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Full text of "De la servitude volontaire: ou, Le contr'un; discours par Étienne de La Boétie"

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' BIBUOTHËQDE NATIONALE 

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de: la 

SERVITUDE VOLONTAIRE 

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LE CONTR'UN 

»IfOO«RS 

PAR ÉTISmiX DB UL BOÂTIB 

niciDi B'mii 
prAfagx paa a. vxnicozisii 

R SVITI M 
UTTMS Og MONTAiaNI RILATIVBS A LA •OtTIt 



PARIS 

UBRAIBIE DE LA BIBUOTHÈQUE NATIONALl 
2, RUB DB VALOIS, PALAIS-ROTAL| S 

1879 
Ttof droite réMtfif 



r 



ÀVSBTISSBMEMT 



Malgré les encouragements qui nous sont ▼«• 
nus de tontes parts lorsque nous avons annoncé 
eomme devant paraître dans notre collecttoa le 
Discours sur la servitude volontaire, d'Etienne de 
La Boétie^ nous n'avons pas entrepris cette pu- 
l)llcation sans redouter c[uelque peu pour le pu- 
^ l)lîc cette langue du seizième siècle, qui prouvait 
^ être un véritable obstacle à la popularisation 
possible de cette œuTre remarquable, jusqu'au- 
^jourd^ui connue des seuls lettrés. Un ezAmen 
^pluB attentif est venu détruire toutes nosappzé- 
^Bensions ; nous nous sommes dit que, puisque 
i le vieux Montaigne et le Joyeux Rabelais avaient 
ct0a de nos Jours trouver des lecteurs, et que le bon 
Bens bourgeois du premier et les facéties plus que 
salées du second n'étaient pas incompris, il y 
^avait place pour une œuvre généreuse, écrite 
dans un langage à la fois mâle, fier et fiimilier, 
^dont les leçons de liberté ne devaient point être 
^^mises injustement sous le boisseau. Et, eomme 
3 nous récrivait un des amis dévoués de noti« Bt- 
^ hliothèque, 11 était grand temps de remettre cba- 
que chose à sa place, « en ne misant plus de Mon- 
taigne que l'aj^pendice de La Boetié, tandis que 
La Boétie, qui était cependant un antre bomme^ 
a*a été jusqu'ici qoe l'appendice de Montaigne. , 
C'est cette rébabUitation qui nous a tentés; il 
fallait enfin mettre un terme à ce déni de jna- 
tice <|ul se perpétuait d'Age en Age, et qui ooïk- 
sistait à trailer le Discours sur la servitude comme 
un écrit sans conséquence ou comme un simple 

Ebénomène de précocité intellectuelle, malgré la 
aute valeur qu'avait restituée à l'ami de Mon 
taigne l'illustre LaniAnnaîs. Les biographes et 



lêi commentateurs A la suite aT&ient laissé di 
côté le résurrectiouniste et le ressuscité, et s'en 
allaient répétant le long de leurs livres pédants 
les appréciations antérieures, à commencer par 
celles de Thonnète Moréri {Dictionnaire historique, 
tome II, édition de 1732), qui déclarait que « La 
Boétie avait l'Ame aussi grande que l'esprit, et 
qu'il était capable, malgré sa jeunesse, ae gon- 
yemer un Etat entier : mais il aurait été plut 
propre pour une république (jue pour une mo- 
narchie, 9 et qui ne trouvait de louable dans 
Pœuvredu conseiller au parlement de Bordeaux 
que son érudition, et allait jusqu'A prétendre 
que le Dr>cotir« « avait été pris dans un sens tout 
i fait contraire A celui de l'auteur par ceux qui 
le publièrent après la Saint-Bartnélemy , qui 
n'arriva que vingt-quatre ans après qu'il eut été 
composé, et par consé^ent après sa mort. » Les 
ûkiseurs de dictionnaires biographiques ayant 
trouvé plus commode d'amplifier sur ce thème 
anodin que de relire et de fuger A nouveau un 
opuscule enterré A tort dans les œuvres de Mi- 
chel Montaigne, nous avons cru nécessaire de 
remettre sous les yeux de notre siècle cette Ti- 
vifiante lecture, et, pour mieux aider A la faire 
comprendre, nous avons prié un publiciste 
éprouvé de nous prêter le concours de sa plume 
pour expliquer A la fois et le livre de La Boétie 
et le milieu politique et social dans lequel il 
a vécu. C'est cette sérieuse étude que nous 
recommandons A nos amis; elle les préparera, 
mieux que tout ce qui a été écrit depuis La- 
mennais, A se noumr A profit de cette moelle 
de lion dont les générations présentes ont été ai 
malheureusement sevrées. 

N. D. 



PRÉFACE 



Les idées dMndépendance, de liberté et de 
progrès social qui font rhonneor de notre 
pays, ne datent pas seulement de 1789 et des 
penseurs du dix-huitième siècle qui furent les 
illustres précurseurs de la Révolution; elles 
ont des racines profondes dans le génie firan- 
çaiSy et elles ont laissé une trace éclatante et 
glorieuse dans nos traditions nationales. Le 
moment est venu de mettre en lumière et dfl 
populariser les hommes de cœur et détalent, 
les écrivains trop peu connus, qui ne sont pas 
seulement les pères de notre langue, mais 
bien aussi les ancêtres de notre liberté; c'est 
à ce titre que se recommande à nous Etienne 
La Boétie, qui, à une époque où la langue 
française commençait à peine à sortir des 
balbutiements de Tenfance, a fait entendre 
?e premier de mâles paroles, et le premier a 



— 6 — 

mis son talent au service des idées démocra- 
tiques et libérales. 

Le caractère de La Boétie a été longtemps 
méconnu, comme celui du mouvement social 
dont 11 fut le brillant édAireor. Il appartenait 
à notre époque de lui rendra et à ceux qui 
par Taction et £a pensée s'associèrent à lui, 
la justice méritée. La révolution intellectuéllQ 
des quinzième et seizième siècles fut étou£Fée 
par Richelieu et acheva de se briser contre 
les splendeurs unitaires du règne deLouisXIY. 
Le dix-septième siècle était peu apte à com^ 
prendre La Boétie. On peut dire quMl y eut 
dans ce siècle une lacune du génie français. 
La littérature qu'il ^ifanta a laissé une in-* 
contestable réputation : on a dit le granoù 
siècle après avoir dit le grand roi ; mais lu 
Révolution nous a initiés & d'autres grandeurs. 
Ne nous plaignons pas. Si Racine et les poètes 
courtisons y ont perdu, La Boétie et les pen-« 
seurs démocrates y ont gagné. 

Jusqu'au jour où Lamennais se fit rinter- 
prête des sentiments virils, exprimés avec 
tant de fermeté dans le Discours de la 5er- 
vitud^ volontair^f La Boétie n'était guère 
connu que des érudits auprès desquels sa 
plus grande recommandation était l'amitié de 
Montaigne pour lui. Cette amitié paraissait 



— 7 — 

son plus bean, son seul titre de gloire. On 
parlait dédaigneusement de son livre, que 
Ton mettait quelquefois en appendice aux 
Essais. Alors avait-on bien soin de préve- 
nir le lecteur que ce n^était là qu*une décla- 
mation de rhétoriciefiy s^autorisant de ce que 
Montaigne affirme quelque part que ce livre 
fut composé par son auteur à Fâge de seize 
ans et demi, — considération qui serait bien 
loin d^en diminuer la valeur à nos yeux. 

Le célèbre historien du seizième siècle, de 
Thou, dont Topinion est plus respectable, 
Jugeait autrement cet ouvrage, lorsqu'il le 
présentait comme une protestation coura- 
geuse contre les cruautés que le connétable 
Anne de Montmorency commit à Bordeaux, 
en 1548, lors de la révolte de la Guyenne. On 
a combattu Topinion de de Thon. On s*est 
appuyé, pour cela, surtout sur cet argument 
qu*en 1548, La Boétfe, qui était né vers 1530^, 
aurait environ dix-neuf ans, et, comme nous 
Tavonsdit, Montaigne a écrit qu'il jivait com- 
posé le Discours de la Servitude volontaire 
k Tàge de seize ans. Quoi qu*il en soit, il suf- 
fit de lire aigourdTml Touvrage de La Boétîe 
pour être certain que Tardeur de la convic- 
tion était égale ches son auteur à Tardeur de 
la jeunesse, et que son style énergique n*a 



— 8 _ 

rien de commun avec une amplification de 
rhéteur. 

Du reste, en se reportant à Tépoque où 
vécut La Boétie, aux passions qui étaient 
alors en effervescence, au courant nouveau 
d'affranchissement et de liberté qui circulait 
partout, la nature de Tinspiration à laquelle a 
obéi La Boétie apparaît clairement, et la va- 
leur du chef-d'œuvre qu'il nous a laissé ne 
peut plus être méconnue. Son véritable ca- 
ractère lui est par le fait restitué, et noua 
pouvons sans crainte le présenter comme un 
des ancêtres héroïques de la révolution de 
1789. 

Du quinzième siècle date une ère nou- 
velle dans notre histoire sociale et politique 
comme dans notre histoire littéraire. La bous- 
sole, en amenant la découverte de TÂmérl- 
que, ouvrait un nouveau monde au déploie- 
ment de l'activité humaine; Timprimerie 
venait centupler les forces de la pensée et 
compléter Tœuvre de la fusion sociale; la ré- 
forme découvrait les vastes horizons de la li- 
bre pensée, et ébranlait les racines de l'au- 
tocratie féodale et religieuse. Le monde, un 
Instant immobile, allait reprendre sa marche 
majestueuse vers le progrès. Ce n'est pas à 
tort que l'on a appelé cette époque la Renaish 



I 

sance. Partout se réveille la notion des droits 
de rhomme et de la pensée ; la dignité hu- 
maine, écrasée sous le despotisme et Tigno- 
rance, se redresse. En France» au milieu des 
luttes où se déchirent et se disputent le pou- 
voir ceux qui ont tenu longtemps le haut pavé 
de rhistoîre ; au milieu des guerres de reli« 
gion, si affreusement ensanglantées par les 
conflits de Tambition effrénée, plus encore que 
par le fanatisme, où Réforme et Catholicisme 
ne sont le plus souvent que des armes à dou- 
ble tranchant entre les mains des combattants, 
alternativement vainqueurs, pour écraser avec 
un égal acharnement le peuple et la liberté ; 
à côté, dis-je, de ces horreurs qui souillent 
rhistoire de ces temps, se forme et se déve- 
loppe un véritable parti national de Faction et 
de la pensée, qui poursuit sans relâche la 
cause sainte de Taffranchissement de la patrie 
et de rétablissement de la liberté. Les effort» 
de ces généreux citoyens ont été enfouis pat 
cette grande conspiration, deux siècles du- 
rant, de l'histoire contre la vérité ; mais ils 
reparaissent éclatants et héroïques à ceux qui 
recherchent dans ce chaos sanglant les ori- 
gines démocratiques, et qui, rejetant cette 
nuée odieuse de guerres, d'aristocraties et de 
rois, veulent recomposer l'histoire du peupte 



— 10 — 

et suivre la trace de ses luttes persévérantes 
pour le progrès et la liberté. 

A Paris, notamment, au milieu des luttes 
sanglantes dans lesquelles les Guise et le 
Béarnais se disputent le trône de France, 
on assiste aux efforts de la municipalité de 
Paris, qui voudrait s^affranchir de Tune et de 
Tautre tyrannie, et ne fait pas un secret de 
son voeu de se gouverner en république ians 
roi ni prince d* aucune sorte. 

Il faut bien reconnaître que si la Ligue, par 
tradition nationale, se proclama catholique, 
ce n'est pas une raison pour la présenter 
comme dirigée par un petit fanatisme de sa- 
cristie. La Ligue fut une véritable associatioa 
municipale, elle poursuivit rétablissement 
d^une véritable répuWique fédérative. Si elle 
était sollicitée par le parti bourgeois qui sou^ 
tenait le cardinal de Bourbon, et par le partt 
de Guise qui voulait mettre la royauté dans 
les mains de la maison de Lorraine, le parti 
du peuple voulait le gouvernement municipal 
des seize quarteniers nommés par le suffrage 
de leurs concitoyens. 

Il y a là toute une époque glorieuse. Après 
les barricades, devant lesquelles devait suc- 
comber le faible Henri III, toutes les classes 
de la population prennent part au mouve- 



— li- 
mait Un grand enthousiasme saine Texpul- 
sfon dn roi et Torganisation d^un large sys- 
tème municipal. La bourgeoisie tout entière 
partage les sentiments des masses. i.'hôtel 
de ville agit, gouv^ne, arme les citoyens, dé*^ 
fend les remparts; les quarteniers convoquent 
le peuple qui manie de bonnes arquebuses, 
de longues coulevrfnes au service de la pa- 
trie et de la liberté. Mais bientôt la bour- 
geoisie se fatigue, son énergie se calme de- 
vant les intérêts, et les préjugés conservateurs 
commencent à s^quiéter. Les bourgeois 
avaient fait une émeute. Ils n*avaient pas 
voulu une révolution. 

Ces craintes, cette indécision commencè- 
rent à tout compromettre. Ce n^étaît pas la 
^emière révolution qui avait été perdue par 
la bourgeoisie, ce ne fut pas la dernière. Pro- 
fitons des leçons de Texpérience qui nous 
sont transmises par Thistoire. La bourgeoisie 
craintive, intéressée, attaqua les Seize qui 
étaient la force et l'énergie du parti popu- 
laire. Quand les Seize furent renversés et la 
Ligue réduite aux mains bourgeoisec , on 
n'alla plus que de réactions en réactions. 
Cette proscription de tout ce qui avait le 
cœur haut et la main ferme devait aboutir au 
despotisme et au despotisme militaire qu'Hen- 



— 42 — 

fi IV personnifiait dans sa personne, et qua 
rhistoire nous a transmis sous un travestis* 
sèment chevaleresque. 

La bourgeoisie se séparait du peuple : elle 
voulait avoir son gouvernement, et elle ne 
parvint qu'à instituer un pouvoir sans force, 
et qui devait succomber au premier coup de 
main. C'est une des conditions de la bour- 
geoisie de ne pouvoir jamais longtemps seule 
établir un gouvernement politique. Elle doit, 
par là force des choses, ou s'unir au peuple 
|ui est son origine, ou se Jeter dans les bras 
des classes aristocratiques. Toutes les fois, 
dans l'histoire, qu'elle n'a voulu ni de la 
multitude, ni des gentilshommes, nous l'avons 
vu fonder nous ne savons quoi de faible et de 
honteux qui a duré tout Juste le temps de 
tomber sous le mépris et qui a toigours ap* 
pelé le despotisme. 

Les Etats généraux de 1593, qui pouvaient 
tout sauver, et qui avaient une noble mission 
k remplir s'ils eussent été à la hauteur des 
circonstances, achevèrent de tout perdre par 
leur mollesse et par leur patriotisme fausse- 
ment conservateur. Les députés, fervents ca- 
tholiques, arrivèrent des provinces avec le 
désir de mettre un terme aux tourments du 
beau royaume de France. S'ils n'avaient au- 



— 43 — 

Ame prédilection pour Henri de Navarre, il» 
n^avaient pas non plus de répugnance invin- 
cible. Dépourvus de toute aspiration élevée» 
incapables de toute tentative novatrice, ils 
ne cherchaient qu*à rétablir Fancien ordre 
de choses, effrayés du flot révolutionnaire 
qu'ils voyaient monter autour d'eux. Pour 
cette transaction qu'ils avaient h&te d'ache- 
ver, ils se contentèrent d'une adhésion aux 
lois générales et constitutives de la société, et 
renoncèrent volontiers à des garanties qu'il 
aurait été trop difâcile d'obtenir. La force fit 
le reste et l'abjuration d'Henri IV trancha les 
dernières difficultés. 

Arrivé à ses fins, l'habile Béarnais, pour 
mieux asseoir son despotisme, joua la comé- 
die du roi populaire, et flatta à sa façon les 
instincts matériels pour mieux proscrire les 
derniers ferments de la résistance politique. 
Les démocrates sont refoulés pour longtemps. 
Mais rhistoire se laisse prendre à la gascon- 
nade de la poule au pot^ et elle range Hen- 
ri IV parmi les pères du peuple^ auquel titre 
sa paillardise seule pouvait lui donner quel- 
que droit, firent observer les railleurs du dix- 
huitième siècle. 

Le mouvement de la Ligue fut puissamment 
secondé par les penseurs, qui secouaient, ev^ 



— 14 — 

mvBsi^ les jougs autoritaires et commençaient 
à regarder en fsice la liberté. An milieu de ces 
grandes hittes se déreloppe la science no?i- 
veBe de la politique, qui conquiert sa place à 
«ôtô de la philosophie et de la théologie. Ai- 
dée de rimprimerie, « cette législatrice des 
temps modernes, qui de TEurope n*a feit qu\in 
seul forum et convoque les peuples entiers à 
ses assemblées, » comme dit M. Saint-Marc 
Gîrardin, la politique, puissance nouvelle, 
cite directement à son tribunal les deux puîsr- 
sances qui gouvernaient alors le monde, la pa- 
pauté et la royauté. Les études savantes des 
maîtres de la pensée sont traduites en lan-- 
gage populaire par de fougueux prédicateurs 
démocrates qui sont de véritables tribuns. 
Ceux qui se refusent syst^atiquement à faire 
dans rhistoire la part du peuple et de la li- 
berté, ont pu les présenter comme des moi- 
nes fanatiques, mais pour nous qui voulons 
voir les choses avec impartialité, nous devons 
'reconnaître en eux les premiers revendica- 
teurs de la souveraineté du peuple. Certes ce 
n'étaient pas des sectaires de la légitimité par 
la grâce de Dieu, ni de Tultramontanisme pa- 
pal, que ces curés de Paris qui soutenaient 
« que les assemblées des États possédaient le 
pouvoir public et la msjesté supérieure, la 



— i6 — 

pakBaDce de lier et de délier, la souveraineté 
inaliénabla » C'était un royaliste d'une es^ 
pèce particulière que ce Jean Boucher, .cur^ 
de Saint^Benoit, qui prêchait que « le prince 
procède du peuple, non par nécessité ^t par 
violence, mais par élections libres; » et aussi 
an singulier théocrate que ce Pigenat, curé 
de Saint-Nlcolas-des-Champs, qui enseignait 
c que la puissance de régner, nonobstant 
toute succesBion, vient de Dieu qui, par les 
clameurs du peuple, déclare celui qu'il veut 
qui commande comme roi : Vox populi^ vox 
Deû B En tout cas, nous préférons de beau- 
coup, surtout en tenant compte de Tépoque 
où ils vivaient, les catholiques démocrates de 
cette sorte à ces protestants royalistes qui 
professaient que « Dieu seul impose les rois à 
la race humaine; qu'il faut recevoir le souve- 
rain que Dieu envoie, fût-il hérétique et ty- 
ran, et que jamais le peuple ne peut dépoulL 
1er un prince de ses droits. » 

Ces doctrines étaient justifiées {Ailosophi-- 
quement par une école de publicistes démo- 
crates à la tôte de laquelle se placent Hubert 
Languet et Hotman» Le premier, duis un traité 
intitulé : Yindids^ cotUra iyrannog (en fran- 
çais : les Châtiments des tyrans)^ publié sous 
le pseudonyme significatif de Junlus Brutus, 



— 16 — 

établissait le cas où rinsurrection devient 16« 
gitîme et formulait la doctrine de la souve- 
raineté du peuple. 

Languet fait dériver la royauté d'un con* 
trat entre le roi et le peuple, d'après lequ^ 
le roi est tenu de garantir au peuple un gou- 
vernement équitable. Sa manière de raison* 
ner est neuve, hardie et nette. Avant lui, il 
avait déjà été admis par les jurisconsultes 
romains et par ceux du moyen âge, que c^est 
le peuple qui a créé les rois. Mais, selon ces 
juristes, le peuple ne pouvait plus jamais re- 
venir sur la cession de la souveraineté qu'il 
était supposé avoir abandonnée une fois pour 
toutes en faveur du prince. A ce sophisme, 
Languet répond avec force : « Il n'y a pas de 
prescription contre le peuple ; le temps «Joute 
aux torts des rois, mais n'ôte rien aux droits 
<les peuples. » 

« La seule fin de l'institution du pouvoir 
civil, continue-t-il, est l'utilité publique, la 
défense de la nation contre les envahisseurs 
étrangers, et l'administration de la justice ; 
les rois ne sont autre chose que les gardiens 
et les conservateurs de la loi. Lorsqu'ils ne 
l'observent plus, le peuple doit leur refuser 
obéissance. » 

Hotman, dans son Franco-GaUiœy n'est pal 



— 4T ^ 

moins raatcal. Il prétend que la monarchie 
française a toujours été élective et non héré- 
ditaire, et il pose en principe qu^un peuple 
peut déposer un roi et en créer un autre 
quand bon lui semble, et que ce droit, repo^ 
sant dans Tensemble de la nation, doit être 
ex/^rcé par une assemblée solennelle. 

Enfin, en opposition à ces publicistes dé- 
mocrates, mais en opposition également au 
despotisme autoritaire, Bodin se faisait Tin- 
terprète des sentiments bourgeois, et traçait 
le premier catéchisme du gouvernement par- 
lementaire et constitutionnel dans son Traité 
de la République^ que fli. Saint-Marc Girardin 
a fort bien résumé de la façon suivante : « Âmi 
de la royauté, comme le parti politique au- 
quel il appartenait, Bodin élève la monarchie 
au-dessus de toutes les autres formes de gou- 
vernement; mais il déteste le despotisme. 
Nécessité du consentement des sijyets pour 
lever des impôts, inaliénabilité du domaine 
royal, voilà pour Bodin les deux principal 
fondamentaux de la liberté publique... Cette 
part faîte aux droits du peuple, il soutienf> 
avec zèle les prérogatives de la royauté. Le* 
rois sont inviolables, et on ne peut ni les dé- 
poser, ni les mettre à mort Le roi ne répond 
de ses actions que devant Dieu. » 



— 18 — 

Cest dans ces circonstances que se place La 
Boétîe et son Discours de la Servitude t?o- 
lontaire. Avec la hardiesse et la confiance de 
la jeunesse, il devance même de quelques an- 
nées ses contemporains. Son livre fut com- 
posé avant Theure où les penseurs, ayant 
rompu la chaîne qui les retenait esclaves, 
pouvaient sans danger s'abandonner à leur 
entraînement révolutionnaire. Montaigne, qui 
se constitua Téditeur de La Boétie, mort trop 
jeune pour pouvoir assister et prendre part 
au mouvement qu^il avait si remarquable- 
ment pressenti, Montaigne, mettant au jour 
quelques pièces posthumes de La Boétie, dut 
résister à la tentation d'insérer dans ce re- 
cueil la Sen^iiuds volontaire : « Par U 
raison, dit-il lui-même, qu'il luy trouvoit la 
façon trop délicate et mignarde pour Tabaii- 
donner au grossier et pesant air d'une si mal 
plaisante saison. » Ce qui veut dire, en ter- 
mes plus simples, qu'il craignait que la cour 
de France ne vît de mauvais ceil un ouvrage 
où Ton censure si vivement la conduite des 
méchants princes, la dureté et l'extorsion de 
leurs ministres. Plus tard, lorsque parut la 
première édition des Essais, ce furent des 
considérations d'un tout autre genre qui em- 
pêchèrent Montaigne de placer, comme il 



J 



-^ 19 — 

favait résolu d'abord, la Servitude à la suite 
de cet excellent chapitre Sur VamUié^ où fl 
fait réloge de La Boétie. Le prudent Montai- 
gne craignit que» durant les troubles qui 
agitaient alors la France, on n'abusftt des 
principes de cet ouvrage contre l'intention de 
Tauteur. 

Tous les caractères radicaux que nous 
avons signalés ches Langue! et chez les tri- 
buns de la Ligue, on les retrouve chez La 
Boétie, qui même a de plus qu'eux un amour 
cahne et serein de la liberté, une prévision 
de la fraternité sociale, qui le rs^prochoit 
beaucoup plus de nos sympathies modernes, 
et en fait un véritable écrivain populaire, un 
véritable classique de la tradition libérale et 
démocratique. L'élévation et l'én^gie de sa 
pensée communiquent à son style une préci- 
sion et une netteté peu (Mtlinaîres à l'époque 
où il écrivait, et qui nous font, môme au 
point de vue purement littéraire, le considé- 
rer comme bien supérieur à Montaigne. Le 
Discours de la Servitude volontaire est Tœu- 
vre d'un homme convaincu et éclairé, po£k 
sédant pleinement sa pensée et son style, 
et s'exprimant toujours avec la fermeté et la 
hardiesse d'un homme libre. Nous avons vu 
lOttt à l'heure que ce caractère accentué eU 



— ÎO — 

{hayait le prudent Montaigne, qui était bedu- 
eoup plus de son siècle, et qui est le père de 
fégoîsme bourgeois et conservateur. 

La Boétîe établit que c^est la servilité des 
peuples qui cause leur servitude; que c'est 
leur lâcheté qui fait la force des mauvais 
souverains ; que, pour être libres, il leur sof- 
trait de ne pas les soutenir. 

Il recherche ensuite les moyens par les» 
quels les tyrans entretiennent les peuples 
flans cette servilité. Les principaux de ces 
moyens lui semblent être rignorance et la 
dissolution des mœurs : aussi, les tyrans ap- 
portent-ils tous leurs soins à les entretenir et 
même à les provoquer. G^est ainsi, dit La Boé- 
tie, que le grand-turc s*est avisé que les livres 
et la science donnent plus que toute autre 
chose aux hommes le sentiment de leurs 
droits et la haine de la tyrannia D'ailleurs, 
aisément, sous les tyrans, les gens deviennent 
lâches et efféminés. Pour exemple de cette 
ruse é^ abêtir leurs sujets, La Boétie cite ce 
^ait de Gyrus qui, ayant conquis la ville de 
Lydie, et ne voulant pas mettre à sac une 
tant belle ville,ni estre touiours en peine cPy 
tenir une armée pour la garder 9 ^advisa d*un 
grand expédient pour s* en asseurer. Il y estât* 
blit 4es bordeaux (La Boétie ne recule pas 



— 21 — 

devant les mots cros), des tavernes et des 
ieux publicSy et fit pitblier une ordonnancSf 
que les habitants eussent à en faire estât. Il 
se trouva si bien de cette garnison qu*il ne 
lui fallut iamais depuis tii^er un coup d^espee 
contre les Lydiens. 

A ce sujet, La Boétie écrit cette page re- 
marquable, qui est bien propre à donner une 
Idée de Ténergie de son style en même temps 
Que de l^élévation de sa manière : 

« Tous les tyrans n^ont pas déclaré expres- 
sément qu'ils voulussent effeminer leurs peu* 
pies; mais, à vray dire, ce que celuy là or- 
donna formellement, en effet, sous main, ils 
Tont poursuivi pour la pluspart Et c'est mer- 
veille que tous les peuples s'alleichent vite- 
ment à la servitude, pour la moindre plume 
qu'on leur passe, comme on dict, devant la 
bouche. Les théâtres, les ieux, les farces, les 
spectacles, les gladiateurs, les bestesestranges, 
les médailles, les tableaulx et aultres telles 
drogueries, estoient aux peuples anciens les 
appasts de la servitude, le prix de leur liberté, 
les utils de la tyrannie. 

« Ce moïen, cette pratique, ces alleichements 
tenoient les anciens subiects sous le ioug. Ainsi, 
les peuples assotlis^troxivKnt beaulx ces passe- 
temps, amusés d'un vain plaisir qui leur pas* 



; I 



J 

/ 



— M — 

0Oit devant les yeulx, s'accoostiimolent à servir^ 
aussi niaisement, mais plus mal qne les petits 
enfants» qui pour veoir les luisants imaiges de 
lirres illustrés, apprennent à lire. Les Ro* 
mains tyrans s^adviserent encores d'une aultre 
chose, de festoyer (c'est-àrdire de donner des 
festin») souvent le peuple, abusant de cette 
disposition de la populace, qui se laisse 
all^, plus qu'à toute chose, au plaisir de la 
bouche. Le plus entendu de tous n'eust pas 
c|uité son ecuelle de soupe pour recouvrer la 
liberté de la repubiicque de Platon. Les tyrans 
faisaient largesse (c'est-à-dire ù^àbondantes 
distributions) de bled, de vin et d'argent ; et 
alors, c'estoit pitié d'entendre crier: Vive le 
Jàit Les lourdauds ne comprenaient pas qu^ 
lefaîsoîent que recouvrer une partie du leur, 
et que cela mesme qu'ils recouvroient, le 
tyran ne le leur eust peu donner, si avant il ne 
leur eust prinsà eulx mesme& Tel auiourd'huy 
ramassoit l'escu qu^on lui ietoit, tel se gorgeoit 
au festin public, en bénissant Tibère et Néron 
de leur belle libéralité, qui le lendemain, 
estant contrainct d'abandonner ses biens à 
l'avarice, ses enfants à la luxure, son sang 
mesme à la cruaulté de ces magnifiques empe- 
reurs, ne disoit mot non plus qu'une pierre 
et ne se remuoit non plus qu'une souche. » 



— 23 — 

Certes, ce n'est pas là le style d*uii décia- 
mateur, et nous n'avions pas tort en prés^H 
tant La Boétie comme un des premiers avo- 
cats de la cause du peuple, comme un des 
Dlus fervents apôtres de la liberté., v De cette 
iberté qui, dit-il, est un bien si grand et si 
plaisant, qu'elle perdue, tous les maulz vien- 
nent à la file ; et les biens mesme qui demeu- 
rent aprez elle perdent entièrement leur goust 
et leur saveur, corrompus par la servitude. » 

Voici maintenant comment La Boétie s^ex- 
prime sur la fraternité sociale : « La nature 
faisant aux uns les parts plus grandes, aux 
aultres les parts plus petites, a voulu faire 
place à la fraternelle affection, ayant les uns 
puissance de donner ayde, et les aultres besoin 
de recevoir. » 

On peut dire que ce Discours de la Servi- 
tude volontaire est la seule œuvre que nous 
ait laissée La Boétie. Il avait aussi traduit quel- 
ques opuscules des philosophes grecs : la ife- 
narjerie^ de Xénophon ; les Règles du mariage^ 
de Plutarque, et la Lettre de consolcUûm à sa 
femme^ de Plutarque. Ces traductions ont été 
éditées paf Montaigne, qui les a ûdt précéder 
de lettres-préfaces. La Boétie a composé en- 
fin quelques vers latins et quelques sonnets en 
?ers ihinçais, qui nous ont été pareillement 



( 



— 24 — 

transmis par Montaigne, mais qui n*ontqa*ane 
importance secondaire. 

La vie de La Boétîe fut simple ; Montaigne 
atteste que ce fut celle d'un honnête homme 
et d'un citoyen vertueux. La Boétie était con- 
seiller au Parlement de Bordeaux. Il appartint 
à cette magistrature qui, dit dans son Histoire 
de France M. Théophile Lavallée, «pendant 
que Tambition des grands et les passions du 
peuple bouleversaient la France, offrait une 
foule d'hommes austères, voués à la science, 
impassibles gardiens des lois, tout occupés de 
sages réformations. » n mourut jeune, à 
trente-deux ans, et fut peu mêlé aux affaires 
publiques, ce que Montaigne regrette, et avec 
raison ; car, dit-il, « c'estoit un des plus pro- 
pres et nécessaires hommes aux premières 
charges de France. » — « lesçais bien, dit ail- 
leurs Montaigne, qu'il estoit eslevé aux dignités 
de son quartier qu'on appelle des grandes, et ie 
sçais encores dadvantaige que iamais homme 
n'y apporta plus de suffisance, et qu'en l'âge 
de trente-deux ans qu'il mourut, il avoit ac- 
quis plus de vraie réputation en ce rang là 
que nulle aultre avant lui. Mais tant y a que 
ce n'est pas raison de laisser en Testât de sol- 
dat un digne capitaine, ny d'employer aui 
charges moîennes ceulx qui feroient bien ei^ 



— 26 — 

eores les premières. A la venté, ses forces foH 
rent mal ménagées et trop espargnees. » Et ce 
qui y perdit, observe non moins justement 
Montaigne, ce fat « le grand interestde nostre 
bien commun ; car, quant au sien particulier, 
Je vous asseure qu'il estoit si abondamment 
pourvu des biens et des thresors qui deffient 
la fortune, que iamais homme n*a vécu plus 
satîafaict, ny plus content » 

En effet, rien ne peut donner une meilleure 
jfdée de Fhonorabilité de la vie privée de La 
Boétie, et aussi de Télévation remarquable de 
son intelligence, que Tamitié singulière de 
Montaigne pour lui, amitié si tendre, que 
Montaigne ne pouvait en rendre raison autre- 
ment que par ces paroles, aussi touchantes 
que simples: «C'est parce que c'estoit luy; 
c'est parce que c'estoit moy I » Sentiment si 
profond, que la perte de cet ami si cher lui 
rendit amères toutes les jouissances. «Nous 
estionsàmoitié de tout, disait-il ; il me semble 
que ie lui desrobbe sa part I» 

Cette amitié de Montaigne a été longtemps 
la gloire de La Boétie; aujourd'hui que la 
Justice du temps s'applique à rétribuer plus 
équitablement les m^tes de chacun, et a fait 
entrer dans la balance beaucoup de chosea 
qui pesaient peu autrefbis» la meilleure gloire 



I 
i 

V 

I 

/ , 



^ 26 -* 

de Montaigne sera peat-ètre d^ètrç pour la 
postérité le témoin de La Boétie. Et ce n^est 
pas en vain qu'il aura écrit cette phrase en 
tète de Fédition qa'il donna de la traduction 
faite par son ami de la Ménagerie^ de Xéno- 
phon: 

ff II m'a fait cet honneur vivant, que ie 
BMts an nombre de la meilleure fortune des 
miennes, de dressa avec miA une coustnre 
d'amitié si estroite et si ioincte» qu'il n'y a eu 
biais, mouvement ou ressort en son ame que 
ie n'aie pu considérer et iuger, au moins aS 
ma vue n'a quelquesfols esté trop courte» Qr, 
sans mentir, il estoit, à tout prendre, si près 
du miracle, que pour, en me iettant hors des 
barrières de la vraisemblance, ne pas ûùre 
mémoire du tont, il est forcé, quand ie parle 
de luy, que ie me reserve et restreigne an 
dessoabs de cequei^en sçais. Et pour ce coiqs 
ie me eontenteray seulement de voossupplier, 
pour l'hMmeur et révérence que vous debrei 
à la vérité, de tesmoigner et croire que nostie 
Guyenne n'a iamais rien veu de pareil à \a^ 
parmy les hommes de sa robbe. » 

On peut cniire que ces expressicms n'avaient 
lien d'esagéré sous la plume de Montaigne, 
ne fût-ce que par la fréquence avec laquelle 
elles s'y rencontrent Le nlus remarquable 



— «7 — 

chapitre des Euais^ intitulé : De Vamitié^ 
est presque tout entier consacré à La Boétie» 
et dans une lettre, que Ton trouvera ci-après, 
et qui est un véritabie chef-d'œuvre, Mon- 
taigne a raconté les derniers moments de ce 
grand homme et de cet ami rare, mort avec 
la sérénité du juste ; 

« Au demeurant, dit Montaigne dans le cha- 
pitre en question, ce que nous appelons or- 
dinairement amis et amitiés ne sont qu^ac- 
coîntances et familiarités nouées par quelque 
occasion ou commodité, par le moïen de la- 
quelle nos âmes s^entretiennent En famitié 
dont il parle, elles se meslent et se confon- 
dent Tune et Taultre d^uB meslange si univer- 
sel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la 
cousture qui les a lolnctes. Si Ton me presse 
de dire pourquoy le Taimois, le sens que cela 
ne se peut exprimer qu'en repondant : Parce 
que c'estoit luy, parce que c*estoit moy. Nous 
nous cherchions avant de nous estre veus. 
Nous nous embrassions par nos noms. Et, à 
nostre première rencontre, qui 1ht en une 
grande feste et compaignie de ville, nous nous 
trouvasmessî prins, si connus, si obligés entre 
BOUS, qtie rien deslors ne nous fut ^i proche 
que Pun à Taultre. 
» Nm âmes ont une Saison ri intime en. 



A 



semble ; elles ie sont considérées d^one si ar» | 
dente affection, et de pareilles affections des- 
couvertes iusqu^au fin fond des entrailles 
Tune à iaultre, que nonseulement ie cog- 
noissoîs la sienne comme la mienne, mais id 
me fusse certainement plus volontiers fié à 
luy de moy, qu'à moy. » 

Ce n'était pas assurément un homme d'une 
trempe ordinaire que celui qui inspirait de 
pareils sentiments et une telle estime à V& 
goîste et sceptique Montaigne. Montaigne 
crut ne pouvoir faire de son caractère un 
plus grand éloge, qu'en disant « qu'il avoit 
une ame moulée au patron des siècles anti- 
ques. » Nous dirons, nous, que son génie avait 
la prescience de la grandeur moderne. Il a de- 
vancé son époque, et il eût pu dire, conune 
le marquis de Posa, dans le drame de Schil- 
ler : « Je suis un citoyen des siècles à venir. • 

Combien il nous apparaît différent de Mon- 
taigne, prudent, politique, égoïste, cauteleux» 
libre penseur qui, tout en se moquant des 
prêtres, posait cette règle philosophique, que, 
pour ne pas choquer les opinions reçues, il 
en fallait appeler un à son lit de mort ; libé- 
ral, qui bien qu'il avoue que c'est le livre de 
la Servttiùde volontaire qui fût le premier 
mobile de son amitié si tendre pour La Boé- 



- i9 — 

tie, crut cependant, à une époque troublée* 
en une mal plaisante saison^ comme il le 
dit lui-même, devoir atténuer la valeur de 
cet ouvrage dont il craignait que la publica- 
tion entraîn&t quelque danger; au risque de 
compromettre la réputation de son ami, ne 
craignit pas de le justifier en ces termes : 
« Afin que la mémoire de Tauteur n'en soit 
intéressée en Tendroict deceulxqui n'ont pu 
cognoistre de prez ses opinions et ses actions, 
le les advise que ce subiect fut traité par lui 
en son enfance, par manière d'exercice seule- 
ment, comme subiect vulgaire et agité en mille 
endroicts des livres. » C'est ainsi que Montai- 
gne a le premier mis en circulation l'opinion 
dont se sont emparé les ennemis des idées 
dont La Boétie fut le confesseur et que nous 
avons dû réfuter en commençant cette Pré- 
face. Il est vrai de dire que Montaigne se h&te 
d'ajouter : « le ne fais nul doute qu'il ne 
crut ce qu'il escripvoit : car il estoit assez cons- 
ciencieux pour ne pas mentir mesme en se 
louant ; et ie sçais dadvantage que s'»7 eust eu à 
choisir^ ileust mieulxaymé estre nay à Venise 
qu*à Sarlat. » « Et avec raison, » dit Montai- 
gne, qui, en dépit de sa prudence, s'associe 
ainsi à cette protestation républicainct 
U faut savoir gré à' Montaigne de cedévou- 



— 30 — 

iiieiit;et oa peat voir par ce trait que si c^est 
une zuLture timide, et plus indiiféraiite et 
sceptique encore que timide peut-être» il n'y 
avait pas chez lui TétofEè yiJe d'joL apostat 
Ou reste, si Montaigne est un peu resté étran- 
ger au grand mouvement politique de son 
époque, s'il ne s'y est guère associé, du moins, 
que par son amitié à toute épreuve poor La 
Boétie, il ne faut pas méconnattre qu'il a ai- 
firme un des premiers et contribué à pro- 
pager plus qu'aucun autre le sentiment de 
l'égalité humaine et sociale. Ses Essais ne 
sont autre chose, en somme, qu'un livre qui, 
par le doute et la plaisanterie, s'attaque à 
beaucoup de superstitions religieuses, philo- 
sophiques, sociales et même politiques, sa- 
crées jusque-là. A ce point de vue, Montai- 
gne a été le précurseur de Voltaire, et comme 
lui un des préparateurs les i^us actifs de la i^ 
volution. Avant de fonder, il faut détruire, et 
c'est k quoi se sont employés ces deux puis- 
sants railleurs qui se sont si profondément 
inspirés, par leursiyle et la tournure de leur 
esprit, du génie de notre nation. £n somme, 
n'art-il pas lui-m^e révélé son but et lefond 
intime de sa pensée par cette coDcUision hu- 
moristique que lui-même donne aux Essais : 
« Si avons nous beau monter sur des eschas« 



— si- 
ses, car sur des eschasses encore faut il mar- 
cher sur nos iambes, et au plus eslevé trosne 
du monde, si (encore) ne sommes nous assis 
que sur nostre cul. » 

Nous nous souvenons, dans la Préface d'une 
édition des Essais^ faite avant la Révolution, 
avoir vu relevée par un critique délicat, qui 
n'était frappé que de Tinconvenance du lan- 
gage, cette phrase comme choquante, et 
l'avoir vue signalée comme une des imper- 
fections qui déparent Vouvrage de Montaigne. 
On comprend combien une société qui en- 
fantait de pareils commentateurs était peu 
faite pour comprendre et apprécier La Boé- 
tie; et il n'y a pas lieu de s'étonner de l'ou- 
bli dans lequel il est resté si longtemps en- 
foui. 

1 Nous l'avons dit, il appartenait à notre épo- 
que de rétablir cette mâle et austère figure 
de patriote démocrate. Et, pour notre pro- 
pre compte, nous nous estimons heureui 
d'avoir pu contribuer, pour notre faible part, 
à cette œuvre de restitution et de répa- 
ration* . 

A. VERMOREU 



-^^^..-J 



DE LA SERVITDDE VOLONTAIPi; 



D'aroir plusieurs seinieurs aulcun bien ie ne yeoj : 
Qu*u]i sans plus soit le maistre, et < 



qu'un seul soit le roy. 



ce dîct Ulysse en Homère ^ parlant en pu* 
blic. S'il n'eust dict, sinon 

D'aToir plusieurs seigneurs aulcun bien ie ne Teoy t 

cela estoit tant bien dlct que rien plus : mais» 
au lieu que, pour parler avecques raison, il 
falloit dire que la domination de plusieurs ne 
pouYoit estre bonne, puis que la puissance 
d'un seul, deslors qu'il prend ce tiltre, de 
maistre, est dure et desraisonnable, il est 
allé adiouster, tout au rebours, 

Qu'un sans plus soit le maistre, et qu'un seul soit le tof • 

1 Iliade, 1. H, T. S04, 30S. 

LA BOÉnC. % 



— 34 — 

Toutesfoîs, à l'adventure, il faut excuser 
Ulysse, auquel possible lors il estoit besoîng 
d*mser de ce langaige, et de s'en servir pour 
appaiser la révolte de Tannée; conformant, 
îe «roys , son propos plus au temps <|ii*& 
la vérité. Mais à parler à bon escient, c'est un 
extrême malheur d'estre subiect à un maistre, 
duquel on ne peult estre iamais asseuré qu^il 
fioît bon, puisqu'il est touslours en sa puis- 
sance d^estre maulvaîs quand y vouidra : et 
d'avoir plui^eurs maistres, c'est autant que 
d'avoir autant 4e fois à estte extrenu^neut 
natheoreux. SI ne veulx le pas, pour cette 
heure, débattre cçtte question tant pourme- 
nee, à sçavoîr : « Si les aultres façons de Te- 
publicqùes sont meilleures que la monar- 
chie. » A quoy si ie vouiols venir, eacores 
vouldrois ie sçavoir, avant que mettre en 
dottbte i)uel renf la monarchie d^bt a?^r 
entre les republicques, ^ elle / en <jk)ibt avoir 
anilcun; pofEroe qu'il eirt malaysé de en^re 
^'il y 4tyt ries de pubHe en oe gouverne- 
meçt, eâ timt est à œi. MaS« cette questfou 
est réservée po«r un aultre temps, etdeman- 
deroit bien son traicté à part, ou plustoi^ 
ameineroit quand et soy toutes les disputes 
politiques. 

Pour ce coup, le ne vouldrois sinon enten 



— 35 — 

âre^ s'il est possible, et comme il se peult 
faire, que tant d'hommes, tant de bourgs, 
tant de villes, tant de nations, endurent quel- 
quesfois un tyran seul, qui n'a puissance que 
celle qu'on luy donne ; qui n'a pouvoir de leur 
nuire, sinon de tant qu'ils ont vouloir de l'en- 
durer; qui ne sçauroit leur faire mal aalcun, 
sinon lors qu'ils ayment mieulx le souffrir que 
luy contredire. Srand'chose, certes, et toutes- 
fois si commune, qu'il s'en fault de tant plus 
douloîr, et moins esbakir, de veoir un million 
de millions d'hommes servir misérablement, 
ayants le col soubs le ioug, non pas con- 
trainctB par une plus grande force, mais aul- 
cunement (ce semble) enchantez et charmez 
par le seul nom d'iiN, duquel ils ne doibvent 
ny craindre la puissance^ puis qu'il est seul, 
ny aymer les qualltez, puis qu'il est, en leur 
endroict, inhumain et sauvaige. La foibiesse 
d'entre nous hommes est telle : Il fault soo- 
vent que nous obéissions à la force ; il est be- 
8(^ng de temporiser : on ne peult pas tous- 
iours estre le plus fort Doncques, si une na- 
tion est contraincte par la force de la guerre 
de servir à un, comme la cité d'Âthenes aux 
trente tyrans^ il ne se fault pas esbahir qu'elle 
serve, mais se plaindre de l'accident ; oubien 
plustost ne s'esbahir, ny ne s'en plaindre» 



À 



— se- 
mais porter le mal patiemment, et se réser- 
ver à Tadvenir à meilleure fortune. 

Nostre nature est ainsy, que les communs 
debvoirs de Tamitié emportent une bonne 
partie de nostre vie ; il est raisonnable d'ay- 
mer la vertu, d'estimer les beaulx faicts, de 
cognoistre le bien d'où Ton Ta receu, et di- 
minuer souvent de nostre ayse, pour aug- 
menter rhonneur et advantaige de celuy qu'on 
ayme, et qui le mérite : Aiusy doncques, si 
les habitants d'un pais ont trouvé quelque 
grand personnaige qui leur ayt monstre par 
espreuve une grande prévoyance pour les 
garder, grande hardiesse pour les deffendre, 
ttn grand seing pour les gouverner ; si, de là 
en avant, ils s'apprivoysent de luy obeïr, et 
s'en fier tant que luy donner quelques ad- 
yantaiges, le ne sçais si ce seroit sagesse, 
de tant qu'on l'oste de là où il faisoit bien» 
pour l'advancer en lieu où il pourra mal 
Mre : mais, certes, si ne pourroit-il Mllir 
d*y avoir de la bonté, de ne craindre poinct 
mal de celuy duquel on n*a receu que bien. 

Mais, ô bon Dieu I que peut estre celaTcom- 
iiient dirons-nous que cela s'appelle? q[ael 
malheur est cestuy là? ou quel vice? ou plus- 
tost quel malheureux vice? veoir un nombre 
infiny, non pas ob^r, mais servir : non pas 



— 37 — 

eatte gen i vie rn eg^mais tyrannisez; n^ayants nj 
biens, ny parents, ny enfants, ny leur vie 
mesme, qui soit à eulx! Soufllrir les pilleries. 
les paillardises, les cruaultez, non pas d'une 
armée, non pas d'un camp barbare contre le* 
quel il fauldroit despendre son sang et sa vie 
devant ; mais d'un seul ! non pas d'un Hercu- 
les, ne d'un Samson; mais d'un seul hom- 
meau, et le plus souvent du plus lasche et fe- 
menin de la nation ; non pas accoustumé à la 
pouldre des batailles, mais encores à grand' 
peine au sable des tournois; non pas qui 
puisse par force commander aux hommes, 
mais tout empesché de servir vilement à la 
|[ioindre femmelette 1 Appellerons nous cela 
Jascheté? Dirons-nous que ceulx là qui ser- 
rent, soyent couards et recreus? Si deux, si 
iorois, si quatre ne se deffendent d'un, cela 
estestrange, mais toutesfois possible; bien 
pouiTa l'on dire lors, à bon droict, que c'est 
faulte de cœur : mais si cent, si mille en- 
durent d'un seul, ne dira l'on pas qu'ils ne 
veulent poinct, non qu'Ile n'osent pas se 
prendre à luy, et que c'est, non couardise, 
mais plustost mespris et desdaing. Si l'on 
veoid, non pas cent, non pas mille hommes, 
mais cent piôs, mille villes, un million d'hom- 
aesi n'assaillir pas on seul» dnqinel to mieulx 



— » — 

taieté de touts en receoît ce mal d'estre aerC 
et eadav«,caiiiiiieirt pourrions nous nomoifir 
cela? est ce laschetél 

Or, il 7 a en toots vices naturettemeiifc qi^él- 
^e borne, ooltre laquelle ils ne peaTeat 
passer: deox peuTont craindre uo» el pos- 
sible dix ; Eiais mille, mais un million, mais 
milis villes, si elles ne se dtfendent d'vn, cela 
ii*est pas couardiaerdUe ii® va poiDct iusqws 
là ; ncMi plus que la vaillance ne sf estend pas 
qohm aesl eschelle une fûrkereBsOr q!u1l aa^ 
saille une armée, qni'il congoiere ua roîaume. 
Itooeqoes quel monstre de vice est eecy, qui 
ne mérite pas encore le tUtre de couardise? 
qui ne treuve de nom asses vilain, quenatore 
desadn)ue avoir faiet, el la langue refase de 
le nommer? 

Qu'en mette dioi eosté cinquante mille 
hommes en armes) dHm aultre, autant; qu*on 
les raige ea batlsttle; quils viennent à se 
ic^dre^ les uns Utares combattants pour lenr 
francUse^tes aultrei ponr la lenr oster : an^ 
qaék» promettra on par coniectore la victoire? 
lesquels pensera on qui {dus gaillardement 
Iront au ecaibat, on œiahx gai espwrent poor 
guerdoo éà lemr peine Tentrelenement de 
leur Eber«6^ on cenbt qui ne peuvent atten- 
dre kQror des eoups qnlls donnent ou qoUs 



rec^iveatf que la senvftaiie ftKdtnfi L» 
uns «Dt toufiiounB ésvmt leu» y«ulx le iKm* 
heur de leur «rie fmssee, Tirttenle de pareiUa 
af se à radK^enîr ; â ae leur souvieBit ^m 
lant de ce qa'ils endiment ce peu de tsmp$ 
que dure une battaille, comiBe de ce icpïû 
cDSfieiMdraà îannîs endainer à eulx, à ieurs 
enfwte eit à toute ia postérité : Les aultres 
n'ont rien qui les enhardisse, <p'une petite 
podncte de convoitise qui se rebouche bduIk 
àain eomUe le dac^er, et qnsi ne pevlt estro 
ai ardente qu'elle ne ee doilnne et semble es^- 
teindre par la jnoîgydie goutte de sang qaà. 
aorte de leurs plajFeSi Anx bfittailies tant ce- 
BD wneos de Jiiitiade, de I^eonide, de Thenrâh 
tooles,qai ont esté données deux nilie ansa, 
ieA Tirent encores auiourdjhujr aussi Cresohes 
en la memmre des livres et des hoaines, 
oomme si c 'eust esté Fanltre hier qn^elles 
fémeot donsees m. Greœ, pour le hksx de 
Grèce et pour Tesemple de tout le inonde.; 
qn'esl^ œ i^'on pense qui donna i ai petit 
nomlnre de gents, comme estolent les Greos» 
non le penvcdr, mais le tcamr de «oubstenir 
la toce de tant de navires, qoe laœr meswe 
encBtoiit cdiaBgee; dedeaCai» tant de nations» 
^fû estcAent en id grand nonbm qne llesqa»- 
dron des €recs n'eost fovny; 8*il enst Callu, 



— 40 *- 

des capitaines aux armées des ennemis? SI 
non qnMl semble qa*en ces glorieux ioors là 
ce n^estoit pas tant la battaille des Grecs 
contre les Perses, comme la victoire de la 
liberté sur la domination, et de la franchise 
sur la convoitise. 

Cest chose estrange d'ouïr parler de la 
vaiUance que la lib^té met dans le cœur de 
ceulx qui la deflfendent ; mais ce qui se faict 
en touts paîs, par touts les homm^, touts 
les iours, qu'un honmie seul mastine cent 
mille villes, et les prive de leur liberté ; qui 
le croiroit, s'il ne faisoit que Fouir dire, et 
non le veoir? et, s'il ne se veoyoit qu'en paîs 
estranges et loingtaines terres, et qu'on le 
dist ; qui ne penseroit que cela feust plustost 
feinct et controuvé, que non pas véritable? 
Encores ce seul tyran, il n'est pas besoîng de 
le combattre, il n'est pas besoing de s'en def- 
fendre;ilestdesoymesmedesfaict Mais que 
le paîs ne consente à la servitude, il nefault 
pas luy rien ester, mais ne luy donner rien ; il 
n'est poinct besoing que le paîs se mette en 
peine de faire rien pour soy, mais qu'il ne se 
mette pas en peine de faire rien contre soy. 
Ce sont doncques les peuples mesmes qui se 
laissent, ou plustost se font gourmander, puis 
qu'en cessant de servir ils en seroient quites : 



— 41 — 

o*e(st le peuple qui 8*asseryit, qui se coupe la 
goi^e; qui, ayant le choix d'estre subiect ou 
d*estre libre, quîte sa franchise, et prend le 
ioug; qui consent à son mal, ou plustost le 
pourchasse. S'il lui coustoit quelque chose de 
recouvrer sa liberté, il ne Ten presseroit 
poinct, combien que ce soit ce que Thomme 
doibt avoir plus cher que de se remettre en 
son droict naturel, et, par manière de dire, de 
beste à revenir à homme ; mais encores ie ne 
luy permets poinct qu'il ayme mieulx une ie 
ne sçais quelle seureté de vivre à son ayse, 
Quoy! si pour avoir la liberté, il ne lui fault 
|ue la désirer ; s'il n'a besoing que d'un sim* 
pie vouloir, se trouvera il nation au monde qui 
Testîme trop chère, la pouvant gaigner d'un 
leul souhaict? et qui plaigne sa volonté à re- 
couvrer le bien lequel on debvroit racheter 
au prix de son sang? et lequel perdu, touts 
les gents d'honneur doibvent estimer la vie 
desplaisante et la mort salutaire? Certes, 
tout ainsi comme le feu d'une petite estin- 
celle devient grand, et tousiours se renforce, 
et plus il trouve de bois, et plus est prest 
d'en brasier; et, sans qu'on y mette de l'eau 
pour Testeindre, seulement en n'y mettant 
plus de bois, n'ayant plus que consumer, il 
se consume soy mesme, et devient sans forme 



aulcune et n^cst phis léa : pareiliSBraiit les 
tyrans^ plus ils pillent^ plus ika; exigent, pic» 
Ils nQment et destniisent , p!uâ en Imr 
bi^le, plus oa les sert; d^autuit plus ils se 
fortifient, devieDuent toosiours plus lèrfisiet 
plus firez pour anéantir et deslruire toat; et, 
si on Be leur basHe rien^ rt eu ne lear obeR 
poinet, sans combattre, sans frayer, ils de^ 
meurent omds et desfaicts;, et ne s&êA pLwB- 
rien, si non qfœ coame la raeiney n^ajaoït plss 
dliunHur et aliment, défient «ne brancha 
seigle et morta 

Les hardis, pour acquérir le bf c» quTils de» 
mandent, ne oralgneBi poînet le dasigier; le9 
advisea ne redisent poinet la peine : ks lasehes 
et engooni» ne sça? ent ny endurer le mal, 
ny recouvrer le bien ; ils s^arrestent en e^a 
de le soakalet^,0t la vertu dTj prétendre leur 
est ostee par leur lascheté; le désir de ravoir 
leur demeure par la nature. Ce désir, eette 
volonté, est camnnme aux sages et am m^Sa^ 
crets, aux eourageux et aux couards^ pour 
soufaaieter toutes dioses qui, estant acquises, 
les rendnrient benreux et eonteofts : une seule 
en est a dire, en laquelle ie ne sçais cM^mnse 
natinre defauft aux hommes pour la désirer r 
c'est la liberté, qui est toutesfois un tien sj 
grand et si plaisant, q<ae, elle perdue, toute 



168 HiMilx vieniieiit à la file, et ks biens 
msmes qui demeurent aprez elles perdent 
eDtferement leur goiist et leur saveur, ooiv 
rompus par la serritade : la seule liberté, tes 
lionimes ne 1» désirent poinct, non pas pour 
aidtro raison, ce ne semblo, si noo pource 
que, s'iis la desirofeot, fis Tauroient; comme 
jflls reftisoieQl; faire ce bel ae<|Qesl;, seulement 
parce qii*!! est trop ays6. 

Pammes gento et miseraldes, peuples insen* 
seiB, Dations opinlastres en vostre mai, et 
avenues en vostre bien* fous vous laisses 
emporter devant vous je plus beau et le plus 
idair de vostre rev^mu, piller vos champs, 
voler vos maisons, et les despouiller des mevH 
hlOB anciens et pateme^bs I Vous vivez <le 
âurte que vous pouvez dire que rien n*est à 
vous ; et sembleroit que mesfaujr ee vous se- 
n>it grand heur, de tenir à moitié vos biens, 
inos familles et vos vies; et tout ce degast, oe 
malbeur, cette ru^rne, vous vient, non pas des 
ennemys, mais bien oerteade Tennemy et de 
celuy que vous faictes si grand qu'il est, pour 
lequel vous allée si courageusement à la 
guerre, par la grandeur duquel vous ne re- 
fusez poinet de présenter à la mort vos per- 
sonnes. Celui qui vous mais^setaat, n'a que 
deux yeulx, n'a que deux mains, n'a qu'un 



— 44 — 

eorps, et n*a aoltre chose que ce qa*a le moin- 
dre homme du grand nombre infiny de vos 
villes ; si non qu^il a plus que vous touts, c*est 
Tadvantaige que vous luy faictes pour vous 
destrulre. D'où il a prins tant d'yeulx d'où 
vous espib il, si vous ne les luy donnez? 
Gomment a il tant de mains pour vous frap- 
per, s'il ne les prend de vous? Les pieds dont 
il foule vos citez, d'où les a il, s'ils ne sont des 
rostres? Gomment a il aulcun pouvoir sur 
TOUS, que par vous aultres mesmes? Gomment 
vous oseroit il courir sus, s'il n'avoit intelli- 
gence avecques vous? Que vous pourroit il 
faire, si vous n'estiez receleurs du larron qui 
vous pille, complices du meurtrier qui vous 
tue, et traistres de vous mesmes? Vous semez 
vos fruîcts, à fin qu'il en face le desgast; 
vous meublez et vous remplissez vos maisons, 
pour fournir à ses voleries; vous nourrissez 
vos filles, à fin qu*il ayt de quoy saouler sa 
luxure ; vous nouirissez vos enfants, afin qu'il 
les mené, pour le mieulx qu'il face, en ses 
guerres, qu'il le^ mené à la boucherie, qu'il les 
face les ministres de se? convoitises, les 
exécuteurs de ses vengeances; vous rompez à 
la peine vos personnes, à fin qu'il se puisâe 
mignarder en ses délices, et se veautrer dans 
les sales et vilains plaisirs; vous vous affoi« 



— 45 — 

blissez, à fin de le faire plus fort et roide à 
TOUS tenir plus courte la bride; et de tant 
d'îndignitez, que les bestes mesmes ou ne sen- 
tiroientpoinct, ou n^endureroient poinct, vous 
pouvez vous en délivrer, si vous essayez, 
non pas de vous en délivrer, mais si^ulement 
de le vouloir faire. Soyez résolus de i^e ser- 
vir plus, et vous voylà libres. le ne veulx pas 
que vous le poulsiez, ny le bransliez ; mais 
seulement ne le substenez plus; et vous le 
verrez, comme un grand colosse à qui on a 
desrobbé la base, de son poids mesme fondre 
en bas, et se rompre. 

Mais, certes, les médecins conseillent bien 
de ne mettre pas la main aux playes incura- 
bles; et ie ne fais pas sagement de vouloir en 
cecy conseiller le peuple qui a perdu, long 
temps il y a, toute cognoissance, et duquel, 
puis qu'il ne sent plus son mal, cela seul mons- 
tre assez que sa maladie est mortelle : Cher- 
chons doncques par coniectures, si nous en 
pouvons trouver, comme s'est ainsy si avant 
enracinée cette opiniastre volonté de servir, 
qu'il semble maintenant que l'amour mesme 
de la liberté ne soit pas si naturelle. 

Premièrement, cela est, comme ie crois, 
hors de nostre doubte, que, si nous vivions 

avecques les droictq que nature nous a don 

j 



H- 46 — 

nez et les enseignements qu^elle nous ap- 
prend, nous serions naturellement obéissants 
aux parents, subîects à la raison, et serfs de 
personne. De Tobeïssance que chascun, sans 
aultie advertîssement que de son naturel, 
porte à ses père et mère, touts les hommes 
en sont tesmoîngs, chascun en soy et pour 
soy ; De la raison, si elle naist avecques nous, 
ou non, qui est une question débattue au 
fond par les académiques et touchée par 
tonte Teschole des philosophes ; pour cette 
heure, ie ne penserois poinct faillir en croyant 
qu'il y a en nostre ame quelque naturelle se- 
mence de raison, qui, entretenue par bon 
conseil et coustume, fleurit en vertu, et au 
contraire, souvent ne pouvant durer contre 
les vices survenus, estouffee s'avorte. Mais, 
certes, s'il y a rien de clair et d'apparent en 
la nature, et en quoy il ne soit pas permis de 
faire l'aveugle, c'est cela. Que nature, ie mi- 
nistre de Dieu et la gouvernante des hommes, 
nous a touts faicts de mesme forme, et comme 
il semble, à mesme moule, à fln de nous en- 
trecognoistre tôuÉs pour compaignons, ou 
plustost frères; et si, faisant les partaigesdes 
présents qu'elle nous donnoît, elle a far'^ 
quelquas advantaîges de son bien, soit a« 
corps ou à l'esprit, aux uns plus qu'aux 



i 



— 47 — 

aoltres, si n^a elle pourtant entendu nou$ 
mettre en ce monde comme dans un camp 
clos, et n*a pas envoyé Icy bas les pluy forts 
et plus advisez, comme des brigands armez 
dans une forest, pour y gourmander les plus 
foîbles; maïs plustost faut il croire que, fai- 
sant ainsin aux uns les parts plus grandes, et 
aux aultres plus petites, elle vouloît faire 
place à la fraternelle affection, à fin qu'elle 
eust où s^employer, ayants les uns puissance 
de donner ayde, et les aultres besoing d'en 
receveoir. 

Puis doncques que cette bonne mère nous 
a donné à touts figurez en mesme paste, à 
fin que chascun se peust mirer et quasi re- 
cognoistre Tun dans Faultre ; si elle nous a à 
touts en commun donné ce grand présent de 
la voix et de la pai^oTe, pour nous accointer et 
fi*atemîser dadvantaige, et faire, par la cous- 
tume et mutuelle déclaration de nos pensées, 
une communion de nos volontez ; et si elle a 
tasché par touts moïens de serrer et estreindre 
plus fort le nœud de notre alliance et société; 
si elle a monstre, en toutes choses, qu>Jle ne 
vouloit tant nous faire touts unis, que touts 
uns : il ne fault pas faire doubte que nous ne 
soyons touts compaignons; et ne peult tumber 
en Tentendement de personne que nature ayt 



— 48 — 

mis aulcuns en servitude, nous ayant toutt 
mis en compaignie. 

Mais, à la vérité, c'est bien pour néant de 
débattre si la liberté est naturelle, puis qu'ion 
peult tenir aulcun en servitude sans luy faire 
tort, et qu'il n'y a rien au monde si contraire 
à la nature (estant toute raisonnable) que 
riniure. Reste doncques de dire que la liberté 
est naturelle, et par mesme moïen, à mon 
advis, qde nous ne sommes pas seulement 
nays en possession de nostre franchise, mais 
aussi avecques affection de la deffendre. Or, 
si, d'adventure, nous faisons quelque doubte 
en cela, et sommes tout abbastardis que ne 
puissions recognoistre nos biens ny sembla- 
blement nos naïfves affections, il fauldra que 
fe vous face l'honneur qui vous appartient, et 
flue ie monte, par manière de dire, les bestes 
brutes en chaire, pour vous enseigner vostre 
natureet condition. Les bestes(cem'aid'DieuI), 
si les hommes ne font trop les sourds, leur 
crient : vive uberté l Plusieurs y a d'entr'el- 
les, qui meurent sitost qu'elles sont prinses : 
comme le poisson qui, perd la vie aussitost 
que Peau; pareillement celles là quittent la 
lumière, et ne veulent poinct survivre à leur 
naturelle franchise. Si les animaulx avoient 
entre eulx leurs rengs et prééminences. 



— 4»- 

S 

fls feroienty & mon advis, de liberté leur 
noblesse. Les aultres, des plus grandes lus- 
ques aux plus petites, lors qu'on les prend, 
font si grande résistance d*ongles, de cornes, 
de pies, de bec, qu'elles déclarent sésez com- 
bien elles tiennent cher ce qu'elles perdent ; 
puis estant prinses, nous donnent tant de 
signes apparents de la cognoissance qu'elles 
ont de leur malheur, qu'il est bel à veoir, 
que d'ores en là ce leur est plus languir que 
Yivi$, et qu'elles continuent leur vie, plus 
pour plaindre leur ayse perdu que pour se 
plaire en servitude. Que veult dire aultre chose 
l'elephant qui, s'estant deffi^du iusques à n*en 
]>ouvoir plus, n'y veoyant plus d'ordre, estant 
sur le poînct d'estre prins, il enfonce ses 
maschoires, et casse ses dents contre les ar- 
bres ; si non que le grand désir qu'il a de de- 
meurer libre, comme il est nay, lui faict de 
l'esprit, et l'advise de marchander avecques 
les chasseurs, si, pour le pris de ses dents, il 
en sera quite, et s'il sera receu à bailler son 
jrvoire et payer cette rençon pour sa liberté? 
Nous appastons le cheval deslors qu'il est nay, 
pour l'apprivoiser à servir; et si ne le sçavons 
nous tint flatter, que quand ce vient à le 
domter, il ne morde le frein, qu'il ne rue 
contre l'esperon, comme, ce semble, pour 

i 



A 



— w — 

monstrer & la nature, et tesmoîgner au moins 
par là, que s'il sert, ce n*est pas de son gré» 
maïs par nostre eontraincte. Que fault O: donc- 
ques dire? 



InhmOÊiwm 1« poids do iDng; gcÉgneity. 
Et les oyseaulx dass la cagiB se plaignent, 

comme fay dîet auteurs aultresfols, passant ^ 
temps à nos rimes françofses : car ie ne crain« 
drtKEs poinct, escrivant à toi, ô Longa, mes- 
1er de mes vers, desqods !e ne lis îamai?, 
que, pour le semblant que tu fais de t*en con- 
tenter, tu ne m'en faces glorieux. Ainsy donc- 
ques, puis que toutes citoses qu! ont senti- 
ment deslors qu^elles Tont, sentent le mat dd 
la subiection, et courent aprez la liberté ; 
puis que les bestes, qui encores sont faict^ 
par le venin de Phomme, ne se peuvent ac- 
coustumer à servir qu'avecques protestation 
d*un désir contraire r quel maleucontre a esté 
cela, qui a peu tant dénaturer lliomme,seuI 
naj, de vray, pour vivre franchement, de 
luy faire perdre fa souvenance de son pre- 
mier estre et le désir de le reprendre ? 

n y a trois sortes de tyrar» (îe parle des 
meschants princes) : les uns ont le roîaume 
par Teslection du peuple; les aultres, par la 
force aes armes : les aultres, par la succession 



— 51 — 

de leur race. Ceulx qui Font acquis par le 
droict de la guerre. Us s'y portent àinsy^ 
qu*on cognoist biea qu^ils sont, comme ou 
dlctt en terre de conqueste. Ceulx ^i nal&* 
sent rojs, ne sont pas communeement gueros 
meilleurs ; aîns estants nays et nourris ^^ n^ 
le sai^ de la tyrannie, tirent avecques lelaict 
la nature du tyran, et font estât des peuples 
qui sont soubs eulx, comme de leurs serfs 
héréditaires ; et, selon la complexion en 1^ 
quelle ils sont plus enclins, avares ou pro- 
digues, tels qu'ils sont, ils font du roïaume 
comme de leur heritaig& Geluy à qui le peu- 
ple a donné Testât, debvroit estre, ce ma 
semble, plus supportable ; et le seroit, comme 
ie crois, n'estoit que deslors qu'il se veoid 
eslevé par dessus les aultres «n ce lieu, ilaté 
par ie ne sçais quoy que Ton appelle la gran- 
deur, il délibère de n'en bouger poinct : com- 
mencement, celuy là iaict estât de la puis- 
sance que le peuple lui a baillée, de la rendre 
à ses enfants: or, deslors que ceulx là ont 
prins cette opinion, c'est chose estrange de 
combien ils passent, en toutes sortes de vices, 
et mesme en la cruaulté, les aultres tyrans; 
ils ne veoyent aultre moïen, pour asseurer la 
nouveUe tyrannie, que d'estendre fort la sei*- 
vitude* et estranger tant les subiects de la 



— Bî — 

liberté, encores que la mémoire en soit 
fresche, qu^ils la lem* puissent faire perdre. 
Âinsy, pour en dire la vérité, ie veois bien 
qu'il y a entre eulx quelque différence ; mais 
de chois, «e n'en veois poinct ; et, estants les 
moïens de venir aux règnes divers, tousiours 
la façon de régner est quasi semblable : Les 
esleus, comme s'ils avoient prins des taureaux 
& domter, les traictent ainsy : Les conqué- 
rants pensent en avoir droict, comme de leur 
proye : Les successeurs, d*en faire ainsy que 
de leurs naturels esclaves. 

Mais à propos, si d'adventure il naissoit au- 
fourd'huy quelques gents, touts neufs, non 
accoustumez à la subiection, ny affriandez à 
la liberté, et qu'ils ne sceussent que c'est ny 
de l'une, ny de l'aultre, ny à grand'peine des 
noms ; si on leur presentoit, ou d'estre sub- 
lects, ou vivre en liberté, à quoy s'accorde- 
roient ils? Il ne fault pas faire difficulté qu^ils 
n'aymassent trop mîeulx obeïr seulement à la 
raison, que servir à un homme: si non pos- 
sible que ce feussent ceulx d'Israël, qui, sans 
contraincte ny sans aulcun besoîng, se fei* 
rent un tyran : duquel peuple ie ne lis iamais 
Thistoire, que ie n'en aye trop grand despît, 
quasi iusques à devenir inhumain pour me 
resiouîr de tant de maulx qui leur en advein- 



— 53 — 

rent. Mais certes touts les hommes, tant qu'ils 
ont quelque chose d'homme, devant qu'ils se 
laissent assubiectir, il fault l'un des deux, on 
qu'ils soient contraincts, ou deceus : Con« 
traincts par les armes estrangieres, comme 
Sparte et Athènes par les forces d'Alexandre, 
ou par les factions, ainsy que la seigneurie 
d^Atfaenes estoit devant venue entre les mains 
de Pisistrat : Par tromperie perdent ils sou- 
vent la liberté; et, en ce, ils ne sont pas si 
souvent seduicts par aultruy comme ils 
sont trompez par eulx mesmes : ainsy le 
peuple de Syracuse, la maistresse ville de 
Sicile, qui s'appelle auiourd'huy Saragosse 
(Saragusa)^ estant pressé par les guerres, 
inconsidereement ne mettant ordre qu*au 
dangier, esleva Denys le premier; et luy 
donna charge de la conduicte de Tarmee ; et 
ne se donna garde qu'elle Teust faict si grand, 
que cette bonne pièce là, revenant victorieux, 
conmie s'il n'eust pas vaincu ses ennemis, 
mais ses citoyens, se faict de capitaine, roy, et 
de roy, tyran. 

Il n'est pas croyable, comme le peuple, 
deslors qu'il est assubiecty, tumbe soubdain 
en un tel et si profond oubly de la franchise, 
qu*il n^est pas possible qu'il s'esvellle pour la 
r'*avoir, servant si franchement et tant volon* 



— w — 

tiers, qu'on diroit» à le Teoir, qu'il « non pm 
^rdu sa liberté, mais sa «ervitude. U est 
WTSLY qu'au commeacemeut Ton s'est coor- 
traincMt, et vaincu par la force : mais eeuU qui 
viennent aprez, n'ayants iamais Teu la liberté, 
et ne sachants que c'est, servent sans regret, 
et font volontiers ce que leurs devanciers 
avoient faict par ocmtraincte. Cest cela, que 
les hommes naissent souhs le ioug; et puis. 
nourris et eslevez dans le s«*vag<e, sans regar- 
der plus avant, se contentants de viv^ 
comme ils sont na/s, et ne pensants poinct 
avoir d'aullze droict ny anltre bien que ce 
qu'ils ont treuvé, ils prennent pour leur na- 
ture Testât de leur naissance. Et toutefois il 
n'est poinct d'héritier si prodigue et noncha- 
lant, qui quelquesfois ne passe les yeulx daas 
ses registres, pour entendre s'il iouît de touts 
les droicts de sa succession, ou si Ton iCm. 
rien ^treprins sur luy, ou son predeoess^ir. 
Mais certes la coustume, qui a, en toutes cho« 
ses, grand pouvoir sur nous, n'a en aulcua 
endroict si grande vertu qu'en cecy, de nous 
enseigner à servir, et (comme l'on diet que 
Mithridate sa feit ordinaire à boire le poison} 
pour nous apprendre à avaller et ne trouver 
pas amer le venin de la servitude. 
L*on ne peult pas nier que la nature s'ayt 



— 55 — 

en nous bonne part pour dch» tirer là où elle 
VBUlt, et nous faire dire ou t4enoa mal na^B; 
mais si faiih il confesser qv'elle a en non» moins 
de pouvoir qae la coustume ; pource q«e le na^ 
tiirà, ponr bon qo*il soit, se perd s'il n^esi en- 
tretenu ; et 1» nourriture noos faiet tonsiovs 
desa fftçon^ comment que ee soit, maAgté la 
natiffe. Les sem^ices de bien qve la nature 
met en nous sont si menues et glissante», 
qa^éùes n*endure&t pas le moindre heurt de 
la nourriture contraire; elles ne s'eatretien* 
nent pas ph» ajseement, qif elles si'abbastar- 
dissent, se fondent, et Tiennent en rien : ne 
plus ne moins qae les Aruktiers, qui ont Men 
touts ^elque naturel à part, lequel ils gar« 
dent bien si on les laisse venir; mais ils le 
laissent auai^tost, pour porter d*attltres fndcts 
estrangiers et non les leurs, selon qu'on les 
ente : Les herbes on^ chascune leur pro* 
prieté, leur naturel et singularité; mais ton- 
tesfois le gel, le temps, le terrouerou la 
masindiiiardinier, OQ a^vsÉent, ou dôninuent 
beaucoup de leur rertu : la plante qu'on a 
veue &a un endroict, on est lâiieors empeschè 
de la recognoistre. Qui Terroit les Vénitiens, 
une poignée de gents vivants n librement, que 
le plus meachant d*entre ^ihc ne vouidroft 
pas estre roy ; et touts, ainsy nays et nourris, 



— 56 — 

qû^lls ne cognoissent poinct d'aultre ambition» 
si non à qui mieulx advisera à soigneusement 
entretenir leur liberté : aînsin apprins et 
faicts dez le berceau, ils ne prendroient 
poinct tout le reste des félicitez de la terre, 
pour perdre le moindre poinct de leur fran- 
chise : Qui aura yeu, dis ie, ces personnaiges 
là, et au partir de là s*en ira aux terres de 
celuy que nous appelions le Grand Seigneur ; 
veoyant là des gents qui ne veulent estre 
nays que pour le servir, et qui pour le main* 
tenir abbandonnent leur vie, penseroit il que 
les aultres, et ceulx là, eussent mesme na- 
turel, ou plustost s'il n'estimeroit pas que, 
sortant d'une cité d'hommes, il est entré dans 
an parc de bestes? Lycurgue, le policeur de 
Sparte, ayant nourry, ce dict on, deux chiens 
touts deux frères, touts deux allaictez de 
mesme laict, Tun engraissé à la cuisine, 
Taultre accoustumé par les champs au son de 
la trompe et du huchet, voulant monstrer au 
peuple ïacedemonien que les hommes sont tels 
que leur nourriture les faict, meit les deixX 
chiens en plein marché, et entre eulx une soulpe 
et un lièvre; l'un courut au plat, et l'aultre 
au lièvre: « Toutesfois, ce dict il, ils sont 
Iresre. »^ Doncques celuy là, avecques ses 
loix et sa police, nourrit et feit si bien les 



^57^ 

Lacedemoniens, que chascun d'eulx eust eu 
plus cher de mourir de mille morts que de 
recognoistre aultre seigneur que la loy et le 
roy. 

le prends plaisir de ramentevoir un propos 
que teinrent ladis les favoris de Xerxes, le 
grand roy de Perse, touchant les Spartiates. 
Quand Xerxes falsoit les appareils de sa 
grande armée pour conquérir la Grèce, 11 en- 
yoya ses ambassadeurs par les citez grégeoi- 
ses, demander de Teau et de la terre : c'estoit 
la façon que les Perses avolent de sommer les 
Tilles. A Sparte ny à Athènes n'envoya il 
polnct, pource que de ceux que Dalre (Darius) 
son père y avoit envoyez pour faire pareille 
demande, les Spartiates et les Athéniens en 
avolent iecté les uns dans les fossez, les aul- 
très ils avoient falct sauter dedans un puits, 
leur disants qu'ils prlnssent là hardiment de 
Teau et delà terre, pour porter à leur prince : 
ces gents ne pouvoient souffrir que, de la 
moindre parole seulement, on touchast à leur 
liberté. Pour en avoir ainsin usé, les Spartiar- 
tes cogneurent qu'ils avoient encouru la haine 
des dieux mesmes, spécialement de Talthybie, 
dieu des heraults : ils s'adviserent d^envoyer 
Ik Xerxes, pour les appaiser, deux de leurs ci- 
toyens, pour se presQfiiter à luy, qu'il feia 



— 58 — 

d*eii]x à sa guise, et se pajast de là par les 
ambassadeurs qu^ils avoient tuez à son père. 
DeuT^ Spartiates, Tun nommé Specte (Sper- 
fhîes), Taultre Bulis, s^offrirent de leur gré 
pour aller faire ce payement lis y allèrent; 
et en chemin ils arrivèrent au palais d'^un 
Perse que on appelloit Gidame (Hydamès), 
qui estoît lieutenant du roy en toutes les 
Tilles d'Asie qui sont sur les costes de la mer. 
n les recueillit fort honnorablement ; et, après 
plusieurs propos tumbants de Tun en Taul- 
tre, il leur demanda pour qupy ils refo- 
soient tant Famitié du roy : o Croyez, dkst 
H, Spartiates, et cognoissez par moy comment 
le roy sçait honorer ceulx qui le valent, et 
pensez que si vous estiez à luy, il vous seroît 
de mesme : si vous estiez à luy, et qu'il vous 
eust cogneus, il n'y a celuy d'entre vous qui 
ne feust seigneur d'une ville de Grèce. — Ea 
cecy« Gidame, tu ne nous sçaurois donner 
bon conseil, dirent les Lacedemonie^os, pour- 
ce que le bien que tu nous promets, tu l'as 
essayé; mais celuy dont nous iouîssoos» tE 
ne sçais ce que c'est : tu as esprouvé la la- 
veur du roy ; mais la liberté, quel goust eUa 
z, combien elle est doulce, tu n'en sçais rieoL 
Or, si tu en aveis tasté toy mesme, tu nous 
ccnseîllerois delà deffendi^e, non pas aveo- 



— 69 — 

qaeer la lance et Vesca, mais aTecqaes les 
dents et les ongles. » Le seul Spartiate disent 
ce qu'M falloit dire : mais certes Tmi et Tanl- 
tre disofent connne fls avolent esté nourris ; 
car il ne se pawrM foire que le Perse eust 
regret à la liberté, ne Tarant iamals eue ; ny 
que le Laoedemonien endiurast la sablection, 
ajant goosté la francliise* 

Caton lUtican, estant encores enfant» et 
sottbs la verge, alloit et yenoit souvent chez 
Sylla le dictateur, tant pource qu'à raison du 
lieu et maison dont il estoét, on ne Iny fer- 
moit ismais les portes, qu'aussi ils estoient 
fnroclies |»arentsu II «voit touiours son maisire 
quand il y alloit, eooune avoient accoustunô 
les enfants de bonne part.. U s'apperceut que 
dans Thostel de Sylla, en sa présence et par 
«on commandement, on enprisDnnoit les uns, 
on eondamnoit les aultres; Tujsi cstott bànny, 
faultre estraqglé; I*ub dmiandoit le confise 
tfun dtoyen, et Taoltre la teste: en somme, 
font y alloit^ non comme cliez nn oOftder âa 
la viOe, mais comme cbes on tyran do peu- 
ple; et c'estoit, non pas oa parquet de Ins- 
tice, mais uno cavon^ de tyrîmnie. Le noUe 
enfant dict à sott maiskre: «Que ne me don- 
nes TOUS un poignard? ie le caeberay soubs 
ma robbe : i^entre souvent dans la ^hanabre 



— 60 — 

de Slylla avant quUl soit levé: i'ay le bras as* 
sez fort pour en despecher la ville.» Yoylà 
vrayement une parole appartenante à Gaton: 
^^estoitun commencement de cepersonnaige, 
tigne de sa mort Et, neantmoins qu'on ne 
^e ne son nom ne son pays, qu'on conte seu- 
lement le faict tel qu'il est; la chose mesme 
parlera, et iugera on, à belle adventure, 
4iu*il estoit Romain, et nay dedans Rome, 
mais dans la vraye Rome, et lorsqu'elle estoit 
Ubre. 

A quel propos tout cecy? non pas certes 
que i*estime que le pais et le terrouer parfar- 
cent rien; car en toutes contrées, en tout 
air, est contraire la subiection, et plaisant 
d'estre libre : mais parce que ie suis d'advis 
qu'on ayt pitié de ceulx qui, en nayssant, se 
sont trouvez le ioug au col, et que, ou bien 
on les excuse, ou bien qu'on leur pardonne, 
si n'ayants iamais veu seulement Tumbre de 
la liberté, et n'en estant poinct advertîs, ils 
ne s'apperceoivent poinct du mal que ce leur 
est d'estre esclaves. S'il y a quelque pays 
(comme dict Homère des Gimmeriens) où le 
soleil se monstre aultrement qu'à nous, et 
aprez leur avoir esclairé six mois continuels, 
il les laisse sommeillants dans l'obscurité, 
sans les venir xeveoir de l'aultre demie an- 



- 61 — 

aee, eeulx qui naistroient pendant cette lon- 
gue nuicty s'ils n*avoient ouy parler de la 
clarté, s'esbahiroit on si, n'ayants poinct veu 
Ae iour, ils s'accoustumolent aux ténèbres où 
ils sont nays, sans désirer la lumière? On ne 
plaind iamais ce qu'on n'a iamais eu, et le 
i<egret ne vient poinct, si non aprez le plai- 
sir; et tousiours est, avecques la cognois- 
sance du bien, le souvenir de la ioye passée. 
Le naturel de Thomme est bien d'estre franc, 
et de le vouloir estre; mais aussy sa nature 
est telle que naturellement il tient le ply que 
la nourriture luy donne. 

Disons doncques. Ainsi qu'à lliomme toutes 
choses luy sont naturelles, à quoy il se nour- 
rit et accoustume; mais seulement luy est 
naïf, à quoy sa nature simple et non altérée 
rappelle : ainsy la première raison de la ser- 
vitude volontaire, c'est la coustume : Gomme 
des plus braves courtaults, qui, au commen- 
cement, mordent le frein, et puis aprez s'en 
louent, et là où nagueres ils ruoient contre 
la selle, ils se portent maintenant dans le 
harnois, et touts fiers se gorgiasent sous la 
barde. Ils disent qu'ils ont esté tousiours sub- 
lects, que leurs pères ont ainsi vescu; ils 
pensent qu'ils sont tenus d'endurer le mors, 
et se le font accroire par exemples; et fon* 



-63 — 

dent ealx mesmes, sur la Icm^eor, laposM»* 
0îon de ceulx qui les tyrannisent; maisr, pour 
rray, les ans ne donnent lamaîs droict de 
mal faire, ains îgrandissentriniaraTottsiours 
en demeure H t^uelques uns, mi^x narfs que 
les aultres, qui sentent le pafds dn long' e€ ne 
peutent tenir de le crouler ; qui ne s'apprivoi* 
sent iamaîs de la subiecdfm, et quf toa^m», 
comme Ulysse, qui, par mer et par terre, 
cherchoit de reoir la fbmee de sa ease, ne se 
«çavent garder d*adriser à leurs natureLs pri- 
vilégies, et de se socnrenrr des predeeesaews 
et de leur premier estre r ce sont voIon#ers 
ceutx là qui, ayante Feaitendement nef e€ Tes- 
prit claînroyant, ne se contentent pas^ ooenÊm 
le gros popuîaff, de regarder ce qui est ée^ 
Tant leura piedar^ ^09 n^adrîsent et derriei^ 
et devaitt, et ne rampent encore les côtoies 
passées pour iuger de celles du temps ave- 
nir, et pour mesurer les présentes r ce sont 
ceulx qui ayante la teste, d'eulx mêm^, bfea 
faîcte, Tont encores poHe par Festude et le 
sçavoir : ceulx là, quand la liberté serolt en- 
tièrement perdue, et toute hors du moixdeii 
rimaginant et la sentant en leur esprit, et 
encores la savourant, la si^rftude ne leur est 
lamals de goust, pour si bien q«'oïi Vi 
coustrct 



— 63 — 

Le Grand Turc s'est bien advisé de cela« que 
les livres et la doctrine donnent, plus que 
toute aultre chose, aux hommes le sens de se 
recognoistre et de haïr la tyrannie : VexitenàB 
qu'il n'^à en ses terres gueres de plus sçavants 
qu'il n^en demande. Or, communeement, le 
bon zèle et affection de ceulx qui ont gardé 
malgré le temps la dévotion à la franchise, 
pour si grand nombre qu'il y en ayt, en de- 
meure sans efiect pour ne s^entrecognoistre 
poinct : la liberté leur est toute ostee, soubs 
le tyran, de faire et de parler, et quasi de 
penser; ils demeurent touts slniguliers en 
leurs fantasies : et pourtant Momus ne se 
mocqua pas trop, quand il trouva cela à re- 
dire en l'homme que Yulcan avoit faict» de 
quoy il ne luy avoit mis une petite lenestra 
AU cœur« à fin que par là Ton peust veoir ses 
pensées. L'on a voulu dire que Brute et Casse» 
lorsqu'ils feirent l'entreprinse de la délivrance 
de Bome, ou plustost de tout le monda, ne 
voulurent poinct que Giceron, ce grand zéla- 
teur du bien publicque, s'il en feust jamais, 
feust de la partie^ et estimèrent son cœur 
trop foible pour un faict si hault : ils se 
fioient bien de sa volonté, mais ils ne s'aaseu* 
roîent poinct de son couraige. Et toutesfois 
Qui Touldra discourir les faicts du temps passé 



— 64 — 
et les annales anciennes, il s'en trouvera peu, 
ou poinct, de ceulx qui, veoyants leur païs 
mal mené et en maulvaises mains, ayants en- 
treprins d'une bonne intention de le délivrer, 
qu'ils n'en soient venus à bout, et que la 11* 
berté, pour se faire apparoistre, ne se soit 
elle mesme faict espaule; Harmode, Aristo- 
giton, Thrasybule, Brute le vieux, Valere et 
Dion, comme ils ont vertueusement pensé, 
l'exécutèrent heureusement : en tel cas, 
quasi iamais à bon vouloir ne default la for- 
tune. Brute le ieune et Casse estèrent bien 
heureusement la servitude : mais en rame- 
nant la liberté, ils moururent ; non pas misé- 
rablement, car quel blasme seroit ce de dire 
qu'il n'y ayt rien eu de misérable en ces 
gents là, ny en leur mort, ny en leur vie? 
mais certes au grand dommaige et perpétuel 
malheur et entière ruyne de la republicquo ; 
laquelle certes feut, comme il me semble, en- 
terrée avecques eulx. Les aultres entreprinses, 
qui ont esté faictes depuis contre les aultres 
empereurs romains, n'estoient que des coniu- 
rations de gents ambitieux, lesquels ne sont 
poinct à plaindre des inconvénients qui leur 
sont advenus; estant bel à veoir qu'ils desî- 
roient, non pas d'oster, mais de ruyner la 
couronne, nretendants chasser le tyran et re- 



— 65 -i 

tenir la tyrannie. A ceulx là le ne vouldrols 
pas mesme quMl leur en feust bien succédé ; 
et suis content quMls ayent monstre, par leur 
exemple, qu'il ne fault pas abuser du sainct 
nom de la liberté pQur faire maulvaise entre- 
prinse. 

Mais pour revenir à mon propos, lequel 
favoîs quasi perdu, la première raison pour- 
quoy les hommes servent volontiers, est ce 
Qu'ils nayssent serfs, et sont nourris tels. De 
cette cy en vient une aultre, Que ayseement 
les gents deviennent, soubs les tjrrans, lasches 
et efféminez : dont ie sçais merveilleusement 
bon gré à Hippocrates, le grand père de la 
médecine, qui s*en est prins garde, et Ta 
ainsy dict en Tun de ses livres qu'il intitule 
Des maladies. Ce personnaige avoit certes le 
cœur en bon lieu, et le monstra bien alors 
|ue le grand Roy le voulut attirer prez de 
iuy à force d'offres et grands présents, et luy, 
respondit franchement qu'il seroit grand'con- 
science de se mesler de guarir les Barbares 
qui vouloient tuer les Grecs, et de rien ser- 
vir par son art à luy qui entreprenoit d'as- 
servir la, Grèce. La lettre qu*il luy envoya se 
yeoid encores auiourd'huy parmy ses aultres 
œuvres, et tesmoignera, pour iamais, de son 
|)on cœur et de sa noble, nature. Or, il est 



— 66 — 

doncques certain qu'avecques la liberté tout à 
un coup se perdla vaillance. Lesgentssubiects 
a^ont poinct d'alaigresse au combast, ny 
d^aspreté : ils vont au dangier comme atta- 
chez, et touts engourdis, et par manlero 
d'acquit; et ne sentent poinct bouillir dans 
ie cœur Tardeur de la franchise qui faict 
mespriser le péril, et donne envie d'achepter, 
par une belle mort entre ses compaignonst 
l'honneur de la gloire. Entre les gents lil»res, 
c'est à Tenvy, à qui mieulx mieulx, chascua 
pour le bien commun, chascun pour soy, là 
où ils s'attendent d'avoir toute leur part au 
mal de la desfaicte» ou au bien de la vic- 
toire : mais les gents assubiectis, oultre ce 
couraige guerrier, Us perdent encores en 
toutes aultres choses la vivacité, et ont le 
coeur bas et mol, et sont incapables de tou- 
tes choses grandes. Les tyrans cognoisseut 
bien cela; et veoyants que ils prennent ce 
ply, pour les faire mieulx avachir encores, 
ieur y aident ils. 

Xenophon, historien grave» et du premier 
reng entre les Grecs, a faict un livret (x*^« 
i Tu/N(y««xi«, Eiéron^ ou Portrait de la conr- 
dation des roi$)^ auquel il faict parler Sjmo- 
aidd avecques Hieron, le roy de Syracuses, 
des misères du tyran. Ce livret esit pioia de 



t 



— 67 — 

bonnes et graves remonstrances, et qui ont 
aussj bonne grâce, à mon advis, qu'il est po»> 
Bible. Que pleust à Dieu, que touts les tyrans 
qui ont îamais esté, retesent mis devant les 
yeulx, et s'en feussent servis de mirouêr I ie 
ne puis pas croire qu'ils n'eussent recogneu 
leurs verrues, et eu quelque honte de lean 
taches. En ce traicté il conte la peine en quoj 
sont les tyrans, qui sont contraincts, faisants 
mal à touts, se craindre de touts. Entre aul- 
très choses il dict cela, que les maulvais royi 
se servent d'estrangîers à la guerre, et les 
souldoient, ne s'osants fier de mettre à leurs 
gents, auxquels ils ont fs^ct tort, les armes ea 
la main. U j a eu de bons roys qui ont 
bien eu à leur solde des nations estranges^ 
comme des Françojs mesmes, et plus encores 
d'aultres /ois qu'auiourd'huy, mais à une aul- 
tre intention : pour garder les leurs, n'esti- 
mants rien de dommaige de l'ai^gent pour euh 
pai^er les hommes. C'est ce que disoit Sci- 
pion (ce crois ie le grand Âfriquain), quHl 
aymeroit mieulx avoir sauvé la vie à un ci- 
toien, que des£aict cent ennemys. Mais, cer- 
tes, cela est bien asseuré, que le tyran ne 
pense iamais que sa puissance luy soit asseu- 
ree, si non quand il est venu à ce poinct qu*îl 
n^a soubs luv homme qui vaille : doncques k 



— 68 — 

bon droict luy dira on cela, que Thrason, en 
Terence, se vante avoir reproché au maîstre 
des éléphants. 

Pour cela si braTe tous estes, 
Que TOUS «Tez charge des bestes. 

Mai:^ cette ruse des tyrans, d'abestir leurs 
subiects, ne se peult cognoistre plus claire- 
ment que par ce que C3rrus feit aux Lydiens, 
aprez quMlse feut emparé de Sardes, la maïs- 
tresse ville de Lydie, et qu'il eut prins à mercy 
Cresus, ce tant riche roy, et. Feut emmené 
captif quand et soy : on luy apporta la nou* 
velle que les Sardins s'estoient révoltez; 
il les eut bientost reduicts soubs sa main ; mais 
ne voulant pas mettre à sac une tant belle 
ville ny estre tousiours en peine d'y tenir ar- 
mée pour la garder, il s'advisad'un grand ex- 
pédient pour s'en asseurer : il y establit des 
bordeaux, des tavernes et ieux publicques ; et 
Met publier cette ordonnance, que les habi- 
tants eussent à en faire estât II se trouva 3t 
bien de cette garnison, qu'il ne luy fallut la- 
mais depui5! tirer un coup d'espee contre les 
ijrdiens. Ces pauvres gents misérables samu» 
WBcent à inventer toutes sortes de ieux, si 
bien que lès Latins en ont tiré leur mot, 
et ce que nous appelions passct^trtps* ilf 



— 69 — 

rappellent ludi^ comme s'ils vouloient dire 
Lydû Toiits les tyrans n'ont pas ainsy 
déclaré si exprez qu'ils voulussent effemi- 
ner leurs homme& : mais, pour vray, ce que 
celuy là ordonna formellement et en effect, 
soubs main ils Font pourchassé la pluspart, 
et la vérité, c'est le naturel du menu popu- 
laire, duquel le nombre est tousiours plus 
grand dans les villes : il est souspeçonneux 
à l'endroîct de celuy qui l'ayme, et simple en- 
vers celuy qui le trompe. Ne pensez pas qu'il 
y ayt nul oiseau qui se prenne mieulx à la 
pipee, ny poisson aulcun qui, pour la frian- 
dise, s'accroche plustost dans le haim, que 
touts les peuples s'alleichent vistement à la 
servitude, pour la moindre plume qu'on leur 
passe, comme on dict, devant la bouche : et 
est chose merveilleuse qu'ils se laissent aller 
ainsy tost, mais seulement qu'on les chatouille. 
Les théâtres, les iei^x, les farces, les specta- 
cles, les gladiateurs, les bestes estranges, les 
médailles, les tableaulx et aultres telles dro- 
gueries, estoient aux peuples anciens les ap- 
pasts de la servitude, le prix de leur liberté, 
les utils de la tyrannie. Ce moïen, cette prac-- 
tique, ces alleichements avoient les anciens 
tyrans pour endormir leurs anciens subiects 
soabs le ioug. Ainsy les peuples, assottis, trou- 



— 70 — 
faut beanlx ces paasetonps» amnseï dtm 
irain plaisir qui leur passoit devant les yeolz, 
s'accoustaiBoient à servir aoasl niaisement, 
mais plm mal. qne les petits enfanta qui, 
pour Tecir les laisants imalges de Irrres ittiK 
mines, apprennoit à lire. Les Romains tyrans 
s'adTîserent encores d*un aoltre poinct» De 
festoyer souvent les disaines publicques, abu- 
sant cette canaille comme il falloit, qui se 
laisse aller, plus qn*à toute chose, au plaisir 
de la bouche: le plus entendu de touts n^eost 
pas quité son escuelle de soupe pour recoii' 
yrer la liberté de la rq)ublicque de Platon* 
Les tyrans faisoient laiigesse de quart de bled, 
du sextier de vin, du sesterce : et lors c*es* 
toit pitié d'otdr crier ym lk not I Les lour-- 
dauts n*advlsoient pas qn^ils ne faisoient que 
recouTPar partie dn leur, et que cela mesme 
qu*ils recouvroient, le ^yran ne le leur eusl 
pea donner si, devant, il ne Tavoit esté à 
eulx mesmes. Tel eust amassé auiourdliuy le 
sesterce, tel se Aeust gorgé au festin public* 
que, en bénissant Tibère et Néron de leur belle 
libéralité, qui, le lendemain, estant contrainet 
d'abandonner ses biens àTatarice, ses enfants 
à la luxure, son sang mesme à la ûruaulté àm 
ces magnifiques empereurs, ne disoit mot non 
plssqu*une pierre, et ne se r^nuolt non plous 



-- 71 — 

qu'une souchaTousiours le populas a ea celai 
Il est, au plaisir qu'il ne peult bonnestemeot 
receveoir, tout ouyert et dissolu; et au tort 
et à la douleur qu^il oe peult hoonestement 
soufirir, insensible. le ne veoib pas mainte» 
nant personne qui, oyant parler de Néron, 
ne tranble mesme au surnom de ce vilain 
monstre, de cette orde et sale beste : on 
peult bien dire qu'après sa mort, aussy vi- 
laine que sa vie, le noble peuple romain en 
receut tel desplaisir, se souvenant de ses 
ieux et festins, qu'il feut sur le poinct d*en 
porter le dueil; aini^ Ta escript GomeUle 
Ta(^te, aucteur bon, et grave des plus, et 
certes croyable. Ce qu'on ne trouvera pas 
estrange, si Ton consid^e oe que ce peuple 
là mesme avait falct à la mort de Iules César, 
qui donna congié aux loix et à la liberté : au- 
quel personnaige ils n'y ont, ce me semMe« 
trouvé rien qui valust, que son humanité; 
laquelle, quoiqu'on la preschast tant, feut 
plus dommaigeable que la plus grande 
cruaulté du plus ssuvaige tyran qui feut 
oncques, pource que, à la vérité, ce feut 
cette voiimeuse doulceiu* qui, envers le peu- 
ple romain, sucra la servitude : mais après 
sa mort, ce peuple là, qui avoit encores à la 
bouche se» banquets, en Tesprit la souvenance 



— 72 — 

de ses prodigalitez, pour luy faire ses hon« 
neors et le mettre en cendres, amonceloit, à 
Tenvy, les bancs de la place, et puis eslevaune 
colonne comme au Père du peuple (ainsy por- 
toit le chapiteau), et luy feît plus d'honneur, 
tout mort qu'il estoit, qu'il n'en debvoît faire 
à homme du monde, si ce n'estoit possible, à 
ceulx qui TaToient tué. Us n'oublièrent pas 
cela aussy les empereurs romains, de pren- 
dre communeement le tiltre de tribun du 
peuple, tant pource que cet office estoit tenu 
pour sainct et sacré, que aussy il estoit esta- 
bly pour la deffence et protection du peuple, 
et soubs la faveur de l'eâtat Par ce moien ils 
6'asseuroient que ce peuple se fieroit plus 
à^eulx; comme s'il debvoit encourir le nom, 
et non pas sentir les effects. 

Au contraire auiourd'huy ne font pas beau- 
coup mieulx ceulx qui ne font mal aulcun, 
mesme de conséquence, qu'ils ne facent 
passer, devant, quelque ioly propos du bien 
commun et soulagement publicque. Car vous 
sçavez bien, ô Longa, le formulaire duqu^ 
en quelques endroicts ils pourroient user as* 
sez finement : mais en la pluspart, certes, il 
n'y peult avoir assez de. finesse là où il y a 
tant d'impudence. 

Les roys d'Assyrie, et encores aprez eulx» 



— 73 — 

ceulx de Mode, ne se presentoient en pnblle 
que le plus tard qu'ils pouvoient, pour mettre 
en doubte ce populas s'ils estoient en quelque 
chose plus qu'hommes, et laisser en cette res- 
yerie les gents qui font yolontiers les Imagi- 
natifs aux choses de quoy ils ne peuvent iuger 
de veue. Ainsy tant de nations, qui feurent 
assez long temps soubs cet empire assyrien, 
avecques ce mystère s'accoustumerent à ser- 
vir, et servoient plus volontiers, pour ne sça- 
voîr quel maistre ils avoient, ny àgrand'peine, 
s'ils en avoient; et craignolent touts, à cré- 
dit, un, que personne n'avoit veu. Les pre- 
miers roys d'Egypte ne se monstroient gueres, 
qu'ils ne portassent, tantost une branche, tan- 
tost du feu sur la teste, et se masquoient ahi- 
sin, et faîsoient les basteleurs; et, en ce fai- 
sant, par Testrangeté de la chose ils donnoient 
à leurs subiects quelque révérence et admira- 
tion : où, aux gents qui n'eussent esté ou trop 
sots ou trop asservis, ils n'eussent appresté» 
ce m'est advis, si non passetemps et risée* 
C'est pitié d'ouïr parler de combien de choses 
les tyrans du temps passé faîsoient leur prou« 
fict pour fonder leur tyrannie; de combien 
de petits moïens ils se servoient grandement, 
ayant trouvé ce populas faict à leuf poste; 
auxquels ils ne sçavoient tendre filet, qu'il ne 



— 74 — 

^ Teiost prendre; duquel ils ont eu locem 
lours si bon marché de tromper, qu*ils ne 
rassojettissoient iamais tant que lorsqu'ils 
i*6n mooqaoient le plus. 

Que diray le d'une aultre belle bourde que 
les peuples anciens prinrent pour argent 
Domptant? ils creurent fermement que le 
gros doigt d'un pied de P^nrhus, ro j des Epi- 
rotes, faisoit des miracles, et guarissoit les 
maladies de la rate : ils enrichirent encores 
mieulx le conte, que ce doigt, aprez qn*on 
eust bruslé tout le corps mort, s'estoit trouvé 
entre les cendres, s'estant sauvé, maugré le 
feu. Tousiours ainsy le peuple s*est faict luy 
mesme les mensonges, pour, puis après, les 
croire. Prou de gents Tont ainsin escript, 
aals de façon qnll est bel à veoir qu'ils ont 
amassé cela des bruicts des villes et du vilain 
parler du populaire» Vespasian, revenant d'Â9- 
tqrrie, et passant par AlexMidrie pour aller ft 
Rome s'emparer de Tempire, feit merveilles «: 
il redressoit les boyteulx, il rendoit clair- 
voyants les aveulies, et tout plein d^aultres 
belles choses, auxquelles qui ne pouvoit veoir 
la fauite qu'il y avdt, il estoit, à mon advis, 
plus aveugle que cealx qu'il guarissoit Les 

1 SuiioHK, ne de Vegpaslem, e. 7. 



— 7> — 

tyrans mesmes treuvoient fort estrange, qu# 
les hommes peussent endurer un homme leur 
Iftisant mal : ila Youloient fort se mettre la 
religion devant, pour garde du corps, et, s'il 
estoit possible, empruntaient quoique eschan- 
tillon de divinité, pour le soubstieo de leur 
meschante vie. Doncques Salmonee, si Ton 
crold à la sibylle de Virgile (Enéide^ YI, 585} 
et son enfer, pour s'estre ainsj mocqué des 
gents, et avoir voulu faire du lupiter, en 
rend maintenant compte, où elle le veid en 
Tarriere enfer, 



Souffrant cnielt tonaaiis, pow timloir inkar 

Les tonnerres du cieU et feux de lupiter. 

Dessus quatre coursiers il s*en alloit, branslant 

(Haut monté) dans son poing un grand flambeau brailanl. 

Par les penples grégeois et «bins le plein marché. 

En faisant sa brarad'; mais il entreprenoit 

Sur rhonneur qui, sans pliis> aux dieu appartenoit r 

L'insensé, qui l'orage et fouidre inimitable 

Contrefaisoii (d'airain, et d'un cours effroyable 

De eberaux comepieds) du Pei e tout paissant : 

Lequel* bientost aprez, ce grand mal punissant* 

Lancea, non un flambeau, non pas une himiere 

D*une torche de cire, aYecques sa Aimiere ; 

Mais par le rade coup d'nne horrible tempeste, 

U le porta çà bas» les pieds par dessus teste. 

Si oeluy qui ne faîsoit que le sot est à cette 
heure si bien traictè là bas, ie crois que 
ceulx qui ont abusé de la religion pour estre 



— 76 — 

meschants, s'y trouveront encores à meilleur 
res enseignes. 

Les nostres semèrent en France ie ne sçais 
quoy de tel, des crapaudz, des fleurs de liz, 
Vampoule, Toriflan. Ce que de ma part, com- 
ment qu'il en soit, ie ne veulx pas encores 
mescroire, puis que nous et nos ancestres 
n'avons eu aulcune occasion de l'avoir mes- 
creu, ayants tousiours des roys si bons en la 
paix, si vaillants en la guerre, que, encores 
qu'ils nayssent roys, si semble il qu'ils ont 
esté non pas faicts comme les aultres par la 
nature, mais choisis par le Dieu tout puis- 
sant, devant que naystre, pour le gouverne- 
ment et la garde de ce roîaume. Encores 
quand cela n'y seroit poinct, si ne vouldrois 
16 pas entrer en lice pour débattre la vérité 
de nos histoires, ny l'espelucher si privée- 
ment, pour ne toUir ce bel estât, où se pourra 
Sort escrimer nostre poésie françoise, main- 
tenant non pas accoustree, mais, comme il 
semble, faicte tout à neuf, par nostre Ronsard, 
nostre Baïf, nostre du Bellay, qui en cela 
advancent bien tant nostre langue, que l'ose 
espérer que bientost les Grecs ny les Latins 
n'auront gaeres, pour ce regard, devant 
nous, si non possible, que le droict d'aîsnesse. 
Et certes ie ferois grand tort à nostre rhythme 



— 77 — 

(car ruse volontiers de ce mot, et U ne iqq 
desplaist), pource qn'encores que plusieurs 
Teassent rendue mechanicque, toutesfoisîe 
veois assez de gents qui sont à mesme pour la 
r'anoblir, et luy rendre son premier honneur : 
mais ie luy ferois, dis ie, grand tort de luy 
oster maintenant ces beaulx contes du roy 
Gloyis, auxquels desià ie veois, ce me semble, 
combien plaisamment, combien à son ajnse, 
s'y esgayera la veine de nostre Ronsard, en sa 
Franciade. Tentends sa portée, ie cognois 
reprit aigu, ie sçais la grâce de Fhomme : 
11 fera ses besongnes de Toriflan, aussy bien 
que les Romains de leurs anciles, et des hou» 
cliers du ciel en bas iectez^ ce dit Virgile 
{Enéide^ VIII, 664) : il mesnagera nostre am- 
poule aussy bien que les Athéniens leur pa- 
nier d'Erisichthone : il se parlera de nos ar- 
mes encores dans la tour de Minerve. Certes 
ie serois oultrageux de vouloir desmentir nos 
livres, et de courir ainsy sur les terres de nos 
poètes. Mais, pour revenir, d'où ie ne sçàis 
comment i'avoîs destourné le fil de mon pro- 
pos, a il iamais esté que les tyrans, pour s*as- 
seurer, n'ayent tousiours tasché d'accoustu- 
mer le peuple envers eulx, non pas seulement 
à l'obeïssance et servitude, mais encores à 
dévotion? Doncques ce que i'ay dict iusques 



— 78 — 

Icy^ qui apprend les gents à servir volon- 
tiers, ne sert gueres aux tyrans que pour le 
menu et grossier populaire. 

Hais maintenant le viens, à mon advis, à 
un poinct, lequd est le secret et le resourd 
de la domination, le soubstfen et fondement 
de la tyrannie. Qui pense que les baSebardes 
des gardes, Fassiette du guet garde les tyrans» 
à mon fugement se trompe fort r ils s'en 
aydent, comme le crois, phis pour la formalité 
etespoventafl, que pour fiance qu*ils y ayent 
Les archers gardent d'entrer dans les palais 
les malhabiles qui n*ont nul molen, non paa 
les bien armer qui peuvent fah-e quelque en- 
treprinse. Certes, des empereurs romains il 
est aysé à compter qu*il n*y en a pas eu tant 
qui ayent eschappé quelque dangierpar le 
secours de leurs archers, comme de ceulz là 
qui ont esté tuez par leurs gardes. Ce ne sont 
pas les bandes de gents à cheval, ce ne sont 
pas les compaîgnfes de gents à pied, ce ne 
sont pas les armes, qui defUsndent le tyran ; 
mais, on ne le croira pas du premier coup» 
toutesfois il est vray, ce sont fousiours qua* 
tre ou cinq qui maintiennent le tyran, 
quatre ou cinq qui luy tiennent l(> psJs tout 
en servaigew Tousîours il a esté que cinq 
ou six ont eu Faureille du tyran, et 8*y sont 



— 79 — 

approchez d*ealx mesmes» ou l)leii ont esté 
appeliez par luy, pour estre les compli- 
ces de ses cruaultez, les compaignons de 
ses plaisirs, maquereaux de ses voluptés, 
et communs au bien de ses pilleries. Ces six 
adressent si bien leur chef, qu^il fault, pour 
la société, qu^ soit meschant, non pas 
seulement de ses meschancetez, mais encores 
des leurs. Ces six ont six cents, qui proufic- 
tent soubs eulx, et font de leurs six cents ce 
que les six font au tyran. Ces six cents tien- 
nent soubs eulx six mille, quMls ont eslevez 
en estât, auxquels ils ont faict donner ou le 
gouvernement des provinces, ou le manie- 
ment des deniers, à fin qu'ils tiennent la 
xn^dn à leur avarice et cruaulté, et qu'ils 
Texecutent quand il en sera temps, et facent 
tant de mal d'ailleurs, que ils ne puissent durer 
que soubs leur umbre, ny s'exempter, que par 
leur moïen, des loix et de la peine. Grande 
est la suite qui vient aprez de cela. Et qui 
vouldra sTomuser à devuider ce filet, il verra 
que, non pas les six mille, mais les cent 
mille, les millions, par cette chorde, se tien- 
nent au tyran, s'aydant d'icelle; comme, en 
Homère, lupiter qui se vante, s'il tire la 
chaisne, d'amener vers soy touts les dieux. 
Delà venoit la creue du sénat soubs Iule, 



— 80 -i 

restablissement de nouveaux estats, eslec- 
tion d^offices; non pas certes, à bien prendre, 
refonnation de la îustice, mais nouveaux 
soubstiens de la tyrannie. En somme, Ton ea 
vient là par les faveurs, par les gaings ou ro- 
gaings que Ton a avecques les tyrans, qu^îl 
se trouve quasi autant de gents auxquels la 
tjrrannie semble estre proufictable, comme 
de ceulx à qui la liberté seroit agréable. Tout 
ainsy que les médecins disent qu^à nostre 
corps, 8*11 y a quelque chose de gasté, deslora 
qu^en aultre endroict il s'y bouge rien, il se 
vient aussytost rendre vers cette partie vé- 
reuse : pareillement, deslors qu'un roy s^est 
déclaré tjrran, tout le maulvais, toute la lie 
du roïaume : ie ne dis pas un tas de larron- 
neaux et d'essaurillez, qui ne peuvent gueres 
faire mal ny bien en une republicque, mais 
ceulx qui sont taxez d'une ardente ambition 
et d'une notable avarice, s'amassent autour 
de luy, et le soubstiennent, pour avoir part 
m butin, et estre, soubs le grand tyran, ty« 
ranneaux eulx mesmes. Aini^ font les grands 
voleurs et \es fameux corsaires : les uns des* 
couvrent le païs, les aultres chevalent les 
voyageurs ; les uns sont en embusche, les aul- 
tres au guet; les uns massacrent, les aultres 
despouillent; et encores qu'il y ayt entre eulz 



— 81 — 

des prééminences, et que les uns ne soyent 
que valets, et les aultres les chefs de rassem- 
blée, si n'en y a il à la fin pas un qui ne se 
sente du principal butin, au moins de la re- 
ch^che. On dlct bien que les pirates cilicicns 
ne s^assemblerent pas seulement en si grand 
nombre, qu'il fallust envoyer contre eulx 
Pompée le grand ; mais encores tirèrent à 
leur alliance plusieurs belles villes et grandes 
citez, aux havres desquelles ils se mettoient 
en grande seureté, revenant des courses; et 
pour recompense, leur bailloient quelque 
proufict du recelement de leurs pilleries. 

Âinsy le tyran asservit les subiects, les uns 
par le moïen des aultres, et est gardé par 
ceulx desquels, s'ils valoient rien, il se deb- 
vrolt garder; mais comme on dict, pour 
fendre le bois il se faict des coings du bois 
mesme : voylà ses archers, voylà ses gardes^ 
voylà ses hallebardiers. Il n^est pas qu'euU 
mesmes ne soufflent quelquesfois de luy s 
mais ces perdus, ces abandonnez de Dieu et 
des hommes, sont contents d'endurer du mal, 
pour eh faire, non pas à celuy qui leur en 
faict, mais à ceulx qui en endurent comme 
eulx, et qui n^en peuvent mais. Et toutesfols, 
veoyant ces gents là, qui naquettent le tyran» 
pour faire leurs besongnes de sa tyrannie et 



-— «« -^ 

de U servitude du peaple, il me prend sour- 
Tent esbahiasement de leur meschanceté, e$ 
qaelqaesfoîs qaelque pitié de leor grande 
sottise. Car» à dire iray» qa^estce aiûtre 
ehose de s'approcber du tjrran, si non que de 
se tirer plus arrière de lear liberté, et, par 
manière de dire, serrer à deux mains et em- 
brasser la servitude? Qu*i]s mettent un petit 
à part leur ambition, qu^iis se deschargent im 
peu de leur avarice; et puis, qu'ils se regsr^ 
dent eulz mesmes, qu*ils se recognotasoit ; et 
ils verront «clairement que les villageois, les 
païsaas, lesquels, tant quMis peuvent, ils 
foullent aux pieds, et en font )>is que des Ibr- 
ceats ou esclaves; ils verront, dis ie, que 
eeulx Ut, ainsy mal menez, sont toutesfois, mu 
prix d'eulx, fortunes et aulcunement libres. 
Le laboiu^ur et l'artisan, pour tant qu*ils 
soyent asservis, en sont quites, en faisant ce 
qu*on leur dict : mais le tyran veoid les aul- 
très qui sont prez de luy, coquinants et men- 
diants en sa faveur; il ne fault pas seulement 
quMls facent ce qu'il dict, mais qu'ils pensent 
ce qu'il veult, et souvent, pour luy satisfaire, 
qu'ils préviennent encores ses pensées. Ce 
n'est pas tout à eulx de luy obeîr, il fault en- 
cores luy complaire; il fault qu'ils se rom- 
pent, qu'ils se tormentent, qu'ils se tuent à 



— 83 — 

travailler en ses afiaires, et puis, qu^ils se 
plaisent de son plaisir, quMls laissent leur 
goost pour le sien, qu*ils forcent leur corn* 
plexion, qu^ despouillent leur naturel ; il 
fault quMls prennent garde & <ses paroles» à sa 
TOix, à ses signes, à ses yeulx; quMIs n*ayent 
ny yeulx, ny pieds, ny mains, qne tout ne 
soit au guet, pour espier ses volontez, et pour 
descouvrir ses pensées. Cela est ce vivre heu- 
reusement? cela s^appelle vivre? est il au 
inonde rien si insupportable que cela, ie ne 
dis pas à un homme bien nay, mais seulement 
& un qui ayt le sens commun, ou, sans plus, 
la face d*un homme? Quelle condition est 
plus misérable que de vivre ainsy, qu^oa 
n^ayt rien à soy, tenant d^aultruy son ayse, 
88 liberté, son corps et sa vie? 

Mais ils veulent servir, pour gaign^ des 
biens : comme s'ils pouvolent rien gaigner qui 
feost à eulx, puis que ils ne peuvent pas dire 
dTeuIx, qu'ils soyent à eulx mesmes; et, 
comme si aulcun pouvolt rien avoir de propre 
soubs un tyran, ils veulent faire que les biens 
soyent à eulx, et ne se soubviennent pas que 
ce sont eulx qui luy donnent la force pour 
oster tout à touts, et ne laisser rien qu'on 
puisse dire estre h personne : ils veoyent 
que rien ne rend les hommes subiects à sa 



j 



— 84 — 

eniaulté, que les biens; qu'il n^y a auleun 
crime envers luy digne de mort, que le de 
quoy; qu'il n'ayme que les richesses ; ne 
desfaîct que les riches qui se viennent pré- 
senter, comme devant le boucher, pour s*y of- 
frir ainsy pleins et ref aicts, et luy en faire 
envie. Ces favoris ne se doibvent pas tantsoub- 
venir de ceulx qui ont gaigné autour des ty- 
rans beaucoup de biens comme de ceulx qui 
ayants quelque temps amassé, puis après y 
ont perdu et les biens et la vie : il ne leur 
doibt pas venir en l'esprit combien d'aultres 
y ont gaigné de richesses, mais combien peu 
ceulx là les ont gardées. Qu'on descouvre 
toutes les anciennes histoires; qu'on regarde 
toutes celles de nostre souvenance, et on 
verra, tout à plein, combien est grand le 
nombre de ceulx qui, ayant gaigné par maul- 
vais moiéns Taureille des princes» et ayants 
ou employé leur maulvaistié ou abusé de 
leur sîmplesse, à la fin par ceulx là mesmes 
ont esté anéantis, et autant qu'ils avoient 
trouvé de facilité pour les eslever, autant 
puis aprez y ont ils trouvé d'inconstance pour 
les y conserver. Certainement, en si grand 
nombre de gents qui ont esté iamais prez des 
maulvais roys, il en est peu, ou comme poinct, 
qui n'ayent essayé quelquesfois en eulx 



— 86 — 

mesmes la cruanlté du tyran qu^ils avoient 
devant attisée contre les aûltres : le plus sou- 
vent, s'estant enrichis, sous umbre de sa fa- 
veur, des despouilles d'aultruy, ils ont eulx 
mesmes enrichi les aultres de leurs des- 
pouilles. 

Les gents de bien mesme, si quelquesfois 
H s*en treuve quelqu'un aymé du tyran, tant 
fioyent ils avant en sa grâce, tant reluise en 
eulx la vertu et intégrité qui, voire aux plus 
meschants, donne quelque révérence de soy 
quand on la veoid de prez, mais ces gents de 
bien mesme nesçauroient durer, et faut il quMls 
te sentent du mal commun, et qu'à leurs deih 
pens ils esprouvent la tyrannie. Un Seneque, 
on Burre, un Trazee (Burrhus^ Thraseas)^ 
cette terne de gents de bien, desquels mesme 
les deux leur maulvaise fortune les approcha 
d'un tyran, et leur meit en main le manie- 
ment de ses affaires ; touts deux estimez de 
luy et chéris, et encores Tun Tavoit nourri, 
et avoit pour gaiges de son amitié la nourri- 
ture de son enfance ; mais ces trois là sont 
suffisants tesmoinga, par leui cruelle mort, 
combien il y a peu de fiance en la faveur des 
maulvais maistres. Et, à la vérité, quelle ami- 
tié peult on espérer en celuy qui a bien le 
cœur si dur, de haïr son roîaume, qui n'afaict 



— «« — 

9M luy ob^« et lequel, pour neie açavoir 
IMS encousaym^» s'^pauvrit Uqr mesnie» et 
dfistniit fiûB empire? 

Or, si on veult dire que ceolx là pour avoir 
bien vescu sont UnsiiGz en ces inconvénients» 
qu*on rei^arde hardiment autour de (xAaj 
là mesme» et on verra que oeulx qui veinrent 
en sa grâce, et s'y mainteinrent par mes- 
dumceteK, ne furent pas de plus longue da- 
lee. Qui a oui parler d'amour si abandonnée^ 
d*affection ai opiniastrel qui a iamais leii 
d'homme ai obstineement achanié enTen 
femme que de celuy là envers P(Hn>eeT Or 
lieut elle aasea empoiaonnee par luy meepie^ 
Agrif^ine sa mare avoit tué aon mari 
Claude pour luy faire place en Tempire; 
pour robliger, elle n'avoit iamais faiet dlfii* 
culte de rien faire ny de souffrir : doncques 
aon âls mesme, son nourrisson, son empe- 
reur falct de sa main, aprez Tavoir souvent 
saillie, luy esta la vie; et n'y eut lors personne 
qui ne dist qu'elle avoit fort bien m^ité cette 
punition, si c'eust esté par les mains de quel« 
que aultre, que de cehqr qui la luy avoit bail* 
IWi Qui feut oncqueaplus aysé à manier, plus 



1 Mron, an dire de SvéUMie et de T&dle, k tua à'um 
•oap de pitd lorsqu'elle éuit Moeinle. 



-^«7 — 

«huple, pour le dire miealx, plus yi^y niais, 
que Claude rempereur? qui feut oncques pins 
coêffé de femme» que luy de Hessaline? n la 
meit enfin entre les mains du bourreau. La 
simplesse 4emeure tousiours aux tyrans» s^iis 
en ont, à ne sçavoir bien faire ; mais id ne 
sçais comment à la fin, pour user de cruaulté, 
mesme envers cenlx qui leur sont prez^ si peu 
qu^ils ayent d'esprit, cela mesme s^esveîUe. 
Assez commun est le beau mot de cettuy là ^ 
qui, veôyant la gorge descouverte de sa 
femme, qu'il aymoît le plus, et sans laquelle 
il sembloit quMl a*eust sceu vivre, il la ca- 
ressa de cette belle parole : « Ce beau col 
sera tantost coupé, si ie le commande. » 
Yoylà pour quoy la pluspartdes tyrans anciens 
estoient communeement tuez par leurs favo^ 
ris, qui, ayants cogneu la nature de la tyran- 
nie, ne se pouvofenttantasseurer de la volonté 
du tyran, comme ils se desfioîent de sa puis- 
sance. Ainsy feut tué Domiti»a par Estienne; 
Commode, par une de ses amies mesme ; An- 
tonin, par Macria ; et de meSme quasi touts 
les aultres. 

C'est cela, que certainement le tyran n*est 
iamais aymé ny n'ayme. L'amitié, c'est on 

1 Soi mn, Vie de CùSiguia^ «. 89. 



— 88 — 

nom sacré, c*est une chose saîncte ; elle ne 
se met iamaîs qu'entre gents de bien, ne se 
prend que par une mutuelle estime; elle 
s^entre tient, non tant par un bienfaict 
que par la bonne vie. Ce qui rend un amy 
asseuré de Taultre, c*est la cognoissance 
qu'il a de son intégrité : les respondanta 
qu'il en a, c'est son bon naturel, la foi et la 
constance. Il n'y peult avoir d'amitié là où 
est la cruaulté, là où est la desloyaulté, là où 
est l'iniustlce. Entre les meschants quand ils 
s'assemblent, c'est un complot, non pas conir 
paignie; ils ne s'entre tiennent pas, mais ils 
s'entre craignent; ils ne sont pas amys, mais 
ils sont complices. 

Or, quand bien cela n'empescheroit poinct» 
encores seroit il mal aysé de trouver en un 
tyran une amour asseuree, parce qu'estant 
au dessus de touts, et n'ayant poinct de corn- 
p^dgnon, il est desîà au delà des bornes de 
l'amitié qui a son gibbier en 'équité, qui ne 
veult iamaîs clocher, ains est tousiours esgal. 
Voylà poiu" quoy il y a bien (ce dict on) entre 
les voleurs quelque foy au partaige du butin, 
pource qu'ils sont pairs et compaignons, et 
que, s'ils ne s'entrayment, au moins ils s'en- 
tre craignent et ne veulent pas, en se desu- 
nissant, rendre la force moindre : mais du 



=-89 — 

tyran ceulx qui sont les favoris no peuvent 
lamais avoir aulcune asseurance, de tant qu*il 
a apprîns d'eulx mesmes qu'il peult tout, 
et qu'il n'y a ny droict ny debvoir aulcun 
qui l'oblige ; faisant son estât de compter sa 
volonté pour raison, et n'avoir compaignon 
aulcun, mais d'estre de tout maistre. Dono- 
ques n'est ce pas grand' pitié, que veoyant 
tant d'exemples apparents, veoyant le dan- 
gier si présent, personne ne se veuille faire 
sage aux despens d'aultruy? et que, de tant 
de gents qui s'approchent si volontiers des 
tyrans, il n'y en ayt pas un qui ayt Padvise- 
ment et la hardiesse de leur dire ce que dict 
(comme porte le conte) le renard au lion qui 
laisoit le malade : « le t'irois veoîr de bon 
cœur en ta tasniere; mais le veois assez de 
traces de bestes qui vont en avant vers toy; 
mais en arrière qui reviennent, ie n'en veois 
pas une. » 

Ces misérables veoyent reluire les thresors 
du tyran, et regardent touts estonnez les 
rayons de sa braverle; et, alleichez de cette 
clarté ils s'approchent et ne veoyent pas 
qu'ils se mettent dans la flamme qui ne peult 
faillir à les consumer : ainsy le satyre indis- 
cret (comme disent les fables), veoyant es- 
claîrer le feu trouvé par le sage Promethee, 



— ge- 
lé trouva si beau, qu*il Talla baiser, et se 
brusler : ainsy le papilliMi, qui, espérant 
ioolr de quelque plaisir, se met dans le feu 
ponrce qu^il reluîct, eq^rouve Taultre 
vertu, cela qui brusle, ce dict le poète tos- 
can. Mais encores, mettons que ces mignons 
eschappent les mains de ceiuyquMls serrent; 
ils ne se saulvent iamaîs du roy qui vient 
aprez : s'il est bon, il faolt rendre compte 
et recognoistre au moins lors la rafson ; s*îl 
est maulvais, et pareil & leur maistre, il ne 
sera pas qu'il n'ayt aussy bien ses favoris, les- 
quels communeement ne sont pas contait» 
d^avoir à leur tour la place des aultres, s*lls 
n'ont encores le plus souvait et les bi^is et 
la vie. Se peult il doncques faire qu'il se trouve 
aulcun qui, en si grand péril, avecques si 
peu d'asscurance, veuille prendre cette mal- 
heureuse place, de servir en si grand'peine 
un si dangereux maistre? Quelle peine, quel 
martyre est ce? vray Dieu! estre nuict et 
iour aprez pour songer pour plaire à on, et 
neantmoins se craindre de luy plus que 
d'homme du monde; avoir tousiours l'œil au 
guet, Taureilleaux escoutes, pour espierd'où 
viendra le coup, pour descouvrir les embus- 
ches, pour sentir la mine de ses compai- 
gnons, pour adviser qui le trahit, rire à chas- 



— ^! — 

ftm, se eraindre de touts, nVoir aolcuii rtf 
efmemy onveri, ny amy assenré; ayant toiu- 
îours le Tisaige riant et le cceur transy, ne 
pouvoir estre ioyetnt, et n^oser estre triste I 

Mais c^est plaisir de considérer qu'est ee 
qui leur revient de ce grand tonnent, et le 
Men quMls peuvent attendre de leur peine et 
de cette misérable vie. Volontiers le peuple, 
du mal quMl 80ttf!î*e, n*en accuse pas le tyran, 
mais ceuix qui le gouvernent : eeulx là, toi 
peuples, les nations, tout le monde, à Tenvy, 
lusqûes aux païsants, iusques aux laboureunr, 
ils sçavent leurs noms, ils deschi!n*ent ienn 
vices, ils amassent sur eulx mille oultraiges, 
mille vilenies, mille mauldissons; toutes leurs 
oraisons, touts leurs vœux sont contre cenlx 
I&; touts les malheurs, toutes les pestes, ton» 
tes les famines, ils les leur reprochent ; et si 
qudquesfois ils leur Ibnt par apparence 
quelque honneur, lors même ils le mau- 
gréent en leur cœur, et les ont en horreur 
plus estrange que les bestes sauvaiges; 
Voylà la gloire, voylà Thonneur qu'ils re- 
ceoivent de leurs services envers les genti, 
desquels quand chascun auroit une pièce de 
leurs corps, ils ne seroîent pas encores, ce 
semble, satisfaicts, ny à demy saoulez de 
leur peine; mais, certes, encores aprez qu'ils 



— 92 — 

sont morts, ceulx qui yiennent aprez ne sont 
iamais si paresseux , que le nom de ces 
mange peuples ne soit noircy de Tencre de 
mille plumes, et leur réputation descldree 
dans mille livres, et les os mesmes, par 
manière de dire, traisnez par la postérité, 
les punissant, encores aprez la mort, de leur 
meschante vie. 

Apprenons doncques quelquesfois, appre- 
nons à bien faire : levons les yeulx vers le 
ciel, ou bien pour nostre honneur, ou pour 
Tamour de la mesme vertu, à Dieu tout puis- 
sant, asseuré tesmoing de nos faicts, et iuste 
luge de nos faultes. De ma part, ie pense 
bien, et ne suis pas trompé, puit qu^il n'est 
rien si contraire à Dieu, tout libéral et de* 
bonnaire, que la tyrannie, qu'il reserve bien 
là bas à part, pour les tyrans et leurs com- 
plices» quelque peine particulière. 



■'j-mt^ 



LETTRES 



MONTAIGNE 



■lUSHM 



A X.A BOAt» 



LETTRES 



•■ 



MONTAIGNE 



A %A aoATftB 



LETTRE PREMIERE 

Imprimée au devant de la Mesnagerie de 

XencphoH, 

A Monsieur. Monsieur dç Unsac, cberalier derordrt du 

Sïïi^T^l.r-ir'^'i* P"^^ «urinteodanl de ses 
nnaneei «icapilame de cent geotilihomiiies de sa mai 

Monsieur, 
I© vous envoyé la Mesnagerie de Xenophon, 
mise en françois par feu IL de La Boétie, pre- 
sent qui m'a semblé vous estre propre, tant 
pour estre parti premièrement, comme vou« 
Bçaveae, de la main d'un gentilhomme de mar- 



— 96 — 

que, très grandhomme de guerre et de paix, 
que pour avoir prins sa seconde façon de ce 
personnaige, que ie sçais ayoir esté aymé et es- 
timé de vous pendant sa vie. Gela vous servira 
tousiours d^aiguillon à continuer envers son 
nom et sa mémoire vostre bonne opinion et 
volonté. Et hardiment. Monsieur, ne craignez 
pas de les accroistre de quelque chose, car, 
ne rayant gousté que par les tesmoignaiges 
publîcques qu*il avoit donné de soy , c*est à moy 
k vous respondre qu'il avoit tant de degrez do 
suffisance au delà, que vous estes bien loing 
de l'avoir cogneu tout entier. Il m*a faict cet 
nonneur vivant, que ie mets au compte de la 
meilleure fortune des miennes, de dresser 
avecques moy une coustured^amitié si estroite 
et si ioincte, qu'il n'y a eu biais, mouvement ny 
ressort en son ame, que ie n'aye peu consi* 
derer et luger, au moins si ma veue n'a quel- 
quesfois tiré court. Or, sans mentir, il estoit, 
à tout prendre, si prez du miracle, que pour, 
me iettant hors des barrières de la vraisem- 
blance, ne me faire mescroire du tout, il est 
force, parlant de luy, que ie me resserre et 
restraigne au dessoubs de ce que l'en sçai& Et 
pour ce coup, Monsieur, ie me contenteray 
seulement de vous supplier pour Thonneur et 
révérence que vous daves à la vérité, 6^ tes- 



— 97 — 

moîgner et croire que nostre Guyenne n*a ea 
garde de veoir rien pareil à luy par les hommes 
de sa robbe. Soubs Tesperance doncques que 
vous luy rendrez cela qui luy est très iustement 
deu, et pour le refreschir en rostre mémoire, 
ie vous donne ce livre, qui tout d*un train 
aussy vous respondra de ma part, que sans 
Texpresse deffence que m'en faîct inon insuf- 
fisance, ie vous presenterois autant volontiers 
quelque chose du mien, en recogneîssance 
des obligations que îe vous doibs, et de Tan- 
cienne faveur et amitié que vous avez portées 
à ceulx de nostre maison. Mais, Monsieur, à 

faute de meilleure monnoye, ie vous offre en 
payement une très asseuree volonté de vou» 

faire humble service. 

Monsieur, ie supplie Dieu qu'il vous main- 
tienne en sa garde. 

Vostre obéissant serviteur, 

MICHEL DE MONTAIGNE* 



ftA BO<T»» 



LETTRE II 



Imprimée au devant des Reigles de mariage, 

de Plutarque, 



A Monsieur, Mopsiear de Mesmes, seigneur do Roîssyet 
de Malaflsize, eonaeiller éa. Roy efB son prÎTé conseil. 



Monsieur, 

C'est une des plus notables folies que les 
hommes facent, d'employer la force de leur 
entendement à ruiner et chocquer les opinions 
communes et receues^ qui nous portent de la 
satisfaction et contentement. Car lÀ où tout 
ce qui est soubsle ciel employé les moïens et 
les utils que Nature luy a mis en main (comme 
de vray c'en est l'usaige) pour l'agencement 
et commodité de son estre, ceulx icy pour 
sembler d'un esprit plus gaillard^ et plus es- 
veillé, qui ne receoit et qui ne loge rien que 
mille fois touché et balancé au plus subtil de 
la raison, vont esbranlant leurs âmes d'une 



— 100 — 

assiette paisible et reposée, pour aprez une 
longue queste la remplir en somme de doubte, 
d'inquiétude et de fiebvre. Ce n^est pas sans 
raison que Fenfance et la simplicité ont esté 
tant recommandées par la vérité mesme. De 
ma part, i'aime mieulx estre plus à mon ayse 
et moins habile, plus content et moins en- 
tendu. Voylà pourquoy, Monsieur, quoy que 
des fines gents se mocquent du seing que nous 
avons de ce qui se passera icy aprez nous, 
comme nostreame logée ailleurs, n'ayant plus 
à le ressentir des choses de çà bas; l'estime, 
toutesfois que ce soit une grande consolation 
à la foiblesse et briefveté de cette vie, de 
croire qu'elle se puisse fermer et allonger par 
la réputation et par la renommée; et em- 
brasse très volontiers une si plaisante et favo- 
rable opinion engendrée originellement en 
nous, sans m'enquerir curieusement ny com- 
ment, ny pourquoy. De manière que ayant 
aymé plus que toute aultre chose M. de U 
Boétîe, le plus grandhomme, à mon advis, 
de notre siècle, le penserois lourdement fail- 
lir à mon debvoir si, à mon escient, îe lais- 
«ois esvanouîr et perdre un si riche nom que 
ie sien, et une mémoire si digne de recom- 
mandation, et 1^ ie ne m*essayois par ces par-' 
tles là de le resuscîter et remettre en vie. le 



— 101 — 

crois qu'il le sent aulcunement» et que ces 
miens offices le touchent et resiouissent De 
vray, il se loge encores chez moy, si entier et 
si vif, que ie ne le puis croire, ny si lourde- 
ment enterré, ny si entièrement esloigné de 
nostre commerce. Or, Monsieur, pource que 
chasque nouyelle cognoissance que ie donne de 
luy et de son nom, c*est autant de multiplica- 
tion de ce sien second vivre, et dadvantaige 
que son nom s'enoblit et s'honore du lieu qui 
le receoit, c'est à moy à faire non seulement 
de resj[)andre le plus qu'il me sera possible, 
mais encores de le donner en garde à person- 
nes d'honneur et de vertu; par lesquelles 
vous tenez tel rang que pour vous donner oc- 
casion de recueillir ce nouvel hoste, et de luy 
faire bonne chère, i*ay esté d'advis de vous 
présenter ce petit ouvraige, non pour le ser- 
vice que vous en puissiez tirer, sçacbant bien 
que à practiquer Plutarque et ses compaignons, 
vous n'avez que faire de truchement ; mais il 
est possible que madame de Roissy y veoyant 
l'ordre de son mesnage et de vostre bon ac- 
cord représenté au vif, sera très ayse de sen- 
tir la bonté de son inclination naturelle avoir 
non seulement atteint, mais surmonté ce que 
les plus sages philosophes ont peu imaginer 
du debvoir et des loix du mariaige. Et en toute 



façon, ce me sers tousioiirs honneur de pou- 
voir faire choee qui revienne à plaisir à vous 
m aux vostres, pour [^obligation que fay de 
vous faire service. 

Monsieur» ie supplie Dieu qu^il vousdoint 
Ires heureuse et longue vie. 

De Montaigne, ce 30 avril 1570. 
Yostre humble serviteur» 

mOIKL DE MORTAIOII. 



LETTRE m 



^priifiâe au devani de la Lettre d« coD«o]ati«i 
de "Plutarque à M femme; et adressée pof 
Montaigne, 



A Hadamoisene de somiigiie^ ma teamei 



Ma femme, rons entendez bi^ que ce n^est 
pas le tour dMn galand homme, aux reig^es 
de ce temps icy, de vot» eourtiaer et caresser 
enoores. Car Ils disent qu^un habilA homme 
peuitbien prendre femme, mais que de Tes- 
pouser c'est à faire à un sot Laissons les dire; 
ie me tiens de ma part à la simple façon du 
Tieil aage, aussi en porté ie tanlostle pcâ. Et 
de Yray la nouveileté couste si char iusqa*l[^ 



^ i04 — 

cette heure à ce pauvre estât (et si le ne sçais 
d nous en sommes à la dernière enchère) 
qu'en tout et par tout Ten quite le party. 
Vivons, ma femme, vous et moy, à la vieille 
françoise. Or, il vous peult soubvenir comme 
feu M. de La Boétie, ce mien cher frère, et 
compaignon inviolable, me donna mourant 
ses papiers et ses livres, qui ont esté depuis le 
plus favori meuble des miens. le ne veulx pas 
chichement en user moy seul, ni ne mérite 
quUls ne servent qu'à moy. A cette cause l 
m*a pris envie d'en faire part à mes amis. EX 
pource que ie n'en ay, ce croîs ie, nul plus 
privé que vous, ie vous envoyé la Lettre eon- 
solatoire de Plutarqtte à $a femme^ traduicte 
par luy en françois ; bien marry de quoy la 
fortune vous a rendu ce présent si propre, et 
que n'ayant enfant qu'une fille longuement 
attendue, au bout de quatre ans de nostre 
mariaige, il a fallu que vous l'ayez perdue 
dans le deuxiesme an de sa vie. Mais le laisse 
à Plutarque la charge de vous consoler et de 
VOQS advertir de vostre debvoir en cela, vous 
priant le croire pour l'amour de moy; car il 
vous descouvrira mes Intentions, et ce qui se 
peult alléguer en cela beaucoup mieulx que ie 
ne ferois moy mesme. Sur ce, ma femme, ie 
me recommande bien fort à vostre bonne 



— 105 — 

grâce, et prie Dieu qu'il vous maintienne en 
sa garde. 
De Paris, ce 10 septembre 1570. 

Yûstre bon mary, 

ÉICHEL DE XOnTÀIGRB. 



LETTRE IV 



Imprimée ent deeani des vers Uims d^Esiienne de 

U Boitte. 



A MoMigiieiir, aoniiaiir de llioipital, dnacelier 

denaneo. 



Monaeigneur, 

Fay opinion que yons anltres à qui It ton^ 
tone et la raison ont mis en main le gonrer- 
nement des affaires dn monde, ne cherchex 
rien pins cnriensement que par où tous pois- 
siez arriver à la cognoissance des hommes de 
vos charges; car à peine est il nulle commu- 
nauté si chetive qui n'aye en soy des hommes 
assez pour foun^ commodément à chascun 
de ses offices, pourveu que le departeoDiente^ 



— 108 — 

le triage s^en peust iusteraent faire. Et ce 
poinct là gaigné, il ne resteroit rien pour arri- 
ver à la parfaîcte compositiop d^un Estât Or, 
à mesure que cela est le plus souhaictable, il 
est auss; plus difficile, veu que ny vos yeulx 
ne se peuvent estendre si loing, que de tirer 
et choisir parmy une si grande multitude et si 
espandue, ny ne peuvent entrer iusques au 
fond des cœurs pour y veoir les intentions et 
la conscience, pièces principales à considé- 
rer ; de manière qu'il n^a esté nulle chose pu- 
blicque si bien establie, en laquelle nous ne 
remarquions souvent la faute de ce départe- 
ment et de ce chois. Et en celles où Tigno- 
rance et la malice, le fard, les faveurs, les 
brigues et la violence commandent, si quel- 
que eslection se veoid faicte meritoirement et 
par ordre, nous le debvons sans doubte à la 
fortune, qui, par l 'inconstance de son bransle 
divers , s'est pour ce coup rencontrée au 
train de la raison. Monsieur, cette considé- 
ration m'a souvent consolé, sçachant M. Es- 
tienne de La Boétie, Fun des plus propres et 
nécessaires hommes aux premières charges 
de la France, avoir tout du long de sa vie 
crouppy, mesprisé ez cendres de son fouyer 
domestique, au grand interest de nostre bien 
commun: car, quant au sien particulier, ie 



— 109 — 

vous advise, Monsieur, qu'il estoît si abon- 
damment garny des biens et des thresors qui 
deffient la fortune, que iamais homme n'a 
yescu plus satisfaict ny plus content 

Je sçais bien qu'il estoit eslevé aux dignltez 
de son quartier qu'on estime des grandes, et 
sçais dadvantaîge que iamais homme n'y ap- 
porta plus de suffisaiice, et que, en l'aage de 
trente deux ans qu'il mourut, il avoit acquis 
plus de vraye réputation en ce reng là que 
nul aultre avant luy« Mais tant y a que ce 
n'est pas raison de laisser en Testât de soldat 
un digne capitaine, ny d'employer aux char- 
ges moïennes ceulx qui feroient bien encores 
les premières. 

A la vérité, ses forces feurent mal mesna- 
gees et trop espargnees. De façon que, au delà 
de sa charge, il luy restoit beaucoup de gran- 
des parties oîsisves et inutiles, desquelles la 
chose publicque eust peu tirer du serWise, et 
luy de la gloire. 

Or, Monsieur, puis qu'il a esté si nonchalant 
de se pousser soy mesme en lumière, comme 
de malheur U Vertu et l'Ambition ne logent 
gueres ensemble, et qu'il a esté d'un siècle si 
grossier ou si plein d'envie, qu'il n'y a peu nul- 
lement estre aydé par le tesmoignaige d'aul- 
trujr le souhaicte merveilleusement que au 



— 110 — 

mollis, Bprei Taj, sa mémoire à qtd seule 
meshay ie doibs les offices de nostre amitié, 
receoiye le loyer de sa yaleor, et qu^elle se 
loge en la recommandation des personnes 
iThonneur et de vertu. 

A cette canse m*a il prins envie de le mettre 
an iour et de vous te présenter, Monsieur, 
par ce pen de vers latins qui nons restent ée 
luy. Tout au rebours du maçon, qui met le 
plus beau de son bastiment vers la me, et eu 
marchand, qui fait monstre et parement du 
plus riche eschantilion de sa marchandise, C4 
qui estoit en luy le plus recommandable. If 
vray suc et moelle de sa valeur Tout suivi, ei 
ne nous en est demeuré que Tescorce et les 
feuilles. Qui pourroît faire veoîr les reiglez 
bransies de son ame, sa pieté, sa vertu, sa 
iustice, la vivacité de son esprit, le poids 
et la santé de son iugement, la haulteur de 
ses conceptions si loing eslevees au dessus du 
vulgaire, son sçavoir, les grâces compaignes 
(Mxiinaîres de ses actions, la tendre amour 
qu*il portoit à sa misérable patrie, et sa haine 
capitale et iuree contre tout vice, maïs prin- 
cipalement contre cette vilaine traôcque qui 
se couve soubs rhonnorable tîltre de lustfce, 
engendreroit certainemeiit à toutes geots de 
bien une sinuruliere afiection eay0?9 '^y 



^ Ht — 

lée d*uii saerv^leux regret de sa part. MaSs, 
Monsieur, il s'enfauit tant que le puisse cela« 
que du fniict mesme de ses «stades il n'aveil 
encores iamais p^asé d'eo laisser nul tesmoî* 
gnaige à la postérité, et ne nous en est de* 
meure que ce que par manière de pasaetempf 
il escripvoit quelquesfois. 

Quoy que ce soit, ie vous supplie. Men- 
eur, le receveoir de bon visaige : et comme 
nostre iugement argumente maiutesfois d^une 
ckose legiere une bien grande, et que les 
ieulx mesmes de grands personnaiges rapport 
tent aux clairroyants quelque marque honno- 
rable du lieu d*où ils partent, monter par ce 
sien ouvraige à la cognoissance de luy mes- 
me, et en aymer et embrasser par conséquent 
le nom et la mémoire. En quoy , Monsieur, vous 
ne ferez que rendre la pareille à l'opinion 
très résolue qu'il avoit de vostre vertu : et si 
accomplirez ce qu'il a infiniment souhaicté 
pendant sa vie : car il n'estoit homme du 
monde en la cognoissance et amitié duquel 
il se fust plus volontiers veu logé que en la 
vostre. Mais si quelqu^un se scandalise de 
quoy si hardiment Tuse des choses d'aultruy, 
ie l'advise qu'il ne feut iamais rien plus exac« 
tement dict ne escript, aux escholes des phi- 
losophes, du droict et des debvoirs delà saincte 



»* lis — 

amitié» qae oe que ce personnaige et moy en 
avons practîqué ensemble. 

Au reste, Monsiettr, ce legier présent, poai 
mesnager d*une pierre deux coups, serrirt 
auasy» s^il vous plalct» à vous tesmoîgner 
rhonneur et révérence que ie porte à vostn 
suffisance, et qualités singulières qui sont ei 
vous. Car, quant aux estrangeres et fortuites^ 
ce n'est pas de mon goust de les mettre ei 
ligne de compte. 

Monsieur, ie supplie Dieu quil vous doint 
très heureuse et longue vie. 

De Montaigne, cq 30 avril 1570. 

Vçitre humble et ob^ûssant serviteur, 

tOOÊBL K MOnTANISi 



^fi-M 



LETTRE V 



Oh éxtraict (Tune ietire que Monsie rie CùnniUer 
de Montaigne escripvit à Monseigneur de Jfofi- 
taigne son père, concernant quelques particula-^ 
ritez qu*il remarqua en la maladie et mort de 
feu Monsieur de la Boéiie, 



Quant à ses dernières paroles, sans donbte, 
si homme en doibt rendrebon compte, c'est h 
moy, tant parce que da long de sa maladie il 
parloit aussi volontiers à moy qu'à nul aul- 
tre, que aussi pource que pour la singulière 
et fraternelle amitié que nous nous estions 
entreportez, î'avois très certaine cognoissance 
des intentions, iugements et volontez qu'il 
avoit eus durant sa vie, autant, sans doubte, 
qu'homme peult avoir d'un aultre, et pource 
que ie les sçavois estre très haultes, vertueu- 
ses, pleines de très certaine resolution, et 
quand tout est dict» admirables. le prevoyois 



— Ili — 

bien que si la maladie luy laissoit le moîea 
de se pouvoir exprimer, qu'il ne luy eschap-> 
peroit rien en une telle nécessité qui ne fôust 
grand et plein de bon exemple : ainsy, le m'ei 
prenois le plus de garde que ie pouvois. 

Il est vray, Monseigneur, comme i*ay la 
mémoire fort courte, et desbauchee encores 
par le trouble que mon esprit avoit à souf- 
frir d'une si lourde perte, et si importante, 
qu'il est Imposssble que ie n'aye oublié beau- 
coup de choses que ie vouldrois estre sceuesk 
Mais celles desquelles il m'est soubveneu, ie les 
vous manderay le plus au vray qu'il me sera 
possible. Car pour le représenter aini^ fière- 
ment arresté en sa brave desmarche, pour 
vous faire veoir ce couraige invincible dans 
un corps atteré et assommé par les furieux 
efforts de la mort et de la douleur, ie con- 
fesse qu'il y fauldroit un beaucoup meilleur 
style que le mien : pource qu'enoores que du- 
rant sa vie, quand il parloit de choses graves 
et Importantes, il en parloit de t^le sorte 
qu'il estoit mal aysé de les si bion escrire, si 
est ce qu'à ce coup il sembloit que son esprit 
et sa langue s'efforçassent k l'envy, comme 
pour luy faire leur dernier service. Car sans 
ioubte ie ne le vis iamals plein ny de tant de 
si belles imaginations» ni de tant d'esloguence» 



eomme 11 a esté le long de cette maladie. An 
reste, Monseigneur, si vous trouvez que Taye 
voulu mettre en compte ses propos plus le- 
giers et ordinaires, ie Tay falct à escient Car 
estants dits en ce temps là, et au plus fort 
dHme si grande besongne, c^est un singulier 
tesmoignajge d^une ame pleine de repos, de 
tranquillité et d'asseurance. 

Gomme ie revends du palais le lundy neuf- 
TJesme d'aoust 1563, le l'envoyay convier d 
disner chez moy. Il me manda qu^il me mer* 
cîoit, quMl se trouvoit un peu mal, et que ie 
lui feroîs plaisir si ie voulois estre une heure 
avecques luy, avant qu'il partîst pour aller 
en Medoc. le Tallay trouver bientost aprez 
disner. 11 estoit couché vestu, et monstroit 
desîà ie ne sçais quel changement en son vi- 
saige. Il medîct que c'estoit un flux de ventre 
avecques des tranchées, qu'il avoit prins le îour 
avant, louant en pourpoinct sous une robbe 
de soye, avecques M. d'Escars ; et que le froid 
luy avoit souvent faict sentir semblables acci- 
dents, le trouvay bon qu'il continuast Ten- 
treprinse qu'il avoit pieça faicte de s'en aller; 
mais qu'il n'aliast pour ce soir que iusques à 
Oermignan^ qui n'est qu'à deux lieues de la 
ville. Cela faisois ie pour le lieu où il estoit 
logé tout avoisiné de maisons %£ectes de 



— 116 «- 

peste, de laquelle il ayoit quelque appréhen- 
sion, comme revenant de Perigort et d'Age- 
nois où il avoît laissé tout empesté ; et puii» 
pour semblable maladie que la sienne ie m^e»- 
tois aultresfois très bien trouvé de montera 
cheval. Âinsy il s^en partit, et madamoîselle 
de la Boétie sa femme, et M. de Bouillonnas 
son oncle, avecques luy. 

Le lendemain de bien bon matin, voicy ve- 
nir un de ses gents à moy de la part de mada* 
moiselle de La Boétie, qui me mandoit qu'il 
s'estoit fort mal trouvé la nuîct d'une forte 
dyssenterie. Elle envoyoît quérir un médecin 
et un apotiquaîre; et me prioit d'y aller, 
conmie ie fis Taprez disnee. 

À mon arrivée, il sembla qu'il feust tout ea- 
louj de me veoir ; et comme ie voulois pren- 
dre congé de luy pour m'en revenir, et luy 
promisse de le reveoir le lendemain, il me 
pria avecques plus d'affection et d'instance 
qu'il n'avoit iamais faict d'aultre chose, que ie 
fusse le plu^ que ie pourrois avecques luy. Cela 
me toucha aulcunement. Ce neantmoins ie 
m'en allois quand madamoiselle de La Boétie» 
qui pressentoit desià ie ne sçaîs quel mal-' 
heur, me pria les larmes à l'œil, que ie ne 
bougeasse pour ce soir. Ainsy elle m'arresta, 
de quoy il se resiouït avecques moy. Le len- 



— 147 — 

demain le m^en revins ; et le ieudy , le feus re- 
trouver. Son mal alloit en empirant : son 
flux de sang et ses tranchées qui Tafibiblis- 
soient encores plus, croissoient d'heure à 
aultre. 

Le vendredy, le le laissay encores : et le 
samedy, ie le feus reveoîr desià fort abattu. 
Il me dict lors, que sa maladie estoit un 
peu contagieuse, et oultre cela, qu'elle es- 
toit mal plaisante, et melancholique : qull 
cognoissoit très bien mon naturel, et me 
prioit de n'estre avec luy que par bou« 
tees, mais le plus souvent que ie pourrois. 
le ne Tabandonnay plus. lusques au dimanche 
il ne m'avoit tenu nul propos de ce qu'il 
iugeoit de son estre, et ne parlions que des 
particulières occurrences de sa maladie, et de 
ce que les anciens médecins en avoient dict 
D^affaires publicques, bien peu; car ie Ten 
trouvay tout desgousté dez le premier iour. 
Mais le dimanche, il eust une grande foi- 
blesse : Et comme il feut revenu à soy, il dict 
qu*il luy avoit semblé estre en une confusion 
de toutes choses, et n'avoir rien veu qu'une 
espaisse nue et brouillart obscur, dans lequel 
tout estoit pesle mesle et sans ordre : toutes- 
fois qu'il n'avoit eu nul desplaisir à tout cet 
accident « La mort n'a rien de pire que cela. 



à 
À 



^H8 — 

Uy «ntsTO lOrs. — Mais n'a riOQ de st minl- 
yais, » me respondict il. 

Depuis lors, poarceque deile oommenoe- 
ment de son mal, iln'avoitprins nul sommeil, 
et que nonobstant tous les remèdes, il alloit 
tousioors en empirant : de sorte qu'on y avoit 
desià employé certains bruvages, desquels 
on ne sert qu'aux dernières extrémités, il 
commença à desei^rer enti«*ement de sa 
gnarison, ce qu'il me communiqua. Ge œesme 
tour, pource qu'il feat trouvé bon, ie luy dis, 
qu'il me sieroit mal, pour l'extrême amitié 
que ie luy portois, si ie ne me souciois que 
comme en sa santé on avoit veu toutes ses 
actions pleines de prudence et de bon con- 
seil, autant qu'à homme du monde qu'il les 
contînuast encores à sa maladie; et que, si 
Dieu vouloit qu'il empirast, ie serois très 
marry qu'à faulte d'advisement il eust laissé 
nul de ses affaires domestiques descousu, tant 
pour le dommaige que ses parents y poiir- 
roient souflTrir, que pour llnterest de sa ré- 
putation : ce qu'il print de moy de très bon 
yisaige. Et aprez s'estre résolu des difficultés 
qui le tenoient suions en cela, U me pria 
d'appeler son oncle et sa femme seuls pour 
leur faire entendre ce qu'il avoit délibéré 
quant à son testament le luy dis qu'il les 



— 419 — 

tonnerolt. « Non, non, me dîct il, le les con- 
soleray et leur donneray beaucoup meilleore 
espérance de ma santé, que ie ne Fay moy 
mesme. Et puis il me demanda, d les foi* 
blesses quMl avoît eues ne nous avoient pas 
An peu estonnez. « Cela n^est rien, lui fis le : 
ce sont accidents ordinaires à telles malar- 
dles. — Vrayement non , ce n^est rien, mon 
frère, me respondict il, quand bien il en ad- 
viendroit ce que vous en craindriez le plus. 
— A vous ne seroit ce que heur, luy repli- 
quay ie; mais le dommaige seroit à moy qui 
perdrois la compaignie d*un si grand, si sage 
et si certain amy, et tel que ie serois asseuré 
de n'en trouver iamais de semblable. — Il 
pourroit bien estre, mon frère, adiousta il, 
et vous asseure que ce qui me faict avoir 
quelque seing que i'ay de ma guarison, et 
n^aller si courant au passaige que i^ay desià 
fhmchi à demy, c'est la considération de vos- 
tre perte, et de ce pauvre homme et de cette 
pauvre femme (parlant de son oncle et de sa 
femme) que i'ayrae touts deux uniquement, et 
qui porteront bien impatiemment (i^'en suis 
asseuré) la perte quMls feront en moy, qui de 
vray est bien grande pour eulx et pour vous. 
Fay aassy respect au desplaisir qu'auront 
beaucoup de gents de b5en qui m'ont aymé et 



— 120 — 

estimé pendant ma vfe, desquels certes, le 
le confesse, si c*estoit à moy à faire le serois 
content de ne perdre encores la conversaticOi 
Et si ie m*en vay, mon frère, le vous prie, 
vous qui les cognoissez, de leur rendre tes- 
moignaige de la bonne volonté que leur ay 
portée iusques à ce dernier terme de ma vie. 
Et puis, mon frère, par adventure n'estoLshje 
poinct nay si inutile, que ie n^eusse moîen de 
faire service à la chose publicque? Mais qaoy 
quMl en soit, ie suis prest à partir quand U 
plaira k Dieu, estant tout asseuré que ie ioui- 
ray de Tayse que vous me prédites. Et quant 
à vous, mon amy, ie vous cognois si sage, 
que, quelque interest que vous y ayez, si 
vous conforiqerez vous volontiers et patiem- 
ment à tout ce qu^il plaira k sa saincte Ma- 
iesté d*ordonner de moy, et vous supplie 
vous prendre garde que le deuil de ma perte 
ne poulse ce bon homme et cette bonne fem- 
me hors des gonds de la raison. » Il me de- 
manda lors comme ils s*y comportoient desià. 
le luy dis que assez bien pour l'importance 
de la chose : « Ouy (suivit-il) à cette heure 
quMls ont encores un peu d*esperance. Mais s! 
ie la leur ay une fois toute ostee, mon frère, 
vous serez bien empesché à les contenir. » 
Suivant ce respect, tant ou^il vescut depuis» 



-^ 121 — 

il leur cacha tousiours Topinion certaine 
qu*il avoit de sa mort, et me prioit bien fort 
d'en user de mesme. Quand il les voyoit au- 
prez de luy, il contrefaîsoit la chère plus gaye 
et les paîssoit de belles espérances. 

Sur ce poînct ie le laissay pour les aller ap- 
pellera Ils composèrent leur visaige le mieulx 
quMls peurent pour un temps. Et aprez nous 
estre assis autour de son lict, nous quatre 
seuls, il dictainsy d'un visaige posé et comme 
tout esiouï : « Mon oncle, ma femme, ievous 
asseure sur ma foy, que nulle nouvelle at« 
tainte de ma maladie ou opinion maulvaisf 
que i'aye de ma guarison, ne m'a mis en fan- 
taisie de vous faire appeller pour vous dire 
ce que l'entreprends ; car ie me porte, Dieu 
mercy, très bien, et plein de bonne espéran- 
ce ; mais ayant de longue main apprins, tant 
par longue expérience que par longue estu- 
de, le peu d'asseurance qu'il y a à l'instabilité 
et inconstance des choses humaines, et mes- 
mes en nostre vie que nous tenons si chère» 
qui n'est toutesfois que fumée et chose de 
néant; et considérant aussy, que puisque ie 
suis malade, ie me suis d'autant approché du 
dangler de la mort : i'ay délibéré de mettre 
quelque ordre à mes affaires domesticques, 
aprez en avoir eu vostre advis première- 



— 1Î2 — 

ment » Et pois adressant son propos à son 
oncle : « Mon bon oncle, dict il, si favals à 
Tons rendre & cette heure compte des gran- 
des obligations qae ie vons ay, le n^auroîs en 
pièce faict : il me suffit que iusques à pré- 
sent, où que i*aye esté, et à quiconque fen 
aye parié, faye tousiours dict que tout ce que 
un très sage, très bon et très libéral père 
pouYOit faire pour son fils, tout cela avex 
TOUS faict pour moy, soit pour le seing qu'il 
a fallu à m*instruire aux bonnes lettres, soit 
lorsqu'il vous a pieu me poulser aux estats* : 
de sorte que tout le cours de ma vie a esté 
plein de grands et recommandables offices 
d'amitiez vostres envers moy : somme, quoy 
que i'aye, ie le tiens de vous, je Tadvoue de 
vous, ie vous en suis redevable, vous estes 
mon vray père; ainsy comme fils de famille 
ie n'ay nulle puissance de disposer de rien, 
s'A ne vous plaict de m'en donner congé. » 
Lors il se teust et attendit que les soupirs et 
les sanglots eussent donné loisir à son oncle 
de luy respondre quil trouveroit très bon 
tout ce qu'il luy plairoft Lors ayant à le fai- 
re son héritier, il le supplia de prendre de 
luy le bien qui estoît sien. 

I A des emplois publics. 



— 123 — 

Et puis, destonmant la parole à sa femme: 
« Ma semblance, dict il (ainsy Tappeloit il 
souyent, pour quelque ancienne alliance qui 
estoit entre eulx) ayant esté ioinct à vous du 
saint neud de mariaige, qui est Tun des plus 
respectables et inviolables que Dieu nous ayt 
ordonné ça bas, pour Fentretien de la société 
humaine, le vous ay aymee, chérie et estimée 
autant qu'il m'a esté possible, et suis tout 
asseuré que vous m'avez rendu réciproque 
aifection, que le ne sçaurois assez recognois- 
tre. le vous prie de prendre de la part de 
mes biens ce que ie vous donne, et vous en 
ccmtenter, encores que ie sçache bien que 
c'est bien peu au prix de vos mérites. » 

Et puis, tournant son propos à moy : 
« Mon frère, dict il, que i'ayme si chèrement 
et que i'avois choisy parmy tant d'hommes, 
pour renouvelle* avecques vous cette vertueu- 
se et sincère amitié, de laquelle usaige est par 
le vice dez si loz^ temps esloigné d'entre 
nous, qu'il n'm reste que quelques vieilles 
traces en la mémoire de Tantiquité, ie vous 
supplie pour signal démon affection envers 
vous, vouloir estre successeur de ma biblio- 
thèque et de mes livres que ie vous donne: 
présent bien petit, mais qui part de bon 
cceur, et qui vous est convenable pour l'ai^ 



— 124 — 

fection que vous avez aux Lettres. Ce vous 
sera tn*Ai»^9wtw^ tut sodalis K 

Et puis, parlant à touts généralement, loua 
Dieu, dequoy en une si extrême nécessité, il 
8e trouvoit accompaigné de toutes les plus 
chères personnes qu^il eust en ce monde; et 
quMl lui sembloit très beau à veoir une assem- 
blée de quatre si accordants et si unis d*ami- 
tié; faisant, disoit il, estât, que nous nous 
entraymions unanimement les uns pour Ta- 
mour des aultres. Et nous ayant recommandé 
les uns aux aultres, il suyvit ainsfy : « Ayant 
mis ordre à mes biens, encores me fault il 
penser à ma conscience. le suis chrestien, ie 
suis catholique : tel ay vescu, tel suis ie déli- 
béré de clorre ma vie. Qu^on me face venir 
un prebstre; car ie ne veulx faillir à ce der* 
nier debvoir d'un chrestien. » 

Sur ce poinct il finit son propos, lequel il 
avoit continué avecques telle asseurance de 
visaige, telle force de parolle et de voix, que là 
où ie Tavois trouvé, lorsque i*entrai en sa 
chambre, foible, traisnant lentement les mots» 
les uns aprez les aultres, ayant le pouls ab- 
battu comme de fiebvre lente, et tirant à la 
mort, le visaige palle et tout meurtri, il 

i Ub toaTenir de votre ami. 



— 125 — 

bloit lors quMl vinst, comme ^ar miracle, de 
reprendre quelque nouyelle vigueur : le teint 
plus vermeil et le pouls plus fort, de sorte 
que ie luy fis taster le mien pour les comparer 
ensemble. Sur Theure i^eus le cœur si serré, 
que ie ne sceus rien luy respondre. Mais deux 
ou trois heures aprez, tant pour luy continuer 
cette grandeur de couraige, que aussi pource 
que iesouhaictoispour la ialousieque i'ay eue 
toute ma vie de sa gloire et de son honneur, 
qu*fl y eust plus de tesmoings de tant et si 
belles preuves de magnanimité, y ayant plus 
grande compaignie en sa chambre, ie lui dis 
que i*avois rougis de honte dequoy le couraige 
m'avoit failly à ouïr ce que luy qui estoit en- 
gaigé dans ce mal, avoit eu couraige de me 
dire : que iusques lors i*avois pensé que Dieu 
ne nous donnast gueres si grand advantaige 
sur les accidents humains, et croyois mal 
ayseementce que quelquesfois i^en lisois par-^ 
my les histoires; mais qu'en ayant senti une 
telle preuve, ie louois Dieu dequoy ce avoit 
esté en une personne de qui ie fusse tant 
aymé, et que i'aymasse si chèrement, et que 
cela me servhroit d^exemple pour louer ce 
mesme rôle à mon tour. 

Il m'interrompit pour me prier d*en user 
ainsy, et de monstrer par eSect que les dis- 



— . 126 — 

eours que nous avions teaus ensemble pes* 
dant nostre santé» nous ne les portions pas 
seulement en la bouche, mais engravez bien 
avajpt au cœur et en Tame, pour les mettre 
en exécution aux premières occasions qui 
s'offriroient, adioustant que c^estoit la vraye 
practique de nos estudes et de la philoso- 
phie. 

t Et me prenant par la main: « Mon frère» 
mon amy, me dict il» ie t'asseure que i'ay faict 
assez de choses, ce me semble, en ma rie^ 
avecques autant de peine et difficulté que ie 
fais cette cy. Et quand tout est dict, il y a î(xti 
long temps que l'y estois préparé et que fen 
sçavois ma leçon toute par cœur. Mais n'est 
ce pas assez vescu iusques à Taage auquel ie 
suis? Festois prest à entrer à mon trente 
troisiesme an. Dieu m'a faict cette grâce, que 
tout ce que i'ay passé iusques à cette heure 
de ma vie,, a été plein de santé et de bour 
heur ; pour Tinconstance des humaines, cela 
ne pouvoit gueres plus durer. Il estoit mes- 
huy temps de se mettre aux affaires et de veoir 
mille choses mal plaisantes, comme Tincom- 
modité delà vieillesse, de laquelle ie suisquite 
par ce moïen. Et puis, il est vraysemblable 
que l'ay vescu îusqu'à cette heure avecqpies 
plus âo simplicité et moins de malice que to 



— ISf7 — 

nVusse par sâyentnre faict, si Dieu m^emt 
laissé vivre iosqu^ ce que le soing de m*eiH 
richir et accommoder mes affaires me feoa( 
entré dans la teste. Quant à moy, le suis ceR 
tain, là ie m*en vay trouver Dieu et le seioui 
des bienheureux. » Or, pource que ie monstrois 
mesme au visaige Timpatience que i^avois à 
rouir ; « Comment, mon frère, me dict il, me 
voulez vous faire peur? Si ie Tavois, à qui 
seroit ce de me Tester qu*à vous? » 

Sur le soir, pource qu'on avoît mandé pour 
receveoir son testament, ie luy fis mettre par 
escrit, et puis ie luy fus dire s*il ne le voo- 
loitpas signer : « Non pas signer, dict il, ie le 
veufac faire moy mesme. Mais ie vouldrois, mon 
fk^re, qu*on me donnast un peu de loisir; car 
le me treuve extrêmement travaillé et si af- 
foibly que ie n'en puis quasi plus. » le me 
mis à changer de propos ; mais il se reprit 
soubdain et me dict qu'il ne falloit pas grand 
loisir à mourir, et me i)ria de sçavoir si le 
notaire avoit la main Wen legiere car il n'ar- 
resteroit gueres à dicter. Fappelay le notaire, 
et sur le champ il dicta si viste son testa- 
ment qu'on estoit bien empesché à le suivre; 
Et ayant achevé, U me pria de luy lire, et 
parlant à moy : « Voylà, àlct 11^ le seing d'une 
belle chose que nos richesses. Sunt hsec qùm 



— 128 — 

homintbus vocantur bonaK Après que le tes- 
tament eust esté signé, comme sa chambre 
estoit pleine de gents, il me demanda s'il luy 
feroit mal de parler. le lui dis que non, mais 
que ce feust tout doulcement 

Lors il fit appeller madamoiselle de Saint- 
Quentin sa nîepce, et parla ainsy à elle : « Ma 
niepce, m^amie, il m'a semblé depuis que le 
t'ay cogneue, avoir veu reluire en toy des 
traicts de très bonne nature ; mais ces der- 
niers offices que tu fais avècques une m bonne 
affection, et telle diligence, à ma présente 
nécessité, me promettent beaucoup de toy, 
et vrayement le t'en suis obligé et t'en mer- 
cie très affectueusement Au reste, pour me 
descharger, ie t'advertis d'être premièrement 
dévote envers Dieu : car c'est sans doubte la 
principale partie de nostre debvoir, et sans 
laquelle nulle aultre action ne peult estre ny 
bonne ny belle : et celle là y estant bien à 
bon escient, elletraisne aprez soy par néces- 
sité toutes aultres actions de vertu. Aprei 
Dieu, il te f ault aymer et honnorer ton père et 
ta mère, mesme ta mère, ma sœur que l'es- 
time des meilleures et plus sages femmes du 
monde, et te prie deprendre d'ellel'exempled^ 

I Toili ce que les hommes âppeUeni dei bien* 



ta We. Ne te laisse poinet emporter aux pla^fsln) 
fay comme peste ces foies privautez que ta 
yeois les femmes avoir quelquesfoîs avecqnes 
les hommes, car encores que sur le comment- 
cément elles n'ayent rien de maulvals; toutes- 
fois petit à petit elles corrompent l'esprit» et 
le conduisent à Toisisveté, et de là, dans le 
vilain bourbier du vice. Crois moy : la plus 
seure garde de la chasteté à une fille, c^(^ la 
sévérité. le te prie, et veulx qu'il tesoubvienne 
de moy, pour avoir souvent devant les yeulx 
Tamitié que ie t'ay portée, non pas pour te 
plaindre et pour te douloir de ma perte, et 
cela deffends ie à tous mes amys, tant que ie 
puis, attendu qu'il sembleroit qu'ils feussent 
envieux du bien, duquel, mercy à ma mort, 
ie me verray bientost [ouïssant : et f asseure, 
ma fille, que si Dieu me donnolt à cette heure 
à choisir, ou de retourner à vivre encores, ou 
d^achever le voyaige que i'ay commencé, ie 
serois bien empesché au chois. Adieu ma 
niepce, m'amie. » 

Il fit aprez appeller madamoiselle d'Arsat sa 
belle fille, et luy dict : « Ma fille, vous n'aves 
pas grand besoing de mes advertissements, 
ayant une telle mère, que i'ay trouvée si 
sage, si bien conforme à mes conditioDS et 
volontez, ne m'ay^^ iamais fait nulle faultew 

' Lk BOÉTUZ. ^ 



-^ 130 — 

'Vcm, serei bien Instruite (Tune telle mats- 
tresse d*esclK)le. Et ne trouvez poinet estraoge 
■imoy» qui ne vous touche cfaulcune pa- i 
rente, me soucie et me meslo de vou& Car 
estant fille d'une personne qui m'est si pro- 
ebe, il est impossible que tout ce qui vous 
concerne ne me touche aussy. Et pourtant ay 
le tousiours eu tout le soîng des affaires de 
M. d'Ârsaty vostre frère, comme des miennes 
propres. Vous avez de la richesse et de la 
beauté assez : vous estes damoîselle de bon 
lieu. Il ne vous reste que d'y adiouster les 
biens de Tesprit, ce que ie vous prie vouloir 
foire. le ne vous deffends pas, le vice y es- 
tant detestat^e aux femmes, car ie ne venix 
pas penser seulement qu'il vous puisse tom- 
ber en entendem^t : voire ie crois que le 
nom mesme vous en est horrible. Âdfeu, ma 
belle fiUe. » 

Toute la chambre estoît pleine de criis et de 
Armes, qui n'interrompoient toutesfois nul- 
lement le train de ses discours, qui feurent 
longuets. Mais aprez tout cela il commanda 
^'on fist sortir tout le monde, sauf la garni- 
son, ainsy nomma il les filles qui le servoîest. 
Bt puis, appellant mon frète de Beau-regard : 
« Monsieur de Beau-regard, luy dict il, ioTOus 
murde btoi fondée la peine que vous prenez 






ùemojtymm Tooles bien que ieyoïude»^ 
ccmwre qnèkpie chose que Vuj ior le cœur à 
VOBS dire. • Deqooy quand mon frère /ni eral 
donné «aKorance, il miitit alnsy : « le voof 
liDre que tousoeolxqud se sont mis à la refot^ 
matîoir de TEglise» le n*9j iannds peosé qall 
y en ait en un seul quiiTy soit mià ayecques 
m^eor ide, plus entière, sincère et simpto 
affection que vous. Et croys certainement 
que les seuk* vices de nos prélats» qui ont sans 
doubte besoing d*une grande correction, et 
quelques imperfections que le cours du temps 
a apportés en nostre Eglise, vous ont incité à 
oda ; ie ne vous en veulx pour cette lieure 
de ntouvoir : car ausiqr ne prié ie pas voloiH 
tiens persomie de faire quoy que ce soit cou* 
tre sa conscience. Mais ie vous veu^ Mes 
advertir, qu'ayant respect à la bonne reputa- 
tfon qu^a acquis la maison de laqueUe vous 
estes, par ime oMitinuelle concorde : malnB 
que i*ay autant chère que maiflou du monde: 
mon Dieu, gielle case, de laquée il n'est la- 
maissorti aete que d*homme de bienl ayant 
respect à la volonté de vostre père; ce bon 
père à qui vous debves tant, de vostre ondCi 
à vos frères, vous fuyez ces extremitez v ne 
soyespoicctsi 9spre et si vioknt : accomno* 
Att voQsà eulx. Ne fatetes poinctdebandeet 



— 132 — 

d6 corps à part; iofgnez voas ensemble. Vom 
voyez combien de ruines ces dissentions ont 
apporté en ce roïaume; et vous respons 
qa^elles en apporteront de bien plus grandes^ 
Et comme vous estes sage et bon, gardei do 
mettre ces inconvénients parmy nostre fa- 
mille, de peur de lui faire perdre la gloire et 
le bonheur duquel elle a iouï iusques à cette 
heure. Prenez en bonne part, Monsieur de 
Beau-regard, ce que le vous en dis, et pour 
un certain tesmoignaïge de l'amitié que le 
vous porte. Car pour cet effect me suis le ré- 
servé iusques à cette heure à vous le dire; et 
à Fadventure vous le disant en Testât auquel 
vous me voyez, vous donnerez plus de poids 
et d'authorité à mes paroles. » Mon frère le 
remercia bien fort 

Le lundy matin, il estoit si mal, qu*il avoit 
quité toute espérance de vie. De sorte que 
deslors qu'il me vit, il m'appella tout piteuse- 
m^t, et me dict : « Mon frère, n^avez vous 
pas de compassion de tant de torments que 
ie souffre? Ne vo>yez vous pas meshuy, que 
tout k seoDurs que vous me faictes, ne sert 
que d allongement à ma peine? Blentost 
apraz, il s^esvanouft : de sorte qu'on le cuida 
^ abandonner pour trespassé : enfin, on le ré- 
veilla k force de vinaigre et de vin. Mais il ne 



— 433 — 

rit de long temps aprez : et nous oyant crier 
autour de luy, il nous dict : « Mon Dieu, qui 
me tormente tant? Pourquoy m'oste on de 
ce grand et plaisant repos auquei ie suis ? 
Laissez moy, ie vous prie. » Et puis m'oyant, 
il me dict : « Et vous aussy, mon frère, vous 
ne voulez donc pas que ie guarisse? quel 
asyle vous me faictes perdre ! » Enfin, s'estant 
encores plus remis, il demanda un peu de 
vin. Et puis s^en estant bien trouvé, me dict 
que c'estoit la meilleure liqueur du monde. 
« Non est dea, fis ie pour le mettre en pro- 
pos, c'est Peau. — C'est mon, répliqua il, 
6Jw^ Api9xov ». » Il avoit desià toutes les extre- 
mitez, iusques au visaige, glacées de froid« 
avecqves une sueur mortelle qui luy couloit 
tout le long du corps: et n'y pouvoit on quasi 
plus trouver nulle recognoissance de pouls. 
Ce matin, il se confessa à son prebstre : mais 
pM'ce que le prebstre n'avoit apporté tout 
ce qu'il luy falloit, il ne luy peut dire la 
messe. Mais le mardy matin, M. de la Boétie 
le demanda, pour l'ayder, dict il, à faire son 
dernier office chrestien. Ainsi, il ouït la 
messe et feit ses Pasques. Et comme le prebs* 
tre prenoit congé de luy, il luy dicc : « Mon 

I Onii sans doute, car Feau est une chose excellenle. 



— 134 — 

père spirituel, le vous supplie humbloment» 
et TOUS et ceulx qui sont soubs vostrechai^, 
prier Dieu pour moy, soit qu*il soit ordonné 
par les très sacrez thresors des desseins de 
Dieu que le finisse à cette heure mes iours, 
qQ*ll aye pitié de mon ame, et me pardonne 
mes péchez, qui sont infinis, comme il n^est 
pas possible que si yile et si basse créature 
que moy aye peu exécuter les commandements 
dHm si hault et si puissant malstre : ous*il 
luy semble que le fasse encores besoing par 
deçà, et qu'il veuille me reserver à quel- 
qu'autre heure, suppliez le qu'il finisse bien 
toet en moy les angoisses que le souffre, et 
qu'il me fasse la grâce de guider dorénavant 
mes pas à la suitte de sa volonté, et de me 
rendre meilleur que le n'ay esté. Sur ce poinct 
il s'arresta un peu pour prendre haleine : et 
ireoyant que le prebstre s'en alloit, il le rap- 
pella,et luy dict : « Encores veulx ie dire cecy 
en vostre présence : le proteste, que comme 
i'ay esté baptîzé, foy et rdigion que Hoyse 
planta premièrement en Egypte, qiie les Pè- 
res receurent depuis en ludee, et qui de main 
en main par succession de temps a esté ap- 
portée en France. » Il sembla, & le veoir, qu'il 
eust parlé encores plus long temps, s'il eusl 
peu : mais il finit priant son oncle et mqy de. 



; 



— 155 — 

prier Dieu pour Iny. « Car ce sont» dîct fl, les 
meilleurs offices que les chrestiens puissent 
faire les uns pour les aultres. • Il s*estoit en 
parlant descouvert une espaule^ et pria son 
oncle la recouvrir, encores qu^l eust un ya- 
let plus près deluy. Et puis, me regardant : 
a Ingenui est^ dict il, eut multum debeas^ et 
plurimum velle debere\ M. de Belot le vint 
veoir aprez midy, et il luy dict, lui présentant 
sa main : « Monsieur, mon bon amy, i'estois 
icy à mesme pour payer ma debte, mais i*ay 
trouvé un créditeur qui me Ta remise. » Un 
peu aprez comme il se resveilloît en sursaut : 
« Bien bien, qu*elle vienne quand elle voul* 
dra, ay vescu,ainsy veulx ie mourir soubs la, 
le Tattends, gaillard et de pied coy ; » mots 
4|u*il redict deux ou trois fois en sa maladie. 
Et puis, comme on luy entre ouvroit la bou- 
che par force pour le faire avaller : « An vi" 
4)eretanHest* ?» dict il, tournant son propos & 
monsieur de Belot Sur le soir, il commença 
bien à bon escient à tirer aux tralcts de la 
mort; et comme ie souppois, il me feit appel- 
1er, n^ayant plus qtie Vimaige et que Vumbre 



1 C'est d'un «odv noble, de vottloir être plas obligé i 
qui ron doit beaucoup. 
* La Tle et trelle d'un si grand prix? 



— 136 — 

é^un hommej et comme il disoit luy mesme : 
« Non homOf sed species hominis, » Et me 
dict, à toutes peines : « Mon frère, mon amy, 
pleust à Dieu que ie visse les effects des ima- 
ginations que ie viens d'avoir. > Aprez avoir 
attendu quelque temps, qu'il ne parloit plus, 
et qu'il tiroit des souspirs touchants pour s'en 
efforcer, car dez lors la langue commençoit 
fort à luy denier son office : a Quelles sont 
elles, mon frère? luy dis ie. — Grandes, gran- 
des, me responiiict il. — Il ne feut iamais, suivy 
ie, que ie n'eusse cet honneur que de com- 
muniquer à toutes celles qui vous venoient 
à l'entendement, voulez vous pas que l'en 
iouïsse ençoresl — C'est mon dea, respondict 
il : mais, mon frère, ie ne puis : elles sont 
admirables, infinies, indicibles. » 

Nous en demeurasmes là, car il n'en pou- 
voit plus. De sorte qu'un peu auparavant il 
avoit voulu parler à sa femme, et luy avoit 
dict d'un visaige le plus gay qu'il le pouvoit 
contrefaire, qu'il avoit à luy dire un conte. 
Et sembla qu'il s'efforçast pour parler : mais 
la force luy défaillant, il demanda un peu 
de vin pour la luy rendre. Ce feut pour néant ; 
car il esvanouît soubdain, et feut longtemi)s 
«ans veoir. Estant desià bien voisin de sa mort, 
et oyant les pleurs de madamoiselle d^ ^ 



— 137 — 

Boêtie, il Tappella, et luy dict ainsy : a Masem- 
blance, vous vous tourmentez avant le temps : 
voulez vous pas avoir pitié de moy? Prenez 
couraige. Certes ie porte plus la moitié de pei- 
ne, pour le mal queie vous veois souffrir, que 
pour le mien : etavecques raison, pource que 
lesmaulxque nous sentons eh. nous, ce n^est 
pas nous proprement qui les sentons , mais 
certains sens que Dieu a mis en nous : mais 
ce que nous sentons pour les aultres, c'est 
par certain iugement et par discours de rai- 
son que nous le sentons. Mais îe m'en vay. n 
Cela, disoît il, parce que le cœur luy failloit 
Or, ayant eu peur d'avoir estonné sa femme, 
il se reprint et dict : « le m*en vay dormir, 
bon soir, ma femme, allez vous en. » Voylà 
le dernier^ congé qu'il print d'elle. Après 
qu'elle feut partie : « Mon frère, me dict il, 
tenez vous auprez de moy, s'il vous plaist » 
Et puis, ou sentant les poinctes de la mort 
plus pressantes et poignantes, ou bien la force 
de quelque médicament chaud qu'on luy 
avoit fafct avaller, il print une voix plus es- 
clatante et plus forte, et donnoit des tours 
ydans son lict avec tout plein de violence : de 
sorte que toute la compaignie commença t 
«voir quelque espérance, parce que iusquea 
iors la seule foiblesse nous l'avoit faict per* 



lire. Lors, entre autres choses, 11 se prlnt & me 
prier et reprîer avecques une extrême affec- 
tion, de luj donner une place : de sorte qna 
feus peur que son lugement feust esbraiûé. 
Mesme que luy ayant bleu doulcement re- 
monstre, qu'il se laissoit emporter au mal, et 
que ses mots n'estoient pas d'homme Usa 
rassis, il ne se rendit poinct au premier coup, 
et redoubla encores plus fort : « Mon frère» 
mon frère, me refusez vous doncques une 
place? » lusques à ce qu'il me contraignit de 
le convaincre par raison, et de luy dire, que 
puis qu'il respiroit et parloit, et qu'U avolt 
corps, il avoit par conséquent son lieu. 
« Yoîre, voire, me respondict il, l'en ay,mais 
ce n*est pas celuy quMl me fault : et puis 
quand tout est dîct, ie n'ay plus d'estra — 
Dieu vous en donnera un meilleur bientost, 
luy fis le. — Y fusse ie desià, mon f)rere, me 
respondict il; il y a deux iours que fahanne 
pour partir. » Estant sur ces destresses, il 
m'appella souvent pour s'informer seulement 
si i'estois prez de luy. Enfin 11 se mit un peu 
& reposer, qui nous confirma encores plus en 
nostre bonne espérance. De maniée que sor- 
tant de sa chambre, ie m^en resiouîs aveo- 
ques madamoiselle de la Boétie. Mais une 
heure «^rez, ou environ, me nommani; une 



^439 — 

lois ou deux» et puis tirant à soy un grand 
flouspir» il rendit Tame, sur les trois heures 
du mercredy matin dîx-huitîesme d'aoust. 
Tan mil cinq cens soixante trois, aprez avoir 
yescu trente deux ansi neuf mois, et dix sept 
lourst 



/ 



LETTRE VI 

Qm' ieri de Préface aux (ouvres de La Boéiit, 
édition de Paris, 1571. 

ADVERTISSEMENT AU LECTEUR 
Par M. de Montaigne. 

Lecteur, tu me doibs tout ce dont tu îouls 
de feu M. Estienne de La Boétie; car ie t'ad- 
vise que quant à luy il n'y a rien qu'il eust 
iamais espéré de te faire voir, voire ny qu'il 
estimast digne de porter son nom en public 
Mais moy qui ne suis pas si hault à la main, 
n'ayant trouvé aultre chose dans sa librairie, 
qu'il me laissa par son testament, encores 
n'ay ie pas voulu qu'il se perdist Et de ce 
peu de iugement que i'ay, i'espere que tu 
trouveras que les plus habiles hommes de 
nostre siècle font bien souvent feste de 
moindre chose que cela, l'entends de ceulx 
qui l'ont practiqué plus ieune ; car nostre ac- 



cointanoe ne print commencement qtfentlron 
fifx ans avant sa mort, qn^il avoit faict force 
anltresvers latins et françois, comme soubs le 
nom de Gironde^ et en ay ouï reciter des 
riches lopins. Mesme célny qui a escrit les 
AtUiquitez de Bourge$ en allègue, que ie re- 
oognois, mais le ne sçais que tout cela est 
derenu, non plus que ses potoes grecs. Et & 
la vérité, à mesure que chasque saillie lui 
venoit à la teste, il s'en deschargeolt sur le 
premier papier qui lui tomboit en main, sans 
aultre soing de le conserver. Asseure toy que 
l'y ay faict ce que i'ay peu, et que depuis 
sept ans que nous Tavons perdu, ie n*ay peu 
recouvrer (]^e ce qpie tu en veois : aanf un 
Discours de laSetvitude «o(o«tetre, etqoel- 
ques Mémoires de nos troubles sur l'EdiU de 
janvier 1562. Mais quant à ces demierasi 
pièces, ie leur treuve la façon trop ddicate 
et mignarde ponr les abandonner au groasiflr 
et pesant air d'une si mal plaisante saiaoïk A 
Dieu» 



LETTRE Vn 



Imprimée au devant des vers d*Estienne 
de La Boitte, édition de Paris, 1572. 



A MoMieiir, Homieor de Foix, eomcillar dn Boy m mm 
ooDsefl priTé, et ambaiiadeiir de Sa Miellé prei li 
Mignearie-de Venise. 



Honsiear» 

Estant à mesme de voii$ recommander et à 
la postérité la mémoire de feu Etienne de La 
Boétie, tant pour son extrême valeur que 
pour la singulière affection qu'il me portoit» 
il m^est tombé en fantasie, combien c'estoit 
une indiscrétion de grande conséquence et 
digne de la coêrtion de nos loix, d'aller 
comme il se faict ordinairement» dearobbant 
& la vertu la gloire» sa fidelle compaignie» 
pour en estrener. sans chois et sans iug^ 
ment, le premier venu» selon nos interests. 
particuliers. Vu que les deux resnes princt* 



^ U4 — 

pales qui nous guident et tiennent office» 
sont la peine et la recompense, qui ne nous, 
touchent proprement, et comme hommes, 
que par Thonneur et la honte; d'autant que 
celles icy donnent droictement à Tame et ne 
se goustent que par les sentiments intérieurs 
et plus nostres; là où les bestes mesmes se 
Toyent aulcunement capables de toute aultre 
isecompense et peine corporelle. En oultre, 
il est bon à veoir que la coustume de louer 
la vertu mesme de ceux qui ne sont plus, ne 
vise pas à eulx, ains qu'elle faict estât d'ai- 
guillonner par ce moïen les vivants à les 
Imiter; comme les derniers chastiments sont 
employez par la iustice plus pour Texemple 
que pour Tinterest de ceulx qui les souffrent 
Or, le louer et le mesloûer s'entrerespondant 
de si pareille conséquence, il est malaysé à 
sauver, que nos loix deffendent offenser la 
réputation d*aultruy, et ce neantmoins per- 
mettent de Tannoblir sans mérite. Cette per- 
nicieuse licence de ietter aînsy à nostre poste 
an vent les louanges d'un chascun a esté aul- 
tresfois diversement retreinte ailleurs, voire k 
radventure ayda elle iadis à mettre la poésie 
en la malgrace des sages. Quoy qu'il en soit, 
au moins ne se sçauroit on couvrir, que le 
vice de mentir n'y apparoisse tousiours, très 



— 145 — 

messeant à un homme bien né, quelque y1- 
saigequ*on lui donne. Quant à ce personnaige 
de qui ie vous parle, Monsieur, il m'envoye 
bien loing de ces termes; car le dangier n'est 
pas que ie luy en preste quelqu'une, mais 
que ie luy oste; et son malheur porte que 
comme il m'a fourny autant qu'homme puisse 
de très iustes et très apparentes occasions de 
louange, i'ay bien aussy peu de moïen et de 
suffisance pour la luy rendre ; ie dis moy, à 
qui seul il s'est communiqué iusques au vif, 
et qui seul puis répondre d'un million de 
grâces, de perfections et dei vertus qui moi- 
sirent oisisves au giron d'une si belle ame, 
mercy à l'ingratitude de sa fortune. Car la 
nature des choses ayant, ie ne sçais comment, 
permis que la vérité, pour belle et accepta- 
ble qu'elle soit d'elle mesme, si ne l'embras- 
sons nous qu'infuse et insinuée en nostre 
créance par les utils de la persuasion, ie me 
treuve si fort desgamy et de crédit pour au- 
thoriser mon simple tesmoignaige, et d'élo- 
quence pour l'enrichir et le faire valoir, qu'à 
peu a il tenu que ie n'aye quité là tout ce 
soing, ne me restant pas seulement du sien 
par où dignement ie puisse présenter au 
monde au moins son esprit et son sçavoir. De 
vray, monsieur, ayant esté surpris de sa des- 



d 



— 146 — 

tinee en la flear de son aage ; et dans le ti^ain 
d'une très heureuse et très vigoureuse santé, 
il n'avoit pensé à rien moins qu*à mettre au 
iour des ouvraiges qui deustent tennoigner à 
la postérité quel il estoit en céLau £t k Tad* 
venture estoit il ffisez braye quand il y eiisk 
pensé, pour n*en estre par tort curieux. Mais 
enfin i'ay prlns party qu'il serolt bien plus 
excusable à luy d'avoir ensevefy avec soy tant 
de rares faveurs du ciel, qu'il ne seroit à moy 
d'ensevelir encoresla co^uoissance qu'il m'en 
avoit donnée. Et pourtant, ayant curieuse- 
ment recueilly tout ce que i'ay trouvé d'ecb- 
tler parmy ses brouillarts et papiers epars çà 
et là, le iouët du vent et de ses estudes, il 
m'a semblé bon, quoy que ce fust, de le dis- 
tribuer et de le départir en autant de pièces 
que i'ay peu pour delà prendre occaalon de 
recommander sa m^noire à d'autant plus de 
gents, choisissant les plus apparentes et ^ 
gnes personnes de ma cognoissance, et des- 
quelles le tesmoignaige luy puisse estre le pins 
honnorable. Comme vous. Monsieur, qui de 
vous mesme pouvez avoir eu quelque cognois- 
sance de luy pendant sa vie, maïs certes bien 
legiere pour en discourir la grandeur de son 
entière valeur. La postérité le croira ai bon 
luy semUe^ mais ie luy iure sur toul ee que 



— 447 — 

f 1^ de eonscienoe^ ravoir sçeu et veu tel, 
tout conféré, qa*à peine ptr souhaict et par 
fmaginattonpoiiv^ le monter au delà, tant s'en 
fault que ie toy donne beaucoup 'de «ompai- 
gnons. le tous supplie très humblement. Mon- 
sieur, non seulement prôidre la générale pro- 
tecdiondesonncMB, mais ^MXHresdeces <0x 
ou douse Ters iirançoîs, qui se iettent ccnnnie 
par neeeasilé à fabry de vostre faveur ; car ie 
ne TOUS celenij pas que la publication n*en 
ajre esté dilfereeaprez le reste de ses œuvres, 
fioubs couleur de oe que par delà on ne les 
trouvoit pas assez limes pour estre mis en lu- 
mière. Vous verrez, Monsieur, ce qui en est; 
et pouree qu'il semUe que ce iugement re- 
garde rinterest de tout ce quartier icy, d*où 
fis pensent <pi^l ne puisse rien partir en vul- 
gaire qui ne sente le sauvaige et la barbaria 
€*est proprement vostre chai^, qui au reag 
de la pnemiore maison de Guyenne receu de 
vos ancestres^ avez adiousté du vostre le 
premier rei^ encores en toute façon de suf- 
fisance, maintenir non seulement par vostre 
exemi^ mais anaqr par Fauthorité de vosire 
tesmolgnaige, qu'il n'en va pas tousîours aiaqr* 
Et ores que le faire soit plus naturel aux Gas- 
eons que le dbre, si est ce qu'ils s'ament 
quei4|isBsfc^ autant de langue que du bras» et 



jà 



— 148 — 

de Tesprit que du cœur. De ma part. Mon* 
sieur, ce n'est pas mon gibbier de iuger de 
telles choses ; mais i'ay ouï dire à personnes 
qui s*entendent en sçavoir, que ces vers sont 
non seul^nent dignes de se présenter en place 
marchande : d'advantaige, qui s'arrestera à la 
beauté et richesse des inventions, qu'ils sont 
pour le subiect autant charnus, pleins, moel- 
leux, qu'il s'en soit encores veu en nostre 
langue. Naturellement chasque ouvrier se 
sent plus roide en certaine partie de son art; 
et les plus heureux sont ceulx qui se sont em- 
poignez à la plus noble : car toutes pièces 
esgallement nécessaires au bastiment d'un 
corps ne sont pas pourtant esgallement pri- 
sables. La mignardise du langaige, la doulceur 
et la polissure reluisent à l'adventure plus en 
quelques aultres; mais en gentillesse d'ima^- 
nations, en nombre de saillies, poinctes et 
traicts, ie ne pense poinct que nuls autres 
leur passent devant; et si fauldroit il encores 
venir en composition de ce que ce n'estoit ny 
son occupation, ny son estude, et qu'à peine 
au bout de chasque en mettoit il une fois la 
main à la plume; tesmoing ce peu qu'il nous 
en reste de toute sa vie. Car vous voyez. Mon- 
sieur, vert et sec, tout ce qui m'en est venu 
entre mains, sans chois et sans triage : en 



— 149 — 

manière quMl y en a de ceulx mesmes de son 
enfance. Somme, il semble qu'il ne s'en mes* 
hst que pour dire qu'il estoit capable de tout 
faire. Car, au reste, mille et mille fois, voire 
en ses propres ordinaires, avons nous veu 
partir de luy chOc$es plus dignes d'estre sceues, 
plus dignes d'estre admirées. Yoylà, Monsieur, 
ce que la raison et TafTection, ioînctes en- 
semble par une rare rencontre,vme comman- 
dent vous dire de ce grandhomme de bien; 
et si la privauté que i'ay prinse de m'en 
adresser à vous, et de vous entretenir si lon- 
guement, vous offense, il vous souviendra, s'il 
vous plaist, que le principal effbct de la gran- 
deur et de l'eminence, c'est de vous ietter en 
butte à l'importunité et embesongnement des 
affairesd'aultruy. Sur ce, aprez vous avoir pré- 
senté ma très humble affection à vostre ser- 
vice, ie supplie Dieu vous donner. Monsieur, 
très heureuse et longue vie. 
De Montaigne, ce premier septembre 1670. 

Yostre obéissant serviteur, 

MICHEL DE MOnTÀlGKE» 



DE L'AMITIÉ 



(ESSAIS, LIVRE I« CHAPITRE XXVU) 



Considérant la condnlcte de la besongne 
dHm peintre que fay, il m^a prins envie de 
reBsayvre. Il choisit le plus M endroict et 
milieu de chasque paroy pour y loger un ta- 
bleau dasboré de toute sa suffisance; et le 
vuide tout autour, il le remplit de Grotesques, 
qui sont peinctures fantasques, n^ayants graoe 
qu*en la variété et estrangeté. Que sont ce içy 
«Qâ^» à la vérité, que crotesques et corps 
monstrueux, rappiecez de divers memlM'es, 
sans certaine figure, n*ayants ordre, suitte, 
ny proportion que fortuite? 

Deoinlt in plseain mulier formota luperne K 
* Horace, Art poétique, t. 4. 



— 151 — 

le ray \Aen iusques à ce second poînct avec* 
qoes mon pdntre ; mais ie demeure court en 
Tanltre et meilleure partie; car aora suffisance 
ne va pas si avant que d'oser entreprendre 
un tableatx riche, poly, et temé seloa Tart 
le me suis advisé d'enempninter un d*Estîenne 
de La Boétie, qui honorera tout le reste de 
cette besongne : c*est un Discours auqu^ il 
donna nom la Servitude volondaire; mais 
ceulx qui Pont ignoré Font bien proprement 
depuis rebaptisé le Contre uiu H Tescrivitpar 
manière d'essay en sa première ieunesse^, à 
rhonneur de la liberté contre tes tyrans, n 
court pieça ez mains desgents d'entendem^t, 
non sans bien grande et rn^tee recomman- 
dation ; car il est gentil et plein ce qu'il est 
possibla Si y a il bien à dire, que ce ne soit 
le mieulx qu'il peust faire; et si en Taage que 
leFay cogneu plus avancé, il eust prins un tel 
desseing que le mien de mettre par escript ses 
fantasies, nous verrions plusieurs choses r»- 
res, et qui a^procheroient bien prez de Thon- 
neur de l'antiquité; car notamm^t en cette 
partie des dons de nature, ie n'en eognoy poinct 
qui luy soit comparable. Mais il n'est demeuré 



i Var. N'ayant pas atteinct le dix hiiitiesme an de son 
aage. Edit. de 158S, iB-4. 



— 152 — 

de luy que ce discours, encores par rencontre» 
et crois quHl ne le veît oncquesdepuis qu'il luy 
eschappa; et quelques mémoires sur cet edict 
de ianvier, fameux par nos guerres civiles, 
qui trouveront encores ailleurs peut estre leur 
place. C'est tout ce que i'ay peu recouvrer de 
ses reliques, moy qu'il laissa, d'une si amou- 
reuse recommendation, la mort entre les 
dents, par son testament, héritier de sa biblio- 
thèque et de ses papiers, oultre le livret de ses 
œuvres que i'ay faict mettre en lumière ^ Et 
si suis obligé particulièrement à, cette pièce, 
d'autant qu*elle a servy de moïen à nostre 
première accointance; car ellemefeut mons- 
tree longue espace avant que ie l'eusse veue, 
et me donna la première cognoissance de son 
nom, acheminant ainsy cette amitié que nous 
avons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre 
nous, si entière et si parfaicte, que certaine- 
ment il ne s'en lit gueres de pareilles, et entre 
nos hommes il ne s'en veoid aulcune trace en 
usaige. Il fault tant de rencontres à la bastir, 
que c'est beaucoup si la fortune y arrive une 
fois en trois siècles. 
Il n'est rien à quoy il semble que nature 

t A Paris, en I5T1, chez Frédéric Iforel. 



- 153 — 

nous aye plus acheminez qu*à la société; et 
dlct AristoteS que les bons législateurs ont 
eu plus de soing de Tamitié que de la iustice. 
Or, le dernier poinct de S9 perfection est 
cettuy cy : car en gênerai toutes celles que la 
volupté, ou le proufict, le besoing publicque 
ou privé, forge et nourrit, en sont d'autant 
moins belles et généreuses, et d'autant moins 
amitiez, qu'elles meslent aultre cause et but 
et fruict en l'amitié, qu'elle mesme. Ny ces 
quatre espèces anciennes, naturelle, sociale, 
hospitalière, vénérienne, particulièrement n'y 
conviennent, ny conioinctement 

Des enfants aux pères, c'est plustost res- 
pect L'amitié se nourrit de communication, 
qui ne peult se trouver entre eulx pour la 
trop grande disparité, et offenseroit à Tad- 
venture les debvoirs de nature ; car ny toutes 
les secrettes pensées des pères ne se peuvent 
communiquer aux enfants, pour n*y engezH 
drer une messeante privante ; ny les advertis- 
sements et corrections qui est un des premiers 
offices d'amitié, ne se pourroient exercer des 
enfants aux pères. Il s'est trouvé des nations 
où, par usaige, les enfants tuoy ent leurs pères, 
et d'aultres où les pères tuoyont leurs enfantin 

I MofoU a Itiannaque, VBL 



-. 154 — 

pour éviter rempeschement qu^ils œ pea« 
vent quelquesfoîs entre porter : et naturelle* 
ment Tun despaid de la ruine de Taultre. U 
8*e6t trouvé dee philosophes desdaignantf 
cette cousture naturelle : tesmoings Arlstip- 
pusS qui, quand on le presaoit de l'affection 
qu'il debvoit à ses enfants pour estre sortis 
de luy, il se meit à cracher, disant que cela 
en estoit aussj bien sorty; que nous ex^n« 
drions bien des pouils et des vers : et cet 
aultre que Plutarque* Youloit induire à s^ac« 
corder avecques son frère : « le n'en fait 
pas, dict il, plus grand estât pour estre sortf 
de mesme trou. » C'est, à la vérité, un beau 
nom et plein de dilection, que le nom de 
frere^ et à cette cause en f^mes nous luy et 
moy nostre alliance : mais ce meslange de 
biens, ces partaiges, et que la richesse de 
l'un soit la pauvreté de Taultre, ,. cela de»* 
trempe merveilleusement et relasche cette 
soudure fraternelle; les û*eres ayants à con- 
duire le progrez de leur advancement en 
mesme sentier et mesme train, il est force 
qu'ils se heurtent et chocquent souvent Dad^ 
vantaîge,la (k^rrespondance et relation qui 

1 Diogène Uërce* 11,81. 

» Pluuroue.^ CÂmUié fratemêUe^ «,4 



engendre ces vri^es et parfAictes amitteip 
pourquoy se trouvera elle en ceulx oy? Le 
père et le fils peuvent estre de complexlon 
entièrement esloingnee, et les frères aussy : 
c'est mon fils» c'est mon parent; mais c'est 
un homme farouche, un meschant, ou un sot. 
Et puis, à mesure que ce sont amitiés que la 
loy et robligatîon naturdle nous commande, 
il y a d'autant moins de nostre chois et li- 
berté volontaire; et nostre liberté volontaire 
n'a poinct de production qui soit plus promp- 
tement si^ne que celle de l'affection et 
amitié. Ce n'est pas que ie n'aye essayé de ce 
costé là tout ce qui en peult estre, ayant eu 
le meilleur père qui feust oncques, et le plus 
indulgent iusques à son extrême vieillesse ; et 
estant d'une famille fameuse de père en fils, 
et exemplaire en cette partie de la concorde 
i^atemdle : 



«••»Bt ips6 
■otoi ii finrtNg mW patend!. 



D*y comparer l'afTection envers les femmes, 
quoy qu'eUe naysse de nostre chois, on ne 

Hor., od., n, 2, «. 



— 156 — 
peult, ny la loger en ce rôle. Son fen, le le 
confesse, 

Neque enim est dea nescia nostri, 
Qu8B dulcem curis misoet amaritiem l« 

est plus actif, plus cuisant et plus aspre; mais 
c'est un feu tem^aîre et volaige, ondoyant et 
divers, feu de fiebvre, subiect à accez et re- 
mises, et qui ne nous tient qu'à un coing. En 
l'amitié, c'est une chaleur générale et univer- 
selle, tempérée, au demeurant, et esgale ; une 
chaleur constante et rassise, toute doulceur et 

s 

pollssure, qui n*a rien d'aspre et de poignant 
Qui plus est, en l'amour, ce n'est qu'un désir 
forcené aprez ce qui nous fuict : 

Come segue la lèpre il cacdatore 

AI freddo, al caldo, alla moDtagna, al Uto; 

Ne piû r estima poi che presa vede ; 

E sol dietro a chi fagge affretta il piede * : 

aussytost qu'il entre aux termes de l'amitié, 
c'est à dire en la convenance des volontez, 
il s'esvanouït et s'alanguit; la iouîssance le 
perd, comme ayant la fin corporelle et sub- 
iecte a satiété. L'amitié, au rebours , est 
iouïe à mesure qu'elle est désirée; ne s'es- 
leve , se nourrit , ny ne prend accroissance 

, CaluUe, LXVm, l7 

* Ariosto, cant. X, stanz. 7. 



— 457 — 

qit*en la louîssance, comme estant spirituelle, 
et rame s'affinant par Tusaige. Soubs cette 
parfaicte amitié, ces affections yolaiges ont 
aultresfois trouvé place chez moy, à fin que le 
ne parle de luy, qui n*en confesse que trop 
par ses vers : ainsy ces deux passions sont 
entrées chez moy, en cognoissance l'une de 
Taultre, mais en comparaison, iamais; la 
première maintenant sa route d'un vol haul- 
tain et superbe, et regardant desdaigneuse- 
ment cette cy passer ses poinctes bien loin 
au dessoubs d'elle. 

Quant au mariaîge, oultre ce que c'est un 
marché qui n'a que l'entrée libre, sa durée 
estant contraincte et forcée, dépendant d'ail- 
leurs que de nostre vouloir, et marché qui 
ordinairement se faict à aultres fins, il y sur- 
vient mille fusées estrangieres à desmesler 
parmy, suffisantes à rompre le fil et troubler 
le cours d'une vifve affection : là où, en l'a- 
mitié, il n'y a affaire ny commerce que d'elle 
mesme. loinct qu'à dire vray, la suffisance 
ordinaire des femmes n'est pas pour respon- 
dre à cette conférence et communication, 
nourrice de cette saincte côusture ; ny leur 
ame ne semble assez ferme pour soubstenir 
Testreincte d'un neud si presi^ et si durable. 
Et certes, sans cela, s'il se pouvoît dresser 



— i5S — 

nue Wle «codntatMo libre et fidoiitilre^ oà 
non seuleraàit les âmes eussent cette entière 
{on&sance, mais encores où les corps eus- 
sent part à l'alliance, où lliomsie fenst ea- 
gtigô toat entier^ il est œrtaîo que ramâiè 
en seroit pins pl^ne et plus comble : nas 
ce sexe, par nul exemple, n'y est encores peu 
arriver, et, par le commun consentement des 
escb(^s anciennes, en est reiecté. 

Et cette aultre licence grecque est luste- 
ment abhorrée par nos moeurs : laqu^le pour- 
tant, pour avoir, selon leur usaige,une û né- 
cessaire disparité d'aages et dififerences d'of- 
fices entre les amants, ne respondoit non plus 
assez à la parfaicte union et convenance 
qu'icy nous demandons : Qms est enim ûts 
amor amicitiœ? Curneque deformem ado» 
leêceniem quïsquam amtU, neque formosu/m 
smem^l Car la peincture mesme qu*en faict 
Tacademie ne me desadvouera pas, comme le 
pense, de dire ainsy dé sa part : Que cette 
première fureur, inspirée par le fils de Venus 
au cceur de Tamant sur Tobiect de la fleur 
d'une tendre ieunesse, àlaquelle ils permett^t 
touts les insolents et passionnez eff<»rts qioe 
peult produ/re une ardeur immodérée, estolt 

CicéroD, Tusc^qîtœu,tf, 88. 



— 459 — 

shnplement fondée en une beauté externe, 
fai^ imaîgedela génération corporelle; car 
elle ne se pouvoit fonder en Fesprît, duquel 
la montre estoit encores cadiee, qui n*estoit 
qu^en sa naissance et avant Taage de germer : 
Que si cette fureur saisissoit un bas couraige, 
les moiens de sa poursuite, c^estoient ri- 
chesses, présents, faveur à Tadvancement des 
dignitez, et telle autre basse marchandise 
qu*ilâ rq)rouTent; si elle tomboit en un cou- 
raige plus généreux, les entremises estoient 
g^iereuses de mesme : instructions philoso- 
phiques, enseignements à révérer la religion, 
obeïr aux loix, mourir pour le bien de son 
pais, exemples de vaillance, prudence, iustice; 
«'estudiant Tamant de se rendre acceptable 
par la bonne grâce et beauté ce son ame, celle 
d% son corps estant fanée, et espérant, par 
cette société mentale, estal^ir un marché plus 
lèrme et durable. Quand cette poursuîtte arri- 
voit à Teffect en sa saison (car ce qu^ils nere- 
quierentrpoinct en Tamant qu'il apportast loy- 
sir et discrétion en son entreprînse, ils le tq- 
quierent exactement en Taymé, d'autant qu*il 
luy falloit iuger d'une beauté interne, de dif- 
ficile cognoissance et abstruse descouverte^; 
lors naissoit en Taymé le désir d'une concep- 
tion spirituelle par l'entremise d'une spiri- 



— 160 — 

tuelle beauté. Cette cy estoit icy principale; 
la corporelle» accidentale et seconde : tout le 
rebours de Tamant  cette cause préfèrent 
ils Taymé, et vérifient que les dieux aussy le 
préfèrent; et tansent grandement le poète 
Aeschylus d'avoir eu l'amour d'Achllles et de 
Patrocius donné la partdeTamant à Achilles, 
qui estoit en la première et imberbe verdeur 
de son adolescence, et le plus beau des Grecst 
Aprez cette communauté générale, la mais- 
tresse et plus digne partie d*icelle exerçant 
ses offices et prédominant, ils disent qu'il en 
provenoit des fruicts très utiles au privé et au 
public; que c'estoit la force des pals qui en 
recevoit Tusaige, et la principale deffense de 
Tequité et de la liberté : tesmoings les salu- 
taires amours de Harmodius et d'Aristogiton. 
Pourtant la nomment ils sacrée et divine; et 
n'est, à leur compte, que la violence des ty- 
rans et lascheté des peuples qui luy soit ad- 
versaire. Enfin, tout ce qu'on peult donner à 
la faveur de Tacademie, c'est dire que c'estoit 
un amour se terminant en amitié; chose qui 
ne se rapporte pas mal à la définition stoïque 
de Tamour : Àmorem conatum esse amicitim 
faciendœ ex fnilchritudinis specie ^. 

* Qc. lYifCtfl.. quœst. VI, S4. 



-16!- 

' le reviens à ma description de façon plus 
équitable et plus equabl& Omnino amici- 
iWf corrohoratis iam oonfirmalisque et in-' 
geniiSy et œtatibus^ iudicandm sunt K Au 
idemouranty ce que nous appelions ordinaire- 
ment amys et amitiez, ce ne sont qu'accoin- 
tances et famillaritez nouées par quelque 
occasion ou commodité» par le moïen de 
laquelle nos âmes s'entretiennent En Tamitié 
de quoy ie parle, elles se meslent et confon- 
dent Tune en Taultre d'un meslange si um'- 
versel, qu^elles effacent et ne retrouvent plus 
la cousture qui les a ioinctes. Si on me presse 
de dire pourquoy ie Taymoîs, ie sens que 
cela ne se peult exprimer qu'en respondant, 
« Parce que c'estoit luy ; parce que c'estoit 
moy. » Il y a, au delà de tout mon discours 
et de ce que l'en puis dire particulièrement, ie 
ne sçais quelle force inexplicable et fatale, 
médiatrice de cette union. Nous nous cher- 
chions avant que de nous estre vous, et par 
des rapports que nous oyions l'un de l'aultre, 
qui faisoient en nostre airectic:ii plus d'effort 
que ne porte la raison des rapports ; ie crois 
par quelque ordonnance du ciel. Nous nous 
embrassions par nos noms : et fc nostre pre- 

t de, ne àmicU., c SO, 

LA BOÉTIE* § 



* •* J 

» * ^ 



mlere rencontre, qui faut par hazard en une 
grande feste et compaignie de Tille, noos nous 
trouvasmes si prins, si cogneosi si olrtigei 
entre nous, que rien dediors ne nous feat si 
proche que l^m à Taultre. H escrivlt une «a- 
lyre latine excellente, qui est publiée, psr 1»* 
quelle il excuse et explique la preelpitatfOD 
de nostre intelligence si promptement parve- 
nue à sa perfection. Âjant si peu à durer, et 
ayant d tard commencé (car nous estions 
touts deux hommes f aicts, et luy plus de quel- 
que année), elle n'avoit poinct à perdre tempa, 
et n'avoit à se reigler au patron des amitieB 
molles et régulières, auxquelles 11 fault tant 
de précautions de longue et préalable conter- 
sation. Cette cy n*a poinct d*aultre idée que 
dTelle mesme, et ne se peult rapporter qu'à 
soy : ce n'est pas une spéciale consideratfon, 
ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille ; c'est 
le ne sçais quelle quintessence d3 tout oe 
meslange, qui, ayant saisi toute ma Tolonté, 
l'amena se plonger et se perdre dans la sienne ; 
qui, ayant saisi toute sa volonté, la mena se 
plonger et se perdre en la mienne, d*une 
faim, d'une concurrence pareille : le dis per- 
di*e, à la vérité, ne nous reservant rien qui 
nous f eust propre, ny qui feust ou sien, o« 
mien. 



^ 

^ 

H 



— 463 — 

Quand Lelius S en présence des consuls ro» 
mainsy lesquels, aprez la condamnation de 
mberius Gracchus, poursuivoient touts ceulx 
qui avoient esté de son Intelligence, veint k 
e^enquerir de Gains Blossius (qui estoît le 
principal de ses amys), combien il eust voulu 
faire pour luy, et qu'il eust respondu, « Tou- 
tes choses : » o Comment toutes choses? sul- 
Vîct il : et quoy I s'il t*eust commandé de mettre 
le féu en nos temples? » « Il ne me Teust îa- 
mais commandé,» répliqua Blossius. «Mais s'il 
l^ust faict? » adiousta Lelius. « Vy eusse 
obeî, » respondict il. S'il estoît si parfai€te- 
ment amy de Gracchus, comme disent les 
histoires, 11 n^avoit que faire d'offenser les 
consuls par cette dernière et hardie confes- 
sion; et ne se debyoit des^artir de Tasseu- 
rance qu*il avoit de la volonté de Gracchus. 
Mais toutesfols ceulx qui accusent cette res- 
ponse comme séditieuse, n'entendent pas bien 
ce mystère» et ne présupposent pas, comme il 
est, qu'il tenolt la volonté de Gracchus en sa 
manche, et par puissance et par cognoissance : 
ils estoient plus amys que citoîens, plus amys 
qu'amis ou qu'ennemis de leur pab, qu^amyg 
d'ambition et de trouble ; s*estants parfaicte- 

' GkAron, De PAmitié, c il. 



— 164 — 

ment commis Tun à Taultre, ils tenoient par« 
faictement les resnes de rinclination l'un 
ie Taultre : et falotes guider cet hamois par 
la vertu et conduicte de la raison, comme 
aussy est il du tout impossible de Tatteler 
sans cela, la response de Blossiu^ est telle 
qu'elle debvoit estre. Si leurs actions se des^ 
mancherent, ils n*estoient ny amys, selon m& 
mesure, Tun de Taultre, ny amys à eulx mes- 
mes. Au demourant, cette response ne sonne 
non plus que feroit la mienne à qui s*enquer- 
rolt à moy de cette façon :« Sivostre volonté 
vous commandoit de tuer vostre fille, la tue- 
riez^ «vous? » et que ie raccordasse : car cela 
neporteaulcun tesmoignaige de consentement 
à ce faire ; pource que ie ne suis poinct en 
doubte de ma volonté, et tout aussy peu de 
celle d'un tel amy. Il n'est pas en la puissance 
de touts les discours du monde de me deslo- 
ger de la certitude que i*ay des intentions et 
iugements du mien : aulcune de ces actions 
ne me sçauroit estre présentée, quelque vi- 
saige qu'elle eust, que ie n'en trouvasse incon- 
tinent le ressort Nos âmes ont charié si unio- 
ment ensemble; elles se sont considérées 
d'une si ardente affection, et de pareille af- 
fection descGuvertes iusques au fin fond des 
entrailles l'une de l'aultre, que non seulement 



— !b5 — 

fe cognoissois la sienne comme la mienne, 
mais le me feusse certainement plus volon- 
tiers fié à luy de moy, qu'à moy. 

Qu'onnememettepasencereng ces aultres 
amitiez communes ; Ten ay autant de cognois- 
sance qu'un aultre, et des plus parfalctes de 
leur genre : mais ie ne conseille pas qu'on 
confonde leurs reîgles ; on s'y tromperoit II 
fault marcher en ces aultres amitiez la bride 
à la main, avecques prudence et précaution: 
la liaison n'est pas nouée en manière qu'on 
n'ayt aulcunement à s'en desiîer. « Aimez le, 
dlsoit Chilon, comme ayant quelque iour à le 
haïr ; haïssez le, comme ayant à l'aymer K n 
Ce précepte, qui est si abominable en cette 
souveraine et maistresse amitié, il est salubre 
en l'usaige des amitiez ordinaires et coustu- 
mieres; à l'endroict desquelles il fault em- 
ployer le mot qu'Aristote avoit très familier, 
« med amys! il n'y a nul amy*. » En ce 
noble t^ommerce, les offices et les bien- 
faicts, nourrissiers des aultres amitiez, ne 
méritent pas seulement d'estre mis en compte; 
cette confusion si pleine de nos volontez en 
est cause : car tout ainsy que l'amitié que ie 

< ÀQla-GelIe, I, s. 

t ITiogëne Laërce, Y. Si : û fUoh o^^*^ f ^^ 



— 166 — 

me porte ne receoit poînct augmentation pov 
le secours que le me donne au besoing, q^a^aj 
que dient les stoïdens, et comme ie me sçmb 
ûilcungréduservieequeienemefais^ anssfy 
Tunion de tels amys estant yeritablem@[itikar> 
faicte, elle leur faict p^dre le sentiment de 
tels debvoirs, et haïr et chasser d'entre evâx 
ces mots de division e^ de differenco, faicft. 
faict, obligation» recggnoissance, prière» i&- 
raerciement, et leurs pareila. Tout estant, par 
effect, c(»nme entre eulx, volontez, peose- 
ments, iugements, biaas, fanmes, enfants^ 
honneur et ?ie« et leur convenance n'estant 
qu*une ame en deux corps, selon la très propre 
définition d'ÀristoteS ils ne se privent ny 
prester ny donner rî^iir Yoylà pourquojr les 
faiseurs de lois, pour honorer le mariajge de 
quelques ressemldanice de cette divine Maisoiiy 
deffendent les donatiens entre le mary et la 
femme ; voulants infa*^ par li que tout doibC 
estre à chascun d'eulx, et qu'ils n'ont rien à 
diviser et partir eoâemble. 

Si, en l'amitié de quoy ie parler l'on poo- 
TOit donner à l'auitre, ce s^olt cei^y qni 
cevroit le bienfaîct qui obMgeroit son 
paignon : car cherchant l'un et l'aultre, plus 

Mogéne UCree, V.. m. 



— 1«7 — 

qoe toute anltre chose, de ECentre bienfaire, 
cduy qui en preste la matière et TôGcasion ert 
celuy là qui faîct le libéral, doxmant ce eotk- 
tentement à son amy d*effectuer en son en- 
droict ce qu*ii désire le plus. Quand le philo- 
sophe Diogene avoit faulte d'argent, il^y»oit. 
Qu'il le redemandoità ses amys, non qu'il le 
demandoit K Et pour monstrer comment cela 
se pratique par effect, l'en reciteray un ancien 
exemple singulier*. Eudamidas, Corinthien, 
ayoit deux amys, Gharixaius, Sicyonîen, et 
Areteus, €k>rînthien : venant à mourir, es- 
tant pauyre, et ses cfeux amys ridies, il feit 
ainsy son testament : « le l^ue à Areteus de 
nourrir ma mère, et Tentretenlr en sa tieil- 
lesse ; à Gharîxenus, de marier ma fille, et luy 
donner le douaire le plus grand qu*il pourra : 
et au cas que l'un d*eulx vienne à def&illir, ie 
substitue en sa part celuy qui sur^yra. » 
GeubL qui premiers vehrent ce testament, s'en 
mocquerent; mids ses héritiers en ayants 
esté advertis l'acceptèrent avec un singulier 
contentement : et l'un d'eulx, caiarix^ras, 
estant trespassô cinq iours après, la substi- 
tution estant ouverte en faveur d'Àreteus, II 

^niogène Lafirce, VI, 46. 

* litniil d« TQxaHê 4e litnimj «• H» 



— 468 — 

nourrit curieusemeiit cette mère ; et de cinq 
talents qu'il avoit en ses biens, il en donna 
les deux et demy en mariaige à une sienne 
fille unique, et deux et demy pour le mariaige 
de la fille d'Eudamidas, desquelles il feit les 
nopees en mesme îour. 

Cet exemple est bien plein, si une condi* 
tion en estoit à dire, qui est la multitude 
d'amys, car cette parfaicte amitié de quoy ie 
parle est indivisible : chascun se donne si 
entier à son amy, quMl ne luy reste rien à 
despartir ; ailleurs, au rebours, il est marry, 
qu'il ne soit double, triple ou quadruple, et 
qu'il n'ayt plusieurs âmes et plusieurs volon- 
tez, pour les conférer toutes à ce subiect 
Les amitiez communes, on les peult despar- 
tir; on peult aymer en eettuy cy la beauté; 
en cet aultre, la facilité de ses moeurs; en 
Taultre, la libéralité; en celuy là, la pater- 
nité ; en cet aultre la fraternité, ainsy du 
reste : mais cette amitié qui possède l'ame et 
la régente en toute souveraineté, il est impos- 
sible qu'elle soit double. Si deux en mesme 
temps demandoient à estre secourus, auquel 
courriez vous? S'ils requeroient de vous dea 
offices contraires, quel ordre y trouveric 
vous? Si l'un commettoit à vostre silène 
chose qui feust utile à l'aultre de sçavoii 



— 169 — 

comment vous en desmesleriez vous? L*u- 
nique et principale amitié descoust tou- 
tes aultres obligations : le secret que i^ay 
iuré de déceler à un aultre, ie le puis sans 
pariure communiquer à celuy qui n'est pas 
aultre, c'est moy. C'est un assez grand mira- 
cle de se doubler ; et n'en cognoissent pas la 
haulteur ceulx qui parlent de se tripler. Rien 
n'est extrême, qui a son pareil : et qui pré- 
supposera que de deux l'en ayme autant l'un 
que Taultre, et qu'ils s'entrayment et m'ay- 
ment autant que ie les ayme, il multiplie en 
confrairie la chose la plus une et unie, et de 
quoy une seule est encores la plus rare à 
trouver au monde* Le demeurant de cette 
histoire convient très bien à ce que ie disois : 
car Eudamidas donne pour grâce et pour fa- 
veur à ses amys de les employer à son be- 
soing; il les laisse héritiers de cette sienne 
libéralité, qui consiste à leur mettre en main 
les moîens de luy bien faire : et ^ans doubte 
la force de l'amitié se montre bien plus ri- 
chement en son faict qu'en celuy d'Areteus. 
Somme, ce sont effects inimaginables à qui 
B*en a gousté, et qui me font honnorer à 
Scerveille la response de ce ieune soldat à 
Cj^rus, s'enquerant à luy pour combien il 
Touldroit donner un cheval par le molen du- 



— 170 — 

quel il y^oit de gaîgner le prix de la courseet 
s^ll le Youldroit eschanger à un roîaimie : « Non 
certes, sire; mais biea le lalrrois ie volon- 
tiers pour en acquérir un amy» si ie treavois 
lumme digne de telle alliance^ » Il ne disoit 
pas malt « si ie treuvois ; » car on treuve la- 
cilement des hommes propres à une superfi- 
cielle accointance : mais en cette cy, en la- 
quelle on négocie du fin fond de son couraige, 
qui ne faictrien de reste, certes il est besoiog 
que touts les ressorts soyent nets et seors 
parfaictement. 

Aux confédérations qui ne tiennent que 
par un bout, on n'a à pourveoir qu'aux in^ 
perfections qui particulièrement intéressent 
ce bout là. n n'importe de quelle reUgLon 
soit mon médecin et mon advocat; cette 
considération n^a rien de commun avecques 
les offices de Tamitié qu'ils me dolbvait : et 
en Taccointance domestique que dresEsent 
avecques moy ceulx qui me servent, i'en fais 
de mesme, et m'enquiers peu d'un laquay 
s'il est chaste, ie cherche s'il est diligent; et 
ne crains pas tant un muletier ioueur qua 
imbecille, ny un cuisinier iureur qu'ignorant 
le ne me mesle pas de dire ce qu'à fàult ùin 

! Xénophon, Cyropédig, vm, S. 



— 171 — 

an monde, d^aultres assez s^ea mesleot, mais 
ce que f y £U& 

■ttii sic tBBf ert 1 6bi, lil optn «rt Ikcio, fitoe ! 

A la familiarité de la table Tassocle le plai- 
sant, non le prudent; an liet, la beauté ava^it 
la bonté; en la société du discours, la suffî:- 
sance, veoire sans la preud'hommie : pareil- 
lement ailleurs. Tout ainsy que cil qui feut 
rencontré à chevauchons sur un baston, se 
louant a?ecques ses enfants, pria Thomma 
qui Ty surprint de n^en rien dire iusques à ce 
qu^il feust p^e luy mesme *; estimant que la 
passion qui luy naîstroit lors en Tameleren- 
droit luge esquitable d'une telle action : le 
souhaidteroîs aussy parler à desgents qui eus- 
sent essayé ce que ie dis : mais sçachant 
combien c'est chose esloignee du commun 
usai^ qu'une telle amitié, et combien elle est 
rare, ie ne m'attends pas d'en trouver aulcun 
bon iuge; car les discours mesmes que l'an- 
tiquité nous a laissé sur ce subiect, me sem* 
blent lasches au prix du s^tîment que l'en 



I Térence, Heaatwu^ uL 1, te. i, v. tt. 

* Plutarque, Vied^Agésilas, c 9. 



— 172 — 

ay ; et, en ce poînct, les effects scirpassent les 
préceptes mesmes de la philosophie. 

sa ef contuleriin iucundo sanus amieo K 

L'ancien Menander disoit celuy là heureux 
qui avoît peu rencontrer seulement Tumbre 
d'un amy * : il avoit certes raison de le dire, 
mesme s'il en avoît tasté. Car, à la vérité, si 
ie compare tout le reste de ma vie, quoy 
qu'avecques la grâce de Dieu ie Paye passée 
doulce, aysee, et, sauf la perte d'un tel amy, 
exempte d'affliction poisante, pleine de tran- 
quillité d'esprit, ayant prinsen payement mes 
commoditez naturelles et originelles, sans en 
rechercher d'aultres ; si le la compare, dis le, 
toute, aux quatre années qu'il m'a esté donné 
dé iouïr de la doulce compaignie et société 
de ce personnaige, ce n'est que fumée, ce n'est 
qu'une nuîct obscure et ennuyeuse. Depuis le 
iour que ie le perdis, 

.... quem semper acerbum, 
Semper bonoratum (sic ai voluisiis !} babebo *, 

ie ne fais que traisner languissant; et les 

* Horace, 8at.^ I, 5,44. 

* Pluurque, De i'Amiaé fratemeUey c. S. 

* Virgile, EnéitU, V, 49. 



— 473 — 

plaisirs mesmes qui s'offrent à moy, au lien 
de me consoler, me redoublent le regret de 
sa perte : nous estions à moitié de tout; il me 
seml^le que ie luj desrobe sa part 

Nec fas esse nlla me rolupUte hic tnd 
Decrevi, tanlisper dum ilieabest meus partloeps. 

festois desià si faict et accoustumé à estre 
deuxiesme partout, qu'il me semble n'estre 
plus qu'à demy. 

niam me» si partem anim» talit 
Haturior vis, quid moror altéra ? 
Nec carus œgue, nec superstes 
Inteçer. Ille dies utramque 
Duxil nunam *... 

Il n*est action ou imagination où ie ne le 
trouve à dire; comme si eust il bien faict à 
moy : car de mesme qu'il me surpassoit d'une 
distance infinie en toute aultre suffisance et 
vertu, aussy faisoit il au debvoir de l'amitié. 

Qub desiderio sit pudor, aut modus 
7am cari capitis ^7... 

misero frater adempte mihi ! 
dnmia tecum aiia periertmt gaudia nostrt, 

• Térence, Heautont., ^ci. I, se. 1, t. 7. 

• Hor., Od.. II, 17, 5. 



' Terence, ueauwn> 

• Hor., Od., II, 17, 5. 

• ilor., Od., I, 34, 1. 



^1 



— 174 — 

Qu» Uius in Tîta dulds aJébat amor. 
Tu mea, tu morieni CInegistf oommoéa, frUer; 
Tecum ^ma tota «st nosUra 8q;)iilta anima : 
OâoM ego Mterita toia de mente fngavi 
H»c slticUa, atque omnes delidai aainL 

Alloquar? andiero auMpam iaa ¥erl»a toqantMir 

Nuoquam ego te, vita firater amabilior, 
Àdspiciam posthac? At oerte semper amabo'. 

Mais oyons un pea parler ce gascon de 
seize ans. 

Pouree qae Vêjteowré que cet ouvraige* a 
esté depuis mis en lumière, et à maulrafise 
fin, par ceulx qui cherchent à troubler et 
changer Testât de nostre police, sans se sou* 
ciftr s'ils ramenderont, qu'ils ont meslé à d'aul- 
tros escripts de leur farine, ie me suis dedict 
do le loger icy. Et à fin que la mémoire de 
r«iiteur n'en soft Intéressée en Tendroict de 
omlx qui n*ont peu oognoistre de près ses 
opinions et ses actions, le les advise que ce 
subiect feut traicté par luy en son enfance 
par manière d'exercitation seulement, comme 
subiect vulgaire et tracassé en mille endroicts 
des livres. le ne fois nui doubte qù*!! ne 
creust ce qu'il escrlvolt; car £1 estoit assez 
consciencieux pour ne mentir pas mesme 

» Catîdle, LXVffl, flo ; LXV, 9. 

■ Traité de la Servitude votonudrû. 



— 176 — 

en se louant : et sçais dadvantaige que b*U 
eust en à cboisir, il eust siiaxlx aymé es- 
trenay à Venise qu^à Sarlac; et avecques 
raison. Mais 11 «voit oae anltre maxime 
souverainement empreinte en son ame, d*o-> 
b^ et de se soubmettre très religieusement 
aux loix sous lesquelles il estoit nay. Il nb 
feut iamais un meilleur citoîèny ny plus af- 
fectionné au repos de son paSs, ny plus en* 
nemy des remuements et nouvelletez de son 
temps; il eust bien plustost employé sa suffl- 
Bance à les esteindre qu'à leur fournir de 
qaoy les esmouvoir dadvantaige : il avoit son 
esprit moulé au patron d'aultres siècles que 
oeulx cy. Or» en eschange de cet ouvraige sé- 
rieux, fen substitueraj un aultre S produict 
en cette mesme saison de son aage» plus gall* 
lard et ploa enioué. 

1 Lm YingHiear w»mU da LaBoétie, api se trouvent 
d-après, et que nous «Toni cni de nature t intéresBer bm 
lecteank Us pourroBi jufer à 1» lois le poète et l'écriftin 

SoUticpie, et se Caire, par cette lecture, une idée complète 
e ce que prometuit ranteur de la Senrttude oo/DOtôÉ^ 
il ptéBfttaréBMt ealeié à la gloira. 

(Hna Mt IaianiM4 



VINGT ET NEUF SONNETS 

O'ESTIENNE DE U BOÉTIE 



A Madame de Grammont, eomtesse de GntaMi. 

Madame, îe ne vous offre rien du mien, ou 
parce qu^il est desià rostre, ou pource que 
le n'y treuve rien digne de vous ; mais Vaj 
voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils se 
veissent, portassent vostre nom en teste, t 
pour rhonneur que ce leur sera d'avoir pour * 
guide cette grande Gorisande d'Andolns. Ce 
présent m'a semblé vous estre propre, d'au- 
tant qu'il est peu de dames en France qui 
lugent mieulx, et se servent plus à propos 
que vous de la poésie; et puis, qu*il n'en est 
poinct qui la puissent rendre vîfve et animée 
comme vous faictes par ces beaulx et riches 
accords de' quoy, parmy un million d'aultres 
beautez, nature vous a estrenee. Madame, cei 
vers méritent que vous les chérissiez; car 
vous serez de mon advis, qu'il n'en est poinct 



— 177 — 

sorty de Gascoigne qui eussent plus d'inven- 
tion et de gentillesse» et qui tesmoignent 
estre sortis d'une plus riche main. Et n'en* 
trez pas en ialousie de quoy vous n'avez qui 
ie reste de ce que pieça i'en ay faict impri 
mer soubs le nom de monsieur de Foix, vostre 
bon parent : car certes, ceulx cy ont ie 
ne sçaîs quoy de plus vif et de plus bouil- 
lant; comme il les feit en sa plus verte ieu-* 
nesse, et eschauffé d'une belle et noble ar- 
deur que ie vous diray, Madame, un iour à 
raureiUe. Les aultres feurent faicts depuis, 
comme il estoit à la poursuite de son ma- 
ilaige, en faveur de sa femme, et sentant 
desià ie ne sçais quelle froideur maritale. Et 
moy ie suis de ceulx qui tiennent que la 
poésie ne rid poinct ailleurs, comme elle 
faict en un sublect folastre et desreglé. 



SONNETS 



pardon, amour, pardon ; 6 Seigneur I ie te tobI 
Le reste de mes ans, ma Toix et mes cscripts, 
Mes sanglots, mes sonspirs, mes larmes et mes eritt 
Rien, rien tenir d*anlcnn, que de toy, ie n'advcud. 



— 178 — 

< 

flilaf I eiHiiBieBt de moy ma tottané se ionlt 
De togr n*a us losg temiM, amoor, ie ne «lie tig« 
Taj faiUy, le le Teois; îe me rends, i« sais pris. 
Têj trop gardé mon cœur, or ie ie desadvoof. 

Si fay ponr le garder retardé ta Tfctoire, 

Hé l'ee traiele plus mal, plis grande et est t» gkiÉ^w 

Et si dn premier eoop ta ne aras abbatta, 

Peose ^'on bon Tainqaeor, et nay pour eatre grand, 
Son neaTeaa prisonnier, qaand on coap il se rend, 
& piise et rayme nieali, s'il a bttai^emlnttib 



Cest amoor, c'est amoor, c^est loy seul, îe ie sens i 
Vais le pins Tif amour, la poism b êtes forte» 
A qoi once pauvre ccBor ayt ouverte la porte. 
Ce emel r a pas mis on de ses traiets perçants. 

Mais arc, traiets et car<iaois, et loy toat dans mes 
Eaeor on oMiis n*a pas, fne ma franchise est morte. 
Ope ce venin mortel dans mes veines ie porte, 
Et desià i'ay perds et le eœnr et le sens. 

Et qaoyt si cet amoar à mesure croissolt, 

Qoi en si grand toorment dedans moy se conçoit? 

croistz, si ta penlx croistre, et amende en croisstni. 

Ta te noorris de plears, des pleurs ie te promets. 
Et ponr te refreschir, des souspirs pour iamais : 
mis qoe le plas grand mai soit aa moins en naissaok. 



m 



C*est fidet, mon ccenr, aaito&ff la literli» 
Dequoy meshay serviroit la deffenee, 
Que Cagrandir et la peine et Toffencet 
Plos ne sois fort, ainsy que f ay esté. 



— 179 — 

La Rison fenst vn temps de mon eosté i 
Or jrevoitee, elle Teult qoe îe pense 

Sril ftmlt servir, et piendre en recon^enet 
i*oneq d*un tel nend mil ne fenst mmStu 

S*U se ftidt rendre, alors H est saison. 
Quand on n'a pltis devers so/ la raison. 
te veois qu'amour, sans que le le deserre. 
Sans anlcun droict, se vient saisir de moy; 
Et veois qu'encor il fanlt à ce gmaà roy, 
Qoand il a tort, que la raison Iny serve. 



IV 



Cestoit alors, quand les cbaleurs passées s 
Le sale Automne aux eufes v» fomant 
Le raisin gras dessonte le pied coulant, 
Que mes aouleuu (eurent «noonnenceeB» 

Le paisan Itat ses gerbes amassées, 
Et aux caveaux ses bouillants mnis loalanl» 
Et des fmictiers son automne croulant, 
Se venge lors des peines advaneees, 

Seroit ce poinct ha pisesage donné 
Que mon espoir est éesik moissoMiét 
Non, certes, noa. Mais poor certain ie pense» 

rauray, si bien à deviner fentends. 
Si Ton peult rien prognostiqner du temps. 
Quelque grand frnict de ma longue espérance. 



r«1> Ten ses yenb perçants, f^ ven sa face elaiie; 
Nul iamais, sans son dam, ne regarde les dieuxs 
Froid, sans cœur me laissa son œil victoiîenx, 
Tout estourdy du coup de sa forte lumière. 

C0Bnne nn surpris de ntHct aux champs , quand il efâillw« 

Estonne, se pauist, si la flèche des eieulx 

SiilOant luy paisse contre, et luy serre les yeulx ; 

n tremble, et veoit, transy, iupitar en àuâen* ■ 

J 



— 180 — 

Oif Moy, Madame, an vray. dis mov, si tes ^eulx verts 
Ne sont pas ^alx qa*on aict queVamour tient coaverlt' 
Ta les avois, ie crois, la fois que ie t'ay veue ; 
Aa moins il me souvient qu'il me feust lors advis 
Qu'amour, tout à un coup, quand premier ie te vis, 
Desbanda dessus moy et son arc et sa veue. 



VI 



Ce dict maint un de moy, deqnoy se j^lainet il tant, 
Perdant ses ans meilleurs en chose si leg^iere? 

gu*a il tant ii crier, si encore il espère? 
t s*il n'espère rien, pourquoy n'est il content? 

Quand i'estois libre et sain,i*en disois bien autant. 
Mais, certes, celuy là n'a la raison entière, 
Ains a le cœur gasté de quelque rigueur flere, 
S'il se plainct de ma plaincte, et mon mal il n'entend. 

Amour tout k un coup de cent douleurs me poingt, 
Et puis Ton m'advertit que ie ne crie poinct. 
Si vain ie ne suis pas que mon mal l'agrandisse 

A force de parler: s'en m'en peult exempter, 
le quite les sonnets, ie quite le chanter ! 
Qui me deffend le deuil, celuy là me guarisse. 



vn 



Quant à chanter ton los par fois ie m'adventure. 
Sans oser ton ^nd nom dans mes vers exprimer, 
Sondant le moins profond de cette large mer, 
le tremble de m'y perdre, et aux rives m'asseure. 

le crains, en louant mal, que ie te face iniure. 
Mais le peuple estonné d'ouïr tant t'estimer, 
Ardant de te cognoistre, essa^re à te nommer» 
Et cherchant ton sainct nom ainsy à i'adventare, 

Esbloul, n'attaintpas à veoir chose si claire ^ 
Et ne te trouve poinct ce grossier populaire» 
Qui, n'ayant qu'un molen, ne veoit pas celuy Us 



.^àKL • - * 



— 181 — 

CTeft qae, sMI peUt trier, la comparaison faicta 
Des parfaictet aa monde, une la plus parfiiicte, 
Lort, s'il a Toix, qu*il cne hardiment : la ToyU I 



vni 



gotnd Tiendra ce ioar Ui, que ton nom an yny passe 
ar France, dans mes TersT Combien et quantesfoli 
S'en empresse mon cœur, s*en démangent mes doigts? 
Sonfent dans mes escripts de soy mesme il prend placA. 

Mangré moy ie t'escris, mangré moy ie fefface. 
ûnand Astree Tiendroit, et la foy, et le droict. 
Alors ioyeux, ton nom an monde se rendroit. 
Ores, c'est à ce temps, que cacher il te face, 

C'est à ce temps maling une grande Tergoigne. 
Donc, Madame, tandis tu seras ma Doardouigne. 
Tontesfois laisse moy, laisse moy ton nom mettre; 

Aje pitié da temps; si au ioor ie te mets. 
Si le temps ce cognoist, lors, ie te le promets, 
Lors il sera doré, s'il le doibt iamais estre. 



IX 



0. entre tes beantez, qae ta constance est belle I 
Cest ce cœur asseuré, ce conraige constant, 
Cest, parmy tes vertus, ce que Ton prinse tant: 
Aossy qu'il est plus beau qu'une amitié fldelle? 

Or, ne charge donc rien de ta sœur infldelle. 

De Yesere ta sœur; elle va s'escartant, 

Tonsiours flotant mal senre en son cours inconstant. 

Veois ta comme à leur gré les vents se iouént d'elle? 



Et ne te repens poinct, pour droîct de son aisnaige, 
D'avoiT desià choisy la constance en partaige. 
Mesme race porta ramitié souveraine 



Des bons fnmeaux, desquels Tun à Tanltre despart 
Da ciel et de l'enfer la moitié de sa part ; 
Et rameur dilHuné de la trop belle Heleine. 



^ 183 — 



k Teois bien, ma Donrdonigne, encor humble ta n» i 
De te moDstrer Gasconne en France, tu as honte. 
Si dn rnissean de Sorgae on fait ores grand conte. 
Si a il bien eité fneiqaeefQîs ansri bas. 

Teoys ta le Mât Loir eomme H haste le pas? 
Gomme iesia pannr les çhn grands il se compte? 
Gomme il marche naultain dione coorse phis prompts 
Toat à costé do mîMe, et il ne s^ plainct pasf 

Un seul olitier d'Ame, «ntê an bord de Loire, 
Le faict coorir pins brire, et tar dôme sa gknrt. 
Laisse, laisse moy faire, et on jour, ma Dourdoaigne, 

Si le deyine bien, on te eognofstra mieiilx; 

Et Garonne, et le Rhône, et ces aaltres grandt 

En auront qoelqne enfie, et possible Tergoigne. 



XI 



Toy qai oys mes sonspirs, ne me sois rigoareox 
Si mes larmes h part tontes miennes ie Tecaet 
Si mon amoar ne soit en sa donleor dîTersa 
Du Florentin transy les regrets langnoren, 

Ny de Gatnlle anssy , le folastre amonrenz. 

Qai le cœnr de sa aune en chatopillant ny pêne, 

Ny le savant amour dn mlgregeois Properee; 

Ils n'ayment pas ponr moy, ie n*ayme pas ponr «Oi. 

Qni pourra sur anltmy ses doolenrs linUter, 
Celny pourra dTanltruy les plainctes imiter : 
Ghaseun sent son forment, et sçait ee qn*il «oAun i 

ChaiMn parla d'amour ainsy qa'il Fentendit. 
le dis ce que mon coeur, ce que mon mal me diel 
Qie celoy ayme peu» «li aimn à u mesure! 



/ 



— 1S3 — 



XII 



Qvoyl qoCestcet 6 vents 1 d mtft! «rcrage! 
l poinct iMMBiDié, quand d*eUe ]B*aç9roclMi]it, 
Les bois, les monts, les iMisses to» tnAciiuC» 
Sor moy d'agvest tobs pMSsa rostre nf»» 

Ores mon comr s^emltrase dadrantaHlv. 
Allez, allez f»ire penr an marcband, 
Qai luns b mer les thresors ts cberebant; 
Ce n'est ainsy qn*iDn m^abbtt le conraige. 

Quand Toy les vents, lenr tempeste et lein erit 
De leur malice en mon ceBor ie me ris. 
Ue pensent ils pour u^ (aire rendre? 

Faee le eiel dn pire, et Tair anssy : 
le venlx, ie venlx, et le déclare atnsy, 
S'il fanlt iBOorir, nonrir comme Leuidre. 



xni 



Vtns qrâ aymer emooMi ■• sfiiwi, 
Ores m*oyamt parler de mon Leandre, 
On iamais non, vous y ddtves apprendre^ 
Si rien de bon dns le eœnr voos aves. 

n osa bien^ bransbint ses bras lavei, 
Armé d*amour contre l*eao se deflendre, 
Uni poor tribut la fille Toulent prendre. 
Ayant le Drere et te moeion saurez. 

Un soir, vainen par les ilols ricoorenz, 

Veoyant desià, ce Tsftlasit amonreu, 

Que Tean maistresse k son plaisir te toarM, 

parlant anx flots, leor iecta ceste 'voiz t 
Pardonnez moy maintenant qae i^ Tseîs, 
Et gardez moy ta mort qund te relouBt. 



— 1H4 — 



XIV 



ecBar legierl 6 eoDrai^e mal semrl 
penses ta plas qae souffrir ie te paisse? 
bonté creazef d couverte malice, 
Tnistre besaté, venimease doolceori 

Tu estois donc toasioors sœar de ta sœv? 
Et moy, trop simple, il falloit qae Ten fias» 
L^essay sar moy, et qae tard I eotendisse 
^Ton parler double et tes chants de chasseart 

Depuis le iour que i*ay prins k Caymer, 
Fensse vaincu les vagues de la mer. 
Qu'est ce mestauy que ie pourrois attendre T 

Gomment de toy pourrois ie estre content? 
Oui apprendra ton cœur d*estre constant, 
Puis que le mien ne le luy peult apprendiet 



XV 



Ce n'est pas mov que Ton abuse ainsy ; 

8u'à quelque enfant ces ruses on empioyet 
ai n^a nul goust, qai n'entend rien quil oye 
le sçais aymer, ie sçais haïr aussy. 

Contente toy de m'avoir insqu'icy 
Fermé les yeulx, il est temps que i'y voye, 
Et que mesnuy, las et honteux le soye 
D'avoir mal mis mon temps et mon sooey. 

Oserois tu, m'ayant ainsv traicté. 
Parier à moy iamais de fermeté? 
Tu prends plaisir i. ma douleur extreaw; 

» 

Ta me deffends de sentir mon torment; 
Et si vealx bien qoe ie meure en t'aymant, 
Si ie ne sens, comment veolx tu que i'ayiii*' 



— 185 — 



XVI 



6 rty ie dictt Helas ! Fay ie songëî 
Ou 81 pour Tray i*ai dict blasphème telle t 
S'a faace langue, il fanlt que rhonneor d*eUe, 
De moy, par moy, dessus moy, soit irengé. 

Mon cœur cbez toY, ô ma dame, est logé : 
Liij donne luy gaelque geene nouvelle; 
Pais In^ souffrir quelque peine cruelle; 
Fais, fais luy tout, fors luy donner congé. 

Or seras tu (ie le sçais) trop humaine, 

Et ne pourras lonsnement veoir ma peine : 

Mais un tel faict, lanlt il qu'il se pardonne? 

A tout le moins banlt ie me desdiray 

De mes sonnets, et me desmentiray : 

Pour ces deux faux, cinq cents vrays ie Ven donit. 



xvn 



Si ma raison en moy s'est pen remettre, 
Si recouvrer astheure ie me puis, 
Si i^ay du sens, si plus homme ie suis, 
le t'en mercie, 6 bien heureuse lettre 1 

Qui m'eust (bêlas 1), qui m'eust sçeu reeoghoistre. 
Lors qu*enragé, vaincu de mes ennuys, 
En blasphémant ma dame ie poursuis? 
De loing, honteux, ie te vis lors paroistre, 

sainct papier ! alors ie me revins, 
Et devers toy dévotement ie vins. 
le te donrois un autel pour ce faict, 

Qv'on vist les traicts de cette main divine. 
Mais de les veoir aulcun homme n'est digne; 
Vy moy aussy, s'elle ne m'en eust faid. 



— ite-* 



xvm 



reitoif pieA d*eBeoiirir pour ianait ipdnê 
De eholere eschauffé mon eomnige bmsloit» 
Ma foie Toix aa |^ de ma ftirev hraiisldt, 
le despitois tes dieox, et eneores ma dame : 

Lora qu'elle de loinc iette on bretet dans ma 
le te sentis sOBbdiin comme il me rabOloit, 

S'anssy tost deyant hqr ma farear 8*en tmà, 
'il me rendoitp tainqnenr, en sa place mon ama. 

Entre tovs, qni de moy ces merreiltes oyei, 

One me dictes vois d'cOeT et, te toos prT, mof «L 

S'ainsi comme le tels, adorer le la doiost 

Owls miracles en moy pensez toos fn'elte f^ 
De son œil tout pnissaflt, on d'un ray de sa bee, 
Pnisipi'en moy lurent tant tes traces de ses doigts? 



xa 



le tremblois devant eite, et atteadois, inmsy, 
IHmr venger mon forfaiet qnel^ne inste seatout, 
A moy mesme consent di poids de men oSHMif 
Lors qn'eUe me dict : Va, te le prends à merey. 

One mon loi désarmais par tant sait esdainf t 
ËDoploye Ui tes ans : et sans plna, meshiiy pense 
D'enrichir de mon nom par tes vers nostre Fumas 
GoitTre de yen ta fkntte, et paye may aiiiy. 

8os donc, ma plome, il ftalt, pav tenir de ma 
Courir par sa grandenr d^nne pins large Teine. 
Mais regarde & son œil, fB*ii ne aons abamAimna. 

Sans ses yenlx, nos esprits ne maumâeBt tengaissaM»» 
Us nons don&entte eœor, ite noas dannent te aani. 
Paor se payer de moy, U iaat «t'elte m» ' 



— 187 — 



XX 



looii maiffits Mmicls, ron qoi friiiM TmUce 
De toaeher à na daunel d Balings et perdre, 
Des Muses le lepreehe et kente de mes ler»! 
Si ie TOUS >feis iaaaii, i*U finit qns ie ne faes 

Ge tort de confesser yous teiir de m» rsee, 
Lors poar tous les mUseavz se fenrcnt pés oiiTerCs 
D'Apollon le doré, des Hases an yeabc ferti; 
Hais TQDS reçe&t nissants Tieipfeoae en leor plicft 



Si fay ODCf fieiqae port k la p^p.^»., 

le yenlx que Tna et Tairilre en seit décrite. 

Et si au fea veagcir dsi er ie ne Toas daane, 

Cest pour toob dîttyn ; ▼irez Aetiff, tifei; 
Vif ei aax yenlz de toas, de loot honnear prîTei; 
Car e*est pear ¥sas panir, <ii*eres ie yms pardoniM 



XXI 

Kayea piis, nés aorie, i^es plas cette envi» 
One ie cesse d'ajrmer; laiMez n«y, obstiné. 
ViTre et monrir aiasv, pais «il est ordonné t 
Hon amour, c'est le lU aa^Ml se tient an ne. 

Ainsy me dict la Feet ansf en Oagrle 
Elle leit Meleagre à ranoar destiné, 
£t alluma sa souche ^ rieare qn^l finist il, 
St dict : Toy, et ce fei, tenei f ons eoapaifnie. 

Elle le dict ainsy. et la fia erdomee 
Soy vit après le' il de cette destinée. 
La souche (ce dict on) an fea feat eemoauBeet 

Et d» tort (grand miracle!), en nn amsme n 
On Teid, tout à a eenp', du ariseraMe amaat 
La tie et le tisoa s'en aller en taaee. 



— 188 — 



xxn 



QUDà tes yealx conquérants estonné ie regards» 
l'y veois dedans a clair tout mon espoir escript, 
ry Toois dedans amonr lay mesme qni me rit, 
Et m*y montre mignard le bonheor qn*U me gardew 

Mais qoand îde te parler par fois ie me hazarde, 
Cest lors qne mon espoir desseiché se tarit; 
Et d'adTOoer iamais ton œil, qai me noorrit. 
D*Dn seul mot de £iTeiir, eraelle, ta n'as garde. 

Si tes yenix iont pour moy, or yeois ce qoe ie dit t 
Ce sont ceolx la, sans plus, à qui ie me rendis. 
Mon Diea, qneUe querelle en toy mesme se dresse, 

Si ta bonclie et tes yeolx se yenlent desmentir ! 

Mienlx vanlt, mon doux tourment, mieulx Tault les dM^artir» 

Et que i*9reniie au mot de tes yeulx la promesse. 



xxm 



Ce soDt tes yeolx tranchants qui me font le conrtife i 
le veois saulter dedans la gaye liberté, 
El mon petit archer, qui mené à son costé 
La bdle gaillardise et le plaisir Tolaige. 

Mais aprez, la rigueur de ton triste langaige 
Me montre dans ton c<Bur la flere bonnesteté; 
Et condamné, ie veois la dure chasteté 
Là graToment assise, et la yertu sauvaige. 

Ainsy mon temps divers par ces Tagues se pasMi 
Ores son œil m ai>pelle, or sa bouche me chasse. 
HeUsl en cet estrif, combien ay ie enduré ! 

Et puis, qu'on pense avoir d'amour quelque asseuaace ; 
Sans cesse nuict et iour a la servir ie pense, 
M y «ncor de wAsulse pois estre asievé» 



— 189-^ 



xxnr 



Or, dis l€ bien, mon espérance est morte i 
Or est ce faict de mon ayse et mon bien. 
Mon mal est clair : maintenant ie veois bien, 
Fay esponsé la douleur que ie porte. 

Tout me court sus, rien ne me réconforte. 
Tout m*abandonne, et d'elle ie n'ay rien, 
Si non tonsionrs quelque nouveau soubstieiii 
Qui rend ma peine et ma douleur plus forte. 

Ce que l'attends, c'est un iour d'obtenir 
Quelques souspirs des gents de l'advenir s 
Quelqu'un dira dessus moy par pitié : 

Sa dame et Iny nasqnirent destinez, 
Esgalement de mourir obstinez. 
L'on en rigaenr, et l'anltre en amitié. 



XXT 



ray tant rescu cbetif, en ma langnenr, 
Qvor i*ay tou rompre, et suis encor en vie. 
Mon espérance avant mes yenlx ravie, 
Contre Vescneil de sa flere rigueur. 

«ne m'a servy de tant d'ans la longnenrt 
lie n'est pas de ma peine assouvie : 
Elle s'en nt, et n'a poinct d'anltre envia 
Que de tenir mon mal en sa vigueur. 

Doncques i'anray, mal'beurenx en aymant, 
ToQsiours un cœur, tonsionrs nouveau torment^ 
le me sens bien que i'en suis bors d'haleine» 
Prest i laisser la vie soubs le faix : 
Qu'y feroit on, si non ce que ie fais? 
Piqué 4a mal, ie m'obstine en ma petM. 



— 190*». 



xsn 



Pois qa^ainty sont mes dores detfinets, 
ren saoalersf , si ie pofs, mon sooqf. 
Si i^ay da mal, elle le leolt aossy : 
faccompliray mes peines ordonnées. 

Nymphes des bois^ qpX aves, estoinees. 
De mes doolevs, le crois^ qoeliiae mercy, 
Qa*en pensez toost piifs le dorer ainsy. 
Si à mes maoU trèfles ne sont donneesT 

Or, si foelqu'one à m'eseonter s'incUne, 
Oyez, poor Dien, ce qa*ores ie deyine : 
Le ioor est prez qoe mes forces ià ^aioM 

Ne poorront plos foomir & mon forment 
C'est mon espoir : si ie meors en aymant» 
K donc, ie erois, failliray ie k mes peines. 



ixy 



Lors qoe luse est de me lasser ma peine^ 
Amonr, d'on bîQn mon mal refrescfiissaat» 
Flate an cœor mort ma pla^rje langoissant, 
Noorrit mon mal, et Iny faict prendre baleine, 
Lors ie coneeois qaelqne espérance vaiM : 
Mais aossytost, ce dnr tyran, s'il sent 
Qne mon espoir se renforce en creusant, 
Poor restooflér, cent torments il m'amein» 

, Encor toot frez: lors ie me teoiablasuBt 
' D*aToir esté rebelle 9i mon tonnent. 
Vite le mal, dieoxl qoi me ébw% X 

Ttre à son gré mon tonnent rigoorenl 
O bien henrenx^ et bien beorenx encore. 
Oui sans retascbe est toosîoors marbevreul 



— 191 — 



xxYin 



Si contre amour ie n'ay anltre deffenee, 
Iem*en plaindray, mes vers le manldiront» 
Et aprez moy les roches rediront 
Le tort ^'il faict à ma dore constance. 

Pois <iae 4e liy f enéire cette effence, 
An moins tont haolt mes rhytlimes le diront. 
Et nos nevens, alors qu*iis me liront, 
En Tonltrageant, m'en feront la vengeance. 

Ayant perdu tont Tayse qne faTois, 
Ce sera pen opte de perdre ma toix. 
S'en sçait Taigreor de mon triste soney. 

Et fenst celny <ini m*a faict cette playe» 
n en aora, çoor si dnr cœur (ra*il aye, 
Qnelvie fine, Mis non paa ie aercf . 

xxa 

là rehiisoit la benoiste lomnee 
One la natu* an monde te debf oit, 
Onand les thresors qn^elle te reseryott 
8a grande clef te feost abandonnée. 

Ta prins la grâce l toy senle ordonnée ; 
Ta pillas tant de beantez qu'elle avoit. 
Tant qu'elle, fiere, alors qu'eUe te veoit. 
En est par fois elle mesme estonnee. 

Ta main de prendre enfin se contenta : 

Ifais la natore encor te présenta, 

Poor t*enrichir, cette terre où nous sommes. 

Tn n*en prins rien : mais en toy ta t*en ris, 

Te sentant bien en avoir assez pris 

Foor estre icy royne dn cœnr des hommes. . 



■i*r-l 



TABLE DES MATIÎREl 



AvEBTissEMErrr. • S 

Préface, par A. Yermorel 5 

De la servitude volontaire , par Etienne 

de La Boétie 33 

Lettres de Montaigne relatives à La Boétie 86 

De l'amitié, par Montaigne iSO 

VnaT-NEUF sonnets d*Étienne de La Boétie 179 



Plffl» — Imp. Noav. (assoc. oav.),14, r. de« JeAnovRl^, 
G. JiÀsquin, directeur. 



fiIBLiOTHÈÛUE NAÎIOMALB. -VOLUMES A 15 



CIATAX.OOUX oamtRAi. 



1 



Àt/ltH. Oe U Tyrannie. 

Àrioêf. Roltnd fnrieni 

BMwnanhaiê. Mémolrei. 

» Barbier. Mariage de Figaro. . 

BeeeariA. Délits et Peines 

Bvrnafclfn Ai Saint -PU*Tf. 

Paul et Virginie 

SoUmu. Batirei. Lntrln 

— Atl poétique. Bpttrea 

Jfoilittt. Oraisons funèbres.... 
Souffterê. Œuvres choisies. . . . 
Brillât - Savarin, Physioiogle 

du Goût ..••• 

Byron. Corsaire. Lara, ete 

CaMott». Diable amoureux 

C9rvant4ê. Don Quichotte...... 

César. Guerre des Gaules 

Chamfort. Œuvres choisies.... 
Chapellt 0t Hoe/taumont. Voya- 

•ges 

Cieéron. De la République 

— Gatilinaires. Discours 

Colin -d'Harlevilh. Le Vieux 

Célibataire 

CondorM. Vie de Voltaire. .. . 

— Progrès de l'Esprit humain. . 

CotneilU. Cid. Horace 

— Cinna. Polyeucle 

— Rodogune. Menteur 

CoUrUr [P.-L.). Cbefo-d'osuTref 

LetIfM 

Cyrano do Borgorao. Choix.... 
D'Altmbort. Encyclopédie 

— Destruction des Jésuites.... 

î)ant$. L'Enter 

DémoêthinoÊ. — nfliff iqaw «t 

Olynthitnnes 

Duoartoê, De la Méthode 

DutnouUnê {Camille). OBntfMi 
DidoroL Meren d« Ramaaa.... 

— Paradox* su !• Comédien. . 



ihdotta. Romina et Oofltél.... 

— Mélanges philosophiqnei. . . . 
Duoloê. Sur les Mosufs. . . • . . , . 

Eroêtnê. Bloge de la FoUe 

Bpietéto. Maximeft 

Péntlon. Télémaqne 

— Education dea Flllet........ 

Piorian. Fablea 

Pot. Robinson Cratoé * . . 

PonttiMlle. Dialogue dea Horta. 

— Pluralité des Mondes. ....... 

— Histoire des Oracles. 

9ûttho. Werther 

— Hermann et Dorothée 

—Faust 

Goldomith. Le Vleaire de Walce. 

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Gretoet. Ver-VerL Méchant.... 
Hamilton. Mémoires du CheTt» 

lier de Grammont 

ffomér». L'Oiade.. 

Horaeo. Poésies..... 

J0udy-Dugour, Cromwell 

Juvénal. Satires 

tM BoéHo, Dlfeoutt Mr la Set^ 

titadeTOlontiire... 

La Bruyéro. Garactèree 

La Pontaino. Fables 

Lamonnaiê. Livre do Peuple... 

— Passé et Avenir da Peaple. . 

— Paroiea d'nn Croyant 

La Roohêfouoauld, llaximee... 
Lêêoge. Gil-Blas 

— Diable boiteux 

'Bachelier de BalaouDiqae. . . 

— Turearet. Crispin 

Ltnfftut.ÎM BasUUe. 

Longue. Daphnis et Chloé 

Itablg. Droits et Devoirs 

— Btttretieas de Plmtoa...... 

JTooftfovfl. Le Prinee 



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