il voit avec son génie poétique; mais encore une
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 285
fois, le cœur chez lui n'est pas impressionné. Selon moi, une
phrase de Tun de ses ouvrages (les Confidences) le fait parfaite-
ment bien comprendre et peint tout l'homme ; c'est lorsqu'à
propos de cette Napolitaine qui l'aimait jusqu'à mourir pour lui,
il dit : (( J'étais le miroir dans lequel venaient se refléter les
rayons brûlants de l'àme ardente de cette jeune fille, mais je ne
faisais que les refléter... »
Au moins cette haute intelligence a toujours eu do nobles
accents. Jamais la bassesse et le sensualisme ne l'ont effleurée;
mais encore cette distinction de sentimens ne s'accentue que
trop par le luxe des voitures, des valets, et c'est, selon moi, mal
comprendre la véritable noblesse.
L'autre, d'une nature plus sensuelle, ne sait pas s'élever au-
dessus de la vanité bourgeoise. Il tient plus à ce titre de comte,
que Napoléon jetait volontiers, avec dédain, à ses soldats, qu'au
don si rare, si précieux, que la nature a déposé en lui avec tant
de générosité. Son ambition va jusqu'à l'habit de pair, et il
déserte cette grande cause populaire qui devrait être la sienne,
puisqu'il est, somme toute, un enfant du peuple. Quand on voit
son appartement, on est saisi par cette pensée que celui qui
s'entoure des vieilles défroques des siècles passés est incapable de
saisir ce qu'il y a de grand, de sublime, dans l'époque à laquelle
nous appartenons; notre temps est la réalité : le passé est une
ombre.
Depuis une année, j'ai profondément gémi sur ces deux
hommes. J'ai souffert pour leur gloire seulement, car la Révolu-
tion qui va changer la face du vieux monde est un de ces faits
trop puissants, trop en harmonie avec les aspirations des sociétés
modernes pour que son sort dépende de la résistance ou de
l'appui de quelques hommes. On a pu, je le reconnais, opposer
pendant quelques années une digue au torrent, mais le torrent
franchira la digue; il entraînera toutes les barrières.
Platon avait bien raison d'exclure de sa république les poètes
et les artistes; ils ne sont bons, le plus souvent, qu'à être les
valets des rois.
M. de Lamennais n'a pas manqué à sa noble mission évangé-
lique. Il est toujours le véritable apôtre de la cause du peuple;
c'est là, selon moi, la religion pratique et en rapport avec la
dignité humaine. Mille fois honneur à cette àme d'éUte !
286 DAVID D'ANGERS
Pourrais-tu, cher ami, me trouver à acheter les OEuvres de
Bertrand ? J'avais prêté mon exemplaire à Lamartine; tu conçois
qu'il est perdu, et cependant je voudrais en avoir un.
Adieu, soyez heureux et pensez quelquefois à nous, qui ne
vous oublierons Jamais.
Tout à toi de cœur,
DAvm d'Angers.
Collection Pavie.
CGXLIV
David à Victor Pavie.
Rêverie. — Le pic du Midi. — Le prêtre géologue. — Henri de Nerbonne.
Paris. 23 novembre 1849.
Cher Victor,
Me voilà tout à fait immergé dans les brouillards parisiens,
pensant aux choses admirables que j'ai vues, si émouvantes, que
mon âme les perçoit encore, malgré l'effrayant contraste que j'ai
continuellement sous les yeux. Ainsi, lorsque la nuit je fume
mon cigare sur ma terrasse, les nuages blancs qui s'accumulent
à l'horizon me font songer aux Pyrénées; les tuyaux de chemi-
née me produisent l'effet de mâts de vaisseaux, et de la sorte,
durant quelques minutes, de douces illusions viennent me con-
soler. Bientôt la neige va blanchir les toits, mais je ne retrou-
verai pas la saisissante impression que j'ai gardée d'un lever du
soleil, que j'ai attendu pendant toute une nuit sur le pic du
Midi^ au milieu d'une neige éternelle.
J'ai fait une rencontre dans les Pyrénées, en allant à Gavarnie,
dont je ne perdrai jamais le souvenir. C'est celle d'un prêtre
que j'avais aperçu à une grande profondeur, près d'un torrent.
Il était accompagné de deux jeunes ecclésiastiques. Cet homme
est un savant géologue, qui ne craint pas d'affaiblir sa foi reli-
gieuse s'il constate, en lisant dans le grand livre de la nature,
que le globe est plus ancien qu'on ne l'a cru généralement, et
qu'il y a eu plusieurs déluges... 11 ne craint pas de contempler
l'univers et de réchauffer son cœur à ce grand spectacle.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 287
Je regrette bien que les trop courts instants passés avec lui
doivent être probablement les seuls qu'il me soit permis d'es-
pérer.
L'Espagne, cher ami, est un pays qu'il faut visiter. C'est le
grandiose dans sa plus saisissante expression. Là, comme par
toute l'Europe, il se fait un mouvement intellectuel qui partici-
pera énergiquement au grand mouvement que l'humanité se
prépare à effectuer.
Les regrets que tu exprimes sur la perte de Nerbonne doivent
être légitimes, car s'il a conquis l'affection d'un homme tel que
toi, il faut bien qu'il l'ait méritée. Quant à moi, je ne le connais-
sais pas assez pour me faire une idée bien juste de sa valeur.
Adieu, cher ami, rappelle Emilie au bon souvenir de
M'"'=Pavic; ne nous oublie pas auprès de tes bons parents, et
aime-moi comme je t'aime.
A toi de cœur,
DAvm d'Angers.
Collection Pavie.
GGXLV
David à Victor Pavie.
Les bas-reliefs du monument de Larrey. — La statue de Gerbert. —
Bernardin de Saint-Pierre. — François Grille.
Paris, 11 avril 1850.
Mon cher Victor,
Je ne sais comment m'excuser du long retard que j'ai mis à
l'écrire. Chaque jour, je me fais d'amers reproches de cette ap-
parente négligence, puis les heures, les mois s'écoulent, et mon
tort devient plus grand. Ce n'est certainement pas faute dépen-
ser à toi, car il n'est pas de jour que je ne te fasse dans mon
cœur, dans mon esprit, de longues lettres qui, comme de juste,
ma paresse aidant, restent dans le néant ou vont se perdre au
milieu du chaos des occupations qui viennent m'assaillir.
Emilie et Robert sont allés durant les vacances de Pâques à
Londres. Le pauvre garçon a été horriblement malade .sur mer.
288 DAVID D'ANGERS
A l'entendre, il ne veut plus mettre le pied sur un bâtiment,
mais à la première occasion... Selon toutes probabilités, il aura
la joie de passer quelques jours auprès de toi dans notre cher
Anjou.
Je suis actuellement occupé à terminer le dernier bas-relief
du piédestal de la statue de Larrey. Malheureusement, je me vois
forcé de suspendre pendant quelque temps ce travail, par suite
de douleurs rhumatismales qui me font beaucoup souffrir. Lors-
que le fondeur aura terminé, j'enverrai les modèles à Angers.
Les sujets de ces bas-reliefs sont : la Bataille des Pyramides,
le Passage de la Bérésina, la Bataille d'Austerlitz et celle de
Sommo-Sierra. Partout le courageux chirurgien est représenté
pansant les blessés sous le feu des combattants. Ce travail m'a
intéressé : c'est la vie, le mouvement, et cela aurait pu prêter au
pittoresque plastique.
Après ce monument terminé, je reprendrai Gerbert, qui gémit
depuis plusieurs années, engourdi sous les linges mouillés
comnie un enfant dans de vieux langes. Puis viendra enfin le
tour de mon cher Bernardin de Saint-Pierre, celui qui me
tenait le plus au cœur, et celui qu'une fatalité ajourne toujours!
Adieu, cher ami. A toi de cœur,
David d'Angers.
P. S. — Je viens de lire avec un bien vif intérêt l'ouvrage que
Grille a publié sur le Premier bataillon de Mayenne-et-Loire .
Collection Pavie. — Le monument de Gerbert, pape sous le nom de
Sylvestre II, érigé à Aurillac, a été inauguré le 16 octobre 18S1. (Musées
d'Angers, pp. 117-118. David cV Angers, etc., t. I, pp. 450-453, 503, 521; t. II,
pp. 505-50G.) 11 est parlé précédemment du livre de François Grille auquel
fait allusion David.
GCXLVI
David à Victor Pavie.
Robert David. — Le monument de Gerbert. — Bernardin de Saint-Pierre.
— Souvenirs de 1811. — Histoire anecdotique d'une statue. — La veuve
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 289
de Bernardin de Saint-Pierre dans l'atelier du maître. — Le Musée David
à la lumière nocturne. — Gheverus. — Mathieu de Dombasle.
Paris, 12 août 1850,
Cher ami,
Je ne puis laisser partir Emilie sans lui donner cette lettre
pour toi ; c'est un souvenir que je suis toujours heureux de te
faire parvenir, et c'est aussi un remerciement pour la lettre que
j'ai reçue de toi il y a peu de jours. Ma famille va donc avoir le
bonheur de voir notre bien-aimé pays, notre chère « Capoue
moderne ». Robert va jouir du benedetlo far niente. Dis-lui, je
t'en prie, et souvent, qu'il ne faut pas qu'il s'endorme trop
longtemps dans les douceurs amollissantes delà vie; qu'il pense
à choisir une profession, à acquérir de la gloire, si cela est pos-
sible, ou tout au moins à se rendre indépendant (par son talent)
des circonstances qui peuvent lui ravir sa fortune. On entrevoit
à l'horizon des nuages précurseurs des tempêtes.
On moule actuellement deux statues dont je viens de terminer
le modèle : celle de Gerbert (Silvestre II) et celle de mon cher
Bernardin de Saint-Pierre. J'éprouvais des transes mortelles, tant
je craignais de ne pouvoir faire cet ouvrage. Lorsque je reçus à
l'Institut ma couronne pour le prix de Rome, l'illustre vieillard
était présent. Je ne puis rendre l'émotion que je ressentis en
voyant l'homme dont les ouvrages m'avaient si souvent exalté.
Au cours de mes nuits studieuses, lorsque j'habitais la rue des
Gordiers, près du Panthéon, s'il advenait que la fatigue et le
sommeil fussent sur le point de triompher de mon couragC;, je
lisais quelques pages de Paul et Virginie ou bien à.'Atala. Des
larmes abondantes inondaient mon visage, et la réaction était
produite. Je me remettais à l'ouvrage. En voyant Bernardin de
Saint-Pierre témoin de mon triomphe, auquel il avait si puissam-
ment coopéré par son chef-d'œuvre, je me suis promis d'élever
un monument à cet homme. J'ai fait de même pour Chateau-
briand. A la vérité, je ne lui ai offert qu'un buste; en revanche,
mes ressources pécuniaires m'ont permis de faire cette offre sans
le secours d'autrui. Quant à la statue de Bernardin de Saint-Pierre,
les frais du bronze étant considérables, j'ai dû avoir recours aux
Havrais, auxquels je proposai ma composition à titre gratuit.
Mais comment dirai-je toutes les lettres, les démarches qu'il m'a
fallu faire depuis 18i!2, pour obtenir cette faveur qu'on m'accorde
19
290 DAVID D'ANGERS
enfin! C'est quelque chose d'inouï. On avait ouvert une sous-
cription qui n'a presque rien produit. C'est alors que des amis à
moi, fixés au Havre, m'appelèrent, et je fus conduit par eux chez
leurs compatriotes millionnaires. Là, nous étions obligés de
faire antichambre ; puis on nous accordait un moment d'au-
dience; à grand'peine recevais-je l'accueil que l'on fait à un im-
portun. On me répétait : « La ville est engagée dans des opéra-
tions importantes. Bernardin de Saint-Pierre était, sans doute,
un bon écrivain, mais il n'a laissé qu'un petit volume qu'on lit
avec quelque plaisir, à la vérité, Paul et Virginie, mais encore
une fois, il paraît difficile de réaliser une somme convenable
pour lui élever un monument. Ne serait-il pas plus opportun
d'élever une statue à François I"?.. » Et je m'en revenais à
Paris l'âme brisée.
Enfin, Casimir Delavigne mort, mon ami Corbière (l'auteur
des Romans maritimes) me dit : (( Offre-leur le modèle de Casi-
mir, et Bernardin passera par-dessus le marché. »
J'ai suivi son conseil, et l'affaire est actuellement conclue. Il ne
faut pas cependant croire que la souscription relative à la statue
de Delavigne ait produit une somme énorme. En dépit de l'en-
thousiasme que le poète avait inspiré par son libérahsme
« bâtard » aux armateurs, ses compatriotes, c'est à peine si les
fonds recueillis ont suffi à payer maigrement le fondeur. Mais
qu'importe? Je pouvais me mettre à l'œuvre pour la seconde sta-
tue; c'était l'essentiel. Un jour que la veuve de l'auteur des
Études de la Nature vint me voir, elle me dit : « Je sais tout ce
que vous faites pour la mémoire de Bernardin de Saint-Pierre,
permettez que je vous remette ces six billets de mille francs; ce
n'est pas un paiement, je le sais, mais cela vous aidera toujours
à couvrir vos premiers frais. » Je n'acceptai pas ses billets, la
priant de les faire parvenir au maire du Havre pour qu'ils
fussent employés aux dépenses de la fonte. Elle se rendit à mon
observation. Je lui fis voir alors mon modèle, qui l'émut vive-
ment. Un mois après, elle était morte. La pauvre femme était
tellement malade lorsqu'elle vint me voir, qu'elle s'était fait
porter de sa voiture à mon atelier.
As-tu jamais eu la pensée d'aller voir notre Musée la nuit,
lorsque la lune y répand sa clarté? Ce doit être d'un effet curieux.
Tous ces portraits de grands hommes, cette immobilité plastique
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 291
de tant de gloires, sur un seul point de notre Anjou, sont de
nature à frapper l'imagination.
Une nuit, je me suis avisé de recueillir dans mon atelier les
impressions que faisait naître en moi la statue do mon petit
Barra, éclairée par les rayons lunaires. Si je l'ose, un jour, je
t'enverrai ce manuscrit et quelques autres qui te sont destinés et
que j'ai rédigés sous forme do lettres. Je pense souvent à toi,
cher ami; il n'y a pas un de mes ouvrages qui n'ait été créé à
travers ton souvenir. Tant que mon cœur battra dans ma poi-
trine, ses plus chères préoccupations seront toujours pour toi.
Dis donc, pourquoi n'as-tu pas assisté à l'inauguration de la
statue de Ghcverus? Le caractère de ce prêtre devait être compris
par toi, car il était tolérant et plein de charité pour la pauvre et
infirme humanité. Il a bien fallu, d'ailleurs, qu'il m'apparût
sous cet aspect, car je choisis mes héros !
Vers les premiers jours de septembre, on va inaugurer à
Nancy la statue de Mathieu de Dombasle, La charrue y apparaî-
tra sur un piédestal auprès de l'agronome. Je ne ferai jamais la
statue d'un industriel; ce sont les gens de négoce qui cor-
rompent et démoralisent les nations. Quand les Romains ont
abandonné la charrue pour se livrer au commerce, ils ont eu des
empereurs, des maîtres.
Présente mes respectueux hommages à Madame Pavie et crois
toujours à tous mes sentiments de cœur et d'àme pour toi.
David d'Angers.
Collection Pavie. — Il est longuement parlé des veilles du maître, durant
ses années d'études, dans l'ouvrage David d'Angers, etc., t. I, pp. 42-45.
La visite de la veuve de Bernardin de Saint-Pierre à l'atelier de David eut
lieu en novembre 1847. On sait que M'"" Bernardin de Saint-Pierre, veuve
en 1814, avait épousé en secondes noces Aimé Martin, le fidèle disci-
ple de l'auteur de Pf«<^ et Virginie. Aimé Martin mourut le 22 juin 1847,
M""= Aimé Martin ne survécut à son mari que quelques mois. Elle suc-
comba au mois de novembre de la même année. Au moment où nous
reporte David, M«"= Aimé Martin, veuve pour la seconde fois, redevient,
au.Y yeux du statuaire, la femme de Bernardin de Saint-Pierre, dont elle ne
cessa d'ailleurs d'honorer la mémoire, secondée dans cette tâche par le
zélé de son second mari. La séance à laquelle David reçut le grand prix do
Rome en présence de l'Institut et sous les yeux do Bernardin de Saint-
Pierre eut lieu le ii octobre 1811. Le secrétaire perpétuel donna lecture, au
cours de cette réunion, de l'éloge de Cliandct.
292 DAVID D'ANGERS
GGXLVII
David à Victor Pavie.
La Sainte Cécile. — Appel d'ami.
Paris, 12 décembre 1850.
Je te remercie beaucoup, mon cher Victor, de m'avoir fait
connaître sans retard le résultat heureux de ta négociation en
faveur de ma pauvre Sainte Cécile. Enfin, elle rentrera donc dans
son sanctuaire, celui qui lui avait été destiné avec tant d'accord,
et même avec un certain enthousiasme, si J'ai bonne mémoire.
De mon vivant, du moins, je n'essuierai pas un affront si cruel.
Emilie m'a dit que tu avais l'intention de venir à Paris avec
]y[rae Pavie pour y passer quelques jours. Nous retirerons le sinet
du livre, ce livre de causeries intimes que j'aime tant à lire avec
toi ; nous reprendrons les premiers chapitres, où il y a tant de
pages douces à mon cœur, par leurs souvenirs.
Adieu. Mille bonheurs à vous tous.
A toi de tout cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie. — La négociation heureusement conduite par l'ami du
maître eut pour objet de faire réintégrer dans le chœur de la cathédrale
d'Angers la statue de sainte Cécile, momentanément privée de la place
qu'elle occupait, par suite d'aménagements intérieurs.
GGXLYIII
David à Victor Pavie.
L'air natal. — Pressentiments. — L'inauguration du Gerbert. — La statue
de Drouot. — Deuxième statue de Bichat. — Beaurepaire.
Paris, 12 août 1851.
Gher ami,
Ges quelques mots de souvenir vont t'être remis par Emilie et
nos enfants. Ils vont respirer ce bon air de notre cher pays que
j'aimerais tant respirer moi-même et qui me ferait tant de bien
au cœur. Ils vont enfin pouvoir passer quelques instants auprès
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 293
de toi et de M™= Victor; ils verront tes enfants, que je voudrais
serrer contre mon cœur avant de quitter la vie. A son retour,
tout mon monde me rapportera vos souvenirs. Ce n'est pas évi-
demment tout ce que je souhaiterais, mais il me faut prendre
patience. Un jour peut-être je vous irai voir chez vous ; mais,
hélas ! alors mes pas traînants, comme ceux d'un homme qui
approche de la tombe, en raison de l'amitié que tu me portes,
éveilleront chez toi de tristes pensées. 11 en sera ce que la Provi-
dence décidera.
Je viens de terminer le dernier des trois grands bas-reliefs
qui doivent décorer le piédestal du Gerbert. L'inauguration du
monument aura lieu dans le mois d'octobre.
La statue de Drouot est presque achevée, et j'ai composé celle
de Bichat, qui doit décorer la cour de l'École de médecine; je ne
te parle pas de la composition, car je crois que tu la connais. Je
ferai cette statue cet hiver, ainsi que celle de Beaurcpaire. Nous
verrons si nos compatriotes auront assez d'énergie pour élever
un monument à un homme qui a laissé un si noble exemple de
patriotisme.
Adieu, cher ami. A toi de tout cœur,
David d'Angers.
CollecLlon Pavie. — La statue de Bichat, destinée à l'Ecole de médecine
de Paris, fut esquissée en 1851. David, entravé par l'exil et la maladie, ne
put donner ses soins comme il l'eût souhaité à l'exécution du modèle défi-
nitif. Fondue à l'aide du produit d'une souscription nationale, la statue
de Bichat fut inaugurée plus d'une année après la mort du statuaire, le
16 juillet 1837. {Musées d'Angers, pp. 118-119.)
GGXLIX
David à sa femme.
Le coup d'État.
Du dépôt de la Préfecture. Pistole n' 7.
Mardi. 0 décembre 1S5I.
Chère amie.
Je suis à la Préfecture de police.
Je vous embrasse tous. A toi de cœur,
Pierre-Jean David d'Angers.
Colleclion David d'Anrjcrs.
294 DAVID D'ANGERS
GGL
David à son fils Robert.
La carrière médicale. — Les joies de la famille. — Antoine de Potter.
Bruxelles, 24 février 1852.
Je désire beaucoup, mon cher Robert, que cette lettre te
trouve en bonne santé, car tu as besoin de santé pour tes études.
Je crois, d'après ce que je lis dans les journaux, que les jours
gras doivent être très bruyants à Paris. Ici, ils sont presque nuls;
nos bons Belges s'agitent beaucoup comme des pots de bière
qui se heurtent. Ils n'ont pas comme nous autres Gaulois cette
furia qui nous ferait danser sur le bord d'un précipice.
Ma santé est assez bonne, malgré quelques malaises qui me
font craindre ou la grippe ou un rhume^ mais ce n'est pas de
longue durée, et j'en suis très heureux, car notre providentielle
Thérèse n'est pas là pour me donner ses bons soins. Je pense
que tous ces malaises sont la conséquence de mon rhumatisme
qui me tourmente continuellement, et qui est ravivé par l'humi-
dité incessante de ce maudit pays, bien nommé Pays bas.
Quand je vois mon ancien collègue, M. Laussedat, s'être fait
une position ici, par sa profession de médecin, je m'applaudis dé
ta résolution de suivre cette carrière. Elle offre une puissante
ressource au milieu des tourmentes politiques, et l'on y peut
conquérir un brillant avenir.
Sois bien docile envers ta bonne mère ; prodigue-lui tous tes
soins, toute ton affection. L'avenir te convaincra que nous n'a-
vons pas d'amie plus tendre, plus désintéressée que notre mère.
C'est le don le plus précieux du ciel, et je pleure quelquefois bien
amèrement; lorsque je me souviens que, sans y prendre garde,
j'ai pu causer à la mienne quelques chagrins par mon irrita-
bilité. Sois également bon avec ta sœur : c'est encore une amie
qui ne te fera pas défaut, tandis que les autres t'abandonneront,
si le sort te devient contraire, car le bonheur est aveugle et
changeant sur cette terre de continuelle misère.
J'attends avec une grande impatience l'instant de me réunir à
vous, mes bons amis. Il n'y a de vrai au monde que les joies
de la famille.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 295
La famille de Potter pense à toi et s'est vivement intéressée à
ta santé. Elle a été heureuse d'apprendre que ton indisposition
n'avait pas eu de suite. Eleuther est un charmant garçon que
j'aime beaucoup; il est très studieux, et, la nature aidant, il
pourra devenir un homme de talent.
Adieu, mon cher Robert, je t'embrasse de tout mon cœur.
Tout à toi,
David d'Angers.
Collection David d'Angers. — Cette lettre, datée de Bruxelles, est la pre-
mière que le maître ait adressée à son iils, après la sentence d'exil portée
contre lui, au lendemain du coup d'État. Aimé Laussedat, nommé ici,
avait été frappé comme David de la peine du bannissement. Établi à
Bruxelles, Laussedat fonda dans cette ville le journal Y Art médical, et fut
élu associé de l'Académie de médecine de Belgique. Il est parlé plus haut
d'Antoine de Potter, dans le commentaire d'une lettre de septembre 1837.
On peut consulter, sur l'exil du statuaire, l'ouvrage David d'Angers,
etc., t. I, pp. 433-486.
GGLI
David à Victor Pavie.
Hemling. — Yan Eyck. — Rubens. — Le peuple belge. — Voix d'en-
fants. — Les monuments gothiques. — Ostende. — Du peu de durée de
la gloire. — Le buste de La Fayette. — Naufrage du David d'Angers. — •
Projet de déplacement du fronton du Panthéon.
Bruges, 20 mars 1852.
Bon et cher ami.
Ta première lettre m'a été remise en prison ; c'était un rayon
de soleil traversant les barres de fer de mon cachot; ta dernière
me parvient dans ma nouvelle prison de l'exil; car, comme
disait Danton, on n'emporte pas la terre de la Patrie à la semelle
de ses souliers.
Pour changer ma prison de Bruxelles, j'ai parcouru la Belgique,
j'ai passé huit jours à Bruges. Tous les jours j'allais à l'hôpital
Saint-.Iean admirer les sublimes peintures de Flemling. C'était,
dit-on, un soldat qui, durant une maladie, fut recueilli dans cet
hospice et soigné par les religieuses. Avant de prendre congé de
ses bienfaitrices, il a exécuté les chefs-d'œuvre que nous admi-
rons. C'était payer en noble artiste la dette de la reconnaissance.
Hemling et Van Eyck sont les seuls maîtres dignes de ce nom.
296 DAVID D'ANGERS
Comme les Rubens et ceux de son siècle sont boursouflés, gros-
siers avec leurs prétentions à ce qu'ils appellent la couleur, et
tous ces tons verts, jaunes et rouges, qui sont plutôt l'indice des
infirmités humaines ! Quelle différence avec";mes maîtres adorés 1
Là, tout est dans la lumière, et cependant les figures ont une sail-
lie inconcevable; l'imagination fait le reste. La chair des person-
nages est pure comme leur âme; les gestes sont sobres de mou-
vements et d'un dramatique qui nous ravit par la vérité naïve.
Ce trompe-l'œil, dont nos prétendus coloristes font tant de
cas, est faux comme le mensonge et ne convient qu'à de petits
tableaux de genre. L'histoire est trop grave pour recourir à cette
séduction des sens.
J'ai vu avec intérêt les églises et les hôtels de ville, pure ex-
pression du gothique, dont chaque ville conserve précieusement
les restes. Les monuments religieux, revêtus de la teinte des siè-
cles, frappent l'imagination par leurs formes singulières, par l'a-
bondance de leurs sculptures, par leurs nervures, les flèches qui
peignent si bien la sombre et orageuse destinée de l'homme;
c'est de la douleur pétrifiée. Malgré moi, mon imagination se
porte vers les trois temples grecs qui sont depuis des siècles dans
la plaine de Pœstum. Ils ont perdu leurs sculptures; il n'y a plus
que le squelette, mais sublime par ses lignes majestueuses et
nobles ; ils ne menacent pas le ciel comme les monuments gothi-
ques qui semblent lutter avec les orages et vouloir percer la nue;
mais ils sont en rapport avec un ciel qui les aime et les protège.
J'ai passé plusieurs jours à Ostende; dès le matin jusqu'au soir,
je restais sur la jetée en bois qui s'avance hardiment dans la
mer. Là, tout seul, je vivais avec ma pensée, hélas I aussi tour-
mentée que les flots qui venaient hurler contre la charpente. Un
jour, j'ai eu la chance d'assister à une tempête ; j'étais obligé de
me cramponner à une pièce de bois pour ne pas être emporté à
la mer. Un navire arrive trop près de la jetée; il est lancé sur
une des pièces de bois qu'il déchire et fait tomber dans la mer.
Sur ce morceau de bois, j'avais remarqué une très grande
quantité de noms de voyageurs, les uns gravés profondément
avec l'acier, les autres plus modestement tracés au crayon. Ceux
qui les écrivaient pensaient léguer leur nom à l'avenir. Eh bien,
cette pièce de bois sera rejetée un jour sur le rivage : la femme
d'un pauvre pêcheur l'aura recueillie pour préparer le repas et
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 297
récliauffer les membres engourdis de la famille ; voilà la gloire !
Me voilà de retour ici, traînant péniblement ma vie, au milieu
de ces figures ternes qui rappellent les eaux décolorées des ca-
naux boueux dont les villes de la Belgique sont sillonnées. Même
dans les joies du carnaval, les Belges ne parviennent pas à s'a-
muser; s'ils s'agitent, on dirait des pots de bière qui se heurtent;
mais ma grande consolation est de voir surgir partout de belles
petites têtes blondes d'enfants. L'homme, à son aurore, est beau,
mais lorsque la vie s'est emparée de lui, les passions impriment
sur ses traits de hideux stigmates qui affligent le regard.
On entend peu de musique dans ce pays. Toutefois, un soir,
traversant une rue de Louvain, je me suis senti profondément
remué par les enfants d'une pension qui chantaient en chœur :
Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille !
Ce chant naïf, en réveillant chez moi de cruels souvenirs, m'a
fait pleurer amèrement et passer une nuit bien douloureuse.
Mon cher ami, mon étoile commence à pàhr. Je touche à la fin
de ma carrière. 11 y a plus d'un an déjà, un navire auquel les ha-
bitants de Dunkerque avaient donné mon nom s'est perdu corps
et biens sur des rochers ; je viens de lire, dans un journal, que le
buste colossal du général La Fayette, que j'avais donné à l'Amé-
rique, a été totalement détruit dans l'incendie de la bibliothèque
de Washington ; on va démolir le fronton du Panthéon, et enfin
je suis exilé!
Mais, mon ami, je m'aperçois que je parle seulement de moi,
tandis que toi tu te trouves accablé par de vives douleurs. Ex-
cuse, chez moi, ce retour sur le triste sort de l'homme, durant
son pèlerinage terrestre. La mélancolie ronge ma vie au moment
où je touche au terme ; le malheur m'empêche de réaliser quel-
ques ouvrages que j'espérais exécuter. La solitude dans laquelle
je vis n'est pas faite pour me rendre le courage qui me permet-
trait peut-être de sortir vainqueur de cette lutte suprême.
Adieu, adieu, mon cher Victor; pense quelquefois à ton
vieil et constant ami,
David d'Angers.
Collection Pavie . — Plusieurs fragments de cette lettre ont été publii'S
dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeunesse, etc. Le fronton du Pantiiéon
fut menacé, sinon d'être détruit, tout au moins d'être transporté dans le
parc de Versailles. (David d'Angers, etc., 1. 1, pp. o'J2-o93.)
298 DAVID D'ANGERS
GGLIl
David à Victor Pavie.
Le mont Hymette. — L'Ilissus. — Le Pnyx. — Le temple de Thésée. —
Salamine. — Hélène David. — Le buste de Canaris. — Le roi de Grèce
désireux d'avoir son buste de la main du maître. — Pradier. — Souve-
nirs profanés. — Edmond About et le buste de Canaris. — Léon Cosnier.
, . — Un Angevin jardinier du roi de Grèce. — Mélancolie. — La Grèce et
' l'Italie. — Le monument de Botzaris.
Athènes, 3 juillet 185- .
Cher Victor,
J'écris ces lignes sur l'appui de ma fenêtre, en face de l'Acro-
pole, éternel piédestal qui porte les ruines vénérables d'une reli-
gion effacée et d'une glorieuse civilisation éteinte. Ces colonnes
isolées semblent de loin des bras décharnés, qui se lèvent sup-
pliants vers les dieux qui les ont abandonnés ; à ma gauche,
dans la plaine, les vestiges du temple de Jupiter ; près de ce
temple, au pied du mont Hymette, est l'Ilissus, primitivement
une rivière et actuellement un lit desséché, seulement sillonné
de rares filets d'eau bourbeuse qui clapotent entre des cailloux.
Autrefois, ses rives étaient embellies par des platanes et des lau-
riers-roses ; c'était sous ces ombrages que Socrate et Platon
aimaient à se promener. Au coucher du soleil, le mont Hymette
reçoit ses derniers embrasements qui le colorent d'une teinte
violàtre et souvent rose, transparente, insaisissable par le pin-
ceau en raison de sa mobile et suave dégradation. A ma droite,
le Pnyx et sa tribune parfaitement respectée par le temps, à
laquelle il ne manque qu'un Démosthène et un peuple digne de
l'entendre. Tout près et presque en face, on voit une montagne
où se tenait le célèbre Aréopage, où Minerve venait déposer dans
l'urne un vote pour absoudre un citoyen, ce qu'elle a malheu-
reusement oublié de faire pour Socrate! Là encore on gémit sur
l'ingratitude des enfants de Sophocle, qui traînèrent leur père
devant ce tribunal. Un peu plus bas, le temple de Thésée; plus
loin encore, le Pirée, et enfin à l'horizon, et toujours à droite, les
belles montagnes du Péloponèse et la baie de Salamine, où les
Athéniens vainquirent les Perses qui venaient pour les asservir;
on voit aussi la montagne d'Eleusis et la voie sacrée qui y con-
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 299
duisait. Tous les soirs j'assiste au grand et toujours nouveau spec-
tacle du coucher du soleil ; jamais le sublime peintre ne répète
ses variés et magnifiques effets. Quelle parole pourrait dire la
solennité de cet embrasement du ciel et de la terre 1 Toutes ces
magnificences ont bien quelquefois le pouvoir d'éclaircir le
brouillard qui obscurcit trop souvent le miroir de mon âme ; je
porte dans mon cœur un chagrin qui pourra bien éteindre ma
vie si ma situation ne change pas.
J'ai avec moi ma pauvre Hélène, à laquelle je cachetant que je
le puis mes angoisses. Cette douce enfant est impuissante à me
consoler, car elle n'a, Dieu merci, pas encore conscience des
orages de la vie. Je suis donc seul, seul au monde.
J'ai voulu travailler; pour moi le travail est une consolation
puissante; j'ai fait le buste de Canaris, de cet homme extraordi-
naire qui allait accrocher son brûlot aux. vaisseaux, turcs et qui a
si énergiquement contribué à l'indépendance de sa patrie. Je
n'ai pas été chez le Roi, comme il le désirait, pour faire son
buste. Fidèle à ma vie entière, j'ai cherché à élever un monu-
ment au malheur héroïque et aux hommes de génie, lorsque je
n'avais rien à espérer, ni grâce, ni faveur. J'aurai au moins cet
honneur.
Je lisais, il y a quelques jours, dans V Artiste, que Pradier fai-
sait le buste d'un homme d'une moralité douteuse, M. R... Mais
ce personnage est un fonctionnaire puissant! Je n'ai pas à me
reprocher une semblable adulation.
Ici, on ne peut s'occuper des arts : pas de terre à modeler, pas
de mouleur, pas de praticien : c'est comme si l'on était dans un
désert. Que je comprends bien les douleurs d'Ovide dans son
exil! Ici il y aune vanité et une nullité effrayantes; le culte vain
— et non cette admiration sérieuse — qu'ils professent pour
leurs ancêtres esta son comble. Les rues portent toutes les noms
immortels de Thémistocle, d'Aristide; les hommes mêmes sont
affublés de ces grands noms, comme ces enfants de nobles qui
n'ont plus que les titres de leurs aïeux, sans en avoir les vertus
qui les avaient recommandés à l'admiration des siècles. Ce peuple
ne dépouillera plus sa nullité présente. Jamais, d'ailleurs, on
n'a vu une nation reconquérir sa gloire disparue. L'histoire est
là pour confirmer cette vérité. On ne peut galvaniser un vieux
coi'ps pourri.
300 DAVID D'ANGERS
La terre à modeler dont se servirent Phidias et Praxitèle est
vieillie, usée, et ne se prête plus aux doigts du statuaire; l'en-
thousiasme pour l'art n'existe plus.
Dans les rues décorées de grands noms passe un ruisseau pes-
tilentiel qui cause aux habitants la fièvre dont ils sont rongés, et
cependant toute la nuit ils dorment dehors, les pauvres sur des
nattes, et les riches sur les terrasses de leurs maisons. Sur les
piédestaux qui supportaient des dieux, on voit le Grec d'au-
jourd'hui cherchant à se débarrasser de la vermine qui le dé-
vore ; sur les autels où l'on offrait des sacrifices aux dieux, on
vend de la friture et des haillons! Partout misère affreuse et luxe
effréné; c'est un sujet de profonde méditation. On serait tenté de
penser que les peuples qui mentent à leurs croyances tombent
dans l'abjection et ensuite dans l'oubli.
J'ai coiffé Canaris de son bonnet de marin, qui est très pitto-
resque. J'ai fait, d'après mon buste, un dessin qu'un jeune Fran-
çais a envoyé à V Illustration, en l'accompagnant d'une notice.
Si l'éditeur n'a pas peur de se compromettre en parlant de moi,
tu verras cela dans le prochain numéro. A propos, j'ai appris que
ce bon Léon Cosnier avait fait imprimer quelques lignes me con-
cernant. Romercie-le bien pour moi, et dis-lui que cela m'a été
très sensible dans un instant où tout le monde m'abandonne.
Dans ces mois de grandes chaleurs on est obligé de quitter
Athènes. J'ai loué chez un paysan d'un petit village, tout près de
Marathon, deux petites chambres. J'ai dû me décidera cela pour
Hélène, dont la santé commençait à chanceler.
Il y a à Athènes un Angevin nommé Barrault, jardinier du Roi.
Il a fait une petite fortune, et il lui tarde de quitter ce pays
pour jouir d'une vie tranquille dans notre cher Anjou.
Malgré mes chagrins, j'ai pourtant rêvé quelques sujets que
j'aurais été heureux d'exécuter, avant de quitter ce monde où
j'ai tant souffert, mais les embarras de tous genres arrêtent ici
l'artiste et surtout le statuaire. Je quitte donc ce pays sans avoir
pu accomplir de nobles projets, et cependant je sens qu'il y
avait encore quelque chose dans mon cœui-.
L'Italie offre bien plus de ressources à l'artiste. D'abord tous
les plus beaux ouvrages grecs sont dans ce pays.
Ici, il n'y a que des fragments et une très grande quantité d'in-
scriptions, précieuses seulement pour les archéologues. En Italie^
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 301
on trouve un peuple impressionnable en face des productions
de l'art, et aussi tous les moyens faciles d'exécution. En Grèce, le
peuple est si brutal, si absurde, qu'il ne se fait aucun scrupule
de donner des coups de pioche dans des monuments de sculp-
ture. Il brise par plaisir, comme un enfant. Voilà les grossiers
descendants de la nation la plus spirituelle et la plus sensible
aux arts qui ait paru sur la terre! C'est l'or qui s'est changé
en vil plomb. L'exemple de la Grèce devrait être une grande
leçon pour les peuples modernes.
J'avais commencé cette lettre à Athènes, et je l'ai terminée ici
pour ne pas laisser passer trop de temps sans me rappeler à ton
bon et cher souvenir.
Adieu, cher ami, Je vous souhaite à tous le plus grand
bonheur possible.
Adieu, adieu, tout à toi,
David d'Angers.
P. S. — J'entends dire que ce mois-ci on va inaugurer au
Havre les statues de Bernardin et de Casimir Delavigne; et le
pauvre statuaire languit sur la terre d'exil !
Avant le jour, je suis à ma fenêtre à attendre le lever du so-
leil, l'œil fixé sur le ciel, consolateur des affligés. Je vois des
nuages qui courent vers la France; ah! si je pouvais me fondre
avec eux, aller me répandre avec toutes les larmes de mon cœur
sur ce pays, objet de tous mes regrets ! Mais l'homme attaché
au sol par la matière n'a de ressources que la mort pour ne plus
sentir la douleur, et toutes ses espérances les plus chères sont
aussi incertaines, aussi fragiles que ces lignes que je trace d'une
main fiévreuse. Pleure, pleure, mon cœur, sur l'avilissement de
ta patrie. Elle est donc maudite par le ciel?...
J'espère que cette lettre n'aura pas le sort de celle que je t'ai
jadis adressée d'Espagne.
Je regrette bien d'avoir donné à ces sauvages stupides le mo-
nument de Botzaris. Cette pauvre petite que j'avais soignée avec
tant d'amour, qui m'a coûté tant de veilles, on me dit qu'elle est
déjà mutilée ! Au moins si je l'avais laissée en France, peut-être,
lorsque ma main sera glacée par la mort, n'aurait-on pas oublié
l'auteur. « Peut-être I » car on a vu souvent la haine poursuivre
l'homme au delà de son tombeau.
Adieu mille lois.
302 DAVID D'ANGERS
Collection Pavie. — Divers' fragments de cette lettre ont trouvé place
dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeunesse, etc. Le buste de Constantin Cana-
ris, exécuté à Athènes, fut offert au modèle. (David d'Angers, etc., t. I,
pp. 466-469, 473.) La localité voisine d'Athènes où le maître se réfugie
durant les grandes chaleurs des mois d'été est Képhissia ou Céphisia, à
deux heures de voiture de la capitale. David, en parlant de Pradier dans
cette lettre, paraît ignorer que son confrère soit décédé. Pradier est mort le
5 juin 1852. L'article d'Edmond About, envoyé kV Illustration avec le cro-
quis du buste de Canaris, faillit avoir des conséquences très graves pour
le jeune polémiste, alors pensionnaire de l'École française d'Athènes. Il est
parlé des mesures prises par l'autorité supérieure contre Edmond About,
dans l'ouvrage David d'Angers, etc., t. I, pp. 469-470. Léon Cosnier,
littérateur angevin, avait publié, non sans quelque courage, dans le Journal
de Maine-et-Loire, organe officiel de l'administration départementale, un
article élogieux sur David, essayant ainsi de déterminer un courant d'opi-
nion de nature à hâter la rentrée du maître dans sa patrie.
GGLIII
David à son fils Robert.
La Grèce contemporaine. — Douce France ! — Pradier. — Désillusions. —
Les socialistes. — L'homme n'est pas mùr pour la liberté. — Le buste
de Canaris. — Le maître souhaite de rentrer en France.
Képhissia, 18 Juillet 1852.
Mon cher Robert^,
Ce matin, en accompagnant Hélène, qui est allée dessiner d'a-
près nature, j'ai appris que c'était aujourd'hui dimanche, et cela
nous a presque étonnés, car nous vivons absolument comme
dans une prison, réduits à la vie végétative, ne pouvant sortir
que le matin, jusqu'à huit heures environ. Dès ce moment, on
éprouve une chaleur accablante. Il faut rentrer pour ne plus
sortir, car au bout de chaque promenade il y a la fièvre qui vous
attend. Le soir, on peut encore faire une courte sortie ; mais
comment, dans de telles conditions, visiter le pays et travailler?
Oh! si ta mère pouvait comprendre tout le dégoût et les tribu-
lations qui vous attendent hors de la patrie, elle n'estimerait pas
possible de la quitter. Où trouver jamais une contrée comme la
France? Certes, je ne me fais pas d'illusions sur notre France
actuelle; je gémis profondément de la voir humiliée, mais notre
patrie sera toujours la douce France, une nation choisie où
ET SES RELATIONS LITTERAIRES ?03
l'artiste n'est pas regardé comme une bètc curieuse par les or-
gueilleux et les ignorants.
La main de Pradier glacée par la mort, et la mienne enchaî-
née par le malheur ! Quelle fatalité que ta mère ait jugé possi-
ble pour moi de vivre autre part qu'en France! Je serais actuel-
lement tranquille dans mon atelier, créant des ouvrages qui,
peut-être, seraient utiles à ma réputation; je ne dévorerais pas
mon existence dans un exil dont la durée eût été courte si nous
n'avions pas mis tant de raideur et d'imprudence dans nos dis-
cours... On a bien le droit de conserver son opinion dans son
cœur, et il n'est guère possible qu'il en soit autrement lorsqu'on
est demeuré fidèle pendant toute une vie aux mêmes principes
politiques; maison ne peut pas toujours combattre la poitrine
nue contre des ennemis plastronnes , surtout si l'on est seul , ou
entouré de gens qui ont compromis une noble cause par leurs idées
antisociales. Aussi, vois si Pierre Leroux est inquiété ! Les hom-
mes de sa trempe ont trop bien servi nos adversaires. Je les ai
toujours jugés comme nos ennemis les plus redoutables; ils
ont formulé des idées qui feront bien du mal aux générations à
venir. Mes prévisions datent de loin sur cette pernicieuse école,
et cependant j'ai été entraîné dans ce torrent... Partout où l'on
porte ses pas, chaque fois que l'on jette un regard observateur
sur le monde, on reconnaît que l'homme n'est pas mûr pour la
liberté. Son orgueil, son égoïsme l'empêcheront longtemps en-
core d'user de ce divin bienfait ; et le malheur quelquefois est
réservé aux hommes qui ont consacré leur existence à l'émanci-
pation de leurs semblables : témoins, le Christ, Moïse et Socrate,
sans parler de quelques grandes figures françaises, dont le nom
est actuellement une épouvante pour la génération actuelle,
prompte à se vautrer dans le luxe, conséquence naturelle de l'a-
mour de l'or.
Ici, au milieu d'une misère affreuse, on voit le luxe le plus
effréné. Le peuple grec voudrait commencer par où les autres
finissent; aussi ne se fera-t-il jamais rien do grand chez les
Grecs modernes. Ils ont beau se parer, s'affubler des noms de
leurs sublimes ancêtres : ce sont des fils dégénérés. Ils me rap-
pellent les jeunes gens de notre pays dont les aïeux ont conquis
glorieusement un titre en faisant quelque action d'éclat, tandis
qu'héritiers indignes, ces jeunes hommes traînent dans la boue
304 DAVID D'ANGERS
des orgies leur grand nom. Il existe à Athènes un marchand de
fromage et de menue mercerie nommé Platon. Non, ce peuple
n'est qu'un cadavre auquel on s'est efforcé de rendre la vie en le
galvanisant, mais en vain. D'ailleurs, l'histoire est là pour nous
apprendre que jamais un peuple qui a eu ses siècles de gloire ne
s'est relevé de sa chute, et toutes les nations antiques ont suc-
combé par le luxe. Ce sont là, mon fils, de dures et tristes vérités
que tout le monde sait^, mais dont les peuples ne savent pas faire
leur profit. Peut-être, après tout, ne le peuvent-ils pas, car il y a
dans la Création un mystère inexplicable qui veut que toute chose
ait son commencement, son apogée, sa fin. C'est une grande loi
contre laquelle l'homme ne peut rien. Voyez ce pauvre Lycur-
gue, avec ses institutions ! Elles avaient un sens profond, et
cependant elles n'ont produit qu'un peuple de sauvages.
Je suis toujours dans de grandes transes en pensant à tes con-
cours. Si tu réussissais, cela viendrait me consoler et me ferait
un grand bien, car ce que je désire le plus au monde, c'est que
tu deviennes un homme de talent pour te rendre indépendant. Il
va sans dire que je souhaite avant tout que ton caractère soit no-
ble et généreux, car le caractère et le talent ne devraient jamais
être séparés. Si tu passes bien tes examens, il faudra aller avec ta
mère en Anjou; vous avez là bien des douleurs à consoler, et tu
trouveras aussi dans notre pays quelques instants de distraction.
Si la bourse de ta mère le permettait, vous pourriez aller visiter
la Bretagne, Là, on vit à bon compte, à la condition, toutefois, de
ne pas faire les grands seigneurs. Victor Pavie vous accompagne-
rait probablement, ou notre cousin Victor.
Aussitôt que j'aurai terminé le buste de Canaris, je m'embar-
querai « avec plaisir » pour me rendre à Nice. Là, ta mère pourra
venir chercher Hélène, et nous songerons enfin à préparer ma
rentrée en France! Que diable! Je ne suis sur aucune liste de
proscription, mon nom n'a été prononcé dans aucun procès, je
n'ai jamais fait partie d'aucune société secrète, je ne désire que
trouver un port tranquille dans mon atelier, et je suis certain que
rien ne m'en fera sortir désormais. Je connais trop les hommes
à leur valeur, ils m'ont assez exploité. Qu'au moins les quelques
années qui me restent encore à vivre me soient réservées dans
le calme; que je m'appartienne et puisse observer à loisir les
fourmis qui s'agitent impuissantes dans la spirale des révolutions.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 305
Adieu, cher enfant, travaille avec ardeur, aime bien ta mère,
rends-lui la vie la plus heureuse possible, et pense à celui qui ne
t'oublie jamais. Hélène t'embrasse de tout son cœur.
David d'Angers.
P. S. — Ne m'oublie pas auprès de notre bonne Thérèse.
Collection David d'Angers.
CGLIV
David à son fils Robert.
Echec réparable. — Conseils paternels. — Thiers et Rémusat rentrent
en France. — Augustin Serres.
Képhissia, 21 août 1852.
C'est aujourd'hui dimanche, je veux consacrer ce jour à m'en-
tretenir avec toi, mon cher Robert, et à déplorer le fâcheux
contre-temps de ta non-réussite dans ton dernier examen. Ne
crois pas que je t'accuse de ne pas avoir fait tout ce qui pouvait
dépendre de toi. Loin de moi cette pensée. Je suis juste et je sais
que ces sortes d'examens sont extrêmement difficiles. Je sais aussi
combien la timidité paralyse les moyens, et alors quelles cruel-
les émotions viennent vous assaillir! Mais, mon ami, rien n'est
perdu, tu reparaîtras plus fort et plus aguerri la prochaine fois.
Courage donc, aie bonne confiance en toi, l'avenir te récompen-
sera amplement de cet échec passager.
Si une organisation sensible et impressionnable est quelque-
fois une cause d'insuccès, la réussite n'est que plus éclatante à
son heure, et la sensibilité distingue souvent les hommes appelés
à exécuter de grandes choses; mais encore faut-il (ju'ils aient le
bon esprit de ne pas se décourager.
Tous les jours je me réjouis qun tu te sois voué à cette admi-
rable science de la physiologie. Plus tu avanceras, plus tu trou-
veras des motifs d'enthousiasme, et tu seras entraîné par le désir
d'attacher ton nom à de grandes découvertes utiles à l'humanité.
Ta curiosité se sentira stimulée par l'étude de la nature ; Ion
âme s'élèvera vers les hautes régions, et alors tu oubheras les
20
306 DAVID D'ANGERS
misérables luttes humaines. Ah ! mon pauvre enfant, comme cette
impressionnabilité, qui te retarde un jour dans tes examens, le
réserve de souffrances dans l'avenir par le contact de la société!
Qui le sait mieux que moi! N'ai-jepas été la continuelle victime
de ce contact?
Mon père disait avec beaucoup de bon sens : « Dans ce monde,
il faut être marteau ou enclume. » Moi, j'ai toujours été en-
clume...
Te voilà, cher enfant, dans notre beau et bon pays d'Anjou.
Tâche d'y passer ton temps agréablement; tâche aussi que ta
mère ne s'ennuie pas trop. Elle sait que le vœu le plus ardent de
mon cœur est que nous puissions nous réunir à courte date. Ce-
pendant j'applaudis à la sage résolution que ta mère a prise
d'aller en Anjou. Économie et pensée d'avenir pour vous en
seront, je l'espère, la conséquence.
Je viens de voir dans un journal français que Thiers, Rémusat,
etc., etc., sont autorisés à rentrer. J'ai parcouru également une
seconde liste d'exilés auxquels les portes sont rouvertes : mon
nom ne s'y trouve pas, mais comme je ne suis porté sur aucun
état de proscription, je crois que je puis rentrer. Ta mère me
faisait entrevoir cette espérance dans sa dernière lettre, et
depuis lors je me sens le cœur plus à l'aise. Si ce ne sont pas les
Français qui m'attirent, c'est la terre de la patrie...; puis, je serais
au milieu de vous, mes chers amis, vous qui êtes ce que j'ai
de plus cher au monde. Pour toi, mon fils, sois bien assuré de
toute ma tendresse. Mon affection pour toi durera aussi longtemps
que mon cœur battra dans ma poitrine. Nous vois-tu à côté l'un
de l'autre, quand nous irons ensemble au spectacle! Je n'ai pas
voulu y mettre les pieds depuis notre cruelle séparation, car j'ai
toujours porté le deuil avec moi depuis mon départ de Paris.
Dis à mon bon Victor Pavie que j'ai reçu avec bonheur
sa lettre, et que lorsque nous serons ensemble je lui expliquerai
toute ma pensée sur les Grecs des temps anciens.
Je ne sais si ta mère a transcrit pour M. Serres un passage
d'une de mes lettres sur la physionomie des Grecs.
Adieu, Robert, je t'embrasse comme je t'aime, de tout mon
cœur,
David d'Angers.
Rappelle-moi au bon et cher souvenir de Victor La Revellière.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 307
Collection David cV Angers. — Il est parlé d'Augustin Serres dans une
lettre de septembre 1837.
CGLV
David à son fils Robert.
Aux portes de la France.
Nice, 28 décembre 1852.
A loi, cher enfant, mes vœux pour que cette nouvelle année
te soit heureuse et favorable au double point de vue de la santé
et des succès dans l'étude. En ce qui me regarde, cette année
sera bonne si je puis être réuni bientôt à vous pour ne plus vous
quitter, jouir du bonheur de la famille et reprendre mes travaux,
qui auront le don de calmer les douloureuses émotions que me
causent les malheurs et l'abaissement de notre pauvre patrie.
Tout à toi de cœur,
David d'Angers.
Embrasse pour moi notre bonne Thérèse.
Collection David d Angers.
GGLVI
David à son fils Robert.
IVojct de publication sur l'analomie dans ses rapports avec l'expression.
Nice, mardi... décembre 1852.
Ta dernière lettre, cher Robert, est venue fort à propos pour
rompre la monotonie de notre vie. Les détails que tu nous don-
nes sur l'emploi de ton temps m'ont fait plaisir. Plus tard, tu
t'applaudiras d'avoir eu une jeunesse studieuse, car le travail,
en vous procurant le moyen d'acquérir de la gloire, console aussi
de bien des peines. C'est un bienfait que j'éprouve ici mémo
lorsque je m'occupe des arts; ([uc serait-ce si j'étais tranquille
dans mon atelier de la rue d'Assas ?
308 DAVID D'ANGERS
Dans une de ses lettres, ta mère t'a dit que je désirais faire,
avec toi, un ouvrage sur Fanatomie dans ses rapports avec
l'expression. Il nous faudra dessiner des têtes exprimant des pas-
sions diverses, et indiquer quels sont les muscles qui concou-
rent à ces expressions différentes. Tu vois que j'aurai besoin de
têtes bien disséquées. II nous faudra pénétrer la névrologie, étu-
dier les muscles du col, qui jouent aussi leur rôle, ainsi que la
veine jugulaire, surtout dans les passions violentes. Ce serait
bien d'attacher nos deux noms à un même travail qui, je crois,
pourrait être utile aux artistes. Il y a longtemps que je poursuis
ce projet, mais tes études anatomiques me disposent à le mettre
à exécution, Dieu aidant. Il ne faut rien dire de cela; c'est pour
nous deux seulement.
Courage, cher enfant, continue toujours à te conduire digne-
ment ; cela te portera bonheur, car tu mériteras l'estime de tout
le monde, et tu apporteras une grande consolation à tes parents,
et à celui qui en a tant besoin pour supporter toutes les tribula-
tions qui l'assiègent moralement et physiquement.
Adieu, mille tendres pensées. A toi de tout cœur,
David d'Angers.
Collection David d'Angers.
GGLVII
David à Victor Pavie.
Visite au tombeau de Marco Botzaris. — La Grèce oublieuse. — Ottfried
MuUer, Santa Rosa, Byron. — Léon Gosnier.
Nice, 10 janvier 1853.
Bien cher Victor,
Cette feuille de papier te parviendra sans avoir un trop long
espace à traverser. Peu à peu j'approche de cette France que
j'aime tant. J'ai constamment mes regard fixés vers elle. Je vois
le soleil se coucher derrière Antibes ; le ciel, alors couleur de
feu, réfléchit dans la mer une teinte de sang, et les vagues hou-
leuses viennent battre le rivage de Nice. Leur bruit ressemble
aux aboiements des dogues qui rappellent aux prisonniers les
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 300
obstacles à vaincre pour recouvrer la liberté. Dire ce que je
souffre, ce serait rouvrir les plaies profondes de mon cœur.
Cependant, les portes de la patrie ne devraient pas m'être in-
terdites. Mes mains sont pures. J'ai voté l'abolition de la peine
de mort, et cependant je suis exilé ! Oh ! bizarrerie des destinées
humaines sur cette terre, les rôles sont presque toujours in-
tervertis...
Avant de quitter la Grèce, j'ai voulu dire adieu à ma pauvre
petite fille du tombeau de Marco Botzaris ; je savais vaguement
qu'elle avait éprouvé les injures des Grecs qui, soit dit en pas-
sant, n'ont aucun respect pour les glorieux défenseurs de leur
patrie. Et comment ces stupides Palicares en auraient-ils? Ce ne
lut pas l'amour de l'indépendance nationale qui leur mit les
armes à la main, ce fut seulement le fanatisme.
En foulant de mes pieds cette terre de Missolonghi, imbibée
de tant de sang, j'aperçus un vaste tumulus auprès du monu-
ment de Marco Botzaris. Non loin de la redoute où ce guerrier
reçut la mort, on voit encore la culasse de plusieurs canons, ce
qui imprime au site un caractère militaire et poétique.
Du plus loin que je découvris ma pauvre petite, mon cœur
palpita violemment. Une espèce d'hallucination me laissa croire
que, triste et plaintive, elle me faisait reproche de l'avoir exilée
au milieu de Barbares. Nous avions vécu si longtemps en-
semble! Je m'imaginais que le marbre s'était pénétré des émo-
tions qui m'avaient agité durant tant de nuits quand je terminais
cette forme de ma pensée.
En gravissant les gradins qui conduisent au tombeau du héros,
je vis que la mélancolique enfant était toute mutilée. Les oreilles
arrachées, la main, dont le doigt épelait l'mscription, également
brisée. Les deux pieds avaient subi le môme outrage. Je te le dis,
en vérité, ce n'est pas sur mon ouvrage que j'ai gémi, c'est bien
plutôt sur le sort réservé aux grands hommes, de leur vivant,
et dans leur mémoire. Certes, si les peuples n'ont pas l'intelli-
gence des créations de l'art, ils devraient au moins respecter le
nom do ceux qui ont sacrifie leur vie à l'indépendance nationale.
Celui de Marco Botzaris méritait un culte de gratitude. Si j'eusse
été seul à Missolonghi, j'eusse versé des larmes amèrcs sur un
semblable oubli.
Yoilà, cher ami, les prétendus descendants do Thémislocle,
310 DAVID D'ANGERS
d'Aristide, etc. Parmi de trop nombreux traits, je veux t'en ci-
ter deux qui t'expliqueront le mépris que j'éprouve en face du
peuple grec. Un homme célèbre, l'Allemand Muller, savant ar-
chéologue et grand poète, après avoir publié un volume d'hellé-
nique admirable de pensées patriotiques, bien faites pour con-
quérir des défenseurs à la Grèce, est venu y chercher une mort
glorieuse, et son tombeau a été élevé par ses compatriotes, sur
un monticule, à l'endroit oii était l'ancienne Académie. Eh bien!
ce tombeau sert de cible. Il est tout criblé de balles, et le cou-
ronnement en a été brisé par des décharges multipliées. Au
cours de la guerre de l'indépendance, un Piémontais, Santa
Rosa, fut tué. Les soldats français lui avaient érigé un monu-
ment sépulcral. Le dessin de ce tombeau a même été gravé. Des
compatriotes de ce guerrier ont voulu dernièrement visiter cette
tombe. Elle a disparu complètement. On se sera probablement
servi des pierres pour construire une loge à porcs.
J'ai vainement cherché la tombe de Byron. Elle a disparu
dans ce grand champ de mort où, malgré la précaution religieuse
que l'on prend pour se diriger, souvent on entend crier des os-
sements de têtes humaines enfouies sous l'herbe et les ronces.
Si les Turcs sont de stupides fanatiques, si ce fanatisme les
rend insensibles aux productions des arts, au moins ils ont la
probité et le profond respect de la parole donnée, tandis que les
Grecs sont les gens les plus perfides qui existent au monde, et ce
que Virgile a dit d'eux est encore vrai. Tous les voyageurs qui
ont longtemps vécu dans l'Orient s'accordent sur ce point.
Adieu, mon bon Victor, mille tendres souvenirs à vous tous.
A toi de cœur,
DAvm d'Angers.
N'oublie pas de dire à mon cher Léon Gosnier combien je suis
reconnaissant de son courageux souvenir à mon égard; et s'il se
trouve encore quelques Angevins qui ne m'aient pas oublié, à
eux aussi tous mes sentiments de reconnaissance.
Collection Pavie.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 311
GGLVIII
David à son fils Robert.
Les brouillards de la patrie préférables au soleil do l'exil.
Nice, 13 janvier 1853.
Cher enfant, — lorsque j'écris ces lignes, le soleil se couche
majestueusement derrière Antibes, mais j'aimerais mieux être
auprès de toi au milieu des brouillards de notre cher pays. Adieu,
porte-toi bien, embrasse pour moi Thérèse.
Tout à toi de cœur,
David d'Angers.
Collection David cV Angers.
GGLIX
David à son fils Robert.
Le maître rentre en France.
Nice, 10 février 1853.
Mon cher Robert,
Nous partons après-demain (samedi) et nous pensons être à
Lyon le vendredi 18, car, pour éviter de me fatiguer par trop,
nous nous arrêterons presque partout. Adresse-nous donc une
lettre pour nous donner de tes nouvelles, pas plus tard que mer-
credi prochain, poste restante, Lyon (Rhône).
D'après ce que nous apprenons, le temps est très mauvais en
France, et cela m'effraie, car ma santé n'est pas des meilleures.
A la grâce de Dieu !
Nous t'embrassons tous les trois en attendant que nous puis-
sions te presser en personne dans nos bras, comme nous t'ai-
mons. Embrasse notre Thérèse pour nous.
Tout à toi,
DAvm d'Angers.
Collection David (V Angers.
312 DAVID D'ANGERS
GGLX
Victor Pavie à David.
Retour du maître à Paris. — Andegavi molles. — Inauguration du'
monument de René d'Anjou.
Angers, le 22 mars 1853.
Cher exilée
Vous trouverez pour factionnaire à votre porte cette lettre,
ce courrier de nos félicitations à tous. Le printemps qui se lève
sur la route de la patrie va vous servir d'escorte depuis Mar-
seille jusqu'à Paris. Le marronnier du 20 mars vous présentera
ses premières feuilles, et puis après, les fleurs, et puis après, les
fruits. Les araignées de la rue d'Assas vont déchirer leurs toiles,
derrière lesquelles apparaîtront, à la suite des statues ébauchées,
les mille œuvres rêvées que vous ramenez de l'étranger. Le
spectacle se retourne avec les impressions de l'àrae, et voilà que
la Grèce, la Grèce inhospitalière et sauvage, vue de votre balcon
de Paris, se repeuple de héros et colore de son passé les blanches
ruines de l'Acropole.
J'eusse désiré plus ; j'eusse voulu que ce passeport émanât
d'une motion de vos compatriotes réclamant pour votre réinté-
gration sur le sol de la grande patrie. Mais c'eût été trop beau,
et, quand la Grèce se renie, on ne saurait demander que l'Anjou
se transfigure à ce point. Et puis, franchement, ce ne serait
plus nous et nous ne serions plus molles; en abjurant son génie,
qui sait si notre cher pays ne courrait pas le risque de s'abjurer
lui-même ! Je crois^ vaille que vaille, à quelque réaction prochaine
à votre égard. 11 est question, pour la fête du Sacre ^ de l'inaugu-
ration, en cavalcade pittoresque, de ce jeune roi René qui fré-
mit sur son piédestal derrière son buisson de cratœgus et de
troènes.
Nous viendrez-vous alors? Nous viendrez-vous plus tôt, ce qui
serait le plus sûr, vu l'illusion des projets de l'homme? Je don-
nerai campos à tout ce qu'il y a de notaires pédants, d'avoués
paperassiers et d'avocats enroués et barbouilleurs pour ce jour-là.
Je vous réserve de ma cave une bouteille de ce Bonneseaux que
nous bûmes en janvier à l'espoir de votre retour, en société de
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 313
Robert malade, ce qui me fit rêver noir de la réalisation de mes
vœux.
Au revoir, chers amis. Un mot sur votre installation par ce
temps froid, le meilleur, suivant moi, de ceux qui pouvaient
vous sourire. Un trop vif rayon de mars eût mis le feu à votre
cœur.
A vous pour tous,
Victor Pavie.
Collection David d" Angers. — Le monument de René d'Anjou fut inau-
guré le l" juin 1853, et depuis plusieurs années déjà la statue de René,
déposée sur des madriers en guise de socle, dans le Jardin fruitier de la
ville, se morfondait à portée de la main des promeneurs en attendant que
les débats ouverts sur l'emplacement à choisir eussent pris fin. David n'as-
sista pas à l'inauguration de son ouvrage.
GGLXI
David à Victor Pavie.
Le maître de retour dans son atelier. — Mélancolie. — Le monument de
René d'Anjou. — Lamartine. — Intégrité des républicains de 1848. —
Mauzoni. — Peintures murales de l'Hôtel de la Préfecture d'Angers.
Paris, 2-2 avril 1853.
Me voilà enfin, cher ami, rentré dans mon atelier. Je vais tâ-
cher de vivre avec de grands souvenirs; je vais me créer un
monde imaginaire, en dehors de la triste réaUté. Mais les plaies
profondes qui ont déchiré mon pauvre cœur ne se cicatriseront
jamais. Je ne pourrai jamais oubUcr qu'un homme dont la vie a
été consacrée à préparer, selon ses moyens, l'amélioration du
sort de ses semblables, a été traîné dans un cachot et jeté en
exil comme un malfaiteur. Je ne puis me faire à la pensée que
l'abnégation la plus vraie, le désintéressement le plus absolu
provoquent le sourire et la pitié des hommes! Quoi! la vertu
taxée de niaiserie et d'absurdité! En vérité, en face d'un tel
spectacle, on douterait de soi-même, si une religieuse conviction
ne vous rappelait impérieusement que la dignité de la vie, le
sens de la justice sont d'essence supérieure, de par une loi puis-
sante de la nature.
314 DAVID D'ANGERS
Je viens de recevoir le Journal de Maine-et-Loire, dans lequel
on parle de l'érection prochaine du monument de René d'Anjou.
J'espère qu'on rendra justice, en face de cet ouvrage, à l'indé-
pendance du caractère de l'artiste républicain, dont la conviction
a toujours été qu'il ne faut pas répudier les gloires d'une époque
disparue. L'histoire est utile, quand elle ne servirait qu'à enga-
ger les générations à être de leur temps, à progresser dans le
sens du plus grand bien de tous, sans se rendre solidaires d'er-
reurs qui n'ont été que la conséquence du défaut de lumière et
de la barbarie des premiers âges du monde; bien barbares, en
effet, puisque, plus voisins que nous de la venue du Christ, ils
n'ont pas compris ses grandes et sublimes leçons de liberté et
d'humanité.
Adieu. Mes tendres et constants souvenirs à vous tous. A toi
de cœur,
David.
P. S. — J'ai vu, il y a peu de jours, Lamartine, toujours très
souffrant, et cependant travaillant énormément. Il quitte son
hôtel pour aller habiter un logement moins spacieux. Comme
tous les républicains qui ont été à la tête des affaires publiques,
il s'en est retiré pauvre. L'histoire, espérons-le, sera plus équi-
table que les misérables et lâches contemporains.
Je ne me souviens pas si je t'ai dit qu'à mon passage à Milan,
j'avais été voir Manzoni. C'est un beau vieillard. Il ressemble
beaucoup à Chateaubriand. Il est difficile de lui être présenté,
mais, quand il a connu mon désir, il m'a reçu avec toute l'affec-
tion possible. Je n'étais plus un étranger pour lui : entre nous
deux, même sympathie littéraire et politique.
Est-ce qu'il ne te serait pas possible de me procurer une copie
au trait des peintures murales qui ont été retrouvées à la Préfec-
ture ? Tu m'obligerais.
Collection Pavie. — La visite du maître à Manzoni est l'objet d'une page
intéressante dans l'ouvrage David d'Angers, etc., t. I, p. 484. Des tra-
vaux entrepris à l'Hôtel de la Préfecture d'Angers (ancienne abbaye de
Saint-Aubin) firent découvrir, le 17 décembre 1853, trois voussures peintes.
Au nombre des sujets traités sur ces parois par un artiste du onzième ou
du douzième siècle se trouvent Samson en lutte avec un lion. Deux lions
attaquant un porc, etc.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 315
CCLXII
David à Victor Pavie.
Les peintures d'Hippolyte Flandiiu dans l'église de Saint-Vincent do Paul.
Paris. 7 juin 1853.
Cher ami,
Je viens de voir l'œuvre de Flandrin. Voilà de la peinture reli-
gieuse, du dessin de la plus grande noblesse et vrai, mais non
de cette vérité triviale dont on détourne la vue lorsqu'elle se
présente dans l'individu, rebut de la Création. C'est aussi de la
couleur distinguée, non celle qui indique un être malade. L'art
est bien admirable et bien consolant quand il est compris ainsi.
Adieu, cher ami. A toi de tout cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie. — Les peintures de Flandrin, dans l'église de Saint-
Vincent- de-Paul, à Paris, furent commencées en 1830 et achevées en 1854.
Au moment où écrit David, cette décoration était fort avancée.
GGLXIII
Madame Belloc à David.
La médaille do mistress Beecher-Stowe.
Paris, 29 août 1853.
Monsieur,
J'aurais voulu vous accuser réception de suite de votre beau
médaillon de M""" Stowe et de la lettre qui l'accompagnait pour
elle; mais j'ai été tellement absorbée par votre trop court pas-
sage chez moi que je n'ai pu en trouver le moment.
Je vous adresse aujourd'hui, Monsieur, la lettre qu'elle m'a
chargée de vous faire parvenir. Combien je regrette que vous
ayez été absent, ainsi que W"" David, pendant ces huit derniers
jours! Votre nature d'artiste aurait si bien joui des nuances si
riches et si variées de l'esprit et du cœur de cette femme
316 DAVID D'ANGERS
remarquable 1 Je n'ai, pour ma part, jamais rencontré une organi-
sation plus admirable et plus complète. Elle a puisé en elle les
plus beaux types de son livre. Elle aurait, au besoin, la reli-
gieuse constance de Tom dans le martyre enduré pour sa foi et
pour la liberté; elle a la constante et tendre pitié de son angé-
lique Eva pour tout ce qui soutire, la tine et incisive ironie de
Saint-Clair, le parfait et énergique amour maternel d'Elisa, et tout
cela s'anime d'une gaieté naïve et charmante !
Je regrette presque d'avoir joui à peu près seule de cette déli-
cieuse intimité, et de n'avoir pu la faire partager à nos amis,
tous absents de Paris à cette époque de l'année.
Veuillez, Monsieur, me rappeler au souvenir de Madame David
et recevoir pour vous et pour elle l'expression de nos sentiments
de haute et profonde considération.
Louise Swanton-Belloc.
Collection David d'Angers. — C'est chez M"» Belloc, femme de lettres
française, d'origine irlandaise, qu'était descendue mistress Beecher-Stowe,
lorsqu'elle vint à Paris. M"» Belloc connaissait David, qui avait modelé son
médadlon dés 1830. Ce fut elle qui préseuLa l'auteur de la Case de V oncle
Tom au statuaire.
GCLXIV
Mistress Beecher-Sto^we à David.
La médaille du romancier.
Août 1853.
Permettez- moi de vous exprimer tous mes remerciements pour
le médaillon, magnifiquement exécuté, que vous m'avez envoyé.
Gomme je sais mieux ce que j'éprouve que ce à quoi je res-
semble, je ne puis exprimer une opinion, quant à la ressem-
blance, mais votre œuvre aura toujours une haute valeur à mes
yeux, comme l'expression des aimables pensées et de la considé-
ration de l'auteur.
Mon cœur répond sincèrement aux aimables sentiments que
vous exprimez pour moi. Puissiez-vous vivre longtemps. Mon-
sieur, pour goûter tous les charmes de votre art, qui est admirable.
Votre amie bien sincèrement,
E. B.-Stowe.
ET SES RELATIONS LITTERAIRES 3l7
Collection David cVAngera. — C'est le 24 juin ISoSque l'auteur delà Case
de l'oncle Tom, de passage à Paris, se rendit dans l'atelier du maître.
David dessina, ce jour-là môme, le profil du romancier américain. Le mois
suivant, ce dessin servit de document pour l'exécution de la médaille qui
fut envoyée au modèle. (Musées d'Angers, p. 197.) Nous avons publié dans
Y Artiste (1" mars 18'.)0) une étude anecdotique sous le titre Mistress Beecher-
Stowe et David d'Angers.
CGLXV
David, à Victor Hugo.
Le buste du jjoète.
Paris, 30 avril 1854.
Bien cher et noble ami, j'ai reçu des raains de M. Paul Meu-
rice votre bonne et affectueuse lettre et j'ai recueilli votre buste,
qui est actuellement placé dans mon atelier. Sa vue rappelle à
tous nos amis l'illustre et immortel exilé. . .
David.
Collection David d'Angers. — Le maître avait conservé la minute de ce
billet.
GGLXVI
David à Victor Pavie.
Le maître achève le monument de Drouot.
Paris, 5 mtd 1854'.
Cher ami,
.l'aurais bien besoin d'aller respirer l'air de mon bien-aimé pays
natal, mais je suis contraint de rester à Paris, au milieu des dé-
combres de rues tout entières qui tombent comme par enchante-
ment. Néron a fait subir par l'incendie le même sort à la ville
de Rome
J'ai encore deux bas-reliel's du monument de Drouot à ter-
miner, et je suis pressé de les achever. La malheureuse maladie
318 DAVID D'ANGERS
dont j'ai souffert l'hiver passé est la seule cause de mon
retard.
Ces lignes sont seulement pour te dire que je te souhaite toute
sorte de bonheur. A toi,
David d'Angers.
Collection Pavie.
CGLXVIl
David à Benjamin Fillon.
n des r
avec 1
postérité.
La collection des médailles modelées par le statuaire. — L'être mora
s'identifie avec l'homme extérieur. — Le sculpteur travaille pour la
Paris, l" septembre 1854.
Qui n'a pour soi que la naissance, la richesse, l'éclat du rang
social, n'est point mon fait. Mon Panthéon n'est ouvert qu'à la
vertu, qu'au patriotisme, qu'au génie fécond en bienfaits pour
l'humanité.
Le désir de rendre hommage à la mémoire de quelques grands
hommes du passé m'a seul fait produire des médaillons que je
n'ai pas pris sur nature ; encore les ai-je moins exécutés d'après
les portraits, parfois peu ressemblants, dont je pouvais disposer,
qu'à l'aide de l'étude approfondie du caractère de chaque per-
sonnage, et de sa tournure d'esprit. Je ne me dissimule pas ce
que ce procédé a d'incomplet; cependant, comme je cherche à
mettre dans les traits un reflet de l'àme, je suis sûrement arrivé
plus près de la vérité que si je me fusse tenu exclusivement à
copier des modèles, souvent défectueux, plus souvent encore de
seconde ou de troisième main. C'est à l'être moral que je m'a-
dresse d'abord; dans mon esprit, il ne fait bientôt plus qu'un
avec l'homme extérieur. C'est alors que je me mets à l'œuvre.
Mes bustes ont été faits suivant la même méthode. La postérité,
qu'un artiste doit toujours avoir en vue lorsqu'il travaille, com-
prendra mieux ainsi nos contemporains illustres.
David d'Angers.
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 319
Collection Fillon. — Cette lettre a été réservée lors do la vente de la col-
leclion Fillon.
GGLXVIII
David à Victor Pavie.
Les a Saints de Solesnies ». — Germain Pilon. — Le Frontispice de
l'Histoire de la Vendée.
Paris, 12 octobre 1854,
J'ai un peu tardé, cher ami, à répondre à ta dernière lettre, parce
que je pensais que je pouvais faire un petit voyage dans notre
Anjou, mais le mauvais temps, la saison trop avancée déjà me
forcent à remettre à l'année prochaine le bonheur que j'éprou-
verais avoir notre cher pays et surtout à te serrer la main, à
Feneu, au milieu de ta chère famille.
Je me réjouissais de pouvoir aller avec toi visiter les « Saints
de Solesmes» dont j'ai tant entendu parler et que, je ne sais par
quelle fatalité, j'ai toujours été empêché de voir. Mon désir s'est
surtout accru depuis que j'ai appris que cet ouvrage est de Ger-
main Pilon, presque notre compatriote, car il est né à Loué, une
petite ville proche du Mans. Je suis bien persuadé que les Man-
ceaux ne savent pas qu'ils ont eu un si sublime compatriote.
Ah! si c'était un de ces orgueilleux fainéants de seigneur ou de
tueur d'hommes, alors sa mémoire serait consignée sur les places
publiques ou transmise par le nom d'une rue.
Bientôt;, quand j'enverrai de nouveaux cadres de médaillons
à Angers, tu verras celui de ce grand statuaire. Ce n'est pas une
tète aristocratique; non, c'est mieux que cela, c'est celle d'un
homme utile, d'un homme de génie.
L'exposition prochaine, à Paris, va nous amener beaucoup de
visiteurs. Je pense que tu nous viendras; alors je passerai encore
avec toi quelques bons instants.
Je ne sais si tu connais M. Fillon, qui habite Foi) tenay (Vendée);
il s'occupe d'archéologie, et il va publier un ouvrage composé
de documents historiques sur la guerre de la Vendée. Il m'a de-
mandé un dessin qu'il veut faire graver à Nantes pour le frontis-
pice de son livre.
320 DAVID D'ANGERS
J'ai représenté l'Histoire couronnée de cyprès, ayant près d'elle
la Justice qui l'éclairé de son flambeau. Sur les marches de l'es-
trade, j'ai représenté le général Hoche, appuyé sur une charrue,
et présentant une branche d'olivier, ce que fait aussi le second
pacificateur, Travot. De l'autre côté, les généraux vendéens : notre
Bonchamps est au premier plan. Sur le premier gradin, j'ai
mis une mère entourée de ses enfants. C'est, je crois, une juste
image de la sécurité que procure la paix. Je ne sais si cela con-
viendra à M. Fillon; nous verrons. Adieu, cher ami.
A toi de cœur,
David d'Angers.
Collection Pavie. — David donna suite à son projet de visite aux « Saints
de Solesmes », en 1855. Ces sculptures, conservées dans le couvent des
Bénédictins de Solesmes, près Sablé-sur-Sarthe, faussement attribuées à
Germain Pilon, sont dues à divers artistes dont on n'est pas encore parvenu
à découvrir le nom. La médaille modelée par David d'après Germain
Pilon est d'une rare énergie. L'œuvre n'est pas datée. {Musées d'Angers,
p. 348.1 On sait aujourd'hui que Germain Pilon n'est pas, ainsi qu'on l'a
cru longtemps, originaire du Maine. Il a vu le jour à Paris. Le frontis-
pice de VHistoire de la Vendée n'a pas été gravé. Benjamin Fillon, en de-
mandant cette page à l'artiste, n'était qu'un intermédiaire. Le livre projeté
devait être écrit par M. Matifeu de Montaigu. Le dessin du maître est au
Musée David. (Musées d'Angers, pp. 349-350; David d'Angers, etc., t. II,
pp. 446-447.)
CGLXIX
David à "Victor Pavie.
Mélancolie. — Projets de voyage en Anjou.
Paris, 5 février 1855.
Cher Victor,
J'ai été, comme tu le penses, bien heureux de ton excellente
lettre et charmé de vous savoir tous en bonne santé. J'aime à
espérer que les vœux de ton inaltérable amitié me porteront
bonheur pour cette année 1855. J'en ai bien besoin, car je l'ai
inaugurée par un rhumatisme dans le pied qui depuis plus d'un
mois me force à ronger douloureusement mon frein au coin du
feu. Je ressemble à un bâtiment à vapeur qui a perdu sa roue et
ET SES RELATIONS LITTÉRAIRES 321
dont la marche est ainsi arrêtée. Quand pourrai-je reprendre la
mienne ?
La mort de ce pauvre Jean va tristement affliger ton père ;
autrefois ces vieux serviteurs, devenus dans notre époque de
« haute » civilisation une anomalie, mouraient de vieillesse chez
leurs maîtres après s'être dévoués à plusieurs générations, tels
que ces vieux arbres qui donnent encore leurs fruits et leur om-
brage aux petits enfants de ceux qui les ont plantés !
Dans mes longues insommies, je pense à notre cher Anjou.
Combien sont puissants les souvenirs du jeune âge et du pays
natal, souvenirs toujours palpitants ! Dans la jeunesse, soutenus
par tous, fêtés par tous, n'inspirant aucune jalousie, nous savons
trouver un beau côté à toute chose ; les tourments dont nous
sommes la source pour nos parents, loin de les décourager, les
attachent à nous davantage. Je me souviens d'avoir vu des vais-
seaux en construction abrités par un toit, soignés avec amour
par la main paternelle de l'architecte, puis enfin lancés à la mer :
ils se balançaient majestueusement en attendant les orages qui
les feraient sombrer sur les récifs, heureux encore si leur desti-
née ne leur réservait pas de pourrir dans un coin du port ! J'ai
souvent pensé au sort de ces belles machines, œuvres du génie,
et je l'ai comparé au sort de l'homme.
Si je pouvais effectuer mon projet, j'irais, en revenant de Baré-
ges, respirer l'air tant désiré de notre pays. J'ai soif de passer
quelques jours à Feneu. J'y pense bien souvent. J'ai toujours
souhaité de connaître l'habitation de ceux que j'aime ; il me
semble que cela m'aide à vivre de leur vie et me tient près d'eux
quoique absent.
J'espère aussi que notre exposition monstre t'amènera à Paris,
Adieu, cher ami. Embrasse bien pour moi tes enfants.
Tout à toi de cœur,
David d'Angers,
CoUcclion l'avie. — Fencu est une commune 'de l'arrondissement d'An-
gers, où Victor Pavie avait une maison de campagne.
21
APPENDICE
I
Victor Hugo à M"'^ David
La mort de David.
Guernesey, 0 janvier 1856.
Hauteville-House.
]| n'y a [)as, Madame, de consolation pour une telle perte, pas
plus qu'il n'y a de remplaçant pour un tel mort. Le grand sculp-
teur est mort, l'homme excellent est mort, le vide ne sera com-
blé ni dans votre cœur, ni dans la gloire.
11 est parti, lui, daos son pays , et, Ihuinanité dans l'ombre,
lui, le voilà dans la lumière. Envions-le : tendons les bras, nous,
les cncliainés et les exilés, vers lui, le rapatrié et le délivré.
Ma douleur est profonde, mais je n'ose en parler à la vôtre.
C'était mon frère : mais c'était la moitié de votre àme. Permet-
tez-moi seulement de pleurer avec vous. Madame, à vos pieds.
Victor Hugo.
Collection David d'Angers.
II
Humboldt à. M""» David.
Souvenirs du passage du maitre à Berlin.
Berlin, 11 janvier 1850.
Madame,
J'ose, dans les premiers jours de la plus profonde douleur,
324 DAVID D'ANGERS
VOUS adresser ces lignes comme un des hommes les plus dévoués
à l'homme illustre qui m'a honoré de sa vive affection. Lors-
qu'un grand talent est réuni à un beau caractère, à une grande
élévation de sentimens, à une fermeté inébranlable dans les prin-
cipes, à une bienveillante aménité dans tous les rapports de sa vie
sociale, le reflet d'une telle perte est doublement amer pour un
vieillard de quatre-vingt-six ans, qui va quitter la terre après
ceux qu'il croyait précéder de longtemps, d'après les lois de la
nature. Je me sens touché jusqu'aux larmes, quand je me rap-
pelle cette fraîcheur d'idées, cette résignation noble et toute phi-
losophique qui animaient sa spirituelle conversation quand J'eus
le bonheur de l'embrasser la dernière fois, à son passage par Berlin,
accompagné d'une fille charmante. Il quittait, par devoir moral,
le foyer domestique. La grandeur, l'admirable énergie de votre
caractère vous faisaient approuver ce beau sacrifice. M. David me
paraissait alors dans toute l'ancienne vigueur physique et morale.
Je le recevais, environné des marques de sa trop généreuse
bienveillance ! Je crains que le climat, les fatigues du voyage et
des contrariétés éprouvées en Grèce, là où les impressions au-
raient dû être les plus douces, n'aient ébranlé sa constitution. Ma
douleur la plus vive est partagée ici par notre grand maître
Rauch, dont les sentiments égalent ma reconnaissance, mon
attachement à celui que nous pleurons, ma respectueuse admi-
ration pour vous, Madame. Je vous demande en grâce, quand
vous aurez quelque moment de calme intérieur, de m'accorder
un petit signe de vie ; de me parler en quelques lignes (car je
me sens tout fier de votre amitié) des dernières semaines de mon
ancien ami et illustre confrère, de vos enfants si dignes de leurs
parents! Ma santé se soutient au milieu d'une vie agitée; elle se
soutient par le travail mêœe.
Daignez offrir mes tendres amitiés à la famille Arago.
Hommage d'admiration, de dévouement et de reconnaissance.
A. HUMBOLDT.
Que d'élèves de son école, que de jeunes gens répandus par
l'Europe qui ont joui de son bienfaisant appui ! !
Collection David d'Angers.
APPENDICE 325
III
Ary Scheffer à M""» David.
Un portrait de David d'Angers.
Paris, 24 février 1856.
Madame,
Il y a une trentaine d'années que j'ai peint le portrait de
M. David, que je prends la liberté de vous envoyer. Les grands tra-
vaux et les pensées graves n'avaient pas alors laissé leurs pro-
fondes empreintes sur ses traits. Malgré cela, vous retrouverez
peut-être quelque ressemblance dans cette peinture. J'ose vous
prier de l'accepter comme un faible témoignage de mon admira-
tion pour l'illustre artiste, tant regretté, et comme une preuve
de ma respectueuse sympathie dans votre douleur.
Ary Scheffer.
Collection David d'Angers. — Le statuaire et Ary Scheffer avaient été
très liés. David avait modelé le profil du peintre en 1828. (Musées d'Angers^
p. 129.) On peut lire dans David d'Angers, etc., t. I, p. 209, d'intéi-essants
détails sur le buste et le portrait peint de Déranger, exécutés en une seule
séance, dans l'atelier du sculpteur en 1829, par David et Ary Scheffer.
IV
Victor Hugo à M™^ David.
La mort de David. — Les Contemplations. — Le buste du poèt.3«
Guernesey, 13 mai (1856 î)
Je ne veux pas, Madame, que cette lettre parte sans vous porter
mon remerciement, mon respect et mon souvenir. Vous êtes la
veuve de notre grand David d'Angers, et vous êtes sa digne veuve
comme vous avez été sa digne femme. A cette heure, toutes les
fois que je me tourne vers la patrie, c'est surtout vers les om-
bres que je me tourne, car c'est là qu'est la gloire, la
fierté, la grandeur des âmes, la lumière, et il y a maintenant
plus de vie dans les morts que dans les vivants. David est une
326 DAVID D'ANGERS
des ombres auxquelles je parle le plus souvent, ombre moi-
même. Mon exil est comme voisin de son tombeau, et je vois
distinctement sa grande âme hors de ce monde comme je vois sa
grande vie dans l'histoire sévère de notre temps. Soyez fière,
Madame, du nom grave et illustre que vous portez. David est au-
jourd'hui une figure de mémoire, une renommée de marbre,
un habitant du piédestal, après en avoir été l'ouvrier. Aujour-
d'hui la mort a sacré l'homme et le statuaire est statue. L'ombre
qu'il jette sur vous, Madame, donne à votre vie la forme de la
gloire.
Je suis heureux que le livre des Contemplations ait été lu par
vous. Vous y avez retrouvé nos chers souvenirs, et nos aspira-
tions communes. L'exil a cela de bon qu'il met le sceau sur
l'homme et qu'il conserve l'âme telle qu'elle est.
Avant peu, peut-être, Madame, ma famille vous demandera de
lui rendre ce buste qui est ma figure, ce qui est peu de chose,
mais qui est un chef-d'œuvre de David, ce qui est tout. C'est
lui encore plus que moi, et c'est pour cela que nous voulons
l'avoir parmi nous.
Je mets à vos pieds ma tendre et respectueuse amitié.
V. Hugo.
CoUeclion David d'Angers. — Ces lignes sont le post-scriptum tracé par le
poète sur une lettre de M""= Hugo à M"» David d'Angers. Les Contempla-
tions parurent en 18S6 (2 vol. in-S"). Nous avons donc lieu de penser que
l'autographe du poêle, daté du 13 mai, se rattache à l'année 18S6.
"Victor Hugo à Robert David.
La statue de David d'Angers.
Paris, M octobre 1880.
Monsieur,
Votre lettre m'émeut. Il faut une impossibilité absolue pour me
priver d'être mêlé à tous ceux qui vont saluer ce puissant esprit,
ce vaillant cœur, cette gloire! David honorera ce siècle. J'ai dit
mon regret profond aux honorables représentants que la noble
APPENDICE 327
ville d'Angers a bien voulu m'envoyer ; je vous le répète, à
vous que j'ai vu petit près de lui si grand, à vous le cher en-
fant de ce mort illustre. Je serai là pourtant, ma pensée y sera,
je ne serai pas absent pour lui; j'assisterai à cette solennité, à
cette consécration, à ce couronnement. Mon cœur et mon âme
y seront. Certes, David me connaît bien, et j'aurai ma part de
cette fête : la France lui payant sa dette auguste, la statue au
statuaire.
Je vous serre dans mes bras.
Victor Hugo .
Collection David cV Angers. — Cette lettre a trait à la fête d'inaugura-
tion de la statue de David d'Angers, sculptée par Hubert Louis-Noël, et
érifrée en octobre 1880 dans la ville natale du maître.
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES
iNOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
AINSI QUE DES TITRES d'oEUVRES PEINTES , DESSINÉES OU SCULPTÉES
MENTIONNÉS DANS CET OUVRAGE
Abbaj-e-au-Bois, 39.
Adout (Edmond), écrivain, 302.
Adam et Eve, groupe, 258 .
Affiches d'Angers, journal, 19, 24,
46, 109.
Agamemnon, 143, 144.
Aix (catliédrale d'), 66, 67.
Ajax, 144.
Alderson (Amelia). Voy. Opie.
Al manack populaire, 184, 265.
Alton (M"" d'), 85, 92, 115, 125.
Alvarez (José), sculpteur, 72.
Amazone en lutte avec un léopard,
groupe, 145, 146, 223.
Ampkre (André-Marie), physicien,
111-113.
Angelot (Jacques), auteur drama-
tique, 218.
Ancelot (Marguerite-Louise-Virgi-
nie Chardon, madame), écrivain,
121.
Andelys (les), 245.
Andrew, graveur, 183, 192.
Ange emportaiit un enfant, bas-re-
lief, 188, 198.
Angers, 1-4, 7.9, 11, 12,24-27,32,
33, 45, 46, 51, 69, 81, 84, 88, 89,
94, 117, 123, 132, 137, 138, 140,
150, 168, 109, 172, 181, 184, 185,
188,191, 193, 199, 200,211,217,
218, 228, 240, 252, 260, 265, 267,
268, 270, 275, 276, 277, 280, 283,
284, 312, 327.
Angers. — Abbaye Saint-Aubin,
157, 198, 200, 314.
— Académie, 18.
— Archives municipales, 4.
— Bibliothèque, 192.
— Cathédrale, 60, 132, 139, 162,
244, 268, 269,276,277, 292,
— Cimetière, 11.
— École centrale, 19.
— École de médecine, 76.
— Hospice de Sainte-Marie, 29.
— Jardin fruitier, 313.
— Jardin des plantes, 186.
— Musée, 41, 42, H7, 118, 120. 121,
123, 172, 178, 185, 200, 234, 239,
241, 266-268, 275, 276,319, 320.
— Petit Séminaire Mongazon, 168,
169,172, 174, 17a.
-- Préfecture, 200, 314.
— Théâtre, 117, 118, 123, 200, 267.
Antigone, 223.
Antibes, 308, 311.
Aparicio (José), peintre, 7.
Apelle, peintre, 200, 209.
Arago (François), astronome, 143,
144, 222-224,228,324. Buste, 153.
Arcliivcs de Vart français, publica-
tion, 4.
330
DAVID D'ANGERS
Arenenberg (château d'), 145!.
Aristide, 299, 310.
Aristophane, 266.
AuNOULD, auteur dramatique, 60.
Art médical {l'), journal, 295.
Artiste ir], journal, 260, 265, 267,
268, 299, 317.
Athènes, 190, 191,298-302, 304.
AuDOUARD, médecin, 97.
Aulnay, 263.
Aurillac, 288.
Austerlitz [bataille d!), bas-rehef,
288.
Auteuil, près Paris, 129.
Avignon, 67.
Ballanche (Pierre-Simon), philoso-
phe, XI, 39, 40.
Bally, médecin, 97.
Balzac (Honoré de), romancier, XI,
88, 214, 234,249. Buste, 230, 243.
Médaillon, 229.
ANDIERA (les frères), patriotes ita-
liens. Médaille, 263-265.
Babbier (Auguste), poète, 70.
Barcelone, 96,97.
Baréges, 190, 204-210, 275, 276, 321.
Barra (Joseph), soldat de la Répu-
bhque. Statue, XV, 125, 153. 291.
Barrault, jardinier, 300.
Barre (Auguste), sculpteur, 142.
Barrère DE ViEuzAC (Bertrand), con-
ventionnel, 171, 234.
Bart (Jean), marin. Statue, XIX,
217, 218, 233, 234, 236, 248-252,
257, 238.
Barthélémy (Auguste-Marseille),
poète. Médaillon, 63.
Bartolini (Lorenzo), sculpteur,
142.
Bastard (Toussaint), médecin, 185.
Baudin (M"-» Annette), 65, 71-73.
Bazeilles, XVI, XVII.
Beaupreau (collège de), 175.
Beauregard (M. de), 161, 162, 244.
Beaurepaire (Nicolas-Joseph), com-
mandant. Projet de statue, 220,
293.
Béclard (Pierre-Augustin), méde-
cin, 12, 13.
Beecher-Stowe (mistress), roman-
cier. Médaillon, 315-317.
Bell ANGE (Joseph-Louis-Hippolyte)>
peintre, 42.
Bellefontaine, 31.
Belleyme (M. de), 35.
Be L Loc (Anne -Louise S wanton , M'»") .
écrivain, 22, 315, Médaillon, 23,
316.
Benoist (Marie-Guilhelmine La-
ville-Leroux, madame), peintre, 7.
Benoist (Pierre-Vincent), écrivain,
7.
Benoit (M.), 237.
BENTHAM(Jérémie), moraliste. Buste,
36, 37.
Béranger (Pierre-Jean de), poète,
61, 114, 178, 212. Buste et portrait,
323. Médaillon, 263, 264.
Bérésina [Passage de la), bas-relie.',
288.
Berger (le Jeune), statue, 6. 7.
Beriin, 51, 64, 71, 73, 83-85, 87, 91,
92, 101, 110, 112-115, 125, 145,
154, 155, 171, 182,222, 223, 234,
235, 238, 246, 272, 323, 324.
Berthe (Jacques-Andrél, relieur,
189, 192, 195.
BERTRAND(Louis, dit Aloysius), poète,
106, 179-181, 183, 186, 191-193,
199, 203, 286.
Bertrand (M'»^), 183, 191, 203.
Bbrry (Marie-Caroline-Ferdinande-
Louise de Bourbon, duchesse de),
34, 63.
Berryer (Antoine-Pierre), avocat. 63.
Berzelius (Jean-Jacques), chimiste,
XI. Buste, 101, 102, 120, 121, 126,
127. Médaillon, 121.
Besançon, 174, 202.
Beute (M. et Mii«), 91, 100, 101, 110,
114, 115.
Beyle (Henri), romancier, XI.
Béziers, 125, 139, 147, 151, 207.
— Théâtre, 266, 267.
Bichat (Marie- François-Xavier),'phy-
siologiste. Statue, XIX, 169, 170,
190-192, 196, 197, 200, 293.
Biget (Anne). Voy. Marthe (Sœur).
Bigot (Théodore-Charles), médecin,
76.
Billard (Charles-Michel), médecin.
Buste, 80.
Binet (Mathurin), architecte , 266,
267.
Blois, 228.
TABLE ALPHABETIQUE
331
Blondel (Merry-Josepli), peintre, 63.
BLacHER (le maréchal prince). Mo-
nument et statue, 72.
BoDiN (Jean-Fran(,"ois), historien. 18-
BoDixiER (Guillaume), peintre, 27,28.
BoERHAVE (Ilerraann), médecin, ISl.
BoLESLAs, prince polonais, 14().
Bonaparte. Voy. Napoléox.
Bo.vcHAMPS (Artus de), 'général ven-
déen. Monument, XV, 9, M, 15,
18, 42. 178, 181, 183, 221,228, 244,
259, 260, 268, 320.
BoNixGTo.v (Richard-Parkes), pein-
tre, 39.
Bonn, 182.
Bonneseaux (Maine-et-Loii'e), 312.
Bonnet (M.), 193.
Bordeaux, 130, 236.
BoRDiLLON (Grégoire), homme poli-
tique, 280.
BoRGiA (Lucrèce), 69,70.
Bosio( Jean-François- Josephj, sculp-
teur, 248, 249. "
BOSSANGE (M.), 18.
BoTZARis (Marco), général grec.
Tombeau, 81, 90, 103, 301, 309.
BoucHOTTE (Jean-Baptiste-Noël), mi-
nistre de la guerre. Médaillon,
148, 131.
BooiLLÉ (M. et M""' de), 19.
Boulanger (Louis), peintre, 26, 34.
BouLAY DE LA Mecrthe (Autoine-
Jacques-Glaude-Joseph, comte).
Buste, 73.
Bourg, 170, 200.
Bourgonnière (château de la), 17.
Bouterwek (...), 73.
Bouterwek (Frédéric), philosophe,
73.
BouYRAT, chapelier, 32.
BovET (A), collectionneur, 7, 219.
BOYLE.\U (M"-:^), 138, 139.
Bhandf (IL-F.), graveur en médail-
les. Médaillon, 113.
Brendt, 2G6.
Breslau, 72, 223.
Brest, 240.
Brian (Louis), sculpteur, 243.
Brissac (le duc de), 10.
Broussais (Ga.simir), mé(|,;cin. Mé-
daillon, 183, 186.
Bruges, 293.
Brulart, (Le marquis de), 4.
Bruxelles, 19, 20, 294, 293.
— Bibliothèque, 21.
— Hôtel d'Areaberg, 21 .
Bltfkon (Jean-Louis Leglerc, comte
de), naturaliste, 131.
Buisson ardent (le), peinture, 67.
Bltoxarroti (Michel-Angiolo), pein-
tre, sculpteur et arcliitecte, 209. 262.
Bl^rger (W.). Voy. Thoré (Théo-
phile).
BuRNOUF (Eugène), orientaliste. Mé-
daillon, 177, 183.
Burns (Robert), poète, 33.
Byron (Georges Gordon, lord), 102.
310. Médaillon, 237.
Cadeau (René), peintre, 18, 19.
Calais, 231.
Galderon (Pedro), poète, 223.
Callamare (Gharles-Anloine), sculp-
teur. Médaillon, 273.
Cambrai, 18,19, 204.
Camille (Sœur). Yoy. Saint- Vin-
cent.
Canaris (Constantin), marin grec.
Buste. 299, 300, 302, 304.
Ganclaux (le comte de), consul, 48,
102, 104.
Gandolle (Auguste-Pyrame de), bo-
taniste. Médaillon, 183, 186. .,„.,,,
Ganova (Antoine), sculpteur, 7, 223,
263, 267, 272 .
Gardillac (René), orfèvre, 68.
Carnac, 240.
Garnot (Lazare-Nicolas-Marguerite),
conventionnel , 170. Médaillon ,
216, 217.
Garnot (Lazare-IIippolyte), homme
politique, sénateur, 170, 171, 216.
Garnot (M™^ Lazarc-Hippolyte), 171 .
Garrel (Armand), publiciste. Sta-
tue et buste, 120, 121 .Médaillon, 68 .
Cartellier (Pierre), sculpteur, 8.
Carthage, 191.
Garus (Charles-Gustave), médecin,
naturaliste et peintre. Buste, 88,
116, 117, 147. Médaillon, 88, 117.
Gauterels, 203.
Gavaignac (Godefroid), pujjliciste.
Médaillon, 263, 264.
Gavé (François), directeur des beaux-
arts, 232, 234, 243. 234, 233.
332
DAVID D'ANGERS
Cécile [Sainte). Statue, 138-140, 178,
292.
Géphisia. Voy. Képhissia.
Ghaillod, marchand d'estampes, 28.
Chalounes, 185.
Ghambry, amateur, 7.
Chamisso (Adalbert de), naturaliste,
romancier et peintre, 82, 83, 112.
Médaillon, 84, 113-115. '
Ghampaigne (Philippe de), peintre,
XII.
Gharlemagne, 86.
Gharleroi, 21.
Gharles X, 45.
Gharlet (Nicolas-Toussaint), dessi-
nateur et peintre, XI, 143-145,
227, 253-255.
Gharlet (M""= Vve), 254, 255.
Ghai'Iottembourg (jardin de), 146.
Ghateacbriand (François-René, vi-
comte de), écrivain, XI, 26, 39_,
r 40, 62, 63, 175, 198, 225, 242, 314.
Buste, 47, 48, 52, 289. Médaillon,
263, 264.
Ghateaubriand (M"'= de), 52.
Chateaubriand (M"'= Sibylle de), 52.
Ghateaugiron (M"° de), 103.
Chaudet (Antoine-Denis), sculpteur,
291,
Ghauvinière (M. de la), 234.
Ghavagnes (Maine-et-Loire) , 161,
162, 169.
Ghénier (André de), poète, XIV.
Buste, XV, 153, 154, 213-215.
Ghénier (Marie-Joseph de), poète.
Buste, 233, 234.
Gherbourg, 184.
Chevaux, de Mariy , groupes par
Goustou, 104.
Chevaux, sculptures par KIot, 223.
Gheverus (J. Lefébure de), cardinal.
Statue, XIX, 202-203, 234, 236,244,
247, 291.
Ghevreul (Michel-Eugène), chimiste,
XI, 11, 25, 26, 178.
Ghiron (le centaure), 144.
Ghrist. Voy. Jésus-Christ.
Cid (le), bas-relief, 266, 267.
Clark (Miss), 48.
Clermont, 23.
Golet (Louise), poète, 218.
Golettis (J.), homme d'État, 105,
106. Médaillon, 106.
Colomb (Christophe), navigateur, 119.
Combat d'un lion, groupe, 223.
Combourg (château de), près Saint-
Malo, 52.
Commerce (le), haut-relief, 125.
GoxDÉ (Louis II, prince de), dit le
Grand Gondé, capitaine. Statue,
XV, 8, 9, 51, 59.
GooPER (Fenimore), romancier, XI,
29. Buste, 22, 23, 29.
Coq {un], sculptui-e, 51.
Coquereau (M""), 138, 139.
Corbière (Jean - Antoine - René -
Edouard), romancier, 191, 290.
Médaillon, 192.
Gordoue, 72.
Gormenin (Louis de), publiciste, XL
Corné, 54.
Corneille (Pierre), poète, XIII, 266.
Statue, 62, 70,78, 79, 99, 133.
Cornélius (Pierre de), peintre, 223.
Gortot (Jean-Pierre), sculpteur, 65,
72.
Gosenza, 264.
Cosnier (Léon), littérateur, 300,302,
310.
Gottenet, collectionneur, 255.
Gottereau le Chouan. 139. Porti'ait,
138.
Goudray, architecte, 56. Médaillon,
57.
Courrier (Ze), journal, 283.
Cousin (Victor), philosophe, XI, 167,
168, 218.
Goustou (Guillaume), sculpteur, 104.
Couthon (Georges), conventionnel.
Buste et portrait peint, 236, 237,
239.
Couturier de Vienne (H.-J.-B), pu-
bliciste, 51.
Curmer, éditeur, 265.
GuviER (Georges), naturaliste, 34.
Statue, 101, 125. Buste, 116.
Dannyaux, collectionneur, 216, 258.
Danseur {un), statue, 226.
Dantan (Jean-Pierre) jeune, sculp-
teur, 190, 191.
Dante Alighieri, poète, 25, 210.
Danton (Georges-Jacques), conven-
tionnel, 295.
TABLE ALPHABÉTIQUE
333
Danube [le), statue, 146.
Dauxou (Pierre- Claude- François),
homme politique, 21d. Médaillon,
217.
David père (l'ierrc-Louis), sculpteur,
189, 198.
David d'Angers (Pierre-Jean), sculp-
teur. Buste, XIV, XV. Portrait
littio^rapliié, 26. Portrait peint,
32o. Statue, 326, 327.
David d'Axgeks (Emile Maillocheau,
madame), XV, XVII, XVIII, XIX,
58, 68, 72. 74. 76. 77, 85, 86, 91-93,
97, 98, 101, 107, 108, 109, 115,116,
121 125, 127,128,135,137, 139,
147, 150, 152. 153,-156, 165, 1117,
170 171, 173, 179. 181, 182, 188,
191^193, 202,204. 211-213, 220,
222, 223, 233, 241 . 247, 248, 257,
258, 207, 274, 275, 281-283, 287, 289,
292-294, 302-306, ^08, 311, 315,
316, 323-326.
D.wid d' Angers (Paul), 187.
David d'Angers (Robert), sculpteur,
I V, XIX, 74, 76, 80, 82, 84, 90,
94, 115, 122, 129, 196, 197, 200,
203, 204, 238, 257, 261, 264, 281,
287-289, 292, 294, 295, 302-311,
313, 326, 327. Statues, XV, XIX,
101, 102, 197.
David d'Angers (Hélène). Voy. Le-
FERME (M""^).
David (Jacques-Louis), peintre, 1, 3,
4. 7, 18, 19, 21, 23, 228, 233, 284.
Médaillon, 4.
Dejocx (Claude), sculpteur, 1, 3, 6.
Médaillon, 4.
Delacroix (Eugène), peintre. IV, XI,
90, 91, 199, 200. Portrait, 26, 27.
Delaroche (Paul), peintre, 63, 202,
203, 200-210.
Dei.avigne (Casimir), poète, 21, 22,
24, 20, 77, 232. Statue, 235, 236,
239, 245, 269, 274, 290, 301.
Deléclcze (Etienne-Jean), peintre et
écrivain, 139.
Delor.\ie (Marion), 45.
Delcsse (Jean-Jacques), dessinateur,
16, 26, 41.
Demidoi'f (Paul), 65.
Démosthène, 298.
Demoustiers (Charles-Albert), poète,
7.
Donain, 19.
Dexïu, éditeur el collectionneur,
159.
Desdordes (Marceline). Voy. Val-
JIORE.
Deschamps (Emile), poète, 26, 37,
213, 214.
Destutt de Tracy ("Antoine-Loiiis-
Claude), philosophe. Buste, 153.
Dictionnaire politique (le), 184, 18G.
Distribution de prix, has-velieî, 168,
175, 202.
Dombasle (Mathieu de), agronome.
Statue, 234, 262, 263, 291.
DoNAs (Roch-Jean-Baptiste), peintre
et sculpteur, 180, 181, 190.
Dresde, 56, 71, 82, 84, 85, 87, 88, 101
109, 147, 239.
Drouot (Antoine, comte), général
Monument, 293, 317.
Droz (François-Xavier- Joseph), phi
losophe, XI. Médaillon, 74, 75.
Du Bellay (Joachira), poète, 89, 90
173, 178, 181. Portrait, 128, 129
176, 177, 183, 189, 192, 194. Projet
de buste, 188.
Dublin, 48.
Dubois (Antoine, baron), chirurgien,
41.
DuBRUNFAUT, coUsctionneur, 47,273.
Duclerc (E.), éditeur, 180.
Dul-ong (Pierre-Louisi, chimiste, 126.
DuLONG, fils, dessinateur, 143.
Dumas (Alexandre), romancier, 48,
61, 62, 1.52.
DuMONT (frère de Jacques-Edme,',
peintre, 103.
DuMONT (Jacques-Edme), sculpteur,
103, 104.
DcMONT (Pierre-Etienne-Louis), dit
DuMONT de Genève, publiciste, XI,
36, 37,
DuMOURiEZ (Charles-François), géné-
ral. Buste, 117, 118.
Dunkerquc, 218. 234, 248-252, 258,
278, 297.
DuPATY (Louis-Emmanuel), écrivain,
218.
DupRÉ (Augustin), graveur en mé-
dailles. Médaillon, 21.
DuPRÉ (Louis), peintre ctlilhograplie,
19, 26, 28-30.
Durer (Albert), peintre et graveur.
Statue, 140, 147.
Duret (Francisque), sculpteur, 226,
232,233.
Durtal (Maine-ot-Loire), 188.
334
DAVID D'ANGERS
DuTERTRE (André), peintre, 102.
Ecouflant, près Angers, 26.
Eggers, collectionneur, 73, 83, 92,
101, 115, 125, 155, 171, 235, 246,
272.
Egine, 240.
Eue de Beaumont (Jean-Baptiste-
Armand-Louis-Léonce), géologue.
Médaillon, 221.
Enfant à la grappe (/'), XV, XIX,
101, 102.
Etienne (Charles-Guillaume), écri-
vain, 218.
Euripide, 223.
Europe littéraire [V), journal. 75,76.
Eve. Voy. Adam et Eve.
Eyck (Jan Van), peintre, 296.
Faucher (les frères), généraux. Mé-
daillon, 266, 267.
Favart (la pension), 13.
Femme [une têle de), buste, 226.
Fénelon (François de Salignac de La
Mothe), archevêque de Cambrai,
240. Statue, 18, 19. Buste, 22, 23.
Feneu (Maine-et-Loire), 319, 321.
Figaro (le), joui'nal, 90.
FiLLON (Benjamin), archéologue, 42,
318, 319, 320.
Finkenstein (la comtesse de), 109.
Fitz-Maurice. Voy. Lansdowne.
Flandtun (Hippolyte), peintre, 313-
Fleurus, 34.
Fontainebleau, 166.
FoNTÉMOiNG (M.), 234, 249,
Fontenay-le-Gomte (Vendée), 319.
FoRBiN ( Louis-Nicolas-Philippe-Au-
guste, comte de), peintre el écri-
vain, directeur des musées royaux,
20, 21.
FoRGET (la baronne de), 90. Médail-
lon, 91.
FoucHER père, 94.
FoucHER (Paul), écrivain, 32, 33,
FoY (Maximilien-Sébastien), général.
Monument, 71.
Francke (A. -H.), philanthrope. Mo-
nument, 63.
Franklin (John), navigateur, 40.
François I", 209, 290.
François, médecin, 97.
Frédéric Auguste (le prince), 117.
Frédéric II, le Grand. Monument,
146, 147. Statues, 223.
Friedrich (Gaspard-David), peintre
87. Médaillon, 88.
Froment (Nicolas), peintre, 67.
Frontispice, dessin, 319, 320.
Galicie {les massacres de), médaille,
266, 267.
Garnier (François-Claude), médecin.
Buste, 266, 267, 269.
Garnier-Pagès. Projet de tombeau,
184, 186.
Gaube (le lac de), 205, 206.
Gautier (Théophile), littérateur.
Médaillon, 249,230.
Gavarnie, près Baréges, 203, 286.
Gay (M'" Delphine), poète, 47, 53,
96, 97. Médaillon, 34, 33.
Gay (M"" Sophie), romancier, 47,
53.
Genève, 37.
Geoffroy Saint-Hilaire {M°« Isidore),
281-283.
Georges (M"'=), actrice. Médaillon,
60.
Gérard (François -Pascal, baron\
peintre, 63, 63, 72, 84. Buste, 120,
121.
Gerbe (la), journal, 89, 90.
Gerbert. Voy. Sylvestre IL
Gheel (Van), sculpteur, 6, 21.
GiGoux (Jean), peintre, 214, 229,
230, 243, 253-233.
Girodet-Trioson (Anne-Louis), pein-
tre, 7.
GoBERT (J.-N.), général. Monument,
125, 145, 146, 158, 190, 196, 220,
223, 273.
Godard-Faultrier (Victor), archéo-
logue, 275, 276.
Goethe (Jean-Wolgang), poète, 47,
73, 124, 223. Buste, 42, 43, 45, 46,
56, 57, 98, 146, 218, 219, 239.
Goldoni (Carlo), poète, 130.
Granet (François-Marie), peintre, 21.
Grecque (la Jeune), statue, XV, 81 ,
90, 103.
Grégoire (l'abbé Henri). Buste, 153.
Grille (François) , bibliothécaire ,
177, 181, 189, 192, 288.
Grille (Toussaint), amateur, 177,
191, 195.
Gros (Antoine-Jean, baron), peintre,
20, 21, 77, 83, 84.
TABLE ALPHABETIQUE
335
Gucrnesey, 323, 325.
Guerre {la), statue, 232.
GuTENBERG (Joan), 195. Statue, XIX,
125, 158, 162, 167, 170, 199. 200,
202, 215, 228, 262. Statuette, 247,
252, 259, 260.
GuTTiXGUER (Ulrich), poète, 129.
Haeiung (Guillaume dit WiLicAi.n,
Alexis), romancier, 114, 124, 125.
Médaillon, 110-113.
Hahnemanx (Samuel), médecin, XI,
Buste et médaillon, 95.
Hah\eman.\ (Mélanie d'Hervill3% M"'"),
102.
Halle sur Saale, 65.
Hambourg, 91.
Havre (le), 91. 170, 191, 192, 225,
231, 232, 235, 236, 239, 245, 248,
290, 301.
IIawke (Pierre), peintre et dessina-
teur, 206, 211.
Haye (La), 21.
Hemlixg (Hansi, peintre, 295, 296.
Hexriquel-Dupont (Louis-Pierre) ,
graveur, XI. Médaillon, 118.
Herder (Jean-Gottfried), écrivain,
124.
Héringtdorf, 111.
Hervilly. Voy. Hahnemanx.
Herzfeld (M.), 100.
IIippocrate, 197.
HiTTORF (Jacques -Ignace), architecte,
XI, 125, 126.
Hoche (Lazare), général, 320.
Hoffmann (Ernest -Théodore- Wil-
helm), romancier, 68, 272.
Holtei (Charles de), poète et comé-
dien, 112, 113.
Homère, 24, 262. Apothéose d'— , pein-
ture, 210.
Hortexse (la reine). Statue, 142.
IIouuoN (Jean-Antoine) , sculpteur,
117.
HUDOU (Mlle), 19.5.
Iluillé (Maine-et-Loire), 188.
ihGo ,'Marie-Victor, comte), IV, XI,
XII, ~ 4, 24-27. :J2. 33, 38, 39, 4.5,
51, 60, 61, 63, 69, 70, 74-76, 78,
79,88,129, 167, 179. 180, 195,196,
- 218. 224-226, 281, 284. 285, 323,
32.5-:}27. Bnste, 120-123, 139, 140,
202, 238, 241,317, 326. Médaillon,
32. 34, 35, 37.
Hugo (Adèle Foucher, M""= Victor),
94, 123, 224, 326. Médaillon, 38,
39.
Hugo (Léopoldine), 94, 224, 226.
Humanité (T). projet de groupe, 150.
HuMBOLDT (Alexandre, baron de), na-
turaliste, XI, 64, 72. 73,113, 115,
125, 126, 146, 155, 23S, 323, 324.
Buste, 222-224, 246.
HussoN (Aristide), sculpteur, 201 , 258.
Hymans (Henry), écrivain, 21.
Ilyéres, 67.
IcTiNus, architecte grec, 206. 209.
léna, 116.
Illustration [V), journal, 300, 302.
lo, 144.
Isaac {Rencontre cl'] et de Rébecca,
peinture, 20, 21.
Ingres (Jean-Dominique- Augustin),
peintre, 05, 72, 204, 210.
Innocence implorant la Justice [V],
bas-relief, H.
Jacquin, écrivain, 142.
Jaxix (Jules), littérateur, 222, 245.
Jean, domestique, 321.
Jean l'évangéliste (saint), 130.
Jefferson (Thomas), président des
Etats-Unis. Statue, 62,70.
Jehova, 271.
Jemmapes, 19.
Jésus-Christ, 86, 87, 208, 303, 314, —
écrivant sur le globe du Monde.
dessin, 130,131, 135, 136, 16o.Tcto
de — , sculpture, 157, 189.
Jeuffroy (Romain-Vincent), graveur
en médailles, 1. Médaillon, 4.
JoMARD (Edm. -François), géographe.
Médaillon, 201, 262.
Joséphine (l'irapératrice), 96, 97,142.
Portrait, 90. Médaillon, 91.
JouARRY, médecin, 97.
JouiN (Henry), sa collection, 9, 31,
50, 105, 1.35, 1.52, 254.
JouRDAN (Jean-Baptiste) , maréchal
de France. Médaillon, 34.
Journal d'Angers, 118, 255.
Journal de Maine-et-Loire, 269, 302,
314.
Journal du mois (le), 272.
Jui.T.iEN DE Paris (Marc- Antoine),
publiciste, 47.
Jupiter, 298.
Kadelbeug, 195.
336
DAVID D'ANGERS
Képhissia ou Céphisia, XX, 302,305.
KiRSTEiN (Jacques-Frédéric), ciseleur,
199, 200.
Kiss (Auguste), sculpteur, 146, 223.
Klenze CLouis-Léon de), architecte,
88, 111. Médaillon, 91, 92, 124,125.
Klot, sculpteur, 223.
Kdhn, chef d'institution, 261.
Labédoyère (Charles HacHET, comte
DE), colonel. Médaillon, 266, 267.
La Bitte, libraire, 183.
Lacépède (Etienne de Làville, comte
de), naturaliste, XL
Lachèse (M.), 51.
La Fayette (Gilbert Motier, marquis
de), général, XI, 27, 62, 97. Buste,
297.
La Grange en Brie (château de), 27.
Laine (Joseph- Henri-Joachim, vi-
comte), homme d'Etat, 8.
Lakanal (Joseph), conventionnel, XL
Buste, 171, 172. Médaillon, 172.
Lamarque (Maximilien, comte), gé-
néral, 63.
Lamartine (Alphonse de Prat, dit),
poète, XI, 46, 54, 70, 81, 88, 105,
162, 167, 215,270, 271, 284-286,314.
Buste, 38, 49. Médaillon, 53, 54.
Lamennais (l'abbé Félicité-Robert
de), écrivain, XI, 130,131. 135,136,
175, 176,178,198, 285. Buste, 120,
121, 153, 159, 160, 164, 165.
Langlois (Jérôme-Martin) , peintre,
144.
Langlois (Hyacinthe), antiquaire et
dessinateur, 99, 100.
Lansdowne (Henri Petty Fitz-Mau-
rice, marquis de), 36, 37.
Laocoon (/e), groupe, 208.
La Revellière-Lepeaux (Louis-Ma-
rie), conventionnel, 58.
La Revellière-Lepeaux (Ossian), 57,
58.
La Revellière-Lepeaox (Victorin),
304, 306.
Larrey (Dominique-Jean, baron),
chirurgien. Statue, 236, 239, 252,
288.
Larrey (Hyppolite, baron), chirur-
gien, membre de l'Institut, 252.
Laruns, 149, 243.
Lasteyrie (Ferdinand de), archéo-
logue, 61, 62.
Lasteyrie (M. et M"' de), 61.
Las Casas (Barthélémy de), domini-
cain, 22.
Latodche (Henri de), écrivain, 263,
264.
Laugier (Ernest), astronome, " 224.
Laussedat (Aimé), médecin, 294, 295.
Laval, 158, 175, 176.
Laville-Leroux. Voy. Benoist (M"°).
Lebiez, photographe, XVI.
Le Breton (Gaston), conservateur
du musée céramique de Rouen,
1^:2.
Lebreton (Théodore), poète impri-
meur sur étoffes, 105, 127, 128, 134,
137, 180, 193. Médaillon, 99, 100.
Le Brun (Charles), peintre, XIII.
Lebrun (Pierre-Antoine) , poète ,
200, 202.
Leclère (Achille), architecte, 225.
Lecomte (Félix), sculpteur, 1, 3, 4.
Leferme (Hélène David d'Angers, ma-
dame), 107, 108,115,116, 129,196,
240, 257, 275. 292. 294, 299, 300,
302, 304, 305, 311, 324. Médail-
lon, 138, 139.
Lefeuve (Charles), historien, XX.
Législation (la), statue, 232.
Leloir, graveur, 183, 189, 192.
Le Loyer (Pierre), poète. Projet de
buste, 188.
Lemaire (Philippe-Joseph-Henri) ,
sculpteur, 80,249.
Lemercier (Louis- Jean- Népomu-
céne), poète, 1. Médaillon, 4, 63,
64.
Lemercier (M^^ et M"=), 64.
Lexepveu (Jules-Eugène), peintre,
membre de l'Institut, 158, 276.
Lenormant (Charles), archéologue,
190. Médaillon, 191.
Léonidas, peinture, 19.
Leroux (Jean-Marie), graveur, 228,
244, 260.
Leroux (Pierre), philosophe, 303.
Le Sueur (Eustachc), peintre, XII.
Lethière (Guillaume-Guillon), pein-
tre, 63.
Leysener (Jean-Sébastien) , sculp-
teur, 156, 189-192, 194, 195, 198.
Médaillon, 157, 244. Portrait, 206.
Liège, 2.
Lille, 265.
Lioîisaitiquant un porc, peinture,
314.
TABLE ALPHABÉjTIQUE
337
Lire (Maine-ot-Loire), 188.
Lizy-sur-Ourcq, 212, 213.
LocKROY (Joseph-Philippe SiMOX.dit),
auteur dramatique, 60.
Londres, 4, 22, 29, 30, 33, 36, 96, 151,
137, 287.
Loué (Sarthe), 319.
Louis XIV, 206.
Louis-NoEL (Hubert), sculpteur, 327.
Louvio (carrière de), 149, 151, 243.
Luc l'évangé LISTE (saiut), 130.
Lycurgue, 304.
Lyon, 23, 139, 311.
>L\CD0XALD (Etienne-Jacques - Jo-
seph-Alexandre) , maréchal de
France, 23.
Madrid, 72.
Magdebourg, 83.
MAGu(Marie-Eléonore) , poète tisse-
rand. Médaillon, 212, 213.
Maillard (Adrien), écrivain, 90, 94,
123, 137, 141. 154, 153, 234, 235,
256, 259. Médaillon, 132, 133.
Maillocheau (M.), 138, 139.
MAi.\DRON(Hippolyte), sculpteur, 33,
34, 57, 58.
Manuel ^Jacques-Antoine), député.
Médaillon, 61.
Man'zoxi (Alexandre, comte), poète,
314.
Marathon, 300.
Marceau (François-Séverin Desgra-
viers), général, 102-104.
Marie-Madeleine (sainte), 79.
Marmier (Xavier), écrivain, 92, 93.
Médaillon, 93.
Marmoxt (Auguste-Frédéric-Louis
ViEssE de), maréchal de France,
23.
Mars (Anne - Françoise- Hippolyte
BouTET, dite mademoiselle), comé-
dienne. Buste, 153, 266, 267.
Marseille, 59, 60, 91, 94, 312.
— Arc de triomphe, 66, 67, 100.
Marthe (Anne Biget, Sœur), 96, 97.
Marti.n- (Aimé), écrivain, 291.
Massa (Toussaint), sculpteur, 6.
Mathieu (Claude-Louis), astronome,
224.
Mathieu l'évangéliste (saint), 130.
Matipeu de Mo.ntaigu (M.), historien,
320.
Mauroy. Voy. Monnoi.
Mayenne, 203,244.
Mazet, médecin, 97.
Mazure (Adolphe), inspecteur d'Aca-
démie, 22-24, 32.
Médée, 223.
Mé\ageot (François - Guillaume) ,
peintre, 1, 3, 4.
Ménaud (Alfred-Pierre), dessinateur,
206.
Mercier (J.-M.), peintre, 183, 269.
Mercure inventant la lyre, statue,
226.
Mérimée (Prosper), écrivain, 48, 52.
Médaillon, 34.
Metternich (Clément- Wenceslas,
prince de), homme politique, 266.
Metz, 148.
Meurice (Paul), romancier, 317.
Meynier (Charles), peintre, 63.
Michel-Ange. Voy. Buonarroti.
MicHELi, mouleur, 67, 68, 200, 203,
229.
Michelet (Jules), historien, 79 .
Michelot (M.), 73.
Miçkiewicz (Adam), poète, XI, 47,
157.
Miecislas, prince polonais, 146.
Mignard (Pierre), peintre, XII.
Mignet (François-Auguste-Marie),
historien, 216, 218.
Milan, 314.
Millet (Aimé), sculpteur, 228.
Minerve, 298.
Mirabeau (Honoré-Gabriel Riquetti,
comte de), homme politique, 78,79.
Mirault, médecin, 76, 185.
Miroir (le), journal, 19.
Missolonghi, XX, 309.
Moïse, 164, 303.
Molière (Jean-Baptiste Poquelin ,
dit), Xll-Xlll, 218, 266. Statue,
226.
Moll (Edouard), architecte, 29, 138,
168, 109, 172, 178, 266.
Mongazon (l'abbé Urbain Loir), fon-
dateur du petit Séminaire d'An-
gers. Monument, 168, 169, 172-
174, 202, 217, 225.
Monnoi ou Mauroy, Sœur de Sainte-
Camille, 96.
MoNsiGNY (Pierre-Alexandre de),
22
338
DAVID D'ANGERS
compositeur. Projet de buste, 216,
217.
Montbéliard, 101.
MoNTiGNY (Lucas de), collectionneur,
6, 7, 273.
MoNTiGNY (M^o Lucas de), 6, 7.
Montpellier, 147, 148, 1S4, 207.
MoREL (l'abbé), 138.
MoREL (M.), maire, de Dunkergue,
250, 251.
Morgan (sir Charles), médecin et
littérateur, 48, 152.
Morgan (miss Sidney-Owexson lady),
publiciste, XI, 52. 59, 152. Buste,
48, 49, 50, 51, 58, 104, 151. Médail-
lon, 49. Portrait, 151.
Morlaix, 231.
Muller (Ottfried), archéologue, 308,
310.
Munich, 64, 71, 84, 88, 90, 98, 124,
219.
MassET (Alfred de), poète, XI, XX.
Médaillon, 67, 68.
Nagler, biographe, 26,84.
Nairac (M. Paul de), 104.
Nancy, 262, 263, 291,
Nantes, 63, 88, 138, 211, 319.
Napoléon I«% 23, 72, 97, 166, 285.
Monument, 232. Projet de monu-
ment, 256, — achevai, dessin, 254.
Napoléon (Louis), roi de Hollande,
142.
Napoléon III (le prince Louis-Na-
poléon, depuisj, 142.
Navez (François-Joseph), peintre,
20, 21.
Navigation {la), haut-relief, 125.
Négrier (Charles), médecin, 76.
Nelson (Horatio), amiral, 225.
Nerbonne (Henri-Aubin de), poète
et littérateur, 234, 249, 287.
NÉRON, 317.
Neufchâtel, 274.
New-York, 62.
Ney (Michel), maréchal de France,
25, 26, 120. Médaillon, 265, 267.
Nice, 102, 104, 304, 307, 308, 311.
Nicolas I", empereur de Russie, 146.
Niemcewicz (Julien-Ursin) , poète.
Médaillon, 77.
Nimes, 60, 211, 212.
Niobét 208.
Nodier (Charles), écrivain, XI, 88.
Médaillon, 55.
NoÉ (le comte de), 233.
Nota (le baron Alberto), écrivain,
129. Médaillon, 130.
Nuées (les), bas-relief, 266, 267.
Nuremberg, 84, 87, 146.
Œdipe, bas-relief, 266, 267.
Ohmacht (Landelin), sculpteur, 189.
Olivier (Thérèse), domestique de
David d'Angers, 264, 294, 305, 307,
311. Médaillon, 265.
Ollioules, 67.
Ollivier (Charles -Prosper), médecin.
18, 19. Buste, 266, 267, 269.
Opie (Amélia Alderson, mistress),
romancier, XI, 95, 96. Buste et
médaillon, 97.
Orange (le prince d'), 19.
Orfil a (Mathieu - Joseph - Bonaven-
ture), chimiste, 19.
Orléans (famille d'), 97.
Ostende, 296.
OuDOT, receveur de la Crèche du 12^
arrondissement de Paris, 282.
OuDOT (Charles-Fz'ançois), conven-
tionnel, 192. Médaillon, 193.
OuDOT (Une sœur de), 192, 198.
OvERBECK (Bonaventure Van), pein-
tre, 134, 137.
Ovide, 299.
Paganini (Nicolo), violoniste, 70.
Pagnerre, éditeur. 184, 186, 270.
Pajou (Jacques-Auguste), peintre, 1,
2, 5. Médaillon, 4.
Palmsteds (M.), 127.
Pandore {la), journal, 19.
Papiau de la Verrie (M™"), 11, 13.
Papiad de la Verrie (Raymond),
11,13. '
Papin (Louis- Guillaume), littérateur, .
195.
Papin (Denis), physicien. Projet de
statue, 226.
Paré (Ambroise), médecin, 169. Mo-
nument, 158, 175, 176.
Parent-Réal (Nicolas-Joseph-Marie),
homme politique. Buste, 215,
216.
Paris. — 'Abbaye de Port -Royal,
— Arc de triomphe de l'Étoile, 283^
TABLE ALPHABETIQUE
339
Paris. — Cabinet des estampes de la
Bibliothèque Nationale, 103.
— Carrefour de l'Observatoire 25, 26.
— Champs-Elysées, 104, 139.
— Cimetière du Père-Lachaise, 12,
158, 243, 274.
- Colline de Montmartre, 96, 97.
— Cour du Louvre, 11, 249.
— École des beaux-arts, 203,206-210.
— Ecole de médecine, 293.
— École polytechnique, 143, 144,
143, 219.
— Eglise delaMadeleine, 66, 80,249.
— Église de Saint- Vincent de Paul,
315.
— Fontaine Molière, 218.
— Hospice et prison de Bicêtre, 25,
26, 35.
— Hospice Necker, 106, 180, 192.
- Hospice de la Salpêtrière, 163.
— Hospice du Val-de-Grâce, 236.
— Hôtel de Beauvau, XX.
— Hôtel de la Bourse, 66.
— Hôtel Garance ou Garancée, XIX.
— Hôtel de Lubersac, XX.
— Hôtel de Montagu, XX.
— Hôtel de Rohan, 202.
— Hôtel de Roquelaure, XX.
— Hôtel de la Sordière, XX.
— Hôtel de Sourdéac, XX.
— Imprimerie Royale, 200, 202.
— Institut, 121.
— Jardins des Tuileries, 123, 129.
— Mairie du XP arrondissement, XX.
— Musée Carnavalet, 61.
— Musée Colbert, 52, 81.
— Muséum d'histoire naturelle, 101,
125.
— Musée du Louvre, 70, 101, 125,
158, 159.
— Musée des Petits- Augustins, 219.
— Palais des Tuileries, 103, 104.
— Panthéon, 80, 101, 124-120, 128,
129,131, 1.38,297.
— Pont Louis XVI, 8.
— Pont des Saints-Pères ou du Car-
rousel, 76.
— Prison de Sainte-Pélagie, 175,
176.
— Théâtre-Français, 40,45, 101,234.
Paris. — Théâtre de l'Odéon, 60.
Pariset (Etienne), médecin, 97, 175,
176. Médaillon, 163,166, 167.
Paruv (sir William-Edwards), navi-
gateur, 34, 40.
Parseval (Amédée), 53.
Passy, près Paris, 73.
Pasta (M""= Giuditta), cantatrice. Mé-
daillon, 34.
Patrocle, 144.
Pavie (Joseph). Tombeau, 188, 189,
192, 196.
Pavie père (Louis), imprimeur et
écrivain, IV, 9-12, 16-19, 24-30,
33, 34-41, 44, 57-60, 74, 76, 80-
84, 93-94, 107, 108, 128, 129, 131,
132, 153, 135, 156, 194, 249, 260,
280,321. Buste, 32-34.
Pavie (Marie-Madeleine Fabre, ma-
dame Louis-Victor), 74.
Pavie (Maurice), 173.
Pavie (Théodore), orientaliste, 29,
43, 44, 69,74,88, 94, 133, 177, 183,
186, 194, 220, 242, 273.
Pavie (Victor), poète et littérateur,
IV, V, VI, XV, XVIII, XX, 9, 11,
12-16, 19, 22, 23-26, 28-30, 32-
34, 41, 43-46, 31, 58, 60, 62, 63, 66,
67, 69, 70, 74, 76, 78-80, 82, 86-90,
93, 94, 100-108, 118, 119, 120-123,
127-129, 132-142, 131-153, 155-158,
160, 161, 102, 164, 1 65, 167, 168, 173-
181, 183-211,217,218, 220,224-226,
228, 230-235, 240,241,247-252, 256,
2.39,260,262, 265-270, 273,275-280,
28.3-292, 295-302, 304,306,308-310,
312-315, 317, 319-321.
Pavie (M"" Victor), 46, 108, 121, 135,
137, 139, 132, 133, 169, 170, 187,
188, 191, 204, 243, 263, 287, 291,
292, 293.
Percier (Charles), architecte, 21. Mé-
daillon, 125, 126.
Petit (Jean-Martin, baron), général.
Médaillon et portrait, 156.
Petit (Jean-Claude), sculpteur, 174.
Petitot (Louis- Messidor Lebon),
sculpteur, 76, 201.
Petty. Voy. Lansdowne.
Phidias, sculpteur, 33, 167, 206, 209,
300.
Philopœmen. Statue, XV, 70, 101,
125, 129, 143, 145, 223.
Pierre-Bécherelle (lii), près Angers,
87, 88.
PlG.NEROI.LKS (M. DE), 190,
340
DAVID D'ANGERS
Pilon (Germain), sculpteur. Médail-
lon, 319, 320.
Platon, 283, 298.
Platon, marchand mercier, 304.
Plon, Nourrit et G''% imprimeurs,
XX.
Pœstum, 296.
PoiNsoT (Louis), géomètre, XI.
Pointe (la), près Angers, 87.
PoLONCEAU (Jean-Barthélemy- Ca-
mille), ingénieur, 76.
PoNCY (Charles) poète maçon. Mé-
daillon, 253, 257.
Pondichéry, 177.
PoTRELLE, marchand d'estampes, 28.
PoTTER (Louis-Joseph- Antoine de),
publiciste, 21, 295.
PoTTER (Eleuther de), 293.
PouPARD (Charles), lieutenant, XVI,
XVII.
Poussin (Nicolas), peintre. Statue et
médaillon, 243.
Pradier (James), sculpteur, 36, 37,
76, 302, 303.
Praxitèle, sculpteur, 300.
Préault (Antoine-Augustin), sculp-
teur, 249, 230.
Précurseur de l'Ouest (le), journal,
274.
Priego, près Gordoue, 72.
Proust (Louis), chimiste, 26.
Prud'hon (Pierre), peintre, 90.
Puget ^Pierre), sculpteur, 66, 209.
PuRRY (David), philanthrope. Statue,
274.
Pyramides {bataille des), bas-relief,
288.
Quatrebarbes (Théodore, comte de),
218,275.
QuATREMÈRE DE QuiNCY (Antoiue-
Ghrysostomej , archéologue , 32,
33, 72.
Querelles (La comtesse de), 90.
QuETELET (A.), astronome. Médail-
lon, 47.
R... Buste, 299.
Racine (Jean) poète. Statue, 11.
Buste, 123.
Rangeardières (les), près Angers,
43.
Raoul-Rochette (Désiré), archéo-
logue, 246.
Raphaël. Voy. Sanzio.
Ratisbonne, 86.
Rauch (Christian), sculpteur, XI, 64,
63. 71-73, 84, 83, 88, 124, 123, 14.3-
147, 170, 171, 182, 222, 223. 234,
235, 245, 246, 271, 272, 324. Buste.
83, 91, 92, 101, 102, 114, 115. Mé-
daillon, 100. 101.
Rébecca. Voy. Isaac.
Reboul (Jean), poète boulanger.
Médaillon, 211, 212.
Récamier (Jeanne - Françoise-Julie
Bernard, madame), 39, 40, 33.
Médaillon, 30, 31.
Réforme (la), journal, 283.
Regnault (Jean-Baptiste), peintre,
63.
Religion {la), bas-relief, 11, 13.
Rémusat (Charles-François -Marie,
comte de), homme politique, 306.
Renduel, éditeur, 106, 134, 181.
René d'Anjou, 18, 66, 67. Statue, 15,
217, 218, 220, 266, 269, 270, 274-
276, 312-314. Tombeau, 161, 162
199, 233, 244, 245, 268.
Renou, publiciste, 274.
Retsch (Moritz), peintre et graveur,
76, 86. Médaillon, 88.
Revue germanique, journal, 93.
Richard (Louis), fondeur, 118.
Richard, poète, 54. 55.
Rietschell (Ernest), sculpteur, 84,
88, 116, 235. Médaillon, 85.
Rieux (René de), évéque de Léon, XIX.
Riquet (Pierre-Paul), ingénieur, 138.
Statue, 124, 125, 139, 147, 151.
Ritter (Karl), géographe, 272.
Robert (Léopold), peintre, 138, 139.
Rocroy, 8.
Roland (Philippe-Laurent), sculp-
teur, XI, 1, 2, 4-8, 21, 267, 270,
272, 274. Médaillon, 4.
Roland (Madame Philippe -Lau-
rent), 6.
Rome, 5, 72, 115, 225, 317.
RoMULus, 67.
RosA (Salvator), peintre, 38, 59.
RossiNi (Joacchino), compositeur,
34, 76, 79. Buste, 123.
Rouen, 42, 78, 79, 99, 100, 121, 125,
127, 132, 133, 193, 245.
Rousseau (Jean-Jacques),philosophe,
Statue, 36, 37.
TABLE ALPHABÉTIQUE
341
RoYER DE Chatelais (M.), 19.
RoYER-CoLLARn (Pierre-Paul), homme
politique, 25.
RuDExs (Pierro-Paul), peintre, 296.
Ride (François), sculpteur, 201, 24S,
249.
Rueil. près Paris, 142.
RuTXHiEL (Henri-Joseph), sculpteur,
2.
Sablé-sur-Sarlhe, 320.
Saint-Amour (Jules de), homme poli-
tique, 215, 216, 2o8.
Saint-Béat, 190. 216.
Saint-Edme. Voy. Sarrut.
Saint- Florent (Maine-et-Loire), 9, 17,
178, ISo, 220,221.
Saint-Germain, 129, lo7.
Saint-Mandé (cimetière de), 121.
Saint-Melaine (cimetière de), 188.
Saint-Malo, 52.
Saint-Omer, 251, 258.
— Musée, 216, 258.
Saint-Pétersbourg, 223.
Saint-Pierre (Bernardin de), écri-
vain, XIX. Statue, XV, 169, 170,
191, 225, 226. 236, 239, 245, 269,
288-291, 301.
Saint -Pierre (M""' Bernardin de),
290, 291 .
Saiiit-Point (château de), 38, 49.
Saint- Vincent (Sœur, delà congré-
gation de Sainte-Camille), 96, 97.
Sainte - Beuve (Charles - Augustin),
critique, IV, XI, 26, 90, 94, 106,
153, 154, 179, 181, 186, 193.
Salamine, 298.
Salzbourg, 87.
Samson en lutte avec un lion, pein-
ture, 314.
Sand (George), romancier. Médaillon,
257.
Sans-Souci (château de), 222, 223.
Santa RosA, patriote piémontais, 310.
Sanzio (Raffacllo), peintre, 209.
Sarrut et Saint-Edme, publicistes,
120, 121.
Saumur (Maino-ct-Loiro, 195.
Savoie, soldatde laRépubli(iue, 138,
139.
Scheffer (Ary), peintre. Médaillon,
328.
ScHELLiNG (Frédéric-Guillaume- Jo-
seph de), philosophe, XI, 218,219.
Médaillon, 89, 90, 98.
S CHELLING (M"'^), 98.
Schiller (J. - Frédéric -Christophe),
poète, 76,124, 146.
ScHiNKEL (Charles-Frédéric), archi-
tecte, 111, 124. Médaillon, 91, 92,
115.
ScHiNKEL (famille), 92, 101, 115, 155-
ScHLEGEL (Auguste-Guillaume de) ,
poète et critique, XI, 51. Médail-
lon, 182, 183,185.
ScHNETZ (Victor), peintre, 63, 122.
Schwanthaler (Charles), sculpteur,
88.
Scott (Walter), romancier, 22, 23,
79. Buste, 30.
Scribe (Eugène), auteur dramatique,
77.
ScuDÉRi (M"» de), 68.
Serres (Antoine - Etienne - Renaud-
Augustin), médecin, 306, 307. Mé-
daillon, 131.
Sergent-Marceau (Antoine-François
Sergent, dit), graveur. Médaillon,
102-104.
Sergent-Marceau (Marie Desgraviers
Marceau, madame), 103, 104.
Sergents de la Rochelle {les quatre).
Médaillon, 263,264, 265.
Shakespeare (William), poète, XVII,
194, 223.
SiMÉoN (Joscph-Balthasar, vicomte),
directeur des beaux-arts, 233.
Sinaï (le mont), 164.
Sinite parvulos, projet de statue ou
de bas-relief, 268, 269.
Socrate, 298,303.
Solesmes (couvent des Bénédictins
de), 319, 320.
Sojnmo-Sierra (bataille de), bas-re-
lief, 288.
Sophie (M"«), 52.
Sophocle, 223, 266, 298.
SouLiÉ, relieur, 53, 54.
Soumet (Alexandre), poète, 218.
Soyer, fondeur, 247.
Staël (Anne-Louise-Germaine Nec-
ker, baronne de), écrivain. Projet
do statue, 101.
Stendhal. Voir Beyle (Henri).
Stockholm, 126.
Stofflet (Nicolas), général vendéen,
259.
3 12
DAVID D'ANGERS
Strasbourg, 123, 138, 162, 168, 169,
170, 199, 200, 213, 262.
Stuttgard, 84, 88.
SoRViLLE (M»'^ de), 229, 243.
SuYS (Tilman-François), architecte,
21.
Sw ANTON (Aimée-Louise). Voy. Bel-
LOC (M°=).
Sylvestre II (Gerbert, pape sous le
nom de). Monument, 288, 289,
293.
Talma (François-Joseph), tragédien.
Statue, XIX, 62, 101, 117, 118,
123.
Tambour {le petit). Voy. Barra.
Tarascon, 60.
Tartuffe [le), bas-relief, 266, 267.
Tastu (M"= Amable), poète. Médail-
lon, 34.
Taylor (Isidore -Séverin- Justin, ba-
ron), écrivain, 17.
Techener, libraire, 181.
Thémistocle, 299, 309.
Thenard (Louis - Jacques, baron),
chimiste, 126.
Thésée, 298.
Thermidor (le neuf). Projet de mé-
daille, 266, 267.
Thiers (Adolphej, historien, 75, 76,
80, 168, 306.
Thoré (Théophile), plus connu sous
le pseudonyme de W. Burger, lit-
térateur. Médaillon, 277.
Thorvaldsen (Bertel), sculpteur, 169,
272.
Thouarcé (Maine-et-Loire), 162.
Thouvenin; (M.), 49.
TiECK (Frédéric), sculpteur, 182.
Tieck (Ludwig), littérateur, XI, 87,
112, 223. Buste, 81, 84, 83, 101,
102, 108, 109, 147. Statuette, 81,
84, 83,92,93. Médaillon, 85, 113,
Toulon, 59, 60,253.
Tours, 230.
Toussaint (Armand), sculpteur, XIV.
Travot (Jean-Pierre, baron), général,
320.
Tréport (le), 224.
Trophonius, 191.
Turpix DE Crissé (Lancelot-Théodore,
comte), peintre, 176, 177.
Ulysse {Tête d'), buste, 9.
Ulysse tendant la corde de son arc,
statue, 174.
Vacquerie (Charles), 224, 226.
Valmore, acteur, 70.
Valmore (Marceline Desrordes, ma-
dame), poète et romancier. Mé-
daillon, 70, 133, 134.
Vallée (M.), 169.
Verdun, 177.
Vernet (Horace), peintre, 166, 236.
Versailles, 255, 297.
ViALARD, banquier, 154, 155.
Victoires {les), statues, 146.
ViEN (Joseph-Marie), peintre, 104.
Vienne (Autriche), 64, 71, 112, 113,
146.
Vierge (Annonciation de la), dessin,
132-137, 14i. —.statue, 198, 251.
—, projet de statue, 268, 269,276,
277.
— et i'Enfant Jésus,projet de groupe,
141.
Vigée-Lebrun (Elisabeth-Louise Vi-
GÉE, madame), peintre. 7.
Vigny (Alfred de), poète, XI, 26, 45,
62, 63, 157, 213. Médaillon, 31, 32,
34.
ViLLEMORGE (M. de), maire d'Angers,
8, 9,
Villequier, 226.
Villiers, 35.
Vincent (François-André), peintre,
1,3,4, 6.
Virgile, 310.
ViRiEu (le comte de), 38.
Vitet (Louis) écrivain, 88, 233.
VoGELDE Vogelstein (Charles- Chris-
tian), peintre, 109.
Wach (Carl-Wilhelm), peintre, 82,
83, 84.
Wagner, peintre, 88.
Walhalla (la) près Ratisbonne, 86,
88, 146, 147.
Washington (bibliothèque de), 297.
Waterloo, 19.
Weimar (la grande duchesse de),
146.
Weimar, 43-45, 47, 57, 73,
124.
WlCHJIANN (M.), 92, 101.
i, 87,
TABLE ALPHABETIQUE
343
WlCHMAMN (M""»), 92,
WiETERSHEiM (de), miiiistre d'Etat de
Saxe, 239.
WiLiBALD (Alexis;, pseudonyme de
Haering (Guillaume). Voy. ce
nom.
\YoRTH (Lord), 225.
YocNG (Edouard), poète, 24.
TABLE DES MATIEIIES
Dédicace a Robert David d'Angers I
Introdcction m
Avis au lecteur XXIII
CORRESPONDANCE.
•1811
I. Pajou, Roland, Louis David, Dejoux, Vincent, Ménageot,
Lecomte, Lemercier, Jeuffroy, au maire d'Angers.
Demande d'une pension en faveur de P.-J. David, élève
de l'École des beaux-arts à Paris 1
1812
II. David au sculpteur Philippe Roland.
La nature et l'antique. — Rome. — Monte Cavallo. —
La statue du Jeune Berger 5
III. Madame Benoist à David.
Bontés de Canova pour le sculpteur. — Louis David. —
Aparicio.. 7
181 G
IV. Cartellier à David.
Commande du Condé 8
Y. De Villemorge à David.
La statue de Condé. — La Têle d'Ulysse 8
1832
VI. David à Pavie père.
La statue de Bonchamps 9
1851
VII. David à Pavie père.
Sur une « Épitre à David, statuaire » 10
VIII. David à Pavie père.
La Religion. —Statue de Racine. — L'Innocence implorant
la Justice 1 1
1823
IX. David à Pavie père.
Sur une page do poésie ■'S
346 DAVID D'ANGERS
X. David à Victor Pavie.
Une ode sur Béclard. — La Religion 12
XI. David à Victor Pavie.
Conseils à un collégien 13
XII. Victor Pavie à David.
David en Anjou. — L'inauguration du Bonchamps. — Le
roi René 14
XIII. David à Pavie père.
Retour à Paris . — Delusse 16
XIV. David au baron Taylor.
Le château de la Bourgonniére, en Anjou 17
1836
XV. David à Pavie père.
Le journal les Affiches d'Angers. — Le peintre Cadeau. —
Le docteur Ollivier. — Les Gambresiens et le monument
de Fénelon. — Voyage à Bruxelles. — La tombe de Louis
David. — Waterloo. — Denain. — Athènes. — La cause
des Grecs... 17
XVI. David à F.-J. Navez.
La Rencontre cCIsaac et de Rébecca. — Monument à élever
à Louis David. — Le comte de Forbin. — Gros. — De
Potter, Suys et Van Gheel 20
XVII. Granet à David.
Sur la nomination du statuaire à l'Institut 21
XVIII. David à Victor Pavie.
Casimir Delavigne. — M"" Belloc. — Le buste de Fénelon.
— Walter Scott. — Cooper 22
1887
XIX. David à Victor Pavie.
La plume, outil rebelle. — Victor Hugo. — Casimir Dela-
vigne dans l'opposition. — « Poésies de Victor Pavie. »
— Le poète et la nature. — Une parole d'Young. —
Qu'il ne faut pas suivre le sentier d'autrui 23
XX. David à Victor Pavie.
Chez Royer-CoUard. — Chevreul. — Légendes angevines. —
L'ombre du maréchal Ney. — Le ferrement des galériens.
— Victor Hugo. — La préface de Cromwell 25
XXI. David à Pavie père.
Un portrait du maître. — Hugo, — Le médaillon de De-
lacroix 26
1828
XXn. La Fayette à David.
Au sujet de la tentative d'assassinat commise sur David. 27
XXIIl. David à Pavie père.
Convalescence du mai tre 27
TABLE DES MATIERES
347
XXIV. David à Victor Pavie.
Retour à la santù.— Le Corsaire ronge. — Edouard MoU. 28
XXV. David à Pavie père.
Départ pour l'Angleterre 29
XXVI. David à Pavie père.
Retour à Paris. — Victor Pavie 30
XXVII. Madame Récamier à David.
Rendez-vous pris pour une séance de pose 30
XXVIII. Alfred de Vigny à David.
Le médaillon de l'auteur de Cinq-Mars et le profil de
Victor Hugo 31
XXIX. David à Victor Pavie.
Offre du buste de Louis Pavie. — Paul Foucher. — Ma-
zure. — Quatrenière de Quincy. — L'ode A David,
statuaire, par Victor Hugo. — Burns, le poète labou-
reur. — Hippolyte Maindron 32
XXX. David à Pavie père.
Le buste do Louis Pavie. — Les « à peu près » de l'ar-
tiste comparés à la nature. — M""" Delphine Gay,
Tastu, Pasta, le maréchal Jourdan, Mérimée, Bou-
langer, de Vigny, Hugo, le capitaine Parry. — Chez
Georges Cuvier. — Maindron 33
XXXI. Delphine Gay à David.
Le médaillon de Delphine Gay 35
XXXII. Victor Hugo à David.
Le ferrement des galériens. — Le médaillon du poète. 35
XXXIII. Dumont de Genève à David.
Le buste de Jérémie Beutham, — Lord Lansdowne. —
Pradier. — La statue de Jean-Jacques Rousseau 36
XXXIV. Victor Hugo à David.
Le médaillon du poète. — Emile Deschamps 37
XXXV. Victor Hugo à David.
Contre-temps. — Le buste de Lamartine 38
XXXVI. Victor Hugo à David.
Madame Adèle Hugo. — Une séance ajournée 38
XXXVII. BaUanche à David.
Une lecture du Moïse de Chateaubriand 39
18S9
XXXVIII. John Franklin à David.
Un portrait flatté. — Projet de David de retourner en
Angleterre 40
XXIX. David à Pavie père.
Suites d'un accident. — Dostilutiuii de Delusse 41
348 DAVID D'ANGERS
XL. David au maire de Rouen.
• Offre du modèle de la statue de Bonchamps au Musée
de Rouen 42
XLI. David à Pavie père.
Projet de voyage à Weimar. — Gœthe. — Victor Pavie.
— « L'Américain. » 42
XLIL David à Pavie père.
Retour de Weimar 44
XLIIL David à Victor Pavie.
Les démolisseurs. — Une lecture d'Hernani chez Victor
Hugo. — Othello, Hamlet d'Alfred de Vigny. — Le
buste de Gœthe 4 4
XLIV. David à Victor Pavie.
Le buste de Gœthe. — Représentation d'Othello. —
Lamartine candidat à l'Académie 46
XLV. David à JuUien de Paris,
La fête de Gœthe. — Miçkiewicz 47
XLVL M™" Sophie Gay à David.
Le buste de Chateaubriand 47
1830
XLVII. Lady Morgan à David.
Le buste de lady Morgan. — Alexandre Dumas. — Mé-
rimée 4 8
XLVIIL Lamartine à David.
Le buste du poète 49
XLIX. Lady Morgan à David.
Les journées de Juillet jugées par lady Morgan. — Le
buste de l'écrivain 50
L. Lady Morgan à David.
Une ombrelle oubliée 50
LI. David à Victor Pavie.
Le modèle du Condè. — Le coq gaulois, — Lady Morgan.
— Couturier de Vienne. — « Notre-Dame de Paris. » SI
LU. Chateaubriand à David.
Un marbre vu aux flambeaux 52
Lin. Prosper Mérimée à David. • •
Inadvertance. — Le chapeau du romancier. — Lady
Morgan 52
1831
LIV. Madame Récamier à David.
Une lecture par Delphine Gay 53
LV. David à Lamartine.
La médaille du poète. — Pages blanches 53
TABLE DES MATIERES 349
L\l. Lamartine à David.
Le médaillon du poète 54
LVn. Charles Nodier à David.
La médaille de l'auteui' de Triibij 55
LVIIL David à Coudray.
Envoi du buste eu marbre de Gœthe 56
LÎX. David à Pavie père.
Louis Pavie témoin au mariage de David. — Hippolyte
Maindrou 57
LX. Lady Morgan à David.
Réception du buste de lady Morgan. — Les « Mémoires
sur la vie et le siècle de Salvator Rosa » 58
LXI. David à Pavie père.
Marseille. — La poésie du midi de la France. — Une
fleur cueillie près de Notre-Dame de la Garde. — Les
flèches de la cathédrale d'Angers 59
LXII. Victor Hugo à David.
Les répétitions de Catherine II. — La médaille de Ma-
demoiselle Geoi'ges 60
LXIII. Déranger à David.
Le médaillon de Manuel 61
LXIV. David à Ferdinand de Lasteyrie.
Un bal costumé chez Alexandre Dumas 61
LXV. David à Victor Pavie.
Statues de Corneille, de Talma et de Jefferson. — Visite
à Chateaubriand dans sa prison. — Stella. — Le Roi
s'amuse. — Le peintre Blondel. — Paul Delaroche. —
Victor Schnotz. — Le poète Barthélémy 62
LXYI. Népomucène Lemercier à David.
Réception du médaillon du poète 63
LXVII. Rauch à David.
Humboldt. — Le sculpteur Rauch, associé étranger de
l'Institut de France. — Un fragment de groupe. —
Gérard. — Ingres. — Gortot 64
LXVIII. Victor Pavie à David.
La Provence vue par un poète. — Marseille. — L'Arc de
triomphe. — Aix. — René d'Anjou. — Hyères. — Avi-
gnon 66
LXIX. Alfred de Musset à David.
Le médaillon de Musset. — Un souvenir d'Hoffmann... 67
LXX. Armand Carrel à David.
Sur la médaille du pui)licisl('. — Le teint bronzé de
Carrel 68
350 DAVID D'ANGERS
1833
LXXI. David à Victor Pavie.
Le Salon. — Lucrèce Borgla. — L'appartement de Victor
Hugo à la place Royale. — Auguste Barbier. — Ma-
dame Valmore. — Les statues de Corneille, de Jeffer-
son et de Philopœmen 69
LXXII. Rauch à David.
La statue du jeune Demidoff, par Rauch. — Les
estampes du monument du général Foy. — Projet de
David de se rendre à Berlin. — Le monument de Blûcher.
— Le sculpteur Alvarez 71
LXXIII. David à Rauch.
Bouterweck. — Le monument de Bliicher. — Gœthe. —
M"" Baudin. — Le Salon 72
LXXIV. David à Pavie père.
Une tombe . — Un berceau 74
LXXV. Droz à David
La médaille du philosophe , 74
LXXVI. Victor Hugo à David.
Pluie de médailles. — Thiers, ministre du Commerce.
— Les statues du pont des Saints-Pères 73
LXXVII. David à Pavie père.
Cahiers d'anatomie. — Robert David enfant. — Retsch. 76
1834
LXXVIII. Niemcewicz à David.
Profil de vieillard. — Gros. — Casimir Delavigne. —
Eugène Scribe 77
LXXIX. David à Victor Pavie.
Marteau ou enclume. — Concours poétique à l'occasion
de l'inauguration du Corneille . — V Etude sur Mira-
beau, par Victor Hugo. — Michelet. — Walter Scott.
— Le Fronton de l'église de la Madeleine 78
LXXX. David à Pavie père.
Inauguration du buste de Billard. — Thiers et le Fron-
ton du Panthéon 80
LXXXI. David à Lamartine.
Exposition de la Jeune Grecque au tombeau de Marco
Botzaris 81
LXXXII. David à Pavie père.
Départ du statuaire pour l'Allemagne. — David fait son
testament 8t
LXXXIII. David à Pavie père.
L'Allemagne vue par un artiste en 1834. — Le peintre
Garl-Wilhelm Wach. — Rauch. — AdalbertdeChamisso.
Ludwig Tieck. — L'amour de la patrie . . . ■ 82
TABLE DES MATIERES
351
LXXXIV.
LXXXV.
LXXXVI.
LXXXVII.
LXXXVIII.
LXXXIX.
XG.
XGI.
XCII.
XCIII.
XCIV.
XGV.
XGVI.
David à Rauch.
Gratitude du maître. — Le sculpteur Rietschell. — Le
buste de Ludwig Tieck. — Fauteuil de modèle 84
David à Victor Pavie.
La Wallialla, le Temple de l'honneur. — Le paysage. —
Mission du sculpteur à notre époque. — Projet d'un
monument aux grands hommes, — Ludwig Tieck. —
Les peintres Friedrich et Retsch. — Garus. — Notoriété
de Victor Hugo, Lamartine, Nodier, Balzac et Vitet en
Allemagne 86
1835
David à Victor Pavie.
Maladie du maître. — Edition projetée des Poésies de
Du Bellay. — Le cimetière d'Angers. — La Gerbe. —
Modestie du statuaire. — Le médaillon de Schelling. 89
Eugène Delacroix à David.
Camaraderie. — Une œuvre de Prud'hon. — Le mé-
daillon de l'impératrice Joséphine 90
David à Rauch.
Le buste de Rauch. — Les médaillons de Schinkel et de
Klenze 91
Xavier Marmier à David.
La statuette de Ludwig Tieck. — Projet de médaillon. 92
David à Pavie père.
Mariage de Victor Pavie 93
David à Pavie père.
L'air natal . — Robert David. 94
Hahnemann à David.
Le médaillon du fondateur de la médecine homœopa-
thique 93
Mistress Opie à David.
Médaille du romancier. — Publications françaises. —
Sœur Marthe. — Sœur Saint- Vincent, de la congréga-
tion de Sainte -Camille. — Souvenir de l'impératrice
Joséphine 95
Schelling à David.
La médaille du philosophe. — Le buste de Gœthe à
Munich 98
1836
Théodore Lebreton à David.
Le médaillon du poète ouvrier. — Hyacinthe Langlois. 99
David à Rauch.
Médaillon du statuaire prussien. — Le Fronton du Pan-
théon. — Statues de Guvier et de Talma. — Philopœ-
men. — Statue projetée de M"" de Staël. — V Enfant
352 DAVID D'ANGERS
à la grappe. — Bustes deRauch, de Tieck et de Berzé-
lius..., 100
XCAII. Sergent-Marceau à David.
Le médaillon du graveur. — Le général Marceau. —
Ses portraits. — Sa chevelure. — Son costume préféré.
— M"» de Ghâteaugiron 102
XGVin. Lamartine à David.
Hommage de Jocelyn 105
XGIX. Colettis à David.
Offre de la. Jeune Grecque au tombeau de Botzaris. — Le
maître reçoit la croix de l'Ordre du Sauveur de Grèce. 105
G. David à Victor Pavie.
Aloysius Bertrand 106
GL David à Pavie père.
Qu'il faut respecter les opinions d'autrui. — Toute grande
vie est au prix de l'audace 107
GII. David à Pavie père.
Hélène David 107
GUI. Ludwig Tieck à David.
Le buste du poète. — Le marbre confère l'immortalité.
— M™= David 108
GIV. Haering à David.
La médaille du romancier. — Heures de spleen. — Un
poète bâtisseur. — La jeune Allemagne. — Tieck. —
Chamisso. — Holtei. — Ampère. — Humboldt 110
GV. A. de Chamisso à David.
La médaille du romancier. — Béranger. 113
GVl. David à Rauch.
Offre du buste de Rauch. — Souvenirs de jeunesse. —
Brandt H4
GVII. Carus à David.
Le buste du naturaliste. — L'oreille droite. — Rietschell.
— Le dernier livre de Garus. — Le buste de Guvier.
— Le congrès médical d'Iéna. — Hélène David 116
GVIII. David au maire d'Angers.
Offre du modèle de la statue de Talma. — Le buste de
Dumouriez par Iloudon 117
GIX. Henriquel Dupont à David.
Le médaillon du graveur. —Ressemblance révélatrice. 118
1837
GX. David à Victor Pavie.
La plume et le ciseau. — Lenteurs du marbre. — Gro-
quis écrits. — Profession de foi. — La prière. — L'épi
donné. — San'ut et Idi. Biographie des hommes du jour.
— Le faciès de Victor Hugo . — Bustes de Lamennais
TABLE DES MATIÈRES 353
et de Carrel. — Statue de Garrel. — Bustes de Berzé-
lius et de Gérard 118
CXI. David à Victor Pavie.
Le buste de Victor Hugo. — Robert David 121
GXII. David à Schnetz.
L'élection uc Schnetz à l'Institut 122
CXIII. David à Victor Pavie.
La statue de Talma. — Bustes de Racine et de Rossini.
— Adrien Maillard ; 123
CXIV. Victor Hugo à David.
Le buste du poète. — Les Voix intérieures 123
GXV. David à Rauch.
Le triumvirat de Weimar. — La médaille de Klenze. —
Le Fronton du Panthéon. — Riguet. — Gutenberg . —
Cuvier. — Philopœmen. — La Douane de Rouen. —
Le Jeune Barra. — Groupe du général Gobert.. . . . . . 124
GXVI. Hittorf à David.
Le médaillon de Percier. — Le Fronton du Panthéon. 125
CXVII. Berzélius à David.
Le buste du chimiste 126
GXVIII. David à Victor Pavie.
Les Heures de repos d'un ouvrier . — Le Fronton ■ 127
CXIX. David à Pavie père.
Le Fronton découvert. — Joachim Du Bellay. — Philo-
pœmen 128
CXX. Victor Hugo à David.
Alberto Nota. — Le Fronton du Panthéon 129
CXXI. Lamennais à David.
Textes évangéliques pour le Christ écrivaiit sur le globe
du Monde 130
CXXII. Augustin Serres à David.
Le Fronton du Panthéon 131
CXXIII. David à Victor Pavie.
Dessin d'une Annojiciatio7i de la Vierge. — Le médaillon
d'Adrien Maillard. — Etude sur la vie et les ouvrages
de David d Angers 132
«838
CXXIV. Madame Valmore à David.
La médaille du poêle des Pleurs. — La statue de Gor-
neille. — Théodore Lebreton 133
GXXV. Victor Pavie à David.
Sur le dessin de V Annonciation de lu Vierge : 134
CXXVI. David à Lamennais.
Offre du Christ écrivant sur le globe du Monde. 13a
23
354 DAVID D'ANGERS
GXXVII, Lamennais à David.
Le Christ écrivant sur le globe du Monde 136
GXXVIII. Victor Pavie à David.
Retour sur V Annonciation de la Vierge. — L'Etude sur
la vie et les ouvrages de David, par Adi^ien Maillard.
— Les Poésies de Lebreton 136
GXXIX. David à Victor Pavie,
Une « ode à Riquet ». — Les lettres de Léopold Robert.
— La statue de sainte Cécile. — Moll. — Le médaillon
d'Hélène David. — Estampes d'après le Fronton du
Panthéon. — Gottreau le Gliouan. — Savoie, l'ancien
soldat de la République 137
GXXX. Victor Hugo à David.
Le buste du poète , 139
GXXXI. David à Victor Pavie.
La statue de sainte Cécile 140
GXXXIL David à Victor Pavie.
Le maitre renonce k exécuter Y An7ionciation de la Vierge.
— Projet de groupe représentant la Vierge et VEnfant
Jésus. — Le respect des croyances d'autrui 141
GXXXIIL Louis-Napoléon à David.
Projet de monument à la mémoire de la reine Hortense.
— Bartolini préféré David 142
GXXXIV. Charlet à David.
La chaire de professeur de dessin à l'École polytech-
nique . — Philopœmen 143
GXXXY. Rauch à David.
Humboldt. — Le monument de Gœthe. — Les Victoires
de la Walhalla. — Le monument de Gobert. — La
statue d'Albert Durer. — Amazone en lutte avec un
léopard, par Kiss. — Les bustes deTieck et de Garus. 143.
CXXXVI. David à Victor Pavie.
Le peuple de Béziers. — Médaillon de Bouchotte. — La
cathédrale de Metz. — Un pêcheur à la ligne. — Le
soleil du Midi. — Philosophie. — Les Pyrénées. —
Rêverie. — La statue de l'Humanité 147
GXXXVIL Lady Morgan à David.
L'écrivain irlandais fixé à Londres. — Son buste sculpté
par David. — Un portrait de lady Morgan par sa nièce.
— Demi-cécité. — Les Voyages d'Alexandre Dumas. 151
1839
GXXXVin. David à Victor Pavie.
Les joies du foyer. — La statue de Barra. — Le Salon
de 1839. — Bustes d'Arago, de Lamennais, de Destutt
de Tracy, de l'abbé Grégoire et de M'" Mars 152
TABLE DES ^iATIERES 355
CXXXIX. Sainte-Beuve à David.
Le buste d'André Chùnier 153
GXL. David à Rauch.
Une lettre d'introduclion. — VElude sur la vie et les
ouvrages de David, par Adrien Maillard. — Iluni-
boldt! — Scliinlcol. loi
CXLL David à Pavie père.
Victor Pavie. — Que l'activité intellectuelle exige le
séjour de Paris 153
GXLir. David à Victor Pavie.
Le statuaire Leyscner. — Une existence d'artiste à
reconstituer 156
CXLIII. Alfred de Vigny à David.
A la recherche do l'adresse de Miçkiewicz 157
CXLIV. David à Victor Pavie.
M. Lenepveu. — La statue d'Ambroise Paré. — Los
monuments de Gobert et de Gutenberg 158
CXLV. David à un publiciste.
Do la nécessité d'un palais consacré aux expositions. 158
GXLVL David à Lamennais.
Offre du buste de l'écrivain 159
GXLYII. Lamennais à David.
Réceplion du buste. — La cause de la liberté 100
1840
CXLVIII. David à Victor Pavie.
L'hiver à Paris. — David acquiert une maison dans
le Midi. - Projet de reconstitution du tombeau de
René d'Anjou dans la cathédrale d'Angers 160
GXLIX. David à Lamartine.
Offre d'une esquisse do la statue de Gutenberg 162
GL. Pariset à David.
Le médaillon de Pariset 103
CLL Pariset à David.
Une séance ajournée 103
GLII. David à Victor Pavie.
Une lecture chez Lamennais 164
CLIII. Le baron Petit à David.
La médaille du général. 166
CLIV. Pariset à David.
Le médecin en possession de sa médaille 1 00
tlLV. Victor Cousin à David.
Une invitation. — llu'n) et Lamartine 167
356
DAVID D'ANGERS
GLVI. David à Victor Pavie.
L'inauguration du monument de Gutenberg. — L'abbé
Mongazon. — Projet de nommer David oflicier de la
Légion d'honneur 167
GLVn. David à Victor Pavie .
Gutenberg. — Bichat. — Bernardin de Saint-Pierre. 169
CLVIIL David à Rauch.
Lazare-Hippolyte Garnot 170
GLIX. Lakanal à David.
Le buste du Gonventionnel 171
GLX. David à l'évêque d'Angers.
Esquisse du monument de l'abbé Mongazon 472
CLXL David à Victor Pavie.
L'édition des Poésies de Du Bellay. — 11 ne faut pren-
dre du passé que ce qui est grand 173
GLXIL David au maire de Besançon.
La statue d'Ulysse par Petit 174
GLXIII. David à Victor Pavie.
Le monument de l'abbé Mongazon , — Le costume
moderne et la sculpture. — Lamennais en cour d'as-
sises. — Ghateaubriand 174
GLXIV, ParisetàDavid.
L'inauguration du monument d'Ambroise Paré 173
1841
GLXV. David à Victor Pavie.
Entrée de Lamennais à Sainte-Pélagie. — Le portrait
de Du Bellay. — Toussaint Grille. — François Grille.
— Théodore Pavie. — Burnouf 176
GLXVL David à Victor Pavie.
Eugène Ghevreul, — Le monument de Bonchamps. —
La première pensée de la statue de sainte Gécile. —
Visite à Lamennais dans sa prison 178
CLXVn. Sainte-Beuve à David.
Une lettre du statuaire sur la mort d'Aloysius Bertrand. 179
GLXVIII. Victor Hugo à David.
Mort d'Aloysius Bertrand 179^
CLXIX. David à Victor Pavie.
Les écrits du martre. — Le peintre et sculpteur Donas.
— Qu'il convient d'interroger les vieillards. — Pas
de vraie grandeur sans croyance. — Le manuscrit
d'Aloysius Bertrand. — Renduel. — Sainte-Beuve.
— François Grille. — Techener 180
CLXX. Schlegel à David.
La médaille du critique 1 82
TABLE DES MATIERES
■357
CLXXI. David à Victor Pavie.
Le Gaspard de la nuit (Vlitè par Pavie. — Aloysius
Bertrand. — Portrait do Du Bellay. — Le Tombeau
de Garniei'-Pagès. — Collaboration de David au
Dictionnaire polilique. — Maladie. — Le Bonchamps.
— Gandolle. — Bastard. — Burnouf. — Broussais. —
Une lettre à Sainte-Beuve 183
CLXXIL David à Victor Pavie.
Un deuil. — Le berceau de gazon. — L'enfant et
riiounne 186
GLXXIIL David à Victor Pavie.
Anc/e emportant un enfant. — Le poète angevin Le
Loyer. — Le buste de Du Bellay 188
184S
CLXXIV. David à Victor Pavie.
Du Bellay. — Berthe. — Leysener. — Donas. — Charles
Lenormant. — Le monument deBichat. — Projet du
mailre d'aller ouvrir à Athènes une école de sculp-
ture. — Dantau et ses « charges ». — Les manu-
scrits d'Aloysius Bertrand. — Corbière. —La statue
de Bernardin de Saint-Pierre 189
CLXXV. David à Victor Pavie.
Du Bellay. — L'Ange emportant un enfant. — Une
sœur du Conventionnel Oudot. — Leysener. — Le
Gaspard de la nuit. — Théodore Lebreton 192
CLXXVI. Victor Pavie à David.
Le poi'trait de Du Bellay. — Mariage de Théodore
Pavie. — Le Gaspard de la nuit. — Chasse aux sou-
venirs sur Leysener. — Le Rhin, par Victor Hugo.
— Cachot ou cabanon 193
CLXXVII. David à Victor Pavie.
Tombeau de Joseph l^avie. — Les « Pourquoi de l'en-
fant ». — Symbolisme du monument de Bichat. —
Angoisses d'artiste. — Séi'énades. — Paysage. —
Souvenir d'eiifance. — Leysener. — Eugène Dela-
croix. — Critique des expositions. — Visite à la
tombe d'Aloysius Bertrand. — Le roi René. — Pré-
sent de la ville de Strasbourg 196
CLXXVIII. David à Victor Pavie.
Robert David. — Le Gutenberg à l'Imprimerie Royale.
— Le pays natal. — L'atelier d'élèves de David
passe sous la direction de Rude. — Second buste
de Victor Hugo. — Les carnets du maître. — Les
monuments du cardinal de Cheverus et de l'abbé
Mongazon. — Paul Delaroche. — Rendez- vous en
Grèce 200
338
DAVID D'ANGERS
CLXXIX.
CLXXX.
CLXXXI.
CLXXXII.
CLXXXIII.
GLXXXIY.
CLXXX V.
CLXXX VI.
CLXXXVII.
CLXXXVIII .
CLXXXIX.
CXC.
CXCI.
CXGII.
David à Victor Pavie.
Aloysius Bertrand et ses proches. — Le cardinal de
Ciieverus et Fénelon 203
David à Victor Pavie .
Baréges. — Gavarnie. — Paysage. — Le lac de G aube.
— Un drame sur le lac. — Légende. — L'étude de
Victor Pavie sur Leysener. — Hawke. — Paul Dela-
roche et l'Hémicycle de l'École des beaux-arts. —
Critique. — V Apothéose d'Homère, par Ingres. —
■ Caractéristique des deux œuvres. — La garnison de
Baréges. — Retour à Paris 204
Reboal à David.
La médaille du poète. — L'esthétique du maître 211
Magu à David.
Le médaillon du poète 212
Emile Deschamps à David
Le buste d'André Chénier 213
David à Balzac.
Hommages du romancier à l'artiste 214
Lamartine à David.
Le buste d'André Chénier offert au poète des Médi-
tations. — La vie de Gutenberg, par Lamartine 215
David à M. de Saint- Amour.
Le buste de Pareut-Réal. — Le médaillon de Lazare
Carnot. — Mignet. — L'éloge de Daunou. — Projet
d'exécute-r le buste du compositeur Monsigny 215
David à Victor Pavie.
La statue du roi René. — Le monument de l'abbé
Mongazon. — Jean Bart. — Des vers de Louise Colet.
— Entre Académiciens. — Le jury du Salon 217
David à Schelling.
Lo buste de Gœthe. — Opinion de Goethe sur le place-
ment des œuvres d'art de grandes proportions 218
David à Victor Pavie.
L'esquisse du monument de Gobert. — Le roi René.
— Beaurepaire 220
Elle de Beaumont à David.
La médaille du géologue 221
Humboldt à David.
Un anniversaire. — Réception du buste de Humboldt
à Berlin. — Intimité d'Arago et de David. — Les
récents ouvrages de Raucli, de Kiss, de Cornélius et
de Klot. — Fêtes à Berhn. — Lectures publiques
par Ludwig Tieck 222
David à Victor Pavie.
La mort tragique de Léopoldine Hugo. — Chateau-
briand. — La barque renversée. — Le tombeau de
TABLE DES MATIERES
359
Nelson. — Bernardin de Saint-Pierre. — Le monu-
ment de Gober t 224
CXCin. Duret à David.
Une candidature à l'Acadéniio 226
CXCIV. Charlet à David.
Visite du maître au dessinateur 227
CXCV. David à Victor Pavie.
La gravure du monument de Bonchamps. — Projet
de statue à Denis Papin pour la ville de Blois 228
CXCVL David à Balzac.
La médaille du romancier. 229
CXGVn. David à Balzac.
Une dédicace. — Projet d'exécuter le buste du ro-
mancier 229
GXCVIII. David à Victor Pavie .
Heures de mélancolie. — Projet de voyage en Breta-
gne. — Le Bernardin de Saint-Pierre. — Le tom-
beau de Napoléon aux Invalides. — Intervention de
Gavé. — Eloge de Duret, par David. — La statue de
Jean Bart. — Le buste de Marie-Joseph Ghénier. —
Le tombeau du roi René. — M. de Nerbonnc. —
Adrien Maillard 230
GXGIX. David à Rauch.
David élu membre de l'Académie de Berlin. — De
statuaire à statuaire. — Voyage de Rietschell à
Paris 234
ce. David à Victor Pavie.
La statue de Casimir Delavigne. — Première esquisse.
— Le monument de Larrey. — Les bas-reliefs du
monument de Cheverus.. — Buste de Gouthon. —
Un bal masqué à l'Odéon. — L'inconnu. — Accident
de voitm-e. — Robert David. — Le buste de Victor
Hugo 235
CCI. Le Ministre d'État de Saxe à David.
Le culte du maître pour les poètes allemands. — Il
re(;oit la croix du Mérite civil. — Lebuste de Gœthe
à la Bibliothèque de Dresde 239
CGII. David à Victor Pavie.
La ville de Brest. — Les Bretons. — Carnac. — Retour
sur les sculpteurs d'Égine. — Le port, l'arsenal, l'hô-
pital. — Deux guides incommodes 240
CCIII. Victor Hugo à David.
Le buste lauré du poète des Feuilles d'automne 241
CCIV. David à Victor Pavie.
Un deuil. — Rome. — Les Pyrénées. —Rêverie 242
CG\'. David à Balzac.
Lo buste du romancier 243
360
DAVID D'ANGERS
GGVI. David à Victor Pavie.
La médaille de Leysener. — La gravure du Bonchamps.
— Le monument de Cheverus. — Restitution du
tombeau du roi René. — Bernardin de Saint-Pierre.
— Casimir Delavigne. — Gavé et la statue de Pous-
sin 2U
CCVn. David à Rauch.
Profession de foi. — Mission de l'art. — Réduction du
buste de Humboldt 245
GCVin. David à Victor Pavie.
Conseils à l'écrivain. — Le poète et l'artiste. — De
l'humeur voyageuse chez les modernes. — Lions en
cage 247
GCIX. David à Victor Pavie.
Rude, candidat à l'Institut. — Les élections académi-
ques. — Pose de la statue de Jean Bart aux flam-
beaux. — Enthousiasme des marins. — L'inaugu-
ration 248
CGX. Théophile Gauthier à David.
Avances du critique au sculpteur dans le but d'obtenir
son médaillon... 249
CGXI. David à Victor Pavie.
Ovations faites au maître par la ville de Dunkerque.
— Saint-Omer. — Calais. — Le vaisseau le David
d'Angers. — Réduction du Gutenberg 230
GCXII. Hipppolyte, baron Larrey, à David.
Sur la statue de Dominique-Jean, baron Larrey 232
GGXIII. David à Charles Poney.
La médaille du poète 233
;CCXIV. David à Gigoux.
Gharlet sur'son lit de mort 253
CGXV. David à Gigoux.
Les dernières heures de Ghai'let. — Situation précaire
de sa veuve 234
CCXVI. David à Adrien Maillard.
La mission de l'art. — Ce qu'il faut penser d'un Napo-
léon à cheval pour l'église des InvaHdes 255
CCXVII. Poney à David.
Le médaillon du poète. — La statue de Jean Bart. —
Profils modelés de George Sand et de Byron 257
GGXVIII. David à Jules de Saint-Amour.
Une composition musicale sur Jean Bart 258
CGXIX. David à Victor Pavie.
L'étude Bonchamps et sa statue. — Fonte de l'esquisse
du Gutenberg. — Adrien Maillard 259
TABLE DES MATIÈRES
361
CCXX. David à Victor Pavie.
La mort tragique d'un enfant. — Mourir jeune est
peut-être un bienlait 2G0
CCXXL David à son fils Robert.
Délit d'écolier 261
CCXXn. Jomard à David.
La médaille du géographe 261
CCXXIH. David à Victor Pavie.
La statue de Dombasle. — Le piédestal du Gutenberg.
Qu'il ne faut pas se laisser abattre par le malheur. 26 2
CCXXIV. Henri de Latouche à David.
Les médailles commémoratives des Quatre-Sergents
de la Rochelle et des frères Bandiera. — Les profils
modelés de Chateaubriand et de Bérauger. — Gode-
froid Cavaignac. — La médaille du maître 263
CCXXV. David à son fils Robert.
Conseils du père et de l'artiste 264
CCXXVI. David à Victor Pavie.
Médaille commémorative de la mort du maréchal Ney.
— David écrivain : ÏEloge du sculpteur Roland ;
VÉtude sur Canova. — Médailles des Quatre Sergents
de la Rochelle, des frères Bandiera, des Massacres
de Galicie, du Neuf Thermidor, de Labédoyère, des
frères Faucher. — Mission de l'art. — Buste des
docteurs Garnier et OUivier. — Le monument de
René d'Anjou. — Les bas-reliefs du théâtre de Bé-
ziers. — L'architecte Binet. — Le buste de M"» Mars.
— Le Musée David inapprécié. — Le Voyage en
Italie de Victor Pavie 265
CCXXVII. David à Victor Pavie.
Projet de groupe pour la cathédrale d'Angers. — Slnile
j)arvulos. — Le tombeau de René d'Anjou. — Son
monument. — Bonckamps et sa statue, par Victor
Pavie. — Le Voyage en Italie. — Le plâtre après la
fonte 267
CCXXVIII. David à Victor Pavie.
L'approche du Salon. — Achèvement du monument de
René d'Anjou. — Etude sur Roland 269
CCXXIX. Lamartine à David. 270
Conte arabe.
CCXXX. David à Rauch.
Les études du maître sur Roland, Canova. Thorvaldsen.
— Projet d'une étude sur Rauch. — La médaille de
Karl Ritter. — A la poursuite d'un croquis d'Hoff-
mann 271
362
DAVID D'ANGERS
GGXXXI. David à Lucas de Montigny.
A la recherche de la signature do Gallamare 273
GCXXXII. David à Victor Pavie?
Le monument de Gobert. — Statues de Gasimir Dela-
vigne et de David Purry. — Qu'il faut encourager
les artistes fixés en province 273
GGXXXIII. David à Victor Pavie.
Départ pour les Pyrénées. — Hélène David. — Le mo-
nument de René d'Anjou. — OfTre du modèle des
douze statuettes au Musée d'antiquités d'Angers. 275
CGXXXIV. David à Victor Pavie.
Jules-Eugène Lenepveu, grand prix de Rome. -^ Projet
d'une statue de la Vierge pour la cathédrale d'An-
gers 276
CGXXXV. Thoré à David.
Une fausse nouvelle 277
GGXXXVI. David à Victor Pavie.
La révolution de Février. — Le maître est nommé
maire du XI" arrondissement. — Il refuse la charge
de Directeur des Musées nationaux 277
CGXXXVII. David à Victor Pavie.
Que l'artiste doit céder le pas au citoyen. — Les élec-
tions à Paris 279
GGXXXVIII. David à Victor Pavie.
Le maître fait l'abandon de son indemnité de repré-
sentant du peuple à des oeuvres de bienfaisance... 280
GGXXXIX. David à Victor Pavie.
L'Anjou. — L'amitié. — Le devoir. — Roberd David.
— Divergence d'opinions entre Victor Hugo etDavid. 280
GGXL. David à Madame Geoffroy Saint-Hilaire.
Le maître abandonne son indemnité de représentant
à rOEuvre des Crèches 281
CGXLI. M"' Isidore Geoffroy Saint-Hilaire à David.
Remerciements au nom de l'OEuvre des Grèches 282
GGXLII. David à Victor Pavie.
Désintéressement du maître. — Abandon de son in-
demnité de représentant aux bureaux de bienfai-
sance. — Variétés littéraires 283
CGXLin. David à Victor Pavie.
Le maître abandonne la vie politique. — Lamartine,
Victor Hugo, Lamennais à la Gonstituante. — Sou-
venirs de Platon. — Les OEuvres d'Aloysius Ber-
. trand 284
TABLE DES MATIERES
363
CGXLIV. David à Victor Pavie.
Rôverio. — Le pic du Midi. — Le prêtre géologue. —
Henri de Nerboiiue. 28G
CCXLV. David à Victor Pavie.
Les bas-reliefs du monument de Larrey. — La sLaluc
de Gerbert. — Bernardin de Saint-Pierre. — Fran-
çois Grille 287
GCXLYL David à Victor Pavie.
Robert David. — Le monument de Gerbert. — Ber-
nardin de Saint-Pierre. — Souvenirs de 1811. —
Histoire anecdotique d'une statue. — La veuve de
Bernardin de Saint-Pierre dans l'atelier du maître.
— Le Musée David à la lumière nocturne. — Clieve-
rus. — Mathieu de Dombasle 288
GCXLVn. David à Victor Pavie.
La Sainte Cécile. — Appel d'ami 292
GCXLVin. David à Victor Pavie.
L'air natal. — Pressentiments. — L'inauguration du
Gerbert. — La statue de Drouot. — Deuxième statue
de Bicliat. — Beaurepaire 292
CCXLIX. David à sa femme.
Le coup d'État 293
GCL. David à son fils Robert.
La carrière médicale. — Les joies de la famille. —
Antoine de Potter 294
CGLL David à Victor Pavie.
Heraling. — Yan Eyck. — Rubens. — Le peuple belge.
— Voix d'enfants. — Les monuments gothiques. —
Ostende. — Du peu de durée de la gloire. — Le
bu.stc de La Fayette. — Naufrage du David d'Angers.
— Projet de déplacemenUlu Fronton du Panthéon.. 293
GGLII. David à Victor Pavie.
Le mont Hymette. — L'Illissus. — Le Pnyx. — Le
temple de Thésée. — Salamine. — Hélène David. —
Le buste de Canaris. — Le roi de Grèce désireux
d'avoir son buste de la main du maître. — Pradier.
— Souvenirs profanés. — Edmond About et le buste
de Ganaris. — Léon Gosnier. — Un Angevin jardi-
nier du roi de Grèce. — Mélancolie. — La Grèce et
l'Italie. — Le monument de Botzaris 298
CGLIII. David à son fils Robert.
La Grèce contemporaine. — Douce France! — Pradier.
— Désillu.sions. — Les socialistes. — L'homme n'est
pas niùr pour la liberté. — Le buste de Ganaris. —
Le maître souhaite de rentrer en France 302
GCLIV. David à son fils Robert.
Echec ré|iiirable. — Goiiseils paternels. — Tliiers et
Rèmusat rentrent en France. — Augustin Serres... 305
364
CGLV.
GGLVI ,
CCLVII.
GGLVIII.
CGLIX.
CGLX.
CCLXI.
GGLXII.
CGLXIII.
CGLXIV.
GGLXV.
GGLXVI.
CCLXVII.
GCLXVIII.
GGLXIX.
DAVID D'ANGERS
David à son fils Robert.
Aux portes de la France 307
David à son fils Robert.
Projet de publication sur l'anatomie dans ses rapports
avec l'expression ^ 307
David à Victor Pavie.
"Visite au tombeau de Marco Botzaris. — La Grèce ou-
blieuse. — Ottfried Muller, Santa Rosa, Byron. —
Léon Cosnier 308
David à son fils Robert.
Les brouillards de la patrie préférables au soleil de
l'exil 311
David à son fils Robert.
Le maître rentre en France 311
Victor Pavie à David.
Retour du maître à Paris. — Andegavi molles. —
Inauguration du monument de René d'Anjou 312
David à Victor Pavie.
Le maître de retour dans son atelier. — Mélancolie. —
Le monument de René d'Anjou. — Lamartine. — Inté-
grité des républicains de 1848. — Manzoni. — Pein-
tures murales de l'Hôtel de la Préfecture d'Angers. 313
David à Victor Pavie.
Les peintures d'Hippolyte Flandrin dans l'église de
Saint- Vincent de Paul 315
Madame Relloc à David.
La médaille de mistress Beecher-Stowe 315
Mistress Eeecher-Stov7e à David.
La médaille du romancier 316
David à Victor Hugo.
Le buste du poète 317
David à Victor Pavie.
Le maître achève le monument de Drouot 317
David à Benjamin Fillon.
La collection des médailles modelées par le statuaire.
— L'être moral s'identifie avec l'homme extérieur.
— Le sculpteur travaille pour la postérité 318
David à Victor Pavie.
Les « Saints de Solesmes ». — Germain Pilon. — Le
Frontispice de VHisioire de la Vendée 319
David à Victor Pavie.
Mélancolie. — Projets de voyage en Anjou 320
TABLE DES MATIÈRES 365
APPENDICE
I. Victor Hugo à M™» David.
La mort de David ; 323
II. Humboldt à M»" David.
Souvenirs du passage du maître à Berlin 323
III. Ary Scheffer à M"» David.
Un portrait de David d'Angers 323
IV. Victor Hugo à M^^ David.
La mort de David. — Les Contemplations, — Le buste
du poète 325
V. Victor Hugo à Robert David.
La statue de David d'Angers 326
Table alphabétique des no.ms de personnes et de lieux, ainsi que des
TITRES d'oeuvres PEINTES, DESSINÉES OU SCULPTÉES, MENTIONNÉS DANS
cet ouvrage 329
Table des matières 345
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