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Full text of "De la pêche sur la côte occidentale d'Afrique, et des établissements les ..."

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n 



DE 



LA PÊCHE 



SUR 



LA COTE OCCIDENTAL) DORIQUE. 



675" 



8 S 

nfpnntf. par Bérauns ct flou, a par». 

S 8 



DE 



LA PÊCHE 



SDR 



LA COTE OCCIDENTALE D'AFRIQUE, 

IT 

DBS ÉTABLISSEMENTS 

LES PLUS UTILES AUX PROGRÈS DE CETTE INDUSTRIE i 

Ouvrage publié sous les auspices 

DE MM. LES MINISTRES DE LA MARINE ET DU COMMERCE, 

PAR 

SABIN BERTHELOT, 

DE MARSEILLE, 

Secrétaire- général de 11 Société de géographie, an de» auteurs de PBistoire naturelle 
des Met Canaries, et membre de plusieurs sociétés «Tantes. 



•> Tout homme qui péchc un polsaon tire de la mer 

une pièce de monnaie.* 

Franklin. 



PARIS, 

BÉTHINE, ÉDITEUR, 

36, BUE DE YAUGIRARD. 

ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE ÉDITEUR, 

23, RUE HAUTEFEUILLE. 
ET CHEZ LES LIBRAIRES DES PRINCIPAUX PORTS DE FRANCE. 

M DCCC XL. 



!}~<Jfr*JUJL<b 



ÇJ; 



<Ay 



ilt. U baron ÎLupittter, 

député, m 

COMMANDEUR DI LA LBCION-d'hONNEUR , 

DIRECTE UIl DBS PORTS, 

MEMBRE DU CONSEIL D'AMIRAUTE, 

PRESIDENT HONORAIRE DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE; 



Hommage de haute estime et de dévouement, 



INTRODUCTION 



INTRODUCTION. 



CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 

La grande pêche maritime, si importante pour 
la France sous le rapport commercial comme dans 
l'intérêt de sa marine, est restée stationnairc jus- 
qu'à ce jour dans les mêmes parages où elle prit 
naissance. A voir la marche routinière qu'elle a 
suivie depuis plus de deux siècles , on dirait que 
le banc de Terre-Neuve et les côtes glacées de 
l'Islande sont les seuls endroits susceptibles d'of- 
frir d'abondantes ressources à nos pêcheurs. Il 
est pourtant d'autres parages favorisés par une 
nature providentielle, où s'établit une immense 



2 INTRODUCTION. 

circulation entre les poissons voyageurs. C'est là 
qu'on doit observer les migrations <le ces bandes 
vagabondes , le temps de leur station , la marche 
et la durée de leur croisière, l'époque de leur dé 
part et celle de leur retour, afin d'apprécier tout 
ce que la mer peut fournir aux pécheurs d'avan- 
tages et de profits. Cependant , lorsqu'on envisage 
les progrès croissants des autres branches d'in- 
dustrie , on se demande pourquoi celle qui vivifie 
notre marine et alimente nos marchés ne réveille 
pas la sollicitude des économistes et n'obtient de 
leur part aucune sympathie ? Il est facile de ré- 
pondre à cette question. 

Jusqu'ici les naturalistes qui ont exploré les mers 
ne se sont attachés qu'à décrire les êtres qui les 
peuplent; renfermés dans leurs spécialités, sans 
chercher à franchir les limites de la méthode, leur 
esprit systématique s'est borné à classer les espè- 
ces, et, si on en excepte un petit nombre qui n'ont 
pas craint de déroger en descendant des hautes 
régions de la science dans une sphère plus à la 
portée de tous, la plupart ont entièrement négligé 
les utiles applications que l'on pouvait faire de 
leurs découvertes dans l'intérêt économique. 



INTRODUCTION. 5 

Aujourd'hui que tout tend vers le progrès , la 
plus importante des industries ne saurait rester 
en arrière. Il faut que tout concoure à son dé- 
veloppement, et que, par une marche ascendante 
et un système mieux conçu , elle atteigne le ni- 
veau des autres améliorations. C est à la géogra- 
phie, à cette science de faits et d'observation, 
qu'il est dû d'accélérer ce mouvement progressif. 
En s'associant aux autres branches des connais- 
sances humaines, elle a signalé les points du globe 
où Ton pouvait utiliser les ressources du sol. Des 
contrées lointaines , dotées de tous les bienfaits 
du climat, se sont mises en rapport avec les mé- 
tropoles du monde commerçant; mais les progrès 
de notre civilisation, l'incessante activité de notre 
marine marchande , l'accroissement de nos forces 
navales , l'extension de notre commerce, veulent 
des entreprises nouvelles pour maintenir cet heu- 
reux état de prospérité. 

A mesure que les populations s'augmentent 
et grandissent, de nouveaux besoins se font 
sentir parmi les masses : il faut chercher de 
nouvelles ressources , doubler les moyens d'exis- 
tence , étendre le domaine de l'industrie afin de 

i. 



A INTRODUCTION. 

laisser un champ plus large au génie de la spé- 
culation. 

Or, ce champ, c'est la mer, que la nature a 
dotée de tant de richesses. Mine féconde et inta- 
rissable, elle ne le cède en rien à la terre; car si 
celle-ci nous intéresse par sa végétation, les ani- 
maux qu'elle nourrit, les substances qu'elle ren- 
ferme et l'histoire des- peuples qui l'habitent, 
l'autre a aussi pour elle des avantages qu'on ne 
saurait contester et qu'il nous importe de mettre 
à profit. Ces parages poissonneux qui donnent à 
nos populations maritimes le pain de tous les 
jours , ces immenses solitudes de l'Océan, où des 
hommes audacieux vont affronter les tempêtes, 
demandent à être mieux explorés. La mer, que 
la géographie nous apprend à connaître, ne doit 
pas être comprise seulement sous le rapport de 
son étendue, de la nature et de la configuration 
de ses côtes, des phénomènes météorologiques 
qui s'opèrent à sa surface ; il faut l'étudier encore 
dans ses profondeurs pour juger de la part que la 
création lui a faite. Elle aussi a sa végétation, ses 
plaines, ses vallées, ses marécages, ses glaces et 
ses frimas; dans son sein vivent des animaux 



INTRODUCTION. ;> 



n 



d'un autre ordre, que l'instinct des migrations 
promène dans des latitudes diverses, comme ces 
oiseaux voyageurs qui chaque année viennent vi- 
siter nos climats. 

La pèche, suivant l'expression consacrée, est 
l'agriculture de la mer ; et la mer est un immense 
domaine dont la souveraineté n'est à personne et 
dont la jouissance appartient à tous. Le pécheur 
exploite la mer comme le champ qui lui est ac- 
quis : « Le bâtiment du pêcheur , disait la Mori- 
nière , peut être assimilé à une métairie; la mer 
qu'il sillonne répond au champ que laboure le 
fermier, les matelots de l'un représentent les ou- 
vriers de l'autre, les filets et les autres engins 
sont pour le premier ce que les instruments de 
labourage sont pour le second ; au lieu de blé et 
d'avoine , la récolte se compose de morues et de 
harengs, et la consommation générale s'empare 
également des deux produits.» Ainsi, dans les en- 
couragements réservés aux grandes industries, 
l'agriculture et la pêche ont droit aux mêmes fa- 
veurs, car elles alimentent et soutiennent concur- 
remment la famille commune. Trente mille ma- 
rins, dévoués à la grande et a la petite pêche 



r» INTRODUCTION. 

habitent notre littoral , et versent dans le com- 
merce plus de 120,000,000 de francs par le pro- 
duit de leur industrie. Dans la balance des inté- 
rêts sociaux , pour cette partie de la population 
française, la mer vaut bien plus que la terre. 

Ces hommes, dont l'activité n a rien de compara- 
ble, qui supportent tint de privations et se vouent 
à une existence si pénible , méritent bien qu on 
s'occupe d'eux ; cependant, au milieu des chances 
qu'ils ont à courir et dans l'isolement où les laisse 
le peu de sympathie qu'on leur témoigne , il est 
une pensée consolante : la mer, cette mine féconde 
qu'ils ne cessent d'exploiter, ne tarit pas; elle 
leur livre toutes ses ressources, et les innombra- 
bles phalanges qu'elle nourrit dans son sein, fidèles 
à leur rendez-vous, fréquentent toujours les mê- 
mes parages. Tous les ans, des bandes de poissons 
voyageurs viennent enrichir nos frontières mari- 
times, et sous ce rapport la France est un des 
pays les plus favorisés par sa position géographi- 
que. Elle a dans l'Océan plus de trois cents lieues 
de côtes ; trois grandes rivières débouchent sur 
son littoral ; deux vastes golfes , quelques petites 
îles et un bras de mer considérable, constituent 



INTRODUCTION. 7 

les meilleures stations poissonneuses de l'Europe 
occidentale. Dans la Méditerranée, elle est mai- 
tresse des golfes de Lyon et de Gênes, des em- 
bouchures du Rhône et du Var ; en face, elle pos- 
sède la Corse, que le détroit de Bonifacio , si re- 
nommé des pêcheurs , sépare de la Sar daigne. De 
toute part, les poissons voyageurs sillonnent nos 
mers en grandes troupes , pénètrent dans nos 
baies, frayent à l'embouchure de nos fleuves, ou 
traversent dans leurs migrations les détroits qui 
nous avoisinent. Mais il est aussi plusieurs parties 
de notre littoral qui ne sont pas visitées par les es- 
pèces sociales, et de là résulte la nécessité d'aller 
les pêcher au loin. 

Ainsi le banc de Terre-Neuve et les attérages de 
l'Islande, ces stations poissonneuses que les morues 
semblent avoir choisies pour leur point de rallie 
ment, attirent chaque année de nouvelles expédi- 
tions. Aujourd'hui la pêche de la morue emploie 
en France 12,000 marins, répartis en 400 navires, 
jaugeant 48,500 tonneaux ; etses produits, apportés 
dans nos ports, à l'étranger ou dans nos colonies, 
s'élèvent, année moyenne, à 80,000 quintaux mé- 
triques. Cette pèche imprime aussi un grand mou- 



8 INTRODUCTION. 

vement au commerce du cabotage, par les trans- 
ports multipliés auxquels elle donne lieu; elle 
contribue en outre à l'activité de la navigation au 
long cours, par les expéditions directes aux colo- 
nies, et procure un immense débouché à diverses 
productions de notre sol. 

Toutefois , cette industrie qui s'exerce dans la 
haute mer na marché d'abord qu'avec lenteur: 
il lui a fallu le secours des primes et toute la pro- 
tection du gouvernement pour s élever au rang 
des grands commerces. Ce ne fut que long-temps 
après la découverte de Terre-Neuve qu'on tira un 
parti avantageux des inépuisables ressources que 
le hasard avait fait découvrir dans ces latitudes, et 
dont quatre ou cinq nations se disputèrent en- 
suite le partage. En 1497, le vénitien Jean Cabot, 
envoyé, par Henri VII d'Angleterre, à la recher- 
che d'un passage qu'on présumait devoir conduire 
à la Chine par le nord-ouest, avait reconnu une 
île qu'il appela Prima-Vista (1). La possession de 
cette nouvelle contrée, que nous nommâmes en- 



(1) Voyez Forster, Histoire des découvertes faiicn dam te 
nord, t. h, p. 17. 



INTRODUCTION. 

suite Terre-Neuve, devait être pour la Grande- 
Bretagne un des principaux fondements de sa 
puissance maritime; cependant, à cette époque, 
l'ignorance des Anglais retarda pendant plus d'un 
siècle les immenses profits qu'ils devaient retirer 
de leur Newfoundland, et ils ne pensèrent guère 
à coloniser le pays que cent ans plus tard. Le 
voyageur Hore, qui visita ces parages en 1536, c'est- 
à-dire trente-neuf ans après la reconnaissance de 
Cabot, manqua d'y périr de disette avec tous ses 
compagnons, quand le poisson pullulait autour de 
lui (1). Les Chartres octroyées par Henri VII 
pour y fonder des pêcheries ne produisirent d'à- 
bord aucun résultat. L'ile ne comptait encore que 
soixante-deux colons en 1612, et le nombre des 
navires pécheurs s'élevait au plus à une cinquan- 
taine (2). 

Les Français ne commencèrent à s'adonner 
à la pèche de la morue qu'en* 1540, après que 
François I er eut fait explorer les parages de Terre- 
Neuve, d'abord par J. Verazzoni, puis par Jac- 
ques Cartier, de Saint- Mal o, le meilleur marin de 

(1) Voyez Forsler, op. cil., t. h, p. 52. 

(2) Purchas, Pif grimage or relations ofthe world, p. 822. 



10 INTRODUCTION. 

son temps (1). Les établissements sédentaires qu'ils 
fondèrent sur le littoral n'eurent pas, dans le prin- 
cipe, tout le succès qu'on s'était promis, et ce fut 
seulement sous le règne de Henri IV que le mi- 
nistre Sully favorisa de tout son pouvoir la pèche 
de la morue, en la plaçant sous la protection im- 
médiate du gouvernement. Les Anglais eux-mêmes 
n'acquirent leur prépondérance dans les mers du 
Nord qu'après que le célèbre Drake en eut chassé 
les Espagnols; et leur prise de possession à Terre- 
Neuve ne date réellement que de l'année 1585 (2). 
Le portugais Corte-Real avait observé partout 
l'affluence extraordinaire des morues sur le grand 
banc de Terre-Neuve , dès le commencement du 
xvi e siècle. Ce fut lui qui signala , pour la pre- 
mière fois , cette mine féconde aux pécheurs eu- 
ropéens. Les Espagnols ont attribué cette décou- 
verte à Estaban de Gomez , nommé pilote du roi , 
par décret ( Real cedula) de Valladolid, du 10 fé- 
vrier 1525 , et qui partit cette même année pour 
aller chercher aussi vers le nord la prétendue 



(1) Voyez Manet, fiiograph. des Mal oint célèbre*, p. 44. 

(2) Forster, op. cit. ,i u , p. <>o. 



INTRODUCTION. Il 

communication avec le Cathai (1). Les marins des 
provinces vascongades revendiquent la gloire d'a- 
voir reconnu ces parages et de s'être livrés à la 
pêche des morues cent ans environ avant la dé- 
couverte de l'Amérique (2) , mais rien n'appuie 
ces prétentions. Les documents que le savant don 
M. F. Navarrete a recueillis sur cette question , et 
qu'il a cités dans sa belle et importante Collection 
des voyages et découvertes des Espagnols , prou- 
vent qu'ils ne commencèrent pas à fréquenter le 
banc de Terre-Neuve avant les voyages de Corte- 
Real et de Gomez. On conserve aux archives de 
Simancas divers dossiers de la reine dona Juana , 
parmi lesquels se trouve une licence du roi , son 
père, accordée en 1501 à Jean Agramonte , d'o- 
rigine catalane , pour aller avec deux bâtiments 
faire des investigations sur Terre-Neuve (para ir à 
saber el secreto de la Tierra-Nueva). L'ordre porte : 
« Vous pourrez aller et irez avec deux navires de la 
» grandeur que vous jugerez convenable , montés 



(1) Voyez Herrera , Dec. 5, lib. 8, cap. 8. — Gomera, Hist. 
de India* , cap. 40. 

(2) Voyez Dkcionario geog. hist de Espaâa, por la Academ. 
de hist., t. u , p. 515. 



12 INTRODUCTION. 

» par mes vassaux , sujets el nationaux ; tous , 
» ainsi que les équipages, naturels de mes domai- 
» nés, excepté deux pilotes que vous amènerez , 
» et qui seront Bretons ou de tout autre nation 
» qui ait été dans ces parages. » (Que vos podais 
ir é vayais con dos navios del grandor que vos pa- 
resciere, que sean de mis vasallos, subdilos é nalu 
raies y asi misrno la génie que llevareis sean nalu 
raies de estas reinos, acebto que dos pilotas que 
llevaredes sean Bretanes à de otra nacion que alla 
hayan eslado.) On voit, d'après cette clause qui obli- 
geait le chef de l'expédition de se pourvoir de 
deux pilotes bretons , qu'à cette époque les ma- 
rins de la côte de Biscaye n'avaient pas encore 
fréquenté les abords de Terre-Neuve , puisqu'on 
les obligeait à prendre des pilotes praticiens de 
ces mers (1). 

Parmi ces grandes industries maritimes, écoles 
d'expériences où nos escadres recrutent leurs 
meilleurs matelots et sources de prospérité pour 
notre commerce ? il faut placer en première ligne 

(1) Voyez à cet égard > pour meilleurs renseignements, les cu- 
rieuses recherches de M. Naverrete, Colecc. de viag. y demib 
t. m, p. 176 et sniv. Voy. aussi l'appendice. 



INTRODUCTION. 13 

la pèche de la baleine à laquelle nos Basques se 
livraient avec tant de succès dans le xiv e siècle , et 
qui a éprouvé depuis tant de vicissitudes. Ces in- 
trépides marins y employèrent plus de 9,000 hom- 
mes : le port de Saint-Jean de Luz ne compta pas 
moins de 50 à 60 navires baleiniers jusqu'en 1630, 
que les Espagnols s'emparèrent de cette place. 
Quatorze bâtiments arrivés de Groenland, et char- 
gés d'huile de baleine, tombèrent en leur pouvoir. 
Cet événement anéantit la marine basque , détruisit 
l'industrie qui l'avait fait prospérer jusqu'alors, et 
la France, depuis cette catastrophe, se vit enlever 
par les autres nations les produits d'une pêche 
aussi lucrative. En 1784, Louis XVI, voulant ré- 
veiller l'énergie des pêcheurs , fit armer, à Dun- 
kerque, six navires destinés pour les mers du 
Nord , et cette entreprise fut couronnée d'un plein 
succès. En 1790, la France comptait déjà 40 ba- 
leiniers. Sous la république et l'empire, le gou- 
vernement se rappela de temps en temps de la 
pêche de la baleine , et rendit quelques décrets 
qu'on inséra au Bulletin des lois. La restauration 
favorisa cette grande industrie par des primes, et 
plusieurs navires commencèrent à franchir le cap 



14 INTRODUCTION. 

Horn. Depuis 1830. la sollicitude <Ju ministère de 
la marine ne s'est pas ralentie; de nouveaux en- 
couragements ont été votés; l'État a payé en grande 
partie le salaire des équipages, par les primes 
qu'il a allouées à chaque homme ; il est des marins 
baleiniers qui , au retour d'une longue campa- 
gne, ont reçu jusqu'à 1,500 francs (1). D'aussi 
grands sacrifices ne sont pas restés sans résultat : 
les armements qui , en 1817 , ne s'élevèrent qu'à 
quatre, et n'employèrent que 88 matelots, s'étaient 
accrus, en 1836, de 58 navires montés par 2,072 
hommes (2). Cependant, malgré cette progression 
croissante , nous ne marchons encore qu'en troi- 
sième ligne après les deux grandes puissances 
qui exploitent les mers. En 1837, le nombre de 
bâtiments américains employés à la pèche a été 
de 240 , et l'on évalue à plus de 43,000,000 de 
francs les 40,000 barils d'huile de baleine qu'ils 
ont recueillis. Les Anglais expédient chaque année 
environ 1 00 navires dans les mers du Nord , et 40 



(1) Voyez Annales maritimes , novembre 1838 , 23* année, 
2» série , p. 1069. 

(2) Annales maritimes , juin 1838 , 23* année , 2' série , 
p 787. 



INTRODUCTION. 15 

à 50 dans les mers australes , tandis que Tannée 
dernière les expéditions parties des divers ports 
de France ne s'élevaient encore qu'à 62 baleiniers. 
Toutefois, dans ce nombre, le seul port du Havre 
s'enorgueillit d'avoir armé 41 bâtiments, qui ont 
rapporté 50,000 quintaux métriques d'huile de 
fanon et de blanc de baleine , dont la vente a pro- 
duit 3,050,000 francs (1). 

Ces succès ont encouragé d'autres spéculateurs. 
Des compagnies destinées à donner une nouvelle 
impulsion k la pèche de la baleine commencent 
à s'établir dans nos ports. Applaudissons à des 
entreprises qui peuvent amener d'immenses ré- 
sultats; car c'est pendant la rude navigation des 
grandes pèches, au milieu de tous les dangers de 
ces expéditions lointaines, que se forment les bons 
matelots; c'est aussi sur cette puissante ressource 
que notre marine militaire compte au besoin, lors- 
qu'elle réclame pour ses armements des hommes 
d'expérience et de résolution. 

Les baleiniers explorent aujourd'hui les parties 
les moins fréquentées des deux hémisphères , et 

(1) JtmuUs maritimes, juin 4858, deuxième 9erie. 



10 INTRODUCTION. 

pourchassent tes cétacés jusqucs sous les glaces 
du pôle. Avant -coureurs des découvertes qu'il 
reste à faire dans ces hautes latitudes , ils jalon- 
nent la route aux autres navigateurs; la géographie 
leur doit de bonnes observations , des reconnais- 
sances importantes, et, dans ces derniers temps, 
l'exploration des régions polaires par des officiers 
spéciaux a suivi leurs audacieuses entreprises. 
On savait, avant la publication des voyages de 
Scoresby, en 1820, qu'un capitaine baleinier de 
Hambourg avait atteint le 83* degré de latitude 
boréale, et ce renseignement détermina l'amirauté 
d'Angleterre à envoyer le capitaine Parry tenter 
encore une fois les approches du pôle arctique. 

Dans ces dernières années , divers armements 
ont été expédiés pour les régions baleinières aus- 
trales; plusieurs se sont avancés jusque sous le 
cercle antarctique , et ont sillonné une mer sans 

obstacle. Ces tentatives font concevoir l'espérance 

* 

d'un plus heureux succès : une expédition est 
confiée au zèle d'un de nos grands navigateurs. 
M. Dumont d'Urville s'est élancé dans une nou- 
velle carrière de dangers et de gloire. Au début 
de sa périlleuse campagne , tout semblait d'abord 



INTRODUCTION. 17 

favoriser son audace; il a pénétré dans le détroit 
de Magellan , et sa belle exploration a révélé un 
fait intéressant pour les navires qui se dirigent 
vers l'Océan Pacifique. Déjà plusieurs de nos ba- 
leiniers fréquentent ce passage et le préfèrent au 
grand tour par le cap Horn. C'est là qu'ils ont 
établi une poste d'un nouveau genre : un petit 
baril suspendu à un arbre, sur la plage solitaire 
du port Famine, reçoit leurs notes et leurs ob- 
servations. L'ingénieuse boîte aux lettres , que la 
confiance fraternelle a rendue commune à tous les 
navigateurs, reste là sous la sauve-garde du des- 
tin ; les navires qui passent y recueillent des avis 
importants, ou rapportent en Europe la corres- 
pondance confiée à leur soin. Ce fut par cette voie 
que l'on reçut, l'année dernière, des nouvelles 
de l'Astrolabe et de la Zélée, au moment où 
M. d'Urville et ses compagnons allaient s'engager 
dans les terribles banquises qui devaient leur bar- 
rer le chemin (1). Mais cette rude campagne 



(1) D'après le rapport imprimé par ordre du ministre de la ma- 
rine [voy. Annal, marilim.), l'expédition a parcouru les mers an- 
tarctiques , en longeant ces redoutables banquises que l'illustre 
Cook osu braver le premier. Notre intrépide commandant a lancé 

2 



18 INTRODUCTION. 

n'aura pas été sans profil : la science y a gagné 
de savantes observations; l'état, l'expérience do 
ses marins; et la pêche des baleines et des pho- 
ques, de nouvelles espérances pour l'avenir. 
Maintenant surtout que nos baleiniers rivalisent 
de zèle pour reconquérir à la France une indus- 
trie qu'elle exerça autrefois sans partage , l'auda- 
cieuse tentative de l'Astrolabe et de to Zélée, la 
courageuse* persévérance du chef de l'expédition , 
la coopération des officiers et le dévouement des 

ses deux corvetles à travers la ceinture de glaces qui barrait sa 
route, il a lutté cinq jours contre les montagnes flottantes , et 
n'a reculé qu'après avoir épuisé tout ce qu'il a été donné à 
l'homme d'intelligence et de courage pour combattre les éléments. 
Avec la mer libre, nos marins, n'en doutons pas, auraient gagné 
facilement l'indemnité promise ; mais passer un mois entier dans 
un océan de glace , au milieu d'épais brouillards ; côtoyer pen- 
dant deux cents lieues une barrière insurmontable, hérissée de 
dangers ; forcer les obstacles , pénétrer à tout risque dans les 
plus étroits passages , voilà des efforts dignes des plus grands 
encouragements. 

Toutefois, M. d'Urville ne s'en est pas tenu à cette première 
exploration : il n'a pas voulu quitter l'hémisphère austral sans 
tenter de nouveau les abords du cercle polaire et essayer de 
pousser plus loin. Reparti de Hobart-Town le \* T janvier 1840, 
après vingt-huit mois de la navigation la plus active, il a coupé la 
route de Cook en 1775 pour s'avancer dans des parages que n'a- 
vait encore sillonné aucun navigateur; et , par 66° 30' de lat. S., 
et 138° 21' de long. E., la découverte de la Terre- Adélie est ve- 
nue lui assurer un de ces titres de gloire que la géographie enre- 
gistre dans ses annales et qui passent sans contrôle à la postérité. 



INTRODUCTION. 19 

équipages auront assez prouvé que nos marins 
peuvent affronter les mers polaires aussi bien que 
les nations rivales. Le commandant d'Urville qui, 
avant son départ, transmit à la Société de géo- 
graphie des renseignements si précieux sur la 
pêche des phoques et des morses (1) dans l'Océan 
austral , n'aura pas manqué de fixer son attention 
sur les parages où l'on pourrait encore tenter cette 
pêche avec succès. 

Quand on pense qu'en 1818, après la décou- 
verte de New-Southshetland, les pêcheurs anglais, 
qui explorèrent les premiers ce groupe d'îles, 
rapportèrent en Europe 215,000 peaux de pho- 
ques dont la vente produisit 1,125,000 francs, et 
que les importations des Américains s'élevèrent à 
500,000 peaux, il est permis d'espérer les plus 
heureux résultats pour les expéditions qui seront 

* 

dirigées sur les points encore inexplorés. La terre 
de Louis - Philippe , que le commandant d'Urville 
a reconnue et relevée dans les hautes latitudes 
australes (2) , est peut-être un nouveau champ que 

(1) Voyez Bulletin de la Soc. de géog. , 2« série , t. vu , 
no 41, p. 286. 

(2) A Test de Trinity Land. 

2. 



•20 INTRODUCTION. 

la fortune réserve à nos intrépides pécheurs. 
C'est ainsi que je m'exprimais naguère en pré- 
sence de la Société de géographie dans les consi- 
dérations que j'eus l'honneur de lui communiquer 
sur la grande pêche (1). Aujourd'hui ces mêmes 
considérations, dont on comprit l'importance et 
qui obtinrent toute leur publicité (2) , acquièrent 
encore plus de valeur dans la question qui m'oc- 
cupe. « La connaissance des parages où s'exerce 
la pêche, disais-je alors, le commerce qu'elle ac- 
tive, la navigation qu'elle entretient, l'abondance 
et la qualité de ses produits, sont autant de ques- 
tions intéressantes, dignes de l'attention des es 
prits observateurs. Et si de ces considérations gé- 
nérales on descend dans les détails, si on envisage 
l'état présent de la pêche pour en tirer des pré- 
visions pour l'avenir, si l'on étudie cette grande 
industrie sous ses rapports économiques, si l'on 
suit les opérations des pêcheurs sur les côtes des 
deux continents et dans les mers où s'établissent 
Jeurs croisières, si Ton compare enfin les procédés 



(1) Bulletin de la Soc. de géog. , 2« série , t. x , n° 60, dé- 
cembre 1858, p. 573. 

(2; Journal des Débats. 5févr. 1S39, et Journal de La Haye. 



INTRODUCTION. 24 

des uns et des autres, tant pour s'emparer du 
poisson que pour le préparer de diverses manières 
selon l'usage et le goût des nations, cet examen, 
en augmentant la masse de nos connaissances, 
sera la source d'heureuses améliorations. Dès lors, 
sous la double garantie de l'observation et de l'ex- 
périence, notre système de pêche recevra une 
nouvelle impulsion par les enseignements dont on 
aura su profiter et les entreprises qui seront di- 
rigées sur les points qui présenteront le plus de 
chances de succès. 

Telle est la marche que j'ai suivie dans mes ex- 
plorations : en tâchant d'apprécier toutes les res- 
sources que l'on pouvait tirer de la mer, une 
pensée arrêtée d'avance m'a toujours guidé dans 
mes recherches, et cette pensée , qui tendait vers 
des intérêts généraux, avait pour but des résul- 
tats positifs. Je voulais, suivant le point de mire 
sur lequel se dirigeaient tour à tour mes obser- 
vations , étendre nos relations commerciales , si- 
gnaler de nouvelles entreprises à nos navigateurs 
et fournir de nouveaux aliments à nos pêcheries. 

En observant dans les parages poissonneux les 
différentes espèces qui parcourent les mers, on 



22 INTRODUCTION. 

a reconnu que ces tribus voyageuses se déviaient 
parfois de leur route habituelle, changeaient de 
croisières, devançaient ou retardaient leurs mi- 
grations, et ne retournaient pas toujours dans 
leurs stations premières. Ainsi , les harengs , qui 
affluaient jadis en si grande abondance sur les 
côtes de la Suède , s'en sont éloignés tout-à-coup 
pour n'y plus reparaître; ainsi, encore, les ba- 
leines, ces puissances de l'Océan , ont abandonné 
les mers où de hardis pécheurs s'acharnèrent à 
leur poursuite. Un jour peut-être ces myriades 
de morues, qu'on va pêcher sur le banc de Terre- 
Neuve, déserteront les plaines sous-marines où les 
attirent des causes que nous ne connaissons en- 
core qu'imparfaitement et qui peuvent cesser 
d'exister. D'ailleurs, quand même ces change- 
ments dans les phénomènes observés jusqu'ici ne 
seraient pas à craindre , n est-il pas prudent de se 
* préparer d autres ressources qui assurent à une 
grande industrie d'inépuisables aliments? Cette 
prévoyance, sur laquelle repose l'avenir de la 
pêche, ne doit -elle pas entrer dans les vues du 
gouvernement, surtout lorsque son intérêt s'y 
trouve lié d'une manière si intime ? Car la pèche 



INTRODUCTION. 23 

est la pépinière de notre marine ; c'est sur ce 
théâtre de pratique et d'expérience que se prépa- 
rent les éléments qui doivent faire sa force et sa 
prospérité. Il importe donc au ministère compé- 
tent d'agrandir le domaine de la pèche, de proté- 
ger de tout son pouvoir les nouvelles entreprises, 
et de donner enfin tous les développements pos- 
sibles à une industrie d'un si grand poids dans la 
balance des intérêts nationaux. 

H est dans l'Océan Atlantique des parages plus 
rapprochés de nous que Terre-Neuve, placés sous 
un climat meilleur, dans des conditions bien plus 
favorables que les mers du nord, et qui pourraient 
devenir le siège d'une pèche qui ne le céderait en 
rien, ni pour l'abondance, ni pour les facilités et 
la qualité des produits, a celle que l'on fait sur le 
grand banc. Ces parages , qui s'étendent le long 
de l'Afrique occidentale, depuis le cap de Geer et 
même à partir d'Azamor , jusqu'à l'embouchure 
de la Gambie, sont peut-être les plus poisson- 
neux de tout l'Océan. 

Les navigateurs portugais, que le génie en- 
treprenant de l'infant don Henri poussait sans 
cesse vers de nouvelles découvertes, explorèrent 



24 INTRODUCTION. 

cette côte dès le commencement du xv« siècle. 
Mon savant ami , le vicomte de Santarem , dont 
l'érudition géographique n'est jamais en défaut , 
m'a fourni la preuve que les marins de Lagos et 
des frontières maritimes du royaume des Algar- 
ves allaient déjà pécher, en 1444, sur le cap Bo- 
jador , sur celui de Geer, au Rio de Oro , à l'An 
gra dos Ruyvos , au banc d'Arguin et jusque dans 
les mers de Guinée, suivant l'expression d'Azurara. 
Ce célèbre chroniqueur nous apprend en effet que 
les Portugais qui fréquentaient ces parages y éta- 
blirent des pêcheries, sous les auspices de l'infant, 
moyennant un certain droit qu'ils s'obligèrent à 
lui payer. Les pécheurs affluaient en grand nom- 
bre à YAngra dos Ruyvos (la baie des rougets) : 
ce fut sur ce point du littoral qu'ils se fixèrent 
d'abord pour installer ces grandes pêcheries qui 
étonnèrent tant les Maures du Sahara (1). La baie 
des rougets, située à trente lieues environ du cap 
Bojador, reçut son nom de celui des poissons qui 
abondaient dans ses eaux : elle fut reconnue pour 
la première fois en 1 434 , par Alonso Gonzalez 

(1) Voyez Azurara , Chronique de la conquête de Guinée, 
chap. 95, manuscrit de la Bibliothèque royale. 



INTRODUCTION. 25 

Baldaya, après que ce navigateur eut doublé le 
cap (1). 

Léon l'Africain fait mention de la grande quan- 
tité de poissons que Ton péchait près d'Azamor, 
aux embouchures de l'Omm-er-R'bie'h. On éva- 
luait à 6 ou 7,000 ducats les droits que les Maures 
d'Azamor percevaient sur cette pèche qui durait 
depuis octobre jusqu'à la fin d'avril. Notre auteur 
assure que l'espèce qui pullulait dans ces parages 
était si chargée de graisse que chaque individu 
rendait plus d'une livre et demie d'huile. « Les 
Portugais, ajoute-t-il, venaient autrefois charger 
leurs navires de ces poissons d'Azamor, et ils con- 
tinuèrent à payer le droit jusqu'à l'époque où ils 
s'emparèrent de cette place (2). » 

En 1456, Cadamosto, qui rapporta tant de pré- 
cieux renseignements de ses explorations en Afri- 
que , s'exprimait en ces termes sur les pêcheries 
de la côte occidentale : « On trouve tout le long de 

(1) Collect. des voyages et déeouv. des Espagnols, trad. de 
MM. Verneuil et de la Roquette , tom. î , p. 69 , note 1. 

(3) Voyez, dans le premier volume du recueil des Navigations 
et voyages de Ramusio (4 e édit. Venise, MDLXXXVIII ) ,1a 
description de l'Afrique, de Jean Léon, deuxième partie.. Azaa- 
mur città , p. 22 



26 INTRODUCTION. 

cette côte à faire la pèche la plus abondante en 
poissons de diverses espèces, beaux et excellents, 
les uns semblables à ceux qu'on vend à Venise , et 
d'autres de formes différentes (1). » 

En 1510, deux ans après la prise de Saffi par 
les Portugais , nous voyons déjà cette nation, alors 
toute puissante, signer un traité avec les habitants 
de cette ville, par lequel ceux-ci étaient tenus de 
lui payer tous les ans un tribut de dix mille 
aloses salées (2). 

Si Ton consulte les documents historiques de 
cette époque, tout porte à croire que les marins 
des Algarves se livrèrent les premiers à la pêche 
sur la côte d'Afrique. Dans le chapitre 104 des 
Cariés de Sanlarem (année 1434), il est question 
de grandes exportations de poissons pour les 
ports du Levant, et surtout d'une espèce de gade 
désignée sous le nom de pescada. Un autre do- 
cument des cor tes d'Évora(1436) cite des ventes 
considérables d'aloses salées que les Portugais 

(1) Voyez dans le même recueil de Ramusio la relation de Ca- 
damosto , « De pesci che si trovano in detta costa... » p. 99. 

(2) Voyez Y Histoire des conquêtes des Portugais aux Indes 
orientales , par Barros, dans les Relations de voyages de The- 
venot. 



INTRODUCTION. 27 

Taisaient aux Espagnols et aux marchands d'au- 
tres nations (1). 

Quant aux pêcheries d'Agadir, on sait que Diego 
Lopes de Sequera, se rendant dans l'Inde en 
1 5 1 8 (2) , remarqua l'affluence extraordinaire de 
poissons dans le voisinage du cap de Geer, lorsqu'il 
y mouilla avec sa flotte. Cet amiral appela dès lors 
l'attention du roi don Emmanuel sur les avan- 
tages que pouvaient offrir des pêcheries situées 
dans ces parages où un aventurier portugais avait 
déjà fondé un établissement. Ces circonstances, 
réunies aux intérêts politiques qui dominaient 
alors dans les grandes entreprises qu'on dirigeait 
en Afrique, déterminèrent probablement le roi 
de Portugal à faire construire le château d'Aguer 
(Agadir ou Sainte-Croix), à l'embouchure du 
Sus , afin de protéger ces pêcheries qui étaient 
devenues l'école pratique de sa puissante marine. 
Les Portugais- n'abandonnèrent la place qu'en 1 536, 
lorsque Mohammed , roi de Fez , vint l'attaquer 
pour la seconde fois , et ce ne fut qu'après avoir 

(1) Vie. de Santarem, Memorias para a historia dos Cortes. 

(2) Voyez, dans la notice de M. le vicomte de Santarem sur les 
manuscrits portugais de la Bibliothèque du Roi , Chronologie de* 
voyages, p. 77. 



28 INTRODUCTION. 

perdu dix mille hommes de ses meilleures trou- 
pes que ce prince parvint à s'emparer de ce poste 
auquel on attachait une grande importance, et 
que la garnison défendit avec un courage digne 
d'un meilleur sort (1). 

Les Espagnols du golfe de Biscaye qui , à cette 
époque, ne se montrèrent pas moins entrepre- 
nants que les Portugais , continuèrent pourtant la 
pèche sur les attérages du cap du tîeer, et fré- 
quentaient encore cette partie de la côte d'Afrique 
vers le milieu du seizième siècle. Christoval 
de Barros rapporte : « Que les grandes chaloupes 
de Saint-Vincent de la Barquera, Lianes, Riva 
de Sella, Gijon et Aviles partaient en septembre , 
pour se rendre en Andalousie , où elles se ravi- 
taillaient, pour retourner ensuite vendre leur 
poisson à Séville et au port de Sainte-Marie , vers 
la fête de la Noël , et que plus tard , au mois d'a- 
vril, elles reprenaient le chemin de Saint-Vin- 
cent, afin de se trouver, au commencement de 
juin , à la pêcherie d'Irlande , d'où elles étaient 
de retour au mois d'août (2). » 

(1) Voyez Rces, New Cycloped., 1. 1, part. 2, art. Aguer. 

(2) Colecc. de viagcs y descub., par D. M. F. Navarrete, t. ut, 
p. 176. Document des arch. de Séville , n° 17. 



I.NTRODLGTION. «9 

Ainsi ces hardis pécheurs ne restaient au port 
que trois ou quatre mois , et tenaient la nier pen- 
dant tout le reste de l'année, en parcourant, dans 
les deux campagnes, plus de 1600 lieues mari- 
nes sous des climats divers. 

Cette grande pêche , à laquelle se livrèrent au- 
trefois avec tant d'avantages les populations mari- 
times du royaume des Algarves et les Espagnols 
du golfe de Biscaye , n'est plus exploitée aujour- , 
d'hui que par les insulaires des Canaries. Placés * 
au milieu de la région poissonneuse dont j'ai indi- 
qué plus haut les démarcations , les pécheurs de 
ces îles ont su mettre à profit leur heureuse 
position . Ils pèchent le long de la côte voisine plu- 
sieurs espèces de gades analogues à la morue , et 
beaucoup d'autres poissons qu'ils préparent à mi- 
sel , et qu'ils sécheraient au besoin comme l'es- 
pèce de Terre-Neuve. Trente à quarante brigan- 
tins , montés ensemble de sept a huit cents mate- 
lots expérimentés , sont expédiés de divers ports 
de l'Archipel canarien , et approvisionnent an- 
nuellement les îles de 150,000 quintaux de pois- 
sons. Cette petite flottille parcourt, huit à neuf fois 
Tan, lesattérages du cap Bojador et du cap Blanc, 



30 INTRODUCTION. 

et pourrait continuer la pèche avec le même suc- 
cès jusqu'à la rivière de Gambie, si elle n'avait à 
lutter contre les difficultés du retour. A deux 
époques différentes, d'innombrables phalanges de 
poissons remontent ou redescendent la côte, en 
suivant les fonds sablonneux de la lisière du grand 
désert. La pèche , le long de ce littoral , est tou- 
jours prospère et facile, les vents constamment 
réguliers; une barque de quarante à cinquante 
tonneaux peut effectuer son chargement en trois 
ou quatre jours, suivant le nombre d'hommes 
dont se compose son équipage. J'ai l'intime con- 
viction que, sous cette latitude, des pêcheries 
bien dirigées dépasseraient les produits de celles 
des mers du Nord , et qu'elles deviendraient bien- 
tôt des plus lucratives pour des armateurs entre- 
prenants. Dix années de résidence aux îles Cana- 
ries , les renseignements que j'ai obtenus des pa- 
trons de pêche , mes propres observations durant 
les traversées que j'ai faites à bord de leurs bar- 
ques, m'ont mis à même d'étudier sous tous ses 
rapports cette grande industrie maritime. Le pois- 
son salé de la côte d'Afrique forme , depuis près 
de trois siècles, la principale nourriture des Cana 



INTRODUCTION. r>l 

riens, qui se contentent de le préparer en verl 
pour le transporter et le vendre dans les différents 
marchés des îles. Mais , en bornant jusqu'ici les 
produits de la pèche aux besoins de la consomma- 
tion , les Islenos (1 ) ont négligé tous les avantages 
qu'ils pourraient tirer des exportations; l'industrie 
qui les alimente est pourtant susceptible de 
grands développements , et c'est en l'envisageant 
sous ce point de vue que je vais donner l'histoire 
d'une pêche qui, bien que restreinte dans ses dé- 
bouchés, pourrait, sous la protection d'un gouver- 
nement éclairé, et à l'aide d'une organisation bien 
entendue , ne plus compter de rivale et se placer 
bientôt au premier rang. 

Toutefois, avant d entrer dans ces détails, il 
convient de dire un mot sur les migrations des 
poissons voyageurs , et de faire connaître les prin- 
cipales espèces qui fréquentent la mer canarienne. 



(1) Cette dénomination est généralement employée par les Es- 
pagnols pour désigner les habitants des Iles Canaries. 



CHAPITRE PREMIER 



] 



CHAPITRE PREMIER. 



et la qualité de* e.pèce. qui fréqueatent la mer canarienne. 



Panni les innombrables espèces qui peuplent les 
mers , les unes vivent isolées et sédentaires , les 
autres se réunissent en grandes bandes. Dans 
ce nombre, il en est qui ne quittent jamais le fond 
qui les a vues naître , tandis que d'autres parcourent 
en troupe des espaces immenses. Ces remarques 
ne sont pas d'aujourd'hui : les Grecs distinguaient 
les poissons par leurs principales habitudes : ils 
avaient étudié les appétits et les goûts dominants 



3. 



3C CHAPJTRK PRKMIRR 

de chaque espèce. Favorisés par le voisinage de la 
mer, ils s'attachèrent à connaître les meilleurs 
poissons. Ceux qui fréquentent les fonds rocail- 
leux avaient des titres de plus à la recommanda- 
tion des gourmets : aussi les poissons de la mer 
Egée obtinrent -ils la préférence, o Les meilleurs 
fonds sont ceux garnis de plantes marines, disait 
Aristote, les poissons herbivores y trouvent plus 
de pâture, et ceux dont les habitudes sont voraces 
y rencontrent plus de poissons. » Dans plusieurs 
endroits de ses écrits, le naturaliste grec , dont le 
raisonnement est toujours si logique, fait la diffé- 
rence des espèces qu'il appelle saxatiles, parce 
qu'on les péchait sur les côtes bordées de rochers, 
de celles qu'il nomme ruades ou vagabondes. Tou- 
tefois, il ne confondait pas ces dernières avec 
celles qui ne sont pas soumises aux migrations. 
Il n'ignorait pas que la plupart des espèces qui 
disparaissent à un certain temps de l'année se re- 
tirent dans les profondeurs de la mer, et que les 
autres, au contraire, telles que les thons et les 
pélamides, émigrent vers d'autres régions. 

Les thons, que les colonies carthaginoises firent 
graver sur les médailles puniques de Gades et de 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 37 

Carteia, fréquentent toujours les mêmes côtes. 
Aristote, ce génie privilégié, auquel il semblait 
réservé de tout savoir, a décrit la marche de ce 
poisson le long des rivages où on le péchait plus 
particulièrement : l'étude des migrations et les 
pêcheries qui ont prévalu dans les mêmes parages 
prouvent l'exactitude de ses remarques. On con- 
tinue à pécher les thons dans les lies de la mer 
Egée, à Samos, à Naxos, à Icarie, surnommée 
Ylchthyoësse ou la Poissonneuse; on en prend beau- 
coup encore dans le détroit de Messine, dans le 
voisinage de Syracuse et de Tarente, ainsi qu'à 
Marseille, à Antibes, à Nice, sur les côtes méri- 
dionales d'Espagne et dans toutes les anciennes 
colonies phocéennes où Ton a conservé l'usage 
des madragues sur le modèle des Grecs. 

C'est dans ces longs filets de sparte que se pren- 
nent les thons aux époques du passage (1) : ils s'y 
engagent par bandes de quatre à cinq cents à la 
poursuite des sardines, lorsqu'en entrant dans la 



(1) On peut voir dans les galeries du Louvre une marine de 
Yernet, où ce peintre célèbre a reproduit, avec la plus exacte vé- 
rité, le curieux spectacle de cette pêche qu'on considère avec raison 
comme la plus importante de la Méditerranée. 



58 CHAPITRE PREMIER. 

Méditerranée ils remontent vers la mer Ligurienne. 
Ces superbes scombres tiennent le premier rang 
parmi les poissons voyageurs ; leur marche, depuis 
le détroit de Gibraltar jusque dans la mer Noire , et 
leur retour dans l'Océan, sont pourtant mieux con- 
nus aujourd'hui que du temps d'Aristote ; on sait 
qu'ils s'avancent jusque sur les confins de la zone 
torride , et la nouvelle pêcherie de thons, établie 
par une compagnie de Génois sur les côtes de la 
Gomère , dans le canal qui sépare cette île de celle 
de Ténériffe , est en pleine prospérité. 

Les observations des anciens sur les stations 
qu'affectaient certaines espèces et sur les migra- 
tions de quelques autres se trouvent confirmées 
par des faits toujours existants. Ainsi, les poissons 
que Ton péchait au temps des Sésostris et des 
Pharaons dans les eaux du Nil et sur les côtes de 
l'Egypte y abondent comme autrefois. Notre im- 
mortel Cuvier a reconnu , sur les dessins rappor- 
tés par les membres de l'Institut du Caire , l'iden- 
tité des espèces sculptées dans les grottes sépul- 
crales de Thèbes ; et les poissons embaumés de la 
fameuse collection de Passalaqua ont présenté les 
mêmes résultats. Le saumon , vanté par Pline , et 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 39 

que les fleuves de l'Aquitaine fournissaient de son 
temps, se plaît encore aux embouchures de la 
Garonne et de l'Adour ; la murène , si estimée des 
Romains, continue d'habiter les fonds rocailleux 
de la Méditerranée; tandis que les dauphins, si 
respectés des pécheurs de l'Ionie, et que la ville 
de Phocée adopta pour symbole , sillonnent tou- 
jours les mêmes mers. 

Le phénomène de ces migrations, que l'instinct 
et le besoin commandent , a été observé dans pres- 
que toutes les régions du globe. Chaque contrée 
compte un certain nombre d'espèces qui ne se 
montrent sur les côtes qu'à des époques fixes et 
déterminées par des circonstances difficiles à ex- 
pliquer, si ce n'est par la nécessité de se procurer 
une nourriture plus abondante et la recherche 
des parages convenables à la conservation du frai. 
Dans les Antilles, pendant la durée de la saison 
pluvieuse, c'est-à-dire depuis juin jusqu'à la fin de 
décembre, les côtes sont fréquentées par une mul- 
titude de poissons , dont quelques-uns entrent en 
affluence dans les rivières au point de les encom- 
brer. Pendant la saison sèche , au contraire , c'est- 
à-dire depuis janvier jusqu'en mai, ils s'éloignent 



40 CHAPITRE PREMIER. 

des côtes, et l'on ne trouve plus alors que des 
cétacées et des requins , dont l'arrivée et la per- 
manence, dit M. Marec (1), pourraient peut-être 
expliquer en partie le départ des premiers. 

Les poissons voyageurs qui chaque année vien- 
nent enrichir notre littoral sont en assez grand 
nombre, et je ne citerai ici que les espèces les 
plus connues. 

Le maquereau séjourne chaque été sur nos 
côtes, pendant un laps de temps assez long, 
depuis Dunkerque jusqu'à Brest, et fournit une 
pêche dont le produit est estimé à 800,000 francs 
par campagne (2). 

Le germon abonde dans le golfe de Gascogne , 
et sa présence dans cette mer a toujours lieu aussi 
aux mêmes époques. 

L'apparition périodique des sardines se fait re- 
marquer depuis l'extrémité de la Bretagne jusque 
vers l'embouchure de la Loire. Toutefois, ces pois- 

• 

(1) Voyez Dissertation sur plusieurs questions relatives à la 
pêche de la morue , par M. Marec , chef de bureau de la police 
des pèches au ministère de la marine. 

(«) Voyez Recherches pour servir à i histoire naturelle du 
littoral de la France, par MM. Audouin et Milne Edwards, 
p. 366. 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 41 

sons se montrent aussi au-delà de ces limites ; on 
en pèche dans le voisinage de Morlaix et dans 
toute la baie de Biscaye ; mais c'est surtout dans 
les eaux de Groix , de Concarneaux et de Douar- 
nenez que leur abondance est extrême (1). L'ap- 
parition des sardines sur les côtes et dans le voi- 
sinage des Iles de la Méditerranée a été constatée 
aussi depuis des siècles , bien que de fausses opi- 
nions, émises sans examen , aient laissé croire que 
leur existence dans ce bassin ne datait pas de 
long-temps (2). C'est depuis avril jusqu'en octobre 

(1) On en fait aussi des salaisons considérables dans le quar- 
tier maritime de Collioure. Les pécheurs de Quimper et de 
Lorient , au nombre de plus de 4,000 , s'occupent presque tous 
exclusivement de cette pèche pendant une grande partie de Tété et 
de l'automne, et Ton évalue à environ 2,000,000 les produits qu'elle 
donne entre Brest et le Croisic. Au sud de la Loire, vers les Sables 
d'Olonne et Saint-Jean de Luz , on pèche aussi la sardine , mais 
en plus petite quantité. Voy. Àud. et M. Edw., op. cit , p. 266. 

(2) Quoique les anciens manuscrits fassent peu mention de ce 
poisson , aussi bien que de l'anchois , son compagnon d'habitude, 
on sait queGelmirez, archevêque de Composte Ile, en avait déjà fixé 
le prix par un règlement publié en 1133 ; qu'on péchait ces deux 
espèces en Sicile dans le commencement du xir siècle , et que les 
droits qu'elles acquittaient furent maintenus aux assises de Na- 
ples en 1176. En outre , les archives de la corporation des pé- 
cheurs de Marseille viennent fournir des preuves de l'abondance 
de ces poissons sur la côte de Provence en 1298 et 1424, puisque, 
sous la première de ces dates, on trouve un privilège accordé au 



49 CHAPITRE PREMIER. 

que ces poissons affluent en plus grand nombre 
dans le golfe de Lyon et de Gênes, sur les côtes 
d'Espagne , de la Corse , de la Sardaigne et des 
îles Baléares. A l'exemple des autres espèces voya- 
geuses, l'instinct des migrations porte les sardines 
et les anchois, qui souvent les accompagnent, à 
changer de lieux à des époques périodiques. Leur 
absence pendant quatre ou cinq mois de l'année a 
donné lieu à différentes interprétations. Où vont- 
elles alors? Dans quels parages déposent-elles leur 
frai? Ces questions sont encore autant de pro- 
blèmes. 

On a remarqué pourtant que les saisons n'é- 
taient pas pour les poissons voyageurs et pour 
l'époque de leur propagation des régulateurs in- 
variables. Plusieurs espèces frayent en hiver : alors 



monastère de Lérins par Charles H , comte de Provence , pour 
pécher l'anchois à la Rissole, et sous la seconde, un acte qui fait 
mention de sardines salées. 

Aujourd'hui la pèche de l'anchois est une branche de commerce 
très -lucrative à Antibes, à Fréjus , en Corse et au Port- Mahon. 

Les Marseillais pèchent les sardines depuis un temps immémo- 
rial avec un filet qu'ils appel I en i iardinaou ,• elles pénètrent sou- 
vent en bandes serrées dans nos madragues , où Ton en prend 
jusqu'à 40 el 50 milliers dans une seule levée. 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 43 

les morues se retirent en pleine mer à des pro- 
fondeurs considérables, et ne viennent jamais sur 
les bas-fonds. C'est vers l'automne que les harengs 
répandent sur nos côtes leurs œufs et leur laite. 
En général , les poissons de passage , qui descen- 
dent ou remontent une côte . ne s'y montrent pas 
sur tous les points ; ils semblent affectionner plus 
particulièrement des parages déterminés, et pré- 
fèrent certaines eaux où ils stationnent d'habitude. 
Ils y arrivent alors en troupes si nombreuses et si 
serrées qu'ils forment des bancs immenses, et sont 
pour les pêcheurs d'une capture facile. Ainsi, les 
harengs, qui alimentent nos marchés, parcourent 
notre littoral depuis Dunkerque jusqu'à l'embou- 
chure de la Seine ; ils abondent dans ces parages 
depuis le mois de septembre jusqu'en février, quel- 
quefois même jusqu'en mars. On a constaté, au 
contraire , que ces poissons se montraient sur les 
côtes de Saint-Pierre et de Miquelon vers le com- 
mencement de mai , tandis qu'au Petit-Nord ils ne 
paraissaient ordinairement qu'au mois de juin. Ces 
différentes circonstances ont été pour plusieurs 
écrivains le texte de merveilleuses descriptions. 
M. Delasize, qui a traité ce sujet avec autant de 



44 CHAPITRE PREMIER. 

conscience que de talent (1), s'est exprimé en ces 
termes : « L'imagination de certains hommes a 
préféré s'abandonner à la poésie , qui résultait de 
l'apparition annuelle et régulière de ces pèlerins 
mystérieux, que d'étudier mûrement l'ensemble 
et les détails des faits, et d'en calculer la possibi- 
lité et les vraisemblances. » Ainsi, Anderson, sur 
quelques renseignements isolés, a tracé au hasard 
l'itinéraire de ces bandes voyageuses ; il a indiqué 
leur ordre de marche et a fait le dénombrement 
de leurs légions. Mais ces calculs prématurés ont 
été démentis par des observations plus judicieu- 
ses. D'après les opinions les plus accréditées, on 
croit aujourd'hui que les harengs habitent les pro- 
fondeurs de toutes les mers du Nord , depuis le 
55 e degré de latitude jusqu'au voisinage du pôle ; 
qu'ils partent de ces grands réservoirs par bandes 
successives , une partie au printemps, une autre 
en été, et une troisième enfin en automne, pour 
aller frayer sur les côtes et surtout vers l'embou- 
chure des fleuves. 

La recherche des eaux, dont les ressources ali- 

(i) Voyez France maritime, t. i , p. 308. 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 45 

mentaires peuvent suffire aux besoins de toute la 
troupe, motive ces changements habituels de pa- 
rages qu on observe dans les migrations des pois- 
sons voyageurs , soit avant ou après l'époque du 
frai. « Des millions de morues, qui arrivent de la 
mer Glaciale, dit l'auteur de V Histoire générale des 
pèches , se réunissent tous les ans à la fin de fé- 
vrier dans le Lofoden du Nordland. Cette pêche 
est la plus renommée de tout le Nord. Depuis 
neuf cents ans qu'elle est fréquentée par les pê- 
cheurs, les morues n'ont jamais manqué de s'y 
rendre ; elles y viennent frayer sur des fonds sa- 
blonneux très-favorables à la pêche. Il est constant 
que l'affluence périodique de ces poissons est due 
a la position particulière et privilégiée du Lofoden. 
Ce golfe présente en effet une espèce de 
mer intérieure , mise à couvert des tempêtes par 
des îles qui , en opposant une barrière naturelle , 
contribuent à maintenir l'eau dans la température 
nécessaire à l'accomplissement du (rai qui s'o- 
père au mois de mars. » Toutefois , malgré cet 
exemple de la constante fécondité des mers et 
de cet instinct providentiel qui porte les poissons 
voyageurs à retourner périodiquement dans les 



46 CHAPITRE PREMIER. 

mêmes parages , il est des circonstances fortuites 
qui peuvent retarder leur arrivée sur certaines 
côtes ou les écarter de leur route accoutumée 
durant leur migration. Les perturbations de l'at- 
mosphère et leur action sur la mer doivent exer- 
cer une grande influence : les tempêtes et les ou- 
ragans soulèvent les flots et bouleversent les fonds 
dans le voisinage des terres ; les pluies orageuses 
et les débâcles occasionnées par la fonte des nei- 
ges ou les grandes inondations changent la tempé- 
rature des eaux , les troublent vers l'embouchure 
des rivières et le long du littoral jusqu'à de gran- 
des distances. Toutes ces causes éloignent les pois- 
sons ; cependant , malgré ces altérations acciden- 
telles dans les parages qu'ils fréquentent d'habi- 
tude , il est , dans ce qui se passe au fond des mers, 
des phénomènes indépendants de ceux que nous 
voyons s'opérer habituellement sous nos yeux; 
car les lois de la permanence et de la multiplica- 
tion des espèces , en agissant dans cet élément 
sous l'influence d'un autre milieu , ne peuvent être 
troublées par les mêmes causes. Si, dans leurs 
migrations périodiques, les poissons voyageurs s'é- 
cartent parfois de leur route primitive ou bien 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. M 

changent de direction pour suivre un autre itiné- 
raire, leur apparition dans d'autres parages té- 
moigne assez de la constante fécondité des eaux 
et de cette prodigieuse variété de ressources que 
la prévoyante nature a mises à la disposition des 
pécheurs. Pourtant il est des erreurs populaires 
qui se sont accréditées au point de devenir des 
croyances. Par une fausse analogie, on a jugé la 
mer comme la terre, et , dès que quelque circon- 
stance fortuite a diminué la pèche dans un de nos 
ports , on a prétendu que les eaux n'étaient plus 
aussi poissonneuses (1). 

C'est dans le nord, observe l'illustre Cuvier, 
que certaines espèces montrent la fécondité la plus 
étonnante , et nulle part la mer ne nous offre rien 
d'approchant de ces myriades de morues et de* 
harengs qui attirent chaque année des flottes en- 
tières de pécheurs. Les limites hydrographiques 
des migrations de la morue se trouvent comprises 
entre le 40 e et le 60 e degré de latitude, et les 



(1)' L'esprit des bonnes gens a été plus loin encore : il y a trois 
ans qu'à Marseille un patron de barque m'assurait sérieuse- 
ment que la pèche était très -précaire depuis la révolution de 
juillet. 



48 CHAPITRE PREMIER. 

mers polaires semblent les réservoirs intarissa- 
bles de cette espèce qu'on rencontre rarement en 
s avançant vers le sud. Cependant, comme nous 
allons le voir, on pèche , dans le voisinage de la 
côte occidentale d'Afrique, deux autres espèces 
de gades et plusieurs autres beaux poissons, qui , 
sous les rapports économiques, pourraient soute- 
nir la concurrence avec la morue de Terre-Neuve. 
Les renseignements que je vais donner sur la pê- 
che qui se fait depuis le cap de Geer jusqu'à l'em- 
bouchure du Sénégal, et même au-delà du cap 
Vert, tendent à démontrer que la fécondité des 
eaux n'est pas moins extraordinaire dans les pa- 
rages méridionaux que dans l'Océan septentrio- 
nal , mais avec cette différence, qu'en se rappro- 
chant des mers intertropicales, la quantité numé- 
rique résulte de la grande variété de poissons, 
tandis que dans le nord elle n'est relative qu'à 
trois ou quatre espèces. Les légions de brèmes, 
de gades, de physis, de sciènes, de serraus, et 
les autres bandes voyageuses qui fréquentent les 
bancs sablonneux de l'Afrique occidentale , re- 
montent au nord à la fin de l'hiver pour descen- 
dre ensuite graduellement vers le midi. L'affluence 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 49 

ries poissons dans les parages que je viens d'indi- 
quer, et qui comprennent tout le littoral du Grand- 
Sahara, dépend en grande partie de la qualité du 
fond. Le long de cette lisière de côte, dans les 
endroits où la rive est basse et bordée de dunes 
ou de falaises siliceuses, le fond de la mer s'assi- 
mile par sa nature à la plage qui l'avoisine ; mais 
sur les points où la côte, plus élevée, est rocail- 
leuse, escarpée, mo'ntueuse, le fond se met en 
rapport avec la constitution géognostique du lit- 
toral, et dès lors les poissons qui affectionnent 
les plaines sous-marines des autres parages ne se 
montrent plus en si grand nombre, et finissent 
même par disparaître pour être remplacés par les 
espèces sédentaires qui aiment les eaux vives et 
se plaisent dans les grandes profondeurs. Les ob- 
servations de M. l'amiral Roussin, et les cartes 
qu'il a publiées sur sa reconnaissance de la côte 
occidentale d'Afrique, n'indiquent que des fonds 
de sable roux et de coquilles brisées sur un es- 
pace de plus de huit degrés en latitude , et du sa- 
ble gris et vaseux près du littoral. L'affluence des 
poissons sur ces fonds sablonneux semble déter- 
minée par plusieurs causes : premièrement, par la 



50 CHAPITRE PREMIER. 

nécessité de venir déposer le frai dans des parages 
convenables à son développement ; secondement , 
par l'état de la température des eaux sous cette 
latitude ; troisièmement enfin , par l'abondance de 
nourriture qu'ils trouvent dans cet espace de mer 
où pullulent des myriades de petits crustacés , de 
céphalopodes et d'autres animaux marins qu'atti- 
rent les fonds de vase , les bancs de sargasse des 
environs, les masses de fucus qui s'en détachent 
et que les courants du Gulf-Stram refoulent sou- 
vent jusque sur la côte. A ces circonstances, qui 
prédominent dans ces plaines et sur ces plateaux 
sous-marins , il faut ajouter encore la présence de 
bandes d'anchois, de bogues, de capelans, de sardi- 
nes, de tassards, de maquereaux qui se montrent à 
certaines époques, et dont les grandes espèces font 
habituellement leur proie. Quant aux migrations 
constantes et alternatives que les pêcheurs cana- 
riens ont observées le long du littoral et qui por- 
tent les poissons à se diriger au nord , pendant le 
printemps et l'.été , pour descendre ensuite vers le 
sud durant les autres saisons, cette nferche, en 
rapport avec celle du soleil, pourrait bien avoir 
pour motif la recherche des eaux où la tempéra- 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 51 

ture est la plus convenable à l'existence des es- 
pèces voyageuses et à l'accomplissement du 
frai. 

Mais il est aussi une autre observation qui se 
rattache aux hypothèses les plus probables sur 
l'affiuence extraordinaire des poissons dans les 
parages indiqués. On a remarqué que les espèces 
voyageuses s'engageaient de préférence dans les 
bras de mer où les courants généraux se faisaient 
sentir avec le plus d'intensité, et qu'elles remon- 
taient ces courants comme les oiseaux de passage 
qui volent toujours contre le vent. Ainsi , en pé- 
nétrant dans la Méditerranée ou en quittant ce 
bassin pour entrer dans l'Océan , les innombra- 
bles espèces qui alimentent le marché de Gibraltar 
et des autres villes du détroit remontent constam- 
ment les courants des deux côtes. Les poissons 
voyageurs se montrent aussi en troupes nombreu- 
ses dans le golfe de Valence . entre les îles Baléares 
et le cap Saint-Martin ; dans le détroit de Bonifa- 
cio , entre la Corse et la Sardaigne ; ils abondent 
dans le phare de Messine et dans le golfe de Ve- 
nise $ les bras de mer qui séparent les îles de l'ar- 
chipel grec , le canal des Dardanelles et celui du 



4. 



52 CHAPITRE PREMIEIt. 

Bosphore , en un mot, tous les détroits et les golfes 
de la Méditerranée où les courants exercent leur 
influence , sont reconnus par les pécheurs comme 
les meilleures stations poissonneuses de ce vaste 
bassin. Mais ces observations sont aussi applica- 
bles aux autres mers, à l'Océan et à la mer Balti- 
que, par exemple, où des causes analogues dé- 
terminent dans certains parages le passage plus 
fréquent des bandes voyageuses. Sur la côte oc- 
cidentale d'Afrique , et principalement dans cette 
longue vallée de l'Atlantique comprise entre le lit- 
toral du Sahara et les iles adjacentes , l'action des 
courants du Gulf-Stram étant plus intense sur les 
acores des bancs, les pécheurs canariens trouvent 
toujours là une pèche plus abondante. En général, 
les poissons semblent affectionner davantage les 
parages où le mouvement de translation des eaux 
est plus constant et plus rapide. C'est sur le banc 
d'Arguin, dans les baies d'Agadir, de Saint-Cy- 
prien et d'Agra de Ruivos, aux bouches du Noun. 
et de la Schlima (1), au Rio de Oro , aux attérage? 

(4) Ces deux rivières ont été confondues dans plusieurs cartes 
sous le nom de JVowxdi Noun. Voyez plus haut les renseignements 
sur leur position respective. 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 55 

du cap Barbas et du cap Blanc , sur les barres du 
Sénégal , dans la baie de Gorée et à l'embouchure 
de la Gambie, qu'on rencontre en masses plus 
compactes ces phalanges voyageuses qui, depuis 
plus de trois siècles, fournissent leurs tributs aux 
îles Canaries. C'est encore dans les eaux de cet 
archipel que les thons se montrent en plus grand 
nombre lorsqu'ils sillonnent l'Océan dans leurs 
migrations lointaines, et là encore ces superbes 
scombres choisissent pour leur point de ralliement 
un détroit de trois ou quatre milles de large où les 
courants de la mer canarienne se manifestent avec 
le plus de force. 

La grande collection de poissons que M. Webb 
et moi avons rapportée de ces parages se compose 
de plus de cent espèces : elle offre plusieurs pois- 
sons curieux , rares ou nouveaux , dont la pré- 
sence dans les eaux de l'archipel canarien assigne 
à cette région ichthyologique des caractères ana- 
logues à ceux que nous avons déjà signalés pour 
le faune et la flore de la contrée. Cette ichthyo- 
logie se compose : premièrement, d'un grand nom- 
bre de poissons de notre Méditerranée et des côtes 
occidentales de la Péninsule hispanique ; seconde- 



54 CHAPITRE PHEMIER. 

ment , de plusieurs espèces africaines ou spéciale- 
ment canariennes ; et troisièmement, de quelques 
autres identiques ou analogues à celles qu on pè- 
che entre les tropiques et plus particulièrement 
aux Antilles ou sur les côtes de l'Amérique méri- 
dionale. Les poissons de cette troisième catégorie 
se montrent sous cette latitude comme des échan- 
tillons erratiques d'un autre centre de création, et 
sont pourtant en assez grand nombre pour don- 
ner à l'ichthyologie canarienne un air d'étrangeté 
remarquable. La répartition hydrographique des 
poissons de ces parages présente en outre cette 
particularité : la plupart de ceux qui appartien- 
nent à des genres américains , c'est-à-dire qui se 
rapprochent par leur organisation des poissons 
du nouveau continent , se trouvent en plus grand 
nombre dans les eaux des Canaries occidenta- 

■ 

les, tandis qu'on pèche plus généralement les 
autres, c'est-à-dire ceux qui se rapportent aux 
espèces de la Méditerranée, dans la partie 
orientale de l'Archipel ou le long de la côte voi- 
sine. 

Mais quelle est la cause qui motive, dans la 
mer canarienne, la présence de plusieurs poissons 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 55 

d'Amérique , et établit dans cette région maritime 
une sorte de passage entre l'ichthyologie de l'O- 
rient et de l'Occident? Les espèces du Nouveau- 
Monde , qu'on rencontre dans le voisinage des Ca- 
naries, se sont-elles égarées à travers l'Océan jus- 
que dans ces parages , ou faut-il croire aussi bien 
à leur préexistence dans cette région qu'à l'ori- 
gine de celles qui se propagent dans ses eaux? Je 
ne chercherai pas à résoudre ce problème d'ich- 
thyologie transcendante ; la loi de la répartition 
des espèces dans les différents climats n'est pas 
facile à saisir. La nature , en circonscrivant à son 
choix les berceaux de certains types, n'a souvent 
tenu aucun compte des distances qui les séparent, 
puisque tantôt elle a réuni dans des régions diffé- 
rentes les espèces des contrées les plus éloignées, 
et que tantôt elle a refusé cette conformité de 
productions à des pays plus rapprochés qui sem- 
blaient réunir les mêmes conformités d'existence. 
Ces bizarres anomalies se lient aux causes pre- 
mières ; ce sont de secrètes combinaisons qui se 
sont opérées dans le silence de la création et que 
les faits existants révèlent sans les expliquer. Dans 
l'état actuel de nos connaissances, il ne nous est 



66 CHAPITRE PREMIER. 

pas plus donné de pénétrer le mystère de ces 
origines que celui de la stabilité des espèces dans 
tel centre de création, ou de leur propagation ex- 
pansive et de leurs migrations dans d'autres con- 
trées. Cependant, quelques faits bien constatés 
pourraient faire soupçonner à la rigueur que les 
poissons américains, qu'on pèche dans la mer ca- 
narienne , émigrent de l'ancien continent en tra- 
versant l'Atlantique, et qu'un certain nombre se 
fixent dans ces parages pour y multiplier leur es- 
pèce , puisque quelques-uns s'y montrent sous des 
dimensions qui indiquent des différences notables 
dans l'âge des individus. 

Les poissons de passage , comme les oiseaux de 
grand vol , sont dotés d'une force de natation qui 
leur permet de franchir des distances considéra- 
bles avec une grande célérité. Du reste , les pois- 
sons ont sur les oiseaux l'avantage de toujours 
rencontrer dans leur migration quelque aliment 
à engloutir, sans avoir besoin de s'arrêter en 
route. Y a-t-il rien de comparable à la vivacité , 
à la souplesse de mouvement de ces resplendis- 
santes dorades qu'on rencontre sous les tropiques? 
Qui n'a pas admiré cette puissance locomotive que 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 57 

la nature leur a si largement répartie , lorsque , 
parcourant les eaux d'un navire à pleine voile, 
elles coupent son sillage comme des éclairs argen- 
tés , passent de l'ayant à l'arrière , et s'élancent 
hors de l'onde en chassant devant elles les bandes 
de poissons- volants? Il n'est pas un voyageur qui, 
en traversant l'Atlantique , n'ait observé comme 
moi ces brillantes coryphènes et les bonites lé- 
gères qui se jouent dans le remou, les poissons 
pilotes qui s'attachent au vaisseau et se plaisent 
dans son écume , les légions de thons , dont la pê- 
che providentielle fait la joie de l'équipage , et ces 
dauphins navigateurs que le marin signale de loin 
comme un heureux présage : avant-coureurs d'un 
vent frais, ils arrivent du bout de l'horizon , bon- 
dissent sur la lame comme pour saluer le navire , 
plongent sous sa quille, le croisent dans sa mar- 
che, s'éloignent et reviennent dans un clin-d'œil 
pour recommencer vingt fois leurs évolutions. Et 
le terrible requin, aux sinistres traditions, tou- 
jours de l'arrière , prêt à engloutir ce que la fata- 
lité, le hasard ou la ruse viendront offrir à sa 
voracité. Tous ces poissons, que la nature répartit 
dans différentes régions maritimes, s'égarent sou- 



58 CHAPITRE PREMIER. 

vent au loin à la suite des vaisseaux qui sillonnent 
l'Océan depuis que la navigation a étendu son em- 
pire. Ainsi, les càrcharias, guidés par leur instinct 
dévorateur, apparurent en foule sur la côte occi- 
dentale d'Afrique dès que les bâtiments négriers 
commencèrent à la fréquenter. On sait aussi que 
ces redoutables squales , inconnus des anciens , 
pénètrent maintenant dans la Méditerranée pour 
venir ravager nos madragues. Sous l'Empire, les 
vieux pécheurs de Marseille se rappelaient avec 
regret les dorades qui étaient tombées dans leurs 
filets à l'époque où le commerce des deux Indes 
amenait dans la rade un grand nombre de bâti- 
ments.' Pendant les vingt années de guerre qui pré- 
cédèrent la Restauration , l'interruption des gran- 
des expéditions maritimes avait éloigné de ces 
parages les coryphènes voyageuses ; mais au re- 
tour de la paix, lorsque la navigation au long 
cours eut repris son activité première , ces pois- 
sons se montrèrent de nouveau avec les navires 
qui revenaient des colonies, et depuis lors on 
pêche encore de temps en temps quelques dora- 
des dans les eaux du golfe de Lyon. M. Valen- 
ciennes a cité ce fait, que je lui avais signalé, dans 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 59 

un mémoire lu à l'Institut (1); il a parlé aussi 
de deux fanfres (Scomber ductor BL), qui ont 
suivi un vaisseau jusqu'à Portsmouth ; cette même 
espèce a été péchée plusieurs fois à l'embou- 
chure du port de Marseille, où stationnent les 
navires quarantenaires , et des bonites ont été 
prises dans la rade. Il est question encore 
d'un chétodon d'Amérique péché dans la Ta- 
mise. 

Tous ces faits peuvent servir à expliquer la pré- 
sence de certains poissons américains autour de 
l'archipel canarien. Ce groupe d'îles, par sa posi- 
tion géographique, oflre une échelle de relâche 
aux bâtiments de toutes les nations; la rade de 
Sainte-Croix est devenue le caravansérail des na- 
vigateurs, les vaisseaux qui s'y arrêtent à leur pas- 
sage viennent parfois s'y ravitailler à leur re- 
tour. Ténériffe, Palma et la Grande-Canarie , qui 
entretinrent jadis des relations avec les ports du 
Mexique, de Venezuela et des anciennes possessions 
espagnolesdel'Amériquedusud,continuentaujour- 
d'hui un commerce très-actif avec Cuba et Puerto- 

(1) Comptes-rendus hebdomadaires des séances de V Académie 
des sciences, 2* semestre, n° 16, octobre , p. 719. 



60 CHAPITRE PREMIER. 

Rico (1). Quatre vingts bâtiments américains, expé- 
diés chaque année de New- York, de Boston, etc., 
traversent l'Océan et viennent échanger leur car- 
gaison pour du vin des Canaries. Cette incessante 
circulation de l'Occident vers l'Orient a dû ame- 
ner dans ces parages des poissons de l'autre 
bord de l'Atlantique. A ces faits de quelque 
importance dans la question d'origine , il faut en 
ajouter d'autres encore : le fond de la mer aux 
alentours des Canaries doit présenter de grandes 
analogies avec celui des Antilles volcaniques, car 
de part et d'autre des révolutions violentes sem- 
blent avoir isolé ces archipels des continents ad- 
jacents. Les productions marines sont à peu près 
semblables; les mêmes algues, les mêmes fucus 
s'y reproduisent, et la différence en latitude n'est 
pas assez considérable pour occasionner de grands 
changements dans la température des eaux. Il est 
donc probable que certaines espèces de poissons 
de la zone torride , et plus particulièrement de la 
mer des Antilles, aient pu trouver dans ces pa- 
rages les mêmes conditions d'existence pour s'y 

(1) Voyez Histoire naturelle des (les Canaries , par Webb 
et Berthelot, tom. n, 4 r * partie , p. 960 et suiv. 



MIGRATIONS DES POISSONS VOYAGEURS. 61 

maintenir el s'y propager ; mais on peut admettre 
aussi que la nature , dans ses créations primitives, 
ait doté cette région de plusieurs espèces identi- 
ques ou analogues à celles qu'on retrouve dans les 
mers intertropicales et sur les côtes orientales du 
continent américain. Quoi qu'il en soit, je ne pous- 
serai pas plus loin des considérations dont on ne 
saurait tirer que des hypothèses plus ou moins 
probables, et je terminerai ce faible aperçu par 
l'énumération des principales espèces de la région 
maritime sur laquelle je veux appeler l'attention , 
afin qu'on puisse juger d'un coup-d'œil de ses ri- 
chesses ichthyologiques et des immenses ressour- 
ces qu'elles offrent à l'industrie des pécheurs. 



CHAPITRE DEUXIEME. 



CHAPITRE DEUXIÈME. 



CATALOGUE DIDACTIQUE 

Des principales espèces de poissons que Ton pèche aux îles Canaries et dans 
les parages adjacents de la cote occidentale d'Afrique. 



Le titre de didactique que j'ai donné à ce cata- 
logue explique assez le but que je me suis pro- 
posé. Je n'ai pas l'intention de présenter dans ce 
chapitre la nomenclature méthodique des diffé- 
rentes espèces que je vais mentionner ; je veux 
simplement y consigner les renseignements les 
plus utiles sur les poissons des parages que je si- 
gnale. Les eaux qu'ils fréquentent d'habitude, les 
fonds où ils stationnent de préférence, les époques 

5 



66 CHAPITRE II. 

de leurs migrations , leur abondance , leurs qua- 
lités comestibles, les ressources alimentaires qu'ils 
fournissent aux populations , les avantages que le 
commerce en retire , en un mot tout ce qui peut 
intéresser sous les rapports économiques, telles 
sont les notions variées que je porte à la connais- 
sance de mes lecteurs. Je ne m'attache pas à dé- 
crire scientifiquement parlant, car ces sortes de 
descriptions ne sauraient servir assez pour faire 
distinguer les nouvelles espèces , ni mieux faire 
connaître celles qui le sont déj à par les dénomi- 
nations vulgaires que l'usage a consacrées. L'étude 
consommée de l'ichthyologie peut seule conduire à 
cette connaissance à la fois théorique et pratique. 
Encore, malgré toutes les prévisions de la science, 
ses méthodes et sa logique, les savants eux- 
mêmes sont-ils parfois dans le doute sur l'appli- 
cation d'un nom ou l'identité d'une espèce, et 
nous les voyons le plus souvent avoir recours à la 
comparaison des types naturels ou figurés. Cette 
insuffisance de la glossologie , jointe à tout ce que 
doit offrir de fastidieux pour les gens du monde 
une longue répétition de mots techniques et de 
diagnoses formulées ex-professo, m'a déterminé à 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 6T 

suivre une marche plus simple et plus à la portée 
de chacun. Les dénominations qui appartiennent 
à la nomenclature scientifique sont rapportées 
en note dans mon catalogue : je désigne toujours 
les poissons par leurs noms usuels , généralement 
admis parmi les pécheurs, et que je traduis, s'il 
y a lieu , par ceux vulgairement connus dans nos 
marchés, car ils pourront suffire aux armateurs , 
aux marins ou aux spéculateurs qui, désirant 
profiter de mes renseignements , voudront exploi- 
ter le nouveau champ que je livre à leur industrie. 
Dans Tordre naturel aussi bien que dans la clas- 
sification méthodique , j'aurais dû placer le Bar 
parmi les percoïdes au lieu de le confondre avec 
les sciènes à l'exemple de Bloch. Mais, je l'ai déjà 
dit, je ne tiens pas à présenter un classement ri- 
goureusement scientifique ; ce n'est ni un systema 
ni un species que je publie : je n'aspire pas même 
aux honneurs du synopsis. Suivant le cas, je range 
les poissons d'après leurs stations maritimes , ou 
bien je les réunis par catégories d'après les déno- 
minations collectives usitées chez les pécheurs ; 
afin qu'il soit toujours facile de s'enquérir au be- 
soin auprès d'eux , à l'aide de mes indications et 

». 



\ 



68 CHAPITRE 11. 

de mes renseignements, des différentes espèces 
dont je fais mention, car ces braves gens ont aussi 
leur nomenclature , et c'est celle-là que j'ai cru 
devoir suivre de préférence pour le but que je me 
suis proposé. 

PERGOIDES. 

( Le Pomatome UUscopc ou Boca ncgra. ) 

Le Pomatome télescope (1), que M. Risso a ainsi 
nommé à cause de ses grands yeux , est une es- 
pèce excellente et très-recherchée , qui séjourne 
dans les grandes profondeurs par 250 brasses en- 
viron. On le pèche également dans les eaux de 
Nice et dans le canal de Messine , mais bien moins 
fréquemm entqu'aux îles Canaries, où il est connu 
sous le nom de Boca negra. Son poids moyen est 
de 4 à 5 kilogrammes. 

LES GRANDS SERRANS OU BREMAS. 

(Le Mero.) 

Les Islenos désignent sous le nom de Bremas 
toutes les grandes espèces de serrans qu'ils vont 

(I) Pomatomus telescopium. Riss. (Voy. Hi$t. nat. des 
Can., Zoo!., poiss., PI. 1". 



Y 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 69 

pécher dans le bras de mer qui sépare les Cana- 
ries de la côte adjacente. 

Le Mero (1) des pêcheurs est un beau poisson , 
à la chair savoureuse , qui fréquente habituelle- 
ment les attérages des îles k la profondeur d'en- 
viron 1 50 brasses, et qu'on rencontre aussi sur le 
littoral de l'Afrique avec d'autres espèces congé- 
nères. Il atteint souvent de grandes dimensions 
et peut peser alors jusqu'à 10 kilogrammes. Les 
Islenos lui donnent aussi le nom d'Urada ou 
d'Ural. 

Soit qu'on considère ce poisson sous le rapport 
de sa forme , de sa couleur , de sa taille ou de 
son goût, il offre beaucoup de ressemblance avec 
le grand serran de la Méditerranée (2) , le Mé- 
rou des pécheurs provençaux , ou ÏAnfonsou de 
ceux de Nice , avec lequel il ne diffère peut-être 
que par sa nageoire caudale qui est un peu ar- 
rondie au lieu d'être échancrée. 

Digression. Broussonet, qu'on peut citer comme 
autorité pour ses connaissances en fait de pois- 

(1) Serranu» fuscus. Low. 

(2) Le Serranus gigas des ichlhyologistes. 



I 



70 CHÀPITKE II. 

sons, faisait un grand cas du Mero. Ce savant na- 
turaliste , qui résida long-temps aux lies Canaries 
en qualité de consul de France , n'aimait pas seu- 
lement les poissons en ichthyologiste, mais il savait 
aussi les estimer en bon gastronome , et le Mero 
était pour lui le mets le plus délicat. Un matin les 
pécheurs du port de rOrotava lui en apportèrent 
un de grande taille qu'il acheta sans marchander, 
et le jour même plusieurs de ses amis furent in- 
vités à dîner chez lui. Personne ne manqua au 
rendez-vous, car Broussonet s'était acquis la ré- 
putation d'un véritable amphitryon. La table était 
servie dans le vestibule avec les accessoires obli- 
gés; un immense plat, entre deux saucières, sur 
lequel figurait le délicieux poisson, en occupait 
seul tout le centre. Chacun, s'imaginant d'abord 
qu'en certaines occasions il était d'usage chez les 
Français de ne pas commencer par la soupe , se 
mit en devoir de foire honneur à ce premier plat. 
Broussonet soignait son monde, sans s'oublier lui- 
même , et s'empressait de servir de nouveau les 
plus expéditifs. Depuis un quart d'heure le Mero 
circulait à la ronde; après en avoir mangé à 
l'huile, il fallut en tâter à la sauce piquante; 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 71 

bref, le consul ne lâcha prise que lorsqu'il vit le 
poisson réduit à sa plus simple expression. Alors 
notre gourmet se lança dans la diététique ; ce fut 
un éloge du Mero des plus complets, des fleurs de 
rhétorique que le savant gastronome jeta comme 
un tribut de reconnaissance sur les derniers restes 
de l'habitant des mers. Hais à tout cela les con- 
vives ne trouvaient pas leur compte ; ils s'atten- 
daient à autre chose, et le Prieur des Dominicains, 
présent à la fête , n'était pas le moins désappointé. 
Le gros révérend , afin de se réserver pour des 
pièces plus substantielles, s'était avisé de résister 
une fois, durant l'attaque du Jfero, aux instances 
réitérées de Broussonet , et commençait à se re- 
pentir de son abstinence. Tandis qu'il rognait son 
pain en buvant quelques rasades, il regardait de 
temps en temps vers la porte et se dépitait de ne 
voir rien venir : Décidément, il nous prend pour 
des chartreux, disait-il tout bas à son voisin, qui 
m'a raconté l'anecdote. Broussonet le tint ainsi 
quelques instants dans cette cruelle incertitude ; 
mais, à un signal convenu , la porte du vestibule 
s ouvrit à deux battants, et une table conforta- 
blement garnie s'offrit aux regards enchantés des 



73 CHAPITRE II. 

convives : — « Si je vous avais donné un dîner or- 
dinaire, leur dit alors l'aimable amphitryon , mon 
pauvre poisson ne serait venu qu'après la soupe 
et \epuchero (1)..., il fallait l'offrir seul pour qu'on 
lui fit l'honneur qu'il méritait. Maintenant que le 
prologue a obtenu son succès, passons aux trois 
actes. » — a Vous êtes un encantador ! » s'écria le 
Prieur en se dirigeant vers l'autre table. 

(Le Cachoro et la Sama.) 

Au Mero des Islenos , bien digne sous tous les 
rapports de figurer en tête des serrans de pre- 
mière taille, il faut ajouter le Cachoro (2), qui 
l'égale presque en grandeur, et la Sama (3), très- 
estimée aussi aux Canaries, mais dont le poids 
dépasse rarement deux kilogrammes et demi. 



(i) Les insulaires des Canaries appellent ainsi le plat national 
auquel les Espagnols de la Péninsule ont donné le nom d'Otto 
podrida. 

(S) Serranus caninus. Val. 

(5) Serranus acutiroitris. Cuv. Val. iVoy. Hi$t. nat des 
Cari., Zool., poiss., PI. III. 



J 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 75 

LES PETITS SERRANS. 

(La Vaca, 4e Mero de tierra, t'Afondrw, la Cabriita 

et te Ray de las oriiias.) 

Cinq autres espèces de serrans, moins impor- 
tantes à cause de leur petite taille, se rencon- 
trent fréquemment dans la mer canarienne. 

1° La Vaca (1), ainsi nommée par les pêcheurs 
de Lancerotte , et que ceux d'Italie appellent Va- 
chetta. 

2 # Le serran frangé (2) ou le Mero de tierra, 
qui n'est peut-être que le Mero ordinaire dans son 
jeune âge. 

3° Le serran barbier (3) ou FAfoncino. 

4° LaCabrilla (4), dont les Islenos font grand 
cas et qu'on pêche très-abondamment dans tout 
l'archipel canarien. 

5° Le serran échancré (5) ou le Ray de las oril- 
las, qui se tient près de terre sur les fonds de 
roche. 

(1) Serranus seriba. Cuv. Val. 

(2) Serranus /imbriatus. Low. 
(5) Serranus anthias. Cuv. Val. 

(4) Serranus Cabrilla. Cuv. Val. 

(5) Serranus emarginatus. Val. 



74 CHAPITRE H. 

LES VIVES. 

(La Vive au tête rayée au tArana.) 

Cette espèce (1), dont les pécheurs redoutent 
la piqûre , est fort estimée pour le goût exquis de 
sa chair, qui est ferme sans être. dure; elle fait, 
suivant l'expression de Duhamel, l'honneur des 
bonnes tables , et peut se conserver assez long- 
temps au moyen d'une demi-salaison. Les auteurs 
de V Encyclopédie méthodique ont dit, en parlant 
de la piqûre de la vive , « que les pécheurs se- 
raient plus attentifs à éviter ce poisson qu'à le re- 
chercher, si l'appât du gain n'agissait sur eux plus 
puissamment que la crainte de s'exposer à une 
espèce de tourment. » Mais la faveur dont jouit la 
vive depuis long-temps a fait braver ses blessures 
que l'on a du reste beaucoup trop exagérées. Je 
puis assurer que les pécheurs des Canaries s'en 
embarrassent fort peu. 

■ 

LES MULLES. 
(Le Rouget-barbet ou Salmonete.) 

On pourrait tirer un parti avantageux de ce 

(1) Jrachinuê radiatus. Cuv. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 75 

mulle (1) , qu'on pèche abondamment à l'orient 
des lies Canaries, soit en le conservant au moyen 
de la salaison, soit en le faisant mariner comme le 
thon et le saumon. L'espèce dont il est ici question 
est la même que celle de la Méditerranée ; mais il 
est rare qu'elle acquière dans cette mer de gran- 
des dimensions. Horace a cité un mulle de trois 
livres comme s'il eût parlé d'un phénomène : 

Laudas, insane, trilibrem 

Mullum , in singula quem minuas pulmenta necesse est. 
Durit te species , video : quo pertinet ergo 
Proceros odisse lupos ? quia spilicet illis 
M ajorem natura modum dédit , his brève pondus. 

Horat lib. n , sat. 2. 

Le poète Martial a fait mention d'un autre rouget 
dont le poids s'élevait à quatre livres : 

Mullus, tibi quatuor emptus 

Librarum, cœnae pompa caputque fuit. 

Mart Epis. » 1U>. x. 

Les gastronomes romains auraient sans doute 
acheté à un prix fou un rouget de VAngra dos 
Ruyvos y ou du cap Bojador ; car on en pèche sou- 
vent dans ces parages qui pèsent plus de huit 
livres , et ceux que j'ai vu prendre sous mes yeux , 

(I) Mullus barbatus. Lin. 



76 CHAPITRE II. 

sur la côte de la grande Canarie n'étaient guère 
plus petits. 

Noël de la Morinière a fait connaître jusqu'à quel 
point les Romains s'étaient passionnés pour les rou- 
gets dans ces siècles de prodigalité où le luxe de 
la table acquit une célébrité si scandaleuse. Ce 
morceau plein d'érudition, que je transcris ici en 
entier , est tiré de Y Histoire générale des pèches 9 
ouvrage justement recommandable par sa haute 
importance, mais que la mort prématurée de son 
auteur a laissé inachevé. 

« Le Mulle fut un des poissons les plus recherchés 
» dans Rome dégénérée, celui sur lequel s'exerça le 
» plus la sensualité des Césars et des grands de 
» l'empire , avilis par l'emploi coupable des dé- 
» pouilles du monde. H est difficile de se faire une 
» idée du prix considérable que les Romains met- 
» taient à ce poisson; et, comme il ne parvient 
» jamais à une grande dimension , ils n'hésitaient 
» pas à le payer au poids de l'or quand il était au- 
» dessus d'une taille ordinaire. 

» Sénèque et Suétone ont consigné dans leurs 
» écrits le tableau des goûts désordonnés que 
» l'usage du mulle introduisit dans les festins des 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 77 

» riches. On y voit avec quel raffinement de cruauté 
» chaque convive faisait expirer dans sa main le 
» mulle qui devait lui être servi , pour jouir du 
» spectacle varié des couleurs qui se succédaient 
» sur la peau du poisson mourant. Tout ce que le 
» luxe effréné peut enfanter de caprices bizarres 
» fut employé en honneur de ce poisson. Nous 
» nous garderions de le ranger au nombre des es- 
» pèces utiles, si le reproche de ces folies ne retom- 
» bait tout entier sur ces riches et fastueux Ro- 
» mains, qui dégradaient, en quelque sorte , une 
» des meilleures productions de la mer. On don- 
» nait un traitement excessif aux affranchis char- 
» gés de le faire cuire. Le talent d'un bon cuisi- 
» nier était quelquefois mieux payé que la science 
» militaire d'un bon général. On servait le mulle 
» sur des plats enrichis de pierres précieuses, avec 
» un assaisonnement qui coûtait souvent aussi cher. 
» Sous Héliogabale , l'extravagance fut poussée à 
» un tel degré , que cet empereur étant dégoûté 
»des mulies, quoique d'ailleurs ils fussent de- 
» venus assez rares , ordonna , suivant Lampride , 
» qu'on lui servît un plat composé de barbillons de 
» ces poissons, d'où l'on peut juger de la quan- 



78 CHAPITRE II. 

» tité qu'il fallut en réunir pour satisfaire un goût 
» aussi insensé. 

» Les mulles péchés dans les eaux du détroit de 
» Gadés étaient réputés excellents , 

Dat rbombos Sinuessa , Dicarchea littora pagros , 
Hercule» mullum ropes 

» 11 en était de même de ceux des mers de Sicile 
» et de Corse. Après eux venaient, s'ils ne les éga- 
» laient en réputation , les mulles d'Exone , petite 
» ville du territoire d'Athènes , et ceux de Ti- 
» chiunte, port dans la dépendance de Hilet. Le 
» prix de ces poissons, dont une mode inexcusable 
» avait établi la renommée , était quelquefois ex- 
» cessif. L'empereur Tibère , au rapport de Sénè- 
» que (1), mit à l'encan, entre Apicius et Octavius, 
» un mulle du poids de quatre livres , et le vendit 
» 4,000 sesterces. On estimait davantage ceux 
» qu'on prenait en pleine mer ; on les préférait à 
» ceux qui étaient péchés près des côtes. La tête 
» et le foie étaient les parties les plus recherchées, 
» celles qu'on dévorait avec une sorte de fureur 
» dans les plus grands de ces poissons , qui , sui- 

(1) Seneca , Epiât. 95. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 79 

» vant Galien, n'avaient pas la chair aussi délicate 
» que les mulles de moindre taille. D'autres es- 
»pèces, confondues avec la précédente, parce que 
» leur forme les en rapproche beaucoup, furent 
» comme elle l'objet de ces prodigalités méprisa 
» blés , et en partagèrent le déshonneur. Ce pois- 
» son , facile à reconnaître , est un de ceux qu'on 
» a trouvés le plus fréquemment peints dans les 
» tableaux à fresque mis à découvert par les fouilles 
» faites à Herculanum et à Portici (1). » 

JOUES CUIRASSÉES ou PECES RUBIOS. 

LES RASCASSES OU SCORPÈNES, LES SEBASTES ET 

LES TR1GLES. 

Les espèces que les pécheurs islenos désignent 
collectivement sous le nom de poissons rouges 
(peges rubios ) , sont en très-grand nombre dans 
la mer canarienne, et plus encore sur certains 
points de la côte d'Afrique , surtout à YAngra dos 
Ruyvos ( la baie des rougets ) , entre le cap Blanc 
et le Rio de Oro. On trouve là des rascasses ou 

(1) La Morinière , op. cit., p. 170 et suiv. 



80 CHAPITRE II. 

scorpènes (1), des sebastes (2), et des tri- 
gles (3). 

SCIÉNOIDES. 

LES SGIÈNES OU GURBIMAS. 
(L'Ombrine, U Corb et it Bar.) 

L'Ombrine des Canaries (4) ou le Verrugalo est 
une des espèces les plus recherchées de ces mers ; 
elle fréquente , avec les grandes percoïdes , les 
attérages de l'Afrique occidentale, et atteint sou- 
vent le poids de 7 à 8 kilogrammes. 

Les sciènes , que les pécheurs islenos désignent 
généralement sous le nom de Cur binas, bien qu'ils 
en distinguent plusieurs espèces, sont de gros 
poissons du poids de 10 à 15 kilogrammes. On 

ri) Scorpœna scrofa. Lin. , vulg. Boneasio ou cantarero. 

Scorpœna porcus. Lin. , vulg. Bascasio. 

Scorpœna filamentosa. Val., vulg. Colorado 
(3) Sebastes kuhlii. Lowe. (Voyez Mit. nat. des Can, Zool., 
poiss. , PI. Il , fig. 1. 

Sebastes fUifer. Val., vulg. Bascasio de afuera. (Voyez 
id. , id. , PI. II , fig. S. 
(5) Trigla volitans. Lin., vulg. Bubio. 

TYigla lineata. Lin., vulg. Bubio chato. 

Trigla lucerna. Cuv. Val., vulg. Bubito. 

Trigla hirundo. Lin., vulg. Bubio volador. 
(4; Umbrina canariensis. Val. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 81 

les rencontre par grandes bandes au Rio de Oro et 
tout le long de la côte d'Afrique , depuis le cap de 
Noun jusqu'au cap Blanc ; on en prend aussi beau- 
coup sur le banc de sable qui barre la baie d' Arguin . 
Ce n'est pas sans raison que Georges Glas (fran- 
geait les sciènes parmi les meilleurs poissons de 
ces parages : l'espèce que les pêcheurs apportent 
ordinairement dans les marchés des iles est la 
Sciène noire ou le Corb (2), qui est en grande ré- 
putation parmi les gourmets et à laquelle ils ont 
soin de conserver la tête comme un des mor- 
ceaux les plus friands. Us en font de même avec 
l'ombrine que j'ai mentionnée plus haut, et, sous 
ce rapport , il faut convenir que ces deux espèces 
ne le cèdent en rien au fameux Maigre, dontCu- 
vier a illustré l'histoire (3). 

Digression. «Les pêcheurs de Rome, dit-il, 
» étaient autrefois dans l'usage d'offrir la tête de 

(1) Voyez au chapitre suivant les renseignements fournis par 
ce navigateur sur h pèche canarienne. 

(2) Sciœnanigra. Bl. 

(5) Voyez sa notice sur le Maigre ou la Sciœna umbra y insérée 
dans le premier volume des Mémoires du Muséum d'histoire 

naturelle, p. 1. 

6 



S* CHAPITRE II. 

» ce poisson aux trois magistrats nommés <xm- 
» servaleurs de la cité, comme une sorte de tribut, 
» de façon qu'on ne pouvait en manger que 
» chez eux, ou par leur courtoisie. PaulJove fait 
» même à ce sujet un conte que je rapporte sans 
» scrupule , parce qu'il prouve en quel honneur 
» le Maigre était de son temps. 

» Un fameux parasite , nomme Tamisio, plaçait 
» son valet en embuscade au marché , pour être 
)) informé des maisons où allaient les bons mor- 
» ceaux ; ayant appris un jour qu'il était arrivé un 
)> Maigre plus grand que de coutume , il se hâta 
» de faire visite aux conservateurs, dans l'espoir 
» qu'on le retiendrait et qu'il aurait sa part de la 
» télé; mais il n'avait pas encore monté les degrés 
» du Capitole , qu'il vit repasser cette tète que 
» les conservateurs envoyaient couronnée de 
» fleurs au cardinal Mario, alors en grand crédit, 
» comme neveu du pape Sixte IV. Tout réjoui que 
» ce friand morceau fût destiné à un prélat qu'il 
» connaissait, et à qui il pouvait sans crainte de- 
» mander à dîner , Tamisio s'empressa de se met 
» tre à la suite des gens des conservateurs; mais, 
» pour le malheur du parasite, Riario eut une 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 85 

» autre idée : «H est juste, dit-il, que la tête d'un 
» si beau poisson aille au plus grand des cardi- 
» naux», et il l'adressa à un de ses collègues, le 
» cardinal Frédéric de Sainl-Séverin , que les mé- 
» moires du temps présentent comme d'une taille 
» démesurée. Nouvelle course pour Tamisio et 
» nouvel incident. Saint-Séverin , qui devait beau- 
» coup d'argent au riche banquier Augustin Chigi, 
» fat bien aise de lui faire une politesse ; il lui 
» envoya la tête sur un plat d'or. Cette fois, il 
» fallut la suivre au-delà du Tibre, où Chigi faisait 
)> bâtir le joli palais de la Farnesine , que les 
» chefs-d'œuvre de Raphaël et du Sodoma ont 
» rendu si célèbre ; mais Chigi encore ne la garda 
» point : il fit renouveler les fleurs que le soleil 
» avait fanées , et l'envoya à sa maîtresse , courti- 
» sane alors en vogue , qui demeurait près du 
» pont Sixte ; ce fat là seulement que le pauvre 
» Tamisio, vieillard gros et replet, après avoir 
» couru toute la ville par une chaleur ardente, 
» put se repaître à son aise de l'objet d'une si 
• violente convoitise. » 

On conviendra qu'un poisson, que les grands de 
Rome regardaient comme un présent magnifique , 

6. 



84 CHAPITRE II. 

et qui faisait braver à un vieux gourmand le soleil 
d'Italie, durant la plus forte chaleur de la journée, 
méritait bien une place dans les livres des ichthyo- 
logistes. Je n'ai pas rencontré, je l'avoue, aux iles 
Canaries des gens aussi friands que le parasite 
Tamisio, mais je puis assurer pourtant que les 
sciènes y sont en grande faveur. Un chargement 
de poisson salé dans lequel les sciènes dominent 
sur les autres espèces , obtient toujours la préfé- 
rence. Avec une tête de curbina au court-bouillon, 
fortement assaisonnée , et garnie de pommes de 
terre , un Isleno fait un repas de roi. 

Terminons cette digression à laquelle a donné 
lieu l'anecdote rapportée par Paul Jove, et que je 
viens de reproduire d'après Cuvier , par quelques 
observations qui ne sont pas ici sans importance. 
Le Maigre , cette espèce si recherchée des pêcheurs 
de la Méditerranée , semble avoir fui de nos jours 
les parages où il se montrait autrefois avec le plus 
de fréquence. Cuvier fait remarquer avec raison 
que le Maigre , bien connu à Paris au xvi* siècle , a 
fini par disparaître des marchés de la capitale. 
C'est à peine s'il en arrive aujourd'hui deux ou trois 
individus dans le courant de l'année. Cependant, 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 85 

à l'époque que j'ai citée, la pêche du Maigre était 
assez abondante dans les eaux de la Rochelle et à 
l'embouchure de la Loire : ce poisson se montrait 
même quelquefois dans la Manche, où les pêcheurs 
le revoient encore de temps en temps. Duhamel 

r 

assure que plusieurs années avant l'impression de 
son ouvrage , les Maigres avaient quitté les bords 
de l'Âunis pour aller peupler les côtes de la Bis- 
caye. « Dans l'Océan, dit-il, cette espèce n'est que 
» de passage et s'arrête peu aux mêmes lieux. Les 
» Maigres arrivent par bandes dans les mois de 
» mai , de juin et de juillet ; on en fait alors la 
» pêche dans le Perthuis, entre l'île de Ré et la 
» rivière Saint-Benoit; parfois, on en voit encore 
» quelques-uns jusqu'à la fin d'août. » 

D'autre part, les traditions des pêcheurs et les 
remarques consignées dans les livres des ichthyolo- 
gistes nous prouvent que la Méditerranée a été de 
tout temps la région maritime que le Maigre sem- 
ble avoir choisie de préférence. Les côtes du Lan- 
guedoc et de la Provence l'ont toujours possédé ; 
il est assez fréqueut dans la baie de Nice , dans le 
golfe de Gênes et sur le littoral des États romains , 
où , du temps de Paul Jove , on en prenait beau- 



86 CHAPITRE II. 

coup aux embouchures des fleuves avec les estur- 
geons; il se plaft encore dans les eaux de la Gaëte 
et de Naples , ainsi qu'à l'extrémité de l'Italie jus- 
qu'en Sicile; enfin, on le rencontre aussi en Sar- 
daigne et en Corse , principalement dans le canal 
de Boniiacio, dont il parcourt les profondeurs 
avec le Corb , une des espèces congénères. Mais, 
s'il faut s'en rapporter au dire de quelques marins 
provençaux qui ont parcouru la côte occidentale 
d'Afrique, il a été pris plusieurs fois devant la barre 
du Sénégal; et, depuis que les grandes collections 
envoyées au Muséum d'histoire naturelle de Paris 
ont fourni tant de précieux matériaux à la géogra- 
phie ichthyologique, on sait que le Maigre est très- 
abondant sur les côtes du cap de Bonne-Espérance. 
Ainsi ce poisson , en sortant de la Méditerranée , 
c'est-à-dire de cette mer qu'on doit considérer, 
sinon comme sa patrie originaire, du moinscomme 
sa principale station , aurait cessé d'émigrer vers 
le nord pour se porter au sud ; car il est à remar- 
quer que c'est depuis qu'il a disparu de certains 
points de la côte occidentale de France , qu'il a 
commencé à se montrer plus fréquemment au 
midi. Il est bon de constater ces changements d'ha- 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 87 

bitudes observés de loin en loin chez les espèces 
voyageuses. Nous ne saurions sans doute expliquer 
les causes qui déterminent ici plutôt qu'ailleurs ces 
passages périodiques d'une même espèce réunie en 
tribu errante, ni ces apparitions subites de quel- 
ques individus isolés dans des mers où leur pré- 
sence n'avait jamais été constatée auparavant; mais 
ces faits , en nous offrant des exemples de l'instabi- 
lité des phénomènes réputés invariables , sont au- 
tant d'avertissements qui servent à faire compren- 
dre toute l'importance qu'on doit attachera l'étude 
des parages vers lesquels les poissons voyageurs 
opèrent leurs migrations. 

M. le professeur Valenciennes n'a pas reconnu 
le vrai Maigre parmi les poissons que M. Webb et 
moi avons rapportés des lies Canaries ; cependant 
j'ai tout lieu de croire qu'il doit aussi fréquenter ces 
parages. Les pécheurs islefios, comme je l'ai déjà 
observé, distinguent plusieurs espèces de sciènes 
ou Cur binas, dénomination qu'ils appliquent aussi 
aux ombrines. C'est encore ainsi qn'ils appellent 
le Bar (1), espèce de percoîde commune aux Ca- 

(1) Ptrca labrax. Lin. Les pécheurs . canariens l'appellent 
Haye la et le pèchent par deux cent cinquante brasses. 



I 

t 

I 

I 

I 

88 CHAPITRE II. 

naries, assez analogue au Maigre, et que Cuvîer 
lui-même avait d'abord confondue. Cette applica- I 

tion d'un même nom à des espèces différentes 
est malheureusement aussi fréquente que l'adop- 
tion de noms divers pour des espèces identiques. 
Le poisson que les Parisiens appelèrent Maigre 
était connu à Gênes depuis bien des années, sous 
le nom de Fegaro, ou sous celui de Fegousk Nice, 
d'Umbra, d'Umbrina et de Corvo di for liera à Rome 
et dans certaines parties de l'Italie méridionale ; 
de Poisson royal sur les côtes du Languedoc , et 
pourtant cette même espèce reçut plus tard la 
dénomination d'Aigle que lui donnèrent les pê- 
cheurs de Dieppe. Les savants eux-mêmes n'ont 
su de long-temps à quoi s'en tenir sur ce Maigre si 
souvent .décrit, jusqu'à ce que Cuvier eût pris à 
tâche de débrouiller le chaos de leur synonymie. 
Ainsi, pour Salvien , ichthyologiste du seizième 
siècle, le Maigre était YUmbra des anciens, tandis 
que Rondelet voyait en lui le Latus du Nil. Wil- 
lughby, Artedi et Linné le confondirent avec le 
Corb; Gmelin et Bloch n'en parlèrent pas dans la 
crainte de s'y méprendre; Lacépède l'appelait 
Cheilodiplère-aigle ; et M. Risso, en dernier lieu, 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 89 

le prenant pour une nouvelle espèce, en a fait 
saPerseque Vanloo. 

SPAROIDES. 

SAMAS OU PECES BLANCOS. 

.(La Sama grande, iaSama dorada, ie Pargo, ieSargo 
blanco, le Sargo ôreado, ie Besono et fJfoncino.) 

Les grandes espèces de sparoïdes, auxquelles les 
pécheurs canariens appliquent en général le nom 
de Samas ou de poissons blancs (peces blancos) , 
sont les spares ou dentés , les pagres, les sargues 
et les pagels. Dans ce nombre ils distinguent : 

1° La dorade aux points bleus ou leur Sama 
grande (1), superbe espèce qui se plaît sur les 
fonds de sable du littoral de l'Afrique et dont le 
poids est rarement au-dessous de 10 kilo- 
grammes. 

2° La Sama dorada (2) ou YAurada des pé- 
cheurs provençaux, très-recherchée pour la bonté 
de sa chair. 

(1) Chryêophris cœruleo-itictus. Val. ( Voy. Mis t. nat. de* 
Can. 9 Zool., pois., pi. VI, flg. 2.) 

(2) Dentex vulgaris. Cuv. Val. Les pécheurs canariens don- 
nent aussi ce nom à la vraie dorade, Sparus aurata , Lin. , qui 
fréquente aussi les mêmes parages. 



90 CHAPITRE II. 

3° Le Par go (1), nouvelle espèce de denté qui 
atteint de grandes dimensions. 

4 Le Sargo blanco (2) ou sargue de Rondelet , 
petite espèce généralement estimée. 

5° Le Sargo breado (3), ainsi nommé lorsqu'il 
n'a pas acquis sa grande taille , mais qui devient 

ensuite pour les pécheurs le Sargo molinero. 

6 Le Besono ou Besugo (4), à la couleur rosée 
et à la chaire délicate. 

7° Enfln, YAfoncino (5) ou le pagel des Canaries, 
belle et grande espèce que les Islehos devraient 
distinguer par un nom plus caractéristique , car 
celui qu'ils donnent à ce poisson est souvent em- 
ployé aux îles pour en désigner d'autres de diffé- 
rents genres et familles. 



Digression. Les amateurs de la table ont ac- 
cordé de tout temps une préférence spéciale aux 

(1) Dentex /Uamentosus. Val. (Voy. Hist. nat. des Can. , 

pi. VI, fig. 1.) 

(2) Sargus Rondeleti. Cuv. Val. Zool. , pois. 

(5) Sargus fasciatus. Cuv. Val. (Voy. UUL nat. des Can., 
Zool., poias., pi. IX, fig. 2.) 

(4) Pagelku centrodonius. Val. (Id. PI. VU, fig. 5.) 

(5) Pagellus canaricnsis. Val. ( là. PI. X, fig. 2.) 



w 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 91 

spares , dont la chair , de facile digestion , se dis- 
tingue par sa saveur. Les Grecs firent grand cas de 
la dorade, qu'ils appelaient Chrysophris ou poisson 
aux sourcils d'or. Ils la consacrèrent à Vénus Cy- 
thérée. L'élégance de sa forme lui avait mérité cet 
honneur. Les Romains la comptèrent aussi parmi 
les poissons sacrés ; et l'on vit dans ces temps , où 
le luxe et la bonne chère donnaient la célébrité , 
un homme puissant, Sergius Daurade, s'enor- 
gueillir d'un nom emprunté à l'espèce que les gas- 
tronomes avaient mise en faveur. De même que de 
nos jours, on estimait principalement les spa- 
roides qu'on allait pécher en pleine mer, car les 
anciens avaient reconnu que les poissons des 
grandes eaux, qui remontaient les courants du 
large , comme disent encore nos pécheurs , étaient 
supérieurs en qualité à ceux qui ne s'écartent pas 
des rivages où le fond est dépeuplé d'algue marine. 
Toutes les grandes sparoïdes qu'on apporte aux 
Canaries se pèchent dans le bras de mer qui sépare 
ces îles de la côte d'Afrique. La préparation que 
les pécheurs leur font subir ne peut guère les con- 
server au-delà de deux mois ; mais si elles étaient 
salées et séchées d'après la bonne méthode , on 



OT CHAPITRE II. 

pourrait les garder bien plus long-temps et les 
transporter au loin sans risque d'avarie, car la 
chair de ces poissons réunit toutes les conditions 
nécessaires. 



LES PETITS SPARES. 



(La Boga et le Chicharro.) 



Je comprends sous la dénomination de petits 
spares les deux espèces de bogues de ces parages : 

1° Le bogue ordinaire (1); 

2° Le bogue des Canaries (2) ou Chicharro des 
Islenos , qu'on pêche au flambeau dans la rade de 
Sainte-Croix de Ténériffe, et qui s'y montre tou- 
jours aussi commun. 

SQUAMMIPENNES. 

(La Castagnoic ou Pâmpano.) 

Parmi les squammipennes qu'on trouve à la 
fois dans la Méditerranée et dans l'Océan , il 



(1) Sparus Boop$. Lin. 

(2) Boops canariensië. Val. ( Voy. Hut. nat. des Can. , 
Zool., poiss., pi. X, fig. 1.) 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 93 

ne faut pas oublier de mentionner la casta- 
gnole (1): cette belle espèce, qu'on pêche dans les 
eaux de Nice, est très-commune dans la partie 
orientale de l'archipel canarien , où elle passe à 
juste titre pour un des meilleurs poissons de ces 
parages. Les Islenos l'appellent Pàmpano; son 
poids moyen peut être évalué à 4 kilogrammes 
environ. 

(Le CriusBtTtheiot ou Pâmpano de afuera. ) 

Cette espèce, ainsi nommée (2) par M. le pro- 
fesseur Valenciennes, s approche moins de terre 
que la précédente et préfère les grandes eaux. Ses 
petites écailles argentées la font briller du plus vif 
éclat ; elle atteint le poids de la castagnole et ne lui 
cède en rien quant à la délicatesse du goût. 

(1) Brama Raii. Schn. 

(2) Crius Berthelotii. Val. (Voy. Hist. nat. des Can., Zool ., 
poiss., pi. IX, fig. 1.) 



94 CHAPITRE II. 

SCOMBEROIDES. 

LES VRAIS SCOMBRES. 
(Le Thon et ia Péiamidc,) 

Les thons (1) et les pélamides (2) ne se mon- 
trent guère aux environs des Canaries que dans le 
petit canal qui sépare Ténériffe de la Gomère. C'est 
dans ce bras de mer qu'une compagnie de Génois, 
formé seulement depuis quelques années , a com- 
mencé à retirer d'assez bons bénéfices de la pèche 
de ces scombres. L'usage des madragues n'a pas 
encore prévalu dans ces parages. La pèche des 
thons et des pélamides se fait avec de fortes lignes 
de main , ou bien au moyen de ces filets mobiles 
connus , depuis des siècles , sous le nom de cottran- 
tilles volantes, et dans lesquels on cerne le poisson 
afin de l'amener jusque sur la plage où il devient 
de facile capture. 

(L'Espadon ou Pez espada.) 

Ce poisson , par sa forme singulière , a peut- 
être servi de modèle aux galères des anciens'. Sa 

(1) Seomber Thynnus. Linn. Vulgairement Atun en esp. 
(a) Seomber Pelamys. Guv. Vulgairement Bonito , ÛÈ. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 95 

tête allongée en manière de glaive lui a fait don- 
ner le nom de poisson-épée(i). Non moins estimé 
que le thon et la bonite , il arrive souvent à une 
très-grande taille, et Ton en a vu de quinze pieds 
et plus encore. Il se montre par bandes nom- 
breuses dans les eaux de l'archipel canarien et 
vers le littoral de l'Afrique occidentale. On doit 
regretter que la pèche des espadons soit si négli - 
gée de nos jours, car la chair de ces poissons est 
excellente et susceptible de subir toutes les pré- 
parations auxquelles on voudrait la soumettre 
pour la conserver. 

Digression. D'après un passage d'Athénée, dans 
lequel il cite Archestrate, il parait que de son 
temps on salait ce poisson comme on le pratique 
encore en Sicile. Lorsque tu seras arrivé à By- 
zance, dit ce dernier (2), prends un tronçon salé 
d'espadon, et de la vertèbre qui est près de la 
queue. 11 n'est pas moins recommandable dans 
le détroit de Sicile , et jusque dans la mer qui bai- 
gne les rochers du cap Pélore. 

La pèche des espadons fut une des plus impor- 

;i) Xiphias gladius. Linn. 

(2 ; AONAIOZ Aturvoro?. YIH. 



iW CHAPITRE 11. 

tantes , du temps des Romains, sur les côtes de la 
mer tyrrhénienne et sur celle de la Gaule narbon- 
naise. « Un des procédés en usage, dit La Morinière, 
consistait, comme chez les Grecs , à se servir de 
barques taillées d'après la forme de l'espadon 9 
pourvues d'une pointe avancée qui représentait sa 
mâchoire , et peintes des couleurs foncées qui lui 
sont propres. L'espadon s'en approchait sans dé- 
fiance , croyant voir des poissons de son espèce ; 
les pécheurs, profitant de son erreur, le perçaient 
avec des dards. Quoique surpris , l'animal se défen- 
dait avec vigueur , frappait de son épée le bordage 
des barques trompeuses , et les mettait souvent en 
danger. Les pécheurs saisissaient ce moment pour 
essayer de lui fendre la tête et de lui couper, s'ils 
le pouvaient, la mâchoire supérieure. Après avoir 
triomphé de sa résistance et s en être emparé , ils 
l'attachaient à l'arrière de la barque et l'amenaient 
ainsi à terre. Oppien compare à une ruse de guerre 
cette manière de prendre l'espadon en le trom- 
pant ainsi par la forme des barques. 

« On le prenait aussi dans les madragues , s'il 
s'y engageait imprudemment , soit en poursuivant 
les thons, soit en donnant la chasse à des scombres 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 97 

de moindre taille , que sa présence effrayait. Mais 
son courage ne répondait point à la force de Tanne 
qu'il porte, lorsqu'il se voyait entouré de filets. 
« Quoiqu'il puisse les rompre , dit Oppien , il re- 
» cule ; il soupçonne quelque piège : sa timidité 
» le conseille mal ; il finit par rester prisonnier 
» dans l'enceinte et les détours qu'ils décrivent , 
» et par devenir la proie des pêcheurs , qui , réu- 
» nissant leurs efforts, l'amènent sur le rivage, où 
» il trouve une mort certaine (1). » 

( Le Tassard et la Cavalla. ) 

Les maquereaux et les tassards sont très-com- 
muns aux îles Canaries et le long de la côte d'A- 
frique ; ils affluent surtout vers l'embouchure des 
grandes baies de Saint-Cyprien , d'Angra de Cin- 
tra , et dans le voisinage du cap Blanc , où les bri- 
gantins islenos ont coutume de stationner pour 
effectuer leur pêche. L'espèce que je désigne sous 
le nom de tassard (2) est le Tasarte des Canariens. 
Quant à celle qu'ils appellent Cavalla , c'est le ca- 



(1) Hist. gen. des pèche» , p. 156 et 157. 

(2) Cybium tritor. Cuv. 



98 CHAPITRE II. 

ranx (1), dont on tirait de si grands profils, dans la 
Méditerranée, vers le milieu du quinzième siècle. 

Digression. La pêche de ce scombre enrichis- 
sait alors les habitants du royaume de Murcie et 
de Valence. Les bénéfices qu'ils en obtenaient 
n'étaient pas inférieurs à ceux de la poche du thon 
à I époque de sa plus grande prospérité. « Les Espa 
» gnols des deux royaumes, dit Noël de la Mori- 
» nière (2) , avaient rappelé ces siècles d'abon- 
» dance si vantés des anciens. La pêche de la Ca- 
» valla (Cavallo ou Cavallar) avait acquis une 
» telle importance , elle employait tant de bras , 
» qu'elle pouvait être considérée comme une des 
» premières pêches de la Méditerranée. Comme 
» aujourd'hui , le caranx trachure était peu estimé 
» comme poisson frais, dans les contrées voisines 
» des eaux où l'on faisait la pêche ; mais , lorsqu'il 
» était salé, on en usait volontiers en d'autres 
» lieux où il était transporté. C'est particulière- 
« ment à la pêche de ce poisson que fait allusion 
» J. Roig, poète de Valence, dans une pièce de 

(1) Caranx trachurus. Cuv. 

(2) Hist. gén. des pêches anc. et modem. , 1. 1 , p. 2tu>. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 90 

» vers du moyen-âge, qui est parvenue jusqu'à 
» nous : 

Los peixcadores 
Grans robadores 
Son d'entrados 
Ecalados, 
E bragines 
Al vendre mes 
Peix de fer esch 
Yenen per fresch , 
Lo d'Àlbufera 
Riu de collera 
Per peix de mar. 

Voici la traduction de ce vieux langage, dont 
La Morinière n'a expliqué que certains mots : 

« Les pêcheurs, grands voleurs, sont ceux qui 
» vont pécher au large (los caladores) avec le 
)) bregin (1). Ils nous vendent le poisson qui leur a 
» servi d'appât pour du poisson frais, et ceux d'Àl- 
» bufera nous apportent du poisson de rivière 
» pour du poisson de mer. » 

( L'Eêcoiar ou Rovetto. ) 

Ce beau poisson , qui n'est connu que depuis 
peu des ichthyologistes , doit être compris parmi 

(1} C'est le même filet que les pécheurs provençaux nom- 
ment bourgin. - 

7. 



100 CHAPITRE II. 

les espèces qu'on rencontre plus habituellement 
dans la mer canarienne ; car, bien qu'il ait été 
péché quelquefois dans la Méditerranée , il paraît 
y vivre isolé et solitaire , tandis qu'il se mon- 
tre toujours en troupes nombreuses sur les atté- 
rages des anciennes Fortunées, où il est connu 
des pécheurs de temps immémorial sous le nom 
iVEscolar. 

Ce superbe scombre , qu'on trouve cité dans les 
livres des Apicius modernes de la Sicile, est réservé 
à Naples pour la table des grands. Il a été décrit 
tout récemment par le docteur Cantraine (1). Les 
pécheurs napolitains l'ont appelé Rovelto. 

«Les épicuriens, dit M. Cantraine, le placent 
» avec raison en tête de leur répertoire culinaire , 
» à cause de son goût délicat et qui semble vouloir 
» irriter leur gourmandise par sa rare apparition. 
» On le prend dans le détroit de Messine et dans les 
» profondeurs de Taormina. Il atteint quatre ou 



(1) Bovetus Temminckii,Cat\t. Voy. Mémoire sur un pois- 
son nouveau trouvé dans le canal de Messine en janvier 1855, 
par F. Cantraine , docteur ès-sciences. Extrait du t. x des Mém. 
de VAcad. roy. des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Ce 
mémoire renferme une figure de Bovetto. Voy. aussi celle que 
-nous avons donnée dans YHist. nat. des îles Can., Zool., pi. V. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 101 

» cinq pieds de long , et se vend quelquefois jus- 
» qu'à quatre francs la livre. Ce prix élevé provient 
» de la saison et du rôle qu'il est destiné à jouer. Il 
)> n'est que trop souvent employé comme moyen 
» de corruption ; on pourrait en citer bien des 
» exemples : adresse-ton une pétition au gouver- 
» nement , un Rovelto ne tarde pas à être expédié 
» pour l'appuyer ; a-t on des enfants à placer , un 
» Rovetto est envoyé de temps en temps à Naples, 
» pour se conserver des protecteurs ; enfin , le fto- 
» vetto est souvent une meilleure recommandation 
» que le talent et le mérite. Paul Jove , dans son 
» ouvrage de Piscibus romanis , a égayé son his- 
» toire du Fegaro des Italiens (Sciœna aquila. 
» Cuv. ) (1), en racontant une anecdote qui sert à 
» faire connaître jusqu'où peutaller la gourmandise 
» de quelques hommes et les faiblesses de quel- 
» ques autres , en même temps qu'elle nous donne 
» une idée de la délicatesse de sa chair. Je ne 
» doute point que l'on puisse recueillir sur le Ro- 
» vetto des faits qui fourniraient un épisode aussi 

(1) C'est la même espèce que Cuvier a décrite sous le nom 
de Sciœna ambra dans le Mémoire que j'ai déjà cité et d'où 
j'ai extrait l'anecdote du parasite Tamisio. 



102 CHAPITRE II. 

» curieux que celui qu'on lit dans Paul Jove, etc. » 
Le Rovetto des Napolitains est bien certainement 
la même espèce que YEscoIar des Canariens. Tou- 
tefois ce poisson présente dans les deux régions 
maritimes qu'il fréquente des particularités fort 
remarquables. A Naples , où il fait les délices des 
gourmets, un Rovetto peut valoir jusqu'à 160 fr., 
car on en pèche souvent du poids de quarante 
livres ; aux lies Canaries , au contraire , ce pois- 
son est à vil prix et ne se vend guère que trois 
ou quatre sols la livre. Quoique sa chair soit ré- 
putée très - délicate , on ne la mange pourtant 
qu'avec appréhension à cause de sa propriété par 
trop laxative. Cette circonstance provient sans 
doute de l'abus que Ton fait de cet aliment ; car 
les insulaires des Canaries , peuple essentiellement 
ichthyophage , ne se contentent pas d une livre de 
poisson pour leur repas. Ce scombre si recherché 
par les pécheurs de Messine , et qui de loin en 
loin vient tomber dans leurs filets comme une 
bonne fortune, parcourt les côtes de l'archipel 
canarien par bandes de deux ou trois cents. Son 
isolement dans la Méditerranée semblerait indi- 
quer qu'il s'égare parfois jusque dans ces parages 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 105 

avec les espèces voyageuses de la même famille 
et qu'il se plaît sur les foftds volcaniques et 
dans les abîmes sous-marins analogues à ceux 
qu'il fréquente habituellement aux îles Cana- 
ries. Malgré le peu de cas que les Islenos ont 
fait jusqu'ici de l'Escolar, je crois que la pèche 
de ce scombre pourrait devenir très-importante 9 
surtout si l'on s'attachait à le saler ou à le ma- 
riner pour l'exporter ensuite dans les marchés de 
l'Italie méridionale. La chair de ce poisson est 
susceptible de recevoir la même préparation que 
celle du saumon ; on peut aussi en extraire une 
huile très-fine et fort estimée dans les arts. Les 
plus gros Escolars que l'on pèche aux Canaries 
pèsent souvent plus de vingt-cinq kilogrammes. 



( Le Temnodon sauteur ou Pcz-Rey. ) 

Ce Temnodon (1), que j'ai vu pêcher en abon- 
dance sur la côte de Forlaventure , est très-com- 
mun dans la mer environnante. Il n'est pas rare 

(I) Temnodon saltator. Cuv. Val. (Voy. Hi$t. nat. des Can., 
ZooL , potes. , pi. XIII , flg. ».) 



104 CHAPITRE II. 

de rencontrer dans ces parages des bandes de 
Temnodons de six à huit cents , qu'on prend faci- 
lement d'un seul coup de seine. Les pécheurs les 
cernent dans des filets de sparte et les échouent 
sur des plages sablonneuses où ils les tuent en- 
suite à coups de fouène. Ces poissons ne sont 
pas très-recherchés comme aliment , mais on peut 
extraire beaucoup d'huile de leur graisse , car ils 
sont tous ordinairement d'une assez forte taille. 
Leur poids moyen peut être évalué au moins a six 
ou sept kilogrammes. 

( La Lichc ou Palomia. ) 

. Cette espèce (1), une des plus remarquables 
du genre par l'élégance de sa forme et la couleur 
argentée de sa peau , se rencontre plus commu- 
nément dans la partie occidentale de l'archipel 
canarien. Sa chair est moins huileuse que celle du 
Temnodon, et sous ce rapport la Liche est un pois- 
son préférable. 

(1) Lichia glaycos. Cuv. Val. (Voy. Hist. nat. des Can., 
Zool., poiss., pi. XIII, fig. 1.) 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 105 

LES VOMERS. 
( La Dorée ou poisson Saint-Pierre. ) 

. Cette excellente espèce (1) est appelée par les 
pécheurs canariens Pez San Pedro ( poisson 
Saint-Pierre ) ou Gai. Sa chair tendre , succulente 
et assez semblable par le goût et la consistance à 
celle du turbot, est pourtant préférable. La Dorée 
des Canaries atteint aussi une très-grande taille 
comme celle de la Méditerranée et de nos côtes 
de l'Océan. 

LES LABROIDES. 

SCARES OU VIEJAS. 
( Le Scare des Canaries. ) 

Il n'existe dans ces parages qu'une seule espèce 
de ce genre de la famille des Labroïdes ; c'est le 

(1) Zeus faber. Lin. 

(2) Je cite ici les petites espèces de Labroïdes que Ton pèche 
aux Iles Canaries. 

La Gireile paon, Julis pavo. Val. Vulgairement Pez verde. 
(Voy. Hist. nat. des Can., Zool. , poiss., pi. XVII, flg. 1.) 

La Gireile Geoffroi, Julis Giofredi. Riss. Vulgairement Ca- 
rajo real. 

Le Labre vert, Acantholabrus viridis. Val. Vulgairement 



106 CHAPITRE II. 

Scare des Canaries (1) auquel les Islenos donnent 
le nom de Fie/a (vieille) qu'on applique vulgaire- 
ment aux Labres de nos mers , mais qui me sem- 
ble mieux convenir aux scares , à cause de la con- 
formation de leur bouche qui figure assez bien 
deux mâchoires édentées (2). Cette structure et 
l'éclat de leurs couleurs leur ont fait aussi donner 
le nom de poissons perroquets. Ils sont très-com- 
muns sur les fonds de roche , parmi les récifs où 
la mer déferle avec force , et les pêcheurs séden- 
taires en prennent journellement un très-grand 
nombre. On les mange frais ou salés. Ceux qu'on 
expédie à la Havane sont simplement séchés à 



Romerito. (Voy. Hist.nat. desCan. ,Zool-, poiss.,pl. XVII, fig 4.) 

Le Labre commun, Labrus Juiis. Lin. Vulgairement Pes 
Perro. 

Le Labre Budion, Labruê tes$elatu$. Val. Vulgairement Bu- 
dion de Hondura. 

La Bécasse de mer, Centrùcus êcolopax. Lin. Vulgairement 
TYompetero. 

(i) Scarus canariensis. Val. (Voy. Hist, nat. des Can., Zool., 
poiss., pi. XVII, fig. a.) 

(2) Ce poisson, par la contraction de ses lèvres, fait paraître à 
nu ses os intermaxillaires aussitôt qu'il est pris. Au premier aspect 
on pourrait croire ces mâchoires toutes d'une pièce, car elles ont 
l'apparence de deux lames recourbées et tranchantes en forme de 
bec ; mais elles sont garnies de dents disposées en écailles et ap- 
pliquées sur leur bord d'arrière en avant. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 107 

l'air après quelques immersions dans l'eau de mer 
ou dans une saumure analogue. 

Digression. Le Scare des Canaries paraît avoir 
beaucoup de rapport avec le Scare des anciens 
qu'on croit être le Scare de Crète (i) et qui fré- 
quente toujours les côtes de cette ile , où il passe 
encore pour un mets des plus délicats, lorsqu'il 
est servi assaisonné avec ses intestins. Cette espèce 
jouissait déjà sous les Grecs d'une grande répu- 
tation : il est souvent question dans les auteurs 
des Scores d'Éphèse qu'on péchait en quantité 
auprès de l'île de Rhodes. Pline nous apprend (2) 
que les Scares ne s'écartaient guère auparavant 
de la mer Egée et des îles qui la peuplent, mais 
que , sous le règne des empereurs , quand le luxe 
effréné de la table fut poussé au dernier point et 
que les grands de Rome remplacèrent l'antique 
sobriété républicaine par ces prodigalités sans 
bornes, et cette sensualité qui amenèrent la dé- 
bauche et la dépravation des mœurs, les scares 



(1) Le Scarus creticus d'Aldrovande. Voy. Cuvier, Règne ani- 
mal , t. ii, p. 263. 
(a) Plinios , Hi$t. nai., t. ix, c. 17 ; xxx, c. 10. 



108 CHAPITRE II. 

de la Grèce vinrent alors enrichir les côtes d'Italie 
par les soins d'Elipertius Optatus. Cet affranchi de 
Claude, qui commandait une flotte romaine, ap- 
porta des scares vivants dans des barques à réser- 
voirs inventées par les marins ioniens. Il fit jeter 
ces poissons le long du rivage d'Ostie , afin qu'ils 
s'y multipliassent. Ceux qui, durant les cinq pre- 
mières années de leur séjour dans ces parages, 

tombèrent dans les filets des pécheurs furent im- 
i 

médialement relâchés, de sorte qu'au bout de 
quelque temps la naturalisation des scares fut en- 
tièrement assurée. 

Les gourmets de Rome préféraient cette espèce 
à toutes les autres et la plaçaient au premier rang 
parmi les délices de la table. Le foie surtout était 
réputé le morceau le plus délicat ; les patriciens 
y attachaient un prix extravagant et se le faisaient 
servir au milieu des mets composés des produc- 
tions les plus rares de la Perse et de l'Inde. Au 
rapport de Suétone , le Bouclier de Minerve , ce 
fameux plat que Vitellius avait mis en vogue dans 
ses splendides festins , était garni de scares. 

Le foie du scare des Canaries est aussi en 
grande faveur parmi les Islenos ; de toutes les 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 100 

parties du poisson , dont la chair est en général 
très - délicate , c'est celle qu'ils estiment le plus. 
Elle acquiert beaucoup de développement et 
se fait remarquer par sa belle couleur légère- 
ment pourprée. On pèche sur les fonds rocailleux 
de File de Graciosa , et dans les profondeurs sous- 
marines du cap de Teno , à l'occident de Téné- 
riffe , des scares qui pèsent plus de quatre kilo- 
grammes. 

SALMONES. 

LES AULOPES ET LES SAUR US. 

La mer canarienne nourrit trois nouvelles es- 
pèces de la famille des Salmones : deux Aulopes (1) 
et un Saurus (2). 

Les Aulopes, qui réunissent à la fois les caractè- 
res des gades et des saumons, mériteraient d'at- 
tirer davantage l'attention des pécheurs. Ce sont 
d'excellents poissons dont on pourrait faire un 
commerce avantageux s'ils étaient bien préparés. 

(1) Aulopus filiftr. Val. (Voy. Hist. nat. des Can., Zool., 
poiss., pi. XV, fig. î.) 

Aulopus maculatus. Val. Id. fig. 5. 

(2) Saurus trivirgatus. Val Id. flg. i. 



110 CHAPITRE II. 

Les sauras ne sont pas non plus à dédaigner, et 
leurs habitudes voraces en rendent la pèche facile. 

CLUPÉES. 

( La Sardine et t' Anchois. ) 

Les Sardines (1) et les Anchois (2) affluent dans 
la mer canarienne : les deux espèces qu'on pêche 
dans ces parages ne m'ont offert aucune diffé- 
rence avec celles de la Méditerranée. Elles arri- 
vent à des époques périodiques et suivent à peu 
près les migrations des autres poissons voyageurs. 
Je les ai vues se présenter en masse sur la côte 
orientale de Fortaventure vers la fin de juillet, 
et probablement qu'elles étaient chassées alors par 
les gades 7 les scombres , les sciènes et les grandes 
percoïdes qui remontaient vers le nord. 

GÀDOIDES. 

LES GADES OU MORUES DES CANARIES. 
{La Pescada et VAbadejo.) 

Parmi les poissons qu'on trouve à la fois dans 

(1) Clupea $ardina. Cuv. Vulgairement Sardina en esp. 
(3) Clupea encrasicholus. Lin. Vulgairement /inchova , id. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. Ht 

la Méditerranée et dans l'Océan, je citerai d'a- 
bord la délicieuse Pescada (1) , et YAbadejo (2) des 
pêcheurs de TénérifFe, mais que ceux de la grande 
Canarie et de Lancerotte nomment plus particu- 
lièrement Abriole. Je les place en tète des Gadoï- 
des pour mieux signaler leur importance écono- 
mique; la chair en est ferme, blanche, très- 
substantielle et d'un excellent goût. Elle supporte 
également bien toute sorte de préparations, soit 
qu'on veuille la conserver en verl, la saler com- 
plètement, la mariner ou la sécher simplement à 
la manière d'Irlande. Ces deux gades, que M. le 
professeur Valenciennes considère comme des 
espèces nouvelles, fréquentent la partie orientale 
de la mer canarienne, et sont bien plus nom- 
breuses vers la rive africaine qu'ils parcourent 
en phalanges serrées. Ces deux espèces acquiè- 
rent d'assez grandes dimensions; elles sont pré- 
férables à la morue du nord (3) , et forment , tant 
l'une que l'autre , le fond des cargaisons des bri- 



(i) dsellus canari tmi s. Val. Voy. Hist. tiat.de* iles Cana- 
ries., Zool., poiss., pi. XIV, fig. 5. 
(2) Phycis limbatus. Val. Id. fig. 2. 
(5) Le Gadus morrhuade Linnce. 



112 CHAPITRE M. 

gantins de pèche. Les pécheurs de Lancerolle 
rapportent souvent aux Canaries des Abrioies qui 
pèsent plus de 12 kilogrammes. 

(Le Merlan.) 

Le Merlan (1) est aussi un des gades que j'ai 
vu pécher dans les eaux de Ténériffe , mais il ne 
s'y montre pas aussi nombreux que les deux es- 
pèces précédentes. 

( Le Gourai et V Anjova. ) 

Les Canariens nomment aussi parmi , les pois- 
sons qu'ils vont pêcher sur la côte d'Afrique, le 
Gourai et ÏAnjova. Je ne saurais assigner à ces 
deux espèces , également très-estimées , la place 
qu'elles doivent occuper dans la nomenclature 
ichthyologique , car je n'ai pas eu occasion de les 
voir vivantes , ni même assez fraîches et intactes 
pour pouvoir les reconnaître. Les pêcheurs les 
désignent collectivement sous le nom de Pescadas, 
bien qu'ils appliquent plus particulièrement cette 
dénomination à l'espèce dont j'ai parlé en premier 
lieu. Ils les apportent toujours séchées à mi-sel, 

(1) Gadu* mcrlangus. Lin. 



CATALOGUE DIDACTIQUE, 115 

ordinairement sans tête et dans un état de com- 
pression qui détruit leurs principaux caractères 
et leurs organes les plus saillants. 

Digression. En général, les gades que Ton pèche 
le long de la côte d'Afrique et sur les attérages 
des îles Canaries correspondent la plupart aux 
genres Asellus et Physis ; car les autres espèces , 
telles que les merlans, les lottes et les mustèles, 
sont bien moins nombreuses, et quelques-unes 
d'entre elles ne se montrent guère qu'acciden- 
tellement. On peut donc établir que les poissons 
de cette section appartiennent presque tous à l'ich- 
thyologie de la Méditerranée. La Pescada des Isle- 
îïos est sans doute une espèce très-analogue à ¥ Asel- 
lus que les auteurs romains distinguaient sous le 
nom de Bacchos, à cause de la couleur de vin dont 
sa bouche était empreinte, ce qui fit dire à Ovide 
qu'un poisson d'une qualité aussi supérieure ne 
méritait pas un nom aussi ignoble : 

Et tam deformi non dignus nomine Asellus. 

Ovm. Halieut. 151. 

Les Romains , qui probablement ne connurent 
pas la morue du nord, avaient pourtant une 



«14 CHAPITRE II. 

grande prédilection pour les gades de la Méditer- 
ranée , qu'on péchait en abondance dans la mer 
des Gaules et sur les côtes méridionales de la 
Péninsule hispanique. On en faisait alors de gran- 
des salaisons qu'on expédiait dans les différents 
ports de l'Italie. Cette préférence pour les gades 
remonte au temps d'Aristote, qui parait avoir 
fait mention de ces poissons sous le nom d'Onos 
et d'Oniskos (1). 

Lorsque les dominateurs du monde s'emparè- 
rent des ports de la Bétique , et qu'ils purent 
disposer des immenses produits de ces pêcheries 
que les Phéniciens et les Carthaginois avaient éta- 
blies sur le littoral du fameux détroit (2) , et dans 
son voisinage , la pêche des gades , réunie à celle 
des scombres , vint augmenter les profits des spé- 
culateurs. Mais cette pêche ne se faisait pas seu- 
lement à l'embouchure de la Méditerranée; on 
sait que les Phéniciens l'avaient étendue dans 
l'Océan sur la côte occidentale de la Mauritanie , 
jusqu'au fleuve Lixo ; le périple d'Ânnon et le 
témoignage de Strabon en font foi : ainsi, la pêche 

(t) Noël. /lût. gènèr. des pêches, p. 56. 
4) Pretum gadinaium. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 115 

d'Afrique , que les Canariens continuent de nos 
jours , et dont on trouve des preuves incontesta- 
bles dans les documents du moyen-âge , remon- 
terait à la période grecque. 

SÉLACIENS. 

LES SQUALES ET LES RAIES, 

La famille des sélaciens est très -nombreuse 
dans la mer Canarienne , et plus encore dans les 
baies poissonneuses de la côte d'Afrique où abon- 
dent surtout les requins proprement dits, les rous- 
settes, les humantins et les leiches. 

Je cite en note (1) les différentes espèces rap- 

(1) Squales. Le grand Requin, Squalus car châtias. Lin. 

Vulgairement Tiburon. 
LapetiteRoussette,<$9t<a/ii*catutof .L. Vnlg. Gato. 
L'Humanlin, Squalus Centrina. L. 
L'Aiguillât, Squalus Acanthias. L. 
La Leiche de Nice. Riss. Squalus mceensis. 
Le Marteau, Squalus Zigama. L. Vulgairement 

Martillo. 
L'Ange, Squalus Squatina. L. Vulg. Pez ançel. 
Raies. La Raie bouclée , Baya clavata. L. Vulg. Raya* 
La Raie chardon, Maya fallonica . L. 
La Torpille, Torpédo Galvanii. Riss .Vulg. Tembladora . 
La Pastenague, Pastinacavulgaris. Cuv.Vulg. Chucho. 
La Mourine évéque, Myliobates episeopus. Val. 
Vulgairement Obispo. 

8. 



H6 CHAPITRE II. 

portées de ces parages. Si on excepte les raies, 
les autres ne sont d'aucun usage connue aliment , 
mais la peau de plusieurs squales , qu'on a cou- 
tume d'employer dans les arts, pourrait devenir la 
base d'un commerce assez lucratif. 

Je n'ai pas compris dans cet aperçu une foule 
de poissons moins importants qui vivent dans les 
fonds rocailleux et les eaux tranquilles. Je vais en 
noter quelques espèces rares ou nouvelles (1) 



(1) L'Uranoscope crapeau, Uranoscopus bufo. Val. Vulgai- 
rement Sapo. 
La Blenie canarienne, Clinut canarimsis. Val. V. Budion. 
(Voy. HUt. MOI. des Can., Zool., poias., pi. XVII, flg. 5.) 

La Bécasse de mer, CentrUcusscolopax. Lin. Vulgairement 

Trompetero. 
Le Grenadier à bec dur, Lepidoleprui scier or hfnchtu. Val. 
(Voy. HUt. nat. des Can. , Zool., poias., pi. XIV, 

flg. i.) 
Le petit Turbot des Canaries , Bkombus serratus. Val. 

(Voy. Jtf., pi. XVI, fig. i.) 
La Sole marquée, Solea oculata. Riss. Vulgairement Solda- 

do. (Voy. HUt. nat. des Can. , Zool., poiss., pi. XVIII, 

fig. *.) 
ta Sole secrétaire, Solea scriba. Val. Vulgairement Lin- 

guado. (Voy. ld., pi. XVIH, flg. 5.) 
L'Ophisure tacheté, Ophisurvs par doits. Val. ( Voy. 74. , 

pi. XVI, fig. 8) 
Le Baliste chèvre, Balistes caprinus. Val. Vulgairement 

Gallo. (Voy. fd., pi. XVI, fig. 5.) 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 117 

qu'on trouvera décrites et figurées dans notre His- 
toire naturelle des tles Canaries. 



POISSONS AUX FORMES EXOTIQUES 
qu'on rencontre dans la mer canarienne. 

Parmi les espèces qui appartiennent plus spé- 
cialement à Tichthyologie américaine et qu'on est 
étonné de rencontrer dans ces parages, je nom- 
merai, d'après M. le professeur Valenciennes (1), 
un Priacanthe (le Calalufa) (2), espèce de la fa- 
mille des Percoïdes, assez commune sur les côtes 
du Brésil et a laquelle les pécheurs canariens don 
nent aussi le nom d'Âfonso. Son poids moyen est 
d'environ un kilogramme. Je citerai encore plu- 
sieurs Pristipomes (3) et quelques autres Scienoï- 
des qui, par leurs caractères, se rapprochent des 
espèces du nouveau continent. 

(1) Voy. Compte rendu hebd. des séances de VAcad. des jc, 
■• 16 , octobre 15. 

(9) Priacanthus Boops. Cuv. Val. (Voy. Hist. mai. des Can., 
Zool., poiss, pi. III, fig. S.) 
(5) PrisHpùma rubrum. Val. Vulgairement Mâche te. 
Pristipoma viridense. Val. Vulgairement Burro. 
Pristipoma ronchus. Val. Vulgairement Roncador. (Voy. 
Hist. nat. des Can^ Zool., poiss., pi. VII , flg. 2.) 



118 CHAPITRE II. 

La famille des Scombéroïdes fournit, parmi les 
espèces les plus remarquables : 

1° La Coryphène du Brésil (1), superbe dorade 
essentiellement propre aux côtes de l'Amérique 
méridionale et assez commune sur celles de l'ar- 
chipel canarien ; 

2° Le Pilote ou Fanfre (2), qui suit constamment 
les navires et que les matelots regardent comme 
le guide du requin ; 

3* Le Conejo (3) , gemphyle de grande taille , 
qu'on pèche assez souvent dans les eaux de Téné- 
rifleet de Canaria; 

4° Un beau Caranx peu connu jusqu'ici des na- 
turalistes et que M. Valenciennes a désigné comme 
une nouvelle espèce (4). Il s'égare rarement à l'o- 
rient des îles : les attérages de Ténériffe et de la 
Palma sont ses stations d'habitude. Son poids 
moyen peut être évalué à 3 kilogrammes. 

(1) Coryphœna equUetii. Val. Vulgairement Dorado. 

(S) Seomber ductor. Bl. Cette espèce a déjà été comprise 
parmi les scombres qui fréquentent aussi la Méditerranée. 

(5) Gemphylus Promettons. Cuv. Val. (Voy. Hist. nai. des 
Ccm. , Zool., poiss., pi. H.) 

(4) Caranx analit. Val. (Voy. Hi$t. nai. des Can., Zool., 
poiss., pi. XII.) 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 119 

Plusieurs Percoïdes de ces parages appartien- 
nent aussi aux serrans américains , tels sont , par 
exemple, la Sama et le Cherne ou Cachoro que j'ai 
déjà mentionné avec leurs congénères (Voyez 
page 72); mais le plus beau poisson de cette série 
est, sans contredit, le Beryx (1) aux brillantes cou- 
leurs , espèce très-estimée qui atteint le poids de 
5 kilogrammes. Les Canariens l'appellent Lan- 
riana et le pèchent ordinairement sur les fonds de 
roche de Ténériffe et de Canaria , bien qu'il ait été 
pris quelquefois aussi dans le canal qui sépare ces 
îles du continent et même sur les attérages du cap 
Bojador. 

Parmi les Sparoïdes, il ne faut pas oublier le 
Sarde à plumes (2), ainsi nommé à cause des 
rayons inter-épineux de sa nageoire anale taillés 
en bec de plume, et le Canthêre émarginé (3) ou le 
Chapa des pêcheurs canariens. 

L'Hémiramphe du Brésil (4), le grand Poisson 

(1) Beryx decadactylus. Cuv. Val. (Voy. HUt. nat. de$ Can ., 
Zool., poiss., pi. IV.) 

(2) Pagrus penna. Cuv. 

(5) Cantharus emarginatus. Val. 

(4) Hemiramphus bra$ilîen$is. Val. Vulgairement Aguja. 



120 CHAPITRE 11. 

volant(l), le Rémora de l'Atlantique (2) et la Sphy- 
rène picude (3), sont des poissons de la région in- 
tertropicale qui fréquentent aussi les côtes de Té- 
nériffe. 

Parmi les Scorpenoïdes, on en trouve deux qui 
par leurs formes se rapprochent des espèces amé- 
ricaines (4). 

Dans la famille des Balistes, le Monacanlhe à 
fil (5) est aussi un poisson de l'hémisphère occi- 
dental. 

La famille des Squammipennes fournit égale- 
ment plusieurs espèces inconnues dans la Méditer- 
ranée et sur les côtes de l'Europe occidentale. 
Telles sont : 

1° Un Heliaze (6) de petite taille que les pécheurs 
appellent Castaheta ou F nia. 



(1) Exocatue meeogaster. Bl. Vulgairement folador. 
(S) EeheneU nouer ate$. Lin. Vulgairement Rémora. 

(5) Sphyrcma Picuda. Bl. Vulgairement Pieuda. 

(4) Le Seorpcma Bufo. Val. Vulgairement Rmcaeio. 

Le Scorpœna patriarcha. Val. Vulgairement Rascasio de 
afuera. 

(*) Monaeanthtu jUamentoêus. Val. Vulgairement Gallito. 
Voy. Htit. nat. des Can. y Zool., poiss., pi. XVI, fig. 1. 

(6) Heliazts limbatus. Val. (Voy. A*., pi. Vil, fig. 1.) 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 1*1 

2* Le Piméleptère Bosquien de Lacépède (1), ex- 
cellent poisson dont le poids moyen peut être éva- 
lué à 4 kilogrammes. 

3* Le Nemobrème Webb (2) , belle et bonne es- 
pèce, nommée Salmon de attura (saumon du 
large) par les pécheurs canariens, et qui offre en 
effet quelques ressemblances avec le saumon, par 
' le goût et la qualité de sa chair. Le Crins Berthetot, 
que j'ai compris avec la Castagnole parmi les squam- 
mipennes de la mer canarienne, semblerait aussi , 
d'après ses caractères de forme , se rapprocher 
davantage des poissons d'Amérique. 

Telles sont les nombreuses espèces que l'on pè- 
che dans la mer Canarienne et sur les côtes de 
l'Afrique occidentale. Je ne crois rien avancer de 
trop, en assurant que les richesses ichthyologiques 
de ces parages n'ont rien de comparable dans les 
autres parties du globe. Mais à cette grande indus- 
trie qui emploie plus de neuf cents matelots, il faut 
ajouter encore la petite pèche qui occupe beau- 
coup de monde parmi les populations du littoral. 

(i)PimeUpteru8Boscii.Val(\oy.hi$t.nat.desCan. y i>\.XlX.) 
(a) Nemobrama fVtbbii. Val. (/d., pi. VIII.) 



122 CHAPITRE II. 

Elle ne se fait presque qu'à la ligne : les pécheurs 
ne s'y livrent que pendant la nuit, à la clarté des 
flambeaux. On désigne vulgairement sous le nom 
de Chicharreros , ceux de Sainte-Croix de Téné- 
riffe , à cause de l'espèce de poisson qu'ils pren- 
nent plus communément (1). 

Chaque soir, après le coucher du soleil, une 
trentaine de petits bateaux non pontés, et montés 
de cinq à six hommes, quittent le port et vont se 
poster au large vers l'embouchure des vallées co 
tières et des grands ravins qui cernent la baie. La 
petite flottille allume bientôt ses feux : des fais- 
ceaux de bois résineux, faciles à s'enflammer, pro- 
duisent une lumière brillante qui attire les pois- 
sons ; le foyer est placé de l'avant des chaloupes , 
de manière à jeter son éclat sur la surface des 
eaux. Vue du fond de la rade, cette illumination, 
disposée sur une même ligne, est du plus singulier 
effet. J'ai pu jouir de ce coup-d'oeil en venant du 
large par une nuit obscure : le vent soufflait grand 
frais dans le canal qui sépare Ténériffe de la Ca 
narie; mais, après avoir doublé le promontoire d'A- 

% 

(1) Les Bogues ou Chicharros. Voy. pag. 92. 



CATALOGUE DIDACTIQUE. 125 

naya, je me trouvai tout-à-coup à l'abri de la bour- 
rasque et au milieu de cette immense baie, dont 
les eaux tranquilles réfléchissaient mille fois les 
feux des pécheurs. 

Aux Canaries, le poisson frais, qu'on peut se pro- 
curer à vil prix, est vendu sur la plage où on le dé- 
barque, et, malgré son excessive abondance, le 
peuple, en général, en fait moins de cas que du 
poisson salé qu'on débite en détail dans les bouti- 
ques (Lonjas). Les villes maritimes possèdent un 
grand nombre de ces petits marchés qui rempla- 
cent nos halles ou poissonneries. 



CHAPITRE TROISIÈME. 



CHAPITRE TROISIÈME. 



Description de la pèche africaine, et comparaison de te» produits 
avec ceux du banc de Terre-Neuve. 



L'Écossais George Glas qui, vers le milieu du 
dernier siècle , explora les Canaries en bon obser- 
vateur et visita plusieurs points de la côte adja- 
cente , eut souvent occasion de fréquenter les pé- 
cheurs islenos. Glas était un habile marin : son 
génie entreprenant avait conçu des projets qui 
éveillèrent la jalousie du gouvernement des Iles ; 
il voulut établir des relations avec les peuples de 
l'Afrique occidentale et fonder un comptoir sur 



128 CHAPITRE III. 

ce littoral ; peut-être aussi chercha-t-il les moyens 
d'ouvrir un nouveau débouché à la pêche qu'il 
avait vu pratiquer dans ces parages; mais on se 
méprit sur ses intentions. Glas passa toujours 
dans l'esprit des Islenos pour un espion ou un 
homme suspect , dont la mission avait pour but 
de nuire à leurs intérêts , et Viera , l'auteur des 
Notices sur l'histoire générale des Canaries , se lais- 
sant aller à un sentiment de sympathie nationale , 
partagea l'opinion de ses compatriotes. Mais il faut 
rendre ici à l'aventurier écossais la justice qu'on 
lui refusa. Ce George Glas, que Viera a faussement 
accusé de plagiat , qu'il appelle hombre sospechoso, 
a donné les premiers renseignements sur une in- 
dustrie ignorée avant lui des nations européennes; 
l'auteur des Notices a puisé lui-même dans la nar- 
ration du navigateur une partie de ses annota- 
tions (1). Les observations de Glas parurent dans 



(1) Viera, en citant dans son premier prologue le Père Abreu 
Galindo parmi les écrivains qui lui ont fourni les meilleurs maté- 
riaux pour ses Notice* , reproche à Georges Glas de s'être attri- 
bué les manuscrits de cet auteur. 

« Lorsque l'illustre Galindo , dit-il , composa ces 

» mémoires si dignes de nos éloges , il était loin de penser sans 
» doute qu'il travaillait pour un étranger, et , ce qui est pire 



PÊCHE AFRICAINE. 129 

des circonstances peu favorables à leur publicité ; 
les intérêts de la politique dominaient alors cet 
esprit d'association qui devait créer plus tard de 
si grandes entreprises; aussi le livre qu'il fit im- 
primer à Londres en 1764 eut peu de lecteurs, et 
aujourd'hui encore il est à peine connu. Depuis le 
milieu du dernier siècle , époque à laquelle il faut 

» encore , pour un homme suspect au pays. Les IsleHos ont eu 
» lieu de s'étonner en apprenant la publication qu'on avait 
» faite à Londres d'un livre gui résume toute leur histoire, et 
» dont Georges Glas, le soi-disant auteur, a enrichi l'Europe 
» savante , après l'avoir traduit presque littéralement d'un 
» manuscrit conservé dans nos archives. » ( Voy. Noticias , 
lom. i, Prologue, f° 5.) 

Cette accusation de Viera est tout-à fait sans fondement. Glas 
ne prétendit jamais usurper la gloire de Galindo en se parant 
d'une érudition étrangère ; il n'a pas caché l'origine des rensei- 
gnements qu'il a donnés sur la conquête des tles Canaries et sur 
les mœurs et coutumes de leurs primitifs habitants. La partie de 
son ouvrage qui traite de l'histoire du pays, au xv et au xvi* siè- 
cle , est franchement annoncée comme la traduction d'un ma- 
nuscrit espagnol , ainsi qu'il suit : « The History of the Disco- 
very and Conçu est of the Canary Islands : translated from 
a Spanish manuscript, lately found in the islandof Palma, etc., 
by George Glas ; London , MDCCLX1Y. 

Viera , ordinairement si exact quand il s'agit de citer l'origine 
des documents dont il fait usage , évite de nommer Glas dans 
un chapitre de son ouvrage où il traite des relations entre les 
lies Canaries et la côte occidentale d'Afrique. Plusieurs passages 
du texte , relatifs à la pèche, et la longue note qui s'y rapporte , 
sont pourtant extraits en entier de la relation du navigateur an- 
glais. (Voy. Noticias, etc. , t. h, chap. xxvn, p. 189 et suiv.) 

9 



130 CHAPITRE III. 

rapporter les explorations et les remarques du 
navigateur anglais, les pécheurs islenos n'ont 
pas amélioré leur industrie routinière ; rien n'est 
changé dans leur mode de navigation ; seulement 
une longue pratique a suppléé chez eux a la théo- 
rie qui leur manque. Connaissances nautiques, 
construction navale , gréement , économie et mé- 
canisme de la pèche , préparation de ses produits, 
tout est resté stationnaire , et en lisant la descrip- 
tion de Glas, on la dirait écrite d'hier. 

« Les bâtiments employés à la pèche de la côte, 
» dit-il, sont au nombre de trente, de vingt à 
» cinquante tonneaux , et montés de quinze à 
» trente hommes. L'île de Palma en équipe deux 
» ou trois , Ténériffe quatre , et le reste appartient 
» à la Grande -Canarie. L'armateur fournit le sel 
» et le biscuit ; les matelots se pourvoient de 
» lignes, d'hameçons et de tous les ustensiles de 
» pêche. Us embarquent en outre, pour leurpro- 
» pre compte , du vin , de l'huile , de l'eau-de-vie, 
» des piments rouges et des oignons. 

» La pèche se fait à la part, c'est-à-dire que 
» tous les bénéfices qui en résultent sont partagés 
» en société, d'après les anciens usages établis entre 



PÊCHE AFRICAINE. 131 

» les caboteurs de la Méditerranée. La somme 
» nette des produits , déduction faite des frais 
» d'achat du sel , du biscuit , du matériel et des 
» autres dépenses de l'expédition , est répartie de 
» la manière suivante : 

» 1° La part du navire , qui se compose de plu- 
» sieurs lots , selon sa capacité ; 

» 2 Deux parts pour le patron ; 

» 3° Une part pour chaque matelot ; 

» 4° Demi-part pour chaque novice ; 

» 5° Un quart de part pour chaque mousse. 

» La pèche a lieu , suivant la saison , sur diffé- 
» rents points de la côte d'Afrique qui embrassent 
» un espace d'environ dix degrés en latitude, 
» depuis le cap de Noun jusqu'au-dessous du cap 
» Blanc. Ce littoral , qui constitue la limite occi- 
» dentale du Grand-Sahara , est presque désert ; 
» on n'y trouve aucun établissement; quelques 
» petites tribus arabes y vivent éparses sous des 
» tentes , mais elles ne possèdent ni bateaux , ni 
» pirogues, et ne sauraient entraver par conse- 
il quent les opérations des pécheurs. Quant aux 
» croiseurs de Mogador, les Canariens n'ont rien 
» à craindre de leur part : les bâtiments que l'em- 

9. 



13* CHAPITRE III. 

» pereur de Maroc armerait dans des intentions 
» hostiles n'oseraient jamais s'aventurer trop au 
» sud, ces parages leur étant tout- à- fait in- 
» connus. » 



Les faits avancés par George Glas m'ont été con- 
firmés par les pécheurs eux-mêmes : la partie du 
littoral qu'ils exploitent leur offre toute sorte de 
sécurité ; les tribus côtières , vouées à l'existence 
la plus misérable et dénuées de toutes ressources, 
ne sauraient s'opposer à leurs travaux. Au reste, 
dans les relations que les marins canariens entre- 
tiennent depuis long-temps avec ces tribus , mal- 
gré les prohibitions de la junte sanitaire des Iles, 
ils ont su se concilier leur amitié par des échan- 
ges réciproques, dans lesquels les Africains ont 
toujours été favorisés. Du poisson, des hardes, 
des couvertures de laine , quelques quincailleries 
communes, de vieux câbles que l'on détord en- 
suite pour en faire dès filets grossiers , sont tro- 
qués pour de l'eau et du menu bois à brûler dont 
les équipages ont besoin. Les Maures de l'inté- 
rieur, que les pauvres habitants de la côte redou- 
tent bien plus que les Canariens, sont venus sou- 



PÊCHE AFRICAINE. 135 

vent les châtier lorsqu'ils ont eu connaissance de 
leurs relations avec les I si en os. 

Les renseignements que M. l'amiral Rous 
sin a consignés dans son excellent mémoire 
sur la navigation aux côtes occidentales d'Afrique, 
d'après les reconnaissances hydrographiques faites 
en 1817 et 1818, sont parfaitement d'accord avec 
les notions fournies par les marins canariens. 
« Ces pêcheurs, dit-il, fréquentent la baie d'An- 
gra de Cintra et y attirent quelques Maures , mais 
toujours en petit nombre, et qui n'ont en ce lieu, 
pas plus qu'en nul autre de la côte , aucune habi- 
tation fixe. Ce sont des hommes appartenant a la 
quatrième tribu des Maures dispersés dans le dé- 
sert. Cette horde est nommée tribu des Voleurs : 
tout-à-fait errante et vagabonde , elle s'est formée 
des mécontents des trois tribus principales con- 
nues en Afrique sous les noms de Térârzâh, de 
Béràknah et de Darmankou. Répandue sur les 
côtes de l'Océan Atlantique , depuis le cap Bojador 
jusqu'au Marigot d'Inguiegher, elle ne vit que de 
poisson sec, et du débris des naufrages si fré- 
quents autrefois sur ces côtes mal connues. 11 n'y 
a presque aucun avantage à retirer des communi- 



134 CHAPITRE III. 

cations avec ces barbares , qui offrent le spectacle 
de la plus horrible misère. » (Mém. cité, p. 38.) 

« Dans le printemps et l'été , continue George 
» Glas , la pécbe se fait le long de la côte la plus 
» septentrionale, c'est-à-dire vers le cap de Noun 
» et même au-dessus ; dans l'automne et l'hiver, 
» elle a lieu au contraire au sud, dans la direc- 
» lion du cap Blanc, car on a observé que les 
» bandes de poissons remontent au nord à la fin 
» de l'hiver, pour redescendre ensuite graduel 
» lement vers le midi ; ainsi les bâtiments pécheurs 
» les suivent dans leurs migrations. 

» Lorsque les barques canariennes arrivent dans 
» ces parages , elles cherchent d'abord à se pro- 
» curer l'appât , que l'on pèche avec des lignes de 
» main dont les hameçons sont garnis d'espèces 
» de mouches. Ces lignes sont laites avec six fils 
» de cuivre tressés ensemble ; les hameçons ont 
» environ cinq pouces (anglais) de long ; ils sont 
» sans barbillon ou crochet ; la verge, qui est re- 
» couverte de peau de poisson jusqu'à sa partie 
» recourbée, est disposée de manière à rester ho- 
» rizontale. 

» Dès que les barques sont arrivées à un quart 



PÊCHE AFRICAINE. 



135 



» ou à une demi-lieue de la côte , elles forcent 
de voiles de manière à courir cinq nœuds à 
l'heure , el alors trois ou quatre hommes lais- 
sent filer leurs lignes par l'arrière. La vitesse 
du navire fait rester les appâts à la surface de 
l'eau, et les Tassards (1) , les prenant pour de 
petits poissons , y mordent aussitôt. Ces Tas- 
sards sont des poissons sans écailles , très-vo- 
races , de la forme des grands maquereaux et 
de la grosseur des saumons avec lesquels on 
pourrait les confondre quand ils sont sèches. 
Ils avalent tout l'hameçon malgré sa longueur, 
et il faut les éventrer pour le retirer. Trois 
hommes prennent souvent cent et même cent 
cinquante Tassards dans une demi-heure , et il 
est des barques qui ont complété leur charge- 
ment avec cette seule espèce. 
» On pèche de la même manière un autre pois- 
son appelé Anjova (2) , un peu plus grand que 



(1) Cybiumtritor. Cuv. Val. Voy. le catalogue, page 9. 

(2) Cette simple indication ne saurait suffire pour déterminer 
l'espèce à laquelle ce poisson appartient. Les pécheurs cana- 
riens désignent souvent la même espèce sous des noms di- 
vers , et Y anjova de la relation de Glas est probablement dans 
ce cas. 



136 CHAPITRE III. 

» le maquereau. Le Cavallo (1) (horse niackerel 
» des Anglais ou peut maquereau de la Méditer- 
» ranée) sert aussi d'appât ; il est très-abondant 
» dans ces mers et se laisse prendre avec la plus 
» grande facilité. 

» Lorsqu'un bâtiment est suffisamment pourvu 
» d'appâts, il laisse cinq ou six hommes dans la 
» chaloupe pour continuer la pèche des Tassards 
» et des Anjovas, et prend le large pour com- 
» mencer la grande pèche par vingt, trente et 
» quarante brasses, souvent même par cinquante 
» et soixante de profondeur. Tout le monde jette 
» ses lignes à la mer, les hameçons bien garnis, 
» et les Samas (2) , les Chernes ou morues (3) , 
» les Curbinas (4), etc., ne tardent pas à se lais- 
» ser prendre. Les lignes dont on se sert alors sont 
» plombées , car les espèces que nous venons de 
» nommer se tiennent près du fond. 

» Les vents alises qui régnent sur cette côte 

(1) Caranx trachurut. Cuv.Yoy. le catalogue, page 98. 

(2) Serranus acutirostris. Cuv. Val. Id. page 72. 

(3) Serranus caninus. Val. Voyez plus haut pour les explica- 
tions relatives à la désignation de morue que Glas donne à cette 
espèce. 

(4) Les Sciènes. Voyez le catalogue, page 80. 



PÊCHE AFRICAINE. 137 

» soufflent avec violence et obligent souvent les 
» pécheurs à mouiller au large entre Y embelli des 
» brises de terre et de mer. Lorsque le vent de- 
» vient trop fort, ils se réfugient dans les baies 
» du voisinage, s'abritent derrière un des pro- 
» montoires de la côte , et s'occupent à préparer 
» et à saler leur poisson jusque vers cinq ou six 
» heures du soir. C'est alors le moment de leur 
» repas, le seul qu'ils prennent dans la journée. 
» Leur cuisine est des plus simples : une pierre 
» plate leur sert à établir le foyer , sur le- 
» quel ils suspendent une grosse marmite pour 
» faire la soupe au poisson qu'ils mêlent avec des 
)) oignons et assaisonnent de piments rouges et de 
» vinaigre. Rien n'est plus délicieux ! Leur second 
» plat se compose de poisson grillé , car celui qui 
» a bouilli pour la soupe est jeté à la mer. Ensuite 
» chacun se blottit dans un coin de la barque jus 
» qu'au lendemain; les couchettes et les hamacs 
» seraient trop de luxe. Ils se remettent a la voile 
» au point du jour et ne recommencent guère 
» leur pèche avant midi. 

» Voici leur manière d'opérer pour conserver 
» le poisson. Après l'avoir évenlré et lavé, ils 



158 CHAPITRE III. 

» lui coupent la tête et les nageoires (I), et l'em- 
» pilent pour faire couler l'eau dont il est imbibé , 
» ensuite ils le salent et Tentassent dans la cale. 
» Ce poisson ainsi préparé ne se conserve pas 
» plus de deux mois; il pourrait en passer six au 
» moins, s'ils le lavaient et le salaient une seconde 
» fois comme font les Français de Terre - Neuve. 
» Cette pèche sur la côte d'Afrique réunit de grands 
» avantages à cause du climat sous lequel elle a 
» Heu : en exposant le poisson au soleil et aux 
» brises , à l'exemple des Maures, il se sécherait 
» sans avoir besoin de sel. 

» Les bâtiments pécheurs sont des brigantins 
» étroits de l'avant et de l'arrière , larges vers le 
» «entre afin de pouvoir soutenir une forte brise. 
» Ils portent un petit hunier de l'avant, mais ils 
» n'ont ni grand hunier ni voile délai et ne peu- 
» vent border qu'un simple foc. J'ai vu des barques 
» qui en douze jours ont remonté en louvoyant 
» du cap Blanc à la Grande-Canarie. Pour franchir 
» cette distance d'environ quatre cents milles 

(1) Il est plusieurs espèces que les pécheurs salent en entier, et 
dont les têtes sont très-estimées des Canariens. La plupart des 
Percoldes et les Sciènes sont de ce nombre. 



PÊCHE AFRICAINE. 139 

» (cent trente -trois lieues marines et un tiers), 
» ils manœuvrent de la sorte : à six ou sept heu- 
» res du matin ils mettent le cap au large avec la 
» brise de terre jusqu'à midi ; ensuite ils virent 
» de bord sur la côte avec le vent de mer; ils 
» mouillent la nuit, ou se soutiennent par de 
» courtes bordées jusqu'au jour; alors ils tirent 
» de nouveau au large. La différence entre le 
» vent de mer et celui de terre est dans ces para- 
» ges d'environ quatre quarts de compas. Les 
» vents régnants soufflent ordinairement par belle 
» brise fraîche à porter les huniers (a fine fîresk 
» top sait gale). Lorsque les bâtiments pécheurs 
» sont arrivés à dix ou quinze lieues nord-ouest du 
» cap Bojador, ils font route pour la Grande-Ca- 
» narie. Si le vent est au nord-est , ils gagnent le 
» port de Gando , situé au sud-est de l'île , mais 
» s'il souffle au nord-nord-est, ils passent au sud 
» et remontent les calmes , en poussant en avant 
» jusqu'à ce qu'ils rencontrent des vents de sud- 
» ouest qui les ramènent sur Canaria et leur per- 
» mettent de venir mouiller au port de la Luz. » 
Aux excellentes remarques de Georges Glas 
j'ajouterai les observations suivantes : La hauteur 



MO CHAPITRE 111. 

des montagnes, en opposant une barrière aux vents 
généraux qui soufflent ordinairement du nord- 
est , abrite toute la bande méridionale des fies. 
Les pécheurs désignent par las calmas , les calmes, 
l'étendue de mer qui baigne cette partie des côtes 
de l'archipel canarien. ( Voyez les explications que 
j'ai données à ce sujet dans YHist. nat. des lies 
Can. Géog. descrip., t. h, 1" part., p. 65.) * 

Les marins islenos redoutent bien plus les cal- 
mes que la tempête et n abordent jamais les îles 
qu'au vent, c'est-à-dire par la bande septentrionale. 
Lorsqu'il arrive aux brigantins pécheurs de se 
laisser dériver dans les calmes du sud, ils sont 
obligés de remonter au nord à la rame , si les vents 
de sud-ouest ne viennent pas les aider dans leur 
navigation. M. W. Arlett, lieutenant de la marine 
royale d'Angleterre , qui a exploré récemment une 
partie des Canaries , a donné une bonne explica- 
tion du phénomène des calmes. « Pendant l'été , 
dit-il, le vent étant constamment au nord-est, les 
hautes terres de l'île de Canaria lui opposent un 
obstacle , et c'est ce qui occasionne les calmes 
que l'on éprouve à l'extrémité sud-ouest de l'île 
jusqu'à la distance de huit milles où les courants 



PÊCHK AFRICAINK. \*\ 

atmosphériques, qui avaient été divisés , se rejoi- 
gnent. La même cause produit près de la côte un 
courant qui porte à l'ouest et dont les caboteurs 
savent profiter. » (Voyez Description de quelques - 
unes des îles Canaries. Bulletin de la soc. de géog. 
2 e série, t. vu , janvier, n° 37, 1837.) 
Mais reprenons la relation de Georges Glas. 
« Après avoir débarqué une partie de leur car- 
» gaison à la Ciudad de las Palmas , poursuit-il , 
» les barques de pêche portent le reste à Sain te - 
» Croix de Ténériffe , au port de l'Orolova et à 
» Santa-Crux de la Pal ma, où leurs facteurs se 
» chargent d'en effectuer la vente. Le prix du pois- 
» son est communément de trois sous la livre 
» double de trente-deux onces ; quelquefois il est 
» fixé à deux sous, mais rarement il s'élève jus- 
» qu'à quatre. Ce prix est toujours taxé par les 
» Regidors. Ces officiers municipaux, au lieu d'en- 
» courager la pèche, l'entravent de toutes les ma- 
» nières possibles. 

» Cependant, malgré cet état de choses, les 
» bateaux pêcheurs font huit ou neuf voyages par 
» an. Depuis la mi-février jusqu'à la fin d'avril, ils 
» restent au port, parce qu alors les poissons sont 



142 CHAPITRE III. 

» descendus au sud-ouest et qu'il faudrait aller les 
» chercher sur une côte exposée aux coups de 
» vent du nord-ouest assez fréquents dans cette 
» saison. Lors de mon arrivée aux Canaries . les 
» pécheurs ne s'aventuraient pas au-delà du cap 
» Barbas, mais maintenant quelques-uns poussent 
» à trente lieues plus loin jusqu'au cap Blanc et 
» même plus bas. Quoique le fond de leur cargai- 
» son consiste en grandes Brèmes (1), ils prennent 
» aussi plusieurs autres espèces. 

» La morue de ces parages est meilleure que 
» celle du banc de Terre-Neuve , l'Anjova est dé- 
» licieuse , la Curbina est un gros poisson qui pèse 
» trente livres. Ils pèchent aussi beaucoup de pois- 
» sons plats et d'autres encore que je ne saurais 
» décrire. 

» Il est étrange , dit Glas en terminant , que les 
» Espagnols conservent le désir de partager avec 
» les Anglais la pèche de Terre-Neuve , quand ils 



(1) Glas, à l'exemple des pécheurs y a dû comprendre sous cette 
dénomination plusieurs grandes espèces de la famille des Per- 
coïdes. Yoy. le catalogue, page 68. 



PÈCHE AFRICAINE. 145 

)) en ont une à leur porte bien supérieure à celle 
)) des mers du nord (1). » 

On reconnaîtra à la description qn'on vient de 
lire , que le narrateur s'en est tenu à ses propres 
observations. Les renseignements que je me suis 
procurés moi-même , pendant ma résidence aux 
Canaries , et mes propres remarques à bord des 
barques de pèche ne reposent que sur des détails 
qui ne changent rien à l'ensemble des faits déjà 
énoncés. Il serait donc inutile de les reproduire 
ici pour le but que je me propose , et je me hâte 
de présenter des considérations d'une plus haute 
portée sur les résultats que l'on doit attendre des 
améliorations et des progrès d'une industrie dont 
j'ai pu apprécier , comme George Glas , tous les 
avantages. 

Cette grande pèche que font les Isleîîos sur la 
côte occidentale d'Afrique pourrait devenir des 
plus importantes si elle était exploitée par des ar- 
mateurs français, et qu'elle lût entreprise sur 



(1) . . . » It 18 strange to think lhat the Spaniards should 
want to I bave the Newfoundland fishery wilh the Englîah, when 
they hâve one much better at their own doors : » 

G. Glas, Met. Can. %$l. , p. 558. 






Ui CHAPITRE III. 

une plus vaste échelle. L'industrie maritime à 
laquelle se livrent les pécheurs canariens , long- 
temps ignorée du reste du monde, et abandonnée 
à leur seule routine depuis plus de trois cents 
ans, est restée, il est vrai, ce qu'elle fut dès son 
principe , et n'a offert jusqu'ici que des avantages 
très -bornés. Les progrès de la pêche de Terre- 
Neuve, comme je l'ai déjà observé, furent eux- 
mêmes très-tardifs , et les résultats de cette indus- 
trie ne présentèrent quelque importance que cent 
ans après la découverte du grand-banc. Pourtant, 
à cette époque , il y avait déjà plus d'un siècle que 
les Canariens allaient pêcher sur la côte occidentale 
d'Afrique. Mais la morue du nord , en devenant 
une des plus abondantes ressources de la subsis- 
tance des peuples , donna naissance à un com- 
merce aussi vaste que lucratif, tandis que le pois- 
son salé des Islenos , qui peut égaler en qualité et 
surpasser même la meilleure morue de Terre- 
Neuve , n'a plus compté parmi les produits d'ex- 
portation depuis que les Biscayens et les Portugais 
ont cessé d'exploiter les mers d'Afrique , et qu'ils 
ont laissé le champ libre à des pêcheurs insou- 
ciants , dont l'ambition n'a pas osé s'étendre hors 



PÊCHE AFRICAINE. 145 

de leurs limites naturelles et franchir les bornes 
du petit trafic. 

D'après les données extraites des documents 
les plus récents, la pèche de la morue emploie 
maintenant six mille navires de différentes na- 
tions; cent vingt mille marins y sont occupés, et 
leur active industrie livre chaque année au com- 
merce 48,000,000 de kilogrammesde poisson. 

Les Iles Canaries emploient à la pêche de la 
côte d'Afrique environ sept cents matelots répar- 
tis sur une trentaine de brigantins de vingt à cin- 
quante tonneaux. Ces bâtiments approvisionnent 
annuellement le pays d'environ 1 50,000 quintaux 
de poisson salé, qui forment un total de 7,500,000 
kilogrammes. 

On peut établir, d'après ces résultats, que la 
pèche africaine est beaucoup plus abondante, ou 
du moins bien plus profitable que celle de Terre- 
Neuve ; car , en divisant de part et d'autre le chif- 
fre des produits par le nombre d'hommes em- 
ployés, on trouve qu'un pécheur canarien prend 
à lui seul, dans le cours de l'année, 10,714 ki- 
logrammes de poisson , tandis qu'à Terre-Neuve 
un seul homme n'en pèche que 400 kilogrammes. 

10 



146 CHAPITRE III. 

Et si 1 on veut exprimer en poissons, d'après le poids 
d'une morue ordinaire (c'est-à-dire 2 kilogrammes 
environ) les quanti tés énoncées simplement en ki- 
logrammes, il résulte qu'un Canarien pêche an- 
nuellement cinq mille trois cent cinquante-sept 
poissons, tandis qu'un pécheur de Terre-Neuve 
n'en prend que deux cents. Ainsi , la pèche que 
peut réaliser un Isleno sur la côte occidentale d'A- 
frique supposerait l'emploi de plus de vingt-six 
hommes dans les mers du Nord. 

Cet avantage en faveur de la pèche africaine est 
confirmé en outre par les profits résultant de la 
vente des produits. Il est généralement reconnu , 
malgré le secours des primes , que la pèche de la 
morue à Terre-Neuve ne commence à donner 
des bénéfices aux armateurs qu'à la troisième an- 
née; aux Canaries, au contraire, le gain est 
assuré dès la première , quoique le gouvernement 
espagnol n'accorde aux pécheurs aucune espèce 
d'indemnité. 

Toutefois , de ces renseignements généraux , cm 
ne doit pas déduire le nombre absolu de poissons 
qu'un pécheur peut prendre dans chaque parage 
en un temps donné. Pour obtenir à cet égard un 



PÊCHE ÀFRICÀINK. 147 

résultat assez approximatif, il faut avoir recours 
à d'autres données. On sait par exemple que 
les produits en morues sèches sont évalués , pour 
la pèche de Terre-Neuve, à 20 quintaux métriques 
par homme dans une campagne où Ton Eut pèche 
complète, bien qu'une pareille pèche soit rare 
et qu'il ne convienne d'adopter pour base que deux 
tiers de pèche (1). En prenant pour terme moyen 
de la charge des brigantins canariens et du chiffre 
de leur équipage, trente tonneaux et vingt-cinq 
hommes, et en tenant compte des huit ou neuf 
voyages que chaque bâtiment fait annuellement à 
la côte , on trouve 240 quintaux pour la part de 
pèche de chaque marin. 

Si l'on établit la comparaison sur la morue 
verte de Terre-Neuve, qu'on peut préparer en 
moins de temps , et dont la pèche est estimée de- 
puis quinze cents jusqu'à deux mille cinq cents 
morues par homme , pendant la durée d'une cam- 
pagne (2) , on aura pour les Canaries , en rédui- 

(1) Marec, Dissertation sur plusieurs questions concernant 
la pêche de la morue , p. 81. Paris, 1851. 

(2) Renseignements tirés d'un mémoire manuscrit adressé au 
ministre de la marine. ( Voyez Milne Edwards, Mémoire sur la 
pèche de la morue à Terre-Neuve. Paris, 4852.) 

10. 



f48 CHAPITRE III. 

sant les 240 quintaux au poids d'une morue ordi- 
naire , quatre mille huit cents poissons pour cha- 
que homme. 

Voici une autre comparaison qu'on peut déduire 
de bits encore mieux constates : 

Le nombre de morues qu'un homme peut pren- 
dre en un seul jour sur le banc de Terre-Neuve 
avec des lignes de fond a été diversement es- 
timé ; mais en admettant pour terme moyen des 
différentesévaluations quatre cents poissons, quan- 
tité déduite du total approximatif de la pèche 
d'une campagne , l'avantage est toujours en faveur 
des pécheurs canariens, puisqu'une de leursb ar- 
ques du port de cinquante tonneaux et montée 
de trente hommes peut effectuer son chargement 
en quatre jours. 

On assure que, sur le grand banc de Terre- 
Neuve, quatre hommes péchant dans un canot 
avec de simples lignes de main , prennent souvent 
plus de six cents morues en douze heures. D'après 
la relation de George Glas, confirmée parles ren- 
seignements que j'ai pris sur les lieux , une cha- 
loupe montée par un pareil nombre de pécheurs 
canariens peut réaliser en quelques heures un 



PÊCHE AFRICAINE. 149 

chargement de Tassards, puisqu'il suffît d'une de- 
mi-heure pour en pécher cent cinquante. On a vu 
plus haut que les tassards étaient des poissons de 
la taille des saumons, et dont les brigantins des 
lies composaient souvent toute leur cargaison. 

Dans la comparaison que j'ai cherché à établir 
sur les résultats des deux pèches, on pourrait 
croire peut-être que je me suis prévalu, en faveur 
des Canariens , des huit ou neuf voyages qu'ils 
font à la côte dans le courant de l'année ; mais si 
l'on réfléchit que depuis le mois de février jusqu'à 
la fin d'avril ils restent au port , et si Ton ajoute à 
ces quatre mois de désarmement le temps perdu 
dans les différents trajets , et les relâches de cha- 
que retour , on ne peut guère évaluer qu'à quatre 
ou cinq mois la durée effective de la pêche. Or, si 
l'on s'en tient aux termes des ordonnances (1) , 
l'ouverture de la pêche n'ayant lieu que le pre- 
mier avril à Saint-Pierre et Miquelon , et dans le 
courant de mai sur les côtes de Terre-Neuve , on 
doit aussi estimer à quatre mois (terme moyen) le 
service actif des bâtiments européens. J'observe* 



(1) Voy. Ordonnance du 21 novembre 1821. 



! 



150 CHAPITRE III. 

rai en passant que les pécheurs sédentaires de 
Saint-Pierre et de Terre-Neuve pouvant prolon- 
ger la pêche jusqu'en hiver , • le supplément des 
produits qui en résulte se trouve compris dans le 
chiffre qui m'a servi de base. 

L'intéressante dissertation de M. Marec sur plu- 
sieurs questions concernant la pèche de la morue 
va me fournir encore un nouveau sujet de com- 
paraison relatif aux bénéfices les plus probables 
sur la pèche d'une campagne, déduction faite des 
dépenses d'armement. 

Ces dépenses sont calculées ainsi qu'il suit dans 
le mémoire auquel je me réfère. 

DÉPENSE MOYENNE d' ARMEMENT POUR LA PÈCHE DE 

TERRE-NEUVE. 

« Soit pris pour exemple un navire de i 50 ton- 
neaux, monté de cinquante hommes. 

» L'armement de pêche d'un pareil navire se 
composera de neuf bateaux , y compris le bateau 
Capelanier (1). 

(1) Le bateau capelanier est affecté spécialement à la pèche 
d'un petit poisson ap|>elé Cap élan qui sert d'appât pour prendre 
la morue. 



PÊCHE AFRICAINE. 451 

» Le coût de chaque bateau s'élève à 
4,500 fr., ou pour les neuf, ci. . . 40,500 fr. 

» Le coût du navire est de 45,000 fr., 
et sa détérioration peut être évaluée an- 
nuellement au dixième de sa valeur; 
ce qui vient grossir la dépense d'arme- 
ment, de 4,500 

» Maintenant il convient d'ajouter, 

Savoir : 

» Assurances sur le corps du navire, 
dont la valeur est de. . 45,000 fr. 

» Assurance sur larme 
ment dont la dépense est 
de 40,500 



Total. . . 85,500 fr. 



» A la prime de 5 pour 100. . . 4,275 



» Dépense totale d'armement. . . 49,275 fr. 



1 



15Î CHAPITRE III. 

PRODUIT MOYEN DE LA PÊCHE. 

M. Marec, calculant la quantité de poisson que 
peut prendre un homme pendant une campagne, 
d'après la poche moyenne, c'est-à-dire sur la pê- 
che complète réduite d'un tiers, suppose que cin- 
quante hommes pourraient pécher 66,000 kilo- 
grammes de morues. 

« Le prix de vente sur les marchés 
de France , dit-il (ou prix de livraison 
à l'exportation) , peut être évalué à 
42 fr. les 100 kilog. ; ce qui donne pour 
les 66,000 kilog 27,720 fr. 

» A quoi il faut ajouter, pour l'huile, 
à raison de 5 barriques par bateau 
(non compris le Capelanier) et accep- 
tion faite ainsi de huit bateaux, ce qui 
donne 40 barriques, et enfin à raison 
de 180 fr. par barrique , ci. . . . 7,200 

» A ajouter encore : 

» Pour la prime d'armement accor- 
dée par le gouvernement , à raison de 
50 fr. par homme, ci ; 2,500 

Total du produit moyen. . 37,420 



PÊCHE AFRICAINE. 155 

» Ce produit se trouve atténué inévitablement 
par les frais de désarmement. Or, on a vu ci- 
dessus que les frais d'armement s'élevaient à 
49,275 fr. : il y a donc perte pour l'armateur. 
Cette perte est réelle, relativement à la première 
année de l'opération ; mais, relativement aux an- 
nées subséquentes, elle cesse d'exister, par la rai* 
son qu'il ne faut plus comprendre dans le calcul de 
la dépense annuelle le coût primitif des bateaux 
et ustensiles de pèche, mais seulement le coût, 
beaucoup moindre , de leur entretien. D'ailleurs, 
il faut considérer encore que l'évaluation du prD- 
duit, telle qu'elle est ci -dessus présentée, n'est 
assise que sur l'hypothèse de deux tiers de pêche : 
que l'on admette le cas de pèche entière, il y aura 
lieu d'ajouter à l'évaluation de. . . 37,420 fr. 

» La moitié de 54,920 fr. (valeur des 
morues et des huiles, eu égard à deux 
tiers de pèche) , c'est-à-dire. . . . 17,460 



» Ce qui élèvera le chiffre du pro- 
duit à 54,880 



164 CHAPITRE III. 

« Mais, on le répète, ce cas de pèche entière qui 
(par le rapprochement d'un produit de 50,000 fr. 
environ et d'une dépense de 49 à 55,000 fr.) don- 
nerait à l'armement , dès la première année , un 
bénéfice de 5 à 6,000 fr., se présente fort rare- 
ment : reste donc la chance la plus ordinaire, 
celle d'une pèche moyenne, qui ne peut amener 
aucun profit réel, et encore dans des limites très- 
restreintes, qu'au bout de plusieurs années. Quelle 
serait la position de l'armateur, si, des éléments 
du profit, on retranchait la prime de 50 fr. par 
homme ! » 



DÉPENSE MOYENNE d'aRMEMENT POUR LA PÊCHE 

D AFRIQUE. 

Comparons maintenant un armement pour la 
pèche d'Afrique, calculé pour un mois de campa- 
gne, avec celui dont nous venons de détailler les 
dépenses et les profits. 

Un navire de 100 tonneaux , monté de trente 
hommes, est plus que suffisant pour les mers d'A- 
frique. 

L'économie de cette pèche n exigeant pas l'em- 



PÊCHE AFRICAINE. 166 

ploi de plusieurs bateaux, une bonne chaloupe et 
un petit canot léger suffiraient pour le service. 

Leur coût peut être évalué à. . . 6,000 fr. 

En portant à 35,000 fr. la dépense 
pour l'achat du navire, sa détérioration 
peut être évaluée annuellement au quin- 
zième de sa valeur dans les parages 
pour lesquels il serait destiné , ci. . 5,000 

Ajoutons à ces frais : 

Les assurances sur le corps 
du navire, dont j'ai porté la 
valeur à 35,000 fr. 

Les assurances sur l'ar- 
mement, dont la dépense 
est de 11,000 



Total. 46,000 fr. 

A la prime de 5 pour cent. . . . 2,300 
Plus le salaire de l'équipage que je 
porte à 50 francs par homme , et qui 
dans le calcul antérieur se trouve ba- 
lancé par la prime. , * 1,500 



À reporter. 14,800 



156 CHAPITBE III. 

Report. 14,800 
Ajoutons encore pour le capitaine 
et le contre-maitre 500 



Et nous aurons pour dépense totale 
d'armement 15,300 fr. 



PRODUIT MOYEN DE LA PECHE. 



En supposant que trente hommes , employés à 
la pèche d'Afrique, ne pèchent comparativement 
que la même quantité de poisson qu'on prend à 
Terre-Neuve (terme moyen), on aurait 40,000 ki- 
logrammes. 

Or, en évaluant le produit de la vente , comme 
il a été fait plus haut, à 42 fr. les 100 kilog. 

On retirerait 16,800 fr. 

Ainsi, sans compter le surcroit du produit de 
la pèche , les autres avantages et profits que Ton 
retirerait des huiles et du surplus de valeur que 
pourrait avoir dans la vente certaine qualité su- 
périeure de poisson , on voit que , dès la pre- 






PÈCHE AFRICAINE. 157 

mière campagne , toutes les dépenses de l'arme- 
ment seraient couvertes , et qu'il y aurait même 
déjà un bénéfice réel. Or, si l'on réfléchit, comme 
le fait observer M. Marec pour la pèche du 
nord , que la plupart des dépenses d'armement 
cessent d'exister dans les campagnes subséquen- 
tes , il est clair qu'au bout de la première année , 
en ne calculant que sur quatre campagnes par an, 
et en évaluant à 21,000 fr. les dépenses d'arme- 
ment pour les trois dernières (à 7,000 fr. par 
campagne pour frais de radoub , d'avitaillement 
et paiement de salaire), on aurait (sur 50,400 fr., 
produit de la vente de 40,000 kilog. de poisson 
à 42 fr. les 100 kilog.) un bénéfice de 30,900 fr., 
qui, ajouté aux 1,500 fr. de profit de la pre- 
mière campagne, donne dans une seule année 
un gain net de 32,400 fr. Si l'on pensait toutefois 
qu'un mois de campagne ne suffit pas pour effec- 
tuer la pêche , et qu'on voulût porter ce terme à 
deux mois, en réduisant le nombre de campagnes 
à trois par année, le bénéfice serait encore 
très-considérable, et dépasserait de beaucoup 
celui qu'on pourrait espérer dans les mers du 
Nord • en admettant même la chance d'une pèche 



168 CHAPITRE III. 

complète et d'une augmentation de prix sur la 
vente des produits. 

Avec des navires du tonnage de ceux que je 
viens d'admettre, les Canariens , dont les barques 
de pèche dépassent rarement 80 tonneaux et sont 
souvent plus petites, pourraient se procurer à 
la fois une plus grande quantité de poisson en 
une seule expédition , éviter l'inconvénient des 
voyages trop multipliés , le temps perdu dans les 
différentes traversées et tous les frais qui s'ensui- 
vent. Mais l'impossibilité de conserver long-temps 
le poisson, en suivant le mode de préparation 
adopté jusqu'ici, les oblige de n'apporter aux îles 
que de petits chargements; car l'accumulation 
des produits de la pèche par grandes masses, dans 
les ports où les barques viennent déposer leurs 
cargaisons, pourrait compromettre la salubrité 
publique si la vente se prolongeait plus de deux 
mois. Aussi les régidors ont-ils soin de faire jeter 
à la mer tout ce qui commence à s'avarier. De là 
provient la nécessité de retourner plusieurs fois 
à la pèche et d'en régler les produits sur les be- 
soins des consommateurs sans enfreindre les lois 
établies. Tous ces inconvénients disparaîtraient en 



PÊCHE AFRICAINE. 150 

suivant une autre méthode , c'est-à-dire en séchant 
le poisson des mers d'Afrique comme la morue de 
Terre-Neuve , afin qu'il pût supporter sans risque 
toutes les chances des expéditions lointaines , et 
l'on verra bientôt qu'il serait facile d'atteindre ces 
résultats. 



CHAPITRE QUATRIÈME. 



a 



CHAPITRE QUATRIÈME. 



Des avantages de la pèche africaine sur celle de Terre-Neuve. 



Les avantages de la pêche africaine sur celle de 
Terre-Neuve sont de plusieurs natures; 1° avan- 
tages d'emplacement ou de station ; 2° avantages de 
climat; et 3° avantages de produits. 

La grande étendue de mer qu'embrasse la pêche 
sur la côte d'Afrique doit entrer en première 
ligne. Les pêcheurs européens ont à se disputer 
l'espace sur un banc de 150 lieues de longueur; les 
pécheurs canariens, au contraire, ont plus de 10 de- 
grés de latitude (250 lieues) à parcourir sans ren- 
contrer aucun concurrent. Mais dans la comparaison 



il 



164 CHAPITRE IV. 

que je fais ici des deux pèches, il faut tenir compte 
surtout des différences qui existent de part et 
d'autre dans les chances de la navigation. Sur le 
banc et les attérages de Terre-Neuve , les coups de 
vent sont très-fréquents et occasionnent d'affreux 
sinistres; le froid y est excessif et semble devan- 
cer la saison. D'après le journal d'observations 
météorologiques tenu par M. Le Roy, capitaine de 
port à Saint-Pierre et Miquelon , l'état de l'atmo- 
sphère présente les variations suivantes dans le 
courant de l'année : 

Pluie 87 jours. 

Brume. ... 92 

Neige. . . .61 

Beau temps. . . 125 
Sur 240 jours de mauvais temps ( pluie , temps 
couvert , brume , neige ou poudrin ) , il en faut 
compter 109 de gelée. 

Ces données se rapportent à l'année 1818 , mais 
les observations des autres années présentent peu 
de différence , ainsi qu'on peut le voir par le ta- 
bleau ci-contre. Le maximum de la chaleur en été 
est de 16°; les havres de Terre-Neuve sont encore 
fermés en mars et en avril , à cause des glaces. 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 



165 



TABLEAU MÉTÉOROLOGIQUE 
d'après le journal tenu par m. LE ROY, 

Capitaine de port a saint-Pierre et Miqoelon. 



MOIS et JOURS. 



jours. 

1817. Décembre. . 31 

1818. Janvier. . . 31 
Février. . . 28 
Mars. . . . 31 
Avril. ... 30 

Mai 31 

Juin 30 

Juillet. ... 31 
Août. ... 31 
Septembre. 30 
Octobre. . . 31 
Novembre. 30 
Décembre. . 31 



1819. Janvier. . . 31 
Février. . . 28 
Mars. ... 31 
Avril. ... 30 

Mai 31 

Juin. ... 30 



ÉTAT DU CIEL. 



Juillet. . . 31 
Août. ... 31 
Septembre . 30 
Octobre. . . 31 



JOUES DE 



LES VENTS 

ONT SOUFFLÉ 




I 



l«6 CHAPITRE IV. 

Dans un pareil climat, une impérieuse nécessité 
oblige le matelot à des dépenses qui le privent d'une 
partie de ses profits, car il doit, avant tout, se pré- 
cautionner contre les rigueurs du froid. Ses lourds 
vêtements, le baquet couvert dans lequel il se 
poste pour procéder à ses travaux journaliers, le 
tiennent dans une gène continuelle au milieu d'une 
mer tourmentée. Ces inconvénients, auxquels les 
pécheurs de morue sont assujettis dans l'Océan 
septentrional , disparaissent sous les latitudes mé- 
ridionales. Ainsi, sur la côte d'Afrique, les brises, 
quoique très-fraf ches , sont toujours régulières, la 
mer est bien moins orageuse , l'état de la tempéra- 
ture et une heureuse combinaison de circonstan- 
ces atmosphériques, dont je donnerai bientôt l'ex- 
plication , viennent favoriser la prompte dessicca- 
tion du poisson et faciliter les travaux. Les pé- 
cheurs canariens n'ont pas à se garantir dans ces 
parages contre les intempéries ; vêtus à la légère, 
avec une chemise de coton et un simple caleçon 
de toile, ils peuvent agir sans que rien ne les gêne; 
tranquilles sur le temps , leurs traditions ne citent 
aucun sinistre; les plages sablonneuses du grand 
désert ne sont pas pour eux des rivages inhospi- 



PÈCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 167 

taliers (1), et ils s'aventurent sans crainte sur 
cette mer qui les nourrit. Les pécheurs canariens 
se glorifient avec raison de n'avoir jamais perdu 
aucun navire malgré leur imprévoyance habituelle. 
Leurs brigantins sont pourtant dépourvus de tout. 
Le matériel de l'armement se réduit aux choses 
les plus indispensables; la plupart n'ont pas d'ha- 
bitacle; le patron se pourvoit d'une méchante 
boussole pour la forme, et la tient renfermée dans 
un des coffres de sa cabane : la nuit , le timonier 
se guide sur les astres , et ce n'est guère que par 
un temps couvert qu'il envoie consulter l'instru- 
ment délaissé. Les agrès du navire sont ordinaire- 
ment dans l'état le plus pitoyable ; et pourtant , en 
dépit de cet abandon , l'équipage, dans l'occasion, 
est toujours prêt à la manœuvre , et sait se créer 
de promptes ressources. Il y a chez ces hommes 
de mer un instinct providentiel qui les guide et 
leur fait deviner toutes les chances de la naviga- 
tion. Leur sécurité intime produit en eux cette in- 
souciance qui les caractérise . 
« Nous avons dépassé la pointe de Tenefe , me 



(1) Foy. L'Appendice à la An du volume. 



168 CHAPITRE IV. 

disait le patron d'une barque , pendant une de 
mes traversées, la tour de Gando est là devant 
nous, sous ce gros nuage noir : à six heures du 
matin, nous mouillerons au port de la Luz. » Et 
nous arrivâmes en effet à l'heure qu il avait indi- 
quée. Pourtant, lorsqu'il me parlait ainsi, la nuit 
était des plus sombres , seulement quelques étoiles 
perçaient par intervalle la masse de vapeur qui 
s'amoncelait à l'horizon. Partis de Fortaventure 
depuis la veille , pour nous rendre à la Grande- 
Ganarie , nous courions à sec de voile sur une mer 
orageuse, par une bourrasque de vent du nord qui 
nous avait assaillis en doublant la pointe de Han- 
dia. La boussole gisait à son poste accoutumé, 
dans un recoin de la chambre, et ne fut consultée 
qu'une seule fois après un coup de mer qui faillit 
nous balayer tous. Un matelot quitta le pont un 
instant pour faire son observation à la lueur d'un 
cigare , car nous n'étions pas même éclairés par 
un fanal, et il certifia qu'on ne s'était pas éloigné 
de la route : « Nous allons bien ! » s'écria-t-il du 
fond de la cabine , et cet avertissement suffit au 
pilote jusqu'au jour. Certes , les marins de Terre- 
Neuve ne sauraient jouir d'une pareille sécurité 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 169 

au milieu de leurs brumes et de leurs frimas. 
Ce fait peut servir à faire connaître la manière 
de naviguer des pêcheurs canariens , car la scène 
que je raconte se passait à bord d'une de leurs 
barques. C'était le brigantin le Sévère, monté 
d'un nombreux équipage, comme tous ceux desti- 
nés à la grande pèche de la côte d'Afrique. Le Sé- 
vère allait se ravitailler au port de la Luz ; il avait 
vendu à Fortaventure tout le poisson de sa der- 
nière campagne, et son chargement consistait alors 
en bestiaux. Qu'on se figure une vraie ménagerie : 
des poules, des moutons, des chiens, des cha- 
meaux entassés pêle-mêle , criant , piaillant , bra- 
mant à tue-tête, jusqu'à ce que le mal de mer 
eût imposé silence à toute la troupe. Nous filâmes 
d'abord rapidement en côtoyant les plages volca- 
nisées de Pozo Negro; puis, doublant la pointe de 
Jacomar, nous vînmes mouiller dans la baie du 
Gran-Tarajal , où le patron de la barque avait 
donné rendez-vous à d'autres passagers. Je ne 
m'attendais guère à ce renfort, il fallut pourtant 
encore loger à bord d'un petit bâtiment de 60 ton- 
neaux, déjà très-encombré, une vingtaine de 
pauvres familles qui , venues à Fortaventure pour 



170 CHAPITRE IV. 

s'y louer pendant la moisson , s'en retournaient à 
la Grande- Canarie. Je comptai dans ce nombre 
plusieurs enfants à la mamelle , dont les cris ne 
me paraissaient pas devoir se calmer de si tôt , 
et , pour compléter la cohue, les bestiaux qui sen- 
taient la terre depuis que nous avions jeté l'ancre, 
recommencèrent leur concert. 

Je laissai embarquer tout ce monde et profitai 
de deux heures de relâche pour parcourir les en- 
virons de la baie. Vers le soir, nous remimes 
sous voile , et le Sévère , favorisé par une bonne 
brise , fila le long de la presqu'île de Hanttia. Au 
coucher du soleil , la brise fraîchit de plus belle: 
à mesure que nous doublions la pointe , et que 
la terre cessait de nous abriter, la mer et le 
vept semblaient se conjurer contre nous. Bien- 
tôt, la bourrasque éclata avec furie; l'horizon 
était menaçant, et les ténèbres de la nuit ren- 
daient la scène plus terrible. De fortes rafales , en 
couchant le navire sur les flots , opérèrent à bord 
un épouvantable désordre. Les lames inondaient 
le pont ; les passagers , réfugiés dans la cale , se 
ruaient parmi les bestiaux qu'on ne pouvait plus 
contenir ; c'était un affreux tintamarre de plaintes 



PÊCHB AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 171 

et de hurlements que la voix impérieuse de la 
tempête dominait par intervalle. Chacun cherchait 
un refuge dans un recoin de la barque : les femmes 
et les enfants s'étaient blottis dans la chambre , 
et les chameaux , qu'on parvint à brider à force 
d'amarres , restèrent seuls accroupis de l'avant , 
et reçurent sur le dos toute la bourrasque. Ma 
cabine n'était plus tenable ; l'odeur nauséabonde 
qui régnait dans la chambre , et les lamentables 
voix d'une douzaine de marmots, me firent gagner 
le pont , afin de respirer le grand air. Le patron 
était à la barre : « Le vent est fort , me dit-il, mais 
la barque est solide. » En effet, le Sévère bondis- 
sait sur la lame comme un marsouin. La bourras- 
que nous poussait sur Ganaria , et les matelots , 
arrimés le long du bastingage, plaisantaient sur 
les mésaventures des passagers. Ce fut sur ces 
entrefaites que le patron me donna l'avis que j'ai 
rapporté plus haut. J'avais affaire à des gens aguer- 
ris, et je restai sans souci jusqu'aux premières 
lueurs de l'aurore. Du reste , la mer et le vent 
commencèrent à se calmer ; on orienta une mau- 
vaise misaine , et , au point du jour, nous mouil- 
lâmes au port de la Luz. 



1 



172 CHAPITRE IV. 

M. l'amiral Roussin, dans son excellent Mé- 
moire sur la navigation aux cotes occidentales d'A- 
frique , parle des naufrages auxquels sont exposés 
les brigantins de poche canariens qu'attire dans la 
baie d'Angra de Cintra la grande abondance de 
poissons , • Et, ce qui est bien plus déplorable, 
ajoute-t-il , les équipages sont retenus en esclavage 
par les Maures. » M. l'amiral Roussin aura sans 
doute été trompé par de faux rapports ; je puis 
certifier qu'on ne cite aux Canaries aucune barque 
du pays qui ait naufragé sur la côte dont il est 
question; seulement, dans les fréquentes descen- 
tes que font les pêcheurs sur cette partie du litto- 
ral de l'Afrique occidentale , quelques matelots , 
s étant trop aventurés dans l'intérieur, ont été 
retenus par les Africains. Un d'eux, que j'ai connu 
à Lancerotte , m'a assuré qu'il avait été assez 
bien traité , et qu'après avoir résidé pendant plu- 
sieurs mois chez les Scheloukh des montagnes, on 
l'avait conduit à Mogador avec ses compagnons , 
où le consul espagnol les avait rachetés pour les 
renvoyer dans leur patrie. 

Les malheureux naufragés du navire français 
l'Olympe, qui se perdit dans la baie de Saint-Cy- 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 173 

prien , en 1 827, restèrent pendant dix-sept jours 
dans le désert sans voir paraître aucun ennemi. 
Divisés en deux camps, une partie resta sur le lieu 
du naufrage , et l'autre se hasarda à explorer la 
côte dans la direction du cap Blanc. Les pécheurs 
canariens, auxquels ils durent leur délivrance, 
revinrent ensuite dans la baie pour se partager, 
avec quelques Arabes des tribus vagabondes , les 

« 

avitaillements de l'Olympe restés abandonnés sur 
la plage. Quelque temps après cet événement, un 
navire anglais , destiné pour le Brésil , et chargé 
d'émigrants irlandais, vint s'échouer dans le mêtne 
endroit, et ce furent encore les pécheurs canariens 
qui sauvèrent ces naufragés après plusieurs jours 
d'une cruelle anxiété sur les plages solitaires du 
Sahara. 

Les avantages de la station dans les parages où 
les pécheurs canariens se livrent à leur industrie 
sont d'une bien plus grande importance lorsqu'on 
les envisage sous le rapport des débouchés et qu'on 
les compare avec ceux que nous offrent les pêche- 
ries du Nord. En effet, des côtes de France à 
Terre-Neuve, on compte environ 1000 lieues d'un 
trajet assez long en temps ordinaire , et qui de- 



\ 






174 CHAPÏTRR IV. 

vient difficile avec les vents d'ouest , tandis que la 
traversée de nos ports d'Occident ou du Midi , aux 
parages poissonneux de la côte d'Afrique, est 
beaucoup plus courte et presque toujours favori- 
sée par les vents alises et les courants réguliers 
qu'on rencontre ordinairement après avoir dé- 
passé les Açores, ou à la sortie du détroit de Gi- 
braltar. Quant à l'avantage des débouchés, qui 
dépend en grande partie de la situation géogra- 
phique des sécheries , il en sera question en trai- 
tant des divers points où l'on pourrait fonder ces 
établissements de pèche. 

J'ai déjà fait remarquer les avantages de la tem- 
pérature , mais j'en parlerai ici sous les rapports 
météorologiques et dans l'intérêt des sécheries. 
En exposant mes propres observations sur le cli- 
mat des Canaries , on doit concevoir que ces fies 
se trouvant situées à peu près au centre des para- 
ges sur lesquels je veux appeler l'attention , mes 
remarques sont également applicables aux autres 
points de la côte voisine où l'on pourrait établir 
des stations de pèche, et, bien qu'en raison de 
leur différence en latitude et de leur position con- 
tinentale , la chaleur y soit plus forte , les brises 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 175 

n'y régnent pas moins, et les mêmes circonstances 
climatériques s'y reproduisent. Dans toute cette 
région , l'humidité , ce principe de toute décom- 
position , n'exerce aucune influence; elle est tout- 
à-fait nulle tant que le vent souffle au nord-est , et 
quoique l'horizon apparaisse alors chargé de va- 
peurs, lorsque la brise tourne à l'est, la pluie n'est 
jamais à craindre , et n'a lieu que pendant deux ou 
trois mois de l'hiver , encore faut-il qu'elle soit dé- 
terminée sur la côte par des vents variables. L'est- 
nord-est, que les pêcheurs canariens appellent Brisa 
parda , brise brune , rafraîchit l'air sans humecter 
la terre, qui conserve sa sécheresse habituelle. Cet 
état normal se manifeste au plus haut degré lors- 
que le vent passe au sud-est, et souffle du désert. 
M. l'amiral Roussin , qui a exploré la côte occi- 
dentale d'Afrique , a fait de bonnes observations 
sur le climat de ces parages, « On n'a jusqu'à pré- 
» sent reconnu, dit-il, sur toute l'étendue de cette 
» côte que deux saisons : celle des pluies et celle 
» de la sécheresse. Cette division rapportée aux 
» époques où le soleil passe de l'un à l'autre hé- 
» misphère, paraît être la plus naturelle, en ce 
» qu'elle se fonde sur les circonstances qui déter- 



! 



176 CHAPITRE IV. 

» minent généralement les changements de' saison 
» sur le globe , et nous la maintiendrons , quoi- 
» qu'elle doive être modifiée à la côte d'Afrique, 
» selon la distance plus ou moins grande où Ton 
» se trouve de l'équateur... Au nord de cette li- 
» gne , la saison des pluies commence réellement, 
» pour chaque lieu de la côte , lorsque le soleil , 
» étant dans notre hémisphère , passe au zénith de 
» ce lieu en s'avançant au nord. C'est ordinaire- 
» ment dans le mois qui suit ce phénomène que le 

» changement s'opère Les grains et les vents 

» qui les apportent ou qui leur succèdent , n'oc- 
» cupant en général qu'une faible partie de l'an- 
» née , doivent être considérés comme des crises 
» passagères. Le ciel est presque toujours uni- 
» forme et généralement bleu. Des vents con- 
» stants régnent pendant huit mois sur la plus 
» grande partie de la côte d'Afrique, depuis le 
» cap Bojador jusqu'aux tles de Loss. Durant 
» tout ce temps , il n'y tombe pas une goutte de 
» pluie (1). « 



(!) Mêm. sur la navigation aux côtes occid. d'Afrique, 
d'après le$ reconnaissances hydrog. faites en 1817 et 1818 , par 
M. A. Roassin , contre-amiral. Paris, 1857. 



k 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 177 

En rapportant ces excellentes observations à la 
partie orientale de l'archipel canarien, j'ajouterai 
que le long de la côte de Lancerotte et de Forta- 
venture , dans les endroits abrités où Faction du 
soleil est très-intense, le thermomètre s'élève alors 
jusqu'à 33° 56' C. ; mais sur les rochers décou- 
verts, en rase campagne et dans tous les lieux 
baignés par la brise , la plus forte température , 
en été, atteint à peine 29% et ne s'abaisse guère 
en hiver au-dessous de 18. 

Les maxima de température que je donne ici 
se rapportent à des observations faites à Lance- 
rotte, durant mon séjour dans cette île, au mois de 
juillet 1829, pendant les plus fortes chaleurs qu'on 
puisse éprouver dans ces climats quand règne le 
vent du désert (S.-E.). Ordinairement, c'est-à-dire 
avec les brises , la température de l'air est très- 
uniforme. M. le lieutenant Arlett, qui parait avoir 
fait sur les lieux une série d'observations com- 
paratives (1) , nous a fourni les données suivantes 
sur les températures moyennes des cinq premiers 
mois de l'année : 

(1) Voy. Bull, de la Soc. de géographie y Mém. cité, jan- 
vier 1837. 

12 



178 



CHAPITRE 


IV. 






En décembre a 


• 


■ 


19 e 


44'. 


En janvier à . 


• 


• 


19* 


4*'. 


En février à . 


• 


• 


18° 


33'. 


En mai à . . 


■ 


• 


2(T 


56'. 


En août à . . 


• 


• 


2V 


4V. 



Les variations dans les vingt-quatre heures sont, 
selon lui, de 2 à 3°. 

La sensation de la chaleur aux mois de juin 
et de juillet , époque de mon séjour à Lancerotte 
et à La Gracieuse , n'était pas en raison du degré 
de température , et , malgré l'ardeur du soleil , 
je me trouvais parfaitement au milieu de cette 
atmosphère de fraîches brises. Ce qui étonne le 
plus dans ce climat , c'est la prompte dessiccation 
des substances animales qu'on laisse exposées à 
l'air libre. Le poisson frais se dessèche en quel- 
ques heures. VAbadejo (1), que j'ai* vu préparer 
dans quelques maisons comme la morue du nord, 
peut se conserver sans éprouver la moindre alté- 
ration; retrempée dans l'eau de mer, lorsqu'on 
veut la faire bouillir, la chair de ce poisson re- 

(1) Phycis limbalus. Val. Voy. le calai, didac , p. 111. 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 179 

prend toute sa fraîcheur sans rien perdre de sa 
fermeté et de son excellent goût. Les Scares (1), 
si communs dans ces parages, et dont la chair est 
assez mollasse , sont simplement conservés à l'air. 
C'est dans cet état de préparation qu'on les expé- 
die, en liasses > aux Islenos établis à la Havane , 
où ils arrivent en très-bonne condition. Les Ca- 
brittas (2) sont dans le même cas. 

Au reste, cette propriété dessiccative du climat 
de Lancerotte et des îles adjacentes est commune 
à toute la bande occidentale d'Afrique , depuis le 
cap de Geer jusqu'au Sénégal , c'est-à-dire tout le 
long de la lisière du Grand- Sahara. Suivant les 
expositions, le climat de la partie centrale de 
l'archipel canarien est aussi parfaitement analo- 
gue à celui de la bande orientale. Dans le cime- 
tière de Guia, sur la côte méridionale de Téné- 
riffe, la décomposition des cadavres est très-lente, 
et je puis même assurer que la plupart des corps 
restent intacts. Ce lieu , situé au milieu d'une 
nappe de lave , est exposé à toute l'ardeur du so- 
leil. J'y ai vu des cadavres qu'on avait adossés 

(1) Scarus canariensis. Val. Poy. le catal. didac. , p. 10». 

(2) Serranus cabrilla. Cuv. , Val. roy. , id. , p. 75. 

12. 



180 CHAPITRE IV. 

contre un mur depuis plus de six mois, et qui 
ressemblaient à des momies desséchées. Tous les 
traits du visage , bien qu'altérés par la tension 
des muscles, étaient encore assez bien marqués, 
seulement l'action du soleil avait noirci et pres- 
que carbonisé la peau. 

La seule précaution qu'il y aurait à prendre 
pour la préparation des produits de la pèche dans 
toute l'étendue de la région que je signale, serait 
d'établir, sur l'emplacement des sécheries, des 
hangars ou couvre -piles en planches, bien ven- 
tilés, où le poisson fût à l'abri des ardeurs du 
soleil, afin qu'il ne noircit pas. L'expérience a 
démontré que le soleil et le vent combinés con- 
stituent le temps le plus propice pour sécher le 
poisson ; mais le soleil seul le brûle et accélère 
la décomposition des chairs, et c'est pour cette 
raison que les pêcheurs de Terre-Neuve désignent 
sous le nom de Morues cuites celles qui sont res- 
tées trop long-temps exposées à son action. 

Pour ce qui concerne les avantages des pro- 
duits de la pèche , on doit prendre en considéra- 
tion la quantité et la variété des espèces qui sta- 
tionnent sur la côte d'Afrique ou qui parcourent 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 181 

les parages voisins. Pour compléter à cet égard la 
comparaison que j'ai déjà faite entre la grande 
pèche des mers du nord et celle que font les Ca- 
nariens depuis le cap de Noun jusqu'au cap. Blanc, 
j'observerai d'abord que sur le grand banc et à 
Terre-Neuve on ne prend guère que la morue et 
le hareng , encore la pêche de cette dernière es- 
pèce est-elle généralement négligée par les Fran- 
çais. Le long de la côte d'Afrique, au contraire , 
les Islenos pèchent dix ou douze qualités de pois- 
sons, toutes également propres à être séchées ou 
préparées en vert; mais dans ce nombre il faut 
distinguer surtout YAbadejo (1) , bien supérieur à 
la morue pour la délicatesse de la chair, et l'ex- 
cellente Pescada (2), qui se rapproche aussi beau- 
coup du gade de Terre-Neuve. Je citerai encore 
le Cherne (3) . que Glas confond avec la morue , 
mais qui n'est pas moins estimé. Cette erreur du 
navigateur anglais s'explique facilement : les pois- 
sons connus sous le nom de Cherne dans l'océan 



(1) Phycù limât us. Val. Voy. le catalogue , p. 110. 
{ (2) A sel lus canariensis. Val. Voy. le catalogue , id. 

(3) Sert anus caninus. Val. Vulgairement Cherne ou Cachoro. 
Voy. le catalogue , p. 72 et 110. 



182 CHAPITRE IV. 

Atlantique et dans la mer des Indes appartiennent 
aux grandes espèces de Percoïdes du genre Ser- 
ranus; celui que Ton pèche à l'Ile-de-France a 
reçu la dénomination de Serranus morhua, à 
cause de sa ressemblance avec la morue du nord. 
Ce poisson, que l'on sale aussi de la même ma- 
nière , est très-recherché ; sa chair blanche , ten- 
dre et d'excellent goût, est préférable à celle de 
la morue. Le Cherne de la mer canarienne a de 
grandes analogies avec celui de la mer des Indes. 
Les marins qui ont eu occasion de voir les deux 
espèces ont peine à les distinguer, et le serran 
cachoro salé en vert, comme le préparent les 
Isleilos, n'est pas moins estimé que le serran 
morue dont on fait tant de cas à l'Ile-de-France. 

Un grand nombre de poissons de la région ma- 
ritime qu'exploitent les pécheurs canariens pour- 
raient supporter une salaison plus complète , et je 
ne doute pas que la méthode en usage à Terre- 
Neuve pour sécher la morue ne soit également 
applicable à beaucoup d'autres espèces de l'O- 
céan. 

Ce serait un grand service à rendre au com- 
merce que de faire connaître tous les poissons 



PÊCHE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 183 

qui pourraient fournir de nouvelles ressources ali- 
mentaires, et dont il serait facile de tirer un parti 
lucratif en employant les moyens de conservation 
que l'usage et l'expérience ont consacrés. On doit 
regretter surtout que les ichthyologistes aient né- 
gligé des observations si importantes dans l'inté- 
rêt économique, car la routine qu'on a suivie jus 
qu'ici provient en grande partie de cette négli- 
gence. Depuis que les pécheurs se livrent à leur 
industrie, les morues , le hareng , l'anchois, la 
sardine, l'alose, le maquereau, le thon, le ger- 
mon et le saumon sont presque les seules espèces 
qu'ils salent, sèchent ou marinent d'après diffé- 
rentes méthodes. Il en est pourtant beaucoup 
d'autres qu'on conservait autrefois de la même 
manière et qu'on ne devrait pas négliger plus 
long-temps (1). Parmi lesGades, les merlans, les 
lottes, les mustèles, les brosmes et les phycis 
réunissent toutes les conditions nécessaires. La 
plupart des grandes Percoïdes sont dans le même 



(1) Poyez, à l'appendice de la fin du volume, De l'économie de 
la pèche et des divers moyens de préparation en usage chez 
les anciens et au moyen-dge pour la conservation du poisson 
salé , sec ou mariné» 



184 CHAPITRE IV. 

cas. Le nombre des espèces qu'on peut mariner 
n'est pas plus restreint que celles qu'on conserve 
au moyen de la dessiccation ou de la salaison; 
ainsi, je citerai, parmi lesScombres, les espadons, 
les bonites , les pélamides , les caranx et même 
certaines espèces de sérioles et de liches. Les co~ 
ryphènes peuvent aussi être marinées ou salées, 
et la dorade , qu'on pêche en abondance dans plu- 
sieurs parages de l'Océan , ne perd rien de la dé- 
licatesse de sa chair par ces sortes de prépara- 
tions. Plusieurs espèces de clupes sont suscepti- 
bles d'être conservées aussi bien que les sardines 
et les anchois. Parmi les salmones, les sauras et 
les aulopes surtout , dont l'organisation présente 
les caractères des gades réunis à ceux des sau- 
mons , offrent aussi de grandes analogies dans la 
qualité de la chair, et il ne serait pas moins utile 
de tenter sur ces espèces les mêmes moyens de 
conservation. J'observerai en passant que , parmi 
ces différents poissons, quelques-uns sont telle- 
ment identiques, pour la forme et le goût, avec 
ceux auxquels on a jusqu'ici accordé la préfé- 
rence, qu'ils seraient admis facilement dans le 
commerce sous les mêmes dénominations, et cette 



PÊCnE AFRICAINE ET DE TERRE-NEUVE. 185 

circonstance n'est pas sans importance , quand il 
s'agit de denrées que le droit de priorité et l'uni- 
versalité de l'usage ont accréditées dans les mar- 
chés. 



CHAPITRE CINQUIEME. 



CHAPITRE CINQUIÈME. 



DES SECHERIES. 



11 existe dans les parages de l'Afrique occiden- 
tale plusieurs localités que les armateurs pour- 
raient taire occuper avec une égale chance de 
succès pour l'établissement des sécheries. 

Graciosà. Je citerai d'abord l'île de Graciosa, en 
admettant toutefois qu'une compagnie française ob- 
tint la faculté de s'y établir. Cette tle déserte a cinq 
milles d'étendue d'orient en occident et environ 
mille de large. Elle est sous la dénendanr*^ A ~ 



«n 



190 CHAPITRE V. 

gouverneur de Lancerotte, et les habitants des 
districts les plus voisins y envoient parquer leurs 
troupeaux pendant l'hiver. Il faudrait donc s'en- 
tendre , pour l'établissement des secheries , avec 
l'autorité locale qui probablement n'y mettrait 
aucun obstacle , aujourd'hui surtout que dans ces 
fies le commerce et l'industrie recherchent les se- 
cours du dehors et marchent dégagés des entra- 
ves qui arrêtèrent trop long-temps leurs progrès. 
Les Islenos tâchent maintenant d'utiliser toutes 
leurs ressources en appelant chez eux les autres 
nations : le monopole de l'orseille, de la barrile (1) 
et du vin de Ténériffe a passé entre les mains des 
Anglais ; si les Canaries possédaient des mines , 
l'on verrait bientôt , comme dans l'île de Cuba, des 
spéculateurs étrangers venir les exploiter pour 
leur propre compte ; mais la mer qui baigne cet 
archipel en possède une peut-être plus riche et 
plus féconde que celles du Pérou , car elle ne tarit 
jamais. Déjà les Islenos ont laissé une compagnie 
de Génois s'établir sur la côte de la Gomère pour 
s'y livrer à la pêche du thon , et cet antécédent 



(1) La soude naturelle. 



SÉCHERIES. 191 

est de bon augure pour l'occupation de l'îlot de 
Graciosa, auquel les Canariens n'attachent aucune 
importance. Les avitaillements dont les bâtiments 
pécheurs auraient besoin et qu'ils achèteraient 
des insulaires seraient pour ces derniers un pro- 
fit réel , sans compter celui qu'ils retireraient de 
l'enseignement d'une meilleure méthode de con- 
servation appliquée aux produits de la pêche. 

Graciosa, située à quarante lieues environ de la 
côte d'Afrique, se trouve admirablement ; placée 
pour une sécherie , car on aurait là sous la main 
toutes les ressources nécessaires. Le canal del Rio 
qui sépare cette petite île de Lancerotte n'a guère 
plus d'un mille de large et offre un très-bon mouil- 
lage. « Ce canal , dit le lieutenant Arlett, forme 
le havre le plus vaste des Canaries et le seul qui 
soil sûr pour les grands bâtiments (1). » J'ai par- 
couru moi-même le Rio, et George Glas en a donné 
un plan fort exact que j'ai jugé à propos de repro- 
duire ici. 

(1) Voy. Bull, de la Soc. de gêog. , mém. cité, janvier 1857. 



c "*"r« E , 




SÉCHERIES. 405 

Le navigateur anglais avait su apprécier l'im- 
portance de ce mouillage quand il en entreprit 
l'exploration. Le canal iïel Rio offre l'avantage 
d'une libre sortie lorsque le vent est contraire 
vers une de ses embouchures. Les bâtiments du 
plus fort tonnage peuvent y entrer, ce qui n'a pas 
lieu au port de Naos de Lancer ot te, où les navires 
qui ont plus de dix-huit pieds de tirant d'eau ne 
peuvent entrer qu'à la marée haute , ni à YArre- 
cife de la même île, dont les bâtiments qui 
jaugent plus de douze pieds né peuvent fran- 
chir la barre sans s'échouer. Dans le canal de 
Graciosa ils sont à l'abri des vents du nord-est et 
tiennent sans déraper sur un fond de sable blanc 
mêlé de rocaille , par trois , cinq , sept et neuf 
brasses de profondeur. Ils peuvent s'amarrer très- 
près de l'îlot , dont la côte ne présente aucun 
danger, car, presque à toucher terre , on trouve 
encore deux brasses de fond. « Toutefois, il est 
prudent , dit Glas , d'avoir une bonne ancre et du 
câble prêt à filer, les fortes rafales qui soufflent 
des montagnes de Famara (Lancerotte) et les 
vents d'est et de sud-est pouvant faire chasser 
les navires mouillés dans le canal. » Dans toute 

i5 



194 CHAPITRE V. 

l'étendue du Rio , il n'existe qu'un seul bas-fond , 
à droite en entrant , et qu'on peut ranger sans 
crainte à la distance de quatre brasses. L'îlot étant 
inhabité et la côte de Lancerotte qui lui fait face 
n'ayant aucun point fortifié , un navire , même en 
temps de guerre , peut mouiller en toute sûreté 
dans le canal , soit pour faire de l'eau ou bien pour 
se radouber. La mer, quoique moins calme qu'au 
port de Naos , y est assez tranquille tant que la 
brise ne souffle pas directement à Test ou au sud- 
est , mais différemment on peut toujours sortir 
par la passe d'occident et venir mouiller sur l'au- 
tre bande de l'île, derrière la pointe de Montana 
amarilla(i). Avec les vents d'ouest ou de sud-ouest, 
peu fréquents du reste dans ces parages , les bâti- 
ments ont leur libre sortie par la passe d'orient et 
trouvent à s'abriter derrière la pointe de Pedro- 
Barbas qui se prolonge au nord-est. 

Si l'on se décidait à fonder une sécherie sur 
l'Ile de Graciosa , les salines de Lancerotte situées 
sur la côte qui borde le canal fourniraient aux 
pécheurs tout le sel dont ils auraient besoin pour 

- (i) Dans le plan lisez /imarilla au lieu d'Jmadulla. 



SÉGHERIES. 106 

leurs préparations. La source d'Âguza n'est qu'à 
deux pas de là sur le même littoral et peut donner 
par jour deux barriques d'eau potable (1). 

Alegranza. Cette île déserte, située à six milles 
au nord-est de Graciosa et d'une étendue à peu près 
égale, offrirait aussi un emplacement très-favorable 
pour une sécherie. Elle fait partie du patrimoine de 
l'ancienne maison Garcia y Lugo , et le possesseur 
actuel en retire une rente annuelle de quatre mille 
piastres. C'est la plus septentrionale des Cana- 
ries ; elle est entièrement volcanique et parait 
avoir été produite par Une éruption sous-marine. 

Le lieutenant Arlett, qui l'a visitée, évalue sa hau- 

» 

leur à deux cent quatre-vingt-six mètres. « Les 
abords du cratère , dit-il , sont bien distincts ; il 
a deux tiers de mille de largeur, son fonds est 
cultivé. Les côtes de l'ouest sont abruptes et ont 
deux cent treize mètres d'élévation. Le seul point 
où l'on puisse débarquer est sur la côte du sud. 
Une caverne d'environ cinq cents pas s'avance 
obliquement dans les terres et se termine par une 



(1) Selon Glas , cette eau contient un principe sulfureux , mais 
se conserve parfaitement à la mer. 

15. 



190 CHAPITRE V. 

petite plage de sable découverte (i). » C'est de ce 
côté , et à l'entrée de la caverne , où les rochers 
forment une jetée naturelle , que se trouve le seul 
mouillage qui existe autour de l'île. 

La Se h lima. Il est aussi sur la côte d'Afrique, 
non loin des parages fréquentés par les pêcheurs 
canariens , un autre point qui réunirait le double 
avantage de se prêter à tous les besoins des sé- 
chéries et d'offrir de nouveaux débouchés à notre 
commerce par les relations qu'on pourrait se mé- 
nager avec les provinces voisines et les pays de 
l'intérieur. L'embouchure de la Schlima , à quatre 
milles sud-ouest du cap de Noun , serait , selon 
moi , le lieu le plus propice pour l'établissement 
que je propose. Mais, pour que des spéculateurs 
entreprenants pussent l'occuper sans craindre 
d'y rencontrer des obstacles et des contrariétés 
capables de compromettre les intérêts du com- 

(1) Voy. Bull, de la Soc. de géog. , mém. cité, jmvier 1857. 
L'auteur de la relation a pensé que cette Ile était habitée par qua- 
rante personnes, occupées, dit-il, à ramasser de Vorseille. Quel- 
ques granges et des cons' raclions qui servent de magasin lui pa- 
rurent un village. Les gens occupés, non pas à ramasser Torseille, 
mais à recueillir la glaciale {mesembryanthemum crystallinum\ 
dont on retire la soude naturelle, étaient des habitants de Lance - 
rotte qui ne séjournent dans l'Ile que pendant trois ou quatre mois. 



SÉCHER I ES. 197 

merce , pour prévenir en un mot toute espèce " 
d'avanie de la part des naturels du pays et se te- 
nir en garde contre l'influence et les intrigues 
astucieuses des agents de Maroc , il faudrait que 
le gouvernement français prît l'initiative de cette 
occupation et protégeât au besoin l'établissement 
par la présence d'une station navale ou d'une 
force militaire permanente. 

La Schlima a été signalée sous différentes déno- 
minations sur les cartes et dans les relations des 
voyageurs : Borda l'appelle la rivière de Non (1) 
et marque son embouchure par 28° 17' de latitude 
nord; Jackson et Graberg de Hemsoë la nom- 
ment Akassa ou Oûady-Noun , et ce dernier l'in- 
dique par 24° 24' (2). 

« Oûady-Noun ou fleuve Noun , c'est - à-dire le 
fleuve des anguilles, dit M. Graberg, coule dans 
le pays appelé Akassa; il débouche près du cap 
dont il emprunte le nom , et forme l'extrême 



(1) Voy. la carte des îles Canaries et d'une partie de la 
côte occidentale d'Afrique, d'après les observations faites, en 
1776 , sur la Boussole et Y Espiègle , par le chevalier de Borda , 
1780. Dépôt de la marine. 

[2) Voyez la carie qui accompagne son ouvrage , Specchio d\ 
Marroco. 



196 CHAPITRE V. 

frontière du Moghreb-el-Acsà considéré comme ré- 
gion géographique (1). » 

Dans un autre passage où il est question de la 
ville de Noun , le même auteur s'exprime en ces 
termes : « Noun est plus grande et plus peuplée 
que Stukha , et compte environ deux mille âmes 
de population. Elle est située sur les bords du 
fleuve que les habitants appellent Vad-Nun ( Oûa- 
dy-Noun) , mais dont le véritable nom est Akassa, 
et qu'on doit considérer sans doute comme le 
Daradus des anciens (2). » 

Le lieutenant de vaisseau de la marine royale 
d'Angleterre, M. W. Arlett, qui a exploré cette 
partie de la côte occidentale d'Afrique avec des 
pilotes de Lancerotte , en parle sous le nom de 
la Schlime ( Sheelma) et la place par 28° 41', mais 
il en signale aussi une autre à trente-un milles 



(i) «. . . Urad-Nun, o fiume Nun, Ctoè, flome délie an- 
guille , ma realraente nel paeze nominato Akassa , che sbocca 
presso il capo del raedesimo nome , é l'uhimo termine da quella 
parte del Meghreb-el-Acsà, consideralo corne regione geogra- 
fica , p. 27. » 

(2) » . . Nun é piu grande e piu numeroso cou circa due mila 
anime di popolazione , posto intorno un fiume detto dagli abitanti 
fùd Nun , ma di cui il vero nome é akassa , ed é senza dubbio 
il Daradus degli antichi > p. 66. » 



SÉCHER1ËS. 109 

plus au midi qu'il considère comme le vrai Noun. 

« A quatre milles au sud-ouest du cap Noun , 
dit-il , on trouve une rivière a laquelle on a donné 
différents noms ; mais M. Wilschire, vice-consul 
à Maroc , m'a appris que sa véritable dénomina- 
tion est Shleema, et c'est ainsi que je l'ai dési- 
gnée. A trente-un milles au sud de la Shleema , 
et par 28° 19' de latitude nord, il y a une autre 
rivière de la même grandeur. Sur laquelle des 
deux rivières est située la ville de Noun ? c'est 
ce que je ne saurais dire; ce qu'il y a de sin- 
gulier, c'est que la description du pays convient 
également aux deux rivières , et que la latitude 
de la dernière est justement celle où l'on place 
ÏAkassa ou la Shleema. Jackson , dans ses remar- 
ques sur Léon l'Africain, dit qu'il ne serait pas 
impossible que la rivière Draha , au lieu de se 
perdre dans le désert , ne se jetât dans la mer. 
Dans la carte que j'ai faite de cette côte , j'ai ap- 
pelé cette rivière du sud Wad-noon (1). » 

Ainsi, tout porte à croire que deux rivières 

(1) Voy. Descrip. de la côte d'Afrique depuis le cap Spartel 
jusqu'au cap Bojador, par le lieutenant W. Arlett. Bull, de la 
Soc. de gèog., a* série, t. vu, n° 57, janvier. 



200 CHAPITRE Y. 

ont été prises indistinctement l'une pour l'autre , 
et qu'elles coulent sur ce littoral dans le voisi- 
nage du cap de No un. Pour me conformer aux 
indications les plus récentes et ne pas embrouil- 
ler la nomenclature géographique de noms trop 
analogues , déjà employés du reste pour désigner 
le cap et la ville principale de cette partie des 
états de Maroc, j'ai appelé Schlima (Schleematïz- 
près le lieutenant Arlett) , la rivière la plus sep- 
tentrionale, et Akassa, d'après M. Graberg de 
Hemsoë , celle qui forme les limites méridionales 
de Moghreb-el-Acsà. Mais, depuis la publication 
de la carte annexée à cet ouvrage , et tandis que 
je m'occupais de l'impression du texte, j'ai eu 
connaissance des renseignements fournis par un 
voyageur qu'une mort tragique vient récemment 
d'enlever à la science. Je veux parler de l'infor- 
tuné John Davidson, qui eût pu, si le sort lui eût 
été favorable , fixer bien des incertitudes sur la 
position et la nomenclature des lieux dont il est 
ici question. 

Voici ce que je lis dans les lettres de ce voya- 
geur, publiées par la Société géographique de 
Londres : « I^v Carte ne m'est qu'un guide assez 



SÉCHERIES. 901 

» inutile ; il n'y a pas de rivière du nom d'Akassa : 
» c'est YAssaka qui coule près de ce lieu ; entre 
» elle et Glamiz sont deux autres rivières nulle- 
» ment indiquées , la Boukoukmar et la Syad. Le 
» point où le Scheykh Beyrouth désire établir 
» son port est l'embouchure de la rivière Draha 
» (el Oûady Drahhah des Arabes), qui, suivant 
» mes calculs , est à trente-deux milles (cinquante- 
» un kilomètres) sud-ouest du cap Noun et doit 
» occuper la place marquée sur la carte, Akassa.» 

»... Le Ouâdy Draha naît un peu au sud- 
» ouest de Tafilett, arrose les fertiles districts de 
» Draha et d'El-Harib , passe près de Tatta et 
» d'Akka , ensuite sur la lisière du Sous inférieur 
» et coule vers la mer à travers la fertile contrée 
» possédée par les tribus d'Errub , Draha , Ma 
» raibat, Tajacanth etErgebat... (1) » 

Ainsi les renseignements de Davidson sur le 
Ouâdy-Draha tendraient à confirmer la première 
supposition de Léon l'Africain , et l'Akassa de 
M. Graberg et de quelques autres géographes ne 
seyait autre que l'ancien Draha qu'on croyait se 

(1) Voy. Journ. de la Soc. géog. de Londres, 1837. Lettre» 
de Davidson , p. 164. 



903 CHAPITRE V. 

perdre dans les sables du Sahara. Quant à la ville 
de Noun , au lieu d'être située près de cette ri- 
vière, on devrait, d'après le voyageur anglais, 
la renconter plutôt sur les bords de la Schlima 
et beaucoup plus près du littoral. 

Quoi qu'il en soit, les grandes barques peuvent 
toujours franchir la barre de ces deux rivières ( la 
Schlima et le Ouâdy-Draha ou VAkassa) dont les 
eaux sont assez profondes , et les navires d'un 
fort tonnage trouvent un bon mouillage, le long 
de la côte , à l'abri du cap , depuis le mois de 
mars jusqu'à la On d'octobre. Les pécheurs cana- 
riens assurent que le pays adjacent est un des plus 
fertiles et des mieux cultivés , que les habitants y 
sont plus traitables et qu'ils se montrent assez 
bien disposés en leur faveur. La ville de Noun, 
que M. Graberg place à cinquante milles de l'em- 
bouchure de l'Akassa , mais que les indications 
plus récentes de Davidson fixent seulement à 
cinq ou six heures de marche de la mer (1) , est 



(i) Le journal de Davidson , qu'on vient d'imprimer tout ré- 
cemment , me fournit à ce sujet l'indication suivante : 

« Vendredi , 22 avril 1856 , nous avons passé la chaîne du Sous 
» inférieur et sommes entrés à Ouàd-Noun..., grand bourg (Larg» 



SÉGHERIES. 203 

considéré comme l'entrepôt du commerce entre 
Mogador et la Négritie. Le pays abonde en gom- 
me, en cire et en plumes d'autruche; Noun est le 
point de ralliement des caravanes qui partent ou 
arrivent de Ten-Boktoue. Il est à remarquer que les 
renseignements du lieutenant Arlett confirment 
complètement ceux qui avaient déjà été donnés 
par le consul Graberg de Hemsoë dans son Spec- 
chio di Marocco (1). L'officier anglais s'exprime 
ainsi dans son rapport : « La partie comprise entre 
» le cap de Noun et la rivière Schlima me paraît être 
» la place la plus favorable de cette côte pour 
» établir une factoterie . si on jugeait à propos de 
» le faire , et pour ouvrir un commerce direct 
» avec Ouâd-Noun. Il est bien reconnu que cette 



» Town) fermé de plusieurs petits groupes d'édifices : il tire son 
» nom d'une reine portugaise Nounah ; ainsi Ouâd-Noun signifie 
» la vallée de Nounah. Ce lieu est éloigné de la mer de cinq ou 
» six heures de marche. Notre première halte fut sur les bords 
» d'un magnifique courant d'eau. » Journal de J. Davidson , 
in-4% p. 84, 1840. 

(1) . . . Gli abitanti , per maggior parte Arabi, con pocht 
Scehlocchi, fanno un traffico imporlantissimo cou Tamhnctù , é 
col centro deir Affrica ; e Nûn è veramente il luogo di conserva e 
di deposito del commercio fra Mogadoré e gli emporii délia Ni- 
grizia. » Specchio geog. e stat. delV itnpero di Marocco , del 
cav. conte. J. Graberg di Hemsœ , Genova , 1854. 



204 CHAPITRE V. 

» ville a un grand commerce intérieur ; elle est 
»> en communication constante avec Ten-Boktoue, 
» et les tribus errantes entre le cap Noun et Bo- 
» jador viennent s'y approvisionner. Les produits 
» du Soudan passent aussi par cette ville pour al- 
» 1er à Maroc ; et , si on pouvait établir un com- 
» merce direct avec elle , il n'est pas déraisonna 
» ble de penser que la plus grande partie du corn- 
» merce de la gomme, qui se fait aujourd'hui par 
» le Sénégal , pourrait bien venir par ici (1). » 
Puisse cet avertissement ne pas être perdu pour 
la France ! 

Chenier, en 1787, et après lui Jackson, disent 
aussi que la contrée qui avoisine le cap de Noun 
offre les plus grandes chances de succès pour les 
entreprises commerciales. Les habitants de cette 
province , la plus réculée des états de Maroc , 
puisqu'elle limite avec le grand désert, paraissent 
bien disposés pour les Européens ; le pouvoir de 
l'empereur y est sans influence , et Ton peut con- 
sidérer cette partie du territoire comme à peu 
près indépendante. 

(1) Voyez sa description. Bull, de la Soc. de géog., janv. 
1837, n° 57 , p. 47. 



. SÉGHERIES. 205 

Gueder. Par 29° 10' de latitude N., c'est-à-dire k 
environ 25 millesN.-E. ducapdeNoun,le lieutenant 
Arlett signale le port Reguela ou Gueder. Ce point, 
dont la situation me semblerait aussi très-favora- 
ble pour un établissement de pêche et de com- 
merce, est le même que celui indiqué sous le nom 
de port d'Hilsborough , dans la carte que M. Gra 
berg de Hemsoë a annexée à son ouvrage. Cette 
partie de la côte est très-sûre, et bien qu'elle 
n'abrite pas les grands navires, on peut cepen- 
dant s'en approcher sans crainte. « Deux promon- 
toires de roches s avancent à une petite distance 
dans la mer, dit la relation (1), leurs côtes sont 
à pic; une ravine profonde et étroite les sépare, 
et un petit ruisseau se jette dans la mer au fond 
de cette petite baie , où il y a beaucoup d'eau , et 
dont le fond est net. » 

Gueder est un des points de ce littoral les mieux 
connus des Canariens : ils y fondèrent un poste 
militaire dès l'an 1476 : Diego de Herrera, sei- 
gneur de Lancerotte et de Fortaventure , y flt 
construire à cette époque le château qu'on ap- 
pela Sanla-Cruz de Max pequefia ou Santa- Cruz 

[i) ld. , p. 59! 



20G CHAPITRE V. 

de Mar mener. Cette forteresse fut démolie en 
1524, après un siège opiniâtre, lorsque le roi 
de Fez reprit la défensive, et força les Isle- 
Fios à abandonner ce poste important (1). Eu 
1764 , Georges Glas , qui comprenait bien tout le 
parti qu'on pouvait tirer d'un comptoir situé sur 
celte côte, tenta d'exécuter un projet que la vi- 
gilance de l'Espagne, alors toute-puissante, fit 
échouer à son début. Lord Hilsborugh qui, à cette 
époque, faisait partie du ministère anglais, appré- 
ciant les vues de Glas , promit de lui prêter tout 
son appui ; mais il parait que le gouvernement bri- 
tannique laissa d'abord agir l'aventurier, sans 
prendre une part active dans son entreprise. 
Quoi qu'il en soit, Glas vint s'installer au port de 
Gueder , auquel il donna le nom de port d Hilsbo- 
rugh, en l'honneur de son protecteur; mais, ayant 
été détenu aux Canaries par ordre de la cour de 
Madrid , ses gens se prirent de querelle avec les 
Maures de Gueder, et l'établissement privé de 
son chef fut bientôt abandonné (2). Les marins 

(1) Voyez à l'appendice à la fin du volume. Du premières en- 

m 

trepritet de» Mtilo* sur la c6te occidentale d'Afrique, etc. 

(2) U. 



SÉCHERIES. 207 

canariens qui ont visité la baie de Mar pe- 
querîa assurent que les brigantins de cinquante 
à soixante tonneaux peuvent mouiller à l'embou- 
chure de la rivière où Ton trouve un très-bon dé- 
barcadère. 

De nombreuses variantes dans l'orthographe des 
noms ont occasionné une confusion géographique 
entre le port de Gueder et celui d'Agadir. Ainsi le 
cap de Gher ou Geer (Abgher Râz) , qui avoisine 
Agadir , a été pour les Portugais et les Espagnols 
le cap Aguer , et ce même nom d' Aguer a été ap- 
pliqué à la ville située au fond de la baie qu'abrite 
le cap , et que les Portugais possédèrent pendant 
plus de trente ans. C'est la même que les Espagnols 
désignent sous le nom de Sanla-Cruz de Berberia, 
la Sainte-Croix de nos cartes. D'autre part , l'ana- 
logie de ce nom avec celui de Santa- C ru z de Mar 
pequena ou Mar menor, imposé par les insulaires 
des Canaries au bastion que Herrera fit construire 
à l'embouchure du ravin de Gueder, situé à vingt 
lieues environ au sud-est de la rivière de Sus, et 
l'habitude de les écrire tant l'un que l'autre par 
abréviation (S^-Crm), les différentes formes qu'on 
a données à Gueder , en écrivant indistinctement 



*I8 CHAPITRE V. 

Guader et Guadir (1), enfin la ressemblance qu'il 
en est résulté avec les variantes d'Agadir , telles 
que Aguer, Aguader et même Gader (2), d'après 
l'indication de quelques géographes, tout cela, 
dis je, a occasionné l'erreur que je signale ici. 
De là provient encore que certains historiens ont 
prétendu qu'Agadir ou Sainte-Croix de Barbarie 
avait appartenu aux Espagnols , et que Gueder ou 
Sainte-Croix de Mar menor avait fait partie des 
anciennes possessions portugaises de la côte occi- 
dentale d'Afrique. Mais si l'on eût consulté les 
vieilles caries manuscrites , qui sont souvent d'ex- 
cellents guides dans ces questions de géographie 
historique , on eût vu les drapeaux des deux na- 
tions rivales flotter sur leurs possessions respec- 
tives le long du littoral (3). 

(1) Voy Viera, Noticias , Abreu Galindo, et les autres au- 
teurs espagnols ou islenos. 

(2) Voyez la carte pour servir au voyage de M.Saugnier 
au Sénégal , dressée sur ses mémoires pter De Laborde , 1791. 

(5) La carte de M. Graberg de Hemsoê (voy. Speechio di Ma- 
rocco) est la seule qui indique la position de Gueder sous le nom 
de Port d* Hihborough 9 mais ce géographe la porte par 29° 20\ 
c'est-à-dire à 10' plus au nord que le lieutenant Arlett. Dans la 
plupart des cartes modernes il n'est plus question de Gueder ; il 
faut avoir recours aux cartes marines , portugaises ou espagnoles 
du xv% xvi e et du commencement du xvn* siècle pour retrouver 



SÉCHERIFS. 209 

Baie d'Arguin. L'île d'Arguin, que la France 
possédait encore vers le milieu du dernier siècle , 
serait aussi un entrepôt très-favorable pour la pré- 
paration des produits de la pèche. Le poisson est 
extrêmement abondant sur le banc de sable qui 
barre la baie , et la proximité du cap Saline , où 
Ton trouve le sel naturel en quantité , offrirait de 
grandes ressources aux pécheurs. Cette station 
pourrait devenir très-importante parle commerce 
qu on ferait avec les tribus qui vivent dans le 
voisinage, et dont on retira jadis d'assez bons 
profits. Cadamosto, ce voyageur vénitien auquel 
rien n'échappait de ce qui pouvait être utile au 
commerce, donnait déjà des renseignements sur les 
pêcheries de ces parages dans la relation du voyage 



ce nom oublié. Je citerai deux cartes portugaises de la précieuse 
collection rassemblée par les soins de M. Jomard au cabinet géo- 
graphique de la Bibliothèque royale , la première du xvi e siècle 
sans nom d'auteur, la seconde de 1618 par Domingo Sanchez de 
Lisbonne ; puis une autre de l'atlas de la duchesse de Berry que pos- 
sède le même établissement. On peut voir encore le port de Gueder 
très-bien signalé dans un bel atlas que j'ai eu occasion' de consul- 
ter dans la riche bibliothèque de M. le baron Taylor. Enfin la 
magnifique collection de documents historiques et géographiques 
de M. H. Ternaux-Compans contient aussi un autre atlas fort cu- 
rieux (de JeanMartinez de Messine, 1567) sur lequel j'ai retrouve 
encore le nom Santa Cruz de Mat mener. 

14 



910 CI1APITRR V. 

qu'il exécuta en 1455 (1). Bordone, qui, en 1520, 
figurait les lies <T Arguin dans son Isolario , parle 
du trafic que faisaient alors les Portugais avec les 
Maures de la côte , et qui consistait en esclaves et 
en poudre d'or. Dans les Relations universelles (2) 
de Juan-Botero Benes, imprimées à Valladolid 
en 1 603 , on lit le passage suivant : 

« Après avoir dépassé le cap de Las Garças (cap 
» des Hérons ou cap Saline ) , on aperçoit au fond 
» d'une baie les lies d' Arguin , qu'on découvrit 
» l'an 1443 , et qu'on appela du nom de la princi- 
» pale. Elles sont au nombre de six ou sept, toutes 
» petites et habitées par des Azanegues (Azanegos) 
» qui vivent de poissons (qu'on rencontre en très 
» grand nombre dans la baie). Ces Azanegues pos- 
» sëdent de petites barques nommées Almadies 
» {Almadias). Les autres tles dont je suis parvenu 
» à savoir les noms sont l'île de la Garça et celles 
» d'Elnar , de Tider et d'Adegt. » 

Les îles d' Arguin furent en effet découvertes 



(1) Voy. sa relation dans le recueil de Ramusio. 

(2) Voy. Barros. A$ia dans sa relation des conquêtes des Por- 
tugais. 



SÉCHERIES. 211 

Tannée indiquée par Botero , et les Portugais les 
ont souvent désignées sous le nom d'Adegt dans 
leurs relations. En 1445, l'infant don Henri y en- 
voya son écuyer Gonzalo de Cintra; mais celui-ci, 
s'étant trop hâté de mettre pied à terre, fut atta- 
qué par deux cents Maures qui le tuèrent avec 
plusieurs des siens. D'autres navigateurs de la 
même nation y abordèrent ensuite dans l'intention 
de s'y établir, mais leur tentative fut infructueuse. 
Celle de Nunez Tristan rapporta une vingtaine d'es- 
claves qu'on vendit en Portugal. Juan Fernandez 
sy fixa bientôt après , et vécut deux ans avec les 
habitants de la côte. Il y fut retrouvé en 1447, 
lorsqu' Antoine Gonzalez et ses compagnons y fu- 
rent jetés par la tempête. Ces aventuriers ayant 
pris possession du pays , le trafic de la poudre d'or 
et des nègres qu'on venait vendre aux iles d'Ar- 
guin décida l'infant don Henri à y construire une 
forteresse, qui fut commencée en 1448 et ache- 
vée en 1482. 

Ce bastion resta au pouvoir des Portugais jus- 
qu'en 1638 , qu'il fut pris par les Hollandais, dont 
la puissance prenait alors une grande extension. 
Les Anglais, non moins entreprenants, s'en em- 

14. 



*12 CHAPITRE V. 

parèrent en 1665, et les Hollandais le leur repri- 
rent un an après. 

En 1678, les Français s'y établirent pour la 
première fois , et le fort des Portugais fut miné. 

Les Hollandais y retournèrent en 1685, sous 
la bannière de Brandebourg , et conservèrent jus- 
qu'en 1721 ce poste important que les Français 
parvinrent à reprendre ; mais les Hollandais , ai- 
dés des Maures , les en chassèrent encore l'année 
suivante. 

Enfin, en 1724, la France faisait occuper de 
nouveau l'île d'Arguin , qu'elle finit pourtant par 
abandonner plus tard. 

Le P. Labat, auquel j'emprunte une partie de 
ces renseignements, dit « que la grande baie , au 
fond de laquelle se trouvent situées les îles d'Ar- 
guin, s'étend depuis le cap Blanc jusqu'au cap 
Mirik ou rivière de Saint- Jean , sur une longueur 
de quarante lieues environ. L'ouverture de cette 
enceinte est fermée par un banc de près de vingt- 
cinq lieues d étendue , sur lequel ia mer est tou- 
jour grosse et où les bâtiments ne peuvent passer. 
Le dedans, entre la côte et le banc, est rempli 
d'îles désertes et de récifs qu'il est difficile de pa- 



SÉCIIER1ES. 2J3 

rer. On rencontre aussi dans la baie plusieurs 
bas-fonds couverts d'herbe marine. 

» La plus grande des trois iles principales, 
ajoute le P. Labat, est celle proprement dite d'Ar- 
guin, nommée Ghir par les Arabes. Elle a environ 
une lieue et demie de long sur un peu moins 
d'une lieue de large. On y remarque deux citer- 
nes voûtées où les eaux sont ramassées de plu- 
sieurs sources. Ces citernes sont creusées dans le 
roc : une semble de main d'hommes. Les Portu- 
gais n'ont jamais rien dit de ces ouvrages, eux 
dont les historiens sont si exacts à faire men- 
tion des moindres choses qui peuvent faire hon- 
neur à leur nation , et cet ouvrage en doit faire à 
ses auteurs (1). » 

LES ILES DE SAINT-LOUIS ET DE GORÉE. 

Deux autres postes que nous possédons sur la 
côte occidentale d'Afrique me sembleraient réu- 
nir toutes les conditions désirables à cause de 
leur position géographique , par rapport aux pa- 
rages où se fait la pèche. Je veux parler de l'île 

(1} Description de la côte occidentale d'Afrique, par le Père 
ta bal. 



314 CHAPITRE V. 

Saint-Louis dans la rivière du Sénégal , et de File 
de Gorée , située près du cap Vert. Cette dernière 
surtout mérite une attention particulière. On a pu 
voir, par les observations de M. l'amiral Roussin, 
(p. 175), qu'à la latitude de cette île, le climat 
participe encore des avantages que j'ai déjà fait 
remarquer pour les pays situés plus au nord. Les 
brises y sont aussi fraîches et non moins régu- 
lières; dix ou quinze jours après que le soleil a 
repassé par le zénith du lieu, on s'y regarde 
comme délivré de mauvais temps. Le 1 5 novem- 
bre , on tire un coup de canon à Gorée , pour an- 
noncer que l'hivernage est passé. 

L'anse de l'Àiguade , qui reste dans le N.-O. de 
la rade, près d'un village nègre de la grande 
terre , est extrêmement poissonneuse ; la pêche à 
la seine offre une ressource certaine pour tous les 
bâtiments en relâche , quel qu'en soit le nombre (1). 
M. Rang , un des officiers de notre marine , bien 
connu par les services qu'il a rendus à la science 
et au commerce, m'a assuré que la belle collec- 
tion de poissons qu'il avait envoyée au Muséum 

(1) Voy. le mémoire cité de M. l'amiral Roussin , p. 37 et 65. 



SÉCHERIRS. 215 

d'histoire naturelle de Paris , pendant sa station à 
Gorée , provenait de deux coups de seine. Si Ton 
accordait la préférence à cette tle pour rétablisse- 
ment des sécheries , les navires expédiés de nos 
ports de France pourraient , après avoir effectué 
leur chargement de poisson sur les divers attérages 
de la côte , à partir du cap de Geer , venir l'y dé- 
poser en trois ou quatre jours, car ils seraient favo- 
risés dans cette traversée par les courants et les 
brises régulières d'E. N.-E. qui régnent habituel- 
lement dans ces parages. Les bâtiments de la ma- 
rine royale, chargés de la surveillance de nos 
possessions d'Afrique , seraient à portée de proté- 
ger nos pêcheurs , et les sécheries de Gorée au- 
raient la facilité de se pourvoir du sel nécessaire 
aux îles du cap Vert, où il abonde (1). 

Quant aux navires que les armateurs de Gorée 
on du Sénégal voudraient expédier directement à 
la pèche , bien qu'ils eussent à lutter contre les 
vents contraires et les courants pour atteindre 

(l) Le poisson est aussi très-abondant aux fies du cap Vert , 
selon le rapport des voyageurs qui ont visité ces parages. Voy., à 
ce sujet, Frezier, Relation du voyage de la mer du sud aux côtes 
du Chili et du Pérou, fait pendant les années 1712-1714, p. 11 
et 12. 



1IG CHAPITRE Y. 

les points où ils commenceraient leurs opérations, 
ce retard serait compensé au-delà par la promp- 
titude avec laquelle ils feraient leur retour. « La 
vitesse des courants généraux à la côte d'Afrique, 
dit M. l'amiral Roussin , reconnue par un très- 
grand nombre d'observations , n'a jamais passé 
un mille cinq dixièmes à l'heure sur la côte 
même et sur l'acore extérieure des bancs; le plus 
souvent, elle n'a été trouvée que de sept dixièmes 
à neuf dixièmes de mille. Cette vitesse doit géné- 
ralement diminuer d'un tiers et souvent même de 
moitié, quand on est à quatre lieues au large. On 
ne doit donc jamais craindre de ne pouvoir la re- 
fouler , si l'on avait dépassé une destination quel- 
conque; avec un bon bâtiment, et en faisant de 
grandes bordées, on pourrait toujours remon- 
ter (1). » 

La position géographique de Saint-Louis du Sé- 
négal et de Gorée ne faciliterait pas moins les ex- 
péditions directes, c'est-à-dire l'envoi des charge- 
ments de poisson aux colonies d'Amérique , car 
cette navigation offrirait alors bien moins de 

(4) Voir le mémoire cité de M. l'amiral Roussin , p. 52 et 55. 



SÉCHERIES. . 217 

chances par la brièveté du trajet et la faveur des 
vents. On sait que de la promptitude des arrivages 
pour les cargaisons de morue expédiées de nos 
ports de France ou des entrepôts de Saint-Pierre 
et Miquelon, dépend en grande partie le succès 
des expéditions. D'autre part, si Ton considère 
que le poisson salé de la côte d'Afrique pourrait , 
en raison de sa bonne qualité , offrir à nos popula- 
tions des Antilles une ressource alimentaire saine, 
en bon état de conservation , moins sujette à s'a- 
varier , et par conséquent préférable à la morue 
de Terre-Neuve , si l'on réfléchit que le transport 
et la vente dans nos colonies en temps opportun 
tourneraient au profit de notre commerce , en 
empêchant la concurrence des Américains, on 
comprendra de suite tous les avantages qui résul- 
teraient de l'établissement d'une grande séchecie 
dans les parages que j'indique. 

La consommation en morue dans nos Antilles 
est d environ 8,000,000 de kilogrammes, dont les 
Américains fournissent plus d'un tiers. La mau- 
vaise qualité des cargaisons françaises a excité 
souvent les plaintes des consommateurs ; le pois- 
son qui en provient arrive ordinairement en mau- 



318 CHAPITRE V. 

vais état , sa chair est friable , sans consistance, et 
sujette à s'avarier promptement. La morue améri- 
caine , au contraire , dont le transport s'opère en 
moins de temps , et qui arrive dans la bonne sai- 
son , est généralement reconnue de qualité supé- 
rieure ; aussi est-elle achetée par la population 
blanche à un taux beaucoup plus élevé ; et , tandis 
que son prix de vente est de 50 et parfois de 
60 francs les cent kilogrammes , la nôtre atteint 
à peine celui de 30 francs (1). 

Cette défaveur que la morue française est for- 
cée d'encourir dans nos marchés des Antilles 
provient de plusieurs causes, 1-es cargaisons ex- 
pédiées directement de Saint-Pierre et Miquelon 
pour nos colonies d'Amérique ont à supporter 
une traversée de vingt à vingt-cinq jours , et sou- 
vent plus encore. Ces expéditions, ne pouvant 
avoir lieu pendant les quatre mois d'hiver , arri- 
vent toutes de la fin d'août à la fin de septembre, 
c'est-à-dire à l'époque où la consommation en 
poisson salé est la moins forte , à cause de l'abon- 



(1) Voy. Marée, Dissertation sur plusieurs questions con 
cernant la pêche de la morue. Paris , 1851 . 



SÉCHERIES. 219 

dance du poisson frais (1). Les bâtiments qui par- 
tent de France ont encore à courir de plus mau- 
vaises chances, car leur cargaison, après une 
première traversée moyenne de vingt jours pour 
venir de la côte de Terre-Neuve dans les ports 
de la métropole , en ont à supporter une autre de 
trente à trente-cinq pour se rendre d'Europe en 
Amérique. Tous ces inconvénients disparaîtraient 
dans les pêcheries de la côte d'Afrique : les expé- 
ditions pourraient avoir lieu toute l'année en 
quinze ou dix-huit jours de traversée et même en 
moins de temps avec des bâtiments bons voiliers ; 
le poisson préparé dans les sécheries de Gorée ou 
de la côte arriverait dans les marchés des colo- 
nies en bonne condition , fournirait un aliment sain 
à la population noire , et , peut-être que mieux 
séché que la morue de Terre-Neuve , souvent ex- 
posée aux brumes, il serait recherché pour la table 
des blancs qui ne consomme jusqu'à présent que 
la belle morue américaine. 

Les Zaphàrines. Enfin, si le projet d établir des 
sécheries aux îles Canaries ou sur la côte occiden- 



(1) Voy. l'observation sur les poissons des Antilles, p. 40. 



MO CHAPITRE V. 

taie d'Afrique, présentait des inconvénients ou 
bien éprouvait des contrariétés que je ne puis pré- 
voir, il resterait la ressource de dépôts analogues 
à ceux de Dieppe, la Rochelle et Bordeaux. Mais 
pour que le poisson préparé à mi-sel , pour être 
complètement séché dans ces sortes d'établisse- 
ments, y arrivât le plus promptement possible, il 
serait important de choisir les points les plus rap- 
prochés des lieux de pèche ; et , dans ce cas , nos 
possessions algériennes me sembleraient seconder 
admirablement ces nouvelles entreprises. Douze 
ou quatorze jours de navigation suffisent ordinai- 
rement pour se rendre , avec les vents contraires , 
des tles Canaries dans le détroit de Gibraltar; or, 
en admettant que nos bâtiments pécheurs eussent 
à effectuer leur retour à partir du cap Bojador , 
par 26° 12', ou bien du cap Blanc, par 20* 48', 
cette différence de 2 à 8° environ ne pourrait 
guère leur occasionner que trois ou quatre jours 
de navigation de plus; et si à ce chiffre on ajoute 
encore 24 heures de traversée , pour la distance 
comprise entre le détroit et les points de la côte de 
l'Algérie (la baie d'Oran et les îles Zafarines) , où 
l'établissement des sécheries me paraîtrait le plus 



SÉCHERIES. 221 

convenable , on peut calculer à dix-huit ou vingt 
jours de navigation la traversée des lieux de pè- 
che les plus éloignés aux points que je signale. 
Ce laps de temps ne pourrait en aucune manière 
préjudicier aux cargaisons, car le poisson préparé 
à mi-sel est susceptible de se conserver pendant 
six semaines , et, dans bien des circonstances, les 
navires qui seraient favorisés par des séries de 
vents variables, comme cela arrive assez fréquem- 
ment , pourraient arriver en moins de deux se- 
maines à leur destination. 

Les sécheries des îles Zafarines et d'Oran , si- 
tuées pour ainsi dire à la porte de la Méditerra- 
née , offriraient l'avantage aux cargaisons qu'on 
expédierait aux colonies , de pouvoir disposer à 
leur gré de la faveur des vents pour franchir rapi- 
dement le détroit. La température de la côte sep- 
tentrionale d'Afrique faciliterait beaucoup les opé- 
rations du séchage , et assurerait au poisson une 
bonne conservation. Mes explorations dans la baie 
de Merz-el-Kebir et aux îles Zafarines m'ont mis 
à même de juger des avantages que présenteraient 
ces deux localités sous le rapport de la sûreté de 
l'ancrage , des influences du climat, de la position 



<ït2 CHAPITRE V. 

géographique et des ressources que Ton pourrait 
tirer de la côte voisine. Sous cette latitude , on 
n'aurait pas à redouterces brumes malencontreuses 
qui altèrent la morue de Terre-Neuve (1) ; la sé- 
cheresse de l'air et l'état de l'atmosphère réunissent 
toutes les conditions désirables. 

Depuis nos conquêtes en Afrique on a souvent 
fait mention de la baie de Mers-el-Kebir dans plu- 
sieurs ouvrages ou mémoires : les dépôts de la 
marine et de la guerre ont fait graver d'excellentes 
cartes (2) de cette partie de la côte , une des plus 
importantes de nos possessions algériennes; je 
renvoie donc à ces documents pour tous les ren- 
seignements locaux. Quant aux lies Zafarines, 
comme ce mouillage et les avantages qu'il offre 
sont beaucoup moins connus , j'exposerai ici mes 
propres observations. Ces Iles sont situées dans la 
Méditerranée, à soixante -cinq lieues environ du 



(1) La morue brumèe, c'est-à-dire celle qui est restée exposée 
à l'action combinée du soleil et des brouillards, dans nos sécheries 
de Saint-Pierre et Miquelon, est reconnaissante à sa couleur noirâ- 
tre; sa chair est sans consistance , friable, et arrive à une prompte 

décomposition. Voy. Marée, mémoire cité, p. 57. 

(2) Voy. carte des attérages d'Oran et d'Arzeu. Dépôt de la 
marine, n° 820. Plan du mouillage de Merz-el-Kebir, Id. n» 731. 



SÉCHERIES. 225 

détroit de Gibraltar, sur la côte d'Er-Riff, vers la 
frontière occidentale des anciens états de la Ré- 
gence. La Mulvia ou Mulouja forme aujourd'hui 
les limites naturelles entre nos possessions algé- 
riennes et l'empire de Maroc. 

Les Maures prétendent que ces limites doivent 
partir, comme au temps de Sbaw, d'un village 
en ruines situé à deux milles environ du cap Houe, 
mais on sait que ces lignes de démarcation n'ont 
jamais été réglées d'une manière précise. Depuis 
la conquête de la province de Telmsen par le dey 
d'Alger, le cours de la Mulouja (Mulvia), celui de 
l'Enza ou Er-Zha, qui vient se jeter dans la pre- 
mière à quinze lieues de son embouchure, sem- 
blent devoir constituer la ligne de démarcation 
la plus naturelle entre l'Algérie et l'empire de Ma- 
roc , dont la province d'Er-Riff forme aujourd'hui 
l'extrême frontière du côté d'orient. 

La distance qui sépare les Zafarines de la côte 
adjacente est d'environ une demi-lieue. On aper- 
çoit de ces tles la haute chaîne de l'Atlas, dont 
les pentes septentrionales descendent vers la pro- 
vince d'Er-Riff ou du rivage , pays encore moins 
connu des Européens que les contrées les plus 



*2t CHAPITRE V. 

éloignées du Nouveau-Monde. Le caractère hos- 
tile des habitants de ce littoral a rendu jusqu'à 
présent toute exploration impossible sur cette 
partie du continent africain. 

Les Zafarines présentent un excellent mouillage 
pour toute sorte de bâtiments, même pour les 
vaisseaux de guerre; leur possession doit d'au- 
tant plus nous intéresser que les côtes de l'Algérie 
offrent peu de bons abris. Ces fies, en s'étendant 
d'orient en occident , forment une ligne courbe 
dont les extrémités s'inclinent au midi. Leur si- 
tuation, par rapporta la côte adjacente, donne 
lieu à une vaste baie qu'elles bornent au nord et 
qui a deux grandes entrées , l'une à l'ouest entre 
le cap Rilbadana et la Zafarine la plus occidentale; 
et l'autre à l'est entre le cap del Agua et la plus 
grande des trois ou la Zafarine de l'est. Au sud 
de ces îles , à une portée de pistolet de terre, l'on 
trouve encore huit brasses d'eau sur un fonds de 
sable, et l'on est là parfaitement à l'abri des vents. 
La Zafarine de l'ouest, qui est la plus élevée, a en- 
viron un demi-mille de long sur un tiers de mille 
de large; celle du milieu, qui est la plus petite, n'a 
pas un demi-mille dans sa plus grande dimension; 



SÉGHER1ES. 225 

la plus orientale présente un amas de rochers qui 
occupent une étendue d'environ trois quarts de 
mille. Ces îles ne possèdent aucune source , mais 
en automne et en hiver les pluies y sont abon- 
dantes, et, si l'on y établissait un poste militaire , 
il serait facile de creuser des citernes pour la 
consommation journalière et même pour l'ap- 
provisionnement des navires en relâche. Dès lors 
cette station offrirait non-seulement toutes les res- 
sources nécessaires à un entrepôt de pèche , mais 
elle deviendrait en même temps d'une grande im- 
portance par le commerce qu'on pourrait faire 
avec la côte voisine et dont le monopole est main- 
tenant entre les mains de quelques juifs mogra- 
bîft&, établis à Gibraltar, qui savent se ménager 
des relations avec les populations d'er-Riff. Ces 
Riffèfios , comme les appellent les Espagnols, lais- 
sent aborder les bâtiments qui viennent trafiquer 
avec eux, malgré les prohibitions de l'empereur 
de Maroc , auquel ils refusent souvent de payer le 
tribut ; mais il faut prendre toutes ses mesures 
pour ne pas être dupe ou victime de leur mau- 
vaise foi. Les brigantinsde Gibraltar qui viennent 
traiter sur cette côte inhospitalière se tiennent 

45 



fc 2îft CHAPITRE V. 

toujours sur la défensive et ont soin d'exiger des 
otages, qu'ils gardent à bord jusqu'à ce qu'ils aient 
effectué leur chargement. 

Le commerce de la côte d'er-Riff consiste en 
blé et autres céréales , en bestiaux , en peaux et 
en laines. 

On achète le blé à une piastre forte la fanegue 
( mesure d'Espagne) rendue a bord. 

Les moutons sont de la grande race et ne va- 
lent qu'une demi-piastre , quelquefois moins. 

On paie les bœufs à raison de six piastres et 
les mules à dix. 

On trouve l'eau sur la côte voisine , vers le cap 
d'el Agua, le plus rapproché des tles Zafarines, 
et un bastion dans cet endroit serait plus profita- 
ble que les forteresses espagnoles de Helilla et de 
Ceuta. 

Le climat des Zafarines est heureusement tem- 
péré par les brises. Au mois de septembre 1830, 
époque de mon excursion dans ces tles et le 
long du littoral de l'Algérie , la chaleur était très- 
supportable. Plusieurs familles anglaises se réfu- 
gièrent aux Zafarines pendant l'épidémie qui 
désola Gibraltar , il y a quelques années , et y 



SÉCHER IKS. *27 

campèrent tout le temps que dura la contagion. 

J'ai pensé qu'il ne serait pas superflu de repro- 
duire à la suite de ces renseignements ceux que 
M. A. Bérard a donnés récemment sur la même 
localité. Les notions de cet excellent officier, en 
s'accordant avec ce que je viens de dire sur la sû- 
reté du mouillage des Zafarines, confirment mon 
opinion sur les avantages qu'offriraient aux arma- 
teurs les sécheries ou entrepôts de pèche qu'on 
établirait dans ces îles. 

M. le capitaine de corvette, A. Bérard, chargé, 
en 1833, par le ministère de la marine d'une 
reconnaissance générale des côtes de l'Algérie , 
a compris les Zafarines dans les limites de nos 
possessions africaines. 

« Ces îles, dit-il, sont situées au nord du cap 
d'el Agua , à un mille etdeux tiers de distance ; elles 
sont au nombre de trois , petites et très-voisines 
l'une de l'autre. La plus à l'ouest, qui a cent trente- 
cinq mètres de hauteur , est la plus élevée. 
Elle est séparée de celle du milieu par un canal 
d'un tiers de mille , a travers lequel on peut pas- 
ser, mais en rangeant de plus près l'île du milieu ; 
car au N. 5° E. de la pointe septentrionale, il y a un 

15 



2-28 CHAPITRE V. 

haut- fond de roches où Ton ne trouve que douze 
pieds d'eau , et qui n'en est éloigné que d' une en- 
cablure et demie. Tout le reste des environs est 
sain. 

» L'île du milieu a quarante-un mètres de hau - 
teur ; sa forme est presque ronde ; le petit canal, qui 
la sépare de l'Ile la plus à Test, est profond et sans 
aucun danger. Celle-ci n'a pas un demi-mille dans 
sa plus grande dimension ; elle est très-découpée, 
fort étroite en certains endroits. Elle a plusieurs 
sommets qui de loin ressemblent à autant d'î- 
lots, et dont le plus élevé peut avoir quarante 
mètres. 

» Ces iles offrent un mouillage assez sûr ; il faut 
se placer au sud de celle du milieu , à une enca- 
blure, par six ou sept brasses, ayant une amarre 
à terre et une ancre au large vers le sud-est. Le 
fond est très-bon. 

» Sur la plus grande il y a beaucoup de figuiers de 
Barbarie. Les environs abondent en poissons et en 
coquillages. Les rochers qui sont exposés au nord 
sont couverts de moules d'une très -grosse es- 
pèce. 

» Le canal qui sépare ces fies de la terre-ferme est 



I 
SÉCHERIES. 229 ! 



presque de deux milles ; on peut y louvoyer sans 
crainte (1). » 



CONCLUSIONS. 



Mais le succès des entreprises que je propose 
dépend en grande partie de la protection du gou- 
vernement : la sanction qu'il donnera à ce pro- 
jet et la part qu'il prendra à sa réussite, en stimu- 
lant le zèle des marins , détermineront les arma- 
teurs disposés à engager leurs capitaux dans cet{e 
nouvelle voie de spéculation. Sous une bonne di- 
rection , et la garantie de règlements tutélaires , 
la pèche de la côte occidentale d'Afrique est sus- 
ceptible d'un développement illimité. Une industrie 
qui peut donner tant d'activité à notre marine 
marchande réveillera sans doute la sollicitude du 
ministère. C'est en faveur de cette industrie que 

(1) Voy. Description nautique des côtes de l'Algérie, par 
M. A. Bérard, capitaine de corvette, p. 184. Paris, 1857. 

Voyez aussi la Carte particulière des îles Zafarines, levée en 
1855, par M. A. Bérard. Dépôt de la marine, n° 804. 

Voyez Esquisses des côtes de la province d'Oran , depuis les 
Iles Zafarines jusqu'à l'Ilot Colombi. — Plan des Iles Zafarines 
(1855). Dépôt de la marine , n° 757. 



230 CHAPITRE V. 

je réclame son patronage; ce sera en lui ac- 
cordant les mêmes encouragements qui ont porté 
la pèche des mers du nord au rang des plus 
grands commerces , en lui concédant les mêmes 
primes et les mêmes franchises, qu'il pourra en 
assurer le succès et en garantir l'avenir. 

La pêche n'exerce pas moins d'influence que 
l'agriculture dans le système politique et diététique 
des nations , par les entreprises qu'elle provoque 
et les intérêts qui s'y rattachent. Considérée 
comme l'agriculture des eaux, l'exploitation de 
la pêche donne des produits qui ne le cèdent en 
rien à ceux du sol ; car la mer s'ensemence d'elle- 
même , et , sans qu elle ait rien reçu du pêcheur, 
elle lui offre libéralement et lui livre toutes ses ri- 
chesses. Trois cents francs de froment coûtent 
souvent à obtenir plus de temps et de peine qu'il 
n'en faut pour pécher trois mille francs de pois- 
sons. Ces vérités, si hautement proclamées par 
Noël de La Morinière , sont comme des axiomes. 
Il importe donc à la France d'accélérer le déve- 
loppement de son système de pêche sur le vaste 
champ qui lui est ouvert, et qu'une nation rivale 
vient de faire explorer probablement dans le même 



SÉCHERIES. 251 

but. Les avantages que l'État doit retirer de cette 
entreprise sont immenses : du nombre des marins 
qui se dédieront à la pèche d'Afrique, résultera 
pour lui un accroissement de puissance par la 
force positive dont il pourra disposer au besoin ; 
le commerce recevra de nouveaux aliments et 
peut-être aussi une heureuse et utile direction 
vers des contrées qui lui ont été fermées jus- 
qu'ici ; la masse des subsistances sera doublée , 
et la pèche , cette grande ressource des popula- 
tions maritimes , portera ainsi la fortune publi- 
que au plus haut degré de prospérité. 



APPENDICE. 



APPENDICE. 



I. 



Premières entreprises des lslenos sur la côte occidentale d'Afrique, 
représailles des Maures et tentative de Georges Glas. 



Cette grande pêche que font les insulaires 
des Canaries sur la côte occidentale d'Afrique fut 
souvent inquiétée par les Maures , vers la fin du 
xvi e siècle. Les populations mograbines tentèrent 
à plusieurs reprises d'éloigner de leurs frontières 
ces hardis brigantins dont les nombreux équipa- 
ges les rendaient soupçonneux. Le souvenir des 
agressions qu'ils avaient souffertes justifiait leurs 
craintes et palliait en quelque sorte leurs avanies. 



236 APPENDICE. 

Dès le commencement du xv r siècle , Béthencourt, 
déjà maître de Lancerotte et de Fortaventure , 
avait poussé ses excursions en Afrique , explo- 
rant la côte depuis le cap Cantin jusqu'au-delà du 
cap Blanc. Dans une seconde expédition , les his- 
toriens Bontier et le Verrier le font débarquer vers 
le cap Bojador et pénétrer dans l'intérieur du pays, 
d'où il revient ensuite aux Canaries chargé d'es- 
claves et de chameaux (1). Les seigneurs de Lan 



(l) « Et quand M. de Béthencourt eust esté une pièce de teins 
» au pays, il print journée d'aller à la grand' Canare. Il ordonna) 
» que ee seroit le sixième jour d'octobre 1405. Et en icelle jour 
» née il fut prest pour y aller avec tous les nouveaux hommes qu'il 
» avoit amenés et plusieurs autres, et se mirent en mer, et se par- 
» tirent en trois galères , dont les deux estoient audit seigneur et 
» l'autre estoit venue du royaume d'Espagne que le roi lui avoit 
» envoyée. Fortune vint dessus la mer que les berges furent dé- 
» partis, et vinrent tous trois près des terres sarrazines , bien près 
« du port de Bugedor, et là descendit M. de Béthencourt et ses 
» gens , et furent bien huict jours dans le pays, et prindrent hom- 
» mes et femmes qu'ils emmenèrent avec eux, et plus de trois 
» mille chameaux ; mais ils ne les purent recueillir au navire, et 
» en tuèrent et jarérent, et puis s'en retournèrent à la grand' Ca- 
» nare, comme M. de Béthencourt l'avoit ordonné ; mais fortune 
» les print en chemin, que des trois barges l'une arriva en Erba- 
» nie (Fortaventure) et l'autre deuxiesme en l'Ile de Palme, et là 
» demeurèrent jusqu'à tant que l'autre barge, là où estoit M. dé 
• Béthencourt, fust arrivée en fesant guerre à ceux du pays. » 
(Bont. et Verr., Hist. de la première descouv. et conqueste de$ 
Canaries ,p. 179. 



APPENDICE. 257 

cerotte et de Fortaventure , héritiers de la con- 
quête de l'aventurier normand, imitèrent son 
exemple en se jetant avec audace dans la carrière 
ouverte à leur ambition. Diego de Herrera fit 
construire, en 1476, le château de Santa -Crux 
de Mar pequefia, sur l'extrême frontière du 
royaume de Maroc. 

Cette forteresse devint aussitôt le point de 
ralliement de toutes les expéditions destinées 
contre les Sarrasins : c'était de ce quartier 
général que partaient ces croisades canariennes 
dont on dissimulait le véritable but sous un pré- 
texte religieux. La conversion des infidèles à la 
foi chrétienne n'était qu'illusoire , et l'intérêt lu- 
cratif entrait en première ligne dans la masse des 
avantages qu'on retirait de ces entreprises à main 
armée. Enlever des esclaves , s'emparer de che- 
vaux de bonne race , faire main-basse sur tous 
les troupeaux et prêcher ensuite l'Évangile aux 
mécréants, qu'on emmenait en captivité , telle est 
l'histoire de ces invasions légalisées par les bulles 
de Rome pour justifier le droit du plus fort. Le 
pape Alexandre VI , en confirmant les prétentions 
du roi de Castille sur l'antique héritage des Pela- 



258 APPENDICE. 

ges (1) , autorisa une guerre qui n'eut d'autres 
résultats que le pillage et l'extermination. Don 
Pedro Hernandez de Saavedra, seigneur de For- 
taventure, et ses successeurs, se distinguèrentdans * 
des attaques réitérées , que les AdelarUados ou gou- 
verneurs conquérants de Ténériffe continuèrent 
ensuite jusqu'en 1541, toujours pour la plus grande 
gloire de Dieu et l'honneur de la chrétienté. Le 
père Âbreu Galindo fait mention de 46 expéditions 
de ce genre. Don Diego de Herrera , qu'on sur- 
nomma le vieux pour le distinguer de ses prédé- 
cesseurs, avait préludé à ces succès par la surprise 
de l'Adouar de Tagaost et la capture de cent cin- 
quante-huit Maures. S'il faut en croire les histo- 
riens (2), Augustin de Herrera, petit-neveu de 
Don Diego, exécuta quatorze descentes sur la 
côte d'Afrique, avec des troupes levées à ses frais, 
et montra dans toutes les rencontres un courage 
digne des temps chevaleresques. Athomar, un des 
principaux schérifs, ayant été vaincu dans un 
combat singulier par l'intrépide Canarien , acheta 

(i) Bulle du pape Alexandre VI, expédiée le 25 février 1494. 
(Voy Viera, Noticxaê de la hist. gen. de las Can. y t. n; p. 175.) 
(2) Viera, op. cit. y t. n, p. 177 et p. 420 et suiv. 



APPENDICE. 239 

sa liberté par la rançon de .cinquante esclaves (1). 
Don Augustin amena dans son domaine de Lan- 
cerotte plus de mille captifs. Ces Mauritaniens , 
dont il avait composé sa garde , formaient alors 
plusieurs compagnies connues sous le nom de 
Berberiscos. L'île de Fortaventure eut aussi ses mi- 
lices africaines ; et, lorsque Philippe III lança con- 
tre les Maures de la Péninsule son décret d'expul- 
sion , les îles Canaries furent exceptées de cette 
mesure et conservèrent encore long-temps leurs 
esclaves. Mais à cette époque la civilisation mar- 
chait déjà vers le progrès ; on avait mis fin à la 
guerre d'outre-mer; les prouesses des Herrera, 
des Lugo et des Saavedra n'étaient plus de mode, 
les mœurs avaient changé , et l'esprit d'associa- 
tion , dirigeant les Islenos vers un autre but, était 
venu remplacer l'humeur chevaleresque de leurs 
aïeux. 

Le gouvernement des îles, en se régularisant, 
s'occupa plus directement des intérêts du pays , 
et, dès le commencement de la découverte du Nou- 
veau-Monde, on vit l'activité des Canariens se tour- 



Ci) Viera, op. cit., t. ir, p. 527. 



240 APPENDICE. 

ner vers des entreprises plus lucratives et moins 
périlleuses. Les échecs qu'ils avaient éprouvés en 
Afrique les dégoûtèrent d'une conquête que de 
nouvelles disgrâces rendirent bientôt impossible. 
Le château de Santa-Crux de Mar pequeâa, attaqué 
plusieurs fois par des forces supérieures et long- 
temps défendu avec opiniâtreté , leur fut enlevé 
en 1524 , par le roi de Fez , après un siège des 
plus meurtriers. 

L'empereur Charles-Quint tenta vainement de 
ranimer l'ardeur des Isleiios par des concessions 
et des franchises , mais les licences qu'il octroya 
pour armer contre les Maures ne produisirent 
aucun résultat (1). Les maisons seigneuriales de 
Lancerotte et de Fortaventure, en perdant une 
partie de leurs privilèges , ne purent plus entraî- 
ner à leur suite des vassaux devenus sujets du roi 
de Castille et dégagés d'un honteux servage. Aussi, 
à peine abandonna-t-on le poste avancé qu'on avait 
établi sur le continent, que les Maures, devenus 

(1) Par décret du 5 août 1525, l'empereur concédait au ca- 
bildo de Ténériffe le cinquième des prises faites sur les ennemis , 
et déclarait en outre que ceux qui passeraient en Afrique pour 
faire des prisonniers ( que salieren a eautivar Moros) , seraient 
exempts du droit de quint. 



APPENDICE. -2A\ 

agresseurs, se vengèrent par de sanglantes repré- 
sailles de toutes les invasions qu'ils avaient souf- 
fertes. 

En 1569, une escadrille de neuf galères, por- 
tant sept étendards et six cents hommes de guerre, 
vint attaquer Lance rotte. L'expédition débarqua 
sans coup férir, mit le pays à feu et à sang , et 
amena en esclavage/ plus de neuf cents Islenos (1). 

Quatre ans après, une nouvelle tentative jeta 
l'épouvante dans la grande Ganarie. 

En 1 585 , Lancerotte Ait encore le théâtre d'une 
invasion. L'Algérien Amourat , que les Espagnols 
ont appelé Morato el Rets , sortit d'Alger avec trois 
galiotes, et vint à Salé, où il réunit à son expédi- 
tion trois brigantins de quatorze bancs, sur les- 
quels se trouvait un pilote très-pratique de la mer 
océane. Il partit avec cette flottille, et, se dirigeant 
sur les Canaries, il fut attaquer l'île de Lance- 
rotte. Amourat comptait sous ses ordres quatre 
cents Turcs et huit cents Barbaresques. S'il faut 
en croire la relation de Viera , il se cacha d'a- 
bord entre les rochers de la bande septentrionale 



(1) Viera, op. cit., t. u, p. 18*. 

16 



242 APPENDICE. 

de l'île et mit pied à terre pendant la nuit, 
marchant a la tète de sa troupe vers Téguise, 
pour emporter sans coup-férir le château Gua- 
napaya qui défendait la ville, et qu'il enleva 
d'assaut. Le gouverneur Don Diego de Cabre- 
ra-Leme fut tué sur les remparts après avoir 
fait une courageuse résistance. Les Africains vic- 
torieux pénétrèrent alors dans la place , brûlèrent 
les principaux édifices publics et continuèrent le 
pillage pendant un mois. Cette campagne valut 
à Amourat environ trois cents esclaves (1), un 
immense butin et 15,000 ducats que le marquis 
de Lancerotte, qui était parvenu à s'échapper, 
lui paya pour la rançon de sa famille. Les mal- 
heureux habitants eurent à déplorer la perte de 
dix mille fanègues de blé , et les précieuses ar- 
chives de la maison capitulaire devinrent la proie 
des flammes dans l'incendie de Téguise (2). Amou- 
rat ayant appris au retour de son expédition que 
Martin de Padilla , Adelantado mayor de Castille 

(1) Viera ne fait mention que de deux cents captifs, tandis que 
d'autres historiens ont porté ce nombre à quatre cent soixante- 
dix-huit. 

(«) Nunez de la Pena, Conquista y antiguedades de las isltu 
del Canaria, lib. m, cap. 9, p. 492. 



APPENDICE. 345 

et général des galères d'Espagne, l'attendait au 
passage du détroit , le rusé pirate relâcha à La- 
rache (el Araysch) , où il passa un mois ; cepen- . 
dant, profitant un jour d'un grand vent du sud- 
ouest, il se lança de nuit dans le détroit qu'il 
franchit rapidement, et, au moment d'en sortir 
du côté d'orient, il tira plusieurs coups de canon, 
se riant ainsi de ses ennemis à qui il voulait ren- 
dre le service de ne plus croiser inutilement. 

L'irruption des Barbaresques , en 1618 , ne fut 
pas moins désastreuse : Lancerotte ayant été en- 
vahie de nouveau par des forces considérables , 
la plupart des habitants se réfugièrent à Forta- 
venture. Ceux de la partie septentrionale de File , 
au nombre de neuf cents , qui s'étaient tenus ca- 
chés dans la caverne de los Verdes, pour se sous- 
traire à la fureur des ennemis , furent découverts 
par la trahison d'un des leurs et conduits en es- 
clavage (1). 

Pendant près de deux siècles , les Maures vin- 
rent désoler le pays à plusieurs reprises. Les îles 
de Canaria , de Fortaventura , de Gomere et de 



(1) Viera, op. cit., t. n, p. 185. 

16. 



î\\ APPENDICE. 

la Palme éprouvèrent successivement leur ven- 
geance (1). 

Durant cette guerre de piraterie , les pécheurs 
isleûos eurent aussi a se défendre contre les cor- 
saires barbaresques : bien des fois la brusque ap- 
parition des croiseurs de Maroc vint troubler leurs 
travaux et les obligea d'abandonner leurs para- 
ges accoutumés. Plusieurs brigantins canariens 
soutinrent de vifs engagements avec des galères 
de Fez, et furent contraints de céder devant 
des équipages bien armés et toujours supérieurs 
en nombre. 

Les lies Canaries , ruinées par un ennemi im- 
placable , dont l'impunité semblait chaque jour 
accroître l'audace , voyaient leur avenir compro- 
mis. La pêche avait perdu toute son activité , et 
le pays allait être privé de sa principale ressource. 
Dans des conjonctures aussi graves , le conseil de 
la province avait demandé à la métropole une fré- 
gate garde-côte pour la protection de ses pêche- 
ries. En 1698, le roi d'Espagne, sollicité de nou- 
veau par le gouverneur-général , rendit l'ordon- 

(i) Caslill., mM.,lib. ut. 



APPENDICE. 245 

nance si long-temps désirée , mais le royal décret 
ne changea rien a l'état des choses. Il autorisait 
seulement les îles Canaries à maintenir pour leur 
compte un bâtiment de guerre qu'elles devaient 
équiper à leurs frais. C'était exiger l'impossible : 
le trésor public ne put jamais fournir les fonds 
nécessaires à cet armement Enfin , la paix 
conclue entre S. M. catholique et l'empereur de 
Maroc vint mettre un terme à ces calamités , et 
les prétentions de la couronne de Castille sur l'an- 
cienne Mauritanie se réduisirent au droit de pè- 
che exercé par les Canariens le long de la côte 
adjacente. Dès lors les pécheurs cessèrent d'être 
inquiétés et purent exploiter librement les immen- 
ses ressources d'une mer poissonneuse , depuis le 
cap de Noun jusqu'au cap de Barbas. 

En 1764, George Glas, qui avait su apprécier 
tout le parti qu'on pouvait tirer d'un établissement 
situé dans ces parages , tenta d'exécuter un pro- 
jet que la jalousie de l'Espagne fit échouer pres- 
que aussitôt, malgré la protection que le minis- 
tère anglais paraissait accorder au chef de l'en- 
treprise. Il s'agissait de créer un comptoir au 
port de Guéder, sur les ruines du château de 



*40 , APPENDICE. 

Mat pequena. Après avoir exploré les lieux et 
s'être mis en rapport avec trois Maures influents, 
Salem ben Yathsoun , Yahia ben Hammed, Muzha 
ben Mahmud, qui devaient diriger les opérations 
en qualité de facteurs , Glas passa à Lancerotte 
dans l'intention d'y acheter un brigantin propre 
à la navigation de la côte. Mais l'ambassadeur 
d'Espagne à Londres , instruit de cette affaire , 
en avait donné avis à la cour de Madrid. Le gou- 
verneur des îles Canaries reçut l'ordre de surveil- 
ler toutes les démarches de l'aventurier écossais 
et de sévir contre lui. Arrêté à son début comme 
spoliateur des deniers de l'État (defraudador de la 
real hacienda) , Glas paya par une dure captivité 
sa téméraire entreprise. Après un an de détention 
dans le château de Saint - Christophe , à Sainte- 
Croix de Ténériffe , il fut réclamé par le gouver- 
nement anglais, et n'obtint sa liberté que pour pé- 
rir, quelques semaines plus tard , victime d'une 
affreuse catastrophe. 

L'établissement de Guéder avait été bientôt 
abandonné après le départ du chef pour Lance- 
rotte. Les Maures, toujours soupçonneux, pro- 
fitèrent d'une rixe pour massacrer les Anglais 



APPENDICE. 247 

qui étaient venus fonder la nouvelle colonie. La 
femme et la fille de Glas , aidées d'un serviteur 
fidèle et de quelques matelots, parvinrent à s'échap- 
per dans deux chaloupes et se réfugièrent aux 
Canaries. A la sortie de sa prison , Glas rejoignit 
sa famille et s'embarqua pour Londres à bord d'un 
bâtiment richement chargé qui fit voile du port 
de l'Orotava ; mais , pendant la traversée , les gens 
de l'équipage formèrent le complot de s'emparer 
de la cargaison et d'égorger tous ceux qui pou- 
vaient s'opposer à leur dessein. L'intrépide aven- 
turier reçut la mort au moment qu'il s'apprêtait 
à venger celle du capitaine ; son épouse et sa fille 
furent jetées à la mer, et le navire arriva en Ir- 
lande , où un jeune mousse, que les matelots avaient 
épargné , révéla à la justice du pays cet horrible 
attentat (1). 

Telle fut la fin déplorable de cet homme qui , 
par ses connaissances nautiques, son esprit ob- 
servateur et une expérience acquise par de longs 
voyages , réunissait toutes les qualités nécessaires 
à la direction des grandes entreprises. 



(4) Viera, op. cit., t. u, p. 191 et suiv. 



248 APPENDICE. 

Aujourd'hui les Islenos ne verraient plus avec 
ombrage , comme au temps de Glas , une nation 
étrangère venir s'installer dans le voisinage de 
leurs pêcheries. La métropole, qui leur a laissé 
enlever la position qu'ils avaient conquise en 
Afrique , ne saurait revendiquer des droits qu'elle 
a perdus , et le gouvernement des îles , qui com- 
prend mieux les intérêts du pays , s'empresserait 
d'ouvrir ses ports à nos armateurs. Quant à l'em- 
pereur de Maroc , il n'a plus de marine à oppo- 
ser aux entreprises qu'on tenterait le long d'une 
côte où il n'exerce aucune autorité. Sa puissance 
et son pouvoir ne s'étendent pas au-delà du cap 
de Noun , et les besoins réciproques , les avanta- 
ges du trafic et des débouchés pour les marchan- 
dises des caravanes , assureraient la bonne intel- 
ligence avec les populations du littoral. Soit que 
la France voulût occuper encore son ancien éta- 
blissement d' Arguin , ou bien qu'elle en fondât un 
nouveau aux embouchures des rivières de Noun 
et de la Schilma , au Rio de Oro ou ailleurs , ce 
point pourrait devenir d'une grande importance 
sous le double rapport de la pêche maritime et 
du commerce intérieur. Mais des considérations 



APPENDICE. 349 

politiques, qu'on comprendra facilement sans qu'il 
soit nécessaire de les développer ici, me sem- 
blent devoir faire accorder la préférence à un 
poste militaire situé au port de Guéder ou dans ce 
voisinage. Ce poste , dans les circonstances actuel- 
les, serait d'un intérêt majeur : placé sur l'ex- 
trême frontière du Moghreb-el-Acsâ , il pourrait 
entretenir une surveillance opportune sur les me- 
nées du gouvernement de Maroc, qui ne voit pas 
sans jalousie le développement progressif de no- » 
tre domination en Afrique , et dont les protesta- 
tions astucieuses et les traités, presque aussitôt 
violés que consentis, ne sauraient garantir la 
prétendue neutralité. 



250 APPKNDICK. 



II. 



De l'économie de la pêche et des moyens de préparation en usage chez les 
anciens et au moyen-âge pour la conservation du poisson saie, sec ou 
mariné. 



Envisager la pèche sous le rapport de ses pro- 
duits, indiquer les préparations auxquelles on 
peut les soumettre et faire entrevoir les avanta- 
ges que le commerce pourrait en retirer , tel est 
le but que je me propose dans ce dernier article. 

Les moyens que Ton emploie maintenant pour 
s'emparer du poisson , bien que très* variés , ne 
sont pas le fruit de cette marche progressive de 
l'industrie , qui produit chaque jour des résultats 
si étonnants. L'expérience des pécheurs et le 
perfectionnement des arts industriels ont amené 
sans doute quelques améliorations utiles dans 
certains instruments de pèche , mais en général 
les moyens employés sont restés à peu près les 
mêmes. Attirer les poissons par des appâts et les 
retenir par des crochets que cachent ces trom- 
peuses amorces , les cerner ou les enlacer dans 
des filets , sont autant de vieilles ruses dont l'ori- 



APPENDICE. 051 

gine se perd dans la nuit des temps. Homère, dans 
son Odyssée (1), parle de la pèche au hameçon et 
de celle au filet : il compare les amants de Péné- 
lope expirants aux poissons qui palpitent en tas sur 
le rivage où les pécheurs viennent de vider leurs 
rets. Hésiode place sur le bouclier d'Hercule un 
pécheur attentif, prêt à jeter ses filels sur des 
poissons que poursuit un dauphin (2). 

Les anciens connurent bien mieux que nous 
tout ce que l'intelligence consommée de l'art de 
la pèche pouvait offrir d'heureuses ressources. 
Sous les Grecs, l'art de la pèche devint une indus- 
trie des plus lucratives et des plus générales; on 
fit dans les lieux favorables de grands établisse- 
ments de salaison qui se transformèrent en villes 
opulentes : Byzance et Synope fleurirent surtout 
par cette cause; et ce fut l'abondance des poissons 
qui valut au port de Byzance le nom de Corne dorée. 
Les particuliers faisaient à ce commerce des for- 
tunes rapides, et les anciens comiques se sont 

(1) Liv. un, v. 584. Dans un autre passage il se sert d'une 
comparaison analogue au sujet des six compagnons d'Ulysse que 
Scylla vient d'emporter dans son gouffre ténébreux. 

;2) Aoniç HpaxW»; , 219. 



253 APPENDICE. 

moqués plusieurs fois d'un marchand de saline, 
nommé Cherephile , devenu citoyen d'Athènes, et 
dont le fils dépensait en débauches la fortune que 
ce père laborieux avait amassée (1). 

Plus de quatre cents noms de poissons connus 
des Grecs sont parvenus jusqu'à nous : « Cette 
» abondance de mots , a dit Buffon , cette richesse 
» d'expressions nettes et précises ne supposent 
» elles pas la même abondance d'idées et de con- 
» naissances? Ne voit-on pas que ces gens qui 
» avaient nommé beaucoup plus de choses que 
» nous , en connaissaient par conséquent beau- 
» coup plus. » Tout ce qu'Aristophane et les au- 
tres poètes comiques nous disent sur la diététique 
des Grecs prouve que le poisson frais et salé fat 
à cette époque un article de commerce très-im- 
portant. Athénée cite environ deux cents passages 
d'auteurs et d'ouvrages , aujourd'hui perdus , où 
il était question de différentes préparations culi- 
naires et conservatrices. Xénocrate, Eschyle et 
Sophocle n'ont pas dédaigné de parler des assai- 
sonnements, et Archestrate, qui guida Épicure 

(1) foy. Cuvier, tft«f . nat. des poissons, t. i, p. 10. 



APPENDICE 253 

dans la recherche de la sensualité , dut en décrire 
un grand nombre dans son poème de la Diepnolo- 
gie , précieuse opsopée dont les gastronomes mo- 
dernes déplorent encore la perte. On avait poussé 
si loin à Athènes la prédilection pour les produc- 
tions de la mer que , par une loi de police , il était 
prescrit d'appeler sur-le-champ les acheteurs au 
bruit de cylindres d'airain pour que chacun pût 
se procurer du poisson frais, au moment où il 
était apporté au marché. On assure même que , 
pour obliger les marchands à le .vendre plus vite , 
il leur était enjoint de se tenir debout. 

Lorsqu'on lit avec attention tout ce que Noël 
de la Morinière a écrit sur l'art de la pêche sous 
la période grecque, on reste convaincu que 
les anciens furent nos maîtres dans cette grande 
industrie maritime , bien que nos moyens d'action 
soient aujourd'hui plus puissants et plus expé- 
ditifs. Pour preuve de mon argument, je résumerai 
ici dans une courte analyse les renseignements 
que me fournit l'érudition de mon auteur. 

a A cette époque fatale aux mœurs de la Grèce, 
où le luxe et l'amour de la table trouvèrent dans 
l'extension de la pêche tant de moyens de se sa- 



354 APPENDICE. 

tisfaire, il se fit une grande révolution dans le 
commerce et la navigation. La pêche contribua 
éminemment à en accroître les avantages , à me- 
sure qu'elle en multipliait les matières. 

» Le poisson salé était devenu .l'objet d'un 
commerce immense avant même le règne d'A- 
lexandre, et dans les derniers siècles de la liberté 
de la Grèce. C'est une vérité attestée par tous les 
historiens. La pêche avait puissamment secondé 
l'accroissement politique des deux principales ré- 
publiques de cette belle contrée , celles d'Athènes 
et de Sparte, en leur fournissant des hommes néces- 
saires à l'équipement de leurs flottes. Ellessentirent 
tout le prix de l'exploitation de cette grande indus- 
trie. Les pêcheries du Pont-Euxin et du Palus-Méo- 
tides devinrent pour elles ce que, dans une circon- 
stance semblable , furent depuis le banc de Terre- 
Neuve pour les peuples maritimes de l'Europe oc- 
cidentale , durant les deux siècles qui suivirent sa 
découverte. Les Grecs estimaient en négociants 
les produits de la pêche : le poisson sec ou salé , 
l'huile, la colle, etc. , consommés par la classe 
du peuple , l'emportaient , pour l'utilité générale 
des métropoles), sur les aromates et les épiceries 



APPENDICE. 255 

destinés à la consommation du riche. Aussi, on 
les vit se livrer à la pêche avec ardeur ; ils y em- 
ployèrent des milliers d'esclaves et les accoutu- 
mèrent à la profession de pécheurs et d'hommes 
de mer. 

» Les Grecs ne se bornèrent pas à la pêche de 
certaines espèces plus particulièrement estimées ; 
leurs spéculations embrassaient toutes celles qui 
nageaient en grande troupe , et qu'il fallait aller 
chercher au loin sur les côtes des différentes co- 
lonies qu'ils avaient fondées dans l'intérêt de leur 
commerce. Mais un régime introduit par la vio- 
lence et maintenu par l'oppression tendait à re- 
lâcher les rapports qui unissaient ces colonies 
avec les métropoles, et quand la puissance ro- 
maine commença à prévaloir, la pêche, le com- 
merce et tous les avantages que la Grèce retirait 
des contrées soumises à sa domination , passèrent 
au pouvoir des vainqueurs (1). » 

Ainsi, les Romains, devenus les maîtres du 
monde , continuèrent à leur profit le système de 
pêche organisé par leurs devanciers, et cette 



(1) Voy. HUt. gènér. des pêche*, ch. m et iv. 



25f> APPENDICE. 

grande industrie prit bientôt sous leur direction 
une impulsion nouvelle. Le besoin d'équiper des 
flottes nombreuses , surtout depuis les guerres pu- 
niques jusqu'à celle qui décida du sort de Rome , 
quand la fortune de César l'emporta sur les desti- 
nées de Pompée , avait rendu la pèche doublement 
nécessaire. « Les équipages des galères romaines, 
observe La Morinière , étaient , à la vérité , plutôt 
composés de rameurs que de marins proprement 
dits ; mais ces derniers n'en étaient pas moins re- 
cherchés, parce qu'ils étaient plus familiarisés 
avec l'élément sur lequel il fallait combattre. » 

La protection que les Romains accordèrent à la 
pêche avança beaucoup ses progrès; mais, parmi 
les causes qui la mirent le plus en faveur , il ne 
faut pas oublier la loi Licinia , par laquelle il était 
prescrit de ne manger, en certains jours de l'an- 
née , que du poisson salé et de la viande sèche ; 
puis la fête des pêcheurs qu'on célébrait en 
grande pompe le III des nones de juin. 

Lorsque de nouvelles conquêtes eurent accu- 
mulé les richesses dans la ville de Romulus , les 
heureux dominateurs, blasés sur toutes les jouis- 
sances , ne mirent plus de frein à leurs passions , 



APPENDICE. 257 

et voulurent acheter les plaisirs à tout prix. Ce 
fut alors que prirent naissance ces viviers fameux, 
dont Yarron et Golumelle nous ont laissé des des- 
criptions si curieuses. Licinius Murœna fut le pre- 
mier qui en fit construire sur les bords de la mer , 
afin de les alimenter avec l'eau salée. Les Philip- 
pus , les Hortensius et les plus riches patriciens 
suivirent cet exemple. Plusieurs de ces réservoirs 
avaient des formes monumentales ; chaque espèce 
de poisson y avait son compartiment : on y élevait 
des turbots et des soles, des dorades , des sciènes 
et toutes sortes de coquillages ; mais le plus grand 
nombre était plus particulièrement destiné à ren- 
fermer des murènes, qu'on faisait venir à grands 
frais de tous les points de la Méditerranée. Lucul- 
lus , ce fastueux Romain que Pompée appelait le 
Xerxès en toge, fit couper une montagne dans 
les environs de Naples , pour ouvrir un canal et 
faire remonter lartber et les poissons jusqu'au mi- 
lieu de ses jardins* Chacun voulut se distinguer 
par ses extravagances , l'amour des poissons fut 
poussé à son comble ; on se passionna pour les 
murènes : l'orateur Hortensius pleura la mort de 
celle qu'il avait nourrie de sa main , et la fille de 

17 



25B APPENDICE. 

Drusus orna les siennes avec des anneaux d'or. 
L'industrie excitée par le luxe opère presque des 
prodiges : on apprivoisa les poissons et on les vit 
même accourir à la voix du maître. 

C'était dans ces viviers que les conquérants du 
monde péchaient , pour ainsi dire , au plat. Hir- 
rius , qui se rendit célèbre par ses dépenses , don- 
na, dit-on, un repas à César dans lequel il fit 
servir six mille murènes prises dans ses étangs. 
Mais à ces prodigalités déjà si condamnables et 
qui approchaient de la folie , vinrent se joindre 
des actes de la cruauté la plus féroce. Nous serions 
peut-être tenté de révoquer en doute le témoignage 
de l'histoire , si le vertueux Sénèque n'avait con- 
firmé dans ses écrits l'action atroce de Pollion, 
qui fit jeter ses esclaves dans ses viviers pour en- 
graisser les murènes. 

Mais hâtons-nous de passer ces tristes pages , 
pour arriver aux notions intéressantes que nous 
ont transmises Elien et Oppien sur la pêche de 
cette époque de gloire et de honte. Elle se faisait, 
comme chez les Grecs , le long du rivage ou en 
pleine mer ; les compagnies de pécheurs entre- 
prenaient même de longs voyages , et avaient éta- 



APPENDICE. 269 

bli des pêcheries jusqu au-delà des colonnes d'Her- 
cule , pour approvisionner la capitale du monde. 
Les instruments que Ton employait étaient le 
harpon , la ligne (1) , le filet et la nasse ; ainsi, à 
cet égard , on voit que nous n'avons fait qu'imi- 
ter. La connaissance des différentes dispositions 
de l'air favorables à la pêche n'était pas moins 
appréciée par les pécheurs d'alors que par ceux 
d'aujourd'hui. Us savaient profiter des heures du 
jour et de la nuit les plus propices , soit avant le 
lever, soit après le coucher du soleil et de la lune. 

(1) « On composait les Lignes avec du fil de crin, simple, dou - 
ble ou tors : les crins de cheval étaient préférés à ceux de jument. 
On en formait aussi avec des soies de sanglier ; les noires n'étaient 
pas aussi estimées que les blanches. Suivant Elien on les teignait 
de diverses couleurs. La verge ou canne qui supportait la ligne 
était choisie et appropriée à la pesanteur présumée du poisson 
qu'on voulait prendre , et à la résistance qu'il pouvait opposer. 
Les hameçons étaient de cuivre ou de fer étamé, simples ou à 
plusieurs branches, et de grosseurs différentes... 

» Lorsqu'on se proposait de pécher des poissons pourvus de 
dents assez fortes pour couper la ligne , on ajustait au-dessus de 
l'haim une emboîture de corne pu de toute autre matière dure , 
telle que le cuivre ; on la garnissait même dune chaîne de fer, 
quand on voulait prendre des requins ou autres poissons sem- 
blables. On trouve à cet égard beaucoup de détails dans les ou- 
vrages des anciens. Les appâts dont on usait pour la pèche des 
gros poissons étaient nécessairement choisis dans le rapport de 
leur appétit. » 

Noël, Hist. gin. des pêches, p. 188 et 189. 

17. 



260 APPENDICE. 

Ils mettaient un soin particulier dans le choix des 
amorces pour la pêche à la ligne. Quand ces ap- 
pâts étaient naturels, ils consistaient en petits 
poissons , en larves (vers ou insectes) , quelque- 
fois en poumons , en foie de porc et de chèvre ; 
on y employait aussi les pourpres et les polypes , 
ou bien encore on se servait d'intestins d'ani- 
maux saturés d'extraits de myrte ou d'autres 
plantes aromatiques. Oppien , puis après lui Cas 
sianus Bassus et d'autres écrivains du Bas-Empire 
ont décrit un grand nombre de recettes d'appâts, 

dont les pécheurs faisaient usage. La variété de 

« 

ces compositions était fondée sur la différence des 
appétits des poissons. C'était d'après ces principes 
qu'on péchait la dorade avec le mendole , et l'es- 
padon avec le muge. « Le lycostome (1) , dit Op- 
pien y était un des meilleurs appâts pour la pèche 
des sargues : dès qu'on leur avait lâché une cer- 
taine quantité de cette amorce , ils se pressaient 
en foule pour se disputer la proie , et les pêcheurs 
attentifs profitaient de cet instant pour décrire au- 
tour d'eux une enceinte de filets où ces poissons 
laissaient la liberté et la vie. » 

(l) Espèce àeClupée. 



APPENDICE. 261 

Les Romains eurent aussi recours aux amorces 
factices , et l'art d'imiter les mouches avec des 
plumes d'oiseaux n'a peut-être jamais été pousse 
si loin de nos jours, même en Angleterre. La 
pêche au flambeau , pendant la nuit , pour attirer 
le poisson à l'éclat de la lumière, n'était pas non 
plus négligée : il en est question dans les auteurs 
du temps. 

La pêche au filet avait aussi ses méthodes par- 
ticulières que nous n'avons imitées qu'en partie. 
Le chanvre , le lin et le sparte étaient employés 
tour à tour dans la fabrication de ces rets, qu'on 
soumettait à différents tannages pour les rendre 
plus durables. Les pécheurs les tendaient le long 
des rivages ou dans la haute mer. Les couranlilles 
volantes, imitées des Grecs , leur servaient à cer- 
ner les grandes bandes de poissons de passage , et 
les tonnares ou madragues les arrêtaient dans leur 
marche. Ces dernières avaient de grandes dimen- 
sions : elles étaient en sparterie et placées à de- 
meure vers les bouches du Bosphore , le long des 
côtes de l'Italie , de la Sicile et de la Sardaigne , 
dans la mer Ligurienne et le golfe de Naples, 
près du détroit de Messine et de Bonifacio, à l'en- 



903 APPENDICE. 

trée de F Adriatique , vers le détroit de Gadès et 
dans les stations poissonneuses de la côte d'Espa- 
gne et de la Gaule narbonnaise. Strabon mentionne 
plus particulièrement les madragues de l'île d'Elbe. 

Sous Rome impériale , les plus riches patriciens 
s'étaient adonnés à la pèche. Les Césars eux -ma- 
rnes ne dédaignèrent pas cette distraction : Au- 
guste en avait fait ses délices ; elle fut un délasse- 
ment pour An ton in et pour Commode. Antoine et 
Cléopâtre s'étaient donné le plaisir de la pèche 
dans le Nil; et le Tibre vit Néron en faire l'amuse- 
ment de ses premières années. Ce prince se ser- 
vait de filets d'or , dont les cordages étaient teints 
en pourpre (1). D'Aquino , dans son poème , a dé- 
crit cette pèche qui plaisait tant au jeune empe- 
reur (2). 

Toutefois les Romains ne s'en tinrent pas seule- 

(1) »Piscatusest rete aurato, pur pur eo coccoque nimbus tex- 
(is. » Suetonius, ix,50. 

(2) Hanc olim Augustum vttam coluisse Neronem 
Fama refert, Latiis quod protulit édita fastis, 
Tybridis in gremio, pretioso condita filo, 
Retia mittebat , radiis qui staminis aurei 
Squamosum allicuit genus ; et , sua funera qusrens , 
Fulgentes ultro laqueos cassemque subibat. 

T. N. d'Aquino, Deliciœ tarentinœ, il, 177. 



APPENDICE. 363 

ment à la pèche vulgaire , ils osèrent aussi atta- 
quer les animaux marins les plus redoutables, et 
les baleines, qui, à cette époque, pénétraient dans 
la Méditerranée, devinrent la proie des pêcheurs. 
D'après les renseignements d'Oppien , cette pè- 
che , bien qu'accidentelle , ressemblait beaucoup 
à celle que font nos baleiniers. La ligne que l'ani- 
mal devait entraîner en plongeant , était garnie de 
grandes outres remplies d'air , à la manière des 
kamtschadales. La description d'Oppien est re- 
marquable par ses détails, et semble pleine de vé- 
rité. « Au moment de l'attaque, dit-il , le monstre 
» s'enfonce dans les profondeurs de la mer , et les 
» pécheurs attendent avec anxiété l'instant de 
» son retour. Des barques légères sillonnent la 
» crête des vagues ; et se portent rapidement vers 
» le champ de bataille , où doit s'engager une 
» lutte dont le succès va fixer tous les regards. 
» On s'excite, on s'encourage au combat; un 
» bruit confus règne sur la mer ; on dirait qu'il 
» s'agit d'une action générale ; tous se dirigent 
» vers le même point. Armés de lances garnies 
» d'un double fer , ils attaquent de nouveau la ba- 
» leine ; son sang ruisselle de tout côté , et la mer 



964 APPENDICE. 

» en est teinte jusqu'à une grande distance. Ce- 
» pendant l'animal , semblable à un vaisseau qui 
» brave la foudre , n'en fait pas moins tête à l'o- 
» rage : d'un seul mouvement de sa queue, il 
» écarte les barques dont il est entouré , et parait 
» braver tous les efforts des assaillants. .. Le mo- 
» ment décisif est arrivé ; la baleine , blessée mor- 
» tellement , inonde encore ses ennemis d'un dé- 
» luge d'eau ; mais rien ne peut plus ralentir leur 
» ardeur... le monstre succombe et reste immo- 
» bile comme un vaisseau pris dans un combat. 
» Alors les vainqueurs l'amènent à terre en pous- 
» sant mille cris de joie (1). » 

Certes nos baleiniers ne montrent pas plus de 
courage , et les annales de nos pêches ne nous 
donnent pas de meilleures descriptions. 

Mais ce fut surtout dans l'art de saler le pois- 
son , que les Romains se distinguèrent sur tous les 
peuples. Cet art, qui se perfectionna sous les em- 
pereurs , s 1 étendit à un très-grand nombre d'es- 
pèces. Toutefois , par la dénomination générale 
de poissons salés , il faut entendre non-seulement 

(1) OHIUANOZ, ÂXicutixûv, V, 114. 



APPENDICE. 265 

les poissons préparés avec le sel, mais encore 
tous ceux qui étaient marines avec des graines 
ou des herbes aromatiques. Ainsi , d'après les sa- 
vantes recherches de Noël de La Morinière , il y 
avait des salines crues et des salines cuites, et dans 
plusieurs de ces dernières le poisson n'était pré- 
paré qu'avec des aromates précieux. « Il serait en 
effet difficile d'admettre , ajoute Noël , que les sy- 
barites de Rome, qui faisaient venir à grands 
frais de la Perse , de la Golchide , de l'Inde , les 
oiseaux et les poissons les plus rares , trouvaient 
dans le thon , la pélamide , le coracin et l'orphe 
salés, des aliments délicats, propres à satisfaire 
la sensualité dont ils faisaient profession. » 

Cet art de conserver le poisson, en le préparant 
de différentes manières, avait fait de rapides pro- 
grès. On s'était appliqué à rechercher toutes les 
espèces qui , en flattant le goût , pouvaient of- 
frir de nouveaux aliments à la consommation gé- 
nérale, et entretenir ainsi un commerce actif 
entre les villes de l'Italie et les colonies mariti- 
mes. On salait alors le muge que nous dédaignons 
aujourd'hui , et ses œufs fournissaient une poutar- 
gue dont le peuple faisait grand cas. Le xiphias 



i86 APPENDICE. 

espadon , que nos pécheurs ont cessé de poursui- 
vre , était soumis à la même préparation , et le 
nom du promontoire Xiphanion(i) y allusif à cette 
espèce , témoigne de la pêche abondante qui se 
faisait dans ses eaux (2). 

Les gros poissons , séparés par tronçons, étaient 
soumis à des apprêts simples ou composés qu'on 
distinguait par des noms particuliers. La nomen- 
clature des espèces le plus en crédit parmi les 
consommateurs^ serait trop longue à énumérer; 
je me contente de citer les principales : le Congre 
de Sinope, la Pelamide de Byzanee, le CoUas 
d'Espagne, la Squaline de Srnyme, le Thon de 

m 

Gadès, l'Espadon de Sicile, le Mulle d'Exone, 
les Scares d'Éphèse , le Pagre d'Ilalie , les Anguil- 
les de Sir y mon, les Coracins du Nil , etc. Tous ces 
noms, consacrés aux poissons reconnus de qualité 
supérieure, étaient, pour les gourmets de ce temps- 
là, autant de titres de recommandation pour les 
villes ou les parages qui s'étaient acquis une ré- 

(1) Près de Tauroinenium et de l'embouchure du fleuve Acis. 
Voy. Goltzius , Historia urbium et pcputonm Ormciœ, ex <m- 
tiçuis nummis restituta , 72. 

(2) Voyez au catalogue les renseignements d'Athénée sur |a 
pèche de l'espadon. 



APPENDICE. 967 

putation méritée dans Fart des préparations. Mais 
la plupart des espèces que je viens de nommer 
ont perdu de nos jours la faveur dont elles joui- 
rent ; le Coracin du Nil , par exemple , qu'Athé- 
née avait décrit , et qu'il était dû au vénérable 
Geoflroi de Saint-Hilaire de nous faire mieux con- 
naître , n'a plus de renommée que dans les livres 
des savants. Ainsi encore , le thon, que nous ma- 
rinons simplement dans l'huile , mais que nous ne 
sommes plus dans l'usage de saler et de sécher, 
formait alors , dans ce dernier état , une branche de 
commerce considérable. Les Romains avaient ap- 
pris des Grecs une manière de le conserver qui 
s'est perpétuée jusqu'à nos jours, avec certaines 
modifications , chez les Italiens et les Espagnols: 
c'est celle qu'on désigne sous le nom d'Escabeche, 
méthode culinaire qui consiste à faire frire le pois- 
son dans l'huile avec du laurier, du sel et des 
épices, et à l'arroser ensuite avec du vinaigre 
bouillant. Cette méthode est particulièrement em- 
ployée pour les espèces de la famille des scom- 
bres; mais elle est aussi applicable aux poissons 
blancs , tels que les pagres , les dorades et même 
les grandes percoïdes. 



968 APPENDICE. 

Les habitants de l'archipel de la Grèce furent 
les premiers qui s'adonnèrent à la préparation du 
thon. On salait ce scombre dans l'Eubée, à Samos, 
et plus spécialement sur les côtes d'Icarie , la pois- 
sonneuse. Les anciens noms de Cetaria domitia- 
na(l) et de Terra cetaria (2), en indiquant les 
parages où les Romains avaient établi leurs ton 
nares, témoignent de l'importance qu'on attachait 
à la pèche de ce poisson. 

Dans la mer tyrrhénienne , Tarente s'était ac- 
quis une grande réputation par ses salines et l'ex- 
cellente qualité de thon qu'on exportait au loin. 
Le thon salé des côtes de Sicile , notamment ce- 
lui de Gefalo , n'était pas moins renommé que ce- 
lui de l'archipel et de Tarente ; Silius Italicus en 
fait mention : 

Qusque procelloso Cephalœdias ora |>rofundo 
fteruleis horrel campis pascentia celé. 

SU. liai., xiv, 25*. 

L'antique Cetalriga , cette colonie phénicienne 

(1) Près Orbitello et de Santo-Stefauo , selon Targioni , Rcla- 
xioni d'alcuni viaggi , îx, 515. 

(2) La Terra cetaria s'étendait depuis Ségesle jusqu'au cap 
appelé aujourd'hui Santo-Vito. Yoy. Cluverius, Sic. Antiq. 41, 
c. 3 , 370 , et Fazello , De rébus siculis, vu , c. 5 , 56. 



APPENDICE. 26!) 

située sur la côte de la Lusitanie méridionale, à 
l'embouchure de la Guadiana, conserva sous les 
Romains toute son ancienne importance , à cause 
de ses madragues et de la grande quantité de thons 
qu'on salait le long de ses plages aujourd'hui en- 
vahies par la mer. 

Resende, dans ses Antiquités du Portugal, as- 
sure que de son temps on voyait encore les ruines 
des salines de Cetobriga (1). Neocetobriga la nou- 
velle ville qui s'éleva non loin de l'ancienne, et 
que les Portugais ont appelée Setuval , continua le 
commerce du thon salé qui avait enrichi la ville 
grecque. L'historien Castro confirme à cet égard 
le témoignage de Resende : « Cetobriga , dit-il , 
» signifie cité de grands et nombreux poissons ; 
» ce nom est dérivé de Briga, qui dans la langue 
» des anciens Lusitaniens voulait dire ville ou for- 
» teresse, et de cete, poisson grand (le thon). 
» Barreiros est de cette opinion (Chorograp. 63) ; 
» il affirme avoir vu sur l'emplacement de cette 
» Troie (premier nom de Cetobriga) , les vesti- 
» ges des salines où l'on préparait le poisson, car 

(1) « Getaria... signino opère antiquitùs fabricata. » Resendius, 
Antiquitattê Lusitaniœ, 210 



570 APPENDICE. 

» c'était là surfont qu'on en taisait une pèche 
» abondante (1). » 

Malaga dut aussi son opulence à la salaison du 
thon , et cette industrie lui valut le nom qu'elle 
porte , car Malach en langue punique exprimait 
l'action de saler ou bien l'endroit des salines (2). 
Plusieurs autres villes d'Espagne , situées près du 
détroit de Gadès, se disputèrent la suprématie 
dans ce genre de commerce. À Gadès , où le thon 
était réputé le meilleur, on salait séparément les 
parties cartilagineuses de la tête; mais celles 
du ventre n'étaient pas moins recherchées. En 
général , on préférait , suivant la prescription de 
Galien (3) . la chair salée de ce poisson à la chair 
fraîche, parce que dans cet état elle est moins 
compacte et de plus facile digestion. 

(1) » Cetobriga, dit il , significava cidade de aroito e grande 
» peixe ; porque Briga na lingua dos antigos Lusitanos queria 
» dizer cidade ou fortaleza , e cete , peixes grandes. Desta opiniaô 
» he Barreiros (Colograf. 65), o quai affirma que no seu tempo 
>• havia no sitio desta Troya vestigios de humas salgaderias , em- 
» que curavaô o peixe , por que se fazia aqui huma grande pes- 
» caria délie ; e que debaixo da agua se mostravaô ainda rainas 
» de edificios. » Castro , Mappa de Portugal antiguo e moder- 
no , 1, 17. 

(2) TAAHN02 , Tripi rpo«pwv Jvvapiwç , III , C. 31. 



APPENDICE. 271 

Sous la domination romaine, les côtes de la 
Bétique fournirent la plus grande partie du pois- 
son salé qu'on exportait dans les différents mar- 
chés de l'empire ; et , si à ces grandes bandes de 
scombres qui affluaient vers ce littoral , on ajoute 
les spares , les holocentres , les scorpènes , les 
sciènes et ces congres monstrueux qui n'avaient 
pas leurs pareils en taille dans les mers d'Italie, si 
à cette foule de poissons susceptibles d'être ma- 
rines ou salés , quoiqu'on en ait perdu l'habi- 
tude , on joint encore les coryphènes et les bo- 
. nites qu'on péchait vers la partie occidentale du 
détroit, on pourra se faire une idée approxima- 
tive de l'immense tribut que les pêcheries de la 
péninsule hispanique fournissaient alors au com- 
merce des nations. 

Une des pêches remarquables de cette époque 
fut aussi celle de la pélamide , qui avait enrichi 
sous les Grecs les colonies cariennes et milésien- 
nes du Pont-Euxin. Ces poissons, dans leurs mi- 
grations périodiques, à leur sortie des Palus- 
Méotides, longeaient la côte d'Asie et devenaient 
la proie des pêcheurs de Trapézunte. De là , les 
pélamides , réunies à d'autres scombres , venaient 



*7>2 APPENDICE. 

se livrer aux pécheurs de Sinope , auxquels, sui- 
vant Strabon , cette pêche procurait des bénéfices 
considérables. Amastris , Teium, Héraclée, situés 
sur la même côte , en retiraient aussi d'immenses 
profits. S'il faut en croire Fauteur de l'Histoire 
philosophique et politique des anciennes colonies de 
la mer Noire (1), il parait que les principaux mar- 
chés étaient ceux de Sinope et de Galidon vers 
l'Halys, fleuve célèbre aux embouchures duquel 
on avait fondé les grandes salines. « Après avoir 
» payé leur tribut à ces différentes villes, dit 
» Fauteur qui me fournit ces renseignements , 
» les pélamides se dirigeaient vers les côtes de 
» Byzance, où les attendaient d'autres ennemis. 
» Déjà au temps d'Aristote et de Strabon , la cap- 
» ture la plus remarquable de ce poisson utile , 
» avait lieu chaque année sous le cap de Byzance, 
» qui était surnommé le Promontoire d'or, à cause 
» des riches produits de cette pêche. Mais le ta- 
» lisman qui rendait les pélamides plus particu- 
» lièrement tributaires de Byzance que de Chal- 
» cédoine , situé en face , était l'industrie des 

(1) Forma Leoni, Storia fUoêofica e politica délie colonie de- 
gli antichi vel mar Negro , 1,164. 



APPENDICE. 273 

» pécheurs de la première de ces deux localités , 
» et la supériorité des préparations diverses qu'on 
» y donnait à ces poissons ou à d'autres espèces de 
» la même famille (1). » 

Malgré la grande quantité de pélamides que Ton 
salait sur les côtes de la Thrace , on en préparait 
beaucoup aussi en Sardaîgne , au rapport de Ga- 
lien , et cette île seule pouvait fournir à la con- 
sommation de l'Italie. Ces pélamides n'étaient pas 
moins estimées que celles d'Espagne ; on les préfé- 
rait surtout à celles du Pont-Euxin. La préparation 
qu'elles recevaient leur avait mérité une telle fa- 
veur, qu'on disait alors une Sarde , pour désigner 
une pélamide excellente , comme en France on a 
dit depuis un Royan , pour indiquer une sardine 
de qualité supérieure. On marinait aussi ces pois- 
sons dans des saumures composées de diverses 
substances qui recevaient différents noms, suivant 
les mélanges. 

Le Colias , que nous connaissons sous le nom 
ÏÏAuriol , et qu'on désigne en Espagne sous celui 
de Cavalla , était une autre espèce de la famille des 

(i) Noël de La Morinière, op. cit., p. 68. 

18 



374 APPENDICE. 

scomberoïdes dont on faisait des salaisons consi- 
dérables. Les Grecs avaient été aussi les premiers 
à le mettre en renom ; il était également recher- 
ché soit qu'il fût salé ou mariné , et Athénée en 
a fait le plus grand éloge. Cette espèce , dont l'im- 
portance ne devait pas diminuer de sitôt, obtint 
encore plus de faveur, lorsque les Romains eurent 
conquis l'Espagne , et qu'ils apprirent à extraire 
de ses intestins le fameux Garas des associés (Ga- 
min sociorum) , auquel ils attachèrent un si grand 
prix. Plusieurs écrivains ont décrit cette prépara- 
tion dans laquelle les riches patriciens de Rome 
taisaient mourir les rougets. Pline, l'encyclopédiste 
de l'antiquité , prétend que l'espèce de saumure 
appelée Garus ou Garum était le produit de la 
macération des viscères de divers poissons, qu'on 
laissait fermenter. « Autrefois, dit- il, les Grecs 
» composaient le garus avec le poisson qui porte 
» ce nom ; maintenant le plus estimé nous vient 
» des tonnares (Cetaria), de la Cartilage d'Espa- 
» gne , qui fournit le sparte ; c'est celui qui est ap 
» pelé Garus des associés ; on s'en procure à peine 
» deux congés pour un millier de pièces de mon- 
» naie. Aucune liqueur , si Von excepte les par 



APPENDICE. 275 

» fums, ne se vend à si haut prix, et n'est autant 
» recherchée par les riches et par le peuple. Les 
» pécheurs de la Mauritanie , de la Bétique et de 
» Carteia , le composent avec des scombres qui 
» sont pris à leur arrivée de l'Océan, et qui ne sont 
» propres qu'à cet usage. On vante le garus de 
» Clazoraènes, celui de Pompe!, de Leptis. La 
» saumure d'Ami polis , celle de Thurium et de la 
» côte de Dalmatie , ne sont pas moins recomman- 
» dables (1). » 

Isidore s'exprime à peu près dans les mêmes 
termes : « Le garus > dit-il, est une liqueur extraite 
» d'un poisson salé; elle conserve toujours le 
» même nom , quoiqu'on la compose avec beau- 
» coup d'espèces différentes (2). » 

Le garus des associés tenait à peu près lieu, à 
cette époque, du Fish sauce des Anglais; il était 
préparé par une compagnie de pécheurs de scom- 
bres , qui dans la hiérarchie commerciale devait 
être aussi haut placée que les maatjes haringen 
de notre époque. Mais outre le fameux garus, 
dont il est ici question , les Romains en faisaient 

(1) Plin. , HUt. Nat., xxxi , 8. 
(*) Isid. , Origin. , xx, 5. 

48. 



27« APPENDICE. 

d'autres , d'après les recettes d'Athénée ; ils en 
composaient aussi avec les intestins du lycos 
tome, espèce de clupée assez semblable à Van 
chois, et c'est probablement cette même saumure 
qu'on sait encore si bien confectionner à Antibes, 
quoique le poète Martial n'ait parlé que de celle du 
thon : 

Antipolitani , fateor, sum filia Thynni : 
Essem si scombri , non tibi missa forem. 

Mart. , Epigr. xu , 103. 

Une autre préparation', appelée Isicia, était en 
grande faveur sous l'empereur Héliogabale et ser- 
vait à la conservation du poisson (1). Enfin , pour 
terminer cet exposé monographique des garus et 
de leurs analogues, rappelons que le gourmet 
Apicius proposa un prix à celui qui inventerait 
une nouvelle saumure avec le foie de mulle ; mais 
le nom du vainqueur est resté ignoré : « Id enim 
est facilius dixisse quàm quis vieerit, » dit Pline. 

Ajoutons encore que les Grecs avaient préparé 
la chair du congre avec du sel et de l'origan , 
qu'ils avaient enseigné à mariner la dorade , à 

(1) « Prirouft fecit de piacibiis Isicia. » Lamprid. in Helioga- 
balo. 



APPENDICE. 377 

conserver les scares dans la saumure de picarel. 
Les Romains, toutefois, l'emportèrent sur les 
Grecs pour le luxe des assaisonnements et dans 
ces compositions recherchées qui donnaient plus 
de prix aux poissons rares qu'on faisait venir à 
gran ds frais des contrées lointaines. 

Cet aperçu sommaire peut donner une idée de 
ce que fut la pèche et Fart des préparations sali- 
nes , oléagineuses ou aromatiques sous la période 
romaine. Mais, à la division de l'empire, l'éton- 
nante prospérité qui avait signalé la plus belle 
phase de cette grande industrie fut remplacée par 
une ère de disgrâce , dont il était dû à une plume 
savante de nous retracer le tableau : 

« Alors la pêche et le commerce du poisson 
frais et salé éprouvèrent un grand préjudice et 
déclinèrent sensiblement. Cette calamité ne fit 
que s'accroître, à mesure que les nations du 
nord de l'Europe et de l'Asie envahirent , de pro- 
che en proche , le territoire des deux empires, et 
amenèrent la chute de cette puissance colossale 
devant laquelle tout avait plié pendant plusieurs 
siècles. 

» La conquête de tant de provinces qui reçois 



978 APPENDICE. 

vent la loi des barbares rompt bientôt toutes les 
relations de commerce , après avoir détruit l'in- 
dustrie et les arts qui les alimentent : aussi voyons- 
nous s'anéantir la plus remarquable des pèches 
de la Méditerranée , celle du tbon , pour ne se 
rétablir que long-temps après. Il n'est plus ques- 
tion, dans l'histoire du Bas-Empire, de ces pois- 
sons rares que rassemblait le luxe des grands, et 
qui faisaient l'ornement et les délices des tables 
somptueuses des riches ; |es viviers, qui dévoraient 
les fortunes patriciennes, sont abandonnés ou 
comblés; les temps de la prodigalité sont passés , 
les rêves de la folie sont évanouis; le peuple même 
peut à peine se procurer les poissons les plus 
communs , pour satisfaire aux abstinences reli- 
gieuses : la pêche n'est plus exploitée que par les 
misérables habitants des côtes, que leur pauvreté 
seule met à l'abri du pillage de l'ennemi , et qui 
n'obtiennent leur sauvegarde que de l'obscurité 
de leur profession; ou si elle conserve quelque om- 
bre de liberté dans son exercice, elle ne la trouve 
que dans les lagunes de Gommachio , de Venise , 
au milieu des étangs de Narbonne, en plaçant 
entre elle et la cupidité des barbares de vastes 



APPENDICE. 279 

marais qui lui tiennent lieu de remparts (1). » 
Ainsi l'invasion des barbares anéantit cette in- 
dustrie qu'on avait poussée si loin sous les empe- 
reurs; mais les Slaves, qui depuis long-temps sa- 
crifiaient à leur dieu Pcerdoty, le protecteur des 
marins, et à Curch, auquel on offrait les prémices 
des eaux , transmirent leur goût pour la pêche 
aux peuples du Nord. Le culte qu'on rendait à 
ces divinités dans File de Rugen ne fut aboli 
qu'en 1249. On sait, d'après les traditions des pê- 
cheurs Scandinaves et quelques passages des Odes 
de l'Edda , que les Slaves furent les premiers qui 
s'adonnèrent à la pêche du hareng dans l'Océan 
septentrional et jusque vers les régions glaciales , 
bien que le plus ancien titre qui fasse mention de 
cette pêche ne date que de l'an 709. C'est vers 
cette époque que l'histoire du moyen-âge nous 
fournit les premiers renseignements sur la pêche 
des phoques par les Norwégiens et les Écossais. 
Plus de trois siècles auparavant , les Basques al- 
laient pêcher la baleine à la hauteur du cap Finis- 
tère et la pourchassèrent ensuite jusqu'à l'embou- 
chure du fleuve Saint-Laurent. 

(1) Noël de La Morinière, op. cit., p. 196. 



280 APPENDICE. 

Plus tard , dans le treizième siècle , quelques 
populations de la basse Allemagne se livrèrent à 
la pêche des grands cétacés qu'Albert -le-Grand et 
Vincent de Beauvais ont décrite dans tous ses dé- 
tails (1). Ordinairement l'animal était harponné ; 
mais Albert parle d'une seconde manière de s'em- 
parer de la baleine , et qui consistait à lui lancer 
de loin un dard au moyen d'une forte baliste (2). 
Ainsi les Anglais, qui crurent avoir inventé 
en 1731 le procédé de tuer l'animal en lançant le 
harpon comme un projectile, au moyen de la 
poudre (3), ne firent qu'imiter, sauf la différence 
de la puissance motrice , ce qui se pratiquait déjà 
plus de quatre siècles auparavant. Encore le pro- 
cédé , dont il est question dans l'ouvrage d'Al- 
bert , avait-il sur l'innovation anglaise l'avantage 
de lancer le dard avec la corde , comme le harpon 
qu'on tient à la main. 

Lorsqu'on fouille dans les anciennes archives , 

(1) àlbertus màgnus , De onimalibuë , 651. 
Viscentius, Spéculum universale ) i , 1873. 

(4) « . . . Alius autem raodus idem est cum isto, nisiquôd 
spéculum non verbere , sed ictu fortissimœ baliste , sibi (ceto) in 
figitur. » Albertus Màgnus, De antmaftftii* , 651. 

(5) Cette découverte fut reproduite en 1772. Yoy. Anderson , 
HUtory and chronol. deduct. ofthe origin of commerce, n, 555. 



APPENDICE. 281 

et qu'on relit les chartes du temps , on reconnaît 
qu'au moyen-âge la pèche avait repris son rang 
parmi les grandes industries qui font la prospé- 
rité des nations. Vers le commencement du dou- 
zième siècle , quand Sigurd , le Croisé , retourna 
en Norwége , et demanda à son frère Eystein ce 
qu'il avait fait de plus remarquable durant son ad- 
ministration , ce prince lui répondit : « J'ai fondé 
un établissement pour les pécheurs sur la côte de 
Vaugen, etlapostérité dira qu'il a existé un roi Scan- 
dinave qui portait le nom d'Eystein. » Ainsi le frère 
de Sigurd mettait au nombre des actes les plus 
honorables dé son règne le service qu'il avait 
rendu à la classe la plus utile et en même temps 

la plus laborieuse. 

■ 

En 1290 , on salait l'esturgeon qu'on vendait en 
baril. H est question de cent tonnes d'esturgeons, 
dans un acte des rôles du pays de Galles , passé 
sous Edouard 1" (1). En 1339, ce poisson était 
si recherché qu'un baril d'esturgeons salés se ven- 
dait le même prix que cent saumons et que douze 
barils de harengs (2). 

(1) Ayloffe , CcUendars of the ancient charters, etc. 

(2) Davidson, Recompté ofthe Chamberlain ofScotland. 



ÎS2 APPENDICE. 

Les ordonnances de Hamirez, archevêque de 
Compostelle, qui fixèrent le prix du poisson, 
prouvent qu'à cette même époque la pèche avait 
repris beaucoup d'activité sur la côte occidentale 
d'Espagne. Dans le treizième siècle , les religieux 
de Beauport obtinrent le privilège d'une pêcherie 
de congres près de Saint-Brieuc; en 1272, Jean IV, 
duc de Bretagne, rétablit les marchands de 
Bayonne dans la possession et la jouissance d'une 
sécherie de poisson sur le territoire de Saint-Mat- 
thieu. D'après cette charte, les congres et les 
merlus, dont on faisait un grand commerce, étaient 
aéchés depuis Piques jusqu'à la Saint-Michel (1). 
Les sécheries s'étendaient le long de la côte de 
Pontrieux; il y en avait aussi à la Boche -Derrien 
et sur plusieurs autres points de ce littoral. Il est 
aussi question de congres salés dans une ordon- 
nance de 1315 et dans d'autres actes du temps (2). 
Un congre dp poids de dix livres ne payait qu'un 
penny de droit, et pourtant sous Edouard II , la 



(!)«.. . Posait in dicta sieearid congroe et merluccios , à 
Paschate usque ad festum beati Michaëlis , in monte Tuba ric- 
care. » Dugange , Glossarium novum , supp. m , 790. 



(a) Ordom. de$ rois de France , i , 600. 



APPENDICE. 385 

pèche de ce poisson produisait au fisc mille livres 
tournois par an (1). Le congre était servi alors sur 
la table des rois d'Angleterre, et les baillis de Bris- 
tol étaient chargés d'en approvisionner la cuisine 
du souverain (2). 

En i 328 , la ville de Reims fit acheter d'un 
marchand de Malines tout le poisson qui devait 
être servi pour le festin donné à 1 occasion du sa- 
cre de Philippe de Valois. Les détails de cet achat 
se trouvent consignés dans un ancien manus- 
crit (3) , et Ton s'étonne , en y voyant figurer six 
barils de poisson salé, deux cent quarante-trois 
saumons , onze esturgeons frais , et plus de sept 
mille poissons de rivière , que toute cette énorme 
provision ne s'élève qu'à deux mille huit cent 
soixante-quatre livres parisis. 

En 1366, dans un autre festin qui fut offert 
aux grands seigneurs d'Angleterre par Georges 
Nevil, archevêque d'York, pour célébrer son 
installation , on ne servit pas moins de trente- 



(1) Fall. Account of Jersey , 160. 

(a) Madox , History. and antiquitie* of the Exche* 
gi»er, etc. , 358. 
(5) Particulatitéê du sacre de Philippe de Valois. 



384 APPENDICE. 

sept plats de poissons de différentes qualités (1). 

Par une charte de 1 396 , nous voyons encore 
un duc de Bretagne céder à Richard , roi d'An- 
gleterre , les sécheries (siccariœ ) et autres droits 
qui appartenaient au château de Brest (2). 

Enfin une ordonnance de Charles VI , en date 
de 1415 , prouve que la pèche du maquereau était 
alors en grande vogue , puisqu'on les vendait au 
cent et au millier dans les marchés de Paris. 

L'Espagne , dans ce temps-là , retirait aussi de 
très-grands avantages de la pèche des auriols, que 
l'on salait pour les transporter dans toute l'Europe 
méridionale. Les salines de Guardamar et de 
Mata fournissaient aux pécheurs tout le sel dont ils 
avaient besoin pour leurs préparations. Il leur en 
était délivré vingt-quatre fanègues pour le même 
prix que les étrangers en payaient deux(3). Cer- 
tes le gouvernement d'alors ne pouvait guère pous- 
ser plus loin la protection accordée à la pèche , et 
pourtant les rois de Castille et d'Aragon firent plus 
encore; car, malgré les guerres qu'ils eurent à 

(1) Leland , De rébus britan. , Collect. , vi , 2. 

(2) Rymer, Fœdcra, Conventions , LiUerœ, Acta publiea, etc. , 
vu, 855. 

(5) Mayans, llici , etc., 180. 



APPENDICE. 385 

soutenir pour faire valoir leurs droits sur la Si- 
cile, ils laissèrent toujours libre l'exportation du 
sel pour l'Italie. 

Les bonnes méthodes pour saler le poisson 
fixèrent particulièrement l'attention des pécheurs 
du moyen-âge. La révolution politique qui s'était 
opérée dans le monde à la chute de l'empire ro- 
main n'avait pas emporté avec elle le secret des 
préparations, et l'usage des garas, qui s'était 
conservé sous les rois francs de la première race, 
prévalut sans doute beaucoup plus tard. Un di- 
plôme de Chilpéric II, daté de 716, relate trente 
barils de garus (gares), que doit fournir à l'abbaye 
de Corbic son domaine de Fos (1 ). l^s noms d'Isix, 
d'Isicius et iïlsicium, donnés au saumon dans plu- 
sieurs manuscrits du moyen-âge , rappellent l'an- 
cienne saumure appelée lsicia, en usage sous 
Héliogabale , et dont avait parlé Lampride. 
Il est donc probable qu'à cette époque on ma- 
rinait le saumon dans différentes parties de l'Eu- 
rope. 

La Galatine était aussi une autre espèce de garus 

(1) De Foy, Notices des diplômes , i , 109. 



i 



*86 APPENDICE. 

avec lequel on préparait les lamproies (1) , et qu il 
faut distinguer de la saumure que les Allemands 
du moyen-âge appelaient Fischroth. 

Les squales , et surtout la squatine que le lan- 
gage du temps désignait comme « ung poisson qui 
a lapel aspre, de quoy l'on polit le boys » , étaient 
recherchés pour leur peau , dont on fabriquait des 
casques à l'épreuve des armes tranchantes. Celle 
de plusieurs espèces de requins et de raies n'é- 
tait pas moins estimée pour les gainures. L'huile 
qu'on obtenait du foie des grands squales alimen- 
tait alors un assez grand commerce. 

Les actes qui se réfèrent à la pèche de la morue 
remontent à la fin du neuvième siècle. D'après 
Schoning , on péchait ce gade dans les eaux de 
Helgeland en 888 ; mais cette pèche, comme celle 
des autres poissons du nord , n'acquit de l'impor- 
tance qu'après que les Norwégiens eurent conquis 
l'Islande. 

Dès l'an 1 1 43 et 1 160, divers contrats passés en 
Angleterre, en faveur de monastères, mention- 
nent des donations de morues salées qu'on appe- 

(1) Il est fait mention de la Galatine dans un ouvrage de Wil- 
lelm ; voy. Brit. Pkilipp., lib. * , 87. 



APPENDICE. 287 

lait alors streilings (1). La morue fraîche ouïe 
stockfish devint aussi une denrée de grande con- 
sommation : il s'en faisait un trafic considérable 
en Islande , dans l'Ecosse occidentale et aux îles 
Hébrides. Les Espagnols, les Biscayens et les Bas 
ques avaient obtenu des lairds ou seigneurs de ces 
îles le droit de faire la pèche du hareng et de la 
morue dans les parages du voisinage. Un traité 
conclu en 1351 , entre les Anglais d'une part, et 
les sujets du roi de Castille et du comte de Biscaye 
de l'autre , renferme la clause suivante : 

Item 9 il est convenu que pessoners de la seignu- 
rie del roi de Castelle et del counte de Viscaypeus- 
senl venier etpescher flraunchement et sauvement en 
les porte d'Englelerre et de Bretaigne , et en touz 
autres lieux et porte où ils vorronte, paiante les 
droits et coustumes à les seignurs du pais (2). » 

La pèche de la morue et des autres espèces 
de gades ne resta pas non plus étrangère à la 
France. Une charte de 1 1 43, accordée par Thierri , 
comte de Flandre (3) , parle de piscis pendiculus , 



(1) Dugdale , Monasticon tmglicamm, i, 513, u, 909. 

(a) Rymer, *p. cri., v, 719. 

(5) Carpentier, Glossarium novum , etc. , in , 294 . 



188 APPENDICE. 

et ces poissons, qu'on suspendait pour les faire sé- 
cher , ne pouvaient être que des morues ou des 
espèces analogues. Il est aussi question de morues 
baconnées dans plusieurs ordonnances de nos 
rois (1). Celles de 1326 et de 1350 font mention 
de merlans salés. 

La pèche du thon fut rétablie en Sicile par les 
Arabes conquérants, après qu'ils se furent emparé 
de cette île. Airoldi fait observer que déjà, dans 
le dixième siècle , on s'occupait à fabriquer les ton- 
nares (2). À partir de cette époque les grandes sa- 
laisons recommencèrent à alimenter le commerce. 
Les Pisans venaient charger le poisson qu'on avait 
confectionné dans les sécheries de la côte. Cette 
industrie s'étendait alors dans toutes les petites 
lies dépendantes de la Sicile, où les Arabes avaient 
fondé des établissements de pêche, et celui 
de Lampedouse s'acquit une grande réputation. 
En 1061 , il y avait aussi des madragues dans la 
Calabre, où l'on préparait le thon salé pour l'ex- 
portation (3). 

(1) Ordonnances des rois de France , i , 600 ; u , 558, 881 ; 
xn, il; il, 560; xi, 504,506. 

(2) Airoldi , Codice diplomatico di Sicilia, sotto U govemo 
degli AraU , m , 140. 

(3) Burman , Thésaurus antiquit. , etc. , îx, 57. 



APPENDICE. 289 

A cette même époque les pécheurs provençaux, 
ceux de Marseille surtout qui avaient repris leur 
activité première, approvisionnaient de poisson 
salé ou mariné une grande partie de la France. 
Une charte de 904, de l'empereur Louis, con- 
firmée depuis par un autre acte de Bertrand, 
comte de Provence, en 1066 , donnait à l'abbaye 
de Saint- Victor de Marseille les salines et les pè- 
ches avec le port des bâtiments : Cum salinis et 
piscationibus et porta natnuro(l). 

La variété des salaisons en usage dans le moyen- 
âge est une preuve de l'attention qu'on portait 
alors sur tout ce qui pouvait augmenter les res- 
sources des populations maritimes. 11 se faisait 
un commerce de la chair et du lard du marsouin, 
et cette industrie prévalut, dans certains pays, jus- 
qu'à une époque assez rapprochée de nos jours. 

Le lard du marsouin , qu'on appelait Craspois , 
est souvent cité dans les ordonnances de pèche 
de Louis le-Hutin et du roi Jean (2). En Angle* 



(1) Martene , Veterum script. et monum. ampliss. Collée* 
tto,i,90a,467. 
(a) Ordonnances des rois de France , i , 600 ; n, 4&ft, 577, 



19 



Î90 APPENDICE. 

terre comme en France le marsouin fut l'objet de 
concessions faites aux monastères. La chair de ce 
cétacé était très-recherchée , on la servait sur la 
table des grands qui la considéraient, sinon comme 
un mets délicat , au moins très-substantiel. 

« La pèche du marsouin, dit La Morinière, nous 
prouve jusqu'à quel degré les usages ou les be- 
soins d'une nation exercent leur influence sur les 
progrès de son industrie. 

» Durant les quatorzième et quinzième siècles, 
elle se faisait dans l'Océan , la mer du Nord et la 
Manche , avec une ardeur générale , qui trouvait 
sa récompense dans la grande consommation de 
ses produits frais ou salés. Elle avait acquis tant 
d'importance , qu'on pouvait presque la ranger au 
nombre des grandes pèches du temps... Pourquoi, 
si florissante autrefois , est-elle aujourd'hui si né- 
gligée? Quand elle était en quelque sorte une pè- 
che privilégiée , quel attrait avait pour nos ancê- 
tres une chair dure , coriace , imprégnée d'une 
huile qui la dispose à la rancidité ?. . La chair du 
marsouin n'était-elle donc pas en concurrence avec 
celle des meilleurs poissons qu'on péchait alors ? 
Et par quel prestige en balançait-elle la renom- 



APPENDICE. 291 

niée , lorsqu'à tant d'égards elle lui était si infé- 
rieure ? 

» Ces questions nous paraissent faciles à résou- 
dre. Nous pensons qu'à cette époque , la pèche de 
la baleine étant nécessairement bornée , les huiles 
animales rares , et la culture des plantes dont on 
obtient les huiles végétales peu répandue, la pèche 
du marsouin était encouragée, bien moins en 
vue d'augmenter la masse des aliments que pour 
se procurer l'huile qu'on extrait de sa graisse , 
car on en consommait beaucoup pour l'éclairage 
des églises et des monastères , pour la prépara- 
tion des cuirs, etc... On trouvait alors très-natu- 
rel d'user, dans les jours maigres , de la chair du 
porc marin, comme, dans les autres jours, on 
usait de celle du porc terrestre. Mais dès que les 
Basques , les Hollandais , les Anglais eurent dirigé 
leurs armements vers le nord , attaqué la baleine 
dans ces parages glacés , et fait des pèches prodi- 
gieuses qui fournirent à l'Europe des huiles pré- 
férables à celle du marsouin , il s'opéra un grand 
changement. 

» Il en est de quelques branches d'industrie 
comme des fortunes particulières ; les unes s'é- 

19. 



£»9 APPENDICE. 

lèvent sur les ruines des autres. Dans une lutte 
aussi inégale entre les deux pêches, il fallut bien 
que celle du marsouin déclinât , et quelle cédât 
la place à une rivale qui l'écrasait du poids de sa 
prospérité (1). » 

A ces réflexions judicieuses, ajoutons quelques 
observations qui trouvent ici leur place : nous 
touchons de bien près peut-être à l'époque où la 
pêche du marsouin pourrait être reprise avec au- 
tant d'avantage qu'autrefois , car la cause de sa dé- 
cadence n'exercera bientôt plus la même influence. 
Depuis une centaine d'années , la diminution ra- 
pide du nombre des baleines fait malheureuse- 
ment déjà prévoir l'avenir de cette pêche. Des 
expéditions successives et poussées avec vigueur , 
et la concurrence de plusieurs nations dans les 
mers polaires, ont commencé à épuiser les ré- 
gions baleinières des deux hémisphères. On a pour- 
suivi ces grands cétacés jusque dans leurs derniers 
retranchements ; on a détruit sans prévision, dans 
presque tous les parages , non-seulement les ba- 
leines , mais la plupart des animaux marins qui 

(1) Noël de La Morinière, op. cit. , p. Ml , SUS. 



AI'PENDICR. 393 

pouvaient fournir cette huile grasse, aujourd'hui 
si nécessaire dans les arts. D'après la marche na- 
turelle des choses , il n'est pas douteux qu'il fau- 
dra renoncer sous peu à ces expéditions lointaines 
entreprises sans grande chance de succès, et dont 
les bénéfices , s'ils ne sont réalisés promptement, 
ne peuvent compenser les énormes dépenses. 
Alors la pêche du marsouin et des autres espèces 
qu'on néglige, cette industrie plus facile et moins 
coûteuse, qui enrichit les pêcheurs du moyen- 
âge , qui se passait du secours des primes , et sup- 
portait les redevances, viendra reprendre son 
rang et fournir à nos besoins. • 

Mais , sans nous arrêter plus long-temps à la 
digression qu'a fait naître la pêche du marsouin , 
poursuivons l'aperçu général que nous avons com- 
mencé. 

Si, parcourant les différentes phases de la civi- 
lisation , on consulte l'histoire religieuse des peu- 
ples, on voit que leur théogonie a toujours exercé 
beaucoup d'influence sur les destinées des arts et 
des grandes industries. L agriculture, le com- 
merce et la navigation ont eu leurs divinités tu- 
télaires , et la pêche , cette agriculture des eau* , 



394 APPKND1CK. 

n'a pas manqué d'avoir sa part dans l'intercession 
des faveurs du ciel. Les poissons se sont mêlés à 
tous les cultes : Dag ou Dagon , le Neptune des 
Phéniciens, est représenté sous la forme d'un 
homme dont la partie inférieure se termine en 
queue de dauphin. Les prêtres de Memphis eurent 
leurs poissons sacrés; Carthage et Gadès élevè- 
rent des temples au dieu des mers(l). Hercule, 
cet être mystérieux, à la fois civilisateur et conqué- 
rant , qui figurait le génie de la navigation et des 
grandes entreprises, fut honoré à Âbdera , et les 
thons qu'on avait sculptés sur les pilastres de son 
temple indiquaient que la pêche de ces scombres 



(1) Parmi les beaux fragments des ruines de Carthage qui ont 
été dernièrement apportés à Paris , celui que j'ai eu occasion de 
voir chez M. Jomard parait avoir appartenu au temple du Nep- 
tune phénicien. La tête colossale de ce Dieu est représentée sur 
un superbe morceau de pavé mosaïque, dans lequel on a imité, avec 
une exactitude de forme et une vérité de couleur tout-à-fait re- 
marquable , différentes espèces de poissons faciles à reconnaître. 
Ce sont, 1° le Mulle, que les peintures à fresque dUerculanum et 
de Portici ne figurent pas mieux ; *» laPélamide, que les anciens 
prenaient pour un jeune thon, et qui , sous cette acception , était 
consacrée , comme le dauphin , aux divinités protectrices de la 
pèche et de la navigation ; 3» une grande Percoïde, qui m'a paru se 
rapporter au Mérou des pécheurs provençaux ; 4° enfin un Ce- 
phalapode, qu'on ne saurait méconnaître pour la seiche à sa forme 
si bien caractérisée. 



APPENDICE. 205 

était placée sous sa protection (1). Le dauphin et 
le thon, si souvent représentés sur les médailles 
des villes de la Bétique , qui s'étaient enrichies 
par le commerce maritime , furent dédiés à l'Her- 
cule espagnol, réunissant dans ses attributions 
celles de Neptune et d'Apollon. Les cités florissan- 
tes qui prospérèrent par la pèche prirent ces pois- 
sons pour emblèmes : ils représentaient tour à 
tour la célérité dans la navigation , la conslruc- 
tion navale, la puissance neptunienne et l'indus- 
trie lucrative à laquelle se livraient les pécheurs. 

(1} Florez , dans son ouvrage 9ur les médailles espagnoles , 
a décrit celles du temple d'Àbdera. « Les poissons représentés , 
dit-il , indiquent qu'il existait dans cet endroit une grande pê- 
cherie de thons (y esta principalmente era de  tunes). Plusieurs 
de ces poissons sont figurés dans le portique ou sur la façade 
du temple et imitent ceux qu'on voit sur les médailles de Ca- 
dix , autre ville qui retira tant d'avantages du produit de la pè- 
che , à l'époque où les thons en arrivant de l'Océan venaient frayer 
dans la Méditerranée. Le trident qui est placé au milieu de la mé- 
daille rappelle les harpons et les instruments de pèche dont on se 
servait pour saisir les poissons dans les filets et les tirer à terre. » 
Florez , Medailla* de las colonial de Espana, i, 119. 

On a trouvé aussi d'autres médailles d'Abdera qui représen- 
tent d'un côté limage du soleil fixé au-dessus du portique. Cet 
emblème ne signifie pas , comme on pourrait le croire , que le 
temple fut consacré à Apollon ; il est plus probable qu'on a voulu 
indiquer , par là , l'époque de l'anuée où l'on commençait la 
pèche. 



996 APPENDICE. 

Hais les autres divinités participèrent à ces hom- 
mages : la Chrysophrys, aux sourcils d'or et aux 
brillantes écailles, fut consacrée à Vénus cythérée. 
Le Pompile et l'Anthias vinrent aussi augmenter 
le nombre de ces poissons vénérés dont on faisait 
honneur a\ix déités protectrices. 

Les Romains , qui mieux que les autres peuples 
surent faire tourner la religion au profit de leur 
politique , associèrent à leur culte tout ce qui 
pouvait augmenter les revenus du fisc. Ils insti- 
tuèrent la fête des pécheurs ou du IauU piscato- 
rii (1) ; leur Jupiter Élicius avait droit à un sacri- 
fice de Mendole , et le tribut du Quœstus était un 
impôt sur la pèche , dont les prêtres de Vulcain 
retiraient leur bonne part. 

Lorsque le christianisme commença à pénétrer 
dans Rome païenne , et que le sang des martyrs 
eut arrosé les premiers germes de la foi , les 
poissons devinrent un signe de reconuaissance 
symbolique entre les chrétiens opprimés. Le dau- 
phin fut pour eux l'emblème de l'espérance qui 
soutient l'homme dans l'adversité. On le repré- 

(1) Schaefferus, DemilUid navaii, 43. 



Pf. 



APPENDICE. 907 

i 

senta sur les tombeaux, dans les baptistaires, sur 
les bas-reliefe et dans les ornements des premiè- 
res chapelles. A l'exemple des païens, on le figura 
enlace à une ancre, comme l'image de l'espérance 
et du bonheur. Le Pompilé fut pris aussi pour 
symbole de l'Église militante. Mais quand le chris- 
tianisme n'eut plus à craindre les persécutions, 
ses progrès avancèrent ceux de la pèche. Les 
juifs n'avaient fait aucun cas de cette industrie ; 
les chrétiens au contraire la tinrent en honneur. 
Les disciples du Christ étaient la plupart de pau- 
vres pécheurs , et saint Pierre , celui des apôtres 
de Jésus, constitué le chef de son Église, n'eut 
pas d'autre profession. Ce fut en sa faveur que le 
Sauveur opéra le miracle de la pèche , ce fut en 
sa présence qu'il marcha sur les eaux ; la pièce de 
monnaie, qui devait servir à payer le tribut pour 
l'entretien du temple, fut tirée du ventre d'un 
poisson. L'urne baptismale reçut le nom de pis- 
cine ; des idées mystiques , qui ont. toujours rap- 
port à la pèche, dominent dans le langage des 
pères de l'Église : saint Athanase compare les 
catéchumènes à des reptiles transformés en pois- 
sons par l'eau du baptême , et amenés à la table 



99* APPENDICE. 

de Dieu par des pécheurs. « Le royaume du ciel , 
disait saint Matthieu , est comme une seine que 
l'on jette à la mer et que Ton retire sur le rivage ; 
le pécheur choisit le meilleur poisson et jette le 
mauvais hors du filet. » 

L'usage du poisson dans les jours d'abstinence, 
si religieusement observé autrefois, ne fut pas 
moins favorable à la pèche que ne l'avait été dans 
Rome païenne la pratique de la loi Licinia. Quand 
on réfléchit aux progrès de cette industrie sous le 
moyen-âge, et qu'on les compare avec les résultats 
obtenus de nos jours , il faut bien convenir que 
nous sommes restés en arrière. Le nombre des 
espèces que nous livrons au commerce est consi- 
dérablement restreint; car, si on excepte certains 
poissons privilégiés , la plupart de ceux estimés 
de nos pères ont cessé de prendre rang parmi les 
denrées admises dans nos marchés. Cette déca- 
dence du commerce du poisson frais , mariné ou 
séché au moyen de la salaison , peut s'expliquer 
par le relâchement des observances religieuses , 
par la suppression des grands monastères dans 
une partie de l'Europe , et par l'abolition de la 
dîme et des redevances payées en nature, dans le 



APPENDIOK. 299 

moyen-âge, aux seigneurs, aux prélats et aux 
moines. 

Le quinzième siècle, qui fut pour la géographie 
l'époque des grandes découvertes , ne fit pas pour 
la pèche lointaine tout ce qu'on pouvait attendre 
d'une ère de renaissance. Il ouvrit la porte , il est 
vrai , aux voyages de long cours et aux grandes 
entreprises maritimes. La pêche côtière avait été 
l'apprentissage de la navigation, et la navigation à 
son tour devint le prélude de la grande pèche. 
Elle signala aux pécheurs deux vastes théâtres 
où devaient s'exercer leur industrie : le banc de 
Terre-Neuve et les mers polaires. La pèche de la 
morue et celle de la baleine reçurent dès lors une 
nouvelle impulsion, et leurs progrès contribuèrent 
puissamment à l'agrandissement des marines eu- 
ropéennes. Mais toutes les idées des spéculateurs, 
en se portant vers les mers du Nord, firent négli- 
ger insensiblement les avantages que l'on pouvait 
retirer des autres parages. Les pêcheries de la 
côte d'Afrique, que l'activité des marins cantabres, 
basques et portugais avait tant accréditées, tombè- 
rent bientôt dans l'oubli ; la morue et le hareng se 
disputèrent la suprématie et prévalurent sur tou- 



300 APPENDICE. 

tes les autres espèces; enfin la pêche prit une 
autre direction, et les pécheurs, réunis en grandes 
flottes, se portèrent en foule vers des régions qu'on 
croyait exclusivement privilégiées. 

La marche des relations commerciales aurait dû 
pourtant ramener les spéculateurs dans les para- 
ges poissonneux auxquels la Providence n'avait 
pas refusé ses faveurs. Les pêcheries qu'on pou- 
vait établir vers le détroit de Gibraltar auraient 
encore rappelé ces temps de prospérité et d'abon- 
dance où les villes de la Bétique et de la Maurita- 
nie acquirent tant de renommée. Les attérages de 
l'Afrique , depuis Melilla jusqu'au cap Spartel , et 
de là jusqu'aux rives de l'Ethiopie occidentale, 
constituent peut-être les plus riches stations de 
pêche de notre hémisphère. 

Les révolutions qui se sont opérées à la surface 
de la terre , en modifiant le climat et en changeant 
l'aspect des pays, ont bien fait disparaître, sur cer- 
tains points, les animaux et les plantes que la nature 
avait répartis en tous lieux ; mais il est une grande 
portion du globe , un de ses éléments constitutifs 
qui n'a jamais changé : c'est la mer. Toujours la 
fnême, elle conserve ses limites dans son immcn- 



APPENDICE. 301 

site ; elle se soulève et s'agite sans nuire à l'exis- 
tence des êtres qu'elle nourrit dans son sein : abon- 
dante et intarissable dans ses productions , elle se 
montre encore à l'homme d'aujourd'hui comme à 
l'homme d'autrefois , avec ses mêmes plantes, ses 
mêmes poissons, ses mêmes coquillages, avec 
toutes ses ressources en un mot , et toujours prête 
à payer avec usure les travaux du pêcheur. La 
Méditerranée , ce beau bassin qui , selon l'expres- 
sion napoléonienne, pourrait devenir un lac fran- 
çais , n'a pas cessé d'être poissonneuse. Les thons, 
les pélamides , les spares , les congres , les auriols 
et cent autres espèces que les Grecs et les Romains 
surent apprécier, toutes celles enfin qui fournirent 
à la consommation du moyen-âge , se plaisant en- 
core dans les mêmes fonds ou continuent de par- 
courir en troupes nombreuses les parages célèbres 
dont l'histoire a conservé les noms. Marseille , 
qu'on peut appeler , comme Byzance , la mère 
des poissons; Toulon, Antibes, Fréjus, Cette, 
Port-Vendres, ces antiques cités assises sur les 
rochers du littoral, ne sauraient négliger les avan- 
tages de leur position. Mais les eaux de l'Océan et 
de la Manche, vers nos côtes occidentales, offrent 



30S APPENDICE. 

aussi d'immenses ressources; Bayonne, Bordeaux, 
Rochefort, la Rochelle et Lorient ne manquent 
pas d'habiles marins; Brest, Saint-Malo, Cher- 
bourg et Granville sont placés aux avant-postes 
de la grande pèche , et Dieppe , le Havre et Dun- 
kerque, qui doivent leur origine aux pécheurs, 
ont tout à espérer de cette belle industrie. 

Puisse cet appel aux armateurs de nos ports 
être bien compris; puisse la France surtout, si 
heureusement située pour disposer à son gré des 
avantages que lui offrent les entreprises mariti- 
mes , se rappeler que la nature , en l'entourant 
de deux mers, lui ouvre les chemins qui doivent 
la conduire à la prospérité la plus florissante , et 
lui assurer une nouvelle moisson de succès et de 
gloire. 



FIN. 



TABLE DES MATIERES. 



»o< 



Introduction. Considérations générales 1 

Chapitre I er . Coup-d'œil sur les migrations des poissons voya- 
geurs , et sur l'abondance et la qualité des espèces qui fréquen- 
tent la mer canarienne 55 

Chapitre IL Catalogue didactique des principales espèces de 
poissons que Ton pèche aux lies Canaries et dans les parages 
adjacents de la côte occidentale d'Afrique 65 

Chapitre III. Description de la pèche africaine , et comparai- 
son de ses produits avec ceux du banc de Terre-Neuve. 127 

Chapitre IV. Des avantages de la pèche africaine sur celle de 
Terre-Neuve 165 

Chapitre Y. Des sécheries 189 

APPENDICE. 

I. Premières entreprises des Islenos sur la côte occidentale d'A- 
frique , représailles des Maures et tentatives de Georges 
Glas 355 

II. De l'économie de la pèche et des moyens de préparation en 
usage chez les anciens et au moyen-âge pour la conservation 
du poisson salé, sec ou mariné 250 



FIN DE LA TABLE. 




■-par ZJtff^aJ-d.f /■.aïfAywiff. 



*•* 



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