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DES
ASSEMBLIES NATIONALES
EN FRANCE.
ss^v.^^^. ^%^>>i;^,. ,
lUPRIMEniE DE JBLES DIDOT aInE.
ImprioMur du Roi, ma du PoDt-d«-Lodi, a' 6.
DES
ASSEMBLIES NATIONALES
EN FRANCE,
DEPUIS L'fiTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE
jusqu'en 1614,
PAR M. LE BARON
HENRION DE PANSEY,
fREMIEa PR£SIDEMT OS LA COUB DE CASSATION, CONSEILLES d'^TAT,
CHEr DU CONSEIL OE S. A. R. M'> LE UUC d'oRU^ANS,
COHMANDEUR DE l'oRDKE ROYAL DE LA l£giON d'hONNEUR,
CHEVALIER DE l'oRDRE DE SAtNT-MICHEL.
SECONDE Edition.
TOME PREMIER.
PARIS,
THfeOPHILE BARROIS PERE ET BENJAMIN DIJPRAT,
nUF, HAUTEFEiriLI-K, IS" 28.
1829.
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in 2007 witii funding from
IVIicrosoft Corporation
littp://www.arcli ive.org/details/desassemblesnaOOIienriala
AVIS DE L'fiDITEUR.
Les additions nombreuses faites a cette seconde
edition doivent la faire regarder comme un nou-
vel ouvrage du venerable magistrat que nous ve-
nous de perdre. Ne considerant sa premiere edi-
tion que comme un simple essai, M. Henrion s'est
occupe jusqu a son dernier jour de perfectionner
et de completer son travail. Quelques heures
avant sa mort il se faisoit relire les pages de son
manuscrit, et dictoit encore ses corrections avec
une puissance de jugement qui faisoit esperer la
prolongation de sa noble carriere.
Nous n'entreprendrons pas leloge de M. Hen-
rion de Pansey. Des voix eloquentes ont rendu
hommage a son savoir profond, a la beaute deson
arae, a son patriotisme eclaire. G'est a ces qualites
quil dut son elevation aiix plus hautes fonctions
de la magistrature et de Tetat. Mais la niodestie,
qui ne I'abandonna jamais dans une vie si pure et
si honorable, nous defend de parler de son merite
eminent a la tete dun ouvrage dont la publication
a ^e comiiiencee par lui-meme.
Boraons-nous done a indiquer en qtioi cette
edition se distingue dela precedente. Dafns Tintro-
VJ AVIS DE l'^DITEUR.
duction M. Henrion de Pansey a trace I'histoire
des gouveniements de I'Europe au moyen age et
dans les temps modernes. Ainsi le lecteur com-
prendra mieux le veritable etat de la nation fran-
coise apres I'avoir comparee avec les peuples qui
I'entourent; et, voyant les uns soumis au regime
feodal, d'autres en proie a Tanarcliie, il recher-
cbera les causes de liberte ou d'oppression qui ont
influe sur des peuples voisins.
A certaines epoques, et notaniment dans le
treizienie siecle, il s est opere d'un regne a un
autre des changements importants dans la societe
politique de la France ; et en presentant dans la
premiere edition nos assemblees nationales isolees
Tune de I'autre, peut-etre I'auteur avoit-il trop
compte sur les connoissances ou sur la memoire
du lecteur. Pour repondre a cette objection,
M. Henrion de Pansey a retrace les evenements
qui, a ces differentes epoques, avoient prepare
ou necessite la convocation des etats-g^neraux.
Ces additions, qui lient entre elles les differentes
parties du livre , en font en meme temps une veri-
table histoire de notre pays, consideree sous les
rapports qui occupent le plus aujourd'hui les es-
prits serieux. Nous pouvons maintenant suivre les
progres de la civilisation en France dans le deve-
loppement successif de nos institutions.
AVIS DE l'6dITEUR. vij
On aime d'ailleurs a voir ce peuple, que bien
desgens croient ne d'hier^laliberte, se montrer
dans tons les temps fier et jaloux de ses droits. La
forme actuelle de notre gouvernement a ses pr^-
liminaires dans nos anciennes assemblees natio-
nales, qu un homme d'esprit( i ) a si ingenieusement
appelees les titres de noblesse de la Charte.
(i) M. de Salvandy.
k %/«,^ -«/«/V^/W'%/%/%^
TABLE
DES CHAPITRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
Introduction. De la liberte en Europe dans le
moyen kge. Des republiques d'ltalie. De la ligue
Anseatique. De I'etablissenient des communes.
Des cortes d'Espagne. Des cortes de Portugal. Du
parlement d'Angleterre. Des etats de Flandre. Des
constitutions de la Suede. Des Cantons suisses.
De I'empire d'Allemagne. Du royaume de Hon-
grie. Page i
Chapitre premier. Des assemblees nationales sous
les deux premieres races. (48 1 — 987.) 89
Chap. II. La France depuis Hugues Capet jusqu'a
Philippe-le-Bel. (987—1285.) ii3
Chap. III. Philippe-le-Bel. Origine des etats-gene-
raux. (1285 — i3i4.) 174
Chap. IV. Suite du chapitre pre'cedent. Changement
dans la constitution de I'etat. 1 90
Chap. V. Qu'il n'y eut point d'etats-generaux sous
les quatre premiers successeurs de Philippe-le-
X TABLE DES CHAPITRES.
Bel. Expedient employe pour subvenir aux de-
penses extraordinaires, sans recourir a la nation.
(i3i4 — i35o.) Page igS
Chap. VI. De I'etat de la France depuis I'avenement
du roi Jean au trone, en i35o, jusqu'a I'ouver-
ture des etats-ge'ne'raux en i355. 203
Chap. VII. Etats-gene'raux de i355. 212
Chap. VIII. De I'etat de la France et de la disposi-
tion des esprits a I'ouverture des etats-gene'raux
de I 356. 223
Chap. IX. Etats-generaux de i356. 232
Chap. X. Suite des etats-generaux de i356. 246
Chap. XI. Observations sur les etats-gene'raux de
i356.
Chap. XII. Etats de la langue d'oc, tenus a Toulouse
au mois de septembre de I'annee i356. 271
Chap. XIII. Etats-generaux de I'annee i357. 277
Chap. XIV. Etats-generaux tenus k Compiegne en
i358. 280
Chap. XV. fitat de la France a I'ouverture des etats-
generaux de i35g. 284
Chap. XVI. Etats-generaux de i35g. 288
Chap. XVII. Suite des etats-gene'raux de 1359. Re-
prise des hostilites. Paix de Bretigny. 293
Chap. XVIII. Etats-ge'neraux de I'annee 1367. 299
Chap. XIX. Etats-generaux de 1369. 3o3
Chap. XX. Suite des e'tats-generaux de iSSg, et de
I'etat de la France jusqu'aux etats-generaux de
i38i. 3i3
TABLE DES CHAPITRES. X)
Chap. XXI. Charles VI. Etats-generaux del 38 1. Page 32 1
Chap. XXII. Charles VII. 3^3
Chap. XXIII. Etats-generaux de il\&']. 33o
Chap. XXIV. Mort de Louis XI. Difficultes concer-
nant la regence. Convocation des etats-generaux. 344
Chap. XXV. Etats-generaux tenus ^ Tours en i483. 348
FIN DE la table UU TOME PREMIER.
INTRODUCTION.
De la liberte en Europe dans le moyen Age. Des repu-
bliques d'ltalie. De la ligue Anseatique. De I'etablisse-
ment des communes. Des corles d'Espagne Des cortes
de Portugal. Du parlement d'Angleterre. Des eta'ts de
Flandre. Des constitutions de la Suede. Des Cantons
suisses. De I'empire d'Allemagne. Du royaume de
Hongrie.
Les peuples du Nord qui, dans le cin-
quieme siecle, s'emparerent des parties
meridionales de I'Europe, y etablirent
des gouvernements libres. Trois cents
ans apr^s les fiefs etoufferent la liberte, et
du sein des institutions feodales sortirent
des monarchies dune nature aussi bizarre
que nouvelle; des monarchies ou le pou-
voir etoit attache, non :a la couronne,
mais k la propriete; ouleroi n'etoit puis-
sant dans son royaume que par les sei-
gneuries qu'il y possedoit; ou chaque
seigneur, sans avoir le titre de roi, en
avoit a-peu-pres la puissance dans les fiefs
2 INTRODUCTION.
• dont il etoit le proprietaire ou le suzerain.
La loi des fiefs formoit alors le seul
droit public de I'Europe. Les rois ne pou-
voient commander qu'en son nom, ne
pouvoient exi(>er que ce qu'elle leur ac-
cordoit. Etablie par des hommes qui ne
connoissoient, qui n'estimoient que la
profession des armes, le service militaire
etoit le principal ou plutot I'unique objet
de sa sollicitude; elle en regloit avec un
soin minutieux les conditions et les char-
ges. Dans son systeme, quiconque occu-
poit un rang dans la hierarchic feodale
ne devoit k ses superieurs, au roi lui-
meme, que ce qu'il avoit le droit d'exiger
de ses inferieurs; de maniere que tout
homme qui possedoit un fief pouvoit
mettre sur pied autant de soldats quil
avoit de vassaux.
Cette forme de gouvernement avoit
organise I'anarchie dans tons les pays
soumis au regime feodal. Par-tout I'ordre
legal avoit fait place a une espece de droit
des gens inconnu jusqu'alors. Les hauts
INTRODUCTION. 3
seigneurs se croyoient en droit de trailer
enlre eux, et avec le roi lui-meme, de
puissance k puissance. Cliaque grande
baronnie avoit ses frontieres, ses places
fortes, son armee; et comme aucune de
ces armees n'etoit assez puissante pour
obtenir des avantages decisifs, pendant
trois siecles les guerres ne furent que des
brigandages organises et les paix que des
treves de courte duree.
Au milieu de ces desordres, dans ce
flux et reflux de defaites et de succ^s, de
seigneuries usurpees et reconquises, en
un mot sur ce theatre de desolation, on
ne voit que des rois et des seigneurs; et
Ton se demande ce que faisoient alors les
habitants des villes et des campa(]nes;
quelle etoit leur condition : cela est pe-
nible a rappeler, mais il faut bien le dire:
leur condition etoit deplorable. Cepen-
dant nous allons voir ces memes hommes
figurer dans les assemblees nationales
comme membres du corps politique, et
partager avec la noblesse et le clerge le
4 INTRODUCTION,
droit de s'imposer eux-memes. Comment
cette grande revolution s'est-elle operee?
k quelles causes faut-il attribuer un chan-
gement aussi extraordinaire dans I'etat de
la societe? Ces causes, je les vois dans
I'extension du commerce, dans les pro-
gres de la civilisation, dans I'affranchisse-
ment des communes, et sur-tout dans
la necessite ou les rois se trouverent d'e-
lablir des impots.
Ce commerce, ces arts, cette civilisa-
tion, qui font aujourd'hui notre orgueil,
nous devons leur renaissance parmi nous
a cescroisades qui ensanglant^rentl'Asie,
depeuplerent I'Europe, et ruinerent la
noblesse. Les seigneurs, persuades que
la fortune aussi bien que la gloire les
attendoit au-dela des mers , et que Tar-
gent absorbe par les frais d'une guerre
aussi sainte seroit place k un interet in-
calculable, vendirent leurs terres, et les
donn^rent au plus bas prix. Les rois ache-
terent les plus importantes; les moins
^considerables pass^rent dans les mains
INTRODUCTION. 5
des particuliers; et le premier resultat de
ces expMitions romanesques fut, dans
toutes les parties de ffiurope, d'affoiblir
laristocratie au profit des couronnes et
de la democratie.
Ces expeditions, qui jet^rent I'Europe
sur J'Asie, oper^rent dans le commerce
une revolution encore plus favorable a
la liberte. Les premiers croises s etoient
diriges sur Constantinople par TAllema-
gne et la Hongrie; ceux qui les suivirerit
prefererent s'y rendre par mer. Les villes
de Venise, de Genes et de Pise, four-
nirent les batiments de transport, et en
tirerent des sommes prodigieuses : ces be-
nefices eveillerent I'industrie. De tons les
ports d'ltalie sortirent des vaisseaux qui
porterent aux armees chretiennes tons
les approvisionnements qui leur etoient
necessaires; ces vaisseaux se chargeoient,
k leur retour, des objets d'agrement et
de luxe qui manquoient k I'Occident ; ces
objets, dissemines par la main du com-
merce chez tous les peuples de I'Europe ,
6 INTRODUCTION,
leur donnerent des besoins nouveaux et
des jouissances nouvelles. Bientot J'ltalie
devint le plus grand marche qui fut alors
dans le monde ender; et la plupart des
villes furent, les unes assez riches pour
acheter leur independance, et les autres
assez fortes pour la conquerir.
RfePUBLIQUES D'lTALIE.
II seroit trop long, et d'ailleurs tr^s dif-
ficile d'exposer les differentes constitu-
tions d'environ trente villes qui se for-
merent alors en cites independantes.
Toutes ces constitutions differoient par
quelques nuances, niais elles avoient cela
de commun que dans toutes la puis-
sance legislative etoit exercee par I'uni-
versalite des habitants; que dans toutes
le peuple elisoit ses magistrals ; qu'^ cote
de ces magistrats etoit place un conseil
compose des plus notables citoyens; que
les magistrats et les conseils, elus pour
un, deux, ou trois ans, etoient investis
INTRODUCTION. 7
du pouvoir executif; qu'en consequence
lis avoient I'admini strati on de la cit^;
mais que toutes les fois qu'il s'agissoit
de faire la paix ou la guerre, et sur-tout
quelques changenients dans la constitu-
tion de I'etat, ils etoient obliges den
referer a Fassemblee generale des ci-
toyens (i).
Vers la fin du douzieme siecle , il se fit
un grand changement dans la plupart
de ces petites republiques. Aux magistra-
tures collectives, dont nous venous de
parler, elles substituerent un magistrat
unique sous le nom de podestat.
Suivant M. Hallam, dans son Histoire
du moyen age (2), le podestat etoit quel-
quefois ^lu par une assemblee generale,
(i) Si I'oii veut des notions plus exactes sur ces diffe-
rentes constitutions, il faut recourir au bel ouvrage de
M. Sismondi sur les republiques d'lialie. On peut consul-
ter aussi Y Histoire de Florence , par Villani , et les Annates
de Genes, par Stalla.
(2) Tome III, pag^e 7 1 .
8 INTRODUCTION,
quelquefois seulement par les notables
de la cite. La duree de sa charge etoit d'uri
an; mais on prolongeoit ce terme en cer-
taines circonstances. II etoit indispensa-
ble qu'il fut dune famille noble, dans les
etats meme ou la noblesse du pays etoit
exclue de toute participation au gouver-
nement. II recevoit un traitement deter-
mine. II etoit contraint de resfer dans la
ville apres I'expiration de sa charge, pour
repondre aux accusations auxquelles sa
conduite auroit pu donner lieu. II ne lui
etoit perinis ni d'epouser une femme du
pays, ni d'avoir aucun parent domicilie
sur le territoire de I'etat, ni meme (telle
etoit leur jalouse defiance) de boire ou
de manger dans la maison d'aucun ci-
toyen. Ces magistrats ne jouissoient pas
par-tout du meme pouvoir : dans quel-
ques villes ils commandoient les armees;
dans d'autres, telles que Milan et Flo-
rence, ils n'avoient qu'une autorite pure-
ment judiciaire.
INTRODUCTION. 9
LIGUE ANSfiATIQUE.
Le nord de I'Europe ne tarda pas a
partager avec le midi les bienfaits du
commerce; mais les pirates sur mer, et
sur la terre les seigneurs, entravoient les
relations commerciales : les premiers en
rendant les communications tres peril-
leuses; les seconds par les droits qu'ils
imposoient sur les marchandises qui tra-
versoient leurs terres, souvent par des
confiscations prononcees sous les pre-
textes les plus frivoles, quelquefois meme
en organisant des bandes de voleurs pour
depouiller les marchands. Telle etoit la
foibJesse des gouvernements d'alors que
ces brigandages s'exercoient impunement
et publiquement.
Ainsi privees de la protection des lois,
les villes de commerce prirent la gene-
reuse resolution de se proteger elles-
memes. Mais elles ne pouvoient le faire
efficacement qu'en reunissant leurs forces.
lo INTRODUCTION.
Elles le sentirent et se coaliserent. Magde-
bourg et Lubeck donnerent I'exemple;
et vers Je milieu du treizieme siecle les
villes eparses dans les vastes contrees qui
s'etendent du fond de la Baltique jusqu'a
Cologne se reunirent au nombre de
quatre-vingts, etformerent lafameuse li-
gue Anseatique qui, sous la forme dune
republique federative, s'eleva au niveau
des monarques les plus puissants.
CHARTES DE COMMUNES.
Les grandes villes avoient appele la
liberte ; cette meme liberie leur donna le
gout des jouissances intellectuelles. Tel est
son noble cortege. C'est toujours accom-
pagnee des lettres, des sciences, et des
arts quelle apparoit sur la terre, lors-
qu'elle s'y montre sous ses veri tables traits.
Comme Fhomme sent avant de raison-
ner, et que I'imagination est la premiere
faculte qui se developpe en lui; en France.
INTRODUCTION. ii
comme par-tout ailleurs, les poetes pre-
ced^rent les savants , et nous eumes d'a-
bordnos troubadours. Les esprits netarde-
rent pas k se porter vers les sciences; mais
malheureusement ils prirent une fausse
direction. Au lieu d'etudier I'homme, la
morale, et la nature, ils s'egarerent dans
des rechercbes frivoles ; et la dialectique
des Grecs, la tbeologie scolastique, les
subtilites metaphysiques des Arabes, fu-
rent a-peu-pres les seuls objets de leurs
meditations (i).
Cependant la science, telle qu'on la
concevoit alors, etoit couverte de la vene-
ration universelle. On a peine k concevoir
I'entbousiasme qu'elle inspiroit. Quicon-
que se distinguoit dans les ecoles, fut-il
de la plus basse extraction , parvenoit aux
premiers emplois civils et aux plus hautes
(i) Par exemple, si la lumiere qui apparut a Jesus-
Christ sur le Thabor etoit creee ou increee.
12 INTRODUCTION,
dignites de I'Eglise. Dans les colleges, et
sur-tout dans les universites, le nombre
des etudian ts etoit immense ; k Paris , disent
quelques historiens, il surpassoit quel-
quefois celui des habitants. Le professeur
Abailard(i) avoit habituellementplus de
trois mille auditeurs; et dans I'impossibi-
lite de trouver des salles qui pussent les
contenir, il donnoit quelquefois ses le-
cons en plein air.
Cette revolution dans la sphere de I'in-
telligence produisit une commotion gene-
rale, et de cette fermentation sortirent
les chartes de communes; ces chartes qui
nous, ont donne le regime municipal,
bienfait inestimable, qui a brise le joug
des servitudes feodales, et rendu les
(i) Abailard etoit ne au Palais, pres de Nantes, en 1079.
II surpassoit deja tous les lettres de la Bretagne par I'e-
tendue de ses connoissances, lorsqu'il vint a Paris pour
suivre les lecons de Guillaume de Champeaux , qui pro-
fessoit la theologie a I'ecole episcopale , et la rhetorique
a celle de Saint- Victor. A son retour Abailard tint ecolc
a Melun , a Corbeil , et a Paris.
INTRODUCTION. i3
hommes k la liberte civile (i). Mais il y
avoit loin encore de cette liberte civile k
la liberte politique, je veux dire au droit
(i) Les chartes de communes differoient par quelques
nuances. En France ellesetoientuniformes sur les points
suivants :
1° Affranchissement de toutes les servitudes person-
nelles ;
20 Abonnement des taxes arbitraires a des sommes de-
terminees ;
3° Ces chartes renfermoient un certain nombre de dis-
positions legislatives qui regloient les principaux actes
civils , et fixoient les peiues des delits les plus ordinaires ,
et notamment des delits de police;
4° Elles garantissoient aux membres de la commune le
droit de n'etre juges que par leurs pairs, c'est-^-dire par
des olficiers de leur choix, qui avoient la manutention
des affaires de la commune, y maintenoient la police,
et y rendoient la justice ;
5° Ces officiers etoient autorise's a armer les habitants
toutes les fois qu'ils le jugeoient ne'cessaire pour la de-
fense de la commune et de ses privileges , soit contre des
voisins entreprenants , soit contre le seigneur lui-meme.
Dans la charte de commune de la ville de Saint-Jean-
d'Angely, Philippe IV non seulement permet, mais or-
donne aux habitants de s'armer et de repousser par la
force toutes les entreprises contre leurs droits et leurs
privileges.
Dans celle de la ville de Roye, il est dit que si'un etran-
i4 INTRODUCTION,
qui appartient k une nation de s'im-
poser elle-meme, et de concourir, par ses
representants, k la confection des lois qui
la gouvernent. A quelle epoque, et de
quelle maniere cette distance a-t-elle ete
franchie? G'est ce qui nous reste k exa-
miner.
, INTRODUCTION DU TIERS-fiTAT
DANS L£S ASSEMBLEES NATIONALES.
L'Europe , pendant la plus grande partie
de la periode que nous parcourons, offre
un spectacle aussi bizarre que nouveau.
Sur le premier plan se presentent les rois
et les seigneurs , rivaux superbes qui ab-
sorbent tous les regards; et dans le fond
du tableau figurent les peuples que Ton
apercoit k peine. Les rois, converts des
ger cause quelque dommage a la commune, et qu'il se
refuse a la sommation de le reparer, le maire, a la tete
deses concitoyens, ira detruire I'habitation du coupable;
et que si les forces de la commune sont insuffisantes , le
roi y joindra les sienne^.
INTRODUCTION. i6
insignes de la royaute, ne jouissent des
attributs qui ea constituent la force que
dans les seigneuries qui leur appartien-
nent; la seulement ils ont des sujets. Hors
de leurs domaines ils n'ont que des vas-
saux; et ces vassaux ne connoissent d'au-
tres devoirs que ceux que la feodalite leur
impose. Enfin les peuples courbes sous le
joug des servitudes feodales, et presque
par-tout attaches ci la glebe, sont, comme
les terres qu'ils cultivent, la propriete des
seigneurs.
Les vassaux du roi lui devoient un
triple service: a la guerre, dans ses con-
seils, et dans sa cour de justice. La duree
du service militaire, proportionnee h.
limportance du fief, etoit ordinairement
de quarante jours , quelquefois desoixante,
et rarement de quatre-vingts. Ce temps
expire, les seigneurs, suivis des hommes
d'armes qui les avoient accompagnes,
quittoient I'armee, et la campagne etoit
finie.
II n'en fallut pas davantage tout le
i6 INTRODUCTION,
temps que les rois n'eurent k combaitre
que les pretentions, n'eurent a reprimer
que les entreprises des grands feudataires.
Comme ces sortes de guerres exigeoient
peu de preparatifs , que pour I'ordinaire
les combattants residoient sur les lieux
qui en etoient le theatre, et que le plus
souvent unecampagned'un mois ou deux
suHisoit pour les terminer, quiconque
possedoit un fief etoit toujours pret a re-
pondre a I'appel de son seigneur. II n'e-
toit question alors ni de solde, ni de re-
traite, ni de decoration. On avoit pris
les armes pour remplir un de">'oir, on
trouvoit sa recompense dans la maniere
honorable dont on I'avoit rempli.
, Ces petites guerres, que Ton pourroit
appeler des querelles domestiques , occu-
perent exclusivement tons les rois de I'Eu-
rope pendant les onzieme et douzieme
siecles, etmeme pendant une [;rande par-
tie du treizieme. Rattacher a leur cou-
ronne les prerogatives et les domaines
usurpes par les grands feudataires fut,
INTRODUCTION. '' 17
pendant toute la duree de cette periode ,
leur grande, leur unique affaire. Gomme
elle exigeoit I'emploi de tous Jeurs moyens,
I'idee de prendre part k ce qui se passoit
ailleurs ne se presentoit pas meme k leur
esprit.
Enfin I'autorite royale prevalut sur la
puissance des seigneurs, etl'Europe chan-
gea de face. Libres des entraves qui jus-
qu'alors avoient gene leurs naouvements
et comprime leur ambition, les rois jet-
tent sur les pays qui les environnent des
regards inquiets et jaloux, et prennent
respectivement des attitudes hostiles.
Transportee sur ce nouveau theatre,
la guerre devint une science qui apprit
aux conquerants, non seulement k faire
le meilleur emploi de leurs forces, mais
a les augmenter par des alliances sage-
ment combinees. Cette lecon ne fut pas
perdue pour les souverains d'alors. Les
princes qui regnoient sur la partie septen-
trionale de I'Espagne se reunirent contre
les Maures qui en occupoient la partie
i8 INTRODUCTION,
meridionale; les rois d'Angleterre s'allie-
rent avec les Flamands centre la France;
et les rois de France avec les Ecossois
centre I'Angleterre.
Jusque-la les souverains avoient convert
leurs depenses avec les produits de leurs
domaines et le service personnel de leurs
vassaux; mais ces ressources se trouve-
rent bien inferi cures k leurs besoins, lors-
qu'ils s'armerent les uns contre les au-
tres. Les guerres devenues longues et plus
opiniatres exigerent des troupes soldees;
et I'argent en devint le premier mobile.
Mais comment sen procurer? la voie des
impots netoit pas encore ouverte; les
peuples n'en avoient jamais paye, et les
rois n'avoient pas le droit d'en exiger.
En demander a leurs sujets et n^gocier
avec eux etoit done le seul moyen d'en
obtenir. Ce moyen fut mis en usage; et
ces grandes assemblees, connues en Es-
pagne sous le nom de Cortes, en Angle-
Jerre sous celui de Parlement , et en
France sous celui d'Etats-Generaux, fu-
INTRODUCTION. 19
rent convoquees. II falloit bien que les
representants du peuple y figurassent k
cote de la noblesse et du clerge, puisque
le peuple devoit, comme ces deux or-
dres, et meme dans une proportion plus
considerable, fournir les secours dont on
avoit besoin.
CORTES D'ESPAGNE* i -;;
L'Espagnedonnal'exemple.Des provin-
ces qui avoient echappe a I'invasion des
Maures(i) et de celles qui avoient ete suc-
(1) L'Espagne, appelee par les Grecs Hesp^rie, c'est-h-
dire occidentale , et Iberie a cause du fleuve Iberus, I'Ebre',
qui I'arrose, fut conquise environ I'an 220 avant Jesus-
Christ sur les Carthaginois par les Remains, qui en
ont ete maitres plus de six cents ans. Vers le commence-
ment du cinquieme siecle les Sueves, les Goths, les
Alains , en chasserent les Romains , et y regnerent envi-
ron trois cents ans. li'an 712 les Sarrasins , alors maitres
de FAfrique, y lirent une invasion , et y regnerent plus
de cinq cents ans.
En 712 de Jesus-Christ (gS de I'hegire), Mousa ou
Musa, gouverneur d'Afrique pour le calife Valid, apres
9..
3b INTRODUCTION,
cessivement reconquises sur euxs'etoient
formees plusieurs principautes.
La liberte que le midi de I'Europe avoit
recuedes peuples dunord, etouffeechezles
autres nations par le regihie feodal, s'e-
toit entierement mieuxconservee dansles
ames fieres et genereusesdesEspagnols: et
tons ces petits etats avoient chacun leur
constitution.
Enfin ces differentes principautes se
reunirent aux royaumes de Castille et
la bataille de Xeres en Andalousie , gagnee par son gene-
ral Tarik , sur Rodrigue , roi d'Espagne , le 1 7 juillet 712,
etendit rapidement ses conquetes en Espagne, et soumit
presque tout ce vaste pays dans le cours de deux ans. Les
villes qui se donnerent a lui sans resistance furent main-
tenues dans leurs privileges et leurs lois ; celles qu'il em-
porta d'assaut furent saccagees, reduites en cendres, et •
leurs habitants massacres ou condamnes a la captivite.
On donna le nom de Maures aux nouveaux conque'rants
de I'Espagne , parcequ'ils etoient venus de Mauritanie
pour la plupart.
Des parties de I'Espagne arrachees aux Maures par les
Espagnols refugies dans les Asturies se^ forma d'abord
le royaume connu sous le nom d'Oviedo, dont le siege
i"ut transfere a Leon en 984.
Tandis que les rois de Leon s'occupoient a reconquerir
INTRODUCTION. 21
d'Aragon ; les constitutions se confondi-
rentcomme les peuples; et la Peninsule,
danssapartie occupeepar les Espagnols,
n'eut plus que *deux (jouvernements.
Cesgouvernements, etablispardes con-
querants qui avoient voulu se donner des
chefs et non des maitres, n'avoient des
monarchies que le nom et la forme. Tons
ceux qui avoient partage les travaux et le*
dangers de la guerre avoient part au pou-
I'ouest de I'Espagne, d'autres princes chretiens, sortis
des Pyrene'es, formoient le royaume de Navarre. Le
territoire de la ville de Jaca , situee dans les vallees qui
traversent les branches meridionales des Pyrene'es, suc-
cessivement accru par les conquetes de ses habitants sur
les Maures, devint le royaume d'Aragon. Jacques I",
roi d'Aragon , soumit la ville et le royaume de Valence ,
les iles Baleares, et le royaume de Murcie. Enfin , dans
les dernieres annees du quinzieme siecle, Ferdinand, roi
d'Aragon , termina cette lutte , qui duroit depuis pres de
huit siecles , par la conquete du royaume de Grenade, et
par la prise de sa capitale, qui eut lieu le 2 Janvier i492*
Par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle , et la mort
de Jean II arrivee en i4795 l^s vieux royaumes de Cas-
tille et d'Aragon se trouverent reunis a jamais, ef for-
merentla monarcliie d'Espagne.
22 INTRODUCTION.
voir ; et dans aucun pays de I'Europe ce-
lui des rois n etoit plus restreint.
Dans le royaume d'Aragon , les cortes
etoient composees de quatre armes ou clas-
ses differentes ; i ** la noblesse du premier
rang; 2° I'ordre equestre ou la noblesse du
second rang ; 3" I'ordre ecclesiastique ,
compose des dignitaires de I'Eglise et des
representants du clerge inferieur; 4° ^^^
representants des villes et des bourgs.
Aucune loi ne passoit dans cette assem-
blee sans le consentement unanime des
quatre ordres. Seule elle etablissoit les
impots. Le roi ne pouvoit, sans son aveu ,
faire la paix ou la guerre. Elle avoit le
droit de redresser tons les griefs, de re-
former tons les abus, de reviser tons les
jugements et tons les actes de I'administra-
tion. Elle ne pouvoit etre ni prorogee
ni dissoute que de son consentement, et
la session duroit quarante jours.
Avant de se separer, les etats nommoient
nil juge supreme qu'ils 3.^^e\o\e;nijustiza,
INTRODUCTION. 23
et qui , dans lintervalle des sessions, exer-
coit une autorite bien sup^rieure k celle
du roi. Nous lisons dans I'lntroduction k
YHistoire de Charles-Quint y par Robertson:
« La personne de ce fonctionnaire etoit
sacree , et sa juridiction presque sans
bornes. II etoit I'interprete supreme des
lois. Non seulement les juges iriferieurs ,
mais encore les rois eux-memes eioient
obliges de le consulter dans tons les cas
douteux, et de se conformer ^ sa decision
avec une deference implicite. On appeloit
k lui de tons les tribunaux. II ne jouissoit
pas dun pouvoir moins absolu et moins
efficace pour reformer I'administration
du gouvernement que pour regler le cours
de la justice. Sa prerogative lui donnoit
I'inspection sur la conduite meme du roi.
Le justiza avoit droit d'examiner toutes
les proclamations et les ordonnances du
prince; de declarer si elles etoient con-
formes auxlois; si elles devoient etremises
a execution. Upouvoit, de sa propre au-
24 INTRODUCTION,
to rite, exclure les ministres du roi de la
conduitedes affaires, etlesobligera rendre
compte de leur administration. »
Dans le royaume de Castille, les cortes
n'etoient compo,sees que de trois ordres ;
la noblesse, le clerge, et les representants
des villes. Ces trois ordres s'assembloient
dans le meme local, deliberoient en com-
mun, et les resolutions etoient prises k
la pluralite des suffrages : leur autorite
etoit k peu pres la meme que dans
I'Aragon. Le pouvoir executif residoit
dans la main du roi; mais des limites
tres etroites en genoient I'exercice. Ce-
pendant les cortes de Castille n'avoient
pas imagine d'etablir un justiza; et dans
I'intervalle des sessions le roi gouver-
noit.
L'organisation de ces assembiees, sur-
tout dans I'Aragon, etoit vicieuse; c'e-
toit I'abus de la liberte. Comment de
cet exc^s les Espagnols sont-iJs tombes
dans I'autre? cela s'explique en peu de
mots. Ferdinand IV ayant reuni la Cas-
INTRODUCTION. 25
tille a TAragon par son mariage avec
Isabelle, il arriva k ce prince ce qui
arrive toujours. L'accroissement de la
puissance augnienta chez lui la soif du
pouvoir, et Fabaissement de la noblesse
fut sa grande affaire pendant tout le cours
de son regne. Apres lui le despotisme de
Charles-Quint, la politique artificieuse de
Philippe II, et, sous les successeurs de ces
deux princes, la superstition et les inquisi-
teurs, ont faitle reste.
GORTlfeS DE PORTUGAL.
Le Portugal a eu aussi sa loi fonda-
mentale. Elle est connue sous le nom de
Cortes de Lamego : en voici I'origine (i).
(i) Le Portugal , qui comprend Tancienne Lusitanie ,
borne a I'occident et au sud par I'Ocean, a Test et au
nord par I'Espagne, s'etend sur environ cent vingt-cinq
lieues de longueur et soixante de largeur. Dans la de'ca-
dence de I'empire romain il e'prouva le sort des autres
provinces d'Espagne, et fut successivement soumis aux
Su^ves et aux Alains, aux Visigoths et aux Maures. En-
26 INTRODtJGTION.
Henri de Bourgogne, ne vers I'an 1 060,
petit-fils par Henri, son pere, de Ro-
bert I^^ due de Bourgogne, etant venu
au secours d'Alphonse VI, roi de Castille
et de Leon, contre les Maures, recut pour
recompense de ses services la main de
Ther^se, fille naturelle d'Alphonse, avec
le canton de la Lusitanie, situe entre le
Douro et le Minho, sous la condition de
le tenir en fief et d'en rendre hommage
k la couronne de Castille. Ce prince se
signala par plusieurs victoires rempor-
tees sur les Maures auxquels il enleva
Visco, Lamego, Brague et Goimbre. II
mourut en I'annee 1 1 1 2.
fin , apres que les Espagnols eurent secoue le joug des
Barbares , le Portugal recouvra sa liberie , et devint dans
la suite un royaume d'Espagne. On n'a rien d'assure sur
J'origine du nom de Portugal: I'opinion la plus com-
mune est qu'il vient de celui de Partus Cale ou Partus
CaUce, qu'on donna autrefois k la ville de Porto sur le
Douro , et qui s'etendit ensuite a tout le diocese situe
entre les rivieres de Douro et Minho , puis a toutes le»
terres qu'on y joi^nit par la suite des temps.
INTRODUCTION. 27
Alphonse Henriquez son fils lui succeda.
x\ussi grand capitaine que son pere, il fut,
comme lui, continuellement en guerre
avec les Maures. Apres une grande vic-
loire remportee sur cinq rois de cette
nation, le 26 juillet de I'annee 1 189, ses
soldats le proclamerent roi de Portugal;
mais ne voulant tenir la couronhe que
de la nation, il r^unit, dans la ville de
Lamego, les eveques, les nobles et les
notables de ses etats, qui confirmerent le
choix de J'armee. Cette assemblee est I'e-
poque de I'etablissement de la monar-
chie du Portugal. Voici comment les cho-
ses s'y passerent.
Le roi etant sur son trone, convert
de toutes les marques exterieures de la
royaute, excepte la couronne, Laurent
Vjenegas, son procureur, s'est leve, et
a dit :
Don Alphonse, que vous avez choisi
pour votre roi dans la plaine d'Ourique,
vous assemble ici pour vous demander
si vous persistez a le vouloir pour roi.
28 INTRODUCTION.
Nous desirons et nous voulons qu'il soit
notre roi , repondit toute I'assemblee.
Alors Venegas dit : De quelle mani^re
voulez-vous qu'il re(i;ne sur vous ? seul ,
ou avec ses enfants? Seul taut qu'il vivra;
apres sa mort ses enfants regneront. Si
c'est Ik votre volonte, ajouta Venegas,
donnez-lui les marques de la royaute.
Tous repondirent : Donnons-lui les mar-
ques de la royaute au nom du Seigneur !
Aussitot I'archeveque de Brague posa sur
sa tete une couronne dor orne^ de pier-
reries. Alphonse avoit I'epee nue k la
main. Des qu'il eut la couronne sur la
tete, il dit : Je vous ai delivres avec cette
epee de I'esclavage des Maures; j'ai vaincu
vos ennemis; vous mavez fait votre roi :
etablissons presentement des lois pour
maintenir I'ordre, la justice, et la paix
dans le pays. Tous repondirent: Nous vou-
lons et nous trouvons a propos d'etablir
telles lois qu'il vous plaira. Gommandez ,
nous obeirons, nous, nos fils, nos filles,
nos petits-fils, et nos petites-lilles. Alors
INTRODUCTION. 29
le roi fit approcher les eveques, les sei-
gneurs, et les gouverneurs des places, et
leur dit : Faisons des lois. Faisons des lois,
direiit-ils entre eux : premi^rement sur
la succession du royaunie. Et ils firent les
suivantes.
1° Que le roi Alphonse vive, et qu'il
possede ce royaume; s'il a des enfants
males, ils lui succederont ainsi : le fils
succedera au pere; apr^s le fils le petit-
fils; ensuite le fils du petit-fils; ainsi de
tons les autres jusqu'a la fin des siecles.
2° Si le premier fils du roi vient k
mourir, le second sera roi; si le second
meurt, le troisieme sera roi; et ainsi de
tous les autres qui succederont les uns
aux autres.
3° Si le roi meurt sans enfants, et qu'il
ait un frere, il sera roi; et lorsqu'il sera
mort, son fils ne pourra succeder a la
royaute k mo ins que les eveques, les
gouverneurs des villes, et les chefs de la
noblesse n'y consentent. S'ils y consentent,
il sera roi.
3o INTRODUCTION.
Laurent Venegas, procureur du roi,
dit aux ^veques, aux gouverneurs, et aux
seigneurs: Le roi vous demande si vous
voulez que les filles succedent a la cou-
ronne, et s'il faut faire des lois touchant'
la maniere dont elles succederont. Apres
quelques instants de reflexion , ils repon-
dirent : Puisqu' elles sont aussi du sang
royal, nous voulons qu'elles succedent,
et qu'on etablisse des lois sur ce qui les
regarde. Alors les eveques, les gouver-
neurs, et les seigneurs firent les regle-
ments suivants.
1° Si le roi de Portugal metirt sans
enfants males, et qu'il laisse une fille,
elle sera reine; mais elle ne pourra se
marier qak un Portugais noble, lequel
ne sera reconnu pour roi que lorsqu'il
aura eu un enfant male de la reine. Lors-
qu'il se Irouvera k une assemblee avec
elle, nous voulons qu'il se place k sa
gauche, et qu'il soit sans couronne a la
tete.
2° Nous voulons que cette loi soit tou-
INTRODUCTION. 3i
jours observee; savoir: Que la fille ain^e
du roi se marie a un Portugais, afin que
le royaume ne puisse jamais passer dans
des mains etrangeres. Si elle ne le fait
pas, elle sera des ce moment exclue de la
succession, parceque nous ne voulons
point que la couronne tombe en d'autres
mains qu'en celles des Portugais.
Telles sont les lois que nous etablis-
sons touchant la succession de notre
royaume. Le chancelier les lut hautement.
Toute I'assemblee dit : Elles sont bonnes
et justes; nous voulons qu'elles soient
observees par nous et nos descendants.
Venegas reprit: Le roi demande si
vous voulez faire des lois touchant le
gouvernement civil et touchant la no-
blesse. Nous le voulons, repondirent tous,
au nom du Seigneur. On fit les lois sui-
vantes.
i' Tous ceux qui descendront de la
reine, de ses fils, et de ses petits-fils, se-
ront tres nobles. Tout Portugais (pourvu
qu'il ne soit ni Maure ni Juif) qui aura
32 IISTRODUGTION.
delivre le roi de quelque peril sera no-
ble. S'il a ete pris par les infidel es , et qu'il
demeure constamment attache k la loi de
Jesus-Christ, ses enfants seront nobles.
Celui qui aura tue le roi des ennemis , ou
.son fils, ou fait prisonnier son ecuyer,
sera noble. Toute I'ancienne noblesse con-
servera son rang , tel qu'elle le possedoit.
Tons ceux qui ont combattu a la bataille
d'Ourique seront toujours nobles, et ap-
peles mes sujets par excellence.
2° Si des personnes nobles se sont en-
fuies du combat ; si elles ont frappe une
femme de leur epee ou de leur lance; si
elles n'ont pas delivre dans I'occasion
d'un peril leroi, son fils, ou son ecuyer,
pouvant le faire; si elles ont porte de
faux temoignages; si elles ont deguise la
verite av roi; si elles ont nial parle de la
reine, ou de ses fiUes; si elles se sont reti-
rees chez les Maures ; si elles ont vole , blas-
pheme contreDieu et Jesus-Christ, ou at-
tente k la vie du roi , elles seront degradees,
elles et leur post^rite, de leur noblesse.
INTRODUCTION. 33
Telles sont les lois qu'on fit touchant la
noblesse. Le chancelier les lut k haute
voix. Toute I'assemblee dit: Elles sont
bonnes et justes, et nous voulons qu'elles
soient observees par nous et nos descen-
dants.
Les dispositions qui suivent appar-
tiennent au droit civil , et particuliere-
ment a la police; on y remarque I'article
suivant : Celui qui outragera de paroles ou
qui frappera un gouverneur de place ou
tout autre magistrat, sera marque d'un
fer chaud, a moins qu'il ne lui fasse repa-
ration dhonneur, ou qu'il ne lui paie
une certaine somme d'argent.
Ge travail termine, Venegas se leva et
ajouta: Voulez-vous que le roi paie un
tribut au roi de Castillo , et qu'il se trouve
aux assemblees de ce royaume comme
vassal ? Tons ceux qui etoient presents se
leverent, mirent I'epee a la main, et
crierent qu'ils etoient libres et leur roi
aussi. Aces mots Alphonse, ayantla cou-
ronne sur la tete et I'epee nue a la main,
3
34 INTRODUCTION.
se leva ci son tour et dit : Vous n'ignorez
point tout ce que j'ai fait pour vous pro-
curer la liberte dont vousjouissez; je jure
de ne rien faire et de ne rien entreprendre
qui ne tende a vous la conserver; que tous
ceux qui pensent autrement expirent dans
I'instant: si c'est mon fils ou mon petit-
fils, qu'il soit prive de la royaute. L'as-
semblee applaudit, et les etats se sepa-
rerent.
Telle a ete jusqu'a ces derniers temps
la loi fondanientale des Portugais.
C'est en vertu de cette constitution
qu'en 1640 le Portugal a secoue le joug
des rois d'Espagne descendus d'Isabelle de
Portugal, mere de Philippe II, et qu'il a
place sur le trone la maison de Bra-
gance.
C'est sur le meme fondement qu'en
^777» ^pres la mort du roi Joseph, de-
cede sans enfant male, Marie-Francoise-
Elisabeth sa fille ainee, mariee avec
D. Pedre son oncle, frere du roi, a ete
procjanfiee reine.
INTRODUCTION. 35
PARLEMENT D'ANGLETERRE.
En Angleterre (i) Guillaume-le-Con-
querant substitua le regime feodal k la
liberie que ce beau royaume avoit recue
des Anglo-Saxons. Mais, suivant Ja loi
des fiefs, le vassal devoit servir son sei-
gneur dans ses conseils comme dans ses
armees et dans ses cours de justice. II y
eut done en Angleterre des assemblees
politiques composees des vassaux de la
couronne.Le roi, qui en etoit le president,
(i) Les anciens appeloient cette tie Albio ou Britannia.
Agricola la conquit sous le regne de Domitien. Elle fut
plus qu'aucune autre partie de I'Europe en prole aux ra-
vages des peuples du Nord. Vers I'an 420 les Scots ou
Ecossois s'emparerent de sa partie occidentale, et en for-
merent un royaume. En 449 l^s Anglois et les Saxons y
aborderent, se rendirent maitres des pays qui n'etoient
pas occupes par les Ecossois, et en formerent sept royau-
mes, dont trois pour les A^ngloisettrois pour les Saxons;
le septieme, forme de la principaute de Kent et de File de
Wiglitjfut lepartaged'une petite nation sortie egalement
des cotes du Nord, et connue sous lenomde Jutes. Les na-
turelsdu pays resterent maitres de la principaute deGalles.
Les Anglois eurent le meilleur lot, et c'est pour cela que
les autres ont ete compris dans la denomination d'Angle-
terre. Rapin Thoiras fixe cette e'poque a I'annee 585,
3.
36 INTRODUCTION,
les convoquoit lorsqu'il le jugeoit neces-
saire. On y traitoit de la paix, de la
guerre, et de tous les interets de I'etat.
Tel etoit alors Tabaissement dupeuple,
quel'idee d'appeler k ces grands conseils( i )
les deputes des bourgs ne se presentoit
k I'esprit de personne. Ainsi les droits de
la couronne et les exigences de la no-
blesse etoient constamment en presence
et dans un contact habituel. De \k des
froissements continuels, qui degener^rent
en une rebellion ouverte surlafinduregne
de Jean-Sans-Terre. Le fameux traite que
les Anglois appellent leur grande charte,
et qu ils regardent comme le palladium de
leurs liberies, termina cette lutte.
Cette charte est du 19 juin 121 5. Elle
se compose de trois parties. La premiere,
qui concerne uniquement le clerge, lui
assure le droit delire ses eveques, et de-
termine le mode des elections.
La seconde modifie et regie d'une ma-
(i) Ces conseils prirent le nom de parlement sous le
r^ne de Henri III , qui monta sur le trone en 1216.
INTRODUCTION. 87
niere invariable les droits du roi sur les
vassaux de la couronne.
La troisieme, dont Tinfluence se fait
sen tir encore auj oil rd'hui,embrassetoutes
les classes de la societe, et pent etre re-
gardee comme le fondement de la liberte
civile en Angleterre. On y remarque les
dispositions suivantes :
Les memes poids et les memes mesures
auront lieu dans tout le royaume.
Les marchands pourront cireuler libre-
ment sans etre assujettis a aucune taxe.
II leur est permis de sortir du royaume
et d'y rentrer, quand ils le jugeront k
propos.
Londres, les villes et les bourgs con-
servent leurs anciennes libertes, immuni-
tes,et franchises. Onn'exigera plus d'elles
aucun subside qui ne soit accorde par le
grand conseil.*
Aucun individu ne pourra etre con-
traint k reparer des chemins ou des ponls ,
k moins qu'il n'y soit oblige par des titres
particuliers.
38 INTRODUCTION.
11 n'est permis k aucun officier de la
couronne d'enlever a qui que ce soit des
ehevaux, des charrettes, oudu bois, sans
le consentement du proprietaire.
Les cours de justice seront fixees dans
des lieux determines. II leur est enjoint
de rendre la justice publiquement. 11 leur
est defendu de la differer, de Ja refuser, et
encore moins de la vendre. '• '.
Aucun homme libre ne peut etre ar-
rete , emprisonne , depossede , ou con-
damne, que par lejugement de ses pairs.
Les aniendes doivent etre proportion-
nees k la fortune du condamne, de ma-
niere qu'elles n'entrainent pas sa mine
totaJe.
Nul paysan ne pourra etre prive, pour
I'acquit dune amende, de ses charrettes,
de sa charrue, ou autres instruments du
labourage. •
Cependant cette charte , toute favorable
quelle est a la liberte civile, ne change
rienaletat politique du pays, et nous n'y
voyons encore qu'une monarchic aristo-
INTRODUCTION. 39
cratique; mais les temps nesontpas ^loi-
gnes ou la democratic entrera dans le
gouvernement, et partagera I'exercice de
la puissance publique avec I'aristocratie.
- Ces temps arriverent sous le regne
d'Edouard P*^. Attaque par la France et
par I'Ecosse reunies, des armees nom-
breuses, et par consequent des sommes
considerables lui etoient necessaires; mais
les taxes que la loi des fiefs I'autorisoit k
imposer sur ses vassaux etoient bien in-
suffisantes , et il ne pouvoit rien deman-
der au-dela. Ce prince, qui se montra
toujours au niveau, des circonstances ,
imagina de s'adresser aux habitants
des bourgs (i), de leur exposer franche-
(i)Icije me conforme a I'opinion generate, mais ellen'est
pas parfaitement exacte. Avant Edouard I", le comte de
Leicester s'etant empare du trone, apres avoir fait Henri III
prisonnier, assembla un parlement compose des barons
de son parti , auxquels il adjoignit deux chevaliers de
chaque comte , et des deputes elus par les bourgs. Mais ,
dit David Hume, la politique de Leicester, s'il faut attri-
buer a cet ambitieux un si grand avantage , ne fit qu'ac-
celerer de quelques annees I'etablissemeDt d'une insti-
4o INTRODUCTION,
meiit les difficultes de sa position, et den
obtenir ce qu'il n'avoit pas le droit d'exi-
ger (i). Une demarche aussi loyale eut
le succes quelle devoit avoir. L'urgence
des besoins ne permettant pas de nego-
cier avec cliaque bourg en particulier,
Edouard les determina k nommer des
deputes (2) auxquels il ouvrit I'entree du
parlenient, et qui, reunis k la noblesse,
lui accorderent, toutes les fois qu'il crut
tution a laquelle I'etat des choses avoit deja prepare la
nation ; autrement il seroitinconcevablequ'untelarbre,
plante par une main si empoisonnee, eut pu croitre et
fleurir au sein de seniblables orages. {Histoire d'Angle-
terresous Cannee laGS.)
(i) Les ordres adresses aux sberifs pour ces convoca-
tions portoient qu'ils enverroient deux deputes de cha-
que bourg , investis de pouvoirs suffisants , pour consentir
en leur nom a ce dont ils seroient requis par le roi et
par son conseil. On lisoit dans le preambule de ces or-
dres : « C'est une regie tres juste que ce qui est de I'inte'-
ret de tous soit approuve par tous, et que les dangers
communs a tous soient repousses par leurs efforts reunis. »
(2) Ceux qui etoient elus donnoient caution de se ren-
dre au parlenient , et le bourg pourvoyoit a leurs de-
pen ses.
INTRODUCTION. 4i
devoir les convoquer, les secours qui fu-
rent juges necessaires. La perception de
ces impotsn'eprouvoit aucune resistance,
parcequ'ils etoient librement consen-
tis. Cette grande innovation est de Fan-
nee 1294.
Les deputes des bourgs ne faisoient pas
partie du parlement. Reunis dans un
local separe de celui qu'occupoient les
barons, ils ne votoient pas avec eux: d^s
qu'ils avoient donne leur consentement
aux taxes, ils se separoient, et le parle-
ment continuoit ses seances (i).
(i) L'impot n'etoit pas e'galement repartientre les trois
ordres : chacun d'eux accordoit la somme qu'il jugeoit a
proposdepayer. Ainsi,dans lavingft-troisiemeanneed'E-
douard I", les comtes , barons , et chevaliers , donnerent
au roi la onzieme partie de leurs revenus ; le clerge, un
dixieme; les citoyens et bourgeois, un septieme, L'annee
suivante, les deux premiers ordres donnerent un dou-
zieme; le dernier, un huitienie ; dans la trente-troisieme
annee du meme prince, les barons, les chevaliers, et le
clerge , accorderent un trentieme; les villes et cites, un
vingtieme. Dans la premiere d'Edouard II, les comtes
42 INTRODUCTION.
Gelui qui donne s'apercoit bientot qu'il
peut exiger, e(>les deputes des bourgs ne
tarderent pas a presenter des petitions
par lesquelles ils demandoient la reforme
des abus qui pesoient sur eux. Prenant
chaque jour plus de consistance, on les
vit, sous le regne d'Edouard ill, accuser
les ministres du roi, et obliger le roi lui-
meme a congedier sa maitresse.
Le roi faisoit examiner par son con-
seil les remontrances des communes, et
quand il croyoit devoir les accueillir, il
les faisoit rediger en forme de loi, et en
ordonnoit la publication de son autorite
seule, et sans communication prealabie
ci la chambre des pairs. Elle sen plai-
gnit, et elle exigea qu'aucune loi ne fut
desormais publiee sans son assentiment.
Sous Henri V, les communes obtinrent
qu'elles redigeroient elles-memes les lois
payerent unvingtieme; les villes, unquinzieme. Dans la
sixi^me d'Edouard III, la proportion fut d'un quinzieme
a un dixieme.
INTRODUCTION. 43
qu'elles auroient provoquees, et qu'au-
cun statut ne seroit public , k moins
qu'il n'eut passe dans leur chambre en
forme de bill (i).
A-peu-pres a la meme epoque la pai-
rie, de reelle quelle etoit dans son ori-
gine, devint personnelle; et cette grande
innovation s'est encore operee comme
d'elle-meme et par la seulc force des
choses.
(i) Les sherifs presidoient aux elections. S'ils com-
mettoient des fraudes, ils en e'toient severement punis ;
en voici un exeniple. Dans la cinquieme annee de Hen-
ri IV, les communes , considerant que I'ordre de convo-
cation au parlement n'avoit pas ete execute d'une maniere
satfsfaisante par le sherif de Rutlane, supplierent le
roi et les lords de faire examiner I'affaire en parlement,
et d'infliger un chatiment exemplaire , s'il y avoit lieu.
Les lords firent venir le sherif et Oneby, qui etoit le
depute nomme au proces-verbal , ainsi que Thorp, qui
avoit ete dument elu;et, apres avoir examine les faits,
ils ordonnerent que le proces-verbal d'election fut chan-
ge , que le nom de Thorp y fut porte , et que le sherif fut
detenu en prison, jusqu'a ce qu'il eut paye une amende
qui seroit determinee suivant le plaisir du roi. (Henri
i/at//am , t. II, p. 3ia.)
44 INTRODUCTION.
Guillaume-le-conquerant avoit partage
I'Angleterre en sept cents baronnies et
soixante mille fiefs de chevaliers. Les sept
cents barons, tons vassaux immediats de
la couronne, etoient membres necessaires
du grand conseil national. Des ventes
forcees , les legitimes des puines , ne tar-
derent pas a diviser un grand nombre
de ces baronnies, et chaque fraction con-
fera a celui qui en devenoit proprietaire
le titre de vassal immediat du roi, et par
consequent le droit de sieger au parle-
ment.
Ce nouvel etat de choses etablit une
distinction entre les baronnies entieres et
celles qui etoient divisees entre plusiei^rs
proprietaires; et la grande charte donnee
par le roi Jean disposaque les grands ba-
rons seroient convoques par un writy c'est-
k-dire un ordre particulier du roi , et que
les barons de la seconde classe, c'est-a-
dire ceux qui ne possedoient que des por-
tions de baronnie seroient convoques par
une citation generale du sherif.
INTRODUCTION. 45
Cette difference dans la maniere de
convoquer les grands et les petits barons
produisit trois innovations.
1° Les barons convoques par writ se
regarderent comme formanl une classe
superieure;
2° Comme il arrivoit souvent que ceux
qui n'avoient pas recu le writ ne se pre-
sentoient pas pour sieger au parlement,
quoiqu'ils en eussent le droit en vertu
de leur fief, on s'accoutuma insensible-
ment a regarder ce droit comme deri-
vant de la volonte du roi; et la pairie, de
reelle quelle etoit, devint personnelle;
3" Les petits barons, en general peu
riches, et qui regardoient I'assistance au
parlement moins comme un droit hono-
rifique que comme une obligation one-
reuse, obtinrent la permission de s'y faire
representer par des deputes de leur choix.
David Hume, dans sa belle Histoire
d'Angleterre, ajoute : « Les divisions des
« fiefs ayant prodigieusement multipli^
« les petites baronnies et les tenures de
46 INTRODUCriON.
"chevaliers, ceux-ci perdirent de leur
"Consideration, ne s'assemblerent plus
« avec les hauts barons , et se reunirent
« aux deputes des bourgs. Par cette reu-
«nion, la chambre des communes se
« trouva composee des deputes de la pe-
« tite noblesse des comtes et de ceux des
"bourgs. » '
Enfin, dans les premieres ann^es du
regne de Richard II, les communes se
choisirent un president qui, sous la de-
nomination d'orateur, a la police de la
chambre et en dirige les deliberations.
Je n'ai voulu que rappeler la ma-
niere dont s'est forme le parlement d'An-
gleterre tel qu'il existe aujourd'hui. Je
crois avoir rempli mon objet.
ETATS GfiN^RAUX DE FLANDRE.
La partie de notre continent, aujour-
d'hui connue sous la denomination collec-
tive de royaume des Pays-Bas, est I'une
des premieres qui, dans le moyen age,
. INTRODUCTION. 47
ait joui des bitnfaits de la liberte. Elle
doit cet avantage a sa situation topogra-
phique. Le nombre et la surete de ses
ports et de ses rades en firent de bonne
heure le centre des relations commer-
ciales du nord de I'Europe; et les fre-
quents debordements des fleuves qui
I'arrosent obligerent les habitants a se
coaliser pour opposer des digues ci I'en-
vahissement des eaux. Ainsi, enrichies
par le commerce , et deja reunies par
des interets rnateriels, les villes des Pays-
Bas n'avoient plus qu'un pas k faire
pour se former en commune, et ce pas,
elles le franchirent pendant le cours du
onzieme siecle.
A peine ces villes ont-elles recouvre
les droits de s'administrer elles-memes,
et d'elireleurs officiers municipaux, que
nous voyons ces magistrals figurer en
leur nom dans les assemblees politiques.
Cela nous est atteste par une foule de mo-
numents; Fun des hommes les plus sa-
vants de notre epoque les a recueillis dans
48 INTRODUCTION,
un ouvrage intitule : Histdire de lorigine,
de I' organisation et des pouvoirs des Etats-
Generaux etprovinciaux dans les Gaules ( i).
Ell Flandre comme dans tons les gou-
vernements feodaux, les etats ne furent
d'abord composes que du prince et de ses
vassaux immediats. Le tiers-etat prenant,
cornme nous venons de le dire, chaque
jour plus d'importance, les representants
des villes y furent admis; mais ce privi-
lege ne fut d'abord accorde qu'aux cites
les plus riches et les plus populeuses.
En I'annee 1 1 1 1 , Baudouin VII fut pro-
clame comte de Flandre par les Etats-
Generaux. Le pays etoit infeste de bri-
gands. Dans des etats tenus k Ypres
I'annee suivante, il fit rendre une loi qui
mit fin k ces desordres (2). Non moins
severe envers les seigneurs de fiefs, il se
(i) M. Raepsaet, chevalier du Lion-Belgique , conseil-
ler-d'etat extraordinaire du roi, membra de I'institut
belgique , etc. , etc.
(2) On lit dans VArt de verifier les dates : « II fut surnom-
me A la hache, parcequ'il portoit cet instrument avee lui
pour en frapper les criminels qu'il rencontroit. »>
INTRODUCTION. 49
placa entre eux et leurs vassaux , et cou-
vrant ces derniers de toute sa puissance,
non seulement il les affranchit de I'arbi-
traire sous lequel ils ^emissoient, mais il
ouvrit I'entree des etats aux representants
de toutes les villes indistinctement.
CONSTITUTION DE LA SUfiDE.
L'origine des assemblees nationales en
Suede se perd dans la nuit des temps.
Les chroniques les plus anciennes en par-
lent. On y voit qu'elles etoient convo-
quees par le roi; qu'elles se reunissoient
k des epoques plus ou moins eloignees
suivant les circonstances; que les deputes
s'y rendoient en armes; qu'il etoit dans
leurs attributions d'elire le monarque,
de voter les impols, de statuer sur les af-
faires dun interet general, et meme de
juger les proces particuliers lorsqu'ils se
rattachoient a I'ordre public. D'ailleurs
rien de precis sur la division des citoyens
en differents ordres. En parlant de ceux
4
5o INTRODUCTION,
qui avoient droit d'assister aux etats, les
anciens historiens disent, et rien de plus,
Proceres etjpopidiis ; ndbiles et plebs iini-
versa. Ce nest que dans le quinzieme sie-
cle que Ion commence h trouver des no-
tions plus exactes sur cette division. '
Christophore, qui regnoit en 144^5 i"^"-
nit les lambeaux epars des anciennes lois,
en donna de nouvelles, et de cet en-
semble il forma un Code que Ton pent
regarder comme la premiere constitu-
tion de la Sue
Le litre premier est intitule, du Roi;
on y lit : « Lorsque le trone devient va-
« cant, un nouveau roi doit etre appele
« au royaume de Suede, non par droit
«f de succession, mais par election. »
Les chapitres suivants traitent du ser-
ment que le roi doit preter a la nation,
et que les magistrats provinciaux et la
nation doivent, a leur tour, preter au
roi; le sixieme de I'obligation imposee au
roi de parcourir, apres I'election, les pro-
vinces de son royaume, d'y preter son
INTRODUCTION. 5i
serment et de recevoir celiii de ses sujets;
le sej3tieme du couronnement et del'inau-
guration; le huitieme du choix des |mem-
brCvS du senat qui doit etre fait par le roi
apres son couronnement. Ces membres
sont au nombr6 de douze, pris parmi les
nobles et clievaliers; I'arcbevequed'Upsal
y est de droit.
Le sermenf du roi se compose de sept
articles. On lui fait prometrre de con-
server les droits de toute la nation, les
lois constitutives, les privileges du clerge,
ceux de la noblesse. Un des articles les plus
remarquables est le sixieme par lequel
il jure de n imposer des tributs extraor-
dinaires que dans certains cas determines,
et apres que les eveques, les magistrate
de chaque juridiction, avec six nobles et
six individus plebeiens, en auront re-
connu la necessiie, et regie le mode de
les percevoir.
Nous ne voyons pas encore les deputes
partages en quatre ordres distincts, le
clerge, les grands, les bourgeois, et les
4-
52 INTRODUCTION.
paysans; mais cet article du serment con-
tient le germe de cette division.
C'est k la mort de Christophore, en
144s J ^ue I'histoire presente I'indication
precise des differents ordres. Plusieurs
grands aspiroient k la royaute; un decret
du gouvernement intermediaire convo-
qua le peuple k Stokholm, pour I'election
du roi. « Au lieu et au jour fixes, dit I'his-
« tori en Eric d'Upsal, se rendirent aux
« cornices les eveques et les prelats, les
« nobles et chevaliers, ainsi que les de-
« putes speciaux des paysans et des villes. »
Cette phrase est la premiere trace que Ion
rencontre de la presence dans I'assemblee
nationale de representants des villes.
Louenius, auteur d'une histoire de
Suede et des antiquites suedoises, ecri-
voit en 1608: «Des expressions de Jean
"Magnus qui dit que le roi Beric convo-
« qua dans les cornices les grands et les
«plebeiens (nobiles et plebem), peut-etre
« conclurez-vous que , dans les coutumes
i^de nos ancetres, on n'appeloit point au
INTRODUCTION. 53
« nombre des ordres les pretres ni les ha-
te bitants des villes; cependant, etc., avec
«le temps on admit dans les comices
«meme les deputes des villes. (^Progressu
iitemporis, etiam cives urbiiun ad comitia
uadmissi sunt. » ) Et il cite, pour le prou-
ver, le passap^e d'Eric d'Upsal relatif h.
I'assemblee nationale dans laquelle on
remplaca Christopbore. Quelques lignes
plus loin il expose les avantages qu'il y
a h. consulter les classes inferieures du
peuple. ^ Ce nest point inconsiderement,
«dit-il, que I'antiquite a admis comme
« membres des comices, meme les ple-
« beiens et les paysans. (^Plebeios et ruri-
ii colas. ») Ainsi tout nous prouve quo,
dans ces mots repetes par-tout chez les
historiens des temps antiques: proceres et
plebem, on a voulu designer les grands et
les paysans.
La division des ordres continua k se
marquer de plus en plus dans les etats-
generaux qui suivirent ceux de i44^'
En 1620 ce futdans uneassemblee parti-
54 INTRODUCTION,
culi^re des paysans de la province de
Dalecarlie que Gustave Vasa porta le
premier coup a I'oppression de Ghris-
tiern. Le soulevement de ces paysans
amena celui de la Suede entiere, et bien-
tot fut brise le joug du Danemarck, sous
lequel la nation s'etoit imprudemment
jetee. Gustave Vasa recut des etatis-gene-
raux convoques k Vadestene en 1621
la qualite d'administrateur du royaume;
des etats-generaux convoques k Stregnez
en 1623, celle de roi; enfin, le i3 Jan-
vier 1 544 5 dans les etats-generaux d'Ar-
hosen, le droit d'election fut aboli, et la
couronne declaree hereditaire dans la
famille de Gustave.
Des la premiere annee du regne de ce
guerrier politique les pouvoirs du mo-
narque commencerent a augmenter et
ceux des etats-generaux a diminuer. Cette
progression croissante pourl'un, decrois-
sante pour I'autre, continua sous ses suc-
cesseurs et fut portee k une tres haute
periode sous Charles XI, et sous le des-
INTRODUCTION. 55
potisme militaire de I'aventureiix Char-
les XII. Cependant 1 organisation de ces
etats s'etoit achevee; I'etiquette avoit regie
la place de chaque ordre, la forme des
suffrages, I'instant ou Ion devoit les don-
ner. II existe dans VHistoire de Charles-
Gustave , par Puffendorf, un tableau figu-
ratif des etats-generaux de Suede lors de
I'abdication de Christine. On y voit la
place du monarque, celle des senateurs,
celle des orateurs de chaque ordre, enfin
celle des ordres. Les paysans k cette
epoque sont places apres les deputes des
villes.
Cependant, sous les successeurs de Gus-
tave Vasa, les assemblees nationales con-
tinuerent a voter les subsides et a con-
noitre des grands interets du royaume.
On voit les rois les plus absolus de cette
epoque soumettre k ces assemblees I'etat
des finances , leur communiquer les pro-
jets de guerre ou de paix, leur demander
des levees d'hommes et des subsides d'ar-
gent. On voit les etats-generaux profiter
56 INTRODUCTION,
des minorites pour reprendreun moment
leur attitude independante. C'estainsi qua
la mort de Charles X, en 1 660, Puffendorf
nous les. montre examinant le testament
du /oi , et changeant plusieurs de ses dis-
positions relatives a la tutele de son fils
Charles XI. Enfin, apres la mort de Char-
les XII, qui ne laissa point d'enfants, les
etats-generaux, reunis en 1718 pour lui
donner un successeur, abolirent I'here-
dite et ne porterent sur le trone la prin-
cesse Ulrique Eleonore , sa soeur, qu'apres
quelle eut declare qu'elle reconnoissoit
tenir la couronne de la volonte libre et
spontanee de la nation.
CONFEDERATION SUISSE.
L'Helvetie(i), aujourd'hui la Suisse,
faisoit partie de I'ancien royaume de
(i) Le nom d'Helvetie fut cotnmun a tous les peuples
de cette contree jusqu'a la grande confederation qu'ils
tirent entre eux, au quatorzieme siecle , et depuis laquelle
ils ne sont plus connus que sous le nom de Suisses.
INTRODUCTION. 5;
Bourgogne. Les premiers successeurs de
Clovis en firent Ja conquete en 532, et
la reunirent a la France. Elle en fut se-
paree par le partage que les fils de Louis-
le-Debonnaire firent entre eux des vastes
etats de Charlemagne. Placee dans le lot
qui echut a Lotliaire, elle devint une
province du royaume ditalie. Apres la
mort de Lotliaire ses fils partag^rent le
royaume ditalie. Le lot de I'un deux
forma le royaume d' Aries , et la Suisse en
fit partie(i).
En 1082 Rodolphe III n'ayant point
d'enfants legua le royaume d'Arles et tons
ses etats a I'empereur Conrad-le-Salique.
Cette donation fit entrer la Suisse dans
le corps germanique, et la placa sous
(i) Celtes, ou Gaulois d'origine, les Suisses avoient
souffert que des colonies de Cimbres et de Sueves vins-
sent s'etablir parini eux, et leur avoient abandonne la
partie septentrionale de I'Helvetie. G'est par-la qu'on
pent expliquer ce qui a donne naissance a la diversite de
langage qui subsiste encore entre cette partie et le reste
de la Suisse.
58 INTRODUCTION.
la domination des empereurs d'Allema-
gne(i).
Dans la Suisse , comme dans toutes les
monarchies feodales , le pays etoit divise
en benefices ou fiefs, et en gouvernements
ou comtes; ces fiefs, ces comles, n etoient
conferes qu'^ vie. Conrad-le-Salique les
rendit hereditaires ; et les seigneurs et les
comtes, profitant de I'eloignement ou ils
etoient du chef de I'empire, usurperent
tons les droits regaliens , de maniere que
les empereurs ne conserverent sur eux
qu'une superiorite nominale.
Les seigneurs, abusant de cette inde-
pendance, exercoient sur leurs vassaux
le pouvoir le plus arbitraire. Les villes
helvetiques, pour se mettre a I'abri de
I'oppression, se confedererent; mais ayant
bientot reconnu leur impuissance, elles
(i) Les trois royaumes de Provence, de ia Bourgogne-
Transjurane, et d'Arles, finirent en la personne de Ro-
dolphe III , apres avoir dure cent soixante-dix-sept ans.
INTRODUCTION. 69
se choisirent des protecteurs qui ne tar-
derent pas k devenir leurs tyrans.
Des differents seigneurs de la Suisse,
Rodolphe de Habsbourg etoit le plus puis-
sant par I'etendue de ses domaines; plu-
sieuis villes se placeient sous sa protec-
tion. Juste et bon il repondit a leur attente,
mais Albert son fds la trompa. 11 envoya
dans les parties de la Suisse qui s'etoient
placees sous sa protection des baillis im-
periaux charges de rendre la justice aux
habitants , et qui leur firent eprouver les
vexations les plus intolerables ; en voici
un exemple.
Geisler, bailli d L^ri, s'avisade placer au
bout dune perche son bonnet dans le
marche public d'Altorff, avec ordre h tons
les passants de le saluer sous peine de la
vie. Guillaume Tell, fameux arbaletrier,
ayant meprise cet ordre, fut oblige pour
expier sa desobeissance d'abattre d'assez
loin dun coup de fleche une ponime sur
la tete de son fds; il eut I'adresse et le
bonheur de reussir. Cette atrocite, qui
6o INTRODUCTION.
eut lieu le i8 novembre iSoy, souleva
les trois cantons d'Uri, de Schwitz, et
d'Underval: leurs habitants reunis et di-
riges par trois d'entre eux (i) attaquerent
les agents imperiaux, et en purgerent leur
sol.
L'empereur se preparoit k venger son
autorite meprisee , mais il mourut le
i^' mai de I'annee i3o8. Get evenement
laissa aux trois cantons le temps de con^
solider leur alliance , et lorsque Leo-
pold III, fils de l'empereur Albert, vint a
la tete de neuf mille hommes pour les
reduire et les punir, ces braves monta-
gnards,aunombredetreize cents hommes
sans discipline et mal armes, remporterent
sur lui la victoire la plus complete. Cette
victoire k jamais celebre est lepoque de
la liberte des Suisses.
Par suite de ce grand evenement les
(i) Ces g^enereux citoyens meritent d'etre connus; ils
se nomraoient Walther-Furst , Werner-de-Stauffach , et
Arnold-de-Melcthal.
INTRODUCTION. 6i
trois cantons, qui d'abord ne s'etoient
unis que pour dix ans, contracterent une
alliance perpetuelle.
Ouelque temps apres la ville de Lu-
cerne, raprochee de ces trois cantons par
des intereis communs, entra dans leur
confederation. Vers le milieu du quator-
zieme siecle (i) Zurich, Claris, Zug, et
Berne, s'y reunirent et en firent partie.
II en fut de meme des cantons de Fri-
bourg, deSoleure,deBale, deSchaffouse,
et dAppenzel, qui s'y reunirent egale-
ment ; savoir, Fribourg et Soleure en 1 48 1 ,
Bale et Schaflouse en i5oi, et Appenzel
en i5i3.
Ainsi s'est formee la confederation hel-
vetique.
Cependant les liens qui attachoient la
Suisse au corps germanique n etoient pas
tout-a-fait rompus, et les empereurs con-
servoient encore sur elle une sorte de
(i) En i35i et i352.
62 INTRODUCTION,
superiorite. Maximilien I"(i) voulut sen
prevaloir. La diete de Worms ayant etabli
la chambi^ imperiale (2), Jes Suisses fu-
rent sommes de reconnoitre sa juridicdon.
Sur leur refus Tempereur leur declara
la guerre. Elle fut ce quelle sera tou-
jours lorsque les homnies qui defendront
(i) Maximilien I", ne le 22 mars 14695 ^^ I'empereur
Frederic III at d'Eleonore de Portugal, elu roi des Ro-
uiains le 16 fevrier i486, et couronne le 10 avril suivant
a Aix-la-Chapelle , fut nomine empereur I'an i493 , apres
la mort de son pere.
Philippe son fils epousa Jeanne , fiUe de Ferdinand ,
roi d'Aragon, etd'Isabelle, reine de Castille, mariage
qui fit passer I'Espagne dans la maison d'Autriche.
L'an 1495, diete de Worms, ou Ton dressa la celebre
constitution pour la conservation de la paix publique dans
I'Empire.
(2) Cette chambre etoit composee de juges nommes en
partie par I'empereur, en partie par les differents etats.
Ces juges etoient autorises a juger en dernier ressort tons
les proces entre les membres du corps germanique.
Quelques annees apres Maximilien donna une nouvelle
forme au conseil aulique , ou se portoient toutes les causes
feodales et celles qui appartenoient a la juridiction im-
mediate de I'empereur, et par-la il rendit quelque vi-
gueur h. I'autorite de la couronne imperiale.
INTRODUCTION. 63
leur liberie n'auront k combattreque des
troupes mercenaires Apres plusieurs de-
faites I'empereur conclut avec les cantons
un traite par lequel ils furent declares
affranchis de la juridiction imperiale, et de
toutes les contributions imposees par la
diete de Worms. Ce traite laissoit encore
auxempereurs d'Allemagne quelquespre-
textes pour attaquer I'independance des
cantons suisses; mais cette independance
fut definitivement reconnue par le traite
de Westphalie.
EMPIRE D'ALLEMAGNE.
Les Germains qui avoient brise le joug
des Romains dans tons les lieux ou ils s'e-
toient etablis, ces fiers Germains eux-
memes perdirent la liber te a la meme
epoque que les nations qu'ils avoient af-
franchies. II en devoit etre ainsi, puisque,
comme elles, ils avoient adopte le re-
gime feodal. Mais ce qui doit surprendre
c'est que ce regime oppresseur s'est main-
64 INTRODUCTION,
tenu plus long-temps et avec plus de
force en Allemagne que par-tout ailleurs;
de maniere que la liberie qui en etoit
sortie y est rentree plus tard que dans
les autres pays; encore n'y apparoit-elle
aujourd'hui que dans quelques con-
trees.
Comment des peuples si voisins et si
long-lemps gouvernes par les memes lois
se trouvent-ils aujourd hui soumis k des
regimes si differents? II y en a plusieurs
causes.
Apres la mort de Louis -le-Debon-
naire, ses trois fils, Louis, Charles, et
Lothaire, reunis k Verdun en 843, par-
tagent entre eux le vaste empire de Char-
lemagne. Charles-le-Chauve conserve I'A-
quitaine avec la Neustrie; Louis a toute
la Germanic, d'ou il fut appele le Germa-
nique; et Lothaire, qui etoit I'aine, eut
avec le titre d'empereur I'ltalie, et (en
termes expr^s) la ville de Rome; il eut
encore la Provence, la Franche-Comte ,
le Lyonnois, et les autres contrees qui se
INTRODUCTION. 65
trouvent enclavees entre le Rhone, le
Rhin, la Saoae, la Meuse, et I'Escaut.
Ces trois branches de la dynastie car-
lovingienne ne conserverent pas long-
temps riierilage de Charlemagne.
En France, Louis V etant mort sans
enfants en 987, les grands du royaume
lui donnerent. pour successeur Hugues
Capet. Ce prince etoit tout ^-la-fois le plus
grand capitaine, le plus riche proprie-
taire et le seigneur le plus distingue du
royaume. Ce triple avantage, des nego-
ciations et quelques victoircs, fixerent
pour jamais la couronne dans sa dynastie.
A la verite la magnifique qualification de
roi des Francois ne fut guere pour ses
premiers siiccesseurs qu'un vain titre;
mais, par des mesures sagement combi-
nees, par un systeme d'agrandissement
constamment suivi sous plusieurs regnes,
la couronne redevint ce quelle n'auroit
pas du cesser d'etre, un asile pour les
opprimes, unfrein pour les oppresseurs;
enfin plus tard I'autorite royale, fortifiee
5
66 INTRODUCTION,
tout ^-la-fois par labaissement des sei-
gneurs et par I'elevation des communes,
pr^valut tellement sur la puissance feo-
dale que, sous Philippe-le-Bel , les ba-
rons virent, non sans etonnement, mais
sans reclamation, les deputes des villes
sieger comme eux dans les grands con-
seils nationaux, et partager avec eux I'exer-
cice de la puissance publique.
Les Carlovingiens d'AUemagne, dege-
neres comme ceux de France, perdirent
la couronne k-peu-pres a la meme epo-
que et de la meme maniere.
Louis IV, roi de Germanic, arriere-
petit-fils de Louis-le-Germanique, etant
mort en 912 sans posterite, les grands de
I'Empire, quoiqu'il ne fut pas le dernier
prince du sang de Charlemagne, donn^-
rent sa couronne k Conrad , due de Fran-
conie (i).
(i) Pendant tres long-temps tous les membres du corps
germanique concoururent a I'election de I'empereur ; mais
au milieu des troubles et de Fanarchie auxquels I'Europe
INTRODUCTION. 67
Conrad n'avoit ni les grandes qualit^s
ni les riches domaines de Hugues Capet,
il ne comptoit pas, comme ce prince,
deux rois dans sa famille; aussi n'eut-il
pas la gloire de fonder una dynastie.
Apres sa mort, qui arriva en 919, les
grands lui donnerent pour successeur
Henri, dit I'Oiseleur, due de Saxe.
Ce prince, digne de la couronne, la
transmit a son fils Othon, que la poste-
rite a surnomme* le Grand.
Othon-le-Grand, vainqueur de I'ltalie,
se fit couronner empereur par les mains
du pape, formalite que ses deux prede-
cesseurs avoient neglige de remplir. La
vigueur de son administration, I'eclat de
ses victoires, et un regne de trente-sept
ans, affermirent tellement la couronne
sur sa tete que ^e son vivant meme.
f ut en proie pendant plusieurs siecles , sept princes , pos-
sesseurs de vastes territoires, s'arrogerent le privilege ex-
clusif d'elire I'empereur. Ce privilege leur fut confirme
par la bulle d'or qui determina la maniere de I'exercer.
68 INTRODUCTION,
il fit ^lire et sacrer son fils Othon II,
et qu'apr^s sa mort cet Othon II et son
petit-fils Othon III, quoique k peine age
de trois ans, lui succederent sans con-
firmation pour I'un et sans election pour
I'autre.
II est probable que la succession au
trdne se seroit etablie dans la famille des
Othons comme dans celle des Hugues
Capet, si Othon III avoit eu les grandes
qualites de ses deux pr^decesseurs; mais
etant mort sans enfants, presque au sortir
d'une minorite orageuse, les grands vas-
saux se ressaisirent du droit d'elire le
chef de I'Empire.
Henri II, due de Baviere etarriere-petit-
fils d'Henri I'Oiseleur, fut elu roi de Ger-
manic dans une diete tenue a Mayence
le lo juin de I'an 1002. Ce prince, in-
quiete pendant tout le cours de son regne
par des rivaux puissants qu'il n'apaisa
qu'^ force de largesses, laissa I'autorite
imperiale plus foible et les vassaux de la
INTRODUCTION. 69
couronne plus forts qu'avant son avene-
ment a I'empire. II mourut en 1024, ^^
en lui finit la branche des empereurs de
la maison de vSaxe.
Conrad, dit le Salique, fils de Henri,
due de Franconie, fut elu roi de Ger-
manie dans une diete tenue k Worms en
I'annee 1024, et couronne empereur par
les mains du pape en 1027. ^ peine
monte sur le trone, une conspiration
formee dans le sein de sa propre famille
eclata contre lui; et dans la confusion in-
separable des discordes civiles , la puis-
sance des hauts barons, deja rivale de
celle des empereurs, prit un nouvel ac-
croissement.
Henri III et Henri IV, fils et petit-fils de
Conrad-le-Salique, furent successivement
eleves a la dignite imperiale.
Henri IV porta sur le trone toutes les
qualites qui font les grands princes; mais
la penitence humiliante que le trop fa-
meux Gregoire VII eut laudaqe de lui
70 INTRODUCTION,
imposer, et qu'il fut oblige de subir, en
degradant sa personne, affoiblit encore
I'autorite imperiale (i).
Cependant son fils lui succeda sous le
nom d'Henri V. Les grands de I'ctat , te-
moins des humiliations du pere, se mon-
trerent pen disposes k reconnoitre un sou-
verain dans la personne du fils; et les
concessions qu'il fut force de faire k la
haute noblesse acheverent d'etablir I'in-
dependance des grands offices et des
grands fiefs.
(i) Gregoire commenca sa rupture avec Henri IV, sur
un pretexte specieux et populaire. II se plaignit de la ve-
nalite et de la corruption introduites par cet empereur
dans la collation des benefices aux ecclesiastiques. II
pretendit que le droit de collation lui appartenoit comme
au chef de I'Eglise ; et il requit Henri de se renfermer
dans les bornes de sa juridiction civile , et de s'abstenir
pour I'avenir de ces usurpations sacrileges sur I'autorite
spirituelle du saint-siege. L'empereur, ayant refuse de
renoncer a exercer des droits dont ses predecesseurs
avoient constaniment joui , vit fondre sur sa tete tous
les anathenUes de I'Eglise. Les princes etles eccle'siastiques
les plus considerables d'Allemagne se spuleverent et pri-
INTRODUCTION. 71
Henri V mourut en Tan 1 1 25, et en lui
s'eteignit la maison de Franconie.
Apres sa mort les empereurs furent
elus, en quelque sorte, au hasard; et Ja
couronne imperiale reposa successive-
ment sur la tete de Lothaire II, de Con-
rad III, de FredericI", dit Barberousse,
de Henri VI, de la maison de Souabe, de
Philippe P% egalement de la maison
de Souabe, d'Othon IV, comte palatin
rent les armes centre lui; on excita sa mere, sa femme,
ses enfants memes a briser tous les liens de la nature et
du devoir, et a se joindre aux ennemis de ce malheureux
prince. Tels furent les moyens dont se servit la cour de
Rome pour enflammer le zele aveugle de la superstition ;
elle sut diriger avec tant de succes I'esprit factieux des
Italiens et des Allemands , qu'un empereur, distingue non
seulement par des vertus , mais encore par des talents
peu communs , fut oblige de paroitre en suppliant a la
porte du chateau ou residoit le pape, et d'y rester trois
jours, tete nue, expose a toutes les rigueurs de I'hiver,
pour implorer un pardon qu'il n'obtint meme qu'avec
beaucoup de peine, et aux conditions les plus fle'trissan-
tes. (Introduction a VHistoire de Charles-Quint, par Ro-
bertson.)
72 INTRODUCTION.
deBavi^re,de Frederic II, et deConradlV,
descendant de Frederic-Barberousse.
Apres un interregne de dix-sept ans
pendant lequel le comte Guillaume de
Hollande, le due Richard de Gornouailles,
et le roi Alphonse de Castille se dispu-
terent la couronne imperiale, Rodolphe
de Habsbourg fut elu empereur dans une
diete tenue ci Francfort le 3o septem-
bre 1273.
Ge prince est la tige de la maison
d'Autriche : il descendoit de Gontran-le-
Riche, comte d'AIsace, soucbe commune
de la maison de Habsbourg- Autriche et de
celle de Lorraine.
En 1 278 Rodolphe remporta une grande
victoire sur Ottocare, roi de Boheme,
qui peril dans la bataille. L'an 1282 il
investit, dans la diete d'Ausbourg, Albert,
son fils, du duche d'Autriche qu'il avoit
enlev^ au roi de Boheme. Depuis lors les
comtes de Habsbourg ont pris le nom de
ce duche, et fonde la deuxieme maisoa
d'Autriche.
INTRODUCTION. 73
Enfin depuis la mort de Rodolphe
en 1 29 1 , jusqu'au regne de Maximilien I"
couronne empereur en i493, des princes
de la maison d'Autriche, des rois de Bo-
heme, des dues de Souabe, de Luxem-
bourg, de Baviere et de Moravie, ont oc-
cupe successivement le trone imperial.
Tons les etats, tons les princes qui
composoient le corps germanique, recon-
noissoient I'empereur pour leur chef. Les
lois et les rescrits d'un interet general
etoient publics en son nom. Mais ce fan-
tome d'autorite disparoissoit devant les
dietes de I'Empire. Chaque prince , chaque
etat souverain avoit le droit d'assister k
ces grandes assemblees, d'y deliberer, et
d'y voter. Les decrets ou recez de la diete
formoient les lois de I'Empire, et I'empe-
reur etoit oblige de les ratifier et de les
faire executer.
Nous voyons maintenant pourquoi I'Al-
lemagne est demeuree etrangereaux mou-
vements qui , vers le commencement du
quatorzieme siecle, ont change la face
74 INTRODUCTION,
de I'Europe; pourquoi le peuple de ces
riches et vastes contrees, immobile au
milieu de la fermentation generale, n'a
pas imite ses voisins, n'a pas comme eux
brise ses fers , et comme eux pris place dans
les dietes nationales.
Cela s'explique, ainsi que nous I'avons
deja dit,parla difference dans la duree des
dynasties regnantes. Que celles de Hugues
Capet et de Guillaume-le-Conquerant,
affermies par les siecles sur des trones
hereditaires, et constamment occupees du
soin de s'agrandir, sesoientelevees a une
hauteur telle, qu'elles ont pu favoriser
et meme provoquer I'etablissement des
communes, faire ensuite de ces nouvelles
corporations des puissances rivales de la
puissance des hauts barons, et les appeler
enfin dans les grands conseils nationaux,
jusqu'alors uniquement composes des vas-
saux de la couronne, cela se conceit aise-
ment.
Mais il ne pouvoit pas en etre de meme
sous des princes chancelants sur des
INTRODUCTION. 75
trones viagers. Ghaque election nouvelle
affoiblissoit I'autorite imperiale et ajou-
toit k celle des vassaux de I'Empire.
Ainsi, la puissance feodaJe, toujours
croissante, et constamment interposee
entre les chefs de I'Empire et les hommes
de chaqiie seigneurie, interceptoit toute
communication entre eux, et mettoit les
empereurs dans I'impuissance d'etendre
une main protectrice sur les habitants des
campagnes.
. Si Ion se reporte sur ce que Ion vient
de lire, on en voit sortir cette grande
verite: autant I'autorite royale est im-
puissante pour faire le bien quand elle
repose, comme un vain simulacre, dans
des mains foibles ou inhabiles; autant
elle est bienfaisante lorsque, grande et
forte, elle impose k tons le joug salutaire
des lois, lorsque, semblable a un fleuve
majestueux et tranquille , elle coule paisi-
blement dans un lit creuse par la sagesse.
76 INTRODUCTION.
DU ROYAUME DE HONGRIE.
Quelques tribus de ces Huns qui inon-
derent I'Europe vers la fin du quatrieme
siecle s'arreterent dans la Pannonie, et
prirent dans cette province le nom de
Hongrois. L^ ils paroissent , jusqu'au
dixieme siecle, avoir vecu sous une espece
de gouvernement federatif , commandes
par differents chefs militaires qu'ils se
choisissoient.Une affaire interessant loute
la nation s'elevoit-elle; une expedition
generale devoit-elle avoir lieu ; on pro-
menoit dans les differentes bourgades une
epee nue, en proclamant ces mots : « Voici
« la voix de Dieu et I'ordre de toute la com-
ic munaute : que chacun comparoisse arme,
«ou comme il le pourra, dans tel lieu;
« il y entendra la deliberation et la deci-
"sion de la communaute. » Ainsi avoient
deja lieu des assemblees publiques de la
nation.
Ce fut en 966 que, d'un commun con-
INTRODUCTION. 77
sentement, les grands et les nobles de
Hongrie choisirent pour roi Fun d'eux,
Etienne, qui, dissipant les tenebres du
paganisme, etablit la religion chretienne
dans ses etats, organisa I'eglise catholi-
que de Hongrie, et qui est connu dans
I'histoire sous le nom de saint Etienne.
A ce prince commence la monarchic
elective de Hongrie.
La legislation progressive de cette mo-
narchic a ete conservee avec une rare
exactitude : les recueils qui la renferment
remontent jusqu'a leur premier roi.
II est un de ces decrets qui appartient
k saint Etienne. On y remarque ces pa-
roles adressees a son fils : « Si tu te mon-
tttres affable, tu seras proclame roi, et
«toute la noblesse t'aimera; si tu es iras-
«cible, imperieux, intolerant, si tu veux
uelever un front superbe au-dessus des
«comtes et des grands, alors sans aucun
«doute tu te verras depouille de la di-
wgnite royale, et c'est k un autre qu'ils
« livreront ton royaume. »>
78 INTRODUCTION.
On voit ici la reconnoissance du droit
d'election qu'avoit la noblesse hongroise,
droit qui s'etablit comme une coutume
inviolable, sans etre ecrit positivement
dans aucune constitution.
Parmi les successeurs de saint Etienne,
le premier dont les lois offrent un carac-
tere remarquable est Andre II, porte sur
le trone en i2o5. C'est ce prince qui,
dans un decret promulgue en 1222, con-
sacra les liberies des nobles hongrois,
leur accordaplusieurs privileges, et les af-
franchit de plusieurs obligations dont ils
etoient tenus envers la couronne. « Et si
« nous , ou I'un de nos successeurs, porte
ule dernier article, nous voulions jamais
"contrevenir aux dispositions de notre
« decret, qu'en vertu de ce decret les
« eveques , les barons et les nobles du
«royaume, presents et a venir, tous en
« masse et chacun en particulier, aient a
« perpetuite la libre faculte de nous cou-
rt tredire nous et nos successeurs, meme
INTRODUCTION. 79
« de nous resister sans encourir aucune
« note de felonie. »
Aussi le nom d' Andre passa-t-il revere
dans la memoire des Hongrois. Son decret
devint I'arme de la noblesse toutes les
fois quelle voulut reclamer ses liberies,
et chaque roi de Hongrie fut oblige avant
son couronnement de jurer respect et
obeissance k ce decret.
Sous les rois Charles P"" et Louis I" le
royaume de Hongrie atteignit son plus
haut point de splendeur. La Dalmatie, la
Croatie, la Servie, la Bulgarie, la Bosnie,
la Transylvanie , la Valachie, la Molda-
vie, y furent successivement reunies. Mais
en 1686, sous le regne de Sigismond, les
Turcs parurent dans la Hongrie, et alors
commencerent ces guerres dont la duree
embrasse plus dun siecle. Bien que les
Chretiens de toute I'Europe accourussent,
nouveaux croises, pour secourir les Hon-
grois, les Turcs marcherent de pro-
gres en progres. Les trois fameuses ba-
8o INTRODUCTION,
tallies de Nicopolis en iBgG, de Warne
en 1444? ^^ Mohatz en 1S26, furent fu-
nestes aux amies chretiennes. Profitant
des dissensions qui s'etoient elevees pour
Ja couronne de Hongrie entre la fa-
mille de Jean Zapoli et la maison d'Au-
triche, Soliman II etendit chaque jour
ses possessions. Des pachaliks s'etablirent,
des mosquees s'eleverent, et la Hongrie
demeuibree se trouva divisee en Hongrie
mahometane et en Hongrie chretienne.
Ces evenements nous conduisent jus-
qu'au moment ou le sceptre de Hongrie
tomba dans la maison d'Autriche en 1527.
A cette epoque les actes legislatifs etoient
dejafortnombreux.Parmicesactesdoivent
etre remarques le decret rendu par Al-
bert en 1439, ^ la priere des prelats, des
comtes et barons (decret qui, confirmant
celui d' Andre II , contient une grande
partie de la constitution et du droit pu-
blic du royaume); les articles que la no-
blesse presenta en 1490 a Ladislas et que
celui-ci jura d'observer; enfin les decrets
INTRODUCTION. 81
qui suivirent et developp^rent ces articles
en 1493 et dans les annees suivantes.
Voici le systeme du gouvernement
hongrois, tel que le presentent ces lois et
les antecedents historiques.
La couronne est elective; cependant la
posterite du priuce regnant y a des droits
de preference que les dietes reconnoissent
Le clioix des electeurs pent se porter sur
des femmes. En 1882, Marie, fille de
Louis P% succeda a son pere.
Lors de son couronnement le roi doit
prononcer le serment dont voici la for-
mule: «Nous jurons par le Dieu vivant,
«par la bienheureuse vierge Marie sa
«mere et par tons les saints, que nous
« conserverons les eglises consacrees k
('Dieu, et tons les seigneurs prelats, ba-
« rons, nobles, et villes libres de Hongrie,
u et tons les habitants de ce royaume, dans
"leurs franchises, exemptions, liberies,
« droits et privileges; que nous garderons
"toutes les coutumes bonnes, anciennes
«et generalement approuvees; que nous
6
82 INTRODUCTION.
« rendrons k tous justice suivant la teneur
«des lois et les usages du royaume, et
«que nous observerons inviolablement
ti le decret du serenissime roi Andre, etc. »
Le roi doit resider en Hongrie. G'est k
Jui qu'appartient la libre disposition des
emplois et des dignites, mais il ne peut
les conferer quk des Hongrois. II a le
pouvoir de rendre des decrets; mais il est
d'usage qu'il les soumette a I'avis des
grands et nobles du royaume. Du reste
c'est un principe constant du droit public
qu'il ne peut, sans le consentement for-
mel des dietes, deroger en rien soit aux
anciennes coutumes, soit aux libertes na-
tionales. II arrive frequemment que les
nobles, reunis dans les dietes, arretent
eux-memes une serie d'articles qu'ils pre-
sentent au prince en le suppliant de les
sanctionner, quelquefois meme en lui en
imposant I'obligation comme une condi-
tion de son election. Ges decrets, qui sont
en grand nombre, commencent par une
preface dans laquelle le roi expose que
INTRODUCTION. 83
les barons et grands du royaume lui ont
presente les articles dont la teneur suit,
lis sont termines par la confirmation de
ces articles.
Apres la dignite de roi, la premiere est
celle de palatin de Hongrie. C'est par le
prince et par I'assemblee nationale que
doit etre elu ce palatin ; ainsi le prescrit
I'article 2 du decret public par Albert en
1439. On trouve dans une constitution,
rendue en i485 par une diete reunie
pour la nomination dun palatin, Tenu-
meration des fonctions diverses de ce di-
gnitaire. General et grand juge du royau-
me, il doit porter aux oreilles du prince
les plaintes des sujets, se presenter comme
mediateur lorsque quelque dissension s e-
leve entre le monarque et la nation. En
I'absence du roi il tient les renes du
gouvernement. Apres sa mort il est le
tuteur ou le curateur des heritiers qu'il a
laisses. C'est lui qui convoque alors les
dietes necessaires pour regler les affaires
publiques.
6.
84 INTRODUCTION.
Dans la monarchic hongroisc Taristo-
cratic est toute-puissante; les nobles n'ont
aucun droit de suzerainete les uns sur les
autres; tons jouissent des memes fran-
chises. Les quatre principales sont :
La premiere de ne pouvoir etre ni saisi
ni detenu avant d'avoir ete cite dans les
formes et condamne judiciairement ;
La seconde de ne relever dans tout le
royaume que du roi legalement elu et
couronne;
La troisieme de jouir sur leur territoire
de tons les droits et revenus, libres de
toute servitude envers la couronne, taxe,
impot , redevance , sauf I'obligation de
marcher a I'armee pour la defense du
royaume ;
La quatrieme enfin de pouvoir, sans
encourir aucune note de felonie. resister
au roi s'il attentoit a la constitution d' An-
dre II et aux franchises nationales.
G'etoit sur-tout dans les dietes que la
noblesse hongroise usoit de ses libertes
et exercoit son influence.
INTRODUCTION. 85
Un decree de i458 ordonne qu'une
diete aura lieu chaque annee dans la ville
de Pest, k la Pentecote. Le roi Mathias,
en 147 1) fixa cetteepoque k la fete de 1' As-
cension. Enfin un decret presente par la
noblesse k Ladislas, en 1498, remit la reu-
nion r^guli^re des dietes , de trois ans en
trois ans, dans le champ Rakos, k la fete
de Saint-Georges. Ces dietes ne devoient
durer que quinze jours. Les rois convo-
quoient des dietes extraordinaires lorsque
des affaires urgentes I'exigeoient.
On trouve dans les lois diverses peines
prononcees contre les nobles qui ne se
rendroient pas aux assemblees. On ne
doit, d'apres un decret rendu en 1492,
attendre les retardataires que pendant
quatre jours. Ce delai expire , les opera-
tions peuvent commencer, et les absents
seront lies par les decisions de la diete,
comme s'ils y avoient pris part.
Le decret de 149^, sous le roi Ladislas,
presente quelques dispositions assez de-
tail lees sur I'ordre de ces assemblees. Les
86 INTRODUCTION,
articles 26 et 26 portent que le roi doit
convoquer les prelats , les barons et les
nobles, chacun en particulier, un mois
entier avant le jour fixe pour la diete;
qu'il doit y appeler non pas des deputes
elus dans chaque comte , comme cela
s'etoit pratique quelquefois, mais tous les
nobles , cliacun individuellemeot ; qu'il
doit exposer k I'assemblee les motifs de
sa reunion, les besoins du royaume, la
situation de ses affaires; que les nobles
doivent deliberer avee dignite dans le si-
lence, et que s'il s'eleve parmi eux des
avis differents, le maitre des huissiers (i),
present a la deliberation, doit recueillir
separement le vote de chacun.
Pendant la duree des dietes le cours
de la justice est suspendu et les tribunaux
sont fermes.
Quiconque frappoit un individu dans
I'assemblee, ou cherchoit a troubler les
(i) Magisterjanitorum.
INTRODUCTION. 87
deliberations, etoit note d'infamie (i).
Les dietes doivent etre necessairement
consul tees : pour les impots, qui ne peu-
vent etre etablis sans leur consentement;
pour la conservation et la defense des li-
mites du royaume; pour le mariage des
filles du roi; et en general pour tout ce
qui interesse I'etat (2).
(i) Quod durantibus generalibus dietis universa ju-
dicia in curia regia , sedibus spiritualibus et comitatibus
cessent, ut unusquisque rebus totius regni, eo facilius
intendere valeat. — Praeterea , si quis forte aliquetri in
ipsa dieta verberaret , vulneraret, vel libertatem dieta?
turbaret, quae nota infidelitatis est, talis personaliter
citari semper poterit, ibidemque judicium de eo fieri
valebit. [Seizieme decret de Ladlslas , an iSoy, art. 12.)
(2) Item quod nos de caetero, nullam dicam sive
taxarn , praeterquam lucrum camerae , generaliter a reg-
nicolis , propter aliquam causam , exigamus , aut exigere
faciaraus, praeter voluntatem eorum et consensum.
( Troisieme decret de Mathias, an i^ji, art. 11.)
In defensionibus et conservationibus metarum et con-
finiorum hujus regni, consiliis regnicolarum utemur.
{Decret d' Albert , an 14^9 , art. i[\.)
De maritatione filiarum nostrarum agemus cum con-
silio praelatorum et baronum ac nobilium regni nostri
Hungariae. ( Meme decret, art. 20.)
88 INTRODUCTION.
La couronne de Hongrie ayant passe
dans la maison d'Autriche en i52'7 par
I'election de Ferdinand , ce prince qui ,
comme ses predecesseurs , avoit jure de
se conformer aux constitutions de I'etat,
ne tarda pas a s'en ecarter. Ses successeurs
les respecterent encore moins. La noblesse
prit enfin le parti de recourir aux armes;
mais, trop foible pour resister seule a la
maison d'Autriche, elle engagea les Turcs
dans sa querelle. Les succes furent long-
temps balances. Enfin le 12 aout 1687,
dans la plaine de Mohatz, les generaux
de I'empereur mettent dans la deroute la
plus complete une armee de 80,000 Turcs,
commandee par le grand visir. Fort de ce
succes, I'empereur Leopold assemble les
etats a Presbourg, le 3i octobre de la
meme annee 1687, fait declarer la cou-
ronne de Hongrie hereditaire dans sa
maison, et la cede en meme. temps ci son
fils aine I'archiduc Joseph (i).
(i) Art de verifier les dates , troisieme edit. , t. II, p. 65.
DES
ASSEMBLIES NATIONALES
EN FRANCE,
DEPUIS l'eTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE
jusqu'en 1614.
GHAPITRE PREMIER.
Des assemblees nationales sous les deux premieres races.
(481-987.)
Quoique Fespece humaine soit, ou du
moiiis paroisse etre par-tout la meme, ce-
pendant chaque peuple tient du climat, du
sol, ou si Ion veut de la nature, un carac-
t^re qui lui est propre. Le trait le plus sail-
lant de celui des anciens peuples de la Ger-
manic (1) etoit un vif attachement a la
(i) Sous cette denomination , je comprends toutes les
nations, toutes les tribus, qui, apres avoir successive-
ment occupe la Germanic, s'etablirent sur les de'bris de
Tempire romain.
90 ASSEMBLEES NATIONALES
liberte. Ce sentiment dominoit toutes leurs
pensees, dirigeoit toutes leurs actions, et,
par un phenomene fort remarquable, seul
il les conduisit a une forme de gouverne-
ment qui suppose des connoissances, alors
infiniment rares, meme chez les nations les
plus civilisees.
Je lis dans Tacite(i): « Leurs rois n'ont
«pas une puissance illimitee ou indepen-
((dante, et leurs {jeneraux commandent par
« I'exemple plus que par I'autorite. »
Plus has Tacite ajoute : u Les affaires peu
(< importantes sont reglees par les chefs, les
uautres par la nation, de maniere toutefois
uque dans celles meme dont la decision
uappartient au peuple, la discussion est re-
« servee aux chefs , hormis des cas extraor-
(t dinaires et pressants ; ils s'assemblent a des
« jours fixes, au commencement de la nou-
uvelle et de la pleine lune, temps qu'ils
(i) Je donne la traduction de M. Bureau de Lamalle,
generalement estimee.
DE FRANCE. CHAP. I. 9 1
ujugent le plus favorable pour trailer les
((affaires... Lorsque I'assemblee paroit suf-
ufisamment nombreuse, ils prennent place
«tout armes. Les pretres(i), qui sont alors
(i) Chez les peuples barbares, les pretres ont ordinai-
rement du pouvoir, parcequ'ils ont, et Tautorite qu'ils
doivent tenir de la religion , et la puissance que chez des
peuples pareils donne la superstition. Aussi voyons-nous
dans Tacite que les pretres etoient fort accredites chez
les Germains, qu'ils mettoient la police dans I'assemblee
du peuple. II n'etoit permis qu'a eux de chatier, de lier,
de frapper : ce qu'ils faisoient, non pas par un ordre du
prince, ni pour infliger une peine, mais comme una
inspiration de la Divinite , toujours pre'sente h ceux qui
font la guerre. {Esprit des Lois, liv. XVIII, chap, xxxi.)
M. Meyer, dans son savant ouvrage intitule Esprit,
origine, et progres des institutions judiciaires , etc., torn. I,
liv. II, ajoute: Les Germains etoient extremement su-
perstitieux : a tout moment ils consultoient leurs pretres,
dont I'autorite devoit etre tres grande, quoique rien ne
prouve qu'ils aient forme un etat separe, comme les
Druides-Gaulois. Les femmes ou vierges sacrees jouis-
soient d'une grande faveur; et les noms de Ganna, de
Velleda, d'Aurinia, sont connus dans I'histoire, a cote
de ceux d'Armenius et de Claudius Civilis.
92 ASSEMBLEES NATIONALES
(f charges de la police, imposent silence j en-
(( suite le roi ou le chef prend la parole, et
u selon ce qu'il a d age, de naissance , de con-
((sideration militaire, d'eloquence, il se fait
« ecouter par la force des raisons, plutot que
{' par celle de I'autorit^. Si son avis a deplu,
«un cri general I'annonce; s'ils I'approu-
((vent, ils agitent leurs /r«mee5. Gette ma-
« ni^re d'exprimer leur approbation par les
« armes est la plus flatteuse... On peut aussi
a a ces assemblees generales porter les accu-
((sations et les affaires criminelles... C'est
« dans ces memes assemblees qu'on elit aussi
(fles chefs, qui rendent la justice dans les
« cantons et dans les bourgades. »
Dans cet ordre de choses, le roi propose
la loi ; tons les hommes admis a I'honneur de
porter les armes, reunis en assemblee gen^-
rale, Tadoptent ou la rejettent; cette assem-
blee, conjointement avec le roi, regie les af-
faires generales de la nation*, le roi, seul
charg^ du pouvoir executif, fait seul les ac-
tes d'administration; enfin la meme assem-
blee, toujours presidee par le roi, prononce
sur les crimes d'etat, et nomme des juges
DE FRANCE. CHAP. I. 98
pour statuer sur les affaires qui n'int^res-
sent que les pardculiers (i).
Voila bien la separation des pouvoirs. II
faut que cette belle conception soit, en quel-
quesorte, une idee innee, puisqu'elle s'est
presentee a I'esprit dune nation barbare,
dune nation qui, etrangere a nos connois-
sances comme a nos vices, n'etoit eclairee
que par les lumieres du plus simple bon
sens.
(i) Ces assemblees sont designees dans les anciens mo-
numents sous plusieurs denominations. Tacite les appelle
concilium , congressus : les Francs les appeloient mallum^
placitum regium, generate placitum;en%\xite plena synoduSy
conventus , concilium.
Comme ces assemblees s'etoient tenues d'abord au
mois de mars et ensuite au mois de mai , les historiens les
appellent aussi Champs-de-Mars et Cliamps-de-Mai.
II y avoit aussi des assemblees particulieres , qui avoient
lieu dans les differents comtes, et qui n'etoient composees
que de ceux qui habitoient ces comtes. Les Germains et
les premiers Francs les appeloient mallum grajionis: plus
tard elles furent connues sous le nom de placitum comitis ,
placitum missi.
Je ne m'occupe dans cat ouvrage que des assemblees
generales.
94 ASSEMBLIES NATIONALES
Ce bon sens continuera-t-il d'inspirer la
nation , lorsqne, par la conquete des Gaules,
elle sera devenue maitresse de Tune des plus
riches con trees de la terre? Les monuments
contemporains repondent h cette question.
Deja les Visigoths et les Bourguignons
s'etoient empares dune partie des Gaules,
lorsque, vers le milieu du cinqui^me siecle,
les Francs parvinrent a s'y etablir.
On decoroit du nom de Francs ceux de
ces peuples qui se faisoient le plus remar-
quer par leur amour pour la liberte. Les
principaux etoient les Saliens, les Ripuaires,
les Gherusques, et les Bruct^res. Ainsi,
Ton disoit: Les Francs-Saliens, les Francs-
Ripuaires, etc.
Les Saliens occu parent Tournay (i), les
Ripuaires Cologne, les deux autres Te-
rouane et Cambrai.
En 481 Clovis succeda a Chilperic son
p^re, roi de la tribu des Saliens. La guerre
(i) En i653 on decouvrit a Tournay la tombe et le
squelette de Chilperic, pere de Clovis.
DE FRANCE. CHAP. I. gS
^toit un besoin pour liii; et il avoit ^mi-
nemment le courajje de ces temps-la, c'est-
a-dire un courage feroce. Le nombre d'hom-
mes de sa nation , en etat de porter lesarmes,
ne s'elevoit gu^re au-dessus de trois ou
quatre mille; mais sa grande reputation at-
tiroit sous ses drapeaux une foule de braves
des tribus voisines, ceux sur-toutqui regar-
doient le pillage comme le seul moyen d'ac-
querir qui fut digne d'un soldat.
A la tete de cette armee, Clovis battit les
Romains a Soissons, et les Gerraains a Tol-
biac(i).
(i) On assure qu'un voeu fait au fort de Paction , et les
instances de son epouse Clotilde , princesse de Bourgo-
gne , le determinerent a embrasser le christianisme.
II seroit inutile aujourd'hui d'examiner si sa conversion
fut sincere ; mais il est certain du moins qu'aucun acte
politique ne pouvoit avoir de re'sultats plus heureux.
L'arianisine introduit de bonne heure chez les nations
barbares dominoit, toutefois sans intolerance , a la cour
de Bourgogne, et dans celle des rois visigoths; aussi le
clerge des Gaules , fortement attache au parti catlioli-
que , avoit soutenu les armes de Clovis , meme avant sa
conversion. Depuis il se de'clara hautement en sa fa-
96 ASSEMBLEES NATIONALES
Ces deux victoires etendirent sa domina-
tion jusqu'a rOcean; jusqua la Loire qui
servoit de limite a celle des Visig^oths; jus-
qu'au Rhone qui la separoit des Bourgui-
p-nons, et jusqu'au Rhin, 011 elle confinoit
avec les Allemands et avec d'autres Francs.
Devenu ainsi I'un des plus puissants nio-
narques de FEurope, Clovis voudra-t-il par-
tager avec ses sujets I'exercice de la puis-
sance legislative? respectera-t-il encore les
limites de son autorite ?
II n'aura pas meme I'idee de les ebranler.
veur ; le raonarque recompensa son zele, ainsi que I'exi-
geoit une adroite politique, et ses descendants le traite-
rent avec une munificence prodigue. S'appuyant du
pretexte de la religion , Clovis attaqua Alaric , roi des
Visigoths , et , par une eclatante vicloire aupres de Poi-
tiers , renversa leur empire dans les Gaules , et les rejeta
dans la province maritime de la Septimanie , ligne etroite
de cotes situee entre le Rhone et les Pyrenees. Ses der-
niers exploits consisterent a soumettre certains chefs in-
de'pendants de sa tribu et de sa propre famille, qui s'e-
toient etablis vers les bords du Rhin ; il les fit totis perir
par violence ou par trahison. (L' Europe au moyen age ,
par M. Hallam, 1. 1.)
DE FRANCE. CHAP. I. 9-7
La raison en est simple : c'est qu'alors il n'y
avoit pas une nation etune arm^e, raaisune
armee qui se composoit de la nation enti^re,
c est-a-clire de tons les hommes en ^tat de
porter les armes ; de mani^re que la consti-
tution de I'etat etoit sous la garde de la force
publique.
Les assemblees nationales furent done,
apr^s la conquete, ce qu'eiles etoient au-
dela du Rhin ; et, comme on va le voir, il n'y
eut rien de change, ni quant a leur com-
position , ni quant a leur raani^re de d^li-
berer.
La conquete fut rapide, mais il falloit du
temps pour I'affermir ; aussi Clovis ne licen-
cia-t-il pas son armee. Trop foible pour qu'il
put la repartir sur differents points, il la te-
noitcampee pr^s des lieux de sa residence;
et, toujours k sa tete, il se portoit par-tout ou
des symptomes de rebellion se laissoient en-
trevoir. Cependant, aux approches de I'hi-
ver, il etendoit ses quartiers, afin qu'elle
put subsister ayec plus de facilite ; mais d^s
les premiers jours du printemps les batail-
lons epars se reunissoient en corps d'armee,
7
gS ASSEMBLEES NATIONALES
et formoient ces assemblees connues sous la
denomination de Champ-de-Mars (i).
Dans ces assemblees, la nation represen-
tee par ses braves, et deliberant comme
dans les forets de la Germanie, sous la pre-
sidence et sur les propositions de son chef,
regloit les affaires de letat.
Get ordre de clioses se maintint sous les
premiers successeurs de Glovis (2), mais
sous ses petits-fils un grand changement
s'opera. L'habitude de vivre sous le meme
regime ay ant reuni les Francs et les Gaulois,
(i) Cela n'est pas textuellement ecrit dans les anciens
monuments ; mais on y entrevoit que c'est de cette ma-
niereque les choses se sont passees.
(2) Glovis laissa quatre fils , qui partagerent ses etats.
L'Austrasie echut a Thierry I'aine, qui choisit Metz pour
sa capitale ; Clodomir fixa son sejour a Orleans ; Childe-
bert , a Paris ; et Clotaire , a Soissons. Sous leurs regnes ,
la conquete de la Bourgogne agrandit la monarchic.
Clotaire , le plus jeune des freres , reunit enfin tous ces
royauraes : divises une seconde fois a sa mort entre ses
quatre enfants , ils furent re'unis de-nouveau sous Clo-
taire n , petit-fils du premier.
Les regnes suivants n'offrent qu'une longue serie de
DE FRAJSCE. CHAP. I. yy
et les deux peuples ne formant plus, en
quelque sorte, qu'une nation, les conque-
rants sentirent moins la n^cessite de tenir
I'arm^e reunie sur le meme point. Les corps
dont elle se coniposoit furent can tonnes
dans les dif'ferentes provinces j et les soldats,
que I'age ou les blessures rendoient moins
propres au service, obtinrent facilement la
permission de se retirer dans les domaines
dont la conqu^te les avoit rendu s proprie-
taires.
Ces hommes , bientot amollis par les dou-
ceurs de la vie privee, places a de grandes
distances du centre des affaires publiques.
crimes et de malhenrs. II seroit difficile , comme le dit
tres bien Gibbon , de trouver ailleurs plus de vices et
moins de vertus.
Deux reines se distinguent par I'e'normlte de leurs
crimes: Fr^ddgonde, femme deChilperic, et Brunehaut^
reine d'Austrasie.
Les princes qui regnerent apres elles tomberent dans
un tel etat de nullite, que les maires du palais , qui ,
dans I'origine, n'etoient que de simples officiers de la
m.aison du roi , parrinrent a transformer leur place en
une dignite elective , et finirent par s^emparer du trone.
7-
lOO ASSEMBLEES NATIONALES
ne tard^rent pas a perdre de vue les assem-
blees du Champ-de-Mars, et neglig^rent de
s'y reiidre.
II resulta de cette negligence que les as-
semblees nationales ne furent plus compo-
sees que des generaux et des officiers de la
maison du prince, en un mot de ceux que
les monuments de ces temps-la designent
sous le nom de proceres. Mais la place de-
sertee par les soldats ne resta pas long-
temps vacante; les pretres, qui jusqu'alors
n'avoient figure dans ces assemblees que
pour y maintenir la police, s'empress^rent
de I'occuper.
Une fois entre dans le gouvernement, le
clerge n'en sortira plus ; et, devenu membre
du corps politique, il formera desormais
un ordre dans I'etat.
Cette innovation changea la forme et en
partie I'objet des assemblees nationales. Au-
paravant la nation y etoit representee par
tons les hommes en etat de porter les armes ;
elle ne le fut plus que par les officiers supe-
rieurs du palais et de I'armee, et cessa tota-
lement de I'etre , lorsque , ces grands offices
DE FRANCE. CHAP. I. lOI
etant devenus her^ditaires , ceux qui les
poss^doient formal ent la classeque Ton a de-
piiis appelee Fordre de la noblesse.
Auparavant les guerriers qui formoient
ces assemblies , plus liommes de bien
qu'hommes d'esprit, plus judicieux qu'eclai-
res, plus raisonnables que raisonneurs,
adoptoient les lois qui leur etoient soumises,
en frappant sur leurs boucliers, ou les
rejetoient par un cri dim probation. Sans
doute ces formes etoient trop simples ; mais
le defaut d'eloquence vaut encore mieux
que Tabus de I'eloquence; et cet abus entra
dans les assemblees avec les eveques. Ac-
coutumesaux disputes tlieologiques,ilsypor-
t^rent les subtilites de I'ecole, et sur-tout
Tesprit de domination.
Cet esprit prevalut : il en devoit etre ainsi.
La plus profonde ignorance ^toit le partage
des grands de I'etat, et les connoissances du
clerge, quoique tres bornees, embrassoient
tout ce que Ion savoit alors; ces connois-
sances, comme cela arrive toujours, ren-
dirent le^ eveques maitres des deliberations ,
et tout fut r^gle par eux. On voit, en lisant
I02 ASSEMBLEES NATIONALES
les capitulaires de ces temps-la, qii'il y est
beaucoup plus question de Tinteret de I'E-
glise que de Finteret de letat, et on les
croiroit bien plutot emanes dun concile que
dune assemblee politique.
Sous les rois faineants Charles- Ma rtel
s'empara du pouvoir. L'importance de ses
guerres et I'eclat de ses conquetes firent
oublier pour toujours la race de Clovis, et
momentanement les assemblees nationales.
Pepin les retablit. Adroit usurpateur il
augfraenta la puissance du clerge, sous la
condition tacite que celui-ci afferrairoit la
sienne. Les eveques le comprirent : ils an-
nonc^rent I'usurpateur comme lenvoye du
ciel, et le pape Etienne II, en le sacrant lui-
meme, I'environna de tout ce que la reli-
gion pent ajouter a la majeste des rois.
De son cote Pepin reconnoissant combla
le clerge de richesses et de privileges. Ainsi
converts de la faveur royale, les Eveques
marcli^rent avec tantde succ^s a la conqu^te
du pouvoir quils depouillerent les grands,
qui com|X)Soient avec eux les assemblees
nationales, du pen d'influence quils conser-
DE FRANCE. CHAP. I. io3
voient encore. La puissance legislative passa
lout enti^re dans leurs mains, et la revolu-
tion fut telle, que Ion pouvoit dire alors:
L'etat c'est I'Eglise.
A Pepin succeda Charlemagne. Charle-
magne! toutes lesid^es de grandeur, de sa-
gesse, de force et de majest^, se rattachent
a ce nom a jamais celebre. Ce vaste et puis-
sant genie porta la reforme dans toutes les
parties de I'administration publique. La na-
tion recut de son grand caract^re une em-
preinte toute nouvelle, et I'autorite des as-
serablees nationales cessa d'etre conceutr^e
dans les mains du clerge. Cependant, il faut
le reconnoitre, ce changement fut moins
Teffet des combinaisons de son esprit que le
resultat de ses guerres continuelles.
Toujours a la tete de ses armees , toujours
en action, et par-tout victorieux, Charle-
magne i^'en respectoit pas moins les libertes
publiques. Chaque an nee, au re tour du
printemps, il tenoit et presidoit les dietes
nationales (i). Pendant la guerre il les con-
(i) Hincmar, archeveque de Reims, dans ses lettres a
Io4 ASSEMBLEES NATIONALES
voquoit dans les lieux ou il*avoit etabli le
centre des operations de la campagne. Aussi
voyons-nous que les capitulaires de cette
^poque sont dates les uns de Paderborn , de
Worms, de Spire, de Ratisbonne ; les autres
d'Aix-la-Chapelle, de Metz, etc.
Louis-le-Begue , nous donne sur ces assembleesles details
que Ton va lire.
S'il faisoit beau temps, ils s'assembloient quelquefois
en plein air; sinon il y avoit deux salles principales,
une pour les evSques, les abbes et autres du haut clerg6;
I'autre etoit pour les comtes et autres de meme rang : il
etoit libre aux deux chambres de deliberer a part ou en
chambres reunies.
II y avoit encore plusieurs autres salles, diversa loca,
pour le reste de I'assemblee, ccetera multitudo , qu'on ap-
peloit m'mores: c'e'toient \e?, notables , les scabini ou eclie-
vins des villes et districts, dont les comtes et gouverneurs
devoient se faire accompagner a I'assemblee generale,
et dont le nombre, pour chaque comte, fut successive-
ment augmente , et enfin porte a douze par le deuxieme
capitulaire de Louis-le-Debonnaire de I'an 819.
L'appel de ces notables aux etats-generaux , suivant le
temoignage d'HIncmar, avoit pour but d'obtenir d'eux
des renseignements sur les besoins et les avantages lo-
caux , d'entendre leurs avis , et de les mettre en etat de
convaiucre leurs concitoyens de I'utilite ou de la necessite
DE FRANCE. CHAP. I. Io5
La legislature ainsi plac^e dans les camps
flit necessairement compos^e de tous les
chefs de Farmee, c'est-a-dire de tous les
grands de I'etat. Quant aux ^veques, beau-
coup d'entre eux n^glig^rent des fonctions
devenues, par les d^ placements qu'elles exi-
geoient, incompatibles avec leurs habitudes.
de la mesure prise, puisqu'ils avoient assiste a la discus-
sion , et avoient entendu le pour et le contre.
II y avoit cependant une difference de rang entre ces
notables et les membres des deux ordres ; Hincmar dit
que ces derniers etoient assis sur des banquettes riche-
ment ffarnies , et qu'aucun autre, d'un moindre rang,
n'etoit assis a cote d'eux.
Hincmar nous apprend encore qu'apres que toutes les
affaires de I'assemblee generale etoient finies , et avoient
obtenu la sanction royale, le roi complimentoit I'as-
semblee sur ses travaux, et en la congediant ou la pro-
rogeant, cbargeoit specialement chaque membre, arctius
erat commissum , de s'informer scrupuleusement, pour
I'ouverture de I'assemblee suivante , s'il y avoit du
trouble dans le royaume, s'il s'elevoit quelque mur-
mure ou niecontentement , et quelle pouvoit en etre la
cause.
Voyez le chapitre premier de VHistoIre de forigine de
I' organisation et des poiivoirs des etats-generaux et provin-
ciaux des Gaules , par le savant M Rapsaet.
Io6 ASSEMBLEES NATIONALES
Leiir absence rendit aux seigneurs lai'ques
Finfluence qu'ils avoient perdue. Ces assem-
blees , qui sous le regne de Pepin n'etoient
guere que des conciles, reprirent un carac-
t^re vraiment national; et, sans perdre de
vue les affaires de I'Eglise, on s'y occupa
beaucoup plus des grands inter^ts de letat.
Tout cela disparut dans la confusion des
derniers regnes de la seconde race: de cette
confusion sortit une France nouvelle. Je la
ferai connoitre dans les clia]:)itres suivants.
Je continue celui-ci pour faire remarquer la
difference que Ion mettoit alors entre les
lois et les capitulaires.
Toutes les fois que des hommes se reunis-
sent en societe, a I'instant et par la seule
force des choses, deux pouvoirs selevent au
milieu deux; Tun investide la puissance le-
gislative, Tautre charge du soin de faire exe-
cuter les lois.
Ges deux pouvoirs existoient cliez les an-
ciens Germains: le pouvoir executif appar-
tenoit au ])rince; la puissance legislative
residoit dans la nation entiere. Tacite nous
I'apprend par ce pen de mots qui renferment
DE FRANCE. CHAP. I. 107
tant de choses: De minoribus rebus principe&
consultant J de majoribus omnes; ita tamen ut
ea quorum penes plebem arbitrium est, apud
principes quoque pertractentur.
Gette reunion de tons les Francois en un
8eul corps d^liberant presentoit pen de dif-
ficulte lorsque la nation des Francs, encore
au-dela du Rhin , ne consistoit qu'en nne cit^
pen populeuse ; maisapr^s son etablissement
dans les Gaules, et lorsqu'enfin les vain-
queurs et les vaincus ne formerent plus
qu'un seul peuple, il devint impossible de
r^unir tant d'hommes epars sur un vaste
territoire. On le sen tit, et Ton prit un parti
dont la sa^vesse etonne dans une nation k
peine civilisee. Les assemblees nationales ne
furent plus composees que des grands et des
eveques; et cependant le peuple ne fut pas
desherite du droit de concourir a la confec-
tion des lois.
Les affaires de nature k etre soumises aux
assemblees nationales etoient partag^es en
causes majeures, et causes mineures: causce
majores, causce minor es.
On reputoit causes mineures celles qui
Io8 ASSEMBL1KES NATIONALES
concernoient la discipline de I'Eglise , la jii-
ridiction des eveques , les privileges du
clerge, les moeurs des pretres, les ordres
monastiques; la formation de Tarmee, sa
discipline, le mode de recrutement; I'or-
ganisation des tribunaux , leur hierar-
cliie, leur placement, leur competence, le
nombre des juges, les regies a suivre dans
leur election, les inspections auxquelles ils
etoient soumis, les peines qu'ils encouroient
pour deni de justice et autres debts de meme
nature.
La cause etoit majeure toutes les fois qu'il
s'agissoit de r^gler les successions, les parta-
ges, les transmissions de biens; toutes les
fois qu a raison des progr^s de la civilisation
et de I'industrie, on croyoit necessaire de
faire quelques changements a la loi salique,
aux codes des Ripuaires, des Bourguignons
et des Bavarois. Les empecliements de ma-
riage etoient aussi mis au rang des causes
majeures.
Les assemblees nationales connoissoient
des causes mineures, et les regloient seules
et definitivement par des actes l^gislatifs
DE FRANCE. CHAP. I. IO9
que Ion publioit sous la denomination de
Capitidaires (i).
A regard des causes majeures, les formes
etoient bien autrement solennelles. La loi
etoit d'abord redigee en simple projet. Ge
projet etoit adresse a tous. les gouverneurs
(1) Ces asserablees avoient aussi une juridiction con-
tentieuse: on y discutoit les affaires des grands de I'etat,
lorsqu'elles interessoient I'ordre public. II y a beaucoup
de preuves de cette assertion. Voici comment Hertius,
savant publiciste allemand , s'exprime a cet egard dans
le second volume de ses oeuvres , chap, v, § 36 : In comi-
tatihus populi generalibus causas principum , sive prtmorum,
quales tunc fuere duces, episcopi, comitum prcecipui , saltern
illas quce rempublicam attinebant , decisas fuisse exempUs
compluribus probatur.
II arrivoit, et meme assez frequemment, quale prince
renvoyoit des proces a I'assemblee generale, et les sou-
mettoit a sa decision. On lit dans la chronique de Ful-
de , chap, xxi , qu'en I'an 670 , Childeric , de I'avis des
grands, suadentibus potentibus , fit enfenner I'eveque
d'Autun dans un monastere, pour y demeurer jusqu'a
ce qu'il eut ete statue sur son affaire par I'assemblee ge-
nerale : donee conventus haberetur, ac denuo deliberaretur
quid fieri placeret. Ce fut de meme par une assemblee gc-
nerale de la nation que Charlemagne fit juger Tassillon ,
due de Baviere.
no ASSEMBLEES NATION ALES
de provinces, alois conn us sous le nom de
comtes. Chaquecomte assembloit les juges,
les administrateurs, les notables de son
comte, leur communiquoit le projet, re-
cueilloit leurs opinions et les portoit a I'as-
serablee nationale : la les suffrages etoient
calcules , et le projet faisoit loi , si la raajorite
des comtes I'adoptoit; autrement il etoit
rejete(i).
Nous disons que le projet etoit transforme
en loi. C'est en effet sous ce nom , et non sous
celui de capitulaire, que les decisions, ainsi
revetues de la sanction geUerale, etoient pu-
(i) Cela est bien prouve par le troisieme capilulaire
de I'an 8o3- On y voit que Charlemagne, jugeant qu'il
etoit necessaire de faire quelques additions a la loi sali"
que, soumit a la sanction du peuple les dispositions
qu'il vouloitajouter k cette loi. Voici comment est concu
le cbdp. XIX de ce capitulaire : Ut populus interrogetur
de capituUs quce in lege noviler addita sunt. Et postquam
omnes consenserint , subscriptiones et mcaiufirmationes
suas in ipsis capituUs faciant.
En I'annee 63o, Dagobert fit publier une nouvelle
redaction de la loi des Ripuaires; et dans I'avertissement
qui est en tete , nous lisons : Hoc decretum est apud regem,
DE FRANCE. CHAP. 1. Ill
bliees. Aussi voyons-nousquela loi salique,
par exemple, nest pasintitul^e: Capitularia
legis salicce, mais Lex salica, vel Pactum legis
salicce.
Je ne dis j)as que cette division a toujours
ete respectee; que jamais on ii'a decide par
des capitulaires ce qui auroit du I'etre par
des lois. Je parle du droit, et non du fait.
Quoi qu'il en soit, telle ^toit I'autorite de
ces dietes generales, que les rois eux-memes
ne croyoient |)as avoir le droit de suppleer a
Finsuffisance des actes emanes d'elles par des
dispositions interpretatives ou suppl^men-
taires. Le plus grand, le plus puissant d'entre
etprincipes, etapud cunctum populum cliristianum. Voyez
Baluze, torn. I, pag. 28, edition de 1780.
J'ai dit que les empechements de mariage eitoient mis
au rang des causes majeures, et que les dispositions
qui les concernoient etoient prealablement souaiises a
la sanction du peuple : je le prouve par le capitulaire
de Tannee 767, qui porte expressement que ses disposi-
tions ont ete delibe'rces in general! populi conventu. Ce
capitulaire renferme vingt-un articles, dont dix-huit
sont relatifs aux empechements de mariage. ( Capit. de
Baluze, torn. I , pag. 179.)
112 ASSEMBLIES NATIONALES
eux, Charlemagne, a qui Ion demandoit si
les comtes avoient le droit d'exiger un sou,
solidum, pour Fexpedition de certains actes,
repondit: Consultez la loi romaine ou la loi
salique, et, si elles sont muettes, adressez-
vous a I'assemblee generale. Les termes de
cette belle reponse termineront ce chapitre.
Me interrogasti , si comes de notitia solidum
unum accipere deberet, et scabini sive cancel-
larius, lege romanam legem j et sicut ibi in-
veneris , exinde facias. Si autem ad salicam
pertinet legem, et ibi minim.e repereris quid
exinde facere debeas , ad placitum nostrum
gener ale exinde interrog are facias. (Sixi^me
capitulaire de I'annee 8o3, chap. II. Baluze,
torn. I, pag. 4o2.)
DE FRANCE. CHAP. H. ii3
CHAPITRE II.
La France depuis Hugues Capet jusqu'a Philippe-le-Bel.
(987—1285.)
La revolution qui, sous lesderniers Car-
iovinjifiens , avoit fait passer les domaines de
I'etat et presque tons les attributs de la
souverainet^ dans les mains des grands du
royaume, setoit operee avant I'avenement
de Hugues Capet au trone ; et ce prince n'a-
voit pu prendre la couronne que telle qu'il
I'avoit trouvee.
Ainsi le roi, qui fondoit une nouvelle
dynastie, les seigneurs de fiefs et les gouver-
neurs des comtes , qui venoient de conqu^rir
I'h^r^dite de leurs offices et de leurs fiefs,
possedoient tous au meme titre.
Dans cette confusion le regime feodal
prevalut; le principe uionarcliique s'altera;
etles premiers successeurs de Hugues Capet
furent bien moins les rois des Francois, que
les chefs impuissants d'un gouvernement
8
Il4 ASSEMBLEES NATION ALES
federatif. Les seigneurs, forts de Topinion
que leurs droits etoient aussi anciens, et
avoient la meme orif>ine que ceuxdesrois,
rivaliserent constamment de puissance avec
eux.
La France se couvrit de chateaux forts.
Comme I'art de Fortifier les places avoit deja
fait assez de pro^^res , et ({ue celui de les at-
taquer etoit encore tout-a-fait inconnu, les
seigneurs, inaccessibles dans leur donjon,
bravoient arrogamment fautorite roy ale ( I ).
(i) Les passages suivants de YAbrege clironologique
de I'Hisloire de France, par Mezerai, nous donnent une
idee fort exacte de I'etat du royaume a cette e'poque. Que
ceux qui regrettent les siecles d'ignorance et de barbaric
lisent et prononcent.
"liny avoit, dit cejudicieuxecrivain,sousrannee 1095,
si petit seigneur qui ne bravast le roy Pliilippe
Miles , seigneur de
Montlehery, et Guy Troussel s(»n fils, le faisoient suer
d'angoisse par le moyen de leur cbasteau de Montlehery,
et de quatre ou cinq autres qu'ils avoient en ces quartiers-
la, avec quoy ils gourmandoient tout le pays, et rom-
poient le commerce de Paris a Orleans."
Le meme historien, sous I'annee iiiG, continue en
ces termes: » Hugues du Puiset s'estant revoke pour la
DE FRANCi:. CHAP. H. Il5
Cependant ils vouloient bien reconnoitre
qu'ils avoient des devoirs a reraplir envers
le roi; mais ces devoirs etoient ceiix dun
vassal et non ceux dun siijet. Les litres d'in-
vestitiire de leurs fiefs en etoient la mesure.
troisieme fois , le roy rassieffea ce rliasteau , le rasa , puis
despouilla ce rebelle de tous ses biens. Ce malheureux
ayant dans una sortie tue Anseau de Garlande, grand
senechal et favory du roy, et n'osant plus deraeurer au
pays , passa quelque temps apres en Tcrre-Sainte , qui ^n
ces temps-la estoit le refuge des condamnes et des bannis,
comme aussi des veritables penitents.
« Thomas de Marie, seigneur de Coucy, ayant ete ex-
communie et degrade de noblesse par le legat du pape,
pour les sacrileges qu'il commettoit journellement, en
vintaun tel excesde rage, qu'il incendia la villede Laon,
mit le feu a Teglise de Nostre-Dame de Liesse, et massa •
era I'eveque , apres lui avoir coupe le doigt, auquel il
portoit I'anneau episcopal. Le roi (Louis-le-Gros), qui se
rendoit present par-tout avee une celerite incroyable,
courut de ce cote-la avant que ce voleur se fust saisi de la
tour de Laon , forca et rasa ses chasteaux de Crecy et de
Nogent, et lereduisit h la raison.
u II dompta aussi un autre tyranneau , nomme Adam ,
qui ravageoit tous les environs d'Amiens. II s'estoit em-
pare de la tour de la ville, qui estoit CNtraordinairement
forte, et donna bien de la peine: mais le roy I'ayant te-
nue investie pres dedeux ans, en vint about , et la rasa."*
8.
Il6 ASSEMBLIES NATIONALES
Le roi ne pouvoit exiger que ceux nomina-
tivement stipules par ces litres*, et la cou-
ronne etoit regardee bien moins comme le
symbole de la souverainete que comme le
sommet de lechelle feodale.
Juges en dernier ressort dans leurs terres,
les seigneurs en etoient r^elleraent les seuls
legislateurs (i): et de la cette division de la
France en pays de Yobeissance le roi, et hors
Vobeissance le roi (2) ; de la ces maximes qui
constituoient le droit public d'alors , et que
Ton trouve encore dans les ecrits de la fin
du treizi^me siecle. Bers si a toutes justices en
(i) En effet , les lois ne sont obligatoires, et par conse'-
quent n'ont le caractere de lois , que lorsque I'autorite
dont elles emanent est investie de moyens propres a les
faire executer: et ces moyens manquent a celui qui n'a
pas le dernier ressort de la justice , puisqu'il seroit oblige
de deferer les infractions k ce qu'il appelleroit ses lois,
k des tribunaux etrangers, et que ces tribunaux, sur
lesquels il n'auroit aucune supe'riorite , ne statueroient
que quand et comme il leur plairoit : de la cette maxime
consignee dans tous les publicistes: Point de souverain
sans cour souveraine.
(2) Etablissements de saint Louis, liv. II, chap. xv.
DE FRANCE. CHAP. II. Il-y
sa terre; ne li roi ne puet mettre ban en la terre
au baron sans son assentement ne li bers ne
puet mettre ban en la terre au vavasor (i)
chascun des barons si est souverain en sa ba-
ronnie (2).
Par notice usage n'a il entre toi et ton vilain ,
juge,fors Dieu; tant cowne il est tes coukans
et tes levans, se il na autre loi vers toi ke le
cownunete {?>).
Tuit gentils-hommes , qui ontvoirie en leur
terre J pendent larrons de quelque larrecin que
il ait fait en leur terre (4).
Ce droit de vie et de mort, attribu^ aux
seigneurs liauts justiciers, choque tellement
nos moeurs, et il y a si loin de cet etat de
choses a notre jury actuel, que Ion doit eprou-
ver le desir de connoitre les monuments
dune jurisprudence aussi monstrueuse.
Nous lisons dans le trait^ de XUsage des
fiefs de Brussel, pag. 221 :
(i) Etablissements de saint Louis, liv. I, chap. xxiv.
(2) Beaumanoir, chap, xxxiv.
(3) Pierre Desfontaines , chap, xxi, art. 8.
(4) Etablissements de saint Louis, hv. I, chap, xxxviii.
1 1 8 ASSEMBLIES NATIONALES
«Non seiilement les seigneurs regaliens,
umais encore tout autre seigneur qui avoit
« haute justice dans sa terre, y jugeoit ega-
« lement sans appel : c'est ce clont Ja Cham-
« pagne fournitplusieurs exemples ; il suffira
«d'en rappeler ici deux qui sont des an-
wnees 1286 et 1287.))
On voit par le premier que la fille d\in
homme condamne a mort par la justice de
la dame de Chassins, et execute, demandoit
a la cour des grands jours de Champagne
que la memoire de son p^re fut rehabilitee,
qu'il fut detache des fourches patibulaires,
et que ses biens lui fussent rendus. La dame
de Chassins bornoit sa defense a dire que,
le p^re ayant ete condamne par des hommes
sages, la fille etoit non recevable; et c'est
en effet ce que I'arret juge : pronuntiaturn
est quod dicta Borgina ad denuntiationem
hujustnodi non admitteretur.
Le second exeuiple, rapporte par Brussel,
n'est pas moins decisif. «Un seigneur qui
« avoit fait pendre et executer a mort dans
« sa terre un voieur, s'etant plaint a la meme
« cour des grands jours de Champagne de
DE FRANCE. CHAP. II. I 19
« ce que le corps de cet homme avoit ete
« tire de sesfoiirclies par le bailli de Troyes,
(til flit enjoint a ce bailli de s'informer s'il
« etoit vrai que le v'oleur cut ete pris dans la
« justice du seigneur qui en reclamoit le
« corps. »
11 seroit facile de multiplier les exemples
de I'independance des justices seigneuriales.
En voici encore un que je trouve dans FHis-
toire du diocese de Paris par Tabbe Lebeuf,
torn. IX , pag. 367. « On lit, dit cet historien ,
((dans les chroniques du temps, dans une
((que le P. du Bois cite apres Ducange, et
((dans les chroniques latines que le sieur
(( Auteuil a publiees a la fin de la Vie de la
(( reine Blanche, et meme dans I'Histoire de
(iCorbeil, que cette reine gouvernant le
((royaume durant Fabsence de saint Louis,
(( apprit que les ofiiciers du chapitre de Paris
(( avoient enferme dans les prisons de I'eglise
(( les hommes serfs qu'ils avoient a Chatenay,
«pour n'avoir pas paye la taille attachee k
(( leur etat, et que ces officiers ne leiir four-
(tnissoient point les vivres necessaires. La
((chroniquelatinemarqueenproprestermes
I20 ASSEMBLIES NATIONALES
(( que la reine les pria de les faire sortir de
(t prison, et qu'ils n'en voulurent rien faire;
« qu'au contraire ils firent encore enfermer
«les femraes et les enfants, de mani^re que
« la chaleur de la prison en etouffa plusieurs.
((Ge que voyant la reine Blanche, elle vint
«auchapitreavec des gens arm es, fit rompre
«les portes des prisons, et se saisit du tem-
wporel de Feglise jusqua satisfaction. Une
«Vie de saint Louis, imprimee en i665, a
« Paris, chez RoUan , in-8°, rapportela meme
« histoire, ajoutantquela reinefrappa meme
«la premiere de son baton a la porte des
(( prisons. Geci se passa pendant le premier
u voyage de saint Louis outre-mers, c'est-
ua-dire environ Ian 1248. Telles etoient
«les mani^res de ce siecle envers les gens
« serfs, et cela n'etoit pas singulier a Paris. »
On sent que dans un pareil ordre de
choses il ne pouvoit pas etre question d'as-
semblees nationales: aussi Tidee n'en vint-
elle a personne. Cependant I'esprit public,
qui n'est jamais long-temps stationnaire ,
commencoit a prendre une direction nou-
velle. II soperoit dans les habitudes, dans
DE FRANCE. CHAP. II. 121
les moeurs, dans les opinions, des change-
ments qui , pour etre inapercus , n'en etoient
pas moins reels, et qui minoient sourde-
ment les bases de ce re^^ime feodal, dont
Tabus avoit transforme I'ancienne monar-
chie en une espece de gouvernement fe-
deral.
C'est en effet pendant les onzi^me et dou-
zi^me siecles que s'est forme I'esprit cheva-
leresque, bizarre assemblage de bravoure,
de devotion et de galanterie, dont le carac-
t^re national porte encore aujourd'liui I'em-
preinte; que se sont etablies les regies du
point d'honneur; de cet honneur que Ton
est convenu de regarder comme le principe
des gouvernements monarchiques ; tyran
capricieux dont I'opinion publique est I'a-
veugle ministre; qui, fletrissant la vie de
quiconque refuseroit de lui obeir, com-
mande mille fois plus imperieusement que
le despote le plus absolu dont le pouvoir se
borne a donner la mort ; et qui, par un pres-
tige inconcevable, a traverse dix siecles et
toutes nos revolutions sans rien perdre de
son autorite.
122 ASSEMBLEES NATIOINALES
A cette epofjue les troubadours au midi,
les trouveres au nord, parcourent les cha-
teaux, ainusent par leurs chants les*loisirs
des nobles dames, et disseminent dans la sO"
ciete le f^out de la poesie.
Sous le nom de cours d'amour se forment
des especes d'academies ; des ecoles s'ouvrent
dans les principales villes. Les places, les
emplois, les di(>nites, deviennent le parta^je
de ceux qui s'y distln^uent; et la nation,
devenue sensible aux jouissances intellec-
tuelles, fait le premier pas vers la civili-
sation.
Sous les deux premieres races un jargon
barbare suffisoit a des hommes sans indus-
trie, sans commerce, et presque sans com-
munication entre eux. Pendant cette pe-
riode la langue s'adoucit avec les moeurs, et
Ton put entrevoir que dans un temps plus
ou moins eloigne la France auroit un idiome
national.
Les croisades reunissentla (j^rande famille
europeenne sous les niemes drapeaux, et
mettent I'Europe en contact avec lAsie. Des
nations, jusqu alors etrangf^res les unes aux
DE FRANCE. CHAP. II. 123
autres, apprennent a se connoitre ; les indi-
vidus se rapprochent; les caracteres s'adou-
cissent par les frottements qu'ils eprouvent*,
lesespritss'eclairent par les communications
qui s'etablissent entre eux ; le luxe et la mol-
lesse des Asiatiques revelent aux nobles ha-
bitants des donjons feodaux qu'il y a des
jouissances liors des camps et des tournois;
et chacun rapporte dans ses Foyers des con-
noissances, des besoins, des verlns et des
vices qu'il n'avoit pas en les quittant.
Enfin le douzierae siecle est encore I'epo-
que de Tun des evenements les pins remar-
quables de notre liistoire, dun evenement
qui nous a rendu le ponvoir municipal, et
auquel se rattache tout ce qui a ete fait de-
puis dans I'interet de la liberty. Je parle de
letablissement des communes.
Telle etoit la triste condition des habi-
tants des campagnes ({u'ils avoient perdu
jusqu'au sentiment de leur degradation;
mais ceux des villes, plus eclaircs, sentoient
mieux le poids et la honte du joug sous le-
quel ils gemissoient.
Enfin Toppression exerca sur eux sa lente,
124 ASSEMBLEES RATIONALES
mais inevitable influence. EUe ieur revela
le secret de Ieur force, et.ils arraclierent des
sei(>neurs ces concessions que nous appelons
ckartes de commune.
On vit alors a quels dangers le pouvoir
s'expose, lorsqu'il prend ses usurpations
pour des titres, la resignation de ceux qui
soufl'rent pour une reconnoissance de ce
qu'il appelle ses droits, et qu'il se persuade
qu'appesantir le joug est le meilleur moyen
d'etouffer les plaintes.
Dans toutes les villes erigees en com-
munes il s'eleva un pouvoir qui, habile-
men t seconde par les rois, rivalisa bientot
avec la puissance feodale, et dont les forces,
combinees avec celles de la couronne, ne
lard^rent pas a depouiller les seigneurs de
la plupart des prerogatives qu'ils avoient
usurpees sur elle.
Les cliartes des communes differoient en
quelques points; mais uniform es sur les plus
importants, toutes abolissoient la servitude
personnelle, et convertissoient les taxes ar-
bitraires en prestations determinees.
Toutes renfermoient un certain nombre
DE FRANCE. CHAP. 11. 125
de dispositions legislatives qui regloient les
principaux actes civils, et d^terminoient les
peines des delits les plus communs , notam-
ment des delits de police.
Toutes consacroient le principe que le
choix des officiers municipaux appartient
aux habitants.
Toutes attachoient au pouvoir municipal
la manutention des affaires de la commune,
le maintien de la police, et lad ministration
de la justice dans les cas ou il s'agissoit de
statuer sur des points regies par la charte.
Enfin, et ceci est fort remarquable, tous
ces diplomes autorisoient les officiers muni-
cipaux a faire prendre les armes aux habi-
tants toutes les fois qu'ils le jugeoient neces-
saire pour defendre les droits et les libertes
de la commune, soit contre des voisins en-
treprenants, soit contre le seigneur lui-
meme.
Aux villes qui n'etoient pas assez popu-
leuses pour presenter une force imposante,
ou dans lesquelles il etoit difficile de trouver
des hommes capables de remplir successive-
ment les charges municipales, on reunissoit
126 ASSEMBLEES INATIOISALES
les bourgs et les villa^^^es circonvoisins, qui
tons ensemble iie formoient qu'iine seule
municipalite.
Tel etoit letat de la France a la fin du
doiizieme siecle. Le treizieme s'onvrit sous
le refine de Philippe-Auguste.
Ge prince, roi a quatorze ans, n'avoit pas
encore atteint sa majorite (i), que, deja tra-
(i) Avant Charles V, la majorite des rois etoit reglee par
la loi commune: ce prince, considerant que la loi n'a
point fixe I'age auquel les rois doivent avoir i'adminis-
tration de leur royaume; que saint Louis, a I'Age de
quatorze ans, avoit etc sacre et couronne , et avoit pris
le gouvernement de son royaume; que les administra-
tions de ceux qui gouvernent les affaires des mineurs
sont sujettes a de grands inconvenients, et qu'il y a tou-
jours eu en France des personnes capables de remplir
les fonctions publiques, et de donner de bons conseils
aux rois, ordonna, par son edit perpe'tuel et irrevocable
du mois d'aoiit i3y4> qu*^ dt;s que les rois de France au-
roient I'age de quatorze ans, ils seroient sacres et cou-
ronnes; qu'ils pourroient faire des sernients dans cette
ceremonie, et ailleurs , accorder des graces a leurs sujets,
faire des pactes et des conventions avec eux, et leur faire
des promesses, comme s'ils avoient vingt-cinq ans ; qu'ils
prendroient le gouvernement du royaume, et qu'ils re-
cevroient la foi et I'hommage de leurs sujets et vassaux ,
DE FRAKCt. CHAP. II. 1 27
vaille de Tamoiir du pouvoir, il arracha des
mains de ses tuteurs les renes du {^ouverne-
ment. II avoit etudi^ Thistoire, coinme on
letudioit h cette ^poque, dans les romans de
chevalerie. Ces f'al)les lieroiques avoient
donne a son caractere cette enipreinte che-
valeresque que Ion prenoif alors pour de
I'heroisme, dont I'eclat seduisoit to us les es-
prits, et que les rois eux-memes s'honoroient
de partager avec leurs sujets (1 ).
de leurs freres, des princes, et meme des archeveques ,
des eveques , et des rois, et en {jeneral, qu'ils pour-
roient t'aire tout ce qu'un veritable roi des Francois peut
faire. II declara que ceux qui s'opposeroient a Texecution
de cette loi , et leurs fauteurs seroient prives du droit de
succeder a la couronne, et de gouverner I'etat, et de
leurs d ignites, fiefs, et biens. {Ordonnances du Louvre ,
torn. V^J , pag. 26.)
(i) Les benedictins , auteurs de VHistoire Utteraire de la
France, torn. VI et VII, disent que les romans ont
commence chez nous au dixieme siecle. Comme la lan-
gue romane etoit alors la plus universellement entendue,
les auteurs de ces sortes d'ouvrages la prefererent a toute
autre pour publier leurs fictions et leurs contes, qui de
la j)rirent le nom de romans.
La langue latinc etoit encore en France la langue vul-
128 ASSEMBLIES NATIONALES
Philippe comprit de bonne heure que le
temps etoit arrive de travailler a reconstruire
la monarchie, et, pendant toute la duree de
son regne, on le vit constamment occupe a
reconquerir les terres, les prerogatives et
les droits qui avoient appartenu a sa cou-
ronne. "
Par des alliances, des victoires, des nego-
ciations, et des jugements il parvint succes-
sivement a reunir au domaine de I'etat
I'Anjou , le Maine, la Touraine, I'Auvergne,
le Vermandois etla Normandie(i).
gaire sous la premiere race , c'est-a-dire la langue de tout
le monde : elle n'etoit plus vulgaire au commencement
du neuvieme siecle ; la langue romane lui succeda , c'est-
a-dire une langue melee de franc et de mauyais latin ,
qui est devenue la langue francoise,
(i)Rien n'est plus propre a faire connoitre le caractere de
Philippe-Auguste que la fermete qu'il montra dans I'af-
faire concernant la reunion de la Normandie. Profitant
habilement de I'indignation que Jean , roi d'Angleterre
et due de Normandie, avoit soulevee contre lui par le meur-
tre d'Arthur, comte de Bretagne , son neveu , il le fit citer
devant sa cour des pairs. Jean demanda , par son ambas-
sadeur, un sauf-conduit. Volontiers, dit Philippe; il pent
venir en s&ret^. Et retourner^ dit I'envoye anglois. Si la
DE FRANCE. CHAP. II. 1 29
En reculant ainsi chaque jour les limites
de sesdomaines, Philippe n'oublioit pas que
son premier devoir etoit de procurer a ses
sujets une bonne et prompte justice : il fit a
cet egard plusieurs reglements fort sages,
notamment une ordonnance qu'il publia
en 1190(1). Si d^s-Iors on n'eut pas de bonnes
lois, on eut au moins de bons juges.
Apr^s avoir fixe ses regards sur les tribu-
naux, Philippe les porta sur Instruction
sentence de ses pairs le yerniet, repliqua le roi. Presse de
donner une reponse plus positive: Par tous les saints de
France , dit-il, il ne s'cn retournera pas, s'il nest acquitte.
L'envoye representa encore que le due de Normandie
ne pouvott venir sans le roi d'Angleterre, et que les ba-
rons de ce royaume ne pouvoient permettre a leur sou-
verainde s'exposer a la captivite ou a la mort. Ehlau'im-
porteP repliqua Philippe ; on sait bien que le due deNorwan-
die, mon vassal, s'est empare de I'Anqleterre par violence;
mais, parcequun sujet s'est ayrandi , son seigneur suzerain
doit-il perdre ses droits ?
(i) L'article dernier de cette ordonnance porte qu'elle
est signee par le roi , par le connetable , le buticulaire, et
le chambellan, la chancellerie etant vacante.
Cette ordonnance est une des premieres revetues de
cette solennife.
l3o ASSEMBLEES NATIONALES
publique. Persuade que la culture de I'es-
prit peut seule conduire Thomme a la con-
noissance de ses devoirs; que le pouvoir
n'est jamais plus sur de robeissance que
lorsqu'elle est ^clairee, et que I'i^norance
livrant les peuples a lempirisme de tous les
charlatans, aux seductions de tous les fac-
tieux, c'est elle et non la science qui me-
nace les trones, il environna I'enseigne-
ment public de tous les privileges , de toutes
les franchises qui lui parurent propres a le
propager. Son ordon nance concernant I'u-
niversite de Paris merite d'etre connue : elle
est de Ian 1 200 (i) : cette ordonnance est en
latin , j'en donne ici I'analyse.
Art. I . Le roi fera jurer les bourgeois de
Paris que s'ils voient quelque laique faire
insulte a un ecolier, ils en rendront un te-
moignage veritable.
Art. 2. S'il arrive qu'un ecolier soit frappe
d'armes, de baton, ou de pierre, tous les
laiques qui le verront arreteront de bonne
(i) Voyex le tome I des Ordonnances du Louvre, p. a3.
DE FRANCK. CHAP. II. l3l
foi les malfaiteurs pour les livrer a la justice
du roi ; et nul laique ne se retirera pour ne
pas voir le mefait, ou pour n'en pas rendre
temoignage.
Art. 3. Soit que le malfaiteur soit pris
en flagrant delit , ou non , le roi ou ses offi-
ciers feront faire enquete ou information
par des personnes fideies , clercs ou laiques ,
et s'il est prouve par Fenquete qu'il ait com-
mis le crime , le roi ou ses officiers en feront
aussitot justice, quand meme le criminel
nieroit le fait, et qu'il offriroit de se purger
par le duel ou par I'eau.
Art. 4- Le prevot du roi ou I'officier de
sa justice ne pourra raettre la main sur un
ecolier, ni le mettre en prison, a moins que
le forfait ne soit tel que lecolier doive etre
arrete : dans ce seul cas Xo. justice du roi I'ar-
retera sur le lieu, sans le frapper, a moins
qu'il ne se defende ; et elle le rendra a la jus-
tice ecclesiastique qui le gardera jusqu'a ce
qu'il ait satisfait au roi ou a la partie.
Art. 5. Si le forfait est grand, la justice
du roi ira ou enverra pour en connoitre.
Art. 6. Si r^colier qui a et^ arrete ne s'est
1 32 ASSEMBLl^ES NATIONALKS
pas d^fendu , et si c'est Ini qui a recii Tin-
jure, le roi on ses officiers en feiont justice.
Art. 7. Hors le cas du flaf^rant delit, la
justice du roi ne pourra mettre la main sur
aucun ecolier; et s'il est ^ propos d'en pren-
dre quelquun, il sera arrete, garde etjuge
par la cour ecclesiastique.
Art. 8. Si le prevot du roi arrete un eco-
lier en flagrant delit, et a une telle heure
que Ton ne puisse avoir recours a la justice
ecclesiastique, I'ecolier sera mis et garde en
la maison d'un autre ecolier, sans injure,
jusqu ace qu'il soitlivre au juge d'Eglise (i).
(i) On ne tarda pas a ressentirles effets de cette pro-
tection accordee aux universites: bientot elles se multi-
plierent. Celles de Toulouse, d'Orleans, d'Angers , de
Montpellier, et de Bourges , furent etablies sous le regne
de saint Louis. Le savant et judicieux M. Daunou, dans
le beau Discours qu'il a mis a la tete du treizieme tome
de VHistoire lUteraire de la France, nous donne sur ceux
qui frequentoient les universites d'alors des details fort
curieux. Les voici :
« Les desordres des etudiants etoient punis par des pei-
nes ecclesiastiques , meme par I'excommunication : ils
alloient a Rome se faire absoudre. Pour eviter ces fre-
quents pelerinages , qui ordinairement donnoient lieu
DE FRANCE. CHAP. II. 1 33
Mais la grande affaire ^toit de ressaisir la
puissance legislative. Pendant les deux sie-
cles precedents les rois ne I'avoient exerc^e
que dans les seigneuries de leurs domaines.
II falloit enfin sortir de cette ^troite en-
ceinte. Philippe fit le premier pas, en adres-
sant a differents seifjneurs des mandements
par lesquels il les requeroitde faire executer
a des dereglements nouveaux , Innocent III confera le
pouvoir de prononcer ces absolutions a I'abbe de Saint-
Victor; mais le pape n'avoit pretendu parler que des
ecoliers de Paris; et I'abbe ayant absous des clercs qui
etudioient en d'autres villes, Innocent III Ten repri-
manda severement. Jacques de Vitry a trace le tableau
des desordres auxquels s'abandonnoient les etudiants de
cette epoque , et dont ils se faisoient un point d'honneur :
ivrognerie, libertinage, rapines, querelles, batailles, et
quelquefois homicides. Le moindre scandale etoit celui
qui consistoit dans le conflit des opinions diverses et dans
les rivalites dont les niaitres donnoient I'exemple aux
disciples. Le nombre et I'aye avance des ecoliers de ce
temps imprimoient a leurs desordres un caractere plus
alarmant et plus grave. On n'etudioit guere le droit ca-
non ou civil que de vingt-cinq a trente ans; et dans les
autres facultes on comptoit parmi les etudiants beaucoup
de clercs, de beneficiers, et meme de cures. »
I 34 ASSEMBLEES NATIONALES
dans leurs terres les lois qu'il faisoit pour
les sieDnes(i).
On se doute bien que dans le principe
les hauls barons ne regard^rent ces mande-
ments que comme des formalites sans con-
sequence; raais il falloit d'abord se ressaisir
du droit de les leur adresser et leur donner
I'habitude de les recevoir.
Cependant, il faut en convenir, cela etoit
plus propre a preparer la revolution qua la
faire ; il manquoit toujours au roi le grand
mobile des gouverneraents , le moyen sans
(i) Un de ces mandements, adresse a Blanche, com-
tesse de Champagne, en i2i5, est ainsi concu: Fobis
mandamus , et perfidem quam nobis debetis , vos requiri-
mus , quatenns per lotam terram , id publico clamore facialis
etfirmiter observan. L'ordonnance dont il est parle dans
ce mandement portoit que la longueur des batons dont
les rotuiiers se serviroient dans les combats judiciaires
ne pourroit exceder trois pieds. {Ordonnances du Louvre ,
torn. I, pag. 35.)
La maniere dont ce mandement est concu presente
bien moins I'usage de la puissance legislative qu'un essai
de cette puissance. Effectivement Philippe-Auguste n'y
ditpas: Voulons et ordonnons ; il se contentede niander,
requerir, et d'invoquer la fidelite qui lui est due.
DE FRANCE. CHAP. 11. l35
lequel les droits les plus sacr^s ne sont re-
gardes que corame ,des pretentions, en un
mot des forces capables^d'en imposer aux
barons refractaires.
Nos rois , qui ne le sentoient que trop , ima-
ginerent un expedient tr^s sage et tr^s pro-
pre a suppleer a leur impuissance. Get ex-
pedient, dont la premiere id^e appartient
k Philippe-Auguste^(i), consistoit a s'envi-
ronner d'une partie des hauls barons, de
discuter avec eux la loi nouvelle, et de leur
faire jurer qu'ils joindroient leurs forces k
celles du roi pour en maintenir Fex^cution.
C'est avec cette solennite qu'en laSo fut
redigee I'ordon nance concernant les juifs
et les usuriers : le preauibule porte quelle
est faite pour I'utilite generale du royaume,
de la volonte expresse du roi , et par le con-
seil de ses barons. Pro iitilitate totius regni
nostri, de sincera voluntate nostra, etde com-
muni consilio baronurn nostrorum. EUe est
(i) Voyez I'ordonnance de 1209, Ordonnances du Loii'
vie , toui. I, pag. 29.
1,36 ASSEMBLEES RATIONALES
signee des comtes de Boulogne, de Cham-
pagne, de la Maiclie, de Montfoit, de Saint-
Paul, d'Auvergne, et larticle 5 est concu
en ces termes : Et si aliqui barones hoc noliie-
runt observare, ipsos ad hoc compellemus , ad
quod alii barones nostri, cum posse suo, bona
jide juvare tenebuntur, et si aliqui in terris
baronuni inveniantur rebelles, nos alii barones
nostri juvabunt ad compellendos rebelles prce-
dicta statuta servare{^\).
Comme nos rois etoient les maitres de
choisir, pour discuter leurs ordonnances,
ceux des barons qui avoient le plus de de-
voueraent pour leur personne, on sent com-
bien cet usage pouvoit donner d'extension
a Fautorite royale.
Gette ordonnance , comme on le voit par
sa date, appartient au regne de saint Louis.
Ce beau regne est I'aurore du jour qui
nous 6claire aujourd'hui (2); il nous importe
done de le bien connoitre. Gependant je
(i) Ordonnances du Louvre , torn. I.
(■^) Le regne de saint Louis peut etre regarde comme
DE FRANCE. CHAP. II. 187
n'en dirai que ce qui va directement a mon
sujet ; c'est-a-dire que je me bornerai a re-
chercher les changements qui, pendant sa
duree, se sont operes dans les esprits et
dans les formes du gouvernement, notam-
la veritable epoque de la renaissance des lettres parmi
nous.
Ce prince avoit ete eleve avec un soin extreme par sa
mere, la reine Blanche, Tune des ferames les plus instrui-
tes de son temps, amie des lettres et de ceux qui les cul-
tivoient. Plusieurs maitres, alors reputes habiles, avoient
mis Louis IX en etat d'entendre le latin d'e(^lise, et meme
d'expljquer les ecrits de quelques saints Peres. Par ses
propres reflexions il sentit la necessite d'acrelorer les
progres, jusqu'alors bien lents, de la langue vulgaire :
il fit traduire en Francois diverses parties de la Bible et
de quelques autres ouvrages ; il paroit meme qu'il s'exer-
ca quelquefois lui-meme dans ce genre de travail.
L'interet qu'il prenoit a toutes les compositions litterai-
res en fit eclore ou achever un tres grand nombre dans
le cours de son regne. II encouragea particulierement
Vincent de Beauvais , qui avoit entrepris un recueil im-
mense de faits et de doctrines. Du reste , les livres des
scolastiques n'etoient pas ceux que saint Louis goutoit
le plus: la rectitude naturelle de son esprit I'entrainoit
k des etudes moins obscures et plus positives. Une atten-
tion constante a ne tenir compte, dans la distribution des
omplois , que des bonnes moeurs et de la science; de nou-
I 38 ASSEMBLltES KATIONALES
mentdans la discipline del'Eglise, I'exercice
de la puissance lej^islative, et Tadministra-
tion de la justice. Je vais parcourir successi-
vement ces trois objets.
I. Les tribunaux ecclesiastiques resser-
roient les justices seculieres dans des limites
cliaque jour plus etroites; et toute resis-
tance a ces entreprises etoit punie par des
excommunications: il falloit ou les braver,
ou tout perdre. Dans cette alternative, les
seigneurs eurent recours a un expedient
fort remarquable. lis form^rent un comite
compose de quatre d'entre eux, auxquels ils
donnerent pouvoir de declarer nulles, et
comme non avenues, les excommunications
veaux codes rediges sous sa direction; de longs voyages
faits par ses ordres en Tartaric et en d'autres contrees
asiatiques; la creation des premieres archives francoises
et de la premiere bibliotheque publique; la fondation
du college de Sorbonne; Tentretien vigilant de tout ce
qui existoit avant lui d'etablissements d'instruction ;
presque tous les actes enfin de son gouvernement inte-
rieur tendoient a ranimer le gout des lettres. (Voyez le
beau Discours preliminaire du torn. XIII de VHistoirc lit-
teraire de la France. )
DE FRANCE. CHAP. II. 1 89
dirig^es contie eux, toutes les fois qu'ils les
trouveroient contraires a la justice et a la
saine raison (i). Cette mesure supposoit qu'il
(i) Pierre de Dreux fut Tauteur de cette ligue , et I'un
des quatre chefs qu'elle se donna. Les trois autres etoient
son fils Jean, due de Bretagne, le cointe d'Angouleme,
et le comte de Saint-Pol. Voici Facte qui en fut redige.
« A tous ceux qui ces lettres verront, nous tous, des-
quels les sceaux pendent a cest present escrit, faisons
scavoir que nous , par la foi de nos corps , avons fiance
et sommes alliances, tant nous comme nos hoirs, a tou-
jours aider les uns aux autres , et a tous ceux de nos terres
et d'avitres terres qui voudront estre de ceste compagnie ,
a pourchasser, requeriret defendrenos droits etles leurs
en bonne justice envers la clergie. Et pour ce que seroit
griefve chose, nous tous assembler pour ceste besogne ,
nous avons eslu par le comrnun assent et octroy de nous
tous, le due de Bretaigne, le conite Pierre de Bretaigne,
le comte d'Angouleme, et le comte de Saint-Pol.... Et si
aucun de ceste compagnie estoit exconimunie, pour tort
cogneu par ces quatre, que la clergie luy feit, il ne
laisseroit aller son droit ne sa querelle pour rexcommu-
niement, ne pour autre chose qu'on luy fasse, etc. »
« Les eveques , dit M, Daru dans sa belle Histoire de Bre-
tagne, torn. I! , pag. 3 1 , imitoient lespapes, etlancoient
les foudres de I'Eglise pour la defense de leurs interets
temporels. lis exconimunioient les officiers du prince, et
le prince lui-meme; ils meltoient leur diocese en inter-
l4o ASSEMBLEES NATIONALES
pouvoit y avoir des excommunications in-
justes, des excommunications telies qu'il
n'etoit pas necessaire den solliciter I'abso-
lution. C'etoit briser dans la main du clerge
son arme favorite. Aussi ciia-t-il au scan-
dale, au sacrilege. Les eveques sen plai-
gnirent a saint Louis. C'est le sire de Join-
ville qui nous I'apprend dans ses Memoires
sur la vie de saint Louis. Nous y lisons:
(( Je vy une journee que tons les prelatz de
« France se trouverent a Paris pour parler
(tau bon saint Loys, et lui faire une re-
« queste. Et quand il le scent, il se rendit au
« palais pour la les oi'r de ce qu ilz vouloient
dit. Alors plus d'offices divins, plus de bapteme pour
les nouveau-nes, plus de consecration du mariage, plus
de secours spirituels pour les malades, plus deprieres,
plus de terre pour les morts. Un eveque de Beauvais, un
archeveque de Rouen, firentdemeubler lese^lises; on en
emporta les ornements, les croix, les reliques, les vases
sacres, pour les deposer au milieu des champs, dans
une enceinte formee de r5nces et d'epines. Ces privations ,
ce spectacle, cette desolation des lieux saints, n'etoient
que des excitations a la revolte; les pasteurs {jemissoient,
le peuple les croyoit persecutes. "
DE FRANCE. CHAP. II. l4l
udire. Et quant tous furent assemblez, ce
« fust Tevesque Guy d'Auseure qui fust filz
(t de monseigneur Guillaume de Metot, qui
«comraenca a dire au roi, par le congie et
« commun assentement de tous les autres
« prelatz : Sire, sachez que tous ces prelatz
«qui cy sont en votre presence, me font
udire que vous lessez perir toute la chres-
«tienete, et quelle se pert entre vos mains.
((A done le bon roi se signe de la croiz et
« dist : Evesque, or mexdites comment il se
« fait et par quelle raison. Sire, fit I'evesque,
u c'estpour ce qu'on ne tient plus compte des
((excommunications; car aujourd'huy, un
uhomme aymeroit mieulx mourir tout ex-
(( communie que de se faire absoudre , et ne
«veult nully faire satisfaction a I'Eglise.
(cPourtant, sire, ils vous requierent tous a
<' une voiz pour Dieu, et pour ce que ainsy
(de devez faire, qu'il vous plaise comman-
((der a tous vos baillifz, prevotz, et autres
((administrateurs de justice, que oil il sera
(( trouve aucun en votre royaume, qui aura
(teste an et jour continuellement excom-
((munie, qu'ilz le contraignent a se faire
1 42 ASSEMBLEES NATIONALES
«absoadre par la prinse de ses biens; et le
« saint omme respondit que tr^s volontiers
« le commandeioit faire de ceulx qu'on trou-
« veroit estre torconnes a I'Eglise et a son
« presme. Et Tevesque dit qu'il ne leur ap-
(cpartenoit a cognbistre de leurs causes. Et
'.( a ce respondit le bon roi, que il ne le feroit
(tautrement, et disoit que ce seroit contre
(( Dieu et raison qu'il fist contraindre a soy
((faire absoudre ceulx a qui les clercs fe-
te roient tort, et qu'ilz ne fussent oiz en leur
((bon droit. Et de ce leur donna exemple
((du comte de Bretaigne tout excommuni^,
(( et finablement a si bien conduite et menee
(( sa cause que notre sainct p^re le pape les a
((Condanq:)nez en vers iceluy comte de Bre-
(( taigne. Pourquoy disoit que si dez la pre-
(( mi^re annee, il eust voulu contraindre
(( iceluy comte de Bretaigne a soi faire ab-
((souldre, illuy eustconvenulaissera iceulx
(( prelatz contre raison ce qu'ilz lui deman-
wdoient outre son vouloir: et que en ce
((faisant il eust grandement meffait envers
((Dieu et envers ledit comte de Bretaigne.
(( Apr^s lesquelles clioses ouyes pour tons
DE FRANCE. CHAP. II. I 43
(ticeulx prelatz, il leur suffisit de la bonne
« responce dii roy. Et oncques puis ne ouy
«parler, qu'il fust fait demande de telles
« clioses. »
Ces memes eveques s'etoient exagere les
privileges de I'episcopat au point de se per-
suader, qu'exclusivement soumis a la juri-
diction du pape, la justice du roi ne pouvoit
jamais les atteindre. Cette pretention, qui
avoit pris beaucoup de consislance sous les
derniers regnes , fut proscrite sous celui de
saint Louis.
M. d'Aguesseau en rapporte plusieurs
exemples, dont le premier concerne leve-
que de Chalons-sur-Marne. Voici le corapte
qu'il rend de cette affaire. « Sous le regne
« de saint Louis , et en Fan nee 1 267, 1'eveque
((de Chalons-sur-Marne fut accuse d'avoir
((donne lieu, par sa negligence, a la mort
«de deux prisonniers qui avoient ete tues
((dans les prisons: il pretendit que, s'agis-
((sant d'une action personnelle, il n'etoit
((pas oblige de comparoitre au parlement,
(( ou il avoit ete cite pour repondre sur ce
((sujet; mais la cour des pairs n'eut aucun
I 44 ASSEMBLIES NATIONALES
regard a ces exceptions, et elle ordonna
«qu'il procederoit devant elle, non seule-
« ment parcequ'il etoit baron et pair de
((France, niais parcequ'il s'agissoit dun for-
((fait commis dans sa justice temporelle,
(( qu'il tenoit du roi.
((Ainsi sabolissoit cette prevention eta-
((blie dans les siecles precedents, que les
(( jujoes seculiers ne pouvoient faire le proems
(( a des ecclesiastiques. »
Pendant le regne de saint Louis le siej^e
de Rome fut successivement occupe par
Gregoire IX et Innocent IV. Ges deux pa pes,
fiers d'avoir dispose des couronnes de Naples
et d'Aragon , et depose le plus j^rand , le plus
puissant des empereurs depuis Gliarlema-
gne, I'empereur Frederic II, se permet-
toient chaque jour les infractions les plus
scandaleuses aux libertes de I'Eglise (^ralli-
cane, aux iramunites du clerge, aux droits
des patrons et des coUateurs.
Le saint roi, qui ne confondit jamais I'in-
t^ret de la religion avec celui de ses minis-
tres, reprima ces abus, et refoula la puis-
sance de TEglise dans ses limites naturelles
DE FRANCE. CHAP. II. 1 45
par sa cel^bre ordonnance, connue sous la
denomination de pragmatique de saint Louis ,
([u'il publia au mois de Janvier 1268: son
importance m'autorise a la rapporter ici, et
son peu d'etendue le permet. En voici la
traduction :
« Louis, par la grace de Dieu, roi des
((Francois, pour assurer letat tranquille et
« salutaire de FEglise de notre royaume, pour
« augraenter le culte divin, pour le salut
(( des ames des fideles du Christ, et pour ob-
(( tenir nous-memes la grace et le secours du
«Dieu tout-puissant, a la domination et h.
« la protection duquel notre royaume a tou-
« jours ete soumis, ainsi que nous voulons
((qu'il le soit encore, nous statuons et or-
« donnons ce qui suit, par cet ^dit qui devra
(( valoir a perpetuite :
« 1° Que les prelats, les patrons, les col-
ttlateurs ordinaires de benefices dans les
u eglises de notre royaume, jouissent pleine-
{< ment de leurs droits, et que la juridiction
« de chacun soit en entier conservee ;
« 2° Que les eglises cathedrales et les au-
10
I 46 ASSEMBLEES NATIONALES
« tres de notre royaume aient de libres elec-
(( tions, avec leurs elTets dans leur entier.
« 3" Nous vovilons et nous ordonnons que
«le crime pestilentiel de la simonie, qui
(( ebranle TEglise, soit enti^rement expulse
(f de notre royaume.
u4'' Nous voulons pareillement, et nous
(( ordonnons que les promotions, les colla-
(( tions, les provisions et les dispositions des
uprelatures, des dignites, et des benefices
ude quelque nature qu'ils soient, et des of-
((fices ecclesiastiques de notre royaume, se
« fassent selon la disposition , I'ordination ,
(da determination du droit commun, des
« conciles sacres de TEglise de Dieu , et des
« instituts antiques des saints p^res.
« 5° Nous voulons qu'on n'eleve en au-
(( cune mani^re et qu'on ne recueille les
« exactions et les grieves levees d'argent,
(( impos^es par la cour romaine aux eglises
«de notre royaume, et par lesquelles notre
« royaume a ete mis^rablement appauvri,
« ou celles qui seroient imposees a I'avenir,
(t qu'autant que la cause en seroit raison-
unable, pieuse, tr^s urgente, d'une neces-
DE FRANCE. CHAP. II. 1 47
« site inevitable, et reconnue par notre con-
« sentement exprtjs et spontane, et celui
« de FEglise de notre royaume.
« 6° Par les presentes, nous renouvelons,
«nous approuvons et nous confirmons les
(clibertes, franchises, immunites, preroga-
((tives, droits et privileges accordes par les
wrois Francois nos predecesseurs , d'heu-
« reuse m^moire, et ensuite par nous, aux
(( ^glises , monasteres , lieux pies , reli-
« gieux , et personnes ecclesiastiques de no-
(c tre royaume.
((En consequence, mandons a tons nos
((juges, officiers et sujets d'observer soi-
« gneusement les presentes, etc. »
II. Dans les deux siecles precedents, les
hauts seigneurs, jaloux de Fautorite de leurs
vassaux, s'etoient attribue la connoissance
exclusive de certaines affaires privilegiees ,
telles que Finfraction aux treves et assure-
ments (i); les cas de nouvelle dessaisine, de
(i) II y avoit de la difference entre la treve et I'assure-
ment. lia treve n'etoit qu'a terme ou a temps; Vassure-
ment etoit pour toujours, parcequ'il etoit une paix : la
lO.
1 48 ASSEMBLIES NATIONALES
nouvelle force, cle nouveaiix troubles et au-
tres, detailles dans le chapitre X des Cou-
tumes de Beaumanoir.
Nos rois etoient trop attentifs pour ne pas
mettre ces exemples a profit. Comme chefs
de la hierarchie feodale, ils avoient a cet
e{3fard le meme droit sur les barons que
ceux-ci sur leurs vassaux; cela netoit sus-
ceptible d'aucune difficulte : mais bientot ils
allerent plus loin; ils pretendirent qu'ils
avoient le droit, en qualite de souverains,
de connoitre, exclusivement h tous les sei-
gneurs, de certains cas particuliers.
Saint Louis nous paroit ^tre le premier
des rois de la troisieme race qui ait deploye
cette pretention, et il la soutint ayec la fer-
treve etoit commandee par la loi ; mais Vassurement se
faisoit par autorite de justice , quand celui qui etoit le
plus foible le demandoit. La treve n'avoit lieu qu'entre
ceux qui pouvoient se faire la guerre, au lieu que Vassu-
rement etoit tant pour le roturier que pour le noble :
Vassurement die\o'\t etre demande par Tune des parties,
au lieu que les seigneurs pouvoient forcer ceux qui
etoient en guerre a faire treve ou paix. ( Voyez Beauma-
noir, chap. Lix et lx.)
DE FRANCE. CHAP. II. 1 49
mete qui caracterise tous les actes de son
regne.
Par une ordonnance de 1262, ce prince
avoit etabli que les monnoies de ses barons
ne seroient recues que dans la circonscrip-
tion de leurs seij^^neuries, et que celles du
roi auroient cours dans tout le royaume ( i ) ;
mais cette loi etoit inutile, si les barons n'e-
toient pas contraints de la respecter: en
consequence saint Louis declara que ses
ju^yes connoitroient des contraventions a son
ordonnance, et qu il auroit seul les amendes
prononcees contre les infracteurs.
C etoit choquer directement la maxime
qui donnoit a tous les hauts seigneurs la jus-
tice et les amendes dans tous les cas sans
exception.
Aussi des reclamations s'eleverent de
toutes parts; mais par des negociations avec
les plus puissants, et des condamnations
contre ceux qui etoient moins a craindre,
(i) Suivant I'abbe de Mably, du temps de saint Louis,
les sei{![neurs ayant droit de battre monnoie etoieut au
noinbre d'environ quatre-vingts.
l5o ASSEMBLEES NATIONALES
saint Louis et ses siiccesseurs parvinrent i\
faire recevoir cette derogation aux anciens
usages.
Ge privilege attribue a la justice du roi
ne fut pas long- temps concentre dans la
connoissance des monnoies ^ il s'etendit avec
la prerogative royale, et donna lieu plus
tard a letablissement des cas royaux.
Si je presentois dans tons ses developpe-
ments la legislation de Louis IX, je mettrois
un grand ouvrage dans celui-ci: pour abre-
ger, je ne parlerai plus que de I'abolition du
combat judiciaire. Ce cliangement dans le
regime des tribunaux en produisit de si im-
portants dans I'administration publique, et
meme dans la nature du gouvernement, que
Ton me pardonnera les details dans lesquels
je vais entrer.
IIL En 1260, saint Louis fit un regle-
ment(i) par le([uel il defiendit le combat
judiciaire dans toutes les justices de ses do-
maines, et ordonna cpie les appels de faux
jugements portes devant ses cours seroient
(i) Ordonnances du Louvre, toni. I.
DE FRANCE. CHAP. II. 1 5 I
decides sans bataille, et uniquement d'apr^s
les moyens respectifs des parties.
Dix ans apr^s, en 1270, parut le regle-
ment connu sous le nom d'Etablissements de
saint Louis (1). Ce prince, le premier de
(i) Le sort des etablissements, dit Montesquieu , fut de
nattre, de grandir et de mourir en tres peu de temps. Mais
s'ilssont morts pour la jurisprudence, ils vivent comme
monuments des lumieres du treizieme siecle. Effective-
ment ils forment un code general qui cmbrasse toutes
les parties du droit civil, les dispositions des biens par
acte entre vifs ou a cause de mort , les dots et les avan-
tages des femmes, les successions ab intestat, les profits
et les prerogatives des fiefs, les delits de police, etc. Ce
code est sur-tout remarquable en ce qu'il suppose, dans
ceux qui ont preside a sa redaction, une grande con-
noissance du droit romain.
Ce droit , enseigne dans les ecoles de Toulouse et de
Montpellier, des la fin du douzieme siecle, e'toit , au
commencement du treizieme, profcsse publiquemeut
dans I'Universite de Paris, lorsqu'il fut frappe d'un ana-
theme qu'aucune personne raisonnable ne pouvoit pre-
voir: le pape Honorius III le proscrivit, et en defendit
I'etude sous peine d'excommunication.
Comme la raison finit toujours par prevaloir sur
toutes les resistances, on a continue d'enseigner le droit
romain, et il est encore aujourd'hui le meilleur inlr
prete de notre Code civil.
I 52 ASSEMBLIES NATION ALES
nos l^gislateurs depuis Charlemagne, y
proscrit de noiiveau le combat jiidiciaire
dans toutes les justices de ses domaines et
en toute querelle. Gomme il I'avoit fait en
Fan 1260, il etablit que Ton pourra fausser
sans combattre, et, ce qu'il n'avoit pas fait
dans son premier regleraent, il substitua a
la pratique monstrueiise du duel judiciaire
des formes et des regies qui supposent dans
saint Louis des connoissances et des vues
tr^s sup^rieures a son siecle.
Le texte des Etablissements qui permet de
fausser sans combattre m^rite d'etre connu;
c'est le chapitre VI du livre I" . 11 forme une
des grandes epoques de notre liistoire: cest
cette loi qui , en conferant h nos rois le der-
nier ressort de la justice, les a ressaisis de la
puissance legislative (i).
(i) (( Se aucun veut fausser jugement en pais la ou
« faussement de jugement k fiert, il n'i aura point de ba-
il taille, mes li cleim, li respons, et li autre errement du
« plet, seront rapportez en nostra cour ; et, selon les er-
<i remens du plet, I'en fera tenir, ou depiecer les erre-
« mens du plet, tot le jugement : et cil qui sera treuve en
* son tort , Tamcndera par la coustume du pais et de la
DE FRx\NCE. CHAP. II. 1 53
On ne pouvoit attaquer les jugements que
dune seule mani^re, en les faussant.
Fausser un jugement c'etoit accuser les
juges de I'avoir rendu mechamment , comrae
faux, traitres, et menteurs.
On pouvoit diriger cette accusation contre
les pairs du fief, ou dans certaines circon-
stances contre le seigneur. Dans les deux
cas, il y avoit duel. Dans le premier, le gage
de bataille se donnoit contre les jugeurs; le
seigneur le recevoit, et faffaire se terminoit
dans sa cour: mais si lui-meme etoit pris a
partie, la contestation etoit devolue a la
cour de son dominant ; il etoit oblige d'y
suivre son justiciable, et 1^ s'engageoit le
duel judiciaire.
Lorsqu'il fut ^tabli qu'^ la cour du roi on
pouvoit fausser sans combattre, les appels
furent plus frequemment diriges contre les
seigneurs. En effet, la partie condamnee y
trouvoit le double avantage de sortir dun
" terre ; et se la defaute est prouvee , li sire qui est appele
" il perdra ce que il devra par la coustume du pais et de
"la terre. n E tab Ussements , liv. I,chap. vi.
l54 ASSEMBLEES NATIONALES
tribunal dont elle avoit a se plaindre, et
d'eviter les basards d'un combat ( i ).
Ainsi tons les vassaux immediats de la
couronne, et par consequent tons les bauts
(i) On ne sait ce qui doit le plus etonner, ou I'extrava-
gance du combat judiciaire, ou I'obstination des sei-
gneurs a maintenir cet usage. A la verite , la sagesse des
reglements de saint Louis et I'exemple des justices roya-
les en avoient raniene quelques uns a des idees plus
saines; niais le nombre etoit encore si peu considerable,
trente ans apres ces etablissements , que Philippe-le-Bel ,
n'osant attaquer de ft-ont cet abus , I'autorise en temps
de paix , et ne defend le duel judiciaire que lorsqu'il sera
en guerre. C'est la disposition de son ordonnance de
I'an 1296, dont I'art 2 porte: Tant que la guerre du roi
durera, il v!y aura pas de gage de bataille , et Con plaidera
a I'ordinaire dans les justices royales et dans les subalternes.
Cette defense fut si peu respectee que Philippe-le-Bel
fut oblige de la renouveler par une seconde ordonnance
du 9 Janvier i3o3. Enfin, trois ans apres, en Fan i3o6,
il en parut une troisieme, par laquelle, apres avoir de-
clare qu'il est resulte des deux precedenles que beaucoup
de crimes sont restes impunis, faute de preuves testi-
moniales, Philippe-le-Bel ajoute: Pour oter aux mau-
vais , dessus dits , toute cause de malfaire, nous avons at-
trempe nos dites ordonnances , et voulons qu'il y ait lieu a
gages de bataille toutes lesfois que le corps de delil sera cer-
tain, que le crime emportera peine de mart, qu'il ne pourra
DE FRANCE. CHAP. II. 1 55
barons, se troiiverent, dans beaucoup de
circonstances, forces decomparoitre devant
la cour du roi, de s y defendre, et de recon-
noitre sa superiorite.
pas etre proiive par temoins , et qu'il y aura, contre celui
qui en sera soupconne , presomption sembtable a verite.
On voit par les anciens monuments de notre juris-
prudence que, jusqu'a la fin du quatorzieme siecle,
lorsqu'une affaire criminelle se presentoit dans les qua-
tre circonstances prevues par I'ordonnance de i3o6, on
suppleoit a I'insuffisance des preuves par le duel judi-
ciaire. Joannes Gallus ( Jean le Goq ) , dans son recueil
des arrets rendus pendant le quatorzieme siecle, en rap-
porte un du parlement de Paris , qui ordonna le duel
judiciaire sur une accusation d'adultere, intentee contre
Jacques Legris par Jean de Carouge , son voisin , tous
deux habitants de Paris. Le combat eut lieu le jour de
saint Thomas, de I'annee i386, pres I'abbaye Saint-
Martin des-Champs: Jacques Legris fut tue. Joannes Gal-
lus j conseil de I'un des deux accuses, qui fut temoin du
combat, et dont les ouvrages qui sont parvenus jusqu'a
nous annoncent unhomme de beaucoup de sens, croyoit
cependant que Dieu intervenoit dans ces combats pour
la manifestation de la verite. En effet, apres avoir rendu
compte de la maniere dont Jacques Legris fut tue, il
ajoute: Habeo scrupulum quod fuerit Dei vindicla , ct sic
pluribus visum fuit qui duellum viderunt,
J'aime k croire que cet arret est le dernier qui ait or-
I 56 ASSEMBLIES NATION ALES
Gette premiere innovation etoit la plus
difficile; bientot il sen fit une seconde, et
dont linfluence fut encore plus etendue.
Saint Louis, comme nous en aVons deja
fait I'observation , n'abolit le combat jndi-
ciaire que dans ses domaines: force a de
g^rands menagements envers des seigneurs
qui se pretendoient legislateurs dans leurs
terres, et qui jouissoient paisiblement de
donne un duel judiciaire ; du raoins je n'en connois pas
de posterieur.
En Angletcrre cet abus a subsiste beaucoup plus
long-temps. En iSyi un combat judiciaire fut ordonne
sous I'inspection des juges du tribunal des plaids com-
muns; mais le combat n'eut pas lieu, parceque la reine
Elisabeth , interposant dans cette affaire son autorite ,
ordonna aux parties de terminer a I'amiable leur diffe-
rent: cependant, afin de conserver leur honneur, la lice
fut fixee et ouverte, et Ton observa avec beaucoup de
ceremonie toutes les formalites preliminaires d'un com-
bat (.Spe/mannt Gloss. ^ \oc. Campus , paQ. io3). En i63i
on ordonna un combat judiciaire, sous I'autorite du
grand-con netable et du grand-marechal d'Angleterre ,
entre Donald lord Rea et David Ramsay; mais cette
querelle se termina aussi sans faire verser de sang, par
la mediation de Charles I".
DE FRANCE. CHAP. II. 1 57
celte prerogative, il ne poiivoit leiir donner
que des conseils et des exemples.
Ce que I'autorite du roi auroit vainement
essaye de faire, Fautorit^ de la raison finit
par Top^rer.
L'usage pratique dans les justices royales
ouvrit enfin les yeux sur I'absurdit^ du
combat judiciaire ; bientot la procedure eta-
blie par le reglement de saint Louis fut
adoptee par un grand noinbre de seigneurs,
et les appels de toutes ces justices se por-
terent encore definitivement devant le roi.
Une nouvelle maniere de fausser les juge-
ments , qui s'introduisit quelque temps apr^s,
multiplia encore beaucoup ces appels. Us
sont, dit Beaumanoir, deux manieresde fausser
jugement desquels li un des apiaux se droit de-
mener par gages y si est quant Ven ajoute avec
Vappel vilain cas; I'autre se doit deniener par
erremens seur quoi li jugement fut Jis [i).
II resulte de ce texte que toutes les fois que
les fausseurs appeloient de la sentence 5^715
vilain cas, c'est-a-dire sans accuser le sei-
(1) Coutume de Beauvoisis , chap, lxvii, p. SSy.
I 58 ASSEMBLEES NATIONALES
gneur ou les juges d'etre faux et menteurs,
la question sur Fappel etoit decidee par les
moyens qu'ils avoient employes devant le
premier tribunal j et c'est precisement lap-
pel tel que nous le pratiquons aujourd'liui.
Comme il etoit libre a chacun de fausser
sans vilain cas , on sent combien ce nouvel
usage dut multiplier les appels a la cour du
roi.
Pierre Desfontaines ( i ) , qui paroit avoir
ecrit quelques annees avant Beaumanoir,
rapporte qu'il a vu un appel de la cour du
comte de Ponthieu en celle du roi ; que le
comte reclama I'ancien usage, et que malgre
son opposition I'affaire fut jugee par droit
et sans combat judiciaire( 2).
(i) Conse'ds , chap, ii , art ly.
(2) En i3o6, Philippe-le-Bel , comme on vient de le
voir dans una note precedente, autorise le duel judiciaire
toutes les fois que celui qui seroit violemment soupconne
d'un crime ne pourroit en etre convaincu par temoins.
Cependant la noblesse francoise tenoit tellement au com-
bat judiciaire , qu'en I'an i3i5 les nobles de Bourgogne,
de Moulins , de Langres et du comte de Forez , obtinrent
de Louis Hutin one ordonnance qui leur permit, quant
DE FRAKCli:. CHAP. II. 169
Gependant un appel dans la forme usitee
aujourd'hui u'auroit pas ete recu : suivant la
procedure elablie par les etablissements de
saint Louis, il falloit dire que Ion faussoit le
jugement. Ainsi, pour que I'innovation fut
nioins sensible, ce prince, aussi habile que
sage , conserva le mot ; mais la chose fut reel-
lement changee.
Enfin les seigneurs de fiefs, qui ne regar-
doient le droit de rendre la justice commc
la plus belle de leurs prerogatives que par-
ceque juger c'etoit combattre, s'eloign^rent
des tribunaux a mesure que les combats ju-
diciaires devinrent moins frequents; ils fu-
rent remplaces par des baillis et des pru-
d'homraes; et I'ordre judiciaire, replace sur
ses veritables bases, fut d^s-lors a-peu-pr^s
tel qu'il est aujourd'hui.
Alors , et ce nest pas levenement le moins
remarquable de cette epoque, alors sortit
aux gages de bataille , cfen user comme ils faisoient ancien-
nement. Neanmoins I'ordonnance de i3o6 prevalut ; mais
cet abus ne cessa que pour faire place a un autre , celui
des cartels.
l6o ASSEMDLISES NATIONALES
du seiii de la societe line noiivelle classe
dliommes, qui, n'appartenant exclusive-
ment ni a la noblesse, ni au tiers-etat, se
plac^rent entre ces deux ordres; et qui,
charges du depot des lois, en furent seuls
les organes, les interpretes et les applica-
teurs : on voit bien que je parle de la ma-
gistrature.
Ces nouveaux juges ne tard^rent pas a
comprendre que le glaive de la loi , qui re-
posoit dans leurs mains, finiroit par vaincre
toutes les resistances, s'ils parvenoient a
reunir et a rattacher a la couronne les ele-
ments de la souverainete epars entre les dif-
feients seigneurs.
Cette reunion fut pendant deux siecles
Fobjet constant de leur sollicitude, et dela
cette maxime proclamee par les juriscon-
sultes de ces temps-la: Ci veut le roi, ci veiit
la loi.
Ces magistrats, qui n'avoient voulu que
recomposer une veritable monarcliie, c'est-
^-dire une monarchic temp^ree, s'aper-
curent enfin que, depassant le but qu'ils
setoient propose d'atteindre, ilsavoientcon-
DE FRANCE. CHAP. II. l6l
couru a r^tablissement d'une monarchic
absolue, et, d^s le commencement du sei-
zi^me siecle, on les a vus constamment de-
ployer, centre les abus du pouvoir, toute
I'energie , toutes les resistances compatibles
avec la soumission qu'ils devoient a I'auto-
riteroyale(i).
(i) En lisant les ecrits de ces anciens magistrals, on
voit qu'ils pensoient qu'une sage liberie est la source des
grandes pensees et des grandes vertus ,et qu'elle ennoblit
tout a-la-fois le commandement et I'obeissance. L'un
d'entre eux , peut-etre le plus grand horn me de son siecle,
et certainement le plus sage, le chancelier de L'Hopital,
disoit, dans son Traitede la reformation de la justice, t.ll,
p. 17: aPerdre la liberte, 6 bon Dieu! que reste-t-il a
« perdre apres cela ? quel salut peut-on esperer, la libeite
« etant oste'e k I'homme ? La liberte et la vie vont d'un
« meme pas ; la liberte est I'element hors lequel nous ne
u vivons plus qu'en langueur. La mort de I'bomme est
(da servitude; aussi par nos jurisconsultes est-elle com-
« paree a la mort : Servilutem inortalitati comparamus.
<( Et la pluspart des empereurs romains , qui ont ete de
Hvrais tyrans, ont verifie le dire ci-dessus, ayant tenu
(deurs peuplesen la plus cruelle servitude qui se puisse
« imaginer, et dont il na bien prins ni aux uns ni aux
« autres , comme scavent les curieux de VHistoire romaine.
"Nous ne courons pas cette fortune, grace a Dieu,
II
l62 ASSEMBLIES NATIONALES
Cette nouvelle raagistrature existoit a
peine, que Ton vit s'elever a cote d'elle
cette corporation dont le noble but est d'as -
surer le triomphe de la justice, en dirigeant
les citoyens, en eclairant les magistrats, et
qui est elle-meme une veritable magistra-
11 nous sommes Francois, portant sur le front, mais
o beaucoup mieux dans une ame francoise, la marque
a de notre liberie. Laquelle tant s'en faut que nos roys
« aient jamais entreprins de nous oster, qu'au contraire
wleur plus grande gloire est de commander a des Fran-
M cois, c'est-a-dire a un peuple ennemi jure de servitude
« et de subjection autre que celle des enfants envers leurs
" pere et mere.
u Aussi se plait-il infiniment d'obeyr a son prince sou-
u verain d'une amour filiale, laquelle ne doit jamais em-
« pecher les fonctions de la vraye liberte , et croit que
u d'etre Francois et en servitude sent deux choses non
« moins incompatibles que le jour et la nuit. »
Le ministere public partageoit ces nobles sentiments.
Dans un discours de M. I'avocat-general Talon, prononce
au lit de justice tenu par le roi Louis XIV, en i65i , pour
la declaration de sa majorite, je lis: « Entre les empe-
« reurs remains qui ont ete les plus grands princes de la
i( terra, a peine trois ou quatre ont laisse bonne odeur
« de leur vie; ce qui precede d'une mauvaise creance qui
(I occupe la pensee de la plupart des souverains et de
DE FRANCE. CHAP. II. l63
ture. On voit bien que je parle de I'ordre
des avocats. L'utilite de cet ordre fut si bien
et si promptement sentie, qua peine form^
il fixa I'attention du lej^islateur; et que son
organisation remonte aux premieres ann^es
du regne de Philippe-le-Hardi (i).
« ceux qui les entretiennent, que toutes leurs entreprises
u sontjustes, toutes leurs volontes legitimes, meme leurs
asong;es ve'ritables, et s'imaginent etre des dieux sur la
<i terra. lis pensent que les peuples sont faits pour les
« rois , et non pas les rois pour les peuples
((
u Sire, tous les hommes naissent pour commander sur la
aterre, ou du moins pour etre libres. Ces noms de do-
M mination et d'obeissance sont barbares dans leur ori-
« gine , et contraires aux principes et a I'essence de notre
u nature ; I'audace des hommes les plus forts les a intro-
« duits , le temps et la necessite les a rendus legitimes. »
(i) Le 23 octobre 1274, ce prince rendit une ordon-
nance concernant les avocats , qui porte en substance :
«Le8 avocats, tant du parlement que des bailliages et
« autres justices royales, jureront sur les saints Evangiles
« qu'ils ne se chargeront que des causes justes, qu'ils les
«defendront diligemment et fidelement, et qu'ils les
•« abandonneront des qu'ils connoitront qu'elles ne sont
« point justes. Et les avocats qui ne voudront point faiie
« ce serment seront interdits jusqu'a ce qu'ils I'aient fait.
« Les salaires seront proportionnez an proces et au
1 1.
1 64 ASSEMBLIES NATIONALES
Ce regne, I'un des plus obscurs de notre
histoire, est cependant fort remarquable.
Pendant sa courte duree, la France passa
d'une espece de gouvernement federatif,
dont le roi n'etoit que le chef impuissant,
a une monarchie absolue.
Quatre causes avoient prepar^ ce grand
^venement:
L'etablissement des communes, qui avoit
rattach^ a la couronne la bourgeoisie des
principales villes du royaume ;
Les croisades, qui avoient mine la noblesse;
La legislation de saint Louis, qui, en ratta-
cliant k la couronne le dernier ressort de la
justice, I'avoit ressaisi de la puissance legis-
lative *,
M merite de I'avocat , sans pouvoir neanmoins exceder la
u somme de trente livres.
M Les avocats jureront encore qu'au-dela de cette somme
« ils ne prendront rien directement ou indirectement.
« Ceux qui auront viole ce serment seront notez de par-
« jure et d'infamie, et exclus de plein droit de la fonction
a d'avocats, sauf aux juges h les punir suivant la qualite
(i du mefait.
« Les avocats feront ce serment tous les ans , et cette
it ordonnance sera lue tous les ans aux assises. »
DE FRANCE. CHAP. II. 1 65
La reunion a la couronne d'un tr^s grand
norabre de seigneuries, et meme de plu-
sieurs provinces ; reunions qui , depuis
Hugues-Gapet,s'^toientsuccessivementope-
rees par des achats, des mariages, des suc-
cessions, des jugements, des negociations,
et des victoires. • -
Ainsi la couronne etoit devenue le centre
vers lequel tendoient, lentement a la verite ,
mais constamment, toutes les forces mo-
rales et materielles de la societe; et vers la
fin du treizi^rae siecle I'autorite royale ^toit
deja tellement afifermie, qua la mort de
saint Louis, Philippe crut pouvoir ce quau-
cun de ses predecesseurs n'avoit encore ose.
On avoit dit jusqu'alors: Dieu seul fait
les rois. Ainsi le prince qui monte sur le
trone n'est veri tablemen t roi tpie lorsqu'un
ministre de la religion lui en a imprime
I'auguste caractere, en placant la couronne
sur sa tete. Une superstition aveugle avoit
donne a cette opinion I'autorite dun dogme
religieux. On eut craint d'offenser le ciel
en la soumettant a I'examen de la raison.
L'idee ne s'en presentoit a person ne ; et de-
1 66 ASSfcMBLl^ES NATION ALES
puis Hugues-Gapet il n'y avoit pas d'exemple
qu'un roi de France eiit fait des actes de
sou verainete avant la solennite de son sacre.
Philippe n'attendit pas qu'une main etran-
g^re placat dans les siennes les r^nes de
I'etat. II les prit lui-meme, et, des le lende-
main de la mort de son p^re , il recut Thom-
mage de ceux de ses vassaux qui faisoient
partie de larmee. Quelques jours apres il
confirma, par des lett res-pa tentes, les re-
gents que Louis JX avoit etablis avant de
quitter la France: et le 2 octobre i2yo,
prevoyant le cas oil il mourroit avant son
retour dans ses etats, et ton jours dans son
camp devant Carthage, il rendit une or-
donnance qui confie a Pierre d'Alencon,
Fun de ses fr^res, la regence et le gouver-
nement du royaume jusqu a la majority de
8on fils. Gette majorite, qui pour les rois,
comme pour tous les seigneurs de fiefs,
ctoit alors a vingt-un ans, il la fixa a qua-
topze (i.)^ .■■.!..» •....». i ' .. ; > .. ,-i/
(i) Le savant de.Laiiriere, dans ses notes sur les
DE FKANGE. CHAP. II. 167
Philippe rentre enfin dans ses ^tats. Quel-
ques chevaliers epuises de fatigue, et cinq
cercueils qui renfermoient les restes mortels
de son pere, de son fr^re le comte de Valois
Institutes coutumieres de Loisel, fait sur cette ordonnance
I'observation suivante :
« Anciennement , la majorite de nos rois etoit a vingt et
uunans, comme celle des nobles; car, suivant les feu-
"distes, regna feudis regni parantur ; mais Philippe III
« avanca tout d'un coup les rois de sept annees , en met-
utant, par son ordonnance de 1270, la majorite de son
« successeur a quatorze ans accomplis ; et enfin Charles V
« en fit une autre au mois d'aout 1 374 , publiee le
ail mai 1375, par laquelle il statue qu'il suffiroit aux
« rois ses successeurs d'entrer dans leur quatorzieme an-
" nee pour etre niajeur. »
Par une singularite remarquable , il y avoit deux ma-
jorites pour celui qui possedoit tout a-la-fois des ro-
tures et des fiefs. Le noble, qui ne pouvoit disposer de son
fief qu'a vingt et un ans , etoit , quant a ses rotures , ma-
jeur a quatorze; et le bourgeois n'etoit, quant a ses fiefs,
niajeur qu'a vingt et un ans. Cette difference entre les
nobles et les roturiers, sous le rapport de la majorite,
etoit fondee sur le motif que I'homme n'est bien capable
de supporter les fatigues de la guerre , et par consequent
de desservir un fief, qu'a vingt et un ans , et que des I'age
de quatorze ans le bourgeois peut faire quelque com-
merce et se livrer a certains travaux. Tous nos anciens
1 68 ASSEMBLEES NATIONALES
et de Nevers, du roi de Navarre son beau-
fr^re, de sa femme, et de son fils, I'envi-
ronnentet forment son cortege. Ce spectacle
d^chire les ames, effraie les imaginations,
et la consternation est generale.
j^fii^L la verite les pertes de I'armee etoient
intalculables ; mais dans Finterieur on n'a-
voit k deplorer que la mine de la noblesse ;
et meme ce quelle avoit perdu tournoit au
profit des communes et de Fautorite royale.
Les seigneurs s'etoient vus forces de vendre
leurs terres; les bourgeois en les achetant
avoient franchi Fintervalle qui les separoit
des proprietaires de fiefs, et la mort des
comtes de Toulouse , de Poitou , de Valois
auteurs parlent de ces deux majorites. Nous lisons dans
le recueil de Jean Desmares: Hitem les enfans de Poste
« sont agez k quatorze ans , puisqu'Jls sont males , et les
u pucelles sont agiees k douze ans. Mais ceux qui sont
« nobles sont agiez a vingt-un ans, quant es clioses
a nobles et feodataires ; et quant a celles qui sont tenues
« en villenage , k quatorze ans. >»
On voit, par les coutumes redigees pendant le cours du
seizieme siecle, quec'est alors seulement que ces anciens
usa{];es ont entierement disparu.
DE FRANCE, CHAP. 11. 169
et de Nevers, qui perirent victimes de cetle
malheureuse guerre, avoit r^uni ces pro-
vinces a la couronne.
Ainsi affoiblie, et par la diminution de
ses forces, et par Taugmentation de celles
du roi, I'aristocratie feodale n'oppose plus
a Tautorite royale que des efforts impuis-
sants. Cette autorite, devenue sup^rieure
a toutes les resistances , plane sur la France
enti^re; et le roi, libre de toutes especes
d'entraves, n'a d'autre r^gulateur que sa vo*
loUt^(l). r '
(i) A cette epoque les actes de la volonte royale n'a-
voient pas d'autre sanction que la signature du roi , et
celles de quelques uns des principaux officiers de sa
maison , tels que le eonnetable , le chancelier, le boutel-
lier, le chambellan , que les monuments de ces temps-Ik
appellent ininisteriales hospitii domini regis. Encore cette
formalite ne remonte-t-elle pas plus haut que le regne de
Philippe I".
Ce prince , dit le president Hesnaut dans son Abrege
chronologlque , sous Cannee iio3, est le premier de nos
rois qui, pour autoriser ses chartes et ses lettres, les ait
faits souscrire par les grands-officiers. Les precepteurs
des rois y signoient aussi ; leurs confesseurs eurent aussi
quelquefois le meme honneur.
170 ASSEMBLEES NATIONAI,ES
Voila la couronne sortie triomphante de
ses longs debats avec les hauls barons. Mais,
malheureusement, ce n'est pas une monar-
chie limitee qui prend la place de I'anarchie
qui dechiroit la France depuis Hugues-
Capet;c'est lepouvoir absolu, ou, ce qui est
la meme chose, le despotism e.
Le despotisme, qui dans une main forte
est la massue d'Hercule , nest dans celle dun
homme ordinaire qu'une ignoble et basse
tyrannie; et Philippe etoitun prince foible,
ignorant, et superstitieux. A la verite, il
aimoit la justice et n'etoit pas sans courage;
mais ne connoissant ni les hommes ni les
affaires, il donnoit indifferemment sa con-
fiance a ceux que le hasard placoit aupr^s
de sa personne. Les gens qui composoient
sa maison formoient seuls son conseil ; et le
premier acte de son regne fut d'elever a la
dignite de premier ministre Pierre de La
Brosse, le barbier de son pere.
Get indigne favori usa du pouvoir avec
toute I'insolence dun parvenu sorti desder-
ni^res classes de la soci^te. Bassement jaloux
de toutes les superiorites, il humilia la no-
DE FRANCE. CHAP. II. 1 7 I
blesse, il repoussa les talents, il ecarta des
foiictious publiques tons les liommes hono-
rables , et pendant la duree de son minist^re
la bassesse donna seule des droits a la faveur.
L'echafaud fit justice de cet odieux mi-
nistre(i). Mais le gouvernement conserva
la direction qui lui etoit imprim^e, et sous
les successeurs de La Brosse un pouvoir
sans rej^ulateur, sans liraites, et sans frein,
continua de peser sur la France. Tant il est
vrai que pour corriger une administration
vicieuse, le remede nest pas dans le change-
ment des administrateurs •, que c'est Fadmi-
nistration elle-meme qu'il faut changer.
Geperidant I'incapacite des minis tres n'ar-
reta pas le mouvement des esprits; et sous
le regne de Philippe, non seulement rien
(i) Jalouxdu credit de la reine, il eut I'audace de I'ac-
cuser d'avoir empoisonne le fils que Philippe avoit eu
d'Isabelle d'Aragon, sa premiere femme. IN'ayant pas pu
prouver son accusation , il fut pendu a Paris. « Assez
"coupable, ditMezerai, quand il n'auroit pas commis
" d 'autre crime que d'avoir obsede' son roi, et enlace
« sa personne sacree et son esprit par des artifices. "
172 ASSEMBLIES NATION ALES
ne retrograda, mais on apercoit quelques
progr^s dans le commerce, dans Findustrie,
et dans les arts.
Telle fut la France pendant les trois sie-
cles qui s'ecoulerent depuis Favenement de
Hu^yues-Capet au trone, jusqu'au regne de
Philippe-le'Bel.
Quoique rien, dans cette longue serie
d'^venements , ne rappelle les assemblees
nationales des premiers temps de la monar-
chic, cependant ces details historiques ne
sont rien moins qu'etrangers a mon sujet:
ils y tiennent meme fessentiellement ; et j'ai
dii les rappeler, puisqu'ils nous revelent que
ces anciennes assemblees n'ont ete abolies,
ni par un acte de I'autorite royale qui les
auroit suppriraees, ni par une abdication
que les Francois auroient faite volontaire-
ment du droit qui leur appartenoit d'in-
tervenir dans I'administration publique; et
que si pendant plus de trois siecles la na-
tion ne s'est pas reunie en comices gene-
raux, c'est que les circonstances ont ete
plus fortes qu'elles; c'est que partagee en
plusieurs souverainetes par les hauts ba-
DE FRANCE. CHAP. II. 1 73
rons, dont les forces avoient prevalu sur
celles de la couronne, elle ne formoit plus
iin tout homog^ne.
Mais la force n'est jamais un titre. Le
temps lui-meme n'a pas Fefficacite de la
legitimer. Tout ce quelle peut, c'est de
faire obstacle a I'exercice du droit j mais
elle ne I'^teint pas. Ainsi , toute decompos^e,
tout opprim^e quelle etoit, la nation n'en
conservoit pas moins le droit de s'imposer
elle-meme; ainsi lorsque, dans des temps
plus heureux, Philippe-le-Bel I'appellera
pour voter Tim pot par ses deputes, ce sera,
de sa part, bien moins une concession
qu'une restitution, que la reconnoissance
d'un droit qui n'avoit pas cess^ d'exister.
174 ASSEMBLEES NATIONALES
v,.|, n GHAPITRE III.
Philippe-le-Bel. Origine des etats-generaux.
(1285— i3i4.)
Pendant toute la duree du treizi^me
siecle, la puissance feodale ayoit constam-
ment recule devant Tautorite des rois; a
chaque pas retrograde de cette puissance
anarchique, la monarchie setoit avanc^e
grande, forte, et dans tout I'appareil de la
puissance absolue; dans sa raarche, de jour
en jour plus imposante, elle avoit, par des
alliances, des negociations et des victoires,
prevalu sur toutes les resistances, et brise
les liens qui unissoient les hauts barons
entre eux. Ges superbes rivaux de la cou-
ronne etoient enfin obliges de flecliir de-
vant elle; et la nature du gouvernement
^toit changee.
Cette revolution, principal em ent due a
la sagesse de saint Louis, a son courage, a
DE FRANCE. CHAP. III. 175
sa legislation , avoit et^ commencee par
Philippe- Auguste •, Philippe-le-Bel la con-
somma , et sur la fin de son regne il n y
avoit plus en France qu'un roi et cles
sujets.
A peine monte sur le trone, ce prince
comprit que le temps etoit arriv^ de dechi-
rer le voile qui, depuis trois siecles, cou-
vroit Fautorite royale, et il publia successi-
vement plusieurs ordon nances generales
dans lesquelles la nation etonnee vit, pour
la premiere fois, cette formule, en vertu de
la plenitude de notre puissance et autorite
royale (i).
Cependant le baronnage de France, si
riche de ses souvenirs, ne devoit s'^teindre
que dans les convulsions d'une lutte opi-
nisltre : aussi les seigneurs, appuyes sur
I'opinion que leurs droits ^toient aussi in-
contestables que ceux du roi , se montrerent-
ils determines a faire un dernier effort, et
(i) Voyez Vyirt de verifier les dates, page 55 1 , edition
de 1770.
176 ASSEMBLIES NATIONALES
des ligues defensives s'organis^rent sur tous
les points du royaume.
Mais , en reclamant les droits usurpes sur
sa couronne, Philippe avoit beaucoup plus
compt^ sur les ressources de sa politique
que sur la force de ses armes. Consomme
dans Fart de dissimuler, il entraina les sei-
fjneurs dans une mesure qui lui donnoit sur
eux une superiorite que personne ne pou-
voit lui contester. Inspirant aux uns des
doutes, aux autres des inquietudes et des
craintes, il les determina tous a negocier
avec lui : comme il avoit eleve ses pre-
tentions beaucoup au-dessus du but au-
quel il se proposoit d'atteindre, il obtint
de cette lutte a-peu-pr^s ce qu'il sen etoit
promis,
Aucun de ses pr^d^cesseurs n'avoit tra-
vaill^ a I'agrandissement de Tautorite royale
avec autant de perseverance , de bonheur et
de succ^s.
Mais la ne sest pas bornee sa sollici-
tude.
II a donn^ une organisation reguli^re a ce
parlementde Paris qui, pendant cinq siecles,
DE FRA^ICE. CHAP. III. I y'y
a exerc^ sur notre legislation une si grande
influence ; c'est encore lui qui, par I'etablis-
sement des etats-gen^raux, a rendu a la na-
tion le droit d'intervenir dans Fadministra-
tion publique, et de s'im poser elle-meme.
; Vers le commencement du quatorzi^me
siecle, Boniface VIII, qui occupoit le siege
pontifical , plein de I'esprit entreprenant de
Gregoire VII, eleva des pretentions qui
compromettoient I'independance de la cou-
ronne. Voici les principales ( i ) : ' ^
(i) On trouve sur cette grande affaire des details tres
exacts et tres interessants dans VAbrege du president
Hesnaut. On y lit , sous I'annee 1 3o3 :
« Les demeles si connus , entre Boniface VIII et Phi-
«< lippe-le-Bel , commencent a eclater. Le premier sujet de
« mecontentenient du pape venoit de ce que le roi avoit
« donne retraite aux Colonne , ses ennemis ; mais le roi
M avoit des sujets bien plus graves de se plaindre de Bo-
« niface : ce pontife , se croyant autorise par ses prede-
wcesseurs, vouloit partaker avec lui les decimes levees
« sur le clerge de France. La resistance de Philippe irrite
« le pape, et, pour premiere vengeance, il cree le noiivel
« eveche de Pamiers sans le concours de la puissance
« royale, necessaire en cette matiere. Boniface fait plus;
" il se plait a braver le roi , en nommant pour legal cu
12
17H ASSEMBLEES NATIONALES
I " Le pape voiiloit partager avec le roi les
impositions levees sur le clerge ;
2° II preteiidoit avoir le droit d'etablir en
France tel nombre d'eveches qu'il jugeroit a
propos. En consequence il avoit erige lev^-
che de Pamiers sans le concours de I'autorit^
royale. Le roi s'y etant opposed, le pape liii
<( France le meme homme appele Bernard Saisset , qui
K s'etoit fait ordonner eveque malgre ce prince : Bernard ,
41 en vertu de ses pouvoirs de legat , ordonne au roi de
« partir pour une nouvelle croisade, et de mettre le
u comte de Flandre en liberte ; le roi fit arreter Bernard ,
« et le remit entre les mains de I'archeveque de Nar-
« bonne, son metropolitain. Le pape lanca une.buHe
« foudroyante, qui mit le royaume en interdit; Philippe
« assemble les trois etats du royaume (on croit que ce
« fut la premiere fois que le tiers-etat y fut admis) et
« convient de convoquer un concile : on en donne avis
i< aux princes voisins; et dans les etats il est arrete qu'on
« appellera au futur concile de tout ce que le pape a fait.
wNogaret part en apparence pour signifier I'gippel, mais
(I en effet pour enlever le pape. Sciarra Colonne et lui
w I'investissent dans la ville d'Agnanie: Sciarra donne
<( un soufflet au pape , et se met en devoir de le tuer ;
« Nogaret Ten empeche ; le pape meurt peu de temps
(I apres. "
DE FRANCE. CHAP. III. 179
fit ordonner par son l^gat d'entreprendre,
en expiation de sa desobeissance, une nou-
velle croisade contre les infideles ; et sur son
refus , il lanca contre lui une bulle que les
historiens du temps appellent foudroyante,
et qui mit le royaume en interdit(i).
Les temps ou ces interdits mettoient en
danger les trones et les rois eux-memes
netoient pas encore eloignes ; mais les pro-
gres que I'esprit humain avoit faits pendant
le treizi^me siecle, et sur-tout la resistance
que saint Louis avoit constamment opposee
aux entreprises de la cour de Rome, avoient
beaucoup affoibli la puissance des papes.
Gependant leffroi quelle inspiroit etoit en-
core tel, que Philippe-le-Bel pensa que,
pour lui r^sister avec succ^s, il ne falloit
rien moins que la nation tout entiere; et il
appela aupr^s de lui non seulement les de-
(i) Dans une bulle adresse'e au roi, sous la date du
5 decembre i3oo, Boniface dit: « Ne vous laissez point
« persuader que vous n'avez point de superieur, et que
II vous n'etes pas soumis au chef de la hierarchic eccle-
u siastique : qui pense ainsi est un insense. »
12.
l8o ASSEMBLIES RATIONALES
putes de la noblesse et dii cler^if^, mais
encore ceux du tiers-etat (i). u Invention
« grandement sage et politique, dit Pasquier.
(t Car comme ainsi soit que le commun peu-
« pie trouve toujours a redire sur ceux qui
usont appeles aux plus grandes charges, et
« qu'il pense qu'en decouvrant ses doleances,
u on retablira toutes choses de mal en bien,
(( il ne desire rien tant que I'ouverture de
u telles assemblees. D'ailleurs, se voyant ho-
« nore pour y avoir lieu , et chatouill^ du vent
« de ce vain honneur, il se rend plus hardi
« prometteur k ce qu'on lui demande. »
[Recherches , chap. VII.)
La nation se montra digne de ce grand
bienfait. Les trois ordres, egalement revokes
des pretentions du pape, proclam^rent una-
nimement I'independance de la couronne;
et le resultat de cette memorable assemblee
(i) On lit dans VArt de verifier les dates que cette
assemblee eut lieu le lo avril i3o3. Edition de Jyyo,
page 226.
Mezerai place cette assemblee sous la date du i3 avril
l3oi. :• . • ■ ' • '
DE FRANCE. CHAP. III. l8f
fat un appel au futiir concile; appel qui
neutralisa la bulle, et suspendit les effets de
linterdit jiisqua la mort de Boniface, qui
eutlieu quelque temps apr^s, et qui mit fin
a cette scandaleuse affaire.
La France enti^re se leva dans cette
grande circonstance. Toutes les universities
du royaume, plus de sept cents corporations
tant ecclesiastiques que laiques, presen-
terent au roi des adresses d'adhesion a I'appel
au futur concile, et I'ordre de la noblesse
ecrivit aux cardinaux une lettre dans la-
quelle il se plaint de ce que u le pape pretend
« que le roi est son sujet, quant au temporel ,,
« et le doit tenir de lui; au lieu que le roi et
« tons les Francois ont toujours dit que,
wpour le temporel, le royaume ne releve
« que de Dieu seul. » II ajoute : u Nous disons
n avec une extreme douleur que de tels exces
une peuvent plaire a aucun liomme de
« bonne volonte; que jamais ils ne sont
uverius en pensee a personne, et qu'on n'a
« pu les entendre que pour le temps de I'An-
u techrist; et, quoique celui-ci disc qu'il ap^it
uainsi par votre conseil, nous ne pouvons
1 82 ASSEMBL^fciS NATION ALES
(( croire que vous consentiez k de telles nou-
« veautes ni a de si folles entrepiises. C'est
«pourquoi nous vous prions d'y apporter
((tels remedes, que I'union entre I'Eglise et
(de royaume soil maintenue, etc. »
La lettre du clerge , adressee au pape lui-
ineme, est en termes plus mesures; cepen-
dant il lui declare qu'il a fait serment de
defendre I'independance de la couronne.
La lettre du tiers-etat n'est pas parvenue
jusqua nous: nous ne la connoissons que
par la reponse que lui adress^rent les car-
dinaux, dans laquelle ceux-ci lui reprochent
d'avoir affecte de ne pas nommer le pape,
et d'en avoir parle dune mani^re pen res-
pectueuse ; mais il presenta au roi une re-
quete, que Savaron nous a conservee, et
dont voici les termes :
uA vous, tres noble prince, notre sire
((Philippe, par la grace de Dieu, roi de
((France, supplie et requiert le peuple de
((VOtre royaume, pour ce qui lui appartient
(( que ce soit fait, que vous gardiez la souve-
((raine franchise de votre royaume, qui est
((telle que vous ne reconnoissiez de votre
DE FRANCE. CHAP. III. l8.i
M temporel souverain en terre, forsque Dieu ,
(( et que vous fassiez declarer, si que tout le
« monde le sache, que le pape Boniface erra
(tnianifestement, et fit peche mortel notoi-
u rement en vous mandant, par lettres bul-
ulees, qu'il etoit votre souverain de votre
M temporel , et que vous ne pouviez preben-
« des donner, ne les fruits des eglises cathe-
((drales vacants retenir, et que tons ceux
wqui croyent au contraire il tient pour he-
« reges. »
II circula aussi dans le public une lettre
de Philippe-le-Bel a Boniface VIII. II est
certain qu'elle a existe ; mais on doute si elle
a ^te adressee au pape, et si elle lui est par-
venue. Ce doute est fonde sur la circonstance
qu'il ne reste aucune preuve qu'il s'en soit
jamais plaint. Quoi qu'il en soit, voici la te-
neur de cette lettre : « Philippe, par la grace
«de Dieu, roi des Francois, a Boniface, qui
w se donne pour pape , peu ou point de salut.
u Que ta tr^s grande fatuite sache que nous
(( ne sommes soumis a personne pour le tem-
uporel; que la collation des eglises et des
uprebendes vacantes nous appartient par
1 84 ASSEMBLEES NATION ALES
« le droit royal , que les fruits en sont a nous ;
(( que les collations faites et a faire par nous
« sont valides au passe et a I'avenir, que nous
« maintiendrons leurs possesseurs de tout
(tnotre pouvoir, et que nous tenons pour
« fous et insenses ceux qui croiront autre-
unient(i). »
En i3i3 Philippe-le-Bel se trouvoit en-
gage dans une guerre contre les Flamands ,
guerre longue, difficile, et dont les frais
excedoient les revenus ordinaires de la cou-
ronne, revenus qui jusqu'alors avoient suffi
(i) Gette lettre etoit une reponse a Boniface VIII, qui
avoit ecrit au roi : « Boniface, eveque, serviteur des
« serviteurs de Dieu , a Phili|ipe, roi de France, crains
(( Dieu et garde ses commandements. Tu dois savoir que
« nous somraes par-dessus toi, tant es choses spirituelles
« que temporelles , et que la collation des benefices ne
« t'appartient point: partant, si tu as en garde ceux qui
« sont vacants, je veux que tu en reserves les fruits a ceux
« qui en seront par nous pourvus, et si tu les as conferes
«a aucuns, nous declarons nulle ta collation, et repu-
" tons pour fous ceux qui croyent autrement.
« Donne a Latran , le quatrieme des nones de decembre ,
" I'an sixieme de notre pontificat. »
(On eleve des doutcs sur Tauthenticite de cette lettre.)
DE FRANCE. CHAP. 111. l85
aux charges du gou vernement. On etoit done
oblige de recouiir h des raoyens extraordi-
naires , c'est-a-dire a un impot ; mais ce
mot seul pouvoit causer un soulevement
general; il falloit done, non I'exiger, mais
I'obtenir : on le sentit; et cette assemblee des
trois ordres du royaume, qui venoit de se-
conder Pliilippe-le-Bel d'une mani^re si effi-
cace contre les entreprises de la cour de
Rome, fut convoquee pour la seconde fois( i ).
(i) A la meme epoque, et pour la meme cause, c'est-
a-dire le besoin d'argent, les deputes des bourgs furent
adinis dans leparlement de la Grand e-Bretagne: ainsila
chambre des communes en Angleterre et celle du tiers-
etat en France ont la meme origine. Comment ces deux
pouvoirs, partis du meme point, se sont-ils trouves ,
presque des leur naissance, a une si grande distance
I'un de I'autre? c'esl Thistoire qui doit repondre a cette
question. Je chercbe dans celle de M. Hume la maniere
dont les clioses se sont passees en Angleterre , et j'y lis :
« Les rois d'Angleterre, comme ceux de France, erige-
rent des bourgs, c'est-a-dire donnerent aux villes de leurs
doniaines le droit d'elire leurs magistrats , et abonne-
rent a des rentes fixes les droits et les peages auxquels
ils ctoient tenus. Cependant en affranchissant les bourgs
de leurs domaines, les rois s'etoient reserve le droit
I 86 ASSEMBLEES RATIONALES
On trou ve dans les Recherches de Pasquier
des details fort precieux sur la maniere dont
les choses se passerent dans cette seconde
assembl^e, la premiere qui ait vote des im-
pots. Ges details, je vais les transcrire:
(( Le premier qui uiit cette innovation en
«avant fut Philippe-le-Bel, sous lequel ad-
feodal , que Ton appeloit taille a volonte. Mais lorsque ,
sous Edouard I", les {juerres contre I'Ecosse exigerent
que cette taille fut portee tres haut, il devint tres diffi-
cile de la percevoir: il falloit negocier avec chaque bourg
en particulier.
« Comme cela entrainoit des longueurs , Edouard I"
imagina d'admettre les bourgs au parlement par des
deputes. Ceux qui etoient elus donnoient caution de
se rend re au parlement, et le bourg pourvoyoit a leur
depense.
« Us ne composoient pas proprement dit une partie
essentielle du parlement. Us s'asserabloient separement
des barons et des chevaliers, et des qu'ils avoient donne
leur consentement aux taxes, ils se separoient, et le par-
lement continuoit ses seances.
« Cependant comme ils donnoient , ils sentirent de
bonne heure qu'ils pouvoient demander , et ils presen-
toient des petitions tendantes a la reforme des abus qui
pesoient le plus sur eux.
((Quand le roi daignoit accueillir leurs doleances, il
DE FRANCE. CHAP. III. 1 87
u vinrent plusieurs mutations, tant en police
(( s^culi^re qu'ecclesiastique. II avoit innove
(( certain tribut, qui estoit pour la premiere
ufois le centieme, pour la seconde le cin-
(tquanti^me de tout notre bien. Get impot
(cfut cause que les manants et habitants de
(c Paris, Rouen, Orleans, se revolt^rent, et
« mirent k mort tons ceux qui furent deputes
« pour la levee de ces deniers. Et lui encore, a
« son retour dune expedition contre les Fla-
les faisoit rediger par des juges , et les publioit comme
loi, souvent sans les avoir communiquees k la cliambre
des barons : ceux-ci s'en plaignirent et commanderent
qu'aucune loi ne fut publiee sans leur approbation.
u Sous Henri V les communes demanderent que nulle
loi ne fut dressee sur leur proposition a moins que les
statuts n'en fussent rediges par elles-memes et non par les
juges, et qu'ils n'eussent passe dans leur propre chambre
en forme de bill.
« Les divisions des fiefs , dont nous avons parle plus
haut, ayant prodigieusement multiplie les petites ba-
ronnies et les tenures de chevaliers, ceux-ci perdirent de
leur consideration, ne s'assemblerent plus avec les liauts
barons , et se reunirent aux deputes des bourgs. Par cette
reunion, la chambre des communes se trouva composee
des deputes de la petite noblesse des comtes, et de ceux
des bourgs. »
1 88 ASSEMBLIES NATIONALES
Kinands, voulut imposer une autre charge
« de six deniers pour livre de chaque denree
« vendue : toutefois on ne lui voulut obeir.
u Au moyen de quoi, par I'avis de d'Anguer-
wrand de Marigny, grand superintendant
« de ses finances, pour obvier a ces eineutes,
u iJ pourpensa d'obtenir cela de son peuple
(t aveque plus de douceur. Car s'etant fait
((sage par son exemple, et voulant faire un
H autre nouvel impot , Guillaume Nangy
u nous apprend qu'il fit eriger un grand
(( ecliafaud dedans la ville de Paris; et la , par
(( I'organe de d'Anguerrand, apr^s avoir haut
« loue la ville, I'appelant charabre-royale, en
(daquelle les rois anciennement prenoient
«leur premiere nourrlture. il remontra aux
« syndics des trois etats les urgentes affaires
((qui tenoient le roi assiege, pour subvenir
(' aux guerres de Flandre, les exliortant de le
((vouloir secourir en cette necessity publi-
((que, ou il y alloit du fait de tons. Auquel
(( lieu on lui presenta corps et bieus; levant,
(' par le moyen des offres liberales qui lui
« furent faites, une imposition fort grieve
(( par tout le royaume. L'lieureux succes de
DE FRANCE. CHAP. in. 189
« ce premier coup d'essai se tourna depuis en
t( coutume , non tant sous Loys Hutin , Phi-
(dippe-le-Louf^ et Charles-le-Bel , que sous
« la lignee des Valois.
((Les etats, soit generaux, soit particu-
wliers, sont composes des deputes de trois
«ordres du royaume, qui sont le clerge, la
« noblesse, et les deputes des communautes ,
« qui dans la suite ont ete nomm^s le tiers-
« ^tat ; assembles par I'ordre du roi , qui leur
« fait savoir les raisons pour lesquelles il les
«a convoques.)) Chapitre VII.
Mezerai ajoute : « Le roi etoit sur un thea-
« tre fort ^leve , oil il fit asseoir les disputes
« de la noblesse et du cler^j^ ; ceux du tiers-
« etat etant assis en bas. »
Voil^ lorigine de nos etats-g^neraux.
190 ASSEMBLIES NATIONALES
kt'%/%f%,%nt/%.'\/\/\.^%/\/%.
CHAPITRE IV.
- > : 1 1 ■ ■ .
Suite du chapitre precedent. Chang;ement dans
la constitution de I'etat.
Le tiers-^tat, si long- temps opprim^, est
enfin compte pour quelque chose, et rentre
dans Fadministration publique. Gependant
ce ne sont pas les droits qu'il exercoit sous
les descendants de Glovis qui lui sont ren—
dus; c est un ordre nouveau qui s'etablit: et,
comme on vient de le voir, cette innovation
est due aux necessites du temps; des besoins
nouveaux font recourir a des secours extraor-
dinaires, et les lecons du malheur, jointes
auxconseils de I'experience, ont appele une
constitution nouvelle.
Une lutte s'engage entre Philippe et Bo-
niface. Le roi, craignant de succomber, s'il
netoit second^ que par les deux premiers
ordres de Petat, appelle le troisi^me, lui
demandeaide etconseil, met sous sa garde
DE FRANCE. CHAP. IV. I91
rindependance de la couronne, et triomphe
de son dangereux adversaire.
Philippe soutientcontreles Flamandsune
guerre dispendieuse. II lui faut des impots ;
n'osant les exiger, il assemble les trois ordres,
et en obtient tout Fargent qui lui est n^ces-
saire.
Ges heureux r^sultats ^clairent Fopinion.
On comprend enfin que la force des empires
reside dans Funion et le concours de tous les
ordres de citoyens; eta cute des regies anar-
chiques du regime feodal se forme un nou-
veau droit public, dont la maxime fonda-
mentale est que nul impot ne pent etre eta-
bli sans le consentement de la nation.
Nous lisons dans la sixi^me lettre du comte
de Boulainvilliers sur les parlements de
France , « que Nicolas Gille et le Rosier de
« France disent positivement qu'il fut arrete
((dans les etats de France que Ton ne pour-
(( roit imposer aucun subside sur les peu-
(( pies, si urgente necessite, ou evidente uti-
(( lit^ le requeroit , que de Foctroi des gens
(( des ^tats. »
Les etats votoient Fimpot ; la finissoit leur
192 ASSEMBLEES NATIONALES
pouvoir. Quant a Texercice de la j)uissance
legislative, ils n'y concouroient que par des
remontrances , qu'ils ne manquoient jamais
de deposer au pied du trone, remontran-
ces , a la verite sans suites necessaires ,
mais qui, toujours interpretes fideles des
besoins de la societe, eclairoient le gouver-
nement sur ses devoirs, et auxquelles nous
devons nos plus celebres ordonnances.
DE FRANCE. CHAP. V. igS
GHAPITRE V.
Qu'il n'y eut point d'etats-generaux sous les quatre pre-
miers successeurs de Philippe-le-Bel. Expedient em-
ploye pour subvenir aux depenses extraordinaires ,
sans recourir a la nation.
i3i4« — i35o.
Philippe-le-Bel laissa trois fils : Louis X ,
dit le Hutin ; Philippe V, dit le Lonj^; ; Char-
les IV, dit le Bel^ et deux fr^res, Charles,
comte de Valois, et Louis, comte d'Evreux.
Ce dernier, dun caract^re doux et Iran-
quille, prit peu de part aux affaires, mais
le comte de Valois , Fun des hommes les plus
liabiles de son temps , les dirigeoit toutes.
Ce prince, dun esprit eminemment che-
valeresque, et pour qui la caste des nobles
etoit la nation tout enti^re, avoit vu de
I'oeil le plus chagrin I'etablissement des etats-
generaux. Cette innovation qui, donnant a
la bourgeoisie une existence politique, la
placoit sur la meme ligne que la noblesse et
i3
194 ASSEMBLEES RATIONALES
le clerg^, revoltoit son orgueil et confon-
doit toutes ses idees(i). II y voyoit une veri-
table anarcliie , un assemblage bizarre d'ele-
ments heterogenes, en un mot le renverse-
ment de I'etat. Aussi ne fut-il pas question
d'assembler les etats-generaux sous ces trois
regnes; et le meme esprit dirigea I'adminis-
tration de Philippe-de-Valois, qui succeda
aux trois fils de Philippe-le-Bel.
Cependant ces princes , souvent en guerre,
eurent frequemment besoin de secours ex-
traordinaires. On les auroit obtenus de la
nation en convoquant les etats-generaux.
On pr^fera recourir a des mesures partielles,
mesures toujours injustes et vexatoires, en
ce qu'elles font supporter a quelques indi-
vidus des depenses faites dans I'interet de
tous.
L'orage tomba d'abord sur les financiers.
Deux surintendants des finances, Engue-
rand-de-Marigny et Pierre Remy, furent
pendus , et tous leurs biens confisques.
(i) II fut fils, frere, oncle, pere, gendre, et beau-
pere de rois ; il mourut en iSaS.
DE FRANCE. CHAP. V. igS
Des chefs on passa aux siibalternes ; cm
les soumit aux recherclies les plus sev^res.
Presquetous Lombards et Italiens, ils avoient
fait des gains immenses dans la manuten-
tion des deniers publics. Tous en furent de-
pouilles, et renvoyes dans leur patrie aussi
pauvfes qu'ils en etoient sortis.
Apres qu'on se fut occupe des sangsues pu-
bliques, les regards seport^rentsur les usu-
riers. On avoit precedemment cliasse les
juifs, et Finjustice a leur ^gard avoit ^te
port^e jusqu a leur interdire toute espece
d'action contre leurs debiteurs : on leur fait
acheter le droit de rentrer en France, et la
faculte de poursuivre le recouvreraent de
leurs dettes leur est rendue , mais a la charge
d'en verser les deux tiers dans le tresor pu-
blic(i).
On avoit vendu la justice: on vendit I'af-
franchissement de la servitude. Le peu de
liberte dont le peuple jouissoit ^toit con-
(i)Ordonnaiicedu 28 juillet i3i5. L'art. 4 porte: "Les
« juifs recouvrerout et auront le tiers, et nous les deux
ii auti'es tiers, des dettes qui leur sont dues. "
1 J.
196 ASSEMBLIES NATIONALES
centr^ dans les villes. Les habitants des
campagnes etoient serfs, ou, comme Ion
parloit alors, gens de corps et de morte-main .
Louis-le-Hutin mit a prix raffranchissement
de cette servitude dans les terres de ses do-
maines ( i ) : I'humanit^ ne pouvoi t qu'applau-
dir a cette mesure ; mais le besoin d'argent
en fit bientot un instrument de vexation. Ce
qu'une premiere ordonnance avoit offert
comme un bienfait, une seconde I'exigea
comme un impot. Geux de ces mallieureux
auxquels on soupconna quelque aisance
furent contraints d'acheter leur affranchis-
sement au prix que des commissaires nom-
mes par le roi jug^rent a propos d'y mettre.
En meme temps que Ion ruinoit les indi-
vidus par des vexations particuli^res , on de-
soloit la nation par des mesures generales.
(i) Cette ordonnance est du 3 juillet i3i5.
Les charges de la mainmorte etoient les droits de pour-
suite, de taille, de corvee a volonte, de fermariage, la
defense d'aliener, de tester, et le droit d'ecliute. Je serois
trop long si j'exposois ce que ces differentes especes de
servitudes avoient d'humiliant et de vexatoire.
DE FRANCE. CHAP. V. ig-J
L'augmentation du prix du sel pesoit sur
toutes les classes, et des cliangements pres-
qiie continuels dans la valeur des monnoies
ebranloient toutes les fortunes (i).
Les nombreux abusdes regnes precedents
offroient aussi des ressources ; elles ne furent
pas negligees. Par une ordonnance publiee
a Pontoise, le 29 juillet i3i8, Philippe-le-
Long r^voqua tous les dons faits par son
fr^re, son p^re, et son aieul, ((de terres,
(( rentes, chateaux, villes, bois, possessions,
(( et domaines, encore qu'ils eussent ete trans-
(tportes a d'autres par ceux a qui ils furent
« faits, soit par achat, par echange, ou autre-
((ment(2).))
(i) Ces changements etoient si frequents que le plus
souvent ron ignoroit si les especes de la veille avoient
cours le lendemain. L'alteration des metaux fut telle
que, pendant la duree de ces quatre regnes, la valeur du
mare d'argent varia depuis 55 sous jusqu'a i3 livres
lo sous, et celle du marc d'or depuis l[o livres jusqu'a
1 38 livres.
(2) Cette ordonnance est fort remarquable. Avant elle
il n'y avoit pas d'exemple qu'un roi eut revoque' les alie'-
nations faites par ses predecesseurs. C'est cette ordon-
1 98 ASSEMBLEES RATIONALES
Les biens du clerge etoient une mine fe-
conde. On s'empressa de lexploiter.
Les eglises, et sur-tout les grands sieges,
possedoient noblement et a litre de fiefs la
tres majeure partie de leurs proprietes. Tons
ces fiefs etoient assujettis a des devoirs en-
vers la couronne : le clerge refusoit de les
remplir, comme ^tant, suivant lui, incom-
patibles avec la dignite du sacerdoce. G etoit
confondre les personnes et les clioses. On
Tavoit enfin senti : et sous les regnes de Phi-
lippe III et de Philippe IV, c'est-a-dire vers
la fin du treizi^me siecle, il fut etabli en
principe que I'Eglise ne pouvoit posseder au-
cun fief sans en avoir obtenu la permission
du roi. On appeloit actes d'amortisserneiit les
diplomes par lesquels le roi donnoit ces per-
missions.
En vertu de cette nouvelle prerogative ,
Philippe-le-Long, par une ordonnance de
I'an 1 320, exigea sous le titre de droit da-
nance qui a servi de fondement a la raaxinie que le do-
maine de I'etat est inalienable : maxime erigee en loi fon-
damentale dii royaume par lecelebrec'dit defevrier i566.
DE FRANCE. CHAP. V. 1 99
mortissement des sommes considerables , a
raison de tous les fiefs dont FEglise etoit en
possession. Ces sommes, dans certains cas,
etoient de la valeur meme du fief.
Enfin Charles-le-Bel permit au pape de
lever des decimes sur le clerge de France,
a condition que la moitie des sommes pro-
duites par cet impot seroit versee dans ses
mains.
On a vu plus haut Louis-le-Hutin mettre
un semblable prix a la permission qu'il ac-
cordoit aux juifs de poursuivre dans les tri-
bunaux le recouvrement de leurs creances.
Nous lisons dans la belle Histoire des
Francois de M. Sismondi, torn. X, pag. 6y :
t( Philippe-de-Valoiss'occupoit a rassembler
ude I'argent, mais il sembloit ne connoitre
« pour cela que des moyens violents et bi-
« zarres. II ordonna a tous ses barons et a
« tous ses prelats de lui remettre le tiers de
« leur vaisselle d'argent , pour I'employer h.
((battre monnoie, II soumit a une double
« amende ceux qui appelleroient pour cause
wd'erreur des arrets du parlement, s'ils
« Etoient condamn^s
200 ASSEMBLEES NATION ALES
« Dans la senechaiissee de Carcassonne il
wavoitmis un impot de douze deniers par
((piece de drap qui se fabriquoit dans la
(( province ; mais en retour, et a la demande
V du fabricant , il avoit prohibe I'exportation
((deslaines, et de toutes les mati^res pre-
(( mitres qu'il employoit pour son industrie.
(( Les proprietaires de moutons reclamerent
(( sur ce qu'on soumettoit ainsi les produits
<( de leurs troupeaux au monopole dun pe-
(( tit nombre de fabricants ; ceux-ci a leur
(( tour affirmoient que si on ne leur mainte-
(( noit pas les matieres premieres a bon mar-
((che, ils ne pourroient pas continuer leur
((industrie Gombienmedonne-
urez-vous, demanda-t-il aux fabricants,
(( pour que je vous conserve le monopole des
(( laines de la province? Gombien me donne-
((rez-vous, demanda-t-il aux proprietaires
(( de moutons, pour que je le supprime? Les
((premiers ne purent reussir a rassembler
(( entre eux que quarante mille livres j les
« seconds en offrirent cent cinquante mille,
w payables en cinq ans , que le roi accepta ,
(f et le monopole fut supprim^. »
DE FHANCE. CHAP. V. 20I
Sous le meme Philippe-de-Valois , le ge-
nie de la fiscalite, dans tons les temps si fe-
cond en ressources, imagina la jj^abelle. Le
20 mars i343 ce prince fit publier une or-
donnance qui etablit le monopole du sel
dans toutle royaume.
Gombien de mesures arbitraires, combien
de petites et basses tyrannies, et cela pour
se yirocurer quelques sommes d'argent qui ,
demandees avec une nobre confiance aux re-
presentants de la nation, auroient ete accor-
dees avec un genereux devouement, et qui,
reparties sur tons, auroient ete levees plus
promptement, avec moins de frais, et sans
reclamations, parcequedes guerres presque
continuelles les rendoient necessaires!
Que les gouvernants se persuadent done
({ue lagloire, le bonlieur, la securite, ne
sont pour eux que dans I'ordre legal ; et que,
liors de la , ne semant que des vexations et
des injustices, ils ne peuvent recueillir que
des perils et des haines.
202 ASSEMBLEES NATION ALES
GHAPITRE VI.
De I'etat de la France depuis ravenement du roi Jean au
trone, en i35o, jusqu'a I'ouverture des etats-generaux
en i355.
Toutes les ressources de letat etoient
epuisees. Augmentation des droits sur le sel,
taxes sur les denrees, recherches des finan-
ciers, confiscation de leurs biens, extorsion
surles juifs, decimes sur le clerge, altera-
tion du titre des monnoies, rien sous les
quatre derniers regnes n'avoit ecliappe a I'a-
vidite du fisc, et la plaie faite a la France
dans les champs de Creci saignoit encore ( i ).
(i) Cette bataille fut donne'e le 25 aoiit i346. Du cote
des Francois la perte fut immense. Les historiens les
plus moderes la font monter a trente mille hommes.
Outre le comte d'Alencon et le roi de Boheme , la France
y perdit les comtes de Blois, de Flandre, de Sancerre,
d'Auxerre , les dues de Lorraine etde Bourbon , Grimaldi
etDoria, douze cents chevaliers, et quatre-vingts ban-
nieres.
Quelques historiens rapportent qu'Edouard , indepen-
DE FKANCE. CHAP. VI. 2o3
Tant de vexations, tant de calamites, en
ruinant toutes les fortunes, avoient exaspere
tons les esprits-, et le gouveinement, auquel
le peuple imputoit tons ses malheurs, etoit
Tobjet de toutes lesplaintes; ainsi, la cou-
ronne et la nation avoient perdu , au moins
en grande partie , I'une sa force morale , et
lautre ses forces materielles.
Trois changements s etoient operes pen-
dant les douzieme et treizi^me siecles. L'eta-
blissement des communes avoit fait passer
les habitants de certaines villes de la servi-
tude a la liberte(i).
Les croisades avoient mine la noblesse;
et Fautorite royale, encore si foible au com-
mencement du treizi^me siecle, avoit, par
la reunion de plusieurs provinces (2), ac-
damment des ressources qu'il trouva dans son propre
genie et dans sa presence d'esprit, employa aussi une
nouvelle invention centre I'ennemi, c'est-a-dire qu'il
placa au front de son armee quelques pieces d'artillerie ,
les premieres dont on se fut servi en Europe dans une
occasion remarquable.
(i) La ville de Noyon est la premiere qui ait joui de
cet avantage. Sa charte est de I'an i io4.
(2) La reunion de la Normandie est de 1202 , celle du
2o4 ASSEMBLERS NATIONALES
quis une force qui la placoit au-dessiis dc
toiites les resistances.
Tel etoit done I'etatde la France: sur le
trone un pouvoir sans limites ; dans les
villes de communes une sorte de liberie ,
mais dont rien ne garantissoit la duree ; dans
les campagnes le decouragement et toutes
les mis^res que la servitude traine apres elle;
entre le roi et le peuple, une noblesse cou-
rageuse, turbulente, egalement tourmen-
tee par ses souvenirs et par sa situation pre-
sente. Enfin une treve recemment conclue
avec les Anglois etoit sur le point d'expirer ,
et le trone d'Angleterre etoit occupe par Fun
des plus grands rois dont Fhistoire ait garde
le souvenir, par Edouard III, prince tout
a-la-fois prudent et brave, econome et ma-
Languedoc est de 1271 , celle de la Champagne de 1284.
La premiere fut operee en vertu d'un arret du parlement ;
la seconde par la mort d'Alphonse, frere de saint Louis,
qui avoit epouse I'heritiere du liangucdoc; et la troi-
sieme par le mariage de Philippe-le-Bel avec Jeanne,
fille unique de Henri, comte de Champagne et roi de
^iavarre.
DE FRANCE. CHAP. VI. 205
gnifique, clement et inexorable, et qui,
apr^s avoir longiiement et profondement
miiri ses projets, en subordonnoit encore
I'ex^cution au temps et aux circonstances.
Dans un pareil etat de choses, dans cette
confusion d'interets , d'idees et de principes ,
il auroit fallu sur le trone de France un de
ces g^nies auxquels il est donne de changer
les destinees des nations, un de ces hommes
rares que le ciel ne montre a la terre qua de
longs intervalles, et Jean netoit rien moins
que cet homme extraordinaire. Heritier des
defauts de Philippe-de-Valois son p^re,
comme luitemeraire, imprudent, opiniatre,
vindicatif, il fut plus prodigue, plus foible,
plus ombrageux, et plus borne; il eut de la
bravoure, mais une bravoure aveugle qui le
precipita, et la France avec lui, dans les
plus grands raalheurs.
Si Jean avoit bien compris sa position , il
auroit senti que deux mesures, devenues
egalement urgentes par la prochaine cessa-
tion de la treve, devoient signaler le com-
mencement de son regne : calmer I'irritation
des esprits , et mettre dans ses depenses 1 e-
2o6 ASSEMBLIES NATIONALES
conomie la plus severe : il ne prit ni Tune iii
I'autre.
II deploya dans la ceremonie de son sacre
une magnificence dont il n'y avoit pas
d'exemple. Le meme jour il arma chevaliers
Charles, dauphin, le comte d'Anjou, et
Louis, comte d'Alencon , ses enfants; le due
d'Orleans son fr^re, 6t Philippe, due de
Bourgogne. II accorda le meme honneur aux
comtes d'Etampes et de Dammartin, au vi-
comte de Touraine neveu du pape, au sei-
gneur de TEscun , et a plusieurs princes et
seigneurs.
Le roi celebra cette promotion avec une
pompe inconnue jusqu'alors, et il en fit
toutes les depenses, qui montferent a des
sommes prodigieuses(i).
(i) Aux fetes de Reims succederent les fetes de Paris ,
qui donnerent egalement lieu a des depenses tres consi-
derables. Les details que Ton va lire donneront une idee
du luxe et des costumes de ces temps-la.
Toutes les rues de la ville etoient tapissees d'etoffes de
diverses couleurs Les artisans des differents corps de me'-
tiers, distribues suivant leurs classes, e'toient revetus
d'habits uniformes. Les bourgeois de Paris formoient uu
DE FRANCE. CHAP. VI. 207
Apr^s avoir revoke la nation par ces pro-
digalites, il Teffraya par le supplice du cointe
d'Eu, connetable de France, et a ce titre
chef de la noblesse et des armees. Froissard
nous donne les details de cette sanglante
tragedie (i). «Le mardi seizi^me jour de
«novembre (i35o), Raoul, comte d'Eu et
((de Guines, connetable de France, qui
(( nouvellement etoit venu d'Angleterre de
corps particulier ; ils portoient aussides robes de la meme
couleur. Les Lombards et les usuriers , dont malheureu-
sement la ville abondoit pour lors, se signalerent en cette
occasion : ils etoient tous habilles de robes de soie de
deux couleurs , et portoient sur leurs tetes des chapeaux
a pointes exhaussees , semblables a leurs habits. Tous les
habitants ainsi partages en plusieurs troupes, les unes a
pied , les autres a cheval, allerent au-devant du roi, qui
entra dans Paris au son des instruments , traversa le grand
pont, aujourd'hui nomme le Pont-au-Ghange , et vint
loger a I'hotel de Nesle. Les rejouissances durerent pen-
dant huit jours.
(i) Chroniques , appendice, ch. 38 1. Jean Froissard
naquit a Valencienne en i33y. II mourut chanoine et
tre'sorier du chapitre de Chimay. Ses chroniques embras-
sent les temps qui se sont ecoules depuis i326 jus-
qu'en i4oo.
2o8 ASSEMBLIES NATIONALES
« sa prison , fut pris en I'hotel de Nesle , a
u Paris, du commandement du roi, et audit
« hotel de Nesle fut tenu prisonnier j usque
« au jeudi en suivant, dix-huitieme jour
« dudit mois de novembre, et la a lieures de
« matines fut decapite. »
On publla qu'il s'^toit avou^ coupable de
trahison envers le roi ; mais le public refusa
d'y croire, et une action aussi atroce fut
generalement attribuee a des intrigues de
cour.
Une des premieres tetes du royaume ainsi
frappee sans la plus l^g^re forme de proems
repandit la terreur et la consternation dans
toute la France. Les esp^rances qui accom-
pagnent ordinairement un nouveau regne
s'evanouirent, et firent place aux presages
les plus sinistres.
Un prince du sang royal , et roi de Navarre
du chef de son aieule, fille de Louis-le-Hu-
tin, Charles, surnomme le Mauvais, profita
de cette disposition des esprits pour reveil-
ler d'anciennes pretentions sur les comtes
de Champagne et de Brie. 11 savoit bien
qu'elles etoient sans fondement; mais exci-
DE FRANCE. CHAP. VI. 209
ter cles troubles etoit un besoin pour lui , et
ces pretentions lui en fournissoient le pr^-
texte. II sen servit si habilement, qu'il fut
une des princi pales causes des malheurs du
roi Jean, dont cependant il avoit Spouse la
fdle.
Les historiens font de ce mechant homme
le portrait le plus liideux. II avoit, disent-
ils, toutes les bonnes qualites que le vice
rend pernicieuses ; I'esprit, 1 eloquence, I'a-
dresse, la hardiesse, et la liberalite. Son
ame etoit cruelle, artificieuse, vindicative,
capable de se porter aux plus grands exces ,
et fa miliariseeavec tons les gen res de crimes.
II est peut-etre le seul grand criminel qui
n'ait jamais fait une bonne action. Constam-
ment occup^ de conspirations, non seule-
ment il souleva la plupart des grands du
royaume contre Fautorite royale, mais il
porta I'audace et la perversite j usqu a seduire
le dauphin qui n avoit alors que dix-sept ans ;
a force de mensonges et d'artifices , il lui avoit
persuade de quitter la cour ; il en eut fait un
chef de conjures. Mais le jeune prince eut la
sagesse de reconnoitre sa faute , et le noble
i4
2 I O ASSEMBLEES NATIONALES
courage de la confesser au roi. La conspira-
tion ainsi connue fut dissipee.
Enfin la treve expire. Edouard, qui en
avoit habilement profile pour mettre sur
pied une puissante armee, la partage en
deux corps, en commande un en personne,
donne le commandement de I'autre a son
fils aine , et tous deux entrent simultane-
ment en France ; le roi par la Normandie ,
et le prince par la Guienne. Jean , au con-
traire, sans prevoyance et sans energie, dis-
trait par les troubles de son royaume , et
trompe par des negociations dont il n'avoit
passu demeler I'artifice, n'etoit aucunement
prepare a soutenir un choc aussi redoutable.
D'ailleurs que pouvoit-il exiger dune na-
tion ruinee, decouragee, et dont il avoit
lui-meme perdu Faffection et la confiance?
Tout pr^sageoit que la France alloit pas-
ser sous une domination etrangere. Mais
si les nations, pour changer de nom, de
forme, et de gouvernement, ne perissent
pas , il n'en est pas de meme des trones ; ils
peuvent secrouler et disparoitre. Le roi,
chancelant sur le sien, sentit que dans une
DE FRANCE. CHAP. VI. 2 11
situation aussi desesperee il ne pouvoit des-
ormais conserver sa puissance qu'en la par-
tageant, qu'en confiant a la nation elle-
meme le soin de ses propres destinees ; et les
^tats du royaume, que Ion eludoit depuis si
long-temps, furentenfin convoques(i).
Seroit-il done vrai que la liberty des peu-
ples est fille du malheur, et que ce n'est
qu'au milieu des orages et sur le bord des
abymes que les rois se rapprochent de leurs
sujets, et s'entendent avec eux sur leur
bonheur commun?
Quoi qu'il en soit , nous allons revoir la
nation se ressaisir du droit de s'imposer elle-
meme : droit inherent a sa constitution pri-
mitive , et dont Fexercice avoit et^ suspendu
dans I'intervalle qui s'etoit ecoule depuis la
fin du dixieme siecle jusqu'en i3o3, et de-
puis i3io jusqu'en i355.
(i) Je dis qu'il n'y eut point d'etats-generaux dans I'in-
tervalle de i3io a i355. Gependant quelques historiens
parlent d'une assemble'e generale des etats tenue a Paris
au mois de novembre i35o. Mais si cette assemblee a
existe, il en reste si peu de traces, que je crois pouvoir
donner les etats-generaux de i355 comme les premiers
qui aient eu lieu sous le regno du roi Jean.
1 4-
2 I 2 ASSEMBLEES NATIONALES
CHAPITRE VII.
fitats-generaux de i355.
Siiivant Froissard, les prelats, les clia-
pitres, les barons, et les bourgeois des
bonnes villes du loyaunie de Fiance (i),
furent convoques a Paris par le cominande-
ment du roi.
L'assemblee se tint dans la chambre du
parlement, lemercredi apres la Saint-Andre.
Pierre de La Foret, chancelier de France
et archeveque de Rouen, apres avoir expos^
que le roi se trouvoit engage dans une
guerre longue et cruelle, les requit de deli-
berer sur I'aide qu'ils pourroient lui accor-
der pour le mettre en etat de la sOutenir.
(i) Les historiens du temps ne disent pas quel etoit le
nombre de ces deputes. En ge'neral, les anciennes chro-
niques parlent tres longuement des guerres et des faits
de chevalerie , et sont fort lasoniques sur tout ce qui con-
cerne le droit public.
DE FRANCE. CHAP. VII. 2l3
Les trois ordres, savoir: le clerge, par
I'organe de Jean de Craon, archeveque de
Reims; les nobles, par celui du due d'A-
th^nes, et les bonnes villes, par celui d'E-
tienne Marcel, prevot des marchands de la
bonne ville de Paris, demand^rent et obtin-
rent la permission de deliberer ensemble.
Leur deliberation arretee, ils se presen-
terent devant le roi , dans la meme chambre
du parlement, etlui offrirent, par la bouche
des orateurs qui avoient deja porte la parole
en leur nom, d'entretenir pendant une an-
nee ti'ente mille hommes d'armes ci leurs
depens(i).
Les etats s'occup^rent ensuite des moyens
de j)rocurer au roi les sommes necessaires
pour la solde de cette armee ; et il fut decide,
pour cette annee, qu'il seioit percu un droit
de liuit deniers pour livre sur toutes les
(i) Comme chaque liomme d'armes avoit ordinaire-
ment a sa suite trois personnes , savoir : uu ecuyer, un
page, et un jjendarme, ces trente niiUe lioninies for-
moient une annee de plus do cent mille.
2l4 ASSEMBLEES NATIONALES
rentes de denrees, boissons, et marchan-
dises(i).
Cependant le grand objet de Fassembl^e
n^etoit pas rempli. Tout le monde sentoit
la necessite de constituer, ou au moins d'^-
bauclier un gouvernement.
A Favenement de Hugues-Gapet au trone,
le gouvernement monarcliique avoit fait
place au regime feodal', et, sous le vain
titre de roi, ses premiers successeurs n'a-
voient gu^re ete que les chefs dune confe-
deration composee dun grand nombre de
petits souverains qui, sous la denomination
de seigneurs et de barons, exercoient dans
leurs terres le pouvoir le plus absolu, et
croyoient n avoir au-dessus deux autre juge
fors Dieu.
A la verite, dans rintervalle qui s'etoit
ecoule depuis Philippe— Auguste jusqu'au
roi Jean, la couronne avoit beaucoup ga-
gn^; un grand nombre de seigneuries, et
meme des provinces enti^res, avoient et^
(i) Voyez la preface du tome III des Ordonnances du
Louvre.
DE FRANCE. CHAP. VII. 2l5
r^unies au domaine de letat ; mais cela s etoit
fait successivement par des actes particu-
liers, et les rois s'etoient bien plus occupes
des moyens d'acquerir que du soin d'orga-
niser.
Aussi radministration publique etoit-elle
livree h I'arbitraire le plus desastreux. Le
desordre ^toit par-tout, et principalement
dans les finances. La r^forme de tant d'abus
etoit difficile , mais elle ^toit necessaire. Sur
la presentation des etats, le roi y pourvut
par une ordonnance que Ion pent regarder
comme la charte constitutionnelle de ces
teraps-la. Cette ordonnance est du 22 de-
cembre i355: en voici les principales dis-
positions :
Parle premier article, le roi ayant expose
qu'il a convoque les bonnes gens de son
royaume de la Langue d'ofl et du pays cou-
tumier de tous les trois etats, pour avoir
avis, conseil, et deliberation sur la maniere
de resister aux anciens ennemis du royaume,
declare « qu'il a ete conclu qu'il devoit faire
rude guerre a ses adversaires par mer et par
terre, et que, pour faire payer les frais et
2l6 ASSEMBLEES NATIONALES
depens de cette guerre, il seroit impose une
gabelle sur le sel dans toute Fetendue du
pays coutumier, et pareillemeDt un droit
de huit deniers pour livre sur toutes choses
qui seront vendues audit pays, excepte vente
d'heritage, lequel droit sera paye par le
vendeur, sans exception de personne, soit
clercs, nobles, gens d'eglise, hospitaliers
nobles et non nobles, ou autres. Veut le roi,
pour donner bon exemple, que ni lui, ni la
reine sa femme, et ses enfants, ni ceux de
son lignage , en soient exempts \ promet faire
office pour induireou contraindre, par toutes
les voies qui seront conseillees par les trois
etats, ceux qui ne voudroient satisfaire a
ladite imposition; et ou le roi ne pourroit
faire consentir a icelle tous ces differents
pays, il feroit a])paroir les diligences qu'il
•auroitfaites pour leditpaiement. Cette meme
imposition cessera dans le prochain mois de
mars, et sera pourvu d'autres manieres par
les trois etats au paiement des troupes, sans
que la voix de deux des trois etats puisse
engager le troisi^me... Veut au surplus le
roi que, pour le recouvrement dudit impot,
DE FRANCE. CHAP. VII. 21 7
soient ^tablis des receveurs au choix des
etatSy qui seront tenus de se conduire sui-
vant les instructions qui par eux seront
donnees. »
Par le second article, il est ordonne que,
dans cha([ue bailliage ou senecliaussee, « il
sera etabli par les etats neuf personnes loya-
les, bonnes, honnetes, trois de chacun or-
dre, qui seront generaux-surintendants de
toute affaire de ladite imposition , sans etre
neanmoins tenus den rendre aucun compte,
parcequ'ils commettront d'autres personnes
bonnes et solvables pour faire la recette, les-
quelles seront tenues de rendre compte. »
Par le quatri^me, il est ordonne que « les
surintendants preteront serment aux etats,
et les commis ou receveurs aux surinten-
dants , de se comporter dument en Texercice
de leurs fonctions. «
L'article six dispose que les ^tats se ras-
sembleront au premier jourde mars, lors pro-
chain, (( pour voir et ouir le compte desdites
aides, et le produit d'icelles en presence des
gens du conseil du roi : et si les aides du pre-
sent subside ne se trouvoient suffisantes, ils
2l8 ASSEMBLltES NATIONALES
seroient autorises d'augmenter la gabelle et
aide, ainsi que necessite le requerra, ou
pourvoir d'aulre mani^re au paiement des
troupes , sans neanmoins que la voix de
deux ordres puisse lier ou engager le troi-
si^me. ))
' Par les articles suivants, le roi, a louche
quil est des clameurs de son peuple, et de la
grande oppression quil a soufferte , promet
que desormais il fera bonne et forte mon-
noie ;
« Qua I'avenir il ne convoquera I'arriere-
ban que du conseil des etats, et lorsqu'il y
aura urgence ;
« Que les aides cesseront avec I'annee ; et
que, si une nouvelle imposition est neces-
saire , les etats-generaux seront convoques ;
« Qu'en cas de guerre les depenses seront
reglees par deliberation des ^tats, sans que
deux puissent lier le troisi^me ;
(( Qu'il ne fera ni paix ni treve sans le con-
sentement des etats-generaux. »
Le roi s'engage a preter serment, et a le
faire preter par son fils le due de Norma ndie,
et par ses autres enfants; par les seigneurs
DE FRANCE. CHAP. VII. 219
de son ligiiage, par le chancelier, les gens du
conseil, maitres des requetes, officiers du
parlement, tresorier, maitres-gardes , et of-
ficiers des nionnoies, d'executer a jamais le
present reglement. Dans le cas ou il arrive-
roit que quelqu'un deux osat conseiller le
contraire, il sera a I'instant destitue de son
office, et tenu , pour I'avenir, incapable d'en
exercer un autre.
L'ordonnanceajoute que, dans lecas ou le
roi donneroit des ordres contraires aux dis-
positions qu'elle renferme , les deputes char-
ges de son execution sont obliges , sous la foi
de leur serment , de desobeir et de resister
aux violences qui leur seroient faites a cet
egard.
Apr^s avoir pourvu aux besoins de I'armee
et au fait des monnoies, I'ordonnance sup-
prime un genre de vexation qui desoloit
alors , et depuis long-temps , les villes et les
campagnes, etdontl'usageavoitfaitun droit
regulier.
Par une disposition de cette ordonnance,
le roi, tant pour la reine son Spouse, ses en-
fants, les princes de son sang, que pour ses
2 20 ASSEMBLEES NATIONALES
officiers, tels que le connetable, les mare-
chaux, le maitre des arbaletriers, les maitres-
d'liotel, les amiraux, les maitres des garni-
sons, chatelains et capitaines , renonce a
perpetuite au droit usite jusqu'alors de
prendre sur les gens du peuple bleds ^ vins,
vivres , charrettes , chevaux , ou autres choses
quelles quelles soient , se reservant cependant,
lorsqu'il voyageroit, le droit de faire fournir
a ses maitres-d'hotel , par la justice des lieux,
les choses indispensableraent necessaires,
telles que formes , tables, treteaux , couettes ,
coussins, jfeutre ou paille battue, et foins,
ainsi que des voitures pour les porter, en
payant le juste prix desdites fournitures le
jour meme ou le lendemain ; et faute de
paiement, ceux qui les auroient prises de-
voient etre poursuivis pour y satisfaire par-
devantlejug^e des lieux ou le prevotde Paris.
A I'egard de toutes autres personnes, de
quelque qualite qu'elles fussent, qui preten-
droient user dun semblable droit , sa majeste
permit non seulement qu'on put leur resis-
ter par soi-meme, et en appelant a son se-
DE FRANCE. CHAP. VII. 221
coiirs les voisins ct les communes les plus
prochaines, mais encore qu'en cas de vio-
lence on saisit tous ceux qui auroient pris
quelque chose, etqu ils fussent punis comme
voleurs et pertuibateurs du repos public, et
condamnes a la peine du quadruple envers
la partie offensee. Enjoint, sous les peines
les plus sev^res, aux ju^jes de tenir la main
a Fexecution de cet article de Tordonnance.
Pour donner encore plus de vigueur a cette
loi, il fut ajoute que le procureur general
du roi, present et a venir, feroit serment de
poursuivre avec la plus (jrande rigueur tous
ceux qui oseroient y contrevenir, aussitot
qu'il en seroit averti, quand meme il n'y au-
roit aucune plainte formee a ce sujet....
Le roi, par ce meme edit, ordonne que
toute juridiction soit laissee aux juges or-
dinaires, sans que desormais on puisse tra-
duire aucun de ses sujets par-devant ses
maitres-d'hotel , etc
Les capitaines sont rendus responsables
des desordres que leurs gens pourront faire
dans les lieux de leur passage. Les troupes ne
22 2 ASSEMBLEES NATION ALES
peuvent sojourner plus dun jour dans les
villes de leur route ; permis de leur refuser
des vivres au-dela de ce terme, et meme de
les contraindre d'aller en avant.
DE FRANCE. CHAP. VIII. 223
GHAPITRE VIII.
De I'etat de la France et de la disposition des esprits a
I'ouverture des etats-generaux de i356.
S'il est vrai que les lois dun peuplesoient
les temoins les plus fideles des besoins qu'il
a eprouves, des abus qui out pese sur lui, et
des progr^s qu'il a faits dans la civilisation ,
c'est dans les deliberations des e tats-generaux
de i355 que nous devons principalement
clierclier quelle etoit la disposition des es-
prits a I'ouverture des etats de i356. Ces
deliberations sont sanctionn^es par I'ordon-
nance dont I'analyse termine le chapitre
precedent. On y remarque les trois dispo-
sitions suivantes.
L'attention se porte d'abord sur ces mots
qui terminent I'article premier, sans que la
voix de deux des trois etats puisse engager le
troisieme ^ et Ion cherche les motifs d'une
mesure aussi extraordinaire, aussi contraire
aux usages recus dans les assemblees delibe-
224 ASSEMBLIES NATIONALES
rantes. On ne pent pas s'y rneprendre. C'est
dans I'interet du tiers-etat quelle a ete inse-
ree dans I'ordonnance ; c est le tiers-etat qui,
s'elevant tout-a-coup a la hauteur des deux
premiers ordres, I'a exigee comme une ga-
rantie que la noblesse et le clerge ne pour-
roient pas, en se coalisant, porter sur lui
tout le poids des impositions.
La deuxi^me remarque a pour objet les
finances del'etat. Jusqu'alorsles prodigalites
du roi, I'avidite des conrtisans, avoient dissi-
pe, devore les deniers publics. II n'echappoit
a personne que confier aux agents du fisc le
recouvrement et I'emploi du nouvel impot
c'etoit le livrer a une depredation presque
certaine, et par consequent compromettre
I'existence de I'armee. Entraines par des
motifs aussi graves, les etats-generaux de-
mandent que le recouvrement du nouvel
impot soit fait par des commissaires de leur
choix, et que I'armee recoive sa solde des
mains de cesmemes commissaires.
Enfin, et c'est notre derni^re remarque,
le subside nest accorde que pour un an.
Precaution d'une haute politique, que le
DE FRANCE. CHAP. VIII. 22 5
seul instinct de la liberty avoit revelee aux
homraes de ce temps-la, quatre siecles avant
que Montesquieu neut dit(i): «Si la puis-
(tsance legislative statue, non pas d'annc^e
« en annee, mais pour toujours, sur la levee
wdes deniers publics, elle court risque de
(cperdre sa liberte; parceque la puissance
« executrice ne dependra plus d'elle ; et ,
« quand on tient un pareil droit pour tou-
« jours, il est assez indifferent qu on letienne
« de soi ou dun autre. »
Cette conformite entre les actes des ^tats-
j»eneraux de i355, et les doctrines duplus
grand de nos publicistes, est fort remar-
quable. Elle prouve qu'un jour la nation
sera digne d'avoir le gouvernement repre-
sentatif avec tons ses developpements, puis-
que deja elle commencoit a le comprendre.
Gependant le tiers-etat n'avoit encore et^
appele que deux fois a intervenir dans I'ad-
ministration publique, et tneme la memoire
de cette grande innovation sembloit s etre
(i) Esprit des Lois^ liv. XI, rhap. vi.
2 26 ASSEMBLEES NATIONALES
perdue dans la confusion et sous le despo-
tisme des quatie re^jnes qui avoient suivi
celui de Philippe-le-Bel. Mais le mot liberie
avoit retenti dans la nation ; et, malgr^ les
efforts du pouvoir, il setoit conserve dans
les ames.
Le subside n'etant vote que pour un an,
et les besoins de I'armee rendant inevitable
la convocation dune nouvelle assemblee
pour Fannee suivante, un minist^re pre-
voyant et sage auroit senti la n^cessite de
calmer I'irritation qui venoit de se manifes-
ter. Nbn seulement cette n^cessite ne fut
pas sen tie, mais le roi acheva d'aliener les
esprits par une action aussi difficile a conce-*
voir que penible a qualifier. Je laisse k
Froissard le soin den exposer les details ( i ).
wLemardi, apr^sla mi-careme(i355),le
u roi se partit au matin avant le jour de
V Maineville ( bourg a neuf lieues de Rouen)
« tout arme, accompagn^ d'environ cent lan-
«ces, se rendit au chatel de Rouen.... et
(i) Chroniques de Froissard. Appendice , chap. 33 1
DE FRANCE. CHAP. VIlI. 227
M trouva en la salle dudit chatel , assis au
« diner, Charles son ais-ne fils, ducde Nor-
umandie, Charles, roi de Navarre, Jean,
«comte de Harecourt, les seigneurs de
uPreaux, de Graville, de Clerc, et plu-
(tsieurs autres
<(Le roi les fit arrester, et apr^s avoir dine
« il se rendit avec les seigneurs de sa suite h.
It un champ derriere ledit chatel , dit le
« Champ-du-Pardon ; et 1^ furent menes en
« deux charettes , par le commandement du
« roi , ledit comte de Harecourt , le sei-
« gnenr de Graville , monseigneur Maubu^,
u etColinet Doublet; et la furent ledit jour
« les tetes coupees, et puis furent tons quatre
utraines jusqu'au gibet de Rouen, et la fu-
(( rent pendus, et leurs tetes mises au gibet...
« Le roi de Navarre fut envoye prisonnier
« dans un chateau fort. »
Une action aussi violente eut les effets les
plus funestes. Philippe, frere du roi de Na-
varre , et Joffroy , fr^re du comte de Har-
court , qui avoit beaucoup de places en Nor-
mandie,y appel^rent les Anglois. Le comte
d'Erby et le due de Lancastre s'y rendirent
1 5.
228 ASSEMBLKES NATIONALES
a la tete de quatre mille hommes, et com-
menc^rent la guerre.
Pendant quelle ensanglantoit la Norman-
die , le fills aine d'Edouard ravageoit le Poi-
tou. Jean s'y porta a la tete d'une nombreuse
armee , et manoeuvra si heureusement, qu'il
forca les Anglois a prendre une position dont
il leur etoit impossible de sortir. Trop sou-
vent la fortune a tromj>^ la prudence; ici la
temerite deconcerta la fortune. En mainte-
nant cette espece de blocus pendant deux ou
trois jours , le manque absolu de vivres for-
coit I'armee angloise a mettre bas les armes ,
et la livroit a la discretion du roi. Emporte
par un courage aveugle, il livra bataille, la
perdit, et fut fait prisonnier, lui et Philippe ,
son quatri^me fils.
Dans cette fa tale journee la France per-
dit lelite de la chevalerie. Dix-sept comtes et
plus de huit cents barons furent faits prison-
niers(i).
(i) M. Hallam , dans son Histoire du moyendge, torn. I ,
pag. 85, fait sur la bataille de Poitiers les reflexions sui-
rantes :
DE FRANCE. CHAP. VIII. 229
S il avoit et^ possible d'attribuer ce mal-
lieur aux hasards de la (guerre, tout grand
(ju'il etoit , la nation se seroit montr^e plus
grande encore ; et, pour le reparer, fidele a
son caractere, elle auroit genereusement,
et sans le plus leger murmure, souffert les
sacrifices les plus onereux. Mais il etoit ge-
neralement connu que c'etoit le roi qui, par
unaveuglenientinexplicable,etcontreravis
«i C'est a la liberie de notre constitution qu'il faut attri-
« buer le principal honneur de ces victoires , c'est dans la
« condition superieure du peuple anglois qu'on doit en
" rechercher les causes.
« Ce ne fut ni la noblesse d'Angleterre ni ses vassaux
uqui gagnerent les batailles de Creci et de Poitiers. lis
"avoient de dignes rivaux dans les rangs des Francois;
(imais ce furent les yeomen qui tiroient I'abalete d'un
u bras sur et nerveux , qui en avoient appris I'usage dans
tdeurs canipagnes, et qui devoient leur intrepidite au
«i sentiment de leur liberte civile et de leur independance
a personnelle. C'est un fait constant que ces grandes vic-
« toires furent dues a nos archers, tires pour la plupart
"de la classe moyenne du peuple, et attaches, suivant
«le systeme militaire du siecle, aux chevaliers et aux
"ccuyers qui combattoient aver la lance et sous une
" pesante armure. »
23o ASSEMBLlfiES NATION ALES
de ses gen^i aux, avoit voulu livrer la bataille ;
et cette opinion produisoit sur les esprits I'ira-
pression la plus facheuse.
L'anxiete publique etoit encore augmen-
tee par un incident que personne n'avoit pu
pr^voir. Le due de Normandie, fils aine du
roi, alors age de dix-sept ans, entraine par
ses gouverneurs, avoit quitte le champ de
bataille apr^s le commencement de Faction.
Cette retraite etoit regardee comme le pre-
sage dun gouvernement foible ; et les esprits
les plus calmes ne purent se defendre dun
sentiment d'effroi en pensant que ce jeune
prince, en qui rien encore ne r^veloit Cliar-
les-le-Sage, devenoit, par la prison du roi,
Farbitre des destinees de la France.
Enfin un luxe effrene , qui s'empara tout-
a-coup de la noblesse , aclieva de porter la
corruption dans les moeurs, et le d^sordre
dans les fortunes, u 11 sembloit, dit Mezerai ,
u que la noblesse et la gendarmerie triom-
« plioient des miseres des pauvres gens. Le
uluxe, qui le croiroit? naquit de la desola-
ution. Les gentilshommes qui avoient tou-
« jours ^te fort modestes en habits, commen-
DE FRANCE. CHAP. VIII. 281
« Cerent a se parer de pierreries, de perles,
« et de babioles , comme des femmes ; a por-
(t ter sur leur bonnet des bouquets de plu-
(( mes, marque de leur leg^ret^, et a s'adon-
« ner passionnement au jeu, h. celui des dez
(( toute la nuit, a celui de la paulme tout
« le jour. »
Tels etoient I'^tat de la France et la disposi-
tion des esprits a Fouverture des ^tats-g^ne-
raux de 1 356. On pressent deja que leurs
deliberations porteront I'empreinte de la dif-
ficulte des circon stances.
232 ASSEMBLEES NATION ALES
CHAPITRE IX.
Etats-generaux de i356.
La France avoit perdu son roi , ses braves,
et ses finances. Elie ^toit envahie par une
armee yictorieuse, et les renes de I'^tat
flottoient dans les mains inexperimentees
dun jeune prince dont les precedents inspi-
roient peu de confiance. Depuis ravenement
de Hugues-Capet la nation ne setoit pas
trouv^e dans des circonstances aussi desas-
treuses. Pour en triompher le concours de
toutes ses forces morales et materielles etoil
necessaire. Le due de Normandie(i) le com-
prit , et les etats-generaux de la Lanf^^uedoyl
furent convoques a Paris pour le i5 octo-
bre 1 356.
(i) Charles ne portoit alors que le litre de due de Nor-
niandie; il ne prit que plus tard celui de regent du
royaume.
DE FHAINGE. CHAP. IX. 233
II falloit pourvoir au gouvernement dii
royaume pendant la prison du roi. 11 felloit
improviser une armee, et sur-tout pourvoir
a ce queles subsides leves pour son entretien
ne fussent pas detournes de leur destination,
comme cela n'etoit arrive que trop souvent
depuis le commencement des hostilites. En
dernier resultat, il s'agissoit de conserver la
dynasde et de sauver la nation.
Des interets dune si haute importance ne
pouvoient manquer d'agir puissamment sur
les esprits ; aussi les trois ordres s'empressfe-
rent-ils de deputer aux etats les homines les
plus dignes de cette honorable et p^nible
mission , et jamais assemblee nationale en
France ne fut plus solennelle.
Nous lisons dans le proces- verbal de cette
assemblee : « L'etat du clerge etoit compose
ud'archeveques, eveques, et de sages pro-
« cureurs des eveques absents , d'abbes mit-
« tres et autres , et de procureurs des absents,
« de procureurs des chapitres, doyens et ar-
te chidiacres, dont plusieurs etoient mattres
« en divinitc (ou en theologie) et en decret ,
« et seigneurs en lois.
2 34 ASSEMBLIES NATIONALES
« L'etat des nobles etoit compost de plu-
« sieiirs de nos seigneurs des fleiirs de lys,
wducs, comtes, barons, et chevaliers, etc. ;
((du nombre desquels etoient M. le duo
((d'Orleans, M. deBretaigne, M. d'Alencon,
((M. d'Estampes, M. de Saint-Pol, M. de
(( Roussi , etc. Lesquels faisoient parler M. de
((Bretaigne au nom de tous les nobles.
(( L'etat des bonnes villes etoit compost de
((deux maitres en divinite, et de bourgeois
(ttres sages et notables homnies, en nombre
(( de plus de quatre cents. »
Le i5 octobre, disent les Chroniques de
Saint-Denis J les deputes s'assemblerent en
la chambre du parlement; cetla, en pre-
(t sence du due de Normandie, Pierre de La
(( Foret, archeveque de Rouen et chancelier
((de France, exposa, en la presence desdits
« trois etats, dont dessus est fait mention , la
((prinse du roi, et comment il s'etoit vail-
(( lamtnent combattu de sa propre main : et
(( nonobstant ce, avoit ^te prins par grande
(( infortunit^ ; et leur raontra combien cha-
(( cun devoit mettre peine a la d^livrance du
u roi ; et apr^s leur requit, de par monseigneur
DE FRANCE. CHAP. IX. 235
«le due, conseil comment le roi pourroit
(' etre d^livre , et aussi de gouverner les
«giierres, et aider a ce faire; lesquels des
('. trois etats, c'est a savoir: les (jens d'ej^Iise
« repondirent par la bouclie de monseigneur
(( Jehan de Craon , archeveque de Rheims;
ules nobles, par la bouclie de monseigneur
u Philippe , due d'Orleans, et fr^re-gerraain
(( du roi ; et les gens des bonnes \ illes , par la
((bouclie d'Etienne Marcel, bourgeois de
(( Paris, etalors pr^vot des marchands: qu'ils
(( vouloient faire tout ce qu'ils pourroient
(caux fins dessus dites, et requierent delai
(( pour eux assembler, et parler ensemble sur
(des choses dessus dites, lequel leur fut
((donne, etfurent ordonnes par ledit mon-
« seigneur le due de Normandie , plusieurs
((des conseillers du roi, pour aller au cha-
(( teau desdits trois etats. Et quand ils eurent
(( ete par deux jours , on leur fit dire que
(desdits trois etats ne besoigneroient point
(( tan t que les gens du conseil du roi y fussent
((presents.))
Ges pr^liminaires accomplis, les etats
s'occupferent de I'objet de leur convocation.
236 ASSEMBLl^ES NATION ALES
Get objet n'etoit pas facile ci remplir. Tout
etoit dans la confusion ; et de cette espece
de chaos il falloit faire sortir une armee for-
midable, etun gouvernement regulier,
Une assemblee composee de plus de liuit
cents personnes ne seroit jamais parvenue a
s'entendre. On prit un parti fort sage. Une
commission composee de trente-six mem-
bres, dont douze clioisis dans chacun des
trois ordres, fut chargee de rediger un pro-
jet de deliberation qui presenteroit les me-
sures qu'il convenoit de prendre pour la
delivrance du roi, pour la defense del'etat,
pour le reglement des finances, pour la
reformation des abiis dans toutes les parties
de I'administration , enfin pour eloigner du
due de Normandie les conseillers auxquels
la nation attribuoit ses malheurs.
On s'est beaucoup eleve centre cette com-
mission ; on a dit: Les etats n'avoient a sW-
cuper que de la defense du royaume et de
la delivrance du roi. Leur convocation n'a-
voit pas d'autre objet. Tout ce qu'ils onl
fait au-dela les constitue done en etat de
revoke centre I'autorite royale ; et les inves-
DE FRANCE, CHAP. IX. 287
ligations que la commission a ordonnees sur
lemploi des finances, sur les abus de Tad-
ministration, sur les prevarications impu-
tees aiix conseillers de la couronne, sont
autant d'actes de rebellion.
Mais d'abord le chancelier de France
dans son discours d'ouverture avoit dit aux
^tats qu'ils etoient requis de par monsei-
gneur le due de lui donner aide et conseil.
Ainsi le prince demandoit tout ci-la-fois
des subsides et des conseils. II nest done pas
vrai de dire que les etats n'etoient reunis
que pour voter un impot.
En second lieu, Tarm^e que Ton alloit
mettre sur pied ^toit la derniere ressource
de la France. Mai payee, elle auroit mal
servi; et depuis le commencement de la
guerre , les prodigalites du roi , I'avidite des
courtisans, avoient absorbe, au moins en
grande partie, les sommes destinees a la
solde des troupes. Ge fait etoit uotoire; les
etats -generaux de Tannee precedente Ta-
voientsolennellementproclame;et la France
tout enti^re attribuoit a ces dissipations les
desastres dont elie etoit la victime. Entrat-
238 ASSEMBLIES NATIONALES
nes par cette opinion , qui malheureusement
n'etoit que trop fondee, les etals n'etoient-
ils pas, en quelque sorte , autorises a penser
que, pour cette fois, et par la force des cir-
constances, la mission d'ordonner la levee
dun impot emportoit implicitement celle
d'en surveiller I'eraploi?
Les circonstances exigeoient des sacrifices
tels, qu'un gouvernement investi de la con-
fiance generate pouvoit seul les obtenir; et
cette confiance, les ministres d'alors etoient
loin de la posseder. Leur destitution se
trouvoit done intiinenient liee a la defense
de Fetat.
Enfin les commissaires demandoient que
les ministres fussent juges sur les chefs d'ac-
cusation qu'ils produiroient contre eux , pour
les punir s'ils etoient coupables : se soumet-
tant a perdre tons leurs biens et a etre de-
clares pour jamais incapables de posseder
aucunes charges s'ils Etoient juges inno-
cents (i).
(i) Ordonnances du Louvre^ tome III ; preface , pages 5i
et 5^.
DE FRANCE. CHAP. IX. 289
Au surplus, voici les principaux articles
de la deliberation prise par cette commis-
sion. On y verra 1 esprit qui Tanimoit, beau-r
coup mieux que dans tout ce que Ips histo-
riens en ont ^crit.
Par cette deliberation , les trois ^tats don-
nent conseil a M. le due de Normandie:
« Qu'il ecoute Dieu , qu'il le craigne et I'ho-
nore, lui et ses ministres, qu'il garde ses
commandements, et quil fasse bonne jus*
tice au royaume, tant du grand comme du
petit;
« Qu'il eiise , par le conseil des trois ^tats ,
anciens, grands, sages et notables du clerge,
des nobles et bourgeois , anciens , loyaux et
meurs qui continuellement pr^s de Iqi fus-
sent, et par qui il se conseillat, et que rien
])ar les jeunes, simples et ignorants du fait
du gouvernement du royaume et de justice,
il ne ordonnat(i);
(i) Pour comprendre cet article, il faut se rappeler
qu'a cette epoque la majorite des rois etoit a vingt et un
ans; que Charles en avoit a peine dix-neuf, et que par
consequent c'etoit le cas de nommer un conseil de re-
gence.
•2 4o ASSEMBLEES NATION ALES
« Qu il revoque les alienations des domai-
nes, a I'exception de celles faites aux eglises ,
aux princes du sangf, et a des hommes qui
auroient rendu de grands services a letat*,
« Qu'il reduise a six le nombre des maitres
des requetes', et qu'il ne confere ces places
qua des hommes dune grande sagesse, ex-
perience , et murete ;
<( Que des trois etats M. le due elise certain
nombre de personnes notables, puissants,
sages, prud'hommes, et loyaux, en tel nom-
bre que bon lui sembleroit, qui fussent resi-
dents a Paris, pour le grand et secret con-
seil , et que eux fussent unis et etablis par
M. le due, souverain de tons les officiers du
royaume de France
«EtleurfutenjointparM.leduc,parser-
ment, que principalement et deligemment
ils s'entendroient sur le gouvernement du
royaume et de la chose publique, et non
pas a leur profit singulier, ne h. leurs amis ;
et tons les jours qu'ils defaudroient d'etre
au conseil, si justes causes et legitimes n'a-
voient, ils perdroient les gages de la jour-
nee, et par ordonnance de M. le due leur
DE FRANCE. CHAP. IX. 24 1
seroit donn^ gages tels que M. le due verroit
que bon seroit ;
wQu'il ne nomme aucuns officiers, si ce
n'est apr^s grande et mure deliberation de
son conseil, pourvoyant aux offices et non
aux personnes ;
« Que aucuns qui notoirement ont eu le
gouvernement du royaume, du temps du
roi notre sire, et qui tr^s mauvaisement,
desordonnement et non profitablement ont
encore ledit gouvernement au tr^s grand
dommage du roi , du royaume , et des su jets ,
si comme dessus est dit, desquels aucuns
ont ete nommes a M. le due , soient otes per-
petuellement de tous offices royaux; car no-
toirement il appert de leur desordonn^ et
mauvais gouvernement et conseil, et que
par leur fait et coulpe damnable, plusieurs
griefs, doulours, et dommages sont avenus
au roi notre sire, au royaume et aux sujets,
et aussi par leur evidente negligence (i). »
(i) Les conseillers de la couronne signales par les
etats , et dont ils demandoient la destitution , sont nom-
i6
242 ASSEMBLIES NATION ALES
La commission, s'occupant ensuite de la
composition de I'armee, arrete qu'il sera fait
une levee de ti ente mille hommes d'armes ;
que pour subvenir a son entretien les eccle-
siastiques et les nobles paieront un dixi^me
et demi de leurs revenus, et que chaque
commune entretiendra un liomme d'armes
par cent feux. La deliberation ajoute: wet
toutes lesquelles aides levees et distribuees
par ceux qui seront a ce commis par les trois
etats, et autorises par M. le due ( i). »
Les trois ordres setant reunis pour en-
tendre la lecture de cette deliberation , Fap-
prouverent iinanimement ; et il fut arrete
quelle seroit presentee a M. le due de Nor-
mandie.
mes ailleurs. Ilsetoient au nombre de vingt-deux; savoir,
le chancelier, le premier president du parlement, le
souverain maitre des monnoies , etc.
(i) Nous trouvons une resolution semblable dans les
fastes du parlement d'Angleterre. On y voit que dans la
sixieme annee du regne de Henri IV les communes ac-
corderent un subside au roi , et qu'elles nommerent un
tresorier pour veiller a I'emploi de cet argent, selon sa
destination.
DE FRANCE. CHAP. IX. 2^'i
II paroit que I'intention des ^tats <5toit que
ces remon trances fussenttenues secretes. En
efFet nous lisons dans la Chronique de Saint-
Denis: «Les elus des trois ^tats firent dire
« a monseigneur le due de Normandie qu'ils
«parleroient volontiers a lui secretement,
« et pour ce alia leditduc, lui sixi^me tout
« seulement, auxdits fr^res mineurs par-de-
« vers lesdits ^lus , lesquels lui dirent qu'ils
(( ^toient tous d'un accord. Si requi^rent ^
r( monseigneur le due qu'il voulut tenir se-
(f cret tout ce qu'ils lui diroient pour le sau-
« vement du royaume, lequel monseigneur
« le due r^pondit qu'il ne juroit pas, et pour
« ce , ne laiss^rent mie qu'ils ne lui dissent
« les choses des susdites. »
Ces remontrances jet^rent la cour dans
la consternation et I'effroi. Les ministres y
virent le renversement de la monarchic, et
proposerent de dissoudre les etats. G'^toit
risquer de tout perdre, puisque rien encore
n'etoit arrete pour la defense du royaume.
Cette consideration n'arreta pas les con-
seillers du jeune prince. Apr^s plusieurs de-
liberations, il fut arrete quele prince, usant
i6.
244 ASSEMBLEES NATIONALES
de dissimulation, feroit savoir aux deputes
que le lundi, veille de la Toussaint, il se
rendroit au parlement, et que la il donne-
roit une declaration conforme aux remon-
trances arretees par les etats.
Le lundi , jour indique , les deputes se ren-
dirent au parlement; Farrivee du prince fit
^vanouir les esperances qu'il avoit donnees.
11 declara qu'avant de prendre une resolu-
tion definitive, il vouloit connoitre les in-
tentions du roi son p^re, et avoir la vis de
I'empereur Charles IV, son oncle, et il
ajourna I'assemblee au jeudi suivant. Le
surlendemain le prince manda plusieurs de-
putes et leur dit qu'ils eussent a se retirer
jusqu'a nouvel ordre; qu'il les manderoit
lorsqu'il le jugeroit a propos.
En consequence les deputes se separ^rent ,
et dans le double but de justifier leurs in-
tentions et d'accuser celles des ministres,
chacun d'eux reporta et diss^mina dans sa
province des copies du projet de remon-
trances dontje viens de rappeler les princi-
pales dispositions.
La dissolution des ^tats eut lieu le 2 no-
DE FRANCE. CHAP. IX. 245
vembre, dix-sept jours apr^s Fouverture des
stances. Elle fit sur la nation enti^re I'im-
pression la plus facheuse. Nous en expose-
rons les consequences dans le chapitre sui-
vant.
246 ASSEMBLIES NATIONALES
GHAPITRE X.
Suite des etats-generaux de i356.
La dissolution des^tats prononcee, comrae
on vient de le voir, au moment ou I'assem-
blee etoit sur le point de decreter la forma-
tion d\ine armee, et den voter la solde,
porta la fermentation des esprits a son com-
ble, jeta la France dans des malheurs qui se
prolong^rent pendant le cours des deux an-
nees suivantes, et dont on ne trouve aucun
exemple dans les fastes des nations.
Immediateraent apres la separation des
deputes, le due de Normandie alia, comme
il en avoit pris I'engagement , consulter I'em-
pereur son oncle qui etoit alors a Metz ( i ) ;
(i) Get eiTipereur etoit cc nieme Charles IV qui eut la
foiblesse de signer un traite par lequel il s'engageoit «'i
n'entrer dans Rome que le jour de son couronnement,
encore sous la condition liumiliante d'en sortir le nieme
jour, et de n'y rentrer jamais sans la permission du pape.
DE FRANCE. CHAP. X. 247
mais il manquoit d'argent. Pour sen procu-
rer, il imagina d'alt^rer la monnoie; et, par
nn ^dit qu'il chargea son frfere , le due d'An-
jou, de publier en son absence, il ordonna
la fabrication de nouvelles especes.
Cette publication excita dans Paris un
soulevement general. Le prevot des mar-
chands , homme turbulent et audacieux, (jui
ne recula jamais devant une action crimi-
nelle, etqu'une eloquence populaire rendoit
I'idole de la multitude , comprit que le mo-
ment etoit arrive de donner Tessor a son
ambition. Suivi d'une foule ^garee, il se
rendit aupres du due d'Anjou , et lui deman-
da la revocation de Tedit. Le prince, voulant
gajjner du temps, ajourna sa reponse. Le
lendemain Marcel, a la tete dune troupe
armee , exif^ea ce qu il avoit demande la
Cette conduite dans un prince qui portoit la couronne
de Charlemagne I'avoit rendu ridicule auxyeuxde toute
I'Europe. On I'appeloit communement I'enipereur des
pretres. Un pareil empereur etoit loin d'avoir les qualites
necessaires pour diriger le due de Norniandie dans des
circonstances aussi difficiles.
248 ASSEMBLIES NATIONALES
veille, et Fexecution de I'edit fut suspen-
due.
De retoiir a Paris, le due de Normandie,
effraye des desordres qui avoieut eu lieu
pendant son absence, entra en negociation
avec le prevot des marchands. Une confe-
rence fut arretee entre cet insolent ma-
jyistrat et des commissaires nommes par le
prince. Marcel s'y rendit dans I'appareil le
plus menacant. j\on seulement il rejeta
toutes les propositions qui lui furent faites,
niais au sorlir de la conference il souleva la
populace, fit fermer les boutiques, cesser le
travail des ouvriers, et ordonna aux bour-
geois de prendre les armes.
Le due, sans moyens de resistance, se
rendit le lendemain au palais, et la, en pre-
sence des chefs de la sedition, il declara
qu'il pardonnoit tout ce qui avoit ete fait
contre son autorite , et particuli^rement les
troubles de la veille ; enfin il donna I'assu-
rance qu'il ne seroit plus question de la
nouvelle monnoie.
Tels ^toient I'aveuglement du peuple et
I'audace des factieux, que ces concessions,
DE FRANCE. CHAP. X. 249
loin de les satisfaire, augment^rent leur
insolence, et les desordres continu^rent.
II ne restoit plus a I'autorite meconnue
qu'un moyen de salut, c'etoit de rappeler
ces memes ^tats-generaux que Ton avoit si
imprudemment congedi^s. lis furent con-
voques pour le 5 fevrier suivant.
Un minist^re sage, et qui auroit senti les
difficultes de sa position, se seroit retire. II
en futautrement. Les deputes retrouv^rent
en place ces memes ministres qui venoient
de les renvoyer dans leurs foyers d'une ma-
ni^re si brusque et si humiliante. II arriva
ce qu'il eut ete facile de prevoir. A I'esprit
de reforme, qui dans la precedente session
avoit anim^ les deputes , se joignit le desir de
la vengeance; et cette assemblee , derniere
ressource de I'autorite chancelante, acheva
de la renverser. Ge quelle n'avoit propos^
trois mois auparavant que comme un voeu,
elle I'imposa comme un ordre. Pr^c^dem-
ment elle avoit demande que le conseil de
la couronne fut compose de vingt-huit de ses
membres, an choix du prince; aujourd'liui
elle en choisit elle-meme trente-six, aux-
2 5o ASSEMBLIES NATIONALES
quels de son aiitoiite seule elle conf^re le
gouvernement de letat, et specialement I'ad-
minislration des finances (i).
La souverainete se trouvoit ainsi placee
dans la commission ; et si la nation etoit en-
core avertie quelle avoit un roi, ce n etoit
plus qua des intervalles eloignes, et uni-
quement parceque les lois etoient publiees
sous son nom (2).
Mais ce ne fut que le troisieme jour du
(1) IjCS Chroniques de Froissard, chapitres 872 et SyS,
parlent de cette commission; voici I'ide'e qu'elles nous
en donnent. « Si se accorderent que les prelats elirent
douze personnes bonnes et sages entre eux , qui auroient
pouvoir de par eux et de par le clerge de ordonner et
aviser voies convenables pour faire ce que dessus est dit.
Les barons et les chevaliers ainsi elirent douze autres
chevaliers entre eux, les plus sages et les plus discrets,
pour entendre a ces besognes ; et les bourgeois douze en
telle maniere. Ainsi iut confirme et accorde de commun
accord : lesquelles trentc-six personnes devoient etre
moult souvent a Paris ensemble, et la parler et ordonner
des besognes du royaume. Et toutes manieres de choses
se devoient deporter par ces trois etats. »
(2) Pour etre juste, je dois dire que les etats Hrent pu-
blier uneordonnance qui renfernioit des dispositions fort
DE FRANCE. CHAP. X. 25 1
mois de mars que le due de Normandie eon-
nut toute letendue des sacrifices que Ton
exigeoit de lui. Les ^tats etoient reunis dans
la chambre du parlement; le prince s'y ren-
dit, et la, en presence du due d'Anjou et du
comte de Poitiers, ses fr^res, et dun grand
concours de nobles et gens des bonnes villes
en si grand nombre, disent les historiens,
que la chambre en etoit pleine, Robert le
Goq, eveque de Laon, lui notifia les inten-
sages ; elles portoient : « Les dons excessifs du domaine
de I'etat sont revoques.
"On n'accordera plus de pardons ni de remissions a ceux
qui auront commis des meurtres de guet-apens, k ceux
qui auront enleve ou viole des filles ou des femmes, aux
incendiaires , a ceux qui n'auront pas observe les treves
ou paix faites dans le cas de guerres privees , aux infrac-
teurs des sauves-gardes.
(iTous les juges rendront bonne et brieve justice. Comme
il y a devant les gens du parlement plusieurs proces en
etat d'etre juges , et dont le jugement a ete retarde par la
faute des presidents, les gens du parlement, et ceux de
la chambre des enquetes s'assembleront tous les jours ,
dans cette chambre, a I'hcure du soleil levant, pour tra-
vailler a ces proces, jusqu'a ce qu'ils soient tous juges.
lis se partageront en deux chanibres , dont Tune jugera
252 ASSEMBLIES NATIONALES
tions ou plutot les ordres de Fassembl^e.
Voici quelques fragments du discours
prononce par cet insolent prelat. Je copie
la Chronique de Saint-Denis. Nous y lisons :
(( Ledit eveque coramenca par exposer que
le royaume de France avoit et^ au temps
passe mal gouverne , que le peuple avoit ^te
moult vexe par les officiers du roi , que les
grandes sommes de deniers levees sur la
nation avoient ete mal administrees, dont
grandes sommes avoient ete donnees par
les proees de rapport , et i'autre ceux qui seront portes k
I'audience.
« Les offices de justice ne seront plus dans la suite ven-
dus ni affermes, mais ils seront donnes en garde, et nul
ne pourra etre juge dans le pays dans lequel il est ne, ou
dans celui dans lequel il demeure.
« On ne pourra faire de compositions (accommode-
ments ) sur les crimes.
a Les proees seront jugessuivant le role des presenta-
tions.
« Les commissaires du parlementne pourront prendre
que quarante sols par jour pour eux et pour leurs clercs.
« Cette ordonnance sera publiee et enregistree au par-
lement.
" Les gens de la chambre des comptes y viendront a
DE FRANCE. CHAP. X. 253
plusieurs fois a plusieurs personnes qui en
avoient mal use ; et toutes ces clioses avoient
^t^ faites, si com me disoit ledit eveque, par
le conseil des dessus nomm^s chanceliers et
autres qui avoient gouverne le roi et le
royaume au temps passe; et dit lors encore
ledit eveque que le peuple ne pouvoit plus
souffrir ces choses , et pour ce avoient deli-
b^re ensemble que les dessus nommes offi-
ciers et autres qu'ils nomm^rent au nombre
devingt-deux,fussentprivesdeleurscharges.
« Requit aussi ledit eveque de Laon , que
tous les officiers du royaume de France
I'heure du soleil levant , et y expedieront promptement
les affaires , sans s'entreraettre de cognoissance de cause
aucune.
« II sera fait une ordonnance qui reglera le nombre des
officiers du parlement et des autres officiers.
« Le prevot de Paris , privativement k tout autre juge
connoitra de I'execution des actes scelles du seel du Chi-
telet, si le creancier le veut.
« Le parlement ne pourra attirer par-devers lui les af-
faires ordinaires qui sont de la competence du prev6t de
Paris.
"Les senechaux, baillis,et vicomtes, n'attireront point
a eux les affaires qui sont de la competence des prev6ts.»
2 54 ASSEMBLEE8 RATIONALES
fussent suspendus, et que plusieurs refor-
mateurs fussent donnas, lesquels seroient
nommes par lesdits trois ^tats, qui auroient
la cognoissance de tout ce que on voudroit
demander aux dessus nommes, et centre
iceux dire et proposer.
((Dit encore ledit eveque de Laon que
bonne monnoye courut, telle que lesdits
trois etats I'ordonneroient (i). «
Et plusieurs requetes fit lors un cheva-
lier, appele messire Jean de Pequigni , et, au
nom des nobles, avoua ledit eveque j un avo-
cat de Baville, appele Nicolas le Clianteur,
et Marcel prevot des marchands de Paris,
en firent de meme au nom du tiers-etat.
Le due de Normandie, dans I'impuis-
sance de resister efficacemtuit, souscrivit a
tout, et sanctionna toutes les resolutions qui
lui furent presentees.
(i) Robert-le-Coq,originaired'Oileans, etoit ne a Mont-
Didier de parents consideres dans la bourgeoisie , avoit
ete d'abord avocat au parlement de Paris , puis maitre des
requetes, ensuite chanoine et grand chantre du chapitre
d'Aniiens, enfin eveque de Laon en i35i.
DE FRANCE. CHAP. X. 2 55
Celle concernant les tribunaux ne tarda
|)as a recevoir son execution. Le cours de
la justice fut suspendu dans Paris pendant
quatorze jours, plus ou moins long^-temps
dans les autres parties du royaume, et les
reformateurs nommes par les etats, faisant
ce qvie de nos jours on a appele une epura-
tion , reduisirent a seize le nombre des ma-
f]fistratsdu parlement, destituerent tousceux
de la chambre des comptes, et leur ensubsti-
tu^rent quatre de leur choix.
Quant aux ministres, ils se derob^rent
j)ar la fuite aux poursuites dont ils etoienl
menaces. •
Cependant, au milieu de ce desordre, la
defense du royaume et la delivrance du roi
ne furent pas neg^lijyees. Les etats arret^rent
qu'il seroit fait une levee de trente mille
hommes d'armes ( i ) ; et pour subvenir a I'en-
tretien de cette arm^e , ils ordonnerent que
(i) Un homme d'armes avoit toujours a sa suite au
moins trois personnes ; savoir , un ecuyer, un page , et un
gendarme. Ainsi trente mille hommes d'armes formoient
une arniee de cent vingt mille combattants.
256 ASSEMBLIES NATIONALES
les gens d'^glise et les nobles paieroient un
dixi^me et demi de tons leurs revenus, c'est
a savoir, de cent livres de terre quinze li-
vres; et que les gens des bonnes villes fe-
roient pour cent feux un homme d'armes,
dont la solde seroit d'un demi-ecu par jour.
« Lesquels subsides , ajoute la deliberation,
« seront leves par ceux que les etats ordon-
« neront. m
Une treve de deux ans , qui fut alors con-
clue i Bordeaux, ajourna I'execution de ces
pr^paratifs ; et le prince , n'ayant plus besoin
des etats-g^neraux , en ordonna la cloture.
Mais en quittant Paris , les deputes y lais-
soient la commission qu'ils y avoient eta-
blie ; et I'autorite du roi continua d'etre m^-
connue.
Gette commission qui ne devoit son exis-
tence qu'a la force, qui ne pouvoit se main-
tenir que par elle, en abusa tellement, que
le peuple reconnut enfin que la monarcliie
la plus absolue est encore plus supportable
que le joug des factieux ; et les regards com-
menc^rent a se tourner vers la couronne.
La plupart des commissaires , voyant le pou-
DE FRANCE. CHAP. X. 267
voir echapper de leurs mains, se retire-
rent; I'eveque de Laon lui-meme retourna
dans son diocese , et Marcel effraye de son
isolement se rapprocha du due de Nor-
mandie.
Le calme se retablissoit; il fut trouble par
deux evenements que personne n'avoit pu
pr^voir.
Le roi de Navarre , si j ustement surnomme
le Mauvais, s'echappa de sa prison, se ren-
dit a Paris, rallia les factieux, et releva F^-
tendard de la revoke.
L'autre ^venement amena le fanatisme
sur cette sc^ne deplorable. Un miserable
assassina Jean Baillet, tr^sorier du due de
Normandie, en plein jour, dans la rue Saint-
Merry, et se refugia dans leglise du meme
nom. Le due de Normandie commanda au
marechal de Clermont et k Jean de Chalons,
senechal de Champagne , de livrer ce scele-
rat au prevotde Paris. L'ordre fut execute,
et d^s le lendemain I'assassin fut pendu.
Mais il avoit fallu briser les portes de 1'^-
fflise, et le clerge avoit vu dans cet acte de
n
258 ASSEMBLl^ES NATION ALES
justice une violation de ses privileges. 11 les
defendit avec ses armes ordinaires. II cria au
sacrilege, a I'impiet^. Ces cris ne furent que
trop bien entendus. Le peuple , stupidement
superstitieux parceque son ignorance etoit
extreme, se porta sur le lieu de lex^cution,
detacha le corps de la potence, et le remit
entre les mains du clerge, qui lui fitun ser-
vice solennel , des obseques honorables , et
r^veque de Paris excommunia les auteurs
de ce pr^tendu sacrilege ( i ).
Ces auteurs n etoient pas d^sign^s nomi-
nativement, mais Marcel ne s'y meprit pas.
Heureux de pouvoir, sous un pretexte reli-
gieux, porter une nouvelle atteinte a I'auto-
rite du due de Normandie, il fit armer les
artisans , se mit a leur tete ; et d'abord pour
les familiariser avec I'efFusion du sang, il
(i) « Les eglises , dit Mezerai , estoient alors des azyles
« inviolables ; le clerge et le peuple s'eschaufferent de ce
w qu'on avoit arrache un criminel du pied des autels, et
<i I'evesque de Paris excOTnmunia ceux qui avoient com-
« mis cet attentat. » ( Abregi de CHistoire de France , an-
nee i358.)
DE FRANCE. CHAP. X. 269
leur donna I'ordre d'assassiner Regnaut
d'Acy, avocat au parlement, quil apercul
sortant du Palais de justice. Get ordre f'ut
execute sur-le-champ. Sur alors des dispo-
sitions de sa troupe, Marcel se dirigea vers
le Louvre, et, suivi de ces forcen^s, il entra
dans la chambre du due de Normandie,
quil trouva environne dune cour nombreu-
se , dont faisoient partie le raarechal de Cler-
mont et le senechal de Champagne. Sire, dit
Marcel , ne vous esbahisses de choses que vous
voyeSy car il est ordonne et convient qu'il soit
ainsi. Se tournant ensuite vers ses gens:
Allans , cor\X\n\i3i-X.-\\ ^ faites en hrefce pour-
quoi vous etes venus ici.
A peine a-t-il parl^ que les scelerats se
jettent sur le mar^chal de Clermont, sur
le senechal de Champagne , et les massacrent.
Le second etoit si pr^s du prince que son
sang rejaillit sur lui.
Ce grand crime demeura impuni. Cela
seul nous revele I'etat de la capitale. •
Dans les autres villes, merae esprit d5 t*e-
bellion. Les plus considerables se donn^ront
1 '".
26o ASSEMBLEES NATIONALES
des chefs et des lois, organis^rent une force
armee, s'environn^rent de fortifications, et
se constitu^rent en cites souveraines.
Pendant que dans ces villes I'anarchie le-
voit sa tete hideuse , des d^sordres d'un autre
genre desoloient les villages. Gette treve
dont nous venons de parler laissoit I'armee
dans Finaction. Les soldats , sans disci-
pline et sans paye, se r^pandirent dans les
campagnes; les vagabonds, les gens sans
aveu, sans moyens de subsistance, se joi-
gnirent a eux, et tous dissemines sur les
differents points du royaume port^rent,
par-tout oil ils purent p^netrer, le pillage,
la desolation, et la luine. Comine il n'y avoit
de siirete que dans les villes, tous ceux qui
joiiissoient de quelque aisance s'y retir^rent,
et le pauvre peiiple, sans armes, sans guides,
sans moyens de resistance, resta seul ex-
pose aux fureuis de ces brigands.
La ne finit pas ce drame deplorable. La
sc^ne la plus sanglante va frapper nos re-
gards epouvantes.
Ce peuple, qui depuis si long-temps trai-
DE FRANCE. CHAP. X. 26 1
noit sa penible existence dans la servitude
\a. plus humiliante, et qui sembloit avoir
|)erdu jusqu'au sentiment de sa degradation
et de ses mis^res ; ce peuple, exaspere tout
a-la-f'ois par ce qu'il souffre et par le souve-
nir de ce qu'il a souffert, se le ve tout-^-coup ,
et puisant dans son desespoir un courage
feroce, il se precipite sur les nobles, brule
leurs chateaux, d^shonore leurs femmes et
leurs filles, les poursuit jusque dans les fo-
rets comme des betes fauves, et livre ceux
qui tombent entre ses mains aux tour-
ments les plus affreux. On fr^mit, et le livre
echappe des mains , lorsqu'on lit dans les an-
ciennes chroniques que ces furieux, trans-
formes en betes f(^roces, entr^rent dans le
chateau d'un chevalier, I'attach^rent a un
poteau, firent en sa presence les derniers
outrages a sa femme et a sa fille, Fembro-
ch^rentensuite,le firent rotir, forc^rent ses
enfants et son epouse a manger de sa chair,
et terrain^rent cette horrible sc^ne par le
massacre de cette malheureuse famille, et
1 incendie de sa maison.
262 ASSEMBLIES NATION ALES
Interroffes sur les motifs de leur conduite,
ils repondoient , dit Froissard , quih ne sca-
voient, mais quilsfaisoient ainsi quilsvoyoient
faire les autres , et pensoient quils dussent en
telle inaniere detruire tons les nobles etgentils-
hommes du monde.
Neuf mille de ces brigands se porterent
sur la ville de Meaux, 011 la dauphine et plus
de trois cents femmes de qualite etoient re-
fugiees. Ces furieux etoient sur le point de
se rendre mattres de leurs personnes, lorsque
le Gaptal de Buclie, quoique au service du
roi d'Angleterre, accourut a leur secours ,
baltit les paysans, et en fit un carnage ef-
froyable.
Gette troupe augmentant a mesure qu'elle
s'avancoit se trouva bientot monter a plus
de cent mille lioinmes, qui porterent succes-
sivementdans les differentes provinces le fer
et la flamme , la lionte et la mort.
Les nobles se reunirent enfin; des cheva-
liers du Hainaut, de Flandre, du Brabant,
et de Boheme, vinrent se joindre a eux.
Assez forte pour prendre folfensive, cettc
DE FRANCE. CHAP. X. 263
armee se mit ci la poursuite des pay sans, en
extermina une partie , et contraignit les au-
tres a rentrer dans leurs foyers.
Telles furent les deplorables suites des
etats de i356. Sous de si grands malheurs il
y a sans doute une grande lecon. Nous nous
en occuperons dans le chapitre suivant.
264 assembliSes nationales
GHAPITRE XL
Observations sur les etats-generaux de i356.
Tout ce qui compromet I'autorite royale
offre aux conseillers de la coui onne un grand
sujet de fneditation, et leur impose deux
grands devoirs, r^priraer et prevenir,
Corame souvent on irrite en croyant re-
primer, et qu'en reprimant on ne previent
pas toujours, avant d'appliquer le remede
il importe erainemmenl de bien connoitre la
nature du mal. II y a des circonstances ou
un gouvernement energique doit tout ris-
quer, meme de p^rir; dans d'autres il doit
ceder franchement et de bonne foi : il en est
eufin qui sont tellement malheureuses que
la prudence lui conseille de dissimuler.
Desfactieux, renversant toutes les bar-
ri^res , penetrent jusque dans le sanctuaire
oil reside la majeste royale , et lui deman-
dent insolemment des concessions ou des
reformes; il faut rejeter cos demandes lors
,DE FRANCE. CHAP. XI. 265
m^me qu'elles seroient justes , lors meme
que Ion devroit perir; on ne perira pas. Les
amis de I'ordre se leveront, et le ^ouverne-
ment triomphera.
Mais si I'un des grands corps de I'etat si-
gnale au prince des abus qui echappoient a
ses regards, et le supplie den ordonner la
reformation, cette supplique, qui n'a rien
d'offensant pour I'autorit^ royale , doit etre
accueillie. Dans I'exercice des fonctions ad-
ministra lives, Tabus est si voisin de I'usage
que le meilleur gouvernement ne tarde
pas a se corrompre, s'il ne renferme un
pouvoir investi du droit de I'eclairer sur les
vices de son administration. Aussi voyons-
nous que plus d'^tats ont peri par des abus
que par des fautes.
L'autorite , dit-on , ne doit jamais reculer;
mais on dit aussi qu'il n'y a pas de regie sans
exception. De tous les corps politiques, ce-
lui qui a donne au monde le& plus grandes
lecons de prudence et de courage, qui ne
fut pas sage dans telle ou telle circon-
stance, mais tous les jours pendant plusieurs
siecles , u le senat de Rome , ce sont les pa-
266 ASSEMBLIES NATIONALES
n roles de Montesquieu , conserva sa puis-
{( sance par une condescendance paternelle
(( a accorder au peuple une partie de ses de-
(( mandes , pour lui faire abandonner les au-
« tres, etpar cette maxime constante de pre-
(( ferer la conservation de la republique aux
(t j)rerogatives de quelque magistrature que
tf ce fut(i). »
Maintenant reportons nos regards sur ce
qui s'est passe dans les etats-generauxde 1 356,
et voyons quel jugement on en doit porter.
Commencons par mettre la couronne hors
du debat. Le roi etoit prisonnier a Londres ,
et le due de Normandie qui le representoit
a Paris, a peine age de dix-huit ans, sans
connoissance des hommes, sans experience
des affaires , ne pouvoit que suivre la direc-
tion imprimee par les ministres de son pere.
Du cot^ du gouvernement ce sont done les
ministres qui ont tout fait; tout doit done
leur etre impute.
Les etats-generaux demandoient deux
(i) Grandeur des Romains, chap. viii.
DE FRANCE. CHAP. XI. 267
choses: la destitution de ces memes minis-
tres, etla manutention de I'impot qu'ils se
proposoient d'accorder.
La question relative a limpot n'etoit pas
nouvelle j elleavoit ete agitee dans les etats-
generauxdel'anneeprecedente^et, par suite
de cette discussion , le roi avoit donn^ une
ordonnance qui, apr^s avoir dit que pour
subvenir aux f'rais de la {>uerre il seroit lev^
un droit de huit deniers pour livre sur les
ijoarchandises vendues, ajoute : Feut au sur-
plus le roi que, pour le recouvrement dudit im-
pot, soient etablis des receveurs au choix des
etats , qui seront tenus de se conduire suivant
les instructions qui par eux seront donnees.
Cette disposition formoit un precedent
qui justifioit la pretention des ^tats relati-
vement a limpot. Restoit done uniquement
la destitution des ministres. Ainsi le trone,
la legitimite, la constitution de I'etat, les
interets g^neraux de la societe, rien de tout
cela n'etoit compromis. II ne s'agissoit pas
des choses, mais seulement des personnes.
Lorsque des personnes repr^sentent des
Oj)inions, leur participation au pouvoir a
'A6S assemblies KATIONALES
une influence necessaire, et I'interet public
peut justifier leurs efforts pour s'y mainte-
nir; mais, dans I'etat oil etoit la France, les
rainistres n'etoient que des obstacles. Si ,
s'oubliant eux-memes, ils avoient interroge
les circonstances qui les environnoient , ils
auroient facilement reconnu que la tran-
quillite de la France etoit attachee a leur ab-
dication , et ils se seroient retires.
II faut en convenir, les deputes exigeoient
leur eloignement avec une arrogance et
d'une maniere si injurieuse que, dans des
temps ordinaires, I'honneur leur auroit fait
un devoir de braver I'orage. Mais des consi-
derations d'un ordre bien sup^rieur devoieht
les occuper; ils devoient sentir que leurs
accusateurs n'etoient pas des hommes isoles;
que , mandataires de la nation, ils en etoient
les organes; que le mouveraent qui les em-
portoit au-dela de toutes les convenances,
ils Tavoient recu d'elle, et que leur langage
n etoit autre chose ([ue I'expression d'un voeu
general.
Ge langage ne fut pas com[)ris par les mi-
nistres. Comme s'ils n'avoicnt eu affaire
DE FRANCE. CHAP. XI. 269
qu'^ une poign^e de factieux, sans autre
force que celle de leur nombre, ils inti-
mi^rent brusquement ^ I'assemblee I'ordre
de se s^parer.
Si du moins ils avoient adouci par quel-
ques menagements ce que cette mesure avoit
d'acerbe ; au contraire , peu de jours apr^s
paroitun edit qui alt^re la monnoie et boule-
verse toutes les fortunes. Gette nouvelle
exaction acheve de perdre les ministres , et
le soulevement contre eux est general. Ef-
frayes de leur position, ils rappellent ces
deputes qu ils venoient de congf^dier d'une
maniere si humiliante; mais, eraportee elle-
meme par le torrent de I'insurrection , cette
seconde assemblee, au lieu de calmer la fer-
mentation des esprits , met le comble au des-
ordre. De la ces scenes de desolation et
dliorreurs dont nous avons presente I'epou-
vantable tableau dans le chapitre precedent.
Tels furent ces ^tat^-generaux de i356,
objet de tant de critique, et qui sont encore
aujourd'hui le point de depart de toutes les
declamations contre nos assemblies natio-
nales. Maintenantque nous les connoissons.
270 ASSEMBLlfiES NATIONALES
que voyons-nous? Des fautes reciproques,
les deplorables suites d'une lutte long- temps
prolongee entre des oppresseurs et des op-
prim^s, et definitivement un inceiidie gene-
ral. Le tort des etats estd'avoir contribue k le
propager; le tort des ministres est de I'avoir
allume.
DE FRANCE, CHAP. XII. 27 I
CHAPITRE XII.
Etats de la langue d'oc, tenus a Toulouse au mois de sep-
tembre de Fannee i356.
Pendant que la discorde agitoit ses bran-
dons sur Paris , et que Ton y ^toit plus occu-
pes de la destitution des ministres que de la
delivrance du roi , la ville de Toulouse of-
froit un spectacle bien different. Le due de
Normandie y avoit reuni les etats du Lan-
giledoc, et la sagesse presidoit a leurs deli-
berations. Persuades que le moment du
danger nest pas celui des reformes, et que
pour sauver un etat sur le point de p^rir il
faut autre chose que des discours, au lieu
de declarer la guerre aux conseillers de la
couronne, ils donnent au gouvernement les
moyens de la faire a Fennemi commun ; et,
par une deliberation unanime, ils prennent
Fengagement de lever et d'entretenir cinq
mille hommes d'armes, a deux chevaux au
272 ASSEMBLEEIS NATIONALES
moins chacun, mille archers a cheval, et
deux mille fantassins armes d ecus.
Les etats, portant la soUicitude plus loin,
ordonn^rent, disent les chroniques, «que
((homines ni femmes, pendant Fannee, si
u\e roi netoit auparavant delivre, ne por-
((teroient sur leurs habits or, argent, ni
((perles, ni fourrures, de vert ou de gris,
((ui robes, ni chaperons d^coupes, ni au-
(( tres cointises (orneraents) quelconques, et
((qu'aucuns menestriers ni jongleurs ne
(( j oueroient de leur mestier ou instrument. »
Les etats ayant rempli Tobjet de leur
convocation deput^rent au due de Nor-
mandie trois d'entre eux, un de chaque
ordre, pour lui presenter et lui soumettre le
cahier de leurs deliberations. Le prince les
sanctionna par une ordonnance du mois de
fevrier i356. Elle est en latin; voici la tra-
duction des articles qui concernent le sub-
side accorde par les etats ( i ).
((Les etats entretiendront pendant un
an cinq mille hommes d'armes ;
(0 Ordonnances du Louvre, torn. Ill, pag. 99.
DE FRANCE. CHAP. XH. 273
« La solde leur sera pay^e par quatre tr^-
soriers g^n^raux choisis par les trois ^tats ;
« Les quatre tresoriers gen^raux nomme-
ront des tresoriers particuliers dans chaque
senechauss^e, pour lever les impositions ;
«Nulle personne, meme au nom du roi,
ne pourra lever ce subside, ni distribuer
les deniers qui en proviendront ; et si quel-
qu'un vouloit s'y ing^rer, Fimposition cesse-
roit aussitot ;
« La solde sera pay^e aux gens de guerre
par les quatre tresoriers genera ux, sous les
ordres de vingt-quatre personnes choisies
par les trois ^tats ;
(tCes impositions ne dureront qu'un an. »
Cette ordonnance est remarquable en ce
quelle reconnoit que les ^tats ont le droit
de choisir les percepteurs des subsides qu'ils
accordent, et d'en diriger I'emploi.
Une semblable disposition , qui place le
depot des deniers publics ailleurs que dans
les mains du pouvoir executif, cheque tei-
lement la nature des gouvernements mo-
dernes, qu'en la voyant pour Ja premiere
fois dans I'ordonnance du 22 decembre 1 35r>,
18
274 ASSEMBLIES NATIONALES
on est tente de la regarder comme arrachee
par la force a la foiblesse. Mais cet odieux
soupcon ne peut pas atteindre les etats tenus
a Toulouse; et si des sujets aussi fideles,
aussi devoues, ont mis cette condition aux
subsides qu'ils accordoient, il faut en con-
clure quelle n'avoit rien d'offensant pour
Fautorite royale. Nous n'avons que des no-
tions imparfaites a cet egard ; mais il en de-
voit etre ainsi , et cela s'explique par la dif-
ference que Ion remarque entre les subsides
d'alors et les impots d'aujourd'hui.
Aujourd'hui nous nommons impot la
somme que cliacun paie a la societe pour
prix de la protection qu'il en recoit. Ainsi
un impot est une veritable dette, et, dans
les rapports qu'il ^tablit, le contribuable
est le debiteur, et 1 etat est le creancier. Or
il seroit contre toutes les regies qu'un debi-
teur fut exclusivement charge de faire les
diligences necessaires pour procurer a son
creancier le paiement de ce qui lui est dii.
Dans les gouvernements modernes le pou-
voir ex^cutif qui represente letat dans tout
ce qui est d'ex^cution, et qui, sous ce rap-
DE FRANCE. CHAP. XII. 27$
port, est le creancicr de tous les contribua-
bles, doit done etre seul charge du recoii-
vreraent des imp6t8. Cela sort de la nature
des choses ; et c'est aussi ce que nous voyons.
II n'en etoit pas de meme autrefois. Nos
rois, a Tepoque qui nous occupe, vivoient
du produit de leurs domaines, et avec ce
produit seul subvenoient h la depense
de leur maison et aux frais du gouverne-
raent; mais si les personnes etoient fran-
ches, les terres etoient grevees. Chaque fief
etoit assujetti a un service militaire plus ou
moins long, suivant son importance. Et
toutes les fois que le roi faisoit la guerre, les
seigneurs etoient obliges de se ranger sous
sa banni^re, non comme ses sujets, mais
comme ses vassaux, comme desservant les
fiefs qui leur appartenoient.
Pendant le quatorzifeme siecle, de longs
et sanglants demeles s'eleverent entre la
France et FAngleterre. On sentlt alors la
necessite de joindre aux armees feodales
des troupes soldees. Nos rois, dans I'impuis-
sance de les payer avec les revenus de leurs
domaines, demandoientaux etats-generaux,
18.
276 ASSEMBLIES NATION ALES
non comme une dette, mais k litre de se-
cours, les sommes qui leur etoient neces-
saires. Lorsque les etats vouloient bien les
accorder, comme on reconnoissoit qu'ils au-
roient pu les refuser, on reconnoissoit aussi
qu'ils pouvoient, sans offenser I'autorit^
royale, sen r^server la direction et I'em-
ploi. G'est ce que Ion faisoit, et cela ne cho-
quoit personne.
DE FRANCE. CHAP. XIII. 277
k ■«/«<^.'l/«/%'VlA%'W«^«/%^ «
GHAPITRE XIII.
fitats-generauxdel'annee 1357.
Suivant la Chronique de Saint-Denis, les
^tats-gen^raux furent assembles trois fois
pendant I'ann^e iSSy : la premiere, le 7 no-
vembre, dans laquelle il ne fut rien conclu ;
la seconde le 2 Janvier; il y fut r^solu seu-
leraent qu'on affoibliroit la monnoie ; et la
troisi^me le 1 1 fevrier, oil Ion octroya un
subside sur les gens deglise, sur les villes et
sur le plat pays.
Ces ^tats furent peu nombreux. Les trou-
bles qui desoloient la France empech^rent
beaucoup de nobles de s'y rendre, et beau-
coup de villes d'y envoyer des deputes.
Le 1 4 mars iSSy, et par consequent
peu de temps apres la fin de I'asserablee
du II fevrier, le due de Normandie, qui
depuis la prison de son p^re avoit porte le
titre de lieutenant du roi, prit celui de re-
278 ASSEMBLEES NATIONALES
gent du royaume : cela fut resolu dans une
assemblee d'etats ; carle regent declare, dans
des lettres du 18 mars, qu'apr^s avoir eu
mure deliberation avec les gens du grand
conseil du roi et le sien, plusieurs autres
prelats, barons, et bourgeois des bonnes
villes , il a pris le nom de regent , et le gou-
vernement du royaume. H y a grande ap-
parence que I'assemblee d'etats dont le re-
gent parle dans ces lettres est celle qui
commencale n fevrier i35y.
Le 18 fevrier de la meme annee iSS^,
Jean , comte de Poitiers , troisieme flls du roi
Jean, et lieutenant du roi dans tout le Lan-
guedoc, au-dela de la Dordogne , adresse des
lettres au seneclial de Beaucaire, par les-
quelles il lui marque que, peu de temps apres
son arrivee dans le pays, il a fait assembler
les communautes de la senecliaussee de Beau-
caire, lesquelles lui ont octroye un subside
nomm^ capage, et il lui ordonne de le faire
lever conFormement a Facte du consente-
ment des communautes qu'il lui envoie.
Get acteest date du meme jour, 1 8 fevrier.
II y est dit que ce capage se paiera pendant
DE FRANCE. CHAP. XIII. 279
deux mois ; qu'il sera continue pendant deux
autres mois si la {juerre dure encore; et qu'il
sera lev^ de la meme mani^re que Font ete
les capages qui ont et^ accordes precedem-
ment, par des personnes qui seront deputees
k cet effet ; et ^leur defaut par les juges or-
dinaires de ces communautes.
II nest pas dit par qui seront nommees les
personnes qui leveront ce capage; il y a
apparence qu'elles le furent par les commu-
nautes memes.
28o ASSEMBLIES NATIONALES
GHAPITRE XIV.
fitats-generaux tenus a Comp^ne en i358.
Le calme cammencant k se retablir, ces
etats furent plus nombreux que les prece-
dents. Gependant, comme les troubles n'e-
toient pas entierement apaises, les ecclesias-
tiquesde trente-quatre dioceses, les nobles,
et les deputes de dix-huit bailliages, refu-
s^rent de s'y rendre.
Dans les derniers etats il avoit ete arrete
que la prochaine assemblee se tiendroit a
Paris. Le prince, craignant Fagi.tation qui
regnoit encore dans cette ville, ordonna
qu'elle auroit lieu h. Gompiegne. Les Pari-
siens n'y deput^rent pas.
Les etats s'ouvrirent le quatri^me jour
de mai. Dans leur premiere seance ils vo-
t^rent des actions de graces au regent pour
n'avoir pas desesper^ du salut de la France
dans des temps aussi difficiles.
DE FRANCE. CHAP. XIV. 28 1
Dans une seconde stance les ^tats im-
prouv^rent la conduite tenue par la ville
de Paris , par toutes celles qui avoient sou-
tenu son parti, et declar^rent nuls tons
les actes contraires a I'autorit^ du regent.
S'occupant ensuite des besoins de la
France, les trois ordres deliber^rent unani-
mement qu'il seroit impost un subside pareil
k celui accorde par les etats de Champagne.
Les etats de Champagne, reunis a Vertus
le 29 avril precedent, avoient arrete que
dans les bonnes villes on fourniroit un
homme d'armes par soixante-dix feux, et
que dans le plat pays les personnes fran-
ches en fourniroient un par cent feux, et
les personnes de morte-main et de fort-ma-
riages un par deux cents feux ; que les gens
d'eglise paieroient les dixiemes de leurs re-
venus, et les nobles cinq livres pour cent
livres de revenu en terre; que les bourgeois
paieroient comme les nobles par rapport
aux fiefs qu'ils possederoient, et qu'ils paie-
roient encore avec les bourgeois; que cette
aide seroit levee par des preposes de leur
choix, et par eux employee k la solde des
282 ASSEMBLEES NATIONALES
gens d'armes, a I'exception du dixi^me qu'ils
accord^rent au regent pour sa depense.
,Cette assemblee des etats, a Compiegne,
fut suivie, suivant I'usage, dune ordon-
nance donnee dans cette ville, le quator-
zi^me de mai i358, ce qui prouve que le
regent y avoit assiste. - i ; ^
Cette ordonnance est fort remarquable;
elle renferme des dispositions que Ton ne
trouve dans aucune autre, et qui peuvent
servir a faire connoitre I'etat de la France a
cette epoque : en voici quelques articles.
Art. 5. «Les proprietaires de chasteaux,
forteresses, et maisons fortes, seront con-
traints de les mettre en estat de defense:
s'ils ne le font pas, on y pourvoira a leurs
depens, et s'ils n'ont point de biens dans le
pays , les chasteaux , etc., seront abattus. Get
article sera execute par les capitaines du
pays, appel^es avec eux quelques personnes
des trois estats. > . ■■ - <
Art. g. (t U ne sera plus permis de visiter
les marchands dans les chemins et dans les
villages, mais seulement dans les ports et
dans les passages; et I'argent qu'ils porte-
DE FRANCE. CHAP. XIV. 283
ront ne sera confiscable que lorsqu'ils met-
tiont dans le commerce des monnoyes de-
fendues , ou qu'ils porteront de la vaisselle et
du billon liors du royaume.
Art. 1 6. ((Le regent prendra le dixi^me
de I'aide pour Fentretien de son hotel et
celuy de la duchesse son epouse; mais s'il
est oblige d'aller combattre les ennemis, les
capitaines des pays viendront le joindre avec
les troupes entretenues des deniers de Faide
levee dans ces pays. . ! .• '
Art. 1 8. (( II ne sera plus fait de prises ni
d'emprunts forcez.
Art 22. « Les ecclesiastiques seront con-
traints a payer cette aide par leurs ordi-
naires, qui pourront uieme se servir de
Fexcommunication contre eux*, mais s'ils
persistent a ne point payer, ils y seront
forcez par le bras seculier, a la requeste
des ordinaires. »
284 ASSEMBLERS NATIONALES
CHAPITRE XV.
Etat de la France a I'ouverture des etats-generaux
de iSSg.
Des discordes civiles n'ont que trop sou-
vent ensanglante notre belle patrie. Les
unes, renversant le trone et Fautel, ont
couvert la France de ruines, et il n'en est
aucune dont la duree n'ait excede un quart
de siecle; les autres ont passe comme des
torrents, n'emportant que des hommes, et
laissant debout toutes les institutions orga-
niques de la societe.
Cette difference dans la duree des con-
vulsions qui, a des epoques plus ou moins
eloignees, tourmentent les societes, prouve
que toutes n'ont pas lesmenies causes, et
que par consequent dans toutes les moyens
curatifs ne doivent pas etre les memes.
Lorsque francliissant la triple barriere de
I'ignorance, de la superstition, et du despo-
tisme, le temps qui ne s'arrete pas, I'aniour
DE FRANCE. CHAP. XV. 285
de la liberty qui ne s'eteiiit jamais, et les
lumieres qui vont toujours en se propageant,
ont op^re dans les usages, dans les habi-
tudes, dans les moeurs, dans les besoins
dune nation, des cliangements tels, qu'une
constitution qui lui assure la liberty de con-
science, la liberte civile et I'egalite devant
la loi, est devenue pour elle une necessity j
si les conseillers de la couronne s'obstinent
k ne rien accorder, une revolution eclatera,
et cette revolution sera longue et sanglante,
parcequ'elle sera fondee sur des int^rets
g^m^raux et legitimes, et que sortie du
fond des choses elle sera plus forte que les
liommes.
Les mouvements populaires que des es-
prits turbulents et ambitieux parviennent
quelquefois a exciter ont un tout autre carac-
t^re. Quelles que soient I'audace des chefs, et
la force des masses qu'ils entrainent a leur
suite, forage ne sera que passager. Au pre-
mier echec, au plus leger mecontentement,
cette multitude qui marche vers un but
quelle ne connoit pas , et pour des int^rets
qui ne sont pas les siens, mettra bas les
286 ASSEMBLIES NATION ALES
ai mes et brisera ses idoles. Telle fut la fin
cles troubles qui suivirent les etats-gen^raux
de i356.
Le due de Noi mandie avoit et^ forc^ de
quitter Paris, et les nouveaux reformateurs
y re{jnoient en despotes. Bientot on recon-
noit que le bien public n'etoit qu'un vain
pretexte dont ils coloroient leur ambition
et leur avarice, et les regards commencent
a se tourner vers le trone. Marcel est tue par
un genereux citoyen au moment ou il ou-
vroit une des portes de la ville au roi de
Navarre (i) etaux Anglois. A I'instant Paris
(i) Voici comme les historlens racontent ces faits.
Pendant la nuit du 3i juillet au i*"" aout i358, Jean
Maillard , qui avoit penetre les desseins d'foienne Marcel ,
Tavoit suivi se dirigeant vers la porte Saint-Antoine , et
comme il etoit sur le point de I'ouvrir aux Anglois et aux
soldats du roi de Navarre , il I'arreta en lui disant :
Etienne, que fa'des-vous ici a cette heure? Jean , repondit
le prevot, a vous qu'en monte (qu'importe) de le scavoir?
Je suis ici pour prendre garde a la ville dont fai le gouver-
nement. Pardieu, reprit Maillard, il nen va mie ainsi,
mns n'Stes ici a cette heure pournul bien, etje vous montre-
rai , continua-t-il en s'adressant a ceux qui etoient aupres
DE FRANCE. CHAP. XV. 287
prend une face nouvelle. Le peuple desa-
biise massacre les chefs de la faction. L'^-
veque de Laon se retire dans son diocese,
voyant bien, disent les clironiques, quil
avoit tout homis et gate. Le roi de Navarre se
refugie honteusement sous les drapeaux du
roi d'Angleterre. Le due de Normandie, ap-
pele par tous les voeux, rentre dans Paris
aux acclamations de tous les habitants, et
la France enti^re suit Fexemple de la capi-
tale. Telle etoit la disposition des esprits ci
Fouverture des etats-generaux de iSSg,
de lui , comme it tient les clefs de la ville. Jean , vous men-
tes, repliqua le prevot; mais vous , Etienne, mentis, s'e-
cria Maillard transporte de fureur. En meme temps il
leve sa hache d'armes : Marcel veut fuir, il le joint , le
frappe a la tete; et quoiqu'il fut arme de son bassinet, il
le renverse a sft»pieds. Ses compagnons se jettent sur les
gens du prevot ; ils en massacrent une partie et s'assu-
rent des autres.
ASSEMBLEES NATIONALES
GHAPITRE XVI.
]&tats-generaux de i^Sg.
Le regent ouvrit les ^tats par la lecture
qu'il fit donner des conditions auxquelles le
cabinet de Londres attachoit la liberte du
roi Jean. Ges conditions etoient si humi-
liantes et si d^sastreuses qu'elles furent re-
jet^es par acclamation, et que les trois or-
dres resolurent unanimement de continuer
la guerre, et de lafaire bonne et durei^i).
« Le roi Jean , dit Mezerai , quoy qu'il eust
toute liberte, mesme de la chasse et de toutes
(i) Par ce traite le roi Jean cedoit au «t>i d'Angleterre
les duches de Normandie et de Guienne, la Saintonge,
I'Aunis, Tarbes, le Perigord, le Quercy, le Limousin,
le Bigorre, le Poitou, I'Anjou, le Maine, la Touraine,
les comtes de Boulogne, de Guines, et de Ponthieu,
Montreuil-sur-Mer, et Calais, pour les posseder en toute
souverainete ; il pretendoit encore. qu'on abanJonn^t la
suzerainete du duche de Bretagne; il exigeoit enHn
quatre millions d'ecus d'or pour la rangon du roi.
DE FRANCE. CHAP. XVI. 289
les galanteries, s'ennuyoit fort de sa prison.
Neanmoins il se remettoit aux etats de son
royaume des conditions que I'Anglois luy
proposoit pour sa delivrance. Les etats as-
semblez a Paris pour cela ( ce fut au mois de
may) les trouv^rent si rudes , que tout d'une
voix ils choisirent plustost la guerre, et of-
frirent de grands secours pour la faire. »
Les C h roniques de Froissard nous donnen t
des details beaucoup plus circonstancies sur
la mani^re dont les choses se pass^rent dans
cette memorable assemblee. Nous y lisons :
« Si pass^rent ledit comte de Tancarville
et ledit marechal, la mer, et arriv^rent a
Boulogne, et exploiterent tant qu'ils vinrent
a Paris. Si trouv^rent le due de Normandie
et le roi de Navarre qui nouvellement se-
toientaccordes.Sileurmontr^rentleslettres
devant dites. Adoncques en demanda le due
de Normandie conseil au roi de Navarre
comment il sen pourroit maintenir. Le roi
conseilla que les prelats et les barons de
France, et le conseil des cites et des bonnes
villes fussent mandes ; car par eux et leur
ordonnance convenoit cette chose passer.
19
290 ASSEMBLEES NATIONALES
Ainsi fut fait. Le due de Normandie manda
sur un jour la plus grande partie des nobles
et des prelats du royaume de France , et le
conseil des bonnes villes. Quand ils furent
tous venus a Paris, ils entr^rent au conseil.
La etoient le roi de Navarre, le due de Nor-
mandie, ses deux fr^res, le comte de Tancar-
ville, et messire Arnoul d'Andrehen (Aude-
neliam ), qui remontrerent la besogne et sur
quel etat ils etoient venus en France. La fu-
rent les lettres lues , relues, et si bien ouies et
entendues, et de point en point considerees
et examinees. Si ne purent adoncques etre
les conseils en general du royaume de France
d'accord, etleursembla cil (ce) traite Irop
dur : et repondirent dune voix auxdits mes-
sagers que ils auroient plus cher a endurer
et porter encore le grand meschef et mis^re
oil ils Etoient, que le noble royaume de
France fut ainsi amoindri ni d^fraud^, et
que le roi Jean demeurat encore en Angle-
terre ; et que , quand il plairoit a Dieu , il y
pourverroit de remede et metteroit ottrem-
pance (adoucissement). » Ce fut toute la
reponse que le comte de Tancarville et mes-
DE FRANCE. CHAP. XVI. 29 I
sire Arnoul d'Andrehen (Audeneham) en
purent avoir.
En consequence de cette resolution, les
^tats r^gl^rent que les nobles serviroient un
mois^ leurs depens, non compris dans ce
mois le temps qu'ils seroient en route pour
se rendre a I'armee et pour en revenir; et
qu'ils paieroient les impositions octroy^es
par les bonnes villes. Les gens d'eglise of-
frirent aussi de les payer. La ville de Paris
s'engajjea, pour elle et pour la vicomte,
d'entretenir six cents glaives (fantassins),
quatre cents archers, et mille brigands (i).
Les deputes des autres villes ne voulurent
rien octroyer sans parler a leurs villes ^ par-
ceque apparerament on ne leur avoit pas
donn^ pouvoir d'accorder un subside. On
ordonna qu'ils sen retourneroient dans leurs
(i) On donnoit ce nom a des soldats enroles sous les
ordres d'un aventurier, qui vendoit leurs services a qui-
conque vouloit les payer; et qui, par forme de supple-
ment de solde, ravageoient les pays qu'ils parcouroient,
ceux qu'ils etoient appeles a defendre comma ceux contre
lesquels leurs forces etoient dirigees.
292 ASStMBL^ES NATION ALES
villes et qu'ils enverroient leur reponse
avant le lundi qui suit la Trinite. Plusieurs
villes envoy ^rentcette reponse, qui fut que
leplat pays etantdietruit par lesAnglois etles
Navarrois, et par les garnisons Francoises,
elles ne pouvoient accomplir le nombre de
douze cents glaives qui avoient ete accor-
d^s. Dans les memes etats le prince retablit
dans leurs dignites les ministres , et ceux de
ses grands-officiers que les etats de i356 I'a-
voient forc^ d'eloigner de sa personne, (Pre-
face du tome III des Ordonnances, )
DE FRANCE. CHAP. XVII. 298
%/%/V%/*/%'^
CHAPITRE XVII.
Suite des etats-generaux de iSSg. Reprise des.
hostilites. Paix de Bretigny.
Edouard ne fut pas plus tot inform^ que
les etats-g^eneraux du royaume avoient re-
fuse de ratifier le traite passe entre lui et le
roi Jean , que, se croyant offense par cette
conduite, il prit la resolution de sen venger
par une invasion en France.
La reputation brillante du roi et du prince
de Galles, I'eclat du succ^s de leurs pre-
mieres entreprises, et fespoir de piller im-
pun^mentles provinces de France ouvertes.
a I'ennemi, attirerent sous les drapeaux d'E-
douard toutce qui etoit capable de porter les
armes en An^^^leterre; et il se rendit a Calais
avec une arraee de cent mille liommes (i).
Le regent, dans une circonstance aussi
(1) Froissard, liv. 1", chap, clxxxvii.
294 ASSEMBLEES NATIONALES
difficile, donna un grand exemple de pru-
dence et de sagesse. Dans Timpuissance de
r^sister a un torrent si superieur a ses forces,
il lui abandonna le plat pays, se contenta de
pourvoir a la defense des places fortes, de
mettre Paris a I'abri de la famine et dun
assaut par une forte garnison et d'amples
magasins de vivres, et il s'y tint renferme.
Edouard, apr^s avoir ravage la Picardie,
se porta sur la Champagne; et dans I'espoir
de se faire couronner roi de France a Reims,
il mit le siege devant cette ville. Les habi-
tants encourages par leur eveque, Jean de
Graon,la defendirent si vaillammentque la
saison avancee obligea Edouard a se re-
tirer.
Apr^s avoir ravage la Champagne ,
Edouard se dirigea sur la Bourgogne, prit et
pilla Tonnerre, Gaillon , Avalon , et d'autres
petites places : le due de Bourgogne sauva
le reste de la province par une forte contri-
bution. De la Bourgogne Edouard porta
son armee et ses ravages dans le Nivernois,
devasta ensuitela Brie et le Gatinois, et parut
enfin aux portes de Paris ; prit ses quartiers
DE FRANCE. CHAP. XVII. 296
au Bourg-la-Reine, et ^tendit son armde a
Longjumeau , a Mont-Rougfe, et a Vaugirard.
Apr^s quelques semaines d'un blocus inu-
tile, ne pouvant plus faire subsister son ar-
mee dans un pays totalement mine, il la
repandit dans les provinces du Maine, de la
Beauce, et dans le pays Chartrain.
Cependant on parloit de paix. Mais comme
Edouard insistoit sur I'execution du trait^
de Londres, et que le regent le rejetoit avec
hauteur, on ne voyoit aucune apparence
d'accommodement.
La disette, les maladies, un orage ^pou-
vantable qui jeta la terreur dans son arm^e,
et plus encore la defense lieroique de tou-
tes les villes ferm^es, determinerent enfin
Edouard k se rendre moins difficile sur les
conditions de la paix. Des commissaires
francois et anglois setant reunis dans le
village de Bretigny, elle fut enfin conclue
le 8 mai i36o, aux conditions suivantes: il
fut stipule que, pour prix de sa liberie,
Jean paieroit a titre de rancon trois mil-
lions d'ecus d'or, ce qui repi^esente une
sorame de quarante millions de notre nion-
296 ASSEMBLEES NATIONALES
noie actuelle; qu'fidouard renonceroitpour
toujours a ses pretentions sur la couronne
de France et sur les provinces de Norman-
die, du Maine, de la Touraine, et de I'An-
jou , poss^dees par ses ancetres ; qu'il rece-
vroit en echange le Poitou, la Saintonge,
I'Agenois , le Perigord , le Limousin , le
Quercy, le Rouergue, TAngoumois avec
Calais, Guines, Montreuil, et le comte de
Pontliieu; que la pleine souverainete de
toutes ces provinces, aussi bien que celle
de la Guienne, appartiendroit a la couronne
d'Angleterre , et que celle de France renon-
ceroit sur elles a tout droit de juridiction, de
foi et liommage , et d'appel ; enfin que pour
assurer I'execution du trait^ quarante otages
seroient donnes au roi d'Angleterre (i).
Les deux rois serendirentensuite a Calais,
et le 8 juillet i36o ratifi^rent le traite con-
(i) Ces otages furent les deux fils du roi , Jean et Louis ;
Philippe due d'Orleans son frere; le due de Bourbon;
Jacques de Bourbon comte de Ponthieu ; les comtes
d'Eu, de Longueville, de Saint-Pol, d'Harcourt, deVen-
dome, de Couci, de Craon, de Montmorenci , etc.
DE FRANCE. CHAP. XVII. 297
clii k Br^tigny. Libre enfin, le roi Jean
rentra dans son royaume.
Jean eut pour successeur Charles V. Ce
prince, eleve a Tecole du mallieur, fut le
premier roi des temps modernes qui com-
prit qu'une politique habile pouvoit lutter
avec avantage contre les armees les plus
formidables ; et dans I'impuissance de pre-
valoir sur son red ou table adversaire par la
force des armes, il rait les destinees de son
royaume sous la garde de la sagesse, de la
moderation , et de la prudence.
Quoique le traite de Londres fut bien
moins desastreux que celui de Bretigny, on
avoit cependant cru devoir le soumettre aux
etats-generaux de i35c), et ces etats,.comme
on Fa vu dans le chapitre precedent, avoient
refuse de le ratifier. II etoit done etabli par
un precedent bien solennel que le roi, ne
jouissant de la souverainete qua titre de
depot, ne pouvoit en aliener aucun des
attributs sans le concours de la nation ; et la
nation, ou ce qui est la meme chose ses
representants , n etoient pas intervenus dans
le traite de Bretigny.
298 ASSEMBLIilES NATIONALES
Mais le temps de se prevaloir de cette
nullite n'etoit pas encore arrive. II falloit au-
paravant retablir Tordre, creer une armee,
et sur-tout rendre a la nation sa force mo-
rale que tant de malheurs lui avoient fait
perdre.
Charles remplitsi heureusement ce triple
objet que dans peu nous le verrons se res-
saisir, de concert avec les etats-generaux ,
de la souverainet^ alienee par le traite de
Bretigny.
On trouve dans quelques ordonnances
des indications detats-generaux assembles
pendant I'annee i36o, mais on n'y voit ni le
lieu ni le temps oil ces assemblees auroient
eu lieu.
DE FRANCE. CHAP. XVIII. 299
GHAPITRE XVIII.
Etats-generaux de Tannee i3^.
Ces etats paroissent avoir ^chappe aux au-
teurs de nos ancieniies chroniques, et les
details qui les concernent nous sontpeu con-
nus ; mais ils out eu lieu sous Gliarles-le-Sage,
et tout ce qui appartient a ce beau regne est
precieux. Je vais done rapporter a-peu-pr^s
ce que Ton en sait (i).
Vers le commencement du mois de juil-
let 1367, il se tint a Ghartres une assem-
blee des etats de plusieurs provinces du
royaume: peu de jours apres elle fut trans-
feree a Sens.
Ges etats ne sont connus que par trois
ordonnances donnees a Sens, I'unele 19 de
juillet 1867 , 1'autre le lendemain, et la der-
(i) Voyez la preface du tome V des Ordonnances du
Louvre.
300 ASSEMBLIES NATIONALES
ni^re donn^e dans le mois de juillet sans
date du jour.
La premiere porte que le roi ayant ^t«5
inform e que plusieurs gens de compagnies (i)
avoient resolu de rentrer dans le royaume
pour le piller, et desirant prendre les me-
sures necessaires pour leur resister, il a fait
assembler en sa presence, dans la ville de
(i) Ces compagnies etoient une armee assez conside-
rable quele prince de Galles, fils aine d'Edouard III due
d'Aquitaine, avoit conduite en Espagne au secours de
don Pedre, roi de Castille , attaque par son frere na-
ture! , qui lui disputoit la couronne.
Charles V, prevoyant qu'a leur retour en France ces
troupes sans discipline et mal payees sere'pandroient dans
les pays de Champagne, Bourgogne, etc., assembla les
trois ordres de ces six provinces, afin de concerter avec
eux les niesures les plus propres a prevenir les desordres
que cette soldatesque ne manqueroit pas de commettre :
cela explique pourquoi ces etats ne furent composes que
de de'putes de Champagne, de Bourgogne, de Berri , de
I'Auvergne, de Bourbonnois, et de Nivernois.
L'evenementjustifia la sage prevoyance de Charles V.
Vers decembre iSG^ les compagnies sortirent de la
Guienne; elles passerent la Loire aMarcilli (en Forest),
et penetrerent dans I'Auvergne et dans les autres pro-
vinces que Ton avoit tache de mettre en etat de defense.
DE FRANCE. CHAP. XVIII. 3oi
Cliartres, plusieurs prelats et autres gens
deglise, et plusieurs nobles, et plusieurs
gens des bonnes villes de Champagne, de
Bourgogne, de Berri, de I'Auvergne, du
Bourbonnois, du JNivernois, de Cepoy, de
Saint-Jangou , et de Saint-Pierre-le-Mous-
tier, et que leur ayant fait exposer le danger
dont le royaume etoit menace, il a, par
leur avis et par celui des gens de son grand
conseil, fait les reglements qui ont ete juges
necessaires pour la defense du royaume.
Ges reglements sont I'objet des sept pre-
miers articles de I'ordonnance, et les sui-
vants en contiennent d'autres sur la percep-
tion des droits des aides.
On lit dans le preambule de I'ordonnance
du 20 juillet que le roi, pour des causes qui
touchent la garde, la suret^ et I'utilite de
son royaume , est venu dans la ville de Sens ,
ou il a fait assembler les deputes des trois
ordres de plusieurs provinces; qu'apr^s avoir
regie les affaires qui avoient donne lieu k la
Convocation de cette assemblee , il a recu les
supplications de ses sujets qui lui ont fait
exposer plusieurs griefs qui leur ont ete faits
3o2 ASSEMBLEES NATIONALES
par la perception des droits des aides, et par
rapport a d'autres objets \ et qu'apr^s avoir
pris I'avis de son conseil, il a fait une or-
donnance pour reformer les abus dont on
se plaignoit. Elle contient des reglements
sur differentes mati^res.
DE FRANCE. CHAP. XIX. 3o3
CHAPITRE XIX.
Etats-geiidraux de iSGg.
Deja hnit ans s etoient ecoules depuis la
signature du traite de Bietigny, et la con-
noissance n'en avoit pas encore ^te donnee
aux etats-generaux. Gependant il s'execu-
toit, du moins quant a la souverainete de la
Guienne, c^dee par ce traite, et le roi d'An-
glcterre en jouissoit sans contradiction. Mais
le raisonnement chez les uns, une sorte d'in-
stinct chez les autres, r^v^loient a tous les
habitants de ces contr^es que le roi n'avoit pas
eu le pouvoir de rompre seul les liens qui les
attachoient asacouronne. Gette opinion etoit
celle de toute la France; et les deux parties
de ce grand corps, violemment s^parees,
n'attendoient pour se reunir qu'une occasion
favorable et des temps plus heureux.
Ces temps plus heureux arriv^rentenfin.
Auretour de I'expMition brillante, mais rui-
neuse, qu'il avoit faite en Espagne, fidouard
3o4 ASSEMBLIES NATIONALES
imposa une nouvelle taxe sur la Guienne.
Une partie de la noblesse ne s'y sourait qu'a-
vec une extreme repugnance, et I'autre s'y
refusa constamment. Un refus si prononce
ranima I'aversion naturelle des habitants
contre les Anglois. lis se plaignirent de ce
qii^on les traitoit comme un peuple conquis;
de ce qii'on violoit leurs privileges ; de ce que
les Anglois seuls captivoient la confiance du
prince, et de ce que toutes les places hono-
rables ou lucratives etoient donnees a ces
etrangers.
Le sire d'Albret et les comtes d'Armagnac ,
de Perigord, de Comminges, et de Carmaing,
se declar^rent ouvertement contre leur nou-
veau souverain ; mais trop foibles pour resis-
ter seuls aux forces de I'Angleterre, ils se
rendirent a Paris, adress^rent leurs griefs
au roi et lui demand^rent justice.
Charles V qui, par une administration
constamment habile et sage, etoit parvenu
a retablir Fordre dans ses finances et la dis-
cipline dans son armee, accueillit leurs
plaintes. Un arret du parlement recut I'ap-
pel des jugements qui les avoient condamn^s
DE FRANCE. CHAP. XIX. 3o5
k payer le nouvel impot. Par le meme arret
il fut enjoint au due de Guienne de compa -
roitre devant la cour des Pairs pour y rendre
compte de sa conduite envers ses vassaux, et
deux chevaliers envoyes a Bordeaux lui
notifi^rent cet ajournement en parlant k sa
personne.
Ces actes , qui supposoient dans le roi de
France la double quality de souverain etde
suzerain de la Guienne , etoient autant d in-
fractions au traite de Br^tigny dont I'ar-
ticle 1 2 est concu en ces termes : Le roi de
France et son fils aine renonceront expresse-
mentauxdits ressorts et souverainetez, eta tons
les droits quils out, ou peuvent avoir, sur tous
les pays qui par le present traite doivent ap-
partenir au roi d'Angleterre.
Cette disposition est si claire, la renoncia-
tion au droit de ressort et de souverain et^
y est consignee dans des termes si explicites,
que le refus de Fexecuter ne pouvoit ^tre
justifie que par la seule consideration que
le trait^ de Br^tigny n'auroit pas ete revetu
des formalites necessaires pour le rendre
obligatoire. Mais Charles V I'avoit sign^ en
20
3o6 ASSEMBLIES NATIONALES
qualite de regent, et le roi Jean I'avoit ra-
tifie (i). Le d^faut de concours de la nation
(i) On lit dans VHistoire (f Angleterre de Rapin Thoiras,
sous I'annee 1 36o : « Ge fameux traite , dont la negocia-
« tion ne dura que huit jours, fut approuve par les deux
« rois : Jean fut conduit k Calais au mois de juillet , et y
i< sejourna quatre mois , ainsi qu'on en etoit convenu. . .
a On employa ces quatre mois a dresser tous les actes
n necessaires, tant pour Texplication que pour la confir-
« mation et I'execution du traite, afin qu'ils pussent tous
« etre signes en un jour. Ce ne fut que le 24 d'octobre
« que les deux rois le signerent et en jurerent I'observa-
« tion dans Calais ou Edouard s'etoit rendu quelques
« jours auparavant. Toutes les affaires qui concernoient
" le traite e'tant terminees, le roi Jean fut mis en liberte
« le 26 du meme mois.
« Des que Jean fut arrive a Saint-Omer, il y ratifia
" par un serment volontaire, et par ses lettres-patentes ,
«< chacun des articles du traite de Bretigny. Par-lh il fit
« voir qu'on ne lui avoit fait aucune violence k Calais
upour I'obliger a le jurer. Le reste de sa conduite fut
« conforme a cette premiere demarche. II fit connoitre en
" toutes occasions que son intention etoit d'executer ses
M engagements, jusqu'a ce qu'enfin il en donn^t la preuve
"la plus sensible en mettant Edouard en possession du
" pays qui lui avoit ete cede. II y eut seulement quel-
« ques difficultes touchant le comte de Gaure en Gascogne ,
u et la terre de Belleville en Poitou , sur laquelle les deux
" rois ne purent point s'accorder. »>
DE FRANCE. CHAP. XIX. 807
etoit done la seule niiUite qu'il fut possible
dalleguer: aussi allons-nous voir le roi con-
voquer les etats-f^en^raux de son royaurae ,
et leur soumettre la question de savoir s'il
avoit pu legalement recevoir I'appel des tri-
bunaux de la Guienne.
On nest pas d'accord sur la qualification
que Ion doit donner a cette assemblee. Les
uns lui refusent celle d'etats-generaux, les
autres la lui accordent. ull est difficile, dit
« M. Secousse ( i ) dans sa preface du VF tome
(i) Denis Francois Secousse, de I'Academie des in-
scriptions et belles-lettres, naquit a Paris le 8 Janvier 1691 ;
il fut eleve de M. Rollin. Son pere, avocat celebre, le
destinoit au barreau, et il fut en effet recu avocat
en 17 10, A la mort de son pere, il se livra tout entier a
I'etude de I'histoire. II fut recu a I'Acade'mie des belles-
lettres en 1722, et le recueil de cette Academic est plein
de savants memoires qu'il a lus.
M. Secousse qui d'abord embrassoit toute I'histoire se
borna dans la suite a I'histoire de France. II fut charge
du grand recueil des ordonnances de nos rois de la troi-
sieme race en 1728 , apres M. de Lauriere. Devenu
aveugle plusieurs annees avant sa mort, il se fit faire
sans succes, en 1761 , 1'operation de la cataracte. II mou-
rut le iS mars 1754.
20.
3o8 ASSEMBLIES NATIONALES
« des Ordonnances du Louvre, il est difficile
K de decider si cette assemblee doit etre mise
«au rang des etats-generaux , ou si ce fut
((seulement un de ces conseils extraordi-
« naires que nos rois convoquoient quelque-
(( fois lorsqu'ils avoient a deliberer sur des
« affaires majeures. Je penchois vers ce der-
« nier sentiment lorsque je travaillois a la
« preface du V^ volume de ce recueil, dans
« laquelle j'aurois du parler de cette assem-
«blee, si je I'eusse regardee alors comme
« une convocation d'etats-generaux. Ayant
« relu depuis avec attention ce qu'en disent
« les Chroniques de Saint-Denis, j'ai change
« d'avis non seulement parceque cette as-
wsemblee fut composee de trois ordres,
« mais parcequ'il est dit qu il y assisla des
« person nes envoyees par le clerge et par les
« villes. Cette deputation est ce qui caracte-
«rise les assemblees des etats -genera ux, et
« qui les distingue des assemblees des nota-
« bles, qui ne sont formees que de ceux que
wle roi a nommes pour y assister, et des
« conseils extraordinaires. «
La Ghronique de Saint-Denis, que cite
DE FRANCE. CHAP. XIX. 3o9
M. Secousse, paroit etre la seule qui expose
avec detail ce qui s'est pass^ dans cette as-
semblee. Voiei coinme elle en parle :
« La veille de FAscension, Charles V vint
«en la chambre du parlement, et Ton ob-
«serva le ceremonial qui est en. usage lors-
« que les rois de France honorent cette com-
« pagnie de leur presence. La reine estoit a
« coste du roy, et le cardinal de Beauvais ,
(f cliancelier de France, estoit assis au-des-
«sous, dans la place ou se met ordinaire-
« ment le premier president. A ce rang, sur
« les memes bancs et par terre, estoient assis
« les gens d'^glise qui avoient este envoy ez a
(( cette assemblee, les archeveques de Reims
« et de Tours, quarante eveques, etplusieurs
«abbez. Sur les bancs oil estoient assis les
« conseillers-lais du parlement, estoient pla-
«cez les dues d'Orleans et de Bourgogne,
« les comtes d'Alencon, d'Eu, etd'Estampes ,
« et plusieurs autres nobles. II y avoit un si
« grand nombre de gens des bonnes villes qui
« avoient este envoyez a cette assemblee,
«que toute la chambre en estoit pleine.
«Le chancelier et son fr^re, Guillaume
3 Id ASSEMBL^bS NATION ALES
ude Dormans, qui estoit de retour d'Angle-
« terre ou Charles V Favoit envoye , dirent
«a Tassemblee que le roi ayant ete requis,
«par les seigneurs et les habitants de la
uGuyenne, de recevoir les appels qu'ils
« avoient interjetez du prince de Galles leur
« due, il les avoit recus, et avoit decerne un
« ad journement centre ce prince; que le roi
It ayant recu a ce sujet des deputez d'E-
«douard, roi d'Angleterre , il lui avoit en-
(tvoye les comtes de Tancarville et de Sap-
«rebruck, Guillaume de Dormans, et le
« doyen de Paris.
((Guillaume de Dormans, par ordre du
« roi, rendit compte a I'assemblee de ce qu'il
« avoit dit estant en Ang^leterre , pour refu-
u ter les requestes que le roi Edouard avoit
« envoy^es a Charles V a I'occasion de cet
wadjournement; et de ce qui lui avoit este
((respondu par le conseil du roi d'Angle-
« terre.
«Le roi prit ensuite la parole, et dit que
u si dans cette affaire on jugeoit qu'il en eut
(( trop fait, ou qu'il n'en eut pas fait assez, il
DE FRANCE. CHAP. XIX. 3 I I
« trouvoit bon que Ion le lui repr^sentast; et
« qu'il estoit encore en estat de corriger ce
((que Ion trouveroit a reprendre dans ia
« conduite qu'il avoit tenue.
« Le roi et le cliancelier dirent ensuite a
(( ceux qui composoient I'assembl^e de pen-
V ser a cette affaire importante, et de se re-
wtrouver le vendredi de grand matin dans
(( la merae chambre ou s'etoit tenue la pre-
(( mi^re stance, pour en dire leur avis.
« Le lendemain jeudi , apr^s disn^, le roi ,
(da peine, un grand nombre de conseillers
(( du roi, tons les prelats et nobles, se trou-
(( vferent dans la chambre du parlement. Le
((chancelier et Guillaume de Dormans re-
(( pet^rent encore les raisons qui avoientde-
(( termine le roi a recevoir I'appel des sei-
(( gneurs et des habitants de la Guyenne. Le
(( roi, qui pari a aussi sur ce sujet, ajouta qu'il
« demandoit conseil sur les fautes qu'il avoit
(( pu commettre dans cette affaire.
« Toute I'assemblee respondit d'un com-
(( mun accord que le roi avoit suivi les regies
((de la justice; qu'il n'avoit pu rejeter Tap-
3l2 ASSEMBLIES NATIONALES
« pel ; et que si le roi d'Angleterre en prenoi t
(t occasion de lui declarer la guerre, elle se-
tt roit juste.
« Le vendredi matin 1 1 de may, tous ceux
« qui avoient assist^ a la premiere seance se
u rendirent dans la chambre du parleraent;
«et dun consentement unanime on y ap-
«prouva ce qui avoit este dit dans I'assem-
u blee qui s'estoit tenue la veille.
w On lut ensuite la response que Ton estoit
« convenu de faire au memoire qui avoit
« este donne en Angleterre a ceux que le roi
«y avoit envoyez. Cette response fut ap-
«prouvee par toute I'assemblee, et il fut or-
« donne quelle seroit envoyee au conseil du
« roi d'Angleterre. »
DE FRANCE. CHAP. XX. 3 1 3
CHAPITRE XX
Suite des etats-generaux de 1869, et de I'etat de la
France jusqu'aux etats-generaux de i38i.
Charles V etoit si sur que la nation secon-
deroit ses g^nereux desseins centre I'Angle -
terre, que, lorsqu'il convoqua les etats-g^-
neraux, dont je viens d'exposer les details,
les mesures les plus propres a assurer le suc-
c^s dune nouvelle guerre etoient deja prises;
et la campagne ne tarda pas a s'ouvrir.
Deux arraees sous le commandement des
dues de Berri et d'Anjou, fr^res du roi, en-
tr^rent Tune dans I'Anjou et I'autre dans le
Languedoc. La noblesse de ces deux pro-
vinces se joignit aux princes ; mais les troupes
angloises stationn^es dansle royaume, etdes
secours qui arriv^rent promptement d'An-
gleterre , soutinrentce premier choc, et pen-
dant le cours de cette annee il n'y eut que
3l4 ASSEMBLEES NATIONALES
des combats partiels et de peu d'irapor-
tance.
L'annee suivante ( i3yo) la guerre chan-
gea de theatre. Charles V eut recours a un
genre d'attaque qui , sans comproniettre ses
forces materielles, devoit beaucoup ajouter
k ses forces morales. Le i4 mai iSyo, il fit
publier des lettres-patentes dans lesquelles,
apr^s avoir expose qu'un arret de la cour
des Pairs, rendu surl'appel des habitants de
la Guienne, avoit condamne le roi d'Angle-
terre comme vassal rebelle et felon, il declare
qu'il confisque le duche d'Aquitaine et toutes
les autres terres que les princes anglois
possedoient avant leur rebellion dans le
royaume et sous la superiorite et le ressort
de la couronne de France.
Les habitants des parties de la France,
soumis h la domination angloise , avertis par
cette proclamation qu'ils trouveroient dans
le roi de France une protection efficace,
dissimul^rent beaucoup raoins leur haine
contre les Anglois. Plusieurs eveques de ces
provinces que Charles V avoit eu Fart de
DE FRANCE. CHAP. XX. 3l 5
s'attacher second^rent ces heureuses dispo-
sitions, et des insurrections ^clat^rent siir
differents points.
Edouard, qui vit dans la conduite de
Charles a son ^(^rard une infraction au trait^
de Bretigny, reprit le titre de roi des Fran-
cois qu'il avoit abdique par ce meme traite,
et fit passer en France une nombreuse ar-
m^e dont il donna le commandement au
prince de Galles ; Charles V lui opposa
DuGuesclin. La victoire incertaine entre ces
deux grands capitaines passoit alternative-
men t dun camp dans Fautre, personne ne
pouvoit prevoir quel seroit le terme de cette
malheureuse guerre. Mais une mort pr^
maturee enleva le prince de Galles a son
armeedont il etoitl'idole, et cette perte, qui
fut bientot suivie de celle d'Edouard III,
changea la face des affaires. La fortune
s'eloigna des drapeaux de I'Angleterre, et
Charles V auroit dt^livre la France des An-
(jlois si, peu de temps apr^s, une maladie
lente occasionee par des chagrins domes-
tiques, et peut-etre par le poison, n'avoit
3 1 6 ASSEMBLEES NATIONALES
termine sa glorieuse carriere dans un age
ou ses peuples pouvoient esperer de le con-
server encore long-temps (i).
Charles V est le premier des fils de France
qui ait port^ le titre de dauphin.
Aucun roi ne prit plus de conseils, et
ne se laissa moins gouverner.
(i) Bertrand Du Guesclin , conn^table de France, ne
en Bretagne en i3i i , mourut au milieu de ses triomphes
devant Gh4teauneuf-de-Randon en i38o; il a ete en-
terre a Saint-Denis. II ne savoit ni lire ni ecrire.
Le prince deGalles est mort a Westminster le 8 juin iSyG
age de quarante-six ans. II y en avoit vingt qu'il avoit
gagne la celebre bataille de Poitiers. Sa mort jeta I'An-
gleterre dans la plus profonde consternation.
Edouard III, ne le i3 novembre i3i2, est mort le
21 juin iSyy, age d'environ soixante-cinq ans. On
attribue sa mort a Tusage immodere des plaisirs.
En effet, deja sexagenaire, il oublia cinquante ans de
gloire dans les bras d'Alix Pierce. Gette femme intri-
gante et avide porta le scandalesi loin, que la chambre
des communes se crut obligee de demander son eloigne-
ment.
Charles V monta sur le trone en 1 364 , Age de vingt-
sept ans. II mourut au chateau de Beaute-sur-Marne,
le i6 septembre i38o, apres un regne malheureusement
trop court: sa duree ne fut que de seize ans.
DE FRANCE. CHAP. XX. 3l'J
II ne parut jamais a la tete de ses armees.
// n'y eut one roy qui moin s'arma , disent les
clironiques, et il reprit sur les Anglois pres-
que tous les pays que son p^re et son aieul ,
constamment en armes , s'etoient vus forces
de leur abandonner.
II aimoit les (jens de lettres , et se plaisoit
a converse!* avec eux. On ne pent trop re-
peter la reponse qu'il fit a Tun de ses courti-
sans qui lui paroissoit surpris des egards qu'il
temoignoit aux savants. Cette reponse, la
voici : Les elercs ou sapience Von ne pent trop
honorer, et tant que sapience sera honoree en
ce royaume , il continuera a prosperite, mais
quand deboutee en sera, il decherra.
II n'avoit trouve que vingt volumes dans
le cabinet du roi Jean ; il en laissa neuf cents
a son successeur, nombre prodigieux dans
un temps ou I'imprimerie n'etoit pas con-
nue. On remarquoit dans cette collection,
Ovide, Lucain, et Boece, des traductions
en Francois de Tite-Live, Valere-Maxime ,
la Cite de Dieu, la Bible, etc. C'est cette
bibliotlieque qui , successivement augmen-
tee, forme aujourd'hui la BibliothequeduRoi,
3l8 ASSEMBLIES NATION ALES
la plus nombreuse et la plus riche qui soit
peut-etre dans le monde entier.
Les dues d'Anjou , de Bourgogne, de Berri,
et de Bourbon, les trois premiers fr^res et le
quatri^me beau-frfere du roi , s'etoient rendus
a la cour quelques heures avant sa mort. II
expiroit a peine que le due d'Anjou se fit
livrer tons les joyaux de la eouronne, et
tout le tresor du roi qui etoit eonserve dans
une des salles du meme palais, partie en
argent monnoye, partie en lingots. II pr^-
tendit que tons ces objets lui appartenoient
en sa qualite de premier prince du sang. Les
dues de Bourgogne, de Berri , et de Bourbon,
temoins de eet aete de violence, ne voulurent
ou n'oserent s'y opposer.
Charles V laissoit trois enfants: Char-
les VI, son fils aine, ne le 3 decembre i368,
et par consequent age de douze ans neuf
mois (i); Louis, son second fils, age de
(i) Sous le regne de Charles VI les fleurs de lis sont
reduites a trois. On peut cependant rapporter au regne
de Charles V rorigine de cette reduction. Abregede CHis-
toire de France dii president Henault sous Cannee 1 38o.
DE FRANCE. CHAP. XX. Sig
hiiit ans et demi , et Catherine ag^e de trois
ans.
Charles VI ii'ayant pas encore atteint sa
majorite, ses quatre oncles se divis^rent
sur la mani^re d'executer Fordonnance que
Charles V venoit de rendre concernant la
regence du royaume , la tutele , et la garde
du roi mineur. N'ayant pu se concilier entre
eux, ils assembl^rent les pairs et les barons
qui, partages eux-memes, soumirent le dif-
ferent a des arbitres choisis dans leur sein.
Apr^s quelques jours de deliberation ces
arbitres defer^rent au due d'Anjou la r^-
gence et la presidence du conseil; decla-
r^rent que les dues de Bourgogne et de
Bourbon auroient I'education du roi avec la
surintendance de sa maison, et arreterent
que Ton avanceroit lage auquel le roi auroit
du etre sacre. On I'avanca en effet, et d^s
le 4 novembre le due d'Anjou cessa d'etre
regent.
Mais le calme ^toit loin d'etre retabli. Le
due d'Anjou ne s'^toit pas contente de s'ap-
proprier les tresors amasses par Charles V ;
il avoit encore enleve tout le numeraire qui
320 ASSEMBLIES NATION ALES
se trouvoit dans les caisses publiques. Le
defautd'argent suspendoit tous les services;
les sbldats sans paye ravageoient les cam-
pagnes, et le peuple sans protection, sans
moyens de defense, s'abandonnoit au deses-
poir. Dans cette extremite on se flatta de
trouver un remede dans la convocation des
^tats-generaux , c'est-a-dire que Ton ima-
gina de demander de I'argent a des hommes
egalement epuises par les impots qui avoient
pese sur eux sous le dernier roi, et par les
brigandages dont ils etoient les victimes de-
puis le nouveau regne.
DE FRANCE. CHAP. XXF. 32 1
CHAPITRE XXI.
CHARLES VI.
Etats-generaux de i38i.
Peu d'auteiirs oiit parle des elats de 1 38 1 .
J'emprunte ce que Ion va lire k la grande
collection imprimeeaParisen 1789, torn. IX.
Le roi assista a cette assemblee. Arnaud
de Corbie, premier president du parlement,
y representa aux dejnites que le roi ne pou-
voit rien diminuer des depenses necessaires
qui avoient ete faites sous le regne de son
p6re;qu'il avoit besoin desmemes secours et
du meuie revenu ; et il deploya toute son
eloquence pour les engager a donner des
preuves de leur zele pour le roi et pour la
patrie. Les deputes des villes repondirent
qu'ils avoient ordre d'entendre seulement ce
qu'on leur proposeroit, sans rien conclure;
qu'ils feroient leur rapport a leurs conci-
toyens, et (ju'ils ne negligeroient rlen pour
2 i
322 ASSEMBLKES NATION ALES
les determiner h se conformer a lintention
du roi. Les deputes de la province de Sens
furent les seuls qui consentirent a Fetablis-
sement dun impot.
On congedia les deputes apr^s leur avoir
donne ordre de se trouver a Meaux le jour
qu'on leur marqua, ]X)ur y rendre compte
de la resolution quauroient prise ceux qui
les avoient envoyes.
Quelques jours apr^s quelques uns de ces
deputes se rendirentaupr^s du roi, a Meaux
et k Pontoise, et ils declar^rent qu'on ne
pouvoit vaincre I'opposition generale des
peuples au retablissement des impots, et
qu'ils etoient resotus de se porter aux der-
nitres extremit^s pour Fempecher. On ap-
prit meme que les deputes de Sens, qui
avoient depass^ leurs pouvoirs, avoient ete
desavoues.
DE FRANCE. CHAP. XXII. 323
CHAPITRE XXII.
CHARLES VII.
Les historiens disent qu'il n'y eut que des
e tats particuliers sous lereg;nede Charles VII,
et je I'ai dit comme eux, et d'apr^s eux,
dans la premiere edition de cet ouvrage:
cette assertion n'est pas exacte; il paroit
certain qu'il y eut aussi des etats-g^neraux.
A la verite les proc^s-verbaux n'en sont pas
parvenus jusqu'a nous, mais il en reste des
traces dans deux ordonnances rendues par
ce prince.
La premiere concerne une aide impos^e
pour subvenir aux frais de la guerre 5 elle
est du 28 fevrier i435. On y lit: « Instruc-
u tions et ordonnances faites et advisees par
K le roy nostre seigneur et les seigneurs de
V son sanget grand conseil, sur la mani^re
u de lever et gouverner le fait des aides qui
« souloient avoir cours pour la guerre ; les-
2 1 .
324 ASSEMBLIES NATIONALES
u quelz le roy nostre dit seigneur, depuis son
« partement de Paris , et du consentement
« des trois etats de son obeissance, a remis sus le
« vingt-liuiti^me jour de f(^vrier, Fan 1 435. »
La seconde, donnee a Orleans le 12 no-
vembre 14^9, 6st le celebre edit qui assure
aux armees une solde reguli^re, et par suit;^
duquel furent etablies les compagnies
dliommes d'arme (i). En voici le pr^am-
(i) Apres s'etre procure, par I'etablissement de la taille
dont il est parle dans cette ordonnance, les fonds suf-
fisants pour la solde d'une armee reguliere, Charles VII
s'occupa de son organisation. II la composa de quinze
compagnies de cent lances; chaque lance ou homme
d'armes avoit sous lui trois archers, un ecuyer, et un
page, tous a cheval ; ce qui formoit un corps de neuf
mille hommes.
La paye de chaque homme d'armes etoit de dix livres
par mois, celle de I'ecuyer de cent sous, celle de I'archer
de quatre francs, et celle du page de soixante sous.
Un grand nombre de gentilshommes, et meme de
roturiers assez riches pour servira leurs frais, se reunirent
a ces compagnies comme volontaires; de maniere que
bientot chacune d'elles se trouva monter au moins a
douze cents hommes, ce qui forma le plus beau corps
de cavalerie et le plus redoutable qu'il y eut en Europe.
Les chefs etoient responsables des fautes do leurs sol-
DE FRANCE. CHAP. XXII. 325
bule: «Poiir obvenir et doniier remede a
« faire cesser les grands excez et pilleries
ufaites et commises par les gens de guerre,
M qui long temps ont v^cu et vivent encore
«sur' le peuple sans ordre de justice, ainsi
« que bien au long a este dit et remontre
((au roy par les gens des trois etats de son
« royaume , de present estant assemblez en
(t cette ville d'Orleans, le roy par I'avis et de-
« liberation, etc., a fait, constitue, ordonne
« et estably , fait et etablit par loy et edit
((general, perpetuel et non revocable, par
((forme de pragmatique sanction , les edits,
(( loix , statuts , et ordonnances qui s'ensui-
(( vent (i). »
dats, et tous en temps de paix et dans les quartiers
d'hiver etoient soumis aux juges ordinaires de leur gar-
nison. Comme plusieurs cadets de maisons nobles n'a-
voient pas pu entrer dans ces compagnies en qualite de
surnumeraires, faute de raoyens,le roi en forma un corps
et leur donna a chacun vingt ecus par mois (I'ecu valoit
alors treize sous six deniers) : voila I'origine de la maison
noble du roi.
(i) L'article 4' de la meme ordonnance prouve ega-
lement que plus d'une fois Charles VII eut recours aux
3^6 ASSEMBLEES NATJONALES
Ces deux ordonnances sont remarqua-
bles. Elles prouvent que sous les regnes
malheureuxde Charles VIetde Charles V 11,
malgre la g^uerre et ses fureurs, malgfr^ les
factions et leurs crimes, la nation setoit
maintenue dans le droit de s'imposer elle-
meme; et que ce droit, s'il ne fut pas tou-
jours respecte, fut constamment reconnii.
Cette opinion que les impots ne sont \^^-
times qu'autant qu'ils sont consentis par les
contribuables etoit aloi'S si bien <5tablie,
que Philippe de Commines, qui etoit n^
sous le regne de Charles VII, ecrivoit sous
celui de Louis XI:
« II n'y a roy ni seigneur sur terre,
«qui ait pouvoir, outre son domaine, de
(tmettre un denier sur ses sujets sans oc-
etats-gieneranx. Voici les termes de cet article : « Et pour
« ce que souventes fo>is , xxprks que du consentement des
utrois itats, le roy a fait mettre aucune taille sur son
a peupie pour ie faitde sa guerre et lui subvenir et aider
« a ses necessitez, les seigneurs barons et autres empe-
II chent et font empecher les deniers Je ladite taille et
(. aussi des aides du roy en leurs terres et seigneui-ies. n
DE FRANCE. CHAP. XXII. 827
M Iroy et consentement de ceux qui le doi-
«vent payer, sinon par tyrannic ou vio-
« lence. On pourroit respondre qu'il y a des
Msaisons qu'il ne faut pas attendre I'assem-
« bl^ , et que la chose seroit trop longue k
Kcommeiicer la guerre et h I'entreprendre.
a Je r^ponds a cela qu'il ne faut point tant
« haster, et Ion a assez de temps *, et si vous
«dis que les roys et princes en sont trop plus
« forts , quand ilsentreprennent quelque af-
« faire du consentement de leurs subjets, et
« en sontpluscraintsdeleursennemis(i).))
Puisque j'ai parle des etats provinciaux,
je dirai qu'ils n'etoient pas toujours convo-
ques dans la seule vue d'obtenir des subsi-
des; que souvent ils avoient lieu pour sub-
venir a des besoins locaux, ou pour corriger
des abus proteges par des hommes si nom-
breux et si forts que leur extirpation exi-
geoit le concours des trois ordres de la pro-
vince. En voici un exemple qui appartient
au regne de Charles VII.
(i) Mhnoire de Cotnmines , 1. V, c. xix.
328 ASSEMBLEES NATIONALES
Ge prince, informe que les seigneurs
dont les terres bordoient la Loire et ses af-
fluents entravoient la navigation et rui-
noient le commerce par des peages exces-
sifs et des vexations de toute espece, y
pourvut par une ordonnance du'^i5 mars
i43o, dans laquelle nous lisons: uVeulant
«donner et mettre provision a ce, comme
(t tenus y sommes, et afin que le faict de mar-
(t chandises qui est necessaire pour le bien
«dp nos sujets se puisse conduire et entre-
((teniret remettre sur, et que iceux mar-
« chandsetleursmarchandises soient etpuis-
« sent estre gardez etpreservez d'oppressions
« et vexations indiies, tant par la deliberation
« et advisy etc., des gens de nostre grandconseil,
« et des trois etats des pays a nous obeissans
ii environ ladite riviere de Loire ^ assemblez a
tiSaumur, avons ordonne, decerne et de-
wclare, et par ces presentes ordonnons, de-
(tcernons et declarons par ledit edit per-
(tp^tuel, et constitution irrevocable, tous
« aydes, phages, travers, subsides, truages et
M impositions quelconques qui depuis soi-
u Xante ans en ca ont este mis, imposez et
DE FRANCE. CHAP. XXll. 329
waccreuz par quelques personnes, et sous
(t quelconque couleur ou occasion que ce
«soit, surdes denrfe et marchandises mon-
« tant ou descendant par ladite riv^re de
i^ Loire tant comme elle contient, et par les
u autres fleuves et rivieres descendans en
«celle, estre nuls et de nulle valeur; et en
« tant que besoin en est, iceux avons abolis
« et revocquez, abolissons et revocquons. »
33o ASSEMBLIES RATIONALES
»*%/«/v«y%/«' %/%^
GHAPITRE XXIII.
Etats-g^e'ne'raux de 1467.
Ces etats sont remarquables en ce qu'ils
offrent le premier exemple de manoeuvres
employees par le gouvernement pour cor-
rompre les electeurs, et influencer les de-
putes.
II s'agissoit de constituer I'apanage de
Charles, due de Berri, frere du roi. Ce
prince, soutenu par tous les mecontents du
royaunje, et le nombre en etoit incalcu-
lable, exigeoit la province de Normandie.
Louis XI ne voulant pas la donner, et n'o-
sant la refuser ouvertement, declara qu'il
sen rapportoit a la decision des etats-gt^ne-
raux.
Cette deference de la part d'un prince
augsi'absolu devoit paroitre bien suspecte.
Charles , qui ne vit pas le pie^je , accepta I'ar-
bitrage, et les etats-generaux furent con-
voques a Tours.
DE FRANCE. CHAP. XXIII. 33 I
Le 6 avril 1467^ avant Pdques (i), le roi
en fit I'ouverture dans la grande salle de
rarcheveche. On avoit divis^ cette salle en
trois |3arquets. Dans le troisi^rae etoient les
nobles^ conites , barons^ gens du conseil du roi,
et gens envoyes de par les bonnes villes (2).
« Audit premier parquet ^toit assis le roi,
« en une haute chaire, en laquelle falloit
t( monter trois hauts degres; laquelle cliaii'e
« etoit couverte dun velours bleu , seme de
(tfleurs de lis, relevees dor, et y avoit cie!
«et dossier de meme: et etoit le roi vetu
«d'une longue robe de damas blanc, bro-
« chee de fin or de Chypre , bien dru , bou-
« tonnee devant de boutons dor, et fourree
« demartressobelines, un petitcliapeautioir
(i) Com me a cette e'poque I'anne'e commencoit a Pa-
ques , cette assemblee appartient reellement aux deux
annees 1467 et i468 : c'est par cette raison qu'on la trouve
placee sous ces deux dates. J'ai prefere la premiere,
parceque c'est en 1467 que se fit I'ouverture desetats.
('2) Ainsi dans cette }>remiere seance la noblesse fut
confondue avec le tiers-etaL La politique bien connu«
de Louis XI ne permet pas d'attribuer cette confusion ati
liasard.
332 ASSEMBLlfiES NATIONALES
«sur sa tete, et une plume dor de Chy-
«pre (i). »
Le chancelier exposa le sujet de Fassein-
blee par un discours dans lequel, apres avoir
loue la fidelite des peuples, la confiance du
prince, et Famour reciproque des sujets et
du souverain, il exposa les graves inconve-
nients qui resulteroient de la cession de la
Normandie; il fit sentir que ce seroit ouvrir
la France a ses ennemis , et que le roi , prive
des impots de cette riche province, seroit
dans I'impuissance d'acquitter les charges
de I'etat. Il ajouta que les auteurs des trou-
bles dont Fetat etoit agite ne cherchoient
qua les perpetuer, en engageant ce jeune
])rince a persister dans une pretention qui
privoit le souverain d'un tiers des revenus
de la couronne.
Ce discours termine, le roi sortit de Fas-
(i) Ces details sont consignes dans le proces-verbal des
etats, redige par Jean Le Prevost, qui en etoit le secre-
taire. On trouve ce proces-verbal dans le tome IX du
grand recueil des etats - generaux imprime a Paris
en 1789.
DE FRANCE. CHAP. XXIH. 333
semblee, comme s'il eiit craint que sa pre-
sence ne {^enat la liberte des opinions. Cette
retraite fournit an chancelier un nouveau
motif de faire I'eloge du roi, de sa franchise
et de sa loyaut^ (i).
(i) Les observations suivantes sur la nature des apa-
nages feront connoitre Timportance de la question sou-
mise aux etats.
Sous les deux premieres races, tous les fils des rois suc-
cedoient a leurs peres, et, rois comme eux, partageoient
leurs etats.
Sous la troisieme dynastie , des idees plus saines et I'in-
fluence du regime feodal ont change cet ordre de choses.
La couronne, devenue le partage de I'aine, a ete declarer
indivisible, et cette indivisibilite est depuis long-temps
une des lois fondamentales du royaume.
Mais pour etre devenus les premiers sujets de leurs
freres, les puines n'ont pas cesse d'etre les fils du dernier
roi, et n'en sont pas moins I'esperance de la nation et les
garants de la stabilite de son gouvernement , puisqu'ils
sont appeles a re'gner sur elle en cas d'extinction de la
branche ainee.
Comme fiJs du dernier roi, les princes puines ont
droit a la legitime que la loi civile assure a tous les en-
fants du meme pere.
Mais cette legitime de la loi civile se borneroit a une
portion dans les biens dont le roi pouvoit disposer,
334 ASSEMBLFlES NATION ALES
Jean Juvenal des Ursins, archeveque de
Reims, prit ensuite la parole. Apr^s avoir
c'est-a-dire dans les meubles et dans les domainea non
reunis.
La loi politique qui voit les choses de plus haut, qui
volt dans les fils de nos rois les enfants de I'etat, attache
a cette qualiie defils de France une autre legitime dont
elle charge I'etat, et qu'elle devoit consequemment assi^
gner sur le domaine public.
C'est a cette legitime, tout a-la-fois civile et politique,
([ue Ton a donne la qualification di'apanage des princes
du sang royal.
Une fois qu'il etoit reconnu que I'etat devoit un apa-
nage aux fils de France, il ne restoit plus qu'a se fixer
sur la maniere dont cette dette seroit acquittee; et les
regies k cet egard se presentoient fort naturellement.
11 s'agissoit de 1' existence d'un prince habile a succeder
ii la couronne: il falloit done I'environner d'un eclat
qui, lui rappelant ses hautes destinees, I'avertit a teas
les instants des obligations qu'il pourroit un jour avoir
a remplir; d'un eclat qui, frappant tous les regards,
tint long-temps d'avance les avenues du trone ouvertes
devant lui; d'un eclat enfin qui, le montrant a la na-
tion convert des rayons de la majeste royale, garantit
a chaque citoyen que le principe de la legitimite seroit
maintenu, et Tordre de la succession an trone assure
pour une duree indefinie.
C*est d'apres ces grandes vues, et pour les remplir,
que Robert II , roi de la troisieme race, donfia la Bour-
DE FRANCE. CHAP. XXIII. 335
proteste de la purete de ses intentions , et
prie I'assemblee de n'imputer qii a son ^rand
gogne en apanage a son second fils , que depuis il en
a cte etabli pour toutes les branches collaterales de la
lualson regnante, et cjue ces apanages, toujours d'un
revenu considerable, ont e'te decores de& litres les plus
magnifiques.
De ces notions generates i-esultent les consequences
suivantes, qui soat autant de maximes de notre droit
public , et qui forment toute la partie de notre legislation
relative aux apanages.
Le prince, en faveur duquel un apanage est etabli,
ne le recoit qu'a la charge de Je transmettre k ses des-
CMidants.
Cette transmission, comme celle de la couronne, et
par les memes motifs, s'opere de male en male, et
d'aine en aine, a I'exclusion des femmes.
EUe doit etre integrale. L'apanage doit passer a tous
ceux qui sont appeles a le recueillir, tel qu'il est sorti
des mains du roi, tel qu'il est entre dans celles du pre>-
mier possesseur.
Toute espece d'alienation est interdite au prince apa-
nage, et consequemment il est daos I'impuissance d'hy-
pothequer les domaines de l'apanage; car hypothequer
c'est aliener.
II en est de raeme des charges foncieres : il ne peut en
imposer d'aucune espece.
A I'extinction de la descendance masculine du prince
336 ASSEMBLEES RATIONALES
age les fautes qu'il pourroit commettre, le
venerable archeveque, dans un discours
plein dune noble franchise, expose les maux
qui desoloient la France, en recherche les
causes, et trouve les principales dans les
exigences des papes , qui faisoient passer a
Rome une partie considerable du nume-
raire de la France; dans le luxe des grands,
et sur-tout des femmes , qui nous rendoit
tributaires des nations voisines ; dans les pro-
digalites de la cour, sur— tout en appointe-
ments et en pensions, prodigalites qui epui-
soient le tresor public, et qui necessitoient
des impots excessifs. Je vais transcrire cette
partie de son discours; le style seul en a
vieilli.
apanage, I'apanage rentre dans le domaine de I'etat,
dont il n'avoit cesse de partager le caractere et les pre-
rogatives.
Ainsi les etats avoient a concilier les exigences de la
politique avec les droits que la nature et les lois civiles
donnoient au frere du roi; et ils ont rempli oe double
objet en rejetant les pretentions de Charles a la Nor-
mandie , et en declarant que les terres offertes par
Louis XI constitueroient son apanage.
'V
DE FRANCE. CHAP. XXIIf. 33']
« Si Ton me demande ou va notre argent,
(( je puis repondre qu'une bien fjrande par-
te tie va a Rome pour avoir benefices vacants
udans les eglises catliedrales , abbayes, gra-
« ces expectatives de benefices que Ion dit
t( etre reserves par les conciles generaux au
« temps passe, et derni^rement par le con-
(t cile de Basle , dont les decrets sont a tenir
« et ont ete approuves par toute TEglise de
((France
((En effet, les franchises et les libert^s de
(( FEglise de France , jurees par di verses fois ,
((ontetepublifeparmani^red'ordonnances
(' royaux , que le roi , en son sacre , a promis
((Ct jure garder et faire entretenir; et ne
((deplaise a ceux qui disent que le roi fera
(( mal de desobeir au pape; car, en ce, n'a
((aucune desobeissance, mais c'est lui gar-
((der ses honneurs, et raemement que tons
(desdits decrets furent et ont ^t^ approuves
(( par feus nos saints peres Eugene et Nico-
(das, et dient aucuns que le pape est tenu
(( d'obeir et est sujet, quant a ce, aux decrets
(( des conciles gen^raux.
(( Une autre plaie de Tetat est dans les ha-
2Z
338 ASSEMBLEES NATIONALES
« bits en draps de soye ; et les femmes , Dieu
(( salt comme elles sont parees desdits draps
« en robes, cottes simples, et en pUisienrs
« et diverses manieres : en ces choses-ci, lame
u et la substance de la chose publique sen
« va et ne revient point
« Au temps passe, on a vu que les damoi-
uselles et autres femmes, voulant faire par
(cle bas en leurs robes un rebours nomme
K profit, ils etoient de beaux chats blancs;
(( de present il les faut de letices ou de drap
« de soye de largeur du drap , a j^randes cor-
« nes, ou k tours hautes sur leurs tetes, ou
(( couvre-chefs de toile, de soye, train ants
((jusqu'a terre, et, dit-on, que ce n'est pas
wd'elles, ne de leurs maris, elle vient par
(( mani^re de suite du roi, et le roi Fa par le
« moyen des charges qu'il prend sur son
«peuple
« II y a une autre plaie de I'etat encore
«plus dangereuse, c'est a savoir les exces-
« sives pensions, gages , tant a cause de ma-
tt riages qu'autrement, que le roi a faits a
uson plaisir, tant a ceux de son sang, sans
« causes n^cessaires; il ne faut que regarder
DE FRANCE. CHAP. XXIII. 33g
«eii la chambie des comptes, ce que sou-
(( loient avoir, au temps passe , les officiers
(tdu roi pour gages, et quels dons les rois
((faisoient. On dit que feu M. le due de
((Bourgogne, Philippe, vint voir son fr^re
«a Paris, et y fut par aucun temps, et en
«s'en allant, alia en une maison qu'il avoit
(( aupr^s Charenton ; le roi, pour les frais et
((depens qu'il avoit faits, lui fit delivrer
(cmille francs; mais il retourna a Paris,
(cpour le remercier, et aujourd'hui on don-
ee ne les vingt mille , quarante , cinquante,
(( soixante, et autres grandes sommes de de-
«niers, et fait plusieurs manages, donne
u grands gages et excessifs, et pensions, non
u mie seulement a hommes, mais a femmes,
«et autres qui scauroient de rien servir au
« roi, ne ^ la chose publique; il ne faut que
« regarder aux grandes finances et etats des
Mgens de finance, tresoriers-generaux, et
«tous officiers des aydes, qui ont gages et
« bienfaits du roi bien excessifs. Helas ! c'est
(( tout le sang du peuple. »
Les etats s'occup^rent ensuite des objets
soumisaleurs deliberations, etil futunani-
22.
34o ASSEMBLIES NATIONALES
mement arrete que la Normaiidie ne pour-
roit jamais etre separee du domaine de la
couronne; que Charles V avoit, par une
declaration precise, fixe Fapanage des fils
de France a douze mille livres de rente en
fonds de terre, avec titre de duche ou de
comte; que sa majeste, en y ajoutant une
pension annuelle de soixante mille livres
tournois, donnoit un temoignage non com-
mun de I'affection quelle portoit a son fr^re,
et qu'elle seroit instamment suppliee de de-
clarer qu'elle ne se conduisoit ainsi que pour
cette fois seulement, afin que dans la suite
une pareille derogation ne put etre tiree a
consequence. On declara ensuite que le due
de Bourgogne seroit invite a concourir,
ainsi que les autres princes, a la resolution
des etats, pour ce qui concernoit I'apanage
du prince Charles. La conduite du due de
Bretagne fut blamee sans menagement. II
avoit seduit et retenoit encore le fr^re du
roi; il s'etoit empare de plusieurs villes en
Normandie ; on I'accusoit de plus d entrete-
nir des intelligences pernicieuses avec les
Anglois ennemis de la France. Tons ces at-
DE FRANCE. CHAP. XXIII. 34 1
tentats Violent autant de crimes de l^se-ma-
jest^. L'assemblee statua, d'une commune
voix, que ce prince seroit incessamment
somme de restituer les places quil avoit
usurpees; qu'en cas de refus, el que Ton eut
des preuves evidentes de son alliance avec
FAnj^leterre , le roi emploieroit la force des
armes pour lui courir sus, et le reduire. Les
princes, seigneurs, prelats, et deputes des
villes, qui composoient l'assemblee, termi-
nerent leurs deliberations en assurant le roi
qu'ils etoient prets a contribuer de tout leur
]X)uvoir a I'accoraplissement de ses justes
desseins; savoir, les gens d'eglise de leurs
pri^res, oraisons, et biens de leur tempo-
rel ; et la noblesse, ainsi que le peuple, de
leurs corps et de leurs biens , jusqu a la mort
inclusivement. On choisit ensuite des com-
missaires pour travailler a la reformation de
la justice dans le royaume. Enfin le roi con-
gedia les etats apres les avoir remercies de
leur attachement et de leur zele.
Le passage suivant de la belle histoire des
dues de Bourgogne, par M. de Barante,
terminera ro nhapitre :
342 ASSEMBLEES NATIONALES
« Cependant les etals ne vonlurent pas
« se separer sans avoir fait quelques remoii-
« trances dans I'interet du pauvre peuple.
« lis se plaignirent des desordres des (^ens
« de guerre, de la facon dont la justice etoit
urendue, et de la mauvaise administration
«des finances. Le roi reponditque les sedi-
(( tions excitees par ses ennemis etoient la
« cause de ces desordres; qu'il vouloit tra-
« vailler a les corriger, et que, pour cela, il
« convenoit que les etats fissent clioix de
(tplusieurs sages personnes , afin de tra-
(' vailleralareforme. Cettereponseexcitade
((grandes protestations de reconnoissance,
«de zele et de fidelite. Cliacun, dans cette
wassemblee, celebroit a I'envi les louanges
«du roi, et, pour mieux montrer la con-
« fiance qu'on mettoit en lui, les deputes
« des ^tats clioisirent des commissaires qui
«ne pouvoient songer a contredire ses vo-
« lontes. G'etoit le cardinal Balue, les comtes
« d'Eu et de Dunois, le patriarche de Jeru-
((salem, I'archeveque de Reims, leseveques
« de Langres et de Paris, le sire de Torcy,
« grand-maitredesarbaletriers, un des gens
DE FRANCE. CHAP. XXIII. 343
« du roi de Sicile , un de jDute de chacuiie des
((villes de Paris, Rouen, Bordeaux, Lyon,
«Tournai, Toulouse, et des senechaussees
((de Carcassonne, Beaucaire et Basse-Nor-
u man die. »
344 ASSEMBLIES NATIONALES
CHAPITRE XXIV.
Mort de Louis XI. Difficultes concernant la regence.
Convocation des etats-generaux.
Arriv^ a cette heure supreme ou les rois
restent seuls avec la verite (i), Louis XI
jette des regards inquiets et douloureux sur
cette belle France qui lui echappe pour ja-
mais; et ce prince dont il n'y a qu'un instant
le nom seul glacoit d'effroi la nation enti^re
eprouve a son tour le meme sentiment. II
craint que les haines accumulees sur sa tete
ne retombent sur celle deson fils; etcomme
ce fils n'avoit alors que treize ans, il craint
encore les debats qui ne manqueront pas de
s'elever entre les pretendants a la regence.
Ces pretendants ^toient au nombre de
trois: Charlotte de Savoie, m^re du jeune
(i) Louis XI mourut le i4 aout i483, age de soixante
ans et deux mois.
DE FRANCE. CHAP. XXIV. 345
prince, qui avoit en sa faveur I'exeraple de
Blanche de Gastille, regente du royaume
pendant la minorite de Louis IX; Louis
d'Orleans naturellement appele a exercer
lesdroitsdelacouronne, puisque, en sa qua-
lite de premier prince du sang, il etoit le
plus interesse a les defendre; enfin le due
de Bourbon plus eloigne du trone que Louis
d'Orleans, mais qu'il croyoit pouvoir ecarter
par le motif que, n'ayant encore que vingt-
trois ans , la loi le declaroit incapable d'ad-
ministrer ses propres affaires.
Louis XI, qui avoit prevu ces difficultes,
s'^toit flatte de les ecarter en disposant lui-
meme de la regence; et par une disposition
de son testament, donnant I'exclusion a la
reine qu'il n'aimoit pas, au due d'Orleans
qu'il redoutoit, au due de Bourbon que la
goutte retenoitdans son lit pendant la ma-
jeure partiedel'annee, il avoit confe re la tu-
tele de son fils et I'administration du royaume
a sa fille ainee, Anne de France, femme de
Pierre de Bourbon sire de Beau jeu.
Cette princesse etoit douee des plus rares
qualites. Les historiens lui accordent un
346 ASSEMBLIES NATIONALES
{^enie profond, line ame forte, toutes les
graces de son sexe et les vertus qui font les
(jrands liommes.
Ce beau caractere etoit sans doute un
titre a la consiide ration , mais ne donnoit
pas droit a la regence : et la volonte du roi ,
toute-puissante pendant sa vie, n'etoit plus
apres sa mort qu'un simple conseil. La dame
de Beaujeu raisonna differemment; et sur la
foi du testament de son pere, elle se saisit
du pouvoir. La maniere dont elle en usa
montra quelle en etoit digne.
Le premier acte de son autorite fut de
rendre les exiles a leur patrie, et a la liberte
une foule de mallieureux jetes dans les
cacliots sans forme de proces, et le plus
souvent sur de simples soupcons. Elle fit
mieux encore, elle fit pendre les deux prin-
cipaux agents des cruautes de son pere,
Olivier le Daim et Jean Doyac. Le peuple
etoit ecrase sous le poids des impots, elle
commenca par lui faire la remise du dernier
quartier de I'annee courante; portaut plus
loin sa sollicitude, ellediminua les depenses
de la cour, et congedia six mille Suisses qui
DE FRANCE. CHAP. XX[V. 347
etoient au service tie France. Louis XI avoit
prodigue les domaines de I'etat a ses favoris;
et sa main, de fer pour les pretres, s'etoit
ouverte en faveur des eglises avec une li-
beralite que son aveugle superstition pent
seule expliquer. Toutes ces alienations f'u-
rent revoquees.
La mort de la reine mere avoit suivi de
pres celle du roi, et la dame de Beaujeu
n'avoit plus que deux concurrents ; elle
essaya d'obtenir leur desistement en les com-
blant d'lionneurs. Elle confera au due d'Or-
leans le gouvernement de Paris, de I'lle-
de-France, de Champagne et de Brie, avec
le droit d'assister a tons les conseils; et au
due de Bourbon, la charge de conni^table
et de lieutenant-general du royaume quil
desiroit ardemment.
Les deux princes accept^rent ces hon-
neurs, et conserverent leurs pretentions.
La dame de Beaujeu continua de defendre
les siennes. Lestrois pretendants comprirent
enfin que la nation representee par scs de-
putes pouvoit seule mettre fin a leurs debats :
et les ^tats-generaux furent convoques.
348 ASSEMBLINGS NATIONALES
CHAPITRE XXV.
Ijltats-generaux tenus k Tours en i483.
Le 1 4 Janvier le roi se rendit a Tours, et
Je lendemain les ^lats s'oiivrirent. Dans une
vaste salle de I'eveche on avoit eleve une
estrade; au milieu ^toit place un trone con-
vert dun tapis de soie parseme de fleurs de
lis ; a main droite et a six pieds de distance
du trone etoit un fauteuil convert dun
tapis pour le due de Bourbon, connetable
de France-, a gauche, et un pen plus has,
un autre fauteuil pour le chancelier Guil-
laume de Rocliefort; derri^re le fauteuil du
connetable on avoit mis un banc sur lequel
^toient assis les cardinaux de Lyon et de
Tours, les six pairs ecclesiastiques et le
comte de Vendome*, de I'autre cote et plus
pr^s du trone, un autre banc etoit occupe
par les dues d'Orleans et d'Alencon , les
comtes d'Angoulerae, de Beaujeu, et de
DE FRANCE. CHAP. XXV. 349
Bresse ; dans le parquet inferieur siegeoieiit
les ^veques et les barons: au centre etoient
les greffiers ou secretaires des etats. Voici
I'ordre dans lequel les deputes furent ap-
pel^s: i" les deputes de Paris ^ 2** les deputes
de Bourgogne, premiere pairie de France;
S^'de Normandie; 4°<iii duche de Guienne;
5° du comte de Cliampagne; 6" du comte
de Toulouse; y** du comte deFlandre. Apr^s
les deputes des six anciennes pairies, on ap-
pela ceux dessenechausseeset des bailliages,
en observant pour les rangs la date de leur
reunion a la couronne.
Get appel terniine, et chaque depute
ayant pris la place qui lui etoit assignee, le
chancelier, apr^s s'etre profonderaent in-
cline vers le roi, adressa a I'assemblee un
tr^s beau discours dont je vais transcrire
quelques passages.
«MESSEIGNEUES DES fiTATS
((Deux objets importants occupent prin-
«cipalement le roi: la legislation, et la re-
« forme du clerge. Quant au premier, il a
35o ASSEMBLEES NATIONxiLES
a fait recherclier les ordonnaiices du glo-
« rieux roi Charles VII, afin de les mettre
(( en vigue'ur; par rapport a la reforme du
((cler(>e, il a cru que, sans manquer au res-
it pect dout il est penetre pour les decisions
((de FEglise, il pouvoit, comme chef de I'e-
((tat, prendre connoissance de ce qui con-
(( cerne la discipline et les moeurs
(( Le roi exig^e de vous que voiis lui decou-
(( vriez tous les abus qui peuvent etre echap-
(( pes a sa connoissance, et que vous ne lui
((de^jUisiez aucun des maux qui affli^ent le
(cpeuple; ne craignez pas que vos plainles
((soient importunes, le roi aura egard a vos
(( remontrances ; et vous , princes qui m'e-
((coutez, je vous supplie et vous adjure au
((nom de la patrie, notre mere commune,
(( d oublier tout esprit de parti , et de laisser
(( aux deputes une pleine et entiere liberte.
(( II est question , et c est encore un des
((motifs de cette assemblee, de former au
(( roi un conseil qui puisse le seconder dans
(de dessein qu'il a forme de maintenir le
(( royaume en paix , d'y retablir la police, et
(( d'y faire fleurir la justice et le commerce :
DE FRANCE. CHAP. XXV. 35 I
» ce conseil doit etre compose d'hommes a
(( qui rexperience dn pass^ ait appiis a pre-
r( voir I'avenir, qui aient un caract^re propre
((a concilier au roi Taraour de ses sujets,
« I'estime et la confiance de ses voisins, qui
uconnoissent la constitutiou de I'etat, et
« qui, sur le modele eternel du ciel, fassent
« mouvoir tous les ressorts du corps politi-
uque sans embarras et sans confusion. Si
«les voeux du roi sont remplis, la justice
« siegera sur le trone, et dictera des lois.
uCelui qui offensera la justice offensera le
((roi; et quiconque voudra prouver qu'il
(( aime le roi commencera par observer la
((justice. ))*
Apr^s que le chancelier cut cesse de par-
ler, Jean de Rely, docteur de Sorbonne, et
chanoine de I'eglise de Paris , pi it la parole
au nom des trois ordres, et prononca un dis-
cours qui ne dut pas moins etonner par son
erudition que fatiguer par sa longueur,
mais d'ailleurs reraarquable et par Tinde-
pendance des opinions et par la sagesse des
vues qu'il renferme. Jen transcris quelques
fragments :
352 ASSEMBLEES NATION ALES
(( Sire, cloncques, s'il vous plait, en pour-
(( voyant a tout ce qui sera advise, delib^re,
(tet consuite, vous aurez devant les yeux la
u crainte de Dieu et le bien de son peuple,
« c est-a-dire. Sire, que la puissance des roys
«de la terre, et tous les royauraes du
umonde, sont en la main de Dieu, le sou-
« verain Seigneur, et qu'ils en jouissent sous
(tsa main, et non pas a toujours, mais tant
« et si peu qu'il lui plaira j et qu'ils rendront
« compte tr^s exact de tout ce qu'ils auront
((fait
(( Sire, les flatteurs vous disent que tout
(( va bien, et que le peuple n'a charge qu'il
(( ne porte bien , et que encore la porteroit-il
((plus grande. Et le pauvre peuple, qui
(( meurt de faim et de mal-aise en I'amer-
(( tume de son ame, crie a Dieu vengeance....
(( II nest nul doute que lEglise n'ait este
« instituee de Jesus-Christ pour interceder
(( et moyenner envers Dieu pour le peuple,
(( pour edifier, enseigner, et tirer a Dieu le
(( peuple par sainte doctrine et bon exemple.
« A quoy tr^s peu fait la grande sumptuosite
(( des grands Mifices, la beaute des pierres
DE FRANCE. CHAP. XXV. 353
« et des niarbres, lor et I'argent des calices
(( et des lampes, la ricliesse des chappes et
(( parements d'autels, de draps dor de ve-
« lours et de soye, sans election de I'idoneytc
« des rainistres. Plus plaisoit a Dieu la vie et
(da doctrine de saint Martin, qui fut eslu
(( par le clerge de Tours ;*la vie et la doctrine
« de ceux a qui il conferoit les benefices sans
{( aller a Rome; plus ornoit I'Eglise, et plus
u faisoit pour le bien du roi et du royaume,
« que tout ce qu'on y a adjouste depuis. »
L'attention des etats-generaux se fixa par-
ticuli^rement sur trois objets: I'administra-
tion du royaume pendant la minoriteduroi;
la maniere de pourvoir aux offices de judi-
cature; les moyens de diminuer les impots.
Les deputes se diviserent sur le premier
de ces trois points : les uns pretendoient que
les princes et les grands avoient seuls le
droit de disposer de la regence, et de regler
la forme du gouvernement pendant la mi-
norite des rois ; les autres soutenoient que ce
droit appartenoit exclusivement aux ^tats-
generaux. Philippe Pot, seigneur de la Ro-
che, depute de la noblesse de Bourgogne,
23
354 ' ASSEMBLIilES NATIONALES
se prononca pour la seconde opinion , dans
un discours fort remarquable, sur-tout par
le passage suivant :
« Lorsque les honimes commencerent a
« former des societes, ils elurent pour mai-
« tres ceux de leurs egaux qu'ils regard erent
« comme les plus eclaires et les plus inte-
(( gres ; en un mot ceux qui par leurs qualites
(( personnelles pouvoient procurer de plus
« grands avantages a la societe naissante.
(( Ceux qui apres leur election ne song^rent
« qua s'enrichir aux depens de leurs sujets
« ne furent point regardes comme de verita-
« bles pasteurs, raais comme des loups ra-
ce vissants ; et ceux qui , sans attend re Telec-
wtion, s'empar^rent de I'autorite supreme^
«ne furent point reputes des rois , mais des
« tyrans. II importe extremement au peuple
« quel est celui qui le gouverne, puisque du
« caract^re de ce seul liomme depend le
« bonheur ou le malheur de toute la societe.
(« Appliquons malntenant ces principes ge-
uneraux: s'il s'eleve quelque contestation
(( par rapport a la succession au trone ou a
DE FRANCE. CHAP. XXV. 355
« la regence , a qui appartient-il de la deci-
« der, sinon a ce ineme peuple qui a d'abord
« elu ses rois, qui leur a confer^ toute I'au-
« torite dont ils se tiouvent revetus, et en
(( qui reside foncierement la souveraine
« puissance? Car un etat ou un gouverne-
« ment quelconque est la chose publique
(test la chose du peuple; quand je dis le
(t peuple, j'entends parler de la collection
(( ou de la totaiite des citoyens, et dans cette
« totaiite sont compris les princes du sang
« eux-memes, comme chefs de la noblesse.
(( Vous done, qui etes les representants du
(( peuple, et obliges par serment de defendre
(( ses droits, pourriez-vous encore douter
u que ce ne soit a vous de regler I'adminis-
« tration et la forme du conseil ? Qui pent
(( maintenant vous arreter ? Le chancelier
« ne vous a-t-il pas declare que le roi et les
((princes attendent de vous ce reglement?
(( On m'objecte qu'immediatement apres la
(( mort du dernier roi, et, sans attendre notre
(t consentement , on a pourvu a Fadministra-
((tion,et dresse un conseil, et qu'ainsi nos
23.
356 ASSEMBLEES RATIONALES
« soins seroient d^sormais tardifs et super-
« flus. Je reponds que I'etat, ne pouvant
(( se passer d'administrateurs, il a ete neces-
(( saire den nommer sur-le-champ , pour
« vaquer aux affaires les pliis urgentes ; mais
« que ce choix et tous les autres reglements
« qui ont ete faits depuis la mort du roi ne
« sont que des reglements provisoires, et
(( qu'ils n'auront d'autorite qu'autant que
« vous les aurez confirmes. Ces assemblees
M d'^tats, et le pouvoir que je leur donne, ne
«sont point une nouveaute, et ne peuvent
« etre ignores par ceux qui ont lu Fhisloire.
« Lorsqu'apr^s la mort de Philippe-le-Long
« il s'eleva une dispute entre Philippe de Va-
« lois et Edouard , roi d'Angleterre , par rap-
« port a la succession a la couronne, les deux
ucontendants se soumirent, comme ils le
« devoient, k la decision des etats-generaux,
(( qui prononcerent en faveur de Philippe,
« Or, si dans cette occasion les etats ont pu
« l^gitimement disposer de la couronne ,
« comment leur contesteroit-on le droit de
« pourvoir a I'administration et a la regence?
DE FRANCE. CHAP. XXV. 357
Sous le roi Jean , et lorsque ce prince va-
leureux, raais imprudent, fut emmen^ pri-
sonnier en Angleterre, les etats assembles
X ne confi^rent pas ladministralion a son
fils, quoiqu'il etit alors vinfjt ans accom-
plish ce ne fut que deux ans plus tard que
ces memes etats , assembles pour la seconde
fois, lui defer^rent le titre et I'autorite de
( regent. Enfin , lorsque le roi Charles VI
parvint a la couronne, age seulement de
douze ans, ce furent aussi les ^tats-g^n^
raux qui, pendant le temps de sa minority,
pourvurent a la regence et au gouverne-
ment. C'estun fait dont il reste aujourd'hui
des temoins. Apr^s des autorites si posi-
tives, douterez-vous encore de vos droits?
et puisque, par la forme de votre serment,
vous etes ici assembles pourfaire et conseil-
( ler ce que^ selon Dieu et votre conscience ,
vous jugerez de plus utile a Vetat, pouvez-
( vous negliger le point fondamental de tons
c vos reglements? car si Ton n'observe rien
( de tout ce qu'on va vous proraettre, a qui
< adresserez-vous vos plaintes? I'article du
358 ASSEMBLIES RATIONALES
« conseil une fois omis, je iie vois pas a quoi
« bon vous vous donnerez tant de peines sur
« tout le reste(i). »
Ge discours entraina lassemblee, qui prit
la resolution suivante :
(( Le roi etant dans sa quatorzieme annee,
(( et montrant une sagesse, une prudence et
« une discretion au-dessus de son a^je, expe-
ct diera lui— meme toutes lettres-patentes,
(( reglements et ordon nances, d'apr^s les de-
(( liberations de son conseil. II ordonnera
« tout en son nom , et personne que lui
« n'aura le pouvoir de faire aucune Ordon-
ez nance en quelque {],enre que ce soit. Les
« etats supplient le roi de presider lui-meme
« son conseil le plus souvent qu'il lui sera
u possible , afin qu'il puisse se former de
(( bonne heure aux affaires, et apprendre a
tt bieii {jouverner. En I'absence du roi, le
« due d'Orleans, premier prince du sang,
(i) Ce discours est extrait d'un ancien manuscrit que
I'on conserve a la LJibliotheque du roi : je le rapporte lel
qu'il est consigne dans YHistoire de France de I'abbe Gar-
nier. On veil bien que le style en est rajeuni.
DE FRANCE. CHAP. XXV. 3Sg
« presidera le conseil, et coiiclura a la plu-
« ralite des voix; apr^s le due d'Orl^ans, et
« en son absence, le due de Bourbon, con-
u netable de France.
« Enfin le sire de Beaujeu, qui a d^ja
u rendu des services si importants a Fetat,
u aura la troisieme place, et presidera en
« Tabsence des dues d Orleans et de Bour-
« bon.
« Lesautres princes du sang auront stance
« et voix deliberative dans le conseil, sui-
« vant I'ordre de leur naissance.
« Et d'autant que les affaires, dont le con-
« seil doit prendre counoissance , sont en
(( grand nombre, et qu'il est utile que le con-
(( seil soit toujours rempli dliommes intelli-
« gents et laborieux, les etats pensent qu'il
« seroit a propos que Ton tirat des douze gou-
((vernements douze personnes recomman-
« dables par leur probite et leurs lumi^res,
« et qu'on les associat aux anciens conseil-
u lers d'etat; ils laissent le choix de ces douze
« nouveaux conseillers au roi et aux princes.
« Enfin les ^tats considerant avec quelle
« prudence le roi a ete jusqu'ici eleve et
36o ASSEMBLEKS NATIONALES
unourri, souhaitent qu'il ait toujours aa-
«pr^s de sa personne des gens sages, eclai-
« res, et vertueux, qui continuent de veiller
(csur sa sante, et de lui inspirer des prin-
« cipes de moderation et de vertu. »
Quelques jours apr^s, le roi se rendit aux
^tatsj et le chancelier, portant la parole,
leur dit:
((Le roi est content de votre conduite; il
(( loue votre zele pour le bien public, et ad-
(( niire I'ordre et la clarte que vous avez re-
« pandus sur des mati^res si difficiles ; mais
<( comme la plupart de ces mati^res exigent
(( encore quelques discussions, il ne repond
(( aujourd'hui qua I'article du conseil. Le
« roi adopte sans restriction tout ce que vous
(( avez regie a cet egard ( i )• »
(i) La minoritede Charles VIII etoit la sixieme depuis
Hugues Capet. Philippe 1", Philippe-Auguste, Louis IX,
Jean fils de Louis Hutin, et Charles VI avoient suc-
cede. a la couronne avant d'avoir atteint leur niajorite.
Chacune de ces minorites avoit donne lieu a une re-
gence, et cependant Ton se demandoit encore comment
et par qui le regent devoit etre nomme; si, a defaut de
dispositions du pere, la regence appartenoit de droit a
DE FRANCE. CHAP. XXV. 36 1
Apr^s s'^tie occup^s du coDseil , Jes etats-
(Teneraux porterent leurs solUcitudes sur la
la mere du roi mineur ou au premier prince du sang
royal; enfin , si, dans le cas ou la reine auroit la re-
gence, elle ne devoit pas en partager I'exercice avec un
conseil compose des princes et des grands du royaume.
Les exemples que Ton avoit sous les yeux n'etoient ni
assez nombreux ni assez uniformes pour former un pre-
cedent. Au surplus je vais les exposer.
Philippe I", quatrieme roi de la troisieme race, n'avoit
que huit ans lorsqu'il monta sur le Irone. Baudouin,
comte de Flandre , eut la regence du royaume en vertu
d'une disposition du dernier roi , et k I'exclusion de la
reine-mere qui vivoit encore.
Philippe-Auguste, roi a quinze ans, eut pour tuteur
le comte de Flandre. La reine sa mere ne prit aucune
part a I'administration du royaume : on ne voit pas
meme qu'elle ait eleve la plus legere reclamation a cet
egard.
Louis IX succeda a la couronne n'etant kge que de
onze ans et six mois. Sur le temoignage de quelques
seigneurs de la cour, qui declarerent que, dans ses der-
niers moments, Louis VIII avoit manifeste le desir que
I'autorite residat dans les mains de sa veuve pendant la
minorite de son fils, Blanche de Castille se constitua tu-
trice du roi mineur, et regente du royaume.
L'autorite royale, ainsi placee dans des mains que la
loi fondamentale du royaume declaroit inhabiles ti por-
ter le sceptre, parut, a la plupart des grands, une nou-
362 ASSEMBLIES NATIONALES
mani^re de pourvoir aux offices de judica-
ture.
veaute si choquante, qu'ils formerent centre la regente
une ligue qu'elle eut beaucoup de peine a dissiper.
«( Les mal-contents , dit Mezerai dans son Histoire du
« regne de saint Lows , ne pouvoient digerer que le
« gouvernement fust entre les mains de deux etrangers,
« une femme espagnole et un cardinal italien ; ils re-
u prennent done les armes, attirent a eux Robert, comte
«de Dreux, frere aisne du due Breton, et Philippe,
u comte de Boulogne , oncle paternel du roi , auquel ils
M promettoient la couronne : tellement qu'une seconde
« fois le roi pensa estre enveloppe par cette conspiration,
(cet eust este surpris si le comte de Champagne ne fust
u accouru fort a propos avec trois cents chevaliers pour
« le degager.
« Au printemps les conspirez tournerent tous leurs
« efforts centre le comte de Champagne et de Brie : ils
« lui demandoient ces comtez pour Alix, reyne de Chy-
« pre, fille de Henry son oncle; et outre cela I'appeloient
Htraistre, et I'accusoient d'avoir empoisonne le defunt
wroy, offrant de Ten convaincre par le duel, reproche
<i qui le noircit tellement aupres de ses vassaux , qu'ils se
« liguerent centre lui avec ses ennemis.
« Le comte, se voyant un si pesant fardeau sur les
«bras, et sa ville de Troyes assiegee, implore I'ayde de
wla reg^nte, qui fait marcher le roy a son secours, et
M leur commande, s'ils avoient quelque chose a dire
DE FRANCE. CHAP. XXV. 363
Plains de cette verit^, que les bons juge-
ments dependent encore plus des bons juges
« centre le comte, qu'ils eussent a venir demander jus-
II tice en sa cour.
««Mais eux, qui ne vouloient point reconnoistre sa
« regence, comme si le royaume eust este vacant, eslu-
« rent roy, dans une assemblee secrete, le seijjnenr de
"Coucy, qui estoit en grande reputation de sagesse et
« de justice. La regente en ayant eu avis le fit aussitost
« savoir k Philippe, comte de Boulogne, a qui ils avoient
«fait esperer la royaute: par ce moyen elle le destacha
« d'avec eux, puis avec diverses adresses aneantit tous
« leurs desseins , non pas toutefois leurs mauvaises in-
u tentions. »
Louis Hutin, qui mourut a Vincennes le 5 juin i3i6,
apres un regne de dix-neuf mois, laissoit une fille de sa
premiere femme, et sa seconde, Clemence de Hongrie,
grosse de cinq k six mois. Philippe-le-Long, qui etoit a
Lyon, nefut pas plus tot instruit de cet evenement qu'il
se rendit a Paris. Trouvant le palais du roi vacant, par-
ceque la reine e'toit encore a Vincennes, il s'y etablit, etse
saisitdes renes du gouvernement. Quelques jours apres, la
reine lui ayant notifie sa grossesse, il assembla les pairs
et les barons afin de prendre avec eux les mesures que
les circonstances exigeoient, et dans cette memorable
assemblee il fut arrete que Philippe seroit gouverneur
du royaume, qu'il en percevroit tous les revenus, et
qu'il fourniroit a la reine le necessaire ; que si elle accou-
364 ASSEMBLEES NATIONALES
que des bonnes lois, ils traduisent le roi au
tribunal de sa conscience, lui representent
que toutes les injustices que pourroientcom-
mettre des juges mal choisis retomberoient
sur sa tete, et lui indiquent un moyen, le
seul peut-etre, de bien remplir les devoirs
que la royaute lui impose a cet egard. Voici
comme ils s'expriment :
choitd'un fils, Philippe retiendroit la garde du royaume
jusqu'a sa majorite; qu'il administreroit la guerre et les
autres affaires, et qu'il assigneroit vingt mille livres de
revenu a la reine, dont quatre mille lui resteroient en
heritage; que si au contraire il naissoit une fille, Phi-
lippe seroit des-lors reconnu par tous comme roi , et il
pourvoiroit au sort de la jeune fille, selon que le droit
et la coutume le requierent.
Charles V mourut en i38o, laissant la couronne a
Charles VI encore mineur, et sans avoir dispose de la
regence.
Cette regence divisa les oncles du jeune roi. Le due
d'Anjou s'en saisit en sa qualite de premier prince du
sang. Les dues de Bourgogne, de Berri, et de Bourbon ,
se fondant sur certaines dispositions verbales, attribuees
a Charles V, pretendoient en partager I'exercice. Une
assemblee de notables, convoquee a I'effet de concilier
ces grands interets, se trouvant elle-meme divisee, sou-
mit I'affaire a des commissaires , qui, apres quatre jours
DE FKANCE. CHAP. XXV. 365
uComme un roi ne peut suffire seul a
« rendre la justice a tous ses sujets, il a ^te
unecessaire qu'il se fit remplacer par un
((grand nombre d'officiers subordonnes les
((uns aux autres, et repandus dans toutes
((les provinces de la monarcliie; mais il
(( doit bien prendre garde a quelles mains il
((confie ce precieux depot, autrement il est
de deliberation, lui en firent le rapport, sur lequel il fut
resolu que Ton abregeroit le temps de la majorite du roi,
dont le couronnement et le sacre se feroient a la fin du
mois; que le due d'Anjou prendroit le titre de regent;
qu'en cette qualite il feroit emanciper le jeune prince
avant le sacre, et que des-lors le royaume seroit gou-
verne, au noni du roi, par les conseils et avis de nos sei-
gneurs ses oncles.
Enfin une ordonnance du meine roi Charles VI, pu-
bliee le 26 decembre il\o'] ■> porte que la garde, nourri-
ture, et affaires des rois mineurs de quatorze ans seront
et demeureront entre les mains des reines leurs meres ,
si elles sont vivantes, et des plus prochains du lignage
et du sang royal de France, qui lors seront assiste's du
connetable, du chancelier, et des sages hommes du con-
seil du roi defunt.
M. de Boulainvilliers, dans sa neuvienie lettre sur les
parlements de France, dit: On voit bien que cette hi fut
faite pour favoriser la reine Isabelle.
366 ASSEMBLEES NATIONALES
« respoiisable clevant Dieu et devant les
(( hommes de toutes les injustices qui se
u commettent en son nom : c'est pour cette
ttraison que nos plus grands rois, tels que
« saint Louis, Philippe-le-Bel, Charles V,
cet le glorieux Charles VII, considerant
(( qu'ils ne pouvoient avoir par eux-memes
(( une connoissance assez exacte de leurs su-
((jets, pour netre pas souvent exposes a se
((tromper dans le choix qu'ils en feroient,
wavoient ordonn^ que toutes les fois qu'il
«vaqueroit une place de judicature, le tri-
(( bunal ou elle vaqueroit eliroit, a la plura-
« lite des voix , les trois hommes qu'il croi-
« roit le plus capables de la bien remplir, et
(des prdsenteroit au roi, qui confereroit la
« place a un des trois : par ce raoyen la con-
« science du roi etoit dechargee, et les pla-
« ces etoient toujours bien remplies.
«Mais depuis la mort de Charles, ce bel
w ordre a ete enti^rement perverti , et Ton a
(cfait un trafic honteux de tons les emplois:
« souvent on donnoit a des facteurs les pro-
(( visions d'un office avec le nom en blanc,
« pour y inscrire celui qui offriroit une plus
DE FRANCE. CHAP. XXV. 36'J
« grosse somrae de deniers. Par-la les places
« ont ^te avilies ; la porte a ete ouverte a la
« corruplion , et I'exercice de la justice est
t( devenii un brigandage. »
Sous Charles VII les tailles montoient
a 1,200,000 livres; pendant le regne de
Louis XI elles furent successivement ele-
v^es jusqua 4 millions. Les etats-generaux
reduisirent cet impot a son ancienne quo-
tite, c'est-a-dire a 1,200,000 livres; et at-
tendu le renclierissement des denrees et le
cliangement dans la valeur des monnoies,
ils ajouterent a cette somme celle de 3oo,ooo
livres. Voici les termes de I'arrete qu'ils pri-
rent a cet egard.
« Pour subvenir aux frais de Tadministra-
« tion , et assurer la tranquillite du royaume ,
ules gens des trois etats accordent au roi,
«leur souverain seigneur, par mani^re de
«don et octroi, et non autrement, et sans
uqu'on puisse I'appeler dorenavant taille,
((mais don et octroi, telle et semblable
« somme qui, du temps de Charles VII,
« etoit levee sur le royaume, et ce pour deux
u ans tant seulement, et non plus, a condi-
368 ASSEMBLlilES NATIONALES
(( tion que cette somme sera repartie egale-
(( ment sur toiites les provinces qui compo-
« sent actuellement la monarchie. »
Les etats travailloient a la redaction de
leurs cahiers , et I'assemblee etoit sur le point
de se separer, lorsque des debats fort serieux
s'elev^rent entrel'ordre duclerge et celuidu
tiers. L'abbe Garnier, dans son histoire du
regno de Charles VIII, rapporte les details
de cette affaire tels qu'ils sont consignes
dans un manuscrit que Ton conserve a la
Bibliotheque du roi, et dont il n'a fait que
rajeunir le style. Ces details, les voici:
II s'agissoit de la Pragmatique de Char-
les VII, recemment abolie par Louis XI:
tous les grands corps de I'etat en vouloient
le retablissement, et le tiers en avoit consi-
gne le voeu dans ses cahiers (i). Les eveques
(i) Cette ordonnance celebre avoit ete faitea I'occasion
du schisme qui etoit entre le concile de Bale et le pape
Eugene IV : le concile avoit ete indique par Martin V ;
Eugene, son successeur, qui savoit qu'un concile pou-
voit etre utile a I'figUse, mais qu'il etoit toujours con-
traire a I'autorite des papes, cherchoit a I'eluder par
DE FRANCE. CHAP. XXV. 36g
de Fasserablee s'y etoient opposes , et, voyant
que Ton refusoit de faire droit sur leur oppo-
sition, ils avoient present^ au roi une tr^s
longuerequetedans laquelleils ^tablissoient
qu'etant les principaux membres , ou plutot
les chefs de I'Eglise gallicane, ils avoient
des retardements , et voulut le transferer a Bologne, et
ensuite a Ferrare. Les p^res du concile, au lieu d'acquies-
cer h la bulle d'Eugene, le citerent a comparoitre, et le
menacerent de le deposer s'il n'obeissoit pas. I^e pape ,
irrite de cette menace, excommunia le concile, qui de
son cote deposa Eugene, et nomma a sa place Ame-
dee VIII, due de Savoie, sous le nom de Felix V.
Charles VII, apres avoir cherche inutilement a conci-
lier le concile et le pape , craifjnit que le schisme ne se
repandit en France. II convoqua en i438 une assemblee
a Bourges, oil se trouverent le dauphin, les princes du
sang, tous les grands, et les prelats du royautne: le
concile y envoya des ambassadeurs , qui presenterent a
I'assemblee les canons qui venoient d'etre faits a Bale.
Le roi les fit examiner avec soin, et, apres avoir pris les
avis de tous les ecclesiastiques et laiques, qui declare-
rent qu'ils etoient propres a retablir une bonne discipline
dans I'Eglise, il fit une ordonnance de tous ces decrets,
sous le nom de Pragmatique sanction, et la fit publier et
enregistrer en parlement, pour etre observee dans tout
le royaume.
jyo ASSEMBLIES NATION ALES
seuls le droit de proposer des reglements
par rapport a la discipline ecclesiastique ;
que toutes les fois qu'il plairoit au roi de
changer quelque chose a Ford re etabli, il
devoit prealablement convoquer le corps
entier des eveques , ce qui ne s etoit point
fait dans cette assemblee des ^tats, ou ils
n'^toient qa'en petit nombre : ils declaroient
Le premier article contient deux canons , par lesquels
le concile declare que tout concile general represente
I'Eglise universelle , et qu'il a une autorite spirituelle a
laquelle celle du pape meme est soumise.
Le second article contient le decret du concile tou-
chant les elections : la nomination aux eveches, et autres
benefices, est otee aux papes, qui I'avoient usurpee. II
est ordonne que chaque eglise elira son eveque , chaque
monastere son abbe ou prieur, et ainsi des autres.
Le troisieme article abolit I'abus des reservations et des
graces expectatives. Les papes, afin de prevenir les elec-
tions, nommoient aux benefices avant qu'ils fussent va-
cants: ces nominations s'appeloient graces expectatives.
8i le pape n'avoit pas pris cette precaution avant la mort
du titulaire, il declaroit qu'il s'etoit reserve depuis long-
temps la nomination a ce benefice: cet abus, qu'on
nommoit reservation, privoit du droit d'election ou de
nomination ceux a qui il appartenoit legitimement.
DucLos, Histoire de Louis XI , tome I.
DlL FRANCE. CHAP. XXV. 3"] I
que pour le bien de lapaix et I'utilite publi-
que, ils consentoient et approuvoient tous
les articles contenus dans les cahiers , a I'ex-
ception de ceux qui regardoient la discipline
de I'Eglise; mais qu'ayant ete temoins de la
mani^re peu respectueuse dont on s'enon-
coit a regard du saint siege, et des efforts
que Ton faisoit pour le retabli§sement dela
Pragmatique , ils se croyoient obliges, en
vertu du serment d'obeissance quils avoient
prete au souverain pontife , de s'opposer de
toutes leurs forces a de pareils reglements,
et quils emploieroient toute leur autorite
pour le combattre.
Cette requete, ay ant et^ communiqu^e
aux etats, excita une indignation g^nerale:
on se d^chaina contre la conduite des oppo-
sants, et on trouva leurs pretentions nou-
velles et abusives. On ajouta que ceux qui
composoient les etats se disoient, ainsi que
leseveques, enfants de I'Eglise, et faisoient
profession d'etre soumis au saint siege, mais
quils ne croyoient point deroger a I'obeis-
sance filiale en adoptant une constitution
fondee sur I'autorite des conciles, approuvee
24.
372 ASSEMBLIES NATION ALES
par les etats-generaux du loyaume, et adop-
tee par un grand nombre de prelats , qui ,
pour ne rien dire de trop, valoient bien ceux
qui la rejetoient avec tant de mepris. Quel-
ques deputes, plus emportes que les autres,
ajoutoient que les prelats ne se montroient
si opposes a la Pragmatique , que parceque
leur nomination avoit ete contraire a ses
decrets: ils disoient qu'on ne devoit point
les nommer les eveques de I'Eglise gallicane,
mais les eveques du roi Louis XI, et qu'il
paroissoit assez qu'ils visoient au chapeau
rouge.
Geci s'etoit passe dans I'assemblee des
^tats : la dispute se renouvela avec aigreui-
dans la maison du cardinal de Bourbon , et
elle auroit ete poussee plus loin , si le procu-
reur-general , qui avoit eu ordre d'assister a
cette conference, n'eut interpose son auto-
rit^, et oblige les esprits les plus echauffes a
garder le silence. II declara qu'etant le pro-
cureur du roi et du royaume, il etoit auto-
ris^ k prendre connoissance de tout ce qui
avoit rapport a la tranquillity ou a la pros-
p^rit^ de I'^tat ; que la Pragmatique sanction
DE FRANCE. CHAP. XXV. 373
etoit de toutes les constitutions la plus pre-
cieuse, puis([u'elle empechoit que I'argent
ne sortit du royaume, et qu'elle donnoit k
TEglise des pasteurs ^clair^s et vigilants;
qu'il ne souffriroit pas qu'on donnat at-
teinte a ce sage reglement, et qu'il ^toit
resolu de traduire au parlenient quiconque
oseroit s'y opposer desormais.
Malgre cette menace , le procureur-g6n^~
ral ne cita personne a comparoitre, et la
Pragraatique ne fut point retablie.
Ces discussions retardoient la redaction
des caliiers, mais ne la faisoient pas perdre
de vue. Enfin les trois ordres furent admis
a presenter leurs doleances au roi.
Elles ^toient divis^es en cinq chapitres :
le premier intitule de I'etat de I'Eglise; le
second de la noblesse ; le troisieme du tiers-
etat ; le quatri^me de la justice ; le cinqui^me
du commerce ou de la marchandise.
Le chapitre du tiers-^tat est sur-tout re-
marquable par les details qu'il renferme
sur les causes de I'epuisement du royaume.
On y lit :
L'argent est dans le corps politi([ue ce que
374 ASSEMBLIES NATIONALES
le sang est dans le corps humain : il importe
done d'examiner quelles saignees et quelles
evacuations on a faites a la monarehie depuis
environ un siecle.
La premiere fut du temps des papes
Alexandre et Martin, qui, en quatre ans,
tir^rent de ce royaume des sorames si con-
siderables, quelles furent evaluees a plus
de deux millions dor. Pour etancher cette
merveilleuse evacuation de pecune , fiirentfaits
certains concordats avec le pape Martin; mais
['on ne scut si bien Her la plaiepar concordats ^
que la subtilite romaine ne rouvrit la cicatrice,
tellement quinjinie somme d'or et d'argent
alia en cour de Borne, dont Jiirent -conduites
les guerres d' Italic entre les heritiers du pape
Martin.
Les calamit^s sans nombre auxquelles ce
royaume fut en proie n'arret^rent point
cet ecoulement. Tandis que les Anglois
conqueroient nos provinces; que des ar-
mees de bri^jands desoloient les campagnes,
les collecteurs de decimes et de pensions
apostoliques continuoient tranquillement a
pomper la substance de letat: et si Char-
DE FRANCE. CHAP. XXV. 376
les VI, par les ordonnances qu'il rendit
en i4o6 et en i4i8, n'eut remedi^ h. une
paitie de ces abus, la France etoit perdue
sans ressource.
Tout le inonde salt a quel exc^s d'humi-
liation et de misere I'etat etoit reduit lors-
que Charles VII monta sur le trone : ce
grand roi retablit tellement la police g^ne-
rale, et tint si bien la main a ce que I'argent
ne8ortitplusduroyaume,qu'enpeude temps
le corps politique comraenca a respirer, et
ci entrer en convalescence*, mais il ne put
entierement recouvrer ses forces. Ce bon
roifutenlevetroptotala nation, et, presque
immediatementapr^sson trepas,le royaume
fut livre de nouvcau a Tavidite des etran-
gers.
Ce fut alors que Louis XI, seduit par
les artifices du cardinal Jouffroi, revoqua
la Pragmatique, et soumit son royaume au
pape, pour en user a volonte : demarche en-
tierement contraire aux droits et a la liberte
dessujels, prejudiciable au roi lui-meme,
et qui a enleve a la France des sommes pro-
dlgieiises ; car dans ce royaume il y a cent un
376 ASSEMBLIES NATION ALES
eveches, et il n'y en a aucun qui, depuis la
mort de Charles VII , n'ait ete vacant au
moins une ou deux fois , et aucun dont la va-
cance n'ait produit au sain t siege au m oins six
mille ducats. Quant aux abbayes et prieures,
qui sont au.nombre de plus de trois mille en
France, il n'y en a point dont la vacance
n'ait fait sortir cinq cents ducats, en pre-
nant un terme moyen, ce qui, bien calcule,
inonte a des sommes merveilleuses et innu-
merables.
Ajoutez-y cependant celles qui sont sor-
ties pour indulgences, decinies, dispenses,
et voyages en cour de Rome; ajoutez-y en-
core les taxes imposees au profit des legats :
car, sous leregne precedent, on en a compte
jusqua trois ou cjuatre , qui ont donne de mer-
veilleuses evacuations a ce pauvre royaume,
et voyoit-on mener apres eux des mulcts char-
ges d'or et d'argent. En consequence, les
trois etats supplient le roi de refuser I'entree
du royaume a Balue qui y venoit encore en
qualite de legat j car, sans parler des raisons
qu'on a voit de le regarder comme un homme
DE FRANCE. CHAP. XXV. 877
suspect, sa lejjation etoit enti^rement inu-
tile, puisque la France ^toit en paix.
Les victim es des injustices du dernier
regne s'erapress^rent de solliciter la media-
tion des ^tats aupres du nouveau gouverne-
ment. Dans le nombre on remarquoit le
seigneur de Cro'i , le due de Lorraine, Charles
d'Armagnac fr^re puine du comte d'Arma-
gnac tue dans Lectoure, et les enfants du
due de Nemours. Le premier demandoit la
restitution de ses terres de Croi et de Renti,
restitution qui lui ^toit assur^e par le trait^
d'Arras, et que Louis XI avoittoujours elu-
dee. Le due de Lorraine r^clamoit la suc-
cession du due d'Anjou son aieul, dont le
gouvernement s'etoit mis en possession.
Charles d'Armagnac representoit que, par
la plus criante injustice, on I'avoit depouille
de tons ses biens, et supplioit les etats d'in-
terceder en sa faveur. Les enfants du due
de Nemours se present^rent par le niinist^re
dun avocat; Tassembl^e ayant bien voulu
Tentendre, il lui fit un discours tres tou-
chant, dont voici la conclusion : a Ses tristes
378 ASSEMBLEES NATIONALES
enfants Aleves dans la splendeur, et a qui
tout ce qu'il y avoit de grand dans le
royaume se faisoit honneur d'appartenir,
declius dans un instant de ce liaut ranff,
pleurant la mort dune m^re, arios^s du
sang de leur p^re, converts d'opprobre, et
reduits a la plus affreuse indigence, n'ont
plus oil reposer leur tete, et ne subsistent
que d'aumones. Soyez sensibles a leur mal-
heur y et puisque le roi vous a charges de
lui decouvrir toutes les injustices qui de-
ligurent le gouvernement , ne lui cachez
point celle qui deshonore le plus la nation . »
Les esperances des petitionnaires ne fii-
rent pas trompees. Les ^tats-generaux ex-
poserent leurs griefs au roi, et justice leur
fut rendue.
Je terminerai ce chapitre par les re-
flexions suivantes que je trouve dans les Me-
moires de Philippe de Comines, livre V, cha-
pitre XIX.
«Et pour parler de I'experience de la
« bonte de Francois, il ne f'aut alleguer de
« nostre temps que les trois estats tenus h.
(( Tours, apr^s le dec^s de nostre bon maistre
DE FRANCE. CHAP. XXV. 879
n ie roy Louis XI (a qui Dieu face pardon ),
n qui fut Fan mil quatre cent quatre-vingt
u et trois. L'on pouvoit estimer lors que cette
« bonne assemblee estoit dangereuse, et di-
et soient quelques uns de petite condition et
«de petite vertue, et ont dit par plusieurs
« fois depuis que c'est un crime de leze-ma-
« jeste que de parler d'assembler les ^tats,
« et que c'est pour diminuer I'autorite du
«roy, et ce sont ceux qui commettent ce
('Crime envers Dieu et le roy, et la chose
if publique; mais servoient ces paroles, et
<( servent a ceux qui sont en autorite et Cre-
te dit, sans en rien I'avoir merit^, et qui ne
wsont point propres d'y estre, et n'ont ac-
u coutume que de flageoler et fleureter en
« I'oreille, et parler de choses de peu de va-
« leur, et craignent les grandes assemblies,
« de peur qu'ils soient connus ou que leurs
u ceuvres ne soient blasmees
t( Et supplierent lesdits etats qu'au bout de
(tdeux ans ils fussent rassemblez, et que si
« le roy n'avoit assez argent qu'ils luy en
(( bailleroient a son ])laisir; et que s'il avoit
38o ASSEMBLEES NATIONALES, etc.
((guerres, ou quelqu'un qui le vousiste of-
(( fenser, qu'ils y raettiroientleurs personnes
((Ct leurs biens, sans rien luy refuser de ce
« qui luy feroit besoin.
« Est-ce d one surtelssubjets que leroy doit
« alleguer privilege de pouvoir prendre a son
« plaisir, qui si liberalementlui donnent? ne
((seroit-il pas plus juste envers Dieu et le
« monde, de lever par cette forme, que par
((volonte desordonnee? car nul prince ne
«le peut autrement lever, que par octroy,
V comme j'ai dit, si ce n'est par tyrannic. »
FIN DU TOME PREMIER.
DES
ASSEMBLIES NATIONALES
EN FRANCE.
iMrnniEr.iE nr. jules rinoT ain£%
Irapriniriir Hii Roi, nie du Tonr-de-Lodi, n" 6.
DES
ASSEMBLIES NATIONALES
EN FRANCE,
DEPUIS L'fiTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE
jusqu'en 1614,
PAR M. LE RARON
HENRION DE PANSEY,
PREMIER PRESIDENT DE LA COUB DE CASSATION, CONSEILLER d'^TAT,
CHEF DU CONSEIL DE S. A. R. M'" LE DUC d'oRL^ANS,
COMMANDEUR DE l'oRDRE ROYAL DE LA LEGION d'hoNNEUR,
CBEVALIER DE l'oRDRE DE SAINT-MICHEL.
SECONDE EDITION .
TOME SECOND.
PARIS,
THtOPHILE RARROIS PERE ET RENJAMIN DUPRAT,
nllE IIAUTEFEUILLE, K" 28.
1829.
TABLE
DES CHAPITRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
Ghapitre XXVI. Louis XII. fitats-generaux tenus a
Tours en i5o6. Page. i
Chap. XXVII. Francois I". !£tats tenus a Cognac
en 1 526. 12
Chap. XXVIII. Henri II. fitats-generaux tenus a
Paris en i558. 26
Chap. XXIX. Francois II. Evteements de son regne
relatifs aux ^tats-generaux de i56o. 38
Chap. XXX. Continuation du meme sujet. Assem-
blee de Fontainebleau. Condamnation du p'rince
de Conde. Mort de Francois II. 53
Chap. XXXI. Etats-generaux tenus a Orleans en
i56o. 66
Chap. XXXII. Des catholiques et des reformes de-
puis i56o jusqu'en 1676. ii4
Chap. XXXIII. Etats-generaux tenus a Blois en 1 576. 1 2 1
Chap. XXXIV. De la Ligue. 149
Chap. XXXV. Etats-generaux tenus a Blois en i588. iG4
Chap. XXXVI. Etats-generaux de la Ligue tenus a
Paris en 1593. Observations sur la loi salique. igS
VJ TABLE DES CHAPITRES.
Chap. XXXVII. Henri IV et Marie de Medicis.
(iSgS — 1 6 14.) Page. 228
Chap. XXXVIII. Etats-generaux tenus a Paris en
1614. 23l
Chap. XXXIX et dernier. De la convocation des
etats - generaux ; du nombre des deputes; du
mode de leur election; de la nature du mandat
qu'ils recevoient de leurs concitoyens ; des solen-
nite's qui accompagnoient I'ouverture des etats;
de la maniere dont les trois ordres communi-
quoient entre eux, et de la forme de leurs delibe'ra-
tions. 267
FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND.
DES
ASSEMBLEES nationales
EN FRANCE,
DEPUIS 1.'eTABL1SSEMENT DE LA MONARCHIE
jusqu'en 1G14.
GHAPITRE XXVI.
LOUIS XII.
Etats-generaux tenus a Tours en 1 5o6.
Les etats-g^neraux de i5o6 pr^sentent
iin beau spectacle: on y voit, aux pieds
d'un prince adore, des sujets reconnois-
sants , des enfants heureux , qui , n'ayant
plus de voeux a former pour eux-memes,
n'en font que pour le pere commun, et
n'ont qua lui offrir des actions de graces.
Aussi dans ces etats ne parla-t-on ni de subsi-
des ui de griefs: il ne fut question que du
manage de madame Claude de France,
fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne,
2 ASSEMBLIES NATIONALES
dont elle etoit I'unique lieriti^re. Par un
traite sij^ne h Blois le 22 septembre i5o4, le
roi Tavoit promise a Charles, clue de Luxem-
bourg (i) : ce mariage, qui auroit fait passer
la Bretagne dans une maison etrang^re,
pouvoit avoir les suites les plus funestes. La
nation en etoit effrayee, et desiroit que la
princesse epousat Francois de Valois, comte
dAngouleme, premier prince du sang. Le
roi voulut bien discuter cette importante
question avec les etats-generaux de son
royaume ; et ils furent convoques a Tours.
(1) Charles de Luxembourg, depuis si ce'lebre sous le
nom de Charles-Quint, etoit ne du mariage de I'archi-
duc Philippe, filsde I'enipereur Maximilien, et de Jeanne-
la-Folle, fille de Ferdinand-le-Catholique. Ainsi du cote
paternel, il etoit heritier de tous les etats de la maison
d'Autriche, et , du chef de sa mere, il etoit appele a re-
gner sur les Espagnes. Son mariage avec Claude de
France, heritiere par sa mere de la Bretagne, auroit
ajoute a ses vastes etats cette belle et riche province,
et lui auroit en quelque sorte livre le royaume. Louis XII ,
a la suite des malheureiises batailles de Seminare et d«.'
Cerignole, ayant perdu Naples, avoit cru ne pouvoir
echapper aux revers dont il etoit encore menace quVa
signant ce traite desastreux.
DE FRANCE. CHAP. XXVI. 3
On lit dans un vieux manuscrit(i):(( Au
«niois de mai de Tan i5o6, le roi fit convo-
(( quer les etats-g^n^raux de son royaume....
« Lesdits etats , par la bouche d'un docteur
«de Paris, nomme Thomas Bricot, firent
(( entendre au roi que pour avoir donne la
« paix a ses sujets, remis le quart des tailles,
«et nomme bops juges par-tout; et pour
« autres causes, qui seroient longues a r^ci-
« ter, il devoit etre appele le roi Louis XII,
ttpere du peuplei^).
uEt apr^s ledit Bricot, ceux desdits ^tats
«se mirent a genoux, et dit ledit Bricot:
((Sire, nous sommes ici venus sous votre
(( bon plaisir pour vous faire une requite
((pour le general bien de votre royaume,
((qui est tel que vos humbles sujets vous
(( supplient qu'il vous plaise de donner ma-
((dame votre fille en mariage a monsieur
(i) Voyez le recueil fntitule, des Etats-Gdneraux , im-
prime a Paris en ^789, tome X, page i83.
(2) A ces mots pere du peuple, il s'eleva dans I'assem-
blee, disent les historiens, un doux miifmure qui fut
suivi d'applaudissements unanimes.
I.
4 ASSEMBLIES NATIONALES
« Francois, qui est ici present. Disant outre
(cplusieurs belles paroles, qui emurent le
« roi, et les assistants a pleurer(i). »
Thomas Bricot ayant cesse de parler, le
chancelier Gui de Rochefort, apres avoir
pris les ordres du roi, s'avanca vers I'assem-
blee, et dit:
(( MeSSEIGNEURS des etats, le roi, notre
(( souverain et naturei seigneur , accepte
(t le titre de phre dupeuple que vous lui defe-
(( rez; vous ne pouviez lui faire un don qui
(( lui fut plus agreable. Si les soins qu'il s'est
(i) La Bretagne eto it entree dans la maison de France
par le niariage de Pierre de Dreux avee I'heritiere de
cette province; et Philippe-le-Bel I'avoit erige'e en pairie
en 1 297.
Les Bretons, voulant prevenir rincorporation de leur
pays a la France, n'avoient consenti au mariage de la
princesse Anne avee Louis XII que sous la condition ex-
presse que jamais la Bretagne n'appartiendroit aux prin-
ces destines a succeder a la couronne; et que si le roi
avoit deux fils, elle seroit necessairement I'apanage du
putne. Le mariag€ de la princesse Claude avee Francois
de Valois, premier prince du sang, contrevenoit a cette
clause; mais les Bretons crurent devoir ceder aux voeux
de la nation, exprimes par I'organe des etats-generaux.
DE FRANCE. CHAP. XXVI. 5
(f donnas ont tourn^ an profit de la chose
« pnblique , il declare qu'il faut en rendre
a f>races a Dieu , et qu'il s'efForcera de mieux
« faire a Tavenir. Quant a la requete que
wvous lui avez presentee, son objet est si
« important que, quelque deference qu'il
« ait pour les conseils de ses fideles sujets, il
« ne vent rien statuer a cet ^j^ard sans avoir
(( pris Tavis des princes de son sang, des
« grands, et des premiers magistrats du
« royaume. Retrouvez-vous done ici dans
« six jours, et le roi viendra lui-meme vous
u ap|)rendre sa r^ponse. »
Les deputes de la Bretagne n'avoient pris
aucune part a ces deliberations, parceque la
reine, dont ils etoient les sujets, s'opposoit
au mariage de sa fille avec le comte d'An-
gouleme ; mais ce jour-la meme ils pre-
senterent au roi une requete entierement
conforme au voeu des etats.
Des le lendemain, le roi assenibla un coii-
seil extraordinaire, compose des premiers
presidents des parlements de Paris, de
Rouen , de Bordeaux, et dun grand nombre
de prelats et de seigneurs: apr^s leur avoir
6 ASSEMBLEES JNATIONALES
franchement declare les engagements qu'il
avoit pris avec la maison d'Autriche , et les
serflaents qu il avoit pretes et fait pieter par
les gouverneurs de plusieurs provinces a
larchiduc et a I'empereur, il ajouta qu'il se
croiroit oblig^ de les accomplir a quelque
prix que ce fut , s'il ne s'agissoit que de ses
interets personnels. II les pria de considerer
que la parole desrois est sacree, et leur or-
donna de declarer, comme ses fideles sujets,
sans management et sans crainte, ce qu'ils
croiroient juste et conforme a I'^quite natu-
relle. Les avis ne furent point partages : tous
opin^rent que I'engagement pris avec I'ar-
chiduc ^toit nul, comme contraire aux lois
fondamentales de la monarchic. Si ces lois,
disoit-on, d^clarent nulle toute alienation
du domaine de la couronne, quoique faite
sans fraude, et en f'aveur de ceux qui ont le
mieux servi I'etat, a plus forte raison pro-
scri vent-elles un traite captieux oil Ion trans-
porteroit a I'etranger des provinces en litres,
des places fortes, les clefs et la surete du
royaume. lis montr^rent ensuite que tous
les serments que le roi avoit pu preter soit
DE FRANCE. CHAP> XXVI. J
h. Farchiduc, soit h. I'empereur, se trouvoient
pareillement annul^s par un autre serment
plus au(>nste et toujours subsistant, celui
qu'il avoit prete en recevant I'onction sacree,
de procurer la vantage a son peupie, de s'op-
poser de toute sa puissance a ce qui pourroit
lui prejudicier. Or que pouvoit-il arriver
de plus prejudiciable ci Fetat que d'intro-
duire dans son sein, sous le specieux nom
d'allii^, un ennemi doraestique qui ne man-
queroit pas d'y semer le trouble, qui cher-
cheroit a tout perdre, a tout envaliir? Enfin
ils observ^rent que ee pretendu engagement
se reduisoit encore ci des promesses, a un
projet; qu'il n'y avoit point eu de gages don-
nes, ni consentement des deux epoux ^ qu'il
n'etoit pas rare de voir rompre de pareils
contrats entre des particuliers pour des rai-
sons beaucoup moins fortes, souvent meme
par pur caprice; que I'empereur et Farchi-
duc avoient assez montre, par la conduite
qu'ils avoient tenue depuis ce temps avec la
France, et par le peu d'attention qu'ils
avoient apporte a observer de leur part des
traites d'ailleurs si favorables a leur maison ,.
8 ASSEMBLIES NATIONALES
combien peu ils comptoient sur ces arran-
gements politiques et variables; d'ou ils con-
clurent que Louis, sans manquer aux reifies
les plus aust^res de I'honneur et de la pro-
bite, pouvoit comrae homme, et devoit
comme roi, satisfaire au voeu de la nation,
en rompant des noeuds si funestes et si mal
assortis (i).
La deliberation du conseil ainsi arretee,
le roi voulut bien la communiquer lui-meme
aux etats; et, le mercredi 20 du mois de
mai , suivi de toute sa cour, il se rendit a I'as-
semblee. Lesherauts ayant impose silence,
le chancelier, apr^s avoir pris les ordres du
roi, dit: ((Leroi, comme il I'avoitannonce,
u a fait examiner votre requete ; quelque
« confiance qu'il ait d'ailleurs en votre zele
«eten vos lumi^res, il n'a pu se dispenser
« de consulter, sur unemati^re qui interesse
«si essentiellement le salut de letat, les
« princes de son sang, et les hommes distin-
(1) Histoire de France de I'abbe Gamier, re{;ne de
Louis XII.
DE FRANCE. CHAP. XXVI. 9
(( giies qui forment son conseil. Puisqiie leur
uavis a ete conforme a vos desirs, il ne veut
« pas differer plus lon^j-temps a vous dormer
(t une pleine satisfaction ^ il m'a charge de
t( vous inviter, pour jeudi prochain, a la ce-
« remonie des fiancailles de sa fille avec
« monseigneur le due de Valois. C'est le seul
« engagement que la jeunesse des deux epoux
« leur permette encore de contracter. Vous
« aurez soin , lorsqu'il en sera temps, d'ache-
« ver un ou vrage que vous avez si bien com-
« raence. Sa majeste exige done, d^s ce mo-
«nient, que vous promettiez et juriez, que
((VOUS fassiez promettre et jurer, par tons
(( ceux qui vous ont elus pour leurs deputes,
(( qu'aussitot que les deux epoux auront at-
(( teint Tage nubile, vous ferez et accompli-
((rez le mariage projete; que vous ne souf-
(( frirez point que personne ose s'y opposer,
((et que vous verserez, s'il est necessaire,
((jusqua la derniere goutte de votre sang
(( pour en assurer Texecution.))
L'orateurdes etats alloit repondre: on ne
lui en laissa pas le temps; la salle retentit
d'applaudissements, de cris de joie, de voeux
lO ASSEMBLIES NATIONALES
pour la conservation du roi; chaque depute
couroit a I'envi preter les serraents que le roi
demandoit, et recevoir une formule ^crite
de ce merae serment qu'il devoit faire preter
a son retour par la ville ou la coramunaute
dont il ^toit le representant.
Je reviens au manuscrit que j'ai cite plus
haut. J'y lis: «Le jeudi vingt et uni^me du
« mois de mai, le roi et la reine vindrent en
«la salle qui etoit fort richement paree;
« et sitot apr^s y fut apportee madame
« Claude , laquelle le seigneur infant de Foix
wportoit dans ses bras, et avec eux vin-
u drent le due de Valois , et tons les autres
« princes et barons; aussi madame de Bour-
«bon, d'Angouleme, et les autres prin-
« cesses, et tant de dames et demoiselles,
« qu'il sembloit que le royaume des femmes
<( y fut arrive apri^s furent faites
«et solemnisees les fiancailles de mondit
« seigneur de Valois et de madite dame
« Claude, et les fianca le legat. »
La princesse n'avoit que quatreans, et le
prince n'en avoit que douze.
La ceremonie termin^e, le chancelier fit
DE FUANCE. CHAP. XXVI. I 1
la cloture des etats par le discours suivant :
« Le roi vous fait dire que s'il vous a et^ bon
« roi, il se parforcera de vous faire de bien
« en mieux; et vous le donnera a connoitre
« par effet , tant en general qu en particu-
(dier; et pour ce que le roi sait que vous,
« messieurs, qui etesici presents, etesles prin-
« cipaux du conseil des villes et cites qui vous
« ont envoy es devers lui, et que votre absence
« pourroit porter prejudice a la chose pu-
« blique, il vous donne conge de vous en re-
utourner, et est d'avis que seulement de-
«meure un desdites villes pour lui dire les
« affaires d'icelles, si aucunes en ont. n
12 ASSEMBLEES NATION ALES
CHAPITRE XXVII.
FRANCOIS I".
l^tats tenus a Cognac en iSaG.
Le traite de Madrid avoit rendu la liberie
a Francois P^ mais a des conditions infini-
ment onereuses.
Ce traite portoit que le roi epouseroit Eleo-
nore, soeur de Charles-Quint, avec 200,000
ecus de dot, et feroit epouser la fille de cette
princesse au dauphin quand il seroit en age ;
qu'il seroit conduit a Fontarabie et mis en
liberie le 10 de mars, et que ses deux fils,
ou du moins I'aine, et, au lieu du second,
douze sei(>neurs, entreroient en otage pour
surete de ce qu'il promettoit. C'etoit de
payer a I'empereur 200,000 ecus d'or de ran-
con pour sa personne; de lui ceder le duche
de Bourjjogne avec les villes de Noyers et
Chatelchinon, lacomte deCharolois, la vi-
comte d'Aussonne, et la prevote de Saint-
DE FRANCE. CHAP. XXVII. 1 3
Laurent, en toute souverainete ; de plus
riiommage des corates d'Artois et de Flandre,
et ses pretentions sur les etats de Naples,
Milan, Genes, Ast,Tournay, Lille et Hesdin.
Le roi avoit donne sa parole que s'il ne
pouvoit faire executer ces articles, il se re-
mettroit volontairement en prison, et de-
gageroit sa promesse au prix de sa propre
liber te.
11 dependoit du roi de livrer ses fils en
otage, et il s'empressa de remplir cette con-
dition du traite. Mais il sentit bien que la
Bourgogne faisant partie du royaume, il n'e-
toit pas en son pouvoir den faire la cession
au roi d'Espagne, sans le concours des etats-
generaux, et ils furent convoques.
Le roi , accompagne des ambassadeurs du
roi d'Espagne, s'y rendit; et I'ouverture s'en
fit par la lecture du traite de Madrid.
Les deputes de Bourgogne furent les pre-
miers qui prirent la parole. Ils declar^rent
qu'ils s'etoient volontairement donnes a la
France sous les premiers successeurs de Clo-
vis', que depuis ils avoientconstamment for-
me la premiere pairie du royaume ; que le roi,
1 4 ASSEMBLEES NATIONALES
quelque puissant qu'ilfutd'ailleurs, n'avoit
pas le droit de les aliener sans leur a veu , puis-
que le serment qui unit les sujets au souve-
rain lie egalement lesouverain a ses sujets,
et ne pent etre detruit que par un consente-
ment reciproque; qu'au reste ce lien n'unis-
soit pas seulement les Bourguij^^nons au roi,
mais a tons les autres membres de la monar-
chie , qui avoient droit de s'opposer a un en-
gagement contraire aux lois et destructif de
toute liberty. Francois F*^ tacha de s'excuser
sur la dure necessite oil il s'etoit trouve de
sacrifier une partie pour sauver le tout. II
remontra aux Bourguignons qu'ils seroient
traites avecdouceur par leur nouveaumaitre,
et qu'on leur conserveroit tous leurs privi-
leges, et prial'asserablee de le mettre a portee
d'accomplir son serment. « Ge serment, re-
V partirent les Bourguignons, est nul, puis-
V. qu'il est contraire a un premier serment
« que vous pretates a la nation en recevant
« Fonction sacree ; puisqu'il est contraire aux
u libertes de votre peuple et aux lois fonda-
« men tales de la monarchie ; puisqu'il a ^t^
«fait par un prisonnier, et arrach^ par la
DE FRANCE. CHAP. XXVII. I 5
« violence. Si toutefois vous persistez k re-
« Jeter de fideles sujets ; si les etats-g^n^raux
«du royaume nous retranchent de leur as-
« sociation, 11 ne vous appartient plus de dis-
'.( poser de nous : rendus a nous-memes, nous
«adopterons telle forme de gouvernement
« qu'il nous plaira; nous d^clarons d'avance
« que nous n'obeirons jamais a des maitres
« qui ne seroient pas de notre choix. »
L'assemblee enti^re se reunit aux d^put^s
de la Bour^ogne, et tons ensemble sup-
pli^rent le roi de ne plus insister sur une
demande quH netoit pas en leur pouvoir
de lui accorder.
Le roi, cedant au voeu des etats-generaux,
cliargea les ambassadeurs du roi d'Espagne
de rendre compte a leur maitre de ce dont
ils venoient d'etre les t^moins, et de lui of-
frir deux millions d'ecus d'or, en remplace-
raent de la Bourgogne.
Gependant le tresor etoit vide, le peuple
epuise, et les elats setoient separes, sans
prendre aucune mesure pour procurer au
roi cette enorme somme de deux millions
d ecus d'or.
1 6 ASSEMBLlfcES NATIONALES
Dans des circonstances aussi difficiles, un
second appel a la nation etoit ce que Ton
avoit de mieux a faire. Mais, coinme les de-
putes aux derniers ^tals etoient a peine ren-
tres dans leurs foyers, le roi crut pouvoir se
dispenser de les reunir de nouveau, et il
convoqua une assemblee de notables.
Quoiqu'il n'entre pas dans mon plan de
m'occuper de ces sortes d'assemblees qui,
dans la realite, n'^toient que des conseils
d'etat plus nombreux etplussolennels, puis-
que ceux qui les composoient etoient choisis
par le roi*, cependant celle-ci se confond
tellement avec les etats dont je viens de
rendre compte, que je crois devoir en par-
ler ici.
Le i6 novembre 1627, le roi se rendit a
lassemblee, et en fit Fouverture. II avoit a
sa droite le due de Vendome, le prince de
Navarre , le comte de Saint-Pol , le due d'Al-
banie, le due de Longueville, le prince de
LaRoche-sur-Yon, etLouis, princedeCleves.
A sa gauche, le cardinal de Bourbon , eveque
de Laonj le cardinal de Lorraine, eveque
de Metz; le cardinal Duprat, arclieveque de
DE FRAKCE. CHAP. XXVII. 17
Sens. Sur un banc moins eleve, les quatre
presidents du parlement de Paris; les pre-
miers presidents de Toulouse, de Rouen, de
Dijon, de Grenoble et de Bordeaux. Sur
deux bancs paralleles ; Fun a droite, Anne
de Montmorency, fjrand-maitre , Chabot,
amiral, Robert-Stuart d'Aubiny, capitaine
de la f^rarde ecossaise, Jacques de Genouil-
liac, dit Galiot, grand ecuyer; I'autre a
{yauehe,lesarclievequesdeLyon,deBourges,
de Rouen; les ^veques de Paris, de Meaux,
de Lisieux, d'Auxerre, du Puy, de Bazas, etc.
Dans le parquet inferieur, six maitres des
requetes, les conseillers du parlement de Pa-
ris, deux ou trois conseillers de chacun des
autres parlements, et enfin le prevot des
marcliandset lesechevinsde Paris. Derri^re
eux, les gentilsliommes de la maisou du roi ,
uu grand nombre de senechaux ou baillis.
Lorsque tout le monde cut pris place, le
cardinal-chancelier dit: Levez la main, et
jurez de ne rien reveler de ce que vous allez
entendre.
Ensuite le roi prenant la parole exposa
Tobjet de Tassemblee dans un discours,
2. '2
1 8 ASSEMBLEES NATIONALES
dont voici la conclusion : u Le roi d'Es-
pagne, apr^s bien des tei {^iversations, paroit
enfin dispose a se contenter dune somme
d'ar(yent en compensation de la Bourgogne.
Nous Iiii envoyons, le roi d'Angleteire et
moi, de nouveaux ambassadeurs, pour lui
porter nos dernieres propositions. S'il les
accepte, il faut tenir prete la somme dont
on conviendra ; s'il les rejette, il faut pousser
vigoureusement la guerre en Italic, et la
porter en meme temps dans les Pays-Bas, ou
il est facile de Fendommager. J'ai fait calcu-
ler la recette et la depense des deniers pu-
blics. La seule guerre d'ltalie nous coute
trois cent cinquante mille livres par mois,
et emporte par consequent plus de la moiti^
du revenu de I'etat. II faut cependant en-
tretenir des garnisons sur toutes nos fron-
ti^res, une flotte dans la Mediterranee , des
ambassadeurs dans toutes les cours de I'Eu-
rope, payer les gages des officiers preposes
a I'administration de la justice, ou charges
d'autres fonctions publiques. Les revenus or-
dinaires, avecquelque Economic qu'ils soient
administres, ne suffisent deja pas pour tous
DE FRANCE. CHAP. XXVII. 19
ces objets, et ne peuvent par consequent en-
trer en lig^ne de compte pour la guerre que
nous nous proposonsde porter dans les Pays-
Bas. Si, pour alleger le fardeau, nous pre-
nons le parti d'affoiblir I'armee d'ltalie, nous
courons risque d'echouer de tons cotes , et
de nous consumer en pure perte. Telle est
la situation de nos affaires. Voici maintenant
sur quoi vous avez a deliberer :
« Ou Fempereur acceptera nos derni^res
offres, et, dans ce cas, il faut trouver deux
millions d'ecus dor, dont douze cent mille
payables sur-le-champ, et les huit cent mille
autres a differents termes ; ou il les rejettera ,
et alors il faut des fonds extraordinaires pour
pousser la guerre en Italic, et la porter dans
les Pays-Bas. Si vous jugez que T^tat ne
puisse subvenir a cette depense, il faut ou
rendre la Bourgogne, ou trouver bon que
je retourne me constituer prison nier a Ma-
drid; car de croire que les choses puissent
rester dans Tetat ou elles sout, et que j'a-
cliete ma liberie au prix de celle de mes en-
fants, qui sont ceux de la chose publique,
ce seroit me faire outrage. D^ailleurs quel
20 ASSEMBLEES NATIONALES
seroit le fruit de cette barbare politique? Je
puis niourir demain, et, au lieu dun roi,
vous en auriez deux a racheter. Si par les
arrangements qui peuvent etre pris ma pre-
sence cesse d'etre necessaire, je pars pour
Madrid. Ecartez de vos deliberations tout
ce qui me touche personnellement, et ne
consultez que I'interet de notre commune
patrie, a qui nous devons tous egalement,
lorsque ses besoins I'exigent, le sacrifice de
notre vie et de notre liberte. »
Aprfes que le roi eut cess^ de parler, le
cardinal de Bourbon pou r le clerge, le due de
Vendomepour la noblesse, et le president de
Selves pour ceux du tiers-etat appeles a I'as-
sembl^e, depos^rent aux pieds de sa majeste
les sentiments d'admiration et de r^connois-
sance que leur inspiroit son devou^nent a
la chose publique, et lui demand^rent la
permission de deliberer sur les propositions
qu'il daignoit leur faire.
Quekjues jours apr^s, le roi et les membres
de Tassemblee s'etant reunis, et ayant repris
leur place, le cardinal de Bourbon se leva,
et dit : <( La foible portion del'efjlise (jallicane
DE FRANCE. CHAP. XXVII. 2 1
ici reunie a conclu a I'unaniinite que^ vu
les circonstances actuelles, elle pouvoit sain-
tement, justement, et sans attendre la per-
mission du saint-siege, deposer aux pieds du
roi une partie des biens quelle tient de la
munificence desespredecesseurs^qu'en con-
sequence elle offroit a sa majeste une somme
de treize cent mille livres. ))
A cette offre le cardinal joignit une sup-
plique par laquelle il demandoit au roi trois
choses : la premiere, de prendre en conside-
ration Tetat deplorable ou le pape etoit re-
duit(i), et de Farracher des mains de ses
(i) Le cardinal parloit de Jules de Medicis, cousin de
Leon X, et oncle de Catherine, femme de Henri II, qui
fut elu pape en iSaS, et qui prit le nom de Clement VII,
II se ligua , par un traite sifjne le 32. mai, avec les rois de
France et d'Angleterre , les Venitiens et d'autres princes
d'ltalie , contre I'empereur Charles V. Cette ligue , appe-
lee sainte parceque le pape en etoit le chef, ne lui pro-
cura que des infortunes. Le connetable de Bourbon , qui
avoit quitte Francois I" pour Charles V, vint se pre-
senter devant Rome le 5 mai iSsy. Cette grande ville
fut prise d'assaut le lendemain, pillee et saccagee pen-
dant deux mois , avec des exces de barbaric superieurs
a ceux que les troupes d'Alaric y avoient conimis. Cle-
32 ASSEMBLEES NATIONALES
persecuteurs; la seconde, d'exterminer les
protestants qui, du fond de I'Allemagne,
comraencoient a se repandre en France ; la
troisieme, de maintenir, a I'exemple des rois
ses predecesseurs, les droits, les liberies et
les privileges de 1 eglise gallicane.
Le due de Vendorae prit ensuite la parole ,
et dit: u Je parle au nom dun ordre qui sait
mieux agir que discourir. Sire, nous vous
offrons la moitie de nos biens; si la moitie
ne suffit pas, la totalite, et, par-dessus, nos
epees, et jusqu a la derniere goutte de notre
sang : mais je n'engage que ceux qui sont
ici; les autres ne peuvent Tetre que par
leur consentement libre. *)
Le j)resident de Selves prenant ensuite la
parole prononca un discours tres remar-
quable, qu' il termina par ces mots : cc II s agit
d'obliger lempereur de se contenter dune
somme de deux millions d'ecus d'or pour la
ment s'etoit retire dans le chateau Saint- Ange. II y fut
assiege, et n'en sortit qu'au bout de sept mois, la nuit
du 9 au lo decembre, deguise en niarcband.
DE FIIAKCE, CHAP. XXVII. 23
raiiron des fils de France. Ce nom seul in-
dique assez nos obligatioDS a leur egard; ils
sont la portion la plus pr^cieuse de notre he-
ritage, le gage de la felicite publique, I'es-
perance et Fappui de la patrie. G'est de cette
m^re commune que nous tenons notre exis-
tence, nos biens, notre rang, nos privileges;
en nous en conferant I'usage , elle n'a point
eu intention que nous nous en prevalussions
a son prejudice; elle sen est reserv^ la pro-
priete, et elle a le droit den depouiller les
enfants ingrats qui la negligeroient dans ses
besoins. Les merabres de votre parlement
de Paris, sire, les deputes des cours souve-
raines de votre royaume, detesteroient toutes
distinctions qui les exempteroientde contri-
buer a une dette sacree. Ils demandent d etre
taxes comme le reste des citoyens, et ils vous
offrent, d^s ce moment, leurs biens, leurs
corps et leur vie. »
Le prevot et les eclievins de Paris , rivali-
sant de devouement et de zele avec les ora-
teurs qui les avoient precedes, ajouterent a
ce que venoit de dire le president de Selves
(pie les fils de France leur appartenoient a
24 ASSEMBLl^ES NATIONALES
un titre plus special qu a tout le reste du
royaume, puisqu'ils etoient enfants de Pa-
ris; que ses fideles bourg^eois vouloient con-
tribuer a leur rancon dans une proportion
plus forte que les autres villes du royaume ;
qu'ils supplioient sa majeste de disposer ab-
solument de leurs biens et de'leur vie, et
d'avoir tou jours pour recommandee sa bonne
ville de Paris.
Le roi, vivement touche d'un devouement
aussi genereux et aussi unanime, remercia
les trois ordres, et s'adressant a chacun d'eux
en particulier, il repondit:
« Messieurs du clerge, je recois votre don.
Je conserverai les privileges de vos eglises,
et la purete de la foi dans mes etats. Quant
au saint-p^re, c'est principalement pour le
tirer des mains de ses persecuteurs que je
me propose de porter la guerre en Italic.
Princes et seigneurs , je conserverai vos pri-
vileges avec le meme soin que ceux du cler-
gy; car ces privileges sont les miens et ceux
de mes enfants, puisque leur plus beau titre
est celui de chefs de la noblesse.
« Messieurs de la justice, et vous tous, mes
DE FRANCE. CHAP. XX VII. 25
fideles sujets, j'aurois fait avec joie le sacri-
fice de ma liberie a mon peuple et a J'interet
de notre commune patrie; mais, piiisque
vous jug^ez ma presence necessaire, je vivrai
au milieu de vous.
« A legard de la cession de la Bourgogne,
si Ton me demandoit mon avis, je repon-
drois comme fyendlhomme qu'il faudroit
me passer cent fois sur le ventre avant que
d'obtenir mon consentement. Jugez de ce
que j'en dois penser comme roi. y , ^
« Si je n'ai pas tou jours repondu- a votre
genereuse amitie, si j'ai commis des fautes,
sonfjez combien il est difficile de n'en pas
commettre dans une administration aussi
etendue. Ne craignez pas de me donner des
avertissements, je les prendrai toujours en
bonne part. »
26 ASSEMBLIES NATION ALES
GHAPITRE XXVIII.
HENRI II.
Etats-generaux tenus a Paris en i558.
Je sais tres bien que la denomination que
je donne a, cette assemblee ne lui appartient
pas, et que dans la realite elle nest autre
chose qu'une assemblee de notables.
En effet, tons ses membres furent choisis
par le roi; et Ton n'y vit figurer, pour le
clerge, que des archeveques et deseveques;
pour la noblesse, que des baillis, et pour le
tiers-etat, que des maires et des echevins.
Le roi avoit aussi ju^^^e a propos d'y appeler
les premiers presidents de toutes les cours
souveraines.
Cependant, par une meprise difficile a
expliquer, il est recu genera I em en t, et de-
puis long-temps, de placer ce grand conseil
dans la nomenclature de nos etats-generaux.,
Je me conform e a Tusage.
DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 27
La perte de la bataille cle Saint-Quen-
tin (1) avoit ouveit a Philippe II le chemiii
de la capitale. La terreur etoit dans Paris,
et le decouragement par-tout. Les debris de
Farinee, reunis a Laon, n'offroient qu'une
(i) Cette memorable bataille, qui fut le terme des
prosperites de Henri II, et qui eclipsa presque toute la
gloire de son regne, fut donnee le 10 aout 1557.
La deroute commenca par les goujats , les vivan-
diers , et les autres gens de cette espece ; ils entrainerent
les soldats. Le connetable, qui esperoit rallier ses trou-
pes, et reformer ses bataillons et ses escadrons, ne put y
parvenir. Enfin, apres un combat de quatre heures et un
grand carnage, I'armee francoise fut entierement de-
faite. A I'exception de deux pieces de canon , qui , par les
soins de Bourdillon, furent conduites a La Fere, les
ennemis nous enleverent toute notre artillerie. Nous
perdimes 2,5oo hommes, entre autres plusieurs officiers-
generaux du premier rang. Jean de Bourbon, qui avoit
plusieurs fois retabli le combat, et donne des preuves
d'un courage digne de son noble sang, fut perce d'un
coup d'arquebuse, et emporte dans le camp des Espa-
gnols, ou un moment apres il mourut. Francois de
La Tour, vicomte de Turenne, expira sur le champ de
bataille. Le connetable Anne de Montmorency fut fait
prisonnier, apres avoir recu une blessure dans les aines.
Montpensier tomba aussi entre les mains des ennemis.
lis prirent egalement le marechal de Saint-Andre.
28 ASSEMBLKES NATIONALES
barriere impuissante : il falloit de nouvelles
levees, et par consequent de noiiveaux im-
pots. Ce fut pour en obtenir que Henri II
convoqua ces pretend us etats-f^eneraux.
J'emprunte a I'histoire universelle du presi-
dent de Thou les details dont je vais rendre
compte.
Le 6 de Janvier on s'assembla dans la
chambre de Saint-Louis, qui etoit ma^^nifi-
quement preparee. Le roi monta sur son
trone, ayant a sa droite, un pen plus bas, le
dauphin et le due de Lorraine, avec les car-
dinaux; et a sa gauche le prince de La Ro-
che-sur-Yon, le due de Nevers, Sancerre,
d'Urfe, Bourdillon, et le reste de la noblesse;
les autres ordres du royaunie etoient au-
dessous. Le roi fit Fouverture des etats par
un discours majestueux et solide. II repre-
senta que, depuis son avenement a la cou-
ronne, il n'avoit rien eu plus a coeur que de
soutenir, non seulement la gloire de toute
la nation, mais encore de tenioi(yner a tons
les ordres en particulier une affection pa-
ternelle, et de conserver les droits et les
privileges de cliacun, comme un bon prince
DE FRA1SCE. CHAP. XXVIII. 29
(levoit faire; qu'il etoit de la gloire dii
royaume, et de Tinteretde tous les ordres
particuliers, de repousser les efforts des en-
nemis, de conserver les anciens fiefs de la
couronne, de recouvrer ce qu'on avoit
perdu, d'assurer les fronti^res; qu'ayant
tou jours eu ces sentiments, d^s qu'il s'etoit
vu sur le trone il avoit entrepris, pour re-
couvrer Boulogne et les pays voisins, une
guerre dan(jereusecontre I'Angleterre, mais
dont le succ^s avoit ete heureux; que pour
soutenir c(^tte guerre, et pour plusieurs au-
tres besoins que , par un encliainement
fatal, elle avoit fait naitre, il avoit fait des
depenses excessives; que les revenus ordi-
naires, ne pouvant y suffire, il avoit engage
son domaine, et, ce qui lui faisoit plus de
peine , qu'il avoit ete oblige d'etablir de
nouveaux impots; queces extremites, oii il
avoit ete reduit, et auxquelles un bon prince
devoit toujours etre sensible, I'avoient extre-
mement touclie, et I'avoient engage a de-
mander la paix a des conditions desavanta-
geuses; que, n'ayant pu I'obtenir, et sachant
que I'ennemi, enfle de ses succ^s, faisoit de
3o ASSEMBLEES NATIONALES
plus grands preparatifs pour continuer la
guerre, il avoit voulu declarer a tous les
ordres de son royaume ses intentions et ses
desseins, et leur temoigner publlcjuement
combien , apres la confiance qu il avoit aux
secours du ciel , il comptoit sur la fidelite et
le courage de ses sujets; qu'il croyoit done
necessaire d'opposer toutes ses forces aux
efforts des ennemis; que personne n'igno-
roit que Targent etoit le plus grand ressort
de la guerre, sans lequel on ne pouvoit ni
entretenir une armee ni retenir des soldats
dans le devoir, et sans quoi on perdoit or-
dinairement les plus belles occasions de
reussir qui se presentoient utilement;
qu'ainsi ils devoient donner tous les secours
possibles a leur roi, et subvenir aux besoins
du royaume et a la n^cessite publique,
puisqu'ils y etoient eux-memes interesses;
qu il n'ignoroit pas que le malheur des temps
et les circonstances faclieuses avoient cor-
rompu les moeurs, et introduit dans le gou-
vernement des abus dont les peuples etoient
les victiraes; mais qu'il les reformeroit, et
qu'il promettoit en meme temps de d^char-
DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 3 1
^er le peuple des impots qui laccabloient, d^s
que, par leurs secours, il seroit debarrasse
des difficultes qui Tenvironnoient, et qu'il
a uroit assure la paix par la force de ses ar-
mes; qu'il avoit voulu que le dauphin, Fhe-
ritier du royaurae, fut present a cette assem-
blee, non seulement comme temoin, et
comme garant des promesses de son p^re,
mais pour Fengager lui-meme a executer un
jour ce que le roi promettoit d'accomplir
exactement sur la foi de sa parole royale.
Apres que le roi eut ainsi parle, le cardi-
nal de Lorraine se leva, et fit un discours
enfle, diffus, et, selon sa coutume, renqili
de louanges et de flatteries. II s'etendit fort
au long sur Taffection du roi envers tous les
ordres du royaume, et sur sa generosite, et
il promit, au nom du clerg^, de grandes
sommes d'argent.
Ensuite le due de Nevers, qui portoit la
parole pour la noblesse (i), seleva, et dit
(i) J'ai dit plus haut que dans cette assemblee I'ordre
de la nohlesse ne fut represente que par des bailiis.
32 ASSEMBLEES NATIONALES
en peu de inots, quelle etoit prete, comme
elle Favoit toujours ete, de prodiguer et son
san{>' et ses biens pour son roi, pour la de-
fense du royaume, et pour la gloire de la
nation.
Alors Jean de Saint- Andr^, s'etant mis
aux genoux du roi, le remercia, au nom du
Pour ne pas s'y meprendre, il faut se rappeler que dans
I'ancien regime il y avoit deux especes de baillis, les
uns d'epee, qui tous etoient nobles, les autres de robe
longue, qui presque tous appartenoient au tiers-etat.
On peut desirer de connoitre comment cette division
s'etoit operee ; le voici :
Apres que les seigneurs de fiefs et les gouverneurs des
provinces, profitant de la foiblesse des derniers Carlo-
vingiens, eurent usurpe la propriete du pouvoir, des
prerogatives et des domaines dont ils n'avoient eu jus-
qu'alors qu'une jouissance precaire, bientot on les vit
commettre des prepose's pour exercer, en leur nom,
I'autorite judiciaire.
Le temps exerca surcet abus son influence ordinaire:
il I'aggrava. Bientot ces lieutenants des seigneurs et des
comtes, que dans la suite on appela baillis, c'est-a-dire
gardiens de la justice, emportes par I'esprit national,
qui ne voyoit de bonheur et de gloire que dans les ha-
sards de la guerre, dedaignerent I'exercice de leurs fonc-
tions, se permirent de les deleguer, et, vers le treizieme
DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 33
parlement et de toutes les cours sup^rieures
du royaume , dont les d^put^s ^toient pr^
sents, de ce qu'il avoit forme et uni aiix
^tats du royaume un quatri^me ordre dis-
tingue des autres, qui ^toit celui des ma-
gistrats, qui, depositaires de son autorite,
siecle, ces lieutenants avoient eux-memes des lieute-
nants.
L'abus fut porte si loin, que le meme bailli avoit plu-
sieurs bailliages : des lieutenants, commissionnes par lui,
rendoient la justice en son nom ; et, le plus souvent,
ces commissions etoient k I'enchere. Les lois leur defen-
doient ce trafic honteux, et leur imposoient I'obligation
de resider et d'exercer eux-memes : plus puissants que les
lois , ils en bravoient I'autorite.
Get ordre de choses, tout vicieux qu'il etoit, subsista
jusqu'au siecle de Francois I".
Ce prince etablit que les lieutenants des baillis ne se-
roient plus nommes que par lui; et I'ordonnanee d'Or-
leans defendit a ces memes baillis des'immiscer a I'avenir
dans I'exercice des fonctions judiciaires : demaniereque
de leurs anciennes autorite's il ne leur resta que les pre-
rogatives honorifiques.
Ce sont ces baillis, connus depuis sous le titre de
baillis d'epee, que j'ai entendu designer, lorsque j'ai dit
que dans I'asserablee de i558 I'ordre de la noblesse ne
fut represente que par des baillis.
2. 3
34 ASSEMBLl^ES NATION ALES
rendent la justice en son nom. Apr^s avoir
loue la bonte et la prudence du roi , il offrit
les biens et la vie de ceux pour lesquels il
parloit.
Enfin Andr^ Guillart du Mortier, pour le
tiers-etat, s'etant aussi jete aux pieds de sa
majeste, donna de ^randes louanges a la
bonte et a la sagesse du roi, qui avoit resolu
de faire une paix glorieuse par la force des
armes, et de corriger les abus qui s'etoient
glisses dans le gouvernement a la faveur du
malheur des temps; il dit encore que quoi-
que le peuple fut charge d'impots et accable
par les maux dune guerre continuelle, sa-
chant neanmoins que des sujets devoient
tout a leur roi, et voulant donner des mar-
ques authentiques de leur parfait devoue-
raent et de leur fidelite, dans les circon-
stances presentes, ils ne refuseroient point
de fournir des sommes assez considerables
pour remedier aux besoins de Fetat, et sou-
tenir avec gloire la guerre qu'on avoit cora-
mencee.
Apr^s que du Mortier eut fini, Jean Ber-
trandi, garde- des -sceaux, qu'on appeloit
DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 3^
alors le cardinal de Sens, se mit k genoux,
suivant la couturae, pour prendre les ordres
du roi : ayant repris sa place , il dit que sa
majeste ordonnoit que, pour commencer la
re forme, le tiers-etat donneroit un cahier,
ou il exposeroit ses sujets de plaintes, et les
diffe rents abus qu'il falloit reformer, et le
remettroit entre les mains de du Mortier,
qui en feroit son rapport k sa majest^, pour
y remedier suivant sa volonte.
Ensuite on congedia Fassemblee. D^s que
le roi fut sorti, le cardinal de Lorraine, par
son ordre, fit venir en particulier les depu-
tes du tiers-etat : il leur repr^senta que le
roi avoit besoin de trois millions d ecus dor
pour les frais de la guerre; que le clerge
ayant offert un million, outre les d^cimes,
il etoit juste que le tiers-^tat fournit les
deux autres; que pour le faire avec plus de
commodity, et plus promptement, parceque
le besoin qu'on en avoit demandoit plus de
diligence, il falloit que les deputes donnas-
sent les noms de deux mille bourgeois, les
plus considerables de toutes les villes du
royaume, qui preteroient chacun mille
3.
36 ASSEMBLEES NATIONAI.ES
ecus d'or. Les deputes refuserent de donner
ces noms , et soutinrent que ce moyeii
etoit odieux, et qu'il y avoit m^me du dan-
ger a Fexecuter ; que dun cote on ne
pouvoit, sans exciter des mur mures et s'at-
tirer la haine de tons les particuliers , les
obliger de donner des declarations de tons
leurs biens, etr den faire une espece de de-
nombrement; que d'un autre cote le com-
merce du royaume souffriroit beaucoup, si
les biens des negociants etoient connus de
tout le monde , parceque , comme on les
croit souvent plus riches qu'ils ne lesont,
la perte de leur credit ruineroit leur negoce.
Enfin on jugea plus a propos de faire une
imposition de cette somme sur les provinces
et sur les villes qu'elles renferment, pour la
repartir ensuite entre les plus riches parti-
culiers , afin que cette contribution , qu'un
petit nombre de bourgeois n'auroient pu
payer sans en etre accables, parut plus le-
gere, par la repartition qui en seroit faite
entre un grand nombre de personnes.
M^zerai et le president Renault nous
donnent aussi des notions fort exactes sur
DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 3'J
cette assembl^e de 1 558. Je vais rapporter ce
qu'ils en disent:
« II ne manquoit plus que de I'argent au
(( roy : il assembla pour cela les etats h Paris
(t le 6 Janvier de Tannic 1 558. Depuis le roy
«Jean,ils n'ont (jueres servy qu a augmen-
« ter les subsides. Cette fois on trouva h pro-
it pos de diviser I'assemblee en quatre, dis-
« tinguant le tiers-etat d'avec lesofficiers de
((justice et de finance. Tous ensemble luy
« accord^rent trois millions d'ecus dor, qu'il
(( demandoit : on les leva sur les plus aises du
((royaume. » Histoire de France^ regne de
Henri II.
u Assemblee des notables, tenue dans une
« chambre du parlement. Ge fut dans cette
M assemblee d'etat, que la magistrature prit
(( seance pour la premiere fois, et forma un
(tquatri^me ordre; jusque-la elle n'y avoit
«pas pris de place, et c'est k tort qu'on la
((crue confondue avec le tiers-etat: elle n'y
«a point reparu depuis; elle n'assista ni aux
(( etats de Blois , ni a ceux de Paris. » Abrege
chronologique du president Henault , regne
de Henri II , annee i558.
38 ASSEMBLIES NATIONALES
CHAPITRE XXIX.
FRANCOIS II.
^Ivenements de son regne relatifs aux etats-generaux
de i56o.
La niort de Henri 11 (i) avoit fait passer la
couronne sur la tete de Francois II, a peine
ag^ de seize ans. Ce prince, egalement foible
de corps et d'esprit, et sans aucune espece
d'instruction , quoique majeur aux yeux de
la loi , etoit encore dans une sorte d'enfance.
Roi d'llcosse, par son mariage avec Marie
(i) Le 25 juin iSSg, Henri II courant dansuntournoi
centre le comte de Mongommery , capitaine de la garde
ecossoise, fut blesse d'un eclat de lance qui lui entra
dans I'oeil droit : des le premier appareil , la plaie fut
jugee si dangereuse, qu'on desespera de sa vie; il mou-
rut en effet le lo juiilet, laissant quatre fils en bas age,
'avoir: Francois II, Charles IX, Henri III, et le due
d'Anjou. Francois II mourut le 5 decembre 1 56o.
Dfe FRANCE. CHAP. XXIX. Sq
Stuart, il etoit accable sous le poids de ses
deux couronnes. La jeune reine, par un
contraste fort remarquable,avoit des talents
et une ambition fort au-dessus de son age.
Cette ambition liabilement dirigee par ses
deux oncles, le due de Guise et le cardinal
de Lorraine, I'avoit rendue maitresse abso-
lue des volontes du roi. Le pouvoir de la
niece etoit devenu celui des oncles. Le due
de Guise s'etoit fait donner le commande-
ment des armees, et le cardinal de Lorraine
la direction des affaires et I'administration
des finances.
L'elevation de ces deux etrangers aux pre-
mieres dignites de F^tat avoit reuni contre
eux toutes les haines. Mais les interets s'^-
toient divises, et la cour etoit partag^e en
quatre factions: celle de Guise, soutenue
•par tous les zeles catholiques •, celle de la
reine-m^re, pour qui Fart de regner n'^toit
autre chose que I'art de tromper et de se-
duire, et qui auroit voulu que I'autorite de
son fils residat tout enti^re dans ses mains;
celle d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre,
qui, fort de I'appui de tous ceux qui avoient
4o ASSEMBLIES NATIONALES
embrasse la religion r^f'orm^e, pretendoit
qu'en sa quality de premier prince du sang,
la lieutenance generale du royaume devoit
lui etre conferee; enfin celle du connetable
de Montmorency, chef de tous les mecon-
tents, et pardculi^rement de ceux qui re-
grettoient la faveur dont ils avoient joui
sous le dernier regne.
La nation, froissee entre ces differents
partis, attendoit avec anxiet^ le denoue-
ment de ce nouveau drame, lorsque parut
un ecrit contre les Guise et contre la reine-
m^re, ^crit tres violent et qui fit une grande
sensation. On y disoit :
« Qui ne voit combien il est contraire a la
raison de soutenir que le roi, en attendant
un age plus avance , a pu confier le soin de
son etat a la reine sa m^re et aux oncles de
la jeune reine, corame si un pupille pouvoit
se choisir un tuteur, et comme si ce qui est
defendu aux particuliers par les lois devoit
etre permis en la personne dun roi , dont *
la bonne ou la raauvaise administration in-
teresse les peuples, et decide de la felicit^
ou du malheur de la nation?. . . II y a envi-
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4 »
ron quatre-vingts ans, continuoit Tauteur,
que Louis XI, en mourant, laissa ses ^tats
a Charles Vin, son fils, encore dans I'en-
fance. Anne, soeur ain^e du jeune roi, pr^-
tendoit a la regence, que lui disputoit Louis,
due d'Orleans, premier prince du san(j. Ce
grand different fut jnge par les etats du
royaume, assembles a Tours, qui pronon-
c^rent qu'Anne ne se meleroit point du gou-
vernement; que la regence ne seroit pas non
plus deferee au due d'Orleans, parcequ'il
n'avoit pas encore vingt-trois ans accomplis,
mais que I'etat seroit regi par un conseil
souverain , compose des princes du sang et
des grands du royaume. Si le pouvoir de la
reine-m^re paroit odieux, combien doit
letre davantage celui des Guise, etsur-tout
du cardinal de Lorraine ! Les anciennes lois
du royaume defendent aux pretres et a ceux
qui sont soumis au pape d'avoir le principal
gouvernement de 1 etat. Le roi Jean ota les
sceaux a Jean de Dormans, eveque de Beau-
vais, et chancelier de France, lorsque ce
prelat fut nomme cardinal.... On ne se sou-
vient encore que trop des maux causes par
42 ASSEMBLIES NATIONALES
les cardiiiaux de La Grange et de Balue
D'ailleurs ne sait-on pas jusqii a quel point
les Guise doivent etre suspects? lis ne di-
sent plus en secret, mais ils publient par-
tout qu'ils descendent des roiscarlovingiens,
qui, selon eux, furent prives injusteraent
de la couronne par Hugues Capet Ils
osent meme avancer qu'on leur a enleve ci
eux-memes, avec line semblable injustice,
le duched'Anjou et le comte de Provence : ils
en prennent les armoiries et les titres, et, tout
etrangers qu'ils* sont , ils se glissent pour
ainsi dire peu k peu dans la maison royale....
Tout le monde voit assez, poursuivoit I'au-
teur, oil tend leur grande soumission pour
le pape et pour le saint-siege. lis veulent, a
I'exemple de Charles Martel et de Pepin,
dont ils pr^tendent faussement etre descen-
dus, ravir par la faveur du clerge la couronne
a ses legitimes possesseurs. »
' Cetecrit, qui porta I'irritation des Guise
a son comble, fut generalement attribue
aux protestants, et les persecutions contre
eux recommenc^rent avec plus de violence
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4^
que jamais. En voici le tableau trac^ par une
main aussi fidele que savante(i):
« On redoubla de toutes parts les perqui-
((sitions contre les personnes soupconnees
« de favoriser la nouvelle doctrine. Le pr^-
« sident de Saint-Andr^ et I'inquisiteur Mou-
«chy(2), charges de ce soin, avoient des
((^missaires qui leur rendoient compte de
(tee qui se passoit de plus secret dans les
« maisons. Souvent ces espions faisoient des
« rapports infideles. Un de ces miserables
« certifia qu'il s'^toit trouve a une assemblee
(t nocturne chez un avocat loge a la place
« Maubert ; qu'on y avoit servi un grand
«repas; qu'en sortant de table on avoit
u eteint les lumi^res, et que chacun avoit
((Satisfait ses desirs^ que lui en particulier
(' avoit obtenu les derni^res faveurs de la fille
« de I'avocat. Cette deposition fut reconnue
(i) Le president de Thou, Hist. univ. , livre X.
(2) De la est venu le nora de mouchard dont on fletrit
les espions de la police.
44 ASSEMBLlfiES NATIONALES
(t fausse dans tous ses points. Cependant on
« ne punit point le delateur.
(( Dans le faubourg Saint-Germain, qu'on
uappeloit communement la petite Geneve,
« il y avoit une hotellerie frequentee par les
« AUemands et par lesGenevois. Bragelon-
((gne, lieutenant criminel, assiegea cette
(( maison avecune troupe d'arcliers. Seize des
(( personnes qui y etoient a table s'enfuirent.
« II n'y resta que deux gentilshommes d'An-
(cjou, domestiques du roi de Navarre. Ges
« Angevins etoient fr^res, et se nommoient
« Soubselle. Ayant mis I'epee a la main , ils
« charg^rent les licteurs de Bragelongne, et
(des dissip^rent. Un des deux porta plus
{( loin la hardiesse. Non content d'avoir ob-
it tenu des lettres de remission par le credit
ude son maitre, il demanda qu'on lui rendit
(tplusieurs effets qu'il accusoit les archers
u de lui avoir enleves. Son audace aclieva
{( d'irriter le cardinal de Lorraine, qui le fit
uarreter, et conduire au chateau de Vin-
u cennes.
« Gette prison , ainsi que toutesles autres,
«etoit pleins de victimes du ressentiment
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4^
«de ce cardinal. On trainoit chaque jour
(( de nouveaux accuses devant les tribunaiix.
((Plusieurs personnes ayant pris la fuite,
uleurs biens furent vendus ci I'enean. Tout
« Paris retentissoit de la voix des huissiers ,
uqui faisoient des criees de meubles, ou
« qui trompetoient les fugitifs. On ne voyoit
(( par-tout que des ecriteaux sur des mai-
((sons abandonn^es. De jeunes enfants, que
« la foiblesse de leur age n'avoit pas permis
« aux p^res et aux m^res d'emmener avec
« eux, remplissoient de leurs oris les rues et
« les places publiques. Un spectacle si tou-
« chant tiroit des larmes des yeux des enne-
« mis meme les plus declares des protes-
« tants.
« La cour ne jugea pas suffisant de payer
« des delateurs pour decouvrir les sectateurs
(tdes opinions nouvelles. Dans les princi-
(c pales rues de presque toutes les villes, elle
« fit poser des images de la Vierge et des
« saints, ornees et couronnees de fleurs, de-
«vant lesquelles on allumoit des cierges.
« Des gens de la lie du peuple s'assembloient
« vis-a-vis de ces statues, et y chantoient des
46 ASSEMBLEES NATIONALES
((cantiques. Pi es de ces images etoient des
« troncs , oil les passants etoient forces par
« des gens charges de cet emploi de mettre
«de I'argent pour I'entretien des lumi^res.
« Si Ton refusoit de payer, si Ton passoit de-
Mvant les statues sans les saluer, quoique
«ce fut sans^dessein, si enfin on ne sarre-
« toit pas avec respect lorsque le bas peuple
(( entonnoit ses chants ridicules, on etoit aus-
((sitot maltrait^, et Ion etoit heureux den
« etre quitte pour des coups et pour la pri-
« son. »
Ces persecutions produisirent un effet
contraire a celui que Ion s'etoit flatte den
obtenir. En multi pliant les martyrs, on
multiplia les proselytes. Le peuple ciut voir
quelque chose de surnaturel dans le courage
que la nouvelle religion inspiroit a ses sec-
tateurs(i), et la reforme fit chaque jour de
nouvelles conquetes.
(i) Le supplice d'Anne du Bourg, conseiller au parle-
ment , brule en place de Greve , comme heretique, fit un
effet prodi^eux. La lecture de son arret . n'altera pas
meme les traits de son visage. II dit qu'il pardonnoit a
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4?
Gette eglise qui , quelques ann^es aupa-
ravant, ne comptoit qu'un petit noinbre de
fideles obscurs et isoles, devient, en pen de
temps, une immense et redoutable congre-
gation, composee d'hommes de toutes les
conditions et de tous les rangs, et qui , diri-
gee par des chefs habiles, se reunit en assem-
blees , s'impose des tributs , organise une
force publique, couvre Ja France deglises
protestantes, et declare hauteraent quelle
repoussera I'oppression par la force.
sesjuges, qui avoientprononceselonleur conscience, mais
non selon la science qui vient d'en haut. Ensuite elevant
la voix il ajouta : Eteignez vos feux. Que Cinjuste aban-
donne sa voie , et que, detestant ses desseins pervers , il re-
toume au Seigneur. II fut conduit dans un tombereau a
la Greve, oil il fut etrangle, et jete dans le feu. Telle
fut la fin d'Anne du Bourg, a I'age de trente-huit ans.
II etoit ne a Riom en Auvergne, d'une famille riche,
dent etoit sorti Antoine du Bourg, chancelier de France
sous Francois I". Apres avoir professe le droit a Orleans
avec un grand succes , il s'etoit encore distingue davan-
tage par son integrite dans la magistrature. Plusieurs de
ceux meme qui condamnoient ses sentiments avoient
fait des voeux pour sa liberie, et donnerent des larmes
sinceres a sa mort.
48 ASSEMBLIES NATIONALES
Jusque-Ia quelques gendarmes avoient
suffi pour imposer aux novateurs et dissi-
per leurs rassemblements ; dorenavant il
ne faudra rien moins que des armees regu-
li^res. Mais linsurrection ^clatoit simulta-
nement sur tous les points du royaume, et
le gouvernement ne pouvoit pas avoir une
armee dans chaque province. L'affaire por-
tee an conseil du roi , le cardinal de Lorraine,
qui parla le premier, proposa I'inquisitiou,
non telle que Henri II I'avoit ^tablie, c'est-
a-dire modifiee par des restrictions qui la
paralysoient; mais I'inquisition avec tous ses
buchers, toutes ses horreurs, et telle quelle
existoit en Espagne.
Cette opinion paroissoit reunir tous les
suffrages . L'Hospital cut le courage de la com-
battre. II observa que pour operer une gue-
rison , il ne suffisoit pas a un medecin de
bien connoitre I'efficacite dun remede, qu'il
falloit de plus connoitre le moment de I'ap-
pliquer, les forces et le temperament du ma-
lade ; qu il confessoit sans peine que le tri-
bunal de I'inquisition , s'il avoit pu s'etablir
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 49
en France vingt ans plus tot, I'auroit peut-
etre preservee de la contagion ; que lexemple
de I'Espagne et une partie de I'ltalie ne lais-
soient pas lieu den douter; qu'on devoit
regretter que des obstacles qui, apres tout,
n'auroient pas ete insurmontables, eussent
arrete le zele de ceux qui des-lors desiroient
cet etablissement; mais que si dans un temps
ou le calme regnoit dans les provinces, ou
tout flechissoit sous un roi respecte de ses su-
jetset redoute de ses voisins, on avoitcraint
de compromettre Fautorite en risquant une
pareille innovation, tellement qu'on avoit
cru devoir ne la proposer qu'avec des cor-
rectifs qui en moderassent I'aprete, per-
sonne sans doute ne trouveroit etrange que
dans une conjoncture malheureuse, ou I'es-
prit de discorde agitoit tons les ordres de
I'etat, on marchat avec une extreme precau-
tion , et qu'on s'etudiat a d^rober a tons les
yeux le terme oil Ton se proposoit d'arriver;
qu'on ne pouvoit disconvenir que le nom
seul de I'inquisition ne fut propre a revolter
ceux a qui une longue habitude ne I'avoit
4
5o ASSEMBLIES NATION ALES
point rendu familier; que si quelquun en
doutoit, il suffiroit de lui citer ce qui s'etoit
passe en Italie : qua la premiere nouvelle
que les Napolitains avoient eue que Charles-
Quint songeoit a les soumettre a ce tribunal ,
cinquante mille hommes avoient pris les
armes, et avoient force cet empereur, si en-
tier dans ses resolutions, si redoutable et si
redoute, a revoquer son edit, et a se desister
de son projet; que plus recemment encore,
k la mort de Paul IV, toute la ville de Rome
s'etoit soulevee contre les officiers de I'in-
quisition , avoit mis en pieces leurs registres,
brise les portes des prisons du saint-office,
et rendu la liberte a tou? ceux qu'on y de-
tenoit; et qu'il y auroit de Timprudence a se
promettre plus de docilite des Francois, peu-
ple sensible aux caresses, qu'on pent me-
ner bien loin par la douceur, mais prompt a
s'irriter, et retif a la menace.
De cette deliberation sortit le c^lebre ^dit
de Romorantin. Get edit attribue a chaque
^v^que dans son diocese la connoissance du
crime d'her^sie, et a tons les presidiaux la
DE FRANCE. CHAP. XXIX. 5 1
recherche et la puriition des assemblies il-
licites.
Ces concessions irrit^rent egalement les
deux partis. Les r^formes se plaignirent
hautement dune mesure qui les livroit a la
discretion des eveques et aux jugements des
tribunaux inferieurs. Les catholiques, qui
pen^troient mieux les intentions du chan-
celier, pretendirent qu'en divisant ainsi le
pouvoir inquisitorial, il avoit voulu I'affoi-
blir et le paralyser. Les gens de bien ne s'y
meprirent pas. v Les historiens du temps ,
udit le president de Thou, loin de blamer
« le chancelier de L'Hospital d'avoirconsenti
«a cet ^dit, donnent de grands eloges 4 sa
« prudence. Selon eux, ce magistrat par-la
« sauva la France du joug odieux de Finqui-
« sition, dont on avoit parl^ tant de fois sous
«le feu roi, et dont les Guise sollicitoient
V. avec ardeur retablissement(i). »
Ce que le chancelier avoit voulu et prevu
(i) DeThou, Hist. univ. , livre X.
52 ASSEMBLIES NATION ALES
arriva. L'^dit de Roraorantin fut si mal exe-
cute, que, tr^s peu de temps apres, le roi
convoqua un conseil extraordinaire a Fon-
tainebleau, dans I'esperance que Ion trou-
veroit des moyens plus propres a extirper les
nouvelles opinions.
DE FRANCE. CHAP. XXX. 53
I W/% %/V^'W«^%
CHAPITRE XXX. .
Continuation du meme sujet. Assemblee de Fontaine-
bleau. Condamuation du prince de Conde. Mort de
Francois II.
Michel de Castelnau nous a conserve les
noms des personnages qui compos^rentcette
memoi^ble assemblee; en voici la nomen-
clature : Le roi, les princes ses fr^res, les
cardinaux de Bourbon et de Lorraine, le
due de Guise, le connetable, le due d'Au-
male, le chancelier de L'Hospital , les mar^-
chaux de Saint-Andr^ et Brissac, le grand-
amiral , Farcheveque de Vienne, Morvillier,
eveque d'Orldans, Montluc, eveque de Va-
lence, du Mortier, etDavanson,tous conseil-
lers au conseil prive.
L'assemblee se reunit le 20 aout. Dans la
premiere seance il ne fut question que de
1 etat de I'armee et de la penurie des finan-
ces. Le cardinal de Lorraine, apr^s un pom-
peux eloge de son administration, finit par
54 ASSEMBLIES NATIONALES
dire que les d^penses ordinaires de I'^tat ex-
cedoieiit les recettes de deux millious cinq
cent mille livres.
A Fou verture de la seconde stance, I'amiral
donna lecture dun memoire que les refor-
mes de la province de Normandie I'avoient
charge de presenter au roi. Ge memoire,
concu dans les termes les plus respectueux,
se terminoit par ces mots: «Si en plusieurs
« endroits de la chrestiente il a este permis
« pour le bien de la paix et de la concorde
« que les juifs eussent un temple, ou quelque
« autre lieu a part, pour y faire leurs ser-
« vices, qui toutefois sont abominables de-
(cvantDieu, d'autant qu'ils ne sont fondes
« ni appuyes sur le vrai fondement qui est
M notre Seigneur Jesus-Christ, combien plus
« cela doit-il nous etre permis, nous qui te-
unons et advouons Jesus-Christ pour notre
« seul Sauveur, Redemteur, et suffisant In-
u tercesseur en vers Dieu le p^re, et qui ne
(( demandons sinon a nous reformer et rei-
« gler toute nostre vie selon I'Evangisle , et
« vivre sous vostre sainte charge en paix et
« tranquillite , et vous rendant alaigrement
DE FRANCE. CHAP. XXX. 55
u tout ce que les sujets doivent a leur souverain
« seigneur, et mesme si mestier estoit, ne refu-
(X serious payer de plus grands tributs, pour
ufaire cognoistre a vostre majeste que cest a
(( grand tort quon nous accuse de nous vouloir
u exempter des charges qu'il vous plaist nous
« imposer. »
Apr^s cette lecture qui fut ecout^e par le
roi tr^s attentivement, et sans donner au-
cun signe d'improbation , Montluc, eveque
de Valence, qui parla le premier comme
etant le plus jeune (i) de Tasseniblee, apr^s
(i) On remarque dans son discours le passage suivant,
dont I'objet est de justifier I'usage adopte par les eglises
reformees de chanter les psaumes en langue vulgaire:
« Je ne puis me tenir de dire que je trouve extremement
<i estrange Topinion de ceux qui veulent qu'on defende
« le chant des pseaumes, et donnent occasion auxsedicieux
(tdedire qu'on ne fait plus la guerre aux hommes, mais
« k Dieu , puisqu'on veult empescher que ses louanges
« soyent publiees et entendues d'un chacun. Si Ton veut
« dire qu'il ne faut les traduire en nostre langue, il faut
« done qu'on nous i-ende raison pourquoy David les
ttcomposa en la langue hebraique, qui estoit la langue
« commune et vulgaire a tout le pays. II faut qu'ils
adisent pourquoy I'Eglise les a fait traduire en langue
•I grecque et latine, et ce au lemps que ces deux langues
56 ASSEMBLIES NATIONALES
un coup d'oeil general sur les maux qui de-
soloient la France, aborda la question de la
reforme, proposa de la soumettre au tribu-
nal de la nation, et demanda la convocation
des etats-generaux.
Marillac ( I ) , archeveque de Vienne, in-
« estoient vulgaires et communes, la grecque en la
uGrece, la latine en Italic, et en autres pays ou les
a iiomatni avoient autorite. S'ils maintiennent qu'ils sont
u mal traduits, il vaudroit niieux marquer les fautes
(I pour les corriger, que de contemner tout I'oeuvre qui
if ne peat etre que bon , saint et louable. »
(i) Charles de Marillac fut I'ami de L'Hospital ; et ces
deux hommes etoientdignes I'un de I'autre. La harangue
que Marillac prononca a I'assemblee de Fontainebleau
fut (d it le Laboureur, tome I de ses additions, page 49^)
«le dernier effort de la science la plus consommee, et
« de la franchise de I'episcopat. II accommoda ses senti-
« ments aux besoins de I'etat plutot qu'aux intentions de
« la cour de Rome qui re'gnoit alors ; et cela le rendit
« suspect d'beresie, a cause de la proposition du concile
« national , qu'il appuya de tant de raisons , qu'il le ren-
« dit necessaire , et qu'il fut suivi de tons les suffrages de
<i la compagnie. Si on juge des conseils par leur succes,
« celui-la fut tres avantageux a I'Egiise et a la religion ,
« puisquecette resolution fit assembler leconci/ec/e Trente^
u depuis si long-temps suspendu... Je travaillerois en
DE FRANCE. CHAP. XXX. S'J
sista de meme, et plus fortement encore, sur
la necessity de con voquer les etats-generaux.
Son discouis est fort remarquable. En voici
quelques lignes :
« S'il est par necessite besoin de retran-
c( clier les depenses du royaume , et que
« ceux qui en ont la charge ne le puissent
uex^cuter sans s'attirer une envie incre-
udible procedant du mecontentement de
(( ceux qui ne se soucient si la bourse du roi
uest vide, pourvu que la leur soit pleine,
« comme se peut-il mieux ne plus surement
(( executer que par Tavis de cette grande as-
((semblee(puisque autrenient peu de gens
« ne le peuvent faire ), il faut done que ce
« soit aux etats.
«Si le mecontentement se trouve en tant
Kvain, ajoute le Laboureur, k justifier la memoire de
u cet archeveque centre cette accusation qui lui fut cora-
« mune avec tout ce qu'il y avoit de gens de lettres , a
« cause de cette louable liberie qu'on contracte dans les
" sciences , quand on ne s'en veut servir que pour le
« bien de sa patrie , et pour une belle reputation..."
Charles de Marillac n'aimoit pas la maison de Guise. II
fut constamment attache a celle de Bourbon.
58 ASSEMBLIES NATIONALES
«de gens, que tous les jours on cherche les
u moyens d'alt^rer la suret^ de I'etat, ne sa-
<( chant, les uns, en quelle disposition sont
<( les affaires ni le fond des finances du roi j
« les autres abusant de ce pretexte pour mou-
« voir les simples h sedition : pour contenter
« les bons, et fermer la bouclie aux mauvais,
w y a-t-il remede plus prompt ni plus rece-
« vable quedefaire entendre en pleins etats,
Mcomme sont toutes choses, puisqu'il est
« permis la s'enquerir et de savoir la verite?
(( Si les premiers ministres du roi sont ca-
ulomnies corame auteurs et cause de tout
ule mal passe et qui pent advenir, comme
«ceux qui tournent toutes choses a leur
« avantage, et font leur profit particulier de
(da calamite de tous, y a-t-il autre moyen
upour se faire nettoyer de tous soupcons
« quedefaire entendre en telle asserablee
« en quel etat on a trouve le royaume, comme
uil aete administr^, et comme ceux qui sont
« assures d'avoir bien agi ne veulent fuir la
wlumi^re, ains sont appareill^s den rendre
« si bonne raison, qu'on aura cause den etre
wsatisfait?
DE FRANCE. CHAP. XXX. 69
« Bref , s'il y a crierie piiblique, sous quel-
« que pr^texte que ce soit, ou peut-elle etre
«mieux ouie qu'en assemblee generale(i)?))
L'opinion des deux eveques prevalut. La
(i) Cediscoursdans lequel lesavant archeveque censure
les abus qui affligent I'Eglise, comme ceux qui troublent
I'etat, renferme encore le passage suivant: « Gette sen-
« tence de Jesus-Christ est eternelle : Grafts accepistis, gratis
« date. Les choses spirituelles se baillent de Dieu gratui-
u tement , il ne nous est done licite en faire marchandise.
u ,
"Saint Louis voyant ce desordre qui commencoit, ne
« fit aucun doute d'ordonner que les prelats resideroient
« en leurs evesche* et qu'on ne porteroit plus d'argent a
<( Rome , monstrant par-la combien ceste marchandise
« lui desplaisoit .
" De notre temps, le pape Paul III voyant la defection
" que plusieurs pays faisoient de I'Eglise romaine, com-
« manda certains personnages qui estoient les plus ap-
« parents en doctrine de leur temps, de luy mettre par
« escript ce qui leur sembloit estre digne d'estre reforme
u en I'Eglise ,entreautres le cardinal Theatin , qui depuis
«a este pape, surnomme Paul IV, qu'on estimoit des
II premiers de I'Eglise en integrite de vie, et en sublimite
« de doctrine
« Ces seigneurs, apres avoir assemble et conftire, don-
« nerent leur avis, qui est publier par-tout, contenant
11 au premier point: Qu'en I'usage et administration des
6o ASSEMBLIES NATIONALES
convocation des etats-generaux fut resolue,
et il fut arrete qu'ils se tiendroient a Or-
leans, dans le corns du mois de decembie
prochain.
Les catlioliques et les reform es applau-
dirent egalement a cette resolution. Chaque
parti , plein de confiance dans ce qu'il
croyoit etre la bonne cause, se flatta d'un
triomphe assure. Les princes lorrains, qui ne
partageoient pas cette securite , appelerent
I'intrigue a leur secours, et leur ambition
inquiete couvrit la France de miserables
charges de corrompre les electeurs. Ces man-
oeuvres reussirent, et lorsqu'apres les elec-
tions les deputes se compt^rent, les parti-
sans des Guise se trouv^rent en grande
majorite.
Maitre des volontes de Fassembl^e, comme
de Fesprit du roi, et deja souverain de fait,
le due de Guise n'avoit plus que quelques
« clefs, c'est-a-dire de la puissance de I'Eglise , ne se pou-
« voit ni devoit rien prendre sans contrevenir directe-
« ment au comtnandement de Dieu et decrets des con-
« ciles. n
DE FRANCE. CHAP. XXX. 6 1
pas a faire pour franchir Fintervalle qui le
separoit du trone. Cependantil ne jouissoit
pas du calme que Tame eprouve ordinaire-
ment a la veille d'un beau jour. Un prince
d'unerare valeur, d'un grand caract^re, et qui
disposoit de toutes les forces du parti pro-
testant, Louis de Conde, fr^re d'Antoine de
Bourbon, roi de Navarre, effrayoit son am-
bition. II osa concevoir le projet de le per-
dre ; il lui supposa le dessein d'attenter a la
personne du roi, et, Tayant fait arreter, il
le livra a une commission qui le condamna
a mort. Deja la fatale sentence ^toit revetue
de la signature de presque tous les commis-
saires, et le moment de son execution ap-
prochoit, lorsque des symptomes effrayants
annonc^rent la mort prochaine de Fran-
cois II.
A peine la nouvelle en est-elle r^pandue
que la cour prend une nouvelle face. L'au-
r^ole qui environnoit le due de Guise et
le cardinal de Lorraine s'evanouit comme
un vain meteore , et ces deux hommes
qui disposoient , il n'y a qu'un instant, du
royaume et du roi, ne sont plus que des
62 ASSEMBLIES NATION ALES
chefs de parti ; cependantils n'en conservent
pas moins le desir de peidre le roi de Na-
varre et le prince de Conde. Mais aussi mo-
destes qu'ils s'etoient montr^s superbes, ils
s'adressent respectueusement a la reine-
mere, et apr^s les plus humbles protesta-
tions de devouement et de fidelite, ils lui
representent quelle a tout a craindre de ces
deux princes, si, avant que le roi expire,
elle n'a pas fait executer Tun, et arreter
I'autre; que, devenu libre, le prince de
Conde, qui lui attribuera sa condamnation ,
soulevera contre elle ses nombreux parti-
sans \ que le roi de Navarre, premier prince
du sang, se fera conferer la regence par les
^tats-generaux, et quelle se verra reduite
a la nullite la plus humiliante.
Catherine irresolue appelle le chancelier,
lui communique I'avis des Guise, et lui de-
mandelesien.
La reponse du chancelier fut digne de sa
haute sagesse; en voici la substance : « Le due
de Guise, grand capitaine, et le cardinal de
Lorraine, habile administrateur, ont rendu
des services k I'etat ; on ne doit pas les ou-
DE FRANCE. CHAP. XXX. 63
blier. La division qui regne entre eu\ et
les princes du sang pourroit troubler le
royaume; il faut les reconcilier.» A I'egard
de la regence, il ajouta qu'aucune loi n'ex-
cluoit en France une reine-m^re de la re-
gence du royaume-, que quelques unes, telles
que Blanche de Castille, Favoient exercee
de I'aveu de la nation, avant que le roi
Charles VI eut aboli, par son ordonnance
de 1407, 1'usage de la regence parmi nous,
en substituant a une seule person ne un con-
seil d'administration dirige par la reine-
mere et compose des princes, des grands
officiers, et des principaux seigneurs du
royaume; que c'etoit a celte sage institution
qu'il falloit sen tenir, comme a la seule qui
conciliat tons les interets; enfin que le roi de
Navarre, dun caractfere doux et tranquille,
et dune moderation qui alloit souvent jus-
qua la foiblesse, se preteroit sans peine a
tous les arrangements que la reine lui pro-
poseroit.
Eclair^e par des conseils aussi sages, la
reine manda pr^s de sa personne le roi de
Navarre et les princes lorrains; jetant sur
64 ASSEMBLIES NATIOISALES
le premier un regard severe, elle lui dit dun
ton menacant qif elle se porteroit envers lui
aux dernieres extremites si, a Finstant meme ,
il ne souscrivoit a la double condition de
renoncer a la regence par un acte formel,
et de se reconcilier avec les princes lor rains.
Le roi de Navarre repondit qu'il pensoit
que le prince qui succederoit au roi etant
encore mineur, la regence du royaume de-
voit lui appartenir en sa qualite de premier
prince du sang, qu'il ne sen croyoit pas in-
digne, mais qu'il y renoncoit et qu'il etoit
pret k signer Facte de sa renonciation ; et
quant a la reconciliation avec les Guise, elle
se fit avec toutes les demonstrations qui pou-
voient la faire regarder comme sincere; et
Catherine au comble de ses voeux, promit
au roi de Navarre qu'il seroit le chef du
conseil d'administration.
A peine ces arrangements etoient-ils ter-
mines que Francois II mourut, le 5 decem-
bre , dans la dix-huiti^me annee de son
age, et apr^s un regne de dix-sept mois.
Charles IX, qui succeda a son fr^re, ayant
a peine atteint sa onzi^me annee, la reine-
DE FRANCE. CHAP. XXX. 65
m^re se saisit de la regence. Mais, comme
aucune loi ne la lui conferoit, et qu'elle
sentoit bien qu'il ne lui etoit pas possible de
se la donner a elle-meme, elle voulut pa-
roitre la tenir de son fils; et ce prince, en-
core mineur, et par consequent sans pouvoir
comme sans volonte, ecrivit k toutes les
cours souveraines que se conjiant en la bonte
de Dieu , et dans la prudence de la reine sa
mere, il Vavoit priee de prendre les renes du
gouvernement.
Pendant que ces choses se passoient h. la
cour , les deputes s'etoient rendus a Orleans ;
et toutes les pensees se tournerent vers les
etats-generaux.
66 ASSEMBLEES NATIONALES
CHAPITRE XXXI.
fitats-generaux tenus k Orleans en i56o.
La lutte entre les catholiques et les r^-
formes devenoit cheque jour plus mena-
cante. Dun autre cote, Henri II avoit laiss^
les finances dans Tetat le plus desastreux.
Un grand conseil , tenu a Fontainebleau,
avoit juge que les eta ts-g^nerauxduroyaume
pouvoient seuls fermer des plaies aussi pro-
fondes, et Francois II les avoit convoques.
La mort prematuree de ce prince laissa la
couronne a Charles IX, a peine ag^ de onze
ans. Gette miuorite acheva de porter la con-
fusion dans les affaires.
Catherine de Medicis se fit conferer la
regence par le roi mineur, et s'en mit en
possession.
Cette espece d'investiture parut aussi ir-
reguli^re qu'elle etoit nouvelle ; les reformes
r^clamoient cette meme regence pour le roi
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 67
de Navarre qu'ils regardoient comme leur
chef.
Ainsi les ^tats-generaux, que You n'avoit
appel^s que pour calmer I'effervescence des
opinions religieuses et remplir le vide du
tresor public, eurent encore a s'occuper
d'une troisieme question, celle de savoir
comment, et par qui, seroit administr^ le
royaume pendant la minorite du roi.
Le 1 3 decembre, jour fixe pour I'ouver-
ture des ^tats, le due de Guise tenant k 1a
main son baton de grand-maitre couvert
dun crepe, et assiste des maitres des c^r^-
monies, fit appeler par ordre et placer lui-
meme les deputes des differents bailliages.
La salle, comme il se pratiquoit dans ces
sortes de ceremonies, etoit coupee en deux
parties ; Tune sup^rieure, Tautre inf^rieure.
Dans I'enfoncement de la partie sup^rieure,
il y avoit deux sieges d'egale hauteur, Fun
pour le roi, I'autre pour la reine-m^re; a
gauche de la reine, sur un siege moins
eleve, madame Marguerite, soeur du roi;
sur un autre siege moins eleve encore , ma-
dame Renee de France, duchesse douairi^re
5.
68 ASSEMBLAGES NATIONALES
de Ferrare ; ensuite les cardinaux de Tom -
non , de Lorraine , de Bourbon , de Cliatillon,
et de Guise, selon la date de leur promotion;
a la droite du roi , sur un siege moins eleve,
Monsieur, frere du roi; sur un siege moins
eleve, le roi de Navarre, ensuite le prince,
dauphin d'Auvergne, fils du due de Mont-
pensier ; le prince de la Roclie-sur-Yon , le
marquis de Beaupreau, son fils, le prince de
Joinville, fils aine du due de Guise, et le
marquis d'Elbeuf ; sur deux escabelles avan-
cees a droite et a gauche du trone, le con-
netable avec Tepee nue, et le chancelier,
ayant Fun et I'autre a leurs pieds deux huis-
siers a genoux, tenant leurs masses hautes;
sur le premier gradin du trone , le due de
Guise, grand chambellan, avec le baton de
grand-maitre ; devant les sieges des princes
du sang, deux gradins plus bas, une ban-
quette, sur laquelle etoient assis Claude de
Gouffier, grand ecuyer, les marechaux de
Brissac, de Saint- Andr^, et I'amiral Coli-
gni; du cote oppose, au-dessous des cardi-
naux, une banquette parallele ])Our les eve-
ques d'Orleans, de Valence, et d'Amiens;
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 69
les seigneursMu Mortier, d'Avanson, et de
Selve, tous conseiilers d'etat; autour dun
petit bureau, entre ces deux banquettes,
les quatre secretaires d'etat; debout derri^re
le fauteuil du roi, le seigneur de Cipierre,
son gouverneur; derri^re celui de la reine,
le comte de Crussol , son gentilhomme d'hon-
neur; derri^re celui de Monsieur, Carna-
valet, son gouverneur; derriere celui du
roi de Navarre, d'Escars, son cliainbellan ;
aux deux cotes de la cherainee, les quatre
capitaines des gardes; autour de I'enceinte
et appuyes sur la cloison, les officiers de la
cliambre et ceux de la maison du roi avec
leurs baches d'armes ; voila ce qui formoit
la partie superieure; les degres, qui la se-
paroientde I'inferieure, les surintendants et
generaux des finances. La partie inferieure
etoit remplie de bancs plus ou moins eleves ;
a droite pour les eveques et autres deputes
du clerge; a gauche pour les chevaliers de
rordre,les barons et autres deputes de la no-
blesse ; au centre, pour les deputes du tiers-
etat. Des rois d'armes fermoient I'entree de
I'enceinte qui separoit les deputes d une foule
70 ASSEMBLIES NATIONALES
de spectateurs que la curiosite avoit attires.
Lorsque tout le monde eut pris place, et
qu'un heraut eut crie que le roi vouloit que
tous fussent assis et couverts , le chancelier
alia s'agenouiller aux pieds du roi, comme
pour prendre ses derniers ordres, puis re-
venu a sa place, il prononca un discours
plein de I'esprit de sagesse, de tolerance, et
de moderation, dont tous les actes de son
administration portent I'empreinte. Je vais
en transcrire une partie.
(t II est certain que les anciens rois avoient
wcoutume de tenir souvent les etats, qui
u etoient I'assemblee de tous leurs sujets ou
(t deputes par eux , et nest autre chose tenir
a les etats, que communiquer par le roi avec
uses sujets de ses plus grandes affaires,
« prendre leur avis et conseil , ouir aussi
« leurs plaintes et doleances, et leur pour-
it voir ainsi que de raison. Geci etoit ancien-
« nement tenir le parlement, et encore a re-
((tenu le nom en Angleterre et Ecosse
« Les etats <^toient assembles pour diverses
« causes, et selon les occurrences et les oc-
ucasions qui se presentoient, ou pour de-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 7 1
« mander secours de (^^ens et deniers, ou pour
«donner ordre a la justice et aux gens de
« guerre, ou pour les apanages des enfants
« de France , comme advint au temps du roi
« Louis XI , ou pour pourvoir au gouverne-
u ment du royaume, ou autres causes. Et y
tts^oient et presidoient les rois, forsque aux
((^tats, auxquels fut traitee la plus noble
« cause qui fut oncques (savoir est k qui
wdevoit appartenir le royaume de France,
(( apr^s la mort de Gharles-le-Bel, a Philippe
«de Valois, son cousin, ou bien aEdouard
((d'Angleterre); le roi Philippe n'y pr^sida,
« car il n'^toit encore roi, et etoit partie.
« II est sans doute que le peuple recoit
« grand bien desdits etats ; car il a cet heur
«d'approcher de la personne de son roi, de
« lui faire ses plaintes , lui presenter ses
« requetes et obtenir les remedes et provi-
« sions necessaires.
« Aucuns ont dout^ s'il ^toit utile et pro-
«fi table aux rois de tenir les etats, disant
« que le roi diminue aucunement sa puis-
«sance de prendre I'avis et conseil de ses
«sujets, n'y ^tant oblige ni tenuj et aussi
"2 ASStMBLlfeES NATI0NALE3
(cqu'il se rend trop familier a eux, ce qui
(( eiigendre mepris, et abaisse la dignity et
« majeste royale.
((Telle opinion me semble avoir pen de
((raison. Premi^rement, je dis qu'il n'y a
(( acte tant digne dun roi, et tant propice a
(dui, que tenir les etals, que donner au-
(( dience generale a ses sujets, et faire justice
«a chacun.
(( Les rois ont ete elus , preraiferement
((pour faire la justice; et n'est acte tant
(( royal faire la guerre , que faire la jus-
((tice; car les tyrans et les mauvais font la
((guerre autant que les bons rois, et bien
(( souvent le mauvais la fait mieux que le bon .
(( Aussi dedans le seel de France n'est em-
(( ])reinte la figure du roi arme et a clieval ,
(( comme en beaucoup d'autres parties; mais
(( scant en son trone royal, rendant et fai-
(( sant la justice.
((Combien de pauvretes, d'injures, de
((farces, d'injustices, qui se font aux peu-
{( pies, sont cacliees aux rois, qu'ils ne pen-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 78
« vent ouir et eiiteiidre qu'en tenant les etats !
(( Cela retire les rois de trop charger et gre-
«ver leur peuple, d'imposer de nouveaux
« subsides, de faire grandes et extraordinai-
wres depenses, de rend re offices a mauvais
« jiiges, de bailler eveches et abbayes a gens
((indignes, et d'autres infinis maux que,
Msouvent par erreur, ils commettent; car,
(' la pluspart des rois ne voyent que par les
« yeux d'autrui.^ et n'oient que par les oreilles
« d'autrui, et au lieu qu'ils dussent mener les
wautres, se laissent mener.
« Ceux qui disent : Le roi diminue sa
« puissance, ne le prennent bien, car en-
(c core que le roi ne soit contraint et neces-
«site prendre conseil des siens, toutesfois
(t il est bon et lionnete qu'il fasse les clioses
(( par conseil ; autrement il faudroit oter
« toutes mani^res de conseil, comme le prive
(( parlement et autres.
(( Theopompe fut roi de Sparte : il crea
« des magistrats c[ui furent appeles les eplio-
« res, et ordonna que les rois ne f'eroient
(taucune chose d'importance sans leur con-
74 ASSEMBLIES NATION ALES
((Seil: sa femme le tanca, lui disant que
« c etoit honte k lui de laisser a ses enfants
« la puissance royale moindre qu'il iie I'avoit
« recue de ses predecesseurs. A quoi repondit
« Theopompe : Moindre n'est-elle, mais plus
« mod^ree; et ores quelle fut moindre, elle
« sera par ce moyen de plus longue duree ;
« car toutes les clioses violentes ne durent
« gu^res.
« Reste k vous raconter du mesnage du
«roy, qui est en si pauvre et piteux etat,
(cque je ne pourrois le vous dire, ne vous
(d'ouir sans larmes et pleurs; car jamais
itpere, de quelque etat ou condition qu'il
((fut, ne laissa orphelin plus engage, plus
((cndette, plus empeche que notre jeune
(( prince est demeure par la mort des rois
(( ses p^re et fr^re (i).
(i) Nous trouvons dans les Memoires de Castelnau,
liv. II, chap. II, les details suivants sur I'etat du tresor
public a I'avenement de Charles IX.
« Les estats trouverent fort estrange que le roy fut en-
« dette de quarante et deux millions six cent et tant de
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 'jS
u Tous les frais et d^penses de douze ou
« treize annees d'line grande , lon^jue et
« continuelle guerre sont tomb^s sur luy :
« trois grands manages a payer, et autres
«choses longues a reciter, le domaine, les
« aides, les greniers a sel et partie de tailles
V alienes. Sa volonte est tr^s sainte de vou-
« loir acquitter la foi de ses predecesseurs ;
« en cela il ne refuse se r^duire a telle me-
« sure et epargne, qu'un prive seroit con-
(ttent, pourvu que sa majest^ royale n'en
« soit avilie.
« II a recours a vous comme a ceux qui
(( n'ont jamais failli a secourir leurs princes,
«vous demande conseil, avis, et moyen de
« livres, vu que le roy Henri II venant h la couronne,
« avoit trouve en I'Espargne dix-sept cent mille ecus , et le
u quartier de Janvier a recevoir, outre le profit qui venoit
« du rachat des offices. Et si n'estoit du que bien peu
« aux cantons des Suisses , que Ton n'avoit pas voulu
« payer, pour continuer I'alliance avec eux. Toutes ces
« grandes dettes furent faites en moins de douze ans ,
« pendant lesquels on leva plus d'argent sur les sujets
«( que Ton avoit fait de quatre-vingts ans auparavant,
« outre le domaine qui estoit presque tout vendu. n
76 ASSEMBLEES NATIONALES
« sortir de ses affaires. Ge qui vous sera plus
« aise apr^s en avoir vu par vous-memes
« I'etat, ou I'avoir fait voir par aucun de vos
(( deputes (i). »
(i) L'etat dont parle le chancelier fut mis sous les
yeux des etats. Je vais le rapporter tel qu'il est consigne
page 5oo, tome XI du recueil, public par de Mayer, et
intitule : Des Etats-generaux et autres assemblees natlonales.
Paris, 1788, 18 vol. in-S".
ETAT ABREGE DES RECETTES ET DEFENSES
Faitespar le tresorierde CEpargne, M' Raoid-Moreau,
durant Canneefinie le dernier decembre i56o.
La recette totale pour ladite annee monte, seloii
I'etat qu'en a bailie ledit Moreau, a la somme de douze
millions deux cent cinquante-neuf mille neuf cent vingt-
cinq livres six sols six deniers.
Mais est a noter qu'en ladite somme sont compris
quatre cent vingt-sept mille six cent vingt-cinq livres
quinze sols deux deniers, d'une part, que se trouvent
monter les mandements et rescriptions qu'il a leves sur
les deniers de I'annee presente, finissant i56i , qui ont
ete revoques, et n'est entree et issue en sondit etat la
somme de deux millions huit cent quatre -vingt-trois
mille deux cent cinquante-trois livres sept sols, d'autres
de prets, alienations, traites, et autres parties extraor-
dinaires, par lui recus durant ladite annee, outre les
finances ordinaires d'icelles; et trois cent quatre-vingt-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 77
Le lendemain, les trois ordres se retire-
rent cliacun dans un local separe. Un inci-
quinze mille quatre cent trente-deux livres d'assi{jna-
tions, aussi levees sur les restes des comptes, qui ne
peuvent etre pris pour revenus ordinaires , ne de finances
dont on puisse faire etat certain.
liv. s. d'
Ci ne'anmoins la somme totale de re-
cette 1 9,, 259, 925 6 6
Et la defense totale dud it etat en
<3eniers payescomptant, et assignations
baillressurles deniersde ladite recette,
tant de ladite annee finie (i5Go) que
dela presente, etautres parties extraor-
dinaires dessus mentionnees, monte a
la somme de 12,260,829 19 10
S avoir :
Deniers compiables ■7,698,499 2 i
Pensions , gnges , et entre-
tenement, tant des anne'es pre-
cedentcs que tie la presente. i,o3o,753 i3 4
Voyages et ambassadesmon-
tent i 198,476 3 I
Dons, presents, recompen-
ses , et bienfaits , douze cent
soixante-trois mille sept cent
quatre-vingt-onze livres trois
sols liuit deniers; savoir, pour
les menus dons, a la somme de. . 171,000 » »
Pour autres dons , fails pour
recompenses 6i6,4.'>8 18 4
78' ASSEMBLEES NATIONALES
dent s'^leva d'abord : plusieurs deputes de
la noblesse et du liers-etat represent^rent
que leurs pouvoirs etant expires a la mort
liv. s. d.
Report de la recette 12,259,99,5 6 6
Pour gages , pensions , et au-
tres deniers comptables , et en-
core pour autres dons assignes
sur parlies et deniers extraor-
dinaires, dont on avoit fait
etat pour recompenses de ser-
vices 538,694 7 8
Achat de meubles , oiseaux ,
et chevaux 5o,654 4 4
Fondation et entretenement
du service divin 1,260 11 »
Remboursements d'officiers
alternatifs 124,795 10 »
Deniers payes par ordon-
nances 210,734 10 8
Deniers payes ^ I'acquit du
roi 1,556,179 i3 8
Comptant £s mains de sa
majest^ 9,209 » »
Gages en finances i4>346 i5 8
Gardes des forets 21 ,487 to »
Quittances de M' Jean
Rayon , et celles des gardes des
forets, montant k la somme de 18,280 <• ■
Total de la defense 13,260,829 ig lo
Ainsi seroit du, k ce dit present tre-
sorier, la somme de 904 i3 4
Fait k Orleans, lequinzieme jour dejanvier i56o.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 79
du roi, ils ^toient obliges de les faire renou
veler. Cette question ayant et^ agit^e dans
le conseil du roi , il fut arrete qu'ils n'avoient
pasbesoin de nouvelle commission, attendu
qu'en France le roi ne meurt pas.
Cette difficulte r^solue , chaque ordre
s'occupa du choix de son orateur.
Avant la mort de Francois II , le cardinal
de Lorraine avoit temoigne qu il souhaitoit
etre nomme orateur des trois ordres du
royaume. Sa pretention etoit contraire i
I'usage et a la raison. Neanmoins, comme il
^toit alors tout-puissant, on ne I'avoit pas
absolument refuse, et Ion s'etoit content^
de differer de lui accorder ce qu'il desiroit.
Francois II etant mort, le tiers- etat rejeta
formellement la proposition du cardinal, le
plus grand nombre des deputes disant qu'elle
etoit inouie, et que d'ailleurs ils n'avoient
garde de confier leurs interets a quelqu'un
centre qui ils avoient ordre, par leur commis-
sion , de porter des plaintes. En consequen<:e,
Quentirij professeur en droit canon dans I'u-
niversite de Paris, fut choisi pour etre ora-
teur du clerge; Jacques de Silly, comte de
8o ASSEMBLIES NATIONALES
Rochefort, et Jean I'Aiige, avocat au parle-
ment de Bordeaux, furent cliar^jes d'etre les
organes, Tun de la noblesse, I'autre du tiers-
etat.
Ges preliminaires remplis, les etats s'oc-
cu parent des objetsque le discours du clian-
celier avoit sourais a leur deliberation ; et le
premier jour de Janvier, le roi, accompagne
comme a I'ouverture des ^tats, se rendit
dans la salle de I'assemblee g^nerale ])our
recevoir les cahiers et entendre les harangues
des orateurs des trois ordres.
Le docteur Quentin, organe du clerg^,
prit la parole, et se livra aux declamations
les plus violentes contre la religion refor-
mee. Voici quelques fragments de son dis-
cours :
wNous demandons, sire, nous supplions,
« nous requerons instamment, comme cliose
wplus que necessaire h I'integrite, a la pure
«et sincere fidelite de votre royaume, que
udesormais tout commerce de quelconque
(tmarcliandise, livres, ou autre, soit inter-
«dit, nie, et defendu a tons lieretiques,
DE FRANCE. CHAR. XXXI. 8 1
usectateurs, renovateurs, et d^fendeurs de
(( doctrine ja coiidamn^s.
(( Certainement tels marcliandise et trafic
(( ne sont qu'mi vrai monopole d'heresie, et
vcsont les marchands vrais monopoleurs,
uvendant en gros et publiquement leurs
udraps etdenrees, debitant latilenient leur
« heresie damnee. Qui ne nous croit-il pas
(( le peut voir, tant est la chose decouverte.
« A cette cause, sire, nous tres humbles et
(( de vots orateurs du clerge de votre royaume
a vous supplions universelleraent de ne plus
(( admettreni recevoir tels marcliandsa quel-
K que commerce que ce soit.
u Si Jeremias visitoit aujourd'hui les trois
uetats de votre royaume, comme il visita
« les etats de Juda et Jerusalem , il pourroit
((faire un meme rapport a son Seigneur, et
udiroit : Je n'ai trouve justice ni foi; lo^s
upretres, les peuples, les (grands, et les pe-
u tits, ont rompu le frein et le lien de la loi :
u tu les as affliges, et ils n ont voulu douloir ;
2. 6
82 ASSEMBLIES NATIONALES
« tu les as attraits, et ils se sont endurois , et
(( n'ont voulu i ecevoir discipline.
((Vous supplions aiissi tres hiimblement
« prendre pitie el compassion de nos per-
c( sonnes qui prient pour vous, nous conser-
« ver et maintenir en nos privileges et pre-
« rogatives, qui nous sont et ont ^te baillees
netiam par princes lieretiques, puis apr^s
((par empereurs chretiens, et de rechef par
(( vos pred^cesseurs rois tres chretiens.
((A cette cause, n'ayant egard a notre
(( particulier, raais du tout a votre ame et de
(( ceux entre les mains desquels elle est ,
(( nous vous requerons et interpellons, sire,
((comme de chose qui ne se pent, ne doit
(( refuser, de vous abstenir de prendre sur le
(( clerge decimes , emprunts, subsides, im-
(( pots, francs-fiefs, et nouveaux acquets ja
(( deux ou quatre fois amortis, payes et dont
(( on a fait finance.
(( Pharaon, parleconseilde Joseph, quand
((il rendit le peuple juif tributaire, d^clara
(( les possessions de ses sacrificateurs etre
DE FRANCE. CHAP. XXXF. 83
((immtmes et franchesde toute imposition,
» regale, en fit loi. »
A lorateur du clerg^ succede celui de la
noblesse.
Apr^s avoir longuement expose les ser-
vices et les vertus de la noblesse, apres
beaucoup de raisonnements pour ^tablir
que la conservation de ses privileges im-
portoit eminemment a lagloire du trone et
au bonheur du peuple, lorateur continue:
« Le reglement et reformation des pretres,
((sire, se pent faire quand les contraindrez
((tous, sans nul excepter, de resider sur les
« benefices, ainsi que deja par plusieurs
« ordonnanccs et edits leur avez demande;
uetla ilscommuniqueront le bien des egli-
uses aux pauvres, et se mettront en devoir
« de faire leur etat de precher.
« Telle reformation aussi sera louable et
((digne dun roi tr^s chr^tien, quand bail-
ee lerez les benefices a personnes capables,
usuivant les arrets et conseils de la tr^s
K sainte Eglise catholique; si les baillez au
wconlraire, vous remettrez vos sujets au
u plus grand trouble , abus , et ignorance
6.
84 ASSEMBLEES NATION ALES
uque jamais, qiiand ils ne pourroient etre
uinstruits pour le devoir qu'ils ont a leiir
«salut et a votre majesle; et vous, sire, en
(( poiirrez etre responsable devaiit Dieu, qui
((Sen pourroit offenser, tout ainsi que I'on
((dit de Theodoric et Theodebert, qu'ils
((Hioururent miserablement, pour ce qu'ils
(( comnienc^rent a bailler leurs benefices
(( par faveur, par argent, ou par ami, et s'y
(( faisant, delaisseriez la principale partie de
(( votre etat, qui est d'etre equitable, et faire
((justice a tous.
(( Car ce nest assez a un roi d'etre bon , s'il
(( ne profile a ses sujets, et ne veut entendre
(( leurs plaintes pour y remedier.
(( Voila comme Dieu avertit les roisa bien
((vivre*, voila comme les princes prudents
« se doivent gouverner, et avec leurs sujets
(( s'entretenir. C'est la Sunamite que David
(( aima; c'est cette prudence qui faisoit crain-
((dre Salomon; c'est elle qui fait les princes
(( commander, et que les puissances sont
((adorees en administrant justice, sans la-
(( quelle on les appelle tyrans, et tout le
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 85
« peuple court sur eux, comme firent les
((Siciliens contre Denis le tyran , et les
uAgrigentins coiitre les Phalaris; comine
(( firent les Macedoniens, qui abandonne-
« rent et delaisserent le roi Demetrius.
« Afin que nous ayons le moyen de vous
« secourir de nos forces et puissances, sire,
« il vous faut maintenir la noblesse en ses
« privileges et libertes, aussi antiques que
u Finstitution des rois. n
L'avocat Lan(>e, orateur du tiers -^tat,
prend enfin la parole. II insiste principale-
ment sur deux points, la reforme del'Eglise,
et la diminution des impots. Je ne le suivrai
pas dans tons ses raisonnements; j'en trans-
cris seulement les lignes suivantes :
(( II semble a votre pauvre peuple que
utrois vices principaux pullulent entre les
uministres de la relig^ion^ savoir, I'iono-
« ranee, Tavarice, et superfine depei>^, ou
« pompe des ministres.
« Quant a Tignorance commune de la
(< plupart de ceux qui tiennent les premiers
86 ASSEMBLIES NATIOINALES
(( lieux en FEglise, jusqu'au moiiidre, elleest
V si notoire, qu'il n'y a lieu de la i evoquer en
(( doute.
((Comine aussi Fexperience montre, ou-
« tre le temoignage des anciens , que I'igno-
u ranee est non seulement la mere, mais la
unourrice de toute erreur; et, dit Platon,
« apr^s avoir entrepris de faire un long dis-
(tcours, pour montrer que c'est par Figno-
« ranee que de tr^s grauds potentats ont ete
(( perdus, et que, dememe cause, semblables
(cevenements peuvent en suivre; partant
((que tous les legislateurs doivent travailler
((a donner a leurs citadins la prudence, et
((Oter den tre eux I'ignorance.
(( L'autre vice, que Ion voit aujourd'hui
(( pulluler entre les personnes ecclesiasti-
« ques, est le luxe et la superfine depense et
((pompe des prelats, qui par-la cuident re-
(( presenter la grandeur de Dieu par leur
((granae autorite, bieu que ce soit tout le
(( contraire, qu'ils le doivent representer par
(( foi et int^grite de vie.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 87
(t Aux troisi^me et quatri^ine conciles cle
u Carthage, il fiit ordonne que les eveques
uauroient pr^s le temple leur petite loge,
M garnie de pauvre menage, et viyroient pe-
« titement la oil aujourd'hiii on voit tout le
wcontraire: mais y auroit plutot lieu d'en-
« trer en comparaison d'entre eux et les an-
« ciens rois d'Orient et des Indes.
(( Quant au tiers-etat et au pauvre peuple,
« en ce qui est en soi, il vous supplie tr^s
« liumblement, sire, de croire qu'il est ap-
« pauvri et surcharge; qu'il ne lui reste que
« le seul nom et la seule vie, pour etre em-
« ploye a votre devotion et service, denui^
« de toute chevance.
(( Sire, une des choses moins convenables
« a un roi, c'est qu'aucuns ne partent de lui ,
(( et de devant sa majeste raal contents on
« tristes, ce que pourroit faire votre peuple,
«si d'aventure leurs deputes et delegues re-
wtournoient ^s pays et provinces d'oii ils
wsont venus a si grands frais, sans reponse
88 ASSEMBLEES INATIOISALES
(( raisonnable sur les requetes et demandes
«qui voiis ont ete faites presentement, et
(( autres, contenues en leurs caliiers. »
En rapprochant ces quatre di scours, on
voit que le chancelier demande une aug-
mentation d'impot; que le clerpjC repond
negativement; que Ja noblesse n'offre rien,
et que le tiers-^tat, loin d'accueillir la de-
mande du chancelier, soUicite un de.oTeve-
ment.
Dans un pareil etat de choses,il nerestoit
qu'une seule ressource, Teconomie. Gette
providence des empires fut invoquee par le
plus {^rand nombre des deputes. lis denian-
derent que Ton revint sur les pensions pro-
diguees par les deux derniers rois a leurs
courtisans \ que la plupart fussent suppri-
mees, et que toutes fussent reduites.
Le roi de Navarie ( Antoine de Bourbon )
declara que si Ton jugeoit ses ])ensions trop
fortes, il consentoit qu'elles fussent dimi-
nu^es. II ajouta meme qu'il etoit pret a re-
lYiettre dans les coflres du roi ce qu'il avoit
recu au-dela des sonimes auxquelles on les
fixeroit.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 89
On ne pent pas en douter, ces reductions
eprouv^rent la plus vive resistance, nolam-
inent de la part des Guise; mais la resolu-
tion des ^tats les rendoit necessaires, et la
cour se resigna. Les appoin tern ents des of-
ticiersdela niaison du roi fnrentdiminoes
de moitie, et les pensions furent reduites au
tiers (1).
La grande affaire de Catherine de Medicis
(1) Nous lisons dans les Memoires de Castelnau, cha-
pitre 11:
i( Les estats qui ne scavoient pas le fonds des finances,
11 trouverent fort estrange que le roy fut endette de
« quarante et deux millions six cent et tant de livres,
II vu que le roy Henri II venant a la couronne avoit
« trouve en I'Espargne dix-sept cent mille ecus, et le
a quartier de Janvier a recevoir, outre le profit qui venoit
« du racliat des offices.
« Plusieurs deputez furent d'advis que I'on devoit con-
»i traindre ceux qui avoient nianie les finances depuis la
ii mort de Francois I", a rendre corapte, et repeter les
" dons excessifs faits aux plus grands. Mais cela fut pour
'dors rabattu, parceque ceux qui estoient comptables
« estoient trop puissants , et par consequent c'estoit se
i< remettre en danger de quelque nouveau trouble , si
>< Ton les vouloit rechercher. Mais Von ad visa de faire 1«^
go assembli5;es nationales
etoit d'obtenir des etats la reconnoissance de
son autorite. Cette reconnoissance agitoit
forteraent les esprits et partageoit les de-
putes. Le roide Navarre, fidele a la promesse
qu'il avoit faite a la reine,gardoit le silence;
mais il etoit porte a la regence par les re for-
mes qui le regardoient comme leur chef, et
par le connetable de Montmorenci qui crai-
gnoit que les Guise ne parvinssent a se res-
saisir du pouvoir, s'il residoit dans les mains
de Catherine.
Dans I'esp^rance de calmer cette agita-
tion , la reine-mere fit faire par son conseil
un reglement conforme a Tedit de 1 407 ,
" nieilleur menage qu'il seroit possible , en retenant una
" partie des gages des officiers pour cette annee-la.
" L'on retrancha de plus toutes les depenses de la
"venerie, et de plusieurs autres offices, qui sembloient
(lestre inutiles; car il y avoit lors en la maison du roy
« plus de six cents officiers de toutes qualitez. >»
J'ajoute queces projets de reforme alarmerent tellement
le due de Guise, le connetable de Montmorenci, et le
marechal de Saint- Andre, qu'ils se reunirent, et for-
nierent ce triumvirat dont il est si souvent parle dans
les Mewoires contempora'ms.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 9 1
c'est-4-dire qui lui laissoit la tutele du roi
mineur, mais qui conferoit I'exercice de la
puissance publique a un conseil de regence
dont elie n'avoit que la presidence: elle etoit
bien sure quelle parviendroit k rattacher
toute I'autorite a ce titre de presidente.
Ce reglement se compose de sept articles,
dont les trois premiers portent :
Art. i^*^. c( Le roi veut et en tend que dore-
navant tous les gouverneurs de province et
capitaines de place qui se trouveront a la
cour, et qui auront quelques demandes a
faire relatives a leurs charges, s'adressent
d'abord au roi de Navarre pour en faire le
rapport a la reine-m^re, laquelle en ordon-
nera de I'avis du conseil :
Art. 2. u Que tous memoires, lettres ou
avis relatifs a I'administration civile ou nii-
litaire , soient adresses directemen t a la reine-
m^re , qui en prendra connoissance, les
communiquera ensuite au roi de Navarre
jx)ur prendre son avis, puis les portera au
conseil, oil ils seront r^pondus;
Art. 3. (( Que les reglements qu'il convien-
dra de faire par rapport a la justice, a la po-
92 ASSEMBLIES NATIONALES
lice et aux finances, soient discutes dans le
conseil, en presence de la reine-mere, redi-
ges par le secretaire d'etat du departement ,
conforraenient a I'arrete du conseil, puis
scelles par le cliancelier, sans qu'il en soit
jamais expedie autrement. »
On joignit a ce reglement la liste des per-
sonnes qui devoient composer le conseil d'e-
tat. Presente aux trois ordres par le clian-
celier et par Morviliers, eveque d'Orleans,
ce reglementfut unanimement accueilli par
celui du clerge; mais dans les deux autres,
et notamment dans celui de la noblesse, il
eprouva la plus forte opposition. Le parti
qui pretendoit que la regence devoit appar-
tenir au roi de Navarre, en sa qualite de pre-
mier prince du sang, presenta au roi et a son
conseil une requete par laquelle il declaroit
c[ue bien qu'il appartint incontestableraent
a la nation dont ils etoient les representants
de regler I'administration generale dans un
temps de minorite, et de former le conseil
d'etatconjointement avec les prlncesdu sang,
il etoit vrai cependant que dans la conjonc-
ture presente ils se trouvoient ^galement
DE FRANCE. CHAP. XXXI. g3
incompetents, et pour proceder k ce choix ,
et pour donner leur avis sur les deux pieces
c{ui leur avoient ete presentees par le clian-
celier et I'eveque d'Orleans, parcequ'ils n'a-
voient recu aucun pouvoir a cet e^ard de la
partde leurs commettants, qui n'avoient pu
ni dii prevoir le cas qui se presentoit*, qu'en
consequence ils n'approuvoient ni ne desap-
prouvoient ce pretendu regalement ; qu il
leur paroissoit de toute necessite , si Ion
vouloit proceder legalement dans cette
grande affaire , que le roi , de Favis des
princes du sanf^f, convoquat une seconde
fois les etats provinciaux, et permit aux de-
putes qui se trouvoient a Orleans d'aller les
consulter et se procurer de nouvelles in-
structions; que jusqua ce que cette forma-
lite cut ete remplie, ils s'opposoient a tout
ce qui seroit propose, delibere et arrete en
cette matiere.
La reine-mere, qui etoit parvenue a se
procurer la majorite dans les trois ordres,
rejeta cette requete, et declara imperieuse-
ment quelle entendoit que son rej^lement
flit execute.
94 ASSEMBLIES NATION ALES
Les partisans de la r^forme, qui n'en com-
prirent que mieux combien il leur impor-
toit que le roi de Navarre fut investi de la
regence, present^rent une seconde requete
beaucoup plus energique que la premiere,
et dans laquelle, abordant franchement la
question , ils s'efforc^rent d'etablir qu'en
France le gouvernement du royaume, pen-
dant la minorite du roi, appartient de droit
au premier prince du sang. Nous lisons
dans cette requete : « Nous savons que le bas
« age du roi le laisse expose a la seduction ,
« aux surprises et aux importunites de tout
(I ce qui Ten ton re, et que notre devoir est de
(( Ten preserver. Nous blesserions done notre
(thonneuret notre conscience en acc^dant
ua Tarrangeraent qu'on nous propose sans
«nous etre bien assures auparavant que
(( ceux a qui Ion a donne entree dans le
« conseil sont veritablement dignes d'y te-
« nir place. Nous ne formons aucune pre-
Ktention nouvelle; nous ne demandons que
« ce qui s'est constamment pratique parmi
(' nous ; car, pour ne pas reraon ter a des temps
((trop anciens, Ihistoire nous apprend que
DE FRANCE. CHAP. XXXI. gS
«« lorsque Blanche de Castille, m^re de saint
« Louis, voulut I'appliquer aux etudes dans
« Tuniversite de Paris, les ^tats-g^n^raux
tt formerent un conseil d'administration
(( compose de savants legistes et de notables
((chevaliers; qu'en i32y, a la mort de Char-
«les-le-Bel qui laissoit lareine enceinte, les
«etats-generaux assembles decern^rent la
« regence a Philippe de Valois ( i ) ; que, sous
« la minorite de Charles V I , ces memes etats
((assembles a Paris la decern^reiit au due
(( d'Anjou, quoiqueCharles V en eutordonne
((autrement par son testament; qu'apr^s
(( I'infortune survenue a ce meme Charles VI
(( pres de la ville du Mans, ils s'assembl^rent
(( de nouveau pour donner ordre a I'admi-
« nistration , tant que dureroit letat de de-
(( mence oil il etoit tombe; qu'enfin les der-
(( niers etats-generaux tenus a Tours sous
(( la minorite de Charles VIII coop^r^rent
(i) Ces deux assemblees, uniquement composees des
grands du royaume, et auxquelles letiers-etat ne fut pas
appele, n'etoient pas des etats-ge'neraux , mais de simples
assemblees de notables.
96 ASSEMBLEES NATIONALES
« avec les princes du sang a la formation dii
(( conseil d'etat, selon le temoignage de Phi-
« lippe de Comines qui en etoit membre. «
Cetle requete ne fut pas mieux accueillie
que la precedente; et oomme le dit le chan-
celier de L'Hospital dans son testament (i):
Les etats induicts par eqiiite; car qiiy a-t-il de
plus equitable que de donner la charge et tu-
tele du fils a la mere? estarit done yceulx in-
duicts parequite, ET EN NOSTRE GONTINUELLE
POURSUITE, donnerent a la reine-mere la charqe
et tutele du roy et de ses biens , lui associant
pour ayde et conseil le roy de Navarre.
Enfin, par suite des deliberations des
etats, et peu de temps apr^s leur cloture,
parut un edit de tolerance, par lequel il
etoit en joint aux juges de rendre la liberte
et les biens a ceux qui en avoient ete prives
pour cause de religion. Le meme edit portoit
defense a tous les sujets du roi, sous peine
(i) Ce lestament est imprime dans le Recueil des ceuvres
completes de V Hospital, tome II, recueil precieux que
nous devons aux laborieuses veilles de M. Dufey , avocat
a la Cour royale de Paris.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 9-7
tie la vie, de s'attaquer les uns les autres, a
1 occasion de la diFference des dogmes.
Ainsi furent resoles les trois points soiimis
a la deliberation des etats. Le vide du tresor
public fut comble par un retranchement
dans les depenses; les troubles religieux fu-
rent calmes par un edit de pacification entre
les catholiques et les reformes. Enfin Cathe-
rine de Medicis, sous le double titre de tu-
trice du roi mineur, et de presidente du
conseil, exerca toute I'autorite dune veri-
table r^gente.
Cependant les etats-generaux ne furent
])as dissous, mais prorogues au mois de mai
suivant, epoque a laquelle il fut arrete qu'ils
se reuniroient, non a Orleans, mais a Pon-
toise.
On devine aisement le motif de cette pro-
rogation. La regente, qui apparemment ne
trouvoit pas dans le retranchement des pen-
sions des ressources suffisantes, prit cette
mesure dans I'esperance que les deputes,
qui jusqu'alors ne lui avoient donne que
des conseils, se determineroient enfin a ve-
2. 7
98 ASSEMBLEES NATIONALES
nir ail secours du tiesor public dune ma-
niere plus efficace.
Quoi qu'il en soit, les etats se reunirent a
Pontoise, etpeude temps apresfurent tians-
feres a Saint-Germain. J'emprunte les de-
tails que Ion va lire au plus sage, au plus
veridique de nos historiens(i).
«Nous avons dit que les etats etoient
(( convoques pour le mois de miai : depuis ils
((furent proroges jusqu'au mois d'aout. Au
« commencement de ce mois, ils s'assembl^-
(( rent a Pontoise, ainsi qu'il avoit et^ regie ;
« mais peu apres ils furent transferes a Saint-
(( Germain. Les cardinaux, dans la premiere
a seance, voulurent disputer la preseance
(( aux princes du sang , et ne I'obtinrent
« point. Le cardinal de Tournon, doyen,
w et les cardinaux de Lorraine et de Guise
(( se retirerent de I'assemblee fort irrites de
« ce que les cardinaux de Chatillon et d Ar-
« magnac ne suivoient point leur exemple.
« La plupart des deputes etoient peu fa-
(1) De Thou, Hisloi re universe lie, livre XII.
DE I UANCE. CHAP. XXXI. 99
(( vorables aux (?cclosiastiqucs. II fut pro-
upose, pour acquitter les dettes publiques,
(( de prendre tous Ics revenus des benefices
« de douze mille livres et au-dessus, et de
(( ne laisser que trois mille livres par an aux
« titulaires; de prelever la moitie des reve-
'f nus des benefices de trois mille livres, le
"tiers de ceux qui n'en rapportoient que
(( mille, et le quart de ceux qui n'^toient que
ade cinq cents; d'oter aux ordres religieux
((tout ce qu'ils possedoient au-dela de ce
(( qui etoit necessairc pour la subsistance de
(( leurs communautes, etdevendrecesbiens,
« ainsi que toutes les maisons qui apparte-
(dioient aux beneficiers, excepte celles qui
((servoient a log^er les eveques et les clia-
(( noines. Cette vente, disoit-on, devoit pro-
(( duire six-vin(i;ts millions. La noblesse
(( supplia aussi le roi de supprimer les juri-
(( dictions des ecclesiastiques et de les reunir
(( au domaine. On demanda de plus la re-
(( vocation du dernier edit, qui defendoit les
(( preclies des protestants.
(( Ces propositions et ces demandes alar-
(( m^rentle clerj^e. Pour conjurer la tempete
lOO ASSEMBLIES NATION ALES
udont il etoit menace, et pour calmer la
((jalousie que donnoient ses richesses, il
(( off'rit, de son propre mouvement, de payer
(( pendant six annees quatre decimes par an.
«I1 calma ainsi les e8prits(i); et la reine-
(i) Ce secours ayant ete reconriu insuffisant pour sub-
venir aux frais de la malheureuse guerre de religion qui
dechiroit la France, le 23 mars i563 le roi se rendit au
parlement, et y fit enregistrer un edit, portant qu'il se-
roit vendu une partie notable des hiens du clerge: la
difficultc resultoit de I'opinion que les biens de I'Eglise
ne pouvoient etre alienes que du consentement du pape.
Le roi avoit deinande ce consentement, mais la reponse
n'arrivoit pas. Le chancelier de L'Hospital etablit, dans
un discours fort energique, que Ton devoit s'en passer.
Voici un fragment de ce memorable discours : « Consi-
(I derez, dit-il, s'adressant aux magistrals, qu'il s'agit du
a salut de la vie et des biens de tant demiliiers d'hommes.
w Vous savez que la fureur de cette guerre tombe plus
« sur les gens d'eglise que sur les autres. Le roi au-
« roit desire garder la solemnite de droit; et pour ce il a
« envoye un gentilbomme au pape. On ne sait comme
« il le prendra; on desireroit qu'il n'usat de longueur au
« mal qui si fort nous poinct; mais quand la necessite
« est telle qu'elle ne pent souffrir I'attente ^ il faut passer
« par-dessus la solemnite: il faut faire et executer, et
« puis r'ecrire. Commencons par le fait, la solemnite
« suivra, etg. »
DE FRANCE. CHAP. XXXI. lOr
« mere, en faisant congedier les etats, se de-
« livra des embarras c[iie cette assemblee lui
(( causoit. ))
Avant la cloture des etats, chaque ordre
avoit presente au roi le cahier de ses dolean-
ces, c'est-a-dire I'exposition franche et fidele
des vices de son {jouvernenient, des torts de
ses ministres, des j^riefs, des besoins, et des
voeux de Ja nation. Leiir etendne ne me per-
met que den rapporter quelques fragments;
car, aujourdliui plus que jamais, il faut etre
court, si Ton veut etre lu. Je dirai toutefois
que, malgre les changements survenus dans
notre organisation, il seroita desirer que nos
hommes d'etat, que tous ceux qui figurent
dans nos assemblees politiques, daignassent
porter leursregardssurcesremontrances, et
en faire quelquefois le sujet de leurs medi-
tations. Elles peuvent aussi servir a. resou-
dre une question souvent agitee, la question
de savoir si les temps anciens ne sont pas de
beaucoup preferables aux temps modernes.
J'ouvre les remontrances du tiers-etat, et
((Bon nombre des nobles de ce royaume
I02 ASSEMBLEES NATIONALES
tlegenerant de I'lioniietete et vertu de leurs
ancetres, et, oubliant leur propre devoir,
font plusieurs actes indignes de leur noni
etrace, abusant des armes et de la faveur
qu'ils rencontrent a I'endroit des princes et
grands seigneurs, a I'oppression de leurs su-
jets et inferieurs, et parl'ois a faire force et
violence aux ministres de justice.
u On ne sauroit decrire les extorsions,
travaux, et entreprises que plusieurs sei-
gneurs font sur leurs pauvres sujets, les
distrayant par contrainte de leur labeur,
pour les envoyer a corvees particuli^res,
comme voitures, chariages , journees, et
aides et autres semblables qu'ils leur font
faire, dont ils ne leur font aucun paiement,
en sorte que le pauvre laboureur, qui n'a
aucun moyen de vivre que son labeur, apr^s
avoir travaille long-temps, se trouve le plus
souvent sans moyen de pouvoir substanter
lui, sa ferame et famille.
« Se trouvent aussi plusieurs de ladite no-
blesse qui, par mauvais manage, ou pour
etre de mauvaise maison, on qiielqiiefois pui~
nes, voulant entretenir etat de maison
DE FRANCE. CHAP. XXXI. Io3
giande et n'ayaiit revenu pour y fournir,
coiitraigncDt les paiiv res {^ensetleurs veuves
a pactiser avec eux de plusieurs contribu-
tions, tant de (grains en especes, pailles et
autresclioses pareilles, sous couleurde quel-
que droit particulier par eux pretendu ,
dont ils n'ont aucun titre qu'une usurpation,
et le plus souvent le prennent sous couleur
de la faveur et moyen qu'ils disent avoir de
les exempter des gens de guerre.
(( Et si les pauvres paysans refusent ladite
contribution ou corvee pour n'en avoir pos-
sible le moyen, ne faudroHt d'avoir leurs
maisons pleines de soldats et gens d'armes a
la premiere occasion, ou bien feront susci-
ter quelques querelles particulieres par un
tiers auquel ils donneront assistance de
force, et a cette occasion seront les pauvres
gens pilles, battus et outrages, et si tant est
que la justice sen veuille meler et en pren-
dre connoissance, ils osent bien entrepren-
dre, non seulementderesister aux ministres,
raais aussi les forcer et outrager.
u Avec tons ces maux, lesdits pauvres su-
jets sont surcharges par leurs seigneurs d'au-
Io4 ASSEMBLEES NATIONALES
tres droits qu'ils veuleiit prendre sur eux,
qui ne leur sont dus, et toutefois les pren-
nent et levent; les uns entreprennent les
pauvres habitants , leurs communes et patu-
rages, et les appliquent a leur profit parti-
culier; les autres veulent faire leurs fours,
moulins, pressoirs et autres choses sembla-
bles , banaux , et , sous couleur de cette ba-
nalite, leur faire payer plus trois fois poui-
leurcuisson, mouture, et pressurage, qui!
ne leur couteroit s ils n'etoient asservis aux
choses susdites.
«Les autres pretendent droit de ban par
certaine saison de I'annee, pour vendre vin ,
encore qu'ils n'aient vignes ni ceps a eux
appartenant en leurs seigneuries.
u Les autres usurpent droits de louage,
fouages, gruerie , peche et autres droits; les
autres exigent champart de leurs sujets, qui
ne leur est du, et s'il leur est du, le prennent
plus grand qu'il ne leur appartient.
«Les pres desdits seigneurs fauches, em-
pechent leursdits sujets de mener paitre
leurs betes en iceux, sans leur en payer tri-
but, encore qu'il ne puisse s'y faire au-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. Io5
cun dommage , et n^anmoins , si les sei-
gneurs tienneiit sur les lieux, eux, leu is
receveurs ou fermiers scavent bien envoyer
leur bestail par-tout sur les possessions de
leurs sujets.
M La concussion plus communement pra-
tiquee est que, s'il advient que les seigneurs
aient proces ou malveillance contre leurs
justiciables, pour quelque legere occasion
que ce soit, leur envoient des gens de
guerre en leurs maisons, par le moyen
dliommes empruntes, parlesquels les pau—
vres gens sont battus, niolestes, et travailles
en toutes sortes \ si bien que par telles voies
indues, ledit pauvre peuple est reduit a I'ex-
tremite.
(( Plusieurs se sont ingeres doter, de fait
et de force, a plusieurs pauvres gens et habi-
tants des villes et villages de ce royaume,
bois , usages et pasturages , desquels ils
avoient accoutume de jouir de tout temps
imnieinorial, ou par privilege des feus rois,
sans contredit ou empecliement, jusqu'au
Io6 ASSEMBLEES NATIONALES
temps du feu Henri \ et quelques particuliers
sen sont em pares de force, pretendant en
avoir don de lui , au grand detriment et pre-
judice de ses pauvres sujets, lesquefe ont ete
prives , a cette occasion , de si pen de moyens
qu'ils avoient d'entretenir leur bestail et
menag^e, dont ne revient aucune chose au
profit dudit seigneur, et ses droits n'en sont
aucunement accrus.
(c Les gentilshommes et autres, encore que
les terres soient ensemencees, les vignes et
grains prets a recueillir, cliassent ordinaire-
inent en tout temps, a pied et a cheval, avec
nombre de gens, chiens et oiseaux qu'ils
menent avec eux, ne faisant difficulte de
passer et repasser dedans les vignes et gai-
gnages, ce qui fait un grand degat, et apporte
grand dommage et ruine aux proprietaires,
laboureurs et vignerons , sans que lesdits
proprietaires, laboureurs ou vignerons en
osent feire poursuite.
nSupplient Sa Majeste de defendre, etc.
« Quant a la HELIGION, nos maux advien-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 107
iient de trois causes; c'est a scavoir, Tigno-
rance' grande des saintes lettres, lavarice
questueuse des ministies, et le delaissement
de toutes choses appartenantes a TofJice et
devoir dun vrai pasteur, lesquels trois maux
intol^rables ont donne graiide occasion a
|>lusieurs de sentir et parler sinistrement
dudit etat ecclesiastique, et mettre entre les
gentilshommes les schismes et divisions qui
s'y voient a present.
uSa Majeste est suppliee que, suivant le
pouvoir et charge qu'il a en cet endroit,
comme conservateur ordonne de Dieu, de
maintenir en son royaume les saints decrets
et conciles anciens et generaux, sur lesquels
I'etat des uiinistres de I'Eglise est foude et se
doit regler, lui plaise interposer son auto-
rite en cet endroit. >
«Et, en cefaisant, retrancher et du tout
oter les abus et entreprises faites par lesdits
ministres de I'Eglise, contre I'ancien ordre
♦lesdits saints decrets et conciles generaux,
en quoi faisant, s'assurent lesdits du tiers-
etat que sadile Majeste retablira TEglise en
lo8 ASSEMBLEES NATIONALES
son ancienne spleiideur, et maintiendra la
reputation de roi tres chretien continuee
jusqu'a lui par ses predecesseurs.
(( Pour a ce parvenir, supplient tr^s hum-
blement que tons archeveques, eveques,
abbes et abbesses, doyens, prieurs et prieu-
res conventuels soient dorenavant elus; a
sea voir,
uLes archeveques par les eveques suffra-
gants de leurs archeveches, chanoines de
leurs eglises, et cures de leurs dioceses; les-
dits abbes, abbesses, prieurs, et prieures, par
les religieux et religieuses de leurs abbayes.
(( Que les cures soient choisis et elus par
leurs paroissiens, quand vacation viendra, et
presentes a leur eveque, lequel, auparavant
lesconfirmer, sera tenu les examiner, et faire
examiner en lieu public a tout dimanclie,
par gens de grande doctrine et saintes let-
tres , et a cette fin les faire preclier sur
sujet imprevu , en meme lieu public , et
s'enquerir diligemment de leur bonne vie,
conversation catliolique, et zele ([uils au-
ront en la maison de Dieu.
DE FRANCE. CHAP. XXXI. IO9
u Pour obvier aux abus qui souvent pro-
cedent des richesses de lE^jlise, invitant les
ministres a s'en servir a leur plaisir, et bien
souvent a en abuser, soient les biens des
eveches, abbayes, et autres gros benefices,
distribues par tiers, selon la disposition ca-
nonique; savoir, un tiers aux pauvres, un
tiers a I'entretenement de I'etat des pasteurs,
et I'autre tiers a la reparation des eglises, et
oeuvres pitoyables , comme a I'entretene-
ment des hopitaux de toutes sortes, et col-
leges pour Tinstruction des enfants, soit ^s
lettres, metiers, ou edifices eriges ou a eriger
es villes et lieux les plus peuples.
«Afin de retrancher vivement I'avarice
questueuse qui a rendu les ministres de I'E-
glisesi abjects et contemptibles, qua peine
les peut-on plus reconnoitre; chose lamen-
table et deslionnete en I'Eglise, qui est et
qui doit etre pure et sans macule d'avarice,
d'ambition et simonie : il plaise audit sei-
gneur defendre que, pour quelque adminis-
tration ou celebration, soit de sacrements.
I lO ASSEMBLEES NATIONALES
messes, on autres mysteres , instructions,
visitations, maiiajies, bans, sonneries de
cloches, se})ultures, dispenses de bans, bap-
temes, et toutes autres choses spirituelles
qui seront administrees en I'Eglise, que
sceaux et ^ciitures de toutes expeditions
qui seront par eux faites; ne soit pris ne
bailie aucuns deniers, dons et presents, sous
quelque couleur ou condition que ce soit,
attendu qu'ils out ou doivent avoir ^te gra-
luitement pourvus de leurs benefices, non-
obstant les prelendues louables coutumes,
et communes usances dont ils se sont aides
par ci-devant, auxquelles sera defendu a
tons juges da voir egard. »
Eclaire par les remontrances des trois
etats, le roi fit rediger la celebre ordon-
nance dite d'Orleans, en 149 articles, qui
fut publiee pendant le cours de cette meme
annee i56o, et pen de temps apres la clo-
ture des etats.
Cette ordonnance. Tun des plus beaux mo-
numents de la sagesse de nos p^res, est ega-
lemeut digne d'etre meditee par les liommes
detat et par les jurisconsultes. On y remar-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. 1 I I
(lue les dispositions suivantes relatives an
choix des eveques, au choix des ju(];es, et
aiix vexations des seij^neurs:
(( Tons archevequeset eveques seront des-
ormais, sitot que vacation adviendra, elus
etnommes;savoir, lesarclieveques, paries
eveques de la province et chapitre de I'e-
glise archiepiscopale; les eveques, par I'ar-
cheveque-eveque de la province, et chapi-
tre de I'ejiflise episcopate. Appellez avec
eux douze (jentilsliomraes qui seront elus
par la noblesse du diocese, et douze nota-
bles bourgeois qui seront aussi elus de I'ho-
tel de la ville arcbiepiscopale ou episcopale.
Tous lesquels convoques a certain jour
( par le chapitre du siege vacant, et assem-
(bles comrae dit est, s'accorderont de trois
( personnages de suffisance et des qualites
( rei|uises par les saints decrets et conciles,
f ages au nioins de trente ans, qu'ils nous
( presenteront pour nous faire election de
(celui des trois, que voudront nommer a
( rarcheveche ou eveche vacant. » Art. \" .
, u Advenant vacation d'offices en nos
u parlements et cours souveraines, apr^s
I I 2 ASSEMBLl^ES NATIONALES
« la reduction faite a I'ancien nombre et
uestat, voulons et en tendons que I'ordon-
(( nance faite pour les eslections soit ^ardee.
cEt quant aux sieges subalternes et infe-
« rieurs, nos officiers du siege ou Foffice sera
((Vacant s'assembleront dedans trois jours,
« et appellez les maires , eschevins , conseil-
(( lers, capitouls de la ville, esliront trois per-
(( sonnages qu'ils connoistront en leurs con-
(( sciences les plus suffisants et capables,
((qu'ils nous nommeront et presenteront,
(( pour a leur nomination pourvoir celuy des
(( trois qu'adviserons. )) Art. 89.
(( Tons officiers des justices et jurisdic-
((tions seront examines avant qu'estre
((recus, etc. » Art. 55.
(( Sur la remontrance et plainte faite par
(des deputez du tiers-etat, contre aucuns
((Seigneurs de nostre royaume, de plusieurs
((extorsions, corvees, contributions, et au-
(( tres semblables exactions et charges in-
(( dues: nous enjoignons tres expressement
(( a nos jnges de faire leur devoir et admi-
((uistrer justice a tous nos subjects, sans
(( acception de personnes, de quelque autbo-
DE FRANCE. CHAP. XXXI. Il3
« rite ou qualite qu'ils soient, et a nos advo-
u cats et procureiirs y tenir la main , et de ne
u permettre que nos pauvres subjects soient
« travaillez et opprimez par la puissance de
« leurs seigneurs feodaux, censiers ou autres,
« auxquels defendons intimider ou menacer
(( leurs subjects et redevables. Leur enjoi-
((gnons se comporter envers eux modeste-
u ment et poursuivre leurs droits par les voyes
«ordinaires de justice. Etavons, d^s a pre-
(( sent, revoque toutes lettres de commission
« et de legation accordees et expediees cy-
« devant a plusieurs seigneurs de ce royau-
(tme, a quelques juges qu'elles ayent este
((adressees pour juger en souverainete les
« procez intentes pour raison des droits d'u-
« sages, pasturages et autres pretendus, tant
«parlesdits seigneurs que par leurs subjects,
(( manants et habitants des lieux , et ren-
te voye la cognoissance et jugement desdits
« procez a nos baillifs et seneschaux ou a
<i leurs lieutenants, et par appel a nos cours
«de parlement, chacun en son ressort. n
Art. 1 06.
Il4 ASSEMBLIES NATIONALES
CHAPITRE XXXII.
Des catholiques et des reforme's depuis i56o
jusqu'en iSyS.
Les princes lorrains n'avoient pas tout
perdu par la mort de Francois II ; ils etoient
restes les chefs de la confederation catlioli-
que, et Gatlierine de Medicis ne les voyoit
pas sans inquietude a la tete dun parti
aussi puissant. Mais elle craignoit encore
plus les chefs des reformes, auxquels, par
haine contre les Guise, venoient de se join-
dre les deux hommes qui comptoient le plus
de partisans dans le royaume, le conn^table
de Montmorenci, et le mar^chal de Saint-
Andre.
Telle etoit done la position de la reine.
Froissee entre deux puissants partis, elle ne
pouvoit conserver le pouvoir qu en les neu-
tralisant Tun par I'autre. Pour cela il falloit
etablir entre eux une sorte d'equilibre. Elle
DE FRANCE. CHAP. XXXII. Il5
crut y parvenir en r^onciliant le coniie-
table et le mareclial avec le due de Guise.
L'evenement trompa les calculs de la pru-
dence. Ge triumvirat ne prenant conseil que
de ses forces en abusa pour inquieter les pro-
testants, et la paix fut de nouve^u trou-
l)lee.
Trois declarations rendu es successive-
ment, eta de courts intervalles, modifi^rent
I'edit de pacification dont nous avons parle
dans le chapitre precedent, et arracherent
aux protestants la plupart des avanta^es que
cet edit leur avoit assures (i).
(i) Par ces declarations le roi auuoncoit que dans son
edit il n'avoit pas entendu coniprendre, dans les lieux
oil il etoit permis aux calvinistes de s'assembler, ceux
qui etoient auparavant du patrimoine de I'Eglise, on
qui appartenoient a des beneficiers. Par.un article ;for-
mel , I'exercice de la nouvelle religion etoit defendu
dans la prevote de Paris; il etoit pareillement dei'endu
aux habitants de Paris d'aller aux preches dans les pre-
votes voisines, a moins qu'ils n'y transportassent leur
domicile. Ces declarations portoient encore que les reli-
gieux et religieuses qui avoient quitte leurs convents
seroient tenus d'y rentrer ou de sortir du royaume. On
chassa en meme temps tous les ministres protestants qui
n'y etoient pas nes, etc.
8.
n6 ASSEMBLEES NATIONALES
La reine de Navarre etoit connue par son
attaehement aux opinions nouvelles. uParun
u bref anssiinjusteqii'injurieux , donne le 28
((septembre i563, le pape, dit le president
((de Thou(i), cita a Rome Jeanne d'Albret,
(( reine de Navarre, veuve d'Antoine de Bour-
(( bon; et il prononca que si elle ne compa-
(( roissoit dans le terme de six mois, elle se-
((roit par le seul fait proscrite, comine at-
((teinte et convaincue d'lieresie, dechue de
(da royaute, et privee de son royaume, et
((ses principautes, terres, domaines, et sei-
(( gneuries, donnes au premier occupant. »
Ce bref aclieva de decouvrir aux reformes
la profondeur de Fabyme qui s'ouvroit de-
vant eux.
Gonsternes sans etre abattus, les chefs du
parti se reunirent et tinrent conseil. A ceux
qui proposoient de souffrir en silence et de
s'en remettre au temps et a la justice de leur
cause, le baron Dandelot repondit : ((Mettons-
(( nous peu en peine de ce que nos ennemis
(1) Histoire univ., liv. XXXV.
DE FRANCE. CHAP. XXXII. I I 7
« et des hommes pervers publieront de nous.
«Ge sont ceux qui, en violant les droits les
«plus sacres, et en manquant de foi a leurs
((serments, sont les vrais perturbateurs du
« repos public. II est temps d'ouviir lesyeux.
M Pour peu que nous differions, e'en est fait
«dc nos biens, de nos vies, et de notre reli-
«g^ion. Attend rons-nous pour recommencer
« la guerre que nous soyons relegues dans les
M pays etrangers, ou que nous soyons enfer-
wmes dans de sombres prisons, ou enfin
« qu'errant dans les forets et dans les de-
userts nous soyons les victinies de la bar-
ubarie dun peuple en fureur? Alors qui
(( voudra nous regarder, nous parler, nous
(( ecouter? Quelle ressource trouverons-nous
a dans notre innocence? De quoi nous auront
(c servi notre patience et notre douceur? «
Cette opinion prevalut; les reformes cou-
rurent aux arnies. Les catholiques en firent
de meme, et la guerre civile eclata.
Le prince de Gonde,^la tete de quatre
mille hommes, ouvrit la campagne, et vint
camper dans la plaine de Saint-Denis. Le
connetable de Montraorenci sortit de Paris
I 1 8 ASSEMBLIES RATIONALES
avec uiie ai'inee de douze mille hoimnes.
Malgr^ I'inf^riorite dti nombre , le prince
accepta la bataille. La victoire passa plus
dune fois dun camp dans un autre; mais la
nuit ayant separ^ les combattants, cette
journee fut sans resultat, et les liostilites
conti ttuerent ( i ).
Le prince de Gonde, trop foible pour tenir
plus lon(^-temps devant Paris, conduisit son
arm^e eft Champagne, ou il attendit les se-
coursqui lui arrivoientde FAllemagne, de la
Guienne^ et du Languedoc. Ainsi s'ecoul^-
rent les derniers mois de Tannic 1 667.
Laftnee suivante est remarquable par
un melange de bons et de mauvais succ^s.
(i) La France y perdit I'un de ses plus grands hommes,
le connetable Anne de Montmorenci. En sortant de
Paris il avoit dit: Je rentrerai triomphant, ou je ferai
plfiurer ma mort. Alors age de soixante-seize ans, il
avoit glorieusement figure dans huit batailles rangees,
dans quatre desquelles il avoit commande en chef. La
reine-mere lui fit faire de magnifiques funerailles ; on
y porta son effigic, honneur que I'on n'avoif encore
rendu qu'aux rois, et aux princes de la famille royale.
Dfi franco:, chap, xxxii. 119
Le 23 mars, la paix est signee a LojQ(jjumeaii.
Les conditions en sont si mal observ^es 4?
pai tetd'autre, que la troisieme guerre civil,e
commen<je avant que I'annee expire; et la
retraite du chancelier de L'Hospital, seul
mediateur entre les catholiques et les pro-
testants, met le comble au malheur public.
Des-lors, comme un torrent qui a rompu
ses digues, la fureur des partis ne connoit
plus de frein; cliaque bataille, chaque prise
de ville donne lieu aux scenes les plus san-
glantes. Les catholiques livrent aux flammes
les reformes, ceux-ci font pendre les catho-
liques, et la journee de la Saint-Barthelemi
effraie I'Europe par un spectacle encore plus
epouvantable.
A ces buchers, a ces massacres se joi-
gnoient les saturnales dune superstition
aveugle et feroce. La theologie avoit tout
envahi. On dogmatisoit a la cour comme en
Sorbonne, dans les salons comme dans les
ecoles. Les controverses religieuses occu-
poient tons lesesprits. Dans les temples, les
ceremonies les plus bizarres ecliauffoientlcs
I20 ASSEMBLIES NATIONALES
tetes, et dans les chaires, des predicateurs
furibonds commandoient le crime au nom
du ciel.
Enfin les deux partis egalement epuis^s
tournent leurs regards vers les etats-gene-
raux.
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 12 1
CHAPITRE XXXIII.
fitats-generaux tenus a Blois en 1576.
Le roi ( I ) manquoit d'argent ; et les contro-
verses religieuses ensanglantoient la France.
Dans des circonstances aussi graves , la reu-
nion des ^tats-generaux pai ut la seule mesure
efficace, et ils furent convoques.
Le 6 decembre iSyG, apres une proces-
sion soleiinelle, un jeune, et une commu-
nion generale, le roi, assis sur son trone,
ayant a sa droite, un peu au-dessous de lui,
la reine sa mere, et plus has le cardinal de
Bourbon, etc., en fit Touverture par un dis-
cours con tenant en substance que, par Facte
de la convocation des ^tats, ils devoient tous
etre instruits du sujet qui les assembloit, et
(i) Henri III. Charles IX etoit mort en 1674, ^ge de
vingt-quatre ans dix mois et trente jours. II avoit regne
treizeans cinq mois et vingt-cinq jours.
122 ASSEMBLEES NATIONALES
qu'il lie doutoit pas que de leiir cot^ , avant
que de s'y rend re, i!s n'eussent recu des
instructions suffisantes de la part des pro-
vinces qui les avoient deputes; qu'ils etoient
temoins eux-memes de la triste situation ou
les guerres civiles avoient reduit en peu de
temps le plus florissant et le plus puissant
royaume du monde;
Que les vices avoient ete le principe de
tant de maux; qu'ils avoient infecte tous*Ies
niembres de I'etat; qu'il n'y en avoit aucun
qui ne fut pourri et gangrene, en sorte
([u'on n'y reconnoissoit plus cet attacliement
pour la religion , cette union entre les sujets,
cet amour et ce respect pour le prince qu'on
y admiroit autrefois, et dont il restoit a
peine le moindre vestige;
Qu'a la vue de cette corruption generale,
il ne pouvoit s'empeclier de deplorer son
sort, sur-tout lorsqu'il comparoit son regne
avec ces lieureux temps des rois son p^re et
son aieul ; qu'alors toutes les vertus sem-
bloient etre propres aux Francois; qn'au-
jourd'liui au contraire elles etoient eteintes
dans tons les coeurs; qu'ils en avoient perdu
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 123
jiisqua la premiere id^e; que ce qiii \e tou-
( hoit davantage c'etoit que le peuple, tou-
j-ours aveufjle et incapable de penetrer le
fond des clioses, impute ordinairement aux
jyrinces la cause de tous ses malheurs, et a
linjustice de vouloir les rendre responsables
de tous les evenements;
Que cependant le t^moig^nage de sa
conscience suffisoit pour le rassurer au mi-
lieu de taut de sujets d'alarmes', qu'on savoit
que la jeunesse du roi Charles son fr^reavoit
ete lorigine de tous ces troubles; que tout
le royaume avoit ete temoin des soins que la
reine sa m^res'etoit donnes pour les calmer;
(|udle en etoit venue a bout par sa sagesse,
parson habilete, par une patienceal'epreuve;
que cependant il n'avoit pas ete possible
d'eteindre si parfaitement un si grand em-
brasement, qu'il n'en restat encore quelques
etincelles;
Que lui-meme, aussitot que I'slge le lui
avoit permis, guide par son devoir, il n'avoit
rien epargne pour y apporter les remedes
les plus convenables; qu'on I'avoit vu les
armes a la main , dans les guerres que le roi
124 ASSEMBLEES NATIONALES
son frere avoit eues a soutenir, s'exposer aux
plus grands dangers, et sacrifier sa sante,
son repos, et ses plaisirs, pour tacher d'ob-
tenir un accoramodement raisonnable,
comme il I'avoit toujours souliaite; qu'il y
avoit travaille long-temps avant son depart
pour la Pologne, et qua son retour, depuis
qu'il s'etoit vu eleve sur le trone de ses p^res,
il avoit encore pris tous les raoyens possibles
den venir a bout; que cependant le ciel
n'avoit pas perniis que ses bonnes intentions
reussissent; qu'il avoit ete force d'en venir
nialgre lui aux dernieres extremites; qu'apr^s
avoir eprouve si long-temps les malheurs des
guerres civiles, ily avoit ete engage de nou-
veau, et que, pour subvenir aux frais qu'il
n'avoit pu se dispenser de faire, au lieu de
soulager ses sujets, comme il I'auroit sou-
haite, il s'etoit vu oblige de les charger de
nouveaux impots;
Que c'etoit la la cause principale de ses
chagrins et de ses peines, et qu'il avoit sou-
haite souvent de mourir plutota lafleurde
son age, que de se voir oblige d'etre temoin,
sous son regne, des memes malheurs qui
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 125
avoient afflige le loyaume sous celui du loi
son fr^re; que cependant il se soutenoit par
ceLte pens^e, que Dieu ne I'avoit pas ^leve
sur le trone, qu il ne lui avoit pas mis la cou-
ronnesur latete pourfaire lemalheur de son
peuple: qu'il ne lui avoit pas remis aux mains
ce sceptre qu'il portoit, corame une verge de
fer pour devenir I'instrument de sa colere,
mais plutot pour procurer sa gloire, en lui
servant a faire couler ses bienfaits et ses
graces sur les peuples qu'il avoit confies a ses
soins;
Qu'il protestoit done qu'il n'avoit jamais
eu en vue que le bien de I'etat et la tran-
quillitepublique;qu'en consequence il avoit
choisi le moyen le plus propre et le plus sur
pour retablir parmi ses sujets cette union
si desirable, sans laquelle il leur seroit im-
possible de rien faire de durable et d'avan-
tageux ; qu'il ne falloit pour les en convaincre
que Fexperience du passe, ou toutes les me-
sures que Ion avoit prises n'avoient servi qu'a
Jeter le royaume dans des troubles egalement
funestes a la religion et a I'etat ;
Qu'il les prioitdonc tous en general et en
126 ASSEMBLEES NATIONALES
jjarticulier, par Fattacliement que Dieu leur
commandoit d'avoir pour leur prince, par
I'amour qu'ils devoient avoir pour leur pa-
trie, d'oublier leurs interets, de faire trove
aleurs ressentiraents, et de reunir tous en-
semble leurs soins et leurs affections pour
travailler conjointement avec lui a trouver
les moyens les plus propres de rendre a Tetat
cette paix si utile et si necessaire, d'eteindre
jusqu'aux moindres semences desguerres ci-
viles et de ladiscorde, de corriger les moeurs,
de bannir les vices, et de rendre aux lois leur
ancienne vigueur; que c'etoit la Tunique
but de toutes ses intentions et de ses desirs;
que comme c'etoit de la main de Dieu qu'il
tenoit sa couronne, il n'avoit garde de vou-
loir abuser du pouvoir que la divine bonte
\m avoit conjRe, parcequ'il savoitqu'il devoit
rendre compte un jour de I'usage qui I en
auroit faif, qu'au reste il etoit resolu , et qu'il
vouloit bien leur donner sa parole royale de
faire observer inviolablement les reglements
qui seroient faits dans ces presents etats-ge-
neraux, et de n'accorder Jamais aucun pri-
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 1 27
vilege qui y fut contraire, ou qui y derogeat
le moins du monde.
Le chancelier Birague prit ensuite la pa-
role. Apr^s setre excuse sur son grand age,
et sur le peu de connoissance quil avoitdes af-
faires de France[i)-^ apres setre longuement
etendu sur les vertus de la reine-m^re, sur
les hautes qualites du roi, sur son amour
pour ses peuples, il insista particuli^rement
sur les avantages de la paix, et sur la neces-
site de la maintenir.
Lorsqu'il eut cesse de parler, les deputes
destroisordresoffrirentau roi riiommagede
leur devouement, de leur profond respect, et
Fassurerent qu'ils alloient travailler avec le
(i) II naquit a Milan d'une famille constamraent atta-
chee au parti de la France. Francois I*' le fit conseiller
au parlement de Paris, et I'envoya au concile de Trente.
Charles IX le fit jjarde des sceaux , puis chancelier
en 1673. Henri III lui fit donner le chapeau de cardinal
en 1578 , et le decora du cordon de ses ordres a la pre-
miere promotion, qui eut lieu cette meme annee 1578.
II mourut le i4 novembre i583, age de 74 ans.
128 ASSEMBLl^ES NATIONALES
plus grand zele a seconder ses bonnes in-
tentions.
Le roi ne tarda pas a reconnoitre combien
peu il devoit compter sur ces protestations
de devouement et de fidelite.
D^s le lendemain le tiers-etat prit un ar-
rete, portant qu'on supplieroit le roi de
nommer des commissairesauxquels on join-
droit un depute de cliaque province, pour
juger de toutes les propositions generates ou
particulieres qui seroient faites dans I'as-
semblee. Le tiers-etat demandoit en meme
temps la permission de recuser ceux de ces
commissaires qui lui seroient suspects;
il prioit le roi de declarer que tout ce qui
seroit decide par le comite qu'on etabliroit
seroit regarde comme loi du royaume. 11
demandoit enfin que le nombre des con-
seillers d'etat fut reduit a dix-huit, et ne put
jamais exceder vingt-quatre.
Le roi fut fort offense de ces propositions.
11 le fut bien da vantage, lorsque trois jours
apres, une deputation du clerge, presidee
par I'archeveque de Lyon, lui annonca que
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. I 29
le voeu de I'assemblee etoit qu'il prit I'enga-
(jement de faire observer tout ce qui pas-
seroit d'une commune voix; et pour les ma-
tieres oil les sentiments seroient partakes,
qu'il ne put en decider que de I'avis de la
reine sa mere, des princes du sang, des pairs
du royaume et de douze deputes des etats.
Le roi repondit avec beaucoupde modera-
tion qu'aussitot que les trois ordres lui au-
roient presente leurs cahiers, il y repon-
droit de I'avis de son conseil , et qu'il les in-
struiroit meme du nom de ceux dont il seroit
compose; qu'il permettoit, au reste, aux
trois ordres de lui deputer cliacun douze
de leurs corps ; qu'il les ecouteroit avec
bonte; que sur ce qui lui seroit propose, il
neprendroit jamais de resolution dont ils ne
dussent etre contents; mais qu'a I'eg^ard du
dernier article, par lequel ils demandoient
qu'il ratifiat tout cequi seroit arrete unani-
raement par les etats, il leur declaroit qu il
ne pouvoit y souscrire, puisqu'il ig^noroit
quelles propositions on avoit a lui faire.
Ges deux deliberations ne presag^eoient
que trop ce que le roi avoit a redouter de
9
l3o ASSEMBLEES NATIONALES
rassociation qui venoit de se former sous la
denomination hypocrite de sainte-unionl^i).
Le i5 Janvier les etats s'occuperent de la
(i) La jalousie entre les deux religions ne se borna pas
a I'emulation d'une plus grande regularite: elles cher-
cherent a s'appuyer I'une coiitre I'autre de la force des
confederations et des sernients. Depuis long-temps la
religion romaine entretenoit dans son sein des associa-
tions , connues sous le nom de Confreries. Elles avoient des
lieux et des jours d'assemblee fixes, une police, des re-
pas, des exercices, des deniers communs. II ne fut ques-
tion que d'ajouter a cela un serment d'employer ses
biens et sa vie pour la defense de la foi attaquee. Avec
cette formule, les confreries devinrent, comme d'elles-
memes dans cliaque ville, des corps de troupes pretes
a agir au gre des chefs; et leurs bannieres, des etendards
militaires. La multitude reunie se trouva plus bardie:
contradictions, railleries, dedains, entre personnes de
differentes religions , on ne se souffrit plus rien ; de la
des emcutes et des massacres par toute la France.
La manie des associations saisit aussi la noblesse et
les grands seigneurs. 11 y eut de ces ligues particulieres,
qui envelopperent des provinces entieres. Pendant le
voyage du roi, on en decouvrit une, dont Louis de
Bourbon , due de Montpensier , les Guise et les plus
grands du royaume etoient chefs. La reine, a la vue de
cette nouveaute, assembla un conseil extraordinaire.
La plupart des confederes y furent niandes, et tous
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. I 3 I
(jrande affaire de la religion. Les trois ordres
decid^rent unaiiimement que le roi seroit
prie de lie souffrir dans ses etats qii'une
seule religion , la religion catliolique ro-
maine. Mais on se divisa sur la inaniere d'ex-
tirper Tlieresie. La noblesse et le clerge
etoient d'avis que la force devoit etre ens-
ploy^e, si elle etoit necessaire. Le tiers-etat
fut partage.
Les uns emportes par un zele feroce vou-
loient que Ion forcat les reformes a rentrer
dans le sein de I'Eglise romaine par tons les
raoyens possibles, meme par les supplices,
meme par la guerre civile, si leur obstina-
lion la rendoit necessaire. Les autres plus
neanmoins jurerent et signerent qu'ils n'avoient point
trempe dans ces coniplots, qu'ils les abhorroient, et que
jamais ils ne prendroient les armes que par le comnian-
dement de sa majeste.
Ces protestations ne rompirent point des liaisons
qu'on croyoit fonde'es sur de si bons motifs : elles pre-
valurent meme bientot sur toutes les autres. Les fieres
se separerent des freres, les peres des enfants, et on vit
les families dechirees par le meme schisme qui divisoit
I'etat. Esprit de la LIgue, tome 1", page a33.
9-
I 32 ASSEMBLIES NATIONALES
moderes, et par consequent meilleiirs Chre-
tiens, insistoient pour que la reunion s'o-
perat par des voies douces, salutes , et sans
guerre. Le sage et savant Bodin, avocat du
roi au bailliage de Laon , et depute du Ver-
mandois, etoit a la tete de ce dernier parti.
Les (^ouvernements de Flle-de-France,
Normandie, Champagne, Languedoc, Or-
leans, Picardie, et Provence, adopt^rent la
premiere de ces deux opinions. La seconde
n'eut pour elle que les gouvernements de
Bourgogne, Bretagne, Guyenne, Lyonnois,
Dauphine.
Ainsi le parti de la violence prevalut, et
la guerre fut resolue a la majorite de sept
voix contre cinq.
Instruit de cette resolution, et justement
effraye des suites quelle devoit necessaire-
ment avoir, le due de Montpensier se rendit
aux etats et y fit un discours plein de sa-
gesse, dans lequel, apres avoir retrace I'i-
mage des malheurs qui pendant seize annees
de guerres avoient desole la France, il raj3-
pela Texemple de plusieurs princes etran-
gers, entre autres de Charles-Quint, qui,
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 1 33
apr^s avoir subju{]u^ I'Alleniagne, avoit ete
obli{3^e d'accorder aux vaincus Fexercice li-
bre de leur reli{>ioii. La conclusion de sa ha-
ran(5,iie fut que tout le portoit k conseiller
au roi d'imiter cet erapereur: il assura que
le roi de Navarre iie demandoit pas mieux
que de concourir a faire cesser les troubles.
L'autorite d'un prince, dont la conduite
^toit irreprochable , fortifia beaucoup le
parti deBodin, et de ceux qui, comme lui
etoient opposes a la guerre. Sur leurs in-
stances, on remit en deliberation I'article
concernant la reli.oion, et il fut decide, a la
pluralite des voix, que le roi seroit supplie de
n avoir point recours a la force pour faire
rentrer ses sujets dans le sein de VEglise.
A cette affaire en succeda une autre a la-
quelle la cour de Rome ne mettoit pas moins
d'importance. Les ^veques etarcheveques de
Tassemblee demanderent la publication du
concile de Trente; mais les deputes des ca-
thedrales et ceux des provinces de Bourgo-
gne, de Picardie, de Poitou et de Saintonge
repouss^rent si energiquement cette propo-
sition qu'elle n'eut pas de suite.
I 34 ASSEMBL^KS NATIONALES
Pendant ces d^bats, un hasard fort extra-
ordinaire fit tomber entre les mains du roi
iin memoire par lequel la sainte-union sol-
licitoit I'intervention du saint-siege, a I'effet
<le detroner la maison regnante, et de lui
substituer celle de Lorraine, que Ton sup-
posoit descendue de Charlemagne.
Les princes de cette illustre maison, di-
soit I'auteur du memoire, constamment sou-
mis au saint-siege, sont encore aujourd'hui
converts des benedictions que le pape Etien-
ne II versa sur Pepin, lorsqu'il placa sur
son front la couronne de Clovis. Mais les
descendants de Hugues Capet ( I ). . : . . .
Le memoire continue :
« Que pour en venir a I'execution il avoit
(i) Ma plume se refuse a transcrire cette partie du
memoire. II est rapporte en entier dans VHistoire uni-
verselle du president de Thou, livre LXIII.
Get historien ajoute : « Ce projet parut si atroce que
li Ton refusa d'aboid d'v croire. Dans la suite ce meme
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. l35
«et^ arrete entre les iinis qu'on se serviroit
((du minist^re des predicateurs pour sou-
« lever le peuple des differentes villes du
« royaume, a fin doter par-la aux lieretiques
« la liberie de s'assembler qui leur avoit ete
((accordee par le dernier edit; que cepen-
« dant on sUpplieroit sa majeste de fermer les
(cyeux a ces mouvements, et de laisser au
((due de Guise toute la conduite de cette
((affaire; que ce prince devenu plus hardi,
(( apres avoir ainsi engage sa majeste a dissi-
(( uiuler, travailleroit a enga^^jer dans la ligue
(da noblesse et les villes du royaume, et
/. ecrit etant passe en Espagne pour etre communiqu(3 a
« Philippe, il vint a la connoissancede Jean de Vivonne,
u alors atmbassadeur de France aupres du roi d'Espagne,
(i et ce seigneur tres eloigne d'ailleurs des protestants, en
« envoya sur-Ie-champ un exemplaire a sa majeste,
« comrae lui-meme me le raconta depuis. Alors le roi
« fut frappe de ce second coup , et comme il ne se sen-
« toit pas encore assez de fermete pour exterminer abso-
"lument ce parti, et tirer une juste vengeance de ceux
« qui en etoient les auteurs , il resolut du moins de I'af-
" foiblir , et de rendre pour le prcjsent tons ses projets
(1 inutiles. »
1 36 ASSEMBLEES NATIONALES
uqu'il se feroit preter serment de fidelite
(cpar tons les uiiis, qui jureroient de ne
u reconnoitre que lui pour chef; qu'il an-
te roit loeil a ce que les cures des villes et de
(t la campagne tinssent un registre exact de
« ceux qui seroient, dans leurs paroisses, en
« etat de porter les armes; que de son cote
(c il auroit soin de leur envoy er secretenient
«des officiers pour les commander, et que
(( dans le secret de la confession on ne man-
« queroit pas de les instruire des armes dont
u ils devoient se fournir, et de ce qu'ils an-
te roient a faire, en leur faisant toujours en-
utendre qu'on ne les employoit que pour
t( les interets de la religion. »
Le roi justement effraye de I'audace dune
agregation a peine formee, et deja plus forte
que lui , prit I'liumiliante resolution de com-
poser avec elle; et, dans Fesperance de la
neutraliser, il sen declara le chef en pre-
sence des trois ordres assembles : c'est-^-dire
qu'abdiquant le beau titre de roi des Fran-
cois, il se declara le protecteur dune partie
de la nation, et I'ennemi del'autre.
L'affaire de la religion terminee , se pre-
DE FBANCE. CHAP. XXXtll. 187
sentoit naturellement celle des finances;
mais I'examen en fut retarde par une propo-
sition qne I'ordre de la noblesse soumit a la
deliberation du tiers— etat.
Cette proposition avoit pour objet les
depenses de larmee. Le premier de ces deux
ordres invitoit le second a se joindre a lui
pour faire un reglement portant que lar-
mee seroit composee, en temps de paix
comme en temps de guerre, de trois mille
hommes d'armes (i)-, qu'en temps de guerre
(1) Pour comprendre ce passage, il faut savoir ce que
Ton entendoit alors par une conipagnie d'hommes d'ar-
mes. Volci quelques details a cet e'gard :
L'expe'rience n'avoit que trop prouve combien les ar-
mees soldees etoient superieures aux armees feodales,
qui ne I'etoient pas. Charles VII, en 1444' convoqua
une assemblee de notables, a laquelle il proposa d'eta-
blir, sous le nom de taille, un impot perpetuel, exclusi-
vement destine a I'entretien d'une arme'e reguliere, ajou-
tant que si sa proposition etoit accueillie, il renonceroit
au benefice qu'il pouvoit tirer de la fabrication et du
changement des monnoies ; qu'il renonceroit egalement
aux levees extraordinaires de deniers, connus sous le
nom de taille seigneuriale , taille arbitraire, taille aux
quatre cas , c'est-k-dire lorsque le roi armoit son fils aine
I 38 ASSEMBLEES NATION ALES
rinfaiiterie seroit de vingl mille hommes,
et de doiJze mille en temps de paix; que le
produit de la taille et du taillon seroit ex-
clusivemeat affecte aux depenses de cette
armee \ que pour en enipeclier le divertisse-
ment a d'autres usages, la perception en se-
chevalier, qu'il marioit sa fille ainee, qu'il faisoit le
voyage d'outre-mer, ou qu'il etoit fait prisonnier.
Ces propositions ayant ete agreees, le roi crea quinze
compagnies de cent lances: chaque lance ou homine
d'armes devoit avoir sous lui trois archers, un ecuyer, et
un page, tous h. cheval : ce qui formoit un corps de neuf
mille hommes. La paie de chaque homme d'armes etoit
de dix livres par mois , celle de Tecuyer de cent sous,
celie des archers de quatre francs , et celle du page de
soixante sous.
Un grand nombre de gentilshommes et meme de rotu-
riers assez riches pour servir a leurs frais se reunirent a
ces compagnies comme volontaires, de maniere que
bientot chacune d'elles se trouva monter au moins a
douze cents hommes : ce qui forma le plus beau corps de
cavalerie, et le plus redoutable qu'il y eut en Europe.
Cette premiere organisation avoit cela de remarquable
que les officiers etoient responsables des delits de leurs
soldats; et que tous, en quartier d'hiver et dans leurs
garnisons, etoient, dans tous les cas, justiciables des
tribunaux ordinaires.
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. iSg
roit confiee a des notables clioisis dans les
differentes communes, et que le roi seroit
supplie de donner ses ordres pour que ce
rejdement reciit son execution.
Comme a cette epoque la noblesse etoit
parvenue a s'affrancliir de I'impot de la
taille, qui dans I'origine pesoit egalement
sur tons ceux qui n'exercoient pas la profes-
sion des arraes, le but de cette proposition
etoit evidemment de dispenser les nobles de
concourir aux depenses de I'armee, et d'en
charger exclusiveraent le tiers-etat; il le sen-
tit si bien, que non sen lenient il rejeta la
proposition, mais qu'il soutint que les fiefs
ayant ete donnes a la charge du service mili-
taire, c'etoit a la noblesse seule a supporter
les frais que ce service pouvoit occasioner,
puisque seule elle avoit droit de poisseder les
fiefs.
Le meme jour, sur la demande de Bo-
din (i), depute du Vermandois, il fut arrets
(0 Jean Bodin exerca d'abord la profession d'avocat
au parlementde Paris; mais se croyantinferieurk Pithou
l4o ASSEMBLIES NATIONALES
que dans le cahier du tiers-etat il seroit in-
sert un article portant que le roi seroit sup-
plie d'ordonner que les sergents et notaires
seroient tenus de dater les actes par les
heures, du moins devant ou apres midi; et
({uant aux testaments, qu'il seroit mis aussi
s ils etoient passes le jour ou la nuit.
Les etats avoient adresse au roi une re-
quete par laquelle ils supplioient sa raajeste
d'adjoindre a son conseil un depute de clia-
que province. On procedoit au choix de ceux
que Ton devoit j^resenter au roi pour rem-
plir cette honorable mission. Bodin repre-
senta que c'etoit, en quelque sorte, aneantir
I'autorite des etats, que de la confier a un
et a Pasquier, ses confreres, et desesperant de s'elever a
leur hauteur, il quitta le barreau. S'etant attache au due
d'Alencon, frere de Henri III, il passa avec lui en Angle-
terre. II venoit de publier son bel ouvrage de la Rcpu-
hlique, etdeja on I'enseignoit dans I'universite d'Oxford.
Pour faire ressortir le merite de cet ouvrage, il suffit de
dire que Montesquieu lui doit beaucoup. De retour en
France, Bodin se retira a Laon, ou il se pourvut de Tof-
fice d'avocat du roi au bailliage de cette villa, office
qu'il exerca jusqu'a sa mort, arrivee en iSgG.
DE FRAKCE. CHAP. XXXIII. 14'
si pelit nombre de delegues, qui, tout in-
corruptibles quon les supposat, pourroient
se laisser intimider par la presence du roi,
ou etre seduits par les insinuations de ceux
qui gouvernoient a la cour; que Louis XI,
qui le premier de nos rois avoit su s'arroger
le pouvoir absolu , n'y avoit reussi qu'en
attribuant ainsi le nom et le pouvoir des
etats a une poignee de gens dont il disposoit
a son gre; que jusqu'alors les etats n'avoient
ete perpetuels ni ambulatoires, et que, par
Tarrangement propose, ils devenoient Tun
et Tautre. Sur ce que I'archeveque de Lyon
objecta quon pouvoit limiter le pouvoir des
delegues, Bodin repliqua que, malgre cette
precaution, leur seule presence au conseil
donneroit toujours aux resolutions qui y
seroient prises lair d'etre approuvees, du
moins taciteraent, par la nation , et que par-
la on se priveroit insensiblement du droit
de remontrance : lassemblee se rendit a ces
raisons.
Tout cela pouvoit etre fort sage, mais ne
donnoit point d'argent ; le roi , impatient den
obtenir, fit mettre sous les yeux de I'assem-
J 4" ASSEMBLIES RATIONALES
blee le tableau des charges c[ui pesoient sur
le tiesor public. Ges charges, suivant les
pieces produites a I'appui du tableau, s'ele-
voierit a plus de cent millions. Des deputes,
au nombre de trente-six, nomniesparlestrois
ordres pour verifier I'exactitude de ces do-
cuments, declarerent que les uns etoient
insuffisants, les autres suspects; et il n'en
fut plus question.
Cependant cette communication ne fut
pas sans effet : elle appela I'attention des de-
]3Utes sur les finances, et desormais cette
grande affaire fera I'unique objet des tra-
vaux de Tassemblee.
Des commissaires du roi proposerent d'a-
bolir les anciens impots, et d'y substituer
une taxe sur les feux, graduee de mani^re
que la plus forte n'excedat pas cinquante
livres, et que la moindre ne fut pas au des-
SQus de douze deniers. Quelques autres de-
putes, et sur-tout Farcheveque de Lyon, ou-
vrirent fa vis de faire une diminution de sept
millions sur les rentes payees par I'etat : ces
deux projets furent rejetes. Le roi fit de-
mander un subside de deux millions, « et les
DE FRANCE. CHAP. XXXIIl. 1 43
((favoris, dit Mezerai, firent joiier tous les
« ressorts iraaginables pour avoir cette gorge-
« chaude. Le liers-etat, qui savoit bien qu'il
(« eut paye pour tous, ne put jamais etre in-
« duit a y consentir. »
Les deputes etoient sur le point de se se-
parer, lorsque Henri 111, accompagne de la
reine sa m^re, de la reine, des cardinaux de
Bourbon, de Guise, et dEst, des dues de
Guise, de Mayenne, et de Nevers, se rendit
a I'assemblee. 11 annonca qu'il avoit resolu
d'aliener a perpetuite cent mille ecus de rente
du doniaine de la couronne; que par conse-
quent il etoit necessaire que les etats conti-
nuassent leurs seances pour en deliberer.
La reponse des etats fut qu'ils suspen-
droient volontiers leur separation pendant
quelques jours, raais qu'ils ne pouvoient
consentir a Talienation propos^e, ni accor-
der des subsides extraordinaires.
Pompone de Bellievre retourna le jour
suivant a I'assemblee, et la sollicita forte-
ment d'avoir egard aux necessites du tresor
public. Bodin , avant remontre avec tine
liberie gauloise que le fonds du domaine ap-
I 44 ASSEMBLEES NATIONALES
partenoit a la nation, et que le roi n'en
etoit que simple usager, persuada telle-
ment I'assemblee, quelle repondit a Bellie-
vre que le droit commun et la loi fondamen-
tale de I'etat rendoient la chose absolument
impossible. Ainsi echoua la proposition du
gouvernement.
Les affaires soumises a la deliberation des
etats ainsi reglees, les trois ordres presente-
rent leurs cahiers au roi, et la session fut
close(i).
Sur les cahiers des etats fut redigee la
celebre ordonnance de iSy^. Cette ordon-
nance en 363 articles renferme les regle-
ments les plus sages concernant la discipline
de I'Eglise, I'administration de la justice, la
police interieure de letat, les finances, et
le commerce. On y remarque les disposi-
tions suivantes:
« Geux que nous aurons nommes aux
(i) Je n'ai pas parle des deputations que les trois ordres
envoyerent au roi de Navarre et au prince de Conde afin
de les ramener a la religion catholique, parceque ces.
negociations n'eurcnt aucun resultat.
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. l45
(jveclies et archevech^s seroiit, avant Texpe-
dition de nos lettres de nomination, exa-
mines par un arclieveque ou eveque que
nous commjettrons, joints a lui deux doc-
teurs en theolo{jie, qui nous enverront leur
certificat de la suffisance ou insuffisance
desdits nommes. w Art. 2.
« Suivant les anciennes ordonnances des
roys nos predecesseurs, nous defendons tou-
tes confreries, etc. » Art. 87.
« Nous voulons que notre garde des sceaui?
bailie audience ouverte, a Tissue de son dis-
ner, a tons ceux qui auront affaire a luy, a
laquelle audience assisteront les maistres des
requestes ordinaires de notre hostel , qui
seront en quartier, ou deux d'iceux au
moins, pour prendre les requestes des par-
ties, et en faire rapport au premier conseil,
si besoin est. » Art. 90.
« Et pour mieux effectuer notre intention ,
voulons qu'advenant vacation des offices do
conseiller en nos cours de parlement et au~
tres souveraines, lesdites cours ayent a nous
nommer personnes dc I'aage, quality, et ca-
pacitt? requise, sans (pie nosdites cours puis-
■2. 10
l46 ASSEMBLIES NATIOiNALES
sent nommer plus dun, natif de la ville ou
elles sont etablies. » Art. 102.
(( D'autant que les offices de president des
cours sont de ceux auxquels il est necessaire
de pourvoir de personnages de grand scavoir
et longue experience, afin que par leur sca-
voir, vertu, et aage, ils puissent estre res-
pectez, et donner loy et exemple de faire a
ceux auxquels ils president- ordonnons que
nul ne sera doresnavant pourvu auxdits
estats de president, tant de parlement, que
des enquestes, grand conseil, et cours des
aydes, qu'il n'ait atteint I'aage de quarante
ans pour le moins; qu'auparavantil n'ait este
pendant dix ans conseiller de cours souve-
raines, ou lieutenant-general dun bailliage,
ou qu'il n'ait acquis dans la profession d'avo-
cat une reputation telle qu'il soit estime
digne dun si grand office, i) Art. 106.
« Voulons que les pourvus d'offices
soyent examines tant sur la loy qui leur sera
donnee, et sur la pratique, qu'en la fortuite
ouverture du livre. *> Art. 108.
« Auparavant la reception de ceux qui se-
ront par nous pourvus d'aucuns offices de
DE FRANCE. CHAP. XXXIII. l^f
judicature, sera informe de leur vie,moeurs,
et conversations; et seront les informations
faites par les jufjes des lieux auxquels lesdits
pourvus auront reside. » Art. 119.
wDefendons a toutes nos cours souve-
raines et autres de s'entremettre, de reconi-
mander ou solliciter les pix)cez des parties
plaidantes en icelles, sur peine d'estre pri-
vez de Ten tree de nosdites cours et sieges,
et de leurs gaffes pour un an. » Art. 120.
(t Nous faisons tres etroites inhibitions et
defenses a toutes personnes, de quelque
estat , authorite , quality , ou condition
qu'elles soyent, sans nul excepter, de dor-
esnavant entrer en aucune association, in-
telligence, participation, ou ligue offensive
ou defensive, avec princes, potentats, repu-
bliques, communautez, dedans et dehors le
royaume, directementou indirectement, par
eux ou par personnes interposees, verbale-
ment ou par ecrit , etc. » Art. 1 ^3.
« Defendons aussi a tous gentilshommes et
seigneurs decontraindre leurs sujetset autres
abailler leurs filles, niepces, ou pupilles en
manage a leurs serviteurs ou autres, contre
10.
1 48 ASSEMBLIES NATIONALES
la volonte et liberie qui doit estre en tels
contrats, sur peines d'estre privez du droit
de noblesse, et punis comme coupables de
rapt. Ce que semblablement nous voulons
aux mesmes peines estre observe contre
ceux qui abusant de nostre faveur par im-
portunite, ou plustost subrepticement ont
obtenu ou obtiennent lettres de cachet clo-
ses ou patentes, en vertu desquelles ils font
arreter et sequestrer fiUes, icelles espou-
sent ou font espouser contre le (^re et vou-
loir du p^re, m^re, parents, tuteurs, et
curateurs. » Art. 281.
DE FRAN'CE. CHAP. XXXIV. 1 49
GHAPITRE XXXIV.
De la Ligue.
J'ai parle de la Ligue dans le chapilre
precedent; mais je me siiis born^ a rappeler
ce qui s'est fait dans les etats-g^neraux de
1 576. Comme elle reparoitra dans ceux dont
il nous reste a rendre campte, quelle ren-
ferme une grande lecon pour les gouver-
nements, et que nous la verrons un poignard
a la main porter ses mains sanglantesj usque
sur le trone, je vais encore men occuper,
non pour en faire I'liistoire, mais unique-
ment pour signaler son esprit et son but.
Vers I'annee 1 5^5, des bourgeois de Paris,
zeles catholiques, se reunirent dans Tinten-
tion de s'opposer aux progr^s de la reform e.
Cette association, a peine formee, fut dis-
soute, non par le fait du gouvernement qui
ne voyoit pas assez loin dans I'avenir pour
en craindre les suites, mais par I'autorite de
Cliristoplie deTliou, qui, plus clairvoyant
I.')0 ASSEMBLEES RATIONALES
que les ministres, la frappa de son impro-
bation. *
A la meme epoque, des reunions plus ou
nioins considerables, et toutes animees du
meme esprit, avoient lieu sur differents
points du royaume; mais celle qui se forma
dans la Picardie fut la seule qui se maintint.
Voici quelle en fut I'occasion.
Par un article secret du dernier traite de
paix entre les catholiques et les reformes, le
roi avoit promis au prince de Conde le gou-
vernementde la Picardie, et Peronne pour
sa residence. Le marquis d'Humieres , qui
avoit le commandement de cette place, crai-
^o^nant den etre depouille si le traite s'exe-
cutoit, eut recours a I'expedient ordinaire
dans ces temps-la; il proclama et fit publier
par ses agents que la religion courroit le
danger le plus imminent si un gouvernement
de cette importance etoit confix au chef du
parti protestant.
Comme le marquis d'Humieres etoit a
la tete de la noblesse, qui dans cette pro-
vince ^toit aussi riclie que nombreuse, il
parvint a engager dans son parti un assez
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. l5l
grand nombre de gentilsliommes qui con-
vinrent dun traite d'union dont le but ap-
parent etoit la defense de la religion catho-
lique.
Par la formule de cette union ( i ) qui devoit
etre sign^e au nom de la tr^s sainte Trinite
par tous les seigneurs , princes , barons ,
gentilsliommes , bourgeois, chaque signa-
taire s'engageoit par serment a vivre et
mourir dans la Ligue pour Thonneur et le
retablissement de la religion, pour la con-
servation du vrai culte de Dieu , tel qu'il
est observe dans la sainte Eglise romaine,
condamnant et rejetant toutes erreurs con-
traires; pour la defense du roi Henri III,
sauf le respect et I'obeissance que des sujets
doivent a leur prince, ainsi qu'il devoit etre
expliqu^ plus au long dans les articles qui
seroient presentes aux procliains etats-ge-
n^raux; enfin pour le maintien des diffe-
rentes provinces du royaume dans tous leurs
droits, privileges, et libertes, telles qu'elles
(i) DbThou, Histoire univ., livre LXIII, tome VII,
page 426.
132 ASSEMBLIES NATIONALES
les possedoient du temps de Clovis, qui le
|)remier de nos rois etablit en France la re-
li^orion chredenne.
On prescrivoit aussi les lois suivantes :
Que cliaque particulier s'engageioit a sacri-
fier ses biens et sa vie meme pour empeclier
toutes entreprises contraires a ravancement
de la sainte union , et a contribuer d'ailleurs
de tout son possible a Ten tier accomplisse-
ment des desseins quelle se proposoit ; que
si quelqu'un des membres de I'union rece-
voit quelque tort ou dommage, quel que fut
ragresseur, et sans egard pour la personne,
on n'epargneroit rien pour en tirer ven-
geance, soit par les voies ordinaires de la
justice, soit meme que pour cela on fut
oblige de prendre les armes; que si par un
inalheur, qu'on devoit prier le ciel de de-
tourner, quelqu'un des unis venoit a rompre
ses engagements , il en seroit puni avec la
derni^re rigueur comme traitre et refrac-
taire h. la volonte de Dieu, sans que pour
cela ceux qui s'emploieroicnt a la juste pu-
nition de ces sortes de deserteurs pussent
cnetre repris, soit en public, soit en parti-
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 53
culier; cju'on creeroit un chef de I'union k
qui tous les autres jureroient ime obeis-
saiice aveup^le et sans bornes; que si quel-
qu'un des particuliers manquoit a son de-
voir, ou faisoit paroitre de Ja repugnance
a sen acquitter, le chef seroit seul le maitre
d'ordonner de la peine que sa faute auroit
meritee; que, dans les villes et a la campa-
{jne, tout le monde seroit invite a se joindre
a la sainte union ; qu'en y entrant on s'en-
ga(5eroit a fournir dans Toccasion de I'ar-
gent, des hommes, et des armes, chacun sc-
ion son f)Ouvoir; qu'on regarderoit comme
ennemi quiconque refuseroit d'embrasser le
parti de la Lijjue, et que le coramandement
seul du chef de I'union antoriseroit a lui
courir sus a main armee; que si entre les
unis il arrivoit des querelles, des contesta-
tions, ou des proems, le chef seul en decide-
roit, sans que pour cela on put recourir a la
justice ordinaire sans sa permission, et qu'il
auroit droit de punir les contrevenants dans
leur corps ou dans leurs biens, selon qu'il le
jugeroit a propos; enfin on avoit encore
ajoute la forraule du serment que chacun
I 54 ASSEMBLIES NATION ALES
des unis devoit prononcer sur les saints
Evanj^iles en s'engageant dans le parti.
Telle fat, dit le president deTliou(i),
Torifjine de cette Ligue abominable, qui ne
tendoit a rien moins qua renverser tous les
droits divins et humains.
D^ja toute la noblesse et les villes de Pi-
cardie, anim^es par les ^missaires des Guise,
et soutenues par Tex em pie du seigneur d'Hu-
mi^res, avoient signe la Ligue-, mais il fal-
loit s'assurer de la ville de Peronne, qui,
par le traite de paix, avoit ete, ainsi que
nous Tavons dit, cedee au prince de Conde
pour lui servir de domicile. On chargea de
cette commission un jeune gentilhomme des
premieres families de la province, nomme
Haplincourt, et il eut ordre de faire signer
I'linion par tous les habitants de cette ville,
d'y commander au nom de la Ligue, etd'em-
pecher le prince d'y mettre le pied. Cette en-
treprise ne deplut pas au roi ; il la regarda
com me une occasion favorable qui le dis-
(i)LivreLXIIT.
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 55
pensoit de satisfaire a ses engagements. Ce-
pendant pour apaiser le prince, en echange
du gouvernement de Picardie, on lui ceda
k I'autre extremite du royaume Saint-Jean-
d'Angely en Saintonge et Cognac en Angou-
mois, en attendant qu'on put lui donner
satisfaction surPeronne.
En meme temps, Louis de La Tremouiile,
due de Thouars, le plus grand seigneur du
Poitou, cedant aussi aux sollicitations des
Guise qui nWoient en vue, disoient-ils, que
la defense de la religion, eut la foiblesse de
signer la Ligue a la tete d'environ soixante
gentilsliommes de la province. Ces exem-
ples se propag^rent, et ce que Ton appeloit
sainte union fit chaque jour de nouveaux
progr^s.
Le roi auroit pu les arreter en usant des
moyens de repression qui etoient encore en
son pouvoir; mais il ne pensoit alors qu a se
relever du dernier edit qui lui avoit ete ex-
torque, et d'ailleurs les mesures energiques
effrayoient son indolence naturclle. Se fai-
sant illusion sur le veritable but de la Li-
gue, il se persuada qu'il detourneroit les
1 56 ASSEMBLIES NATION ALES
coups dont elle menacoit son autorit^ en se
montrant zele catliolique, et des-lors on le
vit se livrer aux pratiques les plus supersti-
tieuses, aller de pelerinage en pelerinage,
et suivre les processions en habit de peni-
tent.
Gette conduite en revelant sa foiblesse
augmenta I'audace des ligueurs, et les pre-
dicateurs porterent Tinsolence jusqua Je
presenter dans leurs sermons comme un
hypocrite s'enveloppant du manteau de la
religion pour lui porter des coups plus as-
sures (i).
(i) Le predicateur de la cathedrale, nomme Poncet,
appela publiquement une nouvelle confrerie de peni-
tents erigee j)ar le roi , la confrerie des hypocrites et
atheisles: a Et qu'il ne soit vrai , dit-il, en propres mots,
j'ai ete averti de bon lieu qu'hier au soir, qui etoit le
vendredi de leur procession , la broche tournoit pour le
souper de ces gros penitents, et qu'apres avoir mange le
gras chapon ils eurent pour collation de nuit le petit
tendronqu'on leur tenoit tout pret. Ah ! malheureux liypo-
crites! vous vous moquezdone de Dieu sous le masqvie,
et portez par contenance un fouet .'i votre ceinture?Ce
n'est pas 4^ par Dieu ou il faudroit le porter : c'est sur
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. iS']
En m^me temps on exposoit aux portes
des eglises et aux coins des rues des tableaux
(|ui representoient les supplices dont on
supposoit que les catholiques etoient punis
en Angleterre et dans les Pays-Bas. Ainsi
serez-vous trait^s, disoient au peuple des
gens apostes, lorsque le roi de Navarre oc-
cupera le trone avec ses heretiques.
Pendant que ces discours et ces images
echauffoient la multitude, le due de Guise
et le roi d'Espagne travailloient par leurs
agents les classes superieures. Ces deux
princes avoient egalemenl besoin dune nou-
votre dos et sur vos epaules, et voiis en estriller tres bien.
II n'y a pasun de vous qui ne I'ait bien gagne. »» Le roi se
contenta de relcguer ce predicateur insolent dans une
abbaye qu'il possedoit, {Journal de Henri III.)
On lit dans Y Esprit de la Ligue, tome II, page 326:
« Les predicateurs debitoient en chaire que le roi aban-
donnoit la cause de Dieu... II y en eut un assez hardi
pour appeler le roi en plein sermon tyran, et ses mi-
nistres , fauteurs d'heretiques. Henri eut dessein de le
punir: il se retint neanmoins, parcequ'il vit le peuple
dispose a le defendre ; ensuile il prit le'parti de paroitre
I'avoir oublie. »
I 58 ASSEMBLlfeES NATION ALES
velle guerre civile; le premier pour se ren-
dre necessaire aux ligueurs, le second pour
mettre Henri III dans I'impuissance de don-
ner des«ecours aux Flamands revokes contre
lui.
Ces coupables manoeuvres rallum^rent
les torches du fanatisme, et bientot se forma
dans Paris une association que je crois suf-
fisamment caracteriser et fletrir en disant
que de son sein est sortie I'execrable faction
des Seize.
A cette association se reunirenttoutes les
societes de la meme nature qui existoient
sur les differents points du royaume; et la
Ligue ne forme plus d^s-lors qu'un tout lio-
mogene, dont le due de Guise, qui en etoit
le chef, dirigera desormais tons les mou-
vements.
Ce prince qui, apr^s la mort de Fran-
cois II, ne s'etoit declare si ouvertement le
chef du parti catholiqueque pour se donner
de I'importance a la cour, entrevitalorsqu'il
pouvoit porter ses vues beaucoup plus loin ,
et le tronc devint I'objet de ses esp^-
rances.
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 Sg
De son cote, Philippe II, qui d'abord n'a-
voit foment^ les troubles du royaume qu a-
fin de mettre le roi dans rimpuissance de
donner des secours aux Flamands, osa se
flatter que, dans I'egarenient ou il voyoit
les esprits, il pourroit faire de la couronne
de France une annexe de celle d'Espaj^ne en
la faisant passer sur la tete de sa fille Isa-
belle, niece de Henri III, et la derni^re du
sang des Valois.
Cependant Henri HI mourant sans pos-
terity male, la loi fondamentale de I'etat, la
loi salique, lui donnoit pour successeur le
roi de Navarre, ce bon Henri IV, si digne
par sa popularite, par son beau caract^re,
par son brillant courage, de r(^gner sur la
France. Mais il n'etoit pas catliolique, et,
sur ce motif, on obtint une bulle par la-
quelle Sixte- Quint, qui occupoit alors le
siege pontifical , proscrivoit le roi de Na-
varre comme heretique, relaps , fauteur
d'heretiques, defenseur public et notoire de
Theresie, et ennemi de Dieu et de la reli-
gion ; le declaroit dechu de tons ses droits su v
cette partie du royaume de Navarre sur la-
l6o ASSEMBLIES NATIONALES
quelle il avoit des pretentions , meme siir la
partie dont il etoit en possession , aussi bien
que sur la principaut^ de Beam, et qu'en
consequence il seroit regarde des ce moment,
et pour toujours, corame prive de tous les
droits et privileges attaches a son ranf>-, et
indigene lui et ses descendants de posseder
jamais aucune principaute, et en particulier
de succeder a la couronne de France.
La ne s'arrete pas la bulle; elle exhorte
Henri III a tenir la main a I'execution de la
sentence quelle prononce, et enjoint k tous
les archeveques et eveques du royaume de
la faire publier dans toules les paroisses de
leur diocese.
La reponse du roi de Navarre ne se fit pas
lono-temps attendre. Peu de jours apres on
vit aFficlier sur les murs des principaux quar-
tiers de Rome un ecrit par lequel ce prince
protestoit contre la sentence prononc^e
contre lui par Sixte-Quint, soi-disant pape
de Rome, s'inscrivant en faux contre les
articles quelle contenoit, et en appelant
comme d'abus au tribunal de la cour des
pairs, a la tete desquels sa naissance I'avoit
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. i6i
plac^. A regard du crime d'h^resie qu'on lui
imputoit k faux, il disoit qu'en cela, saiif le
respect du a sa saintet^, M. Sixte, soi-disant
pape, avoit a tort et malicieusement menti;
declarant qu'il le tenoit lui-m^me pour he-
retique, comnie il s'offroit de le prouver
dans un concile libre et assemble legitime-
ment, et que s'il refusoit de s'y soumettre
comme il s'y ^toit oblige par ses propres lois,
il ne vouloit plus le re(jarder que comme
un excommunie et un antechrist, lui de-
noncant en cette qualite une guerre mor-
telle et irreconciliable.
Gependant il protestoit de nullit^ contre
cet acte, sauf le droit d'exiger, tant de lui
que de sessuccesseurs, une satisfaction con
venable pour Faffront qu'il venoit de faire
a sa personne et a la majeste royale. II ajou-
toit que si les rois ses pr^decesseurs hvoient
su chatier la temerit^ de ces sortes de brouil-
lons, tels qu'etoit Sixte, toutes les fois qu'ou-
bliant le devoir de leyr ministere et con-
fondant mal a propos les droits divins et
humains, ils avoient passe les bornes de
leur pouvoir; comme il ne leur cedoit en
2. II
1 62 ASSEMBLIKES NATIONALES
rien , il esperoit, avec I'aide de Dieu , tirer a
son tour, de lui et de scs successeurs, une
vengeance proportionnee a I'outrage fait au
roi, a la famille royale, a son rang, et a tons
les parlementsdu royaume. II imploroit en-
suite le secours de tons les rois, princes,
villes et republiques de la chretiente, qui
devoient s'interesser a empecher de pareilles
entreprises, et prioit enfin toutes les puis-
sances amies et alliees de la France de se
reunir avec lui contre la tyrannic et I'usur-
pation du pape.
Sixte-Quint, qui n'avoit rien vu de sem-
blable dans I'histoire de ses predecesseurs ,
comprit que le roi de Navarre etoit un do
ces hommes superieurs faits pour donner la
loi, non pour la recevoir, et des-lors il con-
cut pour lui beaucoup d'estime. II disoit
souvent que dans tout le monde il ne con-
noissoit qu'un honime et une femme qui, a
la religion pr^s, fussent dignes de regner,
et a qui il voudroit faire part des grands
projets qu'il meditoit, qui etoient le roi de
Navarre et la reine d'Angleterre. Aussi, quel-
que effort que Ion fit par la suite, il ne fut
DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 63
pas possible d'eDgager Sixte-Quint a con-
courir aux frais de la guerre contre le roi de
Navarre.
Pour ne pas laisser ce precis incomplet,
j'ai du dans ce chapitre anticiper un peu
sur la suite des ^venements. Je reviens aux
etats-gen^raux.
I I
I 64 ASSEMBLIES NATIONALES
GHAPITRE XXXV.
Etats-generaux tenus a Blois en i588.
L'ouverture des ^tats se fit le i6 octobre,
dans la grande salle du chateau de Blois. Le
roi etoit assis sur son trone , ayant a sa droite
la reine sa m^re , la reine regnante a sa gau-
che, et plus has les cardinaux de Bourbon
et de Vendome; Francois de Bourbon,
prince de Gonti \ Charles de Bourbon , comte
de Soissons \ son fr^re Francois de Bourbon ,
due de Montpensier \ les cardinaux de Guise ,
de Lenoncourt, et de Gondyj Gharles de
Savoie, due de Nemours; Louis de Gon-
zague, due de Nevers; Albert de Gondy,
due de Retz, et plusieurs autres seigneurs
et conseillers d'etat. Le due de Guise, en sa
qualite de grand-maitre de la maison du
roi, etoit assis au pied du trone sur un ta-
bouret, tenant a sa main un long baton
seme de fleurs de lis dor, qui etoit la marque
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 65
de cette dignit^, et ayant une contenance
et un air qui attiroient sur lui les regards de
tous ceux de son parti, qui n'etoient qu'en
trop grand nombre dans cette assemblee.
Le roi prononca un discours assez long et
fort eloquent, disent les historiens, dans
lequel il exposa la resolution ou il etoit de
raaintenir son autorite, et de recouvrer celle
qu'il avoit perdue (i).
(i) Henri III eprouvoit ce qui ne manquera jamais
d'arriver aux princes qui ne protegeront pas egalement
tous les interets, toutes les classes, toutes les croyances,
en un mot, tous leurs sujets. Son adhesion a I'union des
catholiques contre les protestants avoit beaucoup affoi-
bli son autorite. II declare aujourd'hui qu'il veut la raf-
fermir, c'est-a-dire que desormais il couvrira tous ses
sujets indistinctement de la meme bienveillance, et
d'une protection egale.
Cette resolution, malheureusement tardive, etoit le
fruit des conseils du premier president Christophe de
Thou. Ce digne magistral, auquel le roi avoit fait de-
mander ce qu'il pensoit de la Ligue, et particulierement,
de I'acte par lequel il s'en etoit declare le chef, avoit
consigne sa reponse dans un memoire dont je transcris
le fragment qui suit :
« Deja le royaume entier retentit du bruit de la Ligue;
" deja presque toutes les villes et les provinces se sont
1 66 ASSEMBLIES NATIONALES
On remarque dans ce discours les passages
suivants :
« Je commence par demander a Dieu qu'il
a daigne m'accorder les lumi^res de son es-
u fait ua devoir d'entrer dans cette monstrueuse associa-
« tion. J'ai averti plusieurs fois sa majeste de se mettre
«en garde contre les assemblees qui se tenoient dans
u cette ville, et contre les desseins seditieux qu'on y for-
(imoit... ; conseils peu ecoutes, soins inutiles, qui n'ont
« ete payes que par une froide indifference du cote de la
«cour, et par la haine de presque tout Paris... Qu'il me
« soit perrais de le dire, le roi, en se declarant le chef
" de La ligue, s'est depouille de la majeste royale; il a
" renonce au droit de n'avoir point d'egal ; il s'est demis
" lui-meme de cette autorite supreme que Dieu et sa
w naissance lui avoient donnee sur tous ses sujets. Quel
w peut etre le but de ces levees de soldats , qui se font
« dans les provinces au nom de I'union..., sinon de
« montrer aux Francois qu'il peut y avoir une autorite
icdistinguee de celle du roi, et assez puissante pour
"former impunement, dans le sein du royaume, un
u nouvel etat?... Je laisse a sa majeste a comprendre les
« suites malheureuses que peut avoir un dessein si liardi...
« JTajouterai seulement qu'on doit regarder ces cora-
i( mencements comme un prelude, par lequel les en-
u nemis du trone veulent eprouver jusqu'ou ira la pa-
« tience du roi, et ce qu'ils peuvent se promettre pour
t' I'avenir. »
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 67
« prit saint, afin que je puisse conduire heu-
u reusement k sa fin le grand ouvi age que
« j'entreprends pour sa gloire, pour la tran-
« quillite de mon royaume, pour le repos
« de mes sujets, et pour repondre a Fattenle
(( de toute la nation , dont le bonheur depend
« du succ^s de cette assemblee. II s'agit au-
« jourd'hui de letablissement de I'^tat et de
(t la reformation des abus
« C'est un usage bien louable etabli par nos
wancetres, et bien propre k affermir I'auto-
(( rite des lois et celle du prince, de con-
Kvoquer des ^tats, qui, de concert avec le
c( souverain, prennent des niesures pour re-
« medier aux abus que les guerres civiles et
« les raalheurs des temps auroient pu intro-
a duire dans le gouvernement. Quoi que
u puissentdire les gens peu senses, et qui ne
((savent pas porter un jugement sain de
uchaque chose, ces sortes d'assemblees ne
« peuvent nuire k la puissance de celui qui
« gouverne ; eiles ne servent au contraire
« qua letablir; car, en rendant aux lois leur
« vigueur, et en les faisant observer, on af-
1 68 ASSEMBLIES INATIONALES
(( fermit le prince sur le trone contre tous les
re efforts de ceux qui oseroient I'outrager.
« Jugez done par-la de la droiture de mes
((intentions; c'est elle seule qui a rompu
(( toutes les mesures des factieux , et qui a
((Conduit ce grand ouvrage a un heureux
((Commencement. Oui, Dieu m'est temoin
(t de Finnocence des demarches que j'ai faites
(( pour procurer cette assemblee. Je n'ai mis
((cn usage ni I'intrigue, ni la brigue, pour
((Oter aux etats leur liberte, et pour cor-
(( rompre leurs suffrages. Vous etes ici pre-
(( sents pour me dementir, et je rougirois si
((j'avols tenu une autre conduite, comme
((doivent rougir tous ceux qui, pour trou-
((bler la tranquillite publique, auroient eu
(( Timprudence et la temerite d'employer de
((semblables moyens pour s'assurer dune
(( assemblee qui nest etablie que pour tra-
(( vailler au bonheur de Fetat, et pour faire
(( inserer dans les instructions dont les pro-
(( vinces ont charge leurs deputes certains
(( chefs qui pourroient etre un obstacle a la
« paix, apr^s laquelle toute la natioVi soupire.
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 69
« Car ne vous ima{|inez pas qu'on doive me
« rendre responsable de tous les maux dont
(f letat est afflige. H y a eii en partie de ma
« negfligence, je ravoiie; je sais que par la
«faute de mes miiiistres il s'est introduit
((plusieurs abus qu'il est n^cessaire de re-
('. former; mais j'y mettrai si boii ordre dans
ula suite, qu'on n'aura lieu de se plaindre
u ni de moi ni des miens; et que ceux qui
« ont ete assez aveugles pour s'eloigner de
«leurs devoirs, et de lobeissance qui m'est
« due, seront forces de reconnoitre leu rs er-
« reurs
« Au reste, puisque le prince est comme
u le tableau sur lequel ses sujets aiment a se
u former, j'ai resolu de mettre un tel ordre
« dans ma conduite interieure et exterieure,
« et dans toute ma maison, que je puisse ser-
«vir de modele k tous ceux qui voudront
(( m'imiter. Pour vous en convaincre par mes
(( actions, vous faire voir comme je suis sin-
« cerement determine a observer tout ce qui
(f sera arrete par cette celeb re compajjiiie, et
« d'ordonner en eel a Tex em pie a tons les
170 ASSEMBLIES NATIONALES
u princes et seigneurs de ma cour, et a tons
u les deputes qui composent cette assemblee,
« je vous declare que je suis resolu de pro-
(f mettre et jurer, apr^s avoir recu le saint
((Sacrement de I'autel, qu'aussitot que j'au-
((rai repondu a vos demandes, et approuve
(( vos resolutions, elles deviendront d^s-lors
(( des lois inviolables dont il ne sera pas per-
« mis a qui que ce soit de s'ecarter. »
Le garde des sceaux, Francois de Mon-
tholon (i), pritensuite la parole, et fit un dis-
(i) Francois de Montholon , second du nom, seigneur
d'Anibervilliers , etc. , appele a reniplir un office de
conseiller au parlement de Paris, prefera la profession
d'avocat, qu'il exerca long-temps, et avec beaucoup de
succes. Henri III lui donna les sceaux. Lors de la pre-
sentation de ses lettres a Tenregistrement, M. I'avocat-
general Seguier dit que ces lettres etoient une declaration
et protestation publique que le roi faisoit a tous les sujets de
son rojaume de vouloir honorer les charges par les hommes,
et nan les hommes par les charges...; que le roi iHeid pu
faire un medleur choix que dudit sieur garde des sceaux... ;
que rien ne se pouvoit ajouler a I'honneur qu'il avail recu
de la cour, laquelle (quand il avoit plaide en qualite d'a-
vocat) n'avoit jamais desire autres assurances de ses plai-
dojers, que ce qu'il avoit mis en avant par sa bouche, sans
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 171
cours qui dut passer alors pour fort eloquent.
J'en extrais ce qui suit.
(( On se plaint de toutes parts de la nd-
((gligence des ecclesiastiques *, de I'indiffe-
(trence avec lacjuelle on adniet aux ordres
(f sacres des sujets indignes, sans s'assurer
(tde leurs moeurs et de leur capacity ; de
u I'avarice et de lambition qui regnent dans
(de clerge; du peu de residence des pas-
« teurs •, enfin , des desordres des monasteres
« ou Ton foule aux pieds la saintete des voeiix
(( les plus solennels II n'y a point
u de moyen plus sur de retablir la subordi-
u nation , et par consequent la tranquillite
udans letat, que d'obliger les ministres de
«la religion a enseigner au peuple, tout de
« nouveau, ce que le pretexte de la religion
« leur a fait oublier
«A legard des seigneurs et des gentils-
(( homines qui coinposent la noblesse du
recourir aux pieces. Apres I'assassinat de Henri III, il
quitta la cour malgre les instances de Henri IV. La tradi-
tion du palais est qu'il reprit niodestement la profession
d'avorat. II mourut en iSqo.
1 7 2 ASSEMBLIES NATION ALES
(( royaume, ils doivent tons concourir a faire
c( le bonbeur de I'etat, cbacun selon son poii-
u voir: la vertu seule est le fondement et le
(c principe du rang distingue qu'ils tiennent
((dans la nation; par consequent, s'ils s'en
« ecartent , ils perdent en meme temps le
((privilege que leur naissance leur avoit
(( donne. C'est a eux a donner au reste du
(( royaume I'exemple d'une soumission par-
((faite aux ordres du roi et des magistrats,
(( par leur probite et leur droiture. »
Le garde des sceaux s'occupant ensuite du
tiers-etat, ajoute: ((C'est lui d'oii se tirent
(( presque tous les magistrats qui rendent la
((justice dans le royaume. On pent done le
((regarder com me le principal fondement
(( de la soci^te et de la tranquillite publique,
(( en sorte qu'on ne pent lebranler sans ren-
((verser en meme temps tout Fedifice qui
« porte dessus. Un empire est etendu a pro-
(( portion de la justice de ses lois et de I'e-
(( quite de ceux qui gouvernent. Fonde sur
(( cette maxime , Fempereur Trajan repondit
((aux Partlies, qui demandoient que FEu-
(( plirate servit de fronti^res aux deux etats,
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 17^
«que r^tendue de Fempire romain ne se
« mesuioit ni pat les fleuves ni par les mon-
((tagnes, et qu'il ne reconnoissoit pour
« bornes que la justice de ses lois. Effecti-
« vement un etat qui n'est point fonde sur la
((justice n'est dans le fond qu'une retraite
(( de voleurs. II i evient cependant tons les
((jours au roi, et on se plaint de toutes parts,
if que I'avarice ou la faveur fait commettre
« une infinite de fautes dans Fadministration
«de la justice; que par la chicane et les mau-
((vais artifices des procureurs, aussi bien
(( que par la negligence des juges , les proems
(( trainent en longueur , au grand detriment
((des parties, et deviennent e tern els ; ou si
(( on parvient enfin a obtenir un jugenient,
(( on sait feluder par quelque nouvelle chi-
((cane, et recommencer la question qui
(( sembloit terrain ee. »
Apres que Montholon cut parl^, Regnauld
de Beaune, archeveque de Bourges, qui
presidoit dans I'absence des cardinaux de
Bourbon et de Guise, fit un discours oii,
apr^s avoir remercie le roi au nom du clerge,
il ajouta qu'apres I'liorrible tempete qui du-
Iy4 ASSEMBLIES NATIONALES
roit depuis vingt-liuit ann^es, le ciel venant
enfin a se montrer plus serein, les etats
avoient recu una grande consolation d'en-
tendre la voix de leur souverain, qui passoit
Nestor en sagesse, et dont I'eloquence etoit
plus douce que celle d'Ulysse ; que proster-
nes a ses pieds, et les bras etendus pour les
embrasser, ils supplioient tr^s humblement
sa majeste de leur tendre de meme ses deux
bras, c'est-a-dire sa justice et sa clemence,
afin qu aide des sages conseils de la reine sa
m^re, qu'on pouvoit dire justement etre une
autre Irene , il put empecher la chute de la
France , qui se voyoit sur le penchant de sa
mine ; la relever comnie ils esperoient qu'il
en viendroit a bout, et lui rendre son an-
cienne splendeur, etc.
Apr^s I'archeveque de Bourges, Claude
de Beaufremont, baron de Senecey, haran-
gua pour la noblesse ; et La Chapelle-Mar-
teau, qui venoit d'etre fait prevot des mar-
chands par les Parisians, pour le tiers-etat.
Tons deux firent de grands eloges de la piete
du roi, et lui offrirent, au nom de leurs
corps, leurs services et leurs conseils pour
DE FRANCE. CHAP. XXXV. I -7 5
travailler k I'extirpation de Th^r^sie, au r^-
tablissement de la religion dans le royaume,
et a la reformation du gouvernement.
Le roi ne tarda pas a reconnoitre combien
pen ces protestations etoient sinc^res de la
part des Guise et de leurs partisans. Ceux-
ci, clioquesde quelques expressions dontle
roi s'etoit servi dans son discours, s'en plai-
gnirent hautement, etdemanderentqu'elles
fussentsupprimeesdanslediscoursimprim^.
Le roi n'ayant pas r^pondu d'une mani^re
satisfaisante, I'archeveque de Lyon s'oublia
jusqu'alui dire que, s'il s'obstinoit a refuser
ce qu'on souhaitoit de lui, la plus grande
partie des deputes abandonneroit les etats,
et qu'il verroit naitre une source de trou-
bles plus funestes encore que ceux qu'il
avoit assoupis. Le roi pique, mais intimide,
dissimula, et ceda aux soUicitations de la
reine sa m^re.
Un procede aussi Strange, pour ne rien
dire de plus, netoit cependant que le pre-
lude du grand drame qui alloit s'ouvrir.
Quelques jours apr^s, les membres de la
sainte-union , tons d^voues au due de Guise,
1^6 ASSEMBLEES NATIONALES
et qui formoient la majorite de lassemblee,
egares par le fanatisme le plus aveu^^^le, de-
clarerent le roi de Navarre ( Henri IV ) indi-
gne de succeder au trone, et d^chu de tous
ses droits a la couronne, comme lier^tique
relaps. Guillaume d'Avanson, archeveque
d'Embrun, fut charge de presenter au roi
cette deliberation, et de le prier de la con-
firmer. Ge prelat, accompagne de douze
deputes de chaque ordre, s'acquitta de sa
commission. Le roi exigea que les etats deli-
berassent de nouveau sur cette affaire ; et il
temoigna le desir qu'avant de se determiner
on deputat au roi de Navarre pour le som-
mer de rentrer dans le sein de I'Eglise.
Mais, sans respect pour I'autorite du souve-
rain, et sans egard pour sa volonte, les etats '
decid^rent qu'une nouvelle sommation etoit
inutile. En consequence I'archeveque d'Em-
brun se rendit de nouveau aupr^s du roi,
et lui annonca que les etats avoient resolu de
ne rien changer a ce qu'ils avoient arrete.
Le due de Guise qui, pour I'execution de
ses grands et desastreux pro jets, avoit int^-
ret a augmenter les embarras du gouverne-
DE FRANCE. CHAP. XXXV. I y 7
ment, persuada aux deputes de prier le roi
d'ordonner la publication du concile de
Trente.
En renouvelant une demande, faite tant
de fois, et toujours rejetee, le due de Guise
avoit un double but. Gette demarche lui
assuroit la reconnoissance de la cour de
Rome, si elle etoit accueillie, et rendoit le
roi odieux a cette meme cour, si la demande
etoit rejetee.
Telles etoient les intentions du due de
Guise ; elles furent trompees. Le roi repon-
dit que I'affaire etoit d'une si haute impor-
tance, qu'avant de s'expliquer definitive-
ment il vouloit qu'elle fut soumise a un
examen approfondi ; et des commissaires
furent nommes pour proceder a cet examen.
Ici je m'arrete pour laisser parler le plus
exact et le plus veridique de tous nos histo-
riens, le president de Thou (i). Nous lisons
(i) Jacques-Auguste de Thou etoit d'une faniille dis-
tinguee principalement dans la magistrature. Des le
commencement du quatorzieme siecle, elle possedoit la
seigneurie du Bignon dans I'Orleanois.
Le premier de cette famille qui s'etablit a Paris fut
2. 1 1
-178 ASSEMBLEES NATIONALES
dans son Histoire nniverselle , livre XXXV :
(( L'avocat-geneial Jacques Despesses ouvrit
c( la conference en posant pour principe que
« les libertes de FEglise gallicane n'avoient
(r jamais ete contestees par aucun concile.
«I1 ajouta qu'elles consistoient en deux
Jacques de Thou. II embrassa d'abord la profession d'a-
vocat. Apres s'y etre distingue pendant quelques an-
nees, il fut fait conseiller, puis president du parlement
en iSaS.
L'aine de ses fils fut le premier pre'sident Christophe
de Thou , pere de Jacques-Auguste de Thou , dont il est
ici question.
II naquit a Paris le 9 octobre i553. Apres de tres
bonnes etudes dans les universites de Paris et d'Orle'ans ,
il voyagea en Italic et en Allemagne. Comme il etoit le
plus jeune des fils de Christophe de Thou, on le destinoit
a I'etat ecclesiastique. Son oncle, Nicolas de Thou, eve-
que de Chartres, qui eut I'honneur de sacrer Henri IV,
le dimanche 27 fevrier 1694, lui avoit resigne tous ses
benefices. Emporte par I'amour de I'etude il abandonna
I'etat ecclesiastique pour la magistrature ; il fut fait
mattre des requetes en i584) et recu en i586 dans
celle de president a mortier. Apres la journe'e des Barri-
cades il alia joindre a Chartres le roi Henri III, qui I'em-
ploya en differentes negociations ; d'abord dans plu-
sieurs provinces de France qu'il s'agissoit de maintenir
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 79
u points principaux, qui etoient : 1° qu'au
« sujet du temporel , les papes ii'ont point
((autorite de faire aucun statut on lefjle-
(( ment dans toutcs les terres de la domina-
« tion du roi tr^s cliretien, et que, sils pas-
(( sent en cela leur pouvoir, les sujets de sa
('. majeste, fussent-ils engap^es dans I'etat
dans le devoir, ou d'y rameiier; puis en Allemagne et a
Venise. II recut dans cette derniere ville la nouvelle de
la mort de Henri III, et se rendit aiissitot aupres de
Henri IV, qui sentit aisement tout le parti qu'il pouvoit
tirer de ses talents et de son zele, II fut employe en iSg'i
a la conference de Surene. II traita dans la suite, pour
les interets du roi, avec les deputes du due de Mercoeur,
le plus ardent et le plus opiniatre des ligueurs. II fut
aiissi un des commissaires catholiques a la conference de
Fontainebleau en 1600, entre I'eveque d'Evreux Duper-
ron, depuis cardinal, et Duplessis-Mornay. A la raort
du fameux Amyot, le roi le nomma grand-maitre de sa
bibliotheque. Pendant la minorite de Louis XIII , il fut
un des trois directeurs generaux des finances nommes
pour remplacer le due de Sully en 1611. Les deux autres
etoient M. de Chateauneuf et le pre'sident Jeannin. C'est
au milieu detantd'emplois importants, d'occupations et
d'agitations, qu'il parvint a elever le plus beau et le plus
grand monument de notre histoire. II niourut a Paris
en 1617.
\-2.
1 8o ASSEMBLEES NATIONALES
« ecclesiastiqiie, ne doivent point leur obeir ;
« 2° que, quoiqu'on reconnoisse en France
« qu'en mati^re de religion le pape a une
« autorite superieure , il n'a cependant ja-
(tmais eu dans le royaume une puissance
« absolue et sans bornes; mais que son pou-
(( voir y a toujours ete limite par les canons
« des anciens conciles recus par la nation ,
« qui servent comnie de barri^re contre les
« entreprises du saint-siege. C'est en ces ter-
« mes , continua-t-il , que I'universite de
((Paris, qui, par son zele pour la conserva-
(( tion du depot de la foi, a merits d'etre re-
((gardee comnie I'oracle de la chretiente,
((s'en est expliquee lorsqu'elle s'opposa a
(( I'enregistrenient des bulles accordees par
(( le pape a Georges, cardinal d'Aniboise.
(( Le cardinal de Gondy et I'archeveque de
(( Lyon interrompirent successivement Des-
((pesses, et s'emport^rent contre lui en in-
(( vectives; mais ce magistrat, par des repar-
((ties egalement justes et piquantes, leur
(( imposa silence. Lansac prit la parole. II fit
(( un magnifique eloge du concile de Trente,
(( et il sou tint que tout le monde etoit oblige
DE FRANCE. CHAP. XXXV. l8l
de s'y soumettre. Puisque je parle ici , lui
dit Despesses, pour la defense des droits
dii roi etde la nation, permettez-moi d'user
du meme privilege dont d'autres ont deja
use a mon e(jard, et de vous interrompre.
A])prenez-moi, je vous prie, si vous pen-
siez ainsi qua present, lorsquevous assis-
tates au concile en quality d'ambassadeur
de France. Lansac ayant repondu qu'alors
comme depuis il avoit toujours parle de
cette assemblee avec le plus grand respect,
I'avocat- general tira des lettres, et lui
demanda s'il les reconnoissoit pour etre de
lui. Elles ne furent point desavouees par
Lansac, et Despesses en fit faire tout liaut
la lecture. Dans ces lettres ecrites a Andre
Guillart de Lille, alors ambassadeur de
France a Rome, Lansac se plaignoit en
terraes tres amers du concile et des resolu-
tions etranges que Ion y prenoit au preju-
dice des interets du roi etdu royaume. II
disoit que tout le monde etoit indigne de
voir que, tandis que le concile etoit assem-
ble a Trente, lout se decidoit a Rome; que
ceux qui presidoient a I'assemblee en-
i82 ASSEMBLl^ES NATION ALES
(r voyoient an pape une note de tout ce qui
(' etoit propose; et que le souverain pontife/
c( apr^s avoir donne une decision a sa fan-
c( taisie, leur renvoyoit le deci et tout dresse *,
(( enfin que le discours commun des ambas-
« sadeurs etoit que toutes les semaines on
(( envoyoit de Rome aux Peres du concile le
N Saint-Esprit dans une valise.
« Lorsque Henri apprit que les magistrats,
(' charges particuli^rement de la defense de
u ses droits, avoient ete traites d'une maniere
((si indigne par le clerge, il fut infiniment
(^ sensible a ce nouvel outrage. Persuade
(( que ce n'etoit pas seulement aux commis-
usaires que ces coups etoient adresses, il
(' comprit que c'etoit lui-meme que les fac-
u tieux vouloient rendre meprisable dans la
(c personne de ceux qu'il avoit revetus de son
((autorite. Le desespoir, plutot qu'un vrai
<( sentiment de vigueur, se joignant a tant
«de motifs qui I'excitoient a la vengeance,
« il se confirma dans la resolution de se de-
(( faire du due de Guise. »
Cependant les etats ne perdoient pas de
\ ue la profonde misfere dans laquelle le pen-
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 83
pie etoit plonge. L'archeveque de Bourses,
portant la parole au nom des trois ordres,
en mit le tableau sous les yeux du roi, dans
un discours fort long, et qui fut regarde
com me tres eloquent. En voici un frag-
ment:
((Sire, les anciens ont mis et propose un
(( axiorae tr^s certain auquel toutes maximes
(( d'etat se doivent rapporter , toutes conside-
(( rations y doivent tendre, et le bon prince
(( y doit dresser toutes ses pensees et des-
((seins; que le salut du peuple est la loi
((souveraine. II ne se peut conserver sans
(( moyenset argent; celaaussiestbienconnu
(( et assure. Mais si faut-il advouerqu'en toute
(( bonne presupposition naturelle etphiloso-
((phique, il faut premierement etablir la
(( chose, et faut supposer qu'elle soit devant
(( que parler de la conservation et manuten-
(( tion : la chose qui n'est point n'a point de
((qualites, n'a point de circonstances , ne
(( recoit aucunes considerations. Votre peu-
((ple nest plus, il n'y a plus de peuple en
(( France; il est peri ; il n'a plus de substance;
« il n'a plus de vie; et s'il ne vous plait la lui
1 84 ASSEMBLIES NATIONALES
(( remettre, vous n'avez plus de sujets: cest
(t II n corps malade qui a ete trop saigne; il
«le faut un peu laisser respirer et prendre
«sa nourriture-, puis Ton parlera de le sai-
«gner: selou le bras la saignee, commeron
Kdit. Le faut-il done abandonner? non. II
« le faut conserver et remettre sus , mais
« peu a peu selon ses forces naturelles. »
Touche de ces remontrances , le roi fit
leinise dune partie considerable des tailles
arrierees.
Cette concession etoit un grand bienfait;
mais il n'en resultoit qu'un soulagement
momentane ; et I'assemblee, au moins la par-
tie saine de I'assemblee j portoit sa sollici-
tude beaucoup plus loin. Embrassant tout
a-la-fois I'avenir et le passe , elle demandoit
que Ton reformat I'administration et les
finances ; que Ton reduisit les pensions et les
dons excessifs; que tous les dilapidateurs du
tresor public f assent recherches, jug^s, et
sev^rement punis (i); enfin, vivementfrap-
(i) Les etats proposoient d'etablir a cet effet une com-
juission composee de vinj't'-quatre jiiges, dont dix-liuit
DE FIIANCE. CHAP. XXXV. l85
p^e des maux qui d^soloient la France depuis
ie reg^ne de Francois V, I'assemblc^e ^mettoit
Ic voeu que Ion environnat I'autorite royale
de barrieres telles qu'il lui fiit desormais im-
possible de les franchir.
Pendant que ces hautes pensees occu-
poient les deputes, Fassassinat du due de
Guise, et la mort de Catherine de M^dicis
qui eut lieu quelque temps apr^s, jeterent
dans les esprits et dans les affaires une con-
fusion telle que Ton ne s'occupa plus que de
la cloture des ^tats.
Le 4 Janvier, les ordres present^rent au
roi leurs doleances, et jur^rent pour la troi-
si^me fois d'observer ledit d'union.
Enfln le i6 du meme mois de Janvier,
I'assemblee se reunit pour la derniere fois.
L'archeveque de Bourses, devenu president
du clerge par la mort du cardinal de Guise,
porta la parole pour son ordre ; le comte de
Brissac pour celui de la noblesse, et Etienne
Bernard, de Dijon, pour le tiers-etat.
seroient choisis parmi les deputes des etats , et six autres
dans les diffcrents parleinents du royaume.
I 86 ASSEMBLl^ES NATIONALES
Ces discours termines, le roi declara I'as-
semblee dissoute, et congedia les deputes en
leur faisant promettre que, de retour dans
leurs provinces, ils travailleroient de tout
leur pouvoir a maintenir le peuple dans
I'obeissance qu'il devoit a I'autorite royale.
Voici quelques fragments des discours
jyrononces au nom de chacun des trois etats
dans cette derni^re seance.
Vorateur du clerge. uSire, nousreconnois-
sons la bonte naturelle qui reluit en votre
rnajeste par vos actions particuli^res, et par
le temoignage de vos paroles que vous ren-
dez chacun jour a vos sujets ; et croyons que
si votre majeste etoit avertie de I'^tat et pau-
vrete en laquelle sont vos sujets, que par
votre bonte vous les auriez ja soulages, voire
pleure avec eux en leurs calamites et mis^res.
« L'empereur Diocletien . . . interroge par
ses familiers des causes qui I'auroient mii de
se decharger de cette dignite iniperiale, al-
legua, entre autres causes et raisons, la mi-
s^re des empereurs, rois et princes, qui ores
qu'ils soient pleins de bonnes volontes, el
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 187
(lesireux de bien faire envers leurs su jets, ce
neanmoins toutes choses leur sont deguisees
par ceux qui sont aupr^s deux, qui leur fas-
cinent et enchantent les yeux, et etant tous
unis et bandes ensemble, ainsi que plusieurs
tetes en un chaperon, comme Ton dit en
commun proverbe, font que leur roi ne voit
que par leurs yeux, et n'oit que par leurs
oreilles, et n'entend que par leur bouclie,
selon leurs passions et volontes, tellement
qu'ils lui font croire ce qu'il leur plait; ils lui
font hair ceux cju'ils haissent. Ils mettent en
reputation bien sou vent les moins vertueiix
et dignes, reculent et font mepriser les bons
et vertueux
(( Votre raajeste ne salt pas, et ses courti-
sans se gardent bien de lui dire, que I'on'vend
les tuiles et couvertures des maisons des
pauvres qui n'ont autre moyen de payer les
tailles et impositions ; que les prisons en sont
pleines pour la contrainte des paiements, et
ne leur baille-t-on pas du pain, mais meu-
lent de faim en la prison. Une partie des su-
jets de votre royaumc" so retirent rliacun
1 88 ASSEMBLIES NATIONALES
jour aux royaumes et pays voisins pour cher-
clier une vie plus douce, et moyen de se
substanter a la sueur de leurs bras, telle-
nient que, si bientot n'y est pourvu, vous
serez roi dune grande et spacieuse contree
de terres vagues , mais sans liommes et sans
sujets. »
Uorateur de la noblesse. « Sire , votre ma-
jeste a voulu, a Texemple de ses predeces-
seurs, prendre I'avis et conseil des trois
etats et ordres de ce royaume, a ce que, par
le conseil des gens cliretiens Francois, et de
longue et generale experience interesses et
affectionnes en la meme cause, les saintes
intentions de votre majesty soient conduites
a leur fin.
« Sire, la France est travaillee par des ca-
lamites de toutes especes. L'une des princi-
pales est I'heresie : pour remedier a un aussi
grand mal, nous avons reconnu qu'il faut
que nos prelats fassent leur paix avec Dieu
pour moyenner le bien du peuple, et par la
saintet^ de leurs vies, continence, cliarites,
doctrines, et saintes conversations, fermcr
DE FRANCE. CFIAP. XXXV. 1 89
la porte aux scandales, provenants des abus,
nourrissons de I'lier^sie; et par-1^ rendre
leurs char(>es si on ^reuses en toute pi^te
chretienne, que lesmondains, attires par la
porape, delices, et autres choses du tout,
par le devoir eloignes de la discipline eccle-
siastique, desistent de plus entrer en leurs
chaires et cloitres.
(( Votre noblesse francoise vous a toujours
offert«on tr^s humble service, qui ne sera
petit quand votre majeste se servira des
moyens employes par ses predecesseurs.
« Ces moyens sont la force inexpugnable et
incomparable de votre noblesse, reglee he-
r^ditairement, et rangee par regiments de
grands dues et comtes, et par compagnies,
sous les banni^res hereditaires de plus de
six cents barons, qui sont, pourvu qu'il n'y
ait privilege, exemption, m fraude, plus de
cinquante mille chevaux.
(( Commandez done , sire , comme notre
maitre, gouvernez-nous comme roi debon-
naire que vous etes, aimez-nous comme
190 ASSEMBLEES NATIONALES
pere, {jardez-nous corame notre chef, et
soyez ties chretien, souverain general des
tr^s Chretiens; et faites que, comme nous
cherchons avec nos armes ce qui est cor-
rompu en la terre pour le conduire au ciel ,
ainsi messieurs les pr^lats cherchent ce qui
est au ciel pour donner a votre majeste
victoire durable en la terre, n
L'orateur du tiers -etat. uSire, vos tres
humbles et tres obeissants sujets du tiers-
etat de votre royaume, assembles par vos
commandements, louent Dieu et vous ren-
dent grace tout dune meme voix, esprit, et
volonte de reconnoitre, comme ils ont tou-
jours fait, votre ferme Constance, zele, et
sainte resolution h. la defense de la vraie
ancienne religion de leursp^res, seul orne-
ment de votre couronne, et fondement de
votre etat.
« Ils ont aussi occasion de se consoler, et
bien esperer plus que jamais de voir le jour
tant souhaite auquel votre majeste est dis-
pos^e d'ouir leurs plaintes, entendre leurs
remontrances, prendre leurs avis, et rece-
voir leurs humbles supplications.
DE FRANCE. CHAP. XXXV. 191
« Leurs remontrances , sire, pour etre an
bien de votre service, salutaires et profita-
bles au public, ne seront par eux deguisees
de quelque langage affecte.
« lis les veulent et entendent faire sim-
ples, libres, justes, et veritables, sachant
que les anciens avoient accoutume de pein-
dre la verit^ toute nue, pour montrer quelle
vouloit etre ouie vive, et comme a decou-
vert, sans voile, fard, ni ornement quel-
conque ,
« Principalement quand Ton s'adresse aux
rois , que c'est tout un peuple qui parle , et
qu'il y va du salut comraun.
u Nous sommes a cela invites et contraints
d'ailleurs par la franchise des etats, par la
liberte donnee, par la surete promise, ne-
cessitede nos charges publiques, et obliga-
tions particulieres de nos serments; que
quand nous n'aurions vos assurances et pro-
messes, que nous tenons sacrees et inviola-
bles, une seule raison nous pousseroit aux
libres discours de nos plaintes et doleances.
"G'est, sire, qu'ayant le principal interet
a la conservation et restauration de votre
192 ASSEMBLEES NATION ALES
etat, voLis seul aurez jet^ la vue et dresse
prudents conseils pour la convocation des
trois ordres de votre peuple; vrai, ancien,
et ordinaire remede pour sauver et garantir
le royaume de sa mine, decadence, et peril
d'un prochaiu naufrage. »
L'orateur, apr^s cet exorde, porte un ceil
observateur sur toutes les parties de I'admi-
nistration publique; sur la cour, I'Eglise,
I'armee, les tribunaux , la police , et les
finances. II decliire d\ine main bardie le
voile qui couvre tous les abus; et franc et
loyal depute, il les signale tous a la sagesse
et a I'animadversion du roi.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. igj
ft ■*•»/». -v^/* 1
CHAPITRE XXXVI.
Etats-generaux de la Ligue tenus a Paris en i SgS.
Observations sur la loi salique.
Cette assembl^ene futpas seulementille-
gale, elle fut seditieuse, puisqu'elle avoit
pour objet de changer I'ordre de la succes-
sion a la couronne.
Pour que la nation ne reculat pas devant
ce grand crime, on le couvrit du manteau
de la religion, on I'environna de tout ce que
le culte catholique a de plus imposant. Pen-
dant plusieurs jours, un jeune general et
des processions publiques solliciterent le ciel
de s'unir aux factieux.
L'ouverture des etats, qui eut lieu le 26
Janvier, fut precedee d'une messe solen-
nelle dans Teglise raetropolitaine, oil tous
les deputes recurent la communion , et qui
fut termin^e par un sermon prononce par
I'archeveque d'Aix, danslequel on remarque
ces paroles qui serviront de textc aux revo-
2. i?)
194 ASSEMBLlfeES NATION ALES
liitionnaires de tons les temps et de tous les
pays : Jm loi salique est positive et changeable
au gre du legislateur , qui est le peuple francois
en corps (i).
Ce langa{3fe etoit conforme a celiii du car-
dinal de Pelleve, l^gat du saint-siege aupr^s
de la Ligue, qui, dans une proclamation
qu'il avoit fait publier quelques jours avant
I'ouverture des ^tats, avoit ose dire quilfal-
loit eslire un roy qui fust de nom et d'ejfet tres
chrestien et way catholique (2).
(i) Mezerai, Histoire de France, annee iSgS.
(2) Nous lisons dans les Memolres de Hurault de Che-
verny, alors chancelier de France :
"Le cardinal de Plaisance, envoye par le pape Cle-
« ment huictiesme, estant a Paris, estima estre oblige a
» parler parmy tant de declarations, lettres et belles
«( reponses de tous eostez, et fit publier et envoyer par-
« tout une grande exhortation de sa part sur tous les
« catholiques de toutes qualltez, servants et suivants le
«roy, portant le grand tort qu'ils faisoient a leur
« conscience, et a leur honneur, de servir et assister un
tiheretique, voulant prouver par ses raisons ne pouvoir
« estre roy de France, et ainsi les conviant de s'en separer
« pour servir a la conservation de la religion et de cet
ii estat avec les princes catholiques , et autres deputez
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 195
La premiere seance eut lieu dans Tune
des salles du Louvre. L'asserablee ne ful pas
nombreuse. On n'y vit ni princes du san^;,
ni pairs de France, ni grands officiers de la
couronne. ,
Le due de Mayenne I'ouvrit par un dis-
cours que larclieveque de Lyon lui avoil
compose; le cardinal de Peileve paria pour
le clerge; Senecay pour la noblesse, et Ho-
noredu Laurent, avocat du roi au parlement
de Provence, ])our le tiers-elat. «A j>eine,
(( dit Fauteur de I'Esprit de la Ligue, lessean-
(tces ^toient-elles commencees, qu'elles fu-
«rent suspendues, sous pretexte d'expedi-
« tions inilitaires, qui obligeoient le due
« de Mayenne a quitter Paris, niais en effet
"des estats assemblez a Paris, afin de nommer tous
i< unaiiimement un roy qui fust vrainient catfiolique ,
" et doiie des qualitez convenables a cette grandeur, pro-
« mettant par I'authorite de sa saintete tout libre accez
« et siirete a tous ceux qui se voudroient reconnoistre,
« et n'oubliant a remarquer le soin continue! et successif
uqu'avoient eu de la conservation de la religion catho-
" lique, et de cet estat, tous les papes depuis Sixte cin-
" quieme, jusques audit Clement luiirtienie. »
196 ASSEMBLIES NATIONALES
(tparceqiiil se mena^^^eoit une negociation,
« dont les parties interessees vouloient voir
« Tissue avant que d'aller plus loin, et aussi
« parceque les chefs de la Ligue et les Espa-
« gnols n'^toient pas bien d'accord sur le but
« meme des etats. »
Pendant I'absence du due de Mayenne, il
se tint chez le l^gat un conseil compose des
ligueurs les plus influents, dans lequel le
due de Feria, ambassadeur d'Espagne, dit
nettement et sans detours que I'intention
du roi son maitre ^toit que, vu Tindignite
d'Henri IV, heretique relaps, les ^tats decla-
rassent que la couronne de France apparte-
noit de droit a I'infante Isabelle, issue de la
fille ainee d'Henri II, et par consequent de-
venue reine de France par la mort des trois
fils de ce prince.
Le retour du due de Mayenne ayant per-
mis aux etats de reprendre leurs seances,
elles se rouvrirent le 2 avril : Tambassadeur
d'Espagne sy rendit, et fit un tr^s long dis-
cours pour etablir que la couronne apparte-
noit a Isabelle. Une grande partie des depu-
tes embrassa cette opinion: elle passa des
DE FRANCE. CHAP. XXXVl. 197
etats dans les eglises, et toutes les chaires
en retendrent.
Ainsi Ion repoussoit ce bon Henri, que la
nation auroit du choisir pour son roi, lors
raeme que la loi fondamentale de I'etat ne
Tauroit pas appele a regner sur elle.
Sans doute il y avoit encore des coeurs
vraiment francois; mais, glaces d'effroi, ils
gemissoient, et ne parloient pas.
Cependant une voix se fait entendre , c'est
celle du parlement. A la vue du danger dont
le trone est menace, il oublie qu'il est encore
sous la hache de ces memes tyrans qui vien-
nent de le mutiler (i), et, bravant la fureur
(i) Le lundi matin 16 Janvier i589, Bussy-LeclerC, de
procureur devenu gouverneur de la Bastille pour la Li-
gue, entre dans la grande chambre arme d'une cuirasse
et le pistolet a la main. II tire de sa poche une liste,
ordonne a ceux qu'il va nommer de le suivre a I'hotel-
de-ville ou le peuple les demandoit. A la tete etoient le
premier president, Achille de Harlai, et le president de
Thou. // est inutile, interrompit celui-ci , d'en tire davan-
tage ; il n'y a personne qui ne soit pret a suivre son chef.
Tons se levent en meme temps, et suivent I'audaeieux
Bussy. II les mene comme en trioniplie a travers une
lyS ASSEMBLEES NATIONALES
des Seize, et les foudres du Vatican, uil fit
uvoir, dit Mezerai , qu'il eloit infaillible
foule de populace qui poussoit des hue'es insolentes.
Arrives a Thotel-de-ville, lis vouloient s'y arreter; mais
on les fit passer outre jusqu'a la Bastille, et on les y
renferma, Mais lesoiron reUcha ceux qui n'etoient point
sur la liste de Bussy.
Le 16 novembre iSgi, des deputes du conseil des
Douze se rendent ^ la maison du president Brisson. II
sortoit dans le moment pour aller au Palais. lis lui di-
sent que le conseil de I'Union le demande a I'hotel-de-
ville. Brisson se laisse conduire. En passant pres du
Chatelet , ils detournent sa mule, et le font entrer en
prison.
11 y trouve pour premier objet des liommes converts
(Pun roquet noir, sur,lequel il y avoit tine grande croix
rouge. Sans lui donner le temps de se reconnoitre, ils lui
annoncent qu'il faut mourir. L'un lui arrache son cha-
peau; I'autie le fait mettre a genoux; le {ijreffier lui lit
sa sentence. II y etoit dit qu'on le condamnoit a etre
pendu, pour avoir entretenu commerce avec les hereti-
ques, ennemis de la religion et du royaume. Quels sont
mes juges? demande Brisson etonne ; ou sont les teraoins r"
quellessont les preuves? les scelerats se regardent, sou-
rient de sa simplicite, et lui disent de se hater, qu'il n'y
a pas de temps ci perdre , et il fut execute.
A peine etoit-il mort que d'autres satellites amenent
Claude Ijarchet, oonseiller au parlenient, et Jean Tardif,
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 1 99
i( quand il s'agit des loix fondamentales de
(( la monarchic, pour lesquelles il a tou jours
« veille tr^s utileiiient*, car il donna un grand
« arrest (jiii ordonnoit que remontrances
((seroient faites au due de Mayenne, a ce
« qu'il eust a les maintenir, et empesclier
« que la couronne ne fust transportee a des
uetrangers, et d^claroit nuls et illicites tous
((traitez qui avoieut este faits ou qui se
« feroient pour cela , conime estant con-
« traires a la loy saiique ( i). »
conseiller auChatelet, et les livrent aux memes bour-
reaux. Anquetil, Esprit de la Ligue, tome III.
(i) Hurault de Cheverny, alors chancelier de France,
rend le nieme temoignajje a la courageuse resistance des '
magistrats qui composoient la fraction du parlement res-
tee a Paris. Voici comme il s'exprime dans les memoires
qu'il nous a laisses :
« Le vingt-liuitieme du mois de juin iSgS, comme
<( ceux du parlement, demeurez a Paris, cognurent
« les grandes et diverses factions et cabales qui se fai-
"soient aux estats de la Ligue audit Paris, pour pour-
« voir a quelque sorte d'eslection d'un nouveau roy, et
« peut-etre transporter la grandeur et dignite de cette
" couronne es-mains estrangeres au prejudice de la loy
« saiique , et autres loyx fondamentales dc eel estat, se
!200 ASSEMBLIES NATIONALES
Le president Le Maistre, charge de faire
les remon trances ordonnees par cet arret,
reraplit cette honorable et p^rilleuse mission
avec le courage dun veritable magistrat.
Admis a I'audience du due de Mayenne^ il
prononCa le discours que Ton va lire :
(( Nos ancetresont etabli par deux raisons la
(( loi salique. lis ont voulu d'abord empecher
((quelacouronnenepassatadesetrangers;en
(( second lieu , ils ont craint que les Francois,
« cette nation belliqueuse, ne degenerassent
ude la vertu male de leurs p^res, s'ils se
((voyoient soumis a Fempire d'une femrae.
ti resolurent prudemment par divine inspiration de s'op-
« poser avec courage a telle entreprise, et donnerent un
•(arrest sur la requisition des gens du roy audit parle-
(( ment, portant qu'il fust fait remonstrance tres expresse
« par le principal d'entre eux a M. de Mayenne, comme
« lieutenant-general de I'estat et couronne de France, en
« presence de tous les autres princes officiers de la Ligue,
« et principaux du party, a ce que rien ne fust attente au
« prejudice des loyx de ce royaume; ainsi icelles observer
«et respecter par qui que ce fust, declarant ledit arrest
« nul , et de nul effet tout ce qui seroit fait au con-
« traire. u
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 201
wPar les lettres patentes, enregistr^es en
(( parlement il y a quelques mois, vous avez
« vous-meme confirme cette fameuse loi, en
uproinettant de conserver toutes les consti-
«tutions du royaume. La noblesse, qui s'est
n attachee au roi de Navarre , nous croit
« vendus aux Espagnols : celle qui suit notre
« parti sera bientot de la meme opinion ,
(f d^s qu'elle nous verra faire une Election si
ucontraire a nos maxinies; mais, objectera-
«t-on, la puissance et la grandeur de Plii-
ulippe excuseront notre demarche. Quel
((Secours peut-on attendre de ce vieux roi?
« Depuis cinq ans, quel fruit la Ligue a-t-elle
«tir^ de la protection de ce prince? Quels
« progT^s fera-t-il dans un royaume etran-
« ger, lui qui pendant trente ans a inutile-
« ment employe toutes ses forces et toutes
« ses richesses pour reduire les Provinces-
(( Unies ? On ne pent nier que la Ligue n'ait
<( quelques obligations aux Espagnols; mais
u les Espagnols n'ont-ils pas aussi de grandes
(( obligations aux Francois...
u Quant aux calaraites publiques, il est
u inutile de vous en faire le detail, parceque
202 ASSEMBLKES NATIONALES
u vous en avez une eiitiere connoissance, et
« que vous en gemissez vous-meme. Ayez
« done soin d'y remedier au plus tot , de
u crainte que la patienee de ce pen pie, pret
(ca tout souffrir pour la religion, ne se
« tourne en desespoir. Nous savons qu'ayant
« dessein de soulager nos maux, et de secou-
(( rir la garnison de Dreux, reduite aux der-
u nitres extremites, vous n'avez pas rejete
ula treve generale que les royalistes ont
<( offerte ; nous savons aussi que la noblesse
uet le tiers-etat ont suivi votre sentiment,
(( mais que le legat du pape s'est oppose a un
((conseil si salutaire. Est-il vraisemblable
c( que ce cardinal ait agi par les ordres du
c( souverain pontife? Le pape auroit-il desap-
u prouve la treve, lui qui a juge a propos
((den faire une avec Lesdigui^res, et d'em-
((ployer secretement les voies de negocia-
(( tion pour conserver Avignon ?
« Si vous vous servez &i peu de votre puis-
((Sance, et si vous deferez aveuglement aux
(( caprices dun ultramontain , vous avilirez
« I'autorit^ qu'on vous a confiee , vous des-
(( honorerez votre conseil , vous vous rendre/
DE FKANCE. CHAP. XXXVI. 20^^
uvous-meme meprisable, et vous eiifrein-
« drez le seriiient que vous avez fait de de-
u f'endre nos imniuuit^s, qui consistent prin-
ts cipalement a ne point connoitre I'autorite
M du pape et de ses legats dans les matieres
u qui ne sont poin t soumises a la juridiction
<( ecclesiastique n
Quoique le due de Mayenne fut extreme-
men t pique de la liberte de ces remontran-
ces, il se contenta de repondre :
(( Depuis qu on nVa confie le gouverne-
('. ment de I'etat, mon premier soin a tou-
<( jours ete de defendre la religion, et de
« maintenir les lois du royaume. Mais a pre-
« sent il me semble qu'on ne me croit plus
« necessaire, et qu'on veut se passer de moi.
(cDans la place ou je'suis, j'avois lieu de
« penser que le parlement n'auroit rien de-
"cide sur une affaire de cette importance,
'( sans me consulter. Par rapport aux reme-
«des qu'il est necessaire d'apporter aux ca-
a lamites publiques, j'ai d'abord penche du
<(c6te de la treve generale ', mais, en prince
!' catholique, j'ai respecte les avis du legal.
<< All reste je n'ai rien encore decide : je
2o4 ASSEMBLEES NATIOINALES
((ferai tout ce qui me sera possible, et ce
((qui paroitra raisonnable, sur les deux
(( chefs de vos remontrances. n
Le lendemain le president Le Maistre fut
mande chez I'archeveque de Lyon, ou etoit
le due de Mayenne. Alors ce prince eclata :
L injure, dit-il, quon ma faite est trop sen-
sible pour la dissimuler . Puisquon sejoue ainsi
de moi, fai resolu de casser Varret du parle-
ment. L'archeveque de Lyon va vous expliquer
les motifs qui my determinent.
Le prelat traita de temeraire et de sedi-
tieuse la conduite du parlenient. 11 avanca
que cette compagnie n'avoit pu ni du rendre
son arret sans avoir appele les princes et les
pairs. Plusieurs fois il repeta le mot dejouer,
dont le due de Mayenne s'etoit servi. Je ne
puis sans emotion , monsieur, repondit Le
Maistre, vous entendre employer un terme
que mon respect nia empeche de relever lors-
que le prince a parle. En me regardant comme
particulier, vous seriez moins oblige de peser
vos expressions ; mais des que la compagnie
respectable queje represente est blessee par des
termes injurieux , je ne le puis souffrir. Tai
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2o5
toujours admire votre erudition, mais vous
pouvez savoir beaucoup de choses, sans con-
noitre le respect qui est du au parlement [i").
(i) Ce colloque est rapporte avec quelques variantes
dans les Memoires de la Ligue. On y lit, tome 5 : « Sur ce
« M. de Lyon pritla parole, et avec colere remonstra que
(I la cour avoit fait un grand affront audit sieur due d'a-
(( voir donne un tel arrest , qui pourroit causer une di-
« vision entre nous a I'advantage de I'ennemi.
« M. Le Maistre lui repliqua soudain, et lui dit que
« M. le due de Mayenne avoit use de ce mot d'affront,
" qu'il avoit passe sous silence pour I'honneur et le res-
(I pect que la cour lui porteen general et en particulier;
« mais que de lui il ne le pouvoit endurer, pour ce que la
« cour ne lui devoit aucun respect: au conlraire que
« c'estoit lui qui le devoit a la cour, que la cour n'estoit
« point affronteuse, ains composee de gens d'honneur et
II de vertu qui faisoient la justice, et qu'une autre fois il
« parlast de la cour avec plus d'honneur, de respect et
(I modestie.
u M. de Mayenne dit qu'il ne trouvoit point tant
« estrange de tout le corps de la cour que d'aucuns par-
« ticuliers et des plus grands d'icelle, lesquels il avoit ad-
it vancez des plus belles charges et dignitez.
« Ledit sieur Le Maistre lui fit response, que s'il enten-
« doit parler de lui , a la verite il avoit recu beaucoup
« d'honneur de lui estant pourveu d'un estat de president
u en icelle; mais neantmoins qu'il s'estoit tousjours con-
2o6 ASSEMBLEES NATIONALES
Tons les membres dii parlemeiit, lors-
qu'ils fiireiit instruits de ce qui s etoit passe
en cette occasion, donn^rent de grands elo-
ges a la fermete du premier president. Us
promirent de sacrifier leiirs vies, phitot que
de permettre qu'on changeat quelque chose
a lenr arret, et ils charg^rent trois conseil-
lers de signifier au due de Mayenne lenr
resolution (i).
((Serve la liberie de parler franchement, et principale-
a ment des choses qui concernent I'honneur de Dieu, la
((justice, et le soulagenient du peuple. v
Cinq personnes fort notables ont porte le nom de Le
Maistre : Gilles Le Maistre, premier president du parle-
ment de Paris sous Henri II; Jean Le Maistre, juriscon-
sulte celeb re, d'abord avocat, ensuite avocat-general , et
president du parlement; il nedut son elevation qu'a son
merite: il mourut le 22 fevrier 1601; c'est de lui qu'il
est question ici; Antoine Le Maistre, celebre avocat dont
on lit encore aujourd'hui les plaidoyers ; Le Maistre de
Sacy, si connu par ses travaux sur la Bible, et par les
persecutions dont il fut I'objet ; Pierre Le Maistre , avocat
au parlement, et auteur d'un commentaire tres estime
sur la coutume de Paris; mort nonagenaire en 1728.
(1) Je dois ajouter que le ridicule, cette arme si redou-
table dans les n^ains des Francois, et dont les blessures
sont si sou vent mortelles, servit tres efHcarement la
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2O7
Le pailement etoit alors divise en trois
sections, dont une etoit demevir^e a Paris,
cause de la legitimite. On devine bien que je veux par-
ler de cette Satire Menipee, qui , par une fiction fort
ingenieuse, substitue aux discours prononces dans les
etats ce que chaque orateur auroit dit, s'il avoit exprime
sa pensee tout entiere. Get ecrit, avidenient lu , acheva
de faire tomber tous les masques, et le peuple, enfin
eclaire sur le veritable esprit de la Ligue, ne vit plus
dans ses cbefs que des intrigants, des bistrions, et des
fourbes. Voici un exemple de cette espece de travestisse-
ment ; c'est I'arclieveque de Lyon que Ton fait parler.
(I N'est-ce point une chose bien etrange, messieurs les
11 zelateurs, de voir notre union, maintenant si sainte et
« si devote, avoir ete presque en toutes ses parties com-
« posee de gens qui, auparavant les saintes barricades,
<i etoient tous tarez et entachez de quelque note nial sol-
« fiee et mal accordante avec la Justice? Et par une mi-
« raculeuse metamorphose voir tout-a-coup I'atheisme
« ronverty en ardeur de devotion , I'ignorance en science
t( de toutes nouveautez, la concussion en piete et en jeiine,
« la volerie en generosite et vaillance; bref, le vice et
" le crime transmue en gloire et honneur ?
« N'est-ce pas, dis-je, grand cas que vous etiez tous na-
"gueres en Flandre, portant les armes contre les archi-
u catholiques espagnols en faveur des heretiques des
uPays-Bas, et que vous vous soyez si catholiquemenl
ii rangez tout-a-coup au giron de la sainte TJgue roiiiaine,
2o8 ASSEMBLEES NATIONALES
et les deux autres siegeoient, Tune a Tours,
et la troisi^me a Chalons-sur-Marne : toutes,
dans cette grande circonstance, rivalis^rent
de zele, de devouement, et de courage.
Le legat avoit public une buUe, par la-
quelle il exhortoit les laiques a quitter le
parti du roi, et I'ordonnoit aux ecclesiasti-
ques a peine d'excommunication et de pri-
vation de leurs benefices.
Les parlements de Tours et de Chalons
appel^rent comme d'abus de cette bulle, la
declarerent scandaleuse , pleine d'imposture,
tendante a exciter la revoke; et, comme
telle, la condamnerent a etre brulee par la
main du bourreau. Ces cours decreterent le
nonce lui-meme d'ajournement personnel,
et ensuite de prise de corps. Elles promirent
une recompense a ceux qui le livreroient.
(( et que tant de bons matois , banqueroutiers, saffra-
(iniers, desesperez, haut-gourdiers et sargeurs , tous
i( gens de sac et de corde, se soient jetez si courageuse-
« ment en ce saint parti , pour faire leurs affaires , et
" soient devenus catboliques a double rebras? •
De Tnou, Hisloire universe lie , liv. XL.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 209
et defendirent, sous peine de mort, de le
recevoir et de le logger chez soi. Les memes
arrets declaroient criminelsdelese-majeste,
declms de leiirs benefices, tons ceux ((ui pu-
blieroient et souscriroient cette bnlle. lis
defendoient en outre d'envoyer de Targent a
Rome, enfin ils recevoient le procureur-
general appelant an futur concile de Telec-
tion de Gre^^^oire XIV.
L'inebranlable fermete des parlenients,
la jalousie que le due de Guise inspira au
due de Mayenne, quelques autres incidents,
et sur-tout la conversion du roi, en impost-
rent tellement aux factieux, qu'il ne fut
plus question de I'election de I'infante.
Mais cette election n'etoit pas le sen I objet
de la sollicitude du le'gat. II ne deniandoit
pas avec moins d'instance la publication du
concile de Trente : on s'en etoit occupe d^s
la premiere seance.
Cette mati^re ayant ete remise le 9 avril
en deliberation, on nomnia Jean Le Maistre
et Guiliaume du Vair pour examiner les
actes du concile, et pour y remarquer ce
qu'ils renfermoient de contraire aux liberies
2IO ASSEMBLl^ES NATIONALES
de leglise gallicane, aux lois, et aux usages
clu royaume.
Apr^s un miir examen , ces deux commis-
saires, eloignes detout esprit de faction, et
qui avoient autant de probite que de lumie-
res, firent leur rapport. lis observ^rent que
le contenu en la quatri^me session, qui
ordonne que les auteurs et les impriineurs
des livres defendus seront punis par les eve-
ques, etoit oontraire a I'edit donne en i5^i
a Fontainebleau par Henri II, a celui de
Chateaubriant de i55i, et a I'ordonnance
de Charles IX, rendue dans le temps des
^tats-generaux d'Orleans, et renouvelee a
Moulins en 1 566 ;
Que le chapitre premier de la sixi^me
session, qui permet au pape de deposer les
eveques, et den mettre d'autres en leur
place, d^rogeoit aux droits du roi, et au con-
cordat passe entre Leon X et Francois I" ;
Que dans les sessions septi^me, vingt-
uni^me, vingt-deuxi^me, et vingt-cin-
qui^me, les eveques etoient declares execu-
teurs des donations pieuses; qu'on leur don-
noit un droit d'inspection sur les chapitres.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 211
hopitaiix, fabriques, confreries laiques, et
imiversit^s, avec pouvoir den administrer
et d'en sequestrer les revenus, d'exi^er des
comptes, de casser les administrateurs, et
d'en nommer de nouveaux-, mais qu'an con-
traire les edits de i5445 1^45, i546, et i56o,
attribuoient la connoissance de toutes les
affaires de cette nature aux juges royaux;
Que la session vin^t-quatri^me, cliapitre
cinquieme, qui revoque les lettres de privi-
lege, etles jugesconservateurs, sans distinc-
tion des juges eccl^siastiques et des laiques,
detruisoit les dispositions de plusieurs arrets
du parlement^
Que la permission accordee aux eveques
dans cette meme session, cliapitre premier,
d'imposer des peines aux personnes qui con-
tractent des manages proscrits par les lois,
etoit contraire a notre jurisprudence et a
nos usages, suivant lesquels le juge eccle-
siastique ne peut connoitre que du sacre-
ment, et ne doit porter aucun jugement sur
ce qui regarde la dot, les dommages, les in-
t^rets, et la punition ;
Que la session vingft-cinquieme, cliapitre
■ 4-
2 1 1 ASSliMBLEES NATIONALES
iieuvi^nie, etablissoit les evcqnes juges des
contestations mues a Toccasion des droits
de patronafjje tant ecclesiastique que laique,
au lieu que confoi mement au droit francois
et aux arrets des cours superieures, non
seulement le possessoire et le petitoire d'un
droit de patronage laique, niais encore les
actions pour le possessoire ecclesiastique,
doivent etre poursuivis devant les juges
royaux j
Que le chapitre quatri^me de la vingt-
uni^me session, par lequel il est ordonne
que Feveque sera le maitre de detacher une
portion congrue des biens de I'^glise matrice
en faveur des pretres qui desservent les
eglises nouvellement erigees, et que, sil en
est besoin , il contraindra les peuples de
fournir ce qui est necessaire pour la subsis-
tance de ces pretres, contredisoit absolu-
ment nos usages, Tautorite des eveques sur
les laiques etant bornee au spirituel, et no
s'^tendant point sur ce qui regarde le tem-
porel; que par cette session, chapitre hui-
ti^me, il etoit en joint aux eveques de visiter
les presby teres et les batiments qui en de-
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 21 3
pendent, d'yfai re faireles reparations et les
reedificationsnecessaires, et d'y contraindre
les titulaires, meme par sequestre des fruits
des benefices, quecependantles parlements
avoien.t soiivent prononce que les seuls
juges seculiers avoient droit d'ordonner des
saisies ou des sequestres ;
Que I'autorit^ royale et celle des magfis-
trats, qui seuls pouvoient interdire les offi-
ciers royaux, etoientblessees par la disposi-
tion de la session suivante, chapitre dixieme,
laquelle autorisoit les eveques a informer,
comme commissaires du saint-siege, contre
les notaires tant de cour ecclesiastique que
de cour seculiere, a leur faire subir des exa-
mens, eta les suspendre de leurs fonctions;
Que les sessions vingt-troisi^me et vin(]ft-
([uatri^me, cliapitres sixi^me et huitieme,
suivant lesquelles les homines maries, lors-
qu'ils ont ete tonsures, sont soumis a la ju-
ridiction episco])ale, et les eveques peuvent
connoitre de I'adultere et du concubinage,
])ortoient aux droits du souverain une at-
teinte manifeste j
Que la sup[)ression des indults et droits
2l4 ASSEMBLIES NATIONALES
de presentation accord es aux parlements,
aux universites, aux chapitres, etc., ^toit
une disposition faite en haine et au preju-
dice du parlement de Paris;
Que par la session vingt-cinquieme, clia-
pitre troisi^me, il etoit perniis aux commu-
nautes religieuses, meme aux niendiants,a
Texception des capucins, etc., de posseder
des immeubles, quoique leurs constitutions
le leur dependent; et que ces constitutions
ayant ete approuvees et confirmees par plu-
sieurs arrets, on ne pouvoity deroger, si ce
n'etoit de rexpr^scommandementduroi, et
par des lettres paten tes enregistrees ;
Que la disposition du chapitre troisi^me
de la meme session, qui laisse aux eveques
la liberte d'accorder ou de refuser des moni-
toires, et suivant lequel c'est un crime a un
j uge seculier de declarer abusive une excom-
munication, etoit un attentat contre I'auto-
rite des parlements, qui, en cas d'appel
comme d'abus, ont droit d'ordonner que
par provision I'excommunie sera absous ad
cautelam, et de contraindre I'eveque ou ses
DE FRAiNCE. CHAP. XXXVI. 2l5
grands vicaires , par saisie du temporel, de
donner cette absolution ;
Que le concile n'avoit pu excommunier,
ainsi qu'il le fait dans la merae session , cha-
pitre dix-neuvi^me, les princes qui permet-
toient le duel, ni confisquer le lieu ou le
combat se seroit passe, parcequ'on ne pent
oter au roi une partie de son domaine, et
que pour le temporel il ne reconnoit point
de superieur;
Que le cliapitre suivant, dans lequel le
concile ordonne que les saints canons, les
conciles generaux et toutes les constitutions
apostoliques soient exactement observes,
meritoit une restriction, et que, si cette dis-
position avoit lieu, il faudroit admettre tou-
tes les decretales, toutes les extravagantes,
et par consequent toutes les regies de la
chancellerie romaine, dont la plupart ne
sont point recues en France ;
Que I'exception portee par le cliapitre
vingt-unieme de la meme session , lequel dit
que tout ce qui a ete fait dans le concile ne
pourra pre judicier a I'autorite du saint-siege,
2 I 6 ASSEMBLlfiES NATIONALES
etoit contraire a plusieurs arrets, qui out
proiionce qu'il netoit point permis au sou-
verain pontife d'accorder des dispenses dans
ties mati^res decidees par les saints canons
et par les conciles; qu'autant de fois qu'il
avoit paru des brefs, qui contenoient quel-
ques dispositions contraires aux decisions
des conciles, ils avoient ete declares nuls;
que de plus ledit article detruiroit les appels .
com me d'abus (cet heureux moyen qui en
France a toujours conserve dans leur yi-
f^ueur les decrets emanes dune autorit^ si
respectable), et qu'une telle reserve anean-
tiroit insensiblement tous les conciles, sans
en excepter meme le concile de Trente ;
Que les conciles provinciaux et les nietro-
politains etant juges competents des crimes
im[)utes aux eveques, le concile prononcoit
mal-a-propos, dans la treizi^me session, cha-
pitre liultieme, et dans la vin^^jt-quatri^me,
chapitre cinquieme, que les causes crimi-
nelles des eveques seroient portees en cour
de Rome; qu'un tel re^jlement atta([uoit non
seulemen t la uto rite des conciles provinciaux
et des metropolitains, mais encore celle du
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 217
loi et des magistrals, qui seuls soiit juges
competents des cas royaux et privil^gies,
])rivativement an papeet a tousautres eccl^-
siastiques, quoiqiie les accuses soient hono—
res de la dignite episcopale;
Qu'avec aussi peu de fondeinent on
avancoit dans la septieme session, cliapitre
sixieme, dans la vingt-qnatri^me, chapitre
treizi^me, et clans la vingt-cinqui^me, cha-
pitre neuvi^ine, que le pape pouvoit confir-
uier les unions des benefices, quoique faites
contre les regies, et qu'il avoit droit d accor-
der des provisions en forme (jracieuse , puis-
que divers conciles et plnsieurs arrets des
cours superieures annnloient tons actes de
cette nature;
Que dans la session cinqui^nie, cliapitres
premier et second; dans la septieme, clia-
pitres sixieme et liuitieme; dans la vingt-
unieme, cliapitres troisi^me et suivants ;
dans la vingt-deuxieme, cliapitres cincpiieiiie
et sixieme, et dans la vingt-cinqnieme, cha-
pitre neuvieme, h^ concile n'attrihuoit aux
eveques la connoissance de certains cas, que
rouime a de-s commissaires du saint->>iege ;
2 I 8 ASSEMBLl^ES NATIONALES
que de telles decisions repugnoient a la ju-
risprudence francoise, qui rejetoit les com-
missions de la cour de Rome, et ce qui etoit
fait en consequence (i).
Ges remarques furent approuvees de tous
les gens instruits et senses, mais elles scan-
dalis^rent un grand nombre de deputes. Le
legat dissimula le d^pit qu'elles lui caus^-
rent, et il n'en continua pas moins de de-
mander la publication du concile.
(i) II faut joindre a ce rapport le discours prononce,
en presence des peres du concile, par I'eveque d'Auxerre^
Amiot, ambassadeur d'Henri II aupres de cette assem-
blee. Ce discours est rapporte en entier dans VHistoire
universelle du president de Thou, liv. IV. J'en extrais le
fragment qui suit :
« Le roi tres chretien, fils aine de I'Eglise, et qui se
« glorifie de ce titre, qu'il a herite de sesancetres, voyant
« qu'on se comporte a son egard avec tant de passion et
II d'iniquite, ni'a ordonne de faire devant vous la meme
"protestation qu'il a deja fait faire a Rome, et de vous
(( declarer qu'il ne pent ni ne doit envoyer ici les eveques
« de France, ni tenir cette assemblee irrejjuliere , convo-
" quee non en faveur de la religion et du Inen public ,
« mais pour les interets de quelques liommes ambitieux
« qui veulent profiler des troubles ; qu'ainsi ni lui ni
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 219
Cependant le duo de Mayenne vouloit
dissoudre les ^tats, dont iletoit fort m^con-
tent; mais d'un autre cot^ il falloit se de-
barrasser du legat qui soUioitoit toujours,
avec les plus vives instances, la reception
du concile de Trente. Je vais laisser parler
I'auteur de FEspritde la Lig,ue(i): « Leduc,
udit M. Anquetil, apaisa le lefjat en faisant
« renouveler le serment d'union dans les
a les etats de son royaume ne se soumettront aux decrets
« de ce pretendu concile, et qu'il emploiera, au contraire,
« pour les rejeter les moyens dontses predecesseurs se sent
" servis en des occasions semblables; car vous n'ignorez
« pas le droit qu'ont les rois de France sur les choses sa-
il crees, et comment ils I'ont toujours exerce des le com-
« mencement de la monarchic A I'egard des vaines
"menaces et des censures, le roi tres chretien ne les
"craint point II craint encore moins qu'on lance
" un interdit sur son royaume : il sait assez de quelle
« maniere les etats-ge'neraux de France et la faculte' de
« theologie de Paris se sont autrefois comporte's sous
«le roi Philippe-le-Bel contre Boniface VIII; depuissous
« Charles "VI contre Benoit, et enfin contre Jules II sous
" Louis XII, dont la memoire est si chere et si respectable
u aux Francois. »
(i) Tome III, livre VIII.
2 30 ASSEMBLIES NATIONALES
(( etats qui duroient encore. jX'ayant pu en
utirer tout ce qu'il auroit voulu, le prelat
a romaiii souhaitoit du moins y faire rece-
(( voir le concile de Trente. On prit un sin-
« gulier moyen pour le satisfaire sans enj^ja-
(tger les etats. Le lieutenant-general, dans
(( une assemblee solennelle , les prorogea
ajusqu'au mois de septembre , et permit
(( aux deputes de se retirer. Apres cette ac-
ution, par laquelle les etats etoient censes
(( finis, le legat entra. On kit tout haut de-
Kvant lui une ordonnance tou chant la re-
(( ception pure et simple du concile de
(( Trente. II en fit, ainsi que le cardinal de
uPelleve aussi' present, un long remercie-
(( ment aux deputes. II alia ensuite a leur
u tete chanter le Te Deiim dans I'eglise de
« Saint-Germain-rAuxerrois (i)- »
Comme j'ai plusieurs fois parle de la loi
salicjue dans le cours de ce chapitre, je crois
(i) Les etats avoient dure sept mois, clepuis le lo ("evrier
jusqu'a la fin du mois d^aout ing,"^.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 22 1
devoir le terminer par quelqiies observa-
tions sur cette loi.
Chez les anciens Germains les terres etoient
pnbliques. Chaque annee la distribution sen
faisoit aux membres des differentes tribus,
en raison du nombre de leurs troupeaux et
de leurs moyens de culture. Cependant
chaque chef de famille possedoit patrimo-
nialement une habitation et quelques ar-
pents qui en formoient IVnceinte. On don-
noit a cette liabitation et a son enceinte la
denomination de terre salique , et c'est a cette
terre salicjue que les males succedoient a
I'exclusion des femmes.
On ne connoit aucun exemple de deroga-
tion a cette coutume avant Tinvasion des
Gaules.
Mais nous apprenons du moitie Marculfe,
qui ecrivoit sous le i-egne de Dagobert V\
que de son temps le pere avoit la faculte de
rappelerses fdlesa sa succession, et qu'alors
elles ])artageoient avec leurs I'reres, non
seulement les acquets faits par le p^re eom-
mun, mais le domaine dont la conquetc
2 22 ASSEMBLIES NATION ALES
Favoil rendu proprietaire , domaine auquel
on donnoit la denomination d'alleu, et que
Ton regardoit comme subroge a la terre sa-
lique (i).
On ignore si ces derogations a la loi com-
mune etoient plus ou moins frequentes. Les
nuages qui couvrent ces temps recules nous
laissent a peine entrevoir ce qui s'y passoit.
Cependant on peut conjecturer qu'elles
etoient fort rares. En 788 Charlemagne
fit proceder a une nouvelle redaction de la
loi salique, qu'il publia sous le titre de pac-
tum legis salicce; et la disposition qui declare
les filles inhabiles a succeder a la terre sali-
que y est consignee en termes si absolus,
qu'il est difficile de ne pas les regarder comme
exclusifs de toute espece d'exception. Ces
termes, les voici : De terra verb sailed, nulla
portio hcereditatis mulieriveniat, sed ad viri-
(i) La formule de ces rappels est la douzieme du
livre II des formules de Marculfe; elle est term i nee par
ces mots: Ut, tarn de. alode patenia quam de comparato ,
vel quodcumque moriens reliquero , (equali lance cumfiliis
meis germanis tuis, dividereve excequare debeas.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 22 3
lem sexum totius terrce hcereditas perveniat.
Titre 62, article 6.
Le domaine de la couronne etant regarde
comme le plus noble des alleux, et mis
comme tel au rang des terres saliques, la loi
s'appliquoit a la famille royale comme aux
families particuli^res; et relativement aux
femmes, le trone, comme tout ce qui etoit
compris sous la denomination de terres sa-
liques, etoit hors de la succession du dernier
roi.
Si des changements a cet ordre de succ^-
der ont ete quelquefois toleres, si dans cer-
tain es circonstances la volonte du p^re a
prevalu sur celle de la loi , cela ne s'est vu
que dans des families particuli^res , et la
disposition de la loi salique a constamment
r^gle la succession au trone.
Presque tous les rois des deux premieres
races ont eu des filles. La plupart de ces
princesses avoient epouse les seigneurs les
plus puissants d'alors (i). Ces hommes, dont
(i) Clotilde, fille de Clovis, n'eut aucune part a ]a
couronne, et le roi des Visigoths, qu'elle avoit epousee,
2 24 ASSEMBLEES NATIONALES
le courage infatigable et feroce ne respiroit
que la guerre, nauroieut pas manque de
faire valoir les droits de leurs femmes au
ne fit entendre aucune reclamation. — Theodechilde ,
fille du meme Ciovis , et fondatrice du monastere de
Saint-Pierre de Sens, fut traitee comme sa soeur. — Une
autre Theodechilde, fille de ThierrI I", selon Flodoard ,
et mariee au roi des Varnes, selon Procope, subit le
meme sort. — Theodebalde succeda seui a son pere Theo-
debert au prejudice de ses deux sceurs, Regintrude et
Bortoare. — Clirodesinde et Chrotdeberge survecurent a
Childebert leur pere, puisqu'elles eurent apres sa mort
Caribert, leur cousin germain, pour tuteur; cependant
Clotaire, leur oncle, herita du royaume de Paris. — Al-
boin, roi des Lombards, avoit e'pouse Closinde, fille de
Clotaire V ; mais apres la mort de son bcau-pere, Alboin
ne prit aucuncs mesures pour faire valoir les droits de
sa femme. -Ethelbert, roi de Kent, avoit epouse la fille
ainee de Caribert, cpii ne laissa pas de fils; neanmoins
le royaume de Paris t'chut aux collateraux, sans opposi-
tion de la part d'Ethelbcrt. — Gontron avoit deuxfilles,
lorsque se plaignant d'etre sans enfants males, il designa
son neveu Childebert pour son successeur. — Chilperic
avoit perdu tons ses fds ; Basine et Biguntlie lui restoient en-
core lorsqu'il repondit aux ambassadeurs du meme Chil-
debert: Puisque je n'ai pas de posterite masculine, le
roi votre maitre^ fils de mon frere, doit etre mon seal
heritier. Foncemagne, Discours siir la loi salique.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 22 5
trone, s'ils avoient pu leur en soupconner.
Cependant auciin,d'eux, pendant les qnatre
siecles qui se sont ^coules depuis Clovis
jusqiia Tavenement de Ungues Capet an
trone, n'a fait entendre la plus leg^re recla-
mation.
Sous la troisieme dynastie, meme exclu-
sion des ferames, meme silence de leur part;
en un mot, meme respect pour la loi salique.
Depuis le commencement du XIV*^ siecle
jusqu'a nos jours, elle a recu linit fois son
application: i° a la fille de Louis Hutin;
2° aux filles de Philippe-le-Long; 3° k la fille
de Gharles-le-Bel ; 4° aux filles de Louis XI;
5* aux filles de Louis XII; 6" a la fille de
Charles IX; y" a la petite-fille de Henri II,
apres le dec^s de Henri III; 8" a I'auguste
fille de Louis XVI.
Je viens de dire que dans ces huit circon-
stances I'exclusion des femmes n'avoit donne
lieu a aucune reclamation : cela n'est pas
parfaiteraent exact. Apres la mort de Louis
Hutin, qui laissa une fille, le due de Bour-
gogne, oncle de cette princesse, pretendit
que la couronne lui appartenoit: c'etoit la
2. 1 5
2 26 ASSEMBLEES NATIONALES
premiere fois que la difficulte s elevoit; pour
la resoudre, Philippe-le-Long convoqua les
grands du royaume, et dans cette assemblee
il fut decide que la loi salique ne permettoit
pas que lesfemmessuccedassentau royaume
de France.
Cliarles-le-Bel , n'ayant de meme laisse
quune fille, Edouard III, roi d'An^jleterre,
eleva la meme pretention: il etoit, par sa
mere, petit-fils de Philippe-le-Bel , et neveu
du dernier roi, par consequent, plus pr^s
que Philippe de Valois, qui n'en etoit que le
cousin. La pretention d'Edouard, soumise a
une assemblee composee des pairs de France
et dun grand norabre de barons, ne fut pas
jugee meilleure que celle de Jeanne, fille de
Louis Hutin : il etoit male, a la verite, mais
il descendoit dune fille, et la loi salique lui
fut appliqu^e.
Le president Henault, apr^s avoir rap-
porte ce memorable jugement, ajoute : //
en couta la vie a un riche bourgeois de Com-
piegne , nomme Simon Pouillet, pour avoir eu
la temerite de se declarer enfaveur de la pre-
tention d'Edouard III.
DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 227
Le meme sort attend ceux qui imiteroient
le bourfj^eois de Compiegne : il leur est assur^
par Tarticle 87 du Code penal, dont voici
les termes : L'attentat ou le complot dont le
but sera de detruire ou de changer le gouverne-
ment ou Vordre de successibilite au trone sera
puni de mort et de la confiscation des biens.
13.
2 28 ASSEMBLEES NATION ALES
GHAPITRE XXXVII.
HENRI IV ET MARIE DE MEDIGIS.
(iSqS — i6i4.)
Durant cet intervalle, c'est-^-dire pen-
dant plus de vingt ans, les ^tats-generaux du
royaume ne furent pas convoques : il y eut
seulement en 1596 une assemblee de nota-
bles, qui se prolongea en iSgy.
Gette assemblee fut composee des princes,
des seigneurs, et de deputes appeles tant
des principales provinces que du parlemenl
de la cliambre des comptes, de la cour des
aides, du Ghatelet, et de I'liotel-de-ville
de Paris.
Le roi en fit Fouverture le 4 novembre.
Dans son discours il dit, entre autres (i), qu'il
avoit reuni les notables, non pour faire ap-
(i) E^tats-generaux , tome XVI, page 12.
DE FRANCE. CHAP. XXXVII. 229
prouver ses volontes, comme I'avoient fait
ses pr^d^cesseurs aux ^tats-generaux , mais
pour recevoir leui s conseils, pour les suivre,
bref pour se mettre en tutele entre leurs
mains; envie qui ne prenoit gu^re aux rois,
aux barbes grises et aux victorieux. U ajouta
que le violent amour qu'il portoit a ses sujets
lui feroit trouver tout aise et honorable pour
joindre au titre de roi ceux de liberateur et
de restaurateur de 1 elat.
Les notables furent divis^s en trois cham-
bres, qui delib^r^rent chaeune en particu-
lier, et qui se communiquerent ensuite leurs
deliberations en assemblee generale.
Des cahiers furent rediges. On y signala
plusieurs abus et des desordres dans les fi-
nances ; mais les rnqyens indiques pour y
remedier denotoient peu de connoissance
des affaires, et n'etoient pas ])raticables.
Sully fut charge de ce soin, et par une ad-
ministration aussi ferme que prudente, il
justifia pleinement la confiance intime de
son roi.
Apr^s I'assassinat du meilleur, du plus
populaire des souverains, Marie de Medicis
'I'So ASSEMBLliES NATION ALES
ayant et^ declaree reine r^gente pendant la
minorite de Louis XIII, Sully, jalouse, ca-
lomnie, dut bientot quitter les affaires et
s'eloi{juer de Paris. Plusieurs princes et sei-
(jneurs firent de meme. Des-lors la cour chan-
^^ea de face, le gouvernement de inaximes,
les ininistres de desseins. L'ordre etabli sous
le regne du grand Henri fut ren verse , ses
Economies dissipees, ses alliances delaissees ;
le nombre des mecontents devint chaque
jour plus grand, sur-tout parmi les protes-
tants. Les factions se multipli^rent ; la re-
gente en fut extreraement alarmee : elle se
sentoit a la veille de voir renaitre les mal-
heurs dont la France avoit ^te troublee
sous les regnes precedents. Elle assembla le
conseil, qui fut d'avis quil seroit a propos de
convoquer procliainement les etats-gene-
raux du royaume pour y prendre des reso-
lutions convenables au bien public. La
regente se rendit a cet avis, et les lettres
paten tes pour leur reunion furent expediees
au mois de juin i6i4-
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 23 I
CHAPITRE XXXVIII.
jfctats-generaux tenus a Paris en i6i4>
Les ^tats de i6i4 sont les derniers de nos
anciens etats-generaux; leur ouverture eut
lieu avec beaucoiip de solennite. Je donne-
rai quelques details k ce sujet dans le cha-
pitre suivant.
Les lettres patentes exp^diees le y juin
enjoignoient aux provinces de proceder a
Telection des deputes des trois ordres pour
etre reunis le 2 septembre dans la yille de
Sens. Les deputes se disposoient a s'y rendre,
mais le voyage que le roi et la reine regente
firentdans I'intervalle, en Poitou et en Bre-
tagne, pour y apaiser les troubles, eut un
tel succ^s que leurs majestes, en revenant
a Paris, decid^rent d'y tenir les <^tats-gene-
raux.
Le roi declare majeur a treize ans et un
jour en fit I'ouverture par le discours qu'on
va lire :
2 32 ASSEMBLEES NATIONALES
((Messieurs, j'ai desire devouscettegrande
((Ct notable assemblee, au commenceraeiit
(( de ma majorite, pour vous faire entendre
(( I'etat present des affaires, pour etablir un
(( bon ordre, par le moyen duquel Dieu soit
(( servi et honore , mon pauvre peuple sou-
(dajj^e, et que chacun puisse etre maintenu
(( et conserve en ce qui Jui appartient, sous
(( ma protection et autorite. Je vousprie tons,
(( et vous conjure de vous employer comme
((VOUS devez pour une si bonne oeuvre; je
(( vous promets saintement de faire observer
(( et executer ce qui sera resolu et avise en
(( cette assemblee ; vous entendrez plus am-
(( plement ma volonte par ce que dira M. le
(( cliancelier. »
M. le cliancelier de Sillery (i) assis a la
{gauche du roi , sur une chaise sans dossier,
prit la parole, et fit un discours qui dura
(i) Henri IV disoit u que tout pouvoit lui reussir par
le moyen d'un connetable qu'il avoit qui ne savoit pas
ecrire (Henri de Montmorency) et d'un cliancelier qui ne
savoit pas le latin. » II parloit ainsi du cliancelier de Sil-
Icrv. J. Le Laboureur, Mcmoires de Castelnau.
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 233
pr^s dune lieure. Quand il eut fini , il se leva
et alia prendre I'avis du roi et de la reine ;
puis s'etant remis en place, il dit aux depu-
tes en general : Que sa raajeste leur permet-
toit de s'assembler et de dresser leurs ca-
liiers, et que lorsqu ils seroient prets, elle y
donneroit une favorable reponse.
Ensuite le roi fut harangue par Tarclie-
veque de Lyon pour le clerg^e, par le baron
Dupont-de-Saint-Pierre pour la noblesse,
et par le president Miron pour le tiers-etat.
La harangue du president Miron fut assez
longue etfort energique; on y remarqua le
passage suivant :
u Nous remercions tres humblement votre
«majeste de ce quelle daigne donner les
(t premieres actions de sa majorite a ce
(tbon oeuvre, que de s'incliner a entendre
«les plaintes et doleances de ses sujets, et
« porter ses mains innocentes a redresser les
ufautes qu'elle n'a point commises; ains
u nous-memes, par le trop d'aise ou nous
« nous sommes vus plonges par Taboudance
u et delices, causes dune profonde et longue
(( paix pendant I'heureux regne de Ilenri-le-
2 34 ASSEMBLlfiES NATIONALES
((Grand, de sorte que corame insens^s et
aennemis de nous-memes, courant a notre
ttpropre mine, nous avons tire notre inal-
« heur des memes clioses qui devoient operer
u et aFfermir de tout point notre bonlieur;
<( mais qui croira ce paradoxe , trop veritable
u neanmoins , que les vertus ayent entendre
«les vices, et que lexers de la bonte, faci-
« lite et clemence de vos majestes ayent
<( cause par Fimportunite, I'audace, Timpiete
«et I'impunite, a leur suite une infinite de
« maux, une contravention publique a tou-
«tes ordonnances divines et humaines, et
u enfin un devoyement general de toutes
uref^les, en tons les ordres et professions de
«ce royaume?"
Du a-y octobre au 5 novembre on ne s'oc-
cupa que de quelques differents de pre-
seance dans cliacun des trois ordres. lis fu-
rent rej^^les provisoirement jusqua ceque le
conseil cut ordonne sur le principal.
Ledit jour 5 novembre, leveque de Lu-
con (i), accompagne de quatre ecclesiasti-
(T)SifameuxdepuissouslenomdecardinaldeRichelieu.
DE FRANCE. CHAP. XXXVUI. 235
ques se rendit a la cliambre du tiers, et lui
annonca qu'il venoit lui faire part de deux
resolutions prises par le clerj^e : la ])remi^re
de faire preter serment solennel aux depu-
tes de travailler saintenient (pour la gloire
de Dieu, le service du roi, et soulagement
du peuple) aux caliiers, et de ne reveler en
facon quelconque ce qui seroit avise aux
cliambres.
La seconde, de venirdeux fois le jour aux
Aufjustins; a savoir, la matinee depuis huit
lieures jusqua onze; et de relevee depuis
deux jusqua quatre, a la reserve du jeudi
et samedi Tapres-dinee, lesquels jours seroit
donne relaclie pour faire d'autres affaires,
ainsi que chacun aviseroit.
Le president Miron lui repondit que
pour le recjard de la premiere proposition ,
la compaCTiiie n'y pouvoit encore satisfaire,
d'autant que les pouvoirs n'etoient pas veri-
fies; que pour la seconde, la compaonie se
conforraeroit toujours au bon vouloir et in-
tention de MM. du clerge, comme de leurs
peres communs.
Le lendemain I'eveque de Beauvais vint,
236 ASSEMBLEES NATIONALES
egalement au nom de son ordre, proposer
d'extraire des cahiers de chaque depute des
trois ordres tout ce qui , concourant a I'uti-
lite publique, ne concerneroit en particu-
lier ni le clerge, ni la noblesse, ni le tiers-
etat, afin qu'etant d'accord sur divers points,
on put les soumettre au roi, et en obtenir
reponse avant de se separer. Cette proposi-
tion excita de vives contestations; on crut
y voir quel que artifice cache , et le president
Miron jugea a propos de lever la seance, ren-
voyant a en deliberer apres la verification
des pouvoirs.
Pendant ces communications , et quelques
autres de meme nature, Jean, seigneur de
Vertaut, et tresorier de France au bureau
des finances de Chalons-sur-Marne, remit
a la chambre du tiers uue petition dans la-
quell e il exposoit « qu'ayant vu qu'il se fai-
((Soit une levee de deniers dans le pays de
uRetlielois, sans commission du roi qui eut
« passe entre les mains des tresoriers de
« France a Chalons, il auroit fait son possi-
(( ble pour empecher le cours de cette levee
«qui se faisoit contre les formes, au preju-
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 287
«dice de I'autorite royale et du service de
(( sa majest^: ce qui avoit enjjage M. Je due
(cdeNevers, sous Fautorit^ duquel lesdits
adeniers etoient leves, de le faire prendre
(tpar cinq ou six hommes de sa suite, qui
« I'auroient traduitde la ville de Chalons en
(tlamaison de la Cassine, 011 il auroit et^
((trois jours renferme, a la merci de plu-
wsieurs coupe-jarrets, qui lui avoient fait le
« poil etla barbe a moitie, et, I'ayant convert
wd'un coquelucbon de vert et de jaune,
•(d'avoient mene par toutes les villes du Re-
uthelois, etde la conduit a Gharleville, qui
uappartient audit sienr due de Nevers en
((souverainete, la ou etant, les officiers an-
te roient prononce un arret qui portoit que,
((quoique lui suppliant fut digne de mort
« pour avoir dit a plusieurs fois que son al-
« tesse n'etoit souveraine , et par ainsi se se-
tt roit fait criminel de l^se-majeste , nean-
(tmoins, pour certaines considerations, son
(( al tesse lui remettoitla peine de la mort, et
uordonnoit qu'il seroit mene par la ville
« avec la marotte en main et le coqueluchon
ttentete, pour faire con not tre a tons la folie
238 ASSEMBLEES NATION ALES
« et indiscretion des paroles pleines de me-
«pris par lui suppliant proferees, avec de-
« fense d'y plus recidiver, a peine de la hart.
« Desquelles paroles, quand bien le suppliant
(tlesauroit dites et proferees, les officiers
« de Charleville n'en pouvoient prendre con-
((noissance, n'ayant delinque dans la sou-
« verainete dudit sieur due, en laquelle il ne
((devoit etre traduit (lui qui etoit officier
«du roi) en mepris et contemnement de
« Fautorite royale. II requeroit done tr^s
ct humblement MM. des etats de s'y joindre
wavec lui, afin den avoir justice de la part
(( du roi. »
Cette lecture fit la plus vive impression
sur toute Fassemblee; mais a cote de Findi-
gnation quelle eprouvoit, se placoit un
sentiment encore plus penible, celui de
Fimpuissance oil elle ^toit, oil se trouvoit
le roi lui-meme d'atteindre les (grands cou-
pables. Au milieu de ces tristes reflexions,
Fheure qui annoncoit la fin de la seance se
fit entendre; les deputes se separ^rent, et
Fon ne revint plus sur cette malheureuse
affaire.
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 289
La meme petition , presentee aux deux
autres chambres, y produisit la meme sen-
sation; mais le resultat fiit le meme, tant
^toit encore imposante la puissance des
ha uts seigneurs.
Apres la verification des pouvoirs , on
proceda a la prestation du serment. Les de-
putes des trois ordres le preterent cliacun
en leur chambre ; le president assis et decou-
vert en prononca la formule en ces termes :
Nous jurons tons en nos ames de bien et
saintement exercer nos charges de deputes, et
y servir le public religieusement y le roi fidele"
ment, et de tenir secret tout ce qui se passera
en cette assemblee.
Tons les deputes debout, decou verts, et
la main lev^e, repondirent: Je le jure.
Les etats ainsi constitues, le lieutenant-
general du bailliage de Xaintes proposa a la
chambre du tiers de supplier le roi, par une
humble adresse, d'ordonner cpi'il fut provi-
soirement sursis a la levee des tailles et au
paiement des pensions. « Eh quoi ! dit-il ,
« nos provinces ne nous ont-elles pas deputes
« vers sa majeste pour representer les mi-
24o ASSEMBLIES NATIONALES
« shres qui les font (jemir et ployer sous le
« faix insupportable de la taille, qui est venu
« a un tel exces, que tons les sujets du roi en
« sont demesui ement opprimes ? ]\'est-ce pas
« la le but de notre delegation ? n'est-ce pas
(cproprement notre fonction de presenter
« les larmes et les pleurs de nos pauvres lia-
((bitants, des miserables laboureurs, et de
((tout le peuple, pour emouvoir a pitie et
(( compassion le coeur du roi, afin que, flechi
« par les gemissements de tant de creatures
{( a lui sujettes, chacun puisse respirer sous
(c la douce servitude de sa domination?
« Mais si le roi etoit force par la necessite
(( de ses affaires de refuser la premiere de ces
((deux demandes, qui est celui qui ne se
(( doive assurer de la seconde ? Y a-t-il bon
(( et fidele sujet qui doive servir son roi sous
(( Fespe ranee dune pension ? Sera-t-il dit
(( desormais que le roi ne sera servi que par
(( ses pensionnaires?
(( II n'est pas messeant de recevoir des li-
((beralites de son prince, mais il les faut
DE FRANCE. CHAP. XXXVIIF. 24 1
« avoir m^ritees-, et cependant tel ne les a
upas m^ritees, ni par vertus ni par actions
V heroi'ques, qui demande des gratifications
«de son prince avec le plus d'importunitc,
« sans avoir la discretion devant les yeux do
(tpenser si les affaires du royaume peuvent
((Supporter Timmensite de tels dons, qui
(( seroient suffisants pour soulager le peuple
(( des foules et surcharges dont il est opprim^.
((Puisque done nous voyons a quel exc^s les
((pensions sont arrivees, n'est-il pas juste et
(( raisonnable den demander la surseance,
(( attendant que par nos cahiers nous en pro-
(( curious la suppression enti^re? ))
Apres quelques debats, il fut arrete que
les deux propositions du lieutenant-general
de Xaintes seroient prises en consideration ,
etcommuniqueesauxdeuxautreschambres.
Gette deliberation etoit a peine terminee
que le president Jeannin, revetu de la qua-
lite de commissaire du roi, se rendit a I'as-
semblee, et rait sous ses yeux I'c^tat des
finances, c'est-a-dire qu'il essaya de lui
faire illusion sur les dilapidations commises
pendant la regence, et de la tromper sur
^42 ASSEMBLEES NATION ALES
les veritables causes de la penurie du tresor
public. La chose n'etoit pas facile.
Henri IV avoit laisse dix-sept millions en
numeraire, et une somme plus considerable
en billets et obligations. En moins de quatre
annees les courtisans avoient devore ce
tresor. Le president Jeannin attribua cet
enorme deficit a des depenses extraordi-
naires, telles que, i° la guerre de Juliers (i);
2° le couronnement de la reine ; 3^* les prepa-
ratifs faits pour son entree a Paris ; 4^ les
frais de deuil et funerailles du roi ; 5° le sacre
du roi regnant ; 6° des gratifications aux
princes et aux grands du royaume, pour les
attacher plus particuli^rement au service
du roi.
(i) Par un traite conclu a Hall, Henri IV s'e'toit en-
gage a fournir dix mille liommes aux heritiers du due
de Juliers pour les aider a recouvrer sa succession, dont
le marquis de Brandebourg et le due de Neubourg s'e-
toient empares. Voila ce que le president Jeannin appe-
loit la guerre dejuillet: une guerre aussi peu importante
ne pouvoit pas avoir occasione des depenses bien consi-
derables.
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 243
La foiblesse de ces palliatifs fit encore
mieux sentir lexers des d^sordres et la ne-
cessite de chercher les moyens d'y remedier.
Bien resolus de n'accoixier aucun nouveau
subside, les ^tats propos^rent de reformer
les depenses de la cour, de siip[>rinier une
partie des pensions, etde les diminiier tou-
tes (i).
(i) Le parlement se joignit aux etats-generaux pour
faire sentir a la cour coinbien il lui iniportoit de prendre
des mesures d'ordre et d'economie. Dans des remon-
trances qu'il fit an roi le i6 mars i6i5, on lit:
(tVotre majeste considerera, s'il lui platt, combien il
importe ai\ bien de ses affaires de regler ses finances;
car le mauvais menage et la profusion causent la neces-
site de charger le peuple de nouveaux subsides , et I'op-
pression des sujets produit les mecontentements , des-
quels naissent enfin les remuements et soulevements des
peuples.
"Sire, la disposition et profusion qui a ete faite en
vos finances depuis le deces du feu roi est incroyable ;
j>endant son regne, le revenu de votre royaumo n'etoit
si grand qu'il est a present, ainsi qu'il sera justifie par
ecrit, s'il est besoin. On acquittoJt neannioins de grandes
sommes, qu'on a cesse de payer depui.*; sa luort a plu-
sieiirs princes, potentats, et republiqucs ctrangeres; et
244 ASSEMBLEES NATION ALES
Ges propositions jeterent la cour dans un
grand embarras : elles etoient trop raison-
nables pour quelle osat les rejeter; et ce-
pendant on ne vouloit pas y souscrire. Un
different, qui s'eleva entre I'ordre du clerge
et celui du tiers, changea la direction des
esprits, et fit perdre de vue les demandes
faites au gouvernement.
Les deputes du tiers-etat avoient arrete
que dans leurs cahiers il seroit insere un ar-
autres s'employoient grands deniers aux batimerits su-
perbes qu'il faisoit; qu'autres depenses assez notoires,
montant toutes lesdites a plus de trois millions de livres
par chacun an, outre et par-dessus tout ce qui se paie
et emploie a pre'sent; et toutefois on mettoit encore tous
les ans en reserve deux millions de livres, qui font cinq
millions et plus, que I'on pouvoit epargner par an de-
puis sa niort, lesquelles quatre annees suivantes mon-
tent a plus de vingt millions de livres, qu'on eut pu
employer a I'achat de votre domaine, acquit etdecharge
de votre majeste.
« Votre majeste reconnoitra toute I'etendue du desor-
dre de ses finances, si elle veut bien observer que les de-
penses, qui auroient du etre moindres pendant sa mi-
norite, ont de heaucoup excedecelles du feu roi. »
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII, 245
tide portant : « que pour arreter le cours de
« la pernicieuse doctrine qui s'introduit de-
upuis quelques annfe contre les rois et
(( les puissances souveraines etablies de Dieu,
« par des esprits seditieux qui ne tendent
uqua les troubler et subvertir, le roi sera
« supplie de faire arreter en lassemblee de
« ses etats, pourloi fondamentale du royaume
« qui soit notoire a tons, que comnie il estre-
uconnu souverain en son etat, ne tenant sa
ttcouronne que de Dieu seul, il n'y a puis-
usance en terre, quelle quelle soit, spiri-
ts tuelle ou temporelle, qui ait aucun droit
«sur son royaume, pour en priver les per-
«sonnes sacrees de nos rois, ni dispenser
(tou absoudre leurs sujets de la fidelite et
«obeissancequ'ilsleurdoivent,pourquelque
<( cause ou pr^texte que ce soit; que tons les
« sujets, de quebpie qualite qu'ils soient,
u tiendront cette loi pour sainte et veritable,
« comme conforme a la parole de Dieu, sans
(( distinction equivoque ou limitation quel-
((conque, laquelle sera juree et signee par
u tous les deputes des etats, et dorenavant
(t par tous les beneficiers et officiers du
246 ASSEMBLEES NATION ALES
u loyaume , avant que d'entrer en possession
« tie leurs benefices, et d'etre recus en leurs
'(offices; tous precepteurs, rejyents, doc-
'.( teurs et predicateurs tenus de I'enseigner
(( et publier; que Fopinion contraire, menae
u qu'il soit loisible de tuer ou de deposer nos
(trois, selever et rebeiler contre eux, se-
((couer le joug de leur obeissance, pour
(cquelque occasion que ce soit, est impie,
(( detestable , contre verite et contre leta-
(( blissement de Tetat de la France, qui ne
u depend iramediatement que de Dieu ; que
u tous les livres qui enseignent telle fausse
« et perverse opinion, seront tenus pour se-
(' ditieux, et damnables, etc. »
Le clerge, qui crutvoir dans cette decla-
ration une atteinte a I'autorite de I'Eglise,
et sur-tout a celle des papes, fit les plus
grands efforts pour en empecher la publi-
cation. 11 s'adressa d'abord a la chambre de
la noblesse. Le cardinal du Perron (i) la ha-
(i) Jacques Davy-du-Perron, d'une ancieune famille
de Normandie, naquit a Geneve le 25 novembre i556.
DE FRANCE. CHAP. XXXVllI. 247
ranf3;ua, et parvint, a force de sopliismes , a
lui faire partagfer son opinion.
Le lendemain, fort de Fadh^sion du se-
cond ordre, I'infatifjable cardinal se rendit
a la cliambre du troisi^me, et, dans nn dis-
cours qui ne dura pas moius de trois heures,
deroula sous ses yeux la doctrine ultramon-
taine, avec tons ses develop pern en ts et toutes
ses consequences. II insista notamment sur
le droit de deposer les rois. Voici quelques
lignes de cette partie de son discours :
Eleve dans la religion reformee, il la quitta pour em-
brasser la religion catholique , et bientot apres I'etat
ecclesiastique. Successivement eveque d'Evreux, arche-
veque de Sens, et grand aumonier de France, Henri IV
lui fit donner le chapeau de cardinal en 1604. Ce cha-
peau, corame on peut en juger par la conduite qu'il
tint dans les etats de i6i4, lui fit perdre le souvenir
des grands et signalesbienfaits qu'il avoit recus de Henri :
en devenant cardinal, du Perron oublia qu'il n'avoit pas
cesse d'etre sujet du roL
Cependant les cardinaux , bien qu'ils aient ete honores de
la dignite du cardinalat , ne laissent pourtant pas d'etre su-
jets a leurs princes , voire meme apres cette dignite acquise,
sont obliges de faire un nouveau serrnent de fidelite au roi ,
pour temoignerque la fidelite qu its ant piree au saint-siege ne
^48 ASSEMBLEES RATIONALES
« Quant a la deposition des lois, j en par-
if lerai hardiment , combien qu a rej^ret
<( neanmoins. Je dirai ce qui est de la
« croyance de I'Eglise, que ce point est pro-
« blematique, et I'a toujours ete en theolo-
« (>ie, qui ne peut etre comprise sous les lois
«politiques', laquelle tlieologie il f'aut dis-
(f tin(juer d'avec I'etat et police temporelle;
« qu'en la France cette question a ete tou-
u jours tenue problematique, et appelons
(( questions problematiques, contre lesquel-
les dec harge pas del' obligation contractee par leur naissance,
et defait les cardinaux nationaux, etant en cour de Rome ,
sont obliges depouser les inter^ts de leurs princes; lui rendre
compte sHlsefait guelque chose a son prejudice et contre les
liberies de I'Eglise gallicane , qui ne sont pas des privi-
leges , des graces , ni des exemptions , mais une longue et
ancienne possession, en laquelle les Francois se sontmain-
tenus; de garder les ordres anciens de la discipline de I'Eglise,
et ne s'en sont departis; de sorte que par quelques bulles ou
signatures, expedites en la chancellerie de Rome , on deroge
a ces anciens etablissements et a la discipline de I'Eglise,
introduite par les conciles generaux, qui sont le^ colonnes
de notre creance : tels actes sont reputes abusifs en France ,
el n\ peuvent etre executes. Memoire de M. i'avocat-gene-
ral Talon, volume IV, pages 5 et 1 1 , edition de lySa
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 2 49
V les de part et cVautre il n'y a decision de
<» TEcriture, de rE{3rlige,niaucun anatheme,
« comnie en pliilosophie nous disons une
« opinion et question probable pour laquelle
<(iIn'yademonstrationnecessaire.EnFrance
« ceuxqui tiennentTaffirmative ne tiennent
«Ies autres pour excommunies, non plus
« que ceux qui tiennent la negative ne sont
« reputes anatli^mes. Si en France la nega-
(' tive est tenue, Taffirmative se tient par les
«quatre parts de la chr^tiente; pour cela
u ni les uns ni les autres ne sont excommu-
V nies et prives de la communion de TEglise,
(( netant jusqu'ici intervenu sur telle ques-
ts tion aucun concile universel. »
Le cardinal termine ce long discours en
demandant au tiers-etat de trouver bon que
V article fut tire et ote de ses cahiers.
Miron, president du tiers-etat, repondit
par un discours improvise, qui etonne par
son erudition, etqui est encore plus remar-
quable par la force des raisonnements. En
voici la conclusion : « L'intention de cette
«compagniea ete de maintenir Findepen-
" dance de la couronne de nos rois, qui ne
25 O ASSEMBLEES NATION ALES
« peut leur etre arracliee de droit par au-
«cune puissance; que sa saintete n'a point
((ce ]JOuvoir; que I'E^ylise ne Fa jamais pre-
(( tendu; que ceux qui ecrivent le contraire
«soient chati^s par les juges seculiers, n'en-
« tendant pas faire une loi eccl^siastique de
« (^ette proposition, mais une re^\e de police,
(( ([ui oblige tous les sujets de sa majeste, de
« quelque condition et qualite qu'ils soient.
« Notre article etant bon (comme la coni-
(( pagnie est resoiue le laisser en son cahier) ,
(( ([uel inconvenient de le dire? et s'il n'y en
« a point, quel danger de le jurer et affirraer
a pour nous tous? Et toutefois la substance
« de Tarticle demeurant, s'il y a, comme j'ai
udit, quelques mots qui vous troublent,
u nous envoyant par ^crit ce que vous desi-
tc rez de nous, j'estime que nous y pourrons
(( nous accommoder, en n'alterant rien tou-
a tefois du sujet de Tarticle. »
Cela se passoit le 3 1 decembre 16 1 4- Des
le 2 Janvier, le ])arlement, informe de cette
lutte, et justement effraye de la doctrine
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 2$ I
professee par le cardinal du Perron, rendit
nil arret portant:
«Ce jour,
M Louis Servin, Mathieu Mole, et Cardin
(' Le Bret, avocats et procureur-g^eneral du
(( roi sont entres, et parlant ledit Servin, ont
(( remontre que, combien par plusieurs ar-
« rets ci-devant donnes avec (^rande et mure
(( deliberation, la cour ait confirme les niaxi-
(( nies de tout temps tenues en France, et
« nees avec la couronne; que le roine recon-
« noit aucun superieur au temporel de son
(( rqyaume, sinori Dieu seul, et que nulle puis-
(( sance na droit ni pouvoir de dispenser ses
« sujets du serment de jidelite et obeissance
(( quils lui doivent^ ni le suspendre , priver, ou
(( deposer de sondit royaume; et moins d'atten-'
(f ter, faire attenter par autorite, soit publique
aou privee, sur les personnes sacrees des rois.
{( Neanmoins ils ont ete avertis que, par dis-
i^cours, taut en particulier qu en public , plu-
(^sieurs personnes se donnent la licence de
« revoquer en doute telles maximes , disputer
« d'icelles , et les tenir pour problematiques ,
252 ASSEMBLEES NATIONALES
do)it peuvent arriver de tres grands incon-
venients, auxquels il est necessaire de pour-
voir, et promptenient ; et attendu que la cour
est assewblee, toutes affaires cessantes , il
lui plaise ordonner que lesdits arrets seront
renouveles , et de rechef publics en tous les
sieges du ressort d'icelle, V audience tenant,
ajin de tenir les esprits de tous les sujets du
ii^oi, de quelque qualite et condition quils
soient, confirmes et certains desdites maximes
ict regies; et pour la surete de la vie du roi,
paix et tranquillite publique , avec defense
i dy contrevenir, sous peines portees par les-
t dits arrets; et quil soit enjoint a tous ses sub-
t stituts enfairefaire la publication et en cer-
itijier la cour au mois, a peine de privation
( de leurs charges. »
((La cour, toutes les chambres assem-
(blees, faisant droit sur les conclusions du
cprocureu I -general, a ordonne et ordonne
<que les arrets du 2 decembre i56i, 29 de-
( cembre 15^45 7 Janvier et 19 juillet iSc^S,
(27 mai, 8 juin, et 26 novembre 16 10 se-
ront gardes et observes selon leur forme
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 253
« et teneiir ; fait defenses a toutes personnes,
« de quelque qualite et condition qu'elles
« soient , d'y contrevenir sous les peines
ttcontenues en iceux, et a cette fin, seront
« publics aux bailliag;es et sen^chaiissees, et
(tautres sieges de ce ressort, a la diligence
«des substituts du procureur-general, qui
(ten certifieront la cour au mois, k peine
« den repondre en leur nom.
uFait en parlement le 2 Janvier 161 5. »
II ne restoit plus aux partisans de la cour
de Rome qu'une seule ressource, celle d'in-
triguer a la cour. Mais comment denaturer
aux yeux du roi les intentions de ses fideles
communes *, et sur-tout comment oser lui
dire : Hatez-vous de proscrire une mesure
dont le resultat seroit votre surete person-
nelle, I'independance de votre couronne, et
la tranquillite de vos peuples?
Ge qu'une pareille demarche avoit d'ex-
traordinaire , pour ne rien dire de plus,
n'arreta pas les ultramontains, et, ce qui
estmillefois plus extraordinaire, ils parvin-
rent a faire rendre un arret du conseil,
2 54 ASSEMBLlfiES NATIONALES
([u'il faut avoir sous les yeux pour y croire.
En consequence je vais le transcrire :
« Le roi ayant entendu les differents
((survenus en Fassemblee des trois ordres
((de son royaume, convoques a present par
(( son commandement en cette ville de Paris,
usur un article propose en la cliambre du
u tiers-etat, et la deliberation intervenue en
ula cour de parlement sur le meme sujet,
(fie second du present mois, oui les remon-
« trances des deputes , du clerge, et de la no-
iiblesse; sa majeste, seante en son conseil,
(( assistee de la reine sa mere, des princes du
«sang, et autres princes, dues, pairs, offi-
u ciers de la couronne, et autres de son con-
« seil, pour bonnes et grandes considerations,
(( a evoqu^ et evoque, a sa propre personne,
u lesdits differents, a sursis et surseoit I'ex^-
((cution de tous arrets et deliberations sur
« ce intervenus •, fait expresses inhibitions
(( et defenses auxdits etats d'entrer en aucune
unouvelle deliberation sur ladite niati^re,
(( et a ladite cour den prendre aucune juri-
« diction et connoissance, ni passer outre en
« la si(>nature et publication de ce qui a ete
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 255
« d^liber^ en icelle ledit jour deuxifeme du
« present mois.
« Fait ail couseil d'etat tenu a Paris le 6
((Janvier i6i5.
La ne s'arreta pas le clerge : croyant que
les circonstances etoient favorables, il in-
sista, de la mani^re la plus pressante, aupr^s
du troisieme ordre, afin qu'il se joignit a lui
pour supplier le roi d'ordonner la publica-
tion du concile de Trente.
L'eveque de Beauvais, envoye a cet effet
a la chambre du tiers-etat, exalta dans un
long discours I'autorite des conciles, sur les-
([uels doit etre appuyee notre foi comme sur
1 evangile raeme , et voulut montrer qu'il ne
portoit aucune atteinte a Fautorite de I'figlise
gallicane et a celle de nos rois.
(( La parole de Dieu est en I'Eglise, dit-il,
(( comme les ames dans leurs corps, et I'E-
(({3rlise dedans les conciles. Le concile de
(( Trente, complet en toutes ses parties, a ete
t( tenu par les memes personnes qui out fait
ules autres conciles. L'autorite de I'Eglise
25G ASSEMBLEES NATIONALES
(( gallicane n'a point recu de coup en ce con-
((cile; ce qui est ordonne pour Tltalie et
(( I'Espagne ne se doit etendre a la France :
((comme pour linquisition, qui est une ty-
urannie pour les consciences, un remede
((extreme et contraire aux edits, le concile
(( n'entend Tetablir en France et parmi nous.
(( Pour ce qui est de la majeste de nos rois,
(( il n'y a rien en ce concile contre Fautorite
(( du roi. Nous sonimes disciples de celui qui
(( a commande d'obeir a Cesar, imitateurs de
(( celui qui a voulu payer le tribut, encore
(( qu'il en fut exempt.
((Nous vous prions done de considerer
(( que I'Efjlise ne se pent maintenir en la
((discipline que par la vigueur de ce con-
(( cile. »
Le president Miron lui repondit en sub-
stance (( qu a I'egard de la doctrine et de la
foi, tout bon catholique tenoit pour article
de foi tout ce qui etoit decide dans ce con-
cile ainsi que dans les autres, et que par
consequent il n'etoit pas besoin d'autre ap-
probation : que pour la police on ne pouvoit
s'y entendre, puisqu elle etoit prejudiciable
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII, 1>57
aux droits de letaf, qu'il y a soixante ans
que ce coDcile avoit ete tenu, et etoit de-
meure en suspeiis; que nous tenons les con-
ciles en France par forme de decrets , n'y
ayant aucun exeniple dans les registres du
parlement on ailleurs de promul(jation de
concile, que celui-la doit d'autant moins etre
recu et public en France, les autres ne I'e-
tantpas, qu'il y a ])lusieurs oppositions for-
jnees par nos rois, chapitres et communau-
tes, dontla discussion m^riteroit une seconde
tenue des ^tats, et que leur cahier ^toit clos ;
que neanmoins messieurs du clerge pou-
voient se mettre «reux-memes dans I'execu-
tion et observation dudit concile ; enfin en
pratiquer les resolutions et documents en re-
tranchant la pluralite des benefices et autres
abus auxquels il a remedie ; que du reste il
seroit fait a messieurs du clerge une reponse
particuliere apr^s la deliberation de la com*
paj>nie. »
Le tiers-etat ayant delibere sur cette pro-
position, les douze gouvernements repon-
dirent, savoir :
Paris et Ile-de-France. Que Ion n'y devoit
2. ^7
258 ASSEMBLEES iNATIONALES
toucher; que ce n'etoit le temps tie le pro-
poser, et que les Francois da present ne sont
pas plus sa^es que leurs predecesseurs; qu'il
y a plus de soixante ans que I'affaire a ^te
mise sur le tapis ; que Ton a eu avis que les
grands personnages qui nous ont precedes
n'ont jamais trouve bon que Ion recut ledit
concile ; qu a. present il y a plus d'occasion
de le refuser.
Bourgogne. DeTavis de I'lle-de-France; et
qu'encore que le concile soit bon pour la foi
fjue nous tenons, neanmoins il ne pent etre
public parmi nous pour la police.
Normandie. Que si le concile se pouvoit
diviser, de le recevoir pour ce qui est de la
foi;-mais pour la police, (ju'il n'y a appa-
rence, et que Ion n'y devoit toucher.
Guienne. Que cette affaire meritoit une
grand e discussion , et devoit etre plus tot pro-
posee pour y aviser ; et en cela nous desirons
croire que nos peres y ont ete fort sages et
retenus, et souimes de leiir avis.
Bretagne. Que la proposition , touchant
le concile de Trente, est une affaire de
grande importance, laquelle ne se pent re-
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 2 59
soudre en si peu de tem|)s qui reste avant la
presentation du cahier; que si le roi nous
permet de nous assembler en corps d'etat,
apr^s la presentation de notre cahier, ils
sont d'avis qu'il en soit dispute et confere
avec MM.de I'Eglise; mais, quant a present,
non.
Champagne. H y a soixante ans que ce
concile a ^te tenu , et jamais n'a ^t^ trouve a
propos d'y toucher, ni de le publier;, et n'y a
apparence qu'en ce temps, et a la veille de
la presentation de nos cahiers, nous en
puissions parler.
Lanquedoc. Ne sont d'avis du concile, pour
ce qui est contraire a I'Eglise de France et
aiix droits de Tetat. ^
Picardie. De I'avis de llle-de-France , et
n'est a propos de parler du concile.
Dauphine. D'avis d'entrer en conferenc^e
avec MM. de I'Eglise, et de modifier le con-
cile en ce qu'il est contre I'etat.
Provence. Que le concile soit recu, sans
prejudice de la liberty de I'Efylise gallicane
et autorite du royaume.
Lyon. Que Ton vient tard demander le
17.
l'.6o ASSEMBLERS NATIONALES
concile; si on Feut propos^ au commence-
ment fles ^tats, on y eut avise.
Orleans. Que Ion n'y pent entendre a
present; que le temps est trop bref, dans le-
quel on puisse decider cette affaire, a la-
quelle nos predecesseurs ont ete soixante
ans sans y pouvoir resoudre.
Toutes les affaires soumises a la delibera-
tion des trois ordres etant enfin terminees,
chacun deux presenta ses cahiers au roi,
qui fit la cloture des etats le 23 fevrier i6 1 5
par le discours suivant : Messieurs , je vous
remercie de tant de peiries qu'avez prises pour
moi depuis quatre mois. Je ferai voir vos ca-
hiers, et les repondrai promptement et favo-
rahlement.
Ainsi finire'nt les etats-f^eneraux de i6i4-
II faut leur rendre la justice de dire qu'ils
sonderent toutes les plaies de I'^tat; mais,
contraries par la cour, ils n'en guerirent au-
cune; cependant il nous reste deiix monu-
ments precieux de leur existence : les remon-
trances qu'ils deposerent au pied du trone,
et la grande et belle ordonnance de 1629 en
quatrecentcinquantearticles,dontplusieurs
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 26 1
ont ^t^ adoptes par les r^dacteurs de notre
Code civil , et font partie de ce bel ouvrage.
L'ordonnance de 1629 est assez connue
pour que je me croie dispense d'en rap-
porter les dispositions; mais comme les re-
niontrances le sont beaucoup moins, je vais
en transcrire quelques fragments; j'ouvre
celles du tiers-etat, et j'y lis: « que dor^na-
vant, de dix en dix ans, il soit fait assembl^e
g^n^rale de votre royaume, "'^ •
((Soit pareillement tenu pour loi fonda-
mentale de I'etat, qu'aucuns sujets de votre
majeste, de quelque etat et condition qu'ils
soient, ne peuvent avoir ligue oii association
en<reeMJC,niautres princes et seigneurs etran-
gers, sinon du gr^ et consentement de votre
majest^, et de quoi ils ne pourront etre de-
charges par aucune lettre de grace.
(( Plaise aussi a votre majest^ de repondre
ft resoudre les caliiers ([ui lui seront pre-
sentes pendant la tenue desdits ^tats, et
avant que les deputes desdits ^tats se s^-
parent;
(' Que pour la negligence de pourvoir par
262 ASSEMBLEES NATIONALES
les archeveqiies et eveques sur les plaintes
qui leur serontf'aites paries paroissiens, des
abus, defaut, et manquement de leurs
cur^s, Ja conuoissance en soit attribuee a
vos juges pour les coniraindre, par saisie du
teraporel, a I'execution de ce quils sont
tenus par les edits et ordonnances;
« Plaise ^ votre majeste de I'CfjIer e t moderer
la depense de sa maison, et d'ordonner qu'a
la fin de cliaqiie trimestre ceux qui sont
charges desdites depenses presenteront a
son conseil un compte fidele et circonstan-
cie de celles (ju'ils auront faites;
(( Et d'autant que plusieurs n'osent se
plaindre des violences et exactions faites
par les {J^ouverueurs et lieutenants., qu'il soit
permis a ceux qui s'en voudront plaindre
d'envoyer leurs plaintes avec lenom de leurs
temoins, clos et sceiles, a vos jwges ordi-
naires des lieux, lesquels seront tenus, a
peine de privation de leurs offices, d'en in-
former, et d'envoyer les informations quils
eii auront faites au procureur-^^^eneral du
parlement de leur ressort, pour y etre
pourvu et leur etre fait justice; n,. > »'
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 263
« Que defense soit aussi faite a tous {^ou-
veineursde places, {yentilshommesetautres,
d'appliquer a leur profit les communes des
villaj^es, et de les vendre, engager, ou bailler
a cens, aux peines portees par les ordon-
nances; et soit ordonne que celles qui ont
ete ainsi usurpees soient restituees promp-
tement avec les fruits ; a quoi le substitut de
votre procureur-general tiendra la main;
(( Qu'aucun ne puisse tenir qu'une seule
charge, soit gouvernement, capitainerie,
lieutenance ou autre, et que par Timp^-
tration de la seconde, la premiere soit de-
claree vacante et impetrable ; et que les
gages et les appointements de la premiere,
eclius depuis I'impetration de 1 autre, soient
ray es et repet^s sur lui ; t . , i . * u .
((Qu'il soit enjoint a tous gentilsliommes
de signer d« nom de leurs families et non
de leurs seigneuries, en tous actes et con-
tra ts, sur peine de faux et d amende arbi-
traire ; < r ' . ,
i « Qu'il plaise a votre majeste, a Texemple
du roi saint Louis et ses predecesseurs, vou-
loir donner audience ouverte a ses sujet*
264 ASSEMBLEES NATIONALES
deux fois la seniaiue, a tels jour et lieure
quelle avisera , pour entendre leurs plaintes
et doleances, et sur icelles pourvoir et leur
faire administrer justice-, comme aussi as-
sister en personne en son conseil, et faire
faire en sa presence ouverture des paquets;
« Que pour r^tablir en son ancienne splen-
deur votre conseil d'etat et prive, il vous
plaise r^uire-a certain nombre modere
les conseillers d'icelui, y appeler personnes
dageetsuffisance requise, etrecommandees
par leurs lonf^^s services, charges, et commis-
sions honorables, tant dedans que dehors le
royaume; et a ce qua I'avenir il puisse etre
plus utilement pourvu an bien de vos pro-
vinces, et votre majeste mieux instruitedes
affaires d'icelles, elle est tr^s humblement
suppliee d'admettre en son conseil un de
chacun des douze gouvernemTpnts de son
royaume, sans toutefois obtenir aucun bre-
vet de ladite charge ni pension ;
uQue votre conseil ne soit dorenavant
occupe de causes et autres affaires qui
gisent en juridiction contentieuse , et les
instances pendantes en icelui soient ren—
DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 265
voyees par-devant les juges qui en doivent
connoitre, nonobstant tous edits, lettres,
declarations, et clauses apposees en faveur
des contrats, fermes et partis faits avec votre
majesty j et qu'a I'avenir, par evocation ou
autrement, il ne puisse prendre connois-
sance de tels differents qui seront traites par-
devant vos juges ordinaires, et par appel en
vosparlements;
((Que tous vos juges et conseillers, tant
descourssouveraines qu'autres, fassent eux-
memes les extraits de leurs proems, sans en
commettre la charge a leurs clercs ;
(( Qu'aucun ne puisse etre admis aiix
charges de prevots des marchands, maires,
echevins, oapitonls, jurats, consuls, procu-
reurs-syndics, pairs bourgeois, controleurs,
sergeiits, majors, capitaines, quarteniers,
clercs, greffiers, receveurs, intendants, gar-
des, commis, portiers, et autres charges des
villes, que par election pure , et sans brigue ;
ne puissent les personnes ecclesiastiques y
etre elues; et soit fait defense aux gouver-
neurs, capitaines des provinces, villes, cita-
266 ASSEMBLEES NATION ALES
delles, et chateaux, ou leurs lieutenants,
eta tons autres qui n'ont voix elective, de
se trouver es-lieuxou se feront iesdites elec-
tions, ni de s'y entremettre directement ou
indirectement ; soient tenus ceux qui seront
elus es-dites charges de villes y resider et y
avoir leur principal domicile: et oii ils ne le
feront soit procede a autre election, sans
que, pour quelque cause ou occasion que ce
soit, Iesdites charges se puissent resigner,
ni meme de p^re a fils; le tout nonobstant
tons privileges, arrets, reglements, et de-
clarations ou coutumes d'aucunes villes a
cecontraires, qui seront casseset revoques. «
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 267
CHAPITRE XXXIX
ET DERNIER.
De la convocation des etats-generaux ; du nombre des
deputes; du mode de leur election; de la nature du
mandat qu'ils recevoient de leurs concitoyens; des
solennites qui accompagnoient I'ouverturedesetats; de
la maniere dont les trois ordres communiquoient entre
eux, et de la forme de leurs deliberations.
Ces details out au jourd hui bien peu d'in-
teret; cependant il faut les connoitre, au
moins superficiellement. En consequence
je vais en donner une idee.
Les etats-gen^raux etoient convoques par
des mandements adresses aux baillis et se-
nechaux(i). Ces mandements exposoient
I'objet de la convocation, et determinoient
le nombre des deputes que chaque ordre
avoit a nommer: pour les faire connoitre
(i) J'ai dit ce qu'etoient alors les baillis dans une note
du thapitre XXVIII.
268 ASSEMBLEES NATIONALES
tous, il suffit d'en rapporter un ou deux.
Voici ceux qui furent donnes ])our la convo-
cation des ^tats de i588 et 1614:
((Notre ame et feal. Ghacun doit con-
((noitrequel a toujoursete notre soin pater-
ae nel enveis nos bons sujets
((Gependantpius alJons avant, plus voyons
(taccroitre nos maux, et toutes choses aller
(( en desordre et confusion
(( Tout considere, nous avons jug^ n'y pou-
(( voir tenir un nieilleur cliemin que celui
((qui a ete pratique par nos predecesseurs
(( rois, lesquels, parmi les grands desordres
((survenus durant leur regne, qui ne se
(( peuvent quasi comparer a ceux qui sont
((main tenant, d'autant qu'ils semblent les
((surpasser, ont recouru a une tenue des
(( etats-generaux du royaume, laquelle se
(( trouve aujourd'hui plus rcquise et neces-
(( saire quelle ne fut oncques.
(( Et, pour cette cause, nous vous avertis-
((sons et signifions que notre volonte et
(( intention est de commencer a tenir les
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 269
« etats-libres et generaux des trois ordres de
« notreditroyaume,auquiiizi^mejoiird'aout
« prochain, en notre ville de Blois, ou nous
« enlendons que se trouvent aucuns des plus
« notables personna^es dechacuneprovince,
((bailliage, et senechaussee, pour, en pleine
« assemblee, nous faire entendre les remon-
« trances, pJaintes, doleances de toutes per-
«sonnes, proposer librement et sans etre
(< melees aucunes prati(pies pour favoriser
« les passions particuli^res de qui que ce
« soit, ce qui sera plus propre et convenable
u pour du tout eteindre et abolir les divi-
(' sions qui sont entre nos sujets, memement
« entre les catholiques, et parvenir a un bon
« et assure repos, avec lequel notre sainte
« religion catholique soit si bien retablie et
« toutes heresies repurfjees et extirpees de
u notre royaume, que nos sujets n'aient plus
u d'occasion d'y craindre changement, tant
«de notre vivant qu'apres notre dec^s. Sur
« toutes lesquelles clioses, et autres qui
« pourront etre mises en avant, pour la re-
« formation de ce qui a ^t^ deprave durant
« le malheur des guerres, tant en I'etat de
270 ASSh;MBLP:ES INATIONALES
( I'Eglise, de la noblesse, tiers-^tat, que de la
(justice, police, et finances, et generale-
(ment pour tout ce qui appartiendia au
( bien universel de notre royaume, nous
entendons prendre une bonne et salutaire
resolution, de laquelle nous ne nous de-
partirons jamais; ains enibrasserons I'exe-
cution avec telle fermete, affection, et
perseverance, que nul respect, quel qui!
puisse ^tre, ne nous en pourrademouvoir:
done pour parvenir a cette notre sainte et
droite intention, nous voulons, vous man-
dons, et tres expressement enjoignons,
que, incontinent la presente recue, vous
ayez a faire publier, a son de trompe et en
public, la tenue desdits etats; et par meme
moyen convoquer et assembler, dedans le
plus brief temps que faire se pourra, tous
ceux des trois etats de votre ressort,
ainsi qu'il est accoutum^ faire, et que ci-
devant s'est observe en cas semblable, pour
conferer et communiquer ensemblement,
tant de remon trances, plaintes, et do-
leances, quedemoyensetavisqu'ilsauronta
proposer en assembl(6e,|jenerale de nosdits
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. .7 I
uetats, sans avoir egard ni consideration k
(( aucune autre chose qua promouvoir ce
uqui sera par iceux juge profitable au bien
« public de notredit royaume, et, ce fait,
« choisir et noramer un d'entre eux de cha-
" cun ordre, selon qu'il est accoutum^, qu'ils
u envoieront et feront trouver audit quin-
ce zi^me jour d'aout prochain, en notre ville
(( de Blois, avec amples instructions et pou-
((voirs suffisants ])Our, selon les bonnes,
« anciennes, et louables couturaes de notre-
f' dit royaume, nous faire entendre, de la
<f part desdits etats, tant leursdites plaintes
'X et doleances, que ce qui leur semblera
« propre et commode pour la restauration
<t de ladite religion catholiqueen son entier,
u et la conservation de notredite autorit^
(< souveraine en sa pristine dignit^ et splen-
" deur, sans laquelle toutes cboses demeu-
(( rent confuses, et generalement tout ce
n qui se pourra mettre en avant pour le bien
« publicde notredit royaume et soulagement
u dun cliacun
wbien resolu de ne nous dispenser dun seul
272 ASSEMBLEES IVATIOiNALES
« point cle ce qu'en uiie si noble assembl^e
((aura ^te par nous deiibere, conclu, et
(orrete. »
Le mandement pour la convocation des
^tats de 1 61 4 est termine de meme, a quel-
ques leg^res differences pres. II porte :
((Nous mandons, ettresex])ressementen-
joignons, que, incontinentia presenterecue,
vous ayez a convoquer etfaire assembler en la
principale ville de voire ressort et juridiction ,
dedans le plus brief temps que fair e se pourra,
tous ceux des trois etats d'icelui, ainsi qu'il
est accoutume et qu'il s'est observe en pareil
cas, pour conf^rer et communiquer ensem-
ble, tantdes remontrances, plaintes, et do-
leances, que des moyeus etavisqu'ils auront
a proposer en assemblee generaledenosdits
etats; et, ce fait, elire, cboisir et nomraer
un d'entre eux de chacun ordre, tous per-
sonna^es de suffisance et integrite, qu'ils
envoieront et feront trouver, en notre ville
de Sens, audit jour dixieme septembre pro-
chain, avec ainples instructions, memoires,
et pouvoirs suffisantspour,selonles bonnes,
anciennes et louables coutumes de ce
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 2'J^
royaume, nous faire entendre, tant leurs-
(iites rem ontra noes, plaintes, et dol^ances,
que les moyens qui leur seront plus conve-
nablespour le bien public, manutention de
notre autorite, soulagement et repos dun
chacun; les assurant que, de notre part, ils
trouveront toute bonne volonte et affection
de faire suivre, observer, et executer enti^-
rement ce qui sera resolu sur tout ce qui
aura ete propose et a vise auxdits etats, afin
qu'un cliacun, en son endroit, en puisse
recevoir et ressentir les fruits que Ton pent
et doit attend re dune telle et si notable as-
seniblee.
« Donne a Paris le dixieme jour de
juin i6i4- "
De ces mandements il resulte, i" que le
roi convoquoit les ^tats-{>en^raux par des
lettres adressees au prevot de Paris, aux
baillis, et aux senechaux; 2** que ces lettres
fixoient le nombre des deputes que chaque
bailliage auroit a nommer ; 3° que les lettres
de convocation indiquoient les objets sur
lesquels I'assemblee auroit a deliberer ;
4° que les deputes recevoient de leurs com-
2. iS
.274 ASSEMBLEES KATIONALES
iiiettaiits un mandat el ties instructions dont
ii lie leur etoit pas permis de s'ecarter.
Le bailii transir.ettoit le raandement dn
roi aux officiers du bailliage dont il etoit le
chef. Ge tribunal donnoit une ordonnance
portant, i" que le niandement seioit consi-
gne dans ses re^istres, public, et affiche
dans toutes les villes de son ressort; 2° qu'il
seroit, a la dilif^^ence du procureur du roi,
notifie a tous les nobles possesseurs de fiefs ;
a tous les ecclesiastiques ayant, par le litre
de leurs benefices, droit de suffra^^e dans les
elections; aux corps tnunicipaux des villes
ressortissantes a sa juridiction : enfin I'or-
donnance indiquoit le jour et le lieu aux-
quels les electeurs se reuniroient pour pro-
ceder anx (^lioix des deputes.
Ges convocations etoient toujours accom-
pagnees d'une proclamation par laquelle le
corps municipal invitoit les habitants a pre-
senter les deraandes et les plaintes qu'ils
pouvoient avoir a Former. Voici une de ces
proclamations; elle est des officiers munici-
paux de la ville de Sens.
DE FHANCE. CHAP. XXXIX. 'l-jj
((On fait a savoir a tous les bourgeois et
(( inarcliands, maitres et gardes des corps
«et communautes des marchandises, jures
((des arts et metiers, et toutes autres per-
((sonnes, de quelque etat, qualite et condi-
(( tion qu'ils soieiit, manants et habitants de
ccette ville et faubourgs, qu'ils aient a rap-
(( porter, ou envoy er en toute liberty, pour
« chacun jour, en I'hotel-de-ville les plaintes,
(^doleances, et remontrances que bon leur
((semblera, lesquelles ils ])Ourront mettre
(( es-inains desdits prevot des marchands et
((cclievins, ou les deputes recevoir lesdites
(( plaintes, ou icelles mettre dans un coffre,
«qui, pour cet effet, sera mis en I'hotel-de-
« ville au grand bureau, ouvert en forme
(( de tronc, pour apr^s etre fait ouverture du
(( coffre par lesdits prevot des marchands,
((^chevins, deputes, et par eux dresse un
((cahier desdites plaintes, doleances, et re-
(( montrances, et sera la presente ordonnance
(( publiee a son de trompe et cj'is [)ublics par
((les carrefours de cette ville et faubourgs,
(( et affich^e anxdits carrefours, places, et
18.
276 ASSEMBLEES NATIONALES
«autres lieux, a ce que personiie n'en pre-
« tende cause d'ignorance.
« Fait au bureau de ladite ville le veiidredi
« vingt-septieiue jour de juin 1 6 1 4- "
En vertu de rordonnance du bailliage,
chaque municipalite convoquoit les notables
de sa commune, c'est-a-dire les juges, les
avocats, les medecins, les notaires, les pro-
cureurs, les chefs des corporations, et autres
notables bourgeois. Dans cette assemblee on
choisissoit un certain nombre d'electeurs.
Les nobles, les ecclesiastiques, et les elec-
teurs des vilies se rendoient au jour et au
lieu indic[ues par I'ordonnance du bailliage
pour I'assemblee generale. A Paris, elle se
tenoit ordinaireraent au palais archiepisco-
pal ou au Palais de justice. Dans d'autres
vilies, on choisissoit quelque maison reli-
gieuse, ou meme I'eglise.
~ Le bailli s'y transportoit assiste des prin-
cipaux officiers de son siege.
Le clerge etoit assis a la droite du bailli ;
la noblesse k la gauche ; le tiers-etat a la
suite de I'un et de I'autre. On y lisoit
les lettres du roi; le procureur du roi en
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 277
requeroit rexecution , et on appeloit tons
les niandes par leur nom ; on prononcoit
defaut contre les absents qu'on ajonrnoit a
huitaine.
Le procnreur du roi ordonnoit ensuite
que chaque ordre se relirat dans un local a
part pour proceder a Telection, apr^s avoir
fait le serinent d'elire geits ajfectionnes au
bien de Vetat, et de prohite reconnue.
Alors on se separoit. Le clerge, dans les
villes episcopales, deinandoit ordinairement
son renvoi devant I'eveque ; dans les autres
villes il suivoit la marche commune. II noni-
moit un president, a moins que le bailli ou
son lieutenant ne voulut assister a ces assem-
blies ; on en trouve plusieurs exemplcs. Le
plus ordinairement ces officiers se joignoient
chacun a I'ordre auquel ils appartenoient ;
ils y presidoient ; ils y recueilloient les suf-
frages que Ion donnoit a voix haute, sur lap-
pel d'ungreffier; ils declaroient la nomination
faite si elle etoit reguliere; ils lannuloient"
si elle etoit vicieuse; ils prorogeoienl I'assi-
gnation s'il y avoit lieu , ou defendoient a
I'assemblee de se separer avant que d'avoir
278 ASSEMBLlfeES NATION ALES
fait Felection si \v service du roi I'exi^yeoit.
Les contestations qui s'elevoient dans les
autres chambres etoient portees devant eux ;
ils s'y ti-ansportoient s'ils le jiigeoient neces-
saire: enfin ils exercoient en tout Tautorite
royale. Le clerge nommoit un ecclesiastique,
la noblesse un noble, et le tiers-etat un no-
table de la bourgeoisie, en sorte que chaque
ordre etoit toujouis represente par Tnn de
ses merabres. Ces operations terrain^es, tons
les electeurs se reunissoient sous la presi-
dence du bailli on de son lieutenant j et apr^s
un recensement public des votes de chacun
des trois ordres, ceux qui avoient obtenu la
majorite etoient proclames deputes du bail-
liage. Le bailli faisoit promettre aux elus de
se trouver an jour present dans la ville in-
diquee par le roi ponr y tenir les etats, et
d'y porter fidelenient les cahiers qui leur se-
roient re mis.
Chaque ordre nommoit ensuite un certain
Tiombre de commissaires pour la redaction
du caliier dans lequel il consignoit les pon-
voi rs et les instructions qu'il jugeoit a propos
de donner a son depute. Quand le travail de
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. II79
res commissaires etoit firii , on convoquoit
<le nouveau I'assemblee fjen^rale |)onr y exa-
miner les cahiers, les arreier, et les signer.
On voit que dans tons ces preliminaires
il nest pas ([uestion des carapagnes; que les
villes seules jonissoient du droit de deputer
aux etats-generanx (1 ), et I'on pent chercher
le motif de cette preference. Cela s'explique
par le deplorable erat an([uel les habitants
des campa^nes, et meme ceux dun fjrand
nombre de villes, ^toient alors reduits.
Attaches a la^lebe, ils etoie^nt en quelque
sorte la propriete de leurs seigneurs; ils
etoient, suivant rex})ression de (|uel(pies
coutumes, du fond et pied de la terre ; aussi
(1 1 r.es etats etant la representation de tout cequi avoit
line propriete libre, il s'ensuivoit que le peuple des cani-
pagnes, tout ce qui etoit sous la dependancc d'un sei-
jfueur n'avoit pas le droit d'y voter : ils etoient repie-
sentes |ar leur seigneur. Ainsi les deputes qu'on appelait
le tiers-etat ne representoient nulleinent tout ce qui ne-
loit ni clerge ni noblesse, niais seulement les villes,
parcequ'il n'y avoit qu«! les villes oil Ton reconnut des
droits a ceux qui n'etoient ni occlesiastiques ni gentils-
honmies. Ilisfoire fir Brptagne, par M. Dam, page 335*.
28o ASSEMBLIES NATION ALES
dans le vieuxlan^age lesappeloit-on hommes
de pote; homines alienee potestatis; certes,
I'idee d'elever a des fonctions publiques des
liommes ainsi degrades ne pouvoit pas se
presenter a Fesprit; mais les seigneurs re-
presentoient leurs sujets et votoient I'impot
en leur nom et pour eux. Dans la preface du
troisieine tome des Ordonnances du Louvre,
page 25 , on lit que, dans des lettres patentes
du 2 juin 1 352, le roi expose que les prelats,
les barons et les nobles lui ont accorde une
imposition de six deniers pour livre pour un
an ^ payable par leurs sujets; et que les villes
lui ont octroye un semblable subside.
On vient de voir que chaque bailliage
nommoit trois deputes, un pour le clerge,
un pour la noblesse, et le troisi^me pour le
tiers-eta t.
Sous cette denomination de bailliage, on
ne comprenoit que les juridictions qui res-
sortissoient nuement a une cour souveraine.
Le nombre de ces bailliages, que Ion ap-
peloit senechaussees dans les provinces du
Midi, a constarament varie, tantot par des
su[)pressions, tantot par des erections nou-
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 28 1
velles. Je crois que vers la fin du seizi^me
siecle, ce nombre pouvoit etre de cent
soixante et dix, ou cent quatre-vingts. Il y
avoit aussi des villes qui, par un privilege
special , avoientle droit de deputeraux etats-
generaux. Ainsi le nombre des deputes a
ces assemblies a pu, a certaines epoques,
s'elever jusqu'a six cents ou environ. On en
compte meme huit cents aux ^tats de i356,
dont quatre cents de la noblesse et du clerg^,
et quatre cents des bonnes villes.
Mais il parol t que les deputes n'etoient pas
fort exacts a se rendre a ces assemblees.
Les premiers etatsdeBloisdel'annee i5y6
etoient composes de cent quatre deputes
pour le clerge, de soixante et douze pour
la noblesse, et de cent cinquante pour le
tiers.
« Aux seconds etats de Blois, en i588 , le
uclerge avoit cent trente-quatre deputes,
« entre lesquels on voyoit quatre arche-
« veques, vingtet un eveques, et deux chefs
« d'ordres, vestus de leurs rochets et surplis.
uLa noblesse en avoit cent quatre-vingts
« avecla toque de velours et la rape, le tiers-
282 ASSEMBLES NATIONALES
((etat cent nonante-un, partie ^ens de jus-
te tice, et partie ^ens de commerce, les pre-
« miers avec la robe et le bonnet quarre, les
« autres avec le capot et le bonnet rond ( i). »
Aux etats de i6i4, le cler(je avoit cent
qiiarante deputes, la noblesse cent trente-
deux, et le tiers -etat cent quatre-vin(^t
douze.
Apres une procession (2) publique et une
messe solennelle a hiquelle les deputes rece-
voient la communion, le roi, sur son trone,
et dans toute la pompe de la majeste royale,
(i) Mezerai, Histoire du rejifne de Henri III.
(2) Voici I'ordre qui fut suivi a la procession qui pre-
reda I'ouverture des ctats-geuc'raux de i588.
u Ijc roi, voulant eommeneer cette assemblee par une
publique invocation du noin de Dieu , coinmanda une
procession solennelle, depuis I'eglise Saint-Sauveur de
la {jfrande cour du chaieau de Blois jusqu'a celle deNotre-
Uanie-des-Aidcs. au faubouqj de Vieime: cetoit comme
un general etalenient des pompes et uiagniHcences Fran-
coises et sur-tout delabeaute de la cour d'un grand roi.
Ij'ordre etoit tel : les communautes des eglises niarchoient
en tete; aprfes elles, les deputes du peuple, quatre a
quatre; ceux de la noblesse les suivoient , et ceux-ci
cloient siiivis des ecclesiastiques; et apres <mix niarchoient
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 283
faisoit I'ouvertiire des ^tats; le chancel ier en
exposoit I'objet; les presidents de chacnn
des irois ordres repondoient par des protes-
tations de devoueinent et de zele ; et les etats
^toient constitues.
Voici ce qui se pratiqua a cet ^gard aux
etats-f>eneraux de iS^G.
Apr^s que le chancelier eut parle, dit un
auteur contemporain (i), il fut commande
par un heraut a rarclieveque de Lyon, ora-
teur du clerge, de parler. Lors se mettant h
un pupitre a (yenoiix devant le roi, apres
avoir dit une clause de sa harangue, on lui
les abbes, les eveques, les archeveques, et les carclinaux:
quatre cbevaliers de I'ordre du Saint-Esprit portoient le
poele, sous lequel I'archeveque d'Aix portoit le saint-
sacrement; sa majeste suivoit a pied avec les reines, les
princes, et princesses; I'eveque d'Evreux fit le sermon;
I'archeveque de Bourses dit la messe en I'eglise Notre-
Dame, toute tenduedes plus riches tapisseries du roi. Sa
majeste etoit elevee au milieu du choeur sur un haut
dais convert de velours. Cette procession fut faite le di-
manche 2 octobre 1 588. » Le Ceremonial de France.
(i) Voyez le recueil iutituh" Des Etats -generaux;
tome XIII, page a5i.
284 ASSEMBLlllES NATIONALES
dit qu'il se levat, comme il fit, et dura sa
harangue cinq quarts d'heure. Puis le baron
de Senecey parla pour la noblesse un demi-
quart d'heure ; et Versoris parla une heure
et demie, et fut a genoux en parlant pr^s
d'une demi-heure, jusqu'a ce que le heraut
lui dit qu'il se levat par commandement du
roi, et tous les deputes se leverent, et se
decouvrirent quand I'orateur du clerg^
commenca de parler; et tot apr^s on leur
dit qu'ils eusseut a s'asseoir. Autant en firent-
ils quand I'orateur de la noblesse commenca
a parler; mais, quant au tiers-etat, il de-
meura toujours debout et tete nue durant
que I'orateur du tiers-etat parla conime il
leur avoit ete enjoint en entrant en la salle,
combien que plusieurs deputes du tiers-etat
sassirent et se couvrirent, voyant que le
clerge el la noblesse etoient assis et converts ,
et n'ayant entendu le commandement de se
tenir debout ni decouverts ; et depuis ils
entendirent que le tiers-etat aux etats d'Or-
leans avoit ete autant privilegie que les
autres,^ et que I'orateur parla debout.
Pour donner une idee plus exacte du ce-
DE PRANCE. CHAP. XXXIX. "2 85
remonial qui s'observoit dans ces grandes
solennites, j'exjjoserai la mani^re dont les
clioses se pass^renl lors de louverture et de
la cloture des etats-generaux de 1614. Je
prends ces details dans Thistoire de Flori-
mond de Rapine, depute de Lyon a ces
memes etats-g^neraux ( 1 ).
Le dimanche 26 du mois d'octobre, veille
de louverture des etats, se fit une grande
procession. Tous les ordres ranges selon I'or-
dredesbailliages serendirent dans le cloitre
des Augustins, sur les huit lieu res du ma-
tin. Le roi , la reine, Monsieur, fr^re du
roi, le prince de Conde, le due de Guise, de
Joinville, plusieurs dues et grands officiers
de la couronne, ensemble plusieurs prin-
cesses, tant du sang qu'autres, y vinrent
entre neuf et dix. M. de Rhodes, maitre
des ceremonies, ayant fait distribuer, de la
part du roi, un cierge blanc a chacun des
deputes, fit mettre a la tete de la procession
(i) Cette histoire fait partie d'un recueil intitule Des
Etuts-generaux et autres Jssemhlees nationales; elle est
inseree dans le tome XVI, pages 47 <'* suiv.
2 86 ASSEMBLEES iSATIOlNALES
tons les niendianls des paroisses de Paris,
qui sen all^rent a Nolre-Dame, et ii'y firent
que ])asser, de peur de remplir par trop
Fef^lise; et apr^s il fit ran^^^er les deputes du
tiers-etat, que lui-meme appeloit par bail-
lia^'es, selon I'ordre ol^serve en i588, aux
etats de Blois, c'est-a-dire que les derniers
nsarelioient tous les premiers et en front,
parceque ceux qui sont plus proches du
saint-sacrement sont ceux qu'on estime etre
en rang plus honorable. II nous fit tous
mettre deux a deux, en forme de liaie, et
ehacun niarclioit avec les co-deputes dun
nieme bailliage, sans qu'un bailliafje devan-
cat ou marchat avec fautre. Nous etions
c
au nombre de pres de deux cents; ceux de
justice, revetus de robe noire, cornette et
bonnet Carre; ceux de finances ou de robe
courte avec le court manteau ouvert par
les cotes pour passer le bras, et la toque.
L'on fit avancer les premiers par i'une des
portes du cloitre, sans entrer dans Tqjlise;
maissoudain Ion vit venir un gentilhomme
qui aidoit a M. de Rhodes, qui fit rentrer
les premiersdans le meme cloitre, pour faire
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 287
passer toute I'assemblee par le milieu de
Tej^Iise des Au(justins, disaiit que le roi et
la reine vouloient voir tous les ordres. Pro-
che la porte du clioeur de ladite eglise, aux
hautes formes, a main droite, ^toit le roi; a
main (^auclie etoit la reine; dans la nef il v
avoit un poele de loile d'argent, sous lequel
le sainl-sacrement se devoit metlre, et du-
quel les quatre batons devoient etre tenus
par Monsieur, frere du roi, M. le prince
de Conde, M. de Guise, et M. de Join-
ville: cliacun en passant faisoit de grandes
et profondes reverences a M. le prince, et il
y en avoit la expr^s qui disoient aux depu-
tes : Saluez M. le prince. Etant sortis de I'e-
(>lise des Augustins, la procession passa au
milieu des regiments des gardes, tous dis-
poses avec leurs armes en forme de haie; les
rues etoient tapissees par ou la procession
passa, qui fut tout le long d\\ quai des Au-
gustins ; elle vint passer ensuite devant
Saint-Severin, sous le petit Chatelet, et de
1^ a Notre-Dame. 11 y avoit des milliers de
personnes taut par les rues qu'aux fenetres,
etj usque sur les toits des maisons.
288 ASSEMBLEES NATIONALES
Au milieu de la iief de Notre-Dame etoit
iin dais de velours violet, parseme de fleurs
de lis dor, poiir le roi, la reine et les princes.
Au-dessous il y avoit des carreaux et tapis
de meuie parure.
Le choeur de ladite eglise etoit ferine, et
au-devant de la porte Ion avoit dresse un
autel eleve de quatre ou cinq marches, ri-
chement pare, pour y dire la messe.
Toute la nef etoit tendue des riches ta-
pisseries du Louvre, comme I'etoit aussi le
reste de Feglise.
Comme nous fumes arrives dans I'eglise,
M. de Rhodes nous fit tons asseoir sur des
bancs converts de tapis.
Apr^s les {^ens du tiers -etat suivirent
MM. de la noblesse en fort bel ordre, et
bien vetus, lepee au cote, deux a deux. lis
prirent seance sur lesdits bancs devant le
tiers-eta t.
Suivit aussi le clerge, compost de deux
cardinaux; savoir, de MM. de Sourdis et de
La Rochefaucauld , de trois archeveques et
trente-deux ^veques, tous revetus de robes
violettes, le surplis et le rochet pa r-dessus.
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 289
le bonnet carre, et une infinite de prieurs
et abbess avec les manteaux et soutanes et le
bonnet carre. Les arclieveques et eveques
se mirent devant le corps de la noblesse.
Apres lesdits sieurs cardinaux etoit le
poele, porte par lesdits princes, sous lequel
^toit le corps de Notre -Sei(^neur -Jesus-
Christ, qui etoit port^ par M. I'archeveque
de Paris.
Suivoient apres le roi, sous un dais riclie-
ment pare, la reine, a pied et decouverte,
avec plusieurs dames et princesses, les cent
(jentilsliommes avec leurs bees de corbin;
La cour de parlement avec les robes rou-
ges, et MM. les presidents, le mortier en
tete; la cliambre des comptes vis-a-vis, et la
cour des aides apr^s, tons deux a deux,
ayant aussi un cierge en main. Les cours
souveraines se plac^rent sur des bancs se-
pares.
Tout le monde etant ainsi arrive, et ayant
pris place, la messe commenca ; elle fut ce-
lebree par M. de Paris. M. le cardinal de
Sourdis fit la predication, prechant de I'o-
beissance qui etoit due au roi : il exliorta un
2. 19
290 ASSEMBLEES RATIONALES
chacun de rendre au roi oe qui appartenoit
au roi, et k Dieu ce qui appartenoit a Dieu ;
il invita aiissi les etats a prendre cle bonnes
et saintes resolutions pour le bien du
royaume. Ge fait, chaeun se retira qu'il
^toit trois heures apres midi , quoiqu'il ne
fut que onze heures quand le tiers-etat sortit
des Augustins.
Le lendemain ay dudit inois doctobre,
tons les deputes du elerge, de la noblesse,
et du tiers-etat, se trouverent a midi en
Fassemblee de la fjrande salle de Bourbon
pour Youverture des etats.
11 Y avoit [jrande quantite de banes a
droite et a gauche, converts de tapis verts.
Le tiers-etat se mit sur les derniers, la no-
blesse sur le milieu, et le clerge devant.
Toutes les loges, tant hautes que basses de
ladite salle, etoient remplies d'hommes etde
femmes, comme aussi tout le parterre de
ladite salle ; ce qui apportoit une grande
confusion de voir que toutes sortes de per-
sonnes Etoient 1^ recues indifferemment,
au lieu qu'il n'y devoit seulement avoir que
les deputes et autres personnes servant a
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 29 I
1 etat. Cepeiidant tout ^toit plein de dames
et demoiselles, de ^entilsbommes, et autre
peuple, couuue si Ion se fut transporte la
pour avoir le divertissement de quelque
coraedie. La pliipart des deputes etoient me-
con tents de ce desordre, et disoient que la
France etoit incapable d'ordre.
Le roi, la reine, Monsieur, fr^re du roi,
M. le prince de Conde, M. le prince de
Soissons tenant le baton de grand-maitre,
M. de Mayenne, grand-chambellan, la reine
Marguerite, plusieurs princes et princesses,
dues, comtes, seifjneurs , et barons, y
Etoient. Le roi, la reine-m^re, et la reine
Marguerite, etoient sous un dais de velours
violet, seme de fleurs de lis d'or; ledit sieur
de Mayenne couche aux pieds du roi : M. le
chancelier, au-devant duquel etoient les
massiers, ayant la cliaine d'or au cou, vetu
dune robe de velours violet cramoisi , assist^
de tons MM. les conseillers d'etat, et des
quatre secretaires; M. de Villeroy qui mar-
choit a cote, et M. le president Jeannin qui
y etoit pareillement.
Les ordres etoient prets a se placer anx
'9-
2g2 ASSEMBL^KS NATIONALES
places qui leur avoient ete pr^parees, selon
les ran(3^s des baillia(>es. MM. les conseillers
d'etat, d'epee, et de robe lonfjue , s'etant
places sur les premiers bancs, les deputes
du clerfje et de la noblesse represent^rent
au roi qu'outre le deplaisir que leur cau-
soit cette entreprise, il leur resteroit pour
jamais un reproche d'avoir ete tenus eu si
peu de consideration, que MM. les conseil-
lers eussent pretendu sur eux, qui represen-
toient le royaurae, cette preeminence. lis
ajouterent fort respectueusement queplutot
que faire paroitre une si grande foiblesse de
jugement et de courage, et laisser une si
lionteuse marque deux a la posterite, ils
aimoient mieux se retirer.
Sa majeste, assistee de la reine sa mere,
de M. le chancelier, des autres officiers de
la couronne, et de MM. les secretaires d'etat,
pourvut sur-le-cliamp a ce grabuge; et il fut
ordonne qu'un banc seroit mis de chacun
cote devant ceux sur lesquels etoient assis
MM. les conseillers d'etat : et cela etant ainsi
execute fit que mesdits sieurs les conseillers
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 293
detat furent mis derri^re les deputes du
clerge et de la nobles.se.
Ensuite le roi prit la parole, apres lui le
chancelier; et les orateiirs des trois ordres
ayant fini de le harangiier, il se leva, et
chacun sen retourna, etant ]>resque nuit.
Le vendredi matin 3i d'octobre, le clerge
d^puta a la chambre du tiers-etat M. T^ve-
que d'Avranclies assiste de quatre eccle-
siastiques, lequel s'etant mis a la place du
president, fit une exhortation sur la facon
de se preparer k la sainte eoinmunion, di-
sant entre autres, « qu'il nous exhortoit a
deposertoutesliaines et rancunes, etoublier,
par une sacree amnistie, toutes les injures,
les pertes et les degats que les confusions et
brouilleries du passe avoient causes; qu'il
cut bien laisse a la volonte d'un chacun
de faire en particulier ce qu'il nous invitoit
de faire en public, et tons ensemble; mais
que les prieres qui se font en public ont bien
plus de poids et d energie envers Dieu, que
les privees et particulieres; ainsi, que le sa-
medi, jour de Toussaint, nous nous trou-
294 assembf.iS:es nationales
verions tous, tantle clerge, la noblesse, que
le tiers-^lat, daiisl'e^lisedes Augustins pour
y recevoir le precieux corps de notre sau-
veur Jesus-Christ. Au reste, qu'il etoit charge
de nous avertir que deux de chaque gouver-
nement de leur ordre avoient ete deputes
pour remercier le roi de ce qu'il lui avoit
plu de faire I'ouverture des etats; que c'e-
toit a nous d'aviser si nous desirions faire
de meme; et que M. le cardinal de Sourdis
porteroit la parole. )>
M. Miron lui repondit « que le tiers-
etat remercioit tr^s humblement MM. du
clerg^ de I'affection paternelle qu'ils lui
temoignoient ; que tant a cause du bon aver-
tissement qu'ils lui faisoient comme p^res
spirituels, que de la rencontre du jour au-
quel la vie et les actions de tant de saints
personnages nous etoientproposees pour imi-
tation et exemple de vertu, il I'assuroit que
sa compagnie se disposeroit a suivre ses
bonnes et saintes exhortations, etc.»
Ledit saint eveque se retira et fut recon-
duit hors la salle, comnie il avoit et^ recu a
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 296
Teiitr^e, par ime deputation coaiposee d\in
inembre de cliaque goiivernemeut.
En consequence, le saniedi i" novembre,
tons les deputes, taut de FE^jlise, de la no-
blesse que du tiers-etat, s'assembl^rent aux
Augustins, sur les huit heures du matin.
Chaque ordre en sa cliambre, et de la tous
ensemble, entrerent dans le chceur par une
petite porte seule laissee ouverte pour evi-
ter la foule; il y avoit a droite, h gauche,
(jrande quantite de bancs, converts de tapis
verts, sur lesquels les deputes s'assirent:
savoir, MM, du clerge a la droite proche
I'autel, le tiers-etat derriere eux; les liautes
chaires des deux cotes etoient vides , et
servoient de passage pour aller a la sainte
communion. La messe fut celebree avec
musique fortsolennellement, en laquelle of-
ficioit M. le cardinal de Sourdis, assiste de
deux eveques, lequel fit mettre sa chaise du
cote de I'evangile, suivant le concile de
Trente.
La predication fut faitepar M. I'archeve-
([ue de Lyoii, qui dura environ une demi-
296 ASSEMBLEES RATIONALES
heure, sur le siijet de la celebrite de la fete
des Saints, et des prieres et intercessions
que les catlioliqiies leur adressent.
J'observerai ( ce qui est tres singulier et
remarquable) qu'il y avoit, parmi les depu-
tes de MM. du clerge, un p^re capucin,
depute du bailliage de Gex , parcequ'en ce
bailliaj^e il y a si peu de catlioliques, que
les p^res capucins sont oblifjes d'adrainistrer
les saints sacreraents, et faire toutes les au-
tres charges et fonctions auxquelles les au-
tres ecclesiastiques sont obliges.
La messe paraclievee, MM. les archeve-
ques et eveques se present^rent les premiers
a la sainte Table pour communier, et furent
suivis paries autres du clerge, selon le rang
des bancs, en bel ordre. Apr^s eux firent
de meme MM. de la noblesse, puis MM. du
tiers-etat; et, apres avoir communis, cliacun
sen retourna a sa place. Ge fait, M. le car-
dinal donna I'absolution generale, apr^s la-
quelle MM. du clerge se lev^rent les pre-
miers, et sortirent en ordre par une petite
porte qui va dans le cloitre. La noblesse sui-
vit, et le tiers-etat apr^s.
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 297
La cloture des etats de 1 6 1 4 se fit aussi dans
la salle Bourbon le 23 fevrier l6l5. Tons
les d^put^s s'y rendirent vers onze heures
du matin. II y ent pour entrer beaucoup de
desordre et de confusion ; les cardinaux, les
eveques, les abbes, la noblesse, et tout le
tiers-etat, presses etpousses sans considera-
tion au milieu des piques et des hallebardes,
eurent beaucoup de peine k penetrer; tou-
tes les galeries etoient pleines d'hommes et
de femraes, et les meilleures places de 1 in-
t^rieur etoient occupees par deux millecour-
tisans et gens de toute sorte. Enfin chacun
etant entre, prit place comme il put. Le
roi, la reine, Madame, les princesses du
sanjj, et autres; M. le comte de Soissons,
M. le due de Mayenne, M. le due de Mont-
bazon, M. le due de Retz, y etoient pres de
leurs majestes, placees sur un theatre liaut
eleve , sous un dais de fleurs de lis d'or. M. le
cliancelier ^toit a cote du roi, et proche
de lui MM. les conseillers d'etat.
M. I'eveque de Lucon parla pour I'Eglise
assez long-temps, et ayant aclieve, il porta
le rahier du clerge au roi qui le prit et le
298 ASSEMBLEES NATIONALES
donna a M. le chancelier. M, de Senece
parla un quart d'heure pour la noblesse, et
porta semblablement son cahier au roi qui
le remit, comme le precedent, audit chan-
celier. M. Miron , etant a genoux sur un car-
reau de velours, parla pour le tiers-etat.
Apr^s sa harangue qui fut assez longue, il
presenta, comme les autres, son cahier con-
vert de velin k fleurs de lis d'or sans nombre ,
ayantauxdeux cotes les armes de France et
de Navarre. Le roi le prit semblablement et
le donna audit sieur chancelier. Ce fait,
le roi prononca ces paroles, s'etant decou-
vert : « Messieurs, je vous remercie de tant
« de peines qu'avez prises pour moi depuis
«quatre mois; je ferai voir vos cahiers et
«les repondrai promptement et favorable-
(f ment. »
Comme il eut aclieve, cliacun se retira
qu'il etoit pres de huit heures de nuit.
Une ordonnauce du 23 juillet 161 4 de-
fendit de recevoir aux etats des procureurs
fondes. II en avoit ete admis entre autres
en i355 et i4^7- Utic des causes de cette
admission paroit etre de ce que peu de per-
DK FRANCE. CHAP. XXXIX. 299
sonnes savoient lire et ecrire ; aiissi remar-
que-t-on quon y vit beaucoup de magis-
trals.
Le president etoit elu par les etats; il pre-
toit serment debout , tete nue , de bien
gerer, et de se rendre digne de la confiance
dont il etoit lionore.
Les deputes procedoient ensuite au choix
dun greffier et de plusieurs secretaires qui
pretoient serment entre les mains du pre-
sident.
Le president de chaque chambre avoit
voix preponderante en cas que les avis fus-
sent partages.
On mettoit ordinairement plusieurs mois
entre la convocation et I'ouverture des etats,
afln que chaque depute put se preparer, et
arriver au lieu indique pour leur tenue.
Quant a la duree des assemblees, elie na
rien eu de fixe. En general, elle paroit avoir
ete de trois mois, mais il en est qui ne se
sont separees qu'au boutde six et Iiuit mois.
Le voyage, leloignement de ses propres
affaires, et lesejourdispendieux, furent sans
doute les motifs qui firent accorder des in-
3oo ASSEMBLEES NATIONALES
demriit^saux deputes. Chaque ordre payoit
les siens.
La taxe des deputes aux etats de Blois
en 1 576 fut (1), savoir
25 1. par jour pour les archeveques^
20 1. pour les eveques.
1 5 1. pour un abbe chef d'ordre ou beni.
12 1. pour un abbe comniendataire.
10 1. pour les doyens ou archidiacres.
9 ou 8 1. pour les autres deputes.
On fixa en i483 — 161 4 la taxe des depu-
tes, ceux des sieges royaux a y 1. 10s. par
jour ; a chacun des deputes du plat pays, 61.;
aux deputes de la ville, 41- 10 s.
La forme d'acceptation pour les deputes
auxdits etats de Tours, en i483, portoit:
Nous avons acceptela charge de procu-
reur special des habitants en I'assemblee de
Tours, raoyennant que lesdits habitants se
sont obliges de rembourser les depens et
frais de notre voyage.
Le roi rendit une ordonnance ci ce sujet
(i) Etats-generaux, tome VII, page 397.
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3oi
lors de la convocation des ^tats de Blois en
i56o.
Les deputes aux etats recevoient de leurs
commettants des instructions et pouvoirs
qu'ils ne pouvoient depasser. Les deputes de
la province de Sens en i38i d^passerent
leurs pouvoirs, et furent desavoues par leurs
commettants qui ne payerent point le sub-
side accorde ; des bailliajjes out meme quel-
quefois refuse de contribuer aux charges de
I'etat, sous pretexte qu'aucun representant
n'avoit consenti en leur nom. - . .
L'usage etoit de representer les pouvoirs
et de les enre^oistrer aussitot apr^s I'election
du president. Chaque (jouvernement veri-
fioit les pouvoirs de ses deputes.
La France etoit divisee en douze grands
gouvernements (i), savoir: Paris, Tlle-de-
(i) Lorsque le roi Jean convoqua les etats-generaux, la
France formoit en quelque sorte deux etats distincts;
I'un qui etoit regi par les coutunics, et qui faisoit usage
du mot oil, oui, pour Faffirmation, etoit nomme la
langued'oyl; I'autre qui etoit regi par le droit ecrit se
nommoit la langue d'oc, parcequ'on s'y servoit du mo-
nosyllabe oc, egalement pour I'affirmation, Cependant
3o2 ASSEMBLEES NATION ALES
France, la Bourgogne, la Normandie, la
Guienne, la Bretagne, la Champagne, le
Languedoc, la Picardie, le Dauphin^, la
Provence, Lyon et Orleans.
Les deputes des bailliages etsenechauss^es
de ohacun de ces gouvernements formoient
autantde reunions partielles qui noramoient
un president ; cliacune deliberoit dans un
local particulier; les votes de chaque cham-
bre etoient rapport^s a I'assemblee generale
a I'effet de ne faire des douze cahiers qu'un
seul cahier general pour chaque ordre, et
Ton coHiptoit les voix, non par tete, mais par
gouvernement. II est arrive quelquefois ce-
pendant que Ton a delibere et compte les
voix par bailliage.
Dans les bailliages, descommissaires nom-
mes par lassemblee recevoient les memoires,
le Lyonnois qui envoyoit ses deputes a la langue d'oyl se
regissoit aussi par le droit eorit.
La langue d'oyl etoit la partie septentrionale de la
France, et la langue d'oc en etoit la meridionale. La
Garonne et la Dordogne en faisoient la separation. Ces
etats ne deliberoient pas ensemble.
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3o3
et de tous les caliiers particuliers se for-
moit celui du bailliage pour les ^tats.
Le public n etoi t pas admis aux assemblees
geiierales ni partielles, et Charles IX rendit
en i56o le mandement ci-apres relatif a la
redaction des deliberations :
«Setantconnu par experience du [)asse,
vcombien la plupart de ccux qui sont unis
« a redif^er par ecrit les choses memorables,
«yont i^noramnient procede, et quelques
w uns omis ou ajoute : de sorte qu'au lieu du
« fruit qui en devoit sortir, la chose est tour-
« nee a derision •, et desirant y pourvoir pour
« ce qui s'est traite et pass^ aux ^tats-gene-
« raux dernierement tenus en notre ville
«d'Orleans, que nous avons delibere faire
« ecrire par personnes qui ont certaine con-
« noissance de tout ce qui s'y est fait. A cette
« cause, nous voulons, nous mandons et or-
(' donnons tr^s expressement que vous ayez
«a faire expresses defenses de ])ar nous, a
((Son de trompe et cri public, en votre res-
usort etjuri diction, a toutes personnes, de
uquelque etat et qualite qu'elles soient,
(' qu'elles n'aient a ecrire, imprimer, ne faire
•U*-
3o4 ASSEMBLEES NATIONALES
((imprimer aucuiie chose de ce qui s'est
« (comnie dit est) fait ^s-dits etats, sur peine
« de dix inille livres parisis d'amende envers
(' nous ; et si ja ils en avoient ecrit aucune
« chose, le retenir a eux, sans metti e en evi-
((dence, ne faire servir en lumiere, sinon
« qu'ils aient ci-apres conge et permission de
« nous a cette fin ; et quant a ceux qui y con-
(( treviendront, faites-Ies si bien chatier que
« les autres y prennent exemple. »
Les trois ordres avoient le veto Fun sur
Fautre. L'ordonnance d'Orieans en renferrae
une disposition expresse que voici :
« En toutes assemblees d'estats-generaux
won particuHers des provinces, oil se fera
« octroy de deniers, les trois estats s'accorde-
(( ront de la cotte part et portion que chacun
u desdits estats portera , et ne pourront le
uclerge et la noblesse seuls, comme f'aisant
« la plus grande partie. n Jlrt. i35.
II resultoit dc cet ordre de clioses, qu'en
cas de dissentimen t entre Jes trois ordres,
Fimpot n'etoit paye que par celui qui Favoit
consenti.
II a ete un temps oil les choses se passoient
DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3o5
de meme en An^jleterre. David Hume, qui
en fait la remarque, ajoute la reflexion sui-
vante :
« 11 etoitlr^sconformeauxmaximesdetous
ules gouvernements feodaux, que chaque
uordrede I'etat donnat son consentement
V aux actes qui I'interessoient j^lus immedia-
Mtement. Comme I'idee dun syst^me poli-
utique n'etoit pas encore bien enlendue,
V souvent , dans ces occasions , les autres
uordres de I'etat n'etoient pas consultes. »
Hisloire d'Ancjleterre , sous Vanuee i2C)5.
Les trois ordres conferoient entre eux par
commissaires on par deputations; dans ce
dernier cas, le tiers-etat envoyoit au clerg^
un plus grand nombre de deputes que ie
clerge ne lui en envoyoit. La proportion n e-
toit pas fixe, raais elle etoit generalement du
double au triple. '*^ v;i j.i nDVi .•
De la noblesse au clerge le nombre etoit
^gal.En i6i4 la noblesse commenra la jire-
mi^re k visiter le clerge, qui recut les depu-
tes a la porte par les ^veques d'Avranches et
de Vabres, avec Fabbe R^don et Tarcliidiacre
de Bourges, qui les conduisirent aux quatre
2. 20
3o6 ASSEMBL1£ES NATIONALES, etc.
cliaiies vis-a-vis dii cardinal president. Le
comte de Grammont porta la parole.
Le cler(je alia peu apr^s visiter la noblesse;
il flit recu par le comte de Tonnerre, et
place au siege le plus honorable.
Le tiers-etat envoya le lieutenant civil de
Paris , assiste de liuit deputes, pour saluer le
clerge, qui les recut a la porte par Feveque
d'Orleans et les abbes de Bourgueil et de
Vendome, et ils furent conduits a la chaire
et sur des bancs vis-a-vis du Cardinal pre-
sident.
Le clerge deputa vers le tiers-etat leveque
de Grenoble et deux ecclesiastiques qui fu-
rent recus par huit deputes bien avant la
porte, conduits dans la salle et places au lieu
d'honneur devant le president.
On distinguoit les lois emanees du propre
mouvement du roi, de celles donnees en
conforraite des remontrancesdes etats-gen^-
raux. On appeloit les premieres lois du roi,
on donnoit aux aulres la denomination de
lois du royaume.
FIN.
TABLE
DES MATlfiRES.
A.
Abailard. Professoit au commencement du douzieme
siecle; avoit plus de trois mille eleves, I, 12.
Alienation. Voyez Domaine de I'etat.
Allemagne (empire d'). Perd par I'etablissement du
regime feodal la liberie que les Germains y avoient
introduite; causes pour lesquellesceregimes'y main tiut
plus long-temps que par-tout ailleurs, I, 63, 64-
— Coup d'ceil general sur les differentes dynasties d'Al-
lemagne, 1 , 6\ et suiv. Voyez Dietes d' AUemagne.
Angleterre. Conquise par Agricola sous le regne de
Domitien; revolutions qu'elle a subies depuis, I, 35,
a la note.
— Sa constitution. Voyez Parlement d' Angleterre.
Apanage. Celui de Charles, frere de Louis XI, est I'objet
des etats-generaux de 1467, Ij 33o.
— Origine et nature des apanages , 1 , 333 , note.
— Leur quotite fixee par Charles V, I, 34o.
Aragon (cortes d'). Voyez Cortes d'Espagne.
AssEMBLEES NATiONALES, connucs SOUS le nom de Cortes en
Espagne, de Parlement en Angleterre, et d'Etats-Gene-
raux en France, I, 18.
20.
3o8 TABLE DES MATIERES.
AssEMBLEES NATioNALES. LeuF denomination sous les
deux premieres races, I, gS, note.
— Leur organisation depuis Clovis jusqu'a Pepin, I, 89.
— Changements dans leur organisation sous les rois
Pepin et Charlemagne, I, 100, io3.
— Perdues dans la confusion des derniers regnes de la
seconde race, elles reparoissent en i3o3 sous le nom
d'etats-generaux , I, i65, 179.
AssEMBLEEs DE NOTABLES. Voyez Notables.
Association. Celle qui etoit appelee faction des Seize.
Voyez Union, Confrerie.
AuTRiCHE. Origine de la maison d'Autriche apres I'ex-
tinction des maisons de Charlemagne, de Saxe, et de
Franconie, I, 72.
AvocATS. L'organisation de cet ordre, espece de magistra-
ture, remonte a Philippe-le-Hardi , I, i63, note. Voyez
Montholon.
B.
Bailhs. On connoissoit dans I'ancien regime deux es-
peces de baillis; ceux d'epee, ceux de robe longue.
Origine et attributions des uns et des autres, II,
3 1 , note.
Bataille de poitiebs. Le roi Jean y est fait prisonnier;
elle donne lieu a la convocation des etats-generaux
de i356, I, 228, 232.
— De Saint-Quentin. Les de'sastres de cette bataille sont
I'occasion des etats-generaux de i558, II, 27.
— De Creci , 202 , note.
Bibhotheque. Voyez Charles F.
TABLE DES MATIERES. SoQ
BiEMS DU CLERGE. Edit du 23 mars i563, qui ordonne
la vente d'une partie considerable des biens du clerge.
Discours du chancelier de L'Hospital lors de I'enregis-
trementde cet edit, II, lop, jiote.
BiRAGuE, chancelier de France sous Henri III; notice,
II, 127.
BoDiN, depute du Vermandois; coui'te notice sur sa vie
et ses ouvra^jes, II, iSg.
Boniface VIII. Pretentions de ce pape qui compromet-
toient I'inde'pendance de la couronne, I, 177.
— Sa bulle, en date du 5 de'cembre » 3o5 a Philippe-le-Bel ,
met le royaume en interdit, I, 79.
— Les trois ordres de la nation, revokes de la conduite
de ce pape, en appellent au futur concile. Mort de
Boniface qui met fin a cette lutte, I, 181. Voyez Popes.
BouRGOGNE. Voyez Francois I".
Bref du pape contre Jeanne d'Albret, II , 1 16.
Bretagne. Louis XII avoit promis sa fille, heritiere par
sa mere du duche de Bretagne , au due de Luxembourg
depuis Charles-Quint; ce traite est rompu sur les in-
stances des etats-generaux de 1 5o6 , et la princesse est
fiancee dans le sein meme des etats au comte d'An-
gouleme , qui , depuis , a re'gne sous le nom de Fran-
cois I", II, I.
Bretigny (traite de), renferme les conditions sous les-
quelles le roi Jean recouvre sa liberte, 1 , 2g5.
Brigands. Personnes auxquelles on donnoit cette denomi-
nation, I, 291.
Brisson. Mort du president Brisson , II , 198 , note.
Bulle d'or. Le pape confirme, par cette bulle, le privi-
lege exclusif ques'etoient arrogesept princes puissants,
d'elire Tempereur d'AUemague , T , 66, note.
OIO TABLE DES MATIERES.
Bdssy-Le-Cleuc conduit le parlement a la Bastille , II ,
'97-
Gapitulaircs. Leur objet; comment ils etoient votes,
I, 107, 108.
Gardinaux. Aux etats d'Orleans de 1 56o , les cardinaux
pretendent avoir le droit de preceder les princes du
sang royal. Cette pretention ayant ete rejetee, trois
d'entre eux se retirerent et quitterent I'assemblee,
11,98-
— Apres comme avant leur promotion , ils sont sujets
du roi, et sont oblig'es de lui faire un nouveau ser-
ment de fidelite', II, 247, note.
Gastille (cortes de). Voyez Cortes cTEspagne.
Gatherine de Medicis, nommee tutrice de Charles IX
par decision des etats de i56o, II, 96.
— Moyens qu'elle emploie pour se rendre maitresse des
deux partis, protestant et catholique, II ii4' Voyez
Regence.
Gauses. Leur distinction en majeures et mineures; com-
ment decidees, I, 108, 109.
Champ-de-mars. Sous les premieres races on distinguoit
par cette denomination les assemblees oil se regloient
les affaires de I'etat, parcequ'elles se reunissoient au
mois de mars. Plus tard on les appela Champ-de-Mai,
parceque ces reunions eurent lieu en mai, I, 93, 97.
Charlemagne. Sous son regne, I'autorite des assemblees
nationales cesse d'etre concentree dans les mains du
clerge, I, io3.
TABLE DES MATIERES. 3ll
— Details historiques sur ces assemblees, I, io3, note.
Voyez Loi salique.
— Partage de I'empire de Charlemagne entre les trois
fils deLouis-le-Debonnaire, I, 64-
Charles-le-Bel, permet an pape de lever des decimes
sur le clerge, I, igg.
Charles-le-Mauvais. Sa conduite envers le roi Jean ,
I, 208.
Charles V, dit le Sage. Son caractere, I, 297.
— II retablit I'ordre dans les finances et la discipline de
I'armee; il convoque les etats-generaux pour deliberer
sur une question touchant la validite du traite de Br^'-
tigny, I, 3o4^f5U'i'.
— Par lettres-patentes du i4 mai i37o, rendues a la
suite de la deliberation des etats, il declare confisquer
le duclie d'Aquitaine et toutes les autres terres que les
princes anglois possedoient dans le royaume. Ces
lettres rallument de nouveau la guerre entre la France
et PAngleterre, l,Zi/^ et suiv.
— Protection speciale qu'il accorde aux gens de lettres.
II augmente la bibliotheque du roi Jean, qui, succes-
sivement accrue, forme aujourd'hui la Bibliotheque du
Roi, I, 317.
Charles-Quint, issu de Maximilien et de Jeanne-la-Folle.
Droits que lui assure cette double parente aux trones
d'Autriche etd'Espagne, II, 2.
Charles VII. Deux ordonnances , I'une de i435, et I'autre
de 1439, qui assure aux armees une solde reguliere,
prouvent, contra I'opinion des historiens, qu'il y a eu
des etats-generaux sous son regne, 1, 323.
Charles IX. Sa minorite; etats d'Orleans convoques sous,
son regne, II, 66.
3l2 TABLE DES MATIERES.
— Son ordonnance d'Orleans est uii des plus beaux mo-
numents de la sagesse de nos peres ; ses dispositions
principales, II, no.
Chartes de communes. Des causes qui ont brise le joug
des servitudes feodales et produit les chartes de com-
munes, I, lo et suiv.
— ^Principaux statuts des chartes de communes, I, i3,
note.
— Toutes consacrent qu'en principe le choix des officiers
municipaux appartient aux habitants, I, laS. Voyez
Communes.
Chevalerie. Troubadours ; premiers pas de la nation
francoise vers la civilisation, I, 121, 122.
Civilisation. Voyez Chevalerie, Croisades.
Clerge. Sous Glovis et ses premiers successeurs, le clerge
ne figure dans les assemblies nationales que pour y
oiaintenir la police, I, 91.
- Plus tard il y obtient voix deliberative, et parvient a
les dominer sous le regne de Pepin ; mais il perd beau-
coup de son influence sous celui de Charlemagne, I,
io3.
— Aux etats de i56o, il propose de contribuer a Fimpot
pour quatre decimes par an pendant six ans, et apaise
ainsi les plalntes du tiers-etat, qui avoit demande la
reduction de ses revenus, la vente de ses biens, la sup-
pression desa juridlction,et la liberte des preches des
protestants, II, 99.
— Edit du 3 mars i563 portant qu'il sera vendu une par-
tie notable des biens du clerge, II, too, note. Voyez
Bieiis du clerge, Louis IX, et Cliarles-le-Bel.
Ci.ovis. Conquete qui etend sa domination jusqu'a TO-
TABLE DES MATIERES. 3l3
cean ; devenu puissant , il respecte les institutions , I ,
95,96.
— Partage du royaume entre ses quatre fils ; triste tableau
des regnes suivants, I, 98, note.
Combat judiciaike. Saint Louis I'abolit dans ses do-
maines; son exemple est suivi par un {jrand nombre
de seigneurs; consequences decette innovation, I, i5o.
— Philippe-le-Bel , n'ayant pu le supprimer, le defend
en temps de guerre , et I'autorise en temps de paix ,
I, 1 54, note.
Communes de France. Epoque et origine de leur etablis-
sement; droits qu'elles ont d'eiire leurs officiers mu-
nicipaux ; leur police et le droit de faire prendre les
armes aux habitants pour la defense de leurs droits et
liberies, conlics ^ ces officiers, I, i3, laS, note. Voyez
Chartes de communes.
— B'Angleterre. Leur origine , leurs attributions ; epoque
de I'admission de leurs deputes au parlement. Voyez
Parlement d^Angleterre.
— Obtiennent sous Henri V le droit de rediger elles-
memes les lois qu'elles ont provoque'es, et que tous les
statuts soient passes dans leur Cbambre en forme de
bill avant d'etre publics, I, 43.
CoMTES. Voyez Gouverneurs de provinces.
CoNCiLE DE Trente. Conference ordonnee par le roi sur
la question de savoir si les lois du royaume permettent
la publication du concile de Trente, II, 278.
— Les etats de la Ligue nomment des commissaires pour
examiner si les dispositions du concile de Trente sont
compatibles avec les lois du royaume; rapport de ces
commissaires, II, 209.
3l4 TABLE DES MATIERES.
— Discours d' Amiot, eveq ue d'Auxerre, sur le meme sujet ,
II, 218-
— Singulier moyen employe par les etats de iSgB, pour
satisfaire I'insistance que mettoit le legat du pape a la
publication du conciledeTrente, II, 220.
— Nouvelles tentatives du clerge pour faire ordonner la
publication du concile deTrente; elle est rejetee, II,
255.
Confederation Suisse. Voyez Suisse.
CoNFRERiE. Associations religieuses, II, i3o.
GoNSEiL d'etat. Les etats demandent que les membres
du conseil d'etat soient reduits a dix-huit, II, 128.
— Les etats proposent d'adjoindre au conseil d'etat un
depute de chaque gouvernement ; Bodin s'oppose a
cette deliberation, II, i4o.
— Remontrances des etats generaux de i6i/| sur la
composition et les attributions du conseil d'etat,
II, 264.
— Qualites que doit avoir un conseil d'e'tat; discours
du chancelier de Rochefort, I, 349, ^^o.
CoNSEiLLERs d'jetat. Nc siegent aux etats qu'apres les
deputes du tiers, du clerge et de la noblesse, II, 292.
Constitution. Celle d'Angleterre, d'Allemag^ne, d'Espa-
{>ne, de Portugal, de Suede, de Hongrie, etc. Voyez
ces differents.mots.
Cortesd'Espagne. Originede leur convocation, I, 18, 19.
— Leur composition, leurs pouvoirs, leur duree, I, 19
et suiv. .;(■> .
— Celles d'Aragon nommoientavant de se separer un
magistral appele justiza. Importance des attributions
. de ce magistral, I, 22.
TABLE DES MATIERES. 3l5
— Celles de Castille ne nommoient pas de justiza; le
roi gouvernoit seul dans I'intervalle des sessions,
1,2^.
— L'exces de la liberie etoit le vice de ces assemblees.
Comment de cet abus I'Espagne est tombee dans I'au-
tre, ibid.
ConTES DE Portugal. Leur origine, I, 25. L'assemblee
tenue a Lamego est I'epoque de I'etablissement de la
monarchie en Portugal. C'est dans cette assemblee que
fut votee la constitution du royaume; ses disposi-
tions, I, 27 ef suiv.
CfioisADES. Leur influence sur la civilisation, I, 4» 122.
Voyez Liberie.
D.
Deputations de la noblesse, du clerge et du tiers-etat.
Leur composition, II, 3o5.
Deputes. Formes de leur election, II, 276.
— Nombre des depute's composant chaque ordre, II , 280.
— Ne pouvoient depasser les pouvoirs qui leur etoient
confies, II, 273, 3oi.
— Taxes de leurs frais, II, 3oo.
— Comment etoient charges de transmettre aux etats les
doleances et remontrances de chaque particulier, II ,
274.
— Les deputes aux e'tats d'Orleans de i56o representent
que leurs pouvoirs ont cesse par la mort du roi. Deci-
sion des etats, 11, 78. Voyez Serment.
Dernieu ressort. Depuis I'avenement de liugues-Capet
jusqu'a la fin du treizieme siecle, les seigneurs etoient
3lG TABLE DES MATIERES.
juges en dernier ressort dans leurs terras. Preuves et
consequences de cet etat de choses, I, i i6.
— La souverainete est attachee au dernier ressort de la
justice, note, ibid.
— L'attribution aux rois du dernier ressort de la justice
date des etablissements de saint Louis, I, iSa.
DiETEsd'Allemagne. Elisent les empereurs, I, 66 et suiv.
— Les decrets ou recez de la diete formoient les lois
de I'Empire,!, 73.
— La celebre constitution pour la conservation de la
pai\ publique est votee dans la diete de Worms , te-
nue en i495 sous Maximilien I", I, 62.
— De Hongrie, Le roi ne peut sans leur consentement
deroger aux anciennes coutunies et aux libertes natio-
nales, I, 82.
— Elisent le palatin , premier dignitaire apres le roi,
1,83.
DoMAiNEs DE l'etat. Henri IH demande I'autorisation
d'aliener du domaine de l'etat jusqu'a la concurrence
de trois cent mille livres de rente. Cette autorisation
lui est refusee. Motif, II, i43.
— Les etats-generaux de iSSg refusent de ratifier le traile
par lequel le roi Jean avoit cede la Normandie au roi
d'Angleterre pour prix de sa rancon, I, 288.
— Les etats-generaux de 1626 refusent de ratitier le traite
par lequel Francois I" avoit cede la Bourgogne a
Charles-Quint pour prix de sa rancon, II, i5.
Duperron (cardinal). Courte notice sur sa vie. Son dis-
cours sur la question de savoir si les papes ont le droit
de deposer les rois de leur communion, II, 246, a la
note.
TABLE DES MATIERES. 3 1
fioiT de Romorantin. Son objet. Plaintes auxquelles il
donne lieu de la part des catholiques et des reformes ,
II, aSo.
— De pacification rendu a la suite d€S etats-generaux
de i56o. Ses dispositions, II, gG.
— Modifie par trois declarations du roi, II, ii5, a la
note.
fiooLARD III, roi d'Angleterre. Son caractere, I, 204.
— Son invasion en France; il met le siege devant Reims
dans I'espoir de se faire couronner roi de France ;
traite qu'il fit a Bretigny, I, 298 etsuiv.
Electeurs. Formes de leur convocation; quels individus
pouvoient etre electeurs, II, 274, 276.
Elections. Premier exeniple de manoeuvres employees
pour influencer les elections, I, 33o.
EsPAGNE. Revolutions que ce pays a subies avant d'etre
erige en monarchie; la monarchie d'Espagne s'estcom-
posee de la reunion des royaumes de Castille et d'Ara-
gon operee par le marl age de Ferdinand et d'Isabelle,
1,19, note. Voycz Corti's d'Espagne.
Esprit public. Dans les onzieme et douzieme siecles, il
se forme un esprit public, qui , vers la fin du treizieme,
donne a la France une face nouvelle ; developpe-
ments successifs de cet esprit public, I, 120.
Etabhssements de saint Louis. Date de leur promulga-
tion; leurs principales dispositions, I, i5i.
Etats-generaxjx de France. Leur origine, I, i74-
— Forme de leur convocation, II, 267, 272.
3l8 TABLE DES MATIERES.
— Sont convoques pour la premiere fois sous Philippe-
le-Bel, I, 179.
— Cere'tnonie d'ouverture, de cloture, et formes de leurs
deliberations, II, 283, 297, 3o2.
— Leurs deliberations ne peuvent etre publiees, II, 3o3.
— Ordonnance du 22 decembre i355 qui regie leurs at-
tributions, I, 2 1 5.
— Reflexions de Philippe de Commines sur les avantages
qui resultent de leur convocation pour le roi et pour
la nation, I, ZyS.
— Les e'tats-generaux choisissent leur president; son ser-
ment; ses attributions, II, 299.
— Geux de i356 nomment dans leur sein une commis-
sion qui s'empare de la souverainete, I, 249-
— Discours de Robert le Coq, eveque de liaon, aux etats-
ge'ne'rauxde i356, 1, 25 1.
— Considerations generales sur ces etats, I, 26^^.
— Les e'tats de Blois demandent des reformes dans Fad-
ministration des finances, proposent de mettre en ju-
gement les dilapidateurs, etde choisir a cet effet dans
leur sein une commission de vingt-quatre juges, II, 184.
— Discours des trois ordres, II, 186.
Etats-generaux de Flandre. lis ne sont d'abord com-
poses que du roi et de ses vassaux immediats, I, ^6.
Etablissement des communes en Flandre. Elles envoient
toutes des deputes aux etats sous Baudouin VII, I, 48-
Eveques. Sous le regne de saint-Louis , les eveques sont
declares justiciables des tribunaux laiques, en matiere
criminelle comme en matiere civile, I, i43.
— Leur introduction dans les assemblees nationales y
porta les subtilites de Tecole et I'esprit de domination,
I, lOI.
.TABLE DES MATIERES. SlQ
Excommunication. Mesures prises par les seigneurs de
France contre les excommunications injustes; belle
reponse de saint Louis aux eveques qui reclamoient
contre les mesures, I, i38.
Feodalite. Son origine; ses progres, I, i et suiv.
— Sa puissance a I'avenement de Hugues- Capet au
trone, I, 1 13. Voyez Lois des fiefs.
Francois I". Principales dispositions dutraitede Madrid
qui lui rend la liberte, II, 12.
— II convoque une assemble'e de notables pour aviser
aux moyens de se procurer les deux millions d'ecus
d'or offerts a Charles -Quint, en compensation de la
Bourgogne ; composition de cette assemblee, II, 16.
Voyez Domaine de I'etat.
Francs, Denomination generique dont on decoroit les
peuples germains qui se faisoient le plus remarquer
par leur amour pour la liberte, I , g/j..
Froissard. Sa vie; ses Chroniques, I, 207, note.
G.
Gaules. Etat des Gaules sous Clovis, I, 94-
Gabelle, etablie sous Philippe-de-Valois par ordon-
nance du 20 mars i343, 1, 201.
Germains. Leur caractere ; leurs assemblees; leurs pre-
tres, leurs juges, I, 89 ef suiv.
Gouverneursde province, connus sous le nomdecomtes
320 TABLE DES MATIERES.
au temps de Charlemagne, recueilloient les opinions
des notables de cliaque comte , et les portoient a I'as-
semblee nationale, I, 109.
Gregoire VII. Pretentions de ce pape; I'humiliation qu'il
fait subir a Henri IV empereur d'Allemagne, I, 70,
note.
Guerre civile. Circonstance qui la fait eclater entre
les catlioliques et les protestants, II, 117.
Guise. Texte d'un ecrit attribue aux protestants qui re-
veille I'irritation des Guise contre eux, II, 40'
— Tableau des persecutions qu'ils exercent, II, 43.
— Leurs manoeuvres pour corrompre les electeurs a Toc-
casion des etats-generaux d'Orleans, II, 60.
— Le due de Guise accuse et fait condamner a mort le
prince de Gonde, II, 61.
— Chef de la Ligue, il en dirige tons les mouvements,
II,i58.
GusTAVE Vasa, delivre la Suede de I'oppression de Chris-
tiern ; en est proclame roi par les etats-generaux de
iSaS, et la couronne est declaree hereditaire dans sa
famille parceux de i554, 1, 54-
H.
Henri III. fitat de la France a son avenement ; les etats
de Blois sont convoques sous son regne, II, 121.
— Son discours a I'ouverture des etats de Blois, II, i65.
— Les Guise demandeut la suppression de certains pas-
sages de ce discours qui leur deplaisent, II, 175.
— Son ordonnance de 1579 sur la discipline de I'Eglise,
Tadministration de la justice, la police interieure de
TABLE DES MATI^RES. 321
I'etat, les finances et le commerce; ses principales dis-
positions, II, 1 44- Voyez Union.
Henri IV. Sa reponse a la lettre d'excommunication lan-
cee contre lui par Sixte-Quint, II, i6o.
HoMMES d'armes. Compagnies d'hommes d'armes ; leur
creation; leursolde; leur organisation, II, iSy.
HoNGRiE (royaume de). La Hongrie eut d'abord une es-
pece de gouvernement federatif forme de differentes
tribus de Huns , commandees par des chefs militaires
choisis par elles. En 966 les grands et les nobles choi-
sissent I'un d'eux , Etienne , pour roi ; legislation de
cette monarchie, I, 76 etsuiv.
— Systeme du gouverneraent hongrois tel que le presen-
tent les loiset les monuments historiques, I, 81 etsuiv.
— La couronne de Hongrie passe dans la maison d'Au-
triche en 1627, et s'y fixe hereditairement le 3i octobre
1687,1,88. Voyez D/eto.
HuGUES Capet. Ce qu'etoit ce prince avant son avene-
ment au trone, I, 65.
— Puissance des seigneurs et etat de la France a I'epoque
de cet avenement, I, 1 13.
I.
Impot. Philippe-le-Bel sent la necessite de convoquer
toute la nation pour le voter, I, i85.
— Motifs pour lesquels il ne pouvoit etre vote que pour
un an, et par le concours unanime des trois ordres,
I, 223.
— Difference entre ce que nous appelons impot aujour-
d'hui, et ce que Ton appeloit subside autrefois, I, 2'JI^.
2. 21
322 TABLE DES MATIERES.
— La nation ressaisit aux etats-generaux de i355 le droit
de s'imposer elle-meme, I, an.
Instruction publique. C'est a son influence que les com-
munes ont du leurs cliartes , et la nation le droit de
concourir a la confection des lois, I, lo et suiv.
Inquisition. Le cardinal de Lorraine propose de Tetablir
pour arreter les progres des protestants, II, 48.
Interpretation des lois. Que sous les deux premieres
races , elle appartenoit aux assemblees nationales ;
belle reponse de Charlemagne, 1 , 1 1 1, 112.
Italie. Vosez Republiques d'ltalie.
Jean, roi de France. Etat de la France a son avenement ;
son caractere ; ses premiers actes ; luxe de son saere , I ,
ao2 et suiv.
— Les etais-generaux de i355 sont convoques sous son
regne, I, 211.
— Ceuxde i356 le sont pendant sa captivite, I, 282.
— Et ceux de iSSg s'ouvrent par la lecture des conditions
auxquelles le cabinet de Londres attache sa liberte ;
ces conditions; resolutions prises par les etats, I, 188
et suiv.
— C'est du regne du roi Jean que datent les premieres
troupes reglees, J, 21 3.
JuGES. Remontrances des etats sur I'attention que les rois
doivent apporter dans le choix des juges, I, 363.
JuRiDiCTiON ECCLESiASTiQUE. Scs entrcpriscs sur les juri-
dictions seculieres ; expedient imagine par les sei-
gneurs pour conserrer leurs droits ; belle reponse de
saint Louis aux remontrances des ereques, I, i38.
TABLE DES MATIERES. 323
Justices seignelbiales. Exemple de leur independance
sous Ilugues Capet, I, 1 18, 119.
Juvenal des Ursins, archeveque de Reims; sondiscours
sur le luxe des grands, I, 337.
Langue latine. Elle se parloit encore en France sous
la premiere race ; la langue romane lui succeda, I, iS^,
128, note.
Legat du saint siege. Sa bulle par laquelle il exhorte
les laiques k quitter le parti du roi, II, 208.
— En i5g5 les parlements de Tours et de Chalons le de-
cretent de prise de corps , font bruler par la main du
bourreau cette bulle qu'il venoit de publier ; defendent
a tous Francois, sous peine de mort, de lui donner
asile, et recoivent le procureur-general appelant comme
d'abus de Telection de Gregoire XIV au pontificat, II,
208, 209.
L'HospiTAL. Discours duchancelier de L'Hospital a I'ou-
verture des etats-generaux d'Orleans, II, 70.
— Ses reflexions sur la liberte, I, 161, note.
— S'oppose a I'etablissement de I'inquisition propose par
le cardinal de Lorraine, II, 5o.
— Sa retraite, a I'instant ou la guerre civile se rallumc
entre les protestants et les catholiques, met le comble
aux malheurs publics, II, 1 19.
Liberte. Les peuples du Nord I'etablissent en Europe
au cinquieme siecle; le regime feodal la tue trois cents
ans apres; rivalite des seigneurs avec les rois, I, i.
— Les croisades affoiblissent la puissance feodale au
2 I.
32 4 TABLE DES MATIERES.
profit ties couronnes et de la democratic ; elles font
fleurir les arts et le commerce, et sement dans I'Europe
des germes de liberte, I, 4'
• — La partie du continent connue aujourd'hui sous le
nom de Pays-Bas est I'une des premieres qui ait joui
des bienfaits de la liberte, I, 46.
LiBERTES DE l'Eglise gai-licane. EUes font partie des
lois du royaume ; discours de I'archeveque de Reims ,
1,337.
LiGUE. Association , sous pr^exte de religion , des catho-
liques contre les protestants. Voyez Union.
LiGUE ANSEATiQUE. Sou originc ; elle se forma de quatre-
vingts villes de commerce, et, sous le nom de Re'pu-
blique federative, s'eleva au niveau des monarques les
plus puissarits, I, 9.
LiGUE. Des seigneurs contre le clerge ; ses statuts ; sa
composition, I, i38.
Loi DES FIEFS. Elle formoit dans le principe le seul droit
public de I'Europe, 1,2.
Loi salique. Son origine ■, son execution entre particu-
liers; son application constante aux princesses du sang
royal, II, 220,
— Nouvelle redaction de la loi salique publiee par Char-
lemagne sous le titre de Pactum legis salicce, II, 222.
— Ge prince voulant faire des additions a cette loi con-
voque le peuple a cet effet, I , no,
-■- Aux etats-generaux de iSgS I'archeveque d'Aix pro-
pose de changer la loi salique, II, igS.
Lois. Difference que Ton mettoit entre les lois et les ca-
pitulaires, I, 106.
— Difference entre lois du roi et lois du royaume, II, 3o6.
Louis IX (saint Louis). Son education; ses connois-
TABLE DES MATIl^RES. 325
sances ; ce qu'il a fait pour les sciences et la civilisa-
tion, I, 1 36, note.
— Cliangements qu'il apporte dans la discipline de I'E-
glise, I'exercice de la puissance legislative et I'admi-
nistration de la justice, I, iSy.
— Son ordonnance de 1262 relative a la nionnoie des
seigneurs et la juridiction qu'elle attribue aux juges
royaux est une innovation importante qui etendit la
prerogative royale, et donna lieu plus tard a I'etablis-
sement des cas royaux, I, i/|8.
— Reglement de 1270, connu sous le nom d'fitablisse-
ments de saint Louis, I, i5i.
— Sous le regne de saint Louis, et par suite du change-
ment qu'il fit dans I'ad ministration de la justice, s'eleve
dans la societe une nouvelle classe d'hommes que I'on
designa sous la denomination d'hommes de lois, I, i5g.
Louis-LE-HuTiN. Son ordonnance du 3 juillet i3i5 met
a prix dans ses terres I'affranchissement de la servi-
tude, et bientot une seconde ordonnance erige cet af-
franchissement a tilre d'impot, I, 196.
— Alteration des monnoies sous son regne et les sui-
vants, I, 197.
Louis XL II rassemble les etats en 1467 pour decider la
question de savoir si la Normandie appartiendra en
apanage a Charles due de Berri son frere, I, 33o.
— Son testament par lequel il confere la tutele de son
fils et I'administration du royaume a Anne de France
sa fille ainee; caractere et conduite de cette princesse,
I, 345 et suiu.
Louis XII. Par le traitesigne a Blois le 22 septembre iSo4,
il promet madame Claude de France sa fille h Charles
due de Luxembourg, depuis Charles-Quint, II, 2.
326 TABLE DES MATIERES.
— Lbs etats-generaux de 1 5o6 lui decernent le beau titre
de Pere du Peuple, et le supplient de donner sa fiUe au
comted'Angouleme, depuis Francois I", II, 3.
— Sa re'ponse conforme au voeu des etats apres avoir pris
I'avisdu conseil, II, 8.
Louis XIII, declare majeur a treize ans et uiijour, fait
I'ouverture des etats-generaux de i6i4; son discours,
II,23l.
— G'est sous son regne que fut rendue la fameuse ordon-
nance de 1629, II, 260.
M.
Magistrats. Cette classe de fonctionnaires, inconnue en
France avant la fin du treizieme siecle, doit son exis-
tence aux changements operes par un reglement de
saint Louis dans I'administration de la justice, I, iSg.
— Leurs efforts constants pour rattacher a la couronne
tous les elements de la souverainete que les seigneurs
en avoient distraits, I, 159.
— Maniere de pourvoir a leur remplacement sous les
regnes de saint Louis, Pliilippe-le-Bel , et lessuivants,
en cas de vacance de leurs offices, I, 366.
Magistrattjre. Elle forme un quatrieme ordre aux etats
de 1 558, II, 32.
Majorite des bois de France. Edit de Charles V de i3j\
qui la fixe a quatorze ans, I, 126.
— Difference entre la majorite des nobles et celle des
Toturiers, I, 166, note.
Medicis ( Catherine de ). Voyez Regence.
— ( Marie del) Voyez Regence.
TABLE DES MATIERES. 827
Marcel, prevot des marchands, demande, k la tete d'une
troupe de factieux, la revocation d'un edit sur la re-
fonte des monnoies, I, 247'
— 11 fait envahir le Louvre et massacrer le marechal de
Clermont et le senechal de Champajjne, 1 , 259.
— Sa mort, le 3 1 juillet i358 ; cet evenement fait prendre
a Paris une face nouvelle , I, 286, nofe.
Marillac, archeveque de Vienne, ami de L'Hospital. Son
discours sur la necessite de convoquer les etats-gene-
raux pour remedier aux abus qui affligeoient I'Eglise
et I'etat, 11, 56.
MoNTHOLON. II est promu, de simple avocat, k la dignite
de garde des sceaux, par Henri III; belle reflexion de
M. I'avocat-general Seguier a cette occasion, II, 170
note.
— Son discours aux etats de Blois, II, 171.
— Apres la mort de Henri III et malgre les instances de
Henri IV, il reprend modestement la profession d'a-
vocat, II, 171 , note.
MoNTMORENCi , connctablc de France ; sa mort , II , 1 1 8.
N.
Noblesse. Offre qu'elle fait a Francois I" pour la rancon
de ses fiis, II, 22.
Norma NDiE. Le roi Jean avoit cede cette province au roi
d'Angleterre pour prix de sa rancon , par le traite de
Londres; les etals-generaux de iSSq refusent de rati-
fier ce traite, II, i5.
NoRMANDiE (due dc). Voycz llegence.
Notables (assemblees de). Ce qui les distingue des etats-
gene'raux, I, 3o8.
328 TABLE DES MATIERES.
— Convoquees en 1627 sous Francois I" et en i558 sous
Henri II, II, 16, 26.
— Henri IV convoque une assemblee de notables en
1696 ; formes de deliberer de cette assemblee, II, 228.
Offices de judicature. La meilleure maniere d'y pour-
voir est que les tribunaux presentent et que le roi choi-
sisse, I, 365.
Ordre DE succESSiBiLiTE AU TRONE. II est mis en question
par les etats-ge'neraux de iSgS au sujet de Tavenement
de Henri IV, II, igS.
— Peine prononcee centre ceux qui chercheroient a le
detruire ou a le changer, II, 226*
Pairie. En Angleterre la pairie, de re'elle qu'elle etoit,
devint personnelle sous Edouard III ; consequence de
cette innovation, I, 43.
Palatin de Hongrie. Son election; ses fonctions, I, 83.
Papes. La question de savoir si les papes ont le droit de
detroner les rois catholiques est serieusement agitee
dans les etats-generaux de 16 14; discours du cardinal
du Perron ; reponse du president du tiers-etat; arret
du parlement ; arret du conseil , II , 248. Voyez Phi-
lippe-le-Bel , Sixte-Quint, Tiers-Etat, Universites.
Parlement de France. II recoit une organisation regu-
liere sous Philippe-le-Bel , I, 176.
TABLE DES MATIERES. 829
— Les premiers presidents des parlements du royaume
sontappeles a I'assemblee de i558, II, 26.
— Le president Saint-Andre remercie le roi au nom de
toutes les cours superieures, de ce qu'il avoit uni aux
etats du royaume un quatrieme ordre forme des ma-
gistrals qui, depositaires de son autorite, rendoient
la justice en son nom , II, 32.
— Courageuse resistance du parlement de Paris lorsqu'il
fut question aux etats-generaux de iSgS de changer
I'ordre de succession au trone et d'y appeler a la place
de Henri IV Isabelle d'Espagne, II, 197, note.
— Remontrances du president Le Maitre au nom du
parlement sur cet objet, II, 200.
— Reponse du due de Mayenne et trait de fermete du
president Le Maitre, II, 2o3, note.
— Le parlement est divise en trois sections sous la Ligue,
II, 207.
Parlement d'Angleterre. Cette assemblee n'etoit origi-
nairement composee que du roi et des vassaux de la
couronne ; les depute's des bourgs en etoient exclus ;
lutte continuelle dans laquelle cet etat de choses pla-
^oitleroi avec la noblesse ; traite du 19 juin 121 5, ap-
pele grande cliarte d'Angleterre, qui met fin a cette
lutte; ses principales dispositions, I, 35.
— Les de'pute's des bourgs ne sont admis au parlement
qu'en I'an 1294, sous Edouard T', I, 39.
— Reunis dans un local separe, ils ne font partie de cette
assemblee que pour le vote de I'impot, 1,4'-
Pays-Bas. Voyez Etats-Generaux de Flandre.
Petition. Celle qui fut remise aux etats de i6i4 par le
seigneur de Vertaul, tresorier de France, dans laquelle
33o TABLE DES MATI]^RES.
il expose les persecutions que lui a fait subir le due de
Nevers, II, 2361
Philippe-Auguste. Son caractere; progres que la civili-
sation a faits sous son reg-ne, 1 , 126 et suiv.
— II reunit au domaine de I'etat une partie des pro-
vinces qui en avoient ete de'tachees ; il organise des
tribunaux , favorise I'instruction publique ; disposi-
tions de son ordonnance sur I'universite de Paris ; sa
reponse a Tarabassadeur d'Angleterre , I, 19.8, 129,
i3o, note. Voyez Puissance legislative.
Philippe-le-Bel, Son caractere , sa politique; il acheve
de dompter la puissance fe'odale , et sur la fin de son
regne on ne distingue plus qu'un roi et des sujets,
1,175.
— II organise le parlement de Paris; sa querelle avec
Boniface VIU ; il convoque et consulte la nation en-
tiere sur les pretentions de ce pape ; cette convocation ,
qui eut lieu en 1 3o3 , est Torigine de nos etats-gene-
raux, I, 176 et suiv.
— Lettre de Boniface VIII a Philippe-le-Bel et de ce
dernier a Boniface, I, i83, 184.
— En i3i3 il reunit une seconde fois les etats-generaux
pour voter I'impot ; ils sont convoques a la meme
epoque en Angleterre et pour la meme cause, I, i85,
note.
PniLiPPii-LE-HARDi. Sous son regne la France passe d'une
espece de gouvernement federatif au pouvoir absolu ;
son despotisme, I, 16^ et suiv.
Philippe-le-Long. Son ordonnance du 39 juillet i3i8,
qui revoque toutes les alienations du domaine faites
par son frere, son pere et son a'ieul, a servi de fonde-
TABLE DES MATIERES. 33 1
ment a la maxime que le domaine de I'etat est inalie-
nable, I, 198.
— Sous son regne, les eglises nej)euvent posseder aucun
fief sans en avoir obtenu la permission, I, 198.
Philippe-de-Valois. Sous le re(jne des trois fils de Phi-
lippe-le-Bel, il dirige toutes les affaires de I'etat, I, ig3.
— Son caractere, sa fiscalite ; les mesures arbitraires
qu'il emploie pour se procurer de I'argent: c'est par
son ordonnance du 20 mars i343 que fut etablie la
gabelle, I, i63, 199, 201.
'PoDESTAT. Voyez Republiques cCItalie.
Portugal. II subit le sort des autres provinces d'Espagne
dans la decadence de I'empire romain, et devient dans
la suite un royaume d'Espagne, I, aS, note.
— Sa constitution. Voyez Cortes de Portugal.
— Orifjine de la maison de Brajjance, I, 34-
PouvoiR ExEcuTiF. Appartenoit aux princes sous les an-
ciens Germains, I, 106.
PouvoiR MUNICIPAL. Rendu aux communes au douzieme
siecle, I, i23. Voyez Communes.
Pragmatique de saint Louis. Ses dispositions, I, i45.
~ De Charles VII. Son origine ; ses principales disposi-
tions; debats auxquels elle donne lieu; elle est abolie
par Louis XI aux etats-generaux de i483; le tiers-etat
en demande le retablissement ; le clerge s'y oppose, I,
368, note.
Pretres. Caractere et fonctions de ceux des Germains,
1,91.
— L'orateur de la noblesse deinande aux etats d'Orleans
que les pretres soient tenus de resider dans leurs be'-
nefices, II, 83.
332 TABLE DES MATIERES.
Puissance legislative. EUe residoit dans la nation en-
tiere sous les anciens Germains, I, io6.
— Comment exercee sous Charlemajjne , I, 107.
— • Philippe-Aug^uste fait le premier pas pour la recon-
querir sur les seigneurs qui Tavoient usurpee, I, i33,
note. Voyez Kemonlrances.
R.
Regence. La minorite de Charles VIII etoit la sixieme '
depuis Hugues Capet ; details sur la maniere dont la
regence a ete conferee k ces differentes epoques , I ,
358, 36o.
— La mere de saint Louis est la premiere femme depuis
Hugues Capet investie de la regence ; troubles occa-
sione's par cette innovation, I, 36 1.
— Discours de Philippe Pot, seigneur de la Roche, sur
la question de savoir si les etats pouvoient disposer
de la regence; decision des etats, I, 353.
— Le due de Normandie regent pendant la captivite du
roi Jean; etatde la France sous cette regence, I, 277,
284 et suiv.
— Catherine de Medicis se fait conferer la regence par
leroi mineur apres la mort de Francois II, II, 66.
— Elle passe ensuite a un conseil preside par elle; re-
glement ace sujet; ses dispositions, II, 90.
— Marie de Medicis, regente pendant la minorite de
Louis XIII, assemble le conseil qui propose la convo-
cation des etats-generaux , II, 229.
Remontrances. Seul raoyen a I'aide duquel , a I'exception
du vote de I'impot, le peuple prend part a la puis-
TABLE DES MATIERES. 333
sance legislative sous le regne de Philippe-le-Bel et les
suivants, I, 192.
— Celles des e'tats de i6i4 sur les depenses de la maison
du roi, n, 261.
Republiques d'Italie. Dans toutes les republiques la
puissance legislative etoit exercee par I'universalitedes
habitants, et le pouvoir executif par des magistrats au
choix du peuple, I, 6.
— A cette magistrature collective ces republiques substi-
tuerent dans la suite un magistrat connu sous le nom
de podestat, 1,7.
Republique federative. Voyez Ligue anseatique.
Ressort. Voyez dernier Ressort.
Sainte-union. Voyez Union.
Satire menippee. Reflexions sur les suites de cette satire,
II, 207, note.
Seigneurs. Leurs devoirs envers le roi, I, i5.
— Juges en dernier ressort dans leurs terres'sous Hugiies
Capet, ils s'en rendent les seuls legislateurs, I, n6.
— Confiscations, taxes, qu'ils imposent, I, g.
— Droit de vie et de mort attribue aux seigneurs hauts-
justiciers, I, 117.
— lis nomment un comite pour examiner si les excom-
munications du pape sont injustes. Voyez Ligue des
seigneurs contre le cterge.
Serment. Formule du serment des deputes aux etats-
generaux, IT, aSg.
Sixte-Quint. Sabulle contre Henri IV, II, iSg.
SouvERAiNETE. Le roi n'en jouit qu'a titre de depot. II ne
334 TABLE DfcS MATltlRES.
peut I'aliener sans le concours de la nation, I, 297.
Voyez dernier Ressort.
Subside. Voyez /mpof. ■ ;. >.
SuccEssiBiLiTE Au TRONE. Voycz Ordre de successibilite.
Suede. Origine de sa constitution ; ses principales dispo-
sitions ; droit d'elire le roi attribue aux assemblees ;
leurs autres attributions ; leur division en quatre
ordres , 1 , 49 ^^ suiv.
— Le droit d'election est aboli et la couronne declaree
hereditaire en Suede par les e'tats-generaux de i546,
1,54.
Suisse. Etat de la Suisse avant qu'elle fit la conquete
de sa liberie; cette liberte due au couragfe de Guillaume
Tell se consolide par la victoire remporte'e par les
Suisses sur Leopold III, I, 56.
— Par suite de ce grand evenement les cantons d'Uri , de
Schwitz, d'Underval, qui d'abord ne s'etoient unis que
pourdix ans, contractent une alliance perpetuelle, etla
reunion successive des autres cantons a ceux-ci forme
la Confederation Suisse, 1, 60, 61.
— Maximilien I" defait par les Suisses conclut avec eux
un traite' qui les affranchit de sa juridiction imperiale,
I, 62, 63.
Thou (president de), celebre bistorien du seizieine siecle;
notice sur sa vie, II, 177, note.
TiERs-ETAT. II est admis pour la premiere fois sous Phi-
lippe-le-Bel aux assemblees nationales, et, reuni au
clerge et a la noblesse, il forme un troisieme ordre
dans I'etat, I, 179.
TABLE DES MATIERES. 335
— Des causes qui ont retarde et fait introduire cette im-
portante innovation, I, i4.
— II ecrit au roi Philippe-le-Bel pour le prier de main-
tenirles droits de sa couronne contre les pretentions de
Boniface VIII, I, 182.
— Le tiers-etat ne concourt dans les assemblees qu'au
vote de I'impot, I, 190. Voyez Remontrances.
— Ses doleances au roi lors des etats tenus h Tours sur
I'epuisement du royaume, et sur les causes de cet epui-
sement qu'il attribue au clerge, I, SyS.
— Epoque a laquelle le tiers-etat est entre dans le parle-
ment d'Angleterre ; circonstances qui ont aniene ce
grand evenement, I, Sq, i85, note. Voyez Parlement
d'Angleterre.
Troubadours. Voyez Chevalerie.
u.
Union, sainte-union. Son origine et son organisation,
II, i3o, 149.
— Dissoute dans son principe par I'autorite de Chris-
tophe de Thou, elle se reforme sous I'influence du mar-
quis d'Humieres; ses statuts, II, i56.
— Memoire presente au pape par la sainte-union par
lequel elle le sollicitoit de se reunir h elle, pour sub-
stituer la maison de Lorraine aux descendants de
Hugues Capet, II, i34.
— Le roi se declare chef de la sainte-union, II, i36.
— Faction des Seize, II, i58.
— Memoire presente au roi par le premier president
Christophe deThou sur les dangers de la sainte-union,
II, 1 65, note.
336 TABLE DES MATIERES.
— Le due de Mayenne fait renouveler le serment de I'u-
nion pour apaiser le legat du pape, II, 220.
— Elle fait enfermer a la Bastille le premier president ,
le procureur-gene'ral ; elle fait pendre un president at
deux conseillers, II, 197.
Universites. Etat des universites du royaume pendant
le treizieme siecle ; ordonnance de Philippe-Auguste
''^ sur cet objet, I, 1 3o.
— Effet de la protection qu'il accorde aux universites ;
^ details curieu)(-'^||^j^^ux qui les frequentoient, I, i32,
note. " ''"■'
— Adherent a I'appel au concile des pretentions du pape
BonifaceVIII,I,i8i.
V.
Venalite des emplois de la magistrature. Depuis la
mort de Charles VII, on en fit un honteux trafic, I, 366.
FIN de la table des MATIERES.
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Series 9482
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