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Full text of "Des assemblées nationales en France, depuis l'établissement de la monarchie jusqu'en 1614"

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DES 


ASSEMBLIES  NATIONALES 


EN  FRANCE. 


ss^v.^^^.  ^%^>>i;^,.  , 


lUPRIMEniE  DE  JBLES  DIDOT  aInE. 
ImprioMur  du  Roi,  ma  du  PoDt-d«-Lodi,  a'  6. 


DES 

ASSEMBLIES  NATIONALES 

EN  FRANCE, 

DEPUIS  L'fiTABLISSEMENT  DE  LA  MONARCHIE 
jusqu'en  1614, 

PAR  M.  LE  BARON 

HENRION  DE  PANSEY, 

fREMIEa  PR£SIDEMT   OS   LA  COUB  DE  CASSATION,  CONSEILLES  d'^TAT, 

CHEr   DU   CONSEIL  OE  S.  A.  R.  M'>  LE   UUC   d'oRU^ANS, 

COHMANDEUR  DE  l'oRDKE  ROYAL  DE  LA  l£giON  d'hONNEUR, 

CHEVALIER  DE  l'oRDRE  DE  SAtNT-MICHEL. 

SECONDE  Edition. 


TOME  PREMIER. 


PARIS, 

THfeOPHILE  BARROIS  PERE  ET  BENJAMIN  DIJPRAT, 

nUF,    HAUTEFEiriLI-K,    IS"    28. 

1829. 


Digitized  by  tine  Internet  Arciiive 

in  2007  witii  funding  from 

IVIicrosoft  Corporation 


littp://www.arcli  ive.org/details/desassemblesnaOOIienriala 


AVIS  DE  L'fiDITEUR. 


Les  additions  nombreuses  faites  a  cette  seconde 
edition  doivent  la  faire  regarder  comme  un  nou- 
vel  ouvrage  du  venerable  magistrat  que  nous  ve- 
nous de  perdre.  Ne  considerant  sa  premiere  edi- 
tion que  comme  un  simple  essai,  M.  Henrion  s'est 
occupe  jusqu  a  son  dernier  jour  de  perfectionner 
et  de  completer  son  travail.  Quelques  heures 
avant  sa  mort  il  se  faisoit  relire  les  pages  de  son 
manuscrit,  et  dictoit  encore  ses  corrections  avec 
une  puissance  de  jugement  qui  faisoit  esperer  la 
prolongation  de  sa  noble  carriere. 

Nous  n'entreprendrons  pas leloge  de  M.  Hen- 
rion de  Pansey.  Des  voix  eloquentes  ont  rendu 
hommage  a  son  savoir  profond,  a  la  beaute  deson 
arae,  a  son  patriotisme  eclaire.  G'est  a  ces  qualites 
quil  dut  son  elevation  aiix  plus  hautes  fonctions 
de  la  magistrature  et  de  Tetat.  Mais  la  niodestie, 
qui  ne  I'abandonna  jamais  dans  une  vie  si  pure  et 
si  honorable,  nous  defend  de  parler  de  son  merite 
eminent  a  la  tete  dun  ouvrage  dont  la  publication 
a  ^e  comiiiencee  par  lui-meme. 

Boraons-nous  done  a  indiquer  en  qtioi  cette 
edition  se  distingue  dela  precedente.  Dafns  Tintro- 


VJ  AVIS   DE    l'^DITEUR. 

duction  M.  Henrion  de  Pansey  a  trace  I'histoire 
des  gouveniements  de  I'Europe  au  moyen  age  et 
dans  les  temps  modernes.  Ainsi  le  lecteur  com- 
prendra  mieux  le  veritable  etat  de  la  nation  fran- 
coise  apres  I'avoir  comparee  avec  les  peuples  qui 
I'entourent;  et,  voyant  les  uns  soumis  au  regime 
feodal,  d'autres  en  proie  a  Tanarcliie,  il  recher- 
cbera  les  causes  de  liberte  ou  d'oppression  qui  ont 
influe  sur  des  peuples  voisins. 

A  certaines  epoques,  et  notaniment  dans  le 
treizienie  siecle,  il  s  est  opere  d'un  regne  a  un 
autre  des  changements  importants  dans  la  societe 
politique  de  la  France ;  et  en  presentant  dans  la 
premiere  edition  nos  assemblees  nationales  isolees 
Tune  de  I'autre,  peut-etre  I'auteur  avoit-il  trop 
compte  sur  les  connoissances  ou  sur  la  memoire 
du  lecteur.  Pour  repondre  a  cette  objection, 
M.  Henrion  de  Pansey  a  retrace  les  evenements 
qui,  a  ces  differentes  epoques,  avoient  prepare 
ou  necessite  la  convocation  des  etats-g^neraux. 
Ces  additions,  qui  lient  entre  elles  les  differentes 
parties  du  livre ,  en  font  en  meme  temps  une  veri- 
table histoire  de  notre  pays,  consideree  sous  les 
rapports  qui  occupent  le  plus  aujourd'hui  les  es- 
prits  serieux.  Nous  pouvons  maintenant  suivre  les 
progres  de  la  civilisation  en  France  dans  le  deve- 
loppement  successif  de  nos  institutions. 


AVIS  DE   l'6dITEUR.  vij 

On  aime  d'ailleurs  a  voir  ce  peuple,  que  bien 
desgens  croient  ne  d'hier^laliberte,  se  montrer 
dans  tons  les  temps  fier  et  jaloux  de  ses  droits.  La 
forme  actuelle  de  notre  gouvernement  a  ses  pr^- 
liminaires  dans  nos  anciennes  assemblees  natio- 
nales,  qu  un  homme  d'esprit(  i )  a  si  ingenieusement 
appelees  les  titres  de  noblesse  de  la  Charte. 


(i)  M.  de  Salvandy. 


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TABLE 

DES  CHAPITRES 

CONTENUS  DANS  CE  VOLUME. 


Introduction.  De  la  liberte  en  Europe  dans  le 
moyen  kge.  Des  republiques  d'ltalie.  De  la  ligue 
Anseatique.  De  I'etablissenient  des  communes. 
Des  cortes  d'Espagne.  Des  cortes  de  Portugal.  Du 
parlement  d'Angleterre.  Des  etats  de  Flandre.  Des 
constitutions  de  la  Suede.  Des  Cantons  suisses. 
De  I'empire  d'Allemagne.  Du  royaume  de  Hon- 
grie.  Page       i 

Chapitre  premier.  Des  assemblees  nationales  sous 
les  deux  premieres  races.  (48 1 — 987.)  89 

Chap.  II.  La  France  depuis  Hugues  Capet  jusqu'a 
Philippe-le-Bel.  (987—1285.)  ii3 

Chap.  III.  Philippe-le-Bel.  Origine  des  etats-gene- 
raux.  (1285 — i3i4.)  174 

Chap.  IV.  Suite  du  chapitre  pre'cedent.  Changement 
dans  la  constitution  de  I'etat.  1 90 

Chap.  V.  Qu'il  n'y  eut  point  d'etats-generaux  sous 
les  quatre  premiers  successeurs  de  Philippe-le- 


X  TABLE   DES   CHAPITRES. 

Bel.  Expedient  employe  pour  subvenir  aux  de- 
penses  extraordinaires,  sans  recourir  a  la  nation. 
(i3i4 — i35o.)  Page  igS 

Chap.  VI.  De  I'etat  de  la  France  depuis  I'avenement 
du  roi  Jean  au  trone,  en  i35o,  jusqu'a  I'ouver- 
ture  des  etats-ge'ne'raux  en  i355.  203 

Chap.  VII.  Etats-gene'raux  de  i355.  212 

Chap.  VIII.  De  I'etat  de  la  France  et  de  la  disposi- 
tion des  esprits  a  I'ouverture  des  etats-gene'raux 
de  I 356.  223 

Chap.  IX.  Etats-generaux  de  i356.  232 

Chap.  X.  Suite  des  etats-generaux  de  i356.  246 

Chap.  XI.  Observations  sur  les  etats-gene'raux  de 

i356. 
Chap.  XII.  Etats  de  la  langue  d'oc,  tenus  a  Toulouse 

au  mois  de  septembre  de  I'annee  i356.  271 

Chap.  XIII.  Etats-generaux  de  I'annee  i357.  277 

Chap.  XIV.  Etats-generaux  tenus  k  Compiegne  en 
i358.  280 

Chap.  XV.  fitat  de  la  France  a  I'ouverture  des  etats- 
generaux  de  i35g.  284 
Chap.  XVI.  Etats-generaux  de  i35g.  288 

Chap.  XVII.  Suite  des  etats-gene'raux  de  1359.  Re- 
prise des  hostilites.  Paix  de  Bretigny.  293 

Chap.  XVIII.  Etats-ge'neraux  de  I'annee  1367.  299 

Chap.  XIX.  Etats-generaux  de  1369.  3o3 

Chap.  XX.  Suite  des  e'tats-generaux  de  iSSg,  et  de 
I'etat  de  la  France  jusqu'aux  etats-generaux  de 
i38i.  3i3 


TABLE   DES   CHAPITRES.  X) 

Chap. XXI. Charles VI. Etats-generaux del 38 1.  Page  32 1 
Chap.  XXII.  Charles  VII.  3^3 

Chap.  XXIII.  Etats-generaux  de  il\&'].  33o 

Chap.  XXIV.  Mort  de  Louis  XI.  Difficultes  concer- 

nant  la  regence.  Convocation  des  etats-generaux.  344 
Chap.  XXV.  Etats-generaux  tenus  ^  Tours  en  i483.  348 


FIN  DE   la   table  UU  TOME   PREMIER. 


INTRODUCTION. 


De  la  liberte  en  Europe  dans  le  moyen  Age.  Des  repu- 
bliques  d'ltalie.  De  la  ligue  Anseatique.  De  I'etablisse- 
ment  des  communes.  Des  corles  d'Espagne  Des  cortes 
de  Portugal.  Du  parlement  d'Angleterre.  Des  eta'ts  de 
Flandre.  Des  constitutions  de  la  Suede.  Des  Cantons 
suisses.  De  I'empire  d'Allemagne.  Du  royaume  de 
Hongrie. 

Les  peuples  du  Nord  qui,  dans  le  cin- 
quieme  siecle,  s'emparerent  des  parties 
meridionales  de  I'Europe,  y  etablirent 
des  gouvernements  libres.  Trois  cents 
ans  apr^s  les  fiefs  etoufferent  la  liberte,  et 
du  sein  des  institutions  feodales  sortirent 
des  monarchies  dune  nature  aussi  bizarre 
que  nouvelle;  des  monarchies  ou  le  pou- 
voir  etoit  attache,  non  :a  la  couronne, 
mais  k  la  propriete;  ouleroi  n'etoit  puis- 
sant dans  son  royaume  que  par  les  sei- 
gneuries  qu'il  y  possedoit;  ou  chaque 
seigneur,  sans  avoir  le  titre  de  roi,  en 
avoit  a-peu-pres  la  puissance  dans  les  fiefs 


2  INTRODUCTION. 

•  dont  il  etoit  le  proprietaire  ou  le  suzerain. 

La  loi  des  fiefs  formoit  alors  le  seul 
droit  public  de  I'Europe.  Les  rois  ne  pou- 
voient  commander  qu'en  son  nom,  ne 
pouvoient  exi(>er  que  ce  qu'elle  leur  ac- 
cordoit.  Etablie  par  des  hommes  qui  ne 
connoissoient,  qui  n'estimoient  que  la 
profession  des  armes,  le  service  militaire 
etoit  le  principal  ou  plutot  I'unique  objet 
de  sa  sollicitude;  elle  en  regloit  avec  un 
soin  minutieux  les  conditions  et  les  char- 
ges. Dans  son  systeme,  quiconque  occu- 
poit  un  rang  dans  la  hierarchic  feodale 
ne  devoit  k  ses  superieurs,  au  roi  lui- 
meme,  que  ce  qu'il  avoit  le  droit  d'exiger 
de  ses  inferieurs;  de  maniere  que  tout 
homme  qui  possedoit  un  fief  pouvoit 
mettre  sur  pied  autant  de  soldats  quil 
avoit  de  vassaux. 

Cette  forme  de  gouvernement  avoit 
organise  I'anarchie  dans  tons  les  pays 
soumis  au  regime  feodal.  Par-tout  I'ordre 
legal  avoit  fait  place  a  une  espece  de  droit 
des  gens  inconnu  jusqu'alors.  Les  hauts 


INTRODUCTION.  3 

seigneurs  se  croyoient  en  droit  de  trailer 
enlre  eux,  et  avec  le  roi  lui-meme,  de 
puissance  k  puissance.  Cliaque  grande 
baronnie  avoit  ses  frontieres,  ses  places 
fortes,  son  armee;  et  comme  aucune  de 
ces  armees  n'etoit  assez  puissante  pour 
obtenir  des  avantages  decisifs,  pendant 
trois  siecles  les  guerres  ne  furent  que  des 
brigandages  organises  et  les  paix  que  des 
treves  de  courte  duree. 

Au  milieu  de  ces  desordres,  dans  ce 
flux  et  reflux  de  defaites  et  de  succ^s,  de 
seigneuries  usurpees  et  reconquises,  en 
un  mot  sur  ce  theatre  de  desolation,  on 
ne  voit  que  des  rois  et  des  seigneurs;  et 
Ton  se  demande  ce  que  faisoient  alors  les 
habitants  des  villes  et  des  campa(]nes; 
quelle  etoit  leur  condition  :  cela  est  pe- 
nible  a  rappeler,  mais  il  faut  bien  le  dire: 
leur  condition  etoit  deplorable.  Cepen- 
dant  nous  allons  voir  ces  memes  hommes 
figurer  dans  les  assemblees  nationales 
comme  membres  du  corps  politique,  et 
partager  avec  la  noblesse  et  le  clerge  le 


4  INTRODUCTION, 

droit  de  s'imposer  eux-memes.  Comment 
cette  grande  revolution  s'est-elle  operee? 
k  quelles  causes  faut-il  attribuer  un  chan- 
gement  aussi  extraordinaire  dans  I'etat  de 
la  societe?  Ces  causes,  je  les  vois  dans 
I'extension  du  commerce,  dans  les  pro- 
gres  de  la  civilisation,  dans  I'affranchisse- 
ment  des  communes,  et  sur-tout  dans 
la  necessite  ou  les  rois  se  trouverent  d'e- 
lablir  des  impots. 

Ce  commerce,  ces  arts,  cette  civilisa- 
tion, qui  font  aujourd'hui  notre  orgueil, 
nous  devons  leur  renaissance  parmi  nous 
a  cescroisades  qui  ensanglant^rentl'Asie, 
depeuplerent  I'Europe,  et  ruinerent  la 
noblesse.  Les  seigneurs,  persuades  que 
la  fortune  aussi  bien  que  la  gloire  les 
attendoit  au-dela  des  mers ,  et  que  Tar- 
gent  absorbe  par  les  frais  d'une  guerre 
aussi  sainte  seroit  place  k  un  interet  in- 
calculable, vendirent  leurs  terres,  et  les 
donn^rent  au  plus  bas  prix.  Les  rois  ache- 
terent  les  plus  importantes;  les  moins 
^considerables  pass^rent  dans  les  mains 


INTRODUCTION.  5 

des  particuliers;  et  le  premier  resultat  de 
ces  expMitions  romanesques  fut,  dans 
toutes  les  parties  de  ffiurope,  d'affoiblir 
laristocratie  au  profit  des  couronnes  et 
de  la  democratie. 

Ces  expeditions,  qui  jet^rent  I'Europe 
sur  J'Asie,  oper^rent  dans  le  commerce 
une  revolution  encore  plus  favorable  a 
la  liberte.  Les  premiers  croises  s  etoient 
diriges  sur  Constantinople  par  TAllema- 
gne  et  la  Hongrie;  ceux  qui  les  suivirerit 
prefererent  s'y  rendre  par  mer.  Les  villes 
de  Venise,  de  Genes  et  de  Pise,  four- 
nirent  les  batiments  de  transport,  et  en 
tirerent  des  sommes  prodigieuses :  ces  be- 
nefices eveillerent  I'industrie.  De  tons  les 
ports  d'ltalie  sortirent  des  vaisseaux  qui 
porterent  aux  armees  chretiennes  tons 
les  approvisionnements  qui  leur  etoient 
necessaires;  ces  vaisseaux  se  chargeoient, 
k  leur  retour,  des  objets  d'agrement  et 
de  luxe  qui  manquoient  k  I'Occident ;  ces 
objets,  dissemines  par  la  main  du  com- 
merce chez  tous  les  peuples  de  I'Europe , 


6  INTRODUCTION, 

leur  donnerent  des  besoins  nouveaux  et 
des  jouissances  nouvelles.  Bientot  J'ltalie 
devint  le  plus  grand  marche  qui  fut  alors 
dans  le  monde  ender;  et  la  plupart  des 
villes  furent,  les  unes  assez  riches  pour 
acheter  leur  independance,  et  les  autres 
assez  fortes  pour  la  conquerir. 

RfePUBLIQUES  D'lTALIE. 

II  seroit  trop  long,  et  d'ailleurs  tr^s  dif- 
ficile d'exposer  les  differentes  constitu- 
tions d'environ  trente  villes  qui  se  for- 
merent  alors  en  cites  independantes. 

Toutes  ces  constitutions  differoient  par 
quelques  nuances,  niais  elles  avoient  cela 
de  commun  que  dans  toutes  la  puis- 
sance legislative  etoit  exercee  par  I'uni- 
versalite  des  habitants;  que  dans  toutes 
le  peuple  elisoit  ses  magistrals  ;  qu'^  cote 
de  ces  magistrats  etoit  place  un  conseil 
compose  des  plus  notables  citoyens;  que 
les  magistrats  et  les  conseils,  elus  pour 
un,  deux,  ou  trois  ans,  etoient  investis 


INTRODUCTION.  7 

du  pouvoir  executif;  qu'en  consequence 
lis  avoient  I'admini  strati  on  de  la  cit^; 
mais  que  toutes  les  fois  qu'il  s'agissoit 
de  faire  la  paix  ou  la  guerre,  et  sur-tout 
quelques  changenients  dans  la  constitu- 
tion de  I'etat,  ils  etoient  obliges  den 
referer  a  Fassemblee  generale  des  ci- 
toyens  (i). 

Vers  la  fin  du  douzieme  siecle ,  il  se  fit 
un  grand  changement  dans  la  plupart 
de  ces  petites  republiques.  Aux  magistra- 
tures  collectives,  dont  nous  venous  de 
parler,  elles  substituerent  un  magistrat 
unique  sous  le  nom  de  podestat. 

Suivant  M.  Hallam,  dans  son  Histoire 
du  moyen  age  (2),  le  podestat  etoit  quel- 
quefois  ^lu  par  une  assemblee  generale, 


(i)  Si  I'oii  veut  des  notions  plus  exactes  sur  ces  diffe- 
rentes  constitutions,  il  faut  recourir  au  bel  ouvrage  de 
M.  Sismondi  sur  les  republiques  d'lialie.  On  peut  consul- 
ter  aussi  Y Histoire  de  Florence ,  par  Villani ,  et  les  Annates 
de  Genes,  par  Stalla. 

(2)  Tome  III,  pag^e  7 1 . 


8  INTRODUCTION, 

quelquefois  seulement  par  les  notables 
de  la  cite.  La  duree  de  sa  charge  etoit  d'uri 
an;  mais  on  prolongeoit  ce  terme  en  cer- 
taines  circonstances.  II  etoit  indispensa- 
ble qu'il  fut  dune  famille  noble,  dans  les 
etats  meme  ou  la  noblesse  du  pays  etoit 
exclue  de  toute  participation  au  gouver- 
nement.  II  recevoit  un  traitement  deter- 
mine. II  etoit  contraint  de  resfer  dans  la 
ville  apres  I'expiration  de  sa  charge,  pour 
repondre  aux  accusations  auxquelles  sa 
conduite  auroit  pu  donner  lieu.  II  ne  lui 
etoit  perinis  ni  d'epouser  une  femme  du 
pays,  ni  d'avoir  aucun  parent  domicilie 
sur  le  territoire  de  I'etat,  ni  meme  (telle 
etoit  leur  jalouse  defiance)  de  boire  ou 
de  manger  dans  la  maison  d'aucun  ci- 
toyen.  Ces  magistrats  ne  jouissoient  pas 
par-tout  du  meme  pouvoir  :  dans  quel- 
ques  villes  ils  commandoient  les  armees; 
dans  d'autres,  telles  que  Milan  et  Flo- 
rence, ils  n'avoient  qu'une  autorite  pure- 
ment  judiciaire. 


INTRODUCTION.  9 

LIGUE  ANSfiATIQUE. 

Le  nord  de  I'Europe  ne  tarda  pas  a 
partager  avec  le  midi  les  bienfaits  du 
commerce;  mais  les  pirates  sur  mer,  et 
sur  la  terre  les  seigneurs,  entravoient  les 
relations  commerciales  :  les  premiers  en 
rendant  les  communications  tres  peril- 
leuses;  les  seconds  par  les  droits  qu'ils 
imposoient  sur  les  marchandises  qui  tra- 
versoient  leurs  terres,  souvent  par  des 
confiscations  prononcees  sous  les  pre- 
textes  les  plus  frivoles,  quelquefois  meme 
en  organisant  des  bandes  de  voleurs  pour 
depouiller  les  marchands.  Telle  etoit  la 
foibJesse  des  gouvernements  d'alors  que 
ces  brigandages  s'exercoient  impunement 
et  publiquement. 

Ainsi  privees  de  la  protection  des  lois, 
les  villes  de  commerce  prirent  la  gene- 
reuse  resolution  de  se  proteger  elles- 
memes.  Mais  elles  ne  pouvoient  le  faire 
efficacement  qu'en  reunissant  leurs  forces. 


lo  INTRODUCTION. 

Elles  le  sentirent  et  se  coaliserent.  Magde- 
bourg  et  Lubeck  donnerent  I'exemple; 
et  vers  Je  milieu  du  treizieme  siecle  les 
villes  eparses  dans  les  vastes  contrees  qui 
s'etendent  du  fond  de  la  Baltique  jusqu'a 
Cologne  se  reunirent  au  nombre  de 
quatre-vingts,  etformerent  lafameuse  li- 
gue  Anseatique  qui,  sous  la  forme  dune 
republique  federative,  s'eleva  au  niveau 
des  monarques  les  plus  puissants. 

CHARTES  DE  COMMUNES. 

Les  grandes  villes  avoient  appele  la 
liberte ;  cette  meme  liberie  leur  donna  le 
gout  des  jouissances  intellectuelles.  Tel  est 
son  noble  cortege.  C'est  toujours  accom- 
pagnee  des  lettres,  des  sciences,  et  des 
arts  quelle  apparoit  sur  la  terre,  lors- 
qu'elle  s'y  montre  sous  ses  veri tables  traits. 

Comme  Fhomme  sent  avant  de  raison- 
ner,  et  que  I'imagination  est  la  premiere 
faculte  qui  se  developpe  en  lui;  en  France. 


INTRODUCTION.  ii 

comme  par-tout  ailleurs,  les  poetes  pre- 
ced^rent  les  savants ,  et  nous  eumes  d'a- 
bordnos  troubadours.  Les  esprits  netarde- 
rent  pas  k  se  porter  vers  les  sciences;  mais 
malheureusement  ils  prirent  une  fausse 
direction.  Au  lieu  d'etudier  I'homme,  la 
morale,  et  la  nature,  ils  s'egarerent  dans 
des  rechercbes  frivoles ;  et  la  dialectique 
des  Grecs,  la  tbeologie  scolastique,  les 
subtilites  metaphysiques  des  Arabes,  fu- 
rent  a-peu-pres  les  seuls  objets  de  leurs 
meditations  (i). 

Cependant  la  science,  telle  qu'on  la 
concevoit  alors,  etoit  couverte  de  la  vene- 
ration universelle.  On  a  peine  k  concevoir 
I'entbousiasme  qu'elle  inspiroit.  Quicon- 
que  se  distinguoit  dans  les  ecoles,  fut-il 
de  la  plus  basse  extraction ,  parvenoit  aux 
premiers  emplois  civils  et  aux  plus  hautes 


(i)  Par  exemple,  si  la  lumiere  qui  apparut  a  Jesus- 
Christ  sur  le  Thabor  etoit  creee  ou  increee. 


12  INTRODUCTION, 

dignites  de  I'Eglise.  Dans  les  colleges,  et 
sur-tout  dans  les  universites,  le  nombre 
des  etudian  ts  etoit  immense ;  k  Paris ,  disent 
quelques  historiens,  il  surpassoit  quel- 
quefois  celui  des  habitants.  Le  professeur 
Abailard(i)  avoit  habituellementplus  de 
trois  mille  auditeurs;  et  dans  I'impossibi- 
lite  de  trouver  des  salles  qui  pussent  les 
contenir,  il  donnoit  quelquefois  ses  le- 
cons  en  plein  air. 

Cette  revolution  dans  la  sphere  de  I'in- 
telligence  produisit  une  commotion  gene- 
rale,  et  de  cette  fermentation  sortirent 
les  chartes  de  communes;  ces  chartes  qui 
nous,  ont  donne  le  regime  municipal, 
bienfait  inestimable,  qui  a  brise  le  joug 
des   servitudes    feodales,   et    rendu   les 


(i)  Abailard  etoit  ne  au  Palais,  pres  de  Nantes,  en  1079. 
II  surpassoit  deja  tous  les  lettres  de  la  Bretagne  par  I'e- 
tendue  de  ses  connoissances,  lorsqu'il  vint  a  Paris  pour 
suivre  les  lecons  de  Guillaume  de  Champeaux ,  qui  pro- 
fessoit  la  theologie  a  I'ecole  episcopale ,  et  la  rhetorique 
a  celle  de  Saint- Victor.  A  son  retour  Abailard  tint  ecolc 
a  Melun ,  a  Corbeil ,  et  a  Paris. 


INTRODUCTION.  i3 

hommes  k  la  liberte  civile  (i).  Mais  il  y 
avoit  loin  encore  de  cette  liberte  civile  k 
la  liberte  politique,  je  veux  dire  au  droit 


(i)  Les  chartes  de  communes  differoient  par  quelques 
nuances.  En  France  ellesetoientuniformes  sur  les  points 
suivants : 

1°  Affranchissement  de  toutes  les  servitudes  person- 
nelles ; 

20  Abonnement  des  taxes  arbitraires  a  des  sommes  de- 
terminees ; 

3°  Ces  chartes  renfermoient  un  certain  nombre  de  dis- 
positions legislatives  qui  regloient  les  principaux  actes 
civils ,  et  fixoient  les  peiues  des  delits  les  plus  ordinaires , 
et  notamment  des  delits  de  police; 

4°  Elles  garantissoient  aux  membres  de  la  commune  le 
droit  de  n'etre  juges  que  par  leurs  pairs,  c'est-^-dire  par 
des  olficiers  de  leur  choix,  qui  avoient  la  manutention 
des  affaires  de  la  commune,  y  maintenoient  la  police, 
et  y  rendoient  la  justice ; 

5°  Ces  officiers  etoient  autorise's  a  armer  les  habitants 
toutes  les  fois  qu'ils  le  jugeoient  ne'cessaire  pour  la  de- 
fense de  la  commune  et  de  ses  privileges ,  soit  contre  des 
voisins  entreprenants ,  soit  contre  le  seigneur  lui-meme. 

Dans  la  charte  de  commune  de  la  ville  de  Saint-Jean- 
d'Angely,  Philippe  IV  non  seulement  permet,  mais  or- 
donne  aux  habitants  de  s'armer  et  de  repousser  par  la 
force  toutes  les  entreprises  contre  leurs  droits  et  leurs 
privileges. 

Dans  celle  de  la  ville  de  Roye,  il  est  dit  que  si'un  etran- 


i4  INTRODUCTION, 

qui  appartient  k  une  nation  de  s'im- 
poser  elle-meme,  et  de  concourir,  par  ses 
representants,  k  la  confection  des  lois  qui 
la  gouvernent.  A  quelle  epoque,  et  de 
quelle  maniere  cette  distance  a-t-elle  ete 
franchie?  G'est  ce  qui  nous  reste  k  exa- 
miner. 

,      INTRODUCTION  DU  TIERS-fiTAT 

DANS  L£S  ASSEMBLEES  NATIONALES. 

L'Europe ,  pendant  la  plus  grande  partie 
de  la  periode  que  nous  parcourons,  offre 
un  spectacle  aussi  bizarre  que  nouveau. 
Sur  le  premier  plan  se  presentent  les  rois 
et  les  seigneurs ,  rivaux  superbes  qui  ab- 
sorbent tous  les  regards;  et  dans  le  fond 
du  tableau  figurent  les  peuples  que  Ton 
apercoit  k  peine.  Les  rois,  converts  des 


ger  cause  quelque  dommage  a  la  commune,  et  qu'il  se 
refuse  a  la  sommation  de  le  reparer,  le  maire,  a  la  tete 
deses  concitoyens,  ira  detruire  I'habitation  du  coupable; 
et  que  si  les  forces  de  la  commune  sont  insuffisantes ,  le 
roi  y  joindra  les  sienne^. 


INTRODUCTION.  i6 

insignes  de  la  royaute,  ne  jouissent  des 
attributs  qui  ea  constituent  la  force  que 
dans  les  seigneuries  qui  leur  appartien- 
nent;  la  seulement  ils  ont  des  sujets.  Hors 
de  leurs  domaines  ils  n'ont  que  des  vas- 
saux;  et  ces  vassaux  ne  connoissent  d'au- 
tres  devoirs  que  ceux  que  la  feodalite  leur 
impose.  Enfin  les  peuples  courbes  sous  le 
joug  des  servitudes  feodales,  et  presque 
par-tout  attaches  ci  la  glebe,  sont,  comme 
les  terres  qu'ils  cultivent,  la  propriete  des 
seigneurs. 

Les  vassaux  du  roi  lui  devoient  un 
triple  service:  a  la  guerre,  dans  ses  con- 
seils,  et  dans  sa  cour  de  justice.  La  duree 
du  service  militaire,  proportionnee  h. 
limportance  du  fief,  etoit  ordinairement 
de  quarante  jours ,  quelquefois  desoixante, 
et  rarement  de  quatre-vingts.  Ce  temps 
expire,  les  seigneurs,  suivis  des  hommes 
d'armes  qui  les  avoient  accompagnes, 
quittoient  I'armee,  et  la  campagne  etoit 
finie. 

II  n'en   fallut   pas    davantage  tout    le 


i6  INTRODUCTION, 

temps  que  les  rois  n'eurent  k  combaitre 
que  les  pretentions,  n'eurent  a  reprimer 
que  les  entreprises  des  grands  feudataires. 
Comme  ces  sortes  de  guerres  exigeoient 
peu  de  preparatifs ,  que  pour  I'ordinaire 
les  combattants  residoient  sur  les  lieux 
qui  en  etoient  le  theatre,  et  que  le  plus 
souvent  unecampagned'un  mois  ou  deux 
suHisoit  pour  les  terminer,  quiconque 
possedoit  un  fief  etoit  toujours  pret  a  re- 
pondre  a  I'appel  de  son  seigneur.  II  n'e- 
toit  question  alors  ni  de  solde,  ni  de  re- 
traite,  ni  de  decoration.  On  avoit  pris 
les  armes  pour  remplir  un  de">'oir,  on 
trouvoit  sa  recompense  dans  la  maniere 
honorable  dont  on  I'avoit  rempli. 

,  Ces  petites  guerres,  que  Ton  pourroit 
appeler  des  querelles  domestiques ,  occu- 
perent  exclusivement  tons  les  rois  de  I'Eu- 
rope  pendant  les  onzieme  et  douzieme 
siecles,  etmeme  pendant  une  [;rande  par- 
tie  du  treizieme.  Rattacher  a  leur  cou- 
ronne  les  prerogatives  et  les  domaines 
usurpes  par  les  grands  feudataires  fut, 


INTRODUCTION.  ''  17 

pendant  toute  la  duree  de  cette  periode , 
leur  grande,  leur  unique  affaire.  Gomme 
elle  exigeoit  I'emploi  de  tous  Jeurs  moyens, 
I'idee  de  prendre  part  k  ce  qui  se  passoit 
ailleurs  ne  se  presentoit  pas  meme  k  leur 
esprit. 

Enfin  I'autorite  royale  prevalut  sur  la 
puissance  des  seigneurs,  etl'Europe  chan- 
gea  de  face.  Libres  des  entraves  qui  jus- 
qu'alors  avoient  gene  leurs  naouvements 
et  comprime  leur  ambition,  les  rois  jet- 
tent  sur  les  pays  qui  les  environnent  des 
regards  inquiets  et  jaloux,  et  prennent 
respectivement  des  attitudes  hostiles. 

Transportee  sur  ce  nouveau  theatre, 
la  guerre  devint  une  science  qui  apprit 
aux  conquerants,  non  seulement  k  faire 
le  meilleur  emploi  de  leurs  forces,  mais 
a  les  augmenter  par  des  alliances  sage- 
ment  combinees.  Cette  lecon  ne  fut  pas 
perdue  pour  les  souverains  d'alors.  Les 
princes  qui  regnoient  sur  la  partie  septen- 
trionale  de  I'Espagne  se  reunirent  contre 
les  Maures  qui  en  occupoient  la  partie 


i8  INTRODUCTION, 

meridionale;  les  rois  d'Angleterre  s'allie- 
rent  avec  les  Flamands  centre  la  France; 
et  les  rois  de  France  avec  les  Ecossois 
centre  I'Angleterre. 

Jusque-la  les  souverains  avoient  convert 
leurs  depenses  avec  les  produits  de  leurs 
domaines  et  le  service  personnel  de  leurs 
vassaux;  mais  ces  ressources  se  trouve- 
rent  bien  inferi cures  k  leurs  besoins,  lors- 
qu'ils  s'armerent  les  uns  contre  les  au- 
tres.  Les  guerres  devenues  longues  et  plus 
opiniatres  exigerent  des  troupes  soldees; 
et  I'argent  en  devint  le  premier  mobile. 
Mais  comment  sen  procurer?  la  voie  des 
impots  netoit  pas  encore  ouverte;  les 
peuples  n'en  avoient  jamais  paye,  et  les 
rois  n'avoient  pas  le  droit  d'en  exiger. 
En  demander  a  leurs  sujets  et  n^gocier 
avec  eux  etoit  done  le  seul  moyen  d'en 
obtenir.  Ce  moyen  fut  mis  en  usage;  et 
ces  grandes  assemblees,  connues  en  Es- 
pagne  sous  le  nom  de  Cortes,  en  Angle- 
Jerre  sous  celui  de  Parlement ,  et  en 
France  sous  celui  d'Etats-Generaux,  fu- 


INTRODUCTION.  19 

rent  convoquees.  II  falloit  bien  que  les 
representants  du  peuple  y  figurassent  k 
cote  de  la  noblesse  et  du  clerge,  puisque 
le  peuple  devoit,  comme  ces  deux  or- 
dres,  et  meme  dans  une  proportion  plus 
considerable,  fournir  les  secours  dont  on 
avoit  besoin. 


CORTES  D'ESPAGNE*  i      -;; 


L'Espagnedonnal'exemple.Des  provin- 
ces qui  avoient  echappe  a  I'invasion  des 
Maures(i)  et  de  celles  qui  avoient  ete  suc- 


(1)  L'Espagne,  appelee  par  les  Grecs  Hesp^rie,  c'est-h- 
dire  occidentale ,  et  Iberie  a  cause  du  fleuve  Iberus,  I'Ebre', 
qui  I'arrose,  fut  conquise  environ  I'an  220  avant  Jesus- 
Christ  sur  les  Carthaginois  par  les  Remains,  qui  en 
ont  ete  maitres  plus  de  six  cents  ans.  Vers  le  commence- 
ment du  cinquieme  siecle  les  Sueves,  les  Goths,  les 
Alains ,  en  chasserent  les  Romains ,  et  y  regnerent  envi- 
ron trois  cents  ans.  li'an  712  les  Sarrasins ,  alors  maitres 
de  FAfrique,  y  lirent  une  invasion ,  et  y  regnerent  plus 
de  cinq  cents  ans. 

En  712  de  Jesus-Christ  (gS  de  I'hegire),  Mousa  ou 
Musa,  gouverneur  d'Afrique  pour  le  calife  Valid,  apres 

9.. 


3b  INTRODUCTION, 

cessivement  reconquises  sur  euxs'etoient 
formees  plusieurs  principautes. 

La  liberte  que  le  midi  de  I'Europe  avoit 
recuedes  peuples  dunord,  etouffeechezles 
autres  nations  par  le  regihie  feodal,  s'e- 
toit  entierement  mieuxconservee  dansles 
ames  fieres  et  genereusesdesEspagnols:  et 
tons  ces  petits  etats  avoient  chacun  leur 
constitution. 

Enfin  ces  differentes  principautes  se 
reunirent  aux  royaumes  de  Castille  et 

la  bataille  de  Xeres  en  Andalousie ,  gagnee  par  son  gene- 
ral Tarik ,  sur  Rodrigue ,  roi  d'Espagne ,  le  1 7  juillet  712, 
etendit  rapidement  ses  conquetes  en  Espagne,  et  soumit 
presque  tout  ce  vaste  pays  dans  le  cours  de  deux  ans.  Les 
villes  qui  se  donnerent  a  lui  sans  resistance  furent  main- 
tenues  dans  leurs  privileges  et  leurs  lois  ;  celles  qu'il  em- 
porta  d'assaut  furent  saccagees,  reduites  en  cendres,  et  • 
leurs  habitants  massacres  ou  condamnes  a  la  captivite. 
On  donna  le  nom  de  Maures  aux  nouveaux  conque'rants 
de  I'Espagne ,  parcequ'ils  etoient  venus  de  Mauritanie 
pour  la  plupart. 

Des  parties  de  I'Espagne  arrachees  aux  Maures  par  les 
Espagnols  refugies  dans  les  Asturies  se^  forma  d'abord 
le  royaume  connu  sous  le  nom  d'Oviedo,  dont  le  siege 
i"ut  transfere  a  Leon  en  984. 

Tandis  que  les  rois  de  Leon  s'occupoient  a  reconquerir 


INTRODUCTION.  21 

d'Aragon ;  les  constitutions  se  confondi- 
rentcomme  les  peuples;  et  la  Peninsule, 
danssapartie  occupeepar  les  Espagnols, 
n'eut  plus  que  *deux  (jouvernements. 

Cesgouvernements,  etablispardes  con- 
querants  qui  avoient  voulu  se  donner  des 
chefs  et  non  des  maitres,  n'avoient  des 
monarchies  que  le  nom  et  la  forme.  Tons 
ceux  qui  avoient  partage  les  travaux  et  le* 
dangers  de  la  guerre  avoient  part  au  pou- 


I'ouest  de  I'Espagne,  d'autres  princes  chretiens,  sortis 
des  Pyrene'es,  formoient  le  royaume  de  Navarre.  Le 
territoire  de  la  ville  de  Jaca ,  situee  dans  les  vallees  qui 
traversent  les  branches  meridionales  des  Pyrene'es,  suc- 
cessivement  accru  par  les  conquetes  de  ses  habitants  sur 
les  Maures,  devint  le  royaume  d'Aragon.  Jacques  I", 
roi  d'Aragon ,  soumit  la  ville  et  le  royaume  de  Valence , 
les  iles  Baleares,  et  le  royaume  de  Murcie.  Enfin  ,  dans 
les  dernieres  annees  du  quinzieme  siecle,  Ferdinand,  roi 
d'Aragon ,  termina  cette  lutte ,  qui  duroit  depuis  pres  de 
huit  siecles  ,  par  la  conquete  du  royaume  de  Grenade,  et 
par  la  prise  de  sa  capitale,  qui  eut  lieu  le  2  Janvier  i492* 
Par  le  mariage  de  Ferdinand  et  d'Isabelle ,  et  la  mort 
de  Jean  II  arrivee  en  i4795  l^s  vieux  royaumes  de  Cas- 
tille  et  d'Aragon  se  trouverent  reunis  a  jamais,  ef  for- 
merentla  monarcliie  d'Espagne. 


22  INTRODUCTION. 

voir ;  et  dans  aucun  pays  de  I'Europe  ce- 

lui  des  rois  n  etoit  plus  restreint. 

Dans  le  royaume  d'Aragon ,  les  cortes 
etoient  composees  de  quatre  armes  ou  clas- 
ses differentes ;  i  **  la  noblesse  du  premier 
rang;  2°  I'ordre  equestre  ou  la  noblesse  du 
second  rang ;  3"  I'ordre  ecclesiastique , 
compose  des  dignitaires  de  I'Eglise  et  des 
representants  du  clerge  inferieur;  4°  ^^^ 
representants  des  villes  et  des  bourgs. 
Aucune  loi  ne  passoit  dans  cette  assem- 
blee  sans  le  consentement  unanime  des 
quatre  ordres.  Seule  elle  etablissoit  les 
impots.  Le  roi  ne  pouvoit,  sans  son  aveu , 
faire  la  paix  ou  la  guerre.  Elle  avoit  le 
droit  de  redresser  tons  les  griefs,  de  re- 
former tons  les  abus,  de  reviser  tons  les 
jugements  et  tons  les  actes  de  I'administra- 
tion.  Elle  ne  pouvoit  etre  ni  prorogee 
ni  dissoute  que  de  son  consentement,  et 
la  session  duroit  quarante  jours. 

Avant  de  se  separer,  les  etats  nommoient 
nil  juge  supreme  qu'ils  3.^^e\o\e;nijustiza, 


INTRODUCTION.  23 

et  qui , dans lintervalle des  sessions,  exer- 
coit  une  autorite  bien  sup^rieure  k  celle 
du  roi.  Nous  lisons  dans  I'lntroduction  k 
YHistoire  de  Charles-Quint y  par  Robertson: 
«  La  personne  de  ce  fonctionnaire  etoit 
sacree ,  et  sa  juridiction  presque  sans 
bornes.  II  etoit  I'interprete  supreme  des 
lois.  Non  seulement  les  juges  iriferieurs , 
mais  encore  les  rois  eux-memes  eioient 
obliges  de  le  consulter  dans  tons  les  cas 
douteux,  et  de  se  conformer  ^  sa  decision 
avec  une  deference  implicite.  On  appeloit 
k  lui  de  tons  les  tribunaux.  II  ne  jouissoit 
pas  dun  pouvoir  moins  absolu  et  moins 
efficace  pour  reformer  I'administration 
du  gouvernement  que  pour  regler  le  cours 
de  la  justice.  Sa  prerogative  lui  donnoit 
I'inspection  sur  la  conduite  meme  du  roi. 
Le  justiza  avoit  droit  d'examiner  toutes 
les  proclamations  et  les  ordonnances  du 
prince;  de  declarer  si  elles  etoient  con- 
formes  auxlois;  si  elles  devoient  etremises 
a  execution.  Upouvoit,  de  sa  propre  au- 


24  INTRODUCTION, 

to  rite,  exclure  les  ministres  du  roi  de  la 
conduitedes  affaires,  etlesobligera  rendre 
compte  de  leur  administration. » 

Dans  le  royaume  de  Castille,  les  cortes 
n'etoient  compo,sees  que  de  trois  ordres ; 
la  noblesse,  le  clerge,  et  les  representants 
des  villes.  Ces  trois  ordres  s'assembloient 
dans  le  meme  local,  deliberoient  en  com- 
mun,  et  les  resolutions  etoient  prises  k 
la  pluralite  des  suffrages  :  leur  autorite 
etoit  k  peu  pres  la  meme  que  dans 
I'Aragon.  Le  pouvoir  executif  residoit 
dans  la  main  du  roi;  mais  des  limites 
tres  etroites  en  genoient  I'exercice.  Ce- 
pendant  les  cortes  de  Castille  n'avoient 
pas  imagine  d'etablir  un  justiza;  et  dans 
I'intervalle  des  sessions  le  roi  gouver- 
noit. 

L'organisation  de  ces  assembiees,  sur- 
tout  dans  I'Aragon,  etoit  vicieuse;  c'e- 
toit  I'abus  de  la  liberte.  Comment  de 
cet  exc^s  les  Espagnols  sont-iJs  tombes 
dans  I'autre?  cela  s'explique  en  peu  de 
mots.  Ferdinand  IV  ayant  reuni  la  Cas- 


INTRODUCTION.  25 

tille  a  TAragon  par  son  mariage  avec 
Isabelle,  il  arriva  k  ce  prince  ce  qui 
arrive  toujours.  L'accroissement  de  la 
puissance  augnienta  chez  lui  la  soif  du 
pouvoir,  et  Fabaissement  de  la  noblesse 
fut  sa  grande  affaire  pendant  tout  le  cours 
de  son  regne.  Apres  lui  le  despotisme  de 
Charles-Quint,  la  politique  artificieuse  de 
Philippe  II,  et,  sous  les  successeurs  de  ces 
deux  princes,  la  superstition  et  les  inquisi- 
teurs,  ont  faitle  reste. 

GORTlfeS  DE  PORTUGAL. 

Le  Portugal  a  eu  aussi  sa  loi  fonda- 
mentale.  Elle  est  connue  sous  le  nom  de 
Cortes  de  Lamego  :  en  voici  I'origine  (i). 


(i)  Le  Portugal ,  qui  comprend  Tancienne  Lusitanie , 
borne  a  I'occident  et  au  sud  par  I'Ocean,  a  Test  et  au 
nord  par  I'Espagne,  s'etend  sur  environ  cent  vingt-cinq 
lieues  de  longueur  et  soixante  de  largeur.  Dans  la  de'ca- 
dence  de  I'empire  romain  il  e'prouva  le  sort  des  autres 
provinces  d'Espagne,  et  fut  successivement  soumis  aux 
Su^ves  et  aux  Alains,  aux  Visigoths  et  aux  Maures.  En- 


26  INTRODtJGTION. 

Henri  de  Bourgogne,  ne  vers  I'an  1 060, 
petit-fils  par  Henri,  son  pere,  de  Ro- 
bert I^^  due  de  Bourgogne,  etant  venu 
au  secours  d'Alphonse  VI,  roi  de  Castille 
et  de  Leon,  contre  les  Maures,  recut  pour 
recompense  de  ses  services  la  main  de 
Ther^se,  fille  naturelle  d'Alphonse,  avec 
le  canton  de  la  Lusitanie,  situe  entre  le 
Douro  et  le  Minho,  sous  la  condition  de 
le  tenir  en  fief  et  d'en  rendre  hommage 
k  la  couronne  de  Castille.  Ce  prince  se 
signala  par  plusieurs  victoires  rempor- 
tees  sur  les  Maures  auxquels  il  enleva 
Visco,  Lamego,  Brague  et  Goimbre.  II 
mourut  en  I'annee  1 1 1 2. 


fin ,  apres  que  les  Espagnols  eurent  secoue  le  joug  des 
Barbares ,  le  Portugal  recouvra  sa  liberie ,  et  devint  dans 
la  suite  un  royaume  d'Espagne.  On  n'a  rien  d'assure  sur 
J'origine  du  nom  de  Portugal:  I'opinion  la  plus  com- 
mune est  qu'il  vient  de  celui  de  Partus  Cale  ou  Partus 
CaUce,  qu'on  donna  autrefois  k  la  ville  de  Porto  sur  le 
Douro ,  et  qui  s'etendit  ensuite  a  tout  le  diocese  situe 
entre  les  rivieres  de  Douro  et  Minho ,  puis  a  toutes  le» 
terres  qu'on  y  joi^nit  par  la  suite  des  temps. 


INTRODUCTION.  27 

Alphonse  Henriquez  son  fils  lui  succeda. 
x\ussi  grand  capitaine  que  son  pere,  il  fut, 
comme  lui,  continuellement  en  guerre 
avec  les  Maures.  Apres  une  grande  vic- 
loire  remportee  sur  cinq  rois  de  cette 
nation,  le  26  juillet  de  I'annee  1 189,  ses 
soldats  le  proclamerent  roi  de  Portugal; 
mais  ne  voulant  tenir  la  couronhe  que 
de  la  nation,  il  r^unit,  dans  la  ville  de 
Lamego,  les  eveques,  les  nobles  et  les 
notables  de  ses  etats,  qui  confirmerent  le 
choix  de  J'armee.  Cette  assemblee  est  I'e- 
poque  de  I'etablissement  de  la  monar- 
chie  du  Portugal.  Voici  comment  les  cho- 
ses  s'y  passerent. 

Le  roi  etant  sur  son  trone,  convert 
de  toutes  les  marques  exterieures  de  la 
royaute,  excepte  la  couronne,  Laurent 
Vjenegas,  son  procureur,  s'est  leve,  et 
a  dit : 

Don  Alphonse,  que  vous  avez  choisi 
pour  votre  roi  dans  la  plaine  d'Ourique, 
vous  assemble  ici  pour  vous  demander 
si   vous   persistez  a  le  vouloir  pour  roi. 


28  INTRODUCTION. 

Nous  desirons  et  nous  voulons  qu'il  soit 
notre  roi ,  repondit  toute  I'assemblee. 
Alors  Venegas  dit  :  De  quelle  mani^re 
voulez-vous  qu'il  re(i;ne  sur  vous  ?  seul , 
ou  avec  ses  enfants?  Seul  taut  qu'il  vivra; 
apres  sa  mort  ses  enfants  regneront.  Si 
c'est  Ik  votre  volonte,  ajouta  Venegas, 
donnez-lui  les  marques  de  la  royaute. 
Tous  repondirent  :  Donnons-lui  les  mar- 
ques de  la  royaute  au  nom  du  Seigneur ! 
Aussitot  I'archeveque  de  Brague  posa  sur 
sa  tete  une  couronne  dor  orne^ de  pier- 
reries.  Alphonse  avoit  I'epee  nue  k  la 
main.  Des  qu'il  eut  la  couronne  sur  la 
tete,  il  dit :  Je  vous  ai  delivres  avec  cette 
epee  de  I'esclavage  des  Maures;  j'ai  vaincu 
vos  ennemis;  vous  mavez  fait  votre  roi : 
etablissons  presentement  des  lois  pour 
maintenir  I'ordre,  la  justice,  et  la  paix 
dans  le  pays.  Tous  repondirent:  Nous  vou- 
lons et  nous  trouvons  a  propos  d'etablir 
telles  lois  qu'il  vous  plaira.  Gommandez , 
nous  obeirons,  nous,  nos  fils,  nos  filles, 
nos  petits-fils,  et  nos  petites-lilles.  Alors 


INTRODUCTION.  29 

le  roi  fit  approcher  les  eveques,  les  sei- 
gneurs, et  les  gouverneurs  des  places,  et 
leur  dit :  Faisons  des  lois.  Faisons  des  lois, 
direiit-ils  entre  eux  :  premi^rement  sur 
la  succession  du  royaunie.  Et  ils  firent  les 
suivantes. 

1°  Que  le  roi  Alphonse  vive,  et  qu'il 
possede  ce  royaume;  s'il  a  des  enfants 
males,  ils  lui  succederont  ainsi  :  le  fils 
succedera  au  pere;  apr^s  le  fils  le  petit- 
fils;  ensuite  le  fils  du  petit-fils;  ainsi  de 
tons  les  autres  jusqu'a  la  fin  des  siecles. 

2°  Si  le  premier  fils  du  roi  vient  k 
mourir,  le  second  sera  roi;  si  le  second 
meurt,  le  troisieme  sera  roi;  et  ainsi  de 
tous  les  autres  qui  succederont  les  uns 
aux  autres. 

3°  Si  le  roi  meurt  sans  enfants,  et  qu'il 
ait  un  frere,  il  sera  roi;  et  lorsqu'il  sera 
mort,  son  fils  ne  pourra  succeder  a  la 
royaute  k  mo  ins  que  les  eveques,  les 
gouverneurs  des  villes,  et  les  chefs  de  la 
noblesse  n'y  consentent.  S'ils  y  consentent, 
il  sera  roi. 


3o  INTRODUCTION. 

Laurent  Venegas,  procureur  du  roi, 
dit  aux  ^veques,  aux  gouverneurs,  et  aux 
seigneurs:  Le  roi  vous  demande  si  vous 
voulez  que  les  filles  succedent  a  la  cou- 
ronne,  et  s'il  faut  faire  des  lois  touchant' 
la  maniere  dont  elles  succederont.  Apres 
quelques  instants  de  reflexion ,  ils  repon- 
dirent :  Puisqu' elles  sont  aussi  du  sang 
royal,  nous  voulons  qu'elles  succedent, 
et  qu'on  etablisse  des  lois  sur  ce  qui  les 
regarde.  Alors  les  eveques,  les  gouver- 
neurs,  et  les  seigneurs  firent  les  regle- 
ments  suivants. 

1°  Si  le  roi  de  Portugal  metirt  sans 
enfants  males,  et  qu'il  laisse  une  fille, 
elle  sera  reine;  mais  elle  ne  pourra  se 
marier  qak  un  Portugais  noble,  lequel 
ne  sera  reconnu  pour  roi  que  lorsqu'il 
aura  eu  un  enfant  male  de  la  reine.  Lors- 
qu'il se  Irouvera  k  une  assemblee  avec 
elle,  nous  voulons  qu'il  se  place  k  sa 
gauche,  et  qu'il  soit  sans  couronne  a  la 
tete. 

2°  Nous  voulons  que  cette  loi  soit  tou- 


INTRODUCTION.  3i 

jours  observee;  savoir:  Que  la  fille  ain^e 
du  roi  se  marie  a  un  Portugais,  afin  que 
le  royaume  ne  puisse  jamais  passer  dans 
des  mains  etrangeres.  Si  elle  ne  le  fait 
pas,  elle  sera  des  ce  moment  exclue  de  la 
succession,  parceque  nous  ne  voulons 
point  que  la  couronne  tombe  en  d'autres 
mains  qu'en  celles  des  Portugais. 

Telles  sont  les  lois  que  nous  etablis- 
sons  touchant  la  succession  de  notre 
royaume.  Le  chancelier  les  lut  hautement. 
Toute  I'assemblee  dit :  Elles  sont  bonnes 
et  justes;  nous  voulons  qu'elles  soient 
observees  par  nous  et  nos  descendants. 

Venegas  reprit:  Le  roi  demande  si 
vous  voulez  faire  des  lois  touchant  le 
gouvernement  civil  et  touchant  la  no- 
blesse. Nous  le  voulons,  repondirent  tous, 
au  nom  du  Seigneur.  On  fit  les  lois  sui- 
vantes. 

i'  Tous  ceux  qui  descendront  de  la 
reine,  de  ses  fils,  et  de  ses  petits-fils,  se- 
ront  tres  nobles.  Tout  Portugais  (pourvu 
qu'il  ne  soit  ni  Maure  ni  Juif)  qui  aura 


32  IISTRODUGTION. 

delivre  le  roi  de  quelque  peril  sera  no- 
ble. S'il  a  ete  pris  par  les  infidel es ,  et  qu'il 
demeure  constamment  attache  k  la  loi  de 
Jesus-Christ,  ses  enfants  seront  nobles. 
Celui  qui  aura  tue  le  roi  des  ennemis ,  ou 
.son  fils,  ou  fait  prisonnier  son  ecuyer, 
sera  noble.  Toute  I'ancienne  noblesse  con- 
servera  son  rang ,  tel  qu'elle  le  possedoit. 
Tons  ceux  qui  ont  combattu  a  la  bataille 
d'Ourique  seront  toujours  nobles,  et  ap- 
peles  mes  sujets  par  excellence. 

2°  Si  des  personnes  nobles  se  sont  en- 
fuies  du  combat ;  si  elles  ont  frappe  une 
femme  de  leur  epee  ou  de  leur  lance;  si 
elles  n'ont  pas  delivre  dans  I'occasion 
d'un  peril  leroi,  son  fils,  ou  son  ecuyer, 
pouvant  le  faire;  si  elles  ont  porte  de 
faux  temoignages;  si  elles  ont  deguise  la 
verite  av  roi;  si  elles  ont  nial  parle  de  la 
reine,  ou  de  ses  fiUes;  si  elles  se  sont  reti- 
rees chez  les  Maures ;  si  elles  ont  vole ,  blas- 
pheme contreDieu  et  Jesus-Christ,  ou  at- 
tente  k  la  vie  du  roi ,  elles  seront  degradees, 
elles  et  leur  post^rite,  de  leur  noblesse. 


INTRODUCTION.  33 

Telles  sont  les  lois  qu'on  fit  touchant  la 
noblesse.  Le  chancelier  les  lut  k  haute 
voix.  Toute  I'assemblee  dit:  Elles  sont 
bonnes  et  justes,  et  nous  voulons  qu'elles 
soient  observees  par  nous  et  nos  descen- 
dants. 

Les  dispositions  qui  suivent  appar- 
tiennent  au  droit  civil ,  et  particuliere- 
ment  a  la  police;  on  y  remarque  I'article 
suivant :  Celui  qui  outragera  de  paroles  ou 
qui  frappera  un  gouverneur  de  place  ou 
tout  autre  magistrat,  sera  marque  d'un 
fer  chaud,  a  moins  qu'il  ne  lui  fasse  repa- 
ration dhonneur,  ou  qu'il  ne  lui  paie 
une  certaine  somme  d'argent. 

Ge  travail  termine,  Venegas  se  leva  et 
ajouta:  Voulez-vous  que  le  roi  paie  un 
tribut  au  roi  de  Castillo ,  et  qu'il  se  trouve 
aux  assemblees  de  ce  royaume  comme 
vassal  ?  Tons  ceux  qui  etoient  presents  se 
leverent,  mirent  I'epee  a  la  main,  et 
crierent  qu'ils  etoient  libres  et  leur  roi 
aussi.  Aces  mots  Alphonse,  ayantla  cou- 
ronne  sur  la  tete  et  I'epee  nue  a  la  main, 

3 


34  INTRODUCTION. 

se  leva  ci  son  tour  et  dit :  Vous  n'ignorez 
point  tout  ce  que  j'ai  fait  pour  vous  pro- 
curer la  liberte  dont  vousjouissez;  je  jure 
de  ne  rien  faire  et  de  ne  rien  entreprendre 
qui  ne  tende  a  vous  la  conserver;  que  tous 
ceux  qui  pensent  autrement  expirent  dans 
I'instant:  si  c'est  mon  fils  ou  mon  petit- 
fils,  qu'il  soit  prive  de  la  royaute.  L'as- 
semblee  applaudit,  et  les  etats  se  sepa- 
rerent. 

Telle  a  ete  jusqu'a  ces  derniers  temps 
la  loi  fondanientale  des  Portugais. 

C'est  en  vertu  de  cette  constitution 
qu'en  1640  le  Portugal  a  secoue  le  joug 
des  rois  d'Espagne  descendus  d'Isabelle  de 
Portugal,  mere  de  Philippe  II,  et  qu'il  a 
place  sur  le  trone  la  maison  de  Bra- 
gance. 

C'est  sur  le  meme  fondement  qu'en 
^777»  ^pres  la  mort  du  roi  Joseph,  de- 
cede  sans  enfant  male,  Marie-Francoise- 
Elisabeth  sa  fille  ainee,  mariee  avec 
D.  Pedre  son  oncle,  frere  du  roi,  a  ete 
procjanfiee  reine. 


INTRODUCTION.  35 

PARLEMENT  D'ANGLETERRE. 

En  Angleterre  (i)  Guillaume-le-Con- 
querant  substitua  le  regime  feodal  k  la 
liberie  que  ce  beau  royaume  avoit  recue 
des  Anglo-Saxons.  Mais,  suivant  Ja  loi 
des  fiefs,  le  vassal  devoit  servir  son  sei- 
gneur dans  ses  conseils  comme  dans  ses 
armees  et  dans  ses  cours  de  justice.  II  y 
eut  done  en  Angleterre  des  assemblees 
politiques  composees  des  vassaux  de  la 
couronne.Le  roi,  qui  en  etoit  le  president, 

(i)  Les  anciens  appeloient  cette  tie  Albio  ou  Britannia. 

Agricola  la  conquit  sous  le  regne  de  Domitien.  Elle  fut 
plus  qu'aucune  autre  partie  de  I'Europe  en  prole  aux  ra- 
vages des  peuples  du  Nord.  Vers  I'an  420  les  Scots  ou 
Ecossois  s'emparerent  de  sa  partie  occidentale,  et  en  for- 
merent  un  royaume.  En  449  l^s  Anglois  et  les  Saxons  y 
aborderent,  se  rendirent  maitres  des  pays  qui  n'etoient 
pas  occupes  par  les  Ecossois,  et  en  formerent  sept  royau- 
mes,  dont  trois  pour  les  A^ngloisettrois  pour  les  Saxons; 
le  septieme,  forme  de  la  principaute  de  Kent  et  de  File  de 
Wiglitjfut  lepartaged'une  petite  nation  sortie egalement 
des  cotes  du  Nord,  et  connue  sous  lenomde  Jutes.  Les  na- 
turelsdu  pays  resterent  maitres  de  la  principaute deGalles. 

Les  Anglois  eurent  le  meilleur  lot,  et  c'est  pour  cela  que 
les  autres  ont  ete  compris  dans  la  denomination  d'Angle- 
terre.  Rapin  Thoiras  fixe  cette  e'poque  a  I'annee  585, 

3. 


36  INTRODUCTION, 

les  convoquoit  lorsqu'il  le  jugeoit  neces- 
saire.  On  y  traitoit  de  la  paix,  de  la 
guerre,  et  de  tous  les  interets  de  I'etat. 

Tel  etoit  alors  Tabaissement  dupeuple, 
quel'idee  d'appeler  k  ces  grands  conseils(  i ) 
les  deputes  des  bourgs  ne  se  presentoit 
k  I'esprit  de  personne.  Ainsi  les  droits  de 
la  couronne  et  les  exigences  de  la  no- 
blesse etoient  constamment  en  presence 
et  dans  un  contact  habituel.  De  \k  des 
froissements  continuels,  qui  degener^rent 
en  une  rebellion  ouverte  surlafinduregne 
de  Jean-Sans-Terre.  Le  fameux  traite  que 
les  Anglois  appellent  leur  grande  charte, 
et  qu  ils  regardent  comme  le  palladium  de 
leurs  liberies,  termina  cette  lutte. 

Cette  charte  est  du  19  juin  121 5.  Elle 
se  compose  de  trois  parties.  La  premiere, 
qui  concerne  uniquement  le  clerge,  lui 
assure  le  droit  delire  ses  eveques,  et  de- 
termine le  mode  des  elections. 

La  seconde  modifie  et  regie  d'une  ma- 

(i)  Ces  conseils  prirent  le  nom  de  parlement  sous  le 
r^ne  de  Henri  III ,  qui  monta  sur  le  trone  en  1216. 


INTRODUCTION.  87 

niere  invariable  les  droits  du  roi  sur  les 
vassaux  de  la  couronne. 

La  troisieme,  dont  Tinfluence  se  fait 
sen  tir  encore  auj  oil  rd'hui,embrassetoutes 
les  classes  de  la  societe,  et  pent  etre  re- 
gardee  comme  le  fondement  de  la  liberte 
civile  en  Angleterre.  On  y  remarque  les 
dispositions  suivantes : 

Les  memes  poids  et  les  memes  mesures 
auront  lieu  dans  tout  le  royaume. 

Les  marchands  pourront  cireuler  libre- 
ment  sans  etre  assujettis  a  aucune  taxe. 
II  leur  est  permis  de  sortir  du  royaume 
et  d'y  rentrer,  quand  ils  le  jugeront  k 
propos. 

Londres,  les  villes  et  les  bourgs  con- 
servent  leurs  anciennes  libertes,  immuni- 
tes,et  franchises.  Onn'exigera  plus  d'elles 
aucun  subside  qui  ne  soit  accorde  par  le 
grand  conseil.* 

Aucun  individu  ne  pourra  etre  con- 
traint  k  reparer  des  chemins  ou  des  ponls , 
k  moins  qu'il  n'y  soit  oblige  par  des  titres 
particuliers. 


38  INTRODUCTION. 

11  n'est  permis  k  aucun  officier  de  la 
couronne  d'enlever  a  qui  que  ce  soit  des 
ehevaux,  des  charrettes,  oudu  bois,  sans 
le  consentement  du  proprietaire. 

Les  cours  de  justice  seront  fixees  dans 
des  lieux  determines.  II  leur  est  enjoint 
de  rendre  la  justice  publiquement.  11  leur 
est  defendu  de  la  differer,  de  Ja  refuser,  et 
encore  moins  de  la  vendre.  '•    '. 

Aucun  homme  libre  ne  peut  etre  ar- 
rete ,  emprisonne  ,  depossede ,  ou  con- 
damne,  que  par  lejugement  de  ses  pairs. 

Les  aniendes  doivent  etre  proportion- 
nees  k  la  fortune  du  condamne,  de  ma- 
niere  qu'elles  n'entrainent  pas  sa  mine 
totaJe. 

Nul  paysan  ne  pourra  etre  prive,  pour 
I'acquit dune  amende,  de  ses  charrettes, 
de  sa  charrue,  ou  autres  instruments  du 
labourage.  • 

Cependant  cette  charte ,  toute  favorable 
quelle  est  a  la  liberte  civile,  ne  change 
rienaletat  politique  du  pays,  et  nous  n'y 
voyons  encore  qu'une  monarchic  aristo- 


INTRODUCTION.  39 

cratique;  mais  les  temps  nesontpas  ^loi- 
gnes  ou  la  democratic  entrera  dans  le 
gouvernement,  et  partagera  I'exercice  de 
la  puissance  publique  avec  I'aristocratie. 
-  Ces  temps  arriverent  sous  le  regne 
d'Edouard  P*^.  Attaque  par  la  France  et 
par  I'Ecosse  reunies,  des  armees  nom- 
breuses,  et  par  consequent  des  sommes 
considerables  lui  etoient  necessaires;  mais 
les  taxes  que  la  loi  des  fiefs  I'autorisoit  k 
imposer  sur  ses  vassaux  etoient  bien  in- 
suffisantes ,  et  il  ne  pouvoit  rien  deman- 
der  au-dela.  Ce  prince,  qui  se  montra 
toujours  au  niveau,  des  circonstances , 
imagina  de  s'adresser  aux  habitants 
des  bourgs  (i),  de  leur  exposer  franche- 

(i)Icije  me  conforme  a  I'opinion  generate,  mais  ellen'est 
pas  parfaitement  exacte.  Avant  Edouard  I",  le  comte  de 
Leicester  s'etant  empare  du  trone,  apres  avoir  fait  Henri  III 
prisonnier,  assembla  un  parlement  compose  des  barons 
de  son  parti ,  auxquels  il  adjoignit  deux  chevaliers  de 
chaque  comte ,  et  des  deputes  elus  par  les  bourgs.  Mais , 
dit  David  Hume,  la  politique  de  Leicester,  s'il  faut  attri- 
buer  a  cet  ambitieux  un  si  grand  avantage ,  ne  fit  qu'ac- 
celerer  de  quelques  annees  I'etablissemeDt  d'une  insti- 


4o  INTRODUCTION, 

meiit  les  difficultes  de  sa  position,  et  den 
obtenir  ce  qu'il  n'avoit  pas  le  droit  d'exi- 
ger  (i).  Une  demarche  aussi  loyale  eut 
le  succes  quelle  devoit  avoir.  L'urgence 
des  besoins  ne  permettant  pas  de  nego- 
cier  avec  cliaque  bourg  en  particulier, 
Edouard  les  determina  k  nommer  des 
deputes  (2)  auxquels  il  ouvrit  I'entree  du 
parlenient,  et  qui,  reunis  k  la  noblesse, 
lui  accorderent,  toutes  les  fois  qu'il  crut 


tution  a  laquelle  I'etat  des  choses  avoit  deja  prepare  la 
nation  ;  autrement  il  seroitinconcevablequ'untelarbre, 
plante  par  une  main  si  empoisonnee,  eut  pu  croitre  et 
fleurir  au  sein  de  seniblables  orages.  {Histoire  d'Angle- 
terresous  Cannee  laGS.) 

(i)  Les  ordres  adresses  aux  sberifs  pour  ces  convoca- 
tions portoient  qu'ils  enverroient  deux  deputes  de  cha- 
que  bourg ,  investis  de  pouvoirs  suffisants ,  pour  consentir 
en  leur  nom  a  ce  dont  ils  seroient  requis  par  le  roi  et 
par  son  conseil.  On  lisoit  dans  le  preambule  de  ces  or- 
dres :  «  C'est  une  regie  tres  juste  que  ce  qui  est  de  I'inte'- 
ret  de  tous  soit  approuve  par  tous,  et  que  les  dangers 
communs  a  tous  soient  repousses  par  leurs  efforts  reunis. » 

(2)  Ceux  qui  etoient  elus  donnoient  caution  de  se  ren- 
dre  au  parlenient ,  et  le  bourg  pourvoyoit  a  leurs  de- 
pen  ses. 


INTRODUCTION.  4i 

devoir  les  convoquer,  les  secours  qui  fu- 
rent  juges  necessaires.  La  perception  de 
ces  impotsn'eprouvoit  aucune  resistance, 
parcequ'ils  etoient  librement  consen- 
tis.  Cette  grande  innovation  est  de  Fan- 
nee  1294. 

Les  deputes  des  bourgs  ne  faisoient  pas 
partie  du  parlement.  Reunis  dans  un 
local  separe  de  celui  qu'occupoient  les 
barons,  ils  ne  votoient  pas  avec  eux:  d^s 
qu'ils  avoient  donne  leur  consentement 
aux  taxes,  ils  se  separoient,  et  le  parle- 
ment continuoit  ses  seances  (i). 


(i)  L'impot  n'etoit  pas  e'galement  repartientre  les  trois 
ordres :  chacun  d'eux  accordoit  la  somme  qu'il  jugeoit  a 
proposdepayer.  Ainsi,dans  lavingft-troisiemeanneed'E- 
douard  I",  les  comtes ,  barons ,  et  chevaliers ,  donnerent 
au  roi  la  onzieme  partie  de  leurs  revenus ;  le  clerge,  un 
dixieme;  les  citoyens  et  bourgeois,  un  septieme,  L'annee 
suivante,  les  deux  premiers  ordres  donnerent  un  dou- 
zieme;  le  dernier,  un  huitienie  ;  dans  la  trente-troisieme 
annee  du  meme  prince,  les  barons,  les  chevaliers,  et  le 
clerge ,  accorderent  un  trentieme;  les  villes  et  cites,  un 
vingtieme.  Dans  la  premiere  d'Edouard  II,  les  comtes 


42  INTRODUCTION. 

Gelui  qui  donne  s'apercoit  bientot  qu'il 
peut  exiger,  e(>les  deputes  des  bourgs  ne 
tarderent  pas  a  presenter  des  petitions 
par  lesquelles  ils  demandoient  la  reforme 
des  abus  qui  pesoient  sur  eux.  Prenant 
chaque  jour  plus  de  consistance,  on  les 
vit,  sous  le  regne  d'Edouard  ill,  accuser 
les  ministres  du  roi,  et  obliger  le  roi  lui- 
meme  a  congedier  sa  maitresse. 

Le  roi  faisoit  examiner  par  son  con- 
seil  les  remontrances  des  communes,  et 
quand  il  croyoit  devoir  les  accueillir,  il 
les  faisoit  rediger  en  forme  de  loi,  et  en 
ordonnoit  la  publication  de  son  autorite 
seule,  et  sans  communication  prealabie 
ci  la  chambre  des  pairs.  Elle  sen  plai- 
gnit,  et  elle  exigea  qu'aucune  loi  ne  fut 
desormais  publiee  sans  son  assentiment. 

Sous  Henri  V,  les  communes  obtinrent 
qu'elles  redigeroient  elles-memes  les  lois 


payerent  unvingtieme;  les  villes,  unquinzieme.  Dans  la 
sixi^me  d'Edouard  III,  la  proportion  fut  d'un  quinzieme 
a  un  dixieme. 


INTRODUCTION.  43 

qu'elles  auroient  provoquees,  et  qu'au- 
cun  statut  ne  seroit  public ,  k  moins 
qu'il  n'eut  passe  dans  leur  chambre  en 
forme  de  bill  (i). 

A-peu-pres  a  la  meme  epoque  la  pai- 
rie,  de  reelle  quelle  etoit  dans  son  ori- 
gine,  devint  personnelle;  et  cette  grande 
innovation  s'est  encore  operee  comme 
d'elle-meme  et  par  la  seulc  force  des 
choses. 


(i)  Les  sherifs  presidoient  aux  elections.  S'ils  com- 
mettoient  des  fraudes,  ils  en  e'toient  severement  punis  ; 
en  voici  un  exeniple.  Dans  la  cinquieme  annee  de  Hen- 
ri IV,  les  communes ,  considerant  que  I'ordre  de  convo- 
cation au  parlement  n'avoit  pas  ete  execute  d'une  maniere 
satfsfaisante  par  le  sherif  de  Rutlane,  supplierent  le 
roi  et  les  lords  de  faire  examiner  I'affaire  en  parlement, 
et  d'infliger  un  chatiment  exemplaire ,  s'il  y  avoit  lieu. 
Les  lords  firent  venir  le  sherif  et  Oneby,  qui  etoit  le 
depute  nomme  au  proces-verbal ,  ainsi  que  Thorp,  qui 
avoit  ete  dument  elu;et,  apres  avoir  examine  les  faits, 
ils  ordonnerent  que  le  proces-verbal  d'election  fut  chan- 
ge ,  que  le  nom  de  Thorp  y  fut  porte ,  et  que  le  sherif  fut 
detenu  en  prison,  jusqu'a  ce  qu'il  eut  paye  une  amende 
qui  seroit  determinee  suivant  le  plaisir  du  roi.  (Henri 
i/at//am  ,  t.  II,  p.  3ia.) 


44  INTRODUCTION. 

Guillaume-le-conquerant  avoit  partage 
I'Angleterre  en  sept  cents  baronnies  et 
soixante  mille  fiefs  de  chevaliers.  Les  sept 
cents  barons,  tons  vassaux  immediats  de 
la  couronne,  etoient  membres  necessaires 
du  grand  conseil  national.  Des  ventes 
forcees ,  les  legitimes  des  puines ,  ne  tar- 
derent  pas  a  diviser  un  grand  nombre 
de  ces  baronnies,  et  chaque  fraction  con- 
fera  a  celui  qui  en  devenoit  proprietaire 
le  titre  de  vassal  immediat  du  roi,  et  par 
consequent  le  droit  de  sieger  au  parle- 
ment. 

Ce  nouvel  etat  de  choses  etablit  une 
distinction  entre  les  baronnies  entieres  et 
celles  qui  etoient  divisees  entre  plusiei^rs 
proprietaires;  et  la  grande  charte  donnee 
par  le  roi  Jean  disposaque  les  grands  ba- 
rons seroient  convoques  par  un  writy  c'est- 
k-dire  un  ordre  particulier  du  roi ,  et  que 
les  barons  de  la  seconde  classe,  c'est-a- 
dire  ceux  qui  ne  possedoient  que  des  por- 
tions de  baronnie  seroient  convoques  par 
une  citation  generale  du  sherif. 


INTRODUCTION.  45 

Cette  difference  dans  la  maniere  de 
convoquer  les  grands  et  les  petits  barons 
produisit  trois  innovations. 

1°  Les  barons  convoques  par  writ  se 
regarderent  comme  formanl  une  classe 
superieure; 

2°  Comme  il  arrivoit  souvent  que  ceux 
qui  n'avoient  pas  recu  le  writ  ne  se  pre- 
sentoient  pas  pour  sieger  au  parlement, 
quoiqu'ils  en  eussent  le  droit  en  vertu 
de  leur  fief,  on  s'accoutuma  insensible- 
ment  a  regarder  ce  droit  comme  deri- 
vant  de  la  volonte  du  roi;  et  la  pairie,  de 
reelle  quelle  etoit, devint  personnelle; 

3"  Les  petits  barons,  en  general  peu 
riches,  et  qui  regardoient  I'assistance  au 
parlement  moins  comme  un  droit  hono- 
rifique  que  comme  une  obligation  one- 
reuse,  obtinrent  la  permission  de  s'y  faire 
representer  par  des  deputes  de  leur  choix. 

David  Hume,  dans  sa  belle  Histoire 
d'Angleterre,  ajoute  :  «  Les  divisions  des 
« fiefs  ayant  prodigieusement  multipli^ 
« les  petites  baronnies  et  les  tenures  de 


46  INTRODUCriON. 

"chevaliers,  ceux-ci  perdirent  de  leur 
"Consideration,  ne  s'assemblerent  plus 
«  avec  les  hauts  barons ,  et  se  reunirent 
«  aux  deputes  des  bourgs.  Par  cette  reu- 
«nion,  la  chambre  des  communes  se 
« trouva  composee  des  deputes  de  la  pe- 
« tite  noblesse  des  comtes  et  de  ceux  des 
"bourgs. »  ' 

Enfin,  dans  les  premieres  ann^es  du 
regne  de  Richard  II,  les  communes  se 
choisirent  un  president  qui,  sous  la  de- 
nomination d'orateur,  a  la  police  de  la 
chambre  et  en  dirige  les  deliberations. 

Je  n'ai  voulu  que  rappeler  la  ma- 
niere  dont  s'est  forme  le  parlement  d'An- 
gleterre  tel  qu'il  existe  aujourd'hui.  Je 
crois  avoir  rempli  mon  objet. 

ETATS  GfiN^RAUX  DE  FLANDRE. 

La  partie  de  notre  continent,  aujour- 
d'hui connue  sous  la  denomination  collec- 
tive de  royaume  des  Pays-Bas,  est  I'une 
des  premieres  qui,  dans  le  moyen  age, 


.       INTRODUCTION.  47 

ait  joui  des  bitnfaits  de  la  liberte.  Elle 
doit  cet  avantage  a  sa  situation  topogra- 
phique.  Le  nombre  et  la  surete  de  ses 
ports  et  de  ses  rades  en  firent  de  bonne 
heure  le  centre  des  relations  commer- 
ciales  du  nord  de  I'Europe;  et  les  fre- 
quents debordements  des  fleuves  qui 
I'arrosent  obligerent  les  habitants  a  se 
coaliser  pour  opposer  des  digues  ci  I'en- 
vahissement  des  eaux.  Ainsi,  enrichies 
par  le  commerce ,  et  deja  reunies  par 
des  interets  rnateriels,  les  villes  des  Pays- 
Bas  n'avoient  plus  qu'un  pas  k  faire 
pour  se  former  en  commune,  et  ce  pas, 
elles  le  franchirent  pendant  le  cours  du 
onzieme  siecle. 

A  peine  ces  villes  ont-elles  recouvre 
les  droits  de  s'administrer  elles-memes, 
et  d'elireleurs  officiers  municipaux,  que 
nous  voyons  ces  magistrals  figurer  en 
leur  nom  dans  les  assemblees  politiques. 
Cela  nous  est  atteste  par  une  foule  de  mo- 
numents; Fun  des  hommes  les  plus  sa- 
vants de  notre  epoque  les  a  recueillis  dans 


48  INTRODUCTION, 

un  ouvrage  intitule  :  Histdire  de  lorigine, 
de  I' organisation  et  des  pouvoirs  des  Etats- 
Generaux  etprovinciaux  dans  les  Gaules  ( i). 

Ell  Flandre  comme  dans  tons  les  gou- 
vernements  feodaux,  les  etats  ne  furent 
d'abord  composes  que  du  prince  et  de  ses 
vassaux  immediats.  Le  tiers-etat  prenant, 
cornme  nous  venons  de  le  dire,  chaque 
jour  plus  d'importance,  les  representants 
des  villes  y  furent  admis;  mais  ce  privi- 
lege ne  fut  d'abord  accorde  qu'aux  cites 
les  plus  riches  et  les  plus  populeuses. 

En  I'annee  1 1 1 1 ,  Baudouin  VII  fut  pro- 
clame  comte  de  Flandre  par  les  Etats- 
Generaux.  Le  pays  etoit  infeste  de  bri- 
gands. Dans  des  etats  tenus  k  Ypres 
I'annee  suivante,  il  fit  rendre  une  loi  qui 
mit  fin  k  ces  desordres  (2).  Non  moins 
severe  envers  les  seigneurs  de  fiefs,  il  se 

(i)  M.  Raepsaet,  chevalier  du  Lion-Belgique ,  conseil- 
ler-d'etat  extraordinaire  du  roi,  membra  de  I'institut 
belgique ,  etc. ,  etc. 

(2)  On  lit  dans  VArt  de  verifier  les  dates :  « II  fut  surnom- 
me  A  la  hache,  parcequ'il  portoit  cet  instrument  avee  lui 
pour  en  frapper  les  criminels  qu'il  rencontroit.  »> 


INTRODUCTION.  49 

placa  entre  eux  et  leurs  vassaux ,  et  cou- 
vrant  ces  derniers  de  toute  sa  puissance, 
non  seulement  il  les  affranchit  de  I'arbi- 
traire  sous  lequel  ils  ^emissoient,  mais  il 
ouvrit  I'entree  des  etats  aux  representants 
de  toutes  les  villes  indistinctement. 

CONSTITUTION  DE  LA  SUfiDE. 

L'origine  des  assemblees  nationales  en 
Suede  se  perd  dans  la  nuit  des  temps. 
Les  chroniques  les  plus  anciennes  en  par- 
lent.  On  y  voit  qu'elles  etoient  convo- 
quees  par  le  roi;  qu'elles  se  reunissoient 
k  des  epoques  plus  ou  moins  eloignees 
suivant  les  circonstances;  que  les  deputes 
s'y  rendoient  en  armes;  qu'il  etoit  dans 
leurs  attributions  d'elire  le  monarque, 
de  voter  les  impols,  de  statuer  sur  les  af- 
faires dun  interet  general,  et  meme  de 
juger  les  proces  particuliers  lorsqu'ils  se 
rattachoient  a  I'ordre  public.  D'ailleurs 
rien  de  precis  sur  la  division  des  citoyens 
en  differents  ordres.  En  parlant  de  ceux 

4 


5o  INTRODUCTION, 

qui  avoient  droit  d'assister  aux  etats,  les 
anciens  historiens  disent,  et  rien  de  plus, 
Proceres  etjpopidiis ;  ndbiles  et  plebs  iini- 
versa.  Ce  nest  que  dans  le  quinzieme  sie- 
cle  que  Ion  commence  h  trouver  des  no- 
tions plus  exactes  sur  cette  division.  ' 

Christophore,  qui  regnoit  en  144^5  i"^"- 
nit  les  lambeaux  epars  des  anciennes  lois, 
en  donna  de  nouvelles,  et  de  cet  en- 
semble il  forma  un  Code  que  Ton  pent 
regarder  comme  la  premiere  constitu- 
tion de  la  Sue 

Le  litre  premier  est  intitule,  du  Roi; 
on  y  lit  :  «  Lorsque  le  trone  devient  va- 
«  cant,  un  nouveau  roi  doit  etre  appele 
« au  royaume  de  Suede,  non  par  droit 
«f  de  succession,  mais  par  election.  » 

Les  chapitres  suivants  traitent  du  ser- 
ment  que  le  roi  doit  preter  a  la  nation, 
et  que  les  magistrats  provinciaux  et  la 
nation  doivent,  a  leur  tour,  preter  au 
roi;  le  sixieme  de  I'obligation  imposee  au 
roi  de  parcourir,  apres  I'election,  les  pro- 
vinces  de  son  royaume,  d'y  preter  son 


INTRODUCTION.  5i 

serment  et  de  recevoir  celiii  de  ses  sujets; 
le  sej3tieme  du  couronnement  et  del'inau- 
guration;  le  huitieme  du  choix  des  |mem- 
brCvS  du  senat  qui  doit  etre  fait  par  le  roi 
apres  son  couronnement.  Ces  membres 
sont  au  nombr6  de  douze,  pris  parmi  les 
nobles  et  clievaliers;  I'arcbevequed'Upsal 
y  est  de  droit. 

Le  sermenf  du  roi  se  compose  de  sept 
articles.  On  lui  fait  prometrre  de  con- 
server  les  droits  de  toute  la  nation,  les 
lois  constitutives,  les  privileges  du  clerge, 
ceux  de  la  noblesse.  Un  des  articles  les  plus 
remarquables  est  le  sixieme  par  lequel 
il  jure  de  n  imposer  des  tributs  extraor- 
dinaires  que  dans  certains  cas  determines, 
et  apres  que  les  eveques,  les  magistrate 
de  chaque  juridiction,  avec  six  nobles  et 
six  individus  plebeiens,  en  auront  re- 
connu  la  necessiie,  et  regie  le  mode  de 
les  percevoir. 

Nous  ne  voyons  pas  encore  les  deputes 
partages  en  quatre  ordres  distincts,  le 
clerge,  les  grands,  les  bourgeois,  et  les 

4- 


52  INTRODUCTION. 

paysans;  mais  cet  article  du  serment  con- 

tient  le  germe  de  cette  division. 

C'est  k  la  mort  de  Christophore,  en 
144s  J  ^ue  I'histoire  presente  I'indication 
precise  des  differents  ordres.  Plusieurs 
grands  aspiroient  k  la  royaute;  un  decret 
du  gouvernement  intermediaire  convo- 
qua  le  peuple  k  Stokholm,  pour  I'election 
du  roi.  «  Au  lieu  et  au  jour  fixes,  dit  I'his- 
« tori  en  Eric  d'Upsal,  se  rendirent  aux 
«  cornices  les  eveques  et  les  prelats,  les 
«  nobles  et  chevaliers,  ainsi  que  les  de- 
«  putes  speciaux  des  paysans  et  des  villes.  » 
Cette  phrase  est  la  premiere  trace  que  Ion 
rencontre  de  la  presence  dans  I'assemblee 
nationale  de  representants  des  villes. 

Louenius,  auteur  d'une  histoire  de 
Suede  et  des  antiquites  suedoises,  ecri- 
voit  en  1608:  «Des  expressions  de  Jean 
"Magnus  qui  dit  que  le  roi  Beric  convo- 
«  qua  dans  les  cornices  les  grands  et  les 
«plebeiens  (nobiles  et  plebem),  peut-etre 
«  conclurez-vous  que ,  dans  les  coutumes 
i^de  nos  ancetres,  on  n'appeloit  point  au 


INTRODUCTION.  53 

«  nombre  des  ordres  les  pretres  ni  les  ha- 
te bitants  des  villes;  cependant,  etc.,  avec 
«le   temps    on   admit  dans  les  comices 
«meme  les  deputes  des  villes.  (^Progressu 
iitemporis,  etiam  cives  urbiiun  ad  comitia 
uadmissi  sunt.  »  )  Et  il  cite,  pour  le  prou- 
ver,  le  passap^e  d'Eric  d'Upsal  relatif  h. 
I'assemblee   nationale   dans   laquelle  on 
remplaca  Christopbore.  Quelques  lignes 
plus  loin  il  expose  les  avantages  qu'il  y 
a  h.  consulter  les  classes  inferieures  du 
peuple.  ^ Ce  nest  point  inconsiderement, 
«dit-il,  que  I'antiquite  a  admis  comme 
«  membres  des  comices,  meme  les  ple- 
«  beiens  et  les  paysans.  (^Plebeios  et  ruri- 
ii  colas. »)  Ainsi   tout  nous   prouve  quo, 
dans  ces  mots  repetes  par-tout  chez  les 
historiens  des  temps  antiques:  proceres  et 
plebem,  on  a  voulu  designer  les  grands  et 
les  paysans. 

La  division  des  ordres  continua  k  se 
marquer  de  plus  en  plus  dans  les  etats- 
generaux  qui  suivirent  ceux  de  i44^' 
En  1620  ce  futdans  uneassemblee  parti- 


54  INTRODUCTION, 

culi^re  des  paysans  de  la  province  de 
Dalecarlie  que  Gustave  Vasa  porta  le 
premier  coup  a  I'oppression  de  Ghris- 
tiern.  Le  soulevement  de  ces  paysans 
amena  celui  de  la  Suede  entiere,  et  bien- 
tot  fut  brise  le  joug  du  Danemarck,  sous 
lequel  la  nation  s'etoit  imprudemment 
jetee.  Gustave  Vasa  recut  des  etatis-gene- 
raux  convoques  k  Vadestene  en  1621 
la  qualite  d'administrateur  du  royaume; 
des  etats-generaux  convoques  k  Stregnez 
en  1623,  celle  de  roi;  enfin,  le  i3  Jan- 
vier 1 544  5  dans  les  etats-generaux  d'Ar- 
hosen,  le  droit  d'election  fut  aboli,  et  la 
couronne  declaree  hereditaire  dans  la 
famille  de  Gustave. 

Des  la  premiere  annee  du  regne  de  ce 
guerrier  politique  les  pouvoirs  du  mo- 
narque  commencerent  a  augmenter  et 
ceux  des  etats-generaux  a  diminuer.  Cette 
progression  croissante  pourl'un,  decrois- 
sante  pour  I'autre,  continua  sous  ses  suc- 
cesseurs  et  fut  portee  k  une  tres  haute 
periode  sous  Charles  XI,  et  sous  le  des- 


INTRODUCTION.  55 

potisme  militaire  de  I'aventureiix  Char- 
les XII.  Cependant  1  organisation  de  ces 
etats  s'etoit  achevee;  I'etiquette  avoit  regie 
la  place  de  chaque  ordre,  la  forme  des 
suffrages,  I'instant  ou  Ion  devoit  les  don- 
ner.  II  existe  dans  VHistoire  de  Charles- 
Gustave ,  par  Puffendorf,  un  tableau  figu- 
ratif  des  etats-generaux  de  Suede  lors  de 
I'abdication  de  Christine.  On  y  voit  la 
place  du  monarque,  celle  des  senateurs, 
celle  des  orateurs  de  chaque  ordre,  enfin 
celle  des  ordres.  Les  paysans  k  cette 
epoque  sont  places  apres  les  deputes  des 
villes. 

Cependant,  sous  les successeurs  de  Gus- 
tave  Vasa,  les  assemblees  nationales  con- 
tinuerent  a  voter  les  subsides  et  a  con- 
noitre  des  grands  interets  du  royaume. 
On  voit  les  rois  les  plus  absolus  de  cette 
epoque  soumettre  k  ces  assemblees  I'etat 
des  finances ,  leur  communiquer  les  pro- 
jets  de  guerre  ou  de  paix,  leur  demander 
des  levees  d'hommes  et  des  subsides  d'ar- 
gent.  On  voit  les  etats-generaux  profiter 


56  INTRODUCTION, 

des  minorites  pour  reprendreun  moment 
leur attitude independante.  C'estainsi  qua 
la  mort  de  Charles  X,  en  1 660,  Puffendorf 
nous  les.  montre  examinant  le  testament 
du /oi ,  et  changeant  plusieurs  de  ses  dis- 
positions relatives  a  la  tutele  de  son  fils 
Charles  XI.  Enfin,  apres  la  mort  de  Char- 
les XII,  qui  ne  laissa  point  d'enfants,  les 
etats-generaux,  reunis  en  1718  pour  lui 
donner  un  successeur,  abolirent  I'here- 
dite  et  ne  porterent  sur  le  trone  la  prin- 
cesse  Ulrique  Eleonore ,  sa  soeur,  qu'apres 
quelle  eut  declare  qu'elle  reconnoissoit 
tenir  la  couronne  de  la  volonte  libre  et 
spontanee  de  la  nation. 

CONFEDERATION  SUISSE. 

L'Helvetie(i),  aujourd'hui  la  Suisse, 
faisoit   partie   de    I'ancien  royaume    de 


(i)  Le  nom  d'Helvetie  fut  cotnmun  a  tous  les  peuples 
de  cette  contree  jusqu'a  la  grande  confederation  qu'ils 
tirent  entre  eux,  au  quatorzieme  siecle ,  et  depuis  laquelle 
ils  ne  sont  plus  connus  que  sous  le  nom  de  Suisses. 


INTRODUCTION.  5; 

Bourgogne.  Les  premiers  successeurs  de 
Clovis  en  firent  Ja  conquete  en  532,  et 
la  reunirent  a  la  France.  Elle  en  fut  se- 
paree  par  le  partage  que  les  fils  de  Louis- 
le-Debonnaire  firent  entre  eux  des  vastes 
etats  de  Charlemagne.  Placee  dans  le  lot 
qui  echut  a  Lotliaire,  elle  devint  une 
province  du  royaume  ditalie.  Apres  la 
mort  de  Lotliaire  ses  fils  partag^rent  le 
royaume  ditalie.  Le  lot  de  I'un  deux 
forma  le  royaume  d' Aries ,  et  la  Suisse  en 
fit  partie(i). 

En  1082  Rodolphe  III  n'ayant  point 
d'enfants  legua  le  royaume  d'Arles  et  tons 
ses  etats  a  I'empereur  Conrad-le-Salique. 
Cette  donation  fit  entrer  la  Suisse  dans 
le  corps  germanique,  et  la  placa  sous 


(i)  Celtes,  ou  Gaulois  d'origine,  les  Suisses  avoient 
souffert  que  des  colonies  de  Cimbres  et  de  Sueves  vins- 
sent  s'etablir  parini  eux,  et  leur  avoient  abandonne  la 
partie  septentrionale  de  I'Helvetie.  G'est  par-la  qu'on 
pent  expliquer  ce  qui  a  donne  naissance  a  la  diversite  de 
langage  qui  subsiste  encore  entre  cette  partie  et  le  reste 
de  la  Suisse. 


58  INTRODUCTION. 

la  domination  des  empereurs  d'Allema- 

gne(i). 

Dans  la  Suisse ,  comme  dans  toutes  les 
monarchies  feodales ,  le  pays  etoit  divise 
en  benefices  ou  fiefs,  et  en  gouvernements 
ou  comtes;  ces  fiefs,  ces  comles,  n  etoient 
conferes  qu'^  vie.  Conrad-le-Salique  les 
rendit  hereditaires ;  et  les  seigneurs  et  les 
comtes,  profitant  de  I'eloignement  ou  ils 
etoient  du  chef  de  I'empire,  usurperent 
tons  les  droits  regaliens ,  de  maniere  que 
les  empereurs  ne  conserverent  sur  eux 
qu'une  superiorite  nominale. 

Les  seigneurs,  abusant  de  cette  inde- 
pendance,  exercoient  sur  leurs  vassaux 
le  pouvoir  le  plus  arbitraire.  Les  villes 
helvetiques,  pour  se  mettre  a  I'abri  de 
I'oppression,  se  confedererent;  mais  ayant 
bientot  reconnu  leur  impuissance,  elles 


(i)  Les  trois  royaumes  de  Provence,  de  ia  Bourgogne- 
Transjurane,  et  d'Arles,  finirent  en  la  personne  de  Ro- 
dolphe  III ,  apres  avoir  dure  cent  soixante-dix-sept  ans. 


INTRODUCTION.  69 

se  choisirent  des  protecteurs  qui  ne  tar- 
derent  pas  k  devenir  leurs  tyrans. 

Des  differents  seigneurs  de  la  Suisse, 
Rodolphe  de  Habsbourg  etoit  le  plus  puis- 
sant par  I'etendue  de  ses  domaines;  plu- 
sieuis  villes  se  placeient  sous  sa  protec- 
tion. Juste  et  bon  il  repondit  a  leur  attente, 
mais  Albert  son  fds  la  trompa.  11  envoya 
dans  les  parties  de  la  Suisse  qui  s'etoient 
placees  sous  sa  protection  des  baillis  im- 
periaux  charges  de  rendre  la  justice  aux 
habitants ,  et  qui  leur  firent  eprouver  les 
vexations  les  plus  intolerables ;  en  voici 
un  exemple. 

Geisler,  bailli  d  L^ri,  s'avisade  placer  au 
bout  dune  perche  son  bonnet  dans  le 
marche  public  d'Altorff,  avec  ordre  h  tons 
les  passants  de  le  saluer  sous  peine  de  la 
vie.  Guillaume  Tell,  fameux  arbaletrier, 
ayant  meprise  cet  ordre,  fut  oblige  pour 
expier  sa  desobeissance  d'abattre  d'assez 
loin  dun  coup  de  fleche  une  ponime  sur 
la  tete  de  son  fds;  il  eut  I'adresse  et  le 
bonheur  de  reussir.  Cette  atrocite,  qui 


6o  INTRODUCTION. 

eut  lieu  le   i8  novembre  iSoy,  souleva 

les  trois  cantons  d'Uri,   de  Schwitz,  et 

d'Underval:  leurs  habitants  reunis  et  di- 

riges  par  trois  d'entre  eux  (i)  attaquerent 

les  agents  imperiaux,  et  en  purgerent  leur 

sol. 

L'empereur  se  preparoit  k  venger  son 
autorite  meprisee ,  mais  il  mourut  le 
i^'  mai  de  I'annee  i3o8.  Get  evenement 
laissa  aux  trois  cantons  le  temps  de  con^ 
solider  leur  alliance ,  et  lorsque  Leo- 
pold III,  fils  de  l'empereur  Albert,  vint  a 
la  tete  de  neuf  mille  hommes  pour  les 
reduire  et  les  punir,  ces  braves  monta- 
gnards,aunombredetreize  cents  hommes 
sans  discipline  et  mal  armes,  remporterent 
sur  lui  la  victoire  la  plus  complete.  Cette 
victoire  k  jamais  celebre  est  lepoque  de 
la  liberte  des  Suisses. 

Par  suite  de  ce  grand  evenement  les 


(i)  Ces  g^enereux  citoyens  meritent  d'etre  connus;  ils 
se  nomraoient  Walther-Furst ,  Werner-de-Stauffach ,  et 
Arnold-de-Melcthal. 


INTRODUCTION.  6i 

trois  cantons,  qui  d'abord  ne  s'etoient 
unis  que  pour  dix  ans,  contracterent  une 
alliance  perpetuelle. 

Ouelque  temps  apres  la  ville  de  Lu- 
cerne, raprochee  de  ces  trois  cantons  par 
des  intereis  communs,  entra  dans  leur 
confederation.  Vers  le  milieu  du  quator- 
zieme  siecle  (i)  Zurich,  Claris,  Zug,  et 
Berne,  s'y  reunirent  et  en  firent  partie. 
II  en  fut  de  meme  des  cantons  de  Fri- 
bourg,  deSoleure,deBale,  deSchaffouse, 
et  dAppenzel,  qui  s'y  reunirent  egale- 
ment ;  savoir,  Fribourg  et Soleure  en  1 48 1 , 
Bale  et  Schaflouse  en  i5oi,  et  Appenzel 
en  i5i3. 

Ainsi  s'est  formee  la  confederation  hel- 
vetique. 

Cependant  les  liens  qui  attachoient  la 
Suisse  au  corps  germanique  n  etoient  pas 
tout-a-fait  rompus,  et  les  empereurs  con- 
servoient  encore  sur  elle  une  sorte  de 


(i)  En  i35i  et  i352. 


62  INTRODUCTION, 

superiorite.  Maximilien  I"(i)  voulut  sen 
prevaloir.  La  diete  de  Worms  ayant  etabli 
la  chambi^  imperiale  (2),  Jes  Suisses  fu- 
rent  sommes  de  reconnoitre  sa  juridicdon. 
Sur  leur  refus  Tempereur  leur  declara 
la  guerre.  Elle  fut  ce  quelle  sera  tou- 
jours  lorsque  les  homnies  qui  defendront 


(i)  Maximilien  I",  ne  le  22  mars  14695  ^^  I'empereur 
Frederic  III  at  d'Eleonore  de  Portugal,  elu  roi  des  Ro- 
uiains  le  16  fevrier  i486,  et  couronne  le  10  avril  suivant 
a  Aix-la-Chapelle ,  fut  nomine  empereur  I'an  i493 ,  apres 
la  mort  de  son  pere. 

Philippe  son  fils  epousa  Jeanne ,  fiUe  de  Ferdinand , 
roi  d'Aragon,  etd'Isabelle,  reine  de  Castille,  mariage 
qui  fit  passer  I'Espagne  dans  la  maison  d'Autriche. 

L'an  1495,  diete  de  Worms,  ou  Ton  dressa  la  celebre 
constitution  pour  la  conservation  de  la  paix  publique  dans 
I'Empire. 

(2)  Cette  chambre  etoit  composee  de  juges  nommes  en 
partie  par  I'empereur,  en  partie  par  les  differents  etats. 
Ces  juges  etoient  autorises  a  juger  en  dernier  ressort  tons 
les  proces  entre  les  membres  du  corps  germanique. 
Quelques  annees  apres  Maximilien  donna  une  nouvelle 
forme  au  conseil  aulique ,  ou  se  portoient  toutes  les  causes 
feodales  et  celles  qui  appartenoient  a  la  juridiction  im- 
mediate de  I'empereur,  et  par-la  il  rendit  quelque  vi- 
gueur  h.  I'autorite  de  la  couronne  imperiale. 


INTRODUCTION.  63 

leur  liberie  n'auront  k  combattreque  des 
troupes  mercenaires  Apres  plusieurs  de- 
faites  I'empereur  conclut  avec  les  cantons 
un  traite  par  lequel  ils  furent  declares 
affranchis  de  la  juridiction  imperiale,  et  de 
toutes  les  contributions  imposees  par  la 
diete  de  Worms.  Ce  traite  laissoit  encore 
auxempereurs  d'Allemagne  quelquespre- 
textes  pour  attaquer  I'independance  des 
cantons  suisses;  mais  cette  independance 
fut  definitivement  reconnue  par  le  traite 
de  Westphalie. 

EMPIRE  D'ALLEMAGNE. 

Les  Germains  qui  avoient  brise  le  joug 
des  Romains  dans  tons  les  lieux  ou  ils  s'e- 
toient  etablis,  ces  fiers  Germains  eux- 
memes  perdirent  la  liber te  a  la  meme 
epoque  que  les  nations  qu'ils  avoient  af- 
franchies.  II  en  devoit  etre  ainsi,  puisque, 
comme  elles,  ils  avoient  adopte  le  re- 
gime feodal.  Mais  ce  qui  doit  surprendre 
c'est  que  ce  regime  oppresseur  s'est  main- 


64  INTRODUCTION, 

tenu  plus  long-temps  et  avec  plus  de 
force  en  Allemagne  que  par-tout  ailleurs; 
de  maniere  que  la  liberie  qui  en  etoit 
sortie  y  est  rentree  plus  tard  que  dans 
les  autres  pays;  encore  n'y  apparoit-elle 
aujourd'hui  que  dans  quelques  con- 
trees. 

Comment  des  peuples  si  voisins  et  si 
long-lemps  gouvernes  par  les  memes  lois 
se  trouvent-ils  aujourd  hui  soumis  k  des 
regimes  si  differents?  II  y  en  a  plusieurs 
causes. 

Apres  la  mort  de  Louis -le-Debon- 
naire,  ses  trois  fils,  Louis,  Charles,  et 
Lothaire,  reunis  k  Verdun  en  843,  par- 
tagent  entre  eux  le  vaste  empire  de  Char- 
lemagne. Charles-le-Chauve  conserve  I'A- 
quitaine  avec  la  Neustrie;  Louis  a  toute 
la  Germanic,  d'ou  il  fut  appele  le  Germa- 
nique;  et  Lothaire,  qui  etoit  I'aine,  eut 
avec  le  titre  d'empereur  I'ltalie,  et  (en 
termes  expr^s)  la  ville  de  Rome;  il  eut 
encore  la  Provence,  la  Franche-Comte , 
le  Lyonnois,  et  les  autres  contrees  qui  se 


INTRODUCTION.  65 

trouvent  enclavees  entre  le  Rhone,  le 
Rhin,  la  Saoae,  la  Meuse,  et  I'Escaut. 

Ces  trois  branches  de  la  dynastie  car- 
lovingienne  ne  conserverent  pas  long- 
temps  riierilage  de  Charlemagne. 

En  France,  Louis  V  etant  mort  sans 
enfants  en  987,  les  grands  du  royaume 
lui  donnerent.  pour  successeur  Hugues 
Capet.  Ce  prince  etoit  tout  ^-la-fois  le  plus 
grand  capitaine,  le  plus  riche  proprie- 
taire  et  le  seigneur  le  plus  distingue  du 
royaume.  Ce  triple  avantage,  des  nego- 
ciations  et  quelques  victoircs,  fixerent 
pour  jamais  la  couronne  dans  sa  dynastie. 
A  la  verite  la  magnifique  qualification  de 
roi  des  Francois  ne  fut  guere  pour  ses 
premiers  siiccesseurs  qu'un  vain  titre; 
mais,  par  des  mesures  sagement  combi- 
nees,  par  un  systeme  d'agrandissement 
constamment  suivi  sous  plusieurs  regnes, 
la  couronne  redevint  ce  quelle  n'auroit 
pas  du  cesser  d'etre,  un  asile  pour  les 
opprimes,  unfrein  pour  les  oppresseurs; 
enfin  plus  tard  I'autorite  royale,  fortifiee 

5 


66  INTRODUCTION, 

tout  ^-la-fois  par  labaissement  des  sei- 
gneurs et  par  I'elevation  des  communes, 
pr^valut  tellement  sur  la  puissance  feo- 
dale  que,  sous  Philippe-le-Bel ,  les  ba- 
rons virent,  non  sans  etonnement,  mais 
sans  reclamation,  les  deputes  des  villes 
sieger  comme  eux  dans  les  grands  con- 
seils  nationaux,  et  partager  avec  eux  I'exer- 
cice  de  la  puissance  publique. 

Les  Carlovingiens  d'AUemagne,  dege- 
neres  comme  ceux  de  France,  perdirent 
la  couronne  k-peu-pres  a  la  meme  epo- 
que  et  de  la  meme  maniere. 

Louis  IV,  roi  de  Germanic,  arriere- 
petit-fils  de  Louis-le-Germanique,  etant 
mort  en  912  sans  posterite,  les  grands  de 
I'Empire,  quoiqu'il  ne  fut  pas  le  dernier 
prince  du  sang  de  Charlemagne,  donn^- 
rent  sa  couronne  k  Conrad ,  due  de  Fran- 
conie  (i). 


(i)  Pendant  tres  long-temps  tous  les  membres  du  corps 
germanique  concoururent  a  I'election  de  I'empereur ;  mais 
au  milieu  des  troubles  et  de  Fanarchie  auxquels  I'Europe 


INTRODUCTION.  67 

Conrad  n'avoit  ni  les  grandes  qualit^s 
ni  les  riches  domaines  de  Hugues  Capet, 
il  ne  comptoit  pas,  comme  ce  prince, 
deux  rois  dans  sa  famille;  aussi  n'eut-il 
pas  la  gloire  de  fonder  una  dynastie. 
Apres  sa  mort,  qui  arriva  en  919,  les 
grands  lui  donnerent  pour  successeur 
Henri,  dit  I'Oiseleur,  due   de  Saxe. 

Ce  prince,  digne  de  la  couronne,  la 
transmit  a  son  fils  Othon,  que  la  poste- 
rite  a  surnomme*  le  Grand. 

Othon-le-Grand,  vainqueur  de  I'ltalie, 
se  fit  couronner  empereur  par  les  mains 
du  pape,  formalite  que  ses  deux  prede- 
cesseurs  avoient  neglige  de  remplir.  La 
vigueur  de  son  administration,  I'eclat  de 
ses  victoires,  et  un  regne  de  trente-sept 
ans,  affermirent  tellement  la  couronne 
sur  sa  tete  que    ^e   son   vivant   meme. 


f ut  en  proie  pendant  plusieurs  siecles ,  sept  princes ,  pos- 
sesseurs  de  vastes  territoires,  s'arrogerent  le  privilege  ex- 
clusif  d'elire  I'empereur.  Ce  privilege  leur  fut  confirme 
par  la  bulle  d'or  qui  determina  la  maniere  de  I'exercer. 


68  INTRODUCTION, 

il  fit  ^lire  et  sacrer  son  fils  Othon  II, 
et  qu'apr^s  sa  mort  cet  Othon  II  et  son 
petit-fils  Othon  III,  quoique  k  peine  age 
de  trois  ans,  lui  succederent  sans  con- 
firmation pour  I'un  et  sans  election  pour 
I'autre. 

II  est  probable  que  la  succession  au 
trdne  se  seroit  etablie  dans  la  famille  des 
Othons  comme  dans  celle  des  Hugues 
Capet,  si  Othon  III  avoit  eu  les  grandes 
qualites  de  ses  deux  pr^decesseurs;  mais 
etant  mort  sans  enfants,  presque  au  sortir 
d'une  minorite  orageuse,  les  grands  vas- 
saux  se  ressaisirent  du  droit  d'elire  le 
chef  de  I'Empire. 

Henri  II,  due  de  Baviere  etarriere-petit- 
fils  d'Henri  I'Oiseleur,  fut  elu  roi  de  Ger- 
manic dans  une  diete  tenue  a  Mayence 
le  lo  juin  de  I'an  1002.  Ce  prince,  in- 
quiete  pendant  tout  le  cours  de  son  regne 
par  des  rivaux  puissants  qu'il  n'apaisa 
qu'^  force  de  largesses,  laissa  I'autorite 
imperiale  plus  foible  et  les  vassaux  de  la 


INTRODUCTION.  69 

couronne  plus  forts  qu'avant  son  avene- 
ment  a  I'empire.  II  mourut  en  1024,  ^^ 
en  lui  finit  la  branche  des  empereurs  de 
la  maison  de  vSaxe. 

Conrad,  dit  le  Salique,  fils  de  Henri, 
due  de  Franconie,  fut  elu  roi  de  Ger- 
manie  dans  une  diete  tenue  k  Worms  en 
I'annee  1024,  et  couronne  empereur  par 
les  mains  du  pape  en  1027.  ^  peine 
monte  sur  le  trone,  une  conspiration 
formee  dans  le  sein  de  sa  propre  famille 
eclata  contre  lui;  et  dans  la  confusion  in- 
separable des  discordes  civiles ,  la  puis- 
sance des  hauts  barons,  deja  rivale  de 
celle  des  empereurs,  prit  un  nouvel  ac- 
croissement. 

Henri  III  et  Henri  IV,  fils  et  petit-fils  de 
Conrad-le-Salique,  furent  successivement 
eleves  a  la  dignite  imperiale. 

Henri  IV  porta  sur  le  trone  toutes  les 
qualites  qui  font  les  grands  princes;  mais 
la  penitence  humiliante  que  le  trop  fa- 
meux  Gregoire  VII  eut  laudaqe  de  lui 


70  INTRODUCTION, 

imposer,  et  qu'il  fut  oblige  de  subir,  en 
degradant  sa  personne,  affoiblit  encore 
I'autorite  imperiale  (i). 

Cependant  son  fils  lui  succeda  sous  le 
nom  d'Henri  V.  Les  grands  de  I'ctat ,  te- 
moins  des  humiliations  du  pere,  se  mon- 
trerent  pen  disposes  k  reconnoitre  un  sou- 
verain  dans  la  personne  du  fils;  et  les 
concessions  qu'il  fut  force  de  faire  k  la 
haute  noblesse  acheverent  d'etablir  I'in- 
dependance  des  grands  offices  et  des 
grands  fiefs. 


(i)  Gregoire  commenca  sa  rupture  avec  Henri  IV,  sur 
un  pretexte  specieux  et  populaire.  II  se  plaignit  de  la  ve- 
nalite  et  de  la  corruption  introduites  par  cet  empereur 
dans  la  collation  des  benefices  aux  ecclesiastiques.  II 
pretendit  que  le  droit  de  collation  lui  appartenoit  comme 
au  chef  de  I'Eglise ;  et  il  requit  Henri  de  se  renfermer 
dans  les  bornes  de  sa  juridiction  civile ,  et  de  s'abstenir 
pour  I'avenir  de  ces  usurpations  sacrileges  sur  I'autorite 
spirituelle  du  saint-siege.  L'empereur,  ayant  refuse  de 
renoncer  a  exercer  des  droits  dont  ses  predecesseurs 
avoient  constaniment  joui ,  vit  fondre  sur  sa  tete  tous 
les  anathenUes  de  I'Eglise.  Les  princes  etles  eccle'siastiques 
les  plus  considerables  d'Allemagne  se  spuleverent  et  pri- 


INTRODUCTION.  71 

Henri  V  mourut  en  Tan  1 1 25,  et  en  lui 
s'eteignit  la  maison  de  Franconie. 

Apres  sa  mort  les  empereurs  furent 
elus,  en  quelque  sorte,  au  hasard;  et  Ja 
couronne  imperiale  reposa  successive- 
ment  sur  la  tete  de  Lothaire  II,  de  Con- 
rad III,  de  FredericI",  dit  Barberousse, 
de  Henri  VI,  de  la  maison  de  Souabe,  de 
Philippe  P%  egalement  de  la  maison 
de  Souabe,   d'Othon  IV,   comte  palatin 


rent  les  armes  centre  lui;  on  excita  sa  mere,  sa  femme, 
ses  enfants  memes  a  briser  tous  les  liens  de  la  nature  et 
du  devoir,  et  a  se  joindre  aux  ennemis  de  ce  malheureux 
prince.  Tels  furent  les  moyens  dont  se  servit  la  cour  de 
Rome  pour  enflammer  le  zele  aveugle  de  la  superstition ; 
elle  sut  diriger  avec  tant  de  succes  I'esprit  factieux  des 
Italiens  et  des  Allemands ,  qu'un  empereur,  distingue  non 
seulement  par  des  vertus ,  mais  encore  par  des  talents 
peu  communs ,  fut  oblige  de  paroitre  en  suppliant  a  la 
porte  du  chateau  ou  residoit  le  pape,  et  d'y  rester  trois 
jours,  tete  nue,  expose  a  toutes  les  rigueurs  de  I'hiver, 
pour  implorer  un  pardon  qu'il  n'obtint  meme  qu'avec 
beaucoup  de  peine,  et  aux  conditions  les  plus  fle'trissan- 
tes.  (Introduction  a  VHistoire  de  Charles-Quint,  par  Ro- 
bertson.) 


72  INTRODUCTION. 

deBavi^re,de  Frederic II,  et  deConradlV, 
descendant  de  Frederic-Barberousse. 

Apres  un  interregne  de  dix-sept  ans 
pendant  lequel  le  comte  Guillaume  de 
Hollande,  le  due  Richard  de  Gornouailles, 
et  le  roi  Alphonse  de  Castille  se  dispu- 
terent  la  couronne  imperiale,  Rodolphe 
de  Habsbourg  fut  elu  empereur  dans  une 
diete  tenue  ci  Francfort  le  3o  septem- 
bre  1273. 

Ge  prince  est  la  tige  de  la  maison 
d'Autriche  :  il  descendoit  de  Gontran-le- 
Riche,  comte  d'AIsace,  soucbe  commune 
de  la  maison  de  Habsbourg- Autriche  et  de 
celle  de  Lorraine. 

En  1 278  Rodolphe  remporta  une  grande 
victoire  sur  Ottocare,  roi  de  Boheme, 
qui  peril  dans  la  bataille.  L'an  1282  il 
investit,  dans  la  diete  d'Ausbourg,  Albert, 
son  fils,  du  duche  d'Autriche  qu'il  avoit 
enlev^  au  roi  de  Boheme.  Depuis  lors  les 
comtes  de  Habsbourg  ont  pris  le  nom  de 
ce  duche,  et  fonde  la  deuxieme  maisoa 
d'Autriche. 


INTRODUCTION.  73 

Enfin  depuis  la  mort  de  Rodolphe 
en  1 29 1 ,  jusqu'au  regne  de  Maximilien  I" 
couronne  empereur  en  i493,  des  princes 
de  la  maison  d'Autriche,  des  rois  de  Bo- 
heme,  des  dues  de  Souabe,  de  Luxem- 
bourg, de  Baviere  et  de  Moravie,  ont  oc- 
cupe  successivement  le  trone  imperial. 

Tons  les  etats,  tons  les  princes  qui 
composoient  le  corps  germanique,  recon- 
noissoient  I'empereur  pour  leur  chef.  Les 
lois  et  les  rescrits  d'un  interet  general 
etoient  publics  en  son  nom.  Mais  ce  fan- 
tome  d'autorite  disparoissoit  devant  les 
dietes  de  I'Empire.  Chaque  prince ,  chaque 
etat  souverain  avoit  le  droit  d'assister  k 
ces  grandes  assemblees,  d'y  deliberer,  et 
d'y  voter.  Les  decrets  ou  recez  de  la  diete 
formoient  les  lois  de  I'Empire,  et  I'empe- 
reur etoit  oblige  de  les  ratifier  et  de  les 
faire  executer. 

Nous  voyons  maintenant  pourquoi  I'Al- 
lemagne  est  demeuree  etrangereaux  mou- 
vements  qui ,  vers  le  commencement  du 
quatorzieme  siecle,  ont   change  la  face 


74  INTRODUCTION, 

de  I'Europe;  pourquoi  le  peuple  de  ces 
riches  et  vastes  contrees,  immobile  au 
milieu  de  la  fermentation  generale,  n'a 
pas  imite  ses  voisins,  n'a  pas  comme  eux 
brise  ses  fers ,  et  comme  eux  pris  place  dans 
les  dietes  nationales. 

Cela  s'explique,  ainsi  que  nous  I'avons 
deja  dit,parla  difference  dans  la  duree  des 
dynasties  regnantes.  Que  celles  de  Hugues 
Capet  et  de  Guillaume-le-Conquerant, 
affermies  par  les  siecles  sur  des  trones 
hereditaires,  et  constamment  occupees  du 
soin  de  s'agrandir,  sesoientelevees  a  une 
hauteur  telle,  qu'elles  ont  pu  favoriser 
et  meme  provoquer  I'etablissement  des 
communes,  faire  ensuite  de  ces  nouvelles 
corporations  des  puissances  rivales  de  la 
puissance  des  hauts  barons,  et  les  appeler 
enfin  dans  les  grands  conseils  nationaux, 
jusqu'alors  uniquement  composes  des  vas- 
saux  de  la  couronne,  cela  se  conceit  aise- 
ment. 

Mais  il  ne  pouvoit  pas  en  etre  de  meme 
sous    des    princes    chancelants    sur    des 


INTRODUCTION.  75 

trones  viagers.  Ghaque  election  nouvelle 
affoiblissoit  I'autorite  imperiale  et  ajou- 
toit  k  celle  des  vassaux  de  I'Empire. 

Ainsi,  la  puissance  feodaJe,  toujours 
croissante,  et  constamment  interposee 
entre  les  chefs  de  I'Empire  et  les  hommes 
de  chaqiie  seigneurie,  interceptoit  toute 
communication  entre  eux,  et  mettoit  les 
empereurs  dans  I'impuissance  d'etendre 
une  main  protectrice  sur  les  habitants  des 
campagnes. 

. Si  Ion  se  reporte  sur  ce  que  Ion  vient 
de  lire,  on  en  voit  sortir  cette  grande 
verite:  autant  I'autorite  royale  est  im- 
puissante  pour  faire  le  bien  quand  elle 
repose,  comme  un  vain  simulacre,  dans 
des  mains  foibles  ou  inhabiles;  autant 
elle  est  bienfaisante  lorsque,  grande  et 
forte,  elle  impose  k  tons  le  joug  salutaire 
des  lois,  lorsque,  semblable  a  un  fleuve 
majestueux  et  tranquille ,  elle  coule  paisi- 
blement  dans  un  lit  creuse  par  la  sagesse. 


76  INTRODUCTION. 

DU  ROYAUME  DE  HONGRIE. 

Quelques  tribus  de  ces  Huns  qui  inon- 
derent  I'Europe  vers  la  fin  du  quatrieme 
siecle  s'arreterent  dans  la  Pannonie,  et 
prirent  dans  cette  province  le  nom  de 
Hongrois.  L^  ils  paroissent ,  jusqu'au 
dixieme  siecle,  avoir  vecu  sous  une  espece 
de  gouvernement  federatif ,  commandes 
par  differents  chefs  militaires  qu'ils  se 
choisissoient.Une  affaire  interessant  loute 
la  nation  s'elevoit-elle;  une  expedition 
generale  devoit-elle  avoir  lieu ;  on  pro- 
menoit  dans  les  differentes  bourgades  une 
epee  nue,  en  proclamant  ces  mots :  «  Voici 
« la  voix  de  Dieu  et  I'ordre  de  toute  la  com- 
ic munaute :  que  chacun  comparoisse  arme, 
«ou  comme  il  le  pourra,  dans  tel  lieu; 
« il  y  entendra  la  deliberation  et  la  deci- 
"sion  de  la  communaute.  »  Ainsi  avoient 
deja  lieu  des  assemblees  publiques  de  la 
nation. 

Ce  fut  en  966  que,  d'un  commun  con- 


INTRODUCTION.  77 

sentement,  les  grands  et  les  nobles  de 
Hongrie  choisirent  pour  roi  Fun  d'eux, 
Etienne,  qui,  dissipant  les  tenebres  du 
paganisme,  etablit  la  religion  chretienne 
dans  ses  etats,  organisa  I'eglise  catholi- 
que  de  Hongrie,  et  qui  est  connu  dans 
I'histoire  sous  le  nom  de  saint  Etienne. 

A  ce  prince  commence  la  monarchic 
elective  de  Hongrie. 

La  legislation  progressive  de  cette  mo- 
narchic a  ete  conservee  avec  une  rare 
exactitude :  les  recueils  qui  la  renferment 
remontent  jusqu'a  leur  premier  roi. 

II  est  un  de  ces  decrets  qui  appartient 
k  saint  Etienne.  On  y  remarque  ces  pa- 
roles adressees  a  son  fils  :  «  Si  tu  te  mon- 
tttres  affable,  tu  seras  proclame  roi,  et 
«toute  la  noblesse  t'aimera;  si  tu  es  iras- 
«cible,  imperieux,  intolerant,  si  tu  veux 
uelever  un  front  superbe  au-dessus  des 
«comtes  et  des  grands,  alors  sans  aucun 
«doute  tu  te  verras  depouille  de  la  di- 
wgnite  royale,  et  c'est  k  un  autre  qu'ils 
« livreront  ton  royaume.  »> 


78  INTRODUCTION. 

On  voit  ici  la  reconnoissance  du  droit 
d'election  qu'avoit  la  noblesse  hongroise, 
droit  qui  s'etablit  comme  une  coutume 
inviolable,  sans  etre  ecrit  positivement 
dans  aucune  constitution. 

Parmi  les  successeurs  de  saint  Etienne, 
le  premier  dont  les  lois  offrent  un  carac- 
tere  remarquable  est  Andre  II,  porte  sur 
le  trone  en  i2o5.  C'est  ce  prince  qui, 
dans  un  decret  promulgue  en  1222,  con- 
sacra  les  liberies  des  nobles  hongrois, 
leur  accordaplusieurs  privileges,  et  les  af- 
franchit  de  plusieurs  obligations  dont  ils 
etoient  tenus  envers  la  couronne.  «  Et  si 
«  nous ,  ou  I'un  de  nos  successeurs,  porte 
ule  dernier  article,  nous  voulions  jamais 
"contrevenir  aux  dispositions  de  notre 
« decret,  qu'en  vertu  de  ce  decret  les 
« eveques ,  les  barons  et  les  nobles  du 
«royaume,  presents  et  a  venir,  tous  en 
«  masse  et  chacun  en  particulier,  aient  a 
«  perpetuite  la  libre  faculte  de  nous  cou- 
rt tredire  nous  et  nos  successeurs,  meme 


INTRODUCTION.  79 

«  de  nous  resister  sans  encourir  aucune 
«  note  de  felonie.  » 

Aussi  le  nom  d' Andre  passa-t-il  revere 
dans  la  memoire  des  Hongrois.  Son  decret 
devint  I'arme  de  la  noblesse  toutes  les 
fois  quelle  voulut  reclamer  ses  liberies, 
et  chaque  roi  de  Hongrie  fut  oblige  avant 
son  couronnement  de  jurer  respect  et 
obeissance  k  ce  decret. 

Sous  les  rois  Charles  P""  et  Louis  I"  le 
royaume  de  Hongrie  atteignit  son  plus 
haut  point  de  splendeur.  La  Dalmatie,  la 
Croatie,  la  Servie,  la  Bulgarie,  la  Bosnie, 
la  Transylvanie ,  la  Valachie,  la  Molda- 
vie,  y  furent  successivement  reunies.  Mais 
en  1686,  sous  le  regne  de  Sigismond,  les 
Turcs  parurent  dans  la  Hongrie,  et  alors 
commencerent  ces  guerres  dont  la  duree 
embrasse  plus  dun  siecle.  Bien  que  les 
Chretiens  de  toute  I'Europe  accourussent, 
nouveaux  croises,  pour  secourir  les  Hon- 
grois,  les  Turcs  marcherent  de  pro- 
gres  en  progres.  Les  trois  fameuses  ba- 


8o  INTRODUCTION, 

tallies  de  Nicopolis  en  iBgG,  de  Warne 
en  1444?  ^^  Mohatz  en  1S26,  furent  fu- 
nestes  aux  amies  chretiennes.  Profitant 
des  dissensions  qui  s'etoient  elevees  pour 
Ja  couronne  de  Hongrie  entre  la  fa- 
mille  de  Jean  Zapoli  et  la  maison  d'Au- 
triche,  Soliman  II  etendit  chaque  jour 
ses  possessions.  Des  pachaliks  s'etablirent, 
des  mosquees  s'eleverent,  et  la  Hongrie 
demeuibree  se  trouva  divisee  en  Hongrie 
mahometane  et  en  Hongrie  chretienne. 

Ces  evenements  nous  conduisent  jus- 
qu'au  moment  ou  le  sceptre  de  Hongrie 
tomba  dans  la  maison  d'Autriche  en  1527. 
A  cette  epoque  les  actes  legislatifs  etoient 
dejafortnombreux.Parmicesactesdoivent 
etre  remarques  le  decret  rendu  par  Al- 
bert en  1439,  ^  la  priere  des  prelats,  des 
comtes  et  barons  (decret  qui,  confirmant 
celui  d' Andre  II ,  contient  une  grande 
partie  de  la  constitution  et  du  droit  pu- 
blic du  royaume);  les  articles  que  la  no- 
blesse presenta  en  1490  a  Ladislas  et  que 
celui-ci  jura  d'observer;  enfin  les  decrets 


INTRODUCTION.  81 

qui  suivirent  et  developp^rent  ces  articles 
en  1493  et  dans  les  annees  suivantes. 

Voici  le  systeme  du  gouvernement 
hongrois,  tel  que  le  presentent  ces  lois  et 
les  antecedents  historiques. 

La  couronne  est  elective;  cependant  la 
posterite  du  priuce  regnant  y  a  des  droits 
de  preference  que  les  dietes  reconnoissent 
Le  clioix  des  electeurs  pent  se  porter  sur 
des  femmes.  En  1882,  Marie,  fille  de 
Louis  P%  succeda  a  son  pere. 

Lors  de  son  couronnement  le  roi  doit 
prononcer  le  serment  dont  voici  la  for- 
mule:  «Nous  jurons  par  le  Dieu  vivant, 
«par  la  bienheureuse  vierge  Marie  sa 
«mere  et  par  tons  les  saints,  que  nous 
« conserverons  les  eglises  consacrees  k 
('Dieu,  et  tons  les  seigneurs  prelats,  ba- 
«  rons,  nobles,  et  villes  libres  de  Hongrie, 
u  et  tons  les  habitants  de  ce  royaume,  dans 
"leurs  franchises,  exemptions,  liberies, 
«  droits  et  privileges;  que  nous  garderons 
"toutes  les  coutumes  bonnes,  anciennes 
«et  generalement  approuvees;  que  nous 

6 


82  INTRODUCTION. 

«  rendrons  k  tous  justice  suivant  la  teneur 
«des  lois  et  les  usages  du  royaume,  et 
«que  nous  observerons  inviolablement 
ti  le  decret  du  serenissime  roi  Andre,  etc. » 
Le  roi  doit  resider  en  Hongrie.  G'est  k 
Jui  qu'appartient  la  libre  disposition  des 
emplois  et  des  dignites,  mais  il  ne  peut 
les  conferer  quk  des  Hongrois.  II  a  le 
pouvoir  de  rendre  des  decrets;  mais  il  est 
d'usage   qu'il  les   soumette  a  I'avis   des 
grands  et  nobles  du  royaume.  Du  reste 
c'est  un  principe  constant  du  droit  public 
qu'il  ne  peut,  sans  le  consentement  for- 
mel  des  dietes,  deroger  en  rien  soit  aux 
anciennes  coutumes,  soit  aux  libertes  na- 
tionales.  II  arrive  frequemment  que  les 
nobles,  reunis  dans  les  dietes,  arretent 
eux-memes  une  serie  d'articles  qu'ils  pre- 
sentent  au  prince  en  le  suppliant  de  les 
sanctionner,  quelquefois  meme  en  lui  en 
imposant  I'obligation  comme  une  condi- 
tion de  son  election.  Ges  decrets,  qui  sont 
en  grand  nombre,  commencent  par  une 
preface  dans  laquelle  le  roi  expose  que 


INTRODUCTION.  83 

les  barons  et  grands  du  royaume  lui  ont 
presente  les  articles  dont  la  teneur  suit, 
lis  sont  termines  par  la  confirmation  de 
ces  articles. 

Apres  la  dignite  de  roi,  la  premiere  est 
celle  de  palatin  de  Hongrie.  C'est  par  le 
prince  et  par  I'assemblee  nationale  que 
doit  etre  elu  ce  palatin ;  ainsi  le  prescrit 
I'article  2  du  decret  public  par  Albert  en 
1439.  On  trouve  dans  une  constitution, 
rendue  en  i485  par  une  diete  reunie 
pour  la  nomination  dun  palatin,  Tenu- 
meration  des  fonctions  diverses  de  ce  di- 
gnitaire.  General  et  grand  juge  du  royau- 
me, il  doit  porter  aux  oreilles  du  prince 
les  plaintes  des  sujets,  se  presenter  comme 
mediateur  lorsque  quelque  dissension  s  e- 
leve  entre  le  monarque  et  la  nation.  En 
I'absence  du  roi  il  tient  les  renes  du 
gouvernement.  Apres  sa  mort  il  est  le 
tuteur  ou  le  curateur  des  heritiers  qu'il  a 
laisses.  C'est  lui  qui  convoque  alors  les 
dietes  necessaires  pour  regler  les  affaires 
publiques. 

6. 


84  INTRODUCTION. 

Dans  la  monarchic  hongroisc  Taristo- 
cratic  est  toute-puissante;  les  nobles  n'ont 
aucun  droit  de  suzerainete  les  uns  sur  les 
autres;  tons  jouissent  des  memes  fran- 
chises. Les  quatre  principales  sont : 

La  premiere  de  ne  pouvoir  etre  ni  saisi 
ni  detenu  avant  d'avoir  ete  cite  dans  les 
formes  et  condamne  judiciairement ; 

La  seconde  de  ne  relever  dans  tout  le 
royaume  que  du  roi  legalement  elu  et 
couronne; 

La  troisieme  de  jouir  sur  leur  territoire 
de  tons  les  droits  et  revenus,  libres  de 
toute  servitude  envers  la  couronne,  taxe, 
impot ,  redevance  ,  sauf  I'obligation  de 
marcher  a  I'armee  pour  la  defense  du 
royaume ; 

La  quatrieme  enfin  de  pouvoir,  sans 
encourir  aucune  note  de  felonie.  resister 
au  roi  s'il  attentoit  a  la  constitution  d' An- 
dre II  et  aux  franchises  nationales. 

G'etoit  sur-tout  dans  les  dietes  que  la 
noblesse  hongroise  usoit  de  ses  libertes 
et  exercoit  son  influence. 


INTRODUCTION.  85 

Un  decree  de  i458  ordonne  qu'une 
diete  aura  lieu  chaque  annee  dans  la  ville 
de  Pest,  k  la  Pentecote.  Le  roi  Mathias, 
en  147 1)  fixa  cetteepoque  k la  fete  de  1' As- 
cension. Enfin  un  decret  presente  par  la 
noblesse  k  Ladislas,  en  1498,  remit  la  reu- 
nion r^guli^re  des  dietes ,  de  trois  ans  en 
trois  ans,  dans  le  champ  Rakos,  k  la  fete 
de  Saint-Georges.  Ces  dietes  ne  devoient 
durer  que  quinze  jours.  Les  rois  convo- 
quoient  des  dietes  extraordinaires  lorsque 
des  affaires  urgentes  I'exigeoient. 

On  trouve  dans  les  lois  diverses  peines 
prononcees  contre  les  nobles  qui  ne  se 
rendroient  pas  aux  assemblees.  On  ne 
doit,  d'apres  un  decret  rendu  en  1492, 
attendre  les  retardataires  que  pendant 
quatre  jours.  Ce  delai  expire ,  les  opera- 
tions peuvent  commencer,  et  les  absents 
seront  lies  par  les  decisions  de  la  diete, 
comme  s'ils  y  avoient  pris  part. 

Le  decret  de  149^,  sous  le  roi  Ladislas, 
presente  quelques  dispositions  assez  de- 
tail lees  sur  I'ordre  de  ces  assemblees.  Les 


86  INTRODUCTION, 

articles  26  et  26  portent  que  le  roi  doit 
convoquer  les  prelats ,  les  barons  et  les 
nobles,  chacun  en  particulier,  un  mois 
entier  avant  le  jour  fixe  pour  la  diete; 
qu'il  doit  y  appeler  non  pas  des  deputes 
elus  dans  chaque  comte ,  comme  cela 
s'etoit  pratique  quelquefois,  mais  tous  les 
nobles ,  cliacun  individuellemeot ;  qu'il 
doit  exposer  k  I'assemblee  les  motifs  de 
sa  reunion,  les  besoins  du  royaume,  la 
situation  de  ses  affaires;  que  les  nobles 
doivent  deliberer  avee  dignite  dans  le  si- 
lence, et  que  s'il  s'eleve  parmi  eux  des 
avis  differents,  le  maitre  des  huissiers  (i), 
present  a  la  deliberation,  doit  recueillir 
separement  le  vote  de  chacun. 

Pendant  la  duree  des  dietes  le  cours 
de  la  justice  est  suspendu  et  les  tribunaux 
sont  fermes. 

Quiconque  frappoit  un  individu  dans 
I'assemblee,  ou  cherchoit  a  troubler  les 


(i)  Magisterjanitorum. 


INTRODUCTION.  87 

deliberations,  etoit  note  d'infamie  (i). 
Les  dietes  doivent  etre  necessairement 
consul  tees  :  pour  les  impots,  qui  ne  peu- 
vent  etre  etablis  sans  leur  consentement; 
pour  la  conservation  et  la  defense  des  li- 
mites  du  royaume;  pour  le  mariage  des 
filles  du  roi;  et  en  general  pour  tout  ce 
qui  interesse  I'etat  (2). 


(i)  Quod  durantibus  generalibus  dietis  universa  ju- 
dicia  in  curia  regia ,  sedibus  spiritualibus  et  comitatibus 
cessent,  ut  unusquisque  rebus  totius  regni,  eo  facilius 
intendere  valeat.  —  Praeterea ,  si  quis  forte  aliquetri  in 
ipsa  dieta  verberaret ,  vulneraret,  vel  libertatem  dieta? 
turbaret,  quae  nota  infidelitatis  est,  talis  personaliter 
citari  semper  poterit,  ibidemque  judicium  de  eo  fieri 
valebit.  [Seizieme  decret  de  Ladlslas ,  an  iSoy,  art.  12.) 

(2)  Item  quod  nos  de  caetero,  nullam  dicam  sive 
taxarn  ,  praeterquam  lucrum  camerae ,  generaliter  a  reg- 
nicolis ,  propter  aliquam  causam ,  exigamus ,  aut  exigere 
faciaraus,  praeter  voluntatem  eorum  et  consensum. 
(  Troisieme  decret  de  Mathias,  an  i^ji,  art.  11.) 

In  defensionibus  et  conservationibus  metarum  et  con- 
finiorum  hujus  regni,  consiliis  regnicolarum  utemur. 
{Decret  d' Albert ,  an  14^9 ,  art.  i[\.) 

De  maritatione  filiarum  nostrarum  agemus  cum  con- 
silio  praelatorum  et  baronum  ac  nobilium  regni  nostri 
Hungariae.  ( Meme  decret,  art.  20.) 


88  INTRODUCTION. 

La  couronne  de  Hongrie  ayant  passe 
dans  la  maison  d'Autriche  en  i52'7  par 
I'election  de  Ferdinand ,  ce  prince  qui , 
comme  ses  predecesseurs ,  avoit  jure  de 
se  conformer  aux  constitutions  de  I'etat, 
ne  tarda  pas  a  s'en  ecarter.  Ses  successeurs 
les  respecterent  encore  moins.  La  noblesse 
prit  enfin  le  parti  de  recourir  aux  armes; 
mais,  trop  foible  pour  resister  seule  a  la 
maison  d'Autriche,  elle  engagea  les  Turcs 
dans  sa  querelle.  Les  succes  furent  long- 
temps  balances.  Enfin  le  12  aout  1687, 
dans  la  plaine  de  Mohatz,  les  generaux 
de  I'empereur  mettent  dans  la  deroute  la 
plus  complete  une  armee  de  80,000  Turcs, 
commandee  par  le  grand  visir.  Fort  de  ce 
succes,  I'empereur  Leopold  assemble  les 
etats  a  Presbourg,  le  3i  octobre  de  la 
meme  annee  1687,  fait  declarer  la  cou- 
ronne  de  Hongrie  hereditaire   dans  sa 
maison,  et  la  cede  en  meme. temps  ci  son 
fils  aine  I'archiduc  Joseph  (i). 

(i)  Art  de  verifier  les  dates ,  troisieme  edit. ,  t.  II,  p.  65. 


DES 

ASSEMBLIES  NATIONALES 

EN  FRANCE, 

DEPUIS   l'eTABLISSEMENT   DE  LA  MONARCHIE 

jusqu'en  1614. 
GHAPITRE  PREMIER. 

Des  assemblees  nationales  sous  les  deux  premieres  races. 

(481-987.) 

Quoique  Fespece  humaine  soit,  ou  du 
moiiis  paroisse  etre  par-tout  la  meme,  ce- 
pendant  chaque  peuple  tient  du  climat,  du 
sol,  ou  si  Ion  veut  de  la  nature,  un  carac- 
t^re  qui  lui  est  propre.  Le  trait  le  plus  sail- 
lant  de  celui  des  anciens  peuples  de  la  Ger- 
manic (1)   etoit    un   vif  attachement   a  la 


(i)  Sous  cette  denomination ,  je  comprends  toutes  les 
nations,  toutes  les  tribus,  qui,  apres  avoir  successive- 
ment  occupe  la  Germanic,  s'etablirent  sur  les  de'bris  de 
Tempire  romain. 


90  ASSEMBLEES  NATIONALES 

liberte.  Ce  sentiment  dominoit  toutes  leurs 
pensees,  dirigeoit  toutes  leurs  actions,  et, 
par  un  phenomene  fort  remarquable,  seul 
il  les  conduisit  a  une  forme  de  gouverne- 
ment  qui  suppose  des  connoissances,  alors 
infiniment  rares,  meme  chez  les  nations  les 
plus  civilisees. 

Je  lis  dans  Tacite(i):  « Leurs  rois  n'ont 
«pas  une  puissance  illimitee  ou  indepen- 
((dante,  et  leurs  {jeneraux  commandent  par 
« I'exemple  plus  que  par  I'autorite. » 

Plus  has  Tacite  ajoute :  u  Les  affaires  peu 
(<  importantes  sont  reglees  par  les  chefs,  les 
uautres  par  la  nation,  de  maniere  toutefois 
uque  dans  celles  meme  dont  la  decision 
uappartient  au  peuple,  la  discussion  est  re- 
«  servee  aux  chefs ,  hormis  des  cas  extraor- 
(t  dinaires  et  pressants ;  ils  s'assemblent  a  des 
« jours  fixes,  au  commencement  de  la  nou- 
uvelle  et  de  la  pleine  lune,  temps  qu'ils 


(i)  Je  donne  la  traduction  de  M.  Bureau  de  Lamalle, 
generalement  estimee. 


DE  FRANCE.   CHAP.  I.  9 1 

ujugent  le  plus  favorable  pour  trailer  les 
((affaires...  Lorsque  I'assemblee  paroit  suf- 
ufisamment  nombreuse,  ils  prennent  place 
«tout  armes.  Les  pretres(i),  qui  sont  alors 


(i)  Chez  les  peuples  barbares,  les  pretres  ont  ordinai- 
rement  du  pouvoir,  parcequ'ils  ont,  et  Tautorite  qu'ils 
doivent  tenir  de  la  religion ,  et  la  puissance  que  chez  des 
peuples  pareils  donne  la  superstition.  Aussi  voyons-nous 
dans  Tacite  que  les  pretres  etoient  fort  accredites  chez 
les  Germains,  qu'ils  mettoient  la  police  dans  I'assemblee 
du  peuple.  II  n'etoit  permis  qu'a  eux  de  chatier,  de  lier, 
de  frapper :  ce  qu'ils  faisoient,  non  pas  par  un  ordre  du 
prince,  ni  pour  infliger  une  peine,  mais  comme  una 
inspiration  de  la  Divinite ,  toujours  pre'sente  h  ceux  qui 
font  la  guerre.  {Esprit  des  Lois,  liv.  XVIII,  chap,  xxxi.) 

M.  Meyer,  dans  son  savant  ouvrage  intitule  Esprit, 
origine,  et progres  des  institutions  judiciaires ,  etc.,  torn.  I, 
liv.  II,  ajoute:  Les  Germains  etoient  extremement  su- 
perstitieux :  a  tout  moment  ils  consultoient  leurs  pretres, 
dont  I'autorite  devoit  etre  tres  grande,  quoique  rien  ne 
prouve  qu'ils  aient  forme  un  etat  separe,  comme  les 
Druides-Gaulois.  Les  femmes  ou  vierges  sacrees  jouis- 
soient  d'une  grande  faveur;  et  les  noms  de  Ganna,  de 
Velleda,  d'Aurinia,  sont  connus  dans  I'histoire,  a  cote 
de  ceux  d'Armenius  et  de  Claudius  Civilis. 


92  ASSEMBLEES  NATIONALES 

(f  charges  de  la  police,  imposent  silence  j  en- 
(( suite  le  roi  ou  le  chef  prend  la  parole,  et 
u  selon  ce  qu'il  a  d  age,  de  naissance ,  de  con- 
((sideration  militaire,  d'eloquence,  il  se  fait 
«  ecouter  par  la  force  des  raisons,  plutot  que 
{'  par  celle  de  I'autorit^.  Si  son  avis  a  deplu, 
«un  cri  general  I'annonce;  s'ils  I'approu- 
((vent,  ils  agitent  leurs /r«mee5.  Gette  ma- 
«  ni^re  d'exprimer  leur  approbation  par  les 
«  armes  est  la  plus  flatteuse...  On  peut  aussi 
a  a  ces  assemblees  generales  porter  les  accu- 
((sations  et  les  affaires  criminelles...  C'est 
«  dans  ces  memes  assemblees  qu'on  elit  aussi 
(fles  chefs,  qui  rendent  la  justice  dans  les 
«  cantons  et  dans  les  bourgades. » 

Dans  cet  ordre  de  choses,  le  roi  propose 
la  loi ;  tons  les  hommes  admis  a  I'honneur  de 
porter  les  armes,  reunis  en  assemblee  gen^- 
rale,  Tadoptent  ou  la  rejettent;  cette  assem- 
blee, conjointement  avec  le  roi,  regie  les  af- 
faires generales  de  la  nation*,  le  roi,  seul 
charg^  du  pouvoir  executif,  fait  seul  les  ac- 
tes  d'administration;  enfin  la  meme  assem- 
blee, toujours  presidee  par  le  roi,  prononce 
sur  les  crimes  d'etat,  et  nomme  des  juges 


DE   FRANCE.    CHAP.  I.  98 

pour  statuer  sur  les  affaires  qui  n'int^res- 
sent  que  les  pardculiers  (i). 

Voila  bien  la  separation  des  pouvoirs.  II 
faut  que  cette  belle  conception  soit,  en  quel- 
quesorte,  une  idee  innee,  puisqu'elle  s'est 
presentee  a  I'esprit  dune  nation  barbare, 
dune  nation  qui,  etrangere  a  nos  connois- 
sances  comme  a  nos  vices,  n'etoit  eclairee 
que  par  les  lumieres  du  plus  simple  bon 
sens. 


(i)  Ces  assemblees  sont  designees  dans  les  anciens  mo- 
numents sous  plusieurs  denominations.  Tacite  les  appelle 
concilium ,  congressus :  les  Francs  les  appeloient  mallum^ 
placitum  regium,  generate placitum;en%\xite  plena synoduSy 
conventus ,  concilium. 

Comme  ces  assemblees  s'etoient  tenues  d'abord  au 
mois  de  mars  et  ensuite  au  mois  de  mai ,  les  historiens  les 
appellent  aussi  Champs-de-Mars  et  Cliamps-de-Mai. 

II  y  avoit  aussi  des  assemblees  particulieres ,  qui  avoient 
lieu  dans  les  differents  comtes,  et  qui  n'etoient  composees 
que  de  ceux  qui  habitoient  ces  comtes.  Les  Germains  et 
les  premiers  Francs  les  appeloient  mallum  grajionis:  plus 
tard  elles  furent  connues  sous  le  nom  de  placitum  comitis , 
placitum  missi. 

Je  ne  m'occupe  dans  cat  ouvrage  que  des  assemblees 
generales. 


94  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Ce  bon  sens  continuera-t-il  d'inspirer  la 
nation ,  lorsqne,  par  la  conquete  des  Gaules, 
elle  sera  devenue  maitresse  de  Tune  des  plus 
riches  con  trees  de  la  terre?  Les  monuments 
contemporains  repondent  h  cette  question. 

Deja  les  Visigoths  et  les  Bourguignons 
s'etoient  empares  dune  partie  des  Gaules, 
lorsque,  vers  le  milieu  du  cinqui^me  siecle, 
les  Francs  parvinrent  a  s'y  etablir. 

On  decoroit  du  nom  de  Francs  ceux  de 
ces  peuples  qui  se  faisoient  le  plus  remar- 
quer  par  leur  amour  pour  la  liberte.  Les 
principaux  etoient  les  Saliens,  les  Ripuaires, 
les  Gherusques,  et  les  Bruct^res.  Ainsi, 
Ton  disoit:  Les  Francs-Saliens,  les  Francs- 
Ripuaires,  etc. 

Les  Saliens  occu parent  Tournay  (i),  les 
Ripuaires  Cologne,  les  deux  autres  Te- 
rouane  et  Cambrai. 

En  481  Clovis  succeda  a  Chilperic  son 
p^re,  roi  de  la  tribu  des  Saliens.  La  guerre 


(i)  En  i653  on  decouvrit  a  Tournay  la  tombe  et  le 
squelette  de  Chilperic,  pere  de  Clovis. 


DE  FRANCE.    CHAP.  I.  gS 

^toit  un  besoin  pour  liii;  et  il  avoit  ^mi- 
nemment  le  courajje  de  ces  temps-la,  c'est- 
a-dire  un  courage  feroce.  Le  nombre  d'hom- 
mes  de  sa  nation ,  en  etat  de  porter  lesarmes, 
ne  s'elevoit  gu^re  au-dessus  de  trois  ou 
quatre  mille;  mais  sa  grande  reputation  at- 
tiroit  sous  ses  drapeaux  une  foule  de  braves 
des  tribus  voisines,  ceux  sur-toutqui  regar- 
doient  le  pillage  comme  le  seul  moyen  d'ac- 
querir  qui  fut  digne  d'un  soldat. 

A  la  tete  de  cette  armee,  Clovis  battit  les 
Romains  a  Soissons,  et  les  Gerraains  a  Tol- 
biac(i). 


(i)  On  assure  qu'un  voeu  fait  au  fort  de  Paction ,  et  les 
instances  de  son  epouse  Clotilde ,  princesse  de  Bourgo- 
gne  ,  le  determinerent  a  embrasser  le  christianisme. 

II  seroit  inutile  aujourd'hui  d'examiner  si  sa  conversion 
fut  sincere ;  mais  il  est  certain  du  moins  qu'aucun  acte 
politique  ne  pouvoit  avoir  de  re'sultats  plus  heureux. 
L'arianisine  introduit  de  bonne  heure  chez  les  nations 
barbares  dominoit,  toutefois  sans  intolerance ,  a  la  cour 
de  Bourgogne,  et  dans  celle  des  rois  visigoths;  aussi  le 
clerge  des  Gaules ,  fortement  attache  au  parti  catlioli- 
que ,  avoit  soutenu  les  armes  de  Clovis ,  meme  avant  sa 
conversion.  Depuis  il  se  de'clara  hautement  en  sa  fa- 


96  ASSEMBLEES  NATIONALES 

Ces  deux  victoires  etendirent  sa  domina- 
tion jusqu'a  rOcean;  jusqua  la  Loire  qui 
servoit  de  limite  a  celle  des  Visig^oths;  jus- 
qu'au  Rhone  qui  la  separoit  des  Bourgui- 
p-nons,  et  jusqu'au  Rhin,  011  elle  confinoit 
avec  les  Allemands  et  avec  d'autres  Francs. 

Devenu  ainsi  I'un  des  plus  puissants  nio- 
narques  de  FEurope,  Clovis  voudra-t-il  par- 
tager  avec  ses  sujets  I'exercice  de  la  puis- 
sance legislative?  respectera-t-il  encore  les 
limites  de  son  autorite  ? 

II  n'aura  pas  meme  I'idee  de  les  ebranler. 


veur ;  le  raonarque  recompensa  son  zele,  ainsi  que  I'exi- 
geoit  une  adroite  politique,  et  ses  descendants  le  traite- 
rent  avec  une  munificence  prodigue.  S'appuyant  du 
pretexte  de  la  religion ,  Clovis  attaqua  Alaric ,  roi  des 
Visigoths ,  et ,  par  une  eclatante  vicloire  aupres  de  Poi- 
tiers ,  renversa  leur  empire  dans  les  Gaules ,  et  les  rejeta 
dans  la  province  maritime  de  la  Septimanie ,  ligne  etroite 
de  cotes  situee  entre  le  Rhone  et  les  Pyrenees.  Ses  der- 
niers  exploits  consisterent  a  soumettre  certains  chefs  in- 
de'pendants  de  sa  tribu  et  de  sa  propre  famille,  qui  s'e- 
toient  etablis  vers  les  bords  du  Rhin ;  il  les  fit  totis  perir 
par  violence  ou  par  trahison.  (L' Europe  au  moyen  age , 
par  M.  Hallam,  1. 1.) 


DE  FRANCE.    CHAP.  I.  9-7 

La  raison  en  est  simple :  c'est  qu'alors  il  n'y 
avoit  pas  une  nation  etune  arm^e,  raaisune 
armee  qui  se  composoit  de  la  nation  enti^re, 
c  est-a-clire  de  tons  les  hommes  en  ^tat  de 
porter  les  armes ;  de  mani^re  que  la  consti- 
tution de  I'etat  etoit  sous  la  garde  de  la  force 
publique. 

Les  assemblees  nationales  furent  done, 
apr^s  la  conquete,  ce  qu'eiles  etoient  au- 
dela  du  Rhin ;  et,  comme  on  va  le  voir,  il  n'y 
eut  rien  de  change,  ni  quant  a  leur  com- 
position ,  ni  quant  a  leur  raani^re  de  d^li- 
berer. 

La  conquete  fut  rapide,  mais  il  falloit  du 
temps  pour  I'affermir ;  aussi  Clovis  ne  licen- 
cia-t-il  pas  son  armee.  Trop  foible  pour  qu'il 
put  la  repartir  sur  differents  points,  il  la  te- 
noitcampee  pr^s  des  lieux  de  sa  residence; 
et,  toujours  k  sa  tete,  il  se  portoit  par-tout  ou 
des  symptomes  de  rebellion  se  laissoient  en- 
trevoir.  Cependant,  aux  approches  de  I'hi- 
ver,  il  etendoit  ses  quartiers,  afin  qu'elle 
put  subsister  ayec  plus  de  facilite ;  mais  d^s 
les  premiers  jours  du  printemps  les  batail- 
lons  epars  se  reunissoient  en  corps  d'armee, 

7 


gS  ASSEMBLEES    NATIONALES 

et  formoient  ces  assemblees  connues  sous  la 
denomination  de  Champ-de-Mars (i). 

Dans  ces  assemblees,  la  nation  represen- 
tee par  ses  braves,  et  deliberant  comme 
dans  les  forets  de  la  Germanie,  sous  la  pre- 
sidence  et  sur  les  propositions  de  son  chef, 
regloit  les  affaires  de  letat. 

Get  ordre  de  clioses  se  maintint  sous  les 
premiers  successeurs  de  Glovis  (2),  mais 
sous  ses  petits-fils  un  grand  changement 
s'opera.  L'habitude  de  vivre  sous  le  meme 
regime  ay  ant  reuni  les  Francs  et  les  Gaulois, 


(i)  Cela  n'est  pas  textuellement  ecrit  dans  les  anciens 
monuments ;  mais  on  y  entrevoit  que  c'est  de  cette  ma- 
niereque  les  choses  se  sont  passees. 

(2)  Glovis  laissa  quatre  fils ,  qui  partagerent  ses  etats. 
L'Austrasie  echut  a  Thierry  I'aine,  qui  choisit  Metz  pour 
sa  capitale ;  Clodomir  fixa  son  sejour  a  Orleans ;  Childe- 
bert ,  a  Paris ;  et  Clotaire ,  a  Soissons.  Sous  leurs  regnes , 
la  conquete  de  la  Bourgogne  agrandit  la  monarchic. 
Clotaire  ,  le  plus  jeune  des  freres  ,  reunit  enfin  tous  ces 
royauraes  :  divises  une  seconde  fois  a  sa  mort  entre  ses 
quatre  enfants ,  ils  furent  re'unis  de-nouveau  sous  Clo- 
taire n  ,  petit-fils  du  premier. 

Les  regnes  suivants  n'offrent  qu'une  longue  serie  de 


DE  FRAJSCE.    CHAP.  I.  yy 

et  les  deux  peuples  ne  formant  plus,  en 
quelque  sorte,  qu'une  nation,  les  conque- 
rants  sentirent  moins  la  n^cessite  de  tenir 
I'arm^e  reunie  sur  le  meme  point.  Les  corps 
dont  elle  se  coniposoit  furent  can  tonnes 
dans  les  dif'ferentes  provinces  j  et  les  soldats, 
que  I'age  ou  les  blessures  rendoient  moins 
propres  au  service,  obtinrent  facilement  la 
permission  de  se  retirer  dans  les  domaines 
dont  la  conqu^te  les  avoit  rendu s  proprie- 
taires. 

Ces  hommes ,  bientot  amollis  par  les  dou- 
ceurs de  la  vie  privee,  places  a  de  grandes 
distances  du  centre  des  affaires  publiques. 


crimes  et  de  malhenrs.  II  seroit  difficile ,  comme  le  dit 
tres  bien  Gibbon ,  de  trouver  ailleurs  plus  de  vices  et 
moins  de  vertus. 

Deux  reines  se  distinguent  par  I'e'normlte  de  leurs 
crimes:  Fr^ddgonde,  femme  deChilperic,  et  Brunehaut^ 
reine  d'Austrasie. 

Les  princes  qui  regnerent  apres  elles  tomberent  dans 
un  tel  etat  de  nullite,  que  les  maires  du  palais ,  qui , 
dans  I'origine,  n'etoient  que  de  simples  officiers  de  la 
m.aison  du  roi ,  parrinrent  a  transformer  leur  place  en 
une  dignite  elective ,  et  finirent  par  s^emparer  du  trone. 

7- 


lOO  ASSEMBLEES    NATIONALES 

ne  tard^rent  pas  a  perdre  de  vue  les  assem- 
blees  du  Champ-de-Mars,  et  neglig^rent  de 
s'y  reiidre. 

II  resulta  de  cette  negligence  que  les  as- 
semblees  nationales  ne  furent  plus  compo- 
sees  que  des  generaux  et  des  officiers  de  la 
maison  du  prince,  en  un  mot  de  ceux  que 
les  monuments  de  ces  temps-la  designent 
sous  le  nom  de  proceres.  Mais  la  place  de- 
sertee  par  les  soldats  ne  resta  pas  long- 
temps  vacante;  les  pretres,  qui  jusqu'alors 
n'avoient  figure  dans  ces  assemblees  que 
pour  y  maintenir  la  police,  s'empress^rent 
de  I'occuper. 

Une  fois  entre  dans  le  gouvernement,  le 
clerge  n'en  sortira  plus ;  et,  devenu  membre 
du  corps  politique,  il  formera  desormais 
un  ordre  dans  I'etat. 

Cette  innovation  changea  la  forme  et  en 
partie  I'objet  des  assemblees  nationales.  Au- 
paravant  la  nation  y  etoit  representee  par 
tons  les  hommes  en  etat  de  porter  les  armes ; 
elle  ne  le  fut  plus  que  par  les  officiers  supe- 
rieurs  du  palais  et  de  I'armee,  et  cessa  tota- 
lement  de  I'etre ,  lorsque ,  ces  grands  offices 


DE  FRANCE.    CHAP.  I.  lOI 

etant  devenus  her^ditaires ,  ceux  qui  les 
poss^doient  formal  ent  la  classeque  Ton  a  de- 
piiis  appelee  Fordre  de  la  noblesse. 

Auparavant  les  guerriers  qui  formoient 
ces  assemblies ,  plus  liommes  de  bien 
qu'hommes  d'esprit,  plus  judicieux  qu'eclai- 
res,  plus  raisonnables  que  raisonneurs, 
adoptoient  les  lois  qui  leur  etoient  soumises, 
en  frappant  sur  leurs  boucliers,  ou  les 
rejetoient  par  un  cri  dim  probation.  Sans 
doute  ces  formes  etoient  trop  simples ;  mais 
le  defaut  d'eloquence  vaut  encore  mieux 
que  Tabus  de  I'eloquence;  et  cet  abus  entra 
dans  les  assemblees  avec  les  eveques.  Ac- 
coutumesaux  disputes  tlieologiques,ilsypor- 
t^rent  les  subtilites  de  I'ecole,  et  sur-tout 
Tesprit  de  domination. 

Cet  esprit  prevalut :  il  en  devoit  etre  ainsi. 
La  plus  profonde  ignorance  ^toit  le  partage 
des  grands  de  I'etat,  et  les  connoissances  du 
clerge,  quoique  tres  bornees,  embrassoient 
tout  ce  que  Ion  savoit  alors;  ces  connois- 
sances, comme  cela  arrive  toujours,  ren- 
dirent  le^  eveques  maitres  des  deliberations , 
et  tout  fut  r^gle  par  eux.  On  voit,  en  lisant 


I02  ASSEMBLEES   NATIONALES 

les  capitulaires  de  ces  temps-la,  qii'il  y  est 
beaucoup  plus  question  de  Tinteret  de  I'E- 
glise  que  de  Finteret  de  letat,  et  on  les 
croiroit  bien  plutot  emanes dun  concile  que 
dune  assemblee  politique. 

Sous  les  rois  faineants  Charles- Ma rtel 
s'empara  du  pouvoir.  L'importance  de  ses 
guerres  et  I'eclat  de  ses  conquetes  firent 
oublier  pour  toujours  la  race  de  Clovis,  et 
momentanement  les  assemblees  nationales. 

Pepin  les  retablit.  Adroit  usurpateur  il 
augfraenta  la  puissance  du  clerge,  sous  la 
condition  tacite  que  celui-ci  afferrairoit  la 
sienne.  Les  eveques  le  comprirent :  ils  an- 
nonc^rent  I'usurpateur  comme  lenvoye  du 
ciel,  et  le  pape  Etienne  II,  en  le  sacrant  lui- 
meme,  I'environna  de  tout  ce  que  la  reli- 
gion pent  ajouter  a  la  majeste  des  rois. 

De  son  cote  Pepin  reconnoissant  combla 
le  clerge  de  richesses  et  de  privileges.  Ainsi 
converts  de  la  faveur  royale,  les  Eveques 
marcli^rent  avec  tantde  succ^s  a  la  conqu^te 
du  pouvoir  quils  depouillerent  les  grands, 
qui  com|X)Soient  avec  eux  les  assemblees 
nationales, du  pen d'influence quils  conser- 


DE   FRANCE.    CHAP.  I.  io3 

voient  encore.  La  puissance  legislative  passa 
lout  enti^re  dans  leurs  mains,  et  la  revolu- 
tion fut  telle,  que  Ion  pouvoit  dire  alors: 
L'etat  c'est  I'Eglise. 

A  Pepin  succeda  Charlemagne.  Charle- 
magne! toutes  lesid^es  de  grandeur,  de  sa- 
gesse,  de  force  et  de  majest^,  se  rattachent 
a  ce  nom  a  jamais  celebre.  Ce  vaste  et  puis- 
sant genie  porta  la  reforme  dans  toutes  les 
parties  de  I'administration  publique.  La  na- 
tion recut  de  son  grand  caract^re  une  em- 
preinte  toute  nouvelle,  et  I'autorite  des  as- 
serablees  nationales  cessa  d'etre  conceutr^e 
dans  les  mains  du  clerge.  Cependant,  il  faut 
le  reconnoitre,  ce  changement  fut  moins 
Teffet  des  combinaisons  de  son  esprit  que  le 
resultat  de  ses  guerres  continuelles. 

Toujours  a  la  tete  de  ses  armees ,  toujours 
en  action,  et  par-tout  victorieux,  Charle- 
magne i^'en  respectoit  pas  moins  les  libertes 
publiques.  Chaque  an  nee,  au  re  tour  du 
printemps,  il  tenoit  et  presidoit  les  dietes 
nationales  (i).  Pendant  la  guerre  il  les  con- 

(i)  Hincmar,  archeveque  de  Reims,  dans  ses  lettres  a 


Io4  ASSEMBLEES  NATIONALES 

voquoit  dans  les  lieux  ou  il*avoit  etabli  le 
centre  des  operations  de  la  campagne.  Aussi 
voyons-nous  que  les  capitulaires  de  cette 
^poque  sont  dates  les  uns  de  Paderborn ,  de 
Worms,  de  Spire,  de  Ratisbonne ;  les  autres 
d'Aix-la-Chapelle,  de  Metz,  etc. 


Louis-le-Begue ,  nous  donne  sur  ces  assembleesles  details 
que  Ton  va  lire. 

S'il  faisoit  beau  temps,  ils  s'assembloient  quelquefois 
en  plein  air;  sinon  il  y  avoit  deux  salles  principales, 
une  pour  les  evSques,  les  abbes  et  autres  du  haut  clerg6; 
I'autre  etoit  pour  les  comtes  et  autres  de  meme  rang :  il 
etoit  libre  aux  deux  chambres  de  deliberer  a  part  ou  en 
chambres  reunies. 

II  y  avoit  encore  plusieurs  autres  salles,  diversa  loca, 
pour  le  reste  de  I'assemblee,  ccetera  multitudo ,  qu'on  ap- 
peloit  m'mores:  c'e'toient  \e?,  notables ,  les  scabini  ou  eclie- 
vins  des  villes  et  districts,  dont  les  comtes  et  gouverneurs 
devoient  se  faire  accompagner  a  I'assemblee  generale, 
et  dont  le  nombre,  pour  chaque  comte,  fut  successive- 
ment  augmente ,  et  enfin  porte  a  douze  par  le  deuxieme 
capitulaire  de  Louis-le-Debonnaire  de  I'an  819. 

L'appel  de  ces  notables  aux  etats-generaux ,  suivant  le 
temoignage  d'HIncmar,  avoit  pour  but  d'obtenir  d'eux 
des  renseignements  sur  les  besoins  et  les  avantages  lo- 
caux ,  d'entendre  leurs  avis ,  et  de  les  mettre  en  etat  de 
convaiucre  leurs  concitoyens  de  I'utilite  ou  de  la  necessite 


DE  FRANCE.  CHAP.  I.  Io5 

La  legislature  ainsi  plac^e  dans  les  camps 
flit  necessairement  compos^e  de  tous  les 
chefs  de  Farmee,  c'est-a-dire  de  tous  les 
grands  de  I'etat.  Quant  aux  ^veques,  beau- 
coup  d'entre  eux  n^glig^rent  des  fonctions 
devenues,  par  les  d^ placements  qu'elles  exi- 
geoient,  incompatibles  avec  leurs  habitudes. 


de  la  mesure  prise,  puisqu'ils  avoient  assiste  a  la  discus- 
sion ,  et  avoient  entendu  le  pour  et  le  contre. 

II  y  avoit  cependant  une  difference  de  rang  entre  ces 
notables  et  les  membres  des  deux  ordres ;  Hincmar  dit 
que  ces  derniers  etoient  assis  sur  des  banquettes  riche- 
ment  ffarnies ,  et  qu'aucun  autre,  d'un  moindre  rang, 
n'etoit  assis  a  cote  d'eux. 

Hincmar  nous  apprend  encore  qu'apres  que  toutes  les 
affaires  de  I'assemblee  generale  etoient  finies ,  et  avoient 
obtenu  la  sanction  royale,  le  roi  complimentoit  I'as- 
semblee sur  ses  travaux,  et  en  la  congediant  ou  la  pro- 
rogeant,  cbargeoit  specialement  chaque  membre,  arctius 
erat  commissum ,  de  s'informer  scrupuleusement,  pour 
I'ouverture  de  I'assemblee  suivante ,  s'il  y  avoit  du 
trouble  dans  le  royaume,  s'il  s'elevoit  quelque  mur- 
mure  ou  niecontentement ,  et  quelle  pouvoit  en  etre  la 
cause. 

Voyez  le  chapitre  premier  de  VHistoIre  de  forigine  de 
I' organisation  et  des  poiivoirs  des  etats-generaux  et  provin- 
ciaux  des  Gaules ,  par  le  savant  M   Rapsaet. 


Io6  ASSEMBLEES  NATIONALES 

Leiir  absence  rendit  aux  seigneurs  lai'ques 
Finfluence  qu'ils  avoient  perdue.  Ces  assem- 
blees ,  qui  sous  le  regne  de  Pepin  n'etoient 
guere  que  des  conciles,  reprirent  un  carac- 
t^re  vraiment  national;  et,  sans  perdre  de 
vue  les  affaires  de  I'Eglise,  on  s'y  occupa 
beaucoup plus  des  grands  inter^ts  de  letat. 

Tout  cela  disparut  dans  la  confusion  des 
derniers  regnes  de  la  seconde  race:  de  cette 
confusion  sortit  une  France  nouvelle.  Je  la 
ferai  connoitre  dans  les  clia]:)itres  suivants. 
Je  continue  celui-ci  pour  faire  remarquer  la 
difference  que  Ion  mettoit  alors  entre  les 
lois  et  les  capitulaires. 

Toutes  les  fois  que  des  hommes  se  reunis- 
sent  en  societe,  a  I'instant  et  par  la  seule 
force  des  choses,  deux  pouvoirs  selevent  au 
milieu  deux;  Tun  investide  la  puissance  le- 
gislative, Tautre  charge  du  soin  de  faire  exe- 
cuter  les  lois. 

Ges  deux  pouvoirs  existoient  cliez  les  an- 
ciens  Germains:  le  pouvoir  executif  appar- 
tenoit  au  ])rince;  la  puissance  legislative 
residoit  dans  la  nation  entiere.  Tacite  nous 
I'apprend  par  ce  pen  de  mots  qui  renferment 


DE  FRANCE.  CHAP.  I.  107 

tant  de  choses:  De  minoribus  rebus  principe& 
consultant  J  de  majoribus  omnes;  ita  tamen  ut 
ea  quorum  penes  plebem  arbitrium  est,  apud 
principes  quoque  pertractentur. 

Gette  reunion  de  tons  les  Francois  en  un 
8eul  corps  d^liberant  presentoit  pen  de  dif- 
ficulte  lorsque  la  nation  des  Francs,  encore 
au-dela  du  Rhin ,  ne  consistoit  qu'en  nne  cit^ 
pen  populeuse ;  maisapr^s  son  etablissement 
dans  les  Gaules,  et  lorsqu'enfin  les  vain- 
queurs  et  les  vaincus  ne  formerent  plus 
qu'un  seul  peuple,  il  devint  impossible  de 
r^unir  tant  d'hommes  epars  sur  un  vaste 
territoire.  On  le  sen  tit,  et  Ton  prit  un  parti 
dont  la  sa^vesse  etonne  dans  une  nation  k 
peine  civilisee.  Les  assemblees  nationales  ne 
furent  plus  composees  que  des  grands  et  des 
eveques;  et  cependant  le  peuple  ne  fut  pas 
desherite  du  droit  de  concourir  a  la  confec- 
tion des  lois. 

Les  affaires  de  nature  k  etre  soumises  aux 
assemblees  nationales  etoient  partag^es  en 
causes  majeures,  et  causes  mineures:  causce 
majores,  causce  minor es. 

On  reputoit  causes  mineures  celles  qui 


Io8  ASSEMBL1KES   NATIONALES 

concernoient  la  discipline  de  I'Eglise ,  la  jii- 
ridiction  des  eveques ,  les  privileges  du 
clerge,  les  moeurs  des  pretres,  les  ordres 
monastiques;  la  formation  de  Tarmee,  sa 
discipline,  le  mode  de  recrutement;  I'or- 
ganisation  des  tribunaux ,  leur  hierar- 
cliie,  leur  placement,  leur  competence,  le 
nombre  des  juges,  les  regies  a  suivre  dans 
leur  election,  les  inspections  auxquelles  ils 
etoient  soumis,  les  peines  qu'ils  encouroient 
pour  deni  de  justice  et  autres  debts  de  meme 
nature. 

La  cause  etoit  majeure  toutes  les  fois  qu'il 
s'agissoit  de  r^gler  les  successions,  les  parta- 
ges,  les  transmissions  de  biens;  toutes  les 
fois  qu  a  raison  des  progr^s  de  la  civilisation 
et  de  I'industrie,  on  croyoit  necessaire  de 
faire  quelques  changements  a  la  loi  salique, 
aux  codes  des  Ripuaires,  des  Bourguignons 
et  des  Bavarois.  Les  empecliements  de  ma- 
riage  etoient  aussi  mis  au  rang  des  causes 
majeures. 

Les  assemblees  nationales  connoissoient 
des  causes  mineures,  et  les  regloient  seules 
et  definitivement  par  des   actes  l^gislatifs 


DE  FRANCE.   CHAP.  I.  IO9 

que  Ion  publioit  sous  la  denomination  de 
Capitidaires  (i). 

A  regard  des  causes  majeures,  les  formes 
etoient  bien  autrement  solennelles.  La  loi 
etoit  d'abord  redigee  en  simple  projet.  Ge 
projet  etoit  adresse  a  tous.  les  gouverneurs 


(1)  Ces  asserablees  avoient  aussi  une  juridiction  con- 
tentieuse:  on  y  discutoit  les  affaires  des  grands  de  I'etat, 
lorsqu'elles  interessoient  I'ordre  public.  II  y  a  beaucoup 
de  preuves  de  cette  assertion.  Voici  comment  Hertius, 
savant  publiciste  allemand ,  s'exprime  a  cet  egard  dans 
le  second  volume  de  ses  oeuvres ,  chap,  v,  §  36 :  In  comi- 
tatihus  populi  generalibus  causas  principum ,  sive  prtmorum, 
quales tunc fuere  duces,  episcopi,  comitum prcecipui ,  saltern 
illas  quce  rempublicam  attinebant ,  decisas  fuisse  exempUs 
compluribus  probatur. 

II  arrivoit,  et  meme  assez  frequemment,  quale  prince 
renvoyoit  des  proces  a  I'assemblee  generale,  et  les  sou- 
mettoit  a  sa  decision.  On  lit  dans  la  chronique  de  Ful- 
de ,  chap,  xxi ,  qu'en  I'an  670 ,  Childeric ,  de  I'avis  des 
grands,  suadentibus  potentibus ,  fit  enfenner  I'eveque 
d'Autun  dans  un  monastere,  pour  y  demeurer  jusqu'a 
ce  qu'il  eut  ete  statue  sur  son  affaire  par  I'assemblee  ge- 
nerale :  donee  conventus  haberetur,  ac  denuo  deliberaretur 
quid  fieri  placeret.  Ce  fut  de  meme  par  une  assemblee  gc- 
nerale  de  la  nation  que  Charlemagne  fit  juger  Tassillon , 
due  de  Baviere. 


no  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

de  provinces,  alois  conn  us  sous  le  nom  de 
comtes.  Chaquecomte  assembloit  les  juges, 
les  administrateurs,  les  notables  de  son 
comte,  leur  communiquoit  le  projet,  re- 
cueilloit  leurs  opinions  et  les  portoit  a  I'as- 
serablee  nationale :  la  les  suffrages  etoient 
calcules ,  et  le  projet  faisoit  loi ,  si  la  raajorite 
des  comtes  I'adoptoit;  autrement  il  etoit 
rejete(i). 

Nous  disons  que  le  projet  etoit  transforme 
en  loi.  C'est  en  effet  sous  ce  nom ,  et  non  sous 
celui  de  capitulaire,  que  les  decisions,  ainsi 
revetues  de  la  sanction  geUerale,  etoient  pu- 


(i)  Cela  est  bien  prouve  par  le  troisieme  capilulaire 
de  I'an  8o3-  On  y  voit  que  Charlemagne,  jugeant  qu'il 
etoit  necessaire  de  faire  quelques  additions  a  la  loi  sali" 
que,  soumit  a  la  sanction  du  peuple  les  dispositions 
qu'il  vouloitajouter  k  cette  loi.  Voici  comment  est  concu 
le  cbdp.  XIX  de  ce  capitulaire :  Ut  populus  interrogetur 
de  capituUs  quce  in  lege  noviler  addita  sunt.  Et  postquam 
omnes  consenserint ,  subscriptiones  et  mcaiufirmationes 
suas  in  ipsis  capituUs  faciant. 

En  I'annee  63o,  Dagobert  fit  publier  une  nouvelle 
redaction  de  la  loi  des  Ripuaires;  et  dans  I'avertissement 
qui  est  en  tete ,  nous  lisons :  Hoc  decretum  est  apud  regem, 


DE  FRANCE.    CHAP.  1.  Ill 

bliees.  Aussi  voyons-nousquela  loi  salique, 
par  exemple,  nest  pasintitul^e:  Capitularia 
legis  salicce,  mais  Lex  salica,  vel  Pactum  legis 
salicce. 

Je  ne  dis  j)as  que  cette  division  a  toujours 
ete  respectee;  que  jamais  on  ii'a  decide  par 
des  capitulaires  ce  qui  auroit  du  I'etre  par 
des  lois.  Je  parle  du  droit,  et  non  du  fait. 

Quoi  qu'il  en  soit,  telle  ^toit  I'autorite  de 
ces  dietes  generales,  que  les  rois  eux-memes 
ne  croyoient  |)as  avoir  le  droit  de  suppleer  a 
Finsuffisance  des  actes  emanes  d'elles  par  des 
dispositions  interpretatives  ou  suppl^men- 
taires.  Le  plus  grand,  le  plus  puissant  d'entre 


etprincipes,  etapud  cunctum  populum  cliristianum.  Voyez 
Baluze,  torn.  I,  pag.  28,  edition  de  1780. 

J'ai  dit  que  les  empechements  de  mariage  eitoient  mis 
au  rang  des  causes  majeures,  et  que  les  dispositions 
qui  les  concernoient  etoient  prealablement  souaiises  a 
la  sanction  du  peuple :  je  le  prouve  par  le  capitulaire 
de  Tannee  767,  qui  porte  expressement  que  ses  disposi- 
tions ont  ete  delibe'rces  in  general!  populi  conventu.  Ce 
capitulaire  renferme  vingt-un  articles,  dont  dix-huit 
sont  relatifs  aux  empechements  de  mariage.  ( Capit.  de 
Baluze,  torn.  I ,  pag.  179.) 


112  ASSEMBLIES    NATIONALES 

eux,  Charlemagne,  a  qui  Ion  demandoit  si 
les  comtes  avoient  le  droit  d'exiger  un  sou, 
solidum,  pour  Fexpedition  de  certains  actes, 
repondit:  Consultez  la  loi  romaine  ou  la  loi 
salique,  et,  si  elles  sont  muettes,  adressez- 
vous  a  I'assemblee  generale.  Les  termes  de 
cette  belle  reponse  termineront  ce  chapitre. 
Me  interrogasti ,  si  comes  de  notitia  solidum 
unum  accipere  deberet,  et  scabini  sive  cancel- 
larius,  lege  romanam  legem  j  et  sicut  ibi  in- 
veneris ,  exinde  facias.  Si  autem  ad  salicam 
pertinet  legem,  et  ibi  minim.e  repereris  quid 
exinde  facere  debeas ,  ad  placitum  nostrum 
gener ale  exinde  interrog are  facias.  (Sixi^me 
capitulaire  de  I'annee  8o3,  chap.  II.  Baluze, 
torn.  I,  pag.  4o2.) 


DE  FRANCE.   CHAP.   H.  ii3 


CHAPITRE  II. 

La  France  depuis  Hugues  Capet  jusqu'a  Philippe-le-Bel. 

(987—1285.) 

La  revolution  qui,  sous  lesderniers  Car- 
iovinjifiens ,  avoit  fait  passer  les  domaines  de 
I'etat  et  presque  tons  les  attributs  de  la 
souverainet^  dans  les  mains  des  grands  du 
royaume,  setoit  operee  avant  I'avenement 
de  Hugues  Capet  au  trone ;  et  ce  prince  n'a- 
voit  pu  prendre  la  couronne  que  telle  qu'il 
I'avoit  trouvee. 

Ainsi  le  roi,  qui  fondoit  une  nouvelle 
dynastie,  les  seigneurs  de  fiefs  et  les  gouver- 
neurs  des  comtes ,  qui  venoient  de  conqu^rir 
I'h^r^dite  de  leurs  offices  et  de  leurs  fiefs, 
possedoient  tous  au  meme  titre. 

Dans  cette  confusion  le  regime  feodal 
prevalut;  le  principe  uionarcliique  s'altera; 
etles  premiers  successeurs de  Hugues  Capet 
furent  bien  moins  les  rois  des  Francois,  que 
les  chefs  impuissants   d'un   gouvernement 

8 


Il4  ASSEMBLEES   NATION  ALES 

federatif.  Les  seigneurs,  forts  de  Topinion 
que  leurs  droits  etoient  aussi  anciens,  et 
avoient  la  meme  orif>ine  que  ceuxdesrois, 
rivaliserent  constamment  de  puissance  avec 
eux. 

La  France  se  couvrit  de  chateaux  forts. 
Comme  I'art  de  Fortifier  les  places  avoit  deja 
fait  assez  de  pro^^res ,  et  ({ue  celui  de  les  at- 
taquer  etoit  encore  tout-a-fait  inconnu,  les 
seigneurs,  inaccessibles  dans  leur  donjon, 
bravoient  arrogamment  fautorite  roy  ale  ( I ). 


(i)  Les  passages  suivants  de  YAbrege  clironologique 
de  I'Hisloire  de  France,  par  Mezerai,  nous  donnent  une 
idee  fort  exacte  de  I'etat  du  royaume  a  cette  e'poque.  Que 
ceux  qui  regrettent  les  siecles  d'ignorance  et  de  barbaric 
lisent  et  prononcent. 

"liny  avoit, dit  cejudicieuxecrivain,sousrannee  1095, 

si  petit  seigneur  qui  ne  bravast  le  roy  Pliilippe 

Miles ,  seigneur  de 

Montlehery,  et  Guy  Troussel  s(»n  fils,  le  faisoient  suer 
d'angoisse  par  le  moyen  de  leur  cbasteau  de  Montlehery, 
et  de  quatre  ou  cinq  autres  qu'ils  avoient  en  ces  quartiers- 
la,  avec  quoy  ils  gourmandoient  tout  le  pays,  et  rom- 
poient  le  commerce  de  Paris  a  Orleans." 

Le  meme  historien,  sous  I'annee  iiiG,  continue  en 
ces  termes:  »  Hugues  du  Puiset  s'estant  revoke  pour  la 


DE   FRANCi:.    CHAP.    H.  Il5 

Cependant  ils  vouloient  bien  reconnoitre 
qu'ils  avoient  des  devoirs  a  reraplir  envers 
le  roi;  mais  ces  devoirs  etoient  ceiix  dun 
vassal  et  non  ceux  dun  siijet.  Les litres  d'in- 
vestitiire  de  leurs  fiefs  en  etoient  la  mesure. 


troisieme  fois ,  le  roy  rassieffea  ce  rliasteau ,  le  rasa ,  puis 
despouilla  ce  rebelle  de  tous  ses  biens.  Ce  malheureux 
ayant  dans  una  sortie  tue  Anseau  de  Garlande,  grand 
senechal  et  favory  du  roy,  et  n'osant  plus  deraeurer  au 
pays ,  passa  quelque  temps  apres  en  Tcrre-Sainte ,  qui  ^n 
ces  temps-la  estoit  le  refuge  des  condamnes  et  des  bannis, 
comme  aussi  des  veritables  penitents. 

« Thomas  de  Marie,  seigneur  de  Coucy,  ayant  ete  ex- 
communie  et  degrade  de  noblesse  par  le  legat  du  pape, 
pour  les  sacrileges  qu'il  commettoit  journellement,  en 
vintaun  tel  excesde  rage,  qu'il  incendia  la  villede  Laon, 
mit  le  feu  a  Teglise  de  Nostre-Dame  de  Liesse,  et  massa  • 
era  I'eveque ,  apres  lui  avoir  coupe  le  doigt,  auquel  il 
portoit  I'anneau  episcopal.  Le  roi  (Louis-le-Gros),  qui  se 
rendoit  present  par-tout  avee  une  celerite  incroyable, 
courut  de  ce  cote-la  avant  que  ce  voleur  se  fust  saisi  de  la 
tour  de  Laon ,  forca  et  rasa  ses  chasteaux  de  Crecy  et  de 
Nogent,  et  lereduisit  h  la  raison. 

u  II  dompta  aussi  un  autre  tyranneau ,  nomme  Adam  , 
qui  ravageoit  tous  les  environs  d'Amiens.  II  s'estoit  em- 
pare  de  la  tour  de  la  ville,  qui  estoit  CNtraordinairement 
forte,  et  donna  bien  de  la  peine:  mais  le  roy  I'ayant  te- 
nue  investie  pres  dedeux  ans,  en  vint  about ,  et  la  rasa."* 

8. 


Il6  ASSEMBLIES   NATIONALES 

Le  roi  ne  pouvoit  exiger  que  ceux  nomina- 
tivement  stipules  par  ces  litres*,  et  la  cou- 
ronne  etoit  regardee  bien  moins  comme  le 
symbole  de  la  souverainete  que  comme  le 
sommet de  lechelle feodale. 

Juges  en  dernier  ressort  dans  leurs  terres, 
les  seigneurs  en  etoient  r^elleraent  les  seuls 
legislateurs  (i):  et  de  la  cette  division  de  la 
France  en  pays  de  Yobeissance  le  roi,  et  hors 
Vobeissance  le  roi  (2) ;  de  la  ces  maximes  qui 
constituoient  le  droit  public  d'alors ,  et  que 
Ton  trouve  encore  dans  les  ecrits  de  la  fin 
du  treizi^me  siecle.  Bers  si  a  toutes  justices  en 


(i)  En  effet ,  les  lois  ne  sont  obligatoires,  et  par  conse'- 
quent  n'ont  le  caractere  de  lois ,  que  lorsque  I'autorite 
dont  elles  emanent  est  investie  de  moyens  propres  a  les 
faire  executer:  et  ces  moyens  manquent  a  celui  qui  n'a 
pas  le  dernier  ressort  de  la  justice ,  puisqu'il  seroit  oblige 
de  deferer  les  infractions  k  ce  qu'il  appelleroit  ses  lois, 
k  des  tribunaux  etrangers,  et  que  ces  tribunaux,  sur 
lesquels  il  n'auroit  aucune  supe'riorite ,  ne  statueroient 
que  quand  et  comme  il  leur  plairoit :  de  la  cette  maxime 
consignee  dans  tous  les  publicistes:  Point  de  souverain 
sans  cour  souveraine. 

(2)  Etablissements  de  saint  Louis,  liv.  II,  chap.  xv. 


DE  FRANCE.    CHAP.   II.  Il-y 

sa  terre;  ne  li  roi  ne  puet  mettre  ban  en  la  terre 
au  baron  sans  son  assentement  ne  li  bers  ne 
puet  mettre  ban  en  la  terre  au  vavasor  (i) 
chascun  des  barons  si  est  souverain  en  sa  ba- 
ronnie  (2). 

Par  notice  usage  n'a  il  entre  toi  et  ton  vilain , 
juge,fors  Dieu;  tant  cowne  il  est  tes  coukans 
et  tes  levans,  se  il  na  autre  loi  vers  toi  ke  le 
cownunete  {?>). 

Tuit  gentils-hommes ,  qui  ontvoirie  en  leur 
terre  J  pendent  larrons  de  quelque  larrecin  que 
il  ait  fait  en  leur  terre  (4). 

Ce  droit  de  vie  et  de  mort,  attribu^  aux 
seigneurs  liauts  justiciers,  choque  tellement 
nos  moeurs,  et  il  y  a  si  loin  de  cet  etat  de 
choses  a  notre  jury  actuel,  que  Ion  doit  eprou- 
ver  le  desir  de  connoitre  les  monuments 
dune  jurisprudence aussi  monstrueuse. 

Nous  lisons  dans  le  trait^  de  XUsage  des 
fiefs  de  Brussel,  pag.  221 : 


(i)  Etablissements  de  saint  Louis,  liv.  I,  chap.  xxiv. 

(2)  Beaumanoir,  chap,  xxxiv. 

(3)  Pierre  Desfontaines ,  chap,  xxi,  art.  8. 

(4)  Etablissements  de  saint  Louis,  hv.  I,  chap,  xxxviii. 


1  1 8  ASSEMBLIES  NATIONALES 

«Non  seiilement  les  seigneurs  regaliens, 
umais  encore  tout  autre  seigneur  qui  avoit 
«  haute  justice  dans  sa  terre,  y  jugeoit  ega- 
« lement  sans  appel :  c'est  ce  clont  Ja  Cham- 
«  pagne  fournitplusieurs  exemples ;  il  suffira 
«d'en  rappeler  ici  deux  qui  sont  des  an- 
wnees  1286  et  1287.)) 

On  voit  par  le  premier  que  la  fille  d\in 
homme  condamne  a  mort  par  la  justice  de 
la  dame  de  Chassins,  et  execute,  demandoit 
a  la  cour  des  grands  jours  de  Champagne 
que  la  memoire  de  son  p^re  fut  rehabilitee, 
qu'il  fut  detache  des  fourches  patibulaires, 
et  que  ses  biens  lui  fussent  rendus.  La  dame 
de  Chassins  bornoit  sa  defense  a  dire  que, 
le  p^re  ayant  ete  condamne  par  des  hommes 
sages,  la  fille  etoit  non  recevable;  et  c'est 
en  effet  ce  que  I'arret  juge  :  pronuntiaturn 
est  quod  dicta  Borgina  ad  denuntiationem 
hujustnodi  non  admitteretur. 

Le  second  exeuiple,  rapporte  par  Brussel, 
n'est  pas  moins  decisif.  «Un  seigneur  qui 
«  avoit  fait  pendre  et  executer  a  mort  dans 
«  sa  terre  un  voieur,  s'etant  plaint  a  la  meme 
«  cour  des  grands  jours  de  Champagne  de 


DE  FRANCE.   CHAP.   II.  I  19 

«  ce  que  le  corps  de  cet  homme  avoit  ete 
«  tire  de  sesfoiirclies  par  le  bailli  de  Troyes, 
(til  flit  enjoint  a  ce  bailli  de  s'informer  s'il 
«  etoit  vrai  que  le  v'oleur  cut  ete  pris  dans  la 
« justice  du  seigneur  qui  en  reclamoit  le 
«  corps. » 

11  seroit  facile  de  multiplier  les  exemples 
de  I'independance  des  justices  seigneuriales. 
En  voici  encore  un  que  je  trouve  dans  FHis- 
toire  du  diocese  de  Paris  par  Tabbe  Lebeuf, 
torn.  IX ,  pag.  367.  «  On  lit,  dit  cet  historien , 
((dans  les  chroniques  du  temps,  dans  une 
((que  le  P.  du  Bois  cite  apres  Ducange,  et 
((dans  les  chroniques  latines  que  le  sieur 
(( Auteuil  a  publiees  a  la  fin  de  la  Vie  de  la 
((  reine  Blanche,  et  meme  dans  I'Histoire  de 
(iCorbeil,  que  cette  reine  gouvernant  le 
((royaume  durant  Fabsence  de  saint  Louis, 
((  apprit  que  les  ofiiciers  du  chapitre  de  Paris 
(( avoient  enferme  dans  les  prisons  de  I'eglise 
(( les  hommes  serfs  qu'ils  avoient  a  Chatenay, 
«pour  n'avoir  pas  paye  la  taille  attachee  k 
(( leur  etat,  et  que  ces  officiers  ne  leiir  four- 
(tnissoient  point  les  vivres  necessaires.  La 
((chroniquelatinemarqueenproprestermes 


I20  ASSEMBLIES    NATIONALES 

(( que  la  reine  les  pria  de  les  faire  sortir  de 
(t  prison,  et  qu'ils  n'en  voulurent  rien  faire; 
«  qu'au  contraire  ils  firent  encore  enfermer 
«les  femraes  et  les  enfants,  de  mani^re  que 
« la  chaleur  de  la  prison  en  etouffa  plusieurs. 
((Ge  que  voyant  la  reine  Blanche,  elle  vint 
«auchapitreavec  des  gens  arm es,  fit  rompre 
«les  portes  des  prisons,  et  se  saisit  du  tem- 
wporel  de  Feglise  jusqua  satisfaction.  Une 
«Vie  de  saint  Louis,  imprimee  en  i665,  a 
«  Paris,  chez  RoUan ,  in-8°,  rapportela  meme 
«  histoire,  ajoutantquela  reinefrappa  meme 
«la  premiere  de  son  baton  a  la  porte  des 
(( prisons.  Geci  se  passa  pendant  le  premier 
u  voyage  de  saint  Louis  outre-mers,  c'est- 
ua-dire  environ  Ian  1248.  Telles  etoient 
«les  mani^res  de  ce  siecle  envers  les  gens 
«  serfs,  et  cela  n'etoit  pas  singulier  a  Paris.  » 
On  sent  que  dans  un  pareil  ordre  de 
choses  il  ne  pouvoit  pas  etre  question  d'as- 
semblees  nationales:  aussi  Tidee  n'en  vint- 
elle  a  personne.  Cependant  I'esprit  public, 
qui  n'est  jamais  long-temps  stationnaire , 
commencoit  a  prendre  une  direction  nou- 
velle.  II  soperoit  dans  les  habitudes,  dans 


DE   FRANCE.    CHAP.  II.  121 

les  moeurs,  dans  les  opinions,  des  change- 
ments  qui ,  pour  etre  inapercus ,  n'en  etoient 
pas  moins  reels,  et  qui  minoient  sourde- 
ment  les  bases  de  ce  re^^ime  feodal,  dont 
Tabus  avoit  transforme  I'ancienne  monar- 
chie  en  une  espece  de  gouvernement  fe- 
deral. 

C'est  en  effet  pendant  les  onzi^me  et  dou- 
zi^me  siecles  que  s'est  forme  I'esprit  cheva- 
leresque,  bizarre  assemblage  de  bravoure, 
de  devotion  et  de  galanterie,  dont  le  carac- 
t^re  national  porte  encore  aujourd'liui  I'em- 
preinte;  que  se  sont  etablies  les  regies  du 
point  d'honneur;  de  cet  honneur  que  Ton 
est  convenu  de  regarder  comme  le  principe 
des  gouvernements  monarchiques ;  tyran 
capricieux  dont  I'opinion  publique  est  I'a- 
veugle  ministre;  qui,  fletrissant  la  vie  de 
quiconque  refuseroit  de  lui  obeir,  com- 
mande  mille  fois  plus  imperieusement  que 
le  despote  le  plus  absolu  dont  le  pouvoir  se 
borne  a  donner  la  mort ;  et  qui,  par  un  pres- 
tige inconcevable,  a  traverse  dix  siecles  et 
toutes  nos  revolutions  sans  rien  perdre  de 
son  autorite. 


122  ASSEMBLEES  NATIOINALES 

A  cette  epofjue  les  troubadours  au  midi, 
les  trouveres  au  nord,  parcourent  les  cha- 
teaux, ainusent  par  leurs  chants  les*loisirs 
des  nobles  dames,  et  disseminent  dans  la  sO" 
ciete  le  f^out  de  la  poesie. 

Sous  le  nom  de  cours  d'amour  se  forment 
des  especes  d'academies ;  des  ecoles  s'ouvrent 
dans  les  principales  villes.  Les  places,  les 
emplois,  les  di(>nites,  deviennent  le  parta^je 
de  ceux  qui  s'y  distln^uent;  et  la  nation, 
devenue  sensible  aux  jouissances  intellec- 
tuelles,  fait  le  premier  pas  vers  la  civili- 
sation. 

Sous  les  deux  premieres  races  un  jargon 
barbare  suffisoit  a  des  hommes  sans  indus- 
trie,  sans  commerce,  et  presque  sans  com- 
munication entre  eux.  Pendant  cette  pe- 
riode  la  langue  s'adoucit  avec  les  moeurs,  et 
Ton  put  entrevoir  que  dans  un  temps  plus 
ou  moins  eloigne  la  France  auroit  un  idiome 
national. 

Les  croisades  reunissentla  (j^rande  famille 
europeenne  sous  les  niemes  drapeaux,  et 
mettent  I'Europe  en  contact  avec  lAsie.  Des 
nations,  jusqu  alors  etrangf^res  les  unes  aux 


DE   FRANCE.   CHAP.  II.  123 

autres,  apprennent  a  se  connoitre ;  les  indi- 
vidus  se  rapprochent;  les  caracteres  s'adou- 
cissent  par  les  frottements  qu'ils  eprouvent*, 
lesespritss'eclairent  par  les  communications 
qui  s'etablissent  entre  eux ;  le  luxe  et  la  mol- 
lesse  des  Asiatiques  revelent  aux  nobles  ha- 
bitants des  donjons  feodaux  qu'il  y  a  des 
jouissances  liors  des  camps  et  des  tournois; 
et  chacun  rapporte  dans  ses  Foyers  des  con- 
noissances,  des  besoins,  des  verlns  et  des 
vices  qu'il  n'avoit  pas  en  les  quittant. 

Enfin  le  douzierae  siecle  est  encore  I'epo- 
que  de  Tun  des  evenements  les  pins  remar- 
quables  de  notre  liistoire,  dun  evenement 
qui  nous  a  rendu  le  ponvoir  municipal,  et 
auquel  se  rattache  tout  ce  qui  a  ete  fait  de- 
puis  dans  I'interet  de  la  liberty.  Je  parle  de 
letablissement  des  communes. 

Telle  etoit  la  triste  condition  des  habi- 
tants des  campagnes  ({u'ils  avoient  perdu 
jusqu'au  sentiment  de  leur  degradation; 
mais  ceux  des  villes,  plus  eclaircs,  sentoient 
mieux  le  poids  et  la  honte  du  joug  sous  le- 
quel  ils  gemissoient. 

Enfin  Toppression  exerca  sur  eux  sa  lente, 


124  ASSEMBLEES  RATIONALES 

mais  inevitable  influence.  EUe  ieur  revela 
le  secret  de  Ieur  force,  et.ils arraclierent  des 
sei(>neurs  ces  concessions  que  nous  appelons 
ckartes  de  commune. 

On  vit  alors  a  quels  dangers  le  pouvoir 
s'expose,  lorsqu'il  prend  ses  usurpations 
pour  des  titres,  la  resignation  de  ceux  qui 
soufl'rent  pour  une  reconnoissance  de  ce 
qu'il  appelle  ses  droits,  et  qu'il  se  persuade 
qu'appesantir  le  joug  est  le  meilleur  moyen 
d'etouffer  les  plaintes. 

Dans  toutes  les  villes  erigees  en  com- 
munes il  s'eleva  un  pouvoir  qui,  habile- 
men  t  seconde  par  les  rois,  rivalisa  bientot 
avec  la  puissance  feodale,  et  dont  les  forces, 
combinees  avec  celles  de  la  couronne,  ne 
lard^rent  pas  a  depouiller  les  seigneurs  de 
la  plupart  des  prerogatives  qu'ils  avoient 
usurpees  sur  elle. 

Les  cliartes  des  communes  differoient  en 
quelques  points;  mais  uniform es  sur  les  plus 
importants,  toutes  abolissoient  la  servitude 
personnelle,  et  convertissoient  les  taxes  ar- 
bitraires  en  prestations  determinees. 

Toutes  renfermoient  un  certain  nombre 


DE   FRANCE.    CHAP.    11.  125 

de  dispositions  legislatives  qui  regloient  les 
principaux  actes  civils,  et  d^terminoient  les 
peines  des  delits  les  plus  communs ,  notam- 
ment  des  delits  de  police. 

Toutes  consacroient  le  principe  que  le 
choix  des  officiers  municipaux  appartient 
aux  habitants. 

Toutes  attachoient  au  pouvoir  municipal 
la  manutention  des  affaires  de  la  commune, 
le  maintien  de  la  police,  et  lad  ministration 
de  la  justice  dans  les  cas  ou  il  s'agissoit  de 
statuer  sur  des  points  regies  par  la  charte. 

Enfin,  et  ceci  est  fort  remarquable,  tous 
ces  diplomes  autorisoient  les  officiers  muni- 
cipaux a  faire  prendre  les  armes  aux  habi- 
tants toutes  les  fois  qu'ils  le  jugeoient  neces- 
saire  pour  defendre  les  droits  et  les  libertes 
de  la  commune,  soit  contre  des  voisins  en- 
treprenants,  soit  contre  le  seigneur  lui- 
meme. 

Aux  villes  qui  n'etoient  pas  assez  popu- 
leuses  pour  presenter  une  force  imposante, 
ou  dans  lesquelles  il  etoit  difficile  de  trouver 
des  hommes  capables  de  remplir  successive- 
ment  les  charges  municipales,  on  reunissoit 


126  ASSEMBLEES    INATIOISALES 

les  bourgs  et  les  villa^^^es  circonvoisins,  qui 
tons  ensemble  iie  formoient  qu'iine  seule 
municipalite. 

Tel  etoit  letat  de  la  France  a  la  fin  du 
doiizieme  siecle.  Le  treizieme  s'onvrit  sous 
le  refine  de  Philippe-Auguste. 

Ge  prince,  roi  a  quatorze  ans,  n'avoit  pas 
encore  atteint  sa  majorite  (i),  que,  deja  tra- 


(i)  Avant  Charles  V,  la  majorite  des  rois  etoit  reglee  par 
la  loi  commune:  ce  prince,  considerant  que  la  loi  n'a 
point  fixe  I'age  auquel  les  rois  doivent  avoir  i'adminis- 
tration  de  leur  royaume;  que  saint  Louis,  a  I'Age  de 
quatorze  ans,  avoit  etc  sacre  et  couronne ,  et  avoit  pris 
le  gouvernement  de  son  royaume;  que  les  administra- 
tions de  ceux  qui  gouvernent  les  affaires  des  mineurs 
sont  sujettes  a  de  grands  inconvenients,  et  qu'il  y  a  tou- 
jours  eu  en  France  des  personnes  capables  de  remplir 
les  fonctions  publiques,  et  de  donner  de  bons  conseils 
aux  rois,  ordonna,  par  son  edit  perpe'tuel  et  irrevocable 
du  mois  d'aoiit  i3y4>  qu*^  dt;s  que  les  rois  de  France  au- 
roient  I'age  de  quatorze  ans,  ils  seroient  sacres  et  cou- 
ronnes;  qu'ils  pourroient  faire  des  sernients  dans  cette 
ceremonie,  et  ailleurs ,  accorder  des  graces  a  leurs  sujets, 
faire  des  pactes  et  des  conventions  avec  eux,  et  leur  faire 
des  promesses,  comme  s'ils  avoient  vingt-cinq  ans ;  qu'ils 
prendroient  le  gouvernement  du  royaume,  et  qu'ils  re- 
cevroient  la  foi  et  I'hommage  de  leurs  sujets  et  vassaux , 


DE  FRAKCt.   CHAP.    II.  1 27 

vaille  de  Tamoiir  du  pouvoir,  il  arracha  des 
mains  de  ses  tuteurs  les  renes  du  {^ouverne- 
ment.  II  avoit  etudi^  Thistoire,  coinme  on 
letudioit  h  cette  ^poque,  dans  les  romans de 
chevalerie.  Ces  f'al)les  lieroiques  avoient 
donne  a  son  caractere  cette  enipreinte  che- 
valeresque  que  Ion  prenoif  alors  pour  de 
I'heroisme,  dont  I'eclat  seduisoit  to  us  les  es- 
prits,  et  que  les  rois  eux-memes  s'honoroient 
de  partager  avec  leurs  sujets  (1 ). 


de  leurs  freres,  des  princes,  et  meme  des  archeveques , 
des  eveques ,  et  des  rois,  et  en  {jeneral,  qu'ils  pour- 
roient  t'aire  tout  ce  qu'un  veritable  roi  des  Francois  peut 
faire.  II  declara  que  ceux  qui  s'opposeroient  a  Texecution 
de  cette  loi ,  et  leurs  fauteurs  seroient  prives  du  droit  de 
succeder  a  la  couronne,  et  de  gouverner  I'etat,  et  de 
leurs  d ignites,  fiefs,  et  biens.  {Ordonnances  du  Louvre , 
torn.  V^J  ,  pag.  26.) 

(i)  Les  benedictins ,  auteurs  de  VHistoire  Utteraire  de  la 
France,  torn.  VI  et  VII,  disent  que  les  romans  ont 
commence  chez  nous  au  dixieme  siecle.  Comme  la  lan- 
gue  romane  etoit  alors  la  plus  universellement  entendue, 
les  auteurs  de  ces  sortes  d'ouvrages  la  prefererent  a  toute 
autre  pour  publier  leurs  fictions  et  leurs  contes,  qui  de 
la  j)rirent  le  nom  de  romans. 

La  langue  latinc  etoit  encore  en  France  la  langue  vul- 


128  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Philippe  comprit  de  bonne  heure  que  le 
temps  etoit  arrive  de  travailler  a  reconstruire 
la  monarchie,  et,  pendant  toute  la  duree de 
son  regne,  on  le  vit  constamment  occupe  a 
reconquerir  les  terres,  les  prerogatives  et 
les  droits  qui  avoient  appartenu  a  sa  cou- 
ronne.  " 

Par  des  alliances,  des  victoires,  des  nego- 
ciations,  et  des  jugements  il  parvint  succes- 
sivement  a  reunir  au  domaine  de  I'etat 
I'Anjou ,  le  Maine,  la  Touraine,  I'Auvergne, 
le  Vermandois  etla  Normandie(i). 


gaire  sous  la  premiere  race ,  c'est-a-dire  la  langue  de  tout 
le  monde :  elle  n'etoit  plus  vulgaire  au  commencement 
du  neuvieme  siecle ;  la  langue  romane  lui  succeda ,  c'est- 
a-dire  une  langue  melee  de  franc  et  de  mauyais  latin  , 
qui  est  devenue  la  langue  francoise, 

(i)Rien  n'est  plus  propre  a  faire  connoitre  le  caractere  de 
Philippe-Auguste  que  la  fermete  qu'il  montra  dans  I'af- 
faire  concernant  la  reunion  de  la  Normandie.  Profitant 
habilement  de  I'indignation  que  Jean  ,  roi  d'Angleterre 
et  due  de  Normandie,  avoit  soulevee  contre  lui  par  le  meur- 
tre  d'Arthur,  comte  de  Bretagne ,  son  neveu ,  il  le  fit  citer 
devant  sa  cour  des  pairs.  Jean  demanda ,  par  son  ambas- 
sadeur,  un  sauf-conduit.  Volontiers,  dit  Philippe;  il  pent 
venir  en  s&ret^.  Et  retourner^  dit  I'envoye  anglois.  Si  la 


DE  FRANCE.   CHAP.  II.  1 29 

En  reculant  ainsi  chaque  jour  les  limites 
de  sesdomaines,  Philippe  n'oublioit  pas  que 
son  premier  devoir  etoit  de  procurer  a  ses 
sujets  une  bonne  et  prompte  justice :  il  fit  a 
cet  egard  plusieurs  reglements  fort  sages, 
notamment  une  ordonnance  qu'il  publia 
en  1190(1).  Si  d^s-Iors  on  n'eut  pas  de  bonnes 
lois,  on  eut  au  moins  de  bons  juges. 

Apr^s  avoir  fixe  ses  regards  sur  les  tribu- 
naux,  Philippe  les  porta  sur  Instruction 


sentence  de  ses  pairs  le  yerniet,  repliqua  le  roi.  Presse  de 
donner  une  reponse  plus  positive:  Par  tous  les  saints  de 
France ,  dit-il,  il  ne  s'cn  retournera  pas,  s'il  nest  acquitte. 

L'envoye  representa  encore  que  le  due  de  Normandie 
ne  pouvott  venir  sans  le  roi  d'Angleterre,  et  que  les  ba- 
rons de  ce  royaume  ne  pouvoient  permettre  a  leur  sou- 
verainde  s'exposer  a  la  captivite  ou  a  la  mort.  Ehlau'im- 
porteP  repliqua  Philippe ;  on  sait  bien  que  le  due  deNorwan- 
die,  mon  vassal,  s'est  empare  de  I'Anqleterre  par  violence; 
mais,  parcequun  sujet  s'est  ayrandi ,  son  seigneur  suzerain 
doit-il  perdre  ses  droits  ? 

(i)  L'article  dernier  de  cette  ordonnance  porte  qu'elle 
est  signee  par  le  roi ,  par  le  connetable ,  le  buticulaire,  et 
le  chambellan,  la  chancellerie  etant  vacante. 

Cette  ordonnance  est  une  des  premieres  revetues  de 
cette  solennife. 


l3o  ASSEMBLEES  NATIONALES 

publique.  Persuade  que  la  culture  de  I'es- 
prit  peut  seule  conduire  Thomme  a  la  con- 
noissance  de  ses  devoirs;  que  le  pouvoir 
n'est  jamais  plus  sur  de  robeissance  que 
lorsqu'elle  est  ^clairee,  et  que  I'i^norance 
livrant  les  peuples  a  lempirisme  de  tous  les 
charlatans,  aux  seductions  de  tous  les  fac- 
tieux,  c'est  elle  et  non  la  science  qui  me- 
nace les  trones,  il  environna  I'enseigne- 
ment  public  de  tous  les  privileges ,  de  toutes 
les  franchises  qui  lui  parurent  propres  a  le 
propager.  Son  ordon nance  concernant  I'u- 
niversite  de  Paris  merite  d'etre  connue :  elle 
est  de  Ian  1 200  (i) :  cette  ordonnance  est  en 
latin ,  j'en  donne  ici  I'analyse. 

Art.  I .  Le  roi  fera  jurer  les  bourgeois  de 
Paris  que  s'ils  voient  quelque  laique  faire 
insulte  a  un  ecolier,  ils  en  rendront  un  te- 
moignage  veritable. 

Art.  2.  S'il  arrive  qu'un  ecolier  soit  frappe 
d'armes,  de  baton,  ou  de  pierre,  tous  les 
laiques  qui  le  verront  arreteront  de  bonne 


(i)  Voyex  le  tome  I  des  Ordonnances  du  Louvre,  p.  a3. 


DE   FRANCK.    CHAP.   II.  l3l 

foi  les  malfaiteurs  pour  les  livrer  a  la  justice 
du  roi ;  et  nul  laique  ne  se  retirera  pour  ne 
pas  voir  le  mefait,  ou  pour  n'en  pas  rendre 
temoignage. 

Art.  3.  Soit  que  le  malfaiteur  soit  pris 
en  flagrant  delit ,  ou  non ,  le  roi  ou  ses  offi- 
ciers  feront  faire  enquete  ou  information 
par  des  personnes  fideies ,  clercs  ou  laiques , 
et  s'il  est  prouve  par  Fenquete  qu'il  ait  com- 
mis  le  crime ,  le  roi  ou  ses  officiers  en  feront 
aussitot  justice,  quand  meme  le  criminel 
nieroit  le  fait,  et  qu'il  offriroit  de  se  purger 
par  le  duel  ou  par  I'eau. 

Art.  4-  Le  prevot  du  roi  ou  I'officier  de 
sa  justice  ne  pourra  raettre  la  main  sur  un 
ecolier,  ni  le  mettre  en  prison,  a  moins  que 
le  forfait  ne  soit  tel  que  lecolier  doive  etre 
arrete :  dans  ce  seul  cas  Xo.  justice  du  roi  I'ar- 
retera  sur  le  lieu,  sans  le  frapper,  a  moins 
qu'il  ne  se  defende ;  et  elle  le  rendra  a  la  jus- 
tice ecclesiastique  qui  le  gardera  jusqu'a  ce 
qu'il  ait  satisfait  au  roi  ou  a  la  partie. 

Art.  5.  Si  le  forfait  est  grand,  la  justice 
du  roi  ira  ou  enverra  pour  en  connoitre. 

Art.  6.  Si  r^colier  qui  a  et^  arrete  ne  s'est 


1 32  ASSEMBLl^ES  NATIONALKS 

pas  d^fendu ,  et  si  c'est  Ini  qui  a  recii  Tin- 
jure,  le  roi  on  ses  officiers  en  feiont  justice. 

Art.  7.  Hors  le  cas  du  flaf^rant  delit,  la 
justice  du  roi  ne  pourra  mettre  la  main  sur 
aucun  ecolier;  et  s'il  est  ^  propos  d'en  pren- 
dre quelquun,  il  sera  arrete,  garde  etjuge 
par  la  cour  ecclesiastique. 

Art.  8.  Si  le  prevot  du  roi  arrete  un  eco- 
lier en  flagrant  delit,  et  a  une  telle  heure 
que  Ton  ne  puisse  avoir  recours  a  la  justice 
ecclesiastique,  I'ecolier  sera  mis  et  garde  en 
la  maison  d'un  autre  ecolier,  sans  injure, 
jusqu  ace  qu'il  soitlivre  au  juge  d'Eglise  (i). 


(i)  On  ne  tarda  pas  a  ressentirles  effets  de  cette  pro- 
tection accordee  aux  universites:  bientot  elles  se  multi- 
plierent.  Celles  de  Toulouse,  d'Orleans,  d'Angers ,  de 
Montpellier,  et  de  Bourges  ,  furent  etablies  sous  le  regne 
de  saint  Louis.  Le  savant  et  judicieux  M.  Daunou,  dans 
le  beau  Discours  qu'il  a  mis  a  la  tete  du  treizieme  tome 
de  VHistoire  lUteraire  de  la  France,  nous  donne  sur  ceux 
qui  frequentoient  les  universites  d'alors  des  details  fort 
curieux.  Les  voici : 

«  Les  desordres  des  etudiants  etoient  punis  par  des  pei- 
nes  ecclesiastiques ,  meme  par  I'excommunication  :  ils 
alloient  a  Rome  se  faire  absoudre.  Pour  eviter  ces  fre- 
quents pelerinages ,  qui  ordinairement  donnoient  lieu 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1 33 

Mais  la  grande  affaire  ^toit  de  ressaisir  la 
puissance  legislative.  Pendant  les  deux  sie- 
cles  precedents  les  rois  ne  I'avoient  exerc^e 
que  dans  les  seigneuries  de  leurs  domaines. 
II  falloit  enfin  sortir  de  cette  ^troite  en- 
ceinte. Philippe  fit  le  premier  pas,  en  adres- 
sant  a  differents  seifjneurs  des  mandements 
par  lesquels  il  les  requeroitde  faire  executer 


a  des  dereglements  nouveaux  ,  Innocent  III  confera  le 
pouvoir  de  prononcer  ces  absolutions  a  I'abbe  de  Saint- 
Victor;  mais  le  pape  n'avoit  pretendu  parler  que  des 
ecoliers  de  Paris;  et  I'abbe  ayant  absous  des  clercs  qui 
etudioient  en  d'autres  villes,  Innocent  III  Ten  repri- 
manda  severement.  Jacques  de  Vitry  a  trace  le  tableau 
des  desordres  auxquels  s'abandonnoient  les  etudiants  de 
cette  epoque ,  et  dont  ils  se  faisoient  un  point  d'honneur : 
ivrognerie,  libertinage,  rapines,  querelles,  batailles,  et 
quelquefois  homicides.  Le  moindre  scandale  etoit  celui 
qui  consistoit  dans  le  conflit  des  opinions  diverses  et  dans 
les  rivalites  dont  les  niaitres  donnoient  I'exemple  aux 
disciples.  Le  nombre  et  I'aye  avance  des  ecoliers  de  ce 
temps  imprimoient  a  leurs  desordres  un  caractere  plus 
alarmant  et  plus  grave.  On  n'etudioit  guere  le  droit  ca- 
non ou  civil  que  de  vingt-cinq  a  trente  ans;  et  dans  les 
autres  facultes  on  comptoit  parmi  les  etudiants  beaucoup 
de  clercs,  de  beneficiers,  et  meme  de  cures.  » 


I  34  ASSEMBLEES  NATIONALES 

dans  leurs  terres  les  lois  qu'il  faisoit  pour 
les  sieDnes(i). 

On  se  doute  bien  que  dans  le  principe 
les  hauls  barons  ne  regard^rent  ces  mande- 
ments  que  comme  des  formalites  sans  con- 
sequence; raais  il  falloit  d'abord  se  ressaisir 
du  droit  de  les  leur  adresser  et  leur  donner 
I'habitude  de  les  recevoir. 

Cependant,  il  faut  en  convenir,  cela  etoit 
plus  propre  a  preparer  la  revolution  qua  la 
faire ;  il  manquoit  toujours  au  roi  le  grand 
mobile  des  gouverneraents ,  le  moyen  sans 


(i)  Un  de  ces  mandements,  adresse  a  Blanche,  com- 
tesse  de  Champagne,  en  i2i5,  est  ainsi  concu:  Fobis 
mandamus ,  et  perfidem  quam  nobis  debetis ,  vos  requiri- 
mus ,  quatenns  per  lotam  terram  ,  id  publico  clamore  facialis 
etfirmiter  observan.  L'ordonnance  dont  il  est  parle  dans 
ce  mandement  portoit  que  la  longueur  des  batons  dont 
les  rotuiiers  se  serviroient  dans  les  combats  judiciaires 
ne  pourroit  exceder  trois  pieds.  {Ordonnances  du  Louvre , 
torn.  I,  pag.  35.) 

La  maniere  dont  ce  mandement  est  concu  presente 
bien  moins  I'usage  de  la  puissance  legislative  qu'un  essai 
de  cette  puissance.  Effectivement  Philippe-Auguste  n'y 
ditpas:  Voulons  et  ordonnons ;  il  se  contentede  niander, 
requerir,  et  d'invoquer  la  fidelite  qui  lui  est  due. 


DE  FRANCE.   CHAP.   11.  l35 

lequel  les  droits  les  plus  sacr^s  ne  sont  re- 
gardes  que  corame  ,des  pretentions,  en  un 
mot  des  forces  capables^d'en  imposer  aux 
barons  refractaires. 

Nos  rois ,  qui  ne  le  sentoient  que  trop ,  ima- 
ginerent  un  expedient  tr^s  sage  et  tr^s  pro- 
pre  a  suppleer  a  leur  impuissance.  Get  ex- 
pedient, dont  la  premiere  id^e  appartient 
k  Philippe-Auguste^(i),  consistoit  a  s'envi- 
ronner  d'une  partie  des  hauls  barons,  de 
discuter  avec  eux  la  loi  nouvelle,  et  de  leur 
faire  jurer  qu'ils  joindroient  leurs  forces  k 
celles  du  roi  pour  en  maintenir  Fex^cution. 

C'est  avec  cette  solennite  qu'en  laSo  fut 
redigee  I'ordon nance  concernant  les  juifs 
et  les  usuriers  :  le  preauibule  porte  quelle 
est  faite  pour  I'utilite  generale  du  royaume, 
de  la  volonte  expresse  du  roi ,  et  par  le  con- 
seil  de  ses  barons.  Pro  iitilitate  totius  regni 
nostri,  de  sincera  voluntate  nostra,  etde  com- 
muni  consilio  baronurn  nostrorum.  EUe  est 


(i)  Voyez  I'ordonnance  de  1209,  Ordonnances  du  Loii' 
vie ,  toui.  I,  pag.  29. 


1,36  ASSEMBLEES    RATIONALES 

signee  des  comtes  de  Boulogne,  de  Cham- 
pagne, de  la  Maiclie,  de  Montfoit,  de  Saint- 
Paul,  d'Auvergne,  et  larticle  5  est  concu 
en  ces  termes :  Et  si  aliqui  barones  hoc  noliie- 
runt  observare,  ipsos  ad  hoc  compellemus ,  ad 
quod  alii  barones  nostri,  cum  posse  suo,  bona 
jide  juvare  tenebuntur,  et  si  aliqui  in  terris 
baronuni  inveniantur  rebelles,  nos  alii  barones 
nostri  juvabunt  ad  compellendos  rebelles  prce- 
dicta  statuta  servare{^\). 

Comme  nos  rois  etoient  les  maitres  de 
choisir,  pour  discuter  leurs  ordonnances, 
ceux  des  barons  qui  avoient  le  plus  de  de- 
voueraent  pour  leur  personne,  on  sent  com- 
bien  cet  usage  pouvoit  donner  d'extension 
a  Fautorite  royale. 

Gette  ordonnance ,  comme  on  le  voit  par 
sa  date,  appartient  au  regne  de  saint  Louis. 

Ce  beau  regne  est  I'aurore  du  jour  qui 
nous  6claire  aujourd'hui  (2);  il  nous  importe 
done  de  le  bien  connoitre.  Gependant  je 


(i)  Ordonnances  du  Louvre ,  torn.  I. 

(■^)  Le  regne  de  saint  Louis  peut  etre  regarde  comme 


DE   FRANCE.  CHAP.  II.  187 

n'en  dirai  que  ce  qui  va  directement  a  mon 
sujet ;  c'est-a-dire  que  je  me  bornerai  a  re- 
chercher  les  changements  qui,  pendant  sa 
duree,  se  sont  operes  dans  les  esprits  et 
dans  les  formes  du  gouvernement,  notam- 


la  veritable  epoque  de  la  renaissance  des  lettres  parmi 
nous. 

Ce  prince  avoit  ete  eleve  avec  un  soin  extreme  par  sa 
mere,  la  reine  Blanche, Tune  des  ferames  les  plus  instrui- 
tes  de  son  temps,  amie  des  lettres  et  de  ceux  qui  les  cul- 
tivoient.  Plusieurs  maitres,  alors reputes  habiles,  avoient 
mis  Louis  IX  en  etat  d'entendre  le  latin  d'e(^lise,  et  meme 
d'expljquer  les  ecrits  de  quelques  saints  Peres.  Par  ses 
propres  reflexions  il  sentit  la  necessite  d'acrelorer  les 
progres,  jusqu'alors  bien  lents,  de  la  langue  vulgaire : 
il  fit  traduire  en  Francois  diverses  parties  de  la  Bible  et 
de  quelques  autres  ouvrages  ;  il  paroit  meme  qu'il  s'exer- 
ca  quelquefois  lui-meme  dans  ce  genre  de  travail. 
L'interet  qu'il  prenoit  a  toutes  les  compositions  litterai- 
res  en  fit  eclore  ou  achever  un  tres  grand  nombre  dans 
le  cours  de  son  regne.  II  encouragea  particulierement 
Vincent  de  Beauvais ,  qui  avoit  entrepris  un  recueil  im- 
mense de  faits  et  de  doctrines.  Du  reste ,  les  livres  des 
scolastiques  n'etoient  pas  ceux  que  saint  Louis  goutoit 
le  plus:  la  rectitude  naturelle  de  son  esprit  I'entrainoit 
k  des  etudes  moins  obscures  et  plus  positives.  Une  atten- 
tion constante  a  ne  tenir  compte,  dans  la  distribution  des 
omplois ,  que  des  bonnes  moeurs  et  de  la  science;  de  nou- 


I  38  ASSEMBLltES    KATIONALES 

mentdans  la  discipline  del'Eglise,  I'exercice 
de  la  puissance  lej^islative,  et  Tadministra- 
tion  de  la  justice.  Je  vais  parcourir  successi- 
vement  ces  trois  objets. 

I.  Les  tribunaux  ecclesiastiques  resser- 
roient  les  justices  seculieres  dans  des  limites 
cliaque  jour  plus  etroites;  et  toute  resis- 
tance a  ces  entreprises  etoit  punie  par  des 
excommunications:  il  falloit  ou  les  braver, 
ou  tout  perdre.  Dans  cette  alternative,  les 
seigneurs  eurent  recours  a  un  expedient 
fort  remarquable.  lis  form^rent  un  comite 
compose  de  quatre  d'entre  eux,  auxquels  ils 
donnerent  pouvoir  de  declarer  nulles,  et 
comme  non  avenues,  les  excommunications 


veaux  codes  rediges  sous  sa  direction;  de  longs  voyages 
faits  par  ses  ordres  en  Tartaric  et  en  d'autres  contrees 
asiatiques;  la  creation  des  premieres  archives  francoises 
et  de  la  premiere  bibliotheque  publique;  la  fondation 
du  college  de  Sorbonne;  Tentretien  vigilant  de  tout  ce 
qui  existoit  avant  lui  d'etablissements  d'instruction ; 
presque  tous  les  actes  enfin  de  son  gouvernement  inte- 
rieur  tendoient  a  ranimer  le  gout  des  lettres.  (Voyez  le 
beau  Discours  preliminaire  du  torn.  XIII  de  VHistoirc  lit- 
teraire  de  la  France. ) 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1 89 

dirig^es  contie  eux,  toutes  les  fois  qu'ils  les 
trouveroient  contraires  a  la  justice  et  a  la 
saine  raison  (i).  Cette  mesure  supposoit  qu'il 


(i)  Pierre  de  Dreux  fut  Tauteur  de  cette  ligue ,  et  I'un 
des  quatre  chefs  qu'elle  se  donna.  Les  trois  autres  etoient 
son  fils  Jean,  due  de  Bretagne,  le  cointe  d'Angouleme, 
et  le  comte  de  Saint-Pol.  Voici  Facte  qui  en  fut  redige. 

«  A  tous  ceux  qui  ces  lettres  verront,  nous  tous,  des- 
quels  les  sceaux  pendent  a  cest  present  escrit,  faisons 
scavoir  que  nous ,  par  la  foi  de  nos  corps ,  avons  fiance 
et  sommes  alliances,  tant  nous  comme  nos  hoirs,  a  tou- 
jours  aider  les  uns  aux  autres ,  et  a  tous  ceux  de  nos  terres 
et  d'avitres  terres  qui  voudront  estre  de  ceste  compagnie , 
a  pourchasser,  requeriret  defendrenos  droits  etles  leurs 
en  bonne  justice  envers  la  clergie.  Et  pour  ce  que  seroit 
griefve  chose,  nous  tous  assembler  pour  ceste  besogne , 
nous  avons  eslu  par  le  comrnun  assent  et  octroy  de  nous 
tous,  le  due  de  Bretaigne,  le  conite  Pierre  de  Bretaigne, 
le  comte  d'Angouleme,  et  le  comte  de  Saint-Pol....  Et  si 
aucun  de  ceste  compagnie  estoit  exconimunie,  pour  tort 
cogneu  par  ces  quatre,  que  la  clergie  luy  feit,  il  ne 
laisseroit  aller  son  droit  ne  sa  querelle  pour  rexcommu- 
niement,  ne  pour  autre  chose  qu'on  luy  fasse,  etc.  » 

«  Les  eveques ,  dit  M,  Daru  dans  sa  belle  Histoire  de  Bre- 
tagne, torn.  I! ,  pag.  3 1 ,  imitoient  lespapes,  etlancoient 
les  foudres  de  I'Eglise  pour  la  defense  de  leurs  interets 
temporels.  lis  exconimunioient  les  officiers  du  prince,  et 
le  prince  lui-meme;  ils  meltoient  leur  diocese  en  inter- 


l4o  ASSEMBLEES    NATIONALES 

pouvoit  y  avoir  des  excommunications  in- 
justes,  des  excommunications  telies  qu'il 
n'etoit  pas  necessaire  den  solliciter  I'abso- 
lution.  C'etoit  briser  dans  la  main  du  clerge 
son  arme  favorite.  Aussi  ciia-t-il  au  scan- 
dale,  au  sacrilege.  Les  eveques  sen  plai- 
gnirent  a  saint  Louis.  C'est  le  sire  de  Join- 
ville  qui  nous  I'apprend  dans  ses  Memoires 
sur  la  vie  de  saint  Louis.  Nous  y  lisons: 
(( Je  vy  une  journee  que  tons  les  prelatz  de 
«  France  se  trouverent  a  Paris  pour  parler 
(tau  bon  saint  Loys,  et  lui  faire  une  re- 
«  queste.  Et  quand  il  le  scent,  il  se  rendit  au 
«  palais  pour  la  les  oi'r  de  ce  qu  ilz  vouloient 


dit.  Alors  plus  d'offices  divins,  plus  de  bapteme  pour 
les  nouveau-nes,  plus  de  consecration  du  mariage,  plus 
de  secours  spirituels  pour  les  malades,  plus  deprieres, 
plus  de  terre  pour  les  morts.  Un  eveque  de  Beauvais,  un 
archeveque  de  Rouen,  firentdemeubler  lese^lises;  on  en 
emporta  les  ornements,  les  croix,  les  reliques,  les  vases 
sacres,  pour  les  deposer  au  milieu  des  champs,  dans 
une  enceinte  formee  de  r5nces  et  d'epines.  Ces  privations , 
ce  spectacle,  cette  desolation  des  lieux  saints,  n'etoient 
que  des  excitations  a  la  revolte;  les  pasteurs  {jemissoient, 
le  peuple  les  croyoit  persecutes. " 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  l4l 

udire.  Et  quant  tous  furent  assemblez,  ce 

«  fust  Tevesque  Guy  d'Auseure  qui  fust  filz 

(t  de  monseigneur  Guillaume  de  Metot,  qui 

«comraenca  a  dire  au  roi,  par  le  congie  et 

«  commun  assentement  de  tous  les  autres 

«  prelatz :  Sire,  sachez  que  tous  ces  prelatz 

«qui  cy  sont  en   votre  presence,  me  font 

udire  que  vous  lessez  perir  toute  la  chres- 

«tienete,  et  quelle  se  pert  entre  vos  mains. 

((A  done  le  bon  roi  se  signe  de  la  croiz  et 

«  dist :  Evesque,  or  mexdites  comment  il  se 

«  fait  et  par  quelle  raison.  Sire,  fit  I'evesque, 

u  c'estpour  ce  qu'on  ne  tient  plus  compte  des 

((excommunications;  car  aujourd'huy,  un 

uhomme  aymeroit  mieulx  mourir  tout  ex- 

((  communie  que  de  se  faire  absoudre ,  et  ne 

«veult  nully   faire   satisfaction  a   I'Eglise. 

(cPourtant,  sire,  ils  vous  requierent  tous  a 

<'  une  voiz  pour  Dieu,  et  pour  ce  que  ainsy 

(de  devez  faire,  qu'il  vous  plaise  comman- 

((der  a  tous  vos  baillifz,  prevotz,  et  autres 

((administrateurs  de  justice,  que  oil  il  sera 

(( trouve  aucun  en  votre  royaume,  qui  aura 

(teste  an   et  jour  continuellement  excom- 

((munie,  qu'ilz  le  contraignent  a  se  faire 


1 42  ASSEMBLEES    NATIONALES 

«absoadre  par  la  prinse  de  ses  biens;  et  le 
«  saint  omme  respondit  que  tr^s  volontiers 
« le  commandeioit  faire  de ceulx  qu'on  trou- 
« veroit  estre  torconnes  a  I'Eglise  et  a  son 
«  presme.  Et  Tevesque  dit  qu'il  ne  leur  ap- 
(cpartenoit  a  cognbistre  de  leurs  causes.  Et 
'.(  a  ce  respondit  le  bon  roi,  que  il  ne  le  feroit 
(tautrement,  et  disoit  que  ce  seroit  contre 
(( Dieu  et  raison  qu'il  fist  contraindre  a  soy 
((faire  absoudre  ceulx  a  qui  les  clercs  fe- 
te roient  tort,  et  qu'ilz  ne  fussent  oiz  en  leur 
((bon  droit.  Et  de  ce  leur  donna  exemple 
((du  comte  de  Bretaigne  tout  excommuni^, 
(( et  finablement  a  si  bien  conduite  et  menee 
((  sa  cause  que  notre  sainct  p^re  le  pape  les  a 
((Condanq:)nez  en  vers  iceluy  comte  de  Bre- 
(( taigne.  Pourquoy  disoit  que  si  dez  la  pre- 
(( mi^re  annee,  il  eust  voulu  contraindre 
(( iceluy  comte  de  Bretaigne  a  soi  faire  ab- 
((souldre,  illuy  eustconvenulaissera  iceulx 
(( prelatz  contre  raison  ce  qu'ilz  lui  deman- 
wdoient  outre  son  vouloir:  et  que  en  ce 
((faisant  il  eust  grandement  meffait  envers 
((Dieu  et  envers  ledit  comte  de  Bretaigne. 
(( Apr^s  lesquelles  clioses  ouyes  pour  tons 


DE   FRANCE.   CHAP.  II.  I  43 

(ticeulx  prelatz,  il  leur  suffisit  de  la  bonne 
«  responce  dii  roy.  Et  oncques  puis  ne  ouy 
«parler,  qu'il  fust  fait  demande  de  telles 
«  clioses. » 

Ces  memes  eveques  s'etoient  exagere  les 
privileges  de  I'episcopat  au  point  de  se  per- 
suader, qu'exclusivement  soumis  a  la  juri- 
diction  du  pape,  la  justice  du  roi  ne  pouvoit 
jamais  les  atteindre.  Cette  pretention,  qui 
avoit  pris  beaucoup  de  consislance  sous  les 
derniers  regnes ,  fut  proscrite  sous  celui  de 
saint  Louis. 

M.  d'Aguesseau  en  rapporte  plusieurs 
exemples,  dont  le  premier  concerne  leve- 
que  de  Chalons-sur-Marne.  Voici  le  corapte 
qu'il  rend  de  cette  affaire.  «  Sous  le  regne 
«  de  saint  Louis ,  et  en  Fan  nee  1 267, 1'eveque 
((de  Chalons-sur-Marne  fut  accuse  d'avoir 
((donne  lieu,  par  sa  negligence,  a  la  mort 
«de  deux  prisonniers  qui  avoient  ete  tues 
((dans  les  prisons:  il  pretendit  que,  s'agis- 
((sant  d'une  action  personnelle,  il  n'etoit 
((pas  oblige  de  comparoitre  au  parlement, 
(( ou  il  avoit  ete  cite  pour  repondre  sur  ce 
((sujet;  mais  la  cour  des  pairs  n'eut  aucun 


I  44  ASSEMBLIES    NATIONALES 

regard  a  ces  exceptions,  et  elle  ordonna 
«qu'il  procederoit  devant  elle,  non  seule- 
« ment  parcequ'il  etoit  baron  et  pair  de 
((France,  niais  parcequ'il  s'agissoit  dun  for- 
((fait  commis  dans  sa  justice  temporelle, 
((  qu'il  tenoit  du  roi. 

((Ainsi  sabolissoit  cette  prevention  eta- 
((blie  dans  les  siecles  precedents,  que  les 
(( jujoes  seculiers  ne  pouvoient  faire  le  proems 
(( a  des  ecclesiastiques. » 

Pendant  le  regne  de  saint  Louis  le  siej^e 
de  Rome  fut  successivement  occupe  par 
Gregoire  IX  et  Innocent  IV.  Ges  deux  pa  pes, 
fiers  d'avoir  dispose  des  couronnes  de  Naples 
et  d'Aragon ,  et  depose  le  plus  j^rand ,  le  plus 
puissant  des  empereurs  depuis  Gliarlema- 
gne,  I'empereur  Frederic  II,  se  permet- 
toient  chaque  jour  les  infractions  les  plus 
scandaleuses  aux  libertes  de  I'Eglise  (^ralli- 
cane,  aux  iramunites  du  clerge,  aux  droits 
des  patrons  et  des  coUateurs. 

Le  saint  roi,  qui  ne  confondit  jamais  I'in- 
t^ret  de  la  religion  avec  celui  de  ses  minis- 
tres,  reprima  ces  abus,  et  refoula  la  puis- 
sance de  TEglise  dans  ses  limites  naturelles 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1 45 

par  sa  cel^bre  ordonnance,  connue  sous  la 
denomination  de  pragmatique  de  saint  Louis , 
([u'il  publia  au  mois  de  Janvier  1268:  son 
importance  m'autorise  a  la  rapporter  ici,  et 
son  peu  d'etendue  le  permet.  En  voici  la 
traduction  : 

« Louis,  par  la  grace  de  Dieu,  roi  des 
((Francois,  pour  assurer  letat  tranquille  et 
«  salutaire  de  FEglise  de  notre  royaume,  pour 
«  augraenter  le  culte  divin,  pour  le  salut 
(( des  ames  des  fideles  du  Christ,  et  pour  ob- 
(( tenir  nous-memes  la  grace  et  le  secours  du 
«Dieu  tout-puissant,  a  la  domination  et  h. 
« la  protection  duquel  notre  royaume  a  tou- 
« jours  ete  soumis,  ainsi  que  nous  voulons 
((qu'il  le  soit  encore,  nous  statuons  et  or- 
«  donnons  ce  qui  suit,  par  cet  ^dit  qui  devra 
(( valoir  a  perpetuite : 

«  1°  Que  les  prelats,  les  patrons,  les  col- 
ttlateurs  ordinaires  de  benefices  dans  les 
u  eglises  de  notre  royaume,  jouissent  pleine- 
{< ment  de  leurs  droits,  et  que  la  juridiction 
«  de  chacun  soit  en  entier  conservee ; 

«  2°  Que  les  eglises  cathedrales  et  les  au- 


10 


I  46  ASSEMBLEES    NATIONALES 

«  tres  de  notre  royaume  aient  de  libres  elec- 
(( tions,  avec  leurs  elTets  dans  leur  entier. 

«  3"  Nous  vovilons  et  nous  ordonnons  que 
«le  crime  pestilentiel  de  la  simonie,  qui 
(( ebranle  TEglise,  soit  enti^rement  expulse 
(f  de  notre  royaume. 

u4''  Nous  voulons  pareillement,  et  nous 
(( ordonnons  que  les  promotions,  les  colla- 
(( tions,  les  provisions  et  les  dispositions  des 
uprelatures,  des  dignites,  et  des  benefices 
ude  quelque  nature  qu'ils  soient,  et  des  of- 
((fices  ecclesiastiques  de  notre  royaume,  se 
«  fassent  selon  la  disposition ,  I'ordination , 
(da  determination  du  droit  commun,  des 
«  conciles  sacres  de  TEglise  de  Dieu ,  et  des 
« instituts  antiques  des  saints  p^res. 

«  5°  Nous  voulons  qu'on  n'eleve  en  au- 
(( cune  mani^re  et  qu'on  ne  recueille  les 
« exactions  et  les  grieves  levees  d'argent, 
(( impos^es  par  la  cour  romaine  aux  eglises 
«de  notre  royaume,  et  par  lesquelles  notre 
« royaume  a  ete  mis^rablement  appauvri, 
«  ou  celles  qui  seroient  imposees  a  I'avenir, 
(t  qu'autant  que  la  cause  en  seroit  raison- 
unable,  pieuse,  tr^s  urgente,  d'une  neces- 


DE    FRANCE.   CHAP.  II.  1 47 

«  site  inevitable,  et  reconnue  par  notre  con- 
« sentement  exprtjs  et  spontane,  et  celui 
«  de  FEglise  de  notre  royaume. 

«  6°  Par  les  presentes,  nous  renouvelons, 
«nous  approuvons  et  nous  confirmons  les 
(clibertes,  franchises,  immunites,  preroga- 
((tives,  droits  et  privileges  accordes  par  les 
wrois  Francois  nos  predecesseurs ,  d'heu- 
«  reuse  m^moire,  et  ensuite  par  nous,  aux 
((  ^glises  ,  monasteres  ,  lieux  pies  ,  reli- 
«  gieux ,  et  personnes  ecclesiastiques  de  no- 
(c  tre  royaume. 

((En  consequence,  mandons  a  tons  nos 
((juges,  officiers  et  sujets  d'observer  soi- 
«  gneusement  les  presentes,  etc.  » 

II.  Dans  les  deux  siecles  precedents,  les 
hauts  seigneurs,  jaloux  de  Fautorite  de  leurs 
vassaux,  s'etoient  attribue  la  connoissance 
exclusive  de  certaines  affaires  privilegiees , 
telles  que  Finfraction  aux  treves  et  assure- 
ments  (i);  les  cas  de  nouvelle  dessaisine,  de 


(i)  II  y  avoit  de  la  difference  entre  la  treve  et  I'assure- 
ment.  lia  treve  n'etoit  qu'a  terme  ou  a  temps;  Vassure- 
ment  etoit  pour  toujours,  parcequ'il  etoit  une  paix  :  la 

lO. 


1 48  ASSEMBLIES    NATIONALES 

nouvelle  force,  cle  nouveaiix  troubles  et  au- 
tres,  detailles  dans  le  chapitre  X  des  Cou- 
tumes  de  Beaumanoir. 

Nos  rois  etoient  trop  attentifs  pour  ne  pas 
mettre  ces  exemples  a  profit.  Comme  chefs 
de  la  hierarchie  feodale,  ils  avoient  a  cet 
e{3fard  le  meme  droit  sur  les  barons  que 
ceux-ci  sur  leurs  vassaux;  cela  netoit  sus- 
ceptible d'aucune  difficulte :  mais  bientot  ils 
allerent  plus  loin;  ils  pretendirent  qu'ils 
avoient  le  droit,  en  qualite  de  souverains, 
de  connoitre,  exclusivement  h  tous  les  sei- 
gneurs, de  certains  cas  particuliers. 

Saint  Louis  nous  paroit  ^tre  le  premier 
des  rois  de  la  troisieme  race  qui  ait  deploye 
cette  pretention,  et  il  la  soutint  ayec  la  fer- 


treve  etoit  commandee  par  la  loi ;  mais  Vassurement  se 
faisoit  par  autorite  de  justice ,  quand  celui  qui  etoit  le 
plus  foible  le  demandoit.  La  treve  n'avoit  lieu  qu'entre 
ceux  qui  pouvoient  se  faire  la  guerre,  au  lieu  que  Vassu- 
rement etoit  tant  pour  le  roturier  que  pour  le  noble  : 
Vassurement  die\o'\t  etre  demande  par  Tune  des  parties, 
au  lieu  que  les  seigneurs  pouvoient  forcer  ceux  qui 
etoient  en  guerre  a  faire  treve  ou  paix.  ( Voyez  Beauma- 
noir, chap.  Lix  et  lx.) 


DE  FRANCE.   CHAP.  II.  1 49 

mete  qui  caracterise  tous  les  actes  de  son 
regne. 

Par  une  ordonnance  de  1262,  ce  prince 
avoit  etabli  que  les  monnoies  de  ses  barons 
ne  seroient  recues  que  dans  la  circonscrip- 
tion  de  leurs  seij^^neuries,  et  que  celles  du 
roi  auroient  cours  dans  tout  le  royaume  ( i ) ; 
mais  cette  loi  etoit  inutile,  si  les  barons  n'e- 
toient  pas  contraints  de  la  respecter:  en 
consequence  saint  Louis  declara  que  ses 
ju^yes  connoitroient  des  contraventions  a  son 
ordonnance,  et  qu il  auroit  seul  les amendes 
prononcees  contre  les  infracteurs. 

C  etoit  choquer  directement  la  maxime 
qui  donnoit  a  tous  les  hauts  seigneurs  la  jus- 
tice et  les  amendes  dans  tous  les  cas  sans 
exception. 

Aussi  des  reclamations  s'eleverent  de 
toutes  parts;  mais  par  des  negociations  avec 
les  plus  puissants,  et  des  condamnations 
contre  ceux  qui  etoient  moins  a  craindre, 


(i)  Suivant  I'abbe  de  Mably,  du  temps  de  saint  Louis, 
les  sei{![neurs  ayant  droit  de  battre  monnoie  etoieut  au 
noinbre  d'environ  quatre-vingts. 


l5o  ASSEMBLEES  NATIONALES 

saint  Louis  et  ses  siiccesseurs  parvinrent  i\ 
faire  recevoir  cette  derogation  aux  anciens 
usages. 

Ge  privilege  attribue  a  la  justice  du  roi 
ne  fut  pas  long- temps  concentre  dans  la 
connoissance  des  monnoies  ^  il  s'etendit  avec 
la  prerogative  royale,  et  donna  lieu  plus 
tard  a  letablissement  des  cas  royaux. 

Si  je  presentois  dans  tons  ses  developpe- 
ments  la  legislation  de  Louis  IX,  je  mettrois 
un  grand  ouvrage  dans  celui-ci:  pour  abre- 
ger,  je  ne  parlerai  plus  que  de  I'abolition  du 
combat  judiciaire.  Ce  cliangement  dans  le 
regime  des  tribunaux  en  produisit  de  si  im- 
portants  dans  I'administration  publique,  et 
meme  dans  la  nature  du  gouvernement,  que 
Ton  me  pardonnera  les  details  dans  lesquels 
je  vais  entrer. 

IIL  En  1260,  saint  Louis  fit  un  regle- 
ment(i)  par  le([uel  il  defiendit  le  combat 
judiciaire  dans  toutes  les  justices  de  ses  do- 
maines,  et  ordonna  cpie  les  appels  de  faux 
jugements  portes  devant  ses  cours  seroient 

(i)  Ordonnances  du  Louvre,  toni.  I. 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1  5  I 

decides  sans  bataille,  et  uniquement  d'apr^s 
les  moyens  respectifs  des  parties. 

Dix  ans  apr^s,  en  1270,  parut  le  regle- 
ment  connu  sous  le  nom  d'Etablissements  de 
saint  Louis  (1).  Ce  prince,   le  premier  de 


(i)  Le  sort  des  etablissements,  dit  Montesquieu ,  fut  de 
nattre,  de  grandir  et  de  mourir  en  tres  peu  de  temps.  Mais 
s'ilssont  morts  pour  la  jurisprudence,  ils  vivent  comme 
monuments  des  lumieres  du  treizieme  siecle.  Effective- 
ment  ils  forment  un  code  general  qui  cmbrasse  toutes 
les  parties  du  droit  civil,  les  dispositions  des  biens  par 
acte  entre  vifs  ou  a  cause  de  mort ,  les  dots  et  les  avan- 
tages  des  femmes,  les  successions  ab  intestat,  les  profits 
et  les  prerogatives  des  fiefs,  les  delits  de  police,  etc.  Ce 
code  est  sur-tout  remarquable  en  ce  qu'il  suppose,  dans 
ceux  qui  ont  preside  a  sa  redaction,  une  grande  con- 
noissance  du  droit  romain. 

Ce  droit ,  enseigne  dans  les  ecoles  de  Toulouse  et  de 
Montpellier,  des  la  fin  du  douzieme  siecle,  e'toit ,  au 
commencement  du  treizieme,  profcsse  publiquemeut 
dans  I'Universite  de  Paris,  lorsqu'il  fut  frappe  d'un  ana- 
theme  qu'aucune  personne  raisonnable  ne  pouvoit  pre- 
voir:  le  pape  Honorius  III  le  proscrivit,  et  en  defendit 
I'etude  sous  peine  d'excommunication. 

Comme  la  raison    finit  toujours   par   prevaloir    sur 
toutes  les  resistances,  on  a  continue  d'enseigner  le  droit 
romain,  et  il  est  encore  aujourd'hui  le  meilleur  inlr 
prete  de  notre  Code  civil. 


I  52  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

nos  l^gislateurs  depuis  Charlemagne,  y 
proscrit  de  noiiveau  le  combat  jiidiciaire 
dans  toutes  les  justices  de  ses  domaines  et 
en  toute  querelle.  Gomme  il  I'avoit  fait  en 
Fan  1260,  il  etablit  que  Ton  pourra  fausser 
sans  combattre,  et,  ce  qu'il  n'avoit  pas  fait 
dans  son  premier  regleraent,  il  substitua  a 
la  pratique  monstrueiise  du  duel  judiciaire 
des  formes  et  des  regies  qui  supposent  dans 
saint  Louis  des  connoissances  et  des  vues 
tr^s  sup^rieures  a  son  siecle. 

Le  texte  des  Etablissements  qui  permet  de 
fausser  sans  combattre  m^rite  d'etre  connu; 
c'est  le  chapitre  VI  du  livre  I" .  11  forme  une 
des  grandes  epoques  de  notre  liistoire:  cest 
cette  loi  qui ,  en  conferant  h  nos  rois  le  der- 
nier ressort  de  la  justice,  les  a  ressaisis  de  la 
puissance  legislative  (i). 


(i)  (( Se  aucun  veut  fausser  jugement  en  pais  la  ou 
«  faussement  de  jugement  k  fiert,  il  n'i  aura  point  de  ba- 
il taille,  mes  li  cleim,  li  respons,  et  li  autre  errement  du 
«  plet,  seront  rapportez  en  nostra  cour ;  et,  selon  les  er- 
<i  remens  du  plet,  I'en  fera  tenir,  ou  depiecer  les  erre- 
«  mens  du  plet,  tot  le  jugement :  et  cil  qui  sera  treuve  en 
*  son  tort ,  Tamcndera  par  la  coustume  du  pais  et  de  la 


DE  FRx\NCE.    CHAP.  II.  1 53 

On  ne  pouvoit  attaquer  les  jugements  que 
dune  seule  mani^re,  en  les  faussant. 

Fausser  un  jugement  c'etoit  accuser  les 
juges  de  I'avoir  rendu  mechamment ,  comrae 
faux,  traitres,  et  menteurs. 

On  pouvoit diriger  cette  accusation  contre 
les  pairs  du  fief,  ou  dans  certaines  circon- 
stances  contre  le  seigneur.  Dans  les  deux 
cas,  il  y  avoit  duel.  Dans  le  premier,  le  gage 
de  bataille  se  donnoit  contre  les  jugeurs;  le 
seigneur  le  recevoit,  et  faffaire  se  terminoit 
dans  sa  cour:  mais  si  lui-meme  etoit  pris  a 
partie,  la  contestation  etoit  devolue  a  la 
cour  de  son  dominant ;  il  etoit  oblige  d'y 
suivre  son  justiciable,  et  1^  s'engageoit  le 
duel  judiciaire. 

Lorsqu'il  fut  ^tabli  qu'^  la  cour  du  roi  on 
pouvoit  fausser  sans  combattre,  les  appels 
furent  plus  frequemment  diriges  contre  les 
seigneurs.  En  effet,  la  partie  condamnee  y 
trouvoit  le  double  avantage  de  sortir  dun 


"  terre ;  et  se  la  defaute  est  prouvee ,  li  sire  qui  est  appele 
"  il  perdra  ce  que  il  devra  par  la  coustume  du  pais  et  de 
"la  terre. n  E tab Ussements ,  liv.  I,chap.  vi. 


l54  ASSEMBLEES  NATIONALES 

tribunal  dont  elle  avoit  a  se  plaindre,   et 
d'eviter  les  basards  d'un  combat  ( i ). 

Ainsi  tons  les  vassaux  immediats  de  la 
couronne,  et  par  consequent  tons  les  bauts 


(i)  On  ne  sait  ce  qui  doit  le  plus  etonner,  ou  I'extrava- 
gance  du  combat  judiciaire,  ou  I'obstination  des  sei- 
gneurs a  maintenir  cet  usage.  A  la  verite ,  la  sagesse  des 
reglements  de  saint  Louis  et  I'exemple  des  justices  roya- 
les  en  avoient  raniene  quelques  uns  a  des  idees  plus 
saines;  niais  le  nombre  etoit  encore  si  peu  considerable, 
trente  ans  apres  ces  etablissements ,  que  Philippe-le-Bel , 
n'osant  attaquer  de  ft-ont  cet  abus ,  I'autorise  en  temps 
de  paix  ,  et  ne  defend  le  duel  judiciaire  que  lorsqu'il  sera 
en  guerre.  C'est  la  disposition  de  son  ordonnance  de 
I'an  1296,  dont  I'art  2  porte:  Tant  que  la  guerre  du  roi 
durera,  il  v!y  aura  pas  de  gage  de  bataille ,  et  Con  plaidera 
a  I'ordinaire  dans  les  justices  royales  et  dans  les  subalternes. 

Cette  defense  fut  si  peu  respectee  que  Philippe-le-Bel 
fut  oblige  de  la  renouveler  par  une  seconde  ordonnance 
du  9  Janvier  i3o3.  Enfin,  trois  ans  apres,  en  Fan  i3o6, 
il  en  parut  une  troisieme,  par  laquelle,  apres  avoir  de- 
clare qu'il  est  resulte  des  deux  precedenles  que  beaucoup 
de  crimes  sont  restes  impunis,  faute  de  preuves  testi- 
moniales,  Philippe-le-Bel  ajoute:  Pour  oter  aux  mau- 
vais ,  dessus  dits ,  toute  cause  de  malfaire,  nous  avons  at- 
trempe  nos  dites  ordonnances ,  et  voulons  qu'il  y  ait  lieu  a 
gages  de  bataille  toutes  lesfois  que  le  corps  de  delil  sera  cer- 
tain, que  le  crime  emportera  peine  de  mart,  qu'il  ne  pourra 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1 55 

barons,  se  troiiverent,  dans  beaucoup  de 
circonstances,  forces  decomparoitre  devant 
la  cour  du  roi,  de  s  y  defendre,  et  de  recon- 
noitre sa  superiorite. 


pas  etre  proiive  par  temoins ,  et  qu'il  y  aura,  contre  celui 
qui  en  sera  soupconne ,  presomption  sembtable  a  verite. 

On  voit  par  les  anciens  monuments  de  notre  juris- 
prudence que,  jusqu'a  la  fin  du  quatorzieme  siecle, 
lorsqu'une  affaire  criminelle  se  presentoit  dans  les  qua- 
tre  circonstances  prevues  par  I'ordonnance  de  i3o6,  on 
suppleoit  a  I'insuffisance  des  preuves  par  le  duel  judi- 
ciaire.  Joannes  Gallus  ( Jean  le  Goq ) ,  dans  son  recueil 
des  arrets  rendus  pendant  le  quatorzieme  siecle,  en  rap- 
porte  un  du  parlement  de  Paris ,  qui  ordonna  le  duel 
judiciaire  sur  une  accusation  d'adultere,  intentee  contre 
Jacques  Legris  par  Jean  de  Carouge ,  son  voisin ,  tous 
deux  habitants  de  Paris.  Le  combat  eut  lieu  le  jour  de 
saint  Thomas,  de  I'annee  i386,  pres  I'abbaye  Saint- 
Martin  des-Champs:  Jacques  Legris  fut  tue.  Joannes  Gal- 
lus j  conseil  de  I'un  des  deux  accuses,  qui  fut  temoin  du 
combat,  et  dont  les  ouvrages  qui  sont  parvenus  jusqu'a 
nous  annoncent  unhomme  de  beaucoup  de  sens,  croyoit 
cependant  que  Dieu  intervenoit  dans  ces  combats  pour 
la  manifestation  de  la  verite.  En  effet,  apres  avoir  rendu 
compte  de  la  maniere  dont  Jacques  Legris  fut  tue,  il 
ajoute:  Habeo  scrupulum  quod  fuerit  Dei  vindicla ,  ct  sic 
pluribus  visum  fuit  qui  duellum  viderunt, 

J'aime  k  croire  que  cet  arret  est  le  dernier  qui  ait  or- 


I  56  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

Gette  premiere  innovation  etoit  la  plus 
difficile;  bientot  il  sen  fit  une  seconde,  et 
dont  linfluence  fut  encore  plus  etendue. 

Saint  Louis,  comme  nous  en  aVons  deja 
fait  I'observation ,  n'abolit  le  combat  jndi- 
ciaire  que  dans  ses  domaines:  force  a  de 
g^rands  menagements  envers  des  seigneurs 
qui  se  pretendoient  legislateurs  dans  leurs 
terres,  et  qui  jouissoient  paisiblement  de 


donne  un  duel  judiciaire ;  du  raoins  je  n'en  connois  pas 
de  posterieur. 

En  Angletcrre  cet  abus  a  subsiste  beaucoup  plus 
long-temps.  En  iSyi  un  combat  judiciaire  fut  ordonne 
sous  I'inspection  des  juges  du  tribunal  des  plaids  com- 
muns;  mais  le  combat  n'eut  pas  lieu,  parceque  la  reine 
Elisabeth ,  interposant  dans  cette  affaire  son  autorite , 
ordonna  aux  parties  de  terminer  a  I'amiable  leur  diffe- 
rent: cependant,  afin  de  conserver  leur  honneur,  la  lice 
fut  fixee  et  ouverte,  et  Ton  observa  avec  beaucoup  de 
ceremonie  toutes  les  formalites  preliminaires  d'un  com- 
bat (.Spe/mannt  Gloss. ^  \oc.  Campus ,  paQ.  io3).  En  i63i 
on  ordonna  un  combat  judiciaire,  sous  I'autorite  du 
grand-con netable  et  du  grand-marechal  d'Angleterre  , 
entre  Donald  lord  Rea  et  David  Ramsay;  mais  cette 
querelle  se  termina  aussi  sans  faire  verser  de  sang,  par 
la  mediation  de  Charles  I". 


DE  FRANCE.    CHAP.   II.  1 57 

celte  prerogative,  il  ne  poiivoit  leiir  donner 
que  des  conseils  et  des  exemples. 

Ce  que  I'autorite  du  roi  auroit  vainement 
essaye  de  faire,  Fautorit^  de  la  raison  finit 
par  Top^rer. 

L'usage  pratique  dans  les  justices  royales 
ouvrit  enfin  les  yeux  sur  I'absurdit^  du 
combat  judiciaire ;  bientot  la  procedure  eta- 
blie  par  le  reglement  de  saint  Louis  fut 
adoptee  par  un  grand  noinbre  de  seigneurs, 
et  les  appels  de  toutes  ces  justices  se  por- 
terent  encore  definitivement  devant  le  roi. 

Une  nouvelle  maniere  de  fausser  les  juge- 
ments ,  qui  s'introduisit  quelque  temps  apr^s, 
multiplia  encore  beaucoup  ces  appels.  Us 
sont,  dit  Beaumanoir,  deux  manieresde fausser 
jugement  desquels  li  un  des  apiaux  se  droit  de- 
mener  par  gages y  si  est  quant  Ven  ajoute  avec 
Vappel  vilain  cas;  I'autre  se  doit  deniener  par 
erremens  seur  quoi  li  jugement  fut  Jis  [i). 

II  resulte  de  ce  texte  que  toutes  les  fois  que 
les  fausseurs  appeloient  de  la  sentence  5^715 
vilain  cas,  c'est-a-dire  sans  accuser  le  sei- 

(1)  Coutume  de  Beauvoisis ,  chap,  lxvii,  p.  SSy. 


I  58  ASSEMBLEES  NATIONALES 

gneur  ou  les  juges  d'etre  faux  et  menteurs, 
la  question  sur  Fappel  etoit  decidee  par  les 
moyens  qu'ils  avoient  employes  devant  le 
premier  tribunal  j  et  c'est  precisement  lap- 
pel  tel  que  nous  le  pratiquons  aujourd'liui. 

Comme  il  etoit  libre  a  chacun  de  fausser 
sans  vilain  cas ,  on  sent  combien  ce  nouvel 
usage  dut  multiplier  les  appels  a  la  cour  du 
roi. 

Pierre  Desfontaines  ( i ) ,  qui  paroit  avoir 
ecrit  quelques  annees  avant  Beaumanoir, 
rapporte  qu'il  a  vu  un  appel  de  la  cour  du 
comte  de  Ponthieu  en  celle  du  roi ;  que  le 
comte  reclama  I'ancien  usage,  et  que  malgre 
son  opposition  I'affaire  fut  jugee  par  droit 
et  sans  combat  judiciaire( 2). 


(i)  Conse'ds ,  chap,  ii ,  art  ly. 

(2)  En  i3o6,  Philippe-le-Bel ,  comme  on  vient  de  le 
voir  dans  una  note  precedente,  autorise  le  duel  judiciaire 
toutes  les  fois  que  celui  qui  seroit  violemment  soupconne 
d'un  crime  ne  pourroit  en  etre  convaincu  par  temoins. 
Cependant  la  noblesse  francoise  tenoit  tellement  au  com- 
bat judiciaire ,  qu'en  I'an  i3i5  les  nobles  de  Bourgogne, 
de  Moulins ,  de  Langres  et  du  comte  de  Forez ,  obtinrent 
de  Louis  Hutin  one  ordonnance  qui  leur  permit,  quant 


DE  FRAKCli:.   CHAP.   II.  169 

Gependant  un  appel  dans  la  forme  usitee 
aujourd'hui  u'auroit  pas  ete  recu  :  suivant  la 
procedure  elablie  par  les  etablissements  de 
saint  Louis,  il  falloit  dire  que  Ion  faussoit  le 
jugement.  Ainsi,  pour  que  I'innovation  fut 
nioins  sensible,  ce  prince,  aussi  habile  que 
sage ,  conserva  le  mot ;  mais  la  chose  fut  reel- 
lement  changee. 

Enfin  les  seigneurs  de  fiefs,  qui  ne  regar- 
doient  le  droit  de  rendre  la  justice  commc 
la  plus  belle  de  leurs  prerogatives  que  par- 
ceque  juger  c'etoit  combattre,  s'eloign^rent 
des  tribunaux  a  mesure  que  les  combats  ju- 
diciaires  devinrent  moins  frequents;  ils  fu- 
rent  remplaces  par  des  baillis  et  des  pru- 
d'homraes;  et  I'ordre  judiciaire,  replace  sur 
ses  veritables  bases,  fut  d^s-lors  a-peu-pr^s 
tel  qu'il  est  aujourd'hui. 

Alors ,  et  ce  nest  pas  levenement  le  moins 
remarquable  de  cette  epoque,  alors  sortit 


aux  gages  de  bataille ,  cfen  user  comme  ils  faisoient  ancien- 
nement.  Neanmoins  I'ordonnance  de  i3o6  prevalut ;  mais 
cet  abus  ne  cessa  que  pour  faire  place  a  un  autre ,  celui 
des  cartels. 


l6o  ASSEMDLISES  NATIONALES 

du  seiii  de  la  societe  line  noiivelle  classe 
dliommes,  qui,  n'appartenant  exclusive- 
ment  ni  a  la  noblesse,  ni  au  tiers-etat,  se 
plac^rent  entre  ces  deux  ordres;  et  qui, 
charges  du  depot  des  lois,  en  furent  seuls 
les  organes,  les  interpretes  et  les  applica- 
teurs :  on  voit  bien  que  je  parle  de  la  ma- 
gistrature. 

Ces  nouveaux  juges  ne  tard^rent  pas  a 
comprendre  que  le  glaive  de  la  loi ,  qui  re- 
posoit  dans  leurs  mains,  finiroit  par  vaincre 
toutes  les  resistances,  s'ils  parvenoient  a 
reunir  et  a  rattacher  a  la  couronne  les  ele- 
ments de  la  souverainete  epars  entre  les  dif- 
feients  seigneurs. 

Cette  reunion  fut  pendant  deux  siecles 
Fobjet  constant  de  leur  sollicitude,  et  dela 
cette  maxime  proclamee  par  les  juriscon- 
sultes  de  ces  temps-la:  Ci  veut  le  roi,  ci  veiit 
la  loi. 

Ces  magistrats,  qui  n'avoient  voulu  que 
recomposer  une  veritable  monarcliie,  c'est- 
^-dire  une  monarchic  temp^ree,  s'aper- 
curent  enfin  que,  depassant  le  but  qu'ils 
setoient  propose  d'atteindre,  ilsavoientcon- 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  l6l 

couru  a  r^tablissement  d'une  monarchic 
absolue,  et,  d^s  le  commencement  du  sei- 
zi^me  siecle,  on  les  a  vus  constamment  de- 
ployer,  centre  les  abus  du  pouvoir,  toute 
I'energie ,  toutes  les  resistances  compatibles 
avec  la  soumission  qu'ils  devoient  a  I'auto- 
riteroyale(i). 


(i)  En  lisant  les  ecrits  de  ces  anciens  magistrals,  on 
voit  qu'ils  pensoient  qu'une  sage  liberie  est  la  source  des 
grandes  pensees  et  des  grandes  vertus  ,et  qu'elle  ennoblit 
tout  a-la-fois  le  commandement  et  I'obeissance.  L'un 
d'entre  eux ,  peut-etre  le  plus  grand  horn  me  de  son  siecle, 
et  certainement  le  plus  sage,  le  chancelier  de  L'Hopital, 
disoit,  dans  son  Traitede  la  reformation  de  la  justice,  t.ll, 
p.  17:  aPerdre  la  liberte,  6  bon  Dieu!  que  reste-t-il  a 
«  perdre  apres  cela  ?  quel  salut  peut-on  esperer,  la  libeite 
«  etant  oste'e  k  I'homme  ?  La  liberte  et  la  vie  vont  d'un 
«  meme  pas ;  la  liberte  est  I'element  hors  lequel  nous  ne 
u  vivons  plus  qu'en  langueur.  La  mort  de  I'bomme  est 
(da  servitude;  aussi  par  nos  jurisconsultes  est-elle  com- 
«  paree  a  la  mort :  Servilutem  inortalitati  comparamus. 

<(  Et  la  pluspart  des  empereurs  romains ,  qui  ont  ete  de 
Hvrais  tyrans,  ont  verifie  le  dire  ci-dessus,  ayant  tenu 
(deurs  peuplesen  la  plus  cruelle  servitude  qui  se  puisse 
« imaginer,  et  dont  il  na  bien  prins  ni  aux  uns  ni  aux 
«  autres ,  comme  scavent  les  curieux  de  VHistoire  romaine. 
"Nous  ne  courons  pas  cette  fortune,  grace  a  Dieu, 

II 


l62  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Cette  nouvelle  raagistrature  existoit  a 
peine,  que  Ton  vit  s'elever  a  cote  d'elle 
cette  corporation  dont  le  noble  but  est  d'as  - 
surer  le  triomphe  de  la  justice,  en  dirigeant 
les  citoyens,  en  eclairant  les  magistrats,  et 
qui  est  elle-meme  une  veritable  magistra- 


11  nous  sommes  Francois,  portant  sur  le  front,  mais 
o  beaucoup  mieux  dans  une  ame  francoise,  la  marque 
a  de  notre  liberie.  Laquelle  tant  s'en  faut  que  nos  roys 
«  aient  jamais  entreprins  de  nous  oster,  qu'au  contraire 
wleur  plus  grande  gloire  est  de  commander  a  des  Fran- 
M  cois,  c'est-a-dire  a  un  peuple  ennemi  jure  de  servitude 
«  et  de  subjection  autre  que  celle  des  enfants  envers  leurs 
"  pere  et  mere. 

u  Aussi  se  plait-il  infiniment  d'obeyr  a  son  prince  sou- 
u  verain  d'une  amour  filiale,  laquelle  ne  doit  jamais  em- 
«  pecher  les  fonctions  de  la  vraye  liberte ,  et  croit  que 
u  d'etre  Francois  et  en  servitude  sent  deux  choses  non 
«  moins  incompatibles  que  le  jour  et  la  nuit.  » 

Le  ministere  public  partageoit  ces  nobles  sentiments. 
Dans  un  discours  de  M.  I'avocat-general Talon,  prononce 
au  lit  de  justice  tenu  par  le  roi  Louis  XIV,  en  i65i ,  pour 
la  declaration  de  sa  majorite,  je  lis:  «  Entre  les  empe- 
«  reurs  remains  qui  ont  ete  les  plus  grands  princes  de  la 
i(  terra,  a  peine  trois  ou  quatre  ont  laisse  bonne  odeur 
«  de leur  vie;  ce  qui  precede  d'une  mauvaise  creance  qui 
(I  occupe  la  pensee  de  la  plupart  des  souverains  et  de 


DE   FRANCE.    CHAP.  II.  l63 

ture.  On  voit  bien  que  je  parle  de  I'ordre 
des  avocats.  L'utilite  de  cet  ordre  fut  si  bien 
et  si  promptement  sentie,  qua  peine  form^ 
il  fixa  I'attention  du  lej^islateur;  et  que  son 
organisation  remonte  aux  premieres  ann^es 
du  regne  de  Philippe-le-Hardi  (i). 


«  ceux  qui  les  entretiennent,  que  toutes  leurs  entreprises 
u  sontjustes,  toutes  leurs  volontes  legitimes,  meme  leurs 
asong;es  ve'ritables,  et  s'imaginent  etre  des  dieux  sur  la 
<i  terra.  lis  pensent  que  les  peuples  sont  faits  pour  les 

«  rois ,  et  non  pas  les  rois  pour  les  peuples 

(( 

u  Sire,  tous  les  hommes  naissent  pour  commander  sur  la 
aterre,  ou  du  moins  pour  etre  libres.  Ces  noms  de  do- 
M  mination  et  d'obeissance  sont  barbares  dans  leur  ori- 
«  gine ,  et  contraires  aux  principes  et  a  I'essence  de  notre 
u  nature ;  I'audace  des  hommes  les  plus  forts  les  a  intro- 
«  duits ,  le  temps  et  la  necessite  les  a  rendus  legitimes.  » 

(i)  Le  23  octobre  1274,  ce  prince  rendit  une  ordon- 
nance  concernant  les  avocats ,  qui  porte  en  substance  : 
«Le8  avocats,  tant  du  parlement  que  des  bailliages  et 
«  autres  justices  royales,  jureront  sur  les  saints  Evangiles 
«  qu'ils  ne  se  chargeront  que  des  causes  justes,  qu'ils  les 
«defendront  diligemment  et  fidelement,  et  qu'ils  les 
•«  abandonneront  des  qu'ils  connoitront  qu'elles  ne  sont 
«  point  justes.  Et  les  avocats  qui  ne  voudront  point  faiie 
«  ce  serment  seront  interdits  jusqu'a  ce  qu'ils  I'aient  fait. 

«  Les  salaires  seront  proportionnez  an  proces   et  au 

1  1. 


1 64  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Ce  regne,  I'un  des  plus  obscurs  de  notre 
histoire,  est  cependant  fort  remarquable. 
Pendant  sa  courte  duree,  la  France  passa 
d'une  espece  de  gouvernement  federatif, 
dont  le  roi  n'etoit  que  le  chef  impuissant, 
a  une  monarchie  absolue. 

Quatre  causes  avoient  prepar^  ce  grand 
^venement: 

L'etablissement  des  communes,  qui  avoit 
rattach^  a  la  couronne  la  bourgeoisie  des 
principales  villes  du  royaume ; 

Les  croisades,  qui  avoient  mine  la  noblesse; 

La  legislation  de  saint  Louis,  qui,  en  ratta- 
cliant  k  la  couronne  le  dernier  ressort  de  la 
justice,  I'avoit  ressaisi  de  la  puissance  legis- 
lative *, 

M  merite  de  I'avocat ,  sans  pouvoir  neanmoins  exceder  la 
u  somme  de  trente  livres. 

M  Les  avocats  jureront  encore  qu'au-dela  de  cette  somme 
« ils  ne  prendront  rien  directement  ou  indirectement. 
«  Ceux  qui  auront  viole  ce  serment  seront  notez  de  par- 
«  jure  et  d'infamie,  et  exclus  de  plein  droit  de  la  fonction 
a  d'avocats,  sauf  aux  juges  h  les  punir  suivant  la  qualite 
(i  du  mefait. 

«  Les  avocats  feront  ce  serment  tous  les  ans ,  et  cette 
it  ordonnance  sera  lue  tous  les  ans  aux  assises.  » 


DE  FRANCE.   CHAP.  II.  1 65 

La  reunion  a  la  couronne  d'un  tr^s  grand 
norabre  de  seigneuries,  et  meme  de  plu- 
sieurs  provinces ;  reunions  qui ,  depuis 
Hugues-Gapet,s'^toientsuccessivementope- 
rees  par  des  achats,  des  mariages,  des  suc- 
cessions, des  jugements,  des  negociations, 
et  des  victoires.  •  - 

Ainsi  la  couronne  etoit  devenue  le  centre 
vers  lequel  tendoient,  lentement  a  la  verite , 
mais  constamment,  toutes  les  forces  mo- 
rales et  materielles  de  la  societe;  et  vers  la 
fin  du  treizi^rae  siecle  I'autorite  royale  ^toit 
deja  tellement  afifermie,  qua  la  mort  de 
saint  Louis,  Philippe  crut  pouvoir  ce  quau- 
cun  de  ses  predecesseurs  n'avoit  encore  ose. 

On  avoit  dit  jusqu'alors:  Dieu  seul  fait 
les  rois.  Ainsi  le  prince  qui  monte  sur  le 
trone  n'est  veri tablemen  t  roi  tpie  lorsqu'un 
ministre  de  la  religion  lui  en  a  imprime 
I'auguste  caractere,  en  placant  la  couronne 
sur  sa  tete.  Une  superstition  aveugle  avoit 
donne  a  cette opinion  I'autorite  dun  dogme 
religieux.  On  eut  craint  d'offenser  le  ciel 
en  la  soumettant  a  I'examen  de  la  raison. 
L'idee  ne  s'en  presentoit  a  person ne ;  et  de- 


1 66  ASSfcMBLl^ES  NATION  ALES 

puis  Hugues-Gapet  il  n'y  avoit  pas  d'exemple 
qu'un  roi  de  France  eiit  fait  des  actes  de 
sou  verainete  avant  la  solennite  de  son  sacre. 
Philippe  n'attendit  pas  qu'une  main  etran- 
g^re  placat  dans  les  siennes  les  r^nes  de 
I'etat.  II  les  prit  lui-meme,  et,  des  le  lende- 
main  de  la  mort  de  son  p^re ,  il  recut  Thom- 
mage  de  ceux  de  ses  vassaux  qui  faisoient 
partie  de  larmee.  Quelques  jours  apres  il 
confirma,  par  des  lett res-pa tentes,  les  re- 
gents que  Louis  JX  avoit  etablis  avant  de 
quitter  la  France:  et  le  2  octobre  i2yo, 
prevoyant  le  cas  oil  il  mourroit  avant  son 
retour  dans  ses  etats,  et  ton  jours  dans  son 
camp  devant  Carthage,  il  rendit  une  or- 
donnance  qui  confie  a  Pierre  d'Alencon, 
Fun  de  ses  fr^res,  la  regence  et  le  gouver- 
nement  du  royaume  jusqu  a  la  majority  de 
8on  fils.  Gette  majorite,  qui  pour  les  rois, 
comme  pour  tous  les  seigneurs  de  fiefs, 
ctoit  alors  a  vingt-un  ans,  il  la  fixa  a  qua- 
topze  (i.)^  .■■.!..»  •....».  i   '    ..    ;     >  ..     ,-i/ 

(i)   Le  savant  de.Laiiriere,   dans  ses  notes  sur  les 


DE   FKANGE.  CHAP.    II.  167 

Philippe  rentre  enfin  dans  ses  ^tats.  Quel- 
ques  chevaliers  epuises  de  fatigue,  et  cinq 
cercueils  qui  renfermoient  les  restes  mortels 
de  son  pere,  de  son  fr^re  le  comte  de  Valois 


Institutes  coutumieres  de  Loisel,  fait  sur  cette  ordonnance 
I'observation  suivante : 

«  Anciennement ,  la  majorite  de  nos  rois  etoit  a  vingt  et 
uunans,  comme  celle  des  nobles;  car,  suivant  les  feu- 
"distes,  regna  feudis  regni  parantur ;  mais  Philippe  III 
«  avanca  tout  d'un  coup  les  rois  de  sept  annees ,  en  met- 
utant,  par  son  ordonnance  de  1270,  la  majorite  de  son 
«  successeur  a  quatorze  ans  accomplis ;  et  enfin  Charles  V 
« en  fit  une  autre  au  mois  d'aout  1 374 ,  publiee  le 
ail  mai  1375,  par  laquelle  il  statue  qu'il  suffiroit  aux 
«  rois  ses  successeurs  d'entrer  dans  leur  quatorzieme  an- 
"  nee  pour  etre  niajeur.  » 

Par  une  singularite  remarquable ,  il  y  avoit  deux  ma- 
jorites  pour  celui  qui  possedoit  tout  a-la-fois  des  ro- 
tures  et  des  fiefs.  Le  noble,  qui  ne  pouvoit  disposer  de  son 
fief  qu'a  vingt  et  un  ans  ,  etoit ,  quant  a  ses  rotures ,  ma- 
jeur  a  quatorze;  et  le  bourgeois  n'etoit,  quant  a  ses  fiefs, 
niajeur  qu'a  vingt  et  un  ans.  Cette  difference  entre  les 
nobles  et  les  roturiers,  sous  le  rapport  de  la  majorite, 
etoit  fondee  sur  le  motif  que  I'homme  n'est  bien  capable 
de  supporter  les  fatigues  de  la  guerre ,  et  par  consequent 
de  desservir  un  fief,  qu'a  vingt  et  un  ans ,  et  que  des  I'age 
de  quatorze  ans  le  bourgeois  peut  faire  quelque  com- 
merce et  se  livrer  a  certains  travaux.  Tous  nos  anciens 


1 68  ASSEMBLEES  NATIONALES 

et  de  Nevers,  du  roi  de  Navarre  son  beau- 
fr^re,  de  sa  femme,  et  de  son  fils,  I'envi- 
ronnentet  forment  son  cortege.  Ce  spectacle 
d^chire  les  ames,  effraie  les  imaginations, 
et  la  consternation  est  generale. 
j^fii^L  la  verite  les  pertes  de  I'armee  etoient 
intalculables ;  mais  dans  Finterieur  on  n'a- 
voit  k  deplorer  que  la  mine  de  la  noblesse ; 
et  meme  ce  quelle  avoit  perdu  tournoit  au 
profit  des  communes  et  de  Fautorite  royale. 
Les  seigneurs  s'etoient  vus  forces  de  vendre 
leurs  terres;  les  bourgeois  en  les  achetant 
avoient  franchi  Fintervalle  qui  les  separoit 
des  proprietaires  de  fiefs,  et  la  mort  des 
comtes  de  Toulouse ,  de  Poitou ,  de  Valois 


auteurs  parlent  de  ces  deux  majorites.  Nous  lisons  dans 
le  recueil  de  Jean  Desmares:  Hitem  les  enfans  de  Poste 
«  sont  agez  k  quatorze  ans ,  puisqu'Jls  sont  males ,  et  les 
u  pucelles  sont  agiees  k  douze  ans.  Mais  ceux  qui  sont 
« nobles  sont  agiez  a  vingt-un  ans,  quant  es  clioses 
a  nobles  et  feodataires ;  et  quant  a  celles  qui  sont  tenues 
«  en  villenage ,  k  quatorze  ans.  >» 

On  voit,  par  les  coutumes  redigees  pendant  le  cours  du 
seizieme  siecle,  quec'est  alors  seulement  que  ces  anciens 
usa{];es  ont  entierement  disparu. 


DE   FRANCE,    CHAP.  11.  169 

et  de  Nevers,  qui  perirent  victimes  de  cetle 
malheureuse  guerre,  avoit  r^uni  ces  pro- 
vinces a  la  couronne. 

Ainsi  affoiblie,  et  par  la  diminution  de 
ses  forces,  et  par  Taugmentation  de  celles 
du  roi,  I'aristocratie  feodale  n'oppose  plus 
a  Tautorite  royale  que  des  efforts  impuis- 
sants.  Cette  autorite,  devenue  sup^rieure 
a  toutes  les  resistances ,  plane  sur  la  France 
enti^re;  et  le  roi,  libre  de  toutes  especes 
d'entraves,  n'a  d'autre  r^gulateur  que  sa  vo* 

loUt^(l).  r     ' 


(i)  A  cette  epoque  les  actes  de  la  volonte  royale  n'a- 
voient  pas  d'autre  sanction  que  la  signature  du  roi ,  et 
celles  de  quelques  uns  des  principaux  officiers  de  sa 
maison ,  tels  que  le  eonnetable ,  le  chancelier,  le  boutel- 
lier,  le  chambellan ,  que  les  monuments  de  ces  temps-Ik 
appellent  ininisteriales  hospitii  domini  regis.  Encore  cette 
formalite  ne  remonte-t-elle  pas  plus  haut  que  le  regne  de 
Philippe  I". 

Ce  prince ,  dit  le  president  Hesnaut  dans  son  Abrege 
chronologlque ,  sous  Cannee  iio3,  est  le  premier  de  nos 
rois  qui,  pour  autoriser  ses  chartes  et  ses  lettres,  les  ait 
faits  souscrire  par  les  grands-officiers.  Les  precepteurs 
des  rois  y  signoient  aussi ;  leurs  confesseurs  eurent  aussi 
quelquefois  le  meme  honneur. 


170  ASSEMBLEES  NATIONAI,ES 

Voila  la  couronne  sortie  triomphante  de 
ses  longs  debats  avec  les  hauls  barons.  Mais, 
malheureusement,  ce  n'est  pas  une  monar- 
chie  limitee  qui  prend  la  place  de  I'anarchie 
qui  dechiroit  la  France  depuis  Hugues- 
Capet;c'est  lepouvoir  absolu,  ou,  ce  qui  est 
la  meme  chose,  le  despotism e. 

Le  despotisme,  qui  dans  une  main  forte 
est  la  massue  d'Hercule ,  nest  dans  celle  dun 
homme  ordinaire  qu'une  ignoble  et  basse 
tyrannie;  et  Philippe  etoitun  prince  foible, 
ignorant,  et  superstitieux.  A  la  verite,  il 
aimoit  la  justice  et  n'etoit  pas  sans  courage; 
mais  ne  connoissant  ni  les  hommes  ni  les 
affaires,  il  donnoit  indifferemment  sa  con- 
fiance  a  ceux  que  le  hasard  placoit  aupr^s 
de  sa  personne.  Les  gens  qui  composoient 
sa  maison  formoient  seuls  son  conseil ;  et  le 
premier  acte  de  son  regne  fut  d'elever  a  la 
dignite  de  premier  ministre  Pierre  de  La 
Brosse,  le  barbier  de  son  pere. 

Get  indigne  favori  usa  du  pouvoir  avec 
toute  I'insolence dun  parvenu  sorti desder- 
ni^res  classes  de  la  soci^te.  Bassement  jaloux 
de  toutes  les  superiorites,  il  humilia  la  no- 


DE  FRANCE.    CHAP.  II.  1  7  I 

blesse,  il  repoussa  les  talents,  il  ecarta  des 
foiictious  publiques  tons  les  liommes  hono- 
rables ,  et  pendant  la  duree  de  son  minist^re 
la  bassesse  donna  seule  des  droits  a  la  faveur. 

L'echafaud  fit  justice  de  cet  odieux  mi- 
nistre(i).  Mais  le  gouvernement  conserva 
la  direction  qui  lui  etoit  imprim^e,  et  sous 
les  successeurs  de  La  Brosse  un  pouvoir 
sans  rej^ulateur,  sans  liraites,  et  sans  frein, 
continua  de  peser  sur  la  France.  Tant  il  est 
vrai  que  pour  corriger  une  administration 
vicieuse,  le  remede  nest  pas  dans  le  change- 
ment  des  administrateurs  •,  que  c'est  Fadmi- 
nistration   elle-meme  qu'il   faut   changer. 

Geperidant  I'incapacite  des  minis tres  n'ar- 
reta  pas  le  mouvement  des  esprits;  et  sous 
le  regne  de  Philippe,  non  seulement  rien 


(i)  Jalouxdu  credit  de  la  reine,  il  eut  I'audace  de  I'ac- 
cuser  d'avoir  empoisonne  le  fils  que  Philippe  avoit  eu 
d'Isabelle  d'Aragon,  sa  premiere  femme.  IN'ayant  pas  pu 
prouver  son  accusation ,  il  fut  pendu  a  Paris.  «  Assez 
"coupable,  ditMezerai,  quand  il  n'auroit  pas  commis 
"  d 'autre  crime  que  d'avoir  obsede'  son  roi,  et  enlace 
«  sa  personne  sacree  et  son  esprit  par  des  artifices.  " 


172  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

ne  retrograda,  mais  on  apercoit  quelques 
progr^s  dans  le  commerce,  dans  Findustrie, 
et  dans  les  arts. 

Telle  fut  la  France  pendant  les  trois  sie- 
cles  qui  s'ecoulerent  depuis  Favenement  de 
Hu^yues-Capet  au  trone,  jusqu'au  regne  de 
Philippe-le'Bel. 

Quoique  rien,  dans  cette  longue  serie 
d'^venements ,  ne  rappelle  les  assemblees 
nationales  des  premiers  temps  de  la  monar- 
chic, cependant  ces  details  historiques  ne 
sont  rien  moins  qu'etrangers  a  mon  sujet: 
ils  y  tiennent  meme  fessentiellement ;  et  j'ai 
dii  les  rappeler,  puisqu'ils  nous  revelent  que 
ces  anciennes  assemblees  n'ont  ete  abolies, 
ni  par  un  acte  de  I'autorite  royale  qui  les 
auroit  suppriraees,  ni  par  une  abdication 
que  les  Francois  auroient  faite  volontaire- 
ment  du  droit  qui  leur  appartenoit  d'in- 
tervenir  dans  I'administration  publique;  et 
que  si  pendant  plus  de  trois  siecles  la  na- 
tion ne  s'est  pas  reunie  en  comices  gene- 
raux,  c'est  que  les  circonstances  ont  ete 
plus  fortes  qu'elles;  c'est  que  partagee  en 
plusieurs  souverainetes  par  les  hauts  ba- 


DE  FRANCE.   CHAP.  II.  1 73 

rons,  dont  les  forces  avoient  prevalu  sur 
celles  de  la  couronne,  elle  ne  formoit  plus 
iin  tout  homog^ne. 

Mais  la  force  n'est  jamais  un  titre.  Le 
temps  lui-meme  n'a  pas  Fefficacite  de  la 
legitimer.  Tout  ce  quelle  peut,  c'est  de 
faire  obstacle  a  I'exercice  du  droit  j  mais 
elle  ne  I'^teint  pas.  Ainsi ,  toute  decompos^e, 
tout  opprim^e  quelle  etoit,  la  nation  n'en 
conservoit  pas  moins  le  droit  de  s'imposer 
elle-meme;  ainsi  lorsque,  dans  des  temps 
plus  heureux,  Philippe-le-Bel  I'appellera 
pour  voter  Tim  pot  par  ses  deputes,  ce  sera, 
de  sa  part,  bien  moins  une  concession 
qu'une  restitution,  que  la  reconnoissance 
d'un  droit  qui  n'avoit  pas  cess^  d'exister. 


174  ASSEMBLEES  NATIONALES 


v,.|,  n  GHAPITRE  III. 


Philippe-le-Bel.  Origine  des  etats-generaux. 
(1285— i3i4.) 


Pendant  toute  la  duree  du  treizi^me 
siecle,  la  puissance  feodale  ayoit  constam- 
ment  recule  devant  Tautorite  des  rois;  a 
chaque  pas  retrograde  de  cette  puissance 
anarchique,  la  monarchie  setoit  avanc^e 
grande,  forte,  et  dans  tout  I'appareil  de  la 
puissance  absolue;  dans  sa  raarche,  de  jour 
en  jour  plus  imposante,  elle  avoit,  par  des 
alliances,  des  negociations  et  des  victoires, 
prevalu  sur  toutes  les  resistances,  et  brise 
les  liens  qui  unissoient  les  hauts  barons 
entre  eux.  Ges  superbes  rivaux  de  la  cou- 
ronne  etoient  enfin  obliges  de  flecliir  de- 
vant elle;  et  la  nature  du  gouvernement 
^toit  changee. 

Cette  revolution,  principal  em  ent  due  a 
la  sagesse  de  saint  Louis,  a  son  courage,  a 


DE  FRANCE.  CHAP.  III.  175 

sa  legislation ,  avoit  et^  commencee  par 
Philippe- Auguste  •,  Philippe-le-Bel  la  con- 
somma ,  et  sur  la  fin  de  son  regne  il  n  y 
avoit  plus  en  France  qu'un  roi  et  cles 
sujets. 

A  peine  monte  sur  le  trone,  ce  prince 
comprit  que  le  temps  etoit  arriv^  de  dechi- 
rer  le  voile  qui,  depuis  trois  siecles,  cou- 
vroit  Fautorite  royale,  et  il  publia  successi- 
vement  plusieurs  ordon  nances  generales 
dans  lesquelles  la  nation  etonnee  vit,  pour 
la  premiere  fois,  cette  formule,  en  vertu  de 
la  plenitude  de  notre  puissance  et  autorite 
royale  (i). 

Cependant  le  baronnage  de  France,  si 
riche  de  ses  souvenirs,  ne  devoit  s'^teindre 
que  dans  les  convulsions  d'une  lutte  opi- 
nisltre :  aussi  les  seigneurs,  appuyes  sur 
I'opinion  que  leurs  droits  ^toient  aussi  in- 
contestables  que  ceux  du  roi ,  se  montrerent- 
ils  determines  a  faire  un  dernier  effort,  et 


(i)  Voyez  Vyirt  de  verifier  les  dates,  page  55 1 ,  edition 
de  1770. 


176  ASSEMBLIES  NATIONALES 

des  ligues  defensives  s'organis^rent  sur  tous 
les  points  du  royaume. 

Mais ,  en  reclamant  les  droits  usurpes  sur 
sa  couronne,  Philippe  avoit  beaucoup  plus 
compt^  sur  les  ressources  de  sa  politique 
que  sur  la  force  de  ses  armes.  Consomme 
dans  Fart  de  dissimuler,  il  entraina  les  sei- 
fjneurs  dans  une  mesure  qui  lui  donnoit  sur 
eux  une  superiorite  que  personne  ne  pou- 
voit  lui  contester.  Inspirant  aux  uns  des 
doutes,  aux  autres  des  inquietudes  et  des 
craintes,  il  les  determina  tous  a  negocier 
avec  lui :  comme  il  avoit  eleve  ses  pre- 
tentions beaucoup  au-dessus  du  but  au- 
quel  il  se  proposoit  d'atteindre,  il  obtint 
de  cette  lutte  a-peu-pr^s  ce  qu'il  sen  etoit 
promis, 

Aucun  de  ses  pr^d^cesseurs  n'avoit  tra- 
vaill^  a  I'agrandissement  de  Tautorite  royale 
avec  autant  de  perseverance ,  de  bonheur  et 
de  succ^s. 

Mais  la  ne  sest  pas  bornee  sa  sollici- 
tude. 

II  a  donn^  une  organisation  reguli^re  a  ce 
parlementde  Paris  qui,  pendant  cinq  siecles, 


DE  FRA^ICE.  CHAP.  III.  I  y'y 

a  exerc^  sur  notre  legislation  une  si  grande 
influence ;  c'est  encore  lui  qui,  par  I'etablis- 
sement  des  etats-gen^raux,  a  rendu  a  la  na- 
tion le  droit  d'intervenir  dans  Fadministra- 
tion  publique,  et  de  s'im poser  elle-meme. 
;  Vers  le  commencement  du  quatorzi^me 
siecle,  Boniface  VIII,  qui  occupoit  le  siege 
pontifical ,  plein  de  I'esprit  entreprenant  de 
Gregoire  VII,  eleva  des  pretentions  qui 
compromettoient  I'independance  de  la  cou- 
ronne.  Voici  les  principales  ( i ) :  '  ^ 


(i)  On  trouve  sur  cette  grande  affaire  des  details  tres 
exacts  et  tres  interessants  dans  VAbrege  du  president 
Hesnaut.  On  y  lit ,  sous  I'annee  1 3o3 : 

«  Les  demeles  si  connus ,  entre  Boniface  VIII  et  Phi- 
«<  lippe-le-Bel ,  commencent  a  eclater.  Le  premier  sujet  de 
«  mecontentenient  du  pape  venoit  de  ce  que  le  roi  avoit 
«  donne  retraite  aux  Colonne ,  ses  ennemis ;  mais  le  roi 
M  avoit  des  sujets  bien  plus  graves  de  se  plaindre  de  Bo- 
«  niface :  ce  pontife ,  se  croyant  autorise  par  ses  prede- 
wcesseurs,  vouloit  partaker  avec  lui  les  decimes  levees 
«  sur  le  clerge  de  France.  La  resistance  de  Philippe  irrite 
«  le  pape,  et,  pour  premiere  vengeance,  il  cree  le  noiivel 
« eveche  de  Pamiers  sans  le  concours  de  la  puissance 
«  royale,  necessaire  en  cette  matiere.  Boniface  fait  plus; 
"  il  se  plait  a  braver  le  roi ,  en  nommant  pour  legal  cu 

12 


17H  ASSEMBLEES  NATIONALES 

I "  Le  pape  voiiloit  partager  avec  le  roi  les 
impositions  levees  sur  le  clerge ; 

2°  II  preteiidoit  avoir  le  droit  d'etablir  en 
France  tel  nombre  d'eveches  qu'il  jugeroit  a 
propos.  En  consequence  il  avoit  erige  lev^- 
che  de  Pamiers  sans  le  concours  de  I'autorit^ 
royale.  Le  roi  s'y  etant  opposed,  le  pape  liii 


<(  France  le  meme  homme  appele  Bernard  Saisset ,  qui 
K  s'etoit  fait  ordonner  eveque  malgre  ce  prince :  Bernard , 
41  en  vertu  de  ses  pouvoirs  de  legat ,  ordonne  au  roi  de 
« partir  pour  une  nouvelle  croisade,  et  de  mettre  le 
u  comte  de  Flandre  en  liberte ;  le  roi  fit  arreter  Bernard , 
«  et  le  remit  entre  les  mains  de  I'archeveque  de  Nar- 
«  bonne,  son  metropolitain.  Le  pape  lanca  une.buHe 
«  foudroyante,  qui  mit  le  royaume  en  interdit;  Philippe 
«  assemble  les  trois  etats  du  royaume  (on  croit  que  ce 
«  fut  la  premiere  fois  que  le  tiers-etat  y  fut  admis)  et 
«  convient  de  convoquer  un  concile :  on  en  donne  avis 
i<  aux  princes  voisins;  et  dans  les  etats  il  est  arrete  qu'on 
«  appellera  au  futur  concile  de  tout  ce  que  le  pape  a  fait. 
wNogaret  part  en  apparence  pour  signifier  I'gippel,  mais 
(I  en  effet  pour  enlever  le  pape.  Sciarra  Colonne  et  lui 
w  I'investissent  dans  la  ville  d'Agnanie:  Sciarra  donne 
<(  un  soufflet  au  pape ,  et  se  met  en  devoir  de  le  tuer ; 
« Nogaret  Ten  empeche ;  le  pape  meurt  peu  de  temps 
(I  apres. " 


DE  FRANCE.  CHAP.  III.  179 

fit  ordonner  par  son  l^gat  d'entreprendre, 
en  expiation  de  sa  desobeissance,  une  nou- 
velle  croisade  contre  les  infideles ;  et  sur  son 
refus ,  il  lanca  contre  lui  une  bulle  que  les 
historiens  du  temps  appellent  foudroyante, 
et  qui  mit  le  royaume  en  interdit(i). 

Les  temps  ou  ces  interdits  mettoient  en 
danger  les  trones  et  les  rois  eux-memes 
netoient  pas  encore  eloignes ;  mais  les  pro- 
gres  que  I'esprit  humain  avoit  faits  pendant 
le  treizi^me  siecle,  et  sur-tout  la  resistance 
que  saint  Louis  avoit  constamment  opposee 
aux  entreprises  de  la  cour  de  Rome,  avoient 
beaucoup  affoibli  la  puissance  des  papes. 
Gependant  leffroi  quelle  inspiroit  etoit  en- 
core tel,  que  Philippe-le-Bel  pensa  que, 
pour  lui  r^sister  avec  succ^s,  il  ne  falloit 
rien  moins  que  la  nation  tout  entiere;  et  il 
appela  aupr^s  de  lui  non  seulement  les  de- 


(i)  Dans  une  bulle  adresse'e  au  roi,  sous  la  date  du 
5  decembre  i3oo,  Boniface  dit:  «  Ne  vous  laissez  point 
«  persuader  que  vous  n'avez  point  de  superieur,  et  que 
II  vous  n'etes  pas  soumis  au  chef  de  la  hierarchic  eccle- 
u  siastique  :  qui  pense  ainsi  est  un  insense.  » 

12. 


l8o  ASSEMBLIES  RATIONALES 

putes  de  la  noblesse  et  dii  cler^if^,  mais 
encore  ceux  du  tiers-etat  (i).  u  Invention 
«  grandement  sage  et  politique,  dit  Pasquier. 
(t  Car  comme  ainsi  soit  que  le  commun  peu- 
«  pie  trouve  toujours  a  redire  sur  ceux  qui 
usont  appeles  aux  plus  grandes  charges,  et 
«  qu'il  pense  qu'en  decouvrant  ses  doleances, 
u  on  retablira  toutes  choses  de  mal  en  bien, 
(( il  ne  desire  rien  tant  que  I'ouverture  de 
u  telles  assemblees.  D'ailleurs,  se  voyant  ho- 
«  nore  pour  y  avoir  lieu ,  et  chatouill^  du  vent 
«  de  ce  vain  honneur,  il  se  rend  plus  hardi 
« prometteur  k  ce  qu'on  lui  demande.  » 
[Recherches ,  chap.  VII.) 

La  nation  se  montra  digne  de  ce  grand 
bienfait.  Les  trois  ordres,  egalement  revokes 
des  pretentions  du  pape,  proclam^rent  una- 
nimement  I'independance  de  la  couronne; 
et  le  resultat  de  cette  memorable  assemblee 


(i)  On  lit  dans  VArt  de  verifier  les  dates  que  cette 
assemblee  eut  lieu  le  lo  avril  i3o3.  Edition  de  Jyyo, 
page  226. 

Mezerai  place  cette  assemblee  sous  la  date  du  i3  avril 

l3oi.  :•  .     •     ■  '       •  ' 


DE  FRANCE.  CHAP.  III.  l8f 

fat  un  appel  au  futiir  concile;  appel  qui 
neutralisa  la  bulle,  et  suspendit  les  effets  de 
linterdit  jiisqua  la  mort  de  Boniface,  qui 
eutlieu  quelque  temps  apr^s,  et  qui  mit  fin 
a  cette  scandaleuse  affaire. 

La  France  enti^re  se  leva  dans  cette 
grande  circonstance.  Toutes  les  universities 
du  royaume,  plus  de  sept  cents  corporations 
tant  ecclesiastiques  que  laiques,  presen- 
terent  au  roi  des  adresses  d'adhesion  a  I'appel 
au  futur  concile,  et  I'ordre  de  la  noblesse 
ecrivit  aux  cardinaux  une  lettre  dans  la- 
quelle  il  se  plaint  de  ce  que  u  le  pape  pretend 
«  que  le  roi  est  son  sujet,  quant  au  temporel ,, 
«  et  le  doit  tenir  de  lui;  au  lieu  que  le  roi  et 
« tons  les  Francois  ont  toujours  dit  que, 
wpour  le  temporel,  le  royaume  ne  releve 
«  que  de  Dieu  seul.  »  II  ajoute :  u  Nous  disons 
n  avec  une  extreme  douleur  que  de  tels  exces 
une  peuvent  plaire  a  aucun  liomme  de 
« bonne  volonte;  que  jamais  ils  ne  sont 
uverius  en  pensee  a  personne,  et  qu'on  n'a 
«  pu  les  entendre  que  pour  le  temps  de  I'An- 
u  techrist;  et,  quoique  celui-ci  disc  qu'il  ap^it 
uainsi  par  votre  conseil,  nous  ne  pouvons 


1 82  ASSEMBL^fciS    NATION  ALES 

(( croire  que  vous  consentiez  k  de  telles  nou- 
«  veautes  ni  a  de  si  folles  entrepiises.  C'est 
«pourquoi  nous  vous  prions  d'y  apporter 
((tels  remedes,  que  I'union  entre  I'Eglise  et 
(de  royaume  soil  maintenue,  etc.  » 

La  lettre  du  clerge ,  adressee  au  pape  lui- 
ineme,  est  en  termes  plus  mesures;  cepen- 
dant  il  lui  declare  qu'il  a  fait  serment  de 
defendre  I'independance  de  la  couronne. 

La  lettre  du  tiers-etat  n'est  pas  parvenue 
jusqua  nous:  nous  ne  la  connoissons  que 
par  la  reponse  que  lui  adress^rent  les  car- 
dinaux,  dans  laquelle  ceux-ci  lui  reprochent 
d'avoir  affecte  de  ne  pas  nommer  le  pape, 
et  d'en  avoir  parle  dune  mani^re  pen  res- 
pectueuse ;  mais  il  presenta  au  roi  une  re- 
quete,  que  Savaron  nous  a  conservee,  et 
dont  voici  les  termes : 

uA  vous,  tres  noble  prince,  notre  sire 
((Philippe,  par  la  grace  de  Dieu,  roi  de 
((France,  supplie  et  requiert  le  peuple  de 
((VOtre  royaume,  pour  ce  qui  lui  appartient 
(( que  ce  soit  fait,  que  vous  gardiez  la  souve- 
((raine  franchise  de  votre  royaume,  qui  est 
((telle  que  vous  ne  reconnoissiez  de  votre 


DE  FRANCE.   CHAP.  III.  l8.i 

M  temporel  souverain  en  terre,  forsque  Dieu , 
(( et  que  vous  fassiez  declarer,  si  que  tout  le 
«  monde  le  sache,  que  le  pape  Boniface  erra 
(tnianifestement,  et  fit  peche  mortel  notoi- 
u  rement  en  vous  mandant,  par  lettres  bul- 
ulees,  qu'il  etoit  votre  souverain  de  votre 
M  temporel ,  et  que  vous  ne  pouviez  preben- 
«  des  donner,  ne  les  fruits  des  eglises  cathe- 
((drales  vacants  retenir,  et  que  tons  ceux 
wqui  croyent  au  contraire  il  tient  pour  he- 
«  reges. » 

II  circula  aussi  dans  le  public  une  lettre 
de  Philippe-le-Bel  a  Boniface  VIII.  II  est 
certain  qu'elle  a  existe ;  mais  on  doute  si  elle 
a  ^te  adressee  au  pape,  et  si  elle  lui  est  par- 
venue.  Ce  doute  est  fonde  sur  la  circonstance 
qu'il  ne  reste  aucune  preuve  qu'il  s'en  soit 
jamais  plaint.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  la  te- 
neur  de  cette  lettre :  «  Philippe,  par  la  grace 
«de  Dieu,  roi  des  Francois,  a  Boniface,  qui 
w  se  donne  pour  pape ,  peu  ou  point  de  salut. 
u  Que  ta  tr^s  grande  fatuite  sache  que  nous 
((  ne  sommes  soumis  a  personne  pour  le  tem- 
uporel;  que  la  collation  des  eglises  et  des 
uprebendes  vacantes  nous  appartient   par 


1 84  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

« le  droit  royal ,  que  les  fruits  en  sont  a  nous ; 
(( que  les  collations  faites  et  a  faire  par  nous 
«  sont  valides  au  passe  et  a  I'avenir,  que  nous 
«  maintiendrons  leurs  possesseurs  de  tout 
(tnotre  pouvoir,  et  que  nous  tenons  pour 
« fous  et  insenses  ceux  qui  croiront  autre- 
unient(i). » 

En  i3i3  Philippe-le-Bel  se  trouvoit  en- 
gage dans  une  guerre  contre  les  Flamands , 
guerre  longue,  difficile,  et  dont  les  frais 
excedoient  les  revenus  ordinaires  de  la  cou- 
ronne,  revenus  qui  jusqu'alors  avoient  suffi 


(i)  Gette  lettre  etoit  une  reponse  a  Boniface  VIII,  qui 
avoit  ecrit  au  roi :  « Boniface,  eveque,  serviteur  des 
«  serviteurs  de  Dieu ,  a  Phili|ipe,  roi  de  France,  crains 
((  Dieu  et  garde  ses  commandements.  Tu  dois  savoir  que 
«  nous  somraes  par-dessus  toi,  tant  es  choses  spirituelles 
«  que  temporelles ,  et  que  la  collation  des  benefices  ne 
«  t'appartient  point:  partant,  si  tu  as  en  garde  ceux  qui 
«  sont  vacants,  je  veux  que  tu  en  reserves  les  fruits  a  ceux 
«  qui  en  seront  par  nous  pourvus,  et  si  tu  les  as  conferes 
«a  aucuns,  nous  declarons  nulle  ta  collation,  et  repu- 
"  tons  pour  fous  ceux  qui  croyent  autrement. 

«  Donne  a  Latran ,  le  quatrieme  des  nones  de  decembre , 
"  I'an  sixieme  de  notre  pontificat.  » 

(On  eleve  des  doutcs  sur  Tauthenticite  de  cette  lettre.) 


DE  FRANCE.   CHAP.  111.  l85 

aux  charges  du  gou  vernement.  On  etoit  done 
oblige  de  recouiir  h  des  raoyens  extraordi- 
naires ,  c'est-a-dire  a  un  impot ;  mais  ce 
mot  seul  pouvoit  causer  un  soulevement 
general;  il  falloit  done,  non  I'exiger,  mais 
I'obtenir :  on  le  sentit;  et  cette  assemblee  des 
trois  ordres  du  royaume,  qui  venoit  de  se- 
conder Pliilippe-le-Bel  d'une  mani^re  si  effi- 
cace  contre  les  entreprises  de  la  cour  de 
Rome,  fut  convoquee  pour  la  seconde  fois(  i ). 


(i)  A  la  meme  epoque,  et  pour  la  meme  cause,  c'est- 
a-dire  le  besoin  d'argent,  les  deputes  des  bourgs  furent 
adinis  dans  leparlement  de  la  Grand e-Bretagne:  ainsila 
chambre  des  communes  en  Angleterre  et  celle  du  tiers- 
etat  en  France  ont  la  meme  origine.  Comment  ces  deux 
pouvoirs,  partis  du  meme  point,  se  sont-ils  trouves , 
presque  des  leur  naissance,  a  une  si  grande  distance 
I'un  de  I'autre?  c'esl  Thistoire  qui  doit  repondre  a  cette 
question.  Je  chercbe  dans  celle  de  M.  Hume  la  maniere 
dont  les  clioses  se  sont  passees  en  Angleterre ,  et  j'y  lis : 

«  Les  rois  d'Angleterre,  comme  ceux  de  France,  erige- 
rent  des bourgs, c'est-a-dire donnerent  aux  villes  de  leurs 
doniaines  le  droit  d'elire  leurs  magistrats ,  et  abonne- 
rent  a  des  rentes  fixes  les  droits  et  les  peages  auxquels 
ils  ctoient  tenus.  Cependant  en  affranchissant  les  bourgs 
de   leurs  domaines,   les  rois   s'etoient  reserve  le  droit 


I  86  ASSEMBLEES   RATIONALES 

On  trou  ve  dans  les  Recherches  de  Pasquier 
des  details  fort  precieux  sur  la  maniere  dont 
les  choses  se  passerent  dans  cette  seconde 
assembl^e,  la  premiere  qui  ait  vote  des  im- 
pots.  Ges  details,  je  vais  les  transcrire: 

(( Le  premier  qui  uiit  cette  innovation  en 
«avant  fut  Philippe-le-Bel,  sous  lequel  ad- 


feodal ,  que  Ton  appeloit  taille  a  volonte.  Mais  lorsque , 
sous  Edouard  I",  les  {juerres  contre  I'Ecosse  exigerent 
que  cette  taille  fut  portee  tres  haut,  il  devint  tres  diffi- 
cile de  la  percevoir:  il  falloit  negocier  avec  chaque  bourg 
en  particulier. 

«  Comme  cela  entrainoit  des  longueurs ,  Edouard  I" 
imagina  d'admettre  les  bourgs  au  parlement  par  des 
deputes.  Ceux  qui  etoient  elus  donnoient  caution  de 
se  rend  re  au  parlement,  et  le  bourg  pourvoyoit  a  leur 
depense. 

«  Us  ne  composoient  pas  proprement  dit  une  partie 
essentielle  du  parlement.  Us  s'asserabloient  separement 
des  barons  et  des  chevaliers,  et  des  qu'ils  avoient  donne 
leur  consentement  aux  taxes,  ils  se  separoient,  et  le  par- 
lement continuoit  ses  seances. 

«  Cependant  comme  ils  donnoient ,  ils  sentirent  de 
bonne  heure  qu'ils  pouvoient  demander ,  et  ils  presen- 
toient  des  petitions  tendantes  a  la  reforme  des  abus  qui 
pesoient  le  plus  sur  eux. 

((Quand  le  roi  daignoit  accueillir  leurs  doleances,  il 


DE  FRANCE.  CHAP.  III.  1 87 

u  vinrent  plusieurs  mutations,  tant  en  police 
(( s^culi^re  qu'ecclesiastique.  II  avoit  innove 
(( certain  tribut,  qui  estoit  pour  la  premiere 
ufois  le  centieme,  pour  la  seconde  le  cin- 
(tquanti^me  de  tout  notre  bien.  Get  impot 
(cfut  cause  que  les  manants  et  habitants  de 
(c Paris,  Rouen,  Orleans,  se  revolt^rent,  et 
«  mirent  k  mort  tons  ceux  qui  furent  deputes 
«  pour  la  levee  de  ces  deniers.  Et  lui  encore,  a 
« son  retour  dune  expedition  contre  les  Fla- 


les  faisoit  rediger  par  des  juges ,  et  les  publioit  comme 
loi,  souvent  sans  les  avoir  communiquees  k  la  cliambre 
des  barons :  ceux-ci  s'en  plaignirent  et  commanderent 
qu'aucune  loi  ne  fut  publiee  sans  leur  approbation. 

u  Sous  Henri  V  les  communes  demanderent  que  nulle 
loi  ne  fut  dressee  sur  leur  proposition  a  moins  que  les 
statuts  n'en  fussent  rediges  par  elles-memes  et  non  par  les 
juges,  et  qu'ils  n'eussent  passe  dans  leur  propre  chambre 
en  forme  de  bill. 

«  Les  divisions  des  fiefs ,  dont  nous  avons  parle  plus 
haut,  ayant  prodigieusement  multiplie  les  petites  ba- 
ronnies  et  les  tenures  de  chevaliers,  ceux-ci  perdirent  de 
leur  consideration,  ne  s'assemblerent  plus  avec  les  liauts 
barons ,  et  se  reunirent  aux  deputes  des  bourgs.  Par  cette 
reunion,  la  chambre  des  communes  se  trouva  composee 
des  deputes  de  la  petite  noblesse  des  comtes,  et  de  ceux 
des  bourgs. » 


1 88  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Kinands,  voulut  imposer  une  autre  charge 
«  de  six  deniers  pour  livre  de  chaque  denree 
«  vendue :  toutefois  on  ne  lui  voulut  obeir. 
u  Au  moyen  de  quoi,  par  I'avis  de  d'Anguer- 
wrand  de  Marigny,  grand  superintendant 
«  de  ses  finances,  pour  obvier  a  ces  eineutes, 
u  iJ  pourpensa  d'obtenir  cela  de  son  peuple 
(t  aveque  plus  de  douceur.  Car  s'etant  fait 
((sage  par  son  exemple,  et  voulant  faire  un 
H  autre  nouvel  impot ,  Guillaume  Nangy 
u  nous  apprend  qu'il  fit  eriger  un  grand 
(( ecliafaud  dedans  la  ville  de  Paris;  et  la ,  par 
(( I'organe  de  d'Anguerrand,  apr^s  avoir  haut 
« loue  la  ville,  I'appelant  charabre-royale,  en 
(daquelle  les  rois  anciennement  prenoient 
«leur  premiere  nourrlture.  il  remontra  aux 
«  syndics  des  trois  etats  les  urgentes  affaires 
((qui  tenoient  le  roi  assiege,  pour  subvenir 
('  aux  guerres  de  Flandre,  les  exliortant  de  le 
((vouloir  secourir  en  cette  necessity  publi- 
((que,  ou  il  y  alloit  du  fait  de  tons.  Auquel 
(( lieu  on  lui  presenta  corps  et  bieus;  levant, 
('  par  le  moyen  des  offres  liberales  qui  lui 
«  furent  faites,  une  imposition  fort  grieve 
((  par  tout  le  royaume.  L'lieureux  succes  de 


DE  FRANCE.  CHAP.  in.  189 

«  ce  premier  coup  d'essai  se  tourna  depuis  en 
t(  coutume ,  non  tant  sous  Loys  Hutin ,  Phi- 
(dippe-le-Louf^  et  Charles-le-Bel ,  que  sous 
« la  lignee  des  Valois. 

((Les  etats,  soit  generaux,  soit  particu- 
wliers,  sont  composes  des  deputes  de  trois 
«ordres  du  royaume,  qui  sont  le  clerge,  la 
«  noblesse,  et  les  deputes  des  communautes , 
«  qui  dans  la  suite  ont  ete  nomm^s  le  tiers- 
«  ^tat ;  assembles  par  I'ordre  du  roi ,  qui  leur 
«  fait  savoir  les  raisons  pour  lesquelles  il  les 
«a  convoques.))  Chapitre  VII. 

Mezerai  ajoute :  «  Le  roi  etoit  sur  un  thea- 
« tre  fort  ^leve ,  oil  il  fit  asseoir  les  disputes 
«  de  la  noblesse  et  du  cler^j^ ;  ceux  du  tiers- 
«  etat  etant  assis  en  bas.  » 

Voil^  lorigine  de  nos  etats-g^neraux. 


190  ASSEMBLIES   NATIONALES 


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CHAPITRE  IV. 

-  > :  1    1  ■  ■      . 

Suite  du  chapitre  precedent.  Chang;ement  dans 
la  constitution  de  I'etat. 


Le  tiers-^tat,  si  long- temps  opprim^,  est 
enfin  compte  pour  quelque  chose,  et  rentre 
dans  Fadministration  publique.  Gependant 
ce  ne  sont  pas  les  droits  qu'il  exercoit  sous 
les  descendants  de  Glovis  qui  lui  sont  ren— 
dus;  c  est  un  ordre  nouveau  qui  s'etablit:  et, 
comme  on  vient  de  le  voir,  cette  innovation 
est  due  aux  necessites  du  temps;  des  besoins 
nouveaux  font  recourir  a  des  secours  extraor- 
dinaires,  et  les  lecons  du  malheur,  jointes 
auxconseils  de  I'experience,  ont  appele  une 
constitution  nouvelle. 

Une  lutte  s'engage  entre  Philippe  et  Bo- 
niface. Le  roi,  craignant  de  succomber,  s'il 
netoit  second^  que  par  les  deux  premiers 
ordres  de  Petat,  appelle  le  troisi^me,  lui 
demandeaide  etconseil,  met  sous  sa  garde 


DE  FRANCE.   CHAP.  IV.  I91 

rindependance  de  la  couronne,  et  triomphe 
de  son  dangereux  adversaire. 

Philippe  soutientcontreles  Flamandsune 
guerre  dispendieuse.  II  lui  faut  des  impots  ; 
n'osant  les  exiger,  il  assemble  les  trois  ordres, 
et  en  obtient  tout  Fargent  qui  lui  est  n^ces- 
saire. 

Ges  heureux  r^sultats  ^clairent  Fopinion. 
On  comprend  enfin  que  la  force  des  empires 
reside  dans  Funion  et  le  concours  de  tous  les 
ordres  de  citoyens;  eta  cute  des  regies  anar- 
chiques  du  regime  feodal  se  forme  un  nou- 
veau  droit  public,  dont  la  maxime  fonda- 
mentale  est  que  nul  impot  ne  pent  etre  eta- 
bli  sans  le  consentement  de  la  nation. 

Nous  lisons  dans  la  sixi^me  lettre  du  comte 
de  Boulainvilliers  sur  les  parlements  de 
France ,  «  que  Nicolas  Gille  et  le  Rosier  de 
«  France  disent  positivement  qu'il  fut  arrete 
((dans  les  etats  de  France  que  Ton  ne  pour- 
(( roit  imposer  aucun  subside  sur  les  peu- 
(( pies,  si  urgente  necessite,  ou  evidente  uti- 
(( lit^  le  requeroit ,  que  de  Foctroi  des  gens 
(( des  ^tats. » 

Les  etats  votoient  Fimpot ;  la  finissoit  leur 


192  ASSEMBLEES   NATIONALES 

pouvoir.  Quant  a  Texercice  de  la  j)uissance 
legislative,  ils  n'y  concouroient  que  par  des 
remontrances ,  qu'ils  ne  manquoient  jamais 
de  deposer  au  pied  du  trone,  remontran- 
ces ,  a  la  verite  sans  suites  necessaires , 
mais  qui,  toujours  interpretes  fideles  des 
besoins  de  la  societe,  eclairoient  le  gouver- 
nement  sur  ses  devoirs,  et  auxquelles  nous 
devons  nos  plus  celebres  ordonnances. 


DE   FRANCE.    CHAP.  V.  igS 


GHAPITRE  V. 

Qu'il  n'y  eut  point  d'etats-generaux  sous  les  quatre  pre- 
miers successeurs  de  Philippe-le-Bel.  Expedient  em- 
ploye pour  subvenir  aux  depenses  extraordinaires , 
sans  recourir  a  la  nation. 

i3i4« —  i35o. 

Philippe-le-Bel  laissa  trois  fils :  Louis  X , 
dit  le  Hutin ;  Philippe  V,  dit  le  Lonj^; ;  Char- 
les IV,  dit  le  Bel^  et  deux  fr^res,  Charles, 
comte  de  Valois,  et  Louis,  comte  d'Evreux. 
Ce  dernier,  dun  caract^re  doux  et  Iran- 
quille,  prit  peu  de  part  aux  affaires,  mais 
le  comte  de  Valois ,  Fun  des  hommes  les  plus 
liabiles  de  son  temps ,  les  dirigeoit  toutes. 

Ce  prince,  dun  esprit  eminemment  che- 
valeresque,  et  pour  qui  la  caste  des  nobles 
etoit  la  nation  tout  enti^re,  avoit  vu  de 
I'oeil  le  plus  chagrin  I'etablissement  des  etats- 
generaux.  Cette  innovation  qui,  donnant  a 
la  bourgeoisie  une  existence  politique,  la 
placoit  sur  la  meme  ligne  que  la  noblesse  et 

i3 


194  ASSEMBLEES  RATIONALES 

le  clerg^,  revoltoit  son  orgueil  et  confon- 
doit  toutes  ses  idees(i).  II  y  voyoit  une  veri- 
table anarcliie ,  un  assemblage  bizarre  d'ele- 
ments  heterogenes,  en  un  mot  le  renverse- 
ment  de  I'etat.  Aussi  ne  fut-il  pas  question 
d'assembler  les  etats-generaux  sous  ces  trois 
regnes;  et  le  meme  esprit  dirigea  I'adminis- 
tration  de  Philippe-de-Valois,  qui  succeda 
aux  trois  fils  de  Philippe-le-Bel. 

Cependant  ces  princes ,  souvent  en  guerre, 
eurent  frequemment  besoin  de  secours  ex- 
traordinaires.  On  les  auroit  obtenus  de  la 
nation  en  convoquant  les  etats-generaux. 
On  pr^fera  recourir  a  des  mesures  partielles, 
mesures  toujours  injustes  et  vexatoires,  en 
ce  qu'elles  font  supporter  a  quelques  indi- 
vidus  des  depenses  faites  dans  I'interet  de 
tous. 

L'orage  tomba  d'abord  sur  les  financiers. 
Deux  surintendants  des  finances,  Engue- 
rand-de-Marigny  et  Pierre  Remy,  furent 
pendus ,  et  tous  leurs  biens  confisques. 

(i)  II  fut  fils,  frere,  oncle,  pere,  gendre,  et  beau- 
pere  de  rois ;  il  mourut  en  iSaS. 


DE  FRANCE.    CHAP.   V.  igS 

Des  chefs  on  passa  aux  siibalternes ;  cm 
les  soumit  aux  recherclies  les  plus  sev^res. 
Presquetous  Lombards  et  Italiens,  ils  avoient 
fait  des  gains  immenses  dans  la  manuten- 
tion  des  deniers  publics.  Tous  en  furent  de- 
pouilles,  et  renvoyes  dans  leur  patrie  aussi 
pauvfes  qu'ils  en  etoient  sortis. 

Apres  qu'on  se  fut  occupe  des  sangsues  pu- 
bliques,  les  regards  seport^rentsur  les  usu- 
riers.  On  avoit  precedemment  cliasse  les 
juifs,  et  Finjustice  a  leur  ^gard  avoit  ^te 
port^e  jusqu  a  leur  interdire  toute  espece 
d'action  contre  leurs  debiteurs  :  on  leur  fait 
acheter  le  droit  de  rentrer  en  France,  et  la 
faculte  de  poursuivre  le  recouvreraent  de 
leurs  dettes  leur  est  rendue ,  mais  a  la  charge 
d'en  verser  les  deux  tiers  dans  le  tresor  pu- 
blic(i). 

On  avoit  vendu  la  justice:  on  vendit  I'af- 
franchissement  de  la  servitude.  Le  peu  de 
liberte  dont  le  peuple  jouissoit  ^toit  con- 


(i)Ordonnaiicedu  28  juillet  i3i5.  L'art.  4  porte:  "Les 
« juifs  recouvrerout  et  auront  le  tiers,  et  nous  les  deux 
ii  auti'es  tiers,  des  dettes  qui  leur  sont  dues.  " 

1  J. 


196  ASSEMBLIES    NATIONALES 

centr^   dans  les  villes.  Les  habitants  des 
campagnes  etoient  serfs,  ou,  comme  Ion 
parloit  alors,  gens  de  corps  et  de  morte-main . 
Louis-le-Hutin  mit  a  prix  raffranchissement 
de  cette  servitude  dans  les  terres  de  ses  do- 
maines  ( i ) :  I'humanit^  ne  pouvoi  t  qu'applau- 
dir  a  cette  mesure ;  mais  le  besoin  d'argent 
en  fit  bientot  un  instrument  de  vexation.  Ce 
qu'une  premiere  ordonnance   avoit  offert 
comme  un  bienfait,    une  seconde  I'exigea 
comme  un  impot.  Geux  de  ces  mallieureux 
auxquels   on    soupconna   quelque   aisance 
furent  contraints  d'acheter  leur  affranchis- 
sement  au  prix  que  des  commissaires  nom- 
mes  par  le  roi  jug^rent  a  propos  d'y  mettre. 
En  meme  temps  que  Ion  ruinoit  les  indi- 
vidus  par  des  vexations  particuli^res ,  on  de- 
soloit  la  nation  par  des  mesures  generales. 


(i)  Cette  ordonnance  est  du  3  juillet  i3i5. 

Les  charges  de  la  mainmorte  etoient  les  droits  de  pour- 
suite,  de  taille,  de  corvee  a  volonte,  de  fermariage,  la 
defense  d'aliener,  de  tester,  et  le  droit  d'ecliute.  Je  serois 
trop  long  si  j'exposois  ce  que  ces  differentes  especes  de 
servitudes  avoient  d'humiliant  et  de  vexatoire. 


DE   FRANCE.   CHAP.   V.  ig-J 

L'augmentation  du  prix  du  sel  pesoit  sur 
toutes  les  classes,  et  des cliangements  pres- 
qiie  continuels  dans  la  valeur  des  monnoies 
ebranloient  toutes  les  fortunes (i). 

Les  nombreux  abusdes  regnes  precedents 
offroient  aussi  des  ressources ;  elles  ne  furent 
pas  negligees.  Par  une  ordonnance  publiee 
a  Pontoise,  le  29  juillet  i3i8,  Philippe-le- 
Long  r^voqua  tous  les  dons  faits  par  son 
fr^re,  son  p^re,  et  son  aieul,  ((de  terres, 
(( rentes,  chateaux,  villes,  bois,  possessions, 
(( et  domaines,  encore  qu'ils  eussent  ete  trans- 
(tportes  a  d'autres  par  ceux  a  qui  ils  furent 
«  faits,  soit  par  achat,  par  echange,  ou  autre- 
((ment(2).)) 


(i)  Ces  changements  etoient  si  frequents  que  le  plus 
souvent  ron  ignoroit  si  les  especes  de  la  veille  avoient 
cours  le  lendemain.  L'alteration  des  metaux  fut  telle 
que,  pendant  la  duree  de  ces  quatre  regnes,  la  valeur  du 
mare  d'argent  varia  depuis  55  sous  jusqu'a  i3  livres 
lo  sous,  et  celle  du  marc  d'or  depuis  l[o  livres  jusqu'a 
1 38  livres. 

(2)  Cette  ordonnance  est  fort  remarquable.  Avant  elle 
il  n'y  avoit  pas  d'exemple  qu'un  roi  eut  revoque'  les  alie'- 
nations  faites  par  ses  predecesseurs.  C'est  cette  ordon- 


1 98  ASSEMBLEES  RATIONALES 

Les  biens  du  clerge  etoient  une  mine  fe- 
conde.  On  s'empressa  de  lexploiter. 

Les  eglises,  et  sur-tout  les  grands  sieges, 
possedoient  noblement  et  a  litre  de  fiefs  la 
tres  majeure  partie  de  leurs  proprietes.  Tons 
ces  fiefs  etoient  assujettis  a  des  devoirs  en- 
vers  la  couronne :  le  clerge  refusoit  de  les 
remplir,  comme  ^tant,  suivant  lui,  incom- 
patibles  avec  la  dignite  du  sacerdoce.  G  etoit 
confondre  les  personnes  et  les  clioses.  On 
Tavoit  enfin  senti :  et  sous  les  regnes  de  Phi- 
lippe III  et  de  Philippe  IV,  c'est-a-dire  vers 
la  fin  du  treizi^me  siecle,  il  fut  etabli  en 
principe  que  I'Eglise  ne  pouvoit  posseder  au- 
cun  fief  sans  en  avoir  obtenu  la  permission 
du  roi.  On  appeloit  actes  d'amortisserneiit  les 
diplomes  par  lesquels  le  roi  donnoit  ces  per- 
missions. 

En  vertu  de  cette  nouvelle  prerogative , 
Philippe-le-Long,  par  une  ordonnance  de 
I'an  1 320,  exigea  sous  le  titre  de  droit  da- 


nance  qui  a  servi  de  fondement  a  la  raaxinie  que  le  do- 
maine  de  I'etat  est  inalienable :  maxime  erigee  en  loi  fon- 
damentale  dii  royaume  par  lecelebrec'dit  defevrier  i566. 


DE  FRANCE.    CHAP.    V.  1 99 

mortissement  des  sommes  considerables ,  a 
raison  de  tous  les  fiefs  dont  FEglise  etoit  en 
possession.  Ces  sommes,  dans  certains  cas, 
etoient  de  la  valeur  meme  du  fief. 

Enfin  Charles-le-Bel  permit  au  pape  de 
lever  des  decimes  sur  le  clerge  de  France, 
a  condition  que  la  moitie  des  sommes  pro- 
duites  par  cet  impot  seroit  versee  dans  ses 
mains. 

On  a  vu  plus  haut  Louis-le-Hutin  mettre 
un  semblable  prix  a  la  permission  qu'il  ac- 
cordoit  aux  juifs  de  poursuivre  dans  les  tri- 
bunaux  le  recouvrement  de  leurs  creances. 

Nous  lisons  dans  la  belle  Histoire  des 
Francois  de  M.  Sismondi,  torn.  X,  pag.  6y : 
t(  Philippe-de-Valoiss'occupoit  a  rassembler 
ude  I'argent,  mais  il  sembloit  ne  connoitre 
«  pour  cela  que  des  moyens  violents  et  bi- 
«  zarres.  II  ordonna  a  tous  ses  barons  et  a 
« tous  ses  prelats  de  lui  remettre  le  tiers  de 
« leur  vaisselle  d'argent ,  pour  I'employer  h. 
((battre  monnoie,  II  soumit  a  une  double 
«  amende  ceux  qui  appelleroient  pour  cause 
wd'erreur  des  arrets  du  parlement,  s'ils 
«  Etoient  condamn^s 


200  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

«  Dans  la  senechaiissee  de  Carcassonne  il 
wavoitmis  un  impot  de  douze  deniers  par 
((piece  de  drap  qui  se  fabriquoit  dans  la 
(( province ;  mais  en  retour,  et  a  la  demande 
V  du  fabricant ,  il  avoit  prohibe  I'exportation 
((deslaines,  et  de  toutes  les  mati^res  pre- 
(( mitres  qu'il  employoit  pour  son  industrie. 
(( Les  proprietaires  de  moutons  reclamerent 
(( sur  ce  qu'on  soumettoit  ainsi  les  produits 
<(  de  leurs  troupeaux  au  monopole  dun  pe- 
(( tit  nombre  de  fabricants ;  ceux-ci  a  leur 
(( tour  affirmoient  que  si  on  ne  leur  mainte- 
(( noit  pas  les  matieres  premieres  a  bon  mar- 
((che,  ils  ne  pourroient  pas  continuer  leur 

((industrie Gombienmedonne- 

urez-vous,  demanda-t-il  aux  fabricants, 
(( pour  que  je  vous  conserve  le  monopole  des 
(( laines  de  la  province?  Gombien  me  donne- 
((rez-vous,  demanda-t-il  aux  proprietaires 
(( de  moutons,  pour  que  je  le  supprime?  Les 
((premiers  ne  purent  reussir  a  rassembler 
(( entre  eux  que  quarante  mille  livres  j  les 
«  seconds  en  offrirent  cent  cinquante  mille, 
w  payables  en  cinq  ans ,  que  le  roi  accepta , 
(f  et  le  monopole  fut  supprim^.  » 


DE  FHANCE.    CHAP.  V.  20I 

Sous  le  meme  Philippe-de-Valois ,  le  ge- 
nie de  la  fiscalite,  dans  tons  les  temps  si  fe- 
cond  en  ressources,  imagina  la  jj^abelle.  Le 
20  mars  i343  ce  prince  fit  publier  une  or- 
donnance  qui  etablit  le  monopole  du  sel 
dans  toutle  royaume. 

Gombien  de  mesures  arbitraires,  combien 
de  petites  et  basses  tyrannies,  et  cela  pour 
se  yirocurer  quelques  sommes  d'argent  qui , 
demandees  avec  une  nobre  confiance  aux  re- 
presentants  de  la  nation,  auroient  ete  accor- 
dees  avec  un  genereux  devouement,  et  qui, 
reparties  sur  tons,  auroient  ete  levees  plus 
promptement,  avec  moins  de  frais,  et  sans 
reclamations,  parcequedes  guerres  presque 
continuelles  les  rendoient  necessaires! 

Que  les  gouvernants  se  persuadent  done 
({ue  lagloire,  le  bonlieur,  la  securite,  ne 
sont  pour  eux  que  dans  I'ordre  legal ;  et  que, 
liors  de  la ,  ne  semant  que  des  vexations  et 
des  injustices,  ils  ne  peuvent  recueillir  que 
des  perils  et  des  haines. 


202  ASSEMBLEES  NATION  ALES 


GHAPITRE  VI. 

De  I'etat  de  la  France  depuis  ravenement  du  roi  Jean  au 
trone,  en  i35o,  jusqu'a  I'ouverture  des  etats-generaux 
en  i355. 

Toutes  les  ressources  de  letat  etoient 
epuisees.  Augmentation  des  droits  sur  le  sel, 
taxes  sur  les  denrees,  recherches  des  finan- 
ciers, confiscation  de  leurs  biens,  extorsion 
surles  juifs,  decimes  sur  le  clerge,  altera- 
tion du  titre  des  monnoies,  rien  sous  les 
quatre  derniers  regnes  n'avoit  ecliappe  a  I'a- 
vidite  du  fisc,  et  la  plaie  faite  a  la  France 
dans  les  champs  de  Creci  saignoit  encore  ( i ). 

(i)  Cette  bataille  fut  donne'e  le  25  aoiit  i346.  Du  cote 
des  Francois  la  perte  fut  immense.  Les  historiens  les 
plus  moderes  la  font  monter  a  trente  mille  hommes. 
Outre  le  comte  d'Alencon  et  le  roi  de  Boheme ,  la  France 
y  perdit  les  comtes  de  Blois,  de  Flandre,  de  Sancerre, 
d'Auxerre ,  les  dues  de  Lorraine  etde  Bourbon ,  Grimaldi 
etDoria,  douze  cents  chevaliers,  et  quatre-vingts  ban- 
nieres. 

Quelques  historiens  rapportent  qu'Edouard  ,  indepen- 


DE  FKANCE.   CHAP.  VI.  2o3 

Tant  de  vexations,  tant  de  calamites,  en 
ruinant  toutes  les  fortunes,  avoient  exaspere 
tons  les  esprits-,  et  le  gouveinement,  auquel 
le  peuple  imputoit  tons  ses  malheurs,  etoit 
Tobjet  de  toutes  lesplaintes;  ainsi,  la  cou- 
ronne  et  la  nation  avoient  perdu ,  au  moins 
en  grande  partie ,  I'une  sa  force  morale ,  et 
lautre  ses  forces  materielles. 

Trois  changements  s  etoient  operes  pen- 
dant les  douzieme  et  treizi^me  siecles.  L'eta- 
blissement  des  communes  avoit  fait  passer 
les  habitants  de  certaines  villes  de  la  servi- 
tude a  la  liberte(i). 

Les  croisades  avoient  mine  la  noblesse; 
et  Fautorite  royale,  encore  si  foible  au  com- 
mencement du  treizi^me  siecle,  avoit,  par 
la  reunion  de  plusieurs  provinces  (2),  ac- 

damment  des  ressources  qu'il  trouva  dans  son  propre 
genie  et  dans  sa  presence  d'esprit,  employa  aussi  une 
nouvelle  invention  centre  I'ennemi,  c'est-a-dire  qu'il 
placa  au  front  de  son  armee  quelques  pieces  d'artillerie  , 
les  premieres  dont  on  se  fut  servi  en  Europe  dans  une 
occasion  remarquable. 

(i)  La  ville  de  Noyon  est  la  premiere  qui  ait  joui  de 
cet  avantage.  Sa  charte  est  de  I'an  i  io4. 

(2)  La  reunion  de  la  Normandie  est  de  1202 ,  celle  du 


2o4  ASSEMBLERS  NATIONALES 

quis  une  force  qui  la  placoit  au-dessiis  dc 
toiites  les  resistances. 

Tel  etoit  done  I'etatde  la  France:  sur  le 
trone  un  pouvoir  sans  limites ;  dans  les 
villes  de  communes  une  sorte  de  liberie , 
mais  dont  rien  ne  garantissoit  la  duree ;  dans 
les  campagnes  le  decouragement  et  toutes 
les  mis^res  que  la  servitude  traine  apres  elle; 
entre  le  roi  et  le  peuple,  une  noblesse  cou- 
rageuse,  turbulente,  egalement  tourmen- 
tee  par  ses  souvenirs  et  par  sa  situation  pre- 
sente.  Enfin  une  treve  recemment  conclue 
avec  les  Anglois  etoit  sur  le  point  d'expirer , 
et  le  trone  d'Angleterre  etoit  occupe  par  Fun 
des  plus  grands  rois  dont  Fhistoire  ait  garde 
le  souvenir,  par  Edouard  III,  prince  tout 
a-la-fois  prudent  et  brave,  econome  et  ma- 


Languedoc  est  de  1271 ,  celle  de  la  Champagne  de  1284. 
La  premiere  fut  operee  en  vertu  d'un  arret  du  parlement ; 
la  seconde  par  la  mort  d'Alphonse,  frere  de  saint  Louis, 
qui  avoit  epouse  I'heritiere  du  liangucdoc;  et  la  troi- 
sieme  par  le  mariage  de  Philippe-le-Bel  avec  Jeanne, 
fille  unique  de  Henri,  comte  de  Champagne  et  roi  de 
^iavarre. 


DE  FRANCE.   CHAP.  VI.  205 

gnifique,  clement  et  inexorable,  et  qui, 
apr^s  avoir  longiiement  et  profondement 
miiri  ses  projets,  en  subordonnoit  encore 
I'ex^cution  au  temps  et  aux  circonstances. 

Dans  un  pareil  etat  de  choses,  dans  cette 
confusion  d'interets ,  d'idees  et  de  principes , 
il  auroit  fallu  sur  le  trone  de  France  un  de 
ces  g^nies  auxquels  il  est  donne  de  changer 
les  destinees  des  nations,  un  de  ces  hommes 
rares  que  le  ciel ne  montre  a  la  terre  qua  de 
longs  intervalles,  et  Jean  netoit  rien  moins 
que  cet  homme  extraordinaire.  Heritier  des 
defauts  de  Philippe-de-Valois  son  p^re, 
comme  luitemeraire,  imprudent, opiniatre, 
vindicatif,  il  fut  plus  prodigue,  plus  foible, 
plus  ombrageux,  et  plus  borne;  il  eut  de  la 
bravoure,  mais  une  bravoure  aveugle  qui  le 
precipita,  et  la  France  avec  lui,  dans  les 
plus  grands  raalheurs. 

Si  Jean  avoit  bien  compris  sa  position ,  il 
auroit  senti  que  deux  mesures,  devenues 
egalement  urgentes  par  la  prochaine  cessa- 
tion de  la  treve,  devoient  signaler  le  com- 
mencement de  son  regne :  calmer  I'irritation 
des  esprits ,  et  mettre  dans  ses  depenses  1  e- 


2o6  ASSEMBLIES  NATIONALES 

conomie  la  plus  severe :  il  ne  prit  ni  Tune  iii 
I'autre. 

II  deploya  dans  la  ceremonie  de  son  sacre 
une  magnificence  dont  il  n'y  avoit  pas 
d'exemple.  Le  meme  jour  il  arma  chevaliers 
Charles,  dauphin,  le  comte  d'Anjou,  et 
Louis,  comte  d'Alencon ,  ses  enfants;  le  due 
d'Orleans  son  fr^re,  6t  Philippe,  due  de 
Bourgogne.  II  accorda  le  meme  honneur  aux 
comtes  d'Etampes  et  de  Dammartin,  au  vi- 
comte  de  Touraine  neveu  du  pape,  au  sei- 
gneur de  TEscun ,  et  a  plusieurs  princes  et 
seigneurs. 

Le  roi  celebra  cette  promotion  avec  une 
pompe  inconnue  jusqu'alors,  et  il  en  fit 
toutes  les  depenses,  qui  montferent  a  des 
sommes  prodigieuses(i). 


(i)  Aux  fetes  de  Reims  succederent  les  fetes  de  Paris  , 
qui  donnerent  egalement  lieu  a  des  depenses  tres  consi- 
derables. Les  details  que  Ton  va  lire  donneront  une  idee 
du  luxe  et  des  costumes  de  ces  temps-la. 

Toutes  les  rues  de  la  ville  etoient  tapissees  d'etoffes  de 
diverses  couleurs  Les  artisans  des  differents  corps  de  me'- 
tiers,  distribues  suivant  leurs  classes,  e'toient  revetus 
d'habits  uniformes.  Les  bourgeois  de  Paris  formoient  uu 


DE  FRANCE.   CHAP.  VI.  207 

Apr^s  avoir  revoke  la  nation  par  ces  pro- 
digalites,  il  Teffraya  par  le  supplice  du  cointe 
d'Eu,  connetable  de  France,  et  a  ce  titre 
chef  de  la  noblesse  et  des  armees.  Froissard 
nous  donne  les  details  de  cette  sanglante 
tragedie  (i).  «Le  mardi  seizi^me  jour  de 
«novembre  (i35o),  Raoul,  comte  d'Eu  et 
((de  Guines,  connetable  de  France,  qui 
(( nouvellement  etoit  venu  d'Angleterre  de 


corps  particulier ;  ils  portoient  aussides  robes  de  la  meme 
couleur.  Les  Lombards  et  les  usuriers ,  dont  malheureu- 
sement  la  ville  abondoit  pour  lors,  se  signalerent  en  cette 
occasion :  ils  etoient  tous  habilles  de  robes  de  soie  de 
deux  couleurs ,  et  portoient  sur  leurs  tetes  des  chapeaux 
a  pointes  exhaussees ,  semblables  a  leurs  habits.  Tous  les 
habitants  ainsi  partages  en  plusieurs  troupes,  les  unes  a 
pied  ,  les  autres  a  cheval,  allerent  au-devant  du  roi,  qui 
entra  dans  Paris  au  son  des  instruments ,  traversa  le  grand 
pont,  aujourd'hui  nomme  le  Pont-au-Ghange ,  et  vint 
loger  a  I'hotel  de  Nesle.  Les  rejouissances  durerent  pen- 
dant huit  jours. 

(i)  Chroniques ,  appendice,  ch.  38 1.  Jean  Froissard 
naquit  a  Valencienne  en  i33y.  II  mourut  chanoine  et 
tre'sorier  du  chapitre  de  Chimay.  Ses  chroniques  embras- 
sent  les  temps  qui  se  sont  ecoules  depuis  i326  jus- 
qu'en  i4oo. 


2o8  ASSEMBLIES  NATIONALES 

«  sa  prison ,  fut  pris  en  I'hotel  de  Nesle ,  a 
u  Paris,  du  commandement  du  roi,  et  audit 
«  hotel  de  Nesle  fut  tenu  prisonnier  j usque 
«  au  jeudi  en  suivant,  dix-huitieme  jour 
«  dudit  mois  de  novembre,  et  la  a  lieures  de 
«  matines  fut  decapite. » 

On  publla  qu'il  s'^toit  avou^  coupable  de 
trahison  envers  le  roi ;  mais  le  public  refusa 
d'y  croire,  et  une  action  aussi  atroce  fut 
generalement  attribuee  a  des  intrigues  de 
cour. 

Une  des  premieres  tetes  du  royaume  ainsi 
frappee  sans  la  plus  l^g^re  forme  de  proems 
repandit  la  terreur  et  la  consternation  dans 
toute  la  France.  Les  esp^rances  qui  accom- 
pagnent  ordinairement  un  nouveau  regne 
s'evanouirent,  et  firent  place  aux  presages 
les  plus  sinistres. 

Un  prince  du  sang  royal ,  et  roi  de  Navarre 
du  chef  de  son  aieule,  fille  de  Louis-le-Hu- 
tin,  Charles,  surnomme  le  Mauvais,  profita 
de  cette  disposition  des  esprits  pour  reveil- 
ler  d'anciennes  pretentions  sur  les  comtes 
de  Champagne  et  de  Brie.  11  savoit  bien 
qu'elles  etoient  sans  fondement;  mais  exci- 


DE  FRANCE.  CHAP.  VI.  209 

ter  cles  troubles  etoit  un  besoin  pour  lui ,  et 
ces  pretentions  lui  en  fournissoient  le  pr^- 
texte.  II  sen  servit  si  habilement,  qu'il  fut 
une  des  princi pales  causes  des  malheurs  du 
roi  Jean,  dont  cependant  il  avoit  Spouse  la 
fdle. 

Les  historiens  font  de  ce  mechant  homme 
le  portrait  le  plus  liideux.  II  avoit,  disent- 
ils,  toutes  les  bonnes  qualites  que  le  vice 
rend  pernicieuses ;  I'esprit,  1  eloquence,  I'a- 
dresse,  la  hardiesse,  et  la  liberalite.  Son 
ame  etoit  cruelle,  artificieuse,  vindicative, 
capable  de  se  porter  aux  plus  grands  exces , 
et  fa miliariseeavec  tons  les  gen  res  de  crimes. 
II  est  peut-etre  le  seul  grand  criminel  qui 
n'ait  jamais  fait  une  bonne  action.  Constam- 
ment  occup^  de  conspirations,  non  seule- 
ment  il  souleva  la  plupart  des  grands  du 
royaume  contre  Fautorite  royale,  mais  il 
porta  I'audace  et  la  perversite  j  usqu  a  seduire 
le  dauphin  qui  n  avoit  alors  que  dix-sept  ans ; 
a  force  de  mensonges  et  d'artifices ,  il  lui  avoit 
persuade  de  quitter  la  cour ;  il  en  eut  fait  un 
chef  de  conjures.  Mais  le  jeune  prince  eut  la 
sagesse  de  reconnoitre  sa  faute ,  et  le  noble 

i4 


2  I O  ASSEMBLEES  NATIONALES 

courage  de  la  confesser  au  roi.  La  conspira- 
tion ainsi  connue  fut  dissipee. 

Enfin  la  treve  expire.  Edouard,  qui  en 
avoit  habilement  profile  pour  mettre  sur 
pied  une  puissante  armee,  la  partage  en 
deux  corps,  en  commande  un  en  personne, 
donne  le  commandement  de  I'autre  a  son 
fils  aine ,  et  tous  deux  entrent  simultane- 
ment  en  France ;  le  roi  par  la  Normandie , 
et  le  prince  par  la  Guienne.  Jean ,  au  con- 
traire,  sans  prevoyance  et  sans  energie,  dis- 
trait par  les  troubles  de  son  royaume ,  et 
trompe  par  des  negociations  dont  il  n'avoit 
passu  demeler  I'artifice,  n'etoit  aucunement 
prepare  a  soutenir  un  choc  aussi  redoutable. 
D'ailleurs  que  pouvoit-il  exiger  dune  na- 
tion ruinee,  decouragee,  et  dont  il  avoit 
lui-meme  perdu  Faffection  et  la  confiance? 

Tout  pr^sageoit  que  la  France  alloit  pas- 
ser sous  une  domination  etrangere.  Mais 
si  les  nations,  pour  changer  de  nom,  de 
forme,  et  de  gouvernement,  ne  perissent 
pas ,  il  n'en  est  pas  de  meme  des  trones ;  ils 
peuvent  secrouler  et  disparoitre.  Le  roi, 
chancelant  sur  le  sien,  sentit  que  dans  une 


DE  FRANCE.  CHAP.  VI.  2  11 

situation  aussi  desesperee  il  ne  pouvoit  des- 
ormais  conserver  sa  puissance  qu'en  la  par- 
tageant,  qu'en  confiant  a  la  nation  elle- 
meme  le  soin  de  ses  propres  destinees ;  et  les 
^tats  du  royaume,  que  Ion eludoit  depuis si 
long-temps,  furentenfin  convoques(i). 

Seroit-il  done  vrai  que  la  liberty  des  peu- 
ples  est  fille  du  malheur,  et  que  ce  n'est 
qu'au  milieu  des  orages  et  sur  le  bord  des 
abymes  que  les  rois  se  rapprochent  de  leurs 
sujets,  et  s'entendent  avec  eux  sur  leur 
bonheur  commun? 

Quoi  qu'il  en  soit ,  nous  allons  revoir  la 
nation  se  ressaisir  du  droit  de  s'imposer  elle- 
meme  :  droit  inherent  a  sa  constitution  pri- 
mitive ,  et  dont  Fexercice  avoit  et^  suspendu 
dans  I'intervalle  qui  s'etoit  ecoule  depuis  la 
fin  du  dixieme  siecle  jusqu'en  i3o3,  et  de- 
puis i3io  jusqu'en  i355. 

(i)  Je  dis  qu'il  n'y  eut  point  d'etats-generaux  dans  I'in- 
tervalle de  i3io  a  i355.  Gependant  quelques  historiens 
parlent  d'une  assemble'e  generale  des  etats  tenue  a  Paris 
au  mois  de  novembre  i35o.  Mais  si  cette  assemblee  a 
existe,  il  en  reste  si  peu  de  traces,  que  je  crois  pouvoir 
donner  les  etats-generaux  de  i355  comme  les  premiers 
qui  aient  eu  lieu  sous  le  regno  du  roi  Jean. 

1 4- 


2  I  2  ASSEMBLEES  NATIONALES 


CHAPITRE  VII. 

fitats-generaux  de  i355. 

Siiivant  Froissard,  les  prelats,  les  clia- 
pitres,  les  barons,  et  les  bourgeois  des 
bonnes  villes  du  loyaunie  de  Fiance  (i), 
furent  convoques  a  Paris  par  le  cominande- 
ment  du  roi. 

L'assemblee  se  tint  dans  la  chambre  du 
parlement,  lemercredi  apres  la  Saint-Andre. 
Pierre  de  La  Foret,  chancelier  de  France 
et  archeveque  de  Rouen,  apres  avoir  expos^ 
que  le  roi  se  trouvoit  engage  dans  une 
guerre  longue  et  cruelle,  les  requit  de  deli- 
berer  sur  I'aide  qu'ils  pourroient  lui  accor- 
der  pour  le  mettre  en  etat  de  la  sOutenir. 


(i)  Les  historiens  du  temps  ne  disent  pas  quel  etoit  le 
nombre  de  ces  deputes.  En  ge'neral,  les  anciennes  chro- 
niques  parlent  tres  longuement  des  guerres  et  des  faits 
de  chevalerie ,  et  sont  fort  lasoniques  sur  tout  ce  qui  con- 
cerne  le  droit  public. 


DE  FRANCE.   CHAP.  VII.  2l3 

Les  trois  ordres,  savoir:  le  clerge,  par 
I'organe  de  Jean  de  Craon,  archeveque  de 
Reims;  les  nobles,  par  celui  du  due  d'A- 
th^nes,  et  les  bonnes  villes,  par  celui  d'E- 
tienne  Marcel,  prevot  des  marchands  de  la 
bonne  ville  de  Paris,  demand^rent  et  obtin- 
rent  la  permission  de  deliberer  ensemble. 

Leur  deliberation  arretee,  ils  se  presen- 
terent  devant  le  roi ,  dans  la  meme  chambre 
du  parlement,  etlui  offrirent,  par  la  bouche 
des  orateurs  qui  avoient  deja  porte  la  parole 
en  leur  nom,  d'entretenir  pendant  une  an- 
nee  ti'ente  mille  hommes  d'armes  ci  leurs 
depens(i). 

Les  etats  s'occup^rent  ensuite  des  moyens 
de  j)rocurer  au  roi  les  sommes  necessaires 
pour  la  solde  de  cette  armee ;  et  il  fut  decide, 
pour  cette  annee,  qu'il  seioit  percu  un  droit 
de  liuit  deniers  pour  livre  sur  toutes  les 


(i)  Comme  chaque  liomme  d'armes  avoit  ordinaire- 
ment  a  sa  suite  trois  personnes ,  savoir :  uu  ecuyer,  un 
page,  et  un  jjendarme,  ces  trente  niiUe  lioninies  for- 
moient  une  annee  de  plus  do  cent  mille. 


2l4  ASSEMBLEES  NATIONALES 

rentes  de  denrees,  boissons,  et  marchan- 
dises(i). 

Cependant  le  grand  objet  de  Fassembl^e 
n^etoit  pas  rempli.  Tout  le  monde  sentoit 
la  necessite  de  constituer,  ou  au  moins  d'^- 
bauclier  un  gouvernement. 

A  Favenement  de  Hugues-Gapet  au  trone, 
le  gouvernement  monarcliique  avoit  fait 
place  au  regime  feodal',  et,  sous  le  vain 
titre  de  roi,  ses  premiers  successeurs  n'a- 
voient  gu^re  ete  que  les  chefs  dune  confe- 
deration composee  dun  grand  nombre  de 
petits  souverains  qui,  sous  la  denomination 
de  seigneurs  et  de  barons,  exercoient  dans 
leurs  terres  le  pouvoir  le  plus  absolu,  et 
croyoient  n avoir  au-dessus  deux  autre  juge 
fors  Dieu. 

A  la  verite,  dans  rintervalle  qui  s'etoit 
ecoule  depuis  Philippe— Auguste  jusqu'au 
roi  Jean,  la  couronne  avoit  beaucoup  ga- 
gn^;  un  grand  nombre  de  seigneuries,  et 
meme  des  provinces  enti^res,  avoient  et^ 


(i)  Voyez  la  preface  du  tome  III  des  Ordonnances  du 
Louvre. 


DE  FRANCE.   CHAP.  VII.  2l5 

r^unies  au  domaine  de  letat ;  mais  cela  s  etoit 
fait  successivement  par  des  actes  particu- 
liers,  et  les  rois  s'etoient  bien  plus  occupes 
des  moyens  d'acquerir  que  du  soin  d'orga- 
niser. 

Aussi  radministration  publique  etoit-elle 
livree  h  I'arbitraire  le  plus  desastreux.  Le 
desordre  ^toit  par-tout,  et  principalement 
dans  les  finances.  La  r^forme  de  tant  d'abus 
etoit  difficile ,  mais  elle  ^toit  necessaire.  Sur 
la  presentation  des  etats,  le  roi  y  pourvut 
par  une  ordonnance  que  Ion  pent  regarder 
comme  la  charte  constitutionnelle  de  ces 
teraps-la.  Cette  ordonnance  est  du  22  de- 
cembre  i355:  en  voici  les  principales  dis- 
positions : 

Parle  premier  article,  le  roi  ayant  expose 
qu'il  a  convoque  les  bonnes  gens  de  son 
royaume  de  la  Langue  d'ofl  et  du  pays  cou- 
tumier  de  tous  les  trois  etats,  pour  avoir 
avis,  conseil,  et  deliberation  sur  la  maniere 
de  resister  aux  anciens  ennemis  du  royaume, 
declare  «  qu'il  a  ete  conclu  qu'il  devoit  faire 
rude  guerre  a  ses  adversaires  par  mer  et  par 
terre,  et  que,  pour  faire  payer  les  frais  et 


2l6  ASSEMBLEES  NATIONALES 

depens de  cette  guerre,  il  seroit  impose  une 
gabelle  sur  le  sel  dans  toute  Fetendue  du 
pays  coutumier,  et  pareillemeDt  un  droit 
de  huit  deniers  pour  livre  sur  toutes  choses 
qui  seront  vendues  audit  pays,  excepte  vente 
d'heritage,  lequel  droit  sera  paye  par  le 
vendeur,  sans  exception  de  personne,  soit 
clercs,  nobles,  gens  d'eglise,  hospitaliers 
nobles  et  non  nobles,  ou  autres.  Veut  le  roi, 
pour  donner  bon  exemple,  que  ni  lui,  ni  la 
reine  sa  femme,  et  ses  enfants,  ni  ceux  de 
son  lignage ,  en  soient  exempts  \  promet  faire 
office  pour  induireou  contraindre,  par  toutes 
les  voies  qui  seront  conseillees  par  les  trois 
etats,  ceux  qui  ne  voudroient  satisfaire  a 
ladite  imposition;  et  ou  le  roi  ne  pourroit 
faire  consentir  a  icelle  tous  ces  differents 
pays,  il  feroit  a])paroir  les  diligences  qu'il 
•auroitfaites  pour  leditpaiement.  Cette  meme 
imposition  cessera  dans  le  prochain  mois  de 
mars,  et  sera  pourvu  d'autres  manieres  par 
les  trois  etats  au  paiement  des  troupes,  sans 
que  la  voix  de  deux  des  trois  etats  puisse 
engager  le  troisi^me...  Veut  au  surplus  le 
roi  que,  pour  le  recouvrement  dudit  impot, 


DE  FRANCE.  CHAP.  VII.  21  7 

soient  ^tablis  des  receveurs  au  choix  des 
etatSy  qui  seront  tenus  de  se  conduire  sui- 
vant  les  instructions  qui  par  eux  seront 
donnees. » 

Par  le  second  article,  il  est  ordonne  que, 
dans  cha([ue  bailliage  ou  senecliaussee,  « il 
sera  etabli  par  les  etats  neuf  personnes  loya- 
les,  bonnes,  honnetes,  trois  de  chacun  or- 
dre,  qui  seront  generaux-surintendants  de 
toute  affaire  de  ladite  imposition ,  sans  etre 
neanmoins tenus  den  rendre aucun compte, 
parcequ'ils  commettront  d'autres  personnes 
bonnes  et  solvables  pour  faire  la  recette,  les- 
quelles  seront  tenues  de  rendre  compte.  » 

Par  le  quatri^me,  il  est  ordonne  que  « les 
surintendants  preteront  serment  aux  etats, 
et  les  commis  ou  receveurs  aux  surinten- 
dants ,  de  se  comporter  dument  en  Texercice 
de  leurs  fonctions. « 

L'article  six  dispose  que  les  ^tats  se  ras- 
sembleront  au  premier  jourde  mars,  lors  pro- 
chain,  ((  pour  voir  et  ouir  le  compte  desdites 
aides,  et  le  produit  d'icelles  en  presence  des 
gens  du  conseil  du  roi :  et  si  les  aides  du  pre- 
sent subside  ne  se  trouvoient  suffisantes,  ils 


2l8  ASSEMBLltES  NATIONALES 

seroient  autorises  d'augmenter  la  gabelle  et 
aide,  ainsi  que  necessite  le  requerra,  ou 
pourvoir  d'aulre  mani^re  au  paiement  des 
troupes  ,  sans  neanmoins  que  la  voix  de 
deux  ordres  puisse  lier  ou  engager  le  troi- 
si^me. )) 

'  Par  les  articles  suivants,  le  roi,  a  louche 
quil  est  des  clameurs  de  son  peuple,  et  de  la 
grande  oppression  quil  a  soufferte ,  promet 
que  desormais  il  fera  bonne  et  forte  mon- 
noie ; 

«  Qua  I'avenir  il  ne  convoquera  I'arriere- 
ban  que  du  conseil  des  etats,  et  lorsqu'il  y 
aura  urgence ; 

«  Que  les  aides  cesseront  avec  I'annee ;  et 
que,  si  une  nouvelle  imposition  est  neces- 
saire ,  les  etats-generaux  seront  convoques ; 

«  Qu'en  cas  de  guerre  les  depenses  seront 
reglees  par  deliberation  des  ^tats,  sans  que 
deux  puissent  lier  le  troisi^me ; 

((  Qu'il  ne  fera  ni  paix  ni  treve  sans  le  con- 
sentement  des  etats-generaux. » 

Le  roi  s'engage  a  preter  serment,  et  a  le 
faire  preter  par  son  fils  le  due  de  Norma  ndie, 
et  par  ses  autres  enfants;  par  les  seigneurs 


DE  FRANCE.    CHAP.   VII.  219 

de  son  ligiiage,  par  le  chancelier,  les  gens  du 
conseil,  maitres  des  requetes,  officiers  du 
parlement,  tresorier,  maitres-gardes ,  et  of- 
ficiers des  nionnoies,  d'executer  a  jamais  le 
present  reglement.  Dans  le  cas  ou  il  arrive- 
roit  que  quelqu'un  deux  osat  conseiller  le 
contraire,  il  sera  a  I'instant  destitue  de  son 
office,  et  tenu ,  pour  I'avenir,  incapable  d'en 
exercer  un  autre. 

L'ordonnanceajoute  que,  dans  lecas  ou  le 
roi  donneroit  des  ordres  contraires  aux  dis- 
positions qu'elle  renferme ,  les  deputes  char- 
ges de  son  execution  sont  obliges ,  sous  la  foi 
de  leur  serment ,  de  desobeir  et  de  resister 
aux  violences  qui  leur  seroient  faites  a  cet 
egard. 

Apr^s  avoir  pourvu  aux  besoins  de  I'armee 
et  au  fait  des  monnoies,  I'ordonnance  sup- 
prime  un  genre  de  vexation  qui  desoloit 
alors ,  et  depuis  long-temps ,  les  villes  et  les 
campagnes,  etdontl'usageavoitfaitun  droit 
regulier. 

Par  une  disposition  de  cette  ordonnance, 
le  roi,  tant  pour  la  reine  son  Spouse,  ses  en- 
fants,  les  princes  de  son  sang,  que  pour  ses 


2  20  ASSEMBLEES  NATIONALES 

officiers,  tels  que  le  connetable,  les  mare- 
chaux,  le  maitre  des  arbaletriers,  les  maitres- 
d'liotel,  les  amiraux,  les  maitres  des  garni- 
sons,  chatelains  et  capitaines ,  renonce  a 
perpetuite  au  droit  usite  jusqu'alors  de 
prendre  sur  les  gens  du  peuple  bleds  ^  vins, 
vivres ,  charrettes ,  chevaux ,  ou  autres  choses 
quelles  quelles  soient ,  se  reservant  cependant, 
lorsqu'il  voyageroit,  le  droit  de  faire  fournir 
a  ses  maitres-d'hotel ,  par  la  justice  des  lieux, 
les  choses  indispensableraent  necessaires, 
telles  que  formes ,  tables,  treteaux ,  couettes , 
coussins,  jfeutre  ou  paille  battue,  et  foins, 
ainsi  que  des  voitures  pour  les  porter,  en 
payant  le  juste  prix  desdites  fournitures  le 
jour  meme  ou  le  lendemain ;  et  faute  de 
paiement,  ceux  qui  les  auroient  prises  de- 
voient  etre  poursuivis  pour  y  satisfaire  par- 
devantlejug^e  des  lieux  ou  le  prevotde  Paris. 
A  I'egard  de  toutes  autres  personnes,  de 
quelque  qualite  qu'elles  fussent,  qui  preten- 
droient  user  dun  semblable  droit ,  sa  majeste 
permit  non  seulement  qu'on  put  leur  resis- 
ter  par  soi-meme,  et  en  appelant  a  son  se- 


DE   FRANCE.    CHAP.  VII.  221 

coiirs  les  voisins  ct  les  communes  les  plus 
prochaines,  mais  encore  qu'en  cas  de  vio- 
lence on  saisit  tous  ceux  qui  auroient  pris 
quelque  chose,  etqu  ils  fussent  punis  comme 
voleurs  et  pertuibateurs  du  repos  public,  et 
condamnes  a  la  peine  du  quadruple  envers 
la  partie  offensee.  Enjoint,  sous  les  peines 
les  plus  sev^res,  aux  ju^jes  de  tenir  la  main 
a  Fexecution  de  cet  article  de  Tordonnance. 
Pour  donner  encore  plus  de  vigueur  a  cette 
loi,  il  fut  ajoute  que  le  procureur  general 
du  roi,  present  et  a  venir,  feroit  serment  de 
poursuivre  avec  la  plus  (jrande  rigueur  tous 
ceux  qui  oseroient  y  contrevenir,  aussitot 
qu'il  en  seroit  averti,  quand  meme  il  n'y  au- 
roit  aucune  plainte  formee  a  ce  sujet.... 

Le  roi,  par  ce  meme  edit,  ordonne  que 
toute  juridiction  soit  laissee  aux  juges  or- 
dinaires,  sans  que  desormais  on  puisse  tra- 
duire  aucun  de  ses  sujets  par-devant  ses 
maitres-d'hotel ,  etc 

Les  capitaines  sont  rendus  responsables 
des  desordres  que  leurs  gens  pourront  faire 
dans  les  lieux  de  leur  passage.  Les  troupes  ne 


22  2  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

peuvent  sojourner  plus  dun  jour  dans  les 
villes  de  leur  route ;  permis  de  leur  refuser 
des  vivres  au-dela  de  ce  terme,  et  meme  de 
les  contraindre  d'aller  en  avant. 


DE  FRANCE.    CHAP.   VIII.  223 


GHAPITRE   VIII. 

De  I'etat  de  la  France  et  de  la  disposition  des  esprits  a 
I'ouverture  des  etats-generaux  de  i356. 

S'il  est  vrai  que  les  lois  dun  peuplesoient 
les  temoins  les  plus  fideles  des  besoins  qu'il 
a  eprouves,  des  abus  qui  out  pese  sur  lui,  et 
des  progr^s  qu'il  a  faits  dans  la  civilisation , 
c'est  dans  les  deliberations  des  e  tats-generaux 
de  i355  que  nous  devons  principalement 
clierclier  quelle  etoit  la  disposition  des  es- 
prits a  I'ouverture  des  etats  de  i356.  Ces 
deliberations  sont  sanctionn^es  par  I'ordon- 
nance  dont  I'analyse  termine  le  chapitre 
precedent.  On  y  remarque  les  trois  dispo- 
sitions suivantes. 

L'attention  se  porte  d'abord  sur  ces  mots 
qui  terminent  I'article  premier,  sans  que  la 
voix  de  deux  des  trois  etats  puisse  engager  le 
troisieme ^  et  Ion  cherche  les  motifs  d'une 
mesure  aussi  extraordinaire,  aussi  contraire 
aux  usages  recus  dans  les  assemblees  delibe- 


224  ASSEMBLIES  NATIONALES 

rantes.  On  ne  pent  pas  s'y  rneprendre.  C'est 
dans I'interet  du  tiers-etat quelle  a  ete  inse- 
ree  dans  I'ordonnance ;  c  est  le  tiers-etat  qui, 
s'elevant  tout-a-coup  a  la  hauteur  des  deux 
premiers  ordres,  I'a  exigee  comme  une  ga- 
rantie  que  la  noblesse  et  le  clerge  ne  pour- 
roient  pas,  en  se  coalisant,  porter  sur  lui 
tout  le  poids  des  impositions. 

La  deuxi^me  remarque  a  pour  objet  les 
finances  del'etat.  Jusqu'alorsles  prodigalites 
du  roi,  I'avidite  des  conrtisans,  avoient  dissi- 
pe,  devore  les  deniers  publics.  II  n'echappoit 
a  personne  que  confier  aux  agents  du  fisc  le 
recouvrement  et  I'emploi  du  nouvel  impot 
c'etoit  le  livrer  a  une  depredation  presque 
certaine,  et  par  consequent  compromettre 
I'existence  de  I'armee.  Entraines  par  des 
motifs  aussi  graves,  les  etats-generaux  de- 
mandent  que  le  recouvrement  du  nouvel 
impot  soit  fait  par  des  commissaires  de  leur 
choix,  et  que  I'armee  recoive  sa  solde  des 
mains  de  cesmemes  commissaires. 

Enfin,  et  c'est  notre  derni^re  remarque, 
le  subside  nest  accorde  que  pour  un  an. 
Precaution  d'une  haute   politique,  que  le 


DE  FRANCE.   CHAP.  VIII.  22  5 

seul  instinct  de  la  liberty  avoit  revelee  aux 
homraes  de  ce  temps-la,  quatre  siecles  avant 
que  Montesquieu  neut  dit(i):  «Si  la  puis- 
(tsance  legislative  statue,  non  pas  d'annc^e 
«  en  annee,  mais  pour  toujours,  sur  la  levee 
wdes  deniers  publics,  elle  court  risque  de 
(cperdre  sa  liberte;  parceque  la  puissance 
« executrice  ne  dependra  plus  d'elle ;  et , 
«  quand  on  tient  un  pareil  droit  pour  tou- 
«  jours,  il  est  assez  indifferent  qu  on  letienne 
« de soi  ou  dun  autre.  » 

Cette  conformite  entre  les  actes  des  ^tats- 
j»eneraux  de  i355,  et  les  doctrines  duplus 
grand  de  nos  publicistes,  est  fort  remar- 
quable.  Elle  prouve  qu'un  jour  la  nation 
sera  digne  d'avoir  le  gouvernement  repre- 
sentatif  avec  tons  ses  developpements,  puis- 
que  deja  elle  commencoit  a  le  comprendre. 
Gependant  le  tiers-etat  n'avoit  encore  et^ 
appele  que  deux  fois  a  intervenir  dans  I'ad- 
ministration  publique,  et  tneme  la  memoire 
de  cette  grande  innovation  sembloit  s  etre 


(i)  Esprit  des  Lois^  liv.  XI,  rhap.  vi. 


2  26  ASSEMBLEES   NATIONALES 

perdue  dans  la  confusion  et  sous  le  despo- 
tisme  des  quatie  re^jnes  qui  avoient  suivi 
celui  de  Philippe-le-Bel.  Mais  le  mot  liberie 
avoit  retenti  dans  la  nation ;  et,  malgr^  les 
efforts  du  pouvoir,  il  setoit  conserve  dans 
les  ames. 

Le  subside  n'etant  vote  que  pour  un  an, 
et  les  besoins  de  I'armee  rendant  inevitable 
la  convocation  dune  nouvelle  assemblee 
pour  Fannee  suivante,  un  minist^re  pre- 
voyant  et  sage  auroit  senti  la  n^cessite  de 
calmer  I'irritation  qui  venoit  de  se  manifes- 
ter.  Nbn  seulement  cette  n^cessite  ne  fut 
pas  sen  tie,  mais  le  roi  acheva  d'aliener  les 
esprits  par  une  action  aussi  difficile  a  conce-* 
voir  que  penible  a  qualifier.  Je  laisse  k 
Froissard  le  soin  den  exposer  les  details ( i ). 

wLemardi,  apr^sla  mi-careme(i355),le 
u  roi  se  partit  au  matin  avant  le  jour  de 
V  Maineville  ( bourg  a  neuf  lieues  de  Rouen) 
« tout  arme,  accompagn^  d'environ  cent  lan- 
«ces,  se  rendit  au  chatel  de  Rouen....  et 


(i)  Chroniques  de  Froissard.  Appendice  ,  chap.  33 1 


DE  FRANCE.    CHAP.  VIlI.  227 

M  trouva  en  la  salle  dudit  chatel ,  assis  au 
«  diner,  Charles  son  ais-ne  fils,  ducde  Nor- 
umandie,  Charles,  roi  de  Navarre,  Jean, 
«comte  de  Harecourt,  les  seigneurs  de 
uPreaux,   de  Graville,  de  Clerc,  et  plu- 

(tsieurs  autres 

<(Le  roi  les  fit  arrester,  et  apr^s  avoir  dine 
« il  se  rendit  avec  les  seigneurs  de  sa  suite  h. 
It  un  champ  derriere  ledit  chatel ,  dit  le 
«  Champ-du-Pardon  ;  et  1^  furent  menes  en 
«  deux  charettes ,  par  le  commandement  du 
« roi ,  ledit  comte  de  Harecourt ,  le  sei- 
«  gnenr  de  Graville ,  monseigneur  Maubu^, 
u  etColinet  Doublet;  et  la  furent  ledit  jour 
« les  tetes  coupees,  et  puis  furent  tons  quatre 
utraines  jusqu'au  gibet  de  Rouen,  et  la  fu- 
((  rent  pendus,  et  leurs  tetes  mises  au  gibet... 
« Le  roi  de  Navarre  fut  envoye  prisonnier 
«  dans  un  chateau  fort.  » 

Une  action  aussi  violente  eut  les  effets  les 
plus  funestes.  Philippe,  frere  du  roi  de  Na- 
varre ,  et  Joffroy ,  fr^re  du  comte  de  Har- 
court ,  qui  avoit  beaucoup  de  places  en  Nor- 
mandie,y  appel^rent  les  Anglois.  Le  comte 
d'Erby  et  le  due  de  Lancastre  s'y  rendirent 

1 5. 


228  ASSEMBLKES    NATIONALES 

a  la  tete  de  quatre  mille  hommes,  et  com- 
menc^rent  la  guerre. 

Pendant  quelle  ensanglantoit  la  Norman- 
die  ,  le  fills  aine  d'Edouard  ravageoit  le  Poi- 
tou.  Jean  s'y  porta  a  la  tete  d'une  nombreuse 
armee ,  et  manoeuvra  si  heureusement,  qu'il 
forca  les  Anglois  a  prendre  une  position  dont 
il  leur  etoit  impossible  de  sortir.  Trop  sou- 
vent  la  fortune  a  tromj>^  la  prudence;  ici  la 
temerite  deconcerta  la  fortune.  En  mainte- 
nant  cette  espece  de  blocus  pendant  deux  ou 
trois  jours ,  le  manque  absolu  de  vivres  for- 
coit  I'armee  angloise  a  mettre  bas  les  armes , 
et  la  livroit  a  la  discretion  du  roi.  Emporte 
par  un  courage  aveugle,  il  livra  bataille,  la 
perdit,  et  fut  fait  prisonnier,  lui  et  Philippe , 
son  quatri^me  fils. 

Dans  cette  fa  tale  journee  la  France  per- 
dit lelite  de  la  chevalerie.  Dix-sept  comtes  et 
plus  de  huit  cents  barons  furent  faits  prison- 
niers(i). 


(i)  M.  Hallam ,  dans  son  Histoire  du  moyendge,  torn.  I , 
pag.  85,  fait  sur  la  bataille  de  Poitiers  les  reflexions  sui- 
rantes : 


DE  FRANCE.  CHAP.  VIII.  229 

S  il  avoit  et^  possible  d'attribuer  ce  mal- 
lieur  aux  hasards  de  la  (guerre,  tout  grand 
(ju'il  etoit ,  la  nation  se  seroit  montr^e  plus 
grande  encore ;  et,  pour  le  reparer,  fidele  a 
son  caractere,  elle  auroit  genereusement, 
et  sans  le  plus  leger  murmure,  souffert  les 
sacrifices  les  plus  onereux.  Mais  il  etoit  ge- 
neralement  connu  que  c'etoit  le  roi  qui,  par 
unaveuglenientinexplicable,etcontreravis 


«i  C'est  a  la  liberie  de  notre  constitution  qu'il  faut  attri- 
«  buer  le  principal  honneur  de  ces  victoires ,  c'est  dans  la 
« condition  superieure  du  peuple  anglois  qu'on  doit  en 
"  rechercher  les  causes. 

«  Ce  ne  fut  ni  la  noblesse  d'Angleterre  ni  ses  vassaux 
uqui  gagnerent  les  batailles  de  Creci  et  de  Poitiers.  lis 
"avoient  de  dignes  rivaux  dans  les  rangs  des  Francois; 
(imais  ce  furent  les  yeomen  qui  tiroient  I'abalete  d'un 
u  bras  sur  et  nerveux  ,  qui  en  avoient  appris  I'usage  dans 
tdeurs  canipagnes,  et  qui  devoient  leur  intrepidite  au 
«i  sentiment  de  leur  liberte  civile  et  de  leur  independance 
a  personnelle.  C'est  un  fait  constant  que  ces  grandes  vic- 
« toires  furent  dues  a  nos  archers,  tires  pour  la  plupart 
"de  la  classe  moyenne  du  peuple,  et  attaches,  suivant 
«le  systeme  militaire  du  siecle,  aux  chevaliers  et  aux 
"ccuyers  qui  combattoient  aver  la  lance  et  sous  une 
"  pesante  armure. » 


23o  ASSEMBLlfiES    NATION  ALES 

de  ses  gen^i  aux,  avoit  voulu  livrer  la  bataille ; 
et  cette  opinion  produisoit  sur  les  esprits  I'ira- 
pression  la  plus  facheuse. 

L'anxiete  publique  etoit  encore  augmen- 
tee  par  un  incident  que  personne  n'avoit  pu 
pr^voir.  Le  due  de  Normandie,  fils  aine  du 
roi,  alors  age  de  dix-sept  ans,  entraine  par 
ses  gouverneurs,  avoit  quitte  le  champ  de 
bataille  apr^s  le  commencement  de  Faction. 
Cette  retraite  etoit  regardee  comme  le  pre- 
sage dun  gouvernement  foible ;  et  les  esprits 
les  plus  calmes  ne  purent  se  defendre  dun 
sentiment  d'effroi  en  pensant  que  ce  jeune 
prince,  en  qui  rien  encore  ne  r^veloit  Cliar- 
les-le-Sage,  devenoit,  par  la  prison  du  roi, 
Farbitre  des  destinees  de  la  France. 

Enfin  un  luxe  effrene ,  qui  s'empara  tout- 
a-coup  de  la  noblesse ,  aclieva  de  porter  la 
corruption  dans  les  moeurs,  et  le  d^sordre 
dans  les  fortunes,  u  11  sembloit,  dit  Mezerai , 
u  que  la  noblesse  et  la  gendarmerie  triom- 
«  plioient  des  miseres  des  pauvres  gens.  Le 
uluxe,  qui  le  croiroit?  naquit  de  la  desola- 
ution.  Les  gentilshommes  qui  avoient  tou- 
«  jours  ^te  fort  modestes  en  habits,  commen- 


DE  FRANCE.   CHAP.  VIII.  281 

«  Cerent  a  se  parer  de  pierreries,  de  perles, 
«  et  de  babioles ,  comme  des  femmes ;  a  por- 
(t  ter  sur  leur  bonnet  des  bouquets  de  plu- 
(( mes,  marque  de  leur  leg^ret^,  et  a  s'adon- 
«  ner  passionnement  au  jeu,  h.  celui  des  dez 
(( toute  la  nuit,  a  celui  de  la  paulme  tout 
« le  jour. » 

Tels  etoient  I'^tat  de  la  France  et  la  disposi- 
tion des  esprits  a  Fouverture  des  ^tats-g^ne- 
raux  de  1 356.  On  pressent  deja  que  leurs 
deliberations  porteront  I'empreinte  de  la  dif- 
ficulte  des  circon stances. 


232  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

CHAPITRE  IX. 

Etats-generaux  de  i356. 


La  France  avoit  perdu  son  roi ,  ses  braves, 
et  ses  finances.  Elie  ^toit  envahie  par  une 
armee  yictorieuse,  et  les  renes  de  I'^tat 
flottoient  dans  les  mains  inexperimentees 
dun  jeune  prince dont  les  precedents  inspi- 
roient  peu  de  confiance.  Depuis  ravenement 
de  Hugues-Capet  la  nation  ne  setoit  pas 
trouv^e  dans  des  circonstances  aussi  desas- 
treuses.  Pour  en  triompher  le  concours  de 
toutes  ses  forces  morales  et  materielles  etoil 
necessaire.  Le  due  de  Normandie(i)  le  com- 
prit ,  et  les  etats-generaux  de  la  Lanf^^uedoyl 
furent  convoques  a  Paris  pour  le  i5  octo- 
bre  1 356. 


(i)  Charles  ne  portoit  alors  que  le  litre  de  due  de  Nor- 
niandie;  il  ne  prit  que  plus  tard  celui  de  regent  du 
royaume. 


DE  FHAINGE.   CHAP.  IX.  233 

II  falloit  pourvoir  au  gouvernement  dii 
royaume  pendant  la  prison  du  roi.  11  felloit 
improviser  une  armee,  et  sur-tout  pourvoir 
a  ce  queles  subsides  leves  pour  son  entretien 
ne  fussent  pas  detournes  de  leur  destination, 
comme  cela  n'etoit  arrive  que  trop  souvent 
depuis  le  commencement  des  hostilites.  En 
dernier  resultat,  il  s'agissoit  de  conserver  la 
dynasde  et  de  sauver  la  nation. 

Des  interets  dune  si  haute  importance  ne 
pouvoient  manquer  d'agir  puissamment  sur 
les  esprits ;  aussi  les  trois  ordres  s'empressfe- 
rent-ils  de  deputer  aux  etats  les  homines  les 
plus  dignes  de  cette  honorable  et  p^nible 
mission ,  et  jamais  assemblee  nationale  en 
France  ne  fut  plus  solennelle. 

Nous  lisons  dans  le  proces- verbal  de  cette 
assemblee  :  «  L'etat  du  clerge  etoit  compose 
ud'archeveques,  eveques,  et  de  sages  pro- 
«  cureurs  des  eveques  absents ,  d'abbes  mit- 
« tres  et  autres ,  et  de  procureurs  des  absents, 
«  de  procureurs  des  chapitres,  doyens  et  ar- 
te chidiacres,  dont  plusieurs  etoient  mattres 
«  en  divinitc  (ou  en  theologie)  et  en  decret , 


«  et  seigneurs  en  lois. 


2  34  ASSEMBLIES   NATIONALES 

«  L'etat  des  nobles  etoit  compost  de  plu- 
«  sieiirs  de  nos  seigneurs  des  fleiirs  de  lys, 
wducs,  comtes,  barons,  et  chevaliers,  etc. ; 
((du  nombre  desquels  etoient  M.  le  duo 
((d'Orleans,  M.  deBretaigne,  M.  d'Alencon, 
((M.  d'Estampes,  M.  de  Saint-Pol,  M.  de 
(( Roussi ,  etc.  Lesquels  faisoient  parler  M.  de 
((Bretaigne  au  nom  de  tous  les  nobles. 

(( L'etat  des  bonnes  villes  etoit  compost  de 
((deux  maitres  en  divinite,  et  de  bourgeois 
(ttres  sages  et  notables  homnies,  en  nombre 
(( de  plus  de  quatre  cents. » 

Le  i5  octobre,  disent  les  Chroniques  de 
Saint-Denis  J  les  deputes  s'assemblerent  en 
la  chambre  du  parlement;  cetla,  en  pre- 
(t  sence  du  due  de  Normandie,  Pierre  de  La 
(( Foret,  archeveque  de  Rouen  et  chancelier 
((de France,  exposa,  en  la  presence  desdits 
« trois  etats,  dont  dessus  est  fait  mention ,  la 
((prinse  du  roi,  et  comment  il  s'etoit  vail- 
(( lamtnent  combattu  de  sa  propre  main :  et 
(( nonobstant  ce,  avoit  ^te  prins  par  grande 
(( infortunit^ ;  et  leur  raontra  combien  cha- 
(( cun  devoit  mettre  peine  a  la  d^livrance  du 
u  roi ;  et  apr^s  leur  requit,  de  par  monseigneur 


DE  FRANCE.  CHAP.  IX.  235 

«le  due,  conseil  comment  le  roi  pourroit 
('  etre  d^livre ,  et  aussi  de  gouverner  les 
«giierres,  et  aider  a  ce  faire;  lesquels  des 
('.  trois  etats,  c'est  a  savoir:  les  (jens  d'ej^Iise 
«  repondirent  par  la  bouclie  de  monseigneur 
(( Jehan  de  Craon  ,  archeveque  de  Rheims; 
ules  nobles,  par  la  bouclie  de  monseigneur 
u  Philippe ,  due  d'Orleans,  et  fr^re-gerraain 
(( du  roi ;  et  les  gens  des  bonnes  \  illes ,  par  la 
((bouclie  d'Etienne  Marcel,  bourgeois  de 
(( Paris,  etalors  pr^vot  des  marchands:  qu'ils 
(( vouloient  faire  tout  ce  qu'ils  pourroient 
(caux  fins  dessus  dites,  et  requierent  delai 
(( pour  eux  assembler,  et  parler  ensemble  sur 
(des  choses  dessus  dites,  lequel  leur  fut 
((donne,  etfurent  ordonnes  par  ledit  mon- 
«  seigneur  le  due  de  Normandie ,  plusieurs 
((des  conseillers  du  roi,  pour  aller  au  cha- 
(( teau  desdits  trois  etats.  Et  quand  ils  eurent 
(( ete  par  deux  jours ,  on  leur  fit  dire  que 
(desdits  trois  etats  ne  besoigneroient  point 
(( tan  t  que  les  gens  du  conseil  du  roi  y  fussent 
((presents.)) 

Ges  pr^liminaires    accomplis,   les   etats 
s'occupferent  de  I'objet  de  leur  convocation. 


236  ASSEMBLl^ES  NATION  ALES 

Get  objet  n'etoit  pas  facile  ci  remplir.  Tout 
etoit  dans  la  confusion ;  et  de  cette  espece 
de  chaos  il  falloit  faire  sortir  une  armee  for- 
midable, etun  gouvernement  regulier, 

Une  assemblee  composee  de  plus  de  liuit 
cents  personnes  ne  seroit  jamais  parvenue  a 
s'entendre.  On  prit  un  parti  fort  sage.  Une 
commission  composee  de  trente-six  mem- 
bres,  dont  douze  clioisis  dans  chacun  des 
trois  ordres,  fut  chargee  de  rediger  un  pro- 
jet  de  deliberation  qui  presenteroit  les  me- 
sures  qu'il  convenoit  de  prendre  pour  la 
delivrance  du  roi,  pour  la  defense  del'etat, 
pour  le  reglement  des  finances,  pour  la 
reformation  des  abiis  dans  toutes  les  parties 
de  I'administration ,  enfin  pour  eloigner  du 
due  de  Normandie  les  conseillers  auxquels 
la  nation  attribuoit  ses  malheurs. 

On  s'est  beaucoup  eleve  centre  cette  com- 
mission ;  on  a  dit:  Les  etats  n'avoient  a  sW- 
cuper  que  de  la  defense  du  royaume  et  de 
la  delivrance  du  roi.  Leur  convocation  n'a- 
voit  pas  d'autre  objet.  Tout  ce  qu'ils  onl 
fait  au-dela  les  constitue  done  en  etat  de 
revoke  centre  I'autorite  royale ;  et  les  inves- 


DE  FRANCE,  CHAP.  IX.  287 

ligations  que  la  commission  a  ordonnees  sur 
lemploi  des  finances,  sur  les  abus  de  Tad- 
ministration,  sur  les  prevarications  impu- 
tees  aiix  conseillers  de  la  couronne,  sont 
autant  d'actes  de  rebellion. 

Mais  d'abord  le  chancelier  de  France 
dans  son  discours  d'ouverture  avoit  dit  aux 
^tats  qu'ils  etoient  requis  de  par  monsei- 
gneur  le  due  de  lui  donner  aide  et  conseil. 

Ainsi  le  prince  demandoit  tout  ci-la-fois 
des  subsides  et  des  conseils.  II  nest  done  pas 
vrai  de  dire  que  les  etats  n'etoient  reunis 
que  pour  voter  un  impot. 

En  second  lieu,  Tarm^e  que  Ton  alloit 
mettre  sur  pied  ^toit  la  derniere  ressource 
de  la  France.  Mai  payee,  elle  auroit  mal 
servi;  et  depuis  le  commencement  de  la 
guerre ,  les  prodigalites  du  roi ,  I'avidite  des 
courtisans,  avoient  absorbe,  au  moins  en 
grande  partie,  les  sommes  destinees  a  la 
solde  des  troupes.  Ge  fait  etoit  uotoire;  les 
etats -generaux  de  Tannee  precedente  Ta- 
voientsolennellementproclame;et  la  France 
tout  enti^re  attribuoit  a  ces  dissipations  les 
desastres  dont  elie  etoit  la  victime.  Entrat- 


238  ASSEMBLIES   NATIONALES 

nes  par  cette  opinion ,  qui  malheureusement 
n'etoit  que  trop  fondee,  les  etals  n'etoient- 
ils  pas,  en  quelque  sorte ,  autorises  a  penser 
que,  pour  cette  fois,  et  par  la  force  des  cir- 
constances,  la  mission  d'ordonner  la  levee 
dun  impot  emportoit  implicitement  celle 
d'en  surveiller  I'eraploi? 

Les  circonstances  exigeoient  des  sacrifices 
tels,  qu'un  gouvernement  investi  de  la  con- 
fiance  generate  pouvoit  seul  les  obtenir;  et 
cette  confiance,  les  ministres  d'alors  etoient 
loin  de  la  posseder.  Leur  destitution  se 
trouvoit  done  intiinenient  liee  a  la  defense 
de  Fetat. 

Enfin  les  commissaires  demandoient  que 
les  ministres  fussent  juges  sur  les  chefs  d'ac- 
cusation  qu'ils  produiroient  contre  eux ,  pour 
les  punir  s'ils  etoient  coupables :  se  soumet- 
tant  a  perdre  tons  leurs  biens  et  a  etre  de- 
clares pour  jamais  incapables  de  posseder 
aucunes  charges  s'ils  Etoient  juges  inno- 
cents (i). 


(i)  Ordonnances du  Louvre^  tome  III ;  preface ,  pages  5i 
et  5^. 


DE  FRANCE.  CHAP.  IX.  289 

Au  surplus,  voici  les  principaux  articles 
de  la  deliberation  prise  par  cette  commis- 
sion. On  y  verra  1  esprit  qui  Tanimoit,  beau-r 
coup  mieux  que  dans  tout  ce  que  Ips  histo- 
riens  en  ont  ^crit. 

Par  cette  deliberation ,  les  trois  ^tats  don- 
nent  conseil  a  M.  le  due  de  Normandie: 

«  Qu'il  ecoute  Dieu ,  qu'il  le  craigne  et  I'ho- 
nore,  lui  et  ses  ministres,  qu'il  garde  ses 
commandements,  et  quil  fasse  bonne  jus* 
tice  au  royaume,  tant  du  grand  comme  du 
petit; 

«  Qu'il  eiise ,  par  le  conseil  des  trois  ^tats , 
anciens,  grands,  sages  et  notables  du  clerge, 
des  nobles  et  bourgeois ,  anciens ,  loyaux  et 
meurs  qui  continuellement  pr^s  de  Iqi  fus- 
sent,  et  par  qui  il  se  conseillat,  et  que  rien 
])ar  les  jeunes,  simples  et  ignorants  du  fait 
du  gouvernement  du  royaume  et  de  justice, 
il  ne  ordonnat(i); 

(i)  Pour  comprendre  cet  article,  il  faut  se  rappeler 
qu'a  cette  epoque  la  majorite  des  rois  etoit  a  vingt  et  un 
ans;  que  Charles  en  avoit  a  peine  dix-neuf,  et  que  par 
consequent  c'etoit  le  cas  de  nommer  un  conseil  de  re- 
gence. 


•2  4o  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

«  Qu  il  revoque  les  alienations  des  domai- 
nes,  a  I'exception  de  celles  faites  aux  eglises , 
aux  princes  du  sangf,  et  a  des  hommes  qui 
auroient  rendu  de  grands  services  a  letat*, 

«  Qu'il  reduise  a  six  le  nombre  des  maitres 
des  requetes',  et  qu'il  ne  confere  ces  places 
qua  des  hommes  dune  grande  sagesse,  ex- 
perience ,  et  murete ; 

<(  Que  des  trois  etats  M.  le  due  elise  certain 
nombre  de  personnes  notables,  puissants, 
sages,  prud'hommes,  et  loyaux,  en  tel  nom- 
bre que  bon  lui  sembleroit,  qui  fussent  resi- 
dents a  Paris,  pour  le  grand  et  secret  con- 
seil ,  et  que  eux  fussent  unis  et  etablis  par 
M.  le  due,  souverain  de  tons  les  officiers du 
royaume  de  France 

«EtleurfutenjointparM.leduc,parser- 
ment,  que  principalement  et  deligemment 
ils  s'entendroient  sur  le  gouvernement  du 
royaume  et  de  la  chose  publique,  et  non 
pas  a  leur  profit  singulier,  ne  h.  leurs  amis ; 
et  tons  les  jours  qu'ils  defaudroient  d'etre 
au  conseil,  si  justes  causes  et  legitimes  n'a- 
voient,  ils  perdroient  les  gages  de  la  jour- 
nee,  et  par  ordonnance  de  M.  le  due  leur 


DE  FRANCE.  CHAP.  IX.  24 1 

seroit  donn^  gages  tels  que  M.  le  due  verroit 
que  bon  seroit ; 

wQu'il  ne  nomme  aucuns  officiers,  si  ce 
n'est  apr^s  grande  et  mure  deliberation  de 
son  conseil,  pourvoyant  aux  offices  et  non 
aux  personnes ; 

«  Que  aucuns  qui  notoirement  ont  eu  le 
gouvernement  du  royaume,  du  temps  du 
roi  notre  sire,  et  qui  tr^s  mauvaisement, 
desordonnement  et  non  profitablement  ont 
encore  ledit  gouvernement  au  tr^s  grand 
dommage  du  roi ,  du  royaume ,  et  des  su  jets , 
si  comme  dessus  est  dit,  desquels  aucuns 
ont  ete  nommes  a  M.  le  due ,  soient  otes  per- 
petuellement  de  tous  offices  royaux;  car  no- 
toirement il  appert  de  leur  desordonn^  et 
mauvais  gouvernement  et  conseil,  et  que 
par  leur  fait  et  coulpe  damnable,  plusieurs 
griefs,  doulours,  et  dommages  sont  avenus 
au  roi  notre  sire,  au  royaume  et  aux  sujets, 
et  aussi  par  leur  evidente  negligence  (i).  » 


(i)   Les  conseillers  de  la  couronne  signales  par  les 
etats ,  et  dont  ils  demandoient  la  destitution ,  sont  nom- 

i6 


242  ASSEMBLIES    NATION  ALES 

La  commission,  s'occupant  ensuite  de  la 
composition  de  I'armee,  arrete  qu'il  sera  fait 
une  levee  de  ti  ente  mille  hommes  d'armes ; 
que  pour  subvenir  a  son  entretien  les  eccle- 
siastiques  et  les  nobles  paieront  un  dixi^me 
et  demi  de  leurs  revenus,  et  que  chaque 
commune  entretiendra  un  liomme  d'armes 
par  cent  feux.  La  deliberation  ajoute:  wet 
toutes  lesquelles  aides  levees  et  distribuees 
par  ceux  qui  seront  a  ce  commis  par  les  trois 
etats,  et  autorises  par  M.  le  due  ( i). » 

Les  trois  ordres  setant  reunis  pour  en- 
tendre la  lecture  de  cette  deliberation ,  Fap- 
prouverent  iinanimement ;  et  il  fut  arrete 
quelle  seroit  presentee  a  M.  le  due  de  Nor- 
mandie. 


mes  ailleurs.  Ilsetoient  au  nombre  de  vingt-deux;  savoir, 
le  chancelier,  le  premier  president  du  parlement,  le 
souverain  maitre  des  monnoies ,  etc. 

(i)  Nous  trouvons  une  resolution  semblable  dans  les 
fastes  du  parlement  d'Angleterre.  On  y  voit  que  dans  la 
sixieme  annee  du  regne  de  Henri  IV  les  communes  ac- 
corderent  un  subside  au  roi ,  et  qu'elles  nommerent  un 
tresorier  pour  veiller  a  I'emploi  de  cet  argent,  selon  sa 
destination. 


DE  FRANCE.    CHAP.   IX.  2^'i 

II  paroit  que  I'intention  des  ^tats  <5toit  que 
ces  remon  trances  fussenttenues  secretes.  En 
efFet  nous  lisons  dans  la  Chronique  de  Saint- 
Denis:  «Les  elus  des  trois  ^tats  firent  dire 
«  a  monseigneur  le  due  de  Normandie  qu'ils 
«parleroient  volontiers  a  lui  secretement, 
«  et  pour  ce  alia  leditduc,  lui  sixi^me  tout 
«  seulement,  auxdits  fr^res  mineurs  par-de- 
«  vers  lesdits  ^lus ,  lesquels  lui  dirent  qu'ils 
(( ^toient  tous  d'un  accord.  Si  requi^rent  ^ 
r(  monseigneur  le  due  qu'il  voulut  tenir  se- 
(f  cret  tout  ce  qu'ils  lui  diroient  pour  le  sau- 
«  vement  du  royaume,  lequel  monseigneur 
« le  due  r^pondit  qu'il  ne  juroit  pas,  et  pour 
«  ce ,  ne  laiss^rent  mie  qu'ils  ne  lui  dissent 
« les  choses  des  susdites.  » 

Ces  remontrances  jet^rent  la  cour  dans 
la  consternation  et  I'effroi.  Les  ministres  y 
virent  le  renversement  de  la  monarchic,  et 
proposerent  de  dissoudre  les  etats.  G'^toit 
risquer  de  tout  perdre,  puisque  rien  encore 
n'etoit  arrete  pour  la  defense  du  royaume. 
Cette  consideration  n'arreta  pas  les  con- 
seillers  du  jeune  prince.  Apr^s  plusieurs  de- 
liberations, il  fut  arrete  quele  prince,  usant 

i6. 


244  ASSEMBLEES  NATIONALES 

de  dissimulation,  feroit  savoir  aux  deputes 
que  le  lundi,  veille  de  la  Toussaint,  il  se 
rendroit  au  parlement,  et  que  la  il  donne- 
roit  une  declaration  conforme  aux  remon- 
trances  arretees  par  les  etats. 

Le  lundi ,  jour  indique ,  les  deputes  se  ren- 
dirent  au  parlement;  Farrivee  du  prince  fit 
^vanouir  les  esperances  qu'il  avoit  donnees. 
11  declara  qu'avant  de  prendre  une  resolu- 
tion definitive,  il  vouloit  connoitre  les  in- 
tentions du  roi  son  p^re,  et  avoir  la  vis  de 
I'empereur  Charles  IV,  son  oncle,  et  il 
ajourna  I'assemblee  au  jeudi  suivant.  Le 
surlendemain  le  prince  manda  plusieurs  de- 
putes et  leur  dit  qu'ils  eussent  a  se  retirer 
jusqu'a  nouvel  ordre;  qu'il  les  manderoit 
lorsqu'il  le  jugeroit  a  propos. 

En  consequence  les  deputes  se  separ^rent , 
et  dans  le  double  but  de  justifier  leurs  in- 
tentions et  d'accuser  celles  des  ministres, 
chacun  d'eux  reporta  et  diss^mina  dans  sa 
province  des  copies  du  projet  de  remon- 
trances  dontje  viens  de  rappeler  les  princi- 
pales  dispositions. 

La  dissolution  des  ^tats  eut  lieu  le  2  no- 


DE  FRANCE.  CHAP.  IX.  245 

vembre,  dix-sept  jours  apr^s  Fouverture  des 
stances.  Elle  fit  sur  la  nation  enti^re  I'im- 
pression  la  plus  facheuse.  Nous  en  expose- 
rons  les  consequences  dans  le  chapitre  sui- 
vant. 


246  ASSEMBLIES   NATIONALES 


GHAPITRE  X. 

Suite  des  etats-generaux  de  i356. 

La  dissolution  des^tats  prononcee,  comrae 
on  vient  de  le  voir,  au  moment  ou  I'assem- 
blee  etoit  sur  le  point  de  decreter  la  forma- 
tion d\ine  armee,  et  den  voter  la  solde, 
porta  la  fermentation  des  esprits  a  son  com- 
ble,  jeta  la  France  dans  des  malheurs  qui  se 
prolong^rent  pendant  le  cours  des  deux  an- 
nees  suivantes,  et  dont  on  ne  trouve  aucun 
exemple  dans  les  fastes  des  nations. 

Immediateraent  apres  la  separation  des 
deputes,  le  due  de  Normandie  alia,  comme 
il  en  avoit  pris  I'engagement ,  consulter  I'em- 
pereur  son  oncle  qui  etoit  alors  a  Metz  ( i ) ; 


(i)  Get  eiTipereur  etoit  cc  nieme  Charles  IV  qui  eut  la 
foiblesse  de  signer  un  traite  par  lequel  il  s'engageoit  «'i 
n'entrer  dans  Rome  que  le  jour  de  son  couronnement, 
encore  sous  la  condition  liumiliante  d'en  sortir  le  nieme 
jour,  et  de  n'y  rentrer  jamais  sans  la  permission  du  pape. 


DE  FRANCE.    CHAP.  X.  247 

mais  il  manquoit  d'argent.  Pour  sen  procu- 
rer, il  imagina  d'alt^rer  la  monnoie;  et,  par 
nn  ^dit  qu'il  chargea  son  frfere ,  le  due  d'An- 
jou,  de  publier  en  son  absence,  il  ordonna 
la  fabrication  de  nouvelles  especes. 

Cette  publication  excita  dans  Paris  un 
soulevement  general.  Le  prevot  des  mar- 
chands ,  homme  turbulent  et  audacieux,  (jui 
ne  recula  jamais  devant  une  action  crimi- 
nelle,  etqu'une  eloquence  populaire  rendoit 
I'idole  de  la  multitude ,  comprit  que  le  mo- 
ment etoit  arrive  de  donner  Tessor  a  son 
ambition.  Suivi  d'une  foule  ^garee,  il  se 
rendit  aupres  du  due  d'Anjou ,  et  lui  deman- 
da  la  revocation  de  Tedit.  Le  prince,  voulant 
gajjner  du  temps,  ajourna  sa  reponse.  Le 
lendemain  Marcel,  a  la  tete  dune  troupe 
armee  ,  exif^ea  ce  qu  il  avoit  demande   la 


Cette  conduite  dans  un  prince  qui  portoit  la  couronne 
de  Charlemagne  I'avoit  rendu  ridicule  auxyeuxde  toute 
I'Europe.  On  I'appeloit  communement  I'enipereur  des 
pretres.  Un  pareil  empereur  etoit  loin  d'avoir  les  qualites 
necessaires  pour  diriger  le  due  de  Norniandie  dans  des 
circonstances  aussi  difficiles. 


248  ASSEMBLIES  NATIONALES 

veille,  et  Fexecution  de  I'edit  fut  suspen- 
due. 

De  retoiir  a  Paris,  le  due  de  Normandie, 
effraye  des  desordres  qui  avoieut  eu  lieu 
pendant  son  absence,  entra  en  negociation 
avec  le  prevot  des  marchands.  Une  confe- 
rence fut  arretee  entre  cet  insolent  ma- 
jyistrat  et  des  commissaires  nommes  par  le 
prince.  Marcel  s'y  rendit  dans  I'appareil  le 
plus  menacant.  j\on  seulement  il  rejeta 
toutes  les  propositions  qui  lui  furent  faites, 
niais  au  sorlir  de  la  conference  il  souleva  la 
populace,  fit  fermer  les  boutiques,  cesser  le 
travail  des  ouvriers,  et  ordonna  aux  bour- 
geois de  prendre  les  armes. 

Le  due,  sans  moyens  de  resistance,  se 
rendit  le  lendemain  au  palais,  et  la,  en  pre- 
sence des  chefs  de  la  sedition,  il  declara 
qu'il  pardonnoit  tout  ce  qui  avoit  ete  fait 
contre  son  autorite ,  et  particuli^rement  les 
troubles  de  la  veille ;  enfin  il  donna  I'assu- 
rance  qu'il  ne  seroit  plus  question  de  la 
nouvelle  monnoie. 

Tels  ^toient  I'aveuglement  du  peuple  et 
I'audace  des  factieux,  que  ces  concessions, 


DE   FRANCE.    CHAP.  X.  249 

loin  de  les  satisfaire,   augment^rent  leur 
insolence,  et  les  desordres  continu^rent. 

II  ne  restoit  plus  a  I'autorite  meconnue 
qu'un  moyen  de  salut,  c'etoit  de  rappeler 
ces  memes  ^tats-generaux  que  Ton  avoit  si 
imprudemment  congedi^s.  lis  furent  con- 
voques  pour  le  5  fevrier  suivant. 

Un  minist^re  sage,  et  qui  auroit  senti  les 
difficultes  de  sa  position,  se  seroit  retire.  II 
en  futautrement.  Les  deputes  retrouv^rent 
en  place  ces  memes  ministres  qui  venoient 
de  les  renvoyer  dans  leurs  foyers  d'une  ma- 
ni^re  si  brusque  et  si  humiliante.  II  arriva 
ce  qu'il  eut  ete  facile  de  prevoir.  A  I'esprit 
de  reforme,  qui  dans  la  precedente  session 
avoit  anim^  les  deputes ,  se  joignit  le  desir  de 
la  vengeance;  et  cette  assemblee ,  derniere 
ressource  de  I'autorite  chancelante,  acheva 
de  la  renverser.  Ge  quelle  n'avoit  propos^ 
trois  mois  auparavant  que  comme  un  voeu, 
elle  I'imposa  comme  un  ordre.  Pr^c^dem- 
ment  elle  avoit  demande  que  le  conseil  de 
la  couronne  fut  compose  de  vingt-huit  de  ses 
membres,  an  choix  du  prince;  aujourd'liui 
elle  en  choisit  elle-meme  trente-six,  aux- 


2  5o  ASSEMBLIES  NATIONALES 

quels  de  son  aiitoiite  seule  elle  conf^re  le 
gouvernement  de  letat,  et  specialement  I'ad- 
minislration  des  finances  (i). 

La  souverainete  se  trouvoit  ainsi  placee 
dans  la  commission ;  et  si  la  nation  etoit  en- 
core avertie  quelle  avoit  un  roi,  ce  n etoit 
plus  qua  des  intervalles  eloignes,  et  uni- 
quement  parceque  les  lois  etoient  publiees 
sous  son  nom  (2). 

Mais  ce  ne  fut  que  le  troisieme  jour  du 


(1)  IjCS  Chroniques  de  Froissard,  chapitres  872  et  SyS, 
parlent  de  cette  commission;  voici  I'ide'e  qu'elles  nous 
en  donnent.  «  Si  se  accorderent  que  les  prelats  elirent 
douze  personnes  bonnes  et  sages  entre  eux ,  qui  auroient 
pouvoir  de  par  eux  et  de  par  le  clerge  de  ordonner  et 
aviser  voies  convenables  pour  faire  ce  que  dessus  est  dit. 
Les  barons  et  les  chevaliers  ainsi  elirent  douze  autres 
chevaliers  entre  eux,  les  plus  sages  et  les  plus  discrets, 
pour  entendre  a  ces  besognes ;  et  les  bourgeois  douze  en 
telle  maniere.  Ainsi  iut  confirme  et  accorde  de  commun 
accord :  lesquelles  trentc-six  personnes  devoient  etre 
moult  souvent  a  Paris  ensemble,  et  la  parler  et  ordonner 
des  besognes  du  royaume.  Et  toutes  manieres  de  choses 
se  devoient  deporter  par  ces  trois  etats.  » 

(2)  Pour  etre  juste,  je  dois  dire  que  les  etats  Hrent  pu- 
blier  uneordonnance  qui  renfernioit  des  dispositions  fort 


DE  FRANCE.    CHAP.   X.  25 1 

mois  de  mars  que  le  due  de  Normandie  eon- 
nut  toute  letendue  des  sacrifices  que  Ton 
exigeoit  de  lui.  Les  ^tats  etoient  reunis  dans 
la  chambre  du  parlement;  le  prince  s'y  ren- 
dit,  et  la,  en  presence  du  due  d'Anjou  et  du 
comte  de  Poitiers,  ses  fr^res,  et  dun  grand 
concours  de  nobles  et  gens  des  bonnes  villes 
en  si  grand  nombre,  disent  les  historiens, 
que  la  chambre  en  etoit  pleine,  Robert  le 
Goq,  eveque  de  Laon,  lui  notifia  les  inten- 


sages ;  elles  portoient :  «  Les  dons  excessifs  du  domaine 
de  I'etat  sont  revoques. 

"On  n'accordera  plus  de  pardons  ni  de  remissions  a  ceux 
qui  auront  commis  des  meurtres  de  guet-apens,  k  ceux 
qui  auront  enleve  ou  viole  des  filles  ou  des  femmes,  aux 
incendiaires ,  a  ceux  qui  n'auront  pas  observe  les  treves 
ou  paix  faites  dans  le  cas  de  guerres  privees ,  aux  infrac- 
teurs  des  sauves-gardes. 

(iTous  les  juges  rendront  bonne  et  brieve  justice.  Comme 
il  y  a  devant  les  gens  du  parlement  plusieurs  proces  en 
etat  d'etre  juges ,  et  dont  le  jugement  a  ete  retarde  par  la 
faute  des  presidents,  les  gens  du  parlement,  et  ceux  de 
la  chambre  des  enquetes  s'assembleront  tous  les  jours  , 
dans  cette  chambre,  a  I'hcure  du  soleil  levant,  pour  tra- 
vailler  a  ces  proces,  jusqu'a  ce  qu'ils  soient  tous  juges. 
lis  se  partageront  en  deux  chanibres ,  dont  Tune  jugera 


252  ASSEMBLIES  NATIONALES 

tions  ou  plutot  les  ordres  de  Fassembl^e. 
Voici  quelques  fragments  du  discours 
prononce  par  cet  insolent  prelat.  Je  copie 
la  Chronique  de  Saint-Denis.  Nous  y  lisons : 
(( Ledit  eveque  coramenca  par  exposer  que 
le  royaume  de  France  avoit  et^  au  temps 
passe  mal  gouverne ,  que  le  peuple  avoit  ^te 
moult  vexe  par  les  officiers  du  roi ,  que  les 
grandes  sommes  de  deniers  levees  sur  la 
nation  avoient  ete  mal  administrees,  dont 
grandes  sommes  avoient  ete  donnees  par 


les  proees  de  rapport ,  et  i'autre  ceux  qui  seront  portes  k 
I'audience. 

«  Les  offices  de  justice  ne  seront  plus  dans  la  suite  ven- 
dus  ni  affermes,  mais  ils  seront  donnes  en  garde,  et  nul 
ne  pourra  etre  juge  dans  le  pays  dans  lequel  il  est  ne,  ou 
dans  celui  dans  lequel  il  demeure. 

«  On  ne  pourra  faire  de  compositions  (accommode- 
ments )  sur  les  crimes. 

a  Les  proees  seront  jugessuivant  le  role  des  presenta- 
tions. 

«  Les  commissaires  du  parlementne  pourront  prendre 
que  quarante  sols  par  jour  pour  eux  et  pour  leurs  clercs. 

«  Cette  ordonnance  sera  publiee  et  enregistree  au  par- 
lement. 

"  Les  gens  de  la  chambre  des  comptes  y  viendront  a 


DE  FRANCE.  CHAP.   X.  253 

plusieurs  fois  a  plusieurs  personnes  qui  en 
avoient  mal  use ;  et  toutes  ces  clioses  avoient 
^t^  faites,  si  com  me  disoit  ledit  eveque,  par 
le  conseil  des  dessus  nomm^s  chanceliers  et 
autres  qui  avoient  gouverne  le  roi  et  le 
royaume  au  temps  passe;  et  dit  lors  encore 
ledit  eveque  que  le  peuple  ne  pouvoit  plus 
souffrir  ces  choses ,  et  pour  ce  avoient  deli- 
b^re  ensemble  que  les  dessus  nommes  offi- 
ciers  et  autres  qu'ils  nomm^rent  au  nombre 
devingt-deux,fussentprivesdeleurscharges. 
«  Requit  aussi  ledit  eveque  de  Laon ,  que 
tous  les  officiers  du   royaume  de   France 


I'heure  du  soleil  levant ,  et  y  expedieront  promptement 
les  affaires ,  sans  s'entreraettre  de  cognoissance  de  cause 
aucune. 

« II  sera  fait  une  ordonnance  qui  reglera  le  nombre  des 
officiers  du  parlement  et  des  autres  officiers. 

«  Le  prevot  de  Paris ,  privativement  k  tout  autre  juge 
connoitra  de  I'execution  des  actes  scelles  du  seel  du  Chi- 
telet,  si  le  creancier  le  veut. 

«  Le  parlement  ne  pourra  attirer  par-devers  lui  les  af- 
faires ordinaires  qui  sont  de  la  competence  du  prev6t  de 
Paris. 

"Les  senechaux, baillis,et  vicomtes,  n'attireront  point 
a  eux  les  affaires  qui  sont  de  la  competence  des  prev6ts.» 


2  54  ASSEMBLEE8  RATIONALES 

fussent  suspendus,  et  que  plusieurs  refor- 
mateurs  fussent  donnas,  lesquels  seroient 
nommes  par  lesdits  trois  ^tats,  qui  auroient 
la  cognoissance  de  tout  ce  que  on  voudroit 
demander  aux  dessus  nommes,  et  centre 
iceux  dire  et  proposer. 

((Dit  encore  ledit  eveque  de  Laon  que 
bonne  monnoye  courut,  telle  que  lesdits 
trois  etats  I'ordonneroient  (i). « 

Et  plusieurs  requetes  fit  lors  un  cheva- 
lier, appele  messire  Jean  de  Pequigni ,  et,  au 
nom  des  nobles,  avoua  ledit  eveque  j  un  avo- 
cat  de  Baville,  appele  Nicolas  le  Clianteur, 
et  Marcel  prevot  des  marchands  de  Paris, 
en  firent  de  meme  au  nom  du  tiers-etat. 

Le  due  de  Normandie,  dans  I'impuis- 
sance  de  resister  efficacemtuit,  souscrivit  a 
tout,  et  sanctionna  toutes  les  resolutions  qui 
lui  furent  presentees. 


(i)  Robert-le-Coq,originaired'Oileans,  etoit  ne  a  Mont- 
Didier  de  parents  consideres  dans  la  bourgeoisie ,  avoit 
ete  d'abord  avocat  au  parlement  de  Paris  ,  puis  maitre  des 
requetes,  ensuite  chanoine  et  grand  chantre  du  chapitre 
d'Aniiens,  enfin  eveque  de  Laon  en  i35i. 


DE  FRANCE.   CHAP.   X.  2  55 

Celle  concernant  les  tribunaux  ne  tarda 
|)as  a  recevoir  son  execution.  Le  cours  de 
la  justice  fut  suspendu  dans  Paris  pendant 
quatorze  jours,  plus  ou  moins  long^-temps 
dans  les  autres  parties  du  royaume,  et  les 
reformateurs  nommes  par  les  etats,  faisant 
ce  qvie  de  nos  jours  on  a  appele  une  epura- 
tion ,  reduisirent  a  seize  le  nombre  des  ma- 
f]fistratsdu  parlement,  destituerent  tousceux 
de  la  chambre  des  comptes,  et  leur  ensubsti- 
tu^rent  quatre  de  leur  choix. 

Quant  aux  ministres,  ils  se  derob^rent 
j)ar  la  fuite  aux  poursuites  dont  ils  etoienl 
menaces.  • 

Cependant,  au  milieu  de  ce  desordre,  la 
defense  du  royaume  et  la  delivrance  du  roi 
ne  furent  pas  neg^lijyees.  Les  etats  arret^rent 
qu'il  seroit  fait  une  levee  de  trente  mille 
hommes  d'armes  ( i ) ;  et  pour  subvenir  a  I'en- 
tretien  de  cette  arm^e ,  ils  ordonnerent  que 


(i)  Un  homme  d'armes  avoit  toujours  a  sa  suite  au 
moins  trois  personnes  ;  savoir ,  un  ecuyer,  un  page ,  et  un 
gendarme.  Ainsi  trente  mille  hommes  d'armes  formoient 
une  arniee  de  cent  vingt  mille  combattants. 


256  ASSEMBLIES  NATIONALES 

les  gens  d'^glise  et  les  nobles  paieroient  un 
dixi^me  et  demi  de  tons  leurs  revenus,  c'est 
a  savoir,  de  cent  livres  de  terre  quinze  li- 
vres;  et  que  les  gens  des  bonnes  villes  fe- 
roient  pour  cent  feux  un  homme  d'armes, 
dont  la  solde  seroit  d'un  demi-ecu  par  jour. 
« Lesquels  subsides ,  ajoute  la  deliberation, 
«  seront  leves  par  ceux  que  les  etats  ordon- 
«  neront.  m 

Une  treve  de  deux  ans ,  qui  fut  alors  con- 
clue  i  Bordeaux,  ajourna  I'execution  de  ces 
pr^paratifs ;  et  le  prince ,  n'ayant  plus  besoin 
des  etats-g^neraux ,  en  ordonna  la  cloture. 

Mais  en  quittant  Paris ,  les  deputes  y  lais- 
soient  la  commission  qu'ils  y  avoient  eta- 
blie ;  et  I'autorite  du  roi  continua  d'etre  m^- 
connue. 

Gette  commission  qui  ne  devoit  son  exis- 
tence qu'a  la  force,  qui  ne  pouvoit  se  main- 
tenir  que  par  elle,  en  abusa  tellement,  que 
le  peuple  reconnut  enfin  que  la  monarcliie 
la  plus  absolue  est  encore  plus  supportable 
que  le  joug  des  factieux ;  et  les  regards  com- 
menc^rent  a  se  tourner  vers  la  couronne. 
La  plupart  des  commissaires ,  voyant  le  pou- 


DE  FRANCE.    CHAP.  X.  267 

voir  echapper  de  leurs  mains,  se  retire- 
rent;  I'eveque  de  Laon  lui-meme  retourna 
dans  son  diocese ,  et  Marcel  effraye  de  son 
isolement  se  rapprocha  du  due  de  Nor- 
mandie. 

Le  calme  se  retablissoit;  il  fut  trouble  par 
deux  evenements  que  personne  n'avoit  pu 
pr^voir. 

Le  roi  de  Navarre ,  si  j ustement  surnomme 
le  Mauvais,  s'echappa  de  sa  prison,  se  ren- 
dit  a  Paris,  rallia  les  factieux,  et  releva  F^- 
tendard  de  la  revoke. 

L'autre  ^venement  amena  le  fanatisme 
sur  cette  sc^ne  deplorable.  Un  miserable 
assassina  Jean  Baillet,  tr^sorier  du  due  de 
Normandie,  en  plein  jour,  dans  la  rue  Saint- 
Merry,  et  se  refugia  dans  leglise  du  meme 
nom.  Le  due  de  Normandie  commanda  au 
marechal  de  Clermont  et  k  Jean  de  Chalons, 
senechal  de  Champagne ,  de  livrer  ce  scele- 
rat  au  prevotde  Paris.  L'ordre  fut  execute, 
et  d^s  le  lendemain  I'assassin  fut  pendu. 

Mais  il  avoit  fallu  briser  les  portes  de  1'^- 
fflise,  et  le  clerge  avoit  vu  dans  cet  acte  de 


n 


258  ASSEMBLl^ES  NATION  ALES 

justice  une  violation  de  ses  privileges.  11  les 
defendit  avec  ses  armes  ordinaires.  II  cria  au 
sacrilege,  a  I'impiet^.  Ces cris  ne  furent  que 
trop  bien  entendus.  Le  peuple ,  stupidement 
superstitieux  parceque  son  ignorance  etoit 
extreme,  se  porta  sur  le  lieu  de  lex^cution, 
detacha  le  corps  de  la  potence,  et  le  remit 
entre  les  mains  du  clerge,  qui  lui  fitun  ser- 
vice solennel ,  des  obseques  honorables ,  et 
r^veque  de  Paris  excommunia  les  auteurs 
de  ce  pr^tendu  sacrilege  ( i ). 

Ces  auteurs  n  etoient  pas  d^sign^s  nomi- 
nativement,  mais  Marcel  ne  s'y  meprit  pas. 
Heureux  de  pouvoir,  sous  un  pretexte  reli- 
gieux,  porter  une  nouvelle  atteinte  a  I'auto- 
rite  du  due  de  Normandie,  il  fit  armer  les 
artisans ,  se  mit  a  leur  tete ;  et  d'abord  pour 
les  familiariser  avec  I'efFusion  du  sang,  il 


(i)  «  Les  eglises ,  dit  Mezerai ,  estoient  alors  des  azyles 
«  inviolables ;  le  clerge  et  le  peuple  s'eschaufferent  de  ce 
w  qu'on  avoit  arrache  un  criminel  du  pied  des  autels,  et 
<i  I'evesque  de  Paris  excOTnmunia  ceux  qui  avoient  com- 
«  mis  cet  attentat.  »  ( Abregi  de  CHistoire  de  France ,  an- 
nee  i358.) 


DE  FRANCE.    CHAP.  X.  269 

leur  donna  I'ordre  d'assassiner  Regnaut 
d'Acy,  avocat  au  parlement,  quil  apercul 
sortant  du  Palais  de  justice.  Get  ordre  f'ut 
execute  sur-le-champ.  Sur  alors  des  dispo- 
sitions de  sa  troupe,  Marcel  se  dirigea  vers 
le  Louvre,  et,  suivi  de  ces  forcen^s,  il  entra 
dans  la  chambre  du  due  de  Normandie, 
quil  trouva  environne  dune  cour  nombreu- 
se ,  dont  faisoient  partie  le  raarechal  de  Cler- 
mont et  le  senechal  de  Champagne.  Sire,  dit 
Marcel ,  ne  vous  esbahisses  de  choses  que  vous 
voyeSy  car  il  est  ordonne  et  convient  qu'il  soit 
ainsi.  Se  tournant  ensuite  vers  ses  gens: 
Allans ,  cor\X\n\i3i-X.-\\  ^  faites  en  hrefce  pour- 
quoi  vous  etes  venus  ici. 

A  peine  a-t-il  parl^  que  les  scelerats  se 
jettent  sur  le  mar^chal  de  Clermont,  sur 
le  senechal  de  Champagne ,  et  les  massacrent. 
Le  second  etoit  si  pr^s  du  prince  que  son 
sang  rejaillit  sur  lui. 

Ce  grand  crime  demeura  impuni.  Cela 
seul  nous  revele  I'etat  de  la  capitale.  • 

Dans  les  autres  villes,  merae  esprit  d5  t*e- 
bellion.  Les  plus  considerables  se  donn^ront 


1 '". 


26o  ASSEMBLEES   NATIONALES 

des  chefs  et  des  lois,  organis^rent  une  force 
armee,  s'environn^rent  de  fortifications,  et 
se  constitu^rent  en  cites  souveraines. 

Pendant  que  dans  ces  villes  I'anarchie  le- 
voit  sa  tete  hideuse ,  des  d^sordres  d'un  autre 
genre  desoloient  les  villages.  Gette  treve 
dont  nous  venons  de  parler  laissoit  I'armee 
dans  Finaction.  Les  soldats ,  sans  disci- 
pline et  sans  paye,  se  r^pandirent  dans  les 
campagnes;  les  vagabonds,  les  gens  sans 
aveu,  sans  moyens  de  subsistance,  se  joi- 
gnirent  a  eux,  et  tous  dissemines  sur  les 
differents  points  du  royaume  port^rent, 
par-tout  oil  ils  purent  p^netrer,  le  pillage, 
la  desolation,  et  la  luine.  Comine  il  n'y  avoit 
de  siirete  que  dans  les  villes,  tous  ceux  qui 
joiiissoient  de  quelque  aisance  s'y  retir^rent, 
et  le  pauvre  peiiple,  sans  armes,  sans  guides, 
sans  moyens  de  resistance,  resta  seul  ex- 
pose aux  fureuis  de  ces  brigands. 

La  ne  finit  pas  ce  drame  deplorable.  La 
sc^ne  la  plus  sanglante  va  frapper  nos  re- 
gards epouvantes. 

Ce  peuple,  qui  depuis  si  long-temps  trai- 


DE  FRANCE.  CHAP.  X.  26 1 

noit  sa  penible  existence  dans  la  servitude 
\a.  plus  humiliante,  et  qui  sembloit  avoir 
|)erdu  jusqu'au  sentiment  de  sa  degradation 
et  de  ses  mis^res ;  ce  peuple,  exaspere  tout 
a-la-f'ois  par  ce  qu'il  souffre  et  par  le  souve- 
nir de  ce  qu'il  a  souffert,  se  le ve  tout-^-coup , 
et  puisant  dans  son  desespoir  un  courage 
feroce,  il  se  precipite  sur  les  nobles,  brule 
leurs  chateaux,  d^shonore  leurs  femmes  et 
leurs  filles,  les  poursuit  jusque  dans  les  fo- 
rets  comme  des  betes  fauves,  et  livre  ceux 
qui  tombent  entre  ses  mains  aux  tour- 
ments  les  plus  affreux.  On  fr^mit,  et  le  livre 
echappe  des  mains ,  lorsqu'on  lit  dans  les  an- 
ciennes  chroniques  que  ces  furieux,  trans- 
formes  en  betes  f(^roces,  entr^rent  dans  le 
chateau  d'un  chevalier,  I'attach^rent  a  un 
poteau,  firent  en  sa  presence  les  derniers 
outrages  a  sa  femme  et  a  sa  fille,  Fembro- 
ch^rentensuite,le firent  rotir,  forc^rent  ses 
enfants  et  son  epouse  a  manger  de  sa  chair, 
et  terrain^rent  cette  horrible  sc^ne  par  le 
massacre  de  cette  malheureuse  famille,  et 
1  incendie  de  sa  maison. 


262  ASSEMBLIES    NATION  ALES 

Interroffes  sur  les  motifs  de  leur  conduite, 
ils  repondoient ,  dit  Froissard ,  quih  ne  sca- 
voient,  mais  quilsfaisoient  ainsi  quilsvoyoient 
faire  les  autres ,  et  pensoient  quils  dussent  en 
telle  inaniere  detruire  tons  les  nobles  etgentils- 
hommes  du  monde. 

Neuf  mille  de  ces  brigands  se  porterent 
sur  la  ville  de  Meaux,  011  la  dauphine  et  plus 
de  trois  cents  femmes  de  qualite  etoient  re- 
fugiees.  Ces  furieux  etoient  sur  le  point  de 
se  rendre  mattres  de  leurs  personnes,  lorsque 
le  Gaptal  de  Buclie,  quoique  au  service  du 
roi  d'Angleterre,  accourut  a  leur  secours , 
baltit  les  paysans,  et  en  fit  un  carnage  ef- 
froyable. 

Gette  troupe  augmentant  a  mesure  qu'elle 
s'avancoit  se  trouva  bientot  monter  a  plus 
de  cent  mille  lioinmes,  qui  porterent  succes- 
sivementdans  les  differentes  provinces  le  fer 
et  la  flamme ,  la  lionte  et  la  mort. 

Les  nobles  se  reunirent  enfin;  des  cheva- 
liers du  Hainaut,  de  Flandre,  du  Brabant, 
et  de  Boheme,  vinrent  se  joindre  a  eux. 
Assez  forte  pour  prendre  folfensive,  cettc 


DE   FRANCE.   CHAP.  X.  263 

armee  se  mit  ci  la  poursuite  des  pay  sans,  en 
extermina  une  partie ,  et  contraignit  les  au- 
tres  a  rentrer  dans  leurs  foyers. 

Telles  furent  les  deplorables  suites  des 
etats  de  i356.  Sous  de  si  grands  malheurs  il 
y  a  sans  doute  une  grande  lecon.  Nous  nous 
en  occuperons  dans  le  chapitre  suivant. 


264  assembliSes  nationales 

GHAPITRE  XL 

Observations  sur  les  etats-generaux  de  i356. 

Tout  ce  qui  compromet  I'autorite  royale 
offre  aux  conseillers  de  la  coui  onne  un  grand 
sujet  de  fneditation,  et  leur  impose  deux 
grands  devoirs,  r^priraer  et  prevenir, 

Corame  souvent  on  irrite  en  croyant  re- 
primer,  et  qu'en  reprimant  on  ne  previent 
pas  toujours,  avant  d'appliquer  le  remede 
il  importe  erainemmenl  de  bien  connoitre  la 
nature  du  mal.  II  y  a  des  circonstances  ou 
un  gouvernement  energique  doit  tout  ris- 
quer,  meme  de  p^rir;  dans  d'autres  il  doit 
ceder  franchement  et  de  bonne  foi :  il  en  est 
eufin  qui  sont  tellement  malheureuses  que 
la  prudence  lui  conseille  de  dissimuler. 

Desfactieux,  renversant  toutes  les  bar- 
ri^res ,  penetrent  jusque  dans  le  sanctuaire 
oil  reside  la  majeste  royale ,  et  lui  deman- 
dent  insolemment  des  concessions  ou  des 
reformes;  il  faut  rejeter  cos  demandes  lors 


,DE  FRANCE.   CHAP.  XI.  265 

m^me  qu'elles  seroient  justes ,  lors  meme 
que  Ion  devroit  perir;  on  ne  perira  pas.  Les 
amis  de  I'ordre  se  leveront,  et  le  ^ouverne- 
ment  triomphera. 

Mais  si  I'un  des  grands  corps  de  I'etat  si- 
gnale  au  prince  des  abus  qui  echappoient  a 
ses  regards,  et  le  supplie  den  ordonner  la 
reformation,  cette  supplique,  qui  n'a  rien 
d'offensant  pour  I'autorit^  royale ,  doit  etre 
accueillie.  Dans  I'exercice  des  fonctions  ad- 
ministra lives,  Tabus  est  si  voisin  de  I'usage 
que  le  meilleur  gouvernement  ne  tarde 
pas  a  se  corrompre,  s'il  ne  renferme  un 
pouvoir  investi  du  droit  de  I'eclairer  sur  les 
vices  de  son  administration.  Aussi  voyons- 
nous  que  plus  d'^tats  ont  peri  par  des  abus 
que  par  des  fautes. 

L'autorite ,  dit-on ,  ne  doit  jamais  reculer; 
mais  on  dit  aussi  qu'il  n'y  a  pas  de  regie  sans 
exception.  De  tous  les  corps  politiques,  ce- 
lui  qui  a  donne  au  monde  le&  plus  grandes 
lecons  de  prudence  et  de  courage,  qui  ne 
fut  pas  sage  dans  telle  ou  telle  circon- 
stance,  mais  tous  les  jours  pendant  plusieurs 
siecles ,  u  le  senat  de  Rome ,  ce  sont  les  pa- 


266  ASSEMBLIES  NATIONALES 

n  roles  de  Montesquieu ,  conserva  sa  puis- 
{( sance  par  une  condescendance  paternelle 
(( a  accorder  au  peuple  une  partie  de  ses  de- 
(( mandes ,  pour  lui  faire  abandonner  les  au- 
« tres,  etpar  cette  maxime  constante  de  pre- 
(( ferer  la  conservation  de  la  republique  aux 
(t  j)rerogatives  de  quelque  magistrature  que 
tf  ce  fut(i).  » 

Maintenant  reportons  nos  regards  sur  ce 
qui  s'est  passe  dans  les  etats-generauxde  1 356, 
et  voyons  quel  jugement  on  en  doit  porter. 

Commencons  par  mettre  la  couronne  hors 
du  debat.  Le  roi  etoit  prisonnier  a  Londres , 
et  le  due  de  Normandie  qui  le  representoit 
a  Paris,  a  peine  age  de  dix-huit  ans,  sans 
connoissance  des  hommes,  sans  experience 
des  affaires ,  ne  pouvoit  que  suivre  la  direc- 
tion imprimee  par  les  ministres  de  son  pere. 
Du  cot^  du  gouvernement  ce  sont  done  les 
ministres  qui  ont  tout  fait;  tout  doit  done 
leur  etre  impute. 

Les    etats-generaux    demandoient  deux 


(i)  Grandeur  des  Romains,  chap.  viii. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XI.  267 

choses:  la  destitution  de  ces  memes  minis- 
tres,  etla  manutention  de  I'impot  qu'ils  se 
proposoient  d'accorder. 

La  question  relative  a  limpot  n'etoit  pas 
nouvelle  j  elleavoit  ete  agitee  dans  les  etats- 
generauxdel'anneeprecedente^et,  par  suite 
de  cette  discussion ,  le  roi  avoit  donn^  une 
ordonnance  qui,  apr^s  avoir  dit  que  pour 
subvenir  aux  f'rais  de  la  {>uerre  il  seroit  lev^ 
un  droit  de  huit  deniers  pour  livre  sur  les 
ijoarchandises  vendues,  ajoute :  Feut  au sur- 
plus le  roi  que,  pour  le  recouvrement  dudit  im- 
pot,  soient  etablis  des  receveurs  au  choix  des 
etats ,  qui  seront  tenus  de  se  conduire  suivant 
les  instructions  qui  par  eux  seront  donnees. 

Cette  disposition  formoit  un  precedent 
qui  justifioit  la  pretention  des  ^tats  relati- 
vement a  limpot.  Restoit done  uniquement 
la  destitution  des  ministres.  Ainsi  le  trone, 
la  legitimite,  la  constitution  de  I'etat,  les 
interets  g^neraux  de  la  societe,  rien  de  tout 
cela  n'etoit  compromis.  II  ne  s'agissoit  pas 
des  choses,  mais  seulement  des  personnes. 

Lorsque  des  personnes  repr^sentent  des 
Oj)inions,  leur  participation  au   pouvoir  a 


'A6S  assemblies   KATIONALES 

une  influence  necessaire,  et  I'interet  public 
peut  justifier  leurs  efforts  pour  s'y  mainte- 
nir;  mais,  dans  I'etat  oil  etoit  la  France,  les 
rainistres  n'etoient  que  des  obstacles.  Si , 
s'oubliant  eux-memes,  ils  avoient  interroge 
les  circonstances  qui  les  environnoient ,  ils 
auroient  facilement  reconnu  que  la  tran- 
quillite  de  la  France  etoit  attachee  a  leur  ab- 
dication ,  et  ils  se  seroient  retires. 

II  faut  en  convenir,  les  deputes  exigeoient 
leur  eloignement  avec  une  arrogance  et 
d'une  maniere  si  injurieuse  que,  dans  des 
temps  ordinaires,  I'honneur  leur  auroit  fait 
un  devoir  de  braver  I'orage.  Mais  des  consi- 
derations d'un  ordre  bien  sup^rieur  devoieht 
les  occuper;  ils  devoient  sentir  que  leurs 
accusateurs  n'etoient  pas  des  hommes  isoles; 
que ,  mandataires  de  la  nation,  ils  en  etoient 
les  organes;  que  le  mouveraent  qui  les  em- 
portoit  au-dela  de  toutes  les  convenances, 
ils  Tavoient  recu  d'elle,  et  que  leur  langage 
n  etoit  autre  chose  ([ue  I'expression  d'un  voeu 
general. 

Ge  langage  ne  fut  pas  com[)ris  par  les  mi- 
nistres.   Comme  s'ils  n'avoicnt   eu    affaire 


DE  FRANCE.    CHAP.  XI.  269 

qu'^  une  poign^e  de  factieux,  sans  autre 
force  que  celle  de  leur  nombre,  ils  inti- 
mi^rent  brusquement  ^  I'assemblee  I'ordre 
de  se  s^parer. 

Si  du  moins  ils  avoient  adouci  par  quel- 
ques  menagements  ce  que  cette  mesure  avoit 
d'acerbe ;  au  contraire ,  peu  de  jours  apr^s 
paroitun  edit  qui  alt^re  la  monnoie  et  boule- 
verse  toutes  les  fortunes.  Gette  nouvelle 
exaction  acheve  de  perdre  les  ministres ,  et 
le  soulevement  contre  eux  est  general.  Ef- 
frayes  de  leur  position,  ils  rappellent  ces 
deputes  qu  ils  venoient  de  congf^dier  d'une 
maniere  si  humiliante;  mais,  eraportee  elle- 
meme  par  le  torrent  de  I'insurrection ,  cette 
seconde  assemblee,  au  lieu  de  calmer  la  fer- 
mentation des  esprits ,  met  le  comble  au  des- 
ordre.  De  la  ces  scenes  de  desolation  et 
dliorreurs  dont  nous  avons  presente  I'epou- 
vantable  tableau  dans  le  chapitre  precedent. 

Tels  furent  ces  ^tat^-generaux  de  i356, 
objet  de  tant  de  critique,  et  qui  sont  encore 
aujourd'hui  le  point  de  depart  de  toutes  les 
declamations  contre  nos  assemblies  natio- 
nales.  Maintenantque  nous  les  connoissons. 


270  ASSEMBLlfiES  NATIONALES 

que  voyons-nous?  Des  fautes  reciproques, 
les  deplorables  suites  d'une  lutte  long- temps 
prolongee  entre  des  oppresseurs  et  des  op- 
prim^s,  et  definitivement  un  inceiidie  gene- 
ral. Le  tort  des  etats  estd'avoir  contribue  k  le 
propager;  le  tort  des  ministres  est  de  I'avoir 
allume. 


DE  FRANCE,    CHAP.  XII.  27  I 


CHAPITRE  XII. 


Etats  de  la  langue  d'oc,  tenus  a  Toulouse  au  mois  de  sep- 
tembre  de  Fannee  i356. 


Pendant  que  la  discorde  agitoit  ses  bran- 
dons  sur  Paris ,  et  que  Ton  y  ^toit  plus  occu- 
pes  de  la  destitution  des  ministres  que  de  la 
delivrance  du  roi ,  la  ville  de  Toulouse  of- 
froit  un  spectacle  bien  different.  Le  due  de 
Normandie  y  avoit  reuni  les  etats  du  Lan- 
giledoc,  et  la  sagesse  presidoit  a  leurs  deli- 
berations. Persuades  que  le  moment  du 
danger  nest  pas  celui  des  reformes,  et  que 
pour  sauver  un  etat  sur  le  point  de  p^rir  il 
faut  autre  chose  que  des  discours,  au  lieu 
de  declarer  la  guerre  aux  conseillers  de  la 
couronne,  ils  donnent  au  gouvernement  les 
moyens  de  la  faire  a  Fennemi  commun  ;  et, 
par  une  deliberation  unanime,  ils  prennent 
Fengagement  de  lever  et  d'entretenir  cinq 
mille  hommes  d'armes,  a  deux  chevaux  au 


272  ASSEMBLEEIS    NATIONALES 

moins  chacun,  mille  archers  a  cheval,  et 
deux  mille  fantassins  armes  d  ecus. 

Les  etats,  portant  la soUicitude  plus  loin, 
ordonn^rent,  disent  les  chroniques,  «que 
((homines  ni  femmes,  pendant  Fannee,  si 
u\e  roi  netoit  auparavant  delivre,  ne  por- 
((teroient  sur  leurs  habits  or,  argent,  ni 
((perles,  ni  fourrures,  de  vert  ou  de  gris, 
((ui  robes,  ni  chaperons  d^coupes,  ni  au- 
(( tres  cointises  (orneraents)  quelconques,  et 
((qu'aucuns  menestriers  ni  jongleurs  ne 
(( j oueroient  de  leur  mestier  ou  instrument. » 

Les  etats  ayant  rempli  Tobjet  de  leur 
convocation  deput^rent  au  due  de  Nor- 
mandie  trois  d'entre  eux,  un  de  chaque 
ordre,  pour  lui presenter  et  lui  soumettre le 
cahier  de  leurs  deliberations.  Le  prince  les 
sanctionna  par  une  ordonnance  du  mois  de 
fevrier  i356.  Elle  est  en  latin;  voici  la  tra- 
duction des  articles  qui  concernent  le  sub- 
side accorde  par  les  etats  ( i ). 

((Les  etats  entretiendront  pendant  un 
an  cinq  mille  hommes  d'armes ; 

(0  Ordonnances  du  Louvre,  torn.  Ill,  pag.  99. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XH.  273 

«  La  solde  leur  sera  pay^e  par  quatre  tr^- 
soriers  g^n^raux  choisis  par  les  trois  ^tats ; 

«  Les  quatre  tresoriers  gen^raux  nomme- 
ront  des  tresoriers  particuliers  dans  chaque 
senechauss^e,  pour  lever  les  impositions ; 

«Nulle  personne,  meme  au  nom  du  roi, 
ne  pourra  lever  ce  subside,  ni  distribuer 
les  deniers  qui  en  proviendront ;  et  si  quel- 
qu'un  vouloit  s'y  ing^rer,  Fimposition  cesse- 
roit  aussitot ; 

«  La  solde  sera  pay^e  aux  gens  de  guerre 
par  les  quatre  tresoriers  genera ux,  sous  les 
ordres  de  vingt-quatre  personnes  choisies 
par  les  trois  ^tats ; 

(tCes  impositions  ne  dureront  qu'un  an. » 

Cette  ordonnance  est  remarquable  en  ce 

quelle  reconnoit  que  les  ^tats  ont  le  droit 

de  choisir  les  percepteurs  des  subsides  qu'ils 

accordent,  et  d'en  diriger  I'emploi. 

Une  semblable  disposition ,  qui  place  le 
depot  des  deniers  publics  ailleurs  que  dans 
les  mains  du  pouvoir  executif,  cheque  tei- 
lement  la  nature  des  gouvernements  mo- 
dernes,  qu'en  la  voyant  pour  Ja  premiere 
fois  dans  I'ordonnance  du  22  decembre  1 35r>, 

18 


274  ASSEMBLIES  NATIONALES 

on  est  tente  de  la  regarder  comme  arrachee 
par  la  force  a  la  foiblesse.  Mais  cet  odieux 
soupcon  ne  peut  pas  atteindre  les  etats  tenus 
a  Toulouse;  et  si  des  sujets  aussi  fideles, 
aussi  devoues,  ont  mis  cette  condition  aux 
subsides  qu'ils  accordoient,  il  faut  en  con- 
clure  quelle  n'avoit  rien  d'offensant  pour 
Fautorite  royale.  Nous  n'avons  que  des  no- 
tions imparfaites  a  cet  egard ;  mais  il  en  de- 
voit  etre  ainsi ,  et  cela  s'explique  par  la  dif- 
ference que  Ion  remarque  entre  les  subsides 
d'alors  et  les  impots  d'aujourd'hui. 

Aujourd'hui  nous  nommons  impot  la 
somme  que  cliacun  paie  a  la  societe  pour 
prix  de  la  protection  qu'il  en  recoit.  Ainsi 
un  impot  est  une  veritable  dette,  et,  dans 
les  rapports  qu'il  ^tablit,  le  contribuable 
est  le  debiteur,  et  1  etat  est  le  creancier.  Or 
il  seroit  contre  toutes  les  regies  qu'un  debi- 
teur fut  exclusivement  charge  de  faire  les 
diligences  necessaires  pour  procurer  a  son 
creancier  le  paiement  de  ce  qui  lui  est  dii. 
Dans  les  gouvernements  modernes  le  pou- 
voir  ex^cutif  qui  represente  letat  dans  tout 
ce  qui  est  d'ex^cution,  et  qui,  sous  ce  rap- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XII.  27$ 

port,  est  le  creancicr  de  tous  les  contribua- 
bles,  doit  done  etre  seul  charge  du  recoii- 
vreraent  des  imp6t8.  Cela  sort  de  la  nature 
des  choses ;  et  c'est  aussi  ce  que  nous  voyons. 

II  n'en  etoit  pas  de  meme  autrefois.  Nos 
rois,  a  Tepoque  qui  nous  occupe,  vivoient 
du  produit  de  leurs  domaines,  et  avec  ce 
produit  seul  subvenoient  h  la  depense 
de  leur  maison  et  aux  frais  du  gouverne- 
raent;  mais  si  les  personnes  etoient  fran- 
ches,  les  terres  etoient  grevees.  Chaque  fief 
etoit  assujetti  a  un  service  militaire  plus  ou 
moins  long,  suivant  son  importance.  Et 
toutes  les  fois  que  le  roi  faisoit  la  guerre,  les 
seigneurs  etoient  obliges  de  se  ranger  sous 
sa  banni^re,  non  comme  ses  sujets,  mais 
comme  ses  vassaux,  comme  desservant  les 
fiefs  qui  leur  appartenoient. 

Pendant  le  quatorzifeme  siecle,  de  longs 
et  sanglants  demeles  s'eleverent  entre  la 
France  et  FAngleterre.  On  sentlt  alors  la 
necessite  de  joindre  aux  armees  feodales 
des  troupes  soldees.  Nos  rois,  dans  I'impuis- 
sance  de  les  payer  avec  les  revenus  de  leurs 
domaines,  demandoientaux  etats-generaux, 

18. 


276  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

non  comme  une  dette,  mais  k  litre  de  se- 
cours,  les  sommes  qui  leur  etoient  neces- 
saires.  Lorsque  les  etats  vouloient  bien  les 
accorder,  comme  on  reconnoissoit  qu'ils  au- 
roient  pu  les  refuser,  on  reconnoissoit  aussi 
qu'ils  pouvoient,  sans  offenser  I'autorit^ 
royale,  sen  r^server  la  direction  et  I'em- 
ploi.  G'est  ce  que  Ion  faisoit,  et  cela  ne  cho- 
quoit  personne. 


DE   FRANCE.    CHAP.   XIII.  277 


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GHAPITRE  XIII. 

fitats-generauxdel'annee  1357. 

Suivant  la  Chronique  de  Saint-Denis,  les 
^tats-gen^raux  furent  assembles  trois  fois 
pendant  I'ann^e  iSSy :  la  premiere,  le  7  no- 
vembre,  dans  laquelle  il  ne  fut  rien  conclu ; 
la  seconde  le  2  Janvier;  il  y  fut  r^solu  seu- 
leraent  qu'on  affoibliroit  la  monnoie ;  et  la 
troisi^me  le  1 1  fevrier,  oil  Ion  octroya  un 
subside  sur  les  gens  deglise,  sur  les  villes  et 
sur  le  plat  pays. 

Ces  ^tats  furent  peu  nombreux.  Les  trou- 
bles qui  desoloient  la  France  empech^rent 
beaucoup  de  nobles  de  s'y  rendre,  et  beau- 
coup  de  villes  d'y  envoyer  des  deputes. 

Le  1 4  mars  iSSy,  et  par  consequent 
peu  de  temps  apres  la  fin  de  I'asserablee 
du  II  fevrier,  le  due  de  Normandie,  qui 
depuis  la  prison  de  son  p^re  avoit  porte  le 
titre  de  lieutenant  du  roi,  prit  celui  de  re- 


278  ASSEMBLEES    NATIONALES 

gent  du  royaume :  cela  fut  resolu  dans  une 
assemblee d'etats ;  carle  regent  declare,  dans 
des  lettres  du  18  mars,  qu'apr^s  avoir  eu 
mure  deliberation  avec  les  gens  du  grand 
conseil  du  roi  et  le  sien,  plusieurs  autres 
prelats,  barons,  et  bourgeois  des  bonnes 
villes ,  il  a  pris  le  nom  de  regent ,  et  le  gou- 
vernement  du  royaume.  H  y  a  grande  ap- 
parence  que  I'assemblee  d'etats  dont  le  re- 
gent parle  dans  ces  lettres  est  celle  qui 
commencale  n  fevrier  i35y. 

Le  18  fevrier  de  la  meme  annee  iSS^, 
Jean ,  comte  de  Poitiers ,  troisieme  flls  du  roi 
Jean,  et  lieutenant  du  roi  dans  tout  le  Lan- 
guedoc,  au-dela  de  la  Dordogne ,  adresse  des 
lettres  au  seneclial  de  Beaucaire,  par  les- 
quelles  il  lui  marque  que,  peu  de  temps  apres 
son  arrivee  dans  le  pays,  il  a  fait  assembler 
les  communautes  de  la  senecliaussee  de  Beau- 
caire, lesquelles  lui  ont  octroye  un  subside 
nomm^  capage,  et  il  lui  ordonne  de  le  faire 
lever  conFormement  a  Facte  du  consente- 
ment  des  communautes  qu'il  lui  envoie. 

Get  acteest  date  du  meme  jour,  1 8  fevrier. 
II  y  est  dit  que  ce  capage  se  paiera  pendant 


DE  FRANCE.    CHAP.   XIII.  279 

deux  mois ;  qu'il  sera  continue  pendant  deux 
autres  mois  si  la  {juerre  dure  encore;  et  qu'il 
sera  lev^  de  la  meme  mani^re  que  Font  ete 
les  capages  qui  ont  et^  accordes  precedem- 
ment,  par  des  personnes  qui  seront  deputees 
k  cet  effet ;  et  ^leur  defaut  par  les  juges  or- 
dinaires  de  ces  communautes. 

II  nest  pas  dit  par  qui  seront  nommees  les 
personnes  qui  leveront  ce  capage;  il  y  a 
apparence  qu'elles  le  furent  par  les  commu- 
nautes memes. 


28o  ASSEMBLIES  NATIONALES 


GHAPITRE  XIV. 

fitats-generaux  tenus  a  Comp^ne  en  i358. 

Le  calme  cammencant  k  se  retablir,  ces 
etats  furent  plus  nombreux  que  les  prece- 
dents. Gependant,  comme  les  troubles  n'e- 
toient  pas  entierement  apaises,  les  ecclesias- 
tiquesde  trente-quatre  dioceses,  les  nobles, 
et  les  deputes  de  dix-huit  bailliages,  refu- 
s^rent  de  s'y  rendre. 

Dans  les  derniers  etats  il  avoit  ete  arrete 
que  la  prochaine  assemblee  se  tiendroit  a 
Paris.  Le  prince,  craignant  Fagi.tation  qui 
regnoit  encore  dans  cette  ville,  ordonna 
qu'elle  auroit  lieu  h.  Gompiegne.  Les  Pari- 
siens  n'y  deput^rent  pas. 

Les  etats  s'ouvrirent  le  quatri^me  jour 
de  mai.  Dans  leur  premiere  seance  ils  vo- 
t^rent  des  actions  de  graces  au  regent  pour 
n'avoir  pas  desesper^  du  salut  de  la  France 
dans  des  temps  aussi  difficiles. 


DE  FRANCE.    CHAP.  XIV.  28 1 

Dans  une  seconde  stance  les  ^tats  im- 
prouv^rent  la  conduite  tenue  par  la  ville 
de  Paris ,  par  toutes  celles  qui  avoient  sou- 
tenu  son  parti,  et  declar^rent  nuls  tons 
les  actes  contraires  a  I'autorit^  du  regent. 

S'occupant  ensuite  des  besoins  de  la 
France,  les  trois  ordres  deliber^rent  unani- 
mement  qu'il  seroit  impost  un  subside  pareil 
k  celui  accorde  par  les  etats  de  Champagne. 

Les  etats  de  Champagne,  reunis  a  Vertus 
le  29  avril  precedent,  avoient  arrete  que 
dans  les  bonnes  villes  on  fourniroit  un 
homme  d'armes  par  soixante-dix  feux,  et 
que  dans  le  plat  pays  les  personnes  fran- 
ches  en  fourniroient  un  par  cent  feux,  et 
les  personnes  de  morte-main  et  de  fort-ma- 
riages  un  par  deux  cents  feux ;  que  les  gens 
d'eglise  paieroient  les  dixiemes  de  leurs  re- 
venus,  et  les  nobles  cinq  livres  pour  cent 
livres  de  revenu  en  terre;  que  les  bourgeois 
paieroient  comme  les  nobles  par  rapport 
aux  fiefs  qu'ils  possederoient,  et  qu'ils  paie- 
roient encore  avec  les  bourgeois;  que  cette 
aide  seroit  levee  par  des  preposes  de  leur 
choix,  et  par  eux  employee  k  la  solde  des 


282  ASSEMBLEES  NATIONALES 

gens  d'armes,  a  I'exception  du  dixi^me  qu'ils 
accord^rent  au  regent  pour  sa  depense. 

,Cette  assemblee  des  etats,  a  Compiegne, 
fut  suivie,  suivant  I'usage,  dune  ordon- 
nance  donnee  dans  cette  ville,  le  quator- 
zi^me  de  mai  i358,  ce  qui  prouve  que  le 
regent  y  avoit  assiste.  -    i      ;       ^ 

Cette  ordonnance  est  fort  remarquable; 
elle  renferme  des  dispositions  que  Ton  ne 
trouve  dans  aucune  autre,  et  qui  peuvent 
servir  a  faire  connoitre  I'etat  de  la  France  a 
cette  epoque :  en  voici  quelques  articles. 

Art.  5.  «Les  proprietaires  de  chasteaux, 
forteresses,  et  maisons  fortes,  seront  con- 
traints  de  les  mettre  en  estat  de  defense: 
s'ils  ne  le  font  pas,  on  y  pourvoira  a  leurs 
depens,  et  s'ils  n'ont  point  de  biens  dans  le 
pays ,  les  chasteaux ,  etc.,  seront  abattus.  Get 
article  sera  execute  par  les  capitaines  du 
pays,  appel^es  avec  eux  quelques  personnes 
des  trois  estats.      >  .  ■■  -  < 

Art.  g.  (t  U  ne  sera  plus  permis  de  visiter 
les  marchands  dans  les  chemins  et  dans  les 
villages,  mais  seulement  dans  les  ports  et 
dans  les  passages;  et  I'argent  qu'ils  porte- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XIV.  283 

ront  ne  sera  confiscable  que  lorsqu'ils  met- 
tiont  dans  le  commerce  des  monnoyes  de- 
fendues ,  ou  qu'ils  porteront  de  la  vaisselle  et 
du  billon  liors  du  royaume. 

Art.  1 6.  ((Le  regent  prendra  le  dixi^me 
de  I'aide  pour  Fentretien  de  son  hotel  et 
celuy  de  la  duchesse  son  epouse;  mais  s'il 
est  oblige  d'aller  combattre  les  ennemis,  les 
capitaines  des  pays  viendront  le  joindre  avec 
les  troupes  entretenues  des  deniers  de  Faide 
levee  dans  ces  pays.  .     !        .•  ' 

Art.  1 8.  (( II  ne  sera  plus  fait  de  prises  ni 
d'emprunts  forcez. 

Art  22.  «  Les  ecclesiastiques  seront  con- 
traints  a  payer  cette  aide  par  leurs  ordi- 
naires,  qui  pourront  uieme  se  servir  de 
Fexcommunication  contre  eux*,  mais  s'ils 
persistent  a  ne  point  payer,  ils  y  seront 
forcez  par  le  bras  seculier,  a  la  requeste 
des  ordinaires. » 


284  ASSEMBLERS  NATIONALES 


CHAPITRE  XV. 

Etat  de  la  France  a  I'ouverture  des  etats-generaux 
de  iSSg. 

Des  discordes  civiles  n'ont  que  trop  sou- 
vent  ensanglante  notre  belle  patrie.  Les 
unes,  renversant  le  trone  et  Fautel,  ont 
couvert  la  France  de  ruines,  et  il  n'en  est 
aucune  dont  la  duree  n'ait  excede  un  quart 
de  siecle;  les  autres  ont  passe  comme  des 
torrents,  n'emportant  que  des  hommes,  et 
laissant  debout  toutes  les  institutions  orga- 
niques  de  la  societe. 

Cette  difference  dans  la  duree  des  con- 
vulsions qui,  a  des  epoques  plus  ou  moins 
eloignees,  tourmentent  les  societes,  prouve 
que  toutes  n'ont  pas  lesmenies  causes,  et 
que  par  consequent  dans  toutes  les  moyens 
curatifs  ne  doivent  pas  etre  les  memes. 

Lorsque  francliissant  la  triple  barriere  de 
I'ignorance,  de  la  superstition,  et  du  despo- 
tisme,  le  temps  qui  ne  s'arrete  pas,  I'aniour 


DE   FRANCE.   CHAP.  XV.  285 

de  la  liberty  qui  ne  s'eteiiit  jamais,  et  les 
lumieres  qui  vont  toujours  en  se  propageant, 
ont  op^re  dans  les  usages,  dans  les  habi- 
tudes, dans  les  moeurs,  dans  les  besoins 
dune  nation,  des  cliangements  tels,  qu'une 
constitution  qui  lui  assure  la  liberty  de  con- 
science, la  liberte  civile  et  I'egalite  devant 
la  loi,  est  devenue  pour  elle  une  necessity  j 
si  les  conseillers  de  la  couronne  s'obstinent 
k  ne  rien  accorder,  une  revolution  eclatera, 
et  cette  revolution  sera  longue  et  sanglante, 
parcequ'elle  sera  fondee  sur  des  int^rets 
g^m^raux  et  legitimes,  et  que  sortie  du 
fond  des  choses  elle  sera  plus  forte  que  les 
liommes. 

Les  mouvements  populaires  que  des  es- 
prits  turbulents  et  ambitieux  parviennent 
quelquefois  a  exciter  ont  un  tout  autre  carac- 
t^re.  Quelles  que  soient  I'audace  des  chefs,  et 
la  force  des  masses  qu'ils  entrainent  a  leur 
suite,  forage  ne  sera  que  passager.  Au  pre- 
mier echec,  au  plus  leger  mecontentement, 
cette  multitude  qui  marche  vers  un  but 
quelle  ne  connoit  pas ,  et  pour  des  int^rets 
qui  ne  sont  pas  les  siens,  mettra  bas  les 


286  ASSEMBLIES    NATION  ALES 

ai  mes  et  brisera  ses  idoles.  Telle  fut  la  fin 
cles  troubles  qui  suivirent  les  etats-gen^raux 
de  i356. 

Le  due  de  Noi  mandie  avoit  et^  forc^  de 
quitter  Paris,  et  les  nouveaux  reformateurs 
y  re{jnoient  en  despotes.  Bientot  on  recon- 
noit  que  le  bien  public  n'etoit  qu'un  vain 
pretexte  dont  ils  coloroient  leur  ambition 
et  leur  avarice,  et  les  regards  commencent 
a  se  tourner  vers  le  trone.  Marcel  est  tue  par 
un  genereux  citoyen  au  moment  ou  il  ou- 
vroit  une  des  portes  de  la  ville  au  roi  de 
Navarre  (i)  etaux  Anglois.  A  I'instant  Paris 


(i)  Voici  comme  les  historlens  racontent  ces  faits. 
Pendant  la  nuit  du  3i  juillet  au  i*""  aout  i358,  Jean 
Maillard ,  qui  avoit  penetre  les  desseins  d'foienne  Marcel , 
Tavoit  suivi  se  dirigeant  vers  la  porte  Saint-Antoine ,  et 
comme  il  etoit  sur  le  point  de  I'ouvrir  aux  Anglois  et  aux 
soldats  du  roi  de  Navarre ,  il  I'arreta  en  lui  disant : 
Etienne,  que  fa'des-vous  ici  a  cette  heure?  Jean ,  repondit 
le  prevot,  a  vous  qu'en  monte  (qu'importe)  de  le  scavoir? 
Je  suis  ici  pour  prendre  garde  a  la  ville  dont  fai  le  gouver- 
nement.  Pardieu,  reprit  Maillard,  il  nen  va  mie  ainsi, 
mns  n'Stes  ici  a  cette  heure pournul  bien,  etje  vous  montre- 
rai ,  continua-t-il  en  s'adressant  a  ceux  qui  etoient  aupres 


DE  FRANCE.   CHAP.   XV.  287 

prend  une  face  nouvelle.  Le  peuple  desa- 
biise  massacre  les  chefs  de  la  faction.  L'^- 
veque  de  Laon  se  retire  dans  son  diocese, 
voyant  bien,  disent  les  clironiques,  quil 
avoit  tout  homis  et  gate.  Le  roi  de  Navarre  se 
refugie  honteusement  sous  les  drapeaux  du 
roi  d'Angleterre.  Le  due  de  Normandie,  ap- 
pele  par  tous  les  voeux,  rentre  dans  Paris 
aux  acclamations  de  tous  les  habitants,  et 
la  France  enti^re  suit  Fexemple  de  la  capi- 
tale.  Telle  etoit  la  disposition  des  esprits  ci 
Fouverture  des  etats-generaux  de  iSSg, 


de  lui ,  comme  it  tient  les  clefs  de  la  ville.  Jean ,  vous  men- 
tes,  repliqua  le  prevot;  mais  vous ,  Etienne,  mentis,  s'e- 
cria  Maillard  transporte  de  fureur.  En  meme  temps  il 
leve  sa  hache  d'armes :  Marcel  veut  fuir,  il  le  joint ,  le 
frappe  a  la  tete;  et  quoiqu'il  fut  arme  de  son  bassinet,  il 
le  renverse  a  sft»pieds.  Ses  compagnons  se  jettent  sur  les 
gens  du  prevot ;  ils  en  massacrent  une  partie  et  s'assu- 
rent  des  autres. 


ASSEMBLEES  NATIONALES 

GHAPITRE  XVI. 

]&tats-generaux  de  i^Sg. 

Le  regent  ouvrit  les  ^tats  par  la  lecture 
qu'il  fit  donner  des  conditions  auxquelles  le 
cabinet  de  Londres  attachoit  la  liberte  du 
roi  Jean.  Ges  conditions  etoient  si  humi- 
liantes  et  si  d^sastreuses  qu'elles  furent  re- 
jet^es  par  acclamation,  et  que  les  trois  or- 
dres  resolurent  unanimement  de  continuer 
la  guerre,  et  de  lafaire  bonne  et  durei^i). 

«  Le  roi  Jean ,  dit  Mezerai ,  quoy qu'il  eust 
toute  liberte,  mesme  de  la  chasse  et  de  toutes 


(i)  Par  ce  traite  le  roi  Jean  cedoit  au  «t>i  d'Angleterre 
les  duches  de  Normandie  et  de  Guienne,  la  Saintonge, 
I'Aunis,  Tarbes,  le  Perigord,  le  Quercy,  le  Limousin, 
le  Bigorre,  le  Poitou,  I'Anjou,  le  Maine,  la  Touraine, 
les  comtes  de  Boulogne,  de  Guines,  et  de  Ponthieu, 
Montreuil-sur-Mer,  et  Calais,  pour  les  posseder  en  toute 
souverainete ;  il  pretendoit  encore. qu'on  abanJonn^t  la 
suzerainete  du  duche  de  Bretagne;  il  exigeoit  enHn 
quatre  millions  d'ecus  d'or  pour  la  rangon  du  roi. 


DE    FRANCE.  CHAP.  XVI.  289 

les  galanteries,  s'ennuyoit  fort  de  sa  prison. 
Neanmoins  il  se  remettoit  aux  etats  de  son 
royaume  des  conditions  que  I'Anglois  luy 
proposoit  pour  sa  delivrance.  Les  etats  as- 
semblez  a  Paris  pour  cela  ( ce  fut  au  mois  de 
may)  les  trouv^rent  si  rudes ,  que  tout  d'une 
voix  ils  choisirent  plustost  la  guerre,  et  of- 
frirent  de  grands  secours  pour  la  faire. » 

Les  C  h  roniques  de  Froissard  nous  donnen  t 
des  details  beaucoup  plus  circonstancies  sur 
la  mani^re  dont  les  choses  se  pass^rent  dans 
cette  memorable  assemblee.  Nous  y  lisons : 

«  Si  pass^rent  ledit  comte  de  Tancarville 
et  ledit  marechal,  la  mer,  et  arriv^rent  a 
Boulogne,  et  exploiterent  tant  qu'ils  vinrent 
a  Paris.  Si  trouv^rent  le  due  de  Normandie 
et  le  roi  de  Navarre  qui  nouvellement  se- 
toientaccordes.Sileurmontr^rentleslettres 
devant  dites.  Adoncques  en  demanda  le  due 
de  Normandie  conseil  au  roi  de  Navarre 
comment  il  sen  pourroit  maintenir.  Le  roi 
conseilla  que  les  prelats  et  les  barons  de 
France,  et  le  conseil  des  cites  et  des  bonnes 
villes  fussent  mandes ;  car  par  eux  et  leur 
ordonnance  convenoit  cette  chose  passer. 

19 


290  ASSEMBLEES  NATIONALES 

Ainsi  fut  fait.  Le  due  de  Normandie  manda 
sur  un  jour  la  plus  grande  partie  des  nobles 
et  des  prelats  du  royaume  de  France ,  et  le 
conseil  des  bonnes  villes.  Quand  ils  furent 
tous  venus  a  Paris,  ils  entr^rent  au  conseil. 
La  etoient  le  roi  de  Navarre,  le  due  de  Nor- 
mandie, ses  deux  fr^res,  le  comte  de  Tancar- 
ville,  et  messire  Arnoul  d'Andrehen  (Aude- 
neliam ),  qui  remontrerent  la  besogne  et  sur 
quel  etat  ils  etoient  venus  en  France.  La  fu- 
rent les  lettres  lues ,  relues,  et  si  bien  ouies  et 
entendues,  et  de  point  en  point  considerees 
et  examinees.  Si  ne  purent  adoncques  etre 
les  conseils  en  general  du  royaume  de  France 
d'accord,  etleursembla  cil  (ce)  traite  Irop 
dur :  et  repondirent  dune voix  auxdits mes- 
sagers  que  ils  auroient  plus  cher  a  endurer 
et  porter  encore  le  grand  meschef  et  mis^re 
oil  ils  Etoient,  que  le  noble  royaume  de 
France  fut  ainsi  amoindri  ni  d^fraud^,  et 
que  le  roi  Jean  demeurat  encore  en  Angle- 
terre ;  et  que ,  quand  il  plairoit  a  Dieu ,  il  y 
pourverroit  de  remede  et  metteroit  ottrem- 
pance  (adoucissement). »  Ce  fut  toute  la 
reponse  que  le  comte  de  Tancarville  et  mes- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XVI.  29  I 

sire  Arnoul  d'Andrehen  (Audeneham)  en 
purent  avoir. 

En  consequence  de  cette  resolution,  les 
^tats  r^gl^rent  que  les  nobles  serviroient  un 
mois^  leurs  depens,  non  compris  dans  ce 
mois  le  temps  qu'ils  seroient  en  route  pour 
se  rendre  a  I'armee  et  pour  en  revenir;  et 
qu'ils  paieroient  les  impositions  octroy^es 
par  les  bonnes  villes.  Les  gens  d'eglise  of- 
frirent  aussi  de  les  payer.  La  ville  de  Paris 
s'engajjea,  pour  elle  et  pour  la  vicomte, 
d'entretenir  six  cents  glaives  (fantassins), 
quatre  cents  archers,  et  mille  brigands  (i). 
Les  deputes  des  autres  villes  ne  voulurent 
rien  octroyer  sans  parler  a  leurs  villes ^  par- 
ceque  apparerament  on  ne  leur  avoit  pas 
donn^  pouvoir  d'accorder  un  subside.  On 
ordonna  qu'ils  sen  retourneroient  dans  leurs 


(i)  On  donnoit  ce  nom  a  des  soldats  enroles  sous  les 
ordres  d'un  aventurier,  qui  vendoit  leurs  services  a  qui- 
conque  vouloit  les  payer;  et  qui,  par  forme  de  supple- 
ment de  solde,  ravageoient  les  pays  qu'ils  parcouroient, 
ceux  qu'ils  etoient  appeles  a  defendre  comma  ceux  contre 
lesquels  leurs  forces  etoient  dirigees. 


292  ASStMBL^ES  NATION  ALES 

villes  et  qu'ils  enverroient  leur  reponse 
avant  le  lundi  qui  suit  la  Trinite.  Plusieurs 
villes  envoy ^rentcette  reponse,  qui  fut  que 
leplat  pays etantdietruit par  lesAnglois  etles 
Navarrois,  et  par  les  garnisons  Francoises, 
elles  ne  pouvoient  accomplir  le  nombre  de 
douze  cents  glaives  qui  avoient  ete  accor- 
d^s.  Dans  les  memes  etats  le  prince  retablit 
dans  leurs  dignites  les  ministres ,  et  ceux  de 
ses  grands-officiers  que  les  etats  de  i356  I'a- 
voient  forc^  d'eloigner  de  sa  personne,  (Pre- 
face du  tome  III  des  Ordonnances, ) 


DE  FRANCE.   CHAP.  XVII.  298 


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CHAPITRE  XVII. 

Suite  des  etats-generaux  de  iSSg.  Reprise  des. 
hostilites.  Paix  de  Bretigny. 

Edouard  ne  fut  pas  plus  tot  inform^  que 
les  etats-g^eneraux  du  royaume  avoient  re- 
fuse de  ratifier  le  traite  passe  entre  lui  et  le 
roi  Jean ,  que,  se  croyant  offense  par  cette 
conduite,  il  prit  la  resolution  de  sen  venger 
par  une  invasion  en  France. 

La  reputation  brillante  du  roi  et  du  prince 
de  Galles,  I'eclat  du  succ^s  de  leurs  pre- 
mieres entreprises,  et  fespoir  de  piller  im- 
pun^mentles  provinces  de  France  ouvertes. 
a  I'ennemi,  attirerent  sous  les  drapeaux  d'E- 
douard  toutce  qui  etoit  capable  de  porter  les 
armes  en  An^^^leterre;  et  il  se  rendit  a  Calais 
avec  une  arraee  de  cent  mille  liommes  (i). 

Le  regent,  dans  une  circonstance  aussi 


(1)  Froissard,  liv.  1",  chap,  clxxxvii. 


294  ASSEMBLEES  NATIONALES 

difficile,  donna  un  grand  exemple  de  pru- 
dence et  de  sagesse.  Dans  Timpuissance  de 
r^sister  a  un  torrent  si  superieur  a  ses  forces, 
il  lui  abandonna  le  plat  pays,  se  contenta  de 
pourvoir  a  la  defense  des  places  fortes,  de 
mettre  Paris  a  I'abri  de  la  famine  et  dun 
assaut  par  une  forte  garnison  et  d'amples 
magasins  de  vivres,  et  il  s'y  tint  renferme. 

Edouard,  apr^s  avoir  ravage  la  Picardie, 
se  porta  sur  la  Champagne;  et  dans  I'espoir 
de  se  faire  couronner  roi  de  France  a  Reims, 
il  mit  le  siege  devant  cette  ville.  Les  habi- 
tants encourages  par  leur  eveque,  Jean  de 
Graon,la  defendirent  si  vaillammentque  la 
saison  avancee  obligea  Edouard  a  se  re- 
tirer. 

Apr^s  avoir  ravage  la  Champagne , 
Edouard  se  dirigea  sur  la  Bourgogne,  prit  et 
pilla  Tonnerre,  Gaillon ,  Avalon ,  et  d'autres 
petites  places  :  le  due  de  Bourgogne  sauva 
le  reste  de  la  province  par  une  forte  contri- 
bution. De  la  Bourgogne  Edouard  porta 
son  armee  et  ses  ravages  dans  le  Nivernois, 
devasta  ensuitela  Brie  et  le  Gatinois,  et  parut 
enfin  aux  portes  de  Paris ;  prit  ses  quartiers 


DE  FRANCE.  CHAP.  XVII.  296 

au  Bourg-la-Reine,  et  ^tendit  son  armde  a 
Longjumeau ,  a  Mont-Rougfe,  et  a  Vaugirard. 
Apr^s  quelques  semaines  d'un  blocus  inu- 
tile, ne  pouvant  plus  faire  subsister  son  ar- 
mee  dans  un  pays  totalement  mine,  il  la 
repandit  dans  les  provinces  du  Maine,  de  la 
Beauce,  et  dans  le  pays  Chartrain. 

Cependant  on  parloit  de  paix.  Mais  comme 
Edouard  insistoit  sur  I'execution  du  trait^ 
de  Londres,  et  que  le  regent  le  rejetoit  avec 
hauteur,  on  ne  voyoit  aucune  apparence 
d'accommodement. 

La  disette,  les  maladies,  un  orage  ^pou- 
vantable  qui  jeta  la  terreur  dans  son  arm^e, 
et  plus  encore  la  defense  lieroique  de  tou- 
tes  les  villes  ferm^es,  determinerent  enfin 
Edouard  k  se  rendre  moins  difficile  sur  les 
conditions  de  la  paix.  Des  commissaires 
francois  et  anglois  setant  reunis  dans  le 
village  de  Bretigny,  elle  fut  enfin  conclue 
le  8  mai  i36o,  aux  conditions  suivantes:  il 
fut  stipule  que,  pour  prix  de  sa  liberie, 
Jean  paieroit  a  titre  de  rancon  trois  mil- 
lions d'ecus  d'or,  ce  qui  repi^esente  une 
sorame  de  quarante  millions  de  notre  nion- 


296  ASSEMBLEES  NATIONALES 

noie  actuelle;  qu'fidouard  renonceroitpour 
toujours  a  ses  pretentions  sur  la  couronne 
de  France  et  sur  les  provinces  de  Norman- 
die,  du  Maine,  de  la  Touraine,  et  de  I'An- 
jou ,  poss^dees  par  ses  ancetres ;  qu'il  rece- 
vroit  en  echange  le  Poitou,  la  Saintonge, 
I'Agenois ,  le  Perigord  ,  le  Limousin  ,  le 
Quercy,  le  Rouergue,  TAngoumois  avec 
Calais,  Guines,  Montreuil,  et  le  comte  de 
Pontliieu;  que  la  pleine  souverainete  de 
toutes  ces  provinces,  aussi  bien  que  celle 
de  la  Guienne,  appartiendroit  a  la  couronne 
d'Angleterre ,  et  que  celle  de  France  renon- 
ceroit  sur  elles  a  tout  droit  de  juridiction,  de 
foi  et  liommage ,  et  d'appel ;  enfin  que  pour 
assurer  I'execution  du  trait^  quarante  otages 
seroient  donnes  au  roi  d'Angleterre  (i). 

Les  deux  rois  serendirentensuite  a  Calais, 
et  le  8  juillet  i36o  ratifi^rent  le  traite  con- 


(i)  Ces  otages  furent  les  deux  fils  du  roi ,  Jean  et  Louis ; 
Philippe  due  d'Orleans  son  frere;  le  due  de  Bourbon; 
Jacques  de  Bourbon  comte  de  Ponthieu ;  les  comtes 
d'Eu,  de  Longueville,  de  Saint-Pol,  d'Harcourt,  deVen- 
dome,  de  Couci,  de  Craon,  de  Montmorenci ,  etc. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XVII.  297 

clii  k  Br^tigny.  Libre  enfin,  le  roi  Jean 
rentra  dans  son  royaume. 

Jean  eut  pour  successeur  Charles  V.  Ce 
prince,  eleve  a  Tecole  du  mallieur,  fut  le 
premier  roi  des  temps  modernes  qui  com- 
prit  qu'une  politique  habile  pouvoit  lutter 
avec  avantage  contre  les  armees  les  plus 
formidables ;  et  dans  I'impuissance  de  pre- 
valoir  sur  son  red ou  table  adversaire  par  la 
force  des  armes,  il  rait  les  destinees  de  son 
royaume  sous  la  garde  de  la  sagesse,  de  la 
moderation ,  et  de  la  prudence. 

Quoique  le  traite  de  Londres  fut  bien 
moins  desastreux  que  celui  de  Bretigny,  on 
avoit  cependant  cru  devoir  le  soumettre  aux 
etats-generaux  de  i35c),  et  ces  etats,.comme 
on  Fa  vu  dans  le  chapitre  precedent,  avoient 
refuse  de  le  ratifier.  II  etoit  done  etabli  par 
un  precedent  bien  solennel  que  le  roi,  ne 
jouissant  de  la  souverainete  qua  titre  de 
depot,  ne  pouvoit  en  aliener  aucun  des 
attributs  sans  le  concours  de  la  nation ;  et  la 
nation,  ou  ce  qui  est  la  meme  chose  ses 
representants ,  n  etoient  pas  intervenus  dans 
le  traite  de  Bretigny. 


298  ASSEMBLIilES  NATIONALES 

Mais  le  temps  de  se  prevaloir  de  cette 
nullite  n'etoit  pas  encore  arrive.  II  falloit  au- 
paravant  retablir  Tordre,  creer  une  armee, 
et  sur-tout  rendre  a  la  nation  sa  force  mo- 
rale que  tant  de  malheurs  lui  avoient  fait 
perdre. 

Charles  remplitsi  heureusement  ce  triple 
objet  que  dans  peu  nous  le  verrons  se  res- 
saisir,  de  concert  avec  les  etats-generaux , 
de  la  souverainet^  alienee  par  le  traite  de 
Bretigny. 

On  trouve  dans  quelques  ordonnances 
des  indications  detats-generaux  assembles 
pendant  I'annee  i36o,  mais  on  n'y  voit  ni  le 
lieu  ni  le  temps  oil  ces  assemblees  auroient 
eu  lieu. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XVIII.  299 

GHAPITRE  XVIII. 

Etats-generaux  de  Tannee  i3^. 

Ces  etats  paroissent  avoir  ^chappe  aux  au- 
teurs  de  nos  ancieniies  chroniques,  et  les 
details  qui  les  concernent  nous  sontpeu  con- 
nus ;  mais  ils  out  eu  lieu  sous  Gliarles-le-Sage, 
et  tout  ce  qui  appartient  a  ce  beau  regne  est 
precieux.  Je  vais  done  rapporter  a-peu-pr^s 
ce  que  Ton  en  sait  (i). 

Vers  le  commencement  du  mois  de  juil- 
let  1367,  il  se  tint  a  Ghartres  une  assem- 
blee  des  etats  de  plusieurs  provinces  du 
royaume:  peu  de  jours  apres  elle  fut  trans- 
feree a  Sens. 

Ges  etats  ne  sont  connus  que  par  trois 
ordonnances  donnees  a  Sens,  I'unele  19  de 
juillet  1867 , 1'autre  le  lendemain,  et  la  der- 


(i)  Voyez  la  preface  du  tome  V  des  Ordonnances  du 
Louvre. 


300  ASSEMBLIES  NATIONALES 

ni^re  donn^e  dans  le  mois  de  juillet  sans 
date  du  jour. 

La  premiere  porte  que  le  roi  ayant  ^t«5 
inform e  que  plusieurs  gens  de  compagnies  (i) 
avoient  resolu  de  rentrer  dans  le  royaume 
pour  le  piller,  et  desirant  prendre  les  me- 
sures  necessaires  pour  leur  resister,  il  a  fait 
assembler  en  sa  presence,  dans  la  ville  de 


(i)  Ces  compagnies  etoient  une  armee  assez  conside- 
rable quele  prince  de  Galles,  fils  aine  d'Edouard  III  due 
d'Aquitaine,  avoit  conduite  en  Espagne  au  secours  de 
don  Pedre,  roi  de  Castille ,  attaque  par  son  frere  na- 
ture! ,  qui  lui  disputoit  la  couronne. 

Charles  V,  prevoyant  qu'a  leur  retour  en  France  ces 
troupes  sans  discipline  et  mal  payees  sere'pandroient  dans 
les  pays  de  Champagne,  Bourgogne,  etc.,  assembla  les 
trois  ordres  de  ces  six  provinces,  afin  de  concerter  avec 
eux  les  niesures  les  plus  propres  a  prevenir  les  desordres 
que  cette  soldatesque  ne  manqueroit  pas  de  commettre  : 
cela  explique  pourquoi  ces  etats  ne  furent  composes  que 
de  de'putes  de  Champagne,  de  Bourgogne,  de  Berri ,  de 
I'Auvergne,  de  Bourbonnois,  et  de  Nivernois. 

L'evenementjustifia  la  sage  prevoyance  de  Charles  V. 
Vers  decembre  iSG^  les  compagnies  sortirent  de  la 
Guienne;  elles  passerent  la  Loire  aMarcilli  (en  Forest), 
et  penetrerent  dans  I'Auvergne  et  dans  les  autres  pro- 
vinces que  Ton  avoit  tache  de  mettre  en  etat  de  defense. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XVIII.  3oi 

Cliartres,  plusieurs  prelats  et  autres  gens 
deglise,  et  plusieurs  nobles,  et  plusieurs 
gens  des  bonnes  villes  de  Champagne,  de 
Bourgogne,  de  Berri,  de  I'Auvergne,  du 
Bourbonnois,  du  JNivernois,  de  Cepoy,  de 
Saint-Jangou ,  et  de  Saint-Pierre-le-Mous- 
tier,  et  que  leur  ayant  fait  exposer  le  danger 
dont  le  royaume  etoit  menace,  il  a,  par 
leur  avis  et  par  celui  des  gens  de  son  grand 
conseil,  fait  les  reglements  qui  ont  ete  juges 
necessaires  pour  la  defense  du  royaume. 

Ges  reglements  sont  I'objet  des  sept  pre- 
miers articles  de  I'ordonnance,  et  les  sui- 
vants  en  contiennent  d'autres  sur  la  percep- 
tion des  droits  des  aides. 

On  lit  dans  le  preambule  de  I'ordonnance 
du  20  juillet  que  le  roi,  pour  des  causes  qui 
touchent  la  garde,  la  suret^  et  I'utilite  de 
son  royaume ,  est  venu  dans  la  ville  de  Sens , 
ou  il  a  fait  assembler  les  deputes  des  trois 
ordres  de  plusieurs  provinces;  qu'apr^s  avoir 
regie  les  affaires  qui  avoient  donne  lieu  k  la 
Convocation  de  cette  assemblee ,  il  a  recu  les 
supplications  de  ses  sujets  qui  lui  ont  fait 
exposer  plusieurs  griefs  qui  leur  ont  ete  faits 


3o2  ASSEMBLEES  NATIONALES 

par  la  perception  des  droits  des  aides,  et  par 
rapport  a  d'autres  objets  \  et  qu'apr^s  avoir 
pris  I'avis  de  son  conseil,  il  a  fait  une  or- 
donnance  pour  reformer  les  abus  dont  on 
se  plaignoit.  Elle  contient  des  reglements 
sur  differentes  mati^res. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XIX.  3o3 


CHAPITRE  XIX. 

Etats-geiidraux  de  iSGg. 

Deja  hnit  ans  s  etoient  ecoules  depuis  la 
signature  du  traite  de  Bietigny,  et  la  con- 
noissance  n'en  avoit  pas  encore  ^te  donnee 
aux  etats-generaux.  Gependant  il  s'execu- 
toit,  du  moins  quant  a  la  souverainete  de  la 
Guienne,  c^dee  par  ce  traite,  et  le  roi  d'An- 
glcterre  en  jouissoit  sans  contradiction.  Mais 
le  raisonnement  chez  les  uns,  une  sorte  d'in- 
stinct  chez  les  autres,  r^v^loient  a  tous  les 
habitants  de  ces  contr^es  que  le  roi  n'avoit  pas 
eu  le  pouvoir  de  rompre  seul  les  liens  qui  les 
attachoient  asacouronne.  Gette  opinion  etoit 
celle  de  toute  la  France;  et  les  deux  parties 
de  ce  grand  corps,  violemment  s^parees, 
n'attendoient  pour  se  reunir  qu'une  occasion 
favorable  et  des  temps  plus  heureux. 

Ces  temps  plus  heureux  arriv^rentenfin. 
Auretour  de  I'expMition  brillante,  mais  rui- 
neuse,  qu'il  avoit  faite  en  Espagne,  fidouard 


3o4  ASSEMBLIES  NATIONALES 

imposa  une  nouvelle  taxe  sur  la  Guienne. 
Une  partie  de  la  noblesse  ne  s'y  sourait  qu'a- 
vec  une  extreme  repugnance,  et  I'autre  s'y 
refusa  constamment.  Un  refus  si  prononce 
ranima  I'aversion  naturelle  des  habitants 
contre  les  Anglois.  lis  se  plaignirent  de  ce 
qii^on  les  traitoit  comme  un  peuple  conquis; 
de  ce  qii'on  violoit  leurs  privileges ;  de  ce  que 
les  Anglois  seuls  captivoient  la  confiance  du 
prince,  et  de  ce  que  toutes  les  places  hono- 
rables  ou  lucratives  etoient  donnees  a  ces 
etrangers. 

Le  sire  d'Albret  et  les  comtes  d'Armagnac , 
de  Perigord,  de  Comminges,  et  de  Carmaing, 
se  declar^rent  ouvertement  contre  leur  nou- 
veau  souverain ;  mais  trop  foibles  pour  resis- 
ter  seuls  aux  forces  de  I'Angleterre,  ils  se 
rendirent  a  Paris,  adress^rent  leurs  griefs 
au  roi  et  lui  demand^rent  justice. 

Charles  V  qui,  par  une  administration 
constamment  habile  et  sage,  etoit  parvenu 
a  retablir  Fordre  dans  ses  finances  et  la  dis- 
cipline dans  son  armee,  accueillit  leurs 
plaintes.  Un  arret  du  parlement  recut  I'ap- 
pel  des  jugements  qui  les  avoient  condamn^s 


DE   FRANCE.    CHAP.   XIX.  3o5 

k  payer  le  nouvel  impot.  Par  le  meme  arret 
il  fut  enjoint  au  due  de  Guienne  de  compa  - 
roitre  devant  la  cour  des  Pairs  pour  y  rendre 
compte  de  sa  conduite  envers  ses  vassaux,  et 
deux  chevaliers  envoyes  a  Bordeaux  lui 
notifi^rent  cet  ajournement  en  parlant  k  sa 
personne. 

Ces  actes ,  qui  supposoient  dans  le  roi  de 
France  la  double  quality  de  souverain  etde 
suzerain  de  la  Guienne ,  etoient  autant  d  in- 
fractions au  traite  de  Br^tigny  dont  I'ar- 
ticle  1 2  est  concu  en  ces  termes :  Le  roi  de 
France  et  son  fils  aine  renonceront  expresse- 
mentauxdits  ressorts  et  souverainetez,  eta  tons 
les  droits  quils  out,  ou  peuvent  avoir,  sur  tous 
les  pays  qui  par  le  present  traite  doivent  ap- 
partenir  au  roi  d'Angleterre. 

Cette  disposition  est  si  claire,  la  renoncia- 
tion  au  droit  de  ressort  et  de  souverain et^ 
y  est  consignee  dans  des  termes  si  explicites, 
que  le  refus  de  Fexecuter  ne  pouvoit  ^tre 
justifie  que  par  la  seule  consideration  que 
le  trait^  de  Br^tigny  n'auroit  pas  ete  revetu 
des  formalites  necessaires  pour  le  rendre 
obligatoire.  Mais  Charles  V  I'avoit  sign^  en 

20 


3o6  ASSEMBLIES  NATIONALES 

qualite  de  regent,  et  le  roi  Jean  I'avoit  ra- 
tifie  (i).  Le  d^faut  de  concours  de  la  nation 


(i)  On  lit  dans  VHistoire  (f  Angleterre  de  Rapin  Thoiras, 
sous  I'annee  1 36o :  «  Ge  fameux  traite ,  dont  la  negocia- 
« tion  ne  dura  que  huit  jours,  fut  approuve  par  les  deux 
«  rois :  Jean  fut  conduit  k  Calais  au  mois  de  juillet ,  et  y 
i<  sejourna  quatre  mois ,  ainsi  qu'on  en  etoit  convenu. . . 
a  On  employa  ces  quatre  mois  a  dresser  tous  les  actes 
n  necessaires,  tant  pour  Texplication  que  pour  la  confir- 
«  mation  et  I'execution  du  traite,  afin  qu'ils  pussent  tous 
«  etre  signes  en  un  jour.  Ce  ne  fut  que  le  24  d'octobre 
«  que  les  deux  rois  le  signerent  et  en  jurerent  I'observa- 
« tion  dans  Calais  ou  Edouard  s'etoit  rendu  quelques 
«  jours  auparavant.  Toutes  les  affaires  qui  concernoient 
"  le  traite  e'tant  terminees,  le  roi  Jean  fut  mis  en  liberte 
«  le  26  du  meme  mois. 

«  Des  que  Jean  fut  arrive  a  Saint-Omer,  il  y  ratifia 
"  par  un  serment  volontaire,  et  par  ses  lettres-patentes , 
«<  chacun  des  articles  du  traite  de  Bretigny.  Par-lh  il  fit 
«  voir  qu'on  ne  lui  avoit  fait  aucune  violence  k  Calais 
upour  I'obliger  a  le  jurer.  Le  reste  de  sa  conduite  fut 
«  conforme  a  cette  premiere  demarche.  II  fit  connoitre  en 
"  toutes  occasions  que  son  intention  etoit  d'executer  ses 
M  engagements,  jusqu'a  ce  qu'enfin  il  en  donn^t  la  preuve 
"la  plus  sensible  en  mettant  Edouard  en  possession  du 
"  pays  qui  lui  avoit  ete  cede.  II  y  eut  seulement  quel- 
«  ques  difficultes  touchant  le  comte  de  Gaure  en  Gascogne , 
u  et  la  terre  de  Belleville  en  Poitou ,  sur  laquelle  les  deux 
"  rois  ne  purent  point  s'accorder.  »> 


DE  FRANCE.   CHAP.  XIX.  807 

etoit  done  la  seule  niiUite  qu'il  fut  possible 
dalleguer:  aussi  allons-nous  voir  le  roi  con- 
voquer  les  etats-f^en^raux  de  son  royaurae , 
et  leur  soumettre  la  question  de  savoir  s'il 
avoit  pu  legalement  recevoir  I'appel  des  tri- 
bunaux  de  la  Guienne. 

On  nest  pas  d'accord  sur  la  qualification 
que  Ion  doit  donner  a  cette  assemblee.  Les 
uns  lui  refusent  celle  d'etats-generaux,  les 
autres  la  lui  accordent.  ull  est  difficile,  dit 
«  M.  Secousse  ( i )  dans  sa  preface  du  VF  tome 


(i)  Denis  Francois  Secousse,  de  I'Academie  des  in- 
scriptions et  belles-lettres,  naquit  a  Paris  le  8  Janvier  1691 ; 
il  fut  eleve  de  M.  Rollin.  Son  pere,  avocat  celebre,  le 
destinoit  au  barreau,  et  il  fut  en  effet  recu  avocat 
en  17 10,  A  la  mort  de  son  pere,  il  se  livra  tout  entier  a 
I'etude  de  I'histoire.  II  fut  recu  a  I'Acade'mie  des  belles- 
lettres  en  1722,  et  le  recueil  de  cette  Academic  est  plein 
de  savants  memoires  qu'il  a  lus. 

M.  Secousse  qui  d'abord  embrassoit  toute  I'histoire  se 
borna  dans  la  suite  a  I'histoire  de  France.  II  fut  charge 
du  grand  recueil  des  ordonnances  de  nos  rois  de  la  troi- 
sieme  race  en  1728  ,  apres  M.  de  Lauriere.  Devenu 
aveugle  plusieurs  annees  avant  sa  mort,  il  se  fit  faire 
sans  succes,  en  1761 , 1'operation  de  la  cataracte.  II  mou- 
rut  le  iS  mars  1754. 

20. 


3o8  ASSEMBLIES  NATIONALES 

«  des  Ordonnances  du  Louvre,  il  est  difficile 
K  de  decider  si  cette  assemblee  doit  etre  mise 
«au  rang  des  etats-generaux ,  ou  si  ce  fut 
((seulement  un  de  ces  conseils  extraordi- 
«  naires  que  nos  rois  convoquoient  quelque- 
(( fois  lorsqu'ils  avoient  a  deliberer  sur  des 
«  affaires  majeures.  Je  penchois  vers  ce  der- 
«  nier  sentiment  lorsque  je  travaillois  a  la 
«  preface  du  V^  volume  de  ce  recueil,  dans 
« laquelle  j'aurois  du  parler  de  cette  assem- 
«blee,  si  je  I'eusse  regardee  alors  comme 
«  une  convocation  d'etats-generaux.  Ayant 
«  relu  depuis  avec  attention  ce  qu'en  disent 
« les  Chroniques  de  Saint-Denis,  j'ai  change 
«  d'avis  non  seulement  parceque  cette  as- 
wsemblee  fut  composee  de  trois  ordres, 
«  mais  parcequ'il  est  dit  qu  il  y  assisla  des 
«  person  nes  envoyees  par  le  clerge  et  par  les 
«  villes.  Cette  deputation  est  ce  qui  caracte- 
«rise  les  assemblees  des  etats -genera ux,  et 
«  qui  les  distingue  des  assemblees  des  nota- 
«  bles,  qui  ne  sont  formees  que  de  ceux  que 
wle  roi  a  nommes  pour  y  assister,  et  des 
«  conseils  extraordinaires. « 

La  Ghronique  de  Saint-Denis,  que  cite 


DE  FRANCE.    CHAP.  XIX.  3o9 

M.  Secousse,  paroit  etre  la  seule  qui  expose 
avec  detail  ce  qui  s'est  pass^  dans  cette  as- 
semblee.  Voiei  coinme  elle  en  parle : 

«  La  veille  de  FAscension,  Charles  V  vint 
«en  la  chambre  du  parlement,  et  Ton  ob- 
«serva  le  ceremonial  qui  est  en.  usage  lors- 
«  que  les  rois  de  France  honorent  cette  com- 
«  pagnie  de  leur  presence.  La  reine  estoit  a 
«  coste  du  roy,  et  le  cardinal  de  Beauvais , 
(f  cliancelier  de  France,  estoit  assis  au-des- 
«sous,  dans  la  place  ou  se  met  ordinaire- 
«  ment  le  premier  president.  A  ce  rang,  sur 
« les  memes  bancs  et  par  terre,  estoient  assis 
« les  gens  d'^glise  qui  avoient  este  envoy ez  a 
(( cette  assemblee,  les  archeveques  de  Reims 
«  et  de  Tours,  quarante  eveques,  etplusieurs 
«abbez.  Sur  les  bancs  oil  estoient  assis  les 
«  conseillers-lais  du  parlement,  estoient  pla- 
«cez  les  dues  d'Orleans  et  de  Bourgogne, 
« les  comtes  d'Alencon,  d'Eu,  etd'Estampes , 
«  et  plusieurs  autres  nobles.  II  y  avoit  un  si 
«  grand  nombre  de  gens  des  bonnes  villes  qui 
« avoient  este  envoyez  a  cette  assemblee, 
«que  toute  la  chambre  en  estoit  pleine. 

«Le  chancelier  et  son  fr^re,  Guillaume 


3  Id  ASSEMBL^bS   NATION  ALES 

ude  Dormans,  qui  estoit  de  retour  d'Angle- 
« terre  ou  Charles  V  Favoit  envoye ,  dirent 
«a  Tassemblee  que  le  roi  ayant  ete  requis, 
«par  les  seigneurs  et  les  habitants  de  la 
uGuyenne,  de  recevoir  les  appels  qu'ils 
«  avoient  interjetez  du  prince  de  Galles  leur 
«  due,  il  les  avoit  recus,  et  avoit  decerne  un 
«  ad journement  centre  ce  prince;  que  le  roi 
It  ayant  recu  a  ce  sujet  des  deputez  d'E- 
«douard,  roi  d'Angleterre ,  il  lui  avoit  en- 
(tvoye  les  comtes  de  Tancarville  et  de  Sap- 
«rebruck,  Guillaume  de  Dormans,  et  le 
«  doyen  de  Paris. 

((Guillaume  de  Dormans,  par  ordre  du 
«  roi,  rendit  compte  a  I'assemblee  de  ce  qu'il 
«  avoit  dit  estant  en  Ang^leterre ,  pour  refu- 
u  ter  les  requestes  que  le  roi  Edouard  avoit 
«  envoy^es  a  Charles  V  a  I'occasion  de  cet 
wadjournement;  et  de  ce  qui  lui  avoit  este 
((respondu  par  le  conseil  du  roi  d'Angle- 
« terre. 

«Le  roi  prit  ensuite  la  parole,  et  dit  que 
u  si  dans  cette  affaire  on  jugeoit  qu'il  en  eut 
(( trop  fait,  ou  qu'il  n'en  eut  pas  fait  assez,  il 


DE  FRANCE.  CHAP.  XIX.  3  I  I 

«  trouvoit  bon  que  Ion  le  lui  repr^sentast;  et 
«  qu'il  estoit  encore  en  estat  de  corriger  ce 
((que  Ion  trouveroit  a  reprendre  dans  ia 
«  conduite  qu'il  avoit  tenue. 

«  Le  roi  et  le  cliancelier  dirent  ensuite  a 
(( ceux  qui  composoient  I'assembl^e  de  pen- 
V  ser  a  cette  affaire  importante,  et  de  se  re- 
wtrouver  le  vendredi  de  grand  matin  dans 
(( la  merae  chambre  ou  s'etoit  tenue  la  pre- 
(( mi^re  stance,  pour  en  dire  leur  avis. 

«  Le  lendemain  jeudi ,  apr^s  disn^,  le  roi , 
(da  peine,  un  grand  nombre  de  conseillers 
(( du  roi,  tons  les  prelats  et  nobles,  se  trou- 
(( vferent  dans  la  chambre  du  parlement.  Le 
((chancelier  et  Guillaume  de  Dormans  re- 
(( pet^rent  encore  les  raisons  qui  avoientde- 
(( termine  le  roi  a  recevoir  I'appel  des  sei- 
(( gneurs  et  des  habitants  de  la  Guyenne.  Le 
(( roi,  qui  pari  a  aussi  sur  ce  sujet,  ajouta  qu'il 
«  demandoit  conseil  sur  les  fautes  qu'il  avoit 
(( pu  commettre  dans  cette  affaire. 

«  Toute  I'assemblee  respondit  d'un  com- 
(( mun  accord  que  le  roi  avoit  suivi  les  regies 
((de  la  justice;  qu'il  n'avoit  pu  rejeter  Tap- 


3l2  ASSEMBLIES   NATIONALES 

«  pel ;  et  que  si  le  roi  d'Angleterre  en  prenoi t 
(t  occasion  de  lui  declarer  la  guerre,  elle  se- 
tt roit  juste. 

«  Le  vendredi  matin  1 1  de  may,  tous  ceux 
«  qui  avoient  assist^  a  la  premiere  seance  se 
u  rendirent  dans  la  chambre  du  parleraent; 
«et  dun  consentement  unanime  on  y  ap- 
«prouva  ce  qui  avoit  este  dit  dans  I'assem- 
u  blee  qui  s'estoit  tenue  la  veille. 

w  On  lut  ensuite  la  response  que  Ton  estoit 
«  convenu  de  faire  au  memoire  qui  avoit 
«  este  donne  en  Angleterre  a  ceux  que  le  roi 
«y  avoit  envoyez.  Cette  response  fut  ap- 
«prouvee  par  toute  I'assemblee,  et  il  fut  or- 
«  donne  quelle  seroit  envoyee  au  conseil  du 
«  roi  d'Angleterre. » 


DE  FRANCE.  CHAP.  XX.  3 1  3 


CHAPITRE  XX 


Suite  des  etats-generaux  de  1869,  et  de  I'etat  de  la 
France  jusqu'aux  etats-generaux  de  i38i. 


Charles  V  etoit  si  sur  que  la  nation  secon- 
deroit  ses  g^nereux  desseins  centre  I'Angle  - 
terre,  que,  lorsqu'il  convoqua  les  etats-g^- 
neraux,  dont  je  viens  d'exposer  les  details, 
les  mesures  les  plus  propres  a  assurer  le  suc- 
c^s  dune  nouvelle  guerre  etoient  deja  prises; 
et  la  campagne  ne  tarda  pas  a  s'ouvrir. 

Deux  arraees  sous  le  commandement  des 
dues  de  Berri  et  d'Anjou,  fr^res  du  roi,  en- 
tr^rent  Tune  dans  I'Anjou  et  I'autre  dans  le 
Languedoc.  La  noblesse  de  ces  deux  pro- 
vinces se  joignit  aux  princes ;  mais  les  troupes 
angloises  stationn^es  dansle  royaume,  etdes 
secours  qui  arriv^rent  promptement  d'An- 
gleterre ,  soutinrentce  premier  choc,  et  pen- 
dant le  cours  de  cette  annee  il  n'y  eut  que 


3l4  ASSEMBLEES   NATIONALES 

des  combats  partiels  et  de  peu  d'irapor- 
tance. 

L'annee  suivante  ( i3yo)  la  guerre  chan- 
gea  de  theatre.  Charles  V  eut  recours  a  un 
genre  d'attaque  qui ,  sans  comproniettre  ses 
forces  materielles,  devoit  beaucoup  ajouter 
k  ses  forces  morales.  Le  i4  mai  iSyo,  il  fit 
publier  des  lettres-patentes  dans  lesquelles, 
apr^s  avoir  expose  qu'un  arret  de  la  cour 
des  Pairs,  rendu  surl'appel  des  habitants  de 
la  Guienne,  avoit  condamne  le  roi  d'Angle- 
terre  comme  vassal  rebelle  et  felon,  il  declare 
qu'il  confisque  le  duche  d'Aquitaine  et  toutes 
les  autres  terres  que  les  princes  anglois 
possedoient  avant  leur  rebellion  dans  le 
royaume  et  sous  la  superiorite  et  le  ressort 
de  la  couronne  de  France. 

Les  habitants  des  parties  de  la  France, 
soumis  h  la  domination  angloise ,  avertis  par 
cette  proclamation  qu'ils  trouveroient  dans 
le  roi  de  France  une  protection  efficace, 
dissimul^rent  beaucoup  raoins  leur  haine 
contre  les  Anglois.  Plusieurs  eveques  de  ces 
provinces  que  Charles  V  avoit  eu  Fart  de 


DE  FRANCE.  CHAP.  XX.  3l  5 

s'attacher  second^rent  ces  heureuses  dispo- 
sitions, et  des  insurrections  ^clat^rent  siir 
differents  points. 

Edouard,  qui  vit  dans  la  conduite  de 
Charles  a  son  ^(^rard  une  infraction  au  trait^ 
de  Bretigny,  reprit  le  titre  de  roi  des  Fran- 
cois qu'il  avoit  abdique  par  ce  meme  traite, 
et  fit  passer  en  France  une  nombreuse  ar- 
m^e  dont  il  donna  le  commandement  au 
prince  de  Galles  ;  Charles  V  lui  opposa 
DuGuesclin.  La  victoire  incertaine entre ces 
deux  grands  capitaines  passoit  alternative- 
men  t  dun  camp  dans  Fautre,  personne  ne 
pouvoit  prevoir  quel  seroit  le  terme  de  cette 
malheureuse  guerre.  Mais  une  mort  pr^ 
maturee  enleva  le  prince  de  Galles  a  son 
armeedont  il  etoitl'idole,  et  cette  perte,  qui 
fut  bientot  suivie  de  celle  d'Edouard  III, 
changea  la  face  des  affaires.  La  fortune 
s'eloigna  des  drapeaux  de  I'Angleterre,  et 
Charles  V  auroit  dt^livre  la  France  des  An- 
(jlois  si,  peu  de  temps  apr^s,  une  maladie 
lente  occasionee  par  des  chagrins  domes- 
tiques,  et  peut-etre  par  le  poison,  n'avoit 


3 1 6  ASSEMBLEES  NATIONALES 

termine  sa  glorieuse  carriere  dans  un  age 
ou  ses  peuples  pouvoient  esperer  de  le  con- 
server  encore  long-temps  (i). 

Charles  V  est  le  premier  des  fils  de  France 
qui  ait  port^  le  titre  de  dauphin. 

Aucun  roi  ne  prit  plus  de  conseils,  et 
ne  se  laissa  moins  gouverner. 


(i)  Bertrand  Du  Guesclin ,  conn^table  de  France,  ne 
en  Bretagne  en  i3i  i ,  mourut  au  milieu  de  ses  triomphes 
devant  Gh4teauneuf-de-Randon  en  i38o;  il  a  ete  en- 
terre  a  Saint-Denis.  II  ne  savoit  ni  lire  ni  ecrire. 

Le  prince  deGalles  est  mort  a  Westminster  le  8  juin  iSyG 
age  de  quarante-six  ans.  II  y  en  avoit  vingt  qu'il  avoit 
gagne  la  celebre  bataille  de  Poitiers.  Sa  mort  jeta  I'An- 
gleterre  dans  la  plus  profonde  consternation. 

Edouard  III,  ne  le  i3  novembre  i3i2,  est  mort  le 
21  juin  iSyy,  age  d'environ  soixante-cinq  ans.  On 
attribue  sa  mort  a  Tusage  immodere  des  plaisirs. 

En  effet,  deja  sexagenaire,  il  oublia  cinquante  ans  de 
gloire  dans  les  bras  d'Alix  Pierce.  Gette  femme  intri- 
gante et  avide  porta  le  scandalesi  loin,  que  la  chambre 
des  communes  se  crut  obligee  de  demander  son  eloigne- 
ment. 

Charles  V  monta  sur  le  trone  en  1 364 ,  Age  de  vingt- 
sept  ans.  II  mourut  au  chateau  de  Beaute-sur-Marne, 
le  i6  septembre  i38o,  apres  un  regne  malheureusement 
trop  court:  sa  duree  ne  fut  que  de  seize  ans. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XX.  3l'J 

II  ne  parut  jamais  a  la  tete  de  ses  armees. 
//  n'y  eut  one  roy  qui  moin  s'arma ,  disent  les 
clironiques,  et  il  reprit  sur  les  Anglois  pres- 
que  tous  les  pays  que  son  p^re  et  son  aieul , 
constamment  en  armes ,  s'etoient  vus  forces 
de  leur  abandonner. 

II  aimoit  les  (jens  de  lettres ,  et  se  plaisoit 
a  converse!*  avec  eux.  On  ne  pent  trop  re- 
peter  la  reponse  qu'il  fit  a  Tun  de  ses  courti- 
sans  qui  lui  paroissoit  surpris  des  egards  qu'il 
temoignoit  aux  savants.  Cette  reponse,  la 
voici :  Les  elercs  ou  sapience  Von  ne  pent  trop 
honorer,  et  tant  que  sapience  sera  honoree  en 
ce  royaume ,  il  continuera  a  prosperite,  mais 
quand  deboutee  en  sera,  il  decherra. 

II  n'avoit  trouve  que  vingt  volumes  dans 
le  cabinet  du  roi  Jean ;  il  en  laissa  neuf  cents 
a  son  successeur,  nombre  prodigieux  dans 
un  temps  ou  I'imprimerie  n'etoit  pas  con- 
nue.  On  remarquoit  dans  cette  collection, 
Ovide,  Lucain,  et  Boece,  des  traductions 
en  Francois  de  Tite-Live,  Valere-Maxime , 
la  Cite  de  Dieu,  la  Bible,  etc.  C'est  cette 
bibliotlieque  qui ,  successivement  augmen- 
tee,  forme  aujourd'hui  la  BibliothequeduRoi, 


3l8  ASSEMBLIES   NATION  ALES 

la  plus  nombreuse  et  la  plus  riche  qui  soit 
peut-etre  dans  le  monde  entier. 

Les  dues  d'Anjou ,  de  Bourgogne,  de  Berri, 
et  de  Bourbon,  les  trois  premiers  fr^res  et  le 
quatri^me  beau-frfere  du  roi ,  s'etoient  rendus 
a  la  cour  quelques  heures  avant  sa  mort.  II 
expiroit  a  peine  que  le  due  d'Anjou  se  fit 
livrer  tons  les  joyaux  de  la  eouronne,  et 
tout  le  tresor  du  roi  qui  etoit  eonserve  dans 
une  des  salles  du  meme  palais,  partie  en 
argent  monnoye,  partie  en  lingots.  II  pr^- 
tendit  que  tons  ces  objets  lui  appartenoient 
en  sa  qualite  de  premier  prince  du  sang.  Les 
dues  de  Bourgogne,  de  Berri ,  et  de  Bourbon, 
temoins  de  eet  aete  de  violence,  ne  voulurent 
ou  n'oserent  s'y  opposer. 

Charles  V  laissoit  trois  enfants:  Char- 
les VI,  son  fils  aine,  ne  le  3  decembre  i368, 
et  par  consequent  age  de  douze  ans  neuf 
mois  (i);    Louis,  son   second  fils,  age  de 


(i)  Sous  le  regne  de  Charles  VI  les  fleurs  de  lis  sont 
reduites  a  trois.  On  peut  cependant  rapporter  au  regne 
de  Charles  V  rorigine  de  cette  reduction.  Abregede  CHis- 
toire  de  France  dii  president  Henault  sous  Cannee  1 38o. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XX.  Sig 

hiiit  ans  et  demi ,  et  Catherine  ag^e  de  trois 
ans. 

Charles  VI  ii'ayant  pas  encore  atteint  sa 
majorite,  ses  quatre  oncles  se  divis^rent 
sur  la  mani^re  d'executer  Fordonnance  que 
Charles  V  venoit  de  rendre  concernant  la 
regence  du  royaume ,  la  tutele ,  et  la  garde 
du  roi  mineur.  N'ayant  pu  se  concilier  entre 
eux,  ils  assembl^rent  les  pairs  et  les  barons 
qui,  partages  eux-memes,  soumirent le  dif- 
ferent a  des  arbitres  choisis  dans  leur  sein. 
Apr^s  quelques  jours  de  deliberation  ces 
arbitres  defer^rent  au  due  d'Anjou  la  r^- 
gence  et  la  presidence  du  conseil;  decla- 
r^rent  que  les  dues  de  Bourgogne  et  de 
Bourbon  auroient  I'education  du  roi  avec  la 
surintendance  de  sa  maison,  et  arreterent 
que  Ton  avanceroit  lage  auquel  le  roi  auroit 
du  etre  sacre.  On  I'avanca  en  effet,  et  d^s 
le  4  novembre  le  due  d'Anjou  cessa  d'etre 
regent. 

Mais  le  calme  ^toit  loin  d'etre  retabli.  Le 
due  d'Anjou  ne  s'^toit  pas  contente  de  s'ap- 
proprier  les  tresors  amasses  par  Charles  V ; 
il  avoit  encore  enleve  tout  le  numeraire  qui 


320  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

se  trouvoit  dans  les  caisses  publiques.  Le 
defautd'argent  suspendoit  tous  les  services; 
les  sbldats  sans  paye  ravageoient  les  cam- 
pagnes,  et  le  peuple  sans  protection,  sans 
moyens  de defense,  s'abandonnoit  au  deses- 
poir.  Dans  cette  extremite  on  se  flatta  de 
trouver  un  remede  dans  la  convocation  des 
^tats-generaux ,  c'est-a-dire  que  Ton  ima- 
gina  de  demander  de  I'argent  a  des  hommes 
egalement  epuises  par  les  impots  qui  avoient 
pese  sur  eux  sous  le  dernier  roi,  et  par  les 
brigandages  dont  ils  etoient  les  victimes  de- 
puis  le  nouveau  regne. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXF.  32  1 

CHAPITRE   XXI. 

CHARLES    VI. 
Etats-generaux  de  i38i. 

Peu  d'auteiirs  oiit  parle  des  elats  de  1 38 1 . 
J'emprunte  ce  que  Ion  va  lire  k  la  grande 
collection  imprimeeaParisen  1789,  torn.  IX. 

Le  roi  assista  a  cette  assemblee.  Arnaud 
de  Corbie,  premier  president  du  parlement, 
y  representa  aux  dejnites  que  le  roi  ne  pou- 
voit  rien  diminuer  des  depenses  necessaires 
qui  avoient  ete  faites  sous  le  regne  de  son 
p6re;qu'il  avoit  besoin  desmemes  secours  et 
du  meuie  revenu ;  et  il  deploya  toute  son 
eloquence  pour  les  engager  a  donner  des 
preuves  de  leur  zele  pour  le  roi  et  pour  la 
patrie.  Les  deputes  des  villes  repondirent 
qu'ils  avoient  ordre  d'entendre  seulement  ce 
qu'on  leur  proposeroit,  sans  rien  conclure; 
qu'ils  feroient  leur  rapport  a  leurs  conci- 
toyens,  et  (ju'ils  ne  negligeroient  rlen  pour 

2  i 


322  ASSEMBLKES  NATION  ALES 

les  determiner  h  se  conformer  a  lintention 
du  roi.  Les  deputes  de  la  province  de  Sens 
furent  les  seuls  qui  consentirent  a  Fetablis- 
sement  dun  impot. 

On  congedia  les  deputes  apr^s  leur  avoir 
donne  ordre  de  se  trouver  a  Meaux  le  jour 
qu'on  leur  marqua,  ]X)ur  y  rendre  compte 
de  la  resolution  quauroient  prise  ceux  qui 
les  avoient  envoyes. 

Quelques  jours  apr^s  quelques  uns  de  ces 
deputes  se  rendirentaupr^s  du  roi,  a  Meaux 
et  k  Pontoise,  et  ils  declar^rent  qu'on  ne 
pouvoit  vaincre  I'opposition  generale  des 
peuples  au  retablissement  des  impots,  et 
qu'ils  etoient  resotus  de  se  porter  aux  der- 
nitres  extremit^s  pour  Fempecher.  On  ap- 
prit  meme  que  les  deputes  de  Sens,  qui 
avoient  depass^  leurs  pouvoirs,  avoient  ete 
desavoues. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXII.  323 


CHAPITRE  XXII. 

CHARLES   VII. 

Les  historiens  disent  qu'il  n'y  eut  que  des 
e  tats  particuliers  sous  lereg;nede  Charles  VII, 
et  je  I'ai  dit  comme  eux,  et  d'apr^s  eux, 
dans  la  premiere  edition  de  cet  ouvrage: 
cette  assertion  n'est  pas  exacte;  il  paroit 
certain  qu'il  y  eut  aussi  des  etats-g^neraux. 
A  la  verite  les  proc^s-verbaux  n'en  sont  pas 
parvenus  jusqu'a  nous,  mais  il  en  reste  des 
traces  dans  deux  ordonnances  rendues  par 
ce  prince. 

La  premiere  concerne  une  aide  impos^e 
pour  subvenir  aux  frais  de  la  guerre  5  elle 
est  du  28  fevrier  i435.  On  y  lit:  «  Instruc- 
u  tions  et  ordonnances  faites  et  advisees  par 
K  le  roy  nostre  seigneur  et  les  seigneurs  de 
V  son  sanget  grand  conseil,  sur  la  mani^re 
u  de  lever  et  gouverner  le  fait  des  aides  qui 
«  souloient  avoir  cours  pour  la  guerre ;  les- 

2 1 . 


324  ASSEMBLIES  NATIONALES 

u  quelz  le  roy  nostre  dit  seigneur,  depuis  son 
«  partement  de  Paris ,  et  du  consentement 
«  des  trois  etats  de  son  obeissance,  a  remis  sus  le 
«  vingt-liuiti^me  jour  de  f(^vrier,  Fan  1 435. » 
La  seconde,  donnee  a  Orleans  le  12  no- 
vembre  14^9,  6st  le  celebre  edit  qui  assure 
aux  armees  une  solde  reguli^re,  et  par  suit;^ 
duquel  furent  etablies  les  compagnies 
dliommes  d'arme  (i).  En   voici  le  pr^am- 


(i)  Apres  s'etre  procure,  par  I'etablissement  de  la  taille 
dont  il  est  parle  dans  cette  ordonnance,  les  fonds  suf- 
fisants  pour  la  solde  d'une  armee  reguliere,  Charles  VII 
s'occupa  de  son  organisation.  II  la  composa  de  quinze 
compagnies  de  cent  lances;  chaque  lance  ou  homme 
d'armes  avoit  sous  lui  trois  archers,  un  ecuyer,  et  un 
page,  tous  a  cheval ;  ce  qui  formoit  un  corps  de  neuf 
mille  hommes. 

La  paye  de  chaque  homme  d'armes  etoit  de  dix  livres 
par  mois,  celle  de  I'ecuyer  de  cent  sous,  celle  de  I'archer 
de  quatre  francs,  et  celle  du  page  de  soixante  sous. 

Un  grand  nombre  de  gentilshommes,  et  meme  de 
roturiers  assez  riches  pour  servira  leurs  frais,  se  reunirent 
a  ces  compagnies  comme  volontaires;  de  maniere  que 
bientot  chacune  d'elles  se  trouva  monter  au  moins  a 
douze  cents  hommes,  ce  qui  forma  le  plus  beau  corps 
de  cavalerie  et  le  plus  redoutable  qu'il  y  eut  en  Europe. 

Les  chefs  etoient  responsables  des  fautes  do  leurs  sol- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXII.  325 

bule:  «Poiir  obvenir  et  doniier  remede  a 
«  faire  cesser  les  grands  excez  et  pilleries 
ufaites  et  commises  par  les  gens  de  guerre, 
M  qui  long  temps  ont  v^cu  et  vivent  encore 
«sur'  le  peuple  sans  ordre  de  justice,  ainsi 
« que  bien  au  long  a  este  dit  et  remontre 
((au  roy  par  les  gens  des  trois  etats  de  son 
«  royaume ,  de  present  estant  assemblez  en 
(t  cette  ville  d'Orleans,  le  roy  par  I'avis  et  de- 
«  liberation,  etc.,  a  fait,  constitue,  ordonne 
« et  estably ,  fait  et  etablit  par  loy  et  edit 
((general,  perpetuel  et  non  revocable,  par 
((forme  de  pragmatique  sanction  ,  les  edits, 
(( loix  ,  statuts  ,  et  ordonnances  qui  s'ensui- 
(( vent  (i).  » 


dats,  et  tous  en  temps  de  paix  et  dans  les  quartiers 
d'hiver  etoient  soumis  aux  juges  ordinaires  de  leur  gar- 
nison.  Comme  plusieurs  cadets  de  maisons  nobles  n'a- 
voient  pas  pu  entrer  dans  ces  compagnies  en  qualite  de 
surnumeraires,  faute  de  raoyens,le  roi  en  forma  un  corps 
et  leur  donna  a  chacun  vingt  ecus  par  mois  (I'ecu  valoit 
alors  treize  sous  six  deniers) :  voila  I'origine  de  la  maison 
noble  du  roi. 

(i)  L'article  4'  de  la  meme  ordonnance  prouve  ega- 
lement  que  plus  d'une  fois  Charles  VII  eut  recours  aux 


3^6  ASSEMBLEES  NATJONALES 

Ces  deux  ordonnances  sont  remarqua- 
bles.  Elles  prouvent  que  sous  les  regnes 
malheureuxde  Charles  VIetde  Charles  V 11, 
malgre  la  g^uerre  et  ses  fureurs,  malgfr^  les 
factions  et  leurs  crimes,  la  nation  setoit 
maintenue  dans  le  droit  de  s'imposer  elle- 
meme;  et  que  ce  droit,  s'il  ne  fut  pas  tou- 
jours  respecte,  fut  constamment  reconnii. 

Cette  opinion  que  les  impots  ne  sont  \^^- 
times  qu'autant  qu'ils  sont  consentis  par  les 
contribuables  etoit  aloi'S  si  bien  <5tablie, 
que  Philippe  de  Commines,  qui  etoit  n^ 
sous  le  regne  de  Charles  VII,  ecrivoit  sous 
celui  de  Louis  XI: 

« II  n'y  a  roy  ni  seigneur  sur  terre, 
«qui  ait  pouvoir,  outre  son  domaine,  de 
(tmettre  un  denier  sur  ses  sujets  sans  oc- 


etats-gieneranx.  Voici  les  termes  de  cet  article :  «  Et  pour 
«  ce  que  souventes  fo>is ,  xxprks  que  du  consentement  des 
utrois  itats,  le  roy  a  fait  mettre  aucune  taille  sur  son 
a  peupie  pour  ie  faitde  sa  guerre  et  lui  subvenir  et  aider 
«  a  ses  necessitez,  les  seigneurs  barons  et  autres  empe- 
II  chent  et  font  empecher  les  deniers  Je  ladite  taille  et 
(.  aussi  des  aides  du  roy  en  leurs  terres  et  seigneui-ies.  n 


DE  FRANCE.   CHAP.   XXII.  827 

M  Iroy  et  consentement  de  ceux  qui  le  doi- 
«vent  payer,  sinon  par  tyrannic  ou  vio- 
«  lence.  On  pourroit  respondre  qu'il  y  a  des 
Msaisons  qu'il  ne  faut  pas  attendre  I'assem- 
«  bl^ ,  et  que  la  chose  seroit  trop  longue  k 
Kcommeiicer  la  guerre  et  h  I'entreprendre. 
a  Je  r^ponds  a  cela  qu'il  ne  faut  point  tant 
«  haster,  et  Ion  a  assez  de  temps *, et  si  vous 
«dis  que  les  roys  et  princes  en  sont  trop  plus 
«  forts ,  quand  ilsentreprennent  quelque  af- 
«  faire  du  consentement  de  leurs  subjets,  et 
«  en  sontpluscraintsdeleursennemis(i).)) 

Puisque  j'ai  parle  des  etats  provinciaux, 
je  dirai  qu'ils  n'etoient  pas  toujours  convo- 
ques  dans  la  seule  vue  d'obtenir  des  subsi- 
des; que  souvent  ils  avoient  lieu  pour  sub- 
venir  a  des  besoins  locaux,  ou  pour  corriger 
des  abus  proteges  par  des  hommes  si  nom- 
breux  et  si  forts  que  leur  extirpation  exi- 
geoit  le  concours  des  trois  ordres  de  la  pro- 
vince. En  voici  un  exemple  qui  appartient 
au  regne  de  Charles  VII. 


(i)  Mhnoire  de  Cotnmines ,  1.  V,  c.  xix. 


328  ASSEMBLEES  NATIONALES 

Ge  prince,  informe  que  les  seigneurs 
dont  les  terres  bordoient  la  Loire  et  ses  af- 
fluents entravoient  la  navigation  et  rui- 
noient  le  commerce  par  des  peages  exces- 
sifs  et  des  vexations  de  toute  espece,  y 
pourvut  par  une  ordonnance  du'^i5  mars 
i43o,  dans  laquelle  nous  lisons:  uVeulant 
«donner  et  mettre  provision  a  ce,  comme 
(t  tenus  y  sommes,  et  afin  que  le  faict  de  mar- 
(t  chandises  qui  est  necessaire  pour  le  bien 
«dp  nos  sujets  se  puisse  conduire  et  entre- 
((teniret  remettre  sur,  et  que  iceux  mar- 
«  chandsetleursmarchandises  soient  etpuis- 
«  sent  estre  gardez  etpreservez  d'oppressions 
«  et  vexations  indiies,  tant  par  la  deliberation 
«  et  advisy  etc.,  des  gens  de  nostre  grandconseil, 
«  et  des  trois  etats  des  pays  a  nous  obeissans 
ii  environ  ladite  riviere  de  Loire ^  assemblez  a 
tiSaumur,  avons  ordonne,  decerne  et  de- 
wclare,  et  par  ces  presentes  ordonnons,  de- 
(tcernons  et  declarons  par  ledit  edit  per- 
(tp^tuel,  et  constitution  irrevocable,  tous 
«  aydes,  phages,  travers,  subsides,  truages  et 
M  impositions  quelconques  qui  depuis  soi- 
u  Xante  ans  en  ca  ont  este  mis,  imposez  et 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXll.  329 

waccreuz  par  quelques  personnes,  et  sous 
(t  quelconque  couleur  ou  occasion  que  ce 
«soit,  surdes  denrfe  et  marchandises  mon- 
«  tant  ou  descendant  par  ladite  riv^re  de 
i^  Loire  tant  comme  elle  contient,  et  par  les 
u  autres  fleuves  et  rivieres  descendans  en 
«celle,  estre  nuls  et  de  nulle  valeur;  et  en 
« tant  que  besoin  en  est,  iceux  avons  abolis 
«  et  revocquez,  abolissons  et  revocquons. » 


33o  ASSEMBLIES  RATIONALES 


»*%/«/v«y%/«'  %/%^ 


GHAPITRE  XXIII. 

Etats-g^e'ne'raux  de  1467. 

Ces  etats  sont  remarquables  en  ce  qu'ils 
offrent  le  premier  exemple  de  manoeuvres 
employees  par  le  gouvernement  pour  cor- 
rompre  les  electeurs,  et  influencer  les  de- 
putes. 

II  s'agissoit  de  constituer  I'apanage  de 
Charles,  due  de  Berri,  frere  du  roi.  Ce 
prince,  soutenu  par  tous  les  mecontents  du 
royaunje,  et  le  nombre  en  etoit  incalcu- 
lable, exigeoit  la  province  de  Normandie. 
Louis  XI  ne  voulant  pas  la  donner,  et  n'o- 
sant  la  refuser  ouvertement,  declara  qu'il 
sen  rapportoit  a  la  decision  des  etats-gt^ne- 
raux. 

Cette  deference  de  la  part  d'un  prince 
augsi'absolu  devoit  paroitre  bien  suspecte. 
Charles ,  qui  ne  vit  pas  le  pie^je ,  accepta  I'ar- 
bitrage,  et  les  etats-generaux  furent  con- 
voques  a  Tours. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXIII.  33  I 

Le  6  avril  1467^  avant  Pdques  (i),  le  roi 
en  fit  I'ouverture  dans  la  grande  salle  de 
rarcheveche.  On  avoit  divis^  cette  salle  en 
trois  |3arquets.  Dans  le  troisi^rae  etoient  les 
nobles^  conites ,  barons^ gens  du conseil  du  roi, 
et  gens  envoyes  de  par  les  bonnes  villes  (2). 

«  Audit  premier  parquet  ^toit  assis  le  roi, 
«  en  une  haute  chaire,  en  laquelle  falloit 
t(  monter  trois  hauts  degres;  laquelle  cliaii'e 
« etoit  couverte  dun  velours  bleu ,  seme  de 
(tfleurs  de  lis,  relevees  dor,  et  y  avoit  cie! 
«et  dossier  de  meme:  et  etoit  le  roi  vetu 
«d'une  longue  robe  de  damas  blanc,  bro- 
«  chee  de  fin  or  de  Chypre ,  bien  dru ,  bou- 
« tonnee  devant  de  boutons  dor,  et  fourree 
«  demartressobelines,  un  petitcliapeautioir 


(i)  Com  me  a  cette  e'poque  I'anne'e  commencoit  a  Pa- 
ques ,  cette  assemblee  appartient  reellement  aux  deux 
annees  1467  et  i468  :  c'est  par  cette  raison  qu'on  la  trouve 
placee  sous  ces  deux  dates.  J'ai  prefere  la  premiere, 
parceque  c'est  en  1467  que  se  fit  I'ouverture  desetats. 

('2)  Ainsi  dans  cette  }>remiere  seance  la  noblesse  fut 
confondue  avec  le  tiers-etaL  La  politique  bien  connu« 
de  Louis  XI  ne  permet  pas  d'attribuer  cette  confusion  ati 
liasard. 


332  ASSEMBLlfiES  NATIONALES 

«sur  sa  tete,  et  une  plume  dor  de  Chy- 
«pre  (i). » 

Le  chancelier  exposa  le  sujet  de  Fassein- 
blee  par  un  discours  dans  lequel,  apres  avoir 
loue  la  fidelite  des  peuples,  la  confiance  du 
prince,  et  Famour  reciproque  des  sujets  et 
du  souverain,  il  exposa  les  graves  inconve- 
nients  qui  resulteroient  de  la  cession  de  la 
Normandie;  il  fit  sentir  que  ce  seroit  ouvrir 
la  France  a  ses  ennemis ,  et  que  le  roi ,  prive 
des  impots  de  cette  riche  province,  seroit 
dans  I'impuissance  d'acquitter  les  charges 
de  I'etat.  Il  ajouta  que  les  auteurs  des  trou- 
bles dont  Fetat  etoit  agite  ne  cherchoient 
qua  les  perpetuer,  en  engageant  ce  jeune 
])rince  a  persister  dans  une  pretention  qui 
privoit  le  souverain  d'un  tiers  des  revenus 
de  la  couronne. 

Ce  discours  termine,  le  roi  sortit  de  Fas- 


(i)  Ces  details  sont  consignes  dans  le  proces-verbal  des 
etats,  redige  par  Jean  Le  Prevost,  qui  en  etoit  le  secre- 
taire. On  trouve  ce  proces-verbal  dans  le  tome  IX  du 
grand  recueil  des  etats  -  generaux  imprime  a  Paris 
en  1789. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIH.        333 

semblee,  comme  s'il  eiit  craint  que  sa  pre- 
sence ne  {^enat  la  liberte  des  opinions.  Cette 
retraite  fournit  an  chancelier  un  nouveau 
motif  de  faire  I'eloge  du  roi,  de  sa  franchise 
et  de  sa  loyaut^  (i). 


(i)  Les  observations  suivantes  sur  la  nature  des  apa- 
nages feront  connoitre  Timportance  de  la  question  sou- 
mise  aux  etats. 

Sous  les  deux  premieres  races,  tous  les  fils  des  rois  suc- 
cedoient  a  leurs  peres,  et,  rois  comme  eux,  partageoient 
leurs  etats. 

Sous  la  troisieme  dynastie ,  des  idees  plus  saines  et  I'in- 
fluence  du  regime  feodal  ont  change  cet  ordre  de  choses. 
La  couronne,  devenue  le  partage  de  I'aine,  a  ete  declarer 
indivisible,  et  cette  indivisibilite  est  depuis  long-temps 
une  des  lois  fondamentales  du  royaume. 

Mais  pour  etre  devenus  les  premiers  sujets  de  leurs 
freres,  les  puines  n'ont  pas  cesse  d'etre  les  fils  du  dernier 
roi,  et  n'en  sont  pas  moins  I'esperance  de  la  nation  et  les 
garants  de  la  stabilite  de  son  gouvernement ,  puisqu'ils 
sont  appeles  a  re'gner  sur  elle  en  cas  d'extinction  de  la 
branche  ainee. 

Comme  fiJs  du  dernier  roi,  les  princes  puines  ont 
droit  a  la  legitime  que  la  loi  civile  assure  a  tous  les  en- 
fants  du  meme  pere. 

Mais  cette  legitime  de  la  loi  civile  se  borneroit  a  une 
portion  dans  les  biens  dont   le  roi   pouvoit  disposer, 


334  ASSEMBLFlES  NATION  ALES 

Jean  Juvenal  des  Ursins,  archeveque  de 
Reims,  prit  ensuite  la  parole.  Apr^s  avoir 


c'est-a-dire  dans  les  meubles  et  dans  les  domainea  non 
reunis. 

La  loi  politique  qui  voit  les  choses  de  plus  haut,  qui 
volt  dans  les  fils  de  nos  rois  les  enfants  de  I'etat,  attache 
a  cette  qualiie  defils  de  France  une  autre  legitime  dont 
elle  charge  I'etat,  et  qu'elle  devoit  consequemment  assi^ 
gner  sur  le  domaine  public. 

C'est  a  cette  legitime,  tout  a-la-fois  civile  et  politique, 
([ue  Ton  a  donne  la  qualification  di'apanage  des  princes 
du  sang  royal. 

Une  fois  qu'il  etoit  reconnu  que  I'etat  devoit  un  apa- 
nage aux  fils  de  France,  il  ne  restoit  plus  qu'a  se  fixer 
sur  la  maniere  dont  cette  dette  seroit  acquittee;  et  les 
regies  k  cet  egard  se  presentoient  fort  naturellement. 

11  s'agissoit  de  1' existence  d'un  prince  habile  a  succeder 
ii  la  couronne:  il  falloit  done  I'environner  d'un  eclat 
qui,  lui  rappelant  ses  hautes  destinees,  I'avertit  a  teas 
les  instants  des  obligations  qu'il  pourroit  un  jour  avoir 
a  remplir;  d'un  eclat  qui,  frappant  tous  les  regards, 
tint  long-temps  d'avance  les  avenues  du  trone  ouvertes 
devant  lui;  d'un  eclat  enfin  qui,  le  montrant  a  la  na- 
tion convert  des  rayons  de  la  majeste  royale,  garantit 
a  chaque  citoyen  que  le  principe  de  la  legitimite  seroit 
maintenu,  et  Tordre  de  la  succession  an  trone  assure 
pour  une  duree  indefinie. 

C*est  d'apres  ces  grandes  vues,  et  pour  les  remplir, 
que  Robert  II ,  roi  de  la  troisieme  race,  donfia  la  Bour- 


DE  FRANCE.   CHAP.   XXIII.  335 

proteste  de  la  purete  de  ses  intentions ,  et 
prie  I'assemblee  de  n'imputer  qii  a  son  ^rand 


gogne  en  apanage  a  son  second  fils ,  que  depuis  il  en 
a  cte  etabli  pour  toutes  les  branches  collaterales  de  la 
lualson  regnante,  et  cjue  ces  apanages,  toujours  d'un 
revenu  considerable,  ont  e'te  decores  de&  litres  les  plus 
magnifiques. 

De  ces  notions  generates  i-esultent  les  consequences 
suivantes,  qui  soat  autant  de  maximes  de  notre  droit 
public ,  et  qui  forment  toute  la  partie  de  notre  legislation 
relative  aux  apanages. 

Le  prince,  en  faveur  duquel  un  apanage  est  etabli, 
ne  le  recoit  qu'a  la  charge  de  Je  transmettre  k  ses  des- 
CMidants. 

Cette  transmission,  comme  celle  de  la  couronne,  et 
par  les  memes  motifs,  s'opere  de  male  en  male,  et 
d'aine  en  aine,  a  I'exclusion  des  femmes. 

EUe  doit  etre  integrale.  L'apanage  doit  passer  a  tous 
ceux  qui  sont  appeles  a  le  recueillir,  tel  qu'il  est  sorti 
des  mains  du  roi,  tel  qu'il  est  entre  dans  celles  du  pre>- 
mier  possesseur. 

Toute  espece  d'alienation  est  interdite  au  prince  apa- 
nage, et  consequemment  il  est  daos  I'impuissance  d'hy- 
pothequer  les  domaines  de  l'apanage;  car  hypothequer 
c'est  aliener. 

II  en  est  de  raeme  des  charges  foncieres :  il  ne  peut  en 
imposer  d'aucune  espece. 

A  I'extinction  de  la  descendance  masculine  du  prince 


336  ASSEMBLEES  RATIONALES 

age  les  fautes  qu'il  pourroit  commettre,  le 
venerable  archeveque,  dans  un  discours 
plein  dune  noble  franchise,  expose  les  maux 
qui  desoloient  la  France,  en  recherche  les 
causes,  et  trouve  les  principales  dans  les 
exigences  des  papes ,  qui  faisoient  passer  a 
Rome  une  partie  considerable  du  nume- 
raire de  la  France;  dans  le  luxe  des  grands, 
et  sur-tout  des  femmes ,  qui  nous  rendoit 
tributaires  des  nations  voisines ;  dans  les  pro- 
digalites  de  la  cour,  sur— tout  en  appointe- 
ments  et  en  pensions,  prodigalites  qui  epui- 
soient  le  tresor  public,  et  qui  necessitoient 
des  impots  excessifs.  Je  vais  transcrire  cette 
partie  de  son  discours;  le  style  seul  en  a 
vieilli. 


apanage,  I'apanage  rentre  dans  le  domaine  de  I'etat, 
dont  il  n'avoit  cesse  de  partager  le  caractere  et  les  pre- 
rogatives. 

Ainsi  les  etats  avoient  a  concilier  les  exigences  de  la 
politique  avec  les  droits  que  la  nature  et  les  lois  civiles 
donnoient  au  frere  du  roi;  et  ils  ont  rempli  oe  double 
objet  en  rejetant  les  pretentions  de  Charles  a  la  Nor- 
mandie ,  et  en  declarant  que  les  terres  offertes  par 
Louis  XI  constitueroient  son  apanage. 


'V 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIIf.  33'] 

«  Si  Ton  me  demande  ou  va  notre  argent, 
(( je  puis  repondre  qu'une  bien  fjrande  par- 
te tie  va  a  Rome  pour  avoir  benefices  vacants 
udans  les  eglises  catliedrales ,  abbayes,  gra- 
« ces  expectatives  de  benefices  que  Ion  dit 
t(  etre  reserves  par  les  conciles  generaux  au 
« temps  passe,  et  derni^rement  par  le  con- 
(t  cile  de  Basle ,  dont  les  decrets  sont  a  tenir 
«  et  ont  ete  approuves  par  toute  TEglise  de 

((France 

((En  effet,  les  franchises  et  les  libert^s  de 
(( FEglise  de  France ,  jurees  par  di verses  fois , 
((ontetepublifeparmani^red'ordonnances 
('  royaux ,  que  le  roi ,  en  son  sacre ,  a  promis 
((Ct  jure  garder  et  faire  entretenir;  et  ne 
((deplaise  a  ceux  qui  disent  que  le  roi  fera 
(( mal  de  desobeir  au  pape;  car,  en  ce,  n'a 
((aucune  desobeissance,  mais  c'est  lui  gar- 
((der  ses  honneurs,  et  raemement  que  tons 
(desdits  decrets  furent  et  ont  ^t^  approuves 
(( par  feus  nos  saints  peres  Eugene  et  Nico- 
(das,  et  dient  aucuns  que  le  pape  est  tenu 
(( d'obeir  et  est  sujet,  quant  a  ce,  aux  decrets 
(( des  conciles  gen^raux. 

(( Une  autre  plaie  de  Tetat  est  dans  les  ha- 

2Z 


338  ASSEMBLEES   NATIONALES 

«  bits  en  draps  de  soye ;  et  les  femmes ,  Dieu 
(( salt  comme  elles  sont  parees  desdits  draps 
«  en  robes,  cottes  simples,  et  en  pUisienrs 
«  et  diverses  manieres :  en  ces  choses-ci,  lame 
u  et  la  substance  de  la  chose  publique  sen 
«  va  et  ne  revient  point 

«  Au  temps  passe,  on  a  vu  que  les  damoi- 
uselles  et  autres  femmes,  voulant  faire  par 
(cle  bas  en  leurs  robes  un  rebours  nomme 
K  profit,  ils  etoient  de  beaux  chats  blancs; 
(( de  present  il  les  faut  de  letices  ou  de  drap 
«  de  soye  de  largeur  du  drap ,  a  j^randes  cor- 
«  nes,  ou  k  tours  hautes  sur  leurs  tetes,  ou 
(( couvre-chefs  de  toile,  de  soye,  train  ants 
((jusqu'a  terre,  et,  dit-on,  que  ce  n'est  pas 
wd'elles,  ne  de  leurs  maris,  elle  vient  par 
(( mani^re  de  suite  du  roi,  et  le  roi  Fa  par  le 
« moyen  des  charges  qu'il  prend  sur  son 
«peuple 

« II  y  a  une  autre  plaie  de  I'etat  encore 
«plus  dangereuse,  c'est  a  savoir  les  exces- 
«  sives  pensions,  gages ,  tant  a  cause  de  ma- 
tt riages  qu'autrement,  que  le  roi  a  faits  a 
uson  plaisir,  tant  a  ceux  de  son  sang,  sans 
«  causes  n^cessaires;  il  ne  faut  que  regarder 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIII.  33g 

«eii  la  chambie  des  comptes,  ce  que  sou- 
(( loient  avoir,  au  temps  passe ,  les  officiers 
(tdu  roi  pour  gages,  et  quels  dons  les  rois 
((faisoient.  On  dit  que  feu  M.  le  due  de 
((Bourgogne,  Philippe,  vint  voir  son  fr^re 
«a  Paris,  et  y  fut  par  aucun  temps,  et  en 
«s'en  allant,  alia  en  une  maison  qu'il  avoit 
((  aupr^s  Charenton ;  le  roi,  pour  les  frais  et 
((depens  qu'il  avoit  faits,  lui  fit  delivrer 
(cmille  francs;  mais  il  retourna  a  Paris, 
(cpour  le  remercier,  et  aujourd'hui  on  don- 
ee ne  les  vingt  mille ,  quarante ,  cinquante, 
(( soixante,  et  autres  grandes  sommes  de  de- 
«niers,  et  fait  plusieurs  manages,  donne 
u  grands  gages  et  excessifs,  et  pensions,  non 
u  mie  seulement  a  hommes,  mais  a  femmes, 
«et  autres  qui  scauroient  de  rien  servir  au 
«  roi,  ne  ^  la  chose  publique;  il  ne  faut  que 
«  regarder  aux  grandes  finances  et  etats  des 
Mgens  de  finance,  tresoriers-generaux,  et 
«tous  officiers  des  aydes,  qui  ont  gages  et 
«  bienfaits  du  roi  bien  excessifs.  Helas !  c'est 
(( tout  le  sang  du  peuple. » 

Les  etats  s'occup^rent  ensuite  des  objets 
soumisaleurs  deliberations,  etil  futunani- 

22. 


34o  ASSEMBLIES   NATIONALES 

mement  arrete  que  la  Normaiidie  ne  pour- 
roit  jamais  etre  separee  du  domaine  de  la 
couronne;  que  Charles  V  avoit,  par  une 
declaration  precise,  fixe  Fapanage  des  fils 
de  France  a  douze  mille  livres  de  rente  en 
fonds  de  terre,  avec  titre  de  duche  ou  de 
comte;  que  sa  majeste,  en  y  ajoutant  une 
pension  annuelle  de  soixante  mille  livres 
tournois,  donnoit  un  temoignage  non  com- 
mun  de  I'affection  quelle  portoit  a  son  fr^re, 
et  qu'elle  seroit  instamment  suppliee  de  de- 
clarer qu'elle  ne  se conduisoit  ainsi  que  pour 
cette  fois  seulement,  afin  que  dans  la  suite 
une  pareille  derogation  ne  put  etre  tiree  a 
consequence.  On  declara  ensuite  que  le  due 
de  Bourgogne  seroit  invite  a  concourir, 
ainsi  que  les  autres  princes,  a  la  resolution 
des  etats,  pour  ce  qui  concernoit  I'apanage 
du  prince  Charles.  La  conduite  du  due  de 
Bretagne  fut  blamee  sans  menagement.  II 
avoit  seduit  et  retenoit  encore  le  fr^re  du 
roi;  il  s'etoit  empare  de  plusieurs  villes  en 
Normandie ;  on  I'accusoit  de  plus  d  entrete- 
nir  des  intelligences  pernicieuses  avec  les 
Anglois  ennemis  de  la  France.  Tons  ces  at- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIII.  34 1 

tentats  Violent  autant  de  crimes  de  l^se-ma- 
jest^.  L'assemblee  statua,  d'une  commune 
voix,  que  ce  prince  seroit  incessamment 
somme  de  restituer  les  places  quil  avoit 
usurpees;  qu'en  cas  de  refus,  el  que  Ton  eut 
des  preuves  evidentes  de  son  alliance  avec 
FAnj^leterre ,  le  roi  emploieroit  la  force  des 
armes  pour  lui  courir  sus,  et  le  reduire.  Les 
princes,  seigneurs,  prelats,  et  deputes  des 
villes,  qui  composoient  l'assemblee,  termi- 
nerent  leurs  deliberations  en  assurant  le  roi 
qu'ils  etoient  prets  a  contribuer  de  tout  leur 
]X)uvoir  a  I'accoraplissement  de  ses  justes 
desseins;  savoir,  les  gens  d'eglise  de  leurs 
pri^res,  oraisons,  et  biens  de  leur  tempo- 
rel ;  et  la  noblesse,  ainsi  que  le  peuple,  de 
leurs  corps  et  de  leurs  biens ,  jusqu  a  la  mort 
inclusivement.  On  choisit  ensuite  des  com- 
missaires  pour  travailler  a  la  reformation  de 
la  justice  dans  le  royaume.  Enfin  le  roi  con- 
gedia  les  etats  apres  les  avoir  remercies  de 
leur  attachement  et  de  leur  zele. 

Le  passage  suivant  de  la  belle  histoire  des 
dues  de  Bourgogne,  par  M.  de  Barante, 
terminera  ro  nhapitre : 


342  ASSEMBLEES   NATIONALES 

«  Cependant  les  etals  ne  vonlurent  pas 
«  se  separer  sans  avoir  fait  quelques  remoii- 
« trances  dans  I'interet  du  pauvre  peuple. 
« lis  se  plaignirent  des  desordres  des  (^ens 
«  de  guerre,  de  la  facon  dont  la  justice  etoit 
urendue,  et  de  la  mauvaise  administration 
«des  finances.  Le  roi  reponditque  les  sedi- 
(( tions  excitees  par  ses  ennemis  etoient  la 
« cause  de  ces  desordres;  qu'il  vouloit  tra- 
«  vailler  a  les  corriger,  et  que,  pour  cela,  il 
«  convenoit  que  les  etats  fissent  clioix  de 
(tplusieurs  sages  personnes ,  afin  de  tra- 
('  vailleralareforme.  Cettereponseexcitade 
((grandes  protestations  de  reconnoissance, 
«de  zele  et  de  fidelite.  Cliacun,  dans  cette 
wassemblee,  celebroit  a  I'envi  les  louanges 
«du  roi,  et,  pour  mieux  montrer  la  con- 
« fiance  qu'on  mettoit  en  lui,  les  deputes 
«  des  ^tats  clioisirent  des  commissaires  qui 
«ne  pouvoient  songer  a  contredire  ses  vo- 
« lontes.  G'etoit  le  cardinal  Balue,  les  comtes 
«  d'Eu  et  de  Dunois,  le  patriarche  de  Jeru- 
((salem,  I'archeveque  de  Reims,  leseveques 
«  de  Langres  et  de  Paris,  le  sire  de  Torcy, 
«  grand-maitredesarbaletriers,  un  des  gens 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIII.  343 

«  du  roi  de  Sicile ,  un  de jDute  de  chacuiie  des 
((villes  de  Paris,  Rouen,  Bordeaux,  Lyon, 
«Tournai,  Toulouse,  et  des  senechaussees 
((de  Carcassonne,  Beaucaire  et  Basse-Nor- 
u  man  die. » 


344  ASSEMBLIES  NATIONALES 


CHAPITRE  XXIV. 

Mort  de  Louis  XI.  Difficultes  concernant  la  regence. 
Convocation  des  etats-generaux. 

Arriv^  a  cette  heure  supreme  ou  les  rois 
restent  seuls  avec  la  verite  (i),  Louis  XI 
jette  des  regards  inquiets  et  douloureux  sur 
cette  belle  France  qui  lui  echappe  pour  ja- 
mais; et  ce  prince  dont  il  n'y  a  qu'un  instant 
le  nom  seul  glacoit  d'effroi  la  nation  enti^re 
eprouve  a  son  tour  le  meme  sentiment.  II 
craint  que  les  haines  accumulees  sur  sa  tete 
ne  retombent  sur  celle  deson  fils;  etcomme 
ce  fils  n'avoit  alors  que  treize  ans,  il  craint 
encore  les  debats  qui  ne  manqueront  pas  de 
s'elever  entre  les  pretendants  a  la  regence. 

Ces  pretendants  ^toient  au  nombre  de 
trois:  Charlotte  de  Savoie,  m^re  du  jeune 


(i)  Louis  XI  mourut  le  i4  aout  i483,  age  de  soixante 
ans  et  deux  mois. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIV.  345 

prince,  qui  avoit  en  sa  faveur  I'exeraple  de 
Blanche  de  Gastille,  regente  du  royaume 
pendant  la  minorite  de  Louis  IX;  Louis 
d'Orleans  naturellement  appele  a  exercer 
lesdroitsdelacouronne,  puisque,  en  sa  qua- 
lite  de  premier  prince  du  sang,  il  etoit  le 
plus  interesse  a  les  defendre;  enfin  le  due 
de  Bourbon  plus  eloigne  du  trone  que  Louis 
d'Orleans,  mais  qu'il  croyoit  pouvoir  ecarter 
par  le  motif  que,  n'ayant  encore  que  vingt- 
trois  ans ,  la  loi  le  declaroit  incapable  d'ad- 
ministrer  ses  propres  affaires. 

Louis  XI,  qui  avoit  prevu  ces  difficultes, 
s'^toit  flatte  de  les  ecarter  en  disposant  lui- 
meme  de  la  regence;  et  par  une  disposition 
de  son  testament,  donnant  I'exclusion  a  la 
reine  qu'il  n'aimoit  pas,  au  due  d'Orleans 
qu'il  redoutoit,  au  due  de  Bourbon  que  la 
goutte  retenoitdans  son  lit  pendant  la  ma- 
jeure partiedel'annee,  il  avoit  confe re  la  tu- 
tele  de  son  fils  et  I'administration  du  royaume 
a  sa  fille  ainee,  Anne  de  France,  femme  de 
Pierre  de  Bourbon  sire  de  Beau  jeu. 

Cette  princesse  etoit  douee  des  plus  rares 
qualites.   Les  historiens   lui  accordent  un 


346  ASSEMBLIES  NATIONALES 

{^enie  profond,  line  ame  forte,  toutes  les 
graces  de  son  sexe  et  les  vertus  qui  font  les 
(jrands  liommes. 

Ce  beau  caractere  etoit  sans  doute  un 
titre  a  la  consiide ration ,  mais  ne  donnoit 
pas  droit  a  la  regence :  et  la  volonte  du  roi , 
toute-puissante  pendant  sa  vie,  n'etoit  plus 
apres  sa  mort  qu'un  simple  conseil.  La  dame 
de  Beaujeu  raisonna  differemment;  et  sur  la 
foi  du  testament  de  son  pere,  elle  se  saisit 
du  pouvoir.  La  maniere  dont  elle  en  usa 
montra  quelle  en  etoit digne. 

Le  premier  acte  de  son  autorite  fut  de 
rendre  les  exiles  a  leur  patrie,  et  a  la  liberte 
une  foule  de  mallieureux  jetes  dans  les 
cacliots  sans  forme  de  proces,  et  le  plus 
souvent  sur  de  simples  soupcons.  Elle  fit 
mieux  encore,  elle  fit  pendre  les  deux  prin- 
cipaux  agents  des  cruautes  de  son  pere, 
Olivier  le  Daim  et  Jean  Doyac.  Le  peuple 
etoit  ecrase  sous  le  poids  des  impots,  elle 
commenca  par  lui  faire  la  remise  du  dernier 
quartier  de  I'annee  courante;  portaut  plus 
loin  sa  sollicitude,  ellediminua  les  depenses 
de  la  cour,  et  congedia  six  mille  Suisses  qui 


DE  FRANCE.   CHAP.  XX[V.  347 

etoient  au  service  tie  France.  Louis  XI  avoit 
prodigue  les  domaines  de  I'etat  a  ses  favoris; 
et  sa  main,  de  fer  pour  les  pretres,  s'etoit 
ouverte  en  faveur  des  eglises  avec  une  li- 
beralite  que  son  aveugle  superstition  pent 
seule  expliquer.  Toutes  ces  alienations  f'u- 
rent  revoquees. 

La  mort  de  la  reine  mere  avoit  suivi  de 
pres  celle  du  roi,  et  la  dame  de  Beaujeu 
n'avoit  plus  que  deux  concurrents ;  elle 
essaya  d'obtenir  leur  desistement  en  les  com- 
blant  d'lionneurs.  Elle  confera  au  due  d'Or- 
leans  le  gouvernement  de  Paris,  de  I'lle- 
de-France,  de  Champagne  et  de  Brie,  avec 
le  droit  d'assister  a  tons  les  conseils;  et  au 
due  de  Bourbon,  la  charge  de  conni^table 
et  de  lieutenant-general  du  royaume  quil 
desiroit  ardemment. 

Les  deux  princes  accept^rent  ces  hon- 
neurs,  et  conserverent  leurs  pretentions. 
La  dame  de  Beaujeu  continua  de  defendre 
les  siennes.  Lestrois  pretendants  comprirent 
enfin  que  la  nation  representee  par  scs  de- 
putes pouvoit  seule  mettre  fin  a  leurs  debats : 
et  les  ^tats-generaux  furent  convoques. 


348  ASSEMBLINGS   NATIONALES 


CHAPITRE  XXV. 

Ijltats-generaux  tenus  k  Tours  en  i483. 

Le  1 4  Janvier  le  roi  se  rendit  a  Tours,  et 
Je  lendemain  les  ^lats  s'oiivrirent.  Dans  une 
vaste  salle  de  I'eveche  on  avoit  eleve  une 
estrade;  au  milieu  ^toit  place  un  trone  con- 
vert dun  tapis  de  soie  parseme  de  fleurs  de 
lis ;  a  main  droite  et  a  six  pieds  de  distance 
du  trone  etoit  un  fauteuil  convert  dun 
tapis  pour  le  due  de  Bourbon,  connetable 
de  France-,  a  gauche,  et  un  pen  plus  has, 
un  autre  fauteuil  pour  le  chancelier  Guil- 
laume  de  Rocliefort;  derri^re  le  fauteuil  du 
connetable  on  avoit  mis  un  banc  sur  lequel 
^toient  assis  les  cardinaux  de  Lyon  et  de 
Tours,  les  six  pairs  ecclesiastiques  et  le 
comte  de  Vendome*,  de  I'autre  cote  et  plus 
pr^s  du  trone,  un  autre  banc  etoit  occupe 
par  les  dues  d'Orleans  et  d'Alencon ,  les 
comtes  d'Angoulerae,  de  Beaujeu,  et  de 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXV.  349 

Bresse ;  dans  le  parquet  inferieur  siegeoieiit 
les  ^veques  et  les  barons:  au  centre  etoient 
les  greffiers  ou  secretaires  des  etats.  Voici 
I'ordre  dans  lequel  les  deputes  furent  ap- 
pel^s:  i"  les  deputes  de  Paris  ^  2**  les  deputes 
de  Bourgogne,  premiere  pairie  de  France; 
S^'de  Normandie;  4°<iii  duche  de  Guienne; 
5°  du  comte  de  Cliampagne;  6"  du  comte 
de  Toulouse;  y**  du  comte  deFlandre.  Apr^s 
les  deputes  des  six  anciennes  pairies,  on  ap- 
pela  ceux  dessenechausseeset  des  bailliages, 
en  observant  pour  les  rangs  la  date  de  leur 
reunion  a  la  couronne. 

Get  appel  terniine,  et  chaque  depute 
ayant  pris  la  place  qui  lui  etoit  assignee,  le 
chancelier,  apr^s  s'etre  profonderaent  in- 
cline vers  le  roi,  adressa  a  I'assemblee  un 
tr^s  beau  discours  dont  je  vais  transcrire 
quelques  passages. 

«MESSEIGNEUES  DES  fiTATS 


((Deux  objets  importants  occupent  prin- 
«cipalement  le  roi:  la  legislation,  et  la  re- 
«  forme  du  clerge.  Quant  au  premier,  il  a 


35o  ASSEMBLEES  NATIONxiLES 

a  fait  recherclier  les  ordonnaiices  du  glo- 
«  rieux  roi  Charles  VII,  afin  de  les  mettre 
(( en  vigue'ur;  par  rapport  a  la  reforme  du 
((cler(>e,  il  a  cru  que,  sans  manquer  au  res- 
it pect  dout  il  est  penetre  pour  les  decisions 
((de  FEglise,  il  pouvoit,  comme  chef  de  I'e- 
((tat,  prendre  connoissance  de  ce  qui  con- 
((  cerne  la  discipline  et  les  moeurs 

(( Le  roi  exig^e  de  vous  que  voiis  lui  decou- 
(( vriez  tous  les  abus  qui  peuvent  etre  echap- 
(( pes  a  sa  connoissance,  et  que  vous  ne  lui 
((de^jUisiez  aucun  des  maux  qui  affli^ent  le 
(cpeuple;  ne  craignez  pas  que  vos  plainles 
((soient  importunes,  le  roi  aura  egard  a  vos 
((  remontrances ;  et  vous ,  princes  qui  m'e- 
((coutez,  je  vous  supplie  et  vous  adjure  au 
((nom  de  la  patrie,  notre  mere  commune, 
(( d  oublier  tout  esprit  de  parti ,  et  de  laisser 
(( aux  deputes  une  pleine  et  entiere  liberte. 

(( II  est  question ,  et  c  est  encore  un  des 
((motifs  de  cette  assemblee,  de  former  au 
(( roi  un  conseil  qui  puisse  le  seconder  dans 
(de  dessein  qu'il  a  forme  de  maintenir  le 
((  royaume  en  paix ,  d'y  retablir  la  police,  et 
(( d'y  faire  fleurir  la  justice  et  le  commerce : 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXV.  35  I 

»  ce  conseil  doit  etre  compose  d'hommes  a 
(( qui  rexperience  dn  pass^  ait  appiis  a  pre- 
r(  voir  I'avenir,  qui  aient  un  caract^re  propre 
((a  concilier  au  roi  Taraour  de  ses  sujets, 
« I'estime  et  la  confiance  de  ses  voisins,  qui 
uconnoissent  la  constitutiou  de  I'etat,  et 
«  qui,  sur  le  modele  eternel  du  ciel,  fassent 
«  mouvoir  tous  les  ressorts  du  corps  politi- 
uque  sans  embarras  et  sans  confusion.  Si 
«les  voeux  du  roi  sont  remplis,  la  justice 
« siegera  sur  le  trone,  et  dictera  des  lois. 
uCelui  qui  offensera  la  justice  offensera  le 
((roi;  et  quiconque  voudra  prouver  qu'il 
(( aime  le  roi  commencera  par  observer  la 
((justice.  ))* 

Apr^s  que  le  chancelier  cut  cesse  de  par- 
ler,  Jean  de  Rely,  docteur  de  Sorbonne,  et 
chanoine  de  I'eglise  de  Paris ,  pi  it  la  parole 
au  nom  des  trois  ordres,  et  prononca  un  dis- 
cours  qui  ne  dut  pas  moins  etonner  par  son 
erudition  que  fatiguer  par  sa  longueur, 
mais  d'ailleurs  reraarquable  et  par  Tinde- 
pendance  des  opinions  et  par  la  sagesse  des 
vues  qu'il  renferme.  Jen  transcris  quelques 
fragments : 


352  ASSEMBLEES    NATION  ALES 

((  Sire,  cloncques,  s'il  vous  plait,  en  pour- 
((  voyant  a  tout  ce  qui  sera  advise,  delib^re, 
(tet  consuite,  vous  aurez  devant  les  yeux  la 
u  crainte  de  Dieu  et  le  bien  de  son  peuple, 
«  c  est-a-dire.  Sire,  que  la  puissance  des  roys 
«de  la  terre,  et  tous  les  royauraes  du 
umonde,  sont  en  la  main  de  Dieu,  le  sou- 
«  verain  Seigneur,  et  qu'ils  en  jouissent  sous 
(tsa  main,  et  non  pas  a  toujours,  mais  tant 
«  et  si  peu  qu'il  lui  plaira  j  et  qu'ils  rendront 
«  compte  tr^s  exact  de  tout  ce  qu'ils  auront 
((fait 

(( Sire,  les  flatteurs  vous  disent  que  tout 
((  va  bien,  et  que  le  peuple  n'a  charge  qu'il 
(( ne  porte  bien ,  et  que  encore  la  porteroit-il 
((plus  grande.  Et  le  pauvre  peuple,  qui 
(( meurt  de  faim  et  de  mal-aise  en  I'amer- 
(( tume  de  son  ame,  crie  a  Dieu  vengeance.... 

(( II  nest  nul  doute  que  lEglise  n'ait  este 
«  instituee  de  Jesus-Christ  pour  interceder 
((  et  moyenner  envers  Dieu  pour  le  peuple, 
(( pour  edifier,  enseigner,  et  tirer  a  Dieu  le 
(( peuple  par  sainte  doctrine  et  bon  exemple. 
«  A  quoy  tr^s  peu  fait  la  grande  sumptuosite 
(( des  grands  Mifices,  la  beaute  des  pierres 


DE    FRANCE.   CHAP.  XXV.  353 

«  et  des  niarbres,  lor  et  I'argent  des  calices 
(( et  des  lampes,  la  ricliesse  des  chappes  et 
(( parements  d'autels,  de  draps  dor  de  ve- 
« lours  et  de  soye,  sans  election  de  I'idoneytc 
«  des  rainistres.  Plus  plaisoit  a  Dieu  la  vie  et 
(da  doctrine  de  saint  Martin,  qui  fut  eslu 
((  par  le  clerge  de  Tours  ;*la  vie  et  la  doctrine 
«  de  ceux  a  qui  il  conferoit  les  benefices  sans 
{(  aller  a  Rome;  plus  ornoit  I'Eglise,  et  plus 
u  faisoit  pour  le  bien  du  roi  et  du  royaume, 
«  que  tout  ce  qu'on  y  a  adjouste  depuis.  » 

L'attention  des  etats-generaux  se  fixa  par- 
ticuli^rement  sur  trois  objets:  I'administra- 
tion  du  royaume  pendant  la  minoriteduroi; 
la  maniere  de  pourvoir  aux  offices  de  judi- 
cature; les  moyens  de  diminuer  les  impots. 

Les  deputes  se  diviserent  sur  le  premier 
de  ces  trois  points :  les  uns  pretendoient  que 
les  princes  et  les  grands  avoient  seuls  le 
droit  de  disposer  de  la  regence,  et  de  regler 
la  forme  du  gouvernement  pendant  la  mi- 
norite  des  rois ;  les  autres  soutenoient  que  ce 
droit  appartenoit  exclusivement  aux  ^tats- 
generaux.  Philippe  Pot,  seigneur  de  la  Ro- 
che, depute  de  la  noblesse  de  Bourgogne, 

23 


354  '       ASSEMBLIilES    NATIONALES 

se  prononca  pour  la  seconde  opinion ,  dans 
un  discours  fort  remarquable,  sur-tout  par 
le  passage  suivant : 

«  Lorsque  les  honimes  commencerent  a 
«  former  des  societes,  ils  elurent  pour  mai- 
« tres  ceux  de  leurs  egaux  qu'ils  regard  erent 
«  comme  les  plus  eclaires  et  les  plus  inte- 
((  gres ;  en  un  mot  ceux  qui  par  leurs  qualites 
(( personnelles  pouvoient  procurer  de  plus 
« grands  avantages  a  la  societe  naissante. 
((  Ceux  qui  apres  leur  election  ne  song^rent 
«  qua  s'enrichir  aux  depens  de  leurs  sujets 
«  ne  furent  point  regardes  comme  de  verita- 
«  bles  pasteurs,  raais  comme  des  loups  ra- 
ce vissants ;  et  ceux  qui ,  sans  attend  re  Telec- 
wtion,  s'empar^rent  de  I'autorite  supreme^ 
«ne  furent  point  reputes  des  rois  ,  mais  des 
« tyrans.  II  importe  extremement  au  peuple 
«  quel  est  celui  qui  le  gouverne,  puisque  du 
« caract^re  de  ce  seul  liomme  depend  le 
«  bonheur  ou  le  malheur  de  toute  la  societe. 
(«  Appliquons  malntenant  ces  principes  ge- 
uneraux:  s'il  s'eleve  quelque  contestation 
((  par  rapport  a  la  succession  au  trone  ou  a 


DE   FRANCE.    CHAP.   XXV.  355 

«  la  regence ,  a  qui  appartient-il  de  la  deci- 
«  der,  sinon  a  ce  ineme  peuple  qui  a  d'abord 
«  elu  ses  rois,  qui  leur  a  confer^  toute  I'au- 
« torite  dont  ils  se  tiouvent  revetus,  et  en 
(( qui    reside    foncierement    la    souveraine 
«  puissance?  Car  un  etat  ou  un  gouverne- 
«  ment  quelconque  est  la  chose   publique 
(test  la  chose  du  peuple;  quand  je  dis  le 
(t  peuple,  j'entends  parler  de  la  collection 
((  ou  de  la  totaiite  des  citoyens,  et  dans  cette 
«  totaiite  sont  compris  les  princes  du  sang 
«  eux-memes,  comme  chefs  de  la  noblesse. 
(( Vous  done,  qui  etes  les  representants  du 
((  peuple,  et  obliges  par  serment  de  defendre 
(( ses  droits,   pourriez-vous  encore  douter 
u  que  ce  ne  soit  a  vous  de  regler  I'adminis- 
« tration  et  la  forme  du  conseil  ?  Qui  pent 
((  maintenant  vous  arreter  ?  Le   chancelier 
«  ne  vous  a-t-il  pas  declare  que  le  roi  et  les 
((princes  attendent  de  vous  ce  reglement? 
(( On  m'objecte  qu'immediatement  apres  la 
((  mort  du  dernier  roi,  et,  sans  attendre  notre 
(t  consentement ,  on  a  pourvu  a  Fadministra- 
((tion,et  dresse  un  conseil,  et  qu'ainsi  nos 

23. 


356  ASSEMBLEES  RATIONALES 

«  soins  seroient  d^sormais  tardifs  et  super- 
«  flus.  Je  reponds  que  I'etat,  ne  pouvant 
((  se  passer  d'administrateurs,  il  a  ete  neces- 
(( saire  den  nommer  sur-le-champ ,  pour 
«  vaquer  aux  affaires  les  pliis  urgentes ;  mais 
«  que  ce  choix  et  tous  les  autres  reglements 
«  qui  ont  ete  faits  depuis  la  mort  du  roi  ne 
« sont  que  des  reglements  provisoires,  et 
(( qu'ils  n'auront  d'autorite  qu'autant  que 
«  vous  les  aurez  confirmes.  Ces  assemblees 
M  d'^tats,  et  le  pouvoir  que  je  leur  donne,  ne 
«sont  point  une  nouveaute,  et  ne  peuvent 
«  etre  ignores  par  ceux  qui  ont  lu  Fhisloire. 
«  Lorsqu'apr^s  la  mort  de  Philippe-le-Long 
«  il  s'eleva  une  dispute  entre  Philippe  de  Va- 
« lois  et  Edouard ,  roi  d'Angleterre ,  par  rap- 
«  port  a  la  succession  a  la  couronne,  les  deux 
ucontendants  se  soumirent,  comme  ils  le 
«  devoient,  k  la  decision  des  etats-generaux, 
(( qui  prononcerent  en  faveur  de  Philippe, 
«  Or,  si  dans  cette  occasion  les  etats  ont  pu 
« l^gitimement  disposer  de  la  couronne , 
«  comment  leur  contesteroit-on  le  droit  de 
«  pourvoir  a  I'administration  et  a  la  regence? 


DE  FRANCE.   CHAP.   XXV.  357 

Sous  le  roi  Jean ,  et  lorsque  ce  prince  va- 
leureux,  raais  imprudent,  fut  emmen^  pri- 
sonnier  en  Angleterre,  les  etats  assembles 
X  ne  confi^rent  pas  ladministralion  a  son 
fils,  quoiqu'il  etit  alors  vinfjt  ans  accom- 
plish ce  ne  fut  que  deux  ans  plus  tard  que 
ces  memes  etats ,  assembles  pour  la  seconde 
fois,  lui  defer^rent  le  titre  et  I'autorite  de 
( regent.  Enfin ,  lorsque  le  roi  Charles  VI 
parvint  a  la  couronne,  age  seulement  de 
douze  ans,  ce  furent  aussi  les  ^tats-g^n^ 
raux  qui,  pendant  le  temps  de  sa  minority, 
pourvurent  a  la  regence  et  au  gouverne- 
ment.  C'estun  fait  dont  il  reste  aujourd'hui 
des  temoins.  Apr^s  des  autorites  si  posi- 
tives, douterez-vous  encore  de  vos  droits? 
et  puisque,  par  la  forme  de  votre  serment, 
vous  etes  ici  assembles  pourfaire  et  conseil- 
( ler  ce  que^  selon  Dieu  et  votre  conscience , 
vous  jugerez  de  plus  utile  a  Vetat,  pouvez- 
(  vous  negliger  le  point  fondamental  de  tons 
c  vos  reglements?  car  si  Ton  n'observe  rien 
(  de  tout  ce  qu'on  va  vous  proraettre,  a  qui 
<  adresserez-vous  vos  plaintes?  I'article  du 


358  ASSEMBLIES  RATIONALES 

«  conseil  une  fois  omis,  je  iie  vois  pas  a  quoi 
«  bon  vous  vous  donnerez  tant  de  peines  sur 
«  tout  le  reste(i).  » 

Ge  discours  entraina  lassemblee,  qui  prit 
la  resolution  suivante : 

((  Le  roi  etant  dans  sa  quatorzieme  annee, 
(( et  montrant  une  sagesse,  une  prudence  et 
«  une  discretion  au-dessus  de  son  a^je,  expe- 
ct diera  lui— meme  toutes  lettres-patentes, 
((  reglements  et  ordon nances,  d'apr^s  les  de- 
(( liberations  de  son  conseil.  II  ordonnera 
« tout  en  son  nom ,  et  personne  que  lui 
«  n'aura  le  pouvoir  de  faire  aucune  Ordon- 
ez nance  en  quelque  {],enre  que  ce  soit.  Les 
«  etats  supplient  le  roi  de  presider  lui-meme 
«  son  conseil  le  plus  souvent  qu'il  lui  sera 
u  possible ,  afin  qu'il  puisse  se  former  de 
((  bonne  heure  aux  affaires,  et  apprendre  a 
tt  bieii  {jouverner.  En  I'absence  du  roi,  le 
«  due  d'Orleans,  premier  prince  du  sang, 


(i)  Ce  discours  est  extrait  d'un  ancien  manuscrit  que 
I'on  conserve  a  la  LJibliotheque  du  roi :  je  le  rapporte  lel 
qu'il  est  consigne  dans  YHistoire  de  France  de  I'abbe  Gar- 
nier.  On  veil  bien  que  le  style  en  est  rajeuni. 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXV.  3Sg 

«  presidera  le  conseil,  et  coiiclura  a  la  plu- 
«  ralite  des  voix;  apr^s  le  due  d'Orl^ans,  et 
«  en  son  absence,  le  due  de  Bourbon,  con- 
u  netable  de  France. 

«  Enfin  le  sire  de  Beaujeu,  qui  a  d^ja 
u  rendu  des  services  si  importants  a  Fetat, 
u  aura  la  troisieme  place,  et  presidera  en 
«  Tabsence  des  dues  d  Orleans  et  de  Bour- 
«  bon. 

«  Lesautres  princes  du  sang  auront  stance 
«  et  voix  deliberative  dans  le  conseil,  sui- 
«  vant  I'ordre  de  leur  naissance. 

«  Et  d'autant  que  les  affaires,  dont  le  con- 
«  seil  doit  prendre  counoissance ,  sont  en 
((  grand  nombre,  et  qu'il  est  utile  que  le  con- 
((  seil  soit  toujours  rempli  dliommes  intelli- 
«  gents  et  laborieux,  les  etats  pensent  qu'il 
«  seroit  a  propos  que  Ton  tirat  des  douze  gou- 
((vernements  douze  personnes  recomman- 
«  dables  par  leur  probite  et  leurs  lumi^res, 
«  et  qu'on  les  associat  aux  anciens  conseil- 
u  lers  d'etat;  ils  laissent  le  choix  de  ces  douze 
«  nouveaux  conseillers  au  roi  et  aux  princes. 

«  Enfin  les  ^tats  considerant  avec  quelle 
«  prudence  le  roi  a  ete   jusqu'ici    eleve   et 


36o  ASSEMBLEKS    NATIONALES 

unourri,  souhaitent  qu'il  ait  toujours  aa- 
«pr^s  de  sa  personne  des  gens  sages,  eclai- 
«  res,  et  vertueux,  qui  continuent  de  veiller 
(csur  sa  sante,  et  de  lui  inspirer  des  prin- 
«  cipes  de  moderation  et  de  vertu.  » 

Quelques  jours  apr^s,  le  roi  se  rendit  aux 
^tatsj  et  le  chancelier,  portant  la  parole, 
leur  dit: 

((Le  roi  est  content  de  votre  conduite;  il 
(( loue  votre  zele  pour  le  bien  public,  et  ad- 
(( niire  I'ordre  et  la  clarte  que  vous  avez  re- 
«  pandus  sur  des  mati^res  si  difficiles ;  mais 
<(  comme  la  plupart  de  ces  mati^res  exigent 
(( encore  quelques  discussions,  il  ne  repond 
(( aujourd'hui  qua  I'article  du  conseil.  Le 
«  roi  adopte  sans  restriction  tout  ce  que  vous 
((  avez  regie  a  cet  egard  ( i  )• » 


(i)  La  minoritede  Charles  VIII  etoit  la  sixieme  depuis 
Hugues  Capet.  Philippe  1",  Philippe-Auguste,  Louis  IX, 
Jean  fils  de  Louis  Hutin,  et  Charles  VI  avoient  suc- 
cede.  a  la  couronne  avant  d'avoir  atteint  leur  niajorite. 
Chacune  de  ces  minorites  avoit  donne  lieu  a  une  re- 
gence,  et  cependant  Ton  se  demandoit  encore  comment 
et  par  qui  le  regent  devoit  etre  nomme;  si,  a  defaut  de 
dispositions  du  pere,  la  regence  appartenoit  de  droit  a 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXV.  36 1 

Apr^s  s'^tie  occup^s  du  coDseil ,  Jes  etats- 
(Teneraux  porterent  leurs  solUcitudes  sur  la 


la  mere  du  roi  mineur  ou  au  premier  prince  du  sang 
royal;  enfin ,  si,  dans  le  cas  ou  la  reine  auroit  la  re- 
gence,  elle  ne  devoit  pas  en  partager  I'exercice  avec  un 
conseil  compose  des  princes  et  des  grands  du  royaume. 

Les  exemples  que  Ton  avoit  sous  les  yeux  n'etoient  ni 
assez  nombreux  ni  assez  uniformes  pour  former  un  pre- 
cedent. Au  surplus  je  vais  les  exposer. 

Philippe  I",  quatrieme  roi  de  la  troisieme  race,  n'avoit 
que  huit  ans  lorsqu'il  monta  sur  le  Irone.  Baudouin, 
comte  de  Flandre ,  eut  la  regence  du  royaume  en  vertu 
d'une  disposition  du  dernier  roi ,  et  k  I'exclusion  de  la 
reine-mere  qui  vivoit  encore. 

Philippe-Auguste,  roi  a  quinze  ans,  eut  pour  tuteur 
le  comte  de  Flandre.  La  reine  sa  mere  ne  prit  aucune 
part  a  I'administration  du  royaume :  on  ne  voit  pas 
meme  qu'elle  ait  eleve  la  plus  legere  reclamation  a  cet 
egard. 

Louis  IX  succeda  a  la  couronne  n'etant  kge  que  de 
onze  ans  et  six  mois.  Sur  le  temoignage  de  quelques 
seigneurs  de  la  cour,  qui  declarerent  que,  dans  ses  der- 
niers  moments,  Louis  VIII  avoit  manifeste  le  desir  que 
I'autorite  residat  dans  les  mains  de  sa  veuve  pendant  la 
minorite  de  son  fils,  Blanche  de  Castille  se  constitua  tu- 
trice  du  roi  mineur,  et  regente  du  royaume. 

L'autorite  royale,  ainsi  placee  dans  des  mains  que  la 
loi  fondamentale  du  royaume  declaroit  inhabiles  ti  por- 
ter le  sceptre,  parut,  a  la  plupart  des  grands,  une  nou- 


362  ASSEMBLIES  NATIONALES 

mani^re  de  pourvoir  aux  offices  de  judica- 


ture. 


veaute  si  choquante,  qu'ils  formerent  centre  la  regente 
une  ligue  qu'elle  eut  beaucoup  de  peine  a  dissiper. 
«( Les  mal-contents ,  dit  Mezerai  dans  son  Histoire  du 
« regne  de  saint  Lows ,  ne  pouvoient  digerer  que  le 
«  gouvernement  fust  entre  les  mains  de  deux  etrangers, 
«  une  femme  espagnole  et  un  cardinal  italien ;  ils  re- 
u  prennent  done  les  armes,  attirent  a  eux  Robert,  comte 
«de  Dreux,  frere  aisne  du  due  Breton,  et  Philippe, 
u  comte  de  Boulogne ,  oncle  paternel  du  roi ,  auquel  ils 
M  promettoient  la  couronne :  tellement  qu'une  seconde 
«  fois  le  roi  pensa  estre  enveloppe  par  cette  conspiration, 
(cet  eust  este  surpris  si  le  comte  de  Champagne  ne  fust 
u  accouru  fort  a  propos  avec  trois  cents  chevaliers  pour 
« le  degager. 

« Au  printemps  les  conspirez  tournerent  tous  leurs 
«  efforts  centre  le  comte  de  Champagne  et  de  Brie :  ils 
«  lui  demandoient  ces  comtez  pour  Alix,  reyne  de  Chy- 
«  pre,  fille  de  Henry  son  oncle;  et  outre  cela  I'appeloient 
Htraistre,  et  I'accusoient  d'avoir  empoisonne  le  defunt 
wroy,  offrant  de  Ten  convaincre  par  le  duel,  reproche 
<i  qui  le  noircit  tellement  aupres  de  ses  vassaux ,  qu'ils  se 
«  liguerent  centre  lui  avec  ses  ennemis. 

«  Le  comte,  se  voyant  un  si  pesant  fardeau  sur  les 
«bras,  et  sa  ville  de  Troyes  assiegee,  implore  I'ayde  de 
wla  reg^nte,  qui  fait  marcher  le  roy  a  son  secours,  et 
M  leur  commande,  s'ils  avoient  quelque  chose   a   dire 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXV.  363 

Plains  de  cette  verit^,  que  les  bons  juge- 
ments  dependent  encore  plus  des  bons  juges 


«  centre  le  comte,  qu'ils  eussent  a  venir  demander  jus- 
II  tice  en  sa  cour. 

««Mais  eux,  qui  ne  vouloient  point  reconnoistre  sa 
«  regence,  comme  si  le  royaume  eust  este  vacant,  eslu- 
«  rent  roy,  dans  une  assemblee  secrete,  le  seijjnenr  de 
"Coucy,  qui  estoit  en  grande  reputation  de  sagesse  et 
«  de  justice.  La  regente  en  ayant  eu  avis  le  fit  aussitost 
«  savoir  k  Philippe,  comte  de  Boulogne,  a  qui  ils  avoient 
«fait  esperer  la  royaute:  par  ce  moyen  elle  le  destacha 
«  d'avec  eux,  puis  avec  diverses  adresses  aneantit  tous 
« leurs  desseins ,  non  pas  toutefois  leurs  mauvaises  in- 
u  tentions. » 

Louis  Hutin,  qui  mourut  a  Vincennes  le  5  juin  i3i6, 
apres  un  regne  de  dix-neuf  mois,  laissoit  une  fille  de  sa 
premiere  femme,  et  sa  seconde,  Clemence  de  Hongrie, 
grosse  de  cinq  k  six  mois.  Philippe-le-Long,  qui  etoit  a 
Lyon,  nefut  pas  plus  tot  instruit  de  cet evenement  qu'il 
se  rendit  a  Paris.  Trouvant  le  palais  du  roi  vacant,  par- 
ceque  la  reine  e'toit  encore  a  Vincennes,  il  s'y  etablit,  etse 
saisitdes  renes  du  gouvernement.  Quelques  jours  apres,  la 
reine  lui  ayant  notifie  sa  grossesse,  il  assembla  les  pairs 
et  les  barons  afin  de  prendre  avec  eux  les  mesures  que 
les  circonstances  exigeoient,  et  dans  cette  memorable 
assemblee  il  fut  arrete  que  Philippe  seroit  gouverneur 
du  royaume,  qu'il  en  percevroit  tous  les  revenus,  et 
qu'il  fourniroit  a  la  reine  le  necessaire  ;  que  si  elle  accou- 


364  ASSEMBLEES  NATIONALES 

que  des  bonnes  lois,  ils  traduisent  le  roi  au 
tribunal  de  sa  conscience,  lui  representent 
que  toutes  les  injustices  que  pourroientcom- 
mettre  des  juges  mal  choisis  retomberoient 
sur  sa  tete,  et  lui  indiquent  un  moyen,  le 
seul  peut-etre,  de  bien  remplir  les  devoirs 
que  la  royaute  lui  impose  a  cet  egard.  Voici 
comme  ils  s'expriment : 


choitd'un  fils,  Philippe  retiendroit  la  garde  du  royaume 
jusqu'a  sa  majorite;  qu'il  administreroit  la  guerre  et  les 
autres  affaires,  et  qu'il  assigneroit  vingt  mille  livres  de 
revenu  a  la  reine,  dont  quatre  mille  lui  resteroient  en 
heritage;  que  si  au  contraire  il  naissoit  une  fille,  Phi- 
lippe seroit  des-lors  reconnu  par  tous  comme  roi ,  et  il 
pourvoiroit  au  sort  de  la  jeune  fille,  selon  que  le  droit 
et  la  coutume  le  requierent. 

Charles  V  mourut  en  i38o,  laissant  la  couronne  a 
Charles  VI  encore  mineur,  et  sans  avoir  dispose  de  la 
regence. 

Cette  regence  divisa  les  oncles  du  jeune  roi.  Le  due 
d'Anjou  s'en  saisit  en  sa  qualite  de  premier  prince  du 
sang.  Les  dues  de  Bourgogne,  de  Berri,  et  de  Bourbon , 
se  fondant  sur  certaines  dispositions  verbales,  attribuees 
a  Charles  V,  pretendoient  en  partager  I'exercice.  Une 
assemblee  de  notables,  convoquee  a  I'effet  de  concilier 
ces  grands  interets,  se  trouvant  elle-meme  divisee,  sou- 
mit  I'affaire  a  des  commissaires ,  qui,  apres  quatre  jours 


DE  FKANCE.    CHAP.   XXV.  365 

uComme  un  roi  ne  peut  suffire  seul  a 
«  rendre  la  justice  a  tous  ses  sujets,  il  a  ^te 
unecessaire  qu'il  se  fit  remplacer  par  un 
((grand  nombre  d'officiers  subordonnes  les 
((uns  aux  autres,  et  repandus  dans  toutes 
((les  provinces  de  la  monarcliie;  mais  il 
(( doit  bien  prendre  garde  a  quelles  mains  il 
((confie  ce  precieux  depot,  autrement  il  est 


de  deliberation,  lui  en  firent  le  rapport,  sur  lequel  il  fut 
resolu  que  Ton  abregeroit  le  temps  de  la  majorite  du  roi, 
dont  le  couronnement  et  le  sacre  se  feroient  a  la  fin  du 
mois;  que  le  due  d'Anjou  prendroit  le  titre  de  regent; 
qu'en  cette  qualite  il  feroit  emanciper  le  jeune  prince 
avant  le  sacre,  et  que  des-lors  le  royaume  seroit  gou- 
verne,  au  noni  du  roi,  par  les  conseils  et  avis  de  nos  sei- 
gneurs ses  oncles. 

Enfin  une  ordonnance  du  meine  roi  Charles  VI,  pu- 
bliee  le  26  decembre  il\o'] ■>  porte  que  la  garde,  nourri- 
ture,  et  affaires  des  rois  mineurs  de  quatorze  ans  seront 
et  demeureront  entre  les  mains  des  reines  leurs  meres , 
si  elles  sont  vivantes,  et  des  plus  prochains  du  lignage 
et  du  sang  royal  de  France,  qui  lors  seront  assiste's  du 
connetable,  du  chancelier,  et  des  sages  hommes  du  con- 
seil  du  roi  defunt. 

M.  de  Boulainvilliers,  dans  sa  neuvienie  lettre  sur  les 
parlements  de  France,  dit:  On  voit  bien  que  cette  hi  fut 
faite  pour  favoriser  la  reine  Isabelle. 


366  ASSEMBLEES   NATIONALES 

« respoiisable  clevant  Dieu  et  devant  les 
(( hommes  de  toutes  les  injustices  qui  se 
u  commettent  en  son  nom :  c'est  pour  cette 
ttraison  que  nos  plus  grands  rois,  tels  que 
« saint  Louis,  Philippe-le-Bel,  Charles  V, 
cet  le  glorieux  Charles  VII,  considerant 
(( qu'ils  ne  pouvoient  avoir  par  eux-memes 
(( une  connoissance  assez  exacte  de  leurs  su- 
((jets,  pour  netre  pas  souvent  exposes  a  se 
((tromper  dans  le  choix  qu'ils  en  feroient, 
wavoient  ordonn^  que  toutes  les  fois  qu'il 
«vaqueroit  une  place  de  judicature,  le  tri- 
(( bunal  ou  elle  vaqueroit  eliroit,  a  la  plura- 
« lite  des  voix ,  les  trois  hommes  qu'il  croi- 
«  roit  le  plus  capables  de  la  bien  remplir,  et 
(des  prdsenteroit  au  roi,  qui  confereroit  la 
«  place  a  un  des  trois :  par  ce  raoyen  la  con- 
«  science  du  roi  etoit  dechargee,  et  les  pla- 
«  ces  etoient  toujours  bien  remplies. 

«Mais  depuis  la  mort  de  Charles,  ce  bel 
w  ordre  a  ete  enti^rement  perverti ,  et  Ton  a 
(cfait  un  trafic  honteux  de  tons  les  emplois: 
«  souvent  on  donnoit  a  des  facteurs  les  pro- 
(( visions  d'un  office  avec  le  nom  en  blanc, 
«  pour  y  inscrire  celui  qui  offriroit  une  plus 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXV.  36'J 

«  grosse  somrae  de  deniers.  Par-la  les  places 
«  ont  ^te  avilies ;  la  porte  a  ete  ouverte  a  la 
«  corruplion ,  et  I'exercice  de  la  justice  est 
t(  devenii  un  brigandage.  » 

Sous  Charles  VII  les  tailles  montoient 
a  1,200,000  livres;  pendant  le  regne  de 
Louis  XI  elles  furent  successivement  ele- 
v^es  jusqua  4  millions.  Les  etats-generaux 
reduisirent  cet  impot  a  son  ancienne  quo- 
tite,  c'est-a-dire  a  1,200,000  livres;  et  at- 
tendu  le  renclierissement  des  denrees  et  le 
cliangement  dans  la  valeur  des  monnoies, 
ils  ajouterent  a  cette  somme  celle  de  3oo,ooo 
livres.  Voici  les  termes  de  I'arrete  qu'ils  pri- 
rent  a  cet  egard. 

«  Pour  subvenir  aux  frais  de  Tadministra- 
« tion ,  et  assurer  la  tranquillite  du  royaume , 
ules  gens  des  trois  etats  accordent  au  roi, 
«leur  souverain  seigneur,  par  mani^re  de 
«don  et  octroi,  et  non  autrement,  et  sans 
uqu'on  puisse  I'appeler  dorenavant  taille, 
((mais  don  et  octroi,  telle  et  semblable 
« somme  qui,  du  temps  de  Charles  VII, 
«  etoit  levee  sur  le  royaume,  et  ce  pour  deux 
u  ans  tant  seulement,  et  non  plus,  a  condi- 


368  ASSEMBLlilES   NATIONALES 

(( tion  que  cette  somme  sera  repartie  egale- 
(( ment  sur  toiites  les  provinces  qui  compo- 
«  sent  actuellement  la  monarchie.  » 

Les  etats  travailloient  a  la  redaction  de 
leurs  cahiers ,  et  I'assemblee  etoit  sur  le  point 
de  se  separer,  lorsque  des  debats  fort  serieux 
s'elev^rent  entrel'ordre  duclerge  et  celuidu 
tiers.  L'abbe  Garnier,  dans  son  histoire  du 
regno  de  Charles  VIII,  rapporte  les  details 
de  cette  affaire  tels  qu'ils  sont  consignes 
dans  un  manuscrit  que  Ton  conserve  a  la 
Bibliotheque  du  roi,  et  dont  il  n'a  fait  que 
rajeunir  le  style.  Ces  details,  les  voici: 

II  s'agissoit  de  la  Pragmatique  de  Char- 
les VII,  recemment  abolie  par  Louis  XI: 
tous  les  grands  corps  de  I'etat  en  vouloient 
le  retablissement,  et  le  tiers  en  avoit  consi- 
gne  le  voeu  dans  ses  cahiers  (i).  Les  eveques 


(i)  Cette  ordonnance  celebre  avoit  ete  faitea  I'occasion 
du  schisme  qui  etoit  entre  le  concile  de  Bale  et  le  pape 
Eugene  IV :  le  concile  avoit  ete  indique  par  Martin  V ; 
Eugene,  son  successeur,  qui  savoit  qu'un  concile  pou- 
voit  etre  utile  a  I'figUse,  mais  qu'il  etoit  toujours  con- 
traire  a  I'autorite  des  papes,  cherchoit  a  I'eluder  par 


DE   FRANCE.  CHAP.  XXV.  36g 

de  Fasserablee  s'y  etoient  opposes ,  et,  voyant 
que  Ton  refusoit  de  faire  droit  sur  leur  oppo- 
sition, ils  avoient  present^  au  roi  une  tr^s 
longuerequetedans  laquelleils  ^tablissoient 
qu'etant  les  principaux  membres ,  ou  plutot 
les  chefs  de  I'Eglise  gallicane,  ils  avoient 


des  retardements ,  et  voulut  le  transferer  a  Bologne,  et 
ensuite  a  Ferrare.  Les  p^res  du  concile,  au  lieu  d'acquies- 
cer  h  la  bulle  d'Eugene,  le  citerent  a  comparoitre,  et  le 
menacerent  de  le  deposer  s'il  n'obeissoit  pas.  I^e  pape , 
irrite  de  cette  menace,  excommunia  le  concile,  qui  de 
son  cote  deposa  Eugene,  et  nomma  a  sa  place  Ame- 
dee  VIII,  due  de  Savoie,  sous  le  nom  de  Felix  V. 

Charles  VII,  apres  avoir  cherche  inutilement  a  conci- 
lier  le  concile  et  le  pape ,  craifjnit  que  le  schisme  ne  se 
repandit  en  France.  II  convoqua  en  i438  une  assemblee 
a  Bourges,  oil  se  trouverent  le  dauphin,  les  princes  du 
sang,  tous  les  grands,  et  les  prelats  du  royautne:  le 
concile  y  envoya  des  ambassadeurs ,  qui  presenterent  a 
I'assemblee  les  canons  qui  venoient  d'etre  faits  a  Bale. 
Le  roi  les  fit  examiner  avec  soin,  et,  apres  avoir  pris  les 
avis  de  tous  les  ecclesiastiques  et  laiques,  qui  declare- 
rent  qu'ils  etoient  propres  a  retablir  une  bonne  discipline 
dans  I'Eglise,  il  fit  une  ordonnance  de  tous  ces  decrets, 
sous  le  nom  de  Pragmatique  sanction,  et  la  fit  publier  et 
enregistrer  en  parlement,  pour  etre  observee  dans  tout 
le  royaume. 


jyo  ASSEMBLIES    NATION  ALES 

seuls  le  droit  de  proposer  des  reglements 
par  rapport  a  la  discipline  ecclesiastique ; 
que  toutes  les  fois  qu'il  plairoit  au  roi  de 
changer  quelque  chose  a  Ford  re  etabli,  il 
devoit  prealablement  convoquer  le  corps 
entier  des  eveques ,  ce  qui  ne  s  etoit  point 
fait  dans  cette  assemblee  des  ^tats,  ou  ils 
n'^toient  qa'en  petit  nombre :  ils  declaroient 


Le  premier  article  contient  deux  canons ,  par  lesquels 
le  concile  declare  que  tout  concile  general  represente 
I'Eglise  universelle ,  et  qu'il  a  une  autorite  spirituelle  a 
laquelle  celle  du  pape  meme  est  soumise. 

Le  second  article  contient  le  decret  du  concile  tou- 
chant  les  elections :  la  nomination  aux  eveches,  et  autres 
benefices,  est  otee  aux  papes,  qui  I'avoient  usurpee.  II 
est  ordonne  que  chaque  eglise  elira  son  eveque ,  chaque 
monastere  son  abbe  ou  prieur,  et  ainsi  des  autres. 

Le  troisieme  article  abolit  I'abus  des  reservations  et  des 
graces  expectatives.  Les  papes,  afin  de  prevenir  les  elec- 
tions, nommoient  aux  benefices  avant  qu'ils  fussent  va- 
cants:  ces  nominations  s'appeloient  graces  expectatives. 
8i  le  pape  n'avoit  pas  pris  cette  precaution  avant  la  mort 
du  titulaire,  il  declaroit  qu'il  s'etoit  reserve  depuis  long- 
temps  la  nomination  a  ce  benefice:  cet  abus,  qu'on 
nommoit  reservation,  privoit  du  droit  d'election  ou  de 
nomination  ceux  a  qui  il  appartenoit  legitimement. 
DucLos,  Histoire  de  Louis  XI ,  tome  I. 


DlL  FRANCE.  CHAP.  XXV.  3"]  I 

que  pour  le  bien  de  lapaix  et  I'utilite  publi- 
que,  ils  consentoient  et  approuvoient  tous 
les  articles  contenus  dans  les  cahiers ,  a  I'ex- 
ception  de  ceux  qui  regardoient  la  discipline 
de  I'Eglise;  mais  qu'ayant  ete  temoins  de  la 
mani^re  peu  respectueuse  dont  on  s'enon- 
coit  a  regard  du  saint  siege,  et  des  efforts 
que  Ton  faisoit  pour  le  retabli§sement  dela 
Pragmatique ,  ils  se  croyoient  obliges,  en 
vertu  du  serment  d'obeissance  quils  avoient 
prete  au  souverain  pontife ,  de  s'opposer  de 
toutes  leurs  forces  a  de  pareils  reglements, 
et  quils  emploieroient  toute  leur  autorite 
pour  le  combattre. 

Cette  requete,  ay  ant  et^  communiqu^e 
aux  etats,  excita  une  indignation  g^nerale: 
on  se  d^chaina  contre  la  conduite  des  oppo- 
sants,  et  on  trouva  leurs  pretentions  nou- 
velles  et  abusives.  On  ajouta  que  ceux  qui 
composoient  les  etats  se  disoient,  ainsi  que 
leseveques,  enfants  de  I'Eglise,  et  faisoient 
profession  d'etre  soumis  au  saint  siege,  mais 
quils  ne  croyoient  point  deroger  a  I'obeis- 
sance  filiale  en  adoptant  une  constitution 
fondee  sur  I'autorite  des  conciles,  approuvee 

24. 


372  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

par  les  etats-generaux  du  loyaume,  et  adop- 
tee par  un  grand  nombre  de  prelats ,  qui , 
pour  ne  rien  dire  de  trop,  valoient  bien  ceux 
qui  la  rejetoient  avec  tant  de  mepris.  Quel- 
ques  deputes,  plus  emportes  que  les  autres, 
ajoutoient  que  les  prelats  ne  se  montroient 
si  opposes  a  la  Pragmatique ,  que  parceque 
leur  nomination  avoit  ete  contraire  a  ses 
decrets:  ils  disoient  qu'on  ne  devoit  point 
les  nommer  les  eveques  de  I'Eglise  gallicane, 
mais  les  eveques  du  roi  Louis  XI,  et  qu'il 
paroissoit  assez  qu'ils  visoient  au  chapeau 
rouge. 

Geci  s'etoit  passe  dans  I'assemblee  des 
^tats :  la  dispute  se  renouvela  avec  aigreui- 
dans  la  maison  du  cardinal  de  Bourbon ,  et 
elle  auroit  ete  poussee  plus  loin ,  si  le  procu- 
reur-general ,  qui  avoit  eu  ordre  d'assister  a 
cette  conference,  n'eut  interpose  son  auto- 
rit^,  et  oblige  les  esprits  les  plus  echauffes  a 
garder  le  silence.  II  declara  qu'etant  le  pro- 
cureur  du  roi  et  du  royaume,  il  etoit  auto- 
ris^  k  prendre  connoissance  de  tout  ce  qui 
avoit  rapport  a  la  tranquillity  ou  a  la  pros- 
p^rit^  de  I'^tat ;  que  la  Pragmatique  sanction 


DE   FRANCE.  CHAP.  XXV.  373 

etoit  de  toutes  les  constitutions  la  plus  pre- 
cieuse,  puis([u'elle  empechoit  que  I'argent 
ne  sortit  du  royaume,  et  qu'elle  donnoit  k 
TEglise  des  pasteurs  ^clair^s  et  vigilants; 
qu'il  ne  souffriroit  pas  qu'on  donnat  at- 
teinte  a  ce  sage  reglement,  et  qu'il  ^toit 
resolu  de  traduire  au  parlenient  quiconque 
oseroit  s'y  opposer  desormais. 

Malgre  cette  menace ,  le  procureur-g6n^~ 
ral  ne  cita  personne  a  comparoitre,  et  la 
Pragraatique  ne  fut  point  retablie. 

Ces  discussions  retardoient  la  redaction 
des  caliiers,  mais  ne  la  faisoient  pas  perdre 
de  vue.  Enfin  les  trois  ordres  furent  admis 
a  presenter  leurs  doleances  au  roi. 

Elles  ^toient  divis^es  en  cinq  chapitres : 
le  premier  intitule  de  I'etat  de  I'Eglise;  le 
second  de  la  noblesse ;  le  troisieme  du  tiers- 
etat ;  le  quatri^me  de  la  justice ;  le  cinqui^me 
du  commerce  ou  de  la  marchandise. 

Le  chapitre  du  tiers-^tat  est  sur-tout  re- 
marquable  par  les  details  qu'il  renferme 
sur  les  causes  de  I'epuisement  du  royaume. 
On  y  lit : 

L'argent  est  dans  le  corps  politi([ue  ce  que 


374  ASSEMBLIES  NATIONALES 

le  sang  est  dans  le  corps  humain :  il  importe 
done  d'examiner  quelles  saignees  et  quelles 
evacuations  on  a  faites  a  la  monarehie  depuis 
environ  un  siecle. 

La  premiere  fut  du  temps  des  papes 
Alexandre  et  Martin,  qui,  en  quatre  ans, 
tir^rent  de  ce  royaume  des  sorames  si  con- 
siderables, quelles  furent  evaluees  a  plus 
de  deux  millions  dor.  Pour  etancher  cette 
merveilleuse  evacuation  de pecune ,  fiirentfaits 
certains  concordats  avec  le  pape  Martin;  mais 
['on  ne  scut  si  bien  Her  la  plaiepar  concordats  ^ 
que  la  subtilite  romaine  ne  rouvrit  la  cicatrice, 
tellement  quinjinie  somme  d'or  et  d'argent 
alia  en  cour  de  Borne,  dont  Jiirent  -conduites 
les  guerres  d' Italic  entre  les  heritiers  du  pape 
Martin. 

Les  calamit^s  sans  nombre  auxquelles  ce 
royaume  fut  en  proie  n'arret^rent  point 
cet  ecoulement.  Tandis  que  les  Anglois 
conqueroient  nos  provinces;  que  des  ar- 
mees  de  bri^jands  desoloient  les  campagnes, 
les  collecteurs  de  decimes  et  de  pensions 
apostoliques  continuoient  tranquillement  a 
pomper  la  substance  de  letat:  et  si  Char- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXV.  376 

les  VI,  par  les  ordonnances  qu'il  rendit 
en  i4o6  et  en  i4i8,  n'eut  remedi^  h.  une 
paitie  de  ces  abus,  la  France  etoit  perdue 
sans  ressource. 

Tout  le  inonde  salt  a  quel  exc^s  d'humi- 
liation  et  de  misere  I'etat  etoit  reduit  lors- 
que  Charles  VII  monta  sur  le  trone  :  ce 
grand  roi  retablit  tellement  la  police  g^ne- 
rale,  et  tint  si  bien  la  main  a  ce  que  I'argent 
ne8ortitplusduroyaume,qu'enpeude  temps 
le  corps  politique  comraenca  a  respirer,  et 
ci  entrer  en  convalescence*,  mais  il  ne  put 
entierement  recouvrer  ses  forces.  Ce  bon 
roifutenlevetroptotala  nation, et,  presque 
immediatementapr^sson  trepas,le  royaume 
fut  livre  de  nouvcau  a  Tavidite  des  etran- 
gers. 

Ce  fut  alors  que  Louis  XI,  seduit  par 
les  artifices  du  cardinal  Jouffroi,  revoqua 
la  Pragmatique,  et  soumit  son  royaume  au 
pape,  pour  en  user  a  volonte :  demarche  en- 
tierement contraire  aux  droits  et  a  la  liberte 
dessujels,  prejudiciable  au  roi  lui-meme, 
et  qui  a  enleve  a  la  France  des  sommes  pro- 
dlgieiises ;  car  dans  ce  royaume  il  y  a  cent  un 


376  ASSEMBLIES   NATION  ALES 

eveches,  et  il  n'y  en  a  aucun  qui,  depuis  la 
mort  de  Charles  VII ,  n'ait  ete  vacant  au 
moins  une  ou  deux  fois ,  et  aucun  dont  la  va- 
cance  n'ait  produit  au  sain  t  siege  au  m oins  six 
mille  ducats.  Quant  aux  abbayes  et  prieures, 
qui  sont  au.nombre  de  plus  de  trois  mille  en 
France,  il  n'y  en  a  point  dont  la  vacance 
n'ait  fait  sortir  cinq  cents  ducats,  en  pre- 
nant  un  terme  moyen,  ce  qui,  bien  calcule, 
inonte  a  des  sommes  merveilleuses  et  innu- 
merables. 

Ajoutez-y  cependant  celles  qui  sont  sor- 
ties pour  indulgences,  decinies,  dispenses, 
et  voyages  en  cour  de  Rome;  ajoutez-y  en- 
core les  taxes  imposees  au  profit  des  legats : 
car,  sous  leregne  precedent,  on  en  a  compte 
jusqua  trois  ou  cjuatre ,  qui  ont  donne  de  mer- 
veilleuses evacuations  a  ce  pauvre  royaume, 
et  voyoit-on  mener  apres  eux  des  mulcts  char- 
ges  d'or  et  d'argent.  En  consequence,  les 
trois  etats  supplient  le  roi  de  refuser  I'entree 
du  royaume  a  Balue  qui  y  venoit  encore  en 
qualite  de  legat  j  car,  sans  parler  des  raisons 
qu'on  a  voit  de  le  regarder  comme  un  homme 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXV.  877 

suspect,  sa  lejjation  etoit  enti^rement  inu- 
tile, puisque  la  France  ^toit  en  paix. 

Les  victim es  des  injustices  du  dernier 
regne  s'erapress^rent  de  solliciter  la  media- 
tion des  ^tats  aupres  du  nouveau  gouverne- 
ment.  Dans  le  nombre  on  remarquoit  le 
seigneur  de  Cro'i ,  le  due  de  Lorraine,  Charles 
d'Armagnac  fr^re  puine  du  comte  d'Arma- 
gnac  tue  dans  Lectoure,  et  les  enfants  du 
due  de  Nemours.  Le  premier  demandoit  la 
restitution  de  ses  terres  de  Croi  et  de  Renti, 
restitution  qui  lui  ^toit  assur^e  par  le  trait^ 
d'Arras,  et  que  Louis  XI  avoittoujours  elu- 
dee.  Le  due  de  Lorraine  r^clamoit  la  suc- 
cession du  due  d'Anjou  son  aieul,  dont  le 
gouvernement  s'etoit  mis  en  possession. 
Charles  d'Armagnac  representoit  que,  par 
la  plus  criante  injustice,  on  I'avoit  depouille 
de  tons  ses  biens,  et  supplioit  les  etats  d'in- 
terceder  en  sa  faveur.  Les  enfants  du  due 
de  Nemours  se  present^rent  par  le  niinist^re 
dun  avocat;  Tassembl^e  ayant  bien  voulu 
Tentendre,  il  lui  fit  un  discours  tres  tou- 
chant,  dont  voici  la  conclusion  :  a  Ses  tristes 


378  ASSEMBLEES    NATIONALES 

enfants  Aleves  dans  la  splendeur,  et  a  qui 

tout  ce  qu'il  y  avoit  de  grand  dans  le 

royaume  se  faisoit  honneur  d'appartenir, 

declius  dans  un  instant  de  ce  liaut  ranff, 

pleurant  la  mort  dune  m^re,  arios^s  du 

sang  de  leur  p^re,  converts  d'opprobre,  et 

reduits  a  la  plus  affreuse  indigence,  n'ont 

plus  oil  reposer  leur  tete,  et  ne  subsistent 

que  d'aumones.  Soyez  sensibles  a  leur  mal- 

heur  y  et  puisque  le  roi  vous  a  charges  de 

lui  decouvrir  toutes  les  injustices  qui  de- 

ligurent  le  gouvernement ,  ne  lui  cachez 

point  celle  qui  deshonore  le  plus  la  nation . » 

Les  esperances  des  petitionnaires  ne  fii- 

rent  pas  trompees.  Les  ^tats-generaux  ex- 

poserent  leurs  griefs  au  roi,  et  justice  leur 

fut  rendue. 

Je  terminerai  ce  chapitre  par  les  re- 
flexions suivantes  que  je  trouve  dans  les  Me- 
moires  de  Philippe  de  Comines,  livre  V,  cha- 
pitre XIX. 

«Et  pour  parler  de  I'experience  de  la 
«  bonte  de  Francois,  il  ne  f'aut  alleguer  de 
«  nostre  temps  que  les  trois  estats  tenus  h. 
(( Tours, apr^s  le  dec^s  de  nostre bon maistre 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXV.  879 

n  ie  roy  Louis  XI  (a  qui  Dieu  face  pardon ), 
n  qui  fut  Fan  mil  quatre  cent  quatre-vingt 
u  et  trois.  L'on  pouvoit  estimer  lors  que  cette 
«  bonne  assemblee  estoit  dangereuse,  et  di- 
et soient  quelques  uns  de  petite  condition  et 
«de  petite  vertue,  et  ont  dit  par  plusieurs 
«  fois  depuis  que  c'est  un  crime  de  leze-ma- 
« jeste  que  de  parler  d'assembler  les  ^tats, 
«  et  que  c'est  pour  diminuer  I'autorite  du 
«roy,  et  ce  sont  ceux  qui  commettent  ce 
('Crime  envers  Dieu  et  le  roy,  et  la  chose 
if  publique;  mais  servoient  ces  paroles,  et 
<(  servent  a  ceux  qui  sont  en  autorite  et  Cre- 
te dit,  sans  en  rien  I'avoir  merit^,  et  qui  ne 
wsont  point  propres  d'y  estre,  et  n'ont  ac- 
u  coutume  que  de  flageoler  et  fleureter  en 
« I'oreille,  et  parler  de  choses  de  peu  de  va- 
« leur,  et  craignent  les  grandes  assemblies, 
«  de  peur  qu'ils  soient  connus  ou  que  leurs 
u  ceuvres  ne  soient  blasmees 

t(  Et  supplierent  lesdits  etats  qu'au  bout  de 
(tdeux  ans  ils  fussent  rassemblez,  et  que  si 
« le  roy  n'avoit  assez  argent  qu'ils  luy  en 
(( bailleroient  a  son  ])laisir;  et  que  s'il  avoit 


38o  ASSEMBLEES   NATIONALES,  etc. 

((guerres,  ou  quelqu'un  qui  le  vousiste  of- 
(( fenser,  qu'ils  y  raettiroientleurs  personnes 
((Ct  leurs  biens,  sans  rien  luy  refuser  de  ce 
«  qui  luy  feroit  besoin. 

«  Est-ce  d  one  surtelssubjets  que  leroy  doit 
«  alleguer  privilege  de  pouvoir  prendre  a  son 
«  plaisir,  qui  si  liberalementlui  donnent?  ne 
((seroit-il  pas  plus  juste  envers  Dieu  et  le 
«  monde,  de  lever  par  cette  forme,  que  par 
((volonte  desordonnee?  car  nul  prince  ne 
«le  peut  autrement  lever,  que  par  octroy, 
V  comme  j'ai  dit,  si  ce  n'est  par  tyrannic. » 


FIN    DU    TOME    PREMIER. 


DES 


ASSEMBLIES  NATIONALES 

EN  FRANCE. 


iMrnniEr.iE  nr.  jules  rinoT  ain£% 

Irapriniriir  Hii  Roi,  nie  du  Tonr-de-Lodi,  n"  6. 


DES 

ASSEMBLIES  NATIONALES 

EN  FRANCE, 

DEPUIS  L'fiTABLISSEMENT  DE  LA  MONARCHIE 
jusqu'en  1614, 

PAR  M.  LE   RARON 

HENRION  DE  PANSEY, 

PREMIER  PRESIDENT   DE   LA  COUB  DE  CASSATION,  CONSEILLER  d'^TAT, 

CHEF   DU    CONSEIL  DE  S.  A.  R.  M'"  LE   DUC   d'oRL^ANS, 

COMMANDEUR  DE  l'oRDRE  ROYAL  DE  LA  LEGION   d'hoNNEUR, 

CBEVALIER  DE   l'oRDRE  DE  SAINT-MICHEL. 

SECONDE  EDITION . 


TOME  SECOND. 


PARIS, 


THtOPHILE  RARROIS  PERE  ET  RENJAMIN  DUPRAT, 

nllE    IIAUTEFEUILLE,    K"    28. 

1829. 


TABLE 

DES  CHAPITRES 

CONTENUS  DANS  CE  VOLUME. 


Ghapitre  XXVI.  Louis  XII.  fitats-generaux  tenus  a 

Tours  en  i5o6.  Page.       i 

Chap.  XXVII.  Francois  I".  !£tats  tenus  a  Cognac 

en  1 526.  12 

Chap.  XXVIII.   Henri  II.  fitats-generaux  tenus  a 

Paris  en  i558.  26 

Chap.  XXIX.  Francois  II.  Evteements  de  son  regne 

relatifs  aux  ^tats-generaux  de  i56o.  38 

Chap.  XXX.  Continuation  du  meme  sujet.  Assem- 

blee  de  Fontainebleau.  Condamnation  du  p'rince 

de  Conde.  Mort  de  Francois  II.  53 

Chap.  XXXI.  Etats-generaux  tenus   a  Orleans  en 

i56o.  66 

Chap.  XXXII.  Des  catholiques  et  des  reformes  de- 

puis  i56o  jusqu'en  1676.  ii4 

Chap.  XXXIII.  Etats-generaux  tenus  a  Blois  en  1 576.  1 2 1 
Chap.  XXXIV.  De  la  Ligue.  149 

Chap.  XXXV.  Etats-generaux  tenus  a  Blois  en  i588.  iG4 
Chap.  XXXVI.  Etats-generaux  de  la  Ligue  tenus  a 

Paris  en  1593.  Observations  sur  la  loi  salique.         igS 


VJ  TABLE  DES   CHAPITRES. 

Chap.  XXXVII.  Henri  IV  et  Marie  de  Medicis. 
(iSgS — 1 6 14.)  Page.  228 

Chap.  XXXVIII.  Etats-generaux  tenus  a  Paris  en 
1614.  23l 

Chap.  XXXIX  et  dernier.  De  la  convocation  des 
etats  -  generaux ;  du  nombre  des  deputes;  du 
mode  de  leur  election;  de  la  nature  du  mandat 
qu'ils  recevoient  de  leurs  concitoyens ;  des  solen- 
nite's  qui  accompagnoient  I'ouverture  des  etats; 
de  la  maniere  dont  les  trois  ordres  communi- 
quoient  entre  eux,  et  de  la  forme  de  leurs  delibe'ra- 
tions.  267 


FIN   DE    LA   TABLE  DU  TOME  SECOND. 


DES 

ASSEMBLEES  nationales 

EN  FRANCE, 

DEPUIS   1.'eTABL1SSEMENT    DE  LA  MONARCHIE 

jusqu'en  1G14. 
GHAPITRE  XXVI. 

LOUIS  XII. 
Etats-generaux  tenus  a  Tours  en  1 5o6. 

Les  etats-g^neraux  de  i5o6  pr^sentent 
iin  beau  spectacle:  on  y  voit,  aux  pieds 
d'un  prince  adore,  des  sujets  reconnois- 
sants ,  des  enfants  heureux ,  qui ,  n'ayant 
plus  de  voeux  a  former  pour  eux-memes, 
n'en  font  que  pour  le  pere  commun,  et 
n'ont  qua  lui  offrir  des  actions  de  graces. 
Aussi  dans  ces  etats  ne  parla-t-on  ni  de  subsi- 
des ui  de  griefs:  il  ne  fut  question  que  du 
manage  de  madame  Claude  de  France, 
fille  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne, 


2  ASSEMBLIES  NATIONALES 

dont  elle  etoit  I'unique  lieriti^re.  Par  un 
traite  sij^ne  h  Blois  le  22  septembre  i5o4,  le 
roi  Tavoit  promise  a  Charles,  clue  de  Luxem- 
bourg (i)  :  ce  mariage,  qui  auroit  fait  passer 
la  Bretagne  dans  une  maison  etrang^re, 
pouvoit  avoir  les  suites  les  plus  funestes.  La 
nation  en  etoit  effrayee,  et  desiroit  que  la 
princesse  epousat  Francois  de  Valois,  comte 
dAngouleme,  premier  prince  du  sang.  Le 
roi  voulut  bien  discuter  cette  importante 
question  avec  les  etats-generaux  de  son 
royaume ;  et  ils  furent  convoques  a  Tours. 


(1)  Charles  de  Luxembourg,  depuis  si  ce'lebre  sous  le 
nom  de  Charles-Quint,  etoit  ne  du  mariage  de  I'archi- 
duc  Philippe,  filsde  I'enipereur  Maximilien,  et  de  Jeanne- 
la-Folle,  fille  de  Ferdinand-le-Catholique.  Ainsi  du  cote 
paternel,  il  etoit  heritier  de  tous  les  etats  de  la  maison 
d'Autriche,  et ,  du  chef  de  sa  mere,  il  etoit  appele  a  re- 
gner  sur  les  Espagnes.  Son  mariage  avec  Claude  de 
France,  heritiere  par  sa  mere  de  la  Bretagne,  auroit 
ajoute  a  ses  vastes  etats  cette  belle  et  riche  province, 
et  lui  auroit  en  quelque  sorte  livre  le  royaume.  Louis  XII , 
a  la  suite  des  malheureiises  batailles  de  Seminare  et  d«.' 
Cerignole,  ayant  perdu  Naples,  avoit  cru  ne  pouvoir 
echapper  aux  revers  dont  il  etoit  encore  menace  quVa 
signant  ce  traite  desastreux. 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXVI.  3 

On  lit  dans  un  vieux  manuscrit(i):((  Au 
«niois  de  mai  de  Tan  i5o6,  le  roi  fit  convo- 
(( quer  les  etats-g^n^raux  de  son  royaume.... 
«  Lesdits  etats ,  par  la  bouche  d'un  docteur 
«de  Paris,  nomme  Thomas  Bricot,  firent 
(( entendre  au  roi  que  pour  avoir  donne  la 
«  paix  a  ses  sujets,  remis  le  quart  des  tailles, 
«et  nomme  bops  juges  par-tout;  et  pour 
«  autres  causes,  qui  seroient  longues  a  r^ci- 
« ter,  il  devoit  etre  appele  le  roi  Louis  XII, 
ttpere  du  peuplei^). 

uEt  apr^s  ledit  Bricot,  ceux  desdits  ^tats 
«se  mirent  a  genoux,  et  dit  ledit  Bricot: 
((Sire,  nous  sommes  ici  venus  sous  votre 
(( bon  plaisir  pour  vous  faire  une  requite 
((pour  le  general  bien  de  votre  royaume, 
((qui  est  tel  que  vos  humbles  sujets  vous 
(( supplient  qu'il  vous  plaise  de  donner  ma- 
((dame  votre  fille  en  mariage  a  monsieur 


(i)  Voyez  le  recueil  fntitule,  des  Etats-Gdneraux ,  im- 
prime  a  Paris  en  ^789,  tome  X,  page  i83. 

(2)  A  ces  mots  pere  du  peuple,  il  s'eleva  dans  I'assem- 
blee,  disent  les  historiens,  un  doux  miifmure  qui  fut 
suivi  d'applaudissements  unanimes. 

I. 


4  ASSEMBLIES  NATIONALES 

«  Francois,  qui  est  ici  present.  Disant  outre 
(cplusieurs  belles  paroles,  qui  emurent  le 
«  roi,  et  les  assistants  a  pleurer(i). » 

Thomas  Bricot  ayant  cesse  de  parler,  le 
chancelier  Gui  de  Rochefort,  apres  avoir 
pris  les  ordres  du  roi,  s'avanca  vers  I'assem- 
blee,  et  dit: 

(( MeSSEIGNEURS  des  etats,  le  roi,  notre 

(( souverain  et  naturei  seigneur ,  accepte 

(t  le  titre  de  phre  dupeuple  que  vous  lui  defe- 
(( rez;  vous  ne  pouviez  lui  faire  un  don  qui 
(( lui  fut  plus  agreable.  Si  les  soins  qu'il  s'est 


(i)  La  Bretagne  eto it  entree  dans  la  maison  de  France 
par  le  niariage  de  Pierre  de  Dreux  avee  I'heritiere  de 
cette  province;  et  Philippe-le-Bel  I'avoit  erige'e  en  pairie 
en  1 297. 

Les  Bretons,  voulant  prevenir  rincorporation  de  leur 
pays  a  la  France,  n'avoient  consenti  au  mariage  de  la 
princesse  Anne  avee  Louis  XII  que  sous  la  condition  ex- 
presse  que  jamais  la  Bretagne  n'appartiendroit  aux  prin- 
ces destines  a  succeder  a  la  couronne;  et  que  si  le  roi 
avoit  deux  fils,  elle  seroit  necessairement  I'apanage  du 
putne.  Le  mariag€  de  la  princesse  Claude  avee  Francois 
de  Valois,  premier  prince  du  sang,  contrevenoit  a  cette 
clause;  mais  les  Bretons  crurent  devoir  ceder  aux  voeux 
de  la  nation,  exprimes  par  I'organe  des  etats-generaux. 


DE    FRANCE.    CHAP.   XXVI.  5 

(f  donnas  ont  tourn^  an  profit  de  la  chose 
«  pnblique ,  il  declare  qu'il  faut  en  rendre 
a  f>races  a  Dieu ,  et  qu'il  s'efForcera  de  mieux 
«  faire  a  Tavenir.  Quant  a  la  requete  que 
wvous  lui  avez  presentee,  son  objet  est  si 
« important  que,  quelque  deference  qu'il 
«  ait  pour  les  conseils  de  ses  fideles  sujets,  il 
«  ne  vent  rien  statuer  a  cet  ^j^ard  sans  avoir 
(( pris  Tavis  des  princes  de  son  sang,  des 
« grands,  et  des  premiers  magistrats  du 
« royaume.  Retrouvez-vous  done  ici  dans 
«  six  jours,  et  le  roi  viendra  lui-meme  vous 
u  ap|)rendre  sa  r^ponse.  » 

Les  deputes  de  la  Bretagne  n'avoient  pris 
aucune  part  a  ces  deliberations,  parceque  la 
reine,  dont  ils  etoient  les  sujets,  s'opposoit 
au  mariage  de  sa  fille  avec  le  comte  d'An- 
gouleme ;  mais  ce  jour-la  meme  ils  pre- 
senterent  au  roi  une  requete  entierement 
conforme  au  voeu  des  etats. 

Des  le  lendemain,  le  roi  assenibla  un  coii- 
seil  extraordinaire,  compose  des  premiers 
presidents  des  parlements  de  Paris,  de 
Rouen  ,  de  Bordeaux,  et  dun  grand  nombre 
de  prelats  et  de  seigneurs:  apr^s  leur  avoir 


6  ASSEMBLEES  JNATIONALES 

franchement  declare  les  engagements  qu'il 
avoit  pris  avec  la  maison  d'Autriche ,  et  les 
serflaents  qu il  avoit  pretes  et  fait  pieter  par 
les  gouverneurs  de  plusieurs  provinces  a 
larchiduc  et  a  I'empereur,  il  ajouta  qu'il  se 
croiroit  oblig^  de  les  accomplir  a  quelque 
prix  que  ce  fut ,  s'il  ne  s'agissoit  que  de  ses 
interets  personnels.  II  les  pria  de  considerer 
que  la  parole  desrois  est  sacree,  et  leur  or- 
donna  de  declarer,  comme  ses  fideles  sujets, 
sans  management  et  sans  crainte,  ce  qu'ils 
croiroient  juste  et  conforme  a  I'^quite  natu- 
relle.  Les  avis  ne  furent  point  partages :  tous 
opin^rent  que  I'engagement  pris  avec  I'ar- 
chiduc  ^toit  nul,  comme  contraire  aux  lois 
fondamentales  de  la  monarchic.  Si  ces  lois, 
disoit-on,  d^clarent  nulle  toute  alienation 
du  domaine  de  la  couronne,  quoique  faite 
sans  fraude,  et  en  f'aveur  de  ceux  qui  ont  le 
mieux  servi  I'etat,  a  plus  forte  raison  pro- 
scri  vent-elles  un  traite  captieux  oil  Ion  trans- 
porteroit  a  I'etranger  des  provinces  en  litres, 
des  places  fortes,  les  clefs  et  la  surete  du 
royaume.  lis  montr^rent  ensuite  que  tous 
les  serments  que  le  roi  avoit  pu  preter  soit 


DE    FRANCE.    CHAP>  XXVI.  J 

h.  Farchiduc,  soit  h.  I'empereur,  se  trouvoient 
pareillement  annul^s  par  un  autre  serment 
plus  au(>nste  et  toujours  subsistant,  celui 
qu'il  avoit  prete  en  recevant  I'onction  sacree, 
de  procurer  la  vantage  a  son  peupie,  de  s'op- 
poser  de  toute  sa  puissance  a  ce  qui  pourroit 
lui  prejudicier.  Or  que  pouvoit-il  arriver 
de  plus  prejudiciable  ci  Fetat  que  d'intro- 
duire  dans  son  sein,  sous  le  specieux  nom 
d'allii^,  un  ennemi  doraestique  qui  ne  man- 
queroit  pas  d'y  semer  le  trouble,  qui  cher- 
cheroit  a  tout  perdre,  a  tout  envaliir?  Enfin 
ils  observ^rent  que  ee  pretendu  engagement 
se  reduisoit  encore  ci  des  promesses,  a  un 
projet;  qu'il  n'y  avoit  point  eu  de  gages  don- 
nes,  ni  consentement  des  deux  epoux  ^  qu'il 
n'etoit  pas  rare  de  voir  rompre  de  pareils 
contrats  entre  des  particuliers  pour  des  rai- 
sons  beaucoup  moins  fortes,  souvent  meme 
par  pur  caprice;  que  I'empereur  et  Farchi- 
duc avoient  assez  montre,  par  la  conduite 
qu'ils  avoient  tenue  depuis  ce  temps  avec  la 
France,  et  par  le  peu  d'attention  qu'ils 
avoient  apporte  a  observer  de  leur  part  des 
traites  d'ailleurs  si  favorables  a  leur  maison  ,. 


8  ASSEMBLIES    NATIONALES 

combien  peu  ils  comptoient  sur  ces  arran- 
gements politiques  et  variables;  d'ou  ils  con- 
clurent  que  Louis,  sans  manquer  aux  reifies 
les  plus  aust^res  de  I'honneur  et  de  la  pro- 
bite,  pouvoit  comrae  homme,  et  devoit 
comme  roi,  satisfaire  au  voeu  de  la  nation, 
en  rompant  des  noeuds  si  funestes  et  si  mal 
assortis  (i). 

La  deliberation  du  conseil  ainsi  arretee, 
le  roi  voulut  bien  la  communiquer  lui-meme 
aux  etats;  et,  le  mercredi  20  du  mois  de 
mai ,  suivi  de  toute  sa  cour,  il  se  rendit  a  I'as- 
semblee.  Lesherauts  ayant  impose  silence, 
le  chancelier,  apr^s  avoir  pris  les  ordres  du 
roi,  dit:  ((Leroi,  comme  il  I'avoitannonce, 
u  a  fait  examiner  votre  requete ;  quelque 
«  confiance  qu'il  ait  d'ailleurs  en  votre  zele 
«eten  vos  lumi^res,  il  n'a  pu  se  dispenser 
«  de  consulter,  sur  unemati^re  qui  interesse 
«si  essentiellement  le  salut  de  letat,  les 
«  princes  de  son  sang,  et  les  hommes  distin- 


(1)  Histoire  de  France  de  I'abbe  Gamier,  re{;ne  de 
Louis  XII. 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXVI.  9 

(( giies  qui  forment  son  conseil.  Puisqiie  leur 
uavis  a  ete  conforme  a  vos  desirs,  il  ne  veut 
«  pas  differer  plus  lon^j-temps  a  vous  dormer 
(t  une  pleine  satisfaction  ^  il  m'a  charge  de 
t(  vous  inviter,  pour  jeudi  prochain,  a  la  ce- 
« remonie  des  fiancailles  de  sa  fille  avec 
«  monseigneur  le  due  de  Valois.  C'est  le  seul 
«  engagement  que  la  jeunesse  des  deux  epoux 
« leur  permette  encore  de  contracter.  Vous 
«  aurez  soin ,  lorsqu'il  en  sera  temps,  d'ache- 
«  ver  un  ou  vrage  que  vous  avez  si  bien  com- 
«  raence.  Sa  majeste  exige  done,  d^s  ce  mo- 
«nient,  que  vous  promettiez  et  juriez,  que 
((VOUS  fassiez  promettre  et  jurer,  par  tons 
(( ceux  qui  vous  ont  elus  pour  leurs  deputes, 
(( qu'aussitot  que  les  deux  epoux  auront  at- 
(( teint  Tage  nubile,  vous  ferez  et  accompli- 
((rez  le  mariage  projete;  que  vous  ne  souf- 
(( frirez  point  que  personne  ose  s'y  opposer, 
((et  que  vous  verserez,  s'il  est  necessaire, 
((jusqua  la  derniere  goutte  de  votre  sang 
((  pour  en  assurer  Texecution.)) 

L'orateurdes  etats  alloit  repondre:  on  ne 
lui  en  laissa  pas  le  temps;  la  salle  retentit 
d'applaudissements,  de  cris  de  joie,  de  voeux 


lO  ASSEMBLIES  NATIONALES 

pour  la  conservation  du  roi;  chaque  depute 
couroit  a  I'envi  preter  les  serraents  que  le  roi 
demandoit,  et  recevoir  une  formule  ^crite 
de  ce  merae  serment  qu'il  devoit  faire  preter 
a  son  retour  par  la  ville  ou  la  coramunaute 
dont  il  ^toit  le  representant. 

Je  reviens  au  manuscrit  que  j'ai  cite  plus 
haut.  J'y  lis:  «Le  jeudi  vingt  et  uni^me  du 
«  mois  de  mai,  le  roi  et  la  reine  vindrent  en 
«la  salle  qui  etoit  fort  richement  paree; 
« et  sitot  apr^s  y  fut  apportee  madame 
«  Claude ,  laquelle  le  seigneur  infant  de  Foix 
wportoit  dans  ses  bras,  et  avec  eux  vin- 
u  drent  le  due  de  Valois ,  et  tons  les  autres 
«  princes  et  barons;  aussi  madame  de  Bour- 
«bon,  d'Angouleme,  et  les  autres  prin- 
« cesses,  et  tant  de  dames  et  demoiselles, 
«  qu'il  sembloit  que  le  royaume  des  femmes 

<(  y  fut  arrive apri^s  furent  faites 

«et  solemnisees  les  fiancailles  de  mondit 
« seigneur  de  Valois  et  de  madite  dame 
«  Claude,  et  les  fianca  le  legat.  » 

La  princesse  n'avoit  que  quatreans,  et  le 
prince  n'en  avoit  que  douze. 

La  ceremonie  termin^e,  le  chancelier  fit 


DE  FUANCE.   CHAP.  XXVI.  I  1 

la  cloture  des  etats  par  le  discours  suivant : 
«  Le  roi  vous  fait  dire  que  s'il  vous  a  et^  bon 
«  roi,  il  se  parforcera  de  vous  faire  de  bien 
«  en  mieux;  et  vous  le  donnera  a  connoitre 
«  par  effet ,  tant  en  general  qu  en  particu- 
(dier;  et  pour  ce  que  le  roi  sait  que  vous, 
«  messieurs,  qui  etesici  presents,  etesles  prin- 
«  cipaux  du  conseil  des  villes  et  cites  qui  vous 
«  ont  envoy es  devers  lui,  et  que  votre  absence 
«  pourroit  porter  prejudice  a  la  chose  pu- 
«  blique,  il  vous  donne  conge  de  vous  en  re- 
utourner,  et  est  d'avis  que  seulement  de- 
«meure  un  desdites  villes  pour  lui  dire  les 
«  affaires  d'icelles,  si  aucunes  en  ont.  n 


12  ASSEMBLEES  NATION  ALES 


CHAPITRE  XXVII. 

FRANCOIS   I". 
l^tats  tenus  a  Cognac  en  iSaG. 

Le  traite  de  Madrid  avoit  rendu  la  liberie 
a  Francois  P^  mais  a  des  conditions  infini- 
ment  onereuses. 

Ce  traite  portoit  que  le  roi  epouseroit  Eleo- 
nore,  soeur  de  Charles-Quint,  avec  200,000 
ecus  de  dot,  et  feroit  epouser  la  fille  de  cette 
princesse  au  dauphin  quand  il  seroit  en  age ; 
qu'il  seroit  conduit  a  Fontarabie  et  mis  en 
liberie  le  10  de  mars,  et  que  ses  deux  fils, 
ou  du  moins  I'aine,  et,  au  lieu  du  second, 
douze  sei(>neurs,  entreroient  en  otage  pour 
surete  de  ce  qu'il  promettoit.  C'etoit  de 
payer  a  I'empereur  200,000  ecus  d'or  de  ran- 
con  pour  sa  personne;  de  lui  ceder  le  duche 
de  Bourjjogne  avec  les  villes  de  Noyers  et 
Chatelchinon,  lacomte  deCharolois,  la  vi- 
comte  d'Aussonne,  et  la  prevote  de  Saint- 


DE   FRANCE.    CHAP.    XXVII.  1 3 

Laurent,  en  toute  souverainete ;  de  plus 
riiommage  des  corates  d'Artois  et de  Flandre, 
et  ses  pretentions  sur  les  etats  de  Naples, 
Milan,  Genes,  Ast,Tournay,  Lille  et  Hesdin. 
Le  roi  avoit  donne  sa  parole  que  s'il  ne 
pouvoit  faire  executer  ces  articles,  il  se  re- 
mettroit  volontairement  en  prison,  et  de- 
gageroit  sa  promesse  au  prix  de  sa  propre 
liber  te. 

11  dependoit  du  roi  de  livrer  ses  fils  en 
otage,  et  il  s'empressa  de  remplir  cette  con- 
dition du  traite.  Mais  il  sentit  bien  que  la 
Bourgogne  faisant  partie  du  royaume,  il  n'e- 
toit  pas  en  son  pouvoir  den  faire  la  cession 
au  roi  d'Espagne,  sans  le  concours  des  etats- 
generaux,  et  ils  furent  convoques. 

Le  roi ,  accompagne  des  ambassadeurs  du 
roi  d'Espagne,  s'y  rendit;  et  I'ouverture  s'en 
fit  par  la  lecture  du  traite  de  Madrid. 

Les  deputes  de  Bourgogne  furent  les  pre- 
miers qui  prirent  la  parole.  Ils  declar^rent 
qu'ils  s'etoient  volontairement  donnes  a  la 
France  sous  les  premiers  successeurs  de  Clo- 
vis',  que  depuis  ils  avoientconstamment  for- 
me la  premiere  pairie  du  royaume ;  que  le  roi, 


1 4  ASSEMBLEES  NATIONALES 

quelque  puissant  qu'ilfutd'ailleurs,  n'avoit 
pas  le  droit  de  les  aliener  sans  leur  a veu ,  puis- 
que  le  serment  qui  unit  les  sujets  au  souve- 
rain  lie  egalement  lesouverain  a  ses  sujets, 
et  ne  pent  etre  detruit  que  par  un  consente- 
ment  reciproque;  qu'au  reste  ce  lien  n'unis- 
soit  pas  seulement  les  Bourguij^^nons  au  roi, 
mais  a  tons  les  autres  membres  de  la  monar- 
chie ,  qui  avoient  droit  de  s'opposer  a  un  en- 
gagement contraire  aux  lois  et  destructif  de 
toute  liberty.  Francois  F*^  tacha  de  s'excuser 
sur  la  dure  necessite  oil  il  s'etoit  trouve  de 
sacrifier  une  partie  pour  sauver  le  tout.  II 
remontra  aux  Bourguignons  qu'ils  seroient 
traites  avecdouceur  par  leur  nouveaumaitre, 
et  qu'on  leur  conserveroit  tous  leurs  privi- 
leges, et  prial'asserablee  de  le  mettre  a  portee 
d'accomplir  son  serment.  «  Ge  serment,  re- 
V  partirent  les  Bourguignons,  est  nul,  puis- 
V.  qu'il  est  contraire  a  un  premier  serment 
«  que  vous  pretates  a  la  nation  en  recevant 
«  Fonction  sacree ;  puisqu'il  est  contraire  aux 
u  libertes  de  votre  peuple  et  aux  lois  fonda- 
«  men  tales  de  la  monarchie ;  puisqu'il  a  ^t^ 
«fait  par  un  prisonnier,  et  arrach^  par  la 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXVII.  I  5 

«  violence.  Si  toutefois  vous  persistez  k  re- 
« Jeter  de  fideles  sujets ;  si  les  etats-g^n^raux 
«du  royaume  nous  retranchent  de  leur  as- 
«  sociation,  11  ne  vous  appartient  plus  de  dis- 
'.( poser  de  nous :  rendus  a  nous-memes,  nous 
«adopterons  telle  forme  de  gouvernement 
«  qu'il  nous  plaira;  nous  d^clarons  d'avance 
«  que  nous  n'obeirons  jamais  a  des  maitres 
«  qui  ne  seroient  pas  de  notre  choix.  » 

L'assemblee  enti^re  se  reunit  aux  d^put^s 
de  la  Bour^ogne,  et  tons  ensemble  sup- 
pli^rent  le  roi  de  ne  plus  insister  sur  une 
demande  quH  netoit  pas  en  leur  pouvoir 
de  lui  accorder. 

Le  roi,  cedant  au  voeu  des  etats-generaux, 
cliargea  les  ambassadeurs  du  roi  d'Espagne 
de  rendre  compte  a  leur  maitre  de  ce  dont 
ils  venoient  d'etre  les  t^moins,  et  de  lui  of- 
frir  deux  millions  d'ecus  d'or,  en  remplace- 
raent  de  la  Bourgogne. 

Gependant  le  tresor  etoit  vide,  le  peuple 
epuise,  et  les  elats  setoient  separes,  sans 
prendre  aucune  mesure  pour  procurer  au 
roi  cette  enorme  somme  de  deux  millions 
d  ecus  d'or. 


1 6  ASSEMBLlfcES  NATIONALES 

Dans  des  circonstances  aussi  difficiles,  un 
second  appel  a  la  nation  etoit  ce  que  Ton 
avoit  de  mieux  a  faire.  Mais,  coinme  les  de- 
putes aux  derniers  ^tals  etoient  a  peine  ren- 
tres  dans  leurs  foyers,  le  roi  crut  pouvoir  se 
dispenser  de  les  reunir  de  nouveau,  et  il 
convoqua  une  assemblee  de  notables. 

Quoiqu'il  n'entre  pas  dans  mon  plan  de 
m'occuper  de  ces  sortes  d'assemblees  qui, 
dans  la  realite,  n'^toient  que  des  conseils 
d'etat  plus  nombreux  etplussolennels,  puis- 
que  ceux  qui  les  composoient  etoient  choisis 
par  le  roi*,  cependant  celle-ci  se  confond 
tellement  avec  les  etats  dont  je  viens  de 
rendre  compte,  que  je  crois  devoir  en  par- 
ler  ici. 

Le  i6  novembre  1627,  le  roi  se  rendit  a 
lassemblee,  et  en  fit  Fouverture.  II  avoit  a 
sa  droite  le  due  de  Vendome,  le  prince  de 
Navarre ,  le  comte  de  Saint-Pol ,  le  due  d'Al- 
banie,  le  due  de  Longueville,  le  prince  de 
LaRoche-sur-Yon,  etLouis,  princedeCleves. 
A  sa  gauche,  le  cardinal  de  Bourbon ,  eveque 
de  Laonj  le  cardinal  de  Lorraine,  eveque 
de  Metz;  le  cardinal  Duprat,  arclieveque  de 


DE  FRAKCE.  CHAP.  XXVII.         17 

Sens.  Sur  un  banc  moins  eleve,  les  quatre 
presidents  du  parlement  de  Paris;  les  pre- 
miers presidents  de  Toulouse,  de  Rouen,  de 
Dijon,  de  Grenoble  et  de  Bordeaux.  Sur 
deux  bancs  paralleles ;  Fun  a  droite,  Anne 
de  Montmorency,  fjrand-maitre ,  Chabot, 
amiral,  Robert-Stuart  d'Aubiny,  capitaine 
de  la  f^rarde  ecossaise,  Jacques  de  Genouil- 
liac,  dit  Galiot,  grand  ecuyer;  I'autre  a 
{yauehe,lesarclievequesdeLyon,deBourges, 
de  Rouen;  les  ^veques  de  Paris,  de  Meaux, 
de  Lisieux,  d'Auxerre,  du  Puy,  de  Bazas,  etc. 
Dans  le  parquet  inferieur,  six  maitres  des 
requetes,  les  conseillers  du  parlement  de  Pa- 
ris, deux  ou  trois  conseillers  de  chacun  des 
autres  parlements,  et  enfin  le  prevot  des 
marcliandset  lesechevinsde  Paris.  Derri^re 
eux,  les  gentilsliommes  de  la  maisou  du  roi , 
uu  grand  nombre  de  senechaux  ou  baillis. 

Lorsque  tout  le  monde  cut  pris  place,  le 
cardinal-chancelier  dit:  Levez  la  main,  et 
jurez  de  ne  rien  reveler  de  ce  que  vous  allez 
entendre. 

Ensuite  le  roi  prenant  la  parole  exposa 
Tobjet   de  Tassemblee    dans    un   discours, 

2.  '2 


1 8  ASSEMBLEES  NATIONALES 

dont  voici  la  conclusion  :  u  Le  roi  d'Es- 
pagne,  apr^s  bien  des  tei  {^iversations,  paroit 
enfin  dispose  a  se  contenter  dune  somme 
d'ar(yent  en  compensation  de  la  Bourgogne. 
Nous  Iiii  envoyons,  le  roi  d'Angleteire  et 
moi,  de  nouveaux  ambassadeurs,  pour  lui 
porter  nos  dernieres  propositions.  S'il  les 
accepte,  il  faut  tenir  prete  la  somme  dont 
on  conviendra ;  s'il  les  rejette,  il  faut  pousser 
vigoureusement  la  guerre  en  Italic,  et  la 
porter  en  meme  temps  dans  les  Pays-Bas,  ou 
il  est  facile  de  Fendommager.  J'ai  fait  calcu- 
ler  la  recette  et  la  depense  des  deniers  pu- 
blics. La  seule  guerre  d'ltalie  nous  coute 
trois  cent  cinquante  mille  livres  par  mois, 
et  emporte  par  consequent  plus  de  la  moiti^ 
du  revenu  de  I'etat.  II  faut  cependant  en- 
tretenir  des  garnisons  sur  toutes  nos  fron- 
ti^res,  une  flotte  dans  la  Mediterranee ,  des 
ambassadeurs  dans  toutes  les  cours  de  I'Eu- 
rope,  payer  les  gages  des  officiers  preposes 
a  I'administration  de  la  justice,  ou  charges 
d'autres  fonctions  publiques.  Les  revenus  or- 
dinaires,  avecquelque  Economic  qu'ils  soient 
administres,  ne  suffisent  deja  pas  pour  tous 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXVII.        19 

ces  objets,  et  ne  peuvent  par  consequent  en- 
trer  en  lig^ne  de  compte  pour  la  guerre  que 
nous  nous  proposonsde  porter  dans  les  Pays- 
Bas.  Si,  pour  alleger  le  fardeau,  nous  pre- 
nons  le  parti  d'affoiblir  I'armee  d'ltalie,  nous 
courons  risque  d'echouer  de  tons  cotes ,  et 
de  nous  consumer  en  pure  perte.  Telle  est 
la  situation  de  nos  affaires.  Voici  maintenant 
sur  quoi  vous  avez  a  deliberer : 

«  Ou  Fempereur  acceptera  nos  derni^res 
offres,  et,  dans  ce  cas,  il  faut  trouver  deux 
millions d'ecus  dor,  dont  douze  cent  mille 
payables  sur-le-champ,  et  les  huit  cent  mille 
autres  a  differents  termes ;  ou  il  les  rejettera , 
et  alors  il  faut  des  fonds  extraordinaires  pour 
pousser  la  guerre  en  Italic,  et  la  porter  dans 
les  Pays-Bas.  Si  vous  jugez  que  T^tat  ne 
puisse  subvenir  a  cette  depense,  il  faut  ou 
rendre  la  Bourgogne,  ou  trouver  bon  que 
je  retourne  me  constituer  prison nier  a  Ma- 
drid; car  de  croire  que  les  choses  puissent 
rester  dans  Tetat  ou  elles  sout,  et  que  j'a- 
cliete  ma  liberie  au  prix  de  celle  de  mes  en- 
fants,  qui  sont  ceux  de  la  chose  publique, 
ce  seroit  me  faire  outrage.  D^ailleurs  quel 


20  ASSEMBLEES  NATIONALES 

seroit  le  fruit  de  cette  barbare  politique?  Je 
puis  niourir  demain,  et,  au  lieu  dun  roi, 
vous  en  auriez  deux  a  racheter.  Si  par  les 
arrangements  qui  peuvent  etre  pris  ma  pre- 
sence cesse  d'etre  necessaire,  je  pars  pour 
Madrid.  Ecartez  de  vos  deliberations  tout 
ce  qui  me  touche  personnellement,  et  ne 
consultez  que  I'interet  de  notre  commune 
patrie,  a  qui  nous  devons  tous  egalement, 
lorsque  ses  besoins  I'exigent,  le  sacrifice  de 
notre  vie  et  de  notre  liberte. » 

Aprfes  que  le  roi  eut  cess^  de  parler,  le 
cardinal  de  Bourbon  pou  r  le  clerge,  le  due  de 
Vendomepour  la  noblesse,  et  le  president  de 
Selves  pour  ceux  du  tiers-etat  appeles  a  I'as- 
sembl^e,  depos^rent  aux  pieds  de  sa  majeste 
les  sentiments  d'admiration  et  de  r^connois- 
sance  que  leur  inspiroit  son  devou^nent  a 
la  chose  publique,  et  lui  demand^rent  la 
permission  de  deliberer  sur  les  propositions 
qu'il  daignoit  leur  faire. 

Quekjues  jours  apr^s,  le  roi  et  les  membres 
de  Tassemblee  s'etant  reunis,  et  ayant  repris 
leur  place,  le  cardinal  de  Bourbon  se  leva, 
et  dit :  <(  La  foible  portion  del'efjlise  (jallicane 


DE   FRANCE.  CHAP.   XXVII.  2  1 

ici  reunie  a  conclu  a  I'unaniinite  que^  vu 
les  circonstances  actuelles,  elle  pouvoit  sain- 
tement,  justement,  et  sans  attendre  la  per- 
mission du  saint-siege,  deposer  aux  pieds  du 
roi  une  partie  des  biens  quelle  tient  de  la 
munificence  desespredecesseurs^qu'en  con- 
sequence elle  offroit  a  sa  majeste  une  somme 
de  treize  cent  mille  livres. )) 

A  cette  offre  le  cardinal  joignit  une  sup- 
plique  par  laquelle  il  demandoit  au  roi  trois 
choses :  la  premiere,  de  prendre  en  conside- 
ration Tetat  deplorable  ou  le  pape  etoit  re- 
duit(i),  et  de  Farracher  des  mains  de  ses 


(i)  Le  cardinal  parloit  de  Jules  de  Medicis,  cousin  de 
Leon  X,  et  oncle  de  Catherine,  femme  de  Henri  II,  qui 
fut  elu  pape  en  iSaS,  et  qui  prit  le  nom  de  Clement  VII, 
II  se  ligua ,  par  un  traite  sifjne  le  32.  mai,  avec  les  rois  de 
France  et  d'Angleterre ,  les  Venitiens  et  d'autres  princes 
d'ltalie ,  contre  I'empereur  Charles  V.  Cette  ligue ,  appe- 
lee  sainte  parceque  le  pape  en  etoit  le  chef,  ne  lui  pro- 
cura  que  des  infortunes.  Le  connetable  de  Bourbon ,  qui 
avoit  quitte  Francois  I"  pour  Charles  V,  vint  se  pre- 
senter devant  Rome  le  5  mai  iSsy.  Cette  grande  ville 
fut  prise  d'assaut  le  lendemain,  pillee  et  saccagee  pen- 
dant deux  mois ,  avec  des  exces  de  barbaric  superieurs 
a  ceux  que  les  troupes  d'Alaric  y  avoient  conimis.  Cle- 


32  ASSEMBLEES    NATIONALES 

persecuteurs;  la  seconde,  d'exterminer  les 
protestants  qui,  du  fond  de  I'Allemagne, 
comraencoient  a  se  repandre  en  France ;  la 
troisieme,  de  maintenir,  a  I'exemple  des  rois 
ses  predecesseurs,  les  droits,  les  liberies  et 
les  privileges  de  1  eglise  gallicane. 

Le  due  de  Vendorae  prit  ensuite  la  parole , 
et  dit:  u  Je  parle  au  nom  dun  ordre  qui  sait 
mieux  agir  que  discourir.  Sire,  nous  vous 
offrons  la  moitie  de  nos  biens;  si  la  moitie 
ne  suffit  pas,  la  totalite,  et,  par-dessus,  nos 
epees,  et  jusqu  a  la  derniere  goutte  de  notre 
sang :  mais  je  n'engage  que  ceux  qui  sont 
ici;  les  autres  ne  peuvent  Tetre  que  par 
leur  consentement  libre.  *) 

Le  j)resident  de  Selves  prenant  ensuite  la 
parole  prononca  un  discours  tres  remar- 
quable,  qu' il  termina  par  ces  mots :  cc  II  s  agit 
d'obliger  lempereur  de  se  contenter  dune 
somme  de  deux  millions  d'ecus  d'or  pour  la 


ment  s'etoit  retire  dans  le  chateau  Saint- Ange.  II  y  fut 
assiege,  et  n'en  sortit  qu'au  bout  de  sept  mois,  la  nuit 
du  9  au  lo  decembre,  deguise  en  niarcband. 


DE    FIIAKCE,    CHAP.  XXVII.  23 

raiiron  des  fils  de  France.  Ce  nom  seul  in- 
dique  assez  nos  obligatioDS  a  leur  egard;  ils 
sont  la  portion  la  plus  pr^cieuse  de  notre  he- 
ritage, le  gage  de  la  felicite  publique,  I'es- 
perance  et  Fappui  de  la  patrie.  G'est  de  cette 
m^re  commune  que  nous  tenons  notre  exis- 
tence, nos  biens,  notre  rang,  nos  privileges; 
en  nous  en  conferant  I'usage ,  elle  n'a  point 
eu  intention  que  nous  nous  en  prevalussions 
a  son  prejudice;  elle  sen  est  reserv^  la  pro- 
priete,  et  elle  a  le  droit  den  depouiller  les 
enfants  ingrats  qui  la  negligeroient  dans  ses 
besoins.  Les  merabres  de  votre  parlement 
de  Paris,  sire,  les  deputes  des  cours  souve- 
raines  de  votre  royaume,  detesteroient  toutes 
distinctions  qui  les  exempteroientde  contri- 
buer  a  une  dette  sacree.  Ils  demandent  d  etre 
taxes  comme  le  reste  des  citoyens,  et  ils  vous 
offrent,  d^s  ce  moment,  leurs  biens,  leurs 
corps  et  leur  vie.  » 

Le  prevot  et  les  eclievins  de  Paris ,  rivali- 
sant  de  devouement  et  de  zele  avec  les  ora- 
teurs  qui  les  avoient  precedes,  ajouterent  a 
ce  que  venoit  de  dire  le  president  de  Selves 
(pie  les  fils  de  France  leur  appartenoient  a 


24  ASSEMBLl^ES  NATIONALES 

un  titre  plus  special  qu  a  tout  le  reste  du 
royaume,  puisqu'ils  etoient  enfants  de  Pa- 
ris; que  ses  fideles  bourg^eois  vouloient  con- 
tribuer  a  leur  rancon  dans  une  proportion 
plus  forte  que  les  autres  villes  du  royaume ; 
qu'ils  supplioient  sa  majeste  de  disposer  ab- 
solument  de  leurs  biens  et  de'leur  vie,  et 
d'avoir  tou jours  pour  recommandee  sa  bonne 
ville  de  Paris. 

Le  roi,  vivement  touche  d'un  devouement 
aussi  genereux  et  aussi  unanime,  remercia 
les  trois  ordres,  et  s'adressant  a  chacun  d'eux 
en  particulier,  il  repondit: 

«  Messieurs  du  clerge,  je  recois  votre  don. 
Je  conserverai  les  privileges  de  vos  eglises, 
et  la  purete  de  la  foi  dans  mes  etats.  Quant 
au  saint-p^re,  c'est  principalement  pour  le 
tirer  des  mains  de  ses  persecuteurs  que  je 
me  propose  de  porter  la  guerre  en  Italic. 
Princes  et  seigneurs ,  je  conserverai  vos  pri- 
vileges avec  le  meme  soin  que  ceux  du  cler- 
gy;  car  ces  privileges  sont  les  miens  et  ceux 
de  mes  enfants,  puisque  leur  plus  beau  titre 
est  celui  de  chefs  de  la  noblesse. 

«  Messieurs  de  la  justice,  et  vous  tous,  mes 


DE  FRANCE.   CHAP.    XX VII.  25 

fideles  sujets,  j'aurois  fait  avec  joie  le  sacri- 
fice de  ma  liberie  a  mon  peuple  et  a  J'interet 
de  notre  commune  patrie;  mais,  piiisque 
vous  jug^ez  ma  presence  necessaire,  je  vivrai 
au  milieu  de  vous. 

«  A legard  de  la  cession  de  la  Bourgogne, 
si  Ton  me  demandoit  mon  avis,  je  repon- 
drois  comme  fyendlhomme  qu'il  faudroit 
me  passer  cent  fois  sur  le  ventre  avant  que 
d'obtenir  mon  consentement.  Jugez  de  ce 
que  j'en  dois  penser  comme  roi.  y  ,  ^ 

«  Si  je  n'ai  pas  tou jours  repondu-  a  votre 
genereuse  amitie,  si  j'ai  commis  des  fautes, 
sonfjez  combien  il  est  difficile  de  n'en  pas 
commettre  dans  une  administration  aussi 
etendue.  Ne  craignez  pas  de  me  donner  des 
avertissements,  je  les  prendrai  toujours  en 
bonne  part. » 


26  ASSEMBLIES    NATION  ALES 


GHAPITRE  XXVIII. 

HENRI    II. 
Etats-generaux  tenus  a  Paris  en  i558. 

Je  sais  tres  bien  que  la  denomination  que 
je  donne  a,  cette  assemblee  ne  lui  appartient 
pas,  et  que  dans  la  realite  elle  nest  autre 
chose  qu'une  assemblee  de  notables. 

En  effet,  tons  ses  membres  furent  choisis 
par  le  roi;  et  Ton  n'y  vit  figurer,  pour  le 
clerge,  que  des  archeveques  et  deseveques; 
pour  la  noblesse,  que  des  baillis,  et  pour  le 
tiers-etat,  que  des  maires  et  des  echevins. 
Le  roi  avoit  aussi  ju^^^e  a  propos  d'y  appeler 
les  premiers  presidents  de  toutes  les  cours 
souveraines. 

Cependant,  par  une  meprise  difficile  a 
expliquer,  il  est  recu  genera  I  em  en  t,  et  de- 
puis  long-temps,  de  placer  ce  grand  conseil 
dans  la  nomenclature  de  nos  etats-generaux., 
Je  me  conform  e  a  Tusage. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXVIII.  27 

La  perte  de  la  bataille  cle  Saint-Quen- 
tin  (1)  avoit  ouveit  a  Philippe  II  le  chemiii 
de  la  capitale.  La  terreur  etoit  dans  Paris, 
et  le  decouragement  par-tout.  Les  debris  de 
Farinee,  reunis  a  Laon,  n'offroient  qu'une 


(i)  Cette  memorable  bataille,  qui  fut  le  terme  des 
prosperites  de  Henri  II,  et  qui  eclipsa  presque  toute  la 
gloire  de  son  regne,  fut  donnee  le  10  aout  1557. 

La  deroute  commenca  par  les  goujats ,  les  vivan- 
diers ,  et  les  autres  gens  de  cette  espece ;  ils  entrainerent 
les  soldats.  Le  connetable,  qui  esperoit  rallier  ses  trou- 
pes, et  reformer  ses  bataillons  et  ses  escadrons,  ne  put  y 
parvenir.  Enfin,  apres  un  combat  de  quatre  heures  et  un 
grand  carnage,  I'armee  francoise  fut  entierement  de- 
faite.  A  I'exception  de  deux  pieces  de  canon ,  qui ,  par  les 
soins  de  Bourdillon,  furent  conduites  a  La  Fere,  les 
ennemis  nous  enleverent  toute  notre  artillerie.  Nous 
perdimes  2,5oo  hommes,  entre  autres  plusieurs  officiers- 
generaux  du  premier  rang.  Jean  de  Bourbon,  qui  avoit 
plusieurs  fois  retabli  le  combat,  et  donne  des  preuves 
d'un  courage  digne  de  son  noble  sang,  fut  perce  d'un 
coup  d'arquebuse,  et  emporte  dans  le  camp  des  Espa- 
gnols,  ou  un  moment  apres  il  mourut.  Francois  de 
La  Tour,  vicomte  de  Turenne,  expira  sur  le  champ  de 
bataille.  Le  connetable  Anne  de  Montmorency  fut  fait 
prisonnier,  apres  avoir  recu  une  blessure  dans  les  aines. 
Montpensier  tomba  aussi  entre  les  mains  des  ennemis. 
lis  prirent  egalement  le  marechal  de  Saint-Andre. 


28  ASSEMBLKES  NATIONALES 

barriere  impuissante :  il  falloit  de  nouvelles 
levees,  et  par  consequent  de  noiiveaux  im- 
pots.  Ce  fut  pour  en  obtenir  que  Henri  II 
convoqua  ces  pretend  us  etats-f^eneraux. 
J'emprunte  a  I'histoire  universelle  du  presi- 
dent de  Thou  les  details  dont  je  vais  rendre 
compte. 

Le  6  de  Janvier  on  s'assembla  dans  la 
chambre  de  Saint-Louis,  qui  etoit  ma^^nifi- 
quement  preparee.  Le  roi  monta  sur  son 
trone,  ayant  a  sa  droite,  un  pen  plus  bas,  le 
dauphin  et  le  due  de  Lorraine,  avec  les  car- 
dinaux;  et  a  sa  gauche  le  prince  de  La  Ro- 
che-sur-Yon,  le  due  de  Nevers,  Sancerre, 
d'Urfe,  Bourdillon,  et  le  reste  de  la  noblesse; 
les  autres  ordres  du  royaunie  etoient  au- 
dessous.  Le  roi  fit  Fouverture  des  etats  par 
un  discours  majestueux  et  solide.  II  repre- 
senta  que,  depuis  son  avenement  a  la  cou- 
ronne,  il  n'avoit  rien  eu  plus  a  coeur  que  de 
soutenir,  non  seulement  la  gloire  de  toute 
la  nation,  mais  encore  de  tenioi(yner  a  tons 
les  ordres  en  particulier  une  affection  pa- 
ternelle,  et  de  conserver  les  droits  et  les 
privileges  de  cliacun,  comme  un  bon  prince 


DE  FRA1SCE.    CHAP.  XXVIII.  29 

(levoit  faire;  qu'il  etoit  de  la  gloire  dii 
royaume,  et  de  Tinteretde  tous  les  ordres 
particuliers,  de  repousser  les  efforts  des  en- 
nemis,  de  conserver  les  anciens  fiefs  de  la 
couronne,  de  recouvrer  ce  qu'on  avoit 
perdu,  d'assurer  les  fronti^res;  qu'ayant 
tou jours  eu  ces  sentiments,  d^s  qu'il  s'etoit 
vu  sur  le  trone  il  avoit  entrepris,  pour  re- 
couvrer Boulogne  et  les  pays  voisins,  une 
guerre  dan(jereusecontre  I'Angleterre,  mais 
dont  le  succ^s  avoit  ete  heureux;  que  pour 
soutenir  c(^tte  guerre,  et  pour  plusieurs  au- 
tres  besoins  que ,  par  un  encliainement 
fatal,  elle  avoit  fait  naitre,  il  avoit  fait  des 
depenses  excessives;  que  les  revenus  ordi- 
naires,  ne  pouvant  y  suffire,  il  avoit  engage 
son  domaine,  et,  ce  qui  lui  faisoit  plus  de 
peine ,  qu'il  avoit  ete  oblige  d'etablir  de 
nouveaux  impots;  queces  extremites,  oii  il 
avoit  ete  reduit,  et  auxquelles  un  bon  prince 
devoit  toujours  etre  sensible,  I'avoient  extre- 
mement  touclie,  et  I'avoient  engage  a  de- 
mander  la  paix  a  des  conditions  desavanta- 
geuses;  que,  n'ayant  pu  I'obtenir,  et  sachant 
que  I'ennemi,  enfle  de  ses  succ^s,  faisoit  de 


3o  ASSEMBLEES  NATIONALES 

plus  grands  preparatifs  pour  continuer  la 
guerre,  il  avoit  voulu  declarer  a  tous  les 
ordres  de  son  royaume  ses  intentions  et  ses 
desseins,  et  leur  temoigner  publlcjuement 
combien  ,  apres  la  confiance  qu  il  avoit  aux 
secours  du  ciel ,  il  comptoit  sur  la  fidelite  et 
le  courage  de  ses  sujets;  qu'il  croyoit  done 
necessaire  d'opposer  toutes  ses  forces  aux 
efforts  des  ennemis;  que  personne  n'igno- 
roit  que  Targent  etoit  le  plus  grand  ressort 
de  la  guerre,  sans  lequel  on  ne  pouvoit  ni 
entretenir  une  armee  ni  retenir  des  soldats 
dans  le  devoir,  et  sans  quoi  on  perdoit  or- 
dinairement  les  plus  belles  occasions  de 
reussir  qui  se  presentoient  utilement; 
qu'ainsi  ils  devoient  donner  tous  les  secours 
possibles  a  leur  roi,  et  subvenir  aux  besoins 
du  royaume  et  a  la  n^cessite  publique, 
puisqu'ils  y  etoient  eux-memes  interesses; 
qu  il  n'ignoroit  pas  que  le  malheur  des  temps 
et  les  circonstances  faclieuses  avoient  cor- 
rompu  les  moeurs,  et  introduit  dans  le  gou- 
vernement  des  abus  dont  les  peuples  etoient 
les  victiraes;  mais  qu'il  les  reformeroit,  et 
qu'il  promettoit  en  meme  temps  de  d^char- 


DE  FRANCE.    CHAP.    XXVIII.  3 1 

^er  le  peuple  des  impots  qui  laccabloient,  d^s 
que,  par  leurs  secours,  il  seroit  debarrasse 
des  difficultes  qui  Tenvironnoient,  et  qu'il 
a uroit  assure  la  paix  par  la  force  de  ses  ar- 
mes;  qu'il  avoit  voulu  que  le  dauphin,  Fhe- 
ritier  du  royaurae,  fut  present  a  cette  assem- 
blee,  non  seulement  comme  temoin,  et 
comme  garant  des  promesses  de  son  p^re, 
mais  pour  Fengager  lui-meme  a  executer  un 
jour  ce  que  le  roi  promettoit  d'accomplir 
exactement  sur  la  foi  de  sa  parole  royale. 

Apres  que  le  roi  eut  ainsi  parle,  le  cardi- 
nal de  Lorraine  se  leva,  et  fit  un  discours 
enfle,  diffus,  et,  selon  sa  coutume,  renqili 
de  louanges  et  de  flatteries.  II  s'etendit  fort 
au  long  sur  Taffection  du  roi  envers  tous  les 
ordres  du  royaume,  et  sur  sa  generosite,  et 
il  promit,  au  nom  du  clerg^,  de  grandes 
sommes  d'argent. 

Ensuite  le  due  de  Nevers,  qui  portoit  la 
parole  pour  la  noblesse (i),  seleva,  et  dit 


(i)  J'ai  dit  plus  haut  que  dans  cette  assemblee  I'ordre 
de  la  nohlesse  ne  fut  represente   que  par  des  bailiis. 


32  ASSEMBLEES  NATIONALES 

en  peu  de  inots,  quelle  etoit  prete,  comme 
elle  Favoit  toujours  ete,  de  prodiguer  et  son 
san{>'  et  ses  biens  pour  son  roi,  pour  la  de- 
fense du  royaume,  et  pour  la  gloire  de  la 
nation. 

Alors  Jean  de  Saint- Andr^,  s'etant  mis 
aux  genoux  du  roi,  le  remercia,  au  nom  du 


Pour  ne  pas  s'y  meprendre,  il  faut  se  rappeler  que  dans 
I'ancien  regime  il  y  avoit  deux  especes  de  baillis,  les 
uns  d'epee,  qui  tous  etoient  nobles,  les  autres  de  robe 
longue,  qui  presque  tous  appartenoient  au  tiers-etat. 
On  peut  desirer  de  connoitre  comment  cette  division 
s'etoit  operee ;  le  voici : 

Apres  que  les  seigneurs  de  fiefs  et  les  gouverneurs  des 
provinces,  profitant  de  la  foiblesse  des  derniers  Carlo- 
vingiens,  eurent  usurpe  la  propriete  du  pouvoir,  des 
prerogatives  et  des  domaines  dont  ils  n'avoient  eu  jus- 
qu'alors  qu'une  jouissance  precaire,  bientot  on  les  vit 
commettre  des  prepose's  pour  exercer,  en  leur  nom, 
I'autorite  judiciaire. 

Le  temps  exerca  surcet  abus  son  influence  ordinaire: 
il  I'aggrava.  Bientot  ces  lieutenants  des  seigneurs  et  des 
comtes,  que  dans  la  suite  on  appela  baillis,  c'est-a-dire 
gardiens  de  la  justice,  emportes  par  I'esprit  national, 
qui  ne  voyoit  de  bonheur  et  de  gloire  que  dans  les  ha- 
sards  de  la  guerre,  dedaignerent  I'exercice  de  leurs  fonc- 
tions,  se  permirent  de  les  deleguer,  et,  vers  le  treizieme 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXVIII.  33 

parlement  et  de  toutes  les  cours  sup^rieures 
du  royaume ,  dont  les  d^put^s  ^toient  pr^ 
sents,  de  ce  qu'il  avoit  forme  et  uni  aiix 
^tats  du  royaume  un  quatri^me  ordre  dis- 
tingue des  autres,  qui  ^toit  celui  des  ma- 
gistrats,  qui,  depositaires  de  son  autorite, 


siecle,  ces   lieutenants  avoient  eux-memes  des  lieute- 
nants. 

L'abus  fut  porte  si  loin,  que  le  meme  bailli  avoit  plu- 
sieurs  bailliages :  des  lieutenants,  commissionnes  par  lui, 
rendoient  la  justice  en  son  nom ;  et,  le  plus  souvent, 
ces  commissions  etoient  k  I'enchere.  Les  lois  leur  defen- 
doient  ce  trafic  honteux,  et  leur  imposoient  I'obligation 
de  resider  et  d'exercer  eux-memes :  plus  puissants  que  les 
lois  ,  ils  en  bravoient  I'autorite. 

Get  ordre  de  choses,  tout  vicieux  qu'il  etoit,  subsista 
jusqu'au  siecle  de  Francois  I". 

Ce  prince  etablit  que  les  lieutenants  des  baillis  ne  se- 
roient  plus  nommes  que  par  lui;  et  I'ordonnanee  d'Or- 
leans  defendit  a  ces  memes  baillis  des'immiscer  a  I'avenir 
dans  I'exercice  des  fonctions  judiciaires :  demaniereque 
de  leurs  anciennes  autorite's  il  ne  leur  resta  que  les  pre- 
rogatives honorifiques. 

Ce  sont  ces  baillis,  connus  depuis  sous  le  titre  de 
baillis  d'epee,  que  j'ai  entendu  designer,  lorsque  j'ai  dit 
que  dans  I'asserablee  de  i558  I'ordre  de  la  noblesse  ne 
fut  represente  que  par  des  baillis. 

2.  3 


34  ASSEMBLl^ES  NATION  ALES 

rendent  la  justice  en  son  nom.  Apr^s  avoir 
loue  la  bonte  et  la  prudence  du  roi ,  il  offrit 
les  biens  et  la  vie  de  ceux  pour  lesquels  il 
parloit. 

Enfin  Andr^  Guillart  du  Mortier,  pour  le 
tiers-etat,  s'etant  aussi  jete  aux  pieds  de  sa 
majeste,  donna  de  ^randes  louanges  a  la 
bonte  et  a  la  sagesse  du  roi,  qui  avoit  resolu 
de  faire  une  paix  glorieuse  par  la  force  des 
armes,  et  de  corriger  les  abus  qui  s'etoient 
glisses  dans  le  gouvernement  a  la  faveur  du 
malheur  des  temps;  il  dit  encore  que  quoi- 
que  le  peuple  fut  charge  d'impots  et  accable 
par  les  maux  dune  guerre  continuelle,  sa- 
chant  neanmoins  que  des  sujets  devoient 
tout  a  leur  roi,  et  voulant  donner  des  mar- 
ques authentiques  de  leur  parfait  devoue- 
raent  et  de  leur  fidelite,  dans  les  circon- 
stances  presentes,  ils  ne  refuseroient  point 
de  fournir  des  sommes  assez  considerables 
pour  remedier  aux  besoins  de  Fetat,  et  sou- 
tenir  avec  gloire  la  guerre  qu'on  avoit  cora- 
mencee. 

Apr^s  que  du  Mortier  eut  fini,  Jean  Ber- 
trandi,  garde- des -sceaux,  qu'on   appeloit 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXVIII.  3^ 

alors  le  cardinal  de  Sens,  se  mit  k  genoux, 
suivant  la  couturae,  pour  prendre  les  ordres 
du  roi  :  ayant  repris  sa  place ,  il  dit  que  sa 
majeste  ordonnoit  que,  pour  commencer  la 
re  forme,  le  tiers-etat  donneroit  un  cahier, 
ou  il  exposeroit  ses  sujets  de  plaintes,  et  les 
diffe rents  abus  qu'il  falloit  reformer,  et  le 
remettroit  entre  les  mains  de  du  Mortier, 
qui  en  feroit  son  rapport  k  sa  majest^,  pour 
y  remedier  suivant  sa  volonte. 

Ensuite  on  congedia  Fassemblee.  D^s  que 
le  roi  fut  sorti,  le  cardinal  de  Lorraine,  par 
son  ordre,  fit  venir  en  particulier  les  depu- 
tes du  tiers-etat :  il  leur  repr^senta  que  le 
roi  avoit  besoin  de  trois  millions  d ecus  dor 
pour  les  frais  de  la  guerre;  que  le  clerge 
ayant offert  un  million,  outre  les  d^cimes, 
il  etoit  juste  que  le  tiers-^tat  fournit  les 
deux  autres;  que  pour  le  faire  avec  plus  de 
commodity,  et  plus  promptement,  parceque 
le  besoin  qu'on  en  avoit  demandoit  plus  de 
diligence,  il  falloit  que  les  deputes  donnas- 
sent  les  noms  de  deux  mille  bourgeois,  les 
plus  considerables  de  toutes  les  villes  du 
royaume,    qui    preteroient   chacun    mille 

3. 


36  ASSEMBLEES  NATIONAI.ES 

ecus  d'or.  Les  deputes  refuserent  de  donner 
ces  noms ,  et  soutinrent  que  ce  moyeii 
etoit  odieux,  et  qu'il  y  avoit  m^me  du  dan- 
ger a  Fexecuter ;  que  dun  cote  on  ne 
pouvoit,  sans  exciter  des  mur mures  et  s'at- 
tirer  la  haine  de  tons  les  particuliers ,  les 
obliger  de  donner  des  declarations  de  tons 
leurs  biens,  etr  den  faire  une  espece  de  de- 
nombrement;  que  d'un  autre  cote  le  com- 
merce du  royaume  souffriroit  beaucoup,  si 
les  biens  des  negociants  etoient  connus  de 
tout  le  monde ,  parceque ,  comme  on  les 
croit  souvent  plus  riches  qu'ils  ne  lesont, 
la  perte  de  leur  credit  ruineroit  leur  negoce. 
Enfin  on  jugea  plus  a  propos  de  faire  une 
imposition  de  cette  somme  sur  les  provinces 
et  sur  les  villes  qu'elles  renferment,  pour  la 
repartir  ensuite  entre  les  plus  riches  parti- 
culiers ,  afin  que  cette  contribution ,  qu'un 
petit  nombre  de  bourgeois  n'auroient  pu 
payer  sans  en  etre  accables,  parut  plus  le- 
gere,  par  la  repartition  qui  en  seroit  faite 
entre  un  grand  nombre  de  personnes. 

M^zerai   et   le  president   Renault    nous 
donnent  aussi  des  notions  fort  exactes  sur 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXVIII.  3'J 

cette  assembl^e  de  1 558.  Je  vais  rapporter  ce 
qu'ils  en  disent: 

«  II  ne  manquoit  plus  que  de  I'argent  au 
((  roy :  il  assembla  pour  cela  les  etats  h  Paris 
(t  le  6  Janvier  de  Tannic  1 558.  Depuis  le  roy 
«Jean,ils  n'ont  (jueres  servy  qu  a  augmen- 
« ter  les  subsides.  Cette  fois  on  trouva  h  pro- 
it  pos  de  diviser  I'assemblee  en  quatre,  dis- 
« tinguant  le  tiers-etat  d'avec  lesofficiers  de 
((justice  et  de  finance.  Tous  ensemble  luy 
«  accord^rent  trois  millions  d'ecus dor,  qu'il 
(( demandoit :  on  les  leva  sur  les  plus  aises  du 
((royaume. »  Histoire  de  France^  regne  de 
Henri  II. 

u  Assemblee  des  notables,  tenue  dans  une 
«  chambre  du  parlement.  Ge  fut  dans  cette 
M  assemblee  d'etat,  que  la  magistrature  prit 
(( seance  pour  la  premiere  fois,  et  forma  un 
(tquatri^me  ordre;  jusque-la  elle  n'y  avoit 
«pas  pris  de  place,  et  c'est  k  tort  qu'on  la 
((crue  confondue  avec  le  tiers-etat:  elle  n'y 
«a  point  reparu  depuis;  elle  n'assista  ni  aux 
(( etats  de  Blois ,  ni  a  ceux  de  Paris. »  Abrege 
chronologique  du  president  Henault ,  regne 
de  Henri  II ,  annee  i558. 


38  ASSEMBLIES  NATIONALES 


CHAPITRE  XXIX. 

FRANCOIS  II. 

^Ivenements  de  son  regne  relatifs  aux  etats-generaux 
de  i56o. 

La  niort  de  Henri  11  (i)  avoit  fait  passer  la 
couronne  sur  la  tete  de  Francois  II,  a  peine 
ag^  de  seize  ans.  Ce  prince,  egalement  foible 
de  corps  et  d'esprit,  et  sans  aucune  espece 
d'instruction ,  quoique  majeur  aux  yeux  de 
la  loi ,  etoit  encore  dans  une  sorte  d'enfance. 
Roi  d'llcosse,  par  son  mariage  avec  Marie 


(i)  Le  25  juin  iSSg,  Henri  II  courant  dansuntournoi 
centre  le  comte  de  Mongommery ,  capitaine  de  la  garde 
ecossoise,  fut  blesse  d'un  eclat  de  lance  qui  lui  entra 
dans  I'oeil  droit :  des  le  premier  appareil ,  la  plaie  fut 
jugee  si  dangereuse,  qu'on  desespera  de  sa  vie;  il  mou- 
rut  en  effet  le  lo  juiilet,  laissant  quatre  fils  en  bas  age, 
'avoir:  Francois  II,  Charles  IX,  Henri  III,  et  le  due 
d'Anjou.  Francois  II  mourut  le  5  decembre  1 56o. 


Dfe  FRANCE.    CHAP.   XXIX.  Sq 

Stuart,  il  etoit  accable  sous  le  poids  de  ses 
deux  couronnes.  La  jeune  reine,  par  un 
contraste  fort  remarquable,avoit  des  talents 
et  une  ambition  fort  au-dessus  de  son  age. 
Cette  ambition  liabilement  dirigee  par  ses 
deux  oncles,  le  due  de  Guise  et  le  cardinal 
de  Lorraine,  I'avoit  rendue  maitresse  abso- 
lue  des  volontes  du  roi.  Le  pouvoir  de  la 
niece  etoit  devenu  celui  des  oncles.  Le  due 
de  Guise  s'etoit  fait  donner  le  commande- 
ment  des  armees,  et  le  cardinal  de  Lorraine 
la  direction  des  affaires  et  I'administration 
des  finances. 

L'elevation  de  ces  deux  etrangers  aux  pre- 
mieres dignites  de  F^tat  avoit  reuni  contre 
eux  toutes  les  haines.  Mais  les  interets  s'^- 
toient  divises,  et  la  cour  etoit  partag^e  en 
quatre  factions:  celle  de  Guise,  soutenue 
•par  tous  les  zeles  catholiques  •,  celle  de  la 
reine-m^re,  pour  qui  Fart  de  regner  n'^toit 
autre  chose  que  I'art  de  tromper  et  de  se- 
duire,  et  qui  auroit  voulu  que  I'autorite  de 
son  fils  residat  tout  enti^re  dans  ses  mains; 
celle d'Antoine  de  Bourbon,  roi  de  Navarre, 
qui,  fort  de  I'appui  de  tous  ceux  qui  avoient 


4o  ASSEMBLIES  NATIONALES 

embrasse  la  religion  r^f'orm^e,  pretendoit 
qu'en  sa  quality  de  premier  prince  du  sang, 
la  lieutenance  generale  du  royaume  devoit 
lui  etre  conferee;  enfin  celle  du  connetable 
de  Montmorency,  chef  de  tous  les  mecon- 
tents,  et  pardculi^rement  de  ceux  qui  re- 
grettoient  la  faveur  dont  ils  avoient  joui 
sous  le  dernier  regne. 

La  nation,  froissee  entre  ces  differents 
partis,  attendoit  avec  anxiet^  le  denoue- 
ment de  ce  nouveau  drame,  lorsque  parut 
un  ecrit  contre  les  Guise  et  contre  la  reine- 
m^re,  ^crit  tres  violent  et  qui  fit  une  grande 
sensation.  On  y  disoit : 

«  Qui  ne  voit  combien  il  est  contraire  a  la 
raison  de  soutenir  que  le  roi,  en  attendant 
un  age  plus  avance ,  a  pu  confier  le  soin  de 
son  etat  a  la  reine  sa  m^re  et  aux  oncles  de 
la  jeune  reine,  corame  si  un  pupille  pouvoit 
se  choisir  un  tuteur,  et  comme  si  ce  qui  est 
defendu  aux  particuliers  par  les  lois  devoit 
etre  permis  en  la  personne  dun  roi ,  dont  * 
la  bonne  ou  la  raauvaise  administration  in- 
teresse  les  peuples,  et  decide  de  la  felicit^ 
ou  du  malheur  de  la  nation?. . .  II  y  a  envi- 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXIX.  4  » 

ron  quatre-vingts  ans,  continuoit  Tauteur, 
que  Louis  XI,  en  mourant,  laissa  ses  ^tats 
a  Charles  Vin,  son  fils,  encore  dans  I'en- 
fance.  Anne,  soeur  ain^e  du  jeune  roi,  pr^- 
tendoit  a  la  regence,  que  lui  disputoit  Louis, 
due  d'Orleans,  premier  prince  du  san(j.  Ce 
grand  different  fut  jnge  par  les  etats  du 
royaume,  assembles  a  Tours,  qui  pronon- 
c^rent  qu'Anne  ne  se  meleroit  point  du  gou- 
vernement;  que  la  regence  ne  seroit  pas  non 
plus  deferee  au  due  d'Orleans,  parcequ'il 
n'avoit  pas  encore  vingt-trois  ans  accomplis, 
mais  que  I'etat  seroit  regi  par  un  conseil 
souverain ,  compose  des  princes  du  sang  et 
des  grands  du  royaume.  Si  le  pouvoir  de  la 
reine-m^re  paroit  odieux,  combien  doit 
letre  davantage  celui  des  Guise,  etsur-tout 
du  cardinal  de  Lorraine !  Les  anciennes  lois 
du  royaume  defendent  aux  pretres  et  a  ceux 
qui  sont  soumis  au  pape  d'avoir  le  principal 
gouvernement  de  1  etat.  Le  roi  Jean  ota  les 
sceaux  a  Jean  de  Dormans,  eveque  de  Beau- 
vais,  et  chancelier  de  France,  lorsque  ce 
prelat  fut  nomme  cardinal....  On  ne  se  sou- 
vient  encore  que  trop  des  maux  causes  par 


42  ASSEMBLIES  NATIONALES 

les  cardiiiaux  de  La  Grange  et  de  Balue 

D'ailleurs  ne  sait-on  pas  jusqii  a  quel  point 
les  Guise  doivent  etre  suspects?  lis  ne  di- 
sent  plus  en  secret,  mais  ils  publient  par- 
tout  qu'ils  descendent  des  roiscarlovingiens, 
qui,  selon  eux,  furent  prives  injusteraent 

de  la  couronne  par  Hugues  Capet Ils 

osent  meme  avancer  qu'on  leur  a  enleve  ci 
eux-memes,  avec  line  semblable  injustice, 
le  duched'Anjou  et  le  comte  de  Provence :  ils 
en  prennent  les  armoiries  et  les  titres,  et,  tout 
etrangers  qu'ils*  sont ,  ils  se  glissent  pour 
ainsi  dire  peu  k  peu  dans  la  maison  royale.... 
Tout  le  monde  voit  assez,  poursuivoit  I'au- 
teur,  oil  tend  leur  grande  soumission  pour 
le  pape  et  pour  le  saint-siege.  lis  veulent,  a 
I'exemple  de  Charles  Martel  et  de  Pepin, 
dont  ils  pr^tendent  faussement  etre  descen- 
dus,  ravir  par  la  faveur  du  clerge  la  couronne 
a  ses  legitimes  possesseurs.  » 

'  Cetecrit,  qui  porta  I'irritation  des  Guise 
a  son  comble,  fut  generalement  attribue 
aux  protestants,  et  les  persecutions  contre 
eux  recommenc^rent  avec  plus  de  violence 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXIX.  4^ 

que  jamais.  En  voici  le  tableau  trac^  par  une 
main  aussi  fidele  que  savante(i): 

«  On  redoubla  de  toutes  parts  les  perqui- 
((sitions  contre  les  personnes  soupconnees 
«  de  favoriser  la  nouvelle  doctrine.  Le  pr^- 
«  sident  de  Saint-Andr^  et  I'inquisiteur  Mou- 
«chy(2),  charges  de  ce  soin,  avoient  des 
((^missaires  qui  leur  rendoient  compte  de 
(tee  qui  se  passoit  de  plus  secret  dans  les 
«  maisons.  Souvent  ces  espions  faisoient  des 
« rapports  infideles.  Un  de  ces  miserables 
«  certifia  qu'il  s'^toit  trouve  a  une  assemblee 
(t  nocturne  chez  un  avocat  loge  a  la  place 
« Maubert ;  qu'on  y  avoit  servi  un  grand 
«repas;  qu'en  sortant  de  table  on  avoit 
u  eteint  les  lumi^res,  et  que  chacun  avoit 
((Satisfait  ses  desirs^  que  lui  en  particulier 
('  avoit  obtenu  les  derni^res  faveurs  de  la  fille 
«  de  I'avocat.  Cette  deposition  fut  reconnue 


(i)  Le  president  de  Thou,  Hist.  univ. ,  livre  X. 
(2)  De  la  est  venu  le  nora  de  mouchard  dont  on  fletrit 
les  espions  de  la  police. 


44  ASSEMBLlfiES  NATIONALES 

(t  fausse  dans  tous  ses  points.  Cependant  on 
«  ne  punit  point  le  delateur. 

(( Dans  le  faubourg  Saint-Germain,  qu'on 
uappeloit  communement  la  petite  Geneve, 
« il  y  avoit  une  hotellerie  frequentee  par  les 
«  AUemands  et  par  lesGenevois.  Bragelon- 
((gne,  lieutenant  criminel,  assiegea  cette 
(( maison  avecune  troupe  d'arcliers.  Seize  des 
(( personnes  qui  y  etoient  a  table  s'enfuirent. 
«  II  n'y  resta  que  deux  gentilshommes  d'An- 
(cjou,  domestiques  du  roi  de  Navarre.  Ges 
«  Angevins  etoient  fr^res,  et  se  nommoient 
«  Soubselle.  Ayant  mis  I'epee  a  la  main ,  ils 
«  charg^rent  les  licteurs  de  Bragelongne,  et 
(des  dissip^rent.  Un  des  deux  porta  plus 
{( loin  la  hardiesse.  Non  content  d'avoir  ob- 
it tenu  des  lettres  de  remission  par  le  credit 
ude  son  maitre,  il  demanda  qu'on  lui  rendit 
(tplusieurs  effets  qu'il  accusoit  les  archers 
u  de  lui  avoir  enleves.  Son  audace  aclieva 
{( d'irriter  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  le  fit 
uarreter,  et  conduire  au  chateau  de  Vin- 
u  cennes. 

«  Gette  prison ,  ainsi  que  toutesles  autres, 
«etoit  pleins  de  victimes  du  ressentiment 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXIX.  4^ 

«de  ce  cardinal.  On  trainoit  chaque  jour 
(( de  nouveaux accuses  devant  les  tribunaiix. 
((Plusieurs  personnes  ayant  pris  la  fuite, 
uleurs  biens  furent  vendus  ci  I'enean.  Tout 
«  Paris  retentissoit  de  la  voix  des  huissiers , 
uqui  faisoient  des  criees  de  meubles,  ou 
«  qui  trompetoient  les  fugitifs.  On  ne  voyoit 
(( par-tout  que  des  ecriteaux  sur  des  mai- 
((sons  abandonn^es.  De  jeunes  enfants,  que 
« la  foiblesse  de  leur  age  n'avoit  pas  permis 
« aux  p^res  et  aux  m^res  d'emmener  avec 
«  eux,  remplissoient  de  leurs  oris  les  rues  et 
« les  places  publiques.  Un  spectacle  si  tou- 
«  chant  tiroit  des  larmes  des  yeux  des  enne- 
« mis  meme  les  plus  declares  des  protes- 
« tants. 

«  La  cour  ne  jugea  pas  suffisant  de  payer 
«  des  delateurs  pour  decouvrir  les  sectateurs 
(tdes  opinions  nouvelles.  Dans  les  princi- 
(c  pales  rues  de  presque  toutes  les  villes,  elle 
«  fit  poser  des  images  de  la  Vierge  et  des 
«  saints,  ornees  et  couronnees  de  fleurs,  de- 
«vant  lesquelles  on  allumoit  des  cierges. 
«  Des  gens  de  la  lie  du  peuple  s'assembloient 
«  vis-a-vis  de  ces  statues,  et  y  chantoient  des 


46  ASSEMBLEES  NATIONALES 

((cantiques.  Pi es  de  ces  images  etoient  des 
« troncs ,  oil  les  passants  etoient  forces  par 
«  des  gens  charges  de  cet  emploi  de  mettre 
«de  I'argent  pour  I'entretien  des  lumi^res. 
«  Si  Ton  refusoit  de  payer,  si  Ton  passoit  de- 
Mvant  les  statues  sans  les  saluer,  quoique 
«ce  fut  sans^dessein,  si  enfin  on  ne  sarre- 
« toit  pas  avec  respect  lorsque  le  bas  peuple 
(( entonnoit  ses  chants  ridicules,  on  etoit  aus- 
((sitot  maltrait^,  et  Ion  etoit  heureux  den 
«  etre  quitte  pour  des  coups  et  pour  la  pri- 
«  son. » 

Ces  persecutions  produisirent  un  effet 
contraire  a  celui  que  Ion  s'etoit  flatte  den 
obtenir.  En  multi pliant  les  martyrs,  on 
multiplia  les  proselytes.  Le  peuple  ciut  voir 
quelque  chose  de  surnaturel  dans  le  courage 
que  la  nouvelle  religion  inspiroit  a  ses  sec- 
tateurs(i),  et  la  reforme  fit  chaque  jour  de 
nouvelles  conquetes. 


(i)  Le  supplice  d'Anne  du  Bourg,  conseiller  au  parle- 
ment ,  brule  en  place  de  Greve ,  comme  heretique,  fit  un 
effet  prodi^eux.  La  lecture  de  son  arret .  n'altera  pas 
meme  les  traits  de  son  visage.  II  dit  qu'il  pardonnoit  a 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXIX.  4? 

Gette  eglise  qui ,  quelques  ann^es  aupa- 
ravant,  ne  comptoit  qu'un  petit  noinbre  de 
fideles  obscurs  et  isoles,  devient,  en  pen  de 
temps,  une  immense  et  redoutable  congre- 
gation, composee  d'hommes  de  toutes  les 
conditions  et  de  tous  les  rangs,  et  qui ,  diri- 
gee  par  des  chefs  habiles,  se  reunit  en  assem- 
blees ,  s'impose  des  tributs ,  organise  une 
force  publique,  couvre  Ja  France  deglises 
protestantes,  et  declare  hauteraent  quelle 
repoussera  I'oppression  par  la  force. 


sesjuges,  qui  avoientprononceselonleur  conscience,  mais 
non  selon  la  science  qui  vient  d'en  haut.  Ensuite  elevant 
la  voix  il  ajouta :  Eteignez  vos  feux.  Que  Cinjuste  aban- 
donne  sa  voie ,  et  que,  detestant  ses  desseins  pervers ,  il  re- 
toume  au  Seigneur.  II  fut  conduit  dans  un  tombereau  a 
la  Greve,  oil  il  fut  etrangle,  et  jete  dans  le  feu.  Telle 
fut  la  fin  d'Anne  du  Bourg,  a  I'age  de  trente-huit  ans. 
II  etoit  ne  a  Riom  en  Auvergne,  d'une  famille  riche, 
dent  etoit  sorti  Antoine  du  Bourg,  chancelier  de  France 
sous  Francois  I".  Apres  avoir  professe  le  droit  a  Orleans 
avec  un  grand  succes ,  il  s'etoit  encore  distingue  davan- 
tage  par  son  integrite  dans  la  magistrature.  Plusieurs  de 
ceux  meme  qui  condamnoient  ses  sentiments  avoient 
fait  des  voeux  pour  sa  liberie,  et  donnerent  des  larmes 
sinceres  a  sa  mort. 


48  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Jusque-Ia  quelques  gendarmes  avoient 
suffi  pour  imposer  aux  novateurs  et  dissi- 
per  leurs  rassemblements ;  dorenavant  il 
ne  faudra  rien  moins  que  des  armees  regu- 
li^res.  Mais  linsurrection  ^clatoit  simulta- 
nement  sur  tous  les  points  du  royaume,  et 
le  gouvernement  ne  pouvoit  pas  avoir  une 
armee  dans  chaque  province.  L'affaire  por- 
tee  an  conseil  du  roi ,  le  cardinal  de  Lorraine, 
qui  parla  le  premier,  proposa  I'inquisitiou, 
non  telle  que  Henri  II  I'avoit  ^tablie,  c'est- 
a-dire  modifiee  par  des  restrictions  qui  la 
paralysoient;  mais  I'inquisition  avec  tous  ses 
buchers,  toutes  ses  horreurs,  et  telle  quelle 
existoit  en  Espagne. 

Cette  opinion  paroissoit  reunir  tous  les 
suffrages .  L'Hospital  cut  le  courage  de  la  com- 
battre.  II  observa  que  pour  operer  une  gue- 
rison ,  il  ne  suffisoit  pas  a  un  medecin  de 
bien  connoitre  I'efficacite  dun  remede,  qu'il 
falloit  de  plus  connoitre  le  moment  de  I'ap- 
pliquer,  les  forces  et  le  temperament  du  ma- 
lade  ;  qu  il  confessoit  sans  peine  que  le  tri- 
bunal de  I'inquisition ,  s'il  avoit  pu  s'etablir 


DE    FRANCE.  CHAP.  XXIX.  49 

en  France  vingt  ans  plus  tot,  I'auroit  peut- 
etre  preservee  de  la  contagion ;  que  lexemple 
de  I'Espagne  et  une  partie  de  I'ltalie  ne  lais- 
soient  pas  lieu  den  douter;  qu'on  devoit 
regretter  que  des  obstacles  qui,  apres  tout, 
n'auroient  pas  ete  insurmontables,  eussent 
arrete  le  zele  de  ceux  qui  des-lors  desiroient 
cet  etablissement;  mais  que  si  dans  un  temps 
ou  le  calme  regnoit  dans  les  provinces,  ou 
tout  flechissoit  sous  un  roi  respecte  de  ses  su- 
jetset  redoute  de  ses  voisins,  on  avoitcraint 
de  compromettre  Fautorite  en  risquant  une 
pareille  innovation,  tellement  qu'on  avoit 
cru  devoir  ne  la  proposer  qu'avec  des  cor- 
rectifs  qui  en  moderassent  I'aprete,  per- 
sonne  sans  doute  ne  trouveroit  etrange  que 
dans  une  conjoncture  malheureuse,  ou  I'es- 
prit  de  discorde  agitoit  tons  les  ordres  de 
I'etat,  on  marchat  avec  une  extreme  precau- 
tion ,  et  qu'on  s'etudiat  a  d^rober  a  tons  les 
yeux  le  terme  oil  Ton  se  proposoit  d'arriver; 
qu'on  ne  pouvoit  disconvenir  que  le  nom 
seul  de  I'inquisition  ne  fut  propre  a  revolter 
ceux  a  qui  une  longue  habitude  ne  I'avoit 

4 


5o  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

point  rendu  familier;  que  si  quelquun  en 
doutoit,  il  suffiroit  de  lui  citer  ce  qui  s'etoit 
passe  en  Italie :  qua  la  premiere  nouvelle 
que  les  Napolitains  avoient  eue  que  Charles- 
Quint  songeoit  a  les  soumettre  a  ce  tribunal , 
cinquante  mille  hommes  avoient  pris  les 
armes,  et  avoient  force  cet  empereur,  si  en- 
tier  dans  ses  resolutions,  si  redoutable  et  si 
redoute,  a  revoquer  son  edit,  et  a  se  desister 
de  son  projet;  que  plus  recemment  encore, 
k  la  mort  de  Paul  IV,  toute  la  ville  de  Rome 
s'etoit  soulevee  contre  les  officiers  de  I'in- 
quisition ,  avoit  mis  en  pieces  leurs  registres, 
brise  les  portes  des  prisons  du  saint-office, 
et  rendu  la  liberte  a  tou?  ceux  qu'on  y  de- 
tenoit;  et  qu'il  y  auroit  de  Timprudence  a  se 
promettre  plus  de  docilite  des  Francois,  peu- 
ple  sensible  aux  caresses,  qu'on  pent  me- 
ner  bien  loin  par  la  douceur,  mais  prompt  a 
s'irriter,  et  retif  a  la  menace. 

De  cette  deliberation  sortit  le  c^lebre  ^dit 
de  Romorantin.  Get  edit  attribue  a  chaque 
^v^que  dans  son  diocese  la  connoissance  du 
crime  d'her^sie,  et  a  tons  les  presidiaux  la 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXIX.  5 1 

recherche  et  la  puriition  des  assemblies  il- 
licites. 

Ces  concessions  irrit^rent  egalement  les 
deux  partis.   Les  r^formes   se  plaignirent 
hautement  dune  mesure  qui  les  livroit  a  la 
discretion  des  eveques  et  aux  jugements  des 
tribunaux  inferieurs.  Les  catholiques,  qui 
pen^troient  mieux  les  intentions  du  chan- 
celier,  pretendirent  qu'en  divisant  ainsi  le 
pouvoir  inquisitorial,  il  avoit  voulu  I'affoi- 
blir  et  le  paralyser.  Les  gens  de  bien  ne  s'y 
meprirent  pas.  v  Les  historiens  du  temps , 
udit  le  president  de  Thou,  loin  de  blamer 
« le  chancelier  de  L'Hospital  d'avoirconsenti 
«a  cet  ^dit,  donnent  de  grands  eloges  4  sa 
«  prudence.  Selon  eux,  ce  magistrat  par-la 
«  sauva  la  France  du  joug  odieux  de  Finqui- 
«  sition,  dont  on  avoit  parl^  tant  de  fois  sous 
«le  feu  roi,  et  dont  les  Guise  sollicitoient 
V.  avec  ardeur  retablissement(i). » 

Ce  que  le  chancelier  avoit  voulu  et  prevu 


(i)  DeThou,  Hist.  univ. ,  livre  X. 


52  ASSEMBLIES   NATION  ALES 

arriva.  L'^dit  de  Roraorantin  fut  si  mal  exe- 
cute, que,  tr^s  peu  de  temps  apres,  le  roi 
convoqua  un  conseil  extraordinaire  a  Fon- 
tainebleau,  dans  I'esperance  que  Ion  trou- 
veroit  des  moyens  plus  propres  a  extirper  les 
nouvelles  opinions. 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXX.  53 


I  W/%  %/V^'W«^% 


CHAPITRE  XXX.     . 

Continuation  du  meme  sujet.  Assemblee  de  Fontaine- 
bleau.  Condamuation  du  prince  de  Conde.  Mort  de 
Francois  II. 

Michel  de  Castelnau  nous  a  conserve  les 
noms  des  personnages  qui  compos^rentcette 
memoi^ble  assemblee;  en  voici  la  nomen- 
clature :  Le  roi,  les  princes  ses  fr^res,  les 
cardinaux  de  Bourbon  et  de  Lorraine,  le 
due  de  Guise,  le  connetable,  le  due  d'Au- 
male,  le  chancelier  de  L'Hospital ,  les  mar^- 
chaux  de  Saint-Andr^  et  Brissac,  le  grand- 
amiral ,  Farcheveque  de  Vienne,  Morvillier, 
eveque  d'Orldans,  Montluc,  eveque  de  Va- 
lence, du  Mortier,  etDavanson,tous  conseil- 
lers  au  conseil  prive. 

L'assemblee  se  reunit  le  20  aout.  Dans  la 
premiere  seance  il  ne  fut  question  que  de 
1  etat  de  I'armee  et  de  la  penurie  des  finan- 
ces. Le  cardinal  de  Lorraine,  apr^s  un  pom- 
peux  eloge  de  son  administration,  finit  par 


54  ASSEMBLIES    NATIONALES 

dire  que  les  d^penses  ordinaires  de  I'^tat  ex- 
cedoieiit  les  recettes  de  deux  millious  cinq 
cent  mille  livres. 

A  Fou verture  de  la  seconde  stance,  I'amiral 
donna  lecture  dun  memoire  que  les  refor- 
mes  de  la  province  de  Normandie  I'avoient 
charge  de  presenter  au  roi.  Ge  memoire, 
concu  dans  les  termes  les  plus  respectueux, 
se  terminoit  par  ces  mots:  «Si  en  plusieurs 
«  endroits  de  la  chrestiente  il  a  este  permis 
«  pour  le  bien  de  la  paix  et  de  la  concorde 
«  que  les  juifs  eussent  un  temple,  ou  quelque 
« autre  lieu  a  part,  pour  y  faire  leurs  ser- 
«  vices,  qui  toutefois  sont  abominables  de- 
(cvantDieu,  d'autant  qu'ils  ne  sont  fondes 
«  ni  appuyes  sur  le  vrai  fondement  qui  est 
M  notre  Seigneur  Jesus-Christ,  combien  plus 
«  cela  doit-il  nous  etre  permis,  nous  qui  te- 
unons  et  advouons  Jesus-Christ  pour  notre 
«  seul  Sauveur,  Redemteur,  et  suffisant  In- 
u  tercesseur  en  vers  Dieu  le  p^re,  et  qui  ne 
(( demandons  sinon  a  nous  reformer  et  rei- 
«  gler  toute  nostre  vie  selon  I'Evangisle ,  et 
«  vivre  sous  vostre  sainte  charge  en  paix  et 
«  tranquillite ,  et  vous  rendant  alaigrement 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXX.  55 

u  tout  ce  que  les  sujets  doivent  a  leur  souverain 
«  seigneur,  et  mesme  si  mestier  estoit,  ne  refu- 
(X  serious  payer  de  plus  grands  tributs,  pour 
ufaire  cognoistre  a  vostre  majeste  que  cest  a 
(( grand  tort  quon  nous  accuse  de  nous  vouloir 
u  exempter  des  charges  qu'il  vous  plaist  nous 
« imposer. » 

Apr^s  cette  lecture  qui  fut  ecout^e  par  le 
roi  tr^s  attentivement,  et  sans  donner  au- 
cun  signe  d'improbation ,  Montluc,  eveque 
de  Valence,  qui  parla  le  premier  comme 
etant  le  plus  jeune  (i)  de  Tasseniblee,  apr^s 

(i)  On  remarque  dans  son  discours  le  passage  suivant, 
dont  I'objet  est  de  justifier  I'usage  adopte  par  les  eglises 
reformees  de  chanter  les  psaumes  en  langue  vulgaire: 
«  Je  ne  puis  me  tenir  de  dire  que  je  trouve  extremement 
<i  estrange  Topinion  de  ceux  qui  veulent  qu'on  defende 
« le  chant  des  pseaumes,  et  donnent  occasion  auxsedicieux 
(tdedire  qu'on  ne  fait  plus  la  guerre  aux  hommes,  mais 
«  k  Dieu ,  puisqu'on  veult  empescher  que  ses  louanges 
«  soyent  publiees  et  entendues  d'un  chacun.  Si  Ton  veut 
«  dire  qu'il  ne  faut  les  traduire  en  nostre  langue,  il  faut 
« done  qu'on  nous  i-ende  raison  pourquoy  David  les 
ttcomposa  en  la  langue  hebraique,  qui  estoit  la  langue 
« commune  et  vulgaire  a  tout  le  pays.  II  faut  qu'ils 
adisent  pourquoy  I'Eglise  les  a  fait  traduire  en  langue 
•I  grecque  et  latine,  et  ce  au  lemps  que  ces  deux  langues 


56  ASSEMBLIES  NATIONALES 

un  coup  d'oeil  general  sur  les  maux  qui  de- 
soloient  la  France,  aborda  la  question  de  la 
reforme,  proposa  de  la  soumettre  au  tribu- 
nal de  la  nation,  et  demanda  la  convocation 
des  etats-generaux. 

Marillac  ( I ) ,  archeveque  de  Vienne,  in- 


« estoient  vulgaires  et  communes,  la  grecque  en  la 
uGrece,  la  latine  en  Italic,  et  en  autres  pays  ou  les 
a  iiomatni  avoient  autorite.  S'ils  maintiennent  qu'ils  sont 
u  mal  traduits,  il  vaudroit  niieux  marquer  les  fautes 
(I  pour  les  corriger,  que  de  contemner  tout  I'oeuvre  qui 
if  ne  peat  etre  que  bon ,  saint  et  louable.  » 

(i)  Charles  de  Marillac  fut  I'ami  de  L'Hospital ;  et  ces 
deux  hommes  etoientdignes  I'un  de  I'autre.  La  harangue 
que  Marillac  prononca  a  I'assemblee  de  Fontainebleau 
fut  (d it  le  Laboureur,  tome  I  de  ses  additions,  page  49^) 
«le  dernier  effort  de  la  science  la  plus  consommee,  et 
«  de  la  franchise  de  I'episcopat.  II  accommoda  ses  senti- 
«  ments  aux  besoins  de  I'etat  plutot  qu'aux  intentions  de 
« la  cour  de  Rome  qui  re'gnoit  alors ;  et  cela  le  rendit 
«  suspect  d'beresie,  a  cause  de  la  proposition  du  concile 
«  national ,  qu'il  appuya  de  tant  de  raisons ,  qu'il  le  ren- 
«  dit  necessaire ,  et  qu'il  fut  suivi  de  tons  les  suffrages  de 
<i  la  compagnie.  Si  on  juge  des  conseils  par  leur  succes, 
«  celui-la  fut  tres  avantageux  a  I'Egiise  et  a  la  religion , 
«  puisquecette  resolution  fit  assembler  leconci/ec/e  Trente^ 
u  depuis  si  long-temps  suspendu...  Je  travaillerois  en 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXX.  S'J 

sista  de  meme,  et  plus  fortement  encore,  sur 
la  necessity  de  con  voquer  les  etats-generaux. 
Son  discouis  est  fort  remarquable.  En  voici 
quelques  lignes : 

«  S'il  est  par  necessite  besoin  de  retran- 
c(  clier  les  depenses  du  royaume ,  et  que 
«  ceux  qui  en  ont  la  charge  ne  le  puissent 
uex^cuter  sans  s'attirer  une  envie  incre- 
udible  procedant  du  mecontentement  de 
(( ceux  qui  ne  se  soucient  si  la  bourse  du  roi 
uest  vide,  pourvu  que  la  leur  soit  pleine, 
«  comme  se  peut-il  mieux  ne  plus  surement 
(( executer  que  par  Tavis  de  cette  grande  as- 
((semblee(puisque  autrenient  peu  de  gens 
«  ne  le  peuvent  faire ),  il  faut  done  que  ce 
«  soit  aux  etats. 

«Si  le  mecontentement  se  trouve  en  tant 


Kvain,  ajoute  le  Laboureur,  k  justifier  la  memoire  de 
u  cet  archeveque  centre  cette  accusation  qui  lui  fut  cora- 
«  mune  avec  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  gens  de  lettres ,  a 
«  cause  de  cette  louable  liberie  qu'on  contracte  dans  les 
"  sciences ,  quand  on  ne  s'en  veut  servir  que  pour  le 
« bien  de  sa  patrie  ,  et  pour  une  belle  reputation..." 
Charles  de  Marillac  n'aimoit  pas  la  maison  de  Guise.  II 
fut  constamment  attache  a  celle  de  Bourbon. 


58  ASSEMBLIES    NATIONALES 

«de  gens,  que  tous  les  jours  on  cherche  les 
u  moyens  d'alt^rer  la  suret^  de  I'etat,  ne  sa- 
<(  chant,  les  uns,  en  quelle  disposition  sont 
<(  les  affaires  ni  le  fond  des  finances  du  roi  j 
« les  autres  abusant  de  ce  pretexte  pour  mou- 
«  voir  les  simples  h  sedition :  pour  contenter 
« les  bons,  et  fermer  la  bouclie  aux  mauvais, 
w  y  a-t-il  remede  plus  prompt  ni  plus  rece- 
«  vable  quedefaire  entendre  en  pleins  etats, 
Mcomme  sont  toutes  choses,  puisqu'il  est 
«  permis  la  s'enquerir  et  de  savoir  la  verite? 
((  Si  les  premiers  ministres  du  roi  sont  ca- 
ulomnies  corame  auteurs  et  cause  de  tout 
ule  mal  passe  et  qui  pent  advenir,  comme 
«ceux  qui  tournent  toutes  choses  a  leur 
«  avantage,  et  font  leur  profit  particulier  de 
(da  calamite  de  tous,  y  a-t-il  autre  moyen 
upour  se  faire  nettoyer  de  tous  soupcons 
« quedefaire  entendre  en  telle  asserablee 
«  en  quel  etat  on  a  trouve  le  royaume,  comme 
uil  aete  administr^,  et  comme  ceux  qui  sont 
«  assures  d'avoir  bien  agi  ne  veulent  fuir  la 
wlumi^re,  ains  sont  appareill^s  den  rendre 
«  si  bonne  raison,  qu'on  aura  cause  den  etre 
wsatisfait? 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXX.  69 

«  Bref ,  s'il  y  a  crierie  piiblique,  sous  quel- 
«  que  pr^texte  que  ce  soit,  ou  peut-elle  etre 
«mieux  ouie  qu'en  assemblee  generale(i)?)) 

L'opinion  des  deux  eveques  prevalut.  La 


(i)  Cediscoursdans  lequel  lesavant  archeveque censure 
les  abus  qui  affligent  I'Eglise,  comme  ceux  qui  troublent 
I'etat,  renferme  encore  le  passage  suivant:  «  Gette  sen- 
« tence  de  Jesus-Christ  est  eternelle :  Grafts  accepistis,  gratis 
«  date.  Les  choses  spirituelles  se  baillent  de  Dieu  gratui- 
u  tement ,  il  ne  nous  est  done  licite  en  faire  marchandise. 

u , 

"Saint  Louis  voyant  ce  desordre  qui  commencoit,  ne 
«  fit  aucun  doute  d'ordonner  que  les  prelats  resideroient 
«  en  leurs  evesche*  et  qu'on  ne  porteroit  plus  d'argent  a 
<(  Rome ,  monstrant  par-la  combien  ceste  marchandise 

«  lui  desplaisoit . 

"  De  notre  temps,  le  pape  Paul  III  voyant  la  defection 
"  que  plusieurs  pays  faisoient  de  I'Eglise  romaine,  com- 
«  manda  certains  personnages  qui  estoient  les  plus  ap- 
« parents  en  doctrine  de  leur  temps,  de  luy  mettre  par 
«  escript  ce  qui  leur  sembloit  estre  digne  d'estre  reforme 
u  en  I'Eglise  ,entreautres  le  cardinal  Theatin ,  qui  depuis 
«a  este  pape,  surnomme  Paul  IV,  qu'on  estimoit  des 
II  premiers  de  I'Eglise  en  integrite  de  vie,  et  en  sublimite 

«  de  doctrine 

«  Ces  seigneurs,  apres  avoir  assemble  et  conftire,  don- 
«  nerent  leur  avis,  qui  est  publier  par-tout,  contenant 
11  au  premier  point:  Qu'en  I'usage  et  administration  des 


6o  ASSEMBLIES   NATIONALES 

convocation  des  etats-generaux  fut  resolue, 
et  il  fut  arrete  qu'ils  se  tiendroient  a  Or- 
leans, dans  le  corns  du  mois  de  decembie 
prochain. 

Les  catlioliques  et  les  reform es  applau- 
dirent  egalement  a  cette  resolution.  Chaque 
parti ,  plein  de  confiance  dans  ce  qu'il 
croyoit  etre  la  bonne  cause,  se  flatta  d'un 
triomphe  assure.  Les  princes  lorrains,  qui  ne 
partageoient  pas  cette  securite ,  appelerent 
I'intrigue  a  leur  secours,  et  leur  ambition 
inquiete  couvrit  la  France  de  miserables 
charges  de  corrompre  les  electeurs.  Ces man- 
oeuvres reussirent,  et  lorsqu'apres  les  elec- 
tions les  deputes  se  compt^rent,  les  parti- 
sans des  Guise  se  trouv^rent  en  grande 
majorite. 

Maitre  des  volontes  de  Fassembl^e,  comme 
de  Fesprit  du  roi,  et  deja  souverain  de  fait, 
le  due  de  Guise  n'avoit  plus  que  quelques 


«  clefs,  c'est-a-dire  de  la  puissance  de  I'Eglise ,  ne  se  pou- 
«  voit  ni  devoit  rien  prendre  sans  contrevenir  directe- 
«  ment  au  comtnandement  de  Dieu  et  decrets  des  con- 
«  ciles.  n 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXX.  6 1 

pas  a  faire  pour  franchir  Fintervalle  qui  le 
separoit  du  trone.  Cependantil  ne  jouissoit 
pas  du  calme  que  Tame  eprouve  ordinaire- 
ment  a  la  veille  d'un  beau  jour.  Un  prince 
d'unerare  valeur,  d'un  grand  caract^re,  et  qui 
disposoit  de  toutes  les  forces  du  parti  pro- 
testant,  Louis  de  Conde,  fr^re  d'Antoine  de 
Bourbon,  roi  de  Navarre,  effrayoit  son  am- 
bition. II  osa  concevoir  le  projet  de  le  per- 
dre ;  il  lui  supposa  le  dessein  d'attenter  a  la 
personne  du  roi,  et,  Tayant  fait  arreter,  il 
le  livra  a  une  commission  qui  le  condamna 
a  mort.  Deja  la  fatale  sentence  ^toit  revetue 
de  la  signature  de  presque  tous  les  commis- 
saires,  et  le  moment  de  son  execution  ap- 
prochoit,  lorsque  des  symptomes  effrayants 
annonc^rent  la  mort  prochaine  de  Fran- 
cois II. 

A  peine  la  nouvelle  en  est-elle  r^pandue 
que  la  cour  prend  une  nouvelle  face.  L'au- 
r^ole  qui  environnoit  le  due  de  Guise  et 
le  cardinal  de  Lorraine  s'evanouit  comme 
un  vain  meteore ,  et  ces  deux  hommes 
qui  disposoient ,  il  n'y  a  qu'un  instant,  du 
royaume  et  du  roi,  ne  sont  plus  que  des 


62  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

chefs de  parti ;  cependantils  n'en  conservent 
pas  moins  le  desir  de  peidre  le  roi  de  Na- 
varre et  le  prince  de  Conde.  Mais  aussi  mo- 
destes  qu'ils  s'etoient  montr^s  superbes,  ils 
s'adressent  respectueusement  a  la  reine- 
mere,  et  apr^s  les  plus  humbles  protesta- 
tions de  devouement  et  de  fidelite,  ils  lui 
representent  quelle  a  tout  a  craindre  de  ces 
deux  princes,  si,  avant  que  le  roi  expire, 
elle  n'a  pas  fait  executer  Tun,  et  arreter 
I'autre;  que,  devenu  libre,  le  prince  de 
Conde,  qui  lui  attribuera  sa  condamnation , 
soulevera  contre  elle  ses  nombreux  parti- 
sans \  que  le  roi  de  Navarre,  premier  prince 
du  sang,  se  fera  conferer  la  regence  par  les 
^tats-generaux,  et  quelle  se  verra  reduite 
a  la  nullite  la  plus  humiliante. 

Catherine  irresolue  appelle  le  chancelier, 
lui  communique  I'avis  des  Guise,  et  lui  de- 
mandelesien. 

La  reponse  du  chancelier  fut  digne  de  sa 
haute  sagesse;  en  voici  la  substance :  «  Le  due 
de  Guise,  grand  capitaine,  et  le  cardinal  de 
Lorraine,  habile  administrateur,  ont  rendu 
des  services  k  I'etat ;  on  ne  doit  pas  les  ou- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXX.  63 

blier.  La  division  qui  regne  entre  eu\  et 
les  princes  du  sang  pourroit  troubler  le 
royaume;  il  faut  les  reconcilier.»  A  I'egard 
de  la  regence,  il  ajouta  qu'aucune  loi  n'ex- 
cluoit  en  France  une  reine-m^re  de  la  re- 
gence  du  royaume-,  que  quelques  unes,  telles 
que  Blanche  de  Castille,  Favoient  exercee 
de  I'aveu  de  la  nation,  avant  que  le  roi 
Charles  VI  eut  aboli,  par  son  ordonnance 
de  1407, 1'usage  de  la  regence  parmi  nous, 
en  substituant  a  une  seule  person ne  un  con- 
seil  d'administration  dirige  par  la  reine- 
mere  et  compose  des  princes,  des  grands 
officiers,  et  des  principaux  seigneurs  du 
royaume;  que  c'etoit  a  celte  sage  institution 
qu'il  falloit  sen  tenir,  comme  a  la  seule  qui 
conciliat  tons  les  interets;  enfin  que  le  roi  de 
Navarre,  dun  caractfere  doux  et  tranquille, 
et  dune  moderation  qui  alloit  souvent  jus- 
qua  la  foiblesse,  se  preteroit  sans  peine  a 
tous  les  arrangements  que  la  reine  lui  pro- 
poseroit. 

Eclair^e  par  des  conseils  aussi  sages,  la 
reine  manda  pr^s  de  sa  personne  le  roi  de 
Navarre  et  les  princes  lorrains;  jetant  sur 


64  ASSEMBLIES  NATIOISALES 

le  premier  un  regard  severe,  elle  lui  dit  dun 
ton  menacant  qif  elle  se  porteroit  envers  lui 
aux  dernieres  extremites  si,  a  Finstant  meme , 
il  ne  souscrivoit  a  la  double  condition  de 
renoncer  a  la  regence  par  un  acte  formel, 
et  de  se  reconcilier  avec  les  princes  lor  rains. 

Le  roi  de  Navarre  repondit  qu'il  pensoit 
que  le  prince  qui  succederoit  au  roi  etant 
encore  mineur,  la  regence  du  royaume  de- 
voit  lui  appartenir  en  sa  qualite  de  premier 
prince  du  sang,  qu'il  ne  sen  croyoit  pas  in- 
digne,  mais  qu'il  y  renoncoit  et  qu'il  etoit 
pret  k  signer  Facte  de  sa  renonciation ;  et 
quant  a  la  reconciliation  avec  les  Guise,  elle 
se  fit  avec  toutes  les  demonstrations  qui  pou- 
voient  la  faire  regarder  comme  sincere;  et 
Catherine  au  comble  de  ses  voeux,  promit 
au  roi  de  Navarre  qu'il  seroit  le  chef  du 
conseil  d'administration. 

A  peine  ces  arrangements  etoient-ils  ter- 
mines  que  Francois  II  mourut,  le  5  decem- 
bre ,  dans  la  dix-huiti^me  annee  de  son 
age,  et  apr^s  un  regne  de  dix-sept  mois. 

Charles  IX,  qui  succeda  a  son  fr^re,  ayant 
a  peine  atteint  sa  onzi^me  annee,  la  reine- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXX.  65 

m^re  se  saisit  de  la  regence.  Mais,  comme 
aucune  loi  ne  la  lui  conferoit,  et  qu'elle 
sentoit  bien  qu'il  ne  lui  etoit  pas  possible  de 
se  la  donner  a  elle-meme,  elle  voulut  pa- 
roitre  la  tenir  de  son  fils;  et  ce  prince,  en- 
core mineur,  et  par  consequent  sans  pouvoir 
comme  sans  volonte,  ecrivit  k  toutes  les 
cours  souveraines  que  se  conjiant  en  la  bonte 
de  Dieu ,  et  dans  la  prudence  de  la  reine  sa 
mere,  il  Vavoit  priee  de  prendre  les  renes  du 
gouvernement. 

Pendant  que  ces  choses  se  passoient  h.  la 
cour ,  les  deputes  s'etoient  rendus  a  Orleans ; 
et  toutes  les  pensees  se  tournerent  vers  les 
etats-generaux. 


66  ASSEMBLEES  NATIONALES 


CHAPITRE  XXXI. 

fitats-generaux  tenus  k  Orleans  en  i56o. 

La  lutte  entre  les  catholiques  et  les  r^- 
formes  devenoit  cheque  jour  plus  mena- 
cante.  Dun  autre  cote,  Henri  II  avoit  laiss^ 
les  finances  dans  Tetat  le  plus  desastreux. 

Un  grand  conseil ,  tenu  a  Fontainebleau, 
avoit  juge  que  les  eta ts-g^nerauxduroyaume 
pouvoient  seuls  fermer  des  plaies  aussi  pro- 
fondes,  et  Francois  II  les  avoit  convoques. 

La  mort  prematuree  de  ce  prince  laissa  la 
couronne  a  Charles  IX,  a  peine  ag^  de  onze 
ans.  Gette  miuorite  acheva  de  porter  la  con- 
fusion dans  les  affaires. 

Catherine  de  Medicis  se  fit  conferer  la 
regence  par  le  roi  mineur,  et  s'en  mit  en 
possession. 

Cette  espece  d'investiture  parut  aussi  ir- 
reguli^re  qu'elle  etoit  nouvelle ;  les  reformes 
r^clamoient  cette  meme  regence  pour  le  roi 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         67 

de  Navarre  qu'ils  regardoient  comme  leur 
chef. 

Ainsi  les  ^tats-generaux,  que  You  n'avoit 
appel^s  que  pour  calmer  I'effervescence  des 
opinions  religieuses  et  remplir  le  vide  du 
tresor  public,  eurent  encore  a  s'occuper 
d'une  troisieme  question,  celle  de  savoir 
comment,  et  par  qui,  seroit  administr^  le 
royaume  pendant  la  minorite  du  roi. 

Le  1 3  decembre,  jour  fixe  pour  I'ouver- 
ture  des  ^tats,  le  due  de  Guise  tenant  k  1a 
main  son  baton  de  grand-maitre  couvert 
dun  crepe,  et  assiste  des  maitres  des  c^r^- 
monies,  fit  appeler  par  ordre  et  placer  lui- 
meme  les  deputes  des  differents  bailliages. 
La  salle,  comme  il  se  pratiquoit  dans  ces 
sortes  de  ceremonies,  etoit  coupee  en  deux 
parties ;  Tune  sup^rieure,  Tautre  inf^rieure. 
Dans  I'enfoncement  de  la  partie  sup^rieure, 
il  y  avoit  deux  sieges  d'egale  hauteur,  Fun 
pour  le  roi,  I'autre  pour  la  reine-m^re;  a 
gauche  de  la  reine,  sur  un  siege  moins 
eleve,  madame  Marguerite,  soeur  du  roi; 
sur  un  autre  siege  moins  eleve  encore ,  ma- 
dame Renee  de  France,  duchesse  douairi^re 

5. 


68  ASSEMBLAGES  NATIONALES 

de  Ferrare ;  ensuite  les  cardinaux  de  Tom - 
non ,  de  Lorraine ,  de  Bourbon ,  de  Cliatillon, 
et  de  Guise,  selon  la  date  de  leur  promotion; 
a  la  droite  du  roi ,  sur  un  siege  moins  eleve, 
Monsieur,  frere  du  roi;  sur  un  siege  moins 
eleve,  le  roi  de  Navarre,  ensuite  le  prince, 
dauphin  d'Auvergne,  fils  du  due  de  Mont- 
pensier ;  le  prince  de  la  Roclie-sur-Yon ,  le 
marquis  de  Beaupreau,  son  fils,  le  prince  de 
Joinville,  fils  aine  du  due  de  Guise,  et  le 
marquis  d'Elbeuf ;  sur  deux  escabelles  avan- 
cees  a  droite  et  a  gauche  du  trone,  le  con- 
netable  avec  Tepee  nue,  et  le  chancelier, 
ayant  Fun  et  I'autre  a  leurs  pieds  deux  huis- 
siers  a  genoux,  tenant  leurs  masses  hautes; 
sur  le  premier  gradin  du  trone ,  le  due  de 
Guise,  grand  chambellan,  avec  le  baton  de 
grand-maitre ;  devant  les  sieges  des  princes 
du  sang,  deux  gradins  plus  bas,  une  ban- 
quette, sur  laquelle  etoient  assis  Claude  de 
Gouffier,  grand  ecuyer,  les  marechaux  de 
Brissac,  de  Saint- Andr^,  et  I'amiral  Coli- 
gni;  du  cote  oppose,  au-dessous  des  cardi- 
naux, une  banquette  parallele  ])Our  les  eve- 
ques  d'Orleans,  de  Valence,  et  d'Amiens; 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXXI.  69 

les  seigneursMu  Mortier,  d'Avanson,  et  de 
Selve,  tous  conseiilers  d'etat;  autour  dun 
petit  bureau,  entre  ces  deux  banquettes, 
les  quatre  secretaires  d'etat;  debout  derri^re 
le  fauteuil  du  roi,  le  seigneur  de  Cipierre, 
son  gouverneur;  derri^re  celui  de  la  reine, 
le  comte  de  Crussol ,  son  gentilhomme  d'hon- 
neur;  derri^re  celui  de  Monsieur,  Carna- 
valet,  son  gouverneur;  derriere  celui  du 
roi  de  Navarre,  d'Escars,  son  cliainbellan ; 
aux  deux  cotes  de  la  cherainee,  les  quatre 
capitaines  des  gardes;  autour  de  I'enceinte 
et  appuyes  sur  la  cloison,  les  officiers  de  la 
cliambre  et  ceux  de  la  maison  du  roi  avec 
leurs  baches  d'armes ;  voila  ce  qui  formoit 
la  partie  superieure;  les  degres,  qui  la  se- 
paroientde  I'inferieure,  les  surintendants  et 
generaux  des  finances.  La  partie  inferieure 
etoit  remplie  de  bancs  plus  ou  moins  eleves ; 
a  droite  pour  les  eveques  et  autres  deputes 
du  clerge;  a  gauche  pour  les  chevaliers  de 
rordre,les  barons  et  autres  deputes  de  la  no- 
blesse ;  au  centre,  pour  les  deputes  du  tiers- 
etat.  Des  rois  d'armes  fermoient  I'entree  de 
I'enceinte  qui  separoit  les  deputes  d  une  foule 


70  ASSEMBLIES  NATIONALES 

de  spectateurs  que  la  curiosite  avoit  attires. 

Lorsque  tout  le  monde  eut  pris  place,  et 
qu'un  heraut  eut  crie  que  le  roi  vouloit  que 
tous  fussent  assis  et  couverts ,  le  chancelier 
alia  s'agenouiller  aux  pieds  du  roi,  comme 
pour  prendre  ses  derniers  ordres,  puis  re- 
venu  a  sa  place,  il  prononca  un  discours 
plein  de  I'esprit  de  sagesse,  de  tolerance,  et 
de  moderation,  dont  tous  les  actes  de  son 
administration  portent  I'empreinte.  Je  vais 
en  transcrire  une  partie. 

(t  II  est  certain  que  les  anciens  rois  avoient 
wcoutume  de  tenir  souvent  les  etats,  qui 
u  etoient  I'assemblee  de  tous  leurs  sujets  ou 
(t deputes  par  eux ,  et  nest  autre  chose  tenir 
a  les  etats,  que  communiquer  par  le  roi  avec 
uses  sujets  de  ses  plus  grandes  affaires, 
«  prendre  leur  avis  et  conseil ,  ouir  aussi 
« leurs  plaintes  et  doleances,  et  leur  pour- 
it  voir  ainsi  que  de  raison.  Geci  etoit  ancien- 
«  nement  tenir  le  parlement,  et  encore  a  re- 
((tenu  le  nom  en  Angleterre  et  Ecosse 

«  Les  etats  <^toient  assembles  pour  diverses 
«  causes,  et  selon  les  occurrences  et  les  oc- 
ucasions  qui  se  presentoient,  ou  pour  de- 


DE   FRANCE.    CHAP.   XXXI.  7 1 

«  mander  secours  de  (^^ens  et  deniers,  ou  pour 
«donner  ordre  a  la  justice  et  aux  gens  de 
« guerre,  ou  pour  les  apanages  des  enfants 
«  de  France ,  comme  advint  au  temps  du  roi 
«  Louis  XI ,  ou  pour  pourvoir  au  gouverne- 
u  ment  du  royaume,  ou  autres  causes.  Et  y 
tts^oient  et  presidoient  les  rois,  forsque  aux 
((^tats,  auxquels  fut  traitee  la  plus  noble 
« cause  qui  fut  oncques  (savoir  est  k  qui 
wdevoit  appartenir  le  royaume  de  France, 
(( apr^s  la  mort  de  Gharles-le-Bel,  a  Philippe 
«de  Valois,  son  cousin,  ou  bien  aEdouard 
((d'Angleterre);  le  roi  Philippe  n'y  pr^sida, 
« car  il  n'^toit  encore  roi,  et  etoit  partie. 

« II  est  sans  doute  que  le  peuple  recoit 
«  grand  bien  desdits  etats ;  car  il  a  cet  heur 
«d'approcher  de  la  personne  de  son  roi,  de 
« lui  faire  ses  plaintes ,  lui  presenter  ses 
«  requetes  et  obtenir  les  remedes  et  provi- 
«  sions  necessaires. 

«  Aucuns  ont  dout^  s'il  ^toit  utile  et  pro- 
«fi table  aux  rois  de  tenir  les  etats,  disant 
«  que  le  roi  diminue  aucunement  sa  puis- 
«sance  de  prendre  I'avis  et  conseil  de  ses 
«sujets,  n'y  ^tant  oblige  ni  tenuj  et  aussi 


"2  ASStMBLlfeES   NATI0NALE3 

(cqu'il  se  rend  trop  familier  a  eux,  ce  qui 
(( eiigendre  mepris,  et  abaisse  la  dignity  et 
«  majeste  royale. 

((Telle  opinion  me  semble  avoir  pen  de 
((raison.  Premi^rement,  je  dis  qu'il  n'y  a 
(( acte  tant  digne  dun  roi,  et  tant  propice  a 
(dui,  que  tenir  les  etals,  que  donner  au- 
(( dience  generale  a  ses  sujets,  et  faire  justice 
«a  chacun. 

(( Les  rois  ont  ete  elus ,  preraiferement 
((pour  faire  la  justice;  et  n'est  acte  tant 
(( royal  faire  la  guerre ,  que  faire  la  jus- 
((tice;  car  les  tyrans  et  les  mauvais  font  la 
((guerre  autant  que  les  bons  rois,  et  bien 
(( souvent  le  mauvais  la  fait  mieux  que  le  bon . 

(( Aussi  dedans  le  seel  de  France  n'est  em- 
(( ])reinte  la  figure  du  roi  arme  et  a  clieval , 
(( comme  en  beaucoup  d'autres  parties;  mais 
(( scant  en  son  trone  royal,  rendant  et  fai- 
(( sant  la  justice. 


((Combien  de  pauvretes,  d'injures,  de 
((farces,  d'injustices,  qui  se  font  aux  peu- 
{(  pies,  sont  cacliees  aux  rois,  qu'ils  ne  pen- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         78 

«  vent  ouir  et  eiiteiidre  qu'en  tenant  les  etats ! 
(( Cela  retire  les  rois  de  trop  charger  et  gre- 
«ver  leur  peuple,  d'imposer  de  nouveaux 
«  subsides,  de  faire  grandes  et  extraordinai- 
wres  depenses,  de  rend  re  offices  a  mauvais 
« jiiges,  de  bailler  eveches  et  abbayes  a  gens 
((indignes,  et  d'autres  infinis  maux  que, 
Msouvent  par  erreur,  ils  commettent;  car, 
('  la  pluspart  des  rois  ne  voyent  que  par  les 
«  yeux  d'autrui.^  et  n'oient  que  par  les  oreilles 
«  d'autrui,  et  au  lieu  qu'ils  dussent  mener  les 
wautres,  se  laissent  mener. 

« Ceux  qui  disent  :  Le  roi  diminue  sa 
« puissance,  ne  le  prennent  bien,  car  en- 
(c  core  que  le  roi  ne  soit  contraint  et  neces- 
«site  prendre  conseil  des  siens,  toutesfois 
(t  il  est  bon  et  lionnete  qu'il  fasse  les  clioses 
(( par  conseil ;  autrement  il  faudroit  oter 
« toutes  mani^res  de  conseil,  comme  le  prive 
(( parlement  et  autres. 

(( Theopompe  fut  roi  de  Sparte :  il  crea 
«  des  magistrats  c[ui  furent  appeles  les  eplio- 
«  res,  et  ordonna  que  les  rois  ne  f'eroient 
(taucune  chose  d'importance  sans  leur  con- 


74  ASSEMBLIES    NATION  ALES 

((Seil:  sa  femme  le  tanca,  lui  disant  que 
«  c  etoit  honte  k  lui  de  laisser  a  ses  enfants 
«  la  puissance  royale  moindre  qu'il  iie  I'avoit 
«  recue  de  ses  predecesseurs.  A  quoi  repondit 
«  Theopompe :  Moindre  n'est-elle,  mais  plus 
«  mod^ree;  et  ores  quelle  fut  moindre,  elle 
«  sera  par  ce  moyen  de  plus  longue  duree ; 
«  car  toutes  les  clioses  violentes  ne  durent 
«  gu^res. 

«  Reste  k  vous  raconter  du  mesnage  du 
«roy,  qui  est  en  si  pauvre  et  piteux  etat, 
(cque  je  ne  pourrois  le  vous  dire,  ne  vous 
(d'ouir  sans  larmes  et  pleurs;  car  jamais 
itpere,  de  quelque  etat  ou  condition  qu'il 
((fut,  ne  laissa  orphelin  plus  engage,  plus 
((cndette,  plus  empeche  que  notre  jeune 
(( prince  est  demeure  par  la  mort  des  rois 
(( ses  p^re  et  fr^re  (i). 


(i)  Nous  trouvons  dans  les  Memoires  de  Castelnau, 
liv.  II,  chap.  II,  les  details  suivants  sur  I'etat  du  tresor 
public  a  I'avenement  de  Charles  IX. 

«  Les  estats  trouverent  fort  estrange  que  le  roy  fut  en- 
«  dette  de  quarante  et  deux  millions  six  cent  et  tant  de 


DE  FRANCE.  CHAP.    XXXI.  'jS 

u  Tous  les  frais  et  d^penses  de  douze  ou 
« treize  annees  d'line  grande ,  lon^jue  et 
«  continuelle  guerre  sont  tomb^s  sur  luy : 
« trois  grands  manages  a  payer,  et  autres 
«choses  longues  a  reciter,  le  domaine,  les 
«  aides,  les  greniers  a  sel  et  partie  de  tailles 
V  alienes.  Sa  volonte  est  tr^s  sainte  de  vou- 
« loir  acquitter  la  foi  de  ses  predecesseurs ; 
«  en  cela  il  ne  refuse  se  r^duire  a  telle  me- 
«  sure  et  epargne,  qu'un  prive  seroit  con- 
(ttent,  pourvu  que  sa  majest^  royale  n'en 
«  soit  avilie. 

« II  a  recours  a  vous  comme  a  ceux  qui 
((  n'ont  jamais  failli  a  secourir  leurs  princes, 
«vous  demande  conseil,  avis,  et  moyen  de 


« livres,  vu  que  le  roy  Henri  II  venant  h  la  couronne, 
«  avoit  trouve  en  I'Espargne  dix-sept  cent  mille ecus ,  et  le 
u  quartier  de  Janvier  a  recevoir,  outre  le  profit  qui  venoit 
«  du  rachat  des  offices.  Et  si  n'estoit  du  que  bien  peu 
« aux  cantons  des  Suisses ,  que  Ton  n'avoit  pas  voulu 
«  payer,  pour  continuer  I'alliance  avec  eux.  Toutes  ces 
«  grandes  dettes  furent  faites  en  moins  de  douze  ans , 
«  pendant  lesquels  on  leva  plus  d'argent  sur  les  sujets 
«( que  Ton  avoit  fait  de  quatre-vingts  ans  auparavant, 
«  outre  le  domaine  qui  estoit  presque  tout  vendu.  n 


76  ASSEMBLEES  NATIONALES 

«  sortir  de  ses  affaires.  Ge  qui  vous  sera  plus 
«  aise  apr^s  en  avoir  vu  par  vous-memes 
«  I'etat,  ou  I'avoir  fait  voir  par  aucun  de  vos 
(( deputes  (i). » 


(i)  L'etat  dont  parle  le  chancelier  fut  mis  sous  les 
yeux  des  etats.  Je  vais  le  rapporter  tel  qu'il  est  consigne 
page  5oo,  tome  XI  du  recueil,  public  par  de  Mayer,  et 
intitule :  Des  Etats-generaux  et  autres  assemblees  natlonales. 
Paris,  1788,  18  vol.  in-S". 

ETAT  ABREGE  DES  RECETTES  ET  DEFENSES 

Faitespar  le  tresorierde  CEpargne,  M'  Raoid-Moreau, 
durant  Canneefinie  le  dernier  decembre  i56o. 

La  recette  totale  pour  ladite  annee  monte,  seloii 
I'etat  qu'en  a  bailie  ledit  Moreau,  a  la  somme  de  douze 
millions  deux  cent  cinquante-neuf  mille  neuf  cent  vingt- 
cinq  livres  six  sols  six  deniers. 

Mais  est  a  noter  qu'en  ladite  somme  sont  compris 
quatre  cent  vingt-sept  mille  six  cent  vingt-cinq  livres 
quinze  sols  deux  deniers,  d'une  part,  que  se  trouvent 
monter  les  mandements  et  rescriptions  qu'il  a  leves  sur 
les  deniers  de  I'annee  presente,  finissant  i56i  ,  qui  ont 
ete  revoques,  et  n'est  entree  et  issue  en  sondit  etat  la 
somme  de  deux  millions  huit  cent  quatre -vingt-trois 
mille  deux  cent  cinquante-trois  livres  sept  sols,  d'autres 
de  prets,  alienations,  traites,  et  autres  parties  extraor- 
dinaires,  par  lui  recus  durant  ladite  annee,  outre  les 
finances  ordinaires  d'icelles;  et  trois  cent  quatre-vingt- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         77 

Le  lendemain,  les  trois  ordres  se  retire- 
rent  cliacun  dans  un  local  separe.  Un  inci- 


quinze  mille  quatre  cent  trente-deux  livres  d'assi{jna- 
tions,  aussi  levees  sur  les  restes  des  comptes,  qui  ne 
peuvent  etre  pris  pour  revenus  ordinaires ,  ne  de  finances 
dont  on  puisse  faire  etat  certain. 

liv.       s.     d' 

Ci  ne'anmoins  la  somme  totale  de  re- 
cette 1 9,, 259, 925    6    6 

Et  la  defense  totale  dud  it  etat  en 
<3eniers  payescomptant,  et  assignations 
baillressurles  deniersde  ladite  recette, 
tant  de  ladite  annee  finie  (i5Go)  que 
dela  presente,  etautres  parties  extraor- 
dinaires  dessus  mentionnees,  monte  a 

la  somme  de 12,260,829  19  10 

S  avoir : 

Deniers  compiables ■7,698,499     2      i 

Pensions  ,  gnges  ,  et  entre- 
tenement,  tant  des  anne'es  pre- 
cedentcs  que  tie   la  presente.      i,o3o,753   i3     4 

Voyages  et  ambassadesmon- 
tent  i 198,476     3      I 

Dons,  presents,  recompen- 
ses ,  et  bienfaits ,  douze  cent 
soixante-trois  mille  sept  cent 
quatre-vingt-onze  livres  trois 
sols  liuit  deniers;  savoir,  pour 
les  menus  dons,  a  la  somme  de.  .  171,000     »      » 

Pour  autres  dons ,  fails  pour 
recompenses 6i6,4.'>8   18     4 


78'  ASSEMBLEES    NATIONALES 

dent  s'^leva  d'abord  :  plusieurs  deputes  de 
la  noblesse  et  du  liers-etat  represent^rent 
que  leurs  pouvoirs  etant  expires  a  la  mort 


liv.       s.      d. 

Report  de  la  recette 12,259,99,5     6     6 

Pour  gages ,  pensions ,  et  au- 
tres  deniers  comptables ,  et  en- 
core pour  autres  dons  assignes 
sur  parlies  et  deniers  extraor- 
dinaires,  dont  on  avoit  fait 
etat  pour  recompenses  de  ser- 
vices        538,694     7     8 

Achat  de  meubles ,  oiseaux , 
et  chevaux 5o,654     4    4 

Fondation  et  entretenement 
du  service  divin 1,260  11      » 

Remboursements  d'officiers 
alternatifs 124,795   10     » 

Deniers  payes  par  ordon- 
nances 210,734  10     8 

Deniers  payes  ^  I'acquit  du 
roi 1,556,179  i3     8 

Comptant  £s  mains  de  sa 
majest^ 9,209     »     » 

Gages   en  finances i4>346   i5     8 

Gardes  des  forets 21 ,487   to     » 

Quittances  de  M'  Jean 
Rayon ,  et  celles  des  gardes  des 
forets,  montant  k  la  somme  de         18,280     <•      ■ 

Total  de  la  defense 13,260,829   ig  lo 

Ainsi  seroit  du,  k  ce  dit  present  tre- 

sorier,  la  somme  de 904  i3     4 

Fait  k  Orleans,  lequinzieme  jour  dejanvier  i56o. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         79 

du  roi,  ils  ^toient  obliges  de  les  faire  renou 
veler.  Cette  question  ayant  et^  agit^e  dans 
le  conseil  du  roi ,  il  fut  arrete  qu'ils  n'avoient 
pasbesoin  de  nouvelle  commission,  attendu 
qu'en  France  le  roi  ne  meurt  pas. 

Cette  difficulte  r^solue  ,  chaque  ordre 
s'occupa  du  choix  de  son  orateur. 

Avant  la  mort  de  Francois  II ,  le  cardinal 
de  Lorraine  avoit  temoigne  qu  il  souhaitoit 
etre  nomme  orateur  des  trois  ordres  du 
royaume.  Sa  pretention  etoit  contraire  i 
I'usage  et  a  la  raison.  Neanmoins,  comme  il 
^toit  alors  tout-puissant,  on  ne  I'avoit  pas 
absolument  refuse,  et  Ion  s'etoit  content^ 
de  differer  de  lui  accorder  ce  qu'il  desiroit. 
Francois  II  etant  mort,  le  tiers- etat  rejeta 
formellement  la  proposition  du  cardinal,  le 
plus  grand  nombre  des  deputes  disant  qu'elle 
etoit  inouie,  et  que  d'ailleurs  ils  n'avoient 
garde  de  confier  leurs  interets  a  quelqu'un 
centre  qui  ils  avoient  ordre,  par  leur  commis- 
sion ,  de  porter  des  plaintes.  En  consequen<:e, 
Quentirij  professeur  en  droit  canon  dans  I'u- 
niversite  de  Paris,  fut  choisi  pour  etre  ora- 
teur du  clerge;  Jacques  de  Silly,  comte  de 


8o  ASSEMBLIES    NATIONALES 

Rochefort,  et  Jean  I'Aiige,  avocat  au  parle- 
ment  de Bordeaux,  furent  cliar^jes  d'etre  les 
organes,  Tun  de  la  noblesse, I'autre  du  tiers- 
etat. 

Ges  preliminaires  remplis,  les  etats  s'oc- 
cu parent  des  objetsque  le  discours  du  clian- 
celier  avoit  sourais  a  leur  deliberation ;  et  le 
premier  jour  de  Janvier,  le  roi,  accompagne 
comme  a  I'ouverture  des  ^tats,  se  rendit 
dans  la  salle  de  I'assemblee  g^nerale  ])our 
recevoir  les  cahiers  et  entendre  les  harangues 
des  orateurs  des  trois  ordres. 

Le  docteur  Quentin,  organe  du  clerg^, 
prit  la  parole,  et  se  livra  aux  declamations 
les  plus  violentes  contre  la  religion  refor- 
mee.  Voici  quelques  fragments  de  son  dis- 
cours : 

wNous  demandons,  sire,  nous  supplions, 
«  nous  requerons  instamment,  comme  cliose 
wplus  que  necessaire  h  I'integrite,  a  la  pure 
«et  sincere  fidelite  de  votre  royaume,  que 
udesormais  tout  commerce  de  quelconque 
(tmarcliandise,  livres,  ou  autre,  soit  inter- 
«dit,   nie,  et  defendu  a  tons  lieretiques, 


DE  FRANCE.  CHAR.  XXXI.  8 1 

usectateurs,  renovateurs,  et  d^fendeurs  de 
(( doctrine  ja  coiidamn^s. 

(( Certainement  tels  marcliandise  et  trafic 
(( ne  sont  qu'mi  vrai  monopole  d'heresie,  et 
vcsont  les  marchands  vrais  monopoleurs, 
uvendant  en  gros  et  publiquement  leurs 
udraps  etdenrees,  debitant  latilenient  leur 
« heresie  damnee.  Qui  ne  nous  croit-il  pas 
(( le  peut  voir,  tant  est  la  chose  decouverte. 

«  A  cette  cause,  sire,  nous  tres  humbles  et 
(( de vots  orateurs  du  clerge  de  votre  royaume 
a  vous  supplions  universelleraent  de  ne  plus 
(( admettreni  recevoir  tels  marcliandsa  quel- 
K  que  commerce  que  ce  soit. 

u  Si  Jeremias  visitoit  aujourd'hui  les  trois 
uetats  de  votre  royaume,  comme  il  visita 
« les  etats  de  Juda  et  Jerusalem ,  il  pourroit 
((faire  un  meme  rapport  a  son  Seigneur,  et 
udiroit  :  Je  n'ai  trouve  justice  ni  foi;  lo^s 
upretres,  les  peuples,  les  (grands,  et  les  pe- 
u  tits,  ont  rompu  le  frein  et  le  lien  de  la  loi : 
u  tu  les  as  affliges,  et  ils  n  ont  voulu  douloir ; 

2.  6 


82  ASSEMBLIES   NATIONALES 

« tu  les  as  attraits,  et  ils  se  sont  endurois ,  et 
(( n'ont  voulu  i  ecevoir  discipline. 

((Vous  supplions  aiissi  tres  hiimblement 
« prendre  pitie  el  compassion  de  nos  per- 
c(  sonnes  qui  prient  pour  vous,  nous  conser- 
«  ver  et  maintenir  en  nos  privileges  et  pre- 
«  rogatives,  qui  nous  sont  et  ont  ^te  baillees 
netiam  par  princes  lieretiques,  puis  apr^s 
((par  empereurs  chretiens,  et  de  rechef  par 
(( vos  pred^cesseurs  rois  tres  chretiens. 

((A  cette  cause,  n'ayant  egard  a  notre 
(( particulier,  raais  du  tout  a  votre  ame  et  de 
(( ceux  entre  les  mains  desquels  elle  est , 
((  nous  vous  requerons  et  interpellons,  sire, 
((comme  de  chose  qui  ne  se  pent,  ne  doit 
(( refuser,  de  vous  abstenir  de  prendre  sur  le 
(( clerge  decimes ,  emprunts,  subsides,  im- 
((  pots,  francs-fiefs,  et  nouveaux  acquets  ja 
((  deux  ou  quatre  fois  amortis,  payes  et  dont 
((  on  a  fait  finance. 

(( Pharaon,  parleconseilde  Joseph,  quand 
((il  rendit  le  peuple  juif  tributaire,  d^clara 
(( les  possessions  de  ses  sacrificateurs  etre 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXF.         83 

((immtmes  et  franchesde  toute  imposition, 
»  regale,  en  fit  loi.  » 

A  lorateur  du  clerg^  succede  celui  de  la 
noblesse. 

Apr^s  avoir  longuement  expose  les  ser- 
vices et  les  vertus  de  la  noblesse,  apres 
beaucoup  de  raisonnements  pour  ^tablir 
que  la  conservation  de  ses  privileges  im- 
portoit  eminemment  a  lagloire  du  trone  et 
au  bonheur  du  peuple,  lorateur  continue: 

«  Le  reglement  et  reformation  des  pretres, 
((sire,  se  pent  faire  quand  les  contraindrez 
((tous,  sans  nul  excepter,  de  resider  sur  les 
« benefices,  ainsi  que  deja  par  plusieurs 
«  ordonnanccs  et  edits  leur  avez  demande; 
uetla  ilscommuniqueront  le  bien  des  egli- 
uses  aux  pauvres,  et  se  mettront  en  devoir 
«  de  faire  leur  etat  de  precher. 

«  Telle  reformation  aussi  sera  louable  et 
((digne  dun  roi  tr^s  chr^tien,  quand  bail- 
ee lerez  les  benefices  a  personnes  capables, 
usuivant  les  arrets  et  conseils  de  la  tr^s 
K  sainte  Eglise  catholique;  si  les  baillez  au 
wconlraire,  vous  remettrez  vos  sujets  au 
u  plus  grand  trouble ,    abus ,   et  ignorance 

6. 


84  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

uque  jamais,  qiiand  ils  ne  pourroient  etre 
uinstruits  pour  le  devoir  qu'ils  ont  a  leiir 
«salut  et  a  votre  majesle;  et  vous,  sire,  en 
(( poiirrez  etre  responsable  devaiit  Dieu,  qui 
((Sen  pourroit  offenser,  tout  ainsi  que  I'on 
((dit  de  Theodoric  et  Theodebert,  qu'ils 
((Hioururent  miserablement,  pour  ce  qu'ils 
(( comnienc^rent  a  bailler  leurs  benefices 
((  par  faveur,  par  argent,  ou  par  ami,  et  s'y 
((  faisant,  delaisseriez  la  principale  partie  de 
((  votre  etat,  qui  est  d'etre  equitable,  et  faire 
((justice  a  tous. 

(( Car  ce  nest  assez  a  un  roi  d'etre  bon ,  s'il 
(( ne  profile  a  ses  sujets,  et  ne  veut  entendre 
(( leurs  plaintes  pour  y  remedier. 

(( Voila  comme  Dieu  avertit  les  roisa  bien 
((vivre*,  voila  comme  les  princes  prudents 
«  se  doivent  gouverner,  et  avec  leurs  sujets 
(( s'entretenir.  C'est  la  Sunamite  que  David 
((  aima;  c'est  cette  prudence  qui  faisoit  crain- 
((dre  Salomon;  c'est  elle  qui  fait  les  princes 
(( commander,  et  que  les  puissances  sont 
((adorees  en  administrant  justice,  sans  la- 
(( quelle  on  les  appelle  tyrans,  et  tout  le 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  85 

«  peuple  court  sur  eux,  comme  firent  les 
((Siciliens  contre  Denis  le  tyran  ,  et  les 
uAgrigentins  coiitre  les  Phalaris;  comine 
(( firent  les  Macedoniens,  qui  abandonne- 
«  rent  et  delaisserent  le  roi  Demetrius. 

«  Afin  que  nous  ayons  le  moyen  de  vous 
«  secourir  de  nos  forces  et  puissances,  sire, 
« il  vous  faut  maintenir  la  noblesse  en  ses 
« privileges  et  libertes,  aussi  antiques  que 
u  Finstitution  des  rois.  n 

L'avocat  Lan(>e,  orateur  du  tiers -^tat, 
prend  enfin  la  parole.  II  insiste  principale- 
ment  sur  deux  points,  la  reforme  del'Eglise, 
et  la  diminution  des  impots.  Je  ne  le  suivrai 
pas  dans  tons  ses  raisonnements;  j'en  trans- 
cris  seulement  les  lignes  suivantes  : 

(( II  semble  a  votre  pauvre  peuple  que 
utrois  vices  principaux  pullulent  entre  les 
uministres  de  la  relig^ion^  savoir,  I'iono- 
« ranee,  Tavarice,  et  superfine  depei>^,  ou 
«  pompe  des  ministres. 

« Quant  a  Tignorance  commune  de  la 
(<  plupart  de  ceux  qui  tiennent  les  premiers 


86  ASSEMBLIES  NATIOINALES 

(( lieux  en  FEglise,  jusqu'au  moiiidre,  elleest 
V  si  notoire,  qu'il  n'y  a  lieu  de  la  i  evoquer  en 
(( doute. 

((Comine  aussi  Fexperience  montre,  ou- 
« tre  le  temoignage  des  anciens ,  que  I'igno- 
u  ranee  est  non  seulement  la  mere,  mais  la 
unourrice  de  toute  erreur;  et,  dit  Platon, 
«  apr^s  avoir  entrepris  de  faire  un  long  dis- 
(tcours,  pour  montrer  que  c'est  par  Figno- 
«  ranee  que  de  tr^s  grauds  potentats  ont  ete 
(( perdus,  et  que,  dememe cause,  semblables 
(cevenements  peuvent  en  suivre;  partant 
((que  tous  les  legislateurs  doivent  travailler 
((a  donner  a  leurs  citadins  la  prudence,  et 
((Oter  den  tre  eux  I'ignorance. 

(( L'autre  vice,  que  Ion  voit  aujourd'hui 
(( pulluler  entre  les  personnes  ecclesiasti- 
«  ques,  est  le  luxe  et  la  superfine  depense  et 
((pompe  des  prelats,  qui  par-la  cuident  re- 
(( presenter  la  grandeur  de  Dieu  par  leur 
((granae  autorite,  bieu  que  ce  soit  tout  le 
((  contraire,  qu'ils  le  doivent  representer  par 
(( foi  et  int^grite  de  vie. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  87 

(t  Aux  troisi^me  et  quatri^ine  conciles  cle 
u Carthage,  il  fiit  ordonne  que  les  eveques 
uauroient  pr^s  le  temple  leur  petite  loge, 
M  garnie  de pauvre  menage,  et  viyroient  pe- 
« titement  la  oil  aujourd'hiii  on  voit  tout  le 
wcontraire:  mais  y  auroit  plutot  lieu  d'en- 
«  trer  en  comparaison  d'entre  eux  et  les  an- 
«  ciens  rois  d'Orient  et  des  Indes. 

(( Quant  au  tiers-etat  et  au  pauvre  peuple, 
«  en  ce  qui  est  en  soi,  il  vous  supplie  tr^s 
« liumblement,  sire,  de  croire  qu'il  est  ap- 
«  pauvri  et  surcharge;  qu'il  ne  lui  reste  que 
« le  seul  nom  et  la  seule  vie,  pour  etre  em- 
«  ploye  a  votre  devotion  et  service,  denui^ 
«  de  toute  chevance. 

((  Sire,  une  des  choses  moins  convenables 
«  a  un  roi,  c'est  qu'aucuns  ne  partent  de  lui , 
(( et  de  devant  sa  majeste  raal  contents  on 
« tristes,  ce  que  pourroit  faire  votre  peuple, 
«si  d'aventure  leurs  deputes  et  delegues  re- 
wtournoient  ^s  pays  et  provinces  d'oii  ils 
wsont  venus  a  si  grands  frais,  sans  reponse 


88  ASSEMBLEES   INATIOISALES 

(( raisonnable  sur  les  requetes  et  demandes 
«qui  voiis  ont  ete  faites  presentement,  et 
(( autres,  contenues  en  leurs  caliiers.  » 

En  rapprochant  ces  quatre  di scours,  on 
voit  que  le  chancelier  demande  une  aug- 
mentation d'impot;  que  le  clerpjC  repond 
negativement;  que  Ja  noblesse  n'offre  rien, 
et  que  le  tiers-^tat,  loin  d'accueillir  la  de- 
mande du  chancelier,  soUicite  un  de.oTeve- 
ment. 

Dans  un  pareil  etat  de  choses,il  nerestoit 
qu'une  seule  ressource,  Teconomie.  Gette 
providence  des  empires  fut  invoquee  par  le 
plus  {^rand  nombre  des  deputes.  lis  denian- 
derent  que  Ton  revint  sur  les  pensions  pro- 
diguees  par  les  deux  derniers  rois  a  leurs 
courtisans  \  que  la  plupart  fussent  suppri- 
mees,  et  que  toutes  fussent  reduites. 

Le  roi  de  Navarie  ( Antoine  de  Bourbon  ) 
declara  que  si  Ton  jugeoit  ses  ])ensions  trop 
fortes,  il  consentoit  qu'elles  fussent  dimi- 
nu^es.  II  ajouta  meme  qu'il  etoit  pret  a  re- 
lYiettre  dans  les  coflres  du  roi  ce  qu'il  avoit 
recu  au-dela  des  sonimes  auxquelles  on  les 
fixeroit. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         89 

On  ne  pent  pas  en  douter,  ces  reductions 
eprouv^rent  la  plus  vive  resistance,  nolam- 
inent  de  la  part  des  Guise;  mais  la  resolu- 
tion des  ^tats  les  rendoit  necessaires,  et  la 
cour  se  resigna.  Les  appoin tern ents  des  of- 
ticiersdela  niaison  du  roi  fnrentdiminoes 
de  moitie,  et  les  pensions  furent  reduites  au 
tiers  (1). 

La  grande  affaire  de  Catherine  de  Medicis 


(1)  Nous  lisons  dans  les  Memoires  de  Castelnau,  cha- 
pitre  11: 

i(  Les  estats  qui  ne  scavoient  pas  le  fonds  des  finances, 
11  trouverent  fort  estrange  que  le  roy  fut  endette  de 
«  quarante  et  deux  millions  six  cent  et  tant  de  livres, 
II  vu  que  le  roy  Henri  II  venant  a  la  couronne  avoit 
« trouve  en  I'Espargne  dix-sept  cent  mille  ecus,  et  le 
a  quartier  de  Janvier  a  recevoir,  outre  le  profit  qui  venoit 
«  du  racliat  des  offices. 

«  Plusieurs  deputez  furent  d'advis  que  I'on  devoit  con- 
»i  traindre  ceux  qui  avoient  nianie  les  finances  depuis  la 
ii  mort  de  Francois  I",  a  rendre  corapte,  et  repeter  les 
"  dons  excessifs  faits  aux  plus  grands.  Mais  cela  fut  pour 
'dors  rabattu,  parceque  ceux  qui  estoient  comptables 
«  estoient  trop  puissants ,  et  par  consequent  c'estoit  se 
i<  remettre  en  danger  de  quelque  nouveau  trouble  ,  si 
><  Ton  les  vouloit  rechercher.  Mais  Von  ad  visa  de  faire  1«^ 


go  assembli5;es  nationales 

etoit  d'obtenir  des  etats  la  reconnoissance  de 
son  autorite.  Cette  reconnoissance  agitoit 
forteraent  les  esprits  et  partageoit  les  de- 
putes. Le  roide  Navarre,  fidele  a  la  promesse 
qu'il  avoit  faite  a  la  reine,gardoit  le  silence; 
mais  il  etoit  porte  a  la  regence  par  les  re  for- 
mes qui  le  regardoient  comme  leur  chef,  et 
par  le  connetable  de  Montmorenci  qui  crai- 
gnoit  que  les  Guise  ne  parvinssent  a  se  res- 
saisir  du  pouvoir,  s'il  residoit  dans  les  mains 
de  Catherine. 

Dans  I'esp^rance  de  calmer  cette  agita- 
tion ,  la  reine-mere  fit  faire  par  son  conseil 
un  reglement  conforme  a  Tedit  de  1 407 , 


"  nieilleur  menage  qu'il  seroit  possible ,  en  retenant  una 
"  partie  des  gages  des  officiers  pour  cette  annee-la. 

"  L'on  retrancha  de  plus  toutes  les  depenses  de  la 
"venerie,  et  de  plusieurs  autres  offices,  qui  sembloient 
(lestre  inutiles;  car  il  y  avoit  lors  en  la  maison  du  roy 
«  plus  de  six  cents  officiers  de  toutes  qualitez.  >» 

J'ajoute  queces  projets  de  reforme  alarmerent  tellement 
le  due  de  Guise,  le  connetable  de  Montmorenci,  et  le 
marechal  de  Saint- Andre,  qu'ils  se  reunirent,  et  for- 
nierent  ce  triumvirat  dont  il  est  si  souvent  parle  dans 
les  Mewoires  contempora'ms. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  9 1 

c'est-4-dire  qui  lui  laissoit  la  tutele  du  roi 
mineur,  mais  qui  conferoit  I'exercice  de  la 
puissance  publique  a  un  conseil  de  regence 
dont  elie  n'avoit  que  la  presidence:  elle  etoit 
bien  sure  quelle  parviendroit  k  rattacher 
toute  I'autorite  a  ce  titre  de  presidente. 

Ce  reglement  se  compose  de  sept  articles, 
dont  les  trois  premiers  portent : 

Art.  i^*^.  c(  Le  roi  veut  et  en  tend  que  dore- 
navant  tous  les  gouverneurs  de  province  et 
capitaines  de  place  qui  se  trouveront  a  la 
cour,  et  qui  auront  quelques  demandes  a 
faire  relatives  a  leurs  charges,  s'adressent 
d'abord  au  roi  de  Navarre  pour  en  faire  le 
rapport  a  la  reine-m^re,  laquelle  en  ordon- 
nera  de  I'avis  du  conseil : 

Art.  2.  u  Que  tous  memoires,  lettres  ou 
avis  relatifs  a  I'administration  civile  ou  nii- 
litaire ,  soient  adresses  directemen t  a  la  reine- 
m^re ,  qui  en  prendra  connoissance,  les 
communiquera  ensuite  au  roi  de  Navarre 
jx)ur  prendre  son  avis,  puis  les  portera  au 
conseil,  oil  ils  seront  r^pondus; 

Art.  3.  (( Que  les  reglements  qu'il  convien- 
dra  de  faire  par  rapport  a  la  justice,  a  la  po- 


92  ASSEMBLIES   NATIONALES 

lice  et  aux  finances,  soient  discutes  dans  le 
conseil,  en  presence  de  la  reine-mere,  redi- 
ges  par  le  secretaire  d'etat  du  departement , 
conforraenient  a  I'arrete  du  conseil,  puis 
scelles  par  le  cliancelier,  sans  qu'il  en  soit 
jamais  expedie  autrement. » 

On  joignit  a  ce  reglement  la  liste  des  per- 
sonnes  qui  devoient  composer  le  conseil  d'e- 
tat. Presente  aux  trois  ordres  par  le  clian- 
celier et  par  Morviliers,  eveque  d'Orleans, 
ce  reglementfut  unanimement  accueilli  par 
celui  du  clerge;  mais  dans  les  deux  autres, 
et  notamment  dans  celui  de  la  noblesse,  il 
eprouva  la  plus  forte  opposition.  Le  parti 
qui  pretendoit  que  la  regence  devoit  appar- 
tenir  au  roi  de  Navarre,  en  sa  qualite  de  pre- 
mier prince  du  sang,  presenta  au  roi  et  a  son 
conseil  une  requete  par  laquelle  il  declaroit 
c[ue  bien  qu'il  appartint  incontestableraent 
a  la  nation  dont  ils  etoient  les  representants 
de  regler  I'administration  generale  dans  un 
temps  de  minorite,  et  de  former  le  conseil 
d'etatconjointement  avec  les  prlncesdu  sang, 
il  etoit  vrai  cependant  que  dans  la  conjonc- 
ture  presente    ils  se  trouvoient  ^galement 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  g3 

incompetents,  et  pour  proceder  k  ce  choix , 
et  pour  donner  leur  avis  sur  les  deux  pieces 
c{ui  leur  avoient  ete  presentees  par  le  clian- 
celier  et  I'eveque  d'Orleans,  parcequ'ils  n'a- 
voient  recu  aucun  pouvoir  a  cet  e^ard  de  la 
partde  leurs  commettants,  qui  n'avoient  pu 
ni  dii  prevoir  le  cas  qui  se  presentoit*,  qu'en 
consequence  ils  n'approuvoient  ni  ne  desap- 
prouvoient  ce  pretendu  regalement ;  qu  il 
leur  paroissoit  de  toute  necessite ,  si  Ion 
vouloit  proceder  legalement  dans  cette 
grande  affaire ,  que  le  roi ,  de  Favis  des 
princes  du  sanf^f,  convoquat  une  seconde 
fois  les  etats  provinciaux,  et  permit  aux  de- 
putes qui  se  trouvoient  a  Orleans  d'aller  les 
consulter  et  se  procurer  de  nouvelles  in- 
structions; que  jusqua  ce  que  cette  forma- 
lite  cut  ete  remplie,  ils  s'opposoient  a  tout 
ce  qui  seroit  propose,  delibere  et  arrete  en 
cette  matiere. 

La  reine-mere,  qui  etoit  parvenue  a  se 
procurer  la  majorite  dans  les  trois  ordres, 
rejeta  cette  requete,  et  declara  imperieuse- 
ment  quelle  entendoit  que  son  rej^lement 
flit  execute. 


94  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

Les  partisans  de  la  r^forme,  qui  n'en  com- 
prirent  que  mieux  combien  il  leur  impor- 
toit  que  le  roi  de  Navarre  fut  investi  de  la 
regence,  present^rent  une  seconde  requete 
beaucoup  plus  energique  que  la  premiere, 
et  dans  laquelle,  abordant  franchement  la 
question  ,  ils  s'efforc^rent  d'etablir  qu'en 
France  le  gouvernement  du  royaume,  pen- 
dant la  minorite  du  roi,  appartient  de  droit 
au  premier  prince  du  sang.  Nous  lisons 
dans  cette  requete :  «  Nous  savons  que  le  bas 
«  age  du  roi  le  laisse  expose  a  la  seduction , 
«  aux  surprises  et  aux  importunites  de  tout 
(I  ce  qui  Ten  ton  re,  et  que  notre  devoir  est  de 
(( Ten  preserver.  Nous  blesserions  done  notre 
(thonneuret  notre  conscience  en  acc^dant 
ua  Tarrangeraent  qu'on  nous  propose  sans 
«nous  etre  bien  assures  auparavant  que 
(( ceux  a  qui  Ion  a  donne  entree  dans  le 
«  conseil  sont  veritablement  dignes  d'y  te- 
«  nir  place.  Nous  ne  formons  aucune  pre- 
Ktention  nouvelle;  nous  ne  demandons  que 
«  ce  qui  s'est  constamment  pratique  parmi 
('  nous ;  car,  pour  ne  pas  reraon  ter  a  des  temps 
((trop  anciens,  Ihistoire  nous  apprend  que 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  gS 

«« lorsque  Blanche  de  Castille,  m^re  de  saint 
«  Louis,  voulut  I'appliquer  aux  etudes  dans 
« Tuniversite  de  Paris,  les  ^tats-g^n^raux 
tt  formerent  un  conseil  d'administration 
(( compose  de  savants  legistes  et  de  notables 
((chevaliers;  qu'en  i32y,  a  la  mort  de  Char- 
«les-le-Bel  qui  laissoit  lareine  enceinte,  les 
«etats-generaux  assembles  decern^rent  la 
«  regence  a  Philippe  de  Valois  ( i ) ;  que,  sous 
« la  minorite  de  Charles  V I ,  ces  memes  etats 
((assembles  a  Paris  la  decern^reiit  au  due 
(( d'Anjou,  quoiqueCharles  V  en  eutordonne 
((autrement  par  son  testament;  qu'apr^s 
(( I'infortune  survenue  a  ce  meme  Charles VI 
(( pres  de  la  ville  du  Mans,  ils  s'assembl^rent 
(( de  nouveau  pour  donner  ordre  a  I'admi- 
« nistration ,  tant  que  dureroit  letat  de  de- 
(( mence  oil  il  etoit  tombe;  qu'enfin  les  der- 
(( niers  etats-generaux  tenus  a  Tours  sous 
(( la  minorite  de  Charles  VIII  coop^r^rent 


(i)  Ces  deux  assemblees,  uniquement  composees  des 
grands  du  royaume,  et  auxquelles  letiers-etat  ne  fut  pas 
appele,  n'etoient  pas  des  etats-ge'neraux ,  mais  de  simples 
assemblees  de  notables. 


96  ASSEMBLEES   NATIONALES 

«  avec  les  princes  du  sang  a  la  formation  dii 
(( conseil  d'etat,  selon  le  temoignage  de  Phi- 
«  lippe  de  Comines  qui  en  etoit  membre.  « 

Cetle  requete  ne  fut  pas  mieux  accueillie 
que  la  precedente;  et  oomme  le  dit  le  chan- 
celier  de  L'Hospital  dans  son  testament  (i): 
Les  etats  induicts  par  eqiiite;  car  qiiy  a-t-il  de 
plus  equitable  que  de  donner  la  charge  et  tu- 
tele  du  fils  a  la  mere?  estarit  done  yceulx  in- 
duicts parequite,  ET  EN  NOSTRE  GONTINUELLE 
POURSUITE,  donnerent  a  la  reine-mere  la  charqe 
et  tutele  du  roy  et  de  ses  biens ,  lui  associant 
pour  ayde  et  conseil  le  roy  de  Navarre. 

Enfin,  par  suite  des  deliberations  des 
etats,  et  peu  de  temps  apr^s  leur  cloture, 
parut  un  edit  de  tolerance,  par  lequel  il 
etoit  en  joint  aux  juges  de  rendre  la  liberte 
et  les  biens  a  ceux  qui  en  avoient  ete  prives 
pour  cause  de  religion.  Le  meme  edit  portoit 
defense  a  tous  les  sujets  du  roi,  sous  peine 


(i)  Ce  lestament  est  imprime  dans  le  Recueil  des  ceuvres 
completes  de  V Hospital,  tome  II,  recueil  precieux  que 
nous  devons  aux  laborieuses  veilles  de  M.  Dufey ,  avocat 
a  la  Cour  royale  de  Paris. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  9-7 

tie  la  vie,  de  s'attaquer  les  uns  les  autres,  a 
1  occasion  de  la  diFference  des  dogmes. 

Ainsi  furent  resoles  les  trois  points  soiimis 
a  la  deliberation  des  etats.  Le  vide  du  tresor 
public  fut  comble  par  un  retranchement 
dans  les  depenses;  les  troubles  religieux  fu- 
rent calmes  par  un  edit  de  pacification  entre 
les  catholiques  et  les  reformes.  Enfin  Cathe- 
rine de  Medicis,  sous  le  double  titre  de  tu- 
trice  du  roi  mineur,  et  de  presidente  du 
conseil,  exerca  toute  I'autorite  dune  veri- 
table  r^gente. 

Cependant  les  etats-generaux  ne  furent 
])as  dissous,  mais  prorogues  au  mois  de  mai 
suivant,  epoque  a  laquelle  il  fut  arrete  qu'ils 
se  reuniroient,  non  a  Orleans,  mais  a  Pon- 
toise. 

On  devine  aisement  le  motif  de  cette  pro- 
rogation. La  regente,  qui  apparemment  ne 
trouvoit  pas  dans  le  retranchement  des  pen- 
sions des  ressources  suffisantes,  prit  cette 
mesure  dans  I'esperance  que  les  deputes, 
qui  jusqu'alors  ne  lui  avoient  donne  que 
des  conseils,  se  determineroient  enfin  a  ve- 
2.  7 


98  ASSEMBLEES  NATIONALES 

nir  ail  secours  du  tiesor  public  dune  ma- 
niere  plus  efficace. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  etats  se  reunirent  a 
Pontoise,  etpeude  temps  apresfurent  tians- 
feres  a  Saint-Germain.  J'emprunte  les  de- 
tails que  Ion  va  lire  au  plus  sage,  au  plus 
veridique  de  nos  historiens(i). 

«Nous  avons  dit  que  les  etats  etoient 
(( convoques  pour  le  mois  de  miai :  depuis  ils 
((furent  proroges  jusqu'au  mois  d'aout.  Au 
«  commencement  de  ce  mois,  ils  s'assembl^- 
((  rent  a  Pontoise,  ainsi  qu'il  avoit  et^  regie ; 
«  mais  peu  apres  ils  furent  transferes  a  Saint- 
((  Germain.  Les  cardinaux,  dans  la  premiere 
a  seance,  voulurent  disputer  la  preseance 
(( aux  princes  du  sang ,  et  ne  I'obtinrent 
«  point.  Le  cardinal  de  Tournon,  doyen, 
w  et  les  cardinaux  de  Lorraine  et  de  Guise 
((  se  retirerent  de  I'assemblee  fort  irrites  de 
«  ce  que  les  cardinaux  de  Chatillon  et  d  Ar- 
«  magnac  ne  suivoient  point  leur  exemple. 

«  La  plupart  des  deputes  etoient  peu  fa- 


(1)  De  Thou,  Hisloi  re  universe  lie,  livre  XII. 


DE    I  UANCE.    CHAP.    XXXI.  99 

(( vorables  aux  (?cclosiastiqucs.  II  fut  pro- 
upose,  pour  acquitter  les  dettes  publiques, 
((  de  prendre  tous  Ics  revenus  des  benefices 
«  de  douze  mille  livres  et  au-dessus,  et  de 
((  ne  laisser  que  trois  mille  livres  par  an  aux 
« titulaires;  de  prelever  la  moitie  des  reve- 
'f  nus  des  benefices  de  trois  mille  livres,  le 
"tiers  de  ceux  qui  n'en  rapportoient  que 
(( mille,  et  le  quart  de  ceux  qui  n'^toient  que 
ade  cinq  cents;  d'oter  aux  ordres  religieux 
((tout  ce  qu'ils  possedoient  au-dela  de  ce 
((  qui  etoit  necessairc  pour  la  subsistance  de 
(( leurs  communautes,  etdevendrecesbiens, 
«  ainsi  que  toutes  les  maisons  qui  apparte- 
(dioient  aux  beneficiers,  excepte  celles  qui 
((servoient  a  log^er  les  eveques  et  les  clia- 
((  noines.  Cette  vente,  disoit-on,  devoit  pro- 
(( duire  six-vin(i;ts  millions.  La  noblesse 
(( supplia  aussi  le  roi  de  supprimer  les  juri- 
((  dictions  des  ecclesiastiques  et  de  les  reunir 
(( au  domaine.  On  demanda  de  plus  la  re- 
((  vocation  du  dernier  edit,  qui  defendoit  les 
((  preclies  des  protestants. 

(( Ces  propositions  et  ces  demandes  alar- 
((  m^rentle  clerj^e.  Pour  conjurer  la  tempete 


lOO  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

udont  il  etoit  menace,  et  pour  calmer  la 
((jalousie  que  donnoient  ses  richesses,  il 
((  off'rit,  de  son  propre  mouvement,  de  payer 
((  pendant  six  annees  quatre  decimes  par  an. 
«I1  calma  ainsi  les  e8prits(i);  et  la  reine- 


(i)  Ce  secours  ayant  ete  reconriu  insuffisant  pour  sub- 
venir  aux  frais  de  la  malheureuse  guerre  de  religion  qui 
dechiroit  la  France,  le  23  mars  i563  le  roi  se  rendit  au 
parlement,  et  y  fit  enregistrer  un  edit,  portant  qu'il  se- 
roit  vendu  une  partie  notable  des  hiens  du  clerge:  la 
difficultc  resultoit  de  I'opinion  que  les  biens  de  I'Eglise 
ne  pouvoient  etre  alienes  que  du  consentement  du  pape. 
Le  roi  avoit  deinande  ce  consentement,  mais  la  reponse 
n'arrivoit  pas.  Le  chancelier  de  L'Hospital  etablit,  dans 
un  discours  fort  energique,  que  Ton  devoit  s'en  passer. 
Voici  un  fragment  de  ce  memorable  discours :  «  Consi- 
(I  derez,  dit-il,  s'adressant  aux  magistrals,  qu'il  s'agit  du 
a  salut  de  la  vie  et  des  biens  de  tant  demiliiers  d'hommes. 
w  Vous  savez  que  la  fureur  de  cette  guerre  tombe  plus 
«  sur  les  gens  d'eglise  que  sur  les  autres.  Le  roi  au- 
«  roit  desire  garder  la  solemnite  de  droit;  et  pour  ce  il  a 
«  envoye  un  gentilbomme  au  pape.  On  ne  sait  comme 
«  il  le  prendra;  on  desireroit  qu'il  n'usat  de  longueur  au 
«  mal  qui  si  fort  nous  poinct;  mais  quand  la  necessite 
«  est  telle  qu'elle  ne  pent  souffrir  I'attente  ^  il  faut  passer 
« par-dessus  la  solemnite:  il  faut  faire  et  executer,  et 
«  puis  r'ecrire.  Commencons  par  le  fait,  la  solemnite 
«  suivra,  etg.  » 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXXI.  lOr 

«  mere,  en  faisant  congedier  les  etats,  se  de- 
« livra  des  embarras  c[iie  cette  assemblee  lui 
(( causoit. )) 

Avant  la  cloture  des  etats,  chaque  ordre 
avoit  presente  au  roi  le  cahier  de  ses  dolean- 
ces,  c'est-a-dire  I'exposition  franche  et  fidele 
des  vices  de  son  {jouvernenient,  des  torts  de 
ses  ministres,  des  j^riefs,  des  besoins,  et  des 
voeux  de  Ja  nation.  Leiir  etendne  ne  me  per- 
met  que  den  rapporter  quelques  fragments; 
car,  aujourdliui  plus  que  jamais,  il  faut  etre 
court,  si  Ton  veut  etre  lu.  Je  dirai  toutefois 
que,  malgre  les  changements  survenus  dans 
notre organisation,  il seroita  desirer  que  nos 
hommes  d'etat,  que  tous  ceux  qui  figurent 
dans  nos  assemblees  politiques,  daignassent 
porter  leursregardssurcesremontrances,  et 
en  faire  quelquefois  le  sujet  de  leurs  medi- 
tations. Elles  peuvent  aussi  servir  a.  resou- 
dre  une  question  souvent  agitee,  la  question 
de  savoir  si  les  temps  anciens  ne  sont  pas  de 
beaucoup  preferables  aux  temps  modernes. 

J'ouvre  les  remontrances  du  tiers-etat,  et 

((Bon  nombre  des  nobles  de  ce  royaume 


I02  ASSEMBLEES  NATIONALES 

tlegenerant  de  I'lioniietete  et  vertu  de  leurs 
ancetres,  et,  oubliant  leur  propre  devoir, 
font  plusieurs  actes  indignes  de  leur  noni 
etrace,  abusant  des  armes  et  de  la  faveur 
qu'ils  rencontrent  a  I'endroit  des  princes  et 
grands  seigneurs,  a  I'oppression  de  leurs  su- 
jets  et  inferieurs,  et  parl'ois  a  faire  force  et 
violence  aux  ministres  de  justice. 

u  On  ne  sauroit  decrire  les  extorsions, 
travaux,  et  entreprises  que  plusieurs  sei- 
gneurs font  sur  leurs  pauvres  sujets,  les 
distrayant  par  contrainte  de  leur  labeur, 
pour  les  envoyer  a  corvees  particuli^res, 
comme  voitures,  chariages ,  journees,  et 
aides  et  autres  semblables  qu'ils  leur  font 
faire,  dont  ils  ne  leur  font  aucun  paiement, 
en  sorte  que  le  pauvre  laboureur,  qui  n'a 
aucun  moyen  de  vivre  que  son  labeur,  apr^s 
avoir  travaille  long-temps,  se  trouve  le  plus 
souvent  sans  moyen  de  pouvoir  substanter 
lui,  sa  ferame  et  famille. 

«  Se  trouvent  aussi  plusieurs  de  ladite  no- 
blesse qui,  par  mauvais  manage,  ou  pour 
etre  de  mauvaise  maison,  on  qiielqiiefois  pui~ 
nes,    voulant    entretenir    etat    de    maison 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.        Io3 

giande  et  n'ayaiit  revenu  pour  y  fournir, 
coiitraigncDt  les  paiiv  res  {^ensetleurs  veuves 
a  pactiser  avec  eux  de  plusieurs  contribu- 
tions, tant  de  (grains  en  especes,  pailles  et 
autresclioses  pareilles,  sous  couleurde  quel- 
que  droit  particulier  par  eux  pretendu , 
dont  ils  n'ont  aucun  titre  qu'une  usurpation, 
et  le  plus  souvent  le  prennent  sous  couleur 
de  la  faveur  et  moyen  qu'ils  disent  avoir  de 
les  exempter  des  gens  de  guerre. 

(( Et  si  les  pauvres  paysans  refusent  ladite 
contribution  ou  corvee  pour  n'en  avoir  pos- 
sible le  moyen,  ne  faudroHt  d'avoir  leurs 
maisons  pleines  de  soldats  et  gens  d'armes  a 
la  premiere  occasion,  ou  bien  feront  susci- 
ter  quelques  querelles  particulieres  par  un 
tiers  auquel  ils  donneront  assistance  de 
force,  et  a  cette  occasion  seront  les  pauvres 
gens  pilles,  battus  et  outrages,  et  si  tant  est 
que  la  justice  sen  veuille  meler  et  en  pren- 
dre connoissance,  ils  osent  bien  entrepren- 
dre,  non  seulementderesister  aux  ministres, 
raais  aussi  les  forcer  et  outrager. 

u  Avec  tons  ces  maux,  lesdits  pauvres  su- 
jets  sont  surcharges  par  leurs  seigneurs  d'au- 


Io4  ASSEMBLEES  NATIONALES 

tres  droits  qu'ils  veuleiit  prendre  sur  eux, 
qui  ne  leur  sont  dus,  et  toutefois  les  pren- 
nent  et  levent;  les  uns  entreprennent  les 
pauvres  habitants ,  leurs  communes  et  patu- 
rages,  et  les  appliquent  a  leur  profit  parti- 
culier;  les  autres  veulent  faire  leurs  fours, 
moulins,  pressoirs  et  autres  choses  sembla- 
bles ,  banaux ,  et ,  sous  couleur  de  cette  ba- 
nalite,  leur  faire  payer  plus  trois  fois  poui- 
leurcuisson,  mouture,  et  pressurage,  qui! 
ne  leur  couteroit  s  ils  n'etoient  asservis  aux 
choses  susdites. 

«Les  autres  pretendent  droit  de  ban  par 
certaine  saison  de  I'annee,  pour  vendre  vin , 
encore  qu'ils  n'aient  vignes  ni  ceps  a  eux 
appartenant  en  leurs  seigneuries. 

u  Les  autres  usurpent  droits  de  louage, 
fouages,  gruerie ,  peche  et  autres  droits;  les 
autres  exigent  champart  de  leurs  sujets,  qui 
ne  leur  est  du,  et  s'il  leur  est  du,  le  prennent 
plus  grand  qu'il  ne  leur  appartient. 

«Les  pres  desdits  seigneurs  fauches,  em- 
pechent  leursdits  sujets  de  mener  paitre 
leurs  betes  en  iceux,  sans  leur  en  payer  tri- 
but,   encore  qu'il  ne   puisse  s'y    faire  au- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  Io5 

cun  dommage ,  et  n^anmoins ,  si  les  sei- 
gneurs tienneiit  sur  les  lieux,  eux,  leu  is 
receveurs  ou  fermiers  scavent  bien  envoyer 
leur  bestail  par-tout  sur  les  possessions  de 
leurs  sujets. 

M  La  concussion  plus  communement  pra- 
tiquee  est  que,  s'il  advient  que  les  seigneurs 
aient  proces  ou  malveillance  contre  leurs 
justiciables,  pour  quelque  legere  occasion 
que  ce  soit,  leur  envoient  des  gens  de 
guerre  en  leurs  maisons,  par  le  moyen 
dliommes  empruntes,  parlesquels  les  pau— 
vres  gens  sont  battus,  niolestes,  et  travailles 
en  toutes  sortes  \  si  bien  que  par  telles  voies 
indues,  ledit  pauvre  peuple  est  reduit  a  I'ex- 
tremite. 

((  Plusieurs  se  sont  ingeres  doter,  de  fait 
et  de  force,  a  plusieurs  pauvres  gens  et  habi- 
tants des  villes  et  villages  de  ce  royaume, 
bois ,  usages  et  pasturages ,  desquels  ils 
avoient  accoutume  de  jouir  de  tout  temps 
imnieinorial,  ou  par  privilege  des  feus  rois, 
sans  contredit  ou  empecliement,    jusqu'au 


Io6  ASSEMBLEES  NATIONALES 

temps  du  feu  Henri  \  et  quelques  particuliers 
sen  sont  em  pares  de  force,  pretendant  en 
avoir  don  de  lui ,  au  grand  detriment  et  pre- 
judice de  ses  pauvres  sujets,  lesquefe  ont  ete 
prives ,  a  cette  occasion ,  de  si  pen  de  moyens 
qu'ils  avoient  d'entretenir  leur  bestail  et 
menag^e,  dont  ne  revient  aucune  chose  au 
profit  dudit  seigneur,  et  ses  droits  n'en  sont 
aucunement  accrus. 

(c  Les  gentilshommes  et  autres,  encore  que 
les  terres  soient  ensemencees,  les  vignes  et 
grains  prets  a  recueillir,  cliassent  ordinaire- 
inent  en  tout  temps,  a  pied  et  a  cheval,  avec 
nombre  de  gens,  chiens  et  oiseaux  qu'ils 
menent  avec  eux,  ne  faisant  difficulte  de 
passer  et  repasser  dedans  les  vignes  et  gai- 
gnages,  ce  qui  fait  un  grand  degat,  et  apporte 
grand  dommage  et  ruine  aux  proprietaires, 
laboureurs  et  vignerons ,  sans  que  lesdits 
proprietaires,  laboureurs  ou  vignerons  en 
osent  feire  poursuite. 

nSupplient  Sa  Majeste  de  defendre,  etc. 

«  Quant  a  la  HELIGION,  nos  maux  advien- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  107 

iient  de  trois  causes;  c'est  a  scavoir,  Tigno- 
rance'  grande  des  saintes  lettres,  lavarice 
questueuse  des  ministies,  et  le  delaissement 
de  toutes  choses  appartenantes  a  TofJice  et 
devoir  dun  vrai  pasteur,  lesquels  trois  maux 
intol^rables  ont  donne  graiide  occasion  a 
|>lusieurs  de  sentir  et  parler  sinistrement 
dudit  etat  ecclesiastique,  et  mettre  entre  les 
gentilshommes  les  schismes  et  divisions  qui 
s'y  voient  a  present. 

uSa  Majeste  est  suppliee  que,  suivant  le 
pouvoir  et  charge  qu'il  a  en  cet  endroit, 
comme  conservateur  ordonne  de  Dieu,  de 
maintenir  en  son  royaume  les  saints  decrets 
et  conciles  anciens  et  generaux,  sur  lesquels 
I'etat  des  uiinistres  de  I'Eglise  est  foude  et  se 
doit  regler,  lui  plaise  interposer  son  auto- 
rite  en  cet  endroit.  > 

«Et,  en  cefaisant,  retrancher  et  du  tout 
oter  les  abus  et  entreprises  faites  par  lesdits 
ministres  de  I'Eglise,  contre  I'ancien  ordre 
♦lesdits  saints  decrets  et  conciles  generaux, 
en  quoi  faisant,  s'assurent  lesdits  du  tiers- 
etat  que  sadile  Majeste  retablira  TEglise  en 


lo8  ASSEMBLEES  NATIONALES 

son  ancienne  spleiideur,  et  maintiendra  la 
reputation  de  roi  tres  chretien  continuee 
jusqu'a  lui  par  ses  predecesseurs. 

((  Pour  a  ce  parvenir,  supplient  tr^s  hum- 
blement  que  tons  archeveques,  eveques, 
abbes  et  abbesses,  doyens,  prieurs  et  prieu- 
res  conventuels  soient  dorenavant  elus;  a 
sea  voir, 

uLes  archeveques  par  les  eveques  suffra- 
gants  de  leurs  archeveches,  chanoines  de 
leurs  eglises,  et  cures  de  leurs  dioceses;  les- 
dits  abbes,  abbesses,  prieurs,  et  prieures,  par 
les  religieux  et  religieuses  de  leurs  abbayes. 

(( Que  les  cures  soient  choisis  et  elus  par 
leurs  paroissiens,  quand  vacation  viendra,  et 
presentes  a  leur  eveque,  lequel,  auparavant 
lesconfirmer,  sera  tenu  les  examiner,  et  faire 
examiner  en  lieu  public  a  tout  dimanclie, 
par  gens  de  grande  doctrine  et  saintes  let- 
tres ,  et  a  cette  fin  les  faire  preclier  sur 
sujet  imprevu  ,  en  meme  lieu  public  ,  et 
s'enquerir  diligemment  de  leur  bonne  vie, 
conversation  catliolique,  et  zele  ([uils  au- 
ront  en  la  maison  de  Dieu. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.  IO9 

u  Pour  obvier  aux  abus  qui  souvent  pro- 
cedent  des  richesses  de  lE^jlise,  invitant  les 
ministres  a  s'en  servir  a  leur  plaisir,  et  bien 
souvent  a  en  abuser,  soient  les  biens  des 
eveches,  abbayes,  et  autres  gros  benefices, 
distribues  par  tiers,  selon  la  disposition  ca- 
nonique;  savoir,  un  tiers  aux  pauvres,  un 
tiers  a  I'entretenement  de  I'etat  des  pasteurs, 
et  I'autre  tiers  a  la  reparation  des  eglises,  et 
oeuvres  pitoyables ,  comme  a  I'entretene- 
ment des  hopitaux  de  toutes  sortes,  et  col- 
leges pour  Tinstruction  des  enfants,  soit  ^s 
lettres,  metiers,  ou  edifices  eriges  ou  a  eriger 
es  villes  et  lieux  les  plus  peuples. 

«Afin  de  retrancher  vivement  I'avarice 
questueuse  qui  a  rendu  les  ministres  de  I'E- 
glisesi  abjects  et  contemptibles,  qua  peine 
les  peut-on  plus  reconnoitre;  chose  lamen- 
table et  deslionnete  en  I'Eglise,  qui  est  et 
qui  doit  etre  pure  et  sans  macule  d'avarice, 
d'ambition  et  simonie  :  il  plaise  audit  sei- 
gneur defendre  que,  pour  quelque  adminis- 
tration ou  celebration,  soit  de  sacrements. 


I  lO  ASSEMBLEES  NATIONALES 

messes,  on  autres  mysteres ,  instructions, 
visitations,  maiiajies,  bans,  sonneries  de 
cloches,  se})ultures,  dispenses  de  bans,  bap- 
temes,  et  toutes  autres  choses  spirituelles 
qui  seront  administrees  en  I'Eglise,  que 
sceaux  et  ^ciitures  de  toutes  expeditions 
qui  seront  par  eux  faites;  ne  soit  pris  ne 
bailie  aucuns  deniers,  dons  et  presents,  sous 
quelque  couleur  ou  condition  que  ce  soit, 
attendu  qu'ils  out  ou  doivent  avoir  ^te  gra- 
luitement  pourvus  de  leurs  benefices,  non- 
obstant  les  prelendues  louables  coutumes, 
et  communes  usances  dont  ils  se  sont  aides 
par  ci-devant,  auxquelles  sera  defendu  a 
tons  juges  da  voir  egard.  » 

Eclaire  par  les  remontrances  des  trois 
etats,  le  roi  fit  rediger  la  celebre  ordon- 
nance  dite  d'Orleans,  en  149  articles,  qui 
fut  publiee  pendant  le  cours  de  cette  meme 
annee  i56o,  et  pen  de  temps  apres  la  clo- 
ture des  etats. 

Cette  ordonnance.  Tun  des  plus  beaux  mo- 
numents de  la  sagesse  de  nos  p^res,  est  ega- 
lemeut  digne  d'etre  meditee  par  les  liommes 
detat  et  par  les  jurisconsultes.  On  y  remar- 


DE   FRANCE.     CHAP.   XXXI.  1  I  I 

(lue  les  dispositions  suivantes  relatives  an 
choix  des  eveques,  au  choix  des  ju(];es,  et 
aiix  vexations  des  seij^neurs: 

((  Tons archevequeset eveques  seront  des- 
ormais,  sitot  que  vacation  adviendra,  elus 
etnommes;savoir,  lesarclieveques,  paries 
eveques  de  la  province  et  chapitre  de  I'e- 
glise  archiepiscopale;  les  eveques,  par  I'ar- 
cheveque-eveque  de  la  province,  et  chapi- 
tre de  I'ejiflise  episcopate.   Appellez  avec 
eux  douze  (jentilsliomraes  qui  seront  elus 
par  la  noblesse  du  diocese,  et  douze  nota- 
bles bourgeois  qui  seront  aussi  elus  de  I'ho- 
tel  de  la  ville  arcbiepiscopale  ou  episcopale. 
Tous  lesquels  convoques  a  certain  jour 
(  par  le  chapitre  du  siege  vacant,  et  assem- 
(bles  comrae  dit  est,  s'accorderont  de  trois 
( personnages  de  suffisance  et  des  qualites 
(  rei|uises  par  les  saints  decrets  et  conciles, 
f  ages  au  nioins  de  trente  ans,  qu'ils  nous 
( presenteront  pour  nous  faire  election  de 
(celui  des  trois,  que  voudront  nommer  a 
(  rarcheveche  ou  eveche  vacant.  »  Art.  \" . 
,  u  Advenant    vacation    d'offices    en    nos 
u  parlements  et  cours    souveraines,    apr^s 


I  I  2  ASSEMBLl^ES  NATIONALES 

« la  reduction  faite  a  I'ancien  nombre  et 
uestat,  voulons  et  en  tendons  que  I'ordon- 
((  nance  faite  pour  les  eslections  soit  ^ardee. 
cEt  quant  aux  sieges  subalternes  et  infe- 
«  rieurs,  nos  officiers  du  siege  ou  Foffice  sera 
((Vacant  s'assembleront  dedans  trois  jours, 
«  et  appellez  les  maires ,  eschevins ,  conseil- 
(( lers,  capitouls  de  la  ville,  esliront  trois  per- 
(( sonnages  qu'ils  connoistront  en  leurs  con- 
(( sciences  les  plus  suffisants  et  capables, 
((qu'ils  nous  nommeront  et  presenteront, 
((  pour  a  leur  nomination  pourvoir  celuy  des 
(( trois  qu'adviserons. ))  Art.  89. 

(( Tons  officiers  des  justices  et  jurisdic- 

((tions seront  examines  avant  qu'estre 

((recus,  etc. »  Art.  55. 

(( Sur  la  remontrance  et  plainte  faite  par 
(des  deputez  du  tiers-etat,  contre  aucuns 
((Seigneurs  de  nostre  royaume,  de  plusieurs 
((extorsions,  corvees,  contributions,  et  au- 
(( tres  semblables  exactions  et  charges  in- 
(( dues:  nous  enjoignons  tres  expressement 
(( a  nos  jnges  de  faire  leur  devoir  et  admi- 
((uistrer  justice  a  tous  nos  subjects,  sans 
((  acception  de  personnes,  de  quelque  autbo- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXI.         Il3 

«  rite  ou  qualite  qu'ils  soient,  et  a  nos  advo- 
u  cats  et  procureiirs  y  tenir  la  main ,  et  de  ne 
u  permettre  que  nos  pauvres  subjects  soient 
« travaillez  et  opprimez  par  la  puissance  de 
« leurs  seigneurs  feodaux,  censiers  ou  autres, 
«  auxquels  defendons  intimider  ou  menacer 
(( leurs  subjects  et  redevables.  Leur  enjoi- 
((gnons  se  comporter  envers  eux  modeste- 
u  ment  et  poursuivre  leurs  droits  par  les  voyes 
«ordinaires  de  justice.  Etavons,  d^s  a  pre- 
(( sent,  revoque  toutes  lettres  de  commission 
«  et  de  legation  accordees  et  expediees  cy- 
«  devant  a  plusieurs  seigneurs  de  ce  royau- 
(tme,  a  quelques  juges  qu'elles  ayent  este 
((adressees  pour  juger  en  souverainete  les 
«  procez  intentes  pour  raison  des  droits  d'u- 
«  sages,  pasturages  et  autres  pretendus,  tant 
«parlesdits  seigneurs  que  par  leurs  subjects, 
(( manants  et  habitants  des  lieux ,  et  ren- 
te voye  la  cognoissance  et  jugement  desdits 
« procez  a  nos  baillifs  et  seneschaux  ou  a 
<i  leurs  lieutenants,  et  par  appel  a  nos  cours 
«de  parlement,  chacun  en  son  ressort.  n 
Art.  1 06. 


Il4  ASSEMBLIES  NATIONALES 


CHAPITRE  XXXII. 

Des  catholiques  et  des  reforme's  depuis  i56o 
jusqu'en  iSyS. 

Les  princes  lorrains  n'avoient  pas  tout 
perdu  par  la  mort  de  Francois  II ;  ils  etoient 
restes  les  chefs  de  la  confederation  catlioli- 
que,  et  Gatlierine  de  Medicis  ne  les  voyoit 
pas  sans  inquietude  a  la  tete  dun  parti 
aussi  puissant.  Mais  elle  craignoit  encore 
plus  les  chefs  des  reformes,  auxquels,  par 
haine  contre  les  Guise,  venoient  de  se  join- 
dre  les  deux  hommes  qui  comptoient  le  plus 
de  partisans  dans  le  royaume,  le  conn^table 
de  Montmorenci,  et  le  mar^chal  de  Saint- 
Andre. 

Telle  etoit  done  la  position  de  la  reine. 
Froissee  entre  deux  puissants  partis,  elle  ne 
pouvoit  conserver  le  pouvoir  qu  en  les  neu- 
tralisant  Tun  par  I'autre.  Pour  cela  il  falloit 
etablir  entre  eux  une  sorte  d'equilibre.  Elle 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXII.  Il5 

crut  y  parvenir  en  r^onciliant  le  coniie- 
table  et  le  mareclial  avec  le  due  de  Guise. 

L'evenement  trompa  les  calculs  de  la  pru- 
dence. Ge  triumvirat  ne  prenant  conseil  que 
de  ses  forces  en  abusa  pour  inquieter  les  pro- 
testants,  et  la  paix  fut  de  nouve^u  trou- 
l)lee. 

Trois  declarations  rendu es  successive- 
ment,  eta  de  courts  intervalles,  modifi^rent 
I'edit  de  pacification  dont  nous  avons  parle 
dans  le  chapitre  precedent,  et  arracherent 
aux  protestants  la  plupart  des  avanta^es  que 
cet  edit  leur  avoit  assures  (i). 

(i)  Par  ces  declarations  le  roi  auuoncoit  que  dans  son 
edit  il  n'avoit  pas  entendu  coniprendre,  dans  les  lieux 
oil  il  etoit  permis  aux  calvinistes  de  s'assembler,  ceux 
qui  etoient  auparavant  du  patrimoine  de  I'Eglise,  on 
qui  appartenoient  a  des  beneficiers.  Par.un  article ;for- 
mel ,  I'exercice  de  la  nouvelle  religion  etoit  defendu 
dans  la  prevote  de  Paris;  il  etoit  pareillement  dei'endu 
aux  habitants  de  Paris  d'aller  aux  preches  dans  les  pre- 
votes  voisines,  a  moins  qu'ils  n'y  transportassent  leur 
domicile.  Ces  declarations  portoient  encore  que  les  reli- 
gieux  et  religieuses  qui  avoient  quitte  leurs  convents 
seroient  tenus  d'y  rentrer  ou  de  sortir  du  royaume.  On 
chassa  en  meme  temps  tous  les  ministres  protestants  qui 
n'y  etoient  pas  nes,  etc. 

8. 


n6  ASSEMBLEES    NATIONALES 

La  reine  de  Navarre  etoit  connue  par  son 
attaehement  aux opinions  nouvelles.  uParun 
u  bref  anssiinjusteqii'injurieux ,  donne  le  28 
((septembre  i563,  le  pape,  dit  le  president 
((de  Thou(i),  cita  a  Rome  Jeanne  d'Albret, 
((  reine  de  Navarre,  veuve  d'Antoine  de  Bour- 
(( bon;  et  il  prononca  que  si  elle  ne  compa- 
((  roissoit  dans  le  terme  de  six  mois,  elle  se- 
((roit  par  le  seul  fait  proscrite,  comine  at- 
((teinte  et  convaincue  d'lieresie,  dechue  de 
(da  royaute,  et  privee  de  son  royaume,  et 
((ses  principautes,  terres,  domaines,  et  sei- 
((  gneuries,  donnes  au  premier  occupant.  » 

Ce  bref  aclieva  de  decouvrir  aux  reformes 
la  profondeur  de  Fabyme  qui  s'ouvroit  de- 
vant  eux. 

Gonsternes  sans  etre  abattus,  les  chefs  du 
parti  se  reunirent  et  tinrent  conseil.  A  ceux 
qui  proposoient  de  souffrir  en  silence  et  de 
s'en  remettre  au  temps  et  a  la  justice  de  leur 
cause,  le  baron  Dandelot  repondit :  ((Mettons- 
(( nous  peu  en  peine  de  ce  que  nos  ennemis 


(1)  Histoire  univ.,  liv.  XXXV. 


DE    FRANCE.    CHAP.   XXXII.  I  I  7 

«  et  des  hommes  pervers  publieront  de  nous. 
«Ge  sont  ceux  qui,  en  violant  les  droits  les 
«plus  sacres,  et  en  manquant  de  foi  a  leurs 
((serments,  sont  les  vrais  perturbateurs  du 
«  repos  public.  II  est  temps  d'ouviir  lesyeux. 
M  Pour  peu  que  nous  differions,  e'en  est  fait 
«dc  nos  biens,  de  nos  vies,  et  de  notre  reli- 
«g^ion.  Attend rons-nous  pour  recommencer 
« la  guerre  que  nous  soyons  relegues  dans  les 
M  pays  etrangers,  ou  que  nous  soyons  enfer- 
wmes  dans  de  sombres  prisons,  ou  enfin 
«  qu'errant  dans  les  forets  et  dans  les  de- 
userts  nous  soyons  les  victinies  de  la  bar- 
ubarie  dun  peuple  en  fureur?  Alors  qui 
(( voudra  nous  regarder,  nous  parler,  nous 
(( ecouter?  Quelle  ressource  trouverons-nous 
a  dans  notre  innocence? De  quoi  nous  auront 
(c  servi  notre  patience  et  notre  douceur?  « 

Cette  opinion  prevalut;  les  reformes  cou- 
rurent  aux  arnies.  Les  catholiques  en  firent 
de  meme,  et  la  guerre  civile  eclata. 

Le  prince  de  Gonde,^la  tete  de  quatre 
mille  hommes,  ouvrit  la  campagne,  et  vint 
camper  dans  la  plaine  de  Saint-Denis.  Le 
connetable  de  Montraorenci  sortit  de  Paris 


I  1 8  ASSEMBLIES  RATIONALES 

avec  uiie  ai'inee  de  douze  mille  hoimnes. 
Malgr^  I'inf^riorite  dti  nombre ,  le  prince 
accepta  la  bataille.  La  victoire  passa  plus 
dune  fois  dun  camp  dans  un  autre;  mais  la 
nuit  ayant  separ^  les  combattants,  cette 
journee  fut  sans  resultat,  et  les  liostilites 
conti  ttuerent  ( i ). 

Le  prince  de  Gonde,  trop  foible  pour  tenir 
plus  lon(^-temps  devant  Paris,  conduisit  son 
arm^e  eft  Champagne,  ou  il  attendit  les  se- 
coursqui  lui  arrivoientde  FAllemagne,  de  la 
Guienne^  et  du  Languedoc.  Ainsi  s'ecoul^- 
rent  les  derniers  mois  de  Tannic  1 667. 

Laftnee  suivante  est  remarquable  par 
un  melange  de  bons  et  de  mauvais  succ^s. 


(i)  La  France  y  perdit  I'un  de  ses  plus  grands  hommes, 
le  connetable  Anne  de  Montmorenci.  En  sortant  de 
Paris  il  avoit  dit:  Je  rentrerai  triomphant,  ou  je  ferai 
plfiurer  ma  mort.  Alors  age  de  soixante-seize  ans,  il 
avoit  glorieusement  figure  dans  huit  batailles  rangees, 
dans  quatre  desquelles  il  avoit  commande  en  chef.  La 
reine-mere  lui  fit  faire  de  magnifiques  funerailles ;  on 
y  porta  son  effigic,  honneur  que  I'on  n'avoif  encore 
rendu  qu'aux  rois,  et  aux  princes  de  la  famille  royale. 


Dfi  franco:,  chap,  xxxii.  119 

Le  23  mars,  la  paix  est  signee  a  LojQ(jjumeaii. 
Les  conditions  en  sont  si  mal  observ^es  4? 
pai  tetd'autre,  que  la  troisieme  guerre  civil,e 
commen<je  avant  que  I'annee  expire;  et  la 
retraite  du  chancelier  de  L'Hospital,  seul 
mediateur  entre  les  catholiques  et  les  pro- 
testants,  met  le  comble  au  malheur  public. 
Des-lors,  comme  un  torrent  qui  a  rompu 
ses  digues,  la  fureur  des  partis  ne  connoit 
plus  de  frein;  cliaque  bataille,  chaque  prise 
de  ville  donne  lieu  aux  scenes  les  plus  san- 
glantes.  Les  catholiques  livrent  aux  flammes 
les  reformes,  ceux-ci  font  pendre  les  catho- 
liques, et  la  journee  de  la  Saint-Barthelemi 
effraie  I'Europe  par  un  spectacle  encore  plus 
epouvantable. 

A  ces  buchers,  a  ces  massacres  se  joi- 
gnoient  les  saturnales  dune  superstition 
aveugle  et  feroce.  La  theologie  avoit  tout 
envahi.  On  dogmatisoit  a  la  cour  comme  en 
Sorbonne,  dans  les  salons  comme  dans  les 
ecoles.  Les  controverses  religieuses  occu- 
poient  tons  lesesprits.  Dans  les  temples,  les 
ceremonies  les  plus  bizarres  ecliauffoientlcs 


I20  ASSEMBLIES  NATIONALES 

tetes,  et  dans  les  chaires,  des  predicateurs 
furibonds  commandoient  le  crime  au  nom 
du  ciel. 

Enfin  les  deux  partis  egalement  epuis^s 
tournent  leurs  regards  vers  les  etats-gene- 
raux. 


DE   FRANCE.  CHAP.    XXXIII.  12  1 


CHAPITRE  XXXIII. 

fitats-generaux  tenus  a  Blois  en  1576. 

Le  roi  ( I )  manquoit  d'argent ;  et  les  contro- 
verses  religieuses  ensanglantoient  la  France. 
Dans  des  circonstances  aussi  graves ,  la  reu- 
nion des  ^tats-generaux  pai  ut  la  seule  mesure 
efficace,  et  ils  furent  convoques. 

Le  6  decembre  iSyG,  apres  une  proces- 
sion soleiinelle,  un  jeune,  et  une  commu- 
nion generale,  le  roi,  assis  sur  son  trone, 
ayant  a  sa  droite,  un  peu  au-dessous  de  lui, 
la  reine  sa  mere,  et  plus  has  le  cardinal  de 
Bourbon,  etc.,  en  fit  Touverture  par  un  dis- 
cours  con  tenant  en  substance  que,  par  Facte 
de  la  convocation  des  ^tats,  ils  devoient  tous 
etre  instruits  du  sujet  qui  les  assembloit,  et 


(i)  Henri  III.  Charles  IX  etoit  mort  en  1674,  ^ge  de 
vingt-quatre  ans  dix  mois  et  trente  jours.  II  avoit  regne 
treizeans  cinq  mois  et  vingt-cinq  jours. 


122  ASSEMBLEES    NATIONALES 

qu'il  lie  doutoit  pas  que  de  leiir  cot^ ,  avant 
que  de  s'y  rend  re,  i!s  n'eussent  recu  des 
instructions  suffisantes  de  la  part  des  pro- 
vinces qui  les  avoient  deputes;  qu'ils  etoient 
temoins  eux-memes  de  la  triste  situation  ou 
les  guerres  civiles  avoient  reduit  en  peu  de 
temps  le  plus  florissant  et  le  plus  puissant 
royaume  du  monde; 

Que  les  vices  avoient  ete  le  principe  de 
tant  de  maux;  qu'ils  avoient  infecte  tous*Ies 
niembres  de  I'etat;  qu'il  n'y  en  avoit  aucun 
qui  ne  fut  pourri  et  gangrene,  en  sorte 
([u'on  n'y  reconnoissoit  plus  cet  attacliement 
pour  la  religion ,  cette  union  entre  les  sujets, 
cet  amour  et  ce  respect  pour  le  prince  qu'on 
y  admiroit  autrefois,  et  dont  il  restoit  a 
peine  le  moindre  vestige; 

Qu'a  la  vue  de  cette  corruption  generale, 
il  ne  pouvoit  s'empeclier  de  deplorer  son 
sort,  sur-tout  lorsqu'il  comparoit  son  regne 
avec  ces  lieureux  temps  des  rois  son  p^re  et 
son  aieul ;  qu'alors  toutes  les  vertus  sem- 
bloient  etre  propres  aux  Francois;  qn'au- 
jourd'liui  au  contraire  elles  etoient  eteintes 
dans  tons  les  coeurs;  qu'ils  en  avoient  perdu 


DE   FRANCE.    CHAP.    XXXIII.  123 

jiisqua  la  premiere  id^e;  que  ce  qiii  \e  tou- 
(  hoit  davantage  c'etoit  que  le  peuple,  tou- 
j-ours  aveufjle  et  incapable  de  penetrer  le 
fond  des  clioses,  impute  ordinairement  aux 
jyrinces  la  cause  de  tous  ses  malheurs,  et  a 
linjustice  de  vouloir  les  rendre  responsables 
de  tous  les  evenements; 

Que  cependant  le  t^moig^nage  de  sa 
conscience  suffisoit  pour  le  rassurer  au  mi- 
lieu de  taut  de  sujets  d'alarmes',  qu'on  savoit 
que  la  jeunesse  du  roi  Charles  son  fr^reavoit 
ete  lorigine  de  tous  ces  troubles;  que  tout 
le  royaume  avoit  ete  temoin  des  soins  que  la 
reine  sa  m^res'etoit  donnes  pour  les  calmer; 
(|udle  en  etoit  venue  a  bout  par  sa  sagesse, 
parson  habilete,  par  une  patienceal'epreuve; 
que  cependant  il  n'avoit  pas  ete  possible 
d'eteindre  si  parfaitement  un  si  grand  em- 
brasement,  qu'il  n'en  restat  encore  quelques 
etincelles; 

Que  lui-meme,  aussitot  que  I'slge  le  lui 
avoit  permis,  guide  par  son  devoir,  il  n'avoit 
rien  epargne  pour  y  apporter  les  remedes 
les  plus  convenables;  qu'on  I'avoit  vu  les 
armes  a  la  main ,  dans  les  guerres  que  le  roi 


124  ASSEMBLEES  NATIONALES 

son  frere  avoit  eues  a  soutenir,  s'exposer  aux 
plus  grands  dangers,  et  sacrifier  sa  sante, 
son  repos,  et  ses  plaisirs,  pour  tacher  d'ob- 
tenir  un  accoramodement  raisonnable, 
comme  il  I'avoit  toujours  souliaite;  qu'il  y 
avoit  travaille  long-temps  avant  son  depart 
pour  la  Pologne,  et  qua  son  retour,  depuis 
qu'il  s'etoit  vu  eleve  sur  le  trone  de  ses  p^res, 
il  avoit  encore  pris  tous  les  raoyens  possibles 
den  venir  a  bout;  que  cependant  le  ciel 
n'avoit  pas  perniis  que  ses  bonnes  intentions 
reussissent;  qu'il  avoit  ete  force  d'en  venir 
nialgre  lui  aux  dernieres  extremites;  qu'apr^s 
avoir  eprouve  si  long-temps  les  malheurs  des 
guerres  civiles,  ily  avoit  ete  engage  de  nou- 
veau,  et  que,  pour  subvenir  aux  frais  qu'il 
n'avoit  pu  se  dispenser  de  faire,  au  lieu  de 
soulager  ses  sujets,  comme  il  I'auroit  sou- 
haite,  il  s'etoit  vu  oblige  de  les  charger  de 
nouveaux  impots; 

Que  c'etoit  la  la  cause  principale  de  ses 
chagrins  et  de  ses  peines,  et  qu'il  avoit  sou- 
haite  souvent  de  mourir  plutota  lafleurde 
son  age,  que  de  se  voir  oblige  d'etre  temoin, 
sous  son  regne,  des  memes  malheurs  qui 


DE    FRANCE.   CHAP.    XXXIII.  125 

avoient  afflige  le  loyaume  sous  celui  du  loi 
son  fr^re;  que  cependant  il  se  soutenoit  par 
ceLte  pens^e,  que  Dieu  ne  I'avoit  pas  ^leve 
sur  le  trone,  qu  il  ne  lui  avoit  pas  mis  la  cou- 
ronnesur  latete  pourfaire  lemalheur  de  son 
peuple:  qu'il  ne  lui  avoit  pas  remis  aux  mains 
ce  sceptre  qu'il  portoit,  corame  une  verge  de 
fer  pour  devenir  I'instrument  de  sa  colere, 
mais  plutot  pour  procurer  sa  gloire,  en  lui 
servant  a  faire  couler  ses  bienfaits  et  ses 
graces  sur  les  peuples  qu'il  avoit  confies  a  ses 
soins; 

Qu'il  protestoit  done  qu'il  n'avoit  jamais 
eu  en  vue  que  le  bien  de  I'etat  et  la  tran- 
quillitepublique;qu'en  consequence  il  avoit 
choisi  le  moyen  le  plus  propre  et  le  plus  sur 
pour  retablir  parmi  ses  sujets  cette  union 
si  desirable,  sans  laquelle  il  leur  seroit  im- 
possible de  rien  faire  de  durable  et  d'avan- 
tageux ;  qu'il  ne  falloit  pour  les  en  convaincre 
que  Fexperience  du  passe,  ou  toutes  les  me- 
sures  que  Ion  avoit  prises  n'avoient  servi  qu'a 
Jeter  le  royaume  dans  des  troubles  egalement 
funestes  a  la  religion  et  a  I'etat ; 

Qu'il  les  prioitdonc  tous  en  general  et  en 


126  ASSEMBLEES  NATIONALES 

jjarticulier,  par  Fattacliement  que  Dieu  leur 
commandoit  d'avoir  pour  leur  prince,  par 
I'amour  qu'ils  devoient  avoir  pour  leur  pa- 
trie,  d'oublier  leurs  interets,  de  faire  trove 
aleurs  ressentiraents,  et  de  reunir  tous  en- 
semble leurs  soins  et  leurs  affections  pour 
travailler  conjointement  avec  lui  a  trouver 
les  moyens  les  plus  propres  de  rendre  a  Tetat 
cette  paix  si  utile  et  si  necessaire,  d'eteindre 
jusqu'aux  moindres  semences  desguerres  ci- 
viles  et  de  ladiscorde,  de  corriger  les  moeurs, 
de  bannir  les  vices,  et  de  rendre  aux  lois  leur 
ancienne  vigueur;  que  c'etoit  la  Tunique 
but  de  toutes  ses  intentions  et  de  ses  desirs; 
que  comme  c'etoit  de  la  main  de  Dieu  qu'il 
tenoit  sa  couronne,  il  n'avoit  garde  de  vou- 
loir  abuser  du  pouvoir  que  la  divine  bonte 
\m  avoit  conjRe,  parcequ'il  savoitqu'il  devoit 
rendre  compte  un  jour  de  I'usage  qui  I  en 
auroit  faif,  qu'au  reste  il  etoit  resolu ,  et  qu'il 
vouloit  bien  leur  donner  sa  parole  royale  de 
faire  observer  inviolablement  les  reglements 
qui  seroient  faits  dans  ces  presents  etats-ge- 
neraux,  et  de  n'accorder  Jamais  aucun  pri- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXXIII.  1 27 

vilege  qui  y  fut  contraire,  ou  qui  y  derogeat 
le  moins  du  monde. 

Le  chancelier  Birague  prit  ensuite  la  pa- 
role. Apr^s  setre  excuse  sur  son  grand  age, 
et  sur  le  peu  de  connoissance  quil  avoitdes  af- 
faires de  France[i)-^  apres  setre  longuement 
etendu  sur  les  vertus  de  la  reine-m^re,  sur 
les  hautes  qualites  du  roi,  sur  son  amour 
pour  ses  peuples,  il  insista  particuli^rement 
sur  les  avantages  de  la  paix,  et  sur  la  neces- 
site  de  la  maintenir. 

Lorsqu'il  eut  cesse  de  parler,  les  deputes 
destroisordresoffrirentau  roi  riiommagede 
leur  devouement,  de leur  profond  respect, et 
Fassurerent  qu'ils  alloient  travailler  avec  le 


(i)  II  naquit  a  Milan  d'une  famille  constamraent  atta- 
chee  au  parti  de  la  France.  Francois  I*'  le  fit  conseiller 
au  parlement  de  Paris,  et  I'envoya  au  concile  de  Trente. 
Charles  IX  le  fit  jjarde  des  sceaux  ,  puis  chancelier 
en  1673.  Henri  III  lui  fit  donner  le  chapeau  de  cardinal 
en  1578  ,  et  le  decora  du  cordon  de  ses  ordres  a  la  pre- 
miere promotion,  qui  eut  lieu  cette  meme  annee  1578. 
II  mourut  le  i4  novembre  i583,  age  de  74  ans. 


128  ASSEMBLl^ES  NATIONALES 

plus  grand  zele  a  seconder  ses  bonnes  in- 
tentions. 

Le  roi  ne  tarda  pas  a  reconnoitre  combien 
peu  il  devoit  compter  sur  ces  protestations 
de  devouement  et  de  fidelite. 

D^s  le  lendemain  le  tiers-etat  prit  un  ar- 
rete,  portant  qu'on  supplieroit  le  roi  de 
nommer  des  commissairesauxquels  on  join- 
droit  un  depute  de  cliaque  province,  pour 
juger  de  toutes  les  propositions  generates  ou 
particulieres  qui  seroient  faites  dans  I'as- 
semblee.  Le  tiers-etat  demandoit  en  meme 
temps  la  permission  de  recuser  ceux  de  ces 
commissaires  qui  lui  seroient  suspects; 
il  prioit  le  roi  de  declarer  que  tout  ce  qui 
seroit  decide  par  le  comite  qu'on  etabliroit 
seroit  regarde  comme  loi  du  royaume.  11 
demandoit  enfin  que  le  nombre  des  con- 
seillers  d'etat  fut  reduit  a  dix-huit,  et  ne  put 
jamais  exceder  vingt-quatre. 

Le  roi  fut  fort  offense  de  ces  propositions. 
11  le  fut  bien  da  vantage,  lorsque  trois  jours 
apres,  une  deputation  du  clerge,  presidee 
par  I'archeveque  de  Lyon,  lui  annonca  que 


DE  FRANCE.   CHAP.   XXXIII.  I  29 

le  voeu  de  I'assemblee  etoit  qu'il  prit  I'enga- 
(jement  de  faire  observer  tout  ce  qui  pas- 
seroit  d'une  commune  voix;  et  pour  les  ma- 
tieres  oil  les  sentiments  seroient  partakes, 
qu'il  ne  put  en  decider  que  de  I'avis  de  la 
reine  sa  mere,  des  princes  du  sang,  des  pairs 
du  royaume  et  de  douze  deputes  des  etats. 

Le  roi  repondit  avec  beaucoupde  modera- 
tion qu'aussitot  que  les  trois  ordres  lui  au- 
roient  presente  leurs  cahiers,  il  y  repon- 
droit  de  I'avis  de  son  conseil ,  et  qu'il  les  in- 
struiroit  meme  du  nom  de  ceux  dont  il  seroit 
compose;  qu'il  permettoit,  au  reste,  aux 
trois  ordres  de  lui  deputer  cliacun  douze 
de  leurs  corps ;  qu'il  les  ecouteroit  avec 
bonte;  que  sur  ce  qui  lui  seroit  propose,  il 
neprendroit  jamais  de  resolution  dont  ils  ne 
dussent  etre  contents;  mais  qu'a  I'eg^ard  du 
dernier  article,  par  lequel  ils  demandoient 
qu'il  ratifiat  tout  cequi  seroit  arrete  unani- 
raement  par  les  etats,  il  leur  declaroit  qu  il 
ne  pouvoit  y  souscrire,  puisqu'il  ig^noroit 
quelles  propositions  on  avoit  a  lui  faire. 

Ges  deux  deliberations  ne  presag^eoient 
que  trop  ce  que  le  roi  avoit  a  redouter  de 

9 


l3o  ASSEMBLEES  NATIONALES 

rassociation  qui  venoit  de  se  former  sous  la 
denomination  hypocrite  de  sainte-unionl^i). 
Le  i5  Janvier  les  etats  s'occuperent  de  la 


(i)  La  jalousie  entre  les  deux  religions  ne  se  borna  pas 
a  I'emulation  d'une  plus  grande  regularite:  elles  cher- 
cherent  a  s'appuyer  I'une  coiitre  I'autre  de  la  force  des 
confederations  et  des  sernients.  Depuis  long-temps  la 
religion  romaine  entretenoit  dans  son  sein  des  associa- 
tions ,  connues  sous  le  nom  de  Confreries.  Elles  avoient  des 
lieux  et  des  jours  d'assemblee  fixes,  une  police,  des  re- 
pas,  des  exercices,  des  deniers  communs.  II  ne  fut  ques- 
tion que  d'ajouter  a  cela  un  serment  d'employer  ses 
biens  et  sa  vie  pour  la  defense  de  la  foi  attaquee.  Avec 
cette  formule,  les  confreries  devinrent,  comme  d'elles- 
memes  dans  cliaque  ville,  des  corps  de  troupes  pretes 
a  agir  au  gre  des  chefs;  et  leurs  bannieres,  des  etendards 
militaires.  La  multitude  reunie  se  trouva  plus  bardie: 
contradictions,  railleries,  dedains,  entre  personnes  de 
differentes  religions ,  on  ne  se  souffrit  plus  rien ;  de  la 
des  emcutes  et  des  massacres  par  toute  la  France. 

La  manie  des  associations  saisit  aussi  la  noblesse  et 
les  grands  seigneurs.  11  y  eut  de  ces  ligues  particulieres, 
qui  envelopperent  des  provinces  entieres.  Pendant  le 
voyage  du  roi,  on  en  decouvrit  une,  dont  Louis  de 
Bourbon  ,  due  de  Montpensier ,  les  Guise  et  les  plus 
grands  du  royaume  etoient  chefs.  La  reine,  a  la  vue  de 
cette  nouveaute,  assembla  un  conseil  extraordinaire. 
La  plupart  des  confederes  y  furent   niandes,  et  tous 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIII.  I  3  I 

(jrande  affaire de  la  religion.  Les  trois  ordres 
decid^rent  unaiiimement  que  le  roi  seroit 
prie  de  lie  souffrir  dans  ses  etats  qii'une 
seule  religion ,  la  religion  catliolique  ro- 
maine.  Mais  on  se  divisa  sur  la  inaniere  d'ex- 
tirper  Tlieresie.  La  noblesse  et  le  clerge 
etoient  d'avis  que  la  force  devoit  etre  ens- 
ploy^e,  si  elle  etoit  necessaire.  Le  tiers-etat 
fut  partage. 

Les  uns  emportes  par  un  zele  feroce  vou- 
loient  que  Ion  forcat  les  reformes  a  rentrer 
dans  le  sein  de  I'Eglise  romaine  par  tons  les 
raoyens  possibles,  meme  par  les  supplices, 
meme  par  la  guerre  civile,  si  leur  obstina- 
lion  la  rendoit  necessaire.  Les  autres  plus 


neanmoins  jurerent  et  signerent  qu'ils  n'avoient  point 
trempe  dans  ces  coniplots,  qu'ils  les  abhorroient,  et  que 
jamais  ils  ne  prendroient  les  armes  que  par  le  comnian- 
dement  de  sa  majeste. 

Ces  protestations  ne  rompirent  point  des  liaisons 
qu'on  croyoit  fonde'es  sur  de  si  bons  motifs :  elles  pre- 
valurent  meme  bientot  sur  toutes  les  autres.  Les  fieres 
se  separerent  des  freres,  les  peres  des  enfants,  et  on  vit 
les  families  dechirees  par  le  meme  schisme  qui  divisoit 
I'etat.  Esprit  de  la  LIgue,  tome  1",  page  a33. 

9- 


I  32  ASSEMBLIES  NATIONALES 

moderes,  et  par  consequent  meilleiirs  Chre- 
tiens, insistoient  pour  que  la  reunion  s'o- 
perat  par  des  voies  douces,  salutes ,  et  sans 
guerre.  Le  sage  et  savant  Bodin,  avocat  du 
roi  au  bailliage  de  Laon ,  et  depute  du  Ver- 
mandois,  etoit  a  la  tete  de  ce  dernier  parti. 

Les  (^ouvernements  de  Flle-de-France, 
Normandie,  Champagne,  Languedoc,  Or- 
leans, Picardie,  et  Provence,  adopt^rent  la 
premiere  de  ces  deux  opinions.  La  seconde 
n'eut  pour  elle  que  les  gouvernements  de 
Bourgogne,  Bretagne,  Guyenne,  Lyonnois, 
Dauphine. 

Ainsi  le  parti  de  la  violence  prevalut,  et 
la  guerre  fut  resolue  a  la  majorite  de  sept 
voix  contre  cinq. 

Instruit  de  cette  resolution,  et  justement 
effraye  des  suites  quelle  devoit  necessaire- 
ment  avoir,  le  due  de  Montpensier  se  rendit 
aux  etats  et  y  fit  un  discours  plein  de  sa- 
gesse,  dans  lequel,  apres  avoir  retrace  I'i- 
mage  des  malheurs  qui  pendant  seize  annees 
de  guerres  avoient  desole  la  France,  il  raj3- 
pela  Texemple  de  plusieurs  princes  etran- 
gers,  entre  autres  de  Charles-Quint,  qui, 


DE  FRANCE.  CHAP.   XXXIII.  1 33 

apr^s  avoir  subju{]u^  I'Alleniagne,  avoit  ete 
obli{3^e  d'accorder  aux  vaincus  Fexercice  li- 
bre  de  leur  reli{>ioii.  La  conclusion  de  sa  ha- 
ran(5,iie  fut  que  tout  le  portoit  k  conseiller 
au  roi  d'imiter  cet  erapereur:  il  assura  que 
le  roi  de  Navarre  iie  demandoit  pas  mieux 
que  de  concourir  a  faire  cesser  les  troubles. 

L'autorite  d'un  prince,  dont  la  conduite 
^toit  irreprochable ,  fortifia  beaucoup  le 
parti  deBodin,  et  de  ceux  qui,  comme  lui 
etoient  opposes  a  la  guerre.  Sur  leurs  in- 
stances, on  remit  en  deliberation  I'article 
concernant  la  reli.oion,  et  il  fut  decide,  a  la 
pluralite  des  voix,  que  le  roi  seroit  supplie  de 
n  avoir  point  recours  a  la  force  pour  faire 
rentrer  ses  sujets  dans  le  sein  de  VEglise. 

A  cette  affaire  en  succeda  une  autre  a  la- 
quelle  la  cour  de  Rome  ne  mettoit  pas  moins 
d'importance.  Les  ^veques  etarcheveques  de 
Tassemblee  demanderent  la  publication  du 
concile  de  Trente;  mais  les  deputes  des  ca- 
thedrales  et  ceux  des  provinces  de  Bourgo- 
gne,  de  Picardie,  de  Poitou  et  de  Saintonge 
repouss^rent  si  energiquement  cette  propo- 
sition qu'elle  n'eut  pas  de  suite. 


I  34  ASSEMBL^KS   NATIONALES 

Pendant  ces  d^bats,  un  hasard  fort  extra- 
ordinaire fit  tomber  entre  les  mains  du  roi 
iin  memoire  par  lequel  la  sainte-union  sol- 
licitoit  I'intervention  du  saint-siege,  a  I'effet 
<le  detroner  la  maison  regnante,  et  de  lui 
substituer  celle  de  Lorraine,  que  Ton  sup- 
posoit  descendue  de  Charlemagne. 

Les  princes  de  cette  illustre  maison,  di- 
soit  I'auteur  du  memoire,  constamment  sou- 
mis  au  saint-siege,  sont  encore  aujourd'hui 
converts  des  benedictions  que  le  pape  Etien- 
ne  II  versa  sur  Pepin,  lorsqu'il  placa  sur 
son  front  la  couronne  de  Clovis.  Mais  les 
descendants  de  Hugues  Capet  ( I ).  .   :   .  .  . 


Le  memoire  continue : 

«  Que  pour  en  venir  a  I'execution  il  avoit 


(i)  Ma  plume  se  refuse  a  transcrire  cette  partie  du 
memoire.  II  est  rapporte  en  entier  dans  VHistoire  uni- 
verselle  du  president  de  Thou,  livre  LXIII. 

Get  historien  ajoute :  «  Ce  projet  parut  si  atroce  que 
li  Ton  refusa  d'aboid  d'v  croire.  Dans  la  suite  ce  meme 


DE   FRANCE.   CHAP.    XXXIII.  l35 

«et^  arrete  entre  les  iinis  qu'on  se  serviroit 
((du  minist^re  des  predicateurs  pour  sou- 
« lever  le  peuple  des  differentes  villes  du 
«  royaume,  a  fin  doter  par-la  aux  lieretiques 
« la  liberie  de  s'assembler  qui  leur  avoit  ete 
((accordee  par  le  dernier  edit;  que  cepen- 
«  dant  on  sUpplieroit  sa  majeste  de  fermer  les 
(cyeux  a  ces  mouvements,  et  de  laisser  au 
((due  de  Guise  toute  la  conduite  de  cette 
((affaire;  que  ce  prince  devenu  plus  hardi, 
(( apres  avoir  ainsi  engage  sa  majeste  a  dissi- 
(( uiuler,  travailleroit  a  enga^^jer  dans  la  ligue 
(da  noblesse  et  les  villes  du  royaume,  et 


/.  ecrit  etant  passe  en  Espagne  pour  etre  communiqu(3  a 
«  Philippe,  il  vint  a  la  connoissancede  Jean  de  Vivonne, 
u  alors  atmbassadeur  de  France  aupres  du  roi  d'Espagne, 
(i  et  ce  seigneur  tres  eloigne  d'ailleurs  des  protestants,  en 
« envoya  sur-Ie-champ  un  exemplaire  a  sa  majeste, 
«  comrae  lui-meme  me  le  raconta  depuis.  Alors  le  roi 
«  fut  frappe  de  ce  second  coup ,  et  comme  il  ne  se  sen- 
«  toit  pas  encore  assez  de  fermete  pour  exterminer  abso- 
"lument  ce  parti,  et  tirer  une  juste  vengeance  de  ceux 
«  qui  en  etoient  les  auteurs ,  il  resolut  du  moins  de  I'af- 
"  foiblir ,  et  de  rendre  pour  le  prcjsent  tons  ses  projets 
(1  inutiles. » 


1 36  ASSEMBLEES  NATIONALES 

uqu'il  se  feroit  preter  serment  de  fidelite 
(cpar  tons  les  uiiis,  qui  jureroient  de  ne 
u  reconnoitre  que  lui  pour  chef;  qu'il  an- 
te roit  loeil  a  ce  que  les  cures  des  villes  et  de 
(t  la  campagne  tinssent  un  registre  exact  de 
«  ceux  qui  seroient,  dans  leurs  paroisses,  en 
«  etat  de  porter  les  armes;  que  de  son  cote 
(c  il  auroit  soin  de  leur  envoy er  secretenient 
«des  officiers  pour  les  commander,  et  que 
(( dans  le  secret  de  la  confession  on  ne  man- 
«  queroit  pas  de  les  instruire  des  armes  dont 
u  ils  devoient  se  fournir,  et  de  ce  qu'ils  an- 
te roient  a  faire,  en  leur  faisant  toujours  en- 
utendre  qu'on  ne  les  employoit  que  pour 
t(  les  interets  de  la  religion.  » 

Le  roi  justement  effraye  de  I'audace  dune 
agregation  a  peine  formee,  et  deja  plus  forte 
que  lui ,  prit  I'liumiliante  resolution  de  com- 
poser avec  elle;  et,  dans  Fesperance  de  la 
neutraliser,  il  sen  declara  le  chef  en  pre- 
sence des  trois  ordres  assembles :  c'est-^-dire 
qu'abdiquant  le  beau  titre  de  roi  des  Fran- 
cois, il  se  declara  le  protecteur  dune  partie 
de  la  nation,  et  I'ennemi  del'autre. 

L'affaire  de  la  religion  terminee ,  se  pre- 


DE  FBANCE.   CHAP.  XXXtll.  187 

sentoit  naturellement  celle  des  finances; 
mais  I'examen  en  fut  retarde  par  une  propo- 
sition qne  I'ordre  de  la  noblesse  soumit  a  la 
deliberation  du  tiers— etat. 

Cette  proposition  avoit  pour  objet  les 
depenses de  larmee.  Le premier  de  ces  deux 
ordres  invitoit  le  second  a  se  joindre  a  lui 
pour  faire  un  reglement  portant  que  lar- 
mee seroit  composee,  en  temps  de  paix 
comme  en  temps  de  guerre,  de  trois  mille 
hommes  d'armes  (i)-,  qu'en  temps  de  guerre 


(1)  Pour  comprendre  ce  passage,  il  faut  savoir  ce  que 
Ton  entendoit  alors  par  une  conipagnie  d'hommes  d'ar- 
mes.  Volci  quelques  details  a  cet  e'gard  : 

L'expe'rience  n'avoit  que  trop  prouve  combien  les  ar- 
mees  soldees  etoient  superieures  aux  armees  feodales, 
qui  ne  I'etoient  pas.  Charles  VII,  en  1444'  convoqua 
une  assemblee  de  notables,  a  laquelle  il  proposa  d'eta- 
blir,  sous  le  nom  de  taille,  un  impot  perpetuel,  exclusi- 
vement  destine  a  I'entretien  d'une  arme'e  reguliere,  ajou- 
tant  que  si  sa  proposition  etoit  accueillie,  il  renonceroit 
au  benefice  qu'il  pouvoit  tirer  de  la  fabrication  et  du 
changement  des  monnoies ;  qu'il  renonceroit  egalement 
aux  levees  extraordinaires  de  deniers,  connus  sous  le 
nom  de  taille  seigneuriale ,  taille  arbitraire,  taille  aux 
quatre  cas ,  c'est-k-dire  lorsque  le  roi  armoit  son  fils  aine 


I  38  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

rinfaiiterie  seroit  de  vingl  mille  hommes, 
et  de  doiJze  mille  en  temps  de  paix;  que  le 
produit  de  la  taille  et  du  taillon  seroit  ex- 
clusivemeat  affecte  aux  depenses  de  cette 
armee  \  que  pour  en  enipeclier  le  divertisse- 
ment a  d'autres  usages,  la  perception  en  se- 


chevalier,  qu'il  marioit  sa  fille  ainee,  qu'il  faisoit  le 
voyage  d'outre-mer,  ou  qu'il  etoit  fait  prisonnier. 

Ces  propositions  ayant  ete  agreees,  le  roi  crea  quinze 
compagnies  de  cent  lances:  chaque  lance  ou  homine 
d'armes  devoit  avoir  sous  lui  trois  archers,  un  ecuyer,  et 
un  page,  tous  h.  cheval :  ce  qui  formoit  un  corps  de  neuf 
mille  hommes.  La  paie  de  chaque  homme  d'armes  etoit 
de  dix  livres  par  mois ,  celle  de  Tecuyer  de  cent  sous, 
celie  des  archers  de  quatre  francs ,  et  celle  du  page  de 
soixante  sous. 

Un  grand  nombre  de  gentilshommes  et  meme  de  rotu- 
riers  assez  riches  pour  servir  a  leurs  frais  se  reunirent  a 
ces  compagnies  comme  volontaires,  de  maniere  que 
bientot  chacune  d'elles  se  trouva  monter  au  moins  a 
douze  cents  hommes  :  ce  qui  forma  le  plus  beau  corps  de 
cavalerie,  et  le  plus  redoutable  qu'il  y  eut  en  Europe. 
Cette  premiere  organisation  avoit  cela  de  remarquable 
que  les  officiers  etoient  responsables  des  delits  de  leurs 
soldats;  et  que  tous,  en  quartier  d'hiver  et  dans  leurs 
garnisons,  etoient,  dans  tous  les  cas,  justiciables  des 
tribunaux  ordinaires. 


DE   FRANCE.    CHAP.    XXXIII.  iSg 

roit  confiee  a  des  notables  clioisis  dans  les 
differentes  communes,  et  que  le  roi  seroit 
supplie  de  donner  ses  ordres  pour  que  ce 
rejdement  reciit  son  execution. 

Comme  a  cette  epoque  la  noblesse  etoit 
parvenue  a  s'affrancliir  de  I'impot  de  la 
taille,  qui  dans  I'origine  pesoit  egalement 
sur  tons  ceux  qui  n'exercoient  pas  la  profes- 
sion des  arraes,  le  but  de  cette  proposition 
etoit  evidemment  de  dispenser  les  nobles  de 
concourir  aux  depenses  de  I'armee,  et  d'en 
charger  exclusiveraent  le  tiers-etat;  il  le  sen- 
tit  si  bien,  que  non  sen  lenient  il  rejeta  la 
proposition,  mais  qu'il  soutint  que  les  fiefs 
ayant  ete  donnes  a  la  charge  du  service  mili- 
taire,  c'etoit  a  la  noblesse  seule  a  supporter 
les  frais  que  ce  service  pouvoit  occasioner, 
puisque  seule  elle  avoit  droit  de  poisseder  les 
fiefs. 

Le  meme  jour,  sur  la  demande  de  Bo- 
din  (i),  depute  du  Vermandois,  il  fut  arrets 


(0  Jean  Bodin  exerca  d'abord  la  profession  d'avocat 
au  parlementde  Paris;  mais  se  croyantinferieurk  Pithou 


l4o  ASSEMBLIES  NATIONALES 

que  dans  le  cahier  du  tiers-etat  il  seroit  in- 
sert un  article  portant  que  le  roi  seroit  sup- 
plie  d'ordonner  que  les  sergents  et  notaires 
seroient  tenus  de  dater  les  actes  par  les 
heures,  du  moins  devant  ou  apres  midi;  et 
({uant  aux  testaments,  qu'il  seroit  mis  aussi 
s  ils  etoient  passes  le  jour  ou  la  nuit. 

Les  etats  avoient  adresse  au  roi  une  re- 
quete  par  laquelle  ils  supplioient  sa  raajeste 
d'adjoindre  a  son  conseil  un  depute  de  clia- 
que  province.  On  procedoit  au  choix  de  ceux 
que  Ton  devoit  j^resenter  au  roi  pour  rem- 
plir  cette  honorable  mission.  Bodin  repre- 
senta  que  c'etoit,  en  quelque  sorte,  aneantir 
I'autorite  des  etats,  que  de  la  confier  a  un 


et  a  Pasquier,  ses  confreres,  et  desesperant  de  s'elever  a 
leur  hauteur,  il  quitta  le  barreau.  S'etant  attache  au  due 
d'Alencon,  frere  de  Henri  III,  il  passa  avec  lui  en  Angle- 
terre.  II  venoit  de  publier  son  bel  ouvrage  de  la  Rcpu- 
hlique,  etdeja  on  I'enseignoit  dans  I'universite  d'Oxford. 
Pour  faire  ressortir  le  merite  de  cet  ouvrage,  il  suffit  de 
dire  que  Montesquieu  lui  doit  beaucoup.  De  retour  en 
France,  Bodin  se  retira  a  Laon,  ou  il  se  pourvut  de  Tof- 
fice  d'avocat  du  roi  au  bailliage  de  cette  villa,  office 
qu'il  exerca  jusqu'a  sa  mort,  arrivee  en  iSgG. 


DE  FRAKCE.   CHAP.  XXXIII.  14' 

si  pelit  nombre  de  delegues,  qui,  tout  in- 
corruptibles  quon  les  supposat,  pourroient 
se  laisser  intimider  par  la  presence  du  roi, 
ou  etre  seduits  par  les  insinuations  de  ceux 
qui  gouvernoient  a  la  cour;  que  Louis  XI, 
qui  le  premier  de  nos  rois  avoit  su  s'arroger 
le  pouvoir  absolu ,  n'y  avoit  reussi  qu'en 
attribuant  ainsi  le  nom  et  le  pouvoir  des 
etats  a  une  poignee  de  gens  dont  il  disposoit 
a  son  gre;  que  jusqu'alors  les  etats  n'avoient 
ete  perpetuels  ni  ambulatoires,  et  que,  par 
Tarrangement  propose,  ils  devenoient  Tun 
et  Tautre.  Sur  ce  que  I'archeveque  de  Lyon 
objecta  quon  pouvoit  limiter  le  pouvoir  des 
delegues,  Bodin  repliqua  que,  malgre  cette 
precaution,  leur  seule  presence  au  conseil 
donneroit  toujours  aux  resolutions  qui  y 
seroient  prises  lair  d'etre  approuvees,  du 
moins  taciteraent,  par  la  nation ,  et  que  par- 
la  on  se  priveroit  insensiblement  du  droit 
de  remontrance :  lassemblee  se  rendit a  ces 
raisons. 

Tout  cela  pouvoit  etre  fort  sage,  mais  ne 
donnoit  point  d'argent ;  le  roi ,  impatient  den 
obtenir,  fit  mettre  sous  les  yeux  de  I'assem- 


J  4"  ASSEMBLIES  RATIONALES 

blee  le  tableau  des  charges  c[ui  pesoient  sur 
le  tiesor  public.  Ges  charges,  suivant  les 
pieces  produites  a  I'appui  du  tableau,  s'ele- 
voierit  a  plus  de  cent  millions.  Des  deputes, 
au  nombre  de  trente-six,  nomniesparlestrois 
ordres  pour  verifier  I'exactitude  de  ces  do- 
cuments, declarerent  que  les  uns  etoient 
insuffisants,  les  autres  suspects;  et  il  n'en 
fut  plus  question. 

Cependant  cette  communication  ne  fut 
pas  sans  effet :  elle  appela  I'attention  des  de- 
]3Utes  sur  les  finances,  et  desormais  cette 
grande  affaire  fera  I'unique  objet  des  tra- 
vaux  de  Tassemblee. 

Des  commissaires  du  roi  proposerent  d'a- 
bolir  les  anciens  impots,  et  d'y  substituer 
une  taxe  sur  les  feux,  graduee  de  mani^re 
que  la  plus  forte  n'excedat  pas  cinquante 
livres,  et  que  la  moindre  ne  fut  pas  au  des- 
SQus  de  douze  deniers.  Quelques  autres  de- 
putes, et  sur-tout  Farcheveque  de  Lyon,  ou- 
vrirent  fa  vis  de  faire  une  diminution  de  sept 
millions  sur  les  rentes  payees  par  I'etat :  ces 
deux  projets  furent  rejetes.  Le  roi  fit  de- 
mander  un  subside  de  deux  millions,  «  et  les 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIIl.  1 43 

((favoris,  dit  Mezerai,  firent  joiier  tous  les 
«  ressorts  iraaginables  pour  avoir  cette  gorge- 
«  chaude.  Le  liers-etat,  qui  savoit  bien  qu'il 
(« eut  paye  pour  tous,  ne  put  jamais  etre  in- 
«  duit  a  y  consentir. » 

Les  deputes  etoient  sur  le  point  de  se  se- 
parer,  lorsque  Henri  111,  accompagne  de  la 
reine  sa  m^re,  de  la  reine,  des  cardinaux  de 
Bourbon,  de  Guise,  et  dEst,  des  dues  de 
Guise,  de  Mayenne,  et  de  Nevers,  se  rendit 
a  I'assemblee.  11  annonca  qu'il  avoit  resolu 
d'aliener  a  perpetuite  cent  mille  ecus  de  rente 
du  doniaine  de  la  couronne;  que  par  conse- 
quent il  etoit  necessaire  que  les  etats  conti- 
nuassent  leurs  seances  pour  en  deliberer. 
La  reponse  des  etats  fut  qu'ils  suspen- 
droient  volontiers  leur  separation  pendant 
quelques  jours,  raais  qu'ils  ne  pouvoient 
consentir  a  Talienation  propos^e,  ni  accor- 
der  des  subsides  extraordinaires. 

Pompone  de  Bellievre  retourna  le  jour 
suivant  a  I'assemblee,  et  la  sollicita  forte- 
ment  d'avoir  egard  aux  necessites  du  tresor 
public.  Bodin ,  avant  remontre  avec  tine 
liberie  gauloise  que  le  fonds  du  domaine  ap- 


I  44  ASSEMBLEES  NATIONALES 

partenoit  a  la  nation,  et  que  le  roi  n'en 
etoit  que  simple  usager,  persuada  telle- 
ment  I'assemblee,  quelle  repondit  a  Bellie- 
vre  que  le  droit  commun  et  la  loi  fondamen- 
tale  de  I'etat  rendoient  la  chose  absolument 
impossible.  Ainsi  echoua  la  proposition  du 


gouvernement. 


Les  affaires  soumises  a  la  deliberation  des 
etats  ainsi  reglees,  les  trois  ordres  presente- 
rent  leurs  cahiers  au  roi,  et  la  session  fut 
close(i). 

Sur  les  cahiers  des  etats  fut  redigee  la 
celebre  ordonnance  de  iSy^.  Cette  ordon- 
nance  en  363  articles  renferme  les  regle- 
ments  les  plus  sages  concernant  la  discipline 
de  I'Eglise,  I'administration  de  la  justice,  la 
police  interieure  de  letat,  les  finances,  et 
le  commerce.  On  y  remarque  les  disposi- 
tions suivantes: 

«  Geux   que  nous   aurons   nommes  aux 


(i)  Je  n'ai  pas  parle  des  deputations  que  les  trois  ordres 
envoyerent  au  roi  de  Navarre  et  au  prince  de  Conde  afin 
de  les  ramener  a  la  religion  catholique,  parceque  ces. 
negociations  n'eurcnt  aucun  resultat. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIII.  l45 

(jveclies  et  archevech^s  seroiit,  avant  Texpe- 
dition  de  nos  lettres  de  nomination,  exa- 
mines par  un  arclieveque  ou  eveque  que 
nous  commjettrons,  joints  a  lui  deux  doc- 
teurs  en  theolo{jie,  qui  nous  enverront  leur 
certificat  de  la  suffisance  ou  insuffisance 
desdits  nommes.  w  Art.  2. 

«  Suivant  les  anciennes  ordonnances  des 
roys  nos  predecesseurs,  nous  defendons  tou- 
tes  confreries,  etc.  »  Art.  87. 

«  Nous  voulons  que  notre  garde  des  sceaui? 
bailie  audience  ouverte,  a  Tissue  de  son  dis- 
ner,  a  tons  ceux  qui  auront  affaire  a  luy,  a 
laquelle  audience assisteront  les  maistres  des 
requestes  ordinaires  de  notre  hostel ,  qui 
seront  en  quartier,  ou  deux  d'iceux  au 
moins,  pour  prendre  les  requestes  des  par- 
ties, et  en  faire  rapport  au  premier  conseil, 
si  besoin  est.  »  Art.  90. 

«  Et  pour  mieux  effectuer  notre  intention , 
voulons  qu'advenant  vacation  des  offices  do 
conseiller  en  nos  cours  de  parlement  et  au~ 
tres  souveraines,  lesdites  cours  ayent  a  nous 
nommer  personnes  dc  I'aage,  quality,  et  ca- 
pacitt?  requise,  sans  (pie  nosdites  cours  puis- 

■2.  10 


l46  ASSEMBLIES   NATIOiNALES 

sent  nommer  plus  dun,  natif  de  la  ville  ou 
elles  sont  etablies. »  Art.  102. 

(( D'autant  que  les  offices  de  president  des 
cours  sont  de  ceux  auxquels  il  est  necessaire 
de  pourvoir  de  personnages  de  grand  scavoir 
et  longue  experience,  afin  que  par  leur  sca- 
voir, vertu,  et  aage,  ils  puissent  estre  res- 
pectez,  et  donner  loy  et  exemple  de  faire  a 
ceux  auxquels  ils  president-  ordonnons  que 
nul  ne  sera  doresnavant  pourvu  auxdits 
estats  de  president,  tant  de  parlement,  que 
des  enquestes,  grand  conseil,  et  cours  des 
aydes,  qu'il  n'ait  atteint  I'aage  de  quarante 
ans  pour  le  moins;  qu'auparavantil  n'ait  este 
pendant  dix  ans  conseiller  de  cours  souve- 
raines,  ou  lieutenant-general  dun  bailliage, 
ou  qu'il  n'ait  acquis  dans  la  profession  d'avo- 
cat  une  reputation  telle  qu'il  soit  estime 
digne  dun  si  grand  office,  i)  Art.  106. 

«  Voulons  que  les  pourvus  d'offices 

soyent  examines  tant  sur  la  loy  qui  leur  sera 
donnee,  et  sur  la  pratique,  qu'en  la  fortuite 
ouverture  du  livre.  *>  Art.  108. 

«  Auparavant  la  reception  de  ceux  qui  se- 
ront  par  nous  pourvus  d'aucuns  offices  de 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIII.  l^f 

judicature, sera  informe  de  leur  vie,moeurs, 
et  conversations;  et  seront  les  informations 
faites  par  les  jufjes  des  lieux  auxquels  lesdits 
pourvus  auront  reside.  »  Art.  119. 

wDefendons  a  toutes  nos  cours  souve- 
raines  et  autres  de  s'entremettre,  de  reconi- 
mander  ou  solliciter  les  pix)cez  des  parties 
plaidantes  en  icelles,  sur  peine  d'estre  pri- 
vez  de  Ten  tree  de  nosdites  cours  et  sieges, 
et  de  leurs  gaffes  pour  un  an.  »  Art.  120. 

(t  Nous  faisons  tres  etroites  inhibitions  et 
defenses  a  toutes  personnes,  de  quelque 
estat  ,  authorite  ,  quality  ,  ou  condition 
qu'elles  soyent,  sans  nul  excepter,  de  dor- 
esnavant  entrer  en  aucune  association,  in- 
telligence, participation,  ou  ligue  offensive 
ou  defensive,  avec  princes,  potentats,  repu- 
bliques,  communautez,  dedans  et  dehors  le 
royaume,  directementou  indirectement,  par 
eux  ou  par  personnes  interposees,  verbale- 
ment  ou  par  ecrit ,  etc.  »  Art.  1  ^3. 

«  Defendons  aussi  a  tous  gentilshommes  et 
seigneurs  decontraindre  leurs  sujetset  autres 
abailler  leurs  filles,  niepces,  ou  pupilles  en 
manage  a  leurs  serviteurs  ou  autres,  contre 

10. 


1 48  ASSEMBLIES  NATIONALES 

la  volonte  et  liberie  qui  doit  estre  en  tels 
contrats,  sur  peines  d'estre  privez  du  droit 
de  noblesse,  et  punis  comme  coupables  de 
rapt.  Ce  que  semblablement  nous  voulons 
aux  mesmes  peines  estre  observe  contre 
ceux  qui  abusant  de  nostre  faveur  par  im- 
portunite,  ou  plustost  subrepticement  ont 
obtenu  ou  obtiennent  lettres  de  cachet  clo- 
ses ou  patentes,  en  vertu  desquelles  ils  font 
arreter  et  sequestrer  fiUes,  icelles  espou- 
sent  ou  font  espouser  contre  le  (^re  et  vou- 
loir  du  p^re,  m^re,  parents,  tuteurs,  et 
curateurs. »  Art.  281. 


DE  FRAN'CE.   CHAP.  XXXIV.  1 49 


GHAPITRE    XXXIV. 

De  la  Ligue. 

J'ai  parle  de  la  Ligue  dans  le  chapilre 
precedent;  mais  je  me  siiis  born^  a  rappeler 
ce  qui  s'est  fait  dans  les  etats-g^neraux  de 
1 576.  Comme  elle  reparoitra  dans  ceux  dont 
il  nous  reste  a  rendre  campte,  quelle  ren- 
ferme  une  grande  lecon  pour  les  gouver- 
nements,  et  que  nous  la  verrons  un  poignard 
a  la  main  porter  ses  mains  sanglantesj usque 
sur  le  trone,  je  vais  encore  men  occuper, 
non  pour  en  faire  I'liistoire,  mais  unique- 
ment  pour  signaler  son  esprit  et  son  but. 

Vers  I'annee  1 5^5,  des  bourgeois  de  Paris, 
zeles  catholiques,  se  reunirent  dans  Tinten- 
tion  de  s'opposer  aux  progr^s  de  la  reform e. 
Cette  association,  a  peine  formee,  fut  dis- 
soute,  non  par  le  fait  du  gouvernement  qui 
ne  voyoit  pas  assez  loin  dans  I'avenir  pour 
en  craindre  les  suites,  mais  par  I'autorite  de 
Cliristoplie  deTliou,  qui,  plus  clairvoyant 


I.')0  ASSEMBLEES  RATIONALES 

que  les  ministres,  la  frappa  de  son  impro- 
bation.  * 

A  la  meme  epoque,  des  reunions  plus  ou 
nioins  considerables,  et  toutes  animees  du 
meme  esprit,  avoient  lieu  sur  differents 
points  du  royaume;  mais  celle  qui  se  forma 
dans  la  Picardie  fut  la  seule  qui  se  maintint. 
Voici  quelle  en  fut  I'occasion. 

Par  un  article  secret  du  dernier  traite  de 
paix  entre  les  catholiques  et  les  reformes,  le 
roi  avoit  promis  au  prince  de  Conde  le  gou- 
vernementde  la  Picardie,  et  Peronne  pour 
sa  residence.  Le  marquis  d'Humieres ,  qui 
avoit  le  commandement  de  cette  place,  crai- 
^o^nant  den  etre  depouille  si  le  traite  s'exe- 
cutoit,  eut  recours  a  I'expedient  ordinaire 
dans  ces  temps-la;  il  proclama  et  fit  publier 
par  ses  agents  que  la  religion  courroit  le 
danger  le  plus  imminent  si  un  gouvernement 
de  cette  importance  etoit  confix  au  chef  du 
parti  protestant. 

Comme  le  marquis  d'Humieres  etoit  a 
la  tete  de  la  noblesse,  qui  dans  cette  pro- 
vince ^toit  aussi  riclie  que  nombreuse,  il 
parvint  a  engager  dans  son  parti  un  assez 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXXIV.  l5l 

grand  nombre  de  gentilsliommes  qui  con- 
vinrent  dun  traite  d'union  dont  le  but  ap- 
parent etoit  la  defense  de  la  religion  catho- 
lique. 

Par  la  formule  de  cette  union  ( i )  qui  devoit 
etre  sign^e  au  nom  de  la  tr^s  sainte  Trinite 
par  tous  les  seigneurs ,  princes ,  barons , 
gentilsliommes ,  bourgeois,  chaque  signa- 
taire  s'engageoit  par  serment  a  vivre  et 
mourir  dans  la  Ligue  pour  Thonneur  et  le 
retablissement  de  la  religion,  pour  la  con- 
servation du  vrai  culte  de  Dieu ,  tel  qu'il 
est  observe  dans  la  sainte  Eglise  romaine, 
condamnant  et  rejetant  toutes  erreurs  con- 
traires;  pour  la  defense  du  roi  Henri  III, 
sauf  le  respect  et  I'obeissance  que  des  sujets 
doivent  a  leur  prince,  ainsi  qu'il  devoit  etre 
expliqu^  plus  au  long  dans  les  articles  qui 
seroient  presentes  aux  procliains  etats-ge- 
n^raux;  enfin  pour  le  maintien  des  diffe- 
rentes  provinces  du  royaume  dans  tous  leurs 
droits,  privileges,  et  libertes,  telles  qu'elles 


(i)  DbThou,  Histoire  univ.,  livre  LXIII,  tome  VII, 
page  426. 


132  ASSEMBLIES  NATIONALES 

les  possedoient  du  temps  de  Clovis,  qui  le 
|)remier  de  nos  rois  etablit  en  France  la  re- 
li^orion  chredenne. 

On  prescrivoit  aussi  les  lois  suivantes : 
Que  cliaque  particulier  s'engageioit  a  sacri- 
fier  ses  biens  et  sa  vie  meme  pour  empeclier 
toutes  entreprises  contraires  a  ravancement 
de  la  sainte  union ,  et  a  contribuer  d'ailleurs 
de  tout  son  possible  a  Ten  tier  accomplisse- 
ment  des  desseins  quelle  se  proposoit ;  que 
si  quelqu'un  des  membres  de  I'union  rece- 
voit  quelque  tort  ou  dommage,  quel  que  fut 
ragresseur,  et  sans  egard  pour  la  personne, 
on  n'epargneroit  rien  pour  en  tirer  ven- 
geance, soit  par  les  voies  ordinaires  de  la 
justice,  soit  meme  que  pour  cela  on  fut 
oblige  de  prendre  les  armes;  que  si  par  un 
inalheur,  qu'on  devoit  prier  le  ciel  de  de- 
tourner,  quelqu'un  des  unis  venoit  a  rompre 
ses  engagements ,  il  en  seroit  puni  avec  la 
derni^re  rigueur  comme  traitre  et  refrac- 
taire  h.  la  volonte  de  Dieu,  sans  que  pour 
cela  ceux  qui  s'emploieroicnt  a  la  juste  pu- 
nition  de  ces  sortes  de  deserteurs  pussent 
cnetre  repris,  soit  en  public,  soit  en  parti- 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXXIV.  1 53 

culier;  cju'on  creeroit  un  chef  de  I'union  k 
qui  tous  les  autres  jureroient  ime  obeis- 
saiice  aveup^le  et  sans  bornes;  que  si  quel- 
qu'un  des  particuliers  manquoit  a  son  de- 
voir, ou  faisoit  paroitre  de  Ja  repugnance 
a  sen  acquitter,  le  chef  seroit  seul  le  maitre 
d'ordonner  de  la  peine  que  sa  faute  auroit 
meritee;  que,  dans  les  villes  et  a  la  campa- 
{jne,  tout  le  monde  seroit  invite  a  se  joindre 
a  la  sainte  union ;  qu'en  y  entrant  on  s'en- 
ga(5eroit  a  fournir  dans  Toccasion  de  I'ar- 
gent,  des  hommes,  et  des  armes,  chacun  sc- 
ion son  f)Ouvoir;  qu'on  regarderoit  comme 
ennemi  quiconque  refuseroit  d'embrasser  le 
parti  de  la  Lijjue,  et  que  le  coramandement 
seul  du  chef  de  I'union  antoriseroit  a  lui 
courir  sus  a  main  armee;  que  si  entre  les 
unis  il  arrivoit  des  querelles,  des  contesta- 
tions, ou  des  proems,  le  chef  seul  en  decide- 
roit,  sans  que  pour  cela  on  put  recourir  a  la 
justice  ordinaire  sans  sa  permission,  et  qu'il 
auroit  droit  de  punir  les  contrevenants  dans 
leur  corps  ou  dans  leurs  biens,  selon  qu'il  le 
jugeroit  a  propos;  enfin  on  avoit  encore 
ajoute  la  forraule  du  serment  que  chacun 


I  54  ASSEMBLIES   NATION  ALES 

des  unis  devoit  prononcer  sur  les  saints 
Evanj^iles  en  s'engageant  dans  le  parti. 

Telle  fat,  dit  le  president  deTliou(i), 
Torifjine  de  cette  Ligue  abominable,  qui  ne 
tendoit  a  rien  moins  qua  renverser  tous  les 
droits  divins  et  humains. 

D^ja  toute  la  noblesse  et  les  villes  de  Pi- 
cardie,  anim^es  par  les  ^missaires  des  Guise, 
et  soutenues  par  Tex  em  pie  du  seigneur  d'Hu- 
mi^res,  avoient  signe  la  Ligue-,  mais  il  fal- 
loit  s'assurer  de  la  ville  de  Peronne,  qui, 
par  le  traite  de  paix,  avoit  ete,  ainsi  que 
nous  Tavons  dit,  cedee  au  prince  de  Conde 
pour  lui  servir  de  domicile.  On  chargea  de 
cette  commission  un  jeune  gentilhomme  des 
premieres  families  de  la  province,  nomme 
Haplincourt,  et  il  eut  ordre  de  faire  signer 
I'linion  par  tous  les  habitants  de  cette  ville, 
d'y  commander  au  nom  de  la  Ligue,  etd'em- 
pecher  le  prince  d'y  mettre  le  pied.  Cette  en- 
treprise  ne  deplut  pas  au  roi ;  il  la  regarda 
com  me  une  occasion  favorable  qui  le  dis- 


(i)LivreLXIIT. 


DE   FRANCE.    CHAP.   XXXIV.  1  55 

pensoit  de  satisfaire  a  ses  engagements.  Ce- 
pendant  pour  apaiser  le  prince,  en  echange 
du  gouvernement  de  Picardie,  on  lui  ceda 
k  I'autre  extremite  du  royaume  Saint-Jean- 
d'Angely  en  Saintonge  et  Cognac  en  Angou- 
mois,  en  attendant  qu'on  put  lui  donner 
satisfaction  surPeronne. 

En  meme  temps,  Louis  de  La  Tremouiile, 
due  de  Thouars,  le  plus  grand  seigneur  du 
Poitou,  cedant  aussi  aux  sollicitations  des 
Guise  qui  nWoient  en  vue,  disoient-ils,  que 
la  defense  de  la  religion,  eut  la  foiblesse  de 
signer  la  Ligue  a  la  tete  d'environ  soixante 
gentilsliommes  de  la  province.  Ces  exem- 
ples  se  propag^rent,  et  ce  que  Ton  appeloit 
sainte  union  fit  chaque  jour  de  nouveaux 
progr^s. 

Le  roi  auroit  pu  les  arreter  en  usant  des 
moyens  de  repression  qui  etoient  encore  en 
son  pouvoir;  mais  il  ne  pensoit  alors  qu  a  se 
relever  du  dernier  edit  qui  lui  avoit  ete  ex- 
torque,  et  d'ailleurs  les  mesures  energiques 
effrayoient  son  indolence  naturclle.  Se  fai- 
sant  illusion  sur  le  veritable  but  de  la  Li- 
gue,  il  se  persuada  qu'il  detourneroit  les 


1 56  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

coups  dont  elle  menacoit  son  autorit^  en  se 
montrant  zele  catliolique,  et  des-lors  on  le 
vit  se  livrer  aux  pratiques  les  plus  supersti- 
tieuses,  aller  de  pelerinage  en  pelerinage, 
et  suivre  les  processions  en  habit  de  peni- 
tent. 

Gette  conduite  en  revelant  sa  foiblesse 
augmenta  I'audace  des  ligueurs,  et  les  pre- 
dicateurs  porterent  Tinsolence  jusqua  Je 
presenter  dans  leurs  sermons  comme  un 
hypocrite  s'enveloppant  du  manteau  de  la 
religion  pour  lui  porter  des  coups  plus  as- 
sures (i). 


(i)  Le  predicateur  de  la  cathedrale,  nomme  Poncet, 
appela  publiquement  une  nouvelle  confrerie  de  peni- 
tents erigee  j)ar  le  roi ,  la  confrerie  des  hypocrites  et 
atheisles:  a  Et  qu'il  ne  soit  vrai ,  dit-il,  en  propres  mots, 
j'ai  ete  averti  de  bon  lieu  qu'hier  au  soir,  qui  etoit  le 
vendredi  de  leur  procession ,  la  broche  tournoit  pour  le 
souper  de  ces  gros  penitents,  et  qu'apres  avoir  mange  le 
gras  chapon  ils  eurent  pour  collation  de  nuit  le  petit 
tendronqu'on  leur  tenoit  tout  pret.  Ah !  malheureux  liypo- 
crites!  vous  vous  moquezdone  de  Dieu  sous  le  masqvie, 
et  portez  par  contenance  un  fouet  .'i  votre  ceinture?Ce 
n'est  pas  4^  par  Dieu  ou  il  faudroit  le  porter :  c'est  sur 


DE   FRANCE.    CHAP.    XXXIV.  iS'] 

En  m^me  temps  on  exposoit  aux  portes 
des  eglises  et  aux  coins  des  rues  des  tableaux 
(|ui  representoient  les  supplices  dont  on 
supposoit  que  les  catholiques  etoient  punis 
en  Angleterre  et  dans  les  Pays-Bas.  Ainsi 
serez-vous  trait^s,  disoient  au  peuple  des 
gens  apostes,  lorsque  le  roi  de  Navarre  oc- 
cupera  le  trone  avec  ses  heretiques. 

Pendant  que  ces  discours  et  ces  images 
echauffoient  la  multitude,  le  due  de  Guise 
et  le  roi  d'Espagne  travailloient  par  leurs 
agents  les  classes  superieures.  Ces  deux 
princes  avoient  egalemenl  besoin  dune  nou- 


votre  dos  et  sur  vos  epaules,  et  voiis  en  estriller  tres  bien. 
II  n'y  a  pasun  de  vous  qui  ne  I'ait  bien  gagne. »»  Le  roi  se 
contenta  de  relcguer  ce  predicateur  insolent  dans  une 
abbaye  qu'il  possedoit,  {Journal  de  Henri  III.) 

On  lit  dans  Y Esprit  de  la  Ligue,  tome  II,  page  326: 
«  Les  predicateurs  debitoient  en  chaire  que  le  roi  aban- 
donnoit  la  cause  de  Dieu...  II  y  en  eut  un  assez  hardi 
pour  appeler  le  roi  en  plein  sermon  tyran,  et  ses  mi- 
nistres ,  fauteurs  d'heretiques.  Henri  eut  dessein  de  le 
punir:  il  se  retint  neanmoins,  parcequ'il  vit  le  peuple 
dispose  a  le  defendre  ;  ensuile  il  prit  le'parti  de  paroitre 
I'avoir  oublie. » 


I  58  ASSEMBLlfeES  NATION  ALES 

velle  guerre  civile;  le  premier  pour  se  ren- 
dre  necessaire  aux  ligueurs,  le  second  pour 
mettre  Henri  III  dans  I'impuissance  de  don- 
ner  des«ecours  aux  Flamands  revokes  contre 
lui. 

Ces  coupables  manoeuvres  rallum^rent 
les  torches  du  fanatisme,  et  bientot  se  forma 
dans  Paris  une  association  que  je  crois  suf- 
fisamment  caracteriser  et  fletrir  en  disant 
que  de  son  sein  est  sortie  I'execrable  faction 
des  Seize. 

A  cette  association  se  reunirenttoutes  les 
societes  de  la  meme  nature  qui  existoient 
sur  les  differents  points  du  royaume;  et  la 
Ligue  ne  forme  plus  d^s-lors  qu'un  tout  lio- 
mogene,  dont  le  due  de  Guise,  qui  en  etoit 
le  chef,  dirigera  desormais  tons  les  mou- 
vements. 

Ce  prince  qui,  apr^s  la  mort  de  Fran- 
cois II,  ne  s'etoit  declare  si  ouvertement  le 
chef  du  parti  catholiqueque  pour  se  donner 
de  I'importance  a  la  cour,  entrevitalorsqu'il 
pouvoit  porter  ses  vues  beaucoup  plus  loin , 
et  le  tronc  devint  I'objet  de  ses  esp^- 
rances. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIV.  1  Sg 

De  son  cote,  Philippe  II,  qui  d'abord  n'a- 
voit  foment^  les  troubles  du  royaume  qu  a- 
fin  de  mettre  le  roi  dans  rimpuissance  de 
donner  des  secours  aux  Flamands,  osa  se 
flatter  que,  dans  I'egarenient  ou  il  voyoit 
les  esprits,  il  pourroit  faire  de  la  couronne 
de  France  une  annexe  de  celle  d'Espaj^ne  en 
la  faisant  passer  sur  la  tete  de  sa  fille  Isa- 
belle,  niece  de  Henri  III,  et  la  derni^re  du 
sang  des  Valois. 

Cependant  Henri  HI  mourant  sans  pos- 
terity male,  la  loi  fondamentale  de  I'etat,  la 
loi  salique,  lui  donnoit  pour  successeur  le 
roi  de  Navarre,  ce  bon  Henri  IV,  si  digne 
par  sa  popularite,  par  son  beau  caract^re, 
par  son  brillant  courage,  de  r(^gner  sur  la 
France.  Mais  il  n'etoit  pas  catliolique,  et, 
sur  ce  motif,  on  obtint  une  bulle  par  la- 
quelle  Sixte- Quint,  qui  occupoit  alors  le 
siege  pontifical ,  proscrivoit  le  roi  de  Na- 
varre comme  heretique,  relaps ,  fauteur 
d'heretiques,  defenseur  public  et  notoire  de 
Theresie,  et  ennemi  de  Dieu  et  de  la  reli- 
gion ;  le  declaroit  dechu  de  tons  ses  droits  su  v 
cette  partie  du  royaume  de  Navarre  sur  la- 


l6o  ASSEMBLIES    NATIONALES 

quelle  il  avoit  des  pretentions ,  meme  siir  la 
partie  dont  il  etoit  en  possession ,  aussi  bien 
que  sur  la  principaut^  de  Beam,  et  qu'en 
consequence  il  seroit  regarde  des  ce  moment, 
et  pour  toujours,  corame  prive  de  tous  les 
droits  et  privileges  attaches  a  son  ranf>-,  et 
indigene  lui  et  ses  descendants  de  posseder 
jamais  aucune  principaute,  et  en  particulier 
de  succeder  a  la  couronne  de  France. 

La  ne  s'arrete  pas  la  bulle;  elle  exhorte 
Henri  III  a  tenir  la  main  a  I'execution  de  la 
sentence  quelle  prononce,  et  enjoint  k  tous 
les  archeveques  et  eveques  du  royaume  de 
la  faire  publier  dans  toules  les  paroisses  de 
leur  diocese. 

La  reponse  du  roi  de  Navarre  ne  se  fit  pas 
lono-temps  attendre.  Peu  de  jours  apres  on 
vit  aFficlier  sur  les  murs  des  principaux  quar- 
tiers  de  Rome  un  ecrit  par  lequel  ce  prince 
protestoit  contre  la  sentence  prononc^e 
contre  lui  par  Sixte-Quint,  soi-disant  pape 
de  Rome,  s'inscrivant  en  faux  contre  les 
articles  quelle  contenoit,  et  en  appelant 
comme  d'abus  au  tribunal  de  la  cour  des 
pairs,  a  la  tete  desquels  sa  naissance  I'avoit 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIV.        i6i 

plac^.  A  regard  du  crime  d'h^resie  qu'on  lui 
imputoit  k  faux,  il  disoit  qu'en  cela,  saiif  le 
respect  du  a  sa  saintet^,  M.  Sixte,  soi-disant 
pape,  avoit  a  tort  et  malicieusement  menti; 
declarant  qu'il  le  tenoit  lui-m^me  pour  he- 
retique,  comnie  il  s'offroit  de  le  prouver 
dans  un  concile  libre  et  assemble  legitime- 
ment,  et  que  s'il  refusoit  de  s'y  soumettre 
comme  il  s'y  ^toit  oblige  par  ses  propres  lois, 
il  ne  vouloit  plus  le  re(jarder  que  comme 
un  excommunie  et  un  antechrist,  lui  de- 
noncant  en  cette  qualite  une  guerre  mor- 
telle  et  irreconciliable. 

Gependant  il  protestoit  de  nullit^  contre 
cet  acte,  sauf  le  droit  d'exiger,  tant  de  lui 
que  de  sessuccesseurs,  une  satisfaction  con 
venable  pour  Faffront  qu'il  venoit  de  faire 
a  sa  personne  et  a  la  majeste  royale.  II  ajou- 
toit  que  si  les  rois  ses  pr^decesseurs  hvoient 
su  chatier  la  temerit^  de  ces  sortes  de  brouil- 
lons,  tels  qu'etoit  Sixte,  toutes  les  fois  qu'ou- 
bliant  le  devoir  de  leyr  ministere  et  con- 
fondant  mal  a  propos  les  droits  divins  et 
humains,  ils  avoient  passe  les  bornes  de 
leur  pouvoir;  comme  il  ne  leur  cedoit  en 

2.  II 


1 62  ASSEMBLIKES  NATIONALES 

rien ,  il  esperoit,  avec  I'aide  de  Dieu ,  tirer  a 
son  tour,  de  lui  et  de  scs  successeurs,  une 
vengeance  proportionnee  a  I'outrage  fait  au 
roi,  a  la  famille  royale,  a  son  rang,  et  a  tons 
les  parlementsdu  royaume.  II  imploroit  en- 
suite  le  secours  de  tons  les  rois,  princes, 
villes  et  republiques  de  la  chretiente,  qui 
devoient  s'interesser  a  empecher  de  pareilles 
entreprises,  et  prioit  enfin  toutes  les  puis- 
sances amies  et  alliees  de  la  France  de  se 
reunir  avec  lui  contre  la  tyrannic  et  I'usur- 
pation  du  pape. 

Sixte-Quint,  qui  n'avoit  rien  vu  de  sem- 
blable  dans  I'histoire  de  ses  predecesseurs , 
comprit  que  le  roi  de  Navarre  etoit  un  do 
ces  hommes  superieurs  faits  pour  donner  la 
loi,  non  pour  la  recevoir,  et  des-lors  il  con- 
cut  pour  lui  beaucoup  d'estime.  II  disoit 
souvent  que  dans  tout  le  monde  il  ne  con- 
noissoit  qu'un  honime  et  une  femme  qui,  a 
la  religion  pr^s,  fussent  dignes  de  regner, 
et  a  qui  il  voudroit  faire  part  des  grands 
projets  qu'il  meditoit,  qui  etoient  le  roi  de 
Navarre  et  la  reine  d'Angleterre.  Aussi,  quel- 
que  effort  que  Ion  fit  par  la  suite,  il  ne  fut 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXXIV.  1 63 

pas  possible  d'eDgager  Sixte-Quint  a  con- 
courir  aux  frais  de  la  guerre  contre  le  roi  de 
Navarre. 

Pour  ne  pas  laisser  ce  precis  incomplet, 
j'ai  du  dans  ce  chapitre  anticiper  un  peu 
sur  la  suite  des  ^venements.  Je  reviens  aux 
etats-gen^raux. 


I  I 


I  64  ASSEMBLIES  NATIONALES 


GHAPITRE  XXXV. 

Etats-generaux  tenus  a  Blois  en  i588. 

L'ouverture  des  ^tats  se  fit  le  i6  octobre, 
dans  la  grande  salle  du  chateau  de  Blois.  Le 
roi  etoit  assis  sur  son  trone ,  ayant  a  sa  droite 
la  reine  sa  m^re ,  la  reine  regnante  a  sa  gau- 
che, et  plus  has  les  cardinaux  de  Bourbon 
et  de  Vendome;  Francois  de  Bourbon, 
prince  de  Gonti \  Charles  de  Bourbon ,  comte 
de  Soissons  \  son  fr^re  Francois  de  Bourbon , 
due  de  Montpensier  \  les  cardinaux  de  Guise , 
de  Lenoncourt,  et  de  Gondyj  Gharles  de 
Savoie,  due  de  Nemours;  Louis  de  Gon- 
zague,  due  de  Nevers;  Albert  de  Gondy, 
due  de  Retz,  et  plusieurs  autres  seigneurs 
et  conseillers  d'etat.  Le  due  de  Guise,  en  sa 
qualite  de  grand-maitre  de  la  maison  du 
roi,  etoit  assis  au  pied  du  trone  sur  un  ta- 
bouret, tenant  a  sa  main  un  long  baton 
seme  de  fleurs  de  lis  dor,  qui  etoit  la  marque 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  1 65 

de  cette  dignit^,  et  ayant  une  contenance 
et  un  air  qui  attiroient  sur  lui  les  regards  de 
tous  ceux  de  son  parti,  qui  n'etoient  qu'en 
trop  grand  nombre  dans  cette  assemblee. 

Le  roi  prononca  un  discours  assez  long  et 
fort  eloquent,  disent  les  historiens,  dans 
lequel  il  exposa  la  resolution  ou  il  etoit  de 
raaintenir  son  autorite,  et  de  recouvrer  celle 
qu'il  avoit  perdue  (i). 


(i)  Henri  III  eprouvoit  ce  qui  ne  manquera  jamais 
d'arriver  aux  princes  qui  ne  protegeront  pas  egalement 
tous  les  interets,  toutes  les  classes,  toutes  les  croyances, 
en  un  mot,  tous  leurs  sujets.  Son  adhesion  a  I'union  des 
catholiques  contre  les  protestants  avoit  beaucoup  affoi- 
bli  son  autorite.  II  declare  aujourd'hui  qu'il  veut  la  raf- 
fermir,  c'est-a-dire  que  desormais  il  couvrira  tous  ses 
sujets  indistinctement  de  la  meme  bienveillance,  et 
d'une  protection  egale. 

Cette  resolution,  malheureusement  tardive,  etoit  le 
fruit  des  conseils  du  premier  president  Christophe  de 
Thou.  Ce  digne  magistral,  auquel  le  roi  avoit  fait  de- 
mander  ce  qu'il  pensoit  de  la  Ligue,  et  particulierement, 
de  I'acte  par  lequel  il  s'en  etoit  declare  le  chef,  avoit 
consigne  sa  reponse  dans  un  memoire  dont  je  transcris 
le  fragment  qui  suit : 

«  Deja  le  royaume  entier  retentit  du  bruit  de  la  Ligue; 
"  deja  presque  toutes  les  villes  et  les  provinces  se  sont 


1 66  ASSEMBLIES   NATIONALES 

On  remarque  dans  ce  discours  les  passages 
suivants : 

«  Je  commence  par  demander  a  Dieu  qu'il 
a  daigne  m'accorder  les  lumi^res  de  son  es- 


u  fait  ua  devoir  d'entrer  dans  cette  monstrueuse  associa- 
« tion.  J'ai  averti  plusieurs  fois  sa  majeste  de  se  mettre 
«en  garde  contre  les  assemblees  qui  se  tenoient  dans 
u  cette  ville,  et  contre  les  desseins  seditieux  qu'on  y  for- 
(imoit... ;  conseils  peu  ecoutes,  soins  inutiles,  qui  n'ont 
«  ete  payes  que  par  une  froide  indifference  du  cote  de  la 
«cour,  et  par  la  haine  de  presque  tout  Paris...  Qu'il  me 
«  soit  perrais  de  le  dire,  le  roi,  en  se  declarant  le  chef 
"  de  La  ligue,  s'est  depouille  de  la  majeste  royale;  il  a 
"  renonce  au  droit  de  n'avoir  point  d'egal ;  il  s'est  demis 
"  lui-meme  de  cette  autorite  supreme  que  Dieu  et  sa 
w  naissance  lui  avoient  donnee  sur  tous  ses  sujets.  Quel 
w  peut  etre  le  but  de  ces  levees  de  soldats ,  qui  se  font 
« dans  les  provinces  au  nom  de  I'union...,  sinon  de 
«  montrer  aux  Francois  qu'il  peut  y  avoir  une  autorite 
icdistinguee  de  celle  du  roi,  et  assez  puissante  pour 
"former  impunement,  dans  le  sein  du  royaume,  un 
u  nouvel  etat?...  Je  laisse  a  sa  majeste  a  comprendre  les 
«  suites  malheureuses  que  peut  avoir  un  dessein  si  liardi... 
« JTajouterai  seulement  qu'on  doit  regarder  ces  cora- 
i(  mencements  comme  un  prelude,  par  lequel  les  en- 
u  nemis  du  trone  veulent  eprouver  jusqu'ou  ira  la  pa- 
« tience  du  roi,  et  ce  qu'ils  peuvent  se  promettre  pour 
t'  I'avenir. » 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  1 67 

«  prit  saint,  afin  que  je  puisse  conduire  heu- 
u  reusement  k  sa  fin  le  grand  ouvi  age  que 
«  j'entreprends  pour  sa  gloire,  pour  la  tran- 
« quillite  de  mon  royaume,  pour  le  repos 
«  de  mes  sujets,  et  pour  repondre  a  Fattenle 
(( de  toute  la  nation ,  dont  le  bonheur  depend 
«  du  succ^s  de  cette  assemblee.  II  s'agit  au- 
«  jourd'hui  de  letablissement  de  I'^tat  et  de 
(t  la  reformation  des  abus 

«  C'est  un  usage  bien  louable  etabli  par  nos 
wancetres,  et  bien  propre  k  affermir  I'auto- 
(( rite  des  lois  et  celle  du  prince,  de  con- 
Kvoquer  des  ^tats,  qui,  de  concert  avec  le 
c(  souverain,  prennent  des  niesures  pour  re- 
«  medier  aux  abus  que  les  guerres  civiles  et 
« les  raalheurs  des  temps  auroient  pu  intro- 
a  duire  dans  le  gouvernement.  Quoi  que 
u  puissentdire  les  gens  peu  senses,  et  qui  ne 
((savent  pas  porter  un  jugement  sain  de 
uchaque  chose,  ces  sortes  d'assemblees  ne 
«  peuvent  nuire  k  la  puissance  de  celui  qui 
« gouverne ;  eiles  ne  servent  au  contraire 
« qua  letablir;  car,  en  rendant  aux  lois  leur 
«  vigueur,  et  en  les  faisant  observer,  on  af- 


1 68  ASSEMBLIES  INATIONALES 

(( fermit  le  prince  sur  le  trone  contre  tous  les 
re  efforts  de  ceux  qui  oseroient  I'outrager. 
« Jugez  done  par-la  de  la  droiture  de  mes 
((intentions;  c'est  elle  seule  qui  a  rompu 
(( toutes  les  mesures  des  factieux ,  et  qui  a 
((Conduit  ce  grand  ouvrage  a  un  heureux 
((Commencement.  Oui,  Dieu  m'est  temoin 
(t  de  Finnocence  des  demarches  que  j'ai  faites 
(( pour  procurer  cette  assemblee.  Je  n'ai  mis 
((cn  usage  ni  I'intrigue,  ni  la  brigue,  pour 
((Oter  aux  etats  leur  liberte,  et  pour  cor- 
(( rompre  leurs  suffrages.  Vous  etes  ici  pre- 
(( sents  pour  me  dementir,  et  je  rougirois  si 
((j'avols  tenu  une  autre  conduite,  comme 
((doivent  rougir  tous  ceux  qui,  pour  trou- 
((bler  la  tranquillite  publique,  auroient  eu 
(( Timprudence  et  la  temerite  d'employer  de 
((semblables  moyens  pour  s'assurer  dune 
(( assemblee  qui  nest  etablie  que  pour  tra- 
(( vailler  au  bonheur  de  Fetat,  et  pour  faire 
(( inserer  dans  les  instructions  dont  les  pro- 
(( vinces  ont  charge  leurs  deputes  certains 
(( chefs  qui  pourroient  etre  un  obstacle  a  la 
«  paix,  apr^s  laquelle  toute  la  natioVi  soupire. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  1 69 

«  Car  ne  vous  ima{|inez  pas  qu'on  doive  me 
«  rendre  responsable  de  tous  les  maux  dont 
(f  letat  est  afflige.  H  y  a  eii  en  partie  de  ma 
«  negfligence,  je  ravoiie;  je  sais  que  par  la 
«faute  de  mes  miiiistres  il  s'est  introduit 
((plusieurs  abus  qu'il  est  n^cessaire  de  re- 
('.  former;  mais  j'y  mettrai  si  boii  ordre  dans 
ula  suite,  qu'on  n'aura  lieu  de  se  plaindre 
u  ni  de  moi  ni  des  miens;  et  que  ceux  qui 
«  ont  ete  assez  aveugles  pour  s'eloigner  de 
«leurs  devoirs,  et  de  lobeissance  qui  m'est 
«  due,  seront  forces  de  reconnoitre  leu rs  er- 
«  reurs 

«  Au  reste,  puisque  le  prince  est  comme 
u  le  tableau  sur  lequel  ses  sujets  aiment  a  se 
u  former,  j'ai  resolu  de  mettre  un  tel  ordre 
«  dans  ma  conduite  interieure  et  exterieure, 
«  et  dans  toute  ma  maison,  que  je  puisse  ser- 
«vir  de  modele  k  tous  ceux  qui  voudront 
((  m'imiter.  Pour  vous  en  convaincre  par  mes 
(( actions,  vous  faire  voir  comme  je  suis  sin- 
«  cerement  determine  a  observer  tout  ce  qui 
(f  sera  arrete  par  cette  celeb  re  compajjiiie,  et 
« d'ordonner   en   eel  a   Tex  em  pie  a  tons  les 


170  ASSEMBLIES   NATIONALES 

u  princes  et  seigneurs  de  ma  cour,  et  a  tons 
u  les  deputes  qui  composent  cette  assemblee, 
« je  vous  declare  que  je  suis  resolu  de  pro- 
(f  mettre  et  jurer,  apr^s  avoir  recu  le  saint 
((Sacrement  de  I'autel,  qu'aussitot  que  j'au- 
((rai  repondu  a  vos  demandes,  et  approuve 
(( vos  resolutions,  elles  deviendront  d^s-lors 
(( des  lois  inviolables  dont  il  ne  sera  pas  per- 
«  mis  a  qui  que  ce  soit  de  s'ecarter.  » 

Le  garde  des  sceaux,  Francois  de  Mon- 
tholon  (i),  pritensuite  la  parole,  et  fit  un  dis- 


(i)  Francois  de  Montholon  ,  second  du  nom,  seigneur 
d'Anibervilliers  ,  etc. ,  appele  a  reniplir  un  office  de 
conseiller  au  parlement  de  Paris,  prefera  la  profession 
d'avocat,  qu'il  exerca  long-temps,  et  avec  beaucoup  de 
succes.  Henri  III  lui  donna  les  sceaux.  Lors  de  la  pre- 
sentation de  ses  lettres  a  Tenregistrement,  M.  I'avocat- 
general  Seguier  dit  que  ces  lettres  etoient  une  declaration 
et  protestation  publique  que  le  roi  faisoit  a  tous  les  sujets  de 
son  rojaume  de  vouloir  honorer  les  charges  par  les  hommes, 
et  nan  les  hommes  par  les  charges...;  que  le  roi  iHeid  pu 
faire  un  medleur  choix  que  dudit  sieur  garde  des  sceaux...  ; 
que  rien  ne  se  pouvoit  ajouler  a  I'honneur  qu'il  avail  recu 
de  la  cour,  laquelle  (quand  il  avoit  plaide  en  qualite  d'a- 
vocat) n'avoit  jamais  desire  autres  assurances  de  ses  plai- 
dojers,  que  ce  qu'il  avoit  mis  en  avant  par  sa  bouche,  sans 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXXV.  171 

cours  qui  dut  passer  alors  pour  fort  eloquent. 
J'en  extrais  ce  qui  suit. 

(( On  se  plaint  de  toutes  parts  de  la  nd- 
((gligence  des  ecclesiastiques  *,  de  I'indiffe- 
(trence  avec  lacjuelle  on  adniet  aux  ordres 
(f  sacres  des  sujets  indignes,  sans  s'assurer 
(tde  leurs  moeurs  et  de  leur  capacity ;  de 
u I'avarice  et  de  lambition  qui  regnent  dans 
(de  clerge;  du  peu  de  residence  des  pas- 
«  teurs  •,  enfin ,  des  desordres  des  monasteres 
«  ou  Ton  foule  aux  pieds  la  saintete  des  voeiix 

(( les  plus  solennels II  n'y  a  point 

u  de  moyen  plus  sur  de  retablir  la  subordi- 
u  nation ,  et  par  consequent  la  tranquillite 
udans  letat,  que  d'obliger  les  ministres  de 
«la  religion  a  enseigner  au  peuple,  tout  de 
«  nouveau,  ce  que  le  pretexte  de  la  religion 
«  leur  a  fait  oublier 

«A  legard  des  seigneurs  et  des  gentils- 
(( homines  qui   coinposent  la   noblesse  du 


recourir  aux  pieces.  Apres  I'assassinat  de  Henri  III,  il 
quitta  la  cour  malgre  les  instances  de  Henri  IV.  La  tradi- 
tion du  palais  est  qu'il  reprit  niodestement  la  profession 
d'avorat.  II  mourut  en  iSqo. 


1 7  2  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

(( royaume,  ils  doivent  tons  concourir  a  faire 
c(  le  bonbeur  de  I'etat,  cbacun  selon  son  poii- 
u  voir:  la  vertu  seule  est  le  fondement  et  le 
(c  principe  du  rang  distingue  qu'ils  tiennent 
((dans  la  nation;  par  consequent,  s'ils  s'en 
« ecartent ,  ils  perdent  en  meme  temps  le 
((privilege  que  leur  naissance  leur  avoit 
(( donne.  C'est  a  eux  a  donner  au  reste  du 
(( royaume  I'exemple  d'une  soumission  par- 
((faite  aux  ordres  du  roi  et  des  magistrats, 
(( par  leur  probite  et  leur  droiture.  » 

Le  garde  des  sceaux  s'occupant  ensuite  du 
tiers-etat,  ajoute:  ((C'est  lui  d'oii  se  tirent 
(( presque  tous  les  magistrats  qui  rendent  la 
((justice  dans  le  royaume.  On  pent  done  le 
((regarder  com  me  le  principal  fondement 
(( de  la  soci^te  et  de  la  tranquillite  publique, 
((  en  sorte  qu'on  ne  pent  lebranler  sans  ren- 
((verser  en  meme  temps  tout  Fedifice  qui 
«  porte  dessus.  Un  empire  est  etendu  a  pro- 
(( portion  de  la  justice  de  ses  lois  et  de  I'e- 
(( quite  de  ceux  qui  gouvernent.  Fonde  sur 
(( cette  maxime ,  Fempereur  Trajan  repondit 
((aux  Partlies,  qui  demandoient  que  FEu- 
(( plirate  servit  de  fronti^res  aux  deux  etats, 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  17^ 

«que  r^tendue  de  Fempire  romain  ne  se 
«  mesuioit  ni  pat  les  fleuves  ni  par  les  mon- 
((tagnes,  et  qu'il  ne  reconnoissoit  pour 
«  bornes  que  la  justice  de  ses  lois.  Effecti- 
«  vement  un  etat  qui  n'est  point  fonde  sur  la 
((justice  n'est  dans  le  fond  qu'une  retraite 
(( de  voleurs.  II  i  evient  cependant  tons  les 
((jours  au  roi,  et  on  se  plaint  de  toutes  parts, 
if  que  I'avarice  ou  la  faveur  fait  commettre 
«  une  infinite  de  fautes  dans  Fadministration 
«de  la  justice;  que  par  la  chicane  et  les  mau- 
((vais  artifices  des  procureurs,  aussi  bien 
(( que  par  la  negligence  des  juges ,  les  proems 
(( trainent  en  longueur ,  au  grand  detriment 
((des  parties,  et  deviennent  e  tern  els ;  ou  si 
(( on  parvient  enfin  a  obtenir  un  jugenient, 
((  on  sait  feluder  par  quelque  nouvelle  chi- 
((cane,  et  recommencer  la  question  qui 
(( sembloit  terrain  ee. » 

Apres  que  Montholon  cut  parl^,  Regnauld 
de  Beaune,  archeveque  de  Bourges,  qui 
presidoit  dans  I'absence  des  cardinaux  de 
Bourbon  et  de  Guise,  fit  un  discours  oii, 
apr^s  avoir  remercie  le  roi  au  nom  du  clerge, 
il  ajouta  qu'apres  I'liorrible  tempete  qui  du- 


Iy4  ASSEMBLIES    NATIONALES 

roit  depuis  vingt-liuit  ann^es,  le  ciel  venant 
enfin  a  se  montrer  plus  serein,  les  etats 
avoient  recu  una  grande  consolation  d'en- 
tendre  la  voix  de  leur  souverain,  qui  passoit 
Nestor  en  sagesse,  et  dont  I'eloquence  etoit 
plus  douce  que  celle  d'Ulysse ;  que  proster- 
nes  a  ses  pieds,  et  les  bras  etendus  pour  les 
embrasser,  ils  supplioient  tr^s  humblement 
sa  majeste  de  leur  tendre  de  meme  ses  deux 
bras,  c'est-a-dire  sa  justice  et  sa  clemence, 
afin  qu  aide  des  sages  conseils  de  la  reine  sa 
m^re,  qu'on  pouvoit  dire  justement  etre  une 
autre  Irene ,  il  put  empecher  la  chute  de  la 
France ,  qui  se  voyoit  sur  le  penchant  de  sa 
mine ;  la  relever  comnie  ils  esperoient  qu'il 
en  viendroit  a  bout,  et  lui  rendre  son  an- 
cienne  splendeur,  etc. 

Apr^s  I'archeveque  de  Bourges,  Claude 
de  Beaufremont,  baron  de  Senecey,  haran- 
gua  pour  la  noblesse ;  et  La  Chapelle-Mar- 
teau,  qui  venoit  d'etre  fait  prevot  des  mar- 
chands  par  les  Parisians,  pour  le  tiers-etat. 
Tons  deux  firent  de  grands  eloges  de  la  piete 
du  roi,  et  lui  offrirent,  au  nom  de  leurs 
corps,  leurs  services  et  leurs  conseils  pour 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  I  -7  5 

travailler  k  I'extirpation  de  Th^r^sie,  au  r^- 
tablissement  de  la  religion  dans  le  royaume, 
et  a  la  reformation  du  gouvernement. 

Le  roi  ne  tarda  pas  a  reconnoitre  combien 
pen  ces  protestations  etoient  sinc^res  de  la 
part  des  Guise  et  de  leurs  partisans.  Ceux- 
ci,  clioquesde  quelques  expressions  dontle 
roi  s'etoit  servi  dans  son  discours,  s'en  plai- 
gnirent  hautement,  etdemanderentqu'elles 
fussentsupprimeesdanslediscoursimprim^. 
Le  roi  n'ayant  pas  r^pondu  d'une  mani^re 
satisfaisante,  I'archeveque  de  Lyon  s'oublia 
jusqu'alui  dire  que,  s'il  s'obstinoit  a  refuser 
ce  qu'on  souhaitoit  de  lui,  la  plus  grande 
partie  des  deputes  abandonneroit  les  etats, 
et  qu'il  verroit  naitre  une  source  de  trou- 
bles plus  funestes  encore  que  ceux  qu'il 
avoit  assoupis.  Le  roi  pique,  mais  intimide, 
dissimula,  et  ceda  aux  soUicitations  de  la 
reine  sa  m^re. 

Un  procede  aussi  Strange,  pour  ne  rien 
dire  de  plus,  netoit  cependant  que  le  pre- 
lude du  grand  drame  qui  alloit  s'ouvrir. 
Quelques  jours  apr^s,  les  membres  de  la 
sainte-union ,  tons  d^voues  au  due  de  Guise, 


1^6  ASSEMBLEES   NATIONALES 

et  qui  formoient  la  majorite  de  lassemblee, 
egares  par  le  fanatisme  le  plus  aveu^^^le,  de- 
clarerent  le  roi  de  Navarre  ( Henri  IV )  indi- 
gne  de  succeder  au  trone,  et  d^chu  de  tous 
ses  droits  a  la  couronne,  comme  lier^tique 
relaps.  Guillaume  d'Avanson,  archeveque 
d'Embrun,  fut  charge  de  presenter  au  roi 
cette  deliberation,  et  de  le  prier  de  la  con- 
firmer.  Ge  prelat,  accompagne  de  douze 
deputes  de  chaque  ordre,  s'acquitta  de  sa 
commission.  Le  roi  exigea  que  les  etats  deli- 
berassent  de  nouveau  sur  cette  affaire ;  et  il 
temoigna  le  desir  qu'avant  de  se  determiner 
on  deputat  au  roi  de  Navarre  pour  le  som- 
mer  de  rentrer  dans  le  sein  de  I'Eglise. 
Mais,  sans  respect  pour  I'autorite  du  souve- 
rain,  et  sans  egard  pour  sa  volonte,  les  etats  ' 
decid^rent  qu'une  nouvelle  sommation  etoit 
inutile.  En  consequence  I'archeveque  d'Em- 
brun se  rendit  de  nouveau  aupr^s  du  roi, 
et  lui  annonca  que  les  etats  avoient  resolu  de 
ne  rien  changer  a  ce  qu'ils  avoient  arrete. 

Le  due  de  Guise  qui,  pour  I'execution  de 
ses  grands  et  desastreux  pro  jets,  avoit  int^- 
ret  a  augmenter  les  embarras  du  gouverne- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  I  y  7 

ment,  persuada  aux  deputes  de  prier  le  roi 
d'ordonner  la  publication  du  concile  de 
Trente. 

En  renouvelant  une  demande,  faite  tant 
de  fois,  et  toujours  rejetee,  le  due  de  Guise 
avoit  un  double  but.  Gette  demarche  lui 
assuroit  la  reconnoissance  de  la  cour  de 
Rome,  si  elle  etoit  accueillie,  et  rendoit  le 
roi  odieux  a  cette  meme  cour,  si  la  demande 
etoit  rejetee. 

Telles  etoient  les  intentions  du  due  de 
Guise ;  elles  furent  trompees.  Le  roi  repon- 
dit  que  I'affaire  etoit  d'une  si  haute  impor- 
tance, qu'avant  de  s'expliquer  definitive- 
ment  il  vouloit  qu'elle  fut  soumise  a  un 
examen  approfondi ;  et  des  commissaires 
furent  nommes  pour  proceder  a  cet  examen. 

Ici  je  m'arrete  pour  laisser  parler  le  plus 
exact  et  le  plus  veridique  de  tous  nos  histo- 
riens,  le  president  de  Thou  (i).  Nous  lisons 

(i)  Jacques-Auguste  de  Thou  etoit  d'une  faniille  dis- 
tinguee  principalement  dans  la  magistrature.  Des  le 
commencement  du  quatorzieme  siecle,  elle  possedoit  la 
seigneurie  du  Bignon  dans  I'Orleanois. 

Le  premier  de  cette  famille  qui  s'etablit  a  Paris  fut 
2.  1 1 


-178  ASSEMBLEES  NATIONALES 

dans  son  Histoire  nniverselle ,  livre  XXXV  : 
(( L'avocat-geneial  Jacques  Despesses  ouvrit 
c(  la  conference  en  posant  pour  principe  que 
« les  libertes  de  FEglise  gallicane  n'avoient 
(r  jamais  ete  contestees  par  aucun  concile. 
«I1   ajouta    qu'elles   consistoient   en   deux 


Jacques  de  Thou.  II  embrassa  d'abord  la  profession  d'a- 
vocat.  Apres  s'y  etre  distingue  pendant  quelques  an- 
nees,  il  fut  fait  conseiller,  puis  president  du  parlement 
en  iSaS. 

L'aine  de  ses  fils  fut  le  premier  pre'sident  Christophe 
de  Thou ,  pere  de  Jacques-Auguste  de  Thou ,  dont  il  est 
ici  question. 

II  naquit  a  Paris  le  9  octobre  i553.  Apres  de  tres 
bonnes  etudes  dans  les  universites  de  Paris  et  d'Orle'ans , 
il  voyagea  en  Italic  et  en  Allemagne.  Comme  il  etoit  le 
plus  jeune  des  fils  de  Christophe  de  Thou,  on  le  destinoit 
a  I'etat  ecclesiastique.  Son  oncle,  Nicolas  de  Thou,  eve- 
que  de  Chartres,  qui  eut  I'honneur  de  sacrer  Henri  IV, 
le  dimanche  27  fevrier  1694,  lui  avoit  resigne  tous  ses 
benefices.  Emporte  par  I'amour  de  I'etude  il  abandonna 
I'etat  ecclesiastique  pour  la  magistrature ;  il  fut  fait 
mattre  des  requetes  en  i584)  et  recu  en  i586  dans 
celle  de  president  a  mortier.  Apres  la  journe'e  des  Barri- 
cades il  alia  joindre  a  Chartres  le  roi  Henri  III,  qui  I'em- 
ploya  en  differentes  negociations ;  d'abord  dans  plu- 
sieurs  provinces  de  France  qu'il  s'agissoit  de  maintenir 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  1 79 

u  points  principaux,  qui  etoient :  1°  qu'au 
«  sujet  du  temporel ,  les  papes  ii'ont  point 
((autorite  de  faire  aucun  statut  on  lefjle- 
(( ment  dans  toutcs  les  terres  de  la  domina- 
« tion  du  roi  tr^s  cliretien,  et  que,  sils  pas- 
(( sent  en  cela  leur  pouvoir,  les  sujets  de  sa 
('.  majeste,   fussent-ils   engap^es  dans  I'etat 


dans  le  devoir,  ou  d'y  rameiier;  puis  en  Allemagne  et  a 
Venise.  II  recut  dans  cette  derniere  ville  la  nouvelle  de 
la  mort  de  Henri  III,  et  se  rendit  aiissitot  aupres  de 
Henri  IV,  qui  sentit  aisement  tout  le  parti  qu'il  pouvoit 
tirer  de  ses  talents  et  de  son  zele,  II  fut  employe  en  iSg'i 
a  la  conference  de  Surene.  II  traita  dans  la  suite,  pour 
les  interets  du  roi,  avec  les  deputes  du  due  de  Mercoeur, 
le  plus  ardent  et  le  plus  opiniatre  des  ligueurs.  II  fut 
aiissi  un  des  commissaires  catholiques  a  la  conference  de 
Fontainebleau  en  1600,  entre  I'eveque  d'Evreux  Duper- 
ron,  depuis  cardinal,  et  Duplessis-Mornay.  A  la  raort 
du  fameux  Amyot,  le  roi  le  nomma  grand-maitre  de  sa 
bibliotheque.  Pendant  la  minorite  de  Louis  XIII ,  il  fut 
un  des  trois  directeurs  generaux  des  finances  nommes 
pour  remplacer  le  due  de  Sully  en  1611.  Les  deux  autres 
etoient  M.  de  Chateauneuf  et  le  pre'sident  Jeannin.  C'est 
au milieu detantd'emplois  importants,  d'occupations  et 
d'agitations,  qu'il  parvint  a  elever  le  plus  beau  et  le  plus 
grand  monument  de  notre  histoire.  II  niourut  a  Paris 
en  1617. 

\-2. 


1 8o  ASSEMBLEES  NATIONALES 

«  ecclesiastiqiie,  ne  doivent  point  leur  obeir ; 
«  2°  que,  quoiqu'on  reconnoisse  en  France 
«  qu'en  mati^re  de  religion  le  pape  a  une 
«  autorite  superieure ,  il  n'a  cependant  ja- 
(tmais  eu  dans  le  royaume  une  puissance 
«  absolue  et  sans  bornes;  mais  que  son  pou- 
(( voir  y  a  toujours  ete  limite  par  les  canons 
«  des  anciens  conciles  recus  par  la  nation , 
«  qui  servent  comnie  de  barri^re  contre  les 
«  entreprises  du  saint-siege.  C'est  en  ces  ter- 
« mes ,  continua-t-il ,  que  I'universite  de 
((Paris,  qui,  par  son  zele  pour  la  conserva- 
(( tion  du  depot  de  la  foi,  a  merits  d'etre  re- 
((gardee  comnie  I'oracle  de  la  chretiente, 
((s'en  est  expliquee  lorsqu'elle  s'opposa  a 
(( I'enregistrenient  des  bulles  accordees  par 
(( le  pape  a  Georges,  cardinal  d'Aniboise. 

(( Le  cardinal  de  Gondy  et  I'archeveque  de 
(( Lyon  interrompirent  successivement  Des- 
((pesses,  et  s'emport^rent  contre  lui  en  in- 
(( vectives;  mais  ce  magistrat,  par  des  repar- 
((ties  egalement  justes  et  piquantes,  leur 
(( imposa  silence.  Lansac  prit  la  parole.  II  fit 
(( un  magnifique  eloge  du  concile  de  Trente, 
(( et  il  sou  tint  que  tout  le  monde  etoit  oblige 


DE  FRANCE.   CHAP.  XXXV.  l8l 

de  s'y  soumettre.  Puisque  je  parle  ici ,  lui 
dit  Despesses,  pour  la  defense  des  droits 
dii  roi  etde  la  nation,  permettez-moi  d'user 
du  meme  privilege  dont  d'autres  ont  deja 
use  a  mon  e(jard,  et  de  vous  interrompre. 
A])prenez-moi,  je  vous  prie,  si  vous  pen- 
siez  ainsi  qua  present,  lorsquevous  assis- 
tates  au  concile  en  quality  d'ambassadeur 
de  France.  Lansac  ayant  repondu  qu'alors 
comme  depuis  il  avoit  toujours  parle  de 
cette  assemblee  avec  le  plus  grand  respect, 
I'avocat- general  tira  des  lettres,  et  lui 
demanda  s'il  les  reconnoissoit  pour  etre  de 
lui.  Elles  ne  furent  point  desavouees  par 
Lansac,  et  Despesses  en  fit  faire  tout  liaut 
la  lecture.  Dans  ces  lettres  ecrites  a  Andre 
Guillart  de  Lille,  alors  ambassadeur  de 
France  a  Rome,  Lansac  se  plaignoit  en 
terraes  tres  amers  du  concile  et  des  resolu- 
tions etranges  que  Ion  y  prenoit  au  preju- 
dice des  interets  du  roi  etdu  royaume.  II 
disoit  que  tout  le  monde  etoit  indigne  de 
voir  que,  tandis  que  le  concile  etoit  assem- 
ble a  Trente,  lout  se  decidoit  a  Rome;  que 
ceux  qui    presidoient    a    I'assemblee   en- 


i82  ASSEMBLl^ES  NATION  ALES 

(r  voyoient  an  pape  une  note  de  tout  ce  qui 
('  etoit  propose;  et  que  le  souverain  pontife/ 
c(  apr^s  avoir  donne  une  decision  a  sa  fan- 
c(  taisie,  leur  renvoyoit  le  deci  et  tout  dresse  *, 
((  enfin  que  le  discours  commun  des  ambas- 
« sadeurs  etoit  que  toutes  les  semaines  on 
(( envoyoit  de  Rome  aux  Peres  du  concile  le 
N  Saint-Esprit  dans  une  valise. 

«  Lorsque  Henri  apprit  que  les  magistrats, 
('  charges  particuli^rement  de  la  defense  de 
u  ses  droits,  avoient  ete  traites  d'une  maniere 
((si  indigne  par  le  clerge,  il  fut  infiniment 
(^  sensible  a  ce  nouvel  outrage.  Persuade 
(( que  ce  n'etoit  pas  seulement  aux  commis- 
usaires  que  ces  coups  etoient  adresses,  il 
('  comprit  que  c'etoit  lui-meme  que  les  fac- 
u  tieux  vouloient  rendre  meprisable  dans  la 
(c  personne  de  ceux  qu'il  avoit  revetus  de  son 
((autorite.  Le  desespoir,  plutot  qu'un  vrai 
<(  sentiment  de  vigueur,  se  joignant  a  tant 
«de  motifs  qui  I'excitoient  a  la  vengeance, 
« il  se  confirma  dans  la  resolution  de  se  de- 
((  faire  du  due  de  Guise.  » 

Cependant  les  etats  ne  perdoient  pas  de 
\  ue  la  profonde  misfere  dans  laquelle  le  pen- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  1 83 

pie  etoit  plonge.  L'archeveque  de  Bourses, 
portant  la  parole  au  nom  des  trois  ordres, 
en  mit  le  tableau  sous  les  yeux  du  roi,  dans 
un  discours  fort  long,  et  qui  fut  regarde 
com  me  tres  eloquent.  En  voici  un  frag- 
ment: 

((Sire,  les  anciens  ont  mis  et  propose  un 
(( axiorae  tr^s  certain  auquel  toutes  maximes 
(( d'etat  se  doivent  rapporter ,  toutes  conside- 
(( rations  y  doivent  tendre,  et  le  bon  prince 
(( y  doit  dresser  toutes  ses  pensees  et  des- 
((seins;  que  le  salut  du  peuple  est  la  loi 
((souveraine.  II  ne  se  peut  conserver  sans 
(( moyenset  argent;  celaaussiestbienconnu 
(( et  assure.  Mais  si  faut-il  advouerqu'en  toute 
(( bonne  presupposition  naturelle  etphiloso- 
((phique,  il  faut  premierement  etablir  la 
(( chose,  et  faut  supposer  qu'elle  soit  devant 
(( que  parler  de  la  conservation  et  manuten- 
(( tion  :  la  chose  qui  n'est  point  n'a  point  de 
((qualites,  n'a  point  de  circonstances ,  ne 
((  recoit  aucunes  considerations.  Votre  peu- 
((ple  nest  plus,  il  n'y  a  plus  de  peuple  en 
((  France;  il  est  peri ;  il  n'a  plus  de  substance; 
«  il  n'a  plus  de  vie;  et  s'il  ne  vous  plait  la  lui 


1 84  ASSEMBLIES  NATIONALES 

(( remettre,  vous  n'avez  plus  de  sujets:  cest 
(t  II n  corps  malade  qui  a  ete  trop  saigne;  il 
«le  faut  un  peu  laisser  respirer  et  prendre 
«sa  nourriture-,  puis  Ton  parlera  de  le  sai- 
«gner:  selou  le  bras  la  saignee,  commeron 
Kdit.  Le  faut-il  done  abandonner?  non.  II 
« le  faut  conserver  et  remettre  sus ,  mais 
«  peu  a  peu  selon  ses  forces  naturelles. » 

Touche  de  ces  remontrances ,  le  roi  fit 
leinise  dune  partie  considerable  des  tailles 


arrierees. 


Cette  concession  etoit  un  grand  bienfait; 
mais  il  n'en  resultoit  qu'un  soulagement 
momentane ;  et  I'assemblee,  au  moins  la  par- 
tie  saine  de  I'assemblee  j  portoit  sa  sollici- 
tude  beaucoup  plus  loin.  Embrassant  tout 
a-la-fois  I'avenir  et  le  passe ,  elle  demandoit 
que  Ton  reformat  I'administration  et  les 
finances ;  que  Ton  reduisit  les  pensions  et  les 
dons  excessifs;  que  tous  les  dilapidateurs  du 
tresor  public  f assent  recherches,  jug^s,  et 
sev^rement  punis  (i);  enfin,  vivementfrap- 


(i)  Les  etats  proposoient  d'etablir  a  cet  effet  une  com- 
juission  composee  de  vinj't'-quatre  jiiges,  dont  dix-liuit 


DE  FIIANCE.  CHAP.  XXXV.  l85 

p^e  des  maux  qui  d^soloient  la  France  depuis 
ie  reg^ne  de  Francois  V,  I'assemblc^e  ^mettoit 
Ic  voeu  que  Ion  environnat  I'autorite  royale 
de  barrieres  telles  qu'il  lui  fiit  desormais  im- 
possible de  les  franchir. 

Pendant  que  ces  hautes  pensees  occu- 
poient  les  deputes,  Fassassinat  du  due  de 
Guise,  et  la  mort  de  Catherine  de  M^dicis 
qui  eut  lieu  quelque  temps  apr^s,  jeterent 
dans  les  esprits  et  dans  les  affaires  une  con- 
fusion telle  que  Ton  ne  s'occupa  plus  que  de 
la  cloture  des  ^tats. 

Le  4  Janvier,  les  ordres  present^rent  au 
roi  leurs  doleances,  et  jur^rent  pour  la  troi- 
si^me  fois  d'observer  ledit  d'union. 

Enfln  le  i6  du  meme  mois  de  Janvier, 
I'assemblee  se  reunit  pour  la  derniere  fois. 
L'archeveque  de  Bourses,  devenu  president 
du  clerge  par  la  mort  du  cardinal  de  Guise, 
porta  la  parole  pour  son  ordre ;  le  comte  de 
Brissac  pour  celui  de  la  noblesse,  et  Etienne 
Bernard,  de  Dijon,  pour  le  tiers-etat. 


seroient  choisis  parmi  les  deputes  des  etats ,  et  six  autres 
dans  les  diffcrents  parleinents  du  royaume. 


I  86  ASSEMBLl^ES    NATIONALES 

Ces  discours  termines,  le  roi  declara  I'as- 
semblee  dissoute,  et  congedia  les  deputes  en 
leur  faisant  promettre  que,  de  retour  dans 
leurs  provinces,  ils  travailleroient  de  tout 
leur  pouvoir  a  maintenir  le  peuple  dans 
I'obeissance  qu'il  devoit  a  I'autorite  royale. 

Voici  quelques  fragments  des  discours 
jyrononces  au  nom  de  chacun  des  trois  etats 
dans  cette  derni^re  seance. 

Vorateur  du  clerge.  uSire,  nousreconnois- 
sons  la  bonte  naturelle  qui  reluit  en  votre 
rnajeste  par  vos  actions  particuli^res,  et  par 
le  temoignage  de  vos  paroles  que  vous  ren- 
dez  chacun  jour  a  vos  sujets ;  et  croyons  que 
si  votre  majeste  etoit  avertie  de  I'^tat  et  pau- 
vrete  en  laquelle  sont  vos  sujets,  que  par 
votre  bonte  vous  les  auriez  ja  soulages,  voire 
pleure  avec  eux  en  leurs  calamites  et  mis^res. 

«  L'empereur  Diocletien  . .  .  interroge  par 
ses  familiers  des  causes  qui  I'auroient  mii  de 
se  decharger  de  cette  dignite  iniperiale,  al- 
legua,  entre  autres  causes  et  raisons,  la  mi- 
s^re  des  empereurs,  rois  et  princes,  qui  ores 
qu'ils  soient  pleins  de  bonnes  volontes,  el 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXV.  187 

(lesireux  de  bien  faire  envers  leurs  su  jets,  ce 
neanmoins  toutes  choses  leur  sont  deguisees 
par  ceux  qui  sont  aupr^s  deux,  qui  leur  fas- 
cinent  et  enchantent  les  yeux,  et  etant  tous 
unis  et  bandes  ensemble,  ainsi  que  plusieurs 
tetes  en  un  chaperon,  comme  Ton  dit  en 
commun  proverbe,  font  que  leur  roi  ne  voit 
que  par  leurs  yeux,  et  n'oit  que  par  leurs 
oreilles,  et  n'entend  que  par  leur  bouclie, 
selon  leurs  passions  et  volontes,  tellement 
qu'ils  lui  font  croire  ce  qu'il  leur  plait;  ils  lui 
font  hair  ceux  cju'ils  haissent.  Ils  mettent  en 
reputation  bien  sou  vent  les  moins  vertueiix 
et  dignes,  reculent  et  font  mepriser  les  bons 
et  vertueux 

((  Votre  raajeste  ne  salt  pas,  et  ses  courti- 
sans  se  gardent  bien  de  lui  dire,  que  I'on'vend 
les  tuiles  et  couvertures  des  maisons  des 
pauvres  qui  n'ont  autre  moyen  de  payer  les 
tailles  et  impositions ;  que  les  prisons  en  sont 
pleines  pour  la  contrainte  des  paiements,  et 
ne  leur  baille-t-on  pas  du  pain,  mais  meu- 
lent  de  faim  en  la  prison.  Une  partie  des  su- 
jets  de  votre  royaumc"  so  retirent  rliacun 


1 88  ASSEMBLIES  NATIONALES 

jour  aux  royaumes  et  pays  voisins  pour  cher- 
clier  une  vie  plus  douce,  et  moyen  de  se 
substanter  a  la  sueur  de  leurs  bras,  telle- 
nient  que,  si  bientot  n'y  est  pourvu,  vous 
serez  roi  dune  grande  et  spacieuse  contree 
de  terres  vagues ,  mais  sans  liommes  et  sans 
sujets. » 

Uorateur  de  la  noblesse.  «  Sire ,  votre  ma- 
jeste  a  voulu,  a  Texemple  de  ses  predeces- 
seurs,  prendre  I'avis  et  conseil  des  trois 
etats  et  ordres  de  ce  royaume,  a  ce  que,  par 
le  conseil  des  gens  cliretiens  Francois,  et  de 
longue  et  generale  experience  interesses  et 
affectionnes  en  la  meme  cause,  les  saintes 
intentions  de  votre  majesty  soient  conduites 
a  leur  fin. 

«  Sire,  la  France  est  travaillee  par  des  ca- 
lamites  de  toutes  especes.  L'une  des  princi- 
pales  est  I'heresie  :  pour  remedier  a  un  aussi 
grand  mal,  nous  avons  reconnu  qu'il  faut 
que  nos  prelats  fassent  leur  paix  avec  Dieu 
pour  moyenner  le  bien  du  peuple,  et  par  la 
saintet^  de  leurs  vies,  continence,  cliarites, 
doctrines,  et  saintes  conversations,  fermcr 


DE  FRANCE.  CFIAP.  XXXV.  1 89 

la  porte  aux  scandales,  provenants  des  abus, 
nourrissons  de  I'lier^sie;  et  par-1^  rendre 
leurs  char(>es  si  on  ^reuses  en  toute  pi^te 
chretienne,  que  lesmondains,  attires  par  la 
porape,  delices,  et  autres  choses  du  tout, 
par  le  devoir  eloignes  de  la  discipline  eccle- 
siastique,  desistent  de  plus  entrer  en  leurs 
chaires  et  cloitres. 

(( Votre  noblesse  francoise  vous  a  toujours 
offert«on  tr^s  humble  service,  qui  ne  sera 
petit  quand  votre  majeste  se  servira  des 
moyens  employes  par  ses  predecesseurs. 

«  Ces  moyens  sont  la  force  inexpugnable  et 
incomparable  de  votre  noblesse,  reglee  he- 
r^ditairement,  et  rangee  par  regiments  de 
grands  dues  et  comtes,  et  par  compagnies, 
sous  les  banni^res  hereditaires  de  plus  de 
six  cents  barons,  qui  sont,  pourvu  qu'il  n'y 
ait  privilege,  exemption,  m  fraude,  plus  de 
cinquante  mille  chevaux. 

((  Commandez  done ,  sire  ,  comme  notre 
maitre,  gouvernez-nous  comme  roi  debon- 
naire  que  vous  etes,  aimez-nous  comme 


190  ASSEMBLEES  NATIONALES 

pere,  {jardez-nous  corame  notre  chef,  et 
soyez  ties  chretien,  souverain  general  des 
tr^s  Chretiens;  et  faites  que,  comme  nous 
cherchons  avec  nos  armes  ce  qui  est  cor- 
rompu  en  la  terre  pour  le  conduire  au  ciel , 
ainsi  messieurs  les  pr^lats  cherchent  ce  qui 
est  au  ciel  pour  donner  a  votre  majeste 
victoire  durable  en  la  terre,  n 

L'orateur  du  tiers -etat.  uSire,  vos  tres 
humbles  et  tres  obeissants  sujets  du  tiers- 
etat  de  votre  royaume,  assembles  par  vos 
commandements,  louent  Dieu  et  vous  ren- 
dent  grace  tout  dune  meme  voix,  esprit,  et 
volonte  de  reconnoitre,  comme  ils  ont  tou- 
jours  fait,  votre  ferme  Constance,  zele,  et 
sainte  resolution  h.  la  defense  de  la  vraie 
ancienne  religion  de  leursp^res,  seul  orne- 
ment  de  votre  couronne,  et  fondement  de 
votre  etat. 

«  Ils  ont  aussi  occasion  de  se  consoler,  et 
bien  esperer  plus  que  jamais  de  voir  le  jour 
tant  souhaite  auquel  votre  majeste  est  dis- 
pos^e  d'ouir  leurs  plaintes,  entendre  leurs 
remontrances,  prendre  leurs  avis,  et  rece- 
voir  leurs  humbles  supplications. 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXXV.  191 

«  Leurs  remontrances ,  sire,  pour  etre  an 
bien  de  votre  service,  salutaires  et  profita- 
bles  au  public,  ne  seront  par  eux  deguisees 
de  quelque  langage  affecte. 

« lis  les  veulent  et  entendent  faire  sim- 
ples, libres,  justes,  et  veritables,  sachant 
que  les  anciens  avoient  accoutume  de  pein- 
dre  la  verit^  toute nue,  pour  montrer  quelle 
vouloit  etre  ouie  vive,  et  comme  a  decou- 
vert,  sans  voile,  fard,  ni  ornement  quel- 
conque , 

«  Principalement  quand  Ton  s'adresse  aux 
rois ,  que  c'est  tout  un  peuple  qui  parle ,  et 
qu'il  y  va  du  salut  comraun. 

u  Nous  sommes  a  cela  invites  et  contraints 
d'ailleurs  par  la  franchise  des  etats,  par  la 
liberte  donnee,  par  la  surete  promise,  ne- 
cessitede  nos  charges  publiques,  et  obliga- 
tions particulieres  de  nos  serments;  que 
quand  nous  n'aurions  vos  assurances  et  pro- 
messes,  que  nous  tenons  sacrees  et  inviola- 
bles,  une  seule  raison  nous  pousseroit  aux 
libres  discours  de  nos  plaintes  et  doleances. 

"G'est,  sire,  qu'ayant  le  principal  interet 
a  la  conservation  et  restauration  de  votre 


192  ASSEMBLEES   NATION  ALES 

etat,  voLis  seul  aurez  jet^  la  vue  et  dresse 
prudents  conseils  pour  la  convocation  des 
trois  ordres  de  votre  peuple;  vrai,  ancien, 
et  ordinaire  remede  pour  sauver  et  garantir 
le  royaume  de  sa  mine,  decadence,  et  peril 
d'un  prochaiu  naufrage. » 

L'orateur,  apr^s  cet  exorde,  porte  un  ceil 
observateur  sur  toutes  les  parties  de  I'admi- 
nistration  publique;  sur  la  cour,  I'Eglise, 
I'armee,  les  tribunaux ,  la  police ,  et  les 
finances.  II  decliire  d\ine  main  bardie  le 
voile  qui  couvre  tous  les  abus;  et  franc  et 
loyal  depute,  il  les  signale  tous  a  la  sagesse 
et  a  I'animadversion  du  roi. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  igj 


ft  ■*•»/». -v^/*  1 


CHAPITRE  XXXVI. 

Etats-generaux  de  la  Ligue  tenus  a  Paris  en  i  SgS. 
Observations  sur  la  loi  salique. 

Cette  assembl^ene  futpas  seulementille- 
gale,  elle  fut  seditieuse,  puisqu'elle  avoit 
pour  objet  de  changer  I'ordre  de  la  succes- 
sion a  la  couronne. 

Pour  que  la  nation  ne  reculat  pas  devant 
ce  grand  crime,  on  le  couvrit  du  manteau 
de  la  religion,  on  I'environna  de  tout  ce  que 
le  culte  catholique  a  de  plus  imposant.  Pen- 
dant plusieurs  jours,  un  jeune  general  et 
des  processions  publiques  solliciterent  le  ciel 
de  s'unir  aux  factieux. 

L'ouverture  des  etats,  qui  eut  lieu  le  26 
Janvier,  fut  precedee  d'une  messe  solen- 
nelle  dans  Teglise  raetropolitaine,  oil  tous 
les  deputes  recurent  la  communion ,  et  qui 
fut  termin^e  par  un  sermon  prononce  par 
I'archeveque  d'Aix,  danslequel  on  remarque 
ces  paroles  qui  serviront  de  textc  aux  revo- 
2.  i?) 


194  ASSEMBLlfeES  NATION  ALES 

liitionnaires  de  tons  les  temps  et  de  tous  les 
pays  :  Jm  loi  salique  est  positive  et  changeable 
au  gre  du  legislateur ,  qui  est  le  peuple  francois 
en  corps  (i). 

Ce  langa{3fe  etoit  conforme  a  celiii  du  car- 
dinal de  Pelleve,  l^gat  du  saint-siege  aupr^s 
de  la  Ligue,  qui,  dans  une  proclamation 
qu'il  avoit  fait  publier  quelques  jours  avant 
I'ouverture  des  ^tats,  avoit  ose  dire  quilfal- 
loit  eslire  un  roy  qui  fust  de  nom  et  d'ejfet  tres 
chrestien  et  way  catholique  (2). 


(i)  Mezerai,  Histoire  de  France,  annee  iSgS. 

(2)  Nous  lisons  dans  les  Memolres  de  Hurault  de  Che- 
verny,  alors  chancelier  de  France : 

"Le  cardinal  de  Plaisance,  envoye  par  le  pape  Cle- 
«  ment  huictiesme,  estant  a  Paris,  estima  estre  oblige  a 
» parler  parmy  tant  de  declarations,  lettres  et  belles 
«(  reponses  de  tous  eostez,  et  fit  publier  et  envoyer  par- 
« tout  une  grande  exhortation  de  sa  part  sur  tous  les 
«  catholiques  de  toutes  qualltez,  servants  et  suivants  le 
«roy,  portant  le  grand  tort  qu'ils  faisoient  a  leur 
«  conscience,  et  a  leur  honneur,  de  servir  et  assister  un 
tiheretique,  voulant  prouver  par  ses  raisons  ne  pouvoir 
«  estre  roy  de  France,  et  ainsi  les  conviant  de  s'en  separer 
«  pour  servir  a  la  conservation  de  la  religion  et  de  cet 
ii  estat  avec  les  princes  catholiques ,  et  autres  deputez 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  195 

La  premiere  seance  eut  lieu  dans  Tune 
des  salles  du  Louvre.  L'asserablee  ne  ful  pas 
nombreuse.  On  n'y  vit  ni  princes  du  san^;, 
ni  pairs  de  France,  ni  grands  officiers  de  la 
couronne.  , 

Le  due  de  Mayenne  I'ouvrit  par  un  dis- 
cours  que  larclieveque  de  Lyon  lui  avoil 
compose;  le  cardinal  de  Peileve  paria  pour 
le  clerge;  Senecay  pour  la  noblesse,  et  Ho- 
noredu Laurent,  avocat  du  roi  au  parlement 
de  Provence,  ])our  le  tiers-elat.  «A  j>eine, 
(( dit  Fauteur  de  I'Esprit  de  la  Ligue,  lessean- 
(tces  ^toient-elles  commencees,  qu'elles  fu- 
«rent  suspendues,  sous  pretexte  d'expedi- 
« tions  inilitaires,  qui  obligeoient  le  due 
«  de  Mayenne  a  quitter  Paris,  niais  en  effet 


"des  estats  assemblez  a  Paris,  afin  de  nommer  tous 
i<  unaiiimement  un  roy  qui  fust  vrainient  catfiolique , 
"  et  doiie  des  qualitez  convenables  a  cette  grandeur,  pro- 
«  mettant  par  I'authorite  de  sa  saintete  tout  libre  accez 
«  et  siirete  a  tous  ceux  qui  se  voudroient  reconnoistre, 
«  et  n'oubliant  a  remarquer  le  soin  continue!  et  successif 
uqu'avoient  eu  de  la  conservation  de  la  religion  catho- 
"  lique,  et  de  cet  estat,  tous  les  papes  depuis  Sixte  cin- 
"  quieme,  jusques  audit  Clement  luiirtienie.  » 


196  ASSEMBLIES  NATIONALES 

(tparceqiiil  se  mena^^^eoit  une  negociation, 
«  dont  les  parties  interessees  vouloient  voir 
«  Tissue  avant  que  d'aller  plus  loin,  et  aussi 
«  parceque  les  chefs  de  la  Ligue  et  les  Espa- 
«  gnols  n'^toient  pas  bien  d'accord  sur  le  but 
«  meme  des  etats. » 

Pendant  I'absence  du  due  de  Mayenne,  il 
se  tint  chez  le  l^gat  un  conseil  compose  des 
ligueurs  les  plus  influents,  dans  lequel  le 
due  de  Feria,  ambassadeur  d'Espagne,  dit 
nettement  et  sans  detours  que  I'intention 
du  roi  son  maitre  ^toit  que,  vu  Tindignite 
d'Henri  IV,  heretique  relaps,  les  ^tats  decla- 
rassent  que  la  couronne  de  France  apparte- 
noit  de  droit  a  I'infante  Isabelle,  issue  de  la 
fille  ainee  d'Henri  II,  et  par  consequent  de- 
venue  reine  de  France  par  la  mort  des  trois 
fils  de  ce  prince. 

Le  retour  du  due  de  Mayenne  ayant  per- 
mis  aux  etats  de  reprendre  leurs  seances, 
elles  se  rouvrirent  le  2  avril :  Tambassadeur 
d'Espagne  sy  rendit,  et  fit  un  tr^s  long  dis- 
cours  pour  etablir  que  la  couronne  apparte- 
noit  a  Isabelle.  Une  grande  partie  des  depu- 
tes embrassa  cette  opinion:  elle  passa  des 


DE  FRANCE.   CHAP.   XXXVl.  197 

etats  dans  les  eglises,  et  toutes  les  chaires 
en  retendrent. 

Ainsi  Ion  repoussoit  ce  bon  Henri,  que  la 
nation  auroit  du  choisir  pour  son  roi,  lors 
raeme  que  la  loi  fondamentale  de  I'etat  ne 
Tauroit  pas  appele  a  regner  sur  elle. 

Sans  doute  il  y  avoit  encore  des  coeurs 
vraiment  francois;  mais,  glaces  d'effroi,  ils 
gemissoient,  et  ne  parloient  pas. 

Cependant  une  voix  se  fait  entendre ,  c'est 
celle  du  parlement.  A  la  vue  du  danger  dont 
le  trone  est  menace,  il  oublie  qu'il  est  encore 
sous  la  hache  de  ces  memes  tyrans  qui  vien- 
nent  de  le  mutiler  (i),  et,  bravant  la  fureur 


(i)  Le  lundi  matin  16  Janvier  i589,  Bussy-LeclerC,  de 
procureur  devenu  gouverneur  de  la  Bastille  pour  la  Li- 
gue,  entre  dans  la  grande  chambre  arme  d'une  cuirasse 
et  le  pistolet  a  la  main.  II  tire  de  sa  poche  une  liste, 
ordonne  a  ceux  qu'il  va  nommer  de  le  suivre  a  I'hotel- 
de-ville  ou  le  peuple  les  demandoit.  A  la  tete  etoient  le 
premier  president,  Achille  de  Harlai,  et  le  president  de 
Thou.  //  est  inutile,  interrompit  celui-ci ,  d'en  tire  davan- 
tage ;  il  n'y  a  personne  qui  ne  soit  pret  a  suivre  son  chef. 
Tons  se  levent  en  meme  temps,  et  suivent  I'audaeieux 
Bussy.  II  les  mene  comme  en  trioniplie  a  travers  une 


lyS  ASSEMBLEES  NATIONALES 

des  Seize,  et  les  foudres  du  Vatican,  uil  fit 
uvoir,   dit  Mezerai ,  qu'il  eloit  infaillible 


foule  de  populace  qui  poussoit  des  hue'es  insolentes. 
Arrives  a  Thotel-de-ville,  lis  vouloient  s'y  arreter;  mais 
on  les  fit  passer  outre  jusqu'a  la  Bastille,  et  on  les  y 
renferma,  Mais  lesoiron  reUcha  ceux  qui  n'etoient  point 
sur  la  liste  de  Bussy. 

Le  16  novembre  iSgi,  des  deputes  du  conseil  des 
Douze  se  rendent  ^  la  maison  du  president  Brisson.  II 
sortoit  dans  le  moment  pour  aller  au  Palais.  lis  lui  di- 
sent  que  le  conseil  de  I'Union  le  demande  a  I'hotel-de- 
ville.  Brisson  se  laisse  conduire.  En  passant  pres  du 
Chatelet ,  ils  detournent  sa  mule,  et  le  font  entrer  en 
prison. 

11  y  trouve  pour  premier  objet  des  liommes  converts 
(Pun  roquet  noir,  sur,lequel  il  y  avoit  tine  grande  croix 
rouge.  Sans  lui  donner  le  temps  de  se  reconnoitre,  ils  lui 
annoncent  qu'il  faut  mourir.  L'un  lui  arrache  son  cha- 
peau;  I'autie  le  fait  mettre  a  genoux;  le  {ijreffier  lui  lit 
sa  sentence.  II  y  etoit  dit  qu'on  le  condamnoit  a  etre 
pendu,  pour  avoir  entretenu  commerce  avec  les  hereti- 
ques,  ennemis  de  la  religion  et  du  royaume.  Quels  sont 
mes  juges?  demande  Brisson  etonne ;  ou  sont  les  teraoins  r" 
quellessont  les  preuves?  les  scelerats  se  regardent,  sou- 
rient  de  sa  simplicite,  et  lui  disent  de  se  hater,  qu'il  n'y 
a  pas  de  temps  ci  perdre ,  et  il  fut  execute. 

A  peine  etoit-il  mort  que  d'autres  satellites  amenent 
Claude  Ijarchet,  oonseiller  au  parlenient,  et  Jean  Tardif, 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  1 99 

i(  quand  il  s'agit  des  loix  fondamentales  de 
(( la  monarchic,  pour  lesquelles  il  a  tou jours 
«  veille  tr^s  utileiiient*,  car  il  donna  un  grand 
« arrest  (jiii  ordonnoit  que  remontrances 
((seroient  faites  au  due  de  Mayenne,  a  ce 
« qu'il  eust  a  les  maintenir,  et  empesclier 
«  que  la  couronne  ne  fust  transportee  a  des 
uetrangers,  et  d^claroit  nuls  et  illicites  tous 
((traitez  qui  avoieut  este  faits  ou  qui  se 
« feroient  pour  cela ,  conime  estant  con- 
« traires  a  la  loy  saiique  ( i).  » 


conseiller  auChatelet,  et  les  livrent  aux  memes  bour- 
reaux.  Anquetil,  Esprit  de  la  Ligue,  tome  III. 

(i)  Hurault  de  Cheverny,  alors  chancelier  de  France, 
rend  le  nieme  temoignajje  a  la  courageuse  resistance  des  ' 
magistrats  qui  composoient  la  fraction  du  parlement  res- 
tee  a  Paris.  Voici  comme  il  s'exprime  dans  les  memoires 
qu'il  nous  a  laisses  : 

«  Le  vingt-liuitieme  du  mois  de  juin  iSgS,  comme 
<(  ceux  du  parlement,  demeurez  a  Paris,  cognurent 
« les  grandes  et  diverses  factions  et  cabales  qui  se  fai- 
"soient  aux  estats  de  la  Ligue  audit  Paris,  pour  pour- 
«  voir  a  quelque  sorte  d'eslection  d'un  nouveau  roy,  et 
«  peut-etre  transporter  la  grandeur  et  dignite  de  cette 
"  couronne  es-mains  estrangeres  au  prejudice  de  la  loy 
«  saiique  ,  et  autres  loyx  fondamentales  dc  eel  estat,  se 


!200  ASSEMBLIES  NATIONALES 

Le  president  Le  Maistre,  charge  de  faire 
les  remon trances  ordonnees  par  cet  arret, 
reraplit  cette  honorable  et  p^rilleuse  mission 
avec  le  courage  dun  veritable  magistrat. 
Admis  a  I'audience  du  due  de  Mayenne^  il 
prononCa  le  discours  que  Ton  va  lire : 

(( Nos  ancetresont  etabli  par  deux  raisons  la 
(( loi  salique.  lis  ont  voulu  d'abord  empecher 
((quelacouronnenepassatadesetrangers;en 
(( second  lieu ,  ils  ont  craint  que  les  Francois, 
«  cette  nation  belliqueuse,  ne  degenerassent 
ude  la  vertu  male  de  leurs  p^res,  s'ils  se 
((voyoient  soumis  a  Fempire  d'une  femrae. 


ti  resolurent  prudemment  par  divine  inspiration  de  s'op- 
«  poser  avec  courage  a  telle  entreprise,  et  donnerent  un 
•(arrest  sur  la  requisition  des  gens  du  roy  audit  parle- 
((  ment,  portant  qu'il  fust  fait  remonstrance  tres  expresse 
«  par  le  principal  d'entre  eux  a  M.  de  Mayenne,  comme 
«  lieutenant-general  de  I'estat  et  couronne  de  France,  en 
«  presence  de  tous  les  autres  princes  officiers  de  la  Ligue, 
«  et  principaux  du  party,  a  ce  que  rien  ne  fust  attente  au 
«  prejudice  des  loyx  de  ce  royaume;  ainsi  icelles  observer 
«et  respecter  par  qui  que  ce  fust,  declarant  ledit  arrest 
«  nul ,  et  de  nul  effet  tout  ce  qui  seroit  fait  au  con- 
«  traire.  u 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  201 

wPar  les  lettres  patentes,  enregistr^es  en 
(( parlement  il  y  a  quelques  mois,  vous  avez 
«  vous-meme  confirme  cette  fameuse  loi,  en 
uproinettant  de  conserver  toutes  les  consti- 
«tutions  du  royaume.  La  noblesse,  qui  s'est 
n  attachee  au  roi  de  Navarre ,  nous  croit 
«  vendus  aux  Espagnols :  celle  qui  suit  notre 
« parti  sera  bientot  de  la  meme  opinion , 
(f  d^s  qu'elle  nous  verra  faire  une  Election  si 
ucontraire  a  nos  maxinies;  mais,  objectera- 
«t-on,  la  puissance  et  la  grandeur  de  Plii- 
ulippe  excuseront  notre  demarche.  Quel 
((Secours  peut-on  attendre  de  ce  vieux  roi? 
«  Depuis  cinq  ans,  quel  fruit  la  Ligue  a-t-elle 
«tir^  de  la  protection  de  ce  prince?  Quels 
«  progT^s  fera-t-il  dans  un  royaume  etran- 
«  ger,  lui  qui  pendant  trente  ans  a  inutile- 
«  ment  employe  toutes  ses  forces  et  toutes 
«  ses  richesses  pour  reduire  les  Provinces- 
((  Unies  ?  On  ne  pent  nier  que  la  Ligue  n'ait 
<(  quelques  obligations  aux  Espagnols;  mais 
u  les  Espagnols  n'ont-ils  pas  aussi  de  grandes 
(( obligations  aux  Francois... 

u Quant  aux  calaraites  publiques,  il  est 
u  inutile  de  vous  en  faire  le  detail,  parceque 


202  ASSEMBLKES  NATIONALES 

u  vous  en  avez  une  eiitiere  connoissance,  et 
« que  vous  en  gemissez  vous-meme.  Ayez 
« done  soin  d'y  remedier  au  plus  tot ,  de 
u  crainte  que  la  patienee  de  ce  pen  pie,  pret 
(ca  tout  souffrir  pour  la  religion,  ne  se 
«  tourne  en  desespoir.  Nous  savons  qu'ayant 
«  dessein  de  soulager  nos  maux,  et  de  secou- 
(( rir  la  garnison  de  Dreux,  reduite  aux  der- 
u  nitres  extremites,  vous  n'avez  pas  rejete 
ula  treve  generale  que  les  royalistes  ont 
<(  offerte ;  nous  savons  aussi  que  la  noblesse 
uet  le  tiers-etat  ont  suivi  votre  sentiment, 
(( mais  que  le  legat  du  pape  s'est  oppose  a  un 
((conseil  si  salutaire.  Est-il  vraisemblable 
c(  que  ce  cardinal  ait  agi  par  les  ordres  du 
c(  souverain  pontife?  Le  pape  auroit-il  desap- 
u  prouve  la  treve,  lui  qui  a  juge  a  propos 
((den  faire  une  avec  Lesdigui^res,  et  d'em- 
((ployer  secretement  les  voies  de  negocia- 
(( tion  pour  conserver  Avignon  ? 

«  Si  vous  vous  servez  &i  peu  de  votre  puis- 
((Sance,  et  si  vous  deferez  aveuglement  aux 
(( caprices  dun  ultramontain ,  vous  avilirez 
« I'autorit^  qu'on  vous  a  confiee ,  vous  des- 
(( honorerez  votre  conseil ,  vous  vous  rendre/ 


DE  FKANCE.  CHAP.  XXXVI.  20^^ 

uvous-meme  meprisable,  et  vous  eiifrein- 
«  drez  le  seriiient  que  vous  avez  fait  de  de- 
u  f'endre  nos  imniuuit^s,  qui  consistent  prin- 
ts cipalement  a  ne  point  connoitre  I'autorite 
M  du  pape  et  de  ses  legats  dans  les  matieres 
u  qui  ne  sont  poin t  soumises  a  la  juridiction 
<(  ecclesiastique n 

Quoique  le  due  de  Mayenne  fut  extreme- 
men  t  pique  de  la  liberte  de  ces  remontran- 
ces,  il  se  contenta  de  repondre : 

(( Depuis  qu  on  nVa  confie  le  gouverne- 
('.  ment  de  I'etat,  mon  premier  soin  a  tou- 
<( jours  ete  de  defendre  la  religion,  et  de 
«  maintenir  les  lois  du  royaume.  Mais  a  pre- 
«  sent  il  me  semble  qu'on  ne  me  croit  plus 
«  necessaire,  et  qu'on  veut  se  passer  de  moi. 
(cDans  la  place  ou  je'suis,  j'avois  lieu  de 
«  penser  que  le  parlement  n'auroit  rien  de- 
"cide  sur  une  affaire  de  cette  importance, 
'( sans  me  consulter.  Par  rapport  aux  reme- 
«des  qu'il  est  necessaire  d'apporter  aux  ca- 
a  lamites  publiques,  j'ai  d'abord  penche  du 
<(c6te  de  la  treve  generale  ',  mais,  en  prince 
!' catholique,  j'ai  respecte  les  avis  du  legal. 
<<  All    reste  je  n'ai   rien   encore  decide  :  je 


2o4  ASSEMBLEES  NATIOINALES 

((ferai  tout  ce  qui  me  sera  possible,  et  ce 
((qui  paroitra  raisonnable,  sur  les  deux 
(( chefs  de  vos  remontrances.  n 

Le  lendemain  le  president  Le  Maistre  fut 
mande  chez  I'archeveque  de  Lyon,  ou  etoit 
le  due  de  Mayenne.  Alors  ce  prince  eclata  : 
L injure,  dit-il,  quon  ma  faite  est  trop  sen- 
sible pour  la  dissimuler .  Puisquon  sejoue  ainsi 
de  moi,  fai  resolu  de  casser  Varret  du  parle- 
ment.  L'archeveque  de  Lyon  va  vous  expliquer 
les  motifs  qui  my  determinent. 

Le  prelat  traita  de  temeraire  et  de  sedi- 
tieuse  la  conduite  du  parlenient.  11  avanca 
que  cette  compagnie  n'avoit  pu  ni  du  rendre 
son  arret  sans  avoir  appele  les  princes  et  les 
pairs.  Plusieurs  fois  il  repeta  le  mot  dejouer, 
dont  le  due  de  Mayenne  s'etoit  servi.  Je  ne 
puis  sans  emotion ,  monsieur,  repondit  Le 
Maistre,  vous  entendre  employer  un  terme 
que  mon  respect  nia  empeche  de  relever  lors- 
que  le  prince  a  parle.  En  me  regardant  comme 
particulier,  vous  seriez  moins  oblige  de  peser 
vos  expressions ;  mais  des  que  la  compagnie 
respectable  queje  represente  est  blessee  par  des 
termes  injurieux ,  je  ne  le  puis  souffrir.  Tai 


DE  FRANCE.    CHAP.    XXXVI.  2o5 

toujours  admire  votre  erudition,  mais  vous 
pouvez  savoir  beaucoup  de  choses,  sans  con- 
noitre  le  respect  qui  est  du  au  parlement  [i"). 


(i)  Ce  colloque  est  rapporte  avec  quelques  variantes 
dans  les  Memoires  de  la  Ligue.  On  y  lit,  tome  5 :  «  Sur  ce 
«  M.  de  Lyon  pritla  parole,  et  avec  colere  remonstra  que 
(I  la  cour  avoit  fait  un  grand  affront  audit  sieur  due  d'a- 
((  voir  donne  un  tel  arrest ,  qui  pourroit  causer  une  di- 
«  vision  entre  nous  a  I'advantage  de  I'ennemi. 

«  M.  Le  Maistre  lui  repliqua  soudain,  et  lui  dit  que 
«  M.  le  due  de  Mayenne  avoit  use  de  ce  mot  d'affront, 
"  qu'il  avoit  passe  sous  silence  pour  I'honneur  et  le  res- 
(I  pect  que  la  cour  lui  porteen  general  et  en  particulier; 
«  mais  que  de  lui  il  ne  le  pouvoit  endurer,  pour  ce  que  la 
« cour  ne  lui  devoit  aucun  respect:  au  conlraire  que 
«  c'estoit  lui  qui  le  devoit  a  la  cour,  que  la  cour  n'estoit 
«  point  affronteuse,  ains  composee  de  gens  d'honneur  et 
II  de  vertu  qui  faisoient  la  justice,  et  qu'une  autre  fois  il 
«  parlast  de  la  cour  avec  plus  d'honneur,  de  respect  et 
(I  modestie. 

u  M.  de  Mayenne  dit  qu'il  ne  trouvoit  point  tant 
«  estrange  de  tout  le  corps  de  la  cour  que  d'aucuns  par- 
«  ticuliers  et  des  plus  grands  d'icelle,  lesquels  il  avoit  ad- 
it vancez  des  plus  belles  charges  et  dignitez. 

«  Ledit  sieur  Le  Maistre  lui  fit  response,  que  s'il  enten- 
«  doit  parler  de  lui ,  a  la  verite  il  avoit  recu  beaucoup 
«  d'honneur  de  lui  estant  pourveu  d'un  estat  de  president 
u  en  icelle;  mais  neantmoins  qu'il  s'estoit  tousjours  con- 


2o6  ASSEMBLEES  NATIONALES 

Tons  les  membres  dii  parlemeiit,  lors- 
qu'ils  fiireiit  instruits  de  ce  qui  s  etoit  passe 
en  cette  occasion,  donn^rent  de  grands  elo- 
ges  a  la  fermete  du  premier  president.  Us 
promirent  de  sacrifier  leiirs  vies,  phitot  que 
de  permettre  qu'on  changeat  quelque  chose 
a  lenr  arret,  et  ils  charg^rent  trois  conseil- 
lers  de  signifier  au  due  de  Mayenne  lenr 
resolution  (i). 


((Serve  la  liberie  de  parler  franchement,  et  principale- 
a  ment  des  choses  qui  concernent  I'honneur  de  Dieu,  la 
((justice,  et  le  soulagenient  du  peuple.  v 

Cinq  personnes  fort  notables  ont  porte  le  nom  de  Le 
Maistre  :  Gilles  Le  Maistre,  premier  president  du  parle- 
ment  de  Paris  sous  Henri  II;  Jean  Le  Maistre,  juriscon- 
sulte  celeb  re,  d'abord  avocat,  ensuite  avocat-general ,  et 
president  du  parlement;  il  nedut  son  elevation  qu'a  son 
merite:  il  mourut  le  22  fevrier  1601;  c'est  de  lui  qu'il 
est  question  ici;  Antoine  Le  Maistre,  celebre  avocat  dont 
on  lit  encore  aujourd'hui  les  plaidoyers ;  Le  Maistre  de 
Sacy,  si  connu  par  ses  travaux  sur  la  Bible,  et  par  les 
persecutions  dont  il  fut  I'objet ;  Pierre  Le  Maistre ,  avocat 
au  parlement,  et  auteur  d'un  commentaire  tres  estime 
sur  la  coutume  de  Paris;  mort  nonagenaire  en  1728. 

(1)  Je  dois  ajouter  que  le  ridicule,  cette  arme  si  redou- 
table  dans  les  n^ains  des  Francois,  et  dont  les  blessures 
sont  si   sou  vent   mortelles,   servit  tres  efHcarement  la 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  2O7 

Le  pailement  etoit  alors  divise  en  trois 
sections,  dont  une  etoit  demevir^e  a  Paris, 


cause  de  la  legitimite.  On  devine  bien  que  je  veux  par- 
ler  de  cette  Satire  Menipee,  qui ,  par  une  fiction  fort 
ingenieuse,  substitue  aux  discours  prononces  dans  les 
etats  ce  que  chaque  orateur  auroit  dit,  s'il  avoit  exprime 
sa  pensee  tout  entiere.  Get  ecrit,  avidenient  lu ,  acheva 
de  faire  tomber  tous  les  masques,  et  le  peuple,  enfin 
eclaire  sur  le  veritable  esprit  de  la  Ligue,  ne  vit  plus 
dans  ses  cbefs  que  des  intrigants,  des  bistrions,  et  des 
fourbes.  Voici  un  exemple  de  cette  espece  de  travestisse- 
ment ;  c'est  I'arclieveque  de  Lyon  que  Ton  fait  parler. 

(I  N'est-ce  point  une  chose  bien  etrange,  messieurs  les 
11  zelateurs,  de  voir  notre  union,  maintenant  si  sainte  et 
«  si  devote,  avoir  ete  presque  en  toutes  ses  parties  com- 
«  posee  de  gens  qui,  auparavant  les  saintes  barricades, 
<i  etoient  tous  tarez  et  entachez  de  quelque  note  nial  sol- 
«  fiee  et  mal  accordante  avec  la  Justice?  Et  par  une  mi- 
« raculeuse  metamorphose  voir  tout-a-coup  I'atheisme 
«  ronverty  en  ardeur  de  devotion  ,  I'ignorance  en  science 
t(  de  toutes  nouveautez,  la  concussion  en  piete  et  en  jeiine, 
« la  volerie  en  generosite  et  vaillance;  bref,  le  vice  et 

"  le   crime   transmue   en   gloire    et  honneur ? 

«  N'est-ce  pas,  dis-je,  grand  cas  que  vous  etiez  tous  na- 
"gueres  en  Flandre,  portant  les  armes  contre  les  archi- 
u  catholiques  espagnols  en  faveur  des  heretiques  des 
uPays-Bas,  et  que  vous  vous  soyez  si  catholiquemenl 
ii  rangez  tout-a-coup  au  giron  de  la  sainte  TJgue  roiiiaine, 


2o8  ASSEMBLEES    NATIONALES 

et  les  deux  autres  siegeoient,  Tune  a  Tours, 
et  la  troisi^me  a  Chalons-sur-Marne :  toutes, 
dans  cette  grande  circonstance,  rivalis^rent 
de  zele,  de  devouement,  et  de  courage. 

Le  legat  avoit  public  une  buUe,  par  la- 
quelle  il  exhortoit  les  laiques  a  quitter  le 
parti  du  roi,  et  I'ordonnoit  aux  ecclesiasti- 
ques  a  peine  d'excommunication  et  de  pri- 
vation de  leurs  benefices. 

Les  parlements  de  Tours  et  de  Chalons 
appel^rent  comme  d'abus  de  cette  bulle,  la 
declarerent  scandaleuse ,  pleine  d'imposture, 
tendante  a  exciter  la  revoke;  et,  comme 
telle,  la  condamnerent  a  etre  brulee  par  la 
main  du  bourreau.  Ces  cours  decreterent  le 
nonce  lui-meme  d'ajournement  personnel, 
et  ensuite  de  prise  de  corps.  Elles  promirent 
une  recompense  a  ceux  qui  le  livreroient. 


((  et  que  tant  de  bons  matois ,  banqueroutiers,  saffra- 
(iniers,  desesperez,  haut-gourdiers  et  sargeurs ,  tous 
i(  gens  de  sac  et  de  corde,  se  soient  jetez  si  courageuse- 
«  ment  en  ce  saint  parti ,  pour  faire  leurs  affaires ,  et 
"  soient  devenus  catboliques  a  double  rebras?  • 

De  Tnou,  Hisloire  universe  lie ,  liv.  XL. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVI.  209 

et  defendirent,  sous  peine  de  mort,  de  le 
recevoir  et  de  le  logger  chez  soi.  Les  memes 
arrets  declaroient  criminelsdelese-majeste, 
declms  de  leiirs  benefices,  tons  ceux  ((ui  pu- 
blieroient  et  souscriroient  cette  bnlle.  lis 
defendoient  en  outre  d'envoyer  de  Targent  a 
Rome,  enfin  ils  recevoient  le  procureur- 
general  appelant  an  futur  concile  de  Telec- 
tion  de  Gre^^^oire  XIV. 

L'inebranlable  fermete  des  parlenients, 
la  jalousie  que  le  due  de  Guise  inspira  au 
due  de  Mayenne,  quelques  autres  incidents, 
et  sur-tout  la  conversion  du  roi,  en  impost- 
rent  tellement  aux  factieux,  qu'il  ne  fut 
plus  question  de  I'election  de  I'infante. 

Mais  cette  election  n'etoit  pas  le  sen  I  objet 
de  la  sollicitude  du  le'gat.  II  ne  deniandoit 
pas  avec  moins  d'instance  la  publication  du 
concile  de  Trente :  on  s'en  etoit  occupe  d^s 
la  premiere  seance. 

Cette  mati^re  ayant  ete  remise  le  9  avril 
en  deliberation,  on  nomnia  Jean  Le  Maistre 
et  Guiliaume  du  Vair  pour  examiner  les 
actes  du  concile,  et  pour  y  remarquer  ce 
qu'ils  renfermoient  de  contraire  aux  liberies 


2IO  ASSEMBLl^ES   NATIONALES 

de  leglise  gallicane,  aux  lois,  et  aux  usages 
clu  royaume. 

Apr^s  un  miir  examen ,  ces  deux  commis- 
saires,  eloignes  detout  esprit  de  faction,  et 
qui  avoient  autant  de  probite  que  de  lumie- 
res,  firent  leur  rapport.  lis  observ^rent  que 
le  contenu  en  la  quatri^me  session,  qui 
ordonne  que  les  auteurs  et  les  impriineurs 
des  livres  defendus  seront  punis  par  les  eve- 
ques,  etoit  oontraire  a  I'edit  donne  en  i5^i 
a  Fontainebleau  par  Henri  II,  a  celui  de 
Chateaubriant  de  i55i,  et  a  I'ordonnance 
de  Charles  IX,  rendue  dans  le  temps  des 
^tats-generaux  d'Orleans,  et  renouvelee  a 
Moulins  en  1 566 ; 

Que  le  chapitre  premier  de  la  sixi^me 
session,  qui  permet  au  pape  de  deposer  les 
eveques,  et  den  mettre  d'autres  en  leur 
place,  d^rogeoit  aux  droits  du  roi,  et  au  con- 
cordat passe  entre  Leon  X  et  Francois  I" ; 

Que  dans  les  sessions  septi^me,  vingt- 
uni^me,  vingt-deuxi^me,  et  vingt-cin- 
qui^me,  les  eveques  etoient  declares  execu- 
teurs  des  donations  pieuses;  qu'on  leur  don- 
noit  un  droit  d'inspection  sur  les  chapitres. 


DE  FRANCE.  CHAP.   XXXVI.  211 

hopitaiix,  fabriques,  confreries  laiques,  et 
imiversit^s,  avec  pouvoir  den  administrer 
et  d'en  sequestrer  les  revenus,  d'exi^er  des 
comptes,  de  casser  les  administrateurs,  et 
d'en  nommer  de  nouveaux-,  mais  qu'an  con- 
traire les  edits  de  i5445  1^45,  i546,  et  i56o, 
attribuoient  la  connoissance  de  toutes  les 
affaires  de  cette  nature  aux  juges  royaux; 

Que  la  session  vin^t-quatri^me,  cliapitre 
cinquieme,  qui  revoque  les  lettres  de  privi- 
lege, etles  jugesconservateurs,  sans  distinc- 
tion des  juges  eccl^siastiques  et  des  laiques, 
detruisoit  les  dispositions  de  plusieurs  arrets 
du  parlement^ 

Que  la  permission  accordee  aux  eveques 
dans  cette  meme  session,  cliapitre  premier, 
d'imposer  des  peines  aux  personnes  qui  con- 
tractent  des  manages  proscrits  par  les  lois, 
etoit  contraire  a  notre  jurisprudence  et  a 
nos  usages,  suivant  lesquels  le  juge  eccle- 
siastique  ne  peut  connoitre  que  du  sacre- 
ment,  et  ne  doit  porter  aucun  jugement  sur 
ce  qui  regarde  la  dot,  les  dommages,  les  in- 
t^rets,  et  la  punition  ; 

Que  la  session  vingft-cinquieme,  cliapitre 

■  4- 


2  1 1  ASSliMBLEES  NATIONALES 

iieuvi^nie,  etablissoit  les  evcqnes  juges  des 
contestations  mues  a  Toccasion  des  droits 
de  patronafjje  tant  ecclesiastique  que  laique, 
au  lieu  que  confoi  mement  au  droit  francois 
et  aux  arrets  des  cours  superieures,  non 
seulement  le  possessoire  et  le  petitoire  d'un 
droit  de  patronage  laique,  niais  encore  les 
actions  pour  le  possessoire  ecclesiastique, 
doivent  etre  poursuivis  devant  les  juges 
royaux  j 

Que  le  chapitre  quatri^me  de  la  vingt- 
uni^me  session,  par  lequel  il  est  ordonne 
que  Feveque  sera  le  maitre  de  detacher  une 
portion  congrue  des  biens  de  I'^glise  matrice 
en  faveur  des  pretres  qui  desservent  les 
eglises  nouvellement  erigees,  et  que,  sil  en 
est  besoin ,  il  contraindra  les  peuples  de 
fournir  ce  qui  est  necessaire  pour  la  subsis- 
tance  de  ces  pretres,  contredisoit  absolu- 
ment  nos  usages,  Tautorite  des  eveques  sur 
les  laiques  etant  bornee  au  spirituel,  et  no 
s'^tendant  point  sur  ce  qui  regarde  le  tem- 
porel;  que  par  cette  session,  chapitre  hui- 
ti^me,  il  etoit  en  joint  aux  eveques  de  visiter 
les  presby teres  et  les  batiments  qui  en  de- 


DE  FRANCE.    CHAP.    XXXVI.  21 3 

pendent,  d'yfai re  faireles  reparations  et  les 
reedificationsnecessaires,  et  d'y  contraindre 
les  titulaires,  meme  par  sequestre  des  fruits 
des  benefices,  quecependantles  parlements 
avoien.t  soiivent  prononce  que  les  seuls 
juges  seculiers  avoient  droit  d'ordonner  des 
saisies  ou  des  sequestres ; 

Que  I'autorit^  royale  et  celle  des  magfis- 
trats,  qui  seuls  pouvoient  interdire  les  offi- 
ciers  royaux,  etoientblessees  par  la  disposi- 
tion de  la  session  suivante,  chapitre  dixieme, 
laquelle  autorisoit  les  eveques  a  informer, 
comme  commissaires  du  saint-siege,  contre 
les  notaires  tant  de  cour  ecclesiastique  que 
de  cour  seculiere,  a  leur  faire  subir  des  exa- 
mens,  eta  les  suspendre  de  leurs  fonctions; 

Que  les  sessions  vingt-troisi^me  et  vin(]ft- 
([uatri^me,  cliapitres  sixi^me  et  huitieme, 
suivant  lesquelles  les  homines  maries,  lors- 
qu'ils  ont  ete  tonsures,  sont  soumis  a  la  ju- 
ridiction  episco])ale,  et  les  eveques  peuvent 
connoitre  de  I'adultere  et  du  concubinage, 
])ortoient  aux  droits  du  souverain  une  at- 
teinte  manifeste  j 

Que  la  sup[)ression  des  indults  et  droits 


2l4  ASSEMBLIES   NATIONALES 

de  presentation  accord es  aux  parlements, 
aux  universites,  aux  chapitres,  etc.,  ^toit 
une  disposition  faite  en  haine  et  au  preju- 
dice du  parlement  de  Paris; 

Que  par  la  session  vingt-cinquieme,  clia- 
pitre  troisi^me,  il  etoit  perniis  aux  commu- 
nautes  religieuses,  meme  aux  niendiants,a 
Texception  des  capucins,  etc.,  de  posseder 
des  immeubles,  quoique  leurs  constitutions 
le  leur  dependent;  et  que  ces  constitutions 
ayant  ete  approuvees  et  confirmees  par  plu- 
sieurs  arrets,  on  ne  pouvoity  deroger,  si  ce 
n'etoit  de  rexpr^scommandementduroi,  et 
par  des  lettres  paten tes  enregistrees ; 

Que  la  disposition  du  chapitre  troisi^me 
de  la  meme  session,  qui  laisse  aux  eveques 
la  liberte  d'accorder  ou  de  refuser  des  moni- 
toires,  et  suivant  lequel  c'est  un  crime  a  un 
j  uge  seculier  de  declarer  abusive  une  excom- 
munication, etoit  un  attentat  contre  I'auto- 
rite  des  parlements,  qui,  en  cas  d'appel 
comme  d'abus,  ont  droit  d'ordonner  que 
par  provision  I'excommunie  sera  absous  ad 
cautelam,  et  de  contraindre  I'eveque  ou  ses 


DE   FRAiNCE.    CHAP.  XXXVI.  2l5 

grands  vicaires ,  par  saisie  du  temporel,  de 
donner  cette  absolution ; 

Que  le  concile  n'avoit  pu  excommunier, 
ainsi  qu'il  le  fait  dans  la  merae  session ,  cha- 
pitre  dix-neuvi^me,  les  princes  qui  permet- 
toient  le  duel,  ni  confisquer  le  lieu  ou  le 
combat  se  seroit  passe,  parcequ'on  ne  pent 
oter  au  roi  une  partie  de  son  domaine,  et 
que  pour  le  temporel  il  ne  reconnoit  point 
de  superieur; 

Que  le  cliapitre  suivant,  dans  lequel  le 
concile  ordonne  que  les  saints  canons,  les 
conciles  generaux  et  toutes  les  constitutions 
apostoliques  soient  exactement  observes, 
meritoit  une  restriction,  et  que,  si  cette  dis- 
position avoit  lieu,  il  faudroit  admettre  tou- 
tes les  decretales,  toutes  les  extravagantes, 
et  par  consequent  toutes  les  regies  de  la 
chancellerie  romaine,  dont  la  plupart  ne 
sont  point  recues  en  France ; 

Que  I'exception  portee  par  le  cliapitre 
vingt-unieme  de  la  meme  session ,  lequel  dit 
que  tout  ce  qui  a  ete  fait  dans  le  concile  ne 
pourra  pre judicier  a  I'autorite  du  saint-siege, 


2  I  6  ASSEMBLlfiES   NATIONALES 

etoit  contraire  a  plusieurs  arrets,  qui  out 
proiionce  qu'il  netoit  point  permis  au  sou- 
verain  pontife  d'accorder  des  dispenses  dans 
ties  mati^res  decidees  par  les  saints  canons 
et  par  les  conciles;  qu'autant  de  fois  qu'il 
avoit  paru  des  brefs,  qui  contenoient  quel- 
ques  dispositions  contraires  aux  decisions 
des  conciles,  ils  avoient  ete  declares  nuls; 
que  de  plus  ledit  article  detruiroit  les  appels  . 
com  me  d'abus  (cet  heureux  moyen  qui  en 
France  a  toujours  conserve  dans  leur  yi- 
f^ueur  les  decrets  emanes  dune  autorit^  si 
respectable),  et  qu'une  telle  reserve  anean- 
tiroit  insensiblement  tous  les  conciles,  sans 
en  excepter  meme  le  concile  de  Trente  ; 

Que  les  conciles  provinciaux  et  les  nietro- 
politains  etant  juges  competents  des  crimes 
im[)utes  aux  eveques,  le  concile  prononcoit 
mal-a-propos,  dans  la  treizi^me  session,  cha- 
pitre  liultieme,  et  dans  la  vin^^jt-quatri^me, 
chapitre  cinquieme,  que  les  causes  crimi- 
nelles  des  eveques  seroient  portees  en  cour 
de  Rome;  qu'un  tel  re^jlement  atta([uoit  non 
seulemen  t  la  uto  rite  des  conciles  provinciaux 
et  des  metropolitains,  mais  encore  celle  du 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXXVI.  217 

loi  et  des  magistrals,  qui  seuls  soiit  juges 
competents  des  cas  royaux  et  privil^gies, 
])rivativement  an  papeet  a  tousautres  eccl^- 
siastiques,  quoiqiie  les  accuses  soient  hono— 
res  de  la  dignite  episcopale; 

Qu'avec  aussi  peu  de  fondeinent  on 
avancoit  dans  la  septieme  session,  cliapitre 
sixieme,  dans  la  vingt-qnatri^me,  chapitre 
treizi^me,  et  clans  la  vingt-cinqui^me,  cha- 
pitre neuvi^ine,  que  le  pape  pouvoit  confir- 
uier  les  unions  des  benefices,  quoique  faites 
contre  les  regies,  et  qu'il  avoit  droit  d  accor- 
der  des  provisions  en  forme  (jracieuse ,  puis- 
que  divers  conciles  et  plnsieurs  arrets  des 
cours  superieures  annnloient  tons  actes  de 
cette  nature; 

Que  dans  la  session  cinqui^nie,  cliapitres 
premier  et  second;  dans  la  septieme,  clia- 
pitres sixieme  et  liuitieme;  dans  la  vingt- 
unieme,  cliapitres  troisi^me  et  suivants ; 
dans  la  vingt-deuxieme,  cliapitres  cincpiieiiie 
et  sixieme,  et  dans  la  vingt-cinqnieme,  cha- 
pitre neuvieme,  h^  concile  n'attrihuoit  aux 
eveques  la  connoissance  de  certains  cas,  que 
rouime  a  de-s  commissaires  du  saint->>iege ; 


2  I  8  ASSEMBLl^ES  NATIONALES 

que  de  telles  decisions  repugnoient  a  la  ju- 
risprudence francoise,  qui  rejetoit  les  com- 
missions de  la  cour  de  Rome,  et  ce  qui  etoit 
fait  en  consequence  (i). 

Ges  remarques  furent  approuvees  de  tous 
les  gens  instruits  et  senses,  mais  elles  scan- 
dalis^rent  un  grand  nombre  de  deputes.  Le 
legat  dissimula  le  d^pit  qu'elles  lui  caus^- 
rent,  et  il  n'en  continua  pas  moins  de  de- 
mander  la  publication  du  concile. 


(i)  II  faut  joindre  a  ce  rapport  le  discours  prononce, 
en  presence  des  peres  du  concile,  par  I'eveque  d'Auxerre^ 
Amiot,  ambassadeur  d'Henri  II  aupres  de  cette  assem- 
blee.  Ce  discours  est  rapporte  en  entier  dans  VHistoire 
universelle  du  president  de  Thou,  liv.  IV.  J'en  extrais  le 
fragment  qui  suit : 

«  Le  roi  tres  chretien,  fils  aine  de  I'Eglise,  et  qui  se 
«  glorifie  de  ce  titre,  qu'il  a  herite  de  sesancetres,  voyant 
«  qu'on  se  comporte  a  son  egard  avec  tant  de  passion  et 
II  d'iniquite,  ni'a  ordonne  de  faire  devant  vous  la  meme 
"protestation  qu'il  a  deja  fait  faire  a  Rome,  et  de  vous 
((  declarer  qu'il  ne  pent  ni  ne  doit  envoyer  ici  les  eveques 
«  de  France,  ni  tenir  cette  assemblee  irrejjuliere ,  convo- 
"  quee  non  en  faveur  de  la  religion  et  du  Inen  public , 
«  mais  pour  les  interets  de  quelques  liommes  ambitieux 
«  qui  veulent  profiler  des  troubles ;  qu'ainsi  ni  lui  ni 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXXVI.  219 

Cependant  le  duo  de  Mayenne  vouloit 
dissoudre  les  ^tats,  dont  iletoit  fort  m^con- 
tent;  mais  d'un  autre  cot^  il  falloit  se  de- 
barrasser  du  legat  qui  soUioitoit  toujours, 
avec  les  plus  vives  instances,  la  reception 
du  concile  de  Trente.  Je  vais  laisser  parler 
I'auteur  de  FEspritde  la  Lig,ue(i):  «  Leduc, 
udit  M.  Anquetil,  apaisa  le  lefjat  en  faisant 
« renouveler  le  serment  d'union  dans  les 


a  les  etats  de  son  royaume  ne  se  soumettront  aux  decrets 
«  de  ce  pretendu  concile,  et  qu'il  emploiera,  au  contraire, 
«  pour  les  rejeter  les  moyens  dontses  predecesseurs  se  sent 
"  servis  en  des  occasions  semblables;  car  vous  n'ignorez 
«  pas  le  droit  qu'ont  les  rois  de  France  sur  les  choses  sa- 
il crees,  et  comment  ils  I'ont  toujours  exerce  des  le  com- 

«  mencement  de  la  monarchic A  I'egard  des  vaines 

"menaces  et  des  censures,  le  roi   tres  chretien  ne  les 

"craint  point II  craint  encore  moins  qu'on  lance 

"  un  interdit  sur  son  royaume  :  il  sait  assez  de  quelle 
«  maniere  les  etats-ge'neraux  de  France  et  la  faculte'  de 
«  theologie  de  Paris  se  sont  autrefois  comporte's  sous 
«le  roi  Philippe-le-Bel  contre  Boniface  VIII;  depuissous 
«  Charles  "VI  contre  Benoit,  et  enfin  contre  Jules  II  sous 
"  Louis  XII,  dont  la  memoire  est  si  chere  et  si  respectable 
u  aux  Francois. » 

(i)  Tome  III,  livre  VIII. 


2  30  ASSEMBLIES  NATIONALES 

((  etats  qui  duroient  encore.  jX'ayant  pu  en 
utirer  tout  ce  qu'il  auroit  voulu,  le  prelat 
a  romaiii  souhaitoit  du  moins  y  faire  rece- 
((  voir  le  concile  de  Trente.  On  prit  un  sin- 
«  gulier  moyen  pour  le  satisfaire  sans  enj^ja- 
(tger  les  etats.  Le  lieutenant-general,  dans 
(( une  assemblee  solennelle ,  les  prorogea 
ajusqu'au  mois  de  septembre ,  et  permit 
(( aux  deputes  de  se  retirer.  Apres  cette  ac- 
ution,  par  laquelle  les  etats  etoient  censes 
(( finis,  le  legat  entra.  On  kit  tout  haut  de- 
Kvant  lui  une  ordonnance  tou chant  la  re- 
(( ception  pure  et  simple  du  concile  de 
((  Trente.  II  en  fit,  ainsi  que  le  cardinal  de 
uPelleve  aussi' present,  un  long  remercie- 
((  ment  aux  deputes.  II  alia  ensuite  a  leur 
u  tete  chanter  le  Te  Deiim  dans  I'eglise  de 
«  Saint-Germain-rAuxerrois  (i)- » 

Comme  j'ai  plusieurs  fois  parle  de  la  loi 
salicjue  dans  le  cours  de  ce  chapitre,  je  crois 


(i)  Les  etats  avoient  dure  sept  mois,  clepuis  le  lo  ("evrier 
jusqu'a  la  fin  du  mois  d^aout  ing,"^. 


DE    FRANCE.  CHAP.   XXXVI.  22  1 

devoir  le  terminer  par  quelqiies  observa- 
tions sur  cette  loi. 

Chez  les  anciens  Germains  les  terres  etoient 
pnbliques.  Chaque  annee  la  distribution  sen 
faisoit  aux  membres  des  differentes  tribus, 
en  raison  du  nombre  de  leurs  troupeaux  et 
de  leurs  moyens  de  culture.  Cependant 
chaque  chef  de  famille  possedoit  patrimo- 
nialement  une  habitation  et  quelques  ar- 
pents  qui  en  formoient  IVnceinte.  On  don- 
noit  a  cette  liabitation  et  a  son  enceinte  la 
denomination  de  terre  salique ,  et  c'est  a  cette 
terre  salicjue  que  les  males  succedoient  a 
I'exclusion  des  femmes. 

On  ne  connoit  aucun  exemple  de  deroga- 
tion a  cette  coutume  avant  Tinvasion  des 
Gaules. 

Mais  nous  apprenons  du  moitie  Marculfe, 
qui  ecrivoit  sous  le  i-egne  de  Dagobert  V\ 
que  de  son  temps  le  pere  avoit  la  faculte  de 
rappelerses  fdlesa  sa  succession,  et  qu'alors 
elles  ])artageoient  avec  leurs  I'reres,  non 
seulement  les  acquets  faits  par  le  p^re  eom- 
mun,   mais  le   domaine  dont   la  conquetc 


2  22  ASSEMBLIES   NATION  ALES 

Favoil  rendu  proprietaire ,  domaine  auquel 
on  donnoit  la  denomination  d'alleu,  et  que 
Ton  regardoit  comme  subroge  a  la  terre  sa- 
lique  (i). 

On  ignore  si  ces  derogations  a  la  loi  com- 
mune etoient  plus  ou  moins  frequentes.  Les 
nuages  qui  couvrent  ces  temps  recules  nous 
laissent  a  peine  entrevoir  ce  qui  s'y  passoit. 
Cependant  on  peut  conjecturer  qu'elles 
etoient  fort  rares.  En  788  Charlemagne 
fit  proceder  a  une  nouvelle  redaction  de  la 
loi  salique,  qu'il  publia  sous  le  titre  de  pac- 
tum legis  salicce;  et  la  disposition  qui  declare 
les  filles  inhabiles  a  succeder  a  la  terre  sali- 
que y  est  consignee  en  termes  si  absolus, 
qu'il  est  difficile  de  ne  pas  les  regarder  comme 
exclusifs  de  toute  espece  d'exception.  Ces 
termes,  les  voici :  De  terra  verb  sailed,  nulla 
portio  hcereditatis  mulieriveniat,  sed  ad  viri- 


(i)  La  formule  de  ces  rappels  est  la  douzieme  du 
livre  II  des  formules  de  Marculfe;  elle  est  term i nee  par 
ces  mots:  Ut,  tarn  de.  alode  patenia  quam  de  comparato , 
vel  quodcumque  moriens  reliquero ,  (equali  lance  cumfiliis 
meis  germanis  tuis,  dividereve  excequare  debeas. 


DE  FRANCE.    CHAP.    XXXVI.  22  3 

lem  sexum  totius  terrce  hcereditas  perveniat. 
Titre  62,  article  6. 

Le  domaine  de  la  couronne  etant  regarde 
comme  le  plus  noble  des  alleux,  et  mis 
comme  tel  au  rang  des  terres  saliques,  la  loi 
s'appliquoit  a  la  famille  royale  comme  aux 
families  particuli^res;  et  relativement  aux 
femmes,  le  trone,  comme  tout  ce  qui  etoit 
compris  sous  la  denomination  de  terres  sa- 
liques, etoit  hors  de  la  succession  du  dernier 
roi. 

Si  des  changements  a  cet  ordre  de  succ^- 
der  ont  ete  quelquefois  toleres,  si  dans  cer- 
tain es  circonstances  la  volonte  du  p^re  a 
prevalu  sur  celle  de  la  loi ,  cela  ne  s'est  vu 
que  dans  des  families  particuli^res ,  et  la 
disposition  de  la  loi  salique  a  constamment 
r^gle  la  succession  au  trone. 

Presque  tous  les  rois  des  deux  premieres 
races  ont  eu  des  filles.  La  plupart  de  ces 
princesses  avoient  epouse  les  seigneurs  les 
plus  puissants  d'alors  (i).  Ces  hommes,  dont 


(i)  Clotilde,  fille  de  Clovis,  n'eut  aucune  part  a   ]a 
couronne,  et  le  roi  des  Visigoths,  qu'elle  avoit  epousee, 


2  24  ASSEMBLEES  NATIONALES 

le  courage  infatigable  et  feroce  ne  respiroit 
que  la  guerre,  nauroieut  pas  manque  de 
faire  valoir  les  droits  de  leurs  femmes  au 


ne  fit  entendre  aucune  reclamation. — Theodechilde , 
fille  du  meme  Ciovis ,  et  fondatrice  du  monastere  de 
Saint-Pierre  de  Sens,  fut  traitee  comme  sa  soeur. — Une 
autre  Theodechilde,  fille  de  ThierrI  I",  selon  Flodoard  , 
et  mariee  au  roi  des  Varnes,  selon  Procope,  subit  le 
meme  sort. — Theodebalde  succeda  seui  a  son  pere  Theo- 
debert  au  prejudice  de  ses  deux  sceurs,  Regintrude  et 
Bortoare. — Clirodesinde  et  Chrotdeberge  survecurent  a 
Childebert  leur  pere,  puisqu'elles  eurent  apres  sa  mort 
Caribert,  leur  cousin  germain,  pour  tuteur;  cependant 
Clotaire,  leur  oncle,  herita  du  royaume  de  Paris. — Al- 
boin,  roi  des  Lombards,  avoit  e'pouse  Closinde,  fille  de 
Clotaire  V  ;  mais  apres  la  mort  de  son  bcau-pere,  Alboin 
ne  prit  aucuncs  mesures  pour  faire  valoir  les  droits  de 
sa  femme.  -Ethelbert,  roi  de  Kent,  avoit  epouse  la  fille 
ainee  de  Caribert,  cpii  ne  laissa  pas  de  fils;  neanmoins 
le  royaume  de  Paris  t'chut  aux  collateraux,  sans  opposi- 
tion de  la  part  d'Ethelbcrt. — Gontron  avoit  deuxfilles, 
lorsque  se  plaignant  d'etre  sans  enfants  males,  il  designa 
son  neveu  Childebert  pour  son  successeur. — Chilperic 
avoit  perdu  tons  ses  fds ;  Basine  et  Biguntlie  lui  restoient  en- 
core lorsqu'il  repondit  aux  ambassadeurs  du  meme  Chil- 
debert:  Puisque  je  n'ai  pas  de  posterite  masculine,  le 
roi  votre  maitre^  fils  de  mon  frere,  doit  etre  mon  seal 
heritier.  Foncemagne,  Discours  siir  la  loi  salique. 


DE   FRANCE.   CHAP.   XXXVI.  22  5 

trone,  s'ils  avoient  pu  leur  en  soupconner. 
Cependant  auciin,d'eux,  pendant  les  qnatre 
siecles  qui  se  sont  ^coules  depuis  Clovis 
jusqiia  Tavenement  de  Ungues  Capet  an 
trone,  n'a  fait  entendre  la  plus  leg^re  recla- 
mation. 

Sous  la  troisieme  dynastie,  meme  exclu- 
sion des  ferames,  meme  silence  de  leur  part; 
en  un  mot,  meme  respect  pour  la  loi  salique. 
Depuis  le  commencement  du  XIV*^  siecle 
jusqu'a  nos  jours,  elle  a  recu  linit  fois  son 
application:  i°  a  la  fille  de  Louis  Hutin; 
2°  aux  filles  de  Philippe-le-Long;  3°  k  la  fille 
de  Gharles-le-Bel ;  4°  aux  filles  de  Louis  XI; 
5*  aux  filles  de  Louis  XII;  6"  a  la  fille  de 
Charles  IX;  y"  a  la  petite-fille  de  Henri  II, 
apres  le  dec^s  de  Henri  III;  8"  a  I'auguste 
fille  de  Louis  XVI. 

Je  viens  de  dire  que  dans  ces  huit  circon- 
stances  I'exclusion  des  femmes  n'avoit  donne 
lieu  a  aucune  reclamation :  cela  n'est  pas 
parfaiteraent  exact.  Apres  la  mort  de  Louis 
Hutin,  qui  laissa  une  fille,  le  due  de  Bour- 
gogne,  oncle  de  cette  princesse,  pretendit 
que  la  couronne  lui  appartenoit:  c'etoit  la 

2.  1 5 


2  26  ASSEMBLEES   NATIONALES 

premiere  fois  que  la  difficulte  s  elevoit;  pour 
la  resoudre,  Philippe-le-Long  convoqua  les 
grands  du  royaume,  et  dans  cette  assemblee 
il  fut  decide  que  la  loi  salique  ne  permettoit 
pas  que  lesfemmessuccedassentau  royaume 
de  France. 

Cliarles-le-Bel ,  n'ayant  de  meme  laisse 
quune  fille,  Edouard  III,  roi  d'An^jleterre, 
eleva  la  meme  pretention:  il  etoit,  par  sa 
mere,  petit-fils  de  Philippe-le-Bel ,  et  neveu 
du  dernier  roi,  par  consequent,  plus  pr^s 
que  Philippe  de  Valois,  qui  n'en  etoit  que  le 
cousin.  La  pretention  d'Edouard,  soumise  a 
une  assemblee  composee  des  pairs  de  France 
et  dun  grand  norabre  de  barons,  ne  fut  pas 
jugee  meilleure  que  celle  de  Jeanne,  fille  de 
Louis  Hutin :  il  etoit  male,  a  la  verite,  mais 
il  descendoit  dune  fille,  et  la  loi  salique  lui 
fut  appliqu^e. 

Le  president  Henault,  apr^s  avoir  rap- 
porte  ce  memorable  jugement,  ajoute  :  // 
en  couta  la  vie  a  un  riche  bourgeois  de  Com- 
piegne ,  nomme  Simon  Pouillet,  pour  avoir  eu 
la  temerite  de  se  declarer  enfaveur  de  la  pre- 
tention d'Edouard  III. 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXXVI.  227 

Le  meme  sort  attend  ceux  qui  imiteroient 
le  bourfj^eois  de  Compiegne :  il  leur  est  assur^ 
par  Tarticle  87  du  Code  penal,  dont  voici 
les  termes :  L'attentat  ou  le  complot  dont  le 
but  sera  de  detruire  ou  de  changer  le  gouverne- 
ment  ou  Vordre  de  successibilite  au  trone  sera 
puni  de  mort  et  de  la  confiscation  des  biens. 


13. 


2  28  ASSEMBLEES  NATION  ALES 


GHAPITRE  XXXVII. 

HENRI  IV   ET  MARIE   DE  MEDIGIS. 
(iSqS  —  i6i4.) 

Durant  cet  intervalle,  c'est-^-dire  pen- 
dant plus  de  vingt  ans,  les  ^tats-generaux  du 
royaume  ne  furent  pas  convoques :  il  y  eut 
seulement  en  1596  une  assemblee  de  nota- 
bles, qui  se  prolongea  en  iSgy. 

Gette  assemblee  fut  composee  des  princes, 
des  seigneurs,  et  de  deputes  appeles  tant 
des  principales  provinces  que  du  parlemenl 
de  la  cliambre  des  comptes,  de  la  cour  des 
aides,  du  Ghatelet,  et  de  I'liotel-de-ville 
de  Paris. 

Le  roi  en  fit  Fouverture  le  4  novembre. 
Dans  son  discours  il  dit,  entre  autres  (i),  qu'il 
avoit  reuni  les  notables,  non  pour  faire  ap- 


(i)  E^tats-generaux ,  tome  XVI,  page  12. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVII.       229 

prouver  ses  volontes,  comme  I'avoient  fait 
ses  pr^d^cesseurs  aux  ^tats-generaux ,  mais 
pour  recevoir  leui  s  conseils,  pour  les  suivre, 
bref  pour  se  mettre  en  tutele  entre  leurs 
mains;  envie  qui  ne  prenoit  gu^re  aux  rois, 
aux  barbes  grises  et  aux  victorieux.  U  ajouta 
que  le  violent  amour  qu'il  portoit  a  ses  sujets 
lui  feroit  trouver  tout  aise  et  honorable  pour 
joindre  au  titre  de  roi  ceux  de  liberateur  et 
de  restaurateur  de  1  elat. 

Les  notables  furent  divis^s  en  trois  cham- 
bres,  qui  delib^r^rent  chaeune  en  particu- 
lier,  et  qui  se  communiquerent  ensuite  leurs 
deliberations  en  assemblee  generale. 

Des  cahiers  furent  rediges.  On  y  signala 
plusieurs  abus  et  des  desordres  dans  les  fi- 
nances ;  mais  les  rnqyens  indiques  pour  y 
remedier  denotoient  peu  de  connoissance 
des  affaires,  et  n'etoient  pas  ])raticables. 
Sully  fut  charge  de  ce  soin,  et  par  une  ad- 
ministration aussi  ferme  que  prudente,  il 
justifia  pleinement  la  confiance  intime  de 
son  roi. 

Apr^s  I'assassinat  du  meilleur,  du  plus 
populaire  des  souverains,  Marie  de  Medicis 


'I'So  ASSEMBLliES  NATION  ALES 

ayant  et^  declaree  reine  r^gente  pendant  la 
minorite  de  Louis  XIII,  Sully,  jalouse,  ca- 
lomnie,  dut  bientot  quitter  les  affaires  et 
s'eloi{juer  de  Paris.  Plusieurs  princes  et  sei- 
(jneurs  firent  de  meme.  Des-lors  la  cour  chan- 
^^ea  de  face,  le  gouvernement  de  inaximes, 
les  ininistres  de  desseins.  L'ordre  etabli  sous 
le  regne  du  grand  Henri  fut  ren verse ,  ses 
Economies  dissipees,  ses  alliances  delaissees ; 
le  nombre  des  mecontents  devint  chaque 
jour  plus  grand,  sur-tout  parmi  les  protes- 
tants.  Les  factions  se  multipli^rent ;  la  re- 
gente  en  fut  extreraement  alarmee :  elle  se 
sentoit  a  la  veille  de  voir  renaitre  les  mal- 
heurs  dont  la  France  avoit  ^te  troublee 
sous  les  regnes  precedents.  Elle  assembla  le 
conseil,  qui  fut  d'avis  quil  seroit  a  propos  de 
convoquer  procliainement  les  etats-gene- 
raux  du  royaume  pour  y  prendre  des  reso- 
lutions convenables  au  bien  public.  La 
regente  se  rendit  a  cet  avis,  et  les  lettres 
paten tes  pour  leur  reunion  furent  expediees 
au  mois  de  juin  i6i4- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  23  I 

CHAPITRE  XXXVIII. 

jfctats-generaux  tenus  a  Paris  en  i6i4> 

Les  ^tats  de  i6i4  sont  les  derniers  de  nos 
anciens  etats-generaux;  leur  ouverture  eut 
lieu  avec  beaucoiip  de  solennite.  Je  donne- 
rai  quelques  details  k  ce  sujet  dans  le  cha- 
pitre  suivant. 

Les  lettres  patentes  exp^diees  le  y  juin 
enjoignoient  aux  provinces  de  proceder  a 
Telection  des  deputes  des  trois  ordres  pour 
etre  reunis  le  2  septembre  dans  la  yille  de 
Sens.  Les  deputes  se  disposoient  a  s'y  rendre, 
mais  le  voyage  que  le  roi  et  la  reine  regente 
firentdans  I'intervalle,  en  Poitou  et  en  Bre- 
tagne,  pour  y  apaiser  les  troubles,  eut  un 
tel  succ^s  que  leurs  majestes,  en  revenant 
a  Paris,  decid^rent  d'y  tenir  les  <^tats-gene- 
raux. 

Le  roi  declare  majeur  a  treize  ans  et  un 
jour  en  fit  I'ouverture  par  le  discours  qu'on 
va  lire : 


2  32  ASSEMBLEES  NATIONALES 

((Messieurs,  j'ai  desire  devouscettegrande 
((Ct  notable  assemblee,  au  commenceraeiit 
(( de  ma  majorite,  pour  vous  faire  entendre 
(( I'etat  present  des  affaires,  pour  etablir  un 
(( bon  ordre,  par  le  moyen  duquel  Dieu  soit 
(( servi  et  honore ,  mon  pauvre  peuple  sou- 
(dajj^e,  et  que  chacun  puisse  etre  maintenu 
((  et  conserve  en  ce  qui  Jui  appartient,  sous 
(( ma  protection  et  autorite.  Je  vousprie  tons, 
(( et  vous  conjure  de  vous  employer  comme 
((VOUS  devez  pour  une  si  bonne  oeuvre;  je 
(( vous  promets  saintement  de  faire  observer 
(( et  executer  ce  qui  sera  resolu  et  avise  en 
(( cette  assemblee ;  vous  entendrez  plus  am- 
((  plement  ma  volonte  par  ce  que  dira  M.  le 
(( cliancelier.  » 

M.  le  cliancelier  de  Sillery  (i)  assis  a  la 
{gauche  du  roi ,  sur  une  chaise  sans  dossier, 
prit  la  parole,  et  fit  un  discours  qui  dura 


(i)  Henri  IV  disoit  u  que  tout  pouvoit  lui  reussir  par 
le  moyen  d'un  connetable  qu'il  avoit  qui  ne  savoit  pas 
ecrire  (Henri  de  Montmorency)  et  d'un  cliancelier  qui  ne 
savoit  pas  le  latin.  »  II  parloit  ainsi  du  cliancelier  de  Sil- 
Icrv.  J.  Le  Laboureur,  Mcmoires  de  Castelnau. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.       233 

pr^s  dune  lieure.  Quand  il  eut  fini ,  il  se  leva 
et  alia  prendre  I'avis  du  roi  et  de  la  reine ; 
puis  s'etant  remis  en  place,  il  dit  aux  depu- 
tes en  general :  Que  sa  raajeste  leur  permet- 
toit  de  s'assembler  et  de  dresser  leurs  ca- 
liiers,  et  que  lorsqu  ils  seroient  prets,  elle  y 
donneroit  une  favorable  reponse. 

Ensuite  le  roi  fut  harangue  par  Tarclie- 
veque  de  Lyon  pour  le  clerg^e,  par  le  baron 
Dupont-de-Saint-Pierre  pour  la  noblesse, 
et  par  le  president  Miron  pour  le  tiers-etat. 

La  harangue  du  president  Miron  fut  assez 
longue  etfort  energique;  on  y  remarqua  le 
passage  suivant : 

u  Nous  remercions  tres  humblement  votre 
«majeste  de  ce  quelle  daigne  donner  les 
(t  premieres  actions  de  sa  majorite  a  ce 
(tbon  oeuvre,  que  de  s'incliner  a  entendre 
«les  plaintes  et  doleances  de  ses  sujets,  et 
«  porter  ses  mains  innocentes  a  redresser  les 
ufautes  qu'elle  n'a  point  commises;  ains 
u  nous-memes,  par  le  trop  d'aise  ou  nous 
«  nous  sommes  vus  plonges  par  Taboudance 
u  et  delices,  causes  dune  profonde  et  longue 
(( paix  pendant  I'heureux  regne  de  Ilenri-le- 


2  34  ASSEMBLlfiES  NATIONALES 

((Grand,  de  sorte  que  corame  insens^s  et 
aennemis  de  nous-memes,  courant  a  notre 
ttpropre  mine,  nous  avons  tire  notre  inal- 
«  heur  des  memes  clioses  qui  devoient  operer 
u  et  aFfermir  de  tout  point  notre  bonlieur; 
<(  mais  qui  croira  ce  paradoxe ,  trop  veritable 
u  neanmoins ,  que  les  vertus  ayent  entendre 
«les  vices,  et  que  lexers  de  la  bonte,  faci- 
« lite  et  clemence  de  vos  majestes  ayent 
<(  cause  par  Fimportunite,  I'audace,  Timpiete 
«et  I'impunite,  a  leur  suite  une  infinite  de 
«  maux,  une  contravention  publique  a  tou- 
«tes  ordonnances  divines  et  humaines,  et 
u  enfin  un  devoyement  general  de  toutes 
uref^les,  en  tons  les  ordres  et  professions  de 
«ce  royaume?" 

Du  a-y  octobre  au  5  novembre  on  ne  s'oc- 
cupa  que  de  quelques  differents  de  pre- 
seance  dans  cliacun  des  trois  ordres.  lis  fu- 
rent  rej^^les  provisoirement  jusqua  ceque  le 
conseil  cut  ordonne  sur  le  principal. 

Ledit  jour  5  novembre,  leveque  de  Lu- 
con  (i),  accompagne  de  quatre  ecclesiasti- 


(T)SifameuxdepuissouslenomdecardinaldeRichelieu. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVUI.  235 

ques  se  rendit  a  la  cliambre  du  tiers,  et  lui 
annonca  qu'il  venoit  lui  faire  part  de  deux 
resolutions  prises  par  le  clerj^e :  la  ])remi^re 
de  faire  preter  serment  solennel  aux  depu- 
tes de  travailler  saintenient  (pour  la  gloire 
de  Dieu,  le  service  du  roi,  et  soulagement 
du  peuple)  aux  caliiers,  et  de  ne  reveler  en 
facon  quelconque  ce  qui  seroit  avise  aux 
cliambres. 

La  seconde,  de  venirdeux  fois  le  jour  aux 
Aufjustins;  a  savoir,  la  matinee  depuis  huit 
lieures  jusqua  onze;  et  de  relevee  depuis 
deux  jusqua  quatre,  a  la  reserve  du  jeudi 
et  samedi  Tapres-dinee,  lesquels  jours  seroit 
donne  relaclie  pour  faire  d'autres  affaires, 
ainsi  que  chacun  aviseroit. 

Le  president  Miron  lui  repondit  que 
pour  le  recjard  de  la  premiere  proposition , 
la  compaCTiiie  n'y  pouvoit  encore  satisfaire, 
d'autant  que  les  pouvoirs  n'etoient  pas  veri- 
fies; que  pour  la  seconde,  la  compaonie  se 
conforraeroit  toujours  au  bon  vouloir  et  in- 
tention de  MM.  du  clerge,  comme  de  leurs 
peres  communs. 

Le  lendemain  I'eveque  de  Beauvais  vint, 


236  ASSEMBLEES  NATIONALES 

egalement  au  nom  de  son  ordre,  proposer 
d'extraire  des  cahiers  de  chaque  depute  des 
trois  ordres  tout  ce  qui ,  concourant  a  I'uti- 
lite  publique,  ne  concerneroit  en  particu- 
lier  ni  le  clerge,  ni  la  noblesse,  ni  le  tiers- 
etat,  afin  qu'etant  d'accord  sur  divers  points, 
on  put  les  soumettre  au  roi,  et  en  obtenir 
reponse  avant  de  se  separer.  Cette  proposi- 
tion excita  de  vives  contestations;  on  crut 
y  voir  quel  que  artifice  cache ,  et  le  president 
Miron  jugea  a  propos  de  lever  la  seance,  ren- 
voyant  a  en  deliberer  apres  la  verification 
des  pouvoirs. 

Pendant  ces  communications ,  et  quelques 
autres  de  meme  nature,  Jean,  seigneur  de 
Vertaut,  et  tresorier  de  France  au  bureau 
des  finances  de  Chalons-sur-Marne,  remit 
a  la  chambre  du  tiers  uue  petition  dans  la- 
quell  e  il  exposoit  «  qu'ayant  vu  qu'il  se  fai- 
((Soit  une  levee  de  deniers  dans  le  pays  de 
uRetlielois,  sans  commission  du  roi  qui  eut 
« passe  entre  les  mains  des  tresoriers  de 
«  France  a  Chalons,  il  auroit  fait  son  possi- 
(( ble  pour  empecher  le  cours  de  cette  levee 
«qui  se  faisoit  contre  les  formes,  au  preju- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  287 

«dice  de  I'autorite  royale  et  du  service  de 
(( sa  majest^:  ce  qui  avoit  enjjage  M.  Je  due 
(cdeNevers,  sous  Fautorit^  duquel  lesdits 
adeniers  etoient  leves,  de  le  faire  prendre 
(tpar  cinq  ou  six  hommes  de  sa  suite,  qui 
« I'auroient  traduitde  la  ville  de  Chalons  en 
(tlamaison  de  la  Cassine,  011  il  auroit  et^ 
((trois  jours  renferme,  a  la  merci  de  plu- 
wsieurs  coupe-jarrets,  qui  lui  avoient  fait  le 
«  poil  etla  barbe  a  moitie,  et,  I'ayant  convert 
wd'un  coquelucbon  de  vert  et  de  jaune, 
•(d'avoient  mene  par  toutes  les  villes  du  Re- 
uthelois,  etde  la  conduit  a  Gharleville,  qui 
uappartient  audit  sienr  due  de  Nevers  en 
((souverainete,  la  ou  etant,  les  officiers  an- 
te roient  prononce  un  arret  qui  portoit  que, 
((quoique  lui  suppliant  fut  digne  de  mort 
«  pour  avoir  dit  a  plusieurs  fois  que  son  al- 
« tesse  n'etoit  souveraine ,  et  par  ainsi  se  se- 
tt roit  fait  criminel  de  l^se-majeste ,  nean- 
(tmoins,  pour  certaines considerations,  son 
(( al tesse  lui  remettoitla  peine  de  la  mort,  et 
uordonnoit  qu'il  seroit  mene  par  la  ville 
«  avec  la  marotte  en  main  et  le  coqueluchon 
ttentete,  pour  faire  con  not tre  a  tons  la  folie 


238  ASSEMBLEES    NATION  ALES 

«  et  indiscretion  des  paroles  pleines  de  me- 
«pris  par  lui  suppliant  proferees,  avec  de- 
«  fense  d'y  plus  recidiver,  a  peine  de  la  hart. 
«  Desquelles  paroles,  quand  bien  le  suppliant 
(tlesauroit  dites  et  proferees,  les  officiers 
«  de  Charleville  n'en  pouvoient  prendre  con- 
((noissance,  n'ayant  delinque  dans  la  sou- 
«  verainete  dudit  sieur  due,  en  laquelle  il  ne 
((devoit  etre  traduit  (lui  qui  etoit  officier 
«du  roi)  en  mepris  et  contemnement  de 
« Fautorite  royale.  II  requeroit  done  tr^s 
ct  humblement  MM.  des  etats  de  s'y  joindre 
wavec  lui,  afin  den  avoir  justice  de  la  part 
(( du  roi. » 

Cette  lecture  fit  la  plus  vive  impression 
sur  toute  Fassemblee;  mais  a  cote  de  Findi- 
gnation  quelle  eprouvoit,  se  placoit  un 
sentiment  encore  plus  penible,  celui  de 
Fimpuissance  oil  elle  ^toit,  oil  se  trouvoit 
le  roi  lui-meme  d'atteindre  les  (grands  cou- 
pables.  Au  milieu  de  ces  tristes  reflexions, 
Fheure  qui  annoncoit  la  fin  de  la  seance  se 
fit  entendre;  les  deputes  se  separ^rent,  et 
Fon  ne  revint  plus  sur  cette  malheureuse 
affaire. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  289 

La  meme  petition ,  presentee  aux  deux 
autres  chambres,  y  produisit  la  meme  sen- 
sation; mais  le  resultat  fiit  le  meme,  tant 
^toit  encore  imposante  la  puissance  des 
ha  uts  seigneurs. 

Apres  la  verification  des  pouvoirs ,  on 
proceda  a  la  prestation  du  serment.  Les  de- 
putes des  trois  ordres  le  preterent  cliacun 
en  leur  chambre ;  le  president  assis  et  decou- 
vert  en  prononca  la  formule  en  ces  termes : 

Nous  jurons  tons  en  nos  ames  de  bien  et 
saintement  exercer  nos  charges  de  deputes,  et 
y  servir  le  public  religieusement  y  le  roi  fidele" 
ment,  et  de  tenir  secret  tout  ce  qui  se  passera 
en  cette  assemblee. 

Tons  les  deputes  debout,  decou verts,  et 
la  main  lev^e,  repondirent:  Je  le  jure. 

Les  etats  ainsi  constitues,  le  lieutenant- 
general  du  bailliage  de  Xaintes  proposa  a  la 
chambre  du  tiers  de  supplier  le  roi,  par  une 
humble  adresse,  d'ordonner  cpi'il  fut  provi- 
soirement  sursis  a  la  levee  des  tailles  et  au 
paiement  des  pensions.  «  Eh  quoi !  dit-il , 
«  nos  provinces  ne  nous  ont-elles  pas  deputes 
«  vers  sa  majeste  pour  representer  les  mi- 


24o  ASSEMBLIES  NATIONALES 

«  shres  qui  les  font  (jemir  et  ployer  sous  le 
«  faix  insupportable  de  la  taille,  qui  est  venu 
«  a  un  tel  exces,  que  tons  les  sujets  du  roi  en 
«  sont  demesui  ement  opprimes  ?  ]\'est-ce  pas 
« la  le  but  de  notre  delegation  ?  n'est-ce  pas 
(cproprement  notre  fonction  de  presenter 
« les  larmes  et  les  pleurs  de  nos  pauvres  lia- 
((bitants,  des  miserables  laboureurs,  et  de 
((tout  le  peuple,  pour  emouvoir  a  pitie  et 
((  compassion  le  coeur  du  roi,  afin  que,  flechi 
«  par  les  gemissements  de  tant  de  creatures 
{( a  lui  sujettes,  chacun  puisse  respirer  sous 
(c  la  douce  servitude  de  sa  domination? 

«  Mais  si  le  roi  etoit  force  par  la  necessite 
(( de  ses  affaires  de  refuser  la  premiere  de  ces 
((deux  demandes,  qui  est  celui  qui  ne  se 
(( doive  assurer  de  la  seconde  ?  Y  a-t-il  bon 
(( et  fidele  sujet  qui  doive  servir  son  roi  sous 
(( Fespe ranee  dune  pension  ?  Sera-t-il  dit 
(( desormais  que  le  roi  ne  sera  servi  que  par 
(( ses  pensionnaires? 

(( II  n'est  pas  messeant  de  recevoir  des  li- 
((beralites  de  son  prince,  mais  il  les  faut 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIIF.  24 1 

«  avoir  m^ritees-,  et  cependant  tel  ne  les  a 
upas  m^ritees,  ni  par  vertus  ni  par  actions 
V  heroi'ques,  qui  demande  des  gratifications 
«de  son  prince  avec  le  plus  d'importunitc, 
«  sans  avoir  la  discretion  devant  les  yeux  do 
(tpenser  si  les  affaires  du  royaume  peuvent 
((Supporter  Timmensite  de  tels  dons,  qui 
(( seroient  suffisants  pour  soulager  le  peuple 
((  des  foules  et  surcharges  dont  il  est  opprim^. 
((Puisque  done  nous  voyons  a  quel  exc^s  les 
((pensions  sont  arrivees,  n'est-il  pas  juste  et 
(( raisonnable  den  demander  la  surseance, 
(( attendant  que  par  nos  cahiers  nous  en  pro- 
((  curious  la  suppression  enti^re? )) 

Apres  quelques  debats,  il  fut  arrete  que 
les  deux  propositions  du  lieutenant-general 
de  Xaintes  seroient  prises  en  consideration , 
etcommuniqueesauxdeuxautreschambres. 

Gette  deliberation  etoit  a  peine  terminee 
que  le  president  Jeannin,  revetu  de  la  qua- 
lite  de  commissaire  du  roi,  se  rendit  a  I'as- 
semblee,  et  rait  sous  ses  yeux  I'c^tat  des 
finances,  c'est-a-dire  qu'il  essaya  de  lui 
faire  illusion  sur  les  dilapidations  commises 
pendant  la  regence,  et  de  la  tromper  sur 


^42  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

les  veritables  causes  de  la  penurie  du  tresor 
public.  La  chose  n'etoit  pas  facile. 

Henri  IV  avoit  laisse  dix-sept  millions  en 
numeraire,  et  une  somme  plus  considerable 
en  billets  et  obligations.  En  moins  de  quatre 
annees  les  courtisans  avoient  devore  ce 
tresor.  Le  president  Jeannin  attribua  cet 
enorme  deficit  a  des  depenses  extraordi- 
naires,  telles  que,  i°  la  guerre  de  Juliers  (i); 
2°  le  couronnement  de  la  reine ;  3^*  les  prepa- 
ratifs  faits  pour  son  entree  a  Paris ;  4^  les 
frais  de  deuil  et  funerailles  du  roi ;  5°  le  sacre 
du  roi  regnant ;  6°  des  gratifications  aux 
princes  et  aux  grands  du  royaume,  pour  les 
attacher  plus  particuli^rement  au  service 
du  roi. 


(i)  Par  un  traite  conclu  a  Hall,  Henri  IV  s'e'toit  en- 
gage a  fournir  dix  mille  liommes  aux  heritiers  du  due 
de  Juliers  pour  les  aider  a  recouvrer  sa  succession,  dont 
le  marquis  de  Brandebourg  et  le  due  de  Neubourg  s'e- 
toient  empares.  Voila  ce  que  le  president  Jeannin  appe- 
loit  la  guerre  dejuillet:  une  guerre  aussi  peu  importante 
ne  pouvoit  pas  avoir  occasione  des  depenses  bien  consi- 
derables. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  243 

La  foiblesse  de  ces  palliatifs  fit  encore 
mieux  sentir  lexers  des  d^sordres  et  la  ne- 
cessite  de  chercher  les  moyens  d'y  remedier. 
Bien  resolus  de  n'accoixier  aucun  nouveau 
subside,  les  ^tats  propos^rent  de  reformer 
les  depenses  de  la  cour,  de  siip[>rinier  une 
partie  des  pensions,  etde  les  diminiier  tou- 
tes  (i). 


(i)  Le  parlement  se  joignit  aux  etats-generaux  pour 
faire  sentir  a  la  cour  coinbien  il  lui  iniportoit  de  prendre 
des  mesures  d'ordre  et  d'economie.  Dans  des  remon- 
trances  qu'il  fit  an  roi  le  i6  mars  i6i5,  on  lit: 

(tVotre  majeste  considerera,  s'il  lui  platt,  combien  il 
importe  ai\  bien  de  ses  affaires  de  regler  ses  finances; 
car  le  mauvais  menage  et  la  profusion  causent  la  neces- 
site  de  charger  le  peuple  de  nouveaux  subsides ,  et  I'op- 
pression  des  sujets  produit  les  mecontentements  ,  des- 
quels  naissent  enfin  les  remuements  et  soulevements  des 
peuples. 

"Sire,  la  disposition  et  profusion  qui  a  ete  faite  en 
vos  finances  depuis  le  deces  du  feu  roi  est  incroyable ; 
j>endant  son  regne,  le  revenu  de  votre  royaumo  n'etoit 
si  grand  qu'il  est  a  present,  ainsi  qu'il  sera  justifie  par 
ecrit,  s'il  est  besoin.  On  acquittoJt  neannioins  de  grandes 
sommes,  qu'on  a  cesse  de  payer  depui.*;  sa  luort  a  plu- 
sieiirs  princes,  potentats,  et  republiqucs  ctrangeres;  et 


244  ASSEMBLEES   NATION  ALES 

Ges  propositions  jeterent  la  cour  dans  un 
grand  embarras :  elles  etoient  trop  raison- 
nables  pour  quelle  osat  les  rejeter;  et  ce- 
pendant  on  ne  vouloit  pas  y  souscrire.  Un 
different,  qui  s'eleva  entre  I'ordre  du  clerge 
et  celui  du  tiers,  changea  la  direction  des 
esprits,  et  fit  perdre  de  vue  les  demandes 
faites  au  gouvernement. 

Les  deputes  du  tiers-etat  avoient  arrete 
que  dans  leurs  cahiers  il  seroit  insere  un  ar- 


autres  s'employoient  grands  deniers  aux  batimerits  su- 
perbes  qu'il  faisoit;  qu'autres  depenses  assez  notoires, 
montant  toutes  lesdites  a  plus  de  trois  millions  de  livres 
par  chacun  an,  outre  et  par-dessus  tout  ce  qui  se  paie 
et  emploie  a  pre'sent;  et  toutefois  on  mettoit  encore  tous 
les  ans  en  reserve  deux  millions  de  livres,  qui  font  cinq 
millions  et  plus,  que  I'on  pouvoit  epargner  par  an  de- 
puis  sa  niort,  lesquelles  quatre  annees  suivantes  mon- 
tent  a  plus  de  vingt  millions  de  livres,  qu'on  eut  pu 
employer  a  I'achat  de  votre  domaine,  acquit  etdecharge 
de  votre  majeste. 

«  Votre  majeste  reconnoitra  toute  I'etendue  du  desor- 
dre  de  ses  finances,  si  elle  veut  bien  observer  que  les  de- 
penses, qui  auroient  du  etre  moindres  pendant  sa  mi- 
norite,  ont  de  heaucoup  excedecelles  du  feu  roi.  » 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII,  245 

tide  portant :  «  que  pour  arreter  le  cours  de 
« la  pernicieuse  doctrine  qui  s'introduit  de- 
upuis  quelques  annfe  contre  les  rois  et 
(( les  puissances  souveraines  etablies  de  Dieu, 
«  par  des  esprits  seditieux  qui  ne  tendent 
uqua  les  troubler  et  subvertir,  le  roi  sera 
« supplie  de  faire  arreter  en  lassemblee  de 
«  ses  etats,  pourloi  fondamentale  du  royaume 
«  qui  soit  notoire  a  tons,  que  comnie  il  estre- 
uconnu  souverain  en  son  etat,  ne  tenant  sa 
ttcouronne  que  de  Dieu  seul,  il  n'y  a  puis- 
usance  en  terre,  quelle  quelle  soit,  spiri- 
ts tuelle  ou  temporelle,  qui  ait  aucun  droit 
«sur  son  royaume,  pour  en  priver  les  per- 
«sonnes  sacrees  de  nos  rois,  ni  dispenser 
(tou  absoudre  leurs  sujets  de  la  fidelite  et 
«obeissancequ'ilsleurdoivent,pourquelque 
<(  cause  ou  pr^texte  que  ce  soit;  que  tons  les 
« sujets,  de  quebpie  qualite  qu'ils  soient, 
u  tiendront  cette  loi  pour  sainte  et  veritable, 
«  comme  conforme  a  la  parole  de  Dieu,  sans 
(( distinction  equivoque  ou  limitation  quel- 
((conque,  laquelle  sera  juree  et  signee  par 
u  tous  les  deputes  des  etats,  et  dorenavant 
(t  par  tous    les   beneficiers    et    officiers  du 


246  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

u  loyaume ,  avant  que  d'entrer  en  possession 
« tie  leurs  benefices,  et  d'etre  recus  en  leurs 
'(offices;  tous  precepteurs,  rejyents,  doc- 
'.( teurs  et  predicateurs  tenus  de  I'enseigner 
((  et  publier;  que  Fopinion  contraire,  menae 
u  qu'il  soit  loisible  de  tuer  ou  de  deposer  nos 
(trois,  selever  et  rebeiler  contre  eux,  se- 
((couer  le  joug  de  leur  obeissance,  pour 
(cquelque  occasion  que  ce  soit,  est  impie, 
(( detestable ,  contre  verite  et  contre  leta- 
(( blissement  de  Tetat  de  la  France,  qui  ne 
u  depend  iramediatement  que  de  Dieu ;  que 
u  tous  les  livres  qui  enseignent  telle  fausse 
«  et  perverse  opinion,  seront  tenus  pour  se- 
('  ditieux,  et  damnables,  etc.  » 

Le  clerge,  qui  crutvoir  dans  cette  decla- 
ration une  atteinte  a  I'autorite  de  I'Eglise, 
et  sur-tout  a  celle  des  papes,  fit  les  plus 
grands  efforts  pour  en  empecher  la  publi- 
cation. 11  s'adressa  d'abord  a  la  chambre  de 
la  noblesse.  Le  cardinal  du  Perron  (i)  la  ha- 


(i)  Jacques  Davy-du-Perron,  d'une  ancieune  famille 
de  Normandie,  naquit  a  Geneve  le  25  novembre   i556. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVllI.  247 

ranf3;ua,  et  parvint,  a  force  de  sopliismes ,  a 
lui  faire  partagfer  son  opinion. 

Le  lendemain,  fort  de  Fadh^sion  du  se- 
cond ordre,  I'infatifjable  cardinal  se  rendit 
a  la  cliambre  du  troisi^me,  et,  dans  nn  dis- 
cours  qui  ne  dura  pas  moius  de  trois  heures, 
deroula  sous  ses  yeux  la  doctrine  ultramon- 
taine,  avec  tons  ses  develop  pern  en  ts  et  toutes 
ses  consequences.  II  insista  notamment  sur 
le  droit  de  deposer  les  rois.  Voici  quelques 
lignes  de  cette  partie  de  son  discours : 


Eleve  dans  la  religion  reformee,  il  la  quitta  pour  em- 
brasser  la  religion  catholique  ,  et  bientot  apres  I'etat 
ecclesiastique.  Successivement  eveque  d'Evreux,  arche- 
veque  de  Sens,  et  grand  aumonier  de  France,  Henri  IV 
lui  fit  donner  le  chapeau  de  cardinal  en  1604.  Ce  cha- 
peau,  corame  on  peut  en  juger  par  la  conduite  qu'il 
tint  dans  les  etats  de  i6i4,  lui  fit  perdre  le  souvenir 
des  grands  et  signalesbienfaits  qu'il  avoit  recus  de  Henri : 
en  devenant  cardinal,  du  Perron  oublia  qu'il  n'avoit  pas 
cesse  d'etre  sujet  du  roL 

Cependant  les  cardinaux ,  bien  qu'ils  aient  ete  honores  de 
la  dignite  du  cardinalat ,  ne  laissent  pourtant  pas  d'etre  su- 
jets  a  leurs  princes ,  voire  meme  apres  cette  dignite  acquise, 
sont  obliges  de  faire  un  nouveau  serrnent  de  fidelite  au  roi , 
pour  temoignerque  la  fidelite  qu  its  ant  piree  au  saint-siege  ne 


^48  ASSEMBLEES  RATIONALES 

«  Quant  a  la  deposition  des  lois,  j  en  par- 
if  lerai  hardiment ,  combien  qu  a  rej^ret 
<(  neanmoins.  Je  dirai  ce  qui  est  de  la 
«  croyance  de  I'Eglise,  que  ce  point  est  pro- 
«  blematique,  et  I'a  toujours  ete  en  theolo- 
« (>ie,  qui  ne  peut  etre  comprise  sous  les  lois 
«politiques',  laquelle  tlieologie  il  f'aut  dis- 
(f  tin(juer  d'avec  I'etat  et  police  temporelle; 
«  qu'en  la  France  cette  question  a  ete  tou- 
u  jours  tenue  problematique,  et  appelons 
(( questions  problematiques,  contre  lesquel- 


les  dec  harge  pas  del' obligation  contractee  par  leur  naissance, 
et  defait  les  cardinaux  nationaux,  etant  en  cour  de  Rome , 
sont  obliges  depouser  les  inter^ts  de  leurs  princes;  lui  rendre 
compte  sHlsefait  guelque  chose  a  son  prejudice  et  contre  les 
liberies  de  I'Eglise  gallicane ,  qui  ne  sont  pas  des  privi- 
leges ,  des  graces ,  ni  des  exemptions ,  mais  une  longue  et 
ancienne  possession,  en  laquelle  les  Francois  se  sontmain- 
tenus;  de  garder  les  ordres  anciens  de  la  discipline  de  I'Eglise, 
et  ne  s'en  sont  departis;  de  sorte  que  par  quelques  bulles  ou 
signatures,  expedites  en  la  chancellerie  de  Rome ,  on  deroge 
a  ces  anciens  etablissements  et  a  la  discipline  de  I'Eglise, 
introduite  par  les  conciles  generaux,  qui  sont  le^  colonnes 
de  notre  creance  :  tels  actes  sont  reputes  abusifs  en  France , 
el  n\  peuvent  etre  executes.  Memoire  de  M.  i'avocat-gene- 
ral  Talon,  volume  IV,  pages  5  et  1 1 ,  edition  de  lySa 


DE  FRANCE.  CHAP.   XXXVIII.  2  49 

V  les  de  part  et  cVautre  il  n'y  a  decision  de 
<»  TEcriture,  de  rE{3rlige,niaucun  anatheme, 
« comnie  en  pliilosophie  nous  disons  une 
«  opinion  et  question  probable  pour  laquelle 
<(iIn'yademonstrationnecessaire.EnFrance 
«  ceuxqui  tiennentTaffirmative  ne  tiennent 
«Ies  autres  pour  excommunies,  non  plus 
«  que  ceux  qui  tiennent  la  negative  ne  sont 
«  reputes  anatli^mes.  Si  en  France  la  nega- 
('  tive  est  tenue,  Taffirmative  se  tient  par  les 
«quatre  parts  de  la  chr^tiente;  pour  cela 
u  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  sont  excommu- 

V  nies  et  prives  de  la  communion  de  TEglise, 
((  netant  jusqu'ici  intervenu  sur  telle  ques- 
ts tion  aucun  concile  universel.  » 

Le  cardinal  termine  ce  long  discours  en 
demandant  au  tiers-etat  de  trouver  bon  que 
V article  fut  tire  et  ote  de  ses  cahiers. 

Miron,  president  du  tiers-etat,  repondit 
par  un  discours  improvise,  qui  etonne  par 
son  erudition,  etqui  est  encore  plus  remar- 
quable  par  la  force  des  raisonnements.  En 
voici  la  conclusion :  «  L'intention  de  cette 
«compagniea  ete  de  maintenir  Findepen- 
"  dance  de  la  couronne  de  nos  rois,  qui  ne 


25  O  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

«  peut  leur  etre  arracliee  de  droit  par  au- 
«cune  puissance;  que  sa  saintete  n'a  point 
((ce  ]JOuvoir;  que  I'E^ylise  ne  Fa  jamais  pre- 
(( tendu;  que  ceux  qui  ecrivent  le  contraire 
«soient  chati^s  par  les  juges  seculiers,  n'en- 
« tendant  pas  faire  une  loi  eccl^siastique  de 
« (^ette  proposition,  mais  une  re^\e  de  police, 
(( ([ui  oblige  tous  les  sujets  de  sa  majeste,  de 
«  quelque  condition  et  qualite  qu'ils  soient. 

«  Notre  article  etant  bon  (comme  la  coni- 
((  pagnie  est  resoiue  le  laisser  en  son  cahier) , 
(( ([uel  inconvenient  de  le  dire?  et  s'il  n'y  en 
«  a  point,  quel  danger  de  le  jurer  et  affirraer 
a  pour  nous  tous?  Et  toutefois  la  substance 
«  de  Tarticle  demeurant,  s'il  y  a,  comme  j'ai 
udit,  quelques  mots  qui  vous  troublent, 
u  nous  envoyant  par  ^crit  ce  que  vous  desi- 
tc  rez  de  nous,  j'estime  que  nous  y  pourrons 
((  nous  accommoder,  en  n'alterant  rien  tou- 
a  tefois  du  sujet  de  Tarticle.  » 

Cela  se  passoit  le  3 1  decembre  16 1 4-  Des 
le  2  Janvier,  le  ])arlement,  informe  de  cette 
lutte,  et  justement  effraye  de  la  doctrine 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  2$  I 

professee  par  le  cardinal  du  Perron,  rendit 
nil  arret  portant: 

«Ce  jour, 

M  Louis  Servin,  Mathieu  Mole,  et  Cardin 
('  Le  Bret,  avocats  et  procureur-g^eneral  du 
((  roi  sont  entres,  et  parlant  ledit  Servin,  ont 
((  remontre  que,  combien  par  plusieurs  ar- 
«  rets  ci-devant  donnes  avec  (^rande  et  mure 
(( deliberation,  la  cour  ait  confirme  les  niaxi- 
(( nies  de  tout  temps  tenues  en  France,  et 
«  nees  avec  la  couronne;  que  le  roine  recon- 
« noit  aucun  superieur  au  temporel  de  son 
((  rqyaume,  sinori  Dieu  seul,  et  que  nulle  puis- 
(( sance  na  droit  ni  pouvoir  de  dispenser  ses 
« sujets  du  serment  de  jidelite  et  obeissance 
(( quils  lui  doivent^  ni  le  suspendre ,  priver,  ou 
(( deposer  de  sondit  royaume;  et  moins  d'atten-' 
(f  ter,  faire  attenter  par  autorite,  soit  publique 
aou  privee,  sur  les  personnes  sacrees  des  rois. 
{( Neanmoins  ils  ont  ete  avertis  que,  par  dis- 
i^cours,  taut  en  particulier  qu  en  public ,  plu- 
(^sieurs  personnes  se  donnent  la  licence  de 
«  revoquer  en  doute  telles  maximes ,  disputer 
«  d'icelles ,  et  les  tenir  pour  problematiques  , 


252  ASSEMBLEES    NATIONALES 

do)it  peuvent  arriver  de  tres  grands  incon- 

venients,  auxquels  il  est  necessaire  de  pour- 

voir,  et  promptenient ;  et  attendu  que  la  cour 

est  assewblee,   toutes  affaires  cessantes ,   il 

lui  plaise  ordonner  que  lesdits  arrets  seront 

renouveles ,  et  de  rechef  publics  en  tous  les 

sieges  du  ressort  d'icelle,  V audience  tenant, 

ajin  de  tenir  les  esprits  de  tous  les  sujets  du 

ii^oi,  de  quelque  qualite  et  condition  quils 

soient,  confirmes  et  certains  desdites  maximes 

ict  regies;  et  pour  la  surete  de  la  vie  du  roi, 

paix  et  tranquillite  publique ,  avec  defense 

i  dy  contrevenir,  sous  peines  portees  par  les- 

t  dits  arrets;  et  quil  soit  enjoint  a  tous  ses  sub- 

t  stituts  enfairefaire  la  publication  et  en  cer- 

itijier  la  cour  au  mois,  a  peine  de  privation 

( de  leurs  charges.  » 

((La  cour,  toutes  les  chambres  assem- 
(blees,  faisant  droit  sur  les  conclusions  du 
cprocureu  I -general,  a  ordonne  et  ordonne 
<que  les  arrets  du  2  decembre  i56i,  29  de- 
( cembre  15^45  7  Janvier  et  19  juillet  iSc^S, 
(27  mai,  8  juin,  et  26  novembre  16 10  se- 
ront gardes  et  observes  selon  leur  forme 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  253 

«  et  teneiir ;  fait  defenses  a  toutes  personnes, 
« de  quelque  qualite  et  condition  qu'elles 
« soient ,  d'y  contrevenir  sous  les  peines 
ttcontenues  en  iceux,  et  a  cette  fin,  seront 
«  publics  aux  bailliag;es  et  sen^chaiissees,  et 
(tautres  sieges  de  ce  ressort,  a  la  diligence 
«des  substituts  du  procureur-general,  qui 
(ten  certifieront  la  cour  au  mois,  k  peine 
« den  repondre en  leur  nom. 

uFait  en  parlement  le  2  Janvier  161 5.  » 
II  ne  restoit  plus  aux  partisans  de  la  cour 
de  Rome  qu'une  seule  ressource,  celle  d'in- 
triguer  a  la  cour.  Mais  comment  denaturer 
aux  yeux  du  roi  les  intentions  de  ses  fideles 
communes  *,  et  sur-tout  comment  oser  lui 
dire :  Hatez-vous  de  proscrire  une  mesure 
dont  le  resultat  seroit  votre  surete  person- 
nelle,  I'independance  de  votre  couronne,  et 
la  tranquillite  de  vos  peuples? 

Ge  qu'une  pareille  demarche  avoit  d'ex- 
traordinaire ,  pour  ne  rien  dire  de  plus, 
n'arreta  pas  les  ultramontains,  et,  ce  qui 
estmillefois  plus  extraordinaire,  ils  parvin- 
rent  a  faire  rendre  un   arret  du   conseil, 


2  54  ASSEMBLlfiES  NATIONALES 

([u'il  faut  avoir  sous  les  yeux  pour  y  croire. 
En  consequence  je  vais  le  transcrire : 

« Le  roi  ayant  entendu  les  differents 
((survenus  en  Fassemblee  des  trois  ordres 
((de  son  royaume,  convoques  a  present  par 
(( son  commandement  en  cette  ville  de  Paris, 
usur  un  article  propose  en  la  cliambre  du 
u  tiers-etat,  et  la  deliberation  intervenue  en 
ula  cour  de  parlement  sur  le  meme  sujet, 
(fie  second  du  present  mois,  oui  les  remon- 
« trances  des  deputes ,  du  clerge,  et  de  la  no- 
iiblesse;  sa  majeste,  seante  en  son  conseil, 
(( assistee  de  la  reine  sa  mere,  des  princes  du 
«sang,  et  autres  princes,  dues,  pairs,  offi- 
u  ciers  de  la  couronne,  et  autres  de  son  con- 
«  seil,  pour  bonnes  et  grandes  considerations, 
(( a  evoqu^  et  evoque,  a  sa  propre  personne, 
u  lesdits  differents,  a  sursis  et  surseoit  I'ex^- 
((cution  de  tous  arrets  et  deliberations  sur 
«  ce  intervenus  •,  fait  expresses  inhibitions 
(( et  defenses  auxdits  etats  d'entrer  en  aucune 
unouvelle  deliberation  sur  ladite  niati^re, 
((  et  a  ladite  cour  den  prendre  aucune  juri- 
«  diction  et  connoissance,  ni  passer  outre  en 
« la  si(>nature  et  publication  de  ce  qui  a  ete 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  255 

«  d^liber^  en  icelle  ledit  jour  deuxifeme  du 
«  present  mois. 

«  Fait  ail  couseil  d'etat  tenu  a  Paris  le  6 
((Janvier  i6i5. 

La  ne  s'arreta  pas  le  clerge :  croyant  que 
les  circonstances  etoient  favorables,  il  in- 
sista,  de  la  mani^re  la  plus  pressante,  aupr^s 
du  troisieme  ordre,  afin  qu'il  se  joignit  a  lui 
pour  supplier  le  roi  d'ordonner  la  publica- 
tion du  concile  de  Trente. 

L'eveque  de  Beauvais,  envoye  a  cet  effet 
a  la  chambre  du  tiers-etat,  exalta  dans  un 
long  discours  I'autorite  des  conciles,  sur  les- 
([uels  doit  etre  appuyee  notre  foi  comme  sur 
1  evangile  raeme ,  et  voulut  montrer  qu'il  ne 
portoit  aucune  atteinte  a  Fautorite  de  I'figlise 
gallicane  et  a  celle  de  nos  rois. 

((  La  parole  de  Dieu  est  en  I'Eglise,  dit-il, 
(( comme  les  ames  dans  leurs  corps,  et  I'E- 
(({3rlise  dedans  les  conciles.  Le  concile  de 
(( Trente,  complet  en  toutes  ses  parties,  a  ete 
t(  tenu  par  les  memes  personnes  qui  out  fait 
ules  autres  conciles.  L'autorite  de  I'Eglise 


25G  ASSEMBLEES    NATIONALES 

(( gallicane  n'a  point  recu  de  coup  en  ce  con- 
((cile;  ce  qui  est  ordonne  pour  Tltalie  et 
(( I'Espagne  ne  se  doit  etendre  a  la  France : 
((comme  pour  linquisition,  qui  est  une  ty- 
urannie  pour  les  consciences,  un  remede 
((extreme  et  contraire  aux  edits,  le  concile 
(( n'entend  Tetablir  en  France  et  parmi  nous. 

(( Pour  ce  qui  est  de  la  majeste  de  nos  rois, 
(( il  n'y  a  rien  en  ce  concile  contre  Fautorite 
(( du  roi.  Nous  sonimes  disciples  de  celui  qui 
(( a  commande  d'obeir  a  Cesar,  imitateurs  de 
(( celui  qui  a  voulu  payer  le  tribut,  encore 
(( qu'il  en  fut  exempt. 

((Nous  vous  prions  done  de  considerer 
(( que  I'Efjlise  ne  se  pent  maintenir  en  la 
((discipline  que  par  la  vigueur  de  ce  con- 
(( cile. » 

Le  president  Miron  lui  repondit  en  sub- 
stance (( qu  a  I'egard  de  la  doctrine  et  de  la 
foi,  tout  bon  catholique  tenoit  pour  article 
de  foi  tout  ce  qui  etoit  decide  dans  ce  con- 
cile ainsi  que  dans  les  autres,  et  que  par 
consequent  il  n'etoit  pas  besoin  d'autre  ap- 
probation :  que  pour  la  police  on  ne  pouvoit 
s'y  entendre,  puisqu  elle  etoit  prejudiciable 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII,  1>57 

aux  droits  de  letaf,  qu'il  y  a  soixante  ans 
que  ce  coDcile  avoit  ete  tenu,  et  etoit  de- 
meure  en  suspeiis;  que  nous  tenons  les  con- 
ciles  en  France  par  forme  de  decrets ,  n'y 
ayant  aucun  exeniple  dans  les  registres  du 
parlement  on  ailleurs  de  promul(jation  de 
concile,  que  celui-la  doit  d'autant  moins  etre 
recu  et  public  en  France,  les  autres  ne  I'e- 
tantpas,  qu'il  y  a  ])lusieurs  oppositions  for- 
jnees  par  nos  rois,  chapitres  et  communau- 
tes,  dontla  discussion  m^riteroit  une seconde 
tenue  des  ^tats,  et  que  leur  cahier  ^toit  clos ; 
que  neanmoins  messieurs  du  clerge  pou- 
voient  se  mettre  «reux-memes  dans  I'execu- 
tion  et  observation  dudit  concile  ;  enfin  en 
pratiquer  les  resolutions  et  documents  en  re- 
tranchant  la  pluralite  des  benefices  et  autres 
abus  auxquels  il  a  remedie ;  que  du  reste  il 
seroit  fait  a  messieurs  du  clerge  une  reponse 
particuliere  apr^s  la  deliberation  de  la  com* 
paj>nie. » 

Le  tiers-etat  ayant  delibere  sur  cette  pro- 
position, les  douze  gouvernements  repon- 
dirent,  savoir : 

Paris  et  Ile-de-France.  Que  Ion  n'y  devoit 
2.  ^7 


258  ASSEMBLEES    iNATIONALES 

toucher;  que  ce  n'etoit  le  temps  tie  le  pro- 
poser, et  que  les  Francois  da  present  ne  sont 
pas  plus  sa^es  que  leurs  predecesseurs;  qu'il 
y  a  plus  de  soixante  ans  que  I'affaire  a  ^te 
mise  sur  le  tapis ;  que  Ton  a  eu  avis  que  les 
grands  personnages  qui  nous  ont  precedes 
n'ont  jamais  trouve  bon  que  Ion  recut  ledit 
concile ;  qu  a.  present  il  y  a  plus  d'occasion 
de  le  refuser. 

Bourgogne.  DeTavis  de  I'lle-de-France;  et 
qu'encore  que  le  concile  soit  bon  pour  la  foi 
fjue  nous  tenons,  neanmoins  il  ne  pent  etre 
public  parmi  nous  pour  la  police. 

Normandie.  Que  si  le  concile  se  pouvoit 
diviser,  de  le  recevoir  pour  ce  qui  est  de  la 
foi;-mais  pour  la  police,  (ju'il  n'y  a  appa- 
rence,  et  que  Ion  n'y  devoit  toucher. 

Guienne.  Que  cette  affaire  meritoit  une 
grand e  discussion ,  et  devoit  etre  plus  tot  pro- 
posee  pour  y  aviser ;  et  en  cela  nous  desirons 
croire  que  nos  peres  y  ont  ete  fort  sages  et 
retenus,  et  souimes  de  leiir  avis. 

Bretagne.  Que  la  proposition ,  touchant 
le  concile  de  Trente,  est  une  affaire  de 
grande  importance,  laquelle  ne  se  pent  re- 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  2  59 

soudre  en  si  peu  de  tem|)s  qui  reste  avant  la 
presentation  du  cahier;  que  si  le  roi  nous 
permet  de  nous  assembler  en  corps  d'etat, 
apr^s  la  presentation  de  notre  cahier,  ils 
sont  d'avis  qu'il  en  soit  dispute  et  confere 
avec  MM.de  I'Eglise;  mais,  quant  a  present, 
non. 

Champagne.  H  y  a  soixante  ans  que  ce 
concile  a  ^te  tenu ,  et  jamais  n'a  ^t^  trouve  a 
propos  d'y  toucher,  ni  de  le  publier;,  et  n'y  a 
apparence  qu'en  ce  temps,  et  a  la  veille  de 
la  presentation  de  nos  cahiers,  nous  en 
puissions  parler. 

Lanquedoc.  Ne  sont  d'avis  du  concile,  pour 
ce  qui  est  contraire  a  I'Eglise  de  France  et 
aiix  droits  de  Tetat.  ^ 

Picardie.  De  I'avis  de  llle-de-France ,  et 
n'est  a  propos  de  parler  du  concile. 

Dauphine.  D'avis  d'entrer  en  conferenc^e 
avec  MM.  de  I'Eglise,  et  de  modifier  le  con- 
cile en  ce  qu'il  est  contre  I'etat. 

Provence.  Que  le  concile  soit  recu,  sans 
prejudice  de  la  liberty  de  I'Efylise  gallicane 
et  autorite  du  royaume. 

Lyon.  Que  Ton  vient  tard  demander  le 

17. 


l'.6o  ASSEMBLERS    NATIONALES 

concile;  si  on  Feut  propos^  au  commence- 
ment fles  ^tats,  on  y  eut  avise. 

Orleans.  Que  Ion  n'y  pent  entendre  a 
present;  que  le  temps  est  trop  bref,  dans  le- 
quel  on  puisse  decider  cette  affaire,  a  la- 
quelle  nos  predecesseurs  ont  ete  soixante 
ans  sans  y  pouvoir  resoudre. 

Toutes  les  affaires  soumises  a  la  delibera- 
tion des  trois  ordres  etant  enfin  terminees, 
chacun  deux  presenta  ses  cahiers  au  roi, 
qui  fit  la  cloture  des  etats  le  23  fevrier  i6 1 5 
par  le  discours  suivant :  Messieurs ,  je  vous 
remercie  de  tant  de  peiries  qu'avez  prises  pour 
moi  depuis  quatre  mois.  Je  ferai  voir  vos  ca- 
hiers, et  les  repondrai  promptement  et  favo- 
rahlement. 

Ainsi  finire'nt  les  etats-f^eneraux  de  i6i4- 
II  faut  leur  rendre  la  justice  de  dire  qu'ils 
sonderent  toutes  les  plaies  de  I'^tat;  mais, 
contraries  par  la  cour,  ils  n'en  guerirent  au- 
cune;  cependant  il  nous  reste  deiix  monu- 
ments precieux  de  leur  existence :  les  remon- 
trances  qu'ils  deposerent  au  pied  du  trone, 
et  la  grande  et  belle  ordonnance  de  1629  en 
quatrecentcinquantearticles,dontplusieurs 


DE  FRANCE.    CHAP.    XXXVIII.  26 1 

ont  ^t^  adoptes  par  les  r^dacteurs  de  notre 
Code  civil ,  et  font  partie  de  ce  bel  ouvrage. 

L'ordonnance  de  1629  est  assez  connue 
pour  que  je  me  croie  dispense  d'en  rap- 
porter  les  dispositions;  mais  comme  les  re- 
niontrances  le  sont  beaucoup  moins,  je  vais 
en  transcrire  quelques  fragments;  j'ouvre 
celles  du  tiers-etat,  et  j'y  lis:  «  que  dor^na- 
vant,  de  dix  en  dix  ans,  il  soit  fait  assembl^e 
g^n^rale  de  votre  royaume,  "'^     • 

((Soit  pareillement  tenu  pour  loi  fonda- 
mentale  de  I'etat,  qu'aucuns  sujets  de  votre 
majeste,  de  quelque  etat  et  condition  qu'ils 
soient,  ne  peuvent  avoir  ligue  oii  association 
en<reeMJC,niautres  princes  et  seigneurs  etran- 
gers,  sinon  du  gr^  et  consentement  de  votre 
majest^,  et  de  quoi  ils  ne  pourront  etre  de- 
charges  par  aucune  lettre  de  grace. 

(( Plaise  aussi  a  votre  majest^  de  repondre 
ft  resoudre  les  caliiers  ([ui  lui  seront  pre- 
sentes  pendant  la  tenue  desdits  ^tats,  et 
avant  que  les  deputes  desdits  ^tats  se  s^- 
parent; 

('  Que  pour  la  negligence  de  pourvoir  par 


262  ASSEMBLEES    NATIONALES 

les  archeveqiies  et  eveques  sur  les  plaintes 
qui  leur  serontf'aites  paries  paroissiens,  des 
abus,  defaut,  et  manquement  de  leurs 
cur^s,  Ja  conuoissance  en  soit  attribuee  a 
vos  juges  pour  les  coniraindre,  par  saisie  du 
teraporel,  a  I'execution  de  ce  quils  sont 
tenus  par  les  edits  et  ordonnances; 

«  Plaise  ^  votre  majeste  de  I'CfjIer  e  t  moderer 
la  depense  de  sa  maison,  et  d'ordonner  qu'a 
la  fin  de  cliaqiie  trimestre  ceux  qui  sont 
charges  desdites  depenses  presenteront  a 
son  conseil  un  compte  fidele  et  circonstan- 
cie  de  celles  (ju'ils  auront  faites; 

((  Et  d'autant  que  plusieurs  n'osent  se 
plaindre  des  violences  et  exactions  faites 
par  les  {J^ouverueurs  et  lieutenants.,  qu'il  soit 
permis  a  ceux  qui  s'en  voudront  plaindre 
d'envoyer  leurs  plaintes  avec  lenom  de  leurs 
temoins,  clos  et  sceiles,  a  vos  jwges  ordi- 
naires  des  lieux,  lesquels  seront  tenus,  a 
peine  de  privation  de  leurs  offices,  d'en  in- 
former, et  d'envoyer  les  informations  quils 
eii  auront  faites  au  procureur-^^^eneral  du 
parlement  de  leur  ressort,  pour  y  etre 
pourvu  et  leur  etre  fait  justice;   n,.   >  »' 


DE    FRANCE.    CHAP.     XXXVIII.  263 

«  Que  defense  soit  aussi  faite  a  tous  {^ou- 
veineursde  places,  {yentilshommesetautres, 
d'appliquer  a  leur  profit  les  communes  des 
villaj^es,  et  de  les  vendre,  engager,  ou  bailler 
a  cens,  aux  peines  portees  par  les  ordon- 
nances;  et  soit  ordonne  que  celles  qui  ont 
ete  ainsi  usurpees  soient  restituees  promp- 
tement  avec  les  fruits ;  a  quoi  le  substitut  de 
votre  procureur-general  tiendra  la  main; 

(( Qu'aucun  ne  puisse  tenir  qu'une  seule 
charge,  soit  gouvernement,  capitainerie, 
lieutenance  ou  autre,  et  que  par  Timp^- 
tration  de  la  seconde,  la  premiere  soit  de- 
claree  vacante  et  impetrable  ;  et  que  les 
gages  et  les  appointements  de  la  premiere, 
eclius  depuis  I'impetration  de  1  autre,  soient 
ray es  et  repet^s  sur  lui ;  t      .  ,  i .  *  u . 

((Qu'il  soit  enjoint  a  tous  gentilsliommes 
de  signer  d«  nom  de  leurs  families  et  non 
de  leurs  seigneuries,  en  tous  actes  et  con- 
tra ts,  sur  peine  de  faux  et  d amende  arbi- 
traire ;    <  r  '  .     , 

i  «  Qu'il  plaise  a  votre  majeste,  a  Texemple 
du  roi  saint  Louis  et  ses  predecesseurs,  vou- 
loir  donner  audience  ouverte  a  ses  sujet* 


264  ASSEMBLEES   NATIONALES 

deux  fois  la  seniaiue,  a  tels  jour  et  lieure 
quelle  avisera ,  pour  entendre  leurs  plaintes 
et  doleances,  et  sur  icelles  pourvoir  et  leur 
faire  administrer  justice-,  comme  aussi  as- 
sister  en  personne  en  son  conseil,  et  faire 
faire  en  sa  presence  ouverture  des  paquets; 

«  Que  pour  r^tablir  en  son  ancienne  splen- 
deur  votre  conseil  d'etat  et  prive,  il  vous 
plaise  r^uire-a  certain  nombre  modere 
les  conseillers  d'icelui,  y  appeler  personnes 
dageetsuffisance  requise,  etrecommandees 
par  leurs  lonf^^s  services,  charges,  et  commis- 
sions honorables,  tant  dedans  que  dehors  le 
royaume;  et  a  ce  qua  I'avenir  il  puisse  etre 
plus  utilement  pourvu  an  bien  de  vos  pro- 
vinces, et  votre  majeste  mieux  instruitedes 
affaires  d'icelles,  elle  est  tr^s  humblement 
suppliee  d'admettre  en  son  conseil  un  de 
chacun  des  douze  gouvernemTpnts  de  son 
royaume,  sans  toutefois  obtenir  aucun  bre- 
vet de  ladite  charge  ni  pension ; 

uQue  votre  conseil  ne  soit  dorenavant 
occupe  de  causes  et  autres  affaires  qui 
gisent  en  juridiction  contentieuse ,  et  les 
instances  pendantes  en  icelui  soient  ren— 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXVIII.  265 

voyees  par-devant  les  juges  qui  en  doivent 
connoitre,  nonobstant  tous  edits,  lettres, 
declarations,  et  clauses  apposees  en  faveur 
des  contrats,  fermes  et  partis  faits  avec  votre 
majesty j  et  qu'a  I'avenir,  par  evocation  ou 
autrement,  il  ne  puisse  prendre  connois- 
sance  de  tels  differents  qui  seront  traites  par- 
devant  vos  juges  ordinaires,  et  par  appel  en 
vosparlements; 

((Que  tous  vos  juges  et  conseillers,  tant 
descourssouveraines  qu'autres,  fassent  eux- 
memes  les  extraits  de  leurs  proems,  sans  en 
commettre  la  charge  a  leurs  clercs ; 

((  Qu'aucun  ne  puisse  etre  admis  aiix 
charges  de  prevots  des  marchands,  maires, 
echevins,  oapitonls,  jurats,  consuls,  procu- 
reurs-syndics,  pairs  bourgeois,  controleurs, 
sergeiits,  majors,  capitaines,  quarteniers, 
clercs,  greffiers,  receveurs,  intendants,  gar- 
des, commis,  portiers,  et  autres  charges  des 
villes,  que  par  election  pure ,  et  sans  brigue ; 
ne  puissent  les  personnes  ecclesiastiques  y 
etre  elues;  et  soit  fait  defense  aux  gouver- 
neurs,  capitaines  des  provinces,  villes,  cita- 


266  ASSEMBLEES   NATION  ALES 

delles,  et  chateaux,  ou  leurs  lieutenants, 
eta  tons  autres  qui  n'ont  voix  elective,  de 
se  trouver  es-lieuxou  se  feront  iesdites  elec- 
tions, ni  de  s'y  entremettre  directement  ou 
indirectement ;  soient  tenus  ceux  qui  seront 
elus  es-dites  charges  de  villes  y  resider  et  y 
avoir  leur  principal  domicile:  et  oii  ils  ne  le 
feront  soit  procede  a  autre  election,  sans 
que,  pour  quelque  cause  ou  occasion  que  ce 
soit,  Iesdites  charges  se  puissent  resigner, 
ni  meme  de  p^re  a  fils;  le  tout  nonobstant 
tons  privileges,  arrets,  reglements,  et  de- 
clarations ou  coutumes  d'aucunes  villes  a 
cecontraires,  qui  seront  casseset  revoques. « 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.       267 


CHAPITRE  XXXIX 

ET  DERNIER. 

De  la  convocation  des  etats-generaux ;  du  nombre  des 
deputes;  du  mode  de  leur  election;  de  la  nature  du 
mandat  qu'ils  recevoient  de  leurs  concitoyens;  des 
solennites  qui  accompagnoient  I'ouverturedesetats;  de 
la  maniere  dont  les  trois  ordres  communiquoient  entre 
eux,  et  de  la  forme  de  leurs  deliberations. 

Ces  details  out  au  jourd  hui  bien  peu  d'in- 
teret;  cependant  il  faut  les  connoitre,  au 
moins  superficiellement.  En  consequence 
je  vais  en  donner  une  idee. 

Les  etats-gen^raux  etoient  convoques  par 
des  mandements  adresses  aux  baillis  et  se- 
nechaux(i).  Ces  mandements  exposoient 
I'objet  de  la  convocation,  et  determinoient 
le  nombre  des  deputes  que  chaque  ordre 
avoit  a  nommer:  pour  les  faire  connoitre 


(i)  J'ai  dit  ce  qu'etoient  alors  les  baillis  dans  une  note 
du  thapitre  XXVIII. 


268  ASSEMBLEES  NATIONALES 

tous,  il  suffit  d'en  rapporter  un  ou  deux. 
Voici  ceux  qui  furent  donnes  ])our  la  convo- 
cation des  ^tats  de  i588  et  1614: 

((Notre  ame  et  feal.  Ghacun  doit  con- 
((noitrequel  a  toujoursete  notre  soin  pater- 
ae nel  enveis  nos  bons  sujets 

((Gependantpius  alJons  avant,  plus  voyons 
(taccroitre  nos  maux,  et  toutes  choses  aller 
(( en  desordre  et  confusion 

(( Tout  considere,  nous  avons  jug^  n'y  pou- 
(( voir  tenir  un  nieilleur  cliemin  que  celui 
((qui  a  ete  pratique  par  nos  predecesseurs 
(( rois,  lesquels,  parmi  les  grands  desordres 
((survenus  durant  leur  regne,  qui  ne  se 
((  peuvent  quasi  comparer  a  ceux  qui  sont 
((main tenant,  d'autant  qu'ils  semblent  les 
((surpasser,  ont  recouru  a  une  tenue  des 
(( etats-generaux  du  royaume,  laquelle  se 
(( trouve  aujourd'hui  plus  rcquise  et  neces- 
(( saire  quelle  ne  fut  oncques. 

(( Et,  pour  cette  cause,  nous  vous  avertis- 
((sons  et  signifions  que  notre  volonte  et 
(( intention  est  de  commencer    a   tenir  les 


DE    FRANCE.    CHAP.    XXXIX.  269 

«  etats-libres  et  generaux  des  trois  ordres  de 
«  notreditroyaume,auquiiizi^mejoiird'aout 
«  prochain,  en  notre  ville  de  Blois,  ou  nous 
«  enlendons  que se  trouvent  aucuns  des  plus 
«  notables  personna^es  dechacuneprovince, 
((bailliage,  et  senechaussee,  pour,  en  pleine 
«  assemblee,  nous  faire  entendre  les  remon- 
«  trances,  pJaintes,  doleances  de  toutes  per- 
«sonnes,  proposer  librement  et  sans  etre 
(<  melees  aucunes  prati(pies  pour  favoriser 
« les  passions  particuli^res  de  qui  que  ce 
«  soit,  ce  qui  sera  plus  propre  et  convenable 
u  pour  du  tout  eteindre  et  abolir  les  divi- 
('  sions  qui  sont  entre  nos  sujets,  memement 
«  entre  les  catholiques,  et  parvenir  a  un  bon 
«  et  assure  repos,  avec  lequel  notre  sainte 
«  religion  catholique  soit  si  bien  retablie  et 
« toutes  heresies  repurfjees  et  extirpees  de 
u  notre  royaume,  que  nos  sujets  n'aient  plus 
u  d'occasion  d'y  craindre  changement,  tant 
«de  notre  vivant  qu'apres  notre  dec^s.  Sur 
« toutes  lesquelles  clioses,  et  autres  qui 
«  pourront  etre  mises  en  avant,  pour  la  re- 
«  formation  de  ce  qui  a  ^t^  deprave  durant 
«  le  malheur  des  guerres,  tant  en  I'etat  de 


270  ASSh;MBLP:ES  INATIONALES 

( I'Eglise,  de  la  noblesse,  tiers-^tat,  que  de  la 
(justice,  police,  et  finances,  et  generale- 
(ment  pour  tout  ce  qui  appartiendia  au 
( bien  universel  de  notre  royaume,  nous 
entendons  prendre  une  bonne  et  salutaire 
resolution,  de  laquelle  nous  ne  nous  de- 
partirons  jamais;  ains  enibrasserons  I'exe- 
cution  avec  telle  fermete,  affection,  et 
perseverance,  que  nul  respect,  quel  qui! 
puisse  ^tre,  ne  nous  en  pourrademouvoir: 
done  pour  parvenir  a  cette  notre  sainte  et 
droite  intention,  nous  voulons,  vous  man- 
dons,  et  tres  expressement  enjoignons, 
que,  incontinent  la  presente  recue,  vous 
ayez  a  faire  publier,  a  son  de  trompe  et  en 
public,  la  tenue  desdits  etats;  et  par  meme 
moyen  convoquer  et  assembler,  dedans  le 
plus  brief  temps  que  faire  se  pourra,  tous 
ceux  des  trois  etats  de  votre  ressort, 
ainsi  qu'il  est  accoutum^  faire,  et  que  ci- 
devant  s'est  observe  en  cas  semblable,  pour 
conferer  et  communiquer  ensemblement, 
tant  de  remon trances,  plaintes,  et  do- 
leances,  quedemoyensetavisqu'ilsauronta 
proposer  en  assembl(6e,|jenerale  de  nosdits 


DE   FRANCE.   CHAP.    XXXIX.  .7  I 

uetats,  sans  avoir  egard  ni  consideration  k 
(( aucune  autre  chose  qua  promouvoir  ce 
uqui  sera  par  iceux  juge  profitable  au  bien 
«  public  de  notredit  royaume,  et,  ce  fait, 
«  choisir  et  noramer  un  d'entre  eux  de  cha- 
"  cun  ordre,  selon  qu'il  est  accoutum^,  qu'ils 
u  envoieront  et  feront  trouver  audit  quin- 
ce zi^me  jour  d'aout  prochain,  en  notre  ville 
((  de  Blois,  avec  amples  instructions  et  pou- 
((voirs  suffisants  ])Our,  selon  les  bonnes, 
«  anciennes,  et  louables  couturaes  de  notre- 
f' dit  royaume,  nous  faire  entendre,  de  la 
<f  part  desdits  etats,  tant  leursdites  plaintes 
'X  et  doleances,  que  ce  qui  leur  semblera 
«  propre  et  commode  pour  la  restauration 
<t  de  ladite  religion  catholiqueen  son  entier, 
u  et  la  conservation  de  notredite  autorit^ 
(<  souveraine  en  sa  pristine  dignit^  et  splen- 
"  deur,  sans  laquelle  toutes  cboses  demeu- 
((  rent  confuses,  et  generalement  tout  ce 
n  qui  se  pourra  mettre  en  avant  pour  le  bien 
«  publicde  notredit  royaume  et  soulagement 
u  dun  cliacun 

wbien  resolu  de  ne  nous  dispenser  dun  seul 


272  ASSEMBLEES    IVATIOiNALES 

«  point  cle  ce  qu'en  uiie  si  noble  assembl^e 
((aura  ^te  par  nous  deiibere,  conclu,  et 
(orrete.  » 

Le  mandement  pour  la  convocation  des 
^tats  de  1 61 4  est  termine  de  meme,  a  quel- 
ques  leg^res  differences  pres.  II  porte  : 

((Nous  mandons,  ettresex])ressementen- 
joignons,  que,  incontinentia  presenterecue, 
vous  ayez  a  convoquer  etfaire  assembler  en  la 
principale  ville  de  voire  ressort  et  juridiction , 
dedans  le  plus  brief  temps  que  fair  e  se  pourra, 
tous  ceux  des  trois  etats  d'icelui,  ainsi  qu'il 
est  accoutume  et  qu'il  s'est  observe  en  pareil 
cas,  pour  conf^rer  et  communiquer  ensem- 
ble, tantdes  remontrances,  plaintes,  et  do- 
leances,  que  des  moyeus  etavisqu'ils  auront 
a  proposer  en  assemblee  generaledenosdits 
etats;  et,  ce  fait,  elire,  cboisir  et  nomraer 
un  d'entre  eux  de  chacun  ordre,  tous  per- 
sonna^es  de  suffisance  et  integrite,  qu'ils 
envoieront  et  feront  trouver,  en  notre  ville 
de  Sens,  audit  jour  dixieme  septembre  pro- 
chain,  avec  ainples  instructions,  memoires, 
et  pouvoirs  suffisantspour,selonles  bonnes, 
anciennes    et   louables    coutumes     de    ce 


DE   FRANCE.   CHAP.  XXXIX.  2'J^ 

royaume,  nous  faire  entendre,  tant  leurs- 
(iites  rem ontra noes,  plaintes,  et  dol^ances, 
que  les  moyens  qui  leur  seront  plus  conve- 
nablespour  le  bien  public,  manutention  de 
notre  autorite,  soulagement  et  repos  dun 
chacun;  les  assurant  que,  de  notre  part,  ils 
trouveront  toute  bonne  volonte  et  affection 
de  faire  suivre,  observer,  et  executer  enti^- 
rement  ce  qui  sera  resolu  sur  tout  ce  qui 
aura  ete  propose  et  a  vise  auxdits  etats,  afin 
qu'un  cliacun,  en  son  endroit,  en  puisse 
recevoir  et  ressentir  les  fruits  que  Ton  pent 
et  doit  attend  re  dune  telle  et  si  notable  as- 
seniblee. 

«  Donne    a    Paris   le    dixieme    jour  de 
juin  i6i4- " 

De  ces  mandements  il  resulte,  i"  que  le 
roi  convoquoit  les  ^tats-{>en^raux  par  des 
lettres  adressees  au  prevot  de  Paris,  aux 
baillis,  et  aux  senechaux;  2**  que  ces  lettres 
fixoient  le  nombre  des  deputes  que  chaque 
bailliage  auroit  a  nommer ;  3°  que  les  lettres 
de  convocation  indiquoient  les  objets  sur 
lesquels  I'assemblee  auroit  a  deliberer ; 
4°  que  les  deputes  recevoient  de  leurs  com- 

2.  iS 


.274  ASSEMBLEES    KATIONALES 

iiiettaiits  un  mandat  el  ties  instructions  dont 
ii  lie  leur  etoit  pas  permis  de  s'ecarter. 

Le  bailii  transir.ettoit  le  raandement  dn 
roi  aux  officiers  du  bailliage  dont  il  etoit  le 
chef.  Ge  tribunal  donnoit  une  ordonnance 
portant,  i"  que  le  niandement  seioit  consi- 
gne  dans  ses  re^istres,  public,  et  affiche 
dans  toutes  les  villes  de  son  ressort;  2°  qu'il 
seroit,  a  la  dilif^^ence  du  procureur  du  roi, 
notifie  a  tous  les  nobles  possesseurs  de  fiefs  ; 
a  tous  les  ecclesiastiques  ayant,  par  le  litre 
de  leurs  benefices,  droit  de  suffra^^e  dans  les 
elections;  aux  corps  tnunicipaux  des  villes 
ressortissantes  a  sa  juridiction  :  enfin  I'or- 
donnance  indiquoit  le  jour  et  le  lieu  aux- 
quels  les  electeurs  se  reuniroient  pour  pro- 
ceder  anx  (^lioix  des  deputes. 

Ges  convocations  etoient  toujours  accom- 
pagnees  d'une  proclamation  par  laquelle  le 
corps  municipal  invitoit  les  habitants  a  pre- 
senter les  deraandes  et  les  plaintes  qu'ils 
pouvoient  avoir  a  Former.  Voici  une  de  ces 
proclamations;  elle  est  des  officiers  munici- 
paux  de  la  ville  de  Sens. 


DE    FHANCE.    CHAP.    XXXIX.  'l-jj 

((On  fait  a  savoir  a  tous  les  bourgeois  et 
(( inarcliands,  maitres  et  gardes  des  corps 
«et  communautes  des  marchandises,  jures 
((des  arts  et  metiers,  et  toutes  autres  per- 
((sonnes,  de  quelque  etat,  qualite  et  condi- 
(( tion  qu'ils  soieiit,  manants  et  habitants  de 
ccette  ville  et  faubourgs,  qu'ils  aient  a  rap- 
(( porter,  ou  envoy er  en  toute  liberty,  pour 
«  chacun  jour,  en  I'hotel-de-ville  les  plaintes, 
(^doleances,  et  remontrances  que  bon  leur 
((semblera,  lesquelles  ils  ])Ourront  mettre 
(( es-inains  desdits  prevot  des  marchands  et 
((cclievins,  ou  les  deputes  recevoir  lesdites 
((  plaintes,  ou  icelles  mettre  dans  un  coffre, 
«qui,  pour  cet  effet,  sera  mis  en  I'hotel-de- 
« ville  au  grand  bureau,  ouvert  en  forme 
((  de  tronc,  pour  apr^s  etre  fait  ouverture  du 
(( coffre  par  lesdits  prevot  des  marchands, 
((^chevins,  deputes,  et  par  eux  dresse  un 
((cahier  desdites  plaintes,  doleances,  et  re- 
(( montrances,  et  sera  la  presente  ordonnance 
((  publiee  a  son  de  trompe  et  cj'is  [)ublics  par 
((les  carrefours  de  cette  ville  et  faubourgs, 
(( et  affich^e  anxdits  carrefours,  places,  et 

18. 


276  ASSEMBLEES    NATIONALES 

«autres  lieux,  a  ce  que  personiie  n'en  pre- 

«  tende  cause  d'ignorance. 

«  Fait  au  bureau  de  ladite  ville  le  veiidredi 

«  vingt-septieiue  jour  de  juin  1 6 1 4- " 

En  vertu  de  rordonnance  du  bailliage, 
chaque  municipalite  convoquoit  les  notables 
de  sa  commune,  c'est-a-dire  les  juges,  les 
avocats,  les  medecins,  les  notaires,  les  pro- 
cureurs,  les  chefs  des  corporations,  et  autres 
notables  bourgeois.  Dans  cette  assemblee  on 
choisissoit  un  certain  nombre  d'electeurs. 

Les  nobles,  les  ecclesiastiques,  et  les  elec- 
teurs  des  vilies  se  rendoient  au  jour  et  au 
lieu  indic[ues  par  I'ordonnance  du  bailliage 
pour  I'assemblee  generale.  A  Paris,  elle  se 
tenoit  ordinaireraent  au  palais  archiepisco- 
pal  ou  au  Palais  de  justice.  Dans  d'autres 
vilies,  on  choisissoit  quelque  maison  reli- 
gieuse,  ou  meme  I'eglise. 
~  Le  bailli  s'y  transportoit  assiste  des  prin- 
cipaux  officiers  de  son  siege. 

Le  clerge  etoit  assis  a  la  droite  du  bailli ; 
la  noblesse  k  la  gauche ;  le  tiers-etat  a  la 
suite  de  I'un  et  de  I'autre.  On  y  lisoit 
les  lettres  du  roi;  le  procureur  du  roi  en 


DE  FRANCE.    CHAP.   XXXIX.  277 

requeroit  rexecution ,  et  on  appeloit  tons 
les  niandes  par  leur  nom  ;  on  prononcoit 
defaut  contre  les  absents  qu'on  ajonrnoit  a 
huitaine. 

Le  procnreur  du  roi  ordonnoit  ensuite 
que  chaque  ordre  se  relirat  dans  un  local  a 
part  pour  proceder  a  Telection,  apr^s  avoir 
fait  le  serinent  d'elire  geits  ajfectionnes  au 
bien  de  Vetat,  et  de  prohite  reconnue. 

Alors  on  se  separoit.  Le  clerge,  dans  les 
villes  episcopales,  deinandoit  ordinairement 
son  renvoi  devant  I'eveque ;  dans  les  autres 
villes  il  suivoit  la  marche  commune.  II  noni- 
moit  un  president,  a  moins  que  le  bailli  ou 
son  lieutenant  ne  voulut  assister  a  ces  assem- 
blies ;  on  en  trouve  plusieurs  exemplcs.  Le 
plus  ordinairement  ces  officiers  se  joignoient 
chacun  a  I'ordre  auquel  ils  appartenoient ; 
ils  y  presidoient ;  ils  y  recueilloient  les  suf- 
frages que  Ion  donnoit a voix haute, sur lap- 
pel  d'ungreffier;  ils  declaroient  la  nomination 
faite  si  elle  etoit  reguliere;  ils  lannuloient" 
si  elle  etoit  vicieuse;  ils  prorogeoienl  I'assi- 
gnation  s'il  y  avoit  lieu ,  ou  defendoient  a 
I'assemblee  de  se  separer  avant  que  d'avoir 


278  ASSEMBLlfeES   NATION  ALES 

fait  Felection  si  \v  service  du  roi  I'exi^yeoit. 
Les  contestations  qui  s'elevoient  dans  les 
autres  chambres  etoient  portees  devant  eux ; 
ils  s'y  ti-ansportoient  s'ils  le  jiigeoient  neces- 
saire:  enfin  ils  exercoient  en  tout  Tautorite 
royale.  Le  clerge  nommoit  un  ecclesiastique, 
la  noblesse  un  noble,  et  le  tiers-etat  un  no- 
table de  la  bourgeoisie,  en  sorte  que  chaque 
ordre  etoit  toujouis  represente  par  Tnn  de 
ses  merabres.  Ces  operations  terrain^es,  tons 
les  electeurs  se  reunissoient  sous  la  presi- 
dence  du  bailli  on  de  son  lieutenant  j  et  apr^s 
un  recensement  public  des  votes  de  chacun 
des  trois  ordres,  ceux  qui  avoient  obtenu  la 
majorite  etoient  proclames  deputes  du  bail- 
liage.  Le  bailli  faisoit  promettre  aux  elus  de 
se  trouver  an  jour  present  dans  la  ville  in- 
diquee  par  le  roi  ponr  y  tenir  les  etats,  et 
d'y  porter  fidelenient  les  cahiers  qui  leur  se- 
roient  re  mis. 

Chaque  ordre  nommoit  ensuite  un  certain 
Tiombre  de  commissaires  pour  la  redaction 
du  caliier  dans  lequel  il  consignoit  les  pon- 
voi  rs  et  les  instructions  qu'il  jugeoit  a  propos 
de  donner  a  son  depute.  Quand  le  travail  de 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  II79 

res  commissaires  etoit  firii ,  on  convoquoit 
<le  nouveau  I'assemblee  fjen^rale  |)onr  y  exa- 
miner les  cahiers,  les  arreier,  et  les  signer. 

On  voit  que  dans  tons  ces  preliminaires 
il  nest  pas  ([uestion  des  carapagnes;  que  les 
villes  seules  jonissoient  du  droit  de  deputer 
aux  etats-generanx  (1 ),  et  I'on  pent  chercher 
le  motif  de  cette  preference.  Cela  s'explique 
par  le  deplorable  erat  an([uel  les  habitants 
des  campa^nes,  et  meme  ceux  dun  fjrand 
nombre  de  villes,  ^toient  alors  reduits. 

Attaches  a  la^lebe,  ils  etoie^nt  en  quelque 
sorte  la  propriete  de  leurs  seigneurs;  ils 
etoient,  suivant  rex})ression  de  (|uel(pies 
coutumes,  du  fond  et  pied  de  la  terre ;  aussi 


(1 1  r.es  etats  etant  la  representation  de  tout  cequi  avoit 
line  propriete  libre,  il  s'ensuivoit  que  le  peuple  des  cani- 
pagnes,  tout  ce  qui  etoit  sous  la  dependancc  d'un  sei- 
jfueur  n'avoit  pas  le  droit  d'y  voter :  ils  etoient  repie- 
sentes  |ar  leur  seigneur.  Ainsi  les  deputes  qu'on  appelait 
le  tiers-etat  ne  representoient  nulleinent  tout  ce  qui  ne- 
loit  ni  clerge  ni  noblesse,  niais  seulement  les  villes, 
parcequ'il  n'y  avoit  qu«!  les  villes  oil  Ton  reconnut  des 
droits  a  ceux  qui  n'etoient  ni  occlesiastiques  ni  gentils- 
honmies.  Ilisfoire  fir  Brptagne,  par  M.  Dam,  page  335*. 


28o  ASSEMBLIES  NATION  ALES 

dans  le  vieuxlan^age  lesappeloit-on  hommes 
de  pote;  homines  alienee  potestatis;  certes, 
I'idee  d'elever  a  des  fonctions  publiques  des 
liommes  ainsi  degrades  ne  pouvoit  pas  se 
presenter  a  Fesprit;  mais  les  seigneurs  re- 
presentoient  leurs  sujets  et  votoient  I'impot 
en  leur  nom  et  pour  eux.  Dans  la  preface  du 
troisieine  tome  des  Ordonnances  du  Louvre, 
page  25 ,  on  lit  que,  dans  des  lettres  patentes 
du  2  juin  1 352,  le  roi  expose  que  les  prelats, 
les  barons  et  les  nobles  lui  ont  accorde  une 
imposition  de  six  deniers  pour  livre  pour  un 
an ^  payable  par  leurs  sujets;  et  que  les  villes 
lui  ont  octroye  un  semblable  subside. 

On  vient  de  voir  que  chaque  bailliage 
nommoit  trois  deputes,  un  pour  le  clerge, 
un  pour  la  noblesse,  et  le  troisi^me  pour  le 
tiers-eta  t. 

Sous  cette  denomination  de  bailliage,  on 
ne  comprenoit  que  les  juridictions  qui  res- 
sortissoient  nuement  a  une  cour  souveraine. 

Le  nombre  de  ces  bailliages,  que  Ion  ap- 
peloit  senechaussees  dans  les  provinces  du 
Midi,  a  constarament  varie,  tantot  par  des 
su[)pressions,  tantot  par  des  erections  nou- 


DE  FRANCE.    CHAP.  XXXIX.  28 1 

velles.  Je  crois  que  vers  la  fin  du  seizi^me 
siecle,  ce  nombre  pouvoit  etre  de  cent 
soixante  et  dix,  ou  cent  quatre-vingts.  Il  y 
avoit  aussi  des  villes  qui,  par  un  privilege 
special ,  avoientle  droit  de  deputeraux  etats- 
generaux.  Ainsi  le  nombre  des  deputes  a 
ces  assemblies  a  pu,  a  certaines  epoques, 
s'elever  jusqu'a  six  cents  ou  environ.  On  en 
compte  meme  huit  cents  aux  ^tats  de  i356, 
dont  quatre  cents  de  la  noblesse  et  du  clerg^, 
et  quatre  cents  des  bonnes  villes. 

Mais  il  parol  t  que  les  deputes  n'etoient  pas 
fort  exacts  a  se  rendre  a  ces  assemblees. 

Les  premiers  etatsdeBloisdel'annee  i5y6 
etoient  composes  de  cent  quatre  deputes 
pour  le  clerge,  de  soixante  et  douze  pour 
la  noblesse,  et  de  cent  cinquante  pour  le 
tiers. 

«  Aux  seconds  etats  de  Blois,  en  i588 ,  le 
uclerge  avoit  cent  trente-quatre  deputes, 
« entre  lesquels  on  voyoit  quatre  arche- 
«  veques,  vingtet  un  eveques,  et  deux  chefs 
«  d'ordres,  vestus  de  leurs  rochets  et  surplis. 
uLa  noblesse  en  avoit  cent  quatre-vingts 
«  avecla  toque  de  velours  et  la  rape,  le  tiers- 


282  ASSEMBLES    NATIONALES 

((etat  cent  nonante-un,  partie  ^ens  de  jus- 
te tice,  et  partie  ^ens  de  commerce,  les  pre- 
«  miers  avec  la  robe  et  le  bonnet  quarre,  les 
«  autres  avec  le  capot  et  le  bonnet  rond  ( i).  » 

Aux  etats  de  i6i4,  le  cler(je  avoit  cent 
qiiarante  deputes,  la  noblesse  cent  trente- 
deux,  et  le  tiers -etat  cent  quatre-vin(^t 
douze. 

Apres  une  procession  (2)  publique  et  une 
messe  solennelle  a  hiquelle  les  deputes  rece- 
voient  la  communion,  le  roi,  sur  son  trone, 
et  dans  toute  la  pompe  de  la  majeste  royale, 


(i)  Mezerai,  Histoire  du  rejifne  de  Henri  III. 

(2)  Voici  I'ordre  qui  fut  suivi  a  la  procession  qui  pre- 
reda  I'ouverture  des  ctats-geuc'raux  de  i588. 

u  Ijc  roi,  voulant  eommeneer  cette  assemblee  par  une 
publique  invocation  du  noin  de  Dieu ,  coinmanda  une 
procession  solennelle,  depuis  I'eglise  Saint-Sauveur  de 
la  {jfrande  cour  du  chaieau  de  Blois  jusqu'a  celle  deNotre- 
Uanie-des-Aidcs.  au  faubouqj  de  Vieime:  cetoit  comme 
un  general  etalenient  des  pompes  et  uiagniHcences  Fran- 
coises et  sur-tout  delabeaute  de  la  cour  d'un  grand  roi. 
Ij'ordre  etoit  tel :  les  communautes  des  eglises  niarchoient 
en  tete;  aprfes  elles,  les  deputes  du  peuple,  quatre  a 
quatre;  ceux  de  la  noblesse  les  suivoient ,  et  ceux-ci 
cloient  siiivis  des  ecclesiastiques;  et  apres  <mix  niarchoient 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.        283 

faisoit  I'ouvertiire  des  ^tats;  le  chancel ier  en 
exposoit  I'objet;  les  presidents  de  chacnn 
des  irois  ordres  repondoient  par  des  protes- 
tations de  devoueinent  et de  zele ;  et  les  etats 
^toient  constitues. 

Voici  ce  qui  se  pratiqua  a  cet  ^gard  aux 
etats-f>eneraux  de  iS^G. 

Apr^s  que  le  chancelier  eut  parle,  dit  un 
auteur  contemporain  (i),  il  fut  commande 
par  un  heraut  a  rarclieveque  de  Lyon,  ora- 
teur  du  clerge,  de  parler.  Lors  se  mettant  h 
un  pupitre  a  (yenoiix  devant  le  roi,  apres 
avoir  dit  une  clause  de  sa  harangue,  on  lui 


les  abbes,  les  eveques,  les  archeveques,  et  les  carclinaux: 
quatre  cbevaliers  de  I'ordre  du  Saint-Esprit  portoient  le 
poele,  sous  lequel  I'archeveque  d'Aix  portoit  le  saint- 
sacrement;  sa  majeste  suivoit  a  pied  avec  les  reines,  les 
princes,  et  princesses;  I'eveque  d'Evreux  fit  le  sermon; 
I'archeveque  de  Bourses  dit  la  messe  en  I'eglise  Notre- 
Dame,  toute  tenduedes  plus  riches  tapisseries  du  roi.  Sa 
majeste  etoit  elevee  au  milieu  du  choeur  sur  un  haut 
dais  convert  de  velours.  Cette  procession  fut  faite  le  di- 
manche  2  octobre  1 588.  »  Le  Ceremonial  de  France. 

(i)   Voyez    le    recueil     iutituh"    Des    Etats -generaux; 
tome  XIII,  page  a5i. 


284  ASSEMBLlllES  NATIONALES 

dit  qu'il  se  levat,  comme  il  fit,  et  dura  sa 
harangue  cinq  quarts  d'heure.  Puis  le  baron 
de  Senecey  parla  pour  la  noblesse  un  demi- 
quart  d'heure  ;  et  Versoris  parla  une  heure 
et  demie,  et  fut  a  genoux  en  parlant  pr^s 
d'une  demi-heure,  jusqu'a  ce  que  le  heraut 
lui  dit  qu'il  se  levat  par  commandement  du 
roi,  et  tous  les  deputes  se  leverent,  et  se 
decouvrirent  quand  I'orateur  du  clerg^ 
commenca  de  parler;  et  tot  apr^s  on  leur 
dit  qu'ils  eusseut  a  s'asseoir.  Autant  en  firent- 
ils  quand  I'orateur  de  la  noblesse  commenca 
a  parler;  mais,  quant  au  tiers-etat,  il  de- 
meura  toujours  debout  et  tete  nue  durant 
que  I'orateur  du  tiers-etat  parla  conime  il 
leur  avoit  ete  enjoint  en  entrant  en  la  salle, 
combien  que  plusieurs  deputes  du  tiers-etat 
sassirent  et  se  couvrirent,  voyant  que  le 
clerge  el  la  noblesse  etoient  assis  et  converts , 
et  n'ayant  entendu  le  commandement  de  se 
tenir  debout  ni  decouverts ;  et  depuis  ils 
entendirent  que  le  tiers-etat  aux  etats  d'Or- 
leans  avoit  ete  autant  privilegie  que  les 
autres,^  et  que  I'orateur  parla  debout. 

Pour  donner  une  idee  plus  exacte  du  ce- 


DE  PRANCE.  CHAP.  XXXIX.        "2  85 

remonial  qui  s'observoit  dans  ces  grandes 
solennites,  j'exjjoserai  la  mani^re  dont  les 
clioses se  pass^renl  lors  de  louverture  et  de 
la  cloture  des  etats-generaux  de  1614.  Je 
prends  ces  details  dans  Thistoire  de  Flori- 
mond  de  Rapine,  depute  de  Lyon  a  ces 
memes  etats-g^neraux  ( 1 ). 

Le  dimanche  26  du  mois  d'octobre,  veille 
de  louverture  des  etats,  se  fit  une  grande 
procession.  Tous  les  ordres  ranges  selon  I'or- 
dredesbailliages  serendirent  dans  le  cloitre 
des  Augustins,  sur  les  huit  lieu  res  du  ma- 
tin. Le  roi ,  la  reine,  Monsieur,  fr^re  du 
roi,  le  prince  de  Conde,  le  due  de  Guise,  de 
Joinville,  plusieurs  dues  et  grands  officiers 
de  la  couronne,  ensemble  plusieurs  prin- 
cesses, tant  du  sang  qu'autres,  y  vinrent 
entre  neuf  et  dix.  M.  de  Rhodes,  maitre 
des  ceremonies,  ayant  fait  distribuer,  de  la 
part  du  roi,  un  cierge  blanc  a  chacun  des 
deputes,  fit  mettre  a  la  tete  de  la  procession 


(i)  Cette  histoire  fait  partie  d'un  recueil  intitule  Des 
Etuts-generaux  et  autres  Jssemhlees  nationales;  elle  est 
inseree  dans  le  tome  XVI,  pages  47  <'*  suiv. 


2  86  ASSEMBLEES  iSATIOlNALES 

tons  les  niendianls  des  paroisses  de  Paris, 
qui  sen  all^rent a  Nolre-Dame,  et  ii'y  firent 
que  ])asser,  de  peur  de  remplir  par  trop 
Fef^lise;  et  apr^s  il  fit  ran^^^er  les  deputes  du 
tiers-etat,  que  lui-meme  appeloit  par  bail- 
lia^'es,  selon  I'ordre  ol^serve  en  i588,  aux 
etats  de  Blois,  c'est-a-dire  que  les  derniers 
nsarelioient  tous  les  premiers  et  en  front, 
parceque  ceux  qui  sont  plus  proches  du 
saint-sacrement  sont  ceux  qu'on  estime  etre 
en  rang  plus  honorable.  II  nous  fit  tous 
mettre  deux  a  deux,  en  forme  de  liaie,  et 
ehacun  niarclioit  avec  les  co-deputes  dun 
nieme  bailliage,  sans  qu'un  bailliafje  devan- 
cat  ou  marchat  avec  fautre.   Nous  etions 

c 

au  nombre  de  pres  de  deux  cents;  ceux  de 
justice,  revetus  de  robe  noire,  cornette  et 
bonnet  Carre;  ceux  de  finances  ou  de  robe 
courte  avec  le  court  manteau  ouvert  par 
les  cotes  pour  passer  le  bras,  et  la  toque. 
L'on  fit  avancer  les  premiers  par  i'une  des 
portes  du  cloitre,  sans  entrer  dans  Tqjlise; 
maissoudain  Ion  vit  venir  un  gentilhomme 
qui  aidoit  a  M.  de  Rhodes,  qui  fit  rentrer 
les  premiersdans  le  meme  cloitre,  pour  faire 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  287 

passer  toute  I'assemblee  par  le  milieu  de 
Tej^Iise  des  Au(justins,  disaiit  que  le  roi  et 
la  reine  vouloient  voir  tous  les  ordres.  Pro- 
che  la  porte  du  clioeur  de  ladite  eglise,  aux 
hautes  formes,  a  main  droite,  ^toit  le  roi;  a 
main  (^auclie  etoit  la  reine;  dans  la  nef  il  v 
avoit  un  poele  de  loile  d'argent,  sous  lequel 
le  sainl-sacrement  se  devoit  metlre,  et  du- 
quel  les  quatre  batons  devoient  etre  tenus 
par  Monsieur,  frere  du  roi,  M.  le  prince 
de  Conde,  M.  de  Guise,  et  M.  de  Join- 
ville:  cliacun  en  passant  faisoit  de  grandes 
et  profondes  reverences  a  M.  le  prince,  et  il 
y  en  avoit  la  expr^s  qui  disoient  aux  depu- 
tes :  Saluez  M.  le  prince.  Etant  sortis  de  I'e- 
(>lise  des  Augustins,  la  procession  passa  au 
milieu  des  regiments  des  gardes,  tous  dis- 
poses avec  leurs  armes  en  forme  de  haie;  les 
rues  etoient  tapissees  par  ou  la  procession 
passa,  qui  fut  tout  le  long  d\\  quai  des  Au- 
gustins ;  elle  vint  passer  ensuite  devant 
Saint-Severin,  sous  le  petit  Chatelet,  et  de 
1^  a  Notre-Dame.  11  y  avoit  des  milliers  de 
personnes  taut  par  les  rues  qu'aux  fenetres, 
etj usque  sur  les  toits  des  maisons. 


288  ASSEMBLEES   NATIONALES 

Au  milieu  de  la  iief  de  Notre-Dame  etoit 
iin  dais  de  velours  violet,  parseme  de  fleurs 
de  lis  dor,  poiir  le  roi,  la  reine  et  les  princes. 
Au-dessous  il  y  avoit  des  carreaux  et  tapis 
de  meuie  parure. 

Le  choeur  de  ladite  eglise  etoit  ferine,  et 
au-devant  de  la  porte  Ion  avoit  dresse  un 
autel  eleve  de  quatre  ou  cinq  marches,  ri- 
chement  pare,  pour  y  dire  la  messe. 

Toute  la  nef  etoit  tendue  des  riches  ta- 
pisseries  du  Louvre,  comme  I'etoit  aussi  le 
reste  de  Feglise. 

Comme  nous  fumes  arrives  dans  I'eglise, 
M.  de  Rhodes  nous  fit  tons  asseoir  sur  des 
bancs  converts  de  tapis. 

Apr^s  les  {^ens  du  tiers -etat  suivirent 
MM.  de  la  noblesse  en  fort  bel  ordre,  et 
bien  vetus,  lepee  au  cote,  deux  a  deux.  lis 
prirent  seance  sur  lesdits  bancs  devant  le 
tiers-eta  t. 

Suivit  aussi  le  clerge,  compost  de  deux 
cardinaux;  savoir,  de  MM.  de  Sourdis  et  de 
La  Rochefaucauld ,  de  trois  archeveques  et 
trente-deux  ^veques,  tous  revetus  de  robes 
violettes,  le  surplis  et  le  rochet  pa r-dessus. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  289 

le  bonnet  carre,  et  une  infinite  de  prieurs 
et  abbess  avec  les  manteaux  et  soutanes  et  le 
bonnet  carre.  Les  arclieveques  et  eveques 
se  mirent  devant  le  corps  de  la  noblesse. 

Apres  lesdits  sieurs  cardinaux  etoit  le 
poele,  porte  par  lesdits  princes,  sous  lequel 
^toit  le  corps  de  Notre -Sei(^neur -Jesus- 
Christ,  qui  etoit  port^  par  M.  I'archeveque 
de  Paris. 

Suivoient  apres  le  roi,  sous  un  dais  riclie- 
ment  pare,  la  reine,  a  pied  et  decouverte, 
avec  plusieurs  dames  et  princesses,  les  cent 
(jentilsliommes  avec  leurs  bees  de  corbin; 

La  cour  de  parlement  avec  les  robes  rou- 
ges, et  MM.  les  presidents,  le  mortier  en 
tete;  la  cliambre  des  comptes  vis-a-vis,  et  la 
cour  des  aides  apr^s,  tons  deux  a  deux, 
ayant  aussi  un  cierge  en  main.  Les  cours 
souveraines  se  plac^rent  sur  des  bancs  se- 
pares. 

Tout  le  monde  etant  ainsi  arrive,  et  ayant 
pris  place,  la  messe  commenca ;  elle  fut  ce- 
lebree  par  M.  de  Paris.  M.  le  cardinal  de 
Sourdis  fit  la  predication,  prechant  de  I'o- 
beissance  qui  etoit  due  au  roi :  il  exliorta  un 
2.  19 


290  ASSEMBLEES  RATIONALES 

chacun  de  rendre  au  roi  oe  qui  appartenoit 
au  roi,  et  k  Dieu  ce  qui  appartenoit  a  Dieu ; 
il  invita  aiissi  les  etats  a  prendre  cle  bonnes 
et  saintes  resolutions  pour  le  bien  du 
royaume.  Ge  fait,  chaeun  se  retira  qu'il 
^toit  trois  heures  apres  midi ,  quoiqu'il  ne 
fut  que  onze  heures  quand  le  tiers-etat  sortit 
des  Augustins. 

Le  lendemain  ay  dudit  inois  doctobre, 
tons  les  deputes  du  elerge,  de  la  noblesse, 
et  du  tiers-etat,  se  trouverent  a  midi  en 
Fassemblee  de  la  fjrande  salle  de  Bourbon 
pour  Youverture  des  etats. 

11  Y  avoit  [jrande  quantite  de  banes  a 
droite  et  a  gauche,  converts  de  tapis  verts. 
Le  tiers-etat  se  mit  sur  les  derniers,  la  no- 
blesse sur  le  milieu,  et  le  clerge  devant. 
Toutes  les  loges,  tant  hautes  que  basses  de 
ladite  salle,  etoient  remplies  d'hommes  etde 
femmes,  comme  aussi  tout  le  parterre  de 
ladite  salle ;  ce  qui  apportoit  une  grande 
confusion  de  voir  que  toutes  sortes  de  per- 
sonnes  Etoient  1^  recues  indifferemment, 
au  lieu  qu'il  n'y  devoit  seulement  avoir  que 
les  deputes  et  autres  personnes  servant  a 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.        29  I 

1  etat.  Cepeiidant  tout  ^toit  plein  de  dames 
et  demoiselles,  de  ^entilsbommes,  et  autre 
peuple,  couuue  si  Ion  se  fut  transporte  la 
pour  avoir  le  divertissement  de  quelque 
coraedie.  La  pliipart  des  deputes  etoient  me- 
con tents  de  ce  desordre,  et  disoient  que  la 
France  etoit  incapable  d'ordre. 

Le  roi,  la  reine,  Monsieur,  fr^re  du  roi, 
M.  le  prince  de  Conde,  M.  le  prince  de 
Soissons  tenant  le  baton  de  grand-maitre, 
M.  de  Mayenne,  grand-chambellan,  la  reine 
Marguerite,  plusieurs  princes  et  princesses, 
dues,  comtes,  seifjneurs ,  et  barons,  y 
Etoient.  Le  roi,  la  reine-m^re,  et  la  reine 
Marguerite,  etoient  sous  un  dais  de  velours 
violet,  seme  de  fleurs  de  lis  d'or;  ledit  sieur 
de  Mayenne  couche  aux  pieds  du  roi :  M.  le 
chancelier,  au-devant  duquel  etoient  les 
massiers,  ayant  la  cliaine  d'or  au  cou,  vetu 
dune  robe  de  velours  violet  cramoisi ,  assist^ 
de  tons  MM.  les  conseillers  d'etat,  et  des 
quatre  secretaires;  M.  de  Villeroy  qui  mar- 
choit  a  cote,  et  M.  le  president  Jeannin  qui 
y  etoit  pareillement. 

Les  ordres  etoient  prets  a  se  placer  anx 

'9- 


2g2  ASSEMBL^KS  NATIONALES 

places  qui  leur  avoient  ete  pr^parees,  selon 
les  ran(3^s  des  baillia(>es.  MM.  les  conseillers 
d'etat,  d'epee,  et  de  robe  lonfjue ,  s'etant 
places  sur  les  premiers  bancs,  les  deputes 
du  clerfje  et  de  la  noblesse  represent^rent 
au  roi  qu'outre  le  deplaisir  que  leur  cau- 
soit  cette  entreprise,  il  leur  resteroit  pour 
jamais  un  reproche  d'avoir  ete  tenus  eu  si 
peu  de  consideration,  que  MM.  les  conseil- 
lers eussent  pretendu  sur  eux,  qui  represen- 
toient  le  royaurae,  cette  preeminence.  lis 
ajouterent  fort  respectueusement  queplutot 
que  faire  paroitre  une  si  grande  foiblesse  de 
jugement  et  de  courage,  et  laisser  une  si 
lionteuse  marque  deux  a  la  posterite,  ils 
aimoient  mieux  se  retirer. 

Sa  majeste,  assistee  de  la  reine  sa  mere, 
de  M.  le  chancelier,  des  autres  officiers  de 
la  couronne,  et  de  MM.  les  secretaires  d'etat, 
pourvut  sur-le-cliamp  a  ce  grabuge;  et  il  fut 
ordonne  qu'un  banc  seroit  mis  de  chacun 
cote  devant  ceux  sur  lesquels  etoient  assis 
MM.  les  conseillers  d'etat :  et  cela  etant  ainsi 
execute  fit  que  mesdits  sieurs  les  conseillers 


DE   FRANCE.    CHAP.    XXXIX.  293 

detat  furent  mis  derri^re  les  deputes  du 
clerge  et  de  la  nobles.se. 

Ensuite  le  roi  prit  la  parole,  apres  lui  le 
chancelier;  et  les  orateiirs  des  trois  ordres 
ayant  fini  de  le  harangiier,  il  se  leva,  et 
chacun  sen  retourna,  etant  ]>resque  nuit. 

Le  vendredi  matin  3i  d'octobre,  le  clerge 
d^puta  a  la  chambre  du  tiers-etat  M.  T^ve- 
que  d'Avranclies  assiste  de  quatre  eccle- 
siastiques,  lequel  s'etant  mis  a  la  place  du 
president,  fit  une  exhortation  sur  la  facon 
de  se  preparer  k  la  sainte  eoinmunion,  di- 
sant  entre  autres,  «  qu'il  nous  exhortoit  a 
deposertoutesliaines  et  rancunes,  etoublier, 
par  une  sacree  amnistie,  toutes  les  injures, 
les  pertes  et  les  degats  que  les  confusions  et 
brouilleries  du  passe  avoient  causes;  qu'il 
cut  bien  laisse  a  la  volonte  d'un  chacun 
de  faire  en  particulier  ce  qu'il  nous  invitoit 
de  faire  en  public,  et  tons  ensemble;  mais 
que  les  prieres  qui  se  font  en  public  ont  bien 
plus  de  poids  et  d  energie  envers  Dieu,  que 
les  privees  et  particulieres;  ainsi,  que  le  sa- 
medi,  jour  de  Toussaint,  nous  nous  trou- 


294  assembf.iS:es  nationales 

verions  tous,  tantle  clerge,  la  noblesse,  que 
le  tiers-^lat,  daiisl'e^lisedes  Augustins  pour 
y  recevoir  le  precieux  corps  de  notre  sau- 
veur  Jesus-Christ.  Au  reste,  qu'il  etoit  charge 
de  nous  avertir  que  deux  de  chaque  gouver- 
nement  de  leur  ordre  avoient  ete  deputes 
pour  remercier  le  roi  de  ce  qu'il  lui  avoit 
plu  de  faire  I'ouverture  des  etats;  que  c'e- 
toit  a  nous  d'aviser  si  nous  desirions  faire 
de  meme;  et  que  M.  le  cardinal  de  Sourdis 
porteroit  la  parole.  )> 

M.  Miron  lui  repondit  «  que  le  tiers- 
etat  remercioit  tr^s  humblement  MM.  du 
clerg^  de  I'affection  paternelle  qu'ils  lui 
temoignoient ;  que  tant  a  cause  du  bon  aver- 
tissement  qu'ils  lui  faisoient  comme  p^res 
spirituels,  que  de  la  rencontre  du  jour  au- 
quel  la  vie  et  les  actions  de  tant  de  saints 
personnages  nous  etoientproposees  pour  imi- 
tation et  exemple  de  vertu,  il  I'assuroit  que 
sa  compagnie  se  disposeroit  a  suivre  ses 
bonnes  et  saintes  exhortations,  etc.» 

Ledit  saint  eveque  se  retira  et  fut  recon- 
duit  hors  la  salle,  comnie  il  avoit  et^  recu  a 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.        296 

Teiitr^e,  par  ime  deputation  coaiposee  d\in 
inembre  de  cliaque  goiivernemeut. 

En  consequence,  le  saniedi  i"  novembre, 
tons  les  deputes,  taut  de  FE^jlise,  de  la  no- 
blesse que  du  tiers-etat,  s'assembl^rent  aux 
Augustins,  sur  les  huit  heures  du  matin. 
Chaque  ordre  en  sa  cliambre,  et  de  la  tous 
ensemble,  entrerent  dans  le  chceur  par  une 
petite  porte  seule  laissee  ouverte  pour  evi- 
ter  la  foule;  il  y  avoit  a  droite,  h  gauche, 
(jrande  quantite  de  bancs,  converts  de  tapis 
verts,  sur  lesquels   les   deputes   s'assirent: 
savoir,  MM,  du    clerge  a  la  droite  proche 
I'autel,  le  tiers-etat  derriere  eux;  les  liautes 
chaires   des   deux   cotes   etoient  vides ,   et 
servoient  de  passage  pour  aller  a  la  sainte 
communion.   La  messe   fut  celebree  avec 
musique  fortsolennellement,  en  laquelle  of- 
ficioit  M.  le  cardinal  de  Sourdis,  assiste  de 
deux  eveques,  lequel  fit  mettre  sa  chaise  du 
cote  de  I'evangile,    suivant  le  concile    de 
Trente. 

La  predication  fut  faitepar  M.  I'archeve- 
([ue  de  Lyoii,  qui  dura  environ  une  demi- 


296  ASSEMBLEES  RATIONALES 

heure,  sur  le  siijet  de  la  celebrite  de  la  fete 
des  Saints,  et  des  prieres  et  intercessions 
que  les  catlioliqiies  leur  adressent. 

J'observerai  ( ce  qui  est  tres  singulier  et 
remarquable)  qu'il  y  avoit,  parmi  les  depu- 
tes de  MM.  du  clerge,  un  p^re  capucin, 
depute  du  bailliage  de  Gex ,  parcequ'en  ce 
bailliaj^e  il  y  a  si  peu  de  catlioliques,  que 
les  p^res  capucins  sont  oblifjes  d'adrainistrer 
les  saints  sacreraents,  et  faire  toutes  les  au- 
tres  charges  et  fonctions  auxquelles  les  au- 
tres  ecclesiastiques  sont  obliges. 

La  messe  paraclievee,  MM.  les  archeve- 
ques  et  eveques  se  present^rent  les  premiers 
a  la  sainte  Table  pour  communier,  et  furent 
suivis  paries  autres  du  clerge,  selon  le  rang 
des  bancs,  en  bel  ordre.  Apr^s  eux  firent 
de  meme  MM.  de  la  noblesse,  puis  MM.  du 
tiers-etat;  et,  apres  avoir  communis,  cliacun 
sen  retourna  a  sa  place.  Ge  fait,  M.  le  car- 
dinal donna  I'absolution  generale,  apr^s  la- 
quelle  MM.  du  clerge  se  lev^rent  les  pre- 
miers, et  sortirent  en  ordre  par  une  petite 
porte  qui  va  dans  le  cloitre.  La  noblesse  sui- 
vit,  et  le  tiers-etat  apr^s. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  297 

La  cloture  des  etats  de  1 6 1 4  se  fit  aussi  dans 
la  salle  Bourbon  le  23  fevrier  l6l5.  Tons 
les  d^put^s  s'y  rendirent  vers  onze  heures 
du  matin.  II  y  ent  pour  entrer  beaucoup  de 
desordre  et  de  confusion  ;  les  cardinaux,  les 
eveques,  les  abbes,  la  noblesse,  et  tout  le 
tiers-etat,  presses  etpousses  sans  considera- 
tion au  milieu  des  piques  et  des  hallebardes, 
eurent  beaucoup  de  peine  k  penetrer;  tou- 
tes  les  galeries  etoient  pleines  d'hommes  et 
de  femraes,  et  les  meilleures  places  de  1  in- 
t^rieur  etoient  occupees  par  deux  millecour- 
tisans  et  gens  de  toute  sorte.  Enfin  chacun 
etant  entre,  prit  place  comme  il  put.  Le 
roi,  la  reine,  Madame,  les  princesses  du 
sanjj,  et  autres;  M.  le  comte  de  Soissons, 
M.  le  due  de  Mayenne,  M.  le  due  de  Mont- 
bazon,  M.  le  due  de  Retz,  y  etoient  pres  de 
leurs  majestes,  placees  sur  un  theatre  liaut 
eleve ,  sous  un  dais  de  fleurs  de  lis  d'or.  M.  le 
cliancelier  ^toit  a  cote  du  roi,  et  proche 
de  lui  MM.  les  conseillers  d'etat. 

M.  I'eveque  de  Lucon  parla  pour  I'Eglise 
assez  long-temps,  et  ayant  aclieve,  il  porta 
le  rahier  du  clerge  au  roi  qui  le  prit  et  le 


298  ASSEMBLEES  NATIONALES 

donna  a  M.  le  chancelier.  M,  de  Senece 
parla  un  quart  d'heure  pour  la  noblesse,  et 
porta  semblablement  son  cahier  au  roi  qui 
le  remit,  comme  le  precedent,  audit  chan- 
celier. M.  Miron ,  etant  a  genoux  sur  un  car- 
reau  de  velours,  parla  pour  le  tiers-etat. 
Apr^s  sa  harangue  qui  fut  assez  longue,  il 
presenta,  comme  les  autres,  son  cahier  con- 
vert de  velin  k  fleurs  de  lis  d'or  sans  nombre , 
ayantauxdeux  cotes  les  armes  de  France  et 
de  Navarre.  Le  roi  le  prit  semblablement  et 
le  donna  audit  sieur  chancelier.  Ce  fait, 
le  roi  prononca  ces  paroles,  s'etant  decou- 
vert :  «  Messieurs,  je  vous  remercie  de  tant 
«  de  peines  qu'avez  prises  pour  moi  depuis 
«quatre  mois;  je  ferai  voir  vos  cahiers  et 
«les  repondrai  promptement  et  favorable- 
(f  ment. » 

Comme  il  eut  aclieve,  cliacun  se  retira 
qu'il  etoit  pres  de  huit  heures  de  nuit. 

Une  ordonnauce  du  23  juillet  161 4  de- 
fendit  de  recevoir  aux  etats  des  procureurs 
fondes.  II  en  avoit  ete  admis  entre  autres 
en  i355  et  i4^7-  Utic  des  causes  de  cette 
admission  paroit  etre  de  ce  que  peu  de  per- 


DK  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  299 

sonnes  savoient  lire  et  ecrire ;  aiissi  remar- 
que-t-on  quon  y  vit  beaucoup  de  magis- 
trals. 

Le  president  etoit  elu  par  les  etats;  il  pre- 
toit  serment  debout ,  tete  nue ,  de  bien 
gerer,  et  de  se  rendre  digne  de  la  confiance 
dont  il  etoit  lionore. 

Les  deputes  procedoient  ensuite  au  choix 
dun  greffier  et  de  plusieurs  secretaires  qui 
pretoient  serment  entre  les  mains  du  pre- 
sident. 

Le  president  de  chaque  chambre  avoit 
voix  preponderante  en  cas  que  les  avis  fus- 
sent  partages. 

On  mettoit  ordinairement  plusieurs  mois 
entre  la  convocation  et  I'ouverture  des  etats, 
afln  que  chaque  depute  put  se  preparer,  et 
arriver  au  lieu  indique  pour  leur  tenue. 

Quant  a  la  duree  des  assemblees,  elie  na 
rien  eu  de  fixe.  En  general,  elle  paroit  avoir 
ete  de  trois  mois,  mais  il  en  est  qui  ne  se 
sont  separees  qu'au  boutde  six  et  Iiuit  mois. 

Le  voyage,  leloignement  de  ses  propres 
affaires,  et  lesejourdispendieux,  furent  sans 
doute  les  motifs  qui  firent  accorder  des  in- 


3oo  ASSEMBLEES  NATIONALES 

demriit^saux  deputes.  Chaque  ordre  payoit 
les  siens. 

La  taxe  des  deputes  aux  etats   de  Blois 
en  1 576  fut  (1),  savoir 
25  1.  par  jour  pour  les  archeveques^ 
20  1.  pour  les  eveques. 
1 5  1.  pour  un  abbe  chef  d'ordre  ou  beni. 
12  1.  pour  un  abbe  comniendataire. 
10  1.  pour  les  doyens  ou  archidiacres. 
9  ou  8  1.  pour  les  autres  deputes. 
On  fixa  en  i483 — 161 4  la  taxe  des  depu- 
tes, ceux  des  sieges  royaux  a  y  1.   10s.  par 
jour ;  a  chacun  des  deputes  du  plat  pays,  61.; 
aux  deputes  de  la  ville,  41-  10  s. 

La  forme  d'acceptation  pour  les  deputes 
auxdits  etats  de  Tours,  en    i483,  portoit: 

Nous avons  acceptela  charge  de  procu- 

reur  special  des  habitants  en  I'assemblee  de 
Tours,  raoyennant  que  lesdits  habitants  se 
sont  obliges  de  rembourser  les  depens  et 
frais  de  notre  voyage. 

Le  roi  rendit  une  ordonnance  ci  ce  sujet 


(i)  Etats-generaux,  tome  VII,  page  397. 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  3oi 

lors  de  la  convocation  des  ^tats  de  Blois  en 
i56o. 

Les  deputes  aux  etats  recevoient  de  leurs 
commettants  des  instructions  et  pouvoirs 
qu'ils  ne  pouvoient  depasser.  Les  deputes  de 
la  province  de  Sens  en  i38i  d^passerent 
leurs  pouvoirs,  et  furent  desavoues  par  leurs 
commettants  qui  ne  payerent  point  le  sub- 
side accorde  ;  des  bailliajjes  out  meme  quel- 
quefois  refuse  de  contribuer  aux  charges  de 
I'etat,  sous  pretexte  qu'aucun  representant 
n'avoit  consenti  en  leur  nom.  -     .    . 

L'usage  etoit  de  representer  les  pouvoirs 
et  de  les  enre^oistrer  aussitot  apr^s  I'election 
du  president.  Chaque  (jouvernement  veri- 
fioit  les  pouvoirs  de  ses  deputes. 

La  France  etoit  divisee  en  douze  grands 
gouvernements  (i),  savoir:  Paris,  Tlle-de- 


(i)  Lorsque  le  roi  Jean  convoqua  les  etats-generaux,  la 
France  formoit  en  quelque  sorte  deux  etats  distincts; 
I'un  qui  etoit  regi  par  les  coutunics,  et  qui  faisoit  usage 
du  mot  oil,  oui,  pour  Faffirmation,  etoit  nomme  la 
langued'oyl;  I'autre  qui  etoit  regi  par  le  droit  ecrit  se 
nommoit  la  langue  d'oc,  parcequ'on  s'y  servoit  du  mo- 
nosyllabe  oc,  egalement  pour  I'affirmation,  Cependant 


3o2  ASSEMBLEES  NATION  ALES 

France,  la  Bourgogne,  la  Normandie,  la 
Guienne,  la  Bretagne,  la  Champagne,  le 
Languedoc,  la  Picardie,  le  Dauphin^,  la 
Provence,  Lyon  et  Orleans. 

Les  deputes  des  bailliages  etsenechauss^es 
de  ohacun  de  ces  gouvernements  formoient 
autantde  reunions  partielles  qui  noramoient 
un  president ;  cliacune  deliberoit  dans  un 
local  particulier;  les  votes  de  chaque  cham- 
bre  etoient  rapport^s  a  I'assemblee  generale 
a  I'effet  de  ne  faire  des  douze  cahiers  qu'un 
seul  cahier  general  pour  chaque  ordre,  et 
Ton  coHiptoit  les  voix,  non  par  tete,  mais  par 
gouvernement.  II  est  arrive  quelquefois  ce- 
pendant  que  Ton  a  delibere  et  compte  les 
voix  par  bailliage. 

Dans  les  bailliages,  descommissaires  nom- 
mes  par  lassemblee  recevoient  les  memoires, 


le  Lyonnois  qui  envoyoit  ses  deputes  a  la  langue  d'oyl  se 
regissoit  aussi  par  le  droit  eorit. 

La  langue  d'oyl  etoit  la  partie  septentrionale  de  la 
France,  et  la  langue  d'oc  en  etoit  la  meridionale.  La 
Garonne  et  la  Dordogne  en  faisoient  la  separation.  Ces 
etats  ne  deliberoient  pas  ensemble. 


DE  FRANCE.   CHAP.    XXXIX.  3o3 

et  de  tous  les  caliiers  particuliers  se  for- 
moit  celui  du  bailliage  pour  les  ^tats. 

Le  public  n  etoi t  pas  admis  aux  assemblees 
geiierales  ni  partielles,  et  Charles  IX  rendit 
en  i56o  le  mandement  ci-apres  relatif  a  la 
redaction  des  deliberations : 

«Setantconnu  par  experience  du  [)asse, 
vcombien  la  plupart  de  ccux  qui  sont  unis 
«  a  redif^er  par  ecrit  les  choses  memorables, 
«yont  i^noramnient  procede,  et  quelques 
w  uns  omis  ou  ajoute :  de  sorte  qu'au  lieu  du 
«  fruit  qui  en  devoit  sortir,  la  chose  est  tour- 
«  nee  a  derision  •,  et  desirant  y  pourvoir  pour 
«  ce  qui  s'est  traite  et  pass^  aux  ^tats-gene- 
« raux  dernierement  tenus  en  notre  ville 
«d'Orleans,  que  nous  avons  delibere  faire 
«  ecrire  par  personnes  qui  ont  certaine  con- 
«  noissance  de  tout  ce  qui  s'y  est  fait.  A  cette 
«  cause,  nous  voulons,  nous  mandons  et  or- 
('  donnons  tr^s  expressement  que  vous  ayez 
«a  faire  expresses  defenses  de  ])ar  nous,  a 
((Son  de  trompe  et  cri  public,  en  votre  res- 
usort  etjuri diction,  a  toutes  personnes,  de 
uquelque  etat  et  qualite  qu'elles  soient, 
('  qu'elles  n'aient  a  ecrire,  imprimer,  ne  faire 


•U*- 


3o4  ASSEMBLEES  NATIONALES 

((imprimer  aucuiie  chose  de  ce  qui  s'est 
«  (comnie  dit  est)  fait  ^s-dits  etats,  sur  peine 
«  de  dix  inille  livres  parisis  d'amende  envers 
('  nous ;  et  si  ja  ils  en  avoient  ecrit  aucune 
«  chose,  le  retenir  a  eux,  sans  metti e  en  evi- 
((dence,  ne  faire  servir  en  lumiere,  sinon 
«  qu'ils  aient  ci-apres  conge  et  permission  de 
«  nous  a  cette  fin ;  et  quant  a  ceux  qui  y  con- 
(( treviendront,  faites-Ies  si  bien  chatier  que 
« les  autres  y  prennent  exemple. » 

Les  trois  ordres  avoient  le  veto  Fun  sur 
Fautre.  L'ordonnance  d'Orieans  en  renferrae 
une  disposition  expresse  que  voici : 

«  En  toutes  assemblees  d'estats-generaux 
won  particuHers  des  provinces,  oil  se  fera 
«  octroy  de  deniers,  les  trois  estats  s'accorde- 
((  ront  de  la  cotte  part  et  portion  que  chacun 
u  desdits  estats  portera ,  et  ne  pourront  le 
uclerge  et  la  noblesse  seuls,  comme  f'aisant 
«  la  plus  grande  partie.  n  Jlrt.  i35. 

II  resultoit  dc  cet  ordre  de  clioses,  qu'en 
cas  de  dissentimen t  entre  Jes  trois  ordres, 
Fimpot  n'etoit  paye  que  par  celui  qui  Favoit 
consenti. 

II  a  ete  un  temps  oil  les  choses  se  passoient 


DE  FRANCE.  CHAP.  XXXIX.  3o5 

de  meme  en  An^jleterre.  David  Hume,  qui 
en  fait  la  remarque,  ajoute  la  reflexion  sui- 
vante : 

« 11  etoitlr^sconformeauxmaximesdetous 
ules  gouvernements  feodaux,  que  chaque 
uordrede  I'etat  donnat  son  consentement 

V  aux  actes  qui  I'interessoient  j^lus  immedia- 
Mtement.  Comme  I'idee  dun  syst^me  poli- 
utique  n'etoit  pas  encore  bien  enlendue, 

V  souvent  ,  dans  ces  occasions ,  les  autres 
uordres  de  I'etat  n'etoient  pas  consultes. » 
Hisloire  d'Ancjleterre ,  sous  Vanuee  i2C)5. 

Les  trois  ordres  conferoient  entre  eux  par 
commissaires  on  par  deputations;  dans  ce 
dernier  cas,  le  tiers-etat  envoyoit  au  clerg^ 
un  plus  grand  nombre  de  deputes  que  ie 
clerge  ne  lui  en  envoyoit.  La  proportion  n  e- 
toit  pas  fixe,  raais  elle  etoit  generalement  du 
double  au  triple.  '*^    v;i    j.i   nDVi     .• 

De  la  noblesse  au  clerge  le  nombre  etoit 
^gal.En  i6i4  la  noblesse commenra  la  jire- 
mi^re  k  visiter  le  clerge,  qui  recut  les  depu- 
tes a  la  porte  par  les  ^veques  d'Avranches  et 
de  Vabres,  avec  Fabbe  R^don  et  Tarcliidiacre 
de  Bourges,  qui  les  conduisirent  aux  quatre 
2.  20 


3o6  ASSEMBL1£ES   NATIONALES,   etc. 

cliaiies  vis-a-vis  dii  cardinal  president.  Le 
comte  de  Grammont  porta  la  parole. 

Le  cler(je  alia  peu  apr^s  visiter  la  noblesse; 
il  flit  recu  par  le  comte  de  Tonnerre,  et 
place  au  siege  le  plus  honorable. 

Le  tiers-etat  envoya  le  lieutenant  civil  de 
Paris ,  assiste  de  liuit  deputes,  pour  saluer  le 
clerge,  qui  les  recut  a  la  porte  par  Feveque 
d'Orleans  et  les  abbes  de  Bourgueil  et  de 
Vendome,  et  ils  furent  conduits  a  la  chaire 
et  sur  des  bancs  vis-a-vis  du  Cardinal  pre- 
sident. 

Le  clerge  deputa  vers  le  tiers-etat  leveque 
de  Grenoble  et  deux  ecclesiastiques  qui  fu- 
rent recus  par  huit  deputes  bien  avant  la 
porte,  conduits  dans  la  salle  et  places  au  lieu 
d'honneur  devant  le  president. 

On  distinguoit  les  lois  emanees  du  propre 
mouvement  du  roi,  de  celles  donnees  en 
conforraite  des  remontrancesdes  etats-gen^- 
raux.  On  appeloit  les  premieres  lois  du  roi, 
on  donnoit  aux  aulres  la  denomination  de 
lois  du  royaume. 

FIN. 


TABLE 

DES  MATlfiRES. 


A. 


Abailard.  Professoit  au  commencement  du  douzieme 
siecle;  avoit  plus  de  trois  mille  eleves,  I,  12. 

Alienation.  Voyez  Domaine  de  I'etat. 

Allemagne  (empire  d').  Perd  par  I'etablissement  du 
regime  feodal  la  liberie  que  les  Germains  y  avoient 
introduite;  causes  pour  lesquellesceregimes'y  main tiut 
plus  long-temps  que  par-tout  ailleurs,  I,  63,  64- 

—  Coup  d'ceil  general  sur  les  differentes  dynasties  d'Al- 
lemagne,  1 ,  6\  et  suiv.  Voyez  Dietes  d' AUemagne. 

Angleterre.  Conquise  par  Agricola  sous  le  regne  de 
Domitien;  revolutions  qu'elle  a  subies  depuis,  I,  35, 
a  la  note. 

—  Sa  constitution.  Voyez  Parlement  d' Angleterre. 
Apanage.  Celui  de  Charles,  frere  de  Louis  XI,  est  I'objet 

des  etats-generaux  de  1467,  Ij  33o. 

—  Origine  et  nature  des  apanages ,  1 ,  333 ,  note. 

—  Leur  quotite  fixee  par  Charles  V,  I,  34o. 
Aragon  (cortes  d').  Voyez  Cortes  d'Espagne. 
AssEMBLEES  NATiONALES,  connucs  SOUS  le  nom  de  Cortes  en 

Espagne,  de  Parlement  en  Angleterre,  et  d'Etats-Gene- 
raux  en  France,  I,  18. 

20. 


3o8  TABLE  DES  MATIERES. 

AssEMBLEES  NATioNALES.  LeuF  denomination  sous  les 
deux  premieres  races,  I,  gS,  note. 

—  Leur  organisation  depuis  Clovis  jusqu'a  Pepin,  I,  89. 

—  Changements  dans  leur  organisation  sous  les  rois 
Pepin  et  Charlemagne,  I,  100,  io3. 

—  Perdues  dans  la  confusion  des  derniers  regnes  de  la 
seconde  race,  elles  reparoissent  en  i3o3  sous  le  nom 
d'etats-generaux ,  I,  i65,  179. 

AssEMBLEEs  DE  NOTABLES.  Voyez  Notables. 
Association.  Celle  qui  etoit  appelee  faction  des  Seize. 

Voyez  Union,  Confrerie. 
AuTRiCHE.  Origine  de  la  maison  d'Autriche  apres  I'ex- 

tinction  des  maisons  de  Charlemagne,  de  Saxe,  et  de 

Franconie,  I,  72. 
AvocATS.  L'organisation  de  cet  ordre,  espece  de  magistra- 

ture,  remonte  a  Philippe-le-Hardi ,  I,  i63,  note.  Voyez 

Montholon. 


B. 


Bailhs.  On  connoissoit  dans  I'ancien  regime  deux  es- 

peces  de  baillis;  ceux  d'epee,  ceux  de  robe  longue. 

Origine  et   attributions   des  uns  et  des  autres,   II, 

3 1 ,  note. 
Bataille  de  poitiebs.  Le  roi  Jean  y  est  fait  prisonnier; 

elle  donne  lieu  a  la  convocation   des  etats-generaux 

de  i356,  I,  228,  232. 
—  De  Saint-Quentin.  Les  de'sastres  de  cette  bataille  sont 

I'occasion  des  etats-generaux  de  i558,  II,  27. 
— De  Creci ,  202 ,  note. 
Bibhotheque.  Voyez  Charles  F. 


TABLE  DES  MATIERES.  SoQ 

BiEMS  DU  CLERGE.  Edit  du  23  mars  i563,  qui  ordonne 

la  vente  d'une  partie  considerable  des  biens  du  clerge. 

Discours  du  chancelier  de  L'Hospital  lors  de  I'enregis- 

trementde  cet  edit,  II,  lop,  jiote. 
BiRAGuE,  chancelier  de  France  sous  Henri  III;  notice, 

II,  127. 
BoDiN,  depute  du  Vermandois;  coui'te  notice  sur  sa  vie 

et  ses  ouvra^jes,  II,  iSg. 
Boniface  VIII.  Pretentions  de  ce  pape  qui  compromet- 

toient  I'inde'pendance  de  la  couronne,  I,  177. 

—  Sa  bulle,  en  date  du  5  de'cembre  » 3o5  a  Philippe-le-Bel , 
met  le  royaume  en  interdit,  I,  79. 

—  Les  trois  ordres  de  la  nation,  revokes  de  la  conduite 
de  ce  pape,  en  appellent  au  futur  concile.  Mort  de 
Boniface  qui  met  fin  a  cette  lutte,  I,  181.  Voyez  Popes. 

BouRGOGNE.  Voyez  Francois  I". 

Bref  du  pape  contre  Jeanne  d'Albret,  II ,  1 16. 

Bretagne.  Louis  XII  avoit  promis  sa  fille,  heritiere  par 
sa  mere  du  duche  de  Bretagne ,  au  due  de  Luxembourg 
depuis  Charles-Quint;  ce  traite  est  rompu  sur  les  in- 
stances des  etats-generaux  de  1 5o6 ,  et  la  princesse  est 
fiancee  dans  le  sein  meme  des  etats  au  comte  d'An- 
gouleme ,  qui ,  depuis ,  a  re'gne  sous  le  nom  de  Fran- 
cois I",  II,  I. 

Bretigny  (traite  de),  renferme  les  conditions  sous  les- 
quelles  le  roi  Jean  recouvre  sa  liberte,  1 ,  2g5. 

Brigands.  Personnes  auxquelles  on  donnoit  cette  denomi- 
nation, I,  291. 

Brisson.  Mort  du  president  Brisson ,  II ,  198 ,  note. 

Bulle  d'or.  Le  pape  confirme,  par  cette  bulle,  le  privi- 
lege exclusif  ques'etoient  arrogesept  princes  puissants, 
d'elire  Tempereur  d'AUemague  ,  T  ,  66,  note. 


OIO  TABLE   DES   MATIERES. 

Bdssy-Le-Cleuc  conduit  le  parlement  a  la  Bastille ,  II , 
'97- 


Gapitulaircs.  Leur  objet;  comment  ils  etoient  votes, 
I,  107,  108. 

Gardinaux.  Aux  etats  d'Orleans  de  1 56o ,  les  cardinaux 
pretendent  avoir  le  droit  de  preceder  les  princes  du 
sang  royal.  Cette  pretention  ayant  ete  rejetee,  trois 
d'entre  eux  se  retirerent  et  quitterent   I'assemblee, 

11,98- 

—  Apres  comme  avant  leur  promotion ,  ils  sont  sujets 
du  roi,  et  sont  oblig'es  de  lui  faire  un  nouveau  ser- 
ment  de  fidelite',  II,  247,  note. 

Gastille  (cortes  de).  Voyez  Cortes  cTEspagne. 
Gatherine  de  Medicis,  nommee  tutrice  de  Charles  IX 
par  decision  des  etats  de  i56o,  II,  96. 

—  Moyens  qu'elle  emploie  pour  se  rendre  maitresse  des 
deux  partis,  protestant  et  catholique,  II  ii4'  Voyez 
Regence. 

Gauses.  Leur  distinction  en  majeures  et  mineures;  com- 
ment decidees,  I,  108,  109. 

Champ-de-mars.  Sous  les  premieres  races  on  distinguoit 
par  cette  denomination  les  assemblees  oil  se  regloient 
les  affaires  de  I'etat,  parcequ'elles  se  reunissoient  au 
mois  de  mars.  Plus  tard  on  les  appela  Champ-de-Mai, 
parceque  ces  reunions  eurent  lieu  en  mai,  I,  93,  97. 

Charlemagne.  Sous  son  regne,  I'autorite  des  assemblees 
nationales  cesse  d'etre  concentree  dans  les  mains  du 
clerge,  I,  io3. 


TABLE  DES   MATIERES.  3ll 

— Details  historiques  sur  ces  assemblees,  I,  io3,  note. 
Voyez  Loi  salique. 

—  Partage  de  I'empire  de  Charlemagne  entre  les  trois 
fils  deLouis-le-Debonnaire,  I,  64- 

Charles-le-Bel,  permet  an  pape  de  lever  des  decimes 

sur  le  clerge,  I,  igg. 
Charles-le-Mauvais.  Sa  conduite  envers  le  roi  Jean , 

I,  208. 
Charles  V,  dit  le  Sage.  Son  caractere,  I,  297. 

—  II  retablit  I'ordre  dans  les  finances  et  la  discipline  de 
I'armee;  il  convoque  les  etats-generaux  pour  deliberer 
sur  une  question  touchant  la  validite  du  traite  de  Br^'- 
tigny,  I,  3o4^f5U'i'. 

—  Par  lettres-patentes  du  i4  mai  i37o,  rendues  a  la 
suite  de  la  deliberation  des  etats,  il  declare  confisquer 
le  duclie  d'Aquitaine  et  toutes  les  autres  terres  que  les 
princes  anglois  possedoient  dans  le  royaume.  Ces 
lettres  rallument  de  nouveau  la  guerre  entre  la  France 
et  PAngleterre,  l,Zi/^  et  suiv. 

—  Protection  speciale  qu'il  accorde  aux  gens  de  lettres. 
II  augmente  la  bibliotheque  du  roi  Jean,  qui,  succes- 
sivement  accrue,  forme  aujourd'hui  la  Bibliotheque  du 
Roi,  I,  317. 

Charles-Quint,  issu  de  Maximilien  et  de  Jeanne-la-Folle. 
Droits  que  lui  assure  cette  double  parente  aux  trones 
d'Autriche  etd'Espagne,  II,  2. 

Charles  VII.  Deux  ordonnances , I'une  de  i435,  et  I'autre 
de  1439,  qui  assure  aux  armees  une  solde  reguliere, 
prouvent,  contra  I'opinion  des  historiens,  qu'il  y  a  eu 
des  etats-generaux  sous  son  regne,  1,  323. 

Charles  IX.  Sa  minorite;  etats  d'Orleans  convoques  sous, 
son  regne,  II,  66. 


3l2  TABLE   DES   MATIERES. 

—  Son  ordonnance  d'Orleans  est  uii  des  plus  beaux  mo- 
numents de  la  sagesse  de  nos  peres ;  ses  dispositions 
principales,  II,  no. 

Chartes  de  communes.  Des  causes  qui  ont  brise  le  joug 
des  servitudes  feodales  et  produit  les  chartes  de  com- 
munes, I,  lo  et  suiv. 

— ^Principaux  statuts  des  chartes  de  communes,  I,  i3, 
note. 

—  Toutes  consacrent  qu'en  principe  le  choix  des  officiers 
municipaux  appartient  aux  habitants,  I,  laS.  Voyez 
Communes. 

Chevalerie.  Troubadours ;  premiers  pas  de  la  nation 
francoise  vers  la  civilisation,  I,  121,  122. 

Civilisation.  Voyez  Chevalerie,  Croisades. 

Clerge.  Sous  Glovis  et  ses  premiers  successeurs,  le  clerge 
ne  figure  dans  les  assemblies  nationales  que  pour  y 
oiaintenir  la  police,  I,  91. 

-  Plus  tard  il  y  obtient  voix  deliberative,  et  parvient  a 
les  dominer  sous  le  regne  de  Pepin ;  mais  il  perd  beau- 
coup  de  son  influence  sous  celui  de  Charlemagne,  I, 
io3. 

—  Aux  etats  de  i56o,  il  propose  de  contribuer  a  Fimpot 
pour  quatre  decimes  par  an  pendant  six  ans,  et  apaise 
ainsi  les  plalntes  du  tiers-etat,  qui  avoit  demande  la 
reduction  de  ses  revenus,  la  vente  de  ses  biens,  la  sup- 
pression desa  juridlction,et  la  liberte  des  preches  des 
protestants,  II,  99. 

—  Edit  du  3  mars  i563  portant  qu'il  sera  vendu  une  par- 
tie  notable  des  biens  du  clerge,  II,  too,  note.  Voyez 
Bieiis  du  clerge,  Louis  IX,  et  Cliarles-le-Bel. 

Ci.ovis.  Conquete  qui  etend  sa  domination  jusqu'a  TO- 


TABLE   DES   MATIERES.  3l3 

cean ;  devenu  puissant ,  il  respecte  les  institutions ,  I , 
95,96. 

—  Partage  du  royaume  entre  ses  quatre  fils ;  triste  tableau 
des  regnes  suivants,  I,  98,  note. 

Combat  judiciaike.  Saint  Louis  I'abolit  dans  ses  do- 
maines;  son  exemple  est  suivi  par  un  {jrand  nombre 
de seigneurs;  consequences  decette  innovation,  I,  i5o. 

—  Philippe-le-Bel ,  n'ayant  pu  le  supprimer,  le  defend 
en  temps  de  guerre ,  et  I'autorise  en  temps  de  paix , 
I,  1 54,  note. 

Communes  de  France.  Epoque  et  origine  de  leur  etablis- 
sement;  droits  qu'elles  ont  d'eiire  leurs  officiers  mu- 
nicipaux ;  leur  police  et  le  droit  de  faire  prendre  les 
armes  aux  habitants  pour  la  defense  de  leurs  droits  et 
liberies,  conlics  ^  ces  officiers,  I,  i3,  laS,  note.  Voyez 
Chartes  de  communes. 

—  B'Angleterre.  Leur  origine ,  leurs  attributions ;  epoque 
de  I'admission  de  leurs  deputes  au  parlement.  Voyez 
Parlement  d^Angleterre. 

—  Obtiennent  sous  Henri  V  le  droit  de  rediger  elles- 
memes  les  lois  qu'elles  ont  provoque'es,  et  que  tous  les 
statuts  soient  passes  dans  leur  Cbambre  en  forme  de 
bill  avant  d'etre  publics,  I,  43. 

CoMTES.  Voyez  Gouverneurs  de  provinces. 

CoNCiLE  DE  Trente.  Conference  ordonnee  par  le  roi  sur 
la  question  de  savoir  si  les  lois  du  royaume  permettent 
la  publication  du  concile  de  Trente,  II,  278. 

—  Les  etats  de  la  Ligue  nomment  des  commissaires  pour 
examiner  si  les  dispositions  du  concile  de  Trente  sont 
compatibles  avec  les  lois  du  royaume;  rapport  de  ces 
commissaires,  II,  209. 


3l4  TABLE   DES    MATIERES. 

—  Discours d' Amiot, eveq ue  d'Auxerre,  sur  le  meme  sujet , 
II,  218- 

—  Singulier  moyen  employe  par  les  etats  de  iSgB,  pour 
satisfaire  I'insistance  que  mettoit  le  legat  du  pape  a  la 
publication  du  conciledeTrente,  II,  220. 

—  Nouvelles  tentatives  du  clerge  pour  faire  ordonner  la 
publication  du  concile  deTrente;  elle  est  rejetee,  II, 
255. 

Confederation  Suisse.  Voyez  Suisse. 
CoNFRERiE.  Associations  religieuses,  II,  i3o. 
GoNSEiL  d'etat.  Les  etats  demandent  que  les  membres 
du  conseil  d'etat  soient  reduits  a  dix-huit,  II,  128. 

—  Les  etats  proposent  d'adjoindre  au  conseil  d'etat  un 
depute  de  chaque  gouvernement ;  Bodin  s'oppose  a 
cette  deliberation,  II,  i4o. 

—  Remontrances  des  etats  generaux  de  i6i/|  sur  la 
composition  et  les  attributions  du  conseil  d'etat, 
II,  264. 

—  Qualites  que  doit  avoir  un  conseil  d'e'tat;  discours 
du  chancelier  de  Rochefort,  I,  349,  ^^o. 

CoNSEiLLERs  d'jetat.  Nc  siegent  aux  etats  qu'apres  les 
deputes  du  tiers,  du  clerge  et  de  la  noblesse,  II,  292. 

Constitution.  Celle  d'Angleterre,  d'Allemag^ne,  d'Espa- 
{>ne,  de  Portugal,  de  Suede,  de  Hongrie,  etc.  Voyez 
ces  differents.mots. 

Cortesd'Espagne.  Originede  leur  convocation,  I,  18,  19. 

—  Leur  composition,  leurs  pouvoirs,  leur  duree,  I,  19 
et  suiv.        .;(■>     . 

—  Celles  d'Aragon  nommoientavant  de  se  separer  un 
magistral  appele  justiza.  Importance  des  attributions 

.     de  ce  magistral,  I,  22. 


TABLE  DES   MATIERES.  3l5 

—  Celles  de  Castille  ne  nommoient  pas  de  justiza;  le 
roi  gouvernoit   seul  dans   I'intervalle  des    sessions, 

1,2^. 

—  L'exces  de  la  liberie  etoit  le  vice  de  ces  assemblees. 
Comment  de  cet  abus  I'Espagne  est  tombee  dans  I'au- 
tre,  ibid. 

ConTES  DE  Portugal.  Leur  origine,  I,  25.  L'assemblee 
tenue  a  Lamego  est  I'epoque  de  I'etablissement  de  la 
monarchie  en  Portugal.  C'est  dans  cette  assemblee  que 
fut  votee  la  constitution  du  royaume;  ses  disposi- 
tions, I,  27  ef  suiv. 

CfioisADES.  Leur  influence  sur  la  civilisation,  I,  4»  122. 
Voyez  Liberie. 


D. 


Deputations  de  la  noblesse,  du  clerge  et  du  tiers-etat. 

Leur  composition,  II,  3o5. 
Deputes.  Formes  de  leur  election,  II,  276. 

—  Nombre  des  depute's  composant  chaque  ordre,  II ,  280. 

—  Ne  pouvoient  depasser  les  pouvoirs  qui  leur  etoient 
confies,  II,  273,  3oi. 

—  Taxes  de  leurs  frais,  II,  3oo. 

—  Comment  etoient  charges  de  transmettre  aux  etats  les 
doleances  et  remontrances  de  chaque  particulier,  II , 
274. 

—  Les  deputes  aux  e'tats  d'Orleans  de  i56o  representent 
que  leurs  pouvoirs  ont  cesse  par  la  mort  du  roi.  Deci- 
sion des  etats,  11,  78.  Voyez  Serment. 

Dernieu  ressort.  Depuis  I'avenement  de  liugues-Capet 
jusqu'a  la  fin  du  treizieme  siecle,  les  seigneurs  etoient 


3lG  TABLE   DES    MATIERES. 

juges  en  dernier  ressort  dans  leurs  terras.  Preuves  et 
consequences  de  cet  etat  de  choses,  I,  i  i6. 

—  La  souverainete  est  attachee  au  dernier  ressort  de  la 
justice,  note,  ibid. 

—  L'attribution  aux  rois  du  dernier  ressort  de  la  justice 
date  des  etablissements  de  saint  Louis,  I,  iSa. 

DiETEsd'Allemagne.  Elisent  les  empereurs,  I,  66  et  suiv. 

—  Les  decrets  ou  recez  de  la  diete  formoient  les  lois 
de  I'Empire,!,  73. 

—  La  celebre  constitution  pour  la  conservation  de  la 
pai\  publique  est  votee  dans  la  diete  de  Worms ,  te- 
nue  en  i495  sous  Maximilien  I",  I,  62. 

—  De  Hongrie,  Le  roi  ne  peut  sans  leur  consentement 
deroger  aux  anciennes  coutunies  et  aux  libertes  natio- 
nales,  I,  82. 

—  Elisent  le  palatin  ,  premier  dignitaire  apres  le  roi, 
1,83. 

DoMAiNEs  DE  l'etat.  Henri  IH  demande  I'autorisation 
d'aliener  du  domaine  de  l'etat  jusqu'a  la  concurrence 
de  trois  cent  mille  livres  de  rente.  Cette  autorisation 
lui  est  refusee.  Motif,  II,  i43. 

—  Les  etats-generaux  de  iSSg  refusent  de  ratifier  le  traile 
par  lequel  le  roi  Jean  avoit  cede  la  Normandie  au  roi 
d'Angleterre  pour  prix  de  sa  rancon,  I,  288. 

—  Les  etats-generaux  de  1626  refusent  de  ratitier  le  traite 
par  lequel  Francois  I"  avoit  cede  la  Bourgogne  a 
Charles-Quint  pour  prix  de  sa  rancon,  II,  i5. 

Duperron  (cardinal).  Courte  notice  sur  sa  vie.  Son  dis- 
cours  sur  la  question  de  savoir  si  les  papes  ont  le  droit 
de  deposer  les  rois  de  leur  communion,  II,  246,  a  la 
note. 


TABLE   DES    MATIERES.  3 1 


fioiT  de  Romorantin.  Son  objet.  Plaintes  auxquelles  il 
donne  lieu  de  la  part  des  catholiques  et  des  reformes , 
II,  aSo. 

—  De  pacification  rendu  a  la  suite  d€S  etats-generaux 
de  i56o.  Ses  dispositions,  II,  gG. 

—  Modifie  par  trois  declarations  du  roi,  II,  ii5,  a  la 
note. 

fiooLARD  III,  roi  d'Angleterre.  Son  caractere,  I,  204. 

—  Son  invasion  en  France;  il  met  le  siege  devant  Reims 
dans  I'espoir  de  se  faire  couronner  roi  de  France ; 
traite  qu'il  fit  a  Bretigny,  I,  298  etsuiv. 

Electeurs.  Formes  de  leur  convocation;  quels  individus 
pouvoient  etre  electeurs,  II,  274,  276. 

Elections.  Premier  exeniple  de  manoeuvres  employees 
pour  influencer  les  elections,  I,  33o. 

EsPAGNE.  Revolutions  que  ce  pays  a  subies  avant  d'etre 
erige  en  monarchie;  la  monarchie  d'Espagne  s'estcom- 
posee  de  la  reunion  des  royaumes  de  Castille  et  d'Ara- 
gon  operee  par  le  marl  age  de  Ferdinand  et  d'Isabelle, 
1,19,  note.  Voycz  Corti's  d'Espagne. 

Esprit  public.  Dans  les  onzieme  et  douzieme  siecles,  il 
se  forme  un  esprit  public,  qui ,  vers  la  fin  du  treizieme, 
donne  a  la  France  une  face  nouvelle ;  developpe- 
ments  successifs  de  cet  esprit  public,  I,  120. 

Etabhssements  de  saint  Louis.  Date  de  leur  promulga- 
tion; leurs  principales  dispositions,  I,  i5i. 

Etats-generaxjx  de  France.  Leur  origine,  I,  i74- 

—  Forme  de  leur  convocation,  II,  267,  272. 


3l8  TABLE   DES   MATIERES. 

—  Sont  convoques  pour  la  premiere  fois  sous  Philippe- 
le-Bel,  I,  179. 

—  Cere'tnonie  d'ouverture,  de  cloture,  et  formes  de  leurs 
deliberations,  II,  283,  297,  3o2. 

—  Leurs  deliberations  ne  peuvent  etre  publiees,  II,  3o3. 

—  Ordonnance  du  22  decembre  i355  qui  regie  leurs  at- 
tributions, I,  2 1 5. 

—  Reflexions  de  Philippe  de  Commines  sur  les  avantages 
qui  resultent  de  leur  convocation  pour  le  roi  et  pour 
la  nation,  I,  ZyS. 

—  Les  e'tats-generaux  choisissent  leur  president;  son  ser- 
ment;  ses  attributions,  II,  299. 

—  Geux  de  i356  nomment  dans  leur  sein  une  commis- 
sion qui  s'empare  de  la  souverainete,  I,  249- 

—  Discours  de  Robert  le  Coq,  eveque  de  liaon,  aux  etats- 
ge'ne'rauxde  i356, 1,  25 1. 

—  Considerations  generales  sur  ces  etats,  I,  26^^. 

—  Les  e'tats  de  Blois  demandent  des  reformes  dans  Fad- 
ministration  des  finances,  proposent  de  mettre  en  ju- 
gement  les  dilapidateurs,  etde  choisir  a  cet  effet  dans 
leur  sein  une  commission  de  vingt-quatre  juges,  II,  184. 

—  Discours  des  trois  ordres,  II,  186. 
Etats-generaux  de  Flandre.  lis  ne  sont  d'abord  com- 
poses que  du  roi  et  de  ses  vassaux  immediats,  I,  ^6. 

Etablissement  des  communes  en  Flandre.  Elles  envoient 
toutes  des  deputes  aux  etats  sous  Baudouin  VII,  I,  48- 

Eveques.  Sous  le  regne  de  saint-Louis  ,  les  eveques  sont 
declares  justiciables  des  tribunaux  laiques,  en  matiere 
criminelle  comme  en  matiere  civile,  I,  i43. 

—  Leur  introduction  dans  les  assemblees  nationales  y 
porta  les  subtilites  de  Tecole  et  I'esprit  de  domination, 
I,  lOI. 


.TABLE   DES    MATIERES.  SlQ 

Excommunication.  Mesures  prises  par  les  seigneurs  de 
France  contre  les  excommunications  injustes;  belle 
reponse  de  saint  Louis  aux  eveques  qui  reclamoient 
contre  les  mesures,  I,  i38. 


Feodalite.  Son  origine;  ses  progres,  I,  i  et  suiv. 

—  Sa  puissance  a  I'avenement  de  Hugues- Capet  au 
trone,  I,  1 13.  Voyez  Lois  des fiefs. 

Francois  I".  Principales  dispositions  dutraitede  Madrid 
qui  lui  rend  la  liberte,  II,  12. 

—  II  convoque  une  assemble'e  de  notables  pour  aviser 
aux  moyens  de  se  procurer  les  deux  millions  d'ecus 
d'or  offerts  a  Charles -Quint,  en  compensation  de  la 
Bourgogne ;  composition  de  cette  assemblee,  II,  16. 
Voyez  Domaine  de  I'etat. 

Francs,  Denomination  generique  dont  on  decoroit  les 
peuples  germains  qui  se  faisoient  le  plus  remarquer 
par  leur  amour  pour  la  liberte,  I ,  g/j.. 

Froissard.  Sa  vie;  ses  Chroniques,  I,  207,  note. 


G. 


Gaules.  Etat  des  Gaules  sous  Clovis,  I,  94- 

Gabelle,  etablie   sous  Philippe-de-Valois  par  ordon- 

nance  du  20  mars  i343, 1,  201. 
Germains.  Leur  caractere ;  leurs  assemblees;  leurs  pre- 

tres,  leurs  juges,  I,  89  ef  suiv. 
Gouverneursde  province,  connus  sous  le  nomdecomtes 


320  TABLE    DES    MATIERES. 

au  temps  de  Charlemagne,  recueilloient  les  opinions 
des  notables  de  cliaque  comte ,  et  les  portoient  a  I'as- 
semblee  nationale,  I,  109. 

Gregoire  VII.  Pretentions  de  ce  pape;  I'humiliation  qu'il 
fait  subir  a  Henri  IV  empereur  d'Allemagne,  I,  70, 
note. 

Guerre  civile.  Circonstance  qui  la  fait  eclater  entre 
les  catlioliques  et  les  protestants,  II,  117. 

Guise.  Texte  d'un  ecrit  attribue  aux  protestants  qui  re- 
veille I'irritation  des  Guise  contre  eux,  II,  40' 

—  Tableau  des  persecutions  qu'ils  exercent,  II,  43. 

—  Leurs  manoeuvres  pour  corrompre  les  electeurs  a  Toc- 
casion  des  etats-generaux  d'Orleans,  II,  60. 

—  Le  due  de  Guise  accuse  et  fait  condamner  a  mort  le 
prince  de  Gonde,  II,  61. 

—  Chef  de  la  Ligue,  il  en  dirige  tons  les  mouvements, 
II,i58. 

GusTAVE  Vasa,  delivre  la  Suede  de  I'oppression  de  Chris- 
tiern ;  en  est  proclame  roi  par  les  etats-generaux  de 
iSaS,  et  la  couronne  est  declaree  hereditaire  dans  sa 
famille  parceux  de  i554, 1,  54- 


H. 


Henri  III.  fitat  de  la  France  a  son  avenement ;  les  etats 
de  Blois  sont  convoques  sous  son  regne,  II,  121. 

—  Son  discours  a  I'ouverture  des  etats  de  Blois,  II,  i65. 

—  Les  Guise  demandeut  la  suppression  de  certains  pas- 
sages de  ce  discours  qui  leur  deplaisent,  II,  175. 

—  Son  ordonnance  de  1579  sur  la  discipline  de  I'Eglise, 
Tadministration  de  la  justice,  la  police  interieure  de 


TABLE    DES   MATI^RES.  321 

I'etat,  les  finances  et  le  commerce;  ses  principales  dis- 
positions, II,  1 44-  Voyez  Union. 

Henri  IV.  Sa  reponse  a  la  lettre  d'excommunication  lan- 
cee  contre  lui  par  Sixte-Quint,  II,  i6o. 

HoMMES  d'armes.  Compagnies  d'hommes  d'armes ;  leur 
creation;  leursolde;  leur  organisation,  II,  iSy. 

HoNGRiE  (royaume  de).  La  Hongrie  eut  d'abord  une  es- 
pece  de  gouvernement  federatif  forme  de  differentes 
tribus  de  Huns ,  commandees  par  des  chefs  militaires 
choisis  par  elles.  En  966  les  grands  et  les  nobles  choi- 
sissent  I'un  d'eux ,  Etienne ,  pour  roi ;  legislation  de 
cette  monarchie,  I,  76  etsuiv. 

—  Systeme  du  gouverneraent  hongrois  tel  que  le  presen- 
tent  les  loiset  les  monuments  historiques,  I,  81  etsuiv. 

—  La  couronne  de  Hongrie  passe  dans  la  maison  d'Au- 
triche  en  1627,  et  s'y  fixe  hereditairement  le  3i  octobre 
1687,1,88.  Voyez  D/eto. 

HuGUES  Capet.  Ce  qu'etoit  ce  prince  avant  son  avene- 
ment  au  trone,  I,  65. 

—  Puissance  des  seigneurs  et  etat  de  la  France  a  I'epoque 
de  cet  avenement,  I,  1 13. 


I. 


Impot.   Philippe-le-Bel  sent  la  necessite  de  convoquer 
toute  la  nation  pour  le  voter,  I,  i85. 

—  Motifs  pour  lesquels  il  ne  pouvoit  etre  vote  que  pour 
un  an,  et  par  le  concours  unanime  des  trois  ordres, 

I,  223. 

—  Difference  entre  ce  que  nous  appelons  impot  aujour- 
d'hui,  et  ce  que  Ton  appeloit  subside  autrefois,  I,  2'JI^. 

2.  21 


322  TABLE  DES  MATIERES. 

—  La  nation  ressaisit  aux  etats-generaux  de  i355  le  droit 
de  s'imposer  elle-meme,  I,  an. 

Instruction  publique.  C'est  a  son  influence  que  les  com- 
munes ont  du  leurs  cliartes ,  et  la  nation  le  droit  de 
concourir  a  la  confection  des  lois,  I,  lo  et  suiv. 

Inquisition.  Le  cardinal  de  Lorraine  propose  de  Tetablir 
pour  arreter  les  progres  des  protestants,  II,  48. 

Interpretation  des  lois.  Que  sous  les  deux  premieres 
races ,  elle  appartenoit  aux  assemblees  nationales ; 
belle  reponse  de  Charlemagne,  1 ,  1 1 1,  112. 

Italie.  Vosez  Republiques  d'ltalie. 


Jean,  roi  de  France.  Etat  de  la  France  a  son  avenement ; 
son  caractere ;  ses  premiers  actes ;  luxe  de  son  saere ,  I , 
ao2  et  suiv. 

—  Les  etais-generaux  de  i355  sont  convoques  sous  son 
regne,  I,  211. 

—  Ceuxde  i356  le  sont  pendant  sa  captivite,  I,  282. 

—  Et  ceux  de  iSSg  s'ouvrent  par  la  lecture  des  conditions 
auxquelles  le  cabinet  de  Londres  attache  sa  liberte ; 
ces  conditions;  resolutions  prises  par  les  etats,  I,  188 
et  suiv. 

—  C'est  du  regne  du  roi  Jean  que  datent  les  premieres 
troupes  reglees,  J,  21 3. 

JuGES.  Remontrances  des  etats  sur  I'attention  que  les  rois 
doivent  apporter  dans  le  choix  des  juges,  I,  363. 

JuRiDiCTiON  ECCLESiASTiQUE.  Scs  entrcpriscs  sur  les  juri- 
dictions  seculieres ;  expedient  imagine  par  les  sei- 
gneurs pour  conserrer  leurs  droits ;  belle  reponse  de 
saint  Louis  aux  remontrances  des  ereques,  I,  i38. 


TABLE  DES  MATIERES.  323 

Justices  seignelbiales.  Exemple  de  leur  independance 

sous  Ilugues  Capet,  I,  1 18,  119. 
Juvenal  des  Ursins,  archeveque  de  Reims;  sondiscours 

sur  le  luxe  des  grands,  I,  337. 


Langue  latine.  Elle  se  parloit  encore  en  France  sous 
la  premiere  race ;  la  langue  romane  lui  succeda,  I,  iS^, 
128,  note. 

Legat  du  saint  siege.  Sa  bulle  par  laquelle  il  exhorte 
les  laiques  k  quitter  le  parti  du  roi,  II,  208. 

—  En  i5g5  les  parlements  de  Tours  et  de  Chalons  le  de- 
cretent  de  prise  de  corps ,  font  bruler  par  la  main  du 
bourreau  cette  bulle  qu'il  venoit  de  publier ;  defendent 
a  tous  Francois,  sous  peine  de  mort,  de  lui  donner 
asile,  et  recoivent  le  procureur-general  appelant  comme 
d'abus  de  Telection  de  Gregoire  XIV  au  pontificat,  II, 
208, 209. 

L'HospiTAL.  Discours  duchancelier  de  L'Hospital  a  I'ou- 
verture  des  etats-generaux  d'Orleans,  II,  70. 

—  Ses  reflexions  sur  la  liberte,  I,  161,  note. 

—  S'oppose  a  I'etablissement  de  I'inquisition  propose  par 
le  cardinal  de  Lorraine,  II,  5o. 

—  Sa  retraite,  a  I'instant  ou  la  guerre  civile  se  rallumc 
entre  les  protestants  et  les  catholiques,  met  le  comble 
aux  malheurs  publics,  II,  1 19. 

Liberte.  Les  peuples  du  Nord  I'etablissent  en  Europe 
au  cinquieme  siecle;  le  regime  feodal  la  tue  trois  cents 
ans  apres;  rivalite  des  seigneurs  avec  les  rois,  I,  i. 

—   Les  croisades  affoiblissent  la  puissance  feodale  au 

2  I. 


32  4  TABLE  DES   MATIERES. 

profit  ties  couronnes  et  de  la  democratic ;  elles  font 

fleurir  les  arts  et  le  commerce,  et  sement  dans  I'Europe 

des  germes  de  liberte,  I,  4' 
• —  La  partie  du  continent  connue  aujourd'hui  sous  le 

nom  de  Pays-Bas  est  I'une  des  premieres  qui  ait  joui 

des  bienfaits  de  la  liberte,  I,  46. 
LiBERTES  DE  l'Eglise  gai-licane.  EUes  font  partie  des 

lois  du  royaume ;  discours  de  I'archeveque  de  Reims , 

1,337. 
LiGUE.  Association ,  sous  pr^exte  de  religion ,  des  catho- 

liques  contre  les  protestants.  Voyez  Union. 
LiGUE  ANSEATiQUE.  Sou  originc ;  elle  se  forma  de  quatre- 

vingts  villes  de  commerce,  et,  sous  le  nom  de  Re'pu- 

blique  federative,  s'eleva  au  niveau  des  monarques  les 

plus  puissarits,  I,  9. 
LiGUE.  Des  seigneurs  contre  le  clerge ;  ses  statuts ;  sa 

composition,  I,  i38. 
Loi  DES  FIEFS.  Elle  formoit  dans  le  principe  le  seul  droit 

public  de  I'Europe,  1,2. 
Loi  salique.  Son  origine  ■,  son  execution  entre  particu- 

liers;  son  application  constante  aux  princesses  du  sang 

royal,  II,  220, 

—  Nouvelle  redaction  de  la  loi  salique  publiee  par  Char- 
lemagne sous  le  titre  de  Pactum  legis  salicce,  II,  222. 

—  Ge  prince  voulant  faire  des  additions  a  cette  loi  con- 
voque  le  peuple  a  cet  effet,  I ,  no, 

-■-  Aux  etats-generaux  de  iSgS  I'archeveque  d'Aix  pro- 
pose de  changer  la  loi  salique,  II,  igS. 

Lois.  Difference  que  Ton  mettoit  entre  les  lois  et  les  ca- 
pitulaires,  I,  106. 

—  Difference  entre  lois  du  roi  et  lois  du  royaume,  II,  3o6. 
Louis  IX  (saint  Louis).  Son  education;  ses  connois- 


TABLE  DES  MATIl^RES.  325 

sances ;  ce  qu'il  a  fait  pour  les  sciences  et  la  civilisa- 
tion, I,  1 36,  note. 

—  Cliangements  qu'il  apporte  dans  la  discipline  de  I'E- 
glise,  I'exercice  de  la  puissance  legislative  et  I'admi- 
nistration  de  la  justice,  I,  iSy. 

—  Son  ordonnance  de  1262  relative  a  la  nionnoie  des 
seigneurs  et  la  juridiction  qu'elle  attribue  aux  juges 
royaux  est  une  innovation  importante  qui  etendit  la 
prerogative  royale,  et  donna  lieu  plus  tard  a  I'etablis- 
sement  des  cas  royaux,  I,  i/|8. 

—  Reglement  de  1270,  connu  sous  le  nom  d'fitablisse- 
ments  de  saint  Louis,  I,  i5i. 

—  Sous  le  regne  de  saint  Louis,  et  par  suite  du  change- 
ment  qu'il  fit  dans  I'ad ministration  de  la  justice,  s'eleve 
dans  la  societe  une  nouvelle  classe  d'hommes  que  I'on 
designa  sous  la  denomination  d'hommes  de  lois,  I,  i5g. 

Louis-LE-HuTiN.  Son  ordonnance  du  3  juillet  i3i5  met 
a  prix  dans  ses  terres  I'affranchissement  de  la  servi- 
tude, et  bientot  une  seconde  ordonnance  erige  cet  af- 
franchissement  a  tilre  d'impot,  I,  196. 

—  Alteration  des  monnoies  sous  son  regne  et  les  sui- 
vants,  I,  197. 

Louis  XL  II  rassemble  les  etats  en  1467  pour  decider  la 
question  de  savoir  si  la  Normandie  appartiendra  en 
apanage  a  Charles  due  de  Berri  son  frere,  I,  33o. 

—  Son  testament  par  lequel  il  confere  la  tutele  de  son 
fils  et  I'administration  du  royaume  a  Anne  de  France 
sa  fille  ainee;  caractere  et  conduite  de  cette  princesse, 
I,  345  et  suiu. 

Louis  XII.  Par  le  traitesigne  a  Blois  le  22  septembre  iSo4, 
il  promet  madame  Claude  de  France  sa  fille  h  Charles 
due  de  Luxembourg,  depuis  Charles-Quint,  II,  2. 


326  TABLE  DES  MATIERES. 

—  Lbs  etats-generaux  de  1 5o6  lui  decernent  le  beau  titre 
de  Pere  du  Peuple,  et  le  supplient  de  donner  sa  fiUe  au 
comted'Angouleme,  depuis  Francois  I",  II,  3. 

—  Sa  re'ponse  conforme  au  voeu  des  etats  apres  avoir  pris 
I'avisdu  conseil,  II,  8. 

Louis  XIII,  declare  majeur  a  treize  ans  et  uiijour,  fait 
I'ouverture  des  etats-generaux  de  i6i4;  son  discours, 

II,23l. 

—  G'est  sous  son  regne  que  fut  rendue  la  fameuse  ordon- 
nance  de  1629,  II,  260. 


M. 


Magistrats.  Cette  classe  de  fonctionnaires,  inconnue  en 
France  avant  la  fin  du  treizieme  siecle,  doit  son  exis- 
tence aux  changements  operes  par  un  reglement  de 
saint  Louis  dans  I'administration  de  la  justice,  I,  iSg. 

—  Leurs  efforts  constants  pour  rattacher  a  la  couronne 
tous  les  elements  de  la  souverainete  que  les  seigneurs 
en  avoient  distraits,  I,  159. 

—  Maniere  de  pourvoir  a  leur  remplacement  sous  les 
regnes  de  saint  Louis,  Pliilippe-le-Bel ,  et  lessuivants, 
en  cas  de  vacance  de  leurs  offices,  I,  366. 

Magistrattjre.  Elle  forme  un  quatrieme  ordre  aux  etats 

de  1 558,  II,  32. 
Majorite  des  bois  de  France.  Edit  de  Charles  V  de  i3j\ 

qui  la  fixe  a  quatorze  ans,  I,  126. 

—  Difference  entre  la  majorite  des  nobles  et  celle  des 
Toturiers,  I,  166,  note. 

Medicis  ( Catherine  de ).  Voyez  Regence. 

—  ( Marie  del)  Voyez  Regence. 


TABLE  DES  MATIERES.  827 

Marcel,  prevot  des  marchands,  demande,  k  la  tete  d'une 
troupe  de  factieux,  la  revocation  d'un  edit  sur  la  re- 
fonte  des  monnoies,  I,  247' 

—  11  fait  envahir  le  Louvre  et  massacrer  le  marechal  de 
Clermont  et  le  senechal  de  Champajjne,  1 ,  259. 

—  Sa  mort,  le  3 1  juillet  i358  ;  cet  evenement  fait  prendre 
a  Paris  une  face  nouvelle  ,  I,  286,  nofe. 

Marillac,  archeveque  de  Vienne,  ami  de  L'Hospital.  Son 
discours  sur  la  necessite  de  convoquer  les  etats-gene- 
raux  pour  remedier  aux  abus  qui  affligeoient  I'Eglise 
et  I'etat,  11,  56. 

MoNTHOLON.  II  est  promu,  de  simple  avocat,  k  la  dignite 
de  garde  des  sceaux,  par  Henri  III;  belle  reflexion  de 
M.  I'avocat-general  Seguier  a  cette  occasion,  II,  170 
note. 

—  Son  discours  aux  etats  de  Blois,  II,  171. 

—  Apres  la  mort  de  Henri  III  et  malgre  les  instances  de 
Henri  IV,  il  reprend  modestement  la  profession  d'a- 
vocat,  II,  171 ,  note. 

MoNTMORENCi ,  connctablc  de  France ;  sa  mort ,  II ,  1 1 8. 


N. 


Noblesse.  Offre  qu'elle  fait  a  Francois  I"  pour  la  rancon 

de  ses  fiis,  II,  22. 
Norma NDiE.  Le  roi  Jean  avoit  cede  cette  province  au  roi 

d'Angleterre  pour  prix  de  sa  rancon ,  par  le  traite  de 

Londres;  les  etals-generaux  de  iSSq  refusent  de  rati- 

fier  ce  traite,  II,  i5. 
NoRMANDiE  (due  dc).  Voycz  llegence. 
Notables  (assemblees  de).  Ce  qui  les  distingue  des  etats- 

gene'raux,  I,  3o8. 


328  TABLE  DES  MATIERES. 

—  Convoquees  en  1627  sous  Francois  I"  et  en  i558  sous 
Henri  II,  II,  16,  26. 

—  Henri  IV  convoque  une  assemblee  de  notables  en 
1696  ;  formes  de  deliberer  de  cette  assemblee,  II,  228. 

Offices  de  judicature.  La  meilleure  maniere  d'y  pour- 

voir  est  que  les  tribunaux  presentent  et  que  le  roi  choi- 

sisse,  I,  365. 
Ordre  DE  succESSiBiLiTE  AU  TRONE.  II  est  mis  en  question 

par  les  etats-ge'neraux  de  iSgS  au  sujet  de  Tavenement 

de  Henri  IV,  II,  igS. 

—  Peine  prononcee  centre  ceux  qui  chercheroient  a  le 
detruire  ou  a  le  changer,  II,  226* 


Pairie.  En  Angleterre  la  pairie,  de  re'elle  qu'elle  etoit, 
devint  personnelle  sous  Edouard  III ;  consequence  de 
cette  innovation,  I,  43. 

Palatin  de  Hongrie.  Son  election;  ses  fonctions,  I,  83. 

Papes.  La  question  de  savoir  si  les  papes  ont  le  droit  de 
detroner  les  rois  catholiques  est  serieusement  agitee 
dans  les  etats-generaux  de  16 14;  discours  du  cardinal 
du  Perron  ;  reponse  du  president  du  tiers-etat;  arret 
du  parlement ;  arret  du  conseil ,  II ,  248.  Voyez  Phi- 
lippe-le-Bel ,  Sixte-Quint,  Tiers-Etat,  Universites. 

Parlement  de  France.  II  recoit  une  organisation  regu- 
liere  sous  Philippe-le-Bel ,  I,  176. 


TABLE  DES  MATIERES.  829 

—  Les  premiers  presidents  des  parlements  du  royaume 
sontappeles  a  I'assemblee  de  i558,  II,  26. 

—  Le  president  Saint-Andre  remercie  le  roi  au  nom  de 
toutes  les  cours  superieures,  de  ce  qu'il  avoit  uni  aux 
etats  du  royaume  un  quatrieme  ordre  forme  des  ma- 
gistrals qui,  depositaires  de  son  autorite,  rendoient 
la  justice  en  son  nom ,  II,  32. 

—  Courageuse  resistance  du  parlement  de  Paris  lorsqu'il 
fut  question  aux  etats-generaux  de  iSgS  de  changer 
I'ordre  de  succession  au  trone  et  d'y  appeler  a  la  place 
de  Henri  IV  Isabelle  d'Espagne,  II,  197,  note. 

—  Remontrances  du  president  Le  Maitre  au  nom  du 
parlement  sur  cet  objet,  II,  200. 

—  Reponse  du  due  de  Mayenne  et  trait  de  fermete  du 
president  Le  Maitre,  II,  2o3,  note. 

—  Le  parlement  est  divise  en  trois  sections  sous  la  Ligue, 
II,  207. 

Parlement  d'Angleterre.  Cette  assemblee  n'etoit  origi- 
nairement  composee  que  du  roi  et  des  vassaux  de  la 
couronne ;  les  depute's  des  bourgs  en  etoient  exclus ; 
lutte  continuelle  dans  laquelle  cet  etat  de  choses  pla- 
^oitleroi  avec  la  noblesse ;  traite  du  19  juin  121 5,  ap- 
pele  grande  cliarte  d'Angleterre,  qui  met  fin  a  cette 
lutte;  ses  principales  dispositions,  I,  35. 

—  Les  de'pute's  des  bourgs  ne  sont  admis  au  parlement 
qu'en  I'an  1294,  sous  Edouard  T',  I,  39. 

—  Reunis  dans  un  local  separe,  ils  ne  font  partie  de  cette 
assemblee  que  pour  le  vote  de  I'impot,  1,4'- 

Pays-Bas.  Voyez  Etats-Generaux  de  Flandre. 

Petition.  Celle  qui  fut  remise  aux  etats  de  i6i4  par  le 
seigneur  de  Vertaul,  tresorier  de  France,  dans  laquelle 


33o  TABLE  DES  MATI]^RES. 

il  expose  les  persecutions  que  lui  a  fait  subir  le  due  de 
Nevers,  II,  2361 
Philippe-Auguste.  Son  caractere;  progres  que  la  civili- 
sation a  faits  sous  son  reg-ne,  1 ,  126  et  suiv. 

—  II  reunit  au  domaine  de  I'etat  une  partie  des  pro- 
vinces qui  en  avoient  ete  de'tachees ;  il  organise  des 
tribunaux ,  favorise  I'instruction  publique ;  disposi- 
tions de  son  ordonnance  sur  I'universite  de  Paris  ;  sa 
reponse  a  Tarabassadeur  d'Angleterre ,  I,  19.8,  129, 
i3o,  note.  Voyez  Puissance  legislative. 

Philippe-le-Bel,  Son  caractere ,  sa  politique;  il  acheve 
de  dompter  la  puissance  fe'odale ,  et  sur  la  fin  de  son 
regne  on  ne  distingue  plus  qu'un  roi  et  des  sujets, 
1,175. 

—  II  organise  le  parlement  de  Paris;  sa  querelle  avec 
Boniface  VIU  ;  il  convoque  et  consulte  la  nation  en- 
tiere  sur  les  pretentions  de  ce  pape ;  cette  convocation , 
qui  eut  lieu  en  1 3o3 ,  est  Torigine  de  nos  etats-gene- 
raux,  I,  176  et  suiv. 

—  Lettre  de  Boniface  VIII  a  Philippe-le-Bel  et  de  ce 
dernier  a  Boniface,  I,  i83,  184. 

—  En  i3i3  il  reunit  une  seconde  fois  les  etats-generaux 
pour  voter  I'impot ;  ils  sont  convoques  a  la  meme 
epoque  en  Angleterre  et  pour  la  meme  cause,  I,  i85, 

note. 
PniLiPPii-LE-HARDi.  Sous  son  regne  la  France  passe  d'une 

espece  de  gouvernement  federatif  au  pouvoir  absolu ; 

son  despotisme,  I,  16^  et  suiv. 
Philippe-le-Long.  Son  ordonnance  du  39  juillet  i3i8, 

qui  revoque  toutes  les  alienations  du  domaine  faites 

par  son  frere,  son  pere  et  son  a'ieul,  a  servi  de  fonde- 


TABLE  DES  MATIERES.  33 1 

ment  a  la  maxime  que  le  domaine  de  I'etat  est  inalie- 
nable, I,  198. 

—  Sous  son  regne,  les  eglises  nej)euvent  posseder  aucun 
fief  sans  en  avoir  obtenu  la  permission,  I,  198. 

Philippe-de-Valois.  Sous  le  re(jne  des  trois  fils  de  Phi- 
lippe-le-Bel,  il  dirige  toutes  les  affaires  de  I'etat,  I,  ig3. 

—  Son  caractere,  sa  fiscalite ;  les  mesures  arbitraires 
qu'il  emploie  pour  se  procurer  de  I'argent:  c'est  par 
son  ordonnance  du  20  mars  i343  que  fut  etablie  la 
gabelle,  I,  i63,  199,  201. 

'PoDESTAT.  Voyez  Republiques  cCItalie. 

Portugal.  II  subit  le  sort  des  autres  provinces  d'Espagne 
dans  la  decadence  de  I'empire  romain,  et  devient  dans 
la  suite  un  royaume  d'Espagne,  I,  aS,  note. 

—  Sa  constitution.  Voyez  Cortes  de  Portugal. 

—  Orifjine  de  la  maison  de  Brajjance,  I,  34- 
PouvoiR  ExEcuTiF.  Appartenoit  aux  princes  sous  les  an- 

ciens  Germains,  I,  106. 

PouvoiR  MUNICIPAL.  Rendu  aux  communes  au  douzieme 
siecle,  I,  i23.  Voyez  Communes. 

Pragmatique  de  saint  Louis.  Ses  dispositions,  I,  i45. 

~  De  Charles  VII.  Son  origine ;  ses  principales  disposi- 
tions; debats  auxquels  elle  donne  lieu;  elle  est  abolie 
par  Louis  XI  aux  etats-generaux  de  i483;  le  tiers-etat 
en  demande  le  retablissement ;  le  clerge  s'y  oppose,  I, 
368,  note. 

Pretres.  Caractere  et  fonctions  de  ceux  des  Germains, 
1,91. 

—  L'orateur  de  la  noblesse  deinande  aux  etats  d'Orleans 
que  les  pretres  soient  tenus  de  resider  dans  leurs  be'- 
nefices,  II,  83. 


332  TABLE  DES  MATIERES. 

Puissance  legislative.  EUe  residoit  dans  la  nation  en- 

tiere  sous  les  anciens  Germains,  I,  io6. 
—  Comment  exercee  sous  Charlemajjne ,  I,  107. 
— •  Philippe-Aug^uste  fait  le  premier  pas  pour  la  recon- 

querir  sur  les  seigneurs  qui  Tavoient  usurpee,  I,  i33, 

note.  Voyez  Kemonlrances. 


R. 


Regence.  La  minorite  de  Charles  VIII  etoit  la  sixieme  ' 
depuis  Hugues  Capet ;  details  sur  la  maniere  dont  la 
regence  a  ete  conferee  k  ces  differentes  epoques  ,  I , 
358,  36o. 

—  La  mere  de  saint  Louis  est  la  premiere  femme  depuis 
Hugues  Capet  investie  de  la  regence ;  troubles  occa- 
sione's  par  cette  innovation,  I,  36 1. 

—  Discours  de  Philippe  Pot,  seigneur  de  la  Roche,  sur 
la  question  de  savoir  si  les  etats  pouvoient  disposer 
de  la  regence;  decision  des  etats,  I,  353. 

—  Le  due  de  Normandie  regent  pendant  la  captivite  du 
roi  Jean;  etatde  la  France  sous  cette  regence,  I,  277, 
284  et  suiv. 

—  Catherine  de  Medicis  se  fait  conferer  la  regence  par 
leroi  mineur  apres  la  mort  de  Francois  II,  II,  66. 

—  Elle  passe  ensuite  a  un  conseil  preside  par  elle;  re- 
glement  ace  sujet;  ses  dispositions,  II,  90. 

—  Marie  de  Medicis,  regente  pendant  la  minorite  de 
Louis  XIII,  assemble  le  conseil  qui  propose  la  convo- 
cation des  etats-generaux ,  II,  229. 

Remontrances.  Seul  raoyen  a  I'aide  duquel ,  a  I'exception 
du  vote  de  I'impot,  le  peuple  prend  part  a  la  puis- 


TABLE  DES  MATIERES.  333 

sance  legislative  sous  le  regne  de  Philippe-le-Bel  et  les 
suivants,  I,  192. 

—  Celles  des  e'tats  de  i6i4  sur  les  depenses  de  la  maison 
du  roi,  n,  261. 

Republiques  d'Italie.  Dans  toutes  les  republiques  la 
puissance  legislative  etoit  exercee  par  I'universalitedes 
habitants,  et  le  pouvoir  executif  par  des  magistrats  au 
choix  du  peuple,  I,  6. 

—  A  cette  magistrature  collective  ces  republiques  substi- 
tuerent  dans  la  suite  un  magistrat  connu  sous  le  nom 
de  podestat,  1,7. 

Republique  federative.  Voyez  Ligue  anseatique. 
Ressort.  Voyez  dernier  Ressort. 


Sainte-union.  Voyez  Union. 

Satire  menippee.  Reflexions  sur  les  suites  de  cette  satire, 

II,  207,  note. 
Seigneurs.  Leurs  devoirs  envers  le  roi,  I,  i5. 

—  Juges  en  dernier  ressort  dans  leurs  terres'sous  Hugiies 
Capet,  ils  s'en  rendent  les  seuls  legislateurs,  I,  n6. 

—  Confiscations,  taxes,  qu'ils  imposent,  I,  g. 

—  Droit  de  vie  et  de  mort  attribue  aux  seigneurs  hauts- 
justiciers,  I,  117. 

—  lis  nomment  un  comite  pour  examiner  si  les  excom- 
munications du  pape  sont  injustes.  Voyez  Ligue  des 
seigneurs  contre  le  cterge. 

Serment.  Formule  du  serment  des  deputes  aux  etats- 

generaux,  IT,  aSg. 
Sixte-Quint.  Sabulle  contre  Henri  IV,  II,  iSg. 
SouvERAiNETE.  Le  roi  n'en  jouit  qu'a  titre  de  depot.  II  ne 


334  TABLE  DfcS  MATltlRES. 

peut  I'aliener  sans  le  concours  de  la  nation,  I,  297. 

Voyez  dernier  Ressort. 

Subside.  Voyez /mpof.  ■     ;.        >. 

SuccEssiBiLiTE  Au  TRONE.  Voycz  Ordre  de  successibilite. 

Suede.  Origine  de  sa  constitution  ;  ses  principales  dispo- 
sitions ;  droit  d'elire  le  roi  attribue  aux  assemblees  ; 
leurs  autres  attributions ;  leur  division  en  quatre 
ordres ,  1 ,  49  ^^  suiv. 

—  Le  droit  d'election  est  aboli  et  la  couronne  declaree 
hereditaire  en  Suede  par  les  e'tats-generaux  de  i546, 
1,54. 

Suisse.  Etat  de  la  Suisse  avant  qu'elle  fit  la  conquete 
de  sa  liberie;  cette  liberte  due  au  couragfe  de  Guillaume 
Tell  se  consolide  par  la  victoire  remporte'e  par  les 
Suisses  sur  Leopold  III,  I,  56. 

—  Par  suite  de  ce  grand  evenement  les  cantons  d'Uri ,  de 
Schwitz,  d'Underval,  qui  d'abord  ne  s'etoient  unis  que 
pourdix  ans,  contractent  une  alliance  perpetuelle,  etla 
reunion  successive  des  autres  cantons  a  ceux-ci  forme 
la  Confederation  Suisse,  1, 60,  61. 

—  Maximilien  I"  defait  par  les  Suisses  conclut  avec  eux 
un  traite'  qui  les  affranchit  de  sa  juridiction  imperiale, 
I,  62,  63. 


Thou  (president  de),  celebre  bistorien  du  seizieine  siecle; 

notice  sur  sa  vie,  II,  177,  note. 
TiERs-ETAT.  II  est  admis  pour  la  premiere  fois  sous  Phi- 

lippe-le-Bel  aux  assemblees  nationales,  et,  reuni  au 

clerge  et  a  la  noblesse,  il  forme  un  troisieme  ordre 

dans  I'etat,  I,  179. 


TABLE  DES  MATIERES.  335 

—  Des  causes  qui  ont  retarde  et  fait  introduire  cette  im- 
portante  innovation,  I,  i4. 

—  II  ecrit  au  roi  Philippe-le-Bel  pour  le  prier  de  main- 
tenirles  droits  de  sa  couronne  contre  les  pretentions  de 
Boniface  VIII,  I,  182. 

—  Le  tiers-etat  ne  concourt  dans  les  assemblees  qu'au 
vote  de  I'impot,  I,  190.  Voyez  Remontrances. 

—  Ses  doleances  au  roi  lors  des  etats  tenus  h  Tours  sur 
I'epuisement  du  royaume,  et  sur  les  causes  de  cet  epui- 
sement  qu'il  attribue  au  clerge,  I,  SyS. 

—  Epoque  a  laquelle  le  tiers-etat  est  entre  dans  le  parle- 
ment  d'Angleterre ;  circonstances  qui  ont  aniene  ce 
grand  evenement,  I,  Sq,  i85,  note.  Voyez  Parlement 
d'Angleterre. 

Troubadours.  Voyez  Chevalerie. 

u. 

Union,  sainte-union.  Son  origine  et  son  organisation, 
II,  i3o,  149. 

—  Dissoute  dans  son  principe  par  I'autorite  de  Chris- 
tophe  de  Thou,  elle  se  reforme  sous  I'influence  du  mar- 
quis d'Humieres;  ses  statuts,  II,  i56. 

—  Memoire  presente  au  pape  par  la  sainte-union  par 
lequel  elle  le  sollicitoit  de  se  reunir  h  elle,  pour  sub- 
stituer  la  maison  de  Lorraine  aux  descendants  de 
Hugues  Capet,  II,  i34. 

—  Le  roi  se  declare  chef  de  la  sainte-union,  II,  i36. 

—  Faction  des  Seize,  II,  i58. 

—  Memoire  presente  au  roi  par  le  premier  president 
Christophe  deThou  sur  les  dangers  de  la  sainte-union, 
II,  1 65,  note. 


336  TABLE  DES  MATIERES. 

—  Le  due  de  Mayenne  fait  renouveler  le  serment  de  I'u- 
nion  pour  apaiser  le  legat  du  pape,  II,  220. 

—  Elle  fait  enfermer  a  la  Bastille  le  premier  president , 
le  procureur-gene'ral ;  elle  fait  pendre  un  president  at 
deux  conseillers,  II,  197. 

Universites.  Etat  des  universites  du  royaume  pendant 
le  treizieme  siecle ;  ordonnance  de  Philippe-Auguste 
''^  sur  cet  objet,  I,  1 3o. 

—  Effet  de  la  protection  qu'il  accorde  aux  universites ; 
^    details  curieu)(-'^||^j^^ux  qui  les  frequentoient,  I,  i32, 

note.  "      ''"■' 

—  Adherent  a  I'appel  au  concile  des  pretentions  du  pape 
BonifaceVIII,I,i8i. 


V. 


Venalite  des  emplois  de  la  magistrature.  Depuis  la 
mort  de  Charles  VII,  on  en  fit  un  honteux  trafic,  I,  366. 


FIN  de  la  table   des   MATIERES. 


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