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D E
LA SAGESSE,
TOME PREMIER,
k -^
■ 6Ê
L A S A G E S SE,
T R O I s L I V Pî E s.
|>ar P I E R K E Charron, Parificn,-
Ch^oinc Théologal & Chantre cû l'EgUft
Cathédrale de Coûdom^
N O U FÈLLE EDITION,
ionformc a cellfi de Bourdeaus , Uoi.
T O M E P R È M î E R*
*E L*ImFRIMERIE 1>B DltrÔT £*ÀlK'ïV
À PARIS,
*
Êheï B A R R o I ff Tainé , Libraire^
9
quai des Auguftins.
1^ D C C. l, X X X- 1 Xb
AMY LECTEUR,
Il me femble que Ton pcuft faire le meP
me jugement des livrés, que des fleuve^
eu rivières y dont les eaux font moins puH
res , & perdent peu à peu leur première-
qualité naturelle , à proponion qu'elles s*ef*-
loignent de leur fource , par le medange
des autres eaux qui fe joignent avec elles.
Il en efï de mefme des livres dont il fe faiâ'
plufieurs impfeilions. On y fàiâ tant de
changemens , tantoft par des corrections ^
àvL des retranchemens , tantoft par des aug-
mentations , & d'autres deguifemens , qu'il
arrive qu'nil ouvrage paroift autre qu'il*
n'eftoit auparavant > & que (buvent l'on'
£dâ dire à un autheuf des chofes aufquel-'
Tes il n'a jamais penfé, ou- bien autrement
qu'il n'a eu intention. Cela s^eft pratiqué-
en ceft ouvra^ej lequel à p«ine peuft -on rc-
cognoiftre que par fon nom qui luy eft de^'
Aieuré. Cefte con£deration m'a obligé» de-
£rant le r^ftablir en fon premier eftat', da'
rechercher la première imprefliôn que M.-
de Charroâ en fît faire à Bordeaux en l'an*'
liée léoi, par Simon Miîanges, & laquelle^
itavoicr dodiée à Monfeigneur le Duc d'£^
• • •
If///
270708
fcmon } & rayant recouvrée, j'ày &îd£ Ciir
cefte première copie ce(le nouvelle imprer*
Sun avec aucatir de ciïriofîré qd'il m*a cAé
poflibte , afin qtic vous pui/Hez voir la pie-*
ce dans (a première pureté , (ans aucune aK
fcration ny degmfement.
Cet avis exprimant le eut çians'efipra^
fofè en donnant cette noBvelle édition « o/»
mitru devoir le faire imprimer^
ï
PREFACE,
Oit ejl parti du nom^fubjecly dejfcin^
& méthode de ceji œuvre.
Il eft requis avant tout œuvre , fça« Dirmfiv
voir que c'eft que fagefle, & com- f^ ^**^ "
ment nous entendons la traiter en ce
livre , puifqu il en porte le nom de
k tiltre. Or dès l'entrée nous adver-
tiflbns que nous ne prenons ïcfce,
mot fubtilemenc au fens hautain &.
enflé des Théologiens & Philofo^
phes (qui prennent plaifir à defcrire
& faire peinture des chofes qui
n'ont encores efté veues y & les re-
lever à telle perfeâion , que la na-
ture humaine ne s'en troure capable,
^ue par imagination) pour une cog-
noiffance parfai^te des chofes divines
& humaines , ou bien des premieres^
k plus hautes caufes & refibrts de
toutes chofes t laquelle reUde eo
f Préfacé!
Pentendeniônt feu! , pfeuft-effife fari^
})robité (qui eft principalement en
a volonté, ^-fans utilité , ufage , ac-^
tion, fans compaignée & en foiitude j
& eft pkis que très rare ôc difficile y-
c'eft le fouverain bien & la perfec-
tion de l'entendement humain : njr
au fens trop court , bas & populaire^
pour difcretibn y circonfpeâion y
comportement advifé & bien reigle-
en toutes dhofes j> qui fe peuft trou--
ver avec peu de pieté & preud'hom*'
mie, & regarde plus la compaignée»
& l'autruy que foy-mefme. Mais-
nous le prenons en fens plus univer--
£el jcommun & humain;, comprenant
tant la volonté que 1-entendemént ,j
voire tout l'homme en fon dedans fit
ion dehors, en foy feul ,.en compai-'
Dèf^rib-gnée, cognoiflànt & agiilànc». Ainft
%cflc. "^ »oiis difons que fagefTe eft* preude
prudence^c'eft-à-dire greud'hommia^
P a £ f A C é.
avec habilité , probité bien advifée.
Nous fçavons que preud'hommie
£ui5 prudence eft fotte & indifcret-
te ; prudence fans preud'hommie
n'eft que fineilê : ce font deux chofes
les meilleures 8c plus excellentes ,
&les chefs de tout bien ; mais feules
te feparées , font défaillantes , itth-
parfaiftes. La fageilè les accouple g
c'eft une droiâure & belle compo-
ficion de tout Thomme. Or elle con-
fifte en deux chofes : bien fe cog-*
noiftre , Se conftamment eftre bien
reiglé 6c modéré en toutes chofes
par toutes chofes : j'entens non feu-
lement les externes qui apparoiflènt
au monde , faiâs 6c diâs ^ mais pre^
mierement & principalement les
internes , penfées , opinions, créan-
ces, defquelles (ou la feinte eft bien
grande , & qui enfin fe defcouvre )
iburdent les externes. Je dis conf-
16 P R E F A C £<
tamment, car les fols par fois cort-»
trefont , & femblent eftre bien fagey^
Il fembleroie péuft-eftre à aucuns
qu'il fuffiroic de dife que la fagelle
ebnfîfte à eftre conftammenc bien
reiglé & modéré eri routes chofes y
fai^ y adjoufter bien fe cognoiftre i
mais je ne fuis pas de ceft advis^car
advenant que par une grande bonté ,
douceur & fouppkflé de nature ^ ou
par une attéûtive imitation d'autruy ^
quelqu^un fe cathportaft modère-^
ment en toutes chofes , ignorant ce-*'
pendant & mefcognoiflàm foy-mtC-i
me y &rhiiuiïaine condition ^-ce qu'il:
a^ Se ce qu'il n'a pas- j il nie' feroic
pourtant fage , veu que fagelTe n efl>
pas fans cognoiflance , fans difcours,,^
fans eftude. L'on n'accordera pas
peuft-eftre cefte prôpofition : car il
femble bien que l'on ne peuft rei^
gl<ement & conftammenc fe conv-^
PrEPACE. - If
, porter par-tout fans fe eognoiftre ,
/& fuis de ceft advis. Mais je dis'^que ,
combien quils aillent infeparabler
ment enfj^mble , (i ne, lai{Ient-il$
d'eftre deux cbof^s di^in<5tes : donc
il les faut feparement exprimer en
la defcription de fageflè , commç
(es deux offices^ dont fe cognoiftre
eft le pr^miçr , & eft di6t le coni-r
. rnencjement 4e fageflè. Parquoy
nous difons fag^ , celuy qjiii coguoifr
fant bien ce qu'il eft, fon biçn &
ion mal , combien 8c jufques où n^-r
pire Ta eftrené & favorifé , & 014
fille luy a defFailly, eftudie par le be-r
nefice de la philofophie , & par Tef^
fort de Ja vertu , à corriger & rç-p
dreffer ce qu elle luy a donné dç
mauvais , reveiller & rpidir C(Ç qui
eft de foible & janguifïànt, f^irç
yaloir ce qui eft bon , ^djoufter ce
qui dçffaut , & tant que f^irç ft
Il P R E f A C E.
vpeuft la fecourir ; & par tel eftude
ie reigle & cpnduiâ bien en toutes
chofes,
Dcflcin Suivant cefte briçfve déclaration,
chodedenoftre defleîn entreft œuvre de trois
Taurheur « • /> • y •
en çeft livres eft premieremeai: enleigner
«uvtc. l'homme à fe bien cognoiftre, &
rhqmaine condition , le prenant en
tout fens , & regardant à tous vifa -
ges ; c'eft au premier livre : puis
rinftruire à fe bien reigler & modé-
rer en toutes chofes ; x:e que nous
ferons en gros par advis & moyens
généraux ôc communs au fécond
livre y & particulièrement au troi-
fiefme, par les quatre vertus mora-^
les y foubs lefquelles eft comprife
toute rinftruâion de la vie humaine»
& toutes les parties du debvoir &
de Thonnefte. Voilà pourquoy ceft
œuvre, qui inftruit h vie & les
mopurs , i bien vivre & mourir , éft
Préface. ij
intitulé Sagefle , comme le noftire
précèdent, qui inftruifoit à bien
croire, a efté appelle Vérité, ou bien
les trois Veritez , y ayant trois li-
vres en ceftiiy-cy comme en celujr-
là. J'adjoufte icy deux ou trois mots
de bonne foy^Tun, que j'aiqueftc
par-cy par-là , & tiré la plufpart des
matériaux de ceft ouvrage des meil-
leurs autheurs qui ont traité cette
matière morale & politique , vraye
fcience de l'homme , tant anciens ,
ipecialèment Seneque & Plutarque,
grands dcxSbeurs en icelle , que mo-
dernes. Ceft le recueil d'une partie
de mes eftiides ; la forme & l'ordre
•font à moy. Si je lay arrangé &
ageancé avec jugement & à propos ,
les fages en jugeront : car meshuy
en ce fubjec^ autres ne peuvent eftre
mes juges, 8c)ie ceux-là volontiers
f ecepvrai la réprimande j & ce que
' b
14 P & £ F A C C,
I ay prins d autruy , je lay mis en leurs
propres termes , ne le pouvant dir^
mieux qu eux. Le fécond, que j'ay
icy ufé d'une grande liberté & fran-
chife à dire mes advis , & à heurter
les opinions contraires , bien quç
coûtes vulgaires & communément
receues , & trop grandes , ce m^onç
diâ aucuns de mes amys , auf^
quels j'ay refpondu que je ne for-
mois icy ou^inftruifois'un hommç
pour le cloiftre, mais pour le monde,
la vie commune & civile j ny ne fai-
fois icy le théologien , ny le cathe-»-
drant, ou dogmatifant, ne m'aflutr
jettiiTant fcrupuleufemenc à leurs
formes , reiglcs , ftyle , ains ufois dçi
la liberté académique &c philofp»'
phique. La foiblefle populaire , &
delicatefle féminine, qui s'oiEFenfe
de cède hardiefle & liberté de pa-^
jroles , eft indignç d'çntendrç choff
P p tt A ci. IJ
qui vaille. A la fuitte de cecy. Je dis
eiicoires que je traité & agis icy non
pedantefquement , félon les reigles
ordinaires de Teichole , ny avec eA
tendue de difcours , & appareil d*e-*
loquence y ou aucun artifice, hi
fagefle, quœji oculis ip/is cernerez
tufj mirabiles excitarèt amoresfui^
nz que &ire de toutes ces façons
pour fa recommandation, elle eft
trop noble & glorieufe ; les veritez
& proportions y font efpaifTes, mais
fouvent toutes fçiches & crues »
comme aphorifmes , ouvertures &
femencesde difcours. J y ayparfemé
des fentences latines , mais courtes ,
fones Se poétiques y tirées de très
bonne part, & qui n'interrompent
ny ne troublent le fil du texte fran-
çois. Car je n'ay pu encores eftre
induiâ: à trouver meilleur de tour-
ner toutes telles allégations en fran-
i6
P R E F A C B".
çois (comme aucuns veulsnc) avec
cpl dechec & perce de la grâce ôc
énergie qu elles ont en leur nacu-^^
rel & original , qui, ne fe peuft ja-^
mais bien reprefencer en autre ian^'
m»
TABLE
DES CHAPITRES
DE CES TROIS LIVRES
DE SAGESSE:
Préface, oh efi parlé du titre, fuhjeSi g
dejfcin & méthode de ceft œuvre.
LIVRE PREMIER.
Qui eil de la cognoiflanct de foy & de
rhiunaiïie conditioBr
Cha». i.Exhonation â s'cAftiHîêr 8c cognoif-
cre 9 fubjsâ de ce premier livre, page i
Première coafideracibn de rhomme en foy iL
en gros.
Ch. X, Generalle peimure de f homme , i >
.Ch. 3. Vanité, . \6
Gh. 4. Foibleiïe, if
Ch. 5. loconftanco f 44
Ch. 6. Mifere , 46
Ch. 7. Prcfomption y 7j
Seconde confideracion de VYiûtAmt , ^tfi eO paf
ccrmparaifou de luy avec les autres créatures*
Ch. 8. Comparaifon de Thomme avec>Iet
bellesy ^
hiij
i« T A B t E"
Troifiefme coafideracion de rhoinme» qai cti
en détail par toticcs les pièces dom il efl comporé
$c eflaSly.
Ch. y. Didinûion p.reniiere & genctalle de^
rhomme , 1 1 1
. (^. I o. Du corps^ humain en général , 115
Ch. 1 1. De la fanté^beautéy&du vi^age^i 17
^ Ch. i^» Des Crns de nature , plus nobles pis'
ces cxt.rncs du corps , - \%6
Ch. I ). Du voyr, ouyr, parler, 1 34.
Ch. 14. Des yeftemcnr& cob verts du coc|>s;'
M»
C^. I f . De Tame humaine en gênerai j 14)
Cf£ 15. Des- parties de Tame, & premiere-
menr de l'entendement , raifon , efprit»
jugement, 16^
Ch. 17. De la mémoire , iZt
Ch. 18. De l'imagination & opinion ^^ 189
Ch. 1 9. De la volonté , 194
Ch. 10. Des pal&ons fie afFeâions'en gêne-
rai, \^î
Ch. II. Des paflîbns en partlculfer , & prfc*
mierement de. i'amoui ,. 10 f
Ch; 11. Ambition v* 207
Ch. 1). Avarice 4 11^
Ch. 14. Amour charnelV Vio^
Ch. 15^. Dc(irs& cupiciicez^ ilf
Ch. 15. Efpoir^deferp/oir, t-17-'
Cm 27. ChoUrey it^
Ck» 18. Hayne ^ 13 ^
.Ch. 19. Envie 9. i^C
«»4 jp. Ja^cwllc^ ijjr
/*
t> tS Cf H A P 1 1 R É s: i^
Ch. -31. Vengeance t . 15^
Ch 52. Cruauté, • X4'
Ch. }3.Trirte(rc, 14 3
Ch . 34. Compa£on , mifericotcle , ifi
Ch. 3 f. Crainte , ifx*
Quacriefine coalideiacion de rbomme par fa
Ch. 3«<. EAunation, briefvcté, & defcriptioû
de la vie humaine , & de fes paities, x 57
Cînqui&fme &« dernière confideration , par la
grande divefficé de fes naturels ^ fufïitances, ef»
tacs » profeifîons , vacations.
Ch. 37. De rinegalicé & différence des hom^
mes en gênerai, t69
Ch. jS.Diftinâion premier» des hommes'»,
qui eft de leurs naturels , 171
Ch. 35). Diflinâion féconde des hommes y»
qui e A de leursefprits & fuffifanccs, 183
Ch. 40. Diflii^ion troifiefme des hommes »
qui eft de leurs charges & eftats , cirée
de la fuperioricé & inferiocicc preitiiere-
ment mife en cable , x89
explication particulière des membres de la prc-<
•edente cable & diftînôion : & premièrement »
Ch.'41 > Du commjrnder St obey^« 253
Ch. 41. Du mariage, t9^
Ch. 43 , Des parens & cnfanr, Jl V
Ch. 44 Dc&feigncurs' 6ff cfchiycs, maiftres
&rcr^iceurs, 3»^
€H.4Ç. De Tcftat, fouvctaineté flk fottvc-
rains , J^F
aK«r4(^. Dss-ma&iAcacs^ })^
10 T A s 1 Ë
Ch. 47. Des legiflaccurt , prefcheaft , ioC*
truâeurs. 54ar
Ch. 48. Du peuple & vulgaire, 341
Dtftinâton quatriefme des hommes^ cîrêe de
feurs profeifioDs 8c conditions de vie.
Ch. 49, DiftinÛion 5e comparaifoff des trois
nfianieres & degrez de vie , ^ 49
Ch. f 0^ De la vie civile on fociile 8e foli-
taire , ) 5 x
Ck. fi.Comparaifdn de la vie menée en
commun , & menée en proptteté , 3 f f
Cr. 51. Comparaifon de la vie fuliique tC
menée es villes , 3^7
Ch. 5 5. De la profeffion militai f^ . 35^
Difltnâiott ctnquiefme & dernière différence
^es hommes^ tirée des faveurs & défaveurs de lar
Baf ure de de la fortune. -
Ch. f 4. Db la liberté & dn fervigs , 3 «s
Ch. f f. NoblefTe, 3^4
Crf. ^6. Hanneut, dignité , $6^
Ch. j7. Science^ $71^
Ch. 58. Richedesy 37^
LIVRE SECOND,
Contenant les^ inffaruâîons & reîgles gène*'
ralies de fageffis.
Préface , 575»
Ch. I. Exemption ScaffranchiiTement des er» »
reurs & vices du monde & des pafEoos , 1
fremicBe difpoâtioâàlarageiroy ^îf
Des chapitres. ±4
Ch. 2. UniverreIlecognoilIancc«& pleine li-
berté d'efpric cane en fugeinsnc qu'en
volonté » féconde dHpofition â ia fa-
gcfTc, i96
Ch. 5. Vraie & elTentielle prend'hommie y
première & foâdamencalle partie de
fageiTe i & de la mefchaaceté , 416
Ch. 4. Avoir un but fie train de vie certain ,
fécond préalable aux reigle» de fageile ,
€h^ 5. La fraye pietlS y premier office de ià-
Ch. 6. Reigler €ts deGa fie plaiiîrs , fécond'
office de (àgeflèy 475
ۈ. 7* Se porter moderemetit & egalemenc
en profperité 8c advcrfîcé , crolfîefme -
office de fagede y 4^1
Ch* 8. Obeyr fie obferver les loix , coutumes
fie cérémonies du pays autant fie comme
il faut , quacriefme office de fagefle» 50^
Ch. ^. Se bien comporter avec autruy , cin-
qui^fme office de fageife , $ 17
Ch. lo. Se conduire prudemment aux affiu*-
res , iîxiefme office de fageiTe ^ 535
CHk II. Se tenir toufiours prell à la mort»
fruiadcfageffe, f5ir
Ch. 1 1* S*acquerir fie maintenir en vray re^
pos fie tranquillité d*efprit , la couronne-'
àe fagede ^fie conduflon de celirce^ySv
Il t A B t Ê
LIVRE TROISIESME^
Contenant les advis paniculiers de fâgeflc
par les quatre vertus morales.
Préface 9 5^^
De la prudence , première vertu.
Ch. I. De la prudence en gênerai, 5^9
De la prudence politique du fouycrain ^ ou
gouvernement d*eftat , fçavoir :
C H. 1. De la provifion des chofes neceflaire
au fouftien 8c à la confcrvaiion du prin-
ce 8c de Teftat , première partie de la
prudence potidque , 600
Gh. )• De Taâion 8c gouvernement du prin *
ce » féconde partie de la prudence poli*
tique y 64^6
Ch< 4. De la prudence requlfe aux affaires
difficiles 8c mauvais acddens , tant pu-
blics que privez « . ^ 6^f
Dclajuftice, féconde vertu.
Ch. f . De la juHâce en gênerai , 716
Ch. 6, De la )unice,8c debvoir de Thomme
envers foy-me^e , 751
De la fuflice & debvoîc de Thomme envers
autruy , 8c premièrement en genecal de tout hom-
me envers tout homme , fa voir :
Ch . 7. De Taniour ou amitié , 74 f
Ch. 8. Dj la foy, fidélité , perfidie , 758
Ch. 9 Vérité fie admonition libre , 76^
DES CHAPITRES, jlj
Ch. lo. FUitcncy-inenceiie , diflùnulacion »
Ch. If. Du bieufalâ, obligation 6c reco*
gnoilTaocc, 778 ,
De la iuftice & debvoic de rhdmme envers au-
tfUfy par raifon fpeciale jk certaine , fçavoir :
Ch. 11. Des mariex . 80»
Ch. 15. Mefnagerie, 805
Ch. 14. Des païens & enfant » 8otf
Ch. 1 f . Des maigres iSc ferviceurs 9 8^1
Ch. 16, Des prince^ & des fubjeâs y 8^4
Ch. 17. Desmagii^raUx 87c
Cu« x8. Des grands ^ ptiUTans » fie des petits «
88i
De la force » troifiefme vercu.
Ch* 151. De la force ou vaillance en gênerai ,
88^
première partie » des maux externes.
Ch. 10. Des maux excernes coniîdçrez en
leurscaufcs, 89f
Ch. ii.Des maux externes con(îderez en
leurs efifeûs Ce fiui^; ^ $0$
pes maux externes en eux-mefoies & patdcii*
tiers y te premièrement «
Ch. it. De la maladie & douleur , 510
Ch. 1). Captivité , ^tf
CH. &4. Exil & banni (Tement , 918
Ch. if. Pauvreté, Indigence, perce de biens,
Ch. xtf. Infamie , pif
Çl|. 17- Perte d*amîs y p^tf
More , fi9
*4 TABLE DES CHAPITRES.
Seconde parçic , dtsmaux internes , & paflîou»
faCchcuCes , Se premièrement ,
Ch. i8. Contre la crainte , ' 950
Ch. 19. La triftcfTe , ^5Î
Ch . 50. La compaflion 8c mifeticorde , 9iS
Ch, 3 1 . La cholcrc , ^5^
Ch. 51. La haine, 94 J
Ch. ij. L'envie, 944
Ch. 54- La vengeance, 54^
Ch. h* La |a!oufîe , 94^
De la tempérance , quatrtefme verra.
Ch. 3^. De la tempérance en gênerai , 9^1
Ch. 37. De la profperité , & advis far icelle,
Ch. }8. De la volupté , 9$^
Ch, 3 y. Du manger , boire , & fobrieté , jtftf
Ch. 40. Du luxe 5c desbauche en tous pare-
mcns , & de la frugalité , 97^
C«. 41. Plaifirs charnels, chafteté, conti-
nence, 97^
Ch. 4>. De la gloire & de Tambition , 97^
Ch. 43. De la tempérance au parler, & de
l^^loqucnce , ^7^
«ÎÎ3^
D E
LA SAGESSE.
LIVRE PREMIER.
Qu I c(l la cognoiilânce de Soy , Se de
rhumaine condicion.
Exhortation à t'ifiadier & cognoifirt.
CHAPITRE PREMIER
Le plus czcetlent & divin conTcil , le meil- i.
leur & plus utile advenilTenient de tous, ^'.î?^'
mais le plus mal pratiqué, eft de s'cftudicr ell la pt«.
>f- apprendre à fe cc^oillre : c'eft le fon- '"}"^
demenc de fagelTc & achemiaenienc à tout
Tome I. A
!
% deiaSagcssc,
bien : folie non pareille que d'eftrc attentif
& diligent à cognoiftre toutes autres chofes
plufloflque foy-mcfine : lavraye fcience^
le vray eftude de Thomme , c'cft rhommc.
*• . Dieu , nature , les fages, & tout le monde
ttel^ous prcfche Thomme & l'exhorte de Eal^k & de
par lourc parole à s'eftudier & cognoiftre. Dieu éter-
nellement & fans ce/Te le regarde , £è confi-
dere & fe cognoift. Le monde a toutes Tes
veues contraintes au dedans , & fes yeux
ouverts à fe voir & regarder. Autant eft
obligé & tenu Tliomme de s'eftudier &
cognoiftre, comme il lui eft naturel de pen-
fer, & il eft proche àfby-mefine. Nature
taille à tous cefte be(bngne. Le méditer &
entretenir fcs penfées eft chofe fur toutes
facile, ordinaire , naturelle , la pafture,
l'entretien , la vie de Telprît , cujus vivere
eftcoghare. Or, par où commencera , &
puis con^inuera-t*il à méditer , à s'entre-
tenir plus juftement & naturellement que
par foy-mefine? Y a^~il chofe qui lui tou-
che de plus près ? Certes , aller ailleurs &
s'oublier eft chofè defnaturée & trcs inj ufte.
C'eft à chafcun fa vraye & principale vaca-
tion, que fepenfer & bien tenir à foy. AufS
LITRXLCHAP. I. )
▼oyons -nous que chafque chofc penfc à
Coy , s*e(hidie la première , a des limites à
(es occupations & defîrs. Et toy , homme *
qui veux embrafTer l'univers , tout cognoif»
tre , contreroller & fuger , ne te cognois &
n*y eftudies : & ainû en voulant €mc Tha^
bile & le fcindic de nature , tu demeures
le feul fot au monde. Tu es la plus vuide
& necefUteufe y la plus vaine & miférable
de toutes , & néantmoins la plus fiere & ot*
gueiUcufe. Parquoy y r^arde dedans toy >
rec<^ois-toy, tiens toy à toy : ton e(prit Si
XSL volonté y qui fe confomme ailleurs , ra-
mcne-le à foy-mefme. Tu t'oublies , tu te
refpends, & te perds au dehors , tu te tra-*
his & te desrobes à toy-merme, tu regardes
tousjours devant toy, ramaife^toy & t'en-c
ièrme dedans toy : ezamine-^oy» efpi&toy» \,
cognois-toy.
Nofce teiprum , Dec te quzfieris extra*
ReCpue quod non es , cecum habita , 8c
Noris quam (it tibi curca fappellez.
Tu te confule.
Teiprum concute , numquid vitiorum
Infeverit olim nacura, aut etiamconfuetudo mala*
Par la cognoifTance de foy , Thomme Hfcheîle
oionte Se arrive pluftoft & mieux à la cog? à la div i-
* .. nit€.
4 DELA Sagesse^
noiiTaacc de Dieu , que par toute autre
chofcs tant pource qu'il trouve en foy pins
de quoy le cognoiftre , plus de marques 8c
traiâs de la divinité , qu*en tout le rcfte
qu'il peut cc^oiftre s que pource qu'il peut
mieux fentir , & fçavoir ce qui eft & fe re-
mue en foy, qu'en toute autre chofe. For-
pralm. mafii me & pofuifti fuper me manum tuant ,
*^ • ideo mirabilis faHa eft fciehtiatuayid eft ytui
€x me : Dont eftoit gravée en lettres d'or
fur le frontifpice du temple d'Apollon^Dieu
( félon les payens ) de fcience & de lumiè-
re, cefte fentence , Cognoîs'toy , comme
une falntation & un advertifTement de Dieu
à tous , leur fignifiant que pour avoir accéz
à la divinité & entrée en fon temple , il fe
faut cognoiftre > qui fe mefcognoift en doit
Cantic. jd&ic àchonté , fi te ignoras g o pulcAerri*
*• ma, egredere; & abipoft kddos tuos, ' •
4. Pour devenir f;^e & mener une vie plus
tSnTu ^^^^^ ^ P^"^ ^°"^^ , il ne faut point d'inf-
fageiTe. truâion d'ailleurs ~ que de nous. Si nous
eftions bons £fcholiers , nous apprendrions
mieux de nous que de tous les livres. Qui
remet en fa mémoire & remarque bien,
l'excez de fa cholerc paiTcc , jufques od
LIVRE t Cïî A^. t. J
Ctftc fièvre Ta emporté , verra mieux beau-
coup la laideur de cefte paffion, & en aura
iiorrear & hayne plus jude, que de tout ce
qu'en dient Ariftote & Platon ; & ainfi de
toutes les autres paflîons , & de tous les
Dranfles & mouvemens de fononie. Qui
fe fouviendra de s'eftre tant de fois mef-*
compté en Ton jugement , & de tant de mau^
Vais tours que lui a £iiâ fa mémoire y ap-
prendra à ne s'y fier plus. Qui notera com-
bien de fois il lui eft advenu de penfer bien
tenir & entendre une chofe , jufques à la
Vouloir pleuvir , & en refpondre à autrui
6c à foy-meCne, & que le temps luy a puii
Faid voir du contraire, apprendra à fe def^
faire de cefte arrogance imponune & que>^
releufe préfomption , ennemie capitale de
difcipline & de vérité. Qui remarquera bien
tous les maux qu'il a couru , ceux qui
l'ont menacé , les légères occafîons qui
l'ont remué d'un eftat en un autre , corn**
bien de repentirs lui font venus en la telle ^
fe préparera aux mutations futures , & à k
tecognoiffance de fa condition , gardera
wodcftie , fe contiendra en fon rang , ne
tcurtera perfomic , ne troublera rien, n'en-
A iij
4» DE LASaGESSC»
treprendra chofe qai poiTc Tes forces : &
voilà juftice & paix par-tout. Bref nous
n'avofas point de plus beau miroir & de
meilleur livre que nous-mefmes, fi nous
y voulons bien eftudier comme nous de-
vons, tenant toujours Tocil ouven fur nous
& nous efpiant de près.
centre ^^ ^*^^ * ^"^y ^^^ pcnfons le moins,
ceux qui nemo infefe tentât dtfundtre. Dont il ad-
fe mefco- yy^^A que nous donnons mille fois du nais
gnoif- *■
i'enc. en terre , & retombons toujours en meime
*^ £iute, fans le fentir, ou nous en donner
beaucoup. Nous faifons bien les fots à nos
delpens : les dif&cultez ne s^apperçoivent
en chafque chofe , que par ceux qui s*y
' cognoiffents car encore fàut-il quelque de-
gré d*intelligence à pouvoir remarquer fon
ignorance : il faut pouffer à une porte pour
fçavoir qu'elle nous eft clofe. Ainfi de ce
que chafcun fe voit fî refolu& fatis£ùâ > &
que chafcun penfe eHxe fuififamment en-
tendu, fîgnifie que chafcun n*y entend rien
du tout : car fi nous nous cognoiffions bien,
nous pourvoyrions bien mieux à nos affai-
res : nous aurions honte de nous & nofbe
cflat, & nous rendrions bien autres que
L I V R £ I. C H A p. I. y
fouîmes. Qui ne cognoift Tes défauts,
Te fbucie de les amender; qui ignore
£es neceflîtez ne fe foucie d'y pourvoir^ qui
jEie fent Ton mal & Ùl mifere , n'advifo
point aux réparations , & ne court aux re-
mèdes , deprehendas te oportet prîufquam
amendes ; fanitads initîum , fendre fibi
ppus ejfe remedio. Et voyci noflre malheur :
car nous penfons toutes chofes aller bien &
cftre en feureté : nous fommes tant con-
tents de nous-meûnes , & ainfî doublement
miférables. Socrates fut jugé le plus f^e
des hommes , non pour eflre le plus fça-
vant & plus habile , ou pour avoir quelque
fuififance par delTus les autres y mais pour
mieux fe cognoiflre que les autres , en fe
tenant en fon rang , faire bien Thomme.
Il eftoit le Roy des hommes , comme on
did que les borgnes font roys parmy les
aveugles , c'eft-à-dire doublement privez
de fens : car ils font de nature foibles &
miférables , & avec ce ils font orgueilleux,
& ne fentent pas leur mal Socrates n'efloit
que borgne : car eftant homme comme les
autres , foible & miférable , il le fçavoic
bien^ & recognoiffoit de bonne foy fa con*
t DfiliASAGÉSSt»
dition , fe régloit & vivoic félon elle. C'e(t
ce que vouloit dire la vérité à ceux qui ^
pleins de préfomptSon , par mocquerie luy
styant diâ , nous (omnies donc à ton dire
/wjw.^. aveugles ? Si vous Teftiez, did-il , c"cft-à-»
dire le penfîez eftre , vous y verriez s maitf
pource que vous pen(ez bien y voir , voutf
demeurez du tout aveugles : car ceux qui
voyent à leur opinion font aveugles en vé-
rité y & qui (ont aveugles à leur opinion, îh
voyent. C*eft une miférable folie à Thom--
ine de fe faire belle pour ne fe cognoiftre
pas bien homme » komo enim cum fis , îd
facfemper intelligas, Plufîeurs grands pouf
leur fcrvir de bride & de règle , ont ordon-
né que Ton leur fonnaft fouvent aux oreil*
- ^^ les qu'ils eftoient hommes. O le bel efbide^
s*il leur entroit dedans le cœur comme il
frappe à leur, oreille ! le mot des Athéniens
_^ à Pompeius le grand : Autant es-tu Dieu
. comme tu te recognois homme , ft*eftoit pa«
trop mal ilQt : au moins c*eft eftre homme
excellent que defe bien cognoiftre homme*
Moyens ^ cognoiffance de foy ( chofe très Jifi-
dc fe co- cile & rare, comme fe mcfcomptcr & troiiï-
Uux. P^^ ^^^ facile ) ne s acquiert pas par autruy.
I I y R E I. C H 4 P* I* -9
c*eft>à-dire par coxnparaifbn , mefure, ou
exemple <l*autruy 5
Plus aliis de ce , quam tu tibi.credere noii.
moins encore par fbn dire & Ton jugemenr,
qui (buvent eft coun à voir , & desloyal
ou craintif à parler , ny par quelque aûe
(ingulier, qui fera quelquesfois efchappé
fans y avoir penfé, pouffé par quelque nou*
velle» rare & forte occafion, & qui fera
pluflofl un coup de fortune, ou une faillie
de quelque extraordinaire enthoufiafme 9
qu'une produâion vraycment noflre. L'on
n'eftime pas la grandeur, groffeur» roideur
d'une rivière, del'eaue qui luy eft advenue
par une fubite alluvion & desbordemenç
des prochains torrens & ruiffeaux s un faiâ
cours^eux ne conclud pas un homme vail-
lant, ny un œuvre de juftice l'homme jufte;
les circonftances & le vent des occafîons Se
accidens nous emportent Se nous chan-
gent : & fouvent Ton eft pouiTë à bien faire
par le vice mefme. Aîniî l'homme eft-il
très difficile à cognoifbre. Ny auflî par tputes
les chofcs externes & adjacentes au dehors s
' offices, dignitez , richeffes, noblelfe, grâce»
§(, applaudiffement des grands ou du peu-^^
pie. Ny pat fes defporçemens fàiâs eti pa^*
blic : car comme eftant en efchec, l'on
fe tient fur Tes gardes , fe retient , (ê con-
,^ traind j la crainte, la honte, rambîtion ,
& autres paillons , luy font jouer ce per-
sonnage que vous voyez. Pour le bien
cognoiftre il le faut voir en fon privé , 8c
en fon à-tous-les-jours. Il eft bien fouvent
tout autre en la maifon , qu'en la nie , au
palais , en la place 5 autre avec fes domefH-
ques qu'avec les eftrangers. Sortant de la
maifon pour aller en public, il va jouet
une Ëirce : ne vous arreftez pas là 5 ce n'eft
pas luy , c'efl tout un autre 5 vous ne le
cognoiftriez pas.
7' La cognoiifance de foy ne s'acquiert point
par tous ces quatre moyens , & ne devons
nous y fier 5 mais par un vray, long, 8c
aflîdu cilude de foy , une férieufc & atten*
tifve examination non-feulement de fes pa-
roles & aâions , mais de fes pcnf<^es plu^
fecrettes (leur naiffance, progrez, durée ,
répétition ) de tout ce qui fe remue en foy,
jufques aux fonges de nui<^ , en s*e(piant
de près , en fe taftant fouvent & à toute
heure, prefTant & pinçant jufques auvi&
t I VR£ I. C HAP. t. IX
Car il y a plufleurs vices en nous cachez ,
& ne fe Tentent à faute de force & de
moyen , ainfi que le ferpent venimeux qui,
engourdi de froid» fe lailTe manier fans
da^er. Et puis il ne fuffift pas de reco-
gnoifbre fa faute en deftail & en individu »
& tacher de la réparer 5 il faut en générai
recognoîflre fa foiblefTe , fa mifere» & en
venir à une réfbrmation & amendement
univerfcl.
Or, il nous £iut cfhidicr férieufement ^' ^
en ce livre premier à cognoiftre l'homme, .fo^^'^-
le prenant en tout fens , le regardant à tous partition
vifages , lui taflant le poux ^ le fondant j^^ier 11-
îufques au vif, entrant dedans avec la chan- vrc.
dellc & refprouvette , fouillant & furetant
par tous les trous , coinr,3 , recoîngs , def-
cours , cachots & fecrets , & non fans caufe :
car c'eft le plus fin & feinâ , le plus couvert
'& fardé de tous , & prefque incognoiilà-
ble. Nous le confidérerons donc en cinq
manières repréfentées en ceAe table, qui çft
kfbmmairedccçlivre.
CINQ CONSIDÉRATIONS
DE L'HOMME
tT DE L'HUMAINE CONDITION.
L £n foy & en gros , par
Sa générale peinture |
Ses cinq qualicez plus elTeatielles , qui font ,
Vanité,
Foiblefiê ,
Incoaftance,
Mifere ,
Préfomption.
n. Par comparaifon de luy avec les beftes;
m. Par toutes les pièces dont il eft compofé.
Corps & Tes appartenances y
Santé .
Beauté ,
Sens naturels,
Veftemens.
Efpric 5c Tes parties ,
Entendement ,
Raifon ,
Imagination ,
Opinion ,
Volonté , •
Pallions.
IV. Par fa vie en bloc s
y. Par les difFérences qui (ont entre ic5
hommes , fçavoir en leurs
i^ Naturels,
1. Erprics & Aiffifances,
3. Charges & degrez de Tupériorité & infér
rioticé ,
4. Proférions & conditions de vie ,
5. Advantages & défadrancages naturels»
acquis fie fortuits*
p^>a^_i>^B_i^ka»a«_i_>«>_A*a
PREMIERE CONSIDÉRATION
DE L'HOMME,
EN SOYET EN GROS.
•met
Générale peinture de l* homme.
CHAPITRE II.
Toutes les peintures & defcripcions que
les fagcs & ceux qui ont fort eftudié en cefle
fcience humaine ont donné de l'homme ^
femblenttoates s'accorder & revenir àmar*
quer en Thomme quatre chofes , vanité >
fbibleilè» inconftance, mifere , Tappellant
defpouille du temps » jouet de la fonune >
image d'inconftance, exemple & monfVre
de foiblefTe , trebuchet d'envie & de mi«
(ère y fbnge , fantofme , cendre , vapeur ,
rofée de matin, fleur incontinent e(panouye
& fanée , vent , foin , veflle , ombre ,
beiiles d'arbre emportées par le vent, orde
(emence en Ton commencement , e(ponge
d'ordures , & fac de miferes en (on mi-^
lieu , puantife & viande de vers en fa fin ,
bref la plus calamiteufe & miférable chofe
Tome L fi
14 D ï L A S A G E s s E,
^u monde. Job » un des plus fuffiCaiis en
cefte matière» tant en théorique qu'en prac-
tique» l'a fort au long depein<^, & après
luy Salomon en leurs livres. Pline , pour
cftre court, femble l'avoir bien propre-
ment repréfenté, le difant eftre le plus mi-
férable» & enfemble le plus omieiileux de
tout ce qui eft au monde , jolum ut cer^
tumfitnikîl ejft uni, nec mifirius quîc"
quant homine autfuperbius. Par le premier
mot ( de miférable) il comprend toutes ces
précédentes peindures » & tout ce que les
autres ont diâ : mais en Tautre ( le plus or-
gueilleux ) il touche un autre grand chef
bien important : ^ femble en ces deux mots
avoir tout diâ. Ce font deux chofês qui
femblent bien fe heurter & s'empefcher que
mifereâc orgueil, vanité & préfomptîon;
voilà une efîrange & monftrueufe coufture
que rhomme.
D'autant que l'homme eft compofé de
deux pièces fort diverfes , elprit & corps ,
il eft malaifé de le bien defcrire entier &
en bloc. Aucuns rapportent au corps tout
ce que l'on peuf^ dire de mauvais de l'hom-
me s le font excellent ^ Teslevent par def-*
X 1 ▼ R E I. C HA P. 1 1. ï J
Sus tout pour le regard de Teiprit : mais au
contraire tout ce qu'il y a de mal , non-
reulement en Thomme y mais au monde,
eft forgé & produiâpar refpnt : & y a biea
plus de vanité , inconfiance, mifere, prc*
(omption en refprït, qu'au corps s auquel
peu de chofe eft reprochable au prix de Tef*
prit s dont Démocrice appelle cet efprit lin
monde caché de miferess & Pluurque le m,, ^^^^
prouve bien par un livre exprès, & de ce ^'•*v»yM
fubjeâ. Or cette première générale confia Zm/nûd
dération de l'homme , qui eft en foy & en cw^fxris.
gros, fera en ces cinq poinâss vanité ^
foibltffti înconftance» mifer€,préfomption, ^
qui font les plus naturelles & univerfelles
qualitez : mais les deux dernières le tou«>
chcnt plus au vif. Au refte il y a ties chofes
conununes àplufieurs de ces cinq , que Ton
Be fçait bien à laquelle l'attribuer piuftoft,
& fpécialcment la foibleifé & la miferè.
#i^ar
ul.
Bij
/• Vanités
CHAPITRE ni.
4. La Vanité cft la plus dTentielle & propre
qualité de rhumaîne nature. Il n'y a point
d'autre chofe en l'honune, foît malice,
malheur , incomftance , irréTolution ( & de
tout cela y en a tousjours à fbifon ) tant
comme de vile inanité , ComCc & ridicule
Tanité. Dont rencontroit mieux Dcmocrite
£t riant & mocquant par defdaîn de l'hu-
maine condition, qu'Heraclite qui ploroit
êc s'en donnoit peine , par où il tefmoi-^
gnoit d'en faire compte & eftime : £t Dio^
gènes qui donnoit du nais, que Tymon
Je hayneux & fuyard des hommes. Pindare
Ta exprimé plus au vif que tout autre , par
îfCS deux plus vaines chofès du monde, i*ap*
pellant fbnge de l'ombre , aiuUç om^ «f>
êp«tv«ç. C'eft ce qui a pouffé les fages à un
fî grand mefpris des hommes ; dont leur
eftant parlé de quelque grand defTein 8c
belle entreprînfe, la ji^eant telle, fouloienc
dire , que le monde ne y aloit pas que Ton (è
V_
1 1 T X E I. c H A P. H; ty
toSA en peine pour luy , ( ûlnfi refpondit
Scadlius à Brunis , luy parlant de la conf-
piradon contre Cefar ) que le fage ne doit
rien faire <)ue pour foy , que ce n'eil raiibii
que les fages & la fj^effe fe mettent en
danger pour des fots.
Cette vanité £c demonftre 6c tefmoigne u
en plufieurs manières s premièrement en nos Penf<^cs<
penfées 6c entretiens privez , qui font bien
Souvent plus que vains , frivoles & ridi*
€ules : auTquels toutçsfbts nous confom^
mons grand temps , 6c ne le (entons point.
Nous y entrons , y fejournons & eh for-
tons infenfîblement , qui eft bien double
Vanité , & grande inadvertance . dé foy. .
L*un fe promenant en une falle , regarde
à compaà*er fes pas d'une certaine façon fur
ks carreaux ou tables du plancher : Ceft
autre difcourt en fon efprit longuement 6c
avec attention , comment il fe comporte -
roit s'il eftoit Roy, Pape, ou autre chofe,
qu'il f^tne pouvoir jamais eftre : & ainfî
fe paift de vent , 6c encore de moins , car
de chofe qui n'eft & ne fera point : Ceftuy-
cy fonge fort comment il comfoCctà, Cou
corps , fes contenances , fon maintien , fes
Buj
paroles d*une façon aficûée , &: fe pîaâl 3l
le faire , comme de chofe qui luy ficd-forr
bien , & à quoy tous doivent prendre plai-
lîr. Et quelle vanité 6c fotte inanité en nos
defîrs & fouhaits, d*ou naiflent les cré^m^
ces & efpérances encore plus vaines, &
tout ceicy n'advient pas feulement lors que
n'avons rien à faire, & que Tommes en-
gourdis d'oifivcté , mais (buvent au milieu
& plus fort des affaires : tant eft naturelle
& puiflanté la vanité , qu'elfe nous desrobe
Se nous arrache des mains de la vérité, fo-
lidité & fubilance des chofês , pour nous
mettre au vent & au rien»
Soin de ^^^ ^ P^**^ ^^^ vanité de toutes , eft
Tadve- ce foin pénible de ce qui fê fera icy , après
**'• qu'en ferons partis. Nous eftendons nos
defirs & aiFe^ons au-delà de nous & de
nofbre effare ; voulons pourvoir à nous effare
fàiâdes chofès lors que ne feronsplus. Nous
defirons effare louez ;^rès noftrc mort ;
quelle plus grande vanité l Ce n'efl pas am-
bition, comme l'on pourroit penfer , qui
cfl un defîr d'honneur fènfible & percepti-
ble fi cette louange de noftre nom peut
accommoder & fervir en quelque cbofe k
ttVRfi I. ClIAF. IlL ff/
nos enfans , parens, & afnis furvîvans s bien
foie , il y a de l*utilité. Mais defîfercommc
bien une chofe qui ne nous touchera point;
& dont n'en (encîrons rien » c'eft pure va-
nité , comme de ceux qui craignent que
leurs femmes Te marient après leur de^
cez , défirent avec grande pafiion qu'elles
demeurent vefves , & Tacheptent bien
chèrement en leurs teftamens, leur laiflans
une grande partie de leurs biens à celle
condition. Quelle folle vanité, & quelque-
fois inju(Ucel C'efl bien au rebours de ces
grands hommes du temps paiK , qui mou-
rans exhortoiéht leurs femmes à fé rema-
rier toft , & engendrer des enfans à la Ré*
publique. D'autres ordonnent que pour
l'amour d'eux , on porte telle & telle chofe
fur fby , ou que l'on fafTe telle cho(e à leur
corps mon : nous confentons peufl - eibre
d'efchapper à la vie, mais non à la vanité.
Voyci une autre vanité , nous ne vivons
que par relation à autruy^ nous ne nous
foncions pas tant quels nous foyons en
nous, en efFeâ & en vérité » comme quels
nous (oyons en la cognoiilânce publique.
Tellement que nous nous défraudons fou*
tO DE LA SaG^ s S£» «
vent , Se nous privons de nos commodité*
& biens, & nous nous gehennons pour for*
mer les apparences à l'opinion commune*
Cecy eft vray , non-fèulemenc aux chofes
icxternes , & du corps , & en U defpenfe &
emploice de nos moyoïs, mais encore aux
jbiens de Tefprit , qui nous femblent efbc
fans fruiâ , s'ils ne fe produifent à la veue
& approbation eflrangere , & £ les autres
n'en jouifTent.
^. Noftre vanité n'eft pas feulement aux
Agita- (impies penfées, defirs & difcours, mais en-
<i*crpiit. core elle agite , fecoue & tourmente &.ref-
prit & le corps : fouvent les hommes fe re-
muent & fe tourmentent, plus pour des
chofes. Itères & de néant, que pour des
grandes & importantes. Nofbre ame efl
fouvent agitée par des petites &ntafîes ,
fonges , ombres , & refvcries fans corps &
fans fubjeé^s elle s'embrouille & fe trouble
de cfaolere, dcfpit, triftcffe, joye, faifanc
des chafleaux CA Efpagne. Le fouvenir d'un
adieu, d'une aâion & grâce particulière
nous frappe & afflige plus que tout le difr-
cours de la chofe importante. Le fon des
iioms 3c de certains mots prononcez piteux
LIVRE t. CHA>. III. If
rcment, yoir des roufpîrs & exclamations
nous pénètre jufqu'au vif, comme fçavenc
&praifHqiient bien les harangueurs, af&on*-
tcurs , & vendeurs de vent & de famée. £c
ce vent {îirprend & emporte quelquesfbis
les plus fermes & afTenrez , $*ils ne Ce tien-^
ncnt fur leurs gardes , tant eft puîfTante la
vanité fur l'homme. Et non-feulement les
choiCes petites & Itères nous fecouent &
agitent» mais encore les fàufTetez & îm*
pofhires, & que nous fçavons telles ( cbofe
cftrange ) de façon que nous prenons plaifîr
à nous piper nous-me(mes à efcient , nous
paifbe de fàuiTeté & de rien. AdfalUndum
nofmetipfos iageniofiffimi fumus : tefmoin
ceux qui pleurent & s'afHigent à ouir des
contes, & à voir des Tragédies , qu'ils fça-»
vent eftre inventées 6c fàiâes à plaifir , 8c
(burent des fables, qui ne furent jamais :
Dirai'je encore , de tel qui eft coiffé 8c
meurt après une qu'il fçait effare laide ,
vieille, fouillée, & ne l'aimer point, mais
pour ce qu'elle efl bien peinâe, & plaffarée»
ou caquetereffe, ou £u:dée d'autre impof-
tore, laquelle il fçait, & recognoifl tout
px long & au vcay.
IX .'selaSages'se,
f * Venons du particulier de chafcan-à la vie
& oâicet commune, pour voir combien la vanité cft ,
de cour- atuchée à la nature humaine • & non-fea*
lemenc un vice privé & perfonnel. Quelle
vanité SC pêne de temps aux vifites , fahi-
. tations, accueils & entretiens mutuels, aux
ofEces de courtoifie , harangues , cérémo-
nies, aux oi&es, promeiTes, louanges ? Com-
bien d'hyperboles, d*hypocrifie, de fauiTe^ '
té & d'impofturc , au veu & (ceu de tous,
^ de qui les donne , qui les reçoit. Se qui k$ m
oyt} Tellement que c*eft un marché -&
complot £dâ enfemble de fe mocquer ,
mentir, & piper les uns les autres. Et faut
que celuy-là , qui fçait que Ton luy ment
impudemment , en dife grand merci s & ceT- 1
. luy-cy, qui fçait que. l'autre ne le croit
pas, tienne bonne mine effrontée, s'atcen-
. dant & fe guettant l'un l'autre, qui corn*
inencera, qui finira, bien que tous deux
youdroient eftre retirez. Combien (buffre-
^ t'on d'incommodité } l'on endure le ferein,
|e chaud, le froid > l'on trouble fon repos;
fa vie pour ces vanitez courtifanes : de laiflè-
. t'on affaires de poids, pour du vent ? Nous
fbmmes vains aux defpjcns de noflre aîfcv
L I y reI. c h ap. III. if
vobre de noftre fkncé & de noftre vie. L'ac-
ddeut 6c tres-l^r foule aux pieds la fub-
ftance, & le vent empone le corps , tant
ToQ eft efclave de la vanité : & qui ferait
autrement feroit tenu pour un fot & mal
entendant fon monde : c*eft habilité de
biep jouer cette £irce, 6c (bttife de n'eftre
pas vain. Eftans venus aux propos & devis
£uniliers , combien de vains & inutiles ,
ùxtx » fabuleux , controuvez ( fans dire les
mefchants & pernicieux qui ne font de ce
I compte ) combien de vanteries & de vaines
jaébuices ? L'on cherche & fe plaifl-on une
à parler de foy , & de ce qui eft Cicn » fî l'on
croit avoir faidl ou diâ, ou pofTéder quelque
chofe que Ton eftime ; Ton n*eft point à
, fon aife, que l'on ne le fàffe fçavoir ou
fentir aux autres. A la première commodité
Ton la conte , Ton Ja 6iâ valoir , Ton ren-
chérit , voire Ton n'attend pas la commo-
' dite , Ton la cherche induftrieufement. De
quoy que Ton parle , nous nous y meAons
tousjours avec quelque advantage : nous
roulons que Ton nous feiite, que Ton nous
eftime , & tout ce que nous eftimons, 7.
M4i$ pour monftrer .encore mieux com^ ^g"^*
/'
A4 delaSagesse,
tk>ns pu-i>ien l'inanité a de crédit & d'empire fur la
&^unû A^u^c humaine y fouvenons-nous que les
vcifellcs. plus grands remuemens du monde, les plus
générales & ef&oyables agitations des eftacs
& des empires, armées, batailles , meur*
très, procez & querelles, ont leurs caufes
bien légères , ridicules & vaines, tefmoins
les guerres de Troye & de Grèce, de Sylla
& Marius , d'où font enfuivies celles dç
Cefar , Pompée, Augufte & Antoine. Le$
Poètes ont bien iîgni£é cela , qui ont miâ
pour une pomme la Grèce & l'Afie à ièu &
à (ang : les premiers refibrts & motifs (otA
de néant, puis ils grofli^ent, tefmoins de
la vanité & folie humaine. Souvent l'acci-»
dent £ûâ plus que le principal , les circonf-
tances menues piquent & touchent plus vi-
vement que le gros de la chofe & le fubjeâ
mefmes. La robe de Cefar troubla plus
Rome que ne fît fa mort & les vingt & deux
coups de poignard qui luy furent donnez.
S. . Finalement la couronne & la perfèéHon
fclijité de la vanité de l'homme fe monflxe en ce
tcnrc- '^'^ cherche, fe plaift, & met fa félicité
ment, en des biens vains & frivoles , fans lef-
quels il peut bien & comitiodement vivre :
t I vas I4 C M A ]?. ÏIï. If.
& ïie Te foucie pas, comme illàut, des vrays '
& eiTentieis. Son cas n*eft que voit s tout
Con bien n*eft qu*en opinion & eh fonge;
il n*y a rien de pareil ailleurs. Dieu a. toua
biens en effence , âc les maux en in^ellir-
gence i Thomme au contraire poiTede fes
biens par fiuitafie., & les maux en effeneci.
I^es beftes ne Te contentent, ny né fe paif-
&nt d'opinions & de Ëmtafies , mais de ce
qui eft préfent, palpable 8ç en vérité. I^a
vanité a efté donnée àrhomme en paoage :
il court , il bruid , il meurt , il fuit , il
chaiTe, il prend une ombre, il adore le vent,
un feftu eft le gaing de fou jour.
CHAPITRE IV.
VoYCi le fécond chef de la confidéra-
tian & cogpoiflance humaines comment la
vanité feroit-dile autre que foiUe & frede 1
Cette ibibleife eft bien confeifce & advouée
4i6 tous, qui en comptent plufieurs chofés
ai fiées à appercevoir d^ tous : mais n'eft pas
remarquée telle, ny es chofes qu*il faut»
Tome L C
1^ D E L A s A G E s s E,
Comme font celles oii il femble eftre plus
ion & moins foible , au defir , au jouir ,
èc ufer des chofes qu'il a ^ qu'il dent, à
tout bidn & mal : bref, celles ou il fe glo^
rifie, en quoy il penfe fe prévaloir & eftre
quelque chofe, font les vrays tefmoins de fa
foibleâe. Voyons cecy-mieuz par le menu.
^. Premièrement au deftrer , l'homme ne
Au de- peuft aiTeoir fon contentement en auctme
choiâr. ^liofe , & par deHr meftne & im^nation. Il
efthors noftre puiflance de choifir ce qu'il
nous faut : quoy que nous ayons dêfiré^ &
qu'il nous advieime s il ne nous, fatis&id
point , & allons béants après les chofes in-
cognucs & advenir , d'autant que les pré-
fentes ne nous faoulent point , & eflimons
plus les abfentcs. Que Ton baille à l'hom-
me la carte blanches que l'on le niette à
mefme de choifir , tailler & prefcrirc, il eft
hors de fa puiffance de le faire tellement,
qu'il ne s'en defdife bientoft , en quoy il
ne trouve à redire , & ne vueille adjoufter,
ofter , ou changer 5 il deiîre ce qu'il ne
fçauroit dire. Au bout du compte rîcn ne
le conteittc , fe fafche & s'ehftuyc de foy-
nlefine.
.y
fcrV R E I. C H AP. IV. 17
Sa fbiUdIe cft encore plus giande au . ^' .
jouir & ufer des chofes , & ce en plufîeurs & ^xCcz,
manières ^ premièrement en ce qu*il ne peut
jnanier &; fe fervir d'aucune chofe en fà
furecé &fîmplicité naturelle. II les faut de A
goifer, akérer^ & corrompre, pour Tac^
commoder à noftre main : les élémens, les
métaux , & toutcs-chofcs en leur naturel;
ne font propres à noftre ufage> les biens ,
les Yoluptez & plaifirs , ne fe peuvent iaif-
ier iouir fans mcflange de mai & d'incom-
modité , meSo de fonte leporum furgit
timari aUquidi quod in ipfisfioribus angat.
L'extrême Tolupté a un air de gemifTemenc
3& de plainâe» eftant venue à fa perfeâion;
c'eft foiblefle, dé&illance, langueurs un
extrême & plein contentement a plus de
févérité raffife que de gayeté enjouée ; ipfà
félicitas fe nifi tempérât^ premiti D'où di^
fbit un Ancien , <]ue Dieu nous vend tous
les biens qu'il nous envoyé, c'eft-à-^ire
qu'il ne nous en doiine. aucun pur, que
tious ne l'acheptions au poids de quelque
mal. Aufli la triftefle n'eft point pure &fan^
quelque alliée de plaifir, laéor voluptas-
que diffimilima natura » focietate quadam
Cij
^8 .]>£ XâL SlAfiESS'E,'
naturali inter fe ftmtjunBa; tft ^qieàdam
fUre voluptas. Ainfi tontes choses en ce
inonde font mixdomiées&cLeâieinpéesavec
leurs contraires : les moiivemens . 8c pQsda
yif;^ quiTerv.ent au lire, ibrvent auâî aE
pleurer > comme les pcinâres:noii5 appren-;-
nêm. £t nous soyons que Textrëmitë dm
rirefe meûe aox larmes. U xiy a inint de
bonté enjioos, qu'il n^ syc qoelqueceinc-
ture vicieufe, comme & 'dira tsmtoft ea
fon lieu. Il n'y aatufli auctm mal fans quel-
que bien : nuilum fine .authoramêrito ma?'
ium eft. Toosjoars à -quelque diofè fert
malheur , nul mal ûs» bien ^ nul bien iaos
mal en Tbomme-s tom tSt méfié , rien de
pur en nos mains. Secondement tout ^ce
qui nous advient» nous le prenons '& en
fouilTons de mauvaifè mam : noftre gouft
«ft irréfolu ^ incertain ; il tne fçait riçn ter
iiir sij jouir de bonne-âjpon ::De^làeft ve-
nue la queftion interminable du (boverâin
ivicn. Les efao&s meilleures (bavent en no»
mains par noJftrefoibkiTe, vice, & infuâS-^
£uice , s'empirent , Ct corrompent, deviens
•nent à rien, nous (ont inutiles, voire quel*^
iqiiesfois contraires &'doinmageri>lcs«
t lYHl I. C H A J». IV. %9
»
Mais la foibléfle humaine Te mooftre ri-r ^ <*,
Au bien
chement au bien & au mal , en k^ vertu & & au
au vice 5 c'eft que l'homme ne pcuft eftrci "**!•
quand bien il voùdroit , du tout bon ny du
tout mefchant^ U eft impuiilânt à tout. Sur
ce piopos cJQuofiflé^ons trois poinâs s le pre>
miër eft» que Von ne peut £uire tout bien »
«y exercer tome venus d*autant.que plur
lîeurs vertus (ont incompatibles, âCAepcif i.VeRtt
vent demeurer en(èmble , comme la comi* ^'^^*
tience filiale & viduale , qui font entière*
ment différentes, le coelibat&le marine)
eftans les deux féconde eftats de viduit^ Se
de mariage bien plus pénibles & af&ireux,
]8c ayant plus de diiHcùlté & de vertu qtie
les deux premiers de filiage 6c de.cœlibat :
qui ont aufli plus de pureté, de graée 6c
d'ayfance. La confiance qui eft en la paU*
vreté , indigence, adverfité, & celle qui eft
en l'abondance & profpérité y la patience
-de mendicité & la libéralité. Cecy eft en*
core plus vray des vices qui font oppotites
les uns aux autres.
Le fécond eft que bien fouvent Ton ne ^ •
peuft accomplir ce qui eft d'une vertu, fans
le hun & offence d'une autre vertu , ou
iij
90 D^ X A Sac i s s f ,
pe(cheftc : d'eu vicut q4ie roii:ne pem {a«-
tisfaire à Tone 4]u*aiiz de^&s de rautK^r
C'eft tousjoon defconviir un aiitelf»our ea
couvrir un autre, tant eft courrcd: fbible
toute la fuffi£i«cèJiainame, cfu'eMe ne peur
bailler ny recevoir un r^ement certain ,
tiniveffel , & «onfbmc à JdSbx komme de
' -lÂcn-}& ne peuft fibienadvf&rfc pour^
voir, que les moyens de bien:£use ne s'en-
tr'empcfchent foiwent. La charité & la-
juftice fe contredifem s ii )e rencontre mot»
patent & amy en la guerre de contraire
pany , par |uâice )e le doibs tuer , par cha^
rite l'épargner & iàuver. Si un homme eft
blefR à lamort, où n'y aye aucun remède»
8c n'y refte>qu'un languir tr^ douloureux»
c*eft œuvre de charité de l'achever , mais
qui feroit puny par )aûice : voire eâre
trouvé pr^ de luy en lieu «(carte , où y a
doubte du meurtrier, bien que ce Toit pour
luy &ire office d'humanité , eà très dange^
reuxs & n'y peufl aller de moins que d'eflre
taravaillé par la juftice , pour re(pondre de
ceft accident, dont Ton eft innocent. Et
voilà comment la juftice non-ieukment
LIVRE I. CHAP. ly. «îl
teutte la chanté , 4nais elle*mcfhft s'en*
trave & s-emperche : yî^mmitm jus fumma.^
injuria.
Le troi£cme plus notable de tous: i'oA tf«
eft contcainé^ â>uvent de fe (èrvir 8c ufer de
mauvais moyens pour ervi«er*3t fortîr d*aa
plus grand mal , on {^uir parvenir à 4ine
bonne fin ; tellement qu'il faut quelques^
fois légitimer & authorif^ non-fêolemenc
les chofes qui ne font point bonnes , mais
encore les mauvaifes ; comme Ç\ pour eflre
bon il falloir eftre un peu méchant. £t cecy
fe voit non-'^eulesnent au faiâ de la police
& de la juflice, mais encore en lareligion^
qui monfhe bien que toute la coufture &
conduite humaine eft bailie & faiâe de pie-
tés maladifves.
En la police, combien de chofes mau« i. Police.
vaiCcs permifcs & en ufage public , non-
feulement par connivence ou permiflîon,
mais encore par approbation des loix ,
comme fe dira après en (on lieu l Ex fenor
tufconftdtis&plehifcithfceltra exercentur. ' j, ^*
Pour defcharger un cftat & république de
trop de gens , ou de gens bouillants à la guer-
re, qu'elle ne peufl: plus porter, comme un
)1 SELaSaGES'SÊ. -
corps replet de mauvaifeis ou trop d*W
meurs , l'on les envoyé ailleurs s*accommo^
der aux defpens d*autruy : comme les Frân«
çoîs. Lombards, Goths, Vandales, Tartares,
Turcs : pour efviter une guerre civile Ton
en entretient une eftrangere. Pour ins-
truire à tempérance , Lycutgus £û(bit en-
yvrer les Ilotes ferfs, pour par ce desbor-
dément faire prendre horreur de ce vice.
Les Romains , pour drefTer le peuple à la
vaillance , & mefpris des dangers & de la
mort, dreiToyent les fpeâacles furieuse des
gladiateurs & efcrimeurs à outrance : ce
qu'ils firent au commencement des crimi-
nels , puis des ferfs innocents , enfin des li-
htcs qui fë donnoyent à cela. Les bourdeaux
aux grandes villes , les ufures , les divorces!
en la loy de Moyfe & pluiîeurs autres
nations & religions , permis pour efViter de
plus grands maux.
^. £n la ju(Hce, laquelle ne peut fubiHler
^ JuftI- & eftre en exercice fans quelque meflange
d'injuftice , non-feulement la commuta-
tive, cela n'efl pas eftrange , il eft aucune-
ment nécefTaire , & ne fçauroit*on vivre &:i
trafiquer enfemble fans léfion , oflènce &!
LIVRE I. CHAP. rV. f$
dommage mutuel , & tes loix permettent
de (è tromper au-defToubslamoitié du jufte
prix : mais la difbibutîve , comme elle-
mefine confeâê, fummumjus fumma in*'
juria : & omne^magnum exemplum hahet
•aHqidd ex iniquo , qtiod contra fingulos
utilitau publica rtpendttur. Platon per*-
3net, &^^lc (Hle ed tel en plusieurs endroiâs,
d'attirer par fraudes & fiiuiTes efpérances de
&veur ou pardon le criâtinel à defcouvrk
ion £iiâ. C^par inja(&e, piperie & îm-
-pudcnce, vouloir arriver à k jufti<îc. Et p^ceii
^e diroii5-*nous de rîQventiosi des^gehen-^ hennés.
3ie$ , qui cft .plufloâ: 'un efTay de patience
•que de vérité j car celuy qui les peufl fouf-
^, fictnelespeuftfoizSnr, cacherala ve-
nte. Pourquoy :k douleur lera-t^elle pluf*-
toû dire ce qui eft, que ce qui n'eft pas3
£ l'on penfe que Tinnocent eft aiTez pa-
tient pour fupponer les tourments, &'pour-
-quoy ne le feia celoy qui eft coulpable ^
«ftant quefHon de faaver fa vie? Pour ex-
ïuf&on diâ quek torture eftonne le coul-
pable, rafFoiblit, & luy fait confeifêrik
iàuiTeté-; À-au rebours fortifie l'innocent:
mais il s^dft tant fouvent ^v^eu le contraire^
)4 i)ilaSa6ssse»
cccy eft Captieux , &, à dire vray, un paav fe
moyen , plein d'incertitude & de doubtè.
Que ne ditoit & ne feroit-on pour fouit à
celles douleurs } Etenim innocentes nuntiri
xogit dolor. Tellement qu'il advient que le
Juge qui donne la géhenne a£n de ne faire
mourir Tinnocent» il le faiâ mourir & inno* '
cent & géhenne. Mille & mille ont chargé
leurs tefles de ÊtufTes accufations : mais au
bouc du compte eft-ce pas grande injuftice
& cruauté de tourmenter & rompre un
homme , de la faute duquel on doubte en-
core^ Pour ne le tuer fans occafion'. Ton
luy fait pire que le tuer : s'il eft itmocent
■& fupporte lapeyne, quelle raifi>n luy eil-
il fàiâ du tourment injufte 'i II fera ab-
fous , grand mercy. Mais quoy , c'eft le
moins mal que la fbibleffe humaine aye
/pu inventer : toutesfois n'eft pas en praâi'
que par-tout. Il fcmble que commettre an
. combat les parties^ quand l'on ne peuft àd-
couvrir la vérité ( moyen condamné par la
Chreftienté , & jadis fort en uGige ), Toit
moins injufte & cruel.
4. Reli- £n 1a religion, les plus grandes & fo-
i*^» ^*" JemnçUes aâioos font marques honteofes^
LIVRE I. CHAP. IV. 3i
èc remèdes aux maladies humaines : les (a-
crifices qui ont efté anciemiemeiit en û
grande révérence par tout le monde uni^
verfel , voire en la religion judaïque , 8c
encore font en uGige en pluûeurs endroits
du monde, non-feulement des beiles , mais
encore des hommes vivans , voire des in*
nocents : quelle plus grande rage & manie
peuft entrer en Timagination , que de pen-
{èr appaiObr & gratifier Dieu par le maf-*
(acre & fangdes beftes? Non fanguinc co- scnec.
Undus Deus ; qiu etiim ■ ex trucidât ione
immerentium voluptas efi ? Quelle folie de
penfbr £dre fervice à Dieu en luy donnant
& préfentant , & non pluftoft en luy de*
mandant & implorant "ï Car c*eft grandeur
de donner & non de prendre. Certes les
facrifices eftoyent ordonnez en la loy de
Moyfe, non pour ce que Dieu y prinft plai-
fir , ou que ce fiift chofe par aucune raifbn
bonne de foy, jî voluijfes facrificîum de- pénîtcn-
dijfem utique, holocaufiis non deUHaberis : ce.
facrificîum & oblationem noluifti , holo»
cauftum pro peccato non pofiulafii y mais
pour s^accommoder à la foibleffe humaine :
car il eft permis de folier avec les petits
p^ Bl t A s A G £ s s E, •
«ofanis. La pénitence eft la chofe la picis
recommandée & des principales de la re*
ligion 'y mais qui préruppofe péché ,. & eft
remède contré iceluy , fans lequel ce fêroic
de Coy chofe mauvaife : car le repentir > la
Jute- tnfteàe & affli^on d'efprit eflmaJi, Le ju:^
»cnt« rement de mefmc caufé par l'infidélité Se
mefEance humaine» & remedejcontre icelle»
ce font tous biens, non de foy, mai»
comme remèdes aux maux. Ce. font biens
pour ce qu'ils font utiles Se néceilaires ,.&
non au rebours. - Ce font biens, comma
Tedernuement de la médecine, bons fignes
renans de mauvaife caufe , guarifon de
maux. Ce font biens , mais tels qu'il fe«
roit beaucoup meilleur qu'il n'y en eoll ja-
mais , & qu'il n'en fuft point befoin.
9. Si l'homme dd ibible à la vertu, comme
f . Vérité, il YÎcm d'eftrc monftré, il l-eft encore plus
à la vérité. C'eft chofe eftrange , l'homme
dc(îre naturellement fçavoir la vérité , Se
pour y parvenir remue toutes chofes : néantr
moins il ne la peuft foui&ir , quand elle Ce
préfente; fon efclair l'eftonne > fon efi:lat
Vatterre: ce n'eft point de fa: faute, ca»
4^1k eft très bielle, très anûàhk ^.trcscon?
L I V R E L C H A p. I V. 37
venable àrhomme > & peuft-on d'elle dire
encore mieux , qae de la vertu & fagefTe ,
que iî elle fepoavoît bien Toir, elle raviroir
& embraferoic tout le monde en fon amour.
Maïs c'eft la foibleiTe de Thomme qui ne
peuft recevoir & porter une telle fplendeur;
voire elle TofFenfe. Et celuy qui la luy pré-
fente cft fouvent tenu pour ennemy , veri^
tas odium parit, C'eA aâe d*hoftilité que
de luy monftrer ce qu'il ayme & cherche
unt. L*homme e(l fort à defirer, & foible
a recevoir. Les deux principaux moyens
qu'il employé pour parvenir à la cognoif-
(ance de la vérité, font la raifon & l'expé-
rience. Or tous deux font (î foibles & in-
certains ( bien que l'expérience beaucoup
plus ) que n'en pouvons rien tirer de cer-
tain. La rai£bn a tant de formes > eft tant
ployable, ondoyante, comme fera ditam-'
plement en fon lieu. L'expérience n'en a
pas moins s les événemens font tousjours
diiTemblables. Il n'y a rien fî univerfel en
là nature, que la diverfîté : rien il rare 8c (î
difficile , Yoirç quafî impofliblè , que la
iimilitude. Et fi l'on ne pei^t remarquer la
diifemblance , c'eft ignorance & folbleife.
D
\
^% DELaSaGB'SS£,
Ce qui s'entend de par&iâe & entière £cm«
blance & diflemblance. Car à vray dire
tous les deux font par-tout : il n'y a chofe
aucune qui (bit entièrement J&mblable &
difTemblable à un autre : c*eft un ingénieux
medange de nature.
10. Tout ce defTus monftre combien cft
' grande la foiblefTe humaine au bien , à la
vertu, & à la vérité : mais qui eft plus
eftrange, elle efl auflî grande au mal. Car
voulant cftre mefcbant , encore ne le peuft*
il eftre du tout , & n*y laifTer rien à Cuire.
Il y a tousjours quelque remords & crain*
dfve confédération, qui ramolifl: & rclaf^
che la volonté, & referve encore quelque
chofe à faire : ce qui a cauf% à plufîeuis
leur ruynç, bien qu'ils enflent projette là«
dcffus leur fàlut. C*efl foibleffe & fbttifè »
dont efl venu le proverbe à leur defjpens :
qu*// ne faut jamais folîer à demy»
iT. Remarquons encore plufieurs autres ef-r
pfchen- ' ^^^ ^ tefmoignagcs de la feibleffe hu-
lions 8c maine. C*efl: foibleffe & relatifve de n'ofer
icfus. jjy pouvoir reprendre autruy , ny.cflre re-
prins > volontiers qui efl foible ou coura*
geuxen Tun, i'eft aufC en r^^uxre. Or c*ç(l
tiVRE I. CkÀP. ÎV. $p
One grande délicatefiè fe priver ou autruy
d*iin fî grand ftuïék pour une fi légère &
fuperficielie piqueure, qui ne (aiéï que tou-
cber & pinfler Tortille. A ce pareil eft voy-
iîn ceft autre de ne pouvoir refufer avec
raifbn , ny aufli recevoir & foufFrir dou«
cernent un refus.
Aux faufTes accafations & mauvais foup^ n '
çons qui courent & Ce font hors jufticc , il foupçons
îe trouve double finefie> Tune qui eft aux & accu-
intereffez, accufeï & foupconnez , c*eftdfc ^*"*^°*'
fe juftifier & ezcufer trop facilement, foi*
^eufement, &quafiambitieùfement. Men-
dax infamia terrtt quém ? njfi mendofum t
C'çft trahir fon innoc^ice , mettre 'fa cofl-
fcience èc (on droiâ -en -compronris & en
arbitrage., que de -plaider ainfi, perjpzcui^
tas argumentaùone elevàtur, Socrates eu
jufticc mefme ne te voulfift faire ny p^
-foy ny par autruy , r^fant d'employer
le beau plaider du grand Lyfias , & ayma
mieux mourir. L'autre eft au cas contraire,
c'eft quand l'accufé & prefvenu courageut
tie fe fbucîe de s'excufer ou juftifier , par-
ce qu'il merprifè l'accufation & raccufatft
«comme indignes de rë(ponfe & juftifica^
Dij
40 delaSacîesse,
tion , & ne fe veut faire ce ton d'entrer en
celle lices praéHqué par les hommes gêné-
xeux, par Scipion fur tous plufieurs fois
d'une fermeté mervcilleufe : lors les autres
s'en ofFenfent, ou efUmans cela trop grande
f:onfîdence & orgueil» & fè pic(|uans de ce
qu'il fent trop Con innocence , & ne Ce
defmet pas » ou bien imputans ce filence Se
mefpris à faute de cœur, defEance de droiâ^
impuiifance de fe juftifîer. O fbible huma-
nité l que l'accufé ou foupçonné fe défende,
ou ne fe défende, c'eft foibleffe & lafcheté.
Nous lui devrons du courage à ne s'excu*
fer, & quand il l'a, nous fommes foibles
à nous en ofFencer.
i^« , Un autre argument de fbibleffe eil de
& aélica-^*^^^i^^^ ^ acoquiner à une certaine fa^
tcirc» • çon de vivre particulière v c'eft moleife pol-
tronne , & délicatefTe indigne d'unhonneftç
Jiomme, qui nous rend incommodes & dé-
sagréables en converfation, & tendres au
mal, au cas qu'il Êiille changer de manière
de faire» C'eft auiH honte de n'ofer ou
laiiTer par impuiâance à faire ce que l'on
•voit faire à fes compagnons. Il faut que
telles gens s'aillent cacher & vivre en Leur
1 1 V n E L c h A *. I V. 41
foyer : la plus belle façon eft d'eftre foupplé
& ployable à tout , & à Tezcez mefme fi
befoin eft, pouvoir ofer & fçayoit faire
toutes diofes , & ne £dre que les bonnes»
U faiâ bon prendre des rdgies mais non s'y
aâervir.
Il fèmble appartenir à fbiblefTe , & cftrc q^ J^^
une grande fottife populaire de courir après des Li-
Ics exemples eftrangers & fcholaftiques , '^'^*'
«près les alli^ations , ne faire eflat que des
ceûno^ages imprimez, ne croire les hom-i*
mes, s'ils ne font en livre, ny vérité fî elle
n'eft vieille. Selon cela les fottifes , fî elles
font en moule , elles font en crédit Se en
dignité. Or il s'y faié^ tous les jours devant
nous des chofes que fi nous avions Tefpric
& la fulHCance de les bien liècueiilir, efplu-
ther, )uger vifvement , & trouver leur jour,
nous en formerions des miracles & mer^
veilleux exemples, qui ne cèdent en rien à
ceux du temps paflë , que nous admirons
tant , & les admirons pource qu'ils font
vieux & font efcrits.
Encore un tefmoignage de fbibleffe efl j^.
que l'homme n'efl arable que des chofes ^"*. «*•
médiocres , Se ne peufl fbufFrir les extremis
Diij
49. X>xi.aSa<ïesss,
f cz. Car fi elles £bm petites , & en leot
monftre viles, il les derprife & defdaigne
icomme indignes, & s'ofience de les confl-
dérer : fi elles font fort grandes & efclatan*
tes, il les redoubte , les admire, & s'en fcan-
dalife. Le premier touche principalement
les grands & fubtils, le fécond fe trouve
aux plus fbibles.
i<. Elle fe monftre auffi bien clairement à
fubiccf. 1*^^^> veue, & au coup fubit des chofes
nouvelles & inopinées, qui nous furpren-
nent & faiiifient à Timpourveu : car elles
nous eftonnent fi fort , qu'elles nous oftent
les fens & la parole , diriguh yifa in mé"
. dio y calor ojfa reliqidt > labitur j & longo
vix tandem tempore futur , quelquesfois la
-vie mefme : foient -elles bonnes, tefmoin la
Pâme Romaine qui mouruft d'aifc voyant
fonfils retourné de la defroutte , Sophocles
.& Denis letyran : foîent mauvaifes, comme
Diodorus , qm mouruft fur le champ de
honte, pour ne pouvoir delVelopper uii ar-
gument.
„^ Encore ceftuy-cy, mais qui fera double
^ de deux façons contraires. Les uns ce-
dent & (ont vaincus par les larmes & hum-
t I V R E L C H AP. lY. 4f
i>les fuppiications d'autruy , & fe picquent
du courage & de la brav erie i tes autre? au
rebours ne s*efineuvent par toutes' les fdb'
tniffîons & plaintes, & fe laifTent gàigûer
à la confiance & réfolution. Il n'y a point
de doubte que le premier ne vienne de foi-
blefle : aufli fe trouvé-t-il volontiers es
âmes molles & vulgaires. Mais le fécond
n'eft (ans difficulté, & fe trouve en toute
forte de gens. Il femble que fe rendre à
la vertu & à une vigueur mafle & gêné-
reufe, eft d*ame forte aufH & génércufe :
& il eft vray , s'il fe faiât par eftimation &
révérence de la vertus comme fit Scander-
berch recevant en grâce un foldat pour
l'avoir veu prendre party de fe défendre
contre luy ; Pompdus pardonnant à la ville
des l^ammertins en confidération de la
vertu du citoyen Zenon j l'Empereur Con-
rad pardonnant au Duc de Bavieres & au-
tres hommes affiegez, pour la magnani-
mité "des femmes, qui les luy defroboient
& emportoient fur leurs teftes. Mais fi c' eft
patveftonnement & eftray de fon efclat,
comme le peuple Thébain qui perdit le
€t£ur oyant Epaminondas accufé raconter
44 b£ LA S Jk G C s s s,
fes beaux faiâs, 8c luy reprocher avec ûcrd
Gm ingratitude , c*eft foibleffc Se lafcheté.
Le fkiâ d'Alexandre mefprirant ta ixrave ré*
iblotionde Becis prins avec la ville de Gaza
DU il commandoîc , ne fuft de ùÀhltSc ny
de courage , mais de colère , la<]»elle en
luy ne rccevoit bride ny modéracson au-*
cune. ..^
f
III, Inconfiance.
CHAPITRE V.
». L'homme cft un fubje<flmerveilleu{cnicnt
divers & ondoyant , fur lequel il cft très
malaifé d*y affecwr jugement afTeuré, ju-
gement, dis-je , univerfel & entier, à caufe
de la grande contrariété & difTonance des
pièces de noftre vie. La plufpart de noi
adions ne font que faillies & bouttées pouf
fées par quelques occafîons : ce ne font que
pièces rapportées. L'irréfolution d'une part,
puis l'incondance & Tinflabilité , eft le plus
commun & apparent vice de la nature bu*
maine. Certes nos allions fe contredifent
(buvent de fi elbrange façon , qu'il {emble
impof&ble qu'elles foient parties de mefmd
t I Y R E L C H A p. V. 4J
boutique. Nous allons après les inclina^
tions de noftre appétit» & félon que le Ycnc
des occafîons nous emporte , non (êlon la
raifon , at mlpotefi ejfe ^quabile^ quod non
à certa ratione proficifcatuf» Auffi nos ef-
prits & nos humeurs fe meuvent avec les
mouvemens du temps , taies funt kominum
mentes qualis pater ipfe Jupiter auHifero
lufiravit lampade terras. La vie eftunmour
Tement inégal, irregulier, multiforme. Enfin
nous nous remuons & troublons nous-mef-
ffles par l'inftabilité de nofliepofture. Nemo
non quottUe confilium mutât & votum :
modo uxorem vult , modo amicam ; modo
regnare vult , modo non efi eo officiofior fer--
vus; nunc pecuniam Jpargit , nunc rapit;
modo f rugi videtur & gravis» modoprodigus
& vuTius i mutamus fubinde perfonam,
Quod petiic, rpenrit ) repeth quod nuper omifit.
AUvax. y & viue difconvenic ordinc cnto.
L*homme eft Tanimal de tous le plus
difficile à fonder & cognoiftre » car c'eft le
plus double & contreËiiâ , le plus couvert
& artificieU & y a chez luy tant de cabi-
nets & d*arriere - boutiques , dont il fort
Untoft homme , t^mtoft fatyre s t^( d$
4^ b E lA Sac £'s st,
fisufpirails , dont il fooffie cantofl le cbauJ^
tantofl le froid , Se d*oti il fort tant de Bi"
mëe. Tout fon branflcr & mouvoir n*eft
qu'un cours perpétuel d'erreurs : le matin
naiftre, le Toir mourir s tantoft aux ceps ,
tantoft en liberté 5 tantoft un Dieu , tantoft
une mouche. Il rit & pleure d'une Inefme
chofe. Il eft content & mal content. Il veut
& ne veut 9 & ne fçait enfin ce qu*il veut.
Mi**a
ir. Miferc.
C H À P I T R E jr I.
Mifere VoTTci le grand &^ piiiïcipal traiéb àt
Vhïm-^ fapeinaurc jil efl; comme a e^c di<â, vain^
«»«• foible , fircfle^, inconftant au bien , à la fé*-
licite, à rayfc : mais il eft fort, rbbuftcj
conftant, & endurcy à la mifere 5 c'cft k
mîfercmcfme toute vif^e : c'eftentm mot
exprimer rhumanité , car en luycft toute
mifere , & hors de luy il n'y en a poinô au
monde. C'oft le propre de l'homme d'cftre
miferablc, le feul homme, & tout homme
eft tousjours miferable^ comme fc vernu
Qui voudroit rcprefentcr toutes les parties
^ la mifere humaine , faodxoit difcourit
•LIVRE L CHAP. Vl,. 47
loute fa y le.. Ton eitre, (on entrée, fa du-
rée, fà fia. Je n'entreprens donc pas cette-
befbngne, ce feroit œavre fans fin : &puis
c'eftun fubjeâ commun traxtépar tous : mais
je veux icy cotter certains poinâs qui ne
font pas communs, ne font pas pnns pour
ffliferes , ou bien que Ton ne fent & Ton
ne con£derepas afTez, combien qu'ils foyenc
les plus pre^ns > fî Ton fçavoit bien juger.
Le premier chef & preuve de la mifere ,*•
liumaine efl, que fa produdHon, fbn entrée commen-
efthonteufe, vile, vilaine, mefpriféej ^^^^^°c
fbrtie , fa mort & ruyne, glorieufe Se ho-
norable. Dont il femble efbre un monflre
& contre nature , puis qu'il y a honte à le
£iire , honeur à le desfaire. Noftri nofmet
pœnitet & pudet. Sur cecy voyci cinq ou
fiz petits mots. L'aiStion de planter 8l faire i«
rhonune efl honteufe, & toutes Tes parties,
les approches , les apprefls , les outils , &
tout, ce qui y fert , efl tenu & appelle hon-<
teux, & n'y a rien de fî honteux en la
nature humaine : l'aâion de le perdre
& tuer , honorable , & ce qui y fert efl
glorieux, s l'on le dore 6c enrichifl , Ton
s'en pare > l'on le porte au cofté , en la
4S I>£LASAG£SS£,
t. main , fur les efpaules. L'on fe defdaîgne
d'aller voir naiftre un homme : chaCcua
court & s'afTemble pour le voir mourir ,
foie au lia, foit en la place publique , foie
)• en la campagne raze. On fe cache , on
tue la chandelle pour le faire s Ton le fàiâ à
la defrobée : c'eft gloire & pompe de le des-
£dre; l'on allume les chandelles pour le
voir mourir , Ton l'exécute en plein jour ,
Ton fonne la trompette , Ton le combat, &
é^ en faiâ-on carnage en plein midy. U n*y a
qu'une manière de £iire les hommes $ pour
les desfaire &ruyner, mille & mille moyens,
j. inventions , artifices. Il n'y a aucun loyer ,
honeur , ou recompenfe affignée pour ceux
qui fçavent faire, multiplier, conCèrver
rhumaine nature s tous honeurs , gran-
d'Turs , richeffcs , dignitez , empires , triom*
phes , trophées font décernez à ceux qui
la fçavent affliger , troubler, deftruirc. Les
deux premiers honunes du monde, Ale-
xandre & Cefar , ont desfûâ chafcun d'eux
(comme diâ Pline) plus d'un million d'hom*
mes , .& n'en ont faid, ny laiifé après eux.
£t anciennement pour le feu! plaifir & paf-
fb-temps aux yeux du peuple fp faifoicnc
1 1 y R E I. c H A ï>. VL 4^
ces carnages publics d'hommes : komo Ja^
cra rts per jocum & lufum occiditur :fatis Senec»
fpe^a^uii in komine mors tft : innocentes Terml.
in ludum veniunt ut publioL voluptatis tad
hoffiiA fiant. Il y a des nations qui maudif-
fent leur naiÏÏance, beniffenC leur mort.
Quel monilrueuz animal qui Te faiâ hor-^
rcttr à {by-mcfmc l Or riert de tout cecy
ne Te trouve aux béftes, ny au monde.
Le fécond chef & tcfmoignage de fa mi- ^ ^
fere eft au retrancher des plaîfiis Ci petits Se prl-
& chetife qui lui appartiennent ( car des \^i^^^,
•purs, grands & entiers , il n'en eft capable»
comme a eftë diâ en fa foibleilè), & au rabat-
tre du nombre de la douceur d'iceux. Quel
monftrc qui eft ennemy de foy-mefinc , fc
defrobe & fe trahift foy-mefme , à qui fes
plaifirs pefent , qui fe tient au malheur l
Il y en a qui évitent la fanté , Tallegrefle ,
la joyc, dommc chofe mauvais. O miferi
quorum gaudia crimen kabent I Nous ne
fommes ingénieux qu'à nous mal mener*,
c'eft le vray gibbier de la force de noftrc
•cfprit. ^.
Il y a encore pis : refprit humain n'eft Se for-
f3s feulement rabbat-joyc, trouble-feftc , ^^J^"
Tome I. £
50 delaSagessi,
cnnemyde fes petits, naturels & juftes plai*
firs , comme je viens de dire s mais encore
il eft foigeur de maux. Il fe peina & £gure,
craint, fuit, abhorre, comme bien grands
maux , des chofes qui ne font aucunement
maux en foy & en vérité , & que les beftes
ne craignent point , mais qu'il s'eft feinâ
par fon propre difcours Ôc imagination eftrc
tek , comme (ont n'eftre advancé en hon-
neur , grandeur, biens , item cocuage , Ae-
rilité d'enfans, la mort. Car à vray dire il
n'y a que la douleur qui foit mal , & qui fe
fente. £t ce qu'aucuns fâges femblent crain*
-dre ces chofes , ce n*eft pas à caufe d'elles,
mais à caufe de la douleur qui quelquesfois
•les accompagne de près : car fouvent elle
defvance , & eft avant-coureufe de la mort,
& quelquesfois fuit la difette des biens , de
crédit & honneur. Mais oftez de cçs chofes
la douleur, le refte n'eft que fantafie, qui
ne loge qu'en la tede de l'homme qui fe
taille de la bçfongne pour efhe miferable,
& imagine à ces' fins des faux maux outre
les vrays , employant & eftcndant fa mir
fere, au lieU'Vie la chaftrer & raccourcir.
Les beftes font exemptes de ces maux, &
tivREl. ctîAr. VI. 51
par ainfi nature ne les juge pas tels.
Quant à la douleur , qui cft le fcul vray ^,
mal, rhomme y cft du tout né* & tout pro* ^^ "^
pre : les Mexicaines faluent les eniàns for- pr^ ^ ^
tans du ventre de leur mère en ces mots : Couleur.
Enfant , tu es venu au monde pour endurer :
endure , {buffire, & tais-toy. Que la dou-
leur (bit comme naturelle à Thomme , &
au contraire l'indolence & le plaifîr cho£è
cftrangere, il appert par ces trois mots.
Toutes les parties de l'homme font capa-
bles de douleur, fort peu capables deplaifir.
Les parties capables de plaifîr n*en peuvent
recevoir que d'une forte ou de deux : mais
toutes peuvent recevoir un très grand nom-
bre de douleurs toutes diffêrentcs , chaud «
froid, piqueure, froiffeure, follure, efgra-
tignure , cfcorchure , meurtiffure , cuyfon,
langueur , extenfîon , opprefïîon , relaxa-
tion , & infinis autres qui n'ont point de
nom propre, fans compter ceux de l'ame;
tellement que l'homme eft plus pmffant à
fouftrir qu'à exprimer. L'homme ne peuft
gueres durer auplaifîr j leplaifîr du corps eft
' feu de paille j s'il duroit, il apporteroit de
fcnnuy & defplaifir : mais les douleurs du-'
Jl D£LASaGESS£,
rcnt fort long-temps, n'ont point Icucrcci**
taines faifons comme les plaifîrs. Auiïîrcm-
pire & commandement de la douleur ed:
bien plus grand , plus imiverfel, plus puif-
fant , plus durable , & en un mot , plus na-
turel que du plaifir.
A ces trois l'on peuft adjoufter autres
trois. La douleur & de(plaifîr eft bien plus
fréquent, & vient bien fpuventj le plaifif
eft rare : le mal vient facilement de £07-
mefme fans eftre recherché > le plaifîr ne
vient point volontiers, il (c fait rechercher^
& fbuvent acheter plus cher qu'il ne vaut s
le plaifir n*eft jamais pur, ains tousjours
deftrempë & mcûé avec quelque aigreur ,
& y a tousjours quelque chofe à redire j
mais la douleur & le de{plaifir (buvenctout
entier 6c tout pur. Après tout cela le pire;
de noftrc marché , & qui monftre évidem-
ment lamifere de noftrc condition , eft que
l'extrême volupté & plaiiîr ne nous touche
point tant qu'une légère douleur : fegnîus
homines bona quant maia fintiunt. Nous
ne fentons point l'entière Gmté > comme la
moindre des maladies : pungit in cute vix
famma violatum plagula corpus ^ quandi^
valcre nil fupnquam mQV<U
11 V RE 1 C H AP. VI. 55
• Ce n'cft pas aflcz que rhommc foit de. ^•
'' ... . • . 1 Parme»
fci<a& par nature miferable, & qu outre les n,oirc
vrais & fubftanticls maux , il s'en feigne & & ana-
s en forge de faux & imaginez, comme di6t
çft y il faut encore qu*il les eftende, allonge
& fafle durer & vivre , tant les vrays que
les faux, plus qu'ils ne peuvent , tant il ed
amoureux de mifere s ce qu'il fai<^ en di-
verfes façons. Premièrement par mémoire
du paiTé, & anticipation de l'advenir, nous
ne pouvons faillir d'eftre miferables , puis-
que nos principaux biens , dont nous nous
glorifions , font inftrumens de miffcres, mé-
moire & providence : futuro torquemur Ù
préiteritOy muita bona nofira nobls nocent,
timoris tormentum memoriâ. reducitypro^
videntîa anticipât > nemo prâfentibus tan »
tum miferefi, £ft*ce pas grande envie d'eftre
miferable, que de n'attendre pas le mal
qu'il vienne , mais l'aller rechercher , le
provoquer à venir, comme ceux qui fe
tuent de la peur qu'ils ont de mourir, c'eft-
à-dire préoccuper par curiofité ou.foibleffe
^ vaine apprehenfion, les maux 6d incon-
véniens, & les attendre avec tant de peine
^. d'allarnie ^ ceux mefmes qui par advaii-
«n • • •
£ n\
f4 delaSaoesse,
ture ne nous doivent point toucher 1 Ces
gens icy veulent eftre miferables avant le
temps » & doublement miferables , par un
real fentiment de la mUcre , Se par une
longue préméditation d'icellc , qui fbuvcnr
cft cent fois pire que le mal mefine : Minus
afficît finfus fatigatîo , quant cogitation
L'eftre de la mifere ne dure pas afTez , il
£iut que Telprir l'allonge , Teftende , &
avant la main s'en entretienne. Plus doUt
iquam necefse efi , qui ante dolet quant ne-
cefse eft. Les belles (ê gardent bien de
cefte folie & mi(ere , & ont à dire grand
mercy à nature, de ce qu^elles p*ont point
tant d*e(prit, tâtit de mémoire & de provi-
dence. Ce(ar di(bit bien que la meilleure
mort efloitla moins préméditée. Et certes
la préparation à la mort a donné à plufieurs
plus de tourment que la fouf&ance mcfme^
Je n'entens icy parler de cette prémédita-
tion vertueuse & philolbphique , qui eft
la trempe par laquelle Tame eft rendue in-
vincible , & eft fortifiée à refpreuve contre
Uh, 2. tous afTauts & accidens , de laquelle fera
*^f • > parlé : mais de cette paoureufe , & quelque-
fois faulTe & vaine apprebenfion des maux
tlVUEl. CHA>. VI. ff
^ui peuvent advenir, laquelle afflige Se
noircit ^e fiimée toute la beauté & ferenité
de l'ame , trouble tout Con repos & fa )oy e;
il vaudroit mieux du tout s'y laifTer fur-
prendre. Il eft plus facile & plus naturel
n'y penfer point du tout. Mais laiâbns en-'
core cefte anticipation de mal. Tout fîm^
plement le foin & penfément pénible &
béant après les chofês advenir, par efpe*
rance, deiîr , crainte , eft une très grande
miCêre : car outre que nous n*avons au^
cune puiflance Cm Tadvenir, moins que fur
le paffé ( & ainfî c'eft vanité, comme a eftc (^ f,
diâ ) , il nous en demeure encore du mai &c
dommage , calamîtojus eft animus futuri
anxius , qui nous defrobe le fentiment , ôc '
nous ofte la jouyilànce paifible des biens
pre(ens, & empefche de nous y rafTeoir Se
contenter.
Ce n'eft pas encore aflcz , car afin qu'il „ ^*
ne lui manque jamais matière de mifere, cherche
voire qu'il y en aye tousjours à foifon, il »n<l^ic^-
va tousjours furetant & cherchant avec
grande eftude les caufês & alîmens de mi^
fere : il fe fourre aux affaires de gayeté de
tocm, & tels que quandUss'offriroieiirà
5^ ^£tASA6E»9^£,
hiy, il leur devtoic tourner le dos : ou bien
pSLi une inquiétude miferable de Ton cfpric,
ou pour faire l'habile , l'empefclié , & l'en-
tendu, c'eft-4-dire le fot & miferable» il
entreprend & remue befongne nouvelle ,
ou s*entreme{le de celle d'autruy. Bref, il
eft fi fort & incefTammcnt agité de foing &
penfemens, non-feulement inutiles & fu-
perâus , mais efpineuz , pénibles & dom-^
mï^eables , tourmenté par le prefent , en*
nuyé du paiTé, angoifTé pour Tadvenir,
qu'il femble ne craindre rien plus que de
ne pouvoir pas eftre affez miferable : donc
l'onpeuft juftemencs'efcrier, ôpauvres gens,
combien endurez-vous de maux volontai-
res , outre les néceffaires que la nature
vous envoyé 1 Mais quoy ! l'homme Ce
plaid en la mifere , il s'opiniaftre à rema(^ ^
cher & remettre continuellement en mé-
moire les maux paffez. Il eft ordinaire à (e
plaindre , il enchérit quelquesfois le mal &
la douleur , pour petites & légères chofès ,
il Ce dira le plus miferable de tous , eft qud-
dam doUndi voluptas. Or c'eft encore plus
grande mifere de trop ambitieufement faire
ifoir la mifere > que ae la cognoiftre & ne
LIVRE I. CHAP. VI. S7
fcntir pas , Homo animal qucrulum, cupidh
fias incianbens miferiis.
Le voylà donc bien miferable Se naturel- g
kmenc & volontairement, en vérité & par Aux re-
imagination, par obligation , & de gayeté ™e*^n^£ç,
de cœur. Il ne Teft que trop, & il craint te.
de ne Teflre pas afTez , & eft tousjours en
quefte & en peine de s*en rendre encore
d*advantage. Voyons maintenant comment,
quand il vient à le fentir & s*ennuyer de
quelque certaine mifere ( car il ne fe laiTe
jamais de l'eftre en plusieurs fàfons fans le
fentir ) il fàiâ pour en Conir, & quels font
les remèdes contre le mal« Certes tels qu'ils
importunent plus que le mal meûne qu'il
veut guarir : de forte que voulant fortir
d'une mifere , il ne la hxât que changer en
une autre , & peuft-^ftre pire. Maisqnoy l
encore le changement k deleâe, au moins
le foulage > il penfe guarir le mal par un
autre mal : cela vient d'une opinion qui
tient le monde enchanté & miferable, qull
n'y a rien utile s'il n'eft pénible , rien ne
vaut s'il ne.coufte, l'aiCànce luy eft fuf-
fc£tc, Cecy vient encore de plus haut;;
c'dl chofe eftrangc » mais vciiuble « & qui
jS delaSa<ïesse*
convainq l'homme d*cftre bien mifcrable ,
qu'aucun mal ne s'en va que par un autre
jmal, foit au corps, ou en Tamc. Les ma-
^ ladics. fpirituelles & corporelles ne font
guaries & chafleeS que par tourment , dou-
leu* : peines les fpirituelles par pénitence ,
veilles', jeufnes, haircs , prifons, difci-
plines , qui doivent eftrc vrayement aifli-^
aions & poignantes 5 car fi elles venoient
à plaifir ou commodité , elles n'auroient
point d'efFed : les corporeUes de mcfmc,
par médecines » incîiions , cautères, dicttes 5
comme fcntent bien ceux qtn font obligez
^ux règles médicinales. Us font battus d'une
part du mal qui les poingt, & d'autre de la
règle , quijcs emiuyc.
9' Toutes CCS mifércs fufdides font corpo-
Scl rcUes où bien mixtes & communes à l'ef-
l«- prit & au corps j & ne montent guercs plus
haut que l'im^narion & fentafic. Confi-
dcrons les plus fines & fpirituelles, qui font
bien plus miferes , comme eftant erronées
& malignes, plus avives & plus fiennes,
mais bLcoup moins fenties & advouées ,
cequi rend l'homme encore plus & dou-
bloment mifcrable , îic fcntant que les
1 1 V K E I. c H A P. VI. yy
maux médiocres, & non les plus grands }
voire Ton ne les luy ofe dire ny toucher,
tant il eft confia 6c defploré en fa mifere :
fi faut-il en paffant & tout doucement en
dire quelque chofe , au moins les guigner
& monftrer au doigt de loing, affinde luy
donner Qccafion d'y régarder & penfer »
puis que foy-mefme il ne s*en advife pas^
Premièrement pour le reeard de Tenten^ ^^}*^^'
dement » eit-ce pas une eftrange & piteufe mcrnc.
mifere de l'humaine nature » qu'elle foit
toute confiée en erreur & aveuglement } La
plulpart des opinions communes & vul-
gaires » voire les plus plaufibles & receuës
avec révérence, /ont fauifes & erronées , &
qui pis eft la plufpart incommodes à la fo-
ciété humaine. £t encore que quelques (a-
ges, qui font en fort petit nombre, fen-
tent mieux que le commun , & jugent de
ces opinions comme il &ut. Ci eft-ce que
quelquesfois ils s'y Id/fent emporter, finon
en toutes & toufiours, mais à quelques^
Unes &, quelquesfois : il faut eflre bien fer-
me & confiant pour ne fe laiffer emporter "
au courant, bien fain & préparé pour fe
garder net d'une cont^on fi univerfelle :
les Opinions generalles receues avec applatf*
diilcment de tous & uni contradiâion Tonc
comme un torrent qui emporte tout : Prok
fuperUquantummortaliapeSiora câca noBis
habent ! 6 miferas hominum mentes ifpec»
tora cAca I qualibus in tenebris vita quart''
tijquc pcriclis degitur hoc âvi quùdcumqut
tft! Or ce Terbit chofebien longue de {pe-
cifier & nommer les foies opinions dont
tout le monde eftabbrcuvé. Mais en voycî
quelques-unes » qui feront traiélées plus au
long en leurs lieux.
Voyez I . Juger des advîs & confeils par les eve-
"^* '• nemens qui ne font aucunement en noflre
main , & qui dépendent du ciel.
V. /. 1. *• Condamner & rejetter toutes chofos,
C.8. inœurs, opinions, loiz, couftumes, ob«
forvances, comme barbares & mauvaifes ,
fans fçavoir que c*eft & les cognoiftre ,
mais feulement parcequ*elles nous font inu-
fitées & eslongnées de noftre commun &
ordinaire.
V* '• *• j. EfUmer & recommander les chofes à
caufe de leur nouvelleté» ou rareté, ou
eflrangeté, ou difficulté, quatre engeoleurs,
qui ont grand crédit auxefprits populaires ;
me.
L I V R ï I. C H A P. V L €l
& Totivent celles choies font vaines, ^non
à «ftimer , fi U bonté & utilité n'y font
jointes : dont juftcment fiift mcfprifé du
Prince , celuy qui fe glorifioit de fçavoir dç
}oin jétter & pafTer les grains de mil par
les trous d'efgttille.
4. Gener^ement toutes les opinions fu-
^erftitieufes , dont font affeublez les en-
&X1S, femmes, & e(prits foibles.
5.Eftimer les perfonnes parles biens» Aumcf-
xicbeifes, dignitez , honneurs^ & mefprifer
ceux qui n'en ont point, comme fi l'on ju-
geait d*un cheval par la bride & la felle. .
6, Eftimcr les chofes non félon leur
▼raye, naturelle, & eiTentielle valeur, quieft
fbuvent interne & fecréte , mais félon la
monflre & la parade, ou le bruid commun.
7. Penfcr bien fe venger de fon ennemy
€n le tuant : car c'eft le mettre à l'abry & au
couvert de tout mal , & s*y mettre foy :
c'cft luy ofter tout le reffentiment de la
vengeance, qui eft toutesfois fon principal
cfFeét 5 cccy appartient aullî à la foiblcife. .
«. Tenir à grand injure & defeftimer
"comme miferable un homme, pour eftrc
coqu : car queUc plus grande folie en ju^
Tome /. F
$1 'd£LASaG£SSC,'
gement, que d'cftimer moins ancperfbntie^
pour le vice d*aucruy , qu'il n'approuve
pas ? Autant ce fembie en peut-on dire d'un
baftard.
^. EfUmer moins les chofes prefcntes,
ou qui font noftres , & defqueiles nous
iouyflbns paisiblement y mais les eftimer
quand on ne les a point , ou pource qu'elles
font à autruy , comme fi la pre(ence & le
pofleder ravaloit de leur valeur , & le non
lavoir leur accroiflbit , Vinutem incolument
vdimuSyfublatam exoculisquArimus tnvidif
c'efl pourquoy nul prophète en fon pays«
Aufn la maiftrife & Tauthorité engendre
mcfpris de ce qu'on tient & régente , les
maris regardent defdaigneufement leurs
femmes , & plufleurs pères leurs enfans :
veux-tu , di A le bon compagnon , ne Tay-
mer plus , efpoufe-la. Nous eftimons plus
le cheval , la maifon , le valet d'autruy «
pource qu'il eft à autruy & non à nous.
C'eft chofe bien eflxange d'eftimer plus les
chofes en l'imagination qu'en la realité ,
comme on fàiâ toutes chofes abfentes &
eftrangeres , foit avant les avoir , ou après
les avoir eues. La caufe de ce en tous les
LIVRE L CHAP. VI. 6$
^eux cas fe peut dire qu*avant les avoir
' Ton les eftime non félon ce qu'elles vaient>
mais félon ce que Ton s*eft inu^iné qu'elles
font, ou qu'elles ont efté vantées par au-
truy : & les poffedant l'on ne les eftime
^ue félon le bien & le profit que l'on en
tires & après qu elles nous (ont oftées l'on
les confîderc & regretce toutes entières &
en blot , où auparavant l'on n'en jouyf*
foit & ufoit-on que par le menu , & par
pièces fucceflivemenc : car l'on penfe qu'il
y aura tousjours du temps aiTez pour en
jowr : & à peine s'apperçoit-onde les avoir
& tenir. Voylà pourquoy le dueii eft plu^
gros & le regret de ne les avoir , que le plai-
fir de les temr : mais en cecy il y a bien au-
tant de fbibleffe que de mifere. Nous n'a-
vons la fuffifance de jouir, mais &ulemenc
de defirer. Il y a un autre vice tout con-
traire , qui eft de s'arrefter & agréer telle-
ment à foy-mefme & à ce qu'on tient»
que de le préférer à tout le refte , & ne'
penfer rien meilleur. Si ceux-^ ne font
plus fages que les autres, au moins font-ils
plus heureux.
10. Faire le zélé à tout propos, mordre
6^ delaSagesse,
à tout, prendre à cœur & fc monftrcr oa-
tré & opiniaftre en toutes chofcs , pourvca
qu'il y ayc quelque beau & fpccicux pré-
texte de juftice , religion , bien public ,
amour du' peuple.
Cy-après • 1 1. Faire l'attrifté, Taffl^é , & pleureur
^' *^* en la mort ou accident d'autruy , & penfcr
que ne s'efmouvoir point , ou que bien
peu, c'eft faute d'amour & d'àffeâion , U
y a aufll de la vanité.
V. l. X. 1 1. £ftimer & &ire compte des a<5tions
^' *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, ef-
clat 3 defefHmer celles qui fe font autre-
ment, & penfer que ceux qui procèdent de
cefte façon fombre, douce, & morne , ne
font rien , font comme fommeillans & uns
aâion ; bref eftimer plus l'an que la na-
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par
eftude, qui eCctatte, bruiél, & frappe le fens
( c'eft tout artifice >, eft plus regardé & eftî-
mé que ce qui éft doux , fimple , uny , or-
dinaire, c'eft-à-dîre naturel 5 celuy-là nous
efveille, ceftuy-ci nous endort.
13. Apporter de mauvaifcs & finiftres
interprétations aux belles aétions d^autruy ,
& les attribuer .à des viles Se vaines » ou
H T R E I. C H A p. VI. €f
l^tieufes caufcs ou occafions , comme ceux
qui rapporcoient la mort du jeune Caton à
la crainte qu'il avoit de Cefar, dont fc
picquc Plutarque ; les autres encore plus
fottement à Tambition. C'eft une grande
maladie de jugement , qui vient ou de mar
lice & corruption de volonté & de mœurs,
ou d'envie contre ceux qui valent mieux
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance
k fa portée , & mefurer autruy à fon pied »
ou bien pluftoft que tout cela, à fbibleiTe
pour n'avoir pas la veuë aflez forte & afTeii-
réc à concevoir la fplendeuî de la venu en-
fa pureté n tyfve« Il y en a qui font les in*
gcnieux & fubtils à defpraver ainfi & obfcur*
cir la gloire des belles adions j en quoy ils
monfbrent beaucoup plus de mauvais na«
turel, que de fuffilànce; c'eft chofe ayfée,
mais fort vilaine.
14, Voyci encore après tout un vray tef^
moignage de la mifere fpirituelle , mais qui
cft fin & fubtil 'y c'eft que l'efprit humaia
en fon bon fens > paifîble , ra(Es y 8c faia
«ftat , n'eft capable que de chofes commu*
nés , ordinaires , naturelles , médiocres*
Pour efbc capable des divines , fumat^-:
Fiij
6^ i>£laSagesse,
à tout, prendre à cccur & fe monftrer ou-
tré & opiniaftrc en toutes chofcs , pourvcit
qu'il y ayc quelque beau & fpecieux pré-
texte de jufticc , religion , bien public ,
amour du peuple.
Cy-après 1 1. Faire l'attrifté, Taffiîgé , & pleureur
^* *^* en la mort ou accident d'autruy , & pcnfcr
que ne s*efmouvoir point , ou que bien
peu, c*eft faute d'amour & d'affeâion, il
y a auflî de la vanité. -
V. l. X. 1 1. £ftimer & &ire compte des a<5Hons
*^* *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, cf-
clat 'y defeftimer celles qui Ce font autre-
ment, & penfer que ceux qui procèdent de
ccfte façon fombre, douce , & morne , ne
font rien , font comme fommeillans & fans^
a<^on 5 bref eftimer plus l'art que la na-
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par
efbide, qui efclatte, bruid, & frappe le fens
( c'cft tout artifice >, efl plus regardé & e(H-
mé que ce qui éft doux , fîmple , uny , or-
dinaire, c'eft-à-dire naturel 5 celuy-là nous
cfveille, cefhiy-ci nous endort.
13. Apporter de mauvaifes & fîniflrcs.
interprétations aux belles adions d^autruy ,
& les attribuer .à des viles Se vaines » ou
LITRE I. C H AP. VI. €f
l^tieufes caufes ou occafions , comme ceux
qui rappoRoient la mort du jeune Caton à
la crainte qu'il avoit de Cefar, dont fc
picque Plutarque ; les autres encore plus
fottemcnt à l'ambition. C*e(l une grande
maladie de jugement , qm vient ou de ma-
lice & corruption de volonté & de mœurs,
ou d*envie contre ceux qui valent mieux
qu'eux , ou de ce vice de ramener (a créance
à fa portée , & mefurer autniy à (on pied »
ou bien pluAoft que tout cela, à fbibleiTe
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afièu-
ree à concevoir la fplendeuî de la venu en-
fa pureté n tyfve. U y en a qui font les in-
génieux & fubtils à defpraver ainfi 3cobfcur«
dr la gloire des belles avions , en quoy ils
montrent beaucoup plus de mauvais na«
turel, que de fufiEifances c'eft chofe ayfée,
mais fort vilaine.
14, Voyci encore après tout un vray teA
moignage de la mifere (pirituelle , mais qui
cft fin & fubtil y c'eft que l'efprit humaia
en fon bon fens > paifîble , radis , & faia
«ftat , n'eft capable que de chofes commu*
nés , ordinaires ^ naturelles , médiocres*
Pour eftre capable des divines , fumati^r
Fiij
1(4 delaSagesse,
à tout, prendre à coeur & fc monftrer ou-
tré & opiniaftrc en toutes chofcs , pourvca
qu*il y aye quelque beau & fpccieux pré-
texte de juftice , religion , bien public ,
amour du peuple.
Cy-après 1 1. Faire Tattriftc , TafRigé , & pleureur
^' *^* en la mort ou accident d'autruy , & penfer
que ne s'efmouvoir point , ou que bien
peu, c*eft faute d'amour & d'âfeâion , it
y a auflî de la vanité. ^
V. l. X. 1 1. Eftimer & faire compte des a<5Hons
^' *^* qui fe font avec bruiâ:, remuement, cf-
clat 5 defeftimcr celles qui fc font autre-
ment, & penfer que ceux qui procèdent de
cefte façon fombre, douce, & morne , ne
font rien , font comme fommeiilans & fans
aâion ; bref eftimer plus Part que la na-
ture. Ce qui eft enflé, bouffi & relevé par
cfbide , qui efctatte, bruidl , & frappe le fèns
( c'cft tout artifice >, eft plus regardé &• eftî-
mé que ce qui' eft doux , fimple , uny , or-
dinaire, c*eft-à-dire naturel 5 celuy-là nous
cfveille, ceftuy-ci nous endort.
13. Apporter de mauvaifes & finiftrcs.
interprétations aux belles adions d*^autruy ,
& les attnbuer :à des viles Se vaines » ou
LITRE I, CHAP. VI. éf
iFmeures caufes ou occafions » comme ceux
qui rappoRoient la mort du jeune Cacon à
la crainte qu*il avoit de Cefar» dont fe
pîcque Plutarque ; les autres encore plus
fottement à Tambition. C*eft une grande
maladie de jugement , qtd vient ou de ma-
lice & corruption de volonté & de mœurs,
ou d'envie contre ceux qui valent mieux
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance
à fa portée , & mefuter autniy à Con pied »
ou bien pluftoft que tout cela, à fbibleile
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afTeo-
réc à concevoir la fplcndeuî de la venu en-
fa pureté nxyhc II y en a qui font les in*
gcnieux & fubtils à defpraver aiufi 3c obCcur*
cir la gloire des belles avions i en quoy ils
monfhent beaucoup plus de mauvais na«
turel, que de Tuffifance; c'eft chofe ayfée,
mais fort vilaine.
14, Voyci encore après tout un vray teA
moignage de la mifere fpirituelle , mais qui
cft fin & fubtil j c'eft que Telprit humaia
en fon bon fens , paifîble , raffis , & faia
<ftat , n'eft capable que de chofês commu*
nés , ordinaires , naturelles , médiocres.
Pour efbc capable des divines » furnati^-:
Fiij
^4 i>£laSagess£,
à tout, prendre à coeur & fc monftrer ou-
tré & opiniaflre en toutes chofes , pourvca
qu'il y aye quelque beau & fpecieux pré-
texte de jufticc , religion , bien public ,
amour du peuple.
f/iT^' "• ^^^ l'attrifte^ rafHîgé , & pleureur
en la mort ou accident d'autruy , & penfcr
que ne s'efmouvoir point , ou que bien
peu, c*eft faute d'amour & d'affeéUon , it
y a auffi de la vanité.
V. l. X. 1 1. Eftimcr & faire compte des avions
*^- *°* qui fe font avec bruid, remuement, ef^
clat 5 defeftimer celles qui fe font autre-
ment, & penfer que ceux qui procèdent de
ceftefeçon fombre, douce, & morne , ne
font rien , (ont comme fommeillans & fany
adHon 5 bref eftimer plus Tart que la na-
ture. Ce qui eft enflé, bouflî & relevé par
cftude, qui efclatte, bruiél, & frappe le fens
( c'eft tout artifice >, eft plus regardé & eftî-
mé que ce qui éftdoux, fimple, uny , or-
dinaire, c'eft-àHiîre naturel 5 celuy-là nouç
cfveille , ceftuy -ci nous endort.
13. Apporter de mauvaifcs & fîniftres.
interprétations aux belles adions d^autruy ,.
& les attribuer . à des viles & vaincs, ou
LITRE I. CH AP. VI. €f
l^dcufes caufes ou occafions , comme ceux
qui rapporcoient la mort du jeune Cacon à
2a crainte qu*il avoit de Cefar , dont (e
picque Plutarque ; les autres encore plus
fottement à Tambition. C*e(l une grande
maladie de jugement , qm vient ou de ma-
lice & corruption de volonté & de mœurs,
ou d'envie contre ceux qui valent mieux
qu'eux , ou de ce vice de ramener fa créance
à fa portée , Se mefurer autruy à (on pied ,
ou bien pluftoft que tout cela, à fbiblefle
pour n'avoir pas la veue aflez forte & afTeu-
rec à concevoir la fplendeuî de la venu en<
fa pureté ntyfve. U y en a qui font les in-
génieux & fubtils à defpraver ainfi & obfcur«
cir la gloire des belles avions ', en quoy ils
monftrent beaucoup plus de mauvais na«
turel» que de fuffiGmceà c'eft chofe ayfée,
mais fort vilaine.
14, Voyci encore après tout un vray tet
moignage de la mifere (pirituclie , mais qui
cft fin & fubtil y c'eft que Telprit humaia
en fon bon fens > paifîble , ra(Es , 8c faia
«ftat , n'eft capable que de chofês commu*
nés , ordinaires , naturelles , médiocres.
Pour eftre capable des divines , fumati^r
6'^ bÉLASAGESSE»
relies , comme de la divination , prophétie ,
révélation , invention, &, comme Ton di6è,
entrer au cabinet des Dieux , faut qu'il foir
malade , difloqué , defplacé de fbn aflîette
naturelle, & comme corrompu, corruptus ,
ou par extravagance , exftaze , enthofiaf-
me , ou par afTopifTement : d'autant que ,
comme l'on fçait, les deux voyes naturelles
d'y parvenir font la fureur & le fommeil.
Et ainfî l'efprit n'eft jamais fi fage que
quand il eft fol , ny plus veillant que quand
H dort : jamais^ ne rencontre mieux que
quand il va de cofté & de travers j ne va ,
ne vole & ne voit fi haut que quand il eft
abbatu & au plus bas. Et ainfi £iut qu'il
foit miferable, comme perdu & hors de-
foy , pour cftre heureux.
. 15. Finalement, y pourroit-il avoir plus
grande faute en jugement que n'eftimer
point le jugement, ne l'exercer, relever,
& lui préférer la mémoire & l'imagination
eu fantafie 1 Voyons ces grandes , doues ,
& belles harangues, difcours , leçons, fer-
mons, livres, que l'on eftime & admire
tant , produits par les plus grands hom-
mes de ce fiecle ( j'en excepte quelques-
LITHeI. CHAP. VI. éi
uns & peu ); qu'eft-cc tout cela , qu*un cn-
raiTement & enfileure d'allégations , un rc-^
cucil & ramas du bien d'autruy ( œuvre
de mémoire, & diverfe leçon , & chofe
très-aiféc 5 car cela fe trouve tout trié fie
arrengé : tant de Livres font fàiâs de cela )>
avec quelques poindes & un bel ^enfe-
ment C œuvre de l'imagination ) & voylà
tout 3 Ce h'eft fouvent que vanité , & n'y
reluiâ: aucun trai^bde grand jugement , ny
-d'infîgne vertu : auflî fouvent font les au-
theurs d'un jugement foible & populaire ,
& corrompus en la volonté. Combien eft*
il plus beau d'ouir un payfant , un mar-
chand parlant en Ton patois , & difant de-
belles proportions & veritez , toutes fei--
ches & crues , fans art ny façon y & don-
nant dés advis bons , & utiles, produiâs
d'un fain , fort , & folide jugement l
£n la volonté y a bien autant ou plus de 10.
miferes , & encore plus miferables 5 elles ?^ ^^
font hors nombre : en voyci quelques-
unes.
I. Vouloir pluftofl apparoir homme de
bien, que de l'eflre i l'efire pluflofl à aur-
tfuy qu'à foy.
X. Eftre beaucoup plus prompt 8c volott^
Caire à la vengeance de Vcf&nCc, qu*à la re-*
cognoifTance du bien-Êdd} cellemenc que
c'eftcourvée & regret que recognoifbre, plaî-
ûr & gain de £e venger : preuve de nature
maligne. Gracia oncri efi , ultio in quêfiu
habetur,
%. Eftre plus afpre à hayr qu'à aymer|
à mefdire qu'à loiierj fe paiftre & mordre
plus volontiers & avec plus de plaifir au mal
qu*au bien d'auiruy > le £dre plus valoir»
S*eftendre plos à en difcourir, y exercer fon
ftile , tefmoin tous les Ercrivains, Orateurs,
& Poètes , qui font lafches à reciter le bien »
éloquents au mal. Les mots, les inventions,
les figures, pour mefHire, brocarder, font
bien autres , plus riches , plus emphatiques»
& fignificatifs, qu'au bien dire & loiier.
t • 1. c 3 . j^ puir 2, mal Êiire, & entendre au bien »
non par le bon reiTort puremeUt, paf la rai"
Ton naturelle, & pour l'amour de la vertu»
mais pour quelqu'autre confideration eftran*
gère , quelquesfois lafche & fbrdide de gain
& profit , de vaine gloire , d'efperance , de
crainte, de couftume, de compagnée : bref
non pour foy & fon devoir ûmplemenr^
L I V R 15 I. C H A p. VI. €9
mais pour quelque occafion & circonftaiicc
externe. Tous font gens de bien par occa-
fion & par accident. Voylà pourquoy ils le
font inégalement, diverfcment, non perpé-
tuellement, conftamment, uniformément.
5. Aymer moins celuy que nous avons
ofFenfé, à caufe que nous Tavons ofFenfé :
chofê eftrangeS ce n*ell: pas toufîours de
crainte qu*il en veuille prendre fa revanche,
car peuft-eftre l'oftenfé ne nous en veut pas
moins de bien, mais c'eft de ce que fa pre*
fence nous accufe & nous ramentoit noftre
faute & indifcretion. Que fî l'ofFenfànt
n'ayme pas moins, c'efl preuve qu'il ne Ta
pas voulu oiïcnfer: car ordinairement quia
eu la volonté d'ofFenfer, ayme moins aprc»
Toflènfé : qui offende , may non pardonna.
6, Prendre plaîfîr au mal, à la peine. Se
au danger d'autruy , defplaifîr en fbn bien ,
advancement, profperitc (j'entcns que foit
fans aucune caufe ou efmotion certaine &
particulière de hayne , c*eft autre chofe ,
provenant du vice fingulîer de la perfbnne),
je parle icy de la condition commune & na-
turelle , par laquelle , fans aucune particu^
liere malice, les moins mauvais prenaent^»
70 DELASA6£SSE,
plaiilr à voir des gens courir fortune (Iir
mer, fe fafchenc d*eftre précédez de leurs
compagnons , que la fortune di(e mieux à
autruy qu'à eux s rient quand quelque petit
mal arrive à im autre i cela tefmoignc une
femence malicieufe en nous.
1 ). Enfin pour monftrer combien grande cd
Conclu- noftrc mifere , je diray que, le monde cft
non des , , . ' ' ^ . \
miferes rcmply de troxs fortes de gens qui y tren-
iptricuel- n^nt grande place en nombre & réputations
les TuperfUtieux, les fbrmaliftes, les pedans,
qui bien que foyent en divers fubjeéh, rep
forts , & théâtres ( les trois principaux , re-
ligion , vie ou conver(àtion , & doébrine )
fi font-ils battus à meûne coin , efprits foi-
blés , mal nez , ou tres^mal infirmas , gens
tres-dangereux en jugement , touchez de
maladie prefque incurable. C'efl peine per-
due de parler à ces gens-là pour les faire
radvifer ^ car ils s*efUment les meilleurs Se
plus fages du monde : Topiniaflrcté efl là
en fbn fîege. Qui efl une fois icxii & tou-
ché au vif de ces maux-là , il y a peu d'ef-
perance de fa convalcfcence. Qu'y a-il de
plus inepte , & cnfemblede plus teflu, que
ces gens-là } Deux chofes les empefchent ^
L I V R Ê I. C H A p. VL 7t
comme a eflédiâ^ fbiblefTe & incapacité
naturelle, & pais l'opinion anticipée de faire
bien & mieux que les autres.
Les fuperftitieux, injurieux à Dieu , & en- Superfti-
nemis de la vraye religion, fe couvrent de v. I. i.
pieté > zèle, & afFedion envers Dieu, juf- c« f»
ques à s'y peiner & tourmenter plus que
l'on ac leur commande , penfant mériter
beaucoup , & que Dieu leur en fçait gré ,
voire leur doibt de refte> que fcriez-vous
à cela ? Si vous leur diâes qu'ils excédent
& prennent les chofes à gauche , pour ne
les entendre pas bien, iU n'en croiront rien,
dilant que leui:' intention eil bonne ( par oii
ils-fe penfent fauver) &quc c'eftpar dévo-
tion. D'ailleurs ils ne veulent pas quitter
leur gain , ny la fatisfàdion qu'ils en reçois-
vent , qui eft d'obliger Dieu à eux.
Les fbrmalifles s'attachent tout aux for- Formais
mes & au dehors , penfent eftre quittes & ^^*' ^* **
irrcprehenfîbles en la pourfiiite de leurs paf-
fions & cupiditez , moyennant qu'ils ne fa.
cent rien contre la teneur des loix , & n'ob-
mettent rien des formalitez» Voylà un ri-
chard qui a ruiné & mis au defefpoir de
pauvres familles > mais c'a efté en deman-
7J- D £ LA S A G £ s s E»
daint ce qu'il a pcnfé cftrc fîen, & ce par
voyc de jufticc : qui le peuft convaincre
d'avoir mal faiâ: ? O combien de bienfàia:s
font obmis, & de mefchancctcz fe commet-
tent foubs le couvert des formes , lefquelles
Ton ne fent pas 3 dont efl bien vérifié , Le
fouveraîn draiB Vcxtrtnu injuftice j 8c s,
cfté bien di€t , Dieu nous garde des for-*
maliftes !
Pedans, j^ç^ pedans clabaudeurs après avoir queflë
& pilioté avec grand eflude & peine la
fcience par les livres , en font monftrc , &
avec oflentation queftueufement & merce-
nairement la de fgorgent & mettent auvent.
Y a-il gens au monde plus ineptes aux afïai*
res , plus impertinens à toutes chofes , &
enfemble plus prefomptueux & opiniaftrcsl.
En toute langue & nation , pédant , clerc ,
magifter, font mots de reproche : faire (bt-
tement quelque chofe c'eft le faire en clerc*
Ce font gens qui ont la mémoire pleine du
fçavoir d'autruy , & n<ont rien de propre.
Leur jugement , volonté , confcience , n'en
valent rien mieux j mal habiles , peu fages
& prudents , tellement qu'il femble que la
fcience ne leur ferveque de les rendrç plus
t I T Rï L C H AP. VI. Tl
ixi, mais encore plus arrogants , caquet*
tcois: lavallent Icor efprit & abaafhtHffcgg
^ enteiuiefî^en£, mais enflent leur me-
fiioire. Icy ùcà bien la miftire que nous
Venons de mettre la detniere en celles de
^'entendement.
V. PttfomptioTi,
CHAPITRE VII.
Vo Y c I le dernier & le plus vilain traid de
fa peinture 3 c*éi Tautre partie de la def-
cripcion que donne Pline ; c*eft la pefte de
l'homme , & la mère nourrice des plus
bufles opinions & publiques & particuliè-
res y vice toutesfois naturel & originel de
l'homme. Or celle pre(bmptian fe doibt con»
fiderer en tout Tens , haut , bas , & à cofté^
kdans & dehors , pour le regard de Dieu;
tbofes haultes & celeftes^ balTes , des belles,
le rfaommc fon compagnon, de foy-mef-
De$ & tout revient à deux chofes, s*elli-
hcr trop ,- & n'elHmcr pas affez autruy : qui i uc. i S,
n fi confdebant & afpemabantur alios,
dirions un peu de chafcun.
Premièrement pour iç regard de Dieu (& Prefoiu-
Tom< /• • G
'74 delaSagessi,
ption 1. c*cft chofe horrible ). Toute fapcrft2don&
eard de ^^^*^ religion, ou fauls fervicc de Dieu,
Dieu, vient de n'eflimer pas alTez Dku, ne fencii
pas & n'avoir pas les opinions, conceptions,
créances de la Divinité afTez hautes , aiTez
pures. Je n'entends pas cet affez, à propor-
tion de la.grandeur de Dieu,-qui ne reçoii
point de proportion > eftant infini 3 &ainfi
cft-il impollîble de les avoir afTez pour ce rc
gard : mais j'entends afTez pour le regarc
de ce que pouvons & debvons. Nous n'cf
levons ny ne guindons pas afTez haut S
ne roidifTons afTez la poinde de noftre cC
prit , quand nous imaginons la Divinité
comment afTez l nous la concepvons très
baflcmcnt ; nous la Icrvons de mefme très
indignement j nous agiiTons avec elle pk
vilement qu'avec certaines créatures. Nou
parlons non-feulement de Tes œuvres, mai
de fa majefté, volonté, jugements, ave
plus de confidence & de hardieffe , que To
ne feroit d^un Prince , ou autre homn]
d'honneur. Il y a plufieurs hommes qui 11
fuferoient un tel fervice & recognoiilancc
& fe ticndroicnt offencez, & violez , fî l'o
parloit d'eux , & que l'on employaft lei
tlVRlI. CHAP. VIL JS
I nom fi vilement Si (bcdidement, rûn entre-
prend de le menef, flatter» ployer, com-
pofer avec luy , afEn que )e ne dife, braver,
menacer, gronder & defpiter. Cefardifoità
fbn Pilote qu*il ne craignift de voguer &
le conduire contre le deflin & la volonté du
ciel & des aftres, fe fiant fur ce que c'eft
Ce(ar qu'il meinc. Augufte ayant elle bittU'
de la tempefte fur mer. Te prift à deffier le
Dieu Neptune : & en la pompe des jeux
Circenfes , fift ofter (on image du rang où
elle eftoit parmy les autres Dieux, pour fe
venger de luy. Les Thraces , quand il tomie v. I. ti
& eïclaire, fe mettent à tirer fleckes contre ^' ■°'
le ciel, pour ranger Dieu à raifon: Xerxè$
feuetta la mer, & enrrivift un cartel de deffi
au mont Athos. Et compte Ton d'un Roy
Chreftien, voifin du noftre , qu'ayant rc- V. 1. x,
ccu une baftonnade de Dieu , jura de s'en ^*
I venger, & voulufl que de dix ans on ne le
priaft & ne parlaft^on de luy.
Attdax Japeti genus ! . V. I. $•
Nit mortalibus arduum x «ci.
Coelum ipfum pcrimus ftultitia, neque
Per noftrum pacimur fcelus
Iracunda Jovcm ponere fulmina.
£t laif&nt ces extravagances eftrangesi
Gij
7^ x>elaSag£Sse,
tout le commun ne verifie-il pas bien clai-
rement le dire de Pline, qu'il n*y a rien plus
ipi(èrable, &en(èmble plus glorieux, que
rhomme ? Car d'une part il fe fdnâ de tre&-
hautaines & riches opinions de l'amour,
foin & afFeétion de Dieu envers luy , com-
me Ton mignon , (on unique 3 & cepen-
dant il le ferc très- indignement : comment
£c peuvent accorder & fub(îfter enfemblc
une vie & un fèrvice û chetif & miferable
d'une part, & une opinion & créance â glo-
rieufe & fi hautaine de l'autre? C'eft eftre
ange & porceau tout cnfeml^e : c'eft ce
que rcprochoit un grand Phiiofophe aux
Chteftiens, qu'il n'y avoit gens plus fiers &
^orie«x à les ouyr parler , & en cSc^ plus
la£ches 8c vilains.
V. Il nous'fèmble aufli que nous pe(bns£c
Nacuze. importons fort à Dieu , au monde , à toute
la nature, qu'ils fe peinent & ahannent ctt
nos affaires , ne veillent que pour nous ,
^, > f dont nous nous esbahiUbns des accidcncs^
• ' qui nous arrivent 5 & cecy fe voit encore
mieux à la mott. Peu de gens Ce reçoivent
& croient que ce foit leur dernière heure 5,
& prefque tous fe laifTent lors pipper à l'cf-
ti VRï I. CH A P. VÏL 77
perânce. Cela vient de prcfomption , nous
£sdù>ns trop de cas de nous , & nous fembler
que l*univers a grand intereft à noftre mort;
que les chofes nous faiilent à mefure que
nous leur faHlons^ ou qu'elles mefmes fc
£iillenc à meftlre qu'elles nous faiilent;
qu'elles vont mefme branfle avec nous ,
tx>nune à ceux qui vont fur Teau > que le
ciel , la terre , les villes , fe remuent : nous
pehfons tout entraifner avec nous 5 nul de
nous ne penfe aflez n'eftre qu'un.
Apres cela l'homme croit que le ciel, les 4.
cftoiles , tout ce grand mouvement celeftc'^" ^'«^
•& branfle du monde, n'eft fsââ: que pour.
lui. Tôt cîrca unum caput tumultuantes deos,*
Et le poure miferable eft bien ridicule. U
cft ici bas logé au dernier & pire eftagc de
ce monde , plus eflôngné de la voulte ce-«.
lefte, en la cloaque & fcntine de l'univers,
avec la bourbe & k lie, avec les animaux
de la pire condition, fubjeâ à recevoir tous-
les excréments & ordures , qui luy pleuvenr
& tombent d'en haut fur la tefte , & ne vîft-
que de cela , & à {buf&ir les accidents qui'
lui arrivent de toutes parts : & fe Êiid croire
qu'il eft le maiftre commandant à tout 5 que
G.»»
7^' .91 t A S A OE s s Z,
r
coûtes créatures , meimes ces grands cotps^
lumineux , incorruptibles » defquels il ne
peuft fçayoir la moindre vertu, & eu: con-
traint tout tran£ les admirer , ne branflenr
^e pour luy & (on feryice. £c pource <|u*ii
mendie, chetif «ju'il cft, fbn vivre , fou
entretien , (es commoditez, des rayons ^
clarté & chaleur du fbleil , de la piuye, &:
autres defgouts du ciel& de l'air, il vcuft
dire qu*il puiil du cid & des éléments ,.
comme fî tout n'avoit efté bciâ, & ne fc re-
fiiuok que pour luy. En ce fcns Toyfon ctt
.fourroit dire autant, & peufl-edce plus
}uftement & conftamment. Car l'homme,
qui reçoit aufli (buvcnt des inconmioditez-
de là haut, & n'a rien de tout cela en fa
puifTancc ny en fon intcll^cnce, & ne les
peuft deyiner , eft en perpétuelle tranflc ,
£ebyre & crainte que ces corps fuperieurs^
ne branflenr pas bien à propos &. à poin6^
nommé pour luy, & qu'ils luy cau(ent fte-
xilité , maladies , & toutes chofes contrai--
res , tremble foubs le fais : ou les beftes re-
çoivent tout ce qui .vient d'en haut , fans
Allarme ny apprehenfîon de ce qui advien-
dra, & fans plainte de ce qui eft advenu:»
1 I V RE I. C H A P. Vil. f^
comme Bàâ. incdlàmment Thomme : Non
nos caufa mundojumus kyemem dftatemque
rtftrendi / fuas ifta leges kabent^ quibus Senec
divtna exercentur : nimis nos Jujpicimus ,
fi digni nobis videmur^ propter quos tanta
moveantur; non, tanta tatlo nobifcian fo^
ciétas efl , ut nofirofato fit ilU quoqiufy-
derumfulgor^
Pour le regard des chofes ba/Tes, tcrrcf- f«
«es , fçaroir tous aoimaux, il les dcfdai- maux»
gne & deicfiîiBe comme H du tout elles
H'sqppartenoienc aumerme maîftre ouvrier y
âc n'eftoient de meûne mère , & de mefme
£imiUcayec luy,:» comme fi elles ne le tou-
choient & n'avoienc aucune part ou rela-
tion à luy. Et de là il vient à en abufer &
exercer croaulté» chofe qui rejalift contre
le maiftre commun & univerfél qui les a
bi£kcSy qui en a foin, & a drefTé des loix
pour leur bien & conservation , les a ad-
vantag^es en certaines chofes , renvoyé
rhomme fbuvent vers elles , comme à une
efcholle. Mais cccy eft le fubjeâ: du Cha-
pitre fuivant. ^^
Hnalement» mais principalement ceftepre- De l'hô-
fbmption doibt cftre confiderée en Thom- ^ "^^
fo DS LA Sagesse»
IBC mcfmc , c*cft-à-dirc pour le ri^ard de
fby & de l'homme /on compagnon , au dc<«
dans , au progrez de foû jugement Se de fes
opinions j & au dehors en commonicatioa
Trois de & converfatîon arec aucniy. Sur c^aoy nous.
l^^fojQp. confidererons trois cfaofcs^, commer trois
tion hu- chcfe qui s'entrçfuivcnt > od rhumanité^
' monftre bien en fa (btte fbiblefTe fa fblle-
I Croirr, prefomption. La première au croire ou mef-
mefaoi- ^^oirc , od font à aoter deux vices contrai*
res , qui (ont ordinaires en la condition hu*
maine. L'un & plus oommun eft une légè-
reté, qui cita credif, Uvis eft corde, &
trop grande facilité à croire & recevoir tour
ce que Ton propofc avec quelque apparen-
ce ou authorité. Cecy appartient à la niai(e
ftmplicité , molleffe , & £:>iblede du petit
peuple, des efprits efFeminez, malades,. fu-
perftitieux, eflonnez, indifcretement zelez,
qui comme la cire reçoivent facilement tou-
te impredion , fe laKTent prendre & mener
par les oreilles. Suyvant cecy nous voyons
pefque tout le monde mené & emporté
aux opinions & créances, iwn par chois &c,
jugement, voire fouvent avant Taage & dif-
cretion y mais par la cooftume du pays ^ oii.
IIVRE I. CMAP, VIL %1
inftruâîon receue en jeunefTe» ou par ren~
contre , comme par une tempefle^ & là fe
trouve tellement collé, hypotecqué & af-
fcrvy , qu'il ne s'en peuft plus de(prcndrc.
Veluti tempeftate delati ad quamcunqut
difciplinam , tanquam ad faxum adhAref-
cunt. Le monde efl ainfî mené , nous nous
en fions & remettons à autruy : unufquifquc
mavult credere quant judicare ; verfat nos
& ptACipitat traditus per manas error, ipja
cortfiutudo aJfentUndi perîculofa & lubrica.
Or cefte telle facilité populaire , bien que
ce (bit en vérité foiblcffe , toutesfois n'cft
pas fans quelque pre&mption. Car c'efl:
trop entreprendre que croire adhérer & te-
nir pour vray & certain fî légèrement, fans
içavoir que c'eft , ou bien s*enquerir àos
caufes, raifbns, conCèqucnces» & non de
la vérité. On di<5^, d'où vient cclaî com-
ment fe &iél cela ? prefuppo(ant que cela
cft bien vray i & il n'en eft rien : on trai^le,
agite les fondements & eiFedsde mille cho-
Cs& qui ne furent jamais , dont tout le pra
Se corttra eft faux. Combien de bourdes ,
^uls & fi^fofez miracles > vifions & révé-
lations recettes au monde y qui ne fîitent^
tz D£LASaO£SS2,
jamais! Et pourquoy ctoira-ron une mer-
veille^ une chofe non humaine ny natu-
relle , quand Ton pcuft deftourncr & eii<ier
la vérification par voye naturelle & hu-
maine ? La venté & le menfonge ont leurs
vifages conformes 5 le port, le gouft & les
alleures pareilles s nous les regardons de
mefme œil : itafunt finitima falfa veris ,
ut in prdcipîtem loçum non debeat fe fa-*
piens committere. L'on ne doibt croire d'un
homme que ce qui eft humain , s'il n*eft
authorifë par approbarion fumaturelle &
furhimiaine, qui eft Dieu feul , qui feul eft
à croire en ce qu'il did , pource qu'il le
dia.
L'autre vice contraire eft une forte &
audacieufê témérité de condamner & rejec-
ter, comme faulfes, toutes chofes que l'on
n'entend pas , & qui ne plaifcnt & ne re-
viennent au gouft. C'eft le propre de ceux
qui ont bonne opinion d'eux-mefmes , qui
font les habiles & les entendus , fpeciale-
ment hérétiques, fophiftes , pedans; car le
Tentants avoir quelque poinde d'c(prit, &
de voir un peu plus clair que le commun ^.
ils fe donnenr loy &: authorité de décidée
IIVReI. CHAP. V^. 8j
& refouldrc de toutes chofes. Ce vice cft
beaucoup plus grand & vilain que le pre*
mier 5 car c*eft folie enragée de penfer fça-
voîr jufques oii va la poilîbilitë » les ref-
ibrts & bornes de nature, la portée de la
puiiTance & volonté de Dieu , & vouloir
langer à foy & à fa fuffifance le vray & le
fauls des chofes ^ ce qui eft requis pour ainfi
& avec telle fierté & affeurance refouldre Se
définir d'icelles. Car voyci leur jargon : Cela
eft fauls , impoiHble y abfurde. £t combien
y a-il de chofes y lefquelles pour un temps
i;iou5 avons rejettées avec rifée comme im-
poiïlbles y que nous avons efté contraindls
d*advouer après , & encore paffer outre à
d'autres plus eftrangesl & au rebours com-
bien d'autres nous ont efté comme articles
de iby , & puis vaines menfonges l
La féconde, qui fuit & vient ordinal- 8.
rement de cette première , eft d'affirmer *• ^^^*
. . n incr,coiv
ou reprouver certamement & opiniaure- damner*
fnent ce que l'on a légèrement creu ou mef-
creu. Ce fécond degré adjoufte au premier
opiniaftreté , & ainfi accroift la prefomp^
don. Cette facilité de croire avec le ^enips
s'endurcift & dégénère en opiniaftreté in-
^4 delaSagessî»'
vhiâble & incapaUe d*amciidement; vôiifè
Ton va jufqucs là, que fodvcnt. Ton ibuf-
tient plus les chofes que Pon fçait & que
l'on entend moins : majoremfidem komînes
adkîbent iîs quét non inttlîigunt : cupidî-^
tate kumani ingtnîi luhtntius obfcura cre^
duntur : l'on parle de toutbs choyés par rc-
folutîon. Or TafErmatibn & opînkftreté
font lignes ordinaires de bcftifc & ignoran-
ce , accompagnée de folie & arrogance.
9. Latroifîeme, qui fuit ces deux, & qui
tiia/r' ^^ ^^ faifte de prefomption , eft de perfua-
der , faire valoir & recevoir à aumiy ce
que Ton croit, & les induire voire impe-
rieufemcnt avec obligation de croire, & in-
hibition d'en doubter. Quelle tyrannie 1
Quiconque croit quelque chofe, eftime que
c*eft œuvre de charité de le petfuader à un
autre, & pour ce faire ne craint point d*ad-
joufler de fon invention autant qu'il voit
eftre necelfaire à fon compte, pour fupplir
au de&ut & à la reûftance qu'il penfe tùtt
en la conception d'autruy. Il n*eil rien à
quoy communément les hommes fbienc
plus tendus qu'à donner voye à leurs opi«
nions; ntmo fibi tantum errât, fed aliis
Î.IV11EL cHAp. VIL 85
erroris caufa & author eft, Oii le moyen
ordinaire fault. Ton y adjoufte le comman-
dement , la force , le fer , le feu. Ce vice
cft propre aux dogmatises & à ceux qui
veulent gouverner & donner loy au monde.
Or pour venir à bout de cecy &. captiver
^ créances à fby , ils ufent de deux moyens.
Par le premier ils introduifent des propor-
tions generalles & fondamentales, qu'ils ap«
pellent principes & prefiippofîtions , des-
quelles ils enfeignent n'eftre permis dé
doubter ou difputer: fur lefquelles ils ba{*
tifTent après tout ce qui leur plaifl, & mei*
nent le monde à leur poile : qui eft une pi-
pcrie, par laquelle le monde fe remplifl à'tc
reurs & de menfonges. Et de fkid , fi Ton
vient à examiner ces principes. Ton y trou*
veta de lafàulfeté & de la foibiefTe autant
ou plus qu'en tout ce qu'ils en veulent tirer
& de(pendre : & fe trouvera tousjours au->
tant d'apparence aux proportions contraires.
I II y en a de noftre temps qui ont changé Copernic
& rcnverfé les principes & reigies des An- ^''*» j^*'
ciens en l'aftrologie, en la médecine» en la
géométrie, en la nature & mouvement des
vents. Toute proportion humaine a autant
Tome I. H
tS delaSagessx,
d*2Uthorité que Taucre, fi k raî(bn n'en
fsdâ. ladifFcrence. La vcrité ne dépend point
de l'authorité ou tefmoignage d'homme -
il n*y a point de principes aux hommes £ la
Divinité ne les leur a révélés : tout le refte
n'eft que fonge & fumée. Or ces Medieurs
icy veulent que Ton croye & reçoive. ce
qu'ils difent, & que Ton s'en fie à eux, fans
juger ou examiner ce qu'ils baillent, qui eft
une injuftice tyrannique« Dieu feul, comme
aeflé dié^, eft à croire en tout ce qu'il did»
pource qu'il le diâ : qui afemetlpfo ioquU
tur, mendax cft. L'autre moyen eft par fup-
pofition de quelque Eaàâ: miraculeux, révé-
lation & apparition nouvelle & celefte» qui
a efté dextrement pratiqué par des législa-
teurs , généraux d'armées , ou chefs de pan.
La perfuaflon première, prinfe du fubjeâ
mcfme, faifift les (impies s mais elle eft fi
tendre & ù fiesle, que le moindre heun,
mefcompte , ou me^garde , qui y furvien-
droit , efcarbouilleroit tout : car c'eft mer-
veille grand , copiment de fi vains commen-
cements & frivoles caufes (ont forties les
plus Êmieufes imprefiîons. Or cefte pre-
mière impreûion franchie devient après à
tlVRE I. CHAP. VII. 8^
s-cnflcr & groffir merveillcufement , telle-
ment qu'eUc vient à s'cftcndrc mcfinc aux
habiles , par la multitude des croyaiw , des
tefmoings , & des ans ^ à quoi Ton fc laifTc
emporter , fi l'on n*eft bien fon préparé: car
lors il n*cft plus befoin de regimber & s'en
enquérir, mais fimplcment croire. Le plus
grand & puiflant moyen de perfuader , & la
meilleure touche de vérité, c'eft la multi-
tude des ans & des croyans : or les fols fur-
paffent de tant les fages : fanitatis patroci-*
nium efl infanUntium turba. C'eft chofe
difficile de refouldre fon jugement contre
les opinions communes. Tout ce deffus fc
peuft cognoifbe par tant d'impoftures, ba-
dinages, que nous avons veus naifbre comme
miracles , & ravir tout le monde en admira-
tion, mais incontment eftôufFcz par quel-
que accident , ou par Tcxade recherche à^%
clair -voyans, qui ont efclairé de près &
defcouvert la fourbe, que s*ils eufTent eu
encore du temps pour fe mcurir & fe forti-
fier en nature, c'efloit faia pour jamais. Ils
cuffent efté reçeus & adorez généralement.
Ainfi en eft-il de tant d'autres qui ont ( fe-
veur de fortune) paffé & gagné la créance
Hij
€8 DELA Sagesse»
pubiicque » à laquelle puis on s*accoinmoJe
fans aller recognoiftre la chofe au gifte 8s
en Ton origine : nufquam ad liqiddum fama
perducitur. Tant de fortes de religions au
monde, tant de &çons fuperftitieufes , qui
font encore mefmes dedans la Chreftknté»
demourées du paganiGne, & donc on n'a
peu du tout fevrer les peuples. Par tout ce
difcours nous voyons à quoy nous en £bm-
mes , puis que nous fommes menez par teU
guides.
SECONDE CONSIDERATION
DE L'HOMME,
Qirz tfi par comparatfon de luy avec toits
les autres animaux.
CHAPITRE VIII.
No u S avons confîdcré Thomme tout en- r.
ticr & amplement en foy , maintenant con- ^^^^^
£derons-le par comparaifon avec les autres utile &:
animaux , qui eft un très beau moyen de '"^<^*^*
le cognoilbe. Celle comparaifon eft de quelle
grand* eftendue , a force pièces , de grande ^ ft^^*
fcicnce & importance , très utile , fi elle eft pca,
bien faille : mais qui la fera ? Thomme 1 1l
eft panie , & fufped , &de faid il n*y pro-
cède pas de bonne foy. Cela fe monftrc
bien en ce qu'il ne tient point de mefure &
de médiocrité. Tantoft \\ (e met beaucoup
au deffus de tout, & s'en dîél maiftre, def-
daigne le rcfte : il leur taille les morceaux,
& leur diftribue telle portion de fàcultez 8ç
de forces que bon luy femble. Tantoft
comme par defpit il fe met beaucoup au
deiToubs, il gronde , fe plaînd , injurie na*
Hiij
fo SE LA Sagesse»
turc comme cruelle maraftre, fe fidâ le re*
but & le plus miferable du monde. Or cous
les deux font également contre raifon , vé-
rité , modeflie. Mais comment voulez-
vous qu'il chemine droi^tement & également
avec les autres animaux , qu'il ne le faiâpas
avec l'homme fon compagnon, ny avec
Dieu, comme nous venons de dire } Elle eft
auflî fort difficile àfaire, car comment peufli
rhomme cognoiftre les branfles internes 8c
fecrets des animaux, ce qui fe remue au de-
dans d'eux } Or efludions à la faire fans paf-^
lion^
Premièrement la police du monde n*éft
point fi fort inégale , fi difforme & defrci-
glée , & n'y a point G. grande difpropor-
tion entre fcs pièces v celles qui s'approchent
& fe touchent, fe reflemblent peu plus,
peu moins. Ainfi y a-il un grand voifinage
& coufînage entre l'homme 6c les autres ani-
maux. Ils ont plufieurs chofes pareilles &
communes : & ont auflî des différences, mais
non pas fi fort eflongnées & difpareillées , ,
1 fi qu'elles ne £c tiennent : l'homme n'eft du.
tout au deffus, ny du tout au deffoubs : tout
ce qui efl foubs le Ciel , did la fageffede
Dieu, court meûnefpnune.
LIVRE I. CHAP. VIII. 91
Parlons premièrement des chofes qui leur ^ .
font communes, & à peu près pareilles» qui C^*^^'
font engendrer, nourrir, agir, mouvoir, nés.
vivre, mourir. Idem interitus hominïs & tcdcfî.
jumentorum : & â,qita utriufque conditio . Et ,
ce fera contre ceux qui fe plaignent, difan»
que rhomme eft le feul animal difgracié dé-
nature , abandonné, nud fur là terre nue ,
fans couverts, fans armes, lié, garotté,
fans inffaruâion de ce qui luy eft propre 3 là-
ou tous les autres font reveftus de coquilles,
goufles , efcofTes , poils , laine, bourre , plu*
mes,ercailles$armez degrofTes dents, cor-,
nés , griffes pour afTaillir & defFendre , ïnC-
truids à n^er , courir , voler , chanter y
chercher fa pafhire ; & l'homme ne fçait
cheminer , parler , manger , ny rien que
pleurer fans apprentilTage & peine. Toutes
CCS plaintes, qui regardent la compofîdon
première & condition naturelle , font in-
juftes & fauflès : noftre peau eft aufli fuf-
fifamment pourveue contre les injures du*
temps , que la leur , tefmoins pluficurs na- ,^ nucIp*
tions (comme fc dira cy-aprcs) qui n*ont té c. 14,.
encore fceu que c'eft que veftemens : &
nous tenons aufE dcfcouvertes les parties.
$1 0fitASACSSS£^
qu*il nous plaift , voire les plus tendre^ &
fenfîbles , k face , la main, reftomach, Ie$
Dames meCnes délicates , la poidrine. Les
1. Ttn- liaifons & emmaillocemens iie font point
icmcnT ^cceffaîres , termoinsles Lacedemoniens &
maintenant les SuifTes , Allemans 5 qui ha^
bitent les pays froids, les Bafques & le^
3.Pleu> Vs^abonbsquiledirentEgyptiens. Le pleu-
rer eil aufli commun aux beftes : la plu(^
part des>animaux Ce plain^t» gemift quel-*
Ar- ^^^ ^cmps après leur nailTance. Quant aux
ma. armes , nous en avons de naturelles , & plus
de mouvemens des membres , & en tirons
plus de fervice naturellement & fans leçon.
Si quelques beftes nous furpafTent en ceft
endroit , nous en furpafTons plufîeurs au*
5. Man- très. L'ufage du manger eft aufli en eux &
^^'' en nous tout naturel & fans înftrudion.
Qui doubte qu'un enfant arrivé à la force de
fe nourrir , ne fceuft quefter fa nourriture ?
£t la terre en produit & luy en offre affez
pour fa neceflité , fans autre culture & ar-
tifice , tefmoins tant de nations , qui , fans
labourage ^indufhic & foin aucun, vivent
f . Par- plantureufement. Quant au parler , Ton
.ï«r» peuft bien dire que s'il n*cft point naturel.
LIVRI I. CHAP. VIII. ^î
il n*eft point néceflkîre : mais il cft commun
à l'homme avec tous animaux. Qu*efl-ce
autre chofe que parler , cefte faculté que
nous leur voyonsde Teplaindre, fe resjouïr,
s'entr'appeller au fecours , fc convier à Ta-
mour ? Et comme nous parlons par gefles&
mouvement des yeux, de la tefte» des mains,
des efpaules ( en quoy fe font fçavans les
muets ) auili font les beftes , comme nous
voyons en celles qui n*ont pas de voix , les-
quelles toutesfois s'entrefbnt desoffices mu-*
tuels: 6c comme à certaine mefure les befles
nous entendent , auflî nous les entendons.
Elles nous fiattent, nous menacent, nous
requièrent , & nous elles. Nous parlons à
elles , & elles à nous , & fî nous ne nous
entr*entendons parfaitement , à qui tient -
il ? à elles ou à nous } c'eft à deviner. Elles
nous peuvent bien eftimer beftes par cefle
caîfbn , comme nous elles : mais encore
nous reprochent * elles que nous ne nous
cntr'entendons pas nous-mefmes. Nous
n'entendons pas les Bafques , les Bretons ,
& elles s'entr'entendent bien toutes , non
feulement de mefme efpece , mais , qui plus
cfl» dç diverfc ; en certain abbayer duchieny
^4 dflaSagesse»
le cheval cc^oift qu'il y a de la cholere |
& en autre voix il cognoift qu'il n'y en a
point. Au refte elles entrent en intelligence
7. Intel- avec nous. En la guerre, aux combats , les
mutuel- clcphans , les chiens , les chevaux s'enten-
le* dent avec nous » font leurs mouvemens ac^
cordans àpourfuyvre , arrefler , donner , re-
culer s ont paye , folde & part au butin ,
comme il s'eft pnu^qué en la nouvelle
conqueile des Indes. Voilà des chofes com-
munes à tous & à peu prés pareilles.
4* Venons aux différences & advantages des
rences 8c uns fur les autres. L'homme eft fingulier 8c
advan- excellent en aucunes cho(es par deflus les
Oe* . animaux : & en d'autres les beftes ont le àcG
rhorn* {us ^ affin que toutes chofes foyent ainii en -
trelalTées & enchaînées en cefte generalle
police du monde & de nature. Les advan-
tages cenains de l'homme (ont les gran-
des facultez de l'ame , la fubtilité , vivacité
& fuffifance d'efprit à inventer , juger ^
choifir : la parole pour demander & offrir
ayde & fecours : la main pour exécuter ce
que l'efprit aura de foy inventé , & apprîns
d'autruy : la forme aulE du corps , grande
diverfîtéde mouvemens des membres , dQnt
t I V R ï ï. C H A P. Vni. * $f
il tire plus de fcrvice de Ton corps.
Les advantagcs des beftes, certains & T-
hors de difpute , font ou généraux ou par- ?"
ciculîers. Les généraux font fanté , qui leur Gene-
cft bien plus forte & confiante. Le ferein '*"*'
ne leur nuid point, ne font fubjeâes aux de-
fluxions , d'oii font caufées prefque tou-
tes maladies : l'homme couvert de toidl &
de pavillon à peine s'en peu(l-il garder. Mo*
deration d'appétits & d'aétions , innocence,
feureté , repos & tranquillité de vie , une
liberté pleine & entière fans honte , crainte ,
ny cérémonie aux chofes naturelles & li-
cites ( car l'homme eft feul qui a à fe déf-
rober & fe cacher en fes aâ:ions , & duquel
les defFauts & imperfedions oiTenfent fes
compagnons ) , exemption de tant de vices
& defreiglemens , fuperftition , ambition ,
avarice , envie. Les paniculiers font l'ha- pj^çj^u.
bitation & demeure pure , haute , faine , & li^rs.
plaidante des oyfeaux en la région de l'air. '•
La fuffifancc d'aucuns arts , comme de baf- *•
tir aux arondelles , & autres oyfeaux , tiftre
& coudre aux araignées , de la médecine en
placeurs animaux, mufique aux roffîgnols.
Les eâe^ de proprietex mcrveilleufes , ini- j*
^é * belaSagessz,
miubles , voire ininu^iiubies , comme fa
propriété du poifTon rémora à arrefler les
plus grands vaifTeaux de mer, coimne il Ce
lift de la galère capitanefTe de Marc-An-
toine , & le meGne de celle de Caligula ;
de la torpille à endormir les membres d'au*
truy bien eflongnez & fans le toucher ; de
l'heriiTon à preàentir les vencs i du camé-
léon & du poulpe à-prendre les couleurs*
4* Les prognoftiques , comme des oyfeauz en
leurs pafTages de contrée en autre , félon
les faifons diverfes s de toutes beftes mères
à cognoiftre de cous leurs petits , qui doibc
eftre le meilleur : car eftant queftion de les
fauver du danger , ou rapporter au nid ,
elles commencent toujours par le meilleur»
qu'elles fçavent & prognoftiquent tel. En
toutes ces chofes l'homme eft de beaucoup
inférieur , & cnplufieurs il n'y vaut du tout
rien : l'on y peuft adjoufter , fi l'on vcuft,
la longueur de vie , qui en certains ani-
maux paffe fept ou huiâ fois le plus long
terme de l'homme.
^* Les advants^es, que l'homme prétend
tagcs dif- &i^ les beftes , mais qui font difputablcs »
pu»blcs & qui peuft-eftre font au rebours pour les
X.ltRl I. CHA^. VIIL ^7
ï>6fte$ contre Thomme , font plufieuts«
^Premièrement » les facilitez raifonnables , ,,
difcours , ràtiocination , difcipline , juge- Rariod-
ment , prudence. Il y a icy deux chofes à
dire : Tune eft de la vérité du faid, C'eft ^Tesh^.
€tnc queftion grande , fi les beftes font pri- tes raiio-
▼ées de toutes ces lacultez fpirîtuelles: "ncnt.
L'opinion qui tient qu'elles n*en font pas pri-
^^es , ains qu'elles les ont, eft la plus au-
thentique & plus vraye ^ elle eft tenue des
plus graves Philofophes , mefmement AriP-
totc , Galien , Porphyre , Plutarque : fouf-
tenue par cefte raifon^ la compofition du
cerveau , qui eft la partie de laquelle l'ame
fe fen pour ratiociner , eft toute pareille &
ine(me aux beftes qu'aux hommes^ confir*
jxiéc par expérience» les beftes desfinguliers
concluent les univerfels ; du regard d*un
homme feul cognoifsent tous hommes; fça-
vent conjoindrc & divifer , & dîftinguer le
bon du mauvais , pour leur vie , liberté , &
de leurs petits. Voire fc lifent & fe voyent,
fi Ton y veut bien prendre garde, plufieurs
traidh fâids par les beftes , qui furpaffent
la fuffifancc , fubtilité , & tout Tengin du
4àommun des hommes; j'en veux ici rap-
Tonu /• 1
poner quelques-uns plus fîgnalez. Le jrc-
nard voulant pafler fur la glace d'une ri^
viere £elée , applique l'oreille contre h
glace , pour fentîr s'il y a du bruiâ , & iî
Teaue court au-defToubs » pour fçavoir s'il
Ëiut advancer ou reculer 5 dont s'en fer-r
Tent les Thr^iens voulans paf{èr une ri-
vière gelée : le chien , pour fçavoir ai|
quel des trois chemins fe fera mis (on maiC
tre , ou l'animal qu'il cherche , après avoir
âeurc & s'eftre afTeuré des deux , qu'il n'y
a paâfé pour n'y fentîr la trace , fans plus
m^chander ny fleurer , il s'eflance dedans
le troifieme. Le mulet du Philofophe Tha-r
les portant du fel & travçrfant un ruilTeau ,
fc plongeoir dedans avec la charge , pour I4
rendre plus légère » l'ayant une fois trouvée
celle , y eftant par accident tombé ; mais
cflant après chargé de laine ne s'y plongeoit
plus. Plutarquedid avoir veu en un batteau,
un chien jettant en un vaiffeau des cail-
loux , pour faire monter l'huile qui eftoit
trop baffe. Autant s'en diâ des corbeaux de
Barbarie , pour faire monter l'eaue quand
çUe eft ba/fe , & qu'ils veulent boire. De
aieûn^ , les elephans pçrtaus des pierre^ âç
lltRE I. CHAP* VIII. ^9
pièces de bdis dedans 11 fôfTe bii uii autre
leur compagnon fe trouve engagé , pour
luy ayder à en fortii*. Les bœufs des jardins
royaux de Suze , appr ms à faire cent tours
de roue à Tentour d'un puits , pour en tirer
de Teaue, & eh arroufer les jardins » n'en
Youloyent jamais faire davantage, 8c ne&il-
loyent auffi jamais au compte. Toutes ces
«^hofes comment Ct peuvent-elles faire fans
dîfcours & ratiocination » conjonâion 8c
divîiîonî C'eft en cftre privé , que ne cog-
hoiftre cela: la dextérité de tirei' & arracher
les dards âc javelots des corps avec fort peu
de douleur, qui eft aux elephans : le chien
dont parle Plutarque , qui en un j eu publicq
far l'efchafàttd contrefàifoit le mort , ti-
rant à la fin , tremblant , puis fe roidifTant»
fc laiifant entraîner , puis peu à peu fe re-
Tenant, 8c levant la tefte fàifoit le reflufcité;
' tant de fingeries & de tours eflxanges que
font les chiens des bafleleurs, les rufes & in-
ventions de quoy les belles fe couvrent des
cntreprinfes que nous fàifons fur elles : la
jtic&agerie 8c grande providence des four-
mis à eftendre au dehorsleuts grains pour les
^ ciVeiiter , feicher , afin qu'ils ne moifiiTent
\
:^oo DK LA Sagesse,
& corrompent, à ronger le bouc du graîn r
^Sua, <}u*il ne germe & fe face (émence s 1^
police des mouches à miel , ou y a (î grande
diverfité d'offices & de charges , & une &
grande confiance,
o ^ d- ^^^^ rabattre tout cecy aucuns malicieu-
tion de fement rapportent toutes ces cho(es à une
linfiintt inclination naturelle , fcrvile , & forcée r
mais outre que cela nepeuit eltre, ny entrer
eh imagination » car il y faut enumeratioxk
de parties , comparai{bn ^ discours par con-
jonâion , & diviiion ,. & confequences :
auâi ne fçaurpyent-ils dire ce que c'eft que
cefte inclination & inftinâ naturel. Encore
ce dire fe retorque contr*eux5 car il efl fans,
comparaifbn plus noble , honorable, & ref-
femblant à la Divinité, d*agir par nature ,
que par art & apprentifTage^ efbx conduiél £c
mené par la maiii de Dieu , que par la fîenne ^
& reiglement agir par naturelle & inévita-
ble condition , que reiglement par liberté
fortuite & téméraire. Par celle oppolîdon
d'inftiné^ naturel ils les veulent auffî priver
d'inftruâion & discipline tant aéHve que
paflive : mais l'expérience les de(ment> car
^es lare^oyyent» tefmoins les pies, perro-*
II VUE I. CHAP. VIII. 101
^uets , meritô » chiens , comme a efté diâ;
& la domient, tefmoins les roffignols , & fur
tout les elephans , qui paflent tous animaux
en docilités toute forte de difci{^e Se fiif-
Hùaicti,
Quant à cdb (acdcé de Teffiit , donc S.
rhomme fe glorifie tant, qui eft de fpiri-
tualifer les chofes corporelles & abfentes ,
ks defpouillant de tous accidens pour les
cotïccvob: Si (sL laoà^ j nam intelieâum efi
in intelligente ad mùdrnmimeUigentis ^ les
i>eilés^n font de mefme ,■ le cheval accouf^
lumé à la guerre dormant en faliâiere tre^
mouâe & frèmift , comme s'il eftmt en la
xneAée , conçoit un (on de tambour , de
trompette , une armée : le lévrier en fonge
halettant, allongeant la queue, fecouanc
les jarrets , conçoit un lièvre fpirituel : les
chiens de garde grondent en fongeant , &
puis jappent tout à £iiâ , imaginant un ef-
tranger arriver. Pour conclurre ce premier
poin<^, il £iut dire que les beftes ratioci-
nent , ufent de dlfcours & jugement , mais
(>lus foiblement & imparfaitement que
rhomme. £Ue& font inférieures en cela à
l'homme, & non pas qu'elles n'y ayent4lu
70Z: .' m LA S ACt SS't^ r
tout point de paît. £Ues font ioéeticures h
l'anime, comme entre les hommes les uo^
font inférieurs aux autres , & auffi entre les
beftcsjs'y trouve telle différence : mais en-,
core y a-il plus grande différence entre le$r
faonames; car» cûninàe fe dira après» il y a^
plus grande >£A»utce d^homme à'hwnme >•
que d'homme à befte. .
L'autre poînâ à dire en cefte matière eft ,-
que cefte prééminence & adyantage d'en-
tendement & autres âcultez fpiricuelles ^
que rhomme prétend ^ luy eft bien cher ven«
du y &. luy porte plus de maf que de bien »
car c'eft la fource principale des maux qui
lepreifent, TÎces, pafCons, maladies, ir«*
re(blîition , trouble , defe(poir : de quoy
font quittes les beftes à iàute de ce grandT
advantage , teûnoih le porceau de Py rrho ,
qui.mangeoit paifiblement au navire durant'
la grande tempefte qui tranfiiToit de peut
toutes les perfbnnes qui y eflioient. Il fem-r
bte que ces grandes parries de l'ame ontefté
defniéesaux beftes , à tout le moins retran*
chées Se baUtées cheti^es & fbibles pour
leur grand bien & repos , & données k
rhomme pour fon grand txmrment ^ car par
tiynt t c ftA». VïII. tcf '
{celles il s*^te & travaille , fe fafche d\i
palTié , s'eftonae & Te trouble pour Tadve-' •
nir ^ voire il imagine , appréhende & craint
des maia: qui ne font & ne feront points
Le^ animaux n'appréhendent le mal , que
iors qu'Ss le Tentent : eilans efchappez font
en pleine feureté & repos. Voylà comment
l'homme eft le plu^xniferable,par où l'on le
penfoit plus heiureuz : dont il femble qu'il
euft mieux valu à l'homme n'effare point doué
& garni de toutes ces belles & celeftes ar-r
mes , puis qu'il les tourne contre foy à fon
mal âc (a ruyne. £t de fsaû. nous voyons
que les ftupides & foibles d'e/prit vivent plus
en repos , & ont. meilleur marché des maux
& accidens , que les fort fpirituels.
Un autre advantage que l'homme prétend ' ^*
fur les beftes eft une fe^eurie & puîflàncc gnêurie
de commander, qu'il penfe avoir fur les ^ ^^J"*
beftes : mais outre que c^eft un advantage mcncr '
que les hommes meûnes ont & exercent les
uns fur les autres , encore cecy n'eft-il pas
vray. Car ou eft ce commander de Thomme,
& ceft obeïr des beftes } C'eft une chimère ^
& les hommes craignent plus les beftes »
qu'elfes ne font les hommesr L'homme ^
t04 ^^ ^A SA^tii-E^
bien à la vérité grande prééminence par icC^
Ccn. I • fns les belles , ut prdfie pifiilms maris , va*
iatUihus cœli , hefiiis urn, / & c'dl à caule
de fa belle & droiâe forme, de fa fageâe&
prérogative de Ton eCpric : mais non pas qu'il
leur commande^ ny qu'elles luy obcïflcnt. •
Il y a encore un autre advantage voifin
). Liber- de ceftuy-cy ^ prétendu par l'homme , qui
t^ de' '^* cft une pleine liberté , reprochant aux bcftes
la fervitude, captivité» fubje6tion, mais c'eft
bien mal à propos. Iljy a bien plus de fubjeél
& d'occafion de le reprocher à l'homme, tei^
moins les enclaves non feulement &iéls par
force , & ceux qui defcendent d'eux , maïs
encore les volontaires , qui vendent à purs
deniers leur liberté , ou qui la donnent de
gayeté de cœur , ou pour quelque conuno-
dité , comme les efcrimeurs anciens à ou-
trance , les femmes à leurs dames , leS (bl-
dats à leurs capitalises. Or il n'y a rien de
tout cela aux belles : elles ne s'aflèrviflènt
jamais les unes aux autres ; né vont point à
la fcrvitudc, ny aôivcment ,ny paflîvement,
ny pour affcrvîr , ny pour eftre alfervies : 8c
font en toutes façons plus libres quelles
hommes. Et oe que l'homme va à la chafièi
tITRE I. CHAP. VIII. JOf
prend , tue » mange les befles , audi eft-îl
prins , tué , mangé par elles à fon tour , de
plus noblement, de vive force, non par fi-
nefle, & par an, comme il fâiâ; & non
(euletneiit d'elles , mais de (on compagnon,
d'un autre homme , choie bien vilaine : le$
beftes ne s'àfTemblent en troupe , pouraN
1er deftruire, ravager & prendre efclave une
autre troupe de leurs femblables, comme
font les hommes.
Le <|uatrielne & grand advantage preten- J^'
du par rhomme eft en la vertu : mais de la '
morale il eft difputabies car la recognoif-
fânce , Tamîtié officieufe , la fidélité » la
magnanimité , & tant d'autres , qui confîf*
tent en {bcieté&converfationyfbnt bien plus -
vives , plus éxpreâes & confiâtes qu'au
commun des hommes. Hircanus le chien
de Lyfimachtts demeura fur le lia de fon
maiftre mort fans vouloir }amais mai^r
ny boire ; & fe'jetta au feu ou fut mis le
corps de Ton maiftre , & s'y laifla brufler
avec luy : tout le merme en fift un autre
appartenant à un certain Pyrrhus : celui du
iâge Hefiode décela les meurtriers de Cou
maiftre : un autre de mcûne en la prefencc
10^ 0E LA SAGESSIT,
duroy Pyrrhus &de toute Ton armée : un atf*
tre qui ne ceiTa , comme affirme Plutârque »
Allant de ville en ville , jufques à ce qu'il
euft fait venir en juftice le facrilege & vo-
leur du Temple d'Athènes. Uhiftoire eft cé-
lèbre du lyon hoAe & nourricier d'Andro-
clus efdave Ton médecin , qu'il ne voulfift
toucher luy ayant efté etpofé , ce qu'A-
pion diû avoir veu à Rome. Un éléphant
ayant par cholere tué fon gouverneur , par
repentance ne voulut plus vivre , boire ,
ny manger. Au conoaire il n'y a animal au
monde in|ufte,ingrat» me{cognoiflanr,traif'
tre , perfide y menteur , & diffimulé au p^
de l'homme. Au refte puis que la vertu eft
en la modération de Tes appétits , & à bri-
der les voluptez , les belles font bien plus
reiglées que nous , & fe contiennent mieux
dedans les bornes de nature. Car non feu-
lement elfes ne font point touchées ny paf-
fionhées de cupiditez non naturelles , £u-
perâues & artificielles , qui font vicieuses
toutes , & infinies , comme les hommes qui
y font pour la ptufpart tous plongez : mais
encore aux naturelles , comme boire &
iiianger , Taccoinâancc des m;^s de £&nfA*
LIVRE I. CHAP. VÏIL 107
les , elles y font beaucoup plus modérées Se
retenues. Mais pour voir qui eft plus ver-
tueux & vicieux de l'homme ou de la befte»
& faire à bon efcient bonté à Tbomme de-
vant la befte , prenons la plus propre & con<>
▼enable vertu de Thomme , c*eft comme
porte (on nom y Tfaumanité ; comme le pluç huiha-
eftrange & contraire vice, c'eft cruauté. Or '**^^' ^'^*
•n cecy les bcftes ont bien de quoy faire
rougir Thomme » en ces huid mots : Elles
ne s'attaquent Se n'offenfent gu^res ceux de
leur genre » Major firpentum firarumqu^
conçordia quant koimnum : ne combattent
que pour très grandes & )ùftc$ caufes , def*
fen& & confervation de leur vie , liberté,
& leurs petits : avec leurs armes naturelles âc
ouvertes , par la feule vive fbrce& vaillance
d'une à une , comme en duels & non en
troupe , ny par deflein : ont leurs combats
courts & toft expédiez , jufques à ce que
Tune £bit bleifée ou qu'elle cède : & le com*
bat finy, la querelle, la haine, & la cholere
eft aufli terminée. Mais Thomme n'a que-
relle que contre l'homme : pour des caufes
son feulement légères , vaines & frivoles ,
ipais fouvent injuftes ; avec armes artificiel'
X08 DE LA SaOBSSE,
les Se traiftrefTes : par fraudes 8c mauyai$
moyens : en troupe &adembiée faiâe avec
deflein : faid la guerre fore longuement Se
fans fin » jufques à la mort : & ne pouvant
plus nuire , encore la haine Se la cholere
dure.
!)• La conclufion de cefte comparai(bn cft
fioadc** ^^^ v«nement Se mal i*homme fe glorifie
cefte fe- tant par defius les beftes. Car fi Thomme a
confiJe ^**^^û^ chofe plus qu'elles , comme eft
(«ion. principalement la vivacité de Tefpnt Se de
l'entendement , Se les grandes làcultez de ^
Tame: aufli en efchangeeft-il fubjeâ à mille
maux , dont les beftes h*en tiennent rien :
inconftance , irre&lution > Tuperitition ,
foin pénible des chofes avenir, ambition,
avarice , envie , curiofité, detraâion , men-
fonge , un monde d'appétits defreiglez, de
meîcontentemens Se d'ennuis. Ceflefprit
dont l'homme làiâ: tant de fefle, luy apporte
un million de maux, & plus lors qu'il s'a-
gite Se s'efforce. Car non-feulement il nuit
au corps , trouble , rompt, & laffe la force
Se les fondions corporelles , mais encore
Folie « foy-mefme s'empefche. Qui jette les hom-
"*'*** * mes à la folie , à la manie , que la poicâe ,
Lit RE I. CHAT. VIXL ID9
Tagilité & la force propre de rcfprît } Ucs^oyez a-
plus iubciies folies & excellences manies .,^J
Tiennent des plus rares & vives agitations- M <
de i'eQ>rit , comme des plus grandei âmi-*-!
tiez^ n^dfTenc les plus grandes inimkiczs àc
des famez vigottreufes , les mortelles stur*:
kulîes. Les melancholiques, diâ Platon; fonf^
plus capables de fdence 8c de ùijgjtSc\ mai»
aufC de folie. Et qui bien r^ardera, trouvera
qu'aux élévations & faillies de Tame libre il
y a quelque grain de folie ; ce font à la ve -
zité chofes fort voifines. Pour amplement
vivre bien félon nature , les belles font de
beaucoup plus advantagees^ vivent plus li<r
bres , affeurées » jnoderées , contentes. £t
rhomme eftfagequi les conlidere, quis*ea
faîdl leçon & (on profiâ 3 en cefaifant il fe
forme à Tinnocence , /implicite , liberté 8C
douceur naturelle , qui reluit aux beftes»&:
eft -toute altérée & corrompue en nous par
nos artificielles inventions & dcsbauches ,
abuËint de ce que nous difons avoir par-
delTus elles , qui eft Tefprit & jugement. £t
Dieu tant fouvent nous renvoyé à Tefchole
& à l'exemple des befies, du milan , la ci-
eogne , Tarondellc, tourterelle , la fourmy»
, Tom€ /. K
pies, c.
aiu
lia delaSagesss.
le bceuf & Tafiie, & tant d'autres. Au reftc,
il fe faut fouvénir qu'il y a quelque com*
merce. icntie les beftes & nous, quelque
i«latioii & obligatioa mutuelle , ne fuft-ce
quefntrbè qu'elles Cont à un meCne maiftrc»
&L et misûne Êimille que nous ; il eft indi-
gned'ufes. de cruauté envers elles : nous de-
vons: la juitice aux hommes , la grâce & la
beni^té envers les autres créatures qui en
font capables.
Ayant jufques ici trai<flé & confideré
fhomme en blot & tout entier , tant en fby
( qui a cAé la première confédération ) que
par comparaifon ( en la féconde ) nous le
voulons maintenant cfhidier & confîderer
particulièrement & difUnâement par toutes
fes pièces : Premièrement en fa perfbnne
& fubjeâ , ce que nous allons faire en cefle
troifîeme confîderation , laquelle ne fera
pas feulement morale , mais aufti naturelle;
puis de fa vie & de fes eflats , aux fuivantes
confédérations.
TROISIEME CONSIDERATION
DE L'HOMME^
Qtrr efi en détail par toutes fes pièces ,
dont a ejfcompofé & efiahly.
DiftinHion première & generalte de Vkomme^
CHAPITRE IX.
L*HOMME comme un. ahknal prodigieux t.
eft faiâde pièces toutes contraires ôc cnncr Prc«ï*«"
rt • T%« I en deux
mies: Tame eit comme un peut Dieu» le pacûes.
corps comme un fumier , une befte : toutes-
fois ces deux parties font tellement accour
plées , & s'embrafTent fi bioa l'une rancie
avec toutes leurs querelles » qu'elles ne pc«b-
Vent demeurer fans guerre, tiy fc repart:
fans tourment & regret; fie itommejcenaric
le loup par les oreilles, chafcunepcuftdirb
à Tautre , je ne puis avec toy ny fans toy
vivre , nec tecumpojfum vivere , necfine te-
Mais pource que derechef en cède ame
il y a deux parties bien différentes, il fefl>-
blc pour mieux & plus expreffenvènt reprer
(eotci U cognoiflre riiomme,^u*aupremicr
Kij
^ KOU.
XII D£ LA Sagesse,
2. En coup Ton peuft remarquer trois chofés en
rhomme , refprit , l'ame , la chair ; donc
refprit & la chair tiennent les bouts & ex-
trémités contraires » Tame mitoyenne &
indifférente. L'efpnt > la très haute ôc très
héroïque partie» parcelle» fcintille, image
& defluzion de la divinité» e(l en l'homme
comme le roy en la republique; ne rerpire
que le bien & le ciel » où il tend toufîours :
la chair au contraire » comme la lie d*un
f eiîple comultoaire & infenfé » le marc & la
icadne de Thomme , partie brutale , tend
tDuâours au mal & à la madère l l'aitie au
nntîeu comme les principaux du populaire
cft indifierente entre le bien & le mal » le
mcnce & le démérite» eft perpétuellement
fotticieée de l'e^t & de la chair ; & félon
itf^yoà elle fe range» eft i^^iiituelle &
: bonne } ou ckaxhelte de mauTaife. Icy font
logées toutes les af&âions naturelles » qtd
ne font yertueufes ny vicieufes» comme
l'amour de fes parens & amis » cramte de
honte» pitié des affligez» defir de bonne
rq^utiadcB. Cefte dilUnâion aidera beau-
-coup à fe retognoiftre & difcemer les ac«
lions» pour nCfS'y mefcomptcr, comme Toa
LIVRE î. CMA t. tX. tlj
(sdâ fottvcnt, jugeant par Tcfcorce & appa-
rence , penfant que ce foit de l'cfprit ce qui
eft de rame , voire de la chair , & attribuant
à vertu ce qui eft de la nature ou du vice.
Combien de bonnes & de belles adions pro"
duiâes par paflîon , ou bien par une inclîr
nation & complaifance naturelle , uc fer-r
vianc genio &fuo indulgeant animo !
Du corps humain en generaL
CHAPITRE X.
Ayant à parler de toutes les pièces de t
rhomme, 6ut commencer par le corps , ^^'^^^l^
comme par le plus facile & apparent , ^
qu*il eft auffi Vsàùié de Tame , comme le
domicile doibt eftrc ùâ^ & drciK avant
qu'y demeurer , & Tattelier avant que ToU'
vrier y entre pour y ouvrer.
Le corps humain eft fermé avec le temps, . \
&de tel ordre, que premièrement font ba^ ^^^^ *
fties les trois plus nobles Se héroïques par-
tics 5 le foye, le cœur, le cerveau, dîftantes
en long , & fe tenant par jointures defliées^
qui puis fe remplirent toiit à la fa^on d'un '
Uj
114 i>E l'A Sagesss»
fermy , oti y a trois parties plus groflVs &
enflées, jointes par entre-deux deÛiécs; Se-
lon ces trois parties principales viennent à
conlîderer trois eftages en i*homme ( im^e
racoorcie du monde ) qui refpondenc aux
trois eftages & régions de Tunivers. La bafic
du fby e , racine des veines , o&dne des' cC-
prits naturels , 5c le lieu de Tame concupif-
cible s en laquelle font contenus le ventri-
VifcerM, cule, ou l'eftomach, les boyaux, les reins,
'* la ratte, & toutes les parties génitales , ref-
pond à la région élémentaire ou (è fbnr
Tr^tvf* toutes les générations & corruptions. Celle
^^' ' du mifieu ou maiftrifé le coeur , la tige des
^, artères , & des efprits vitaux , & le fiegcde
Tame irafcible , feparée de celle d'enxbas
par la toile tendue du £apliragme , âc de
celle d'enhaut par le deftroit de la gorge ,
en laquelle font aufli les poulmons , refpond
^ à la région setherée. Celle d*enliaut, od
loge le cerveau (pongieux » fource des nerfs
& efprics animaux , du mouvement & fen-
timent , & le throfne de Tameraifonnable,
nbifedet pro tribunally refpond à la région
celefte & intelleâuelle.
singttU* «L*homme en fon corps a plufieurs cbo-»
nt».
t t VkÉ î. C HAP. X. îîj
fcs qui luy font peculieres privativiement
aux bcfles. i. Stature droiâe, i. forme
belle y 3. y ifage proprement diâ, 4. nudité
naturelle, 5. mouvement tant divers des
membres , 6. (bupplefTe & mobilité de la
inain ouvrière de tant de chofes , c*eft un
miracle , 7. grolTeur & abondance de cer-
veau , 8. le genouil , qui e(l en l'homme
feul au devant 9 9. û grande longueur du
pied au devant , Se qui eft fi court au der-
rière ,10. faignée du nez , chofe eftrange,
vcu qu'il a la tefte droite & les belles baif-
fée ,11. rougir à la honte , 1 1. pallir à la
crainte , 1 5. les caufes ou raifons de toutes
CCS fingularitez font belles « mais ne font
de ce nofbe pris faiâ«
Les biens du corps Tout la fanté, la beau- 4
té, l'alegrcffe, la force, la vigueur, l'ad- ^*^'**'
«IrefTe Se difpofîtion , mais la fanté pafTe
tout.
Les principales & plus nobles pièces des ^
externes font les fens corporels y & des in- f**^*' »
1 I 1 r o • plus no-
ternes , le cerveau , le coeur , le foye , & puis blés.
les genitoires, & les poulmons.
L'excellence du corps e(l généralement en ^
la forme , droiture Se port d'iccluy ? fpeda- j^.^" '
turc»
tlê httA&AÙtStt,
\ Icmeat & particulièrement en la face Se aiit
I mains , qui font les deux parties que nous
* laifTons par honneur nues. Cènes les fageS
mefme Stoïques ont tant faiâ de cas de la
forme humaine,qu*iis ont diâ vouloir mieux
eftre fol en la forme humaine » que fageea
la forme brutale, pfeferans la forme corpo-
rclleàlafageffe.
y Le corps de Thomme touche fort peu la
Droic- terre, il eft droid tendu au ciel, oii il
regarde , fe voit & fe cognoift, comme en
fon miroir : les plantes tout au rebours onc
la tefte & racine toute dedans la terre , les
beftes comme au milieu Tout entre deux^
mais plus & moins. La caufe de cefte droic**
ture n*e(l pas proprement Tame raifonna*
ble , comme il fe voit aux courbez , boffus,
boiteux > non la ligne droite de Tefpine dis
dos , qui eflauffi aux ferpents > non la cha*
leur naturelle ou vitale , qui eft pareille ou
plus grande en certaines belles , combien
que tout cela y peuft fervir de quelque chofe:
cefte droiâure convient à l'homme , &
comme homme , & comme roy d'icy bas.
Aux petites & particulières royautez y a
une marque & niajeftéj comme il fe voie
lîVRE I. CHAP. X. 117
an dauphiiï couronné, au (erpent bafilizé,
au lyon avec Ton collier, fa couleur de poif,
& fcs yeux , en Taigle , au roy des abeil-
les. Mais rhomme roy univerfel d*icy bas
marche la tefte droiâe y comme un maiftre
en fà maifbn , régente tout & en vient à
bout par amour ou par foi^ce , domptant ou
appriyoi(ànt.
• Comme il y en a qui ont des contenan- 9
ces , geftes , & mouvemens artificiels & af- Conte-
fedlex , auffi y en a qui en ont de fi naturels
&fi propres , qu*ils ne les Tentent , ny ne les
recognoifTent point , comme pencher la
tefte , rincer le nez. Mais tous en avons ,
qui ne partent point denoftre difcours , ains
d'une pure naturelle & prompte împutfibn»
comme mettre la main au devant en nos
cheutes.
De la fanti , beauté , & du vifige.
CHAPITRE XI.
La fanté eft le plus beau & le plus riche 1
prefent que nature nous (cache faire, pre- Pt^^fj
fcrable à toute autre cbofe , non-reulemênt u fanté.
XlS V£ LA S A C tS È t ,
fcience , noblefTe » richefTes , nuis à la (k^
geAe mefîne , ce difenc les plus aofteres Car'
ges. C*cft la feule chofe qui mérite que
Ton employé tout, voire la vie mefme, pour
l'avoir ; car fans elle, la vie eft (ans gouft ,
Toire eft injurieufe , la venu & la fageâe
terniilent & s*efvanouifIent fans elle. Quel
fecours apportera au plus grand homme qui
foie, toute la fageiTe , s'il eft frappé du haut
mal, d'une apoplexie } Certes je ne luy puis
préférer aucune chofè que la feule preu-
d'hommie, qui eft la (anté de l'ame. Or
combien que ce foit un don de nature, gau-
deantbtnenatiy odroyé en la première con-
formation 5 fi eft -ce que ce qui vient après
le lai^, le bon reiglement de vivre, qui
confifte en fobricté, médiocre exercice, fc
garder de triftefle & toute efmotion fbrte^
la conferve fort. La maladie & la douleur
(ont fes contraires , qui font les plus grands,
& peuft-eftre les feuls maux de l'homme,
desquels a efté parlé & fera encore.
^^ La beauté vient après , qui eft une pièce
Recom- de grande recommandation au commerce
non de* ^" hommes. C'eft le premier moyen de coo-
beaucé. ciliacion des uns aux autres, & eft vrayr
LIVRE I. CHAP. XL îïf
lemblable que la premiers diftindion qui
a efté entre les hommes , & la première con«
fideration quidomia prééminence aux uns
fur les autres,a efté radyanc^e de la beau-
té. C*eft audî une qualité puifTante, il n'y
en a point qui la furpaiTe en crédit , ny qui
aye tant de part au commerce des hommes.
Il n'y a barbare fi refolu qui n'en foie fra^
pé. Elle fe préfence au devant , elle feduiâ &
préoccupe le ji^ement , donne des impref-
fions & prelTe avec grande auchorité; dont
Socrates l'appelloitunc courte tyrannie, Pla-
ton le privilège de nature. Car il (emble
que celuy qui porte fur le vifage les Ëiveurs
de la nature imprimées en une rare & excel-
lente beauté, ayt quelque légitime puiilàn-
ce fur nous , & que tournant nos yeux à foy «
il y tourne auflî nos afFefiions , & les y af-
Tubjeâifle malgré nous. Ariftotediâ qu'il
appartient aux beaux de commander, qu'ils
font vénérables après les dieux , qu'il n'ap-
partient qu'aux aveugles de n'en efbre tou-
chés. Cyrus, Alexandre, Cefar, trois grands
commandeurs des hommes, s'en font fèrvis
en leurs grandes af&ires , voire Scipion le
ineilleur de tous. Beau Se bon font cou(uis«
Diftinc.
tioiu.
& s'expriment par mefxnes mots en grec 9c
«*>.of. en l'efcriture fainéte. Plufîeurs grands phi-
lorophcs ont acquis leur TageiTepar rentre'
mife de leur beauté : elle eft connderée mefr-
me & recherchée aux beftes.
1 . U y a diverCes confîderations en la beaiH
té. Celle des hommes efl proprement la for-
me & la taille du corps , les autres bcautez
font pour les femmes. Il y a deux fortes de
beauté : l'une arreflée , qui ne fe remue
point, & eft en la proportion & couleur deue
des membres, un corps qui ne foit enflé ny
bou£Gi, auquel d'ailleurs les nerfs ne paroif-
fent point , ny les os ne percent point la
peau,mais plein de fang, d'eiprits & embon-
point , ayant les mufcl^ relevez , le cuir
poly, la caul çur vermeille : l'autre mouvante
qui «'appelle grâce , qui eft en la conduite
des mouvemens àts membres, fur-tout des
yeux; Celle-là feule eft comme morte.; ccfte-
cy efl agente & vivante. Il y a des beautez
rudes , fiercs , aigres : d'autres douces, voire
encore fades.
4* . La beauté & excellence du corps eft pro-
ÎASfi, ^*' prementconfîderableauvifage. Il n'y arien
de plus beau en l'homme que l'ame, & au
L I Y RE I. C H AP. XL III
Cofps que levi(àge, qui eft comme Tamo
caccourcie : .c'efl la monftre & Timage de
Tame^c'eft Ton efcuiTon à plufîeurs quartiers^
reprefentant le recueil de tous les tilcres do
fa noblefle, planté ôc colloque fur la porte
& au fÎDOiitirpice , affin que Ton fçache que
c'eft là Ùl demeure & Ton palais ; c'eft par
luy que Ton ci^oifl la perfonne s c'eft on
abbr^é. Voyla pourquoy Tan , qui imite
nature., ne fe fouciepour reprefenter la per^
ibnne , que de peindre ou tailler le viTage.
Au vifage humain y a plufîeurs grandes T-
(îngttlarxtez , qui ne font point aux beftes guUrices
(dont à vray & bien dire elles n'ont point ^^ ^'^'
de yiCags) ny aux auties parties du corps *
humain: i. Nombre & diverfité de pièces,
^ de façon en icelles; aux beftes y a moins de
pièces , car les joues, le menton , & le front
n*y font point, encore beaucoup moins de
façon. 1. Variété de couleurs, car en l'oeil
feul le noir,le blanc, le vcrd, le bleu, le
rouge, lecriftalin. j. Proportion , les feni
y font doubles^ fe refpondans l'unàrautre,
&i fe tapportans fi bien, que la grandeur de
focil eftla grandeur de la bouche, la largeur
du front eft la longueur du nez, lalongueut
Tome^ L L
m D£ lA Sagesse»
du nez eft celle du menton & des lèvres;
4. Admirable diverficé des vifages, & telle
qu'il ne s'en troaveroic deux femblables
en tout Se par tout : c'eft un chef<l'œuvrequi
ne fe trouve en toute autre dsoik. Cefte di-
vedîté eft très-utile à la Cadetê humaine ;
premièrement pour s*entre*recognoilixe, car
maux infinis, voire ladiffipation du gen^e hu-
main, s'enfuivroit, £ Ton venoit à fe mef*
compter par la femUance des vi&ges : R nos
faces n'eftoient £ènd;>lables, l'on ne fçauroic
difcemer l'homme de la befte; û elles n'e(l
toient didèmUables , l'on ne fçauroit difcer*
oer l'homme de rhomme.C'eft on artifice de
nature qui a pofé en ccfte partie quelque fe-
cret de contenter un ou autre en tout le
monde. Car de cefte diveriité vient qu'il
n'y a perfianne qui ne foit trouvé beau par
quelqu'un, 5. Dignité & honneur en Ùl fi* "^
gure ronde,, en fa forme droiâ:e & haut
eflevée^regardant vers k Ciel»nue & defcou«
verte , fans poil, plume, ou efcaille, comme
aux beftes. 6. Grâce, douceur, venuftéplai-
fante & agréable jufques à crochetter les
cœurs & ravir les volontez , comme a efté
iiù, cy-deiTus. Bref le vifageeftie trhofhe de
tlVlLE I. CHAP. XI. Il|
la "beauté & de Tamour , le fîége du ris & du
baifer, deux chofes très-propres à rhomme ,
-crès-agreabks , les yrays & plus exprès fym-*
boles d*amitié fie debbnne inteUigeiice.7. Fi-»
nalemenc il eft propre à tous ctiangemens,
pour déclarer les mouvemeiis tnterues & paf-
fions de ramej )oye« tnftefie , amitié , haine ,
envie, malice, honte, chokre, defpit, ja-
loufie , & autres : il eft comnie b monftre
de rhorloge^ qui marque les heures & mor
ments da. temps y eftans les mouvemens 9c
roues cachez au dedans; de comme fair »
qui reçoit toutes les couleurs & changement
du temps , monftre quel temps il fàiâ; i auffi
cUâ-on Taîr du vifàgç : Corpus animum tC"
gic & detegit : infacie Ugitur homo^
La beauté du yitage gift en un front lar- ^^. ^
ge & quarré , tendu, cUir & fèrein > fourcils ckni de
bien rangez ,, menus & dédiez, Toeil bien l* ^^'ïf
fendu, gay ^ brillant, nez bien vuidé, gc
bouche petite , aux lèvres coralines , men-
ton COUR & forchu , joues relevées , & au
milieu k. plaifant gelafîn , oreille ronde fie
bien ttouifêe , le tout avec un teint vif »
Uanc Bl vermeil. ToiKcsfeis cefte defcrip-
tioj(i&'eft pa^receue par tout : les opinioM
Lij
114 DE LA Sagesse,
de la beauté font bien difFerentes Telon les
nations. Aux Indes la plus grande beauté cft
en ce que nous eftîmcMis la plus grande Isd-*-
deur, (Ravoir en couTeur bafanée, lèvres
groiTes & enflées , nez plat & large,, les dents
teintes de noir ou de rouge, grandes ordl •*
les pendantes ^ aux femmes front fort petit &
velu , les tetins grands & pendans , affin
qu'elles puiiTent les bailler à leurs petits par
deiTusles efpattles , Se ufent de- tous artifi-»
CCS pour parvenk à celle forme : fans allée
û loin , en Efp^^e la beauté «ft vuidée Se
«flrillée , en Italie groffe & mailîve. Aux
^ms plaifl la molle , délicate, & mignarde^
aux autres la forte , vigoureufc , fiere , &
magiftralle.
_^ La beauté du corps , fpecialement du vi-
Beamé fage, doibt félon raîfondembàftrer & ter->
-&* de^* moigner une beauté en Tame ( qui eft un^
refpm. equabilité & rdgkment d'opinions & de
jugemens avec une fermeté &c confiance )|
car il n*efl rien plus vray - femblable, que
la conformité & relation du corps à Tef-
«prit : quand elle n*y efl ^ il faut penf(5r qu'il
y a quelque accideiit , qui a interrompu
4e cours ordinaire y ^offit^e il advient I ^
Acms le voyons fouvent* Car le laiâ de la
bounice , Tiiiftitution prcmicre , les com-
p^^nies apponent de grands changemens
au naturel originel dé l'ame , foit en bien ,
foit en mal. Socratcs confcfïbit que la lai-
deur de C&ÉX corps accu^bit |u{bmenc la lai-
deur naturelle de ùm ame , mais que par
inftitutîon il avoit corrigé celle de l'ame,
C*efi: une foible & dangpreufe caution ,
que la mine -: mais ceux qui démentent
leur bonae pbi^qnomife;, font plus punif-
iables que les autri&s i car ils faMfient &
^rabiflcnt la promeife.bonnjej que nature
A plantée en içur front ^ & trompent le
^onde. , .'
Nous debvrîons , félon le confeil de S07
crates, nous rendre plus attentif & affidùs^
À conitdensr les beautcx des efprits , & y
prendre le mefme plaiiir , que nous faifons
aux beautez du corps , & par fà, nous ap-
procher ^ r'alUer , conjoindxe, ôc concilier
en amitié } m?ûs kl faudrpit à cela des yeux
propres & philo fophiques.
r i '
Liij
tti? delaSagessk,
Des fens de nature , plus nobles pièces
du corps, ,
CHAPITRE X I I.
Impor- '^^^U'^^ cognoiflknce s*achemine en nous
tance des par les fens ; ce font nos premiers maifttesi
curels. ' ^^ commence par eux & fe refont en eux.
Us font le commencement & la fin de touc-
II eft impoffible de reculer plus arriérer^
chafcun d'eux eft chef & foûvef^ en fon
ordre & a grande domihatioti, amenant uà
nombre infini de cogrioiffances j Tûn ne
tient ny he defpend , oua4>é(bin de Tau^
tre : ainfi font-ils également grands , bien
qu'ils ayent beaucoup plus d'eftendue « de
iuite & d'af&ires les uns^ que Its autres ;
comme un petit roytelet eft auÏÏl bien (bu*
verain en fon petit deftroiâ , que le grand
en un grand eftat.
1. C'eft un axiome entre nous y ^u*il n*y a
brc.^*^" que cinq fens de nature » pource que nous
n'en remarquons que cinq en nous ; mais
il y en peuft bien avoir d'advantage : &>y a
grand doubte & apparence qu'il y en a^
mais il eft impoflible à nous de le fçavoir ^
Tai&nner on nier , car Ton tie fçauroit ja*
hiais cognoiftre le deiaut d'un fens que l'oA
n'a jamais eu. Il y a plufîeurs belles qui vi'^
Teiit une vie pleitie & entière , à qui man-^
que quelqu'un de nos cinq fens ^ & peull:
l'animal vivre fans les cinq fens , fauf l'ac*
touchemenr, qui feul eft necefTaire à la
vie. Nous vivons- très conmiodement avec
^inq , & peufl-eflre qu'il nous en manqué
encore un , ou deux , ou trois 5 mais ne
fe peufl fçavoir : Un fens ne peuft defcou-
vrîr l'autre 5 & s'il en manque un par nz*
ture y l'on ne le f^uiroit trouver à dire.
l»'homme né aveugle ne fçauroit jamais
cctocevoir qu'il ne voit pas , ny defîrer de
voir ou regretter la veue. Il dira bien peuft^
cftxe qu'il voudra voir : mais cela vient
qu'il a ouy dire ou apprins d'autruy , qu'il
a à dire quelque chofe : la ratfon eft que
les (èns> font les premières portes & entrées
à la cognoiflânce. Ainfi l'homme ne pou-^
vant imaginer plus que les cinq qu'il a,
il ne fçauroit deviner s'il y en a d'advantagc
en nature : mais il y en peuft avoir. Qui
Xçait Cl les difficultez que nous trouvons en
flufieûrs ouvrages de natuxe , & lescffi;^
des animaux , que nous ne pouvons cnteit^
iic , viennent du deËuit de quelque Caa
que nous n*avon$ pas } Les ptoprietez oc^^
cultes que nous appelions en pludeuts cho-
fes , il Te peuft dire qu'il y a des £iculteï
fenfitives en nature , propres à les jugçr 8C
appercevoir, mais que aous ne les avons
pas 9 & que Tigootance de telles chofeis
vient de noftrc défaut. Qui içait fi c*eft quet*
que fens particulier qui defcouvre aux
coqs l'heure de minuiâ Se du matin , & les
cûneuc à chanter , qui ai^kcmine les beftes
à prendre certaines herbes à leur guariTort,
i& tant d'autres chofes comme cela } per^
fonne ne Tçauroit' dire qu'ovy ny que non» >
Aucuns eflayent de rendre rai(bn de ce
Suffi- nombre des cinq /ens , & prouver la fuffi^
*^^' fance d'iceuz en les diftinguahC & compa^
rant diverfemetit. Les chofès externes obr
îeâs des fens font tout près du corps , oa
eflongnées^.fî tout' près ,.tnai^ qui demcu-*
rcnt dehors, c'eft l'attouchement ; s'ils. enr
trent » c'eft le gonft ; s'ils font plus eflon-'
gnez 8c prefiens en droi⣠ligne, c'eft la
veue; H obliques & par réflexion.» c'eft
l'ouye. On ppucioit mieux dire ainfi » qaç
t I VïtE I. CHAP. XII. li^
^s cinq (ens eftans pour le fcrvicc de
MKMnmc entier , aucuns font entièrement;
pour le corps , fçavoir le gouft & l'attou-
ehement , ccluy-là pour ce qui entre , cef-
tuy-cy pour ce qui demeure dehors. Autres
premieremenr & principalement pour Ta-
Bîc j la veuc & l*ouye : la veue pour Tin-
^^ention , Touye pour Tacquifition , & com-
fnunication 5 & un au milieu pour les ef-
^its mitoyens & liens de l'ame & du corps ^
qui cft le fleurer. Plus , ils refpondent aux
Quatre eflements& kors qualitez 5 Taçtou-
îhement à la terre 5 l'ouye à Tair 5 le gouft
» l'eau & humide 5 le fleurer au feu j la veuc
tft compofëc & a de Teaue & du feu à caufe
k la fplendeur de Tocil. Encore difent-
ils qu*il y a autant de (cns qu*il y a de
rhefs & genres de chofes (cnfibles^ qui
•ont couleur j fon , odeur , faveur > & le
'ïnquiefme , qui n*a point de nom propre ^
>bjcél de l'attouchement, quLeft chaud ^
Toid , afpre , rabotteux , poly & tant d*au*
ïcs. Mais Ton fe trompe , car le nombre
les fcns n*a point efté dreifé par le nombre
ïes chofes fenfibles , lefquelles ne font
^iût caufe qu'il y en a autant* Selon ceft^
raifon, il y ea auroit beauco.i:^ plus i &
un mefine Cens reçoit pLufletirs divers che6
<l*objeâs : 8c un mefme objeât e(i àppercea
par divers fens : dontle chatouillement des
aifTelles , & le plaifîr de Venus » foot dis-
tinguez des cinq fens , & par aucuns corn-
prins en l'attouckemenc : maïs c*eft pluftoit
de ce que Tefprit n*a peu venir à la cog-^
noiflance des chofes, que par ces cinq fens^
& que nature luy ^en a autant baillé , qa*i|
eftoit requis pour Con bien & fa fin.
4* Au refte la veue paflé tous les autres en
nifon. promptitude, allant jufques aji ciel en un
moment 'y car elle agîft en Taîr pein<^ de la
lumière fans mouvement : aucun des au^
très ne peud fans mouvement recevoir.
Or tout mouvement requiert du temps : &
combien que tous (oient capables de plaifli
& de douleur , & eft-ce que rattouchemeni
peuft recevoir très grand* douleur , & prcf-
que point de plaifir , & le goud au contrain
grand plaifir , & prelque point de douleur.
FoiblcfTe ^^ ^^ fbiblefTe & incertitude de nos £en!
& incer- viennent ignorance , erreurs & tout ine£^
uaiae. ^^nipfç . cjy. pojj qug p^j. 1^^. cntrcmifi
vient toute cognoifTancc , s'ils nous êûIIccm
LITRE I. C H A P. XII. 151
SQ rapport , îl n*y a plus que tenir : mais qui
le peuft dire & les accufer qu'ils fàillent »
puis que par eux on conunence à apprendre
& cognoiftre ? Aucuns ont dîâ qu'ils ne
Aillent jamais; ic que quand ils femblent
£ùllir , la faute vient d'ailleurs » & qu'il
s'en faut prendre plailoft à toute saxtxc chofe
qu'aux fens ; autres ont dîâ tout au re*
bours , qu'ils font tous &uls , & qu'ils ne
nous peuvent rien apprendre de certain.
Or, que les fensibientfàBls ou non, pour Trompe-
k moins ii cft certain qu'ils trompent, ''^„™?"
r j. . 1 j-/- 1 wcllc de
Toire rorcent ordinairement le diicours , la l'efpric
raî(bû ; ft en efchange font trompez par & <lct
elle. Voyla quelle belle frience $c certitude
l'homme peud avoir , quand le dedans &
le dehors efl plein de faulfeté & de foiblefTe,
& que ces parties principales , ourils efTen-
ciels de lafcience , fe trompent l'un l'autre.
Que les fens trompent & forcent l'enten-
dement , il fe voit es fens , defquds les uns
cCchsLuScnt en furie, autres adouciflent, au-
tres chatouillent Tame. Et pourquoy ceux
qui fe font (kigner , incifer , cauterifer, def-
tournent-ils les yeux , finon qu'ils fçavent
bien l'authorité grande que les fens ont
ijL bslaSagsssi,
fur leurs difcours t La y eue d'hall ^raïul pré-
cipice eflonne celuy qui fe fçait bien en ui|
lieuafTeuré, & enfin Le fenciment ne vaincq*
il pas & renverfe toutes ks belles relbla?
tions de vertu & de patience ? Que àuffi au
rebours les fens font pipez par l'entende-
ment , il appert , parce que rame eftant
agitée de cholere , d*amour , de liainc , &
autres paflîons , nos fens voyent & oyem
les chofes autres qu'elles ne font; voire
quelquesfois nos fens font fouycnt hebetez
du tout par les paffîons de l'ame : & Sem-
ble que l'ame retire au dedans Se amuXe les
opérations des fens > l'efprit empefché alli
leurs , Tocil n'apperçoit pas ce qui eft de*
vaut , & ce qu'il voit.
7» Aux fens de nature les animaux ont part
foac comme nous , & quelquesfbis plus : carau-
com- ^mj5 Qjjç Touye plus. aiguë, que Tboinme ;
rhoni- autres la y eue j autres le fleurer; autres le
'"'^ ^ gouft : & tient -on qu'en l'ouyele cerf tient
<es. le premier lieu , & en la veue i'aigle , au
fleurer le chien , au gouft le finge , en Tat-
tOttchcment la tortue: toutesfbis la préemi*
nence de l'attoucbement eft donnée à
l'homme , qui eft de tous les fens le plus
CIYHl I. CHAP. XII. 13)
brutal. Or fi les fens font les moyens àt
parvenir à la cognoifTance , & les beftes y
ont part , voire quelquesfbis la meilleure ,
fourquoy n*aaront-elles cognoiiTance } g.
Mais les fens ne font pas feuls outils de P'î"^®
la cognofAance , ny les noftres mefmes ne gereux
font pas fcuk à conrulcec & croire. Car fi i"^^' ,
les beftes par leurs fens jugent autrement f^ns.
des chofes <}ue nous par les noftres , comme
^es font y qui en fera cren ? Noftre falive
nettoyé & deffeiche nos play«s, elle tue
auffî le ferpent : qui fera la yraye qualité de
la faUvc3 deffeicfaer , & nettoyer , ou tuerî
Pour bien juger des opérations des f^ , il
îaut eftre d'accord avec les beftes, mais
bien avec nous-mefines ; noftre œil prefië
& ferr« voit autrement qu'en fbn cftat or-
diq^ire y l*ouye refi*errée reçoit les objeéh
autrement que ne Teftant ; autrement voit,
oyt , goufte un enfant , qu'un homme
ÉÛ6I5 & ceftuy-cy qu'un vieillard ^ un fain
qu'un malade > un fage qu'un fol. £n une
fi grande divérfité & contrariété , que faut-
il tenir pour certain } voire un fens dément
i*autre , une peinâure femble relevée à la
Yeue, à la main die eft platte.
Twru /• M
134 DCt,ASAGXS$£,
Du vayr, ouyr , parier,
CHAPITRE XIII.
t. Ce font les trois plus riches & ezcellens
raifondc j^yaut corporels de tous ceux qui font ea
ç(s crois, monftre ; & y a difpute fur leurs préemi-
nences. Quant à leurs organes , celuy de
la veue eft, en f^ compofîtion & Csl forme,
admirable & d'une beauté vive & efclatante,
pour la grande variété &; fubtilité de tant
de petites pièces , d'oii Ton diâ que i*œil
eft une des panies du corps , qui commen-
jcent les premières à fe former , & la der-
niere qui s'achève; & pour cefte meûne
caufe eft-il fi délicat, &, diâ;-on, fubjeâ à
fix vingt maladies : puis vient celuy du par-
ler y mais en recompenfe i*ouye a plufîeurs
grands advantages. Po^r Iç feryice du corps,
la veue eft beaucoup plus neceffaire 5 dont
il impoRe bien plus aux belles que Touye:
mais pour Tefprit , Touye tient le deffiis»
La veue fert bien à l'invention des cho(eSy
qui par elle ont efté prefque toutes defcou^
vertes > mais elle ne ineine rien à perfec-;-
tion : d'advantage la veue n'eft capable
1.
L I V H £ L C H A p. X II I. 15 y
qae des chofes corporelles & d'individus f
& encore de leur croufte & fuperficie feu*
Icment , c*eft Toutil des ignorons & impc^
rites , qui moventurad id quod adefi , quod*
qui préfins eft*
L*ouyc cft un fens fpirituel , c'eftrentre- p^^çj^i.
metteur & l'agent de Tentendcment, Tou- nencc de
til des fçavans & fpirituels , capable non- °"^**
feulement des fecrets & intérieurs des indi*
vidus , à quoy la yene n'arrive pas , mais
encore des efpeces , & de toutes chofes
fpiritnelles & divines, aufquelles laveuefert
pluftoft de deftourbier que d'ayde } donc
y a eu non -feulement pluiîeurs aveugles
grands & fçavans, mais d'autre^ encore
qui fe font privez de veue à cfcient , pour
tnieux philofopher , U nul jamais de fourd«
C'çft par oti l'on entre en la fbrtareffç , &
s*en rend-on maiftre 5 l'on ployé l'efprit en
bien ou en mal, tefmoin Ja femme du .
foi Agamemnon , qui fut contenue au de-^
voir de chafleté au fon de la harpe , & Da->
vid qui par mefme moyen chafToit le mau**
vais efprit de Saiil , & le remettoit en faute,
& le joueur de âeutes , qui amoliffoit ^
foidiflbit la voix de ce grand orateur Gr ac«
Mij
t$6 DE LA SaGEISX»
chus. Bref la fcience , la vemé , & la ycttii
n'onc point d*au£re entremit ny d'encrée
en Tame, que Touye r voire la chrefticnté
cnfeigne que la fby & le (aloc eft par
Touye, & que laveue y nutt plus qu'elle
n*y aîde^ que la fby eft la créance des^
chofcs qui ne Ce voyent; laquelle cft ac-
quifc par Touye : & elle appelle les ap-
prentifs & novices auditeurs nMln^fikmç^
Encore adjoufteray ')e ce mot, que Touye
apporte un grand (ècours aux ténèbres &
aux endormis , afin que par le (on ils pour-
voyent à leur confervation. Pour toutes
ces raifons , les £^es recommandent tant
Touye , la garder vierge & nette de toute
corruption , pour le falot du dedans , corn*
me pour la fèureté de la ville Ton fàiâ:
garde aux portes & mturs , afin que l'çn^
nemy n'y entre.
Ta force La parole eft pcculierement donnée à
^ !'J"" rhomme , prefcnt excellent & fort necef^
de la pa- faire. Pour le regard de celuy d*oii elle
^^^' (an y c*eft le truchement & Tirnage de IV
me , animi indix &Jpecuium « le meffagcr
du coeur , la porte par laquelle tout ce qui
cft dedans fon dehors^ & fè met en vcuc i
LIVRE I. CHAP* XIII. t^i
teutes chofes fortcnt des tcncbrcs & du fc-*
tret , viennent en liMnicrc , rcfprit fc hiâ
voir 5 dont difoit un ancien à un enfant ,
parle afin que je te y oyc, c'eft-à-dirc, ton
dedans : comme les vaifTeaux fe cognoif-
fcnt s'ils font rompus , ouverts ou entiers^
pleins ou vuides par le fon, & les métaux
par la touche , axnfi l'homme par le parler.
Pour.lc regard de celuy qui la reçoit , c'eft
un maiftrc puifTant & un régent impérieux ,
qui entre en la fortcreflc, s'empare dumaiC
trc , ragite , l'anime , l'aigrift , l'appaife ,
Tirritc , le contrifte , le rcfiouift , lui im-
prime toute telle paflîon qu'il veut, manie
& paiftrift l'ame de l'efcoutant, & la plie
a tout fens» le fiiift rougir, blaifmir, pal*
lir, rire, plorcr> trembler de peur, tre-
ûiouffer d'eftonnement , fbrcener de cho-
1ère , trefTaillir de joye , outrer & tranfir de
fafïion. Pour le regard de tous , la parole
cft la main de l'efprit , par laquelle, comme
le corps par la fîenne , il prend & donne ^
ïl demande confeil & fecours , & le donne.
C'eft le grand entremetteur & courretier:
par elle le trafficq fe fàid , Merx a Mer--
curio , la paix fc traiiSle , les afiàires fc ma-
Miij
nient , les fcicnccs & les biens de l'etprâr
Ce débitent & difttibuent > c'eft le lien SCr
le ciment de la Coàécé humaine ( moyen-'
nant qu'il foit entendu : car , diâ un an-
cien , Ton eft mieux en la comp^nie d*un
chien cognu , qu'en celle d*nn homme du-
quel le langage eft incognu, m extemus
aliène nonfithomims vice:) bref l'outil
& inftrument à toutes cho(ês bonnes &
mauvaifes. Vica & mors in manihus lin--
De la guA» Il n*y a rien meilleur ny pire que la
bonne & ^^^^^^^ • ^ langue du Tage, c*eft la porte
snauvai- d'un cabinet royal , laquelle s'ouviant ,
voila incontinent miQe choTes divcrfes fe
reprefcntent toutes plus belles Tune que
l'autre » des Indes , Peru , de l'Arabie. Âinfi
le {âge produits^ & îaàiSt marcher en beli&
ordonnance > fentences & aphorifmes de la.
philo(bphîe, âmilitudes , exemples, hif-
coires , beaux mots triez de toutes les mi-
nes & threfbrs vieux & nouveaux , qui pro--
fert de tkefauro fito nova & vetera » qui
fervent au règlement des mœurs > de la po'
lice» & de toutes les parties de la vie & de la^
mort , ce qu'eftant defployé en fbn temps ,
& à propos , apporte avec plaiilr une grande
1 îtrit I î. (î ô A p. XIÏÏ. f f|p
beaaté & utilité. Mala aurea in UHis ar-^ Vvrn/tt"
gcnteîs , verba in temporefito, La bouche lonion*
du mefcliant c*eft un trou puant & pefti->
lentieuz s la langue mefdifante, meurtrière
de rhonneur d'autruy , c'eft une mer &
univerfîté de maux , pire que le fer , le feu ,
la poi(bn , la mort , Tenfer. Univerfitas jacob. )r
iniquitatis^ Malum inquiet um , venenum £ccl. i^.
Tnortifirum , ignis inctndens omnia , mors
illius nequijpma , utilis potius infimus
^uàm illû.
Or ces deui , Tottye & la parole , fe ref* Correr-^
pondent & rapponent Tune à f autre , ont pon^ao-
un grand couiînage enfemble , Tun n*efl l'ouyc fie
rien fans Tautre » comme au/fi par nature, ^^^ P*"
en un me(me fubjeâ l'un n^eft pas fans
Tautre. Ce font les deux grandes pones par
lefquelles Tame faid tout fon traficq , & a
intelligence par tout; par ces deux les âmes
fe verfent les unes dedans les autres ,
comme les vaifleaux en appliquant la bou-
che de Tun à Tentrée de Tautre. Que fi ces
deux portes font dofes comme aux fourds
Se muets , Tefprit demeure fblitaire Se
miferable : Touye eft la porte pour entrer 5
par icelle l'efprit reçoit toutes chofes de de-^
140 Dt LA SagIÈSSCi
bors y 8c conçoit comme la femelle : la pa^
rôle cfl: la pone pour fordr ; par iceUe VcC*
prit agift & produiâ comme mafle. Par la
communication de ces deux , comme pai!
le choc & heurt roide des pierres & fers ^
ibrt & faille le feu (acre de vérité. Car fe
frottans & limans l'un contre Taiitre, ils
fe defrouillent , fe putifient & s'efdaircif-*
fent , & toute cognoiffance vient à perfèc-*
lion : mais Touye eft la première » car it
ne peuft rien fortir de Tame qu'il ne foie
entré devant , dont tout fourd de nature
eft auffi muet s il &ut premièrement que
Tefprit fe meuble & fe garniiTe par l'ouye,
pour puis diftribuer par la parole , dont le
bien & le mai de la parole , & prefque de
tout l'homme , dépend de l'ouye : qui bien
L. 3. c. oyt bien parle , & qui mal oyt mal parle.
^^' De i'ufage & reigle de la parole cy-après*
êî
m
IZTRE LCHAP. XIY* Ï4S
Vefiemens du corps»
CHAPITRE XIV.
J L y a grande apparence que la façon (I*al* ^
1er toiic nud, tenue encore par ime grande
partie du monde, Ibit rorîgmeiie des hpm«
mes ; & Taucre de fe veftir , artificielle ^
inventée pour cilcindre la nature , comme
ceux qui par artificielle imnicre veulent
efteindre celle du jour. Car ayant nature CdS" t.
fifanmient pourveu par tout toutes les au-
tres créatures , de couverture , il n*efl:pas à
croire qu'elle aye pircmenttraiâé Thommc»
& l'aye laiiTé feul indigent & en eflat qu*U
ne fe puiilc maintenir fans fecours efbran-
gcr : & font àt& reproches injufles que Toni
fàiél à nature comme maraflre » ainfi qu'a
cflé dia cy-dcfTus. Si originellement les ^^*ll ^*
hommes eufTent eflé vefhis» il n*efl pas
vray-fèmblable qu'ils fe fulTent advifez de
fe de(pouîller & mettre tous nuds , tant à
caufede la fànté qui eull edé extrêmement
ofïènfée en ce changement , que pour la
honte : & toutesfols il fe faiâ & garde par
141 i^B LA Sagesse^
plufîeurs nations , $c ne faut alléguer qutf
c*eft pour cacher les panies honteufesr &
contre le froid (ce font Les deux raKbns
prétendues , contre le chaud il n*y a point
d'apparence ) , car nature ne nous a point
apprins y avoir des parties honteufes , c'eft
nous-mefmes qui par noftre faute nous nous
le difons , & nature les a defîa afTez cacliées ^
mi (es loin des yeux, & couvertes >& au pis al*
1er ne faudroit couvrir que ces parties là feu^*
lement, comme font aucuns en ces pays
oii ils vont tous nuds , où d'ordinaire ils
ne les couvrent pas : & qu'eft cela que
riiommc n'oGmt Ce monffarer nud au monde^
luy qui falâ le maillre , fe cache foubs la
defpouille d'autruy, voire s*en pare "i Quant
au froid & autres neceflitez paniculieres &
locales, nous fçavons que foubs meOne
air , mefme ciel, on va nud & habillé , &
nous avons bien la plus délicate partie de
nous toute découvene > dont un gueux in-<
terrogé comme il pouvoit aller ainli nud en
hyver, refpondit que nous ponons bien
la face nue., que luy eftoit tout face : &
plufieurs grands alloient toujours tefte nue,
MaffinifTa , Cefar , Annibal , Severu5 »& y[
H^VRE I. CHAP. XV. «145
-a plufîeurs nations qui vivans tous nuds ,
aafn vont à la guerre & combattent tous
nuds. Le confeil de Platon pour la fanté eft
de tic couvrir la tcftc ny les pieds. Et Var*-
;?on dit que quand il fut ordonné de def-
couvrir la tefte en prefence des Dieux &
du Magidrat , ce fut plus pour la fanté «
£c s'endurcir aux injures du temps , que
pour la révérence. Au reile l'invention des
couvens & maifons contre les injures du
ciel & des hommes , eft bien plus ancienne »
-plus naturelle & univerfèlle que des vefte-
mens , & commune avec plufieurs beftes ; ^' ?• **
mais la recherche des alimens marche bien de cem-
cncore devant. De Tufage des yeftemensTcf*»cc,
comme des ^iipens cy~après.
De VAmt humaine en général.
CHAPITRE XV.
V OYci une matière difficile fur toutes,
traînée & agitée par les plus fçavans & fa»
ges , mais avec une grande diverfité d^opi-
nions, félon les diverfes nations , religions,
profeffions ^ raifons , fans accord & rcfo-
t44 ^^ ^ ^ Sagesse,
iution certaine. Les principaux points {ont
<ie Torigine & de la fin des âmes , Icar en^
trée , & fbrtie des corps , (i*od elles vien-
nent , qoand elles y entrent , & ou elles
vont quand elles en fortent» de leur nature»
eftat » aâion , & s*ii y en a pluficurs es
rhomme ou une £eufe.
T. Oe l'origine des âmes humaines , il y a
De 1*0- Je tom temps eu très grande di^ute & di-
rame verfité d'opinions entre les Pliilofôphes 8c
raifon- les Théologiens, U y a eu quatre opinions
célèbres : félon la première qui eft des Stoï-
ciens , tenue par Philon Juif, puis par les
Manichéens , elles font extraites & pro-
duises comme parcelles de la fubftance de
Dieu , qui les infpire aux corps : la féconde
d*Ariftote, tenue par Tcrtullien, Apollina-
ris , les Luciferiens , Se autres Chrefliens ,
diâ qu'elles viennent & dérivent des âmes
des parens avec la femence , ainfî que les
corps y à la façon des âmes brutales , végé-
tatives & fçnfîtives : la troifieGne des Py-
thagoriciens & Platoniciens, tenue par plt^
lîeurs Rabins & Doâeurs Juifs , puis par
Origene & autres Doâeurs Chreftiens, diS
qu'elles ont efté du commaicement toutes
LIVRE I. CHAP* XV. I4f
créées de Dieu , fki^^es de rien , & rcfcr»
vées aa ciel, puis envoyées icy-bas , félon
qu'il e(l befoin aux corps formez & difpo-
fez à les recevoir : la quatriefme receue en
la Chreflienté , cft qu'elles font créées de
Dieu , & infufes aux corps préparez , celle-
menc que fa création & infufion fe face en
mefme indant. Ces quatre opinions font
affirmatives : car il y en a une cinquiefme
plus retenue qui ne defînift rien , & fe con-
tente de dire que c'eft une chofe fecrettc
& incognue aux hommes , de laquelle opi-
nion ont eflé SS. Augudin, Grégoire de
Nice & autres : qui toutesfois ont trouvé
les deux dernières affirmatives, plus vray-
femblables que les deux premières.
Le fiege de Tame raifonnable , ubifedet ^*
pro tribunali , c*e(t le cerveau & non pas fi^^inf-*
le cœur, comme, avant Platon & Hippo- trumcnc
crates. Ton avoir penfé communément,
car le coeur a fentiment & n'eft capable
de (apience. Or le cerveau qui eft beaucoup
plus grand en l'homme qu'en tous autres
animaux, pour cftre bien îûCt & difpofé,
afin que l'ame raifonnable agîfTe bien ,
doibt approcher de la forme d'un navire »
Tome I, N
"^ 146 DE LA SaGESSC^
& n'eftre point rond , ny par trop grand»
ou par trop petit , bien que le plus grand
foit moins vicieux 'y compofé de fubdance
& de parties fubtiies , délicates & dédiées,
bien jointes & unies fans feparation , nj
entre -deux , ayant quatre petits creux ou
ventres , dont les trois font au milieu ran-
gez de front & collatéraux entre eux , &
derrière eux , tirant au derrière de la tefle»
le quatrieûne feul , auquel fe ùdù. la pré-
paration & conjondion des efprits vitaux >
pour eflre puis faiâs animaux , & pone^
aux trois creux de devant , aufquels Tame
raifonnable faiâ & exerce Tes fkcultez , qui
^^ font trois , entendement , mémoire , ima-
gination , lefquclles ne s'exercent point fe-
parement & diftindement , chafcune en
chafcun creux ou ventre , comme aucuns
vulgairement ont penfé , mais communé-
ment & par enfemble toutes trois en tous
trois & chafcun d'eux , à la façon des fens
externes qui font doubles, & ont deux
creux , en chafcun defquels le fens s*exerce
tout entier : d'où vient que celuy qui cft
^bJcifé en Tun ou deux de ces trois ventres ,
,comme le paralytique , ne laiife pas d'exei-
riVRE I. CHAP. XV. 147
ccr toutes les trois , bien que plus foiblc-
ment , ce qu*il ne feroit G. chafcune faculté
avoit Ion creux à part.
Aucuns ont penfé que Tame raifonnable ^. |;
n'eftoit point organique , & n*avoit bc- raifon-
fbin pour faire fes fondions d'aucun inftru- "*^^* ,
* ^ orga ai-
ment corporel, peniant bien par la prouver que.
rimmonalité de Tame : mais fans entrer
en un labyrinthe de difcours , Texperiencc
oculaire & ordinaire dément cefte opinion»
êc convainq du contraire : car Ton fçait
que tous hommes n'entendent ny ne rai-
fonnent de mefme & efgalement , ains avec
très grande diverfité : & un mefme homme
àufli change , & en un temps raifonne
mieux qu'en un autre , en un aage , en un
eftat & cenaine di{pofîtion qu'en une au-
tre , tel mieux en fanté qu'en maladie , &
tel autre mieux en maladie qu'en fanté :
un mefme en un temps prévaudra en ju-
gement, & fera foible en imagination. D'où
peuvent venir toutes ces diveriîtez & chan-
gemens finon de l'organe & inJftrument
changeant d'eftat? Et d'où vient que l'yvro-
gnerie , la morfure du chien enragé , une
fièvre ardente , un coup en tefte , une fii-
Nij
14S P£ laSagèsse,
mée montant de reflomach » Bc autres ac*
cidens, feront culbutter, & renverferont
entièrement le jugement , tout rcfpric in-
telleéhiel , & toute la fagefTe de Grèce ,
voire contraindront l'ame de desloger du
corps } Ces accidens purement corporck
ne peuvent toucher ny arriver 2 cefie haute
faculté rpîritucUe de Tame raifonnable,
mais feulement aux organes & inftrumens,
lefquels eftans détraquez Se desbauchcz ,
Tame ne peut bien & règlement agir, &
eftans par trop forcez & violentez , dl
contrainte de s*abfcnter &: s'en aller. Au
refte fe fervir d'inflrument ne prejudicie
point à l'immortalité , car Dieu s*en (ert
bien & yjLGGommodc fes aûions. £t com->
me félon la diverfîté de Tair , région &
climat , Dieu produiâ hommes fort divers
en e(prit & fuffifance naturelle ; car en
Grèce & en Italie, il les produid bien plus
ingénieux qu'en Mofcovie & Tartarie :
auffi Tefprit félon la diverfîté des difpofî-
tions organiques, des inflrumens corpo-
rels , raifonne mieux ou moins. Or Tin-
ftrument de l'ame raifbnnable , c'eft le
cçrveau & le tempérament d*iceiuy, du^
quel nous 4Vons à parler.
LITRE I. CHAT. XV. H^
Tempérament eft la mixtion & propor- ^u tem-
tiondes quatre premières qiulitez, chaud, pcramcnc
froid , fcc & humide , ou bien une cin- ^çJ^ ^
c^uieûne & comme l'harmonie refultante des fa-
de CCS quatre. Or du tempérament du cer- J'",^" *
veau vient & dépend tout l'eftat & Tadion Diftinc-
dc Tame raifonnable ; mais ce qui caufe & "j^^^j^.
apporte une grande mifere à Thomme, eft rieië.
que les trois facultez de Tame raifonnable,
entendement , mémoire , imagination , re-
quièrent & s'exercent par temperamens.
contraires. Le tempérament de l'entende- Euten-
ment eft fec , d'où vient que les advancez ^^'"^.^î;
cn aagc prévalent en entendement par leffe, mi-
defTus les jeunes , d'autant que le cerveau **/•
s'efTuye & s'afTeiche toufîou^ plus : auffi
les melancholiques fecs , les affligez indi-
gens , & qui font à jeun ( car la triftefle &
le jeuiiie deflciche), font prudens & ingé-
nieux. SpUndor ficcus animus fapiendjlt-'
mus, Vexatio dat intelUBum. Et les beftes
de tempérament plus fec, comme fourmis,
abeilles, elephans, font prudentes & in-
genieufes ( comme les humides , tefmoia
le pourceau, font ftupides, fans efprît ), &
les méridionaux , fecs & modérez en cha-*
Niij
IfO s s t A S ACE S CE,
leur interne du cerveau, à caufe du violene
Memoi- chaud externe. Le tempérament de la mc-
"j^ç ' moire eft humide, d'où vient que les en-
enfance f fans l'ont meilleure que les vieillards , 8c
tiKwa"" ^^ matin après Phumidicé acqtiifc par le
dormir de la nuid , plus propre à la me-
moire , laquelle eft aufH plus vigoureuie
aux fcptentrionaux. J'entends icy une hu«
midité non aqueufe, coulante, en laquelle
ne fe puifTe tenir aucune impreffîon , mais
aërée , gluante , grafTe & huileufe , qui fk*
cilement reçoit & retient fort , comme fe
Imagi. voit aux peindhires £d<5les en huile. Le tem«
<^haud a- pcrament de l'imagination eft chaud, d'oà
dolefccn- vient que les phrenetiques , maniacles &
malades de maladies ardentes, font ex-
céllens en ce qui eft de l'imagination ,
poëfie , divination , & qu'elle eft forte en
la jeunefTe & adolefcence ( les Poëtes 8c
Prophètes ont âeury en ceftaage) & aux
lieux mitoyens entre feptentrion & midy.
Compa- De la diverfité des temperamens il ad-
J^jj^jjj. vient que l'on peuft eftre médiocre en
pera- toutes les trois facultez , mais non pas ex-
™^^'* cellcnt , & que qui eft excellent en Tune
des trois , eft foible es autres. Que les
t I V H C L C H A F. X V. tft
temperamens de la mémoire & Tentelide^
ment (oient fort diiFerens & contraires j
cela eft clair, comme le fec & l'humide :
de rim^nation qu'il foit contraire aux
autres il ne le femblepas tant 5 car la cha^
leur n'ed pas incompatible avec le fec Se
rhumide , & toutesfbis l'expérience mon->
ftre que les exceUens en l'imagination font
malades en l'entendement & mémoire, &
tenus pour fols & furieux î mais cela vient
que la chaleur grandie qui fert à l'imagi*
nation, confomme & l'humidité qui fert
à la mémoire , & la fubtilité des efprits
& figures, qui doibt eftre en la fechereile
qui fèrt à l'entendement, & ainfî eft con-
traire & deftruiâ les autres deux.
De tout cecy il eft évident qu'il n'y a .Trois
que trois principaux temperamens qui fer- ^*^"^
vent & £icent agir l'ame raifonnable , & mens 8c .
diftinguent les efprits, fçavoir le chaud, J^cuïter
le fec & l'humide : le froid ne vaut à rien,
n'eft point adtif , & ne fert qu'à empefcher
tous les mouvemens & fondions de l'ame :
& quand il fe lit fouvent aux autheurs quo
le froid fert à l'entendement 'y que les firoids
de cerveau , comme les melancholiques &
1$X D£ LA SaGESSK,
les méridionaux , font pradens» fages, in*
genieuz ; là le hoià fe prend non fîmple^
ment > mais pour une grande modération
de chaleur ; car il n'y a rien plus contraire
à l'entendement & fagefTe que la grande
chaleur , laquelle au contraire fert à l'ima-
gination : & félon les trois temperamens
il y a trois facultez de l'ame raifonnable.
Mais , comme les temperamens , auilî les
facultez reçoivent divers degrez , fubdi*-
vifîons Se diftindions.
^; Il y a trois principaux offices & difFe-
Subdivt- j. / . r 1-n-
fion àcs ^cnces d entendement, mferer, diihngucr»
trois fa- eflire. Les fciences qui appaniennent à l'en-
ramerai- rendement font la Théologie fcholafti-
fonna- que , la Théorique de médecine , la Dia-
Entcn ^c^^^ue, la Philofophie naturelle & mo-
dcmcnt. raie. U y a trois fortes de différences de me-
^°^^^ moire > recevoir & perdre facilement les
figures; recevoir facilement & difficilement
perdre y difficilement recevoir & facilement
perdre. Les fciences de la mémoire font la
Grammaire, Théorique dejurifprudence,
& Théologie po£tive , Cofmographie j
Imagî- Arithmétique.
nation. . De Tim^ination y a plufleurs difFerei^^
te.
LITRE I. CHAlP. XV. If t
CCS & en beaucoup plus grand nombre que
de la mémoire & de l'entendement > à elle
apartieiment proprement les inventions,
les facéties & brocards , les pointes & fub-
tilitez , les fiâions & menfonges » les £gU'
res & comparaifons , la propriété » netteté ,
élégance , gentillefTe. Parquoy appanien-
nent à elle la Poëfîe , l'Eloquence , Mufî-
que , & généralement tout ce qui confîfle
en figure , correfpondance , harmonie Se
proportion.
De tout cecy appert que la vivacité, fub- pjopri©.
tilité, promptitude, & ce que le commun ter & ac-
appelle efprit , e(l à l'imagination chaude ; fâ^ultez
la folidité , maturité, vérité , eft à Tenten- avec
dément fec. I/imagination eft adHve , ^»^gij^
bruyante 5 c'eft elle qui remue tout & met
tous les autfès en befongne. L'entende-
ment eft adion morne & fombre. La mé-
moire eft purement pafGve , & voyci com-
ment : l'imagination premièrement re-
cueille les efpeces & figures des chofes tant
prefentes par le fervice des cinq fens, qu'ab-
fentes par le bénéfice du fens commun j
puis les reprefente, fi elle veuft , à l'enten-
dcmcat, qui les confidere, examine, cuit
X54 ^£ L^ Sagesse,
& juge : puis dle-meûne les met en depoft
& conferve en la mémoire , comme Tefcn-
vain au papier , pour de rechef , quand
befoin fera , les en tirer & extraire ( ce
que l'on appelle reminifcence ) , ou bien û
elle veuft les recommande à la mémoire ,
avant les prefenter à l'entendement. Par-
quoy recueillir, reprcfentcr à l'entende-
ment , mettre en la mémoire , & les ex-
traire, font tous œuvres de l'imagination.
Et ainfî à elle appartient le fens commun ,
la reminifcence , & ne font point puiffan-
ces feparées d'elle , comme aucuns veulent,
pour faire plus de trois &cultez de l'amc
raifonnable.
S. Le vulgaire , qui ne juge jamais bien ,
raiforf*' cftime & fai<St plus de fefte de la mémoire
des fa- que des deux autres 3 pource qu'elle en
Tame en co^^ptcfort, a plus de monftre & faidb plus
préemi de htmâ en public ; & penfe-il que pour
àie^^^ avoir bonne mémoire l'on eft fort fça-
vant , & eflime plus la fcience que la fa-
geffe , c'ed toutesfois la moindre des trois»
qui pcuft eftre avec la folie & l'imperti-
nence i mais très rarement elle excelle avec
l!entendement & fagefle ^ car leurs tempc«
LIVRE L CHAP. XV. in
ramens font contraires. De cefle erreur po-
pulaire eil venue la mauvaife inftruâion
de la jeunefTe , qui fc voit par-tout. Ils font
toufîours après à luy faire apprendre par/ , J,.
cœur ( ainfî parlent-ils ) ce que les livres
dirent , afin de les pouvoir alléguer , & à
luy reiapHr & charger la mémoire du
bien d*autruy , & ne fe foucient de luy ré-
veiller & efguifer Tentendemefit, & former
le jugement, pour luy faire valoir fon pro^
pre bien & fes facultez naturelles , pour
le faire fage & habile à toutes chofes.
Au£n voyons - nous que les plus fçavans
qui ont tout Ariftote & Ciceron en la tefte ,
£bnt plus fots & plus ineptes aux affaires ,
& que le monde eft mené 8c gouverné par
ceux qui n'en fçavent rien. Par Tadvis de
tous les fs^es , l'entendement eft le prer-
mier , la plus excellente & principale pièce
du harnois. Si elle joue bien , tout va bien,
& l'homme eft fage 5 & au rebours, fî'elle
fcmefcompte, tout va de^ travers. En fé-
cond lieu eft l'imagination : h, mémoire efl
la dernière.
Toutes ces différences s'entendront peuft- -^'^
cftre encore mieux par cefte iîmilitude qui des trois
£$6 D£ LA SAG£SSe,
facukez efi une peinâurc ou imitation de l'atne rai-
*** ** fbnnable. En toute Cour de Jufticc y a
ne» '
trois ordres & efi^es : le plus haut , des
Juges , auquel y a peu de bruiâ , mais
grande a<îtion> car fans s'efmouvoir & agi-
ter, ils jugent , décident , ordonnent, dé-
terminent de toutes chofes : c*eft Timagc
du jugement plus haute partie de l'ame.
Le fécond , des Advocats & Procureurs ,
auquel y a grande agitation & bruiâ fans
a^on y car ils ne peuvent rien vuider ny
ordonner , feulement fecouer les aâàires :
c*eft la peinâure de l'imagination, faculté
remuante , inquiète , qui ne s'arrefte ja-
mais , non pas pour le dormir profonds &
£iiâ un bruiâ au cerveau comme un poc
qui boult, mais qui ne refoult & n*arrefte
rien. Le troiiîefme & dernier eftage ed du
greffe & regiftre de la Cour, od n'y a bruiâ:
.ny aétion^ c'eft une pure pallion , un gar-
doir & refcrvoir de toutes chofes, qui rc-
prefente bien la mémoire.
10. L'ame , qui eft la nature & la forme de
eft d"^ tout animal , eft de foy toute fçavantc ,
foy fça- fans eftreapprinfe , & ne faut point àpro-
voDtc. jyij.g çç qu'elle fçait , & bien exercer fç$
LIVRE L CHAP. XV. i;7
foniSHons comme il faut , fi elle n'eft em-
pefchée, & moycmiant que fcs inftru-
mens foienc bien difpofez > dont a cfté
bien & vraycmcnt did par les Sages que
nature eft fage, fçavante, induftrieufc, &
rend habile à toutes chofes , ce qui eft aifé
à monftrer par induâion. L'ame végéta-
tive de foy fans inftrudion forme le corps
en la matrice tant excellemment , puis le
nourrift & le faid croiftre , attirant la
viande, la retenant & cuyfant, &rejcttant
les excremens y elle r*engendre & refaiâ;
les parties qui défaillent : ce font chofes
qui fe voyent aux plantes , beftes , & en
l'homme. La fenfîtive , de foy fans inftruc-
tiop, fàîâ aux befles & en Thomme remuer
les pieds, les mains, & autres membres ,
les gratter, frottcj^ fecouer , tetter , dé-
mener les lèvres i pleurer , rire. La rai-
fonnable de meûne , non félon l'opinion
de Platon , par reminifcence de ce qu'elle
fçavoit avant entrer au corps , comme fi
elle eftoit plus aagée que le corps, ny fé-
lon Ariftote par réception & acquifition
venant de dehors par les fens, eftant de
fby une carte blanche & vuide : mais de
Tome /• O
i$% DE LA Sagesse,
(by & fans inftruâion , imagine, entend,
c!c$*Hip- ^^^°*^ ' raifonne & difcourt. Et pource
pocraces, que cefte propofition fembie plus difficile
Oalicn. ^ croire de la raifonnable que des autres ,
elle fe prouve premièrement par le dire des
plus grands Pbilofophes , qui tous ont diâ
que les femences des grandes vertus &
fciences efloient efpar(e$ naturellement en
Acadc- Tame 5 puis par raifon tirée de l'expérience,
"*'' ' les beiles raifbnnent , difcourent , font plu-
Philo-lu- fjçyjj chofes de prudence & d'entende-
ment, comme il a efté bien prouvé cy-
Cap. 8. deffus. Ce qu'advouant mefme Ariflote , a
rendu la nature des beftes plus excellente
que l'humaine » laquelle il ^id vuide &
ignorante du tout : mais les ignorans ap-
pellent cela inftinâ naturel, qui ne (ont
que des mots en l'air; car après ils ne fça-
vent déclarer qu'eft-ce qu'inftindl naturel.
Les hommes melancholiques, maniaques,
phrenetiques & atteints de certaines ma-
ladies qu'Hippocrates appelle divines , (ans
l'avoir apprins, parlent latin, font des vers,
difcourent prudemment & hautement, de-
vinent les chofes fecrettes & à venir ( lef-
quelles chofes les fots ignorans attribue-
LIVRE L CHAP. XV. If?
lont au diable ou efprit familier ) bien
qu'ils fuifent auparavant idiots & ruftiques,
& qui depuis font retournez tels après la
guarifon. Item y a des enfans qui bientoft
après eftre nays, ont parlé, comme ceux
qui font venus de parens vieils : d*ou ont*
ils apprins & tiré tout cela> tant les beftes
que les hommes }
Si toute fcience venoit, comme veuft "•
Ariftote , des fens, il s'enfuivroit que ceux par le
qui ont les fens plus entiers & plus vifi bénéfice
i . , . * . « 1 /- « des fens.
leroient plus mgenieux & plus Içavans s &
Te voit le contraire fouvent , qu'ils ont
refprit plus lourd & font plus mal-habiles ;
Se plufîeurs fe font privez à efcient de Tu*
iàge d'iceuz , afin que Tame fid mieux 8c
plus librement fes affaires. Et feroit chofc
honteure& abfurde, que Tame tant haute
& divine queflafl Ton bien des chofes fi
' viles & caduques , comme les fens ; car
c*eft au rebours que les fens ont tout de
l'ame, & fans elle ne font & ne peuvent
rien. Et puis enfin que peuvent appercevoir
les fens, finon les accidens & fuperficies
des chofes ? Car les natures , formes , les
threfots & fecrets de nature , nullement,
Oij
1^0 delaSagssse,
11* Mais on demandera, pourquoy donc ces
rion*&^ fa c^ofcs ne fe font-elles toujours par Tame ?
tefponfc. Pourquoy ne faiâ«elle en tout temps Ces
propres fondions, & que plus foibkment
^ plus mal elle les faiâ en un temps qu'au-
tre } L*ame raifonnable agifl plus foible-
ment en la jeunefTe qu'en la vieillefTe ; 6c
au contraire la végétative forte & vigou-
reufe en la jeuneâe , eft foible en la vieil-
lefTe , en laquelle elle ne peuft refaire les
dents tombées comme en la jeunefTe. La
raifonnable fsd6t en certaines maladies ce
qu'elle ne peuft en fanté, & au rebours en
fanté ce qu'elle ne peuft en maladie. A
quoy pour tout la refponfe ( touchée cy-
deffus) eft que les inftrumens , defquels
i'ame a befoin pour agir , ne font ny ne
peuvent toufîours eftre di(pofez comme
il faut pour exercer toutes fonctions , Se
faire tous effeâs , voire ils font contraires
& s'entr'empefchent : & pour le dire plus
court & plus clairement , c'eft que le tem-
pérament du cerveau , duquel a efté tant
parlé cy-deflus , par lequel & félon lequel
l'âme agift , eft divers & changeant , &
eftant bon pour une fondion d'ame> eft
tivÊst. CHAP. >C V. iiï
contraire à l'autre; eftant chaud & humide
en la jeunefTe, efl bon pour la végétative
& mal pour la raifonnable > & au contraire
froid & fec en la vieillefle, efl bon pour la
raifonnable , mal pour la végétative. Par
maladie ardente fort efchaufé & fubtilifé ,
cft propre à l'invention & divination, mais
impropre à maturité & folidité de juge-
ment & d^efle.
De l'unité & fingularité ou pluralité des ''•
âmes en l'homme , les opinions & rai(bns nj^é &
font fon diverfes entre les Sages. Qu'il y pluralité
en aye trois eflèntiellement difHndes, c'eft
l'opinion des Egyptiens , & d'aucuns Grecs
comme Platoniciens. Mais c'eft chofe ef-
trange qu'une mefme chofe aye plufîeurs
formes eflentielles. Que les âmes foient
fingulieres, Se à chafcun homme la lienne ;
c'eïl l'opinion de plufîeurs , contre la-
quelle l'on diâ qu'il faudroit eu qu'elle
fiifl toute monelle , ou bien en partie mor-
telle en la vegeutive & fenfitive , & en par-
tie immonelle en la raifonnable, & ainfi
foroit diviiîble. Qu'il n'y en aye qu'une
feule raifonnable généralement de tous
hommes 5 c'eft l'opinion des Arabes , ve-
O u j
l6% DE LA SaCESSC,
nue de Themiftius Grec, mais réfutée pat
plufîeurs. La plus commune opinion cft
qu'il n'y en a en chafcun homme qu'une
en fubflance , caufe de la vie & de toutes
les aâions ; laquelle eft tout en tout » &
toute en chaque partie : mais elle eft garnie
& enrichie d'un très grand nombre de diver-
fes facultez &puifrances3 meryeilleu(èmenc
difFerentes, voire contraires les unes aux au-
tres, félon la diverfité des vaifTeaux & inflru-
mens ou elle eft retenue» & des objeds
qui luy font propofez. Elle exerce l'ame
fenfitive & raifonnable au cerveau ; la vi-
tale & irafcible au cœur ; la naturelle végé-
tative & concupifcible au fbye ^ la génitale
aux genitoires > ce font les principales 8c
capitales , ne plus ne moins que le foleil un
en fon eifence , defpartant fes rayons en
divers endroiâs , efchaufe en un lieu , cC"
claire en un autre , fond la cire , feiche la
terre , blanchift la neige , nourrift la peau»
diflîpe les nuées , tarift les eftangs : mais
quand & comment s fî toute entière & en
un coup, ou fi fucceifîvement elle arrive
Oiind ^^ corps , c'eft une queftion. La commune
corn- opimon venue d'Ariftote , eft que Tame
1 1 V H fi I. CHAT. XV. I^?
Végétative & fenfitivc , qui eft toute ma- ment IV
tcriellc & corporelle , eft en la femence , ^^^^^
& avec elle defcendue des parens ; laquelle
conforme le corps en la matrice , Si iceluy
£aiâ, arrive la raifonnable de dehors 5 Se
que pour cela il n'y à deux hy trois âmes,
ny enfemble ny fuccei&vement , & ne fe
corrompt la végétative par l'arrivée de la
Icnfitive , ny la fenfitive par l'arrivée de la
raifonnable : ce n*eft qu'une qui fe faiâ ,
s'achève & fe parfàiâ avec le temps & par
degrés , comme la forme artificielle de
l'homme , qui fe peindroit par pièces Tune
après l'autre , la tefte , puis la gorge » le
ventre , &c. Autres veulent qu'elle y entre
toute entière avec toutes fes facuitez en un
coup , fçavoir lors que le corps eft tout
organifé , formé & tout achevé d'e'ftre
£ûâ, & qu'auparavant n'y à eu aucune
ame , mais feulement une vertu & énergie
naturelle , forme effentielle de la femence»
laquelle agiffant par les efprits qui font en
ladiâe femence , comme par inftrùmens ,
forme & baftift le corps , & agence tous
les membres^ ce qu'eftantfaiâ, cefte éner-
gie s'evanouift & fe perd , Se par ainfi la fèr
X^4 ^' ^ ^ Sagssss,
tnence cefTe d*eftre fcmcnce, per<Ianc fâ
forme par l'arrivée d'une autre plus noble,
qui eft l'ame humaine : laquelle faiâ que
ce qui eftoic femence, eft maintenant
homme.
'Y* Uimmortalité de l'ame eft la choie la
talicé de p^us univerfellement , religieufement Se
Tame. plaufîblement receue par tout le monde
( j'entends d'une externe & publique pro-
feflion, non d'une interne, ferieuTe & yraye
créance, de quoy fera parle cy-aprcs), la
plus utilement creue ,. la plus foiblement
prouvée & eftablie par raifons & moyens .
t.i. c. 5. humains. Il femble y avoir une inclination
& difpofition de nature^^la croire , car
l'homme defire naturellement allonger &
perpétuer fon eftre , d'où vient au/G ce
grand & furieux foin & amour de noftre
pofterité & fucceflîon. Puis deux chofes fer*
vent à la faire valoir & rendre plauiîble :
l'une eft l'efperance de gloire & réputation,
& le delîr de l'immortalité du nom, qui ,
tout vain qu'il eft , a un merveilleux cré-
dit au monde : l'autre eft l'impreâdon que
les vices qui fe defrobent de la veaë Se
cognoiifance de l'humaine juftice, demeii-'
LIVRE I. CHAP. XV. I6j
rent toufîours en butte à la divine qui les
ckaftiera , voire après la mort.
E>ES PARTIES DE UAME
HUMAINE,
ET PREMIEREMENT
De r entendement , plus haute & noble
partie d*icelle , imagination , raifon ,
dif cours , efprit , jugement^ volonté ,
de la vérité , & de V invention.
CHAPITRE XVI.
C'est un fonds d'obfcurité plein de creux
& de cachots , un labyrinthe , un abyfme
confus & bien entonillc , que ceft efpric
humain^ c'efl l'œconomie de cède grande V
& haute partie intelleâuelle de l'ame oii
y a tant de pièces , facultez , aâdons &
mouvemens divers , dont y a aufli tant de
noms , & s'y trouvent tant de difficuitez ^
bbjeâions & de doubtes.
Ceft entendement (ainfî l'appellerons- Diftinc-
f nous d'un nom gênerai) intelleBus ^mensy "*.o° «*"
wçy eft un fubjeâ gênerai, ouven & difpo- iVntcn-
fé à recevoir & embrafTer toutes chofes ^ dcmcnc.
I6tf DE LA Sages SI,
comme la matière première, Se le miroir
toutes formes » intelUBus eft omnia. Il eft
capable d*entendre toutes chofes, mais foy-
mefme , ou point , ( tefmoin une fî grande
& prefque infinie diverfité d'opinions à^i-
celuy, de doubtes & objections qui croif-
fent tous les jours) ou bien fombrement,
indirectement & par reâezion de la cognoif-
Tance des chofes à foy-meûne, par laquelle
il fent & cognoift qu'il entend , & a puif-
fance & faculté d'entendre > c'eft la manière
que les efprits fe cognoilTent euz-mefines.
«• * Son premier office, qui efl de recevoir
fimplement, & appréhender les images &
e(peces des chofes , qui eft une paflîon &
impreffîon en l'ame , caufée par l'objeâ
& prefence d'icelles , c'eft imagination &
apprehenfîon.
»• La force & pui/Iànce de paiftrir, traicter
& agiter , cuire & digérer les chofes re*
ceuës par l'imagination , c'eft raifon , Adyaf,
]. L'aâion & l'office ou exercice de cefte
force & puiffance , qui eft d'affembler ,
conjoindre, feparer, divifer les chofes re-
ceuës , & y en adjoufter encore d'autres ,
c'eft difcours, ratiocination,>^i07Mf » /i««
LIVJtE I. CHAP. XVI. léj
La facilité » fubtile , & alaigre prompti- 4*
tude à faire toutes ces chofes , & pénétrer
avant en icelles , s'appelle cfprit , inge^
nium y donc les ingénieux » aigus, fubtils ,
pointus, c*eft tout un.
La répétition , &: cefte aâion de nuni- ^ .
ner, recuire , repafTer par Teftamine de la
rai&n , & encore plus elabourer , pour en
faire une refolution plus folide , c*eft le
jugement.
L'efFeâ enfin de l'entendement , c'eft la «•
cognoiflance , intelligence , refolution. \^
L*a^ion qui fuit cefte cognoiflance & 7.
refolution , qui efl à s'eflendre , pouffer &
advancer à la chofe cognuë, c*eft volonté,
intelUâus extenfus & promotus.
Parquoy toutes ces chofes , entende- S.
ment , imagination , raifon , difcours , es-
prit , jugement , intelligence , volonté ,
font ime mefme en effence , mais toutes
diverfes enaéHon, tefmoin qu*un efl excel-
lent en l'une d'icelles, & foible en l'autre:
Touvent qui excelle en efprit & fubtilité ,
cft moindre en jugement & folidité.
Je n'empefche pas que l'on ne chante les ^ V .
louanges & grandeurs de l'efprit humain , ûoa gc-
1^8 D£ LA Sagesse,
ncMÎc de fa capacité , vivacité , vîtcfTc : je côn-
pricàVôn ^'^^^ ^^^ ronTappcllc image de Dieu vive,
advama- un degouil de l'immortelle fubftance , une
^"' fluxion de la divinité , un efclair celeftc au-
quel Dieu a donné la raifon comme un ti-
mon animé pour le mouvoir avec reigle &
mefure, & que ce foit uninfbumentd*une
complette harmonie ; que par luy y a pa-
rentage entre Dieu & Thomme j 8c que
pour le luy ramentevoir il luy a toumé les
racines vers le Ciel, afin qu'il euft toujours
(a veuë vers le lieu de fa naiffance > bref
î ^qu*il n*y a rien de grand en la terre que
rhomme , rien de grand en l'homme que
l'efprit. Si l'on montejufques-là. Ton monte
au-deffus du Ciel. Ce font tous mots plau-
fîbles dont retentijûfent les efcholes 8c les
chaires.
3. Mais je defire qu'après tout cela l'on
Son dcf- vienne à bien fonder & efludter à coenoif-
ge. tre ceit efpritj carnous trouverons qu'après
tout , c'cft & à foy & à autruy un très dan-
gereux outil , un fiiret qui efl à craindre ,
un petit brouillon & trouble -fefte, un
efmerillon fâcheux & imponun, & qui
comme un afFronteur & joueur de palTe-
Lt V It E L C H A P. XVI. 1^9
fztky fous ombre de quelque gentil moti-
vcment fubtil & gaillard, forge, invente » ^
& caufe tous les maux du monde > & n'y
en a que par luy.
Il y a beaucoup plus grande diverfîté 4.
d*efprits que de corps 5 aufli y a-il plus Pl^*^!^
grand champ, plus de pièces & plus de ùt- tioaion
^on : nous en pouvons £dre trois clafles , ^^f *^"
dont chafcune a encore plufîeurs degrer.
£n celle d'embasfont les petits, foibles &
romme brutaux , tous voifin$ des bedes ,
foit que cela advienne de la première trem- cJmicux
pe, c*efl-à-dire de la femcnce & tempera* auch.)^.
ment du cerveau trop froid & humide,
comme entre les belles les poiflbns font
infimes, ou pour n'avoir efté aucunement
remuez & reveillez , mais abandonnez à la
rouille & fhipidité : de ceux-là ne faut
faire mife ny recepte, & ne s'en peuft dref-
fer ny eftablir ime compagnie confiante;
car ils ne peuvent pas feulement fuffire
pour eux-mefmes en leur paniculier, &
faut qu'ils foient toufiours en la tutelle
<l*autruy , c'efl le conmiun & bas peuple , "^
^ui vigilans ftertit , mortua cui vita eft ,
prope jam vivo atquc vidcnti , qui ne fe
TomeL P
170 DE LA Sagesse,
fcnc, ne fe juge. En celle d'en haut font
les grands & très -rares efprits» pluftoft
démons qu'hommes communs, efpritsbien
nez , forts & vigoureux : de ceux icy ne
s'en pourroit bafHr en tous les iîecles une
republique entière. En celle du milieu font
tous les médiocres , qui font en infinité de
degrez : de ceux-cy eft compofé presque
tout le monde , ( de cette diflinâîon &
Cb» 5^* autres cy-aprcs plus au long. ) Mais il nous
faut toucher plus particulièrement les con-
ditions & le naturel de ceft efprit , autant
difficile à cognoiftre , comme un vifagc
à peindre au vif, lequel fans cefle fe re-
mueroit.
^, Premièrement c'cfl un agent perpétuels
Pefctjp- rcfprit ne peufl cfbre fans agir j il fe forge
tîcuUcVê. pluftoft <lcs fubjeds faux & fantaftiques ,
Agent fe pippant à fon efcient , & allant contre
perpétue ^^ propre créance , que d'cfbre fans agir.
Comme les terres oifives , fi elles font
graffes & fertiles , foifonnent en mille for-
tes d'herbes fauvages & inutiles , & les
faut affubjeâir à certaines femences; &
les femmes feules produifent des amas &
pièces de chair iafouncsy ainfi refprit» fi
LIVILSL CHAP. XVI. 171
Ton ne Toccupe à certain fubjeâ, il fe def
bande & fe jette dedans le y^ue des ima*
glnations , & n'efl folie ny re{verie qu*il
ne produife : s*il n*a de but eftably , il Ce
perd & s'efgare; car eftre par-tout > c*eft
n'eftre en aucun lieu : l'agitation eft vraye*
ment la vie de Tefprit & fa grâce , mais
elle doibt venir d'ailleurs que de foy : s'il
va tout feul, il ne faiâ que traîner & lan-
guir > & ne doiâ eftre violenté 3 car cefte
trop grande contention d'efprit trop ban-r
dé , tendu & preiTé » le rompt & le trou^
ble.
Il eft aufli uiiiverfel qui fe melle par* „ f*
tout 5 il n'a point de fubjeâ ny de reflbn feU
limités il n'y a àioCc où il ne puiflè jouer
Xbn roolle , audi bien aux fubjeâs vains
& de néant , comme aux nobles & de poids,
& en ceux que nous pouvons entendre »
que ceux que nous n'entendons : car re-
cognoiftre que l'on ne le peuft entendre
ny pénétrer au dedans , & qu'il £iiut de-
meurer au bord & à l'efcorce , c'eft très
beau traiâ de jugement > la fcience , voire
la vérité , peuvent loger chez nous fans
jugements & le jugement fans ellesj voire
pij
iji DE LA Sagesse»
recognoiftre fon ignorance, c*eft un beau
teûnoignage de jugement.
7- Ticrcemcnt, il cft prompt & (buciain,
& fou- courant en un moment d*im bout du monde
ààïn. à Tautre, fans arreft, (ans repos, s*agî-
tant , pénétrant Se perçant par-tout : Noiti'-
lis & zriquUta mens komîni data efi : nuit"
quant ft tenet , fpargitur vaga , quietis
impatiens , novftate rerum Utiffima : non
mirum^ e» itto cœlefii fpirîtu defcendit y
cœlefttum autem natura femptr in motu eft,
Cefte â grande fbudaineté & vitefle, cefte
poinâe & agilité eft d'une part admirable &
A^ plus grandes merveilles quî foient en
re(pFit> mais c'eft d'ailleurs chofe très-
dangcreufe , une grande di(poiîti<m & pro*
penfion à la folie & manie , comme fe dira
tantoft.
Pour ces trois conditions , d'agent per-
pétuel fans repos, univerfel, fî prompt &
Amdain , il a efté eftimé immortel, & avoir
en (by quelque marque & eftincelle de di-
vinité.
8» Or fon adion' eft toufîours quefter ,.
tioS°c*l fiu^ctcr , tournoyer fans ccffe comme afià-
qucAcc. me de ffavoir, enquérir & rechercher»
IIYIÉ 1. CHAP. XVI. 175
ainfî appelle Homeic les hommes «lA^«r»
Il n'y a point de fin en nos inquifitions :
les poorfuittes de reQ>rit humain font fans
terme, fans forme : fon aliment eft doubte»
ambiguïtés c'ef): un mouvement perpétuel,
fans arreft & fans but : le monde efl une
cfcholed'inquifitions l'agitation & la challè
eft proprement de noftre gibbier : prendre
ou faillir à la prinfè, c'eft autre chofe^
Mais il ^ift & pourfuit fes entreprinfès $• ^
témérairement & defreiglement , fans or- f^f^^^j" .
dre & fans mefure : c'eft un outil vaga- meraire*
bond, muable > divers , contoumable : c'eft '"''^^
un infbument de plomb ^ de cire > il plie ,
s'allonge, s'accorde à tôu;c, plus fouple»
plus facile que l'eau , que l'air. FUxibilis ^
omni kumore ohfequentior , & ut fpiritus
^uî omni materia facilior , ut tenuior»
C'eft le foulierde Thdramenes bon à tou$
pieds. : il ne refte que la fuffifance de le
Tçavoir contourner 5 il va toufiours, & de
tort & de travers , avec le menfonge
comme avec la vérité. Il fe donne beau
jeu, & trouve raifon apparente par-tout,
tefmoin que ce qui eft impie, injufte, abo-
minable en un lieu, eft pieté , juftice, fie
Puj
174 ^£ ^A Sagessi,
honneur ailleors s & ne (ê fçauroit nooT'*
mer une loy, coufbxme, créance receucois
rejettée generallement par-tout , les ma*
riages entre les pioclics , les meurtres des
cn£ms, des parens vieitS) commumcation
des femmes , condamnez en us lieu , lé-
gitimes en d'autres. Platon refiifa la robe
brodée & parfumée <|ue luy offriftDîony-^
fius, difanC eûrc homme & ne fe vouloir
▼eftir en femmes Ariftîppus Taccepta , di-
£uit que raccouftrement ne peuft corrom*
pre un chafte courage : Diogenes lavant Ces
choux , & le voyant paffer , luy diâ : Si m
Içavois vivre de choux, tu ne fcrois la cour
k un tyran : Ariftippus luy refpond : Si m
Tçavois vivre avec les Roys , tu ne lave-
rois pas des choux. On preichoit Solon de
ne pleurer point la mon de Ton fils, car
c'eftoient larmes inutiles & impulsantes^
C*eft pour cela, di6^>il, qu'elles fbnt plus
)uftes 8c que |*ai tsdCon de pleurer. La
femme de Socrates redoubloit (on deuil de
ce que les Juges le iidroient mourir injufte-
ment. Comment ! feift-il,aîmerois-cu mieux
que ce fîift juftement ? Il n'y a aucun bien,
diâ un Sage , fiaon celuy à la perte du-
lt?RSl. CttAf. XVI. Î7f
^uel l'on eft préparé , in dguo enim efi da*
ior amiffk rei & timor amittemU. Au rc-*
bours, did l'autre, nous Terrons & cm-
braflbns le bien d'autant pkis eftroit & avec
plus d'afFeâion » que nous k voyons moins
feur , & craignons qu'il nous (bîc ofté. Un
Philorophe Cynique demandoit à Andgo*
nus une dragme d'argent : ce n'eft pas pre*
fènt de Roy , refpondtft~il : donne-moy
donc un talent, diâ le philofbpbe : ce n'eft
pas prefent ponr un Cynique. Quelqu'un
«tifoic d'un Koy de Sparte fort clément &
débonnaire : Il eft fort bon s car il l'eft
meûne aux mefchans. Comment feroit-il
Ix)n , diâ l'autre, puis qu'il n'eft pas mau-
vais aux mefcbans ^ Voilà comme la rai-
fon humaine eft à tous vifages, un glaive
double , un bafton à deux bouts , ogni mt'*
daglia ha il fuo rîverjh. Il n'y a raifon
qui n'en aye une contraire , diâ la plus
(aine & plus feure philofophie : ce qui fe
monftreroit par tout qui voudroît. Or
cefte grande volubilité & flexibilité vient
de plufieurs caufess de la perpétuelle alté-
ration & mouvement du corps , qui jamais
n'eft deux fois en la vie en mefme eftat^
f 7^ Dï tA Saosssë,
des objcâs qui font iiifinis , de Tair meC^
me Bc fcrenité du ciel ,
Taies func hotniaum mentes , quali pater ipfe
7appi<er , auâifera lullravit iampade terras }
& de toutes chofes externes s internement»
des TecoufTes & brandes que i'ame Te donne
elle-mefme par fi>n agitation , de meuë par
fes propres paifîons s aufld qu'elle regarde
les chofes par divers vifages , car tout ce
qui eft au monde a divers lufbres & diverfes
confiderations. C'efl un pot à deux anfes ,
difoit Epiâete ; il euft mieux diâ à plu-
iteurs.
»0' . Il advient de là qu*il s'empeftre en fa bc-
t'empef- fong^^c , comme les vers de foye , il s'cm-
tre. barrafTe : car comme il penfe remarquer
de loing je ne fçay quelle apparence de
clarté & vérité imaginaire , & y veuft cou«
rir , voyci tant de diificultez qui luy tra-
verfent la voye , tant de nouvelles queftes
Tefgarent & Tcnyvrent.
11. Sa fin à laquelle il vife eft double ; l'une,
la vcri^ plus commune & naturelle , eft la vérité
té , la- ou tend £a quefte & fa pourfuitte. Il n'eft
nc^pcuft '^^^ P^'^ naturel que le défi; de cognoifbrc
ac<}ucxic la vérité. Nous efTayons tous les moyens
LIVRE I. CHAP. XVI. 177
que nous penfons y pouvoir fcrvir : mais ny troa-
enfîn tous nos cfFons font courts, car la-^*''
vérité n*eft pas un acqueft , ny chofe qui* Voyez
fc laifl*e prendre & manier, & encore moins ^"^ *j 9-
pofTeder à l'efprit humain. Elle loge de-
dans le fein de DieuJ, c*eft là fbn gifte &
fà retraite : Thomme ne fçait & n'entend
rien à droiâ, au pur & au vray comme il
faut , tournoyant toufiours , & taftonnant
à l'entour des apparences qui k trouvent
par tout auffi bien au fauis qu*au vray :
nous fommes nais à qucfïer la vérité : la
poâeder appartient à une plus liante &
grande puiâance. Ce.n*eft pas à qui mettra
dedans , mab à qui fera de plus belles
courfes. Quand il adviendroit que quei^que
vérité fe renconcrafl encre fes mains, ce
feroit par l^aard , il ne la fçauroîe tenir ^
pofledef , ny diâinguer du menfonge. Les
erreurs fe reçoivent en noflre ame par
mefme voye & conduide que la vérité 5
l'efprit n'a pas de quoy les diflinguer &
choiiîr : autant peud faire le fot qiie le
fage , celuy qui did vray , comme celuy
qui did fauls : les moyens qu'il employé
pour la defcouvrir, font laifbn & expe«
ty^ ' delaSagsssi,
rîence , tous deux très fbibies , incertains ,
divers » ondoyans. Le plus grand argument
de la vérité , c'eft le gênerai confentemenc
du monde. Or le nombre des fols furpaiTe
de beaucoup celuy des fages : &puis com-
l ment eft-on parvenu à ce confentement»
que par cont^ion & applaudifTement don-
f né fans jugement & cognoiiTance de caufe,
mais à la fuite de quelques-uns qui ont
! commencé la danfe }
it. L'autre fin moins naturelle^ mais plus
ït Hn- mnbiticufe, eft l'invention, à laquelle il tend
Yenaon. , , . « i.i
comme au plus haut pomci d honneur, pour
fe monftrer & faire valoir i c*eft ce qui
eft plus e(Umé & femble eflre une image
de divinité. De cefte fufEfance d'inventer
font produits les ouvrages qui ont ravy
tout le monde en admiration : & s'ils ont
cfté avec utilité publique , ils ont deïfié
leurs autheurs. Ceux qui ont efté en fubti*
lité feule fans utilité » ont efté en la peinc-
ture, ftatuaire , architeâure, perfpedtive ,
comme la vigne de Zeuxis , la Venus d'/ -
pelles , la ftatue de Memnon , le cheval
d'airain » la colombe de bois d'Archytas ,
la (phere de Sapor Roy de Perfe, & tant
LIVRE I. CHAP. XVI. IJf
d*aacre6. Or l'art & rinvention femblent tooange
non feulement imiter nature, mais la pafTer, J"'
. , Tcncion*
& ce non leulement en particulier & indi-
vidu ( car il ne fe trouve point de corps
d'homme ou befle en nature û univerfeN
iement bien fai<5b, comme il fe peuft re*
prefentcr par les ouvriers ) ; mais encore
plufieurs chofes fe font par an, qui ne fe
font point par nature : j'entends outre les
comportions & mixtions , qui eft le vray
gibbicr & le propre fubjeâ de l'art , tef-
moin les extradions & diftillations des
eaux & des huiles faites de fimples , ce
que nature ne £sd6ï point. Mais en tout
cela il n'y a pas lieu de ii grande admira-
tion que Ton penfe 5 & à proprement &
loyalement parler , il n'y a point d'inven-
tion que celle que Dieu révèle : car celles
que nous eftimons & appelions telles , ne
{ont qu*obfervations des chofes naturelles,
argumentations & concluions tirées d'i-*
celles, comme la peinture & l'optique des
ombres , les horloges felaires des ombres
des arbres , l'imprimerie des marques Se
fceauz des pierres precieufes.
De tout cela il eft aifé à voir combien L'ef^rlt
XSO I>E LA SaG£SS£»
tît très rcfprit humain cft tcmcrairc & dangereux,
<î*ttgc- niefmcment s'il cil vif & vigoureux : car
cftant Cl remuant , û libre & univerfcl , &
faifant fes rcmucmcns û dcfreiglement ,
ufant fi hardiment de fa libcné par tout ^
lans s*aflcrvir à rien , il vient à fecouer ai-
Cus^c^. fcment les opinions communes & toutes
fur û fo- reigks par Icfquellcs Ton le veuft brider
^®* .& contraindre, comme une injufte tyran-
nie : entreprendra d'examiner tout, & ju-
ger la plufpart des chofes plaufiblement
receu'és du monde , ridicules &abrurdes,
trouvant par tout de l'apparence , paflera
par defTus tout : & ce faifant , il eft à crain-
dre qu'il s'efgare & fc perde : & de faid,
nous voyons que ceux qui ont quelque
vivacité extraordinaire , Se quelque rare
excellence , comme ceux qui font au plus
haut eftage de la moyenne claffe cy-defTus
diâe, font le plus fouventdefreiglés en opi-
nions & en moeurs. Il y en a bien peu à qui
l'on fe puiffe fier de leur conduire propre,
& qui puifTent (ans témérité voguer en li*
berté de leurs jugemens au-delà les opi-
nions communes. C'eft miracle de trouver
un grand & vif çfprit bien reiglé & modérés
L I V R £ I. C H A P. XVI. itt
cVft un très dangereux glaive qui ne le
fçaît bien conduire : & d'oii viennent tous
les defordres , révoltes , herefies & troubles
au monde , que de là } Magni errores non
nifi ex magnis ingeniis, NihU fapientu
odiofius acumine nimio. Sans doubte ce-
Juy a meilleur temps, plus longue vie, eft
plus heureux & beaucoup plus propre au
régime de la Repub. diâ Thucydide , qui a
Telprit médiocre, voire au-defToubs la mé-
diocrité , que qui l'a tant eflevé & tranf-
cendant , qui ne fert qu'à fe donner du tour-
ment & aux autres. Des grandes amitiez
naifTent les grandes inimitiez; desfantez
vigoureufes les mortelles maladies : auilt
des rares 3c vives agitations de nos âmes les
plus excellentes manies & plus détraquées.
La fageiTe & la folie font fort voifînes. Il
n'y a qu'un demy tour de Tune à l'autre :
cela (e voit auxaâions des hommes infen-
fez. La philofophie nous apprend que la
melancholie efl propre à tous les deux. De
quoy fe fàiâ la fubtile folie , que de la plus
fiibtile fageffe } C'eft pourquoy , did Arif-
tote, il n'y a point de grand efprit fans
quelque meflange de folie s & Platon »
Tome /• Q
fSt DZ tA Sagesse,
qu'en vain un efprit raffi; & fain fxappe
aux portes de la Poëfîe. C*eft vcn ce fens
que 1rs n^es & plus braves Poètes ont ap-
prouvé de fblier & (brtir des gonds qucl-
qaesfois. Infanire jucundum eft ; dulce de*
fipere in loco : non poteft grande bfuhlime
quidquam nîji mota mens , & quandiu apud
Je eft.
14. C*eft pourquoy on a eu tvonne rai(bn
Parquoy jç lui donner des barrières eftroites : on
le rauc , . .
! brider 8c le bride & le garotte de religions , loiz ,
I retenir, couftumes , fcienccs , préceptes , menaces ,
promeilcs monelles & immortelles ; encore
voit -on que par ù, desbauche il femchift
tout, il efchappe à tout ^ tant il cil de na-
ture rcvefche , fier., opiniaflre , dont le faut
mener par artifice : Ton ne l'aura pas de
Scnec ^^^^ » naturâ contumax eft animas huma"
nus , in contrarium atque ardman nitens ,
fequiturque facitius quant ducitur , ut ge-
;; neroji & nobiles equi meiius facili freno
\ reguntun U jdk bien plus feur de le mettre
en tutelle., & le coucher, que le laiifer aller
;; à £a pofte : xar s'il n'efl bien nay , bien
fort & bien reiglë, conmie ceux de la plus
liante clalTe qu'avons diâ cy-defTus , ou
LITRE L CHAP. XVI. X8)
bien fbibie , mol , & mou/Te , comme ceux
de la plus baiTe marche , certes iL fe perdra
en la liberté de fes ji^emens : parquoy il a
bc(bing d'efixe retemi» plus beilbtng.de
plomb que d*aiûes , de bnde que d^efpe-^
ron : à quoy principaiement ont regacdé
les grands Ic^^âaiDeuis- Se fondateurs d'ef»
tacs : les peuples fort médiocrement ^iri-
tuels vivent en plus de repos que les ingé-
nieux. Il y a eu plus de tcoubles & fodi-*
tions en dix ans en la feule ville de Flo-
rence , qu'en cinq cens ans aux païs de»
Suyffes & Grifons : de en» pasticulisi: les
bommes d'une commune fùffifànce font
plus gens de bien, meilleuis citoyens, font
plus foupLes, & font plus volontiers joug
aux loix , aux Tuperieurs , à la raifoa,. que
ces tant vifs & clair-voyans » qui ne peu-
vent demourer en leur peau : Toâinenaent
des efprits n'eft pas raflagiflement.
L'efprit a fes maladies , fes défauts & i^.
fes tares auifi bien que le corps , & beau- De^uw
coup plus, & plus dangereux & plus incu- p^j^^
râbles : mais pour les cognoiffare il les faut
diftingucr. Les mis font accidentaux & qut
hiy arrivent d'ailleurs. Nous en pouvons
Qy
x84 Di LA Sagesse»
Acciden- remarquer trois caufes-: la difpofîdoa dit
venants ^^^» ^^ ^cs maladies corporelles qui al~
de crois tercnt le tempérament , altèrent auffî tout
manifèftement Tetprit & le jugement : ou
bien la fubftance du cerveau & des orga-
Ducoips. nés de Tame raifonnable cft m^ compofôe,
fbit dès la première conformation, comme
en ceux qui ont la telle mal &iûe , toute
ronde, ou trop petite, ou par accident de
heurt ou blefTure.
Dn mon- La féconde efl la contagion univerfelle
des opinions populaires & erronées, re-
ceuës au monde, de laquelle Tefprit pré-
venu &*attcind, ou, qui pis eft, abbreuvc
& coiffé de quelques opinions fantafques ,
va toufîours & juge félon cela, fans regar*
dcr plus avant ou reculer en arrière : or
tous les efprits n*ont pas alTez de force &
vigueur pour fe garantir & fauver d*un tel
déluge.
Des pa£- La troifiefine beaucoup plus voifine cfl
*• la maladie & corruption de la volonté , &
la force des pallions , c*eft un monde ren-
verfé : la ypjonté eft n^e ,^î!)!iiri}i^
rendement comme fon guide , fon flam-
beau : mais eftant corrompue & fàifie par
tlVRl I. CHAT. XVÏ. î*|
h force des paifions , force auffi & corrompe
reatendement, & c*eft d'où vient la pluf-
parc des iauls jugemens; Tenvie» la ma-
lice , la haine , l'amour , la crainte , nous
font regarder , juger Se prendre les clioTes
toutes autres & tout autrement qu'il ne
&ut , dont l'on crie tant ( }ngeF (ans ^af--
fion ) : de là vient que l'on obfcurcift les:
I belles & genereufes aâions d'autruy par
des viles interprétations ; Ton controuve
des cau(cs , occasions & intentions mau*^
vaifcs ou vaines , c'eft un grand vice 9c
preuve d'une nature maligne > & fugement
I bien malade :. il n'y a pas grande fabtîHté
ny fufïKànce en cela» mais de malice bea»>
coup. Cela vient d'envie qu'ils ponent à
la gloire d'autruy , ou qu'ils jugent des
autres félon eux , ou bien qu'ils ont le gouft
altéré & la veuë fi troublée qu'ils ne peu-
vent concevoir la (plendeur de la vertu en
Ùl pureté naïfve. De cefte meCme caufe Se
iburce vient que nous faifons valoir les
yercus Se les vices d'autruy , Se les eften*
dons plus qu'il ne faut , des particularités
en cirons des confequences & conclufions
générales : s'il eft amy tout luy fied bien ,
Qii;
fes vices mefmes feront vertus s s*il eft en«
nemy ou particulier » ou de party contraire,
il n*y a rien de bon. Tellement que nous
£ii(bns honte à noftre jugement , pour af-
Ibuvir nos parlions. Mais cecy va bien en*
core plus loing , car la plu^part des impie-
tez , herefîes, erreurs en la créance & reli-
gion , Cl nous y regardons bien , eft née de
k mauvaife & corrompue volonté , d'une
paflîon violente & volupté , qui puis attire
à foy Tentendement mcCmc ^ fedic populus
manducare & bibere , &c. quod vult non,
£xod.5t. <iuod efi crédit , qui cupit trrart * tellement
fib^'d ^^ ^^ ^"* ^ faifoit au commencement
dvic. avec quelque fcrUpule & doubte , a efté
^'*' puis tenu & maintenu pour une vérité & ré-
vélation du ciel : ce qui efloit feulement en
la fenfualité a prins place au plus haut de.
l'entendement : ce qui n*eftoit que paffioa
& volupté a efté faiâ créance religieufe &
article de foy, tant eft forte & danger eu fe
la cont^ion des facultez de Tame entre
elles» Voylà trois caufes externes des fautes
& mefcomptes de Tefprit, jugement & en-
tendement humain y le corps , mefmemenc
la tefte malade , ou bleflée, ou mal faiéle^
LITRE I. CHAP. XVI. 1S7
k monde avec Tes opinions anticipées &
fuppofitions ; le mauvais edat des autres
£icultez de l'ame rai(bnnable, qui luy (ont
toutes inférieures. Les premiers defaiUans
font pitoyables» ôc aucuns d'iceux font eu*
râbles» les autres non : les (èconds font
excusables & pardonnables : les troifîefmes
font accufkbles & puniiTables , qui (buf-
firent un tel defordre chez eux , que ceux
qui dévoient recevoir la loy entreprennent
de la donner.
Il y a d'autres défauts qui luy font plus is.
naturels & internes , car ils naifTçnt de luy N*w-
& dedans luy : lejglus grand & la racine de
tous les autres eft rotgueil & la |U£fomp-
tion , ( première & originelle £iute du mon-
de, pefte de tout efprit » & caufe de tous
maux) par laquelle Ton eft tant content
de fby. Ton ne veuft céder àautruy. Ton
defdaigne (es advis , l'on Te repofe en (es •
opinions , & Ton entreprend de juger de ^
condamner les autres, & encore celles que j
Ton n'entend pas. L'on diâ bien vray que •
]e plus beau 3c heureux partage que Dieu
aye faiâ , eft du jugement 3 car chafcun |
fe contente du £cn, & en penfe avoir aiTez, :
tt^ t>t LA SaG£SS£,
Or cefte maladie vient de la tncCcogpoi^
£mce de foy : nous ne fentûns jamais aSèz-
au vray la IbiblefTe de noftre e(prit : aiofî
la plus grande maladie de Terprit c*eft Ti-^
gnorance , non pas des arts & fcîenccs 8c
de ce qui eft dedans les livres, mais de foy*
mc^rme , à caufe de quoy ce premier livre
a eflé £dâ.
De la Mémoire,
CHAPITRE XVir.
jLa mémoire eft fouvent prinfe par le vul*
gaire pour le fens & entendement : mais
c'efl à tort; car & par raifon , comme a efté
did, & par expérience l'excellence de Tun
eft ordinairement avec la fbiblefTe de Tau*
tre. C*eft à la vérité une faculté £on utile
pour le monde , mais cHe eft de beaucoup
au-deflbubs de l'entendement, & eft de
toutes les parties de l'ame la plus délicate
& pins ftefle. Son excellence n'eft pas fort
requife , fi ce n'eft à trois fortes de gens »
ftux negotiateurs , aux ambitieux de parler
( car le magafîn de la mémoire eft volon-*
LIVRE I. CHAP. XVII. I8^'
tiers plus plein & fbmy que celui de Tin-
vention s or qui n*en a demoure court ,
& faut qu'il en forge & parle de foy ) , &
aux menteurs , mendacem oportet ejfe me*
morem. Le défaut de mémoire eft utile à
ne mentir gueres, ne parler gueres, ou*
blier les ofFenfes. La médiocrité eft fuifi-
(ante par tout.
De t Imagination & Opinion,
CHAPITRE XVI IL
L'imagination eft une très puiffante r.
chofe , c'eft ceUe qui faid tout le bruid , If^f^f
Tefclat : le remuement du monde vient nation,
d'elle ( comme nous avons did cy-deiTus
cftxe la faculté de l'ame feule , ou bien la
plusaéHve & remuante). Ses effets font ch.if.
merveilleux & eftranges : elle agift non art. 8.
feulement en fon corps & fon ame propre,
mais encore en celle d'autruy : & produit
efFe<5h contraires. Elle faiâ rougir , pallir ,
trembler, tremoufler, trefTuer, ce font les
moindres & plus doux : elle ofte la puif-
(ànce Se l'ufage des parties génitales , voirç
f^O DE LA SAOESSI,
lors qu*il en cft plos beibing, & que Toit
y eft plus afprc , non (eulement à (by-
mefme , mais j, aucruy ; tefmoin les liai-
fons donc le ijhonde eft plein , qui (ont
pour la plu(part impre/Hons de l'apprehen*
£on & de la crainte : & au contraire fans
cSorty (ansobjeâ&cn (bnge, elle aflbuTid:
les amoureux defirs , faiâ changer de feze ;
teûnoin Lucius Coffitius , que Pline di<^
avoir veu eilre changé de femme en hom<
me le jour de fes nopces , 8c tant d*autres :
marque honteufement , voire tue & avone
le fruiâ dedans le ventre : faiâ perdre la
parole , & la donne à qui ne Ta jamais
eue, comme au fils de Crefus : ode le
mouvement, fentiment, relpiration. Yoylà
au corps. Elle ùàô: perdre le fens , la cog-
aoiâance, le jugement : £ût devenir fol &
infenfês tefmotn Gallus Vibius, qui pour
avoir trop bandé fon efprit à comprendre
Teffence & les mouvemens de la felie,
difloca & dcfnoua (on jugement fi qu'il ne
k peuft remettre : faiâ deviner les chofes
fccrettes & à venir, & caufe les enthou*
fiafmes, les prediéHons & merveilleufes
inventions , & ravit en ezufc : réellemene
LIVRE I. CHAP. XVIII. I^t
tue & £û£t mourir s cefmoin celui à qui
l'on desbanda les yeux pour luy lire fa
grâce , & fuft trouvé roide mort fur Tef-
chafaut. Bref c'cfl d'elle que vient la pluf-
part des chofes que le vulgaire appelle mi-
racles , vifîons » enchantemens. Ce n'e£b
point le diable ny Triprit , comme il penfe,
mais c*eft l'ef&â de l'imagination ou de
celle de l'agent qui faiâ telles chofes , ou
du patient & fpeâateur qui penfe voir ce
qu'il ne voit point.
Encefte partie fe tient & loge Itopinion,
qui eft un vain & Icger , crud & impar-
fai(^ jugement deschofes , tiré 8c puifé des
fens extérieurs, '& du bruiâ commun &
vulgaire , s'arreftant & tenant bon en l'i-
magination y & n'arrivant jamais jufques à
l'entendement , pour y eftre examiné , cnïéJt
& elabouré, & en eftre faiâ rai&n, qui eft
un vray , entier & folide jugement des
chofes : dont elle eft inconftante , incer-
-tsûne, volage , trompeufe , un très mau-
vais ôc dangereux guide, & qui faicb tefte
à la raifon, de laquelle elle eft une ombre
6c image, mais vaine & faulfe : elle eft
mcre de tous maux » confuiîons» defordres :
Xyt DE LA Sagesse»
d'elle viennent toutes paffions & les trovL"
blés i c*e(l le guide des fols , des fots , do
vulgaire , comme la laifon des fages Se
habiles.
, '- Ce n*eft pas la vérité, ni le naturel des
Le mon- . '^ , . . ^ ,,
de eft choies qui nous remue & agite amùl ame,
mené |.»çft l'opinion félon un dire ancien : Les
Sî^nT hommes font tourmentés par les opinions
qu'ils ont des chofes , non par les chofes
mcQnes : opinione fâpius quant re Ltbora-
' mus : plura funt quA nos tenent quant quâ.
premunt. La vérité & l'efbre des chofes
nVentre ny ne loge chez nous de foy-mef-
me, de fa propre force & authorité : s'il
eiloit ainfi , toutes chofes feroient receuës
de tous» toutes pareilles & de meûne façon,
fauf peu plus , peu moins > tous feroient
de mefine créance : & la vérité qui n'eft
jamais qu'une & uniforme, feroit embraf-
fée de tout le monde. Or il y a fi grande
diverfîté , voire contrariété d'opinions par
le monde , & n'y a chofe aucune de la-
quelle tous foient généralement d'accord,
pas mefmes les fçavans & les mieux nais :
qui monftre que les chofes entrent en
nous par compofition , fe rendent à noftrc
LIVRE I. CHAP. XVIII. 19$
nkicy & dévotion , & logent chez nous
comme il nous plaid, félon Thumeur &
la trempe de noftre ame. Ce que je crois »
je ne le puis faire croire à mon compagnon :
mais qui plus eft, ce que je crois aujour-
d'hui fi fermement, je ne puis refpondrc
^ue je le croiray encore aind demain s voire
il eft certain que je le trouveray & jugeray
tout autre & autrement une autre fois« Cer*
tes les chofes prennent en nous telle place »
tel gouft& couleur que nous leur en don-
nons, & telle qu'elle eft la conftitution
interne de Tame : omnîa nuinda mundis ,
immunda immundis» Comme les accouftre*
mens nous efchaufent , non de leur cha-
leur , mais de la noftre qu'ils confervent ,
comme aulC ils nourriflènt la froideur de
la neige & de la glace , nous les efchaufbns
premièrement de noftre chaleur, & pais
en recompenfe ils nous confervent la nof-
tre.
Prefque toutes les opinions que nous
avons , nous ne les avons que par autho-
rite : nous croyons, jugeons, agiffons, vi-
vons , & mourons à crédit , félon que l'u-
£ige public nous apprend: & faifons bien ,
Tom€ I. R
t^4 delaSagessc,
1. 1. c. I. car nous fommes trop foibles pour juger fc
cfaoifir de nous-me&ies : mais les fages ne
font pas ainû, comme fera diék..
Volonté,
CHAPITRE XIX:
T. La volonté eft une grande pièce de très
nencTôc grande importance, & doibt Thomme eftu-
impor- dier fur tout à la bien reigler ; car d'iccllc
Stolon- ^^P^*^^ prcfquc tout fon eftat & fon bien :
té. elle fcule eft vrayemoit noftre & en noftre
Compa- puifTances tout le refte, entendement, me-
d'icelis moire , imagination , nous peuft eftre ofté, .
*/^^ altéré , troublé par mille accidens , & non
demcût. ^ volonté. Secondement c*eft elle qui en-
traîne & emporte Thomme tout entier :
qui a donné fa volonté n'eft plus à foy, &
n*a plus rien de propre. Tiercement c*eft
celle qui nous rend & nous dénomme bons
ou mefchans, qui nous donne la trempe
& la tcin<^ure. Comme de tous les biens
qui font en l'homme , la preud'hommie eft
le premier & principal, & qui de loinpaffe
U fcience, rbabilicé> aofG faut-il dire que
LIVRS L CHAP. XIX. ï^$
la volonté od loge la bonté & vertu eft la
plus excellente de toutes : & de ùtiék pour
entendre & (çavoir les belles , bonnes &
honneftcs chofes , ou mefcliantes & des-
lionneftes , l'homme n*eft bon ny mef-
chant, bonnette ny deshonnefte , mais pour
les vouloir & aymer : Tentendement a bien
d'autres prééminences s car il ef): à la vo-
lonté comme le mary à la femme , le gui*
de & flambeau au voyageur, mais en celles
icy il cède à la volonté.
La vraye difierence de ces Ëicultez eft en
ce que par l'entendement les chofes entrent
enTame, & elle les reçoit, comme portent
les mots d'apprendre, concevoir, com«>
prendre, vrays offices d'icelui : & y entrent
non entières & telles qu'elles* font, mais
à la proportion , portée & capacité de l'en-
tendemcnt , dont les grandes & hautes fc
racourciffent & abaiflent aucunement par
cefte entrée , comme l'Océan n'entre tout
entier en la Mer Méditerranée , mais à la
proportion de l'emboucheure du deflroit
de Gibraltar. Par la volonté au contraire ,
l'ame fon hors de foy & va fe loger & vi*
yre ailleurs en la chofc aimée, en laquellç
Rij
i^if DE lA Sagesse»
elle fe transforme, & en porte le ncnn, te
tîltre & la livrée, eftant appeUée yertueufe »
vitieufe, fpirituelle, chamelle; dont s'en-
fuit qoe la volonté s'anoblit ay mant les cho-
fes dignes 6c hautes , s'avilit s'adonnanc
aux moindres & indignes-, comme la fem-
me félon le party 6c mary qu^elle prend.
L'expérience nous apprend que trois cho-
Tes e{gui(ènt noftre volonté, la, difficulté»
hjs^cté & l'absence, ou bien craince de
perdre lachoiie; comme les trois contraires
la relafchcnt, Taifance, l'abondance ou fa-
tieté , & l'aifiduelie prefence & jouyflanee
afTeurée : les trois premiers donnent prix
aux chofes, les autres trois engendrent
mefpris. Noftre volonté s'efguife par le
çontrafle, (c defpite contre le defhy: au
rebours noflre appétit mefprife & outre-»
pafTe ce qui luy efl en main, pour courir à
ce qu'il n'a pas , Quod licet ingratum eft »
quod non licet acrius urit ; voire cela fe
voit en toutes fortes de voluptcz. Omnium
rcrum voluptas ipfo quo débet fugari pericu^
loy crejcit. Tellement que les deux extremis
tés, la Ëiulte & l'abondance, le defir & la
jouyfTance , nous mettent en mefîne peine ^
t^THE I. CHAP. XI-X: J97
f ela faiâ que les chofes ne font pas efUmées
juftement comme il faut, & que nul pro-
phète en fon pays.
Comment il faut mener & reigler fa vo- l. t. ch*
lontc Ce dira cy après. *k ^' ' '
Cil* w»
— i— ii— i^— ■ I I I I ■ I II ■ ■ ■ » ■■ ■ > ■ Il I ■
PASSIONS ET AFPECTIONS.
ADVERTISSEMENT.
La matière des paflions de Tefprit eft très-
grande & plantureufe, tient un grand lieu
en cefte. dodrine de la fagefTe : à les fça-
voir bien cognoiflre & diftinguer , ce qui
fe fera maintenant en ce livre : aux remè-
des de les brider, régir & modérer gène- l. i.ch.
raux, c*eft pour le fécond livre : aux reme- «• & 7.
des particuliers d'une chafcune au troifief- vernis*
ine livre , fuyvant la méthode de ce livre de force
mife au pre&ce. Or pour en avoir icy la cog- pcj^ncc.
noiflance nous en parlerons premièrement
en gênerai en ce chapitre, puis paniculie-
rementdechafcuneaux chapitres ruyvans.£c
n*ai point veu qfti les defpeigne plus naïfve-
menc & richement que le fieur du Vair en
Tes petits livrets moraux, defquels je me
fuis fort fervy en cefte matière padionnée.
Ift D E L A s A 6 E s s C,
— — ^— — i ■ ■ Il I ■ I ^
Des Papons en gênerai.
CHAPITRE XX.
1. ^ Pa s s I on cft un mouvement violent it
tkm*d<f * ^'^""^ ^^ ^* partie fenfîtive, lequel fc £û€t ouf
paffion. pour fuy vre ce que l'amc penfe luy e(be
bon , 0u pour fuyr ce quelle penfe luy eftre
mauvais.
2, Mais il eft requis de bien (çavoir com-
ment fe font ces mouvements, & comment
ils nai(renr& s'efchaufent en nous^' ce que
Ton peuft repre(ènter par divers moyens &
comparaifons, premièrement pour le regard
de leur efmotion & impetuofité. L'ame, qui
n*eft qu'une au corps, a plufieurs & très di^
verfes puifTances^ félon les divers vaiiTeaux
Oii elle eft retenue , inftniments defquels
elle fe fert , & objeâs qui luy font propo-
fez. Or quand les parties oii elle e(l enclo-
fe , ne la tiennent & occupent qu*à propor-
tion de leur capacité, & félon qu'il eft ne«
ceflaire pour leur droiél ufage , fos eSèâs
font doux , bénins & bien reiglez : mais
quand au contraire fes parties prennent plus
de mouvement & de chaleur qu'il ne leur
t I y R E I. C HA P. XX. lÊ^f
en &ut, elles s'altèrent & deviennent dom-»
mageabless comme les rayons du foleil» qui
Vaguans à leur naturelle liberté efchaufent
doucement & tièdement 3 s'ils (ont recueil^
lis & remis au cr6ux d'un miroir aident ,
bruflent 8c confumencce qu'ils avoient ac-
couflumé de nourrir & vivifier. Au reftc
dles ont divers degrez en leur force & cC-
motion, & font en ce diflinguées par plus
~& moins : les médiocres (è laiflent goufter
éc digérer, s'expriment par paroles & par
larmes s les grandes & eïtremes eflonnent
toute Tame , Taccablent & luy empefchent
la libené de Tes aâions : curd Uves loquatt'*
luKs ingénies ftuptnté
Secondement pour le regard du vice , ^, .
defrcislement & injufHce qui eft en ces ^^ ^^^^
a- ^ X ^ y vice 8c
paillons , nous pouvons a peu près compa- ^cfrci-
Irer l'homme à une republique , & l'eftat de glemeac»
Tamc à un eftat royal, auquel le (buve-
rain pour le gouvernement de tant de peu-
ples a des magiftrats , aufquels pour l'e-
tercice de leurs charges il donne loix & rei-
glemens, fe refervant la cognoifTance des
plus grands & importans accidens. De ceft
ordre dépend la paix & profpcrité de VcC-
tOO D E I. A s A CE S S E»
rat : aa contraire , fi les magiftrats , qui
(ont comme mitoyens entre le prince êc
le peuple, fe laifient tromper par £icilité^
ou corrompre par faveur, ^ que (ans der
ferer à leur {buverain,*& aux loiz par iuy
cftablies » ils employent leur authorité à
l'exécution des affaires, ils rempliifent tout
de defordre & confufion. Ainfi en l'homme
l'entendement eft le fouyerain , qui a foubç
foy une puiilance eftimative & imagina*
tive comme un magifbat pour cognoiftrç
& juger par le rappon des fens, de toute$
chofes qui fe prefenteront, & mouvoir nos
affcâionspour l'exécution de fes jugemens.
Pour fa conduire & reiglement en l'exer-*
cice de fa charge, la loy & lumière de na-
ture Iuy a efté donnée : & puis il a moyen en
tout doubce de recourir au confeil de (onfu-
perieur & fouverain , l'entendement. Yoylà
l'ordre de fon eftre heureux > mais le mal-*
heur eft, que ceftepuiifance qui eft au def^
foubs de l'entendement , & au deffus des
fens, à laquelle appanient le premier juge-»
ment des chofes, fe laiffe la plufpan du
temps corrompre ou tromper , dont elle
juge mal & témérairement, puis elle manie
t I V R E L C H A p. X X. 101
& remue nos afFeâions mal à propos & nous
remplit de trouble & d'inquiétude. Ce qui
trouble & corrompt cefte puifTance, ce (ont
premièrement les fens, leCqueis ne com-
prennent pas la yraye & interne nature des
chofes, mais feulement la £ice & forme ex*
terne, rapportantàramerimagedeschofes,
avec quelque recommandation favorable ,
ic quafî un préjugé de leurs qualitcz, félon
qu'Us les trouvent plaifans & agréables à
ieur particulier , & non utiles 6c neccfTaires
au bien univerfel de l'homme : puis s'y
mede le jugement fouvent £iuls & indifcret
du vulgaire. De ces deux fauls advis & rap-
ports des fens & du vulgaire , fe forme en
l'ame une inconfiderée opinion que nous opinion,
prenons des chofes , qu'elles font bonnes ou
mauvaifes, utiles ou domageables, à fuy-
vre oufuyr : qui efl certainement une très-
dangereufe guide , Se téméraire maiftreâe :
car au(fî-tofl qu'elle efl: conceuë , (ans plus
rien déférer au difcours & à l'entendement,
elle s'empare de nofbre imagination , &
comme dedans une citadelle, y tient fort
contre la droite raifbn, puis elle defcend
cnnoftre cœur & remue nos af{è£Hous,avcc
101, DE LA Sagesse,
lies mouvemens violens d'efperance , de
crainte , de triftciTe , de p]ai£r s bref £dâ
ibublever tous les ibis & feditieox de Taine,
qui font les paflions.
Je veux encore déclarer la meCne cLofe,
par une autre fîmilitude de la police militai^
re. Les (ens font & fentinelles de Tame ,
Veillans pour fa confervation , & mcfTagers
ou courriers , pour fervir de minîftres &
inftrumens à Tentendement» partie fbuve-
raine de Tame : & pour ce faire ils ont receu
puiilànce d*apperceyoir les chofes , en tirer
les formes, & les embraflcr ou rejctter,
félon qu*elles leur fçmblent agréables ou
fafcheufes, & qu'elles confcntent ou s'accor-
dent à leur nature : or en exerçant leur char-
ge , ils fe doivent contenter de recognoiftre
Si donner advis de ce qui fe pafTe , fans
vouloir entreprendre de remuer les hautes
& fortes puifTances , & par ce moyen mettrç
tout en allarme & confu(îon. Ainfî qu'en
une armée fouvent les fentinelles , pour ne
fçavoir pas le deffein du chef qui comman-
de, peuvent efbre trompez, & prendre pou|:
fecours les ennemis defguifez qui viennent
^.eux, ou pour çançmis ceux qui yiemiea);
1 I V R E I. C H A P. XX. lOf
„ à leur fecours : auffî les fens pour ne pas
comprendre tout ce qui eft de la raifon font
fouvent deçeus par l'apparence, & jugent
pour amy ce qui nous e(l ennemy. Quand
fur ce penfement , & fans attendre le com-
mandement de la raiCbn, ils viennent à
remuer la puiiTance concupifcible & Tiraf-
^ cible , ils font une fedition & un tumulte en
noflre ame , pendant lequel la raifon n*y eft
point ouyc , ny Tentendement obey.
Voyons maintenant leurs rcgimens, leurs" 4.
rangs, genres & efpeces. Toute pafllon s*cC- j-^ ^j^I
meut fur l'apparence & opinion ou d'un paffîons
, bien ou d'un mal : fî d'un bien , & que p ^^.^^
l'ame le coniîdere tel tout fîmplement , ce & le fub-
mouvement s'appelle amour 5 s'il eft prefent \^^' ^"
** \ la concu-
& dont l'ame jouyfle en loy-melme-, il s'ap- pifciblc ,
pelle plaifîr & joye; s'il eft à venir, s'appelle ^^ > 3 «de
defîr : /î d'un mal, comme tel fîmplement, 3. de
c'cft haine > s'il eft prefent en nous-mefmes, "^^'
c'eft triftefle & douleur 5 fi en autruy, c*cft
pitié 5 s'il eft à venir , c'eft crainte. Et cel-
les*cy qui naiifent en nous par l'objeâ: du
mal apparent, que nous fuyons & abhor-
rons, defcendent plus avant en noftre cœur,
& s'enlèvent plus difficilement. Voyl^ la
104 ^ ^ ^ ^ Sagesse,
première bande des feditieux qui troublent
le repos de noflre ame, fçavoir en la panie
concupifcibles defquels encore que les ef-
feâs foient très-dangereux. Ci ne font ils pas
il violens , que de ceux qui les fuyvent :
car ces premiers mouvemens-là , formez
en cette partie par Tobjed qui fe prefen-
te 9 pallènt incontinent en la partie irafci-
ble, c*eft-à-dire, en cett endroiâ oii Tame
cherche les moyens d'obtenir ou efviter ce
qui luy femble bon ou mauvais. £t lors tout
ainfi comme une roue qui ettdefiaesbranlée
venant à recevoir un nouveau mouvement ,
tourne de grande vitefTe , auffî l'ame defîa
efmuë de la première apprchenfion, adjouf-
tant un fécond eftbn au premier, fe manie
avec beaucoup plus de violence qu'aupara-
vant, & (bubleve des pallions bien plus pui{^
£n ri- fautes & plus difficiles à dompter ^ d'autant
cLq i 1. ^*i'clles font doubles, & ja accouplées aux
du bien premières, fe liant & fouftenant les unes les
mal* **i^re* P^ *"^ mutuel confcntcmcnt; caries
premières qui fe forment fur l'objeâ du
bien apparent, eotrant en confideration des
moyens de Pacqucrir , excitent en nous ou
Tefpoir ou le defefpoir. Celles qui fe for*
ITV RE I. C H A p. XX. lOf
ment furrobjedldu mal à venir, font naiftrc
ou la peur , ou au contraire l'audace : du
mal prefent , la cholcrc, & k courroux ,
Icfquclles paflîons (ont cftrangement vio-
lentes , & renverfent entièrement la rai(on
qu'elles trouvent défia esbranlée. Voylà les
principaux vents d'oii naiflcnt les tempef-
tes de noftre ame : & la caverne d'où ils
fortent n'eft que Topinion (qui feft ordi-
nairement faulfe , vague , incertaine , con-
traire à nature, vérité, raifon, certitude)
que Ton a, que les chofes qui fe prefentent
à nous » font bonnes ou mauvaifcs : car les
ayant appréhendées telles , nous les recher-
chons ou fuyons avec véhémence, ce font
nos paflîons.
DES PASSIONS EN PARTICULIER.
ADVERTI5SEMENT.
Il fera traî<5té de leur naturel, pour y voir ^^ , ^^
la folie, vanité, mifere, injuftîcc, 8c lai- vertus
dcur, qui eft en elles, afin de les cognoiftre g^ ^^^^
Se apprendre à les juftement hayr. Les advis perance.
pour s'en garder feront aux livras fuyvans 5
ce (ont les deux parties du médecin , deda-
Tom€ L . S
10^ DE LA SAGESSe,
rerla maladie, & donner les remèdes. Voyd
les maladies de re(pric. Au refte nous parle-
rons icy premièrement de coures celles qui
regardent le bien apparent » qui (ont amour
» & fes eljpeces , deiîr , efpoir, defefpoir , joie;
! ^ puis toutes celles qui regardent le mal,
I qui (ont pluûeursj cholere» hayne, envie,
I jalouiîe , vengeance , cruauté » crainte , trif-
I teiTcsCOippaâion.
De r Amour en gênerai,
CHAPITRE XXI.
Diftinc- 1*^ première maJ&rcSc&i capitale de tou*
tjon de tes les paflîons eft l'amour , qui eft de divers
te com- fubjeds , & de diverfes fortes & degrcz. Il
parai, y en a trois principaux , aufquels tous fe rap-
poitent> (nous parlons du vitieux 6c paf-
(ionné ; car du vertueux', qui eft amitié, cha»
rite , dileâion ^ fera parlé en la vertu de la
Liv. 5. juftice } ) fçavoir l'ambition ou fuperbe ,
qui eft Tamout de grandeur & honneur > l'a-
varice , amour des biens 5 & l'amour volup-
tueux & charnel. Voylà les trois goulphcs «c
précipices d'où peu de gens fç fauvent, les
LIVRE L CHAP. XX I. 107
crois peftes & corruptions de cour ce qu'a-
vons en nâaiement , efprit , corps , Se biens;
les armeures des troîscapiuilx ennemis du
faluc & repos hiunain, le diable, la chair»
ie monde. Ceroncàla rericé croîs puifiànccs
les plus commune^ & unirerfelies pallions»
dont TApoftre a parcy en ces croîs tout ce
qui cfl au monde ; Omne quod efi in matt'
4ioy concupifientiu camis €ft,& concupifdn"
eia oculomm » fffuperbia v/V«. L'ambition
comme rpiricuelle eft plus noble èc hau-
taine que les autres; L*âmoar voluptueux
comme plus natovel & oniver&l, ( car me(?
me ^uz belles on les autres ne fe trouvent
point ) il eft plus violent & moins vitieux \
j e dis violent tout finalement , car quel-
qaesfbis Tambicion l'empone : mais c'eft
tine maladie particulière ; Tavarice eft laplus
fotte & maladive de couces.
De l* Ambition,
CHAPITRE XX IL
1/ Ambition ( qui eft une faim d'honneur i.
& de gloire , un dcfîr glouton , & exceflif ?"]["'?'
4c grandeur ) eft une bien douce paffion qui
Sij
A08 BE X.A SaGISSE,
fc coule aifément es efprtts plus ^cncràa,
Se ne s'en tire qu*à peine. Nous penfons
devoir embraifer le bien » Se entre les biem
nous eitimons rhonncur plus que tout s
▼oylà pourqaoy nous le courons à force.
L*ambitieux veuft eftre le piemier> jamais
ne regarde derrière , mais toufiours dey ant»
à ceux qui le précèdent : & luy eft plus grief
d'en laiâer paiTer un devant , qu'il ne prend
de plai£r d'en laiffer mille derrière» tiabet
Scnec. hoc vitium omnis ambitio^ non rejpîciu
^*^- J- Elle cft double , l'une de gloire & hon-
neur, l'autre de grandeur & commande*
menc$ celle-là eft utile au monde, & en
cenains (èns permife, copme il fera diâ^
cefte-cy pemicieufe.
L'ambition a fa femence & fa racine na«
Zft nata- tutelle en nous : il y a un proverbe qui diâ
^* que nature fe contente de peu, & un autre
tout contraire , que nature n'ed jamais
faoule ny contente, toujours defire, vend
monter & s'enrichir, & ne va point feule-
ment le pas , mais court à bride abbatue »
& fe rue à la grandeur & à la gloire. Nar
Tacît. tura nojira împerii eft avîda , Ô* ad impltn^
dam cupiditatemprAceps^ £t de force qu'ils
tl VUE I. C HAP. XXIl. 10^
courent, (buvenc fe rompent le col, comme
tant de grands hommes à la veille & fur l;e
poinâ d'entrer Se jouir de la grandeur qui
leur avoit tant coufté s c'eft une paflîon
naturelle , très puifTante , & enfin qui nous
lai/Te bien tard , dont quelqu'un l'appelle la
chemife de l'ame; car c'eft le dernier vice
duquel elle fe defpouille. Etiam fapzenti*-
eus cupido glorÎA nwijjpma exuitun
L'ambition , comme C'eft la plus forte & 3 .
puifTante paffion qui fbit , ftufE eft-elle la ^ J?*^^*
plus noble & hautaine ; fa force & puiffance maucé.
fe monflre en ce qu'elle maiflrife & fur-
monte toutes autres chofes , & les plus
fortes du monde , toutes autres pafHons 8c
cupiditez, mefmes celle de l'amour, qui
femble toutesfois contefler de la primauté
av^ ccfle-cy. Comme nous voyons en tous Surmon-
les grands, Alexandre, Scipion, Pompée, wnc Ta-
tant d autres qui ont coutageulement
refufè de toucher les plus belles Dames qui
efloient en leur puiffance , bruflant au refle
d'ambition : voire cefle vidèoire de l'amour
fervoit à leur ambition, fur-tout en Cefarj
car jamais homme ne fut plus adonné aux
plaifirs amoureux, & de tout fexe& d«
S»»»
11;
%\0 DE £A SACE9SE»
toutes fortes , teûnoias tant d'exploits , Se
SL Rome & aux pays étrangers , ny aufC
plus foigneux & curieux de fa perfonne :
toutesfoisf ambition l'empoaoit toujours»
jamais les plaifîrs amoureux ne luy firent
perdre une heure de temps qu'il pouvoit
employer à Ton agrandiiTement : l'ambition
tegentoit en luy fonverainement » & le
pofTedoit pleinement. Nous trouvons aa
rebours qu'en Marc Antoine » & autres,
la force de l'amour a fàiét oublier le foin
& la conduire des affaires. Mais quand
toutes deux feroient en efgale balance ,
l'ambition emporteroit le prix. Ceux qui
veulent l'amour plus forte, difent qu'elle
tient à l'ame & au corps , & que tout
l'homme en efl poffedé, voire que la fanté
en defpend. Mais au contraire ilfemble que
l'ambition efl plus forte, à caufe qu'elle eft
toute fpirituelle. Et de ce que l'amour tient
auflî au corps , elle en efl plus fbible, car
elle eft fubjede à fatieté, & puis efl capable
de remèdes corporels , naturels & efbran-^
ges , comme l'expérience le monflre de
plufîeurs, qui par divers moyens ont adou?
cy, voire efleint l'ardeur & la force de
LI y RE L C H A p. XXII. ut
çafte paffion. Mais rambition n*eft capable
de fatieté > voire elle s'eTguife par la jouif*
£mce, & n*y a remède pour l'efteindre;^
eftant toute en Tame mefme & en la raifon.
. Elle vainq auiC l'amour, non feulement ^^ .
de £a fanté , de fon repos , (car la gloire & de fa vie.
le repos font chofes qui ne peuvent loger
enfemble ) mais encore de fa propre vie ,
comme monfbra Agrippina, mère de Néron,
laquelle defîrant & confultant pour faire
Ion fils Empereur , & ayant entendu qu'il
le fèroit, mais qu'il luy coufteroit là vie ,
refpondifl le vray mot d'ambition : Occi^'
dût , modo imperet,
Tiercement l'ambition force toutes les f .
loix , & la confciencc mefme , difant les ^" ^®'**
dod^eurs de l'ambition , qu'il faut eflre par-
tout homme de bien , & perpétuellement
obeyr aux loix , fauf au poinâ de régner ,
qui feul mérite difpenfe, eftant un fi friand
morceau, qu'il vaut bien que l'on en rom-
pe fon jeuCie : Si violandum eft jus , re-
gnandi caufâ violandum efi , in cAterispiC"
tatem colas. ^
Elle foule & mefprife encore la rêve- la reli*.
rence & le refpeâ de la religion , teûnoins ^^^*
I
iti De la Sacessê,
Hicroboam, Malmmet, qui ne fe (bude^
6c permet toute religion, mais qu'il règne:
& tous les Herefiarches, qui ont mieux
aimé eftre chefs de party en erreur & men-
terie , avec mille delbrdres , qu*eftre di£-
ciples de vérité : dont a diâ l'Apoftre» que
ceux qui Te laîiTent embabouiner à cefle
paffîon & cupidité , font nau&age & s*e(ga-
rent de la fby , & s'embarafTent en diver£ês
peines.
-^ Bref elle force & emporte les propres
Force U loîx de natures les meurtres de parens , cn-
nacure. £^^^ ^ frères , font venus de là s tefmoins
Abfalon, Abimelech, Athalias, Romulus,
Seï Roy des Perfes , qui tua fon pcrc &
(on frère, Soliman Turc fes deux freres«
Ain(î rien ne peuft refifter à la force de
Tambition , elle met tout par terre : auflî
efl-elle hautaine , ne loge qu'aux grandes
âmes , voire aux Anges.
Ambition n'eft pas vice ny paffîon de
1(1 paf- petits compagnons , ny de petits & com^
fion hau- niuns efforts , & actions journalières : la re-
laine
. ' nommée & la gloire ne fe proftîtue pas à fi
vil prix^ elle ne fe donne & ne fuit pas les
adions , non feulement bonnes & utiles ,
LIVRE I. CHAP. XXII. 113
mais encore rates, hautes, difficiles, eftran-
ges & inu£tées. Cefte grande faim d'hon-
neur & réputation baiTe & beliftreffe, qui
la fait coquiner envers toutes fortes de
gens, & par tous moyens, voire abjeâs, à
quelque vil prix que ce foit , eft vilaine 8c
honteufe : c'eft honte d'eflre ainfî honoré :
il ne faut point eftre avide de gloire plus
que Ton en cfl capable : de s'enfler & s'ef-
lever pour toute aâion utile Se bonne, c'eft
montrer le cul en hauffant la tefte.
L'ambition aplu£eurs & divers chemins,
& s'exerce par divers moyens. U y a un che- s'exerce
min droiâ & ouvert, tel qu'ont tenu Aie-' ^*^«'^«-
1 /• I «n « Y« ment,
xandre, Celar, Themiitocles, & autres. Il
y en a un autre oblique & couvert que tien-
nent plufîeurs Philofophes & Profeflèurs de
pieté, qui viennent au devant par derrière ^
Temblables aux' tireurs d'aviron, qui tirent
& tendent au pûrt luy tournant le dos. Ils
£c veulent rendre glorieux de ce qu'ils mef-
prifent la gloire. Et certes il y a plus de
gloire à fouler & refufer les grandeurs qu'à
les defîrer & jouir , comme diâ Platon à
Diogenes; & l'ambition ne fe conduiâ ja-
mais miçux félon foy que par une voyç
efgarée & inufitée.
114 De LA Sagesse*
to. C'cft une vrayc folie & vanité cju'ambî-
foii^ ""* tion , car c*cft courir & prendre la fumée
au lieu de la lueur, l'ombre pour le corps,
attacher le contentement de (on efprit à
l'opinion du vulgaire, renoncer volontai*
rement à Ta libeiré pour foivre la palfîon
des autres , fe contraindre à de (plaire à Coy-
mefme pour plaire aux regardans, faire pen-
dre Tes affeâions aux yeux d'aueruy 5 n'ay-
mer la venu <]u'autant qu'elle plaift au vul*
gairc 5 faire du bien non pour l'amour du
bien, mais pour la réputation. C*eftre(Ièm-
bler aux tonneaux qu'on perce : l'on n'en
peuft rien tirer qu'on ne leur donne du vent.
* 2. Uambition n'a point de bornes c*eft un
bie!^*"* gouffre qui n*a ny fond ny rive 5 c'efl le
vuide que les Philofbphes n'ont encore pu
trouver en la nature, un feu qui s'augmente
avec la nourriture que l'on luy donne. En
quoy elle paye juftement Ton maifbe, car
l'ambition eft jufte feulement en cela, qu'elle
fuffift à fa propre peine , & fe met elle-
mefme au tourment. La roue d'Ixion efl le
mouvement de fcs dcfirs , qui tournent &
retournent continuellement de haut en bas»
'$c ne domicnt aucun repos à fon efpnt.
IIVREI. CHAP. XXII. tl'f
Ceux qui veuleut flatter Tambition di- 't.
fent qu'elle fert à la vertu, & eft Un ai- cuf!,"*
guiilon aux belles actions 5 car pour elle on vaines.
quitte les autres vices, & enfin elle-mefme
pour la vertu : mais tant s'en faut , Tambi-
cion cache bien quelquefois les vices, mais
ne les ofle pas pourtant, ains les couve pour
un temps, foubs les trompeufes cendres
d'une malicieufe feintife , avec efperance
de les renâanuner tout à faiâ quand ils au-
ront acquis afTez d'authorité pour les faire
régner publiquement & avec impunité. Les
ferpens ne perdent pas leur venin pour edre
engourdis par le froid ^ ny l'ambitieux fcs
vices pour les couvrir par une froide di/It-
mulation. Car quand il eft parvenu où il
fe demandoit , il hiû fentir ce qu'il eft ^ &
quand l'ambition quitteroic tous Tes autres
vices, fi ne quitte-elle jamais foy-mcfme.
Elle pouffe aux belles & grandes aâions, le
profit en revient au public : mais qui les
faiâ n'en vaut pas mieux s ce ne font oeuvres •
de vertu, mais de padîon. Elle fe targue
aufli de ce beau mot : Nous ne fommes pas
nais pour nous , mais pour le public s les
moyens que nous tenons à monter, & après
litf BE LA Sagesse»
cftrc arrivez aux edats & charges , monf-
trent bien ce qui en eft : que ceux qui font
en la danfe fe battent la confcience, &
trouveront qu'il y a autant ou plus du par-
ticulier que du public.
Advis & remèdes particuliers contre ce
mal feront Liv. 5 , Chap. 4>i.
De t Avarice & fa contraire pajpon.
CHAPITRE XXIIL
A T M E R & af&âionner les richeffes, c'eft
Qu'cft* ^y2Lnct 5 non Teulement Tamour & TafFcc-
tion, mais encore tout (oing curieux entour
les richefTes, fent Ton avarice , leur difpen-
fation mefme) & la libéralité trop attcn-
tifvement ordonnée & artificielle ; car elles
ne valent pas une attention , ny un foing
pénible.
i. Le defir des biens & le plaifir à les pofle-
dér , n'a racine qu*en Topinion ; le defrci-
glé defir d'en avoir eft une gangrené en
noftre ame , qui , avec une vcnimeufe ar-
deur, confomme nos naturelles afFeâions
pour nous remplir de virulentes humeurs*
T
ce.
LIVRE I. CHAP. XXIII. 117
Sitoft qu'elle s*eft logée en noftre cœar^
rhonnefte & naturelle afFeâion que nous
devons à nos parens &c amis , & à nous-
mcrmes , s*enfuit. Tout le refte comparé à
noftrc profit ne nous femble rien : nous
oublions enfin & mefprirons nous^meCmes
noftre corps & noflxe elprit pour ces biens; *
Se comme l'on diâ , nous vendons noftre v
cheval pour avoir du foin.
Avarice eft paffion vilaine & lafcbe des j.
fots populaires , qui eftiment les riciiefTes ^°'*'^ ^
comme le fouverain bien de l'homme > & <}ç v^v^-
craignent la poureté comme fon plus grand ".c« ^^
mal , ne fe contentent jamais des moyens poiaas.
neceflàires qui ne font refufez à pcrfonne ;
ils poifent les biens dedans les balances des
orphevres , mais nature nous apprend à les
mcfurer à Taulné de la necefUté. Mais
quelle folie que d'adorer ce que nature
mefme a mis foubs nos pieds , &caché foubs
terre, comme indigne d'eftre veu , mais
qu'il faut fouler & melprifers ce que le
fcul vice de l'homme a arraché des entrail-
les de la terre, & mis en lumière pour s'en-
tretuer ! In lucem propter quA pugnaremus
txcuùmus : non erub^cimus fumma apud
Tonte /. T
ii8 DE LA Sagesse,
nos haheri , qu€ fuerunt îma terrarum, Ls
future (cmble en la naifTance de Tor avoir
aucimemenc prefagi la mifere de ceux qui
le dévoient aimei : car elle a faiâ qu'es
terres oii il croift, il ne vient ny herbes ,
ny plantes , ny autie chofe qui vaille ,
comme nous annonçant qu'ez esprits oii le
defîr de ce metail naiftra , il ne demeurera
aucune fcintille d*honneur ny de vertu.
Que fe dégrader jufques-là que de fervir &
demourer efclave de ce qui nous doit efbx
Seneca. fubjedl Apud fapzentem divitU funt in
fervitute , apud fiultum in impcrio. Car
Tavare eft aux richefles , non elles à luy ; &
il eft êiiù, avoir des biens comme la fièvre ,
laquelle tient & gourmande l'homme ,
non luy elle. Que d'aymer ce qui n'eft bon,
ny ne peuft faire Thomme bon , voire eft
commun & en la main des plus mefchans
du monde, qui pervenifTent fbuvent les
bonnes mœurs , n'amendent jamais les
mauvaifes, fans lefquelles tant de fages ont
rendu leur vie hcureufe, & pour lefquelles
plufieurs mefchans ont eu une mon mat-
heureufe l bref attacher le vif avec le mon,
comme fàifoit Me^entius , pour le &irc
IIVRE I. CHAP. XXIII. tl9
languir & plus cruellement mourir, rcfprit
avec l'excrément & cfcume de la terre , &
cmbarrafTer fon ame en mille tourmens &
travcrfes qu*ameinc cefte paffion amoUreu-
fe des biens , & s*cmpefchcr aux filets &
cordages du maling, comme les appelle
l*Efcriturc Sainte, qui les defcric fon, les
appellant iniques, efpines , larron du cœur
humain, lacqs & filets du diable, idolâtrie,
racine de tous mauxl Et certes qui verroit
auffi bien la rouille des ennuis qu'engen-
drent les richefles dedans les cœurs, comme
leur efclat & fplendeur, elles feroient au-
tant haïes , comme elles font aymées.
C*eft une autre contraire paffion vitieufc 4'
de hayr & rejetter les biens & richefles , comriif
c'eft refufer les moyens de bien faire , & rc à l'a-
pradiquer plufieurs vertus. Qui ne fçait ^*"^®'
qu'il y a beaucoup plus à faire à bien com-
mander & ufer des richefles que de n'en
avoir point, fe gouverner bien en l'abon-
dance qu'en la poureté ? En ccfte-cy n'y a
qu'une efpece de vertu , qui eft ne ravaller
point de courage , mais fe tenir fcrifte. En
l'abondance y en a plufieurs , tempérance ,
modération, libéralité, diligence, pruden*
Tij
flzo DE LA Sagesse,
ce , &c. Là il n'y a qu'à Te garder; icy il y
a aufli à fe garder, & puis à agir. Qui fe
dcfpottiile des biens, fe defcharge de tant
de devoirs & de difficultez » qu'il y a à bien
8c loyalement fe gouverner aux biens en
leur acquifition , confervatioa , diftribo*
cion , ufage & employs. C'eft donc fuir la
be(bngne ; & leur dirois volontiers : Vous
les quittez , ce n'eft pas qu'ils ne foienc
utiles , mais c'eft que ne (çavez vous ea
fèrvir & en bien ufcr. Ne pouvoir fouifiir
ks richeffes, c'eft piuftoft (bibleflè d'ame
que fageflè , diâ Seneque.
■
De t Amour chameL
CHAPITRE XXIV.
I. C'est une fièvre & furîeufe paflîon que
Elle cft l'jjtnour charnel , & très dangereufe à qui
turelle, s'y lâiflc tranfporter > car ou en eft-il? il
& com- u»gft plus à foy j fon corps aura mille peines
à chercher le plaifir j fon cfprit mille gé-
hennes à fervir fon defir; le defir croiifant
deviendra fiu'eur : comme elle eft naturelle»
auili eft^elle violente & commune à toui »
LIVRE I. CHAP. XXIV. 111
' doâc en fon action elle e{gale & apparie les
fbh & les fages, les hommes & les beftes :
elle abefHft & abrutift toute la fageffe , re-
fblution , prudence, contemplation & toute
opération de Tame. De là Alexandre cog-
noifibit qu'il eftoit mortel, comme auflî du
dormir , car tous deux fuppriment les fa-
cultez de Tame.
La Philofophie fe méfie & parle libre- *•
ment de toutes chofes pour en trouver les a^ioy
caufes, les juger & reiglcr, û faiâ: bien la honwufe
Théologie, qui ell encore plus pudique &
retenue. Pourquoy non , puifque tout eft
de fa jurifdiâion & cognoiflance ? le foleii
cfclaire fur les fumiers fans en rien tenir
ou fentir : s'cfïàroucher ou s'ofFenfer des
paroles, eft preuve de grande fbiblefTe, ou
d'eftre touché de la maladie. Cecy foitdi<3:
pour ce qui fuit, & autres pareils s'il y en a.
Nature d'une jpart nous pouffe avec vio-
lence à cefte aâion : tout le mouvement
du monde fe refoult & fe rend à ceft ac-
couplage de maÛe & de femelle , & d'au-
tre pan nous laiffe accufer , cacher, & rou-
gir pour icelle, comme infolente , deshon-
nefte. Nous l'appelions honteufe, & les
lit 1ȣ lA SaOSSSS,
parties qui y (erveat honceafes. Pourqfïoy
donc tant honteu(è, puii^ue tant natiuelic,
flc ( fc tenant en Ces bornes ) û juftc , légi-
time, nece/Taire , & que les befbes fonr
ticemptes de cefle honte? Eft-ce à eaufe de
la contenance qui femble laide ? Pourquoy
laide, puifque naturelle i au pleurer , rire ,
mafcher, baailler, leyi(age Te contrefaiâf
encore plus. Pour fervîr de bride & d'arreft
à une telle violciice? Pourquoy donc na-
ture caufc-elle telle violence? Mais c*eftaa
contraire , la honte fert d'aiguillon & d'al-
lumette. Â caufe que les inilnunens d'i-*
celles Te remuent fans noflre confenrement^
voire contre noftre volonté ? Pour ceftc rai-
fbn auffîles beftes en devroient avoir honte:
& tant d'autres chofes fe remuent de (by-
mefmes en nous fans noUre confentement,
qui ne (ont vitieufes ny honteufes , non
feulement incernes & cachées , comme 1«
pouls & mouvement du cœur , artères »
poulmons , les outils & panies qui fervent
à l'appétit du manges, boire, de(chargcr
le cerveau , le ventre , & font leurs coin-
-prefltonsÀ dilatations outre & fouvent coq"
tre noftre advis & volonté , tefmoin les
tlVRE I. CHAT. XXtV. iij
cftemuemens , baaillemens, faigûées» lâr«
tnes, hoquets & fluxions , qui ne font de
xioûtc liberté ^ refpric qui oublie , fc fou*
vient, croit, mefcroit, & la volonté medne
qui veufl fbuvent ce que nous voudrions
qu'elle ne vouluft pas : mais externes &
apparentes 5 le vifage rougift, pallift, hlcC-
miil, le corps engrai^e & amaigrid, le poil
grifonne , noircift , bknchifl , croifl , fe
jberifTe, la peau â-emift, fans & contre noflre
confentement* A caufe qu'en cela Te moaC-
tre plus au vray la poureté & foiblefTe hu-
fliaine ? Si faiiSb-elle au manger , boire, dou-
Joir, lalTer, fe dcfctarger, mourir, dont
l'on n'a pas de honte. Quoy que foit, l'ac-
tion n'eft aucunement en fby & par nature
honteufe; elle eft vrayement naturelle, &
txon la honte , tclmoin les bcftes : que dis*-
je les beiles ! la nature humaine , diù. la
Théologie, fe maintenant en fbn premier
originel eftat, n'y eufl fenty aucune hontes
comme de faiâ , d'od vient ]a honte que
de fbiblefle, & la foibleile que du péché ,
n'y ayant rien en nature & de foy honteux ?
Cefte aâion donc en foy & fîmplement ^
prinfe n'eft point honteufe ny vitieufe , En quel
114 i>c l'A Sao£sse,
fensvi- puifque naturelle ôc corporelle, non plus
**«""• que les autres pareilles aéHons : mais ce qui
la faid tant dcfcrier eft que très rarement
y elk gardée modération, & que pour Ce
faire valoir & parvenir à fes exploits , elle
fai<^ de grands remuemens , fe fert de très
mauvais moyens j & entraine après , ou
bien faid marcher devant, grande fuite de
maux , tous pires que Tadion voluptueufe :
les defpens montent plus que le principal ;
c*cft pefcher , comme Ton àiék , en filets
d'or & de pourpre. Et tout cela eft pure-
ment humain ^ les beftes qui fuivent la (im-
pie nature font nettes de tout ce tracas :
mais l'an humain d'une part en faiâ: un
grand guare , guare > plante à la ponè la
honte pour en defgouter : d'autre part y
cfchaufe & efguife Tenvie, invente, re-
mue, trouble, & renverfe tout pour y ar-
river ( tefmoin la poëfie qui ne rit point
comme en ce fubjeâ , & Tes inventions
font moulTes en toute autre chofe ) & trou-
ve meilleure toute autre entrée que par la
porte & légitime voye, & tout autre moyen
efcarté , que le commun du mariage.
Advis & remèdes particuliers contre ce
vice font auLiv. 3. Chap. 41.
LIVUK I. CHAP. XXV. llf
Defirs , cupîdite:i^,
CHAPITRE XXV.
I L ne naift & ne s*dlcvc point tant de flots , . '%
1. t 1 11/- Abyfmc
& d ondes en la mer ^ comme de délits au iniîny de
cœur de rkomme> c*eft un abyfme, il eft defirs.
in£ny , divers, inconftant , confus & irre-
foiu , fouvent horrible & detefiable , mais
ordinairement vain & ridicule en Tes defirs.
Mais avant toute œuvre, ils font bien t.
* à diftinguer. Les uns font naturels , ceux- p^^^"
cy font juiles & légitimes » font mefmes defirs.
aux beftes , font limitez & courts, l'on en
voit k bout, félon eux perfonne n*e(l indi-^
gent , de ceux-cy fera parlé cy-aprcs au
long , car ce ne font à vray dire payions.
Les autres font outre nature, procedans de Naturels
aoftre opinion & fentafîe , artificiels , fu- "^^^^**"
perflus , que nous pouxons , pour les dif- c. 6.
tinguer par nom des autres , appeller cu-
piditcz. Ceux-cy font purement humains , Non na-
les beftes ne fçavent que c*eft , Thomme ^"'cls.
feul eft defreiglë en fes appétits , ceux-cy
n'ont point de bout , font fans fin , ce n'eft
que confufion. Naturalia dejtderia finita senec»
11^ SE LA SaGESSK,
funt: ex faîfa opinione nafcentia^ ubi défi-
nant non habent : nullus enîm terminus
falfo eft. Via euntî aliquid extremum efi ,
trror immenfus efl. Dont félon eux pcr-
fbnne ne peuft eftrc riche & content. C*eft
d'eux proprement ce que nous avons èîGt
au commencement de ce chapitre , & que
nous entendons icy en cefte matière des
partions. Ceft pour ceux-cy que Ton fuc
& travaille, ad fupervacua fudatur ^ que
Ton voyage par mer & par terre , que Ton
guerroyé , que Ton fe tue , Ton fe noyé ,
l'on fe trahift. Ton fe perd, dont a efté
très bien diâ , que cupidité efloit racine de
tous maux. Or il advient fouvent (juftc
punition ) que cherchant d'affouvir fes eu-
piditez & fe faouler des biens & plaifirs de
la fonune, Ton perd & Ton fe prive de ceux
de la nature s dont difoit Diogenes à Ale-
xandre , après avoir refîifé (on argent, que
pour tout bien il fe retiraft de fon foleÛ.
*^#^
LIVRE I. CHAP. XXVI. 117
EfpoÎKy Defefpoir,
CHAPITRE XXVI.
Les defîrs & cupiditez s'efchaufent & re-
doublent par l*efperaace , laquelle allume
de Ton doux vent nos fols defîrs , embrafe
en nos efprits un feu d'une efpaiiTe fumée,
qui nous esblouit l'entendement , & em-
portant avec foy nos penfées , les tient pen-
dues entre les nues , nous faiâ fonger en
veillant. Tant que nos efperances durent ,
nous ne voulons point quitter nos defîrs y
au contraire quand le defe fpoir s'eft logé
chez nous, il tourmente tellement noftre
ame de l'opinion de ne pouvoir obtenir ce
que nous defîrons , qu'il faut que tout luy
cède , & que pour l'amour de ce que nous
penfons ne pouvoir obtenir , nous perdions
mefme le refte de ce que nous poiTedons.
Celle pafllon efl femblable aux petits en-
^ns qui par defpit de ce que l'on leur ofle
un de leurs jouets y jettent les autres de-
dans le feu ; elle fe fafche contre foy-mef-
ine, & exige de foy la peme de Ton mal^
I.
iiS delaSagesse, \
heur. Après les paiCons qui regardent le |
bien apparent, venons à celles qui regat- I
dent le mal. i
De la ChoUre,
CHAPITRE XXVII.
L A cholere cft une iblle pa(fion qui nous
Defcrip- poulTe enticrcmenc liors de nous , & qui
"°'** cherchant le moyen de repouiTer le mal qui
nous menace » ou qui nous a défia atteint,
faiâ bouillir le fang en noftre cœur, &
levé des furieufes vapeurs en nofbe efprit,
qui nous aveuglent & nous précipitent à
tout ce qui peufl: contenter le defir que
nous avons de nous venger. C*eft une courte
ri^e , un chemin à la manie s par fa prompte
impetuofité & violence , elle emporte ^
furmonte toutes paffions : repentina & uni'
verfa vis ejus eft,
^^ Les caufes qui difpofent à la cholere.
Ses cau^ font fbiblefTe d'efprit, comme nous voyons
*^ par expérience les femmes, vieillards , cn-
fans, malades eftre plus choleres. Invalidum
Qtnne naturâ querulum efi, L*on fe trompe
LIVRE I. CHAP. XXVII. 11^
de penfer qu'il y a du courage oii y a de là
violence 5 les mouvemens violcns reflcm-
blent aux efforts des enfans &des vieillards,
qui courent quand ils penfent cheminer ;
il n'y a rien fî foiblc qu'un mouvement deG»
reiglé, c*eft lafcheté & fbiblefle que fc cho-
lerer. Maladie d'efprit qui le rend tendre
& facile aux coups > comme les parties ul-
cérées au corps , oii la fanté intereffée s'ef-
tonne & blefTe de peu de cho£e : nufquam
fine querelâ dgra taitguntur; la perte d'un
«ienier , ou romilfîon d'un gain , met en
cholere un avare y un rire , ou regard de fa
femme , courrouce un jaloux. Le luxe , la
vaine delicateffe , ou amour particulier ,
qui rend l'homme chagrin & de^iteux , le
met en cholere , pour peu qu'il luy arrive
mal à propos : nulla res magis imcundiam
alit quûm luxuria, Ceft amour de petites
chofes , d'un verre , d'un chien, d'un oy-
Teau , cil une efpece de folie qui nous tra-
vaille & nous jette fouvent en cholere. Cu-
fiofîté trop grande. Qid nimts inquirit,
feipfum inquiétât : c'eft aller queftcr, &
je gayeté de cœur fc jetter en la cholere »
fans attendre qu'elle vienne. S^pe ad nos
Tome U V
&50 i>E tA Sagesse,
ira venit , /Ipius nos ad illam. Légèreté à
croire le premier venu. Mais la principale
& formelle , c'eft Topinion d'cftre mcfpri-
(éySc autrement traiclé que ne devons , ou
de faiâ ou de parole & contenance; c*eft
d'où les cholcrcs fe prétendent juftifîer.
). S^ fignes & lymptomes font très mani*
g^ç " ' feftes , & plus que de toute autre padîon , &
fi eftranges qu'ils altèrent & changent Teftat
entier de la perfonne , le transforment &
défigurent : ut fit difficile utrum magis de*
teftahiie vitium , aut déforme. Les uns font
externes , la Ëice rouge & difforme , les
yeuxcnflambex, le regard furieux, roreilie
fourde » la bouche efcnmante , le cœur ha-
kttant , le pouls fort efmeu , les veines en*
£écs , la langue bégayante , les dents fer-
rées, la voix forte & enrouée, le parler
précipité , bref elle met tout le corps en feu
& en £evre. Aucuns s'en font rompu les
veines ; l'urine leur a efté fupprimée ; la
• mort s'en efl enfuivie. Quel doit eflre VtC-
ut de l'efprit au dedans , puifqu'il càufe
un tel defordre au dehors 1 La cholere du
premier coup en chaffe & bannift loing la
raifon & le jugement, afin que la place luy
LIVRE I. CHAP, XXVIT. 131
demeure toute entière : puis elle remplit
tout de feu, fumée, ténèbres, bruiâ, fem-
blable à celuy qui mifl le maifire hors la
xnaifon , puis y mift le feu, & fe brufla vif
■dedans , & comme un navire <;|ui n'a ny
gouvernail, ny patron , ny voiles, ny avi-
ron, qui court fortune à la mcrcy des va-
gues , vents & tempeftes , au milieu de la
mer courroucée.
Les efFeds font grands , (buvcnt bien 4,
«liferablcs & lamentables. La cholcre pre- Ses ef-
mierement nous poulie à TinjulHce, car
iclle fe defpite & s*efgui{c par oppofîtion
jufle, 8c par la cognoiflance que l'on a de
«*eftrc courroucé mal à propos. Celuy qui
cfl esbranlé & courroucé foubs une faulfè
caufc , fi Ton luy prcfcnte quelque bonne
deftenfe ou excufe , il fe defpite contre la
vérité & l'iimocfuice. Pertinacioresnosfit-
cit iniquitas ifA ^ quafi argumentum fit
jufie irafcendi , graviter irafci. L'exemple
de Pifo fur ce propos eft bien notable, le-
quel , excellent d'ailleurs en vertu ( ceftc
hiftoire e(l aifez cc^nue) , meu de cholere ,
en BA mourir trois injuftement, & par une
trop fubtik acçufation les rendift coulpa-*
Vij
1^1 DE LA SaoISSE,
bles pour en avoir trouvé un innocent con^
tre fa première fentence. Elle s*e(gui(e
audi par le fîlence & la froideur , par oà
Ton penfe eftre derdaîgné» & foy & ùl
cholere : ce qui eft propre aux femmes, leC-
quelles fouvent fe courroucent , afin que
Ton fe contre -courrouce, & redoublent
leur cholere )ufqu*à la rage, quand elle$
voyent que Ton ne daigne nourrir leur
courroux : ainfî fe monfbre bien la cholere
eftre befte fauvage , puifque ny par de-
fenfe ou excufe , ny par non defenfe &
iUence, elle ne fe laiiTe gaigner ny adoucir.
Son injuftice eft auffi en ce qu'elle veuft
eftre juge & panie , qu'elle veuft que tous
foient de fon party , & s'en prend à tous
ceux qui ne luy adhèrent. Secondement,
pour ce qu'elle eft inconiîderée ôc eftourdie^
elle nous jette & précipite en de grands
maux , & fouvent en . ceux mefmes que
nous fuyons ou procurons à autruy , dat
panas dum exigit , ou autres pires. Cefte
padlon reiTemble proprement aux grandes
ruines , qui*fe rompent fur ce fur quoy
elles tombent ; elle defire Çl violemment le
mal d'autruy , qu'elle ne prend pas garde
LIVRE 1 CrtAk XXViî. t^i
i. e(viter-le fien : elle nous entrave & nous
isnlace, nous Mék dire & faire choies in<>
dignes , honteufcs & meffeantes. Finale-
ment elle nous emporte iî outremcnt qu'elle
nous &id faire des chofes fcandaleufes &
irréparables , mémtrcs, empoifonncmens ,
trahifons , dont après s'enfoitcnt<k grands
repentirs : tefmoîn Alexsâidre le Grand,
dont difoît Pythagoras, que la fin de la
cholerc eHoit le commencement du re-
pentir.
Cefte paflSon fe paift en foy , fe Hatte &
(c chatouille , voulant i^erfiiadcr qu'-cHe a
raifon ; qu'elle cft jufte, s'excufant fur là
malice & indifcretîon d'aucruy : mais Tiur
juftice d*autruy ne la fçauroit rendre juftc,
ny le dommage que nous recevons d'au-
trùy nous la rendre utile : elle eft trop
cftourdiepour rien foire de bien; elle veuft
guarir le mal par le mal : donner à la cho-
lere la corrcdHon de Toffenfè, fcroit cor-
riger le vice par (by-mefme. La raifon qui
doit commandet en nou^ ne veuft point de
ces officiers là , qui font de leur tefte fans
attendre fon ordonnance 5 elle veuft tout
£dre par compas comme la nature , & pour
Vil)
1)4 I>K ^ A S Jl G £ s s E^-
ce la violence ne luy eft pas propre. Ma^
quoy l direz-vous , la venu verra-elle Tin*
folence du vice fans fe defpicer ? aura -elle
fi peu de liberté, qu'elle ne s'ofe courrou-
cer contre les mefcluns } La vertu ne veuft
point de liberté ipdecente > il ne faut pas^
qu'elle tourne Ton courage contre foy» ny
que le mal d'autruy la puifTe troubler : le
fage doibt auHl bien fupporter les vices des
mefchans fans cbolere, que leurprofperité
fans envie. U £aut qu'il endure les indif-
cretions des téméraires avec la mefme pa-
tience que le médecin faiâ les injures du
phrenetique, U n'y a pas plus grande Ùl-
geffe ny plus utile au monde que d'endurer
la folie d'autruy ; car autrement il nous
arrive que pour ne la vouloir pas endurer
nous la faifons noftre. Cecy quia eftédiâ
fi au long de la cholere , convient auflî aux
paillons fuivantes, hayne , envie , vengean-
ce, qui font choleres formées.
Âdvis 3c remèdes particuliers contre ce
mal font Liv. 3 , Chap. 31.
ff^
tl VRl L CHAt.XXVIII. IJI
Haync.
CHA PITRE XXVIII.
XI A Y NE eft une eftrange paflion qui nous
trouble eftrangement & fans raifon : ^
qu'y a-îl au monde qui nous tourmente
plus que cela.? Par cefte paillon nous met-
tons en la puiffance de ce que nous hayf-
fbns , de nous affliger & vexer ; la veue
nous en efmeut les fens , la fouvenancc
nous en agite refprit , & veillant & dor-
mant. Nous nous le reprefentons avec un
defpit & grincement de dents, qui nous
met hors de nous , & nous defchire le
cœur , & par ce moyen recevons en nous-
mefmes la peine du mal que nous voulons
à autruy : celui qui hayt eft patient, le hay
cft agent , au rebours du Ton des mots : le
hayneur eft en tourment , le hay eft à fon
aife. Mais que hay ffons-nous 1 les hommes,
les affaires "i Cènes nous ne hay/Tons rien
de ce que nous debvons : car s'il y a quel-
que chofe à hayr en ce monde, c'eft la
hay ne mefme, & femblables payions con-
%^^ DE LaSa'C£SSI,
traîres à ce qui doit commander en nous i
il n'y a au monde que cela de mal pour
nous.
Advis paniculiers contre ce mal (ont
Liv. 3, Chap. 31.
» ■ ■ I I ..Il i<
Envie.
CHAPITRE XXIX.
£ K V I £ eft fœur germaine de la hayne ^
mifetable paffion & belle farouche qui
paflê en tourment toutes les géhennes : c'efl;
un regret du bien que les autres poffedent,
qui nous ronge fort le cœur; elle tourne
le bien d'autruy en nofbre mal. Comment
nous doit- elle tourmenter, pnirque.& le
bien & le mal y contribuent! Pendant que
les envieux regardent de travers les biens
d'auicruy , ils lai&nt gafter le leur , & en
perdent le plaifir.
Advis & remèdes particuliers contre ce
mal font Liv. 3 » Chap« 3 3.
LIVRE I. CHAP. XXX, 137
Jaloujie,
CHAPITRE XXX.
Jalousie cft paflion prcfquc toute fem- ,.
blable, & de nature & d'effed , à Tcnvie, Qu'cft.
finon qu*il fembic que par l'envie nous ne
confîderons le bien qu'en ce qu'il eft arrivé
à un autre, & que nous le defîrons pour
nous > & la jaloufîe eft de noftre bien pro-
pre y auquel nous craignons qu'un autre
participe.
Jaloufîe eft maladie d'ame foible , fotte i.
& inepte , maladie terrible & tyrannique 5 i^ieJ-ç,
elle s'inflnue foubs tiltre d'amitié, mais
après eftre en poiTedîon , fur les mefmes
fondemens de bienveillance, elle baftit une
hayne capitale s la vertu, la fanté, le mé-
rite , la réputation font les bouttefcus de
ceftc rage.
C'eft auflî un fiel qui corrompt tout le
miel de noftre vie : elle fe méfie ordinai- . Son vc-
rement ez plusdoulces & plaifantes aérions, ^^*
lefquelies elle rend fî aigres & fi ameres
que rien plus : elle change l'amour en
bayne , le refpeâ en defdain , l'afTeurance
&5S i>E l'A Sagessz,
en défiance. Elle engendre une curioficc
pernicieufe de fe vouloir efclaircir de fbn
mal , auquel il n*y a point de remède qui
ne Tempire & ne l'engrcgc : car ce n'eft
que le publier , arracher de Tombrc & du
doubce pour le mettre en lumière , & le
trompetter par-tout , & eftendre (on mal*
heur jufqttcs à Tes enfans.
Advis & remèdes particuliers contre ce
mal font Liv. 3 , Chap. 1 5.
■*'■ " ■' Il ■ Il I ■ I I I I I y m il
Vengeance.
CHAPITRE XXX L
I. Le defir de vengeance e(l premièrement
J^^^o» paflion lafche & efféminée d'ame foiblc &
baife, pieiTée & foulée, teQnoin que les
plus foibles âmes font les plus vindicatives
&L maliciéu(ès , comme des femmes & en*
fans s les fortes & genereufes n'en iencent
gueres , la merprifent 3c defdaignent , ou
pource que Tinjure ne ks touche pas , ou
pour ce que Tinjuriant n'eft digne qu'on
s'en remue ; l'on fe fent beaucoup au*
deflus de tout cela > indignas Câfaris ira.
Les grefleSa tonnerres ^ tempcftes , & tout
LIVRÏ I. CHAP. XX XL 1$9
le bruit qui fe faiâ en i*air ne trouble ny
ne touche les corps fuperieurs & celeftes ,
mais feulement les inférieurs & caduques :
ainlî les indifcretions & pétulances des fols
ne heurtent point les grandes & hautes
âmes. Tous les grands, Alexandre, Cefar,
Ëpaminondas , Scipion , ont ef^é fî edoi-
gnez de vengeance , qu'au contraire ils ont
bienfait à leurs ennemis.
Secondement elle eft cuifantc & mor-
dante , comme un ver qui ronge le cœur Ciiifan-
dc ceux qui en font infeôez , les agite de ^**
jour, les refvcillc de nuiâ.
Elle eft auflî pleine d'injufticc, car elle ^.
tourmente l'innocent, & adjoufte afflidion. Injulle.
C'eft à faire à celuy qui a fai<^ roffcnfe de
fentir le mal & la peine que donne au cœur
le delîr de vengeance 5 & TofFcnfé s'en va
charger, comme s'il n'avoit pas affez de
mal de l'injure )a receue 5 tellement que
fouvent & ordinairement , cependant que
ceftuy-cy fc tourmente à chercher les
moyens de la vengeance , celuy qui a fai(fl
l'ofFenfe rit & fe donne du bon temps. Mais
elle eft bien plus injufte encore aux moyens
de fon exécution , laquelle fouvent fe faiâ
par trahifons Se vilains arti£ces.
140 DS tA Sag£SS£,
4* Finalement l'exécution , outre qu*elle eft
ccufc,^*' pénible, elle eft très-danger eufe, car l'ex-
périence nous apprend que celuy qui cher^
che à fe venger , il ne fai<^ pas ce qu'il
veuft , & Ton coup ne porte pas ; mais or-
dinairement il advient ce qu'il ne veuft
pas , & penfant crever un œil à Ton enne-
my, il fe crevé tous les deux; le voylà en
crainte de la Judice & des amis de fa par^
tie , en peine de fe cacher & fîiyr de lieu
en autre.
f . Au refte tuer & achever fon ennemy ne
n'cft pas P^^ ^^^^ vengeance , mais pure cruauté
fc ven- qui vient de couardife & de crainte > fe
J^F'* venger c'eft le battre, le faire bouquer, fie
non pas l'achever : le tuant l'on ne luy fai<5^
pas reifentir fon courroux , qui eft la fin
de la vengeance. Voylà pourquoy Ton
n'attaque pas une pierre , une befte , car
elles font incapables de goufter noftre re-
vanche. En la vraye vengeance il faut que
le vengeur y foit pour en recevoir du plai-
(îr, fie le vengé pour fcntir 8c foufFrir du
defplaifîr fie de la repentance. Eftant tué il
ne s'en peuft repentir , voire il eft à l'abry
de tout mal , ou au rebours le vengeur eft
fouvent en peine Se en crainte. Tuer donc
11 VR-E I. C H AP. XXXI. 141
eft tefmoignage de couardife & de crainte
queroiFenfé fcreffentantdudcrplaifîr nous
recherche de pareille : Ton s*en veuft defeirc V
du tout s & ainfî c*eft quitter la fin de la
vengeance & bleiTer ùl réputation i c'eft
un cour de précaution & non de courage i
c'eft y procéder feulement, & non hono*
rablement. Qui occidit longe non ulcifcitur,
nec gloriam ajfequitur,
Advis & remèdes paniculiers contre ce
mal font Liv. 3 , Chap. 34.
Cruauté.
CHAPITRE XXXI-L
C>'£ S T un vilain & deteftable vice que la (,
cruauté , Se contre nature , dont auffî eft-^
il appelle inhumanité.
La cruauté vient de foiblefle & lafcheté , i.
& eft fille de couardife; la vaillance s'exer- ^^J^^
ce feulement contre la refiftance , & s*ar-
reâe voyant Tennemy à fa mercy : Romana
vîrtus parcerc fuhjtSlis y dthcllart fuperhos^
hsL lafcheté ne pouvant eftre de ce rooUe ,
pouf dire qu'elle en eft , prend pour fa part
le Ikng & le mafTacre : les meurtres des vie-
Tome /. X
14^ ȣ LA Sagesse,
toires s'exercent ordinairement parle peuple
& ofHciers du bagage. Les cruels , afpres de
malicieux , font lafches & poultrons : les ty*
rans font Sanguinaires , pource qu'ils crai^
gnent, & ne peuvent s'afTeurer qu'en exter-
minant ceux qui les peuvent ofFbifer,donc
ils s'attaquent à tous jufques aux femmes ;
car ils craignent tous. CunBa ferit dum
cuiUia timet. Les chiens couards mordent
& defchirent dans la maifon les peaux des
beftes fauvages , qu'ils n'ont of<^ attaquer
aux champs. Qui rend les guerres civi-
les & populaires fi cruelles , fînon que
c'eft la canaille & lie du peuple qui les
meine? L'Empereur Maurice adverty qu'un
foldat Phocas le debvoit tuer, s'enquit qui
il eAoit, 6c de quel naturel ; & luy ayant
efté did par Ton gendre PhUippes qu'il
çftoit lafche & couard, il conclud qu'il
eftoit meurtrier & cruel. Elle vient aufll de
malignité interne d'ame, qui fe paift &
deleâe au mal d'autruy j monftres, comme
Caligula.
f?^
Liyml. chXp. XXXIIL i4}
TrifleJTe.
m
CHAPITRE XXXIIL
Tristesse cft une langueur d'cfpric & i
un defcouragement engendré par Topinion pefcrîp-
cjue nous fommes affligez de grands maux :
c'eft une dangereufe ennemie de noftrc re-
pos qui fieftrît incontinent noftre ame fl
nous n*y prenons garde , & nous ode Tu-
(âge du difcours, Bc le moyen de pour-
voir à nos affaires , & avec le temps en-
rouille & moifîft Famé, abatardift tout
l'homme , endort & alToupift la Venu, lorf-
<}u*il fe faudroit e (Veiller pour s'oppofer
au mai qui le melne & le prefTe. Mais il
faudroit defcouvrir la laideur & folie , Se
les pernicieux effeds , voire Tinjuftice qui
cft en cefte paffion couarde , bafTe & laf-
che , afin d'apprendre à la hayr & fuir de
toute fa puifTance , comme très-indigne des
(âges, félon la dodbine des Stoïciens. Ce
qui n'eft pas du tout tant aifé à faire , car
elle s*excufe & fe couvre de belles cou-
leurs» de nature» pieté, bonté , voire la
144 i>K l'A Sages se,
plufpart du inonde tafche à Thonorer 8c
favorifcr : ils en habillent la fagefle , fa
vertu, la confcience.
X, Or premièrement tant s*en faut qu'elle
Kon na- f^jj naturelle comme elle veuft faire croire,
qu'elle efl partie formelle & ennemie de Ta
nature , ce qui efl aifé à monftrer. Quant
aux triflefTes ceremonieufes & deuils pu-
publics/ ^^^^^ ^^^^^ afïèdez & pra<aiquex par les an-
ciens , & encore à prefent prefque par-
toat.,.quelle plus grande impoflure & plus
vilaine happelourde pourroit-on trouver
par-toat ailleurs? Combien de fcinâes &
mines contrefaites & artificielles, avec
coufl & defpenfe, & en ceux-là à qui le
faiâ touche & qui jouent le jeu ,. & aux
autres qui s'en approchent & font les oâi-
cieux l Mais encore pour accroiftre la four-
be on loue des gens pour venir pleurer 8c
jetter des cris & des plaintes qui font , au
fceu de tous , toutes feinâes & extorquées
avec argent^ larmes qui nefont jettées que
pour efbe veues, & tariffeift fitoft qu'elles
ne font plus regardées > où eft-ce que na-
ture apprend cela } Mais qu'eft-ce que na-
ture abhorre & condamne plus } c'eft l'o*
LIVRE I. CHAP. XXXlII. 14f
pinion ( mcrc nourrice , comme didt cft ;
4le la plufpart des paflions ) tyramiique ,
&ulfe & populaire , qui enfeigne qu'il faut
pleurer en tel cas. Et fi Ton ne peuft trou-
ver des larmes & triftes minés chez foy ,
il en Ëiut acheter à beaux deniers comp-
tons chez autruy ; tellement que pour bien
fàtisfàîre à cefte opinion , faut entrer en
grande defpenfe, de laquelle nature, fi nous
la voulions croire, nous defchargeroit vo-
lontiers. £ft*ce pas volontairement & tout
publiquement trahir la raifon, forcer &
corrompre la nature, proftituer fa virilité,
& fe mocquer du monde & de foy-mefme,
pour s'afTervir au vulgaire, qui ne produit '
«qu^erreur, & n'eftimc rien qui ne foit fardé
& defguifé? Les autres trifteflcs particu- Particu"
lîeres ne font non plus de la nature comme ^^"*
il femble à plufieurs ; car fi elles proce-
idoient de la nature , elles feroient com^
munes à tous hommes, & les toucherolent
à peu près tous cfgalement : or nous voyons , .
^uc les mefmes chofes qui attriftent les
tins refiouiffent les autres , qu*unc pro-
vince & une perfonne rient de ce donb
l*autre pleure \ que ceux qui font près des
Xiij
> 14^ OEiA Sagesse,
autres qui fe lamentent , les exhortent \
fe refouldre & quitter leurs larmes. Efcou-
tez la plufpart de ceux qui fe tourmen-
tent 9 quand vous avez parlé à eux , ou
qu'eux-meHnes ont prins le loifîr de difcou-
rir fur leurs pafGons : ils confèrent que
c'eft folie que de s*attrifter ainfi ; & loue-
ront ceux qui en leurs adverfitez auront
faiâ tefte à la fbnune> & oppofé un cou'-
rage malle & généreux à leurs affliûions.
£t il eft cenain que les hommes n'accom-
modent pas leur deuil à leur douleur, mais
à l'opinion de ceux avec lefquels ils vi-
vent : & fi Ton y regarde bien , Ton rc--
marquera que c*eft l'opinion qui pour nous
ennuyer nous repre fente les chofes qui
nous tourmentent » ou pluftoft qu'elles ne
doivent y. mais par anticipation , crainte &
apprehenfiôn de l'advenir 'y ou plus qu'elles
ne doivent.
5. Mais elle eft bien contre nature , puif*
Contre q^»clle enlaidift & eflEice tout ce que nar
nature* • * . •*
ture a mis en nous de beau & d'aymable ,
qui Ce fond à la force de celle paflî<in,
comme la beauté d'une perle fe diflbuk
dedans le vinaigre : c'eft ^itié de nous voir
LIVRE I. CHAP. ^CXXÎIL 14f
lors que nous nous en allons la cefte baifTée,
les yeux fichez en terre , la bouche jfans
parole , les membres fans mouvemens , les
yeux ne nous fervent que pour pleurer y Se
<lirie2 que nous ne fommes rien que des
ilatues Tuantes, & comme Niobé> que les
Poètes difent avoir efté convertie en pierre
par force de pleurer.
Or elle n*eft pas feulement contraire & 4*
ennemie de nature, mais elle s'attaque en- «^ j^p-ç^
cote à Dieu , car qu*eft-elle autre chofe
qu'une plainde téméraire & outr^^eufe
contre le Seigneur de Tunivers , & la loy
commune du monde, qui porte que toutes
chofes qui font foubs le ciel de la lune font
muables & periflables? Si nous fçavons cefte
Joy , pourquoy nous tourmentons - nous }
fi nous ne la fçavons ^ de quoy nous plai-
gnons-nous , finon de noflre ignorance de
ne fçavoir ce que nature a efcrit par tous
les coings du monde } Nous fommes icy ,
non pour donner la loy , mais pour la re-
cevoir, & fuyvre ce que nous y trouvons
eftably; & nous tourmentant au contraire,
ne fert que nous donner double peine.
Après tout cela elle cft uès pcrnicieufc
* 14^ DE lA Sagesse»
• -
f. & dommageable à l'homme, & d'autant
. Pc™»- plus dangereufe, qu'elle nuit foubs cou-
leur de profiter; foubs un faux femblant
de nous fecourir » elle nous offènfe j de
nous tirer le fer de la playe, l'enfonce jvlO-
ques au coeur : & fes coups font d'autant
plus difficiles à parer , 8c fes entreprinfes à
rompre, que c'eft un ennemy domefHque^
nourry 8c edevé chez nous , que nous avons
mefme engendré pour nofbe peine.
^. Au dehors par fa deformité & conte^
Extern:- nance nouvelle , toute altérée 8c contre-
Meflean* ^î^^ y elle deshonore & infâme l'homme:
te , effé- prenez garde quand elle entre chez nous ,
'° ^' elle nous remplit de honte tellement que
n'ofons nous monftrer au pubUc , voir mef-
me en particulier à nos amis : depuis que
nous fommes une fols faifis de cefte paf-
fîon> nous ne cherchons que quelque coing
pour nous accroupir 8c mufler de la veue
des hommes. Qu'eft^ce à dire cela, (mon
qu'elle fc condamne fby-mefine , 8c re-*
cognoift combien elle eft indécente ? ne
diriez -vous pas que c'eft quelque femme
furprinfe en desbauche, qui fe cache &:
craint d'eftre recognue } Après regardez fes
IIYRS I. CHAP. XXXIII. 14^
Veftemens & fes habits de deuil , effranges
& efFeminez, qui monftrént que la trifteiTe
ofte tout ce qu'il y a de mafle & généreux,
& nous donne toutes les contenances & in-
firmitez des femmes. Aufli les Thraces ha*
billoient en femmes les hommes qui ef-
toient en deuil : & diâ quelqu'un que la
trifteife rend les hommes eunuques. Les
loix romaines premières plus mafles & ge-
nereufes defendoient ces efféminées lamen-
tations, trouvant horrible de fe defnaturer
4e cefte façon , & faire chofe contraire à
la virilité, permettant feulement ces pre-
mières larmes qui fortent de la première
poinde, d'une frefche & récente douleur ,
qui peuvent tomber mefme des yeux des
Philofophes qui gardent avec l'humanité
la dignité, qui peuvent tomber des yeux
fans que la vertu tombe du cœur.
Or non feulement elle fane le viCkge ,
change & defguife deshonneftement l'hom- lucerne-
me au-dehors > mais pénétrant jufques à la "^^"^'
mouelle des os , triftitia exficcat ojfa , fle-
trifl auffî Tame , trouble fon repos , rend
-l*homme inepte aux chofes bonnes & dit-
gnes d'hoimeur , luy oftant le gouft, l'en**
%^o . belaSagessk,
vie, & la difpoiîtion à faire cbofe qui
vaille , & pour Toy & pour autruy , & non
feolement à £iiie le bien , mais encore à le
recevoir. Car meûne les bonnes fortunes
qui luy arrivent luy defplaifent, tout s'ai-
grift en Ton e(prk comme les viandes en
l'eftomach desbauché > bref elle enfielle nof-
tre vie & empoifonne toutes jios avions.
g Elle a Tes degrez. La grande & extrême,
DiAinc- OU bien qui n'eft pas du tout telle de foy ,
^***"* mais qui cft arrivée fubitement par fur-
prinfe & chaulde allarme^ faifit , tranfit »
rend perclus de mouvement & fentiment
comme une pierre , à rinftar de ce^e mi*
ferable mère Niobé :
Diriguic vifu in medio , calor offa relîquir •
labicur , & loogo vix tandem cempore facur.
Dont le peintre reprefentant divcrfe-
ment & par degrez le deuil des parens &
amis d'Iphigenia en Ton facrifîce , quand
ce vint au père , il le peignidle vifage cou-
vert, comme ne pouvant l'art fuffifam-
ment exprimer ce dernier degré de deuil.
Voire quelquesfois tue tout à faiâ. La mé-
diocre , ou bien la plus grande, mais qui
par quelque laps de temps s*eft relarchée ,
LIVRE I. CHAP. XXXIII. tjr
s'exprime par larmes, fànglots, £bu{pirs,
plainâes. Curét levés loquuntur, ingénus
Jiupent,
Advis & remèdes particuliers contre ce
mal font Liv. 5 , Chap. xy.^ ^ ,
Compajjton,
CHAPITRE XXXIV.
PJ^o u s (bufpirons avec les affiigez , corn* ,^
patifTons à leur mal, oupource que par un
fecret confentement nous panicipons au
mal les uns des autres , ou bien que nous
craignons en nous-mefmes ce qui arrive
aux autres.
. Or c*eftpaâion d'ame foiblej c*eftune 1.
fbttc & féminine pitié qui vient <le mol- ^ f^ • f.*
ieffe & foibleffe d*ame efmeue & troublée; ce.
elle loge volontiers aux femmes , enfms ,
aux âmes cruelles & malicieufes ( qui font
par confequent lafches & couardes, comme
a efté did en la cruauté ) , qui ont pitié des
mefchans qui font en peine, dont elle pro*
àmù, des efifèâs injuftes, ne regardant qu'à
la fortune, eftat & condition prefente, 6c
non au fonds & mérite de la caufç.
xji D£ LA Sagesse,
Advk & remèdes contre ce mal fbnc
Lîv. 5 , Chap. 30.
. Crainte.
CHAPITRE X'XXy.
L A crainte e(l l'apprehenfion du mal ad-
îDcfcrip- venir, laquelle nous tient perpétuellement
tion. jgji cervelle , & devance les maux dont la
fortune nous menace,
i. C'efl une paffion fàul(e & malicieufe ,
Sa ma- ^ ^ç pcuft rien fur nous qu*en nous trom-.
* jaunie. P^^^' & feduifant : elle fe fert de Tadvenir
ou nous ne voyons goutte, & nous jette
là dedans comme dedans un lieu obfcur :
aînfi que les larrons font la nuiâ , afin
d'entreprendre fans eftrc recognus , & don-
ner quelque grand ef&oy avec peu de fub-
îeâs Se là elle nous tourmente avec àcs
mafques de maux , comme Ton faiâ des
fées aux petits en£atns : maux qui n'ont
qu'une /impie apparence , & n'ont rien en
foy pour nous nuire, & ne font maux que
pource que nous les penfons tels. C'ell la
feule apprehen£on que nous en avons qui;
tiyR£ I. CHAP. XXXV. »5J
tioiis rend mal ce qui ne l*eftpas , & cire de
noftre bien mefme du mal pour nous en
affliger. Combien en voyons-nous tous les
jours, qui , de crainte de devenir mifera-
bles, le font devenus tout àfàid, & ont
tourné leurs vaines peurs en certaines mi-
feres l combien qui ont perdu leurs anus
pour s'en défier I combien de malades de
peur de Teftre ! Tel a tellement apptehen*
dé que fa femme lui faulfoit la foy , qu'il
en eft feiché de langueurs tel a tellement
appréhendé la pauvreté , qu'il en eft tom-
bé malade s bref il y en a qui meurent
4de la peur qu'ils ont de mourir : & ainfl
peull-on dire de tout ce que nous crû-
gnons , ou de la plu(part : la crainte ne
fert qu'à nous faire trouver ce que nous
fuyons. Certes la crainte eft de tous maux
le plus grand & le plus fafcheuxs car les
autres maux ne font maux que tant qu'ils
font » & la peine n'en dure que tant que
dure la caufe ; mais la crainte eft de ce qui
eft , & de ce qui n'eft-point , & de ce qui
par adventure ne fera jamais , voire quel-
quesfois de ce qui ne peuft du tout eftre.
Voylàdonc une paâioningenieufemcntma*
Tome L Y
154 ^2 '^ ^ Saoessi,
licieufe & cyranniquc , qui cire d'un mal
imaginaire des vrayes & bien poignantes
douleurs , Ôc puis fort ambicieufe de courir
au devant des maux & les devancer par
penfëe & opinion.
, La crainte non feulement nous rem«
plit de maux, & fouvent à Êiulfes enfei-*
gties, mais encore elle gafte tout le bien
que nous avons, Se tout le plaifir de la vie ,
ennemie de nodre repos : il n*y peuft avoir
plaifir de jouyr du bien que Ton craint de
perdre; la vie ne peuft eftre plaifante fi
Ton craint de mourir. Le bien , difoit un
ancien, ne peuft apporter plaifir, finon ce-
luy à la perte duquel Ton eft préparé.
C'eft aufli une eftrange palllîon , indif*
Son ii\. crête & inconfîderéej elle vient aulfi fou-
tion"" ^^^^ ^^ ^^^^ ^^ jugement que de faute de
cceur : elle vient des dangers , & fouvent
elle nous jette dedans les dangers ; car elle
engendre une (aim inconfiderée d'en for^
tir , & ainfi nous eftonne^ trouble & em^
pefche de tenir l'ordre qu'il faut pour en
fortir; elle apporte un trouble violent par
lequel l'ame effrayée fc retire en foy-mcf-
me, & fe débat pour ne voir le moyen
LIVRE I. CHÀP. XXXV. ISS
d*«£vitcr le danger qui fe prefcntc. Outre
le grand defcouiagemenc qu'elle apporte ,
elle nous faifift d*un tel eftonnement que
nous en perdons le jugement , & ne fe
trouve plus de difcours en nous , nous faiâ
fuyr fans qu*aucun nous pourfuive, voire
fouvent nos aipis. & le fecours : adeo pavor
etiam auxilia formidat. Il y en a qui en
font venus infenfez : voire meûne les fens
n*ont plus leur ufage > nous avons les yeux
ouverts & n*en voyons pas , on parle à
nous & nous n'efcoutons pas , nous vou-
lons fuyr & fie pouvons, piiarcher.
La médiocre nous donne des aifles aux ^ ,
talons 'y la plus grande nous cloue les pieds
& les entrave. fivaCi la peur renverfe &
corrompt l'homme entier & l'efprit , pavor
fapiendam omnem miki ex anima expeBo»
rat y & le corps , obfiupui , fleteruntque
comA , vox faucibus hâfit, Quelquesfois
tout à coup pour fon fervîce elle fe jette
au defefpoir , nous remet à la vaillance ,
comme la légion romaine foubs le Conful
Seixipronius contre Ânnibal. Il y a bien des
peurs & frayeurs fans aucune caufe appa-
rente, & comme d'une impulfîon celefle^
Yij
X^6 BE LA SaGBSSI^
qu'ils appellent terreurs paniques t terrores
Luc. lude cœlo, arefientihus homiiùèus préttzmo*
re, tdle qu'advint une fois en la ville de Cai?-
thage : des peuples & des années entières
en font quelquesfoîs frappées.
Advis & remèdes particuliers contre ce
mal font Liv. 3 , Chap. ift.
QUATRIESME CONSIDERATION
DE L'HOMM£«
QUI EST PAR SA VIE.
— — — "i— — — — — — 1^ — ^1^— — —
£jlimation , irejveeé, defcription de la vit
humaine^ &fes parties..
CHAPITRE XXXVL
O'e s T an premier & grand poînâ de (k- i
gcflc de fçavoîr bien juftement eftimer la jij^ajio^
vie , la tenir & conferver . la perdre ou & valeur
quitter, la garder & conduire autant &<ic^vic.
comme il faut : il n*y a peuft-eftre chofe en
quoy Ton faille plus , & où Ton £bit plus
empéfché. Le vulgaire foc, imperit» Tefti-
me un fouverain bien , & la préfère à toutes
chofes , jufques à la racheter & l'allonger
de quelque delay , à toutes les conditions
que Ton voudra, penfant qu*elle ne fçau-
roit eftre trop chèrement achetée 'y cai c'efl
tout : c*eft (on mot , vitâ nihil carias s il
eftimc & ayme la vie pour Tamour d'elle*
mefme, il ne vit que pour vivre. Ce n'eft
merveille s'il £iut en tout le refte, & s'il
cftcout confit en erreurs, puis que dès l'en*
Y» ••
iij
tfi delaSagessc,
tfée & en ce premier poinâ: fondaitientaf ,
il fe mefconte (1 lourdement. Elle pourroîc
bien aufli eflre trop peu eftimée par infuâî*
(ance ou orgueilleufe mefcognoifTance : car
tombant en bonnes & fages mains, elle
peuft eftre infiniment très-utile à foy & à
autruy. £t ne puis effare de cefl advis prîns
tout fimplement , qui diâ qu'il efl très bon
de n*effa:e point, & que la meilleure vie eft
la plus courte : optimum non nafcîaut quam
citiffime ahoieri. Et n'efl afTez ny fage-
ment diâ. Quel mal & qu'importe quand
je n'eufTe jamais eflé ? On luy peufl répli-
quer : Où feroit le bien qui en eft venu?
& n*eftant advenu , ne fuft-ce pas efté mal ?
C*eft efpecede mal que £iute de bien,
quel qu'il Toit, encore que non neceflaire:
ces extremitez font trop extrefmes & vi-
cieufes , bien qu'inefgalement : mais (em*
ble-il bien vray ce qu'a did un Sage, que la
vie eft un tel bien que pcrfonne n'en vour
droit fî l'on eftoit bien adverty que c'efl,
avant la prendre. Vitam nemo accîperetfi
daretur fcîentibus. Bien va que l'on y cfl
dedans avant qu'en voir l'entrée ; l'on y
eft poné tout aveugletté. Or fe trouvant de-
llVRtL CHA^, XXXVI. If5>
dans, les uns s'y accoquinent fi fort , qu'à
quelque prix que ce (bit ils n*en veulent
pas fonir ; les autres ne font que gronder
& fe defpiter ; mais les Sages voyant que
c'eft un marché qui eft faiâ Tans eux ( car
Ton ne vit ny Ton ne meurt pas quand ny
comme Ton veuft ) , que bien qu'il (bit rude
& dur , ce n*eft toutesfois pour touHours ;
fans regimber & rien troubler , s'y accom-
modent comme ils peuvent , & s'y condui-
fent tout doucement , (aifant de necefUté
vertu, qui eft le traiâ de fageffe & habi-
leté, & ce fàifant vivent autant qu'ils doi-
vent, & non pas tant qu'ils peuvent comme
les fots : car il y a temps de vivre & temps j^^ ^
de mourir : àc un bon mourir vaut mieux voyez
qu'un mal vivre, & vit le Sage tant que le ^^*P* ."*
vivre vaut mieux que mourir : la plus lon-
gue vie n'eft pas toujours la meilleure.
Tous fe plaignent fort de la breiveté de i.
la vie humaine , non feulement le (impie . ^^
. , . /• * longueur
populaure, qui n'en voudroit jamais fortir, & bref-
mais encore , qui eft plus eftrange , les ^"^ *^®
grands & fages en font le principal chef de
leurs plainâes. A vray dire , la plus grande
partie d'icelle eftant diverde & employée
^^Ô BStA'SAOESSC»
ailleurs, il oc refte qiufi rien pour elle;
car le temps de Tenfance , Yieillejûfe , dor-
mir , maladies d'efpric ou de corps , & tant
d'antre inutile & impuiilant à faire chofe
qui vaille , eftant défalqué & rabattu , le
refte eft peu : toutesfbis fans y oppofèr
l'opinion contraire, qui tient la brefVeté
de la vie pour un très grand bien 8c don de
nature , il femble que cefte plainâe n'a
gueres de juftice ne de raifbn , & vient
pluftoft de malice. Que ferviroit une plus
longue vie , pour (împiement vivre , re(pi-
. rer , manger , boire , voir ce monde } que
faut-il tant de temps } Nous avons tout veu,
fceu, goufté en peu de temps s le fçachant,
le vouloir toufiours ou fi longtemps prac-
tiquer & toufiours recommencer, à quoy
efl bon cela } Qui ne fe fiiouleroit de faire
toufiours une mefme chofe } s'il n'eft fkf-
cheux, pour le moins eft il fuperflu : c'efl: un
cercle roulant où les mefmes chofesnefont
que reculer & s'approcher, c'eft toufiours
recommencer & retiftre mefme ouvrage.
Pour y apprendre & profiter davantage ,
& parvenir à plus ample cognoifrance& ver-
tu ? O les bonnes gens que nous fonuxies^
LIVRlL CHAP. XXXVI. l^î
tjui ne nous cognoiftroit > nous mcfiia-
gcons très mal ce que l'on nous baille , 8c
en perdons la plufpart, remployant non
feulement à Tanité & inutilité , mais à ma-
lice & au vice 9 & puis nous allons criet
& nous plaindre que l'on ne nous en baille
pas aflcz. Et puis que fert ce tant grand
amas de fcience & d'expérience , puis qu'il
en faut enfin defloger , & deflogeant tout à
un coup oublier & perdre tout, ou bien
•mieux & autrement Tçavoir tout 3 Mais»
tlis-tu, il y a des animaux qui triplent &
quadruplent la vie de l'homme. Je laiiTe
les fables qui (ont en cela : mais foit ainfî^
auin y en a-il , & en plus grand nombre ,
qui n'en approchent pas , & ne vivent le
^uart de l'homme, & peu y en a-il qui ar-
liven; à Ton terme. Par quel droidl, raifon,
•ou privilège , Ëiut-il que l'homme vive plus
long-tçmps que tous 1 Pource qu'il employé
mieux Se à chofes plus hautes & plus di-
gnes fa vie ? Par cette raifon il doibt moins
vivre que tous > il n'y a point de pareil à
l'homme à mal employer fa vie en mef-
chanceté, ingratitude, diffolution, intem-
pérance» & tout defreiglement de mœurs»
%64 ^^ LA Sagesse,
de mifcres diverfes, enchainées de tous
coftcz 5 il n*y a que mal qui coule , que
mal qui fe prépare , & le mal poufTe le mal ,
comme la vague pouiTe Tautre 5 la peine eft
toujours prefence , & Tombre de bien nous
déçoit; la beftife & l'aveuglement poiTede
le commencement de la vie > le nûlieu eft
tout en peine & travail , la fin en douleur,
mais toute entière en erreur.
La vie humaine a Tes incommoditez 8c
mifcres communes i ordinaires & perpe->
cuelles : elle en a auffi de particulières &
diilindes , félon que fes parties , aage 8c
faifons , font différentes s enfance , jeu-
nelfe , virilité , vieilleife » chacune à fes pro^
près 8c particulières tares.
.^ . La plufpan du monde parle plus hono-
Compa- rablcment 8c favorablement de la vieiUéffc,
îa'îeu- ^ comtne plus fage, meure, modérée, pour
nclTs à la accufer 8c Êdre rougir la jeuheffe comme
^*" ^^ vicieufe, foie, desbauchée: mais c^eft in-
j^ftement s car à la vérité les défauts 8c
vices de la vicilleflc font en plus grand
nombre , & plus grands 8c importuns que
de la jeuneife 5 elle nous attache encore
pli^s de rides en l'elprit qu'au vifage, & nç
LI V.1.E I. C H AP. XXXVI. 16 f
k -voie point d'amcs qui en vidlIiiTanc ne
Tentent l'aigre & le moiiî : avec le coq>s
refprit s'ufe & s*enipire, & vient tnfîn en
enfantillage : bis pueri fenes, La vieillefTe
cil une maladie necefTaire & puifTante, qui
nous charge imperceptiblement de plufîeurs
imperfedions. On veuft appeller fâgefle une
difficulté d'IiumeuTs , un chagrin & def-
gouft des chofes prefentes, uneimpoiflance
Àc faire comme devant : la CsugaSe efl trop
noble pour fe fcrvir de tels officiers 9 vieil-
lir n'eft pas alTagir ny quitter les vices , mais
ieulement les changer, & en pires. La vieil-
ieâe condamne les voluptez , c'eft pource
/qu'elle eft incapable de les goufter, comme
le chien d'Efope; elle did qu'elle n'en veuft
point, c'efl pource qu'elle n'en peuft jouyr;
elle ne les laifTe pas proprement , ce fonc
elles qui la defdaignent $ elles font toufîours
enjouées & en fefte ^ il ne Ëiut pas que Tim-
puifTance corrompe lé jugement , lequel
doibt en la jeunefTe cognoiflre le vice en la
volupté » & en la vieillefTe la volupté au
vice. Les vices de la jeunefTe font témérité»
promptitude indifcrete, desbauche, &def«
bordemenc aux voluptez , qui font chofes
Tome /• 2
%66 DE LA Sagesse,
naturelles , provenances de ce (kng bouiI«
iant, vigueur & chaleur naturelle , & par
ainfi excufables 3 mais ceux de la vieiUdTc
{ont bien autres. Les légers font une vaine
8c caduque fierté, babil ennuyeux, hu-
meurs efpineufes & infociables , fuperfU-
tion , foin des richeflcs lors que Tufàge ea
•cft perdu, une fotte avarice Se cramte de
ia mort, qui vient proprement non de faute
d'efprit & de courage, comme l'on did,
mais de ce que le vieillard s*eft longuement
accouftumé, accommodé , & comme acco<
^uiné à ce monde , dont il Tayme tant ,
ce qui n'eft aux jeunes. Outre ceux-cy il y
a envie, malignité, injuftice. Mais ce qu'il
y a de plus fot & ridicule en elle , eft qu*elle
fc veuft faire craindre & redouter, & pour
ce tient-elle une morgue auftere & defdai*
gneufe , penfant par là extorquer crainte
•& obeiflànce : mais elle fè faid mocquer
d'elle s car cefte mine fiere & tyrannique
eft receue avec mocquerie & rifée de la,
leunefTe , qui s'exerce à TafEner^ l'amufer,
& par defTein & complot luy celer & def-
guifer la vérité des chofes. Il y a tant de
fautes d'une part en la vieiHeÎTe , 6c tsuax
lIVREl. CHAT. XXXVI. 1*7
d'impuîlTïncc de l'iaae , SlcAÛ propre au
tncfpns, que le meilleur actjuell qu'elle
puilfc ËÛTc , c'en d'aifeâion & unitU , eu
le commandement Se U ctaïoie oc font
plus {es armes. Il lui (ïed tant nul de (è
&it% craindre l & quand elle le poniroii ,
encore doibt-eUe plnftoil £c ^re aymci Se
honorer.
Zij
CINQUIESME ET DERNIERE
CONSIDERATION DE l'HOMME,
par les varietez & difFcrences grandes qui
font en luy » & leurs comparaifons.
De la différence & inefgaliti des hommes
en gênerai,
CHAPITRE XXXVII.
1 L n*y a rien en ce bas monde oii il fe
trouve tant de différence qu'entre les hom-
mes , & différences ^ efloignées en mefme
fubjeâ & efpece. Si Ton en veufl croire
Pline, Hérodote, Plutarque , il y a des
formes d'hommes en certains endroiâs qui
ont fort peu de refTemblahte aia noibre : &
y en a de meftiffes & ambiguës entre l'hu-
maine & la brutale. Il y a des contrées où
les hommes font fans tede, portant les
yeux & la bouche en la poidrines oii ils font
androgynes; ou ils marchent de quatre pat-
tes s oii ils n'ont qu'un œil au front , & la
tefle plus fèmblable à celle d*un chien qu'à
la nofhre i oii ils font moitié poiifon par
en bas, & vivent en l'eaue^ oii les femmes
liv&eI CHAKX3CXVII. lé^
açcouchenc à cinq ans & n*eil vivent que
huit ; oii ils ont la tefte û dure & le front ,
que le fer n*y peuft mordre & rebroufle
contre y oii ils fe changent naturellement
en loups , en j nmens , 8c puis encore en hom-
mes s où ils (ont fans bouche, £è nburrif-*
fantde la fenteur de certaines odeurs s od
ils rendent la femence de codeur noire. £e
de noftre temps nous avons defcouvert 8c
touché à Tœil & au doigt , où les hommes
font fans barbe , faiis ufage defbu , de bled,
de vin , od eft tenue pour la plus grande
beauté ce que nous eftimons la plus grande
laideur, comme a efté diâ devant. Quant chap. n.
à la diverfité des mœurs , fe dira ailleurs^ 1* ^* ^* ^*
£t fans parler de toutes ces efkangetez «
nousfçàvons que quant au vi(àge, il n*eft
po/fibie trouver deux vifages en tout & par
tout fembiables. Il peuft advenir de femef*
compter & prendre i'unpour Tautre, à caufe
de la reflemblance grande : mais c*eft en
Fabfence de l'un 5 car en pre(ence de tous
«deux , il eft aifé de remarquer la' différence ,
quand bien on ne la pourrbit exprimer. Aux
âmes y a bien plus grande dif&rence : car
non feulement elle eft plus grande. fans
XJO DE LA SAGESSI,
comparaifon d'homme à homme , que de
bcfte à befte : mais ( qui efl bien enchérir }
il y a plus grande différence d'homme à
homme, que d'homme à befte j car un ex-
cellent animal eft plus approchant de l'hom-
me de la plus baflê marche» que n'eft ceft
homme d'un autre grand & excellent, Cefte
grande diifèrence des hommes vient des
^ualitez internes , & de la part de Tefprit y
oii y a tant de pièces, tant de refTons, que
c'eft chofe infinie , & des degrez fans nom-
bre. Il nous faut icy pour le dernier appren-
dre à cognoifbe l'homme par les diftinc-
dons & différences qui font en luy : or elles
font div.erfes félon qu'il y a plufîeurs pièces
en l'homme, plufieurs raifons & moyens
de les confîderer & comparer. Nous en
donnerons icy cinq principales , aufquelles
toutes les autres fe pourront rapponer , Se
généralement tout ce qui éft en Thonmie ,
cfprit , corps , naturel , acquit , public ,
privé , apparent , fecret : & ainfi cefte cin-
quieûne & dernière confîderation de l'hom-
me aura cinq parties, qui feront cinq grandes
^capitales diftmâions des hommes, f^^
voir*
iivitsL CHAP. XXXVII. %7%
La première y naturelle & efTentielle, &;
univerfelle de tout l'homme , efprit & corps*
La féconde, naturelle & efTcntielle prin*
cipalement, & aucunement acquife, de la
force & Tuffifance de Tefprit.
La tierce, accidentale > de Teftat, con-
dition & debvoir, tirée de la fuperiorité ^
infériorité.
La quatriefme , accidentale , de la con-
dition & profefHon de vie.
La cinquiefme & dernière , des Êiveutt
& desfaveurs de la naturel de la fortune.
Première diftinBion & différence des hom-
mes , naturelle & ejfentielle , tirée de la
diverfi ajjpette du monde, '
CHAPITRE XXXVin.
La première, plus notable & univerfelle ^* ç
4iftinâion des hommes , qui regarde TeA té des
prit & le corps , & tout Teftre de l'homme, fe ^pn»»""
prend & tire de l'affiette diverfe du monde» la diver-
£clon laquelle le regard & l'influence du ^ca^»««
ciel &du foleil, l'air, le climat, le ter-.^ie.
loir, font divers. Auffi font divers non feu-
kmcnt le teinâ, la taille » la complexion.
ty% DELA SA6B&SS,
la contenance, les mœuts^ mais encore Ici
facilitez de Tame. Plagacœli non fo/umad
rohur eorporum , fed & animorum , facie*
Atkenis tenue cœiitm , exquo etiam acutio*
res Attici; craffum Thebis^ idco pingues
Tkebani & vaUntes^ Dont Platon remer-
doit Dieu qu*il eftoit né Athénien & non
Thebain :
Talcs funt bommum mentes » quali patec ip(e
Juppiter auâifeti Ittftcavlt lampade tenas.
Ainfi que les fruiâs & les animaux naiiTent
divers félon les diverfes contrées i aufli les
hommes naifTent plus ou moins belliqueux;
juftes , temperans , dociles, religieux , chat-
tes , ingénieux , bons , obeiiTans , beaux ,
fains, forts. C'eftpourquoy Cyrusne voulut
accorder aux Perfes d'abandonner leur pays
afpre'^ boiTu poiu: aller en un autre doux
& plain , di(ant que les terres grafTes &
molles font les honunes mois , & les fertiles
les e(prits infertils.
^ Suivant ce fondement nous pouvons en
Partage gros partager le monde en trois parties, &
de ?°"' ^^^^ ^® hommes en trois fones de naturel :
trois. nous ferons donc trois afllcttes générales du
monde , qui font les deux extrémités de
LIVRE I. CMAP. XXXVIII. I7J
Midy & Nord , & la moyenne. Chafque par-
tie & afCette fera de foixante degrez s l'une
de Midy efl foubs l'iEquateur, trente degrez
deçà & trente delà , c'eft -à-dire tout ce qui
efl: entre les deux Tropiques , tin peu plus ,
où font les régions ardentes & les Méridio-
naux , l'Afrique , & l'Ethiopie au milieu
d'Orient & d'Occident s l'Arabie, Calicut,
les Moluques, les laves, la Taprobane, vers
Orient > le Peru & grands mers vers Occi-
dent. L'autre moyenne eft de trente degrez
outre les Tropiques , tant deçà que delà
vers les Pôles , ou font les régions moyennes
& tempérées , toute l'Europe avec la mer
Méditerranée, au milieu d'Orient Se Occi-
dent 5 toute l'Afie tant petite que grande^
qui eft vers Orient , avec la Chine & le
Jappon, & l'Amérique occidentale. La tierce
€{m eft de trente degrez , qui font les plus
près des deux Pôles de chafque cofté , où
font les régions froides & glaciales , peu-
ples feptentrionaux , la Tartarie , Mofco-
vie, Eftotilam , & la Magellane, qui n'eft
pas encore bien dcfcouverte.
. Suivant ce partie gênerai du monde , ^.^^^
auffi font différents les naturels des hos^^ natiucki
174 ^> ^ ^ Sagessi»
mes en toutes chofes , corps , e(prit , reli-^
gion , mœurs , comme Te peuft voir en
cède petite table. Car les
Septentrionaux
I. Aa Sont hauts & grands» picuîteuz» Tanguins,
corps. ]>lancs & blonds , (bciables , la voix forte ,
k cuir mol & velu , grands mangeurs &
beuveurs , & puiilans.
1. Ef. Gro/fiers, lourds, ftupides, fots, faciles,
^ * légers , inconftans.
3. Rcli- pçtj religieux & devorieux.
^* Guerriers, vaillans , pénibles , chaftes,
Mauri. exempts de jaloufîe , cruels 8c inhumains.
Moyens
Sont médiocres & tempérez en toutes ces
choses, comme neutres, on bien partici-
pans un peu de toutes ces deux extremitez,
&L tenans plus de la région de la<|uelle ils
font plus voi/îns.
M ERI DI ONAU X
f . Aa Sont petits , melancholiques , froids &
«orpi. f^ç^^ noirs, (blitaires, lavoixgreflc, le
cuir dur avec peu de poil & cre(pu , abfH*
nens, foibles.
i>Er» Ingénieux, fages, prudens, £ns> opw
r«- niaftra*
LIVReI. CHAP. XXX VIÎI. Xfj
SuperfUticuz» contemplatifs. 5* R«^**
Non guerriers, & lafchcs, paillards, ja- ^***°[
loux, cruels & inhumains. Mœurs.
Toutes ces différences fc prouvent aife- i.
ment. Quant à celles du corps, elles fe cog- j^""^'*
noiiTent à l'œil y Se s*il y a quelques cxcep- diâTerea-
tions, elles font, rares & viennent du mcf- ^** ^**
lange des peuples , ou bien des vents , des
raues, & de la fituatlon paniculiere des lieux,
dont une montaigne fera une notable dif-
férence en mefme degré , voire mefme pays
;& ville : ceux de la ville haute d'Athènes
cftoient tout d'autre humeur , diâ Plutar-
4}ue , que ceux du port de Pirée : une mon-
taigne du codé de feptentrion rendra la
nraÛée qui fera vers le midy toute meri^
dionalle , & au contraire auffî.
Quant à celles de l'efprit , nous fçavons ^^
que les arts mécaniques & ouvrages de EOrtc*
main font de §q>tentrion , ou ils font péni-
bles ; les fciences fpeculatives font venues
du Midy. Cefar & les Anciens appellent les
Egyptiens très ingénieux & fubtils. Moyfe
cfl diâ infbuit en leur fageflc ; la Philo-
fbphie eft venue de là en Grèce ^ la ma-
jorité commence pluflof); chez eux à caufè
17^ D£ LA Sagesse»
de Tefprit & finelTe : les gardes des Princes,
oieûne méridionaux, font de Septentrion ,
comme ayant plus de force & moins de
finefle & de malice : ainfi les Méridionaux
font fubjeâs à grandes vertus & grands vi- '
ces , comme il efl diâ d*Annibal : les Sep- '
tentrionaux ont la bonté & iîmplicité. Les
fciences moyennes & mixtes , politiques ,
loix & éloquence » - font aux nations mi-
toyennes , aufquels ont fieury les grands
empires & polices,
j. Pour le troiiîefme poinâ, les religions
Religion, font venues du Midy , Egypte, Arabie,
Cbaldée : plus de fuperftition en Afrique
qu'au rcfte du monde j tefmoin les vœux
tant frequens , les temples tant magnifi-
ques. Les Septentrionaux , 6îék Cefar , peu
foucieux de religion , font attentifs à la
guerre & à la chafle.
Quant aux mœurs , premièrement tou-
MϞrs. chant la guerre, il efl cenain que les grandes
armées , arts, inflrumens & inventions mi-
litaires, font venues de Septentrion. Les
peuples de là , Scythes , Gots , Vandales ,
Huns, Tartares, Turcs, Germains, ont
battu & vaincu toutes les autres notions , de
LlYSTE I. CHAP. XXXVIIL '^.7^
lavage tout ie^moiute, donc cOt tant fou-
vent diâ, que tout mal vient d'Aquilon.
•Les duels 6c combats font venus de là. Les
Septentrionaux .adorent le glaive fiché en
terre , diâ Solinus » invincibles aux autres
nations > voiie aux Romains qui ont vaincu
4e refie , Se ont efté deftruits par eux : auffî
s'aiSûblifTent ^ & s*al^ngourifrent au vent
:de Su , & allant vers Midys comme les Me-
-ridionaox venant au Nord, redoublent leurs
forces. Â caufe de leur fierté guerrière » ils
ne peuvent fouiErir qu'on leur commande
-par braveriez ils vetdent la lîbené, au moins
les commandemens eleâîfi. Touchant la
chafteté & la jaloufie, en Septentrion une
tfeule femme à un homme , di£b Tacitus $
«ncore f«i£t-elle pour plufieurs, diâ Cefar $
siolle jaloufie , diâ Munfter , où les hom-
mes & femmes fe baignent enfemble avec
les eftrangers. En Midy la polygaitaie eft
pax^tout receue. Toute TAfrique adore'Ve-
ntts, <Uâ -Solinus, Les Méridionaux meu-
rent de jaloufie, à caufe de quoy ils ont
les Eunuques gardiens de leurs femmes, que
les grands Seigneurs ont en grand nombre
«omme des haras.
Tonu I. A a
zy$ delaSaoisse-, •
Quant à la cnuut^, les exciemitez Caat
femblablcs^nuis pourdiverfes caufes» corn*
me £c verra cancoft aux caufes : les puni-
tions de la roue , & les empakmens des
vifs , venus de. Septentrion : les inhnmani*
tez des Molcovites & Tartares foi^t toutes
notoires V Les Allenxans > ûi£k Tacite , ne pu^
milèntks coupables juridiquement, mais les
-tuent cruellement comme ennemis. Ceux
xie Midy auffi efcorchent tout vifs les cri-
minels , & leur appétit de vengeance eft fi
grand , qu'ils en deviennent furieux s'ils ne
rafTouvifTent. Au milieu font bénins & hu-
mains. Les Romains puniffoienc les plus
grands crimes du banniifement fimple s lès
Grecs ûfbiént de breuvage, doux de cigu'ê
pour faire mourir les condanmez. Et Ci-
<eron diâ que Thumanité & la courtoific
-eft partie de TAfie mineure & dérivée au
rcfte du monde,
f . - La caufe de toutes ces dif&rences corpo*
delfÛ^'^^"^ & fpirituelles eft rinequaUté ôc dit
dïâc9 .ference de la chaleur naturelle interne , qui
diffère n g.(^ çj^ ç^^ pj^yg ^ peuples , fçavoir forte &
véhémente aux Septentrionaux, à caufe du
grand fi:oid externe , qui la reffctre & renr
LIVRE I.CHAP.XXXVIIL 179
ferme au dedans , conimè les caves & lieux
profonds font chauds en hyver, & les cfto-'
macfas» ventres kyeme calidiores ^ ioihlc
aux Méridionaux, eftant diilîpée & attirée
au dehors par la véhémence de Texteme ,
comme en efté les ventres & lieux de def-
ibubs terre font froids 5 moyenne & tem-
perée en ceux du milieu. De cefte diver-
iîcé , dis'je , & inequalité de chaleur naeu*
relie, viennent ces di&rences, non /eule-^
ment corporelles, ce qu'il eftaifôdere-*
m^MXfuer, mais encore (pirituelles; caries
Méridionaux , à caufe de leur tempéra-
ment froid , font melancholiques , & par
9in& arreftez, conflans , contemp]ati6, in-
génieux , religieux, (âges. Car la fagcffe eft
ajux animaiBE froids conune.aux elephans ;
c|ui , comme le plus melancholique de tous
animaux ^ eft le plus (âge , docile , religieux,
à caufe du fang firoid. De ce tempérament
melancholique advient auflî que les Merî-
<lionaux font paillards à caufe de la melan-
cholie fpumeufe, abradente^ & falace, corn-
xo^ il fc yoit.^uît lièvres i & cruels, paroe-
<|ue cefte melancholie abradente prelTe vio=*.
f ejnment les paillons if, la veligeance. les
A aij
2(8a BELA S.A GESSE,
Septentrionaux, picakeiix.& (àngoÎQS^ it
tempérament roue contraire aux Méridio-
naux,, ont les qualités toutes, contraires ,
fkuf qu'ils conviennent £n:une chofè, c'efb
qu'ils font aufB cruds & inhumains, maifc
c'eflpar une autre raifon , fçavoir par de-
&ut de. jugement , dont comme beftes ne
ic fçarent conunander Se Ce contenir. Ceux
du milieu., £uiguins & clu^ros-, (ont tem«
perez, d*nnc belk hxuaear, joyeux, diT^
poils, aâi&
Nous pourrons encore plus exqutftmcnt
& rubtilementreprefenter le divers naturel
de cestrois fortes de peuples, parapplica*
tion & comparaifon de toutescbofes, com-
me fe fourra voir en cède petite table , od
fe voit que proprement appartient , ^ C^
peuft rapporter aux
S £ P T E N T R X O RA U'X
Le fens commun.
Force comme des- ours & beftes»
Mars , Lune : guerre, ckaffé.
Ans & manu&dux^.
- Ouvnen, arti(àns , &ldats. Exécuter U
obéir;
Jeunes mat^habilcs.
hvreL.o^hap. XXXVIII. x8ï
M o y E N s
bîfcours & ratiocination*
Raifon & juftice d'hommes.
Jupiter, Mercure: Empereurs, Orateurs.
Prudence , cognoifTance du bien & du
xnal.
Magiftrats pourvoyans : juger , corn-
ihander.
Hommes faits, manieurs d'af&ires.
Méridionaux
Intelleâ.
FincfTe de renards , 6c rdigion de gens
divins:
Saturne , Venus : conte^1placion , amour.
Science du vray & du £iux.
Pontifes, Philofophes,' contempler.
Vieillaids graves, fages , penfifs.
. Les autres diftinâions plus paniculieres
£e peuvent rapporter à cefte-.cy générale
de Midy & Nord : car Ton peuf): rapporter
aux conditions des Septentrionaux , ceux
d'Occident , & ceux qui vivent aux mon-
tagnes, guerriçrs, fiers , amoureux de li-
berté > à caufe du froid qui eft aux mon*
A auj
i:Sx: DE LA S AGES Sty
t^es. Auffi ceui qiii<rQfit clloignez de b
mer 9 plus fîmplcs & entiers. Et au contraire
aux con<!itions des Méridionaux l'on peuft:
rapponer les Orientaux , ceux qui vivent
aux vallées , efFeminez » délicats , à caufe de
la fenilité d*oii vient la Volupté. Auffi les
maritimes trompeurs Bc fins à caufe du
commerce Se du trafic avec diverfes fones
de gens &• nations.
Par tout ce difcours il fe voit qu'en gê-
nerai ceux de Septentrion font plus advan*
t^ex aux corps , & ont la force pour leur
f^axi & ceilx do Midy enreQ>rit, & ont
pour eux la nneife; ceux du milieu ont de
tout, & font tbmpercz en tout. AufH s'ap-
prend par là. que leurs moeurs ne font i
vray dire ny vices ny vertus , mais œuvres
de nanue : laqueUe du tout corriger & du
tout renoncer, il eft plus que difficile 5 mais
adoucir, tempérer, ramener, à peu près les
cxtremitez- à- la médiocrité , o'eft l'œuvre
de vertu.
1 1 V K 1 I. C H A p. XXXIK. If^
Seconde diftinéfion & différence plusfuhtiU
des efprits , &fufifances des hommes.
CHAPITRE XXXIX,
C £ s T £ féconde diftinâîon , qui regarde i^q\^
refprit & la (oâifancc, n'eft fi apparente Jo«e« ^
& perceptible comme les autres , & vient je^gens
tant du naturel que de Tacquis y félon la- au mon*
quelle y a trois fortes de gens au monde, '
comme trois daffes & degrez d'efprits» En
Tun &le plus bas font les efprits foibles &
plats , de baiTe & petite capacité , nais pour
obéir, fèrvir & eftre menez, qui en efièâ-
£bnt amplement homimes. Au fécond Se
moyen eftage font ceux qui font de me*
diocre jugement , font profeflîon de fuffi*
£mce , fcience, habilité : mais qui ne fe
icntent & ne fe jugent pas afTez, s*arref-
tent à ce que Ton tient communément &
l'on leur baille du premier coup, {ans davan-
tage s'enquérir de la vérité & fource des
chofes , voire penfent qu'il ne l'eil pas
permis : & ne regardent point plus loin que
là ou ils fe trouvent ^ penfent que par-tout
cft ainfi , ou doibt eftre ^ que fi c'aft autrer
t%4 Bï L A Sao £.S »B,
ment, ils £iillent & font barbares. Us s'a(^
fervilTent aux opinions & lois municipales
du lieu oii ils fe trouvent deflors qu'ils font
efclos, non feulement par obfervance 8c
ufage, ce que tous doibvénr faire, mais en*
core de cœur.& d'ame, & penfeîit que ce
que l'on croit et leur village eft la vraye'
touche de vérité , & la feule » ou bien la
meilleure reigle de bien vivre» Ces gens
font de l'efchole & du reflbrt d'Ariftote ,
a&matiis, pofitiis, dogmatises , qui re^*
gardent plus l'utiHtë que la vérité, ce qui
eft propre à Tùfage & trafic du monde, qu'à.
ce qui efl bon 6c vray en foy. £n. cëfle-
claffe y a très grand nombre & diveriîté
de degtez > les principaux & plus habiles,
d'entr'eux gouvernent le monde , Se ont
Us commandemens en main. Au troiiîe(mc
& plus haut eftage font les hommes doaex
d'u^ efprit vif & clair, jugement fbrtv
ferme & fblide, qui ne fe contentent d'un
Quy dire, ne s'àrreftent aux opinions com-
munes & receues , ne fe laiilènt gagner 6&
préoccuper à la créance publique , de la-
quelle ils ne s'eftonnent point , fçachanc
qu'il y a plttfieurs bourdes » Êuilfecez 6&
iivreI. cmap. XXXIX. 185
impoftures reloues au inonde avec appro-
bation & appIaudifTement, voire adoration
Ik. cevecence publique : mais ezaminenc
toutes cbofes qui fe propofent, fondent
jourement , & cherchent (ans paf&on les
caufes , moti& , & refibrts , jufques à la ra-
cine , aimant mieux doubter & tenir en CuC-
pens leur créance, que par une trop molle
de lafche facilité , ou légèreté » ou précipi-
tation, da jugement » £t paiflre de fàulfeté ,-
&.a£Sj[3ner ou- fe tenir adcurez de chofè
de laquelle ils ne peuvent avoir raifon cer-
taine. Ceux-cy font en petit nombre , de-
Tefcbole & refTon de Socrates & Platon ,
modeftes, fbbres, retenus , coniiderant plus*
la vérité dcreaUté des chofes- que l'utilité ;•
& s'ils font bien nais, ayant aVec ce deflus^
la probité & le reiglement des mœurs, ils
£bnt vray^ment (âges & tels que nous cher-
chons icy. Mais pource qu'ils ne s'accor-
dent pas avec le commun quant aux opi-
nions , voyent plus clair , pénètrent plus
avant , ne font fî £iciies , ils font foupçon-
nez' de mal'eftimez des autres qui font en
beaucoup* plus giand nombre, 8c tenus pour
£ui(aC|ues.3e Philofo^es ^.c'eft par injure
9:%6 t>ËLASA6ESSE,
qu'ils ufcnt de ce mot. En la première âe
ces trois clafTes y a bien plus grand nom-
bre qu'en la féconde, & en la^ féconde qu'en
la troifîefme. Ceux de la: première & der-
nière, plus baiTe & plus haute,, ne tron*^
blent point le monde, ne remuent rien,
les uns par infufifance &fbiblede, les au-
tres par grande fuififance , fermeté & £a-
geife. Ceux ,da milieu £bnt tout. le bruiâ
& les difpotes qui £bnt au moiidé , pre***^
(umptueuz, toufiours agkez & imitants»
Ceux de la plus baflc marche , comme le
fond, la lie, la fentine, reilbmblent à la.
terre , qui ne fài<5b ^e recevoir & foùf&ir,
ce qui vient d'en haut. Ceux delà moyenne
reflèmblent à la région de. l'air en laquelle
£e formei^^ ^^s.les nieteores & fe font
tous les brui<^'& altérations qui puis tom-
bent en terre. Ceux du plus haut eftage
reifemblent à Taether & plus haute région-
Toiûne du ciel , fereine , claire, nette &
paiûble. Ceûe différence d'hommes vient
en partie du naturel ^ de la première^ com-.
pofition & tempérament du cerveau , qui
eft fort différent, huniiide, chaud, fec, &!
fiar plofieuis degrez^ dooicles çfprits Se j^:
tioa*
LIVRE L-.CHAÏ». XXXIX. 187
^emcujcs font ouibrt folidcs, courageux, ou
foibles, craintifs, plats : en partie de l'inf-
trudion & difcipline 5 auflî de rexpericnce
& hantife du monde , qui fert fort à fe
defniaifer & mettre fon efprit hors de page.
Au refte il fe trouve de toutes ces trois
ibrtes de gens , foubs toute robe, forme
& condition, & des bons & des mauvais^
mais bien diverfement.
L*on fai<a encore une autre diftindion ^ ,
d'cfprits & fuffifances , car les uns fe font ^""®
voye eux-mefmes & ouverture , fe condui-
fem feuls. Ceux-cy font heureux de la
plus haute taille, & bien rares j les autres
ont befoin d*aide , mais ils font encore
doubles 5 car les uns n*ont befoin que d^çC-
tre cfclairez5 c'eft aifez qu'il y aie un guide
& un flambeau qui.ma^che devant, ils fuy-
vront volontiers & bien aîfement 5 les autres
veulent eftrc tirez , ont befoin de compulfoi-
re , & que Ton les prenne par la main. Je laiffc.
ceux qui par grande foibleffe, comme ceux
de la plus baiTe marche , ou par malignité
de nature , comme il y en a en la moyenne ,
qui ne font bons à fuyvre, ny ne fe laiifent
tirer & condoixe , gens defei^erçz.
/
-l8S de la Sacesss,
Troîfiefme diftînHion & différence des hom*
mes occidentale , de leurs degre^^^ efiats ,
& charges.
CHAPITRE XL.
vJ £ s T£ diftînâîon accidentole , qui regarde
les efiats & charges , efl fondée fur deux
principes & fondemens de la focieté hu-
maine , qui font commander & obeyr ,
puifTance & fubjeâion , fuperioricé & in-*
feriorité : imperio & ohfequio omnia conf"
tant, Cefte diftindion fe verra première-
ment mieux en gros en cefte uble.
litreI. cfiAr. XL. 189
Divifion première & générale.
Tonte puiiEmce & fubjediQii eft ou
I. Privée, laquelle eil aux
familles & mefnages » & eft de quatre
façons.
Mariage , du mary i la femme : ceùe-ey
ed la fource de la fociecé humaine.
Paternelle, des parens furies enfans:
cefte-cy eH vrayemenc nacurelle.
Nerile , double , fçayoir des
Sei((neurs fiir leurs efclav^.
MaiAres fur leurs ferviteurs.
Patronelle , des patrons fur leurs affran«
chis yde laquelle Tuia^e eu peu frequear.
Corps & collèges , communautez ci-
viles, fur les particuliers membres
de la communauté.
1. Publique , laquelle eft ou
Souveraine , qui eik de trois façons, &
font trois fortes d'ellacs , cunSas na-
tionts&urbtSj pûpulus , autprimortSy
Mtt fin£iéli re^unt , fçayoir ,
Monarchie â'un ,
Ariftocratie de peu ,
Démocratie de tous.
Subalterne , qui eft en ceux qui font fu-
perteurs& inférieurs pour oivcrfcs rai-
ibns, lieux, perfonnes, comme font les
Seigneurs particuliers en planeurs
degrez.
Ofiîcicrs de la Sonveraineté , qui
font en grande divcritté.
Tome L B b
190 DE LA S A G E S S I,
Sulxlivi. Ceftc puifTance publique , foit (buvc-»
fion de raine , foit fubalteme , reçoit des fubdivî-
rainc. ' ^^^^ ^^'^^ ^^^ (çavoir. La fouyeraîjie , cjuî
cft tnple y comme diâ eft , pour le regard
de la manière du gouvernement , eft encore
triple, c*cft-à-dire chafcune de ces trois
cft conduiéte en trois façons, dontefi diâc
royale , ou fçigneuriale , ou tyrannique.
vRoyale, en laquelle le fouverain ( loit il un,
ou plufîeurs, ou cous) obciifant aux loiz
de nature , garde la liberté naturelle & la
propriété des biens avpc fubjcds. j4d reges
poteftas omnis pertinet, ad fingulos pro^
prietas. Omnia rex imperio pojpdet^ fin-
guli dominio. Seigneuriale, où le fouverain
eft feigneur des perfonnes Se des biens , par
le droiâ des armes , gouvernant fes fub-
jeds comme efclaves. Tyrannique , où le
fouverain, mefprifant toutes les loiz de na-
ture, abufe des personnes Se des biens de
fes fubjcds, différant du feigneur, comme
le voleur de renncmi de guerre. Pes trois
eflats fouverains le monarchique , & des
trois gouvernements le feigneurial , font
les plus anciens , grands , durables , au-
guftes, comme anciennement Afl)'ric, Pçrfç,
LlVRlLcHAP. XL. 9^t
itgyptc , & maintenant -Ethiopie , la plus
ancienne qui foit , Mofcovie , Tartarie ,
Turquie, IcPeru. Mais le meilleur & plus
naturel eftat & gouvernement eft la mo-
narchie royale : les ariftocratics fameufes
font jadis Lacedemone & maintenant Ve-
nife 5 les démocraties , Rome , Athènes ,
Carthage, royales en leur gouvernement.
La puiflance publique fubalterne, qui eft -^J'^ .^
aux feigneurs particuliers > eft de pluiîeurs gneurs
fortes & degrez, principalement cinq : fça- P*^"*^""
voir, feigneurs
Tributaires, qui doivent tribut feule-
ment. Feudataires , VafTaux fîmplcs , qui
doivent foy & hommage pour le fief : ces
trois peuvent cftre (buverains.
Vaffaux liges, qui, outre la foy & hom-
mage , doivent encore fervice perfonnel ,
dont ils ne peuvent eftre vrayement Cou-
vcrains.
Subje^ naturels foit vaffaux ou ccn-
fîers , ou autrement, lefquels doivent fub-
jeâion & obeyflance , & ne fe peuvent
exempter de la puiffancc de leur fouverain,
fa £bnt feigneurs.
La puifËuiçe publique fubalterne , qui
Bbij
l^t DE LA SaCSSSE,
eft aux oâiciers^c h fouveraineté , eft iç
plufîeurs foncs , St pour le regard de l'hon-
neur & de la puiflànce » reviennent à cm<}
degrez.
4* Premier & plus bas des in£imes, qui doi*
fidcri " ^"*' demourer hors la ville , exécuteurs
derniers de la juftice.
1. De ceux qui n*ont ny honneur ny in-
£unie , fergeants , trompettes.
3 . Qui ont honneur fans cognoiilânce 8c
puiiTance, notaires» receveurs , fecretaires.
4* Qui ont avec honneur , pui/Tance &
cogûoidance » mais fans juri£iiâiûn , les
gens du Roy.
5. Qui ont juri^diâion, & par ain(i tout
le refies & ceux-cy s'appellent proprement
magifkats s desquels y a pludeurs diftinc-
dons , & principalement ces cinq , qui Com
toutes doubles.
•
I. En majeurs, fenaceurs ^ mineurs « )uget«
X. £n politiques , miliuic^s.
3. £n civils 9 criminels.
4. En ciculaircs en office formé » commif-
faires.
f . En perpétuels , comme doivent eftre les
moindres , 6c en nombre ^ temporels 9c mua-
blés y comine doivent eâze les grands.
X, X^ R E I. C lï A P. X LI. l^J
*ibi
jyes eftats & degre:( des hommes en parti*
culier^ fuyvant cefte précédente table^
ADVERTISSEMENT.
I c T eft parlé en particulier des pièces de
vcede table & diflinâion de puiflances ^
fubjeâions ( commençant par les privées
& domeftiqaes ) c*eft-à-dire de chafque
-eftat & profeffion des hommes , pour les
eognoiftrc; c*eft icy le livre de la cognoif-
(ance de l'homme > car les debvoirs d'un
chafcun feront au troifîefme livre en la
vertu de juftice » ou de mefme ordre tous
ces eftats & chapitres fe reprendront. Or
avant y entrer faut fommairement parler
■du commander & obéir, deux fondemens
, Se caufes principales de ces diverfités d'ef-
cats & charges.
Du commander & obéir.
CHAPITRE XH.
C £ font , comme a efté di6l , deux fon-
demens de toute focieté humaine , & de la
divet£té.des eftats & profeifions. Ces deux
Bbiij
1^4 ^£ ^ ^ Sagessc,
font relatifs, fe regardent» requièrent , oH
gcndrent, & confervcnt mutuellement l'un
l'autre, & font pareillement requis en toute
affemblëe & communauté , mais qui font
obligez à une naturelle envie, conteflation
& me(Hifance ou plainéb perpétuelle. Lst
{K)pulaire rend le fbuverain de pire condi-'
don qu'un charretier ; la monarchique le
met au^deifus de Dieu. Au commander eft
la d^nité , la difficulté ( ces deux vont or-
dinairement ensemble ) , la bonté, la fîiffi-'
fance, toutes qualités de grandeur. Lecom*
mander , c'efl-à'-dire la Gifàùxicc , le cott*
rage , l'authorité eft du ciel & de Dieu :
imperium non nifi divino fato datur : omnis
poteflas a Deo eft : dont diâ Platon que
Dieu n'eftablit point des hommes, c'cft-à-
dire de la commune (brte & fufiinmcc , &
purement humaine , par defTus les autres ^
mais ceux qui d'une touche divine , & par
quelque fînguliere vertu & don du ciel,
furpaffent les autres, dont ils font appelez
heroes. En l'obéir eft l'utilité , l'aifance ,
la neceflîté , tellement que pour la confer^
vation du public , il eft encore pliK requis
que le bien conunander s & eft beaucoup
plus dangereux le defny d*obeir» ou le mal
obéir » que le mal commander. Tout ainfi
qu'au mariage bien que le mary Se la fem'
me (oient également obligez à la loyauté
j& fidélité , & l'ayent tous deux promis par
mefmes mots , mermes cérémonies & fo-
Icmnités , fi efl-ce que les inconvénient
fbrtent fans comparaifon plus grands de la
£iute Se adultère de la femme que du mary :
auffî, bien que le commander Se obéir
Soient pareillement requis en tout eftac Se
compagnie , û eft-ce que les inconveniens
(ont bien plus dangereux de la defobeif-
£mce des Tubjeâs que de la faute des corn-
mandans. Plufieurs eflats.ont longuement
roulé Se afTez heureufement duré foubs de
très mefcbans princes Se magifbrats , les
{ubjeâs s'y accommodans Se obeifTans $
dont un (âge interrogé pourquoy la répu-
blique de Spane eftoit fi fiorifiante, fi
c'eftoit pource que les Roys commandoient
bien : mais pluflofl , diâ-il, pource que le$
citoyens obeifient bien. Mais Ci les fubjeâs
refufent. d'obéir Se fecouent le joug , il
faut que l'eftat donne du nez à terre*
%f€ 1>£LASaG£SSE»I
mmi
Du Mariage.
CHAPITRE XLII.
'* Combien que Teflat du marine fbit le
premier & plus ancien , le plus important,
& comme le fondement & la fontaine de
la focieté humaine , d'où fourdent les fa>
milles , & d'elles les republiques ; prima
focietas in conjugio eft , quod principium
urbis , feminarium reipublicA : (î eft-ce qu'il
a efté defeftimé & defcrié par plufieurs
grands perfonnages » qui Tont jugé indigne
de gens de cœur & d'efprit , 8c ont drefTé
ces objeâs contre luy.
X. Premièrement ils ont eftimc Ton lien &
Objeas fon obligation injufte , une dure & trop
contre le j . . , ,, . *
mariage, ^de captivité, d autant que par mariage
l'on s'attache & s'afTubjeâic par trop au
foin & aux humeurs d'autruy ; que s'il
advient d'avoir mal rencontré, s'eflremef
compté au choix & au marché , & que l'on
aye prins plus d'os que de chair , l'on de*
moure miferable toute fa vie. Quelle ini-
quité & injuflice pourroit eftreplus grande
que pour une heure de fol marché , pour
LIVRlI. CMAP. XLII. 1^7
une fauce faide fans malice & par mef-
garde , & bien fouveat pour obéir & fuy-
vre l'advis d^autruy , Ton Toit obligé à une
peine perpétuelle ? Il vaudroit mieux fe
mettre la corde au col & fe jetter en la
mer la tefte la première , pour fînir Ces
jours bicntofl: , que dièdre touiîours aux
peines d'enfer , Se fouiïrir fans ceife à fon
codé la tempefle d'une jaloufle, d'une ma-
lice, d'une rage & manie, d'une beftife
opiniaflre , & autres miferables conditions :
<}ont l'un a di<^ que qui avoit inventé ce
nœud & lien de mariage , avoir trouvé un
bel & fpecieux expédient pour fe venger
<les humains , une chaufTetrappe ou un filet
pour attraper les befles, & puis les iaire
languir à petit feu. L'autre a diâ que ma-
rier un fage avec une folle, ou au rebours,
c'cûoit attacher le vif avec le mort 3 qui
eftoit la plus auelle mort inventée par les
tyrans pour faire languir & mourir le vif
par la compagnie du mon.
Par la féconde accufation ils dirent que
le mariage efl une corruption & abaftar-
cliffement des bons & rares efprits , d'au-
tant que les flatteries Sl mignardifes de la
partie que Ton aime, l*afFeéHon des etl«
farxS , le foin de fa maifon & advancement
de Ùl famille , relafchent , deftrcmpent &
ramoliffent la vigueur & la force du plus
vif & généreux efprit qui puifTe cftre , tcf-
moins Samfon, Salomon, Marc Antoine,
dont au pis aller il ne faudroit marier que
ceux qui ont plus de cbair que d'efprit ,
vigoureux au corps & foibles d'ame , les
attacher à la chair , & leur bailler la charge
des chofes petites & baffes , félon leur por-
tée. Mais ceux qui , foibles de corps , ont
Tcfprit grand , fort & puiffant , eft-cc pas
grand dommage de les enferger & garotter
à la chair & au mariage , comme Ton iàid
les bcftes à Teftable ? Nous voyons mcfme
cela. aux belles ^ car les nobles qui font de
valeur & de fervice , chevaux , chiens. Ton
les edoignc de Taccoin tance de l'autre fexes
l'on ne met aux haras que les befles de
moindre eftime. Aufli ceux qui font defli-
nez , tant hommes que femmes , à la plus
vénérable & faindle vacation , & qui doy-
vent eflre comme la crefme 8c la mouelle
de la Chreftienté , les gens d'Eglife & de
4:cligion, font exclus du mariage. £c c*eft
IIVRI I. CHAP. XLII. 1^5^
pourcc que le mariage empefche & denour-"
ne les belles & grandes élévations d'ame,
la contemplation des chofes hautes , ce-
leHes & divines, qui eft incompatible avec
le tabut des aiïàires domefliques ; à caufe
de quoy TApoftre préfère la folitude de la
continence au mariage. L'utile peuH: bien
eflre du cofté du mari^^e, mais Thonnefle
cft de Tautre cofté.
Puis il trouble les belles & fainéles en*
trcprinfes, comme fainâ Auguftin récite,
qu'ayant defeigné avec quelques autres liens
amis , dont il y en avoit de mariez , de fe
retirer de la ville & des compagnies pour
vaquer à Teftude de fagefTe & de verru ,
leur deffein fut bientoft rompu & interver-
ty par les femmes de ceux qui en avoient;
Se a did aufli un fage que (i les hommes
fe pouvoient pafler de femmes , qu'ils fe-
roient viiitez & accompagnez des Anges.
Plus , le mariage empefche de voyager
parmy le monde & les étrangers , foit pour
apprendre à fe faire C^e ou pour enfeigner
les autres à l'eftre , & publier ce que Ton
f^aît : bref le mariage non feulement apol*
(Tonit ou accroupit les bons & grands ef^^
jOO DE LA SaCESSB,
pries , mais prive le public de plufieuis.
belles & grandes chofes qui ne peuvent
s'exploiâei: demeurant au fein & augyroa
d'une femme & autour des petits enfans.
Mais ne ùâéJb-îl pas beau voir , & n*eft-ce
pas grand dommage que celuy qui eft ca-
pable de gouverner & poUcer tout un
monde, s*amu{c à conduire une (èmme Se
des enfans ? Dont refpondit un grand per-
fennage, quand Ton luy parla de fe ma-
rier , qu'il eftoit né pour commander aux
hommes & non à une femmelette , pour
confeiller & gouverner les Roys & Princes»
& non pas de perits enfàns.
A tout cela Ton peuft dire que la nature
Refpon- humaine n*eft pas capable de perfeâion &
fc à iccux jjg chofe ou n'y ait à redire , comme a eftc
diâ: ailleurs 3 fes meilleurs remèdes & ex-
pediens font toujours un peu malades ,
medez d'incommoditez : ce (ont tous maux
necelTaires : c'a efté le meilleur que l'on a
' peu advifer pour fa confervarion & muhi-
plication. Aucuns, comme Platon 8c au-
tres , ont voulu fubtilifer & inventer des
moyens pour éviter ces efpines : mais outre
qu'ils ont fai£t & forgé des chofes en Tair ,
L I Y R E I. C H A P. XLII. 301
^ ne fe pouvoient bien tenir longuemenc
en ufage 5 encore leurs inventions , quand
elles fcroient mifes en pra^quc, ne feroient
pas fans plufîeurs incommoditez & diifi*
cultez. L'homme les caufe & les produit
luy-mefme par Ton vice & intempérance ,
& par Tes parlions contraires > & n'en faut
pas accu(èr Teftat, ny autre que i'bommé
qui ne f^ait bien u fer d'aucune chofe. Et
peuft-on dire encore qu'à <:aufe de ces ef-
pines & difficultez , c'efl une efchole de
vertu, un apprentiffage , & on exercice
familier & domeftique : & difoit Socrates ,
le Doreur de fageflè, à ceux qui luy ob-
l^-^dloient la tefte de Ùl femme , qu'il appre-
Boit par là en fa nrnCon à eftre confiant
Se patient par-tout ailleurs , & à trouver
4ou<fes les pointures de la fonune. Etpuis
e&£n on ne' contredit pas que celuy qui
s/cn pafTe ne faffe encore mieux. Mais à
l'honneur du mariage , k Chreftien did
que Dieu l'a inititu^ au paradis terreilre
^vant toute autre chofe , en l'eftat d'inno-
cence & perfe(Stion 5 voylà quatre recom-
mandations , la quatriefme paffe tout &c
ians jrcpliquc. Defpui^ le fils de pieu l'a
Tome L Ç c
502^ DE LASaGESSÎ,
approuvé & honoré de fa prcfcnce , fort
premier miracle ,-& miracle faiâ en faveur
dudiâ eftat & des gens mariez. Se Ta ho-
noré de ce privilège, qu'il £èrt de figure de
cefte grande union de luy avec (on Eglife,
& pour ce il a elle appelé myflere & grand.
^. A la vérité le mariage a*eft point chô^
Du lout indifférente ou mediocte 5 c'eft du tout un
bien ou ff^^ ^^^^ ^^ ^^ grand mal , un grand
f rand repos OU un grand trouble , un paradis ou
un enfer ; c*eft une très douce & plainte
vie , s'il eft bien faiél; un rude ?t dange-
reux marché , & une bien cfpineufe & poi-
fantc liaifon , s'il efl mal rencontré 5 c'eft
une convention où fe vérifie bien à poinû
ce que l'on diâ : home homini deus , aut
lupus.
^ . Mariage eft un ouvrage b&fli de pluêeurs
Le bon pièces 5 il y feut un rencontre de beaucoup
eft un ra- 4 «. « ri*
rc bien. "^ qualitez 5 tant de coiinderations , outre
& hors les perfonnes mariées. Car qooy
^u*0H die. Ton iie'fe marie feulement pour
foy 5 la pofterité, la famille, Talliance , le»
moyens y poifent beaucoup : voylà pour-
quoy il s'en trouve fî peu de bons ; & ce
qui s'en trouve' & peu » <'efl fîgnc de foû
L I V R E !♦ C H A P. X 1 1 1. 305
fm & de ùl valeur , c*eft la condition des
plus grandes charges. La royauté efl auffi
pleine de difficulté:», & peu l'exercent bien
& heurcufement. Mais ce qiK nous voyons
fbuvent qu*il ne fe porte pas bien » cela
vient de la licence & desbauche desper-
Tonnes , & non de l'eftat 3c inftitution du
mariage , dont il Te trouve plus commode
aux âmes bonnes , £mples & populaires »
où les délices , la curiofité » Toyfîvet^ > le
troublent moins: les humeurs desbaUchées,
Içs âmes turbulentes 8c détraqué^ ne font
pas propres à ce marché.
Mariage eftun f^e marché , un lien Sç g^
une coufture fainâe 8c inviolable , une Defcrip-
convention honorable : s*il eft bien £itçon-* ^oh^u
né & bien prins » il n*y a rien plus beau au fomm ai-
monde y c'dh une douce focieté de vie , Jf^^^ ™**
pleine de conftance, de fiance, & d'un'
nombre infini d'utiles & fbiidcs offices ôc
obligations mutuelles : c'eft une compa-
^ie non point d'amour mais d'amitié. Ce
font chofes fort diftiaâes que l'amour &
ramitié» comme la chaleur de fièvre 8c
maiadifve > 8c la chaleur natorelk 8c faine»
Le nuridge a pouc fa part l'amitié» rutiitt^
C cij
7.
3 04 belaSaoessb,
la jufHce , Thonneur , la confiance ; uti
plaifîr plat voirement , mais fain , ferme &
plus univerfel. L*amour fe fonde au feul
plaifir , & Ta plus vif, aigu & cuifant : peu
de mariages fuccedenc bien » qui font com^
mencez & acheminez par les beautez & de-
firs amoureux > il y faut des fondemens plus
folides & confiants s & y faut aller d'aguet :
cefte bouillante afFeâion n*y vaut rien,
voire efl mieux conduiâ le mariage paf
main rierce,
Cecy cfl bien di6k fbmmairement& iîm-
Pïus plement. Pour une plus exaâe defcripnoa
exaûe. r » • j
nous içaurons quau mariage y a deux
chofes qui luy font effentielles , & fem-
blent contraires , mais ne le font pas 5 fça-
voir une equalité , comme fociate & entre
pareils 5 & une inequalité, c*eft-à-dirc fu-
periorité & infériorité. L' equalité confîfle
en une entière & parfaidle communication
& communauté de toutes chofes , âmes ,
volontés, corps, biens > loy fondamentale
du mariage , laquelle en aucuns lieux s*ef^
tend jufques à la vie & la mort , tellement
que le mary mort, faut que la femme fuive
incontinent. Cela fc pratique en aucuoft
L I Y X E I C H A P. Xttt. )ôf
lieux pâ^r loix publiques du payfi » 9c fou-
vent de fi grand*ardeur , qu*eftant piufieurs
femmes à un mary , elles conteftenc & plai*
dent puhtiqueifienc à qui aura Thonneuf
d'aller dormit (c*eft leuT'itiot) 4vec leur
efpottx, alléguant pour Tobt^nir & y eftra
préférées, leur bon fervice» qu'elles eftoient
les mieux aimées , & ont eu de luy le der*
nier baifer, ont eu enfans de luy.
Et certamen habenc Icchi , quz viva fequacur
Conjugium \ pi|dor oft nen licaifTe- mort.
Ardent Ti^ric» , U flamoHe peâora pcsbeoc»
Imponuncque Cois ora pccufta vifis«
£n aunres lieux s'obfervoit , non par les
loix publiqîv'Sr mais par les- pactes & con^
ventions du mariage, comme fiift entre
Marc Antoine & Cleopatra. Cef^e equalité
auKIî confifl-e en la puiâkncç qu'ils ont fui
la famille en oMnmun , dont la femme eft
diâe compagnonne du m^ry , dame de la
maiifon 8c famille , ^mme le mary , le mai&
tre 3c feignettt': & leur aathotitéconjpincto
fur toute la £uniHe eft- comparée à rarifto-
cratîe.
La diùkiàk^ de fiiperiorité & inferio-' , '- ,.
rite confifte kitxt que te mary a puifiance (6.
Cllj
30^ OC LA S AC i S Sii
fur k femme» & la femme efl fubjeâe aU
mary : cecy eft félon toutes loix & polices ^
mais plus ou moins félon la diverfîté d*it
celles. Par-tout là femme, bien qu'elle foie
beaucoup plus noble & plus riche,' eft fub-
)eâe au mary : celle fuperiorité & inferio*
rite eil: naturelle , fondée fur la force &
fuâifance de l'un , foiblefle & infuififancc
de l'autre. Les Théologiens la fondent bien
fur d'autres raifons tirées de la bibles
l'homme a eflé faid le premier , de Dieu
feul & immédiatement , par exprès , pour
Dieu fon chef, & à fon image, &parfaid,
(car nature commence toujours par chofe
parfaire : la femme fàiâe en fécond lieu ,
après l'honune, de la fubftance de l'hom-
me, par occadon & pour autre chofe , mU'-
fier eft vir occafionatus , .pour fervir d'aide
& de fécond à l'homme qui eft fon chef,.
& par ainiî imparfaite. Voy là par l'ordre
de la génération. Celuy de la corruption
& de péché prouve le xriefme 5 la femme a
efté la première en prévarication , & de fon
chef a péché, l'honune fécond, & à Toc-
cafion de là femmes la femnie donc der-
rière au bien 9 de. en la genetatipn & occar-
livUë I. cHAp. XLIL ioy
fionnée, première au mal , & occafion d'i**
celuy , eft juftement afTubjei^ie à Thomme
premier au bien & dernier au mal.
Cefte fuperioricé & puiiTance maritale a p ?f
efté en aucuns lieux telle que la paternelle, ce marî-
fur la vie & la mort , comme aux Romains ^^1^*
par laloy deRomuluss&le mary pouYoic Dion,
tuer fa femme en quatre cas , adultère ; f?^^'"*^'
fuppofîtion d'enfans , fàulfes clefs , & avoir
bcu du vin. Auffi chez les Grecs , did: Po- ^^^ *•
lybe, & les anciens Gaulois, did Cefar, l-it>- 6,
la poiâatice maritale eftoit fur la vie & la
mort de la femme. Ailleurs, & la mefme
defpuis , cefte puiffance a efté modérée :
mais prefque par-tout la puiiTance du mary
& la fubjeâion de la femme porte que le
mary eft maiftre des actions & vœus de (a
femme , la peuft corriger de paroles & te-
nir aux ceps , ( la battre de coups efl: in-
digne de femme d'honneur , diâ la loy )
& la femme d\ tenue de tenir la condi-
tion, fuivrc la qualité , le pays^, la famille,
le domicile & le rang du mary , doibt ac-
compagner & fuivre le mary par-tout, en
voyage, en exil , en prifon , errant , vaga-
bond, fugitif. Les exemples font beaux de
\ù% i>s LA Sagis^i,
Sulphia, fuivanc Ton nuiy LentuIuS , proA
cripc & reloué en Sicile ; JErithrét, Coa
msLïy Phalaris babni; Ipfîcrates, femme du
Co». Roy Mythridates , vaincu par Pompée , s'en
allant Se errant par le monde* Aucuns ad->
)ou(lent à la guerre 3c aux provinces où le
mary e(l envoyé avec charge publique.^ Et
la femme ne peuft efter en jugement, (bit
en demandant ou deflèndant , fans Tau-»
thoritë de (on mary , ou du Juge à Ton
refus s & ne peuft appeller Ton mary en
jugement (ans permiflîon du Magifbat.
,0. Le mariage ne fe porte pas de mÈ(me
Ses rei- façon, & n'a pasme(mes lpix& reiglespar^
verfei. tout 'y félon les diverfes religions Se nations
îi a fes reigies ou plus lafches & larges , ou
plus e(lroiâes : félon la Chre(tienté la plus
e(h'oiâe de toutes , le mariage eA fort
fubjeâ Se tenu de court. Il n*a que Tentrée
libre J fa durée eft toute contrainte , dé-
pendant d'ailleurs que de noftre vouloir.
De la Les autres nations & religions , pour ren-
n?i^&* dre le mariage plus ^fé, libre , & fertile ,
rè'pudia^ reçoivent & pratiquent la polygamie Se la
uon. répudiation > liberté de prendre & laifTet
femmes , accufent la ChfefUeaté d'avoir
L I ▼ R £ L c H AP. XLIL 50^
coUu ces deux , & par ce moyen prejudicié
à ramitié & multiplication, fins principales
du mariages d'autant que l'amitié eft en-
nemie de toute contrainte, & fe maintient
mieux en une honneile liberté. Et la mul-
tiplication fe faiâ par les femmes : comme
nature nous monftre richement aux loups,
defquels la race eft d fenile en la pro-
duâion de leurs petits , jufques au nombre
de douze ou treize, & furpafTant de beau-
coup les autres animaux utiles , defquels
on tue Cl grand nombre tous les jours , &
il peu de loups y & toutesfois c'efl la plus
iterile de toutes. Ce qui vient de ce que
de fi grand nombre il y a une feule fe-
melle qui le plus fouvent profite peu , Se
ne porte point , efioufFée par la multitude
des mafles concurrens & afiàmez 3 la plus
grande partie defquels meurt fans produire
à faute de femelles. Aufli voit*on combien
la polygamie profite à la multiplication
parmy les nations qui la reçoivent, Juife,
Makumetans , & autres Barbares, qui font
des amas de trois à quatre cents mille corn-
battans. Au contraire le Chridianifme tient
plufieurs perfonncs attachées enfemble ,
510 DE SA S AGE S S t.
Tune des parties cftant ftertle , quelques*
fois toutes les deux: lefquels colloquez avec
d'autres , l'un & Tautre laifleroit grande
pofterité. Mais au mieux toute fa fertilité
xoafifte en la produâdon d'une feule fem-
me. Finalement reprochent que cefle ref-
triiSiion chreftienne produiâ des desbau-
ckes & adultères. Mais à tout cela Ton ref-
pond que le Chriflianifme ne conftdere pas
le mariage par des raifons purement hu-
maines , naturelles , temporelles ; mais le
regarde d*un autre vifage , & a fes raifons
plus hautes &- nobles » comme il a elle diâ:
joinâ que Tejperience monftre en la pluf-
pan des mariages que la contrainte fert à
Tamitié, principalement aux âmes fimples
& débonnaires y qui s'accommodent faci-
lement où ils fe trouvent attachez. £t quant
aux desbaucfaes, elles viennent du defrei-
glement des mœurs qu'aucune libené n*ar-
relle. £t de faid les adultères fe trouvent
en la polygamie & répudiation , tefmoin
chez les Juifs , & David , qui ne s'en garda,
pour tant de femmes qu'il euft : & au con-
traire ont elle long^temps incognus en des
polices bien reiglées , ou n'y avpic polygar
LIYHl I. CHAP. XLII. Jlt
mic ny répudiation 5 tefmoin Sparte &
Rome iong-cemps après fa fondation. Il ne
s'en faut donc pas prendre à la religion qui
n'enfeigne que toute nettetés continence.
La liberté de la polygamie , qui fcmble 1 j,
aucunement naturelle , Ce porte diverfe- Polyga-
mcnt félon les diverfes nations & polices, verfe.
Aux ânes toutes les femmes à un mary vi-
vent en commun , & (ont en pareil degré
& rang , & leurs enfans de mefme : ailleurs
il y en a une qui dl la principale & comme
maifhreffe , & les enfans héritent aux biens,
honneurs & titre du mary j les autres fem-
mes font tenues à part , & portent en au-
cuns lieux titre de femmes légitimes , &
ailleurs font concubines, & leurs en£ms
penfionnaires feulement.
L*ufage de la répudiation de mefme efl j^.
dif&rent 5 car chez aucuns , comme He- Repu-
brc»x. Grecs. Arméniens, l'on n'exprime S.
point la caufe de la feparation s & n*efl per-
mis de reprendre la femme une fois répu-
diée , bien eft permis de fe remarier à d*au«
très : mais en la ioy Mahumctane , la fe-*
paration fe faiâpar le Juge, avec cognoif-
fimce de caufe ( fauf que ce fufl par con-^
JIl D E L A s A G E s s £»
fèntement mutuel ) laquelle doibt eftre adul-
tère, (lerilité, incompatibilité d'humeurs ,
cntreprinfe fur la vie de fa partie , cho(es
diredlement & capitalement contraires à
re(Ut& inflitution du mariage; & efl loi-
fîble de Ce reprendre toutes & quantes fois
qu'ils voudront. Le premier femblc meil-
leur pour tenir en bride les femmes fu-
perbes & les fafcheux marys s le fécond ,
qui eft d'exprimer la caufe , deskonore les
parties , cmpefche de trouver parti , def-.
couvre plufîeurs chofes qui devroient de-
meurer cachées. £t advenant que la caufe
ne foit pas bien vérifiée, & qu'il leur faille
demeurer cnfcmble , s'cnfuivent cmpoi-
ibnnemens & meurtres fouvent incognus
aux hommes , comme il fuft defcouvert à
Rome auparavant l'ufage de la répudiation,
oiiune femme furprinfe d'avoir empoifon-
né fon mary en accufe d'autres , & celle-
cy d'autres , jufques à foixante-dix de mcf-
me crime , qui furent toutes exécutées.
Mais le pire a eflé que l'adultère demeure
prcfque par - tout fans peine ^de mort , &
feulement y a divorce & fcparation de com-
pagnie, introduit par Juftiniçn , homme
L I y R E I. c H A p. XLil. 313
èa. toat'pofTedé de (a femme , qui fift pafTer
tout ce qu'elle peufl à Tadvantage des fem-
mes 'y d*ou il fort un danger de perpétuel
adultère , de(îr de la mort de fa partie > le
délinquant n*eft point puny , Tinnocent in-
jurié demeure fans réparation.
Du devoir des mariez , voyez Liv. 5 ,
Chap. II.
Des parens & enfans,
CHAPITRE XLIII.
Ix y a plufîeurs fortes & degrez d*âutho- ,,
rite & puiffance humaine , publique & pri- P"»<Tan-
vée 5 mais il n'y en a point de plus natu- "ciîc!^*^'
relie ny plus grande que celle du père fur
les enfans {je dis père, car la mère qui efl
fubjeâc à fon mary , ne peuft proprement
avoir les enfans en fa puiffance & fubjec*
cion)3 mais elle n*a pas toufiours ny en tous
lieux cfté pareille. Anciennement prëfque
par-tout elle eftoit abfolue & univerfellc dîo».
fur la vie , la mort ,, la liberté , les biens , Hal»c.
l'honneur, les adions & deportemens des Antî«i.*
#nfans, comme font de plaider, fe marier, ^oia.
Tome /. D d
)I4 DELA S A'G £ S SE,
L. in acquérir biens ; Tçavoir eft chez les Ro^
lib! & * ""^^^s par la ioy cxpreffe de Romulus : ;rtf«
folïh, rentum in libcros omnc jus cfto reUgandi^
vendendi, occzdendi, exceptez feulement
Aul* les cnfans au-deffoubs trois ans , qui ne
lo. ' ' peuvent encore avoir mefdid ny mes&iâ.
laquelle Ioy fuft renourellée defpuis par
la Ioy des douze tables , par laquelle eftok
tîb. 8. permis au père de vendre Tes enfans jufqucs
10.* '*^ ^ trois fois; chez les Perfes félon Ariftote,
Lib. 6. chez les anciens Gaulois , comme di<Sb Ce-
Pf^fpçj' far & Profper j chez les Mofcovites &
Aquican. Tartares , qui peuvent vendre jufqucs à la
Sigil?Q. q'uatriefine fois. Et ft mble qu'en la Ioy de
nature -c^fte puiffance aye efté par le fatâ
d'Abraham voulant tuer fon fils. Car (î cela
euft efté contre le <lcvoir , & hors la puif-
fance du -père, il n'y euft jamais con&ntis
&n*euft jamais penfé que ce fuft efté Dieu
celuy qui le luy mandoit , s'il euft efté
^ecmtre la nature : & puis nous voyons
Deutet. qu'ïfeacn'y a point refifté, ny allégué fou
*'• innocence, fçachant que cela eftoit en la
puîâance du père. Ce qui ne defroge aucu<
nementà ta grandeur de la foy d'Abraham;
car il ne voulut facdfier fûn fils ea vertu
Li V reI. c h ap. XLIil. 5if
de fon droiâ ou puifTance, ny pour aucun
démérite dlfaac, mais purement pour obéir
au commandement de Dieu. £n la loy de
Moyfe de mefme , fauf quelque modifica-
tion. Voylà quelle a. efté cefte puiffancc
anciennement en. la plufpart du monde, Sq
qui a duré jufquesaux Empereurs Romains.
Chez les Grecs elle n'a pas efté fi grande &
abfolue, ny auxi£gyptiens: touKsfois s*ii
advenoit que le père xu(b tué fon. fils à tort
& fans cau£e , il n*eflx>it point puni » finon Dlodor.
d*eflxe enfisrmé trois jours près du corp^
mort.
' Or les raifbns Se fruiâs d*une fi grande t.
èc abfolue puiirance des pcrcs fur leurs en- ^** "**
fans, très bonne pour la culture des bonnes fcuiûs.
moeurs, chafièr les vices , & pour le bien
public, efioient premièrement de contenir
les enfims en. crainte fit en debvoir : puis à
caufe qu'il y a plufieurs fautes grandes des
enfims , qui demeureroient impunies, au
grand préjudice du public , fi la cognoif-
fance & punition n'eftoit qu'en la main de
Tauthorité publique , (bit pource qu'elles
£bnt domeftiques & £ècrettcs, ou qu'il n'y
a point de paaie & pourfuivont. Car les
Ddij
^jé D z LA Sagesse,
parens qui le fçavent & y font plus inte-
reiTcz , ne les defcricront pas , outre qu*ii
y a plufieurs vices, desbauches, infbleoces,
qui ne fe punifTent jamais par judice. Join6i
qu'il furvienne plufieurs chofes à dermef'-
1er , & plufieurs différends entre les parens
6c enfàns , les frères & fœurs , pour les
biens ou autres chofes , qu'il n'efl pas beau
de publier , qui font afToupies & efleintes
par cefle authorité paternelle. £t la loy n'a
point penfé que le père abufafl de cefle
puifTance , à caufc de l'amour tant grande
qu'il porte naturellement à fes enfans , in-
compatible avec la cruauté ; qui eft caufe
qu'au lieu de les punir à la rigueur , ils in-
tercèdent pluflofl pour eux quand ils font
^n juflice , & n'ont plus grand tourment
que voir leurs enfàns en peine; & bien peu
pu point s'en efl-il trouvé qui fe Coït fervi
dé cefle puifTance fans très grande occa-
fion , tellement; que c'efloit pluflofl un ef-
pouvantail aux enfans, & très utile , qu'une
irigueur de faiél.
S> Or cefle puiffahce paternelle s'efl quafi
dencr& ^^ foy-mcfme perdue & abolie , ( car c'a
ruine, cflé plus par deikccquflumance que.patloy
ii,ii&tl c%AP. XLHI. )I7
cxpreâe ) & a commencé de decHaer à U
vemie des Empereurs Romains. Car dès le
temps d'Âugaâe , ou bîentofb après , cUç
a*eftoi£ plus en vigueur : donc les: en£uia
dievistdcent fî fiers & infolens contre te^rs ^.^^ ^^
pères > que Seneque» parlant à Necoa , ai- de clem,
fbit qulon avoit veu punir plus de parricides
depuis cinq ans derniers qu*en fept cents ans
auparavant, c*eft-à-dire defpuis la fonda*
f ion de Rome. Auparavant s -il advenoit que
le pcre tuaft fes. enfims , il n*eftpit point . ^ jjç"|^*
puni , conune àous apprenons par ezemn catilîn.
nies de Fulviu&, Sénateur, qui tua> Ton fits ^,^^y^'
.1 n. • • X u . Maxim,
pource qu il euoit parcicipant a la, conjurai
cion Catilinaire , 6c de pWleurs. ajuere& Se^
nateuis qui ont faiâ Les ptocez criminels 4
ieurs en&ns en leurs maiTons > 8c les ont
condamnez à mort , comme Cajfldus Tra-r
ttus , ou à exil petpetiiel , conune Manlius
Torquatus fon fils Syllamiis. U y a bici^ eu J^^^^^
des loix après qui enjoignait que le père adleg.
doibc pre(ènter à la juftice fes enfàns délia* ^^^t" j^
quans , pour les fidre cii^er , & que if fuis de h
Juge prononcera la fentence telle que te ^ P^^^'
père voudra , qui eft encc^re u^ veAtge de de |kicc.
Tantiquicés je voulant oftcrla puiflance au ?^^^^
Ddiij
pcre» ils ne l*ofent faire qu*à demy , Se non
jj ^^^^ tout ouvcncment. Ces loix pofteriëures ap
1 1 . prochent de la loy de Moy fe qui veuft qu*à
la feule plainte du père £iiâe devant le
Ji^e (ans autre cognoiflance de caufe , le
fils rebelle & contumax foit lapidé, requé-
rant la prefence du Juge, afin que la puni-
tion ne fe falTe fecrettement ou en cholere,
mais exemplairement. £t ainfi félon Moyfe
la puiflance paternelle eft plus libre & plus
grande qu'elle n*a eflé de(puis les Empe-^
reurs : mais defpuis , fous Conftantin le
grand , & puis Theodoze , finalement foubs
Juftinien, elle a efté prefque du tout efteinc-
te. De là efl advenu que les enfàns ont ap-
prins à refufer à leurs parens obeiiTance ,
leurs biens & leurs fecours , & à plaider
contre eux : chofe honteufe de voir nos
palais pleins de tels procez. Et les en a on
difpenfez, foubs prétexte de dévotion &
d'ofFrànde , comme chez les Juifs dez au *
>latb.if. paravant Jefus»Chrift, comme il leur re-
proche : & puis en la Chreftienté , félon
l'opinion d'aucuns , voire les tuer ou en (e
deffendant, ou s'ils fe rendent ennemis de
la république : combien que jamais il n'y
tiVRïI. CHAP. XLIII. 51^
(çauroit avoir affez juftc caufe de tuer Tes
parens : nullum tantum fcelûs admitd pu--
teft a pâtre ^ quod fit parrîcidio vindican-'
dum y & nuilumfcelus rationcm kahet.
Or Ton ne fent pas quel mal & préju-
dice il eft advenu au monde du ravallement
& extin<5Hon de la puifTance paternelle. Lc$
republiques aufquelles elle a efté en vi*
gueur, ont fleuri. Si Ton y cognoiffoit du
danger & du mal ^ Ton la pouvoit aucune-
ment modérer & reigler ; mais de Tabolir ,
comme die eft , il n'eft ny beau , ny hon-
nefte , ny expédient , mais bien domma-
geable > comme nous venons de dire.
Du debvôir réciproque des parens & en-
fans , voyez Liv. ? , chap. 14.
Seigneurs & ejciavesy maiftres &ferviteurs.
CHAPITRE XLIV.
L'u SAGE des efclaves & la puifTance des t.
feigneurs ou maifbres fur eux, bien que ce , ufage
fbit chofe ufîtée par tout le monde, & de claves*
tout temps (fauf depuis quatre cents ans ""*^<^f-
qu'elle s'eft relafchée , mais qui fe retourne
contre mettre fus ) , k généralité ou oniverralicé
future, ti'ciï pas certaine preuve ny marque infail-
lible de nature, tefmoin les facrifices des
beftes, fpecialement des homm^ > obfo-^
vez & tenus pour aâes'de pieté par tout le
inonde, qui toutesfois font contre nftt|ire>
La malice humaine paiTe tout, force na-
ture , faiéb pafTer en force de loy tour ce
qu*etle veuft : n*y a cruauté ny mefcfaan-
ceté fi grande qu'elle ne hik tenir pour
venu & pieté.
^. Il y en a de quatre fortes ; naturels^ nés
^Diainc- d*efclaves ; forcez & faiéb par dfoi<a de
guerre; juftes diâs de peine à caufç de cri*
me ou de debte,^ dont ils {ont efclaves de
leurs créanciers au plus fept ans felpn l'a
loy des Juifs , mais touiîours jufques au
payement ailleurs ; volontaires , qui font de
plufieurs fortes , comme ceux qui jouent à
Tacîr. trois dçz , ou vendent à prix d'argent leur
de mor. liberté , comme jadis en Allemagne , &
encore maintenant en la ChrefUenté mef-
me y ou qui fe donnent Se vouent efclaves
d'autruy à perpetuité,ainfî que pradiquoienc
Deuccc. * anciennement les Juifs, qui leur perçoient
M* Toreille à la porte çn figue de perpétuelle
IIVRE I. CHAP. XLIV. JlX
fervitude : & cefte forte de captivité volon-
taire eil la plus eflrange de toutes , & la
plus contre nature.
C'eft Tavarice qui eft caufe des efclaves 3.
forcez , & la poltronnerie caufe des vo- , ^ç\l
lontaires 5 les fcigneurs ont efperé plus de vcs.
gain & de profîdl à garder* qu*à tuer : & de
faidt la plus belle pofreflion & le plus riche
bien eftoit anciennement des efclaves. Par
là Craffus devint le plus riche des Romains,
iqui avoir , outre ceux qui le fervoient ,
cinq cents efclaves qui rapportoient tous
les jours gain & profit de leurs meftiers Ôc
arts queftuaires. Apres en avoir tiré long
fervice & profiél, encore en faifoicnt-ils
argent en les vendant.
C*e{l chofe eftrange de lire les cruautez 4*
exercées par les feigneurs contre les efcla- ^^^ j^"*
ves , par l'approbation mefmc ou pcrmif- fcigneurs
fîon des loix : ils leur faifoient labourer la f^jffs^f-
terre , enchainez comme encore en Bar- claves.
barie, coucher dedans les creux & ibffes;
edant venus vieils ou impotens & inutiles ,
cftoient vendus ou bien noyez & jettez
dedans les eftangs pour la nourriture des
poiffons : non feulement pour une petite
f
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fxx SE LAr, Sagesse»
& légère faute, comme cafTer un verre, ofl
les tuoit 'y mais pQur le moindre (bupçon ,
voire tout amplement pour en avoir le
pafTe- temps, conîïne fit Flaminius, Tun
des hommes de bien de Ton temps : & pour
donner plaifir au peuple, ils efloient con*
trainâsdes'entretuer publiquement aux arè-
nes : fi le maiflre edoit tué en fa maifon ,
par qui que ce fuft , les efclaves innocens
eftoient tous mis à mort ^ tellement que
Pedanius , Romain , eftant tué , bien que
Ton fceud le meurtrier, fi cfb-ce que par
ordonnance du Sénat quatre cents efclaves
fiens furent tuez.
f. C'eft auflî d'autre part chofe eftrange
efdaveV d*cntendre les rebellions, edevations &
audi à cruautez des efclaves contre los feigneurs
gucurs ^^ ^^^^ '*^& • quand ils ont peu non feur*
lement en particulier par furprinfe , trahi-
fbn , comme une nuit en la ville de Tyr ,
mais en bataille rangée par mer & par terre :
dont efl venu le proverbe , Autant d'enne-
mis que d'elclaves.
Dtmi' Or comme la religion chre(Henne& pois
nution la mahumetane a créa, le nombre des ef-
y^^ *' cUves a defGrcu,.& la fervitude a rclafché.