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DE
LINDECENCË
AUX HOMrvIES
D'ACCOUCHER LES FEMMES:
ET
DE L'OBLIGATION
AUX MERES
DE NOURRIR LEURS ENFANS,-
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/delindcenceauxOOhecq
es P
DE
LINDECENCE
AUX HOMMES
D'ACCQUCHER LES FEMMESr
E T
DE LOBLIGATION
AUX MERES
DE NOURRIR LEURS ENFANS^
OUVRAGE DANS LEQUEL ON FAIT
voir, par des raifons de Phyfique, de Morale
& de Médecine, que les Mères n'expoferoient
ni leurs vies , ni celles de leurs enfans , en fe
paiTart ordinairement d'Accoucheurs & de
Nourrices.
De l'Imprimerie de S. A. S. à Trévoux.
E?/e vinà a Paris,
Chez la Veuve G a n e a u , rue Saint Jacques ;
aux Armes de Dombes.
M. DCC. XL IV.
jivec Frivilege & Aj^j^obation.
3 6 U
67/
/ni
PRIVILEGE
De S. J. S. Uonfeigncnr Prince
Souverain de Dombcs,
LOUIS AUGUSTE, parlagra-
ce de Dieu , Prince Souverain de
Dombes: A tous ceux qui ces Préientes
verront , Salut. Notre amé Jean Boudot,
à qui nous avions accordé notre Privilè-
ge général le 25 Juin 1 6pp. pour réta-
blir rimpiinierie ci-devant établie en no»
trc ville de Trévoux, étant venu à décé-
der , fa Veuve & (ts Enfans ne fe mettant
pas en état de foutenir ladite Imprimerie,
Nous avons de notre pleine puifTance Se
autorité, révoqué & révoquons par ces
Préfentes ledit Privilège accordé le 2(5
Juin i6pp, audit Boudot. Et pour le
bien 6c l'utilité de nos Sujets , en faveur
du commerce & à l'avantage des gens
de Lettres , avons établi & établiflbns
notre amé Etienne G AN EAU Libraire
de Paris , pour être notre feul & unique
Imprimeur & Libraire en notre Souve-
raineté: lui permettant ainfi qu'à fa Veu-
ve, héritiers & autres à qui il pourra cé-
der , remettre ou faire part du préfent
Privilège , d'avoir & tenir à l'exclufibn
de tous autres , des prefTes ôc caraétéres
d'Imprimerie Se ouvroirs de Reliure ;
d'imprimer , faire imprimer , vendre , âc
relier toutes fortes de Livres de bonne
Ôç faine doâirine , en tels voîun:e3 , mar-
ges, caraâieres. Se autant de fois que
bon lui femblera j de quelque fcrence Ôc
matière qu'ils puifTent traiter, tant fur
les Editions anciennes & étrangères ,
que fur les Manufcrits originaux qui
pourront tomber en fes mains ou en cel-
les de Ces ayans caufe, & notamment de
continuer à imprimer les Mémoires pour
l'Hiftoire des Sciences ôc des beaux
Arts , que de fçavans Auteurs compo-
fent tous les mois par notre ordre , les
faire vendre , débiter ôc relier en vertu
des Préfentes, fans être obligé d'obtenir
de Nous , ni de nos Officiers , autre Pri-
vilège ou permifïîon ; & ce durant [e
tems (Se efpace de trente ann ées confécu-
tives , à compter du jour ôc date des
Préfentes : pendant lequel tems Nous
faifons très-exprelTes inhibitions Ôc dé-
fenfes à toutes fortes de perfonnes de
quelque qualité ôc condition qu'elles
puilTent être, &c nommément à la Veuve
Boudotj à Ces enians Se ayans caufe, d'a-
voir aucunes prefles, c ar a fteres d'Impri-
merie , ni ouvroirs de Reliure dans tou-
te retendue de notre Souveraineté , ôc
de s'y ingérer en aucune manière du fait
de l'Imprimerie, Librairie ôc Reliure
de Livres , fans le confentement dudit
Etienne Ganeau ou de fes ayans
eaufe , à peine de dix mille livres d'a-
mende, applicable un tiers à l'Hôpital
général de Trévoux, un tiers audit Ga-
neau, é<: l'autre tiers au dénonciateur;
de confifcation au profit dudit Ganeau
ou de Tes ayans caufc , de tous les Livres
imprimés fans fon confentement , ainfî
que de toutes les preffes , carafteres &
uftenciles , Se de tous dépens, domma-
ges & intérêts : Voulons & ordonnons
que notre amé & féal le fieur de Mefîi-
roy premier Prélldent en notre Parle-
ment & Intendant de notre Souveraine^
té 5 ( que nous avons commis & commet-^
tons en cette partie pour veiller fur tout
ce qui fe paiïera au fujet des Impreflîons,
Reliures , & de tout ce qui aura rapport
à notredite Imprimerie , ) juge & décide
fommairement des difficultés 6c contef—
rations qui pourroient furvenir, tant en.-
tre les Ouvriers qu'autrement, & que
les Jugemens qu'il rendra à ctt égard,
foient exécutés par provillonj nonob-
fiant oppofîtion ou appellation quelcon-
que : donnant à notredit Commiiraire
tout pouvoir '3c attribution de Jurirdic-
tion à cet efFet; faifant défenfes à tous
i\os autres Juges d'en connoître , à peine
de nullité & de répondre en leurs noms
de tous dépens, dommages ôc intérêts.
Et pour prévenir toutes fortes d'abus. Se
empêcher qu^il ne s'imprime dans l'éten-
due de notre Souveraineté aucuns li-
belles diffamatoires ou autres ouvra-
ges fcandaleux , contraires aux bonnes
iroeurs & à l'honneur qui ei\ dû à Dieu
Se à la Religion : ledit Ganeau fera tenu
de déclarer les lieux & maifons où il en-
tend faire travailler, tant aux Impref-
iions qu'à la Reliure, Se n'en pourra
changer qu'il n en ait fait fa déclaration
fur le Regiflre qui fera tenu double ,
fçavoir Pun chez le fieur de Meiîîmy no-
tre CommiiTaire , Se Tautre entre les
mains dudit Ganeau , pour y faire infcri-
re par ledit CommifTaire , tous les Ou-
vrages qu'il aura deffein d'imprimer , Se
ce avant que de les commencer. Et à
l'égard des Manufcrits originaux qu'il
voudra mettre fous la preffe , il n'en fera
cnregiiîré aucuns de Théologie , ou au-
tre matière qui mérite examen , s'il n'efi
accompagné de l'Approbation fianée
de i'un des Docteurs , Cenfeurs S: Exa-
minateurs par nous choifis ôe nommés
à cet e^et. Enjoignons à notredit Com-
Tiiiilaire de faire des vilites dans les lieux
où l'on travaillera aufdites Imprefîions
ô: Reliures , Se de tenir la main à ce qu'il
ne s'y fafîe aucune malverration : auquel
cas , il fera tenu de nous en rendre un
compte exaft, pour par Nous ou notre
Confeil , à qui nous en avons rélervé ôc
réfervons la connoifTance , en être or-
donné ce que de raifon. Sera tenu auiîi
ledit Ganeau de faire mettre dans notre
Bibliothèque un Exemplaire de chacun
des Livres qu'il aura fait imprimer , un
en celle de notre très-cher &:féal le iieur
de Malezieu, Chancelier de notre Sou-
veraineté , & d'en donner un à notredit
CommiiTaire. Ce faifant avons promis
Se accordé , promettons de accordons
audit Ganeau, ôc à Tes ayans caufe, no-
tre protedion, ôc que nous ne donne-
rons à d'autres aucune liberté ni privilè-
ge d'imprimer, débiter 3c relier des Li-
vres dans toute l'étendue de notre Sou-
veraineté. Avons mis omettons l'Expo-
fant Ôc tous ceux qui feront employés de
fon ordre aux Impreflîons, débit, correc-
tion Ôc reliîire dts Livres fous notre pro-
tedion ôc fauvegarde. Mandons à nos
amés & féaux Confeillersjles gens tenans
notre Cour de Parlement, Chambre dzs
Requêtes , Baîllifs , Lîeutenans géné-
raux <5c autres nos Officiers, que les Pré-
fentes ils faiïent enregiftrer au Greffe de
notre Parlement, <Sc publier à la Cham^
bre desRequêtes, ôc partout ailleurs où
befoinfera, fur la feule 6c première re-
quifition de notre Procureur Général &
de [es Subftituts , Se que vous fafÏÏez
jouir pleinement & paifiblement ledit
Ganeau Se Ces ayans caufe du contenu
aux Pré fentes, fans fouffrir qu'il leur
foit fait aucun trouble ni empêchement.
Commandons au premier de nos Huif-
iîers ou Sergens de faire pour Fexécu-
tion d'icelles tous Exploits, Saifies Se
autres AÔ:es néceiïaires , nonobftant
toutes oppoiltions ou appellations , SC
Lettres à ce contraires, tout-es lefquelles
Nous avons révoquées^ révoquons
d'abondant par ces Préfentes , fîgnées de
notre main ocfcellées. Gar tel efl notre
plaifir. Donné à Sceaux le vingt-huitié^
me Août mil fept cens fept. Se de notre
Souveraineté le quinzième,
I.OUIS AUGUSTE.
Vifa MALE ZÎEU.
Par Monfeig?2eHr f^
GuiXL0K£AUi5
EXTRAIT DES REGISTRES
du Parlement de Domles^
VEU par la Cour \qs Lettres Pa-
tentes de Son AlteiTe Sérénifïîmey;
données à Sceaux le vingt-huit Août
mii fept cens iept , Signées L O U I S-
AUGUSTE, & fur le repli, par
Monfeigneur, GurLLOREAU, ôc fcel-
lées du grand Sceau fur cire jaune, à
queue pendante ; Vifées par M' de
Malezieu. Par lefquclles Son Alteiïe
Séréniffime auroit révoqué le Privilège
par Elle accordé à Jean Boudot Librai-
re de la ville de Paris , le vingt-iîx Juin,
mil fîx: cens quatre-vingt-dix-neuf; ôç
établi Etienne G a ne au, aulîî Librai-
re de ladite ville de Paris, pour feul Im-
primeur & Libraire en cette Souverai-
neté ^ pendant & durant l'efpace de tren- •
te années confécutives , à compter du
jour & date defdites Lettres. Requête
préfentée par ledit Ganeau, tendante à
ce qu'elles foient regiilrées es Aétes <Sc
Regifîres de la Cour , pour être exécu-
tées félon leur forme êc teneur , 6c y
avoir recours quand befoin fera, lignée
dudit Ganeau & de Perret fon Procu-
reur, Arrêt du dix-fept du préfent, por-
tant quelefdites Lettres feront montrées
au Procureur Général de Son AltefTe
Sérénifïïme.Conclufîonduditfîeur Pro-
cureur Général : Oiii le Raport de M^
André Frachet Confeiller, CommifTai-
re en cette Partie. Tout conlidéré , La
Cour a ordonné ôc ordonne , que lef-
dites Lettres Patentes de Son Altefle
Séréniffime du vingt-huit Août dernier,
données en faveur dudit Etienne Ga-
neau , pour l'établilTenient d'une Impri-
merie , feront regifirées es Afles ôc Re-
|2:iflres de la Cour, pour être exécutées
félon leur forme ôc teneur, joiiir par le-
dit Ganeau du bénéfice d'icelles, ôc y
avoir recours quand befoin fera. Fait
en Parlement à Trévoux , le vingtième
Décembre mil fept cens fept,
ÇoUationné.
Cartier, Grefner.
PRÉFACE.
U E L QU E S Dames
chrétiennes pour ne
fe point iailTer fédui-
re à Tufage prefqu'établi au-
jourd'hui de fe faire accou-
cher par des hommes^ ont
demandé à s^inftruire fur cet-
te coutume qui bleffoit leur
pudeur. Se offençoit leur pié-
té. Elles ont propofé leurs
doutes aux perfonnes qui les
conduifent : & c'ell pour
foulager les confciences des
unes p & régler les fentimens
a iij
vj P R El^ A C E.
<ies autres ^ qu'en a entrepris
ce petit Ouvrage.
On fe propofe d^ exami-
ner d'abord ^ s'il fut jamais ^
ou s'il s'eft fait depuis une
profeffien d'Accoucheur.
On creufe cette matière en
faîfant voir par l'antiquité la
plus reculée ^ que le Pagani^-
me ^ tout vicieyx qu'il fût ,
n^autorifa jamais un art qui
répugne à la nature même.
On montre enluite ^ que les
Hébreux (ce peuple choifi
de Dieu ) étoient dans l'ufa-
ge de fe fervir d' Accoucheu-
ihs : ufage d''ailleurs auquel
toutes les nations qui font
venues après fe font confor-
mées.
P R ET ACE. vlj
Pour ne rien omettre dans
un fujer fi important ^ on eiP-
faye encore de prouver, que
rÉcriture & les Pères n'ont
rien établi qui excufe la pra-
tique d'aujourdbui, que les
Princes ne Tont point con-
firmée par leurs Edits, que
les Magiftrats ne l'ont point
reconnue, qu'Aline s'eft enfin
jamais formé de Corps , ni
de Communauté d'Accou-
cheurs y comme on en voit
de toutes les prpfefi^ions que
la Religion permet, & que
Tutiliré publique autorifie. On
examine les raifons de con-
venance qui pourroient ren-
dre aujourd hui tolérable une
f profeinon , dont les An-
a iîij
viij P R ET A C E.
ciens n'auroient pas allez
bien connu la néceffité : on
écoute là-deiïùs tout ce que
les Accoucheurs allèguent
de plus fpécieux ^ & on y
réoond.
Tout ceci va à conclurre
que l'art d'accoucher appar-
tient uniquement aux fem-
mes ^ & que la profeiîlon
d'Accoucheufe efl: auflî an-
cienne que le monde ^ puiiF-
que la plus fainte des ancien-
nes R eligions ^ on veut dire
celle des Juifs ^ en a don-
né l'exemple ; que tous les
fiécles fuivans l'ont adoptée ;
que la Religion chrétienne
l'a reçue ; que Iqs Princes en-
fin & les Magiftrats l'ont
P R ET ACE. ix
confirmée par leurs Edits &
par leurs Regiemens.
On répond cependant à
tout ce qu'on dit contre les
femmes fur ce fujet^ tou-
chant leur peu de capacité^
leur ignorance naturelle y
leur peu de génie pour les
Sciences y & fur ce qu on
leur reproche que c'eft des
hommes qu^'elles tiennent le
peu qu'elles fçavent fur les
accouchemens.
L'on tire tnÇin cette con-
féquence ^ qu'on peut fe paf-
fer d'Accoucheurs ^ & que
les femmes feules fuffifent
pour une profeiîîon qui leur
appartient de droit, qui n eft
point au-delTus de leur por-
a V
X PR ETAGE.
tée 5 que Tintérêt feul leur a
enlevée ^ & dont rinjuftice
des hommes les prive enco-
re aujourd'hui.
Les Accoucheurs peut-
être ne s'attendoient pas à
une conciulion fi accablante
pour eux : ils la trouveront
dure^ ruineufe, peut-être in-
jufte : car de quoi n eil point
capable le reffentiment de fè
voir déchu d'une profeffion
qui accréditoit dans le mon-
de y dont elle auroit pu avec
Je tems s'^alîujettir ou capti-
ver la plus belle moitié ?
Mais pour peu qu'ails puiA
fent oublier leur intérêt ,
pour écouter celui de la Re-
ligion p & fe (bumettre aux
CRETACE. xj
régies de la raifon ^ de la mo-
deftie ^ & de la bienréance^
ils conviendront que ce n'eft
pas par paflîon qu^on les at-
taque ^ mais que c'eii un
confèil quon leur donne
d'abandonner une profef^
fion que la feule néceffité
peut excufer en eux^ & donc
il ne leur peut être permis de
fè faire un métier. Que s'ils
allèguent la prefcription en
leur faveur ^ qu ils fe fou-
viennent qu on tïqïi recon-
noît pas dans l'Eglife , &
qu'une poifelTion eft tou-
jours injufte y quand elle ne
s^'accorde pas avec la piété.
On a d'ailleurs reclamé de
tems en tems contre cet ufà^-
a vj
xij P R ET A C E.
ge abufif ^ de permettre hs
accouchemens les plus or-
dinaires aux hommes : car
fans parler de la loi naturel-
le qui y répugne ^ fans rap-
porter les plaintes journaliè-
res que de fages Directeurs
font contre cet abus ; d'ha-
biles Médecins s y font op-
pofés, ôc la vérité que leurs
écrits défendent n en elT: ni
moins refpeélable^ ni moins.
puiiTante pour avoir été né-
gligée.
On fera remarquer dans
fon lieu ;, que les Médecins
anciens & modernes n ont
jamais employé que des Sa-
ges-femmes : mais on ne
peut dilférer plus long-tems
P R ET ACE. xii)
de rapporter ici la plainte
quun habile Médecin (t^)
de la Faculté de Paris forme
contre les Dames Francoi-
fes y qui fe livrent ayec trop
de facilité aux yeux & aux
mains des Accoucheurs. Un
autre écrit digne d un habile
Médecin & dun Sçavant
Théologien , ( mais dont
TAuteur s'efc caché) entre
dans un plus grand détail ^
& prouve rhorreur que la
Religion infpire contre la
profeffion d'Accoucheur ^
dont il fait voir Tinutihté &
le danger. Le hazard qui a
lait recouvrer ce petit Ou-
vrage dans le tems qu on
{a) M* ThuiUkr dantfet obferv* ^, a^»
xiV F R ET A C E.
travaiUoit à celui-ci ^ n'a pas
peu fervi à le faire continuer
& à le finir. On a été ravi de
s'y voir heureufement pré-
venu dans plufîeurs des faits
& des raifons qu on a voit
déjà ramaffées ; & le zélé de
charité qui régne dans tout
cet Ouvrage n'a pas peu ani-
mé TAuteurde celui-ci.
On avoit cependant pen-
fé d'abord qu'ail auroit fiifS
de faire réimprimer cette
JDiJfertation fur les accouche-
mens j (car c'^efl: le titre qu'on
lui a donné ) fans rien écrire
de nouveau là-dellus. Mais
on a été confeillé d'achever
ce qu'on avoit commencé,
parce que le progrès qu'a-
PRETACE. XV
voit fait depuis dans le mon-
de la profeflion d'Accou--
cheur demandoit de nou-
velles réflexions : outre qu'-
on avoit quelques faits à
ajouter, qui étoient échap-
pés à TexaiSlitude de l'Au-
teur anonyme. Après cela
on lailTe aux mères chrétien-^
nés à réfléchir fur les obli-
gations où elles feront doré-
navant. Si ce qu'ion dit ici
n'eft fondé que fîir les prin-
cipes de la Médecine , & de
la Religion ^ & fî par con-
féquent ce qu'ion demande
de leur pudeur ne peut inté-
refler ni leurs fantés , ni leui^
vies ; fagement inipirées el-
les fe remettront fans doute
xvj PRETACE.
en régie : elles édifieront le
Monde chrétien ^ & ren-
dront aux perfonnes de leur
fexe la juftice & rancienne
confiance qu'elles leur doi-
vent y & dont elles ne les
trouveront point indignes.
Les Accoucheurs eux-
mêmes n'offriront plus aux
femmes que des (ecours né-
ceiTaires & indifpenfables :
car la Providence r écompen-
fant la piété des mères , faci-
litera la naiiTance de leurs
tnïdins ^ Se affranchira leur
fexe ^ du moins en ce point ,
de la dépendance des hom-
mes.
TABLE
Des Chapitres contenus dans ce
Livre.
PREMIER rRJUJEr.
Derindécenceauxhommesd'accoucher
les femmes.
Chap. L Q Ue la frofejjlon à^ Ace ou-
o^^ cheiir étoit inconnue
dans r antiquité y & quelle eft encore
aujourdloiii nouvelle , fans titres &
fans autorité y page l
Chap. IL Que toutes les nations ^ à
commencer far le peuple Hébreu , fe
fontfervies de Sages-femmes , dont la
-profeffion efi auffi ancienne que U Mon*
de 5 & autorifée -par les Loix , 1 2
Chap. IIL Faits & Hifloires qui prou-
vent qu il a été inoiii dans tous les temSf
que les femmes fe fuient fervies d'hom-
mes dans leurs couches , ou en casfem*
Mes 5 22
Chap. IV. Que les maximes de la Reli-
gion Chrétienne font contraires à la.
profeffion ^ Accoucheur , 40
Chap. V. Que U profejfion d' Accou-
cheur efl rarement nécejfaire , J 8
TABLE.
Chap. VL ^ue la coutume de fe fgrvir
a Accoucheurs eft moins un ufage à
recevois' , qiiurje entrevrife à répri-
mer ^ ^p
Chap. VII. Que les femmes font auffi
ca-pahles de -pratiquer les accouche^
mens que les homtnes ^ 8l
Chap. VIII. Ou ?on répond au refle des
OhjeEiionf qu on fait contre les Sages-
femmes 5 ^^
SECOND TRAITE'.
De l'obligation aux mères de nourrir
leurs enfans.
Chap. I. Que ? obligation aux mères de
nourrir leurs enfans efl de droit natu-
rel, i:\S
Çhap. II. Que ce que la Nature fait
.après la naiffance de f enfant y ne mar-
que pas moins aux mères V obligation
de les nourrir , 1 4-8
Chap. III. Si ïon s' eft toujoursfervi de
Nourrices, î66
Chap. IV. Que la mention de Nouni-
ces que l'on trouve dans les aj^ciens li-
vres 5 ne préjudicie point aux maximes
qu'on vient d^ établir , & ne dvmmié
en rien l^ obligation indifpenfable des
mères y 1^6
TABLE.
ChAP. V. Des dangers qii on fait courre
aux enfans qiion met en nourrice^ 211
-Chap. VI. Des dangers que courent les
mères qui ne nourrijfent pas , 228
C H A P. VII. ^ie -les familles & les
Etats fonjfretît de ce que les mens ne
nourrtffint pas leurs enfans , 242
Chap. VJII. Faux prétextes des mères
quife difpenfent de nourrir , 263
Chap. IX. Des raifons qui difpenfent les
mères de nourrir , 276
Chap.X. Des -précautions que doit ap-
porter une mère qui eft obligée de pren-
dre une Novirrice étrangère, 287
Chap. XI. Des Sevreufes , 2^8
fin de la Table.
'^pprohatio'/fs de M, Bofqiûllon de ? Aca.-'
Àémïe Royale de Soijfons & Licentiécn
Droit de la Faculté de Paris , & de
M* Geojfroy Médecin de la Faculté d,e
Faris^de l Académie Royale des Scien-
ces , & de la Société Royale de Lon-
dres,
NOus avons lu par ordre de S. A. S.
Monfeigneur le Prince Souverain
-de Dombes , un Alanufcrit intitulé : De
f indécence aux hommes £ accoucher les
femmes , & de V obligation aux mères de
nourrir leurs enfans. Nous n'y avons
rien trouvé qui en doive empêcher Tim-
preflion. Tout y marque l'extrême fa-
gefle 6c la profonde érudition de fou
Auteur. A Paris le vingtième jour de
Septembre 1707.
BOSQUILLON.
GEOFFROY
DE
D E
LINDECENCE
AUX HOMMES
D'ACCOUCHER LES FEMMES,
Chapitre Premier,
,^e la profejpo/z d'Accoucheur et oit
inconnue dans Vantiquité , (^
qu'elle eji encore aujourd'hui nou-
njtlle y fans titres é' fans auto-
rité,
A preuve la plus natu-
relle que dans les pre-
miers fiécles du mon-
de , on ne connoifToic
point d'Accoucheur, c'eft guil
n'cft point de mot dans les lan-
gues mères ou originales , pour
A
2 T>e l* indécence aux hommes
iîgnifier cette profeffion dans un
homme , au lieu que celui qui
iîgnifie une Accoucheufe fe trou-
ve dans toutes les langues. Le
mot d'Accoucheur paroît même
de très-fraîche date dans les en-
droits , comme en France , où
cette profeffion eft plus connue;
car il ne s'en trouve aucune men-
tion dans les Auteurs François ,
à moins que ces Auteurs ne
jToient plus nouveaux encore que
le mot d'Accoucheur , qui pour-
roit à peine compter un lîécle
d'origine.
Mais une autre preuve qu'il
n*a pu y avoir d'Accoucheur dans
l'antiquité, c'eft que cette pro-
feffion répugne à la nature mê-
me, puifqu'elle eft contraire à la
pudeur qui eft naturelle aux fem-
mes ( 4 ) in feminis ceteras vir tû-
tes pudorfuferat. Or les Anciens
moins éloignés que nous de cet-
te {implicite naturelle établie
(a) ByçYQn, e^Jjl* nd C fiant.
d\iCCûucher les femmes, 5
dans le monde par le Créateur
même , poufToient jufqu au fcru-
pule la retenue ( a ) avec lac[uelle
ils vouloient qu'on parlât des
^hofes qui auroient pu falir Tima-
gination . Les Hébreux par exem-
ple avoient honte de proférer le
mot à^ urine s ils difoient ( h ) l'e^fé
des pieds , d^c. Comment donc
auroient-ils pu autorifer une pro-
feffion 5 qui auroit eu à employer
plus que des paroles fur cts for-
tes de matières ? On ne manque-
ra pas de dire , qu'on ne doit pas
croire contraire à la pudeur ce
qu'il eft permis de faire : mais
que de chofes permifes qu'on ne
fe permettroit pourtant jamais
fans la néceflité ? Le Mariage ,
par exemple , ne feroit qu'ua
honteux commerce , fi la nécefli-
té de peupler le monde n'en ex-
cufoit l'ufage : encore ne fe l'ac-
corde-t'on cet ufage qu'à la dé~
{a) Vid, Aul. Gell.pag, iip.
(v) M. Fleuiyy Mûeurs des irraëlites^
A ij
4 "De CindéccKCe atéx hommes
robée ôc dans le fecret , comme
pour diffimuler à la pudeur ce
que la néceffité ordonne , {a) Ubl
^^d hoc opus venitur , fecret a qu^-
Yuntur , arhitri reynoventur. Sur
ce même principe la tolérance
pour la profeffion d'Accoucheur
deviendra moins une permiffiou
qu'une licence , hors le cas de
néceffité : car enfin la faute en
ce point n'eft point de faire une
chofe criminelle; mais de fe per-
mettre fans befoin une chofe
honteufe ou méféante -.{h) j^^
funt inhonejia , non qtiafi illicita ,
fed qudji fudenda vit are opcrtet.
Quoi qu on veuille donc croire ,
qu'on garderoit dans cette pro-
feffion toutes les mefures ôc tous
les égards poffibles , pour ne fe
rien accorder contre la modef-
tie , 6c pour fe préfcrver con-
tre la médifance ; on ne laifTe-
Xa) Augifjî. de grat.& feccAt, mg, lib, 1 1 ;
{h) tlin. €pfi,fcig, i8it
d'accoucher les femmes. 5
roit pas de pécher contre la pu-
detir 5 fi on l'exerçoit fans né-
ceffité. Cependant eft-on tou-
jours nruutrc de fon efprit ôc de
fon cœur , dans une occafion Ci
propre à féduire l'un bc l'autre ,
6c à laquelle on s'expofe fans né-
ceffité ? Et quand bien même on
pourrort répondre de foi , peut-
on s'afTurer de l'imagination des
autres , qui ne psnfcront pas
toujours comme l'Accoucheur ?
Il faut donc convenir que le dan^
ger eft du moins très - proche ,
{a) Nemo dïU tutus eji perkulo pro-
ximus : car fouvent , tandis qu'on
s'étudie à fauver les dehors de
l'honnêteté par fcs paroles & par
fes manières , on s'échappe à foi-
même , &: on fe laifTe véritable-
ment aller à des chofcs peu hon-
nêtes , ( ^ ) honejlï dicuntur , fed
inhonejle turpiterque creduntur.
Comme donc dans ces occa^
{a) s. Cy^rian. epîjf.f'ag. 174.
(h) Laçîant.^ag. ^7,
A iij
€ De r indécence aux hommes
iîons la bouche n'eft pas toujours
le fidelle interprète du cœur , il
n'eft pas rare alors que le fenti-
ment démente Pexpreffioa Ainfî
quoi qu'on en puiffe dire ^ la
fonction d accoucher eft conf-
tamment méféante à un hom-
me 5 embar raflante , pour ne
rien dire de plus , pour une fem-
me j êc dangereufe pour tous les
deux.
Les Anciens n'ont donc jamais
fongé à commettre ce foin à des
hommes j eux furtout qui étoient
fî foigneux de préferver leurs
imaginations , &: de les pré-
venir contre tout ce qui paroif-
foit immodefte. ( a ) Per/£ a pue-^
ris nudos confpici viros , nec fas
nec jus ejje dicehant, ( h ) Ter far um
fueri tarai pudoris fuêre , ut pro
iege fervarcnt , ne in puhlico aut
fpucrent aut nafum emungcrent^
Dans cette vue ils ne foufFr oient
{<2) Aîexand. lîb, z^ca^- ^j\
L
d^ accoucher les femmes. 7
pas que les fexes difFérens fe
trouvaflent aux bains , ( ^ ) s*ils
n'étoient exadtement féparés.
Qui croiroit après cela , cju^ils
euflent pu approuver cette liber-
té toujours dangereufe avec la-
quelle un Accoucheur voit ôc
touche une femme ? [h) Per^
'verfa familiarltas ejl & falfa fecu-
ritas. Il eft plus naturel de croi-
re qu'ils auront choifi , pour ai-
der-leurs femmes dans leurs cou-
ches , les fecours qui fe préfen-
tent naturellement , c'eft-àdire ,
ceux d'autres femmes , en qui el-
les auront dû prendre plus de
confiance.
En efFet tandis que dans au-
cun des anciens tems il n eft par-
lé nulle part d'hommes Accou-
cheurs , on y trouve dans tous les
iîécles même les plus obfcurs,des
femmes qui accouchoient , com-
me on le fera voir dans la fuite.
( ^ ) Phitarch. in Caton. & Cîcer,
(^ ) Div, AHguJi, Serm, de temporel
A iiij
8 De rindécence aux hommes
La conduite des Médecins de
tous les liécles prouve encore ce
qu'on vient d'établir. S'ils a-
voient befoin de quelque inl^
truction fur l'état des femmes
malades qu'ils traitoient , c'é-
toicnt des Sages-femmes , non
des hommes qu'ils chargeoient
de ce foin. Auiîi une Sage-fem-
me palfoit-elle pour l'œil du Mé-
decin ; parce que c'étoit par loa
miniftere , qu'il s'afluroit de ce
qu'il ne lui feyoit , ni à un au-
tre homme d'examiner par lui-
même
C'étoit encore aux Sages-fem-
mes qu'on s'adrefloit ( a ) dans
\^s premiers tems de l'Eglife ,
pour s'afsûrer de la fidélité que
les Vierges Chrétiennes avoient
voilée à leur état de continence.
Mais fi les Pères trouvoient à re-
dire dès lors , que les Chrétien-
nes fe trouvafient ainfi expo fées
à la difirrétion de leurs fembla-
(d) 5. Cyprin, tpjl.^ag^ 174.
d'accoucher les femmes, 9
blés j s'ils trouvoient dans cette
pratique quelque chofe de hon-
teux 6c d'infamant , [a) Tnrpe
negotium , quandoquidem inter oh^
Jletricum manus uirginitas occidi^
tuY ; de quel crime n'aur oient-
ils pas taxé Tentreprife des hom-
mes d'aujourd'hui , qui en pareils
cas ne rougiflent pas d'ôter cet
emploi aux Sages-fem.mes ?
Leur entreprife eft cependant
fort oppofée à l'intention des
anciens Jurifconfultes , qui or-
donnent ces fortes d'examen
aux Sages - femmes , & jamais
aux Chirurgiens : preuve certai-
ne qu'on ne les reconnoifloit
pas dans l'Antiquité comme Ac-
coucheurs , & qu'ils n'excrçoient
pas les fonctions des Sages-fem-
mes.
La profeffion d'Accoucheur
eft donc de fraîche date : car
outre qu'on n'en voit o^uéres de
traces que vers le milieu du der-
ro "De l'indécence aux hûm?7ies
nier fiécle , ( ^ j le peu de pro-
grès qu'elle a fait dans les pays
voifins de la France , oii elle a
pris naiflance , fait voir quelle
ne fait prefque que de naître.
Aullî les provinces un peu éloi-
gnées de Paris trouvent encore
aujourd'hui cette coutume fort
étrange. Et à juger des fonc-
tions qu'un célèbre Auteur (b)
d'Allemagne fait exercer aux Sa-
ges-femmes dans les matières
contentieufes qui regardent la
fàgefle ou les maladies des fem-
mes , on ne connoît guéres d'Ac-
coucheur dans ce vafte pays , oii
les Juges & les Médecins ne s'en
rapportent quaux témoignages
des Sages - femmes. L'autorité
des Accoucheurs ne paroîtroit
gnéres mieux établie en France ;
f)uifque les Evdits des Rois , 6c
es Arrêts des Parlemens ne leur
ont donné ni ftatuts , ni privilé-
( a ) BayU D/fî.
{^h) Valemm.PandeCî.Mëdic. légal. f^arpm»
i accoucher hs femmes, 1 1
ges , ni reglemens ; qu'ils ne leur
ont accordé enfin ni immunité ni
prérogatives. C'eftdonc une pré-
tendue profeffion , qui fe trouve
en proye au premier occupant ,
6c à qui il prendra en gré de s'é-
riger en maître Accoucheur.
Trop heureux le public , fi par
cette licence il ne fe trouve pas
fouvent expofé à reconnoître
pour Accoucheur célèbre , celui
même que la fortune venoit de
négliger I
Le métier d'Accoucheur n'ap-
partient donc pas aux hommes r
ce neft en eux qu'une ufurpa-
tion 5 ou une entreprife' témé-
raire fondée fur la timidité des
femmes, qui ont crû par cette
indigne foumiffion afTurer leurs
vies , ôc fur la crédulité des maris,
qui par cette dangereufe com-
plaifance ont crû plus faremenc
conferver leurs femmes. Mais
on verra dans la f lite que c'efl
abufer de la confiance des uns.
1 1 De V indécence aux hommes
&: des autres , en montrant que
le fecours d'un Accoucheur eft
rarement néceflaire , &: que cet-
te profcffion s'eft introduite dans
le monde fans titre , qu'elle eft
de nouvelle invention • qu'on
s'en eft toujours aifément pafle ,
& qu'on peut fûrement s'en paf-
fer encore.
CHAPITRE IL
,^ue toutes les nations , a comment
cer far le feu fie Hébreu ;, fe font
fervies de Sages-femmes ^ dont
la frofeffton efi aufi ancienne
que le monde y C^ autorifée far
les Loix,
IL n'en eft pas de même de la
profeffion d'Accouchcufe : el-
le eft comme de droit naturel ;
parcequ'il eft naturel à une fem-
me de mettre des enfans au mon-
de, & que les femmes de tout
d* découcher les femmes, \ jf
tems &: de toutes nations , fe font
fait accoucher par d'autres fem-
mes.
Ceci eft fi vrai , que dès les
premiers tems elles n'avoient pas
recours aux hommes , dans les
accouchemens même les plus
difficiles. Rachel {a ) qui auroit
pupafler pour une des premières
Dames de fon tems , n appella à
fon fecours qu'une femme dans
un travail des plus laborieux.
Thamar [h) , autre femme de con-
fidération, vers ce même tems
ayant à mettre au monde deux
enfans qui fe préfentoient mal ,
fe fervit heureufement du minif-
tere d'une Sage- femme. Or tant
d'adrefle , d'expérience , &: d'ha-
bileté dans les Sages-femmes d'a-
lors , donne afTez à comprendre
qu'elles avoient appris d'autres
femmes habiles , 6c qui n'étoient
point les premières qui fe fullènt
( 4 ) GîYie^, cap. ^^.v. 17,
Ib) Ihid.cap. 38.1/. 27,
l^ De l* indécence aux hommes
mêlées d'accouchement. On peut
donc raifonnablement conclu r-
re 5 que dès les premiers fiécles
du monde il y avoit un art d'ac-
coucher , dont les femmes é-
toient feules en pofleffion , 5c
dont elles s'acquitoient au gré
des Dames de la première qua-
lité ; puifque les premières Da-
mes d'alors navoient recours
qu'à elles.
Sous le régne de Pharaon \a)
Roi d'Egypte , Tart d'accoucher
étoit encore en honneur entre
les mains des femmes : il paroît
même par l'hiftoire de ces tems ,
que cette profeffion y faifoit du
progrès & s'y perfeftionnoit : car
à l'habileté qu elles avoient com-
me on vient de voir , elles joi-
gnirent une probité inviolable :
qualité auflî néceflaire en Mé-
decine que la Science. Cette
probité parut en elles, en ce que
le commandement d'un grand
d'accoucher les femmes. 1 5
Prince ( 4 ) ne pût les rendre in-
fîdelles à la confiance de celles
qui les en honoroient. Exemple
qui auroit du leur mériter une
reconnoiflance immortelle dans
les efprits de toutes les femmes
des fiécles fuivans : au lieu que
par un indigne renverfement ,
ces femmes infidelles au contrai-
re envers leurs bienfaictrices ,
les ont aujourd'hui privées de
leur confiance pour la donner
aux Accoucheurs. Etrange ou-
bli d'elles-mêmes ! Eft-ce donc
qu'elles manquoient de maîtres ?
Ou leur en falloit-il d'un nou-
veau genre parmi les hommes ?
En avançant dans l'Hifloirc
Sainte , on trouve qu'aux cou-
ches de la célèbre Ruth , [h) il
n'y cft parlé que de femmes,
C'étoit pourtant une perfonne
riche : elle n'étoit plus d'ailleurs
apparemment fort jeune , puif^
( ^ ) Pharacn. Vîd. Exod. cap. i .
J[^) Vers l'an 270^, du Mgnde»
ï (f Vc t indécence aux hommes
qu'cHe avoit paflé environ dix
ans avec fon premier mari : ce-
pendant ces deux raifons ne lui
firent point prendre la pré-
caution d'appeller des Accou-
cheurs : il n'en étoit donc point
encore. Ce fut enfin entre les
mains des femmes que la belle-
fille d'Héli accoucha, (a) Vers
ces mêmes tems [h) il y avoit
une ibrte de Médecine qui re-
gardoit les maladies du Sexe ou
fes incommodités , qui fut quel-
que tems entre les mains des
femmes 5 6c c'étoit celle qui re-
garde les applications extérieu-
res : autre preuve invincible que
l'antiquité auroit eu horreur de
commettre aux hommes le foin
d'accoucher les femmes.
Artemife^ Reine de Carie, {c)
qui a donné fon nom à l'herbe
( ^ ) Premier Livre des Rois , ch. 4. v. lo.
( Z> ) Voyez l'hifloire de la Médecine de
M. le Clerc.
(c) En 3400, <îu Monde ou environ.
appellée
{taccéuchcr Us femmes, 1 7
appel îée Artemïfia , en François
armoifci cette Reine , dis-je, é-
toit Médecine des femmes.
Cléopatre autre Reine, mais
d'Egypte , fut fur tout célèbre
dans cette profeflion j paifqu'il
eft refté des Livres êc des Com-
pofitions qui portent fon nom,
& qui font citées avec honneur
par Galien , (4) & par les Au-
teurs [b] Grecs qui l'ont fuivi.
Or la Médecine étant donc déjà
exercée par des femmes avec dif-
tinction du tems ôiArteml/è , n'a
pu fe trouver fi fort illuftrée du
tems de Cléopatre , c'eft-à-dire
environ 400 ans après , que par-
ce qu'elle avoir toujours fubfifté
entre les mains des femmes , qui
s'y appliquoient & la perfection-
noient par leurs obfervations.
Les Grecs fur tout avoient de
Ces femmes Médecines, comme
on le reconnoit par les mots
( a ) De compof. medic. local, lib. i.c. 1 4
^ fa.iU JEgin, Asthu , 6v.
3
l^ De l'indécence aux hommes
djiîO'TpiSîç &C (arpivett , qui fe fon^
confervés jufqu^à nous. On fçaic.
d'ailleurs qucSocrate faifoit gloi-
re d'être fils d'une Sage-femme
très-habile nommée rhanarete ;
comme on peut le voir dans
Platon ( ^ ). La Médecine donc
ri'étoit pas moins illuftre parmi
les femmes que parmi les hom-
mes : car comme ceux-ci peu-
vent s'honorer des noms des
Rois Médecins , les femmes Mé-
decines ont auffi eu des Reines
qui ont illuftre leur forte de Mé-
decine, Et pour ne point fortir
de notre fujet , celles qui s ap-
pliquoient particulièrement aux
accouchemens ; n'étoient gué-
res moins honorées ^ puifque de
grands Philofophes , comme So-
crate , fe vantoient d*être def-
cendus d'une Sagc-femiiie.
Si on joint à toutes ces Dames
Médecines une Fabula Lyhica ou
(^) Au Livre de la Science; voyez aufïi
piogen, Laerc^ .
d\iCCOucher lesfemmts. 19
Vivia dont parle Galien , une
Alpajle qu'Aëtius cite , une Olym^
pas y une Sot ira y une Salféy une
Laïs 5 toutes citées par Pline , ôc
plufienrs autres , dont de bons
Auteurs font mention , (^) on
trouvera une tradition fuivie ,
ou une nombreufe lifte de Fem-
mes célèbres en Médecine , de-
puis les anciens fiécles , jufqucs
bien avant dans ceux qui nous
touchent de plus près.
En effet , les Femmes Méde-
cines étoient encore connues à
Rome du tems des Empereurs ^
fuivant ce vers de Martial :
(^} Protinus dccedunt Medici , ii/<f-
dicœquercccdunt.
D'anciennes Infcriptions font
foi de la même chofe , témoin,
celle de Vérone :
( <z ) Voyei rhiftoire de la Médecine d6
M. le Clerc , liv. 3 . ch. 1 3 .
(^) Uy. ii.Epigr. 71.
Bij
xo De l'indécence aux hommes
C. CORNELIUS
MELI BŒUS SIBI
ET SENTIE ELIDI
M E D I C ^
CONTUBERNALI.
Et cette autre dans le Duché
d'Urbin :
DEIS MAN IB.
JULI^ Q. L.
S A B I N^
MEDIC^
Q. JULIUS ATIMEIUS
CON JUGI
- BENE MERENTI. ,
Car les noms & les épithetes
dans ces Infcriptions regardent
des Romains Sc.des Romaines.
Les Loix Civiles ( ^) qui nous
viennent pour la plupart des Ro-
mains , & le Droit Canon qui
cil venu enfuite , ne renvoyé
( a ) va. Paul- Zttcch. quaj}, medic. kg^
Voyez, encore Gaffaris à Reidi tlyf. jiKuni^
d* accoucher les femmes. i r
rcxamen des cas qui regardent
l'infidélité des femmes , & Tin-
concinence des filles , &:c. qu'-
aux Sages- femmes , jamais aux
Chirurgiens : autre preuve de ce
fcntimerit naturel &: univerfclle-
ment imprimé dans les efprits des
hommes de tous les tems ; que
c'eil aux femmes à répandre aux
Juges 2c aux Médecins de Tétac
de leurs femblables , ôc quil a
toujours para contre la pudeur
de commettre ce foin aux hom-
mes.
Ces mêmes témoi^inai^es em-
pruntés des Droits Civil ôc Ca-
nonique , prouvent en même-
tems l'authenticité de la profef-
fion de Sages-femmes , éc l'au-
torité que les Empereurs & les
Loîx leur ont accordée , tandis
qu'aucune Loi ni aucun Prince
n*a fait mention de la profelîion
d'Accoucheur , qui par confé-
quent eft nouvelle 5 fans titre ^
§c fans autorité.
t:i De r indécence aux hommes
CHAPITRE m.
Paît s é" Hifloîres qui prouvent qu'il
a été ino'ùi dans tous Us tems ,
éque les femmes fe foicnt fervies
d'hommes dans leurs couches y oUt
en cas femhlables.
LA Religion payenne qui a-
voit placé des Divinités par
tout , jufqucs-là même qu'il n'é-
toit pas de feiiil (4 ) de porte qui
n'eut la fienne; enavoit aufîi af^
fîgné pour préfîder aux couches
des femmes : mais ce devoir être
des Divinités féminines; parce
que les Payens mêmes av oient
lenti , quil auroit été contre la
pudeur (^) de donner cette fon-
âion à un Dieu. Il eft pourtant
vrai 5 que quelques-uns ont cru ,
(j) S. Auguft.de la Cité de Dieu.
{b) Voyez Tertul. de l'ame , c. 3 7. Saini;
Auguà. de la Ciic de Dieu 5 1. 4, c. 3 4»
d'accoucher les femmes, ly
qu'il y avoit alors les Dieux des
accouchées , Nixii Dn : mais
on fçait que ces prétendues Di-
vinités ( a ) étoient moins des
Hommes-Dieux , que des fym-
boles de Divinités mal enten-
dus ', qu'on voyoit à Rome dans
le Capitole ; ôc qu'un peuple
auffi fuperftitieux que celui de
Rome 5 & auffi infatiable de Di-
vinités , trouva à propos d'ériger
en Dieux des accouchées. L'at-
titude de ces Statues donna fon-
dement à cette imagination. El-
les étoient trois en nombre , ôc
à genoux devant le Temple de
Minerve , genihus nix£ , & de
là ils forgèrent Nixii Dii. On a
prétendu encore qu'Ovide avoit
ces Dieux en vue , quand il dit :
Magno
Lucinam adNîxo partus clamera
*vocabant >
( à) Turneb, adverf. /. 7. c. 8, Bar M, çx^of^
i^ De l'indécence aux hommes
parceque de bons exemplaires
portent ;
Lucinamy Nlxofque pari clamore
'vocabant.
Mais rembarras où fe mettent
les Grammairiens , pour trouver
cette prétendue allufion de Bii
Nixii avec ce vers d'Ovide , fait
bien voir que c'eft une applica-
tion mandiée& forcée. En effet
on na jamais marqué les noms
de ces Dieux : au lieu que parmi
les Divinités féminines ils nom-
moient la Déefle Alemone , qui
fax foi t croître l'enfant dans le
/ein de la mère; {a) la Parque
ou la DéeiTe Fartule , qui préfî-
doit aux couches , 6c qui y or-
donnoit ; Lticine , qui aidoit la
Sage-femme , comme autant de
patrones des femmes grolles ; ck:
Statine (^) la DéefTe aux petits
(4) Vîà. lertuIL &c. Turneb, adverf. lib*
l^.caf. 34.
(b) Vid. BerthoL eypof. V. mpuerp. rit, p.
i 5' i 5. Voyez aufTi Ter;ul. de i'ame. ^ v
entans
d* accoucher les femmes, xj
enfans qui fe reiidoit la protec-
trice des nouveaux nés , &c.
Les Payens avoient donc bien
compris , que tout ce qui ref-
fembloit à un homme ne devoit
point être appelle aux fecrets des
couches des femmes j &: que les
Divinités mêmes éroient alors à
craindre fi elles portoient le nom
ou l'apparence d'un homme.
La pratique des Anciens tou-
chant les accouchemens , prou-
ve tout ce qu'on vient d'avancer.
Un monument antique qui s'eft
confervé dans un jardin de Ro-
me , ( 4 ) & dont un célèbre Mé-
decin nous a donné lexplica-
tion , nous apprend quelle étoic
cette pratique par la qualité des
perfonnes qui y font repréfen-
tées : en voici le précis. Ces per-
fonnes font cinq en nombre ,
toutes femmes , l'accouchée , la
Sage - femme , la nourrice , ôc
{a) VU, Gaffar, Barshoî, ex^of, veter, in
c
i6 De r indécence aux hommes
deux autres , dont l'une drefic
des figures avec un ftilet fur un
globe , ôc l'autre étoit afliftante
ou témoin : car chacune avoit
fa fon£tion pour les différens
befoins de l'accouchée. La Sage-
femme la foignoit dans {^% cou-
ches 5 & traitoit les enfans nou-
veaux-nés ; parceque les Sages-
femmes étoient Médecines (a)
des mères &: des enfans dans
toutes ces fortes de cas. Cétoit
encore une femme qui étoit
chargée de lever le nouveau-né
de terre : car le lévement des en-
fans de defliis la terre , où on les
avoit pofés fitôt après leur naif-
fance, étoit une grande céré-
monie parmi les Anciens ; & c*é-
toit aux Sages-femmes ( ^ ) à fai-
re cette cérémonie. Elle fe fai-
foit ou au nom des parens y
quand ils vouloient le nourrir,
ou au nom du Magiftrat ^ [e)
(4) Vid.Barthol.'^.ii.l%,
(b) -Ibid.pag. 37.
{c) Ibfl$ag,y..
i
d'accoucher les femmes, ±j
quand les parens, ou pauvres ( a )
ou reconnus incapables de bien
élever des enfans , ne vouloient
pas le faire lever : mais de qviel-
que manière que cela fe fit , ce
n'étoit qu a l'aide de la Déeflc
Levana^ (h) que les Sages-fem-
mes s*acquittoient dignement
de cette ronction. La nourrice
eft ce qu'on nomme aujourd'hui
la remiieufe , à laquelle Martial
fait cette allufion ;
Cunarumfueras motor Charidc
me ?nearum ,
qui étoit chargée du foin des
langes , du blanchiiîage de Ten-
fant , &: de femblabies menus
foins 5 exprimés dans ces vers :
(c) Opus nutricl autem , utrem ha,'*
beat veteris ijini Lar gîter ,
(a) Seneque , 1. i . controver . 9 ,
(b) Augujl. de Ci vit. Dei ^ /. 4. c. 1 1.
le) Fiant, trucuL ad. V,
Cij
2 8 De l* indécence aux hommes
\Jt dies nocîefque potet : oftis ejl
igné y opus e/i carbonihus ,
Fafciis opus eji , pulvinis , cunisy
incunahulis.
Et dans cet autre endroit d'un
ancien Poète , {a) où il eft parlé
de la nourrice.
Puerifafciarum lavatrix.
Des deux autres affi fiantes ,
Tune fe rendoit le témoin de la
nailTance légitime de Tenfant ;
afin que le père en étant cer-
tain, le fit infcrire dans les re-
giftres publics : fans quoi l'en-
fant n'auroit point été habile à
fuccéder , ni à hériter. ( h )
L'autre qui tient un ftilet dont
elle écrit fur un globe , marque
une autre coutume des Anciens,
qui au jour de la naiflance de
leurs enfans faifoient des vœux
(4) JFfchyl. c£.
\b) Barth«l. ibid.fag, 4«*
d'accoucher les femmes, 1 9
pour leur profpérité , Se les met-
toient par écrit. Cet endroit de
Seneque en cft une preuve : ( ^ )
Etiamnc optas quod tihi optavit
nutrix tua , aut pjtdagagus , aut
mater y &c. Ces vœux cependant
ne devenoient authentiques , 6C
ne s'écrivoient fur des tablettes ,
que quand les habiles de ce tems-
là y avoient paflTé : car on faifoit'
venir les rhyficiens, (h) C'étoit
les Ajfrologues , ou difeurs de
bonne avanture , qui au jour
qu'on nommoit l'enfant étoient
appelles , comme pour en tirer
l'horofcope : &: c*eft ce qu'on
appelloit/^/^ advocare ) fata fcri^
bere , fat a occupare.
Voilà un grand détail : mais il
ëtoit néceflaire pour faire voir j
que tous les offices qui regar-
dent le fervice des accouchées
étoient remplis par des femmes j
ôc que les hommes n'y avoient
{a) EpJ}. 60.
(/>) Mathcmatitos,
C iii
jo De l*lndêcence aux hommes
nulle part , ni aucun droit d'aC-
iîftance : [a) ainfi l'Antiquité Ci
précautionnée dérailleurs fe re-
pofoit uniquement fur le rap-
port des femmes y dans une des
chofes des plus nécefîaires \ la
vie civile , c'eft-à-dire > touchant
l'aflurance des mariages , ou la
certitude des enfans ; parceque
la préfence des hommes dans ces
fortes de cas ctoit contre le droit
naturel , ^ contraire à la pu-
deur j [h] In partu , muliernm te-
JiimonîHm fufficit y quoniam ^iro-^
rum pr opter pidorem nema admit--
titur.
Un fçavant Médecin Hollan-
dois ( c ) s'étonne , en parlant de
l'ouvrage de M. Bartholin fjr les
accouchemens , comment à cet-
te occalîon il n^a point examiné ,
( 4 ) tsçque j ut verumfatear, îegi uffîam vi-
ros in ipfo fuerperii a^n pneflo fuijje Almelo'
veen ofufcul, pag. Sp,
(b) Djgef}. 1.2. art. lo. §.de ventre infpî-'.
etendo.
( c ) Almeloveen in o2t*fctiL pag. 8 5>
d^ accoucher les femmes. 5 1
s'il y a eu des Accoucheurs dans
l'Antiquité. Mais apparemment
que cette recherche n efk échap-
pée à ce fçavant Auteur , que par-
ce qu on n en parloir pas encore
de fon tems : ce qui eft une au-
tre preuve en faveur des Sages-
femmes contre eux. En effet k
droit de préfence aux accouchc-
mens appartient tellement en
propre aux femmes , que les
Athéniens expoferent leur ville
à une forte de fédition , pour
avoir eflayé de le faire paiTer aux
hommes. Cette hiftoire eft fans
doute la plus ancienne époque
des Accoucheurs. Mais elle leur
fait fi peu d'honneur , ôc établit
fî parfaitement le droit des fem-
mes , qu'on doute qu'ils efTayent
jamais de s'en parer. En voici
l'hiftoire. (^;
L'Aréopage s'avifa de faire dé-
îcwk aux femmes de fc mêler de
(^) Igin.fabut. c. 274. f . 201. xfid. Atigm*
E^ifi. & ionf. medicin. î.i.c.iy.
C iiij
ji De f indécence aux homme f
Médecine , & de pratiquer les ac-
couchemens , qui eft une dépen-
dance de cette profeiîion. Mais
les Dames Athéniennes ne pou-
vant le foumettre à une Loi fi
contraire à la pudeur , aimoienc
mieux mourir faute de fecours ,
que d'emprunter celui des Mé-
decins , que TAréopage avoit
chargez de cet emploi. Une jeu-
ne fille nommée Agnodkc tou-
chée des malheurs de ^^s conci-
toyennes , prit le parti de fe dé-
guifer , & fous l'habit d'un hom-
me alla s'inftruire de la Médeci-
ne 5 fur tout de l'art d'accou-
cher , dans la fameufe école de
Médecine à'HierophiU. Elle réuC-
fit dans cet em.ploi : elle fit con-
fidence aux Dames Athéniennes
de fon fexe ôc de fon fçavoir fai-
re , & entra en pratique avec tant
de fuccès & de vogue , que la ja-
louae en prit aux Médecins. Ils
attaquent le prétendu Accou-
cheur 3 comme s'il avoit moins
d* accoucher les femmes. 3 3
fait métier de fecourir les Da-
mes , que de les corrompre. Citée
au Sénat elle prouve fon fexe > &
par là fe juftifie de fon innocen-
ce. Mais les Accufateurs profi-
tant de Tavcu d'un ennemi qu'ils
vouloient perdre , allèguent la
Loi qui interdifoit la Médecine
aux femmes , & font condamner
Agnodice, Alors toutes les fem-
mes d'Athènes accourent au Sé-
nat , crient à l'injuftice , 6c fe
plaignant de la dureté des hom-
mes , leur reprochent , que ce
font moins des maris qu'elles
trouvent en eux que des micur-
triers ; puifqu'ils condamnoient
dans Agnodice la feule perfonne
qui pouvoir leur épargner une
mort cruelle , à laquelle elles
s'expoferoient plutôt doréna-
vant , qu'aux mains & aux yeux
des hommes. Le Sénat comprit
l'injuftice de la Loi portée con-
tre les femmes, leur permit de
rentrer dans leurs droits , 6c de
34 ^^ l'indécence aux hommes
pratiquer la Médecine 6c les ac-
couchemens à l'ordinaire.
Il eft donc eonftant par cette
hiftoire , que l'art d'accoucher
étoit entre les mains des femmes,
avant m.ême que les hommes fon-
geailent à s'en mêler. Car enfin
pourquoi ordonner que les Mé-
decins pratiqueroient doréna-
vant les accouchemens y &i pour-
qi'oi le défendre aux femmes ,
fi les hommes en étoient en pol-
feffion avant elles ? Or que les
femmes fuffent au contraire dans
cette polTeffion , cela paroît par
l'étrange oppofition ou fc trou-
vèrent les Athéniennes contre
cette Loi , qui leur parût nou-
velle y inoiiie , de contre la pu-
deur. On Trouve enfin dans les
ancien^ Auteurs ( a ) des liftes,
des Sa2;es-femmes célèbres , les
monumens antiques en font foi,
6c les Loix ordonnent de leurs
(a) Galknfcrihon. farg.Paî. Mgtn. Aetin:^
d'accoucher les femmes. 5 y
honoraires , tandis que Ton ne
trouve dans les Livres ou aiU
leurs ni trace , ni veftige d'Ac-
coucheurs.
Voudroient-ils pour s'autori-
fer fe faire honneur a Albert le
grand y comme de leur Inftitu-
teur ; parce que de malins Au-
teurs ont voulu le faire palTer
pour Accoucheur ? [a) Mais qui:
ne fçait que le fait eft faux ? puif^
que la Chronique fcandaleufc
(h) en fut l'auteur j ôc qu'une
conjecture incertaine & mal
fondée y a donné cours. Ce n'eft
donc que parce qu'on lui a attri-
bué des Ouvrages (r) plus di-
gnes , ce femble , d'un Accou-
cheur que d\în Religieux , qu'on
a voulu faire croire, qu'il ie fe-
roit mêlé d'accoucher. Mais ou-
tre que cette attribution eft con-
tcftée , ne peut-il pas être per-
{ah ) Voyez Bayle ,.D/<fî. t. r.
{h) Idem. tom. i. pag. i^(^o.
(^c 2 De naturd.revim j depcmis mtilkrunSt.
7,6 De r Indécence aux hommes
mis aux Philofophes les plus fa-
ges ôc les plus retenus, de parler
de tout ce qui regarde la Phyfî-
quc , parce qu'ils peuvent fe re-
pofer fur la foi d'autrui , de ce
que rhonnêteté ôc la bienféance
ne leur permet pas d'examiner
par eux-mêmes ?
On ne trouve donc ni dans
l'Antiquité la plus éloignée , ni
dans les (iécles poftérieurs aucun
veftige d'Accoucheur : au lieu
que dans tous les tems on trou-
ve des preuves confiantes , que
les femmes , au danger même de
leur vie , ont toujours été très-
oppofées à fe laifTer voir & tou-
cher par des hommes , en cas mê-
me de maladies mortelles. L'hif-
toire qui fuit ne laifle rien à fou-
haiter là deffus : {a) elle eft d'u-
ne grande Princefle , &: d'un
tems beaucoup moins éloigné de
nous que celui à\Albert le grand :
(b) d'oùToupeutconclurre^que
(a) Fn 148^.
\b) En izao.
cT accoucher les femmes, t^j
depuis ce grand Homme les
perfonnes même les plus quali-
fiées , ne fçavoient pas encore
ce que c'étoit qu Accoucheurs ,
ni tout ce qui leur rellemble.
Marie [a) héritière de Bourgo-
gne tombée de cheval à la chalîe,
fe blefla dans ces parties que la
pudeur empêche de nommer. Le
cas ëtoit preflant , la néceflité
prouvée , la perfonne grave :
rien par conféquent n'étoit Ci
capable d'excufer une femine ,
qui dans ctt état fe feroit mon-
trée à un homme expert Se con-
noiffeur en ces matières. Un Ac-
coucheur auroit donc paru là à
fa place , fî la coutume avoit été
dans ces tems d'en appeller en
pareil cas : mais cette Prince{Ic
n'en connoiiïbit point : la veuc
même d'un Chirurgien , parce
que c'étoit un homme , lui parut
infupportable dans cette occa-
(c) Varillas , Hiit. ae Louis XI. 1. ^. p.
3? I>^ r indécence aux hommes
fîon de néceffité. Les promedes
toujours flateufes , quand elles
afTurcnt de la vie , ne purent la
fléchir. Elle fongea bien plus à
ménager fa pudeur , qu'à pro-
longer fes jours ; & perfuadée
qu'une femme fage devoir préfé-
rer de mourir plutôt que d'ob-
fcurcir en elle cette vertu , clic
craignit moins Thorreur de la
mort, que les mains ôc les yeux
d'un Chirurgien, Nos Dames
fans doute diront que c'étoit une
foiblefle dans cette Princeffè ,
une pudeur mal entendue , une
pufillanimité.
StultoYum incuYdtdfudor malus
ulcéra celât.
Mais qu*on dife tant qu^on vou^
dra , réplique un fçavant Auteur,
{a) [ non fufpcft de bigoterie , )
que ce fut porter la honte jufqu'à
rexcess cette faute ejl d'une telle
(4) M. BaylejDid. t. i.p. 117.
d* accoucher Us femmes, 39
nature , que ceux qui la commettent y
méritent plus notre admiratiort' ,
que ceux qui ne la commettent pas.
Ctjl une efpece dhéroifme , c'ejl
mourir Martyr de la pudeur^
Il nous refte encore de nos
jours des preuves convaincantes,
que les accouchemens ne feyent
bien, 6c n'appartiennent de plein
droit qu'aux femmes. Elles fe
trouvent ces preuves dans les
Hôpitaux , & principalement
dans THôtel-Dieu de Paris. Les
fages Adminiftrateurs qui y gou-
vernent n'auroient pas manqué
d'y établir des Accoucheurs , fî
la fureté publique eut eu quel-
que chofe à foufFrir dans les
mains des fem.mes : mais elles
feules y préfident aux accouche-
mens 5 fufTent-ils bizarres , labo-
rieux , 6c mortels. Les Accou-
cheurs donc n'ont encore pu
Î>orter leur jurifdiction jufques-
à , leurs émiffaires n*y feroienc
pas reçus , ôc il ne s'y drefle d^au-
40 De V indécence aux hommes
très Elevés que ies femmes. Ce-
pendant !es pauvres femmes y
font habilement fecouruës ; les
accidens n y font pas plus fré-
quens que fous les yeux des Ac-
coucheurs; 6c on voit par le peu
d'orphelins qui reftent des ac-
couchemens de THôtel - Dieu ,
que les mères 6c les enfans ne
font pas moins en fureté entre
les mains d'habiles Sages -fem-
mes , telles que font celles de ce
célèbre Hôpital, qu'entre celles
des plus fameux Accoucheurs.
CHAPITRE IV.
^ue les maximes de la Religion
chrétienne font contraires a la
profejjion d'Accoucheur,
IL n*eft rien que TEcriture &
les Pères ayent tant fait ap-
{)réhendcr à des Chrétiens, que
c commerce entre perfonnes de
difFércns
£ accoucher Us femmes. 4 1
difFérens fexes : car comme ils
font faits pour devenir Saints ,
( 4 ) la moindre chofc , fur tout
en matière d'impureté pourroit
les foiiiller. (h) Les Payens fe
permettent de voir des objets in^
décens ôc des peintures lafcives :
mais pour nous , leur dit un Pè-
re (<:) de TEglife en relevant la
pureté des Chrétiens, nous n'ac-
cordons pas même à nos oreil-
les de rien écouter d'impur ,
Nos ne aures qnidemjïupris acfor-
nicationïhus incfuindrï njolumus s
parce que les Pères étoient per-
fuadés , que c'étoit participer au
crime , que de lui prêter fes oreil-
les ou fes yeux.Scûr^auj7^nt^z]oU'-^
te le même Père , aures vejîr^ yfor^
nicati fhnt oculi. Mais ce n'étoit
pas feulement des chofes vrai-
(4) Nos ^emts ekCîitm , gensfanCîa, &c,
S. Petr.Ep. i.c. 2
(b) Noftro populo quid forefl objîct , c«;W
mis Rdigio efijine macula vivers ? LgCtant, L
infiit. C.9-
( <r ) S. Clem, Ahxanâr. ibiàçm.
D
41 T>e rindecence aux hommes
ment eriminelles , dont ils voit-
loient que les Chrétiens fe fifTent
horreur : ils les obligeoient enco-
re à s'interdire tout ce qui avoit
l'apparence de mal , ( ^ ) Pudiciti^t
chrtjlianjifatis non eji e(fe , veriim
Ô' videri : en matière fur tout
d'im.pureté, prefque tout leur pa-^
roifîbit crime, &: ils s'en faifoient
un de regarder une femme, (h) Fi-
detur fufcr omnia ejji av.erfandus
mîdlierum afpe&us y non Jolum cnim
Ji tangantur fed etiam/l fpecîentur
peccare ejf. Mais les femmes d'aur-
jourd'hui en font-elles quites
pour fe laifTervoir à leurs Accou-
cheurs ? elles fe trouvent encore
indignement foumifes à l'aclioii
de leurs mains. Ce font donc
moins encore des regards que
des attouchemens qu elles per-
mettent à des hommes. Que n au-
roient donc point eu à*dire con-
tre une fi honteufe pratique ces-
( ^ ) s. Tatil Terttiîî. ad Uxor.pag. 1 60.
^b ) S. Ckm. AUxau. f^àagog, L y. ci i>-
et accoucher les femme f. 43
îUuftres défenfeurs de la pudeut
chrétienne ? Eux fur tout qui te-
noient pour maxime , qu'un at-
touchement fur un fexe différent
ëtoit une fcmence de crime , (4 )
Tafius inquïnationis ejl autor. Ils
fe fondoient fur cette autre ma-
xime de l'Ecriture , ( ^ ) q^'il ejî
bon à l'homme de ne point totfcher
de femme. Car enfin , dit un autre
Père de TEglife fur cet endroit ,
(^) il n'eft avantageux à l'hom-
me de ne pas toucher de femme,
que parce que c'eft un mal de le
faire. En effet, continue le mê-
me Père, l'Ecriture ne dit pas
que c'eft un bien de n'avoir point
de femme , mais que c'eft un
bien de ne la toucher pas ^ parce
que ce n'eft qu'en la touchant
qu'on s'expofe au crime, {d) Non
dixit ^ honum ejl uxorem non habc^
( a ) S. Bafil. de ver a vtrgin. p. é^r f .
(h) S. Paul, epift. i . ad Corinth. c. 7.
(c) S. Hieyonym. l. i. ad Jovmian^
( d) S, Hkronym, ibrd.
D ij
^«4 'De Vindeccnct aux hommes
re yfed honum ejl mulierem non tan^
gère s quafi in taciu fericulum Jît,
Tant d'exactitude ne paroiffoic
fi néceffaire à ces grands Maîtres
de la piété chrétienne , que parce
qu'ils croyoient que le toucher
eft le plus dangereux de tous les
fens 5 par la raifon qu'il eft le
plus féducleur : oc il ne féduit
il puiflamment , que parce qu'il
agit plus univerfellement fur le
corps : car les fons ne frappent
que l'oreille , les faveurs n'é-
branlent que la langue ; mais le
toucher agite tout le corps j par
ce qu'il eft comme le fens uni-
verfel , le fens des fens , qui fe
rencontre dans tous les autres y
êc qui affecte & remue tous les
organes , f ^ ) Tacîus fenfuum om-
nium ferniciofijjimus ^ fœvijjîms
ht an die ns , fenfus reliquos Uvlîatc
fît a, ad volupîatis iUccebras pcllit»
Un autre Père ajoute que (rf)
( <3 ) Bafil. de vîrgm. fag, ^14.
{h} Saint Jérôme.
^accoucher Us femmes. 4 5
les attouchemens font conta-
gieux entre les perfonnes de dif-
férent fexe , &: qu'ils portent i
la lubricité , même fans qu'on y
penfe dit un autre Saint 5(4)
Mafcnlum cornus fœmi?ieum aï tin-
gens y qukithet ratione modèrent ur ,
ad congrejjiim tamen mutuo Uten^
ter incitantur, A quels dangers
donc ne s'expofent pas des Chré-
tiennes livrées aux mains d'un
Accoucheur ? Car enfin ce font
toujours de jeunes perfonnes ,
d'autant plus fufceptibles par
conféquent de vivacité ôc de ten-
drciTe à la préfence d'un homme
étranger qui les couche , qu'elles
auront été plus retenues , &:
moins accoutumées à en fouffrir
d'autre que leur mari. Dans cet-
te difpofition il eft mal aifé de
répondre de leur imagination ,
êc on doute qu'elles en puilTenc
furement répondre elles-mêmes,
(^) S,3afil. de virgin.^ag. 4 $6.
4^ 'De Vindêunce nux hommts^
K^) J^nntumv'u bonâ mente CO"
nentur ,, necejji eji publicatione fui
fericHtcntur , dum penutitmiur
ûculis incertis , &c. Dans le tems
qu'elles ont à fe défendre contre
le plus impérieux des {h) fens,
la pudeur du moins rifque beau-
coup alors , & n'a pas peu à fouf-
frir 5 ( ^ ) ficfrons duratur yjicfu^
dor teritur yfic folvitur , ô'C
Prétendra-t'on que le danger
des attouchemens ne doit s'en-
tendre qu'en matière grave &:
de conféquence, & lorfqu'ils fe
permettent à mauvaife inten-
tion ; ôc qu'une femme en tra-
vail fe trouve occupée de tout
autre fentiment que de celui de
la préfence & de l'aflion d'un
homme ? Mais ce n'eft pas tou-
jours au moment de la douleur
qu'un Accoucheur rend vifite à
une femme : c'efl fouvent en
{a ) Tertul. de virg. velandis , fag. 1 8r ••
(h) Vid. S. Bafil. de virgin. pjig. ^14».
((c ), Temill. ibid.
éFacctfUcher les femmes , 47
pleine (anté & de fens raffis qu'-
on l'appelle ; comme dans ua
doute de groilelîe oii les femmesr
veulent s'airurer de leur état -
ou bien même lorfqu'une fem-
me peu entendue encore en ac-
couchement, fe livre aux mains
de fon Accoucheur , autant de
fois qu elle craindra la furprife.
Ce n eft donc pas toujours pour
des femmes fouffrantes qu'ils
font appelles [a),
Voudroit-on excufer ces at-
touchemens^ & dire qu'ils doi-
vent être iàns danger , parce
qu'on ne les accorde qu'à bont
deffein , & dans des occafions
fans conféquence ? Mais tout eft
à craindre à la pudeur, {b) etiam
feminarum oculos pati non vult ::
èC il n'y a rien de fur ou de mé-
prifable pour une Chrétierme en:
cette matière : c'eft même un
(a) Voyez la DiiTertat. fur les accouche-
jnens.
^ h Tmull ibicL
48 T>e V indécence aux hommes
commencement de crime pour
elle , fi elle ne craint point aflez :
{a) Nam qui frAfumlt , minus jam
njeretur s qui minus veretur , mi^
nus -pr.Udvet ; qui minus pr£cav et y
■plus périclitât ur. Timor fundamen^
tum falutis eji\ prœfumptio impe-
dimentum timoris. Un Père de
l'Eglife compare la moindre li-
berté en matière d'impureté , à
CCS petites pierres qu'on jette
dans un fleuve : elles n*y exci-
tent d abord , dit-il , qu'un foi-
ble trémoufTement ; mais qui
tout d'un coup pafTe dans une
agitation univerielle par les on-
des redoublées qui croilTent ,
s'étendent & pullulent , & por-
tent le trouble jufqu'aux bords
du fleuve. Ne leroit-ce point
ainfi , qu'un attouchement ac-
cordé à un Accoucheur par une
perfonne fage , que la mode , la
crainte , & la complaifance ren-
dent trop docile dans cette oc-
( ^ ) TertulL de cultttfeminarum ^ p. i f 4«
• cafion 5
^dccouchtr Us femmes, ^ ^ L
Cafîon , pourroit devenir erimi-
nclle ? Car enfin la volupté cfl:
trompcufe 5 & fouvent elle faic
d'étranges progrès pour peu qu*-
on s'y laifTe furprcndre : du
moins ne pourroit-ce point être
un appas vers le crime ? ear à
force de fe laifler toucher par
des hommes , ne pourroit-on pas
prendre goût à des attouche-
mens étrangers 6c dangereux *
< ^ ) Et en ce cas la fidélité dans
les mariages feroit-elle bien en.
fureté? (i)
On fe difculpera en difant ,'
que les Accoucheurs font gens
fages , d'une probité connue ,
&: au-deffus du foupçon ôc de la
médifanec. On le veut croire :
on ajoutera même . qu'il eft de
leur intérêt d'être tels : mais du
moins n'ofera-t'on dire , que ce
foient des hommes agés; parce
( ^ ) Voyez la Differt. fur le5 accouchcis
mens, p. \6,
{b) Ibi4. pageif»
E
^o De Psndéctnce dux hommes
qu'alors on les trouveroit trop
foibles. Ce font donc des hom-
mes encore frais , entre les mains
defquels on remet de jeunes fem-
mes. Mais tels qu'ils puilTent
être , du moins font-ce des hom-
mes , par qui une femme ver-
tueufe doit toujours craindre de
fe laiflcr voir êc toucher • puif-
que les Pères de l'Eglife veulent
qu elle craigne la familiarité d'un
parent , d'un ami , d'un frère.
{a) Suficit feccatum y & per tac^
tuni fraternd manùs , ac per facis
& diUciionis ofculum fcnfum caY"
nis excitare.
Le danger même fera double,
^ par conféquent plus grand , Ci
on le confiderc encore par rap-
port à l'Accoucheur : car fi les
Pères font craindre à une femme
jufqu'à fon frère même , ils aver-
tirent les hommes de craindre
les femmes jufcjues dans leurs
( « ) 5, BflfiU ds Vir^m. ^Ag. 6 j j;^
l
d^accouchcrîes femmes, ^i
propres mères : [b) ,^id i}2terejl
utrum in uxore an in matre , dum
tamen Eva , in qualihet muliere ca^
njeatur. Avancera -t'on pour la
défenfe des Accoucheurs , que
la condition des perfonnes qui
les appellent doit rendre leur
profeflion innocente , parce que
ce ne font que des Dames de
qualité , dont le rang & la di-
gnité tiennent l'imagination de
rAccoucheur en refpect ? Mais
on fçait & on voit avec douleur,
que leur prétendue profeiîioii
cil: un métier public , où Ton fait
fortune ; parce que chacun y a
droit pour fon argent. Ce n'eft
donc plus uniquement auprès
des Dames de condition qu'ils
fe trouvent appelles , ÔC chaque
femme veut joiiir du privilé^^e :
l'imagination d'ailleurs ne ref-
pecle perfonne, elle fe prend à
tout. Ceft moins enfin la qua-
lité de la perfonne qui infpirc
E ii
j 2 De r indécence aux hommes
une mauvaifc penfée , que la vo-
lonté ou le mauvais penchant
qui la fait naître {a) Culpam
facît non dignités fed voluntas.
Après toutes ces raifons de Re-
ligion &C de bienféancc , on lait
fe à examiner aux Accoucheurs
& aux Accouchées , fi leur con-
fcience peut être en fureté.
Excuiera-t'on les Accoucheurs
en difant , que c'eft fur des fem-
mes mariées qu'ils exercent leur
profeffion ? Mais quoi ! feroit-
€c donc qu'une femme mariée
li'auroit plus rien à perdre entre
les mains d'un homme étranger ?
ou feroit-ce qu'elle fe feroit dé-
faite de tout fentiment de pu-
deur en devenant mère ? Ce fe-
roit faire outrage aux mariages
chrétiens qui font innocens par
eux - mêmes , ôc qui honorent
ceux qui s'en approchent dans
(^) s. Hiêfonym, in g^ùa^h, Fabiola $à
d'accoucher les femmes. 53
refprit de l'Eglife , ( 4 ) Honora-'
hilc connuhium , thorus immacula^
tus. Une femme donc pour être
mariée n eft pas moins loumife à
la modeftie de fon état, ôc c*eft
par cette raifon qu on obligeoic
autrefois également les femmes
êcles filles àfe voiler, [h) Orâ
tefive mater , Jîve foror , Jivejtli^
*virgo 5 vêla caput y fi mater , frof^
terflios îfifi)ror , prof ter fratres s
fi filia y prof ter patres y &c. Com-
me il eft donc de la pudeur des
vierges chrétiennes , de ne rien
permettre fur elles de la part de
quelqu homme que ce foit 5 il eft
de la modeftie d'une femme ver-
tueufe de tout refufer à tout au-
tre qu'à fon mari.
La pudeur eft donc de toute
condition j &: puifqu'unc pcnféc
peut dérober à une vierge chré-
tienne la pureté de fon état , ( ^ )
(^) s. Vaut. cfij}. ad Hebra. c. 1 3 . f . 4»
(h) Tertull. de virgin, veland. fag. \ii,
(£• ) S. liiefonym. e^ifi» ad Eujlochmm*
E iij
54 ^^ H '^décence mx Sommes
Mente cnim virginitas ferit y pujT
3uil eft poflîble qifelle cefic
'être vierge par le cœur , quoi*
que fon corps foit encore chafte,
( 4 ) Nil prode/l carncm hahere vir^
ginis y fi mente quis mipferit ;
n'eft-ce point expofer une jeune
femme à une forte d'infidélité ,
ou d'adultère fpirituel , que de
Texpofer ainfi aux faillies de fon
imagination entre les mains d'un
Accoucheur ? c'eft du moins lui
infpirer trop de familiarité & de
confiance pour un homme étran-
ger. Heureufc l'ignorance de
cette Dame Romaine , (^) qui
pôltt* âvôir peu fréquenté les
hommes , croyoit qu'ils ki\-
toient tous mauvais , parce que
fon mari avoir l'haleine puante !
Cette une humeur un peu moins
fauvage lui auroit épargné cette
{implicite.
Par tout ce qu'on vient de rap-
( a) Ibld.
{b) Billie dans Plutar<jue^
à^ accoucher Us femmes, 5 5
porter des fentimens des Pères ,
on voit combien ils auraient été
éloignés d'approuver la profef-
fîon d'Accoucheur : mais ce qui
fe pratiquoit de leur tems en
matières femblables à celle d'ac-
eouchemens', en eft une preu-
ve convaincante. Si une vierge
chrétienne étoit foupçonnée du
crime d'impureté , ce n'étoit
point à l'examen des hommes
qu'on s'en rapportoit , mais à
celui des Sages-femmes. ( a ) Les
fiécles qui ont fuivi le font tel-
lement confirmés dans cet ufa-
ge , que s'il arrivoit quelque
doute fur le témoignage des Sa-
ges-femmes qu'on avoit appel-
lées d'abord ;, ce n'étoit point
des hommes qu'on appelloitpour
décider du doute , mais d'autres
5ages-femmes , ou plus habiles
ou moins fufpectes. {h) Ceft
pourquoi tout ce que nous avons
( û ) via. S. Cypn'an. E-p.fag. 1 74.
{h) Décrétai, de GiégoirelX. î.i.ç. 14,
F iiij
^é De t indécence aux hommes
d'Auteurs qui ont traité de ces
fortes de rapports , fi on en ex-
cepte ceux de notre tems , par-
lent tous des témoignages des
Sages-femmes fur ces matières ,
parce que c'étoit à elles feules
que les Juges s'en rapportoient ,
comme on le voit dans le droit
Canon & Civil : (a) marque cer-
taine qu'on a crû de tout rems
qu'il auroit été contre la pudeur
d'employer des hommes en pa-
reil cas.
Malgré cette précaution il
s'eft trouvé d'habiles Auteurs ,
qui ont trouvé à redire même à
cette coutume d'expofer le corps
d'une fille aux yeux d'une fem-
me : car outre que cette preuve
ëtoit fort incertaine 6c fujette à
méprife , comme le reconnoit
lui-même Saint Cyprien , (^) 6c
( A ^ Dtgejl. l. 9 ' tît. 2 . ad legem Aquileiam:
eap. 9' ibîd. lib. i. tit. 4. de infpcùndo ventre
Loy. i .
(b) S.Cy^rim.Ef. 174.
d'accoucher les femmes. j 7
comme on ?a démontré depuis.
( a ) Quelques-uns ont crû que
c'étoit vendre trop cher à une
perfonne fage la preuve de fon
innocence , .^^ vere cajia erat
virgo noluerit (h) fie vindicari >•
& d autres que c'étoit détruire
ce dont on vouloit s'afTurcr. In-
ter ûbftetricum m anus virginitas
occiditur, (c) Que nauroient donc
point dit ces fages Auteurs , de
voir aujourd'hui la plupart des
jeunes femmes chrétiennes fous
les yeux & entre les mains des Ac-
coucheurs ? que d'obfcénité n*au-
roient'ils point remarqué dans
cette infâme coutume î que d'in-
convéniens pour la pudeur ! quç
de danger pour Tinnocence.
(a) Vide Capîvaccium de Virgin, Jtgn, Au-*
genium , Sebizium , &c.
(b) S. Cyprian. ef . pag. 174.?» n9t^
(c) Ibid, ex Rigaltiç»
5 3 P^ l'indécence aux hommes
CHAPITRE V.
^u^e la profejjion d'Accoucheur ejt
rarement nécejfaire.
LE cas de néceffité cft donc
le feul qui puifle rendre l'of-
fice d'Accoucheur excufable ;
mais ce fera lorfque la vie de
l'enfant ou de la mère ne pourra
être fauvée que par fon minifté-
re. Auiîî en cas pareil la pudeur
n'a-t'elle rien à rifquer : car l'é-
tat trifte ôc affligeant d'une fem-
me déconcertée par la douleur
hc prête d'expirer , n'offre rien
que de mortifiant. Ainfi l'extré-
mité de la malade , la menace de
la mort , l'excès de la foufiran-
ce 5 la perte d'un enfant prêt de
périr avant que de naître , un
fpeâiacle fi affreux , 6c un état fi
humiliant , préviennent tous les
dangers , & chacun fe trouve eu
d'accoucher les femmes, ^^
flireté : on eft comme afliiré
d'ailleurs qu'en ces occafions où
la néceflîté eft preflante , la mê-
me ProvideiTce qui permet la né-
ceinté , soutiendra & préfervera
ceux ôc celles qu elle y engage.
Mais fi l'on confidére qu'il n y
a peut-être pas une femme entre
cent , peut-être pas une entre
mille , qui fe trouve dans cette
prétendue néceffité , il fera vrai
de dire , que de cent femmes il
yen aura quatre-vingts-dix-neuf
qui pourront ôc qui devront fe
pafTer d'Accoucheur. Ce fera
donc au plus une femme encre
cent qui en aura befoin • ainfî
pour une fois qu'un Accoucheur
fera néceffaire , il y en aura qua-
tre-vingts -dix -neuf oii il fera
inutile. Si d'ailleurs ce befoin
eft de nature à pouvoir être auflî
fu rement foulage par la main
d'une femme habile &c expéri-
mentée, que par celle d'un hom-
me j s'il demande prefque tou-
6o De lindktnee aux hommes
jours plus de tête que de bras ;
il enfin l'habileté d'un fage Mé-
decin eft ordinairement plus né-
ceiïaire que la maifi de qai que
ce foit ; le fecours d'un Accou-
cheur deviendra alors inutile ou
dangereux , 6c fa profeflîon de-
viendra rarement néceflàire.
Or il cft certain que c'eft pref
que toujours par des fecours ti-
rés de la Médecine , que les ac-
couchemens laborieux fe termi-
nent heureufement , quelque-
fois par. la main foutenuë d'un
grand ufage , rarement par quel-
que opération.
Que fi c'eft un purgatif, une
faignée , ou quelqu autre remè-
de qui doive tirer une femme
d'affaire , elle s'expoferoit à d'é-
tranges méprifes entre les mains
d'un Accoucheur : car lui qui
nagueres tenoit boutique de Chi-
rurgien (peut-être auez peu a-
chalandée , ) lui qui n*a ni étu-
de, ni expérience en Médecine »
et Accoucher les femmes. S i
qui n en fçait que ce que le ha-
sard lui en a appris , qui ne con-
noîc au plus le corps humain que
pour fçavoir placer une incifion,
mais qui ne s*cft jamais inftruit
à fond 5 ni du cours des liqueurs,
ni de l'ordre de leurs circula-
tions j lui qui ignore le rapport
des parties , avec les liqueurs qui
les arrofent , de le rapport des re-
mèdes avec ces mêmes liqueurs ;
qui n'entend enfin ni l'oecono-
mie animale , ni la mécanique
du corps humain ; cet homme
ainfi dépourvu de connoiflance ,
d'expérience , d'obfervation , 6c
peut-être de bon fens en Méde-
cine, viendra hardiment décider
d'un remède intérieur dont il ne
connoît pas la route , d'une fai-
gnée dont il ignore les effets, d'u-
ne purgation dont il n'a point
:ippris les éciieils , d'un narcoti-
que dont il n'a jamais eflayé les
dangers. Doit-on après cela s'é-
, tonner des malheurs qui lui ar-
Cz De V indécence aux homme's
rivent ? puifqu il marche au Iia-
zard , fans régie , fans boulTole ,
par des routes étrangères ^ dans
un pais inconnu pour lui.
On croiroit peut-être quoii
avanceroit tout ceci fans preu-
ve: mais en faut-il d'autre de fon
peu d'ufage en Médecine que
celle-ci ? Cet Ex-chirurgien qui
entreprend aujourd'hui de trai-
ter une fièvre , un tranfport ,
une convulnon dans une accou-
chée , par ce qu'il s'eft érigé en
Accoucheur, auroit eu honte de
fe donner pour Médecin la veil-
le du jour qu'il s'eft donné ce re-
lief dans le moçde , & auroit
craint de traiter cette même fem-
me non accouchée j peut-être ne
le voudroit-il pas même encore
étant devenu Accoucheur , fi la
même femme avoir les mêmes
maux hors le tcms des couches.
L'on fçait cependant , qu'il faut
infiniment plus de tête , d'habi-
leté & de connoifTance , pour
d'accoucher les femmes, 6}
traiter tous ces maux dans une
accouchée que dans une autre
femme : il cft donc certain qu'en
CCS cas qui dépendent de la Mé-
decine une accouchée fe trouve
mal placée dans les mains d'un
Accoucheur. Ajoutez à préfent
que ces cas dépendans de la Mé-
decine font les plus fréquens :
6c ce fera prouver combien
la profeffion dAccoucheur eft
rarement néceflaire : voici de-
quoi s'en convaincre. Si Ton
entend parler des maladies qui
arrivent pendant la groiïefle , il
n'en eft guéres où il faille plus
d'habileté , plus de connoifîan-
ce 5 en un mot plus de Méde-
cine. En effet il faut connoître
alors non feulement eu égard à
la mère , la difpofîtion du fang ,
les délais qu'il foufFre, les dé-
tours èc les altérations qu'il
prend , les écarts qu'il fe donne,
6c les dépôts qu'il peut faire ;
mais il faut encore en être inf-
(^4 ^^ l* indécence dux hommes
truit par rapport à Tenfant dont
il faut auffi conferver la vie.
C'eft donc une Science dou-
ble 5 dont on a befoin pour ia-
rement ménager les intérêts de
1 une & de lautre , en ôtant le
fuperflu de la mère , fans trop
dérober à l'enfant Or tant d'ha-
bileté & de juftefTe ne paroît pas
trop de la compétence d'un Chi-
rurgien 5 qui s'étoit plus occupé
de former fa main , que de meu-
bler fa tête de tant de réflexions
& d'obfervations inutiles même
à un habile Opérateur. Les ma-
ladies qui arrivent dans le tems
des couches ne font pas plus du
reffbrt d*un Accoucheur. Une
femme trop pleine de fang ôc
d'humeur fe trouve furprife a ac-
cidens violcns , d'efforts invo-
lontaires , de douleurs inutiles :
le fang alors en contrainte , ôC
les efprits en défordre , tiennent
les mufcles en convulfion : les
parties engorgées prêtent mal ôc
s'oppofent
d^ accoucher les femmes, 6^
s'oppofent à la fortic de Pcnfant :
tout fe révolte donc , de les li-
queurs interceptées agiffent fur
elles-mêmes , ôc s*animent , ou
rebrouflent vers le cerveau ;
alors mille accidens mortels fe
préfentent j convulfion , aiïbu-
pilFement , douleurs bizarres &c
à contre fens. Ce feroit donc de
la fouplefle qu'il faudroit rendre
aux parties , en rectifiant le cours
du fang 6c calmant les efprits.
Alais font-ce là les idées d'un
Accoucheur ? Mal inftruit donc
de la manœuvre qiuLfe pafle alors
dans le corps d'une femme y ôc
peu à porté des réflexions qu'il
faudroit faire ; il aura recours à
des purgations dangereufes , à
des apéritifs indifcrets , à des la-
vemens violens , à des faignécs
mal entendues , & fe mettra fans
y penfer de moitié avec le mal ,
pour le rendre plus dangereux.
Peut-être même fera-t'il pis que
tous ces remèdes : déconcerté
F
é6 De rindecence aux homme J
par l'excès du danger, au défaut
de tête il employera des bras , il
engagera la malade dans un tra-*
vail prématuré , &: l'enfant dans
un danger imminent : vous de-
mandez d'où viennent ces con-
tre-tems ? d'un homme hors de
place qui fait ce qu'il peut , par-
ce qu'il ne fçait ce qu'il faut.
Par les mêmes raifons , un^
Accoucheur doit être aufli peu
entendu dans les maux qui arri-»
vent après les couches : ainfî
tantôt des tranchées violentes ,
dont il ne comprend pas les cau-
fcs , l'engageront dans un mau--
vais pas 5 ôc voulant calmer une
douleur preflante par un remè-
de qu'il connoît mal , il jettera
la malade dans un fommeil éter-
nel : tantôt groffiérement inf^
truit de la route que le fang tient
ou qu'on lui peut faire tenir , il
l'engagera dans les vifccres par
des faignées mal rangées : dans
îunc ridée d'une foiblefle .0],l
et accoucher les femmes, 6j
d'un épuiflTement mal fondé lui
fera ordonner une nourriture
exceffive : dans l'autre le foup-
çon d'une cacochymie imaginais
re lui fera prefcrire une purga-
tion dangereufc. L'idée d'acides
& d'alcalis , dont il aura oiii par-
ler , lui fera venir celle du Quin-
quina , qu'il ordonnera pour dé-
truire un acide qu'il foupçonne
èc qu'il ne connoît pas. Ce ne
fera donc qu'une Médecine de
hazard &: de caprice que celle
d'un Accoucheur.
Son miniftére fera plus heu-
reux , Il c'eft par Tadrefle des
mains que la malade doit être
fecouruë^ car il eft manifefte
qu'un homme en ce genre peut
autant qu'une Sage- femme : mais
puifqu'il efb plus féant &: auflî
fur de commettre cet emploi
aux femmes , comme on le prou-
vera ci-après , il faut convenir
encore qu'en ces derniers cas
même , il cft inutile d'appcUcr
Fij
è 8 T>e V indécente aux hommes
des Accoucheurs. Refte celui de
Topération feul , lorfqu il faut
(a) couper , arracher , dépecer
un enfant dans le fein de fa mè-
re 5 car à ces mots on reconnoît
le caractère d'un Accoucheur
Opérateur , qui dans ce cas mé-
rite non feulement la préféren-
ce au-deffus des Sages-femmes ;
mais à qui feul il faut fe rappor-
ter de ces opérations -, parce que
lui feul fçait manier des infkru-
mens. Mais combien ces cas font-
ils rares ?
On dira fans doute , que c^eft
réduire la profeffion d'Accou-
cheur à de rares befoins ; mais la
raifon le fait voir. Car après tout
ce qu'on vient de dire j on efpérc
que perfonne ne trouvera exa-
(^) Encore (ê tfouve-t'il des exemplef
^opérations faites par des femmes fur les
tcorps de leurs femblable»;, en certains caj
qui intéreflbient la pudeur, heo African, nar-
rât munus circumcidendarum muUerum obin
vetulas quafdam &c. a^ud Hust, Nch in Origm*
^accoucher les femmes. S^
|;erée la propofition qu'on vient
d'avancer, qu'il n'y a pas une
femme entre cent , peut-être pas
entre mille , qui ait befoin d'un
Chirurgien ; de que par confé-
quent ce n'eft pas la peine d'éri-
ger des Accoucheurs en titre
d'office.
CHAPITRE VI.
^ue U coutume de fifervir d'Ac-
coucheurs ejl moins un ujage à
recevoir , quune entre frife i r^-
frimer.
ON en appellera fans doute
à Tufage & àTexempIc : car
rien n'a tant de pouvoir fur l'cf-
prit du monde que la coutume^
{ a ) qui en régie les actions & les
maximes en fouvcraine : il n'y
avoir pas même jufqu'à la Reli-
( <j ) Omnium domina rerum. AuL Gell.^^g»
70 Z>^ P Indécence aux hommes
gion , où fon empire ne fût prêt
3e palTer : car c'écoit par des-ufa»^
ges ou des traditions humaines ^
que les Juifs entreprenoient de
juftifier leurs prévarications ^ &c
d'excufer leurs erreurs : mais le
Fils de Dieu a fait voir l'injufti-
ce & la vanité des ufages , quand
ils ne s'accordent pas avec la
piété. Ceft pourquoi les Cano--
niftes ont établi depuis , que
quoi que ce puifle être qui foit
ou écrit ou reçu dans le monde
contre le droit naturel , doit être
abrogé ôc réputé nul , (^ ) «^^•
cunque vel morihus recepta funt ,
vet fcripturis comprehenfa , Ji na^
turali juri fuerint adverja , irrita
haberi dcbent. Si donc la coutu-
me de fe faire accoucher par des
hommes eft contre le droit na-
turel ; c'eft moins un ufage i
conferver qu'un abus à détruire :
or l'on a montré que cette prati-
que eft contraire à la pudeur,
{a) Canon, Quo jure infnf. VtftmCi* 8»
d'accoucher les femmes, ji
qui diftingue les hommes de
tous les autres animaux , (a) mais
qui eft fur tout naturel aux fem-
mes. Une autre maxime c'eft
qu'une coutume ne peut tenir
lieu de Loi , quand elle n'eft fon-
dée ni fur la vérité , ni fur la rai-
fon , Confuetudinem veritas é* y^
tio excludunt ( b ).
Il n'eft donc pas de coutume
qui mérite plus d'être abrogée
que celle-ci ; puifqu'il eft faux
qu^un Accoucheur foit néceflai-
re dans les cas des couches ordi*'
naires qui font les plus fréquen*
tes 5 6c que. le bon fens & la droi*
te raifon font voir , qu'il eft de
Tordre qu'une femme en accou^
che une autre.
Que Cl d'ailleurs la coutume
de fe faire accoucher par des
Jiommes , eft moins l'effet de la
( « ) Hocfoîum animal ( homo ) natum ejfptr^
doris & verecundia particefs, C/V. /. 4. de fuig
lus,
i ^ ) Can* Verime , & can^ Confumuk*
^1 T)e tïndécence aux hommes
raifon que du préjugé , fi la ré-
flexion Se la nécefTité y ont moins
de part que le prétexte ou Ter-
reur ; ce fera moins un ufagc
qu*une licence , moins une cou-
tume qu un mal-entendu qui ne
doit être d'aucune autorité ; ( ^ )
^uod enim non cum rationt intro^
dudum ejl , fed errort primum ,
dtindc confuctudine ohtentum efi ,
in aliis fimilibus ohtineri non débet,
L'ufage donc d*appeller ordi-
nairement des Accoucheurs efk
manifeftement abufif j piiifqu-
on le fait prefque toujours fans
néceflîté ou fans raifon , comme
on la fait voir. C'eft par confé-
qucnt le cas oii la coutume^nc
peut ôc ne doit avoir lieu : [b)
Veritati manifejlat£ cederc débet
confuetudo.
Enfin fi Ton examine la nature
de cette prétendue coutume éta*
( ^ ) L. quoà non rattone. de îegibm Ù" SenA'*
tusconfuîtts.
( ^ ) Can, verùate & can, confuemdo*
blie 5
d*accoucher les femmes, 73
blie , on reconnokra que la con-
dition principale pour fonder un
ufagc raisonnable lui manque :
c'eft du tems , qui donne le poids
6c l'autorité aux ufages, dont on
veut ici parler j car il eft fi nou-
veau que àts femmes ayent pu fe
réfoudre à fe livrer à la difcré-
tion des Accoucheurs , 6c fi in-
ouï dans l'Antiquité , qu'il fe foie
jamais foujEFert rien de fembla-
ble même parmi les Payens , que
cette coutume paroît reflembler
mieux à une erreur de pratique ,
qu'à une vérité d'ufage -, elle n'a
donc pour elle que le caractère
d'erreur, c'eft-à-dire, la nou-
veauté ; & l'antiquité qui eft le
propre de la vérité lui manque.
Or une coutume nouvelle , erro-
née , & mal entendue , expofe à
tous les dangers de l'erreur : Con-
fuetudûjlnc veritate y vetuftas erro-
ris efl.
On demandera , s'il eft poiîî-
ble qu'une pratique qui feroit fi
G
74 ^^ r indécence aux hommes
manifeftement dangereufe eût
pu faire tant de progrès en lî
peu de tems ? Quoi donc , il au-
roit pu arriver que tant de fem-
mes lages ôc régulières en toutes
chofes 5 fe fufîent ahufées jus-
qu'au point de fe laifTer aller au
torrent d'un ufage condamna-
ble 1 Mais qui ne fçait le pou-
voir de l'exemple fur l'imagina-
tion ? D'ailleurs tel eft l'artifice
de l'ennemi commun du falut
des hommes : des leçons ouver-
tes 6c grofTiéres d'impureté lui
auroient mal réuffi pour attaquer
la pureté des mères chrétiennes :
il a trouvé une voye plus fûre &
plus abbrégée pour leur porter
des coups mortels , qui eft celle
de l'exemple : ( ^ ) Longum iîer ejî
fer prjtcepta , brève & efficax per
exempla. Il a donc employé des
exemples de leurs {emblables ;
parce qu'il n'eft rien qui déter-
mine auflî puilTamment que l'ç-
(4) Sçnec^ ad lî*cih
d'accoucher les femmes, 7 5
xemple entre gens égaux êc de
même nature : ( ^ ) 'OiiO nos ma^
xime movent Jimïlitudo d^ exem^
flum, Quune femme donc en
dan2:er , quelle fe fera peut-être
exagère a elle-même , ait ete uti-
lement fecouruë par un Accou-
cheur 5 une autre aura crû pré-
venir ce prétendu danger en
Tappellant tout d'abord ; ôc in-
fcnliblement chacune fe fera
donné le droit d'en faire autant ,
f)arce que chacune fc fera éga-
ement crue en danger entre les
mains des Sages-femmes. Les
hommes peut-être auront uti-
lement entretenu ces frayeurs ,-
attentifs autant quils le font à
fe rendre les maîtres , peut-être
auront-ils habilement profité de
Toccafion , pour étendre leur
autorité fur un fexe qu'ils ai-
ment à alTujettir : ils auront trai-
té la pudeur des femmes de foi-
Gij
7^ "Dt rindcccKcc aux hommes
bleue 5 6c leurs icrupules de pii-
fillanimité : c'eft ainfî qu on leur
aura inlenfiblement appris à fe
défaire d'une honte qui hono-
roit leur fexe 6c qui foutenoic
leur piété : elles feront donc par-
venues à croire qu'il n'y a guéres
d'apparence qu'on puiiTe deve-
nir criminel au milieu de tant
de complices , ôc qu'une faute
même .n'eft plus coniîdérable ,
quand elle eft devenue celle de
la plupart des honnêtes gens :
( a ) Multîtudine feccdntîHm tolli"
tur , é" defmit ejje probri locc corn--
mune mdedicîtirn,
Mpjs puifque l'exemple a eu
tant de pouvoir fur les efprits
des femmes , qu'un exemple fa-
ge & des plus autorifés les rap-
pelle à elles- m.êmes , & leur ap-
prenne ce qu'on doit faire 6c
penfer de ces fortes de pratiques
hontcufes que la coutume au-
d'accoucher les femmes, -77
roit établies. L'exemple quon
leur propofe eft celui des Em-
pereurs 5 des Princes , & des Ma-
giftrats , qui ont employé leur
autorité pour abolir certains ufa-
ges déjà établis , uniquement
parce qu'ils étoient contre la pu-
deur.
Il étoit d'ufage du tems de
l'empereur Théodofe , {a) d'en-
fermer les femmes furprifes en
adultère dans d'infâmes lieux ,
pour y être en proye à la pafTion
du premier venu : bc cette infa-
mie fe commettoit au fon d'une
cloche , pour rendre public 6i le
crime & la peine. Ce grand Em-
pereur défendit cecre coutume
par cçiTxc feule raifon qu'elle
étoit honteufe. Par un mem.e
motif Juftinien abolit enfuite la
coutume établie de décider par
les yeux de la puberté naturelle
àcs garçons. { ^ ) La Philofopnic
(a) Socrat.l. f.c. 1-8 .
{b) Ob mdçcQTiVn obfirvation^m in gxîonî-
G iij
ji De l'indécence aux hormnes
payenne fe rendit auffi peu favo-
rable à tous ces moyens hon-
teux , quoique {uirs en certaines
occafions. Ainfi Lucien lui-mê-
me 5 athée de profeffion ou le
plus impie des Philofophes, fe
moque du moyen qu'on lui pro-
pofe de s'affurer par la vue du
fexe d'un homme qui pafToit
pour femme \{a) tant il eft vrai
que l'antiquité croyoit qu'il n'y
avoit point de légitime prétexte
de découvrir ce que la nature
ordonnoit fi étroitement de ca-
cher :( ^ ) ,Su,<is coYporis partes na--
tura occultavit , eafdem , omnes
qui fana mente funt y removent ab
ocuiis, Ainfi une Veftale accufée,
diit-elle être injuftement abfou-
te 5 {c) étoit renvoyée comme
manda, marîum pubertate 3 mares fojï excejftim
14. annorum fiibefcere exijlimentur , indagatio^
ne corporisinhoneftâ cejfame. Cod.Quando tm»
tes ejfe definant.
( a^ In Eumicho.
(b) Cic. de fnib. /, 4.
{c ) Vakr, Maxim, /. 8. r. 1;
d'/iccoucher les femmes, 79
innocente fans ces forces d'exa-
mens , Çi toute autre preuve fc
trouvoitinfuffifantc. On s'éton-
nera peut-être après tout ceci ,
que les Percs des premiers tems
de l'E^life avent permis que
les vierges chrétiennes qui e-
toient devenues fufpectes fuf-
fent examinées par des femmes :
mais peut-être que ce fut une
forte de punition pour celles qui
s'étoient manifeftement désho-
norées , & qui par conféquent
méritoient ou s'attiroicnt cette
humiliation : peut-être auffi n*a-
voit-on point allez fenti d'abord
la turpitude de cette pratique ,
du moins fut-elle bien-tôt abo-
lie , ôc les Pères des fiécles pcfté-
rieurs la défaprouverent. (^ } Juf-
te & digne fort des honteufes
coutumes.
Mais pour ne nous pas trop
{a) Qtiîd jibi velit , & quofpeâîet quoi ob-
Jîetricem adhikendam credideris , &c. S. Jm^
krof. e^. ^4. ad Syragr,
G iiij
S'o I>e l' in décerne aux hommes
éloigner du tems où nous vi-
vons , y eut-il jamais coutume
plus communément reçue , que
celle de l'infâme épreuve dont
on faifoit le plus honteux des
fpeâiacles , pour s'aflurer de la
validité d'un mariage & de Tha-
bileté des mariés ? bien - tôt il
s'en feroit fait une Loi , fi l'au-
torité du Prince , &: la fagelîc
des Magiftrats n'en euflent arrê-
té l'abus. Faffe le Ciel qu'ils ap-
perçoivent encore toute la hon-
te de celui que nous combat-
tons , ôc qu'il foit déclaré qu'il
eft contre l'honneur d'une fem-
me chrétienne de fe laifTer voir
& toucher , fans une indifpen-
fable néceflîté , par un Accou-
cheur; puifque les Magiftrats de
l'ancienne Rome refuferent mê-
me d'ordonner à une Dame ac-
cufée , de fe laifTer voir à une
femme. En voici l'hiftoirc : un
certain Carvilius fe plaignit de-
vant les Juges de l'inhabilité de
d'accoucher les femmes, 8 1
fa femme à le rendre père : il de-
manda que les yeux des Sages-
femmes en fiflTent l'examen : il
fut blâmé oc débouté : (a) j^^
mAtronale decus verecundiji mwai"
mento tutius ejfet , in jus vocrnti
( marito ) matronam cor fus ejus at»
tingere non fermiferunt , ut invio-
lata manùs aliène taclàJioU relin^
queretur.
CHAPITRE VII.
^e les femmes font auffi capables
de pratiquer les accouehemens
que les hommes.
D'Oii viendroit aux femmes
cette prétendue incapacité ?
feroît-ce de la délicateiïe de leur
corps 6c de Lîur peu de forces ?
feroit-ce de la foiblefle de leur
efprit ? feroit-ce de Tignorance
de leur fexe ? mais tous les ac-
( ^ ) VaUr, Maxim .î,z,c,i. atr». % .
il De l'indéccrue aux hommes
conchemens ne font pas labo-
rieux : ainfi pour Tordinaire il
faut plus d'adreffe & d'habitude
pour cette opération que de vi-
gueur 6c de forces. Mais s'il eft
vrai que les femmes font au
moins auffi adroites de leurs
doigts que les hommes , puif-
qu elles ont plus de finefTe ôc de
délicatefTe qu'eux dans les orga-
nes 5 il ne leur faudra que de
rhabitude , dont elles font auffi
capables certainement que les
hommes ; puifque pour cela el-
les n'auront befoin que de vie
& d'occafions pour fe former la
main : or elles vivent autant que
les hommes , &: elles trouveront
infiniment plus d'occafions qu'-
eux , quand les hommes vou-
dront fe renfermer dans le né-
ceflairc , & abandonner , com-
me ils le doivent aux femmes ^
tous les accouchemens ordinai-
res.
Ces occafions d'ailleurs de-
d'accoucher les femmes. 85
viendroient d'autant plus fré-
quentes 5 que les couches des
femmes devicndroient plus rare-
ment laborieufes , fî les Sages-
femmes feules s'en mêloient :
voici comment.
Les couches ne deviennent
ordinairement difficiles , que
parce que les femmes font mal
gouvernées dans leurs grofleffes ;
&: elles ne font mal gouvernées
alors , que parce qu*elles ne
prennent pas d'afïez bons avis j
elles ne fe trompent enfin dans
la conduite qu^on leur prefcrir ,
que parce quelles s^adrelîent
mal , c^eft-à-dire , à gens incapa-
bles de ces fortes de eonfèils.
L^aiTiduité des Accoucheurs au-
près d'elles , dès qu elles fe foup-
çonnent grofles, engage infenfî-
blement leur confiance. Ce font
des hommes , & c'eft pour elles
un titre d'habileté , perfjadées
qu^elles font , qu^un nomme cft
toujours plus habile qu'une fem-
84 ^^ l'indécence aux hom-mes
me. De -là cependant arrivent
mille méprifes : car les Accou-
cheurs n'avant jamais fait les é-
tudes néceflaires par rapport aux
maladies des femmes grofles , ne
s'étant d'ailleurs deftinés quà
des fon£tions manuelles, ils ne
doivent guéres être en matière
de groflèfTe plus éclairés que des
Sages- femmes 5 qui comme eux
ne fe font inftruites que du ma*
nucl des accouchemens. Ajoutez
que les maladies des femmes
grofles demandent plus d'habi-
leté que toutes les autres. Puis
donc qu'un Accoucheur ferccon-
noit incapable de traiter les ma-
ladies ordinaires , on peut con-
clurre qu il expofe étrangement
une femme grolTe quand il en-
treprend de la confeiller: c'eft
cependant ce que les Accou-
cheurs font tous les jours ; &:
c'eft de-là que viennent tant
d'accouchcmens laborieux.
Pour fc convaincre qu'en ceci
^accoucher les femmes, % ^
rien n eft exagéré , il ne faut que
s'appliquer un moment à con-
fidérer tout ce qui fe paffe dans
une femme à Toccafion d'une
grolîeffe , les amas qui s'y font ,
le fuperflu qui s'y amalle , les re-
tours de ce fuperflu dans les vaif-
feaux 5 les impreffions qu'il va
faire fur les vifcercs , les vices
qu'il va porter dans le fang ,
dans le iue nerveux , 6c dans
toutes les liqueurs qui fervent
à la vie : joignez à tout ceci les
défordres qui arrivent dans les
digeftions , les mauvaifes diftri-
butions qui en fuivent, & les
crudités qui s'accumulent. Tant
d'occauons prochaines de mala-
die demandent une autre habi-
leté que celle de la main. Il faut
un fond d'ufage , mais d'ufagc é-
clairé , qui fçache ménager ce
fuperflu , qui en prévoye Tes in-
convéniens , qui en prévienne
les amas 6c les crudités. Or tant
d'avantages dépendent d'un ré-
t ^ T>t rindccenct aux hommes
gime bien entendu , & d'évacua-
tions fagemenc placées j deux
chofes qui font abfolument au-
deffjs de la portée d'un Opéra-
teur , c'eft-à-dire , d'un homme
exercé aux opérations de la main.
Une Sage - femme n'en fçaic
pas certainement plus qu'un Ac-
coucheur en pareil cas , on en
convient : mais elle fent fon foi-
ble; 5c fon peu de capacité la
rend fage & circonfpecte , ou fa
modeftie lui fait prendre confeil
de ceux que la Providence a éta-
blis fes Juges &: fes Maîtres : au
lieu qu'un Accoucheur n'en re-
connoît point d'autres que lui-
même , qu il conftituë par fon
autorité privée Dictateur & inf-
pefteur en chef des maladies des
femmes -, comme fi pour avoir
reçu des enfans toute fa vie, il
ctoit devenu fouverain en A^é-
decinc • & comme fi c'étoit la mê-
me chofe d*accoucher une fem-
me , & de prévenir ou guérir fes
^aiCouchcY Us femmes, 87
maladies. Cependant qu'on lui
demande les titres qui lui don-
neroient droit de faire une Mé-
decine qui eft la plus difficile ,
il n'en aura point d'autres que fa
préfomption ôc fa témérité. Car
enfin jamais la Chirurgie ne don-
na droit ni habileté pour faire la
Médecine, 6c un excellent Chi-
rurgien peut être un très-mau-
vais Médecin. Faffe donc le ciel ,
que cette entreprife audacieufe
ôc dangereufc à la Religion & à
TEtat , attire un auffi fage règle-
ment que celui , qui par les foins
du plus grand ( a ) des Médecins,
a délivré Paris de tant d'autres
avanturiers en Médecine.
Mais on ajoute , que les fem-
mes ont naturellement l'efprit
ou trop borné , ou trop foible ;
6c que ce font des ignorantes ,
très-peu propres à tout ce qu'il
faut fçavoir pour bien pratiquer
les accouchemens.
( /i ) M. Fagon premier Médecin.
88 Z>^ r 171 décence itnx hommes
Ce neft point ici le lieu de
faire Tapologie de lefprit des
femmes , 6c d'examiner fi elles
feroient propres ôc habiles aux
Sciences : ( 4 ) cependant on ne
craint point de dire en pafTant
qu'il n'y eut peut-être jamais de i
foupçon plus mal fondé , ni d'ac-
cufation plus injufte. L'efprit de
la femme eft de même nature
que celui de l'homme , crée de la
même main , anté pour ainfi dire
ou renfermé dans la même ma-
tière , également organizé. C'eft
dans les deux fexcs une fub (lan-
ce ésialement immortelle , defti-
nce a connoitre, a aimer , a voir
enfin le même Dieu , faites pour
\^s rnêmes fonctions : d'ailleurs
le corps de la femme fit d'abord
( 4 ) Il faut voir là-deflTus , Nobtlîljlmx Vir-
gitiis Année Maria; a Schiirman , Disert, de in-
génu muliebris ad dotlrinam Ù" muliores Ht-
feras aptitudine. Voyez aufli, Sommaire des
grands biens que Dieu a donnes aux femmes
plus qu'aux hommes , ^ar M, Bonnet DoClçnr
es Droits,
partie
Jf accoucher Us fanmts. %<^
partie de celui de rhommc , donc
le Créateur détacha une portion:
pour créer celui de fa compagne.
D'où vicn droit donc cette iné-
galité d'efprit dans les deux fe-
xes ? feroic-ce de l'inégalité des
organes ? ils font même plus dé-,
licats dans les femmes que dans
les hommes . Seroit-ce par le man-
que de difpo&ion ? on les a vues
capables de tout bien dans Poe-
cafion , de réHexion , de pruden-
ce , de force , de réfolution , ^c.
On a vu des Sçavantcs , àts Hé-
roïnes, des (4) Politiques. Se-
roit-ce donc pour rendre la fem-
me plus (oumife, que Dieu l'au-
roic fait ignorante ? mais la né-
ce ffi té à la femme de fe foumet-
tre , a une autre caufe dans 1*E-
criture. Ne feroit-ce pas d'ail-
leurs avilir l'homme , que de ne
le faire dominer que fur des igno-
rantes ôc de petits efprits ? Il eft
(tf ) Viài Vhlog, HçYQînarum AuuVetr*
H
ço I>e rïndeceme aux hommes
donc plus naturel de penfer que
les femmes ne font ignorantes
que parce qu'on les rend telles :
elles deviendroient habiles , (rf)
fçavantes, éclairées , fi onculti-
voit leurs efpritS; puilqu'on a mil-
lion d'exemples {o) de tout ce qu*-
elles peuvent , & c'eft prcfqu'au-
tant que les hommes en fait de
Sciences , fi on les y appliquoit^
Du moins trouvera-t'on en el-
les plus d'efprit qu'il n en faut
pour être d'habiles 6c de fçavan-
tes Accouchcufes: il ne faut qu'-
examiner en quoi confifte cette
Science,
Il y faut de la probité : perfon-
ne n'en témoigna tant que les
Sages - femmes d'Egypte. C'efb
aux Accoucheurs à produire des
titres de probité auffi anciens &:
aufli authentiques. Y faut-il de
l'honneur ? les femmes en font
(«) M. Bonnet , ibid.
{h) Vîd. LoThîchhm de Nohilit. & ferfe^;
fexiij femimi 3 f^arf.
d* accoucher les femmes, 9 1
plus jaloufes que les hommes j
de la Religion ? elles en ont juf-
qu au fcrupule. Des maris peu-
vent-ils donc confier leurs fem-
mes &: leurs enfans à des mains
plus {lires ? S'il faut gagner la
confiance d'une pauvre fbufFran-
te , qui le fera mieux qu'une
perfonne de même fexe , qui au-
ra éprouvé les mêmes embarras ;
qu'une femme enfin naturelle-
ment compatifiJante , plus con-
folante &: plus adroite auprès
des malades que quelqu'homme
que ce fbit ? f ^ ) Refte la Scien-
ce dont certainement une Sage-
femme a befoin • auffi en eft-elle
très-capable :en voici la preuve.
Elle doit connoître le fujet
fur lequel elle a à travailler : ica-
voir la ftructure , la fituation ;
les difFérenccs ôc la nature Ats
parties : & pour tout cela , il ne
lui faut qu'une très-légère & très-
( 4 ) Uhi non ejl muliçr 5 ihi ingemifch csgsw
Hij
l
€)i De r indécence aux hommts
Inperficielle connoifTancc ca
Anatomie , qui ne demande que
des yeux , de la mémoire , & un
peu d'application. Joignez à ce-
ci Tapprentiflage, pour ainfi dire,
qu'elle ira faire dans les Hôpi-
taux ^ fous les yeux d'habiîes
femmes confommées dans leur
profeffion , telles qu ont été tant
de célèbres Sages - femmes des
^écles palTés , & telles que font
encore celles qui travaillent tous
les jours iî heureufement dans
THôtel-Dieu de Paris. En voilà
certainement autant qu'il en
faut pour former de très -habiles
Sages- femmes , &: plus fans dou-
te que n'en font les prétendus
Accoucheurs pour fe rendre ha-
biles dans ctt Art. Car enfin
quels eflais a fait un Accoucheur
avant que de fe donner pour tel
dans le public ? quelles autres
femmes a-t'il accouchées ou vu
accoucher , avant celles qui les
d'accoucher les femmes, 9 3
premières fe livrent à lui ? Ce
font donc autant de coups d'efTai
qu'unAccoucheur va faire quand
il entre dans le monde. Mais oit
eft alors la {ureté d'une pauvre
femme qui va devenir la matière
de fon chef-d'œuvre ? Ce fera fî
l'on veut un homme verfé ea
Anatomie & confommé en Chi-
rurgie ; m^ais il eft novice Accou-
cheur ôC fans expérience , qu'un
accident imprévu ,. ou Timpatien--
ce d'une femme va déconcerter.
Le public trouvera donc dans
une jeune Sage -femme le plus
grand des avantages de cette
profeffion j avantp.ge dont un
nouvel Accoucheur fera privé ;
c'eft l'expérience qu'elle a par-
devers elle , & qu'un Accoucheur
ne fçauroit|fe donner qu'aux dé-
pens du public^ parce qu'il n'y a
aucune Ecole pour drefler des
Accoucheurs , & qu'il y en a
pour former des Sages-femmes,
Il paroît donc prouvé qu'une
t)i\. De r indécence aux hommes
femme a plus d'erprit , de force ,
hL de fcience qu'il n'en faut pour
pratiquer avec fuccès les accou-
ehemens.
CHAPITRE VIII.
Oti l'on refond au rejîe des Objections
qtion fait contre Us Sages-
femmes,
Première Objection.
ON demande s'il n'eft pas
vraifemblablc qu'un Ac-
coucheur déjà exercé dans Part
d'accoucher , mettra moins les
femmes en danger ; 6c qu'il fera
plus habile qu'une Sage-femme ?
Rep, i^. Qu'un femblable Ac-
coucheur ne mette pas les fem-
mes en danger , on le veut croi-^
re : mais fans compter les fautes
que fes comme ncemens lui au-
ront coûté , 6c les dangers qu'-
auront efluyés celles qu'il aura
d'accoucher tes femmes. 9 5:
accouchées d'abord^ fon exem-
Î)Ie fera une occafîon d'un mil-
ion d'autres fautes pour un jeu-
ne Accoucheur , qui aura à fe
Eerfeclionner aux dépens du pu-
lie. ^^, On accordera encore fî
l'^on veut , qu'il fera plus habile
qu'une femme ^ mais ce ne fera
pas de cette habileté nécefTaire
pour les accouchemens : car une
Sage-femme peut en fçavoir là-
defTus autant qu'un homme. 3^»
Enfin s'il a plus de cette fcien-
ce inutile , il a de trop en-
core ia qualité d'homme , qui
cft un empêchement dirimant
pour fe faire Accoucheur hors
les cas de néceffité. La Loi com-
mune & Tordre établi dans tous
les tems , c'eft qu'une femme
en accouche une autre : ce fe-
roit donc aller contre l'ordre ôc
enfreindre la Loi en faveur
d'un homme , qui n'a rien de
plus qu'une Sage -femme pour
bien pratiquer les accouchemens
dans les cas ordinaires.
ç$ De l'indécence aux hommes
Seconde Omection.
Mais d'où viennent donc tant
de malheurs entre les mains des
Sages - femmes ? pourquoi tant
d'ignorance 6c d'impéritie ? ne
fonr-ce point de fuffifans motifs
pour donner droit aux hom-
mes d'entreprendre les accou-
chemcnspréférablement aux Sa-
ges-femmes ?
Ref, Mais 1°^. fi Ton ramaffbir
avec autant de foin &: auffi pea
de charité les fautes des Accou-
cheurs ; Ç\ ceux qui font capa-
bles d'en juger êc qui font té-
moins vouloient ouvrir la bou-
che , peut-être ne trouveroit-oa
d'autres différences entre les fau-
tes des uns &: des autres , finon
qu'on a foin d'expofèr au grand
jour les fautes des unes , tandis
qu'on fe tait fur celles des au-
tres. 2®. Mais accordons cette
ignorance ^\ exagérée : à qui plus
raifomiablement s'en prendre ,
ou
d* accoucher les femmes. 97
Ou aux femmes , ou à ceux qui
les interrogent , qui les exami-
nent , & qui les reçoivent ? Ce
font Meffieurs les Chirurgiens
eux-mêmes qui jugent de Phabi-
leté des Sa2:es-femmes : s'ils les
trouvent mal inftruites , pour-
quoi les donner au public pour
habiles ?
Mais voyons fi la conféquen-
ce qu'on tire de l'ignorance des
Sages-femmes eft bien tirée. Les
Sages - femmes font ignorantes ;
donc il faut leur fabftituer des
hommes pour faire leur profef-
fion : la conclufion naturelle fe-
roit celle-ci , dohc il faut les inf-
truire ôc les rendre plus capa-
bles.
C'eft ainfî que raifonncnt les
meilleurs Auteurs , qui ayant
en effet remarqué qu*il y avoic
trop d'ignorantes Accoucheufes,
n'ont point conclu à mettre des
Accoucheurs à leur place , cette
idée les auroit fans doute cho-
I
ç8 De l'indécence aux hommes
qués ; il ont donc conclu qu'il
falloir les mieux inftruire. C'eft
le raifonnement d\m célèbre
Médecin [a) d*Allemagne j qui
ne s*efl: point avifé d'obliger les
femmes à fe fervir de Chirur-
giens dans leurs couches- mais
qui confeille de faire mieux inf-
truire les Sages- femmes. De mê-
me un célèbre Praticien {h) ^
Profefleur en Médecine à Turin,
( quoique le Piémont ( r ) & l'Ita-
lie foient les lieux où fe trou-
voient alors moins d'habiles Sa-
ges-femmes,) n'a point décidé
en faveur des hommes ; mais il
conclut à établir des Accou-
cheufes mieux inftruites. Il faut
donc obliger les Accoucheufes
à fe faire inftruire , & à étudier
leur profefFion \ & dans cette vue
à affifter aux directions anato-
jniqucs qu'on leur fera , comme
{a) Bohn.offic. de Medic.f. >; 70. &c»
(h) Augen. confU.pAg, 336. &c,
{c) îLibid.fag.in,
^accûucher les femmes, 9^
il leur eft enjoint dans les Facul-
tés d'Efpagne. (rf) Ce moyea
(ufEra pour remédier aux incon-
véniens de Tignorance des Sages-
femmes , fans établi- un corps
de nouveaux Ouvriers dont le
monde peut aifément fe pafler.
Si d'ailleurs il failloit ôter de
place tous ceux qui s'aquitenc
mal de leur devoir , il faudroit
prefque déferrer les profeffions ,
ôc changer toute la face du mon-
de : il fuffit de réformer les abus ,
fans détruire ou ruiner ceux qui
les commettent.
Troisie'me Objection.
On ajoute qu on eft fait aux
Accoucheurs , & que le monde
n*y trouve point à redire.
Rep, Mais 1°. la piété s*en of-
fenfe : la coutume d'ailleurs n'ex-
cufe jamais un mal qui en eft
d'autant plus grand quand il
vient d'habitude. Il ne faut donc
{a) Utd.
lij
îoo 'Dettndiccnce au-x hommes
qu*cxaminer , comme on vient
de le faire dans cet ouvrage , lî
c'eft mal à une femme chrétien-
ne de fe faire accoucher par uii
homme , auquel cas la coutume
ne fera que groffir la faute.
2°. Le monde , ajoute-t'on ,
n'y trouve point à redire. Mais
à quoi ne s*accoutume pas le
monde, & à quoi ne nous ac-
coutumcroit-il pas , fi on le jpre-
noit pour guide en fait de Reli-
gion ? la paffion même lui paroît
fouvent aimable , ôc il autorife
ordinairement d'indignes ufa-
ges : {a) Terre na civitas li citant
tuYpitHclinemfecit, Il fera encore
tin peu plus mauvais juge quand
\ç,% chofes l'intéreireront autant
que celle-ci : car qui ne craint
de contrarier une femme grofle,
qui a déjaaflez à foufFrir de fon
état; &: à quoi ne fe réfout-on
pas en fa faveur à la veille de {ts
couches , & lorfqu'elle va don-
ner un héritier ?
{« ) A^iufi, à< çivft* /. 14» ç» ^h
et accoucher Us femmes, i o t
5°. Enfin le monde n'a jamais
été averti de ce défordre , il a
vécu lur la bonne foi des Accou-
cheurs , qui ont eu foin de lever
fes fcrupules. Mais il n'en eft
f>lus de même aujourd'hui qu'on
ui fait appercevoir les dangers
de cette pratique , ôc combien
elle eft contraire à la pureté ôc
à la bienféance. Ce monde ne
mérite donc plus d'excufe à pré-
fent qu'il doit comprendre qu'u-
ne femme ne rifque pas plus
entre les mains d'une Sage-fem-
me , qu'entre celle des Accou-
cheurs.
Quatrie'me Objection.
Perfonnc n'ignore combien de
chofes on peut fe permettre pour
ia fanté , & les égards qu'on lui
doit cxcufent bien des inconvé-
niens.
Réf. Mais n'eft-cc point met-
tre la fanté \ trop haut prix , que
de lui tant accorder ? n^eft-ce
liij
îoi D^ r indécence aux hommes
j)oint en faire runique nécef.
iaire ? L'Apôtre appelle ravaricc
une idolâtrie j il en efk donc de
plus d'une forte ; ôc n'en feroic-
ce point une que de fe dévouer
fî fort au foin de fon corps , ôc
d'en ménaser fi avarcment les
intérêts? peut-être quune at-
tention médiocre pour la fanté
auroit quelque chofe de plus fiir
pour la vertu : car fi un homme
moins riche a moins à craindre
qu'un opulent , 6c fi la piété rif-
que moins dans une condition
médiocre que dans une émincn-
te dignité ; qui doutera qu'une
fanté moins affermie , cxpofera
moins la vertu ? Mais ce n'eft
même rien de ce foin qu'on veut
ici diminuer dans les femmes ;
& on ne prétend en rien expo-
fer leur fanté : on ne veut que
diminuer leurs craintes entre les
mains des Accoucheufes ; elles
n'en feront ni moins habilement
ni moins fûrement fecouruës.
d* Accoucher les femmes, 103
Cinquie'me Objection.
On demande encore en quoi k
pudeur eft fî étrangement bief-
lée 5 quand une femme accouche
entre les mains d'un homme ?
cette vertu a-t'elle donc plus à
fouffrir alors, que quand une
femme , une fille , une Religieu-
fe fe livrent à un Chirurgien ,
pour foufîrir des opérations dans
des parties fecrettes ? Enfin on
demande , s*il eft plus honteux à
une femme de fe laiflèr accou-
cher par un homme , qu'à une
fille , peut-être à une Religieux
fe 5 de fe foumettre à Tapplica-
tion de certains remèdes (a) ca-
pables de falii; ou d'exciter l'ima-
gination^,, ôc d^^rjxïer de hon-
teufes pe*>2: r''0-> ^ordonne ce-
pendant ly^as les jours ces remè-
des 5 & il fe trouve des perfon-
nes pieufes qui s'y foumettent ,
fouvent même dans des maux
{ <ï ) Enemata uterina , nafcaîta,
I iiij
Î04 T>i V indécence auic hommes
qui font plus incommodes que
dangereux , ou qui ne menacent
que pourTavenir.
Réf. Ces raifons pourroient
furprendre ; mais en voici le foi-
ble. Ces opérations que fouf-
frent ces perfonnes par la main
des Chirurgiens font pour gué-
rir des maux incurables fans ces
fècours , que d'autres que des
Chirurgiens ne peuvent admi-
niftrer , tandis que les accou-
chem^ns qu'on entreprend in-
terdire aux Accoucheurs , font
fans danger & pratiquables par
d'autres , c'eft-à-dire , par les Sa-
ges-femmes. La néceffité donc
excufe ces opérations comme el-
le excufe un Accoucheur quand
lui feul peLti?"^-iverA-yie à une
femme : ôc c'àtt deqicf ï'^'^on con-
vient fuivant cette (4) maxime
de faint Thomas , qu'il y a cer-
taines actions , qui tout bien
confîderé renferment une dilTbr-
(a) Voyez Loyens , Tr, des Pi%»
d'accoucher les femmes, i o j
mité & un défordre , 6c que
néanmoins certaines conjonctu-
res peuvent rendre bonnes 6c li-
cites. Mais ce raifonnement en
fait naître naturellement un au-
tre , qui doit fervir de preuve
à tout ce qu'on vient d'établir
contre les Accoucheurs.
Ne fe rencontre -t'il pas des
femmes ou des filles , qui préfè-
rent la mort à la honte de ces
opérations ? nous en avons ap-
porté un exemple dans la per-
fonne d'une grande Princeiïe j
ôc quand le monde feroit dé-
pourvu de ces martyres de la pu-
deur , les Cloîtres réguliers four-
niroient bon nombre de c^s for-
tes de vidlimes : cependant s'a-
vifa-t'on jamais de faire un cri-
me à ces perfonnes de leur cou-
rage ? ne loiie-t'on pas au con-
traire leur amour pour la pu-
deur? Or fi c'eft une marque de
pudeur de fè priver de ces fe-
cours 3 ne feroit-ce pas une force
ic^ "De l'indécence aux hommes
de faute contre cette vertu que
de fe les accorder ? ne feroit-ce
point du moins une forte de
foùîllure dans une Chrétienne ,
puifqu'un Payen a reconnu qu il
eft des occafions , oii fans fe ren-
dre criminel , on s'expofe à tou-
te Pinfamie du crime? [à) ,^ï
vïtaverunt culpam , non vitave^
Yitnt infamiayn.
Tout ceci doit du moins faire
entendre, qu'il n'y a que la feu-
le menace de la mort qui excufe
lesfemmxCSj qui contre leur in-
clination 6c une feule fois dans
la vie , fe-lailTent voir par un
Chirurgien. Que penfer donc
de celles qui de propos délibéré
fe font une habitude de fe laifler
voir &: toucher par un Accou-
cheur fans aucune néceflîté ! ■
Quant aux ordonnances qui
fe font de certains remèdes dan-
( a ) Senec. àe ccnfol. ad Helviam ^f.m.m*
îl paîle en cet endroit de la retenue d'une
Dame.
i accoucher les femmes, T07
gereux à la pudeur, on n'entre-
prend pas de les juftifier : car
on ne voit pas trop les raifons
qu on peut avoir de mettre des
confciences à de telles épreuves.
Ce qui paroît certain , c'cft que
les Pères {a) qui craignoient fi
fort tous les fecours de la Méde-
cine , de peur qu'ils n'accouru-
maiïent des Chrétiens , qui ne
dévoient s'occuper que d'idées
de pénitence &: de mort, à une
vie molle & relâchée ; les Pères ,
dis-je , auroient en horreur des
remèdes qui vont à mettre la pu-
reté en danger. A Dieu ne plaife
donc , que Ton prétende autori-
fer de telles pratiques : la fanté
de qui que ce foit , fur tout d'u-
ne chrétienne, ne doit pas être ra-
chetée à des conditions fi humi-
liantes à la nature ^ 6c fi ^ixA-
(a) Voyez Saint Ambroife fiir le PH 1 1 S,
Serm. ii.tom. i.pag. 1253. S. Bafil. Regul,
interrog. 5^. 140. S. Bern. e-^ijl l^'). 440. &c*
Samts Thérefe , Chem. de la perfecl. ch. i g«
îo8 "De l'indécence aux hommes
leufes à la vertu- la mort en ce
cas devient préférable.
Il eft inutile de dire , que ces-
applications fe font en lecret ,
fans le fecours de mains étran-
gères , 6c fur des perfonnes iîm-
ples &: innocentes. Car i^. une
faute dérobée aux yeux des hom-
mes n'en eft pas moins énorme
devant Dieu : peut-être même
feroit-ce s'expofer à une double
faute, en joignant la diffimula-
tion au crime, i". L*outrage qui
fe fait à la pudeur eft le même ^
de quelque main qu'il parte. Hé
qu'importe qu'on s^ôte la vie à
foi-même , ou qu'un autre la ra-
viffe } la mort en eft-elle moins
réelle ? 3°. L'ignorance & le dé-
faut d'intention n'excufe pas
toujours : ils ne peuvent au plus
qu'affoiblir une faute commife
par une action criminelle par
elle-même , quand on ne la con-
noît pas pour telle. 4^. Enfin
quelle iimplicicé peut tenir coa*
^accoucher les femmes, 109
tre une occafion toujours pro-
chaine de tomber dans une fau-
te grolîîére ? Mais cette matière
ne foufFre pas qu on la crcufe
davantage : c'en eft aflez pour
faire connoître que c'eft mal
juftifier les fonctions des Accou-
cheurs 5 que de les comparer à
lackion de certains remèdes dé-
fendus ou fu{pe£ls d'obfcénité ;
car on convient des inconvé-
niens qu'ils traînent après eux ;
on les condamne comme dignes
d'être à jamais profcrits d'une
profelîîon auffi chafte ôc auffi fa-
ge que la Médecine.
Sixie'me Objection.
Mais fi c'eft, ajoute-t'on , de
la nécelTîté qu'il faut i la profef-
(ion d'Accoucheur pour la ren-
dre licite 6c autorifée ^ il y a de-
quoi la rendre très-r'ecomman-
dable. Pour cela il ne faut que
faire attention au progrès que
l'art d accoucher a tait entre les
110 De l* indécence aux hommes
mains des hommes , les fuccès
qu'il a dans le public , les obfcr-
vations dont il eft enrichi , les
livres 6c les traités que les Ac-
coucheurs ont mis au jour. Des
femmes ignorantes 6c non let-
trées étoient-elles capables de
ces productions ? auroient-elles
f>û valoir tant de crédit 6c de
umiere à la profeffion ? tant d'u-
tilité enfin à l'Etat 6c à tout le
monde ? Voilà certes des titres
de néccffité , de préférence mê-
me, s'il en fut jamais.
Rcf. 1°. Eft-ce donc que les
femmes accouchent fans dou-
leur depuis qu'elles fe font don-
nées des hommes pour les aflîf-
ter ? ce progrès feroit digne de
leur habileté , 6r rien ne les ren-
droit plus néceffaires j mais ce
progrès eft encore à venir , dcce
qu'ils ont découvert de nouveau
eft peu de chofes au-defTus du
rien. Les travaux des couches
font encore fujets aux mêmes in-
d'accoucher les femmes, \ 1 1
convéniens , Tenfant ie préfence
aulîî fouvent mal , & les maniè-
res de le redrefTer font les mê-
mes que dans les tems pafles.
Tout cela étoit écrit , les Accou-
cheurs l'ont appris , &: au lieu
d'en inftruire les femmes , ils s'en
font- inftruits eux-mêmes , &: fe
font mis en leur droit ôc place :
c'eft à la vérité une forte d'infi-
délité qu'ils ont commife ; mais
ils ont crû que le public y ga-
gneroit , en lui donnant des Maî-
tres Accoucheurs au lieu d'Eco-
lieres.
2^. Les fuccès qu'on vante
tant ne font ni plus nombreux ,
ni plus merveilleux entre leurs
mains qu'entre celles des fem-
mes: car enfin meurt-il moins
d'accouchées que par le paffé
dans le monde ? u on le prétend ,
pourquoi en meurt -il auffî peu
dans les Hôpitaux où il n'y a
point d'Accoucheurs , que dans
le monde qui commence à s'en
peupler ?
iji De rindécence aux hommes
3^. Les obfervations dont ils
fe parent , regardent ou le ma-
nuel des accoucliemens , ou la
Médecine , c'eft-à-dire , les re-
mèdes qu'il convient d*y em-
ployer.
Le manuel eft pour des cas or-
dinaires 5 & pour lors les fem-
mes pourront auilî quand elles
voudront écrire des obferva-
tions : ou il eft pour des cas ex-
traordinaires 5 dans lefquels il
s'agit fur tout d'opération ; ôc
alors ce feront les mêmes cas
dont on prétend réferver la pof-
feiîion aux Accoucheurs. Que
fî ces obfervations regardent la
Médecine, ce fera une reftitu-
tion qu'ils auront à faire à Mef-
fîeurs les Médecins , de qui ils
les auront empruntées. Car ,
pour le dire en paflant , ce que
ces Meffieurs ont mis en Fran-
çois , fe lit dans cq.s gros &: nom-
breux recueils de préceptes ôc
d'obfervations , que les Méde-
cins
Jt Accoucher les femmes, 115
cins ont ramafles fur les mala-
dies des femmes. Reftituanc donc
à chacun ce qui lui appartient ,
aux Sages-femmes le courant des
accouchemens ordinaires , aux
Médecins l'honneur de l'inven-
tion êc de robfervation en tout
ce qui regarde les maladies des
femmes , il reftera au profit des
Accoucheurs la gloire d'avoir
traduit &: emprunté des livres
de Médecine d'excellentes ob-
fervations. Il fera donc plus fdr
pour les femmes , de tirer les
confeils de Médecine de ceux-li
même qui inftruifent les Accou-
cheurs j parce qu'il pourroit ar-
river qu'ils ne feroient que de
mauvais copiftes d'excellens ori-
ginaux , comme il arrive que des
ruiffeaux bourbeux partent de
iburces très-pures* Il refte donc
prouvé, que la profeffion d'Ac-
coucheur eft auflî peu néce{îaire
que mefTéante dans les cas dac-
crouchcmens ordinaires , &: qu'oB.
114^ D^ f Inde cerne aux hommes
peut alors s'en pafler fans que le
public en fouffre.
Septie'me Objection.
Les Accoucheurs efïayeront
fans doute d'intéreirer la Chi-
rurgie dans leur caufe. Ils pu-
blieront qu'on ménage peu dans
cet ouvrage l'honneur de cette
profeffion , &: qu'on manque à la
juftîce qu'on doit à la (cïcnct ôc à
l'habileté de ceux qui l'exercent
avec tant de diftinftion j que la
Chirurgie a fes principes 6c fes
lumières qui éclairent 6c qui inf-
truifent ceux qui s'y font rendus
habiles ; bc qu'un Chirurgien
n'ignore pas allez le corps hu-
main , pour lui difputer abfolu-
mcnt la connoiflance de ce qui
peut lui convenir.
Rep, Mais font-ce des Chirur-
giens qu'on attaque ici ? ce font
àQS Accoucheurs , c'eft-à-dire ,
im genre nouveau d'Opérateurs
inconnus à nos pères , une forte
d'accoucher les femmes 1 1 j
<d'amphybie malaifée à définir,
une profeffion douteufe. Car un
Accoucheur ne fe donne plus
pour Chirurgien , il eft au-det
lus , il lui ordonne ; deforte que
s'il faut faigner , opérer , panfer ,
un autre Chirurgien que l'Ac-
coucheur exécutera , tandis que
lui raifonnera , confeillera , or-
donnera. Que la fièvre & fem-
blables maux furviennent à une
accouchée y lui feul encore don-
nera (es avis, fera des ordonnan-
ces 5 &: mettra en befogne la
Chirurgie , laChymie &: la Phar-
macie. On doute que Meffieurs
]es Chirurgiens fc reconnoiflent
dans cette conduite y on qu^ils
l'approuvent : car outre qu'il ne
convient pas à leur habileté de
fe donner de tels maîtres , lei^
quels fouvent en fçavent moins
qu'eux ; ils conviendront que
leurs exercices n'allèrent jamais
à ormer des élevés pour traiter
des fièvres ôc des maladies d'ac»
Kii
1 1 g T>e t Indécence au>c hômnef
couchées. On ne prétend done
ici rien rabattre de riiabileté ^
de la fcience & de Tadrefle rner-
veilleufe de Meffieurs les Chi-
rurgiens 5 fur tout de Paris ; 6^
plût à Dieu que tous les Arts
ou on cultive fous le Ciel euf-
lent atteint le même point de
perfedtion I Mais plus un Chi-
rurgien fera habile , plus il fen-
tira que fa profeffion pourra Toc-
€uper honorablement & tout en-
tier 5 6c qu il aura à peine de quoi
fiiffire à tout ce qu*il lui faut
d'efprit , d'étude Û, de médita-
tion 5 pour fatisfaire à un em-
ploi qui demande tant d'appli-
cation , de prudence , &: de con-
noiffànce. Ce feroit donc pour
lui moins faire de progrès vers
les Sciences que de larcins à fa
Ïrrofeffion , s'il ie dcroboit d'el-
e, pour s'occuper de foins fu-
pernus , ou s'il prétendoit à des
connoiflanccs étrangères- IVlais
d'accoucher les femmes, r 17
ce fera enticrement fortir de cet-
te profeiîîon , sll fait l'oppcfé
de ce qu^on y apprend ; s'il pra-
tique toute autre chofe que ce
qu'on y étudie , en un mot s'il
fe pare du nom d'un Art qu'il a
dû uniquement étudier , pour
en exercer un autre qu'il n'étu-
dia jamais. Car enfin à quelle
Ecole ou fous quels Maîtres ap-
prit-il jamais à traiter les mala-
dies des femmes grofles ou ac-
couchées ? Ofera-t'il prétendre
à cette fcience en qualité de Chi-
rurgien y tandis que fes confrè-
res plus habiles même que lui en
chirurgie , ne ^'ç.n occupent pas.
Mal à propos donc les Accou-
cheurs prétendront mêler leurs
intérêts avec ceux de la Chirur-
gie, ils ne méritent plus fa pro-
tection , puifqu'ils en ont fecoué
le joug , & qu'ils fe veulent éle-
ver au-deffus d'elle. Rien aa
contraire ne relèvera tant la gloi-
ï T 8 ^^ V indécence aux hommes ^é^c»
re &: le mérite de la Chirurgie 5
que de faire appercevoir que fes
élevés cefTent d'être habiles , dès
qu'ils s'éloignent de fes vues ôC
qu ils fortent de fes régies*
Tin du premier Traité.
DE
LOBLIGATION
AU X
MERES
DE NOURRIR
LEURS ENFANS
PRETACE,
PRÉFACE
N ne fongeoic pas
IMQ^ à donner cette fe-
i^— -^1 conde Diiîcrtation ,
quand on a commencé de
travailler à la première : m.ais
en examinant Tabiis où Ton
efl de fe fervir trop volon-
tiers & fans néceffité d'Ac-
coucheurs ^ on a apperçû ce-
lui d ufer trop librement &
fans raifon de Nourrices. On
a donc crû devoir encore
aider les mères à s'acquitter
de leur devoir en ce point :
112 PR EFFACE.
& après les avoir rafîurées
contre les frayeurs qu'elles
fe faifoient d'être accou-
chées par d'autres que par
des hommes , on s'efl propo-
fe de les ramener de Terreur
où elles font ^ de confier
leurs enfans à des Nourrices
étrangères.
Uentreprifè eft grande ^ il
eft vrai : mais ce n'ert pas de
la difficulté qui fe préfente
dont il faut s'occuper , mais
de la vérité de ce qu'on re-
cherche y quand la matière
eft auflî grave que celle-ci.
Il ne faut donc pas s'effrayer
fiir la réuflîte : les hommes
nen font ni les garants p ni
PRFFACE. 123
les maîtres : il font quittes
quand ils ont employé tout
ce que la Religion ^ la raifon
& Téquité exigent d'eux.
Dans ces vues , on tâche
ici de déveloper tout ce
que la nature demande en
cette occafion d'une femme
xie veniie mère , tout ce qu el-
le a fait en elle pour cela , &
tout ce qu'un nouveau -né
eft en droit d'en attendre.
Cette manière de perfiiader
a engagé T Auteur en des rai-
{bnnemens qui ne feront pas
toujours à la portée des mè-
res ; mais les Sçavans les
comprendront : or nous a-
vons befoin de leurs {ufïra-;
Li)
124 LRETACE.
ges , pour appuyer & faire
Valoir nos bonnes inten-
tions. On a cependant don-
né à ces raifonnemenS;, tout
ce qu on a pu de tours &
d'expreffions les plus fîm-
pies & les plus propres à ga-
gner tout le monde : on a
épargné aux Ledleurs cer-
tains termes de Tart ^ & on
s'efl toujours renfermé dans
une Mécanique naturelle ^
aifée à entendre à quicon- i
que voudra y apporter quel-
que attention. L'on s'eft fur
tout abftenu de toute idée
ou d'expreffions capables
de bleffer les oreilles ou de
falir fimagination. Ainfi les
PRET A CE. 12^
perfonnes les plus fcrupu-
ieiîfès y entendront parler
d'enfans & de couches fans
en être offenfées. Cepen-
dant parmi toutes ces re-
cherches de Phyfique ^ d'A-
naton^ie & de Médecine ^ on
n'a pas laiffé que de mêler
aflez de raifons , de faits , &
d'obfervations à la portée
des mères , aiTez intelligibles
pour leur faire appercevoir
leurs fautes paifées dans les
nourritures de leurs enfans ,
Se pour les en préferver à
l'avenir.
On efpére du moins qu'el-
les feront touchées des rai-
fons de Morale^ & des ma-
L iij
ii6 PRETACE.-
xîmes de Religion , dont on
leur rappelle la mémoire fur
ces matières. Elles verront les
exemples de Saintes fem-
mes y de pieufes mères & de
grandes Dames ^ qui ont été
dans l'ufage de nourrir leurs
enfans elles-mêmes : elles
feront étonnées d^ apprendre
que leur famé rifque plus en
ne nourrillant pas ^ qu^'en s'a-
quittant de ce devoir natu-
rel : elles s y trouveront en-
fin raflurées contre les crain-
tes de foiblefTe ; de délica-
teffe & d'infirmités préten-
dues^ dont elles ont été frap-
pées jufqu'à préfent : & avec
un peu d'attention & d'é^^
PRET A CE. 127
quké y elles conviendront
qu il y a beaucoup plus à ef^
pérer qu'^à craindre pour el-
les , fi elles entrent comme
il faut dans les raifons & les
ufages qu'on leur propofe.
Ce n efl pourtant pas qu^-
on veuille condamner tou-
tes les femmes infirmes ou
délicates y à nourrir : on eft
très -éloigné de cette pré-
tention y qui deviendroit in-
jufte & inhumaine : on con-
vient au contraire des égards
qu'on doit à un {exefî déli-
cat & fi digne de ménage-
ment : mais on attaque les
prétextes faux ou mal en-
tendus y fur lefquels on fe
L iiij
laS PRET A CE.
diipenfè trop aifément de
nourrir. On permet donc à
celles qui ont de véritables
motifs de difpenfe ^ d'em-
prunter des Nourrices : mais
on y joint en même-tems
les conditions & les réfer-
ves de ces diipenfes. De
forte que fi on fe rend aux
vrais befoins^ c'ell toujours
avec la précaution de mé-
nager aux enfans tous les
fecours qui font d'ailleurs
au pouvoir des micres les
plus délicates. On auroit
voulu leur épargner tant de
menus foins : mais c'eft par-
ce que ces foins font menus >
qu'ils ont befoin de Toeil Sç
P PET A CE. iip
& du cœur d'une mère : tout
autre y eft ou indifférent ou
infenfible.
On s'attend que plufîeurs
s^indi/poferont contre ctz
Ouvrage : à quelles trilles
conditions , s'écrieront - el-
les y nous donne-t'on des en-
fans ! & bien-tôt ^ comme
les Juifs au Sauveur du mon-
de y elles diront : Il ejl donc
plus à propos de ne je point
marier Ça). On voit comme
elles y que la condition de
mère devient par-là fort im-
portune : car enfin que de
contrainte 5 de contre-temsj,
d'incommodités ^ s'il eft d'o-
(^) NlAîh, c, 19. V. 10.
X50 PR.FFACE.
bligation de nourrir Tes en-
fans ! Mais fi ce font des
convenances ^ des néceffi-
tésj & des pénitences de
Tétat ; fi cet Ouvrage fans
rien exagérer ne fait qu en
développer les raifons ; à
qui stn prendre y ou à
rOuvrage ou à la condi-
tion l Elles en feront le-
xamen : mais on eft fur que
pour peu qu elles écoutent
ce que la nature leur infpi-
re^ & ce que la piété leur
demande , dits {entiront
que ce n eft pas un joug in-
venté qu'on leur impofè ,
mais un devoir naturel dont
on les avertit. Ce n eft donc
PRET A CE. 131
m par chagrin ^ ni par préju-
gé qu'on leur parle ^ mais
en interprète de la nature ,
qui ne les a pas moins faîtes
pour nourrir leurs enfans,
que pour les mettre au mon-
de. Ainfi ce n'eft pas un
droit rigoureux qu'on exer-
ce contre elles : c'eil une
juftice qu'on leur repréfente.
D'ailleurs des meres rai-
fonnables ou chrétiennes,
compteront - elles pour rien
le plaifir (a) de s'attacher
leurs enfans par les liens les
plus tendres & les plus forts,
tels que font ceux de i'é-
(a) M. Guerin, Méthode d'éleveï les ea-
jfans^pag. 27,
13^ PRET A CE.
ducation l Peuvent - elles
plus dignement & plus ho-
norablement fe contrain-
dre ? Elles fatisferont leurs
maris ^ gagneront leurs en-
fans , édifieront le monde ,
s'honoreront elles mêmes.
Goûteront-elles tant de vé-
ritable joye dans quelque
partie de plaifir que ce foit ^
& dans quelques îiaifons qu-
elles fe faflent l Retireront-
elles autant d'avantage de
quelque commerce de la vie
que ce puifle être ! Elles au-
roient au contraire la con-
fclation de voir dans leur
conduite une occupation
honnête fubllituce à un a-
PRET A CE. 133
mufement indigne : le tra-
vail prendroit la place du
jeu , & la vertu peut être
celle du vice. La compen-
fation eft-elle donc fi iné-
gale ? Seroient - elles fi mal
payées dun peu de con-
trainte ?
Quelques - unes diront
peut-être j, que c'eftune nou-
veauté quon veut établir.
Elles verront dans ce Trai-
té que c'étoit la coutume
des anciens tems. Peut-être
attribueront-elles à fcrupule
ces maximes contraignan-
tes. Peut-être appelleront-
elles rufticité^ impoliteifîe ,
ces devoirs naturels. Mais
Î34 PRE'FACE;
les Payennes ^ les Princef^
fès & les Reines s'y afîîijet-
tiflbient. On fe flatte donc ,
que l'exemple gagnera do-
rénavant leurs efprits , ôc
que lamitié attendrira leurs
cœurs ; que convaincues
enfin par la Religion d une
obligation fi eifentielle & fî
pariaitt;ment prouvée , elles
fentiront tout le plaifir defe
contraindre par raifon , Sc
de s'aiTujettir par vertu.
D E
I L OBLIGATION
AUX MERES
DE NOURRIR LEURS ENFANS (a);
Chapitre Premier.
^ue r obligation aux Mères de
nourrir leurs enfans ejl de
droit naturel.
fefev^ii d^ 5 P^^ ^^^ rapports ÔC
des convenances qu'el-
le fait appsrcevoir , par des pan-
(a) Voyez la Méthode d'élever les[enfafis,
par M. Guerin, Médv»cin de H Faculté de
Paris , ch, 8, F. ?amç. /11/.4. ai Injiù, Rti^ubi^
fit, 6,
1^6 De rohligatlô^i aux mères
chans qu'elle donne , par des ref-
femblances qu elle forme , enfin
par mille fortes de fentimens ,
aidées, 6c d'inclinations quelle
trace dans le cœur &: dans l'ef-
prit. Ce fera donc une obliga-
tion naturelle , que celle qui par
ces fortes de fentimens nous por-
tera vers quelqu objet que ce loit.
Mais cette obligation fera dou-
blement fondée fur la nature li
l'objet qui nous attire le fait par
les mêmes raifons & par les mê-
mes motifs qui le portent vers
nous , fi fes iiaifons font réci-
proques , Ces inclinations mu-
tuelles, fes'convenances fembla-
bles. Sur ces principes , quoi de
plus naturel , que l'obligation à
une mère de nourrir fon enfant ?
On ne voudroit pas dire , que la
femme ne foit propre à toute au-
tre chofe qu à donner des enfans
au monde , quoiqu'elle paroifle
principalement faite à ce def-
feiu ', puifqu il paroîtroit même
par
dt nourrir leurs enfans, j^j
par rinftitution du Créateur ,
qu il auroit moins penfé à don-
ner à l'homme une femme en la
créant qu'une compagne ou une
aide : mais elle tarda (i peu après
fon péché à devenir mère , qu il
a bien para qu un des princi-
paux fecours qu elle apporteroit
à l'homme , fer oit de fui donner
des enfans. Ce fut même depuis
un fecours ordonné , de qui de--
vint comme d'obligation : car la
condition de mère qui avant fon
péché auroit du être pour elle
lans contrainte &C fans honte , fe
changea enfuite en état d'humi-
liation de de pénitence 5 {a) In
dolore parles. Que il l'on ajoute à
ceci la reiïburce de falut , que
l'Apôtre veut qu'une femme
trouve dans la condition de mè-
re , {b) Mulïer falvahitur ferj--
liorum generationem , on com-
prendra qu'une femme tant dans
(4) Genef.cap./^.
(b) S, Pattlf ad Timoth, Ej>, i . r: 2 . v« 1 5;;
M
ï 3 8 T>e f obligation au>c mères
Tordre de la nature , que dans
celui de la Grâce eft deftinée à
devenir mera
Ce n eft pas qu^elle ne la fut
devenue , quand bien même elle
feroit demeurée innocente : mais
comme elle auroit mis au mon-
de des enfans fans d^ouleur &:
fans confufion , elle s'y feroit
portée fans danger de crime ;
parce qu elle n'y auroit point été
attirée par le honteux panchaiic
d*une nature corrompue , mais
par une foumiffion d'ordre &: de
raifon aune nature innocente,
ou pour mieux dire à la volonté
pure & à la deftination du Créa-
teur. Aujourd'hui au contraire
la nature feule a prefque la meil-
leure part dans les m.ariages : 6c
elle y domineroit fans doute feur
le 5 fi la Religioa n en redtifîoix
Fufage.
C'eftdonc de la nature que la
femme tient aujourd'hui tout
ce qu elle a de panchant ôc de
de nourrir leurs enfans. 13^
difpofition pour mettre des en-
fans au monde -, parce que d*ellc
feule lui vient tout ce qu'il faut
pour les produire. Mais par les
mêmes raifons on comprendra
qu'elle fe trouve auffi naturelle-
ment obligée de les nourrir ,
puifque la nature ne Ta pas moins
pourvu de ce qui cfb néceflaire
pour cela.
Par nature on doit ici com-
prendre Tordre du Créateur : lui-
même donc en formant la fem-
me renferma en elle les germes
d'autant d'hommes qu'il en de-
voit jamais naître. Elle n'en eft
donc que la dépofitaire ; elle
les loge ôc les conferve jufqu au
tems de la naiflance. Alors mê-
me c'eft moins la production
d'une nouvelle créature qui vient
habiter le monde, que le déve-
loppement & la manifeftation
d'un être déjà créé qui fe produit
au jour.
Une graine ou une femencc
Mij
140 T>ttohlïgdtîon dux mtrcs
qui contient en abrégé la plante
ou larbre qui en doivent naître,
fert de preuve à ce qu on vient
d'avancer ; ôc le pouiîin renfer-
mé dans fon œuf en eft une au«
tre d'autant plus convaincante ,
que toutes les femelles dani-
maux renferment naturellement
en elles quelque chofe d'analo-
gue oc de femblable. Or que ces
êtres commencés, êcdctouttems
dans le fein des mères , foient
des animaux en racourci , on
doit le croire d'autant plus , que
ce qui eft renfermé dans uii
gland eft l'abbrégé d'un vrai chê-
ne. Mais puifque la raifon , qui
ne nous fait rien découvrir dans
- la terre qui puifle former un chê-
ne d'un gland , ne nous laifîc
rien appercevoir dans aucun des
deux fexes qui puifte produire
& arranger les parties d'un ani-
mal \ il faut conclurre , que ces
parties étoient toutes formées
indépendamment des pères &:
de nourrir le tir s enfanf. 141
mères. Hé comment dès -lors
n'auroient - elles point été du
moins tracées comme dans leur
ébauche j puifque ces êtres im-
parfaits ont du végéter , pour
ainfi dire , dans le fein de la fem-
me , avant même qu elle ait fon-
gé à devenir mère ?
Voici ce qui doit en perfua-
der : fuivant la penfée d'un Sca-
vant [a) Médecin de ce fiécle ,
on apperçoit une circulation de
liqueurs dans un animal nou-
veau-né ; donc cette circulation
fe faifoit déjà dans l'animal avanc
même qu'il fut conçu. On ne di-
ra pas qu'il tient cette circula-
tion de la mère ; parce que le
principe qui entretient la circu-
lation eft indépendant d'elle :
ce qui eft fi vrai , que l'enfant
mis au monde conferve cet-
te circulation tout féparé qu'il
eft de {a mère. Le principe de
cette circulation eft donc dans
(4; M. Pùcarne , DiJ[èrt.-$ag. loi.
Ï41 T^c F obligation aux mer es
rcnfant , c'eft-à-dire, dans fou
cœur. Voudra- 1- on prétendre
que ce cœur fe fera formé par
les loix du mouvement ou par
les régies de Mécanique dans le
fein de la mère ? Ce feroit donc
fucceffivement que les parties du
corps d'un animal fe feroient
formées : ainfi le cœur fe feroit
formé le premier , &: les autres
or2:anesenfjite. Mais cette fuc-
ceflion de parties ne s'accorde
pas avec le mouvement du cœur,
qui n'a pu battre avant la forma-
tion du cerveau , de qui il doit
indifpenfablement recevoir les
efprits qui entretiennent foti
battement. Le cerveau de même
jî*a pu être formé le premier , ni
avant le cœur , de qui il doit re-
cevoir le fang pour former (qs
efprits. Il faut donc que toutes
CQS parties fe foient trouvées for-
mées toutes à la fois : mais on
ne peut attendre que du doigt
du Créateur une produdion qui
de n&UYYÏr leurs enfans. 145
Te trouve d*abard complette
dans toutes fes parties : aiiiiî ce
ne fera que par une fuite ôc en
vertu d^ la création des germes
de tous les hommes que le Créa-
teur a renfermés dans la pre-
mière femme y que celle d*au-
jourd'hui deviennent mères. La
femme ne fait donc que fe prê-
ter, quand elle fe marie , moins
pour la formation d'un homme ,,
que pour raccroiflement du ger-
me que le Créateur a tranfrnis
en elle par le moyen de la pre-
mière femme. Mais comme la
terre, fans rien donner du fien ,
concourt à la production des
plantes , en tenant pour ainfî
dire en digeftion leurs graines,
ôc en leur tranfmettant la nour-
riture quelle reçoit pour elles
"des rofées & des pluyes du ciel ,
de même une femm.e enceinte
communique au germe de Thom-
me qui va naître de quoi en dé-
velopper les parties , &: de quoi
les îz'iXz croîcre.
Ï44 ^^ Vôhlîgatîon aux mères
Voilà donc la femme telle-
ment obligée par fon état de mè-
re , à nourrir fon enfant dès le
moment qu il ne fait , pour ainfi
dire que d'éclorre , que ce n eft
même que par cela feul qu elle
f>eut mériter ce nom j puifqu el-
e ne contribue en rien d'ailleurs
à fa production 5 comme on vient
de le voir.
Mais elle eft fi naturellement
deftinée à ce devoir , que tout
ce qui fe pafle en elle dans fa
grolIefTe paroît s'y rapporter uni-
quement. On en conviendra en
comparant une femme enceinte
avec elle-même quand elle ne
Teft point : car c*eft par ces for-
tes de rapports & de comparai-
fons que la nature fe fait enten-
dre.
On fçait qu'un homme dans
fon état naturel , doit autant per-
dre par les différentes évacua-
tions qu'il reçoit par la nourri-
ture 5 à faute de quoi il tom-
beroic
de nourrir leurs e y? fans. 145
î>€roic malade. Il n'en eft pas de
même d'une femme : elle diffipe
moins qu elle ne prend ; elle fait
plus de fang quelle n'en em-
ployé à fa confervation : 6c ce-
pendant elle fe porte bien : c'eft
qu'elle ne vit pas pour elle feu-
le ,&: ce qu'elle a de trop eft
moins un fuperflu qu'une provi-
fion dcftinée à nourrir un en-
fant, fi la Providence l'engage
à ce devoir. C'eft par cette rai-
fon que ce réfidu dont la nature
la débarafïe fi régulièrement , eft
retenu dès quelle devient en-
ceinte.
Cette forte de prévoyance eft
tellement de la nature , que dans
les animaux qui ne portent point
leurs petits , comme les oifeaux,
elle a foin de ramalTer dès le feia
de la mcre, & dans la coque de
Toeuf qui renferme le germe , de
quoi nourrir le poullin , jufqu'à
ce qu'il puifle aller chercher ail-
leurs de quoi fe nourrir. Eft-il
N
14^ ^^ l^ohligâtton aux mères
des vues plus naturelles àc mieux
exécutées ?
Si ces vues étoient moins mar-
quées dans la difpofition &: dans
la nature des mères dont on tra-
ce ici les devoirs , on les rccon-
noîtroit dans les femelles des
autres animaux , par les foins
qu elles fe donnent, & les précau-
tions qu elles prennent à nourrir
leurs petits.
S in lihet ex hrutis humânos dïfccrt
mores ;
Affîce qujifit cura lup£ , vel quan->
ta le£f7£
Tafcendis catulis , aliarùm quanta
fer arum ,
Aut quam multa fuis pro fœtihus
afpera 7m fient
Frdlidj qux duhïtent proprio tenta^
rc periclo.
^u^anta deindefuos cum follicitu^
dine nidos
Mdlficent ^olucres ^ quanîo moli^
mine tutum
âc nourrir leurs enfans, 147
Ckm cœpere locum :
Et fupcr ûva cubant tam Ion go te m'»
fore 5 donec
jExcluJl veniant fœtus in luminîs
duras.
Inde cihos parvis , (jr longe fahuU
qu^runt
Dulcia y in os gaudent in hiatumquc
indere manfa.
Hic amor in fdvis ejl tigrihus , in^
que lexnis :
Necjam ullum in terris animal agit
ilims expers.
D if cite virtutempropriam :fivcfrA
voluntas
Hanc refugit , nec quidquam homi^
nis nif nomen habetis
Et faciem : propriam virtutcm dif-
citt maires
A brutis avibufque , immani kflir^
^e fer arum :
Aut illis hominis potius concedite
nomen. {a)
( ^ ) Michael Hofptal f Epfî, lib. $ . ad Ja^
vum Mordlum,
Nij
148 De rohlîgation dux mcres
CHAPITRE II.
^ue ce que Id nature fait après ta
naî£ance de lenfa?it , ne marque
fas moins aux mères r obligation
m elles font de Us nourrir.
ON ne trouvera pas moins
de raifons naturelles qui
obligent une mère à nourrir fon
enfant après fa naiiïance : il ne
faut pour cela que continuer à-
fuivre les démarches de la natu-
re. Elle qui a formé dans une
femme des organes qui ne peu-
vent fervir qu'à la production
d'un enfant, y en a établi d'au-
tres qui ne peuvent être deftinés
qu'à le nourrir. Ce font les mam-
mellcs qui fervent de réfervoir
au lait , vers lefquelles il fe por*
te en fi grande profufion après
la nailTance de l'enfant, qu'on
voit bien qu'il n cft fait que pour
lui.
âe nourrir leurs enfans, 149
Il eft vrai que les hommes ont
auffi des màmmelles , mais d'une
ftruclure fi différente de celles
des femmes , que la comparai-
fon feule doit perfuader que cel-
les-ci font uniquement deftinées
à allaiter leurs enfans. Le détail
de cette ftructure feroit ici hors
de place : il fuffit de dire que
dans les hommes elles ne font
que des reftes ou des témoins
inutiles des ufages qu'elles a-
voient dans le fein de la mère :
au lieu que dans les femmes elles
fe confervent dans ces ufages ,
toujours difpofées à faire ce qu'-
elles faifoient alors. Voici tout
le myftére.
L'Antiquité fût fort inqniettc
ôc peu certaine fur l'ufage des
màmmelles dans les hommes ,
& perfuadée autant qu'on doit
l'être qu'on ne peut reconnoître
en Dieu aucune œuvre inutile ,
elle fc tourmentoit en vain à juf
cificr la Providence par des con-
Niii
1^0 De l'ohligAtion aux mères
jedures mal entendues, La Mé-
decine de nos jours a été plus
heureufe en ce point : elle a dé-
couvert , que dans l'un &: dans
Pautre fexe les mammelles ont
un ufage commun mais nécef^
faire dans le fein de la mère r
c*eft de fervir de couloirs 6c de
décharge au fuperflu du fuc
nourricier dans les enfans. Cet-
te prévoyance étoit des plus né-
ceflàires pour leur confcrvarion :
car comme ils ne tranfpireni:
pas , tant qu'ils font ainfi éloi->
gnés du commerce de l'air exté-
rieur , ils fe feroient fouvent
trouvés en rifque d'^étouffer, fi
les reftes du (i\c nourricier qui
n'auroit pu fc placer dans ce pe-
tit corps n'avoir trouvé une for-
te d'égoût. Oeft ce qu*on a dé-
couvert dans les mammelles des
enfans , lefquclles dans les deux
k-^QS font les ora;anes deftinés à
cet ulage oC a prévenir cet in-
convénient. Ce font des parties
de nourrir leurs enfans, 1 5 t
glanduleufes & charnues , qui
comme autant de couloirs 6c d'é-
f)onges s'imbibent de ce que
'enfant reçoit de trop cour fa
nourriture, pour le lailler cou-
ler infenfiblement par cç.s ilîuës.
Tout ceci cft prouvé dans les
bons Auteurs , mais le fait fuffic
à notre fujet. Après la naiiïan-
ce, parce que ces écoulemens de-
viendr oient à charge & inutiles ,
fuppofé la tranfpirarion qui va
dans la fuite y fuppléer j ces cou-
loirs tariflent pour un tems dans
le ^(tY^Çi deftinë à donner des mè-
res, &: pour toujours dans Tau^
tre que la Providence a deftiné à
d'autres ufages.
Ce feroit ici l'occafion de pla-
cer la raifon mécanique de cette
différence , en expliquant com-
ment des parties , qui d'abord
ont eu un ufage commun , peu-
vent enfuite en prendre de fi dif-
férens : mais ce feroit trop s'é^
carter de notre fujet. De qucl-
N iiii
I j 2 De rohlïgathn aux mères
que manière donc que cela fê
pafTe , du moins apperçoit - on
clairement Tattention d'une na-
ture toujours occupée à ména-
ger dans une perfonne même y
qui peut-être ne deviendra ja-
mais m.ere , ôc pour un enfant
qui peut-être ne naîtra jamais y
un lieu de réferve pour fa nour-
riture. Car de croire que les
mammelles ayent été faites pour
orner un fexe que la pudeur & la
modeftie feules peuvent vérita-
blement orner , ce feroit adop-
ter une opinion qui ne trouva,
pas même de place dans Tefprit
des Payens. Qu'on excufe après
cela tant qu'on voudra la con-
duite des mères faines &: vigou-
reufes , qui fe refufent à leurs
enfans , pour les abandonner à
des étrangères : on ne craindra
pas de dire ici à leur honte , que
c'eft pour elles la même injufti-
ce , que Ci elles refufoient de
leur rompre un pain qu'on leur
de nourrir leurs enfans. 1^5
auroît confié pour les nourrir :
f»eut-être même font-elles en ce-
a quelque chofe de pis : car tan-
dis que ces foi blés créatures leur
demandent leur pain par leurs
clameurs , la dureté de cœur de
CCS m.eres impitoyables leur pré-
fente une pierre. Hé plaife à
Dieu 5 que la fuite d'une fi mau-
vaife éducation , ne les condui-
fe pas un jour à leur donner un
fcorpion pour un œuf!
La prévoyance de la nature va
plus loin : peu fatisfaite d'avoir
affiiré la nourriture d'un nou-
veau-né , elle a pris toutes les
mefures pour la lui prolonger
pour autant de tems qu'elle lui
fera nécefiaire. Quoi qu'attenti-
ve donc autant qu'on la connoît
au foin de faire des mères , elle
l'oublie en faveur de l'enfant qui
vient de naître , §C ne s'occupe
qu'à luiconferver long-tems une
nourrice. C'cft pour cette raifon
qu'une femme qui allaite foa
T 54 ^<^ l'obligation aux mères
enfant , eft moins fujette à re-
devenir grolTe pendant ce tems ,
quoique l'impatience ou Tin-
continence d'un mari l'y expofe.
Mais fut-il une preuve plus na-
turelle que celle-ci ? L'action
d'une mère qui nourrit fon en-
fant , eft moins une action de
choix qu'un fentiment de la na-
ture répandu dans toutes les fe-
melles des animaux : car toutes
nourriiTènt leurs petits j & celles
qui n'ont point de mammelles à
leur préfenter , leur préparent
leur mangeaille , & leur offrent
la béquée ; & tandis que les bê-
tes les plus féroces [a) fe livrent
humainement à ce devoir , les
femmes s'en éloignent avec in-
humanité. Si l'on joint à tout
ceci , que le lait dans une fem-
me ne peut y avoir d'ufages que
par rapport à fon enfant ,"& que
l'enfant eft fait pour le fjcer de
fa propre mère ; ce feront de nou-
( rt ) s. Bafil, hom, 9* Hcxam»
de nourrir leurs enfans, i ^ j
veaux titres de condamnation
pour celles qui rcfufent de s'y
foumettre. On ne peut douter
de la première propolîtion • puifl
que fa préfence du lait devient
un figne fufpect dans les perfon-
nés du fexe qui n'ont pas de mari ;
perfuadé qu'on eft^que la produc-
tion du lait eft une fuite du ma-
riage , 6v l'objet d'un enfant.
On oppofera peut-être quel-
ques obfervations qu'on prétend
avoir des hommes &: des filles
fages qui ont eu du lait : mais
fins examiner la vérité des pre-
mières , & après avoir accordé les
fécondes , que le plus fage Oo-
fervateur ( ^ ) en Médecine a
confirmées , il fuffit ici de dire ,
que ce font des écarts de la na-
ture qui ne peuvent tirer à con-
féquence , ni changer la régie
commune. Il n'en eft donc pas
moins vrai que le lait feroit inu-
tile à une perfonne hors Tétat de.
1^6 De l'ûhUgation aux mères
mariage • puiiqu'il n a ni les con-
ditions , ni les qualités qu'on
trouve dans toutes les liqueurs ,
que la nature deftine dans le
corps humain à fes utilités parti-
culières. Ces fortes de liqueurs
comme la bile , le fuc pancréa-
tique 5 la lymphe ont leurs vaif-
feaux de retour , par lefquek el-
les vont fe reméler dans le fang ,
où elles arrivent fans tumulte &:
fans trouble : leur utilité eft
donc prouvée en ce qu elles ont
leurs allées & venues , leur cir-
culation enfin , qui les porte
hors du fang , & qui les y re-
porte fans inconvéniens. Le lait
au contraire une fois féparé bc
filtré dans les mammelles , n'a
d'autre route qui lui foit defti-
née que celle des canaux de dé-
charge , qui doivent le porter
dans la bouche de l'enfant. Tou-
te autre voye , fur tout vers le
fang d'oii il eft forti , lui eft in-
terdite j Se l'on {çait combien il
de nourrir leurs enfans. 1 57
en coûte fouvent aux mères in-
fidelles qui ne veulent point fe
rendre nourrices. Quels troubles
alors dans le fang; ! quelles dou-
1 1 • ' •
leurs ! quels inconveniens qui
leur reprochent , ou qui punif-
fent leur injuftice i La plupart
à la vérité évitent ces dangers :
mais en eft-on moins criminel ,
quand on eft paifiblement in-
jufte ! Mais voici une autre preu-
ve de rinjuftice des mères , c'eft
3ue les révolutions qui fe palTent
ans le tems de leurs couches fe
font exprès pour faire trouver
à tems une nourriture propor-
tionnée à l'état de l'enfant. En
effet tant qu'il a eu à vivre dans
le fein de fa mère , tout le fuc lai-
teux dont il avoit befoin defcen-
doit vers lui : fitôt qu'il eft né , ce
fuc change de marche, il remon-
te aux (a) mammelles , les parties
( 4 ) N(5«we In hac queque re naturx folertta
ev'îdens ejl? qtiodfo/lea quant fanguis file opi-
fex in ^emtralibus fuis omne cornus kominif
i^Z De r obligation diix mer es
du corps les plus apparentes -,
comme pour fe montrer à k mc-
re ôc s'indiquer à l'enfant. En
falloit-il davantage pour mar-
quer le devoir des mères ?
Si Ton vient à examiner les
droits que les en fans ont fur le
lait de leurs mères , on ne les
trouvera pas moins bien fondés.
Car à en juger par la manière
dont ils fe font formés dans leur
fein , ils ne peuvent bien fure-
ment s'accommoder que du lait
dont ils fe font nourris pendant
ce tcms. En effet quand ori
n'auroit égard qu'à rtiabitude
où ils étoient , de tirer le lait
de celle qui vient de les mettre
au monde -, auroit-on du croire
qu'on pût les faire paiTer bruf-
quement ôc fans précaution à
un autre lait , fans qu'il leur en
fnxît^ adventame jam part/is temfore mfuper-
nasfe partes frofert , atqiie adfovenda vhx Jti-
cifque rudîmemaprafto efi , & recens natis no-
tum & familiarem viCium offert, Pkavorin.
apu4 Gell.l. 12. c. i.
de nourrir leurs enfans, 1 5 ^
coûtât beaucoup ? On fçait les
dangers qu'apporte le change-
ment d'état , de climat , de nour-
riture , ôc à combien de maux
bizarres on s'expofe alors : ôc on
fe perfuadera qu'on ne fait cour-
re aucun rifque aune jeune créa-
ture , fufceptible de tout , parce
qu elle eft de toutes la plus fen-
iible &: la plus délicate , que tout
blefTe & que prcfque rien ne
peut guérir : elle qui fort d'un
féjour qui lui étoit devenu in-
fupportable ', on la fait paiïer
dans un air tout nouveau pour
elle êc prefque étranger. Dans
cet état il ne lui reftoit qu'une
reflburce : c'étoit dans une nour-
riture dont elle avoit l'habitude,
êc que la nature faifoit fuivre
après elle , de peur qu'elle en
manquât , &: ce fecours lui eft
refufé par fa mère : cette reffbur-
ce lui eft enlevée ! c'eft donc l'ex-
pofer tout à la fois à un air nou-
veau , ôc à une nourriture étran-
ï(jo De r obligation aux mères
gère : certe oferoit-on mettre un
adulte avec aullîpeu de ménage-
ment à de telles épreuves ?
Mais d'ailleurs ce lait leur ap-
partient en propre : car comme
il cft fait pour eux , ils ont été
formés par lui : c'eft donc leur
difputer une partie d'eux-mê-
mes : c'eft partager leur propre
fubftance ; puifque le lait des
mammelles n'eft pas moins def-
tiné à les faire croître après leur
nai{Iance , que celui du fein de
leur mère étoit dcftiné à les faire
naître. On en jugera par les rai-
fons qui font les mêmes , 6c par
Fanalogic qui eft pareille.
Un enfant nouveau-né n'a pas
plus d'intelligence pour choifir fa
nourriture, qu'avant fa naiflan-
ce : mais comme l'ordre fcul du
Créateur lui a fait trouver alors
de quoi pouvoir naître , il lui
offre encore dans le lait de fa
mcre de quoi s'accroître : au lieu
que ce qui lui vient d'un choix
étranger »
de noHYrïr leurs enfanj. \ C t
étranger , doit rexpofer à tous
les incofiveniens d une nourri-
ture nuiiîble ou mal aiTortie ;
puifque cette entreprife eft une
nouvelle habitude qu'il faut fai-
re prendre à de jeunes créatures
qui en font incapables , ôc dont
on rifque la vie. On le com-
prend quand on confidére que la
vie en elle-même eft un accord
continuel des liqueurs qui Ten-
tretiennent avec les parties foli-
des : c'eft une convenance & un
rapport des mieux concertés en-
tre les unes & les autres ; mais
ajoutez que la vie d'un nouveau-
né dépend moins encore de ce
rapport entre les parties de fon
petit corps , que du rapport qu'il
a apporté en naiflant avec le
corps de fa mère : ^ alors on
conviendra du danger qu'il y a
de fubftituer un lait ou un liqui-
de , avec lequel il s'accorde auflî
parfaitement qu'avec les liqui-
des ou le lait dont on vient d'ê-
O
î^i De follïgatïon âux merfs
tre formé. Imaginez deux pen-
dules montées Tune fur Tautre ^
ou deux luths parfaitement d'ac-
cord ^L mis à l'uniflbn : vous
n'aurez encore qu'une image
groiîiere de la parfaite correl-
pondance des parties d'un en^
fant avec celles de fa mère : car
ici la correfpondance eft entre
deux machines infiniment plus
compofées , en qui cependant
tout concourroit ^ s'accordoit
dans le fein de la mère pour la
confervation de Tcnfant. Voilà
la convenance qu il faut trouver
ôc établir entre une nourrice é-
trangere & un nouveau- né : elle
eft encore toute entière ôc toute
trouvée entre celui-ci ôc fa mè-
re 5 & il ne faudroit que s'y con»
former. Sinon comme ce rap^
port mutuel eft la preuve la plus
naturelle du devoir des mcres ^
il devient celle de leur condam-
nation quand elles y manquent^
Peur mieux fc convaincre fur
de nourrir leurs enfans, iG^
tout ceci , il faut fe louvenir
cjue chaque être , chaque plan-
te 5 chaque animal a fa pâture
propre : un air étranger , une
eau mal affbrrie , une terre nou-
velle 5 fait languir ou mourir
un poiiïbn , un oifeau , une plan-
te^ quoi qu'on leur donne peut-
être un air meilleur , une eau plus
pure , une terre plus gralFe : &:
on prétendra, moins expofer le-
corps d'un enfant , dont on con-
noit moins les rapports , les pro-
portions ôc les convenances î v
Quel moyen , dira-t'on , de pé-
nétrer tout ce détail , & de pe-
fer tous ces égards ? m.ais font-
ils imaginaires ces é2:ards , l<.
faits à plaint ? S'ils font auiïï
réels que peu connus , eft-il per-
mis de s'expofer & un enfant à
de fi terribles méprifes ? Mais ces
proportions oc ces rapports font
autant connus , qu'il convient
aux befoins de lenfant : êc fi on
n'en développe point toutes les
O ij
1^4 ^^ tûhlïgAtton aux mtns
caufes , on en comprend la jtif^
teffe : elle frappe même les fens^^
à qui veut s'y appliquer. C'efl:
donc une vérité de fait fur la-
quelle il n'eft pas permis de fe
fermer les yeux.
Un titre enfin qui acquiert
droit à Penfant fur le lait de fa
mère , en montrant qull n'eft
fait que pour lui , c'eft qu'il cft
inutile pour elle ôc le produit
d'un fuperflu. Il tient dans une
femme qui nourrit , la place dti
trop de fu£ nourricier qui s'a-
mafle en elle , & qui pailè dans
un fang- qu elle doit régulière-
ment perdre pour fe bien por-
ter, hors le tems des grolîefles
& de Ç^s fuites. La nature cepen-
dant ne faifant rien en vain , a
eu iç,^ vues dans la production
de ce fuperflu : mais en eft-il uns
plus naturelle que celle de fer-
Tir à nourrir un enfant , quand
la Providence lui en donne }
puifque pendant tout le tems
de nourrir leurs enfans, i ^^
qu'une femme nourrit , elle ne
fouflre rien de la retenue de ce
fuperflu, qui larendroit cruelle--
ment malade dans un autre tems,
^i danc une mère fe rend ii cri-
minelle en faifant périr fon en-
fant en elle-même , la croira-t'on
innocente , lorfqu'ellc rexpofera
fans néceffité entre les mains d'u-
ne étrangère ? fera-t'^elle même
fans crime , iî fon enfant , qui
auroit pu plus fûrcment vivre
fous fes yeux &: entre fes bras ,
venoit à mourir chez une nour-
rice ? car enfin répondra - t'on
moins d'une faute y parce qu*on
Taura commife par les mains
d'autrui , ou par un miniftére é-
trangcr l
î 66 De l^ohlfgati'ô'/i aux mefes
CHAPITRE IIL
Si ron s'eji toujours fcrvi de
Nourrices,
LE mot de Nourrices paroît
11 ancien dans le monde , ôC
il familier dans tontes les lan-
gues , qu'il pourroit bien avoir
été de tous les tems. Cependant
l'équivoque de ce terme , auquel
TAntiquité a fait fignifier autre
chofe qu'une mère qui allaite
fon enfant , donne à douter fi
l'origine des nourrices eft d aulîî
ancienne date que ce mot. Il
n'eft pas moins certain, par exem-
ple , que le mot de nourricier
foit fort ancien : cependant il
fe prend moins fouvenc pour
le père nourricier, que pour un
gouverneur d'enfans , ou pour
celui quiveilioit fur leurs étu-
des 6c fur leur éducation : aiiifi
de nourrir les enfans, i é'-t
le nom de nourrice pourroit bien
s'être fouvent pris pour {ignitier
autre chofe que pour une femme
qui allaitoic un enfant. Platon ,
{ d ) par exemple , appelle Chiron
le nourricier d'^Achilles , parce
qu'il lui avoir appris la Méde-
cine ; ôc faint Jérôme écrivant à
la Dame Lœta promet de fe ren-
dre le nourricier de la jeune Pau-
le, c'eft-à-dire , de Tinllruire Air
la Religion. On a auffi donné le
nom de Nourrice à la terre : mai&
ce qui fait le plus à notre fiijet ^
c'eft qu'on fçair encore que celles
qu^on appelloit nourrices , ne fe
prenoient pas toujours pour cel-
les qui les allaitoient. Ainfi on
donnoit ce nom à celles qu'on
appelle au j ourd'hui remmufes, qui
avoient foin de fecher les lan-
ges & de les chauffer : & c'efE
dans c^tic pofture qu'on repré-
fente la nourrice dont parle
{a) Lib. ^.deRa^ubï.
î^S De P obligation aux mères
Monfieur Bartholin (^) dans là
defcription qu'il nous a laifTéc
d'un ancien monument trouvé
à RomCr C'étoit encore des fem-
mes qu'ils nommoient nourri-
ces , qui emmaillotoient l'en-
fant 5 qui le Gouchoient 6c qui
le berçoient : en voici la defcrip-
tion dans un Poète célèbre (^).
Opus nutrici autem , utrem habeat
njeteris vint largiter ,
17/ dies no^îefque potet ; o^us ejl
igné , opus eji carbonibus,
Fafciis opHs cji y pulvinis ^ cunis ;
incunabulis.
Un autre Poëte (r) Grec en-
tend par nourrice celle qui leflî-
ve le linge de l'enfant , 6c qui le
tient propre.
jfuerifafciArum Uvâtrïx*
Enfin on donnoit encore k
f ^) Expojlt.veter. in puerpertVitit^»
(b) Plant. Trwul, aU, f.
nom
de nmrrir leurs enfans. \ 6()
nom de nourrice à la hcrccufcy
^«i ) Il pouvoir même arriver que
ces différentes offîcieres devinf-
fent de véritables nourrices, {h)
«n cas de befoin : ce pouvoir être
des femmes d'attente ou des
nourrices dé lignées au défaut de
la véritable mère : mais auifi n'é-
toient - elles fouvcnt que des
nourrices de nom , (r) puifque
-celles qui allaitoient s'appel-
loient ordinairement Mumm£,
[d] Ce fentiment touchant ces
nourrices de nom , eft fondé en-
core , fur ce que fouvent on.
donnoit le nom de nourrices à
de vieilles femmes incapables
d'allaiter , qu on nommoit pour
cclzveruU ajjd.
Hoc monflrant 'vctuU pueris repen^
tihus ajfji {a),
( ^ ) Qunarîa.
(b) Barthoî. expof, veter. inptteyp.rh. " . 20.
(c) Nominales & konoroi-tix. Barthol.p.i i .
(i) Jhîd.pag. 20.
(^) Jm'çnal. Satyr, 1 4. v, ao8.
p
170 De Vohligatton aux mères
Ainfi le nom de nourrice, quoi
qu'il foie familier 6c commun
dans PAnl'iquité , ne prouve pas
que l'ufage des nourrices foit
auflî ancien qu'on le voudroit
croire. Mais pour faire mieux
comprendre ce qu'on a à dire
touchant les nourrices des An-
ciens , il faut obfcrver qu'on
trouve dans leurs Ouvra2:es fur
ce fujet des maximes Se des exem-
ples. Les maximes ne varient
pas , &: font toutes contraires au
fréquent ufage des nourrices :
les exemples ne reflemblent pas
toujours à ces maximes ; mais ils
ne les décruifent pas , ils les éta-
blifTent même , quand ils font
bien démêlés.
Les Grecs , les Romains , &:
tous les peuples qui leur ont fuc-
cédé 5 ou qui en font venus , ont
tenu généralement cette maxi-
me , qu'une mère eft obligée de
nourrir fon enfant. Mea fenten^
Jiâ, (dit un (a) des plus fçavans
( «) Vlntarc* de liber, çduçand.-^ag. 3 ,
dt nourrir leurs en fans . 171
Auteur de la Grèce ) matrcs ipfc
nutrirc debent ^ laÛare infantes^
Et la raifon qu'il en apporte eft ,
3ue les fiécles anciens étoient
ans cet ufage : car fî Ton remon-
te , ajoute -t*il, jufqu'aux pre-
miers tems du Monde , on y re-
marquera que les mères des pre-
miers hommes n eurent pas be-
foin de loix ni de menaces pour
fe porter à ce devoir : elles s'y
rendoient volontiers , êc on n y
trouvera aucune trace de cette
indigne pratique de loiier des
nourrices à des en fans , 6c de fa-
crifier ces tendres victimes à la
cupidité ou à l'avarice de mères
empruntées. Rcfer [a) fermoncm
ad prlfca tempora , cjud prim£ pe^
ferimt , his neque lex ulU necejjt^
tatcm dendje frolïs imponehat , ne^^
que expeciatio gratî.t]uhebat infari*
tihus alimenta tanquamfœnort lo-
CAre.
Ceft pourquoi il n'y avoir pas
( ^ ) là. de amerfprolis, fag. ^9 f .
Pij
T71 De Pohllgatîûn /!ux mères
d'hcnnenr parmi les Grecs a
nourrir les enfans d autrui ; car
ce n écoic que des cfc laves ou des
fervances [a) qui fe pretoient à
ce bas miniftére : aullî étoit-ce
un reproche pour une autre fem-
me de palFer pour nourrice , &:
la feule indigence ou la mifére
excufoit alors cet emploi en elle.
Enfin la récompenfe qu*ils don-
noient à une nourrice étoit de
fi petite valeur , qu elle devenoit
une preuve du peu de cas qu'ils
faifoient de celles qui trafic
quoient de leiir lait. Euripide
parle d*une Dame Troyenne ,
qui devenue captive par la prife
de Troye , fe réfolut à nourrir
les enfans du maître qui Tavoit
fait fa prifonniere , de peur de
fe voir obligée de fe foumettre
à quelque fervice encore plus in-
digne. Mais le foulagement qu'-
elle trouva à fa mifére ne fervit
qu a lui en faire plus fentir le
{a) ViÛQY, lib. 17. Variar, kCi. c, ij
de nourrir leurs enfans. ij^
poids, en comparant le petit ie-
coiirs qu'elle reçût de les gages ,
avec les immenfes richeffes qu-
elle venoit de perdre. On lit
dans Démofthene (a) une au-
tre hiftoire d'une femme de
condition accufée en juftice de
s*être loiiée pour nourrir des en-
fans : elle ne fe difculpa qu'en
alléguant La mifére èc la fimine,
qui Tavoient réduite à cette né-
cefiité j ajoutant qu elle avoit
crû devoir préférer la baflefle de
cet emploi à l'infamie de quel-
que chofe de plus honteux. Au-
tant donc que la condition de
nourrice étoit refpectable parmi
les Grecs dans les véritables mè-
res , autant étoit-elle mépriféc
en celles qui fe loiioient pour cet
emploi.
Ce que rapporte un Grammai-
rien (h) Latin des plus célèbres 5
&: qui vivoit à Athènes , confîr-
(a) Ex VîClor. lîb. 17. Variar. leâi. ci.
, V k) Gdl. noCl, attic. l. u.c. t.
P iii
J74 ^^ P obligation aux mères
me combien les gens éclairés
d alors défaprouvoient la licen-
ce que fe donnoient quelques
Dames Athéniennes;, de {e don-
ner des nourrices étrangères pour
fe diipenfer de nourrir leurs en-
fans.
Phavorin Gaulois de nation ,
mais qui étoit devenu un des plus
fçavans Philofophes d'Athènes y
étant allé faire des complimens
chez une nouvelle accouchée , y
fut reçu par la mère de la jeune
Dame qui étoit femme de qua-
lité. Ce Philofophe prévenu de
la probité de toute cette famille
fe conjoùifloitavec la mère, per-
fuadé qu'il témoignoit être, que
la jeune Dame nourriroit elle-
même fon enfant : mais la mère
s'en excufant pour elle , fur le
ménagement qu'on lui devoit
après le travail qu'elle venoit
d'efTuyer , concluoit à lui don-
ner une nourrice r qu'aux Dieux
ne plaife , repartit le Philo-fo-
de nourrir leurs enfans 175
f>he , que vous ôtiez à votre fille
a meilleure partie du bonheur
qui vient de lui arriver en deve-
nant mère , ce titre eft trop beau
pour ne le lui point laifler pofle-
der tout entier. Or elle ne feroit
mère qu'à moitié , fi à l'avanta-
ge qu'elle vient d'avoir de met-
tre un enfant au monde, vous
n'ajoutiez celui de la laifl^er nour-
rir. Car enfin , ajouta-t'il , vous
êtes trop inftruite fur les devoirs
de mère , pour pouvoir vous
perfuader , que la nature ait don-
né des mammelles aux femmes
plutôt pour orner leur fexe que
pour nourrir leurs enfans.
Tout ce qu'ajouta ce fage Phi-
lofophe n'étoit ni moins vif, ni
moins fenfé : mais c'en eft alTez
pour faire comprendre les fenti-
mens où étoit encore dans le fé-
cond fiécle de l'Eglife le Paganif-
me parmi les Grecs , touchant
l'obligation des mères de nour-
rir leurs enfans. Les Romains
Piiij
ij6 "De PolUgaîlon aux merci
penferent là-dciTus comme les
Grecs : c'étoit une coutume , dit
lin {a) de leurs plus célèbres
Hiftoriens , établie dès les pre«
niiers tems , que chaque Romai-
ne nourrît fon enfant , & loin
de le décharger à prix d'argent
de ce foin fur quelques pauvre
femme, elle ne s*en rapportoit
quà elle feule , &: ne lui defti-
noit que fon propre lait. (^) Le
reproche qu'un grand Empereur
(r) fit un jour aux Dames de
cette nation , confirme cette pra-
tique. Eft-ce donc que les Da-
mes Romaines , leur dit-il , n ont
plus d'enfans ni à porter , ni à
nourrir , elles entre les mains de
qui on ne voit plus que des-
chiens &: des finies ? Ceft que
îe luxe ôc la molleiïè cx)mmen-
( a ) C. T.ach. l. de ctaris Aiitiorib.
(b) Jam fridem fuus cuique filius ex cafta
parente natus , non in fellâ empce nutricis , feà
gremio ac Jlnu matris educabatur , ibid,
(e) JuL Cafar. aiud F.Patrk» L 4.. de re^ub^
th, 6^
de nourrir leurs enfans, 177
^oient apparemment à les éloi-
c;ncr de cet ufage , que (4) Catori
faifoit obferver fi févérement
dans fa famille, que non feule-
ment il obligeoit fa femme à
nourrir fes enfans , mais qu il y
obligeoit encore indifpenfable-
ment les femmes de fes valets 2c
de £ç:S domeftiques.
La réponfe ( b ) que fit un jour
à (a mère un jeune Romain fre-
re naturel des Gracques , fait af^
fez comprendre le peu d^hon-
neur que fe faifoit une Dame
Romaine en ne nourriflant pas
fon enfant. Cétoit un Officier
diftingué par fa valeur, dont il
rapportoit des marques par les
dépouilles dont il revenoit char-
gé au retour d'aune campagne.
• Sa mère & ia nourrice impatien-
tes de partager fa gloire , couru-
rent au-devant de lui pour lui en
faire compliment : mais la prot
(<î) fhttarc. m Cat. maj.
178 De r obligation aux mères
périté ni l'honneur n'ayant pu al-
térer en lui les fentimens dune
nature reconnoiflante , il ne crai-
gnit point de faire voir la diftinc-
tion qu'il mettoit entre fa mère
(quilui avoir rcfufé fon lait) 6c
fa nourrice ^ en ne préfentant à
celle-là qu'une bague d'argent ,
en même-tems qu'il donna à fa
nourrice un collier d'or. La mè-
re fe plaignant à lui d'une pré-
férence qu'elle trouvoit injufte :
» Jugez , lui repartit-il , à laquel-
» le je dois plus de reconnoifTàn-
w ce, ou à celle qui ne m'a nour-
w ri que neuf mois , ou à celle
»• qui m'a foigné &: nourri pen-
»» dant deux ans. Car enfin , ajou-
M ta-t'il , fi je me trouve aujour-
w d'hui avec quelque honneur
>» dans le monde , à qui en fuis-
*^ je plus redevablc^qu'à celle qui
ti m'a mis en état d'y parvenir ?
»» Et fi ma gloire fe trouve flétrie
w par quelque endroit , eft - ce
N par un autre que par celui de
de nourrir leurs en fans, i yt)
*» la naidance honteiife que vous
*» m'avez donnée j puifque ce
»' n'eft que le crime qui ma fait
>- naître. Mon éducation n'a va-
" lu d autre plaifir à ma nourrice
« que celui de m'en faire j au lieu
w que vous avez moins fongé à
*> m'en procurer qu'à vous & à
»' mon père en vous livrant à lui.
»' Ce que je tiens de vous n'efb
" donc qu'un corps que le crime a
" formé j & je fuis redevable à fa
»» générofité &: à fa bonté de l'édu-
»> cation qu'elle m'a donnée. En-
» fin vous m'avez mis au monde,
M il eft vrai ; mais vous m'avez
» refufé les m.oyens d*y fubfifter ;
» 6c comme iî vous aviez eu re-
» gret au bien qui me venoit par
V votre moyen y ma naiflance a
«commencé votre haine contre
»» moi : exilé de votre préfence
»• &: dépendant d'autrui , je me
^ fuis vu accueilli , carefTé , &
M chéri par ma nourrice : & après
»• cela vous me trouvez inJLifte^
î 8o Tyt Vohllgdttoyi aux mères
» lorlque je ne fuis que recon-
w noifiaat 1
Certes il ne feroit guéres por-
iible d'imaginer d'autres preuves
plus fortes du devoir des mères ,
êc du droit que les enfans ont
fur leur lait , que ces paroles
mêlées de reproches & de recon-
noifTance. Les autres peuples é-
toient entrés dans les mêmes
fentimens» Les Germains , par
exemple , ce peuple quelque im-
poli éc quelque mal civilifé qu'il
fut d'abord , ne fçavoit ce que
c'étoit que d'abandonner ^es en-
fans à des nourrices d'emprunt ,
&: chaque mères s'acquittoit par
elle-même de ce devoir {a) Sua
quemcjue mater uheribus alit , nec
ancillis aut nutricibiis ddtgdntur.
C'étoit encore une coutume
établie parmi les EcofTois (^ ) de
ne pas fouflrir de nourrices à
leurs enfans , mais chaque mère
( ^ ) Tant, de morîhui German. ^ag. lit».
( i ) H. Bo'éikius in Scoiia^
de nourrir leurs enfuis. 1 8 i
devoit nourrir le iîen : leur fevé-
nré là-deflTus alloit au point de
déshonorer une femme dans le
monde , ôc de la faire foupçon-
ner d'infidélité , fi faute de lait
elle ne pouvoit pas nourrir ; par-
ce qu'ils étoicnt perfuadés qu'il
falloit qu'un enfant fût adulté-
rin 5 fi la nature lui refufoit dans
celle qui l'avoit mis au monde ,
une nourriture qui lui apparte-
noit de droit, fi elle avoit été fage.
Les nations les plus éloignées
ne fe font pas moins fait une re-
ligion d'obliger les m.eres à nour-
rir leurs en fans. Un célèbre Hif-
torien Efpagnol {a) en parlant
des peuples de la Chine , qui ont
coutume de fe fervir de femmes
dans les ambaflades 6c dans les
affaires d'Etat j rapporte qu'une
des principales conditions pour
les faites admettre dans ces
hauts emplois , c'eft qu'elles doi-
(a) Fernand, Mmàîz Vînto Hijîor, (hin, c,
172. p. 878.
i%i De l^ obligation aux mères
vent avoir nourri de leur propre
lait tous les enfans qu'elles ont
mis au moadc; ôc pour ne s*y
point méprendre , on n'admet
aucunes femmes à ces dignités
qu'après des informations févé-
rcs & juridiques. Une de leurs
raifons pour en ufer ainfi , c'eft
qu'ils font perfuadés qu'une
femme qui ne nourrit point fon
enfant refFemblc bien mieux à
une maitrefle ou à une courti-
fanne , qu'à une femme d'hon-
neur. Ils vont même jufqu'à
croire, que cette faute dans une
femme eft odieufe , infamante ,
& déteftable : deforte que fi par
une impoifibilité phylique une
merc fe trouve hors d'état de
nourrir , elle ne peut mettre fa
réputation en f ireté dans le pu-
blic , qu'en prenant &: produi-
faut des atteftations en forme ,
qui portent que l'impoilibilité
qu'elle allègue eft réelle & avé-
rée.
de nourrir leurs enp.ns. i Sj
La Religion Chrétienne ache-
va de perfuadcr les Grecs & les
Romains de l'obligation où font
les mères de nourrir leurs cn-
fans j & c'eft pourquoi les Pères
Grecs êc Latins fe font (i fort
récriés contre les mères qui man-
quoient à ce devoir. L'étrange
différence, dit faint JeanChry-
foftomc , ( ^ ) que celle qui fe
trouve entre une pauvre femme
& une Dame de qualité par rap-
port à la piété ! la pauvreté dans
l'une devient une reffburce na-
turelle de falut; la vanité dans
l'autre devient une occafion con-
tinuelle de chiite. Parmi les pau-
vres, une femme peut être tout
à la fois maitrefle 5c fervante; ôc
accoutumée à ex<^cuter par elle-
même , elle ne rougit pas de pa-
roître la mère &: la nourrice de
fcs propre; enfans. Il n'en eft pas
de même des femmes de q^irt-ité •
leur but , ce ff mble, feroit moins
t ?4 De rôhlîgdHon aux mer es
de devenir mères , que de ne
point paroître nourrices, C'eft
ainfi que leur vanité les dérobe
aux devoirs les plus efTentiels de
la nature ôc de la piété , lorf-
qu elles ne veulent que s'hono-
rer du nom de mère , & qu elles
rougiflent de la qualité de nour-
rice. Confidera pauperem incentiva
fietatis hahere fulcïmina , in di*
"vitïhus dutem mnltam ftéperhiam,
Aftid pnuperes uxor d^ ancilla ^
fnïnijlra ejl > d^ procréât flios , d*
ipfa mater d* nutrix efi. Apud di-
%'ltes autem non ejl ita , Jed cum
genuerit fiium y fi^tim eum tradit
forts , & pietatis injignia ahfcindit
fuferbia, Eruhefcitjîeri nutrix qux
facia ejl mater !
Saint Bafiîe ( a) fait ob fer ver ,
que Dieu ayant deftiné les fem-
mes à nourrir & à élever leurs
enfans , leur a donné un naturel
plus tendre oL plus affectif qu ■
aux hommes. Or de ce que ce
faint
dt nourrir km s en fans. 1 8 5
faint Père ajoute , que cette af-
fection dans les mères va jufqu'à
leur faire perdre le repos & le
fommeil , toutes les fois qu'elles
voyent que leurs enfans fouf-
frent ; cette remarque fait voir
3ue ce Saint parle en cet endroit
es mères qui nourrifTent leurs
enfans. Il en parle encore lorf-
qu'au fujet d'une perfécution , il
rapporte la conftance d'une mè-
re qui exhortoit fon fils au mar-
tyre. Car il dit de cecte-mere ,
qu'elle avoit encore plus nour-^
ri cet enfant des maximes de \x
piété chrétienne , que du lait de
fes mammelles. Cette obligation
aux merçs de nourrir leurs en-
fans n'eil pas moins marquée
dans les Pères Latins.
Saint Ambroife {à) reprend les
mères chrétiennes qui fe don^
nent la liberté de donner des
nourrices à leurs enfans , fous
prétexte de leur nobleiTç §c de
( a ) hik. H^ifo^n. r. c. i S.
Q
iS^ tit l*oUïgâtîon aux mères
leur qualité;ôc il leur fait un com-
mandement de ce devoir dans
ime de {ç:s lettres, ( ^ ) Le même
Père enfin expliquant cet en-
droit de l'Ecriture j {h) où il eft
marqué que Sara allaita Ifaac
fon fils , dit que « cet ex^emple
»» devroit bien réveiller l'émula-
•»^tion des mères chrétiennes
»» pour nourrir leurs enfans ;.
*» puifque cette fonftion de leur
»» état les honoreroit dans le
^ monde , ôc les rendroit plus
^ agréables à leurs maris , qui
»» les en eftimer oient davantage ,
»• par le cas qu ils verroient qu'-
» elles feroient du fruit de leur
»» mariage : Provocantur feminx
tneminijffc dignitatis fu£ , & lac^
tare flios fuos. H£C enîm matrîs
gratta y hic honos qua fl comment
dent 'viris fuis.
Saint Auguftin (r) rapporte
(b) Genef. c. 21;
it nourrir leurs enfans. 1 87
que rilluftre fainte Perpétue
ëtoit actuellement occupée à al-
laiter un de fes enfans , lors-
qu'elle fouffrit le Martyre.
Mais faint Grégoire [à) s'ex-
plique plus ouvertement qu'au-
cun autre fur ce même fujet , en
condamnant la coutume donc
les femmes fe fervent pour fe
difculper. « Il s'eft glifle , dit-il ,
>' une pernieieufe coutume dans
« les mariages , qui autorife les
w femmes à ne point nourrir leurs
* enfans , & à fe décharger de ce
•• devoir fur des nourrices à loiia-
» ge : Prava co?ifmtudo in cvnju^
gatorum morihus irrep/it , nt flios
ijuos gignunt mulicres , nutrirc con-
temnant , eofque aliis mulicrihus
nd nutriendurn tradant. Mais il
ajoute que cette prétendue rai-
fon , n'eft que le prétexte de leur
incontinence 5 (^) Ex folàcarnis
{a) Lîb. T . eftji. indiCi. 7. epifl. 3 i .
(b) S. Gregor* ibid, epij}, ad AugnJlin.Efîfç,
Camuarienfem,
I?? T>t rohUgatton aux mercf
incontinentïà videtiir illud fuijjl
invcntum y quia dum fe continerc
^olunt , defjficiîint laciare quos gi-
gnunt.
Le Pape Nicolas L confuké
( a ) par les Bulgares , fi les mères
ëtoient obligées de nourrir leurs
enfans , blâma fort dans fa ré-
f>onfe les femmes cjui ne vou-
oient pas fe foumettre à ce de-
voir ; & ce faint Pontife ajouta,
comime faint Grégoire , que ce
n' étoit que pour fatisfaire leur
incontinence , qu elles fe difpen-
foient de cette obligation. Elle
fubfiftoit donc encore cette obli-
gation dans Tefprit des Docteurs
de TEglife, & des perfonnes ré-
gulières au neuvième fiécle ^
dans lequel vivoit ce Saint Pape.
Environ 300 ans après, fous
Grégoire IX. on trouve dans la
bouche d'une femme Juive un
témoignage authentique de l'o-
bligation où les mères croyoiçnc
(>ï) AdConfuluBulgar,.c».6é^
de nettrYÏr tcurs en fans. rKf
être de nourrir 6c d'élever par
elles -mêmes lem'S enfans. Un?
Juif converti à la Foi, demanda
que (a femme lui rendît Ion en-
tant , pour rélever dans la Reli-
gion Catholique : cette merc
moins dénaturée en ce point que
nos Chrétiennes s'y oppofa , ( ^ )
repréfcntant qu'un enfant de
quatre ans étoit mieux fous les
yeux d'une mère , que fous ceux
d\in père qui n entre point vo-
lontiers dans de lî menus foins^
Mais pour mieux juftifîer foa
refus elle ajouta , qu'il feroit in-
humain de lui ravir un fils qui
lui avoir coûté tant de fatigue
avant que de naître , tant de
douleurs dans fa naifTance , &
tant de foins 6c de peines depuis
qu'il étoit né : An te parfum one^
rofus y dolorofus in partu , pajl par-
tum lahoriofus, C'eft donc une
marque que les mcres d*alors
nourriffbient leurs enfans j puif-
(^ ) Di converf inf^d, c. r«-
190 Be rohligatîon aux mères
qu'elles prétendoient que la pei-
ne de les avoir allaités leur ac-
queroit une forte de droit fur
€ux. Il paroît que les Théolo-
giens qui font venus dans la
îuite ont tenu les mêmes maxi-
mes. Car ceux qui ont travaillé
fur leurs principes à inftruire les
Fidelles touchant les obliga-
tions de la piété chrétienne , y
font auffi entrés & les ont ap-
puyés fur Pexemple des Dames
de qualité :, qui dans ces derniers
tems ont elles - mêmes allaité
leurs enfans ( a ). Ainfi un Au-
teur {b) des plus verfés dans la
Difcipline de l'Eglife , & dans la
fcience des Saints , auffi refpec-
table d'ailleurs par fa piété ,
qu'eftimable pour fon érudition,
vient de confirmer cette obliga-
tion dans les mères , avec toute
f<a) NotesfùrlaBibledeM. (!eSacy,Gf-
nef. C.21.
{h) M. de Vilthierry dans Ton Traité de
la vie de s gens mariés , pag. 426. c. 3 5»
de nourrir leurs enfans. 19 r
la folidité que mérite cette ma-
tière.
Les plus habiles Médecins r
{a) ^ compter depuis Gallien
jufqu'à nous , ont penfé là-def^.
fus comme les Théologiens ôc
les Pères. La préférence que Ga-
lien & ceux qui l'ont faivi ont
donnée avec éloge au lait de la
mère , pour nourrir plus fure-
ment un enfant , prouve PinjuC
tice de celles qui le refufent aux
leurs. Il eft vrai qu ils ne déci-
dent point en termes exprès la
queftion de l'obligation des me^
res : mais peut-être la trouvoient-
ils (\ naturellement établie dans
la nature & dans les efprits de
leurs tems , qu'il étoit inutile
alors d'en marquer les preuves.
Mais l'abus croiflant on a vu les
plus fçavans {b) dans cet Art
(a) Vid. Gafp. a Rejes qu. 47,
(b) Sennert. tom l-fag. 6^9' "Etmull. de
vitiis laClis^ fag. 65. Bomt, Poliah. de m^rb»,
i<)i De Pûhligatîon aux mer es
s'élever contre les inconvénient
qui s'enfuivenc , & prouver que
hors les cas de maladie ou d'im-
f)ui (lance , une mère devoir fon
ait à fon enfant. De forte que
peu parmi les habiles fe font é-
cartés de cette uniformité de
fentimens. On trouve à la vérité
dans un Médecin Efpagnol {a)
très-célébre &: rres-fçavant d'ail-
leurs , un peu trop d*indulgen-
ce dans cette occafion pour le
ménagement des femmes j mais
le féjour de la Cour auroit bien
pu amollir fon cœur & afFoiblir
Tes lumières en ce point : en ef-
fet fes raifons font fi foibles {h )
& fi parfaitement détruites par
un autre Médecin auiîî très-ha-
bile , [c) qu'on a tout lieu de
croire que ce fcavant Efpagnoi
(a) Gallego de la Serna de alend.fœt, rat,
f. 8.
(b) Fkulne^fimt Gallegi de la Serna rathm^
ftiîa in contrarium allatm, Paulin, Cyiîogra^lu
fag.<;7'
(c) Sennert^
dt nourrir leurs erifan:s, 193
a moins penfé à inftruire des mè-
res , qua obliger des Dames.
Ajoutons à tout ceci les expref-
fîons fortes ôc les termes durs
qu'on a employés en differens
tems contre ces mères inhumai-
nes , pour achever de convaincre
le monde de leur obligation.
Phavorinus appelle ces fem-
mes , des monftrcs de mères ,
frodigiofas mulieres , ou des me-
res à demi , qui reiioncent à la
plus belle moitié decet aim.ablc
nom , dimidicttum matris genus ,
^peperiffe acjlatim ahjeciffe. Ce Phi-
lofophe trouve d'ailleurs un dou-
rile crime dans ces fortes de mè-
res : car leur injuftice félon lui
tient du meurtre & de rexpofî -
tion. Ceft, dtt-iU une fcéléra-
tefle à une femme que de défaire
fon enfant , ou de le faire mou-
rir dans fon fein : mais c'eft une
petite différence que de tuer un
enfant qui efl à naître, ou de
contribuer à la mort d'un en-
R
1^4 ^^ P obligation aux mtrcs
faut nouveau-né , ( ^ ) Tublick dc'
tejiatione , communique edio di*
gnum ejl , in ifjis hominis primer^
diis y dumfngitur , dum animât ur ,
intcr ipfas artifices naturji manu s
interfcèîum ire, ^^u^antuliim hinc
aheji jam perfecium , jam genitum ,
jamjïlium yproprii atquc confueti ,
atque cogniti Janguinis alimoniâ
privare ?
Mais c'eft encore une forte
d'expofition : car un enfant qui
n'a point fiicé le lait de celle qui
Ta mis au monde , reffemble aux
enfans trouvés qui n'aiment , ni
ne diftinguent plus leurs mères,
parce qu'ils ont pris des idées
étrangères dans un lait étranger :
Terinde ut in expofnis ufu veniî ,
rhatris qu^ genuit , neque fenfum
ulLum y neque dej/derium c/ipit.
D'autres Auteurs moins an-
ciens & auffi habiles que Pha-
vorinus, ont reproché le même
crime à'expofition aux mercs qui
( ^ ) AiiL Gell. ibîà. î. 1 2. r. i^
de nourrir leurs enfdns. \ 9 5
ne nGurriirent point : (a) Annon
expojitionis gcnus ejl , infanîulurFi
4encrum , ad h fie k mixtre ruhentem ,
fnatrem fpirantem , matris opem
woce implorantcm , ^//^ movere di-»
eitur é" feras j trader e miilieri,,,,^
4UÏ pluris fit fecuniài fauxillum
^Hâm totus infans tuus ?
D'autres enfin traitent celles
qui ne no ur rifle nt pas leurs en-
fans 5 de marâtres , d'inhumai-
nes , d'impies , enfin d'adultérés.
Qui n'apperçoit en effet dans
cette conduite une forte d'infi-
délité dans une femme ? Car fî
dans t'adultère ordinaire la fem-
xne donne à fes enfans un autre
que fon mari pour père , dans ce-
lui-ci elle donne aux enfans de
fon mari une autre qu'elle pour
mère. Ce font donc dans l'un des
enfans d'emprunt, ôc dans l'au-
tre des mères empruntées.
( ^ ) Erafm. Colloq, Etitrapeli & fabula'
Nullum expojitionis gentti cndelius ejfe ^otejl*
ijâ^pAr*aRcjçs , 2iY.47,p;zj. 348.
R ii
ic)6 De l'obligation aux mères
CHAPITRE IV.
^ue la mention de notirrkes qu'on
trouve dans Us anciens Livres
ne préjudicie foint aux maximes
quon vient d'établir , ^ ne di-
minue en rien l'obligation indif-
penfable des mères,
POur s*cn convaincre, il fut
firoic de faire réHexion , que
tous ces exemples reffemblent
mal à la conduite qui fe gardoic
dans les prerhiers liécles du mon-
de 5 où les mères nourrifToienc
leurs enfans.Sara, par exemple,
femme d'Abraham ce Patriarche
fi faine &: fi célèbre dans les Li-
vres faints, nourrit elle-même
fon cher fils Ifaac. Rebecca ,
femme d'Ifaac , non moins célè-
bre dans TEcriture , nourrit de
fon lait Jacob. Cétoient pourtant
des Dames des plus qualifiées
de nourrir leurs enfans , i^j
de leur tems. Si Ton joint à ces
exemples ceux de la fainte fem-
me Anne qui allaita Samuel , ôc
de cette illuftre mère des Macha-
bées qui avoit nourri fon fils , ce
fera un efpace d'environ trois
mille ans , pendant lefquels oa
trouvera que les mères ne crai-
gnoient point de déshonorer
leur rang , en fc rendant les
nourrices de leurs propres en-
fans.
Le trifte équipage dans lequel
on conduilit au fupplice deux
autres faintes femmes , qu on
promena par la ville du tems des
Machabées 5 [a) avec leurs en*
, fans pendus à leurs mammellcs ,
avant que de les précipiter du
haut des murailles , prouve d ail-
leurs que c^étoit une coutume
& un ufage familier alors d al-
laiter fes en fans , parce que c'é-
toient des femmes du peuple oa
de fimplcs citoyennes. Cet ufa-
(<ï) Mathab Li,c, 4, v.io.
j^% De r obligation au^ mères
ge venoit même de plus loin t
car en remontant autems de Sa-
îomon 5 on remiarque que les
femmes débauchées d'alors , plus
fidelles à leurs cnfans qu'à elles-
mêmes 5 ne craignoient pas de
s*avoiier les mères des enfans
qu'elles tenoicnt de leur crime ,
en les allaitant elles-mêmes. La
fameufe Hiftoire [a) du juge-
ment de Salomon en eft une
preuve évidente 3 car la conteC-
ration que ce grand Roi termi-
jia avec tant de difcernement &
d'équité , étoit entre deux mères
nourrices qui fe difputoient ce-
lui de leurs enfans qui n'avoit
point été étouffé. Mais fi à tou-
tes cts réfleîcions on ajoute en-
core , que le mot de nourrice
dans l'Ecriture ne fignifie pres-
que jamais une femme à gage
pour nourrir les enfans d'autrui,
m.ais qu'il s'y prend au contrairc^
011 pour la véritable mere>, oii-
de nourrir leurs enfans. 199
pour une gouvernante 5 on y
trouvera peu d'exemples de ces
nourrices étran2:cres. C'eft pour-
tant ce qui paroit par pluiieurs
endroits de TEcriture : ainiî Moï-
fè fe plaignant à Dieu du poids
exceffif qu'il fentoit dans la char-
ge qu'il lui avoit impofie de
gouverner fon peuple dlfraël :
Pourquoi, dit -il, Seigneur me
charger de la conduite de tout
ce peuple , qui m'engage à des
foins non moins grands que
ceux qu'une nourrice doit à fon
enfant ? Eft-ce moi, ajoute-t'il ,
qui les ai mis au monde ? ( 4 )
Nunquid ego cencefi hanc multitti^
dinem , vel genui eam ^ ut dicas
mihi j porta eos in Jînu iuo ,
ficut portare folct nutrix infan^
tidum. Par où l'on voit que le
mot de nutrix dans cet endroit
fe prend pour la véritable merc.
En voici encore un femblable.
{ 4 ) Kumer. c*ii.v. iz.
Kiiij
200 T>e rohligmon ausi mères
Ifaïe ( 4 ) voulant par l'ordre
de Dieu confoler la ville de Sion^-
qui fe croyoit déferte ôc aban-
donnée à la ftérilité , lui promet
qu'un jour viendra qu'elle aura-
des Rois (h) fonr riQurricicrs & des
Reines four nourrices y c'eft-à-dire,
qui ferviront de percs &: de mè-
res au nombre prodigieux d'en-
fans qui fe trouveront dans fon
enceinte. Or les mots de nourri-
ciers ôc de nourrices fe pren-
nent ici pour àcs pcres 6c des^
mercs ; puifque le Prophète erb
cet endroit veut faire entendre,
à Sion qui fe croyoit fans enfans^
qu'elle fera obligée d'étendre {ç,%
murailles^ pour contenir tous
ceux qui lui viendront , 5c dont
les Princes fe rendront comme
les pères ôc les nourriciers, par
les fecours lin entiers qu'ils leur
donneront. L'événement a juf-
{a) C. 4^.t;.23.
{h) Mamilld Regttm îaCîahms , Jfai» c»(fOA-
de nourrir leurs enfans. i o i
tifié la prophécie : car outre que
les Rois de Perfe (a) protégè-
rent la Synagogue , ^c pourvu-
rent à l'entreten ncment du Tem-
ple & des Sacrifices , la charité
fit enfuite trouver dans les Prin-
ces Ch-rétiens l? ) d'illuftres pro-
tecteurs ôc de charitables pères
aux enfans de l'Eglifc qui pafTe-
rent du Faganifme à la Foi. Dieu
lui-même prend dans l'Ecriture
la qualité de nourricier du peu-
ple Juif, de Jérufalem y reçoit
celle de nourricière du même
peuple : deux titre? qui renfer-
ment les. fonctions de père &: de
merc , par la raifon qu'on appel-
le la terre la mère nourrice da
genre humain.
Ce qu'on avance touchant le
mot de nourrice , fc confirme par
ridée qu'on avoit dans ces tems-
des Nourriciers , qui étoienc
comme les Gouverneurs des
(a) Menock, Kic»
{h) Dans Conftantin & Théodore^
aoi De J^ûhlîgâtïon âux mères
jeunes Princes , moins deftiné^
à veiller fur leur nourriture que
fur leur éducation. Tels étoient
les Nourriciers des enfans d'A-
chab ; ( ^0 puifque TEcriture les
range parmi les Anciens 6c les
Miniftres d'Etat; 6c qu an sa-
drefToit à eux dans les affaires de
la dernière conféquence , com-
me fît à ceux-ci rufurpateur
Jéhu.
De même les Nourrices qui
étoient auprès des jeunes Prin-
ces , étoient auffi apparemment
des Gouvernantes : car outre
qu elles habitoient un apparte-
ment ordinaire aux Gouvernan-
tes , in triclinh , elles demeu--
roient auprès d'eux jufqu'en des
âges trop avancés , & dans lef-
quels Tofïîce de Nourrices au-
roit été mal reçu ou inutile^
Ainfî la Nourrice qu*avoit Mi-
phibofeth à cinq ans , &: celle
qu'avoit le Roi Joas à huit, é^
(^) Rois^liv. 4. c. 10, V. î. J^
de nourrir leurs enfans, 205
toient des Gouvernantes. C'en,
ëcoit encore une que celle qui
accompagna Rebecca lorfqu'eile
vint époufer Ifaac : auffi étoit-
il de Tordre , de la bienféance ,
^ de la condition d'une fille
tomme Rebecca d'avoir une
Gouvernante. Mais ce qui doit
convaincre là - defliis tout le
monde , c'eft qu'il n'étoit pas
extraordinaire alors d'appeller
Nourrice celle qui étoit char-
gée de l'éducation d'un jeune
homme de condition. Ainfi l'E-
criture appelle Noemi {d) la
Nourrice de l'enfant de la célè-
bre Ruth fa fille , quoique Noë-
mie fut hors d'âge , comme elle
le témoigne elle-même , d'avoir
des cnfans (^) & d'en nourrir.
En entrant dans les tems de la
Loi nouvelle, on troirve d'^abord
la plus pure des Vierges , 6c la
plus fainte de toutes les Mères,,
(-3) Tuith. c. 4. V. \6^.
104 ^^ l* obligation mx merù
qui nourrit de fon lait le Sau^
veut du Monde. Mais ce qui
prouve que c'étoit une pratique
ordinaire à toutes les mères ^
e'eft qu'alors on difoit d'une
femme qu'elle nV/oit point al-
laité , pour exprimer q:u elle n'a-
voit point en d'^enfans \{a) Beat£.
Jîeriks beat a ubera qu£ non lac^
taverunt. Tant on étoit pcrflia-
dé qu'être mère & allaiter foiT
enfant, étoit une même chofe.
C'eft pourquoi iaint Paul paroît
faire une obligation aux femmes
chrétiennes , de nourrir elles-
mêmes leurs en fans y fi elles veu-
lent fe fauver -, attachant leur
falut à l'éducation de leurs en-
fans : {è ) Sdvabitur multer fer
JlîoYum gêner ationem. Car 1 es-
meilleurs Interprètes ( c ) expli-
quent ce paiTage de l'éducation,
terme qui fe prend aflfez naturel*
(^) tue. c. 23. «y. 2p,
\b ) S.Paul. T.adTmotk,ç,i,v,iU
âe nourrir leurs tnfdns. 20^
lemcnt pour la nourriture mê~
me. Cette interprét^ticaparoit
d'autant plus raifonnabîe, que
comparant la raifon de péniten-
ce que Dieu a voulu impofer
aux femmes en les condamnant
■à la peine de mettre des enfans
au monde , ce feroit en retran-
cher ce qu elle a de plus fati-
guant & de plus ennuyeux , que
de les afFranchir du devoir de les
allaiter.
Mais ce n eft pas uniquement
dans les faints Livres , les plus
anciens d'ailleurs qui foient au
monde , qu*on voit les mères
nourrir leurs enfans : on décou-
vre la même pratique dans ceux
des Payens qui approchent le
plus près de rantiquité des Li-
vres de Moïfe. Ainiî on trouve
dans Homère {a) une des plus
grandes Reines de ce tems , c'efl:
Hecube , qui avoit nourri fon fils
Hector de fon lait,. La chafte Pé-
noS De tûUlgatlon aux m^ni
nélopc (^) avoit rendu Je même
devoir à fon cher Telcmaqae ,
&: la Reine Theiïalonice dans
Juftin^ {h) en fait fouvenir foa
fils Antipatrc.
Ce fut donc moins un ufagc
<:ju'un abus , moins un exemple
a fuivre qu\in fcandale à éviter ,
-que ce qu'on lit de tant de Nour-
rices que le Paganifme a don-
nées aux enfans des Dieux. Hon-
teux qu ils étoient d'avouer leurs
adultères , ou leurs débauches ,
ils en cachoient les fruits dans
le fein des Nourrices étrangères,
Ceft par un article à peu près
fcmblable que la Fable rapporte,
que la naiflance de Jupiter fut
cachée pour un tems dans Tille
de Crète , entre les mains de
deux Nymphes , qui au défaut
de lait de femm.e,Péleverent avec
le lait d'une chienne. Ce qu'on
lit des Nourrices d^s autres
(^) CdyfUL ij.
de munir leurs cûfans. 107
Dieux eft auiîi fabuleux ou auffi
peu raifonnablc. Ceft donc à la
dépravation du cœur humain ,
ou à la décadence des mœurs,
qu'on doit imputer Tentreprifc
des mères , qui infenfiblcment
ont cffàyé de s'affranchir du joug
incommode d'allaiter leurs en-
fans , fe dépouillant ainfi des {^n-
timens naturels , dont faifoient
gloire les femmes des anciens
tems , pour imiter la m.ollefTe ,
ou Tincontinence des femmes
infidelles, qui faifoient nour-
rir par d'autres des enfans qu'el-
les n'ofoient avouer. Ce n*eflpas
qu'on ne trouve dans l'Antiqui-
té Se depuis des exemples de
nourrices Se dem.eres fages : mais
outre qu'on ne nous dit pas les
raifons qu'elles avoient d'en ufer
ainfi , lefquelles pouvoient être
bien fondées , on doit fe fou ve-
nir que ces exemples font la plu-
part dans les Cours des Princes
& des Rois , en qui on doit re-
5.0^ ^s Vohligatîûn aux mères
connoîtrc en tout une préféren-
ce refpectabîe , ôc qui ne tire
point à conféc;uence pour le refte
des femmes , qui d'ailleurs doi-
vent fe tenir aux régies & aux
ufages fa gement .établis.
Si après tout ce qu'on vient de
rapporter , on fait réflexion qu'il
ne le trouve point de Nourrices
différentes des véritables mères
dans riiiftoire Sainte j que celle
qui fut donnée à Moïfe fe trou-
va la même que celle qui l'avoir
mis au monde ; que le mot de
Nourrice n'eft emiployé dans les
Livres Saints, que pour mieux
.exprimer la bonté de Dieu ei>-
vers fon peuple , que Ton com-
pare aux foins emprcfTés d'une
mcrc qui nourrit fon enfant ,
Ohliti ejlis Veum qui nutrivit vos y
^ ccntriftdtis nutrîcem vcjirdm
Jerufalcm, dit un Prophète (a) ..
Enfin fi pluiicurs faintes Mercj
dont il y eft parlé , quoique fem.
(^) Baruch. 4.8.
mes
de nmrrlr leurs tnfans. loc)
mes de diftinction ou de qualité ,
ont nourri de leur lait ; quel-
les fortes d'exemples empruntés
d'ailleurs pourroient affbiblir
l'obligation où font les mères
de nourrir leurs enfans ? des
Chrétiennes au contraire ne de-
vroient-elles pas plutôt crain-
dre de reiïembler à ces mères
dénaturées que dépeint un au-
tre Prophète ( 4 ) ôc qui pour
cette raifon les met au-deiTous
des bêtes ks plus farouches , qui
ne fe refufent pas à leurs petits :
Lamid nudAVtrunt mammas , /^r-
taverunt catulos fuos : Jflia fofulh
mei crudelis , qu^fi Jlruthio in de-
fato. Les bêtes farouches , dit
ce Prophète , ont découvert
leurs mammclles , & donné du
lait à leurs petits : mais la fille
d^ mon peuple eft cruelle com-
me une autruche ( h) qui eft dans
le défert,
(«) /«rem. L^rwew. c. 4. V. 5.
(^ ) Don; il eu 4Jt qu'elle abandonne it%
s
e ro Be rohlïgatîon aux merrr
Peut-être trouveront-elles àts
exemples plus favorables à leur
molleffe dans Thiftoire profane :
mais des exemples pris d'après
des Divinités hibuleufes , des
femmes infidelles , ou des filles
libertines, peuvent -ils jamais
former la conduite de femmes
chrétiennes? On leur demande-
roit fi ces leçons font celles que
la Religion infpire , An fie didi-
eijiis Chrlftu^mf
Mais ces exemples ont-ils me-
me pu faire changer de conduite
à ces Reines & à ces Dames
fayennes , qui n'en ont pas
moins bien compris la néceffî-
té où font les mères de nour-
rir leurs enfans ? Ce font du
moins d'autres exemples d'au-
tant plus capables de combat-
tre ceux dont on s'autorife, 6c
d'autant plus dignes d'être fui-
vis 5 que les perfonnes qui les
ceufs, quando Jfruehio derelirjquif ova fita in
âc nourrir leurs enfans, 1 1 1
ont laiiTés étoient pins fages 6c
plus qualifiés. Car tandis qupn
prend pour modèles des mères
davanture qui faifoient nour-
rir leurs enfans à des perfonnes
méprifables ou inconnues , on
néglige Texemple de grandes
Princeires , qui fe font elles-mê-
mes 2:énéreufement données ri
leurs entans pour nourrices.
GH APITR.E V,
Des dangers qnon fait courre aux
enféins qu'on met en nourrice {a) .
ON a déjà fait remarquer
que le corps d'un nouveau-
né , n'étoit un moment avant fa
ïiaifrance prefquun avec celui
de fa mère , par les rapports ôc
les convenances merveilleufes
(a) Quantétfeccatrices nutrices , & quanta
lahes ab iis dtmanet in farvulos , non untus
diei ftudium eft recenfere. Francifc, Paullmi
sbfervat, centuriâ fecundd , çbfervaP. 4^. Vide
fidhiK Pichlin, obfçrvatioms ^ obferv. ^6.-
's •;
î 1 1 Ik rohllgâtUn aux mères
qui fe trouvoient entre Tun ST
Tautre. Ce n'étoic qu une même
circulation qui entretenoit la
vie dai>s tous les deux , mais une
vie fi dépendante &: fi peu pro-
pre à l'enfant , qu'elle iè feroic
éteinte dans le premier moment
qui auroit fini celle de la mère.
Ce qu'il avoit de nourriture ve-
Boit auffi peu de lui ; car c'étoit
moins lui qui iè la préparoit ,
que la mère qui la lui diftribuoit
préparée j enfin il n'en profitoit
bien qu'autant qu'elle avoit
toutes \qs qualités qui conve-
noient à la délicatefie de fes or-
ganes. De - là fans doute vien-
nent ces morts promptes 6c ino.-
pinées , qui étoufi^ent tant d'en-
fans dans le fein de leurs mères ^
car enfin fi un aliment fouvent
bizarre 5 mais trop ardemment
defiré, laifl^ de Ci étranges im-
preffions fiir ces tendres créatu-
res 5 quoiqu'une mère par raifon
ou par impuifîauce ^'qw foit pri-
de nourrir leurs enfant: xrf
vée ; que ne doit-on point crain-
dre peur un enfant qu'une mère
intempérante aura nourri dcfuc3
imipurs & mal aflbrtis. De mê-
me encore fi une répugnance ,<
un dégoût , une averfion* pour
une nourriture qu'une mère au-
ra prife en horreur , s'imprime
il fortement fur les parties de ce
jeune enfant, qu'il ne puifie ja-
mais s'en délivrer , & qu'il k
trouve toute (a vie dans ces mê-
mes averfions ; que ne doit point
produire fur Ini la préfence d'un
fuc qui lui fcroit contraire ôc
mal préparé. Il eft donc des rap-
ports mutuels 6c des convenan-
ces réciproques entre une fem-
me enceinte 6c le fruit qu'elle
porte , qu'il eft impoflîble de ne
point appcrcevoir : 6c ces rap-
sports ne paroiflent nulle part
autant que dans les manières 8c
l'artifice que la nature employé 5
pour préparer dans la mère \^
nourriture de Tenfant.-
$14 î>e l^ûhligation aux m^/ref
Mais ces rappoi-ts ne font paSf
moins fenfibles entre une nou-
velle accouchée ôc fon enfant.-
La dépendance eft à peu près la
même , & tout ce qui fe paffe en
elle ne fe fait encore que par
rapport à lui : SoU Ucïïs confccïio
d^ difj^enfatiû fufficit ad d^monf'
trandam natur £ fro^oidentiam. Cet-
te réflexion eft de Piutarque , [â)
qui ajoute au même endroit , que
la nature n'a placé les mammel-
les des femmes au milieu de la
poitrine, que pour leur donner
plus de facilité pour carelTer 6c
nourrir leurs enfans \ {h) JJbera
mnlicri fuperî^e ad pecïiis nafcun^
tur y ut in promftujit ofcuUri am-
flecïique.& fûvere iy^famem.
Ces rapports deviennent d'au-
tant plus refpecbables à une mè-
re dans un jeune enfant , que
fortant, comme il fait, fraiche-
ment des mains de la nature , elle
doit y rcfpeâier le doigt de Dieu
( a ) De amoYÇ prolis , Pag, 4P J.
de nourrir leurs en fan s, itf
qui vient de former ce jeune
corps : une mère chrétienne doit-
donc penfer, que tout ce qu'el-
le va employer de foin pour fou
enfant qui n'en attend que d'el-
le , elle Temployera pour un ob-
jet d'autant plus digne de fon
attention , que la malice ni la
paflion n'ont point encore eu le
tems d^ rien déranger ; èc ce
fera pour elle fervir le Créateur ^
que de prendre par elle-même
ie foin de fa créature : (a) In re--
cais nato ipfas adhuc récentes Dei
m anus débet cogitare , ^uas in ho--
Tnine modo formata d^ recens nate
-quodammodo exofculamur.
A cette raifon de refpect ôc
de piété , il faut joindre celle de
nécelTité : car une mère chrétien-
ne nourriiïant fon enfant par
un motif de vertu & de con-
fcience , remplit un devoir qui
n'en cft pas moins naturel , ni
moins néceiïaire. Cette née cffité
( ^ ) s. Cy^rim, e0.;^ag. aSr,
i-rC De l'ohligatîOH aux menf
eft fondée fur ces mêmes rap-
ports mutuels dont on vient de
parier ; parce qu'ils paroiflent
uniquement établis pour les be-
foins de Tenfant : on dit unique-
ment ; car comme tout ce qui
arrive à une nouvelle accou-
chée 5 eft principalement par
rapport à la production du lait ;
ce lait ne peut auffi fervir qu'à
l'enfant , en vue duquel il eft
uniquement fait. Le lait eft ua^
fiic nourricier travaillé premiè-
rement dans l'eftomac de la mè-
re , par le broyement qui s'y fait ;
mais ce broyement fe conti-
nuant dans tous les vaiffèaux
par oii ce fuc doit pafTer pour
arriver aux mam.melles , il le paî-^
trit & divife continuellement ,
tant par la trituration qui s'e-
xerce auffi dans ces vaiffèaux ,
que par la force qui le poulFc 6c
l'oblige à pafTer par les diamè-
tres 5 toujours plus étroits les
mns que les autres. Tels font
ceux
de nourrir leurs cnfdy!s, 217,
ceux des canaux qui compofenc
les glandes des mammelles , qui
étant d'une ténuité inconceva-
ble , obligent ce fuc à s'affiner
jufqu au point de devenir lait.
C'eft donc une liqueur travaillée
par des triturations auffi propres
à la mère , que les diamètres des
vaiffeaux qui compofenr Tes vis-
cères lui font particuliers : or
comme il eft impoiTible d'imagi-
ner des vaiffeaux de même dia-
mètre dans toutes les femmes ,
& une m^ême force d'ofciliation,
de reilbrt , oL de trituration , en
chacune d'elles • il faudra con-
cevoir des broyeniens différens
dans chaque femme , & par con-
féquent des laits difî-erens dans
toutes.
Mais cette différence & cette
variété dans les femmes , ne don-
neroit rien à craindre aux en-
fans , fi chacune allaitoit le fien ,
6c voici comnient. Suivant ce
prijicipe, qu'une femme -encein-
t
î 1 8 De lûhlïgdtlon aux mcres
te ne fait qLfun tout avec foii
enfant j celui-ci ne refpire , ne
digère , & ne vit que par fa mè-
re. Les fonctions donc qui s'e-
xercent dans ce petit corps pen-
dant tout le tems qu'il eft ren-
fermé dans celui de la merc , ne
tirent leurs caufss ôc la force qui
les meut que d'elle, G'cft par
conféquent le même broyement
qui. pafTe de la merc à l'enfant :
c'eft une trituration ou une di-
geftion continuée de l'une à l'au-
tre j êc celle qui fe fait dans l'en-
fant neft qu'une fuite & une
imitation de celle qui fe paiïe
dans la mère, Ainfi au lieu que
les ofcillations fe continuent
feulement du cerveau , aux ex-
trémités dans une femme qui
n'eft pas enceinte , elles paiTent
jufqu'à l'enfant dans une fem-
me groffè. De tout ceci il réful-
tc qvie les triturations ou les di-
o;eftions qui fe font dans la
mère & dans l'enfant , étant en-r
de no/r/rh' leurs en fans. 119
trctcniies par une même force ,
fuivent la même cadence : c'eft
le même rythme & la même me^
fure qui les régit, Ainfî cette
préparation du fuc nourricier
qui fe fait dans la mère , n cffc
qu'en vue de l'enfant , & la dif-
tribution qui s'en fait dans l'en-
fant , n'eft qu'en vertu de la
force qu'il reçoit de fa merc.
C'cft une correfpondance réci-
proque de l'un à l'autre , une
même mefjre , & une propor-
tion mutuelle , par laquelle tout
s'aïufte dans l'enfant par rapport
à la mère , en qui réciproque-
ment tout travaille pour lui.
Car comme le fuc nourricier fe
prépare en elle pour l'enfant ,
tout fe range 6c fe mefure en lui
pour le recevoir : fes vaifleaux
tendres 6c fufceptibles des iitua-
tions & des capacités qui leur
conviennent , fe ployent 6c fe
tournent de manière à perfec-
tionner Se à faire croître ce petit
Tij
2,xo D^ Pûbligation a^x -mères
corps. Se dilatant donc plus ou
moins , & réglant leurs diamè-
tres fiir ceux de la merc , ils
fe mettent en proportion avec
eux. Ce font des routes que la
nature fraye aux liqueurs qui
viennent nourrir l'enfant , 2c
des moules quelle crenfe pour
en rnefurer le volume , pour
établir enfin un parfait équili-
bre & une jufte confonance ,
«ntre le corps de la mère & ce-
lui de l'enfant. Quel dérange^
Tnent donc pour un nouveau-né
qu'on livre à des mères étrangè-
res ! c'efl plus l'expofer qu'aux
dangers d'un peuple ou d'une
terre inconnue. Il fe trouve hors
d'œuvre ôc de mefure j puifque
le lait d'une nourrice ne fut ja-
mais fait pour lui , hL que la dil-
pofition de fon corps ne peut
s'en accommoder fans péril.
' Il eft inutile de dire que le lait
qu'on lui donne eft meilleur {a)
{ /î ) Errant ^uî futam in alimrâ tantnm^
de nourrir leurs enf.ins. ut
que celai de la mère : car enfin iî
Ton doit convenir qu'une roiie
ou quelquautre pièce d'une
montre , s'aiuftera mal avec les
pièces d'une autre plus excel-
lente, quoique les deux m.on-
tres paroiflent d'ailleurs conve-
nir pour le volume de pour les
proportions extérieures ; qui
n'apperçoit que la juftefie que la
nature avoir mife entre une mè-
re 6c fon enfant , étant infini-
ment plus grande, il fera moins
pOilible de la retrouver cette
j-iifteffc , entre un enfant &: une
mcre étrangère ? Cette difficul-
té fe montre d'abord , à ne con-
fîderer m.ême les cliofes que par
les dehors, c'eft-à-dirc ,en coni-
f>arant la condition , l'humeur ,
e tempéram^ent , & le genre
de vie d'une nourrice avec tou-
dem ejje , qiiibus ntttriculis infantes utanttir ,
in totiim tamen mclhis ejJe ^Jï fclidtoris habitas
& flurimi facci nutrices eligantur : qttem ego
trrorem majortim gentiiim liber is funejlum fiiif-
fe novi. Pechl. obfervat. ^6. faz- l'sS.
Tiij
2 2 2 De l'obligation aux mères
tes ces mêmes chofes dans une
merc. Ce fera une femme pau-
vre , ( ^ ) fouvent indigente qu'on
fubftituera à une mère riche ,
une ruftique à une femme de
condition; une emportée & plei-
ne de paffion a une mère prude
6c m.odefte j une femmx enfin
nourrie d'alimens grolTiers 3c
vul2:aircs à une m.ere accouru-
mée aux viandes délicates êc
bien apprêtées. Mais quand par
impoiiible on pourroit fe pro-
mettre de réùiiir à allier tou-
tes ces contrariétés , il en eft
une qu'il n'eft au pouvoir de
perfonne de pouvoir concilier:
c'eft 1 âge du lait d'une nourrice
avec celui de la mère. En eflet
quoi qu'on imagine ià-deifus , il
( ^ ) Cum matres fîerumqiie ftnt tenerje Ô*
délicate , infantes nutricibiis traditi rohiifiis-
nrofîfque & jucci pknis jfrœ alimenti infuetï
anomaliâ Ù" pnguii biityrofique laCiis copia in
morbiim tandem incidunt , dirutoque molli coH—
textu ante diem ^ereimt. Pechlin. obfervat. 4 ^>'
' de nourrir leurs enfans. 2 1 ^
fera impoiFible de donner un lait
auffi frais que le fien , &: auflî
bien proportionné à la difpofi-
tion de Tenfant. Cet inconvé-
nient eft ordinairement moins
remai'qué , parce qu'on a fait
paiTer en maxime , que le lait
d'une nouvelle accouchée eft im-
pur , & qunn autre plus âgé eft
plus parfait &: mieux préparé :
maxime meurtrière & mal fon-
dée I car ce lait fereu fi l'on
veut & mal déphle^mié^ eft tel
qu'il convient à un nouvean-né ,
qui fc nourrifToit peu d'heures
avant fa naiffance d'un fuc enco-
re moins fucculent & moins
nourriiTant. Une production fi
nouvelle demande mille fortes
de ménagemens ; (i on fonge fiir
tout que la nourriture qui doit
gro(îir ce petit corps , ne f^au-
roit prefque fe faire d'abord avec
trop de loifir. C'eft un dévelop-
pement commencé dans le fein
de la mcre , qui doit s'achever
T iiij
2 14 "Dt V ohUgéittûn aux mères
par la faite des cems. Un lait f
donc trop fucciilent troublera ,
tout dans rœconomie de ce pe- '
tit corps : s'il eft trop épais , il
embaraflera les parties au lieu de
les démêler : s'il eft trop vif, il
les enflammera : d'où viennent :
tant de tranchées , de coliques , '
de cours de ventre , 6c de con- \
vulfions , qui enlèvent jfi bruf-
quement du monde ces tendres
victimes de l'is^norance ou du
préjugé.C'eft comme un vin nou-
veau & fumeux, qu^on voudroit
fubftituer dans un corps délicat
à un vin vieux & paihble : car un
lait trop fait & trop déphleg-
mé,développedansun enfant un
volatile vicieux qui trouble les
efprits , fermente fon fang, allu-
me fa bile , dedeche fes entrail-
les , 6c le tue enfin fans reffburce..
Pour parer cet inconvénient ^
on imaginera de prendre une
nourrice , qui foit accouchée le
même jour que la mère : mais où
de nourrir leurs enfdns. 2 2 f-
en trouver fur Icfquelles on puiC-
le compter avec tant de précis
fion ? cette attention cft impra-
tiquable , & la réuffite de cet-
te contemplation eft impofîîble ^
d'autant plus qu'on fe trompe-
tous les jours en chofcs moins
difficiles, &: oui tombent fous
les fens. On compte , par exem-
ple, de s'être donné une excel-
lente nourrice , parce qu'on eft
f ir de fa jeuneffe , de fes mxurs,
de fa fanté : il arrive cependant
tous les jours qu'avec ces rares
qualités un enfant rebute ion
lait, qu'il s'abandonne aux cris (5C'
aux pleurs , com.me pour fe
plaindre du vol qu'on lui a fait
de celui de fa mère , il fe ven^e
ennn f ir la noiirrice qu'il mord
&: qu'il dechiie. La rciïburce
d'en changer foulage peu fa dou-
leur : elle cederoit fans doute
aux feuls attraits d'une mère vé-
ritable 5 ôc le plaifir de tirer un
lait dont il a tant goûté calm.e-
ii6 lye lûhllgdtîon aux mères
roît fes clameurs. Mais parce que
ce moyen eft celui donc on s'oc-
cupe le moins , un enfant ic
nourrit mal , fon fommeil de-
vient laborieux , fes veilles fati-
guantes , le lait s'aigrit en lui ,
ou s'enflamme , il languit <Sc pé-
rit enfin. S'il furmonte tant de
dangers , ce neft que pour fouf-
frir plus long-tems par mille
maux qui fuccédent trop fou-
vent à. un mauvais lait , & qui
peuplent le Monde d'infirmes <2c
l'Etat de fujcts foibles.
Mais de pauvres en fans n*en
font pas quites pour perdre leur
fanté entre les mains des nour-
rices : leurs corps mal nourris
intérefîent leurs efprits & leurs
cœurs : ils fucent avec le lait de
leurs nourrices leurs mauvais
penchans & leurs vices : ils pren-
nent des airs , des manières , &
des inclinations contraires à cel-
les de leur famille, &: indignes
de leur naiflance. On en verra;
de nourrir leurs enfaus, 217
des exemples 6c des preuves ci-
après : mais en voici une qui fe
préfente ici naturellement.
Une plante qu'on levé de ter-
re , & un arbre qu'on tranfplan-
te , courent rifque de mourir , fî
on ne les levé en motte : mar-
que certaine de cette familiarité
de fubftance & de nourriture né-
cefïaire à l'accroiffemcnt. Mais
malgré cette précaution ils pren-
nent des natures différentes par
rapport aux diiîerens terroirs :
autre preuve des rapports qu'on
a fait rembarquer ci-devant entre
l'enfant & la mère. Ces change-
mens de terroirs vont fouvent à
altérer les fruits ou à les faire dif-
paroître : car on fcait que certains
arbres tranfplantés deviennent
ftériles &: inféconds. On connoîc
encore l'adrefle des Jardiniers à
changer la couleur des fleurs , ou
à les faire doubler par certaines
tranfplantations 6c par le mélan-
c;c de certaine terre. Ajoutez les-
1 2 8 T>i r obligation aux mères
ehangemens merveilleux qui ar-
rivent par les cntzs oC les greffes ,
& on comprendra combien d'al-
térations doivent arriver à des
cni^ns qu'on fepare de leurs mè-
res, pour les faire nourrir par
des femmes fou vent plus diffé-
rentes entr'elles , qu'un, fauva-
geon ne l'eft de Târbre le plus
franc.
CHAPITRE VL
Des dangers {a) que courent Us
mères qui nt ï.ourrijjlnt pas,
IL n'eft perfonne qui ne fça-
che à combien de dangers
nous expofe la fuppreffion ou la
retenue des évacuations naturel-
les. Une bile détournée ou re-
f a Nobtles matrona vitx voluptaria fer"
vîentes , incommoda qux infantium altturA
ajfert fugientes , detrecîatâ infantium fitornm
laciatione , vinSÀCiam in fe ^^'ovocaverunt, Fe^
shîln, obferv-, ^6*
âe ncîr;rÏY leurs Cfîfans. 229
mêlée avec le fang , au lieu de fc
vuider caufe fouvcnt la mort : ce
ce n^eft qu'au manque de quel-
que évacuation femblabic qu'on
impuce la plupart des mala'dies.
C'eiT: que le fang n'entretient
bien f .rement la fanté q-i'autant
<jue les fécrétions font complet-
tes , 6c qu'il fe dépure parfaite-
ment. Il fafiît donc de faire ob-
ferver , que le lait dans les ac-
couchées devient une liqueur ,
dont le trop long féjour dans
les parties qui le travaillent , ou
dont le retour dans les vaiffeaux
apporte de très - fâcheux acci-
dens , pour faire comprendre
qu'il ne accouchée s'expofe beau-
coup , quand elle manque de
s'en décharger en nourriiîant
fon enfant. Ce qu'on a déjà dit
fur cette matière , en montrant
que le lait ne fert à la mère que
par rapport à l'enfant , fuffiroit
pour convaincre de ce qu'on
vient d'avancer : mais en voici
a ^o Bt rohïïgdtïon aux mtrcs
encore d'autres preuves. iPour
qu'une liqueur n'apporte point
de trouble dans le corps tant
qu'elle y eft renfermée , il faut
qu elle ait fes iiîuës ëc fes rou-
tes libres , à travers lefquelles
elle ait les allées 6c venues , ^
puiile circuler : à faute dequoi
ne faifant que fe porter ou elle
peut , ou venant à croupir par
tout , elle devient la caufe 6c la
matière de quantité de fâcheux
dépôts. Or e'eft ce qui arrive au
lait dans une accouchée , qui
doit par conféquent en foui-
frir étrangement , quand elle
ne l'employé pas à nourrir.
Il y a dans nos corps une dou-
ble circulation dans l'état d'une
pleine faute ^ l'une de la partie
rouge du fang , l'autre de fa par-
tie blanche. Que fi par quelque
caufe que ce foit la partie blan-
che ne peut fuivre le courant de
la rouge , il fliut ou lui ouvrir
une ifllië , ou s'attendre de fa.
de nonrrir leurs enfans. 1 3 1
part aux accidens les plus fâ-
cheux.
C'eft ce qui arrive dans le
corps d'une nouvelle accouchée ;
puifque la partie blanche &: lai-
teufe qui alloit nourrir l'enfant
pendant la grofTeffe , doit né-
celTairement après les couches
ceifer de circuler dans les parties
qui ont porté Tenfant : on le
comprend par les changemens
qui doivent arriver aux diamè-
tres des vaifleaux de ces mêmes
parties , comme on va le mon-
trer.
Dans l'état de grofleffe tous
les vaifTeaux fe dilatent & fe gor-
gent pour ai niî dire : tant la na-
ture occupée du néceflaire de
l'enfant ne craint point de paf-
fcr à l'excès. Mais au moyen de
cette dilatation extraordinaire
des vailleaux , les capillaires
eux-mêmes doivent aufli pren-
dre beaucoup plus de diamètre.
Que fi donc dans l'état de iànté
i 3 2. ^^ tohUgnîlon aux mer es
ordinaire, les capilléiircs ont af^
fez de capacité pour donner pal-
fage à la partie blanche du fàng,
tandis que la rou2;e retourne au
cœur par des vaiiTeaux plus gros
& plus fcnfibles , les capillaires
des parties baiîes dans les accou-
chées doivent avoir beaucoup
plus de capacité , ôc tranfmettre
Bon iciilement la lymphe nour-
ricière , mais un fuc vrayement
laiteux pour la nourriture de
Tenfant.
Mais il n'en eft plus de même
après les couches : toutes les par-
ties qui étoient \\ extraordinai-
rement étendues , s'affaiflent &
fe retirent j les vaifTeaux , fur
tout les capillaires , doivent
donc fe rétrécir ; & le fuc lai-
teux ne trouvant plus iç:s iiTuës
auffi larges , ePc contraint de de-r
meurcr mêlé au fang , jufqu a et
qu'il fe foit frayé d'autres routes
êc ouveit une autre ifuië. C'eft
ce qu'on appelle fièvre de lait 5
qui
de nourrir leurs enfans, 233
qui eft un eiTort de la nature ,
par lequel le fuc laiteux encore
intimement m.êlé au fang, cher-
cîie à aller fe féparer , ôc s'ouvre
un aille vers les mammelles ,
qui doivent déformais lui fervir
d'entrepos , êc favorifcr la dé-
charge.
Toute cette manœuvre qui fe
paile dans les corps des accou-
chées 5 leur devient à charge
quand elles ne veulent pas nour-
rir : car leur lait n'étant point
tiré par l'enfant , outre qu'il de-
vient inutile , caufe par fon fé-
jour tant de maux , d'inflamma-
tions & d'ahfcès , qui tourmen-
tent trop fouvent celles , qui
pour s'épargner la fatigue de
nourrir , s'expofcnt aux dangers
de cruels accidens , ou aux en-
nuis de longues infirmités , dont
voici la raifon.
Lors des couches les vaifleaux
{q trouvent furchargés de li-
queurs 5 6c quoi que la partie
2, 34 ^^ Pchligation aux mcrtr
rouge du fang conferve & coir--
tinuë la circularion, la blanche
<ievenuë laiteufe dans ce tems^
trouve fes iiTiiës fermées ou ré-
trécieSj ôc contraintes de refter
mêlées au fans; , elle eft obliî^ée
cl en luivre le courant , ae retour-
ner donc au cœur ôc d'aller fe
décharger par les glandes des^
mammeilés. Une femme donc
qui ne veut point nourrir s*enga-
o^e en d'étransies inconvénicns':
car ce volume ae liqueurs rete-
nu dans les vaifTcaux , ou les fur-
charge d'autant , ou met Tac-
couchée en rifque de fâcheux
dépôts*
il y a , dira-t'on , des remèdes
& des moyens pour faire perdre
le lait , 6c en prévenir les incon-
véniens. Mais eft-il permis de
perdre une liqueur fi précieufe,
& que la nature mcnaQ;e avec
ta ne de foin ? 17/ cjuid perditlo
h\tcf Comprend-on qi*'on puilTe
fe permettre fans néceifité à fans
de nourrir leurs enfans', 2 3 ^^
crime , de faire périr une chofe
deftinée par le Créateur à des
ufa^res fî néceilaires ? N*eil:-ce
point au contraire un fpecta-
clc honteux , ôc qu on ne peut
exempter de faute , de voir des
femmes refufer à leurs enfans
un lait qu'elles font obligées de
prodio;uer aux chiens ? car enfin
on en a vu qui ont ete contrain-
tes pour fe foulager de fubfti-
tuer à leurs enfans ces indignes-
nourriiTons. Encore ces lâches
moyens répondent -ils mal aux
befoins des accouchées, & ne
les laiflent guéres moins expô-
iéQS aux douloureux dépôts qui
fuivent la retenue du lait. Car
dans les unes venant à s'aigrir 6c
à fe 2;rumener , il leur caufe des
abfeès aulli opiniâtres que dou-
loureux : en d'autres il fe durcit
& pafle en des tumeurs dures
& fchirreufes aufli mal-aifées
a fondre , qu'incertaines dans
leurs fuites. Il s'en trouve cn-
V ii
^'i^6 De l'obligation aux mères
core en qui le fang embarraiîe
lui - même par l'abondance du
lait dont il n'a pu fe défaire ,
fc rallentit , & par fon féjour
fait des érylipeles , des inflam-
mations , & d'autres abfcès en-
core auffi pénibles &: non moins
fâcheux. Hé ! qui fçait enfin fl
tant de cancers èc de tumeurs
malignes , qui affligent journel-
lement les femmes , ne font point
les fuites ou la punition du pé--
ché de celles, qui lans nécelfité
de par coutumie fe difpenfent de
nourrir. Car enfin qui empêche-
ra de croire , que les glandes des
mammelles faites ccmm.e elles
font pour dépurer le fang de fil-
trer une liqueur, puiiîent s'im-
biber d'une férofité maligne , au
lieu du fjc laiteux auquel elles
étoient deftinées.
Fi/he etiam ingrat ^t référant tihi
-prjimïa matris s
Et qukm non imf une ferai claujijfs
fuentes
de nourrir leurs enfans: 23 7
Vhcrihus rivos , dlïmentaque dehi^ '
ta ?îaîis ?
C&nantï latices illt frigentihus her^
bis
Sijîere difperfos^ ^ /Vi? om'ae rtfun--
acre cornus ,
Trigidus ^ vehemcns fubito rigar'
occupât art us,
Tum maU confe qui turf ebrîs yfivi-
que dolores
Vbera dïfcrucïant. Multis lac cogl--
tur.intus ,
Nequicquam prejfts lucians erumpe--
re mammis»
Inde tibifœdo manabunt ulcéra pu-
re:
Et ni fubvenias in tempore , quoi^
fuir ulcus
Cdfzcer erit fubit)} y &c. ( a )
Mais ce n eft pas aux mammel-
les feules que tant de maux fe
prennent : les fièvres , les flu-
xions de poitrine , les oppreC-
{a) Mîchad, HofptaU epiji, /. 3 . p. 1 80»
^ jS -^^ l* obligation aux mères
fions , les cours de ventre , les
inflammations d'entrailles , ne
font pas moins fouvent les triC-
tes témoins ou les dangereux
effets de la retenue du lait. Les
vaiiîeaux trop pleins d'un fang
gluant & qui roule mal , fe bou-
chent & arrêtent fa circulation
qui y auroit été libre & aifée , fî
la femme en avoit diminué le
volume, &: confervé fa fluidité
en nourrifl^,nt. C'efl; encore à un
mauvais refte de lait dans ks
veines , qu'il faut imputer cqs
maux de cuiffes fi infljpporta-
bles & fi périlleux , qui font
fouffrir tant d'accouchées , en
qui le lait n'ayant pii fe faire
voye , ni par les mammelles , ri
fmr ailleurs , s'eft cantonné dans
es mufcles des cuiffes. Laraifon
en eft fenfible , c'eft du miêmc
tronc de vaifl^aax que partent
ceux qui alloient nourrir Ten-
faut , &: ceux qui portent le lang
à -ces mufcles.
di nourrir leurs enfans, 23^^'-
Mais quand tons ces accidens-
feroient moins ies fuites de leur
faute que de leur malheur, ce
manque de nourrir leurs enfans
fe trouver oit encore étrange-
ment puni , par la néceflité oii
elles fe trouvent d'accoucher
fou vent , quand elles en font
quittes pour mettre des enfans
au monde. En effet la crainte
ie l'incontinence , les égards
pour une femme nourrice , les
ménagemens pour un nourriflon
qu'on aime, retiennent naturel-
lement un mari ; au lieu qu'une
fem.me c]ui rtfufe d'être nourri-
ce n'a' rien à oppofer à fa paffioii
ou à fa tendrefle.
Ce n'eft pas pourtant qu'on
prétende ici fournir aux femmes
à^s prétextes de fe refufer à leurs
maris : l'Apotre leur donne là-
dciTus des régies nui doivent fai-
re celles de leur conduite cC de
leur foumifTiOn : mais puifqu'on
a i'cxempic des femm.es Juives? 5.
140 -^^ VollîgAtlon AUX mères
qui dans une Reli2;ion moins
iainte que la notre , ont bien
f<^Li fc préferver d'enfans pen«-
dant des années entières qu elles
allaitoient , & puifque a ailleurs
les maris d'alors entroient dans
ces égards ; on fe croit bien
fondé à faire efpérer aux fem-
mes chrétiennes qu elles obtien-
droient du moins autant des
leurs. Mais quand bien même I
elles les trouveroient moins com-
plaifans en ce point, Tétat de
nourrice pourroit les préferver
par lui-même : puifqu une nour-
rice tant quelle nourrit rede-
vient rarement mère. On en
trouvera la raifon dans ce qu'on
a dit ci-defflis : car la nature oc-
cupée uniquement à la nourri-
ture de l'enfant , fe trouve toute
diftraite en fa faveur j 6c tandis
que tous les vaiiïeaux deftinés
à préparer le lait fe trouvent
ouverts & amplement dilatés ,
ceux qui devroient fervir à la
formation
de nourrir leurs efifans.
241
formation d'un nouvel enfant
ont changé de lîtuption , -ie me-
fure , hc de diamètre. Tout fe
porte donc alors principalement
aux mammelles , fang , lymphe,
&: efprits ; & par cette raifon
les vœux d'un mari réuffiflent
alors mal - aifément j ôc il eft
beaucoup moins ordinaire pen-
dant tout ce tems , qu'il rede-
vienne pcre.
Ce qu'on veut donc faire com-
prendre , c'eft qu'une mère qui
fe rendroit la nourrice de fes en-
fans 5 en retireroit cet avanta-
ge , qu elle auroit beaucoup
moins à rifquer pour fa fanté 6c
fa vie , en nourriirant deux en-
fans , qu'en s'expofant à mettre
tous les ans un enfant au mon-
de. Si donc la condition de nour-
rice eft plus importune , celle
de mcre eft plus périlleufe. Une
trifte expérience en eft la preu-
ve : car on compte beaucoup
plus de maladies qui attaquent
z^i De r obligation aux mères
les femmes grofles , qif il n'y en
a qui menacent les nourrices :
celles-là fe prennent à la vie ,
celles-ci n'en veulent guéres qu'-
aux aifcs & aux commodités : en
un mot on voit fouvent mourir
des femmes grofles ou des ac-
couchées 5 mais rarement des
nourrices.
CHAPITRE VIL
^^e les Familles & les Etats {a)
Jouffrent de ce que Us mères ne
nourrijjent pas leurs enfans^
Rien ne contribue tant que
l'union , la concorde & le
bon eforit à foutenir les familles
& à affermir les Etats. Rien donc
( fl ) Cum Mque frîpati nobilium mores fi^
miarum inflar affe6ient , mirandum non ejl eam
ladanài infoîentiam in vuîgus quoque tranjîijje:
flr quod aliis ex necejfitate incumbit , aiiis ai
cftentationem^juramm ejfe, Pechlin. obferY#4^*
pag. 107.
I
de nourrir leurs enf^ns, 245
ne doit tant nuire aux uns éc
aux autres , que Tomiflion des
mcres à nourrir leurs cnfans ;
puifquil ri'eft rien qui aliène
tant les cœurs , ni qui aviliflc
tant les efprits.
Un enfant nourri d'un lait é-
tranger en aime moins fa véri-
table mère (a) &: ce font moins
fes mœurs & fes inclinations ( b )
?|ia'il emprunte que celles de
a nourrice. Ceft pourquoi un
grand Prince difoit autrefois ,
Gu une femme étoit plus fùre de
fe faire aimer d*un enfant pour
l'avoir allaité que pour l'avoir
Vtinam-& ter quaterquè ! athtam koc nofha
intelltgerent mtiliercuU ! nte Reifublica mala
averterentur. Franc. Paullin. Cynograpliije ,
pag. 5^.art. 5^
(^ ) Velim agnofcant quarum primum culpA
hoc vitium invaluit , quantum pietati & amori
in liberos peregrinâ illâ alitura detraxerint ;
raph enim nutrktda quoi matri debebatur ,
blanda ridcntiaque ora & qua tenellus amor
dî6iarefolet. Joaa. Nicol. Pechlin , obfer. ^6,
p. io8.
{h) Trancifc, de Mmdoçn viridar. erttdk,,
f ag. 15^5.
Xij
i44 ^^ r obligation aux mères
mis au monde. AluiJJ} majora
hahet amoris ificitamenta , quam
crcajfc {a). Et de vrai la paf-
iîon peut engager une femme
à devenir mère j mais l'amitié
feule peut l'alTujettir à fe rendre
nourrice. Alendifnis ejl non ne^
cejfitas y fed amor {b), Ceft pour-
quoi l'Ecriture voulant expri- |l
mer la bonté de Dieu envers fon |
peuple , ne la compare pas à la- ^
mitié d'une mère , mais à la tcn-
drefle d'une nourrice [c): par
une raifon femblablc on trouve
dans l'antiquité des marques fi
authentiques de reconnoiflancc
d'enfans envers leurs nourrices ,
qu'ils ont quelquefois fait dref-
fer des Monumens [d) tn leur
honneur.
Seroit - ce que le lait d'une
nourrice auroit quelque chofe
de plus parfait &: de plus puif-
(a) Alexandre le Grand.
. (^) Plutarch.de amor. -prolis, p. 49 'i»
(c) Nombr.c.2. Orée,c. z.IfaiejG. ^^,
id) Vid,GrHter.;p.66i._
de nourrir leurs enfans, 24 j
fant , que tout ce que la mère a
fourni pour former fon enfant >
ce n'efb pas l'idée qu'on s'en fait
ordinairement : cependant elle
étoit veniie à de grands hom-
mes ( d) , qui ont cru y apperce-
voir quelqu'apparence de vérité.
Ce qui paroît certain , c'eft qu'u-
ne mère y met moins du fien
qu'une nourrice. On a vu ci-def-
fus que toutes les femelles des
animaux , comme les graines des
plantes , apportoient en elles &;
du fein de leurs mères les ébau-
ches des animaux qu'elles ont à
mettre au monde : ainfî ce n'eft
pas l'ouvrage de la mère que le
développement qui fe fait en
elle par le mariage des parties
de fon enfant ; 6c ce qu'elle y
contribue n'eft que du peu qu'el-
le fournit pour fon accroifle-
ment. Comparant à préfent le
peu de tems qu'elle lui donne ,
(di) Aridotel. lih. 4. àe gêner, animal, c. 8.
AbiilenJîsinc,ii,L€vit.Matfhiol.L6.mDiofcor*
Xiij
14^ Ve rolUgaîton m^ mîtes
quieft celui delà groiTefTc 5 &îe
peu de fuc qu'elle lui fournit ,
avec des années entières qu'une
nourrice employé à nourrir fon
enfant , à le former 6c à le fai-
re croître , on comprendra déjà
qu'une nourrice donne beau-
coup plus de fa propre fubftan-
cê qu'une mère.
Un enfant d'ailleurs dans le
fein de fa mère ne peut avoir
aucun fentiment, ni s'apperce-
voir de ce que fa mère fait pour
lui ; êc ce qu'elle fait elk-même
en fa faveur n'eft ni de fon
choix , ni volontaire : au lieu
qu'une nourrice agit de propos
délibéré , & que par fes paro-
les , ks^ airs , les amitiés 6c {^%
carefTes , elle agit autant fur Tef-
prit de fon nourrillbn que fur fon
corps. Celui - ci n'apperccvant
donc rien que d'affable & de
gratieux de la part de fa nourri-
ce , ôc flatté continuellement par
elle 5 parvient à fentir le plaïur
de nourrir leurs tnfans, 247
qu'elle lui fait : en faut-il davan-
tage pour engaeer une amitié
récjproqiie , 6c former une rc-
connoiitance habituelle?
Le lait enfin confidéré en lui-
même peut encore infpirer à nn
enfant des retours damour Se
de bienveillance envers fa mère.
Car fans vouloir prétendre qu'ail
foit autant ou plus parfait qisa
le fang 5 on ne peut difconve-
nir y qull ne foit détrempé par
beaucoup de fuc nerveux ou de-
lymphe qui n en eft que le réfi-
du. Or ces fucs remêlés au fang ,,
& portés aux glandes des mam-^
melles , rendent le lait finon jfpi-
ritueux , chargé du moins de
parties frnes & actives , .propres
à tran{mettre dr.ns un enfant les
inclinations d^ la mère , ôc à éta-
blir entre eux: une refTcmblance
d'humeurs & de panchans.
Cette conjecture reçoit beau-
coup de vraifemblance par les
faits hiftoriques qui nous fonr
•vr • • ••
X-nij,
is^ De Pohli^^athn aux mères
reftés là-delTus. On a cru que
Remus & R^omuiiis n'ont tant
aimé le brigandage, que parce
qu ils avoient tiré le lait d'une
louve. La raifon qu'on apporte
pourquoi Tibère aimoit fi paf^
lîonnément le vin , c'eft parce
que fa nourrice y étoit fujette.
On difoît d'Achille , qu'il avoit
été nourri de bJle , parce qu'il
étoit emporté (^j. Ceux enfin
qui dans. l'antiquité étoient les
plus verfés &: les plus habiles
dans l'éducation des en fan s ont
recommandé , quand on ne pou-
voit faire mieux , de leur don-
ner des nourrices fages 6c de
bonnes mœurs (^ ) j parce qu'ils
étoient perfuadés qu'une nour-
rice fage'pouvoit autant infpirer
de bien à fon nourrifîbn , qu'u-
ne femme vicieufe pouvoir inf-
pirer de mal. Il fc trouve même
d'excellens maîtres ea matière
( ^ï ) Homer. lîh. 1 6. Iliad.
( b j Flutarch, de e duc and* liber}
de nourrir leurs enfAns^* 249
d-'éducation,qui vouloient qu'on
leur en donnât de içavantes.
Quintilien confeille d'en choi-
sir qui parlent bien j 6c Ciceroa
ajoute qu'elles devroient même
être éloquentes : par oii Ton voit
combien de maux ou de biens
on a toujours craint ou efpéré
''du lait d'une nourrice*
Mais les deux Hiftoires qui fui-
vent le prouvent parfaitement.
L'une eft d'un certain Efpagnol
{a) qui cour oit auffi vite qu'un
cerf, parce qu'il avoit été nour-
ri de lait de biche. L'autre eft
d'un Moine {h) qui fe déroboit
aux yeux de {ç:% frères , pour
danfer & fauter à fon aife en
fon particulier : & cette inclina-
tion à bondir ne lui étoit venue ,
que pour avoir eu une chèvre
pour nourrice.
Il eft donc évident , que le lait
( ^ ) ]u(itn. htfi, lib. uîtîmo,
( b ) Vid. Franc, de Mmioça^ wi<L çradifi
lib.iv.frohUvij, -
1^^ De fêhligation aux mens
d'une nourrice eft d'une étran-
ge force pour former les incli-
nations d'un enfant. Mais com-
me les Nourrices font toutes ou
pauvres, ou de qualité médio-
cre 5 inférieure du moins à la
condition de la véritable mère ,
c'eft manifeft'ement expofer des
cnfans à prendre des inclina-
tions bafïes ,. impolies , rufti-
ques , Se qui dégénèrent par
conféqucnt de celles de la fa-
mille 5 où la Providence les a voit
fait naître : c^eft donc rifquer de
peupler des familles de gens fans
efprit , fans polite^e , &: fans
cœur ; c'eft fut: ce principe que
font fondés ces reproches d'Ho*
mère :
Non ccfucs i^f. paurfuerat tibi ,
me hercule y Peleus ,
Non Thetis ejî genitrix iglducum
te protulit dquor y
AértJieiue rupes ^ mens quod tîbi
duraferoxque ejl^
de nourrir leurs enfans, i^x
Virgile par une raifon femblable
met ceux-ci dans la bouche de
Didon contre Enée :
Nec tlbi Diva farens^geriîris nec
Dard an us Ancîor ,
Terfde , ftd duris gcnuit te cau^
tihus horrcns
Caucafus , Hyr canaque admorunt
uhera Tjgres,
Après cela il ne faut plus im-
puter à d'autres caufes la déca-
dence des familles , k peu d'u-
nion qui y régne , le peu d'ami-
tié qui lie ceux qui les compo-
fent , le peu d'efprit enfin , ôc la
mauvaife fanté qu on remarque
en des enfans nés dérailleurs de
Î;ens fains &: de bon efprit ; c'eft
'eiFet d un lait étranger j car il
peut beaiicoup fur les corps (4 ) :
( ^ ) Peregrina aîttura tradtt ingeneratque
mores non matris ,feà fuos , fafe etiam, corporU
valetudinem ferofosnitçndam. Pechlin. obrerv»
^^1 De r obligation aux mtrcs
le fait fuivanc ne permet pas
d'en douter.
Un Auteur de la vie ruftique
parlant de la meilleure manière
d'élever de bons chiens pour la
campagne , ordonne qu'ils feront
nourris du lait de leurs mères ,
{\ on veut fe les aflurer de bonne
race. ( a ) Nec uncjuam eos , quo-
rum generofam volumus indolcm
con/irvare , patiemur aliéna nutri*
fis uhcribus e du cari, La rai ion
Su'il en apporte , c'eft que le lait
e la mère renferme plus de
bonnes qualités , &: fait un meil-
leur corps , .guonlam lac ^ fpi^
rit us mater nu s longe m agi s ingenii
4tque corporis incrementa auget. Il
donne le même avis touchant les
animaux qu'on veut engraifler ,
fî on veut qu'ils foicnt de bon
fuc , ( h) Curet porculator ne quis
fuh aliéna nutrice educetur ; &: ce-
la fans doute parce que le lait
(^) CoîumelLUb.j.c.iz»
( ^ ) ColumelL lib» 7»c\p.
de nourrir leurs enfans, 2^3
de la mère fait une meilleure
chair : il eft donc vrai de dire ,
que le lait de là mère peut beau-
coup plus que tout autre fur le
corps. Ceft pourquoi Ton a tou-
jours crû , que l'éducation pou-
voit autant pour former les corps
&: les efprits, que la naiilance ; [a)
^u^amohrem non frujira crédit um
ejl y ficuti valent adjïngendas cor-
poris atque animi Jimilitudines vis
dr natura feminis , non fecus ad
tandem rem lacîis quoque ingénia,
^ proprietates va 1ère,
Mais les enfans de famille peu-
vent-ils dégénérer, fans que les
Etats tombent infenfiblement
en décadence , ou fans qu'ils
changent de mœurs ?
Talia principia , atque or tus f un-
damina nojlri ,
l^atur£ non fponte ynec ^quo nu-
tninejacla ,
154 T>c rMigatîon aux m£r€s
Muhis deinde mdis aditum cm"
famcjut dedère ,
Vt fAYvi jam frima, fimul cum
tacîe hibamus
Semina nequiti^y qu£ fojl fc flu-^
rim4fundunt{a),
Puifque les Etats ne fubfiftent
que par les familles dont ils ti-
rent leurs fujets , leurs foldats ,
leurs Officiers , leurs Capitaines,
Cétoit pour cette forte de bien
{)ublic, que Platon fe défiant de
'éducation de la plupart des pa-
rens qui la négligent dans leurs
enfans^ auroit voulu que TEtat
lui-même fe chargeât de ceibin ,
te qu'on fît élever les enfans en
public 5 parce que de l'éduca-
tion [b) de la jeunefle dépaid
le refte de la vie , &: la gloire ou
la félicité d'un Empire.
i a ) Mtchaélis Hofptaln , eftjî, /. 3 .|>. T 79*
(^ ) Educatio eft rei^rinci^ium, Xeno^h* lié*
de nourrir leurs enfAns. 2 5 j
Dans une femblable vue Ca- .
ton (a) vouloit , comme on îa
die ci-deffus , que fa femme 6c
celles' de {ç^s valets allaitaffenc
leurs enfans ., & il entroit lui-
même dans le détail de l'éduca-
tion des fiens ^ U. de leur nour-
riture. Çeft que ce grand Poli-
tique avoit reconnuics étranges
inconvéniens , dont un lait é-
trangcr menace les familles.
At melior natura tamen , cum
U6ÎC y honique
Mutantur mores s dar'ifque ^à^
rentihus orta
Virgoft ancilUJimilis , lafciva ,
frocAxque ,
Mhrîa , faltatrix , dr amans în-
honejla virorums
Turpis , iners ^ fdvufque puer ,
fcôrtator , avarus ,
lUarum fimilis , quorum prius
uhera/uxit (h),
ia) Vîutarch. in Cat, Maj.
Ib ; Id, Mie, Hofpu efift, i . /. 3 .p, ipj
z<^6 De r obligation aux mères
En effet on a vu des enfans qui
aimoient à fe vautrer dans la
boue 6c la fange ^ [a) parce que
la difette avoit contraint leurs
mères à les nourrir de lait de
truye. On imputa le panchant
que Cyrus {h) avoit à rufer ôc à
furprendre , à ce qu il avoit été
nourri du lait d'une chienne î &C
les mœurs cruelles d'un certain
Parius (^r) à ce qu'on lui avoit
fait fuçer le lait d'une ourfe.
Mais l'exemple du plus affreux
des malheurs qui puiffe arriver
d'un lait étranger , fe trouve
dans la perfonne de Caligula :
car 5 de ce qu'il a été le plus dé-
naturé des Empereurs, il ne faut
s'en prendre qu'au lait d'une
nourrice qui ajouta à fon hu-
meur féroce &: cruelle , la cou-
tume de fe frotter de fang le
(tf) SennertA. a, Injîh. feCi. i, r. 4. Qum'^>
tll.l. I.
(h) Mariana tr. de rege & regno ^ c. 2 ,
f <? ) i^ataL Cornes j /. 6, Mytholog,
bout
de nourrir leurs en/ans, 257
bout des mammelles , qu'elle fai-
foic fucer enfuite à ce malheu-
reux nourrifTon. Par ce moyen
il devint fî barbare , qu'il alla
jufqu'à fouhaiter , que les têtes
de tous les hommes puiTent ne
tenir qu'à un feul col , pour fe
pouvoir donner la fatisfactioa
de les abattre toutes à la fois , 6c
de voir d'un coup d'œil couler
le fa no; de tout le i^enre humain,-
Mais ce n'eft pas aux particu-
liers feuls , que font à craindre
les malheurs qui viennent d\ia
lait étranger : ils peuvent deve-
nir ceux de tout un Empire^
Ceft pourquoi Mithrydate {a}^
Roi de Pont reprochoit aux Ro-
mains , qu'il ne falloit point s'é-
tonner de leurs cruautés , puif^
que leurs Princes avoient eu des>
louves pour nourrices.
Il eft vrai qu'on peut éviter
aujourd'hui de fi extrêmes mal-
heurs : mais du moins ces exem.-
(4) Juflin.BiJi.l.
T .
258 De rohligdtîûn aux mères
pies prouvent-ils à n'en pouvoir
douter , ce que peut un lait
étranger fur de jeunes enfans;
D'ailleurs voici un incanvénient
qu'aucune précaution ne peut
prefque faire éviter. On a déjà
fait voir qu'un enfant qui a tiré
une nourrice érrangere , en ai-
me beaucoup moins fa véritable
mère , & on en a apporté des
exemples : mais ces cnfans reve-
nus de nourrice , auront-ils con-
fervé plus de naturel pour leurs
frères ^ peur leurs fœurs que
pour leurs mères ? c'eft ce qui
paroît impoffible à croire , fi ort
fait réflexion que chacun des
frcres &: chacune des fœurs , a
eu fa nourrice auffi différente
de celle du dernier revenu , qu'-
elles toutes cnfembles font peu
reffemblantesàlamere. L'étran-
ge variété donc d'humeur , de
panchans 5c d'inclinations , que
celle qiû doit fe trouver non feu-
lement parmi les, enfans , mais
de nourrir leurs enfans. 1^9
encore entre les enfans &: la mè-
re ! Quelles femcnccs par confé-
quent de divifîons j, aanimofi-
tés 5 d antipathies ! Que fi après-
ecla il leur refte quelque forte
de confîderation les uns pour les
autres , ce fera moins une ami-
tié de tendrefTe que de cérémo-
nie ; Propterea ohliteratis & ahù"
litis KAturA pietatis élément is y.
quidquid ita, educaPi liheri amarc
patrem & matrem njidentur y ma,^
gnam fere partem , non naturdis-
il le Amor eji , fed cwilis^ & opina^
hilis. ( a) Que fr Ton ajoute ^
tout ceci 5 que la coutume de
donner des nourrices aux enfans
a prefqu inondé tout le monde ^
n'a-t'on pas fujet de craindre de
voir dégénérer les familles 6c lesî
Etats l
Et natûs miramur oririfan^uinc^
nojïra
(a} Ttraqml, de nohtlhar. fag. m..
2.^0 T^e VohUgAtîon aux mères
Dégénères , qtiihus immeritis m^'^
terna premuntur
Vhra y conduBjtfu^ dant aren^
tiaferva {a),
A tant de raifons. Ton nous
permettra d'en ajouter une der-
nière 5 qui n'intéreffe pas moins
les familles bc les Etats. L'on
convient que rien ne peut tant
y nuire que roifiveté , la fource
de tout mal , & l'origine de tous
les défordres. Rien cependant
n'y conduit fi naturellement que
la coutume d'autorifer les mè-
res à fe fubftituer des nourrices.
Quittes de cette occupation , la
feule prefque qui leur convien-
ne 5 elles demeurent défœuvrées,
& la vanité , l'amufement , le
feu , le luxe , 6c peut-être encore
quelque cliofe de pis , prennent
la place d'une occupation rai-
fbnnable. Le mal s'étend enco-
de nourrir leurs en fan s. i^\
tt plus loin : car le loifir des fem-
mes devient nn piège pour les
hommes : ils fe croyent obligés
d abord , par pure honnêteté ôc
par politeue , damufer ce loifir
qui paroît à charge à des per-
fonnes pour lefquelles ils font
naturellement portés : mais ce
prétendu devoir de civilité paflc
en habitude 5 les efprits fe pren-
nent, 6c les cœurs s'engagent :
on aime ce qu'elles aiment , 6c la
complaifance pour les femmes
engage les hommes dans une vie
molle Se efféminée. Les garçons
féduits par l'exemple fe font des
vertus des défauts de leurs pères,
& fe forment des cœurs &: des
efprits de femmes dans des corpsr
d'hommes , comme un anciea
Poète le reprochoit à la jeunelîe
de fon fîécle ;
Vos etenîm ]uvenes ^ammos geri'^
tis muliehres.
Et les filles accoutumées a voir
26 1 T>e l'obligation du)c:mere:s
dans leurs mères une vie molle
& fenfuelle ,.croyent que le tems
ne leur eft donne que pour le
plaifir. Ceftainfi qiielarainéan-
tife prend la place du travaii
dans les uns 6c dans lès autres r
tous méprifent ra£lion & de-
viennent prodigues &: diffipa-
teurs du tems , la. feule chofe
dont if eft hannête de paroître
avare.. Ceft pourquoi les cfprits
s'avilliflent , les courages s abat-
tent , tout s'énerve , les Etats
s'affoibliiTent & viennent enfin
à déchoir. Il ne faut point en
chercher la caufe ; on Tapper-
çoit dans cette vie molle des
femmes , qui défoccupées de leur
ménage 5c de Téducation de
leurs enfans , ne font prefque
plus qu'amollir le cœur des hom-
mes 6c les accoutumer à- roiiî-
'«été.
de nourrir leurs enfms^ i ff j
CHAPITRE VIII.
Faux prétextes des mères qm Je
difpenfent de nourrir,
CEs prétextes par lefquels
on voudroit juftifier les
mères qui ne nourriflent pas ,
font encore aujourd'hui les mê-
mes queceu:^ quune mère aveu-
glée par fa tendreflè pour fa fille
oppofa autrefois au Philofophe
Phavorin , ( ^ ) & que le fçavant
Erafme {h) améprifë depuis. Ils
le réduifent à la délicatelTe de
complexion ^ &C aux dangers
qu'une nourrice fait courre à fr
ianté 5 à Tufage^ établi êc pafTé
en coutume , enfin à une forte
de déshonneur qu'on trouve au-
jourdhui à nourrir fesenfans.
i^. Cette prétendue délicatet
(a) Aul.Gdl. m6l.att,l. u.c. u.
(b ) Co//o^. Eutra^eU & Fabuî,
2^4 ^^ f obligation a-u^s^ meref
fe eft mal entendue ; puifqu'îl
ne faut pas plus de forée pour
nourrir un enfant , que pour le
mettre au monde. Si natura dédit
'vires ad concipiendum , haud dfihie
d^ ad ladandum, ( a ) D'ailleurs
eft-ce que les ennuis d'une grof-
fefle, éc les efforts quil coûte
pour donner le jour à un enfant ,
font moins fouffrir la fanté que la
peine d'allaiter ?
Rien , dit-on , ne détruit tant
la poitrine , que la fonction de
nourrice : mais un des plus ha-
biles Médecins d* Angleterre , oii
\q,s phthifies font plus commu-
nes , fait obferver que des mcres
menacées en apparence de cet-
te fâcheufe maladie par leur
maigreur & leur délicatefle , s'en
préfervent en nourriffant leurs
en fans , (h) Etiamjl îahidd vi-
deantuY naturâ fua d^ gracias ,
{a) Erafm. Colloq. Eutrapel. & Fahttl. Ri.
Guerin , Méthode d'ciever les enfans , p. 28^
(•if) Mononin Fhthifiolog. ^ag, 13.
tamc?-^
âe nourrir leurs enfans, 16^
îamcn inter lacîandtim finguej-
cunt.. On appuyé fortement ce
préjugé fur l'étrange déperdi-
tion de fubftance qu'une mère
doit fouffrir en nourrilTant \ puiC-
qu'il faut que la meilleure par-
tie de foi-même, ou du fuc nour-
ricier qu'elle prépare , s'employe
& fe confomme pour la nourri-
ture d'un enfant.
Mais la nature a pourvu à cet
inconvénient , &: ce que la merc
donne à fon enfant n eft que ce
<jue la nature lui a prêté dans
cette vue. Car fî hors l'état de
grofTefle elle n'a de fanté , qu'en,
perdant dans un an par une éva-
cuation fenfible vingt livres de
fang; elle fe trouve dans le tems
de neuf mois de grofTelIe , pen-
dant laquelle cette évacuatiori
cefle, avec quinze livres de fang
de plus qu'il ne lui en faut pour
fe bien porter. Or comme un
nouveau-né eft à peu près au mo-
ment de fa naifTance du poids de
Z
x66 De rohlîg^thn aux mères
neuf à dix livres , ce ne fera que
du fuperflu de la mère qu'il aura
reçu ce volume.
Il en eft encore de même dans
une nourrice , elle ne met rien
de fon néccfTaire pour allaiter
Ton enfant j car la nature lui
épargnant êc lui mettant en ré-
ferve cette même quantité de
vingt livres de fang quelle au-
roit eu à perdre chaque année
pour fe conferver en fanté fi elle
n'étoit point nourrice ; elle {e
trouve plus riche d'autant de
fang qui pafTe en fuc nourricier
ou en lait. Ce font donc vingt
livres de lait de furcroît, &: qui
lui eft d'ailleurs inutile , qu elle
peut par conféquent employer
à nourrir fon bnfant, fans qu'il
lui coûte rien de fon nécellaire.
Mais cette même nature amaf-
fe encore à la -mère un autre
fonds , d'où fans rien ôter à Çqs
véri'tables befoins , elle peut fuf-
fifamment tirer de quoi fatisfai-
de nourrir leurs enfans. 1 6j
re à ceux de fou enfant. Suppofé
donc que vingt livres de fuc
nourricier mis en réferve par an,
puiflent à peine fuffire à fournir
à un enfant le poids ôc le volu»
me qu'il acquiert dans cet efpa-
ce de tems , ôC fans lui compter
ce qu'une mère ajoute d'alimens
avec fon lait , voici de quoi dou-
bler à fon profit au moins la quan-
tité de vingt livres qu'on vient de
lui afîigner. Les femmes naturel-
lement tranfpirent (a) moins que
les hommes: cela fe prouve i^.
Parce qu elles ont le poux plus
mou âc plus lent. 2°. Parce que
leurs vaifTeaux font plus étroits
ou de moindre diamètre que ceux
des hommes : le cœur par confé-
quent dans les femmes doit pouf-
fer le fang avec plus de lenteur
à l'habitude du corps , & les ca-
pillaires doivent contenir moins
de fuc nourricier , fuivant ce
principe d'un {h) des plus célé-
(a) Frend. Erronenologiie , p.?^. 1 6,
{b) Bcllh. Z ij
%6t De robllgation mx mtres
bres Médecins du fiécîe pafle.,
que les fécrécioxis font dans nos
corps plus ou moins abondan-
tes , à proportion du plus ou
moins de vitefTe dans le cours
du fang 5 ôc du plus ou moins de
diamètre dans les vaifleaux. li
cft donc évident , qu'il doit s'a-
maflerplusdefuc nourricier dans-
le corps d'une femme que dans
celui d'un homme , parce qu'elle
tranfpire beaucoup moins.
Mais s'il ejft vrai p comme Ta
remarqué le célèbre Sanftorius
que la tranfpiration diminue mê-
me dans les hommes d'autant,
que quelqu'autre évacuation fen-
iîble s'augmente , comme lorf-
qu'on fuë excellî vement , ou qu'il
arrive quelque grand cours de
ventre ; jufquà quel degré la
tranfpiration doit-elle diminuer
dans une nourrice , c'eft-à-dire ,
lorfqu'il s'ouvre dans une fem-
me deux iffuës H fenfibles au fuc
nourricier ? A mefure donc qu'il
de nourrir leurs enfans. tG^
enfilera la route des mammel-
les , il ne doit guéres en refter
pour fournir à la tranfpiration,
Ainfi une bonne partie de ce qui
étoit deftiné à s'échapper par
cette voyc , paiïera en lait. Ainfî
quand la matière de la tranfpi*
ration , qui eft dans les hommes
du même poids que celui de leur
nourriture , ne feroit ordinaire-
ment dans une femme que des
deux tiers des alimens quelle
prend, fuppofant qu'il pourroit
encore s'échapper la moitié de
ces deux tiers par cette voye , ce
feroit un tiers de revenant bon ,
qui augmenteroit d'autant la
quantité du lait dans une nour-
rice. Accordons - lui à préfenc
une livre & demie de nourriture
par jour : ce feroit huit onces de
lait par jour qui ne feroienc
point prifes fur le nécefïaire de
la merè , 6c qui tourneroient au
profit de l'enfant. Mais parce
que le produit de huit onces de
Ziij
1 yo De f obligation aux mer es
lait par jour monteroit à quator-
ze livres par mois , ce qui feroit
un volume prodigieux au bout
de Tan dans le corps d'un nour-
rifTon qui tranfpire peu ; fai-
fons\ine autre fuppolition plus
vraifemblable. Qu'une nourrice
donc mangeant trois livres ôC
demie par jour tranfpire de qua-
tre onces moins qu'à l'ordinaire ,
il reviendra fept livres de fuc
nourricier par mois à un enfant ,
& de quoi augmenter à l'excès le
volume de fon corps au bout
d'un an ou deux de nourriture ,
fans lui donner que le fuperfiu
de fa mère. Qu'on ne vienne donc
plus dire que c'eft trop deman-
der à une mcre , que d'exiger
d'elle la noi^.rriture de fon en-
fant ; puifqu'elle a reçu d'avance
ce qu'elle lui donne comptant.
Elle ne méritera pas plus d'ê-
tre.écoutée fur fa foibleffè (// ) de
( ^ ) Eqwdem ji veterum Femmarum ( qua?
fuos alebant fétus ) hubùum refpàs j & cum
de nomrîf leurs enfans, 1 71
rémpéramenc : car outre qu elle
fait peut-être pour fon plaifir
des chofes beaucoup plus capa-
bles de le ruiner , ce n eft pas tou-
jours par le volume du corps qu'il
faut niefarer fes forces : les plus
épais ne font pas toujours les'
plus vigoureux: du moins réfif^-
rent-ils moins ordinairement à
la fatigue 5 de le plus grand cou-
rage neie rencontre pas toujours
dans les corps les plus puiflans.
En tout cas une femme délicate ,
pourvu quelle foit faine dail-
leurs, a de quoi fe raûTirer fur
les rifques qu'elle pourroit faire
courir à fa fanté en n-ourriflarit : -
car pourvu qu'elle conferve tou-
jours fon appétit y & qu'elle di-
gère bien , elle prendra mê-
me plus d'embonpoint dans la
fuite , qu'elle n'en avoit en com-
mençant de nourrir , fui vaut la
-rtoflris hifce compares , juraverisnon ejfe cas vf-
uris & avhi g?nçrîs [obokm. Pechlin. obferY»
a6. p. Ï08.
Z iiij
272- 2)^ ï* obligation aux mer es
remarque des bons Praticiens en
Médecine: {a) Nutrices , etiamji
graciles , Ji appetitu vigent (^ henc
dtgerunt , intev la^andum pinguef-
cura.
Ce feroit fe fingularifer , ajou-
tent les mères qui ne veulent pas
jnourrir , & fe diftinguer du refte
Aqs femmes , que de vouloir au-
jourd'hui Tentreprendre : cela
n'eft plus ni d'ufage, ni de mo^
de : la coutume contraire a pré-
valu.
Etrange proteftrice du bien
que la coutume ! Fut-il jamais
rien de plus d'ufage que la pra-
tique du mal ? en doit-il être
plus autorifé ? Efl-il coutume
plus univcrfelle que celle de s'a-
bandonner au jeu', à la débau-
che 5 à la fourberie , à Pyvrogne-
rie 5 ôc à tant d'autres paffions
qui dominent les hommes ? en
font-ils pour cela moins crimi-
nels 5 parce que le mal qu'ils
(f) Mcrtcn, Phthijiolo^.fag, i^:
de nourrir leurs enfans, 175
Commettent eft commun ? ( ^ )
Vulgo feccant , 'vulgo ludhur alcâ ,
vnlgû commeaturadfornicesy vuU
gofrdudatur , potatur , infanitur.
Il fant donc d'autres raifons
pour [uftifîer un mal: & on croie
en trouver une dans la honte
qu'on met aujourd'hui à nour-
rir ks enfans ! Mais quelle dé-
pravation de fiécle ! quelle cor-
ruption de mœurs ! Quoi ! une
femme rougit d^allaiter un en--
fant qui s'eft formé dans foiî
fein , qu'elle a nourri de fort
fang , ôc qu'elle a mis au mon-
de ! n'eft-ce point rougir de la
aneilleurc partie de foi -même 1
( b ) 0 tempora ! 0 mores ! Cuinam
dedecori ejfe potejl lacidre fùum ,
quem ex propriis vifcerihus eduxit ,
novemque integris menfihus in re^
condiîïffîmis uteri recejjihus proprio
fanguine aluit ?■
La raifon de déshonneur 6c
( :ï ) ErûGn. Colloqu. Eutrapel. & FabuL.
(^) Tiraqiiell, de ^obilit. -j^ag. 10^.
174 ^^ i' obligation aux mères
de honte qu'elles trouvent dan^
la fonction de nourrice , fe tire
de la qualité des msres aufquel-
les on croit que meiîîed tout ce
bas détail qui reç^arde les de-
voirs d'une nourrice : mais cette
exception eil: échappée à l'Apô-
tre faint Paul, qui décrit fans
diftinction les devoirs de toutes
les femmes mariées : Idco Afoflo"
lus uxoribus pr^cepit [a) ut cjfônt
Jubdlt^ 'vïrls Juis y ne forte, divi"
tiïs é^ nohilitdte p3rjîat£ Del fen^
te::tl£ no/i memlaeryat r-per quum
fuhjecije^ funt vlrls^
La nobleffè ne peut donc pré-
tendre ici de diftinclion , puif-
que la foumiffion dans les de-
voirs naturels de mères oblige
également toutes les femmes»
Un autre Père {b ) de TEglife
s'en explique clairement : Eru-
hefcunt forjitan noblles dellcatis
(a) Hieronym. in epfl. Paul, ad Tit. ci.
{b) S. Augiift. in Sçrm^ de tçm^^ fi^' f' i^
C^ii,DQm*Serm.i»
de nourrir leurs enfans^ ij^
manibus mulieres chriJiUnàc, , in hoc
mundo Sancîûrum contrecïare vejii"
gia , ^uia hoc natalium frjirogati^
"ja nonpatitur, Mala nobilitas quji.
fe per fuperbiam apudDeum reddit
igr.obihml Ceft donc moins la
noblelTe que la vanité ôc la naol-
lefle , qui a infpiré aux femmes
chrétiennes la coutume de ne
point nourrir elles-mêmes s puif-
que de grandes Princefies payen-
nés s'honoroient de tout ce qui
reeardoit leur ména2;c. C'eft
pourquoi Ton trouve dans Ho-
mère des Reines ( â ) defcen-
duës des Dieux mêmes, qui ne
croyoient rienau-deflous de leur
naiiTance , quand il s'agifToit
d'obliger les Princes leurs ma-
ris. On y en voit qui font leurs
lits {h\ &C leurs chambres ;
quelques - unes qui prennent
des foins encore plus bas, {c)
(a) Homer. in fin. 7. Odyff.
(bj Id. O.iyf L7.de Neftor. uxdir.
(c ) Id, lîiad. /. 8. ai AndromaM HeCîcr^
morç.
i'7^ 'Ùefohlîgdtîon aux merei
'èc des Princes (a) mêmes qui
faifoient la cuifinc. Ceft qu'a-
îors c'étoit moins les profeiTîons
qui honoroient les perfonnes ,
que la vertu qui honoroit les
profeilions. Dans ces tems d m-
nocence tout féïoit bien à de
grandes âmes que la raifon gui-
doit ; au lieu que tout bleffe ôC'
indifpofe des efprits que la va-
nité trompe ôc que le préjugé
feduir.
CHAPITRE IX.
Des raifons qui diCptrifent {h) les^
mères de nourrir,
CEs raifons ne font multi-
pliées qu.2 parmi les Chré-
tiens j car les Payens n'en con-
( a ) Achilles & Tatrocîus Homer Jlîai.U 9.
( ^ ) Omnis mater [uo non emptîtio Utîe quos
genmt fujîentato : neque idlam vel dtvitice feu
rijitaliumfplendor excipiunto : jl morbus impe-
diaf^aiidùis NUdkorumfuffragiii ça ds rtmA^
■de nourrir leurs enfans. 2-7^
noilToient que deux {a) aufquel-
les ils déféroient ; rimpuilTance
dans une mère languiiïante ôc
jnal faine j & l'envie ou la nécct
iîté de multiplier les enfans 6c
d'en peupler les familles. A la fé-
conde de CCS raifons un Auteur
{^)fage ôc .célèbre en fubftituë
ime autre , c'eft rinfirmité de
l'enfant qui pourroit altérer la
ianté de la mère.
Si tamen optato prohiber i s munc-
refungiy
.Sive quod dgra negds oneri fatis
efifererido y
Sive quodipfe doler puer ,& for-
tafe verendum eft
Morbida ne injirmi Ixddnt conta*
gi£ matrem ,
^^^ tibift nutrix aliunde pe^
tenda docebo. ( c )
xttus MagiJIratufque flamimto : qua fecus fa-
xit îgmminiâ notator. Eft Lçx Schiurliana» Di^
•fert, 4. politiq.th. i6,
(a) Piutarch.
(b) Scavola Sammarthanus.
( <r ) Iii, Pxdotro^hia ,l,z.f, %u
/
278 -25^ l'obligation aux mer es
Une quatrième raifon qu'op-
pofent les mères pour ne point
■nourrir , eft la volonté des ma-
ris , qui perfuadés qu'une femme
n'eft faire que pour eux , les obli-
gent de fe refufer à leurs enfans.
La première eft évidente & dif-
culpe une mère de l'aveu de tout
ie monde , & à celle-là fe doi-
vent encore rapporter certains
vices de conformation ou cer-
tains défauts naturels, Ainfî le
manque de lait dans quelques-
unes , des mammelles mal con-
formées en d'autres , autorifent
une mère à donner une autre
nourrice à fon enfant»
La raifon qui fe prend de la
part de l'enfant dont Tinfirmité
pourroit incommoder ou infec-
ter la mère , cette raifon , dis-je ,
fait d'abord quelque impreffion ,
& fembleroit autorifer une merc
à recourir aux fecours d'autrui :
voici pourtant de quoi la faire
entrer en quelque fcrupule là-
• dt nourrît leurs enfans, i -7 ^
defTus. Ces infirmités dans un
enfant , font la galle , le fcorbut,
ou encore quelque chofe de pis ,
toutes maladies ou défagréables
ou contagieufes pour un« nour-
rice. Mais fi Ton trouvoit que le
lait de la mère fût plus propre
qu'un autre à guérir ces infirmi-
tés 5 fi les mconvéniens qui en
pourroient venir intérelToient
xnoins la ^anté d'une mère que
fes aifes ou fa commodité j fe
trouveroit-elle cette mère en fiU
reté de confcience , defe refufer
à fon enfant ; & la mort de ce-
iui-ci ne pourroit-elle pas deve-
nir un crime pour elle ? puifque
c'eft une forte d'homicide que
de refufer le néceflaire à la vie^,
,^u^os non pauijli occidifti.
D'ailleurs fi une mère a l'ex-
périence 5 que la plupart de ces
maladies arrivent ordinairement
à fes enfans entre les mains des
nourrices étrane:éres , ne feroit-
ce point une obligation pour elle
^So J>e rohligation ai^x mcres
d'efTayer iî fon lait ne les pré-
viendroit pas ?
Le mari viendra peut-être s'op-
pofer à propos à cette complai-
-fance 5 il revendiquera fes droits
de préférence fur fa femme : mal \
•latîsfait quelle l'engage dans '
les égards contraignans qu'il
faut avoir pour une nourrice ,
len s'expofant &: en Texpofant
•lui-même aux importunités d'un
nourriflon.
L'Apôtre en .pareil cas paroî-
troit prefquc diiculper une fem-
me , qu'il ne veut pas fouftraire
à fon mari contre fon gré : mais
ce fera à elle à examiner , fi le
prétexte apparent de fa foumif-
fîon ne feroit point en effet ce-
lui de fon incontinence. D'ail-
leurs elle ne paroîtroit pas mê-
me en ce cas abfolument autori-
fée à ne point nourrir ; puiC- j
qu'elle & tout le monde craint
h peu d'envoyer à la ville ou à la
campagne fes enfans , entre les
mains
de nourrir leurs efifans. 281
mains des nourrices qui vivent
avec leurs maris.
Refte la raifon que Plutarquc
propofe ; c'eft celle qu il tire de-
là néceffité qu'il y auroit dé faire
naître au plutôt plufieurs héri-
tiers dans les familles , ou de les
peupler d'enfans ; mais cette vue
qui faifoit autrefois Tobjet & la
fin des mariages des Patriarches^
ôc de ceux des Saints , occupe-
t'elle aujourd'hui les efprits des
perfonnes mariées ? Trouve-t'on^
encore des pères qui fe réjouif-
fènt de fe voir au milieu d'une
îiombreufe famille ? Ce goût fur
celui de cts fîécles pleins d'in-
nocence , où l'opulence des fa-
milles dépendoit du travail des^
en fans : mais depuis que le tra-
vail eft devenu honteux pour des-'
perfonnes aifées , depuis que les?
enfaris ont été moins deftinés à
enrichir leurs parens , qu'à jouir
de leurs richefTes , leur nombre
ell devenu formidable,. Jamais
Av
tSz De Fohlîgatton aux mer es
donc il ne ïut fiécle où il fût plus
permis aux mère? de nourrir leurs
enfâns ;, puifque cette forte d'in-
térêt des familles , s'il étoit per-
mis de fe le propofer , fe trou-
veroit aujourd'hui de concert a-
vec le devoir des mères. Bien
plus , quand même il arri veroit
qu'une mère qui fe feroit nour-
rice , ne donneroit des enfans à
fon mari que tous les deux ans ,
les familles n'en feroient pas
moins nombreufes , ni le monde
moins peuplé , pour deux rni-
fons: la première , parce que s'il
en venoit moins au monde , il
en refteroit davantage fur la ter-
re : la féconde , parce que fi une
femme accouchoit mioins ibu-
vent 5 elle donneroit plus long-
tems des enfans. Voici l'explica-
tion de cette énigme.
Si l'on comptoit tout ce qui
arrive de fauflès couches à uiic
femme , tous les enfans qui vien-
nent morts , Se tous ceux qui
de nourrir leurs enfans, 285
meurent à la mammelle ; on fe-
roit efFrayé de voir combien les
familles perdent d'héritiers ,'6c
les Etats de citoyens. Or la cau-
fe la plus ordinaire de ces pertes
publiques , ne vient que parce
qu'une femme qui met beau-
coup d'enfans au monde , les y
met foibles ôc peu vigoureux ,
plus cxpofés par conféquent à
mourir bientôt , parce qu'ils font
plus délicats &: plus ienfibles
aux injures de l'air, & à tous les
maux qui les menacent. L'arbre
le plus gros ne donne que des
avortons de fruits fi 011 l'en laif-
fe trop chargé ; les fleurs per-
dent beaucoup de leurs beautés
fi elles font trop nombreufes fur
une p 'ante ; un champ trop char-
gé de légumes n'en produit que
dimpar faits ; enfin la terre qu'on
enfemence trop fouvent dépérit
5c tombe en friche. Par une rai-
fon femblable, on doit concevoir
qu'une femme qui met fouvent
Aaij
2.84 -^^ l'obligation aux mefes
des enfans au monde , doit les y
mettre moins forts , ou moins
propres à vivre : il eft donc vrai
de dire en ce fens , que plus elle
en donnera au monde , moins le
monde en confervera. La fécon-
de raifon n'eft pas moins vraye.
L'on fçait que les couches ou en-
lèvent beaucoup de femmes au
mionde , ou en font beaucoup
d'infirmes , ôc les mettent hors
d'état d'avoir des enfans : or ces
dangers feront d'autant plus à
craindre, que les couches dans
une même femme deviendront
plus fréquentes. Ainfi une fem-
me qui auroit pu fans trop ri{^
quer avoir dix enfans en vingt
ans, rifquera beaucoup plus en
les donnant en neuf ou dix. Au
lieu donc qu elle étoit prefque
fure de vivre ces vingt ans , elle
devient très-incertaine d'en vi-
vre dix. Que Ton compare à pré-
fent la force que doit avoir un
enfant ^ pour lequel une femme
de nourrir leurs enfans. 2 §5"
fe fera préparée pendant deux
ans, avec celle d'un autre qui
fera venu tout au plus au bouc
de l'année : ce fera mettre en pa-
rallèle le frait d'une terre fraî-
che 6c qui feroit dans fa force ,
avec celui d'une autre qui fcroiè:
ou fatiguée ou ufée.- Que l'on
compte enfin les dangers d'une
ferrime qui accoucheroit tous- les
deux ans , avec ceux d'une autre
qui le feroit tous les onze oa
douze mois : on trouvera d'une
part, que celle-ci fera fouvent
expofêe ou à périr par les dan-
gers réitérés , ou à fe voir infirme
ôc incapable d'en fans au bout de
peu d'années j tandis que l'autre
le confervera encore famé 5c vi-
goureufe. Que fi l'une Ôc l'autre
de ces femmes f.irmontcnt ces
dangers , le mionde fera bien plus
fur de conferver les dix enfans
forts , vigoureux cc bien formés ,
qu'il aura reçu en vin2;t ans ,
qu\in pareil nombre qu'il auroit
1 8 6 De Vohligatîon aux ?nerês
reçu dans refpace de neuf ou dix
années. Si donc une femme don-
ne plusfdrcment dix en fans dans
refpace de vingt ans , que dans
refpace de dix , il fera vrai de
dire que le monde y gagnera du
moins autant , & que fi une fem-
me accouclioit moins fouvent ,
elle multiplieroit autant, &: plus
à profit pour le monde, quoi-
que dans un efpace de tems plus
long.
Mais ce feroit encore le moyen
de remplir le monde d'hommes
forts , bienfaits & bien élevés y
de de pourvoir aifx incommodi-
tés ou à Topulence des familles,
èc par conféquent des Etats. En
effet les enfans fe trouveroient
plus forts de corps Se d'efprit , &:
les mères vivant plus long-tems ,
il* ie trouveroit moins d'orphe-
lins , & il fe feroit moins de re-
mariages , moins par conféquent
d'enfans abandonnés , méprifés
& ruinés 5 parce que les mcres
, de nouYïîr leurs en fan s, i S y
^yanc plus de vie, auroient le
cems d^élever leurs enfans par
elles-mêmes , & de pourvoir à,
leur écabîiiîemenr.
CHAPITRE X.
Des précautions que doit apporter
une mère , qui eji obligée de pren-
dre une nourrice étrangère,
ON ne prétend point ici en-
crer dans un détail exact de
toutes les qualités que doit avoir
une nourrice ; ce feroit la matiè-
re d'une autre Diflertation , &:
cette matière fe trouve traitée
dans plufieurs bons Auteurs. Ce
ne font donc que des confeils
qu'on efîaye de donner , pour
réformer des abus où Ton tom-
be tous les jours fans y pcnfer ,
& pour n'en avoir pas afiez com-
pris les conféquences : peu de
gens , par exemple , apperçoir
2. s? T>t l'ohligation aux mer ô^
vent les inconveniens de donner
à un nouveau -né un lait plus
âgé que celui de la mère; parce
qu'on croit commitnément qu -
un lait trop frais: eft malfaifant
êc impur , fans fonger que c'efl.
cependant celui qui eft naturel-
lement deftiné à un enfant qui
vient de naître, par les raifon:?
qu'on en a apportées ci-deffus.
Mais ce préjugé paroît fur tout
dans le peu de crainte qu'on a de
prendre pour des nouveaux-nés
des laits de plufieurs mois , 6c
quelquefois de plufieurs années :
cependant l'cftoraac d'un Çi jeu-
ne enfant ne doit être ni indif-
férent , ni infenfible à cette for--
te de nourriture. En effet , ce vil^
cere peu accoutumé encore au'
broyement néceffaire pour digé-
rer un aliment plus folide de
beaucoup, que celui qu'il rece-
voit dans le fein de fa mère ,
doit foufirir beaucoup du tra-
vail qu*on exige de lui ;, en lui
préfentanc
de muYYÎr leurs enfans. i %■<)
préfentant un lait trop nourrif-
fant. Ceft expofer cette jeune
créature à mille crudités , 6c à
-des aigreurs qui font les femen-
ces des maladies qui affligent
ordinairement les enfans.
De-là viennent encore ces dé-
goûts qui les éloignent fi fou-
vent de leurs nourrices; parce
qu'un lait trop nourriflant ôc
trop favoureux les faoule d'a-
bord 5 puk les rebute , comme
un mets trop fucculent dégoûte
aifément ceux qui en ufent.
Mais quand même leur efto-
mac viendroit à bout de digérer
un lait trop âgé , il ne feroit pas
fur que ce lait fe trouvât aUez
dompté , pour s'achever de bri-
fer dans les autres digeftions. Ce
font donc des fucs groilîers qui
vont fe diftribuer par tout le
corps , dans lefquels revivent ôc
fe réveillent toutes les qualités
ôC les faveurs naturelles , qui é-
toient dans les alimens que la
Bb
%cjo De tohligation aux mères
mère a pris : & c'effc de-là que
viennent aux enfans ces four-
milières de vers qui infedtent
leurs entrailles , ôc qui même
fouvent paffent aux adultes. De
cette même caufe leur vient en-
core la galle , les écroîielles , ôc
les autres maux qui fe répandent
furia peau &: dans l'habitude du
corps par les embarras qui fe
font dans les lymphatiques ôc
dans les capillaires j parce qu'on
y introduit des fucs incongrus
6c mal apprêtés.
Cette erreur en amené une au-
tre : on croit d'autant mieux
nourrir un enfant , lorfqu'à un
vieux lait on ajoute Tufage de la
bouillie , qu'on lui donne dès
les premiers jours de la naiflan-
ce , pour le mieux fortifier. Le -
mal peut-être deviendroit moins
formidable , fi cette bouillie é-
toit faite avec la mie de pain [a)
fraifé ; parce qu'elle feroit moins
( ^ ) Ettmulkr de vitiis ladis.
de nourrir leurs en fans, 251
pefance ôc moins fujette à ob-
llruction : mais ce iVeft pas à ce
feul danger qu'on expofe un en-
fant auquel on donne prématu-
rément de la bouillie : car s'il eft:
vrai , comme on le prouve , que
là fan té ^ une forte d'équilibre
qui entretient Tordre 6c le cal-
me dans les fondrions de la vie ,
ôc fî les liqueurs entrent au
moins de moitié pour aider à en-
tretenir cet équilibre , quel dé-,
fordre &: quelle difproportion ne
doit point arriver à Toccafion de
l'ufage prématuré de cette nour-
riture trop folide ? Un air épais
rou trop groiîîer donnant trop de
gravité ou de poids au fan g , ex-
pofe un animal à des fulFoca-
tions mortelles : iliais quel volu-
me ne doit point recevoir le fang
d'un jeune enfant qu'on empâ-
-te de bouillie? c'eft une réfiftan-
ce ou un obftacle prefqu'invin-
cible , qu'on préfçi;ite au c*œur
de cet enfant. Cette réfîitancc
Bb '^
loi T>e rohlïgatïon aux mères
devient pour lui d'autant plus
dilproportionnée , que tout é-
tant laiteux dans un nouveau-
né , les parties folides & le cœur
lui-même n'ont point encore
pris ni la fermeté , ni le relTort
néceflaire pour remuer*une maf-
fe folide : c'eft donc un poids
d'une réhftance démefurée qu'on
oppofc à une puiflance mal af-
fermie : c'eft un fang lourd &
pefant qu'on donne à pouller à
un cœur d'un reffbrt trop foiblc.
Ce fang doit par conféquent
croupir par tout , s'aigrir , & ex-
pofer l'enfant aux inconvéniens
d'une circulation trop lente ou
retardée , & d'un fang aigri &c
vicieux.
Que fi le lait de la nourrice fe
trouve en même-tems trop fuc-
cu^ent & trop plein d'ardeur , ce
fera le moven d'attirer à l'enfant
autant de maladies aiguës & mor-
telfes , que l'épaifTeur 5c le ra-
lentiflement du fang lui en au-
de nourrir leurs enfans, 1 9 j
roit caufé de longues Ôc d'opi-
niâtres : c'cft cependant ce qui
lliit naturellement du régime
qu'on fait ob fer ver aux nourri-
ces : on les gorge de fouppes , de
boiiillons , de confommés : on
les fait manger à outrance des
viandes fucculentes : quelques-
unes y ajoutent le vin ou des li-
queurs : en faut -il davantage
pour former un lait trop nour-
riflant , plein de parties vives 6c
fermentativcs , femblables à cel-
les du moût ou du vin doux ,
qui iront porter le trouble & le
tumulte dans les veines d'un
jeune enfant ? Si l'on réfléchit à
préfent fur TeiFet d'un fembla-
ble lait trop vif, fur un fang
lourd 5 rallenti & comme em-
bourbé dans les parties j on con-
cevra un fang trop épais qui con-
centrera une matière de feu , ou
un acide brûlant, qui le fermen-
tera , l'agitera , 6c le coagulera
enfin , femblable au fang d'un
Bb iij
2 94 ^^ r obligation aux mères
pleuritique , qui plein d'une ar-
deur qui le defféche , Tépaiffit &:
le coagule , tourmente le mala-
de 5 le brûle ôc enfin TétoufFe»
On ne doit donc point s'éton-
ner quand on voit un enfant en-
levé Drufquement de ce monde,
par une convulfion imprévue ,
par des tranchées énormes , par
des fièvres ôc des aflbupiflemens
léthargiques : c'eft la fuite né-r
ceflaire du régime mal entendu
d'une nourrice , qu'on a faoulée
de mets trop délicats ôc d'ali-
mens trop exquis.
L'inégalité de condition en-r
tre la mère & la nourrice qu'on
lui fubftituë , ne contribue pas
peu à cet inconvénient. Ce font
ordinairement des femmes pau-
vres ou mal aifées qu'on loiie
pour être nourrices , accoutu-
mées à une vie dure ôc laborieu-
fe , qu'elles ne foutenoient qu'a-
vec un peu de nourritures erof-
lieres & mal apprêtées. De lem-»
de nourrir leurs enfans, 19c
blables créatures , que la faim
fouvent fatiguoit , que ?Indi-
gence faifoit fouffrir , ou qui ne
mangeoiont leur faoul que des
alimens 2;roffiers 6c mal choiiis ;
de telles créatures , dis-je , pa-
roilTent-elles faites pour réfifter
à la tentation d'un bon mor-
ceau , ou d'une vie oiiîve & ai-
fée?, elles mangeront donc au-
delà du nécelFaire , travailleront
moins que jamais , & ne s'occu-
peront que de faire du lait , mais
d'une qualité trop vive & pro-
pre à enflammer le fang d'un en-
fant. Une terre trop fumée brû-
le l'arbre , ôc fi à cet excès d'ar--
deur le jardinier ajoutoit l'indif-
crétion de l'arrofer de quelque
eau fpiritueufe , peu de fruit
viendroit à bien. Or une plante
dont les fucs font moins propres
à s'exalter, ou à s'enflammer que
le fang , périroit fi on Texpofoit
aux dangers de cette force de
culture : 2c on ne craindra rien
B b iiij
2 5: (5 T>c r obligation aux mêYts
pour un enfant délicat qu'on
nourrira de foufFres ou de feux î
Une autre forte d'infirmités pour
de jeunes nourriflbns , c'eft de
fubftituer à la mère qui fera tou-
te jeune , une nourrice beaucoup
plus âgée , & à une femme dou-
ce &: délicate, une ruftique &.
une paffionnée, que l'intérêt fé-
parera en apparence de fon mari,
mais que la paffion lui rendra
toujours préfent. Pourroit-on
ramafîcr plus de caufes capables
de former un efprii groflier ôc
un cœur vicieux dans un enfant
que la naiflance avoir deftiné à
la politefTc &: à la vertu ? c'eft
ce qu'on a lieu de craindre de ce
mélange bizarre d'humeurs , d'â-
ge , de tempéramens Mais les
principes qu'on a pofés , ^ les
preuves qu'on a apportées fuffi-
fent ôc au-delà , pour faire fcntir
CCS malheurs.
De tout ceci il réfulte , qu'en
cas de vraye néceffité , une merc
ds nourrir leurs enfam. 197
Chrétienne ne fatisfera ni à fa
confcience , ni à fon devoir na-
turel , fi à fon défaut elle ne don-
ne à fon enfant une nourrice
qui approche autant quil fera
poflible de fon âge^ de fon hu-
meur , de fon tempérament , 5c
de fa condition. Elle ajoutera à
toutes ces qualités celle du lait
qui doit être le plus frais qu'il
fera pofTible , & afTez abondant
pour fuffire à l'enfant fans le fe-
cours de la bouillie , du moins
pendant pluheurs mois. Enfin
elle prendra , Ci faire fe peut ,
cette nourrice chez elle , pour
fe rendre le témoin du bon em-
ploi de toutes ces qualités , non
moins utiles à la confervation
des enfans & au foutien des fa-
milles , qu'au bien public 6c à
celui de l'Etat.
apS De rohl}g4tiôn aux mères
CHAPITRE XL
Des Scvreufes.
T *A':)us d'employer des Se-
I j vreufes , fuît de près celui
de ië fervir de Nourrices , 6c de-
là naiiïent mille autres inconvé-
jniens qui achèvent de ruiner la
fanté des tn^zns cl de corrom-
pre leur éducation. Etrange con-
dition en des mères chrétiennes !
Peu fenfibles à la jufte inquié-
tude ou elles devroient être de
voir leurs enfans bannis entre
les mains des Nourrices , elles
les relèguent encore chez les
Sevreufes. On croiroit prefque
quelles craignent de les revoir,
tant elles font ingénieufes à les
éloigner d'auprès d'elles. Rien-
cependant ne peut tant aliéner
les efprits des enfans , 6c les ren-
dre étrangers à leurs parens ; rien
de nourrir leurs en/ans, 29^
encore neft fi propre à altérer
leur fanté , & à leur infpirer de
mauvaifes habitudes ou de per-
nicieux exemples.
L*état de ces femmes qu'on
employé à prix d argent à fevrer
des enfans , découvre d'abord à
quels dangers ces jeunes créatu-
res font expofées. Ce font des
femmes auffipeu aifées ôc autant
intérefîees que les nourrices. Ce
n eft donc ni l'amitié qui les en-
gage à cet emploi , ni leurs ta-
lens ou leur habileté , l'intérêt
feul les fait Sevreufes , &: leur
avidité pour le gain coûte cher
à de pauvres enfans , qui au-
roient befoin d'une nourriture
bien choifîe & proportionnée à
leurs infirmités. Imaginez un en-
fant, qui après avoir efiTnyé les
incommodités d'un mauvais lait,
fe retrouve engagé à fubir celles
d'une nourriture d'autant plus
malfaifante qu'elle eft plus grof-
fierc ôc mal apprêtée. Ajoutez la
500 J>c l* obligation aux mères
dureté d'une Sevreufe , plus oc-
cupée fouvent à farcir un cnfanc
d'une mauvaife fouppe , pour
impofer aux parens , par une ap^
parence trompeufe d'embon-
point , qu'à lui former un bon
corps par des alimens légers &:
melurés à Ton âge , à fa conftitu-
tion , 6c fouvent à l'infirmité où
il fe trouve. C'eft ainfî que des
enfans ne deviennent que chair
& que fling , fi on parvient à les
accoutumer à cottt 'forte d'em-
pâtement. Mais l'cfprit ne s'en
porte pas mieux j car un fang
trop épais & trop fubftantiel ,
outre qu'il appefantit le cerveau,
fournit peu de cette liqueur fine
êc fpiritueufe qui rend léger ,
difpos 5 ingénieux j ôc c'eft ainfi
qu'on achevé de peupler les fa-
milles &: les Etats de ftupides 6c
gens grolîîers. Mais des organes
auflî délicats que ceux d'un en-
fant qui revient de nourrice , ne
font pas toujours en état de ré-^
de nourrir leurs enfans, 301
iîfter au poids , au volume & aux
mauvaifes qualités d'alimens {{
mal aflortis. Il s'en forme de
mauvais fucs , indigeftes & pe-
fans , mal propres à fe laiiïer
broyer • &: le cœur tendre enco-
re & peu élaftique , les pouffe
avec peine. Ces fucs donc fe ral-
lentiffent , s^aigriflent , fe fer-
mentent & s*échaufFent : d'où
viennent les obftructions , les
fièvres , les convulfions , les
cours de ventre , ôc les vers qui
tourmentent fi fouvent les en-
fans.
Les foins empreffes d'une mè-
re afFeclionnée préviendroient la
plus grande partie de ces maux j
car rien n'honoroit tant autre-
fois une merc de famille , que
les foins du ménage. ^pndGrx^
cos , c^ mo:< a'^ud Romanos domejli»
eus Uhor ??ia.trondiîs fuit. ( a ) Rien
donc ne fiéroit mieux à des mè-
res que le foin de fevrer elles- .
( 4 ) Cohmll de re ruft, hiz.f. 407^
30 z De t olUgAÙon auic mères
mêmes leurs cnfans. Leur pré-
fence attircroit rattention des
femmes qu'elles employeroient
pour cela, &: Tam.our maternel
ëpargneroit bien des inconvé-
niens.
En efFct l'ancien ufage étoit
que les mères elles-mêmes fevrat
fent leurs enfans. Ce fut Sara qui
fevra (4) Ifaac ; Anne {h) ren-
dit ce bon office à Samuel , ôc il
y a apparence que la mère des
Machabées [c) qui avoit nourri
fon fils pendant trois ans , ne lui
manqua pas quand il fallut le
fevrer. C'étoit même alors une
cérémonie &: une fête domefti-
que : car on régaloit la famille
d'un feftin magnifique , comme
il eft marqué d'Abraham , qui fit
un grand feftin le jour qu'Ifaac
fut fevré. Fecit (d) Abraham gr an*
(a) Gen.c. ii. t^. 8.
(b) i.Reg. I. V, 22,.
( c ) z. Machab, cap. 7. V. a 7 •'
(■rf) Genef. c. 21. v. 8,
de nourrir leurs enfans, 3 03
dî convivium in die ablacîatio?iis
(Ifaac). Cette fête étoit encore
en ufage parmi les Sparthes , ( ^ )
qui l'appeiloient Tithenidia , Nu-
tricalia , &: elle fe paflbit dans la
joye & dans les feftins , oii en-
troient fîjr tout les cochons de
lait qu on avoit offerts en facri-
fice pour honorer cette fête.
Non feulement donc les mères
s*acquittoient elles-miêmes de ce
devoir , mais elles le faifoient
avec joye. C*eft qu'alors le luxe
& Toifiveté étoient bannis des
familles bien réglées ; & les fem-
mes comme les hommes , s'occu-
poientd*un honnête travail pour
s'entrefoulager. (b) Mais depuis
que les femmes non feulement fe
font défaccoutumées du travail ,
mais qu elles fe font fait hon-
{a) Laurent. Tolymath. 331.
( ^ ) Erat fwvma revrrentia cum concordiâ
ij diligentîâ mlfla , fiagrabatque mulkr pd-
cherrima dih'gentm amtiîaîione , Jîudere negotia
'uiri curâfuâ majora atquemeliora nddere Co-
luflisl. de re rufl. f. 107.
304 ^^ ï* obligation aux mères
neur de l'oifiveté ; les mères de
famille fe font occupées du lu-
xe , &: tout autre emploi leur a
paru indigne ou honteux. Ntmc
{ a ) fhrdquefic luxu ^ inertià dc^-
flutmt , ut m lanificii quidem eu*
ram fufcipert dignentur qtiam
oh caufam in totum non folum
exoluit 5 fèd etiam occidit njctus ille
matrum familias mos. Il ne faut
donc plus s'étonner, fi après avoir
méprifé l'occupation de nourrir
leurs enfans , elles ont dédaigné
le foin de les fevrer par elles-
mêmes. Car elles n'ont pu trou-
ver de honte à payer des fevreu-
fes après avoir loiié des nour-
rices.
Saint Clément d'Alexandrie
( h) apporte une autre raifon fort
naturelle de cette forte de fête ,
que l'on fe donnoit dans une fa-
mille ou on fevroit un enfant.
C'eft qu'une femme qui allaitoic
{«) Colum- K de reruJî.L 11, p. 10^,
(^•) Stromau 3«
yivoit
de nourrir leurs en fans. 305
vivoit pendant tout ce tems dans
la continence : le tems donc ve-
nu de fevrer l'enfant , étoit com-
me celui d'un remariage : le mari
&: la femme fembloient s'épou-
jfer de nouveau , ôc ce repas qu'on
faifoit à cette occafion , étoir
comme un feftin de noces. Les
parens fe réjoiiifToient encore
alors, parce que l'enfant étant
heureuiement parvenu à pou-
voir prendre des nourritures plus
folides , ils fe réjoiiiiroient dans
l'efpérance de le pouvoir confer-
ver long -tems. Par une raifon
femblable les Athéniens avoient
retenu l'ufage de faire un [a)
feftin ou repas de joye ^ quand
leurs enfans commençoient à en-
trer dans le monde {h) &: à vi-
vre en famille • 6c ce repas avoit
été précédé d'un autre ( c ) dans
le tems que le& dents a voient:
commencé à lui fortir.
( 4 ) Cureotis,
(b) Laurent. PolymAth.f. ^'^J\
(c) Odontia. ihid. Çc
30(5 De rohligdtiôn aux mères
On feroit aullî fcndble qu'a-
lors à ces fêtes domeftiques , fî
la coutume étoit encore de voir
les mercs alla ter leurs enfans;
mais leur manque de naturel à
cet égard eft la caufe d\in in-
convénient beaucoup plus fâ-
cheux : car de-là vient qu'il faut
fouvent fevrer les enfans avant
le tems : une nourrifle d'em-
prunt ne fe contraint point tou-
jours aiïez pour un nourriflon
étranger : le pancbant de fe re-
voir mère l'emporte , elle de-
vient grolTe. Alors on préfère de
fevrer l'enfant pour ne le plus
expofer à de femblables incon-
véniens. La difette , la mifere,
l'avarice en d'autres nourrices ,
ou qui ne peuvent s'accorder de
bons alimens , ou qui fe les é-
pargnent par ménage , abrègent
fouvent le tems dcftiné à allaiter
des enfens : or îa tendreffe d'une
mère pv'viendroir li plupart de
ces incoi.véniens. En effet, les
de nourrir leurs enfans. 307
mères d'autrefois ne fe lafToient
pas 4e nourrir leurs enfans des
années entières. Dans les pre-
miers fiécles du monde , lorlque
Ton vivoit plus long - tems , 6c
que l'enfance étoit plus longue,
elles ne fevroient les enfans qu a
cinq ans,&: c'eft l'âge oii l'on croit
que fut fevré Ifaac (4). Saint Jé-
rôme (h) prétend qu'on diffé-
roit quelquefois juiquà douze
ans : mais la cérémonie qu'on
pratiquoit pour les enfans de ce
dernier âge , n'étoit point pour
les fevrer du lait de leurs mères ,
mais en réjoiiiflance de ce qu'ils
fortoient d'enfance , ( ^ ) ôc qu'ils
devenoient hommes [d).
Dans la fuite on a ordinaire-
m.ent fevré les enfans à trois ans,
c'étoit Tufage du tems des Ma-
chabées. [e) Lac trïennio dedi ^
{a) s . Hieronym. q. in Genef,
(b) Ibid.
(c) Laurent. Volymath.f. "^11,
( d) Excedebant ex ephcbis,
(e) L.Machab.7'^7*
C c i j
3c8 De 1^ obligation aux mères
dit une mère à fon fils. Lafainte
femme Anne [a) ne voulut ame-
ner Samuel fon fils qu'après l'a-
voir fevré : or il fe trouva alors
en état de rendre quelque petit
fervice dans le Tabernacle \ [h)
Tuer autem erat minijler in conj^
pe&U' Domini ante faciem Hèli, Il
devoir être par conféquent âgé
au moins de trois ans. On voit
auffi dans l'Ecriture (c) qu'on
n'alîîgnoit rien pour la nourri-
ture des jeunes Prêtres & Lévi-
tes jufqu'à rage de trois ans :
ce qui pourroit faire croire [d)
qu'ilis étoient nourris jufqu'à cet
âge du lait de leurs mcres. De-
puis ce tems , les Rabbins ont
voulu que les femmes allaitât
fent leurs enfans pendant deux
ans 5 & c'eft le terme que l'Alcc-^
ran leur ordonne. (^) Elles n^
(^) i.Reg.i. zr. &c.
{b) Ibid,
(c) Paraîîf% 1,11. i6.
(d) Le P. Calmst , fur la Genefe , p. 4^4»
de neurrir leurs e^fans, ^o*^
les allaitèrent cependant depuis ,
fuivant robfervarion d'un Au-
teur {a) moderne , que pendant
un an • mais de manière que pen-
dant ce tems , l'enfant ne pre~
noit rien autre que le lait de fa
mère.
On ne donne guéres aujour-
d'hui à tctter plus îong-tems aux
cnfans : car peu demeurent en
nourrice au-delà de quinze ou
dix-huit mois ; mais fi cette me-
fure de tems eft la moindre qu'on
ait jamais accordée , 6c qui fuf-
fife à l'allaitement d'un enfant ,
à quels dangers ne fe trouvera-
t'il pas expofé, fi l'incontinen-
ce , la difette , ou PindifFérence
d'une nourrice, l'obligea être fe-
vré , &: à prendre une nourriture
trop folide avant le tems ?
L'Antiquité elle-même avoit
prévu cet inconvénient: elle a-
voit crû y remédier en confeil^
lant de ne donner à un nouveau^
( a ) Beîlon , obfcrvat .. /^ 3,. ^.- 1 1 . -
310 T>e l'obligation aux mères
fevré rien de folide , qui n'eut
été auparavant mâché par- la mè-
re. Les femmes Juives dans les
derniers fiécles , ( 4 ) étoient dans
cette pratique qu'elles tenoient
des anciens Grecs 5 ( é ) &: elle eft
enfin venue jufqu'à nous , puis-
que la plupart des nourrices ont
coutume de fe mettre dans la
bouche la boiiillie de leurs nour-
riffbns , ôc de la détremper de
leur falive.
Mais le remède eft pire que le
mal. On fçait le pouvoir ôc la
part qvi'a la falive dans la diges-
tion : elle eft le premier des dé-
layans , c'eft- à-dire , le premier
qui doit pénétrer êc fondre les
alimens , & leur donner comme
la première empreinte. Mais plus
la falive a de pouvoir pour avan-
cer la digeftion , quand elle eft
bien conditionnée , plus elle a
de force pour la corrompre ,
(iz) Bellon.obferv.l.'^.c» 11.
^b) Arijîof^h, equît, aCi»z,c»z»
de nourrir leurs enfans. 311
quand elle elt vicieiife. Mus ea
qui la concevoir moins loiiablc
ou plus altérée que dans des
femmes ordinairement indi^en-
tes , fou vent paiTionnées , quel-
quefois vicieufes , &: toujours
mal élevées ? car il ne faut pas s'y
tromper, la falive cft peut-être
une des caufes qui tranfmettent
le plus ordinairement aux nour-
riflons les maux &: les langueurs
qui les tourmentent , ôc qui jet-
tent en eux les fondem.ens d'une
fanté foible &: incertaine : &: de-
là fans doute leur viennent aullî
fouvent tant de m.auvaifes 5c de
fi baiFes inclinations.
Pour s'en perfuader , il ne faut
que comprendre que la falive eft
une lymphe mêlée de beaucoup
d'efprits , qui lui viennent de
tant de nerfs qui fe terminent
aux glandes falivales. Or ces
glandes étant auffi peu fenfibles
qu'elles le paroilTent dans les
opérations , n étant pas defti-
y ï i T^e Vohllgafîon aux mtrts
aées au mouvement , étant d'ail-
leurs autant favoureufes quel-
les le font dans les animaux'
qu'on maniée , ne peuvent avoir
d autre ulage que de" mêler les-
efprits à la lymphe qui s'y pré-
pare , & après cela il ne fera plus
difficile à comprendre comment
le défordre & les vices des ef-
prits , auiTi-bien que ceux div
fang ôc des autres liqueurs , paf-
fent du corps d'une nourrice^
dans celui d'un nourriffbn.
Mais quand il feroit prouvé ,
que la nourrice ou la fevreufe
feroit auffi fage &: auffi faine
qu'on veut bien le fuppofer, fa'
falive fera toujours un fort mau-
vais mets pour fon enfant;, & un'
di (loi vaut mal affbrti & dange-
reux pour lui. Car s'il eft vrai
que la produftion de l'efprit ani-
mal & de la lymphe , eft le ter-
me & la fin de toutes les digef-
cions qui fe font dans nos corps,
ces liqueurs doivent être auflî>
difpro-
de nourrir leurs enfans. 313
difproportionnces dans celui
d'un nourriflon & dans celui de
fa nourrice , que la force 6c le
reffbrt qui les préparent dans
fun & dans Tautre font difFé-
rens. Comparez à préfent la for^
ce du cœur , des artères 6c des
mufcles dans un adulte ,. avec la
force de ces organes dans un
nourriiTon , 6c les efl-ecs qui doi-
vent s'enfaivre : on comprendra
qu'autant que les liqueurs dansr
l'adulte feront vives & animées ,
autant celles d'un nourriiTon fe-
ront molles êc laiteufes. Ce fe-
ront donc des fucs mutins & fer-
me ntatif s 5 qu'on fera paffer du
corps de la nourrice dans celui
de Tenfant , c'eft-à-dire , des fe-
mences de mille infirmités j car
par ce moyen on porte dans le
corps d'un enfant le vice &: le
trouble dans la première coc-
tion : vice qui ne peut fe re£ti-
fier dans les autres.
Outre donc qu'il eft très-dan-
Dd
^IJ^ De r obligation aux mer es ^ &€",
gereux de faire pafler un nour-
rifTon des mains d*ane nourrice
en celles des fevreufes , il fera
pernicieux de le faire , fi Tenfant
n'a pas tiré fa nourrice aflez long-
tems 5 & s'il eft indifpenfable-
ment ncceflaire de le fevrer ,
il faudroit en ce cas des foins
plus tendres 6c des attentions
plus vives que ne font celles des
fevreufes. Rien donc n'en dé-
couvre ^\ bien les inconvénient
ôc les abus.
Fin du fécond Traité.
Q U^ STIO
M E D I C A.
Ddij
QU.ESTIO
M E D I C A-
'An Prolem laSiare Matribut
faluberrimum l
L
Emïka non tàm fibi 5 =
quàm procreandis edu-
candifque liberis nata.
Vix diim bis feptem
complevic annos , hanc mox fo-
re viro maturam pr^nuntianc
mammx fororiantes 5 lumborum
gravitas , dolor coxendicum ,
ipontanea artuum laffitudo , ci-
borum faftidium. Hxc fympto-
mata brcvi fugat manans ex ute-
ro fanguis , puellamque toro
prorsiishabilemefficit. Menftruâ
Ddiij
3î8 ^u^Jtfltû MedîcA.
quâque periodo , pari ftîpatus
comiratu , effluit redundans hu-
mor fanguineus , donec utero
gerat mvilier ; tune ut plurimùm
cédant Menftrua , humorem fu-
perffaum matrique inutilem in
fui nutrimentum abfumente foe-
tu.' At parum effet naturam non
nato infanti providiiïe, nifi ôc
adhuc à matre recentis mollitu-
dini accommodatum paraflTet pa-
bulum } illud eft mammaruni
jnunus. Ut primùm è carccre
maternoin auras prodiit tenel-
lus homuncio , protiniis non jam
diftenta amplius utcri fornix
conftringi , vafa ipfum alluen-
tia ad nativam redire diame-
trum y contenti humores , hinc
Lochiorum nomine foras emit-
ti , illinc rétro converfi vicina
latè loca diftendere , turgefcere
uberiori fanguinis copia arteria^
Epigaftricx , appelleuti per fibi
copulatas Mammariarum in ter-
narum ramificatioues fangiiini
An Vrôlem lacîare , ^c. 3 i c;
fôrtiùs refiftere , ille per ramos
ipfimet mammarum fubftantix
f)rofpicientes ferri copiofîùs , il-
os ampliare , mammx hinc do-
1ère & intumefcere , hinc lac*
teus humor à fanguine feparari,
primis à partii dicbiis dilutior ,
fpiffior deinceps evafurus , cum
fenfim fine fenfu laxata mam-
marum compage , fpafinus 6c
dolor remiferint , ampliorefque
c?.(q.oÇis 5c butyrofis partibus pa-
tebunc vix. Lac rali iecretnm ar-
tificio quantum puerulo convc-
niens eft alimcntum, tantiim ma-
rri omninb eft inutile, quin etiam
ejufdem fanitati infenfiffimum ,
nifi câdem emulgeatur, quâ fc-
cernitur proportione. Candidos
igitur latices tcnero vagitu effla-
gitanti puero furdas ne prxbeat
aures mater puerpera , ipfam pu-
deat , à feris fylvcftribus mater-
no in natos amore fuperari. At
fi , vcl feris ipfis feriorem , nulla
proprix prolis tangat cura , fibi-
b d iiij
320 ^Ufflio Me die a.
met ipfi faltem confulat. Ociits
infantulo fugendos denudet lac-
tei roris eburneos fontes , fîr-
miorem indè fibi certo cornpa-
ratura fanitatem» Illud enim fa-
luberrimum effe nullus infîcias
ibit, cujusbenencio, foras aman-
datur humor materno corpori
inutilis , qui tum in vafis excre-
toriis commorando , tum ad maf-
fam fanguineam revertendo ,
morbis curatu difficillimis darec
occafîonem.
IL
EA eft Iinmani corporis ftruc-
tura , ut neceflitate quâdam
mechanicâ , varii è fanguinis finu
fecernantur humores. Illorum
ad fervandam valetudinem ma-
xima militas. Si quâcunque de
causa debitis in locis feparari c^Ç-
faverint, numerofa ftatim pr^t
to eft segritudinum cohors. Num
çrethifmo laborat glandulofa re-
num fubftantia ? haud mora mu-
An Frolcm laôîare , ^c, 311:
riatico humore inquinatus fan-
gais totum genus membrana-
ceum faliitudine fuâ pungit ,
vellicat , inordinatos trahit in
mottis , urinam redolentia asger
vomitu rcjicit , délirât, convul-
fionibus Uiiiverfum quatitiir cor-
pus , mors tandem fuccedit mi-
Icrrim.a , nifî artis benefîcentif-
fimx auxilio , urinas per renum
colatotia reftituatur fecretio.
Num obftruclis quoquo modo ,
tendentibus ad hepar vense por-
tarum ramificationibus , bilis im-
peditur feparatio ? ^eger faftidic
cibos , ingefta maie concoquit.
AIvus ficcefcit , os amarefcit ,
lotium croceo colore infectum
redditur , Erefîpelate , aut etiam
Phlegmone fœdatur cutis. Adeo
mafHe fanguinea^ permiftos re-
manere varios humores pericu-
lofum ! nec minora fanitati im-
minent damna , ubi ex aliorum
confortio extricatus humor qui-
Jibet ( negato exitu ) propriis ha:-
511 ^^jt/liû MedtCd.
ret in conceptaculis , vel indè à
vafîs lymphaticis exfugitur aJ
fanguiiicm clerc rendus. Qaoties
ab intempeftivâ perfpirationis
infenflbjlis fbppreilîone , fsevif-
fîmis Rheumatifmi doloribas ,
torque ntur membra , atrociiîî-
mis Podagrx cruciatibus dive-
xantur articuli ? Quot ab eadem
causa repetendx Pleuritides , Pe-
ripnermonix , Diarrhex,'febres
cacharrhales 5 Anginx , Ophtal-
mie ? Quot ;?egros tumulavit la-
tex urinofiis , in corpore reten-
tus aut à veficx Paralyfi , aut ab
ejufdem fphincteris contraitio-
xie fpafniodica, vel etiam à cal-
eulo ureteris viam claudentc ?
Quantas fxpè parit tragœdias,
in jecore fecreta bilis , liberum
per ductus hepaticos iter non
inveniens ? Quin &; ipfarum fe-
cum in inteftinis rémora gravif-
fimos nonnunquàm efficit mor-
bos , haemorrhagiâs , vcrtigines ,
hemicranias , dolores colicos ,
An Prolem Liclare , é'C, 3 1 ^
pafllonem iliacam. Numquid
non à fupprdiîs menlîbus funef-
tiflima pullulant aliquando qux
muliercs adoriuncur mala , lix-
moptyfis , voinitus cruentus ,
hyftcrica paiîîo , comatofi afFec-
tus , convulfiones , cordis palpi-
tatio ? numquid impeditus in.
puerperis Lochiorum fluxus ,
Apoplexias quandoque non pro-
ducic lethiferas , cruielia ven-
tris termina , immancs Cardial-
gias , uteri innammationem ,
aliaque horrenda gencris ejuf-
dem fymptomata. Quifquis igi-
tur tranquillos abfque dolore
foies condcre expetit , inftitu-
tani à naturâ variis in organis
humorum feparationem feriari
non finat ; hanc convenienti fex
rerum non naturalium ufu pro-
moveat ; grande credat piacu-
lum, fecreti cujuflibet humo-
ris ab organo fecrctorio effla-
xum omni opéra non adjuvafTe ,
illuique habeat tanquam caafa.
3'i4' ^Uji^Jiio Medïcd.^
plurium morborum frequentii!H=-
ma , quos prxcavere longé faci-
liùs eft quàm cxpugnare.
QUemadmodum à fecundo
ad fcptimum ufque circi-
LcjL cCtatis feptenarium ^ men-
/îum fluxu carere tuto nequit
femina non prasgnans , ita 6c
matrem impunè ab infantnm
nutricatîone difcedere difficilli»
mum eft, Eadem lactis quxCa-
tamenioram materia, qu^ lac-
tant mulieres per uterum non
repurgantur 5 id faltem raro con-
tingit. Uterque humor in cor-
pore muliebri fuperfluus. Illius
egeftio ab uteri peculiari fabricâ
pendet , alteriusab infantis fuc-
ru perfîcitur, Quot 6c quantos
matri impendentes avcrtat mor-
bos ab cjus uberc pendens pue-
rulus, oftendit natura laclis ac-
tsntiiis confiderata. Triplex^ lac
"AnTrùUm îacîare\ &c. 32-^
conftituit fubftantia , aquea, &
ferum audit ; falino terrea ca-
feum dicunt 5 oleofa tandem ,
qux butyrum nuncupatur. Quiè-
te diuturniori fecedunt ab invi-
cem heterogeneahaec lactis prin-
cipia. In excretoriis mammarum
îion lactantium tubulis quiefcit
lac. Quid inde ? triplicem refol-
vitur in fiibftantiam. Oleofa fî-
bimet permifla acris fît ôc ran-
cida , continentia vafa ftimulat ,
erodit; tum vaforum lymphati-
coFum ope ^numerofa in mam-
mis reperiuntur) ad fanguinem
revecla , motuque circulari ab-
repta , accenditur , seftuat , alios
humores exagitat , febres parit
inflammatorias. Aqnea pars ut-
pote fluidior , maflam fangui-
neam rursiis ingreditur , per re-
ines amandanda , quandoquè fub
feri tenuioris forma papillis exir.
Quid intérim de çaleosâ parte ?
ferô in dies fpoliata , crafiefcit,
induratur , in tubulis Galaclo-
51^ .^dtfiip Medica.
phoris c-oa^eritur , gypfeam ar^
niulatur foliditatem , uno verbo
in fcitThum dégénérât , hinc vi-
cina comprimuntur vafa fangui-
fera, hinc impedica in mammis
circulatio , hinc inflammatio ,
fuppuratio , cancer cxulceratus
letho fepiflîmè finiendus. Qub
nuis humor à fanguinc fcparan-
aw^ ^ circulation! minus idoneis
&: craflioribus confkat partibus ,
eo intra fanguinis maflam hune
retineri periculofummagis. Ta-
lem effe lactis indolem perfe pa-
tens eft. Quantis itaque xgritu-
dinibus non lacftantes feminas
p!e£ti neceffum eft ? prxterquàm
^ubd fuperfluo ac inutili humo-
re non liberantur , ficque ipfîs
inetuendi funt quotquot à ple-
thora natales ducunt morSi , ille
eft infuper laclis genius , ut fa-
cillimè fpiflefcat & grumos agat;
plethorx igitur adjunget fe co-
mitem Cacochymia. Qualis por-
xh Cacochymia: ipecics ? cœnofa
J'/j Prolem laclare , d^c. ^ij
& lutulenta humornm Diathe-
fis , flniditatis inimica. Lacteo
humore luxurians fanguis , om-
nes vitiabit fccrctiones , ha^rebic
in câpillaribns , mille pariet ob-
ftructiones mox daturas proge-
niem vitiofiorem,
IV,
HA c T E N u s rationc ftabi-
litam de noxis ab efFufo
( ut vocant ) lactc fententiam ,
heu frequens nimiiim ! ulteriiis
confirmât expcrientia. Decum-
bentes à partu adeamus non lac-
tantes puerperas, Dictu horren-
dum , qnàm multa , quàm criidc-
lia , quàm pertinacia , ipfas un-
diquè circumveniant incommo-
da ! Modo vultum occupât Ery-
fipelas , indè tumet faciès dolet-
quc, fcintillant oculi , pulfant
tempora , lancinans adcft capitis
dolor , totidem retenti intra mo-
iem fan2:uineam ladei humoriç
328 .^Ajîio Medica.
partus infelices. Modo lympha
lentior facla , hic ôc illic moras
nectitj cumulatur in glandulis ,
tumores gignit duriflîmos , Pa-
rotides , ftrumas, fcirros. Modo
impatibilcs non lactantium fe-
mora diftrahunt dolores , ingenf-
que medentibus facefTunt nego-
tium. Alias incarceratum in ma-
rris corpore recens nati alimen-
tum prx calore -expanditur , fe-
brcfquc accendit varii generis ,
quas inter exanthematicx oni-
nes , prxferrim qux purpurata
dicitur , five rubra fit Purpura ,
fîve alba , magnoperè pcrrimef-
cendx. Clinicis notifîîmum eft
lacteum fuccum palTim per vifl
cera bc artus vagantem , abfcef-
fus aIiqua,ndo gêner are perica-
Tofiffimos non nifi ferro debel-
landos , quibus in fpeciem fana-
tis 5 alii non deficiunt pari artc
oppugnandi , fepiufque cum pa-
ri flicceffli. Nonnunquàm abin-
gratâ matre pœn:is repofcit pieu-
An Trolem Uciare , &c, -i^ic^
ricis graviffima , illamve ex-
haurit fluens al vus , confodit
penè y atrox inteftinorum in-
Hammatio molefta angit fuffoca-
tio. Quandoquè ipfius lactis affî-
ciuntur receptacula , quibufqiie
deliquit 5 in iifdem potilîîmum-
partibus maltatur parens inhu-
mana, mammas varii infeftant
tumores , ulcéra deturpant , can-
cri excedunt. Eft &: ubi in mali
partem trahitur utérus , taboque
& fanie diffluit humani generis
officina. Hse funt quas fecum
Galliis intulit peftes , prolcm
non lactandi mos peffimus. Tôt
procellis jactatam non vivunt
vitam illarum regionum mulie-
res , apud quas naturam feqtien-
di duccm maxima religio , vetat
infantes conduclitiis mammis
alcndos traderc.
E c
330 ^.ejllo Me die a.
V.
AT T A M E N , înquies , mili-
ta: funt non lâchantes femi-
nx qUcT optima friiuntur valetu-
dine. Qiiid ad nos ? Il parta ire-
qucntilTimo fatifcant tandem i!-
larum vires , folidorumque fran-
gatur Elater , un de proies nii-
merofa quidem fed debilis , ut-
potè infirmo in corpore genara-
ta. Ha:c vitant incommoda qux
prolem nutriunt ma très. Ita
enim eft ftatutum à naturâ , ut
Veneris prxmla rarillimè feranc
nutrices. Uterum agro non i-
neptè comparaveris , non fecus
ac agri interpo fi ta quiète non re-
parari , elTœti fiunt , raramque
emittunt fegetem , utérus pari-
ter non intormiiro partu exhauf-
tus , concreditum fibi , malè edu-
cat hominis germen. Quandiu
lactat mulier, amilTum utérus ré-
cupérât tonum novafque accipit
An Trolem Uclare , é^c. 331
vires, ut pulchrâ fanâque proie
rursLis beec parentes. Procul hinc
malefana quorumdam coiifîlia ,
qui fexui f haud diibiè colcndif-
iimo ) blaadiendo nimis, ipfum
crudeliter enecant. Quidmolef-
tius iaquiunt quàm clamores in-
ter 6c ejulatus infantis , vitam
tr aller e ? Qiiid txdiofum magis
quàm puerulum uliiis continen-
ter geftare , ipfiufque ad or a
papillas identidem admovere,
E^reria. profecto difficultas î
Quali vero huic quoque rei ma-
xime fubventum non effet à na-
turâ. Hcxc quippe tantam ma-
ternis animis in natos caritatem
infevit , ut quicquid prolis cau-
sa fufceperint , nedum cuni tx-
dio 6c moleftiâ , quin etiam in-
credibili cum gaudio illud a^-
grediantur : imo vifx funt pri-
miparx quas ex avulsâ proie ,
alienis uberibus nutricndâ mœ-
ror extulit inconfolabilis. Sed
dicanc viciffim, num fatius eft
Eeij
33^ c^^i^ Medica.
torqueri morbis periculofiflimis ?
Num gravia funt miniis geftatio-
nis incommoda , cibi faftidium ^
Pica , Malacia, abfurdorum ap-
petitus 5 Cardialgia , Naufea ,
Vomitus, Strangurla, Dyfiiria,
Tenefmais ; Hxmorrhoïdes ;, cru-
rum inflatîo & indè fiibfequens
difficilis progreffio ? Veriim in-
furgunt alii , adfunt rationes
quibus prxcaveantiir nox^ ab
efllifo lacle oriundx ^ aut etiam
ejufdcm impediatur effufio. Fe-
licem utinam fortirentur efrec-
tiim tôt adhiberi folitx in non
laclantium morbis , evacnatio-
nes omnis generis. Prxterea non-
ne iniipientis eft morbum etiam
curatu facillimnm coiifulto ad-
mififle , qui faciliimo declinari
potcrat negotio ? Ergo canibus
ultro offerent mammas mulie-
res , qiias infantibus deneo;a-
runt? talia memmille norret ani-
mus. Urges adhuc , debilioris
iunt temperamenti urbanx ma^
An Prolem laclare y drc» 335
trcs quàm ut illxsâ fanitate tan-
tam perferre valeant evacuatio-
nem , qiiantam folent cxpcriri
lactanres ; compertum enim eft
experientià nutriccs quafdani
duas laclis libras quotidie émit-
cere. Apage erroncam opinio-
nem , débilitas illa non aliundè
provenir, quàm ex eo quod ma-
terna non fuxcrunt ubera , fcd
6c ipfi optimè mxdetur infantum
nutricatio ; hujus enim ope fo-
ras emittirur humor qui mole
îuâ gravaret partes , huic oneri
ferendo prx fuâ molUtie impa-
res ; 6c id adeo verum cft , ut in-
ter- femînas non laccantes , illx
graviiis cegrotent qua: vitreâ , ut:
ita dicam , donanturvaletudine,
Malâ igitur non ampliùs utan-
tur matres confuetudine , eoque
majora fibi ex prolis laclatu fpon-
deant emolumenta , quod dùm
eas nutriendi infantes cura te-
net, nec menfis opiparis accum-
bendi, née in feram noclemcœ-
334 jQji^^eJIio Medica, ç^'C.
nas protrahendi tempus fupç-
reft , ficque permultas morbo-
rnm effugienc occaiianes. Quid
plura ? Concludamus.
Ergo Frolc?n lacîare Matrihus
faluhtrrïmum.
33y
•|AAAAAA&#>«^;tA4.A .\AAAA.t.AA44;AA->4.v>
QUESTION
D E
MEDECINE-
La famé des mères demande^
felle qu'elles f oient elles-mê^
mes jSourrices de leurs en-
fans \
L
LE s femmes ne font pas
tant faites pour elles-mê-
mes y que pour donner au
Monde 6c élever des enfans, A
peine ont-elles quatorze ans ac-
complis , que leurs mammelles
qui s'enflent , la pefanteur des
reins, la douleur des hanches ,
une lafîitude qui vient d'elle-
même dans les membres , 6c le
f<
53^ cS^^ifiion de Médecine.
dégoût des, alimens , annoncent
qu'elles feront bientôt nubiles.-
Le fang qui coule de la matrice
fait bientôt difparoître ces fimp-
tomes , 6c rend les filles maria-
blés. Cet écoulement de fang
furabondant revient tous les
mois accompagné des mêmes
fymp tomes , jufqu à ce qu'elles
foient groffes. Alors ccflent le
lus fouvent les mois ou régies ,
e fang fuperflu ôc inutile à la
mère fervant à la nourriture du
fœtus. Mais ce ne feroit pas
allez que la nature eut ainfi
pourvu à la fubfiftance de l'en-
fant , avant qu'il foit né , fi elle
ne lui préparoit encore par la
mère un aliment accommodé à
la délicateffe de fes organes dans
les premiers tems de fa naiflLan-
ce, c'eft ce que font les mam-
melles. D'abord que l'enfant efi:
forti de la prifon maternelle ,
pour yenir à la lumière , la ma-
trice n'étant plus tendue , fe ré-
trécit ;
Lafanté des mères , é'c 337
trécit ; les vaiffeaux qui y por-
tent les humeurs reprennent
leur diamètre naturel j les hu-
meurs qu elle contient , d\in cô-
té coulent dehors fous le nom
de vuidanges , êc de l'autre re-
tournant , elles dilatent ce qui
fe trouve proche j la grande
quantité de fang qui ne peut
plus aller à la matrice , fait en-
fler les artères épigaftriques , les-
quelles réfiftentavec plus de for-
ce au fang qui vient par la com-
munication qu'elles ont avec les
artères mammaires ; le fang eft
porté avec plus d'abondance
dans les ramifications internes
qui font pour la nourriture des
mammelles , il les grofTitj delà
la douleur fe fait fentir aux
mammelles qui s'enflent aufîi ;
delà il fe fépare du fang un fuc
laiteux fort liquide les premiers
jours qui fuivent l'accouche-
ment, &: plus épais dans la fui-
te, jufqu'à ce que le tfl^i des
F f
3 3 s S^ejlion de Medexlne,
Tnammelles s'étant relâché infeii-
iîblement , le fpafme &: la dou-
leur foient rallentis 5 &: que les
diamètres devenu plus grands,
laiffcnt pafler les parties cafeu-
fes & butyreufes. Autant le lait,
dont la réparation fe fait par
ce mécanifme , eft inutile ôc mê-
me nuifible à la mère , fî on ne
le tire à la même quantité à la-
quelle il eft féparé de la mafle
du fang , autant il eft un ali-
ment utile à Penfant. Qu'une
mère ne refufe donc pas de don-
ner à tetter à fon enfant nou-
vellement né , qui le lui deman-r
de en pleurant ^ qu'elle ait honte
de voir que les bêtes féroces des
forêts ayent plus de tendrefle
pour leurs petits qu'elle n'en a.
Mais i\ plus féroce que ces bêtes
mêmes , elle ne fe foucie pas de
{es propres enfans , q u'elle foit
du moins touchée de ce qui la
regarde ; qu'elle découvre fou
fein pour donner à tetter à foa
La fantédes mer es , ^c, 3 3 a>
enfant , dans la certitude de ren-
dre par là fa fan té plus forte.
On ne fçauroit nier que cela ne
foit très-nécefîajre pour la fan-
té , quand on confidérera qu'on
met par là hors du corps aune
merc une humeur inutile , qui ,
foit en reftant dans les vaifleaux
excrétoires , foit en rentrant
dans la maffe du fang , occafion-
neroit des maladies très-diffici-
ks à euérir,
^ IL
LA ftnicture du corps humain
eft telle que par une certaine
îiécelfité mécanique , il fe fé-
pare du fang différentes hu-
meurs , dont l'utilité eft très-
grande pour la confervation de
la fanté ; fi par quelque caufc
que ce foit la fécrétion cefle de
s'en faire dans les lieux deftinés
à cet ufagc , il paroît auffi-tôc
nne infinité de maladies. Y a-t'il
de rérétiime , par exemple , dans
Ffij
3 4^ ,^ueJiion de Médecine,
la fubftance glanduleufe des
reins ? fur le champ le fang alté-
ré par une humeur falée, piquo-
te par fes fels toutes les mcm^"
branes des vaiiTcaux , caufe des
mouvemens déréglés ; le malade
rend par les vomifTemens des
matières xqui Tentent Turine ^
tombe en délire , tout fon corps
cft agité de convulfions ; il fuit
^enfîn la mort , à moins qu'on
ne rétablifle les fécrétions dans
les vaifTeaux tranfcolateurs des
reins. De quelque manière qu'il
ie foit formé obftruckion dans
les ramifications de la veine ,
portes qui vont au foye , la fé-
crétion de la bile eft empêchée ,
le malade a du dégoût pour le
manger ^ ce qu'il prend fe digère
mal 5 le ventre devient fec , la
bouche amere , l'urine de cou-
leur de fafFran , la peau fe cou-
vre d'éréfypéles , êc même de
phlegmons; tant il eft dange-
reux qu'il reftc différentes hu-
Lofante des mères y ^ç, 341
meurs mêlées dans la mafle dit
fang 5 & la fanté ne foiifFre pas
moins fitôt que qiielqu'humeuir
que ce foit , refte féparée des au-
tres dans fes propres réfervoirs >
fans en pouvoir forcir , où eft
fiompée delà par les vaifleaux
ymphatiques pour être portée
dans le fang. Combien de fois
n'eft-on pas tourmenté de très-
cruels rhumatifmes , ou des dou-
leurs très-cuifantes de la goutte,
par la fuppreflion de la tranfpi-
ration infenfible ? Combien de
pleuréiîes , de péripncumonies ^.
de diarrhées , de fièvres avec ca-
tharre , d'efquinancies , d'oph--
talmies ne viennenr pas de la
même caufe ? Combien de ma-
lades ne font pas morts de ré-
tention d'urine , foit par la para-
lyfie de la veffie , foit par la con^
traction fpafmodique du fphinc-
ter, foit par la pierre qui en em-
pêche la fortie? Quelles tragé-
dies ne fait pas fouvcnt la bile
Ffiij
3 4 i ^u^ejîion de Médecine.
feparée dans le foye , ne trou-
vant pas d'ifTuë par les conduits
hépatiques ? Les matières féca-
les mêmes retenues dans les in-
teftins , caufent fou vent des ma-
ladies très-confidérables^ des hé-
morrhagies , des migraines , des
vertiges , des coliques , la paflion
iliaque. Ne vient-il pas auffi aux
femmes des maux très-funeftes
de la fiippreflîon de leurs régies ,
des crachemens Se des vomifle-
mens de fang , la paiîîon hyftéri-
que 5 des aiîetlions foporcufes ,
des convulfions , des palpita-
tions de cœur? L'écoulement des
vuidanges arrêté dans les fem-
mes accouchées , ne produit-il
pas quelquefois des apoplexies
mortelles , des trenchées cruelles
dans le ventre , des cardialgies
afFreufes , des inflammations de
matrice , &: d'horribles fymptô-
mes decette forte ? Si Ton veut
paiTer des jours fans douleurs , il
faut donc faire enforte que les
La pinte des mères, é'c. 343
fécrétions que la iiature fait dans
les organes deftinés à cet ufage ,
ne foient pas empêchées j il faut
les aider par les ufages des diffé-
rentes chofcs non naturelles; fe
faire un crime de ne pas les ai-
der , ôc croire qvie c'cft là la eau-
fe d^rne infinité de maladies
qu'il eft bien plus facile de pré-
venir , que de guérir»
1 1 L
S 'Il y a du danger à une fem-
me de ne pas avoir fes régies
depuis quatorze ans jufqu'à qua-
rante-neuf, à moins qu'elle ne
foit enceinte , il cft très-difficile
qu'il n'y en ait pas auffi pour une
mère qui n'allaite pas. Les fem-
mes qui allaitent n'ont pas leurs
ré2;Ics , il eft du moins très-rare
qu'elles les ayent j ces deux hu-
meurs viennent du fuperflu qui
fe trouve dans le corps des fem-
mes. L'écoulement des mois dé-
F f iiij
3 44 ^t^^fl'ton de Médecine.
pend d'une ftructure particuliè-
re de la matrice • celui du lait fe
fait par Penfant qui tette. La na-
ture du lait , confidëré avec atten-
tion , nous fait connoître quel-
le eft la multitude 6c le danger
des maladies qu'évite à une mère
l'enfant qu'elle allaite. Le lait
contient trois fortes de fubftan-
ces ; la première qux)n nomme
petit lait; la féconde terreufe >
appcUée fromage ; 6c la troifiéme
Jiuileufe , connue fous le nom
de beurre. Quand le lait repofe
long-tems, ces trois principes
s'y féparent. Le lait le repofe
dans les tuyaux des vaifleaux
excrétoires des mammelles qu'on
ne tette pas : qu'en arrive -t'il?
il s*y réfoud en fes trois princi-
pes. La partie huileufc féparée,
devient acre &: rance , pique les
vaifTeaux dans lefquels elle fe
prouve , les corrode ; enfuite re-
tortée dans le fang par les vaif-
feaux lymphatiques qui fe trou-
La Jante des mères , drc. 345
vent en grand nombre dans les
mammelles , ôc emportée par le
mouvement de la circulation ,
elle s'échaufFe , agite les autres
humeurs , produit des fièvres in-
flammatoires : la partie aqueufe ,
comme plus fluide , rentre dans
la mafl^e du fang pour être em-
portée par les urines , ôc quel-
quefois fort par les mamme-
lons , fous la forme de petit lait
très-atténué. Que devient la par-
tie caféeufe ? De jour en jour
dépouillée de plus en plus de fon
phlegme , elle s'épaiiTit , fe dur-
cit y s'amalTe en dépôt dans les
conduits laiteux , devient auffi
folide que du plâtre , dégénère
en fquir , d^ou les vaifîeaux fan-
guins font comprimés , la circu-
lation empêchée dans les mam-
melles , ce qui caufe inflamma-
tion , fuppuration , cancer , ul-
cère, qui finit par la mort. Plus
une humeur qui doit fe féparer
du fang 5 cft eompofée de par-
34^ J^f/?/^;; de Médecine,
tics groflîeres ô£ qui ne font pas
propres pour la circulation , plus
il eft dangereux qu'elle foit rete-
nue dans la maiTe du fang. Il eft
évident que le lait eft de cette
nature. De combien de maîadies
ne feront donc point accablées
les femmes qui ne nonrriffcnt
pas d'enfans ? Outre qu elles ne
font pas délivrées d'une humeur
inutile, êc par là fujcttes à tou-
tes les maladies qui viennent de
la pléthore , le lait s'épaiffit ôc
grumele facillement ; la caco-
chymie accompagnera donc la
pléthore. Mais quelle forte de
cacochymie ? Une difpofition
boueufe dans les humeurs , qui
leur ôtela fluidité; un fans;, qui
regorgeant d'une humeur laiteu-
fe , rendra toutes les fécrétions
défeftucufes , s'arrêtera dans les
vailîeaux capillaires , eau fera
mille obftruclions , qui feront
fuivies de maille autres maux en-
core plus grands^
Lafantédesmcres y &c, 347
IV.
NO u s venons d'établir par
Ja raifon , ce que nous pen-
lons du lait répandu , pour me
fervir de Texpreflion ordinaire.
Mais hélas ! Texpérience en con-
firme bien davantage. Voyons
les femmes accouchées qui n'al-
laitent pas. La penfée feule don-
ne de Thorreur : de combien
d'incommodités cruelles & opi-
niâtres ne font- elles pas envi-
ronnées ? Tantôt un éréfypclc
leur couvre le vifage , d'où il
s'enfle & leur caufe de la dou-
leur j leurs yeux font comme
éteincelans ^ les artères tempo-
rales battent avec force ; elles
ont un mal de tête qui fcmble la
leur déchirer : ce font autant
d'efFets affreux du lait retenu
dans la mafTe du fang. Tantôt la
lymphe devenu trop lente , s'ar-
rête en difFérens endroits , s'ac-
; 48 ^iejlion de Médedne,
cumule dans les glandes , pro-
duit des tumeurs très-dures , des
f carotides , des écrouelles , des
quirs. Tantôt , celles qui ne
nourriflent pas , fentcnt des dou-
Ijeurs infupportables dans les
jambes , qui donnent bien de
l'embarras aux Médecins. D'au-
tres fois l'aliment de l'enfant
nouvellement né , renfermé dans
le corps de la mère , fe répand
par la chaleur , caufe des fièvres
de différentes fortes, entre les-
quelles fe trouvent toutes les
fièvres accompagnées d'ébulli-
tions , fur tout la fièvre pour-
preufe , foit le pourpre rouge ,
ibit le pourpre blanc , qui font
très-fort à craindre. C'eft une
chofe très-connuë de ceux qui
pratiquent la Médecine , que le
fuc laiteux porté en différens
endroits dans lesvifcercs , y pro-
duit des abfcès très-dano-ercux ;,
qui ne peuvent être guéris qu e-
tant extirpés par la main aua
La fdnté des mères , &<:. 34^
Chirurgien \ 6c qui étant guéris
en apparence , font fuivis d'au-
tres pour lefquels il faut em-
ployer le même remède, avec un
fuccès qui n'a pas plus de durée.
Quelquefois les mères font pu-
nis de leur peu de tendrefTe, par
des pleuréfies très - confîdéra-
bles j quelquefois elles font épui-
fées par des diarrhées , tourmen-
tées par des inflammations d'in-
teftins affreufes , ou par des
étoufFemens fort incommodes.
Tantôt ce font les réfcrvoirs du
lait qui font attaqués , & les
mères inhumaines font principa-
lement punies dans la partie où
elles ont fait fautes. Les mam-
melles font infectées de diverfes
tumeurs , rongées d'ulcères ôc
de cancers. Quelquefois la ma-
trice a fa part de c^s maux , ôc
Ton voit couler le pus de ce labo-
ratoire du genre humain. Voilà
les maux qu'a apporté en Fran-
ce cet ufage pernicieux des me-
3 50 ^iiejîîon de Médecine,
res de ne pas allaiter leurs en-
fans. Les Femmes des pays où la
plus grande Religion étant de
luivre la nature , défend d'avoir
des nourrices à gages^n y fontpas
cxpofées.
V.
^T Eanmoins , dira-t'on , il y a
\ des femmes qui jouifFeat
d'une parfaire fanté, quoiqu'elles
n'allaitent pas. Qu eft - ce que
cela fait contre nous ? Si leurs
forces font à la fin épuifées par
de trop fréquens accouche-
mens , & que les folides perdent
en elles leur rcffbrt tellement ,
qu'elles ont une famille nom-
breufe, il eft vrai, mais foible,
comme venant d'une mère infir-
me. Les mères qui allaitent ne
foufFrent pas ces incommodités:
car c'eft une Loi de la nature
que les femmes qui nourriflent,
deviennent très - rarement en-
ceintes. On peut comparer la
L a fanté des mer es , drc 351
inatrice à une terre. Comme les
terres qu'on ne laiiTe pas repofer
s'épiiifent &c produifent peu ,
de même les femmes étant tous
les ans grofTes fans interruption,
la matrice nourrit mai fon fruit.
Pendant qu'une femme allaite ,
cet organe reprend fon tout, dc
répare fes forces perdues pour
donner à la famille de beaux en-
fans , èc d'une forte complexion.
Loin d'ici les mauvais confeils de
ceux qui voulant ménager un
fexe, pour lequel en effet on doit
avoir de très - grands é^^ards ,
le font mourir. Quy-t-'il déplus
incommode , difent-ils , que de
pafler fa vie à entendre crier &
pleurer des enfans ? Qu'y-a-t*ii
déplus ennuyeux que de porter
continuellement un enfant en
maillot dans fcs bras , & de le
baifer.à tout moment? Voilà
un grand inconvénient, comme
fila nature n avoir pas pourvu à
5 5 i ^w^ton de Médecene.
cela ; car elle a donné aux mcres
une telle tendrefle pour leurs
enfans , quelles trouvent un
plaifîr incroyable dans tout ce
qu elles font pour eux , bien loin
d'y reflentir du dégoût ôc de la
peine. Bien plus , on a vu des
femmes mourir de chagrin de ce
qu'on leur avoir enlevé le pre-
mier enfant qu'elles avoient eu
pour le faire nourrir par d'autres«
Mais je leur demanderai récipro-
quement s'il vaut bien mieux
être expofé à des maladies très-
dangereufes , qu'aux préten-
dues incommodités defquelles
je viens de faire le détail ? Y
en a t'il moins dans la grof-
fellè , dans le dégoût , dans l'ap-
pétit dépravé , dans la cardial-
gie , dans les naufées , dans les
vomiflcmens , dans la ftrangu-
rie , dans la dyfuric , dans le té-
nefme , dans les hémorrhoïdes ,
dans l'enflure des jambes &: la
difficulté
La Jante des mères , drc, 3 ^ j
difficulté de marcher qui en fuit-
Mais, répliquent d'autres , on a
des moïens de prévenir les in-
commodités du lait répandu , &1
d'empêcher même qu il ne fe ré-
pande. Plut à Dieu que les éva-
cuations de tout genre , qu'on a
coutume d'employer dans les
maladies des femmes qui n'allai-
tent pas , eufFent un effet heu-
reux. Outre cela ^ n'y a-t'il pas
de l'imprudence de donner lieu
volontairement à une maladie
très- facile m^ême à guérir, qu'on:
pourroit éviter même avec enco-
re plus de facilité ? Il faudra que
des mères faflcnt tettcr à des
chiens , un lait qu elles rcfufent
à des enfans. J'ai horreur de fai^
re remarquer de pareilles chofes*.
On croit nous preiler bien da-
vantage , en difant que les fem-
mes élevées dans les Villes font
d'une complexion trop délicate-
gour poavoir , fans altérer leuc
G g,
3 f 4 ^? ^^'^ ^ ^^ Médecine,
fanté , foniFrir une évacuation
telle que celle des nourrices; Tex-
périencc nous ayant appris qu el-
les donnenttous les jours deux li-
vres de lait : c'eft une opinion
erronée. Cette foiblelTe ne vient
que de ce quelles n'allaitent
pas , & le remède eft de nour-
rir leurs enfans. Par-là elles fe
déchargent d'une humeur qui
incommoderoit des parties, qui
par leur délicatefTe naturelle font
incapables de les foutenir. Cela
eft fi vrai , qu'entre les femmes
qui n'allaitent pas , celles qui
font d'une fanté plus foible , font
fujettes à des maladies plus con-
fidérables que les autres. Les mè-
res devroient donc abandonner
ce mauvais ufage , elles en ti-
reroient des avantages d'autant
plus grands , que nourriflant
leurs enfans , elles n'auroient pas
le tems de (e trouver à de magni-
fiques repas , & de faire durer le
Lafanté des mères ,. é"C. 35-5-
fouper jufque bien avant dans
la nuit j &: par-là éviteroient bien
des occafions de maladies. Enfin
concluons donc :
,^e U fanté des Mères demandt
qu'elles f oient elles - mêmes nour^
rlccs de leurs enfa^ns.
QUiESTIONES
M E D I C iE,
Ddij
'sis.
QU^STIO
M E D I C A.
An Ht Virginitatis , fie Virllitatîs
certa Indiciaf
VIden mendacia rerum ! cafsâ fpe-
cie nos ludunt. Sic eil , in cortice
hseremus , nucleum praetereuntes. Ideô
quiainfuperfîciebus, non medullis re-
rum verfamur. QuaeHelenaforisjintùs
Hecuba eft. Eâdem fraude , defideres
interdùm in fponfo maritum ; in marito
patrem; in juvene virum. In fexibus
enim Androgynura dari non poteft, po-
teft in hominum vultu. Ipfa vox homQ
anceps eft, viri ac fœmince particeps;
undequod de cœnis habent, in homi-
nés cadit , dubii funt ;
Die as in atirem ,Jîc , ut étudiât mtllusi
Amat9r ille
Qiii, . . . Galbanos * hnbet marçU
t EfFœminatos.
$'j6 Qudflio Msdical
Quœrzs quîs hic fit ? excidit mthi nomtni
Quarè define me vocare fratrem
Ne te vocemfororem.
An dubia forent fexuum difcrimma ?
îmo : at dubi^ funt hominum faciès ,
ûc ut interdùm in viro virum qu^ras.
Etiam fuo confpedu ludunt fexuam or-
gana ; ex eoruni enim numéro , quantita-
te, formaturâ, marem à foeminâ , à non
Virgine Virginem potueris definire; at
ex talium pr^fentiâ , virum ab homine ,
validumab mvdWdo , potentem ah impo-
tente , à mulierofo frigidum decernere
imperiîias eft. De fexuum dignitate
quseflio eft, fed qux odii argumentum
minus efl: 5 quàm inviûi^ hominum. Rê-
vera ipfas fœminarum formas aliqui non
dedignantur, iilarum illecebris capi am-
biunt multi , vinci gaudent non pauc?
Poflhàc mulierem dimidiatum homi-
nem dices fan virum dimidiatam mulie-
rem ? hïEc omnis homo fuerit , iî forti-
tûdinem qu^e hominem infignit, pofïït
in du ère. At heroïbus dominari datum
jan; illis eft, 3l quo Herculem nere do-
cuerant. Portentofa iflhsec eft mulierum
în viros omnipotentia , quam (oW frigidi
fic'ent. Mulierem ergo monftrum natu-
Xdç vocari, dogmatis monftrum eft. Me-
liùs
^An ut Vïrgmïtatïs , &c. 5*7*7
liùs naturcC prodigium erit , quse fie îm-
perat gentium dominis. Intérim mulie-
ris caput eft vir ? appofitè fie tyrannidi
fexûs cautum efi, lei^um vi ac Sacramen-
ti virtutê. Sed fœminarumregnum intra
fe diviium efi ; innuptis nuptse invident :
hîs illipr^ferre Judasisconfuetamjnup-
tis innuptas Chriflianis. Hinc Virginita-
tis pretium & honos, qui quô infignior,
eo rarior quibufdam habetur. Reipsâ
fio5 6c mundities efi Virginitas, quam
perdit turpitudinis aura. Eâ de causa,
mente perire Virginitatem Religjo do-
cet , iliîbato enim corpore mens inqui-
natur. Quot ex h<5c pietatis dogmate
patiatur damna pudicitas, immane : at
pluies adhuc corporis integritati volunt
fieri jacluras, Virginitatis cultores ava-
ri. Hos intellige , qui , dùm eos occupât
fexûs amor, lexui invidiosè convician-
tur. Virginem tam raram , quàm Phœ-
riicem perhibent ; quod fimultati non
imputaveris, cis enim maledicunt , à
<^^iibus amati amant. Eô tamen venit
Virginibus maledicendi malignitas, ut
bas à mulieribus fecerni nolint. Hos
inalè iuadet vuîtûs pudor, oris verecun-
dia , modefiia vultûs , virorum fuga ,
filentii amor, pudicitise fama, morum
ântegritas ; h^c (aïunt) omnia sequè re-
ferunt ac reprsefentant , qu^ ut fexuni
I i
57 5 Qjujîio Medtca*
fie connubium Habilitant mulieres. Alîas
imperiosè exigunt notas , quibus exte-
riori integritati concinat arcana corporis
/ntegritas. Ludibrio habent, & merito ,
Virginitatis notacula, quse ex naribus,
colio , voce , (Sec» venari folent , ut Vir-
ginitatis naufragia hariolentur. Ulteriiis
hos rapit in Virgines livor , qucC lexum
faciunt partes, in innuptis perindè , ac
in nuptis fimiles flatuunt , forma , fpc-^
cic, colore, habitudine, pofiturâ. Tarn
facile credideris, floreni intadum, ne
vel à miafmate maligno temeratum , al-
teri fîmilem flori impuris manibus corut
prefîbjattrito, obfcurato.
IL
HE u antiquatam veteris asvî iim^
piicitatem ! heu deperditam prif-
cam fîoem î quo homines antique vir-
tutis ! Dod;ii forte minus ; at fapientes
inagis , veritatis amantes , ftudiofi iin-
ceritatis. Tune temporis motam de Vir-
ginitate litera, illico derimebant limpli-
cia Virginitaris figna. Num arcanas re^
velando partes? numeasnudando, quas
diligentiùs tegit natura ? num eas intuen-
do quas voluit inconfpicuas ? quas vide-
ri , violari; quas tangi , foedari efl. Vef-
timenta Virginis coram fmibits ^anderc
An m VÎYgimt^jis :, ^c. 579
fat erat ^ quo daco figno 5 fie abfolve-
bacuc fufpeélata conjux , uc vir odii fui
pœnas verberibus lueret. Tanta erat fim-
plici huic (îgnoParrnm fides l At hinc
venire poteft aliunde major, in quofri-
gidis opprobrii nota paratur. Quid enim,
{\ u!ci(cendo nnpra virgo junior cum vi-
re , quem impotenriae accufabit ^ expof-
tulaverit virginitaris figna ? hoc abfentc
iîgno ignaviam viri &copulae defeiftum
argact. Reclamabir vir î acculationi jfi-
dcm faciet Virgo jiivencala conjux, inf-
piciendam fe oiferendo. Virginitarein
enim à nuptiis ruperftitem oftendere ,
fponfi impocentiae » hgnum ram cerruni
eric , quâm conftuprationis indicium ,
non oblatum in veftimentis Virgimtatis
JignHm. QuorsùiTi igicur ram muira fcru-
tari? rotcumulari quid juvat îquibus_^;-
^ânm évinças , auc abfolvas Virginem ?
air in hoc uno non eric cerrum asquè
ftigtditatis , ac Virgimtatis indicium.
Nupcam ergo, quae Virgo juvencula erar,
apud Judicès conqueri , Q^^\oà. ftgna Vtr^
ginitatis afFerre /îbi non detur , virum
fitgtditatis accufareeric , confpedamque
fe Virginem offerte , ent evincere. Fi-
dem excedit , quot exp^dnct frigtdorum »
ac FtrginHm lites , do6trina haec (acris
contenta codicibus 1 Sic parcererur tur-
piioquio hymenU , c^truncftlarum , ruga-
Bb ij
5So Q^haJîIo Me die a,,
rum ureri , &c. à fœdo hoc fcrutinio ab£-
tineretur, fcilicec an fuam ordinationem
(ervaverint , in colore , tenorc , fîru ,
racnfurâ , habitudine. Àbfit ramen du-
bitaveris, h«c quoque vera reperiri \ ea
cnim eft nuptfle abinnuptâ partium dif-
pirilitas , tantùmque à fe ipsâ mucaca
tune illarum faciès , ut quantum in nup-
tis (ui vioJacione maricani oftendunc ,
tantùm ininnuptis integiitate fiiâ Virgi-
nem évinçant. Copulationis enim fuc-
cen^is 5 ab elatere pendet partium quae
copulantur. id dateras k viro unicèex-
pe<5tabis ? abes à vero : Majculum Ut e-
rum fecit natura^ fie conftiruium , ut
quo magis dilatari cogitur , in fe redeun-
do ftringatur magis. Stri(^ionis autem
vim^ab eâ quaeiiliusdilacationiscfi: me-
ttre : coadt^E ad pyri magnitudinem (quae
uteri in Virginibus menfura eft) ureri
fibrac , ad capitis molem in prœgnanti-
bus crefcunt & diiatantur. Hase autem
immanis fibrarum uteri in praegnan-
tlbus dilatatro , eUterem portcntofum
uteri prodit , quandoquidem quo brc-
viores, co potenriores fine fibrae. Par eft
cxindc manans vagmA dater ; latera
cujus , ut compreiîilia maxime , fie ardlè
conni ventia, id opcrae prseftant in fexuum
cj>puià , ut adfc accedendo, quem ad-
mittunt fœcundaRtem fuccum fortiùs de
An Ht Virginitatii > ^c, 581
incro adigant. Ex hâcaurem duplici &
mutuâ violentiâ,partium miilicris viola-
tionem i fîtus, po/îturac , ordinis , ru-
garum , habirudinis murationem , hia-
tum & Fœdacioncm conjicerc eft. In
his autem tenore , pofîturâ &lhabiru-
dine 5 certiora habes PirgimtAtii figna,
Arre enim meretriciâ angufta viarum
quantumvis xmulentur , vaginac rugas &
afperitates reftituere , exrcrnamquepar-
lium œconomiam reconcinnare, colo-
rem neque fpeciem ac tonum ementiri
dabitur. Hjmenem confilio praetermifTum
credes, quafi anilibus fabulis acccnfen-
dum? imoaliud indubiratum Firginita*
tis fîgnum vcnit , in quibus occurrir ;
occurrere autcm teftantur inter Anato-
micos non ignobiles. Defucrit ? fiipple-
bunt CAYunctiUrum flos & conniventia.
Carunculis fidem quoquc negas \ hanc
cogit finûs pudoris difpofitio , circum-:
fepti in Virginibus eâ arre , ut poft co-
pulam à fitii j rono , ac ordinarione dif-
cedat. Poftremo addideris verba Virgî-
nis , qnse fponfi copulam negavcrit. Ri-
des ? fponfo copnlationem afïîrmanri cre-
dis? Num quia mnlieris caput eft. Ira ,
fi (ponfus maritus , fi marita mulier ,
tune enim illum Dorainum vocare co-
gicur. Ac qm fiigidtis^ non maritus eft,
neciilius marita, mulier.
B b iij
582. Qjufîio Aîedica,
III.
VI R I L I T A s ad Venerem potencia
eft, vimm enim ut 'tîolo mmium , no-
h parkm. Vencris nomine iexuum co-
pulam inrelliges , quîs conjugum ut vo-
tum eft , fie conjugii finis. Haec enim
procrcationem intendit , cui copuiâ prs-
ludi , tàm neceiïum quàm conFclîum. In-
térim infœcundè fcxiis mifceri quotidia-
num , ni fucci fœcundantis midusfiar.
Igitur prseter copulas potentiam , miiîi*
lem fœcundarionis auram oportet cxi-
lire. Huic auras fœcundarionis necefîi-
tatem injungis ? At tune fœcundationis
caufas rimaiieft, non Virtlttatis notas
perfequi. Porto, ut cicra Firilttatem n^-
mo fœcundus , fie ablque fœcundatione
aliquis Vinlis eft. Quae hujufmodi Firi-
7/><«r^«?(pondeantrcrucaris ? ut in liberis
teftes fuos hubet fœcundatio, in fignis fui
dat indicia Vtrilttas. Hase forte locabis
injHvene csnvemenîthm organis inlîruElo f
quid enim potentius , quàm amorisor-
ganorum opulenta fupellex ? an liunc ap-
paratum opère caillim concipere eft ?
adjiciro corpus eufarcum ,exercifum vo-
luptate , dapibus delicatuiis infuccatum ,
fpirituofis animatum fuccis aut liquori-
bus i iiccinè amorum faiellitioftipatum
corpus, ignavum ad Venerem aut im-
An ut Virginitatis , ^c, 5 î 5
belle conjicies? ferianria concipies toc
tamque praeclara lafciviae inlbiimenta ?
Ira fané , nimiiim his ciredes omnibus ,
fî mendofa fine , fi ludant oculos ^ f fu-
cum facianr. Illndunt autem , Ci ^d:x
fint inftrumencorum effigies, mera or-
ganorum fimulachra , ignava , inertia ,
fiincrata. Funerata vocas , motus aiiE
elateris expertia ? honore auc ticulo de-
funôixwnx , abutieft. Extinùâ hcEcnon
funt , fcd vacanria, nunc non primûm ,
fed ab anciquo , à cnnis ipfis feriantia.
Porro ^/îÀ poffe adaBmn mnvaleat con»
jcqaentia , num à mn poffe ad poffe vale-
bic ? quas aurcm ferianria nata (iint,»o«
potentia funr, aut tmpote-rjtta. Hanc for-
rem innatam fibi graculabunctir cselibes ,
qnos importuné ftimalaret aur pericu-
iosè amandi pruritns; fed hanc lugebunc
mariti Veneris officio debiti. Mdeficia^
tù hanc forte fortem dabis? perperam.
M^leficiatorum enim ftatus , cafus eft
& malitia •, fri^idor^i^ , naturâ eft Sc
habitudo. Fngidi (une, invalidi, & im»
patentes , qui bu s fradus , aut mollis eft
cnpidimi arcpi^ ; quos nempe déficit nul-
la ex iis partibus quas virum oftendunt ,
atquos urit auc excitât ex iis nulla. Cae-
tçvùm frigidt viriitbus organis prseclarè
infigniti , à lafciviâ tuti , viros fe noa
fwitiunt , nediim experiuntur. Intereà ,
B b iiij
584 Qudflio McâicA.
novercam iis defuifre non omnino na-
taram argumenro cft , penfata aliunde
horiim calamicas ? Achillis inftar^ fui ali-
quâ parte , funt invulnerabiies. Iterûm
piae caereris à naturâ beantur , indefeli-
ciores quod ancipites & neutri^fœminas
inter & viros , nec (ui ^ nec alcerius fc-
xûs aegritudinibus pateant. Ac dtgitocom*
pefce labeiltim, Quae honeftè innuunrur
obkœna , inhoneftè proferuntur. Uc ut
iîc 5 frigidi nati , â carne flagellaci nun-
quam , non concupifcunt, amorum ig-
nibus immoti , non perulci , non (àla-
ccs , non catulientes. Defes enim pars
illa , quâ viri forent, humilis & tacita
filet , deprcffa jacet , motuque tardefcens
inftupuit ,• nunquam ab inertiâ refurgens,
fui'git nunquam ad opus > nec in aébum
erigitur.
I V-
HI s fe prodit indiciis Vtrilitas^ qusc,
illisabfentibus, abeft. Qnidenim,
amabo , (unt conjuges ? duo in carne tsnâ,
Qiiid conJLigium \ fexuum conjiindtio >
(3 adh(xrehn uxori jha, Illud Religio ,
hoc ratio. Procreationis negotium , mu-
tuum quid, à duobus pendet. Sttndura
eft, cujus impages fejundtis divifae lo-
cis, veniunt adunandae. Hinc germen ,
tUinc ovum; duabus quafî conclufacap-
An ut Virginitatii , (3c. ÇSÇ
fulis, qu£e duo (exus iunt. Ovum , tœ-
tus compendiolum , maflula ineis eft ^
arcanis fœminae partibus aire condita,
Germen animabilis materies , à viri cor-
pore in ureium exilitura -, illi cnim exi-
liendum ad ovum eft , ucpotè alicnum
a (exarque difîitum. Huic o^ptùiVtÀ vtri
ad fœminam opus fuit , quâ ad rcgnem
materiam animatio pervenirer. Haec
via ^ (exuum copulatio eft, cui proin-:
de deefle, mariri condirionem abdicare
eft. Nam copulae pr^eeft vir , fubeft fœ-
mina; ille caufa QÎïyhxcfftl^je^ftm;'ûle
mot uni , haec nfoùile ; ille elaterem , baec
r/^rm/|cap(ulam \ verbo, ofcillttm alter ,
ofcillayida6 altéra partes luftîcit \ vir enim
ofcilla (qu« germina fonanc ) (uppedi-
tat , fœmina dat fomites. Ai ovum ut
ad germen veniie nequit , germini ovum
adeundum eft. Adeundum dicis ? ita
fané , il in aperto , vicino , & faciii lo-
co fitum ovum fuiftet. At fecûs fe ha-
bet , tàm remotum enim quâm recondi-
tum eft. Hinc potentta viri opus eft , (eu
organi eUtere , quo miiïum germen
ovum queat attingere. Attigifte autem
non exigitur, viri enim debitum folve-
rit , aut mariti exegeiit officium , qui im-
petu profilieis ad ovum germen vali«
dus emiferit. Harum fub vocum umbris
defcriptam habes FtrilttAtcm , quam con-
Bb V
Ç8 6 Oudlîio Medica,
ftituic firmus organorum tonî4^s, vaiiduf-
que dater , quibus vibretar animabilis
f uccus. Efto enim , viii muneris non fie
fœcLindarei atporuiiïe illius honoris eft ",
pacrîs titulo deeire infauftam s mariti
officio indecorum. Forcé, ovum fiicns
eric auc fubventaneum , admittendo ger-
minis fpiculo impar aur abfonuQi, tuin-
que irrita copula Fueric ; ac focmins cul-
pâ, non mittentis jnecmiiîilis defefta ,
modo praecederir organorum ^/^/^r , fi-
tus , tonm , & conftaniia /o»^ , qnaE vi-
brando , difigendo, animandocjue faris
iic. Ovum enim per fe immocum cft j
milBlis ergo imperu indigum, quo mo-
lum concipiat. Hune antem dac impe-
tum vibracio , qux profeclam d viro re-
tinensmotûs decerminacionem , hanc (e-
cum transfert ad ovum. Igiiur quo mi-
nus ad motum fe erigere ovum poreft ,
co validiûs ad illum clevari oportet &
crigi viri potentiam, Hinc bellum orga-
norum apparatum. , loco , numéro , ac
menfurâ abfolucum oftentare, non Ma(-
culum (e,fed Marem aiïcrere ell:. Maf-
culum oftendic non iftorum praefencia ^
fed a6tus. Si valida de ad opus habilla
eiïe ifthaec organa confefTum eft , fœ-
cundatione quamvis caflâjin tuto ma-
nebit viri validitas ; quod enim partium
fuarumerac, pracfticic. Ac ftupenciaor-
An Ht VirginitAtis , ^c. 5 S7
gana , defedla tono ^ eh.tere deftituca 3
agicata nunquam nec agicabilia ja6l3re>
heroïca frigidorum vircus , & potentU
eil. Talem haec (e prode: fi cum juven-
culâ fponsâ jacueric inexpercâ. Poflhâc
impo!e'fîtt£ ^voiimcnium cvidentius rogas?
folem qusris lucenrem?ac ccecucire amas?
fidem cogQt fponla ifthaec (fi fponla fue-
ric ) à nuptiis virgo fiiperftes. Virginira-
tis huic argumenciim deberipraetendis^
folvendo eric virgo eonjiix , non in œre ,
non in rixis , non in rergiverfationibus ,
fed in ciite. Atqui ifth^c erunc Medico-
rum phanrafiae lafcivientis ludibria , hîsc
illius ambitiofx arris confilia, ea aaden^
tis imperiosè quas fui juris née func , nec
authoritatis, necfcientiac. Bella verbal
quafi à Jadicibus invocarentur Medi»
eoram , ac Chirurgorum artes , de or»
ganorum unicâ formaturâ , numéro , fi»
gurâ, quanrirare , pronunciacurîs : ceiiè
ad hase nec eruditis manibus , nec fa-
pientiumdecrecis opuserit. Verûm , cùm
frigidic{{Q queanr , conveme/ttibné quam-
rumvis orq^anii infirn^i \ à legibus Me-
dici interrogati 5 an ifthasc organap5^f«-
tia fint , & ad conjugum opus valida ,
eoriim officii eft , de organorum appa-
fatu mirabili proniinciare non rantùm ,
ar decernere quid iila oïg^nzpojpnt , qmd
ferre recafent^
Bb vj
58S Q^HdJîiQ Medicaé
V.
AT fero fapinnt Phryges. Javenem
habes convenientibm organis inf-
trti^um \ defperes nihil , inventmi nihil
ArdHHm efi. Talis Achlerae gracia , in fpem
contra fpem ire licet» Tantûm , da fpa-
tium , tenuemque moram \ nam grande
morac pretium cft. Da tempus ; quod
«cas nequiit ^ faepe (anavic mora, H«c
mora neqiie iponfbs dedecec :
Nuhre fi . . * - voles , quamvii properahitts
amho ,
Differ; habent parvA commoda metgna moYX.
Venereos in juvene recognofcis lepo-:
les ? Ac
Konformofm eraf , /ed eraf fœcundm Ulyjfes,
Copule nondûm matunim excufas ? As
Heroés ciib maiuri-, Ec
Céijarikus virtus contigit ante diem,
Spem , emendicando aïs , rerine ...»
fpes una hominem nec morte reliquit.
Igirur
Eia âge , rumpe m&rcu , quo te fpecîahimu4 ufque ?
Dum qtiidfis dtibitits i jam potes effe nihil.
Cum mora non tut a efi , totis incumbere remis
Utile y ^ admiffofubdere calcar equo,
Urgebisr Sed juvcnem cupidonon urio
An Ht VtrginitatU , ^c* 5 8>
non uxoris urget , nec fœturac amor?
"Excitât ignavos [pes fxm&,
Sed ad quid evidentia Virilitatis m?,
dicia exigi ? ad quid proferri VirginitaH
tis notas ? numquid non piidorem extie-
re eft 'ifrigidorum cantilenam , pudibiin-
dorum ne pudefcant 1 Pudibundumnc
dixeris , quod jubent Icges , qiiod Re-
ligio finit , quod probat ufus î turpe eft
frigidorum connubium , quorum non
eft thorH6 immacnUtHâ, Thorum interea
frigidt emendicare f oient , m potentia pe-
riculum facianr^nam in multis, aïunt,
imra( amor mentes ufa. Ira in validis ;
at in frigidis dedifcitur ufu. Infupcr ,
an frigiderum portentosâ libidine Sacra-
mentum fcelerari licet \ fpeciminis titur
Jo thoriufusindulgctur iis , quibus <i«-
te pilos non venit amer -, qui filentem ce-
lant , fuo tempore macurandam poten*
tiam, At tu juvenis iHe , inftrumenîù con-*
venientthns injiru^e ,
j)um vernat femguis , dtim rugii integer /tnntu ,
Uterti
Si tardas erii . . errabis . . tranjiet atas.
Belle mones ,• quafi veto id fpedfces ab
€0, cui défunt VirtUtatU indicia. Apa-
ge , inquam , ifth«c indicia , hoftilia
çoo Qui&flio Me die a,
padori , religioni contraria ! opéra re-
nebrarum func renebris condenda , quse^
noclraarum exemplo lux offendir/Ligacve
hominum praefentia. Praerereà , itane fti-
mulos amoris evocare datur ? (iccinè Ve-
neri licare J /iccinè tentaminis infandi
memoriam rcfricnre ? pudicè quidem, ut
videtar. Ac unde virilem organorum ha-
bicudinem defiderari in juvene tam con^
ventent ëY ii^ inftruEio? unde hune opor-
rercadigi ad illum partium tenorem , qui
in virum non evirarum cadit ? excitari
ad actum , auc organa erigi , impermif-
fum credis ? at juber confuecudo vêtus ,
quam Ecclefia vider racerque , iinunc
Pontificis leges , cogit necefîiras. Ne-
ceiîîtas ? ita neceflitas , (\ thorum â fce-
Jeratis frigidorum aiifis arceri volueiis»
Alias , impermifTb illo Vtrilitatis (igno ,
in tuto func friqïdoYum connubia , de
quibus folvendis fiicant oportcc legcs ,
& lites. Aliundè , (i excitare fe juvenem
piaculo ducatur , forticer ur eft ille ruus
a natura inftruâ:us , excitatum ultro fe
monftret. Atqui excitatum fe nunquani
fenticV ecce fatentem rcum habes ,-/W-
giâput^. Se fentiecaïs , fada fibi puel-
Jae copia. Quid aucem fî matrimonio rra-
<iitum j copulae imparem déclarer mi-
kllaconjux ? Q^aid fi inveniatur onera-
lus magis quàm ornatus convemsntibm
An ut ViYgtmtutis , ^c* 5 5 ï
organisa utpoiè triftibus , & plimibeis?
Qaid fî intentataîTi copulam in fe often-
dere polliceatar fraadaca conjux, inrac-
tam ie monftrando r Eodem quo te tue-
ris piidoris vélo , ham: illico tegi poftu-
labis r Sed hos mitte cuniciilos , ab his
abftine tricis. Ad tiirpia licica cogir ne-
ccilicas , mundis omnia munda -, neqne
fordida qusevis , qiiaé verecunda , nifi quae
fordefcens animus admiferit. Caeceriim
an hodie pEimûm V irgines infpici cœp-
tiim eft > Pacrum EccleHs memoriâ ,
Virgines flupro notatas intueri moris
fuie. Exindè ieges id ipfum imperâuiinr.
Incertari clamiras Virginiratis indicia 3
errare amas \ tam certa lune , quam cer-
ta habetur rerum humanarum conditio,
TJna quidem hirundo non facit ver \ ne-
que unicum , aur uniui^modi iîgnum Virr
ginitatem aflruet : {ç.à fada (ignorum ,
conditionum , ac circumftantiarum jjn-
drome , in decernendo tutus erit ^quus
recum sftimaror. Revcrâ, fi de Virgine
femel tantùm comprefsâ quxftio fuerit ,
obfcura? forrè videbuntur conftupratio-
nis notas -, de illo tamen flupro decer-
nunt, ieges , fi illud recognovilîe oculi
eruditi teftenrur. Verùm, incertumne ve-
niet judicium de infpedâ muliere virum
fîaepiùs pafsâ ? an in iliâ expe6târe erit
.Virginicacis umbellam l At infpiciendae
$9^^ Q^^f^io Me die a,
mulierîs copia non darur -, diibia vifa
func viri organa \ undenam aîcerutrius
conditionem definieris ? ïmo, en le tibî
prodit Vii'ginicas; hujus indicia quse ia
alcerutro conjugum incerta quaerebas , iti
utroque certa tenes. Non maritum fc
profère fponfus , non fponfa Te mari-
tam? certus concludas , funt Virgines
ambo.
Brgo ut Virginitatis , fie VirilitAîti
cma Indicia,
*QUESTION
D E
MEDECINE-
S'il ejl des Signes qui ajjârent de la
puiJjAfîce des Hommes , autant que
le font cetix qui réfondent de U
fogejfe des Filles ?
I.
LTtrange incertitude ! tout nous
impofe , & jufqu'aux apparences \cs
mieux établies , elles nous donnent le
change. La fédudtion vient de ce que
l'apparence nous (aifit , & que la vérité
nous échape j parce que les dehors des
chofes nous en dérobent la nature. La
beauté elle-mèiTre , n'eft fouvent qu'uQ
mafquc qui déguife une Hécube fous le
vifage d'une Hélène» Par une femblablc
méprife , on Te trompe en prenant un
* Cttte traducîiûH x été faite par M&nfieur
H E c Q^U E T lui-même , pour arrêter les traduc-
tions malignes (^ mauvaifes qu'on en faifoit cai4'
rir.
.594' Q^eflion de Médecine,
cpoux poui un mari, un mari pour un
père, un garçon pour un homme. Car en-
fin quoiqu'il ne foir point de (exe doublcj
qui tienne tout à la fois de l'homme & de
la femme, il eft des vifages^ des conre-
nances douteufes^qui tiennent de tous les
deux. Le mot même d'homme efk équivo-
^ucil s'entend auiîî de la femme. De-for-
te qu'on pourroit dire des hommes ce
qu'on dit des mets douteux , ce font- des
ambigus. Ai de z^- moi ^ dit Ariftarque,^
dt finir ce doucereux , cjui affecle les atrs
dUnne femme -, de cjuel [exe feriez,-vous
cette aimable figure ? Dites-moi a ï oreille >
Jans cjHC perfonne nous entende , quel nom
lui do4nertez.'V0HS ? Mats pourquoi cher-
cher ce nom , ^»; échape k l'efprit tant il
elï douteux ? Du moins quil n arrive poi
À ce beau vif âge de m'appelUr père , car
je r appe lier ois Jœur, Seroit-ce donc qu'on
pourroit (e méprendre dans la diftinc-
rion des fexcs ? Tant s'en faut-, maison
fe trompe à juger àts fexes par lesvifa-
ges : de-forte qu'on fe trouve fouvent
emb.trralîé â trouver la vérité de Thom-
rae dans fa figure. Les organes même qui
diflinguent les fexes, ont leurs manières
de féduire. Le nombre . la quantité & la
conformation de ces parties peuvent fuf-
fire , pour diftinguer un homme d'avec
uue femme , une fille d'avec celle qui
S'il efl des Signes qui affurem ^c. 595
ne ia feroit pkis j mais ce (eroit une mc-
prife groffierc, qui tiendroit de l'impé-
litie, de conclure de la feule préfcnce
de ces organes , qu'un homme efl mari ,
hahiîe ou inhabile ^pmjfant ou tmpmjjant ,
fioid ou faffionné , capable ou incapable
d'ufer d'une époufe. Mais en parlant
des fexes , on demande s'il en eft un plus
excellent que TaurreJ L'oncroiroit pref-
que par cetre queflion , que les hommes ,
ennemis du beau fexc, auroient deflein
de le déprimer ; mais ils n'en paroiiïenc
pas moins épris , puifqu'il s'en trouve
pîirmi eux qui s'honorent de reiïembler
aux femmes , que plusieurs ne feroient
pai fâchez de fentir leurs charmes, &
que beaucoup aimcroienr à s'en laifîer
vaincre. Sied-t-il bien après cela aux
hommes de dire , que les femmes ne par-
tagent qu'à demi la nature humaine, tan-
dis qu'ils paroifTent eux-mêmes dts de-
mi-Femmes. Bien-tôt même déroberont-
elles l'homme à lui-même , fî jamais
elles parviennent à lui enlever la force,
qui fait le titre de fa préférence. Mais
cWqs en font déjà là , puifque hs Héros
eux-mêmes ont à craindre de s'aftbiblir
auprès d'elles, depuis qu'on a vu Her^
cule fe réduire àfîlerà leurs cotez. Voi-
là certes un prodige de puidance dans
hi femmes, d'autant plus étrange, qu'il
59^ Qjieflion ai Médecine*
n*efl: presque qu'au pouvoir de ceux qui
font froids , de n'en rien craindre. Il
n'eft donc plus permis de dire que la
femme foie un monftre , ou la produc-
tion d'une narure qui s'égare ou le four-
voie ; le monftre (eroic dans cette opi-
nion, à moins qu'on n'appeliât prodi-
ge dans \ç,s femmes , ce pouvoir de vain-
cre \ç.s vainqueurs. Peut-être dira-t-on
que l'homme eft le fouverain , puifqu'il
eft le chef de la femme. Mais tire-t-il
cette fouveraineté de fon fond ? a-t-il
fallu moins que la vertu d'un Sacrement ,
& que la force des Loix , pour la lui
valoir ou Ty maintenir ? Le plus grand
malheur des perfonnes du (exe, eft qu'el-
les difputent entr*clles de la préférence >
celles qui font mariées la prétendent au*
dclTus de celles qui gardent le célibat.
A la vérité le mariage l'emporroit dans
la Loi ancienne , mais le célibat l'em-
porte dans la Loi nouvelle. De-îà eft
venue Pcftime que l'on fait aujourd'hui
de la continence *, état fi digne & fi ra-
re , que quelques-uns le croient à la por-
tée de peu de filles. En effet , il faut
convenir qu'elle eft comme une fleur
tendre 6c délicate qu'une ombre d'im-
pureté ternit -, une pureté qu'une appa-
rence de faleté altère. Auflî enfeigne-
t-on dans la Religion Chrétienne , que
S'il ejî des Signes qni afflirert ^c, 597
la virginité le perd par Tcrprit, parce
qu'on peur cefler cl*êcre vierge dans im
corps chafle. On comprend par cette
maxime de morale, à combien de per-
tes eft expofée la pureté de l'efprit \
ccpcndanc celle du corps fe trouve en-
core expofée à plus de naufrages , fi
l'on en croit ceux qui ont fi mauvai(e
opinion de la continence. De ce nom-
bre (ont ceux qui par un malin artifice
décrient un fcxe, dont ils n'onr pu dé-
fendre leur ccEur. Ils voudtoient qu'on
crût qu'il en eft d'une fille (âge comme
du Phénix , ou que ce feroit une des
fepr merveilles. Cependant cette calom-
nie outrée n'eft point un effet de la hai-
ne , puifqu'ils déclament contre ce qu'ils
ne peuvent (e difpenfcr d'aimer. Ils ne
lâificnt point de poufier loin leur médi-
fance affeilée , jufques-lâ qu'ils ne vou-
droient admettre aucun figne de dillinc-
tion entre une femme & une fille. La
pudeur (ur le vifage , la retenue dans
les yeux , la (agefie fur le front , la fui-
te àts hommes, l'amour de la ictraite^
l'inclination pour le filence , une condui-
te fans reproche , d^s mœurs fans tache ,
leur paroifient de foibles garants d'une
vertu fi rare. Ils tiennent que ces mar-
ques (ont au(fi celles de toutes \q% fem-
mes fages, qui honorent le fcxe & le ma-
598 Q^ueftion de Médecine»
riage. Il leur faut d'autres [ignés de con-
tinence, qui répondenr que le corps eft
auffi entier ^ que les mœurs font intè-
gres, lis (e moquent avec raifon de ces
marques qu'on tire du col , du. nez. , de
la VOIX , pour s'afîûrer de la lagefîe d'u-
ne ;eune perfonne. Leur mauvaife opi-
nion contre les filles n'en demeure- pas
là , ils refufent de reconnoître en çWqs
aucune différence dans \ts organes qui
font le fexe. Fulfenr-elles filles ou fem-
mes , ils font , difent-ils , les mêmes dans
\ç.s unes & dans les autres : on y trouve
de part & d'aucre même apparence, mê-
me difpo/irion , même couleur , même
firuation , même attitude. Mais c'eft vou-
loir nous perfuadei- qu'une fleur qui
n*aura été ni touchée de perfonne, ni
atteinte d'aucune altération , reiFemble
en tout à une autre >qae des mains im^
pures ou grolîieres auroient fiétcicjfroif-
lée, & ternie,
I I.
QU E L malheur d'être forti de la fim-
plicicé àzs premiers tems ! Quel
dommage que celui d'avoir abandonne ■
Ja naïveté de nos pères ! Où font ct%
hommes de l'ancienne vertu , moins fça-
vans, mais plus fages, vrais par natu-
re , îînceres par éducation ! Fût-il ar-
S'il ejî des Signes qui affurent ^c. 55?^
rivé de leur cems de douter de la fagefîe
d'une fille qui venoic de fe marier > on
s'en rapportoit à des hgnes (iinpîcs, auf-
quels cependant tout le monde donnoit
fa confiance. Ce n'éroit ni en découvrant
ce que la pudeur cache , ni en dévoilant
ce que la nature couvre , nî en portant
les yeux fur ce qu'elle leur dérobe ; par-
ce que la vue le deshonore , ôc que le
toucher le rouille. Ces fagçs le conren-
roic^nc de voir dans les linges de la nou-
velle époufe j les débris d'une intégrité
perdue: fur cette fimplc apparence , une
nouvelle mariée écoit li parfaitement
juftifiée , que le mari convaincu de ca-
lomnie 5 étoit condamné au fouet. Voi-
là jufqu'où nos pères avoienc donné con-
fiance à cette iimple apparence *, mais
elle en mérite aujourd'hui davantage >
puifqu'elle peut fervir de preuve à la
honteufe marque à'impatff^ince dans les
froids. Car enfin fi une jeune perfonne ,
qui viendroit de fe marier fille , vou-
lant venger Ton (exe â l'encontre des
hommes , venoit fe plaindre devant les
Juges , de ce que par Vtmpf4i[[ance d'un
prétendu m.ui , elle ne peut leur pro-
duire \qs marques ordonnées pour prou-
ver qu'elle s'eft mariée fille, le défaut de
ces marques ne feroit il pas une preuve
qu'elle auioit trouvé ce mari en défaut ^
ÏToo Que/iiô^ de Médecine.
puifqae leur préfence écoit une preuve
de pui/Fance dans l'homme, ou de con-
fommacion dans le mariage ? Le mari
voudroic-iife juftifier ? la mariée lecon-
vaincroit en offrant la vifice de fa per-
fonne. Car enfin fe montrer fille après
les noces , ne doit pas moins être une
marque à' imputjfance dans un nouveau
marié , que le défaut de produâion des
fîgnes ordonnez par la Loi , ctoit une
preuve que la mariée n*avoic point été
iage avant Tes noces. Pourquoi donc tant
de recherches? pourquoi tant de preu-
ves pour convaincre un tmpmjfant ^ ou
juftifier une filleîfaudrGit-il d'autres mar-
ques qu'un mari auroit été impui/fant ,
& qu'une mariée feroit demeurée fille ,
que le défaut du figne ordonné par les
Joix ? Ainfi la plainte d'une jeune ma*
riée , de ce qu'elle ne pourroit produi-
re les marques de (a fagefîe avant (ts no-
ces , feroit une accusation à'impmffaKce
a rencontre du mari , & ce feroit une
conviétion fi elle offroit de fe montrer
fille. Grand Dieu ! que cet expédient ;
tout fimple qu'il eft , & aurorifé par les
Livres Saints , termineroit de procès 1
Par ce moyen on (c pafieroit de ces hon-
teux termes à' hymen ^ de caruncnles , &:c.
on n'auroir plus recours à ces honteux
examens , fçavoir fi \ts organes des fem-
mes
V'ilefl àtsfignei ijui affurent, ^c. 6qî
mes fe retrouvent dans leur /ituâtion ,
s'ils ont gardé leur apparence naturelle,
leur ton, leur uniformité, kur propor-
tion, leur oeconomie. Ce n'eil pas que
toutes ces obfervations n'ayent leur vé-
rité; car ces parties font fi dilTemblables
en des filles devenues femmes > elles
changent û manifeflement de face après
le mariage, qu'elles prouvent aulîi len-
iiblement qu'elles font d'une fille, quand
elles fe trouvent en leur entier, qu'elles
montrent qu'elles font d'une femme ,
quand elles fe trouvent forcées , foities
de leur niveau & de leur ordre. Pour
le comprendre, il faut fe iouvenir que
l'union desfexes ne peut devenir fécon-
de, qu'autant que les parties qui s'unif-
ient ont derefTort, Peut-être croiroir-on
que ce refibrt ne viendroit uniquement
que de la part du mari, mais ce feroit
mal entendre la chofe. Il y a aufïi une
force de mufcle dans la partie de îa fem-
me, tellement difpofée parla nature,
que plus cette partie efl dilatée , plus
elle fait effortpourfe rétrécir, parce que
fes fibres fe racourcilTent , fe ramènent ,
Ôc rentrent en elles-mêmes. Or pour con-
cevoir jufqu'oij va ce relferrement , il
faut examiner jufqu'où fe porte la dila-
tation. Les fibres de cette partie dans
Kk
602 Quefiion de Médecine,
leur étendue naturelle, telle qu'elle eft
dans les perfonnes qui n'ont point été
mariées, font un volume de quelques
pouces; au lieu que dans les femmes
groiïes elles forment en fe dilatant un
volume gros comme la tête. Rien ne
prouve tant que cette prodigieufe dila-
tation 5 l'énorme élafticité de cette par-
tie, puifque des fibres ont d'autant plus
de rejfort , qu'elles font plus capables
de fe racourcir. Les voyes qui mènent ,
&; qui tiennent à cette partie, en par-
tagent le rejfûrt; c'ci\ un canal dont les
parois peuvent fe raprocheravec force,
de forte que fe comprimant dans l'ac-
tion des fexes , elles chafTent avec im-
pétuoiité vers le lieu de la féconda-
tion, le fuc qui y efi: envoyé , pour l'y
aller faire. Qui n'appercevra que pen-
dant ce mutuel effort, Se cette double
violence, les organes de la femme prê-^
tent avec peine , Se qu'ainfi ils doivent
perdre beaucoup de l'arrangement, de
l'égalité, ôc de lafîtuation qui les unif'
foit ? C'efl: pourquoi ils doivent fe mon-
trer changez de face, déplacez, défu-
nis, détendus, applanis, relâchez. Au
reiîe , les fîgnes qu'on tirera de cette
uniformité, ôc du niveau de ces parties^
ne font pas fujets à fédudion ; car quoi
5'/7 efi des Sig'-.es cjul aJJUreKt ^c, So 5
qa*ai: pu inventer la débauche , pour
contrefaire ou rcrablir l'union extérieu-
re de ces parties , il lui eft impodible
d'imiter les filions qu'on y trouve quand
elles n'ont foufFert aucune violence. La
débauche réiiiîîra" auffi peu à reparer le
coloris 5 l'égalité , l'œcûnomie , & le
jufte afTemblage qui \ts approche , &c
que l'union des {^Y.ts ruine immanqua-
blement. 11 femblera peut-être qu'on
voudroit éluder de s'expliquer fur Vhy*
men , parce qu'on le croiroit une fable *,
on l'admet au contraire comme un figne
non douteux de fageiïe en celles en qui
on le rencontre , ce qui n'eft pas fans
exemple parmi les bons Anatomiftes#
Mais au défaut de ce figne , on trouve
ion équivalent dans l'intcgcité ou le julte
afTemblage des caruncuies. Mais peut-
être forme- 1' on encore quelque doute
fur ces carptncHles; du moins n'y en a-
t-il point fur l'art qui ferme cçsi parties ,
& qui en fait le fcean dans les perfonnes
fages , ni fur la iuftefTe des brides qui
les ferrent , qui les affermifTenr , & les
défendent de telle forte , qu'elles doi-
vent paroicre défunies , defaiïembîécs,
& changées de face par l'aélion des fe-
xes. Mais il refte encore une autre ref*
fource pour vous afîûrer , même fans tous
ct$ examens , fi une mariée cfr demeu-
C c i j
6,0 i. Q^uejlivn de Ms'decinc.
réc fille : C'eft dans la parole qu'elle vou.
donnera que fon mari l'a laifTée telle
Cette reiïburce vous paroîc impertinen-
te î auflî eft celle de la parole que vous
donne ce mari , qu'elle cft femme , à
laquelle vous voulez cependant qu'on
fe tienne. Mais pourquoi cette prcfér
rence pour la parole du mari ? C'eft ,
dites-vous 3 parce qu'il eft le chef delà
femme , auquel elle doit toute créance,
La maxime fera vraie quand l'homme
fera devenu mari , &i que l'epoufe fera
devenue femme \ en ce cas même elle
l'appellera Jon Seigneur ^ fon A^aître :
mais un impuilTant ne fut jamais mari ,
& fon époufe ne fut jamais femme.
1 I I.
ON appelIe/)«(,//4»r^ pour le mariage;
la faculté d'en remplir le devoir j
car enfin quoiqu'on n'exige point d'un
homme , qu'il foir mari pafTionné , on
demande d'un mari qu'il foit un hom-
me fenfible. Ce devoir ('(elon lesPhyfî-
ciens ) confifte dans l'union dts deux
(tyitSi en vûë de laquelle on s'époufe,
comme entrant dans la fin du mariage»
En effet on fe marie pour avoir des en*
fans , & pour cela tout le monde con»
vient que les fexes doivent s'approcher*
11 eft pourtant vrai que cette union fe
S'il ejî des Signes qui ajftirent ^c* 60 5
paflTe fouvenc (ans que la fécondation
s'en enfiiive -, c*eft lorfque les organes
vnides de (ucs on d'efprits , manquent
de relforrou de matière pour cette opé-
ration. Ainfi avec la faculté aux Ççxes
de s'unir , il doivent être en état de four-
nir la matière de la fécondation, & de
la chafîer vers l'endroit où elle doit s'ac-
complir. Mais , exiger avec ce reffort
dans les organes, cette impétuofitc qui
doit emporter cette matière au lieu de
fa deftination, c'eft établir les caufcsdc
la fécondation du mariage , au lieu qu'on
ne recherche ici que les (îgnes.qui font
voir un homme en état d'en remplir le
devoir. Or quoiqu'il n'y ait pas de fé-
conds iw/?«///^;?/ , il y a àçspmjfans in-
féconds. Si après cela on demande, quels
font ces (ign es? Comme les enfans qui
/ortent d'un mariage, font l«s témoins
de fa fécondité, lesfîgnesqui montrent
qu'un homme peut devenir mari, (ont
les preuves qu'il y ^ïi habile. Peut-être
fera-t-on confifter ces (îgnes dans /<î^^/-
le conformation cCun jeune homme cjue U
nature anru, doiié d'organes convenables * .♦
car enfin , quoi de plus efficace pour le
* Voyez la Thcfe foûienuë dans les Ecoles
de Médecine le 17. Novembre 171 1. /«^«'Vtf-
ne convenientihîi^ organts injirucîo , nunquftm'
îiS dejperanda. Vt'/ius ?
C c ii^
6o6 Que ft ion de Médecine,
mariage ) qu'un riche appareil de tout ce
cju'ii faut pour exciter la tendrefTe, ou al-
lumer la paiîion î Pourroit-on appréhen-
der qu'une (î belle repréfentation devînt
Tans efFetjfur-tout ifî cet ample appareil fe
trouve dans un corps bien nourri , livré à
la volupté, pétri de mets déiicars, baigné
& animé de liqueurs chaudes , ou de
boidons rpiricueufes ; eft-il poOibie de
croire qu'un homme dans cet état , que
hs charmes amoljlfent , & que la volup-
té obfèdej puiiïe être infenfible à la vo-
hipté, ou incapable de rendrefTe? Peut-
on imaginer que tant d'inftrumens lu*
briques ne fe feront jamaisfentir l Oui
centres cela eft pofTible j on fe trompera
à toute cette belle apparence , fi elle eft
fujette à caution, fielleimpofe aux yeux,
fi elle les les féduir. Or elle les féduit ,
fi ces organes ont pins de montre que de
vérité , s'ih fant moins des réalitez quç
des reiïemblances , tant ils paroifTent dé-
niiez de force , d'aélion S^ de vie. QLi'ap-
pel lez- vous déniiez de vie , des parties
qui n'on ni mauven>ent , ni difpofîtion â
fe remuer 5 CVePt abu(ei du nom de vie ,
& leur faire honneur d'im titre qu'elles
ne méritèrent jamais. Ce ne font point
des parties mortes , elles n'eurent jamais
de vie > leur endormiflTement n'eft point
d'aujourd'hui , il n'eft pas contradc, il
S'il efi des Signes qui affûrent ^c, 6oy
cft aulfi ancien que ces parties , il eft né
avec elles. Mais s'il n'ei^ pas permis de
conclure qu'une chofe eft réelle , parce
qu'elle eft poilible , fera-t-il raifonna-
ble de fe promettre , de ce qui ne pur
j-imais rien , qu'il pourra jamais quclqifc
cho(e? Or ce qui n'a point d'aàion ni
de force ne peut rten -, il eft donc im-
puiflant. Ceux qui ont à vivre dans la
continencejDOurroient fefça voir gré d'ê-
tre nez avec cette forte d'inadion, eux
pour qui une forte inclination pour le
iexe 5 devient une tentation dangereufc
ou importune : mais cette tranquillité
affligera un mari * qui fe doit à fa fem-
me» Peut-être effayera-t-on d'excufer
J*impui(Tance d'un mari freid , par le
foupçon de maléfice *, mais mal à propos ;
Tctar des perfonncs mu'cfictées vient de
malice 5 & par cas fortuit ; au lieu que
celui dts TViTiùi froids vient de naiffarice ;
les froids font donc des hommes ir.eptes
au mariage, inébranlables aux traits de
la plus piquante pafl:on> laquelle n'a con-
tre eux ni éguilicn , ni force . gensd'aiU
leurs à qui il ne manque aucune des par-
lies qui déclarent le (exe j mais qui ne
(ont remuez ni fbîlicitcz par aucune de
CCS parties. Au (urpius , \cs froids , touc
avantagez qu'iJs font , autant que les au-
tres hommes i à' organes convenables , onr
C c iiij
6o^ Qtie/iio» de Médecine.
Je bonhwur de n'en êcre pas incommo-
dez j ils font exempts de tentation , parce
que ne fe fentant jamais iiommes , ils ne
iont point expofez aux faillies > ni aux
vivacitez de ce (exe. Ce n'eft pourtant
pas que la nature leur ait tout à-.^'ait mar>-
cjué , ou qu'elle leur ait entièrement re-
fufé fes Faveurs , elle a fçu d'ailleurs dé«
dommager leur difgrace *, elle en a fait
àQS Achille s y en les rendant en quelque
manière invulnérables. Cette aitenrion
en leur faveur , n'eft pas la leule par où
elle les diftingue , elle les avantage en-
core en ce qu'étant des ambigus d'hom-
mes , ou àQS individus neutres, n'étant
ni hommes ni femmes, ils ne font point
en bute aux infultes de l'un ni de l'au-
tre fexe, §c n'en ont point les maladies.
Mais brifons là-delTus ; il deviendroic
honteux de s'expliquer fur des matières,
que le détail rendroit obdènes , & dont
la pudeur ne permet que le généra). En
un mot , à^^ froids par nature , n'étant
point expofez aux loLilevemens , qu'-i^x-
citentdans le corps des paiîions honteu-
fes , n*ont point à combattre la concu-
pifcence j infenfibks an piquant de la
volupté , ou aux éguillons de la chair >
ils ne font ni portez , ni emportez au
penchant du plaifir, ils nefenccnt point
ks femmes, La raifon ca eft renfible^
S*il efl des Signes qui ajlnrent &c, Gôf
les organes qui font les maris ne les tour-
mentent poinr \ ces organes demeurent
en eux rrnn^uiiles, négligez, oubliez^
inutiles -, <te ibnc àz% pièces dormantes
que rien ne remue, à^s parties abattues
que rien ne relevé , àç.i indtumens oififs
que rien n'excite -, enBn des mafles lour-
des & pefantesque rien ne (oûleve, que
rien ne déplace , on ne met en œuvre.
I V.
VOiLA par cû l'on diflingoe \ù.
pîitjUfice d'un homme, à faucedc
quoi ij eft déclaré tnhahle au mariage.
Car cnhn , qu'ed ce qu'un mari ': qu'cfl-
ce qu'une femme ? Deux perfonncs (dit
l'Ecriture ) dans u/ie feule chair, Qu'cik-
ce que le mariage ? l'union des fexcs , fé-
lon la pnioledu Créateur ;/e mart (dit ii)
s^ttmra àja femme» Voilà ce que la foi
uous apprend , voici ce que la raifon
roiis enfeigne. L'œuvre du mariage cfî;
rcL-^.iivcou dépendante de deuxchofc?.
C'efc com.me un édifice qui fe fait de
pièces d'afTemblage , placées en diffé-
rens linix , d'où il faut les rapioclier.
Le germe qui doit opérer cette produc-
tion , eft dans un endroit \ l'œuf d'où
elle doit éclore , efl: dans un autre ; tous
^tv\yi en des réfcrvoirs différens , ce font
\^s fexes. L'œuf 5 qui eft l'ébauche de Ta-
uirnalj eft une petite mafTc de chaii im-
C c V
6 i o Q^Hefîiort de Aiedecine*
mobile , gillaïue & profondément np-
chce dsns le corps de la femme. Léger-
m-e ( par lequel on doit entendre une
matière vivifiante ) eft dans le corps de
l'homme , d'où il doit s'échaper dans ce-
lui de la femme, par reflFort qu'il reçoit
vers roEiif , qtf il eft obligé d'aller cher-
cher au loin. Pour y arriver, il a eu be-'
foin d'un paffage pour le porter d'u:i
corps à Faiitre , & aller animer cette
malfc immobile , ou la mettre en branle;
ce ptiflige cfl l'union des fexes , (î nc-
ceilaire d'ailleurs , qu'un mari décheoit
de fi qualité , s'il ne peur y ficisfaire :
en effet l'homme cfl dans cette aélion
ie principal acteur, au lieu que la fem-
me n'y eft qu'en fécond \ le mari in-
Hlîc dans cette œ-.îvre , la femme ne
fait prefque que s'y prêter ; celui-là
fournit la caufe du mouvement qui va
(e faire , celle-ci Ini donne la matière ;
i'u:i envoyé le reffort qui va porter la
vibration , l'autre fournir le lieu qui doit
le Io;>er -, en un mot l'un transfère le
penâîiîe qui va commencer VofcUUtion ,
l'autre Li matière qui va s'y foûmertre r
parce que l'homme portant le germe ,
auquel les Latins donnent le même nom
qu'a un pendule * , il e(l vrai de dire que
le mari porte la caufe àQS vibrations ^ ÔC
* Oj^iU veut dire germes.
^ilefî des Signes qui ajourent ^c. ^i i
que ia femme lOurnic Itsiiiftiumens qui
doivent les continuer. Ccpendaiu l'œuf
ncpoiivant Te rendre vers ie gtrme, pour
recevoir fa fécondation , c'eft une nécef-
Çné nu germe d'aller trouver l*œuf. Il
arrive même quelque cho(e de plus j car
pour queie germe ailac trouver l'œuf ^
il faudroic que l'œuf im dans un endroit
découvert , non détourne , aifé à attein-
dre ; mais au contraire il cft dans urj
lieu profond & reculé , c'eft pourquoi
fl faut wv>ç-puîfjaKce dans l'homme , oit
une force de rejfort dans les organes qui
donne au gern^ie toute Timpultion Tuf-
fi(ancc pour pouvoir atteindre l'œuf:
on CK pouvoir atteindre , parce qu'il
n'ed pas nécedaire pour établir la puif-
J9,nc€ de riîomnre , que le germe attei-
gne l'œuf V un mari en eft quitte , & doit
être cenfé avoir fait tout ce qui dépend
de lui 3 quand il a donné au germe qui
part de fon corps , affez d'élan & de fail-
lie , pour atteindre l'œuf. Ces termes fi -
gurez ^-L métaphoriques renferment l'i-
dée de la puijf^ucce de l'homme , qui con-
irAQ uniquement dans une direction con-
fiante de convenable dans les organes,
& dans une force ftifiSfatJte de redort ,
qui chaiTe au loin le fuc deftiné à la fcî-
condirion. Car enfin accordanr à un
feomme cti'ii n'eft pas rcfpcnfable de ce
6 i 2 Q^aeiliôH de A'fedectne,
que loti maiiaoe eft ians Finit j i! n\Tt
point excufablc, s'il lui cil impoiîible de
faire ce qu'il faut pour en avoir \ cac
qu'il ne devienne point père, pcur-êcre
icra-ce l'effet de {on malheur , maisqu'ii
ne piiiife être mari , ce ne peur être poui*
lui qu'un (ujet de confuiion. Qiî'il arri-
ve, par exemple , qu'un œuf le trouve
vicié dans le corps à'uno: Femme, inepte
à la Fécondation , c'eil-àdire mal difpo-
fc pou? recevoir le germe _, les^ (cxts fc
joindront fans fruits mais la faute vien-
dra de la part de la Femme , non de cel-
le de l'organe qui lance le germe, ni du-
germe qui t^t lancé , pourvu qu'il foir
confiant que Yélafiiate de l'organe, fo!i
attitude de U dirtclion ayenr été tclks ,
êc pendant aulfi long-rems qu'il a fallu
pour affûrer au germe fa dcftination ^z
ia détermination vers la fécondafion^.
Car l'œuFcrant incapable de (e trauFpor-
ter, il ne peut recevoir de mouvement
que par la rencontre du germe , qui vient
le heurter, & le mettre en branle. C'efè
«ne Ferre de choc qu'opère la vtbratta» ,
par Laquelle le germe com.muniquant à
l'œuf la détermination qu'il a reçue de
l'organe d'où il part , hii tranfmec (on
ftiouvemenr -, ainfî plus l'œuf a de cifft-
culté pour fortir de Fon repos & Fc le-
ver de fa place > plus la puiilânce de
S'il efi des Signes cjui ^Jfi4r€)it zfc 6i^
rhomme doit s'cicvcr ëc s'aceroîrre ,
pour kiitranfmcftreccmouvcmenr. Tout
ceci fait comprendre qu'en montrant un
pompeux attirail d'organes , notables par
leur preftance , fufôiants par leur nom-
bre , diftinguez par leur volume, c'cft
prouver qu'il ne manque ritn au (exe
d'un homme i mais cela n'ôre pas le dou-
te qu'ii ne manque beaucoup à la con-
dition d'un mari , laquelle ne fe dé-
cide pas par la préfence de harix orga-
nes y mais par les înarques effcdiivesde
leur action ; de-forte que des que ces or"
ganes fe font voir capables de putjjay7ce ^
ou propres à leurs for.ccions , fufTenc-
ils e;iiploy.ez fans fruit, un mari e(î pur-
gé du ioupçon d'impfiiftn^ce , parce qu'it
a fair fon devoir •> au contraire , ne pra-
duifant qttc àts parties nonchalantes »
pueH'eufes , fîa(qucs > incapables de fs
remuer , parce qu'elles ne remuèrent ja-
mais , ce n'cft que dequoi parer un/Vi-
fuijfaKt , ou l'honorer d'un mafque de
puifîance. Le foupçon fera confirme , (i
cette prétendue puilfance s'éroit endor-
mie ou oubliée a c6:c d*une jeune fem-
me ; car chercher après ctiic épreuve
un C\gnQ à'tmpuijjance moins équivoque,
ce feroit chercher le foleil en plein midu
Cependant parce qu'ii efl des gens qui
fê plaifent dans le dourc , & qui aiment
^14 Qjieftidn de Méâsche.
à le boucner les yeux , la marque fuî*
vanre elt fans réplique : C'eil: li ccîcc
préceridue femaie (e trouvoir fille nuièj
(es noces. L'o-biigera-t-on à en faire prca-
veîelle n'y employerani argent , ni chi«
canes, ni mauvaifes difficulccz, la vihre
de fa perfonne fera (a caution. Maisccr-
te preuve , dira-t-on , cft une àt cespro-
dudions imaginaires d'une têce échau'-
fée de Médecin , qui entreprend (ur ce
qui ne fut jiinais de fa compétence, fur
ce qui excède fon pouvoir , & qui pafîc
(es connoifîances. La belle reiîource !
Comme fi on pouvoir imaginer que àz^
Juges crulfent avoir befoin de Méde-
cms & de Chirurgiens , feulement pour
en faire des infpecfceurs , leur donnant
des parties à compter , à décrire & à
mcfurer. Ce feroit bien la peme d'em-
ployer à ime œuvre \\ ba(le,& à \v(\^
fonârion (i aifée d'habibs maîtres & de
fçavans hommes. Cette intention ne fut
jamais celle Ats loix *, mais parce qu'il e?l
ordinaire a des hcyinints i^pfiijfa^ts par
figidité d'être parfaitement conformez. ,
ks Jages confukent à^s Médecins pour
fçâvoir d'eux , fî ces organes parfaits à
la vue onr d'ailleurs leur puiflance , &
leur validité pour l'œuvre du mariage':
ce lï'efl: donc pas pour juger d'une bel-
le montre , ou d'une avantageui!e leprc-
S't! ejl des Sigtî^s ijui .ifj firent ^c. 6 1^
(enration à' organes qu'ils (ont appeliez ,
mais pour décider de ieui pmjfance , ÔC
fixer leur valeur.
V.
ON oûf^iffc^ qu'il efi: des confliru-
rions parefTcules & des tempéra-
mens tardifs. On propofe un jeu»e hom-
me * en qui les efpérances font belles^
fondées qu'elles font fur la fleur d'une
jc-unelfe brillance, (ur un-corps frais, &:
richement orné à' organes, N'eft-ce pas la
de quoi (e tout promettre r Un jeune
mari ainfi bâti , promet- il peu en amour î
Y a-t-il rien au contraiie , dont on ne
doive (e flacer delà part d'un il brave
athlète î certes des efpérances manquées
deviendroient capables de retour dans
un (ujet de (i belle reifource! Il faut
feulement donner quelque chofc au rems*
& ne fe pas reburer pour les délais > ils
feront amplement reparez dans la fuite
avec un peu de patience ; le tems qui
eft un grand Médecm, pourra remédiei
aux manqucmens de l'âge ; \t^ délais
même conviennent en fait de mariage:
car cfuel^tie tjnpatience cjH'ayent des époux
de s'unir , ils y viennent toitjoHrs k tems.
On fait valoir les charmes de ce jeune
homme ; mais on veut dans un mari d^s
* Voyez la Thèfe , In ^Hvsne conveniemihm .
&c. di'ja ckcc.
6 i 6 Qjieflion ds A^IedectHe»
attraits qui prenneiît ; car U/))y^ ne pafl
foie pas pour beau , mais i! ë^oit piiifFant,
Il le deviendra (dit-on) avec l'âge:
mais les vrais brèves n attendent rte-n à't
tems , Ç3 la vertu naît avec les' gra,uls-
hommes. Mais enfin de grâce pourquoi
déiefperer ce jeune homme l Pourquoi
lui otir l'efpera*fçe , la feule chnfe quinom
ffiit iufqud lu mort ? Hàtez.'VQus doue
( dit Ariftarcjue, ) évertuez^-votàs ^ qu'oyi
ne vous voie ^ius fans rien faire \ car tan^
dis que vous Liijferez. te monde en attente
de quelque chofe , voî4'S pourriez, bien par
avance nêtre rien. Le délai commençant
donc a devenir pour voît4 de mauvai'.e au^
gure , // vom convie'rtt de faire underrder
effort , (3 de vous exciter k finir. . . . •
Mais ce jeune homme n'y t^i ^ dir-on,
point porté , il cfl: infenfible pour le»
femmes, '\\ ne fc foucie pas de devenir
père. Oj^il s'en fuucieparpoïKt d'honneur»
Mais quel point d'honneur, à montrer
^tî lignes de puidancc, & à obliger une
tille à ic f^iire voir telle î Qr^ioi de pins
honteux ? Prétextes , excufes fiivoks ,
ordinaires dans la bouche f\<^s impuiffansi
ilsfe piquent de pudeur pour s'épargner
la honte de leur état. Car enfin fera-t il
contre la pudeur , de fc conformer à
ce que les Loix ordonnent , à ce que
k Religion permet ^ à ce que Tufa-
s* il efl des Signes e^m aptrent &c, 6 1 7
ge autorifcf } N'eft ce pas plûrôr le ma-
riage des tmpHijjli'f^s^ cjui eft une infamie»
parce qu'ils ne fçauroir effayer d'en ufec
fans crime? Vous les voyez cependant ces
impHijfans , mettre leur dernière refîbur-
ce dans la cohahitatio» , qu'ils deman-
dent en giace pour s'éprouver , perfua-
dez que^la paflion pour les femmes fe
prend ou s'accroît à leurs cotez. Mais
cet expédient qui réiifTîr à ceux qui (ont
capables pour le mariage , tourne à la
conFufîon de ceux qui (ont froids , par-
ce qu'ils fe convainquent par-lâ déplus
en plus de leur indigne foiblefTe. Au-
furplus peut-on permettre à des impuij'
fayjs un Sacrement qu'ils ne peuvent que
profaner par le crime d'une impudicifé
monflrueufe ? La cohahitution s'accorde
pour eiïayer des époux , en qui les paf-
fions tardives fuppofent «n germe de
puilTance qui doir enfin éclore : mais
pour un jenyie homme avar.t ^igé d' organe s ,
autant qu'on le dit , en cjtti tout potijfe
OH végète i que Ini refie-t - il qt* k éprouver
ces organes dans le mariage f Délibérer en
p.vreii cas , cefi manquer l'cceafmi ^ per»
dre les heatîx jours. L'avis efl bon , mais
à qui fcroir en puij[(wce de l'exécuter.
Mais trêve, fe recrie-r on , (ur ces preu-
ves, qu'on n'en parle plus , elles (oi:e
criminelles & hon^eufe5. Ce font des oeu-
6iS Queflion de Méâiclne,
vrcs de ténèbres , lefqLiels fembiables aux
oifeaux de nuit dirparoifTcnc au grand
jour , ou que la vue des hommes cfni-
rouche \ ils ne s'accommodenc que de
l'obfcnricé & du fecrer. On ajoure que
ce feroit s'exercer au crime , s'exciter à
la pafljon, & fe profiituer â l'infamie j
enfin que ce feroit faire revive ces in-
fimes épreuves que le Barreau a fi fage-
ment profcrites. Certes , on fc laifîcroiîf
quafi prendre à ces apparences de pu-
deur. Mais pourquoi trouver ce jeune
homme, quieft libien en organes, avec
fi peu d'apparence de mari 1 Pourquoi
fauc-il l'obliger de fe montrer dansl at-
titude qui arrive à ceuK qui ne (ont poine
piiàs ^ C'eft , dit on , que ce feroit une
fcélcrateiïe dans un homme qui excrce-
roit ces organes à l'impudicité. Aiaisl'oa
%t\\ tient à ce qu'une ancienne coutu-
me autorife , à ce que TEglife voit &
foviffre , à ce que les Souverains Ponti-
fes permettent, a ce que !a néceOité exi-
ge. Nécefiité ? Oiii nécefliré , fi 1 on veut
préferver les mariages d'infâmes licen-
ces ^ ou d'inutiles attentats de la part àt%
impHifJaas : car fans la précaution d'obli-
ger à montrer des marques d'homme,
on ne peut plus inquiéter perfonne pour
caufe d'impuiiïance , il ne faudra plus
U deiïus ni Loix , ni Arrêts. Mais enfin
S^îl îfl des Signes qui ^ffurent £^c . (^19
fi l'on foupçonne du crime dans l'action
d*un homme qui montreroit ces mar-
ques*, la nature qtii a fi bien fervi ce jeu-
ne homme en organes , manqaeroit-
clle â lui en faire fentir le pouvoir 1
Qti'il montre ce pouvoir quand il eft
follicité par elle , on le tienr quitte.
Mais s'il ne fe fent jamais follicité ? il
faut s'en tenir à fon aveu , il cfl: im»
pHifjant. Mais il fe fentiroit follicHé au-
près d'une jeune perfonne ? le mariage
en fera la preuve. Mais fi la pauvre ma-
riée déchïQ que ce jeune homm^^ l'a laif-
fce fille ? que dire d'ailleurs ^ fi en
confcquence on trouve que ces organes
fi vantez font moins des organes que des
malTcs , tant ils font abatus , noncha-
lans, defœuvrez ? Qiie penfer encore ,
fi cette mariée fans mari, offre démon-
trer en fa perfonne une marque incon-
teflable que fon époux ne s'eft point ba-
zarde' delà rendre femme -, laquelle mar-
que fera l'intégrité de fon corps? La pro-
pofition vous choque , vous aimerez
mieux offrir d'accorder àl'époufelemê-
me voile de pudeur que vous avez de-
mandé pour l'époux. Mais pourquoi chi-
caner ]à-de/Tus?A quoi bon ces dérours J
N'eft-il point dts chofes honteufcs que
la nécclîiré aurorifej Tout devient pur â
un cœur qui n'tft pas corrompu > & tout
€io QueJIioH de Méâecm:,
ce qui eft honteux , n'eft point impur, â
moins qu'un efprit gâté nes'y intéreiîe.
D'ailleurs , eft- ce d'aujourd'hui qii*on a
cherché dans la vtfite des marques de
la fagelîe des filles ? C'éroit une couru*
me en ufage du rems des premiers Pères
de l'Eglifcdc vifiter les Vierges Chré-
tiennes accu(ées d'impudicité ,* <?c de-
puis ces tems Xinj^eBion a été autorifée
par les Loix. Vous criez à l'incertitude,
parce que vous n*en croîez nulle part
tant que dans ces fignes de fagefTe. Mais
c'cft aimer à fc tromper -, ces iignes ont
de la certitude, à la manière des cho-
fes qui font certaines en Phyfique. On
ne s*y rapporte de la vérité d'aucune
cho(e à une feule marque , auiji ne faut-
il point s*atrendre qu'on s'en fie ici à m>
feul de ct% (îgnes , ou qu'il n'y en fîit que
d*univoques. On enramafTe de différen-
tes fortes ^ de la condition à^^ pcrfon-
nes , êk^% circonftances du tems , du lien ,
de leur conduire ; & du concours de
tous ces indices on forme fa décinon.
C'en fera alîcz pour allûrer le jugement
d'une perfonnc qui ne chercheia que la
vérité. Il paroitroit peut-être de Tinccr-
îitude dans une fille qui n'auroit failli
qu'une fois *, cependant en ce cas même
les Juges décident fur le rapport des
Experts. Mais cette di&uké n'aura
S'il e fi des Signes qui affurerit , &c, 61 1
point lieu dans une femme, dont un
homme fe déclarera le mari , puifqu'un
commerce journalier des deux fexes doit
abfolument effacer jufqu aux veftiges de
ces fignes , 6c les dérober à la vue. Mais
s'il n'eft pas pofïîble d'obtenir cette vûëj
s'il y a du doute fur les organes du mari ,
ou que leur puiffance ne foit pas prou-
vée , par où s'alTûrer qui eft fîlle , ou qui
efl hom.me ? Rien au contraire ne ca-
raâ:érife fî bien les filles. En effet par
les preuves ordinaires on n'auroit ici
trouvé qu'une fîlle dans l'un des deux
fexes , au lieu qu'en voilà une dans cha-
cun des deux ; car cet époux ne peut fe
montrer homme, cette époufe montre-
ra qu'elle n'efl pasfemme; tirez la con-
féquence , ils font tous deux filles.
// ejl donc des Signes qui ajjurent de
Ufuijjance des Hommes , autant
que le font ceux qui réfondent de
Ufàgejje des Filles.
I