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DES ‘DIVERSES MODIFICATIONS
DANS
LES FORMES ET LA COLORATION DES PLUMES
PAR
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PRÉFACE
L'étude des plumes sous leurs divers aspects, et dans leurs différentes
phases, a déjà été l’objet de nombreux travaux scientifiques; mais la
question, loin d’être épuisée, mérite encore toute lattention, soit des
zoologistes, des anatomistes et des physiologistes, soit aussi des physi-
ciens et des chimistes.
Schlegel, en 1852, n’a fait que reprendre un sujet traité déjà bien au-
- paravant dans divers pays par plusieurs auteurs; mais il a réveillé lat-
tention et suscité, en Allemagne surtout, de longues discussions et de
nombreux mémoires.
Le développement des plumes, leurs mues, leurs rapports avec les
poils, leurs différentes formes et couleurs, leurs modifications, chaque
question a été à son tour étudiée; et cependant le peu de données satis-
faisantes obtenues jusqu'ici, et la contradiction presque continuelle des
divers auteurs m’engagent encore à reprendre le sujet. Mais l'étendue
TOME XVIIt, 20 PARTIE. 32°
250 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
et l'importance de la matière me forcent à me restreindre sur un point
seulement.
Je chercherai à étudier surtout dans ce travail les diverses variations
de formes et de couleurs que subissent les plumes sous l’influence de
différentes conditions. Mon but principal sera toujours de chercher à
expliquer les phénomènes nombreux que présentent les plumes, et de
découvrir, si possible, les moyens qu’emploie la nature pour arriver à
ces buts variés.
Une bibliographie complète de tous les ouvrages écrits sur le sujet
serait 1c1 tout à fait inutile; je me bornerai donc à citer chemin faisant
quelques-uns des mémoires qui m'ont semblé contenir le plus d'idées
nouvelles.
Je m’efforcerai de concilier tant de faits cités et tant d'observations en
apparence contradictoires. Ce n’est plus une théorie que je veux propo-
ser, c’est le résultat d’une longue série de recherches et d'expériences ré-
pétées.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 251
CHAPITRE Er.
De la structure des plumes.
Je me vois forcé d'aborder en commençant quelques points qui ne sem-
blent pas devoir rentrer directement dans mon sujet, mais sur lesquels
Je dois cependant donner quelques éclaircissements, pour faciliter plus
tard l'intelligence de la question.
Les écailles des reptiles ou des poissons et les poils des mammifères
sont avantageusement remplacés par les plumes chez les oiseaux; car,
développant beaucoup la surface sans augmenter sensiblement le poids
du corps, elles présentent bien des qualités singulièrement favorables au
vol. Ce développement particulier des téguments, à la fois si important
et si nécessaire dans la vie de l'oiseau, peut devenir l’occasion de bien
des recherches intéressantes lorsqu'on l’étudie dans son accroissement,
sa disposition et les diverses variations qu'il montre à différentes épo-
ques et sur différents individus.
Engel' et Nitsch * nous ont montré tous deux, chacun à son point de
vue, l'importance des plumes, soit dans l’embriogénie, soit dans la clas-
sification. Le premier à étudié chez un fœtus encore très-peu développé
l'apparition et l'arrangement à des places déterminées des dépôts pig-
mentaires qui doivent donner naissance à ces organes. Le second a ob-
servé la disposition toujours semblable des plumes chez les individus
adultes d’une même espèce, ainsi que les rapports de ces dispositions
dans les genres et les familles.
Je cherche maintenant, à la suite de beaucoup d’autres, à expliquer
la série des phénomènes naturels que présentent ces organes si intéres-
sants dans la classe, sans contredit, la plus séduisante de nos vertébrés;
! Engel, Joseph. Ueber Stellung und Entwickelung der Feder. In Wiener Sitzungsber. Math. Nat. CL.
Band 22, 1857 (1856), p. 376-393.
? System der Pterylographie von Christian Ludwig Nitsch. Halle, 1840.
252 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
et si je suis contraint à entrer, pour plus de clarté, dans quelques
détails sur la croissance de parties qui ne doivent m'occuper qu'après
leur crue complète, je ne prétends pourtant pas poursuivre bien loin une
étude sur laquelle je n’ai pas spécialement 1ci poussé mes investigations.
Avant de revêtir leurs plumes réelles la plupart des oiseaux se cou-
vrent d’un duvet plus ou moins persistant. Première livrée de l'enfance,
cette couverture soyeuse est d'autant plus développée que le petit qui la
porte doit être plus longtemps et plus complétement protégé par elle
contre les intempéries de Pair.
Ainsi chez plusieurs ordres, comme les Rapaces, les Gallinacés, les
Échassiers et les Palmipèdes qui construisent des nids bien imparfaits,
nous rencontrons de Jeunes oiseaux couverts d’un duvet chaud et épais;
tandis que chez les Passereaux, qui bâtissent d'ordinaire mieux leurs de-
meures, nous trouvons des pelits presque nus, mais protégés, par contre,
par une couche en général bien close et bien moelleuse.
Quel que soit le degré d'importance de ce duvet, nous le voyons se
développer toujours d’une manière semblable, quoiqu’en présentant par-
fois de légères différences dans sa forme.
Dans l'épaisseur de la peau, sur un bulbe naissant, et à la place de Ja
plume future, le duvet croit et se développe d’une manière analogue à
celle que nous étudierons plus loin pour la plume. I chemine petit à petit,
en grandissant au travers des couches cutanées, pour percer enfin à la
surface sous la forme d’une touffe d'apparence pileuse, composée ordi-
nairement de 8 à 12 et quelquelois jusqu’à 24 filaments distincts.
Les filets si déliés et soyeux qui composent ce duvet ne possèdent
pas toujours comme les barbes de la plume de tige ou axe central, et res-
semblent par là même plutôt souvent à quelques-unes de ces barbes,
qui seraient maintenues ensemble par l'extrémité d’une petite gaine par-
ticulière.
Mais le duvet n’est pas seulement propre au jeune âge, car nous le re-
trouvons encore, soit sous les plumes de beaucoup d'oiseaux adultes sous
l'apparence de bourre protectrice, soit garnissant sur les côtés le bas de
ET LA COLORATION DES PLUMES. 255
la tige de presque toutes les plumes, soit encore comme une touffe sans
axe à la base et au milieu de la tige principale, soit enfin disposé sur
une tige particulière, isolée, ou développée dans le tuyau unique de la
plume principale, et doublant sur un espace plus ou moins long la face
interne de cette dernière. Ce revêtement constitue alors des plumes
doubles, comme nous en voyons chez beaucoup de nos Gallinacés et de
nos Échassiers, ou même des plumes triples comme en présente le Ca-
soar de lArchipel Indien.
Il est certain que, quand j'ai dit que les duvets des différents oiseaux
croissaient d’une manière semblable, je parlais seulement des duvets fixés
directement dans la peau, qu'ils persistent ou qu’ils tombent; et que lors-
que j'applique ici ce même nom à ces différents duvets que je signale à
la base des plumes, je n’entends pas leur attribuer une origine iden-
tique, mais bien en faire souvent une partie constituante de la plume
mère.
A ces différences d’origine et de position se joignent quelquefois aussi
des différences parallèles de forme et de construction. Dans les duvets
pauciers, basilaires où plumarres les barbes, plus ou moins longues, va-
rient généralement peu quant à la forme; mais il existe par contre une
grande diversité dans les barbules, suivant les différents groupes d'oiseaux
ou les différentes situations de ces duvets.
Ainsi les barbules duveteuses les plus simples, disposées plus ou moins
régulièrement par paires sur leurs barbes, ne consistent guère qu’en un
fil plus ou moins long et aplati à sa base, se modifiant de plusieurs ma-
nières dans les différentes familles pour présenter bien des formes di-
verses.
Remarquons d'abord que, plus le premier duvet du jeune âge a d’im-
portance, plus ilressemble déjà aux autres duvets qui le remplaceront chez
l'individu adulte. C’est ainsi qu'il existe, par exemple, beaucoup plus de
: J'appelle ici pauciers, basilaires et plumaires les différents duvets, suivant qu’ils reposent directe-
ment sur la peau, ou qu'ils forment une touffe à la base de la plume mère, ou qu'ils garnissent enfin,
soit le bas de la tige principale, soit les côtés des plumes duveteuses, simples, doubles où triples.
TOME XVII, 2m PARTIE, 99
254 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
divergence entre les duvets des jeunes et des adultes chez les Passereaux
dont le duvet premier est si mesquin et si peu persistant, qu'entre les
différents duvets des autres ordres.
Les principales dissemblances entre les duvets dépendent, en général,
ou d’un développement différent des segments superposés qui constituent
les barbules, ou des répartitions diverses de ces barbules elles-mêmes
sur les barbes.
Dans le premier cas l'extrémité supérieure de chaque segment est
plus ou moins développée suivant les ordres et même les espèces. Elle
forme, tantôt seulement une légère ligne de démarcation ou des petits
crochets comme dans la plupart des espèces chez lesquelles le duvet pau-
cier a le plus d'importance, tantôt des renflements en général fortement
pigmentés, affectant diverses formes et se retrouvant presque toujours
dans le duvet plumaire des Passereaux, ainsi que dans les différents du-
vets de quelques Rapaces nocturnes et de quelques espèces d’autres or-
dres. (Voyez, planche I, quelques exemples de ces divers duvets dans les
figures 1, 2, 5, 4 et 5, détaillées dans l'explication des planches.)
Dans le second cas, nous voyons les barbules, ou régulièrement ré-
parties de chaque côté de la barbe, ou éparses et alternantes distribuées
sans ordre aucun sur tout le pourtour de la barbe qui les supporte, ou
encore contournées légèrement en spirale près de leur base, ou enfin se
croisant quelquefois de manière que celle qui à pris naissance à gauche
se rend à droite et vice versà. (Voyez PL. L, fig. 5, 4, à.)
Mais il ne faudrait pas conclure du fait que l'on retrouve telle ou telle
de ces dispositions plus spécialement dans tel ou tel ordre qu'elle lui
soit exclusivement dévolue; car, par exemple, la forme légèrement en
spirale que nous observons chez beaucoup de Palmipèdes se retrouve
aussi dans quelques espèces des autres ordres, comme des Rapaces et
même des Passereaux.
Le duvet, quel qu’il soit, est souvent coloré, quelquefois par diffusion
irrégulière d’un pigment interne dans les barbes et les barbules, comme
nous le verrons plus loin pour les plumes, d’autres fois par dépôts pig-
ET LA COLORATION DES PLUMES. 255
x
mentaires à des places déterminées et régulières dans les renflements
dont nous venons de parler, présentant alors l'apparence des antennes de
certains insectes.
Après un temps plus ou moins long, la plume qui a suivi les voies
préparées par le duvet paucier chasse devant elle ce dernier et sa gaîne,
et montre encore plus ou moins longtemps à son extrémité la touffe du-
veteuse qu’elle est venue remplacer. (Voyez PL. E, fig. 1.)
Les grandes pennes, soit alaires, soit caudales, apparaissent en général
les premières; et ce n’est que petit à petit que le corps entier arrive à se
couvrir des plumes réelles qui vont constituer le premier plumage du
jeune oiseau.
Toute plume comporte ordinairement :
1° Une tige, axe primaire ou central;
20 Des barbes, axes secondaires ou latéraux et rameaux de cette pre-
mière ;
30 Des barbules, axes tertiaires implantés dans ces dernières ou entre
elles sur la tige;
4 Des crochets, appendices des barbules, axes quaternaires si l’on
veut.
Chacune de ces parties, formée en général de segments mis bout à
bout, est toujours composée comme suit : à l'extérieur, d’un épiderme à
cellules plates et irrégulières; en dessous d’une couche plus ou moins
épaisse de substance corticale formée de cellules allongées ou fibres min-
ces; et au centre d’un axe médullaire, tantôt continu et tantôt segmenté,
formé de cellules pigmentées régulières, polygonales ou arrondies.
Outre le duvet et les plumes, la plupart des oiseaux portent, vers les
narines ou quelquefois aux pattes, des plumes dites piliformes qui rap-
pellent, comme le nom l'indique, les poils de bien des animaux; qu’elles
soient des tiges privées de leurs barbes ou rameaux, ou des tiges et des
barbes dépourvues de leurs barbules.
Quelques-uns, comme le Jaseur /Bombycilla Garrula) présentent à
l'extrémité de quelques rémiges des développements cornés et colorés
256 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
que nous montrerons plus tard n'être probablement que des barbes
conglomérées ensemble. D’autres espèces présentent des épines ou dé-
fenses qui, composées également de la jonction de plusieurs plumes
réunies par l’extravasion de la matière pigmentaire constituante, rappel-
lent étonnamment la construction, aux dépens des poils, des cornes du
Rhinocéros, par exemple.
Sans vouloir chercher maintenant à présenter les ressemblances et
dissemblances qui se voient entre les plumes et les poils; je tiens pour-
tant à signaler ici qu'il existe certains rapports de forme entre le duvet
des oiseaux et les poils de certains petits mammifères ; aussi bien qu'entre
les grands poils et la bourre de quelques autres mammifères et les tiges
ou les barbes de beaucoup d'oiseaux.
Le prof. Kolenati', dans un mémoire sur les Chauves-souris d'Europe,
décrit et représente les poils de bien des espèces, et attribue à des tours de
spire certaines annelures que l’on ne peut observer qu'au microscope.
L'analogie frappante qui existe sur ce point entre le poil de nos
Chéiroptères et le duvet plumaire de la plupart des Passereaux avait déjà
été observée par Heusinger”, qui fut, je crois, lun des premiers à la
signaler. Mais, tout en reconnaissant la justesse de cette comparaison,
Jobserverai cependant que je ne crois pas que l’on doive reconnaître des
tours de spire partout où l’on découvre des renflements superposés; car
J'ai trouvé bien rarement, soit dans les barbes, soit dans les barbules, une
spire réelle ailleurs qu’à la base.
Holland”, dans une thèse qu’il publia en 1864, pousse du reste encore
plus loin cette comparaison intéressante et cite un grand nombre d’exem-
ples qui m'écarteraient trop de mon sujet.
Nous avons vu comment la plume remplace le duvet, et signalé aussi
en quelques mots les rapports qui existent entre ces deux parties ; exa-
‘ Beiträge zur Naturgeschichte der Europäischen Chiroptern, von Prof. Dr Kolenati. Al/g. deutsche
naturhistor. Zeitung, 1851.
? Heusinger. Froriep. Not. IV, 7, p. 105.
3 Dr Theod. Holland. Pterologische Untersuchungen. Journal für Ornithologte, vol. XII, Heft 3, 1864.
©
ET LA COLORATION DES PLUMES. 257
minons maintenant brièvement la croissance de la plume, pour autant
que le nécessite la question qui doit nous occuper.
Mais, avant d'aller plus loin, faisons encore quelques remarques qui
trouvent 1ci leur place.
Premièrement, il faut distinguer dans les crochets, les vrais axes qua-
ternaires parties intégrantes de chaque segment constituant de la bar-
bule, et des feuillets ou filets recourhés, simples écorcements de la
matière corticale que nous expliquerons plus loin. Ces appendices très-
variés de forme servent quelquefois, ainsi que les barbules elles-mêmes,
à maintenir les différentes barbes rapprochées. Ils sont très-abondants
et très-longs chez beaucoup d'oiseaux aquatiques, où ils peuvent servir
peut-être à protéger le plumage contre l'eau en le maintenant plus serré,
par le fait de leur disposition très-irrégulière et de lenchevêtrement qui
en résulte naturellement.
Secondement, la première plume du jeune oiseau n’est pas toujours
construite exactement comme celle qui le suivra. Ses barbes sont plus
déliées et plus distantes, et ses barbules possèdent souvent moins de cro-
chets; elle devient par ce fait plus duveteuse et acquiert plus de souplesse
ainsi qu’un aspect plus soyeux, je dirai même plus échevelé. Cette par-
ticularité n’est très-évidente que chez les oiseaux dont le duvet peu fourni
est promptement sessile, par conséquent chez les Passereaux surtout.
Troisièmement, ce n’est pas le plus souvent à une asymétrie ou au
manque de barbules ou de crochets sur un côté qu'il faut attribuer,
comme on l'a fait quelquefois, la mollesse et la souplesse des plumes
des oiseaux nocturnes; c’est bien plutôt à un grand nombre de plumes
entièrement duveteuses, à une plus grande séparation des barbes et des
barbules chez quelques autres plumes, et surtout enfin, à la forme cu-
rieuse des barbules internes supérieures sur les rémiges. Ces barbules
sont, en effet, longues, eflilées et un peu sinueuses comme dans quelques
rémiges d’autres oiseaux; mais elles sont surtout couvertes d’une multi-
tude de crochets latéraux longs, fins et régulièrement distribués, qui les
rendent semblables à une barbe de duvet munie de ses barbules. (Voyez
258 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
PI. I, fig. 6, la face supérieure d’une section de rémige du Strix Aluco.)
Beaucoup d'auteurs ont étudié le développement de la plume, et, de-
puis Cuvier, plusieurs ont publié des observations de tous genres, mais
souvent contradictoires.
De même que les poils et la plupart des développements pauciers, les
plumes prennent naissance, comme nous l'avons dit, dans le corium,
pour sortir ensuite au-dessus de lépiderme.
Sur un jeune oiseau, encore dans sa coquille, Engel nous à montré
déjà les places déterminées où les plumes doivent apparaître, et, étudiant
le développement de ces parties déjà distinctes par leur coloration, il
nous à fait observer dans la peau des lignes sur lesquelles doivent se
développer les gaines des plumes à venir. Il nous désigne, ensuite,
comme premier rudiment de la plume et de sa gaine, des cellules mères
qui s’'isolent et se développent petit à petit sur ces lignes. La gaine qui
entoure de tous côtés la plume croît et s’allonge donc à mesure que lor-
gane qu'elle doit protéger augmente ses proportions; jusqu’au moment
où, percée, comme nous le verrons, à sa partie supérieure par la plume
assez forte déjà, elle cesse de croître et tombe en grande partie.
La cellule première se subdivise en beaucoup de plus petites dont
quelques-unes s'accumulent en un bulbe basilaire, tandis que plusieurs
se rangent sur la périphérie et d’autres sur le centre.
La gaine qui enveloppe de toutes parts ces premiers matériaux pré-
sente cependant à sa base un orifice, appelé ordinairement ombihic in-
férieur, par lequel des vaisseaux sanguins apportent à toutes ces parties
les différents éléments qui doivent servir à leur développement pro-
gressif.
La substance plastique pigmentée se forme peu à peu, et les cellules
qu'elle engendre se disposent au fur età mesure à leurs places respectives,
allongeant graduellement ce premier rudiment qui, muni de son enve-
loppe, S'avance obliquement du derme sous l'épiderme.
Les cellules pigmentées constituantes, polygonales ou arrondies, et
munies d'un noyau, s’arrangeant par séries, composent sur le pourtour
ET LA COLORATION DES PLUMES. 259
les barbes et les barbules, et au centre la tige isolée ou l'axe de la
plume.
À mesure que les cellules qui doivent constituer la couche corticale
se développent et se groupent, leur nucléus disparaît en partie et elles
s’allongent pour prendre d'ordinaire une forme plutôt fibrillaire.
Mais ce n’est qu'après un développement assez avancé que toutes les
parties, séparées d’abord, parviennent à s'unir et se rejoindre.
Le professeur Engel admet que, pour en arriver à ce point, la crois-
sance se fait à la partie supérieure par dédoublement d’une cellule pre-
mière, sans que rien soit changé dans les cellules qui composent la base
du bulbe.
Le Dr Réclam‘ semble plutôt croire que, la croissance se faisant par
le bas, les parties qui croissent poussent devant elles celles qui sont déjà
plus développées. Le fait est que l'espèce de lymphe, ou la substance
créatrice quelconque, arrivant par la base, baigne tout l’espace compris
dans la gaine, et que les parties les plus extrêmes qui doivent apparaître
les premières soutirent plus abondamment les principes qui leur per-
mettront de se former plus vite aux dépens des inférieures.
C’est ici que Fréd. Cuvier‘ admettait deux membranes striées pour
servir, contre la paroi interne de la gaine, comme d’enveloppes conduc-
trices, ou de filtres pour les barbes et les barbules. Mais dans des études
bien plus récentes, ni le Dr Réclam, ni le professeur Engel, mi le Dr
Holland, ni bien d’autres avec moi n’ont pu retrouver jamais ces mem-
branes supposées; et je m'explique bien plutôt ces apparences par les
fines stries que le premier de ces anatomistes nous a montré imprimées
par les barbes sur les parties, molles encore, qui les enveloppaient, et
par la dessication et la déposition en petits feuillets de la matière plas-
tique intérieure desséchée.
En un mot, nous observons dans la plume un mode de développe-
1 Carolus Reclam. De plumarum pennarumque evolutione. Lipsiæ, 1846.
* Fréd. Cuvier. Observations sur la structure et le développement des plumes. Mém. du Musée d'hist.
natur., tome XIII.
260 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
ment et une structure qui présentent moins de différences que lon
aurait pu le croire de prime abord avec ce qui se voit dans la formation
du poil.
Cependant la plume et sa gaine fermée encore à son extrémité supé-
rieure transpercent l’épiderme et s’avancent ensemble plus ou moins loin
suivant les différents oiseaux et les différentes places du corps. L’impor-
tance de l’organe qui doit se développer et la solidité qu’il doit conserver
plus tard nécessitent pour lui, soit une implantation plus profonde dans
les téguments, soit une protection plus prolongée par l'allongement
plus grand de la gaine. Tandis que les plumes prennent naissance plus
ou moins profondément dans l'intérieur de la peau, nous voyons les
pennes et surtout les rémiges s'implanter jusque sur l'os, et, conservant
bien plus longtemps leur enveloppe protectrice, se munir même à leur
base de quelques petits muscles pauciers qui les étreignent de tous côtés.
Toutefois, extrémité de la plume croissante a pris assez de solidité
pour percer maintenant le bout antérieur de sa gaine, et c’est alors que
nous voyons paraître au Jour les barbes et les barbules extrêmes de la
plume parfaite, enroulées d’abord sur leur axe, mais se développant
bientôt en pinceau par le fait de leur élasticité et de leur desséche-
ment. Elles sont colorées comme doit l'étre l'extrémité de la plume adulte
el ont reçu déjà lout le pigment qu'elles doivent tirer jamais du corps. A
partir de ce moment, la croissance continue au fur et à mesure comme
nous l'avons expliqué, et la plume s’allonge tandis que chacune de ses
parties nouvelles reçoit avant de sortir de la gaine tous les éléments
colorants qu'elle doit montrer ensuite.
Plus tard les vaisseaux sanguins se sont oblitérés, la lymphe créatrice
qui à subsisté encore quelques temps à disparu petit à petit, lombilie
inférieur s’est couvert d’un opercule, la gaine inutile est tombée par
feuillets jusqu’au niveau de la peau, et nous voyons alors que la pulpe
constituant l'âme de la plume s’est peu à peu desséchée, du sommet à la
base, mais d’une manière plus ou moins complète suivant les diffé-
rentes plumes.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 261
La plume qui a fini son développement est tombée dans un état de
mort apparente, et, quoique bien souvent elle ne reçoive plus rien direc-
tement du corps, nous verrons qu’elle n’en est pourtant pas compléte-
ment indépendante.
CHAPITRE II
Des mues réelles ou par renouvellement.
Après avoir traité très-succinctement ce qui a rapport à la croissance
du duvet et de la plume, ainsi qu’au remplacement de l'un par l’autre;
examinons encore brièvement, dans ce second chapitre, tout ce qui con-
cerne ce que nous appelons mue réelle, soit chute et crue nouvelle de
plumes entières. Et, puisque notre but est de nous occuper spécialement
des changements qui s’opèrent dans une même plume, parcourons rapi-
dement les changements, bien plus simples et bien plus faciles à com-
prendre, qu’amène un renouvellement total ou partiel du plumage d’un
oiseau.
Chacun à remarqué qu’une espèce, qu’un seul oiseau même, se pré-
sente sous divers aspects suivant son âge, son sexe, la saison et même
les localités. Beaucoup de ces diverses livrées, et souvent les plus frap-
pantes, sont dues à une mue véritable et soumise à différentes influences
soit internes, soit externes.
Le petit oiseau, quel qu'il soit, qui perd son duvet et prend son
premier plumage, reçoit dans ses premières plumes une dose d’un cer-
tain pigment qui ne pourra lui fournir jamais que certaines livrées pro-
pres au Jeune âge; mais, à une première mue plus ou moins proche
suivant les familles, ce jeune oiseau va recevoir, à l’intérieur de nou-
velles plumes, une autre dose d’un nouveau pigment qui, différemment
élaboré, lui permettra d'atteindre une livrée nouvelle.
C’est ainsi qu’un mâle et une femelle recevront à la fois une pigmenta-
tion intérieure différente ou qui, si elle est semblable d’abord, produira
TOME XVI, 2e PARTIE. 34
2
262 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
plus tard, comme nous le verrons, des apparences différentes par le fait
de doses et de propriétés diverses. Le Dr Holland croit que les femelles
présentent une coloration moins brillante, parce que leurs organes de
génération enlèvent trop de principes au sang; et il cite que de vieilles
femelles qui ne pondent plus arrivent à prendre bientôt un plumage
analogue à celui des mâles.
C'est par le même procédé d'un apport pigmentaire toujours nouveau
dans une nouvelle plume que l'oiseau obtiendra, plus ou moins vite, sa livrée
d'adulte; mais, arrivé enfin à un âge avancé, il ne recevra plus à chaque
mue qu'une même dose d’un même pigment pour présenter toujours
une coloration semblable.
Cependant ces mues, plus ou moins rapprochées suivant les espèces,
sont totales ou partielles, et le renouvellement des plumes suit alors
une marche tantôt régulière et tantôt irrégulière, mais très-variable tou-
jours, même dans une espèce unique. Dans une famille, dans un seul
genre même, certaines espèces ont une mue simple pendant que d’autres
ont une mue double.
La mue de la fin de l'été ou d'automne est la vraie mue, la mue
générale et la plus entière; tandis que celle du printemps, d'ordinaire
seulement partielle, est plus ou moins complète suivant que telle colo-
ration nouvelle ne peut pas se déduire dans certaines plumes par mo-
dification ou développement de l’ancienne. Ainsi, beaucoup d'espèces de
divers ordres ne possèdent qu'une mue simple ou d'automne; pendant
que d’autres de différentes familles présentent en sus une mue de prin-
temps dite double, plus ou moins complète. Le Tichodrome, par exemple,
parmi les Passereaux, ne change guère de plumes au printemps qu'à la
gorge, tandis que le Lagopède, parmi les Gallinacés, change au contraire
une bonne partie des plumes de tout son corps.
Enfin, beaucoup d'oiseaux prennent encore, le plus souvent à la tête
ou au cou, des plumes nouvelles et extraordinaires qui, purement des-
tinées à orner leur plumage de noces, croissent au printemps sous l’in-
! Zur Entwickelungsgeschichte der Federn, von D° Holland. Journal für Ornithologie, vol. VII, 1860.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 263
fluence d’une inflammation locale des téguments, surexcitée, suivant
Severtzof', par l'azote contenu dans Pair.
De nombreuses observations exactes et comparées pourront seules
établir ici une distinction réelle entre ces différentes mues. Un change-
ment de plumes se faisant rarement d’une manière bien régulière, on
trouve très-souvent des états intermédiaires qui embrouillent la déter-
mination de létendue de la mue et de son époque, ainsi que des
mues que j'appellerai éparses, c’est-à-dire un renouvellement de plumes
à des places irrégulières et à des époques indéterminées, que ce soit un
fait naturel ou un fait accidentel. Nous en savons cependant assez pour
pouvoir tirer facilement de ces quelques observations des conclusions
probables, soit sur les causes de ces renouvellements, soit sur leur but
et la détermination de leurs époques.
Lorsqu'une plume, soumise pendant un temps plus ou moins long à
différentes influences externes, a éprouvé les diverses modifications
qu’elle était destinée à subir, les efforts qu’elle a faits pour la manifes-
tation de quelques phénomènes que nous étudierons plus loin, la lais-
sent dans un état de détérioration progressive. Cette détérioration,
jointe au fait que le peu qu’elle obtenait encore du corps se reporte
alors sur une création nouvelle, la plonge dans un état de mort de plus
en plus réelle. Elle doit tomber, inutile dès lors, et chassée d'ordinaire
par celle qui, venant la remplacer, pousse sur la même base et suit le
même chemin.
Une curieuse exception qui prouve bien que la nouvelle plume qui
croit s’aide à chasser l’ancienne qui meurt, est un fait singulier qu'a
observé et que m'a cité M. G. Lunel; on lui a apporté, en effet, il y a
quelques années, un Chardonneret /F. Carduelis) qui, mort en cage,
présentait pour ainsi dire des ailes doubles, soit deux rangées de rémiges
à chaque membre. Evidemment, il s'était passé un fait analogue à ce
‘ Mikroskopische Untersuchungen über die Verfärbung der Federn zum Hochzeitskleide bei einigen
Vôgeln, nebst Betrachtungen über das Verhältniss derselben zur Mauser, von N. Severtzof. Bulletin de la
Société royale de Saint-Pétersbourg, mai 1863.
264 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
qu’on voit quelquefois pour les dents, l'organe inférieur croissant avait
dévié de sa route pour venir se placer à côté de l’ancien qui, n'étant pas
chassé, pouvait subsister encore quelque temps.
La nouvelle plume offre des conditions de coloration et de protection
que la précédente n’était plus capable de fournir.
En automne, une plume neuve, plus longue par le fait qu’elle n’est
pas encore usée, protége mieux l'oiseau contre les froids qui s’annoncent;
et, au printemps, en cas de mue partielle ou double, de nouvelles
plumes plus brillantes sont destinées à composer sa livrée de noces.
L'oiseau, comme toute la nature, se pare pour la saison des amours, et,
ne pouvant pas toujours reteindre et rafraîchir ses vieux habits, il les
change contre des habits nouveaux, se couvrant même souvent, comme
nous l'avons dit, de gracieux ornements, tels qu’en portent les Chevaliers
Combattants, par exemple.
Le but même de ces divers revêtements nouveaux semble en fixer les
époques naturelles; mais il ne faudrait cependant pas croire que des
lois immuables et sans exception régissent, ni l'époque de Papparition
d’une plume nouvelle, ni la qualité du nouveau pigment qui doit y être
introduit, ni même l'allongement que cette plume pourra prendre; car
une foule de conditions variables, internes ou externes, peuvent modifier
ces différentes lois. C’est ainsi que j'ai vu dernièrement un Turdus Vis-
cworus chez lequel quelques plumes caudales mesuraient jusqu’à un
pouce de plus que leurs dimensions ordinaires.
C'est également à cause de cette variabilité de conditions que nous
voyons une plume arrachée accidentellement, remplacée très-vite par une
nouvelle dont l'apparence varie suivant l’état de l'oiseau. Quelquefois,
recevant dans son intérieur une bonne partie du pigment qui ne devait
lui être dévolu qu'à la mue prochaine, cette plume nouvelle offrira une
coloration plus âgée que la précédente. D’autres fois, n’obtenant du
corps que fort peu de substance colorante, cette plume se montrera
presque blanche. D'autre fois encore, recevant, sous l'influence d’une
nourrilure anormale, une pigmentation qui lui est étrangère, elle pré-
ET LA COLORATION DES PLUMES. 265
sentera une couleur anormale aussi; ainsi que l’on peut le remarquer,
par exemple, sur le vertex du Fringilla linaria qui devient en captivité,
après la mue, presque toujours jaune au lieu de rouge; et comme j'ai
pu le voir sur un Pyrrhula vulgaris que je conservais en cage pour
mes observations, et chez lequel des plumes que j'avais arrachées à la
poitrine ont élé bientôt remplacées par d'autres qui, au lieu d’être en-
tièrement rouges, montraient une large frange externe d’un noir pro-
fond. L’on pourrait même, en arrachant les plumes pour multiplier les
mues par renouvellement en même temps que l’on ferait varier les con-
ditions externes et la nourriture, obtenir assez vite des variétés à peu
près parallèles à celles que produisent plus lentement une végétation et
un climat différents. Cependant cette expérience ne peut durer long-
temps sur un même individu, car une plume trop souvent arrachée à
des époques trop rapprochées finit par ne plus repousser que blanche
ou d’une teinte uniforme, soit à cause d’un épuisement du sang, soit
surtout à cause de lésions dans les téguments produites par des arrache-
ments trop précipités.
CHAPITRE TI
Coloration et mue ruptile.
Abordons maintenant plus directement la question et arrivons au but
principal de notre travail, les changements si discutés de coloration sans
mue réelle chez un oiseau, ou les variations de coloration dans une
même plume.
Nous avons vu que, lorsque la plume à atteint sa taille naturelle et que
sa gaine externe l’a abandonnée, la moelle intérieure s’est desséchée déjà
et qu’un opercule est venu fermer lombilic inférieur. Ce desséchement
el cette clôture sont d'autant plus complets que la plume est plus longue;
mais, en tous cas, il n’y a plus aucun apport de sang à quelque époque
que ce soit. Les recherches que j'ai pu faire moi-même à ce sujet sur
266 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
beaucoup d'oiseaux, ainsi que les observations signalées par plusieurs
auteurs, comme celles de L. Martin! sur l’Anas migra, démontrent bien
évidemment que l’on ne retrouve jamais dans la peau à la base d’une
plume desséchée, après son cru entier, ni l'espèce d’inflammation locale,
ni la turgescence sanguine que l’on remarque toujours à la base d’une
plume qui croît encore.
Ainsi Schlegel * n’émettait qu'une pure hypothèse quand, reprenant
lun des premiers la question que nous voulons traiter, il expliquait
les changements si curieux de coloration à l'approche des nichées par
une nouvelle vie dans la plume et un nouvel apport de sang et de
pigment dans son intérieur. Toute la série de nos recherches prouve
le contraire, et concorde complétement, sous ce point de vue, avec
l'opinion de plusieurs observateurs que nous aurons l’occasion de citer
plus loin, et qui, reprenant à leur tour le sujet, ont tous renversé de
prime abord la théorie de ce premier auteur.
La plume une fois desséchée ne reçoit plus ni sang ni pigment du corps,
pas plus qu'elle ne croit encore par sa base.
De petites diversités dans la structure de la plume, ainsi que de pe-
tites différences dans la quantité et la disposition du pigment préexistant
jointes à un léger apport de graisse du corps, quelquefois par l'intérieur,
le plus souvent par l'extérieur, doivent seules, sous l'influence de diver-
ses conditions externes, donner lieu aux nombreux phénomènes que
nous allons étudier.
Outre les variations de couleur produites par les mues, des change-
ments de coloration s’opèrent, comme nous l'avons dit, dans les plumes
de beaucoup d'oiseaux; s’effectuant quelquefois graduellement à partir
déjà de l'automne, et se déclarant d’autres fois beaucoup plus rapidement,
seulement à l'approche du printemps. La coloration lentement crois-
sante des Sturnus et de quelques Fringilles nous fournit un exemple du
* Zur Verfärbung des Gefeders, namentlich von Anas nigra, von Leop. Martin. Journal für Ornitho-
logie, vol. I, 1853.
LES rai 1 ï Qr \ ”
Sendschreiben an die am 6 Julius 1852 zu Altenburg versammelten Naturforscher, von Hermann
Schlegel. Naumannia, vol. IL, liv. 2, 1852.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 267
premier de ces cas, el nous voyons un exemple du second dans l'appa-
rition, souvent si prompte, d’une nouvelle coloration pour quelques par-
ties du plumage de certains oiseaux, comme dans la calotte du Larus
ridibundus.
Tandis que beaucoup de plumes sont renouvelées au printemps à la
tête de ce Larus, plusieurs passent, en effet, très-vite du blanc au brun,
en peu de jours même, comme Yarell' affirme l'avoir observé. Cepen-
dant ce sont les mêmes agents modificateurs qui produisent ces effets
“plus ou moins prompts suivant qu’ils sont employés en quantités plus
ou moins fortes.
Deux phénomènes principaux se passent dans la coloration. Le pig-
ment intérieur se dissout et se répand, pendant que les parties extrêmes de
chaque plume, tombant et laissant apparaître la nouvelle coloration qui s'est
faite en dessous et près d'elles, montrent tout à coup une livrée nouvelle, pour
ainsi dire latente auparavant.
Mais il faut pour cela que la plume crue en automne possède déjà
alors tous les principes colorants qu’elle doit manifester plus tard; et
c'est justement ce qui a lieu, car nous retrouvons toujours dans une
plume qui doit changer des dépôts pigmentaires disposés ou dans les
barbes ou dans les barbules.
Tantôt les plumes ne possèdent leur couleur d'automne qu’à leurs ex-
trémités qui doivent tomber, et montrent déjà plus bas une autre teinte
qui par diffusion doit amener à la livrée de noces; et tantôt, d’une teinte
uniforme, soit blanches, par exemple, et devant devenir brunes ou noires,
elles déguisent cependant sous une épaisseur de substance corticale le
pigment foncé qui doit se répandre et les colorer au printemps.
M. Scherer* à analysé le tissu de la plume, et l’a trouvé composé de
même dans la tige et dans les barbes, soit de :
! Observations on the laws which appear to influence the assumption and changes of Plumage in
Birds, by William Yarrell, Esq. F. L. S. Z. S. Transact. of the Zoolog. Society of London, vol. 1, 1835.
* Scherer. Traité de chimie générale de Pelouze et Fremy.
268 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
Barbe. Tuyau.
Carbone. re 52,470 52,127
Hydrogène. ... 7,110 7,213
AZOLER RE AIR 17.682 17,893
Oxygène .... | 99738 932467
SOUIE
Le baron de Müller”, considérant le carbone comme le principal élé-
ment colorant des plumes, s'explique le fait de la coloration en général
plus claire chez les oiseaux des pays froids, par la raison que animal
emploie, en vivant dans une température basse, plus de carbone pour le”
maintien de sa chaleur intérieure, et qu'ainst il en reste, pour ainsi dire,
moins d’applicable à la coloration. Nous verrons dans la suite ce qu'il
peut y avoir de vrai dans cette explication.
Les pigments des plumes ont été isolés et étudiés par A. Bogdanow?,
qui les a classés différemment suivant leurs couleurs, et divisés en deux
suivant qu'ils sont solubles dans l'alcool et l’éther ou dans l’ammonia-
que et la potasse.
Ce n’est pas cependant par l'étude seule de ces différents principes
séparés de la plume elle-même que nous pourrons fournir ici la solution
de la question, ni expliquer d’une manière naturelle l'apparition de di-
verses colorations que l'œil nu est incapable de faire seulement pres-
sentir.
I m'a fallu, en effet, une longue série d'observations attentives, fai-
tes au miscroscope avec d'assez forts grossissements, pour parvenir à
distinguer toujours ce que j'appellerai la couleur latente dans les plumes
en voie de coloration, et la couleur apparente dans les plumes colorées. La
première consistant en granules pigmentaires non dissouts, isolés ou
groupés, mais confinés ordinairement dans les centres des différentes
parties de la plume jusqu’à ce qu'ils servent à une nouvelle coloration ;
et la seconde consistant, par contre, en une coloration répandue dans la
Des changements qui s’opèrent dans la coloration des oiseaux, par le baron J. W. de Muller. Revue
et Magasin de zoologie, 2% série, vol! VII, 1855.
Etude sur les causes de la coloration des oiseaux, par A. Bogdanow. Revue zoologique, vol. X, 1858.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 269
substance corticale de ces mêmes parties, et provenant, ou d’une solu-
tion antérieure d’autres granules pigmentaires, ou de la solution subsé-
quente de ces dépôts que nous avons dits latents. (Voyez PL E, fig. 7 c
et 8 b, et PL. IL, fig. 1 d'ete, et encore PL. IL, fig. 15 e et f.)
Une nouvelle couleur, ou bien ne tranchera pas avec l'ancienne et sera
seulement un dérivé de celle-ci par une plus grande solution interne, ou bien
tranchera complétement, et il y aura alors, comme nous le verrons plus
loin, extravasion de l'ancienne couleur et solution de la seconde.
Ces faits premiers constatés, voyons maintenant quels sont les agents
modificateurs dont nous avons parlé plus haut.
Les principales conditions extérieures qui peuvent influer sur oiseau
et ses plumes semblent être, avant tout, la lumière, la température et l'hu-
midité de l'air ambiant.
Sous l'influence d’une lumière plus intense et d’une température plus
élevée, les oiseaux qui habitent les pays méridionaux montrent, le plus
souvent, des couleurs plus vives, et muent même plus vite que ceux qui
habitent le nord, comme le signalent quelques auteurs. Sans aller si
loin, la même chose ne se présente-t-elle pas dans notre pays, et ne
voyons-nous pas souvent en Suisse les espèces qui habitent nos Alpes,
el sont par conséquent soumises à une température plus basse, soit n1-
cher, muer ou se colorer plus tard que celles qui restent dans nos val-
lées basses, soit présenter aussi d'ordinaire des colorations moins bril-
lantes.
Du reste, chacun est à même de remarquer qu'un oiseau gardé en
captivité et soustrait en partie aux influences normales extérieures n’at-
teint jamais aussi complétement à la perfection de son plumage qu’un
individu libre. Nous verrons plus loin la nécessité de l'humidité avec la
manière dont influent la lumière et la chaleur.
Mais je ne veux pas restreindre les influences aux agents externes, et
Je reconnais volontiers, avec Martin et plusieurs autres auteurs, que l'ap-
proche de l’époque des amours, la nourriture et l’état sanitaire de loi-
seau sont aussi des conditions à prendre en sérieuse considération. Ces
TOME xXvi1, 2m PARTIE. 9)
370 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
secondes conditions internes venant à varier, l'influence des premières
externes ne produira plus les mêmes résultats. Il est bien probable qu’il
se produit dans le corps de l'oiseau qui va entrer en rut, peut-être sous
l'influence d’une nourriture qu'il prend alors plus abondamment, une
surexcitation de certaines fonctions vitales qui, en même temps qu'elle
peut élever légèrement la température interne, peut aussi augmen-
ter l'abondance de certaines sécrétions dont nous montrerons bientôt
Putilité.
En outre, il est évident que la qualité des aliments et la quantité
d'exercice que peuvent prendre les oiseaux, en influant sur leur état sa-
nilaire, peuvent faire varier encore, soit la nature et la dose du pigment
qu'ils reçoivent s'il y a double mue, soit la température interne et les
sécrétions nécessaires s’il n’y à que coloration.
Ainsi, plus un oiseau captif sera mis dans des conditions d’atmos-
phère, de mouvement et de nutrition semblables à celles qu'il aurait en
liberté, plus il prendra aussi un plumage parfait, parce que son sang,
en bon état à la mue d'automne, pourra fournir à ses plumes un pig-
ment semblable à celui que lui fournirait son corps à Pétat libre, et que
les conditions d’atmosphère et de mouvement permettront mieux, et la
solution de son pigment inhérent, et certains développements que nous
allons étudier dans quelques parties.
Je prends maintenant un oiseau quelconque dont la coloration change
sans mue, et je suis avec attention les modifications successives qui
s'opèrent dans ses plumes; seulement, la grande variété de construction
des différentes plumes chez les différents oiseaux me force à rester en-
core dans les généralités, car, si je choisissais déjà une espèce particu-
lière pour exemple, je ne pourrais réellement pas déduire de l’une à
toutes, comme le fera facilement comprendre l'étude du chapitre suivant.
Voici donc deux plumes de la même partie‘d’un même oiseau, l’une,
d'automne, uniforme ou bigarrée, pourvue de teintes sombres ou claires,
mais comparativement faibles et peu éclatantes; l’autre, du printemps,
munie de couleurs beaucoup plus accentuées et brillantes.
-
ET LA COLORATION DES PLUMES. OU
Je place la plume d'automne sous le microscope, et l'étudiant avec des
grossissements variés suivant les circonstances de 80 à 300 environ,
je remarque dans ses tissus deux états dont j'ai parlé plus haut, une co-
loration plus ou moins forte, transparente et répandue, et un dépôt in-
terne plus ou moins considérable de granules pigmentaires non dissouts.
J'examine ensuite la plume du printemps, et J'y vois, non-seulement
une coloration beaucoup plus intense et répandue; mais encore des dé-
pôts internes diminués de beaucoup, disparus même complétement dans
certaines parties extrêmes, comme dans quelques barbes ou quelques
barbules.
Le pigment a été dissout dans l'axe et répandu en abondance dans
la substance corticale environnante; quelques parties ont pris même
un grand développement dans leurs proportions.
Comment cela s'est-il passé? — Nous avons dit qu'il est impossible
d'admettre, comme Schlegel, une vie nouvelle et un apport coloré nou-
veau dans la plume, pas plus que le rétablissement d’une circulation
sanguine interne, ou même la résurrection dans les parties qui se co-
lorent de vaisseaux sanguins à demi morts, ainsi que le suppose Gloger '.
Le microscope, en effet, ne permet jamais d'y voir autre chose que le
tissu constituant plus ou moins désséché.
Nous ne pouvons pas davantage accepter l'hypothèse de Weinland*
qui, sans vie nouvelle, fait arriver du corps dans la plume, au moment
de la coloration, une graisse colorée, capable de teindre la plume en
s’y répandant, ou de la décolorer sous certaines influences en se retirant
sous la peau. -
Nous ne devons pas non plus, ce me semble, faire avec Severtzof” la
supposition bien vague qu'un principe étranger extérieur, l’ozon, par
exemple, pénètre la plume et dissolve en elle le pigment pour lui per-
4 Andeutung für die Physiologen in Betreff der Verfärbung des Gefieders. Dr Gloger. Journal für Or-
nithologie, vol. I, 1853, p. 212.
® Zur Verfärbang der Vogelfeder ohne Mauserung, von Dr D. F. Weïinland. Journal für Ornithologie,
vol. IV, 1856.
5 Severtzof. Bulletin de la Société royale de Suint-Pétersbourg, mai 1863.
272 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
mettre de pénétrer par endosmose toutes les différentes parties à co-
lorer.
Cependant il y à plus ou moins de vrai dans ces deux dernières théo-
ries. Weinland suppose avec raison l'apport d'une graisse nouvelle et
nécessaire à la coloration; mais il a tort de faire de cet élément nouveau
un principe coloré, car alors comment la coloration commence-t-elle
presque toujours près de l'extrémité d’une plume plutôt qu’à sa base;
et il a tort aussi de supposer que cette même graisse puisse rentrer tout
à coup dans le corps, pour expliquer certains cas, comme celui de PEtour-
neau privé qu'il cité être devenu instantanément blane après avoir
échappé aux griffes d’un chat".
Severtzof a grandement raison de considérer la couleur comme pré-
existante, et de chercher à expliquer la coloration par des phénomènes
d’un ordre purement physique; mais il aurait mieux fait, peut-être, de
ne pas proposer comme agent extérieur l’ozon qu'il ne peut pas même
prouver capable de dissoudre son pigment.
Jai pour ma part cherché à reproduire toujours arüficiellement les
différents effets que j'attribuais, hypothétiquement d'abord, à telle on
telle cause; et je n'ai admis jamais, comme agent influent, tel principe ou
telle condition, sans avoir auparavant oblenu par son moyen un résul-
tat analogue à celui que je pouvais observer dans la nature. De plus, Je
me suis toujours servi du microscope pour étudier et comparer les effets
produits par mes expériences.
Ainsi, remarquant d'abord que chez beaucoup de plumes les barbes ou
les barbules étaient plus dilatées ou plus épaisses dans certaines parties
au printemps qu'en automne, el supposant que cette différence d'état
pouvait provenir de l'influence de humidité prolongée sur la substance
corticale, Jai soumis diverses plumes à une humidité plus ou moins
! J'ai de la peine à croire cet exemple très-authentique, car j'ai vu, non pas un, mais beaucoup d’oi-
seaux supporter les transes les plus terribles sans changer le moins du monde de couleur. Cependant,
comme je sais très-bien que ces cas d’albinismes si prompts s’observent quelquefois chez l'homme après
quelques heures d’angoisses, je ne veux pas nier ce fait que je pourrai peut-être expliquer plus où moins,
sans vouloir établir sur ce point une comparaison exacte entre les plumes et les poils.
ET LA COLORATION DES PLUMES. DS
grande, et j'ai obtenu des résultats qui, s'ils n'étaient pas toujours aussi
frappants que dans la nature, me faisaient cependant découvrir lexpli-
cation d’une série de faits qui trouveront petit à petit leur place.
Des plumes de lEtourneau /Sturnus Vulqaris) et de la Linotte /Frin-
gilla Cannabina) que je soumis à l'influence de l'humidité, disposées les
unes sous l’eau, et les autres à ras sa surface, montrèrent bien vite un
développement très-sensible de leur substance corticale, chez l'Etour-
neau surtout dans les barbules, chez la Linotte surtout dans les barbes.
Au bout de vingt jours le pigment n’avait pas été dissout, ou du moins
imperceptüblement. (Voyez PL. EH, fig. 7 et 8, les apparences d’une même
barbule de l'Etourneau en automne, dans son état naturel, et après l’ex-
périence du gonflement.)
L'influence de l'humidité trop prolongée, ou appliquée à trop fortes
doses, nuit à la plume en dépouillant successivement ses différents axes
de leurs enveloppes par trop dilatées; nous verrons dans quels cas cette
détérioration est naturelle.
Après cela, cherchant quel pouvait être l'effet de la température in-
terne ou externe, j'ai chauffé légèrement différentes plumes sur des
plaques de verre, et reconnu petit à petit, soit l'influence de la chaleur
sur le pigment évidemment gras, soit aussi la nature des principes dis-
solvants de cette matière colorante.
Je mouillai préalablement les plumes avec un peu d’eau, afin qu'elles
adhérassent partout à la lamelle, puis chauffant graduellement, je remar-
quai, d'abord une très-légère extension de la coloration dans les tissus,
puis, l'humidité s'étant évaporée, un dessin parfait des barbes et des bar-
bules admirablement reproduites sur le verre par un dépôt graisseux.
Mais, ne sachant si ce dépôt devait être attribué à la graisse externe que
l'oiseau met souvent sur ses plumes avec son bec, je lavai soigneusement
de nouvelles plumes avec de l'alcool et je recommençai un nouveau
chauffage qui, produisant encore un dessin graisseux, me prouvait bien
qu'outre le pigment coloré, encore dans la plume refroidie, la plupart des
tissus contenaient aussi un peu de graisse incolore et latente.
9274 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
Admettant la nature grasse des pigments, et sachant bien qu’une graisse
dissout en général une autre graisse, je ne serais pourtant pas arrivé à
l'idée que j'avais ici le vrai principe dissolvant, si je n'avais pas fait au-
paravant l'expérience du développement par lhumidité. Je me serais
sans doute demandé pourquoi ces deux graisses, l’une colorée et l'autre
incolore, ne se dissolvaient et ne se confondaient pas de suite sous lin-
fluence unique de la température; mais je comprenais maintenant que
la substance corticale était plus ou moins poreuse et que l'humidité,
en distendant les tissus, établissait probablement des points de contact
plus directs, soit par amincissement, soit par rupture de cloisons sépa-
ratrices.
En effet, la coloration se manifeste toujours en premier lieu dans les
parties qui, les plus extrêmes, sont par conséquent les plus exposées à
humidité et à la lumière, et cela d'autant plus vite que les bouts déssé-
chés de la plume supérieure qui les protégeaient encore ont davantage
disparu.
Cependant l'expérience me prouvait que la graisse préexistante interne
ne pouvait pas suffire, et il me fallait trouver un apport, interne ou ex-
terne, de graisse nouvelle, qui, lentement ou promptement, pût pénétrer
les tissus par l’intérieur ou l'extérieur.
Si Je n'avais pu voir, comme l? baron de Müller, la partie basilaire d’une
plume se colorant, ramollie et remplie de liquide; j'avais du moins pu
remarquer, comme Severtzof, que la tige, et surtout le tuyau inférieur
d’une plume en voie de coloration, étaient souvent moins transparents
que ceux d’une plume incapable de changement.
Je cherchai donc si, sans vie nouvelle et sans rétablissement de com-
munications sanguines, il n°y avait pas un apport quelconque de graisse
du corps, non plus, comme le supposait Weinland, de graisse colorée
apportant la coloration, mais de graisse incolore venant seulement dis-
soudre le pigment interne.
Je me mis à étudier et comparer sous le microscope les tuyaux basi-
laires de différentes plumes en voie de coloration, et j'y remarquai tou-
ET LA COLORATION DES PLUMES. Dis)
jours beaucoup de cellules graisseuses incolores, soit dans le tissu même
de ce tuyau, soit dans son intérieur et plus loin jusque dans la sub-
stance corticale des parties de la tige les plus voisines, soit encore à l’ex-
térieur autour de la tige et de ses premières barbes, près de l'endroit où
beaucoup de plumes présentent un étranglement bien accentué.
Cependant je ne pouvais reconnaître encore les voies que cette graisse
devait suivre, et j’essayai de la dissoudre sous le champ même du mi-
croscope. Après avoir introduit une goutte d’éther sous lobjectif et entre
les deux lamelles qui renfermaient ma plume, je vis, en effet, tout s'é-
claircir bien vite par une beaucoup plus grande transparence des tissus.
Je vis comme un canal circulaire extérieur s’ouvrant à la base de la tige
et pouvant conduire probablement de la graisse entre les restes sous
pauciers de la gaine et la paroi externe du tuyau; et j'observai, au de-
dans, des communications directes possibles entre le vide du tuyau et la
large couche de substance corticale de la tige qui m’apparaissail alors
comme une voie béante à la porosité. (Voyez PI. E, fig. 9.)
Je parle ici des petites plumes dans lesquelles le désséchement interne
moins complet doit permettre plus facilement cette circulation grais-
seuse interne que chez les grandes plumes où la substance corticale de-
vient avec le temps beaucoup plus opaque et cornée.
Mais toutefois, ne comprenant pas encore très-bien comment cette
graisse pouvait cheminer au travers d’un tuyau en apparence fermé par
plusieurs opercules consécutifs, je cherchai à n’expliquer le fait par la
petite expérience suivante.
Je fis tremper, seulement par l'extrémité de leur tuyau basilaire, deux
petites plumes dans une solution de carmin ; lune de ces plumes était
intacte, mais j'avais dégarni la tige de la seconde de ses barbes sur la
moitié de sa longueur.
Après 24 heures je vis que le carmin avait monté, soit à l'extérieur
entre la gaîne et le tuyau, soit à l’intérieur au travers de l’âme desséchée
et de ses disques superposés jusque dans la substance corticale. Chez la
première plume intacte la coloration rose avait monté comparativement
276 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
peu haut dans la tige, parce qu'elle S’était répandue en suivant la sub-
stance corticale jusque dans les premières barbes et jusque dans la base
de quelques barbules inférieures; mais, dans la seconde, elle s'était éle-
vée environ trois fois plus haut dans la tige et jusqu'aux barbes, parce
que, dépourvue en partie de ces dernières, elle n'avait pas divisé et dis-
tribué en route le liquide ascendant.
Que ce phénomène se passe par porosité ou capillarité, ou par endos-
moses successives, Il est bien permis de supposer, qu'avec un apport
continu, la graisse poussée toujours en avant, ou bien parvienne quel-
quefois dans l’intérieur jusqu'aux extrémités des petites plumes, ou bien,
sortant à l'extérieur, puisse s'étendre aussi partout en cheminant de
proche en proche depuis la peau jusqu'aux dernières barbules.
Cependant rien ne prouvant encore que la graisse pût suffire à dis-
soudre le pigment interne, je commençai de nouvelles recherches.
Je me procurai une Linotte /Fringilla Garnabina) dont les plumes de
la poitrine présentassent déjà un peu la coloration rose du printemps,
et, après avoir délicatement enduit les barbes d’une de ses plumes avec
un peu de la graisse liquide que contenait la glande sébacée de son crou-
pion, je vis très-vite apparaitre une coloration plus intense qui augmen-
lait encore avec un très-léger chauffage. Cette coloration n'était point
fugitive comme celle que produit la graisse sur un corps coloré quel-
conque, ou que produit même l'eau sur une plume quelle qu’elle soit ;
elle resta fixe, intense et brillante après plusieurs lavages à alcool et un
desséchement complet.
Je refis la même expérience sous le microscope avec l’une des plumes
vertes du croupion du Pinson /Fringilla Cœlebs), et je vis encore la co-
loration se répandre et augmenter très-rapidement sous mes veux.
Puis, opérant simplement avec de la fine huile d'olive sur différentes
plumes de plusieurs oiseaux, je vis toujours, en chauffant très-légèrement,
la coloration augmenter d'autant mieux et plus vite qu’elle était aupara-
vant à l’état latent, ou encore en granules. Je ne parvins cependant jamais
à la perfection de la nature, car je n’agissais que durant une ou deux mi-
DE LA COLORATION DES PLUMES. 277
nutes, au lieu d'agir pendant des mois ou des semaines", et je n’employais
pas toujours un dissolvant naturel propre à l'espèce.
L’enduit graisseux, quand il est externe, ralentit, mais n'empêche pas
l'effet de l'humidité, par le fait qu'il ne recouvre pas toutes les parties
à la fois et que, très-vite absorbé ou enlevé par frottement, il permet
souvent le contact de l'humidité. Je n’ai jamais dégagé de leur graisse
externe les plumes que J'ai fait gonfler artificiellement par l'humidité ;
l'oiseau lui-même n'est-il pas, du reste, obligé de reporter très-souvent
de la graisse à ses plumes avec son bec pour éviter les effets délétères de
l'humidité prolongée.
Toutes les fois que je laissais un peu dans l'huile, ou que je chauffais
légèrement une plume graissée quelconque, j'obtenais, après une aug-
mentation de la coloration, une décoloration plus ou moins complète
que J'expliquerai plus loin.
J'ai cherché à éclaircir jusqu'ici les divers phénomènes exclusivement
pour les petites plumes; mais comment la graisse pourrait-elle pénétrer
partout dans les pennes ou les rémiges.
Je citerai ici seulement deux faits bien connus qui me semblent suf-
fire à répondre d’une manière satisfaisante à cette question :
D'abord, il s'opère toujours beaucoup moins de changements dans les
rémiges et les pennes caudales que dans les autres plumes du corps; en-
suite, l'oiseau qui fait sa toilette, et semble peigner chacune de ses plu-
mes, manque rarement, quand il en arrive aux grandes plumes, de pas-
ser successivement dans son bec, et sur toute leur longueur, chacune de
ses rémiges et chacune de ses pennes, prenant régulièrement auparavant
sur son croupion de la graisse qu'il leur met.
Si un changement de coloration ne commence pas pour une rémige
régulièrement vers son extrémité, comme c’est l'ordinaire pour les pe-
1 J'observai aussi que l'huile, et surtout la graisse de l'oiseau, dilatait quelquefois un peu la matière
poreuse de la substance corticale ; mais cet effet si faible ne peut faire attribuer le rôle de développe-
ment à la graisse dissolvante, car elle produit ordinairement, comme nous le verrons, sur SON passage
des effets tout opposés.
TOME xvII1, 2e PARTIE. 36
278 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
tites plumes, c’est qu'elle est exposée à l'air sur un beaucoup plus grand
espace que ces dernières.
Et, si la coloration semble quelquefois ne pas marcher très-régulière-
ment, chez une petite plume, de la périphérie au centre, c’est que, pour
une raison accidentelle, telle partie, ou bien aura été plus exposée à lhu-
midité et à la lumière, ou bien aura été plus vite pénétrée par la graisse.
La glande graisseuse des oiseaux se montrant d'ordinaire plus dé-
veloppée à l'approche des amours, et souvent plus grosse aussi sur un in-
dividu libre que sur un captif', ne pouvons-nous pas penser que l'oiseau
qui fait sa toilette ne se borne pas seulement à arranger des plumes en
désordre, mais les enduit aussi d’un principe qui doit, non-seulement les
préserver d’une influence trop forte de l'humidité, mais encore en re-
hausser le coloris et leur conserver une souplesse nécessaire.
Cette glande huileuse est, en général, plus développée chez les oiseaux
aquatiques, et, en protégeant leurs plumes du contact direct de l'eau, elle
ne fait que remplir pour eux, à un degré plus élevé, lun des mêmes buts
qu’elle présente chez tous les autres oiseaux.
La graisse externe est absorbée par les barbules et les barbes, et, péné-
trant par endosmose ou capillarité dans les tissus plus ou moins poreux,
elle va remplir les espaces qui n’en contenaient pas encore; rencontrant
des voies facilitées par le gonflement de l'humidité, elle dissout petit à
petit le pigment gras inhérent.
Nous verrons plus loin qu'il y a même souvent comme un échange de
graisse entre l'extérieur et l’intérieur de la plume.
Plus un oiseau est gras et bien portant, plus il est aussi d'ordinaire
brillamment coloré; chez les Flammants (Phemcopterus Roseus), par
exemple, la couleur rose est d'autant plus intense que l'individu est plus
gras.
Un grand froid arrête souvent la mue, et ralentit aussi beaucoup
le développement de la coloration. C’est en ce sens que le baron de
1 Sauf dans certains cas morbides où la dite glande, ou bien se dessèche par oblitération, ou bien se
tuméfie au contraire par inflammation.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 279
Müller avait raison quand, en parlant simplement de carbone au lieu
de graisse, il signalait qu’un oiseau, employant par le froid davantage
de carbone pour sa respiration, il en pouvait livrer moins à sa colo-
ration.
Ainsi donc, sous l'influence, d'abord d’une humidité tour à tour absorbée
et évaporée, comme agent développant préparateur, puis de la graisse du
corps comme dissolvant, puis enfin de la température et de la lumière comme
agents facilitant les actions chimiques, la plume se colore, change ou aug-
mente sa coloration.
Toutes les plumes portent à leur extrémité externe des parties qui, di-
versement colorées, constituent quelquefois à elles seules l'apparence du
plumage d'automne. Ces barbes et barbules extrêmes ont poussé telles
quelles à la dernière mue avec un développement et un état de solution
ou de coloration déjà presque complets, elles tomberont pour faire place
à la coloration nouvelle.
Elles tombent, parce que, soumises dès leur naissance à l'influence directe
de l'humidité qui devient délétère à la longue, elles se délitent et se déforment.
Les barbes perdent leurs barbules, toutes deux perdent leur épiderme et
abandonnent leur substance corticale qui se fend en formant des crochets
latéraux.
Chaque plume se frotte contre ses voisines supérieures et inférieures,
et, dans chaque mouvement de l'oiseau, ces parties extrêmes affaiblies
déjà, non-seulement supportent un plus grand frottement par le fait
que, plus loin de la base, elles décrivent un plus grand arc de cercle;
mais encore s’accrochent plus facilement partout, par le fait de la for-
mation continuelle de crochets nouveaux vers les extrémités, tandis que
les parties plus basses perdent au contraire les unes leurs crochets et les
autres leurs barbules. (Voyez PI. IT, fig. 4, 2 et 5, les extrémités sessiles
délitées de deux plumes, et les parties fraiches en voie de développement
qui leur font suite.)
Une plume ainsi maltraitée change naturellement d'autant plus sa
forme que ce genre de mue par cassure, que lon appelle ruptile, est plus
280 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
étendu. La plume devient toujours plus courte, quoiqu’elle paraisse
quelquefois plus longue, comme à la poitrine de l'Étourneau, par exem-
ple, à cause de son amincissement et de celui de ses voisines qui la dé-
gagent et la rendent visible sur un plus grand espace. (Voyez PL. IL, fig. 6
et 7, une plume pectorale de l’Étourneau avant et après Ja mue ruptile.)
Je m'occuperai dans le chapitre suivant de savoir si les extrémités
s’affranchissent au point de cassure, ou S'il y a peut-être, comme le vou-
drait Marün, une crue, pour ainsi dire, de rafraîchissement.
L'on pourrait parfaitement supposer que, s’il ne se faisait un renou-
vellement continuel du plumage par des mues nombreuses, toutes les
plumes disparaitraient petit à petit par le fait de mues ruptiles consé-
cutives des parties successivement exposées à lair.
C’est toujours au point de contact de ces parties qui doivent tomber
avec celles qui doivent subsister encore que la coloration nouvelle se
montre premièrement; ainsi done, toujours à la périphérie de la plume
renouvelée, et non pas au bout de l'ancienne, puisque ce sont ces par-
ties qui formeront l'extrémité nouvelle, et sont par conséquent les plus
exposées aux agents modificateurs externes. (Voyez PI. IE, fig. 1 et 5.)
Homeyer ! avait dit que la coloration apparaissait vers le centre pour se
répandre ensuite partout; mais il ne semblait pas s'expliquer mieux la
chose que tant d’autres qui, comme Gaetke *, avaient signalé déjà cette
première apparition à l'extrémité de la plume.
On voit sur beaucoup de plumes, même unicolores, une ligne suivant
laquelle les bouts tomberont, tracée par la différence de constitution des
barbes et des barbules ; celles-ci étant séparées, concassées, usées, en un
mot, vers la périphérie, tandis qu’elles sont intactes, serrées et plus ré-
gulièrement garnies vers le centre. (Voyez PL. IL, fig. 3.)
De là, la coloration marche contre le centre et vers la base, se mani-
‘ Beitrag zur Mauser einiger Wasservôgel, von Eugen F. von Homeyer. Journal für Ornithologie,
vol. XIT, Heft 2, 1864.
> Einige Beobachtungen über Farbenwechsel durch Umfärbung ohne Mauser, von H. Gaetke. Journal
für Ornithologie, vol. I, 1854.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 281
festant surtout jusqu’au point où la plume se trouve assez protégée par
ce qu’il reste de la supérieure modifiée pour que les influences externes
ne puissent plus agir assez sur elles.
Pour la barbule, la coloration se fait un peu partout à la fois, ou de la
base au sommet, quand il y a un courant capillaire possible ; elle doit se
faire rarement dans le sens contraire, car on voit très-souvent des bar-
bules dissoutes et colorées à leur base, mais incolores à leur sommet,
tandis que l’on ne trouve presque jamais l'inverse.
Pour la barbe, la coloration nouvelle est souvent localisée dans cer-
taines parties où elle se fait presque partout à la fois; mais 1l n’y à que
rarement en elle un courant coloré prolongé, par le fait que, bien plus
longue que la barbule, elle ne peut plus être toujours soumise sur toutes
ses parties aux mêmes influences externes.
C’est même cette différence de condition pour les différentes parties
des barbes et de la tige à cause de leur longueur qui, jointe au fait que
le pigment est prédisposé à la place qu'il doit colorer, explique pour nous
comment les couleurs ne se mélangent pas dans les plumes bigarrées
pendant l'acte de coloration.
Il se fait peu de changement dans la tige, quoiqu’on y puisse remar-
quer quelquefois une légère coloration par solution locale.
Il n’y a, en général, de courant ascendant possible que près des extré-
mités plus exposées, ainsi que l’attestent les paquets pigmentés extra-
vasés que l’on voit souvent au bout des barbes et des barbules qui ont été
rompues et où la solution a été activement poussée à l'approche du prin-
temps. (Voyez PI. IL, fig. 1 e.)
C’est donc comme par zigzags que la coloration procède du sommet
à la base, cheminant dans chaque partie du bas en haut, mais reculant
cependant, puisqu'elle s'empare d’abord des barbules, puis des barbes ex-
trêmes, pour ne se déclarer qu’ensuite dans les parties plus basses encore.
Nous reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant sur cette
marche de la coloration et son degré d'importance comparée dans les di-
verses parties suivant les différentes plumes.
282 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
Pendant la mue ruptile, et tandis que la coloration par solution in-
terne se fait de la périphérie au centre, l'on peut remarquer aussi une
sorte de décoloration des parties basses de la plume. Ce phénomène est
surtout évident chez les espèces qui possèdent un duvet plumaire à ren-
flements colorés, comme les Passereaux.
Mais ce n’est ici qu'un fait purement mécanique. En effet, les barbules
duveteuses annelées et colorées tombent petit à petit sous l'influence du
desséchement et du frottement, et, ne laissant plus sur les barbes que
leurs segments basilaires, elles donnent ainsi une apparence beaucoup
plus claire aux parties qu'elles coloraient. Ce n’est donc pas du tout,
comme on pourrait le croire d’abord, une décoloration produite par un
courant ascendant du pigment vers les extrémités, mais, un simple fait
de mue ruptile produit aussi sur ces parties duveteuses par leurs renfle-
ments faisant l'office de crochets. Nous verrons plus loin d’autres modes
de décolorations plus générales. (Voyez PI. I, les fig. 6 et 7 comparées.)
CHAPITRE IV
Développements parallèles des plumes et des couleurs.
Je viens d'expliquer les changements de coloration en général; mais
toutes les plumes ne présentent pas, niles mêmes couleurs, ni les mé-
mes reflets ; et, si Je n'ai pas voulu choisir dans le chapitre précédent une
espèce unique comme type et point de départ de mon étude, c’est qu'à
ces différences de coloration se joignent aussi, dans les différentes plu-
mes qui en sont affectées, des divers modes de développement et des
moyens variés de coloration.
Je dois donc essayer d'expliquer maintenant par des diversités de
Structure les variétés de coloration dans des plumes différentes. Mais je
serai malheureusement obligé de revenir souvent sur le détail de quel-
ques parties déjà mentionnées, pour faire saisir plus facilement certains
rapports et certaines divergences.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 283
Beaucoup d'auteurs ont négligé de comparer les causes aux effets dans
l'étude des principaux phénomènes qui se passent dans une plume; ils
ont voulu trouver l'explication de ces phénomènes dans l'observation
unique des faits, ou dans la simple comparaison de plumes diversement
colorées.
Gætke, Homeyer', Weinland, Severtzof, Holland et bien d’autres, ont
tous reconnu dans les plumes un parallélisme entre certaines formes et
certaines couleurs.
Le Dr Altum * a pu distinguer des différences de structure, les yeux
fermés, au simple contact des doigts; mais il n’a pu s’en rendre un
compte exact, ne les ayant pas étudiées au microscope.
Bogdanow est allé plus loin encore, il a établi le premier une distinc-
tion bien tranchée entre les plumes qu'il nomme optiques et celles qu'il
qualifie d’ordinaires.
Mais personne, semble-t-il, n'avait cherché jusqu'ici à étudier les dé-
veloppements comparés des structures et des colorations différentes.
Meves”, qui seul a représenté dans des planches quelques-unes de ces
diverses structures, n’a pas même supposé un accroissement de ces for-
mes variées, et semble comprendre toujours une autre plume pour une
autre forme.
Chacun citait des faits, mais personne n’en recherchait les causes. J'ai
donc à trouver maintenant l'explication des phénomènes les plus variés.
Je conserve dans mon étude les distinctions premières établies par
Bogdanow, en joignant toutefois, à ces plumes ordinaires, des plumes que
J'appellerai mixtes, et à ces plumes optiques, des plumes que je nommerai
émaillées.
Un mot cependant sur les principaux caractères qui ont fait établir
la distinction entre les plumes ordinaires et les plumes optiques; je par-
1 Ueber den Federwechsel der Vôgel, von E. F. von Homeyer. Naumannia, vol. HI, 1853.
* Ueber den Bau der Federn als Grund ihrer Färbung, von Vicar B. Altum. Journal für Ornithologie,
vol. II, 1854.
3 Ueber die Farbenveränderung der Vôgel durch und ohne Mauser, von W. Meves Journal für Orni-
thologie, vol, HT, 1855.
284 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
lerai plus tard des mixtes et des émaillées formant avec les précédentes
deux groupes assez distincts.
Les premières ont été appelées ordinaires, parce que, quoique très-
brillantes quelquefois, elles ne présentent jamais de reflets métalliques,
et montrent régulièrement par transparence à leur intérieur un pigment
toujours semblable à la couleur qu’elles affectent à la lumière incidente.
Les secondes ont été nommées optiques, parce qu’elles présentent tou-
jours des reflets et montrent toujours par transparence dans leur inté-
rieur un pigment foncé différent de la couleur qu’elles affectent; parce
que la lumière joue, par conséquent, chez elles un rôle des plus com-
plexes.
Jétudie donc les couleurs, non plus à une époque quelconque, mais
en suivant et comparant, au contraire, le développement de la coloration
dans chaque plume, du plumage moins brillant d'automne à la livrée
plus éclatante du printemps ou de noces; et je commence cette étude
par la comparaison des deux groupes principaux.
Je dois donc prendre, comme point de départ de ces recherches nou-
velles, deux oiseaux qui puissent me fournir, à la même place de leur
corps, l’un des plumes ordinaires et l'autre des plumes optiques. Je choisis
pour cela encore la Linotte /Fringilla Cannabia) et YÉtourneau /Sturnus
Vulgaris), parce que, assez abondants chez nous à différentes époques, je
puis me les procurer, facilement et en grand nombre, dans divers états.
Déjà à leur première apparition hors de leurs gaines, j'observe des
différences essentielles entre les plumes ordinaires et les plumes optiques
qui croissent à la mue d'automne sur la poitrine de mes deux oiseaux. Je
retrouve, 1lest vrai, déjà chez toutes deux les parties extrêmes qui doivent
tomber, qu’elles soient grisâtres ou brunâtres comme chez la Linotte,
ou blanches ou jaunâtres comme chez l'Étourneau; mais je remarque
surtout des barbules fines et peu colorées, presque incolores même,
chez la première, tandis que je trouve, au contraire, chez le second, des
barbules extrêmes déjà assez larges, bien colorées, et munies même de
quelques reflets métalliques.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 285
Ces plumes en finissant de croître, aussi bien qu'après leur crue com-
plète, accuseront toujours plus ces mêmes dissemblances, soit une infé-
riorité de développement et de coloration dans la barbule de la plume
ordinaire comparée à celle de la plume optique.
Si, au printemps, je regarde de nouveau les mêmes plumes de mes
deux oiseaux, je suis frappé de suite par une série de différences qui se
multiplient de plus en plus entre les plumes ordinaires et les plumes
optiques, à mesure que j'entre plus à fond dans le détail intime de leur
développement, de leur structure et de leur coloration.
Et d’abord, à l'œil nu seulement, je remarque déjà que la plume de
la Linotte s’est raccourcie en perdant ses extrémités brunes, et qu’elle
est devenue rouge par une solution plus complète de son principe colo-
rant interne; tandis que la plume de l’Étourneau, qui à perdu aussi son
bout blanc et les extrémités de ses barbes latérales supérieures, a pris à
son tour une apparence plus effilée ainsi que des reflets beaucoup plus
brillants et plus étendus.
Muni du microscope, je vais plus loin, et J’observe que, dans la plume
ordinaire, la barbule, loin de se développer, est au contraire tombée sur
bien des points, tandis que la barbe, ou axe secondaire, s’est par contre
considérablement élargie et colorée, surtout dans ses parties extrêmes.
Pour la plume optique de l’Étourneau, c’est la barbe qui a peu changé,
pendant que les barbules, ou axes tertiaires, se sont, au contraire, beau-
coup développées, soit en dimension, soit en coloration.
Je dois dire, en passant, que je porterai ici plus particulièrement mon
attention sur les parties voisines de la périphérie des plumes nouvelles,
parce qu’elles supportent toujours de bien plus grands changements
que les parties basses, évidemment plus protégées contre les influences
agissantes.
Poursuivant maintenant plus loin encore cette comparaison intéres-
sante, nous trouvons dans l'étude approfondie de la structure des diffé-
rentes parties l'explication naturelle de leurs divers développements et
de leurs colorations variées.
TOME XVI, 2e PARTIE, 57
286 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
Les barbes, rameaux de la tige unique, sont, en général, formées de
segments superposés plus ou moins persistants, comme nous le verrons
plus loin; et les barbules, construites sur un plan semblable, sont im-
plantées sur elles par leur segment basilaire.
Cette base de la barbule est plus ou moins large et forte suivant les
époques et la nature des plumes; mais il semble exister toujours moins
de communications internes, soit de mélanges de coloration possibles,
entre les deux axes dans les plumes optiques, qu'entre ces deux mêmes
parties dans Les plumes mixtes ordinaires.
Toutes les barbules sont donc, comme les barbes, composées de seg-
ments, plus où moins grands, mis bout à bout et enveloppés d’un épi-
derme général; mais, comme leur segmentation a beaucoup plus d’im-
portance que celle des barbes, voyons encore les principales différences
qui peuvent exister entre elles, malgré cette unité de structure :
1° Les lignes de démarcation entre les segments des barbules optiques
sont beaucoup plus accentuées que celles qui existent entre les segments
des barbules ordinaires; ou, plus explicitement, les cloisons séparatrices
de ces différentes parties sont plus fortes chez les premières que chez les
secondes. (Voyez PL IL fig. 1 et 9, des barbules ordinaires de la Linotte
et une barbule optique de l'Étourneau.)
20 Les dépôts granuleux pigmentaires, disposés d'ordinaire surtout
dans le noyau central des segments, sont toujours beaucoup plus abon-
dants et plus régulièrement répartis dans les premières que dans les se-
condes. (Voyez PL. I, fig. 8, et PI. IL, fig. 1 et 4.)
3° On distingue autour de ces noyaux foncés une couche de fibres pa-
rallèles et longitudinales beaucoup plus épaisse dans la barbule optique
que dans la barbule ordinaire. (Voyez PL FE, fig. 8, et PL. IL, fig. 1 et 9.)
4 Les crochets latéraux des barbules optiques sont, en général, plus
développés en automne qu'au printemps, et leur emploi est, comme nous
le verrons, tout différent de celui des barbules ordinaires.
Ces principaux points observés, signalons ce qui se passe dans les deux
plumes ainsi construites au moment du développement de la coloration.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 287
L'humidité développe chaque partie d'autant plus qu'elle possède da-
vantage de substance corticale. Dans la plume optique, la barbule seule
augmente son diamètre, et, chaque segment se gonflant comme en un
petit cylindre plus ou moins régulier, nous voyons quelquefois les cro-
chets latéraux, noyés dans la masse distendue, disparaître plus ou moins
complétement. (Voyez PL. 1 fig. 7 et 8, et PL. IE, fig. 9.)
Dans la plume ordinaire, c’est par contre la barbe qui possédait le plus
de substance corticale, et c’est elle aussi qui s’est le plus développée ;
possédant toutes les qualités de la barbule optique, elle s’est gonflée et
colorée, noyant quelquefois aussi dans sa matière, mais expulsant le plus
souvent, ses barbules inutiles. (Voyez PI. IE fig. 1 et 2, deux barbes
de plumes ordinaires pectorales de la Linotte ; lune d'automne, l'autre
de printemps.)
La barbe ordinaire s’est bien dilatée comme la barbule optique; mais,
au lieu d'accroître comme elle les proportions de sa segmentation et de
ses cloisons séparatrices, elle a, au contraire, perdu dans son développe-
ment ce premier caractère que nous verrons attaché à la persistance des
barbules, dans les plumes mixtes.
La barbe ordinaire n’est plus qu'une masse simplement fibreuse.
C’est au moment de cette dilatation extrême de la substance corticale,
que la matière pigmentaire, souvent extravasée, vient réunir et souder
quelquefois ensemble les barbes les plus voisines, pour former certaines
masses, d'apparence cornée, dont nous avons parlé plus haut à propos
du Jaseur. J'ai vu plusieurs cas de ces soudures accidentelles dans les
plumes rouges frontales du Chardonneret. (Voyez PI. IE, fig. 8.)
Cependant, cette énorme dilatation de la barbe ne se présente que chez
les plumes ordinaires qui doivent acquérir un certain éclat et un certain
brillant, et il en existe bien d’autres qui présentent un développement
moyen; ce sont celles que nous avons appelées mixtes.
Les plumes mixtes comportent toutes celles qui souffrent peu de chan-
gements dans leurs formes. Elles constituent une grande partie du plu-
mage de nos différents ordres d'oiseaux; elles n’ont jamais de reflets mé-
288 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
talliques, sont souvent sombres, et, quoique munies quelquefois d’un
certain éclat, elles présentent rarement ce brillant spécial aux plumes
ordinaires proprement dites.
Chez cette seconde espèce de plumes qui sont évidemment ordinaires,
puisqu'elles contiennent des pigments diversement colorés; nous allons
voir un développement assez différent.
Chez les plumes mixtes les barbules sont persistantes et en communi-
cation assez directe avec la barbe qui les porte. Les barbules se dilatent
et se colorent aux dépens de la barbe, sans jamais atteindre cependant
au développement énorme des barbules optiques, et sans présenter ja-
mais, ni des formes aussi régulières, ni une segmentation aussi pronon-
cée que ces dernières.
Au centre des barbes se montre, comme je l'ai dit, une superposition
de segments aplatis et à noyaux colorés diminuant un peu à mesure que
la coloration augmente. (Voyez PI. IL fig. 4, une barbe de plume mixte
du croupion du Pinson /Fringilla Cœlebs).
La matière colorante s’accumule dans certaines plumes mixtes à l’ex-
trémité des barbules, et, celles-ci se rompent alors souvent à cet endroit,
pour prendre un peu l'apparence tronquée des cylindres optiques, et
quelquefois, en même temps, un peu plus de brillant. (Voyez PL IE, fig. 4,
celte accumulation particulière.)
Nous trouvons un exemple frappant de ce dernier cas dans les plumes
rouges du Ramphocelus Coccineus, et un autre moins brillant dans les
plumes vertes du croupion du Fringilla Cælebs.
J'ai appelé mixtes ces dernières plumes, parce qu’elles tiennent d’un
côté aux plumes optiques par leur mode de développement, et de l’autre
aux plumes ordinaires par leur mode de coloration.
Nous venons de voir comment les trois premières espèces de plumes
se développent et se colorent, nous n’avons plus à examiner que les plu-
mes émaillées; mais, comme elles se développent d’une manière un peu
différente des précédentes, je dois aborder encore ici un nouveau détail
des changements de coloration dans les plumes que nous avons vues
Jusqu'ici.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 289
Les plumes qui doivent leur coloration uniquement à la lumière, soit
les plumes optiques et les émaillées qui en dépendent, ne changent pas,
comme nous l'avons dit, leur pigmentation interne, et n’acquièrent leur
coloris que par des changements de forme. Cependant 1l n’en.est pas
ainsi, ni pour les plumes ordinaires proprement dites, ni pour les plu-
mes mixles.
Celles-ci, en effet, peuvent modifier leur coloration des deux manières
suivantes: ou bien par une augmentation dans l'intensité d’une même
teinte, ou bien par le remplacement d’une ancienne couleur par une
nouvelle.
Dans le premier cas il ne se produit qu’une solution plus complète du
pigment interne; et, dans le second, c’est, au contraire, une extravasion
de l’ancienne matière colorante qui disparaît en poussière extérieure, en
même temps qu’il se fait une solution nouvelle d’une autre couleur in-
hérente et latente dans les barbes. Dans ce dernier cas, une solution
complète est un peu plus difficile à obtenir par l'extérieur; et je pense
que, puisque dans les oiseaux qui changent entièrement de couleur
les grandes pennes et rémiges se modifient beaucoup moins que les
petites plumes, il est probable qu’une graisse particulière du corps ar-
rivant par l’intérieur est probablement nécessaire à une solution com-
plète du pigment nouveau que lon voit déjà déposé dans l’intérieur de
la plume.
J'aurai l’occasion d'expliquer plus loin dans le chapitre V cette extra-
vasion à propos de quelques oiseaux aquatiques.
Les plumes que j'ai nommées émaillées comportent toutes les plumes
bleues sans reflets métalliques et quelques plumes vertes des plus bril-
lantes, également sans reflets métalliques. Bogdanow, n'ayant jamais
pu en extraire qu’un pigment constamment brun, les avait rangées déjà
dans ses plumes optiques; mais le développement tout à fait particulier
que le microscope m’a montré chez elles me force maintenant à les sé-
parer de ces premières.
Au lieu de s'être allongées en fibres, et de perdre leur noyau pour
290 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
former une substance corticale analogue à celle des plumes que nous
avons étudiées jusqu'ici, les cellules premières plastiques se sont modi-
fiées ici sur un plan nouveau.
Les plumes émaillées montrent toujours dans l'intérieur de leur barbe,
à leur naissance comme après leur crue complète, de grandes cellules
polygonales à noyau coloré. (Voyez PI. II, fig. 6 a.)
En dessous de l’épiderme incolore extérieur, et à la face dorsale ou
supérieure de la barbe, le microscope montre toujours une couche de
cellules allongées et verticales dont l'épaisseur diminue de plus en plus
en avançÇant vers la face inférieure. (Voyez PL IE, fig. 6 c et b, et fig. 7.)
Au centre, c’est, comme je l'ai dit, une agrégation de cellules à noyaux
fortement pigmentés.
La couche de cellules verticales est jaunâtre ou verdâtre claire, pour
les plumes bleues; mais elle est plutôt rosàtre ou légèrement rougeàtre
pour les plumes vertes; comme on le voit dans celles du ventre du Tangara
à plastron, ou sur quelques-unes du Martin-pêcheur. L’axe central est
noirâtre, brun ou verdâtre foncé. (Voyez PI. HE, fig. 4, une partie d’une
barbe de l’frena puella, vue de profil.) Les barbes émaillées sont souvent
aplaties et comme déprimées.
Les petites barbules que portent des barbes ainsi constituées sont in-
colores ou noirâtres. Elles sont le plus souvent sessiles, ou absorbées dans
la face inférieure de la barbe. Maiselles persistent aussi quelquefois quand
la teinte bleue n’est pas très-brillante, et l'on à alors, pour ainsi dire, une
plume mixte émaillée, comme aux pennes caudales, par exemple, du
Parus Cœruleus.
Ces axes tertiaires sont ordinairement implantés dans la partie infé-
rieure où ventrale de la barbe émaillée. (Voyez PI. IE, fig. 4 et 7.)
La couche de cellules verticales sous-épidermiques constitue ce que
Jai appelé l'émail, et elle est nécessaire, comme nous le montrerons
plus loin, à l'apparence de la couleur bleue à la lumière incidente.
L'émail transparent est diversement coloré et d’une épaisseur variable;
sa teinte donne l'apparence verte ou bleue, et son épaisseur plus ou
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ET LA COLORATION DES PLUMES. 291
moins forte fournit une fixité plus ou moins grande de la teinte appa-
rente qui souvent change, avec la position de la lumière, du plus beau
bleu au plus beau vert et quelquefois presque à une espèce de jaune
tendre. Une couche très-épaisse donne à la plume l'apparence d’un co-
loris opaque.
Ce vernis cellulaire présente enfin à sa face extérieure comme des on-
dulations sinueuses et longitudinales. (Voyez PI. TEE, fig. 5, une barbe
émaillée vue par-dessus et à la lumière incidente.)
Quand, au printemps, la coloration augmente, la barbe se développe
un peu et beaucoup de barbules disparaissent, en même temps que le
pigment foncé intérieur se dissout de plus en plus, en passant par diffé-
rentes teintes transitoires. L'émail seul semble peu attaquable par la
substance dissolvante de l'axe.
Nous pouvons faire ici, entre les plumes émaillées et les plames opti-
ques, un rapprochement parallèle à celui que nous avons fait entre les
plumes mixtes et les ordinaires. Les plumes émaillées tiennent, en effet,
aux optiques par leur mode de pigmentation et aux ordinaires par leur
mode de développement.
Les dilatations comparées des deux axes dans les deux groupes prin-
cipaux des plumes nous permettent d'établir ici les lois suivantes :
1° DE DEUX AXES SUCCESSIFS L'UN SE DÉVELOPPE TOUJOURS AU DÉPENS
DE L'AUTRE ;
20 POUR LES PLUMES ORDINAIRES PROPREMENT DITES L'AXE SECONDAIRE
PRÉDOMINE SUR LE TERTIAIRE; C'EST DANS LA BARBE QUE SE PASSENT LES
PRINCIPAUX CHANGEMENTS ;
3° DANS LES PLUMES OPTIQUES PROPREMENT DITES, C'EST, PAR CONTRE,
L'AXE TERTIAIRE QUI PRÉDOMINE SUR L'AXE SECONDAIRE; C'EST DANS LA
BARBULE QUE S'OPÈRENT LES PRINCIPALES MODIFICATIONS.
A. CHEZ LES PLUMES MIXTES, LA BARBE SUBISSANT QUELQUES CHANGE-
MENTS, LA BARBULE QUI PERSISTE SE MODIFIE BEAUCOUP MOINS QUE DANS
LES PLUMES OPTIQUES.
B. DANS LES PLUMES ÉMAILLÉES LA BARBE, QUOIQUE OPTIQUE AU POINT
292 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
DE VUE DE SA PIGMENTATION, SE GONFLE ET SE COLORE; LES BARBULES
DOIVENT TOMBER.
La barbule cylindrique optique de l'Étourneau double et triple quel-
quelois son diamètre de l'automne au printemps; tandis que la barbe
ordinaire, de la Linotte par exemple, double et triple quelquefois aussi
ses dimensions premières dans le même espace de temps, affectant alors
souvent des formes de massues plus ou moins allongées.
Je ne dois pas oublier d'expliquer pourquoi, dans la plupart des plu-
mes, la face inférieure présente souvent une coloration moins éclatante
que la supérieure; en voici quelques raisons :
10 Dans les plumes que j'appellerai serrées les barbules internes, ou
qui regardent la tige, recouvrent toujours les externes; ces dernières, plus
protégées contre les influences développantes extérieures, se gonflentet se
colorent moins, el moins vile, que les externes supérieures. (Voyez PL IE,
fig. 5, et PI. IE, fig. 1.) Si bien que, dans certaines plumes optiques, de
l'Étourneau par exemple, nous voyons les extrémités des faces inférieu-
res prendre aussi quelques reflets quand, après un temps plus long, elles
ont éprouvé à leur tour l'influence de l'humidité.
29 Une barbule couchée sur le flanc sous le microscope montre sou-
vent, sur une bonne partie de sa face inférieure, comme une carène plus
ou moins accentuée qui, moins colorée que le reste, rend la face inférieure
moins brillante que la supérieure. Il semble que la lumière exerce une
influence sur la coloration, soit qu’elle attire, pour ainsi dire, le pigment
vers la face qui lui est exposée, soit qu’elle facilite plutôt sur cette face
une plus complète solution du pigment intérieur. Les barbules mixtes
présentent très-souvent, surtout vers leur côté dorsal, un canal inté-
rieur plus coloré qui s’est produit au moment de la dilatation par la
rupture des cloisons séparatrices presque nulles des segments super-
posés. (Voyez PI. IE, fig. 12 et 13.) Dans la barbule optique ces der-
nières cloisons résistent, et ce même courant est impossible. (Voyez PL IT,
fig. 9, 10 et 11.)
Dans les plumes ordinaires, où les barbes restent seules, la coloration
ET LA COLORATION DES PLUMES. 293
est d'ordinaire la même sur les deux faces avec une légère différence
d'intensité seulement. Dans les plumes émaillées la barbe est plus pro-
tégée par le vernis extérieur; mais, malgré cela, il se fait cependant en
dessous de lui un mouvement et une coloration analogues.
50 La position variable de la barbule sur la barbe semble enfin une
dernière cause de ces différences de coloration. Dans beaucoup de plu-
mes optiques, comme dans celles de l'œil du Paon, par exemple, les bar-
bules qui jouent le premier rôle sont implantées vers la face dorsale de
la barbe, et la face ventrale de celle-ci constitue une forte carène beau-
coup moins colorée. Dans les plumes émaillées les barbules sont par
contre, comme je l'ai dit, implantées tout à fait sur la face inférieure de
la barbe, et cette dernière, qui joue à son tour le rôle le plus important,
présente alors une plus grande surface à la lumière. (Voyez PI. IE, fig. 7
et8, deux coupes verticales : l’une d’une barbe émaillée de l'Irena, l'autre
d’une barbe optique de l'œil de Paon.
Nous n’avons cependant étudié jusqu'ici que les différents développe-
ments de la structure et de la coloration des plumes; il me reste mainte-
nant à chercher, naturellement, l'explication des phénomènes optiques
dans les parties des plumes qui se sont toujours modifiées en même
temps que la coloration.
Tandis que les pigmentations différentes des plumes ordinaires et des
plumes mixtes peuvent varier dans toutes les couleurs, sauf le bleu, la
coloration, toujours brune, des plumes optiques et des émaillées ne peut
varier jamais que dans sa teinte et son intensité, pour produire même
le brillant éclat des plus beaux Colibris.
Les pigments variés des plumes ordinaires se comportent simplement
vis-à-vis de la lumière comme tous les corps qui reçoivent d'elle leur
apparence colorée; mais la pigmentation brune semble jouer un bien
autre rôle, quand elle se trouve unie aux milieux diversement modifiés
des plumes optiques.
Weinland et quelques autres ont supposé déjà que la coloration de
beaucoup de plumes était uniquement due à un phénomène d’interférence;
TOME XVII, 20€ PARTIE. 38
294 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
mais ils n’ont pas cherché à expliquer plus loin la chose. Altum ',en 1854,
publia une longue explication de cette interférence; mais 1l ne connais-
sait pas assez bien le détail microscopique des plumes, et se laissa, ce me
semble, entrainer trop loin, par une théorie spéciale, dans des considéra-
tions, Ingénieuses il est vrai, mais souvent inapplicables aux plumes.
IL y a pour moi trois faits à expliquer: le brillant des barbes ordinaires,
la coloration des plumes émaillées et les reflets métalliques chatoyants
des plumes optiques.
Le développement de la substance corticale multiplie les points de ré-
flexion en développant et distançant les fibres constituantes ; c’est l’expo-
silion à la lumière sur un plus grand espace d’une série de petits plans co-
lorés, superposés et reflétants. Le gonflement de la barbe donne, en effet,
toujours beaucoup de brillant à une plume ordinaire.
J’expliquerai les colorations bleues et vertes des plumes émaillées par
un phénomène analogue à celui. par lequel Dove? explique les reflets
pour quelques corps: par le passage de rayons réfléchis au centre de ma
plume au travers d’une couche supérieure transparente autrement colorée et
ausst reflétante; par la rencontre dans l'œil de rayons réfléchis de distances
différentes, et par des corps différents. Si Fon gratte et enlève, en effet,
sur un point ce vernis extérieur, la barbe n'apparaît plus en dessous
que brune ou noire. (Voyez PI I, fig. 5, une barbe émaillée, vue par-
dessus à la lumière incidente.) Les angles sous lesquels les rayons lumi-
neux son réfractés et réfléchis font varier la teinte, tant que l'émail n’a
pas atteint une épaisseur trop grande.
Dans les plumes optiques, les reflets métalliques semblent dus encore
à l'addition d’une cause nouvelle. Malgré une certaine ressemblance avec
les lignes et dessins dont parle Dove dans ses observations stéréosco-
piques, c'est plutôt au phénomène des anneaux colorés que je crois
devoir la rapporter.
‘ Ueber die Farben der Vogelfedern im Allgemeinen, über das Schillern insbesondere; von Bernard
Altum. Naumannia, Jahrgang 1854, p. 293.
? Dove. Verhandlungen der Academie zu Berlin, 1855.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 295
Cest une cérie de petites lignes transverses, tantôt brillantes, tantôt
obscures, plus ou moins serrées, correspondant à la segmentation, variée,
mais toujours si accentuée, des barbules optiques, ainsi que l’on peut
s’en assurer en regardant l’une de ces plumes avec un faible grossisse-
ment à la lumière incidente. |
Cette segmentation produit, tantôt des cloisons séparatrices incolores,
comme chez l'Étourneau par exemple, tantôt, au contraire, de lignes plus
foncées et des ondulations transverses, comme chez le Paon et bien d’autres
oiseaux. La teinte du pigment brun, ainsi que la forme et le rapprochement
plus ou moins grand des lignes foncées ou claires semblent seules faire varier
les effets colorés. (Voyez PL IE, fig. 1 et 2, deux parties de plumes opti-
ques de l’Étourneau au printemps, la première vue à la lumière trans-
verse, la seconde à la lumière incidente, et PL IF, fig. 9, 10 et 11.)
IL est possible encore que la forme générale des barbules et leur ar-
rangement sur les barbes, par rapport les unes aux autres, multiplient
aussi, ou additionnent plutôt, ces divers effets lumineux.
Le fait est qu'une barbule optique présente, en général, des formes plus
régulières qu'une barbule ordinaire, et que les barbules sont d’utant
plus serrées et parallèles que la plume a davantage de reflets; ainsi qu’on
peut le voir très-bien sur les belles plumes chatoyantes rouges et jaunes
du Selosphorus Ruber. (Voyez PI. I, fig. 9, une partie de barbe et des
barbules d’une plume pectorale du Selosphorus Ruber.)
Aussitôt qu’une plume présente quelques reflets métalliques, elle pos-
sède aussi sûrement tous les caractères des plumes optiques; mais, tant
qu’elle ne présentera pas ces reflets, elle rentrera toujours dans l’un des
trois autres groupes, füt-elle même très-brillante.
Jamais une plume quelconque ne pourra passer d’une espèce dans une
autre, soit devenir optique ou émaillée d'ordinaire, et vice versd. Certains
caractères inaltérables déterminent en elle le degré des modifications qu’elle
pourra subir. Elle pourra être mixte et optique, où mixte et ordinaire, ou
encore mixte el émallée. Le caractère mixte peut s’allier aux trois autres
formes principales ; mais l’on ne saurait trouver d’autres combinaisons ;
”
296 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
l'on ne rencontre pas de plumes à la fois optiques et ordinaires, pas plus
que de plumes ordinaires et émaillées.
Ce n’est pas seulement après les divers développements que nous avons
décrits que certaines plumes possèdent, ou bien des barbules très-dilatées,
ou bien des barbes dégarnies; beaucoup d'oiseaux reçoivent à chaque
mue des plumes modifiées sur ces plans, et munies déjà des effets aux-
quels les autres devront atteindre par des modifications successives.
C’est ainsi que nous voyons des plumes optiques avec des apparences
de colorations diverses, sur différentes parties du corps de quelques Pas-
sereaux; à la tête de nos Parus et à la queue du Corvus Pica, par
exemple; à la gorge et à la poitrine de la plupart des Colibris; sur plu-
sieurs de nos Gallinacés et sur quelques Palmipèdes, à la poitrine de
certains Tétras, sur presque tout le corps du Phasianus Colchicus et à la
tête et aux ailes de l'Anas Boschas.
Nous trouvons des plumes ordinaires dans les parties brillantes de
beaucoup de nos Passereaux, comme dans les autres ordres aussi; à la
poitrine du Fringilla Cannabina, autour du bec du Fringilla Carduels,
dans les plumes dorsales d'un brun brillant de plusieurs Echassiers, et
sur presque tout le corps du Phasianus Pictus. Les longues plumes du car-
mail de ce dernier nous fournissent même une observation assez intéres-
sante, des intermittences frappantes dans la prépondérance de la barbe
sur la barbule, et une preuve évidente du rapprochement des plumes
mixtes avec les ordinaires. (Voyez PL I, fig. 3, un barbe d’une plume
du camail du Faisan.) Toutes les couleurs, sauf le bleu, ai-je dit, peu-
vent se rencontrer dans des plumes ordinaires. )
J'ai donné plus haut des exemples de plumes mixtes, je me bornerai
donc à dire, encore ici, qu’elles constituent une grande partie du plumage
de nos différents ordres, et qu’elles peuvent former des plumes entières,
aussi bien qu’une partie seulement d’une plume d’une autre espèce. Elles
peuvent présenter toutes les couleurs possibles, être, par exemple, rouges
comme chez le Pyrrhula Vulgaris, où jaunes comme chez l'Emberiza Ci-
trinella; mais elles possèdent rarement du brillant, sauf chez quelques
ET LA COLORATION DES PLUMES. 297
oiseaux aquatiques, comme le Grèbe par exemple, où cet effet semble
dû plutôt à une grande transparence des tissus unie à une configura-
tion particulière des barbules allongées et contournées comme dans cer-
tains duvets. (Voyez PI. IE, fig. 5, une partie d’une plume de l'Emberiza
Citrinella.)
Les plumes émaillées bleues se voyent chez toutes les espèces qui ont
du bleu sans reflets métalliques: chez le Parus Cœæruleus en teinte claire,
chez l’/rena Puella en coloris opaque, et chez l'Alcedo Ispida en teintes
variables du bleu au vert.
Une grave question se présente encore: y a-t-il, après la mue ruptile,
recrue des barbes et des barbules au point de cassure? Martin semble
le supposer, Homeyer croit la chose impossible, personne, je crois, n’a
Jamais fait d'expériences sur ce point.
Je n'aurais certes jamais soulevé même la question, si je n’avais cru
remarquer que des barbules et quelquefois des barbes avaient, pour
ainsi dire, lancé des jets sous l'influence de l'humidité. Je remarquai,
sur les plumes que j'avais exposées à l'humidité, que certaines barbules
semblaient s'être allongées un peu; mais comme je ne pus jamais rien
obtenir sur une barbule isolée, et qu’en agissant sur une plume entière
je n'étais nullement certain de retrouver la même barbule, je n’obtins
aucun résultat vraiment mensurable, et dus laisser de côté cette obser-
vation comme erronée, ne pouvant la prouver comme les précédentes ;
je ne la cite même ici que parce qu’elle pourrait fournir peut-être une
explication à la crue curieuse que Schlegel' raconte avoir vu s’opérer
sur les plumes ornementales de deux Canards.
La plume desséchée pourrait-elle peut-être, comme le Rotifer, repren-
dre une espèce de vie sous l'influence de Fhumidité?
Je me borne donc, pour ma part, à l'élargissement évident de certains
axes, et je n’admets pas, sans preuves, un allongement passablement hy-
pothétique.
Pour moi, une plume qui a subi la mue ruptile est toujours plus
1 Verfärbung des Gefieders, von H. Schlegel. Journal für Ornithologie, vol. 1, 1853, p. 67.
298 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
courte qu'auparavant; son changement de forme peut seul quelquefois
donner lieu à des apparences trompeuses. La cassure s’effile par le fait
du délitement qui s'opère continuellement aux extrémités, et l’on voit
alors des barbes ou des barbules plus ou moins pointues; les unes
ayant perdu leur épiderme, les autres tout ou partie de leur substance
corticale. (Voyez PI. ILE, fig. 4 g et À.) Cet écorcement qui suit la colora-
tion est un résultat morbide du développement qu'elle a nécessité. W ne fau-
drait donc pas croire, avec Gætke, que ce soit, comme il a voulu lex-
pliquer, une cause de la coloration nouvelle.
CHAPITRE V
De la décoloration.
Je dois chercher maintenant à -expliquer lextravasion dont J'ai parlé
plus haut; et Je vais pour cela étudier chez quelques Mouettes un cas
analogue amenant à une décoloration totale.
Nous avons vu que, dans quelques cas de coloration, par changement
de couleur, le premier pigment dissous était chassé par l’autre plus pro-
fond qui le forçait à s’extravaser; mais nous avons vu aussi que dans
d’autres cas de coloration, par augmentation d'intensité, le pigment dis-
sous se bornait à se répandre dans les vides préparés par l'humidité tour
à tour absorbée et évaporée, et qu'alors nous n'avions d’extravasion
qu'après la coloration complète.
Nous pouvons comprendre par là que chaque couleur, comme chaque
plume, à sa durée limitée durant la vie de l'oiseau. Une couleur, sans
être chassée par une autre, devra cependant ressortir à son tour.
La plume qui a joué son rôle succombe, comme je l'ai dit, aux efforts
qu'elle à faits; son tissu se détériore et se délite de plus en plus, et son
pigment, une fois complétement dissous, ressort chassé toujours par la
graisse nouvelle qui vient se mélanger et s’échanger avec lui. I faut
que cette plume tombe, ou l'oiseau perdra petit à petit ses couleurs.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 299
St une plume poussée en automne ne tombe pas au printemps, et qu'il n'y
ai plus de nouvelle coloration possible en elle, il s'y fera nécessairement une
décoloration plus ou moins prompte, et plus ou moins complète.
Si des tissus entièrement remplis par une solution colorée peuvent
encore se distendre sous l'influence de l'humidité, il n’y aura pas extra-
vasion avant que tout ce nouveau développement soit rempli aussi par
une plus grande solution et une plus forte extension du pigment coloré.
Mais il y a au développement cortical une limite plus ou moins réculée,
suivant les espèces de plumes. Les plumes opliques qui possèdent le plus
de substance corticale présenteront une extravasion plus tardive et moins
complète, et les plumes mixtes possédant moins de cette même substance
montreront à leur tour une extravasion d'autant plus prompte que leur
pigment sera plus répandu.
Le jeune Larus Ridibundus possède en été un premier plumage pres-
que entièrement brun, et se trouve cependant presque tout blanc à son
premier printemps, sans avoir subi, pour beaucoup de ses plumes, une
vraie mue par renouvellement. L'observation du plumage de cet oiseau
dans larrière-automne nous montre déjà toutes les transitions de lune
à l'autre de ces couleurs ; mais l'examen au microscope de l’une de ses
plumes nous explique plus vite encore la cause de cette transformation.
Les barbes et barbules brunes sont encore remplies d’un pigment brun
très-répandu ; les barbes et les barbules blanches ne contiennent pres-
que plus de pigment; une poussière brune recouvre à l'extérieur chaque
partie de la plume, et d'autant plus qu’elle est davantage en voie de dé-
coloration. (Voyez PI IL, fig. 10.) Les parties blanches n’ont déjà pres-
que plus de poussière et les brunes n’en ont presque point encore.
Cette décoloration suit une marche contraire à celle de la coloration ;
elle s'étend de la base aux extrémités, et du centre à la périphérie, au lieu
de cheminer des bords vers le milieu de la plume. (Voyez PL, fig. 11.)
C’est un échange continu, contre une graisse incolore, d'un pigment
déjà dissous dont il ne reste plus qu’une faible trace dans les centres,
donnant encore quelquefois une légère teinte à la plume.
500 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
Un phénomène analogue se passe donc en petit chez la plupart de nos
oiseaux; et c’est à lui encore qu’il faut rapporter l'observation de Brehm
signalant avoir trouvé chez quelques Sternes une coloration noire cachée
sous une poussière blanche extérieure. C'était évidemment l’extravasion
d’une coloration première, claire, en même temps que la solution in-
terne d’une couleur latente foncée. Il ne faudrait pas cependant aller
confondre ce cas avec la coloration vraiment externe de certains oiseaux
dont je parlerai plus loin.
Si l’on met sous le microscope une goutte d'huile entre deux lamelles
contenant une plume en voie de décoloration, on voit de suite ce phéno-
mène se produire très-rapidement; une légère chaleur lactive encore,
mais le froid le ralentit.
I nous arrive souvent de rencontrer au printemps de jeunes Mouettes
dont la livrée blanche est beaucoup moins avancée que celle d’autres
sujets du même âge; ce sont des individus chez lesquels la décoloration,
commencée en automne, a été surprise et arrêtée par de grands froids.
Plus une plume, ou une partie de plume, est profonde et abritée, plus
elle s'extravase promptement pendant la vie de l’oiseau. La graisse ve-
nant du corps produit une décoloration de la base au sommet, quand
elle rencontre un pigment déjà dissous ou des tissus déjà remplis, parce
qu'il n’y a plus qu'un échange possible ; mais cette même graisse, mon-
tant également du corps, produit une coloration de la périphérie vers lé
centre, parce que c’est aux extrémités qu'elle trouve premièrement, et
surtout, humidité et la lumière qui seules peuvent lui permettre la so-
lution d’un pigment latent.
Cependant, en même temps que l’extravasion se fait dans les parties
cachées de la plume de Mouette, il se fait aussi une décoloration vers les
extrémités, marchant en sens contraire, et à la rencontre de l’autre. Celle-
ci se fait alors par délitement et extravasion provenant de solution con-
tinue; ce sont les bouts ruptiles qui se décolorent les premiers.
! Verfärbung und Federwechsel der Europäischen Seeschwalben, von Pastor Ludwig Brehm. Journal
für Ornithologie, vol. II, 1854.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 501
C’est en ce sens, seulement, qu'Altum avait raison quand il disait que
les bouts les plus clairs étaient les plus fragiles.
De ces deux décolorations contraires, la seconde l'emporte quelquefois
sur la première, et il arrive parfois qu’une plume dans certaines condi-
tions se décolore entièrement, et petit à petit, du sommet à la base.
De même que lextravasion, la coloration est toujours plus prompte
dans les plumes mixtes, à cause d’une réplétion et d’une solution plus
rapides.
Les colorations les plus promptes sont donc dues le plus souvent à
labondance de graisse chez un oïseau, ainsi qu'à des modifications
favorables de la température et de l'état hygrométrique de l'air. Outre ces
causes premières, elles sont souvent rendues plus frappantes encore par
une chute exceptionnellement rapide des bouts ruptiles qui masquaient
auparavant des changements opérés déjà dans les parties les plus voisi-
nes des influences externes.
Nous avons vu dans quelles conditions l'extravasion s’opérait en temps
ordinaire; ne pouvons-nous pas trouver dans les mêmes causes l’expli-
cation de certaines décolorations morbides. Ne pouvons-nous pas com-
prendre par le même mode d'action l'apparition des albinismes lents,
généraux ou partiels, sur des plumes qui, d’abord colorées n’ont pas
mué, mais dont la coloration est petit à petit ressortie; c’est un cas
naturel pour beaucoup d'oiseaux, pourquoi ne pourrait-il pas se pré-
senter accidentellement chez d’autres?
À cause de l'échange continu entre l'intérieur et l'extérieur, les plu-
mes poussées blanches ne pourront jamais présenter qu’une poussière
extérieure blanche aussi; tandis que les plumes poussées colorées et
devenues blanches montreront, au contraire, à un certain moment, une
poussière colorée.
Ce même fait ne pourrait-il pas expliquer aussi un albinisme très-
prompt, comme celui que l’on attribue aux grandes émotions. N'ayant
pu examiner une seule plume avec la certitude qu’elle soit devenue
blanche par un effet si rapide, je ne fais maintenant qu'une simple sup-
TOME XVII, 20e PARTIE. 39
302 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
position, mais il me semble cependant qu'un grand afflux momentané
de graisse comme transpirée, peut-être sous l'influence de la peur, pour-
rait, ne se rencontrant pas avec une humidité capable de dilater assez
vite la substance corticale, ni avec une température et une lumière suf-
fisantes pour faciliter une assez prompte solution, occasionner rapidement
une extravasion plus ou moins complète. Ce serait comme une rupture
d'équilibre entre les agents internes et les influences externes. L’expli-
cation de ce dernier cas n’est, je le répète, qu'une hypothèse pure; mais
une hypothèse déduite pourtant de tout ce que j'ai pu observer plus haut.
Dans la barbule mixte, la base carénée se fissure dans l’extravasion,
se vide, se décolore et se détruit souvent même, comme nous pouvons
le voir sur les plumes du jeune Larus. (Voyez PL. II, fig. 12, une bar-
bule blanche extravasée du jeune Larus.)
Si nous comparons maintenant l’une de ces dernières plumes devenue
blanche avec une plume, blanche aussi, d’un adulte, prise à la même
place, mais devant devenir brune ou noire au printemps, nous reconnai-
trons de suite la dernière par son manque de poussière colorée extra-
vasée, par l'état parfait de ses barbules, et surtout par les dépôts de
granules pigmentaires latents qu’elle laisse apercevoir depuis la ligne de
rupture future, isolés vers sa base, ou groupés par paquets dans ses
centres. (Voyez PL IE, fig. 15, une barbule blanche d’un Larus adulte,
devant prendre une coloration foncée.)
Il se fait aussi dans les collections un peu d’extravasion dans la perte
des couleurs ; mais c’est alors une décoloration occasionnée ou par écail-
lement produit par l'humidité, ou par compression et expulsion de la
graisse colorée par desséchement. Cette décoloration marche de la pé-
riphérie vers le centre, comme celle des bouts ruptles.
Il faut distinguer cette décoloration de la lente modification des cou-
leurs qui se produit dans nos musées par l’effet d’une saponification des
graisses sous l'influence continue de l'air et de la lumière.
Il ne faut pas confondre non plus la poussière colorée extravasée, et
bien vite dispersée, avec la coloration vraiment externe que présentent
ET LA COLORATION DES PLUMES. 3035
quelques oiseaux. Plusieurs espèces de différents ordres présentent, en
effet, régulièrement ou accidentellement, sur certaines parties de leur
corps, le plus souvent sur leurs faces inférieures, des colorations di-
verses plus ou moins accentuées et plus ou moins résistantes, provenant
de frottements contre certains corps végétaux ou minéraux qu’elles
affectionnent plus particulièrement.
Cette peinture extérieure a donné lieu quelquefois à létablissement
de fausses espèces, et dépend le plus souvent pour un oiseau du ter-
rain qu'il habite, de la nourriture qu'il prend, ou du genre de vie qu'il
mène.
M. Meves', dans un mémoire qui a été traduit par Gloger et inséré
dans le Journal für Ornithologie, étudie la coloration brune et orangée
de la gorge et de la poitrine du Gvpaete du Midi. Il décrit cette colora-
tion comme externe, capable d’être enlevée par un lavage acide, et lat-
tribue à des bains répétés de l'oiseau dans des eaux ferrugineuses.
Eug. von Homeyer' a également observé une coloration brune ex-
térieure chez les Grues à leur nichée dans le nord ; et il l’attribue à de la
terre marécageuse dont les oiseaux couvriraient leur corps au moyen
de leur bec. Meves à encore observé la même chose, et ajoute que cette
couleur est perceptible au toucher. Plusieurs canards prennent aussi au
ventre une teinte rosée sur les végétaux qui leur servent de couche.
Quelques petits oiseaux tirent également des colorations variées, à la
poitrine et au ventre, ou bien des matériaux qui leur servent à construire
leurs nids, ou bien, quelquefois, du trou même qu'ils habitent. C’est
ainsi que j'ai vu au printemps une Mésange boréale" presque entièrement
rouge sur les faces inférieures.
Enfin un coloris extérieur, s’attachant spécialement à la gorge, pro-
viendra quelquefois aussi d’un aliment colorant, comme nous le montre
1 Die rôthliche Färbung bei Gypaetus Barbatus, von Cons. W. Meves, Journal für Ornithologie, vol. X,
1862, Heft 2.
> Ueber die Rückenfärbung des brutenden Kranichs, von Eug. von Homeyer. Journal für Ornitholo-
gie, vol. XII, 1864, Heft 5,
5 Parus Borealis, par V. Fatio. Bulletin de la Société Ornithologique suisse, vol. I, {re partie.
304 MODIFICATIONS DANS LES FORMES
la couleur de rouille foncée qui couvre souvent la gorge et la poitrine du
Casse-noix, lorsqu'il est descendu, pendant les froids, jusque dans les
vallées, et qu'il s’est avidement repu des noisettes qu’il passionne.
Conclusions.
Je viens de signaler les principaux agents modificateurs des plumes,
ainsi que leur mode d'action. J'ai expliqué comment ces mêmes agents
pouvaient produire quelquefois des effets variés dans des conditions diffé-
rentes. J'ai montré, enfin, comment un certain équilibre était nécessaire
entre les influences internes et les conditions externes pour maintenir
la coloration de l'espèce dans ses limites typiques.
Je ne veux pas certifier avoir prévu tous les divers cas naturels ou accl-
dentels. Je ne veux pas davantage prétendre avoir soumis à mon étude
toutes les différentes plumes que peuvent présenter tous les oiseaux. Jai
laissé à dessein de côté quelques modifications purement ornementales ;
mais je pense avoir, du moins, étudié et observé les formes principales,
les plus ordinaires, et, pour ainsi dire, les plus naturelles. Jai la ferme
conviction que toute forme et tout phénomène nouveaux pourront trou-
ver facilement leur explication sur la voie que J'ai ouverte.
Il reste toujours des lacunes à combler, et personne ne peut espérer
jamais dire le dernier mot sur un point quelconque d’une étude aussi
vaste que celle de la nature. Cependant, j'ai cherché à approfondir au-
tant que possible chaque question, pour trouver dans l'expérience quel-
que chose de plus solide qu’une théorie; j'ai cherché, en un mot, à faire
à l'hypothèse la part la plus minime.
Je comprends, non plus seulement, la répartition des couleurs plus ou
moins éclatantes selon les pays et les climats; mais aussi la formation
des races et des variétés locales par des conditions d'hygrométrie, de tem-
pérature, et même de nutrition différentes.
Je me rends facilement compte de toutes les petites variations acciden-
ET LA COLORATION DES PLUMES. 305
telles; j'en saisis les causes; je sais pourquoi, à telle époque, tel oiseau
se trouve plus avancé que tel autre. Je m'explique la grande variabilité
dans la couleur; mais, quoique je voie dans cette altération si facile la
faiblesse comparée des caractères tirés de la coloration, je trouve cepen-
dant une limite aux modifications possibles, dans l'union de certaines
couleurs et de certains effets avec certains développements moins varia-
bles de forme et de structure.
Genève, 1°" février 1866.
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE [.
Fig. 1. Une plume naissante du jeune Turdus Torquatus, encore en partie dans sa gaïne, supportant
à son extrémité la touffe duveteuse paucière qu'elle est venue remplacer (grossie environ
cinq fois): a, gaîne protectrice ; b, extrémité de la plume ; €, petite gaine du duvet;
d, barbe duveteuse ; e, section de barbe plus grossie; f, barbule duveteuse.
Fig. 2. Section d’une barbe duveteuse plumaire annelée du Parus Coeruleus (grossie environ 90
fois) : a, barbe; b, barbule; c, renflement pigmenté.
Fig. 3. Section d'une barbe duveteuse paucière croisée du jeune Larus Argentatus (grossie environ
60 fois) : a, barbe ; b, barbule qui a pris naissance à droite et se rend à gauche; e, bar-
bule croisant de gauche à droite.
Fig. 4. Section d’une barbe duveteuse plumaire de l’Anas Boschas (grossie environ 90 fois) : 4, barbe;
b, barbule droite uniforme ; e, renflement en forme de cœur; d, segment à crochets capable
de se développer en un renflement semblable à c.
Fig. 5. Section d’une barbe duveteuse plumaire tordue du Tetrao Lagopus (grossie environ 90 fois) :
a, barbe ; b, point de torsion en spirale de la barbule ; e, petit renflement analogue à celui
du Parus.
Fig. 6. Sections de deux barbes d'une rémige du Strix Aluco, vues par-dessus (grossies environ
40 fois) : «, barbes; b, barbules externes ; c, base des barbules internes; d, filet extrême
des barbules internes; e, crochets droits et nombreux disposés régulièrement sur les bar-
bules.
Fig.
: (2e
En]
MODIFICATIONS DANS LES FORMES
. Barbule optique non dilatée d’un Sturnus Vulgaris, en automne (grossie environ 150 fois) :
a, section de la barbe ; b, segment basilaire implanté dans la barbe ; e, granules pigmen-
taires latents; d, crochet d’un segment.
La même barbule du Sturnus dilatée artificiellement, sans solution et par l'humidité seule-
ment (grossie également 150 fois environ) : a, section de la barbe; b, segment basilaire
un peu modifié; e, pigment interne non dissout ; d, matière corticale développée incolore ;
e, cloison séparatrice ; f, crochet latéral diminué par le gonflement.
Tuyau basilaire d'une petite plume (grossi environ 30 fois) : a, tige pénétrée par le carmin;
b, axe médullaire; e, barbe; d, barbule ; e, reste sous: paucier de la gaîne ; f, paroi cor-
ticale du tuyau ; g, opercule intérieur ; h, graisse arrivant à l'extérieur entre la gaine et
le tuyau.
PLANCHE IE.
. Partie de barbe d'une plume ordinaire pectorale du Fringilla Cannabina, en arrière-au-
tomne, et en voie de coloration, vue à la lumière transverse (grossie environ 80 fois) :
a, barbe; b, bout ruptile et point de cassure ; e, barbule sessile très-faiblement segmentée;
d, coloration latente; e, coloration apparente ; f, segmentation fugitive.
Une même barbe ordinaire pectorale du Fringilla Cannabina, au printemps, vue à la lu-
mière transverse (grossie aussi 80 fois) : a, point de cassure et d'appointissement de la
barbe ; b, barbule sessile; e, fibre de la matière corticale.
. Sections de quelques barbes extrêmes d’une plume optique pectorale de l’Étourneau (Sturnus
Vulgæis) en voie de coloration et de mue ruptile, vues à la lumière transverse (grossies
environ 40 fois) : a, barbe ; b, bouts rutiles ; e, barbule externe comparativement peu dé-
veloppée ; d, barbule interne supérieure plus développée ; e, points de cassure ; f, partie de
barbe dépourvue de ses barbules ; g, extravasion graisseuse ; k, crochets par délitement.
. Section d’une barbe mixte du croupion du Fringilla Cœlebs, vue per transparence (grossie
environ 80 fois) : a, barbe ; b, barbule; e, extrémité d’une barbule gonflée par accumu-
lation pigmentaire ; d, crochet par délitement; e, segmentation de la barbe ; f, noyau
pigmentaire ; g et h, barbules rompues.
. Partie d'une plume mixte de l'Emberiza Citrinella, vue, à droite à la lumière incidente, et
à gauche à la lumière transverse (grossie environ 40 fois) : 4, tige; b, barbe vue par inci-
dence ; c, barbules internes supérieures; d, barbule externe inférieure; e, segmentation
de la tige; f et g, barbule et barbe vues par transparence.
Une plume optique pectorale du Sturnus Vulgaris, en automne et avant la mue ruptile :
a, extrémité blanche sessile ; b, reflets développalles; e, coloration provenant des renfle-
ments du duvet annelé.
. La même plume optique du Stwrnus, au printemps et après la mue ruptile ; a, extrémité
appointie par rupture; b, reflets développés ; e, partie décolorée par chute des barbules
duveteuses.
Fig. 10.
Fig. 11.
ET LA COLORATION DES PLUMES. 307
. Deux barbes ordinaires soudées d'une plume frontale du Fringilla Carduelis, vues à la lu-
mière transverse, et une barbe isolée de la même plume vue à la lumière incidente (gros-
sies environ 40 fois) : a, barbe vue par incidence ; b, deux barbes vues par transparence ;
e, fibres corticales entrecroisées.
. Une barbule optique, parfaite et au printemps, de la poitrine du Sturnus Vulgaris, à la lu-
mière transverse (grossie environ 140 fois) : &, section de la barbe ; b, segment basilaire
de la barbule ; e, segment cylindrique; d, fibres corticales ; e, eloison séparatrice claire.
Une barbule optique de l'œil du Paon, vue à la lumière transverse (grossie environ 93 fois) :
a, section de la barbe, b, segment basilaire; e, cloison foncée ; d, segment régulier à
crochet.
Une autre barbule optique de l'œil du Paon, vue aussi par transparence et au même gros-
sissement : a, barbe ; b, base ; e, cloison; d, segment ondulé.
PLANCHE III.
. Barbes et barbules d'une plume optique pectorale du Sturnus Vulgaris, au printemps, vues
par transparence (grossies environ 80 fois): a, barbes; b, barbule interne supérieure ;
e et d, barbules externes inférieures pas encore complétement développées; e, pigment
extravasé en paquet; f, bout efilé d’une barbule encore à colorer ; g, bout décoloré rup-
tile se délitant, À, barbule s’appointissant par écorcement ; à, segment développé ; k, cloi-
son séparatrice.
. Barbe et barbules d’une plume optique pectorale du Sturnus, au printemps, vues à la lu-
mière incidente (grossies environ 80 fois) : 4, barbe; b, barbule interne ; ec, barbule ex-
terne ; d, segment, partie brillante ; e, cloison, ligne obscure.
. Partie d’une barbe mixte et ordinaire du camail du Phasianus Pictus, vue par incidence
(grossie environ huit fois) : «, barbe dégarnie et dilatée; b, barbe plus mince, munie de
barbules ; e, barbules noires ; d, barbules jaunes.
. Section d’une barbe émaillée de l’Zrena Puella, vue de profil et à la lumière transverse
grossie environ 60 fois) : a, épiderme ; b, cellules verticales de l'émail; e, cellules poly-
gonales foncées ; d, barbule implantée à la face postérieure.
. Section de la même barbe émaillée de l'Ærena, vue par-dessus et à la lumière incidente
(grossie environ 60 fois) : a, points où l'émail a été enlevé ; b, barbules sessiles ; ce, ondu-
lations de l'émail.
. Détail de la barbe émaillée (grossi 300 fois environ) : a, cellule polygonale centrale; b, cel-
lule allongée verticale de l'émail ; e, cellule irrégulière plate de l'épiderme.
Coupe verticale d’une barbe émaillée de l’/rena (grossie environ 60 fois) : &, face inférieure
de la barbe ; b, émail très-développé à la face supérieure ; e, substance corticale centrale ;
d, barbule implantée dans la partie inférieure.
Coupe verticale d'une barbe optique du Paon (grossie environ 45 fois) : a, barbe; b, accu-
mulation pigmentaire à la face dorsale ou supérieure ; c, carène ventrale moins colorée ;
d, barbule implantée près de la face supérieure.
308
Fig. 9. Section d’une barbe optique d’une plume pectorale du Selosphorus Ruber, vue, à gauche à la
ig. 11.
r. 42.
BEIGE
MODIFICATIONS DANS LA COLORATION DES PLUMES.
lumière transverse, et à droite à la lumière incidente (grossie environ 80 fois) : a, barbe ;
b, barbule vue par transparence ; e, courbe terminale de la barbule ; d, base d'une bar-
bule tombée ou arrachée ; e, barbule vue à la lumière incidente ; f, segment brillant ; g,
cloison obscure.
. Section d’une barbe d’une plume mixte du jeune Larus Ridibundus, en voie d’extravasion
et vue par transparence (grossie environ 90 fois) : a, barbe ; b, barbule ; €, crochets ; d,
pigment extravasé en poussière,
Une plume mixte du jeune Larus Ridibundus, en voie de décoloration ; deux flèches indi-
quant les directions des deux marches contraires : a, bouts ruptiles décolorés ; b, partie
non encore décolorée; e, partie centrale en pleine extravasion ; d, partie déjà décolorée.
Une barbule de la tête du jeune Larus, devenue blanche par extravasion (grossie environ
280 fois) : a, section de la barbe; b, barbule décolorée ; e, fissure; d, carène détruite ;
e, canal dorsal vide.
Une barbule de la tête d’un Larus Ridibundus adulte, qui, blanche aussi, deviendra
brune (grossie environ 280 fois) : «, barbe; b, barbule: e, carène intacte ; d, segmen-
tation presque insensible ; e, granules pigmentaires latents ; f, dépôts centraux du canal
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