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Full text of "De la sagesse..."

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D E 



LA SAGESSE, 



TOME PREMIER, 



k -^ 



■ 6Ê 

L A S A G E S SE, 

T R O I s L I V Pî E s. 

|>ar P I E R K E Charron, Parificn,- 
Ch^oinc Théologal & Chantre cû l'EgUft 
Cathédrale de Coûdom^ 

N O U FÈLLE EDITION, 

ionformc a cellfi de Bourdeaus , Uoi. 

T O M E P R È M î E R* 




*E L*ImFRIMERIE 1>B DltrÔT £*ÀlK'ïV 

À PARIS, 

* 
Êheï B A R R o I ff Tainé , Libraire^ 

9 

quai des Auguftins. 
1^ D C C. l, X X X- 1 Xb 



AMY LECTEUR, 

Il me femble que Ton pcuft faire le meP 
me jugement des livrés, que des fleuve^ 
eu rivières y dont les eaux font moins puH 
res , & perdent peu à peu leur première- 
qualité naturelle , à proponion qu'elles s*ef*- 
loignent de leur fource , par le medange 
des autres eaux qui fe joignent avec elles. 
Il en efï de mefme des livres dont il fe faiâ' 
plufieurs impfeilions. On y fàiâ tant de 
changemens , tantoft par des corrections ^ 
àvL des retranchemens , tantoft par des aug- 
mentations , & d'autres deguifemens , qu'il 
arrive qu'nil ouvrage paroift autre qu'il* 
n'eftoit auparavant > & que (buvent l'on' 
£dâ dire à un autheuf des chofes aufquel-' 
Tes il n'a jamais penfé, ou- bien autrement 
qu'il n'a eu intention. Cela s^eft pratiqué- 
en ceft ouvra^ej lequel à p«ine peuft -on rc- 
cognoiftre que par fon nom qui luy eft de^' 
Aieuré. Cefte con£deration m'a obligé» de- 
£rant le r^ftablir en fon premier eftat', da' 
rechercher la première imprefliôn que M.- 
de Charroâ en fît faire à Bordeaux en l'an*' 
liée léoi, par Simon Miîanges, & laquelle^ 
itavoicr dodiée à Monfeigneur le Duc d'£^ 

• • • 

If/// 



270708 



fcmon } & rayant recouvrée, j'ày &îd£ Ciir 
cefte première copie ce(le nouvelle imprer* 
Sun avec aucatir de ciïriofîré qd'il m*a cAé 
poflibte , afin qtic vous pui/Hez voir la pie-* 
ce dans (a première pureté , (ans aucune aK 
fcration ny degmfement. 

Cet avis exprimant le eut çians'efipra^ 
fofè en donnant cette noBvelle édition « o/» 
mitru devoir le faire imprimer^ 




ï 



PREFACE, 

Oit ejl parti du nom^fubjecly dejfcin^ 
& méthode de ceji œuvre. 

Il eft requis avant tout œuvre , fça« Dirmfiv 
voir que c'eft que fagefle, & com- f^ ^**^ " 
ment nous entendons la traiter en ce 
livre , puifqu il en porte le nom de 
k tiltre. Or dès l'entrée nous adver- 
tiflbns que nous ne prenons ïcfce, 
mot fubtilemenc au fens hautain &. 
enflé des Théologiens & Philofo^ 
phes (qui prennent plaifir à defcrire 
& faire peinture des chofes qui 
n'ont encores efté veues y & les re- 
lever à telle perfeâion , que la na- 
ture humaine ne s'en troure capable, 
^ue par imagination) pour une cog- 
noiffance parfai^te des chofes divines 
& humaines , ou bien des premieres^ 
k plus hautes caufes & refibrts de 
toutes chofes t laquelle reUde eo 



f Préfacé! 

Pentendeniônt feu! , pfeuft-effife fari^ 

})robité (qui eft principalement en 
a volonté, ^-fans utilité , ufage , ac-^ 
tion, fans compaignée & en foiitude j 
& eft pkis que très rare ôc difficile y- 
c'eft le fouverain bien & la perfec- 
tion de l'entendement humain : njr 
au fens trop court , bas & populaire^ 
pour difcretibn y circonfpeâion y 
comportement advifé & bien reigle- 
en toutes dhofes j> qui fe peuft trou-- 
ver avec peu de pieté & preud'hom*' 
mie, & regarde plus la compaignée» 
& l'autruy que foy-mefme. Mais- 
nous le prenons en fens plus univer-- 
£el jcommun & humain;, comprenant 
tant la volonté que 1-entendemént ,j 
voire tout l'homme en fon dedans fit 
ion dehors, en foy feul ,.en compai-' 
Dèf^rib-gnée, cognoiflànt & agiilànc». Ainft 
%cflc. "^ »oiis difons que fagefTe eft* preude 
prudence^c'eft-à-dire greud'hommia^ 



P a £ f A C é. 

avec habilité , probité bien advifée. 
Nous fçavons que preud'hommie 
£ui5 prudence eft fotte & indifcret- 
te ; prudence fans preud'hommie 
n'eft que fineilê : ce font deux chofes 
les meilleures 8c plus excellentes , 
&les chefs de tout bien ; mais feules 
te feparées , font défaillantes , itth- 
parfaiftes. La fageilè les accouple g 
c'eft une droiâure & belle compo- 
ficion de tout Thomme. Or elle con- 
fifte en deux chofes : bien fe cog-* 
noiftre , Se conftamment eftre bien 
reiglé 6c modéré en toutes chofes 
par toutes chofes : j'entens non feu- 
lement les externes qui apparoiflènt 
au monde , faiâs 6c diâs ^ mais pre^ 
mierement & principalement les 
internes , penfées , opinions, créan- 
ces, defquelles (ou la feinte eft bien 
grande , & qui enfin fe defcouvre ) 
iburdent les externes. Je dis conf- 



16 P R E F A C £< 

tamment, car les fols par fois cort-» 
trefont , & femblent eftre bien fagey^ 
Il fembleroie péuft-eftre à aucuns 
qu'il fuffiroic de dife que la fagelle 
ebnfîfte à eftre conftammenc bien 
reiglé & modéré eri routes chofes y 
fai^ y adjoufter bien fe cognoiftre i 
mais je ne fuis pas de ceft advis^car 
advenant que par une grande bonté , 
douceur & fouppkflé de nature ^ ou 
par une attéûtive imitation d'autruy ^ 
quelqu^un fe cathportaft modère-^ 
ment en toutes chofes , ignorant ce-*' 
pendant & mefcognoiflàm foy-mtC-i 
me y &rhiiuiïaine condition ^-ce qu'il: 
a^ Se ce qu'il n'a pas- j il nie' feroic 
pourtant fage , veu que fagelTe n efl> 
pas fans cognoiflance , fans difcours,,^ 
fans eftude. L'on n'accordera pas 
peuft-eftre cefte prôpofition : car il 
femble bien que l'on ne peuft rei^ 
gl<ement & conftammenc fe conv-^ 



PrEPACE. - If 

, porter par-tout fans fe eognoiftre , 
/& fuis de ceft advis. Mais je dis'^que , 
combien quils aillent infeparabler 
ment enfj^mble , (i ne, lai{Ient-il$ 
d'eftre deux cbof^s di^in<5tes : donc 
il les faut feparement exprimer en 
la defcription de fageflè , commç 
(es deux offices^ dont fe cognoiftre 
eft le pr^miçr , & eft di6t le coni-r 

. rnencjement 4e fageflè. Parquoy 
nous difons fag^ , celuy qjiii coguoifr 
fant bien ce qu'il eft, fon biçn & 
ion mal , combien 8c jufques où n^-r 
pire Ta eftrené & favorifé , & 014 
fille luy a defFailly, eftudie par le be-r 
nefice de la philofophie , & par Tef^ 
fort de Ja vertu , à corriger & rç-p 
dreffer ce qu elle luy a donné dç 
mauvais , reveiller & rpidir C(Ç qui 
eft de foible & janguifïànt, f^irç 
yaloir ce qui eft bon , ^djoufter ce 
qui dçffaut , & tant que f^irç ft 



Il P R E f A C E. 

vpeuft la fecourir ; & par tel eftude 

ie reigle & cpnduiâ bien en toutes 

chofes, 

Dcflcin Suivant cefte briçfve déclaration, 

chodedenoftre defleîn entreft œuvre de trois 

Taurheur « • /> • y • 

en çeft livres eft premieremeai: enleigner 
«uvtc. l'homme à fe bien cognoiftre, & 
rhqmaine condition , le prenant en 
tout fens , & regardant à tous vifa - 
ges ; c'eft au premier livre : puis 
rinftruire à fe bien reigler & modé- 
rer en toutes chofes ; x:e que nous 
ferons en gros par advis & moyens 
généraux ôc communs au fécond 
livre y & particulièrement au troi- 
fiefme, par les quatre vertus mora-^ 
les y foubs lefquelles eft comprife 
toute rinftruâion de la vie humaine» 
& toutes les parties du debvoir & 
de Thonnefte. Voilà pourquoy ceft 
œuvre, qui inftruit h vie & les 
mopurs , i bien vivre & mourir , éft 



Préface. ij 

intitulé Sagefle , comme le noftire 
précèdent, qui inftruifoit à bien 
croire, a efté appelle Vérité, ou bien 
les trois Veritez , y ayant trois li- 
vres en ceftiiy-cy comme en celujr- 
là. J'adjoufte icy deux ou trois mots 
de bonne foy^Tun, que j'aiqueftc 
par-cy par-là , & tiré la plufpart des 
matériaux de ceft ouvrage des meil- 
leurs autheurs qui ont traité cette 
matière morale & politique , vraye 
fcience de l'homme , tant anciens , 
ipecialèment Seneque & Plutarque, 
grands dcxSbeurs en icelle , que mo- 
dernes. Ceft le recueil d'une partie 
de mes eftiides ; la forme & l'ordre 
•font à moy. Si je lay arrangé & 
ageancé avec jugement & à propos , 
les fages en jugeront : car meshuy 
en ce fubjec^ autres ne peuvent eftre 
mes juges, 8c)ie ceux-là volontiers 
f ecepvrai la réprimande j & ce que 
' b 



14 P & £ F A C C, 

I ay prins d autruy , je lay mis en leurs 
propres termes , ne le pouvant dir^ 
mieux qu eux. Le fécond, que j'ay 
icy ufé d'une grande liberté & fran- 
chife à dire mes advis , & à heurter 
les opinions contraires , bien quç 
coûtes vulgaires & communément 
receues , & trop grandes , ce m^onç 
diâ aucuns de mes amys , auf^ 
quels j'ay refpondu que je ne for- 
mois icy ou^inftruifois'un hommç 
pour le cloiftre, mais pour le monde, 
la vie commune & civile j ny ne fai- 
fois icy le théologien , ny le cathe-»- 
drant, ou dogmatifant, ne m'aflutr 
jettiiTant fcrupuleufemenc à leurs 
formes , reiglcs , ftyle , ains ufois dçi 
la liberté académique &c philofp»' 
phique. La foiblefle populaire , & 
delicatefle féminine, qui s'oiEFenfe 
de cède hardiefle & liberté de pa-^ 
jroles , eft indignç d'çntendrç choff 



P p tt A ci. IJ 

qui vaille. A la fuitte de cecy. Je dis 
eiicoires que je traité & agis icy non 
pedantefquement , félon les reigles 
ordinaires de Teichole , ny avec eA 
tendue de difcours , & appareil d*e-* 
loquence y ou aucun artifice, hi 
fagefle, quœji oculis ip/is cernerez 
tufj mirabiles excitarèt amoresfui^ 
nz que &ire de toutes ces façons 
pour fa recommandation, elle eft 
trop noble & glorieufe ; les veritez 
& proportions y font efpaifTes, mais 
fouvent toutes fçiches & crues » 
comme aphorifmes , ouvertures & 
femencesde difcours. J y ayparfemé 
des fentences latines , mais courtes , 
fones Se poétiques y tirées de très 
bonne part, & qui n'interrompent 
ny ne troublent le fil du texte fran- 
çois. Car je n'ay pu encores eftre 
induiâ: à trouver meilleur de tour- 
ner toutes telles allégations en fran- 



i6 



P R E F A C B". 



çois (comme aucuns veulsnc) avec 
cpl dechec & perce de la grâce ôc 
énergie qu elles ont en leur nacu-^^ 
rel & original , qui, ne fe peuft ja-^ 
mais bien reprefencer en autre ian^' 




m» 



TABLE 

DES CHAPITRES 

DE CES TROIS LIVRES 

DE SAGESSE: 

Préface, oh efi parlé du titre, fuhjeSi g 
dejfcin & méthode de ceft œuvre. 

LIVRE PREMIER. 

Qui eil de la cognoiflanct de foy & de 
rhiunaiïie conditioBr 

Cha». i.Exhonation â s'cAftiHîêr 8c cognoif- 
cre 9 fubjsâ de ce premier livre, page i 

Première coafideracibn de rhomme en foy iL 
en gros. 

Ch. X, Generalle peimure de f homme , i > 
.Ch. 3. Vanité, . \6 

Gh. 4. Foibleiïe, if 

Ch. 5. loconftanco f 44 

Ch. 6. Mifere , 46 

Ch. 7. Prcfomption y 7j 

Seconde confideracion de VYiûtAmt , ^tfi eO paf 

ccrmparaifou de luy avec les autres créatures* 

Ch. 8. Comparaifon de Thomme avec>Iet 

bellesy ^ 

hiij 



i« T A B t E" 

Troifiefme coafideracion de rhoinme» qai cti 
en détail par toticcs les pièces dom il efl comporé 
$c eflaSly. 

Ch. y. Didinûion p.reniiere & genctalle de^ 

rhomme , 1 1 1 

. (^. I o. Du corps^ humain en général , 115 

Ch. 1 1. De la fanté^beautéy&du vi^age^i 17 

^ Ch. i^» Des Crns de nature , plus nobles pis' 

ces cxt.rncs du corps , - \%6 

Ch. I ). Du voyr, ouyr, parler, 1 34. 

Ch. 14. Des yeftemcnr& cob verts du coc|>s;' 

M» 

C^. I f . De Tame humaine en gênerai j 14) 

Cf£ 15. Des- parties de Tame, & premiere- 
menr de l'entendement , raifon , efprit» 
jugement, 16^ 

Ch. 17. De la mémoire , iZt 

Ch. 18. De l'imagination & opinion ^^ 189 
Ch. 1 9. De la volonté , 194 

Ch. 10. Des pal&ons fie afFeâions'en gêne- 
rai, \^î 
Ch. II. Des paflîbns en partlculfer , & prfc* 
mierement de. i'amoui ,. 10 f 
Ch; 11. Ambition v* 207 
Ch. 1). Avarice 4 11^ 
Ch. 14. Amour charnelV Vio^ 
Ch. 15^. Dc(irs& cupiciicez^ ilf 
Ch. 15. Efpoir^deferp/oir, t-17-' 
Cm 27. ChoUrey it^ 
Ck» 18. Hayne ^ 13 ^ 
.Ch. 19. Envie 9. i^C 
«»4 jp. Ja^cwllc^ ijjr 



/* 



t> tS Cf H A P 1 1 R É s: i^ 

Ch. -31. Vengeance t . 15^ 

Ch 52. Cruauté, • X4' 

Ch. }3.Trirte(rc, 14 3 

Ch . 34. Compa£on , mifericotcle , ifi 

Ch. 3 f. Crainte , ifx* 

Quacriefine coalideiacion de rbomme par fa 

Ch. 3«<. EAunation, briefvcté, & defcriptioû 

de la vie humaine , & de fes paities, x 57 

Cînqui&fme &« dernière confideration , par la 

grande divefficé de fes naturels ^ fufïitances, ef» 

tacs » profeifîons , vacations. 

Ch. 37. De rinegalicé & différence des hom^ 
mes en gênerai, t69 

Ch. jS.Diftinâion premier» des hommes'», 
qui eft de leurs naturels , 171 

Ch. 35). Diflinâion féconde des hommes y» 
qui e A de leursefprits & fuffifanccs, 183 
Ch. 40. Diflii^ion troifiefme des hommes » 
qui eft de leurs charges & eftats , cirée 
de la fuperioricé & inferiocicc preitiiere- 
ment mife en cable , x89 

explication particulière des membres de la prc-< 
•edente cable & diftînôion : & premièrement » 
Ch.'41 > Du commjrnder St obey^« 253 

Ch. 41. Du mariage, t9^ 

Ch. 43 , Des parens & cnfanr, Jl V 

Ch. 44 Dc&feigncurs' 6ff cfchiycs, maiftres 
&rcr^iceurs, 3»^ 

€H.4Ç. De Tcftat, fouvctaineté flk fottvc- 
rains , J^F 

aK«r4(^. Dss-ma&iAcacs^ })^ 



10 T A s 1 Ë 

Ch. 47. Des legiflaccurt , prefcheaft , ioC* 

truâeurs. 54ar 

Ch. 48. Du peuple & vulgaire, 341 

Dtftinâton quatriefme des hommes^ cîrêe de 

feurs profeifioDs 8c conditions de vie. 

Ch. 49, DiftinÛion 5e comparaifoff des trois 

nfianieres & degrez de vie , ^ 49 

Ch. f 0^ De la vie civile on fociile 8e foli- 

taire , ) 5 x 

Ck. fi.Comparaifdn de la vie menée en 

commun , & menée en proptteté , 3 f f 

Cr. 51. Comparaifon de la vie fuliique tC 

menée es villes , 3^7 

Ch. 5 5. De la profeffion militai f^ . 35^ 

Difltnâiott ctnquiefme & dernière différence 

^es hommes^ tirée des faveurs & défaveurs de lar 

Baf ure de de la fortune. - 

Ch. f 4. Db la liberté & dn fervigs , 3 «s 
Ch. f f. NoblefTe, 3^4 

Crf. ^6. Hanneut, dignité , $6^ 

Ch. j7. Science^ $71^ 

Ch. 58. Richedesy 37^ 



LIVRE SECOND, 

Contenant les^ inffaruâîons & reîgles gène*' 
ralies de fageffis. 

Préface , 575» 

Ch. I. Exemption ScaffranchiiTement des er» » 
reurs & vices du monde & des pafEoos , 1 
fremicBe difpoâtioâàlarageiroy ^îf 



Des chapitres. ±4 

Ch. 2. UniverreIlecognoilIancc«& pleine li- 
berté d'efpric cane en fugeinsnc qu'en 
volonté » féconde dHpofition â ia fa- 
gcfTc, i96 

Ch. 5. Vraie & elTentielle prend'hommie y 
première & foâdamencalle partie de 
fageiTe i & de la mefchaaceté , 416 

Ch. 4. Avoir un but fie train de vie certain , 
fécond préalable aux reigle» de fageile , 

€h^ 5. La fraye pietlS y premier office de ià- 

Ch. 6. Reigler €ts deGa fie plaiiîrs , fécond' 
office de (àgeflèy 475 

ۈ. 7* Se porter moderemetit & egalemenc 
en profperité 8c advcrfîcé , crolfîefme - 
office de fagede y 4^1 

Ch* 8. Obeyr fie obferver les loix , coutumes 
fie cérémonies du pays autant fie comme 
il faut , quacriefme office de fagefle» 50^ 

Ch. ^. Se bien comporter avec autruy , cin- 
qui^fme office de fageife , $ 17 

Ch. lo. Se conduire prudemment aux affiu*- 
res , iîxiefme office de fageiTe ^ 535 

CHk II. Se tenir toufiours prell à la mort» 
fruiadcfageffe, f5ir 

Ch. 1 1* S*acquerir fie maintenir en vray re^ 
pos fie tranquillité d*efprit , la couronne-' 
àe fagede ^fie conduflon de celirce^ySv 



Il t A B t Ê 



LIVRE TROISIESME^ 

Contenant les advis paniculiers de fâgeflc 
par les quatre vertus morales. 

Préface 9 5^^ 

De la prudence , première vertu. 

Ch. I. De la prudence en gênerai, 5^9 

De la prudence politique du fouycrain ^ ou 
gouvernement d*eftat , fçavoir : 

C H. 1. De la provifion des chofes neceflaire 
au fouftien 8c à la confcrvaiion du prin- 
ce 8c de Teftat , première partie de la 
prudence potidque , 600 

Gh. )• De Taâion 8c gouvernement du prin * 
ce » féconde partie de la prudence poli* 
tique y 64^6 

Ch< 4. De la prudence requlfe aux affaires 
difficiles 8c mauvais acddens , tant pu- 
blics que privez « . ^ 6^f 
Dclajuftice, féconde vertu. 

Ch. f . De la juHâce en gênerai , 716 

Ch. 6, De la )unice,8c debvoir de Thomme 
envers foy-me^e , 751 

De la fuflice & debvoîc de Thomme envers 
autruy , 8c premièrement en genecal de tout hom- 
me envers tout homme , fa voir : 

Ch . 7. De Taniour ou amitié , 74 f 

Ch. 8. Dj la foy, fidélité , perfidie , 758 
Ch. 9 Vérité fie admonition libre , 76^ 



DES CHAPITRES, jlj 
Ch. lo. FUitcncy-inenceiie , diflùnulacion » 

Ch. If. Du bieufalâ, obligation 6c reco* 

gnoilTaocc, 778 , 

De la iuftice & debvoic de rhdmme envers au- 

tfUfy par raifon fpeciale jk certaine , fçavoir : 

Ch. 11. Des mariex . 80» 

Ch. 15. Mefnagerie, 805 

Ch. 14. Des païens & enfant » 8otf 

Ch. 1 f . Des maigres iSc ferviceurs 9 8^1 

Ch. 16, Des prince^ & des fubjeâs y 8^4 

Ch. 17. Desmagii^raUx 87c 

Cu« x8. Des grands ^ ptiUTans » fie des petits « 

88i 
De la force » troifiefme vercu. 

Ch* 151. De la force ou vaillance en gênerai , 

88^ 
première partie » des maux externes. 

Ch. 10. Des maux excernes coniîdçrez en 

leurscaufcs, 89f 

Ch. ii.Des maux externes con(îderez en 

leurs efifeûs Ce fiui^; ^ $0$ 

pes maux externes en eux-mefoies & patdcii* 

tiers y te premièrement « 

Ch. it. De la maladie & douleur , 510 

Ch. 1). Captivité , ^tf 

CH. &4. Exil & banni (Tement , 918 

Ch. if. Pauvreté, Indigence, perce de biens, 

Ch. xtf. Infamie , pif 

Çl|. 17- Perte d*amîs y p^tf 

More , fi9 



*4 TABLE DES CHAPITRES. 

Seconde parçic , dtsmaux internes , & paflîou» 
faCchcuCes , Se premièrement , 

Ch. i8. Contre la crainte , ' 950 

Ch. 19. La triftcfTe , ^5Î 

Ch . 50. La compaflion 8c mifeticorde , 9iS 

Ch, 3 1 . La cholcrc , ^5^ 

Ch. 51. La haine, 94 J 

Ch. ij. L'envie, 944 

Ch. 54- La vengeance, 54^ 

Ch. h* La |a!oufîe , 94^ 

De la tempérance , quatrtefme verra. 

Ch. 3^. De la tempérance en gênerai , 9^1 
Ch. 37. De la profperité , & advis far icelle, 

Ch. }8. De la volupté , 9$^ 

Ch, 3 y. Du manger , boire , & fobrieté , jtftf 
Ch. 40. Du luxe 5c desbauche en tous pare- 
mcns , & de la frugalité , 97^ 

C«. 41. Plaifirs charnels, chafteté, conti- 
nence, 97^ 
Ch. 4>. De la gloire & de Tambition , 97^ 
Ch. 43. De la tempérance au parler, & de 
l^^loqucnce , ^7^ 



«ÎÎ3^ 




D E 

LA SAGESSE. 

LIVRE PREMIER. 

Qu I c(l la cognoiilânce de Soy , Se de 

rhumaine condicion. 

Exhortation à t'ifiadier & cognoifirt. 
CHAPITRE PREMIER 



Le plus czcetlent & divin conTcil , le meil- i. 
leur & plus utile advenilTenient de tous, ^'.î?^' 
mais le plus mal pratiqué, eft de s'cftudicr ell la pt«. 
>f- apprendre à fe cc^oillre : c'eft le fon- '"}"^ 
demenc de fagelTc & achemiaenienc à tout 
Tome I. A 



! 



% deiaSagcssc, 

bien : folie non pareille que d'eftrc attentif 
& diligent à cognoiftre toutes autres chofes 
plufloflque foy-mcfine : lavraye fcience^ 
le vray eftude de Thomme , c'cft rhommc. 
*• . Dieu , nature , les fages, & tout le monde 
ttel^ous prcfche Thomme & l'exhorte de Eal^k & de 
par lourc parole à s'eftudier & cognoiftre. Dieu éter- 
nellement & fans ce/Te le regarde , £è confi- 
dere & fe cognoift. Le monde a toutes Tes 
veues contraintes au dedans , & fes yeux 
ouverts à fe voir & regarder. Autant eft 
obligé & tenu Tliomme de s'eftudier & 
cognoiftre, comme il lui eft naturel de pen- 
fer, & il eft proche àfby-mefine. Nature 
taille à tous cefte be(bngne. Le méditer & 
entretenir fcs penfées eft chofe fur toutes 
facile, ordinaire , naturelle , la pafture, 
l'entretien , la vie de Telprît , cujus vivere 
eftcoghare. Or, par où commencera , & 
puis con^inuera-t*il à méditer , à s'entre- 
tenir plus juftement & naturellement que 
par foy-mefine? Y a^~il chofe qui lui tou- 
che de plus près ? Certes , aller ailleurs & 
s'oublier eft chofè defnaturée & trcs inj ufte. 
C'eft à chafcun fa vraye & principale vaca- 
tion, que fepenfer & bien tenir à foy. AufS 



LITRXLCHAP. I. ) 

▼oyons -nous que chafque chofc penfc à 
Coy , s*e(hidie la première , a des limites à 
(es occupations & defîrs. Et toy , homme * 
qui veux embrafTer l'univers , tout cognoif» 
tre , contreroller & fuger , ne te cognois & 
n*y eftudies : & ainû en voulant €mc Tha^ 
bile & le fcindic de nature , tu demeures 
le feul fot au monde. Tu es la plus vuide 
& necefUteufe y la plus vaine & miférable 
de toutes , & néantmoins la plus fiere & ot* 
gueiUcufe. Parquoy y r^arde dedans toy > 
rec<^ois-toy, tiens toy à toy : ton e(prit Si 
XSL volonté y qui fe confomme ailleurs , ra- 
mcne-le à foy-mefme. Tu t'oublies , tu te 
refpends, & te perds au dehors , tu te tra-* 
his & te desrobes à toy-merme, tu regardes 
tousjours devant toy, ramaife^toy & t'en-c 
ièrme dedans toy : ezamine-^oy» efpi&toy» \, 
cognois-toy. 

Nofce teiprum , Dec te quzfieris extra* 

ReCpue quod non es , cecum habita , 8c 

Noris quam (it tibi curca fappellez. 
Tu te confule. 

Teiprum concute , numquid vitiorum 
Infeverit olim nacura, aut etiamconfuetudo mala* 

Par la cognoifTance de foy , Thomme Hfcheîle 

oionte Se arrive pluftoft & mieux à la cog? à la div i- 

* .. nit€. 



4 DELA Sagesse^ 

noiiTaacc de Dieu , que par toute autre 
chofcs tant pource qu'il trouve en foy pins 
de quoy le cognoiftre , plus de marques 8c 
traiâs de la divinité , qu*en tout le rcfte 
qu'il peut cc^oiftre s que pource qu'il peut 
mieux fentir , & fçavoir ce qui eft & fe re- 
mue en foy, qu'en toute autre chofe. For- 
pralm. mafii me & pofuifti fuper me manum tuant , 
*^ • ideo mirabilis faHa eft fciehtiatuayid eft ytui 
€x me : Dont eftoit gravée en lettres d'or 
fur le frontifpice du temple d'Apollon^Dieu 
( félon les payens ) de fcience & de lumiè- 
re, cefte fentence , Cognoîs'toy , comme 
une falntation & un advertifTement de Dieu 
à tous , leur fignifiant que pour avoir accéz 
à la divinité & entrée en fon temple , il fe 
faut cognoiftre > qui fe mefcognoift en doit 
Cantic. jd&ic àchonté , fi te ignoras g o pulcAerri* 
*• ma, egredere; & abipoft kddos tuos, ' • 
4. Pour devenir f;^e & mener une vie plus 

tSnTu ^^^^^ ^ P^"^ ^°"^^ , il ne faut point d'inf- 
fageiTe. truâion d'ailleurs ~ que de nous. Si nous 
eftions bons £fcholiers , nous apprendrions 
mieux de nous que de tous les livres. Qui 
remet en fa mémoire & remarque bien, 
l'excez de fa cholerc paiTcc , jufques od 



LIVRE t Cïî A^. t. J 

Ctftc fièvre Ta emporté , verra mieux beau- 
coup la laideur de cefte paffion, & en aura 
iiorrear & hayne plus jude, que de tout ce 
qu'en dient Ariftote & Platon ; & ainfi de 
toutes les autres paflîons , & de tous les 
Dranfles & mouvemens de fononie. Qui 
fe fouviendra de s'eftre tant de fois mef-* 
compté en Ton jugement , & de tant de mau^ 
Vais tours que lui a £iiâ fa mémoire y ap- 
prendra à ne s'y fier plus. Qui notera com- 
bien de fois il lui eft advenu de penfer bien 
tenir & entendre une chofe , jufques à la 
Vouloir pleuvir , & en refpondre à autrui 
6c à foy-meCne, & que le temps luy a puii 
Faid voir du contraire, apprendra à fe def^ 
faire de cefte arrogance imponune & que>^ 
releufe préfomption , ennemie capitale de 
difcipline & de vérité. Qui remarquera bien 
tous les maux qu'il a couru , ceux qui 
l'ont menacé , les légères occafîons qui 
l'ont remué d'un eftat en un autre , corn** 
bien de repentirs lui font venus en la telle ^ 
fe préparera aux mutations futures , & à k 
tecognoiffance de fa condition , gardera 
wodcftie , fe contiendra en fon rang , ne 
tcurtera perfomic , ne troublera rien, n'en- 

A iij 



4» DE LASaGESSC» 

treprendra chofe qai poiTc Tes forces : & 
voilà juftice & paix par-tout. Bref nous 
n'avofas point de plus beau miroir & de 
meilleur livre que nous-mefmes, fi nous 
y voulons bien eftudier comme nous de- 
vons, tenant toujours Tocil ouven fur nous 
& nous efpiant de près. 

centre ^^ ^*^^ * ^"^y ^^^ pcnfons le moins, 
ceux qui nemo infefe tentât dtfundtre. Dont il ad- 

fe mefco- yy^^A que nous donnons mille fois du nais 

gnoif- *■ 

i'enc. en terre , & retombons toujours en meime 

*^ £iute, fans le fentir, ou nous en donner 
beaucoup. Nous faifons bien les fots à nos 
delpens : les dif&cultez ne s^apperçoivent 
en chafque chofe , que par ceux qui s*y 
' cognoiffents car encore fàut-il quelque de- 
gré d*intelligence à pouvoir remarquer fon 
ignorance : il faut pouffer à une porte pour 
fçavoir qu'elle nous eft clofe. Ainfi de ce 
que chafcun fe voit fî refolu& fatis£ùâ > & 
que chafcun penfe eHxe fuififamment en- 
tendu, fîgnifie que chafcun n*y entend rien 
du tout : car fi nous nous cognoiffions bien, 
nous pourvoyrions bien mieux à nos affai- 
res : nous aurions honte de nous & nofbe 
cflat, & nous rendrions bien autres que 



L I V R £ I. C H A p. I. y 

fouîmes. Qui ne cognoift Tes défauts, 
Te fbucie de les amender; qui ignore 
£es neceflîtez ne fe foucie d'y pourvoir^ qui 
jEie fent Ton mal & Ùl mifere , n'advifo 
point aux réparations , & ne court aux re- 
mèdes , deprehendas te oportet prîufquam 
amendes ; fanitads initîum , fendre fibi 
ppus ejfe remedio. Et voyci noflre malheur : 
car nous penfons toutes chofes aller bien & 
cftre en feureté : nous fommes tant con- 
tents de nous-meûnes , & ainfî doublement 
miférables. Socrates fut jugé le plus f^e 
des hommes , non pour eflre le plus fça- 
vant & plus habile , ou pour avoir quelque 
fuififance par delTus les autres y mais pour 
mieux fe cognoiflre que les autres , en fe 
tenant en fon rang , faire bien Thomme. 
Il eftoit le Roy des hommes , comme on 
did que les borgnes font roys parmy les 
aveugles , c'eft-à-dire doublement privez 
de fens : car ils font de nature foibles & 
miférables , & avec ce ils font orgueilleux, 
& ne fentent pas leur mal Socrates n'efloit 
que borgne : car eftant homme comme les 
autres , foible & miférable , il le fçavoic 
bien^ & recognoiffoit de bonne foy fa con* 



t DfiliASAGÉSSt» 

dition , fe régloit & vivoic félon elle. C'e(t 
ce que vouloit dire la vérité à ceux qui ^ 
pleins de préfomptSon , par mocquerie luy 
styant diâ , nous (omnies donc à ton dire 
/wjw.^. aveugles ? Si vous Teftiez, did-il , c"cft-à-» 
dire le penfîez eftre , vous y verriez s maitf 
pource que vous pen(ez bien y voir , voutf 
demeurez du tout aveugles : car ceux qui 
voyent à leur opinion font aveugles en vé- 
rité y & qui (ont aveugles à leur opinion, îh 
voyent. C*eft une miférable folie à Thom-- 
ine de fe faire belle pour ne fe cognoiftre 
pas bien homme » komo enim cum fis , îd 
facfemper intelligas, Plufîeurs grands pouf 
leur fcrvir de bride & de règle , ont ordon- 
né que Ton leur fonnaft fouvent aux oreil* 
- ^^ les qu'ils eftoient hommes. O le bel efbide^ 
s*il leur entroit dedans le cœur comme il 
frappe à leur, oreille ! le mot des Athéniens 
_^ à Pompeius le grand : Autant es-tu Dieu 
. comme tu te recognois homme , ft*eftoit pa« 
trop mal ilQt : au moins c*eft eftre homme 
excellent que defe bien cognoiftre homme* 
Moyens ^ cognoiffance de foy ( chofe très Jifi- 
dc fe co- cile & rare, comme fe mcfcomptcr & troiiï- 
Uux. P^^ ^^^ facile ) ne s acquiert pas par autruy. 



I I y R E I. C H 4 P* I* -9 

c*eft>à-dire par coxnparaifbn , mefure, ou 
exemple <l*autruy 5 

Plus aliis de ce , quam tu tibi.credere noii. 
moins encore par fbn dire & Ton jugemenr, 
qui (buvent eft coun à voir , & desloyal 
ou craintif à parler , ny par quelque aûe 
(ingulier, qui fera quelquesfois efchappé 
fans y avoir penfé, pouffé par quelque nou* 
velle» rare & forte occafion, & qui fera 
pluflofl un coup de fortune, ou une faillie 
de quelque extraordinaire enthoufiafme 9 
qu'une produâion vraycment noflre. L'on 
n'eftime pas la grandeur, groffeur» roideur 
d'une rivière, del'eaue qui luy eft advenue 
par une fubite alluvion & desbordemenç 
des prochains torrens & ruiffeaux s un faiâ 
cours^eux ne conclud pas un homme vail- 
lant, ny un œuvre de juftice l'homme jufte; 
les circonftances & le vent des occafîons Se 
accidens nous emportent Se nous chan- 
gent : & fouvent Ton eft pouiTë à bien faire 
par le vice mefme. Aîniî l'homme eft-il 
très difficile à cognoifbre. Ny auflî par tputes 
les chofcs externes & adjacentes au dehors s 
' offices, dignitez , richeffes, noblelfe, grâce» 
§(, applaudiffement des grands ou du peu-^^ 



pie. Ny pat fes defporçemens fàiâs eti pa^* 
blic : car comme eftant en efchec, l'on 
fe tient fur Tes gardes , fe retient , (ê con- 

,^ traind j la crainte, la honte, rambîtion , 
& autres paillons , luy font jouer ce per- 
sonnage que vous voyez. Pour le bien 
cognoiftre il le faut voir en fon privé , 8c 
en fon à-tous-les-jours. Il eft bien fouvent 
tout autre en la maifon , qu'en la nie , au 
palais , en la place 5 autre avec fes domefH- 
ques qu'avec les eftrangers. Sortant de la 
maifon pour aller en public, il va jouet 
une Ëirce : ne vous arreftez pas là 5 ce n'eft 
pas luy , c'efl tout un autre 5 vous ne le 
cognoiftriez pas. 

7' La cognoiifance de foy ne s'acquiert point 
par tous ces quatre moyens , & ne devons 
nous y fier 5 mais par un vray, long, 8c 
aflîdu cilude de foy , une férieufc & atten* 
tifve examination non-feulement de fes pa- 
roles & aâions , mais de fes pcnf<^es plu^ 
fecrettes (leur naiffance, progrez, durée , 
répétition ) de tout ce qui fe remue en foy, 
jufques aux fonges de nui<^ , en s*e(piant 
de près , en fe taftant fouvent & à toute 
heure, prefTant & pinçant jufques auvi& 



t I VR£ I. C HAP. t. IX 

Car il y a plufleurs vices en nous cachez , 
& ne fe Tentent à faute de force & de 
moyen , ainfi que le ferpent venimeux qui, 
engourdi de froid» fe lailTe manier fans 
da^er. Et puis il ne fuffift pas de reco- 
gnoifbre fa faute en deftail & en individu » 
& tacher de la réparer 5 il faut en générai 
recognoîflre fa foiblefTe , fa mifere» & en 
venir à une réfbrmation & amendement 
univerfcl. 

Or, il nous £iut cfhidicr férieufement ^' ^ 
en ce livre premier à cognoiftre l'homme, .fo^^'^- 
le prenant en tout fens , le regardant à tous partition 
vifages , lui taflant le poux ^ le fondant j^^ier 11- 
îufques au vif, entrant dedans avec la chan- vrc. 
dellc & refprouvette , fouillant & furetant 
par tous les trous , coinr,3 , recoîngs , def- 
cours , cachots & fecrets , & non fans caufe : 
car c'eft le plus fin & feinâ , le plus couvert 
'& fardé de tous , & prefque incognoiilà- 
ble. Nous le confidérerons donc en cinq 
manières repréfentées en ceAe table, qui çft 
kfbmmairedccçlivre. 



CINQ CONSIDÉRATIONS 

DE L'HOMME 
tT DE L'HUMAINE CONDITION. 



L £n foy & en gros , par 
Sa générale peinture | 
Ses cinq qualicez plus elTeatielles , qui font , 

Vanité, 
Foiblefiê , 
Incoaftance, 
Mifere , 
Préfomption. 

n. Par comparaifon de luy avec les beftes; 

m. Par toutes les pièces dont il eft compofé. 

Corps & Tes appartenances y 

Santé . 
Beauté , 
Sens naturels, 
Veftemens. 

Efpric 5c Tes parties , 

Entendement , 
Raifon , 
Imagination , 
Opinion , 
Volonté , • 
Pallions. 

IV. Par fa vie en bloc s 

y. Par les difFérences qui (ont entre ic5 
hommes , fçavoir en leurs 

i^ Naturels, 

1. Erprics & Aiffifances, 

3. Charges & degrez de Tupériorité & infér 
rioticé , 

4. Proférions & conditions de vie , 

5. Advantages & défadrancages naturels» 
acquis fie fortuits* 



p^>a^_i>^B_i^ka»a«_i_>«>_A*a 



PREMIERE CONSIDÉRATION 

DE L'HOMME, 
EN SOYET EN GROS. 



•met 



Générale peinture de l* homme. 
CHAPITRE II. 

Toutes les peintures & defcripcions que 
les fagcs & ceux qui ont fort eftudié en cefle 
fcience humaine ont donné de l'homme ^ 
femblenttoates s'accorder & revenir àmar* 
quer en Thomme quatre chofes , vanité > 
fbibleilè» inconftance, mifere , Tappellant 
defpouille du temps » jouet de la fonune > 
image d'inconftance, exemple & monfVre 
de foiblefTe , trebuchet d'envie & de mi« 
(ère y fbnge , fantofme , cendre , vapeur , 
rofée de matin, fleur incontinent e(panouye 
& fanée , vent , foin , veflle , ombre , 
beiiles d'arbre emportées par le vent, orde 
(emence en Ton commencement , e(ponge 
d'ordures , & fac de miferes en (on mi-^ 
lieu , puantife & viande de vers en fa fin , 
bref la plus calamiteufe & miférable chofe 
Tome L fi 



14 D ï L A S A G E s s E, 

^u monde. Job » un des plus fuffiCaiis en 
cefte matière» tant en théorique qu'en prac- 
tique» l'a fort au long depein<^, & après 
luy Salomon en leurs livres. Pline , pour 
cftre court, femble l'avoir bien propre- 
ment repréfenté, le difant eftre le plus mi- 
férable» & enfemble le plus omieiileux de 
tout ce qui eft au monde , jolum ut cer^ 
tumfitnikîl ejft uni, nec mifirius quîc" 
quant homine autfuperbius. Par le premier 
mot ( de miférable) il comprend toutes ces 
précédentes peindures » & tout ce que les 
autres ont diâ : mais en Tautre ( le plus or- 
gueilleux ) il touche un autre grand chef 
bien important : ^ femble en ces deux mots 
avoir tout diâ. Ce font deux chofês qui 
femblent bien fe heurter & s'empefcher que 
mifereâc orgueil, vanité & préfomptîon; 
voilà une efîrange & monftrueufe coufture 
que rhomme. 

D'autant que l'homme eft compofé de 
deux pièces fort diverfes , elprit & corps , 
il eft malaifé de le bien defcrire entier & 
en bloc. Aucuns rapportent au corps tout 
ce que l'on peuf^ dire de mauvais de l'hom- 
me s le font excellent ^ Teslevent par def-* 



X 1 ▼ R E I. C HA P. 1 1. ï J 

Sus tout pour le regard de Teiprit : mais au 
contraire tout ce qu'il y a de mal , non- 
reulement en Thomme y mais au monde, 
eft forgé & produiâpar refpnt : & y a biea 
plus de vanité , inconfiance, mifere, prc* 
(omption en refprït, qu'au corps s auquel 
peu de chofe eft reprochable au prix de Tef* 
prit s dont Démocrice appelle cet efprit lin 
monde caché de miferess & Pluurque le m,, ^^^^ 
prouve bien par un livre exprès, & de ce ^'•*v»yM 
fubjeâ. Or cette première générale confia Zm/nûd 
dération de l'homme , qui eft en foy & en cw^fxris. 
gros, fera en ces cinq poinâss vanité ^ 
foibltffti înconftance» mifer€,préfomption, ^ 
qui font les plus naturelles & univerfelles 
qualitez : mais les deux dernières le tou«> 
chcnt plus au vif. Au refte il y a ties chofes 
conununes àplufieurs de ces cinq , que Ton 
Be fçait bien à laquelle l'attribuer piuftoft, 
& fpécialcment la foibleifé & la miferè. 



#i^ar 



ul. 



Bij 



/• Vanités 

CHAPITRE ni. 

4. La Vanité cft la plus dTentielle & propre 
qualité de rhumaîne nature. Il n'y a point 
d'autre chofe en l'honune, foît malice, 
malheur , incomftance , irréTolution ( & de 
tout cela y en a tousjours à fbifon ) tant 
comme de vile inanité , ComCc & ridicule 
Tanité. Dont rencontroit mieux Dcmocrite 
£t riant & mocquant par defdaîn de l'hu- 
maine condition, qu'Heraclite qui ploroit 
êc s'en donnoit peine , par où il tefmoi-^ 
gnoit d'en faire compte & eftime : £t Dio^ 
gènes qui donnoit du nais, que Tymon 
Je hayneux & fuyard des hommes. Pindare 
Ta exprimé plus au vif que tout autre , par 
îfCS deux plus vaines chofès du monde, i*ap* 
pellant fbnge de l'ombre , aiuUç om^ «f> 
êp«tv«ç. C'eft ce qui a pouffé les fages à un 
fî grand mefpris des hommes ; dont leur 
eftant parlé de quelque grand defTein 8c 
belle entreprînfe, la ji^eant telle, fouloienc 
dire , que le monde ne y aloit pas que Ton (è 



V_ 



1 1 T X E I. c H A P. H; ty 

toSA en peine pour luy , ( ûlnfi refpondit 
Scadlius à Brunis , luy parlant de la conf- 
piradon contre Cefar ) que le fage ne doit 
rien faire <)ue pour foy , que ce n'eil raiibii 
que les fages & la fj^effe fe mettent en 
danger pour des fots. 

Cette vanité £c demonftre 6c tefmoigne u 
en plufieurs manières s premièrement en nos Penf<^cs< 
penfées 6c entretiens privez , qui font bien 
Souvent plus que vains , frivoles & ridi* 
€ules : auTquels toutçsfbts nous confom^ 
mons grand temps , 6c ne le (entons point. 
Nous y entrons , y fejournons & eh for- 
tons infenfîblement , qui eft bien double 
Vanité , & grande inadvertance . dé foy. . 
L*un fe promenant en une falle , regarde 
à compaà*er fes pas d'une certaine façon fur 
ks carreaux ou tables du plancher : Ceft 
autre difcourt en fon efprit longuement 6c 
avec attention , comment il fe comporte - 
roit s'il eftoit Roy, Pape, ou autre chofe, 
qu'il f^tne pouvoir jamais eftre : & ainfî 
fe paift de vent , 6c encore de moins , car 
de chofe qui n'eft & ne fera point : Ceftuy- 
cy fonge fort comment il comfoCctà, Cou 
corps , fes contenances , fon maintien , fes 

Buj 



paroles d*une façon aficûée , &: fe pîaâl 3l 
le faire , comme de chofe qui luy ficd-forr 
bien , & à quoy tous doivent prendre plai- 
lîr. Et quelle vanité 6c fotte inanité en nos 
defîrs & fouhaits, d*ou naiflent les cré^m^ 
ces & efpérances encore plus vaines, & 
tout ceicy n'advient pas feulement lors que 
n'avons rien à faire, & que Tommes en- 
gourdis d'oifivcté , mais (buvent au milieu 
& plus fort des affaires : tant eft naturelle 
& puiflanté la vanité , qu'elfe nous desrobe 
Se nous arrache des mains de la vérité, fo- 
lidité & fubilance des chofês , pour nous 
mettre au vent & au rien» 

Soin de ^^^ ^ P^**^ ^^^ vanité de toutes , eft 
Tadve- ce foin pénible de ce qui fê fera icy , après 
**'• qu'en ferons partis. Nous eftendons nos 
defirs & aiFe^ons au-delà de nous & de 
nofbre effare ; voulons pourvoir à nous effare 
fàiâdes chofès lors que ne feronsplus. Nous 
defirons effare louez ;^rès noftrc mort ; 
quelle plus grande vanité l Ce n'efl pas am- 
bition, comme l'on pourroit penfer , qui 
cfl un defîr d'honneur fènfible & percepti- 
ble fi cette louange de noftre nom peut 
accommoder & fervir en quelque cbofe k 



ttVRfi I. ClIAF. IlL ff/ 

nos enfans , parens, & afnis furvîvans s bien 
foie , il y a de l*utilité. Mais defîfercommc 
bien une chofe qui ne nous touchera point; 
& dont n'en (encîrons rien » c'eft pure va- 
nité , comme de ceux qui craignent que 
leurs femmes Te marient après leur de^ 
cez , défirent avec grande pafiion qu'elles 
demeurent vefves , & Tacheptent bien 
chèrement en leurs teftamens, leur laiflans 
une grande partie de leurs biens à celle 
condition. Quelle folle vanité, & quelque- 
fois inju(Ucel C'efl bien au rebours de ces 
grands hommes du temps paiK , qui mou- 
rans exhortoiéht leurs femmes à fé rema- 
rier toft , & engendrer des enfans à la Ré* 
publique. D'autres ordonnent que pour 
l'amour d'eux , on porte telle & telle chofe 
fur fby , ou que l'on fafTe telle cho(e à leur 
corps mon : nous confentons peufl - eibre 
d'efchapper à la vie, mais non à la vanité. 
Voyci une autre vanité , nous ne vivons 
que par relation à autruy^ nous ne nous 
foncions pas tant quels nous foyons en 
nous, en efFeâ & en vérité » comme quels 
nous (oyons en la cognoiilânce publique. 
Tellement que nous nous défraudons fou* 



tO DE LA SaG^ s S£» « 

vent , Se nous privons de nos commodité* 
& biens, & nous nous gehennons pour for* 
mer les apparences à l'opinion commune* 
Cecy eft vray , non-fèulemenc aux chofes 
icxternes , & du corps , & en U defpenfe & 
emploice de nos moyoïs, mais encore aux 
jbiens de Tefprit , qui nous femblent efbc 
fans fruiâ , s'ils ne fe produifent à la veue 
& approbation eflrangere , & £ les autres 
n'en jouifTent. 
^. Noftre vanité n'eft pas feulement aux 

Agita- (impies penfées, defirs & difcours, mais en- 
<i*crpiit. core elle agite , fecoue & tourmente &.ref- 
prit & le corps : fouvent les hommes fe re- 
muent & fe tourmentent, plus pour des 
chofes. Itères & de néant, que pour des 
grandes & importantes. Nofbre ame efl 
fouvent agitée par des petites &ntafîes , 
fonges , ombres , & refvcries fans corps & 
fans fubjeé^s elle s'embrouille & fe trouble 
de cfaolere, dcfpit, triftcffe, joye, faifanc 
des chafleaux CA Efpagne. Le fouvenir d'un 
adieu, d'une aâion & grâce particulière 
nous frappe & afflige plus que tout le difr- 
cours de la chofe importante. Le fon des 
iioms 3c de certains mots prononcez piteux 



LIVRE t. CHA>. III. If 

rcment, yoir des roufpîrs & exclamations 
nous pénètre jufqu'au vif, comme fçavenc 
&praifHqiient bien les harangueurs, af&on*- 
tcurs , & vendeurs de vent & de famée. £c 
ce vent {îirprend & emporte quelquesfbis 
les plus fermes & afTenrez , $*ils ne Ce tien-^ 
ncnt fur leurs gardes , tant eft puîfTante la 
vanité fur l'homme. Et non-feulement les 
choiCes petites & Itères nous fecouent & 
agitent» mais encore les fàufTetez & îm* 
pofhires, & que nous fçavons telles ( cbofe 
cftrange ) de façon que nous prenons plaifîr 
à nous piper nous-me(mes à efcient , nous 
paifbe de fàuiTeté & de rien. AdfalUndum 
nofmetipfos iageniofiffimi fumus : tefmoin 
ceux qui pleurent & s'afHigent à ouir des 
contes, & à voir des Tragédies , qu'ils fça-» 
vent eftre inventées 6c fàiâes à plaifir , 8c 
(burent des fables, qui ne furent jamais : 
Dirai'je encore , de tel qui eft coiffé 8c 
meurt après une qu'il fçait effare laide , 
vieille, fouillée, & ne l'aimer point, mais 
pour ce qu'elle efl bien peinâe, & plaffarée» 
ou caquetereffe, ou £u:dée d'autre impof- 
tore, laquelle il fçait, & recognoifl tout 
px long & au vcay. 



IX .'selaSages'se, 
f * Venons du particulier de chafcan-à la vie 

& oâicet commune, pour voir combien la vanité cft , 
de cour- atuchée à la nature humaine • & non-fea* 
lemenc un vice privé & perfonnel. Quelle 
vanité SC pêne de temps aux vifites , fahi- 
. tations, accueils & entretiens mutuels, aux 
ofEces de courtoifie , harangues , cérémo- 
nies, aux oi&es, promeiTes, louanges ? Com- 
bien d'hyperboles, d*hypocrifie, de fauiTe^ ' 
té & d'impofturc , au veu & (ceu de tous, 
^ de qui les donne , qui les reçoit. Se qui k$ m 
oyt} Tellement que c*eft un marché -& 
complot £dâ enfemble de fe mocquer , 
mentir, & piper les uns les autres. Et faut 
que celuy-là , qui fçait que Ton luy ment 
impudemment , en dife grand merci s & ceT- 1 
. luy-cy, qui fçait que. l'autre ne le croit 
pas, tienne bonne mine effrontée, s'atcen- 
. dant & fe guettant l'un l'autre, qui corn* 
inencera, qui finira, bien que tous deux 
youdroient eftre retirez. Combien (buffre- 
^ t'on d'incommodité } l'on endure le ferein, 
|e chaud, le froid > l'on trouble fon repos; 
fa vie pour ces vanitez courtifanes : de laiflè- 
. t'on affaires de poids, pour du vent ? Nous 
fbmmes vains aux defpjcns de noflre aîfcv 



L I y reI. c h ap. III. if 

vobre de noftre fkncé & de noftre vie. L'ac- 
ddeut 6c tres-l^r foule aux pieds la fub- 
ftance, & le vent empone le corps , tant 
ToQ eft efclave de la vanité : & qui ferait 
autrement feroit tenu pour un fot & mal 
entendant fon monde : c*eft habilité de 
biep jouer cette £irce, 6c (bttife de n'eftre 
pas vain. Eftans venus aux propos & devis 
£uniliers , combien de vains & inutiles , 
ùxtx » fabuleux , controuvez ( fans dire les 
mefchants & pernicieux qui ne font de ce 

I compte ) combien de vanteries & de vaines 
jaébuices ? L'on cherche & fe plaifl-on une 
à parler de foy , & de ce qui eft Cicn » fî l'on 
croit avoir faidl ou diâ, ou pofTéder quelque 
chofe que Ton eftime ; Ton n*eft point à 

, fon aife, que l'on ne le fàffe fçavoir ou 
fentir aux autres. A la première commodité 
Ton la conte , Ton Ja 6iâ valoir , Ton ren- 
chérit , voire Ton n'attend pas la commo- 

' dite , Ton la cherche induftrieufement. De 
quoy que Ton parle , nous nous y meAons 
tousjours avec quelque advantage : nous 
roulons que Ton nous feiite, que Ton nous 
eftime , & tout ce que nous eftimons, 7. 

M4i$ pour monftrer .encore mieux com^ ^g"^* 



/' 



A4 delaSagesse, 

tk>ns pu-i>ien l'inanité a de crédit & d'empire fur la 
&^unû A^u^c humaine y fouvenons-nous que les 
vcifellcs. plus grands remuemens du monde, les plus 
générales & ef&oyables agitations des eftacs 
& des empires, armées, batailles , meur* 
très, procez & querelles, ont leurs caufes 
bien légères , ridicules & vaines, tefmoins 
les guerres de Troye & de Grèce, de Sylla 
& Marius , d'où font enfuivies celles dç 
Cefar , Pompée, Augufte & Antoine. Le$ 
Poètes ont bien iîgni£é cela , qui ont miâ 
pour une pomme la Grèce & l'Afie à ièu & 
à (ang : les premiers refibrts & motifs (otA 
de néant, puis ils grofli^ent, tefmoins de 
la vanité & folie humaine. Souvent l'acci-» 
dent £ûâ plus que le principal , les circonf- 
tances menues piquent & touchent plus vi- 
vement que le gros de la chofe & le fubjeâ 
mefmes. La robe de Cefar troubla plus 
Rome que ne fît fa mort & les vingt & deux 
coups de poignard qui luy furent donnez. 
S. . Finalement la couronne & la perfèéHon 
fclijité de la vanité de l'homme fe monflxe en ce 
tcnrc- '^'^ cherche, fe plaift, & met fa félicité 
ment, en des biens vains & frivoles , fans lef- 
quels il peut bien & comitiodement vivre : 



t I vas I4 C M A ]?. ÏIï. If. 

& ïie Te foucie pas, comme illàut, des vrays ' 
& eiTentieis. Son cas n*eft que voit s tout 
Con bien n*eft qu*en opinion & eh fonge; 
il n*y a rien de pareil ailleurs. Dieu a. toua 
biens en effence , âc les maux en in^ellir- 
gence i Thomme au contraire poiTede fes 
biens par fiuitafie., & les maux en effeneci. 
I^es beftes ne Te contentent, ny né fe paif- 
&nt d'opinions & de Ëmtafies , mais de ce 
qui eft préfent, palpable 8ç en vérité. I^a 
vanité a efté donnée àrhomme en paoage : 
il court , il bruid , il meurt , il fuit , il 
chaiTe, il prend une ombre, il adore le vent, 
un feftu eft le gaing de fou jour. 

CHAPITRE IV. 

VoYCi le fécond chef de la confidéra- 
tian & cogpoiflance humaines comment la 
vanité feroit-dile autre que foiUe & frede 1 
Cette ibibleife eft bien confeifce & advouée 
4i6 tous, qui en comptent plufieurs chofés 
ai fiées à appercevoir d^ tous : mais n'eft pas 
remarquée telle, ny es chofes qu*il faut» 
Tome L C 



1^ D E L A s A G E s s E, 

Comme font celles oii il femble eftre plus 
ion & moins foible , au defir , au jouir , 
èc ufer des chofes qu'il a ^ qu'il dent, à 
tout bidn & mal : bref, celles ou il fe glo^ 
rifie, en quoy il penfe fe prévaloir & eftre 
quelque chofe, font les vrays tefmoins de fa 
foibleâe. Voyons cecy-mieuz par le menu. 
^. Premièrement au deftrer , l'homme ne 

Au de- peuft aiTeoir fon contentement en auctme 
choiâr. ^liofe , & par deHr meftne & im^nation. Il 
efthors noftre puiflance de choifir ce qu'il 
nous faut : quoy que nous ayons dêfiré^ & 
qu'il nous advieime s il ne nous, fatis&id 
point , & allons béants après les chofes in- 
cognucs & advenir , d'autant que les pré- 
fentes ne nous faoulent point , & eflimons 
plus les abfentcs. Que Ton baille à l'hom- 
me la carte blanches que l'on le niette à 
mefme de choifir , tailler & prefcrirc, il eft 
hors de fa puiffance de le faire tellement, 
qu'il ne s'en defdife bientoft , en quoy il 
ne trouve à redire , & ne vueille adjoufter, 
ofter , ou changer 5 il deiîre ce qu'il ne 
fçauroit dire. Au bout du compte rîcn ne 
le conteittc , fe fafche & s'ehftuyc de foy- 
nlefine. 



.y 



fcrV R E I. C H AP. IV. 17 

Sa fbiUdIe cft encore plus giande au . ^' . 
jouir & ufer des chofes , & ce en plufîeurs & ^xCcz, 
manières ^ premièrement en ce qu*il ne peut 
jnanier &; fe fervir d'aucune chofe en fà 
furecé &fîmplicité naturelle. II les faut de A 
goifer, akérer^ & corrompre, pour Tac^ 
commoder à noftre main : les élémens, les 
métaux , & toutcs-chofcs en leur naturel; 
ne font propres à noftre ufage> les biens , 
les Yoluptez & plaifirs , ne fe peuvent iaif- 
ier iouir fans mcflange de mai & d'incom- 
modité , meSo de fonte leporum furgit 
timari aUquidi quod in ipfisfioribus angat. 
L'extrême Tolupté a un air de gemifTemenc 
3& de plainâe» eftant venue à fa perfeâion; 
c'eft foiblefle, dé&illance, langueurs un 
extrême & plein contentement a plus de 
févérité raffife que de gayeté enjouée ; ipfà 
félicitas fe nifi tempérât^ premiti D'où di^ 
fbit un Ancien , <]ue Dieu nous vend tous 
les biens qu'il nous envoyé, c'eft-à-^ire 
qu'il ne nous en doiine. aucun pur, que 
tious ne l'acheptions au poids de quelque 
mal. Aufli la triftefle n'eft point pure &fan^ 
quelque alliée de plaifir, laéor voluptas- 
que diffimilima natura » focietate quadam 

Cij 



^8 .]>£ XâL SlAfiESS'E,' 

naturali inter fe ftmtjunBa; tft ^qieàdam 
fUre voluptas. Ainfi tontes choses en ce 
inonde font mixdomiées&cLeâieinpéesavec 
leurs contraires : les moiivemens . 8c pQsda 
yif;^ quiTerv.ent au lire, ibrvent auâî aE 
pleurer > comme les pcinâres:noii5 appren-;- 
nêm. £t nous soyons que Textrëmitë dm 
rirefe meûe aox larmes. U xiy a inint de 
bonté enjioos, qu'il n^ syc qoelqueceinc- 
ture vicieufe, comme & 'dira tsmtoft ea 
fon lieu. Il n'y aatufli auctm mal fans quel- 
que bien : nuilum fine .authoramêrito ma?' 
ium eft. Toosjoars à -quelque diofè fert 
malheur , nul mal ûs» bien ^ nul bien iaos 
mal en Tbomme-s tom tSt méfié , rien de 
pur en nos mains. Secondement tout ^ce 
qui nous advient» nous le prenons '& en 
fouilTons de mauvaifè mam : noftre gouft 
«ft irréfolu ^ incertain ; il tne fçait riçn ter 
iiir sij jouir de bonne-âjpon ::De^làeft ve- 
nue la queftion interminable du (boverâin 
ivicn. Les efao&s meilleures (bavent en no» 
mains par noJftrefoibkiTe, vice, & infuâS-^ 
£uice , s'empirent , Ct corrompent, deviens 
•nent à rien, nous (ont inutiles, voire quel*^ 
iqiiesfois contraires &'doinmageri>lcs« 



t lYHl I. C H A J». IV. %9 

» 

Mais la foibléfle humaine Te mooftre ri-r ^ <*, 

Au bien 

chement au bien & au mal , en k^ vertu & & au 
au vice 5 c'eft que l'homme ne pcuft eftrci "**!• 
quand bien il voùdroit , du tout bon ny du 
tout mefchant^ U eft impuiilânt à tout. Sur 
ce piopos cJQuofiflé^ons trois poinâs s le pre> 
miër eft» que Von ne peut £uire tout bien » 
«y exercer tome venus d*autant.que plur 
lîeurs vertus (ont incompatibles, âCAepcif i.VeRtt 
vent demeurer en(èmble , comme la comi* ^'^^* 
tience filiale & viduale , qui font entière* 
ment différentes, le coelibat&le marine) 
eftans les deux féconde eftats de viduit^ Se 
de mariage bien plus pénibles & af&ireux, 
]8c ayant plus de diiHcùlté & de vertu qtie 
les deux premiers de filiage 6c de.cœlibat : 
qui ont aufli plus de pureté, de graée 6c 
d'ayfance. La confiance qui eft en la paU* 
vreté , indigence, adverfité, & celle qui eft 
en l'abondance & profpérité y la patience 
-de mendicité & la libéralité. Cecy eft en* 
core plus vray des vices qui font oppotites 
les uns aux autres. 

Le fécond eft que bien fouvent Ton ne ^ • 
peuft accomplir ce qui eft d'une vertu, fans 
le hun & offence d'une autre vertu , ou 

iij 



90 D^ X A Sac i s s f , 

pe(cheftc : d'eu vicut q4ie roii:ne pem {a«- 
tisfaire à Tone 4]u*aiiz de^&s de rautK^r 
C'eft tousjoon defconviir un aiitelf»our ea 
couvrir un autre, tant eft courrcd: fbible 
toute la fuffi£i«cèJiainame, cfu'eMe ne peur 
bailler ny recevoir un r^ement certain , 
tiniveffel , & «onfbmc à JdSbx komme de 
' -lÂcn-}& ne peuft fibienadvf&rfc pour^ 
voir, que les moyens de bien:£use ne s'en- 
tr'empcfchent foiwent. La charité & la- 
juftice fe contredifem s ii )e rencontre mot» 
patent & amy en la guerre de contraire 
pany , par |uâice )e le doibs tuer , par cha^ 
rite l'épargner & iàuver. Si un homme eft 
blefR à lamort, où n'y aye aucun remède» 
8c n'y refte>qu'un languir tr^ douloureux» 
c*eft œuvre de charité de l'achever , mais 
qui feroit puny par )aûice : voire eâre 
trouvé pr^ de luy en lieu «(carte , où y a 
doubte du meurtrier, bien que ce Toit pour 
luy &ire office d'humanité , eà très dange^ 
reuxs & n'y peufl aller de moins que d'eflre 
taravaillé par la juftice , pour re(pondre de 
ceft accident, dont Ton eft innocent. Et 
voilà comment la juftice non-ieukment 



LIVRE I. CHAP. ly. «îl 

teutte la chanté , 4nais elle*mcfhft s'en* 
trave & s-emperche : yî^mmitm jus fumma.^ 
injuria. 

Le troi£cme plus notable de tous: i'oA tf« 
eft contcainé^ â>uvent de fe (èrvir 8c ufer de 
mauvais moyens pour ervi«er*3t fortîr d*aa 
plus grand mal , on {^uir parvenir à 4ine 
bonne fin ; tellement qu'il faut quelques^ 
fois légitimer & authorif^ non-fêolemenc 
les chofes qui ne font point bonnes , mais 
encore les mauvaifes ; comme Ç\ pour eflre 
bon il falloir eftre un peu méchant. £t cecy 
fe voit non-'^eulesnent au faiâ de la police 
& de la juflice, mais encore en lareligion^ 
qui monfhe bien que toute la coufture & 
conduite humaine eft bailie & faiâe de pie- 
tés maladifves. 

En la police, combien de chofes mau« i. Police. 
vaiCcs permifcs & en ufage public , non- 
feulement par connivence ou permiflîon, 
mais encore par approbation des loix , 
comme fe dira après en (on lieu l Ex fenor 
tufconftdtis&plehifcithfceltra exercentur. ' j, ^* 
Pour defcharger un cftat & république de 
trop de gens , ou de gens bouillants à la guer- 
re, qu'elle ne peufl: plus porter, comme un 



)1 SELaSaGES'SÊ. - 

corps replet de mauvaifeis ou trop d*W 
meurs , l'on les envoyé ailleurs s*accommo^ 
der aux defpens d*autruy : comme les Frân« 
çoîs. Lombards, Goths, Vandales, Tartares, 
Turcs : pour efviter une guerre civile Ton 
en entretient une eftrangere. Pour ins- 
truire à tempérance , Lycutgus £û(bit en- 
yvrer les Ilotes ferfs, pour par ce desbor- 
dément faire prendre horreur de ce vice. 
Les Romains , pour drefTer le peuple à la 
vaillance , & mefpris des dangers & de la 
mort, dreiToyent les fpeâacles furieuse des 
gladiateurs & efcrimeurs à outrance : ce 
qu'ils firent au commencement des crimi- 
nels , puis des ferfs innocents , enfin des li- 
htcs qui fë donnoyent à cela. Les bourdeaux 
aux grandes villes , les ufures , les divorces! 
en la loy de Moyfe & pluiîeurs autres 
nations & religions , permis pour efViter de 
plus grands maux. 
^. £n la ju(Hce, laquelle ne peut fubiHler 

^ JuftI- & eftre en exercice fans quelque meflange 
d'injuftice , non-feulement la commuta- 
tive, cela n'efl pas eftrange , il eft aucune- 
ment nécefTaire , & ne fçauroit*on vivre &:i 
trafiquer enfemble fans léfion , oflènce &! 



LIVRE I. CHAP. rV. f$ 

dommage mutuel , & tes loix permettent 
de (è tromper au-defToubslamoitié du jufte 
prix : mais la difbibutîve , comme elle- 
mefine confeâê, fummumjus fumma in*' 
juria : & omne^magnum exemplum hahet 
•aHqidd ex iniquo , qtiod contra fingulos 
utilitau publica rtpendttur. Platon per*- 
3net, &^^lc (Hle ed tel en plusieurs endroiâs, 
d'attirer par fraudes & fiiuiTes efpérances de 
&veur ou pardon le criâtinel à defcouvrk 
ion £iiâ. C^par inja(&e, piperie & îm- 
-pudcnce, vouloir arriver à k jufti<îc. Et p^ceii 
^e diroii5-*nous de rîQventiosi des^gehen-^ hennés. 
3ie$ , qui cft .plufloâ: 'un efTay de patience 
•que de vérité j car celuy qui les peufl fouf- 
^, fictnelespeuftfoizSnr, cacherala ve- 
nte. Pourquoy :k douleur lera-t^elle pluf*- 
toû dire ce qui eft, que ce qui n'eft pas3 
£ l'on penfe que Tinnocent eft aiTez pa- 
tient pour fupponer les tourments, &'pour- 
-quoy ne le feia celoy qui eft coulpable ^ 
«ftant quefHon de faaver fa vie? Pour ex- 
ïuf&on diâ quek torture eftonne le coul- 
pable, rafFoiblit, & luy fait confeifêrik 
iàuiTeté-; À-au rebours fortifie l'innocent: 
mais il s^dft tant fouvent ^v^eu le contraire^ 



)4 i)ilaSa6ssse» 

cccy eft Captieux , &, à dire vray, un paav fe 
moyen , plein d'incertitude & de doubtè. 
Que ne ditoit & ne feroit-on pour fouit à 
celles douleurs } Etenim innocentes nuntiri 
xogit dolor. Tellement qu'il advient que le 
Juge qui donne la géhenne a£n de ne faire 
mourir Tinnocent» il le faiâ mourir & inno* ' 
cent & géhenne. Mille & mille ont chargé 
leurs tefles de ÊtufTes accufations : mais au 
bouc du compte eft-ce pas grande injuftice 
& cruauté de tourmenter & rompre un 
homme , de la faute duquel on doubte en- 
core^ Pour ne le tuer fans occafion'. Ton 
luy fait pire que le tuer : s'il eft itmocent 
■& fupporte lapeyne, quelle raifi>n luy eil- 
il fàiâ du tourment injufte 'i II fera ab- 
fous , grand mercy. Mais quoy , c'eft le 
moins mal que la fbibleffe humaine aye 
/pu inventer : toutesfois n'eft pas en praâi' 
que par-tout. Il fcmble que commettre an 
. combat les parties^ quand l'on ne peuft àd- 
couvrir la vérité ( moyen condamné par la 
Chreftienté , & jadis fort en uGige ), Toit 
moins injufte & cruel. 
4. Reli- £n 1a religion, les plus grandes & fo- 
i*^» ^*" JemnçUes aâioos font marques honteofes^ 



LIVRE I. CHAP. IV. 3i 

èc remèdes aux maladies humaines : les (a- 

crifices qui ont efté anciemiemeiit en û 

grande révérence par tout le monde uni^ 

verfel , voire en la religion judaïque , 8c 

encore font en uGige en pluûeurs endroits 

du monde, non-feulement des beiles , mais 

encore des hommes vivans , voire des in* 

nocents : quelle plus grande rage & manie 

peuft entrer en Timagination , que de pen- 

{èr appaiObr & gratifier Dieu par le maf-* 

(acre & fangdes beftes? Non fanguinc co- scnec. 

Undus Deus ; qiu etiim ■ ex trucidât ione 

immerentium voluptas efi ? Quelle folie de 

penfbr £dre fervice à Dieu en luy donnant 

& préfentant , & non pluftoft en luy de* 

mandant & implorant "ï Car c*eft grandeur 

de donner & non de prendre. Certes les 

facrifices eftoyent ordonnez en la loy de 

Moyfe, non pour ce que Dieu y prinft plai- 

fir , ou que ce fiift chofe par aucune raifbn 

bonne de foy, jî voluijfes facrificîum de- pénîtcn- 

dijfem utique, holocaufiis non deUHaberis : ce. 

facrificîum & oblationem noluifti , holo» 

cauftum pro peccato non pofiulafii y mais 

pour s^accommoder à la foibleffe humaine : 

car il eft permis de folier avec les petits 



p^ Bl t A s A G £ s s E, • 

«ofanis. La pénitence eft la chofe la picis 
recommandée & des principales de la re* 
ligion 'y mais qui préruppofe péché ,. & eft 
remède contré iceluy , fans lequel ce fêroic 
de Coy chofe mauvaife : car le repentir > la 
Jute- tnfteàe & affli^on d'efprit eflmaJi, Le ju:^ 

»cnt« rement de mefmc caufé par l'infidélité Se 
mefEance humaine» & remedejcontre icelle» 
ce font tous biens, non de foy, mai» 
comme remèdes aux maux. Ce. font biens 
pour ce qu'ils font utiles Se néceilaires ,.& 
non au rebours. - Ce font biens, comma 
Tedernuement de la médecine, bons fignes 
renans de mauvaife caufe , guarifon de 
maux. Ce font biens , mais tels qu'il fe« 
roit beaucoup meilleur qu'il n'y en eoll ja- 
mais , & qu'il n'en fuft point befoin. 
9. Si l'homme dd ibible à la vertu, comme 

f . Vérité, il YÎcm d'eftrc monftré, il l-eft encore plus 
à la vérité. C'eft chofe eftrange , l'homme 
dc(îre naturellement fçavoir la vérité , Se 
pour y parvenir remue toutes chofes : néantr 
moins il ne la peuft foui&ir , quand elle Ce 
préfente; fon efclair l'eftonne > fon efi:lat 
Vatterre: ce n'eft point de fa: faute, ca» 
4^1k eft très bielle, très anûàhk ^.trcscon? 



L I V R E L C H A p. I V. 37 

venable àrhomme > & peuft-on d'elle dire 
encore mieux , qae de la vertu & fagefTe , 
que iî elle fepoavoît bien Toir, elle raviroir 
& embraferoic tout le monde en fon amour. 
Maïs c'eft la foibleiTe de Thomme qui ne 
peuft recevoir & porter une telle fplendeur; 
voire elle TofFenfe. Et celuy qui la luy pré- 
fente cft fouvent tenu pour ennemy , veri^ 
tas odium parit, C'eA aâe d*hoftilité que 
de luy monftrer ce qu'il ayme & cherche 
unt. L*homme e(l fort à defirer, & foible 
a recevoir. Les deux principaux moyens 
qu'il employé pour parvenir à la cognoif- 
(ance de la vérité, font la raifon & l'expé- 
rience. Or tous deux font (î foibles & in- 
certains ( bien que l'expérience beaucoup 
plus ) que n'en pouvons rien tirer de cer- 
tain. La rai£bn a tant de formes > eft tant 
ployable, ondoyante, comme fera ditam-' 
plement en fon lieu. L'expérience n'en a 
pas moins s les événemens font tousjours 
diiTemblables. Il n'y a rien fî univerfel en 
là nature, que la diverfîté : rien il rare 8c (î 
difficile , Yoirç quafî impofliblè , que la 
iimilitude. Et fi l'on ne pei^t remarquer la 
diifemblance , c'eft ignorance & folbleife. 

D 



\ 



^% DELaSaGB'SS£, 

Ce qui s'entend de par&iâe & entière £cm« 

blance & diflemblance. Car à vray dire 

tous les deux font par-tout : il n'y a chofe 

aucune qui (bit entièrement J&mblable & 

difTemblable à un autre : c*eft un ingénieux 

medange de nature. 

10. Tout ce defTus monftre combien cft 

' grande la foiblefTe humaine au bien , à la 

vertu, & à la vérité : mais qui eft plus 

eftrange, elle efl auflî grande au mal. Car 

voulant cftre mefcbant , encore ne le peuft* 

il eftre du tout , & n*y laifTer rien à Cuire. 

Il y a tousjours quelque remords & crain* 

dfve confédération, qui ramolifl: & rclaf^ 

che la volonté, & referve encore quelque 

chofe à faire : ce qui a cauf% à plufîeuis 

leur ruynç, bien qu'ils enflent projette là« 

dcffus leur fàlut. C*efl foibleffe & fbttifè » 

dont efl venu le proverbe à leur defjpens : 

qu*// ne faut jamais folîer à demy» 

iT. Remarquons encore plufieurs autres ef-r 

pfchen- ' ^^^ ^ tefmoignagcs de la feibleffe hu- 

lions 8c maine. C*efl: foibleffe & relatifve de n'ofer 

icfus. jjy pouvoir reprendre autruy , ny.cflre re- 

prins > volontiers qui efl foible ou coura* 

geuxen Tun, i'eft aufC en r^^uxre. Or c*ç(l 



tiVRE I. CkÀP. ÎV. $p 

One grande délicatefiè fe priver ou autruy 
d*iin fî grand ftuïék pour une fi légère & 
fuperficielie piqueure, qui ne (aiéï que tou- 
cber & pinfler Tortille. A ce pareil eft voy- 
iîn ceft autre de ne pouvoir refufer avec 
raifbn , ny aufli recevoir & foufFrir dou« 
cernent un refus. 

Aux faufTes accafations & mauvais foup^ n ' 
çons qui courent & Ce font hors jufticc , il foupçons 
îe trouve double finefie> Tune qui eft aux & accu- 
intereffez, accufeï & foupconnez , c*eftdfc ^*"*^°*' 
fe juftifier & ezcufer trop facilement, foi* 
^eufement, &quafiambitieùfement. Men- 
dax infamia terrtt quém ? njfi mendofum t 
C'çft trahir fon innoc^ice , mettre 'fa cofl- 
fcience èc (on droiâ -en -compronris & en 
arbitrage., que de -plaider ainfi, perjpzcui^ 
tas argumentaùone elevàtur, Socrates eu 
jufticc mefme ne te voulfift faire ny p^ 
-foy ny par autruy , r^fant d'employer 
le beau plaider du grand Lyfias , & ayma 
mieux mourir. L'autre eft au cas contraire, 
c'eft quand l'accufé & prefvenu courageut 
tie fe fbucîe de s'excufer ou juftifier , par- 
ce qu'il merprifè l'accufation & raccufatft 
«comme indignes de rë(ponfe & juftifica^ 

Dij 



40 delaSacîesse, 

tion , & ne fe veut faire ce ton d'entrer en 
celle lices praéHqué par les hommes gêné- 
xeux, par Scipion fur tous plufieurs fois 
d'une fermeté mervcilleufe : lors les autres 
s'en ofFenfent, ou efUmans cela trop grande 
f:onfîdence & orgueil» & fè pic(|uans de ce 
qu'il fent trop Con innocence , & ne Ce 
defmet pas » ou bien imputans ce filence Se 
mefpris à faute de cœur, defEance de droiâ^ 
impuiifance de fe juftifîer. O fbible huma- 
nité l que l'accufé ou foupçonné fe défende, 
ou ne fe défende, c'eft foibleffe & lafcheté. 
Nous lui devrons du courage à ne s'excu* 
fer, & quand il l'a, nous fommes foibles 
à nous en ofFencer. 
i^« , Un autre argument de fbibleffe eil de 

& aélica-^*^^^i^^^ ^ acoquiner à une certaine fa^ 
tcirc» • çon de vivre particulière v c'eft moleife pol- 
tronne , & délicatefTe indigne d'unhonneftç 
Jiomme, qui nous rend incommodes & dé- 
sagréables en converfation, & tendres au 
mal, au cas qu'il Êiille changer de manière 
de faire» C'eft auiH honte de n'ofer ou 
laiiTer par impuiâance à faire ce que l'on 
•voit faire à fes compagnons. Il faut que 
telles gens s'aillent cacher & vivre en Leur 



1 1 V n E L c h A *. I V. 41 

foyer : la plus belle façon eft d'eftre foupplé 
& ployable à tout , & à Tezcez mefme fi 
befoin eft, pouvoir ofer & fçayoit faire 
toutes diofes , & ne £dre que les bonnes» 
U faiâ bon prendre des rdgies mais non s'y 
aâervir. 

Il fèmble appartenir à fbiblefTe , & cftrc q^ J^^ 
une grande fottife populaire de courir après des Li- 
Ics exemples eftrangers & fcholaftiques , '^'^*' 
«près les alli^ations , ne faire eflat que des 
ceûno^ages imprimez, ne croire les hom-i* 
mes, s'ils ne font en livre, ny vérité fî elle 
n'eft vieille. Selon cela les fottifes , fî elles 
font en moule , elles font en crédit Se en 
dignité. Or il s'y faié^ tous les jours devant 
nous des chofes que fi nous avions Tefpric 
& la fulHCance de les bien liècueiilir, efplu- 
ther, )uger vifvement , & trouver leur jour, 
nous en formerions des miracles & mer^ 
veilleux exemples, qui ne cèdent en rien à 
ceux du temps paflë , que nous admirons 
tant , & les admirons pource qu'ils font 
vieux & font efcrits. 

Encore un tefmoignage de fbibleffe efl j^. 
que l'homme n'efl arable que des chofes ^"*. «*• 
médiocres , Se ne peufl fbufFrir les extremis 

Diij 



49. X>xi.aSa<ïesss, 

f cz. Car fi elles £bm petites , & en leot 
monftre viles, il les derprife & defdaigne 
icomme indignes, & s'ofience de les confl- 
dérer : fi elles font fort grandes & efclatan* 
tes, il les redoubte , les admire, & s'en fcan- 
dalife. Le premier touche principalement 
les grands & fubtils, le fécond fe trouve 
aux plus fbibles. 
i<. Elle fe monftre auffi bien clairement à 

fubiccf. 1*^^^> veue, & au coup fubit des chofes 
nouvelles & inopinées, qui nous furpren- 
nent & faiiifient à Timpourveu : car elles 
nous eftonnent fi fort , qu'elles nous oftent 
les fens & la parole , diriguh yifa in mé" 
. dio y calor ojfa reliqidt > labitur j & longo 
vix tandem tempore futur , quelquesfois la 
-vie mefme : foient -elles bonnes, tefmoin la 
Pâme Romaine qui mouruft d'aifc voyant 
fonfils retourné de la defroutte , Sophocles 
.& Denis letyran : foîent mauvaifes, comme 
Diodorus , qm mouruft fur le champ de 
honte, pour ne pouvoir delVelopper uii ar- 
gument. 
„^ Encore ceftuy-cy, mais qui fera double 
^ de deux façons contraires. Les uns ce- 
dent & (ont vaincus par les larmes & hum- 



t I V R E L C H AP. lY. 4f 

i>les fuppiications d'autruy , & fe picquent 
du courage & de la brav erie i tes autre? au 
rebours ne s*efineuvent par toutes' les fdb' 
tniffîons & plaintes, & fe laifTent gàigûer 
à la confiance & réfolution. Il n'y a point 
de doubte que le premier ne vienne de foi- 
blefle : aufli fe trouvé-t-il volontiers es 
âmes molles & vulgaires. Mais le fécond 
n'eft (ans difficulté, & fe trouve en toute 
forte de gens. Il femble que fe rendre à 
la vertu & à une vigueur mafle & gêné- 
reufe, eft d*ame forte aufH & génércufe : 
& il eft vray , s'il fe faiât par eftimation & 
révérence de la vertus comme fit Scander- 
berch recevant en grâce un foldat pour 
l'avoir veu prendre party de fe défendre 
contre luy ; Pompdus pardonnant à la ville 
des l^ammertins en confidération de la 
vertu du citoyen Zenon j l'Empereur Con- 
rad pardonnant au Duc de Bavieres & au- 
tres hommes affiegez, pour la magnani- 
mité "des femmes, qui les luy defroboient 
& emportoient fur leurs teftes. Mais fi c' eft 
patveftonnement & eftray de fon efclat, 
comme le peuple Thébain qui perdit le 
€t£ur oyant Epaminondas accufé raconter 



44 b£ LA S Jk G C s s s, 

fes beaux faiâs, 8c luy reprocher avec ûcrd 
Gm ingratitude , c*eft foibleffc Se lafcheté. 
Le fkiâ d'Alexandre mefprirant ta ixrave ré* 
iblotionde Becis prins avec la ville de Gaza 
DU il commandoîc , ne fuft de ùÀhltSc ny 
de courage , mais de colère , la<]»elle en 
luy ne rccevoit bride ny modéracson au-* 
cune. ..^ 

f 

III, Inconfiance. 

CHAPITRE V. 

». L'homme cft un fubje<flmerveilleu{cnicnt 
divers & ondoyant , fur lequel il cft très 
malaifé d*y affecwr jugement afTeuré, ju- 
gement, dis-je , univerfel & entier, à caufe 
de la grande contrariété & difTonance des 
pièces de noftre vie. La plufpart de noi 
adions ne font que faillies & bouttées pouf 
fées par quelques occafîons : ce ne font que 
pièces rapportées. L'irréfolution d'une part, 
puis l'incondance & Tinflabilité , eft le plus 
commun & apparent vice de la nature bu* 
maine. Certes nos allions fe contredifent 
(buvent de fi elbrange façon , qu'il {emble 
impof&ble qu'elles foient parties de mefmd 



t I Y R E L C H A p. V. 4J 

boutique. Nous allons après les inclina^ 
tions de noftre appétit» & félon que le Ycnc 
des occafîons nous emporte , non (êlon la 
raifon , at mlpotefi ejfe ^quabile^ quod non 
à certa ratione proficifcatuf» Auffi nos ef- 
prits & nos humeurs fe meuvent avec les 
mouvemens du temps , taies funt kominum 
mentes qualis pater ipfe Jupiter auHifero 
lufiravit lampade terras. La vie eftunmour 
Tement inégal, irregulier, multiforme. Enfin 
nous nous remuons & troublons nous-mef- 
ffles par l'inftabilité de nofliepofture. Nemo 
non quottUe confilium mutât & votum : 
modo uxorem vult , modo amicam ; modo 
regnare vult , modo non efi eo officiofior fer-- 
vus; nunc pecuniam Jpargit , nunc rapit; 
modo f rugi videtur & gravis» modoprodigus 
& vuTius i mutamus fubinde perfonam, 

Quod petiic, rpenrit ) repeth quod nuper omifit. 
AUvax. y & viue difconvenic ordinc cnto. 

L*homme eft Tanimal de tous le plus 
difficile à fonder & cognoiftre » car c'eft le 
plus double & contreËiiâ , le plus couvert 
& artificieU & y a chez luy tant de cabi- 
nets & d*arriere - boutiques , dont il fort 
Untoft homme , t^mtoft fatyre s t^( d$ 



4^ b E lA Sac £'s st, 

fisufpirails , dont il fooffie cantofl le cbauJ^ 
tantofl le froid , Se d*oti il fort tant de Bi" 
mëe. Tout fon branflcr & mouvoir n*eft 
qu'un cours perpétuel d'erreurs : le matin 
naiftre, le Toir mourir s tantoft aux ceps , 
tantoft en liberté 5 tantoft un Dieu , tantoft 
une mouche. Il rit & pleure d'une Inefme 
chofe. Il eft content & mal content. Il veut 
& ne veut 9 & ne fçait enfin ce qu*il veut. 



Mi**a 



ir. Miferc. 

C H À P I T R E jr I. 

Mifere VoTTci le grand &^ piiiïcipal traiéb àt 

Vhïm-^ fapeinaurc jil efl; comme a e^c di<â, vain^ 

«»«• foible , fircfle^, inconftant au bien , à la fé*- 

licite, à rayfc : mais il eft fort, rbbuftcj 

conftant, & endurcy à la mifere 5 c'cft k 

mîfercmcfme toute vif^e : c'eftentm mot 

exprimer rhumanité , car en luycft toute 

mifere , & hors de luy il n'y en a poinô au 

monde. C'oft le propre de l'homme d'cftre 

miferablc, le feul homme, & tout homme 

eft tousjours miferable^ comme fc vernu 

Qui voudroit rcprefentcr toutes les parties 

^ la mifere humaine , faodxoit difcourit 



•LIVRE L CHAP. Vl,. 47 

loute fa y le.. Ton eitre, (on entrée, fa du- 
rée, fà fia. Je n'entreprens donc pas cette- 
befbngne, ce feroit œavre fans fin : &puis 
c'eftun fubjeâ commun traxtépar tous : mais 
je veux icy cotter certains poinâs qui ne 
font pas communs, ne font pas pnns pour 
ffliferes , ou bien que Ton ne fent & Ton 
ne con£derepas afTez, combien qu'ils foyenc 
les plus pre^ns > fî Ton fçavoit bien juger. 

Le premier chef & preuve de la mifere ,*• 
liumaine efl, que fa produdHon, fbn entrée commen- 
efthonteufe, vile, vilaine, mefpriféej ^^^^^°c 
fbrtie , fa mort & ruyne, glorieufe Se ho- 
norable. Dont il femble efbre un monflre 
& contre nature , puis qu'il y a honte à le 
£iire , honeur à le desfaire. Noftri nofmet 
pœnitet & pudet. Sur cecy voyci cinq ou 
fiz petits mots. L'aiStion de planter 8l faire i« 
rhonune efl honteufe, & toutes Tes parties, 
les approches , les apprefls , les outils , & 
tout, ce qui y fert , efl tenu & appelle hon-< 
teux, & n'y a rien de fî honteux en la 
nature humaine : l'aâion de le perdre 
& tuer , honorable , & ce qui y fert efl 
glorieux, s l'on le dore 6c enrichifl , Ton 
s'en pare > l'on le porte au cofté , en la 



4S I>£LASAG£SS£, 

t. main , fur les efpaules. L'on fe defdaîgne 
d'aller voir naiftre un homme : chaCcua 
court & s'afTemble pour le voir mourir , 
foie au lia, foit en la place publique , foie 

)• en la campagne raze. On fe cache , on 
tue la chandelle pour le faire s Ton le fàiâ à 
la defrobée : c'eft gloire & pompe de le des- 
£dre; l'on allume les chandelles pour le 
voir mourir , Ton l'exécute en plein jour , 
Ton fonne la trompette , Ton le combat, & 

é^ en faiâ-on carnage en plein midy. U n*y a 
qu'une manière de £iire les hommes $ pour 
les desfaire &ruyner, mille & mille moyens, 

j. inventions , artifices. Il n'y a aucun loyer , 
honeur , ou recompenfe affignée pour ceux 
qui fçavent faire, multiplier, conCèrver 
rhumaine nature s tous honeurs , gran- 
d'Turs , richeffcs , dignitez , empires , triom* 
phes , trophées font décernez à ceux qui 
la fçavent affliger , troubler, deftruirc. Les 
deux premiers honunes du monde, Ale- 
xandre & Cefar , ont desfûâ chafcun d'eux 
(comme diâ Pline) plus d'un million d'hom* 
mes , .& n'en ont faid, ny laiifé après eux. 
£t anciennement pour le feu! plaifir & paf- 
fb-temps aux yeux du peuple fp faifoicnc 



1 1 y R E I. c H A ï>. VL 4^ 
ces carnages publics d'hommes : komo Ja^ 
cra rts per jocum & lufum occiditur :fatis Senec» 
fpe^a^uii in komine mors tft : innocentes Terml. 
in ludum veniunt ut publioL voluptatis tad 
hoffiiA fiant. Il y a des nations qui maudif- 
fent leur naiÏÏance, beniffenC leur mort. 
Quel monilrueuz animal qui Te faiâ hor-^ 
rcttr à {by-mcfmc l Or riert de tout cecy 
ne Te trouve aux béftes, ny au monde. 

Le fécond chef & tcfmoignage de fa mi- ^ ^ 
fere eft au retrancher des plaîfiis Ci petits Se prl- 
& chetife qui lui appartiennent ( car des \^i^^^, 
•purs, grands & entiers , il n'en eft capable» 
comme a eftë diâ en fa foibleilè), & au rabat- 
tre du nombre de la douceur d'iceux. Quel 
monftrc qui eft ennemy de foy-mefinc , fc 
defrobe & fe trahift foy-mefme , à qui fes 
plaifirs pefent , qui fe tient au malheur l 
Il y en a qui évitent la fanté , Tallegrefle , 
la joyc, dommc chofe mauvais. O miferi 
quorum gaudia crimen kabent I Nous ne 
fommes ingénieux qu'à nous mal mener*, 
c'eft le vray gibbier de la force de noftrc 
•cfprit. ^. 

Il y a encore pis : refprit humain n'eft Se for- 
f3s feulement rabbat-joyc, trouble-feftc , ^^J^" 

Tome I. £ 



50 delaSagessi, 

cnnemyde fes petits, naturels & juftes plai* 
firs , comme je viens de dire s mais encore 
il eft foigeur de maux. Il fe peina & £gure, 
craint, fuit, abhorre, comme bien grands 
maux , des chofes qui ne font aucunement 
maux en foy & en vérité , & que les beftes 
ne craignent point , mais qu'il s'eft feinâ 
par fon propre difcours Ôc imagination eftrc 
tek , comme (ont n'eftre advancé en hon- 
neur , grandeur, biens , item cocuage , Ae- 
rilité d'enfans, la mort. Car à vray dire il 
n'y a que la douleur qui foit mal , & qui fe 
fente. £t ce qu'aucuns fâges femblent crain* 
-dre ces chofes , ce n*eft pas à caufe d'elles, 
mais à caufe de la douleur qui quelquesfois 
•les accompagne de près : car fouvent elle 
defvance , & eft avant-coureufe de la mort, 
& quelquesfois fuit la difette des biens , de 
crédit & honneur. Mais oftez de cçs chofes 
la douleur, le refte n'eft que fantafie, qui 
ne loge qu'en la tede de l'homme qui fe 
taille de la bçfongne pour efhe miferable, 
& imagine à ces' fins des faux maux outre 
les vrays , employant & eftcndant fa mir 
fere, au lieU'Vie la chaftrer & raccourcir. 
Les beftes font exemptes de ces maux, & 



tivREl. ctîAr. VI. 51 

par ainfi nature ne les juge pas tels. 

Quant à la douleur , qui cft le fcul vray ^, 
mal, rhomme y cft du tout né* & tout pro* ^^ "^ 
pre : les Mexicaines faluent les eniàns for- pr^ ^ ^ 
tans du ventre de leur mère en ces mots : Couleur. 
Enfant , tu es venu au monde pour endurer : 
endure , {buffire, & tais-toy. Que la dou- 
leur (bit comme naturelle à Thomme , & 
au contraire l'indolence & le plaifîr cho£è 
cftrangere, il appert par ces trois mots. 
Toutes les parties de l'homme font capa- 
bles de douleur, fort peu capables deplaifir. 
Les parties capables de plaifîr n*en peuvent 
recevoir que d'une forte ou de deux : mais 
toutes peuvent recevoir un très grand nom- 
bre de douleurs toutes diffêrentcs , chaud « 
froid, piqueure, froiffeure, follure, efgra- 
tignure , cfcorchure , meurtiffure , cuyfon, 
langueur , extenfîon , opprefïîon , relaxa- 
tion , & infinis autres qui n'ont point de 
nom propre, fans compter ceux de l'ame; 
tellement que l'homme eft plus pmffant à 
fouftrir qu'à exprimer. L'homme ne peuft 
gueres durer auplaifîr j leplaifîr du corps eft 
' feu de paille j s'il duroit, il apporteroit de 
fcnnuy & defplaifir : mais les douleurs du-' 



Jl D£LASaGESS£, 

rcnt fort long-temps, n'ont point Icucrcci** 
taines faifons comme les plaifîrs. Auiïîrcm- 
pire & commandement de la douleur ed: 
bien plus grand , plus imiverfel, plus puif- 
fant , plus durable , & en un mot , plus na- 
turel que du plaifir. 

A ces trois l'on peuft adjoufter autres 
trois. La douleur & de(plaifîr eft bien plus 
fréquent, & vient bien fpuventj le plaifif 
eft rare : le mal vient facilement de £07- 
mefme fans eftre recherché > le plaifîr ne 
vient point volontiers, il (c fait rechercher^ 
& fbuvent acheter plus cher qu'il ne vaut s 
le plaifir n*eft jamais pur, ains tousjours 
deftrempë & mcûé avec quelque aigreur , 
& y a tousjours quelque chofe à redire j 
mais la douleur & le de{plaifir (buvenctout 
entier 6c tout pur. Après tout cela le pire; 
de noftrc marché , & qui monftre évidem- 
ment lamifere de noftrc condition , eft que 
l'extrême volupté & plaiiîr ne nous touche 
point tant qu'une légère douleur : fegnîus 
homines bona quant maia fintiunt. Nous 
ne fentons point l'entière Gmté > comme la 
moindre des maladies : pungit in cute vix 
famma violatum plagula corpus ^ quandi^ 
valcre nil fupnquam mQV<U 



11 V RE 1 C H AP. VI. 55 

• Ce n'cft pas aflcz que rhommc foit de. ^• 

'' ... . • . 1 Parme» 

fci<a& par nature miferable, & qu outre les n,oirc 

vrais & fubftanticls maux , il s'en feigne & & ana- 
s en forge de faux & imaginez, comme di6t 
çft y il faut encore qu*il les eftende, allonge 
& fafle durer & vivre , tant les vrays que 
les faux, plus qu'ils ne peuvent , tant il ed 
amoureux de mifere s ce qu'il fai<^ en di- 
verfes façons. Premièrement par mémoire 
du paiTé, & anticipation de l'advenir, nous 
ne pouvons faillir d'eftre miferables , puis- 
que nos principaux biens , dont nous nous 
glorifions , font inftrumens de miffcres, mé- 
moire & providence : futuro torquemur Ù 
préiteritOy muita bona nofira nobls nocent, 
timoris tormentum memoriâ. reducitypro^ 
videntîa anticipât > nemo prâfentibus tan » 
tum miferefi, £ft*ce pas grande envie d'eftre 
miferable, que de n'attendre pas le mal 
qu'il vienne , mais l'aller rechercher , le 
provoquer à venir, comme ceux qui fe 
tuent de la peur qu'ils ont de mourir, c'eft- 
à-dire préoccuper par curiofité ou.foibleffe 
^ vaine apprehenfion, les maux 6d incon- 
véniens, & les attendre avec tant de peine 
^. d'allarnie ^ ceux mefmes qui par advaii- 

«n • • • 

£ n\ 



f4 delaSaoesse, 

ture ne nous doivent point toucher 1 Ces 
gens icy veulent eftre miferables avant le 
temps » & doublement miferables , par un 
real fentiment de la mUcre , Se par une 
longue préméditation d'icellc , qui fbuvcnr 
cft cent fois pire que le mal mefine : Minus 
afficît finfus fatigatîo , quant cogitation 
L'eftre de la mifere ne dure pas afTez , il 
£iut que Telprir l'allonge , Teftende , & 
avant la main s'en entretienne. Plus doUt 
iquam necefse efi , qui ante dolet quant ne- 
cefse eft. Les belles (ê gardent bien de 
cefte folie & mi(ere , & ont à dire grand 
mercy à nature, de ce qu^elles p*ont point 
tant d*e(prit, tâtit de mémoire & de provi- 
dence. Ce(ar di(bit bien que la meilleure 
mort efloitla moins préméditée. Et certes 
la préparation à la mort a donné à plufieurs 
plus de tourment que la fouf&ance mcfme^ 
Je n'entens icy parler de cette prémédita- 
tion vertueuse & philolbphique , qui eft 
la trempe par laquelle Tame eft rendue in- 
vincible , & eft fortifiée à refpreuve contre 
Uh, 2. tous afTauts & accidens , de laquelle fera 
*^f • > parlé : mais de cette paoureufe , & quelque- 
fois faulTe & vaine apprebenfion des maux 



tlVUEl. CHA>. VI. ff 

^ui peuvent advenir, laquelle afflige Se 
noircit ^e fiimée toute la beauté & ferenité 
de l'ame , trouble tout Con repos & fa )oy e; 
il vaudroit mieux du tout s'y laifTer fur- 
prendre. Il eft plus facile & plus naturel 
n'y penfer point du tout. Mais laiâbns en-' 
core cefte anticipation de mal. Tout fîm^ 
plement le foin & penfément pénible & 
béant après les chofês advenir, par efpe* 
rance, deiîr , crainte , eft une très grande 
miCêre : car outre que nous n*avons au^ 
cune puiflance Cm Tadvenir, moins que fur 
le paffé ( & ainfî c'eft vanité, comme a eftc (^ f, 
diâ ) , il nous en demeure encore du mai &c 
dommage , calamîtojus eft animus futuri 
anxius , qui nous defrobe le fentiment , ôc ' 
nous ofte la jouyilànce paifible des biens 
pre(ens, & empefche de nous y rafTeoir Se 
contenter. 

Ce n'eft pas encore aflcz , car afin qu'il „ ^* 
ne lui manque jamais matière de mifere, cherche 
voire qu'il y en aye tousjours à foifon, il »n<l^ic^- 
va tousjours furetant & cherchant avec 
grande eftude les caufês & alîmens de mi^ 
fere : il fe fourre aux affaires de gayeté de 
tocm, & tels que quandUss'offriroieiirà 



5^ ^£tASA6E»9^£, 

hiy, il leur devtoic tourner le dos : ou bien 
pSLi une inquiétude miferable de Ton cfpric, 
ou pour faire l'habile , l'empefclié , & l'en- 
tendu, c'eft-4-dire le fot & miferable» il 
entreprend & remue befongne nouvelle , 
ou s*entreme{le de celle d'autruy. Bref, il 
eft fi fort & incefTammcnt agité de foing & 
penfemens, non-feulement inutiles & fu- 
perâus , mais efpineuz , pénibles & dom-^ 
mï^eables , tourmenté par le prefent , en* 
nuyé du paiTé, angoifTé pour Tadvenir, 
qu'il femble ne craindre rien plus que de 
ne pouvoir pas eftre affez miferable : donc 
l'onpeuft juftemencs'efcrier, ôpauvres gens, 
combien endurez-vous de maux volontai- 
res , outre les néceffaires que la nature 
vous envoyé 1 Mais quoy ! l'homme Ce 
plaid en la mifere , il s'opiniaftre à rema(^ ^ 
cher & remettre continuellement en mé- 
moire les maux paffez. Il eft ordinaire à (e 
plaindre , il enchérit quelquesfois le mal & 
la douleur , pour petites & légères chofès , 
il Ce dira le plus miferable de tous , eft qud- 
dam doUndi voluptas. Or c'eft encore plus 
grande mifere de trop ambitieufement faire 
ifoir la mifere > que ae la cognoiftre & ne 



LIVRE I. CHAP. VI. S7 

fcntir pas , Homo animal qucrulum, cupidh 
fias incianbens miferiis. 

Le voylà donc bien miferable Se naturel- g 
kmenc & volontairement, en vérité & par Aux re- 
imagination, par obligation , & de gayeté ™e*^n^£ç, 
de cœur. Il ne Teft que trop, & il craint te. 
de ne Teflre pas afTez , & eft tousjours en 
quefte & en peine de s*en rendre encore 
d*advantage. Voyons maintenant comment, 
quand il vient à le fentir & s*ennuyer de 
quelque certaine mifere ( car il ne fe laiTe 
jamais de l'eftre en plusieurs fàfons fans le 
fentir ) il fàiâ pour en Conir, & quels font 
les remèdes contre le mal« Certes tels qu'ils 
importunent plus que le mal meûne qu'il 
veut guarir : de forte que voulant fortir 
d'une mifere , il ne la hxât que changer en 
une autre , & peuft-^ftre pire. Maisqnoy l 
encore le changement k deleâe, au moins 
le foulage > il penfe guarir le mal par un 
autre mal : cela vient d'une opinion qui 
tient le monde enchanté & miferable, qull 
n'y a rien utile s'il n'eft pénible , rien ne 
vaut s'il ne.coufte, l'aiCànce luy eft fuf- 
fc£tc, Cecy vient encore de plus haut;; 
c'dl chofe eftrangc » mais vciiuble « & qui 



jS delaSa<ïesse* 

convainq l'homme d*cftre bien mifcrable , 
qu'aucun mal ne s'en va que par un autre 
jmal, foit au corps, ou en Tamc. Les ma- 
^ ladics. fpirituelles & corporelles ne font 
guaries & chafleeS que par tourment , dou- 
leu* : peines les fpirituelles par pénitence , 
veilles', jeufnes, haircs , prifons, difci- 
plines , qui doivent eftrc vrayement aifli-^ 
aions & poignantes 5 car fi elles venoient 
à plaifir ou commodité , elles n'auroient 
point d'efFed : les corporeUes de mcfmc, 
par médecines » incîiions , cautères, dicttes 5 
comme fcntent bien ceux qtn font obligez 
^ux règles médicinales. Us font battus d'une 
part du mal qui les poingt, & d'autre de la 
règle , quijcs emiuyc. 
9' Toutes CCS mifércs fufdides font corpo- 

Scl rcUes où bien mixtes & communes à l'ef- 
l«- prit & au corps j & ne montent guercs plus 
haut que l'im^narion & fentafic. Confi- 
dcrons les plus fines & fpirituelles, qui font 
bien plus miferes , comme eftant erronées 
& malignes, plus avives & plus fiennes, 
mais bLcoup moins fenties & advouées , 
cequi rend l'homme encore plus & dou- 
bloment mifcrable , îic fcntant que les 



1 1 V K E I. c H A P. VI. yy 
maux médiocres, & non les plus grands } 
voire Ton ne les luy ofe dire ny toucher, 
tant il eft confia 6c defploré en fa mifere : 
fi faut-il en paffant & tout doucement en 
dire quelque chofe , au moins les guigner 
& monftrer au doigt de loing, affinde luy 
donner Qccafion d'y régarder & penfer » 
puis que foy-mefme il ne s*en advife pas^ 
Premièrement pour le reeard de Tenten^ ^^}*^^' 
dement » eit-ce pas une eftrange & piteufe mcrnc. 
mifere de l'humaine nature » qu'elle foit 
toute confiée en erreur & aveuglement } La 
plulpart des opinions communes & vul- 
gaires » voire les plus plaufibles & receuës 
avec révérence, /ont fauifes & erronées , & 
qui pis eft la plufpart incommodes à la fo- 
ciété humaine. £t encore que quelques (a- 
ges, qui font en fort petit nombre, fen- 
tent mieux que le commun , & jugent de 
ces opinions comme il &ut. Ci eft-ce que 
quelquesfois ils s'y Id/fent emporter, finon 
en toutes & toufiours, mais à quelques^ 
Unes &, quelquesfois : il faut eflre bien fer- 
me & confiant pour ne fe laiffer emporter " 
au courant, bien fain & préparé pour fe 
garder net d'une cont^on fi univerfelle : 



les Opinions generalles receues avec applatf* 
diilcment de tous & uni contradiâion Tonc 
comme un torrent qui emporte tout : Prok 
fuperUquantummortaliapeSiora câca noBis 
habent ! 6 miferas hominum mentes ifpec» 
tora cAca I qualibus in tenebris vita quart'' 
tijquc pcriclis degitur hoc âvi quùdcumqut 
tft! Or ce Terbit chofebien longue de {pe- 
cifier & nommer les foies opinions dont 
tout le monde eftabbrcuvé. Mais en voycî 
quelques-unes » qui feront traiélées plus au 
long en leurs lieux. 
Voyez I . Juger des advîs & confeils par les eve- 

"^* '• nemens qui ne font aucunement en noflre 
main , & qui dépendent du ciel. 
V. /. 1. *• Condamner & rejetter toutes chofos, 

C.8. inœurs, opinions, loiz, couftumes, ob« 
forvances, comme barbares & mauvaifes , 
fans fçavoir que c*eft & les cognoiftre , 
mais feulement parcequ*elles nous font inu- 
fitées & eslongnées de noftre commun & 
ordinaire. 
V* '• *• j. EfUmer & recommander les chofes à 
caufe de leur nouvelleté» ou rareté, ou 
eflrangeté, ou difficulté, quatre engeoleurs, 
qui ont grand crédit auxefprits populaires ; 



me. 



L I V R ï I. C H A P. V L €l 

& Totivent celles choies font vaines, ^non 
à «ftimer , fi U bonté & utilité n'y font 
jointes : dont juftcment fiift mcfprifé du 
Prince , celuy qui fe glorifioit de fçavoir dç 
}oin jétter & pafTer les grains de mil par 
les trous d'efgttille. 

4. Gener^ement toutes les opinions fu- 
^erftitieufes , dont font affeublez les en- 
&X1S, femmes, & e(prits foibles. 

5.Eftimer les perfonnes parles biens» Aumcf- 
xicbeifes, dignitez , honneurs^ & mefprifer 
ceux qui n'en ont point, comme fi l'on ju- 
geait d*un cheval par la bride & la felle. . 

6, Eftimcr les chofes non félon leur 
▼raye, naturelle, & eiTentielle valeur, quieft 
fbuvent interne & fecréte , mais félon la 
monflre & la parade, ou le bruid commun. 

7. Penfcr bien fe venger de fon ennemy 
€n le tuant : car c'eft le mettre à l'abry & au 
couvert de tout mal , & s*y mettre foy : 
c'cft luy ofter tout le reffentiment de la 
vengeance, qui eft toutesfois fon principal 
cfFeét 5 cccy appartient aullî à la foiblcife. . 

«. Tenir à grand injure & defeftimer 
"comme miferable un homme, pour eftrc 
coqu : car queUc plus grande folie en ju^ 

Tome /. F 



$1 'd£LASaG£SSC,' 

gement, que d'cftimer moins ancperfbntie^ 
pour le vice d*aucruy , qu'il n'approuve 
pas ? Autant ce fembie en peut-on dire d'un 
baftard. 

^. EfUmer moins les chofes prefcntes, 
ou qui font noftres , & defqueiles nous 
iouyflbns paisiblement y mais les eftimer 
quand on ne les a point , ou pource qu'elles 
font à autruy , comme fi la pre(ence & le 
pofleder ravaloit de leur valeur , & le non 
lavoir leur accroiflbit , Vinutem incolument 
vdimuSyfublatam exoculisquArimus tnvidif 
c'efl pourquoy nul prophète en fon pays« 
Aufn la maiftrife & Tauthorité engendre 
mcfpris de ce qu'on tient & régente , les 
maris regardent defdaigneufement leurs 
femmes , & plufleurs pères leurs enfans : 
veux-tu , di A le bon compagnon , ne Tay- 
mer plus , efpoufe-la. Nous eftimons plus 
le cheval , la maifon , le valet d'autruy « 
pource qu'il eft à autruy & non à nous. 
C'eft chofe bien eflxange d'eftimer plus les 
chofes en l'imagination qu'en la realité , 
comme on fàiâ toutes chofes abfentes & 
eftrangeres , foit avant les avoir , ou après 
les avoir eues. La caufe de ce en tous les 



LIVRE L CHAP. VI. 6$ 

^eux cas fe peut dire qu*avant les avoir 
' Ton les eftime non félon ce qu'elles vaient> 
mais félon ce que Ton s*eft inu^iné qu'elles 
font, ou qu'elles ont efté vantées par au- 
truy : & les poffedant l'on ne les eftime 
^ue félon le bien & le profit que l'on en 
tires & après qu elles nous (ont oftées l'on 
les confîderc & regretce toutes entières & 
en blot , où auparavant l'on n'en jouyf* 
foit & ufoit-on que par le menu , & par 
pièces fucceflivemenc : car l'on penfe qu'il 
y aura tousjours du temps aiTez pour en 
jowr : & à peine s'apperçoit-onde les avoir 
& tenir. Voylà pourquoy le dueii eft plu^ 
gros & le regret de ne les avoir , que le plai- 
fir de les temr : mais en cecy il y a bien au- 
tant de fbibleffe que de mifere. Nous n'a- 
vons la fuffifance de jouir, mais &ulemenc 
de defirer. Il y a un autre vice tout con- 
traire , qui eft de s'arrefter & agréer telle- 
ment à foy-mefme & à ce qu'on tient» 
que de le préférer à tout le refte , & ne' 
penfer rien meilleur. Si ceux-^ ne font 
plus fages que les autres, au moins font-ils 
plus heureux. 
10. Faire le zélé à tout propos, mordre 



6^ delaSagesse, 

à tout, prendre à cœur & fc monftrcr oa- 
tré & opiniaftre en toutes chofcs , pourvca 
qu'il y ayc quelque beau & fpccicux pré- 
texte de juftice , religion , bien public , 
amour du' peuple. 
Cy-après • 1 1. Faire l'attrifté, Taffl^é , & pleureur 
^' *^* en la mort ou accident d'autruy , & penfcr 
que ne s'efmouvoir point , ou que bien 
peu, c'eft faute d'amour & d'àffeâion , U 
y a aufll de la vanité. 
V. l. X. 1 1. £ftimer & &ire compte des a<5tions 
^' *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, ef- 
clat 3 defefHmer celles qui fe font autre- 
ment, & penfer que ceux qui procèdent de 
cefte façon fombre, douce, & morne , ne 
font rien , font comme fommeillans & uns 
aâion ; bref eftimer plus l'an que la na- 
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par 
eftude, qui eCctatte, bruiél, & frappe le fens 
( c'eft tout artifice >, eft plus regardé & eftî- 
mé que ce qui éft doux , fimple , uny , or- 
dinaire, c'eft-à-dîre naturel 5 celuy-là nous 
efveille, ceftuy-ci nous endort. 

13. Apporter de mauvaifcs & finiftres 
interprétations aux belles aétions d^autruy , 
& les attribuer .à des viles Se vaines » ou 



H T R E I. C H A p. VI. €f 

l^tieufes caufcs ou occafions , comme ceux 
qui rapporcoient la mort du jeune Caton à 
la crainte qu'il avoit de Cefar, dont fc 
picquc Plutarque ; les autres encore plus 
fottement à Tambition. C'eft une grande 
maladie de jugement , qui vient ou de mar 
lice & corruption de volonté & de mœurs, 
ou d'envie contre ceux qui valent mieux 
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance 
k fa portée , & mefurer autruy à fon pied » 
ou bien pluftoft que tout cela, à fbibleiTe 
pour n'avoir pas la veuë aflez forte & afTeii- 
réc à concevoir la fplendeuî de la venu en- 
fa pureté n tyfve« Il y en a qui font les in* 
gcnieux & fubtils à defpraver ainfi & obfcur* 
cir la gloire des belles adions j en quoy ils 
monfbrent beaucoup plus de mauvais na« 
turel, que de fuffilànce; c'eft chofe ayfée, 
mais fort vilaine. 

14, Voyci encore après tout un vray tef^ 
moignage de la mifere fpirituelle , mais qui 
cft fin & fubtil 'y c'eft que l'efprit humaia 
en fon bon fens > paifîble , ra(Es y 8c faia 
«ftat , n'eft capable que de chofes commu* 
nés , ordinaires , naturelles , médiocres* 
Pour efbc capable des divines , fumat^-: 

Fiij 



6^ i>£laSagesse, 

à tout, prendre à cccur & fe monftrer ou- 
tré & opiniaftrc en toutes chofcs , pourvcit 
qu'il y ayc quelque beau & fpecieux pré- 
texte de jufticc , religion , bien public , 
amour du peuple. 
Cy-après 1 1. Faire l'attrifté, Taffiîgé , & pleureur 
^* *^* en la mort ou accident d'autruy , & pcnfcr 
que ne s*efmouvoir point , ou que bien 
peu, c*eft faute d'amour & d'affeâion, il 
y a auflî de la vanité. - 
V. l. X. 1 1. £ftimer & &ire compte des a<5Hons 
*^* *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, cf- 
clat 'y defeftimer celles qui Ce font autre- 
ment, & penfer que ceux qui procèdent de 
ccfte façon fombre, douce , & morne , ne 
font rien , font comme fommeillans & fans^ 
a<^on 5 bref eftimer plus l'art que la na- 
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par 
efbide, qui efclatte, bruid, & frappe le fens 
( c'cft tout artifice >, efl plus regardé & e(H- 
mé que ce qui éft doux , fîmple , uny , or- 
dinaire, c'eft-à-dire naturel 5 celuy-là nous 
cfveille, cefhiy-ci nous endort. 

13. Apporter de mauvaifes & fîniflrcs. 
interprétations aux belles adions d^autruy , 
& les attribuer .à des viles Se vaines » ou 



LITRE I. C H AP. VI. €f 

l^tieufes caufes ou occafions , comme ceux 
qui rappoRoient la mort du jeune Caton à 
la crainte qu'il avoit de Cefar, dont fc 
picque Plutarque ; les autres encore plus 
fottemcnt à l'ambition. C*e(l une grande 
maladie de jugement , qm vient ou de ma- 
lice & corruption de volonté & de mœurs, 
ou d*envie contre ceux qui valent mieux 
qu'eux , ou de ce vice de ramener (a créance 
à fa portée , & mefurer autniy à (on pied » 
ou bien pluAoft que tout cela, à fbibleiTe 
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afièu- 
ree à concevoir la fplendeuî de la venu en- 
fa pureté n tyfve. U y en a qui font les in- 
génieux & fubtils à defpraver ainfi 3cobfcur« 
dr la gloire des belles avions , en quoy ils 
montrent beaucoup plus de mauvais na« 
turel, que de fufiEifances c'eft chofe ayfée, 
mais fort vilaine. 

14, Voyci encore après tout un vray teA 
moignage de la mifere (pirituelle , mais qui 
cft fin & fubtil y c'eft que l'efprit humaia 
en fon bon fens > paifîble , radis , & faia 
«ftat , n'eft capable que de chofes commu* 
nés , ordinaires ^ naturelles , médiocres* 
Pour eftre capable des divines , fumati^r 

Fiij 



1(4 delaSagesse, 

à tout, prendre à coeur & fc monftrer ou- 
tré & opiniaftrc en toutes chofcs , pourvca 
qu*il y aye quelque beau & fpccieux pré- 
texte de juftice , religion , bien public , 
amour du peuple. 
Cy-après 1 1. Faire Tattriftc , TafRigé , & pleureur 
^' *^* en la mort ou accident d'autruy , & penfer 
que ne s'efmouvoir point , ou que bien 
peu, c*eft faute d'amour & d'âfeâion , it 
y a auflî de la vanité. ^ 
V. l. X. 1 1. Eftimer & faire compte des a<5Hons 
^' *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, cf- 
clat 5 defeftimcr celles qui fc font autre- 
ment, & penfer que ceux qui procèdent de 
cefte façon fombre, douce, & morne , ne 
font rien , font comme fommeiilans & fans 
aâion ; bref eftimer plus Part que la na- 
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par 
cfbide , qui efctatte, bruidl , & frappe le fèns 
( c'cft tout artifice >, eft plus regardé &• eftî- 
mé que ce qui' eft doux , fimple , uny , or- 
dinaire, c*eft-à-dire naturel 5 celuy-là nous 
cfveille, ceftuy-ci nous endort. 

13. Apporter de mauvaifes & finiftrcs. 
interprétations aux belles adions d*^autruy , 
& les attnbuer :à des viles Se vaines » ou 



LITRE I, CHAP. VI. éf 

iFmeures caufes ou occafions » comme ceux 
qui rappoRoient la mort du jeune Cacon à 
la crainte qu*il avoit de Cefar» dont fe 
pîcque Plutarque ; les autres encore plus 
fottement à Tambition. C*eft une grande 
maladie de jugement , qtd vient ou de ma- 
lice & corruption de volonté & de mœurs, 
ou d'envie contre ceux qui valent mieux 
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance 
à fa portée , & mefuter autniy à Con pied » 
ou bien pluftoft que tout cela, à fbibleile 
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afTeo- 
réc à concevoir la fplcndeuî de la venu en- 
fa pureté nxyhc II y en a qui font les in* 
gcnieux & fubtils à defpraver aiufi 3c obCcur* 
cir la gloire des belles avions i en quoy ils 
monfhent beaucoup plus de mauvais na« 
turel, que de Tuffifance; c'eft chofe ayfée, 
mais fort vilaine. 

14, Voyci encore après tout un vray teA 
moignage de la mifere fpirituelle , mais qui 
cft fin & fubtil j c'eft que Telprit humaia 
en fon bon fens , paifîble , raffis , & faia 
<ftat , n'eft capable que de chofês commu* 
nés , ordinaires , naturelles , médiocres. 
Pour efbc capable des divines » furnati^-: 

Fiij 



^4 i>£laSagess£, 

à tout, prendre à coeur & fc monftrer ou- 
tré & opiniaflre en toutes chofes , pourvca 
qu'il y aye quelque beau & fpecieux pré- 
texte de jufticc , religion , bien public , 
amour du peuple. 

f/iT^' "• ^^^ l'attrifte^ rafHîgé , & pleureur 
en la mort ou accident d'autruy , & penfcr 
que ne s'efmouvoir point , ou que bien 
peu, c*eft faute d'amour & d'affeéUon , it 
y a auffi de la vanité. 
V. l. X. 1 1. Eftimcr & faire compte des avions 

*^- *°* qui fe font avec bruid, remuement, ef^ 
clat 5 defeftimer celles qui fe font autre- 
ment, & penfer que ceux qui procèdent de 
ceftefeçon fombre, douce, & morne , ne 
font rien , (ont comme fommeillans & fany 
adHon 5 bref eftimer plus Tart que la na- 
ture. Ce qui eft enflé, bouflî & relevé par 
cftude, qui efclatte, bruiél, & frappe le fens 
( c'eft tout artifice >, eft plus regardé & eftî- 
mé que ce qui éftdoux, fimple, uny , or- 
dinaire, c'eft-àHiîre naturel 5 celuy-là nouç 
cfveille , ceftuy -ci nous endort. 

13. Apporter de mauvaifcs & fîniftres. 
interprétations aux belles adions d^autruy ,. 
& les attribuer . à des viles & vaincs, ou 



LITRE I. CH AP. VI. €f 

l^dcufes caufes ou occafions , comme ceux 
qui rapporcoient la mort du jeune Cacon à 
2a crainte qu*il avoit de Cefar , dont (e 
picque Plutarque ; les autres encore plus 
fottement à Tambition. C*e(l une grande 
maladie de jugement , qm vient ou de ma- 
lice & corruption de volonté & de mœurs, 
ou d'envie contre ceux qui valent mieux 
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance 
à fa portée , Se mefurer autruy à (on pied , 
ou bien pluftoft que tout cela, à fbiblefle 
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afTeu- 
rec à concevoir la fplendeuî de la venu en< 
fa pureté ntyfve. U y en a qui font les in- 
génieux & fubtils à defpraver ainfi & obfcur« 
cir la gloire des belles avions ', en quoy ils 
monftrent beaucoup plus de mauvais na« 
turel» que de fuffiGmceà c'eft chofe ayfée, 
mais fort vilaine. 

14, Voyci encore après tout un vray tet 
moignage de la mifere (pirituclie , mais qui 
cft fin & fubtil y c'eft que Telprit humaia 
en fon bon fens > paifîble , ra(Es , 8c faia 
«ftat , n'eft capable que de chofês commu* 
nés , ordinaires , naturelles , médiocres. 
Pour eftre capable des divines , fumati^r 



6'^ bÉLASAGESSE» 

relies , comme de la divination , prophétie , 
révélation , invention, &, comme Ton di6è, 
entrer au cabinet des Dieux , faut qu'il foir 
malade , difloqué , defplacé de fbn aflîette 
naturelle, & comme corrompu, corruptus , 
ou par extravagance , exftaze , enthofiaf- 
me , ou par afTopifTement : d'autant que , 
comme l'on fçait, les deux voyes naturelles 
d'y parvenir font la fureur & le fommeil. 
Et ainfî l'efprit n'eft jamais fi fage que 
quand il eft fol , ny plus veillant que quand 
H dort : jamais^ ne rencontre mieux que 
quand il va de cofté & de travers j ne va , 
ne vole & ne voit fi haut que quand il eft 
abbatu & au plus bas. Et ainfi £iut qu'il 
foit miferable, comme perdu & hors de- 
foy , pour cftre heureux. 
. 15. Finalement, y pourroit-il avoir plus 

grande faute en jugement que n'eftimer 
point le jugement, ne l'exercer, relever, 
& lui préférer la mémoire & l'imagination 
eu fantafie 1 Voyons ces grandes , doues , 
& belles harangues, difcours , leçons, fer- 
mons, livres, que l'on eftime & admire 
tant , produits par les plus grands hom- 
mes de ce fiecle ( j'en excepte quelques- 



LITHeI. CHAP. VI. éi 

uns & peu ); qu'eft-cc tout cela , qu*un cn- 
raiTement & enfileure d'allégations , un rc-^ 
cucil & ramas du bien d'autruy ( œuvre 
de mémoire, & diverfe leçon , & chofe 
très-aiféc 5 car cela fe trouve tout trié fie 
arrengé : tant de Livres font fàiâs de cela )> 
avec quelques poindes & un bel ^enfe- 
ment C œuvre de l'imagination ) & voylà 
tout 3 Ce h'eft fouvent que vanité , & n'y 
reluiâ: aucun trai^bde grand jugement , ny 
-d'infîgne vertu : auflî fouvent font les au- 
theurs d'un jugement foible & populaire , 
& corrompus en la volonté. Combien eft* 
il plus beau d'ouir un payfant , un mar- 
chand parlant en Ton patois , & difant de- 
belles proportions & veritez , toutes fei-- 
ches & crues , fans art ny façon y & don- 
nant dés advis bons , & utiles, produiâs 
d'un fain , fort , & folide jugement l 

£n la volonté y a bien autant ou plus de 10. 
miferes , & encore plus miferables 5 elles ?^ ^^ 
font hors nombre : en voyci quelques- 
unes. 

I. Vouloir pluftofl apparoir homme de 
bien, que de l'eflre i l'efire pluflofl à aur- 
tfuy qu'à foy. 



X. Eftre beaucoup plus prompt 8c volott^ 
Caire à la vengeance de Vcf&nCc, qu*à la re-* 
cognoifTance du bien-Êdd} cellemenc que 
c'eftcourvée & regret que recognoifbre, plaî- 
ûr & gain de £e venger : preuve de nature 
maligne. Gracia oncri efi , ultio in quêfiu 
habetur, 

%. Eftre plus afpre à hayr qu'à aymer| 
à mefdire qu'à loiierj fe paiftre & mordre 
plus volontiers & avec plus de plaifir au mal 
qu*au bien d'auiruy > le £dre plus valoir» 
S*eftendre plos à en difcourir, y exercer fon 
ftile , tefmoin tous les Ercrivains, Orateurs, 
& Poètes , qui font lafches à reciter le bien » 
éloquents au mal. Les mots, les inventions, 
les figures, pour mefHire, brocarder, font 
bien autres , plus riches , plus emphatiques» 
& fignificatifs, qu'au bien dire & loiier. 
t • 1. c 3 . j^ puir 2, mal Êiire, & entendre au bien » 
non par le bon reiTort puremeUt, paf la rai" 
Ton naturelle, & pour l'amour de la vertu» 
mais pour quelqu'autre confideration eftran* 
gère , quelquesfois lafche & fbrdide de gain 
& profit , de vaine gloire , d'efperance , de 
crainte, de couftume, de compagnée : bref 
non pour foy & fon devoir ûmplemenr^ 



L I V R 15 I. C H A p. VI. €9 

mais pour quelque occafion & circonftaiicc 
externe. Tous font gens de bien par occa- 
fion & par accident. Voylà pourquoy ils le 
font inégalement, diverfcment, non perpé- 
tuellement, conftamment, uniformément. 

5. Aymer moins celuy que nous avons 
ofFenfé, à caufe que nous Tavons ofFenfé : 
chofê eftrangeS ce n*ell: pas toufîours de 
crainte qu*il en veuille prendre fa revanche, 
car peuft-eftre l'oftenfé ne nous en veut pas 
moins de bien, mais c'eft de ce que fa pre* 
fence nous accufe & nous ramentoit noftre 
faute & indifcretion. Que fî l'ofFenfànt 
n'ayme pas moins, c'efl preuve qu'il ne Ta 
pas voulu oiïcnfer: car ordinairement quia 
eu la volonté d'ofFenfer, ayme moins aprc» 
Toflènfé : qui offende , may non pardonna. 

6, Prendre plaîfîr au mal, à la peine. Se 
au danger d'autruy , defplaifîr en fbn bien , 
advancement, profperitc (j'entcns que foit 
fans aucune caufe ou efmotion certaine & 
particulière de hayne , c*eft autre chofe , 
provenant du vice fingulîer de la perfbnne), 
je parle icy de la condition commune & na- 
turelle , par laquelle , fans aucune particu^ 
liere malice, les moins mauvais prenaent^» 



70 DELASA6£SSE, 

plaiilr à voir des gens courir fortune (Iir 

mer, fe fafchenc d*eftre précédez de leurs 

compagnons , que la fortune di(e mieux à 

autruy qu'à eux s rient quand quelque petit 

mal arrive à im autre i cela tefmoignc une 

femence malicieufe en nous. 

1 ). Enfin pour monftrer combien grande cd 

Conclu- noftrc mifere , je diray que, le monde cft 
non des , , . ' ' ^ . \ 

miferes rcmply de troxs fortes de gens qui y tren- 

iptricuel- n^nt grande place en nombre & réputations 
les TuperfUtieux, les fbrmaliftes, les pedans, 
qui bien que foyent en divers fubjeéh, rep 
forts , & théâtres ( les trois principaux , re- 
ligion , vie ou conver(àtion , & doébrine ) 
fi font-ils battus à meûne coin , efprits foi- 
blés , mal nez , ou tres^mal infirmas , gens 
tres-dangereux en jugement , touchez de 
maladie prefque incurable. C'efl peine per- 
due de parler à ces gens-là pour les faire 
radvifer ^ car ils s*efUment les meilleurs Se 
plus fages du monde : Topiniaflrcté efl là 
en fbn fîege. Qui efl une fois icxii & tou- 
ché au vif de ces maux-là , il y a peu d'ef- 
perance de fa convalcfcence. Qu'y a-il de 
plus inepte , & cnfemblede plus teflu, que 
ces gens-là } Deux chofes les empefchent ^ 



L I V R Ê I. C H A p. VL 7t 

comme a eflédiâ^ fbiblefTe & incapacité 
naturelle, & pais l'opinion anticipée de faire 
bien & mieux que les autres. 

Les fuperftitieux, injurieux à Dieu , & en- Superfti- 
nemis de la vraye religion, fe couvrent de v. I. i. 
pieté > zèle, & afFedion envers Dieu, juf- c« f» 
ques à s'y peiner & tourmenter plus que 
l'on ac leur commande , penfant mériter 
beaucoup , & que Dieu leur en fçait gré , 
voire leur doibt de refte> que fcriez-vous 
à cela ? Si vous leur diâes qu'ils excédent 
& prennent les chofes à gauche , pour ne 
les entendre pas bien, iU n'en croiront rien, 
dilant que leui:' intention eil bonne ( par oii 
ils-fe penfent fauver) &quc c'eftpar dévo- 
tion. D'ailleurs ils ne veulent pas quitter 
leur gain , ny la fatisfàdion qu'ils en reçois- 
vent , qui eft d'obliger Dieu à eux. 

Les fbrmalifles s'attachent tout aux for- Formais 
mes & au dehors , penfent eftre quittes & ^^*' ^* ** 
irrcprehenfîbles en la pourfiiite de leurs paf- 
fions & cupiditez , moyennant qu'ils ne fa. 
cent rien contre la teneur des loix , & n'ob- 
mettent rien des formalitez» Voylà un ri- 
chard qui a ruiné & mis au defefpoir de 
pauvres familles > mais c'a efté en deman- 



7J- D £ LA S A G £ s s E» 

daint ce qu'il a pcnfé cftrc fîen, & ce par 
voyc de jufticc : qui le peuft convaincre 
d'avoir mal faiâ: ? O combien de bienfàia:s 
font obmis, & de mefchancctcz fe commet- 
tent foubs le couvert des formes , lefquelles 
Ton ne fent pas 3 dont efl bien vérifié , Le 
fouveraîn draiB Vcxtrtnu injuftice j 8c s, 
cfté bien di€t , Dieu nous garde des for-* 
maliftes ! 
Pedans, j^ç^ pedans clabaudeurs après avoir queflë 
& pilioté avec grand eflude & peine la 
fcience par les livres , en font monftrc , & 
avec oflentation queftueufement & merce- 
nairement la de fgorgent & mettent auvent. 
Y a-il gens au monde plus ineptes aux afïai* 
res , plus impertinens à toutes chofes , & 
enfemble plus prefomptueux & opiniaftrcsl. 
En toute langue & nation , pédant , clerc , 
magifter, font mots de reproche : faire (bt- 
tement quelque chofe c'eft le faire en clerc* 
Ce font gens qui ont la mémoire pleine du 
fçavoir d'autruy , & n<ont rien de propre. 
Leur jugement , volonté , confcience , n'en 
valent rien mieux j mal habiles , peu fages 
& prudents , tellement qu'il femble que la 
fcience ne leur ferveque de les rendrç plus 



t I T Rï L C H AP. VI. Tl 

ixi, mais encore plus arrogants , caquet* 
tcois: lavallent Icor efprit & abaafhtHffcgg 
^ enteiuiefî^en£, mais enflent leur me- 
fiioire. Icy ùcà bien la miftire que nous 
Venons de mettre la detniere en celles de 
^'entendement. 



V. PttfomptioTi, 

CHAPITRE VII. 

Vo Y c I le dernier & le plus vilain traid de 
fa peinture 3 c*éi Tautre partie de la def- 
cripcion que donne Pline ; c*eft la pefte de 
l'homme , & la mère nourrice des plus 
bufles opinions & publiques & particuliè- 
res y vice toutesfois naturel & originel de 
l'homme. Or celle pre(bmptian fe doibt con» 
fiderer en tout Tens , haut , bas , & à cofté^ 
kdans & dehors , pour le regard de Dieu; 
tbofes haultes & celeftes^ balTes , des belles, 
le rfaommc fon compagnon, de foy-mef- 
De$ & tout revient à deux chofes, s*elli- 
hcr trop ,- & n'elHmcr pas affez autruy : qui i uc. i S, 
n fi confdebant & afpemabantur alios, 
dirions un peu de chafcun. 

Premièrement pour iç regard de Dieu (& Prefoiu- 

Tom< /• • G 



'74 delaSagessi, 

ption 1. c*cft chofe horrible ). Toute fapcrft2don& 
eard de ^^^*^ religion, ou fauls fervicc de Dieu, 
Dieu, vient de n'eflimer pas alTez Dku, ne fencii 
pas & n'avoir pas les opinions, conceptions, 
créances de la Divinité afTez hautes , aiTez 
pures. Je n'entends pas cet affez, à propor- 
tion de la.grandeur de Dieu,-qui ne reçoii 
point de proportion > eftant infini 3 &ainfi 
cft-il impollîble de les avoir afTez pour ce rc 
gard : mais j'entends afTez pour le regarc 
de ce que pouvons & debvons. Nous n'cf 
levons ny ne guindons pas afTez haut S 
ne roidifTons afTez la poinde de noftre cC 
prit , quand nous imaginons la Divinité 
comment afTez l nous la concepvons très 
baflcmcnt ; nous la Icrvons de mefme très 
indignement j nous agiiTons avec elle pk 
vilement qu'avec certaines créatures. Nou 
parlons non-feulement de Tes œuvres, mai 
de fa majefté, volonté, jugements, ave 
plus de confidence & de hardieffe , que To 
ne feroit d^un Prince , ou autre homn] 
d'honneur. Il y a plufieurs hommes qui 11 
fuferoient un tel fervice & recognoiilancc 
& fe ticndroicnt offencez, & violez , fî l'o 
parloit d'eux , & que l'on employaft lei 



tlVRlI. CHAP. VIL JS 

I nom fi vilement Si (bcdidement, rûn entre- 
prend de le menef, flatter» ployer, com- 
pofer avec luy , afEn que )e ne dife, braver, 
menacer, gronder & defpiter. Cefardifoità 
fbn Pilote qu*il ne craignift de voguer & 
le conduire contre le deflin & la volonté du 
ciel & des aftres, fe fiant fur ce que c'eft 
Ce(ar qu'il meinc. Augufte ayant elle bittU' 
de la tempefte fur mer. Te prift à deffier le 
Dieu Neptune : & en la pompe des jeux 
Circenfes , fift ofter (on image du rang où 
elle eftoit parmy les autres Dieux, pour fe 
venger de luy. Les Thraces , quand il tomie v. I. ti 
& eïclaire, fe mettent à tirer fleckes contre ^' ■°' 
le ciel, pour ranger Dieu à raifon: Xerxè$ 
feuetta la mer, & enrrivift un cartel de deffi 
au mont Athos. Et compte Ton d'un Roy 
Chreftien, voifin du noftre , qu'ayant rc- V. 1. x, 
ccu une baftonnade de Dieu , jura de s'en ^* 
I venger, & voulufl que de dix ans on ne le 
priaft & ne parlaft^on de luy. 

Attdax Japeti genus ! . V. I. $• 

Nit mortalibus arduum x «ci. 

Coelum ipfum pcrimus ftultitia, neque 

Per noftrum pacimur fcelus 
Iracunda Jovcm ponere fulmina. 

£t laif&nt ces extravagances eftrangesi 

Gij 



7^ x>elaSag£Sse, 

tout le commun ne verifie-il pas bien clai- 
rement le dire de Pline, qu'il n*y a rien plus 
ipi(èrable, &en(èmble plus glorieux, que 
rhomme ? Car d'une part il fe fdnâ de tre&- 
hautaines & riches opinions de l'amour, 
foin & afFeétion de Dieu envers luy , com- 
me Ton mignon , (on unique 3 & cepen- 
dant il le ferc très- indignement : comment 
£c peuvent accorder & fub(îfter enfemblc 
une vie & un fèrvice û chetif & miferable 
d'une part, & une opinion & créance â glo- 
rieufe & fi hautaine de l'autre? C'eft eftre 
ange & porceau tout cnfeml^e : c'eft ce 
que rcprochoit un grand Phiiofophe aux 
Chteftiens, qu'il n'y avoit gens plus fiers & 
^orie«x à les ouyr parler , & en cSc^ plus 
la£ches 8c vilains. 
V. Il nous'fèmble aufli que nous pe(bns£c 

Nacuze. importons fort à Dieu , au monde , à toute 
la nature, qu'ils fe peinent & ahannent ctt 
nos affaires , ne veillent que pour nous , 

^, > f dont nous nous esbahiUbns des accidcncs^ 

• ' qui nous arrivent 5 & cecy fe voit encore 

mieux à la mott. Peu de gens Ce reçoivent 

& croient que ce foit leur dernière heure 5, 

& prefque tous fe laifTent lors pipper à l'cf- 



ti VRï I. CH A P. VÏL 77 

perânce. Cela vient de prcfomption , nous 
£sdù>ns trop de cas de nous , & nous fembler 
que l*univers a grand intereft à noftre mort; 
que les chofes nous faiilent à mefure que 
nous leur faHlons^ ou qu'elles mefmes fc 
£iillenc à meftlre qu'elles nous faiilent; 
qu'elles vont mefme branfle avec nous , 
tx>nune à ceux qui vont fur Teau > que le 
ciel , la terre , les villes , fe remuent : nous 
pehfons tout entraifner avec nous 5 nul de 
nous ne penfe aflez n'eftre qu'un. 

Apres cela l'homme croit que le ciel, les 4. 
cftoiles , tout ce grand mouvement celeftc'^" ^'«^ 
•& branfle du monde, n'eft fsââ: que pour. 
lui. Tôt cîrca unum caput tumultuantes deos,* 
Et le poure miferable eft bien ridicule. U 
cft ici bas logé au dernier & pire eftagc de 
ce monde , plus eflôngné de la voulte ce-«. 
lefte, en la cloaque & fcntine de l'univers, 
avec la bourbe & k lie, avec les animaux 
de la pire condition, fubjeâ à recevoir tous- 
les excréments & ordures , qui luy pleuvenr 
& tombent d'en haut fur la tefte , & ne vîft- 
que de cela , & à {buf&ir les accidents qui' 
lui arrivent de toutes parts : & fe Êiid croire 

qu'il eft le maiftre commandant à tout 5 que 

G.»» 



7^' .91 t A S A OE s s Z, 

r 

coûtes créatures , meimes ces grands cotps^ 
lumineux , incorruptibles » defquels il ne 
peuft fçayoir la moindre vertu, & eu: con- 
traint tout tran£ les admirer , ne branflenr 
^e pour luy & (on feryice. £c pource <|u*ii 
mendie, chetif «ju'il cft, fbn vivre , fou 
entretien , (es commoditez, des rayons ^ 
clarté & chaleur du fbleil , de la piuye, &: 
autres defgouts du ciel& de l'air, il vcuft 
dire qu*il puiil du cid & des éléments ,. 
comme fî tout n'avoit efté bciâ, & ne fc re- 
fiiuok que pour luy. En ce fcns Toyfon ctt 
.fourroit dire autant, & peufl-edce plus 
}uftement & conftamment. Car l'homme, 
qui reçoit aufli (buvcnt des inconmioditez- 
de là haut, & n'a rien de tout cela en fa 
puifTancc ny en fon intcll^cnce, & ne les 
peuft deyiner , eft en perpétuelle tranflc , 
£ebyre & crainte que ces corps fuperieurs^ 
ne branflenr pas bien à propos &. à poin6^ 
nommé pour luy, & qu'ils luy cau(ent fte- 
xilité , maladies , & toutes chofes contrai-- 
res , tremble foubs le fais : ou les beftes re- 
çoivent tout ce qui .vient d'en haut , fans 
Allarme ny apprehenfîon de ce qui advien- 
dra, & fans plainte de ce qui eft advenu:» 



1 I V RE I. C H A P. Vil. f^ 

comme Bàâ. incdlàmment Thomme : Non 
nos caufa mundojumus kyemem dftatemque 
rtftrendi / fuas ifta leges kabent^ quibus Senec 
divtna exercentur : nimis nos Jujpicimus , 
fi digni nobis videmur^ propter quos tanta 
moveantur; non, tanta tatlo nobifcian fo^ 
ciétas efl , ut nofirofato fit ilU quoqiufy- 
derumfulgor^ 

Pour le regard des chofes ba/Tes, tcrrcf- f« 
«es , fçaroir tous aoimaux, il les dcfdai- maux» 
gne & deicfiîiBe comme H du tout elles 
H'sqppartenoienc aumerme maîftre ouvrier y 
âc n'eftoient de meûne mère , & de mefme 
£imiUcayec luy,:» comme fi elles ne le tou- 
choient & n'avoienc aucune part ou rela- 
tion à luy. Et de là il vient à en abufer & 
exercer croaulté» chofe qui rejalift contre 
le maiftre commun & univerfél qui les a 
bi£kcSy qui en a foin, & a drefTé des loix 
pour leur bien & conservation , les a ad- 
vantag^es en certaines chofes , renvoyé 
rhomme fbuvent vers elles , comme à une 
efcholle. Mais cccy eft le fubjeâ: du Cha- 
pitre fuivant. ^^ 

Hnalement» mais principalement ceftepre- De l'hô- 
fbmption doibt cftre confiderée en Thom- ^ "^^ 



fo DS LA Sagesse» 

IBC mcfmc , c*cft-à-dirc pour le ri^ard de 
fby & de l'homme /on compagnon , au dc<« 
dans , au progrez de foû jugement Se de fes 
opinions j & au dehors en commonicatioa 
Trois de & converfatîon arec aucniy. Sur c^aoy nous. 
l^^fojQp. confidererons trois cfaofcs^, commer trois 
tion hu- chcfe qui s'entrçfuivcnt > od rhumanité^ 
' monftre bien en fa (btte fbiblefTe fa fblle- 
I Croirr, prefomption. La première au croire ou mef- 
mefaoi- ^^oirc , od font à aoter deux vices contrai* 
res , qui (ont ordinaires en la condition hu* 
maine. L'un & plus oommun eft une légè- 
reté, qui cita credif, Uvis eft corde, & 
trop grande facilité à croire & recevoir tour 
ce que Ton propofc avec quelque apparen- 
ce ou authorité. Cecy appartient à la niai(e 
ftmplicité , molleffe , & £:>iblede du petit 
peuple, des efprits efFeminez, malades,. fu- 
perftitieux, eflonnez, indifcretement zelez, 
qui comme la cire reçoivent facilement tou- 
te impredion , fe laKTent prendre & mener 
par les oreilles. Suyvant cecy nous voyons 
pefque tout le monde mené & emporté 
aux opinions & créances, iwn par chois &c, 
jugement, voire fouvent avant Taage & dif- 
cretion y mais par la cooftume du pays ^ oii. 



IIVRE I. CMAP, VIL %1 

inftruâîon receue en jeunefTe» ou par ren~ 
contre , comme par une tempefle^ & là fe 
trouve tellement collé, hypotecqué & af- 
fcrvy , qu'il ne s'en peuft plus de(prcndrc. 
Veluti tempeftate delati ad quamcunqut 
difciplinam , tanquam ad faxum adhAref- 
cunt. Le monde efl ainfî mené , nous nous 
en fions & remettons à autruy : unufquifquc 
mavult credere quant judicare ; verfat nos 
& ptACipitat traditus per manas error, ipja 
cortfiutudo aJfentUndi perîculofa & lubrica. 
Or cefte telle facilité populaire , bien que 
ce (bit en vérité foiblcffe , toutesfois n'cft 
pas fans quelque pre&mption. Car c'efl: 
trop entreprendre que croire adhérer & te- 
nir pour vray & certain fî légèrement, fans 
içavoir que c'eft , ou bien s*enquerir àos 
caufes, raifbns, conCèqucnces» & non de 
la vérité. On di<5^, d'où vient cclaî com- 
ment fe &iél cela ? prefuppo(ant que cela 
cft bien vray i & il n'en eft rien : on trai^le, 
agite les fondements & eiFedsde mille cho- 
Cs& qui ne furent jamais , dont tout le pra 
Se corttra eft faux. Combien de bourdes , 
^uls & fi^fofez miracles > vifions & révé- 
lations recettes au monde y qui ne fîitent^ 



tz D£LASaO£SS2, 

jamais! Et pourquoy ctoira-ron une mer- 
veille^ une chofe non humaine ny natu- 
relle , quand Ton pcuft deftourncr & eii<ier 
la vérification par voye naturelle & hu- 
maine ? La venté & le menfonge ont leurs 
vifages conformes 5 le port, le gouft & les 
alleures pareilles s nous les regardons de 
mefme œil : itafunt finitima falfa veris , 
ut in prdcipîtem loçum non debeat fe fa-* 
piens committere. L'on ne doibt croire d'un 
homme que ce qui eft humain , s'il n*eft 
authorifë par approbarion fumaturelle & 
furhimiaine, qui eft Dieu feul , qui feul eft 
à croire en ce qu'il did , pource qu'il le 
dia. 

L'autre vice contraire eft une forte & 
audacieufê témérité de condamner & rejec- 
ter, comme faulfes, toutes chofes que l'on 
n'entend pas , & qui ne plaifcnt & ne re- 
viennent au gouft. C'eft le propre de ceux 
qui ont bonne opinion d'eux-mefmes , qui 
font les habiles & les entendus , fpeciale- 
ment hérétiques, fophiftes , pedans; car le 
Tentants avoir quelque poinde d'c(prit, & 
de voir un peu plus clair que le commun ^. 
ils fe donnenr loy &: authorité de décidée 



IIVReI. CHAP. V^. 8j 

& refouldrc de toutes chofes. Ce vice cft 
beaucoup plus grand & vilain que le pre* 
mier 5 car c*eft folie enragée de penfer fça- 
voîr jufques oii va la poilîbilitë » les ref- 
ibrts & bornes de nature, la portée de la 
puiiTance & volonté de Dieu , & vouloir 
langer à foy & à fa fuffifance le vray & le 
fauls des chofes ^ ce qui eft requis pour ainfi 
& avec telle fierté & affeurance refouldre Se 
définir d'icelles. Car voyci leur jargon : Cela 
eft fauls , impoiHble y abfurde. £t combien 
y a-il de chofes y lefquelles pour un temps 
i;iou5 avons rejettées avec rifée comme im- 
poiïlbles y que nous avons efté contraindls 
d*advouer après , & encore paffer outre à 
d'autres plus eftrangesl & au rebours com- 
bien d'autres nous ont efté comme articles 
de iby , & puis vaines menfonges l 

La féconde, qui fuit & vient ordinal- 8. 

rement de cette première , eft d'affirmer *• ^^^* 

. . n incr,coiv 

ou reprouver certamement & opiniaure- damner* 

fnent ce que l'on a légèrement creu ou mef- 

creu. Ce fécond degré adjoufte au premier 

opiniaftreté , & ainfi accroift la prefomp^ 

don. Cette facilité de croire avec le ^enips 

s'endurcift & dégénère en opiniaftreté in- 



^4 delaSagessî»' 

vhiâble & incapaUe d*amciidement; vôiifè 
Ton va jufqucs là, que fodvcnt. Ton ibuf- 
tient plus les chofes que Pon fçait & que 
l'on entend moins : majoremfidem komînes 
adkîbent iîs quét non inttlîigunt : cupidî-^ 
tate kumani ingtnîi luhtntius obfcura cre^ 
duntur : l'on parle de toutbs choyés par rc- 
folutîon. Or TafErmatibn & opînkftreté 
font lignes ordinaires de bcftifc & ignoran- 
ce , accompagnée de folie & arrogance. 
9. Latroifîeme, qui fuit ces deux, & qui 

tiia/r' ^^ ^^ faifte de prefomption , eft de perfua- 
der , faire valoir & recevoir à aumiy ce 
que Ton croit, & les induire voire impe- 
rieufemcnt avec obligation de croire, & in- 
hibition d'en doubter. Quelle tyrannie 1 
Quiconque croit quelque chofe, eftime que 
c*eft œuvre de charité de le petfuader à un 
autre, & pour ce faire ne craint point d*ad- 
joufler de fon invention autant qu'il voit 
eftre necelfaire à fon compte, pour fupplir 
au de&ut & à la reûftance qu'il penfe tùtt 
en la conception d'autruy. Il n*eil rien à 
quoy communément les hommes fbienc 
plus tendus qu'à donner voye à leurs opi« 
nions; ntmo fibi tantum errât, fed aliis 



Î.IV11EL cHAp. VIL 85 

erroris caufa & author eft, Oii le moyen 
ordinaire fault. Ton y adjoufte le comman- 
dement , la force , le fer , le feu. Ce vice 
cft propre aux dogmatises & à ceux qui 
veulent gouverner & donner loy au monde. 
Or pour venir à bout de cecy &. captiver 
^ créances à fby , ils ufent de deux moyens. 
Par le premier ils introduifent des propor- 
tions generalles & fondamentales, qu'ils ap« 
pellent principes & prefiippofîtions , des- 
quelles ils enfeignent n'eftre permis dé 
doubter ou difputer: fur lefquelles ils ba{* 
tifTent après tout ce qui leur plaifl, & mei* 
nent le monde à leur poile : qui eft une pi- 
pcrie, par laquelle le monde fe remplifl à'tc 
reurs & de menfonges. Et de fkid , fi Ton 
vient à examiner ces principes. Ton y trou* 
veta de lafàulfeté & de la foibiefTe autant 
ou plus qu'en tout ce qu'ils en veulent tirer 
& de(pendre : & fe trouvera tousjours au-> 
tant d'apparence aux proportions contraires. 
I II y en a de noftre temps qui ont changé Copernic 
& rcnverfé les principes & reigies des An- ^''*» j^*' 
ciens en l'aftrologie, en la médecine» en la 
géométrie, en la nature & mouvement des 
vents. Toute proportion humaine a autant 
Tome I. H 



tS delaSagessx, 

d*2Uthorité que Taucre, fi k raî(bn n'en 
fsdâ. ladifFcrence. La vcrité ne dépend point 
de l'authorité ou tefmoignage d'homme - 
il n*y a point de principes aux hommes £ la 
Divinité ne les leur a révélés : tout le refte 
n'eft que fonge & fumée. Or ces Medieurs 
icy veulent que Ton croye & reçoive. ce 
qu'ils difent, & que Ton s'en fie à eux, fans 
juger ou examiner ce qu'ils baillent, qui eft 
une injuftice tyrannique« Dieu feul, comme 
aeflé dié^, eft à croire en tout ce qu'il did» 
pource qu'il le diâ : qui afemetlpfo ioquU 
tur, mendax cft. L'autre moyen eft par fup- 
pofition de quelque Eaàâ: miraculeux, révé- 
lation & apparition nouvelle & celefte» qui 
a efté dextrement pratiqué par des législa- 
teurs , généraux d'armées , ou chefs de pan. 
La perfuaflon première, prinfe du fubjeâ 
mcfme, faifift les (impies s mais elle eft fi 
tendre & ù fiesle, que le moindre heun, 
mefcompte , ou me^garde , qui y furvien- 
droit , efcarbouilleroit tout : car c'eft mer- 
veille grand , copiment de fi vains commen- 
cements & frivoles caufes (ont forties les 
plus Êmieufes imprefiîons. Or cefte pre- 
mière impreûion franchie devient après à 



tlVRE I. CHAP. VII. 8^ 

s-cnflcr & groffir merveillcufement , telle- 
ment qu'eUc vient à s'cftcndrc mcfinc aux 
habiles , par la multitude des croyaiw , des 
tefmoings , & des ans ^ à quoi Ton fc laifTc 
emporter , fi l'on n*eft bien fon préparé: car 
lors il n*cft plus befoin de regimber & s'en 
enquérir, mais fimplcment croire. Le plus 
grand & puiflant moyen de perfuader , & la 
meilleure touche de vérité, c'eft la multi- 
tude des ans & des croyans : or les fols fur- 
paffent de tant les fages : fanitatis patroci-* 
nium efl infanUntium turba. C'eft chofe 
difficile de refouldre fon jugement contre 
les opinions communes. Tout ce deffus fc 
peuft cognoifbe par tant d'impoftures, ba- 
dinages, que nous avons veus naifbre comme 
miracles , & ravir tout le monde en admira- 
tion, mais incontment eftôufFcz par quel- 
que accident , ou par Tcxade recherche à^% 
clair -voyans, qui ont efclairé de près & 
defcouvert la fourbe, que s*ils eufTent eu 
encore du temps pour fe mcurir & fe forti- 
fier en nature, c'efloit faia pour jamais. Ils 
cuffent efté reçeus & adorez généralement. 
Ainfi en eft-il de tant d'autres qui ont ( fe- 
veur de fortune) paffé & gagné la créance 

Hij 



€8 DELA Sagesse» 

pubiicque » à laquelle puis on s*accoinmoJe 
fans aller recognoiftre la chofe au gifte 8s 
en Ton origine : nufquam ad liqiddum fama 
perducitur. Tant de fortes de religions au 
monde, tant de &çons fuperftitieufes , qui 
font encore mefmes dedans la Chreftknté» 
demourées du paganiGne, & donc on n'a 
peu du tout fevrer les peuples. Par tout ce 
difcours nous voyons à quoy nous en £bm- 
mes , puis que nous fommes menez par teU 
guides. 




SECONDE CONSIDERATION 

DE L'HOMME, 

Qirz tfi par comparatfon de luy avec toits 
les autres animaux. 



CHAPITRE VIII. 

No u S avons confîdcré Thomme tout en- r. 
ticr & amplement en foy , maintenant con- ^^^^^ 
£derons-le par comparaifon avec les autres utile &: 
animaux , qui eft un très beau moyen de '"^<^*^* 
le cognoilbe. Celle comparaifon eft de quelle 
grand* eftendue , a force pièces , de grande ^ ft^^* 
fcicnce & importance , très utile , fi elle eft pca, 
bien faille : mais qui la fera ? Thomme 1 1l 
eft panie , & fufped , &de faid il n*y pro- 
cède pas de bonne foy. Cela fe monftrc 
bien en ce qu'il ne tient point de mefure & 
de médiocrité. Tantoft \\ (e met beaucoup 
au deffus de tout, & s'en dîél maiftre, def- 
daigne le rcfte : il leur taille les morceaux, 
& leur diftribue telle portion de fàcultez 8ç 
de forces que bon luy femble. Tantoft 
comme par defpit il fe met beaucoup au 
deiToubs, il gronde , fe plaînd , injurie na* 

Hiij 



fo SE LA Sagesse» 

turc comme cruelle maraftre, fe fidâ le re* 
but & le plus miferable du monde. Or cous 
les deux font également contre raifon , vé- 
rité , modeflie. Mais comment voulez- 
vous qu'il chemine droi^tement & également 
avec les autres animaux , qu'il ne le faiâpas 
avec l'homme fon compagnon, ny avec 
Dieu, comme nous venons de dire } Elle eft 
auflî fort difficile àfaire, car comment peufli 
rhomme cognoiftre les branfles internes 8c 
fecrets des animaux, ce qui fe remue au de- 
dans d'eux } Or efludions à la faire fans paf-^ 
lion^ 

Premièrement la police du monde n*éft 
point fi fort inégale , fi difforme & defrci- 
glée , & n'y a point G. grande difpropor- 
tion entre fcs pièces v celles qui s'approchent 
& fe touchent, fe reflemblent peu plus, 
peu moins. Ainfi y a-il un grand voifinage 
& coufînage entre l'homme 6c les autres ani- 
maux. Ils ont plufieurs chofes pareilles & 
communes : & ont auflî des différences, mais 
non pas fi fort eflongnées & difpareillées , , 
1 fi qu'elles ne £c tiennent : l'homme n'eft du. 
tout au deffus, ny du tout au deffoubs : tout 
ce qui efl foubs le Ciel , did la fageffede 
Dieu, court meûnefpnune. 



LIVRE I. CHAP. VIII. 91 

Parlons premièrement des chofes qui leur ^ . 
font communes, & à peu près pareilles» qui C^*^^' 
font engendrer, nourrir, agir, mouvoir, nés. 
vivre, mourir. Idem interitus hominïs & tcdcfî. 
jumentorum : & â,qita utriufque conditio . Et , 

ce fera contre ceux qui fe plaignent, difan» 
que rhomme eft le feul animal difgracié dé- 
nature , abandonné, nud fur là terre nue , 
fans couverts, fans armes, lié, garotté, 
fans inffaruâion de ce qui luy eft propre 3 là- 
ou tous les autres font reveftus de coquilles, 
goufles , efcofTes , poils , laine, bourre , plu* 
mes,ercailles$armez degrofTes dents, cor-, 
nés , griffes pour afTaillir & defFendre , ïnC- 
truids à n^er , courir , voler , chanter y 
chercher fa pafhire ; & l'homme ne fçait 
cheminer , parler , manger , ny rien que 
pleurer fans apprentilTage & peine. Toutes 
CCS plaintes, qui regardent la compofîdon 
première & condition naturelle , font in- 
juftes & fauflès : noftre peau eft aufli fuf- 
fifamment pourveue contre les injures du* 
temps , que la leur , tefmoins pluficurs na- ,^ nucIp* 
tions (comme fc dira cy-aprcs) qui n*ont té c. 14,. 
encore fceu que c'eft que veftemens : & 
nous tenons aufE dcfcouvertes les parties. 



$1 0fitASACSSS£^ 

qu*il nous plaift , voire les plus tendre^ & 
fenfîbles , k face , la main, reftomach, Ie$ 
Dames meCnes délicates , la poidrine. Les 
1. Ttn- liaifons & emmaillocemens iie font point 
icmcnT ^cceffaîres , termoinsles Lacedemoniens & 
maintenant les SuifTes , Allemans 5 qui ha^ 
bitent les pays froids, les Bafques & le^ 
3.Pleu> Vs^abonbsquiledirentEgyptiens. Le pleu- 
rer eil aufli commun aux beftes : la plu(^ 
part des>animaux Ce plain^t» gemift quel-* 
Ar- ^^^ ^cmps après leur nailTance. Quant aux 

ma. armes , nous en avons de naturelles , & plus 
de mouvemens des membres , & en tirons 
plus de fervice naturellement & fans leçon. 
Si quelques beftes nous furpafTent en ceft 
endroit , nous en furpafTons plufîeurs au* 

5. Man- très. L'ufage du manger eft aufli en eux & 

^^'' en nous tout naturel & fans înftrudion. 
Qui doubte qu'un enfant arrivé à la force de 
fe nourrir , ne fceuft quefter fa nourriture ? 
£t la terre en produit & luy en offre affez 
pour fa neceflité , fans autre culture & ar- 
tifice , tefmoins tant de nations , qui , fans 
labourage ^indufhic & foin aucun, vivent 
f . Par- plantureufement. Quant au parler , Ton 

.ï«r» peuft bien dire que s'il n*cft point naturel. 



LIVRI I. CHAP. VIII. ^î 

il n*eft point néceflkîre : mais il cft commun 
à l'homme avec tous animaux. Qu*efl-ce 
autre chofe que parler , cefte faculté que 
nous leur voyonsde Teplaindre, fe resjouïr, 
s'entr'appeller au fecours , fc convier à Ta- 
mour ? Et comme nous parlons par gefles& 
mouvement des yeux, de la tefte» des mains, 
des efpaules ( en quoy fe font fçavans les 
muets ) auili font les beftes , comme nous 
voyons en celles qui n*ont pas de voix , les- 
quelles toutesfois s'entrefbnt desoffices mu-* 
tuels: 6c comme à certaine mefure les befles 
nous entendent , auflî nous les entendons. 
Elles nous fiattent, nous menacent, nous 
requièrent , & nous elles. Nous parlons à 
elles , & elles à nous , & fî nous ne nous 
entr*entendons parfaitement , à qui tient - 
il ? à elles ou à nous } c'eft à deviner. Elles 
nous peuvent bien eftimer beftes par cefle 
caîfbn , comme nous elles : mais encore 
nous reprochent * elles que nous ne nous 
cntr'entendons pas nous-mefmes. Nous 
n'entendons pas les Bafques , les Bretons , 
& elles s'entr'entendent bien toutes , non 
feulement de mefme efpece , mais , qui plus 
cfl» dç diverfc ; en certain abbayer duchieny 



^4 dflaSagesse» 

le cheval cc^oift qu'il y a de la cholere | 
& en autre voix il cognoift qu'il n'y en a 
point. Au refte elles entrent en intelligence 
7. Intel- avec nous. En la guerre, aux combats , les 
mutuel- clcphans , les chiens , les chevaux s'enten- 
le* dent avec nous » font leurs mouvemens ac^ 
cordans àpourfuyvre , arrefler , donner , re- 
culer s ont paye , folde & part au butin , 
comme il s'eft pnu^qué en la nouvelle 
conqueile des Indes. Voilà des chofes com- 
munes à tous & à peu prés pareilles. 
4* Venons aux différences & advantages des 

rences 8c uns fur les autres. L'homme eft fingulier 8c 
advan- excellent en aucunes cho(es par deflus les 
Oe* . animaux : & en d'autres les beftes ont le àcG 
rhorn* {us ^ affin que toutes chofes foyent ainii en - 
trelalTées & enchaînées en cefte generalle 
police du monde & de nature. Les advan- 
tages cenains de l'homme (ont les gran- 
des facultez de l'ame , la fubtilité , vivacité 
& fuffifance d'efprit à inventer , juger ^ 
choifir : la parole pour demander & offrir 
ayde & fecours : la main pour exécuter ce 
que l'efprit aura de foy inventé , & apprîns 
d'autruy : la forme aulE du corps , grande 
diverfîtéde mouvemens des membres , dQnt 



t I V R ï ï. C H A P. Vni. * $f 

il tire plus de fcrvice de Ton corps. 

Les advantagcs des beftes, certains & T- 
hors de difpute , font ou généraux ou par- ?" 
ciculîers. Les généraux font fanté , qui leur Gene- 
cft bien plus forte & confiante. Le ferein '*"*' 
ne leur nuid point, ne font fubjeâes aux de- 
fluxions , d'oii font caufées prefque tou- 
tes maladies : l'homme couvert de toidl & 
de pavillon à peine s'en peu(l-il garder. Mo* 
deration d'appétits & d'aétions , innocence, 
feureté , repos & tranquillité de vie , une 
liberté pleine & entière fans honte , crainte , 
ny cérémonie aux chofes naturelles & li- 
cites ( car l'homme eft feul qui a à fe déf- 
rober & fe cacher en fes aâ:ions , & duquel 
les defFauts & imperfedions oiTenfent fes 
compagnons ) , exemption de tant de vices 
& defreiglemens , fuperftition , ambition , 
avarice , envie. Les paniculiers font l'ha- pj^çj^u. 
bitation & demeure pure , haute , faine , & li^rs. 
plaidante des oyfeaux en la région de l'air. '• 
La fuffifancc d'aucuns arts , comme de baf- *• 
tir aux arondelles , & autres oyfeaux , tiftre 
& coudre aux araignées , de la médecine en 
placeurs animaux, mufique aux roffîgnols. 
Les eâe^ de proprietex mcrveilleufes , ini- j* 



^é * belaSagessz, 

miubles , voire ininu^iiubies , comme fa 
propriété du poifTon rémora à arrefler les 
plus grands vaifTeaux de mer, coimne il Ce 
lift de la galère capitanefTe de Marc-An- 
toine , & le meGne de celle de Caligula ; 
de la torpille à endormir les membres d'au* 
truy bien eflongnez & fans le toucher ; de 
l'heriiTon à preàentir les vencs i du camé- 
léon & du poulpe à-prendre les couleurs* 
4* Les prognoftiques , comme des oyfeauz en 
leurs pafTages de contrée en autre , félon 
les faifons diverfes s de toutes beftes mères 
à cognoiftre de cous leurs petits , qui doibc 
eftre le meilleur : car eftant queftion de les 
fauver du danger , ou rapporter au nid , 
elles commencent toujours par le meilleur» 
qu'elles fçavent & prognoftiquent tel. En 
toutes ces chofes l'homme eft de beaucoup 
inférieur , & cnplufieurs il n'y vaut du tout 
rien : l'on y peuft adjoufter , fi l'on vcuft, 
la longueur de vie , qui en certains ani- 
maux paffe fept ou huiâ fois le plus long 
terme de l'homme. 
^* Les advants^es, que l'homme prétend 

tagcs dif- &i^ les beftes , mais qui font difputablcs » 
pu»blcs & qui peuft-eftre font au rebours pour les 



X.ltRl I. CHA^. VIIL ^7 

ï>6fte$ contre Thomme , font plufieuts« 
^Premièrement » les facilitez raifonnables , ,, 
difcours , ràtiocination , difcipline , juge- Rariod- 
ment , prudence. Il y a icy deux chofes à 
dire : Tune eft de la vérité du faid, C'eft ^Tesh^. 
€tnc queftion grande , fi les beftes font pri- tes raiio- 
▼ées de toutes ces lacultez fpirîtuelles: "ncnt. 
L'opinion qui tient qu'elles n*en font pas pri- 
^^es , ains qu'elles les ont, eft la plus au- 
thentique & plus vraye ^ elle eft tenue des 
plus graves Philofophes , mefmement AriP- 
totc , Galien , Porphyre , Plutarque : fouf- 
tenue par cefte raifon^ la compofition du 
cerveau , qui eft la partie de laquelle l'ame 
fe fen pour ratiociner , eft toute pareille & 
ine(me aux beftes qu'aux hommes^ confir* 
jxiéc par expérience» les beftes desfinguliers 
concluent les univerfels ; du regard d*un 
homme feul cognoifsent tous hommes; fça- 
vent conjoindrc & divifer , & dîftinguer le 
bon du mauvais , pour leur vie , liberté , & 
de leurs petits. Voire fc lifent & fe voyent, 
fi Ton y veut bien prendre garde, plufieurs 
traidh fâids par les beftes , qui furpaffent 
la fuffifancc , fubtilité , & tout Tengin du 
4àommun des hommes; j'en veux ici rap- 
Tonu /• 1 



poner quelques-uns plus fîgnalez. Le jrc- 
nard voulant pafler fur la glace d'une ri^ 
viere £elée , applique l'oreille contre h 
glace , pour fentîr s'il y a du bruiâ , & iî 
Teaue court au-defToubs » pour fçavoir s'il 
Ëiut advancer ou reculer 5 dont s'en fer-r 
Tent les Thr^iens voulans paf{èr une ri- 
vière gelée : le chien , pour fçavoir ai| 
quel des trois chemins fe fera mis (on maiC 
tre , ou l'animal qu'il cherche , après avoir 
âeurc & s'eftre afTeuré des deux , qu'il n'y 
a paâfé pour n'y fentîr la trace , fans plus 
m^chander ny fleurer , il s'eflance dedans 
le troifieme. Le mulet du Philofophe Tha-r 
les portant du fel & travçrfant un ruilTeau , 
fc plongeoir dedans avec la charge , pour I4 
rendre plus légère » l'ayant une fois trouvée 
celle , y eftant par accident tombé ; mais 
cflant après chargé de laine ne s'y plongeoit 
plus. Plutarquedid avoir veu en un batteau, 
un chien jettant en un vaiffeau des cail- 
loux , pour faire monter l'huile qui eftoit 
trop baffe. Autant s'en diâ des corbeaux de 
Barbarie , pour faire monter l'eaue quand 
çUe eft ba/fe , & qu'ils veulent boire. De 
aieûn^ , les elephans pçrtaus des pierre^ âç 



lltRE I. CHAP* VIII. ^9 

pièces de bdis dedans 11 fôfTe bii uii autre 
leur compagnon fe trouve engagé , pour 
luy ayder à en fortii*. Les bœufs des jardins 
royaux de Suze , appr ms à faire cent tours 
de roue à Tentour d'un puits , pour en tirer 
de Teaue, & eh arroufer les jardins » n'en 
Youloyent jamais faire davantage, 8c ne&il- 
loyent auffi jamais au compte. Toutes ces 
«^hofes comment Ct peuvent-elles faire fans 
dîfcours & ratiocination » conjonâion 8c 
divîiîonî C'eft en cftre privé , que ne cog- 
hoiftre cela: la dextérité de tirei' & arracher 
les dards âc javelots des corps avec fort peu 
de douleur, qui eft aux elephans : le chien 
dont parle Plutarque , qui en un j eu publicq 
far l'efchafàttd contrefàifoit le mort , ti- 
rant à la fin , tremblant , puis fe roidifTant» 
fc laiifant entraîner , puis peu à peu fe re- 
Tenant, 8c levant la tefte fàifoit le reflufcité; 

' tant de fingeries & de tours eflxanges que 
font les chiens des bafleleurs, les rufes & in- 
ventions de quoy les belles fe couvrent des 
cntreprinfes que nous fàifons fur elles : la 
jtic&agerie 8c grande providence des four- 
mis à eftendre au dehorsleuts grains pour les 

^ ciVeiiter , feicher , afin qu'ils ne moifiiTent 



\ 



:^oo DK LA Sagesse, 
& corrompent, à ronger le bouc du graîn r 
^Sua, <}u*il ne germe & fe face (émence s 1^ 
police des mouches à miel , ou y a (î grande 
diverfité d'offices & de charges , & une & 
grande confiance, 
o ^ d- ^^^^ rabattre tout cecy aucuns malicieu- 
tion de fement rapportent toutes ces cho(es à une 
linfiintt inclination naturelle , fcrvile , & forcée r 
mais outre que cela nepeuit eltre, ny entrer 
eh imagination » car il y faut enumeratioxk 
de parties , comparai{bn ^ discours par con- 
jonâion , & diviiion ,. & confequences : 
auâi ne fçaurpyent-ils dire ce que c'eft que 
cefte inclination & inftinâ naturel. Encore 
ce dire fe retorque contr*eux5 car il efl fans, 
comparaifbn plus noble , honorable, & ref- 
femblant à la Divinité, d*agir par nature , 
que par art & apprentifTage^ efbx conduiél £c 
mené par la maiii de Dieu , que par la fîenne ^ 
& reiglement agir par naturelle & inévita- 
ble condition , que reiglement par liberté 
fortuite & téméraire. Par celle oppolîdon 
d'inftiné^ naturel ils les veulent auffî priver 
d'inftruâion & discipline tant aéHve que 
paflive : mais l'expérience les de(ment> car 
^es lare^oyyent» tefmoins les pies, perro-* 



II VUE I. CHAP. VIII. 101 

^uets , meritô » chiens , comme a efté diâ; 
& la domient, tefmoins les roffignols , & fur 
tout les elephans , qui paflent tous animaux 
en docilités toute forte de difci{^e Se fiif- 
Hùaicti, 

Quant à cdb (acdcé de Teffiit , donc S. 
rhomme fe glorifie tant, qui eft de fpiri- 
tualifer les chofes corporelles & abfentes , 
ks defpouillant de tous accidens pour les 
cotïccvob: Si (sL laoà^ j nam intelieâum efi 
in intelligente ad mùdrnmimeUigentis ^ les 
i>eilés^n font de mefme ,■ le cheval accouf^ 
lumé à la guerre dormant en faliâiere tre^ 
mouâe & frèmift , comme s'il eftmt en la 
xneAée , conçoit un (on de tambour , de 
trompette , une armée : le lévrier en fonge 
halettant, allongeant la queue, fecouanc 
les jarrets , conçoit un lièvre fpirituel : les 
chiens de garde grondent en fongeant , & 
puis jappent tout à £iiâ , imaginant un ef- 
tranger arriver. Pour conclurre ce premier 
poin<^, il £iut dire que les beftes ratioci- 
nent , ufent de dlfcours & jugement , mais 
(>lus foiblement & imparfaitement que 
rhomme. £Ue& font inférieures en cela à 
l'homme, & non pas qu'elles n'y ayent4lu 



70Z: .' m LA S ACt SS't^ r 

tout point de paît. £Ues font ioéeticures h 
l'anime, comme entre les hommes les uo^ 
font inférieurs aux autres , & auffi entre les 
beftcsjs'y trouve telle différence : mais en-, 
core y a-il plus grande différence entre le$r 
faonames; car» cûninàe fe dira après» il y a^ 
plus grande >£A»utce d^homme à'hwnme >• 
que d'homme à befte. . 

L'autre poînâ à dire en cefte matière eft ,- 
que cefte prééminence & adyantage d'en- 
tendement & autres âcultez fpiricuelles ^ 
que rhomme prétend ^ luy eft bien cher ven« 
du y &. luy porte plus de maf que de bien » 
car c'eft la fource principale des maux qui 
lepreifent, TÎces, pafCons, maladies, ir«* 
re(blîition , trouble , defe(poir : de quoy 
font quittes les beftes à iàute de ce grandT 
advantage , teûnoih le porceau de Py rrho , 
qui.mangeoit paifiblement au navire durant' 
la grande tempefte qui tranfiiToit de peut 
toutes les perfbnnes qui y eflioient. Il fem-r 
bte que ces grandes parries de l'ame ontefté 
defniéesaux beftes , à tout le moins retran* 
chées Se baUtées cheti^es & fbibles pour 
leur grand bien & repos , & données k 
rhomme pour fon grand txmrment ^ car par 



tiynt t c ftA». VïII. tcf ' 

{celles il s*^te & travaille , fe fafche d\i 
palTié , s'eftonae & Te trouble pour Tadve-' • 
nir ^ voire il imagine , appréhende & craint 
des maia: qui ne font & ne feront points 
Le^ animaux n'appréhendent le mal , que 
iors qu'Ss le Tentent : eilans efchappez font 
en pleine feureté & repos. Voylà comment 
l'homme eft le plu^xniferable,par où l'on le 
penfoit plus heiureuz : dont il femble qu'il 
euft mieux valu à l'homme n'effare point doué 
& garni de toutes ces belles & celeftes ar-r 
mes , puis qu'il les tourne contre foy à fon 
mal âc (a ruyne. £t de fsaû. nous voyons 
que les ftupides & foibles d'e/prit vivent plus 
en repos , & ont. meilleur marché des maux 
& accidens , que les fort fpirituels. 

Un autre advantage que l'homme prétend ' ^* 
fur les beftes eft une fe^eurie & puîflàncc gnêurie 
de commander, qu'il penfe avoir fur les ^ ^^J"* 
beftes : mais outre que c^eft un advantage mcncr ' 
que les hommes meûnes ont & exercent les 
uns fur les autres , encore cecy n'eft-il pas 
vray. Car ou eft ce commander de Thomme, 
& ceft obeïr des beftes } C'eft une chimère ^ 
& les hommes craignent plus les beftes » 
qu'elfes ne font les hommesr L'homme ^ 



t04 ^^ ^A SA^tii-E^ 
bien à la vérité grande prééminence par icC^ 
Ccn. I • fns les belles , ut prdfie pifiilms maris , va* 
iatUihus cœli , hefiiis urn, / & c'dl à caule 
de fa belle & droiâe forme, de fa fageâe& 
prérogative de Ton eCpric : mais non pas qu'il 
leur commande^ ny qu'elles luy obcïflcnt. • 
Il y a encore un autre advantage voifin 
). Liber- de ceftuy-cy ^ prétendu par l'homme , qui 
t^ de' '^* cft une pleine liberté , reprochant aux bcftes 
la fervitude, captivité» fubje6tion, mais c'eft 
bien mal à propos. Iljy a bien plus de fubjeél 
& d'occafion de le reprocher à l'homme, tei^ 
moins les enclaves non feulement &iéls par 
force , & ceux qui defcendent d'eux , maïs 
encore les volontaires , qui vendent à purs 
deniers leur liberté , ou qui la donnent de 
gayeté de cœur , ou pour quelque conuno- 
dité , comme les efcrimeurs anciens à ou- 
trance , les femmes à leurs dames , leS (bl- 
dats à leurs capitalises. Or il n'y a rien de 
tout cela aux belles : elles ne s'aflèrviflènt 
jamais les unes aux autres ; né vont point à 
la fcrvitudc, ny aôivcment ,ny paflîvement, 
ny pour affcrvîr , ny pour eftre alfervies : 8c 
font en toutes façons plus libres quelles 
hommes. Et oe que l'homme va à la chafièi 



tITRE I. CHAP. VIII. JOf 

prend , tue » mange les befles , audi eft-îl 
prins , tué , mangé par elles à fon tour , de 
plus noblement, de vive force, non par fi- 
nefle, & par an, comme il fâiâ; & non 
(euletneiit d'elles , mais de (on compagnon, 
d'un autre homme , choie bien vilaine : le$ 
beftes ne s'àfTemblent en troupe , pouraN 
1er deftruire, ravager & prendre efclave une 
autre troupe de leurs femblables, comme 
font les hommes. 

Le <|uatrielne & grand advantage preten- J^' 
du par rhomme eft en la vertu : mais de la ' 
morale il eft difputabies car la recognoif- 
fânce , Tamîtié officieufe , la fidélité » la 
magnanimité , & tant d'autres , qui confîf* 
tent en {bcieté&converfationyfbnt bien plus - 
vives , plus éxpreâes & confiâtes qu'au 
commun des hommes. Hircanus le chien 
de Lyfimachtts demeura fur le lia de fon 
maiftre mort fans vouloir }amais mai^r 
ny boire ; & fe'jetta au feu ou fut mis le 
corps de Ton maiftre , & s'y laifla brufler 
avec luy : tout le merme en fift un autre 
appartenant à un certain Pyrrhus : celui du 
iâge Hefiode décela les meurtriers de Cou 
maiftre : un autre de mcûne en la prefencc 



10^ 0E LA SAGESSIT, 

duroy Pyrrhus &de toute Ton armée : un atf* 
tre qui ne ceiTa , comme affirme Plutârque » 
Allant de ville en ville , jufques à ce qu'il 
euft fait venir en juftice le facrilege & vo- 
leur du Temple d'Athènes. Uhiftoire eft cé- 
lèbre du lyon hoAe & nourricier d'Andro- 
clus efdave Ton médecin , qu'il ne voulfift 
toucher luy ayant efté etpofé , ce qu'A- 
pion diû avoir veu à Rome. Un éléphant 
ayant par cholere tué fon gouverneur , par 
repentance ne voulut plus vivre , boire , 
ny manger. Au conoaire il n'y a animal au 
monde in|ufte,ingrat» me{cognoiflanr,traif' 
tre , perfide y menteur , & diffimulé au p^ 
de l'homme. Au refte puis que la vertu eft 
en la modération de Tes appétits , & à bri- 
der les voluptez , les belles font bien plus 
reiglées que nous , & fe contiennent mieux 
dedans les bornes de nature. Car non feu- 
lement elfes ne font point touchées ny paf- 
fionhées de cupiditez non naturelles , £u- 
perâues & artificielles , qui font vicieuses 
toutes , & infinies , comme les hommes qui 
y font pour la ptufpart tous plongez : mais 
encore aux naturelles , comme boire & 
iiianger , Taccoinâancc des m;^s de £&nfA* 



LIVRE I. CHAP. VÏIL 107 

les , elles y font beaucoup plus modérées Se 
retenues. Mais pour voir qui eft plus ver- 
tueux & vicieux de l'homme ou de la befte» 
& faire à bon efcient bonté à Tbomme de- 
vant la befte , prenons la plus propre & con<> 
▼enable vertu de Thomme , c*eft comme 
porte (on nom y Tfaumanité ; comme le pluç huiha- 
eftrange & contraire vice, c'eft cruauté. Or '**^^' ^'^* 
•n cecy les bcftes ont bien de quoy faire 
rougir Thomme » en ces huid mots : Elles 
ne s'attaquent Se n'offenfent gu^res ceux de 
leur genre » Major firpentum firarumqu^ 
conçordia quant koimnum : ne combattent 
que pour très grandes & )ùftc$ caufes , def* 
fen& & confervation de leur vie , liberté, 
& leurs petits : avec leurs armes naturelles âc 
ouvertes , par la feule vive fbrce& vaillance 
d'une à une , comme en duels & non en 
troupe , ny par deflein : ont leurs combats 
courts & toft expédiez , jufques à ce que 
Tune £bit bleifée ou qu'elle cède : & le com* 
bat finy, la querelle, la haine, & la cholere 
eft aufli terminée. Mais Thomme n'a que- 
relle que contre l'homme : pour des caufes 
son feulement légères , vaines & frivoles , 
ipais fouvent injuftes ; avec armes artificiel' 



X08 DE LA SaOBSSE, 

les Se traiftrefTes : par fraudes 8c mauyai$ 
moyens : en troupe &adembiée faiâe avec 
deflein : faid la guerre fore longuement Se 
fans fin » jufques à la mort : & ne pouvant 
plus nuire , encore la haine Se la cholere 
dure. 
!)• La conclufion de cefte comparai(bn cft 

fioadc** ^^^ v«nement Se mal i*homme fe glorifie 
cefte fe- tant par defius les beftes. Car fi Thomme a 
confiJe ^**^^û^ chofe plus qu'elles , comme eft 
(«ion. principalement la vivacité de Tefpnt Se de 
l'entendement , Se les grandes làcultez de ^ 
Tame: aufli en efchangeeft-il fubjeâ à mille 
maux , dont les beftes h*en tiennent rien : 
inconftance , irre&lution > Tuperitition , 
foin pénible des chofes avenir, ambition, 
avarice , envie , curiofité, detraâion , men- 
fonge , un monde d'appétits defreiglez, de 
meîcontentemens Se d'ennuis. Ceflefprit 
dont l'homme làiâ: tant de fefle, luy apporte 
un million de maux, & plus lors qu'il s'a- 
gite Se s'efforce. Car non-feulement il nuit 
au corps , trouble , rompt, & laffe la force 
Se les fondions corporelles , mais encore 
Folie « foy-mefme s'empefche. Qui jette les hom- 
"*'*** * mes à la folie , à la manie , que la poicâe , 



Lit RE I. CHAT. VIXL ID9 

Tagilité & la force propre de rcfprît } Ucs^oyez a- 



plus iubciies folies & excellences manies .,^J 

Tiennent des plus rares & vives agitations- M < 

de i'eQ>rit , comme des plus grandei âmi-*-! 

tiez^ n^dfTenc les plus grandes inimkiczs àc 

des famez vigottreufes , les mortelles stur*: 

kulîes. Les melancholiques, diâ Platon; fonf^ 

plus capables de fdence 8c de ùijgjtSc\ mai» 

aufC de folie. Et qui bien r^ardera, trouvera 

qu'aux élévations & faillies de Tame libre il 

y a quelque grain de folie ; ce font à la ve - 

zité chofes fort voifines. Pour amplement 

vivre bien félon nature , les belles font de 

beaucoup plus advantagees^ vivent plus li<r 

bres , affeurées » jnoderées , contentes. £t 

rhomme eftfagequi les conlidere, quis*ea 

faîdl leçon & (on profiâ 3 en cefaifant il fe 

forme à Tinnocence , /implicite , liberté 8C 

douceur naturelle , qui reluit aux beftes»&: 

eft -toute altérée & corrompue en nous par 

nos artificielles inventions & dcsbauches , 

abuËint de ce que nous difons avoir par- 

delTus elles , qui eft Tefprit & jugement. £t 

Dieu tant fouvent nous renvoyé à Tefchole 

& à l'exemple des befies, du milan , la ci- 

eogne , Tarondellc, tourterelle , la fourmy» 

, Tom€ /. K 



pies, c. 



aiu 



lia delaSagesss. 

le bceuf & Tafiie, & tant d'autres. Au reftc, 
il fe faut fouvénir qu'il y a quelque com* 
merce. icntie les beftes & nous, quelque 
i«latioii & obligatioa mutuelle , ne fuft-ce 
quefntrbè qu'elles Cont à un meCne maiftrc» 
&L et misûne Êimille que nous ; il eft indi- 
gned'ufes. de cruauté envers elles : nous de- 
vons: la juitice aux hommes , la grâce & la 
beni^té envers les autres créatures qui en 
font capables. 



Ayant jufques ici trai<flé & confideré 
fhomme en blot & tout entier , tant en fby 
( qui a cAé la première confédération ) que 
par comparaifon ( en la féconde ) nous le 
voulons maintenant cfhidier & confîderer 
particulièrement & difUnâement par toutes 
fes pièces : Premièrement en fa perfbnne 
& fubjeâ , ce que nous allons faire en cefle 
troifîeme confîderation , laquelle ne fera 
pas feulement morale , mais aufti naturelle; 
puis de fa vie & de fes eflats , aux fuivantes 
confédérations. 



TROISIEME CONSIDERATION 

DE L'HOMME^ 

Qtrr efi en détail par toutes fes pièces , 
dont a ejfcompofé & efiahly. 



DiftinHion première & generalte de Vkomme^ 
CHAPITRE IX. 

L*HOMME comme un. ahknal prodigieux t. 

eft faiâde pièces toutes contraires ôc cnncr Prc«ï*«" 

rt • T%« I en deux 

mies: Tame eit comme un peut Dieu» le pacûes. 

corps comme un fumier , une befte : toutes- 
fois ces deux parties font tellement accour 
plées , & s'embrafTent fi bioa l'une rancie 
avec toutes leurs querelles » qu'elles ne pc«b- 
Vent demeurer fans guerre, tiy fc repart: 
fans tourment & regret; fie itommejcenaric 
le loup par les oreilles, chafcunepcuftdirb 
à Tautre , je ne puis avec toy ny fans toy 
vivre , nec tecumpojfum vivere , necfine te- 
Mais pource que derechef en cède ame 
il y a deux parties bien différentes, il fefl>- 
blc pour mieux & plus expreffenvènt reprer 
(eotci U cognoiflre riiomme,^u*aupremicr 

Kij 



^ KOU. 



XII D£ LA Sagesse, 
2. En coup Ton peuft remarquer trois chofés en 
rhomme , refprit , l'ame , la chair ; donc 
refprit & la chair tiennent les bouts & ex- 
trémités contraires » Tame mitoyenne & 
indifférente. L'efpnt > la très haute ôc très 
héroïque partie» parcelle» fcintille, image 
& defluzion de la divinité» e(l en l'homme 
comme le roy en la republique; ne rerpire 
que le bien & le ciel » où il tend toufîours : 
la chair au contraire » comme la lie d*un 
f eiîple comultoaire & infenfé » le marc & la 
icadne de Thomme , partie brutale , tend 
tDuâours au mal & à la madère l l'aitie au 
nntîeu comme les principaux du populaire 
cft indifierente entre le bien & le mal » le 
mcnce & le démérite» eft perpétuellement 
fotticieée de l'e^t & de la chair ; & félon 
itf^yoà elle fe range» eft i^^iiituelle & 
: bonne } ou ckaxhelte de mauTaife. Icy font 
logées toutes les af&âions naturelles » qtd 
ne font yertueufes ny vicieufes» comme 
l'amour de fes parens & amis » cramte de 
honte» pitié des affligez» defir de bonne 
rq^utiadcB. Cefte dilUnâion aidera beau- 
-coup à fe retognoiftre & difcemer les ac« 
lions» pour nCfS'y mefcomptcr, comme Toa 



LIVRE î. CMA t. tX. tlj 

(sdâ fottvcnt, jugeant par Tcfcorce & appa- 
rence , penfant que ce foit de l'cfprit ce qui 
eft de rame , voire de la chair , & attribuant 
à vertu ce qui eft de la nature ou du vice. 
Combien de bonnes & de belles adions pro" 
duiâes par paflîon , ou bien par une inclîr 
nation & complaifance naturelle , uc fer-r 
vianc genio &fuo indulgeant animo ! 



Du corps humain en generaL 

CHAPITRE X. 

Ayant à parler de toutes les pièces de t 
rhomme, 6ut commencer par le corps , ^^'^^^l^ 
comme par le plus facile & apparent , ^ 
qu*il eft auffi Vsàùié de Tame , comme le 
domicile doibt eftrc ùâ^ & drciK avant 
qu'y demeurer , & Tattelier avant que ToU' 
vrier y entre pour y ouvrer. 

Le corps humain eft fermé avec le temps, . \ 
&de tel ordre, que premièrement font ba^ ^^^^ * 
fties les trois plus nobles Se héroïques par- 
tics 5 le foye, le cœur, le cerveau, dîftantes 
en long , & fe tenant par jointures defliées^ 
qui puis fe remplirent toiit à la fa^on d'un ' 

Uj 



114 i>E l'A Sagesss» 

fermy , oti y a trois parties plus groflVs & 
enflées, jointes par entre-deux deÛiécs; Se- 
lon ces trois parties principales viennent à 
conlîderer trois eftages en i*homme ( im^e 
racoorcie du monde ) qui refpondenc aux 
trois eftages & régions de Tunivers. La bafic 
du fby e , racine des veines , o&dne des' cC- 
prits naturels , 5c le lieu de Tame concupif- 
cible s en laquelle font contenus le ventri- 

VifcerM, cule, ou l'eftomach, les boyaux, les reins, 

'* la ratte, & toutes les parties génitales , ref- 

pond à la région élémentaire ou (è fbnr 

Tr^tvf* toutes les générations & corruptions. Celle 

^^' ' du mifieu ou maiftrifé le coeur , la tige des 
^, artères , & des efprits vitaux , & le fiegcde 
Tame irafcible , feparée de celle d'enxbas 
par la toile tendue du £apliragme , âc de 
celle d'enhaut par le deftroit de la gorge , 
en laquelle font aufli les poulmons , refpond 
^ à la région setherée. Celle d*enliaut, od 
loge le cerveau (pongieux » fource des nerfs 
& efprics animaux , du mouvement & fen- 
timent , & le throfne de Tameraifonnable, 
nbifedet pro tribunally refpond à la région 
celefte & intelleâuelle. 

singttU* «L*homme en fon corps a plufieurs cbo-» 



nt». 



t t VkÉ î. C HAP. X. îîj 

fcs qui luy font peculieres privativiement 
aux bcfles. i. Stature droiâe, i. forme 
belle y 3. y ifage proprement diâ, 4. nudité 
naturelle, 5. mouvement tant divers des 
membres , 6. (bupplefTe & mobilité de la 
inain ouvrière de tant de chofes , c*eft un 
miracle , 7. grolTeur & abondance de cer- 
veau , 8. le genouil , qui e(l en l'homme 
feul au devant 9 9. û grande longueur du 
pied au devant , Se qui eft fi court au der- 
rière ,10. faignée du nez , chofe eftrange, 
vcu qu'il a la tefte droite & les belles baif- 
fée ,11. rougir à la honte , 1 1. pallir à la 
crainte , 1 5. les caufes ou raifons de toutes 
CCS fingularitez font belles « mais ne font 
de ce nofbe pris faiâ« 

Les biens du corps Tout la fanté, la beau- 4 
té, l'alegrcffe, la force, la vigueur, l'ad- ^*^'**' 
«IrefTe Se difpofîtion , mais la fanté pafTe 
tout. 

Les principales & plus nobles pièces des ^ 

externes font les fens corporels y & des in- f**^*' » 
1 I 1 r o • plus no- 

ternes , le cerveau , le coeur , le foye , & puis blés. 

les genitoires, & les poulmons. 

L'excellence du corps e(l généralement en ^ 

la forme , droiture Se port d'iccluy ? fpeda- j^.^" ' 



turc» 



tlê httA&AÙtStt, 

\ Icmeat & particulièrement en la face Se aiit 
I mains , qui font les deux parties que nous 
* laifTons par honneur nues. Cènes les fageS 
mefme Stoïques ont tant faiâ de cas de la 
forme humaine,qu*iis ont diâ vouloir mieux 
eftre fol en la forme humaine » que fageea 
la forme brutale, pfeferans la forme corpo- 
rclleàlafageffe. 
y Le corps de Thomme touche fort peu la 

Droic- terre, il eft droid tendu au ciel, oii il 
regarde , fe voit & fe cognoift, comme en 
fon miroir : les plantes tout au rebours onc 
la tefte & racine toute dedans la terre , les 
beftes comme au milieu Tout entre deux^ 
mais plus & moins. La caufe de cefte droic** 
ture n*e(l pas proprement Tame raifonna* 
ble , comme il fe voit aux courbez , boffus, 
boiteux > non la ligne droite de Tefpine dis 
dos , qui eflauffi aux ferpents > non la cha* 
leur naturelle ou vitale , qui eft pareille ou 
plus grande en certaines belles , combien 
que tout cela y peuft fervir de quelque chofe: 
cefte droiâure convient à l'homme , & 
comme homme , & comme roy d'icy bas. 
Aux petites & particulières royautez y a 
une marque & niajeftéj comme il fe voie 



lîVRE I. CHAP. X. 117 

an dauphiiï couronné, au (erpent bafilizé, 
au lyon avec Ton collier, fa couleur de poif, 
& fcs yeux , en Taigle , au roy des abeil- 
les. Mais rhomme roy univerfel d*icy bas 
marche la tefte droiâe y comme un maiftre 
en fà maifbn , régente tout & en vient à 
bout par amour ou par foi^ce , domptant ou 
appriyoi(ànt. 

• Comme il y en a qui ont des contenan- 9 
ces , geftes , & mouvemens artificiels & af- Conte- 
fedlex , auffi y en a qui en ont de fi naturels 
&fi propres , qu*ils ne les Tentent , ny ne les 
recognoifTent point , comme pencher la 
tefte , rincer le nez. Mais tous en avons , 
qui ne partent point denoftre difcours , ains 
d'une pure naturelle & prompte împutfibn» 
comme mettre la main au devant en nos 
cheutes. 



De la fanti , beauté , & du vifige. 
CHAPITRE XI. 

La fanté eft le plus beau & le plus riche 1 
prefent que nature nous (cache faire, pre- Pt^^fj 
fcrable à toute autre cbofe , non-reulemênt u fanté. 



XlS V£ LA S A C tS È t , 

fcience , noblefTe » richefTes , nuis à la (k^ 
geAe mefîne , ce difenc les plus aofteres Car' 
ges. C*cft la feule chofe qui mérite que 
Ton employé tout, voire la vie mefme, pour 
l'avoir ; car fans elle, la vie eft (ans gouft , 
Toire eft injurieufe , la venu & la fageâe 
terniilent & s*efvanouifIent fans elle. Quel 
fecours apportera au plus grand homme qui 
foie, toute la fageiTe , s'il eft frappé du haut 
mal, d'une apoplexie } Certes je ne luy puis 
préférer aucune chofè que la feule preu- 
d'hommie, qui eft la (anté de l'ame. Or 
combien que ce foit un don de nature, gau- 
deantbtnenatiy odroyé en la première con- 
formation 5 fi eft -ce que ce qui vient après 
le lai^, le bon reiglement de vivre, qui 
confifte en fobricté, médiocre exercice, fc 
garder de triftefle & toute efmotion fbrte^ 
la conferve fort. La maladie & la douleur 
(ont fes contraires , qui font les plus grands, 
& peuft-eftre les feuls maux de l'homme, 
desquels a efté parlé & fera encore. 
^^ La beauté vient après , qui eft une pièce 

Recom- de grande recommandation au commerce 
non de* ^" hommes. C'eft le premier moyen de coo- 
beaucé. ciliacion des uns aux autres, & eft vrayr 



LIVRE I. CHAP. XL îïf 

lemblable que la premiers diftindion qui 
a efté entre les hommes , & la première con« 
fideration quidomia prééminence aux uns 
fur les autres,a efté radyanc^e de la beau- 
té. C*eft audî une qualité puifTante, il n'y 
en a point qui la furpaiTe en crédit , ny qui 
aye tant de part au commerce des hommes. 
Il n'y a barbare fi refolu qui n'en foie fra^ 
pé. Elle fe préfence au devant , elle feduiâ & 
préoccupe le ji^ement , donne des impref- 
fions & prelTe avec grande auchorité; dont 
Socrates l'appelloitunc courte tyrannie, Pla- 
ton le privilège de nature. Car il (emble 
que celuy qui porte fur le vifage les Ëiveurs 
de la nature imprimées en une rare & excel- 
lente beauté, ayt quelque légitime puiilàn- 
ce fur nous , & que tournant nos yeux à foy « 
il y tourne auflî nos afFefiions , & les y af- 
Tubjeâifle malgré nous. Ariftotediâ qu'il 
appartient aux beaux de commander, qu'ils 
font vénérables après les dieux , qu'il n'ap- 
partient qu'aux aveugles de n'en efbre tou- 
chés. Cyrus, Alexandre, Cefar, trois grands 
commandeurs des hommes, s'en font fèrvis 
en leurs grandes af&ires , voire Scipion le 
ineilleur de tous. Beau Se bon font cou(uis« 



Diftinc. 

tioiu. 



& s'expriment par mefxnes mots en grec 9c 
«*>.of. en l'efcriture fainéte. Plufîeurs grands phi- 
lorophcs ont acquis leur TageiTepar rentre' 
mife de leur beauté : elle eft connderée mefr- 
me & recherchée aux beftes. 

1 . U y a diverCes confîderations en la beaiH 
té. Celle des hommes efl proprement la for- 
me & la taille du corps , les autres bcautez 
font pour les femmes. Il y a deux fortes de 
beauté : l'une arreflée , qui ne fe remue 
point, & eft en la proportion & couleur deue 
des membres, un corps qui ne foit enflé ny 
bou£Gi, auquel d'ailleurs les nerfs ne paroif- 
fent point , ny les os ne percent point la 
peau,mais plein de fang, d'eiprits & embon- 
point , ayant les mufcl^ relevez , le cuir 
poly, la caul çur vermeille : l'autre mouvante 
qui «'appelle grâce , qui eft en la conduite 
des mouvemens àts membres, fur-tout des 
yeux; Celle-là feule eft comme morte.; ccfte- 
cy efl agente & vivante. Il y a des beautez 
rudes , fiercs , aigres : d'autres douces, voire 
encore fades. 

4* . La beauté & excellence du corps eft pro- 

ÎASfi, ^*' prementconfîderableauvifage. Il n'y arien 

de plus beau en l'homme que l'ame, & au 



L I Y RE I. C H AP. XL III 

Cofps que levi(àge, qui eft comme Tamo 
caccourcie : .c'efl la monftre & Timage de 
Tame^c'eft Ton efcuiTon à plufîeurs quartiers^ 
reprefentant le recueil de tous les tilcres do 
fa noblefle, planté ôc colloque fur la porte 
& au fÎDOiitirpice , affin que Ton fçache que 
c'eft là Ùl demeure & Ton palais ; c'eft par 
luy que Ton ci^oifl la perfonne s c'eft on 
abbr^é. Voyla pourquoy Tan , qui imite 
nature., ne fe fouciepour reprefenter la per^ 
ibnne , que de peindre ou tailler le viTage. 

Au vifage humain y a plufîeurs grandes T- 
(îngttlarxtez , qui ne font point aux beftes guUrices 
(dont à vray & bien dire elles n'ont point ^^ ^'^' 
de yiCags) ny aux auties parties du corps * 
humain: i. Nombre & diverfité de pièces, 
^ de façon en icelles; aux beftes y a moins de 
pièces , car les joues, le menton , & le front 
n*y font point, encore beaucoup moins de 
façon. 1. Variété de couleurs, car en l'oeil 
feul le noir,le blanc, le vcrd, le bleu, le 
rouge, lecriftalin. j. Proportion , les feni 
y font doubles^ fe refpondans l'unàrautre, 
&i fe tapportans fi bien, que la grandeur de 
focil eftla grandeur de la bouche, la largeur 
du front eft la longueur du nez, lalongueut 

Tome^ L L 



m D£ lA Sagesse» 

du nez eft celle du menton & des lèvres; 
4. Admirable diverficé des vifages, & telle 
qu'il ne s'en troaveroic deux femblables 
en tout Se par tout : c'eft un chef<l'œuvrequi 
ne fe trouve en toute autre dsoik. Cefte di- 
vedîté eft très-utile à la Cadetê humaine ; 
premièrement pour s*entre*recognoilixe, car 
maux infinis, voire ladiffipation du gen^e hu- 
main, s'enfuivroit, £ Ton venoit à fe mef* 
compter par la femUance des vi&ges : R nos 
faces n'eftoient £ènd;>lables, l'on ne fçauroic 
difcemer l'homme de la befte; û elles n'e(l 
toient didèmUables , l'on ne fçauroit difcer* 
oer l'homme de rhomme.C'eft on artifice de 
nature qui a pofé en ccfte partie quelque fe- 
cret de contenter un ou autre en tout le 
monde. Car de cefte diveriité vient qu'il 
n'y a perfianne qui ne foit trouvé beau par 
quelqu'un, 5. Dignité & honneur en Ùl fi* "^ 
gure ronde,, en fa forme droiâ:e & haut 
eflevée^regardant vers k Ciel»nue & defcou« 
verte , fans poil, plume, ou efcaille, comme 
aux beftes. 6. Grâce, douceur, venuftéplai- 
fante & agréable jufques à crochetter les 
cœurs & ravir les volontez , comme a efté 
iiù, cy-deiTus. Bref le vifageeftie trhofhe de 



tlVlLE I. CHAP. XI. Il| 

la "beauté & de Tamour , le fîége du ris & du 
baifer, deux chofes très-propres à rhomme , 
-crès-agreabks , les yrays & plus exprès fym-* 
boles d*amitié fie debbnne inteUigeiice.7. Fi-» 
nalemenc il eft propre à tous ctiangemens, 
pour déclarer les mouvemeiis tnterues & paf- 
fions de ramej )oye« tnftefie , amitié , haine , 
envie, malice, honte, chokre, defpit, ja- 
loufie , & autres : il eft comnie b monftre 
de rhorloge^ qui marque les heures & mor 
ments da. temps y eftans les mouvemens 9c 
roues cachez au dedans; de comme fair » 
qui reçoit toutes les couleurs & changement 
du temps , monftre quel temps il fàiâ; i auffi 
cUâ-on Taîr du vifàgç : Corpus animum tC" 
gic & detegit : infacie Ugitur homo^ 

La beauté du yitage gift en un front lar- ^^. ^ 
ge & quarré , tendu, cUir & fèrein > fourcils ckni de 
bien rangez ,, menus & dédiez, Toeil bien l* ^^'ïf 
fendu, gay ^ brillant, nez bien vuidé, gc 
bouche petite , aux lèvres coralines , men- 
ton COUR & forchu , joues relevées , & au 
milieu k. plaifant gelafîn , oreille ronde fie 
bien ttouifêe , le tout avec un teint vif » 
Uanc Bl vermeil. ToiKcsfeis cefte defcrip- 
tioj(i&'eft pa^receue par tout : les opinioM 

Lij 



114 DE LA Sagesse, 

de la beauté font bien difFerentes Telon les 
nations. Aux Indes la plus grande beauté cft 
en ce que nous eftîmcMis la plus grande Isd-*- 
deur, (Ravoir en couTeur bafanée, lèvres 
groiTes & enflées , nez plat & large,, les dents 
teintes de noir ou de rouge, grandes ordl •* 
les pendantes ^ aux femmes front fort petit & 
velu , les tetins grands & pendans , affin 
qu'elles puiiTent les bailler à leurs petits par 
deiTusles efpattles , Se ufent de- tous artifi-» 
CCS pour parvenk à celle forme : fans allée 
û loin , en Efp^^e la beauté «ft vuidée Se 
«flrillée , en Italie groffe & mailîve. Aux 
^ms plaifl la molle , délicate, & mignarde^ 
aux autres la forte , vigoureufc , fiere , & 
magiftralle. 
_^ La beauté du corps , fpecialement du vi- 

Beamé fage, doibt félon raîfondembàftrer & ter-> 
-&* de^* moigner une beauté en Tame ( qui eft un^ 
refpm. equabilité & rdgkment d'opinions & de 
jugemens avec une fermeté &c confiance )| 
car il n*efl rien plus vray - femblable, que 
la conformité & relation du corps à Tef- 
«prit : quand elle n*y efl ^ il faut penf(5r qu'il 
y a quelque accideiit , qui a interrompu 
4e cours ordinaire y ^offit^e il advient I ^ 



Acms le voyons fouvent* Car le laiâ de la 
bounice , Tiiiftitution prcmicre , les com- 
p^^nies apponent de grands changemens 
au naturel originel dé l'ame , foit en bien , 
foit en mal. Socratcs confcfïbit que la lai- 
deur de C&ÉX corps accu^bit |u{bmenc la lai- 
deur naturelle de ùm ame , mais que par 
inftitutîon il avoit corrigé celle de l'ame, 
C*efi: une foible & dangpreufe caution , 
que la mine -: mais ceux qui démentent 
leur bonae pbi^qnomife;, font plus punif- 
iables que les autri&s i car ils faMfient & 
^rabiflcnt la promeife.bonnjej que nature 
A plantée en içur front ^ & trompent le 
^onde. , .' 

Nous debvrîons , félon le confeil de S07 
crates, nous rendre plus attentif & affidùs^ 
À conitdensr les beautcx des efprits , & y 
prendre le mefme plaiiir , que nous faifons 
aux beautez du corps , & par fà, nous ap- 
procher ^ r'alUer , conjoindxe, ôc concilier 
en amitié } m?ûs kl faudrpit à cela des yeux 
propres & philo fophiques. 

r i ' 

Liij 



tti? delaSagessk, 



Des fens de nature , plus nobles pièces 

du corps, , 

CHAPITRE X I I. 

Impor- '^^^U'^^ cognoiflknce s*achemine en nous 
tance des par les fens ; ce font nos premiers maifttesi 
curels. ' ^^ commence par eux & fe refont en eux. 
Us font le commencement & la fin de touc- 
II eft impoffible de reculer plus arriérer^ 
chafcun d'eux eft chef & foûvef^ en fon 
ordre & a grande domihatioti, amenant uà 
nombre infini de cogrioiffances j Tûn ne 
tient ny he defpend , oua4>é(bin de Tau^ 
tre : ainfi font-ils également grands , bien 
qu'ils ayent beaucoup plus d'eftendue « de 
iuite & d'af&ires les uns^ que Its autres ; 
comme un petit roytelet eft auÏÏl bien (bu* 
verain en fon petit deftroiâ , que le grand 
en un grand eftat. 
1. C'eft un axiome entre nous y ^u*il n*y a 

brc.^*^" que cinq fens de nature » pource que nous 
n'en remarquons que cinq en nous ; mais 
il y en peuft bien avoir d'advantage : &>y a 
grand doubte & apparence qu'il y en a^ 
mais il eft impoflible à nous de le fçavoir ^ 



Tai&nner on nier , car Ton tie fçauroit ja* 
hiais cognoiftre le deiaut d'un fens que l'oA 
n'a jamais eu. Il y a plufîeurs belles qui vi'^ 
Teiit une vie pleitie & entière , à qui man-^ 
que quelqu'un de nos cinq fens ^ & peull: 
l'animal vivre fans les cinq fens , fauf l'ac* 
touchemenr, qui feul eft necefTaire à la 
vie. Nous vivons- très conmiodement avec 
^inq , & peufl-eflre qu'il nous en manqué 
encore un , ou deux , ou trois 5 mais ne 
fe peufl fçavoir : Un fens ne peuft defcou- 
vrîr l'autre 5 & s'il en manque un par nz* 
ture y l'on ne le f^uiroit trouver à dire. 
l»'homme né aveugle ne fçauroit jamais 
cctocevoir qu'il ne voit pas , ny defîrer de 
voir ou regretter la veue. Il dira bien peuft^ 
cftxe qu'il voudra voir : mais cela vient 
qu'il a ouy dire ou apprins d'autruy , qu'il 
a à dire quelque chofe : la ratfon eft que 
les (èns> font les premières portes & entrées 
à la cognoiflânce. Ainfi l'homme ne pou-^ 
vant imaginer plus que les cinq qu'il a, 
il ne fçauroit deviner s'il y en a d'advantagc 
en nature : mais il y en peuft avoir. Qui 
Xçait Cl les difficultez que nous trouvons en 
flufieûrs ouvrages de natuxe , & lescffi;^ 



des animaux , que nous ne pouvons cnteit^ 

iic , viennent du deËuit de quelque Caa 
que nous n*avon$ pas } Les ptoprietez oc^^ 
cultes que nous appelions en pludeuts cho- 
fes , il Te peuft dire qu'il y a des £iculteï 
fenfitives en nature , propres à les jugçr 8C 
appercevoir, mais que aous ne les avons 
pas 9 & que Tigootance de telles chofeis 
vient de noftrc défaut. Qui içait fi c*eft quet* 
que fens particulier qui defcouvre aux 
coqs l'heure de minuiâ Se du matin , & les 
cûneuc à chanter , qui ai^kcmine les beftes 
à prendre certaines herbes à leur guariTort, 
i& tant d'autres chofes comme cela } per^ 
fonne ne Tçauroit' dire qu'ovy ny que non» > 
Aucuns eflayent de rendre rai(bn de ce 
Suffi- nombre des cinq /ens , & prouver la fuffi^ 
*^^' fance d'iceuz en les diftinguahC & compa^ 
rant diverfemetit. Les chofès externes obr 
îeâs des fens font tout près du corps , oa 
eflongnées^.fî tout' près ,.tnai^ qui demcu-* 
rcnt dehors, c'eft l'attouchement ; s'ils. enr 
trent » c'eft le gonft ; s'ils font plus eflon-' 
gnez 8c prefiens en droi⣠ligne, c'eft la 
veue; H obliques & par réflexion.» c'eft 
l'ouye. On ppucioit mieux dire ainfi » qaç 



t I VïtE I. CHAP. XII. li^ 

^s cinq (ens eftans pour le fcrvicc de 
MKMnmc entier , aucuns font entièrement; 
pour le corps , fçavoir le gouft & l'attou- 
ehement , ccluy-là pour ce qui entre , cef- 
tuy-cy pour ce qui demeure dehors. Autres 
premieremenr & principalement pour Ta- 
Bîc j la veuc & l*ouye : la veue pour Tin- 
^^ention , Touye pour Tacquifition , & com- 
fnunication 5 & un au milieu pour les ef- 
^its mitoyens & liens de l'ame & du corps ^ 
qui cft le fleurer. Plus , ils refpondent aux 
Quatre eflements& kors qualitez 5 Taçtou- 
îhement à la terre 5 l'ouye à Tair 5 le gouft 
» l'eau & humide 5 le fleurer au feu j la veuc 
tft compofëc & a de Teaue & du feu à caufe 
k la fplendeur de Tocil. Encore difent- 
ils qu*il y a autant de (cns qu*il y a de 
rhefs & genres de chofes (cnfibles^ qui 
•ont couleur j fon , odeur , faveur > & le 
'ïnquiefme , qui n*a point de nom propre ^ 
>bjcél de l'attouchement, quLeft chaud ^ 
Toid , afpre , rabotteux , poly & tant d*au* 
ïcs. Mais Ton fe trompe , car le nombre 
les fcns n*a point efté dreifé par le nombre 
ïes chofes fenfibles , lefquelles ne font 
^iût caufe qu'il y en a autant* Selon ceft^ 



raifon, il y ea auroit beauco.i:^ plus i & 
un mefine Cens reçoit pLufletirs divers che6 
<l*objeâs : 8c un mefme objeât e(i àppercea 
par divers fens : dontle chatouillement des 
aifTelles , & le plaifîr de Venus » foot dis- 
tinguez des cinq fens , & par aucuns corn- 
prins en l'attouckemenc : maïs c*eft pluftoit 
de ce que Tefprit n*a peu venir à la cog-^ 
noiflance des chofes, que par ces cinq fens^ 
& que nature luy ^en a autant baillé , qa*i| 
eftoit requis pour Con bien & fa fin. 
4* Au refte la veue paflé tous les autres en 

nifon. promptitude, allant jufques aji ciel en un 
moment 'y car elle agîft en Taîr pein<^ de la 
lumière fans mouvement : aucun des au^ 
très ne peud fans mouvement recevoir. 
Or tout mouvement requiert du temps : & 
combien que tous (oient capables de plaifli 
& de douleur , & eft-ce que rattouchemeni 
peuft recevoir très grand* douleur , & prcf- 
que point de plaifir , & le goud au contrain 
grand plaifir , & prelque point de douleur. 

FoiblcfTe ^^ ^^ fbiblefTe & incertitude de nos £en! 

& incer- viennent ignorance , erreurs & tout ine£^ 

uaiae. ^^nipfç . cjy. pojj qug p^j. 1^^. cntrcmifi 

vient toute cognoifTancc , s'ils nous êûIIccm 



LITRE I. C H A P. XII. 151 

SQ rapport , îl n*y a plus que tenir : mais qui 

le peuft dire & les accufer qu'ils fàillent » 

puis que par eux on conunence à apprendre 

& cognoiftre ? Aucuns ont dîâ qu'ils ne 

Aillent jamais; ic que quand ils femblent 

£ùllir , la faute vient d'ailleurs » & qu'il 

s'en faut prendre plailoft à toute saxtxc chofe 

qu'aux fens ; autres ont dîâ tout au re* 

bours , qu'ils font tous &uls , & qu'ils ne 

nous peuvent rien apprendre de certain. 

Or, que les fensibientfàBls ou non, pour Trompe- 

k moins ii cft certain qu'ils trompent, ''^„™?" 
r j. . 1 j-/- 1 wcllc de 

Toire rorcent ordinairement le diicours , la l'efpric 

raî(bû ; ft en efchange font trompez par & <lct 
elle. Voyla quelle belle frience $c certitude 
l'homme peud avoir , quand le dedans & 
le dehors efl plein de faulfeté & de foiblefTe, 
& que ces parties principales , ourils efTen- 
ciels de lafcience , fe trompent l'un l'autre. 
Que les fens trompent & forcent l'enten- 
dement , il fe voit es fens , defquds les uns 
cCchsLuScnt en furie, autres adouciflent, au- 
tres chatouillent Tame. Et pourquoy ceux 
qui fe font (kigner , incifer , cauterifer, def- 
tournent-ils les yeux , finon qu'ils fçavent 
bien l'authorité grande que les fens ont 



ijL bslaSagsssi, 

fur leurs difcours t La y eue d'hall ^raïul pré- 
cipice eflonne celuy qui fe fçait bien en ui| 
lieuafTeuré, & enfin Le fenciment ne vaincq* 
il pas & renverfe toutes ks belles relbla? 
tions de vertu & de patience ? Que àuffi au 
rebours les fens font pipez par l'entende- 
ment , il appert , parce que rame eftant 
agitée de cholere , d*amour , de liainc , & 
autres paflîons , nos fens voyent & oyem 
les chofes autres qu'elles ne font; voire 
quelquesfois nos fens font fouycnt hebetez 
du tout par les paffîons de l'ame : & Sem- 
ble que l'ame retire au dedans Se amuXe les 
opérations des fens > l'efprit empefché alli 
leurs , Tocil n'apperçoit pas ce qui eft de* 
vaut , & ce qu'il voit. 
7» Aux fens de nature les animaux ont part 

foac comme nous , & quelquesfbis plus : carau- 
com- ^mj5 Qjjç Touye plus. aiguë, que Tboinme ; 
rhoni- autres la y eue j autres le fleurer; autres le 
'"'^ ^ gouft : & tient -on qu'en l'ouyele cerf tient 
<es. le premier lieu , & en la veue i'aigle , au 
fleurer le chien , au gouft le finge , en Tat- 
tOttchcment la tortue: toutesfbis la préemi* 
nence de l'attoucbement eft donnée à 
l'homme , qui eft de tous les fens le plus 



CIYHl I. CHAP. XII. 13) 

brutal. Or fi les fens font les moyens àt 
parvenir à la cognoifTance , & les beftes y 
ont part , voire quelquesfbis la meilleure , 
fourquoy n*aaront-elles cognoiiTance } g. 

Mais les fens ne font pas feuls outils de P'î"^® 
la cognofAance , ny les noftres mefmes ne gereux 
font pas fcuk à conrulcec & croire. Car fi i"^^' , 
les beftes par leurs fens jugent autrement f^ns. 
des chofes <}ue nous par les noftres , comme 
^es font y qui en fera cren ? Noftre falive 
nettoyé & deffeiche nos play«s, elle tue 
auffî le ferpent : qui fera la yraye qualité de 
la faUvc3 deffeicfaer , & nettoyer , ou tuerî 
Pour bien juger des opérations des f^ , il 
îaut eftre d'accord avec les beftes, mais 
bien avec nous-mefines ; noftre œil prefië 
& ferr« voit autrement qu'en fbn cftat or- 
diq^ire y l*ouye refi*errée reçoit les objeéh 
autrement que ne Teftant ; autrement voit, 
oyt , goufte un enfant , qu'un homme 
ÉÛ6I5 & ceftuy-cy qu'un vieillard ^ un fain 
qu'un malade > un fage qu'un fol. £n une 
fi grande divérfité & contrariété , que faut- 
il tenir pour certain } voire un fens dément 
i*autre , une peinâure femble relevée à la 
Yeue, à la main die eft platte. 

Twru /• M 



134 DCt,ASAGXS$£, 

Du vayr, ouyr , parier, 

CHAPITRE XIII. 

t. Ce font les trois plus riches & ezcellens 
raifondc j^yaut corporels de tous ceux qui font ea 
ç(s crois, monftre ; & y a difpute fur leurs préemi- 
nences. Quant à leurs organes , celuy de 
la veue eft, en f^ compofîtion & Csl forme, 
admirable & d'une beauté vive & efclatante, 
pour la grande variété &; fubtilité de tant 
de petites pièces , d'oii Ton diâ que i*œil 
eft une des panies du corps , qui commen- 
jcent les premières à fe former , & la der- 
niere qui s'achève; & pour cefte meûne 
caufe eft-il fi délicat, &, diâ;-on, fubjeâ à 
fix vingt maladies : puis vient celuy du par- 
ler y mais en recompenfe i*ouye a plufîeurs 
grands advantages. Po^r Iç feryice du corps, 
la veue eft beaucoup plus neceffaire 5 dont 
il impoRe bien plus aux belles que Touye: 
mais pour Tefprit , Touye tient le deffiis» 
La veue fert bien à l'invention des cho(eSy 
qui par elle ont efté prefque toutes defcou^ 
vertes > mais elle ne ineine rien à perfec-;- 
tion : d'advantage la veue n'eft capable 



1. 



L I V H £ L C H A p. X II I. 15 y 

qae des chofes corporelles & d'individus f 
& encore de leur croufte & fuperficie feu* 
Icment , c*eft Toutil des ignorons & impc^ 
rites , qui moventurad id quod adefi , quod* 
qui préfins eft* 

L*ouyc cft un fens fpirituel , c'eftrentre- p^^çj^i. 
metteur & l'agent de Tentendcment, Tou- nencc de 
til des fçavans & fpirituels , capable non- °"^** 
feulement des fecrets & intérieurs des indi* 
vidus , à quoy la yene n'arrive pas , mais 
encore des efpeces , & de toutes chofes 
fpiritnelles & divines, aufquelles laveuefert 
pluftoft de deftourbier que d'ayde } donc 
y a eu non -feulement pluiîeurs aveugles 
grands & fçavans, mais d'autre^ encore 
qui fe font privez de veue à cfcient , pour 
tnieux philofopher , U nul jamais de fourd« 
C'çft par oti l'on entre en la fbrtareffç , & 
s*en rend-on maiftre 5 l'on ployé l'efprit en 
bien ou en mal, tefmoin Ja femme du . 
foi Agamemnon , qui fut contenue au de-^ 
voir de chafleté au fon de la harpe , & Da-> 
vid qui par mefme moyen chafToit le mau** 
vais efprit de Saiil , & le remettoit en faute, 
& le joueur de âeutes , qui amoliffoit ^ 
foidiflbit la voix de ce grand orateur Gr ac« 

Mij 



t$6 DE LA SaGEISX» 

chus. Bref la fcience , la vemé , & la ycttii 
n'onc point d*au£re entremit ny d'encrée 
en Tame, que Touye r voire la chrefticnté 
cnfeigne que la fby & le (aloc eft par 
Touye, & que laveue y nutt plus qu'elle 
n*y aîde^ que la fby eft la créance des^ 
chofcs qui ne Ce voyent; laquelle cft ac- 
quifc par Touye : & elle appelle les ap- 
prentifs & novices auditeurs nMln^fikmç^ 
Encore adjoufteray ')e ce mot, que Touye 
apporte un grand (ècours aux ténèbres & 
aux endormis , afin que par le (on ils pour- 
voyent à leur confervation. Pour toutes 
ces raifons , les £^es recommandent tant 
Touye , la garder vierge & nette de toute 
corruption , pour le falot du dedans , corn* 
me pour la fèureté de la ville Ton fàiâ: 
garde aux portes & mturs , afin que l'çn^ 
nemy n'y entre. 
Ta force La parole eft pcculierement donnée à 
^ !'J"" rhomme , prefcnt excellent & fort necef^ 
de la pa- faire. Pour le regard de celuy d*oii elle 
^^^' (an y c*eft le truchement & Tirnage de IV 
me , animi indix &Jpecuium « le meffagcr 
du coeur , la porte par laquelle tout ce qui 
cft dedans fon dehors^ & fè met en vcuc i 



LIVRE I. CHAP* XIII. t^i 

teutes chofes fortcnt des tcncbrcs & du fc-* 
tret , viennent en liMnicrc , rcfprit fc hiâ 
voir 5 dont difoit un ancien à un enfant , 
parle afin que je te y oyc, c'eft-à-dirc, ton 
dedans : comme les vaifTeaux fe cognoif- 
fcnt s'ils font rompus , ouverts ou entiers^ 
pleins ou vuides par le fon, & les métaux 
par la touche , axnfi l'homme par le parler. 
Pour.lc regard de celuy qui la reçoit , c'eft 
un maiftrc puifTant & un régent impérieux , 
qui entre en la fortcreflc, s'empare dumaiC 
trc , ragite , l'anime , l'aigrift , l'appaife , 
Tirritc , le contrifte , le rcfiouift , lui im- 
prime toute telle paflîon qu'il veut, manie 
& paiftrift l'ame de l'efcoutant, & la plie 
a tout fens» le fiiift rougir, blaifmir, pal* 
lir, rire, plorcr> trembler de peur, tre- 
ûiouffer d'eftonnement , fbrcener de cho- 
1ère , trefTaillir de joye , outrer & tranfir de 
fafïion. Pour le regard de tous , la parole 
cft la main de l'efprit , par laquelle, comme 
le corps par la fîenne , il prend & donne ^ 
ïl demande confeil & fecours , & le donne. 
C'eft le grand entremetteur & courretier: 
par elle le trafficq fe fàid , Merx a Mer-- 
curio , la paix fc traiiSle , les afiàires fc ma- 

Miij 



nient , les fcicnccs & les biens de l'etprâr 
Ce débitent & difttibuent > c'eft le lien SCr 
le ciment de la Coàécé humaine ( moyen-' 
nant qu'il foit entendu : car , diâ un an- 
cien , Ton eft mieux en la comp^nie d*un 
chien cognu , qu'en celle d*nn homme du- 
quel le langage eft incognu, m extemus 
aliène nonfithomims vice:) bref l'outil 
& inftrument à toutes cho(ês bonnes & 
mauvaifes. Vica & mors in manihus lin-- 
De la guA» Il n*y a rien meilleur ny pire que la 

bonne & ^^^^^^^ • ^ langue du Tage, c*eft la porte 
snauvai- d'un cabinet royal , laquelle s'ouviant , 
voila incontinent miQe choTes divcrfes fe 
reprefcntent toutes plus belles Tune que 
l'autre » des Indes , Peru , de l'Arabie. Âinfi 
le {âge produits^ & îaàiSt marcher en beli& 
ordonnance > fentences & aphorifmes de la. 
philo(bphîe, âmilitudes , exemples, hif- 
coires , beaux mots triez de toutes les mi- 
nes & threfbrs vieux & nouveaux , qui pro-- 
fert de tkefauro fito nova & vetera » qui 
fervent au règlement des mœurs > de la po' 
lice» & de toutes les parties de la vie & de la^ 
mort , ce qu'eftant defployé en fbn temps , 
& à propos , apporte avec plaiilr une grande 



1 îtrit I î. (î ô A p. XIÏÏ. f f|p 
beaaté & utilité. Mala aurea in UHis ar-^ Vvrn/tt" 
gcnteîs , verba in temporefito, La bouche lonion* 
du mefcliant c*eft un trou puant & pefti-> 
lentieuz s la langue mefdifante, meurtrière 
de rhonneur d'autruy , c'eft une mer & 
univerfîté de maux , pire que le fer , le feu , 
la poi(bn , la mort , Tenfer. Univerfitas jacob. )r 
iniquitatis^ Malum inquiet um , venenum £ccl. i^. 
Tnortifirum , ignis inctndens omnia , mors 
illius nequijpma , utilis potius infimus 
^uàm illû. 

Or ces deui , Tottye & la parole , fe ref* Correr-^ 
pondent & rapponent Tune à f autre , ont pon^ao- 
un grand couiînage enfemble , Tun n*efl l'ouyc fie 
rien fans Tautre » comme au/fi par nature, ^^^ P*" 
en un me(me fubjeâ l'un n^eft pas fans 
Tautre. Ce font les deux grandes pones par 
lefquelles Tame faid tout fon traficq , & a 
intelligence par tout; par ces deux les âmes 
fe verfent les unes dedans les autres , 
comme les vaifleaux en appliquant la bou- 
che de Tun à Tentrée de Tautre. Que fi ces 
deux portes font dofes comme aux fourds 
Se muets , Tefprit demeure fblitaire Se 
miferable : Touye eft la porte pour entrer 5 
par icelle l'efprit reçoit toutes chofes de de-^ 



140 Dt LA SagIÈSSCi 

bors y 8c conçoit comme la femelle : la pa^ 
rôle cfl: la pone pour fordr ; par iceUe VcC* 
prit agift & produiâ comme mafle. Par la 
communication de ces deux , comme pai! 
le choc & heurt roide des pierres & fers ^ 
ibrt & faille le feu (acre de vérité. Car fe 
frottans & limans l'un contre Taiitre, ils 
fe defrouillent , fe putifient & s'efdaircif-* 
fent , & toute cognoiffance vient à perfèc-* 
lion : mais Touye eft la première » car it 
ne peuft rien fortir de Tame qu'il ne foie 
entré devant , dont tout fourd de nature 
eft auffi muet s il &ut premièrement que 
Tefprit fe meuble & fe garniiTe par l'ouye, 
pour puis diftribuer par la parole , dont le 
bien & le mai de la parole , & prefque de 
tout l'homme , dépend de l'ouye : qui bien 
L. 3. c. oyt bien parle , & qui mal oyt mal parle. 
^^' De i'ufage & reigle de la parole cy-après* 



êî 



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IZTRE LCHAP. XIY* Ï4S 

Vefiemens du corps» 

CHAPITRE XIV. 

J L y a grande apparence que la façon (I*al* ^ 
1er toiic nud, tenue encore par ime grande 
partie du monde, Ibit rorîgmeiie des hpm« 
mes ; & Taucre de fe veftir , artificielle ^ 
inventée pour cilcindre la nature , comme 
ceux qui par artificielle imnicre veulent 
efteindre celle du jour. Car ayant nature CdS" t. 
fifanmient pourveu par tout toutes les au- 
tres créatures , de couverture , il n*efl:pas à 
croire qu'elle aye pircmenttraiâé Thommc» 
& l'aye laiiTé feul indigent & en eflat qu*U 
ne fe puiilc maintenir fans fecours efbran- 
gcr : & font àt& reproches injufles que Toni 
fàiél à nature comme maraflre » ainfi qu'a 
cflé dia cy-dcfTus. Si originellement les ^^*ll ^* 
hommes eufTent eflé vefhis» il n*efl pas 
vray-fèmblable qu'ils fe fulTent advifez de 
fe de(pouîller & mettre tous nuds , tant à 
caufede la fànté qui eull edé extrêmement 
ofïènfée en ce changement , que pour la 
honte : & toutesfols il fe faiâ & garde par 



141 i^B LA Sagesse^ 

plufîeurs nations , $c ne faut alléguer qutf 
c*eft pour cacher les panies honteufesr & 
contre le froid (ce font Les deux raKbns 
prétendues , contre le chaud il n*y a point 
d'apparence ) , car nature ne nous a point 
apprins y avoir des parties honteufes , c'eft 
nous-mefmes qui par noftre faute nous nous 
le difons , & nature les a defîa afTez cacliées ^ 
mi (es loin des yeux, & couvertes >& au pis al* 
1er ne faudroit couvrir que ces parties là feu^* 
lement, comme font aucuns en ces pays 
oii ils vont tous nuds , où d'ordinaire ils 
ne les couvrent pas : & qu'eft cela que 
riiommc n'oGmt Ce monffarer nud au monde^ 
luy qui falâ le maillre , fe cache foubs la 
defpouille d'autruy, voire s*en pare "i Quant 
au froid & autres neceflitez paniculieres & 
locales, nous fçavons que foubs meOne 
air , mefme ciel, on va nud & habillé , & 
nous avons bien la plus délicate partie de 
nous toute découvene > dont un gueux in-< 
terrogé comme il pouvoit aller ainli nud en 
hyver, refpondit que nous ponons bien 
la face nue., que luy eftoit tout face : & 
plufieurs grands alloient toujours tefte nue, 
MaffinifTa , Cefar , Annibal , Severu5 »& y[ 



H^VRE I. CHAP. XV. «145 

-a plufîeurs nations qui vivans tous nuds , 
aafn vont à la guerre & combattent tous 
nuds. Le confeil de Platon pour la fanté eft 
de tic couvrir la tcftc ny les pieds. Et Var*- 
;?on dit que quand il fut ordonné de def- 
couvrir la tefte en prefence des Dieux & 
du Magidrat , ce fut plus pour la fanté « 
£c s'endurcir aux injures du temps , que 
pour la révérence. Au reile l'invention des 
couvens & maifons contre les injures du 
ciel & des hommes , eft bien plus ancienne » 
-plus naturelle & univerfèlle que des vefte- 
mens , & commune avec plufieurs beftes ; ^' ?• ** 
mais la recherche des alimens marche bien de cem- 
cncore devant. De Tufage des yeftemensTcf*»cc, 
comme des ^iipens cy~après. 

De VAmt humaine en général. 

CHAPITRE XV. 

V OYci une matière difficile fur toutes, 
traînée & agitée par les plus fçavans & fa» 
ges , mais avec une grande diverfité d^opi- 
nions, félon les diverfes nations , religions, 
profeffions ^ raifons , fans accord & rcfo- 



t44 ^^ ^ ^ Sagesse, 
iution certaine. Les principaux points {ont 
<ie Torigine & de la fin des âmes , Icar en^ 
trée , & fbrtie des corps , (i*od elles vien- 
nent , qoand elles y entrent , & ou elles 
vont quand elles en fortent» de leur nature» 
eftat » aâion , & s*ii y en a pluficurs es 
rhomme ou une £eufe. 
T. Oe l'origine des âmes humaines , il y a 

De 1*0- Je tom temps eu très grande di^ute & di- 
rame verfité d'opinions entre les Pliilofôphes 8c 
raifon- les Théologiens, U y a eu quatre opinions 
célèbres : félon la première qui eft des Stoï- 
ciens , tenue par Philon Juif, puis par les 
Manichéens , elles font extraites & pro- 
duises comme parcelles de la fubftance de 
Dieu , qui les infpire aux corps : la féconde 
d*Ariftote, tenue par Tcrtullien, Apollina- 
ris , les Luciferiens , Se autres Chrefliens , 
diâ qu'elles viennent & dérivent des âmes 
des parens avec la femence , ainfî que les 
corps y à la façon des âmes brutales , végé- 
tatives & fçnfîtives : la troifieGne des Py- 
thagoriciens & Platoniciens, tenue par plt^ 
lîeurs Rabins & Doâeurs Juifs , puis par 
Origene & autres Doâeurs Chreftiens, diS 
qu'elles ont efté du commaicement toutes 



LIVRE I. CHAP* XV. I4f 

créées de Dieu , fki^^es de rien , & rcfcr» 
vées aa ciel, puis envoyées icy-bas , félon 
qu'il e(l befoin aux corps formez & difpo- 
fez à les recevoir : la quatriefme receue en 
la Chreflienté , cft qu'elles font créées de 
Dieu , & infufes aux corps préparez , celle- 
menc que fa création & infufion fe face en 
mefme indant. Ces quatre opinions font 
affirmatives : car il y en a une cinquiefme 
plus retenue qui ne defînift rien , & fe con- 
tente de dire que c'eft une chofe fecrettc 
& incognue aux hommes , de laquelle opi- 
nion ont eflé SS. Augudin, Grégoire de 
Nice & autres : qui toutesfois ont trouvé 
les deux dernières affirmatives, plus vray- 
femblables que les deux premières. 

Le fiege de Tame raifonnable , ubifedet ^* 
pro tribunali , c*e(t le cerveau & non pas fi^^inf-* 
le cœur, comme, avant Platon & Hippo- trumcnc 
crates. Ton avoir penfé communément, 
car le coeur a fentiment & n'eft capable 
de (apience. Or le cerveau qui eft beaucoup 
plus grand en l'homme qu'en tous autres 
animaux, pour cftre bien îûCt & difpofé, 
afin que l'ame raifonnable agîfTe bien , 
doibt approcher de la forme d'un navire » 
Tome I, N 



"^ 146 DE LA SaGESSC^ 

& n'eftre point rond , ny par trop grand» 
ou par trop petit , bien que le plus grand 
foit moins vicieux 'y compofé de fubdance 
& de parties fubtiies , délicates & dédiées, 
bien jointes & unies fans feparation , nj 
entre -deux , ayant quatre petits creux ou 
ventres , dont les trois font au milieu ran- 
gez de front & collatéraux entre eux , & 
derrière eux , tirant au derrière de la tefle» 
le quatrieûne feul , auquel fe ùdù. la pré- 
paration & conjondion des efprits vitaux > 
pour eflre puis faiâs animaux , & pone^ 
aux trois creux de devant , aufquels Tame 
raifonnable faiâ & exerce Tes fkcultez , qui 
^^ font trois , entendement , mémoire , ima- 
gination , lefquclles ne s'exercent point fe- 
parement & diftindement , chafcune en 
chafcun creux ou ventre , comme aucuns 
vulgairement ont penfé , mais communé- 
ment & par enfemble toutes trois en tous 
trois & chafcun d'eux , à la façon des fens 
externes qui font doubles, & ont deux 
creux , en chafcun defquels le fens s*exerce 
tout entier : d'où vient que celuy qui cft 
^bJcifé en Tun ou deux de ces trois ventres , 
,comme le paralytique , ne laiife pas d'exei- 



riVRE I. CHAP. XV. 147 

ccr toutes les trois , bien que plus foiblc- 

ment , ce qu*il ne feroit G. chafcune faculté 

avoit Ion creux à part. 

Aucuns ont penfé que Tame raifonnable ^. |; 

n'eftoit point organique , & n*avoit bc- raifon- 

fbin pour faire fes fondions d'aucun inftru- "*^^* , 
* ^ orga ai- 

ment corporel, peniant bien par la prouver que. 

rimmonalité de Tame : mais fans entrer 
en un labyrinthe de difcours , Texperiencc 
oculaire & ordinaire dément cefte opinion» 
êc convainq du contraire : car Ton fçait 
que tous hommes n'entendent ny ne rai- 
fonnent de mefme & efgalement , ains avec 
très grande diverfité : & un mefme homme 
àufli change , & en un temps raifonne 
mieux qu'en un autre , en un aage , en un 
eftat & cenaine di{pofîtion qu'en une au- 
tre , tel mieux en fanté qu'en maladie , & 
tel autre mieux en maladie qu'en fanté : 
un mefme en un temps prévaudra en ju- 
gement, & fera foible en imagination. D'où 
peuvent venir toutes ces diveriîtez & chan- 
gemens finon de l'organe & inJftrument 
changeant d'eftat? Et d'où vient que l'yvro- 
gnerie , la morfure du chien enragé , une 
fièvre ardente , un coup en tefte , une fii- 

Nij 



14S P£ laSagèsse, 

mée montant de reflomach » Bc autres ac* 
cidens, feront culbutter, & renverferont 
entièrement le jugement , tout rcfpric in- 
telleéhiel , & toute la fagefTe de Grèce , 
voire contraindront l'ame de desloger du 
corps } Ces accidens purement corporck 
ne peuvent toucher ny arriver 2 cefie haute 
faculté rpîritucUe de Tame raifonnable, 
mais feulement aux organes & inftrumens, 
lefquels eftans détraquez Se desbauchcz , 
Tame ne peut bien & règlement agir, & 
eftans par trop forcez & violentez , dl 
contrainte de s*abfcnter &: s'en aller. Au 
refte fe fervir d'inflrument ne prejudicie 
point à l'immortalité , car Dieu s*en (ert 
bien & yjLGGommodc fes aûions. £t com-> 
me félon la diverfîté de Tair , région & 
climat , Dieu produiâ hommes fort divers 
en e(prit & fuffifance naturelle ; car en 
Grèce & en Italie, il les produid bien plus 
ingénieux qu'en Mofcovie & Tartarie : 
auffi Tefprit félon la diverfîté des difpofî- 
tions organiques, des inflrumens corpo- 
rels , raifonne mieux ou moins. Or Tin- 
ftrument de l'ame raifbnnable , c'eft le 
cçrveau & le tempérament d*iceiuy, du^ 
quel nous 4Vons à parler. 



LITRE I. CHAT. XV. H^ 

Tempérament eft la mixtion & propor- ^u tem- 
tiondes quatre premières qiulitez, chaud, pcramcnc 
froid , fcc & humide , ou bien une cin- ^çJ^ ^ 
c^uieûne & comme l'harmonie refultante des fa- 
de CCS quatre. Or du tempérament du cer- J'",^" * 
veau vient & dépend tout l'eftat & Tadion Diftinc- 
dc Tame raifonnable ; mais ce qui caufe & "j^^^j^. 
apporte une grande mifere à Thomme, eft rieië. 
que les trois facultez de Tame raifonnable, 
entendement , mémoire , imagination , re- 
quièrent & s'exercent par temperamens. 
contraires. Le tempérament de l'entende- Euten- 
ment eft fec , d'où vient que les advancez ^^'"^.^î; 
cn aagc prévalent en entendement par leffe, mi- 
defTus les jeunes , d'autant que le cerveau **/• 
s'efTuye & s'afTeiche toufîou^ plus : auffi 
les melancholiques fecs , les affligez indi- 
gens , & qui font à jeun ( car la triftefle & 
le jeuiiie deflciche), font prudens & ingé- 
nieux. SpUndor ficcus animus fapiendjlt-' 
mus, Vexatio dat intelUBum. Et les beftes 
de tempérament plus fec, comme fourmis, 
abeilles, elephans, font prudentes & in- 
genieufes ( comme les humides , tefmoia 
le pourceau, font ftupides, fans efprît ), & 
les méridionaux , fecs & modérez en cha-* 

Niij 



IfO s s t A S ACE S CE, 

leur interne du cerveau, à caufe du violene 
Memoi- chaud externe. Le tempérament de la mc- 
"j^ç ' moire eft humide, d'où vient que les en- 
enfance f fans l'ont meilleure que les vieillards , 8c 
tiKwa"" ^^ matin après Phumidicé acqtiifc par le 
dormir de la nuid , plus propre à la me- 
moire , laquelle eft aufH plus vigoureuie 
aux fcptentrionaux. J'entends icy une hu« 
midité non aqueufe, coulante, en laquelle 
ne fe puifTe tenir aucune impreffîon , mais 
aërée , gluante , grafTe & huileufe , qui fk* 
cilement reçoit & retient fort , comme fe 
Imagi. voit aux peindhires £d<5les en huile. Le tem« 
<^haud a- pcrament de l'imagination eft chaud, d'oà 
dolefccn- vient que les phrenetiques , maniacles & 
malades de maladies ardentes, font ex- 
céllens en ce qui eft de l'imagination , 
poëfie , divination , & qu'elle eft forte en 
la jeunefTe & adolefcence ( les Poëtes 8c 
Prophètes ont âeury en ceftaage) & aux 
lieux mitoyens entre feptentrion & midy. 
Compa- De la diverfité des temperamens il ad- 
J^jj^jjj. vient que l'on peuft eftre médiocre en 
pera- toutes les trois facultez , mais non pas ex- 
™^^'* cellcnt , & que qui eft excellent en Tune 
des trois , eft foible es autres. Que les 



t I V H C L C H A F. X V. tft 

temperamens de la mémoire & Tentelide^ 
ment (oient fort diiFerens & contraires j 
cela eft clair, comme le fec & l'humide : 
de rim^nation qu'il foit contraire aux 
autres il ne le femblepas tant 5 car la cha^ 
leur n'ed pas incompatible avec le fec Se 
rhumide , & toutesfbis l'expérience mon-> 
ftre que les exceUens en l'imagination font 
malades en l'entendement & mémoire, & 
tenus pour fols & furieux î mais cela vient 
que la chaleur grandie qui fert à l'imagi* 
nation, confomme & l'humidité qui fert 
à la mémoire , & la fubtilité des efprits 
& figures, qui doibt eftre en la fechereile 
qui fèrt à l'entendement, & ainfî eft con- 
traire & deftruiâ les autres deux. 

De tout cecy il eft évident qu'il n'y a .Trois 
que trois principaux temperamens qui fer- ^*^"^ 
vent & £icent agir l'ame raifonnable , & mens 8c . 
diftinguent les efprits, fçavoir le chaud, J^cuïter 
le fec & l'humide : le froid ne vaut à rien, 
n'eft point adtif , & ne fert qu'à empefcher 
tous les mouvemens & fondions de l'ame : 
& quand il fe lit fouvent aux autheurs quo 
le froid fert à l'entendement 'y que les firoids 
de cerveau , comme les melancholiques & 



1$X D£ LA SaGESSK, 

les méridionaux , font pradens» fages, in* 
genieuz ; là le hoià fe prend non fîmple^ 
ment > mais pour une grande modération 
de chaleur ; car il n'y a rien plus contraire 
à l'entendement & fagefTe que la grande 
chaleur , laquelle au contraire fert à l'ima- 
gination : & félon les trois temperamens 
il y a trois facultez de l'ame raifonnable. 
Mais , comme les temperamens , auilî les 
facultez reçoivent divers degrez , fubdi*- 
vifîons Se diftindions. 
^; Il y a trois principaux offices & difFe- 

Subdivt- j. / . r 1-n- 

fion àcs ^cnces d entendement, mferer, diihngucr» 

trois fa- eflire. Les fciences qui appaniennent à l'en- 

ramerai- rendement font la Théologie fcholafti- 

fonna- que , la Théorique de médecine , la Dia- 

Entcn ^c^^^ue, la Philofophie naturelle & mo- 

dcmcnt. raie. U y a trois fortes de différences de me- 

^°^^^ moire > recevoir & perdre facilement les 

figures; recevoir facilement & difficilement 

perdre y difficilement recevoir & facilement 

perdre. Les fciences de la mémoire font la 

Grammaire, Théorique dejurifprudence, 

& Théologie po£tive , Cofmographie j 

Imagî- Arithmétique. 

nation. . De Tim^ination y a plufleurs difFerei^^ 



te. 



LITRE I. CHAlP. XV. If t 

CCS & en beaucoup plus grand nombre que 
de la mémoire & de l'entendement > à elle 
apartieiment proprement les inventions, 
les facéties & brocards , les pointes & fub- 
tilitez , les fiâions & menfonges » les £gU' 
res & comparaifons , la propriété » netteté , 
élégance , gentillefTe. Parquoy appanien- 
nent à elle la Poëfîe , l'Eloquence , Mufî- 
que , & généralement tout ce qui confîfle 
en figure , correfpondance , harmonie Se 
proportion. 

De tout cecy appert que la vivacité, fub- pjopri©. 
tilité, promptitude, & ce que le commun ter & ac- 
appelle efprit , e(l à l'imagination chaude ; fâ^ultez 
la folidité , maturité, vérité , eft à Tenten- avec 
dément fec. I/imagination eft adHve , ^»^gij^ 
bruyante 5 c'eft elle qui remue tout & met 
tous les autfès en befongne. L'entende- 
ment eft adion morne & fombre. La mé- 
moire eft purement pafGve , & voyci com- 
ment : l'imagination premièrement re- 
cueille les efpeces & figures des chofes tant 
prefentes par le fervice des cinq fens, qu'ab- 
fentes par le bénéfice du fens commun j 
puis les reprefente, fi elle veuft , à l'enten- 
dcmcat, qui les confidere, examine, cuit 



X54 ^£ L^ Sagesse, 
& juge : puis dle-meûne les met en depoft 
& conferve en la mémoire , comme Tefcn- 
vain au papier , pour de rechef , quand 
befoin fera , les en tirer & extraire ( ce 
que l'on appelle reminifcence ) , ou bien û 
elle veuft les recommande à la mémoire , 
avant les prefenter à l'entendement. Par- 
quoy recueillir, reprcfentcr à l'entende- 
ment , mettre en la mémoire , & les ex- 
traire, font tous œuvres de l'imagination. 
Et ainfî à elle appartient le fens commun , 
la reminifcence , & ne font point puiffan- 
ces feparées d'elle , comme aucuns veulent, 
pour faire plus de trois &cultez de l'amc 
raifonnable. 
S. Le vulgaire , qui ne juge jamais bien , 

raiforf*' cftime & fai<St plus de fefte de la mémoire 
des fa- que des deux autres 3 pource qu'elle en 
Tame en co^^ptcfort, a plus de monftre & faidb plus 
préemi de htmâ en public ; & penfe-il que pour 
àie^^^ avoir bonne mémoire l'on eft fort fça- 
vant , & eflime plus la fcience que la fa- 
geffe , c'ed toutesfois la moindre des trois» 
qui pcuft eftre avec la folie & l'imperti- 
nence i mais très rarement elle excelle avec 
l!entendement & fagefle ^ car leurs tempc« 



LIVRE L CHAP. XV. in 

ramens font contraires. De cefle erreur po- 
pulaire eil venue la mauvaife inftruâion 
de la jeunefTe , qui fc voit par-tout. Ils font 
toufîours après à luy faire apprendre par/ , J,. 
cœur ( ainfî parlent-ils ) ce que les livres 
dirent , afin de les pouvoir alléguer , & à 
luy reiapHr & charger la mémoire du 
bien d*autruy , & ne fe foucient de luy ré- 
veiller & efguifer Tentendemefit, & former 
le jugement, pour luy faire valoir fon pro^ 
pre bien & fes facultez naturelles , pour 
le faire fage & habile à toutes chofes. 
Au£n voyons - nous que les plus fçavans 
qui ont tout Ariftote & Ciceron en la tefte , 
£bnt plus fots & plus ineptes aux affaires , 
& que le monde eft mené 8c gouverné par 
ceux qui n'en fçavent rien. Par Tadvis de 
tous les fs^es , l'entendement eft le prer- 
mier , la plus excellente & principale pièce 
du harnois. Si elle joue bien , tout va bien, 
& l'homme eft fage 5 & au rebours, fî'elle 
fcmefcompte, tout va de^ travers. En fé- 
cond lieu eft l'imagination : h, mémoire efl 
la dernière. 

Toutes ces différences s'entendront peuft- -^'^ 
cftre encore mieux par cefte iîmilitude qui des trois 



£$6 D£ LA SAG£SSe, 

facukez efi une peinâurc ou imitation de l'atne rai- 

*** ** fbnnable. En toute Cour de Jufticc y a 
ne» ' 

trois ordres & efi^es : le plus haut , des 
Juges , auquel y a peu de bruiâ , mais 
grande a<îtion> car fans s'efmouvoir & agi- 
ter, ils jugent , décident , ordonnent, dé- 
terminent de toutes chofes : c*eft Timagc 
du jugement plus haute partie de l'ame. 
Le fécond , des Advocats & Procureurs , 
auquel y a grande agitation & bruiâ fans 
a^on y car ils ne peuvent rien vuider ny 
ordonner , feulement fecouer les aâàires : 
c*eft la peinâure de l'imagination, faculté 
remuante , inquiète , qui ne s'arrefte ja- 
mais , non pas pour le dormir profonds & 
£iiâ un bruiâ au cerveau comme un poc 
qui boult, mais qui ne refoult & n*arrefte 
rien. Le troiiîefme & dernier eftage ed du 
greffe & regiftre de la Cour, od n'y a bruiâ: 
.ny aétion^ c'eft une pure pallion , un gar- 
doir & refcrvoir de toutes chofes, qui rc- 
prefente bien la mémoire. 
10. L'ame , qui eft la nature & la forme de 

eft d"^ tout animal , eft de foy toute fçavantc , 
foy fça- fans eftreapprinfe , & ne faut point àpro- 
voDtc. jyij.g çç qu'elle fçait , & bien exercer fç$ 






LIVRE L CHAP. XV. i;7 

foniSHons comme il faut , fi elle n'eft em- 
pefchée, & moycmiant que fcs inftru- 
mens foienc bien difpofez > dont a cfté 
bien & vraycmcnt did par les Sages que 
nature eft fage, fçavante, induftrieufc, & 
rend habile à toutes chofes , ce qui eft aifé 
à monftrer par induâion. L'ame végéta- 
tive de foy fans inftrudion forme le corps 
en la matrice tant excellemment , puis le 
nourrift & le faid croiftre , attirant la 
viande, la retenant & cuyfant, &rejcttant 
les excremens y elle r*engendre & refaiâ; 
les parties qui défaillent : ce font chofes 
qui fe voyent aux plantes , beftes , & en 
l'homme. La fenfîtive , de foy fans inftruc- 
tiop, fàîâ aux befles & en Thomme remuer 
les pieds, les mains, & autres membres , 
les gratter, frottcj^ fecouer , tetter , dé- 
mener les lèvres i pleurer , rire. La rai- 
fonnable de meûne , non félon l'opinion 
de Platon , par reminifcence de ce qu'elle 
fçavoit avant entrer au corps , comme fi 
elle eftoit plus aagée que le corps, ny fé- 
lon Ariftote par réception & acquifition 
venant de dehors par les fens, eftant de 
fby une carte blanche & vuide : mais de 
Tome /• O 



i$% DE LA Sagesse, 

(by & fans inftruâion , imagine, entend, 

c!c$*Hip- ^^^°*^ ' raifonne & difcourt. Et pource 
pocraces, que cefte propofition fembie plus difficile 
Oalicn. ^ croire de la raifonnable que des autres , 
elle fe prouve premièrement par le dire des 
plus grands Pbilofophes , qui tous ont diâ 
que les femences des grandes vertus & 
fciences efloient efpar(e$ naturellement en 
Acadc- Tame 5 puis par raifon tirée de l'expérience, 
"*'' ' les beiles raifbnnent , difcourent , font plu- 
Philo-lu- fjçyjj chofes de prudence & d'entende- 
ment, comme il a efté bien prouvé cy- 
Cap. 8. deffus. Ce qu'advouant mefme Ariflote , a 
rendu la nature des beftes plus excellente 
que l'humaine » laquelle il ^id vuide & 
ignorante du tout : mais les ignorans ap- 
pellent cela inftinâ naturel, qui ne (ont 
que des mots en l'air; car après ils ne fça- 
vent déclarer qu'eft-ce qu'inftindl naturel. 
Les hommes melancholiques, maniaques, 
phrenetiques & atteints de certaines ma- 
ladies qu'Hippocrates appelle divines , (ans 
l'avoir apprins, parlent latin, font des vers, 
difcourent prudemment & hautement, de- 
vinent les chofes fecrettes & à venir ( lef- 
quelles chofes les fots ignorans attribue- 



LIVRE L CHAP. XV. If? 

lont au diable ou efprit familier ) bien 

qu'ils fuifent auparavant idiots & ruftiques, 

& qui depuis font retournez tels après la 

guarifon. Item y a des enfans qui bientoft 

après eftre nays, ont parlé, comme ceux 

qui font venus de parens vieils : d*ou ont* 

ils apprins & tiré tout cela> tant les beftes 

que les hommes } 

Si toute fcience venoit, comme veuft "• 

Ariftote , des fens, il s'enfuivroit que ceux par le 

qui ont les fens plus entiers & plus vifi bénéfice 
i . , . * . « 1 /- « des fens. 

leroient plus mgenieux & plus Içavans s & 

Te voit le contraire fouvent , qu'ils ont 

refprit plus lourd & font plus mal-habiles ; 

Se plufîeurs fe font privez à efcient de Tu* 

iàge d'iceuz , afin que Tame fid mieux 8c 

plus librement fes affaires. Et feroit chofc 

honteure& abfurde, que Tame tant haute 

& divine queflafl Ton bien des chofes fi 

' viles & caduques , comme les fens ; car 

c*eft au rebours que les fens ont tout de 

l'ame, & fans elle ne font & ne peuvent 

rien. Et puis enfin que peuvent appercevoir 

les fens, finon les accidens & fuperficies 

des chofes ? Car les natures , formes , les 

threfots & fecrets de nature , nullement, 

Oij 



1^0 delaSagssse, 
11* Mais on demandera, pourquoy donc ces 

rion*&^ fa c^ofcs ne fe font-elles toujours par Tame ? 

tefponfc. Pourquoy ne faiâ«elle en tout temps Ces 
propres fondions, & que plus foibkment 
^ plus mal elle les faiâ en un temps qu'au- 
tre } L*ame raifonnable agifl plus foible- 
ment en la jeunefTe qu'en la vieillefTe ; 6c 
au contraire la végétative forte & vigou- 
reufe en la jeuneâe , eft foible en la vieil- 
lefTe , en laquelle elle ne peuft refaire les 
dents tombées comme en la jeunefTe. La 
raifonnable fsd6t en certaines maladies ce 
qu'elle ne peuft en fanté, & au rebours en 
fanté ce qu'elle ne peuft en maladie. A 
quoy pour tout la refponfe ( touchée cy- 
deffus) eft que les inftrumens , defquels 
i'ame a befoin pour agir , ne font ny ne 
peuvent toufîours eftre di(pofez comme 
il faut pour exercer toutes fonctions , Se 
faire tous effeâs , voire ils font contraires 
& s'entr'empefchent : & pour le dire plus 
court & plus clairement , c'eft que le tem- 
pérament du cerveau , duquel a efté tant 
parlé cy-deflus , par lequel & félon lequel 
l'âme agift , eft divers & changeant , & 
eftant bon pour une fondion d'ame> eft 



tivÊst. CHAP. >C V. iiï 

contraire à l'autre; eftant chaud & humide 
en la jeunefTe, efl bon pour la végétative 
& mal pour la raifonnable > & au contraire 
froid & fec en la vieillefle, efl bon pour la 
raifonnable , mal pour la végétative. Par 
maladie ardente fort efchaufé & fubtilifé , 
cft propre à l'invention & divination, mais 
impropre à maturité & folidité de juge- 
ment & d^efle. 

De l'unité & fingularité ou pluralité des ''• 
âmes en l'homme , les opinions & rai(bns nj^é & 
font fon diverfes entre les Sages. Qu'il y pluralité 
en aye trois eflèntiellement difHndes, c'eft 
l'opinion des Egyptiens , & d'aucuns Grecs 
comme Platoniciens. Mais c'eft chofe ef- 
trange qu'une mefme chofe aye plufîeurs 
formes eflentielles. Que les âmes foient 
fingulieres, Se à chafcun homme la lienne ; 
c'eïl l'opinion de plufîeurs , contre la- 
quelle l'on diâ qu'il faudroit eu qu'elle 
fiifl toute monelle , ou bien en partie mor- 
telle en la vegeutive & fenfitive , & en par- 
tie immonelle en la raifonnable, & ainfi 
foroit diviiîble. Qu'il n'y en aye qu'une 
feule raifonnable généralement de tous 
hommes 5 c'eft l'opinion des Arabes , ve- 

O u j 



l6% DE LA SaCESSC, 

nue de Themiftius Grec, mais réfutée pat 
plufîeurs. La plus commune opinion cft 
qu'il n'y en a en chafcun homme qu'une 
en fubflance , caufe de la vie & de toutes 
les aâions ; laquelle eft tout en tout » & 
toute en chaque partie : mais elle eft garnie 
& enrichie d'un très grand nombre de diver- 
fes facultez &puifrances3 meryeilleu(èmenc 
difFerentes, voire contraires les unes aux au- 
tres, félon la diverfité des vaifTeaux & inflru- 
mens ou elle eft retenue» & des objeds 
qui luy font propofez. Elle exerce l'ame 
fenfitive & raifonnable au cerveau ; la vi- 
tale & irafcible au cœur ; la naturelle végé- 
tative & concupifcible au fbye ^ la génitale 
aux genitoires > ce font les principales 8c 
capitales , ne plus ne moins que le foleil un 
en fon eifence , defpartant fes rayons en 
divers endroiâs , efchaufe en un lieu , cC" 
claire en un autre , fond la cire , feiche la 
terre , blanchift la neige , nourrift la peau» 
diflîpe les nuées , tarift les eftangs : mais 
quand & comment s fî toute entière & en 
un coup, ou fi fucceifîvement elle arrive 
Oiind ^^ corps , c'eft une queftion. La commune 
corn- opimon venue d'Ariftote , eft que Tame 



1 1 V H fi I. CHAT. XV. I^? 

Végétative & fenfitivc , qui eft toute ma- ment IV 
tcriellc & corporelle , eft en la femence , ^^^^^ 
& avec elle defcendue des parens ; laquelle 
conforme le corps en la matrice , Si iceluy 
£aiâ, arrive la raifonnable de dehors 5 Se 
que pour cela il n'y à deux hy trois âmes, 
ny enfemble ny fuccei&vement , & ne fe 
corrompt la végétative par l'arrivée de la 
Icnfitive , ny la fenfitive par l'arrivée de la 
raifonnable : ce n*eft qu'une qui fe faiâ , 
s'achève & fe parfàiâ avec le temps & par 
degrés , comme la forme artificielle de 
l'homme , qui fe peindroit par pièces Tune 
après l'autre , la tefte , puis la gorge » le 
ventre , &c. Autres veulent qu'elle y entre 
toute entière avec toutes fes facuitez en un 
coup , fçavoir lors que le corps eft tout 
organifé , formé & tout achevé d'e'ftre 
£ûâ, & qu'auparavant n'y à eu aucune 
ame , mais feulement une vertu & énergie 
naturelle , forme effentielle de la femence» 
laquelle agiffant par les efprits qui font en 
ladiâe femence , comme par inftrùmens , 
forme & baftift le corps , & agence tous 
les membres^ ce qu'eftantfaiâ, cefte éner- 
gie s'evanouift & fe perd , Se par ainfi la fèr 



X^4 ^' ^ ^ Sagssss, 
tnence cefTe d*eftre fcmcnce, per<Ianc fâ 
forme par l'arrivée d'une autre plus noble, 
qui eft l'ame humaine : laquelle faiâ que 
ce qui eftoic femence, eft maintenant 
homme. 
'Y* Uimmortalité de l'ame eft la choie la 
talicé de p^us univerfellement , religieufement Se 
Tame. plaufîblement receue par tout le monde 
( j'entends d'une externe & publique pro- 
feflion, non d'une interne, ferieuTe & yraye 
créance, de quoy fera parle cy-aprcs), la 
plus utilement creue ,. la plus foiblement 
prouvée & eftablie par raifons & moyens . 
t.i. c. 5. humains. Il femble y avoir une inclination 
& difpofition de nature^^la croire , car 
l'homme defire naturellement allonger & 
perpétuer fon eftre , d'où vient au/G ce 
grand & furieux foin & amour de noftre 
pofterité & fucceflîon. Puis deux chofes fer* 
vent à la faire valoir & rendre plauiîble : 
l'une eft l'efperance de gloire & réputation, 
& le delîr de l'immortalité du nom, qui , 
tout vain qu'il eft , a un merveilleux cré- 
dit au monde : l'autre eft l'impreâdon que 
les vices qui fe defrobent de la veaë Se 
cognoiifance de l'humaine juftice, demeii-' 



LIVRE I. CHAP. XV. I6j 

rent toufîours en butte à la divine qui les 
ckaftiera , voire après la mort. 

E>ES PARTIES DE UAME 

HUMAINE, 
ET PREMIEREMENT 

De r entendement , plus haute & noble 
partie d*icelle , imagination , raifon , 
dif cours , efprit , jugement^ volonté , 
de la vérité , & de V invention. 

CHAPITRE XVI. 

C'est un fonds d'obfcurité plein de creux 
& de cachots , un labyrinthe , un abyfme 
confus & bien entonillc , que ceft efpric 
humain^ c'efl l'œconomie de cède grande V 
& haute partie intelleâuelle de l'ame oii 
y a tant de pièces , facultez , aâdons & 
mouvemens divers , dont y a aufli tant de 
noms , & s'y trouvent tant de difficuitez ^ 
bbjeâions & de doubtes. 

Ceft entendement (ainfî l'appellerons- Diftinc- 
f nous d'un nom gênerai) intelleBus ^mensy "*.o° «*" 
wçy eft un fubjeâ gênerai, ouven & difpo- iVntcn- 
fé à recevoir & embrafTer toutes chofes ^ dcmcnc. 



I6tf DE LA Sages SI, 

comme la matière première, Se le miroir 
toutes formes » intelUBus eft omnia. Il eft 
capable d*entendre toutes chofes, mais foy- 
mefme , ou point , ( tefmoin une fî grande 
& prefque infinie diverfité d'opinions à^i- 
celuy, de doubtes & objections qui croif- 
fent tous les jours) ou bien fombrement, 
indirectement & par reâezion de la cognoif- 
Tance des chofes à foy-meûne, par laquelle 
il fent & cognoift qu'il entend , & a puif- 
fance & faculté d'entendre > c'eft la manière 
que les efprits fe cognoilTent euz-mefines. 

«• * Son premier office, qui efl de recevoir 
fimplement, & appréhender les images & 
e(peces des chofes , qui eft une paflîon & 
impreffîon en l'ame , caufée par l'objeâ 
& prefence d'icelles , c'eft imagination & 
apprehenfîon. 

»• La force & pui/Iànce de paiftrir, traicter 

& agiter , cuire & digérer les chofes re* 
ceuës par l'imagination , c'eft raifon , Adyaf, 

]. L'aâion & l'office ou exercice de cefte 

force & puiffance , qui eft d'affembler , 
conjoindre, feparer, divifer les chofes re- 
ceuës , & y en adjoufter encore d'autres , 
c'eft difcours, ratiocination,>^i07Mf » /i«« 



LIVJtE I. CHAP. XVI. léj 

La facilité » fubtile , & alaigre prompti- 4* 
tude à faire toutes ces chofes , & pénétrer 
avant en icelles , s'appelle cfprit , inge^ 
nium y donc les ingénieux » aigus, fubtils , 
pointus, c*eft tout un. 

La répétition , &: cefte aâion de nuni- ^ . 
ner, recuire , repafTer par Teftamine de la 
rai&n , & encore plus elabourer , pour en 
faire une refolution plus folide , c*eft le 
jugement. 

L'efFeâ enfin de l'entendement , c'eft la «• 
cognoiflance , intelligence , refolution. \^ 

L*a^ion qui fuit cefte cognoiflance & 7. 
refolution , qui efl à s'eflendre , pouffer & 
advancer à la chofe cognuë, c*eft volonté, 
intelUâus extenfus & promotus. 

Parquoy toutes ces chofes , entende- S. 
ment , imagination , raifon , difcours , es- 
prit , jugement , intelligence , volonté , 
font ime mefme en effence , mais toutes 
diverfes enaéHon, tefmoin qu*un efl excel- 
lent en l'une d'icelles, & foible en l'autre: 
Touvent qui excelle en efprit & fubtilité , 
cft moindre en jugement & folidité. 

Je n'empefche pas que l'on ne chante les ^ V . 
louanges & grandeurs de l'efprit humain , ûoa gc- 



1^8 D£ LA Sagesse, 
ncMÎc de fa capacité , vivacité , vîtcfTc : je côn- 

pricàVôn ^'^^^ ^^^ ronTappcllc image de Dieu vive, 
advama- un degouil de l'immortelle fubftance , une 
^"' fluxion de la divinité , un efclair celeftc au- 

quel Dieu a donné la raifon comme un ti- 
mon animé pour le mouvoir avec reigle & 
mefure, & que ce foit uninfbumentd*une 
complette harmonie ; que par luy y a pa- 
rentage entre Dieu & Thomme j 8c que 
pour le luy ramentevoir il luy a toumé les 
racines vers le Ciel, afin qu'il euft toujours 
(a veuë vers le lieu de fa naiffance > bref 
î ^qu*il n*y a rien de grand en la terre que 
rhomme , rien de grand en l'homme que 
l'efprit. Si l'on montejufques-là. Ton monte 
au-deffus du Ciel. Ce font tous mots plau- 
fîbles dont retentijûfent les efcholes 8c les 
chaires. 
3. Mais je defire qu'après tout cela l'on 

Son dcf- vienne à bien fonder & efludter à coenoif- 
ge. tre ceit efpritj carnous trouverons qu'après 

tout , c'cft & à foy & à autruy un très dan- 
gereux outil , un fiiret qui efl à craindre , 
un petit brouillon & trouble -fefte, un 
efmerillon fâcheux & imponun, & qui 
comme un afFronteur & joueur de palTe- 



Lt V It E L C H A P. XVI. 1^9 

fztky fous ombre de quelque gentil moti- 
vcment fubtil & gaillard, forge, invente » ^ 
& caufe tous les maux du monde > & n'y 
en a que par luy. 

Il y a beaucoup plus grande diverfîté 4. 
d*efprits que de corps 5 aufli y a-il plus Pl^*^!^ 
grand champ, plus de pièces & plus de ùt- tioaion 
^on : nous en pouvons £dre trois clafles , ^^f *^" 
dont chafcune a encore plufîeurs degrer. 
£n celle d'embasfont les petits, foibles & 
romme brutaux , tous voifin$ des bedes , 
foit que cela advienne de la première trem- cJmicux 
pe, c*efl-à-dire de la femcnce & tempera* auch.)^. 
ment du cerveau trop froid & humide, 
comme entre les belles les poiflbns font 
infimes, ou pour n'avoir efté aucunement 
remuez & reveillez , mais abandonnez à la 
rouille & fhipidité : de ceux-là ne faut 
faire mife ny recepte, & ne s'en peuft dref- 
fer ny eftablir ime compagnie confiante; 
car ils ne peuvent pas feulement fuffire 
pour eux-mefmes en leur paniculier, & 
faut qu'ils foient toufiours en la tutelle 
<l*autruy , c'efl le conmiun & bas peuple , "^ 
^ui vigilans ftertit , mortua cui vita eft , 
prope jam vivo atquc vidcnti , qui ne fe 
TomeL P 



170 DE LA Sagesse, 

fcnc, ne fe juge. En celle d'en haut font 
les grands & très -rares efprits» pluftoft 
démons qu'hommes communs, efpritsbien 
nez , forts & vigoureux : de ceux icy ne 
s'en pourroit bafHr en tous les iîecles une 
republique entière. En celle du milieu font 
tous les médiocres , qui font en infinité de 
degrez : de ceux-cy eft compofé presque 
tout le monde , ( de cette diflinâîon & 
Cb» 5^* autres cy-aprcs plus au long. ) Mais il nous 
faut toucher plus particulièrement les con- 
ditions & le naturel de ceft efprit , autant 
difficile à cognoiftre , comme un vifagc 
à peindre au vif, lequel fans cefle fe re- 
mueroit. 
^, Premièrement c'cfl un agent perpétuels 

Pefctjp- rcfprit ne peufl cfbre fans agir j il fe forge 
tîcuUcVê. pluftoft <lcs fubjeds faux & fantaftiques , 
Agent fe pippant à fon efcient , & allant contre 
perpétue ^^ propre créance , que d'cfbre fans agir. 
Comme les terres oifives , fi elles font 
graffes & fertiles , foifonnent en mille for- 
tes d'herbes fauvages & inutiles , & les 
faut affubjeâir à certaines femences; & 
les femmes feules produifent des amas & 
pièces de chair iafouncsy ainfi refprit» fi 



LIVILSL CHAP. XVI. 171 

Ton ne Toccupe à certain fubjeâ, il fe def 
bande & fe jette dedans le y^ue des ima* 
glnations , & n'efl folie ny re{verie qu*il 
ne produife : s*il n*a de but eftably , il Ce 
perd & s'efgare; car eftre par-tout > c*eft 
n'eftre en aucun lieu : l'agitation eft vraye* 
ment la vie de Tefprit & fa grâce , mais 
elle doibt venir d'ailleurs que de foy : s'il 
va tout feul, il ne faiâ que traîner & lan- 
guir > & ne doiâ eftre violenté 3 car cefte 
trop grande contention d'efprit trop ban-r 
dé , tendu & preiTé » le rompt & le trou^ 
ble. 

Il eft aufli uiiiverfel qui fe melle par* „ f* 
tout 5 il n'a point de fubjeâ ny de reflbn feU 
limités il n'y a àioCc où il ne puiflè jouer 
Xbn roolle , audi bien aux fubjeâs vains 
& de néant , comme aux nobles & de poids, 
& en ceux que nous pouvons entendre » 
que ceux que nous n'entendons : car re- 
cognoiftre que l'on ne le peuft entendre 
ny pénétrer au dedans , & qu'il £iiut de- 
meurer au bord & à l'efcorce , c'eft très 
beau traiâ de jugement > la fcience , voire 
la vérité , peuvent loger chez nous fans 
jugements & le jugement fans ellesj voire 

pij 



iji DE LA Sagesse» 

recognoiftre fon ignorance, c*eft un beau 

teûnoignage de jugement. 

7- Ticrcemcnt, il cft prompt & (buciain, 

& fou- courant en un moment d*im bout du monde 

ààïn. à Tautre, fans arreft, (ans repos, s*agî- 

tant , pénétrant Se perçant par-tout : Noiti'- 

lis & zriquUta mens komîni data efi : nuit" 

quant ft tenet , fpargitur vaga , quietis 

impatiens , novftate rerum Utiffima : non 

mirum^ e» itto cœlefii fpirîtu defcendit y 

cœlefttum autem natura femptr in motu eft, 

Cefte â grande fbudaineté & vitefle, cefte 

poinâe & agilité eft d'une part admirable & 

A^ plus grandes merveilles quî foient en 

re(pFit> mais c'eft d'ailleurs chofe très- 

dangcreufe , une grande di(poiîti<m & pro* 

penfion à la folie & manie , comme fe dira 

tantoft. 

Pour ces trois conditions , d'agent per- 
pétuel fans repos, univerfel, fî prompt & 
Amdain , il a efté eftimé immortel, & avoir 
en (by quelque marque & eftincelle de di- 
vinité. 
8» Or fon adion' eft toufîours quefter ,. 

tioS°c*l fiu^ctcr , tournoyer fans ccffe comme afià- 
qucAcc. me de ffavoir, enquérir & rechercher» 



IIYIÉ 1. CHAP. XVI. 175 

ainfî appelle Homeic les hommes «lA^«r» 
Il n'y a point de fin en nos inquifitions : 
les poorfuittes de reQ>rit humain font fans 
terme, fans forme : fon aliment eft doubte» 
ambiguïtés c'ef): un mouvement perpétuel, 
fans arreft & fans but : le monde efl une 
cfcholed'inquifitions l'agitation & la challè 
eft proprement de noftre gibbier : prendre 
ou faillir à la prinfè, c'eft autre chofe^ 

Mais il ^ift & pourfuit fes entreprinfès $• ^ 
témérairement & defreiglement , fans or- f^f^^^j" . 
dre & fans mefure : c'eft un outil vaga- meraire* 
bond, muable > divers , contoumable : c'eft '"''^^ 
un infbument de plomb ^ de cire > il plie , 
s'allonge, s'accorde à tôu;c, plus fouple» 
plus facile que l'eau , que l'air. FUxibilis ^ 
omni kumore ohfequentior , & ut fpiritus 
^uî omni materia facilior , ut tenuior» 
C'eft le foulierde Thdramenes bon à tou$ 
pieds. : il ne refte que la fuffifance de le 
Tçavoir contourner 5 il va toufiours, & de 
tort & de travers , avec le menfonge 
comme avec la vérité. Il fe donne beau 
jeu, & trouve raifon apparente par-tout, 
tefmoin que ce qui eft impie, injufte, abo- 
minable en un lieu, eft pieté , juftice, fie 

Puj 



174 ^£ ^A Sagessi, 
honneur ailleors s & ne (ê fçauroit nooT'* 
mer une loy, coufbxme, créance receucois 
rejettée generallement par-tout , les ma* 
riages entre les pioclics , les meurtres des 
cn£ms, des parens vieitS) commumcation 
des femmes , condamnez en us lieu , lé- 
gitimes en d'autres. Platon refiifa la robe 
brodée & parfumée <|ue luy offriftDîony-^ 
fius, difanC eûrc homme & ne fe vouloir 
▼eftir en femmes Ariftîppus Taccepta , di- 
£uit que raccouftrement ne peuft corrom* 
pre un chafte courage : Diogenes lavant Ces 
choux , & le voyant paffer , luy diâ : Si m 
Içavois vivre de choux, tu ne fcrois la cour 
k un tyran : Ariftippus luy refpond : Si m 
Tçavois vivre avec les Roys , tu ne lave- 
rois pas des choux. On preichoit Solon de 
ne pleurer point la mon de Ton fils, car 
c'eftoient larmes inutiles & impulsantes^ 
C*eft pour cela, di6^>il, qu'elles fbnt plus 
)uftes 8c que |*ai tsdCon de pleurer. La 
femme de Socrates redoubloit (on deuil de 
ce que les Juges le iidroient mourir injufte- 
ment. Comment ! feift-il,aîmerois-cu mieux 
que ce fîift juftement ? Il n'y a aucun bien, 
diâ un Sage , fiaon celuy à la perte du- 



lt?RSl. CttAf. XVI. Î7f 

^uel l'on eft préparé , in dguo enim efi da* 
ior amiffk rei & timor amittemU. Au rc-* 
bours, did l'autre, nous Terrons & cm- 
braflbns le bien d'autant pkis eftroit & avec 
plus d'afFeâion » que nous k voyons moins 
feur , & craignons qu'il nous (bîc ofté. Un 
Philorophe Cynique demandoit à Andgo* 
nus une dragme d'argent : ce n'eft pas pre* 
fènt de Roy , refpondtft~il : donne-moy 
donc un talent, diâ le philofbpbe : ce n'eft 
pas prefent ponr un Cynique. Quelqu'un 
«tifoic d'un Koy de Sparte fort clément & 
débonnaire : Il eft fort bon s car il l'eft 
meûne aux mefchans. Comment feroit-il 
Ix)n , diâ l'autre, puis qu'il n'eft pas mau- 
vais aux mefcbans ^ Voilà comme la rai- 
fon humaine eft à tous vifages, un glaive 
double , un bafton à deux bouts , ogni mt'* 
daglia ha il fuo rîverjh. Il n'y a raifon 
qui n'en aye une contraire , diâ la plus 
(aine & plus feure philofophie : ce qui fe 
monftreroit par tout qui voudroît. Or 
cefte grande volubilité & flexibilité vient 
de plufieurs caufess de la perpétuelle alté- 
ration & mouvement du corps , qui jamais 
n'eft deux fois en la vie en mefme eftat^ 



f 7^ Dï tA Saosssë, 

des objcâs qui font iiifinis , de Tair meC^ 

me Bc fcrenité du ciel , 

Taies func hotniaum mentes , quali pater ipfe 
7appi<er , auâifera lullravit iampade terras } 

& de toutes chofes externes s internement» 

des TecoufTes & brandes que i'ame Te donne 

elle-mefme par fi>n agitation , de meuë par 

fes propres paifîons s aufld qu'elle regarde 

les chofes par divers vifages , car tout ce 

qui eft au monde a divers lufbres & diverfes 

confiderations. C'efl un pot à deux anfes , 

difoit Epiâete ; il euft mieux diâ à plu- 

iteurs. 

»0' . Il advient de là qu*il s'empeftre en fa bc- 

t'empef- fong^^c , comme les vers de foye , il s'cm- 

tre. barrafTe : car comme il penfe remarquer 

de loing je ne fçay quelle apparence de 

clarté & vérité imaginaire , & y veuft cou« 

rir , voyci tant de diificultez qui luy tra- 

verfent la voye , tant de nouvelles queftes 

Tefgarent & Tcnyvrent. 

11. Sa fin à laquelle il vife eft double ; l'une, 

la vcri^ plus commune & naturelle , eft la vérité 

té , la- ou tend £a quefte & fa pourfuitte. Il n'eft 

nc^pcuft '^^^ P^'^ naturel que le défi; de cognoifbrc 

ac<}ucxic la vérité. Nous efTayons tous les moyens 



LIVRE I. CHAP. XVI. 177 

que nous penfons y pouvoir fcrvir : mais ny troa- 
enfîn tous nos cfFons font courts, car la-^*'' 
vérité n*eft pas un acqueft , ny chofe qui* Voyez 
fc laifl*e prendre & manier, & encore moins ^"^ *j 9- 
pofTeder à l'efprit humain. Elle loge de- 
dans le fein de DieuJ, c*eft là fbn gifte & 
fà retraite : Thomme ne fçait & n'entend 
rien à droiâ, au pur & au vray comme il 
faut , tournoyant toufiours , & taftonnant 
à l'entour des apparences qui k trouvent 
par tout auffi bien au fauis qu*au vray : 
nous fommes nais à qucfïer la vérité : la 
poâeder appartient à une plus liante & 
grande puiâance. Ce.n*eft pas à qui mettra 
dedans , mab à qui fera de plus belles 
courfes. Quand il adviendroit que quei^que 
vérité fe renconcrafl encre fes mains, ce 
feroit par l^aard , il ne la fçauroîe tenir ^ 
pofledef , ny diâinguer du menfonge. Les 
erreurs fe reçoivent en noflre ame par 
mefme voye & conduide que la vérité 5 
l'efprit n'a pas de quoy les diflinguer & 
choiiîr : autant peud faire le fot qiie le 
fage , celuy qui did vray , comme celuy 
qui did fauls : les moyens qu'il employé 
pour la defcouvrir, font laifbn & expe« 



ty^ ' delaSagsssi, 

rîence , tous deux très fbibies , incertains , 
divers » ondoyans. Le plus grand argument 
de la vérité , c'eft le gênerai confentemenc 
du monde. Or le nombre des fols furpaiTe 
de beaucoup celuy des fages : &puis com- 

l ment eft-on parvenu à ce confentement» 

que par cont^ion & applaudifTement don- 

f né fans jugement & cognoiiTance de caufe, 

mais à la fuite de quelques-uns qui ont 

! commencé la danfe } 

it. L'autre fin moins naturelle^ mais plus 

ït Hn- mnbiticufe, eft l'invention, à laquelle il tend 
Yenaon. , , . « i.i 

comme au plus haut pomci d honneur, pour 

fe monftrer & faire valoir i c*eft ce qui 

eft plus e(Umé & femble eflre une image 

de divinité. De cefte fufEfance d'inventer 

font produits les ouvrages qui ont ravy 

tout le monde en admiration : & s'ils ont 

cfté avec utilité publique , ils ont deïfié 

leurs autheurs. Ceux qui ont efté en fubti* 

lité feule fans utilité » ont efté en la peinc- 

ture, ftatuaire , architeâure, perfpedtive , 

comme la vigne de Zeuxis , la Venus d'/ - 

pelles , la ftatue de Memnon , le cheval 

d'airain » la colombe de bois d'Archytas , 

la (phere de Sapor Roy de Perfe, & tant 



LIVRE I. CHAP. XVI. IJf 

d*aacre6. Or l'art & rinvention femblent tooange 

non feulement imiter nature, mais la pafTer, J"' 

. , Tcncion* 

& ce non leulement en particulier & indi- 
vidu ( car il ne fe trouve point de corps 
d'homme ou befle en nature û univerfeN 
iement bien fai<5b, comme il fe peuft re* 
prefentcr par les ouvriers ) ; mais encore 
plufieurs chofes fe font par an, qui ne fe 
font point par nature : j'entends outre les 
comportions & mixtions , qui eft le vray 
gibbicr & le propre fubjeâ de l'art , tef- 
moin les extradions & diftillations des 
eaux & des huiles faites de fimples , ce 
que nature ne £sd6ï point. Mais en tout 
cela il n'y a pas lieu de ii grande admira- 
tion que Ton penfe 5 & à proprement & 
loyalement parler , il n'y a point d'inven- 
tion que celle que Dieu révèle : car celles 
que nous eftimons & appelions telles , ne 
{ont qu*obfervations des chofes naturelles, 
argumentations & concluions tirées d'i-* 
celles, comme la peinture & l'optique des 
ombres , les horloges felaires des ombres 
des arbres , l'imprimerie des marques Se 
fceauz des pierres precieufes. 

De tout cela il eft aifé à voir combien L'ef^rlt 



XSO I>E LA SaG£SS£» 

tît très rcfprit humain cft tcmcrairc & dangereux, 
<î*ttgc- niefmcment s'il cil vif & vigoureux : car 
cftant Cl remuant , û libre & univerfcl , & 
faifant fes rcmucmcns û dcfreiglement , 
ufant fi hardiment de fa libcné par tout ^ 
lans s*aflcrvir à rien , il vient à fecouer ai- 
Cus^c^. fcment les opinions communes & toutes 
fur û fo- reigks par Icfquellcs Ton le veuft brider 
^®* .& contraindre, comme une injufte tyran- 
nie : entreprendra d'examiner tout, & ju- 
ger la plufpart des chofes plaufiblement 
receu'és du monde , ridicules &abrurdes, 
trouvant par tout de l'apparence , paflera 
par defTus tout : & ce faifant , il eft à crain- 
dre qu'il s'efgare & fc perde : & de faid, 
nous voyons que ceux qui ont quelque 
vivacité extraordinaire , Se quelque rare 
excellence , comme ceux qui font au plus 
haut eftage de la moyenne claffe cy-defTus 
diâe, font le plus fouventdefreiglés en opi- 
nions & en moeurs. Il y en a bien peu à qui 
l'on fe puiffe fier de leur conduire propre, 
& qui puifTent (ans témérité voguer en li* 
berté de leurs jugemens au-delà les opi- 
nions communes. C'eft miracle de trouver 
un grand & vif çfprit bien reiglé & modérés 



L I V R £ I. C H A P. XVI. itt 

cVft un très dangereux glaive qui ne le 
fçaît bien conduire : & d'oii viennent tous 
les defordres , révoltes , herefies & troubles 
au monde , que de là } Magni errores non 
nifi ex magnis ingeniis, NihU fapientu 
odiofius acumine nimio. Sans doubte ce- 
Juy a meilleur temps, plus longue vie, eft 
plus heureux & beaucoup plus propre au 
régime de la Repub. diâ Thucydide , qui a 
Telprit médiocre, voire au-defToubs la mé- 
diocrité , que qui l'a tant eflevé & tranf- 
cendant , qui ne fert qu'à fe donner du tour- 
ment & aux autres. Des grandes amitiez 
naifTent les grandes inimitiez; desfantez 
vigoureufes les mortelles maladies : auilt 
des rares 3c vives agitations de nos âmes les 
plus excellentes manies & plus détraquées. 
La fageiTe & la folie font fort voifînes. Il 
n'y a qu'un demy tour de Tune à l'autre : 
cela (e voit auxaâions des hommes infen- 
fez. La philofophie nous apprend que la 
melancholie efl propre à tous les deux. De 
quoy fe fàiâ la fubtile folie , que de la plus 
fiibtile fageffe } C'eft pourquoy , did Arif- 
tote, il n'y a point de grand efprit fans 
quelque meflange de folie s & Platon » 
Tome /• Q 



fSt DZ tA Sagesse, 

qu'en vain un efprit raffi; & fain fxappe 
aux portes de la Poëfîe. C*eft vcn ce fens 
que 1rs n^es & plus braves Poètes ont ap- 
prouvé de fblier & (brtir des gonds qucl- 
qaesfois. Infanire jucundum eft ; dulce de* 
fipere in loco : non poteft grande bfuhlime 
quidquam nîji mota mens , & quandiu apud 

Je eft. 

14. C*eft pourquoy on a eu tvonne rai(bn 

Parquoy jç lui donner des barrières eftroites : on 
le rauc , . . 

! brider 8c le bride & le garotte de religions , loiz , 

I retenir, couftumes , fcienccs , préceptes , menaces , 

promeilcs monelles & immortelles ; encore 
voit -on que par ù, desbauche il femchift 
tout, il efchappe à tout ^ tant il cil de na- 
ture rcvefche , fier., opiniaflre , dont le faut 
mener par artifice : Ton ne l'aura pas de 
Scnec ^^^^ » naturâ contumax eft animas huma" 
nus , in contrarium atque ardman nitens , 
fequiturque facitius quant ducitur , ut ge- 

;; neroji & nobiles equi meiius facili freno 

\ reguntun U jdk bien plus feur de le mettre 

en tutelle., & le coucher, que le laiifer aller 

;; à £a pofte : xar s'il n'efl bien nay , bien 

fort & bien reiglë, conmie ceux de la plus 
liante clalTe qu'avons diâ cy-defTus , ou 



LITRE L CHAP. XVI. X8) 

bien fbibie , mol , & mou/Te , comme ceux 
de la plus baiTe marche , certes iL fe perdra 
en la liberté de fes ji^emens : parquoy il a 
bc(bing d'efixe retemi» plus beilbtng.de 
plomb que d*aiûes , de bnde que d^efpe-^ 
ron : à quoy principaiement ont regacdé 
les grands Ic^^âaiDeuis- Se fondateurs d'ef» 
tacs : les peuples fort médiocrement ^iri- 
tuels vivent en plus de repos que les ingé- 
nieux. Il y a eu plus de tcoubles & fodi-* 
tions en dix ans en la feule ville de Flo- 
rence , qu'en cinq cens ans aux païs de» 
Suyffes & Grifons : de en» pasticulisi: les 
bommes d'une commune fùffifànce font 
plus gens de bien, meilleuis citoyens, font 
plus foupLes, & font plus volontiers joug 
aux loix , aux Tuperieurs , à la raifoa,. que 
ces tant vifs & clair-voyans » qui ne peu- 
vent demourer en leur peau : Toâinenaent 
des efprits n'eft pas raflagiflement. 

L'efprit a fes maladies , fes défauts & i^. 
fes tares auifi bien que le corps , & beau- De^uw 
coup plus, & plus dangereux & plus incu- p^j^^ 
râbles : mais pour les cognoiffare il les faut 
diftingucr. Les mis font accidentaux & qut 
hiy arrivent d'ailleurs. Nous en pouvons 

Qy 



x84 Di LA Sagesse» 
Acciden- remarquer trois caufes-: la difpofîdoa dit 
venants ^^^» ^^ ^cs maladies corporelles qui al~ 
de crois tercnt le tempérament , altèrent auffî tout 
manifèftement Tetprit & le jugement : ou 
bien la fubftance du cerveau & des orga- 
Ducoips. nés de Tame raifonnable cft m^ compofôe, 
fbit dès la première conformation, comme 
en ceux qui ont la telle mal &iûe , toute 
ronde, ou trop petite, ou par accident de 
heurt ou blefTure. 
Dn mon- La féconde efl la contagion univerfelle 
des opinions populaires & erronées, re- 
ceuës au monde, de laquelle Tefprit pré- 
venu &*attcind, ou, qui pis eft, abbreuvc 
& coiffé de quelques opinions fantafques , 
va toufîours & juge félon cela, fans regar* 
dcr plus avant ou reculer en arrière : or 
tous les efprits n*ont pas alTez de force & 
vigueur pour fe garantir & fauver d*un tel 
déluge. 
Des pa£- La troifiefine beaucoup plus voifine cfl 
*• la maladie & corruption de la volonté , & 
la force des pallions , c*eft un monde ren- 
verfé : la ypjonté eft n^e ,^î!)!iiri}i^ 
rendement comme fon guide , fon flam- 
beau : mais eftant corrompue & fàifie par 



tlVRl I. CHAT. XVÏ. î*| 

h force des paifions , force auffi & corrompe 
reatendement, & c*eft d'où vient la pluf- 
parc des iauls jugemens; Tenvie» la ma- 
lice , la haine , l'amour , la crainte , nous 
font regarder , juger Se prendre les clioTes 
toutes autres & tout autrement qu'il ne 
&ut , dont l'on crie tant ( }ngeF (ans ^af-- 
fion ) : de là vient que l'on obfcurcift les: 

I belles & genereufes aâions d'autruy par 
des viles interprétations ; Ton controuve 
des cau(cs , occasions & intentions mau*^ 
vaifcs ou vaines , c'eft un grand vice 9c 
preuve d'une nature maligne > & fugement 

I bien malade :. il n'y a pas grande fabtîHté 
ny fufïKànce en cela» mais de malice bea»> 
coup. Cela vient d'envie qu'ils ponent à 
la gloire d'autruy , ou qu'ils jugent des 
autres félon eux , ou bien qu'ils ont le gouft 
altéré & la veuë fi troublée qu'ils ne peu- 
vent concevoir la (plendeur de la vertu en 
Ùl pureté naïfve. De cefte meCme caufe Se 
iburce vient que nous faifons valoir les 
yercus Se les vices d'autruy , Se les eften* 
dons plus qu'il ne faut , des particularités 
en cirons des confequences & conclufions 
générales : s'il eft amy tout luy fied bien , 

Qii; 



fes vices mefmes feront vertus s s*il eft en« 
nemy ou particulier » ou de party contraire, 
il n*y a rien de bon. Tellement que nous 
£ii(bns honte à noftre jugement , pour af- 
Ibuvir nos parlions. Mais cecy va bien en* 
core plus loing , car la plu^part des impie- 
tez , herefîes, erreurs en la créance & reli- 
gion , Cl nous y regardons bien , eft née de 
k mauvaife & corrompue volonté , d'une 
paflîon violente & volupté , qui puis attire 
à foy Tentendement mcCmc ^ fedic populus 
manducare & bibere , &c. quod vult non, 
£xod.5t. <iuod efi crédit , qui cupit trrart * tellement 

fib^'d ^^ ^^ ^"* ^ faifoit au commencement 
dvic. avec quelque fcrUpule & doubte , a efté 
^'*' puis tenu & maintenu pour une vérité & ré- 
vélation du ciel : ce qui efloit feulement en 
la fenfualité a prins place au plus haut de. 
l'entendement : ce qui n*eftoit que paffioa 
& volupté a efté faiâ créance religieufe & 
article de foy, tant eft forte & danger eu fe 
la cont^ion des facultez de Tame entre 
elles» Voylà trois caufes externes des fautes 
& mefcomptes de Tefprit, jugement & en- 
tendement humain y le corps , mefmemenc 
la tefte malade , ou bleflée, ou mal faiéle^ 



LITRE I. CHAP. XVI. 1S7 

k monde avec Tes opinions anticipées & 
fuppofitions ; le mauvais edat des autres 
£icultez de l'ame rai(bnnable, qui luy (ont 
toutes inférieures. Les premiers defaiUans 
font pitoyables» ôc aucuns d'iceux font eu* 
râbles» les autres non : les (èconds font 
excusables & pardonnables : les troifîefmes 
font accufkbles & puniiTables , qui (buf- 
firent un tel defordre chez eux , que ceux 
qui dévoient recevoir la loy entreprennent 
de la donner. 

Il y a d'autres défauts qui luy font plus is. 
naturels & internes , car ils naifTçnt de luy N*w- 
& dedans luy : lejglus grand & la racine de 
tous les autres eft rotgueil & la |U£fomp- 
tion , ( première & originelle £iute du mon- 
de, pefte de tout efprit » & caufe de tous 
maux) par laquelle Ton eft tant content 
de fby. Ton ne veuft céder àautruy. Ton 
defdaigne (es advis , l'on Te repofe en (es • 

opinions , & Ton entreprend de juger de ^ 

condamner les autres, & encore celles que j 

Ton n'entend pas. L'on diâ bien vray que • 

]e plus beau 3c heureux partage que Dieu 
aye faiâ , eft du jugement 3 car chafcun | 

fe contente du £cn, & en penfe avoir aiTez, : 



tt^ t>t LA SaG£SS£, 

Or cefte maladie vient de la tncCcogpoi^ 
£mce de foy : nous ne fentûns jamais aSèz- 
au vray la IbiblefTe de noftre e(prit : aiofî 
la plus grande maladie de Terprit c*eft Ti-^ 
gnorance , non pas des arts & fcîenccs 8c 
de ce qui eft dedans les livres, mais de foy* 
mc^rme , à caufe de quoy ce premier livre 
a eflé £dâ. 



De la Mémoire, 

CHAPITRE XVir. 

jLa mémoire eft fouvent prinfe par le vul* 
gaire pour le fens & entendement : mais 
c'efl à tort; car & par raifon , comme a efté 
did, & par expérience l'excellence de Tun 
eft ordinairement avec la fbiblefTe de Tau* 
tre. C*eft à la vérité une faculté £on utile 
pour le monde , mais cHe eft de beaucoup 
au-deflbubs de l'entendement, & eft de 
toutes les parties de l'ame la plus délicate 
& pins ftefle. Son excellence n'eft pas fort 
requife , fi ce n'eft à trois fortes de gens » 
ftux negotiateurs , aux ambitieux de parler 
( car le magafîn de la mémoire eft volon-* 



LIVRE I. CHAP. XVII. I8^' 

tiers plus plein & fbmy que celui de Tin- 
vention s or qui n*en a demoure court , 
& faut qu'il en forge & parle de foy ) , & 
aux menteurs , mendacem oportet ejfe me* 
morem. Le défaut de mémoire eft utile à 
ne mentir gueres, ne parler gueres, ou* 
blier les ofFenfes. La médiocrité eft fuifi- 
(ante par tout. 



De t Imagination & Opinion, 

CHAPITRE XVI IL 

L'imagination eft une très puiffante r. 
chofe , c'eft ceUe qui faid tout le bruid , If^f^f 
Tefclat : le remuement du monde vient nation, 
d'elle ( comme nous avons did cy-deiTus 
cftxe la faculté de l'ame feule , ou bien la 
plusaéHve & remuante). Ses effets font ch.if. 
merveilleux & eftranges : elle agift non art. 8. 
feulement en fon corps & fon ame propre, 
mais encore en celle d'autruy : & produit 
efFe<5h contraires. Elle faiâ rougir , pallir , 
trembler, tremoufler, trefTuer, ce font les 
moindres & plus doux : elle ofte la puif- 
(ànce Se l'ufage des parties génitales , voirç 



f^O DE LA SAOESSI, 

lors qu*il en cft plos beibing, & que Toit 
y eft plus afprc , non (eulement à (by- 
mefme , mais j, aucruy ; tefmoin les liai- 
fons donc le ijhonde eft plein , qui (ont 
pour la plu(part impre/Hons de l'apprehen* 
£on & de la crainte : & au contraire fans 
cSorty (ansobjeâ&cn (bnge, elle aflbuTid: 
les amoureux defirs , faiâ changer de feze ; 
teûnoin Lucius Coffitius , que Pline di<^ 
avoir veu eilre changé de femme en hom< 
me le jour de fes nopces , 8c tant d*autres : 
marque honteufement , voire tue & avone 
le fruiâ dedans le ventre : faiâ perdre la 
parole , & la donne à qui ne Ta jamais 
eue, comme au fils de Crefus : ode le 
mouvement, fentiment, relpiration. Yoylà 
au corps. Elle ùàô: perdre le fens , la cog- 
aoiâance, le jugement : £ût devenir fol & 
infenfês tefmotn Gallus Vibius, qui pour 
avoir trop bandé fon efprit à comprendre 
Teffence & les mouvemens de la felie, 
difloca & dcfnoua (on jugement fi qu'il ne 
k peuft remettre : faiâ deviner les chofes 
fccrettes & à venir, & caufe les enthou* 
fiafmes, les prediéHons & merveilleufes 
inventions , & ravit en ezufc : réellemene 



LIVRE I. CHAP. XVIII. I^t 

tue & £û£t mourir s cefmoin celui à qui 
l'on desbanda les yeux pour luy lire fa 
grâce , & fuft trouvé roide mort fur Tef- 
chafaut. Bref c'cfl d'elle que vient la pluf- 
part des chofes que le vulgaire appelle mi- 
racles , vifîons » enchantemens. Ce n'e£b 
point le diable ny Triprit , comme il penfe, 
mais c*eft l'ef&â de l'imagination ou de 
celle de l'agent qui faiâ telles chofes , ou 
du patient & fpeâateur qui penfe voir ce 
qu'il ne voit point. 

Encefte partie fe tient & loge Itopinion, 
qui eft un vain & Icger , crud & impar- 
fai(^ jugement deschofes , tiré 8c puifé des 
fens extérieurs, '& du bruiâ commun & 
vulgaire , s'arreftant & tenant bon en l'i- 
magination y & n'arrivant jamais jufques à 
l'entendement , pour y eftre examiné , cnïéJt 
& elabouré, & en eftre faiâ rai&n, qui eft 
un vray , entier & folide jugement des 
chofes : dont elle eft inconftante , incer- 
-tsûne, volage , trompeufe , un très mau- 
vais ôc dangereux guide, & qui faicb tefte 
à la raifon, de laquelle elle eft une ombre 
6c image, mais vaine & faulfe : elle eft 
mcre de tous maux » confuiîons» defordres : 



Xyt DE LA Sagesse» 

d'elle viennent toutes paffions & les trovL" 

blés i c*e(l le guide des fols , des fots , do 

vulgaire , comme la laifon des fages Se 

habiles. 

, '- Ce n*eft pas la vérité, ni le naturel des 

Le mon- . '^ , . . ^ ,, 

de eft choies qui nous remue & agite amùl ame, 

mené |.»çft l'opinion félon un dire ancien : Les 
Sî^nT hommes font tourmentés par les opinions 
qu'ils ont des chofes , non par les chofes 
mcQnes : opinione fâpius quant re Ltbora- 
' mus : plura funt quA nos tenent quant quâ. 
premunt. La vérité & l'efbre des chofes 
nVentre ny ne loge chez nous de foy-mef- 
me, de fa propre force & authorité : s'il 
eiloit ainfi , toutes chofes feroient receuës 
de tous» toutes pareilles & de meûne façon, 
fauf peu plus , peu moins > tous feroient 
de mefine créance : & la vérité qui n'eft 
jamais qu'une & uniforme, feroit embraf- 
fée de tout le monde. Or il y a fi grande 
diverfîté , voire contrariété d'opinions par 
le monde , & n'y a chofe aucune de la- 
quelle tous foient généralement d'accord, 
pas mefmes les fçavans & les mieux nais : 
qui monftre que les chofes entrent en 
nous par compofition , fe rendent à noftrc 



LIVRE I. CHAP. XVIII. 19$ 

nkicy & dévotion , & logent chez nous 
comme il nous plaid, félon Thumeur & 
la trempe de noftre ame. Ce que je crois » 
je ne le puis faire croire à mon compagnon : 
mais qui plus eft, ce que je crois aujour- 
d'hui fi fermement, je ne puis refpondrc 
^ue je le croiray encore aind demain s voire 
il eft certain que je le trouveray & jugeray 
tout autre & autrement une autre fois« Cer* 
tes les chofes prennent en nous telle place » 
tel gouft& couleur que nous leur en don- 
nons, & telle qu'elle eft la conftitution 
interne de Tame : omnîa nuinda mundis , 
immunda immundis» Comme les accouftre* 
mens nous efchaufent , non de leur cha- 
leur , mais de la noftre qu'ils confervent , 
comme aulC ils nourriflènt la froideur de 
la neige & de la glace , nous les efchaufbns 
premièrement de noftre chaleur, & pais 
en recompenfe ils nous confervent la nof- 
tre. 

Prefque toutes les opinions que nous 
avons , nous ne les avons que par autho- 
rite : nous croyons, jugeons, agiffons, vi- 
vons , & mourons à crédit , félon que l'u- 
£ige public nous apprend: & faifons bien , 
Tom€ I. R 



t^4 delaSagessc, 
1. 1. c. I. car nous fommes trop foibles pour juger fc 
cfaoifir de nous-me&ies : mais les fages ne 
font pas ainû, comme fera diék.. 



Volonté, 
CHAPITRE XIX: 

T. La volonté eft une grande pièce de très 
nencTôc grande importance, & doibt Thomme eftu- 
impor- dier fur tout à la bien reigler ; car d'iccllc 
Stolon- ^^P^*^^ prcfquc tout fon eftat & fon bien : 
té. elle fcule eft vrayemoit noftre & en noftre 

Compa- puifTances tout le refte, entendement, me- 
d'icelis moire , imagination , nous peuft eftre ofté, . 
*/^^ altéré , troublé par mille accidens , & non 
demcût. ^ volonté. Secondement c*eft elle qui en- 
traîne & emporte Thomme tout entier : 
qui a donné fa volonté n'eft plus à foy, & 
n*a plus rien de propre. Tiercement c*eft 
celle qui nous rend & nous dénomme bons 
ou mefchans, qui nous donne la trempe 
& la tcin<^ure. Comme de tous les biens 
qui font en l'homme , la preud'hommie eft 
le premier & principal, & qui de loinpaffe 
U fcience, rbabilicé> aofG faut-il dire que 



LIVRS L CHAP. XIX. ï^$ 

la volonté od loge la bonté & vertu eft la 
plus excellente de toutes : & de ùtiék pour 
entendre & (çavoir les belles , bonnes & 
honneftcs chofes , ou mefcliantes & des- 
lionneftes , l'homme n*eft bon ny mef- 
chant, bonnette ny deshonnefte , mais pour 
les vouloir & aymer : Tentendement a bien 
d'autres prééminences s car il ef): à la vo- 
lonté comme le mary à la femme , le gui* 
de & flambeau au voyageur, mais en celles 
icy il cède à la volonté. 

La vraye difierence de ces Ëicultez eft en 
ce que par l'entendement les chofes entrent 
enTame, & elle les reçoit, comme portent 
les mots d'apprendre, concevoir, com«> 
prendre, vrays offices d'icelui : & y entrent 
non entières & telles qu'elles* font, mais 
à la proportion , portée & capacité de l'en- 
tendemcnt , dont les grandes & hautes fc 
racourciffent & abaiflent aucunement par 
cefte entrée , comme l'Océan n'entre tout 
entier en la Mer Méditerranée , mais à la 
proportion de l'emboucheure du deflroit 
de Gibraltar. Par la volonté au contraire , 
l'ame fon hors de foy & va fe loger & vi* 
yre ailleurs en la chofc aimée, en laquellç 

Rij 



i^if DE lA Sagesse» 

elle fe transforme, & en porte le ncnn, te 
tîltre & la livrée, eftant appeUée yertueufe » 
vitieufe, fpirituelle, chamelle; dont s'en- 
fuit qoe la volonté s'anoblit ay mant les cho- 
fes dignes 6c hautes , s'avilit s'adonnanc 
aux moindres & indignes-, comme la fem- 
me félon le party 6c mary qu^elle prend. 

L'expérience nous apprend que trois cho- 
Tes e{gui(ènt noftre volonté, la, difficulté» 
hjs^cté & l'absence, ou bien craince de 
perdre lachoiie; comme les trois contraires 
la relafchcnt, Taifance, l'abondance ou fa- 
tieté , & l'aifiduelie prefence & jouyflanee 
afTeurée : les trois premiers donnent prix 
aux chofes, les autres trois engendrent 
mefpris. Noftre volonté s'efguife par le 
çontrafle, (c defpite contre le defhy: au 
rebours noflre appétit mefprife & outre-» 
pafTe ce qui luy efl en main, pour courir à 
ce qu'il n'a pas , Quod licet ingratum eft » 
quod non licet acrius urit ; voire cela fe 
voit en toutes fortes de voluptcz. Omnium 
rcrum voluptas ipfo quo débet fugari pericu^ 
loy crejcit. Tellement que les deux extremis 
tés, la Ëiulte & l'abondance, le defir & la 
jouyfTance , nous mettent en mefîne peine ^ 



t^THE I. CHAP. XI-X: J97 
f ela faiâ que les chofes ne font pas efUmées 
juftement comme il faut, & que nul pro- 
phète en fon pays. 

Comment il faut mener & reigler fa vo- l. t. ch* 
lontc Ce dira cy après. *k ^' ' ' 

Cil* w» 

— i— ii— i^— ■ I I I I ■ I II ■ ■ ■ » ■■ ■ > ■ Il I ■ 

PASSIONS ET AFPECTIONS. 

ADVERTISSEMENT. 

La matière des paflions de Tefprit eft très- 
grande & plantureufe, tient un grand lieu 
en cefte. dodrine de la fagefTe : à les fça- 
voir bien cognoiflre & diftinguer , ce qui 
fe fera maintenant en ce livre : aux remè- 
des de les brider, régir & modérer gène- l. i.ch. 
raux, c*eft pour le fécond livre : aux reme- «• & 7. 
des particuliers d'une chafcune au troifief- vernis* 
ine livre , fuyvant la méthode de ce livre de force 
mife au pre&ce. Or pour en avoir icy la cog- pcj^ncc. 
noiflance nous en parlerons premièrement 
en gênerai en ce chapitre, puis paniculie- 
rementdechafcuneaux chapitres ruyvans.£c 
n*ai point veu qfti les defpeigne plus naïfve- 
menc & richement que le fieur du Vair en 
Tes petits livrets moraux, defquels je me 
fuis fort fervy en cefte matière padionnée. 



Ift D E L A s A 6 E s s C, 

— — ^— — i ■ ■ Il I ■ I ^ 

Des Papons en gênerai. 

CHAPITRE XX. 

1. ^ Pa s s I on cft un mouvement violent it 

tkm*d<f * ^'^""^ ^^ ^* partie fenfîtive, lequel fc £û€t ouf 
paffion. pour fuy vre ce que l'amc penfe luy e(be 

bon , 0u pour fuyr ce quelle penfe luy eftre 

mauvais. 

2, Mais il eft requis de bien (çavoir com- 
ment fe font ces mouvements, & comment 
ils nai(renr& s'efchaufent en nous^' ce que 
Ton peuft repre(ènter par divers moyens & 
comparaifons, premièrement pour le regard 
de leur efmotion & impetuofité. L'ame, qui 
n*eft qu'une au corps, a plufieurs & très di^ 
verfes puifTances^ félon les divers vaiiTeaux 
Oii elle eft retenue , inftniments defquels 
elle fe fert , & objeâs qui luy font propo- 
fez. Or quand les parties oii elle e(l enclo- 
fe , ne la tiennent & occupent qu*à propor- 
tion de leur capacité, & félon qu'il eft ne« 
ceflaire pour leur droiél ufage , fos eSèâs 
font doux , bénins & bien reiglez : mais 
quand au contraire fes parties prennent plus 
de mouvement & de chaleur qu'il ne leur 



t I y R E I. C HA P. XX. lÊ^f 

en &ut, elles s'altèrent & deviennent dom-» 

mageabless comme les rayons du foleil» qui 

Vaguans à leur naturelle liberté efchaufent 

doucement & tièdement 3 s'ils (ont recueil^ 

lis & remis au cr6ux d'un miroir aident , 

bruflent 8c confumencce qu'ils avoient ac- 

couflumé de nourrir & vivifier. Au reftc 

dles ont divers degrez en leur force & cC- 

motion, & font en ce diflinguées par plus 

~& moins : les médiocres (è laiflent goufter 

éc digérer, s'expriment par paroles & par 

larmes s les grandes & eïtremes eflonnent 

toute Tame , Taccablent & luy empefchent 

la libené de Tes aâions : curd Uves loquatt'* 

luKs ingénies ftuptnté 

Secondement pour le regard du vice , ^, . 

defrcislement & injufHce qui eft en ces ^^ ^^^^ 
a- ^ X ^ y vice 8c 

paillons , nous pouvons a peu près compa- ^cfrci- 
Irer l'homme à une republique , & l'eftat de glemeac» 
Tamc à un eftat royal, auquel le (buve- 
rain pour le gouvernement de tant de peu- 
ples a des magiftrats , aufquels pour l'e- 
tercice de leurs charges il donne loix & rei- 
glemens, fe refervant la cognoifTance des 
plus grands & importans accidens. De ceft 
ordre dépend la paix & profpcrité de VcC- 



tOO D E I. A s A CE S S E» 

rat : aa contraire , fi les magiftrats , qui 
(ont comme mitoyens entre le prince êc 
le peuple, fe laifient tromper par £icilité^ 
ou corrompre par faveur, ^ que (ans der 
ferer à leur {buverain,*& aux loiz par iuy 
cftablies » ils employent leur authorité à 
l'exécution des affaires, ils rempliifent tout 
de defordre & confufion. Ainfi en l'homme 
l'entendement eft le fouyerain , qui a foubç 
foy une puiilance eftimative & imagina* 
tive comme un magifbat pour cognoiftrç 
& juger par le rappon des fens, de toute$ 
chofes qui fe prefenteront, & mouvoir nos 
affcâionspour l'exécution de fes jugemens. 
Pour fa conduire & reiglement en l'exer-* 
cice de fa charge, la loy & lumière de na- 
ture Iuy a efté donnée : & puis il a moyen en 
tout doubce de recourir au confeil de (onfu- 
perieur & fouverain , l'entendement. Yoylà 
l'ordre de fon eftre heureux > mais le mal-* 
heur eft, que ceftepuiifance qui eft au def^ 
foubs de l'entendement , & au deffus des 
fens, à laquelle appanient le premier juge-» 
ment des chofes, fe laiffe la plufpan du 
temps corrompre ou tromper , dont elle 
juge mal & témérairement, puis elle manie 



t I V R E L C H A p. X X. 101 

& remue nos afFeâions mal à propos & nous 
remplit de trouble & d'inquiétude. Ce qui 
trouble & corrompt cefte puifTance, ce (ont 
premièrement les fens, leCqueis ne com- 
prennent pas la yraye & interne nature des 
chofes, mais feulement la £ice & forme ex* 
terne, rapportantàramerimagedeschofes, 
avec quelque recommandation favorable , 
ic quafî un préjugé de leurs qualitcz, félon 
qu'Us les trouvent plaifans & agréables à 
ieur particulier , & non utiles 6c neccfTaires 
au bien univerfel de l'homme : puis s'y 
mede le jugement fouvent £iuls & indifcret 
du vulgaire. De ces deux fauls advis & rap- 
ports des fens & du vulgaire , fe forme en 
l'ame une inconfiderée opinion que nous opinion, 
prenons des chofes , qu'elles font bonnes ou 
mauvaifes, utiles ou domageables, à fuy- 
vre oufuyr : qui efl certainement une très- 
dangereufe guide , Se téméraire maiftreâe : 
car au(fî-tofl qu'elle efl: conceuë , (ans plus 
rien déférer au difcours & à l'entendement, 
elle s'empare de nofbre imagination , & 
comme dedans une citadelle, y tient fort 
contre la droite raifbn, puis elle defcend 
cnnoftre cœur & remue nos af{è£Hous,avcc 



101, DE LA Sagesse, 

lies mouvemens violens d'efperance , de 
crainte , de triftciTe , de p]ai£r s bref £dâ 
ibublever tous les ibis & feditieox de Taine, 
qui font les paflions. 

Je veux encore déclarer la meCne cLofe, 
par une autre fîmilitude de la police militai^ 
re. Les (ens font & fentinelles de Tame , 
Veillans pour fa confervation , & mcfTagers 
ou courriers , pour fervir de minîftres & 
inftrumens à Tentendement» partie fbuve- 
raine de Tame : & pour ce faire ils ont receu 
puiilànce d*apperceyoir les chofes , en tirer 
les formes, & les embraflcr ou rejctter, 
félon qu*elles leur fçmblent agréables ou 
fafcheufes, & qu'elles confcntent ou s'accor- 
dent à leur nature : or en exerçant leur char- 
ge , ils fe doivent contenter de recognoiftre 
Si donner advis de ce qui fe pafTe , fans 
vouloir entreprendre de remuer les hautes 
& fortes puifTances , & par ce moyen mettrç 
tout en allarme & confu(îon. Ainfî qu'en 
une armée fouvent les fentinelles , pour ne 
fçavoir pas le deffein du chef qui comman- 
de, peuvent efbre trompez, & prendre pou|: 
fecours les ennemis defguifez qui viennent 
^.eux, ou pour çançmis ceux qui yiemiea); 



1 I V R E I. C H A P. XX. lOf 

„ à leur fecours : auffî les fens pour ne pas 
comprendre tout ce qui eft de la raifon font 
fouvent deçeus par l'apparence, & jugent 
pour amy ce qui nous e(l ennemy. Quand 
fur ce penfement , & fans attendre le com- 
mandement de la raiCbn, ils viennent à 
remuer la puiiTance concupifcible & Tiraf- 

^ cible , ils font une fedition & un tumulte en 
noflre ame , pendant lequel la raifon n*y eft 
point ouyc , ny Tentendement obey. 

Voyons maintenant leurs rcgimens, leurs" 4. 
rangs, genres & efpeces. Toute pafllon s*cC- j-^ ^j^I 
meut fur l'apparence & opinion ou d'un paffîons 

, bien ou d'un mal : fî d'un bien , & que p ^^.^^ 

l'ame le coniîdere tel tout fîmplement , ce & le fub- 

mouvement s'appelle amour 5 s'il eft prefent \^^' ^" 

** \ la concu- 

& dont l'ame jouyfle en loy-melme-, il s'ap- pifciblc , 
pelle plaifîr & joye; s'il eft à venir, s'appelle ^^ > 3 «de 
defîr : /î d'un mal, comme tel fîmplement, 3. de 
c'cft haine > s'il eft prefent en nous-mefmes, "^^' 
c'eft triftefle & douleur 5 fi en autruy, c*cft 
pitié 5 s'il eft à venir , c'eft crainte. Et cel- 
les*cy qui naiifent en nous par l'objeâ: du 
mal apparent, que nous fuyons & abhor- 
rons, defcendent plus avant en noftre cœur, 
& s'enlèvent plus difficilement. Voyl^ la 



104 ^ ^ ^ ^ Sagesse, 
première bande des feditieux qui troublent 
le repos de noflre ame, fçavoir en la panie 
concupifcibles defquels encore que les ef- 
feâs foient très-dangereux. Ci ne font ils pas 
il violens , que de ceux qui les fuyvent : 
car ces premiers mouvemens-là , formez 
en cette partie par Tobjed qui fe prefen- 
te 9 pallènt incontinent en la partie irafci- 
ble, c*eft-à-dire, en cett endroiâ oii Tame 
cherche les moyens d'obtenir ou efviter ce 
qui luy femble bon ou mauvais. £t lors tout 
ainfi comme une roue qui ettdefiaesbranlée 
venant à recevoir un nouveau mouvement , 
tourne de grande vitefTe , auffî l'ame defîa 
efmuë de la première apprchenfion, adjouf- 
tant un fécond eftbn au premier, fe manie 
avec beaucoup plus de violence qu'aupara- 
vant, & (bubleve des pallions bien plus pui{^ 
£n ri- fautes & plus difficiles à dompter ^ d'autant 
cLq i 1. ^*i'clles font doubles, & ja accouplées aux 
du bien premières, fe liant & fouftenant les unes les 
mal* **i^re* P^ *"^ mutuel confcntcmcnt; caries 
premières qui fe forment fur l'objeâ du 
bien apparent, eotrant en confideration des 
moyens de Pacqucrir , excitent en nous ou 
Tefpoir ou le defefpoir. Celles qui fe for* 



ITV RE I. C H A p. XX. lOf 

ment furrobjedldu mal à venir, font naiftrc 
ou la peur , ou au contraire l'audace : du 
mal prefent , la cholcrc, & k courroux , 
Icfquclles paflîons (ont cftrangement vio- 
lentes , & renverfent entièrement la rai(on 
qu'elles trouvent défia esbranlée. Voylà les 
principaux vents d'oii naiflcnt les tempef- 
tes de noftre ame : & la caverne d'où ils 
fortent n'eft que Topinion (qui feft ordi- 
nairement faulfe , vague , incertaine , con- 
traire à nature, vérité, raifon, certitude) 
que Ton a, que les chofes qui fe prefentent 
à nous » font bonnes ou mauvaifcs : car les 
ayant appréhendées telles , nous les recher- 
chons ou fuyons avec véhémence, ce font 
nos paflîons. 



DES PASSIONS EN PARTICULIER. 

ADVERTI5SEMENT. 

Il fera traî<5té de leur naturel, pour y voir ^^ , ^^ 
la folie, vanité, mifere, injuftîcc, 8c lai- vertus 
dcur, qui eft en elles, afin de les cognoiftre g^ ^^^^ 
Se apprendre à les juftement hayr. Les advis perance. 
pour s'en garder feront aux livras fuyvans 5 
ce (ont les deux parties du médecin , deda- 
Tom€ L . S 



10^ DE LA SAGESSe, 

rerla maladie, & donner les remèdes. Voyd 
les maladies de re(pric. Au refte nous parle- 
rons icy premièrement de coures celles qui 
regardent le bien apparent » qui (ont amour 
» & fes eljpeces , deiîr , efpoir, defefpoir , joie; 

! ^ puis toutes celles qui regardent le mal, 

I qui (ont pluûeursj cholere» hayne, envie, 

I jalouiîe , vengeance , cruauté » crainte , trif- 

I teiTcsCOippaâion. 



De r Amour en gênerai, 
CHAPITRE XXI. 

Diftinc- 1*^ première maJ&rcSc&i capitale de tou* 
tjon de tes les paflîons eft l'amour , qui eft de divers 
te com- fubjeds , & de diverfes fortes & degrcz. Il 
parai, y en a trois principaux , aufquels tous fe rap- 
poitent> (nous parlons du vitieux 6c paf- 
(ionné ; car du vertueux', qui eft amitié, cha» 
rite , dileâion ^ fera parlé en la vertu de la 
Liv. 5. juftice } ) fçavoir l'ambition ou fuperbe , 
qui eft Tamout de grandeur & honneur > l'a- 
varice , amour des biens 5 & l'amour volup- 
tueux & charnel. Voylà les trois goulphcs «c 
précipices d'où peu de gens fç fauvent, les 



LIVRE L CHAP. XX I. 107 

crois peftes & corruptions de cour ce qu'a- 
vons en nâaiement , efprit , corps , Se biens; 
les armeures des troîscapiuilx ennemis du 
faluc & repos hiunain, le diable, la chair» 
ie monde. Ceroncàla rericé croîs puifiànccs 
les plus commune^ & unirerfelies pallions» 
dont TApoftre a parcy en ces croîs tout ce 
qui cfl au monde ; Omne quod efi in matt' 
4ioy concupifientiu camis €ft,& concupifdn" 
eia oculomm » fffuperbia v/V«. L'ambition 
comme rpiricuelle eft plus noble èc hau- 
taine que les autres; L*âmoar voluptueux 
comme plus natovel & oniver&l, ( car me(? 
me ^uz belles on les autres ne fe trouvent 
point ) il eft plus violent & moins vitieux \ 
j e dis violent tout finalement , car quel- 
qaesfbis Tambicion l'empone : mais c'eft 
tine maladie particulière ; Tavarice eft laplus 
fotte & maladive de couces. 



De l* Ambition, 

CHAPITRE XX IL 

1/ Ambition ( qui eft une faim d'honneur i. 
& de gloire , un dcfîr glouton , & exceflif ?"]["'?' 
4c grandeur ) eft une bien douce paffion qui 

Sij 



A08 BE X.A SaGISSE, 

fc coule aifément es efprtts plus ^cncràa, 
Se ne s'en tire qu*à peine. Nous penfons 
devoir embraifer le bien » Se entre les biem 
nous eitimons rhonncur plus que tout s 
▼oylà pourqaoy nous le courons à force. 
L*ambitieux veuft eftre le piemier> jamais 
ne regarde derrière , mais toufiours dey ant» 
à ceux qui le précèdent : & luy eft plus grief 
d'en laiâer paiTer un devant , qu'il ne prend 
de plai£r d'en laiffer mille derrière» tiabet 
Scnec. hoc vitium omnis ambitio^ non rejpîciu 

^*^- J- Elle cft double , l'une de gloire & hon- 
neur, l'autre de grandeur & commande* 
menc$ celle-là eft utile au monde, & en 
cenains (èns permife, copme il fera diâ^ 
cefte-cy pemicieufe. 

L'ambition a fa femence & fa racine na« 

Zft nata- tutelle en nous : il y a un proverbe qui diâ 
^* que nature fe contente de peu, & un autre 
tout contraire , que nature n'ed jamais 
faoule ny contente, toujours defire, vend 
monter & s'enrichir, & ne va point feule- 
ment le pas , mais court à bride abbatue » 
& fe rue à la grandeur & à la gloire. Nar 

Tacît. tura nojira împerii eft avîda , Ô* ad impltn^ 
dam cupiditatemprAceps^ £t de force qu'ils 



tl VUE I. C HAP. XXIl. 10^ 

courent, (buvenc fe rompent le col, comme 
tant de grands hommes à la veille & fur l;e 
poinâ d'entrer Se jouir de la grandeur qui 
leur avoit tant coufté s c'eft une paflîon 
naturelle , très puifTante , & enfin qui nous 
lai/Te bien tard , dont quelqu'un l'appelle la 
chemife de l'ame; car c'eft le dernier vice 
duquel elle fe defpouille. Etiam fapzenti*- 
eus cupido glorÎA nwijjpma exuitun 

L'ambition , comme C'eft la plus forte & 3 . 
puifTante paffion qui fbit , ftufE eft-elle la ^ J?*^^* 
plus noble & hautaine ; fa force & puiffance maucé. 
fe monflre en ce qu'elle maiflrife & fur- 
monte toutes autres chofes , & les plus 
fortes du monde , toutes autres pafHons 8c 
cupiditez, mefmes celle de l'amour, qui 
femble toutesfois contefler de la primauté 
av^ ccfle-cy. Comme nous voyons en tous Surmon- 
les grands, Alexandre, Scipion, Pompée, wnc Ta- 

tant d autres qui ont coutageulement 
refufè de toucher les plus belles Dames qui 
efloient en leur puiffance , bruflant au refle 
d'ambition : voire cefle vidèoire de l'amour 
fervoit à leur ambition, fur-tout en Cefarj 
car jamais homme ne fut plus adonné aux 

plaifirs amoureux, & de tout fexe& d« 

S»»» 
11; 



%\0 DE £A SACE9SE» 

toutes fortes , teûnoias tant d'exploits , Se 
SL Rome & aux pays étrangers , ny aufC 
plus foigneux & curieux de fa perfonne : 
toutesfoisf ambition l'empoaoit toujours» 
jamais les plaifîrs amoureux ne luy firent 
perdre une heure de temps qu'il pouvoit 
employer à Ton agrandiiTement : l'ambition 
tegentoit en luy fonverainement » & le 
pofTedoit pleinement. Nous trouvons aa 
rebours qu'en Marc Antoine » & autres, 
la force de l'amour a fàiét oublier le foin 
& la conduire des affaires. Mais quand 
toutes deux feroient en efgale balance , 
l'ambition emporteroit le prix. Ceux qui 
veulent l'amour plus forte, difent qu'elle 
tient à l'ame & au corps , & que tout 
l'homme en efl poffedé, voire que la fanté 
en defpend. Mais au contraire ilfemble que 
l'ambition efl plus forte, à caufe qu'elle eft 
toute fpirituelle. Et de ce que l'amour tient 
auflî au corps , elle en efl plus fbible, car 
elle eft fubjede à fatieté, & puis efl capable 
de remèdes corporels , naturels & efbran-^ 
ges , comme l'expérience le monflre de 
plufîeurs, qui par divers moyens ont adou? 
cy, voire efleint l'ardeur & la force de 



LI y RE L C H A p. XXII. ut 

çafte paffion. Mais rambition n*eft capable 
de fatieté > voire elle s'eTguife par la jouif* 
£mce, & n*y a remède pour l'efteindre;^ 
eftant toute en Tame mefme & en la raifon. 
. Elle vainq auiC l'amour, non feulement ^^ . 
de £a fanté , de fon repos , (car la gloire & de fa vie. 
le repos font chofes qui ne peuvent loger 
enfemble ) mais encore de fa propre vie , 
comme monfbra Agrippina, mère de Néron, 
laquelle defîrant & confultant pour faire 
Ion fils Empereur , & ayant entendu qu'il 
le fèroit, mais qu'il luy coufteroit là vie , 
refpondifl le vray mot d'ambition : Occi^' 
dût , modo imperet, 

Tiercement l'ambition force toutes les f . 
loix , & la confciencc mefme , difant les ^" ^®'** 
dod^eurs de l'ambition , qu'il faut eflre par- 
tout homme de bien , & perpétuellement 
obeyr aux loix , fauf au poinâ de régner , 
qui feul mérite difpenfe, eftant un fi friand 
morceau, qu'il vaut bien que l'on en rom- 
pe fon jeuCie : Si violandum eft jus , re- 
gnandi caufâ violandum efi , in cAterispiC" 
tatem colas. ^ 

Elle foule & mefprife encore la rêve- la reli*. 
rence & le refpeâ de la religion , teûnoins ^^^* 



I 



iti De la Sacessê, 

Hicroboam, Malmmet, qui ne fe (bude^ 
6c permet toute religion, mais qu'il règne: 
& tous les Herefiarches, qui ont mieux 
aimé eftre chefs de party en erreur & men- 
terie , avec mille delbrdres , qu*eftre di£- 
ciples de vérité : dont a diâ l'Apoftre» que 
ceux qui Te laîiTent embabouiner à cefle 
paffîon & cupidité , font nau&age & s*e(ga- 
rent de la fby , & s'embarafTent en diver£ês 
peines. 
-^ Bref elle force & emporte les propres 

Force U loîx de natures les meurtres de parens , cn- 
nacure. £^^^ ^ frères , font venus de là s tefmoins 
Abfalon, Abimelech, Athalias, Romulus, 
Seï Roy des Perfes , qui tua fon pcrc & 
(on frère, Soliman Turc fes deux freres« 
Ain(î rien ne peuft refifter à la force de 
Tambition , elle met tout par terre : auflî 
efl-elle hautaine , ne loge qu'aux grandes 
âmes , voire aux Anges. 

Ambition n'eft pas vice ny paffîon de 

1(1 paf- petits compagnons , ny de petits & com^ 

fion hau- niuns efforts , & actions journalières : la re- 

laine 

. ' nommée & la gloire ne fe proftîtue pas à fi 
vil prix^ elle ne fe donne & ne fuit pas les 
adions , non feulement bonnes & utiles , 



LIVRE I. CHAP. XXII. 113 

mais encore rates, hautes, difficiles, eftran- 
ges & inu£tées. Cefte grande faim d'hon- 
neur & réputation baiTe & beliftreffe, qui 
la fait coquiner envers toutes fortes de 
gens, & par tous moyens, voire abjeâs, à 
quelque vil prix que ce foit , eft vilaine 8c 
honteufe : c'eft honte d'eflre ainfî honoré : 
il ne faut point eftre avide de gloire plus 
que Ton en cfl capable : de s'enfler & s'ef- 
lever pour toute aâion utile Se bonne, c'eft 
montrer le cul en hauffant la tefte. 

L'ambition aplu£eurs & divers chemins, 
& s'exerce par divers moyens. U y a un che- s'exerce 

min droiâ & ouvert, tel qu'ont tenu Aie-' ^*^«'^«- 

1 /• I «n « Y« ment, 

xandre, Celar, Themiitocles, & autres. Il 

y en a un autre oblique & couvert que tien- 
nent plufîeurs Philofophes & Profeflèurs de 
pieté, qui viennent au devant par derrière ^ 
Temblables aux' tireurs d'aviron, qui tirent 
& tendent au pûrt luy tournant le dos. Ils 
£c veulent rendre glorieux de ce qu'ils mef- 
prifent la gloire. Et certes il y a plus de 
gloire à fouler & refufer les grandeurs qu'à 
les defîrer & jouir , comme diâ Platon à 
Diogenes; & l'ambition ne fe conduiâ ja- 
mais miçux félon foy que par une voyç 
efgarée & inufitée. 



114 De LA Sagesse* 
to. C'cft une vrayc folie & vanité cju'ambî- 

foii^ ""* tion , car c*cft courir & prendre la fumée 
au lieu de la lueur, l'ombre pour le corps, 
attacher le contentement de (on efprit à 
l'opinion du vulgaire, renoncer volontai* 
rement à Ta libeiré pour foivre la palfîon 
des autres , fe contraindre à de (plaire à Coy- 
mefme pour plaire aux regardans, faire pen- 
dre Tes affeâions aux yeux d'aueruy 5 n'ay- 
mer la venu <]u'autant qu'elle plaift au vul* 
gairc 5 faire du bien non pour l'amour du 
bien, mais pour la réputation. C*eftre(Ièm- 
bler aux tonneaux qu'on perce : l'on n'en 
peuft rien tirer qu'on ne leur donne du vent. 
* 2. Uambition n'a point de bornes c*eft un 

bie!^*"* gouffre qui n*a ny fond ny rive 5 c'efl le 
vuide que les Philofbphes n'ont encore pu 
trouver en la nature, un feu qui s'augmente 
avec la nourriture que l'on luy donne. En 
quoy elle paye juftement Ton maifbe, car 
l'ambition eft jufte feulement en cela, qu'elle 
fuffift à fa propre peine , & fe met elle- 
mefme au tourment. La roue d'Ixion efl le 
mouvement de fcs dcfirs , qui tournent & 
retournent continuellement de haut en bas» 
'$c ne domicnt aucun repos à fon efpnt. 



IIVREI. CHAP. XXII. tl'f 

Ceux qui veuleut flatter Tambition di- 't. 
fent qu'elle fert à la vertu, & eft Un ai- cuf!,"* 
guiilon aux belles actions 5 car pour elle on vaines. 
quitte les autres vices, & enfin elle-mefme 
pour la vertu : mais tant s'en faut , Tambi- 
cion cache bien quelquefois les vices, mais 
ne les ofle pas pourtant, ains les couve pour 
un temps, foubs les trompeufes cendres 
d'une malicieufe feintife , avec efperance 
de les renâanuner tout à faiâ quand ils au- 
ront acquis afTez d'authorité pour les faire 
régner publiquement & avec impunité. Les 
ferpens ne perdent pas leur venin pour edre 
engourdis par le froid ^ ny l'ambitieux fcs 
vices pour les couvrir par une froide di/It- 
mulation. Car quand il eft parvenu où il 
fe demandoit , il hiû fentir ce qu'il eft ^ & 
quand l'ambition quitteroic tous Tes autres 
vices, fi ne quitte-elle jamais foy-mcfme. 
Elle pouffe aux belles & grandes aâions, le 
profit en revient au public : mais qui les 
faiâ n'en vaut pas mieux s ce ne font oeuvres • 
de vertu, mais de padîon. Elle fe targue 
aufli de ce beau mot : Nous ne fommes pas 
nais pour nous , mais pour le public s les 
moyens que nous tenons à monter, & après 



litf BE LA Sagesse» 

cftrc arrivez aux edats & charges , monf- 
trent bien ce qui en eft : que ceux qui font 
en la danfe fe battent la confcience, & 
trouveront qu'il y a autant ou plus du par- 
ticulier que du public. 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
mal feront Liv. 5 , Chap. 4>i. 



De t Avarice & fa contraire pajpon. 

CHAPITRE XXIIL 

A T M E R & af&âionner les richeffes, c'eft 
Qu'cft* ^y2Lnct 5 non Teulement Tamour & TafFcc- 
tion, mais encore tout (oing curieux entour 
les richefTes, fent Ton avarice , leur difpen- 
fation mefme) & la libéralité trop attcn- 
tifvement ordonnée & artificielle ; car elles 
ne valent pas une attention , ny un foing 
pénible. 
i. Le defir des biens & le plaifir à les pofle- 

dér , n'a racine qu*en Topinion ; le defrci- 
glé defir d'en avoir eft une gangrené en 
noftre ame , qui , avec une vcnimeufe ar- 
deur, confomme nos naturelles afFeâions 
pour nous remplir de virulentes humeurs* 



T 

ce. 



LIVRE I. CHAP. XXIII. 117 

Sitoft qu'elle s*eft logée en noftre cœar^ 
rhonnefte & naturelle afFeâion que nous 
devons à nos parens &c amis , & à nous- 
mcrmes , s*enfuit. Tout le refte comparé à 
noftrc profit ne nous femble rien : nous 
oublions enfin & mefprirons nous^meCmes 
noftre corps & noflxe elprit pour ces biens; * 

Se comme l'on diâ , nous vendons noftre v 
cheval pour avoir du foin. 

Avarice eft paffion vilaine & lafcbe des j. 
fots populaires , qui eftiment les riciiefTes ^°'*'^ ^ 
comme le fouverain bien de l'homme > & <}ç v^v^- 
craignent la poureté comme fon plus grand ".c« ^^ 
mal , ne fe contentent jamais des moyens poiaas. 
neceflàires qui ne font refufez à pcrfonne ; 
ils poifent les biens dedans les balances des 
orphevres , mais nature nous apprend à les 
mcfurer à Taulné de la necefUté. Mais 
quelle folie que d'adorer ce que nature 
mefme a mis foubs nos pieds , &caché foubs 
terre, comme indigne d'eftre veu , mais 
qu'il faut fouler & melprifers ce que le 
fcul vice de l'homme a arraché des entrail- 
les de la terre, & mis en lumière pour s'en- 
tretuer ! In lucem propter quA pugnaremus 
txcuùmus : non erub^cimus fumma apud 

Tonte /. T 



ii8 DE LA Sagesse, 

nos haheri , qu€ fuerunt îma terrarum, Ls 
future (cmble en la naifTance de Tor avoir 
aucimemenc prefagi la mifere de ceux qui 
le dévoient aimei : car elle a faiâ qu'es 
terres oii il croift, il ne vient ny herbes , 
ny plantes , ny autie chofe qui vaille , 
comme nous annonçant qu'ez esprits oii le 
defîr de ce metail naiftra , il ne demeurera 
aucune fcintille d*honneur ny de vertu. 
Que fe dégrader jufques-là que de fervir & 
demourer efclave de ce qui nous doit efbx 
Seneca. fubjedl Apud fapzentem divitU funt in 
fervitute , apud fiultum in impcrio. Car 
Tavare eft aux richefles , non elles à luy ; & 
il eft êiiù, avoir des biens comme la fièvre , 
laquelle tient & gourmande l'homme , 
non luy elle. Que d'aymer ce qui n'eft bon, 
ny ne peuft faire Thomme bon , voire eft 
commun & en la main des plus mefchans 
du monde, qui pervenifTent fbuvent les 
bonnes mœurs , n'amendent jamais les 
mauvaifes, fans lefquelles tant de fages ont 
rendu leur vie hcureufe, & pour lefquelles 
plufieurs mefchans ont eu une mon mat- 
heureufe l bref attacher le vif avec le mon, 
comme fàifoit Me^entius , pour le &irc 



IIVRE I. CHAP. XXIII. tl9 

languir & plus cruellement mourir, rcfprit 
avec l'excrément & cfcume de la terre , & 
cmbarrafTer fon ame en mille tourmens & 
travcrfes qu*ameinc cefte paffion amoUreu- 
fe des biens , & s*cmpefchcr aux filets & 
cordages du maling, comme les appelle 
l*Efcriturc Sainte, qui les defcric fon, les 
appellant iniques, efpines , larron du cœur 
humain, lacqs & filets du diable, idolâtrie, 
racine de tous mauxl Et certes qui verroit 
auffi bien la rouille des ennuis qu'engen- 
drent les richefles dedans les cœurs, comme 
leur efclat & fplendeur, elles feroient au- 
tant haïes , comme elles font aymées. 

C*eft une autre contraire paffion vitieufc 4' 
de hayr & rejetter les biens & richefles , comriif 
c'eft refufer les moyens de bien faire , & rc à l'a- 
pradiquer plufieurs vertus. Qui ne fçait ^*"^®' 
qu'il y a beaucoup plus à faire à bien com- 
mander & ufer des richefles que de n'en 
avoir point, fe gouverner bien en l'abon- 
dance qu'en la poureté ? En ccfte-cy n'y a 
qu'une efpece de vertu , qui eft ne ravaller 
point de courage , mais fe tenir fcrifte. En 
l'abondance y en a plufieurs , tempérance , 
modération, libéralité, diligence, pruden* 

Tij 



flzo DE LA Sagesse, 

ce , &c. Là il n'y a qu'à Te garder; icy il y 
a aufli à fe garder, & puis à agir. Qui fe 
dcfpottiile des biens, fe defcharge de tant 
de devoirs & de difficultez » qu'il y a à bien 
8c loyalement fe gouverner aux biens en 
leur acquifition , confervatioa , diftribo* 
cion , ufage & employs. C'eft donc fuir la 
be(bngne ; & leur dirois volontiers : Vous 
les quittez , ce n'eft pas qu'ils ne foienc 
utiles , mais c'eft que ne (çavez vous ea 
fèrvir & en bien ufcr. Ne pouvoir fouifiir 
ks richeffes, c'eft piuftoft (bibleflè d'ame 
que fageflè , diâ Seneque. 

■ 
De t Amour chameL 

CHAPITRE XXIV. 

I. C'est une fièvre & furîeufe paflîon que 
Elle cft l'jjtnour charnel , & très dangereufe à qui 
turelle, s'y lâiflc tranfporter > car ou en eft-il? il 
& com- u»gft plus à foy j fon corps aura mille peines 
à chercher le plaifir j fon cfprit mille gé- 
hennes à fervir fon defir; le defir croiifant 
deviendra fiu'eur : comme elle eft naturelle» 
auili eft^elle violente & commune à toui » 



LIVRE I. CHAP. XXIV. 111 

' doâc en fon action elle e{gale & apparie les 
fbh & les fages, les hommes & les beftes : 
elle abefHft & abrutift toute la fageffe , re- 
fblution , prudence, contemplation & toute 
opération de Tame. De là Alexandre cog- 
noifibit qu'il eftoit mortel, comme auflî du 
dormir , car tous deux fuppriment les fa- 
cultez de Tame. 

La Philofophie fe méfie & parle libre- *• 
ment de toutes chofes pour en trouver les a^ioy 
caufes, les juger & reiglcr, û faiâ: bien la honwufe 
Théologie, qui ell encore plus pudique & 
retenue. Pourquoy non , puifque tout eft 
de fa jurifdiâion & cognoiflance ? le foleii 
cfclaire fur les fumiers fans en rien tenir 
ou fentir : s'cfïàroucher ou s'ofFenfer des 
paroles, eft preuve de grande fbiblefTe, ou 
d'eftre touché de la maladie. Cecy foitdi<3: 
pour ce qui fuit, & autres pareils s'il y en a. 
Nature d'une jpart nous pouffe avec vio- 
lence à cefte aâion : tout le mouvement 
du monde fe refoult & fe rend à ceft ac- 
couplage de maÛe & de femelle , & d'au- 
tre pan nous laiffe accufer , cacher, & rou- 
gir pour icelle, comme infolente , deshon- 
nefte. Nous l'appelions honteufe, & les 



lit 1ȣ lA SaOSSSS, 

parties qui y (erveat honceafes. Pourqfïoy 
donc tant honteu(è, puii^ue tant natiuelic, 
flc ( fc tenant en Ces bornes ) û juftc , légi- 
time, nece/Taire , & que les befbes fonr 
ticemptes de cefle honte? Eft-ce à eaufe de 
la contenance qui femble laide ? Pourquoy 
laide, puifque naturelle i au pleurer , rire , 
mafcher, baailler, leyi(age Te contrefaiâf 
encore plus. Pour fervîr de bride & d'arreft 
à une telle violciice? Pourquoy donc na- 
ture caufc-elle telle violence? Mais c*eftaa 
contraire , la honte fert d'aiguillon & d'al- 
lumette. Â caufe que les inilnunens d'i-* 
celles Te remuent fans noflre confenrement^ 
voire contre noftre volonté ? Pour ceftc rai- 
fbn auffîles beftes en devroient avoir honte: 
& tant d'autres chofes fe remuent de (by- 
mefmes en nous fans noUre confentement, 
qui ne (ont vitieufes ny honteufes , non 
feulement incernes & cachées , comme 1« 
pouls & mouvement du cœur , artères » 
poulmons , les outils & panies qui fervent 
à l'appétit du manges, boire, de(chargcr 
le cerveau , le ventre , & font leurs coin- 
-prefltonsÀ dilatations outre & fouvent coq" 
tre noftre advis & volonté , tefmoin les 



tlVRE I. CHAT. XXtV. iij 

cftemuemens , baaillemens, faigûées» lâr« 
tnes, hoquets & fluxions , qui ne font de 
xioûtc liberté ^ refpric qui oublie , fc fou* 
vient, croit, mefcroit, & la volonté medne 
qui veufl fbuvent ce que nous voudrions 
qu'elle ne vouluft pas : mais externes & 
apparentes 5 le vifage rougift, pallift, hlcC- 
miil, le corps engrai^e & amaigrid, le poil 
grifonne , noircift , bknchifl , croifl , fe 
jberifTe, la peau â-emift, fans & contre noflre 
confentement* A caufe qu'en cela Te moaC- 
tre plus au vray la poureté & foiblefTe hu- 
fliaine ? Si faiiSb-elle au manger , boire, dou- 
Joir, lalTer, fe dcfctarger, mourir, dont 
l'on n'a pas de honte. Quoy que foit, l'ac- 
tion n'eft aucunement en fby & par nature 
honteufe; elle eft vrayement naturelle, & 
txon la honte , tclmoin les bcftes : que dis*- 
je les beiles ! la nature humaine , diù. la 
Théologie, fe maintenant en fbn premier 
originel eftat, n'y eufl fenty aucune hontes 
comme de faiâ , d'od vient ]a honte que 
de fbiblefle, & la foibleile que du péché , 
n'y ayant rien en nature & de foy honteux ? 

Cefte aâion donc en foy & fîmplement ^ 
prinfe n'eft point honteufe ny vitieufe , En quel 



114 i>c l'A Sao£sse, 

fensvi- puifque naturelle ôc corporelle, non plus 
**«""• que les autres pareilles aéHons : mais ce qui 
la faid tant dcfcrier eft que très rarement 
y elk gardée modération, & que pour Ce 
faire valoir & parvenir à fes exploits , elle 
fai<^ de grands remuemens , fe fert de très 
mauvais moyens j & entraine après , ou 
bien faid marcher devant, grande fuite de 
maux , tous pires que Tadion voluptueufe : 
les defpens montent plus que le principal ; 
c*cft pefcher , comme Ton àiék , en filets 
d'or & de pourpre. Et tout cela eft pure- 
ment humain ^ les beftes qui fuivent la (im- 
pie nature font nettes de tout ce tracas : 
mais l'an humain d'une part en faiâ: un 
grand guare , guare > plante à la ponè la 
honte pour en defgouter : d'autre part y 
cfchaufe & efguife Tenvie, invente, re- 
mue, trouble, & renverfe tout pour y ar- 
river ( tefmoin la poëfie qui ne rit point 
comme en ce fubjeâ , & Tes inventions 
font moulTes en toute autre chofe ) & trou- 
ve meilleure toute autre entrée que par la 
porte & légitime voye, & tout autre moyen 
efcarté , que le commun du mariage. 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
vice font auLiv. 3. Chap. 41. 



LIVUK I. CHAP. XXV. llf 

Defirs , cupîdite:i^, 

CHAPITRE XXV. 

I L ne naift & ne s*dlcvc point tant de flots , . '% 

1. t 1 11/- Abyfmc 

& d ondes en la mer ^ comme de délits au iniîny de 

cœur de rkomme> c*eft un abyfme, il eft defirs. 

in£ny , divers, inconftant , confus & irre- 

foiu , fouvent horrible & detefiable , mais 

ordinairement vain & ridicule en Tes defirs. 

Mais avant toute œuvre, ils font bien t. 

* à diftinguer. Les uns font naturels , ceux- p^^^" 

cy font juiles & légitimes » font mefmes defirs. 

aux beftes , font limitez & courts, l'on en 

voit k bout, félon eux perfonne n*e(l indi-^ 

gent , de ceux-cy fera parlé cy-aprcs au 

long , car ce ne font à vray dire payions. 

Les autres font outre nature, procedans de Naturels 

aoftre opinion & fentafîe , artificiels , fu- "^^^^**" 

perflus , que nous pouxons , pour les dif- c. 6. 

tinguer par nom des autres , appeller cu- 

piditcz. Ceux-cy font purement humains , Non na- 

les beftes ne fçavent que c*eft , Thomme ^"'cls. 

feul eft defreiglë en fes appétits , ceux-cy 

n'ont point de bout , font fans fin , ce n'eft 

que confufion. Naturalia dejtderia finita senec» 



11^ SE LA SaGESSK, 

funt: ex faîfa opinione nafcentia^ ubi défi- 
nant non habent : nullus enîm terminus 
falfo eft. Via euntî aliquid extremum efi , 
trror immenfus efl. Dont félon eux pcr- 
fbnne ne peuft eftrc riche & content. C*eft 
d'eux proprement ce que nous avons èîGt 
au commencement de ce chapitre , & que 
nous entendons icy en cefte matière des 
partions. Ceft pour ceux-cy que Ton fuc 
& travaille, ad fupervacua fudatur ^ que 
Ton voyage par mer & par terre , que Ton 
guerroyé , que Ton fe tue , Ton fe noyé , 
l'on fe trahift. Ton fe perd, dont a efté 
très bien diâ , que cupidité efloit racine de 
tous maux. Or il advient fouvent (juftc 
punition ) que cherchant d'affouvir fes eu- 
piditez & fe faouler des biens & plaifirs de 
la fonune, Ton perd & Ton fe prive de ceux 
de la nature s dont difoit Diogenes à Ale- 
xandre , après avoir refîifé (on argent, que 
pour tout bien il fe retiraft de fon foleÛ. 



*^#^ 



LIVRE I. CHAP. XXVI. 117 

EfpoÎKy Defefpoir, 

CHAPITRE XXVI. 

Les defîrs & cupiditez s'efchaufent & re- 
doublent par l*efperaace , laquelle allume 
de Ton doux vent nos fols defîrs , embrafe 
en nos efprits un feu d'une efpaiiTe fumée, 
qui nous esblouit l'entendement , & em- 
portant avec foy nos penfées , les tient pen- 
dues entre les nues , nous faiâ fonger en 
veillant. Tant que nos efperances durent , 
nous ne voulons point quitter nos defîrs y 
au contraire quand le defe fpoir s'eft logé 
chez nous, il tourmente tellement noftre 
ame de l'opinion de ne pouvoir obtenir ce 
que nous defîrons , qu'il faut que tout luy 
cède , & que pour l'amour de ce que nous 
penfons ne pouvoir obtenir , nous perdions 
mefme le refte de ce que nous poiTedons. 
Celle pafllon efl femblable aux petits en- 
^ns qui par defpit de ce que l'on leur ofle 
un de leurs jouets y jettent les autres de- 
dans le feu ; elle fe fafche contre foy-mef- 
ine, & exige de foy la peme de Ton mal^ 



I. 



iiS delaSagesse, \ 

heur. Après les paiCons qui regardent le | 

bien apparent, venons à celles qui regat- I 

dent le mal. i 



De la ChoUre, 

CHAPITRE XXVII. 

L A cholere cft une iblle pa(fion qui nous 
Defcrip- poulTe enticrcmenc liors de nous , & qui 
"°'** cherchant le moyen de repouiTer le mal qui 
nous menace » ou qui nous a défia atteint, 
faiâ bouillir le fang en noftre cœur, & 
levé des furieufes vapeurs en nofbe efprit, 
qui nous aveuglent & nous précipitent à 
tout ce qui peufl: contenter le defir que 
nous avons de nous venger. C*eft une courte 
ri^e , un chemin à la manie s par fa prompte 
impetuofité & violence , elle emporte ^ 
furmonte toutes paffions : repentina & uni' 
verfa vis ejus eft, 
^^ Les caufes qui difpofent à la cholere. 

Ses cau^ font fbiblefTe d'efprit, comme nous voyons 
*^ par expérience les femmes, vieillards , cn- 
fans, malades eftre plus choleres. Invalidum 
Qtnne naturâ querulum efi, L*on fe trompe 



LIVRE I. CHAP. XXVII. 11^ 

de penfer qu'il y a du courage oii y a de là 
violence 5 les mouvemens violcns reflcm- 
blent aux efforts des enfans &des vieillards, 
qui courent quand ils penfent cheminer ; 
il n'y a rien fî foiblc qu'un mouvement deG» 
reiglé, c*eft lafcheté & fbiblefle que fc cho- 
lerer. Maladie d'efprit qui le rend tendre 
& facile aux coups > comme les parties ul- 
cérées au corps , oii la fanté intereffée s'ef- 
tonne & blefTe de peu de cho£e : nufquam 
fine querelâ dgra taitguntur; la perte d'un 
«ienier , ou romilfîon d'un gain , met en 
cholere un avare y un rire , ou regard de fa 
femme , courrouce un jaloux. Le luxe , la 
vaine delicateffe , ou amour particulier , 
qui rend l'homme chagrin & de^iteux , le 
met en cholere , pour peu qu'il luy arrive 
mal à propos : nulla res magis imcundiam 
alit quûm luxuria, Ceft amour de petites 
chofes , d'un verre , d'un chien, d'un oy- 
Teau , cil une efpece de folie qui nous tra- 
vaille & nous jette fouvent en cholere. Cu- 
fiofîté trop grande. Qid nimts inquirit, 
feipfum inquiétât : c'eft aller queftcr, & 
je gayeté de cœur fc jetter en la cholere » 
fans attendre qu'elle vienne. S^pe ad nos 
Tome U V 






&50 i>E tA Sagesse, 

ira venit , /Ipius nos ad illam. Légèreté à 
croire le premier venu. Mais la principale 
& formelle , c'eft Topinion d'cftre mcfpri- 
(éySc autrement traiclé que ne devons , ou 
de faiâ ou de parole & contenance; c*eft 
d'où les cholcrcs fe prétendent juftifîer. 
). S^ fignes & lymptomes font très mani* 

g^ç " ' feftes , & plus que de toute autre padîon , & 
fi eftranges qu'ils altèrent & changent Teftat 
entier de la perfonne , le transforment & 
défigurent : ut fit difficile utrum magis de* 
teftahiie vitium , aut déforme. Les uns font 
externes , la Ëice rouge & difforme , les 
yeuxcnflambex, le regard furieux, roreilie 
fourde » la bouche efcnmante , le cœur ha- 
kttant , le pouls fort efmeu , les veines en* 
£écs , la langue bégayante , les dents fer- 
rées, la voix forte & enrouée, le parler 
précipité , bref elle met tout le corps en feu 
& en £evre. Aucuns s'en font rompu les 
veines ; l'urine leur a efté fupprimée ; la 
• mort s'en efl enfuivie. Quel doit eflre VtC- 
ut de l'efprit au dedans , puifqu'il càufe 
un tel defordre au dehors 1 La cholere du 
premier coup en chaffe & bannift loing la 
raifon & le jugement, afin que la place luy 






LIVRE I. CHAP, XXVIT. 131 

demeure toute entière : puis elle remplit 
tout de feu, fumée, ténèbres, bruiâ, fem- 
blable à celuy qui mifl le maifire hors la 
xnaifon , puis y mift le feu, & fe brufla vif 
■dedans , & comme un navire <;|ui n'a ny 
gouvernail, ny patron , ny voiles, ny avi- 
ron, qui court fortune à la mcrcy des va- 
gues , vents & tempeftes , au milieu de la 
mer courroucée. 

Les efFeds font grands , (buvcnt bien 4, 
«liferablcs & lamentables. La cholcre pre- Ses ef- 
mierement nous poulie à TinjulHce, car 
iclle fe defpite & s*efgui{c par oppofîtion 
jufle, 8c par la cognoiflance que l'on a de 
«*eftrc courroucé mal à propos. Celuy qui 
cfl esbranlé & courroucé foubs une faulfè 
caufc , fi Ton luy prcfcnte quelque bonne 
deftenfe ou excufe , il fe defpite contre la 
vérité & l'iimocfuice. Pertinacioresnosfit- 
cit iniquitas ifA ^ quafi argumentum fit 
jufie irafcendi , graviter irafci. L'exemple 
de Pifo fur ce propos eft bien notable, le- 
quel , excellent d'ailleurs en vertu ( ceftc 
hiftoire e(l aifez cc^nue) , meu de cholere , 
en BA mourir trois injuftement, & par une 
trop fubtik acçufation les rendift coulpa-* 

Vij 



1^1 DE LA SaoISSE, 

bles pour en avoir trouvé un innocent con^ 

tre fa première fentence. Elle s*e(gui(e 

audi par le fîlence & la froideur , par oà 

Ton penfe eftre derdaîgné» & foy & ùl 

cholere : ce qui eft propre aux femmes, leC- 

quelles fouvent fe courroucent , afin que 

Ton fe contre -courrouce, & redoublent 

leur cholere )ufqu*à la rage, quand elle$ 

voyent que Ton ne daigne nourrir leur 

courroux : ainfî fe monfbre bien la cholere 

eftre befte fauvage , puifque ny par de- 

fenfe ou excufe , ny par non defenfe & 

iUence, elle ne fe laiiTe gaigner ny adoucir. 

Son injuftice eft auffi en ce qu'elle veuft 

eftre juge & panie , qu'elle veuft que tous 

foient de fon party , & s'en prend à tous 

ceux qui ne luy adhèrent. Secondement, 

pour ce qu'elle eft inconiîderée ôc eftourdie^ 

elle nous jette & précipite en de grands 

maux , & fouvent en . ceux mefmes que 

nous fuyons ou procurons à autruy , dat 

panas dum exigit , ou autres pires. Cefte 

padlon reiTemble proprement aux grandes 

ruines , qui*fe rompent fur ce fur quoy 

elles tombent ; elle defire Çl violemment le 

mal d'autruy , qu'elle ne prend pas garde 



LIVRE 1 CrtAk XXViî. t^i 

i. e(viter-le fien : elle nous entrave & nous 
isnlace, nous Mék dire & faire choies in<> 
dignes , honteufcs & meffeantes. Finale- 
ment elle nous emporte iî outremcnt qu'elle 
nous &id faire des chofes fcandaleufes & 
irréparables , mémtrcs, empoifonncmens , 
trahifons , dont après s'enfoitcnt<k grands 
repentirs : tefmoîn Alexsâidre le Grand, 
dont difoît Pythagoras, que la fin de la 
cholerc eHoit le commencement du re- 
pentir. 

Cefte paflSon fe paift en foy , fe Hatte & 
(c chatouille , voulant i^erfiiadcr qu'-cHe a 
raifon ; qu'elle cft jufte, s'excufant fur là 
malice & indifcretîon d'aucruy : mais Tiur 
juftice d*autruy ne la fçauroit rendre juftc, 
ny le dommage que nous recevons d'au- 
trùy nous la rendre utile : elle eft trop 
cftourdiepour rien foire de bien; elle veuft 
guarir le mal par le mal : donner à la cho- 
lere la corrcdHon de Toffenfè, fcroit cor- 
riger le vice par (by-mefme. La raifon qui 
doit commandet en nou^ ne veuft point de 
ces officiers là , qui font de leur tefte fans 
attendre fon ordonnance 5 elle veuft tout 
£dre par compas comme la nature , & pour 

Vil) 



1)4 I>K ^ A S Jl G £ s s E^- 

ce la violence ne luy eft pas propre. Ma^ 
quoy l direz-vous , la venu verra-elle Tin* 
folence du vice fans fe defpicer ? aura -elle 
fi peu de liberté, qu'elle ne s'ofe courrou- 
cer contre les mefcluns } La vertu ne veuft 
point de liberté ipdecente > il ne faut pas^ 
qu'elle tourne Ton courage contre foy» ny 
que le mal d'autruy la puifTe troubler : le 
fage doibt auHl bien fupporter les vices des 
mefchans fans cbolere, que leurprofperité 
fans envie. U £aut qu'il endure les indif- 
cretions des téméraires avec la mefme pa- 
tience que le médecin faiâ les injures du 
phrenetique, U n'y a pas plus grande Ùl- 
geffe ny plus utile au monde que d'endurer 
la folie d'autruy ; car autrement il nous 
arrive que pour ne la vouloir pas endurer 
nous la faifons noftre. Cecy quia eftédiâ 
fi au long de la cholere , convient auflî aux 
paillons fuivantes, hayne , envie , vengean- 
ce, qui font choleres formées. 

Âdvis 3c remèdes particuliers contre ce 
mal font Liv. 3 , Chap. 31. 



ff^ 



tl VRl L CHAt.XXVIII. IJI 

Haync. 

CHA PITRE XXVIII. 

XI A Y NE eft une eftrange paflion qui nous 
trouble eftrangement & fans raifon : ^ 
qu'y a-îl au monde qui nous tourmente 
plus que cela.? Par cefte paillon nous met- 
tons en la puiffance de ce que nous hayf- 
fbns , de nous affliger & vexer ; la veue 
nous en efmeut les fens , la fouvenancc 
nous en agite refprit , & veillant & dor- 
mant. Nous nous le reprefentons avec un 
defpit & grincement de dents, qui nous 
met hors de nous , & nous defchire le 
cœur , & par ce moyen recevons en nous- 
mefmes la peine du mal que nous voulons 
à autruy : celui qui hayt eft patient, le hay 
cft agent , au rebours du Ton des mots : le 
hayneur eft en tourment , le hay eft à fon 
aife. Mais que hay ffons-nous 1 les hommes, 
les affaires "i Cènes nous ne hay/Tons rien 
de ce que nous debvons : car s'il y a quel- 
que chofe à hayr en ce monde, c'eft la 
hay ne mefme, & femblables payions con- 



%^^ DE LaSa'C£SSI, 

traîres à ce qui doit commander en nous i 
il n'y a au monde que cela de mal pour 
nous. 

Advis paniculiers contre ce mal (ont 
Liv. 3, Chap. 31. 

» ■ ■ I I ..Il i< 

Envie. 

CHAPITRE XXIX. 

£ K V I £ eft fœur germaine de la hayne ^ 
mifetable paffion & belle farouche qui 
paflê en tourment toutes les géhennes : c'efl; 
un regret du bien que les autres poffedent, 
qui nous ronge fort le cœur; elle tourne 
le bien d'autruy en nofbre mal. Comment 
nous doit- elle tourmenter, pnirque.& le 
bien & le mal y contribuent! Pendant que 
les envieux regardent de travers les biens 
d'auicruy , ils lai&nt gafter le leur , & en 
perdent le plaifir. 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
mal font Liv. 3 » Chap« 3 3. 



LIVRE I. CHAP. XXX, 137 



Jaloujie, 

CHAPITRE XXX. 

Jalousie cft paflion prcfquc toute fem- ,. 
blable, & de nature & d'effed , à Tcnvie, Qu'cft. 
finon qu*il fembic que par l'envie nous ne 
confîderons le bien qu'en ce qu'il eft arrivé 
à un autre, & que nous le defîrons pour 
nous > & la jaloufîe eft de noftre bien pro- 
pre y auquel nous craignons qu'un autre 
participe. 

Jaloufîe eft maladie d'ame foible , fotte i. 
& inepte , maladie terrible & tyrannique 5 i^ieJ-ç, 
elle s'inflnue foubs tiltre d'amitié, mais 
après eftre en poiTedîon , fur les mefmes 
fondemens de bienveillance, elle baftit une 
hayne capitale s la vertu, la fanté, le mé- 
rite , la réputation font les bouttefcus de 
ceftc rage. 

C'eft auflî un fiel qui corrompt tout le 
miel de noftre vie : elle fe méfie ordinai- . Son vc- 
rement ez plusdoulces & plaifantes aérions, ^^* 
lefquelies elle rend fî aigres & fi ameres 
que rien plus : elle change l'amour en 
bayne , le refpeâ en defdain , l'afTeurance 



&5S i>E l'A Sagessz, 
en défiance. Elle engendre une curioficc 
pernicieufe de fe vouloir efclaircir de fbn 
mal , auquel il n*y a point de remède qui 
ne Tempire & ne l'engrcgc : car ce n'eft 
que le publier , arracher de Tombrc & du 
doubce pour le mettre en lumière , & le 
trompetter par-tout , & eftendre (on mal* 
heur jufqttcs à Tes enfans. 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
mal font Liv. 3 , Chap. 1 5. 

■*'■ " ■' Il ■ Il I ■ I I I I I y m il 

Vengeance. 

CHAPITRE XXX L 

I. Le defir de vengeance e(l premièrement 
J^^^o» paflion lafche & efféminée d'ame foiblc & 
baife, pieiTée & foulée, teQnoin que les 
plus foibles âmes font les plus vindicatives 
&L maliciéu(ès , comme des femmes & en* 
fans s les fortes & genereufes n'en iencent 
gueres , la merprifent 3c defdaignent , ou 
pource que Tinjure ne ks touche pas , ou 
pour ce que Tinjuriant n'eft digne qu'on 
s'en remue ; l'on fe fent beaucoup au* 
deflus de tout cela > indignas Câfaris ira. 
Les grefleSa tonnerres ^ tempcftes , & tout 



LIVRÏ I. CHAP. XX XL 1$9 

le bruit qui fe faiâ en i*air ne trouble ny 
ne touche les corps fuperieurs & celeftes , 
mais feulement les inférieurs & caduques : 
ainlî les indifcretions & pétulances des fols 
ne heurtent point les grandes & hautes 
âmes. Tous les grands, Alexandre, Cefar, 
Ëpaminondas , Scipion , ont ef^é fî edoi- 
gnez de vengeance , qu'au contraire ils ont 
bienfait à leurs ennemis. 

Secondement elle eft cuifantc & mor- 
dante , comme un ver qui ronge le cœur Ciiifan- 
dc ceux qui en font infeôez , les agite de ^** 
jour, les refvcillc de nuiâ. 

Elle eft auflî pleine d'injufticc, car elle ^. 
tourmente l'innocent, & adjoufte afflidion. Injulle. 
C'eft à faire à celuy qui a fai<^ roffcnfe de 
fentir le mal & la peine que donne au cœur 
le delîr de vengeance 5 & TofFcnfé s'en va 
charger, comme s'il n'avoit pas affez de 
mal de l'injure )a receue 5 tellement que 
fouvent & ordinairement , cependant que 
ceftuy-cy fc tourmente à chercher les 
moyens de la vengeance , celuy qui a fai(fl 
l'ofFenfe rit & fe donne du bon temps. Mais 
elle eft bien plus injufte encore aux moyens 
de fon exécution , laquelle fouvent fe faiâ 
par trahifons Se vilains arti£ces. 



140 DS tA Sag£SS£, 

4* Finalement l'exécution , outre qu*elle eft 

ccufc,^*' pénible, elle eft très-danger eufe, car l'ex- 
périence nous apprend que celuy qui cher^ 
che à fe venger , il ne fai<^ pas ce qu'il 
veuft , & Ton coup ne porte pas ; mais or- 
dinairement il advient ce qu'il ne veuft 
pas , & penfant crever un œil à Ton enne- 
my, il fe crevé tous les deux; le voylà en 
crainte de la Judice & des amis de fa par^ 
tie , en peine de fe cacher & fîiyr de lieu 
en autre. 
f . Au refte tuer & achever fon ennemy ne 

n'cft pas P^^ ^^^^ vengeance , mais pure cruauté 
fc ven- qui vient de couardife & de crainte > fe 
J^F'* venger c'eft le battre, le faire bouquer, fie 
non pas l'achever : le tuant l'on ne luy fai<5^ 
pas reifentir fon courroux , qui eft la fin 
de la vengeance. Voylà pourquoy Ton 
n'attaque pas une pierre , une befte , car 
elles font incapables de goufter noftre re- 
vanche. En la vraye vengeance il faut que 
le vengeur y foit pour en recevoir du plai- 
(îr, fie le vengé pour fcntir 8c foufFrir du 
defplaifîr fie de la repentance. Eftant tué il 
ne s'en peuft repentir , voire il eft à l'abry 
de tout mal , ou au rebours le vengeur eft 
fouvent en peine Se en crainte. Tuer donc 



11 VR-E I. C H AP. XXXI. 141 

eft tefmoignage de couardife & de crainte 
queroiFenfé fcreffentantdudcrplaifîr nous 
recherche de pareille : Ton s*en veuft defeirc V 
du tout s & ainfî c*eft quitter la fin de la 

vengeance & bleiTer ùl réputation i c'eft 
un cour de précaution & non de courage i 
c'eft y procéder feulement, & non hono* 
rablement. Qui occidit longe non ulcifcitur, 
nec gloriam ajfequitur, 

Advis & remèdes paniculiers contre ce 
mal font Liv. 3 , Chap. 34. 

Cruauté. 

CHAPITRE XXXI-L 

C>'£ S T un vilain & deteftable vice que la (, 
cruauté , Se contre nature , dont auffî eft-^ 
il appelle inhumanité. 

La cruauté vient de foiblefle & lafcheté , i. 
& eft fille de couardife; la vaillance s'exer- ^^J^^ 
ce feulement contre la refiftance , & s*ar- 
reâe voyant Tennemy à fa mercy : Romana 
vîrtus parcerc fuhjtSlis y dthcllart fuperhos^ 
hsL lafcheté ne pouvant eftre de ce rooUe , 
pouf dire qu'elle en eft , prend pour fa part 
le Ikng & le mafTacre : les meurtres des vie- 
Tome /. X 



14^ ȣ LA Sagesse, 

toires s'exercent ordinairement parle peuple 
& ofHciers du bagage. Les cruels , afpres de 
malicieux , font lafches & poultrons : les ty* 
rans font Sanguinaires , pource qu'ils crai^ 
gnent, & ne peuvent s'afTeurer qu'en exter- 
minant ceux qui les peuvent ofFbifer,donc 
ils s'attaquent à tous jufques aux femmes ; 
car ils craignent tous. CunBa ferit dum 
cuiUia timet. Les chiens couards mordent 
& defchirent dans la maifon les peaux des 
beftes fauvages , qu'ils n'ont of<^ attaquer 
aux champs. Qui rend les guerres civi- 
les & populaires fi cruelles , fînon que 
c'eft la canaille & lie du peuple qui les 
meine? L'Empereur Maurice adverty qu'un 
foldat Phocas le debvoit tuer, s'enquit qui 
il eAoit, 6c de quel naturel ; & luy ayant 
efté did par Ton gendre PhUippes qu'il 
çftoit lafche & couard, il conclud qu'il 
eftoit meurtrier & cruel. Elle vient aufll de 
malignité interne d'ame, qui fe paift & 
deleâe au mal d'autruy j monftres, comme 
Caligula. 



f?^ 



Liyml. chXp. XXXIIL i4} 
TrifleJTe. 

m 

CHAPITRE XXXIIL 

Tristesse cft une langueur d'cfpric & i 
un defcouragement engendré par Topinion pefcrîp- 
cjue nous fommes affligez de grands maux : 
c'eft une dangereufe ennemie de noftrc re- 
pos qui fieftrît incontinent noftre ame fl 
nous n*y prenons garde , & nous ode Tu- 
(âge du difcours, Bc le moyen de pour- 
voir à nos affaires , & avec le temps en- 
rouille & moifîft Famé, abatardift tout 
l'homme , endort & alToupift la Venu, lorf- 
<}u*il fe faudroit e (Veiller pour s'oppofer 
au mai qui le melne & le prefTe. Mais il 
faudroit defcouvrir la laideur & folie , Se 
les pernicieux effeds , voire Tinjuftice qui 
cft en cefte paffion couarde , bafTe & laf- 
che , afin d'apprendre à la hayr & fuir de 
toute fa puifTance , comme très-indigne des 
(âges, félon la dodbine des Stoïciens. Ce 
qui n'eft pas du tout tant aifé à faire , car 
elle s*excufe & fe couvre de belles cou- 
leurs» de nature» pieté, bonté , voire la 



144 i>K l'A Sages se, 
plufpart du inonde tafche à Thonorer 8c 
favorifcr : ils en habillent la fagefle , fa 
vertu, la confcience. 
X, Or premièrement tant s*en faut qu'elle 

Kon na- f^jj naturelle comme elle veuft faire croire, 
qu'elle efl partie formelle & ennemie de Ta 
nature , ce qui efl aifé à monftrer. Quant 
aux triflefTes ceremonieufes & deuils pu- 

publics/ ^^^^^ ^^^^^ afïèdez & pra<aiquex par les an- 
ciens , & encore à prefent prefque par- 
toat.,.quelle plus grande impoflure & plus 
vilaine happelourde pourroit-on trouver 
par-toat ailleurs? Combien de fcinâes & 
mines contrefaites & artificielles, avec 
coufl & defpenfe, & en ceux-là à qui le 
faiâ touche & qui jouent le jeu ,. & aux 
autres qui s'en approchent & font les oâi- 
cieux l Mais encore pour accroiftre la four- 
be on loue des gens pour venir pleurer 8c 
jetter des cris & des plaintes qui font , au 
fceu de tous , toutes feinâes & extorquées 
avec argent^ larmes qui nefont jettées que 
pour efbe veues, & tariffeift fitoft qu'elles 
ne font plus regardées > où eft-ce que na- 
ture apprend cela } Mais qu'eft-ce que na- 
ture abhorre & condamne plus } c'eft l'o* 



LIVRE I. CHAP. XXXlII. 14f 

pinion ( mcrc nourrice , comme didt cft ; 
4le la plufpart des paflions ) tyramiique , 
&ulfe & populaire , qui enfeigne qu'il faut 
pleurer en tel cas. Et fi Ton ne peuft trou- 
ver des larmes & triftes minés chez foy , 
il en Ëiut acheter à beaux deniers comp- 
tons chez autruy ; tellement que pour bien 
fàtisfàîre à cefte opinion , faut entrer en 
grande defpenfe, de laquelle nature, fi nous 
la voulions croire, nous defchargeroit vo- 
lontiers. £ft*ce pas volontairement & tout 
publiquement trahir la raifon, forcer & 
corrompre la nature, proftituer fa virilité, 
& fe mocquer du monde & de foy-mefme, 
pour s'afTervir au vulgaire, qui ne produit ' 
«qu^erreur, & n'eftimc rien qui ne foit fardé 
& defguifé? Les autres trifteflcs particu- Particu" 
lîeres ne font non plus de la nature comme ^^"* 
il femble à plufieurs ; car fi elles proce- 
idoient de la nature , elles feroient com^ 
munes à tous hommes, & les toucherolent 
à peu près tous cfgalement : or nous voyons , . 
^uc les mefmes chofes qui attriftent les 
tins refiouiffent les autres , qu*unc pro- 
vince & une perfonne rient de ce donb 
l*autre pleure \ que ceux qui font près des 

Xiij 



> 14^ OEiA Sagesse, 

autres qui fe lamentent , les exhortent \ 
fe refouldre & quitter leurs larmes. Efcou- 
tez la plufpart de ceux qui fe tourmen- 
tent 9 quand vous avez parlé à eux , ou 
qu'eux-meHnes ont prins le loifîr de difcou- 
rir fur leurs pafGons : ils confèrent que 
c'eft folie que de s*attrifter ainfi ; & loue- 
ront ceux qui en leurs adverfitez auront 
faiâ tefte à la fbnune> & oppofé un cou'- 
rage malle & généreux à leurs affliûions. 
£t il eft cenain que les hommes n'accom- 
modent pas leur deuil à leur douleur, mais 
à l'opinion de ceux avec lefquels ils vi- 
vent : & fi Ton y regarde bien , Ton rc-- 
marquera que c*eft l'opinion qui pour nous 
ennuyer nous repre fente les chofes qui 
nous tourmentent » ou pluftoft qu'elles ne 
doivent y. mais par anticipation , crainte & 
apprehenfiôn de l'advenir 'y ou plus qu'elles 
ne doivent. 
5. Mais elle eft bien contre nature , puif* 

Contre q^»clle enlaidift & eflEice tout ce que nar 
nature* • * . •* 

ture a mis en nous de beau & d'aymable , 

qui Ce fond à la force de celle paflî<in, 

comme la beauté d'une perle fe diflbuk 

dedans le vinaigre : c'eft ^itié de nous voir 



LIVRE I. CHAP. ^CXXÎIL 14f 

lors que nous nous en allons la cefte baifTée, 
les yeux fichez en terre , la bouche jfans 
parole , les membres fans mouvemens , les 
yeux ne nous fervent que pour pleurer y Se 
<lirie2 que nous ne fommes rien que des 
ilatues Tuantes, & comme Niobé> que les 
Poètes difent avoir efté convertie en pierre 
par force de pleurer. 

Or elle n*eft pas feulement contraire & 4* 
ennemie de nature, mais elle s'attaque en- «^ j^p-ç^ 
cote à Dieu , car qu*eft-elle autre chofe 
qu'une plainde téméraire & outr^^eufe 
contre le Seigneur de Tunivers , & la loy 
commune du monde, qui porte que toutes 
chofes qui font foubs le ciel de la lune font 
muables & periflables? Si nous fçavons cefte 
Joy , pourquoy nous tourmentons - nous } 
fi nous ne la fçavons ^ de quoy nous plai- 
gnons-nous , finon de noflre ignorance de 
ne fçavoir ce que nature a efcrit par tous 
les coings du monde } Nous fommes icy , 
non pour donner la loy , mais pour la re- 
cevoir, & fuyvre ce que nous y trouvons 
eftably; & nous tourmentant au contraire, 
ne fert que nous donner double peine. 

Après tout cela elle cft uès pcrnicieufc 



* 14^ DE lA Sagesse» 

• - 

f. & dommageable à l'homme, & d'autant 
. Pc™»- plus dangereufe, qu'elle nuit foubs cou- 
leur de profiter; foubs un faux femblant 
de nous fecourir » elle nous offènfe j de 
nous tirer le fer de la playe, l'enfonce jvlO- 
ques au coeur : & fes coups font d'autant 
plus difficiles à parer , 8c fes entreprinfes à 
rompre, que c'eft un ennemy domefHque^ 
nourry 8c edevé chez nous , que nous avons 
mefme engendré pour nofbe peine. 
^. Au dehors par fa deformité & conte^ 

Extern:- nance nouvelle , toute altérée 8c contre- 
Meflean* ^î^^ y elle deshonore & infâme l'homme: 
te , effé- prenez garde quand elle entre chez nous , 
'° ^' elle nous remplit de honte tellement que 
n'ofons nous monftrer au pubUc , voir mef- 
me en particulier à nos amis : depuis que 
nous fommes une fols faifis de cefte paf- 
fîon> nous ne cherchons que quelque coing 
pour nous accroupir 8c mufler de la veue 
des hommes. Qu'eft^ce à dire cela, (mon 
qu'elle fc condamne fby-mefine , 8c re-* 
cognoift combien elle eft indécente ? ne 
diriez -vous pas que c'eft quelque femme 
furprinfe en desbauche, qui fe cache &: 
craint d'eftre recognue } Après regardez fes 



IIYRS I. CHAP. XXXIII. 14^ 

Veftemens & fes habits de deuil , effranges 
& efFeminez, qui monftrént que la trifteiTe 
ofte tout ce qu'il y a de mafle & généreux, 
& nous donne toutes les contenances & in- 
firmitez des femmes. Aufli les Thraces ha* 
billoient en femmes les hommes qui ef- 
toient en deuil : & diâ quelqu'un que la 
trifteife rend les hommes eunuques. Les 
loix romaines premières plus mafles & ge- 
nereufes defendoient ces efféminées lamen- 
tations, trouvant horrible de fe defnaturer 
4e cefte façon , & faire chofe contraire à 
la virilité, permettant feulement ces pre- 
mières larmes qui fortent de la première 
poinde, d'une frefche & récente douleur , 
qui peuvent tomber mefme des yeux des 
Philofophes qui gardent avec l'humanité 
la dignité, qui peuvent tomber des yeux 
fans que la vertu tombe du cœur. 

Or non feulement elle fane le viCkge , 
change & defguife deshonneftement l'hom- lucerne- 
me au-dehors > mais pénétrant jufques à la "^^"^' 
mouelle des os , triftitia exficcat ojfa , fle- 
trifl auffî Tame , trouble fon repos , rend 
-l*homme inepte aux chofes bonnes & dit- 
gnes d'hoimeur , luy oftant le gouft, l'en** 



%^o . belaSagessk, 

vie, & la difpoiîtion à faire cbofe qui 

vaille , & pour Toy & pour autruy , & non 

feolement à £iiie le bien , mais encore à le 

recevoir. Car meûne les bonnes fortunes 

qui luy arrivent luy defplaifent, tout s'ai- 

grift en Ton e(prk comme les viandes en 

l'eftomach desbauché > bref elle enfielle nof- 

tre vie & empoifonne toutes jios avions. 

g Elle a Tes degrez. La grande & extrême, 

DiAinc- OU bien qui n'eft pas du tout telle de foy , 

^***"* mais qui cft arrivée fubitement par fur- 

prinfe & chaulde allarme^ faifit , tranfit » 

rend perclus de mouvement & fentiment 

comme une pierre , à rinftar de ce^e mi* 

ferable mère Niobé : 

Diriguic vifu in medio , calor offa relîquir • 
labicur , & loogo vix tandem cempore facur. 

Dont le peintre reprefentant divcrfe- 
ment & par degrez le deuil des parens & 
amis d'Iphigenia en Ton facrifîce , quand 
ce vint au père , il le peignidle vifage cou- 
vert, comme ne pouvant l'art fuffifam- 
ment exprimer ce dernier degré de deuil. 
Voire quelquesfois tue tout à faiâ. La mé- 
diocre , ou bien la plus grande, mais qui 
par quelque laps de temps s*eft relarchée , 



LIVRE I. CHAP. XXXIII. tjr 

s'exprime par larmes, fànglots, £bu{pirs, 
plainâes. Curét levés loquuntur, ingénus 
Jiupent, 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
mal font Liv. 5 , Chap. xy.^ ^ , 

Compajjton, 

CHAPITRE XXXIV. 

PJ^o u s (bufpirons avec les affiigez , corn* ,^ 
patifTons à leur mal, oupource que par un 
fecret confentement nous panicipons au 
mal les uns des autres , ou bien que nous 
craignons en nous-mefmes ce qui arrive 
aux autres. 

. Or c*eftpaâion d'ame foiblej c*eftune 1. 
fbttc & féminine pitié qui vient <le mol- ^ f^ • f.* 
ieffe & foibleffe d*ame efmeue & troublée; ce. 
elle loge volontiers aux femmes , enfms , 
aux âmes cruelles & malicieufes ( qui font 
par confequent lafches & couardes, comme 
a efté did en la cruauté ) , qui ont pitié des 
mefchans qui font en peine, dont elle pro* 
àmù, des efifèâs injuftes, ne regardant qu'à 
la fortune, eftat & condition prefente, 6c 
non au fonds & mérite de la caufç. 



xji D£ LA Sagesse, 

Advk & remèdes contre ce mal fbnc 
Lîv. 5 , Chap. 30. 

. Crainte. 

CHAPITRE X'XXy. 

L A crainte e(l l'apprehenfion du mal ad- 
îDcfcrip- venir, laquelle nous tient perpétuellement 
tion. jgji cervelle , & devance les maux dont la 
fortune nous menace, 
i. C'efl une paffion fàul(e & malicieufe , 

Sa ma- ^ ^ç pcuft rien fur nous qu*en nous trom-. 
* jaunie. P^^^' & feduifant : elle fe fert de Tadvenir 
ou nous ne voyons goutte, & nous jette 
là dedans comme dedans un lieu obfcur : 
aînfi que les larrons font la nuiâ , afin 
d'entreprendre fans eftrc recognus , & don- 
ner quelque grand ef&oy avec peu de fub- 
îeâs Se là elle nous tourmente avec àcs 
mafques de maux , comme Ton faiâ des 
fées aux petits en£atns : maux qui n'ont 
qu'une /impie apparence , & n'ont rien en 
foy pour nous nuire, & ne font maux que 
pource que nous les penfons tels. C'ell la 
feule apprehen£on que nous en avons qui; 



tiyR£ I. CHAP. XXXV. »5J 

tioiis rend mal ce qui ne l*eftpas , & cire de 
noftre bien mefme du mal pour nous en 
affliger. Combien en voyons-nous tous les 
jours, qui , de crainte de devenir mifera- 
bles, le font devenus tout àfàid, & ont 
tourné leurs vaines peurs en certaines mi- 
feres l combien qui ont perdu leurs anus 
pour s'en défier I combien de malades de 
peur de Teftre ! Tel a tellement apptehen* 
dé que fa femme lui faulfoit la foy , qu'il 
en eft feiché de langueurs tel a tellement 
appréhendé la pauvreté , qu'il en eft tom- 
bé malade s bref il y en a qui meurent 
4de la peur qu'ils ont de mourir : & ainfl 
peull-on dire de tout ce que nous crû- 
gnons , ou de la plu(part : la crainte ne 
fert qu'à nous faire trouver ce que nous 
fuyons. Certes la crainte eft de tous maux 
le plus grand & le plus fafcheuxs car les 
autres maux ne font maux que tant qu'ils 
font » & la peine n'en dure que tant que 
dure la caufe ; mais la crainte eft de ce qui 
eft , & de ce qui n'eft-point , & de ce qui 
par adventure ne fera jamais , voire quel- 
quesfois de ce qui ne peuft du tout eftre. 
Voylàdonc une paâioningenieufemcntma* 
Tome L Y 



154 ^2 '^ ^ Saoessi, 
licieufe & cyranniquc , qui cire d'un mal 
imaginaire des vrayes & bien poignantes 
douleurs , Ôc puis fort ambicieufe de courir 
au devant des maux & les devancer par 
penfëe & opinion. 
, La crainte non feulement nous rem« 

plit de maux, & fouvent à Êiulfes enfei-* 
gties, mais encore elle gafte tout le bien 
que nous avons, Se tout le plaifir de la vie , 
ennemie de nodre repos : il n*y peuft avoir 
plaifir de jouyr du bien que Ton craint de 
perdre; la vie ne peuft eftre plaifante fi 
Ton craint de mourir. Le bien , difoit un 
ancien, ne peuft apporter plaifir, finon ce- 
luy à la perte duquel Ton eft préparé. 
C'eft aufli une eftrange palllîon , indif* 
Son ii\. crête & inconfîderéej elle vient aulfi fou- 

tion"" ^^^^ ^^ ^^^^ ^^ jugement que de faute de 
cceur : elle vient des dangers , & fouvent 
elle nous jette dedans les dangers ; car elle 
engendre une (aim inconfiderée d'en for^ 
tir , & ainfi nous eftonne^ trouble & em^ 
pefche de tenir l'ordre qu'il faut pour en 
fortir; elle apporte un trouble violent par 
lequel l'ame effrayée fc retire en foy-mcf- 
me, & fe débat pour ne voir le moyen 



LIVRE I. CHÀP. XXXV. ISS 

d*«£vitcr le danger qui fe prefcntc. Outre 
le grand defcouiagemenc qu'elle apporte , 
elle nous faifift d*un tel eftonnement que 
nous en perdons le jugement , & ne fe 
trouve plus de difcours en nous , nous faiâ 
fuyr fans qu*aucun nous pourfuive, voire 
fouvent nos aipis. & le fecours : adeo pavor 
etiam auxilia formidat. Il y en a qui en 
font venus infenfez : voire meûne les fens 
n*ont plus leur ufage > nous avons les yeux 
ouverts & n*en voyons pas , on parle à 
nous & nous n'efcoutons pas , nous vou- 
lons fuyr & fie pouvons, piiarcher. 

La médiocre nous donne des aifles aux ^ , 
talons 'y la plus grande nous cloue les pieds 
& les entrave. fivaCi la peur renverfe & 
corrompt l'homme entier & l'efprit , pavor 
fapiendam omnem miki ex anima expeBo» 
rat y & le corps , obfiupui , fleteruntque 
comA , vox faucibus hâfit, Quelquesfois 
tout à coup pour fon fervîce elle fe jette 
au defefpoir , nous remet à la vaillance , 
comme la légion romaine foubs le Conful 
Seixipronius contre Ânnibal. Il y a bien des 
peurs & frayeurs fans aucune caufe appa- 
rente, & comme d'une impulfîon celefle^ 

Yij 



X^6 BE LA SaGBSSI^ 

qu'ils appellent terreurs paniques t terrores 
Luc. lude cœlo, arefientihus homiiùèus préttzmo* 
re, tdle qu'advint une fois en la ville de Cai?- 
thage : des peuples & des années entières 
en font quelquesfoîs frappées. 

Advis & remèdes particuliers contre ce 
mal font Liv. 3 , Chap. ift. 




QUATRIESME CONSIDERATION 

DE L'HOMM£« 

QUI EST PAR SA VIE. 

— — — "i— — — — — — 1^ — ^1^— — — 

£jlimation , irejveeé, defcription de la vit 
humaine^ &fes parties.. 

CHAPITRE XXXVL 

O'e s T an premier & grand poînâ de (k- i 
gcflc de fçavoîr bien juftement eftimer la jij^ajio^ 
vie , la tenir & conferver . la perdre ou & valeur 
quitter, la garder & conduire autant &<ic^vic. 
comme il faut : il n*y a peuft-eftre chofe en 
quoy Ton faille plus , & où Ton £bit plus 
empéfché. Le vulgaire foc, imperit» Tefti- 
me un fouverain bien , & la préfère à toutes 
chofes , jufques à la racheter & l'allonger 
de quelque delay , à toutes les conditions 
que Ton voudra, penfant qu*elle ne fçau- 
roit eftre trop chèrement achetée 'y cai c'efl 
tout : c*eft (on mot , vitâ nihil carias s il 
eftimc & ayme la vie pour Tamour d'elle* 
mefme, il ne vit que pour vivre. Ce n'eft 
merveille s'il £iut en tout le refte, & s'il 

cftcout confit en erreurs, puis que dès l'en* 

Y» •• 
iij 



tfi delaSagessc, 

tfée & en ce premier poinâ: fondaitientaf , 
il fe mefconte (1 lourdement. Elle pourroîc 
bien aufli eflre trop peu eftimée par infuâî* 
(ance ou orgueilleufe mefcognoifTance : car 
tombant en bonnes & fages mains, elle 
peuft eftre infiniment très-utile à foy & à 
autruy. £t ne puis effare de cefl advis prîns 
tout fimplement , qui diâ qu'il efl très bon 
de n*effa:e point, & que la meilleure vie eft 
la plus courte : optimum non nafcîaut quam 
citiffime ahoieri. Et n'efl afTez ny fage- 
ment diâ. Quel mal & qu'importe quand 
je n'eufTe jamais eflé ? On luy peufl répli- 
quer : Où feroit le bien qui en eft venu? 
& n*eftant advenu , ne fuft-ce pas efté mal ? 
C*eft efpecede mal que £iute de bien, 
quel qu'il Toit, encore que non neceflaire: 
ces extremitez font trop extrefmes & vi- 
cieufes , bien qu'inefgalement : mais (em* 
ble-il bien vray ce qu'a did un Sage, que la 
vie eft un tel bien que pcrfonne n'en vour 
droit fî l'on eftoit bien adverty que c'efl, 
avant la prendre. Vitam nemo accîperetfi 
daretur fcîentibus. Bien va que l'on y cfl 
dedans avant qu'en voir l'entrée ; l'on y 
eft poné tout aveugletté. Or fe trouvant de- 



llVRtL CHA^, XXXVI. If5> 

dans, les uns s'y accoquinent fi fort , qu'à 
quelque prix que ce (bit ils n*en veulent 
pas fonir ; les autres ne font que gronder 
& fe defpiter ; mais les Sages voyant que 
c'eft un marché qui eft faiâ Tans eux ( car 
Ton ne vit ny Ton ne meurt pas quand ny 
comme Ton veuft ) , que bien qu'il (bit rude 
& dur , ce n*eft toutesfois pour touHours ; 
fans regimber & rien troubler , s'y accom- 
modent comme ils peuvent , & s'y condui- 
fent tout doucement , (aifant de necefUté 
vertu, qui eft le traiâ de fageffe & habi- 
leté, & ce fàifant vivent autant qu'ils doi- 
vent, & non pas tant qu'ils peuvent comme 
les fots : car il y a temps de vivre & temps j^^ ^ 
de mourir : àc un bon mourir vaut mieux voyez 
qu'un mal vivre, & vit le Sage tant que le ^^*P* ."* 
vivre vaut mieux que mourir : la plus lon- 
gue vie n'eft pas toujours la meilleure. 

Tous fe plaignent fort de la breiveté de i. 

la vie humaine , non feulement le (impie . ^^ 

. , . /• * longueur 

populaure, qui n'en voudroit jamais fortir, & bref- 
mais encore , qui eft plus eftrange , les ^"^ *^® 
grands & fages en font le principal chef de 
leurs plainâes. A vray dire , la plus grande 
partie d'icelle eftant diverde & employée 



^^Ô BStA'SAOESSC» 

ailleurs, il oc refte qiufi rien pour elle; 
car le temps de Tenfance , Yieillejûfe , dor- 
mir , maladies d'efpric ou de corps , & tant 
d'antre inutile & impuiilant à faire chofe 
qui vaille , eftant défalqué & rabattu , le 
refte eft peu : toutesfbis fans y oppofèr 
l'opinion contraire, qui tient la brefVeté 
de la vie pour un très grand bien 8c don de 
nature , il femble que cefte plainâe n'a 
gueres de juftice ne de raifbn , & vient 
pluftoft de malice. Que ferviroit une plus 
longue vie , pour (împiement vivre , re(pi- 
. rer , manger , boire , voir ce monde } que 
faut-il tant de temps } Nous avons tout veu, 
fceu, goufté en peu de temps s le fçachant, 
le vouloir toufiours ou fi longtemps prac- 
tiquer & toufiours recommencer, à quoy 
efl bon cela } Qui ne fe fiiouleroit de faire 
toufiours une mefme chofe } s'il n'eft fkf- 
cheux, pour le moins eft il fuperflu : c'efl: un 
cercle roulant où les mefmes chofesnefont 
que reculer & s'approcher, c'eft toufiours 
recommencer & retiftre mefme ouvrage. 
Pour y apprendre & profiter davantage , 
& parvenir à plus ample cognoifrance& ver- 
tu ? O les bonnes gens que nous fonuxies^ 



LIVRlL CHAP. XXXVI. l^î 

tjui ne nous cognoiftroit > nous mcfiia- 
gcons très mal ce que l'on nous baille , 8c 
en perdons la plufpart, remployant non 
feulement à Tanité & inutilité , mais à ma- 
lice & au vice 9 & puis nous allons criet 
& nous plaindre que l'on ne nous en baille 
pas aflcz. Et puis que fert ce tant grand 
amas de fcience & d'expérience , puis qu'il 
en faut enfin defloger , & deflogeant tout à 
un coup oublier & perdre tout, ou bien 
•mieux & autrement Tçavoir tout 3 Mais» 
tlis-tu, il y a des animaux qui triplent & 
quadruplent la vie de l'homme. Je laiiTe 
les fables qui (ont en cela : mais foit ainfî^ 
auin y en a-il , & en plus grand nombre , 
qui n'en approchent pas , & ne vivent le 
^uart de l'homme, & peu y en a-il qui ar- 
liven; à Ton terme. Par quel droidl, raifon, 
•ou privilège , Ëiut-il que l'homme vive plus 
long-tçmps que tous 1 Pource qu'il employé 
mieux Se à chofes plus hautes & plus di- 
gnes fa vie ? Par cette raifon il doibt moins 
vivre que tous > il n'y a point de pareil à 
l'homme à mal employer fa vie en mef- 
chanceté, ingratitude, diffolution, intem- 
pérance» & tout defreiglement de mœurs» 



%64 ^^ LA Sagesse, 

de mifcres diverfes, enchainées de tous 
coftcz 5 il n*y a que mal qui coule , que 
mal qui fe prépare , & le mal poufTe le mal , 
comme la vague pouiTe Tautre 5 la peine eft 
toujours prefence , & Tombre de bien nous 
déçoit; la beftife & l'aveuglement poiTede 
le commencement de la vie > le nûlieu eft 
tout en peine & travail , la fin en douleur, 
mais toute entière en erreur. 

La vie humaine a Tes incommoditez 8c 
mifcres communes i ordinaires & perpe-> 
cuelles : elle en a auffi de particulières & 
diilindes , félon que fes parties , aage 8c 
faifons , font différentes s enfance , jeu- 
nelfe , virilité , vieilleife » chacune à fes pro^ 
près 8c particulières tares. 
.^ . La plufpan du monde parle plus hono- 
Compa- rablcment 8c favorablement de la vieiUéffc, 
îa'îeu- ^ comtne plus fage, meure, modérée, pour 
nclTs à la accufer 8c Êdre rougir la jeuheffe comme 
^*" ^^ vicieufe, foie, desbauchée: mais c^eft in- 
j^ftement s car à la vérité les défauts 8c 
vices de la vicilleflc font en plus grand 
nombre , & plus grands 8c importuns que 
de la jeuneife 5 elle nous attache encore 
pli^s de rides en l'elprit qu'au vifage, & nç 



LI V.1.E I. C H AP. XXXVI. 16 f 

k -voie point d'amcs qui en vidlIiiTanc ne 
Tentent l'aigre & le moiiî : avec le coq>s 
refprit s'ufe & s*enipire, & vient tnfîn en 
enfantillage : bis pueri fenes, La vieillefTe 
cil une maladie necefTaire & puifTante, qui 
nous charge imperceptiblement de plufîeurs 
imperfedions. On veuft appeller fâgefle une 
difficulté d'IiumeuTs , un chagrin & def- 
gouft des chofes prefentes, uneimpoiflance 
Àc faire comme devant : la CsugaSe efl trop 
noble pour fe fcrvir de tels officiers 9 vieil- 
lir n'eft pas alTagir ny quitter les vices , mais 
ieulement les changer, & en pires. La vieil- 
ieâe condamne les voluptez , c'eft pource 
/qu'elle eft incapable de les goufter, comme 
le chien d'Efope; elle did qu'elle n'en veuft 
point, c'efl pource qu'elle n'en peuft jouyr; 
elle ne les laifTe pas proprement , ce fonc 
elles qui la defdaignent $ elles font toufîours 
enjouées & en fefte ^ il ne Ëiut pas que Tim- 
puifTance corrompe lé jugement , lequel 
doibt en la jeunefTe cognoiflre le vice en la 
volupté » & en la vieillefTe la volupté au 
vice. Les vices de la jeunefTe font témérité» 
promptitude indifcrete, desbauche, &def« 
bordemenc aux voluptez , qui font chofes 
Tome /• 2 



%66 DE LA Sagesse, 

naturelles , provenances de ce (kng bouiI« 
iant, vigueur & chaleur naturelle , & par 
ainfi excufables 3 mais ceux de la vieiUdTc 
{ont bien autres. Les légers font une vaine 
8c caduque fierté, babil ennuyeux, hu- 
meurs efpineufes & infociables , fuperfU- 
tion , foin des richeflcs lors que Tufàge ea 
•cft perdu, une fotte avarice Se cramte de 
ia mort, qui vient proprement non de faute 
d'efprit & de courage, comme l'on did, 
mais de ce que le vieillard s*eft longuement 
accouftumé, accommodé , & comme acco< 
^uiné à ce monde , dont il Tayme tant , 
ce qui n'eft aux jeunes. Outre ceux-cy il y 
a envie, malignité, injuftice. Mais ce qu'il 
y a de plus fot & ridicule en elle , eft qu*elle 
fc veuft faire craindre & redouter, & pour 
ce tient-elle une morgue auftere & defdai* 
gneufe , penfant par là extorquer crainte 
•& obeiflànce : mais elle fè faid mocquer 
d'elle s car cefte mine fiere & tyrannique 
eft receue avec mocquerie & rifée de la, 
leunefTe , qui s'exerce à TafEner^ l'amufer, 
& par defTein & complot luy celer & def- 
guifer la vérité des chofes. Il y a tant de 
fautes d'une part en la vieiHeÎTe , 6c tsuax 



lIVREl. CHAT. XXXVI. 1*7 

d'impuîlTïncc de l'iaae , SlcAÛ propre au 
tncfpns, que le meilleur actjuell qu'elle 
puilfc ËÛTc , c'en d'aifeâion & unitU , eu 
le commandement Se U ctaïoie oc font 
plus {es armes. Il lui (ïed tant nul de (è 
&it% craindre l & quand elle le poniroii , 
encore doibt-eUe plnftoil £c ^re aymci Se 
honorer. 




Zij 






CINQUIESME ET DERNIERE 

CONSIDERATION DE l'HOMME, 

par les varietez & difFcrences grandes qui 
font en luy » & leurs comparaifons. 

De la différence & inefgaliti des hommes 

en gênerai, 

CHAPITRE XXXVII. 

1 L n*y a rien en ce bas monde oii il fe 
trouve tant de différence qu'entre les hom- 
mes , & différences ^ efloignées en mefme 
fubjeâ & efpece. Si Ton en veufl croire 
Pline, Hérodote, Plutarque , il y a des 
formes d'hommes en certains endroiâs qui 
ont fort peu de refTemblahte aia noibre : & 
y en a de meftiffes & ambiguës entre l'hu- 
maine & la brutale. Il y a des contrées où 
les hommes font fans tede, portant les 
yeux & la bouche en la poidrines oii ils font 
androgynes; ou ils marchent de quatre pat- 
tes s oii ils n'ont qu'un œil au front , & la 
tefle plus fèmblable à celle d*un chien qu'à 
la nofhre i oii ils font moitié poiifon par 
en bas, & vivent en l'eaue^ oii les femmes 



liv&eI CHAKX3CXVII. lé^ 
açcouchenc à cinq ans & n*eil vivent que 
huit ; oii ils ont la tefte û dure & le front , 
que le fer n*y peuft mordre & rebroufle 
contre y oii ils fe changent naturellement 
en loups , en j nmens , 8c puis encore en hom- 
mes s où ils (ont fans bouche, £è nburrif-* 
fantde la fenteur de certaines odeurs s od 
ils rendent la femence de codeur noire. £e 
de noftre temps nous avons defcouvert 8c 
touché à Tœil & au doigt , où les hommes 
font fans barbe , faiis ufage defbu , de bled, 
de vin , od eft tenue pour la plus grande 
beauté ce que nous eftimons la plus grande 
laideur, comme a efté diâ devant. Quant chap. n. 
à la diverfité des mœurs , fe dira ailleurs^ 1* ^* ^* ^* 
£t fans parler de toutes ces efkangetez « 
nousfçàvons que quant au vi(àge, il n*eft 
po/fibie trouver deux vifages en tout & par 
tout fembiables. Il peuft advenir de femef* 
compter & prendre i'unpour Tautre, à caufe 
de la reflemblance grande : mais c*eft en 
Fabfence de l'un 5 car en pre(ence de tous 
«deux , il eft aifé de remarquer la' différence , 
quand bien on ne la pourrbit exprimer. Aux 
âmes y a bien plus grande dif&rence : car 
non feulement elle eft plus grande. fans 



XJO DE LA SAGESSI, 

comparaifon d'homme à homme , que de 
bcfte à befte : mais ( qui efl bien enchérir } 
il y a plus grande différence d'homme à 
homme, que d'homme à befte j car un ex- 
cellent animal eft plus approchant de l'hom- 
me de la plus baflê marche» que n'eft ceft 
homme d'un autre grand & excellent, Cefte 
grande diifèrence des hommes vient des 
^ualitez internes , & de la part de Tefprit y 
oii y a tant de pièces, tant de refTons, que 
c'eft chofe infinie , & des degrez fans nom- 
bre. Il nous faut icy pour le dernier appren- 
dre à cognoifbe l'homme par les diftinc- 
dons & différences qui font en luy : or elles 
font div.erfes félon qu'il y a plufîeurs pièces 
en l'homme, plufieurs raifons & moyens 
de les confîderer & comparer. Nous en 
donnerons icy cinq principales , aufquelles 
toutes les autres fe pourront rapponer , Se 
généralement tout ce qui éft en Thonmie , 
cfprit , corps , naturel , acquit , public , 
privé , apparent , fecret : & ainfi cefte cin- 
quieûne & dernière confîderation de l'hom- 
me aura cinq parties, qui feront cinq grandes 
^capitales diftmâions des hommes, f^^ 
voir* 



iivitsL CHAP. XXXVII. %7% 

La première y naturelle & efTentielle, &; 
univerfelle de tout l'homme , efprit & corps* 

La féconde, naturelle & efTcntielle prin* 
cipalement, & aucunement acquife, de la 
force & Tuffifance de Tefprit. 

La tierce, accidentale > de Teftat, con- 
dition & debvoir, tirée de la fuperiorité ^ 
infériorité. 

La quatriefme , accidentale , de la con- 
dition & profefHon de vie. 

La cinquiefme & dernière , des Êiveutt 
& desfaveurs de la naturel de la fortune. 

Première diftinBion & différence des hom- 
mes , naturelle & ejfentielle , tirée de la 
diverfi ajjpette du monde, ' 

CHAPITRE XXXVin. 

La première, plus notable & univerfelle ^* ç 
4iftinâion des hommes , qui regarde TeA té des 
prit & le corps , & tout Teftre de l'homme, fe ^pn»»"" 
prend & tire de l'affiette diverfe du monde» la diver- 
£clon laquelle le regard & l'influence du ^ca^»«« 
ciel &du foleil, l'air, le climat, le ter-.^ie. 
loir, font divers. Auffi font divers non feu- 
kmcnt le teinâ, la taille » la complexion. 



ty% DELA SA6B&SS, 

la contenance, les mœuts^ mais encore Ici 

facilitez de Tame. Plagacœli non fo/umad 

rohur eorporum , fed & animorum , facie* 

Atkenis tenue cœiitm , exquo etiam acutio* 

res Attici; craffum Thebis^ idco pingues 

Tkebani & vaUntes^ Dont Platon remer- 

doit Dieu qu*il eftoit né Athénien & non 

Thebain : 

Talcs funt bommum mentes » quali patec ip(e 
Juppiter auâifeti Ittftcavlt lampade tenas. 

Ainfi que les fruiâs & les animaux naiiTent 
divers félon les diverfes contrées i aufli les 
hommes naifTent plus ou moins belliqueux; 
juftes , temperans , dociles, religieux , chat- 
tes , ingénieux , bons , obeiiTans , beaux , 
fains, forts. C'eftpourquoy Cyrusne voulut 
accorder aux Perfes d'abandonner leur pays 
afpre'^ boiTu poiu: aller en un autre doux 
& plain , di(ant que les terres grafTes & 
molles font les honunes mois , & les fertiles 
les e(prits infertils. 
^ Suivant ce fondement nous pouvons en 

Partage gros partager le monde en trois parties, & 
de ?°"' ^^^^ ^® hommes en trois fones de naturel : 
trois. nous ferons donc trois afllcttes générales du 
monde , qui font les deux extrémités de 



LIVRE I. CMAP. XXXVIII. I7J 

Midy & Nord , & la moyenne. Chafque par- 
tie & afCette fera de foixante degrez s l'une 
de Midy efl foubs l'iEquateur, trente degrez 
deçà & trente delà , c'eft -à-dire tout ce qui 
efl: entre les deux Tropiques , tin peu plus , 
où font les régions ardentes & les Méridio- 
naux , l'Afrique , & l'Ethiopie au milieu 
d'Orient & d'Occident s l'Arabie, Calicut, 
les Moluques, les laves, la Taprobane, vers 
Orient > le Peru & grands mers vers Occi- 
dent. L'autre moyenne eft de trente degrez 
outre les Tropiques , tant deçà que delà 
vers les Pôles , ou font les régions moyennes 
& tempérées , toute l'Europe avec la mer 
Méditerranée, au milieu d'Orient Se Occi- 
dent 5 toute l'Afie tant petite que grande^ 
qui eft vers Orient , avec la Chine & le 
Jappon, & l'Amérique occidentale. La tierce 
€{m eft de trente degrez , qui font les plus 
près des deux Pôles de chafque cofté , où 
font les régions froides & glaciales , peu- 
ples feptentrionaux , la Tartarie , Mofco- 
vie, Eftotilam , & la Magellane, qui n'eft 
pas encore bien dcfcouverte. 
. Suivant ce partie gênerai du monde , ^.^^^ 
auffi font différents les naturels des hos^^ natiucki 



174 ^> ^ ^ Sagessi» 
mes en toutes chofes , corps , e(prit , reli-^ 
gion , mœurs , comme Te peuft voir en 
cède petite table. Car les 

Septentrionaux 
I. Aa Sont hauts & grands» picuîteuz» Tanguins, 
corps. ]>lancs & blonds , (bciables , la voix forte , 
k cuir mol & velu , grands mangeurs & 
beuveurs , & puiilans. 
1. Ef. Gro/fiers, lourds, ftupides, fots, faciles, 
^ * légers , inconftans. 
3. Rcli- pçtj religieux & devorieux. 

^* Guerriers, vaillans , pénibles , chaftes, 

Mauri. exempts de jaloufîe , cruels 8c inhumains. 

Moyens 
Sont médiocres & tempérez en toutes ces 
choses, comme neutres, on bien partici- 
pans un peu de toutes ces deux extremitez, 
&L tenans plus de la région de la<|uelle ils 
font plus voi/îns. 

M ERI DI ONAU X 

f . Aa Sont petits , melancholiques , froids & 

«orpi. f^ç^^ noirs, (blitaires, lavoixgreflc, le 

cuir dur avec peu de poil & cre(pu , abfH* 

nens, foibles. 

i>Er» Ingénieux, fages, prudens, £ns> opw 

r«- niaftra* 



LIVReI. CHAP. XXX VIÎI. Xfj 

SuperfUticuz» contemplatifs. 5* R«^** 

Non guerriers, & lafchcs, paillards, ja- ^***°[ 
loux, cruels & inhumains. Mœurs. 

Toutes ces différences fc prouvent aife- i. 
ment. Quant à celles du corps, elles fe cog- j^""^'* 
noiiTent à l'œil y Se s*il y a quelques cxcep- diâTerea- 
tions, elles font, rares & viennent du mcf- ^** ^** 
lange des peuples , ou bien des vents , des 
raues, & de la fituatlon paniculiere des lieux, 
dont une montaigne fera une notable dif- 
férence en mefme degré , voire mefme pays 
;& ville : ceux de la ville haute d'Athènes 
cftoient tout d'autre humeur , diâ Plutar- 
4}ue , que ceux du port de Pirée : une mon- 
taigne du codé de feptentrion rendra la 
nraÛée qui fera vers le midy toute meri^ 
dionalle , & au contraire auffî. 

Quant à celles de l'efprit , nous fçavons ^^ 
que les arts mécaniques & ouvrages de EOrtc* 
main font de §q>tentrion , ou ils font péni- 
bles ; les fciences fpeculatives font venues 
du Midy. Cefar & les Anciens appellent les 
Egyptiens très ingénieux & fubtils. Moyfe 
cfl diâ infbuit en leur fageflc ; la Philo- 
fbphie eft venue de là en Grèce ^ la ma- 
jorité commence pluflof); chez eux à caufè 



17^ D£ LA Sagesse» 

de Tefprit & finelTe : les gardes des Princes, 
oieûne méridionaux, font de Septentrion , 
comme ayant plus de force & moins de 
finefle & de malice : ainfi les Méridionaux 
font fubjeâs à grandes vertus & grands vi- ' 
ces , comme il efl diâ d*Annibal : les Sep- ' 
tentrionaux ont la bonté & iîmplicité. Les 
fciences moyennes & mixtes , politiques , 
loix & éloquence » - font aux nations mi- 
toyennes , aufquels ont fieury les grands 
empires & polices, 
j. Pour le troiiîefme poinâ, les religions 

Religion, font venues du Midy , Egypte, Arabie, 
Cbaldée : plus de fuperftition en Afrique 
qu'au rcfte du monde j tefmoin les vœux 
tant frequens , les temples tant magnifi- 
ques. Les Septentrionaux , 6îék Cefar , peu 
foucieux de religion , font attentifs à la 
guerre & à la chafle. 

Quant aux mœurs , premièrement tou- 

MϞrs. chant la guerre, il efl cenain que les grandes 
armées , arts, inflrumens & inventions mi- 
litaires, font venues de Septentrion. Les 
peuples de là , Scythes , Gots , Vandales , 
Huns, Tartares, Turcs, Germains, ont 
battu & vaincu toutes les autres notions , de 



LlYSTE I. CHAP. XXXVIIL '^.7^ 

lavage tout ie^moiute, donc cOt tant fou- 
vent diâ, que tout mal vient d'Aquilon. 
•Les duels 6c combats font venus de là. Les 
Septentrionaux .adorent le glaive fiché en 
terre , diâ Solinus » invincibles aux autres 
nations > voiie aux Romains qui ont vaincu 
4e refie , Se ont efté deftruits par eux : auffî 
s'aiSûblifTent ^ & s*al^ngourifrent au vent 
:de Su , & allant vers Midys comme les Me- 
-ridionaox venant au Nord, redoublent leurs 
forces. Â caufe de leur fierté guerrière » ils 
ne peuvent fouiErir qu'on leur commande 
-par braveriez ils vetdent la lîbené, au moins 
les commandemens eleâîfi. Touchant la 
chafteté & la jaloufie, en Septentrion une 
tfeule femme à un homme , di£b Tacitus $ 
«ncore f«i£t-elle pour plufieurs, diâ Cefar $ 
siolle jaloufie , diâ Munfter , où les hom- 
mes & femmes fe baignent enfemble avec 
les eftrangers. En Midy la polygaitaie eft 
pax^tout receue. Toute TAfrique adore'Ve- 
ntts, <Uâ -Solinus, Les Méridionaux meu- 
rent de jaloufie, à caufe de quoy ils ont 
les Eunuques gardiens de leurs femmes, que 
les grands Seigneurs ont en grand nombre 
«omme des haras. 

Tonu I. A a 



zy$ delaSaoisse-, • 

Quant à la cnuut^, les exciemitez Caat 
femblablcs^nuis pourdiverfes caufes» corn* 
me £c verra cancoft aux caufes : les puni- 
tions de la roue , & les empakmens des 
vifs , venus de. Septentrion : les inhnmani* 
tez des Molcovites & Tartares foi^t toutes 
notoires V Les Allenxans > ûi£k Tacite , ne pu^ 
milèntks coupables juridiquement, mais les 
-tuent cruellement comme ennemis. Ceux 
xie Midy auffi efcorchent tout vifs les cri- 
minels , & leur appétit de vengeance eft fi 
grand , qu'ils en deviennent furieux s'ils ne 
rafTouvifTent. Au milieu font bénins & hu- 
mains. Les Romains puniffoienc les plus 
grands crimes du banniifement fimple s lès 
Grecs ûfbiént de breuvage, doux de cigu'ê 
pour faire mourir les condanmez. Et Ci- 
<eron diâ que Thumanité & la courtoific 
-eft partie de TAfie mineure & dérivée au 
rcfte du monde, 
f . - La caufe de toutes ces dif&rences corpo* 

delfÛ^'^^"^ & fpirituelles eft rinequaUté ôc dit 
dïâc9 .ference de la chaleur naturelle interne , qui 
diffère n g.(^ çj^ ç^^ pj^yg ^ peuples , fçavoir forte & 

véhémente aux Septentrionaux, à caufe du 
grand fi:oid externe , qui la reffctre & renr 



LIVRE I.CHAP.XXXVIIL 179 

ferme au dedans , conimè les caves & lieux 
profonds font chauds en hyver, & les cfto-' 
macfas» ventres kyeme calidiores ^ ioihlc 
aux Méridionaux, eftant diilîpée & attirée 
au dehors par la véhémence de Texteme , 
comme en efté les ventres & lieux de def- 
ibubs terre font froids 5 moyenne & tem- 
perée en ceux du milieu. De cefte diver- 
iîcé , dis'je , & inequalité de chaleur naeu* 
relie, viennent ces di&rences, non /eule-^ 
ment corporelles, ce qu'il eftaifôdere-* 
m^MXfuer, mais encore (pirituelles; caries 
Méridionaux , à caufe de leur tempéra- 
ment froid , font melancholiques , & par 
9in& arreftez, conflans , contemp]ati6, in- 
génieux , religieux, (âges. Car la fagcffe eft 
ajux animaiBE froids conune.aux elephans ; 
c|ui , comme le plus melancholique de tous 
animaux ^ eft le plus (âge , docile , religieux, 
à caufe du fang firoid. De ce tempérament 
melancholique advient auflî que les Merî- 
<lionaux font paillards à caufe de la melan- 
cholie fpumeufe, abradente^ & falace, corn- 
xo^ il fc yoit.^uît lièvres i & cruels, paroe- 
<|ue cefte melancholie abradente prelTe vio=*. 
f ejnment les paillons if, la veligeance. les 

A aij 



2(8a BELA S.A GESSE, 

Septentrionaux, picakeiix.& (àngoÎQS^ it 
tempérament roue contraire aux Méridio- 
naux,, ont les qualités toutes, contraires , 
fkuf qu'ils conviennent £n:une chofè, c'efb 
qu'ils font aufB cruds & inhumains, maifc 
c'eflpar une autre raifon , fçavoir par de- 
&ut de. jugement , dont comme beftes ne 
ic fçarent conunander Se Ce contenir. Ceux 
du milieu., £uiguins & clu^ros-, (ont tem« 
perez, d*nnc belk hxuaear, joyeux, diT^ 
poils, aâi& 

Nous pourrons encore plus exqutftmcnt 
& rubtilementreprefenter le divers naturel 
de cestrois fortes de peuples, parapplica* 
tion & comparaifon de toutescbofes, com- 
me fe fourra voir en cède petite table , od 
fe voit que proprement appartient , ^ C^ 
peuft rapporter aux 

S £ P T E N T R X O RA U'X 

Le fens commun. 

Force comme des- ours & beftes» 

Mars , Lune : guerre, ckaffé. 

Ans & manu&dux^. 
- Ouvnen, arti(àns , &ldats. Exécuter U 
obéir; 

Jeunes mat^habilcs. 



hvreL.o^hap. XXXVIII. x8ï 
M o y E N s 

bîfcours & ratiocination* 

Raifon & juftice d'hommes. 

Jupiter, Mercure: Empereurs, Orateurs. 

Prudence , cognoifTance du bien & du 
xnal. 

Magiftrats pourvoyans : juger , corn- 
ihander. 

Hommes faits, manieurs d'af&ires. 

Méridionaux 

Intelleâ. 

FincfTe de renards , 6c rdigion de gens 
divins: 

Saturne , Venus : conte^1placion , amour. 
Science du vray & du £iux. 
Pontifes, Philofophes,' contempler. 
Vieillaids graves, fages , penfifs. 

. Les autres diftinâions plus paniculieres 
£e peuvent rapporter à cefte-.cy générale 
de Midy & Nord : car Ton peuf): rapporter 
aux conditions des Septentrionaux , ceux 
d'Occident , & ceux qui vivent aux mon- 
tagnes, guerriçrs, fiers , amoureux de li- 
berté > à caufe du froid qui eft aux mon* 

A auj 



i:Sx: DE LA S AGES Sty 

t^es. Auffi ceui qiii<rQfit clloignez de b 
mer 9 plus fîmplcs & entiers. Et au contraire 
aux con<!itions des Méridionaux l'on peuft: 
rapponer les Orientaux , ceux qui vivent 
aux vallées , efFeminez » délicats , à caufe de 
la fenilité d*oii vient la Volupté. Auffi les 
maritimes trompeurs Bc fins à caufe du 
commerce Se du trafic avec diverfes fones 
de gens &• nations. 

Par tout ce difcours il fe voit qu'en gê- 
nerai ceux de Septentrion font plus advan* 
t^ex aux corps , & ont la force pour leur 
f^axi & ceilx do Midy enreQ>rit, & ont 
pour eux la nneife; ceux du milieu ont de 
tout, & font tbmpercz en tout. AufH s'ap- 
prend par là. que leurs moeurs ne font i 
vray dire ny vices ny vertus , mais œuvres 
de nanue : laqueUe du tout corriger & du 
tout renoncer, il eft plus que difficile 5 mais 
adoucir, tempérer, ramener, à peu près les 
cxtremitez- à- la médiocrité , o'eft l'œuvre 
de vertu. 



1 1 V K 1 I. C H A p. XXXIK. If^ 

Seconde diftinéfion & différence plusfuhtiU 
des efprits , &fufifances des hommes. 

CHAPITRE XXXIX, 

C £ s T £ féconde diftinâîon , qui regarde i^q\^ 
refprit & la (oâifancc, n'eft fi apparente Jo«e« ^ 
& perceptible comme les autres , & vient je^gens 
tant du naturel que de Tacquis y félon la- au mon* 
quelle y a trois fortes de gens au monde, ' 
comme trois daffes & degrez d'efprits» En 
Tun &le plus bas font les efprits foibles & 
plats , de baiTe & petite capacité , nais pour 
obéir, fèrvir & eftre menez, qui en efièâ- 
£bnt amplement homimes. Au fécond Se 
moyen eftage font ceux qui font de me* 
diocre jugement , font profeflîon de fuffi* 
£mce , fcience, habilité : mais qui ne fe 
icntent & ne fe jugent pas afTez, s*arref- 
tent à ce que Ton tient communément & 
l'on leur baille du premier coup, {ans davan- 
tage s'enquérir de la vérité & fource des 
chofes , voire penfent qu'il ne l'eil pas 
permis : & ne regardent point plus loin que 
là ou ils fe trouvent ^ penfent que par-tout 
cft ainfi , ou doibt eftre ^ que fi c'aft autrer 



t%4 Bï L A Sao £.S »B, 

ment, ils £iillent & font barbares. Us s'a(^ 
fervilTent aux opinions & lois municipales 
du lieu oii ils fe trouvent deflors qu'ils font 
efclos, non feulement par obfervance 8c 
ufage, ce que tous doibvénr faire, mais en* 
core de cœur.& d'ame, & penfeîit que ce 
que l'on croit et leur village eft la vraye' 
touche de vérité , & la feule » ou bien la 
meilleure reigle de bien vivre» Ces gens 
font de l'efchole & du reflbrt d'Ariftote , 
a&matiis, pofitiis, dogmatises , qui re^* 
gardent plus l'utiHtë que la vérité, ce qui 
eft propre à Tùfage & trafic du monde, qu'à. 
ce qui efl bon 6c vray en foy. £n. cëfle- 
claffe y a très grand nombre & diveriîté 
de degtez > les principaux & plus habiles, 
d'entr'eux gouvernent le monde , Se ont 
Us commandemens en main. Au troiiîe(mc 
& plus haut eftage font les hommes doaex 
d'u^ efprit vif & clair, jugement fbrtv 
ferme & fblide, qui ne fe contentent d'un 
Quy dire, ne s'àrreftent aux opinions com- 
munes & receues , ne fe laiilènt gagner 6& 
préoccuper à la créance publique , de la- 
quelle ils ne s'eftonnent point , fçachanc 
qu'il y a plttfieurs bourdes » Êuilfecez 6& 



iivreI. cmap. XXXIX. 185 

impoftures reloues au inonde avec appro- 
bation & appIaudifTement, voire adoration 
Ik. cevecence publique : mais ezaminenc 
toutes cbofes qui fe propofent, fondent 
jourement , & cherchent (ans paf&on les 
caufes , moti& , & refibrts , jufques à la ra- 
cine , aimant mieux doubter & tenir en CuC- 
pens leur créance, que par une trop molle 
de lafche facilité , ou légèreté » ou précipi- 
tation, da jugement » £t paiflre de fàulfeté ,- 
&.a£Sj[3ner ou- fe tenir adcurez de chofè 
de laquelle ils ne peuvent avoir raifon cer- 
taine. Ceux-cy font en petit nombre , de- 
Tefcbole & refTon de Socrates & Platon , 
modeftes, fbbres, retenus , coniiderant plus* 
la vérité dcreaUté des chofes- que l'utilité ;• 
& s'ils font bien nais, ayant aVec ce deflus^ 
la probité & le reiglement des mœurs, ils 
£bnt vray^ment (âges & tels que nous cher- 
chons icy. Mais pource qu'ils ne s'accor- 
dent pas avec le commun quant aux opi- 
nions , voyent plus clair , pénètrent plus 
avant , ne font fî £iciies , ils font foupçon- 
nez' de mal'eftimez des autres qui font en 
beaucoup* plus giand nombre, 8c tenus pour 
£ui(aC|ues.3e Philofo^es ^.c'eft par injure 



9:%6 t>ËLASA6ESSE, 

qu'ils ufcnt de ce mot. En la première âe 
ces trois clafTes y a bien plus grand nom- 
bre qu'en la féconde, & en la^ féconde qu'en 
la troifîefme. Ceux de la: première & der- 
nière, plus baiTe & plus haute,, ne tron*^ 
blent point le monde, ne remuent rien, 
les uns par infufifance &fbiblede, les au- 
tres par grande fuififance , fermeté & £a- 
geife. Ceux ,da milieu £bnt tout. le bruiâ 
& les difpotes qui £bnt au moiidé , pre***^ 
(umptueuz, toufiours agkez & imitants» 
Ceux de la plus baflc marche , comme le 
fond, la lie, la fentine, reilbmblent à la. 
terre , qui ne fài<5b ^e recevoir & foùf&ir, 
ce qui vient d'en haut. Ceux delà moyenne 
reflèmblent à la région de. l'air en laquelle 
£e formei^^ ^^s.les nieteores & fe font 
tous les brui<^'& altérations qui puis tom- 
bent en terre. Ceux du plus haut eftage 
reifemblent à Taether & plus haute région- 
Toiûne du ciel , fereine , claire, nette & 
paiûble. Ceûe différence d'hommes vient 
en partie du naturel ^ de la première^ com-. 
pofition & tempérament du cerveau , qui 
eft fort différent, huniiide, chaud, fec, &! 
fiar plofieuis degrez^ dooicles çfprits Se j^: 



tioa* 



LIVRE L-.CHAÏ». XXXIX. 187 

^emcujcs font ouibrt folidcs, courageux, ou 
foibles, craintifs, plats : en partie de l'inf- 
trudion & difcipline 5 auflî de rexpericnce 
& hantife du monde , qui fert fort à fe 
defniaifer & mettre fon efprit hors de page. 
Au refte il fe trouve de toutes ces trois 
ibrtes de gens , foubs toute robe, forme 
& condition, & des bons & des mauvais^ 
mais bien diverfement. 

L*on fai<a encore une autre diftindion ^ , 
d'cfprits & fuffifances , car les uns fe font ^""® 
voye eux-mefmes & ouverture , fe condui- 
fem feuls. Ceux-cy font heureux de la 
plus haute taille, & bien rares j les autres 
ont befoin d*aide , mais ils font encore 
doubles 5 car les uns n*ont befoin que d^çC- 
tre cfclairez5 c'eft aifez qu'il y aie un guide 
& un flambeau qui.ma^che devant, ils fuy- 
vront volontiers & bien aîfement 5 les autres 
veulent eftrc tirez , ont befoin de compulfoi- 
re , & que Ton les prenne par la main. Je laiffc. 
ceux qui par grande foibleffe, comme ceux 
de la plus baiTe marche , ou par malignité 
de nature , comme il y en a en la moyenne , 
qui ne font bons à fuyvre, ny ne fe laiifent 
tirer & condoixe , gens defei^erçz. 



/ 



-l8S de la Sacesss, 

Troîfiefme diftînHion & différence des hom* 
mes occidentale , de leurs degre^^^ efiats , 
& charges. 

CHAPITRE XL. 

vJ £ s T£ diftînâîon accidentole , qui regarde 
les efiats & charges , efl fondée fur deux 
principes & fondemens de la focieté hu- 
maine , qui font commander & obeyr , 
puifTance & fubjeâion , fuperioricé & in-* 
feriorité : imperio & ohfequio omnia conf" 
tant, Cefte diftindion fe verra première- 
ment mieux en gros en cefte uble. 




litreI. cfiAr. XL. 189 

Divifion première & générale. 

Tonte puiiEmce & fubjediQii eft ou 
I. Privée, laquelle eil aux 
familles & mefnages » & eft de quatre 
façons. 

Mariage , du mary i la femme : ceùe-ey 
ed la fource de la fociecé humaine. 

Paternelle, des parens furies enfans: 
cefte-cy eH vrayemenc nacurelle. 

Nerile , double , fçayoir des 

Sei((neurs fiir leurs efclav^. 
MaiAres fur leurs ferviteurs. 

Patronelle , des patrons fur leurs affran« 
chis yde laquelle Tuia^e eu peu frequear. 

Corps & collèges , communautez ci- 
viles, fur les particuliers membres 
de la communauté. 

1. Publique , laquelle eft ou 

Souveraine , qui eik de trois façons, & 
font trois fortes d'ellacs , cunSas na- 
tionts&urbtSj pûpulus , autprimortSy 
Mtt fin£iéli re^unt , fçayoir , 

Monarchie â'un , 

Ariftocratie de peu , 

Démocratie de tous. 

Subalterne , qui eft en ceux qui font fu- 

perteurs& inférieurs pour oivcrfcs rai- 

ibns, lieux, perfonnes, comme font les 

Seigneurs particuliers en planeurs 
degrez. 

Ofiîcicrs de la Sonveraineté , qui 
font en grande divcritté. 

Tome L B b 



190 DE LA S A G E S S I, 

Sulxlivi. Ceftc puifTance publique , foit (buvc-» 
fion de raine , foit fubalteme , reçoit des fubdivî- 

rainc. ' ^^^^ ^^'^^ ^^^ (çavoir. La fouyeraîjie , cjuî 
cft tnple y comme diâ eft , pour le regard 
de la manière du gouvernement , eft encore 
triple, c*cft-à-dire chafcune de ces trois 
cft conduiéte en trois façons, dontefi diâc 
royale , ou fçigneuriale , ou tyrannique. 
vRoyale, en laquelle le fouverain ( loit il un, 
ou plufîeurs, ou cous) obciifant aux loiz 
de nature , garde la liberté naturelle & la 
propriété des biens avpc fubjcds. j4d reges 
poteftas omnis pertinet, ad fingulos pro^ 
prietas. Omnia rex imperio pojpdet^ fin- 
guli dominio. Seigneuriale, où le fouverain 
eft feigneur des perfonnes Se des biens , par 
le droiâ des armes , gouvernant fes fub- 
jeds comme efclaves. Tyrannique , où le 
fouverain, mefprifant toutes les loiz de na- 
ture, abufe des personnes Se des biens de 
fes fubjcds, différant du feigneur, comme 
le voleur de renncmi de guerre. Pes trois 
eflats fouverains le monarchique , & des 
trois gouvernements le feigneurial , font 
les plus anciens , grands , durables , au- 
guftes, comme anciennement Afl)'ric, Pçrfç, 



LlVRlLcHAP. XL. 9^t 

itgyptc , & maintenant -Ethiopie , la plus 
ancienne qui foit , Mofcovie , Tartarie , 
Turquie, IcPeru. Mais le meilleur & plus 
naturel eftat & gouvernement eft la mo- 
narchie royale : les ariftocratics fameufes 
font jadis Lacedemone & maintenant Ve- 
nife 5 les démocraties , Rome , Athènes , 
Carthage, royales en leur gouvernement. 

La puiflance publique fubalterne, qui eft -^J'^ .^ 
aux feigneurs particuliers > eft de pluiîeurs gneurs 
fortes & degrez, principalement cinq : fça- P*^"*^"" 
voir, feigneurs 

Tributaires, qui doivent tribut feule- 
ment. Feudataires , VafTaux fîmplcs , qui 
doivent foy & hommage pour le fief : ces 
trois peuvent cftre (buverains. 

Vaffaux liges, qui, outre la foy & hom- 
mage , doivent encore fervice perfonnel , 
dont ils ne peuvent eftre vrayement Cou- 
vcrains. 

Subje^ naturels foit vaffaux ou ccn- 
fîers , ou autrement, lefquels doivent fub- 
jeâion & obeyflance , & ne fe peuvent 
exempter de la puiffancc de leur fouverain, 
fa £bnt feigneurs. 

La puifËuiçe publique fubalterne , qui 

Bbij 



l^t DE LA SaCSSSE, 

eft aux oâiciers^c h fouveraineté , eft iç 
plufîeurs foncs , St pour le regard de l'hon- 
neur & de la puiflànce » reviennent à cm<} 
degrez. 
4* Premier & plus bas des in£imes, qui doi* 

fidcri " ^"*' demourer hors la ville , exécuteurs 
derniers de la juftice. 

1. De ceux qui n*ont ny honneur ny in- 
£unie , fergeants , trompettes. 

3 . Qui ont honneur fans cognoiilânce 8c 
puiiTance, notaires» receveurs , fecretaires. 

4* Qui ont avec honneur , pui/Tance & 
cogûoidance » mais fans juri£iiâiûn , les 
gens du Roy. 

5. Qui ont juri^diâion, & par ain(i tout 
le refies & ceux-cy s'appellent proprement 
magifkats s desquels y a pludeurs diftinc- 
dons , & principalement ces cinq , qui Com 
toutes doubles. 

• 

I. En majeurs, fenaceurs ^ mineurs « )uget« 
X. £n politiques , miliuic^s. 

3. £n civils 9 criminels. 

4. En ciculaircs en office formé » commif- 

faires. 

f . En perpétuels , comme doivent eftre les 
moindres , 6c en nombre ^ temporels 9c mua- 
blés y comine doivent eâze les grands. 



X, X^ R E I. C lï A P. X LI. l^J 



*ibi 



jyes eftats & degre:( des hommes en parti* 
culier^ fuyvant cefte précédente table^ 

ADVERTISSEMENT. 

I c T eft parlé en particulier des pièces de 
vcede table & diflinâion de puiflances ^ 
fubjeâions ( commençant par les privées 
& domeftiqaes ) c*eft-à-dire de chafque 
-eftat & profeffion des hommes , pour les 
eognoiftrc; c*eft icy le livre de la cognoif- 
(ance de l'homme > car les debvoirs d'un 
chafcun feront au troifîefme livre en la 
vertu de juftice » ou de mefme ordre tous 
ces eftats & chapitres fe reprendront. Or 
avant y entrer faut fommairement parler 
■du commander & obéir, deux fondemens 
, Se caufes principales de ces diverfités d'ef- 
cats & charges. 

Du commander & obéir. 
CHAPITRE XH. 

C £ font , comme a efté di6l , deux fon- 
demens de toute focieté humaine , & de la 
divet£té.des eftats & profeifions. Ces deux 

Bbiij 



1^4 ^£ ^ ^ Sagessc, 
font relatifs, fe regardent» requièrent , oH 
gcndrent, & confervcnt mutuellement l'un 
l'autre, & font pareillement requis en toute 
affemblëe & communauté , mais qui font 
obligez à une naturelle envie, conteflation 
& me(Hifance ou plainéb perpétuelle. Lst 
{K)pulaire rend le fbuverain de pire condi-' 
don qu'un charretier ; la monarchique le 
met au^deifus de Dieu. Au commander eft 
la d^nité , la difficulté ( ces deux vont or- 
dinairement ensemble ) , la bonté, la fîiffi-' 
fance, toutes qualités de grandeur. Lecom* 
mander , c'efl-à'-dire la Gifàùxicc , le cott* 
rage , l'authorité eft du ciel & de Dieu : 
imperium non nifi divino fato datur : omnis 
poteflas a Deo eft : dont diâ Platon que 
Dieu n'eftablit point des hommes, c'cft-à- 
dire de la commune (brte & fufiinmcc , & 
purement humaine , par defTus les autres ^ 
mais ceux qui d'une touche divine , & par 
quelque fînguliere vertu & don du ciel, 
furpaffent les autres, dont ils font appelez 
heroes. En l'obéir eft l'utilité , l'aifance , 
la neceflîté , tellement que pour la confer^ 
vation du public , il eft encore pliK requis 
que le bien conunander s & eft beaucoup 



plus dangereux le defny d*obeir» ou le mal 
obéir » que le mal commander. Tout ainfi 
qu'au mariage bien que le mary Se la fem' 
me (oient également obligez à la loyauté 
j& fidélité , & l'ayent tous deux promis par 
mefmes mots , mermes cérémonies & fo- 
Icmnités , fi efl-ce que les inconvénient 
fbrtent fans comparaifon plus grands de la 
£iute Se adultère de la femme que du mary : 
auffî, bien que le commander Se obéir 
Soient pareillement requis en tout eftac Se 
compagnie , û eft-ce que les inconveniens 
(ont bien plus dangereux de la defobeif- 
£mce des Tubjeâs que de la faute des corn- 
mandans. Plufieurs eflats.ont longuement 
roulé Se afTez heureufement duré foubs de 
très mefcbans princes Se magifbrats , les 
{ubjeâs s'y accommodans Se obeifTans $ 
dont un (âge interrogé pourquoy la répu- 
blique de Spane eftoit fi fiorifiante, fi 
c'eftoit pource que les Roys commandoient 
bien : mais pluflofl , diâ-il, pource que le$ 
citoyens obeifient bien. Mais Ci les fubjeâs 
refufent. d'obéir Se fecouent le joug , il 
faut que l'eftat donne du nez à terre* 



%f€ 1>£LASaG£SSE»I 



mmi 



Du Mariage. 
CHAPITRE XLII. 

'* Combien que Teflat du marine fbit le 
premier & plus ancien , le plus important, 
& comme le fondement & la fontaine de 
la focieté humaine , d'où fourdent les fa> 
milles , & d'elles les republiques ; prima 
focietas in conjugio eft , quod principium 
urbis , feminarium reipublicA : (î eft-ce qu'il 
a efté defeftimé & defcrié par plufieurs 
grands perfonnages » qui Tont jugé indigne 
de gens de cœur & d'efprit , 8c ont drefTé 
ces objeâs contre luy. 

X. Premièrement ils ont eftimc Ton lien & 

Objeas fon obligation injufte , une dure & trop 
contre le j . . , ,, . * 

mariage, ^de captivité, d autant que par mariage 

l'on s'attache & s'afTubjeâic par trop au 
foin & aux humeurs d'autruy ; que s'il 
advient d'avoir mal rencontré, s'eflremef 
compté au choix & au marché , & que l'on 
aye prins plus d'os que de chair , l'on de* 
moure miferable toute fa vie. Quelle ini- 
quité & injuflice pourroit eftreplus grande 
que pour une heure de fol marché , pour 



LIVRlI. CMAP. XLII. 1^7 

une fauce faide fans malice & par mef- 
garde , & bien fouveat pour obéir & fuy- 
vre l'advis d^autruy , Ton Toit obligé à une 
peine perpétuelle ? Il vaudroit mieux fe 
mettre la corde au col & fe jetter en la 
mer la tefte la première , pour fînir Ces 
jours bicntofl: , que dièdre touiîours aux 
peines d'enfer , Se fouiïrir fans ceife à fon 
codé la tempefle d'une jaloufle, d'une ma- 
lice, d'une rage & manie, d'une beftife 
opiniaflre , & autres miferables conditions : 
<}ont l'un a di<^ que qui avoit inventé ce 
nœud & lien de mariage , avoir trouvé un 
bel & fpecieux expédient pour fe venger 
<les humains , une chaufTetrappe ou un filet 
pour attraper les befles, & puis les iaire 
languir à petit feu. L'autre a diâ que ma- 
rier un fage avec une folle, ou au rebours, 
c'cûoit attacher le vif avec le mort 3 qui 
eftoit la plus auelle mort inventée par les 
tyrans pour faire languir & mourir le vif 
par la compagnie du mon. 

Par la féconde accufation ils dirent que 
le mariage efl une corruption & abaftar- 
cliffement des bons & rares efprits , d'au- 
tant que les flatteries Sl mignardifes de la 



partie que Ton aime, l*afFeéHon des etl« 
farxS , le foin de fa maifon & advancement 
de Ùl famille , relafchent , deftrcmpent & 
ramoliffent la vigueur & la force du plus 
vif & généreux efprit qui puifTe cftre , tcf- 
moins Samfon, Salomon, Marc Antoine, 
dont au pis aller il ne faudroit marier que 
ceux qui ont plus de cbair que d'efprit , 
vigoureux au corps & foibles d'ame , les 
attacher à la chair , & leur bailler la charge 
des chofes petites & baffes , félon leur por- 
tée. Mais ceux qui , foibles de corps , ont 
Tcfprit grand , fort & puiffant , eft-cc pas 
grand dommage de les enferger & garotter 
à la chair & au mariage , comme Ton iàid 
les bcftes à Teftable ? Nous voyons mcfme 
cela. aux belles ^ car les nobles qui font de 
valeur & de fervice , chevaux , chiens. Ton 
les edoignc de Taccoin tance de l'autre fexes 
l'on ne met aux haras que les befles de 
moindre eftime. Aufli ceux qui font defli- 
nez , tant hommes que femmes , à la plus 
vénérable & faindle vacation , & qui doy- 
vent eflre comme la crefme 8c la mouelle 
de la Chreftienté , les gens d'Eglife & de 
4:cligion, font exclus du mariage. £c c*eft 



IIVRI I. CHAP. XLII. 1^5^ 

pourcc que le mariage empefche & denour-" 
ne les belles & grandes élévations d'ame, 
la contemplation des chofes hautes , ce- 
leHes & divines, qui eft incompatible avec 
le tabut des aiïàires domefliques ; à caufe 
de quoy TApoftre préfère la folitude de la 
continence au mariage. L'utile peuH: bien 
eflre du cofté du mari^^e, mais Thonnefle 
cft de Tautre cofté. 

Puis il trouble les belles & fainéles en* 
trcprinfes, comme fainâ Auguftin récite, 
qu'ayant defeigné avec quelques autres liens 
amis , dont il y en avoit de mariez , de fe 
retirer de la ville & des compagnies pour 
vaquer à Teftude de fagefTe & de verru , 
leur deffein fut bientoft rompu & interver- 
ty par les femmes de ceux qui en avoient; 
Se a did aufli un fage que (i les hommes 
fe pouvoient pafler de femmes , qu'ils fe- 
roient viiitez & accompagnez des Anges. 

Plus , le mariage empefche de voyager 
parmy le monde & les étrangers , foit pour 
apprendre à fe faire C^e ou pour enfeigner 
les autres à l'eftre , & publier ce que Ton 
f^aît : bref le mariage non feulement apol* 
(Tonit ou accroupit les bons & grands ef^^ 



jOO DE LA SaCESSB, 

pries , mais prive le public de plufieuis. 
belles & grandes chofes qui ne peuvent 
s'exploiâei: demeurant au fein & augyroa 
d'une femme & autour des petits enfans. 
Mais ne ùâéJb-îl pas beau voir , & n*eft-ce 
pas grand dommage que celuy qui eft ca- 
pable de gouverner & poUcer tout un 
monde, s*amu{c à conduire une (èmme Se 
des enfans ? Dont refpondit un grand per- 
fennage, quand Ton luy parla de fe ma- 
rier , qu'il eftoit né pour commander aux 
hommes & non à une femmelette , pour 
confeiller & gouverner les Roys & Princes» 
& non pas de perits enfàns. 

A tout cela Ton peuft dire que la nature 
Refpon- humaine n*eft pas capable de perfeâion & 
fc à iccux jjg chofe ou n'y ait à redire , comme a eftc 
diâ: ailleurs 3 fes meilleurs remèdes & ex- 
pediens font toujours un peu malades , 
medez d'incommoditez : ce (ont tous maux 
necelTaires : c'a efté le meilleur que l'on a 
' peu advifer pour fa confervarion & muhi- 
plication. Aucuns, comme Platon 8c au- 
tres , ont voulu fubtilifer & inventer des 
moyens pour éviter ces efpines : mais outre 
qu'ils ont fai£t & forgé des chofes en Tair , 



L I Y R E I. C H A P. XLII. 301 

^ ne fe pouvoient bien tenir longuemenc 
en ufage 5 encore leurs inventions , quand 
elles fcroient mifes en pra^quc, ne feroient 
pas fans plufîeurs incommoditez & diifi* 
cultez. L'homme les caufe & les produit 
luy-mefme par Ton vice & intempérance , 
& par Tes parlions contraires > & n'en faut 
pas accu(èr Teftat, ny autre que i'bommé 
qui ne f^ait bien u fer d'aucune chofe. Et 
peuft-on dire encore qu'à <:aufe de ces ef- 
pines & difficultez , c'efl une efchole de 
vertu, un apprentiffage , & on exercice 
familier & domeftique : & difoit Socrates , 
le Doreur de fageflè, à ceux qui luy ob- 
l^-^dloient la tefte de Ùl femme , qu'il appre- 
Boit par là en fa nrnCon à eftre confiant 
Se patient par-tout ailleurs , & à trouver 
4ou<fes les pointures de la fonune. Etpuis 
e&£n on ne' contredit pas que celuy qui 
s/cn pafTe ne faffe encore mieux. Mais à 
l'honneur du mariage , k Chreftien did 
que Dieu l'a inititu^ au paradis terreilre 
^vant toute autre chofe , en l'eftat d'inno- 
cence & perfe(Stion 5 voylà quatre recom- 
mandations , la quatriefme paffe tout &c 
ians jrcpliquc. Defpui^ le fils de pieu l'a 
Tome L Ç c 



502^ DE LASaGESSÎ, 

approuvé & honoré de fa prcfcnce , fort 
premier miracle ,-& miracle faiâ en faveur 
dudiâ eftat & des gens mariez. Se Ta ho- 
noré de ce privilège, qu'il £èrt de figure de 
cefte grande union de luy avec (on Eglife, 
& pour ce il a elle appelé myflere & grand. 
^. A la vérité le mariage a*eft point chô^ 

Du lout indifférente ou mediocte 5 c'eft du tout un 

bien ou ff^^ ^^^^ ^^ ^^ grand mal , un grand 
f rand repos OU un grand trouble , un paradis ou 
un enfer ; c*eft une très douce & plainte 
vie , s'il eft bien faiél; un rude ?t dange- 
reux marché , & une bien cfpineufe & poi- 
fantc liaifon , s'il efl mal rencontré 5 c'eft 
une convention où fe vérifie bien à poinû 
ce que l'on diâ : home homini deus , aut 
lupus. 
^ . Mariage eft un ouvrage b&fli de pluêeurs 

Le bon pièces 5 il y feut un rencontre de beaucoup 
eft un ra- 4 «. « ri* 

rc bien. "^ qualitez 5 tant de coiinderations , outre 

& hors les perfonnes mariées. Car qooy 

^u*0H die. Ton iie'fe marie feulement pour 

foy 5 la pofterité, la famille, Talliance , le» 

moyens y poifent beaucoup : voylà pour- 

quoy il s'en trouve fî peu de bons ; & ce 

qui s'en trouve' & peu » <'efl fîgnc de foû 



L I V R E !♦ C H A P. X 1 1 1. 305 

fm & de ùl valeur , c*eft la condition des 
plus grandes charges. La royauté efl auffi 
pleine de difficulté:», & peu l'exercent bien 
& heurcufement. Mais ce qiK nous voyons 
fbuvent qu*il ne fe porte pas bien » cela 
vient de la licence & desbauche desper- 
Tonnes , & non de l'eftat 3c inftitution du 
mariage , dont il Te trouve plus commode 
aux âmes bonnes , £mples & populaires » 
où les délices , la curiofité » Toyfîvet^ > le 
troublent moins: les humeurs desbaUchées, 
Içs âmes turbulentes 8c détraqué^ ne font 
pas propres à ce marché. 

Mariage eftun f^e marché , un lien Sç g^ 
une coufture fainâe 8c inviolable , une Defcrip- 
convention honorable : s*il eft bien £itçon-* ^oh^u 
né & bien prins » il n*y a rien plus beau au fomm ai- 
monde y c'dh une douce focieté de vie , Jf^^^ ™** 
pleine de conftance, de fiance, & d'un' 
nombre infini d'utiles & fbiidcs offices ôc 
obligations mutuelles : c'eft une compa- 
^ie non point d'amour mais d'amitié. Ce 
font chofes fort diftiaâes que l'amour & 
ramitié» comme la chaleur de fièvre 8c 
maiadifve > 8c la chaleur natorelk 8c faine» 
Le nuridge a pouc fa part l'amitié» rutiitt^ 

C cij 



7. 



3 04 belaSaoessb, 
la jufHce , Thonneur , la confiance ; uti 
plaifîr plat voirement , mais fain , ferme & 
plus univerfel. L*amour fe fonde au feul 
plaifir , & Ta plus vif, aigu & cuifant : peu 
de mariages fuccedenc bien » qui font com^ 
mencez & acheminez par les beautez & de- 
firs amoureux > il y faut des fondemens plus 
folides & confiants s & y faut aller d'aguet : 
cefte bouillante afFeâion n*y vaut rien, 
voire efl mieux conduiâ le mariage paf 
main rierce, 

Cecy cfl bien di6k fbmmairement& iîm- 

Pïus plement. Pour une plus exaâe defcripnoa 

exaûe. r » • j 

nous içaurons quau mariage y a deux 

chofes qui luy font effentielles , & fem- 

blent contraires , mais ne le font pas 5 fça- 

voir une equalité , comme fociate & entre 

pareils 5 & une inequalité, c*eft-à-dirc fu- 

periorité & infériorité. L' equalité confîfle 

en une entière & parfaidle communication 

& communauté de toutes chofes , âmes , 

volontés, corps, biens > loy fondamentale 

du mariage , laquelle en aucuns lieux s*ef^ 

tend jufques à la vie & la mort , tellement 

que le mary mort, faut que la femme fuive 

incontinent. Cela fc pratique en aucuoft 



L I Y X E I C H A P. Xttt. )ôf 

lieux pâ^r loix publiques du payfi » 9c fou- 
vent de fi grand*ardeur , qu*eftant piufieurs 
femmes à un mary , elles conteftenc & plai* 
dent puhtiqueifienc à qui aura Thonneuf 
d'aller dormit (c*eft leuT'itiot) 4vec leur 
efpottx, alléguant pour Tobt^nir & y eftra 
préférées, leur bon fervice» qu'elles eftoient 
les mieux aimées , & ont eu de luy le der* 
nier baifer, ont eu enfans de luy. 

Et certamen habenc Icchi , quz viva fequacur 
Conjugium \ pi|dor oft nen licaifTe- mort. 

Ardent Ti^ric» , U flamoHe peâora pcsbeoc» 
Imponuncque Cois ora pccufta vifis« 

£n aunres lieux s'obfervoit , non par les 
loix publiqîv'Sr mais par les- pactes & con^ 
ventions du mariage, comme fiift entre 
Marc Antoine & Cleopatra. Cef^e equalité 
auKIî confifl-e en la puiâkncç qu'ils ont fui 
la famille en oMnmun , dont la femme eft 
diâe compagnonne du m^ry , dame de la 
maiifon 8c famille , ^mme le mary , le mai& 
tre 3c feignettt': & leur aathotitéconjpincto 
fur toute la £uniHe eft- comparée à rarifto- 
cratîe. 

La diùkiàk^ de fiiperiorité & inferio-' , '- ,. 
rite confifte kitxt que te mary a puifiance (6. 

Cllj 



30^ OC LA S AC i S Sii 

fur k femme» & la femme efl fubjeâe aU 
mary : cecy eft félon toutes loix & polices ^ 
mais plus ou moins félon la diverfîté d*it 
celles. Par-tout là femme, bien qu'elle foie 
beaucoup plus noble & plus riche,' eft fub- 
)eâe au mary : celle fuperiorité & inferio* 
rite eil: naturelle , fondée fur la force & 
fuâifance de l'un , foiblefle & infuififancc 
de l'autre. Les Théologiens la fondent bien 
fur d'autres raifons tirées de la bibles 
l'homme a eflé faid le premier , de Dieu 
feul & immédiatement , par exprès , pour 
Dieu fon chef, & à fon image, &parfaid, 
(car nature commence toujours par chofe 
parfaire : la femme fàiâe en fécond lieu , 
après l'honune, de la fubftance de l'hom- 
me, par occadon & pour autre chofe , mU'- 
fier eft vir occafionatus , .pour fervir d'aide 
& de fécond à l'homme qui eft fon chef,. 
& par ainiî imparfaite. Voy là par l'ordre 
de la génération. Celuy de la corruption 
& de péché prouve le xriefme 5 la femme a 
efté la première en prévarication , & de fon 
chef a péché, l'honune fécond, & à Toc- 
cafion de là femmes la femnie donc der- 
rière au bien 9 de. en la genetatipn & occar- 



livUë I. cHAp. XLIL ioy 

fionnée, première au mal , & occafion d'i** 
celuy , eft juftement afTubjei^ie à Thomme 
premier au bien & dernier au mal. 

Cefte fuperioricé & puiiTance maritale a p ?f 
efté en aucuns lieux telle que la paternelle, ce marî- 
fur la vie & la mort , comme aux Romains ^^1^* 
par laloy deRomuluss&le mary pouYoic Dion, 
tuer fa femme en quatre cas , adultère ; f?^^'"*^' 
fuppofîtion d'enfans , fàulfes clefs , & avoir 
bcu du vin. Auffi chez les Grecs , did: Po- ^^^ *• 
lybe, & les anciens Gaulois, did Cefar, l-it>- 6, 
la poiâatice maritale eftoit fur la vie & la 
mort de la femme. Ailleurs, & la mefme 
defpuis , cefte puiffance a efté modérée : 
mais prefque par-tout la puiiTance du mary 
& la fubjeâion de la femme porte que le 
mary eft maiftre des actions & vœus de (a 
femme , la peuft corriger de paroles & te- 
nir aux ceps , ( la battre de coups efl: in- 
digne de femme d'honneur , diâ la loy ) 
& la femme d\ tenue de tenir la condi- 
tion, fuivrc la qualité , le pays^, la famille, 
le domicile & le rang du mary , doibt ac- 
compagner & fuivre le mary par-tout, en 
voyage, en exil , en prifon , errant , vaga- 
bond, fugitif. Les exemples font beaux de 



\ù% i>s LA Sagis^i, 

Sulphia, fuivanc Ton nuiy LentuIuS , proA 
cripc & reloué en Sicile ; JErithrét, Coa 
msLïy Phalaris babni; Ipfîcrates, femme du 
Co». Roy Mythridates , vaincu par Pompée , s'en 
allant Se errant par le monde* Aucuns ad-> 
)ou(lent à la guerre 3c aux provinces où le 
mary e(l envoyé avec charge publique.^ Et 
la femme ne peuft efter en jugement, (bit 
en demandant ou deflèndant , fans Tau-» 
thoritë de (on mary , ou du Juge à Ton 
refus s & ne peuft appeller Ton mary en 
jugement (ans permiflîon du Magifbat. 
,0. Le mariage ne fe porte pas de mÈ(me 

Ses rei- façon, & n'a pasme(mes lpix& reiglespar^ 
verfei. tout 'y félon les diverfes religions Se nations 
îi a fes reigies ou plus lafches & larges , ou 
plus e(lroiâes : félon la Chre(tienté la plus 
e(h'oiâe de toutes , le mariage eA fort 
fubjeâ Se tenu de court. Il n*a que Tentrée 
libre J fa durée eft toute contrainte , dé- 
pendant d'ailleurs que de noftre vouloir. 
De la Les autres nations & religions , pour ren- 
n?i^&* dre le mariage plus ^fé, libre , & fertile , 
rè'pudia^ reçoivent & pratiquent la polygamie Se la 
uon. répudiation > liberté de prendre & laifTet 
femmes , accufent la ChfefUeaté d'avoir 



L I ▼ R £ L c H AP. XLIL 50^ 

coUu ces deux , & par ce moyen prejudicié 
à ramitié & multiplication, fins principales 
du mariages d'autant que l'amitié eft en- 
nemie de toute contrainte, & fe maintient 
mieux en une honneile liberté. Et la mul- 
tiplication fe faiâ par les femmes : comme 
nature nous monftre richement aux loups, 
defquels la race eft d fenile en la pro- 
duâion de leurs petits , jufques au nombre 
de douze ou treize, & furpafTant de beau- 
coup les autres animaux utiles , defquels 
on tue Cl grand nombre tous les jours , & 
il peu de loups y & toutesfois c'efl la plus 
iterile de toutes. Ce qui vient de ce que 
de fi grand nombre il y a une feule fe- 
melle qui le plus fouvent profite peu , Se 
ne porte point , efioufFée par la multitude 
des mafles concurrens & afiàmez 3 la plus 
grande partie defquels meurt fans produire 
à faute de femelles. Aufli voit*on combien 
la polygamie profite à la multiplication 
parmy les nations qui la reçoivent, Juife, 
Makumetans , & autres Barbares, qui font 
des amas de trois à quatre cents mille corn- 
battans. Au contraire le Chridianifme tient 
plufieurs perfonncs attachées enfemble , 



510 DE SA S AGE S S t. 

Tune des parties cftant ftertle , quelques* 
fois toutes les deux: lefquels colloquez avec 
d'autres , l'un & Tautre laifleroit grande 
pofterité. Mais au mieux toute fa fertilité 
xoafifte en la produâdon d'une feule fem- 
me. Finalement reprochent que cefle ref- 
triiSiion chreftienne produiâ des desbau- 
ckes & adultères. Mais à tout cela Ton ref- 
pond que le Chriflianifme ne conftdere pas 
le mariage par des raifons purement hu- 
maines , naturelles , temporelles ; mais le 
regarde d*un autre vifage , & a fes raifons 
plus hautes &- nobles » comme il a elle diâ: 
joinâ que Tejperience monftre en la pluf- 
pan des mariages que la contrainte fert à 
Tamitié, principalement aux âmes fimples 
& débonnaires y qui s'accommodent faci- 
lement où ils fe trouvent attachez. £t quant 
aux desbaucfaes, elles viennent du defrei- 
glement des mœurs qu'aucune libené n*ar- 
relle. £t de faid les adultères fe trouvent 
en la polygamie & répudiation , tefmoin 
chez les Juifs , & David , qui ne s'en garda, 
pour tant de femmes qu'il euft : & au con- 
traire ont elle long^temps incognus en des 
polices bien reiglées , ou n'y avpic polygar 



LIYHl I. CHAP. XLII. Jlt 

mic ny répudiation 5 tefmoin Sparte & 
Rome iong-cemps après fa fondation. Il ne 
s'en faut donc pas prendre à la religion qui 
n'enfeigne que toute nettetés continence. 

La liberté de la polygamie , qui fcmble 1 j, 
aucunement naturelle , Ce porte diverfe- Polyga- 
mcnt félon les diverfes nations & polices, verfe. 
Aux ânes toutes les femmes à un mary vi- 
vent en commun , & (ont en pareil degré 
& rang , & leurs enfans de mefme : ailleurs 
il y en a une qui dl la principale & comme 
maifhreffe , & les enfans héritent aux biens, 
honneurs & titre du mary j les autres fem- 
mes font tenues à part , & portent en au- 
cuns lieux titre de femmes légitimes , & 
ailleurs font concubines, & leurs en£ms 
penfionnaires feulement. 

L*ufage de la répudiation de mefme efl j^. 
dif&rent 5 car chez aucuns , comme He- Repu- 
brc»x. Grecs. Arméniens, l'on n'exprime S. 
point la caufe de la feparation s & n*efl per- 
mis de reprendre la femme une fois répu- 
diée , bien eft permis de fe remarier à d*au« 
très : mais en la ioy Mahumctane , la fe-* 
paration fe faiâpar le Juge, avec cognoif- 
fimce de caufe ( fauf que ce fufl par con-^ 



JIl D E L A s A G E s s £» 

fèntement mutuel ) laquelle doibt eftre adul- 
tère, (lerilité, incompatibilité d'humeurs , 
cntreprinfe fur la vie de fa partie , cho(es 
diredlement & capitalement contraires à 
re(Ut& inflitution du mariage; & efl loi- 
fîble de Ce reprendre toutes & quantes fois 
qu'ils voudront. Le premier femblc meil- 
leur pour tenir en bride les femmes fu- 
perbes & les fafcheux marys s le fécond , 
qui eft d'exprimer la caufe , deskonore les 
parties , cmpefche de trouver parti , def-. 
couvre plufîeurs chofes qui devroient de- 
meurer cachées. £t advenant que la caufe 
ne foit pas bien vérifiée, & qu'il leur faille 
demeurer cnfcmble , s'cnfuivent cmpoi- 
ibnnemens & meurtres fouvent incognus 
aux hommes , comme il fuft defcouvert à 
Rome auparavant l'ufage de la répudiation, 
oiiune femme furprinfe d'avoir empoifon- 
né fon mary en accufe d'autres , & celle- 
cy d'autres , jufques à foixante-dix de mcf- 
me crime , qui furent toutes exécutées. 
Mais le pire a eflé que l'adultère demeure 
prcfque par - tout fans peine ^de mort , & 
feulement y a divorce & fcparation de com- 
pagnie, introduit par Juftiniçn , homme 



L I y R E I. c H A p. XLil. 313 

èa. toat'pofTedé de (a femme , qui fift pafTer 
tout ce qu'elle peufl à Tadvantage des fem- 
mes 'y d*ou il fort un danger de perpétuel 
adultère , de(îr de la mort de fa partie > le 
délinquant n*eft point puny , Tinnocent in- 
jurié demeure fans réparation. 

Du devoir des mariez , voyez Liv. 5 , 
Chap. II. 

Des parens & enfans, 
CHAPITRE XLIII. 

Ix y a plufîeurs fortes & degrez d*âutho- ,, 
rite & puiffance humaine , publique & pri- P"»<Tan- 
vée 5 mais il n'y en a point de plus natu- "ciîc!^*^' 
relie ny plus grande que celle du père fur 
les enfans {je dis père, car la mère qui efl 
fubjeâc à fon mary , ne peuft proprement 
avoir les enfans en fa puiffance & fubjec* 
cion)3 mais elle n*a pas toufiours ny en tous 
lieux cfté pareille. Anciennement prëfque 
par-tout elle eftoit abfolue & univerfellc dîo». 
fur la vie , la mort ,, la liberté , les biens , Hal»c. 
l'honneur, les adions & deportemens des Antî«i.* 
#nfans, comme font de plaider, fe marier, ^oia. 
Tome /. D d 



)I4 DELA S A'G £ S SE, 

L. in acquérir biens ; Tçavoir eft chez les Ro^ 
lib! & * ""^^^s par la ioy cxpreffe de Romulus : ;rtf« 
folïh, rentum in libcros omnc jus cfto reUgandi^ 
vendendi, occzdendi, exceptez feulement 
Aul* les cnfans au-deffoubs trois ans , qui ne 
lo. ' ' peuvent encore avoir mefdid ny mes&iâ. 
laquelle Ioy fuft renourellée defpuis par 
la Ioy des douze tables , par laquelle eftok 
tîb. 8. permis au père de vendre Tes enfans jufqucs 
10.* '*^ ^ trois fois; chez les Perfes félon Ariftote, 
Lib. 6. chez les anciens Gaulois , comme di<Sb Ce- 
Pf^fpçj' far & Profper j chez les Mofcovites & 
Aquican. Tartares , qui peuvent vendre jufqucs à la 
Sigil?Q. q'uatriefine fois. Et ft mble qu'en la Ioy de 
nature -c^fte puiffance aye efté par le fatâ 
d'Abraham voulant tuer fon fils. Car (î cela 
euft efté contre le <lcvoir , & hors la puif- 
fance du -père, il n'y euft jamais con&ntis 
&n*euft jamais penfé que ce fuft efté Dieu 
celuy qui le luy mandoit , s'il euft efté 
^ecmtre la nature : & puis nous voyons 
Deutet. qu'ïfeacn'y a point refifté, ny allégué fou 
*'• innocence, fçachant que cela eftoit en la 
puîâance du père. Ce qui ne defroge aucu< 
nementà ta grandeur de la foy d'Abraham; 
car il ne voulut facdfier fûn fils ea vertu 



Li V reI. c h ap. XLIil. 5if 

de fon droiâ ou puifTance, ny pour aucun 
démérite dlfaac, mais purement pour obéir 
au commandement de Dieu. £n la loy de 
Moyfe de mefme , fauf quelque modifica- 
tion. Voylà quelle a. efté cefte puiffancc 
anciennement en. la plufpart du monde, Sq 
qui a duré jufquesaux Empereurs Romains. 
Chez les Grecs elle n'a pas efté fi grande & 
abfolue, ny auxi£gyptiens: touKsfois s*ii 
advenoit que le père xu(b tué fon. fils à tort 
& fans cau£e , il n*eflx>it point puni » finon Dlodor. 
d*eflxe enfisrmé trois jours près du corp^ 
mort. 

' Or les raifbns Se fruiâs d*une fi grande t. 
èc abfolue puiirance des pcrcs fur leurs en- ^** "** 
fans, très bonne pour la culture des bonnes fcuiûs. 
moeurs, chafièr les vices , & pour le bien 
public, efioient premièrement de contenir 
les enfims en. crainte fit en debvoir : puis à 
caufe qu'il y a plufieurs fautes grandes des 
enfims , qui demeureroient impunies, au 
grand préjudice du public , fi la cognoif- 
fance & punition n'eftoit qu'en la main de 
Tauthorité publique , (bit pource qu'elles 
£bnt domeftiques & £ècrettcs, ou qu'il n'y 
a point de paaie & pourfuivont. Car les 

Ddij 



^jé D z LA Sagesse, 

parens qui le fçavent & y font plus inte- 
reiTcz , ne les defcricront pas , outre qu*ii 
y a plufieurs vices, desbauches, infbleoces, 
qui ne fe punifTent jamais par judice. Join6i 
qu'il furvienne plufieurs chofes à dermef'- 
1er , & plufieurs différends entre les parens 
6c enfàns , les frères & fœurs , pour les 
biens ou autres chofes , qu'il n'efl pas beau 
de publier , qui font afToupies & efleintes 
par cefle authorité paternelle. £t la loy n'a 
point penfé que le père abufafl de cefle 
puifTance , à caufc de l'amour tant grande 
qu'il porte naturellement à fes enfans , in- 
compatible avec la cruauté ; qui eft caufe 
qu'au lieu de les punir à la rigueur , ils in- 
tercèdent pluflofl pour eux quand ils font 
^n juflice , & n'ont plus grand tourment 
que voir leurs enfàns en peine; & bien peu 
pu point s'en efl-il trouvé qui fe Coït fervi 
dé cefle puifTance fans très grande occa- 
fion , tellement; que c'efloit pluflofl un ef- 
pouvantail aux enfans, & très utile , qu'une 
irigueur de faiél. 
S> Or cefle puiffahce paternelle s'efl quafi 

dencr& ^^ foy-mcfme perdue & abolie , ( car c'a 
ruine, cflé plus par deikccquflumance que.patloy 



ii,ii&tl c%AP. XLHI. )I7 

cxpreâe ) & a commencé de decHaer à U 

vemie des Empereurs Romains. Car dès le 

temps d'Âugaâe , ou bîentofb après , cUç 

a*eftoi£ plus en vigueur : donc les: en£uia 

dievistdcent fî fiers & infolens contre te^rs ^.^^ ^^ 

pères > que Seneque» parlant à Necoa , ai- de clem, 

fbit qulon avoit veu punir plus de parricides 

depuis cinq ans derniers qu*en fept cents ans 

auparavant, c*eft-à-dire defpuis la fonda* 

f ion de Rome. Auparavant s -il advenoit que 

le pcre tuaft fes. enfims , il n*eftpit point . ^ jjç"|^* 

puni , conune àous apprenons par ezemn catilîn. 

nies de Fulviu&, Sénateur, qui tua> Ton fits ^,^^y^' 
.1 n. • • X u . Maxim, 

pource qu il euoit parcicipant a la, conjurai 

cion Catilinaire , 6c de pWleurs. ajuere& Se^ 

nateuis qui ont faiâ Les ptocez criminels 4 

ieurs en&ns en leurs maiTons > 8c les ont 

condamnez à mort , comme Cajfldus Tra-r 

ttus , ou à exil petpetiiel , conune Manlius 

Torquatus fon fils Syllamiis. U y a bici^ eu J^^^^^ 

des loix après qui enjoignait que le père adleg. 

doibc pre(ènter à la juftice fes enfàns délia* ^^^t" j^ 

quans , pour les fidre cii^er , & que if fuis de h 

Juge prononcera la fentence telle que te ^ P^^^' 

père voudra , qui eft encc^re u^ veAtge de de |kicc. 

Tantiquicés je voulant oftcrla puiflance au ?^^^^ 

Ddiij 



pcre» ils ne l*ofent faire qu*à demy , Se non 
jj ^^^^ tout ouvcncment. Ces loix pofteriëures ap 
1 1 . prochent de la loy de Moy fe qui veuft qu*à 

la feule plainte du père £iiâe devant le 
Ji^e (ans autre cognoiflance de caufe , le 
fils rebelle & contumax foit lapidé, requé- 
rant la prefence du Juge, afin que la puni- 
tion ne fe falTe fecrettement ou en cholere, 
mais exemplairement. £t ainfi félon Moyfe 
la puiflance paternelle eft plus libre & plus 
grande qu'elle n*a eflé de(puis les Empe-^ 
reurs : mais defpuis , fous Conftantin le 
grand , & puis Theodoze , finalement foubs 
Juftinien, elle a efté prefque du tout efteinc- 
te. De là efl advenu que les enfàns ont ap- 
prins à refufer à leurs parens obeiiTance , 
leurs biens & leurs fecours , & à plaider 
contre eux : chofe honteufe de voir nos 
palais pleins de tels procez. Et les en a on 
difpenfez, foubs prétexte de dévotion & 
d'ofFrànde , comme chez les Juifs dez au * 
>latb.if. paravant Jefus»Chrift, comme il leur re- 
proche : & puis en la Chreftienté , félon 
l'opinion d'aucuns , voire les tuer ou en (e 
deffendant, ou s'ils fe rendent ennemis de 
la république : combien que jamais il n'y 



tiVRïI. CHAP. XLIII. 51^ 

(çauroit avoir affez juftc caufe de tuer Tes 
parens : nullum tantum fcelûs admitd pu-- 
teft a pâtre ^ quod fit parrîcidio vindican-' 
dum y & nuilumfcelus rationcm kahet. 

Or Ton ne fent pas quel mal & préju- 
dice il eft advenu au monde du ravallement 
& extin<5Hon de la puifTance paternelle. Lc$ 
republiques aufquelles elle a efté en vi* 
gueur, ont fleuri. Si Ton y cognoiffoit du 
danger & du mal ^ Ton la pouvoit aucune- 
ment modérer & reigler ; mais de Tabolir , 
comme die eft , il n'eft ny beau , ny hon- 
nefte , ny expédient , mais bien domma- 
geable > comme nous venons de dire. 

Du debvôir réciproque des parens & en- 
fans , voyez Liv. ? , chap. 14. 



Seigneurs & ejciavesy maiftres &ferviteurs. 

CHAPITRE XLIV. 

L'u SAGE des efclaves & la puifTance des t. 
feigneurs ou maifbres fur eux, bien que ce , ufage 
fbit chofe ufîtée par tout le monde, & de claves* 
tout temps (fauf depuis quatre cents ans ""*^<^f- 
qu'elle s'eft relafchée , mais qui fe retourne 



contre mettre fus ) , k généralité ou oniverralicé 
future, ti'ciï pas certaine preuve ny marque infail- 
lible de nature, tefmoin les facrifices des 
beftes, fpecialement des homm^ > obfo-^ 
vez & tenus pour aâes'de pieté par tout le 
inonde, qui toutesfois font contre nftt|ire> 
La malice humaine paiTe tout, force na- 
ture , faiéb pafTer en force de loy tour ce 
qu*etle veuft : n*y a cruauté ny mefcfaan- 
ceté fi grande qu'elle ne hik tenir pour 
venu & pieté. 
^. Il y en a de quatre fortes ; naturels^ nés 

^Diainc- d*efclaves ; forcez & faiéb par dfoi<a de 
guerre; juftes diâs de peine à caufç de cri* 
me ou de debte,^ dont ils {ont efclaves de 
leurs créanciers au plus fept ans felpn l'a 
loy des Juifs , mais touiîours jufques au 
payement ailleurs ; volontaires , qui font de 
plufieurs fortes , comme ceux qui jouent à 
Tacîr. trois dçz , ou vendent à prix d'argent leur 
de mor. liberté , comme jadis en Allemagne , & 
encore maintenant en la ChrefUenté mef- 
me y ou qui fe donnent Se vouent efclaves 
d'autruy à perpetuité,ainfî que pradiquoienc 
Deuccc. * anciennement les Juifs, qui leur perçoient 
M* Toreille à la porte çn figue de perpétuelle 



IIVRE I. CHAP. XLIV. JlX 

fervitude : & cefte forte de captivité volon- 
taire eil la plus eflrange de toutes , & la 
plus contre nature. 

C'eft Tavarice qui eft caufe des efclaves 3. 
forcez , & la poltronnerie caufe des vo- , ^ç\l 
lontaires 5 les fcigneurs ont efperé plus de vcs. 
gain & de profîdl à garder* qu*à tuer : & de 
faidt la plus belle pofreflion & le plus riche 
bien eftoit anciennement des efclaves. Par 
là Craffus devint le plus riche des Romains, 
iqui avoir , outre ceux qui le fervoient , 
cinq cents efclaves qui rapportoient tous 
les jours gain & profit de leurs meftiers Ôc 
arts queftuaires. Apres en avoir tiré long 
fervice & profiél, encore en faifoicnt-ils 
argent en les vendant. 

C*e{l chofe eftrange de lire les cruautez 4* 
exercées par les feigneurs contre les efcla- ^^^ j^"* 
ves , par l'approbation mefmc ou pcrmif- fcigneurs 
fîon des loix : ils leur faifoient labourer la f^jffs^f- 
terre , enchainez comme encore en Bar- claves. 
barie, coucher dedans les creux & ibffes; 
edant venus vieils ou impotens & inutiles , 
cftoient vendus ou bien noyez & jettez 
dedans les eftangs pour la nourriture des 
poiffons : non feulement pour une petite 



f 



i } 



fxx SE LAr, Sagesse» 

& légère faute, comme cafTer un verre, ofl 
les tuoit 'y mais pQur le moindre (bupçon , 
voire tout amplement pour en avoir le 
pafTe- temps, conîïne fit Flaminius, Tun 
des hommes de bien de Ton temps : & pour 
donner plaifir au peuple, ils efloient con* 
trainâsdes'entretuer publiquement aux arè- 
nes : fi le maiflre edoit tué en fa maifon , 
par qui que ce fuft , les efclaves innocens 
eftoient tous mis à mort ^ tellement que 
Pedanius , Romain , eftant tué , bien que 
Ton fceud le meurtrier, fi cfb-ce que par 
ordonnance du Sénat quatre cents efclaves 
fiens furent tuez. 
f. C'eft auflî d'autre part chofe eftrange 

efdaveV d*cntendre les rebellions, edevations & 
audi à cruautez des efclaves contre los feigneurs 

gucurs ^^ ^^^^ '*^& • quand ils ont peu non feur* 
lement en particulier par furprinfe , trahi- 
fbn , comme une nuit en la ville de Tyr , 
mais en bataille rangée par mer & par terre : 
dont efl venu le proverbe , Autant d'enne- 
mis que d'elclaves. 
Dtmi' Or comme la religion chre(Henne& pois 
nution la mahumetane a créa, le nombre des ef- 
y^^ *' cUves a defGrcu,.& la fervitude a rclafché.