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Full text of "Des lettres de cachet et des prisons d'état: Ouvrage posthume, composé en 1778"

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DES LETTRES 

^DE CACHET 

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E T D E s ^ . 

PRISONS D'ÉTAT. 

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Ouvrage pojlhume , compofé en 177%. \;» . 

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Non ante revellar ^ ;^- 
Exanimem quant te compleciar ^ Roma ^ t\ium que "r 

Nomen » libertas ! 8r inanetn profequar umbram, il!";- i 

( LUCAN. ) 




;/< HAMBOURG. 
M. D C C LXXX I I. 






1 r 



JDf ^u/^i/jr imperium efi animarum , i/m&r» <7af fiUntei 

£t chaos , & Phlegeton , foca nocîe filentia late ; ' f- 

Sit mihi fas audita loqui ! fit numine vejlro 

Pandere res alta terra & caligîne merfas. 

(ViRG.) 

!H I. I =g=B== ■ ■ ■ • I II II 



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DES LETTRES 

E T 

DES PRISONS D'ÉTAT- 

SECONDE PARTIE. 
DES Prisons d'jêtat. 



Vf quibus imperium efi animarum , umbra ^utfiUntes 
Et chaos , & PhUgeton , loca no3g fiUntia late i 
£it mihi fas audita loqui !fit nurmne veflro 
Pondère ns alta terra fîr caligine merfas. 

( ViRC, ) 



Ai 



pabh de taire la vérité quand elle frappera 
fes regards ; & vollS pourquoi je lui dédie cette 
partie de mon ouvrage , lequel^ à ce quepef- 
père éprouvera fuffifamment combien F adula- 
tion eft loin de mon caractère & de mes princi-- 
pés. Au refte ^ cemagifirat quelque fortune que 
fes vertus & fes talens méritent & lui promet- 
tent , ne pourra probablement plus rien pour 
moi au moment oh ce livre fera publié : mon 
hommage efl donc uniquement fondé fur mon 
refpecl pour fa perfonne. 







DES LETTRES 

B E CACHET 
ET DES PRISONS D'ÉTAT. 



SECONDE PARTIE. 

CHAPITRE PREMIER. 

Obfervations préliminaires. Traitement pécuniaire 
du commandant au donjon de Vincennes. Pen- 
Jtons & nourriture des prifonniers. 

X L parvint en lyii à madame de Maintenon des 
plaintes fur l'adminirtration intérieure des prifons. 
Le mémoire fiit renvoyé à M. d'Ai^nfon , alors 
lieutenant de police, & voici ce qu'il répondit à 
ce fujet. 

« La police immédiate des prifons ordinaires 
» appartient à MM. du parlement, 8c je n'y puis 
» rien. Il eft vrai que les georiers y font payer le 
A4 



[8] 

» plus cher qu'ils peuvent toutes les commodités 
» qu'ils fourniflènt à leurs prifonniers , & que ceux 
» qui ne font pas en état de les acheter font fort 
» miierables. Je crois qu'il feroit digne de la juP- 
w tice du roi> de remettre à ces geôliers une re- 
» devance annuelle de deux mille & tant de livres, 
» qui ne fe paie que depuis quelques années , ÔC 
» dont ils Ce font un prétexte pour traiter leurs 
» prifonniers avec plus de féchereffe 8c d'auftérité. 
» A l'égard de ceux qui font à la Baftille , à 
» Vincennes , à Charenton , à Saint - Lazare par 
w ordre de S. M. je puis ôc je dois vous affurer 
» qu'ils n'ont rien à fouhaiter pour la nourriture ÔC 
» pour le vêtement : j'ajouterai que les comman- 
» dans de Vincennqs ôC de la Baftille ont pour les 
» leurs des attentions charit^les qui vont fort au- 
-» delà de ce qu'on pourroit leur propofer ou leur 
» prefcrire. Je fais même par les fréquentes vifîtes 
» que j'y fais, qu'à la moindre maladie on leur 
» donne tous les fecours ^'irituels & corporels 
^> qui conviennent à leur état , mais la privation 
» de la liberté les rend infènfîbles à tout autre 
» bien , & fèmble autorifer les plaintes injuftes 8c 
» les reproches injurieux dont ils rempliffent or- 
» dînaiTement leurs placets Sc leurs mémoires , dès 
3) qu'ils ië trouvent à portée d'en donner. Si celui 
» dont vous avez bien voulu me faire le renvoi 
)) conteftoit des faits plus précis, j^aurois pu m'en 
» fervir auflî plus utilement. » ( ^ ) 

" (,a) Voyez le recueil des lettres de madame de Mainterion. 



[9] 
Je ne Eus fi ce rapport eft vrai ou faux, {a)it 

peu nous importe aujourd'hui ce qui iè paflbit à cet 
égard en 17 1 2 -, mais je ferai fur ce fragment quel- 
ques remarques que Ton appliquera aifément aux 
faits qui vont fuivre. 

Premièrement, fi les geôliers des prifbns ordi- 
naires font payer très -chèrement toutes les com- 
modités qu'ils fourniflënt à leurs prifonniers , du 
moins on a ces commodités pour de l'argent. L'on 
verra bientôt s*il en eft de même dans les prifons 
d'état. 

Secondement , fi par un inconcevable excès de 
cupidité réfèrvé à nos tems modernes , où la fif- 
calité a clafle tous les objets phyfiques & moraux 
dans fon code & mis tout à prix, l'on exige , même 
d'un geôlier, une rétribution qui doit tomber à la 
charge des prifonniers , au moins a-t-on droit 
d'attendre que les enfirmeurs d'hommes fevorifés y 
à qui l'on accorde de grofles fommes pour émo- 
lumens de leurs places s'en contentent , 8c fe mon- 
trent d'autant plus fcrupuleux fiir l'emploi de l'ar- 
gent deftiné à la nourriture dont ils font chargés , 
que leurs gains légitimes étant confiderables, leurs 
brigandages illicites ièroient plus odieux. 

Troifiémement , je n'entends pas quelles peu- 
vent être les charités des commandans que l'on paie 
magnifiquement pour nourrir honnêtement leurs 

(d) Je dois dire que raflèrtion de M. d'Argenfon relati- 
vement aux fecours fpiricueis 5; temporels dans les maladies t 
eft ;rès-exaâe. 



[ lO ] 

prifonniers, ni comment on n'oferoit leur prefcrire 
des attentions charijtables. Elles font , ce me fem- 
ble , leur premier devoir d'hommes ; comme la 
fureté de la garde eft leur premier devoir Aq geôlier. 

Quatrièmement enfin , M. d'Argenfon tombe dans 
une contradiôion palpable , en attribuant les plain- , 
tes inférées dans des mémoires ou placets donnés 
après la détention, à l'humeur qu'elle infpire. Lorf- 
que des prifonniers d'état peuvent faire paflêr des 
placets à tout autre qu'au lieutenant de police, ils 
font libres : ils ne font donc plus parties contre le 
commandant duquel ils fe plaignent. Eh ! par qui 
veut-on s'èclaircir de ce qui iè pafle dans ces an- 
tres filentieux où perfonne ne pénètre, fi ce n'eft 
par ceux qui les ont habités ? 

Après ces obfervations préliminaires , j'entre en 
matière. M. d'Argenfon iè plaignoit avec jufl:ice 
qu'un mémoire qui ne contenoit aucuns faits précis 
ne pouvoir pas être d'une grande utilité j car un 
homme attaqué vaguement fe défend de même ^ 8c 
comment démêler alors la vérité ? Eh bien ! ce font 
des faits précis que je vais articuler. 

Il efl: difficile d'imaginer ce que les prifons d'état 
coûtent au roi. Parmi les dettes de Louis XIV , on 
trouve dans le dépouillement qu'en a fait M. de 
Forbonnois un article de cent trente-fix mille livres 
pour le pain des prifonniers que le jéfuite le Tellier 
avoir feit renfermer à la Baftille , à Vincennes , à 
Pierre-en-cife, à Saumur, à Loche, fous le prétexte de 
janfénifme.^Le nombre des lettres de cachet a fort 



augmenté fous le regiie fuivant y dont ^économie 
n'étoit pas la vertu. Quant à l'adminidration ac- 
tuelle y j'ignore au fond de mon cachot Ces prin- 
cipes ôc {es œuvres j mais mon exiftence 8c celle 
de mes voifins m'attefte que la mode de ces prof- 
criptions arbitraires fubfifte. Je n'entrerai point 
dans les calculs néceflairement fautifs des dépenfes 
qu'occafionent, en général , les prifons d'état. Tous 
les détails pécuniaires étrangers aux prifonniers Sc 
au commandant du donjon de Vincennes, n'appar- 
tiennent point à mon plan : ( i ) voici ceux qui les 
concernent. 

Comme le fecret cft un des objets que l'on a 
le plus en vue dans ces maifons y l'on a cru devoir 
y intéreffer fortement ceux qui en ont la garde , en 
rendant leur place très-lucrative. On les a chargés 
de la nourriture des prifonniers , fans doute , parce 
qu'ils ontperfuadé que c'étoit une chofe néceffaire, 
& que fe prévalant de ces deux mots : le secret : 
LA SÛRETÉ j ( mots fi énergiques qu'ils impofent 
filence ^ la raifon & à l'humanité ) ils ont déclaré 
qu'ils ne pouvoient répondre qu'à cette condition 
de leurs prifonniers , qui d'ailleurs ne ièroient pas 
vexés par un cantinier avide. 

Le roi pafle au commandant de Vinceimes fix 
francs par jour pour la nourriture de chaque pri- 
fonnier , fon blanchiflage & iâ lumière. Le chauf- 
fage eft payé à part y Ôc fur le pied de trois cordes 
de bois pour chaque chambre. On comprend que 
les prifonniers d'état à leurs frais donnent au moins 



la même penfion. Ils font maîtres de dépenfer pluè ; 
mais on n'entend â aucune cDmpoiîtion. Le roi 
pafle de plus au commandant trois places mortes. 
Tout cela eft indépendant des appoîntemens 6c dé$ 
émolumens attachés à fon pofte. Les appointe-' 
mens du commandant de Vincenties font de trois 
mille livres ^ il jouit de quatre jafclîns , l'un deP 
quels eft de la contenance de cinquante -deux ar-* 
pens 5 on a propofé pîufieurS fois dé ràfièrmjér Gx 
mille livres. Un beau & vâfté logement eft encore' 
attitré à cett^ place j je ne fais fi quelque fomme 
n'eft point accordée pour les faux frai^ j mais en 
récapitulant les appointertiéns & les émoîumens , 
on peut , avec la certitude de rëfter âu-déflbus de la 
vérité , évaluer le revenu fixé de ce oômniàndint à 
dix-huit mille libres ( i ). 

AfTurément à ce compte feul , Cêlùî qui préfî'dë à 
la garde du donjon de Vincènties , eft Un geôlier ri- 
chement payé. Il fernble que faiilS unéXçès de àé- 
licatefle rortianefque , il pourrbit fe contenter d'un 
tel jprofît 8c employer teligteufeinent à fa deftinà- 
rion Targerit 'q[u*îl reçoit pour la nourriture dès 
prifonnîetS. Sans doute , c'ëft l'intention du gouver- 
nement que fa place foit avântâgéUfè , puifqu'il liiî 
accorde un fî 'gros traitement j inàis fans 'doute aûflî 

•M 

le gouvernement n'entend pàà que les gains fé faf- 
fent aux dépeôs' déis prîforinîei's , puifqu'il paie 
des places moftes. J'ignore s'il y a un régléniènt 
relatif à la nourriture j & dans cette fuppofition 
il de^Toit être entre les mains dé chaque priforinitr^' 



mais ce que je fais ^ c'eft que voici celle qui du 
commencement de Tannée à ia fin leur eft fervicY 
Un bouilli & une entrée à dîner ; laquelle entrée 
eft de pâtiflerie tous les jeudis , un rôti & une en- 
trée à fouper , une livre de pain & une bouteille 
de vin par jour , & deux pommes à l'un des repaç 
^u jeudi & du dimancheé On peut échanger ce def- 
fert pour un bifcuit de deux fqls. 

Suppofons un moment que cette nourriture foît 
auffi bien apprêtée qu'elle puifle-4'être , encore fera- 
t-il aifé de l'évaluer. On ne fert pas au donjon de 
Vincennes fix fois dcMis l'année autre chofè que de 
la viande de bpucherie. C'eft apprécier très-haut 
chaque portion journalière que de la mettre à trois 
livres de viande ^ je fuis prefque fur d'exagérer 
d'une livre. L'on verra bientôt qu'on ne fait point 
un autre feu pour la cuifîne des prifonnîers que 
pour celle du commandant : l'açcommodage ne 
Ikuroit donc être cher. Evaluons-le à peu près à 
moitié prix de la viande \ dans quelques momens 
p^ me ttouvera trop généreux. La nourriture de 

« 

chaque prifonnier ne monte point à ce compte à 
plus de quarante^cinq fols par jour. (3) 

Le bl^nchiffage Se la lumière d'un prifonnîer ne 
fauroi^nt aller à fix francs par mois. (4) Cepen- 
dant je conpipte encore ce débpùrfé. La penfion de 
chaque prifonnier eft de cent quatre-vingt livres 
par nipis -, & la dépenfe réelle eft de foixànte- treize \ 
il n'en eft donc pas un feul fur leqyel le comman- 
4îîPt ne s?gne cent fepr livres par mok, i^ çpmp* 



C H 3 

ter un profit affez confîdérable fur le chaufFage dont 
on trouve plus bas l'évaluation. On peut toujours 
compter au donjon de Vîncennes fur douze priibrr- 
nîers j mais fi je prenôis le nombre moyen depuis 
vingt ans 5 mon calcul fèroit beaucoup trop foible ; 
on y en a vu, il n'y a pas fort long-tems, jufqu'à 
vingt & trente. Mais en ne calculant que for douie, 
c'eft douze cents quatre-vingt-quatre livres par 
mois y ou quinze mille quatre cents huit livres an- 
nuelles de gain évident, qui joints au fixe de la 
place que nous avons trouvé être de dix-huit mille 
livres forment une fomme de trente-trois mille qua- 
tre cents livres pour le revenu du commandant de 
Vincennes , évalué très-modérément. (5) 

J'ai fùppofé que la nature des alimens étoit to- 
lérable, auquel cas la chère, quoique très-mé- 
diocre , feroit faine & ftipportable , 8c le vol, quoi- 
que manifefte, moins odieux. Mais s'il fe trouvoit 
que le commandant, également vaniteux Sc cupide , 
n'ayant pas plus d'ordre que d'intelligence , voulut 
tenir une table de fermier-général y fi ne payant 
perfonne , (6) il étoit obligé de prendre les four- 
nitures qu'on lui préfenteroit , non -feulement fes 
domeftiques chercheroient à fe dédommager de 
leurs avances par le pillage , & ne donneroient que 
le moins & le plus mauvais qu'ils pourroient , 
bien fûrs que leur maître trop heureux qu'ils 
Iniprêtaflent leur crédit & attendiflënt leur argent, 
n'oferoit les gronder: mais le boucher, qui prifè- 
roit peu un payeur fi inexaâ , Sc apporteroit Son 



compte au premier reproche, fourniroit de la viande 
mort-néô ÔC vraiment fcorbutique.Or ceci n'eft rien 
moins qu'une fiippofition j c'eft le véritable état 
de fimation de M. de Rougemont , commandant 
au donjon de Vincennes. (a) 

Tous les alimens qu'on y donne font horrible- 
ment dégoûtans, & par cela même mal-fains. Outre 
une éternelle monotomie y néceflîtée par le déran- 
gement pécuniaire , en ce que le boucher eft le feul 
qui fournifle à crédit , raccommodage eft exceflîve- 
ment mauvais , autant par la qualité de la viande 
que par la négligence du cuifinier. Du veau racorni, 
iu mouton coriace , du bœuf recuit ou à demi cru 
s'il n'a fourni qu'une fois du bouillon^ voilà la con- 
tinuelle nourriture des pàfonniers , fi vous en excep- 
tez les jeudis où l'on donne de la pâtiflerie , qui , 
grâce à la parefle des valets , n'eft jamais cuite. 
Ces viandes defféchées & mal choifies font toujours 
noyées dans une quantité de légumes & de fauce 
non liée Sc dépourvue d'aflaifonnement. Les légu- 
mes fuppléent aux alimens plus folides , 8c ne coû- 
tent rien , parce que le jardin les fournit. h'^fpeSt 
ièul des fauces fouleve le cœur. Remarquez quâ 
de cette viande de boucherie , qui fait pendant les 
douze mois de l'année (7) la nourriture despri- 
fonniers , les morceaux qui fe trouvient bons font 
réfervés pour la table du commandant: {es gens 
trient enfuite ce qui leur convient. Les valets de 



C a) Depuis l'aunée 17^7* 



baffe-cour viennent après, & le donjon à la fin. (8) 
Un porte-clefs 5(9) fait-il quelque repréfenta- 
tion? le cuifinier, fur d'être foutenu, répond froi- 
dement : plaignez-vous à monjîeur. La difpute s'é- 
chauffe-t-elle ? des laquais , des femmes crient : 
vraiment n'efi'Ct pas trop bon pour des prifonniers? 
Tant on fe forme dans cette maifon une haute idée 
des droits du donjon ! Et ce chef de cuifine ^ dont 
les comptes font arrêtés ôc non payés, impatienté 
& fier d'attendre, (ud) a rinfolence d'ajouter : fi 
Von nourrijfoit ks prifonniers avec de la paille , 
croye[^ mes amis ^ que je leur dormerois de la litière* 
On peut croire qu'ils font fèrvis d'après ces princi* 
pes. La plupart du tems ils trouvent d'horribles 
iàletés dans leurs plats. Ils dînent à onze heures 
du matin ^ Sc foupent à cinq heures du fbir. Cet 
ordre ridicule (11) & pernicieux, puifqu'il laiffe 
^-huit heures entre • deux repas , & cinq feule- 
ment entre deux autres , fait que la viande eft ra- 
rement cuite à dîner, ( car le cuifinier fe leveroit-il 
matin pour de& prifonniers /*) 8c qu'elle eft toujours 
racornie le foir, parce que le rôti fe fait avec celui 
du commandant , afin d'éviter d'allumer deux feux. 
Soit pour conferver cette viande tiède , fbit pour 
déguifer la féchereffe qu'elle a contraôée à la bro- 
che vu fa mauvaife qualité , on la laiffe couver, en 
attendant l'heure du fbuper , fur de la braife dans 
un peu de bouillon , ce qui achevé de la rendre ex- 
ceffivement coriace. 

Qu'on ne croie point que j*érige des négligenœs 

paflageres 



[ 17 3 

paffageres en exemples. Non , c'eft la méthode con-» 

tinuelle & journalière i méthode fi bien réduite en 
fyftême y que fi par liafard la nature de la viande 
rend un plat mangeable , on a grande attention de 
remplir le fécond de reftes hideux que l'appétit le 
plus vorace n'oferoit affronter. Le porte-clefs dit-il 
un mot ? on lui répond froidement : Vautre plat 
tfi excellent; ôc il faut fe payer de cette raifon. Eh ! 
que tf a-t-on des mets peints de faïence ou de cire \ 
Ce feroit une avance une fois &ite , & du moins ils 
ne feroient pas horribles à la vue. 

Le vin n'eu pa& potable. Le commandant qui 
prend tout, 8c toujours à crédit, ou par petite quan- 
tité , faute d'argent, eft obligé de tout recevoir ou 
de changer tous les huit jours. On fent combien ces 
alternatives de boifibns font préjudiciables à la iànté. 

Je le demande : le roi donne-t-il fix francs pour 
la nourriture journalière de chaque prifonnier, ( Se 
Ton ne fauroit difconvenîr que cette fblde ne foit 
très-honnête, ) pour qu'ils n'aient que le rebut des* 
valets de baffe -cour de leur geôlier? Dira-t-on que 
Ton ne croit pas placer un homme dans un lieu de 
délices en le mettant au donjon de Vincennes ? Eh 
quoi ! fes triftes habicans ne feroient-ils point affe2 
malheureux quand leurs alîmens feroient paflàble- 
ment accommodés ? Encore une fois , à quoi eft 
ideftinée cette penfion fi ce n*eft à la nourriture de 
chaque prifonnîer ? Et ceux qui font détenus à leurs 
frais , pourquoi payeroient-ils les menus plaifirs du 
comoiandant ?- Pourquoi avec leur argent ne peu« 



[ i8] 

vent-ils pas être bien nourris ? Pourquoi leur en coûte • 

t-il un écu pour un repas tel que leurs domeftiques 

. demanderoient leur congé , s'ils étoient obligés de 

s'en accommoder ? 

En confidérant ces mets qui font redouter les be- 
foins de la nature , je me figure un homme âgé , ac- 
coutumé à une chère délicate ou foignée , moins 
éprouvé que moi par toute forte d'événemens , de 
revers Se de voyages , dont le cœur foit dépourvu 
d'affèâions vives , ôc l'efprit vuide de chofes , qui 
par conféquent donne davantage à fes goûts phyfî- 
ques , à un fens tout matériel , le feul , hélas ! dont 
l'aftivité pourroit être exercée dans la cruelle pofi- 
tionoù il gémit; & qui reflente avec plus de force des 
privations qu'il n'a jamais connues ; quelle vie , me 
dis-je à moi-même, quelle vie mene-t-il ici? Les 
heures du repas , peut-être les feules où il fe pro- 
mettoit quelque plaifir , deviennent une partie de 
fon fupplice. Son geôlier barbare vient en dépit de 
la nature mêler un tourment moral à une impref- 
(ion purement phyfique. Si le plaifir des êtres fenfi- 
bles eft l'inftrument de leur confervation, le dégoût 
joint à tant d'autres chagrins doit ruiner lentement 
la fanté , Se c'eft ici le plus grand des malheurs 
que d'être malade fans périr. Des viandes demi-crues 
ou recuites plufieurs fois , dures à ne pouvoir être 
triturées , ou voifines de la corruption Sc dénuées de| 
iùc y fonnent une nourriture auflî mal-faine que dé- 
iàgréable. (12) Quel fentiment d'honneur 8c de pitié 
fuppofer à un homme qui peut fe réfoudre à gagner 



uni modération 8C fans mefiifê lut les alimens d W 
malheureux qu'il tient aux fers ? Cet homme n'a 
cependant aucun frein qu^ fa propre confcience : 
perfonne ne le fiirveille : on ne peut fe plaindre 
qu'à lui ou par lui t il eft partie y juge Se témoin ; 
comment ne feroit-il pas âuflî bourreau ? 

Avant que de pafler à cette importante obfèrva- 
tion y il faut raconter quelques autres brigandages 
qui n'ont point de nom j & dont l'un infiniment eP 
ièntiel dans fes fuites ^ donnera quelque idée des 
principes de l'adminjftrateur qui en eft capable» 



..^49.^ 



tru^i 




Bi 



[ f * J 



NOTES 

t V PREMIER CHAFJTREé 



(I) 1] 



L y B un médecin y un i:hirurglen-major , un dentlfle , uil 
oculiAe ^ un confeflèur , Un aumônier , 8c toutes fonts d'ouvriers 
attitri^ ail donjon de Viitcennus « outre lis troi» pbrte^lefs 8c 
les dômtfUqués que le roi entretient âUx prifbnniers d'une cer« 
taine claâè. Il iburnit libéralement i, dit* on, des vêtemens 8c 
autres commodités de cette efpece à ceux dont il paie les pen-^^ 
iloifs. On comprend combien cks détails réunis emportent dt 
dépensés*' 

( 2 ) Appointemens & l'un des jardins ^ • • • liv. 9«oo 
Places mortes, 1 8 liv. par jour. • ••»*••• <557o 



M^ 



Total liv. IS57® 
Trois autres jardins , un logement vade à la porte de Paris « 
dans une iltuation aufll belle qUe celle de Vincennes , 8c qui 
donne à celui qui en jouit les exemptions de$ maifons royales t 
Ibnt-ils trop évalués 2400 îiv»? 

( O La viande , dont le prix éôurant , bœuf 8c veau , eft à 
Paris de 9 f. , n*en vaut que 8 à Vincennes , 8c 7 fans veau. Par 
un privilège fondé de tout tems fur Is gros débit habituel du 
donjon , le commandant la paie llx liards de moins que le par* 
ticulier. Comptons les trois livres par jour pour chaque pri-* 
ibnnier. • • . • liv. i fé i 
Une bouteille de vin • • ib ( Très-ckérement évaluée vu 

Pain. • 4 la qualité.) 

Accommodage» • • • • 10 

Total liv. 2 f. 5 
Veut'^n ccMnpter les deflêrts ? deux par fèmaine , fîités à la valeur 
de deux fbls , font annuellement par priibnnier 10 liv. 8 £ , oU 
pour tout le donjon 124 liv. 16 f. 

( 4 ) On doAiie à un prifbnnier quatre ferviettes 8c deux tor- 



chons par femaine , 8c une paire de draps par mois ; fix ehan- 
4elles par femaine en été , 8c huit en hiver. Huit à la livre valant 
12 fols , il fuit qu'un prifonnier ufè chaque année pour t% liv. 7 (^ 
de chandelle. Relient plus de 4) liv. pour le blancfaiflâge à mon 
calcuL On remarquera que ceux qui (ont détenus à leun fois, 
paient leur blanchiflkge indépendamment de la nourriture. Au 
refte « mon évaluation eft fondée fur le réfiiltat èet états du 
linge donné chaque mois depuis pluHeurs années. 

( O Le commandant de Vincemies compte , au nombit de 
£ts dépenfès , l'entretien des meubles • C on verra plus Jus quels . 
font cts meuble^ , 8c quel eft leur ennoeticn ; il lésa toiuicbctét 
de M. Guionnet, Ion prédéceflèur « |tf iiv. par charnière 9 J'Sc 
celui de la chapnelle. Elle lui coûte^deur bouteilles de vin fieus 
les mois ; les cierges peuvent mcmterâ 6lbf» par an* 

(6) M. de Rougemont a dû iv^^ Booo liv. à. un j^orte* 
clefs , 8c doit encore 40CX) à un autre. C'eft lui qui touche leurs 
gages qui font de 600 liv. Quant à cèûs qui £ant retirés 9c v^n- 
flonnés , après les avoir Sait attendre des années entttres « il a. 
converti leurs penfions Se arrérages- ea dette partici^eie » es 
leur fàiiànt fon billet. Cette ines^ôiruik » ou plutbr ^mioSf 
délité porte ftir tour. Diroir-on qu\2a pri^nier ufê pout'-^o ou 
50 francs de fbuifers par an ? Tout l'azgent des détenus, peilfion 
ou autre , eft entre les mains de M» de Rougemont qui ^ ne refl 
peâant jamais ce dépôt , 8c fe trouvant toujours ans argent , £dr 
attendre aux priibnniers , comme oa le verra dans la fuite ,,let 
befoins les plus urgens des mois entiers , 8c ne Uvre que des 
fournitures déteftables. 

( 7 ) Je ne parle point de la nourriture en maigre. On fait que 
raccommodage y eft plus néceftâire«ncore qu*en gras. Au refte^. 
ce font des légumes , des harengs , de la raie. On donne trois 
plats , qui 9 dit-on , feroient fupportables û, le cuifîmer le vouloir. 

( 8 ) Les trois quarts de la femaine, ce font des morceaux de 
collier de bœuf qu'on donne pour bouilli aux prifbnniers ; 8c 
toutes les femaines , l'entrée d'un certain jour, eft de foie de 
boeuf noyé dans des oignons » 8c celle d'un autre, des tripes 



f»»} 



tb) O nom 4e p^rte-^eUfs n^a p9S befbîn d^expHcatlon* Les^ 
port^ -^ deis enièrment 3c fervent les priibnniers« Ceux qui ont 
un domeiUque i^ qu'on nourrit (le leurs refies , paient pour lui 
900 liy. de penfîon. On donnoit autrefois aux domeftiques une. 
boutelUe d.ç vin* M. de Rougemont les a réduits à une demie ^ 
jbus le prétexte que le maître ne pouvoir pas boire toute ù. 
l)OUteilie , 3c que ce rçfle équivaloir à la de.mie fupprimée. 

( 10 ) Un portc-cfefi de fes amis lui difoit ùti, jour que Icf; 
plaintes unanimes des pnibnniers pourroiént lui nuire auprès 
de fbn maîti». « Mon enfant 9 répondit Fintrépide c\iifi(iier^ mon 
» m^»re n^e doit phis de deux miUe écus que J'^i ^v^océs pour- 
y> lui ^ il ne £iuroit me renvoyer &hs débourfo^.plus de yingt 
SX mille francs ; car je lm;ai valu cela de crédit. Crois qu'il perr. 
» droit plus que moi en me perdant , 8c qu'il ie &it bien. ». 
Cela efl par&itement calculé ; refte à iàvoir il le gouvernement 
voudra être en tiers de cette i^éculatîon». 

s 

*■ • - . " 

( II > €et ordre cft fondé fiir Fheure défîgnée pour fe fermer 
tttre des portes en hiver. ( Cinq heures. ) Frivole pitétexte î^ car 
pendant trois mois de Taimée» M fait nuit à quatre heures , &: 
pendant iix , le^ jour dure jufqu'à huit ou neuf :'de plu$ « quand 
il y a des ouvriers , ce qui eft.Qrès'-firéquent ,.on ne ftrme qu'à 
huit heures» Après tout, la Iknté des prifonniers .-n^ yaut-elle^ 
donc pas la peine de bai(!êr les ponts ? Qui ne. v!oi$ que ki.véri-. 
table raiibn de cet arrangement efl qu'il faut que H lèu dv rôti 
iii commandant ferve i celuides prifonniers l :^ , 

( li ) M. Hecquet qui , dans fon Traité de ladigeJlwnA.^ttxl-^. 
bue la plupart des maladies aux vices de la digeiïion , dit ; 
Quelle efl une forte tTélixatibn , & qu^ainfi c\fl foulager ie travqik 
de teflomac , q^e ie Uii donner des viandes bien, qpprét^s.^ 



X 



[ ^3 ] 

CHAPITRE IL 

Autres détails pécuniaires. Par quelles manœuvres 
on a été aux prifonniers tout moyen de plainte • 
Vijites du lieutenant de police. Formalités nécef- 
faires pour écrire , lors même que le minifire en 
a laijfé la libertés 



j 



'AI dît que le roi pafîbit trois cordes de bois paf 
prifonnier. Le commandant s'en arroge une y ou du 
moins le prix d'une quitte & net, fous le prétexte 
de l'entretien àes corps-de-garde , qui font fournis 
par le roi , & qui même ^ dit-on , ont un excédent 
accordé par le gouverneur. Ce bois eft évalué fur le 
pied de deux louis la corde. , foit pour les prifôn- 
niers au compte du roi^ foit pour ceux qui font à 
leurs frais , aa lieu de trente-fix livres qu'il coûte 
réellenjent,.(i) Les deux€ordes de boisdeftinées à 
chaque cheminée y font donc payées Gx louis à M. 
de Rougemont, & ne lui en coûtent que trois, C'eft 
encore un objet dé huit cents foixante & quatorze 
livres annuelles , en fuppofant toujours douze pri- 
fonniers y que je n'avois pas comptées au nombre 
des profits- de fa place. Vous croyez peut-être que 
ce bois, fi chèrement acheté, eft du moins à la dilpo- 
lîtion de ceux qui le paient, ou pour qui on le paie ? 
Vous vous trompez beaucoup. Les porte-clefs ont 
ordre de ne faire aux prifonniers que deux feux par 

B4 



V 



[ M } 
jour 5 c'eft-à-dire , de ne mettre du bois dans letirf 

poëlles ou cheminées que le matin en entrant chez 
eux, & une autre fois au dîner ou au fouper. La con- 
fommation de chaque jour ne doit monter qu'à fix 
bûches Se huit au plus , fi eUes font petites. Voici 
maintenant quel eft l'objet de cette incroyable vole- 
rie. L^excédent des deux cordes à la fin de l'hi^ery* 
€ft au profit du commandant ; car les porte-clefs 
n*ont ici que les reftes qu'on ne fauroit leur 6ter } 
ceux des alimens que les prifbnnrers jeteroient par 
teurs lucarnes plutôt que de les renvoyer y de peur 
qu'ils ne leur revinflènt encore. Si quelque porte- 
clefs 9 rfayant point de famille , veut les revendre 
dans le village de Vincennes, les payfans n'en offrent 
rien. Cèjî de la nourriture du donjon ^ difent-ils y 
^ue vùule^^vous qu'on en fajfe î Tant la réputation 
d : M. de Rougemont elt bien établie. ( 2 ) Mais. 
l'excédent du bois, dont nous parlions tout-à-l'heure, 
èft tel que fur deux annéesr de chauffage , le comman- 
dant en gagne une , en y comprenant les cordes quH 
ne foutnit point 8c qui lui font payées. 

Un prifbnnier eft- il malade? Il eïl évident que 
ion porte-clefs a beaucoup plus de peine à le fèrvir. 
Il faut monter fbuvent à fk chambre , aUer cher- 
cher des médicamens , quelquefois le veiller : en 
un mot, l'ouvrage & là fatigue décuplent.- Il paroî- 
troit d'autant plus naturel de laî/Ter la nourriture du 
prifônnîer à cf t homme 5 qu'aflurement le malade la 
paie comme s'il la confbmmoit. Voici l'ordre qui 
s'obfervoit avant M. de Rougemont. On donngit 



aa porte-clefs trois livres de viande pour failli le 
bouillon du prifonnier dans ùl chambre , & fous fks 
yeux. Son bouillon étoit bon y & la viande reftoit à 
fon garde. Cet ordre fimple & décent eft changé. Le 
commandant a aiTuré aux malheureux habitans du 
donjon de Vincennes ^ que leur bouillon fait chez 
lui fëroit infiniment meilleur. Il eft arrivé^ ce que 
tout le monde avoit prévu, . M. de Rougemont a 
envoyé du lavage , 8c la viande eft reftée dans £a cui- 
fine. Ceci n'eft qu'une léfinerie j voici une horreur. 
Un prifonnier fe conduit mal ou mécontente le 
commandant : il eft mis au cachot ; punition fré*» 
quemment infligée y dit-on y dans ces lieux où tout 
eft cachot *, mais où Ton voit du moins le jour 
dans les chambres ordinaires. Le prifonnier y eft au 
pain Se à Peau. Il eft évident que fi les porte-cleâ 
n'avoient pas ordinairement les reftes de ceux qu'ilt 
gardent y un commandant qui auroit quelque ièntt- 
ment d'honneur y pour écarter toute idée d'in jufiice 
& d'intérêt , & montrer qu'en punifiant il n'a vu 
que la nécefilté de punir, livreroit dans cette occafioa 
à Ces fiibalteraes une nourriture qui n'eft plus à lui, 
puifqu'il en a reçu le prix. Cela s'eft pratiqué ainfi 
jufqu'à M. de Rougehiont ; mais il a mi^ ordre à ce. 
gafpillage ; car voilà comme il l'appelle* Le prifonnier 
refte des mois entiers au cachot , y mange du pain 
arrofë de fes larmes y 8c peut penfër avec juftice que fi 
ia penfion étoit moins forte*, il fëroit moins long-tem$ 
dans cet affreux féjour qu'on peut appeller le cachot 
de la faim. • • • ( 3 ) Les réflexions font inutiles ^ elles 



[i6] 
ii'î^utef oient rien à ce fait qui ne peut être aggravé f 
& fuffit pour caraôérifer la plus fordide & la plus 
impitoyable tyrannie* 

Voilà quel eft Tborame à qui Ton confie un em- 
pire abfolu fur des citoyens privés de tout moyen de 
défenfe , & qu'it a un intérêt très -grand à calom- 
nier. C'eft ici la plus terrible conféquence de la 
conftitution de cette maifon. Il eft néceflaire de la 
développer. 

Sous le prétexte du profond fècrpt qu^exige Tad- 
miniftration d'une prifon d'état , M. de Rougemont 
a écarté tous ceux qui pouvoient dévoiler fès brigan- 
dages ou s'y oppofer. Perfonne au monde qu'un 
confeflèur ne peut voir les prifonniers fans témoin. 
Leièrgent de garde doit noter avec foin l'inftant 
où le chirurgien-major entre , Se celui où il fort. Il' 
lie pénètre dans aucune chambre fans un porte-clefs 
qui a droit ôc ordre de ne pas foufïrir qu'il parle 
d'autre chofè que de l'état aéhiel de la fanté. On 
croiroit que la Nourriture y qui a un rapport immé--» 
diat avec cette fanté dont il eft chargé , ne devroit 
point être exclue de ces converfations reftreintes,. 
Ouvre-t-on la bouche pour l'en entretenir Me chi- 
rurgien-major fe levé & fort. Mais pourquoi cette 
conduite, qui, fens les circonftances, feroit une 
prévarication ? Parce que routes les fois qu'il a porté 
ées plaintes au commandant , celui-ci lui a répondu : 
Ce m Jont pas rosL affaires. A-t-il infîfté en repré- 
Jfentant que la nourriture faine ou mal-faine faifoit 
bien ou mal porter ? ... Fadaifes y fadàifes y monjieur. - 



On vît avec du pain & de Veau. . . . Ouï, geôlier bar* 
^are ! on vit avec du pain 8c de l'eau , fi Teau eft 
pure & le pain bien fait j mais des alimens qui ré-' 
pugnent autant. au goût qu'à la vue ; qui ne peuvent 
ni fè broyer, ni fe digérer , attaquent la vie dans iès 
iburœs , prefque autant que vos autres barbaries , ôC 
lés prifonniers de Yinçennes ne fbntpas votre meute..j< 
Après des débats très -vifs Sc très^fréquens , le chi- 
rurgien a reçu défenfe de jamais parler à un prifon- 
JBÎer d'autre chofe que de fon pouls , car on n'eft point 
malade fi l'on n'a la fièvre 5 & cet homme chargé* 
d'qne nombreufè famille n'a pas voulu rifquer fà 
tranquillité dans une lutte inégale , ÔC vouer uni^ 
guerre éternelle à fon fupérieur. 

Un ancien officier de cavalerie , aujourd'hui capi- 
taine d'invalides , feifoit depuis long-tems les fonc* 
tions de major au donjon de Vincennes que fa com- 
pagnie gardoit. Il vivoit dans la plus grande union 
avec le prédéçeflèur de M. de Rougemont, Mais il 
aVoit un vice originel aux yeux de celui-ci : c'étoit • 
d'être attaché au manjuis de Voyer, gouverneur du 
château dans te régiment duquel il a fèrvi. De ce 
moment, le çpmmandant aftuel, qui prétend être le 
maître au château comme au donjon , ce que n'en- 
tend pas le gou^^erneur 5 a intrigué pour écarter 
M. de la Boifïîere , homme honnête y dépourvu de 
toute influence 5 maïs du moins incapable de com-* 
plidté. M, de Rougemont a eti l'înfolence ou plu • 
tôt la démence de lui faire refufer l'entrée du don-». -. 
jon.de Vincennefi. par un port&sclefs, qu'il a déf^ 



[ i8 J 
voué lorfque le major s'en eft plaint. Celui-ci a ea 

la bonté ou la foibleffe de ne pas mettre le pone- 
çleù au cachot y en portant au(fi-tôt fës réclamationsr 
au miniftre. C'étoit alors le règne de la Sabathin à 
qui M. deRougemont avoit chèrement payé fa place. 
M. de laBoflîere a été d'abord gêné^jenfuite tracafTé^ 
continuellement dégoûté , puis mis aux arrêts , ca^ 
lomnié, déchiré & enfin expuUê fous divers prétex- 
tes. Le nouveau capitaine d'invalides fait les fonc- 
tions de major , pour lefquelles il reçoit 600 livres 
annuelles du roi. Ces fondions fè réduifent aujour*. 
d'hui à aflîfter à la mefle i & M. Vàllage ne voit ja- 
mais un prifonnier. 

Relient donc les porte-clefs .que le commandant 
peut deftituer à fon . gré , accufèr de malverfations ^ 
funir à volonté , ôc même perdre à jamais. Jugez fi 
de pauvres fiibalternes , fi dépendons , oient élever la: 
voix , à fiippofer qu'ils ne lui foient pas tous vendus ? 
PbrteQt-ik les plaintes d'un prifonnier ? ils font, heu- 
reux fi l'on ne s'en prend pas à eux , fi l'on ne les ac- 
taiïè pas de connivence ou de vol. On prétend tou- 
jours qu'ils fe plaighent de la quantité de la nour- 
riture y parce qu'ils y ont intérêt : en vain répetent- 
ite qu'ils ne parlent que de la qualité : t'eù un fiib- 
terfiige : ils difent bien qualité ; mais on lit dans 
leurs yeux qu'ils entendent quantité. Préfentent- 
ik un plat pour preuve de leur dépofition ? (forma-, 
lité qui leur a été très-exprefliment défendue. . . . ) 
guoi y monfieur ! leur répond le commandant , on 
fe plaint ! Eh ! mais le ffiinijite viendrait ici ^ 



[ »9] 

je ne pourroii pas le mieux traiter» {a) Que voulez* 

vous qu'ils répliquent ? Une phyfionomie atrabilaire 
& négative ^ un ton brufque & orageux qui <lur« 
des mois entiers leur apprend à être plus difcrets ^ 
outre qu'ils fentent bien que leurs repréfentationi 
ftériles , les compromettent en pure perte. Quand 
le geôlier principal ( car un homme qui fe conduit 
ainfi mérite-t-il un autre titre ? ) a écarté de la fort» 
tous les témoins dont il n'eft p^ fur > ou effrayé ceux 
qu'il ne fauroit écarter > que ne peut-il pas fe per- 
mettre ? Cet homme impitoyable couvre toutes &$ 
manœuvras du voile de la vigilance ^ 8c fait valoir 
auprès de fes fupérieurs l'infatigable attention qu'il 
met à empêcher que rien ne. pénètre au-dehors« • .r • 
Vraiment il y eft le plus ou plutôt le feul intérelFé. -•^é 
Etre f?u:ouche St cupide ! vaniteux Se vil 1 tyran féroot 
av^c les malheureux qui font ibus ia dépendance I 
efclave rampant avec le dernier des valets de la police 
s'il lui croit quelque crédit ! Il parle de ùl confcience} 
Se cette confcience qui lui défend de nous laiffer 
jouir des confblations les plus indifféf^ntes à la fZb*eté 
de la priibn , lui permet de nous piller comme ua 
juif ne l'oferoit pas ^ de nous donner des alimens 
déteftables au goût ^ mauvais à la fànté« Que de 
raiibn n'a-t-on pas de penfer qu'un homme capable 
d'une telle lâcheté s'efforce , autant qu'il efl en lui, 
de prolonger la détention des prifbnniers, parce 

(a) Ce fbnt fès propres expreflions : je les confèrverai relk 
^eufement toutes les fêii que je le km parler ;.car &n éloci^ 
yJLon tA i«imitaJ>ic* 



[ 30 ] 
qu'il regarde la fortie de chacun d'eux comme un 

retranchement fait à fon revenu ? • • * 
- Je ne rapporterai aucune anecdote qui pourroit 
compromettre ceux dont je les tiens , ou qu'il me 
feroit impoflîble d'appuyer de preuves. Je dirai en 
général qu'on fait pafler pour turbulent ,( 4 ) ou 
même pour fol, plus d'un prifonnier plein de raifon ^ 
qui , n'ayant pas l'avantage d'écrire y ne peut déceler 
cette horrible fraude. Je dirai fur - tout qu'il n'eft 
befbin d'aucun fait particulier pour prouver qu'un 
oppreffeur protégé ^ qui tire un fî grand parti de ÙL 
place , voit avec un regret amer tout ce qui peut en 
diminuer les profits. La chofè parle de foi* Certai- 
nement on ne prend un tel emploi que par amour 
du gain. Un fervice honorable n'eft point mis à 
prix : tout motif de lucre & d'intérêt en fouilleroit 
rhonneur. Mais un office humiliant, û la richefTe ne 
couvroit pas tout à nos yeu3t , où l*on ne peut guère 
que faire du mal , où l'on a du moihs TaÔligeant 8C 
pénible ipeâracle d'une continuelle infortune 5 un tel 
office ne peut avoir qu'une amorce ; c'eft PoR. Les 
Romains récompenfoient celui qui fauvoit un ci- 
toyen avec une couronne de feuilles de chêne î ( 5 ) 
il faut une autre folde à celui qui le tient aux fers. 
Eft-il difficile de fentir qu'un homme qui regarde 
avant tout danî fa charge les gains dont elle eft iiif- 
ceptible , devenant juge SC partie , doit commettre 
toutes fortes d'iniquités ? Que chaque prifonnier lui 
valant au moins foixante louis de pur profit ^ il efl 
intéreffé à le garder le plus qu'il peut? Que n'ayant 



[31] 
aucun iiQoyen de faire entrer dans fa priibn ^ il eft 

poffible du moins qu'il s'efforce d'y faire refler 
ceux^ qui y font détenus , ce qui ne lui efl que trop 
facile par de faux rapports. (6) Enfin , cet honwne > 
notre unique témoin ^ a près de quarante mille livres 
de rente pour être un faux témoin. Qui ne récuiè* 
roit pas en juftice celui qu'il feuroit recevoir an- 
nuellement cent cinquante pifloles pour dépofèr con- 
tre lui ? . . . Eh bien ! c'eft-là à peu près la fituation 
de chacun de nous y ce n'efl pas préciieitient pour 
en dire du mal que notre geôlier reçoit cet argent^ 
mais s'il en dit du bien, il s'expofe à le perdre. Eft-il 
très -probable qu'il fera vrai ÔC impartial ? 

Cela n'eft pas fans exemple , je le fais. Le prédé- 
cefTeur du commandant a£tuel jouiffoit de l'eflime 
générale, Sc fa mémoire eft encore en vénération à 
Vincennes. M. Guionnet, généreux & compatiffant, 
obligeant & zélé , franc & aftif , s'emprefToit d'a- 
doucir le fort des prifonnier^ qui lui étoient confiés. 
Il les voyoit fbuvent : il les confoloit : il leur promet- 
toit de les fervir , Se leur tenoit plus qu'il ne leur avoit 
promis : il fournifToit une nourriture abondante , 8c 
avoit des attentions recherchées pour ceux qui les 
méritoient. On l'a vu envoyer dans des ferres chau- 
des pour fatisfaire la fantaifie d'un convalefcent. (7) 
Ce digne homme quihonoroit fà place, ÔC s'élevoit 
fort au-deffus par fes procédés , en à reçu la récon)- 
penfè. Il: a été adoré de ceux qui dépendoient de lui, 
Se èftimé de tous ceux qui l'ont connu : tout le 
inonde s'eft emprefle de liû rejj^dre juftice : il a ac- 



y 



[ 3ï] 

tjuls par de bonnes voies y par une Tage économie^ 

vne fortune folide Sc pure. U s'eft trouvé en état 
de faire de grofles avances au roi > Scies prifbnniers 
n'ont jamais foufFert des crédits qu'il étoit obligé 
de fiipporten Vous remarquerez que la folde d'alors 
«toit d\m quart moins forte que celle d'aujourd'hui^ 
(8) & que M* Guionnet ne jouifToit pas du jardin 
dont on offre fix mille livres de ferme. Je rends cet 
hommage à la feule vérité j car je n'ai jamais connu 
ce galant homme ni aucun des fiens*, mais j'ajoute 
qu'on auroit tort d'efpérer que fbn exemple fût fré- 
quemment imité. Eh! pourquoi compter iiir une 
vertu il rare que le défintéreffement ? Pourquoi en 
faire dépendre le fuccès d'une adminiftration y quand 
cette imprudente confiance n'eft pas néceffaire? 
Pourquoi expofer les hommes à des tentations trop 
fortes pour leur fragilité ? 

Mais, dira-t-on, ne fiiit-on pas des plaintes au lieu- 
tenant de police ? — Eh ! comment lui en feroit-on ? 
— Au tems de fes vifites ? — Il faut fàvoir ce que 
font ces vifites* 

Le lieutenant de police vient ordinairement une 
fois dans Tannée à Vîncennes, pour y faire fbn inf- 
peâion. Il trouve chez M. de Rougemont un fbmp- 
tueux Se fplendide repas , où l'on a réuni tout ce 
que la délicatefle la plus recherchée peut inventer. 
Kje magiftrat n'imagine pas fans doute que la même 
^chere foit faite aux prifbnniers j mais on a foin de 
lui infinuer que le cuifînier , dont il vient de faire 
i'éloge^'efl celui du donjon : (9) le lieutenant de police 

en 



[ 33] 
en conclut que les mets qu'an y fert font du moins 

très-bien accommodés. C'eft dans cette opinion qu'il 
monte aux tours. Il y refle à peine une heure y &C 
n'y voit qu'un certain nombre de prifonniers. Cha- 
cun d'eux n'a que quelques minutes d'audience. L'af- 
feire de fa liberté eft celle qui l'occupe uniquement. 
La rapidité de la vifite l'étourdit : il fe hâte : les 
idées fe prefTent , fe choquent & s'étouiîènt : les 
moins importantes s'éloignent : on perd dans une 
continuelle fblitude la facilité de l'élocution , de la 
préfence d'efprit néceffaire pour récapituler en très- 
peu de mots des chofes fouvent fort compliquées. 
Que fi l'on fe décide à toucher ce point délicat de 
la nourriture y demandera-t-on que le commandant 
forte ? C'eft s'en faire un ennemi y & quel ennemi ! 
C'eft auifi lui dire , ce dont il fera queftion en ion 
abfence. li eft împoffibie qu'il n'ait dans le nombre 
de fes prifbnniers quelqu'un qui préfère de le flatter 
à dire des vérités dangereufes : il fe hâtera de le foire 
paroi tre : un feul témoignage en fa faveur balancera 
dix plaintes j car on fe méfie de Phumeur des plai- 
gnans. Attendra-t-on d'être interrogé ? Mais inter- 
îoger des prifbnniers devant la perfonne intéreflee y 
dont ils font fi dépendans^ n'eft*ce pas leur demander 
des louanges \ Les gens fages ou mddérés éludent là 
répohfe , ou la font équivoque. Ils fe taifent y s*Hs 
né font point interpellés : le témoignage des autres 
ae paroît d'aucun poids. Le magiftrat y diftrait par 
tant dL'autres occupations , qui ne vient que pour la 
forme ^ qui eft preflé , ennuyé , fait des rçopmmjin- 

* C 



[ 34] 
dations vagu€S j & prend le plus léger prétexte po: f 

fe perfoader à lui-même que tout eft en ordre, parce 

que cette perfuafion lui ôte l'embarras de réparer le 

défordre* Ce n'eft pas ainfi que l'on procède , lorf- 

qu'on cherche de bonne -foi la vérité. Il faut ôter 

aux malheureux la crainte d'être punis des maux 

qu'on leur fait , fi l'on veut qu'ils s'en plaignent : 

mais non , les gens en place font trop fouvent comme 

les grands & les princes , des enfam menteurs qui 

difent à ceux qui ont des yeux ; m voye^ point ; à 

ceux qui voient ; ne regarde^ point pour nous ce qui 

eft droit & jufte: dites -nous des chofes qui nous 

agréent: que votre œil voie des erreur s pour nous, (tf) 

Mais fi les vifites du lieutenant de police font trop 

rares .& trop rapides pour qu'il s'éclairciffe de ce qui 

ie pafle à Vincennés , n'a-t-on pas la reffource des 

lettres qui font lues à loifir , & dont l'unanimité ne 

fauroit manquer de frapper ce magiftrat ? » 

Ceci mérite d'autant plus d'être examiné que l'on 

y découvrira l'une des plus intolérables vexations de 

ces lieux de douleun D'abord tous les prifonnîers 

n'ont pas l'ufage du papier , & cette grâce n'eft ^ 

dit- on , accordée qu'au plus petit nombre. Quant à 

ceux auxquels il eft permis, voici ce qui fe pratique 

lorfqu'ils veulent écrire, foit au lieutenant de police^ 

ibit au miniftre. 

Le prifonnier demande du papier à le:tre. Le 

porte-clefs communique fa demande au comman- 



[ -35 ] 
dant. Il la lui communique , dis-je, quand il peut 

le joindre > ôc fouvent une femaine s*écoule avant 
ce fortuné moment. Le commandant averti , répond 
qu'il en donnera ; car du papier eft une arme redou- 
table que fes mains feules doivent manier pour en 
émouffer la pointe. Le commandant oublie ou n'ou- 
blie pas fa parole ^ mais les délais ne finifTent point, 
foit qu'il les afïëôe pour faire parade de fon auto- 
rité , ( manie qui fè retrouve à tous les pas dans fà 
conduite , ) foit qu'il ait une répugnance réelle , ( à 
la vérité très-bien fondée,) à livrer aux prifonniers 
des moyens de ië plaindre. Le porte-cleft le retrouve 
enfin : il lui renouvelle la demande du prifonnier , 
& lui rappelle fa promeffe : il reçoit cette feuille 
tant defirée , 8c Tordre d'avertir quand la lettre fera 
écrite. Lorfque la nouvelle en vient à M. de Rouge- 
mont qu'on a iong-tems couru , il promet de quoi 
Faire l'enveloppe. Nouveaux délais non moins longs 
que les premiers. En vain Tinfortuné qui attache peut- 
être à fa lettre l'efpoir de fon falut, qui s'eft efïorcé 
d'attendrir fon perfécuteur , fon juge , fon parent ou 
le miniftre, la perfonne enfin à laquelle il écrit \ en 
vain il gémit. Le porte-clefs eft un être paflîf ; il 
faut obéir. • ... Le papier , la cire font-ils délivrés? 
yous ne prendre^ , lui dit-on , la lettre de tel nu- 
méro , [a) que lorfque je vous le dirai. • . • Et l'im • 
pitoyable perfécuteur recule encore des jours en- 
tiers. — Que l'on n'imagine point qu'il y ait ici d'en- 

' (a) On ne nomme jamais les priibnniers du donjon de Vjn- 
cennes que par le numéro de leur chambre. 

C a 



Jumyiure : c'eft le trait fimple exaftement deflîné j 
& cette conduite a penfé coûter la vie à un porte- 
cleft qu'un prifonnier, au défepoir de fes refus réité- 
rés Scies lui imputant, effayad'aflbmmer d'un coup 
de bûche. Cette lettre achetée par tant de pas d'un 
côté , tant d'inquiétudes ÔC de foupirs de l'autre î 
cette lettre couverte d'une enveloppe à Tadreffe du 
<:ommandant, tombe ouverte entre fes mains. Il 
peut donc la fouftraire, s'il lui plaît, & s'il n'ofe 
prévàriquer à ce point j de peur des conféquences , 
il fait du moins s'il eft attaqué , de quel côté il l'eft, 
& comment parer à l'attaque. Croyez-vous qu'un 
prifonnier hafarde volontiers entre fes mains des 
plaintes qu'il traitera fûrement de calomnieufes , Se 
qu'il pourra faire démentir par des témoignages 
contraires ? 

Quelqu'un demande- t-il à cacheter une lettre ? 

L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie : 
Pluton fort de fon trône : il pâlit , il s'écrie ; 
U a peur que ce dieu dans cet af&eux féjour , 
D'un coup de fon trident ne faffe entrer le jour ; 
Et par le centre ouvert de la terre ébranlée , ^ 
Ne faffe voir du Styx la rive défolée 5 
; Nç découvre aux vivan* cet empire odieux, 
, Âbbprré âss mortels & craint même des dieux, (à) 

Pârîonô fàrfs figurée M. de Rougemont arrive hale- 
tant Se courroucé.... Quoi! monfieur, vous de- 
mandez à cacheter une lettre ? — Oui, monfieur. -- 



«iata 



(a) Boileaiu . 



[ 37 ] 
Ce n*est pas la règle. (Réponfe banale à. tou- 
tes les plaintes , à toutes les demandes j voile, reli- 
gieux qui couvre les manœuvres les plus cruelles, ) Ce 
n'eft pas I^ règle , ôc cela ne fera pas. . . . Mais c'eft 
au lieutenant de police que j'écris. - - N'importe : 
apprenez qu'il ne fort rien de cacheté d'icù-t-J'ap- 
prends là quelque chofe de fort extraordinaire. -— 
Point du tout, j'ai cent lettres du miniftre.qui 
m'ordonnent de tout lire. -— Monfieur , vous trou- 
verez bon que je lui demande fi cela ne ièroit pas 
fujet à quelques exceptions. -— A la bonne-heure ; 
je le lui demanderai de votre part. — Soit , mon- 
fieur i mais comme c'eft une grâce perfonnelle ,. je 
la follkiterai direftement. -— Singulière réponfe! 
monfieur , très-finguUere ! . . . Comment une lettre 
cachetée ? Mais c'eft inouï : on pourroit donc dé- 
biter toute forte de calomnies ? . . . Oh! monfieur, 
il faut que cela fe prouve. -— Eh bien ! monfieur-, 
que craignez-vous ? Dès qu'on en vient à la preuve , 
il faut que la plainte , fi c'en eft une , vous foit com- 
muniquée, (lo) .... On fent qu'il eft difficile de ré- 
pondre raifonnablement à un tel argument ^ mais 
cet homme s'enflamme à chaque mot que vous pro- 
férez : il trejfaillit : il tremble : il lance des regards 
menaçans , femblable à ces tyrans hagards & fa- 
touches , tels qu!on en voit dans de vieilles hautes li- 
ces, (a) Alors il fe croit difpenfé d'avoir du bon fens 

(a) But Appius reddens at each word y ou fpeah , 
Andjlares, tremendoiis , with a threat nin^ eye 
Litte SoïïK fierce tyrant in old îapeflry. (Pope. Dunciad.) 

C3 



[ 38 J 
êc de la' décence. Un flux de paroles noie la difette de 

rahbnsydcla véhémence , naiiTant de la véhémence , 

il fuit un torrent de reproches & de menaces.... On fe 

plaindra 9 .#.- on rendra compte.... Les hauteurs n'en 

împofent point, ... on en a bien vu d'autres.... On 

NE TRAHIRA PAS SON DEVOIR , (expreflîon fevorite 

de M* de Rôugemont qu'il répète à tout propos en 

fingeant l'air d'un héros Romain. ) ... On eft lliomme 

du roi. ( Oui , le geôlier du roi. Le bourreau eft auflî 

te bourreau du roi •, mais il fait du mal par devoir 

Çc M. de-Rougemont en fait par plaifin ) On doit 

ÊTRE EN TIERS DE TOUT CE QUI SE PASSE ENTRE 

ÊE^MisoNNïER ET QUI QUE CE SOIT. ( Bizarre & 
tjnès^injfolente prétention ! . . . ) Le prifbnnier cede- 
t-il? Id le*fre ne part point. S'obftine-t-il? la guerre 
cfi déclarée entre le geôlier & lui j & celui-là eft 
probablement le plus fort. Qui fait toutes les calom- 
niés qui vont déchirer x:e captif indocile ? Sera-t-il 
à même de fe défendre ? Eh ! qui ne craint pas d'ag- 
graver fbn affaire ? d'indifpofer les fiipérieurs , de 
s'étérnifer dans fon cachot par une obflination in-» 
difcretè ? . . . Vous aurez beàii chercher , difcuter 8c 
débattre : vous n'éviterez jamais l'inconvénient de 
réunir fur la même tête tous les pouvoirs, ÔC de 
mettre en contràdiftiori h devoir & V intérêt^ tant 
(jii'urt homme fera à la fois le geôlier, le fournif- 
leur 5 &C le rapporteur des prifons d'état. . . . Mais 
nous n'en fommes point encore aux réfiiltats. Con- 
tinuons Texpofition des faits. 

© 

/ 



[ 39 î 

NOTES 

B V SECOND Chapitre. 



(i)C] 



'ES 12 llv* d'excédent paflènt (bus le prétexte des frait 
de fciage & de montage, qui font cependant débourfés par les 
porte-clefs , lefquels doivent être plus qu'inderanifî^s , dit M. de 
Rougemont , par ia vente des cendres* 

( 2 ) Les porte^leâ font parvenus à tirer de ces refies trois â 
quatre fols par jour , en les donnant à une revendeufè qui nourrit 
les gagne - petits , les mendians , &c. C'eft environ un fol par 
reftes de prifbnnier. 

(l ) Voyez l'effiroyable récit du comte Ugolin dans le Dante» 
(Chant. XXXIII.) 

Brève pertugio dentro délia muda , 
La quai per me haH tiiol délia famé» 

( 4 ) Rien de plus aifé : on interprète un mot « un gefle : on tk 
hâte de fblliciter , pour la fureté des porte -clefs, la permiffîoA 
de faire mettre un guichet à la porte du prifbnnier : cela ne fê 
refiife point : de ce moment à tout jamais , on n'entre chez ce 
malheureux mal noté qu'une fois par jour Se à trois : tout aimé 

X 

meflàge pailê par le guichet. 

(s) O mores atemos ! qui tanta opéra honore folo donayerimf^ 
& cum reliquas coronas auro commendarent , fnkttem civis in, 
pretio ejfe noluerint , clara profejlone ferVare quidem hominem 
ntfas eJTe lucri caufa. C Piin* } 

< 6 ) On m'a fait à ce fujét une plaifante réponfè : Pourquoi 
Fenfoupçonner puifque vous rCen êtes pas capable ? Ma répliqtiQ 
eft Hmple : Je fuis très-incapable de voler , & cependant je ferma 
mes portes. 

(7) On pQurroic citer encore M* le marquis du Châtelett 

Ça 



[40] 

S^venicur de Vineennes « qui s'étoit chargé de la dire^^ion du 
donjon , parce qu'il réfidoit au château. Un homme de fa fort» 
ne pouvoit fe mêler d'un pareil détail uns qu'il lui devint riii- 
flcux , & il s'y efl dérangé, 

( 8 ) M. Guionnct n'a voit que 4 liv. 10 fl par tête de prUbn- 
nicr ; h je crois, fans en ètrc^fûr , qu'il avoir deux places mortes 
de moins que M. de Rougemont, Il a avancé jufqu'à vingt mille 
écus au roi. M* de Rougemont a diminué toutes les portions que 
M. Guionnet avoit fixées* Je n'en citerai qu'un exemple. Il étoit 
d'ufkige de donner pour un des plats des jours maigres , trois 
harengs ou trois merlans. M. de Rougemont a charitablement 
trouvé que ces poifTons étoicnt trop petits. Il a ftatué que défor- 
mais on n'en donncroit que deux ; mais qu'ils feroient beaux* 
Oui n'auroit cru , d'après cet arrangement , qu'il n'y auroit 
point de place pour le troifîeme ? Autrement le changement 
étôinifurah'e.. » » On n'^ plus que deux harengs ou deux merlans 
rares par leur petiteflê. 

( 9 ) Tai honte y dit modeflement M. de Roug&ment , d^ avouer 
que mon cuijinier a été celui de M. de Marmontel. Eh ! vrai- 
fnent , (Teà précifésnent à cauiè de cela que les prifonniiers font 
fi mal. : 

. .^ ( ip ) C'eft l'exaéie relation d'un commencement de conver- 
&ttQn k ce. fujet entre M. de Rougemont & celui qui écrit. On 
fent bien que ce prifonnier , quel qu'il foit , ne prétend pas 
dérober fon nom à un homme dont il fe croit obligé de dévoiler 
Ja turpitude. Vous remarquerez que je fuis peut-être de tous les 
prifonnieis le plus ménagé par tout plein de raifons qu'il eft 
inutile dc.déduire, Se qui tienûifnt beaucoup moins à mon exif- 
tence qu'à la bonté de M. le Noir, par l'éloge duquel j'àî com- 
mencé cet ouvrage. 



[41] 




CHAPITRE III. 

Adminifiration int&ieure du donjon, de VinttnncSm. 
. Arrivée : chambres : leâures : promenades : vifites 

du commandant : précautions à là fortie des pri- 

fonniers. 



Q 



u'ON ne croie pas que les Tcexadons ténébrefufès 
de cette prifon fe bornent à ce que je viens d'en 
raconter : j'en vais achever le tableau. On a pu , fur 
ce qui précède j fe former une idée de Tame de 
M. de Rougemont : pour concevoir ce qui (]^% i^ 
faut connoître la trempe de fon caraôere 8c de' fbn 
efprit. 

Cet homme a toute la bouffiflure de la plus or- 
gueUieufe ignorance ; c'eft un ballon rempli de vent. 
Pénétré du fentiment de fa propre importance , il 
voudroit l'infufer à tous les autres , ôc fe faire re- 
garder comme un homme effentiel & nécefTaire à 
l'état. Il le dit : il le croit même , tant la bêtife eft 
préfomptueufe , ou tant l'habitude de mentir incor- 
pore le menfonge au menteur. Comme la vanité 
n'eut jamaîs un plus dégoûtant coftume , il reçoit 
de fréquentes avanies de tous ceux qui ne lui font 
point fiibordonnés ,'& fes prétentions toujours re- 
poufféés 5 ( I ) renaiffent toujours du fèin des humi* 
liations. Comment s'en dédommage-t-il ? En faifant 
courber fous le poids de fes fantaifies & de fes 



[4iJ 
caprices ^ tout ce qui eA dans fa dépendance. Inca- 
pable de tout , ôc réduit à fe iaire valoir par des 
riens, fa ftupide cervelle, agitée fans cefle par 
Tamour-propre, s'évertue continuellement à trouver 
quelque moyen d'étendre fon empire , de multiplier 
les précautions , de faire , de dépure , en un mot , 
de jouer \m rôle. Il va traînant par-tout fon énorme 
corpulence : les farcafmes pleuvent fiir lui : n'im- 
porte : il continue en bourdonnant fon ajfoupijfantt 
allure : le railler , c'efl fouetter un fabot: plus on le 
fouette , mieux il dort. ( i ) Mais au donjon , c'eft 
un décote abfoiu qui jouît lorsqu'il peut ouvrir des 
cachots , river des chaînes , appefantir un fceptre de 
fer. pardez- vous de prendre fon perfide patelinage 
pour de la douceur : vous donneriez d'autant plus 
aifément dans fes pièges , que fa lourde élocution 
inipirè plus de fécurité : il a la malice comme la. 
figure d'un finge , fans en avoir Vefynr: allez droit 
à votre but : ne Iç foivez point dans fes pefantes 
gambades : la moindre apparence d'une contradic*» 
tion le met en fiireur : il écume : modérez -vous : 
laiiTez-le enferrer : foyez ferme : bientôt il fera fou^ 
pie de rampant : vous n'obtiendrez rîen que de 
vaines promeflës ; mais il vous craindra : fi vous 
fléchifiez , il vous opprimera : fi vous lui donnez; 
prife , il vous étouffera. 

Dès le premier moment de fon . règne , il prédît 
hautement que tout changeroit au donjon de Vin- 
cennes , ( 3 ) Se tout a changé. A force d'intrigues , 
il a écarté tout <fe qui pouvoit Iç contrarier &c le 



[43 ] 
Surveiller. Ces magiques paroles ^ le secret , LA 

SÛRETÉ , lui ont fuffi pour bouleverfer cette maifon. 
Ilfemble à l'eatendre que tout feroit perdu, ôc l'état 
en danger , fi Ton favoit le nom d'un prifonnier. Les 
gazettes annoncent -la détention de ceux que l'on 
peiUMappeller prifonniers d'état , fi l'on excepte ces 
hommes qui quelquefois , au mépris du droit de la 
nature & des gens , font arrêtés & dérobés^avec foin 
à la connoifiance des puiflances intérefiees. Un tel 
crime fe commet à peine en un demi-fîecle. Quant 
aux prifonniers de femille , de bonne - foi , où eft 
l'importance d'un iècret fi profond qu'il faille tout 
leur refufer & pre/que les étouffer dans leurs cachots , 
de peur que leur exiftence ne foit connue ? Si leur 
geôlier le pouvoir , leurs poêles leur ferviroient de 
priibn. On croiroit , à voir ks inquiétudes vraies ou 
feintes , que c'eft un ouvrage exceflîvement compli- 
qué que de i^s garder ; on en va juger. 

Tout le monde connoît la ftruôure du donjon de 
Vincennes, commencé par Philippe de Valois, {a) 
fini par Charles V , & fi folidement bâti qu'il ne 
porte pas encore la moindre marque de vétufté. Il 
faudroit du canon de batterie Sc du plus gros cali^ 
bre pour y faire brèche. Des fofles profonds d'en- 
viron quarante pieds , larges de vingt pas , & revêtus 
en pierres de taille l'entourent. Ce revêtement eft à 
pic, & vers le haut, il règne une corniche ou phitôt 
un tahis qui faille tellement en-dedans , qu'il faudrait 



[, (a) En ji^7« 



[ 44 ] 
fe renverfer pour le franchir, de fbfte qu'un homme 

parvenu dans les foffés , ôc fans intelligence au- 

dehors , feroit auffi fûrement renfermé que dans les 

tours. 

Suit une enceinte formée d'une feule entrée que. 
défendent deux feminelles & trois portes, Celiisqui 
communique au château ne peut s'ouvrir ni du de- 
dans indépendamment du dehors , ni du dehors in- 
dépendamment du dedans. Il faut qu'un porte-clefs* 
& le fergent de garde y concourent tous deux. De là 
on arrive aux tours. Trois portes en ferment encore 
l'unique entrée. Il faudroit de l'artillerie pour les 
forcer. Toutes les falles qui féparerit les quatre tours , 
où font les chambres des prifoiiniers :, en ont yne 
prefque de même épaiffeur. Trois autres portes enfin 
introduifent chez eux. Celle qu'ils peuvent toucher 
eft doublée de fer. Chacune, armée de deux ferrures, 
de trois verroux , de valets pour les empêcher de 
couler , s'ouvre en travers de celle qui la fuit , de 
forte que la feconde barre la première , 8c la troî- 
fîeme la feconde. Telle eft la fermeture de ces pri- 
fons dont les murs ont feize pieds d'épaifleur, & les 
voûtes plus de trente pieds de hauteur. 

Ces fombres demeures feroient environnées d'une 
nuit éternelle , fans les vitres obfcures qui laiflent 
paffer quelques foibles rayons de lumière. Des bar- 
reaux de fer en -dedans éloignent de ces lucarnes 
étroites. Des barreaux croifés qui fe traverfent , ôc 
qu'il eft impoffible d'atteindre , interceptent- le joui 
& l'air en-dehors. Souvent entre ces deux grillages y 
il règne un autre rang de barreaux. 



[45] 

Toutes les fenêtres donnent fur les cours ou les 

jardins du donjon , excepté trois chambres qui font 
dans l'enceinte élevée fur la crête des fofles , ôc au* 
deffous defquelles font les fentinelles. Les prifon- 
niers fèroient parvenus dans les cours ou jardins ^ ils 
jrtiendroient leurs porte-clefs aux fers , qu'un enfant 
dans le corps-de-garde en-dehors rendroit leur vic- 
toire inutile. La nuit , la garde rentre : les ponts font 
levés : les portes des tours fermées ÔC vérouillées , 
( on devine bien que les chambres des prifonniers 
le font à toutes les heures du jour & de la nuit, ) 8c 
leurs clefs dépofées avec toutes les autres dans les 
mains d'un officier qui entre & fort avec la garde , & 
n'a aucune autre jurifdiAion dans le donjon. Deux 
fentinelles font pofées de manière à pouvoir veiller 
fur toutes les faces du quarré que flanquent les tours jj 
une ronde pa/Ie toutes les demi-heures fous les fenê- 
tres , & fait matin & foir , avant l'ouverture & la 
fermeture des portes , le tour des foffés , où les 
porte-clefs même ne peuvent jamais pénétrer fans un 
ordre exprès. . . Ne croiriez-vous pas que des cachots, 
ainfi conftruits , ainfi gardés , font inexpugnables? ... 
Vulgaires obfèrvateurs! vous ne iàvez pas quel 
génie il faut pour être geôlier. D étoit néceffaift 
qu'un Rougemont parut pour perfeâionner cet art 
fublime fi effentiel au bonheur de l'humanité ? Cet 
homme 9 dont la nature avoir fi bien déterminé la 
vocation , a fait relever les fenêtres^ afin que le 
prifonnier ne pût voir ni au-defibus , ni au niveau; 
/Se pour achever cette importance ciôuire ^ on a conf- 



truît par-tout des Trémies y qui faîUent en-dehors 
& montent à mi-fenêtre, quelquefois même juf- 
qu'au haut, félon la fituation-^ ce qui n'empêche 
pas que dans la plupart des chambres, il n'y ait 
encore un treillis de fil d'archal tiflu aux barreaux. 
(4) Les lucarnes fe trouvent par tous ces moyens ré- 
trécies ÔC prefque bouchées. L'air eft très-infer- 
cepté.... Qu'importe ? La sûreté , meffieurs, la 
SÛRETÉ j voilà le premier des befoins. Une faut pas 
qu'un prifonnier meure ; car il n'en vient pas tous 
les jours ; mais il eft bon qu'il ait peu d'air. Celui 
de Vincennes eft très-vif : il dpnne beaucoup d'appé- 
tit, difpofition très-dangereufe, quand on ne prend 
point d'exercice. . . . Arrêtons un inftant nos regards 
fur l'entrée d'un prifonnier dans ces lieux que je 
viens- de décrire. 

C'eft ordinairement la nuit qu'il y eft plongé j car 
on s'accoutume en France à la méthode elpagnole , 
qui du moins eft une forte d'hommage que le def- 
potifme rend à l'opinion publique & à l'équité 5 il 
craint d'exciter trop fouvent l'indignation ou la ter- 
reur : il craint que le foleil n'éclaire fes violences. La 
foible lueur d'une lampe vraiment fépulcrale éclaire 
les pas du capti£ Deux condufteurs fëmblables à ces 
fatellites infernaux que les poëtes placent dans le 
Ténare , guident ià marche. Des verroux (ans nom- 
bre frappent fès oreilles & fes regards : des portes 
de fer tournent fiir leurs gonds énormes , & les voû- 
tes retentiffent de cette lugubre harmonie. Un efca- 
Uer tortueux, étroit, efcarpé, alonge le chemia 



l47J 
êc mukiplie les détours : on parcourt de vaftes fal- 

}es : la lumière tremblante ^ qui perce avec effort 
dans cet océan de ténèbres & laifle appercevoir 
par-tput des cadenas ^ des verroux & des barres ^ 
augmente Thorreur d'un tel fpeôacle & l'effroi qu'il 
infpire. Le malheureux arrive enfin dans Ton repaire : 
il y trouve un grabat y deux chaifes de paille Sc fou- 
vent deboi^ y un pot prefque toujours ébréché*, une 
table enduite de graifle. ..• Et quoi encore? ••• Rien..*. 
Imaginez Tefiêt que produit fur ion ame le premier 
coup-d'œil qu'il jette autour de lui. 

Mais bientôt M. de Rougemont fait une utile di- 
verfion. Il commande aux porte-clefs de fouiller le 
nouveau venu Se leur en donne l'exemple , afin qu'ils 
le faflfent avec plus de zèle & d'exaâimde. Il faut 
l'avouer ^ on r^ s'attend point à voir un chevalier 
de S. Lotds remplir un tel office j 8c l'étonnement 
extrême que ce ^eâacle excite^ caulë . peut-être 
une diibaâion £ilutaire. . . • Non ; je ne puis foute- 
nir ce ton d'ironie ; j'ai le cœur ferré d'indignation 
& de douleur , quand je me rappelle les angoiffes 
d'un tel moment. 

. Le malheureux patient eft dépouillé de tous fès 
effets : argent y montre , bijoux , dentelles , porte- 
feuille y couteau , cifeaux j tout lui eft enlevé. Pour- 
quoi ? Je l'ignore : eft-ce pour lui ôter des moyens 
de corruption ? Quel eft le porte-clefs qu'une mon- 
tre, (5) ou une petite (bmme d'argent féduira? Et 
fi l'intérêt peut l'engager à quelques complaifances, 
les tentations les plus dangereufes ne lui viendront- 
elles pas du dehors ? 



[ 48 ] 
Suit une injonâion laconique & hautaine d^éviter 

k bruit le plus léger...^ Ceft ici la maifon dufdenccj 
dit le commandant. . . . Hélas ! le malheureux au- 
quel il parle , fe deïnande fi ce n'eft pas plutôt celle ' 
de la mort. 

Après ces triftes préliminaires , le prifonnier eft 
livré à lui-même j ôc refte le plus fouvent un long 
eipace de tems , iàns revoir M. de Rougemont, Son 
porte-clefs qui , 

Payé pour être terrible , 
Et inuni d'un cœur de Huron , 
Réimit dans fon caraâere 
La triple rigueur de Cerbère , 
Et Tame avare de Caron. {a) 

Son porte -clefs- vient trois fois par jour. Le plus 
fouvent , il ièmble un meflager dHnfortune j car tout 
eft aflbrtidans cette lugubre maifon. Une phyfiono- 
mie auftere 9 un imperturbable filence , un cœur in- 
accefSble à la pitié font les vertus de cet état \ mais 
il en faut convenir ^ le chef l'emporte for eux en 
perfeûions de ce genre conmie en autorité. En vain 
le prifonnier interrogexoit-il ? Une négation fimiple 
eft l'unique réponfe qu'il recevra. Je n'en sajs rien : 
voilà la formule du porte-clefs \ comme : c'est ou 
CE n'est pas la REGLE , eft Celle du maître-geo'- 
lier. Il eft impoffible de fe peindre lafituationd'un 
homme dans ces premiers momens. La réalité portt 



(a) Greflêt. • * 

fil 



f49] 
& mefitre avec elte : un malheur connu navre lé cotixty 

& arrache des larmes j mais enfin on s'eâbrce d'y 
remédier ou de prendre fbn parti : on fe décide {va 
ce que l'on fait : on plie la cête fous un joug inévita- 
ble j Se s'il efè dur de vivre fous la néceflité ^ il nV a 
pas > difoit Epicure > de nécefCté d'y vivre j mais un 
malheur vague ouvre un champ fans bornes aux éga- 
remeo^ de la douleuf y (à) qu'aggrave en quelqut 
ibfte l'efpoir, en nous enipêchant de nous en afihuH 
chir : l'incertitude tourmente dc déchire fans relâ- 
che > 8c la fblitude 8c l'ennui enveniment la blefliire. 
Après cé teh-ible noviciat > qui fbuvent efl fort 
long , on décide de votre fort : je veux dire de la ma- 
nière d'être qui vous efl; deftinée. Si le papier Se les 
livres font tefufés> je laifle à penfër ce qu'efl le tête- 
à -tête de fes barreau^, fans diflraâion d'aucune 
eQ)ece> 8c la longueur des vingt-quatre divifîons du 
jour 9 quand la douleur chafTe le fbmmeilj quand on 
ne peut s'entretenir ni avec les vivanS ^ ni avec les " 
morts, ce L*ame réfifte mieux à la violence 8c aux 
yy maux les plus extrêmes qui ne font que p&fTagers^ 
» qu'au tems 8c à la continuité de l'ennui , parce ^ 
» que dans le premier cas elle peut > en fe rafTem- 
D blant ) pour ainfi dire ^ toute en eUe ^ mime re* 
» pouffer la douleur qui l'àffaillit^ 8C dans le fécond^ 
» tout foh reffort ne fiiffit pas pour réfiflér à de^ 
D maux dont l'aâbn eft longue 8c continue. » (^) 



(a) Senec. epiit iz , t^ 
{1} De itUtd « %. SXVlIt itUa ptna H morte. 

D 



[ S<s J 
Hélas ! les momens les plus cruéls de la vie ne Ce 
comptent pas moins pour la durée de Fexîftence 
^e les plus doux. Ces heures fi triftes où lê chagrin 
4iévore , où l'ennui confume , contribuent à remplir 
jcelles qui nous font accordées par la nature^ & elles 
faroîi&nt infiniment plus longues. Déplorable con^ 
4ition des humains ! tantôt ils font follement pro^»* 
digues du tems , tantôt ils en font horriblement fiir- 
chargés ! ... Je ne fais comment oa échappe à Tétat 
4ont je parle. Je ne feis s^*il eft poflîble que Tame 8t 
Je-3tt>rps apportent long-tems une telle violence 5 
mais je crois que Ton feroit eflTrayé, fi l'on avoit 
une lifte fidëlle de ceux qui meurent défë^érés , où 
qui vivent infëhfes .dans ces infernales maifbns. 
-: . Si la permiiHori de :lïre & d'écrire eft accordée y 
il: faut palfcr par d'autres épreuves. Vous croiriea 
pèut^tre que le commandant donne avec emprefie^ 
ment des livres & du papier, qui né lui coûtent 
xièn^ aux malheureux dont c'eft l'unique confoktion 
]& la feule reffoiirce ? . . . Détromper - vous. Les 
^orte-clefs demanderont vingt fois , attendront vingt 
goiurs ce papier defiré avec tant d'ardeur. Notez qu'il 
n'arrive jamais "que compté & paraphé de la main 
<ie M. de Rougemont , & fix feuilles à fix feuilles. 
jQuant aux livres , c'eft bien une autre négociation. 
: i.M. de Rougemont, que fon brevet a rendu cen* 
,feuif de livres.,, homme d'état, fous-miniftre j M. de 
^Rougemont qui rêve nuit & jour aux moyens Je 
remplir dignement la confiance du maître , & qui 
n'auroit pas trop des yeux de.rÂrgUs de la fahie, 



[ SI ] 

posir emfer dans les détails immeniesixie foh iq^por^ 

lante: place 9: envoie au priibnnier un vùlame)^lil 
'jsraaàs qu'un. Ce volume efi bientôt lu par uàihoatn» 
qui n'a que cela à feire. On le rapporte : il Mir qift 
M. de Rougemont Pinfpeâè fenille à feuille V'^uoir 
quele porte-clefs ait déjà fait ou dû fairei^jet^ aci^ 
men ^ & ce n*efl qu'après cètte^double. inxpûiitioa^ 
réelle ou feinte, que le fécond vohime eft :délivii& 
Mais C(Mnme le commandant ^ tout entier à lër'iABfi- 
^oirs^ à fès fonéèions-, des fèp}: jouis de la fèmakie 
en paflê fix à Paris ^>oâ con^tehd quels'- dètàMS^'i} 
£iut que le pauvre folitaire^ endure. Aucubp livre, s^M 
n'z privilège €r approèâtia$tj n'eft adnus ^ car M. dt 
Rougemont ed trop occupé poui" être Unigibuid Itt^ 
térateur'î itiai^ il fait lire lé inô^; àinfiil^'Ooutf 9 
bas du ûtre. 9 & réprouve^ impitoyablement côuritt 
qui n*eft pas muni du iceau royalv^ f&t^cèia iDmiré^ 
iaâion du livre le pdûs^approuv^ jf^lte en pays étran- 
ger. ^Remarquez quer cette police eft purement de 
foH invention t mais outre que beaucoup de livrés , 
împriinés wrec une perraiflîon tacite , ne* portent tû 
privilège^ ni approbâtiort ; cette précaution n'a 
quelque apparence de taiibn qu'avec ceux qui font 
ici polir '^oir déplu au goiivemement par leuK 
écrits^ Quant aux autres ^, pourquoi diminuer V autatft 
qu'il eft poflîblè , leifr unique ednfblation ? N'eft-^e 
pas les dépouiller en quelque forte de la penfëe , la 
feule -propriété qui leur refti? Certainement Ôéft 
des hortiities , parmi ceux détends dahô cè^ Uèùx 
auxquels <Hi donne un nom bien dmix eh les appQl- 

D 1 



[ 51 ] 
laot prifon y qui opcuperoienc utilement leur trifte 

Joiiir.^.s'ils avoient quelques livres , fi d'éternelles 
contrariétés ne les dégoûtoient pas de tout travail 
£ûvL Mais qu'importe au bourreau fans cefTe occupé 
â n^uUiplier leurs fouffiances ? C'eft le foldat de 
Marcellus^ qui , pour diftraireÂrchimede de fqa pro- 
blème ^hû perce le.&in. Nulle bibliothèque n'eil 
attribuée au donjon de Vincennes j & toutes fes 
leSburces littéraires roulent fur un petit nombre de 
volumes Ibuvent dépareillés ^ que prête un vieux 
laoftnifte^.Que Ton juge du choix de cette collecr 
tion y Se où en eft ûa homme qui refte des mois > 
dei années dans cette jsaifon ! Vous remarquerez 
qu'il eft défendu de n^ ontret la lifte de ces livres j 
tqu'il faut que le prisonnier nortlme au ha&rd ^ que 
très-fi>uveot il ne devine pas ce qu'on .'pourroit lui 
donner y 8c demande ce que l'on n'a point y qu'il 
m'eft arrivé vingt fois de feire des liftes de cinquante 
ntres qui étoient de l'hébreu pour notre pau\Te 
J^ibliothécaire i qu'on m'a refuTé les ouvrages des 
ipexes de l'églife ^ parce qu'ils n'étoient point en 
langue vulgaire , & les originaux de certains livres 
très -connus, traduits avec approbation du gouver* 
nement, parce que, difoit-on , l'on ne favoit pas àe 
que contenoit le texte ^ que l'on a défendu au chi* 
rurgien-major de prêter des traités anatomiques , 
fans que j'en aie pu deviner le prétexte j car pour de 
raiibn , il ne fauroit y en ^oir j qu'enfin il m'a été 
impodlble de me procurer ni inftrument de mufi* 
que , ai étui de n^^éupatiques , nji pinceaux , ni 



f53Î 
couleuis. ( a ) Tout ce qui pourroit diminuer l'hor- 
reur de ce féjour, eft à jamais interdit par celui qui 
y préfide , pour peu qu*il puiflc colorer Âniefiis i 
d'aiUeuK lui ieul reçoit les pénfion^des pnibnflterft 
& Iss garder lui fêul peui acheter ce qu'il teurpei^ 
met de defîrer \ £c comme l'argent qui eft entre iès 
mains s'évapore en un inftant , o» demande t^ûne- 
tneac pendant des mois: ontiefs: on fe bflfe : on 
icuffre : on h tait» 

On » m fi l'heure de^rclpas^étoîtdéticieuiê. Refte 
i'e3cerclee que l'on accorde à quelques-uns des pri« 
i(>amei*s. Les phis îa^onîkt (8c c'eft le très «petit 
lAMnbfe) iè promènent une heure par jour dans \vx 
jar^ qui a trente pas de long y en têteÂ*tête airec 
leur porte -^ deft 9 qui ne doit m les quitter un tnf- 
tant, nâ leur adreflèr une parofe. H eft à l'hutte 
eictrémttè etf targieur du jardin , du cÀcé qui avoi&ie 
tes fou»} car tout eft déterminé par l'texaâ corn* 
mandtet. Le priibnnier 8c fim garde marchent pa- 
rallèlement ; 8c fi le premier parle , fe fi^cond ne 
^it point répondre. L'heure fonne y 8c l'on regagne 
la cavemew Vous (entez combien un porte«ciefs eft 
«cédé de ces- promenades, 8c condbîen , au moyen 
de ce régliement> il feroit împoflible (Ten augmenter 
le nombre ou la durée j d'autant que M* de Rouge- 
mont ayant jugé à propos de confier \xot de ces 
places à fbn valet* de -vchambre» lequel » continuant 



(a) Oepuk que ceci eft écrit, BL le'No& a bito voulu me 
yiocurer toutes ces âcîHtis. 



If 54 } 
ibfl i^iviçe de :d<Hne(èiqu^ bÎQn ttialfl-ç lui j,tie peut 

^l^i(l$;.inaiûé id^/fa beiQgne ,;f6si deux camarades 
io^^sbargés deJ'es<:é4^U Mai$ pour xnieûsc coin-: 
fHfSftdré.riflutilité !4e..k: gêne mutuelk des^prome- 
B94tfSi^iît Pft bon ^e ^ok .que le jardirie^ vu: de 
xoUt^hfFiXtSi par Açf jofte.r elefs ^jqucreneeinte a 
Gi«$#anît..p4çdi (fe;b9iil»ttr.i,qu'au,t dejlà /ont les 
fotfés-^lMltf jj^ idécri» ^ ôt çi'abfiJeî pau*re. prome.-» 
neur^ ii quelque ange ne lui prête, de^ sblei^ne iau4 
«fit J^aùchir, ni ran«;«Qi4î|ftitrfe de cé^. terriores. Le 
pllit:^«tnd nombi^n'entt'e jamais dans ce jardin fans 
nâ tordre paiTi$:iili^/ite Mi 4e Rougémont^ quefou-^ 
WSLt les porte ^^ çte&jrieDJofignent. .pasr; de toute la 
femaine^ lors mèmei^^k Tont fait amert^r ^qu'ils 
auroieotà lui padeikiQims le momenr où ^^éc^s> la 
moilfé ^iprîfcnafert.w eft abfolUroewîiJrwéQ jr ô€ 
ilrî?tftjtjd hpmtœ auîdonjOtt de Vinjçefine»>^ depuis 
dis(QH:^éa?e-aîç feieft p9$ /brti de ik chauibrç d* 
db^pied^ qu2tfré^h>:fÎQste|brtunés. (isar ily.eaitplus 
dHiri }peâvedt.piîefques dire avec Milïôn .'ï . . ^ : . 

^c TèiflMttetirt &jDb|^j'rè0ftit> L'automne tbyfrl^a ^ti» i 

f(^,t^ fl^^^.^P- ^f?^ ^V^ 9H^ ^^^ ^' 4oux.|irîntems^ 

ft/!lSÎ!?^P^^/^'^r^?f?^ H^H^ ramènent U verdure y .^ ;. 
i> Au3uar$re«^épôujllé$' ils rendent leur parure ; . 




M'-KofeS' 9 qus du m itt m I ft fr akheug r e nd f t bdles ; « 
}^rY!?}^,-'i#f?. 4«-y^'^.?/rei /éclatantes couleur;? y. ; . 
u Vous ne pouvez donc plus ç^'a4oupir mes malheur^ 

; et 



[55 1 

n O troupeaux , que l'œil fuit boiuUflans dans la plaine | 
» Vos jeux ne pourront plus m*égayer dans ma peine ! ... 
» Où vais-je dans ma perte étendre mes regrets » 
» Lorfque de Thomme ,' hélas ! je ne vois plus les traits t 
» Je ne vois plus ce front , ûege augufle où Dieu même 
M Fait briller un rayon de fa beauté fuprême. 
» Dans un afireux néant tout me femble abyitié , 
» Et ik>ur moi la nature eft un livre fermé. » ( 6) 

Telle eft la vie que l'on mené dans ce fépulcre ,* 
appelle château , où les ichagrins vengeurs ôc \ts pâ^ 
les maladies & la trifte & précoce vieiilefTe ont fixé 
leur demeure , ( j ) & dont on ne fort le plus fou^ 
vent que pour aller dans cet afyle fur ; où Ton brave 
la tyrannie i où Ton dépouille la douleur 5; où la fu- 
perftition même perd fes craintes j où Dieu plus in- 
dulgent ÔC plus jufte que les hommes , pardonne à 
nos foibleflès 6c punit nos tyrans ; où plongés dan^ 
un éternel fommeil> les malheureux ceffent de fc{ 
plaindre , les méchans de perfécuter , les anrians dé 
fe confumer dans d'inutiles defirs 8c de répandre des 
pleurs. ... Pleurs cruels qui abattent le cœur 8c ne 
le foulagent pas ! (7) 

Ceux qu'un deftin plus propice rend à la -ibciété^ 
à leur famille , à leurs amis , reçoivent en ibrtant dé 
leur prifon un traitement qui leur rappelteroit à jaf 
mais lefouvenir de l'homme auquel ils échappeât , 
fi fës procédés n'étoient pas déjà inefFaçablement' 

''■'■■ I ■ I ' . " ■ —1—^1 I mun i ^ 

(a) Luctus & ultrices pofuere cuhilia cura ; 

Fâlkhiés qm habitant morbi , trijlifque fsnecîilsm 

(Virgil. Encid.ï.0- * 

D 4 



/ 



/ 

1^ • 



r 5tf } 

gravés dans tetur mémoifê. Il recommence ta prê^ 
caution de fouiller^ bien plus humiliante ans doute 
pour celui c(ui prend de$ fûrçtés fi vîtes , qiie pour 
celui qui fe voit, forcé de leé (bu^ir. Vous concevez 
par ce qui précède que fôn véritable objet ne (àuroit 
être la crainte de$ communications çntre priibnniers^ 
quoique ce fbit le préteste qu'il, allègue. Après une 
recherche exaâe que le commandant ne dédaigne 
pas de faire lui-même ,. tant il s'y croit intéreflé-, il 
ibllicite 9 il exigé le fenneat que le cap^f j fiir fe-^ 
quel il exerce ce dernier empire > ne révélera jamais 
b tén^Mreuie hiftoife cte la prilbn dont il ibrL Sans 
doute ce geôlier inça(fible>9 qui ne conaoîtpa^ plus 
la vergogne que l'hcKmeur > a lu Pfaiftoiré de llnqui-t 
fidont &ns doute ^ il l'étudié 9 il la médite, 8c foa 
adminiftration eft réglée fiir un tel nlodete. Je ne 
£ds s'S trouve beaucoiq;) d'âtres afTez lâches pour 
proférer un tel fërmene^^ mais dans cette fùppofi- 
ûon 9 H Êiur que l'ame déçroiflë & £t lapetillë étrann 
gement au fein de la fervitude \ car quel eft le rep«« 
tile qui ne fe rédrefTe pas contre le talon qui L'écrafè ?».^ 
O honimes , Us enclaves volontaires font plus d& 
tyransi: j que les tyrnns ne font éCtfclaves forcis f 
(d) Jufqu'à quand cette étemelle vérité vous lëra^ 
t. elle inutile ? 

Unie fois: dans un mois , 8c mok» fbuvent encore^ 
le coQunandant voit j non pas les psi(bnniers , mais 
quelques prifonniers. Lui pàrle-t-on de la nourri- 



( J7] 
ture? • k • jth f mof^liur y yùtss êtes le Jiut ifUi vôttf 

plaignie[. En vérité y yos nmrmures nCétotmetit. Je 
ne mérite pas ee procédé. Tài des attentions uni^ 
fues : jene crois pas fu'il y (Ut de fraude : les porte- 
ckfsfont ^honnêtes gens ; d'ailleurs je lesfurveille 
de pris. . • • Vraiment il eft bien qoeftion àess pone- 
defs ! Où pouiToient^ils trouver des aiimens phis 
Biauvais pour les iîibftituer aux nôtres ? • • . Infiftez- 
?ous ? il prétend que c'eft mjuftice^ humeur , rage^ 
pu vous êtes un frondeur ; car dans fbn opinion ië 
plaindre de kii y c*eft parler conti^ le gouvernement; 
8c traduiiânt dans & langue les clameurs de ceux qui 
médifênt dé la nourriture > c^eft-à-dire^ de lui ^ il lee 
dénonce peut-dtre à la police j comme des murmu- 
rateuFS qui blafphément centre r autorité. Je repré- 
sente LE ROI , difiHt*il un )our à un priibnnier. — « 
Vous , monfieur î — Oui , moi. — .- Le priibn- 
nier fo fixe y ie mefiie du haut en bas , (te trajet 
n'eft pas tong, ) pirouette fur le talon Se s'écrie : 
Ma fbij il efi grotefjuenunt repréfenté. On peut 
penfer fi le iàrcafine a été payé. • • • Mais quoi ! 
parce que le voleur eft inféparable de Thonune , 
Fhomme e^ inféparable de la place ! Parce qu'on 
réchme contre le vol 9 on manque à la place ! A ce 
comptequelles kifamies ne pulluleront point à Tom-^ 
bre de Pautorité ? Bizarre prétention , d'unir amfi ce 
qu'il y a de phis vil 8c de plus rei^âable \ 

Si le prifonnier que vifite M. de Rougemont eft 
un homme qui ne lui difpute rien , qui ne demande 
ifea> qui fottffie en filencQ > le commandant s'^uiiê 



cn.offiM de ieiyice': U pronfet^fiaM .^.^.ne fauroil 
upmpei:. Eh|^cqmwfie^t .tyQ^ipcrpit^il ceux qui let 
vo^t fi . bai;b(y*eaiçiK; çufiijdc , ,£. inopitoyablemeni 
inexorable fhi les choies les plus iiicUfler^ntes à la 
^o^té, qui ne d^pend^ent que de^ Jui .& ne lui opû-. 
tentr rien ? • • » L'argent d'un prifonnie^ efl; en dépôt 
^cre iês mains» Dégoûté de la. nourriture fétide 
qu^on lui apporte chaque joiir ^; jc^t ^infortuné defire 
d|e iè procure^ du chocolat y jd^ çafé^ des fruifô ;r 
(8) ^nfin , quolqMQ choie de (on gCH^t. • • • U le den 
fire : c*eû: un moyen fur de ne. pas. l'obtenir. En 
yi^n ; déguifè-Tt-il ce vrai befoin ibus le ^oim de fkn^ 
^(îe..C'eil.uQe critique amere quoiqù'indifeâe de 
la'geilipn du che£. Ceil unqarime de foubaitet^ 
quoiqu'on manque- de tout. On èft fÛr de donner 
par y^n^ deman^ de l'humeur au canomandant. Si 
c'eft ddps une.lettreiqu'èlle liri eft adreiTée , il ne ré^ 
ponfj point ) car }il sîçft mis furie pied des ■ mîniilres n 
il feut afteac^e une^vliite. Alors y s'il ne iiéfuiè pas^< 
a promet de doftner en fortant un qrére 'au porta*, 
clefs : celuÎHci jeçbit une défënië jpùfiûi^mi llieui 
d'ui^. ordre. Le prifonnier, qui ne !devi»e point une 
duplicité ii gratuite 9 prefTe le porte^clefs qui recule 
de? mois entiers y pour ne pas déibbéir y iàns ce-: 
pendant avouer iès inflruâions. Leprliânnier prie,) 
fuppliç, gronde f murmure : il. devine enfin ,,ibupireT 
& fe tait , s'il peut. (9) D'autresfois M. :de Rpuge-r» 
mont plus franc. $C non moins dur jefuiè ouverte- 
ni09iC .'il a le courage d'être inhumain, maique levé;f 
QueUe. micm .dcmne-t-il pouf.refii&ifiuiœ choie & 



[ 59 ] 
inUfféri^t^i.. • • Rarement il daigne en donner , iç 

ak>ft cette foxm^ûeSp^Ttaine y c'est Ou ce n'est. 
Pèi LA KEGLE.J \fi toe d'embarraSvOU lui niéoage 
h tems ide cte^rt^t^ef ,upe autre réponfe. . .. • Il dira, 
quj^les JantaiJfies pavent nuire à la fanté. *- X^oil' 
ion brevet lei rei^d-il dpncauffî niédecin ? & la nbuiv. 
ritube qu'il ^mi6 e^-^Ue plus faîne que tout autre ^^ 
parce qu'elle eft plus dégoûtante ? Il eft certaiii> 
qu'elle invitie à l'iabftUienoe ^ . mais encore faut-il^ 
manger pour vivie* •«#> Eaà quoi kn à €e prifonnief 
cette penfiôio^ drdefnment fbUicitée, 8c qi^lqyefpi^ 
fi difficilement obwiiue ? . — ft iqm biei^ife <fe 1*1 
trouver en forta^ ; « ;>Adtx^ijab)e défaite ! c'efl lori^ 
que rien ne iui maoqi^era ^ qu'il aura des reffourcet 
contre le dégoût , la difette & l'ennui ! , 

"Que la nourtitUre £>it excefTivement mauvaifè, 
que M. de Rougemoht faiTe à cet égard les gains les 
pJus Illicites & les plus exceflîfs , encore cela peut-? 
H s'expliquer. Cet honune manque d'ordre & d'intel- 
ligence. Conflammeilt aiguillonné par la vanité , il 
veut dépœiêi^ & ne fait pas compter. Jamais il p'a 
d'argent i jainâi^ de provifions *, jamais d'exa£bitude 
à: lemplir ks- eiigagemens : il eft dqnc obligé de fen- 
Iber l^s yeui: fur.les brigandages de {es valets Sçdç 
piller continuellement , parce- que continuellement 
il gafpiUe : c'eft:le tonneau des Danaïdes , qui tour 
jours empli s'écoule toujours. Tout, cela fe; çotoh 
prend. Mais pourquoi des barbaries gratuites & fté- 
riles ? Si ce n'eft parce que le démon de l'orgueil lui 
fuggere fans ceffe de nouveaux ficioyçns d'oppref 



[6o] 
iîon pour figtialèr fbn autorité y dont après fôttvar • 
gént^ il fait fbn idole ? Si ce n'eft parce que fbn 
ame 9 s'il efl vrai qu'il ait une dme ^ efl un compoTé 
dé barbarie , 8c que faire du niai efl & plus douce 
jouiflânce. Qu'on me dife , par exemple j quel peut 
être le but d'un homme qui, voyant de beaux fruit» 
^ans le jardm des prifonniers^ fait abattre le» arbre» 
qui les portent ? Et remarquez que ce n'eft point 
par avarice; car, il laiflè pourrir les fruits , 8c fait 
itier les arbres au pied , at» Uea de les tranfplanter.^ 
Qu'on mç diiè à quoi bon détruire de bella couches 
de fleurs y 8c empêcher ces n^dheureux de les cul- 
tiver , même avec une bêche de bois ? Je pourrois 
rapporter cent traits pareils j mai» voici des procé- 
dés plus odieux. 

Un prifonnier demande un miroir. — Ce n'est 
PAS LA REGLE. — Mais fait-on des brèches , enfonce^ 
t-on des portes avec un miroir ? — Non j mais on 
correspond. — Avec qui ? Comment ? Ma fenêtre 
eft bouchée par une trémie : fon épaifléur efl telle 
que je ne pourrois point atteindre au bord de cette 
lucarne , quand il n'y auroit p^s de triples barreaux. 
Quel jeu d'optique voule2-vous que je tente? — Ce 
n'eft pas la réglé. — Comment me peigner ? — A 
tâtons. La vue de votre vifage pourroit vous inquié- 
ter : on fe frappe Timagination : on fè croit changé. — 
Eft-ce donc que je ne me fëns pas l Et fi je veux me 
voir, un bafïtn d?eau ne fera-t-il pas Toffice d'un mi- 
roir ? — Ce n'est pas la règle : je ne trahirai 

PAS MON DÉVOIR. (lo) 



\ 



[ <5t 1 
Obligé de dépecet fa viandeavec &s doigts Sc VM 

iàle fourchette d'étain > demande-t^il un oouteatt 
imoufle y foible^ tnince^ courte -^* Ah 1 monGeva^ 
m couteau ? Vous ny penièi pas* Des couteaux à 
un prifbnnierr Voyez-vous des cou teaux à la Bai« 
tille ? ^--,Eh ! moiifieur ^ que m'impoice la Baftille} 
Quel mal puis-je feire avec un couteau tel que je là 
defire ? Pratiquer des trous , fcier des barreaux? Cela 
eft impoffible. Me tuer ? Eh 1 ne le pourrai^je pat 
toujours ? La liberté de s'ôter la vie eft la feule à h^ 
quelle U dtfpotifint pt puiflê attenter. Tuer raoo 
porte-clefs ? Si j'étois fréinétique ^ ne pourroi^jè 
pas rafTomnier avec une bûche ? -"-^ MonfieUr^ tou- 
tes -xi^es ralfons font inutiles* Ce n'est pas la R£« 
GLE...» MaiscpiiTa établie^ cette regk? .««Lui^ 
lui ièiil 9 qtû ^uroit qu'il ne fera jamais mieux fa cour 
qu7eii chicanant au^.prifonniers juiqu'à Pair qu'ils 
teipirént. Ceeur tyran ^ il croit à des miaiftres , à 
dea.princes tyrans. 

XiGS malles d'im prifonnier contiennent des efiêts 
qui hii .fopt itidiipeniàblement nécef&ires : fes ha* 
bits y fon Unge y &$ peignes. Peut-être n*a-t-il pas 
de quoi changet. Peut-^tre eiltil habillé de camelofc 
en hiver. ( it ) Que. ne lui donne-t-on ce dont U 
peut jouir fens danger pour la fûtteté de la prifon ? •^ 
Il faut faire un inventaire. -«-- Eh ! pourquoi cet: 
inventaire? Volera-t-qn ce prifotmier dans une chan^ 
bre dont il ne fort point ? -- - La REGLE , moniîeur [ 
Tordre , la probité , J'hohijistir ! -r- Éh bien ! fcni- 
puleox geôlier, faut-il beaucoup d^heures pour dieA 



[ 6i 3 
ÛT cet invehtaîlrel »?— ' Ali ! vraiment de&IieHrès'î des 
mois, ne ruffifent ^as ; ces malles^ ont xles &rrtreÈ^ 
àes fèrremens : il faut les dépeœiLrh-»^ Faites appelief 
un femirier. --• On a tdfin le tenisde penferà tout 
cela 9 de s'occuper jde ces nûnude'sT dians Vune place 
bù il faut courir' fans. cefTe. ^-^iCommèrit- courir? 
£t moi , je croyois bonnement que c'étoit de ^toûs 
les poftes le plus fédentaire. -i^>- Quoi ! Jie feut-ilrpas 
être à Paris ^ à la cour y obfenrer y jtfopofer, rendra 
compte, travailler avec le mihijlreyayec le maftre: 
**- (Que.fais -'jeinoi 5 les princes dafang ratten-^ 
dent peut-être.) (at) — - A la bonneJieure'j mais lesf 
habits hors de faifon du prifonniercoitibent en lam-i 
beaux. •— Qu'importé, voit-U quelqu'un?-^ -•'Oh ^ 
non; mais einfin on veut être ^rêtii ^'Oii vieut avoir de^ 
bas ; on veut être propre pour foi', pùorf^ fantéi i-4 
Eh bien ! on e;n fera faire. • ;.. Quand? «^ J Dieiip 
mais Dieu ièul la (zvc .j^. Eh ! pourquoi cette inutile 
dépenfe ? Pourquoi employer la petlfiqfi d'entr^tieii 
d^ih priïbânief à'payer des iii{]!p&6 neuves , tanclis 
qu'il en a qui pourriiTent dans fes »nîalles ? ; • • Eh t 
vous ne favez pas tout. Ces malles infdttunéeï côh- 
ttehnent des lîvttes. ; . 1 Etes Jivties ! 1>ôfi Dieiâ! deè- 
livifes ! . . . Les voilà profcrites , à jamais profcrites. 
En vain vîemiënt^lles de la police. Dés livres étraii-f. 
gëfô n'ent*ent pc5îrit au donjôri de Vinceflirès , fût-ce 

(a) D difoit uii^our à un prifonnier : JeiÇaiqu\ne mimte i, 
yçius donner ; car h iuc d^Orléans n^àtièni ; ZT j*ét6is CE* 
FRISONNIEIU ---^-'V - 



>' 4 •« j ^ <~ . 



f <^3 3 . 

limitation de Jé&s^hrift. On aurôk^G^ peur que 

celle de Beaufbrt ne fût à côté> ( ii ) I - 

On auroit tort de croire que toutes ce^ '^uifetis 
tinfTent à la' rigidité du caraâeie tlë M. de Roii^ 
gemont. Dans imé altemation affei vive avec un de 
&s prépofës fui ie réclâmoit du lieiiténant de police y 
il tajura fuHl m trayailloit qtCkmt' h mc^trt ♦ 
fts miniftreSé a Je ne le favoi^pas y ipéporidit fix>^ 
» dément celui qui difputoit.^ iriais comnr!é''je lie 
f> Gxis point iqppellé à de fi hautes deftinées y vous 
« trouverez bon que je me mette fous la protedioQ 
I) de mon fiipérieur immédiat^ Sc-que }eiê^fa(ft 
«) juge entre nous. )» A 1-inftanjt ît fut ^alelTé^ lôii^ 
isipplaudi y £c obtint ce qù'9 voîileit. C'eft ainjR ^ 
des gens qui n*otit rieti à fe reprocher dc qui peu- 
vent fë £ûre entendre , font bien fîks de mèt^è à 
Iz ndfbif bn homme, qui nlgaëre-pa^ué Ton unique 
fâuve-gardé^ le iiknce auquel il a réduit tous ceux 
qui ont af&ire à lui. Mais tes malheureux prifbn^ 
niers qui n'onrti'autre organe qùe'-Pâuteur de kùt* 
maux y ^ fferont-ils ? La plupart^ d'éntr'^u* tiHêhP- 
^lent quand on leur prodigue ces impofantesloci^ 
dons de MINISTRES 5c db maître. Ils fe î^rôftér^ 
nent devant leiir geôlier, dont ils admirent avec ter* 
reur l-importance & le crkàit/Ttà parlerai ad roi\ 
difoit Bontents ^*' 8c cette habitude étoit devemie 
il forte en lui qu'un courtifkû lui ayant demandé 
des nouvelles de- fa femme , il répondit v'féri parU- 
rai au rou Au moins ce ridicule ne feifbit deTOâl à 
perfbime>; niais quand M. dé Rougemont retivoîé un 



porte^Jeft qui Ta cherché inudle^tit huit jôui'^ dé 
iiiite pour lui communiquer la demande d'un priibn* 
nier 9 en lui diiant : je rCaipas le tems 5 monfieur t 
laifi:^^moi en fepos > le minifire ni attend i croit^il 
que le priibnnier foit fon content de ce lazzi ? Re* 
marquez que Ton ne peut pas fail:e la commiflioû 
la plus indiff&rente ou la plus néceflàire > donner la 
choie la plus iimple ou la plus indifpenfâble fans 
un ordie exprès. Un prifoniûer veut fe faire rafër la 
tête ? le chirurgien-major n'oie le faire &xi% permif'* 
fion : il la demande i le commandant lui répond graves 
voQntifenparlerâi au minifire. Ce n'efl là du moins 
qu'içie contrariété pour le prifonnier. Mais un autra 
eft déchiré de coliques néfrétiqUes : des bains lui 
ibnt abiblument néceiTaires. On cherche M« de Rou- 
gemont: on ne le trouve pas : on le guette : on le 
manque : on lui écrit ; on le joint enfin. Je deman* 
derai des ordres ^ dit-il froidement* Mais ^ moniteur^ 
répond le chirurgien ^ vingt-quatre heures peuvent 
décider de la vi^ de cet honune. '--' Monfieur , je 
n'innoverai rien fans ordre. « . «J'ai connuun augufte 
fénateur qui ne voulut jamais faire remettre des car- 
jeaux de vitre à la çhambfê à laquelle il préfidoit y 
parce que 9 diibrt41) // rCâimoitpas les innovations. 
Mais ij ne s'agifibit tout au plus que d'exppfer fes 
confrères à s'enrhumer ^ 8c le malheureux captif 
auroit peut-être expiré dans des tourmens affreux , 
il le chirurgien n'eût dit avec fermeté au comman- 
dant farouche 9 qu'il chargeoit des événemens qui- 
çonm^ exigeroit qu'il retardât un remedetrès-urgent. 



[ es ] 

èc qu'il feroiif obligé d'en rendre compte aii coiiî- 
miflaire du roi. 

A la vue de ces contrariétés "^fi. multipliées & quel- 
quefois fi barbares , un être yif 5t fenfible doit foi- 
gneuferiient veiller fur lui-même ^ car il peut fe per- 
dre par un emportement. Un homme fage 6c modéré 
fe tait, & foupire doublement après fa liberté , foit 
pour la recouvrer , foit pour fortir des ferres cruel- 
les d'un tel vautour* 

Cependant combien ne faut-il ^oîrit être maître 
de foi pour écouter patiemment des abfurdités âc 
des menfonges j, qui, pour être tant de fois répétés,' 
n'en font que plus ridicules , fans exciter moins d'in- 
dignation ] M. de Rougemont voit-îl qu'on lui prête 
Une oreille attentive ? il entaffe les fables les plus niai 
tifiiies & les fahfaronades les pliis folles , dilayées dans 
un ftile de laquais & ornéei dû gefte le plus grotefquc. 
Il ne cefTe de parler de fes procédés ^ ( quels prôcé- 
dés , jufte ciel ! ) de fa générofité, ( on en a vu quel- 
ques échantillons,) de fa couràgeufe bienfaifànce , 
(comme fi le plus impérieux des tjTans n'étoit pas 
toujours au befoin le plus vil des efclaves») — 
(c Monfieut, dit-il, je l'ai cent foi^ déclaré au 
» miniftre ; fi je ne p©uvois pas foire du bien dans 
i) nia place , ( elle eft parfaitenient choifie pour nn 
t) tel but! ) je rendrois demain mon brevet. Ces 
7> fentinusns que j'affiche hautement, m'ont valii 
j> Teftime générale. »... Et de là paflant au pom- 
peux étalage de fes fervices , de fes qualités , d€ 
&s amis, de fes biehs , il fe jette dans de& faiibntié«. 

'fi 



166] 
mens qui n'ont pas plus de bon fèns que de vérité. 
Heureux le patient qui l'écoute , s'il n'étoît qu'en- 
nuyé ! Mais quand il entend dire à l'homme qui ag- 
grave fi cruellement fon état> qui pille avec tant 
d'effronterie Ces malheur^iÉ^Vî£Brtnes : je me dé- 
range dans ma place ^ (ceiFIft vrai 9 mms j'ai dit 
comment , ) elle nUefi onéreùfi : c^efi la plus pe'ni- 
hle & la plus défagréahle de mes fonctions que de 
fournir la nourriture; mais V intérêt dé ces pauvres 
prisonniers V exige , ( que de bonté ! ) autrement 
ils firoient au pillage ; ( ils auroient donc de quoi 
fournir à ce pillage \ en ce cas leur (on feroit/ort 
amélioré , ) pour moi , ;'y mets du mien , ( d'hon- 
neur, il me l'a dit dix fois à moi, ôc à vingt autres. ) ' 
Je rHefiime ce commandement qu'à rai fon du lujire 
que je reçois de cet établiffement honorable ^ {ce 
mot eft ou fort plaifànt ou très-modefte,, ) & fur- 
tout à caufe de la confiance des miniftres & du maî- 
tre. ( Etre vil & ftupide qui ne fait pas qu'un hon- 
nête homme n'a de maître que fon devoir ! . . . ) Ali î 
croyez-moi , leôeur, tel trait dont le ridicule vous 
fait rire, bleffe au cœur celui qui connoît toutes 
les lâches & ufiiraires manœin^rcs de l'odieux tyran 
qui pérore ainfi. Un homme franc & généreux a 
befoin d'un grand effort fiir lui-même , pour écou- 
ter de iang-froid un homme qu'il mépriiè fi fou-« 
verainement , dont il reçoit tant d'injures journa- 
lières , fe vanter de fa fènfibilité , de fon défintéref^ 
fcment , & mandier des remerciemens & de la re- 
connoifiànce. 



a. V 



Je pa/Te fous Gknce cent vexations du détail qui 
paroîtroient minutieuiès aux indifférenS) Sc fonc 
cruellement dou)6ureu|ès pour ceux qui fouffrent 
déjà de tant de maiijeres j mais rien ne peut entrer 
en parallèle avec lÉBnef^ fi graves y fi clairs ^ fi 
précis 5 que je vieâiV déduire ^ 8c ce font ceux-}! 
même que le gouvernemeat peut redrefTen On fent 
bien que les contradiâions , les vétilleries tourmeH* 
tantes , en un mot , tout ce qui réfiilte de Thumeur 
arbitr^re j impérieufe & tracafliere de cet homme | 
ne fàuroit être entièrement réprimé par fes fupé>T 
rieurSé C'efl un inconvénient attaché à un mauvais 
choix , à la nature même de rinftitutîon de ces maî- 
fons. Le lieutenant de police dira que ^ furchargé 
comme U Teft ^ il ne peut que donner un plan géqér 
taly fans entrer dans d^au/Ii petits détails. P'aiUeun 
un homme inquiet Sc remuant y tel que le comman- 
dant aâuel de Vincennes , l'embarrafTeroit peut-êtra 
en lui difant : le ne puis r/pondrê de mes prifon* 
jniers y fi Von gène mon adminifiration intérieure. 
Mais les brigandages pécuniaires n'importent point 
à la fûfeté. Un prifonnier peut être à la fois bien 
nourri ôc bien gardé. Un prifonnier rie doit point 
être impunément calomnié & arbitrairement pnnî. 
Or comme tous ces vices tiennent à la conftimtipn 
des prifoas d^état^ il eft également facile de les 
^pçonner , de s'en afTurer ^ 5c d'y remédier. O^efk 
Texamen qui me rdfle à faire, pour remplir la tâchjff 
que Je-; me fois impofée dans cet écrit. - 



( 68 ] 

i '^ r' '^ i r 'T'-- i r -Q f i "r ] \ " i \ n I r " \ j 

NOTÉS 



if Î7 tkVlSlEmÈC^HAPITRÊl 

.O ) XL nV a pas lui particulier flKhâttau de Vincennes qui 
n'ait éii Jes diicûfïïons avec cet Homme que je peins d'après 
jtiaturc , & qui a difputé au gouverneur mime la jurifdiftion de 
{bn gouvernement. Oa n'eft point parvenu à faire comprendre 
à M. de Rôugemont qu'il étoit geôlier du donjon de Vincennes • 
& voilà tout ; & que ceux que le roi vouloit bien y loger y n'é- 
iôiènt rîi plrifoaHiers d état , ni faits poiir être fbus la férulè 
d'un geôlier^ M^ die Vôyer a réprimé fortement, qûoiquWeé 
sflèz peb df perfévéraïKre 9 ks folles vexations de cet hommes 
gui a fait emprifonner des laquais 9 multiplié les corps-de-garde , 
gêné tous les habitans du château, forcé un vieux 8c refjpeâable 
bfficier général (milordDunkel) à coucher dehors en lui faifant 
tefbfèr l'ouvertyré dies portos , parce qu'il n'avoit pas une batte 
derhdj&c^&c. &c^ 

( 2 ) Ce trait éxceneht^, vraiment nciir& parfaitement aflbrtî 
iku peiffonnâge à qui je l'applique , efl emprunté de la Puil-> 
ciade de Pope* Je ne. me rappelle pas exaâement Us vers. 

• ( O Ses expréflïon^ fuirent :7e ne laîjjefiàî pas piètre fur pierre 
ku donjm : ce qu'il ûut certainement entendre dans le fenis 
^guré 'i car M. de Roi^emont ifiroit i>ien fâché de démoHr cette 
jiugufte maifon« . 

<4) Ce qui n'empêche pas encore que les fèatineltes du 
dehors n'aient la coniîgne d'ordonner aux yeux des paflâns de 
& détourner de ideiTus le donjon ; de ferte que depuis la pointe 
au joiir ils ne fceflènt de répéter , pûjfet votre chemin. Mais à 
«luoibon cette m«meirie ? — Confiment à quoi bon? Saps cek 
les^ trois quarts de ces pa(!kns ignoreroient q^'il y a un com^ 
inandant au château de Vincennes. 



( 5 } AL de Rôugemont prétend qu'bn peut fcier des bar* 



féaux avec lesreflbrts d'une montre. Ne pourroit*on'pafi pour 
la perfe£^ion de la mécliani(](ue & Thonneur de l'invention t !« 
mettre à Fe0ài 1 ^ 

(,6). Seafons retiirn^t hutnot me returru . 

Day , or the fufeet approach of çy'n » or morn^ 

Qr Jight of vemal bloom ^^or fummà^s rofe 

Or fiocks y or herds , er humane fû,ce divine ; ' , . 

But cloud inftead^ and e\er duringdarb% . 

Sarrounds me»,.^ ( TroiÇeine çh*. imité par Racine le fils^X 

(7 ) Imufi weep ( but they are cruels t^ars^ 

• ■ . .' • ■ 

Heureiifè expreffîon de Shakefpear^ que i^ de Voltaire a admiv 
rablement embellie dans Zaïre^ . ^' 

Voilà les premiers pleurs qui coulent de mçs yeux :, 
Tu vois mon fort ; tu vois la honte où je me livre ; 
Mais^es pleurs fi)nt cruels & la mort V9 les fuivre. 

' ( 8 ) Un priibnnier ,^ pour -avc^ des c^rifei ^ prie qu'on eft 
fubflitue à un de fès plats. On le fait par gtace. On lui en envoia^ 
une demi-livre. Il & plaint iq[u*il en'â trbp'péu;'0u'i7 prenne /bn 
ordinaire^ dit- on : oir iine demi -livre de cerifès coûte uti fbls^ 
qu'on juge à com^en notre nourriture efl évaluée, • 

(,9) H y. a bien ua .moyen de remédier à cela ; ç'eft que le 
porte r clefs faife les avances ; ce qu'odrlui, permet quelquefois ;, 
mais M. de Rougemont eft un fi exaâe-pa^UTi quft peribniie.ii« 
feibucie d'avoir re€<Hirs à. çet^3i)^eflt«l << 1 . . 

( 10) C'efl à moi que cela .ef| arrivé , 8( CQ^nme j'en £is îiu 
^igné , je réfolus de l'emporter, de ^ute lutte iiir cet homme ^ 
gu de m'çfTorcer de le dénu^quer aux yeux de fès fupérieurs • 
quelque chofè (}u'il en pût arriver. Coi^me on efl plus maîtr^ 
de foi en écrivant qu'en parlant 2 je Q^nfifhi pas davantage ^ 
{nais un moment après que M. de Rougemont flit parti, je lui 
çnvoyai la lettre fuivante. Qu'on juge en lalifànt du caraâere Se 
^e Tame de celui dont on ne peut obtenir quelc^ùe chofè qu'ei\ 
prenant çç ton avec luî. 

E3 



[ 70 ] 

«( Je n'avois pas cru ]ufqu'ici9 monfietir« que le refus d'ua 
» miroir pût être férieuxde votre part, & je Timputois à oubli ; 
» mais à préfent que vous m'avez bien formellement déclaré. 
3) que ce n'efl pas la régir, 3*ai Thomieur de vous repréfenter , 
u i^. que je ne comprends pas du tout cette expreffîon dans 
» votre bouche , c^efl , ou , ce n^eftpas fa règle , qui fert à cou- 
» vrir d'un voile fàçtt tout ce qui fe pa0è dans cette maifoa. 
» Je ne connots que le miniflre ou le confêiller d'état chargé de 
» notre in^eâion , qui aient le droit de faire ici des resks , au 
]> ïtkmi à regardées prifbnhiers. Tous autres font nos gardes 
» 8c non nos législateurs. Or le miniûre & le lieutenant de 
» police ne fe font fûrément point occupés de telles fadaifes« 
». II m^ft évident qu'ils oe refiifènt point aux prifonniers des 
y} confolations indifférentes à la fûteté de la prifon «parce qu'U 
s> y auroit à cela de la tyrannie , & de la tyrannie gratuite , 8c 
s» que je ne crois point que nos mlnifbres foient des tyrans , ni 
D en général que tes homme^ foient des tyrans pour le feul plaifîr 
» de l'être. S'il exîfte de ces moriftres, leur nombre doit être 
» ' très • petit ; car tou» les:au«ris individu oot un ântérèt ftrt 
n^: preffant à les étoufier. . ■ :; . 

» £^. La raifoor-qu'il you$ -a plu de ikie donner >, à fàvoîr qm 
n^fon pouvait corr^fp^utte avec un rmroir^t n'^^pas l'ombre d^ 
» vraifemblan<ïe; & je ne fuisjpoint un enf^t qui en puifle être 
» amufé. Je ne fais fi vos connx>iflânces en mathématiques 8c 
)i» en optique fèht fort ifendues ; msâs^-défie tous les mathé- 
i^ maticiens 8c les ôptickns idu ittmide ^ taie prouver que ma 
# •lMteme^k|Ui<èf(i^«éé£Ràii6tft un <»éiieauv^ifi n'ell collatérale 
D à rien , puifqu'elle fe^ttWv» •dMifi4a'6<s<ive^té d'une tour - 
» qui n'eft vis4-vis d'aucune autre partie de l^ j)rifon,puif* 
» qùVllç efl darts Tj^nceilite extérieure , foit fufceptible du 
^ inojndre jeu cTopHlïue qui ïiùifle me permettre de donner eu 
é ^recevoir ^ts fighàiix hu moyen cTun miroir. Vôîlâ , je érdis , la 
>> feule mriîere de .s'^eh fervir ; par je n'ai pas qui fîîre qu'uri 
3^ miroir ftlt un portê-voixt 

» 3^. Quand jej)çuh;ôis faire bu voir des figncs par ma. fenêtre 
» au moyen d^iih iniroîr , (c'eft ce 'que vous appeliez corref^ 
i pondre^ et ût finroît pas une raifon de me le refufèr ; car on 
-» Peut le fceller dans ma chambre & le rendre lbtc# 



[71] 

1) 4^ Cette Ptgle de Texclufion des mîroirs f&t-elle ponée 

V par les fupérieurs de cette maifpn , ce &toit fur un faux ex« 
^ pofë , 5c je me crois ^ de les faire revenir. Quand je leur 
u dirai : il phyjîquenunt impqffîble qu'un miroir me ferve à un 
» ufage dangereux: je fuis obligé de me peigner à tâtons , de 
» négliger àbfdlument le foin de mes dents. J*ai eu bng-tems 
» b^oin (Tun emplâtre précifément au coin de la bouche ; il fallait 

V que je Fypofaffe de la manière la plus dégoûtante ^ ma vue ne 
» pouyant guider mes mains. On fe fert de la lettre de vos ordon^ 
» nonces pour nous tourmenter , au lieu £en faijir Vefprit : les 
D demandes les plus innocentes & les plus /Impies font repoujfées 
» par ces feuls mots: CE n^est pas LA REGLE. Les prefcrip^ 
niions les plus tyr&nniques érigées en loix par ces feuls mots : 
» C*EST,LA REGLE. Ces deux formules qui conftituent lajurif" 
» prudence de cette maifon , font un cheval de bataille qui iwus 
x> foule & nous écrafe. . . • Quand je leur décrirai cela , à quoi 
j) vous fkvez bien , monfieur , qu'on peut ajouter infiniment de 
» chofes , je fuis perfuadé qu'ils m'accorderont un miroir. 
» Grande , importante j indicible grâce en eflet ! 

» Je vous prie donc , moniieur « de vous décider ; car ;e verrcd 

» n'eft pas un terme ; Sç c'eft le mot le plus doux que j'aie 

» entendu fortir de votre bouche. U pourroit me mener à dix 

u autres xaxùs. îî n'y en a pas moins que j'ai demandé ce miroir , 

» & ce li^eR que d'aujourd'hui que j'ai une réponiè. Il y a trois 

» mois que j'ai demandé que mes cheveux qui me tombent dans 

» la bouche fiiflênt coupés. Vous m'avez répondu :ye verrai ; Se 

» ils y tombent encore. J'ai demandé un couteau quatre mois 

o) avant de l'obtenir. Dès la première fois , vous m'aviez ré- 

» pondu : je verrai ; Se il a fallu un ordre de la police pour que 

» vous vifl^ex^ Il ne faut qu'un ipdant, permettez -moi de vous 

» le dire , pour voir fi vous pouvez ou ne pouvez pas me donner 

» un miroir. Si cette conceflîon excède votre pouvoir , je la 

» folllciterai auprès de M. le Noir 9 quelque répugnance que 

» j'aie à l'erftretenir de telles flitilités. Si elle efl en votre pou- 

» voir, je l'exige de votre juftice. Croyez-vous qu'une affaire fl 

>3 grave exige beaucoup de méditations ? Non , vous ne le croyez 

M pas : ainfi vous ne m'avez dit/e verrai , que pour gagner du 

» tems. Quoi donc ! ne fommes-nous pas afièz malheureux 9 fans 

E4 



Vn'] 



' V ' qii^ fe joue ainfî do nos delîrs les plus mfïoeéns , 8c de noi 
» béfoihs les plus urgetis & les ^liis fîmpies ] Je fens, motifîeur ^ 

* » que dans votre place on contrafte l^abitude de dire NON: 

• * ■« . . -■ . , . .... « 

» maïs un homme d!e;J>on fehs doit réfléchir fur ces non , fur- 
» tout lorfqu'ils s'adrefftnt à quelqu'un quf n'efl*hî turbulent, 
» ni indiicr^t , ni importun , ni (tupide vnf i*ampant. 
' M En un mot , monficur , cette queftion du fn^oir à donner 
)) OU à refufer , que fui été bien aife de vous expofer avec quel-: 
» qu*é tendue , ann que nous nous entendions uité bonhe fois , 
» s'il ell pofîible , fe réduit à ceci : pouvej-^vôus , ou ne pouvez-, 
M VOUS pas ? Si vous pouvez , pourquoi me refuferiez-vous 1 Je 
p n'si point mérité votre humeur , ( il cft peu généreux d'ei^ 
33 montrer quand on eftlè plus fbrr) & j'ai droit à votre équité. 
» J'ai rhohheur,^&c. » -' - ' 

Une heure après j'eus un miroir. Pour peu que ce ftupide 
tîrran réfléchit fur fh conduite inégale & flottante , qui le mené 
'èns ccfTe de l'orgueil infultant aux ménagemens les pliis bas , 
aux précautions les plus viles , il verroit bien qu'il donne la clef 
de fa confcience , qui eft LA PEUR , 8c que Ton ne peut lui favoir 
aucun gré dt ce qu'il accorde , pmiquV)n ne l'obtient qu'«n me- 
plaçant t mais il ne faut pas croire que cette méthode réuffit à 
tout le monde ; une conduite irréprochable , la permiffion d'c- 
•^rire , un courage 8c une franchiiê inflexible »' 8c* fôf-tout l'in- 
térêt que m'-a témoigné M. le Noir, m'ont donné bien des avan- 
tagés que n'ont pas lès compagnons de mon infortune, 

(il) C'eftrhiftoire exàâe de celui qui écrit. Il eft arrivé i 
Vintennes en été avec un porte - manteau. Une année étoit rér 
ijtoluc depuis fa détention , qu'il u'avoit ppirit tnçprç fes milles, 
cependant dépoféfes au donjon, 

. ( i2> 0^ iâit quç lorfque U g^and Çon^é fut enfermé ^\i 
donjon de Vinc/Mxnes , U répondit à ceux qui lui demandoient 
quels livres il dejîroit , l'ImïTATION DE Beaufort. M. df 
JB|aufort s'étoit fauve de la même prifon peu de tems auparay^nt,^ 



'in'] 







tW-'Â PITRE IV. 



yices de Id conftitution des pri forts d'état. Moyens 
de confiàtér lès vexations fiu l'on y exerce & d'y 
remédiep*' 



,' ■..■!. 



I 



L né îamt{\xt réfléchir un inftantpour voir qu'il 
eft contraire à la raifon d'attendre la vérité^ de ce?- 
lui qui a int^têt alla céleç ou à l'altérer j de l'équité, 
tfikî homme:qu|*)Uge dans fapioprecaufe"^ de Tim- 
partiâlité , d'un- fubaltenw qui ne peut qu'accufer 
ibi bu les autres. ■ 

Il ne fautt^^'une attention médiocre pour voir 
flu'iljeft contre la prudence de. confier le pouvoir dt 
mal faire' à ceiurquî: a intéirét à' mal ^re« vCjéï 
J'intariflable/bitree'detcûitesrks'Jiorrèurs de l'inqiiiij 
iition. Dq)uis vingt iiecles !on répète que toutfé^ 
borné qui peut cer qu'il veut > yt^t rarement ce qu'H 

Le comnftàndant âe Vincennes a intérêt à cacher 
la vérité , puifqu'ellè lui eft dans tous les feos dé» 
ûvahrageufe ^ Se plus elle eft dé&vàntageufè.^ plus 
cet intérêt rôdoùble. Ileft juge dans fa propre cauAîy 
puifiju'on ne ^ut poner qu'à lai-même des^plaio-c 
tes dé ia gefiion^ Il ne peut qulaccufèr foi ou le^. 
autres ; car s'il rend comprit, de&'plamtes ties pri-x 
fonniers , il aâure en même tenis qu'elles font Ou ne^ 
(mt point fondées^ Cûnviend|:a-^ii de leur juiliçç \ 



174,] 
^ il s'accufe luî-méme. Les taxera-t-îl de calomnies ? 

il accufe les autres. 

M. deRougemont a le pouvoir^Sc l'intérêt de mai 
faire. II a cet intérêt , ptiifque la majeure partie de ia 
:fornuie eft fondée fiir les manœuvres odieufes que 
jedéferc au gouvernement. Il en a te pouvoir, puis- 
que lui feul voit les prifonniers , puifqu'il.peut ré^ 
primer , étouffer à ion gré les réclamations. 

Il eft aifé de s'afTurer de la véri^té des faits princi* 
paux expofés dans cet écrit. En effet , à. qui fera•^ 
on croire, que l'on puifle dérober ce qui fe paffe à 
Vihcennes au lieutenam de police 9 ^ui y graccis à l'inr 
quifîtioa civile établie dans Paris , pénètre avec une 
inconcevable facilité dans les fëcrets domeftiques ^ 
découvre les trames les plus profondément ourdies 9 
6c n'ignore pas même une anecdote de fimple eu* 
n6Sté ^quand il veut la avoir? £n vain M. de Rou« 
gemont s'enveloppe dans les plus itortàeixx replia \ 
fynunïcfdQ iàuv£-garde eft le fecret qui s'obfërve 
éàïis cette maifon , dont il écarte avec un foia Infa*-; 
tigable tout ce qui n'eft pas dans fa plus étroite dé- 
pendance ; mais ce feciet n^én Ênirbit être un pour 
celui de fes fupéiiaiss qui voiidia le démêlen 
^ Je ne propoferaî pas d'employer pour le décou-. 
vrir aucunes vbîes détournées, 9 idoèt l'obliquité 
même peutarréter la vérité^ car des fiabalternes font 
feùpçonnables de inptils de vengeance dans leurs 
raiforts contre 'leur chef j & ces délations nuifènt 
iféceffeirenlent au fêrvke. • • • Etrange conftitution 
éiili eft également dangeieux d'accueillir Sc de re- 



[ 75 ] 
pouflêr les délateurs ! Mais void uii moyen Ar^ 

iilentieux , infaillible , impof&fale à découvrir j im- 
poflible à foupçonner^ (i) qui ne laiiTe aucun doute, 
qui conduit di;oit à la vérité. Choifiilèz un homme 
inconnu à tout ce qui avoifîne cette maifon : forgez«- 
lui un crime, ou &nsyous donner cette peine , frap- 
pez-le d'une lettre de cadbet: on n'eft pas accou-» 
fumé à lés motiver. Qu'il foit conduit à Vîncennes, 
chargé de vos ordres {eacets : laiflez-le àilèz de 
tems dans cette prifon pour s'afiurer que ce qu'il y 
d^ibrvera , n'eft point un accident pafiâger : qu'il 
tienne un journal exaâ de la nourriture qui lui ieia 
donnée -y qu'il n'aie iiir-^tottt smic perfonne aucunç 
correQK»idacK:e pro^ à inciser qoelque retenue au 
commandant. . . . Que ne découvrirez - vous pas } 
L'e^ioÉùnage £braidonc honnête liine fois ! Un ordre 
arbitraire aura été.juftet llinîeft point dlionamt 
ténûble y qui, pour jfervir. tjuit dé malheureux 8c 
contribuer à adoucir leur ibrr , ne le parcageàt vo« 
lontters pendant un mois, &tiie fk avec zele & fani 
tépi^iance une dénonciarion qui n'a tmk de com^ 
mun avec* i^'iinfeitit perÙMUitgt de ' délateur. Alors 
le miniftre iàtira^iaivéritél; Lorique les odieufes in-* 
juftices qui s^exerceiit ici , Bc iéwit j'ignore ou tais 
une pafdbr pour ne pas déceler ceux qui m'ont Inf* 
nuit (k ce que je n'ai poihtaêprorâé par moi*mème^ 
lorfque ces vexations onieUes'iài feront dévoilée» 
dans toute leur étendUe , iil finira d'avoir été fi 
long-^ems trompé, s'ilie ibuvient ^ue d^sprifon* 
niers fortt dôs hommes. Au 'moins pourra«t*il lui 



ftomber dans h pienfée^ -que dans linê éohftitutioii 
telle que. la nôtre , .tous les citoyens font expofés 
à fiiblr ie même (on j quç les gens en place , plus 
que les autres, font voifin? des orages j que la cime 
la plus élevée eft la première frappée de fe foudre y 
iyëtix^ de tous les tems'que la torture des grandeurs 
arrachoit à Mécène , miniftre ôc favori du maître di* 
JTionde , ) & que lui-même , diftributeur de t;ant de 
lettres de cachet , peut en être atteint. (2) 

Suppofons lui des fentimens phis purs : croyons 
iquQ rhabitude du défpotifine n'a pas féçhé tous les 
coeurs. Une fois qu'il fera inftruiç des at)us qui rc^ 
gnent.dans radminiftration intjérieuise dés prifons 
jd'état, il y chès^era Iç rc»nede qulie préfèiite da 
lui-rmême/ . ' 

i . Pourquoi faut-E que les geoHèrç des prifons d'en 
iatenfoient auffileS'pbufvoyBurs-î Pourquoi invi-^ 
jér un homme àijquilbn eft'forçé d'accorder Une 
aaCQîrîté prefg^ arbitraii-ev pburqiîokl'imdter , dis> 
jç^àrinjufticepar l'amorce puiflante dé la cupidité? 
On <léclamc fî .unanimement contre kiC'Cxaâions 
qu'ôfccafionehif . IcA çtffUinés y{ ji)î3:^éndant tout 
au plus les conimanHani dès 'fb9tr.idaQdrl^^ûéls elles 
font établies , pewë»rtils,être foHpçoo'néà ife proté-i 
èer les cantiniersL ou comme leurs fermiw»,* ou à 
raifon des-77o/^^-i&rWii:lqu'il$ ^n reçoivent^) Si c'eflr 
comme fermiers , ' lès cfaroits^ affermés font du moins 
fixes ^8c clairement: défiifis. Quant aux /7ctf^-//e-r//z^ 
ils- foqt très-médiocres , & ce feroit être bien vil à 
bônimarché que decfaire des injuftiçés pour uriQ 
fiuili petite confidération. 



[ 77 ] 

Ceux qui font à la tête des prifons d'état , n'ont 

poîiiFde fermiers : la prifon eft leur /^ropr/V// qu'ils 
font valoir euK-mêmes j les profits leur font perfou- 
nels 5c direâsi 

. Que le prifônnier foit bien ou mal nourri dans 
les châteaux ordinaires , la rétribution des chefs eft 
toujours la même ^ elle éft indépendante de tout 
brigandage aes fubalternes. 

Dans les prifons d'état la place vaut autant que 
l'on gagne : on gagne à raifon de ce que l'on donne 
moins i^plus mauvais. 

. Dans les autres forts , on a pour fon argent ce que 
l'on demande, peut-être paie-t-on fort cher j (4) 
mais enfin en payant on acquiert : on fait une con- 
vention j un marché , le cantinier contraâe un 
engagement connu dont perfonne ne peut le dif- 
penfer. 

Dans ceux-ci le prix eft fixé j l'ordinaire déter- 
miné par le foumifFeur & néceflairement accepté 
par le prifonnier ; point de convention réciproque : 
d'un côté on fait la loi j de l'autre on eft obligé de 
la recevoir. 

Là il\eft tout au plus queftion de favorifer un ou* 
vrier , qui abufera bien de la faveur j mais qu'enfin 
ion état tient dans une dépendance étroite , dont on 
(q plaint avec hardiefle , que l'on traite comme il 
\» mérite & comme tout autre ouvriefr. 

Ici c'eft un fupérieur qui régit par lui-même , qui 
joint aux intérêts y aux vues d'un valet , l'autorité 
d'un maître j qui regarde les reproches faits à ièfl 



f 78 } 
cuifiriier comme lui étant personnels ^ 8t peut les 

punir comme un outrage. Le loup difpute avec 

Pagneau. Si fa viôimc fè juftifie fur un point y il 

l'attaque fur un autre. Comment auroit-elle raifon î 

elle efi: fi foible ! Comment un commandant céde- 

roit-il ? il ^ft fi fort ! Qui peut réfifter à l'éloquence 

des cachots & des verroux ? 

Quoi ! parce que les prifons d'état font infini-* 
ment plus aufteres que toutes les autres y il faut que 
le pillage y foit beaucoup plus criant ^ beaucoup 
plus manifefte, autorifé , irrémédiable ! Parce que le^ 
malheureux qui les habitent font infiniment plus in- 
fortunés que tous les autJtes , il feut qu'ils foient in-^ 
Animent plus mal nourris ! Parce que ces prifons 
font fous rini^P^ôion immédiate du miniftere ôf 
dans fon voifinagè y elles doivent être les plus maf 
gérées ôc réceler des brigandages exceflîfs ! Parce 
que les gardes de ces lieux de douleur font des geô- 
liers galonnés , ils fotit au-deffus de toute bîen- 
féance, de toute règle, de toute cenfore ! Parce qu'ils 
reçoivent d'énormes cmolumens , d'énormes vole- 
ries leur font permifes ! . ^ . Leur brevet eft donc 
une lettre de grâce indéfinie ! Leur prérogative un 
monopole protégé ! L'autorité qui leur eft confiée y 
un privilège exclufif d'être impunément injufte ! 

Si un entrepreneur particulier, tout-à-fait étran- 
ger à l'adminiftration intérieure des prifons d'état y 
étoit chargé de les fournir de vivres, il fefoit féve- 
rement fiirveillé par lé commandant, hautement 
aeeofë par fes fbbalternes , faatrâhnexit pourihivi pal' 



[79] 
Us prîfbnnîeri, & il en coûterdît moms d^argent 
au roi pour les mieux nourrir: car on fënc quel 
avantage trouveroit un vivandier au débit aiTuré SC 
journalier d'une quantité coniidérable de denrées y 
& combieh il pourroit traiter à meilleur marché 
qu'un homme dont ce n'eft ni l'état ni le métier. . . ; 
Mais Ufacret? . . . Quoi ! encore ce terrible mot dé 
SECRET. Qu'il ne vous fefcine point la vue j ou plii-' 
t6t qu'il ne vous ferve point de prétexte. Raifon- 
nons 9 Se voyons en quoi l'arrangement que je pro-> 
pofe peut compromette le fecret. 

Un vivandier ne peut-il pas (avoir qu'il doit livref 
tant de dîners & de foupers chaque jour^ Sc igno- 
rer pour qui il les livre? Le cuifinîer de M. de Rou'* 
gemont n'a-t-il pas cet important fecret du nombre 
des portions qu'abforbe le donjon ? Eft-il un homme 
d'une autre efytce qu'un vivandier? Le boulanger 
ne fait-il pas combien de pains il délivre chaque 
jour ? Le cordonnier combien il a de meftires de fou-^ 
iiers ? La blanchifleufe combien elle reçoit de pa- 
quets de linge, paquets numérotes comme les cham- 
bres, ce qui lui fournit un état de celles qui font oc- 
cupées? Sont-ils fabriqués exprès pour le secret^ 
tous ces ouvriers , parce que M. de Rougemont les 
a choifis. On pourroit croire qu'il penfè en effet, 
que fes protégés 8c ks gens fhnt d'une efpece privi- 
légiée ^ car il s'eft fait accorder la jouiflançe d\in 
jardin de cinquante -deux arpens, fous le prétexté 
que le jardinier qu'y entretenoît le roi avoir ou pou- 
Voit avoir des converfàtions avec certains prifon^ 



[8oj 
isiietSé Vous n'imaginez pas fans doute que ce jar- 
4in foit devenu una lande inculte depuis qu'il eft 
entre Ces mains,. (.5) Il y entretient cinq. ouvriers,' 
]|;iomme$.& femmes^ mais ils font à fès gages : les 
voilà fourds^ muçts , incorruptibles. Je ne fais fi M. 
de Rougemont eji poffédé du démon de la propriété 
jufqu'au point de le croire 5 mais je me flatte que 
tQUs autres trouveront feulement, le prétexte fpé- 
cieux &. commode 5 & conviejjdront qu'on peut 
JEonfier fans inconvénient à d'autres ouvriers le fe- 
cret que gardent, ceux du commandante 
; Vous aurez beau vous retourner dans tous les fensV 
Le fecret dépend & dépendra toujours des porte- 
clefs. S'ils veulent, s'ils ofent le trahir j ils le peu- 
vent à toutes les heures , parce qu'ils ont néceflaire- 
ment la faculté de voir \ts prifonniçrs fans témoin j 
& de fbrtir azi-dehors. En, vain par une ridicule mo-^ 
merie , leur défehd-on de parler à leurs prifonniers 
d'autre chofè que de kurs befoins , & de les nom- 
mer autrement que par leurs numéros , »'ils peuvent 
le rendre muets , ils , ne peuvent fe rendre fourds , 
& ils favent le nom .& peut-être les affaires de tous 
ceux qu'ils gardent. Si vous aviez des prifonniers 
vraiment importans ^ ôc que le iècret à Jeur égard 
fût efraû,tiel , vous ne \^% confieriez pas à des mercé- 
naires fi mal payés , qui cependant bornés dans leur 
ambition^ leurs defirs 8c leur$ befoins , font ordi-^ 
Clairement les plus. incorruptibles. Si vous le faifiez ^ 
ils feroient gagnés j d'autres le feront auflî \^ vous 
. favez bien que vous ïiiX&èy que vous êtes & que vous 



- [ 8i ] 

ferez toujours trompés en pareil cas. On croira fe- 
cilement que je ne parlerois pas du tems préfent ^ 
quand j'en iàurpis quelque chofe; mais lifez les mé-^ 
moires du cardinal de Retz, de Joly, de la Porte y 
de madame de Staçl, 6c de tant d'autres. Vous ver- 
rez que la Porte j organe prigpipal des correspon- 
dances d'Anne d'Autriche , gsèdé à^ue à la Bâftille, 
pourfuivi par l'aôif & implacable Richelieu 9 en- 
tretenoit un commerce de lettres avec la reine j pri- 
fonniere elle - même (6). Vous verrez que M. àe 
Beaufort fe fauva de Vincenaes py le iëcours d'un 
homme qu'on avbit mis auprès de lui. Vous verrez 
que le farouche du Bar, te Rougemont de fon tems^ 
qui gardoit le grand Condé , le prince de Conti , & 
M. de LongueviUe étoit trompé chaque jour ^ qu'on 
employoit jufiju'à fes valets & jufqu'à lui-même à 
pafler dans des bouteilles à double fond , dans des 
écus creux & de cent autres manières les correspon- 
dances des prifonniers. Vous verrez tout ce que put 
îadrefle de Montreuil , fimple fecrétaire du prince 
de ContL «Nous leur écrivions , dit le cardinal de 
w Retz^ ils nous faifoient réponfe^ & le commerce 
» de Paris à Lyon n'a jamais été mieux réglé. Bar 
» qui les gardoit étoit homme de peu de (èns. De 
» plus , les plus fins y font trompés ». Et ailleurs , 
en parlant de fa propre déjtention, pendant laquelle 
il étoit gardé à vue. « Mes açiis m'écrivoierft régu- 
» liérement deux fois la femaine. . . Nonobftant le 
» changement de trois exempts & de vingt-quâtrè 
» g2urdes<lu-corps , quifë fiiccéderent pehdant4l^ 

F 



[82] 

» cours de quinze mois les uns aux autres , mon 
» commerce ne fut jamais interrompu. » Je fais 
que vous diminuez les moyens de corruption en 
étant toute communication entre les prifqnniers Se 
kuis gardes ^ Se qu'il faut maintenant gagner fbn 
porte^defs j ou renoncer à toute corre^ondance au« 
dehors^ Mais au(|i il n^ a que cet homme à gagner j 
& par-toux où régnera le de^otifoie^ on eftimera 
pardeffusttout Tor, comme k mobile le plus uni- 
ver&l Se le pKis indépendant de$ jouifTances j Se par? 
tout c^ l'on eftûnera ainfi l^oi* ^ il y aura des cor- 
ruptems 8e des corrompus. • • • Modérez donc vos 
inquiémdes ftériles. Le fecret étant à la di^ofîtion 
des porte* defe , qu'importe qu'ils aillent chercher 
les portions des prifonniers à la cuifine de M. de 
Rougemdnt^ ou à celle d'un vivandier ? L'ét2i)liffe7 
ment d'une entreprife pour la nourriture ne change 
donc abfblument rien aux arrangemens pris poui: le 
&cret. Se il obvie à prefque toutes les malyer^tions, 
Ofercz-vous encore avouer après tout ce qui 
précède y que vous accordez aux commandons des 
prifons d'état te privilège d'en nourrir les habitons ^ 
afin que leurs placés étant plus lucratives , intéref* 
fënt leur vigilance y Se que ce fatal secret qui coûte 
il cher au roi 9 Se bien plus cher aux prifi>nniers foit 
ijlviolablement gardé ? Cet aveu y prenez-y garde 9 
eft terrible ; car il vous rend complice de toutes les 
iniquités que j'ai dévoilées. • . • Mais quoi 9 il faut 
tant d'ai^nt pour engager vos pr^ofés à faire |eur 
Ibvoir ! Eh ! leurs £ibalternes expojÊs à tant de tra* 



[83] 
cas 9 de fatigues , d'inquiétudes reçoivent fix cents 

livres pour toute compeniàtion d'pn fi trifte genre 
de vie, & gardent ce même fecret pour une fomme 
fi modique ! Ils feroient plongés dans une baffe foflb 
s'ils étoient convaincus de l'avoir trahi ! Ils ont toute 
la peine j ils courent les plus grands rifques j ils de- 
vroient, vu la modicité de leur fortune, être moins 
fcrupuleux & plus intérefles ^ ÔC deux cents écus font 
le prix de leur difcrétion , tandis que celle de leur 
chef eft évaluée près de quarante mille livres ! • • • 
Certes , le tarif eft inégal ! Croyez-vous donc que les 
dix miUe livres attachées à ce commandement^ qui 
Q^a d'autre afFujétifTement que la réfidence, n'attiré- 
roient perfbnne ? Tous les hommes peu pécunieux 
qui aiment plus l'argent qu'ils lîe font compatiffans 
Se ienfibles , en feront féduit^ : 8c ces places mor« 
tes qui ne montent pas à moins de deux cents foi<* 
xante 8c quatorze louis , laiflez-Ies à ce comman* 
dant , fi vous voufez l'enrichir. Croyez-moi, dix-huit 
mille livres de rente feront dédaignées de peu d'hom- 
mes. Vous pourrez choifir même parmi les plus il- 
luftres des chevaliers d'induftrie ^ les gens de qualité 
à gage duflènt-ils vendre le lendemain la place , Sc 
les protcâeurs & les proteârices trouveront encore 
plus d'un candidat , qui payera chèrement leurs fiif- 
frages pour un emploi réduit à un tel revenu. 

Mais fi par un opiniâtre 8c puéril attachement 
pour les préjugés admis , ou par des raifons que 
j'ignore 8c que je ne veux pas deviner , l'on per- 
levere dws Tordre , fi ce a'eft k défordre établi f 

Fi 



[ 84 ] 
^e Ton interpofe du moins un état-major qui ferve 

de témoin foit au commandant , ibit aux prifon* 
niers , ôc faffe un contre-poids contre le defpotifme 
d'un chef Unique & abfoiu. Cet ufige conforme à^ 
la règle ^ prefcrit par la raifôii , jufte , néceffaire ^ 
indiipenfable exifte à Ia,Bafll|Ie, Se dans tous les 
forts. On a vu par quelles manœuvres M, de Rou- ' 
gemont en a fecoué le joug. Mais remarquez que 
fî le major que vous lui donnerez n'eft point aflez ' 
indépendant pour être vrai j affez honnête pour être 
incorruptible , affez accrédité pour ofer parler , ce 
fera un nouvel inconvénient qui aggravera tous les 
autres ^ loin d'y parer j car on prendra fon filence- 
pour un témoignage en faveur du commandant. Peut- 
être même une funefte & perfide coUufion mettra-t- 
elle le comble aux malheurs des prifonniers qui au-- 
ront deux parties , deux accufàteurs , deux tyrans 
a;i lieu d'un , & qui fupporteront encore > à l'aide de ' 
quelque nouvelle réforme, ce qu'il en coûtera au 
commandant pour gagner fon collègue. 

Faut-il doiîc compter fur un défintéreffement in- 
flexible , comme fî l'expérience n'apprenoit pas 
chaque jour combien il efl rare ? On acheté la vi- 
gilance 9 peut-être même à un certain point la fidé- 
lité : on acheté le courage , la vie des hommes ; mais 
jamais les verms ne furent à vendre. Pourquoi ddïic 
fiaire dépendre le bon ordre d'une adminiflration des 
vertus de l'adminiflrateur , lorfque par des moyens 
fûrs 5 on peut prévenir les effets de fa corruption ? 
Tel commaadant fera trçs -honnête, lorfqu'il n'aura 



[ 85 ] 
aucun intérêt pécuniaire à démêler avec fès prifonr 

. niers ^ qui les opprimera cruelle;nent lorfque fës 
vexations lui feront lucratives. On voit peu d'êtres 
monftrueux qui faflent le mal pour le mal. ( A 
peine eft-il quelques bêtes féroces qui donnent la 
mort pour le plaifir de la donner. ) Mais peut-être 
çft-il encore moins d'hommes capables de fermer 
l'oreille à la voix de la cupiidité y lorfqu"iIs peuvent 
impunément & fans rifque l'écouter & fuivre Ces 
fuggeftions. Il y a^ dit Séneque , {a) des profèf 

fions niùjibles aux âmes hjonnétes ; mais encore chanr 
celantes. Eh ! combien peu ceflênt de l'être ! Com- 

. bien pçu d'hommes vivent felon des principes , Se 
échappent ainfi aux tentations ! En général de nous 
tous y Von a moins à craindre la hairu que tavi^ 
dite. Je ne dis pas que les commandans de^ prifbn 
abuferont fréquemment avec autant d'excès que M. 
de Rougemont^ des j&cUités que lui donne ià place. 
Non : il faut avoir le cœur couvert d'une triple ett^ 
veloppe d'airain pour fe conduire ainfi ^ & fà vraie 
devife eft : iHi Robur & ces triplex circà peQus. {h) 
A Pieu ne plaife que je foupçonne une telle dureté^ 
d'auffî cruelles bafièffes , avant d'en être convaincu 

ipar mes yeux ou par des témoignages irréprocha- 
bles. Mais un abus peut encore être onéreux fans 
être exceflîf, & je crois la tentation trop forte pour 
le commun des hommes. Certainement il faut , fur- 

(a) £p. 24 - 14. 

(b) Si Ton n'aime mieux ctÛc-cii Per inccrtumjlolidlor an 
vanior. 

F 3 



tout en matierô d'adminiftration renoncer ^ â trou- 
ver en eux une perfedion platonique , c'eft-à-dire^ 
à la honte de notre eipece j vraiment romanefque* 
.Mais c'eft à caufc de cela même qu'on doit laiiTer 
une carrière moins étendue aux volontés arbitraires 
.des iùbaltemes , 8c pefer plus rigoureufëment à la 
balance de Téquité la théorie de toute inftitution ; 
car il eft trop certain que dans la pratique, les paC- 
fions humaines s'écarteront beaucoup des princi- 
pes... # Belle & frappante leçon ! Le defpotifine eft 
obligé de fè limiter lui-même , s'il veut mettre de 
l'ordre dans fon propre ouvrage ! Au milieu des 
cachots: où il étend fbn fceptre de fer, i|.rte feuroit 
•tout abandonner à la volonté arbitraire d'un ièul, 
H'il ne confent à être complice de fes crimes ! 
' L'établiffement d'un vivandier pour la nourrimre 
des prifons d'état a cet avantage, que l'on peur 
.exaôement définir fes obligation» & lui feire con- 
traâer un engagement légal. Il eft facile, il eft né ^ 
ceflaire de lui prefcrire la namre , la qualité & la 
quantité des alimens qu'il doit fournir. Se tout cela 
eatre dans le marché que l'on feroit avec lui. Le 
titre de conïmandant , fi fonore dans la bouche de 
-M. de Rougemont , femble exclurre ces détails , on 
îdu moins les rendre plus difficiles à difcuter 5 car 
les hommes féparent en tout le mot de la chofe , & 
celui-là même qui ne remplit que les fondions d'un 
* jivandier & d'un geôlier , feroit bien ofFenfé qu'où 
ofât lui donner ce nom ou le traiter fur ce pied. 
Un vivandier intéreflera peut - être plufieurs per- 



[87] 
fonnes à tolérer fes négligences \ mais une ieide 

fufflra pour l'accufer & le convaincre. On ne crain- 
dra ni fes perfécutions , ni fon crédk^^ ni fes rap- 
ports : on dira plus nettement la vérité , parce que 
Ton aura moins d'intérêt à la déguifer 6u à la taire. 
Cette foufce principale des vexations qui s'exer- 
' cent dans les prifons d'état une fois tarie , il refte 
l'important article des êvëix rapports , dont il faut 
empêcher jufqu'à la poflîbilité ; car pourquoi ne pas 
prévenir le mal, plutôt que de fe réferver d*y remé- 
dier , & de s'expofer par - là à l'ignorer? On fent 
que c'eft faire difparoîire l'occafion la plus fit^équente 
des calomnies que d-ôter l'intérêt de calomnier. Il 
faudroit fuppofer une malignité bien noire à iin 
commandant pour imaginer qu'il prêtât gratuite- 
ment des torts à fes prifonniers , & le ccèur tépugne 
à ce foupçon. Cependant comme tout ^A poflible^ 
comme l'humeur d'un prifbhnier peut lui donner ie 
l'aigreur , & l'humeur de fbn geôlier s'en irriter ; 
comme il en peut réfulter des préventions , des chi- 
nions fàufles , des reflêntiméhs , des vengeônces , il 
eft jufte & néceffaire que le prifonnier ait la voie 
d'appel. C'eft bien affez ^ hébuè ! c'eft trc^ qu'il ne 
puiflè obtenir d'être confronté à celui dont l'accu- 
fation l'a plongé dans un cachot, fans que tout 
moyen de défenfe lui (bit encore ôté. Il fèroit affreux 
que l'on pût fauflement & impunément accumuler 
fiir fa tête de nouveaux griefs , & élever à fon infû 
de nouvelles barrières entre lui 8c fa liberté. Il faut 
qu'il puifle compter qu'il eft du moins à Kabri des 

F4 



[88] 
calomniateurs 9 & que la régularité de fâ conduits 
préfentje , qui ne peut être envenimée , démentira 
. les affertions de fes ennemis , ou expiera fes fautes 
; paflees. Le commandant qui le garde y qui le fiir- 
. veille, eft homme comme lui : il peut devenir fa 
partie : il ne doit être que fon témoin : un tiers doit 
juger entr^eux : il eft donc néceflaire que le prifon - 
nier foit toujours libre de fe plaindre. C'eft encore 
un afie? grand défavantagepour lui que û fituation 
. le rende fuipeâ ^ qull ne . puifle qu'écrire j tandis 
que fa partie parle. Que fes lettres du. moins par- 
viennent fûrement : que Ton n'ait aucun moyen de 
ks fouftraire , de les altérer , de les retarder. Eh î 
quel droit a le commandant de voir ce qu'un prî- 
ibnïiier écrit au lieutenant à/d police ^ au miniftre? 
.Quel peut être le motif de fa curiofité? ... La 
^crainte^e Ton ne fe plaigne de lui ,. fans doute.. .. 
Et pourquoi cette crainte , fi fà confcience eft pure? 
^ Celui qm marche avec fimpUçiti y marche avec con- 
fiance* \a^ commandant ne peut pas redouter d'être 
jugéifans être entendu \ les accufations parviendront 
jufiju'à . lui 5 & juftifiGation fera claire , facile Se 
fevorablement écoutée; car toutes fes préfomptions 
feront çn ià faveur. Ç^ei cela , comme dans tout le 
refte , il eft vrai de dire,.f£^ celui qui fait le mal 
hait la lumière , de peur que fes œuvres ne foient 
manifejlées. (a) 

Le commandant, d'une prifon d'état n'a pas le 



r#^ 



(a) Jeâiï» thap. III , w. 7o. 



[89] 
droit de fàvoir les affaires des prisonniers. C*eft 

une pure condefcendance, s'ils les lui communiquent. 
Us font finguliérement payés de leur confiance ! 
On gêne, on reftreint, on retarde leurs réclama- 
tions autant qu'on le peut. Pernicieux abus ! odieu- 
fc iniquité ! Un plaideur n'écrit-il pas aufli fou- 
vent qu'il veut à fon juge , à fon rapporteur ? Eh 
bien ! le juge d'un prifonnier d'état c'eft le minif- 
tre : fon rapporteur c'eft le lieutenant de police. 
La loi du plus fort le fait refTortir à cette forte de 
magiftrats. Toute facilité d'invoquer leur juftice , 
ou leur clémence , ou leur pitié , doit lui être ac- 
cordée. Il eft donc néceffaire que les porte-clefs 
aient la permiflion Se même l'ordre , de donner à 
la première demande dc fans autre information du 
papier pour écrire au miniftre>, ou au commifTaire 
du roi départi pour l'infpeftion des prifons d'état, 
& de cacheter auffi-tôt ces lettres dont le foeau 
.doit être iàcré» Il ne faudroit pas même qu'elles 
pafTaâënt dans les mains du commandant ^ mais qu'il 
fût établi une boite {a) vuidée chaque jour par 
un homme attitré à cet office , Se chargé de porter 
ce qu'elle contiendroit à la police. 

De même il eft infinimenj injufls Se ridicule 
qu'un porte-clefs foit obligé de demander à M. de 
Rougemont, au nom d'un prifonnier, la pçrmiffion 
Se le papier néceflaire pour écrire à lui , M. de 
Rougemont. Qui ne comprend qu'une telle cafcade , 

(a) Cçla fe pratique ainli à la Baftille , à c< ^ue Ton m^aHIirç, 



[90] 
outre la perte de tems , met le prifonnîer à la merd 

de fon garde ? Le commandant monte rarement 
au donjon , 8c tel malheureux qui y gémit ne le 
voit pas trois fois dans l'année. Si quelqu'un le de- 
mande, il répond içuoi! ne diroit-on pas qu'un 
commandant ejl obligé de fe plier au caprice de fes 
prijbnniers ? . . . Tirai quand il mx plaira. II oublie 
que c'eft fon métier de pourvoir aux befoins ^ aux 
plaintes , aux demandes juftes de ces prifonniers 
qu*il traite fi dédaigneufement : il oublie qu'ils font 
linon fon gagne -pain , du moins la principale bran- 
che de fa fortune. S'il vouloir penfer que quand 
on a pris une charge , ce n'eft point affez d*en per- 
cevoir les émolumens , il fe convaincroît que les 
prifonniers ont des droits fur lui , malgré fa dignité 
de commandant. . . Dignité fort honorable, en effet , 
que celle d'un geôlier brevet/ / Les lions , difoit 
Dîogene , sont moins les esclaves de ceux qui 

LE$ NOURRISSENT, QUE CEUX-CI NE SONT LES VA- 
LETS DES LIONS. . . . Mais que réfulte-t-il de cette 
oftentation du commandant ? Que fi un prifbhnier a 
des plaintes â porter, il dépend d'un porte-clefs de 
dire ou de ne dire pas à fon chef que fon prifon- 
nîer defîre lui écrire» Aînfi le geôlier fiibalterne peut 
comme le maîtrè-geolier réduire , lorfqu'il lui plaît, 
fon troupeau au filence. Je* ne dis pas que cela 
arrive j mais je dis que cela peut arriver. 



^ 

♦ 



[î>I J 



il 



N O T E 5 

D V QUATRIEME CHAPITRE. 



(o M. 



■Aïs , me dîra^Non « votre avis n^e(l-îl pas ailèz public î 
Eh bien ! M. dç Hougemont n'en fàuroit profiter que &$ pxi* 
foiïniers n'en profitent auflî , & j'aurai rempli d;on but au moins 
en partie. 

( 2 ) n ferott fort utile aux malheureux fiappés fans pitié par 
des ordres arbitraires « qu'on pût dire plus ibuvént aux miniftres 
ce que Pline diibit à Trajan : Vixijli nohis cumpereclitatus es : 
timuifli .* quœ nunc erat innocentium vita fcis & expertus es , 
qiianto opère detejientur nudos principes^ etiam qui nudos faciunu 
Meminifii quœoptare nobifcum^ quafis querifoUtus; namprivato 
judkio prinçipem geris» ( Panég. ) 

(l ) Cabarets privilèges établis dans les forts , moyennant 
certaine ibmme annuelle proportionnellement répartie a l'état* 
major de la place. Il eft dit , dans l'Encyclopédie à ce mot 
Cantine y que Ton y fournit de l'eau -de- vie, du vin & de la 
bierre aux fbldats par privilège particulier , que le roi veut bien 
l'accorder, â un prix beaucoup au- defTous des autres cabarets. 
U eft très -^ vrai que cela devroit être , ^ tout auffi vrai que cela 
n'efl pas. Les cantines font précifément un monopole au profit 
des états^majors de place & des cantiniers , & voilà tout. 

( 4 ) J'ai cependant vu dans un de ces forts auprès de Mar- 
ièille, OLi les denrées font aufli chères qu'à Paris, des prifbnniers 
moins mal nourris que ceux de Vincennes pour )6 liv. par mois ^ 
ti pour 54 liv. j'y étois infiniment mieux fans aucune compa- 
raifbn. 

( 5 ) Depuis que ceci efl écrit , on a ôté ( en 1779 ) à M. de 
Rougemont une grande partie de ce jardin pour y tranfplanter 
les pépinières du Roule ; mais on lui en a laiflé vingt arpens. 



[9î j 

(6 ) Le commandeur de Jars , prifonnier à la Baflille , averti 
par l'entremife de madame de Villarceaux , employée par ma- 
dame d'Hautefbrt , dévouée à la reine , gagna le valet d'un autre 
prifonnier^, nommé l'abbé de Trois , qui , en préfence même 
d'une ièntinelle , choifîflânt fon moment , communiqua par un 
plancher avec d^autres prifoiiniers logés âù-<!e{Ius de La Porte* Us 
firent un trou à leur plancher, & par cette ouverture ils defcen- 
doient avec un filet à La Porté toutes les lettres du dehors, & ce 
qu'il falloir pour y répondre , pendant que fon foldat dormoit, 8cc. 
Cette intrigue fauva peut-être la répudiation à Anne d*Autriche, 
ou du moins fon renvtn en Efpagne , en lui donnant moyen d'ac- 
<;order parfaitement fes difpofitions avec celles du fidèle La 
Porte» (Voyez fes Mém. p. 1 1 1 jufqti'à 201, ) 




[ 93 ] 
CHAPITRE V. 



E 



Conclujion. 



N voilà affez fans doute pour convaincre ceui 
qui liront cet écrit fans prévention ^ de la néceflîté 
de remédier aux abus qui régnent dans cette mai- 
fon. Elle renferme des tourmens fans nombre j elle 
retentit de foupirs pouffes par le défèipoir : la noire 
mélancolie l'habite, & cela ne peut être autrement* 
Mais pourquoi n'en pas bannir les douleurs qui 
n'en font point inféparables ? Pourquoi tant de 
contrariétés barbares , tant de privations cruelles 
également indifférentes à la fureté de la garde 8c 
au motif de Temprifonnement ? Puifque les illu* 
(ions de l'amour-propre , les préjugés de Téduca- 
tion , la tyrannie de l'habitude , les amorces trop 
décevantes de l'autorité arbitraire, l'exceflive îgno* 
rance des princes , les paffions de leurs miniftres 
ne permettent point d*efpérer que la loi foit l'ex-N 
preflîon du confentement commun & l'unique maî- 
treffe des rois , ÔC que les rois ne foient pas les 
tyrans de la loi par laquelle cependant, & par la- 
quelle feule ils font rois \ puifqu'il eft comme im- 
poffible que les fouverains confentent à limiter des 
prérogatives que leurs agens ont tant d'intérêt , ou 
plutôt qu'ils ont feuls intérêt à foutenir ^ il faudroit 
du moins que l'autorité de leurs fubalternes cupideç 
fût reftreinte & furveiyée. 



[ 94 ] 
Ceux qui ne penfent point ainfî & qui croient 

qu'une lettre de cachet doit , comme la boîte de 
pandore y renfermer tous les maux , de forte qu'en 
l'ouvrant ils fondent fur le profcrit, ne changeroient 
pas d'opinion quand j'accumûlerois les raifonnc- 
mens ôc les faits 5 car il n'eft aucun moyen de con- 
vaincre celui à qui il faut prouver ce qui eft évident 
Je fuis loin d'accufer ni de foupçonner le gou- 
vernement d'une coUufion inutile & barbare. J'ai 
donc quelque eipoir que cette expofition forte, 
mais exaâe des malveriàtions qui s'exercent au 
donjon de Vincenncs , pourra produire un effet ia- 
lutaire. J'attefte l'hoiîiieur que je n'ai pas hafardé 
un ièul fait ^ que tout dans mon récit eft conforme 
à h vérité i qu'aucun détail n'eft exagéré ou préfenté 
ibus un feux jour i que j'ai compté pour rien en écri- 
vant mes fbuffrances perfonnelles , peut - être plus 
tplérables que celles de tout autre, foit par la modé- 
ration avec laquelle je les ai fùpportées ^ foit par mon 
attention continuelle à ne pas donner le plus léger 
prétexte de plainte i foit par l'efpece de crainte que 
ma véracité infpire à M. de Rougemont i foit en- 
fin parce qu'il a cru entrevoir de l'intérêt que fon 
fupérieur immédiat veut bien prendre à moi ? Cet 
ouvrage ne verra le jour qu'à l'époque de ma li- 
berté ou après ma .mort. Alors tout intérêt per* 
fonnel aura difparu ; mais je croirai devoir aux in- 
fortunés que je laifTerai dans ces lieux da douleurs , 
& dont je ne çonnois pas un fèul de raconter ce qui* 
s'y paife ^ fi je l'écris dès au|oiml'hui,.c'eft parce 



l 95 î 
que je deviens aveugle , c'eft auffî pour qu'aucua 

détail ne m'échappe. Je ne l'adrelFerai point au mi- 
niftre qui ne lit pas* Mon intention eft de le publier 
ou d'en laiflër le foin à l'ame tendre ôc généreufe 
qui partage ma fenfibilité 6c mon courage -5 & qui 
{ent plus mes maux que tout ceux que je lui al 
çaufés. Les mémoires paniculiers enfevelis dans les 
bureaux font facilement mis à l'écart, & plus fe- 
cilen^ent encore oubliés ^ au lieu que l'opinioa 
publique a tôt ou tard une grande influence* 
C'eft donc elle qu'il faut s'efforcer de déterminer* 
Si je croyois me devoir une vengeance > ce n'eft pas 
ainfi , Êms doute i que je la pourfuivrois j mais je 
fuis incapable d'un defîr fi bas qui égale l'oâènjfê à 
VofFenfèur , ( i ) Se ne germa jamais dans une ame 
vraiment noble. Eh ! qui pourroit fe croire outragé 
par l'homme qu'il méprife comme l'être k plus 
abjeô? On ne fauroit croire que je tire quelque 
vanité d^un travail fî fimple. Son exécution efl trop 
fiu - defibus de mon fujet ôc de mes vues. Peut - être 
au tems de mon bonheur mon imagination fût-elle 
plus ardente & plus féconde , mon flilie plus éner- 
gique 8c plus facile : il eft cruel de fe furvivre à 
vingt - huit ans j mais fî l'infornine élevé les âmes 
fortes, elle abat le génie. Je fuis perfécuté depuis 
fept ansjfroiffé par toute forte de malheurs , dévoré 
d'inquiémdes ôC de chagrins j exempt de remords , 
mais accablé de repentirs ^ malade depuis dix mois, 
eofèvell depuis quinze dans la folitude la plus aufr 
tere. La vigueur de l'efprit peut être^altérée par de 



[ 96 ] 
telles épreuves. N'importe : le zèle impofe filence à 

Tamour-propre, Se mon unique objet eft l'utilité. 
Un grand fymptôme de fervitude & de corrup- 
tion ^ c'eft lorfqu'un peuple n'a plus le courage j 
ou même Tidee d'applaudir à ceux qui ofent dis- 
cuter fes droits 8c les défendre: c'eft lorfque l'ef- 
prit de l'efclavage eft affez enraciné pour que l'on 
regarde de bonne- foi commç des fols ceux qui 
lui réfiftent Ôc affichent d'autres principes. Cette 
forte de folie fera peu commune dans de telles cir- 
conftances j car quel encouragement refte-*t-il à 
ceux qui ont des intentions droites ôc des fenti- 
mens de patrîotifme^ lorfque loin d'être fûrs de 
l'approbation publique , ils le font autant d'être 
condamnés par leurs concitoyens que d'êtrç perfé- 
cutés par le gouvernement ? Il ne leur en rcfte au- 
cun , fi la hauteur de leur ame ne leur fait trou- 
ver un falaire digne d'eux dans le contentement de 
leur confcience j ce confolateur caché j qui crie plus 
haut que la multitude & la renommée , & qui fans 
compter les fujffrages , l'emporte feul fur tous les 
avis ; {a) il ne leur en refte aucun , s'ils ne favent 
pas dire avec deux grands hommes de l'antiquité : 
effaye\ vos menaces de mort & d^eocil fur ceux que 
vous pouvez épouvanter ; fur Vefclave de la fortune 
qui fait dépendre d'elle fes efpérances y fes démar- 
ches j fes penfées : mais pour moi^ tout ce que me 
prépare Vingratitude de rrui patrie , je le recevrai 



faj Seoçc* de benef. 1. IV, 21*. 

fan£ 



.[97] 
JànÈ r^fijianct ù menu farU r/pugnanccé . .. • Lfi 

TYRAN ME FERA CONDUIRE, OÙ ? . • • OÙ JE VAIS. (.7) 

Je n^examine point , fi dans nos nlaladies politi- 
ques on peut trouver les fymptômes qud je viens 
de décrire ^ mais je dis : 

Si les fupérieurs n^ont aucun defir d/c îavoîrla vé« 
rîté y ou s'ils la craignent, cet écrit fera peu utile ^ 
puifque c^efl à leur propre tribunal que je plaide 
contre eux , Sc qu'^/Turéhient il^ en &vent plus que 
moi fur leurs véritables intentions : cependant que 
pourront-ils objeâer ou répondre à un homme ab* 
folument défintérefle , puifqu'il ne fera plus fous 
l'empire de celui dont il leur défère la tyi^nnie ^ 
lorfqu'il dévoilera fes baflefTes barbares ? Ne paà 
J[es réprimer quand elles font connues , c'eft les au- 
torifen Quoi qu'il en foit, il me reftera du moins 
l'e/poir de delîîller les yeux de quelques parens plu- 
tôt prévenus qu^inhumains. Si je les attendriflbis 
lur le (oït de ces malheureux dont j'aiirai fî îong- 
tems partagé l'informne, le fouvenir m'en fèroît 
moins amer. Si je contribuois à leur faire rendre la 
liberté , ne fût-ce qu'à un feul , je verrois d'un œil 
ferêin les rifques que je courrai peut-^être en répan- 
dant Ces vérités hafdies. Ëh ! quelle générofité y a- 
t-il à faire le bien fans danger? Je ne me nomme 
point , parce que cette franchîfe eft auflî peu né- 
ceflaire qu'elle feroit imprudente : mais l'honama 
que je livre à l'indignation de fes concitoyens me 



MMiÉriiaiaiMwMivAHtai 



(a) Séneque,épît.4« 



recoimoitra în^Uiblement. J'ai prodigué à toutes 
les pages ce qui peut me déceler à fes yeux. D a 
donc uir moyen bien fimple & très-honnête de Ce 
lavfer & de ie veng». C'eft de repoufler légale- 
ment mes accufations qu'il appellerais doute des 
calomnies. Alors je paroîtrai an grand jour prêt à 
fbumettre ma conduite y mes principes , mon ou» 
vrage > & les preuves de mes affermions aux magit 
trats faits pour rendre juftice >• réprimer la calom- 
jnie , punir le calomniateur & flétrir les libelles» 

Après ce défi formel , je crois être juflifié de Ta- 
noriymité j & je n'ai plus rien à dire à M. de Rou- 
gemorit. S'il garde le fîlence , il s'avouera coupable: 
s'il ne fè défend qu'auprès àes miniftres , il bravera 
Varrêt du public, feul juge de ThonncurSc des pro- 
cédés ; il ajoutera à fes torts y à fbn ignominie. S'i| 
obtient delà complaïfence de quelque homme en 
place une apologie dont il ne manquera pas de char- 
ger les gazettes 5t les journaux , il prouvera mieux 
çncore qu'il a befbin de Pégide de la feveur. Quand 
ondefçend dans l'arène, c'efl pour y combattre à 
armés égales : je l'attaque à là face He la nation : 
qu'H ïè défende devant elle, nous refpeâons tous 
l'autorité i itiaîs Ce refpeft-là même nous apprend 
que'lës nilnlftres fbnt trop foùvent fbrprîs , & que 
la vérité' ëft la fîUe du tems 8c non du crédit. 

ÎVfâs laiffons cet homme fiir le front duquel je 

hé me flatte pas d'exciter la moindre rougeur : non, 

'je le cohnbîs trop Bien. A fiippofèrque la honte ait 

jamais fa^ quelque bleffure à fà confcience , elle eft 



[ 99 ] 
cicatrUee depuis long-tems. Peut-être du moins Sk% 

confrères craindront de s'aflkniler à lui en Goniidé- 
rant £i hideufe peinture ; peut - être blâmeront - ils 
hautement les indignités dont il leur donne l'eKem-^ 
pie 9 & c'eft un engagement tacite de ne pas s'en 
rendre coupables. Peut - être , par un iecret retour 
fiir eux-mêmes j ils fe feront juftice en appercevan^ 
dans leur conduite quelques germes des iniquités 
que j'ai dévoilées , & le lefpeâ humain pourra 
s'oppoièr aux excès de la cupidité. ... Le geôlier 
qui préfêata la ciguë au plus gjand des Grecs y dé- 
tourna la tête 8c pleura. Etoit - ce la magnanimité 
du philofophe j ou le {peGtscle de l'innocence fouf- 
frante 8c patiente qui arrachoit des larmes à ce 
£itellite de la tyrannie ? >bn , des vertus fi hautes 
n'étoient point à & portée j 8c l'ordre de leurs maî- 
tres eft aux yeux de tels mercenaires le caraâere de 
l'innocence ou du cris^. C'étoit la pitié naturelle 
aux humaiins à VafpeSt d'un malheureiK ^| ^URyk 
fiir lui... « Voye:^^ dit Soçrate , k bon çoufr dt ou 
hommes Pendant W4 prifi^y il ni^fi yemk voir fou* 
^nt: il vaut mieux ^ùe tous âb^ autres. . • • O vous! 
qiù pnene? ùm frémk Uja ^ûmftere à peu prèf 
pareil > obéiflez à vos co^^VHettaas j iQais à leurs 
cmaucés ne mêlez point le^ vôtres : ne nepQ^;;! paf 
toujours la namre : rampez puiique vous êtes §£?)a- 
ves i foyer pitQyableâ puifqu* vous êtes buâoaiiis. 

Et vous y mon fils ! que je n'û ppÀot embr^ 
depuis le berceau y vous don^ j'arcoûj 4s fatttKS les 
fevrès ^nifentes k jour ijaèïâé ira je im ^iiirêté;^ 

G z 






[ 100 ] 

avec \m (èfrement de cœur qui m^anncnçoit que je 
ce vous reverroîs pasT: j'ai peu de droits fiir votre 
tendreflë , pui/que je n'ai rien fait pour votre édu- 
cation y ni pour votre bonheur. On m'a arraché k 
te$ douces jouifTances : ainfî vous ne lavez pas fi 
j'aurois été un bon père. N'importe : vouis vous devez 
à vous-même ôc vous devrez à vos en^s de ref- 
peôer ma mémoire. , Quand vous lirez ceci, je ne 
ferai probablement plui j mais vous trouverez dans 
cet ouvr&ge ce qui de moi fut eftimable : mon amour 
pour la vérité & la juflice : ma haine pour l'adula- 
tion ôc la tyrannie. O mon fils ! gardez - vous des> 
défauts de votre père , 8c que Ces fautes vous fer- 
vent de leçons ; gardez*vous des excès de cette fèn- 
fibilité brûlante qui fit fa félicité , mais aufll fon 
infortune , & dont il a peut-être mis le germe dans 
votre fang. Mais imitez fbn courage : jurez une 
guerre éternelle au defpotifme* Ah ! fî vous devez 
jamais être capable de le ménager, de le flatter , 
de l'invoquer, de le fèrvir , puifle la mort vous moif^ 
fbnnér avant l'âge ! . . .Oui , c'efl d'une voix ferme 
que je profère ce vœu terrible. . . . Mon enfant ! 
aimez vos devoirs : aimez vos concitoyens : aimez 
vos fembiables : aimez , fî vous voulez être aimé. Ce 
fentiment efl le fèul qui rende l'homme capable 
d'une joie vraie & durable; c'efl l'antidote des paf- 
fions dévorantes , 8c le remède unique du chagrin 
de fe voir dépérir fous les coups du tems. i . . Efl-il 
nécefTaire de faire un précepte de l'amoiir de ceux 
à qui Ton a donné la vie ? Elevez-les par l'attrait du 



[ '01 3 

fenâment, fi VOUS voulez que leur ame réponde à la 
vôtre. Apprenez , mon fils , 8c n'oubliez Janîaîs que 
vous n'aurez de dro& fiir eux qu'en proportion de 
vos devoirs , & de la manière dont vous les aurez 
remplis : que vous feriez Un monftre dénaturé, fi 
vous étiez plus févere envers eux que les loix j j5(L 
que les loix profcrivent daii& tous le&x^ les ordres 
arbittâlfés : fâchez enfin que, pou^'^lfef^tâflfent 
votre bonheur , il fenrt{ue vou» vous ocScui^ei éH 
leur, 8t féiyez plus iïeuretiç due votfë' pcre. (xr3 



ttaWVi 



■'■■ ■'! •• ^- -: '\..u'- :J 

- (iJk) JX n'étoît d^à plvfioof en£mt , JiOrfque j« lui de^iqajp 

cet ouvrage! Et îe ne le fàvois pas ! Et la première; 

fue fai apprifè de moa fils« a été ceUe de fà mort ! 




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D U :f I N Q V JE M M C H A P J T R È. 

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j[ X ) I w jr/ fana cdpacé' 

I^'Un-Jî bàgb dejkf^dtà'. rende: egmle 

■ t -....■> • ^ . .j ' 

I^/jw. .... .'■(Sat.ij.) ' • ■" 

^t Add^ilbn t enchéri fur cette penfée. J7n lâche peut combattre f 
iîf'ii^'ûh Uche petit vamtn'; nk&t un iâche He peutjiamais 
T^Wièméri' ■ ..' 'i 

'•-,-..'.■.' r '■ . • 

• * i» • *. • • C ' . . . •" 

•••••••<• • - I • ■»* • -^^ » . ^ t* f t i ■ , 

( 2 ) Cui fpes omds & ratio St cogitatio pendet ex fàftuna. • . • 
Cum tu hominem terteto fi quem eris naBus , iftis mortis aut 
exiUi minisn Mihi vero quidquid accUerit in tam ingrata civitate 
ne recufanti quidem evenerit;non modo non repugnanti* (Cic^ P.) 



« , 






«Mm 



PREUVES 



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ÉCLAIRCISSEMENS. 



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Da mihi Maonidm j & tôt cîrcumfpice cafiu ; 

Ingenium tantis excidet omne malis, ( OviD.) 



G 4 









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[ I05 1 



PHHiMBlMHIMMHHmMa 

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AVIS. 



J 



'AI cru devoir rejeter les difcujjions de droit 
public dans des notes à la fuite de mon ouvrage 
four éviter des longueurs. Mes recherches ru font 
pas à beaucoup près aujjî complètes qu'elles pour- 
roieht Vêtre. Je fuis fans livre ^ & l'on ne m'a rendu 
yue la moindre partie de mes papiers oh fé trou* 
voient les matériaux d'un ouvrage dont celui-ci ne 
devoit former y pour ainfi dire ^ qu'un chapitre. Cr- 
pendanty comme dans mes porte -feuilles mutilés je 
trouve encore d'ajfei nombreux extraits des monu- 
mens de notre hijloire y je placerai ici quelques 
preuves choifies ^ntre une infinité d'autres ^ qui éta^ 
hliront que lef^me des ordres arbitraires ejl abfo" 
lUment incompatible avec nos loix y & qui démonr 
■treront la vérité des ajjertionsj, quij dans l'ouvrage 
précédent y pourroient paroitre hafardées à ceux qui 
ji'ont pas fait une étude approfondie de notre hijioire. 

Au refie y je protefie hautement y relativement aux 
critiques qu'on pourroit faite de ces notes y que je ne 
les regarde poiAt comme néteffaires pour étayer mes 
principes. Je fais que dans ces fortes de difcujjions y 
à toute citation on peut oppofer une autre citation i 
que tout vieux titre peut être contredit y au moins 
dans fes interprétations ; que les anciens nfages font 
prefque toujours Ji çonfufément définis , qu'il efi im^ 



I 



[106} 
pqipkk de fonder fkr eux un fyflêmt fans réplique • 
mèis^ ks-^tûHs peÙmiques ne doivent jamais tenir 
que le fécond rang dans les écrits politico-philofo- 
phiquesjji je puis me fervir de cette exprejjîon , fr 
les principes de la loi naturelle font au premier. Une 
fiation rCauroit pas moins de droits à unfi liberté 
fiable & régulière , quand fon droit public feroit 
défeSueux y mutilé ou même anéanti ; car la loi na- 
turelle efi la feule loi qiCil ne foit pas au pouvoir 
des hommes d'abroger. En général^ les argumens de 
la rai fon remportent infinifnent fur toute (^itre auto^ 
ri.té^ & rendent ajjfe^ mutiles en matière de politique 
ou de philofophie i les dijfer tôt ions hijloriques fujetr 
tes à des difputes interminables. On conviendra qu'il 
feroit fort trifie que la liberté & les privilèges dune 
-nation dépendiffmt de difcuffiofUi, grammaticales i 
or c'efi à cela que fe, fé^fmt enAerniere analyf$ 
prefqUe toutes les qu^itms de ^vit public* Cepen^ 
^nt peut -être ceux qui voudront lire ces notes:^ 
trouyeront'ils dans quebqueSHUiei autre chofe qu'une 
aride compilation. 



r^ 







P R E U V ES 

■ - ' ■ s T 

iÉ C L A I R C i S S E M E N S. 

■"■■■'■■■■■■ "1. 

Zer lettres de <tlêbet font interdites far les loix 
■Us plus anciennes §f les ordonrûOices de tous 
■ nos rois. .:•■.-_ :- 

« jIl ( Louis XIVO'^OTdit ^'iitf'i^a^ 'nombre 

» d'ordonnances de fes prédécellêurs ont défendu 
» à tous juges d'avoir aucun égard auxlecrres clofes 
» ou de cachet, qui iefcrfent «(«Mfr*ei ftr le fâic 
» delaiufticè. » (Tome I, page'!.')/':'' ;' 



Ce point de iaài efi income ftj rfife me ot prouvé 
•)ar une multifti(fc d'ordonnances.' J"» déjà remar- 
ié (note I y page xiv) que la dénonuiladon des 
f-es de cachet étoit d&z modeiap. M.. de Munc- 



'hlin pthsaà <pt ce mot n'a été "employé pour br 
première fois que dans l'ordonnance d'Orléans de 
ïS6o. 

Autrefois on ne diftinguoit que lettres -paUntes^ 
'Jettres clofes ou fermées , lettres de juflice & lettres 
dt grâce* Toutes lettres non munies du grand fctiaÀ 
étoient clofes ou fermées , & munies d'un fcel par- 

ticulier, nommé y!:^/ diipecret^ dont un chambellan 

■ • ' ..... . . 

du roi étoit le dépofitaire. (Montbiin , Maximes dit 
droit public français ^ tome^I , part. II, ch. III , (tf) 
& Encyclopédie , au mot Lettres de cachet. ) C'étQÎt 
fous ce même îcel fecret que lés letties « patenté! 
revêtues du grand fceau étoient envoyées aux cours 
du royaume. ■ 

Auparavant l'établiffement des parlemens, confî- 
dérés comme corps judiciaires , 5c dès les piremiers 
tems de nôtre monarchie ^ plusieurs loix ont a& 
huilé tous aâesV'tous jugemens fondés fiur des 
ordres particuliers. On a vu dans le corps de l'ou- 
vrage, pages 6, 7 8c 8, que l'opinion contraire de 
M. de Mônte%iieu n'étoit-întiQâiient fondée. Les 



-^ (a) Ufié/bpaiie parti* desjtextcs iTordonaances « contenii$ 
clans cette note, ont été recueillis par JVI. de Montbiin. ( MaxU 
mej àxi droit publie français. ySt û^M fouvcnt ûdt que Ut 
abréger Se les mettre dans un autre ordre. Il m*a paru que cet 
extrait étôit ûéeelSaire pour co«npléter cet oùvn^êv parce ifuT 
faut , ce me (ttabie , quand on tcait^, un, A^t ,, renvoyer le moî 
poflîble à d'autres écrivains , puifqu'on doit rafîèmbler dan& 
livre tout ce qu'il y a de plus Important Àr ce iiijetf ùn'^ 
ce n'étoit p^s la peifie de prendre h diurne» 9 . . -^ 



f réceptions y ryiîexeûyur leur nature à la vér ificarioa 
des juges , étoient à peu près ce que nous appelions 
aujourd'hui Idtres de chancellerie. Tous les ^ciens^ 
monunnens de notre hiftoire Tatteftent. 

L'objeâioA que l'on tire de l'abbé Dubos e(l 
abfblument inibutenable , 8c n'eft fondée que fui*. 
4es citations infidelles. Suivant la loi des Bavarois» 
dont il s'appuie, celui qui a tué un homme par 
ordre du roi , ou du duc qui commande dans la 
province n*eft pas recherché 5 mais il s'agit de quel- 
qu'un qui a machiné la mort du duc , 8c dont la vie 
& les biens font pour cela même au pouvoir de 
ce duc 9 c( pourvu que le crime du coupable foit 
» prouvé par trois témoins , enforte que l'accufè 
» ne puifTe le nier. S'il n'y a qu'un témoin & que 
» l'accufé nie , on aura recours au jugement de: 
D Dieu en préfenc^ de tout le peuple , afin qu'aucun 
» ne périfTe par un effet de l'envie. y>£i quis contra 
ébicem fuum quem rex ordinavit in provinciâ illâ y 
aut populus fibi eligerit ducem de morte ejuscon- 
fiUatus fiurit y & exindè probatus negare non po- 
teft y in ducis fit poteftate homo ille & vita illius y 
& res ejus infifcuntur in publico. Et hoc non fit 
per occafionem fiiSum ; Jed probata res expédiât 
veritatem y rue fub uno tefte yfed fui tribus tefii* 
hus perforas coœqualibus fit probatum. Si autem 
unus fuerit teflis y & ille alter negaverit y tune 
Dei accipiant judicium : exeant in campo y & cui 
Deus dederit viâoriam y illi credatur : & hoc in 
prœfenti populo fiât y ut per invidiam r^dlius pereat. 



f "<5 J 

( Lindenbrok, Codex legum aitiquarum ^ p. 406. ) 
Il eft évident que cette loi eft bien loin d'une 
juflion ail)itraire donnée £ms procédure préalable^ 
uns conviâion judiciaire du coupable} prélimi-^ 
naire dxpreflement exigé par tous les textes des 
capitulaires. On peut confulter Balufè. ( Tome I , 
coL 718 , 912 j tome I , col. 4 9 ^ 9 79 9 loi , 23^ , 

Nous avons déjà obfervé dans le texte que le 
génie libre des Francs ètoît tellement contradic- 
toire à la prétendue conjeâure de l'abbé Dubos ^ 
que cela ieul la rendroit une^ abfurdité. En efïèt , 
leur loi la plus authentique 8c la plus augufte j la 
loi falique écrite porte expreffément : à que les 
» Francs feront juges les uns des autres avec le 
30 prince , 8c qu'ils décerneront enfemble les lôix 
» à l'avenir, felon les occafions qni fe préfenteront, 
» fok qu'il feMut garder en entier ou réformer 
3» les anciennes coutumes qui venoient d'ÂUema- 
» gne. » ( ^ ) 

La bi des AH^nands faite par CIbtaire y porte 
en titre , dans les anciennes éditions , qu'elle a été 
réibhie pàrClotaire, par fes princes ou juges, c'eft-â- 
dire, par trente-quatre évêques , trente-quatre ducs, 
ibixante-douze comtes, & même par tout le peuple* 

La loi bavaroife, dreflee par le roi Thierry, revue 
par ChiMebert , Clotaire 8c le roi Dàgobert , porte 
qu'elle eft l'ouvrage du roi , de fes princes & da 

(a) Yoyt^ la note IL 



tout le peuple chrétien qui cotnpofif le royaume 
des Mérovingiens. 

La loi gombette contient les foufcrîptions de 
trente comtes qui pron^iettènt de robferver eux & 
leurs defcendans. 

La colleâion des capitulaires porte en titre : Ca- 
, pitula regum & epifcoporum , maxime que nobilium 
fPrancorum omnium ; & ils font appelles par les 
rois leur, ouvrage & celui de leurs féaux. 

. Charlemagne , en parlant des csipitulaires , faits 
pour être inférés dans la loi iâlique 9 dit qu'il les 
a faits du confëntement de tous. Celui de 816 porte 
que Louis le Débonnaire a aiTemblé les grands 
eccléfîafliques 8c laïcs , pour faire un capitulaire 
pour le bien général de Péglifè. Dans un autre , il 
remet à décider jufqu'à ce que iès féaux foient en 
plus grand nombre, Charles le Ch»]ve dit : Tels 
font les capitulaires de notre père ^que le f François 
ont jugé à propos de reeonnottre pour loi , & que 
nos fidèles ont réfolu dans une ajjemblée générale 
d*obferver en tout tenu. 

A qui perfuadera*tK>n que des peuples qui fta^ 
cuoient ainH avec leur fou^raio,, li^andonnoienc 
leur vie à fa dkpofition afi>itrai«e ? 

Quant aux violences qui tenoiàit aux mœurs 
du fîecle y les exemples en &Qt fans, nombre 9 8c 
l'abbé Dubos pouvoir moins ina}-*aârditement citer. 
Pourquoi ne difoit-il pas auflî que c'étoît en vertu 
d'une loi fondamentale que Childebeft II , voulant 
fe défaire d^ Magnovalde^ l'aiRaffina^ le ^t jeter 



[ "i } 

par les fenêtres de fon palais & & £ii£li de &9 biens! 
Il eft vrai que ce feigneur fiit attiré à la cour fous 
prétexte d'une fête ^ 8c que la perfidie fëmble ex» 
dure le 'droit Mais vous verrez qu'il failoit le fiir* 
prendre , parce qu'il étoit trop puiflânt. Oh ! certes ^ 
il ne s'élèvera jamais d'Ariftocrates puiïTans znx 
pays où k fbuverain pourra condamùer à mort lés 
plus grands de l'état , fans être affujetti à leur faire 
leur procès I 

Sous les premiers rois Francs ^ dit M. de Mdn- 
tefquieu , ( 1. XII ^ c. II ) Clotaire fit une loi pouf 
qu'aucun ne pût être condamné fens être oui j ce 
qui prouve une pi^tique contraire dans quelque cas 
particulier. U me femble que c'eft pouffer trop lois 
lia conjeâure. U fufîit d'un aâe dé violence illégale 
pour occafioner ime loi fi naturelle , 8c il eft bien 
fur que l'efprit fanguinaire des Francs a dû beau^ 
coup les multiplieré Mais cela ne peut pas s'appeller 
une pratique ; car ce mot fllppofè au moins une 
coutume qui a force de loi j & c'efl ce qu'on n'a 
jamais pu dire dans notre confUtution de la con- 
damnation d'un acclifé &ns être entendu. Les textes 
que je viens de citer, antérieurs à la loi de Clotaire ^ 
puifqu'elle efl de 560 , le prouvent invinciblement; 

Au refle , on peut chercher fur les deux faits que 

M. l'abbé Dubos apporte en preuve de fon étrangle 

jfyflême 9 & qui font tirés de Grégoire de Tours 9 

l'explication la plus ample Se la plus fatisfaifante 

dans les Maxime^ du droit public français. (Tomel, 

part, ly cbap. XXXIII. ) 

On 



("3 3 
On trouve dans notre hiftoire au commencement 

du feptîeme fiecle , un ordre donné par Thierry 

ou par Brunehaut contre S. Colomban ^ pour le 

aire fbrtir de (on mon^ere de Luxeuil ^ Se Texiler 

dans un autre lieu quoadufifue regalis fentcntia 

qiiod yoluijfct decerneret. Le faint ne voulut pas 

obéir 9 fut conduit de force ^ & revint à fon mo- 

naftere aufU-tôt que fès gardes fe furent retirés^ 

L'auteur de Tarticle lettres de cachet dans l'Ency- 
clopédie ( M, Boucher d'Argis ) n'a pas manqué 
de citer cet ordre comme le premier exemple des 
lettres de cachet* C'eft une vraie dériiion d'abufer 
ainfî des mots» C'eft même ^ vu l'importance da 
£1 jet 9 quelque chofe de plus ^ 8c M. Boucher d'Argis 
avoit reçu de quelques *uns de &s collègues de plus 
généreux exemples. Au refte^ le ïalt ne prouve rien y 
fi ce n'eft l'illégalité de l'ordre donc il eft queftioa^ 
puiiqu^on y dé/bbeiifoit fi ha,utement. 

Encore une fois ^ nos loix . les plus anciennes^ 
même celles que nous appelions barbares y ont prof"*, 
crit formellement cet abus de i'aùtorîtéé: Lé texte 
de la loi des Wifigots, rappelle dans le premier vo- 
lume de cet ouvrage , page 9 , ( note e ) eft; jilùs. 
formel 8c plus énergique que la citation mutilée 
en cet endroit , pour plus de brièveté 9 ne le mootrç.: 
Elle énonce exprefTémeot la^ nultité^de tpus ordres 
arbitraires 9 Se voici là raifon qu'elle en doniie.. 
Non numquofn gravedo potéfiatis depr avare f6Ut> 
jufliciam fanâionis ; qua dumfcepe valetyCÉàruM, 
EST quoD SMPE NVCET. ( Codex légfum àntiq. 

H 



[ 114 ■} 
p. 1$. ) Elle exempte feulement let juges qui le^ 

auroient exécutés de tous dommages & intérêts ^ 

Jife juramento firmaverint non fiiâ pravitate ^fid 

tegio vigore neqiUter judicajje. ( Ibid. ) 

La conftitution de Clotaire de 560 eft précife 
for ce fujet. Elle rejette comme nuls ÔC inutiles 
tous ordi^ contraires aux loix qui pourroient être 
furpris aux rois. Elle déclare que les ordres qui 
9'accordent ^ec la juftice & la loi 9 ne peuvent 
être détruits par des ordres arbitraires , & que ceux-: 
ci rejétés par les juges foient regardés comme vain^ 
& inutiles. Çuidquid legibus decérnitur omnibus 
contra impetrandi alîqmd lictntià derogatur ^ qua 
fi quolibet ordine ifnpetrata fiurit vel obtmta , a 
judicibus xepudiata , inanis àttbnéUur & vacua. (^C^^ 
pitul. Balufe, tome I, €01.79 art. IL ) Elle défend 
de condamner aucun accufé ^u'ii n'ait été entendu: 
& convaincu par une procédure judiciaire» Si quis\ 
in aliquo crimine fiurit accufatus noncondemna- 
tur penitus inaceditus. Sed fi in crimint àccufatur 
& habita dijcujjîone fiurit Jbrtafsi conviSus , pro 
modocriminis fcntentiam accipiat ultionis, (Art. III^ 
ifaid.). 

Les mêmes difpofîtions font répétées dans plu* 
lîeurs capîtulaires ) eritr'autres fous Qotaire II y 
dont le règne offre une efpece de révolution dans 
Thiftoire de la première race , parce que la nation 
éxèillée par les tyranniques fégences de Bruneliaut 
Se de Frédegonde y s'occupa férieufement à lin^ter 
I9 prérogative royale. \ 



[ ÎI5] 
On trouve fouvent, des violences dans ces tems 

de barbarie ^ mais les rois les défavouent toujours* 

Ainfi Pépin afllire les peuples . que s'ils optà^ fe 

plaindre de quelque entrepriie contre les loix.^ ce 

n'a écé ni Ton intention: oi fon commandement. 

Explkan, dthtnt ipfi miffi qualiter domino régi. 

diBunk ^ quoi muiti Je.iomplangiaU legem nom 

hahcH.conftrvatam y & quia omninb volufUai r^giA 

fji unus quifyue homoxfaarh legem pldùter habeat 

confervatam ; &fi alictd contra legem fàSum efiy 

fion eji volontas fua Jiec jujjîo. ( Baluf. cap. tome I y 

col. 54Z. ) On pourroit citer plufieurs exemples 

pareils. 

En 856 Charles le Chauve déclaroif dans, un ca- 

pitulaire adrejBe à ceux des Francs^ qui Tavoient 

abandonné, que fi Ton pou voit prouver qa'îlleur eut 

fait, quelque, injuftice, où qu'il en eut fait arrêter 

quelqu'un , il étoit prêt à réparer le tort qu'ils 

avoient fbu&rt, fuivaiitque fes féaux l'eftimeroient 

convenable* Si aliquis de . yobis fe réclamât qujod 

injajî} alicai de vobis fecit , & ad.reSim fationem 

& iufium judicium venire non potuit. . ^AAut ipfe 

aliquem de vobis comprehendete volait. • • . . Quia 

omrJs quicumque de. vobis ad reclàm rafiotum ad 

illum & atite fuos fidèles vemre voluer(t.y;hoc ei 

concedit : & fi jufiè S^.rationabiliter ifmntUrff fiiej 

rit quod reâam rationem contra eufn ^iiqtùs de 

vobis habuerit , cum confilio fideliumfuoriimVhoc 

voluntariè cmendabit. ( Ibid, tome IIV col* 79'#>P«p- 



iii6] 
fi>nne if ignore que fous cette féconde race rautofitè 
ne fiit plus tju'un Êuitôme. . 

Les preuves de tout genre fe préfentent en plus 
grand .nombre ^ à meiiire que la France 9 qui n'eut 
jamais de conftitutîon ^ mais qui fouvent eut un 
bon fyfiéme d'adminiftration y connut les reflbrtt 
d'une n^pnarchie régulière. L'ordonnance de Phi- 
Hl^ le Bel de 1291 > enjoint aux juges d'exécuter 
les ordres du roi ^au de donner à V impétrant Us 
raifons de leurs refus. ( Ordonnances du Louvre ^ 
tome 1 9 page 321. ) L'ordonnance de 1344. con- 
tient de vives plaintes au fiijet des lettres contraires 
à la juftice j qu'on ne celfoit de furprendre à la re- 
ligioa du: prince^ & défindtxprejfément aux juges 
d'obéir 5 ( ibid. tome II , page z 1 7 ) annullant toutes 
lettres à ce contraires. 

On ^ vu* dans le texte de l 'ouvrage que Philippe 
de Valois fiit obligé de réprimer la forte d'inqui- 
iition civile y qui avoit introduit dans le régime fo- 
cial Un arbitraire à peu près iëmblable à celui des 
lettres de cachet. 

Entre Philippe le Bel 8c Philippe de Valois , il 
i&ut placer une ordonnance de Philippe le Long > 
datée de Saint-Germàin-en-Laye , juin 13 16. Voici 
le remarquable extrait qu'en a fait Du Tillet , ( re- 
cuéuil des ordonnances des rois de France, titre du 
grahd chambellan, page 293 , édit. de 1602) qui 
d'àiHeuhr n*eft rien moins qu'un valeureux cham- 
pion, àti privilèges françois. <c En fait de juftice on 
D n'a regarda lettres œiffives. Le grand fcel du roi 



[ "7 ] 
» y eft néceflaire , non fans grande rakbn ^ car le% 

p chanceliers de France & maîtres des requêtes y . 
n font inftitués à la fuite du roi pour avoir le 
» premier œil à la juftice de laquelle le roi eft dé- 
» biteur ^ ôc l'autre œil eft aux officiers ordonnés 
» par les provinces pour Tadminiftration de ladite . 
D juftice , mêmement fouveraine , 8c faut pour en 
i> acquitter la confcience du roi & des officiers de 
» ladite juftice , tant près de la perfonne du roi 
V que par les provinces y qu'ils y apportent tous 
» une volonté conforme à Tintégrité de ladite juf- 
» tice fans contention d'autorité y ni paffions par- 
» ticulieres qui engendrent in juftice 9 provoquent 
» & amènent Tire de Dieu fur Tuniverfel. • % . . . 
» Ladite ordonnance , ajoute Du Tillet , étoit 
y> fainte , & par icelle les rois ont rrontré la crainte 
» qu'ils avoient qu'aucune injuftice fe fît en leur 
>> royaume , y mettant l'ordre ftiftlit, pour fe gar- 
» der de flirprifè en cet endroit , qui eft leur prin- 
» cipale charge. » 

Charles V qui vouloit le bien , parce qu'il avoit 
beaucoup foulFert du mal , Se qui avoit des talens 
parce que l'adverfité lui en avoit donnés , pourvue 
au grand abus que l'on falfoit du fcel fecret , dont 
on difpofoit plus facilement que du grand fceau 
gardé par le chancelier auquel les ordonnances dé- 
fendent de fceller des lettres injuftes. On éludoît 
les ordonnances qui pouvoient gêner rintrig;ue, 8c 
l'on étoit vellu jnfqu'à fceller les lettres-patentes , 
même de ce fel fecret, Charles V n'étant encore» que 

H3 



[ii8] 
régent à-vîé, ordonna en 1350 que le chancelier ne 
feroit point fceller les lettres paffées au confeil , 
qu'elles ne fuffent fîgnées au moins de trois de ceux 
qui y avoient affifté. ( Encycl. au mot chancelier. ) 

M. Boucher d'Argis affure ( Encyclop. au mot 
lettres -patentes ) que le plus ancien exemple qu'il 
ait trouvé dans les ordonnances de la dénomina- 
tion de lettres-patentes 5 & de la diftinâion de 
ces fortes de lettres d*avec les lettres cloiès , eft 
dans des lettres de Charles V alors régent , datées, 
du 10 avril 1357, par lefquelles il défend a de 
y> payer aucune des dettes du roi 9 nonobftant 
» quelconques lettres-patentes ou clofes de Mon- 
» fleur 9 de nous , des lieutenans de Monfieur & de 
» nous 9 &c. » 

Charles V défendit par l'article XII de l'ordon- 
nance du 14 mars 1358 , à tous juges d'obéir aux 
lettres -patentes ou cédules ouvertes qui ne feroient 
fcellées que du fcel fecret. L'ordonnance du 27 
janvier 1539 ( article XXIV ) répète cette di/pofi- 
tion 5 & mêmes défeniies furent faites pour les ordres 
fcellés du Jîgnet , troifieme fcel de nos rois qu'ils 
portoient eux-mêmes j & dont Louis le Jeune , dit- 
on , fe fèrvit le premier. ( Encyclop. au mot lettres 
de cachet. ) 

La différence du fignet au fcel fecret fut bientôt 
abolie. (Ordonn. du Louvre, tome IIL p. 22.69 386.) 
Voici les propres termes d'une ordonnance dû 13 
mars de cette même année 1359: « îfeus voulons 
» & nous défendons étroitement ( c'eft aux préfî- 



[ Ilp] 

» dens du parlement qu'il parle ) que aux lettres- 

)> patentes ou cloies Soit èz laz de cire verte ou 

» jaune fignées de nôtre propre main ou au- 

D trement ^ ne à quelconques mandemens de bou- 
)) ches que nous vous en fadlons y voms n'y obéif- 
» fiez en aucune manière i mais icelles lettres , 
«> comme injuifes y fuhneptices , tortionnaires Sç 
» iniques, cafTez 8c annuliez fkns difficulté aucune » 
» 8c fans de nous avoir , ne attendre autre mande- 
ï> ment fiir ce , &C nous icelles lettres audit cas .9 
to comme obtenues Sc impétrées par importunité 9 
» inadvenance Sc contre notre çon/ciençe , les 
» caflbns 9 irritons Sc annulions par œs piéfentes. » 
( Ibid. tome IV 9 page Ji6. ) 

Une ordonnance de 141 ) fous Charles VI , qui 
défend à tous juges {ut les fermens qu'ils font au roi 
d'obéir aucunement aux lemes obtenues foit par 
importunité 9 inadvertance ou autrement , pour dif- 
traire la connoiflance de cermines affaires de$ ju* 
riidiâions ordinaires, quand même ces lettres fk- 
roient fceUées ^ cette ordonnance , dis-je , nous 
apprend que iorfque le chancelier refufoit de feell^r 
des lettres iniques & tortionnaires , on obtenoit d^s 
lettres de commandement qui robligeotent d'y ap- 
pofer le fceau. Charles VI enjoignit Se défendit au 
chancelier & à fes fuccefleurs y fur le ferment qu'ils * 
onty que pour quelque mandement ou commande- 
ment qui leur foit fait par gens de quelconque au- 
torité qu'ils foient , ils ne fcellent aucunes lettres 
de cette efpece. ( Ordonn» du Louvre , tome X y 

H4 



[ I20 ] 

page 123. J Ces difpofitions furent renouvellées 
dans plufieurs ordonnances qui fpécifient les lettres 
tant ouvertes comme clofes. ( Ordonn, du Louvre y 
tome IX 5 page 695 ^ tome VII , page 290 , tome 
VIII) page 502 5 &c. ) 

L'article LXVI de Tordonnance de 14s 3 de Char- 
les Vit, défend d'obtempérer aux lettres royaux qui 
«e feroient civiles & çaifonnables , & autorife les 
juges en certains cas à punir les impétrans, ( Fon- 
tanon, tdme I, page 610. ) 

Le bon Louis XII dans fon ordonnance du 14 
décemijre 1499 > ordonne qu'on fuive toujours la 
Iqi malgré les ordres contraires que Timportunité 
pourroit arracher du monarque , & ce , fous peine 
pour les juges d'être eux-mêmes réputés à lui dé- 
ïbbéiflans & infrafteurs d'icelles ordonnances. 

L'impérieux François I renouvella les mêmes 
défenfès par l'article V du chap. I de fon ordon- 
nance d'oftobre ï 5 3 5. Enfin , les rois ks^ focceffeurs 
& nommément Louis Xllf & Louis XIV , qui ont 
renverfé les reftes de la conftitution françoife , ont 
répété en différentes occafions les mêmes injonc- 
tions. Les éditsde juin 1643 , mars 1646, feptem- 
bre 165 1, extorqués, il eft vrai , par la néceffîté 
où le gouvernement s'étoit mis par les excès de 
de fa mal-adreffe & de fcn defpotîfme , y font 
formels. 

La plupart des loix que je viens de citer s'ex- 
pliquent avec autant de précifion fur les lettres 
clofes que fur celles ouvertes ou patentes. L'or- 



[ 121 ] 

donnance de i s^o rendue iiir Je V€ftl des états 
d'Orléans pendant le règne de François II j celle 
de Blois & celle de Moulins de 1566 , données 
par Charles IX , font fur-tout remarquables. L'ar- 
ticle CXI de la première défend aux juges ce d'avoir 
» égard aux lettres de cachet ou clofes obtenues 
» par importunité ou plutôt fiibrepticcment, pour 
» faire féqueftrer des filles, & icelles époufer contre 
» le gré, 8c vouloir des percs & mères, tuteurs 8c 
» curateurs , cho(ë digne de punition exemplaire. » 
Cette difjpofition qui offre une preuve bien frap- 
pante de ce que l'intrigue peut ofer, a été renou- 
vellée par l'article CCLXXXI de l'ordonnance de 
Blois. L'article LXXXI de l'ordonnance en 1566, 
a défendu à tous juges d'avoir aucun égard aux 
lettres clofes qui auroient été ou feroient ci-après 
expédiées ôc à eux envoyées pour le fait de la juftice. 
Je ne crois pas qu'il y ait quelque chofe de 
raifonnabie à oppoièr à l'autorité de la tradition , 
dont je viens de tracer auffi fuccinôemcnt qu'il ni'a 
été poflible , la chaîne non interrompue. 



^-^* 



iMrt 



[ 121 ] 

IL 

Diverfes révolutions du pouvoir judiciaire en France» 
• Jugement par pairs. Comment il fe pratique en^ 
Angleterre. Réflexions fur cette méthode. 

« Al ( Louis XIV ) ignoroit qu'en rcmondrat dans 
» les faftes de la nation , on trouve que tout Fran-« 
» çoîs jugé par fes pairs , jouiflbit du privilège dd 
» ne pouvoir être emprifonné j fous quelque pré-» 
» texte que ce fût, à moins d^in crime capital dc 
D notoire. » (Tome^I, page z.) 

Je tracerai ks différentes révolutions qu'a fiibi 
en France le pouvoir judiciaire > & je refferrerai 9 
autant qu'il me fera pofTible, les réflaûons qui naiA 
ient en foule à chaque pas que l'on fait dans cette 
vafte carrière. 

Pour fe former une idée nette fie préciièje no$ 
premières inftitutions , il faut néceffairement en 
rechercher l'origine dans celle des Germains nos 
ancêtres. L'admirable ouvrage où Tacite nous ar 
peint leurs coutumes & leurs moeurs , contient en 
quelque forte l'hiftoire^ politique des François juf- 
ques bien avant dans la féconde race* 

Il n'eft pas poflîble de douter de Tefprit d'indé- 
pendance que les Germains conferverent alors même 
qu'ils devinrent de grands corps de nation. Les dif- 



[ "3 ] 

férentes tribus des Francs avoicnt des loix diverfês 

rédigées y foie avant ^ (bit après leur établiiTement 
dans les Gaules ; ces loix font toutes animées de cet 
efprit 5 & fans entrer dans les détails , c'efl en ap- 
porter une afTez grande preuve que d'obferver, avec 
M. de Montefquieu , que toutes ces loix barbares 
étoient perfbnnelles 5 c'eft-à-dire ^ qu'elles n'étoient 
point attachées à un certain territoire. Le Franc 
étoit \vtgé par la loi des Francs 5 l'Allemand par la 
loi des Allemands , &c. Quelque différentes qu'elles 
fiiflerit dans leurs difpofîtions ^ elles fe réuniflbient 
toutes en ce point. 

La jurifprudence des peuples barbares étoit né- 
cefTairement très-fimple & très-défeâueufe , parce 
que l'état de leur fociété étoit lui-même fîmple 8c 
groffier. Au rapport de Céfar & de Tacite , les chefs 
ou principaux de chaque diflriâ: rendoient la juf- 
rîce , & terminoient les différends. Eliguntur in 
iifdem conciliis & principes qui jura ptr pagos 
vicofque reddunt. ( Mor. Ger. 12. ) 

On fènt bien que les affaires litigieufes ne fe mul- 
tiplient qu'à la fuite des progrès de la civilifation. 
Les Germains ne connoiffoient priefque pas la pro- 
priété des terres. Abfbhiment adonnés à la chaffe Sc 
à la guerre , vita omnis ex venationikis atque in 
ftudiis rei militaris conJîJlit.{CéÙLr») Quotiens bella 
non ineunt , multum venationibus , plusper otium 
tranjigunt. (15, Tacit. ) Méprifant 8c ignorant les 
arts , ne connoiffant que l^s chants agrefles & mili- 
taires qui faifoient partie de leurs jeux , tout les 



[ IM ] 

èloignoic des occupations fédeûtaires. Us menoiezit 
cette vie errante & vagaboade qui étoit fans doute 
çetle des premieïs hommes Se des premiers âges du 
monde. Nullas Germanorum populis mies habitari 
fatés notumefl^ ntpati quidem inter fe junSas fedes. 
Colunt difcreti dtverfi ,• ut fbns y ut campus , ut 
ntmus placuit. (More Ger. i6. ) Dans un td état 
de fbciété , il n'y avoit guère que les querelles , les 
injures 6c les vengeances qui troublaffent la con- 
corde. Ceci demande quelques détails. 

La jurifdiôion des magiftrats étoit très-refferrée 
chez ces fiers Germains y lî jaloux de leur indépen- 
dance. Aucun individu ne s'étoit privé du droit 
d'exercer £i vengeance peribnnelle* Chacun étoit 
même obligé de drer raiibn des afironts ou des 
torts qu'avoient reçu fes pareils ou fes amis. Les 
inimitiés devenoient héréditaires j mais elles n'é- 
toient pas implacables. Le meurtre même s*expioit 
en donnant un certain nombre de beftiaux y 8c cha- 
que ofFenfe fe reparoit de même par différentes 
compofitions. Sufcipere tant immicitias Jeu patris , 
Jeu propinqui , quant amicitias neceffe efi ; nec im* 
placahilts durant. Luitur erim ttiam homicidiunt 
certo armentorum ac pecorum numéro y recipit que 
fatisfaSionem univerfa dômus y utiliter in puhli- 
çum y quia periculofiores funt inimicitiœjuxtà liber ^ 
(atem. (Mor. Germ. 21.) 

Telle étoit la punition de tous les délits parti* 
culiers. Mais jamais le magiftrat n'eut le pouvoir 
d'emprifpnner un homme y ni de lui infliger aucune 



[1^5] 
peine corporelle. Ceterum y neque animadvèrure ^ 

luque vincire , neqiu yerbcrare quidem niji faccrdo-^ 
tibus permijfum ^ non quaji in pœnam me ducis. 
jujfu y fed velat Deo imperante quem adejfc bellan- 
tibus credunt* ( Ibid. 7. ) Et fi la fiiperftitieufe véné- 
ration des Germains pour les prêtres leur avoir fait 
accorder ce privilège , c'étoit à l'autorité du Dieu 
des combats & non à celle de l'homme que l'on 
déféroit. 

- Les Germains ne connoiflbîent que deux crimes 
capitaux. Ils pendoient les traîtres & noyoient les 
poltrons. DiJUnSio potnarum ex deli3o , prodi tores 
& transfiigas arboribus fujpendunt y ignavos & im- 
belles & cor pore infâmes cçeno ,ac palude injeSa 
infiiper crate mergunt. (Mor. Ger. 12. ) C'étoîent- 
là' les crimes publics fbumis au jugement de la 
communauté , & les fèuls qui entraînaflênt la mort 
du coupable. Licet apud conàlium accufare quoque 
& difirimen capitis intendere. ( Ibid. ) Les pertur- 
bateurs du repos public n'étoient pas même punis 
par une peine capitale. Ils étoient livrés à la popu- 
lace & promenés par la ville avec un dogue attaché 
fiir leurs épaules ^ fîir quoi Blakftone obièrve que 
les empereurs Othon premier & Frédéric Barbe-* 
rouflè firent revivre cette punition y même pour de 
très -grands feigneurs. ( Tome V, p. 107 Sc 108 de 
la traduftiôn françoife. ) 

Il eft bon de remarquer que la jurifprudencé à 
demi-fauvage des compofitions n*eft pas une légif* 
lation particulière aux Grermains. Cet tïfàge ren^ionte^ 



[ii6] 
^ la plus haute antiquité. Il en exifte quelques tra- 
ces dans les inftitutions des Juifs. L'homicide étoit 
puni de mort par leurs loix j mais fi un homme en 
frappoit un autre y & que le bleffé n'en mourut pas , 
celui qui Tavoit mis dans cet état étoit regardé 
comme exempt de ùl mort, & obligé de le dédom- 
mager pour le tems où il n'avoit pu s'appliquer au 
travail , Se de lui rendre tout ce qu'il auroit donné 
aux médecins. Si rixati fuerint viri & percuffcrit 
alter proximum fuum vel lapide j vel pugno , & illt 
mortuus non fiierit , fed jacuerit in Icctulo : fi fur- 
rexerit & ambulayerit foris fiiper baculum fuum y' 
innocens erit qui percuffcrit ita tanien ut opéra ejus 
&impenfain medicos refiituat. ( Exod.w. 29 8c 30.) 
M. Hume obferve que les Grecs avoient adopté du 
tems de la guerre de Troie la méthode des corn- 
pofitions qu'ils appelloient « noirAJ^ Compofitions 
for murder are mentioned in Nefiofs fpeechtoAcfiii* 
les in the ninth Illiady and are calledj &c. ( Ap^ 
pendix premier, page 157 , voL I. ) On fait que* 
toutes les nations feptentrionales en faifoient ufage.. 
Les Irlandois , peuple abfolument diftinft de cçux 
du continent , & dont l'origine , probablement cel- 
tique y échappe à l'hiftoire 8c. à la tradition , avoient? 
. la même coutume j le prix de la tête d'un homme, 
étoit nommé fon Enic. The Irish , who never had, 
any connexions with the German nations , adopted 
the famé pràclice till very lately ; and the price of 
£t mans head was 'called among them , this Enic as 
we Uarn frômfit John Davis. Le hrehon ou juge 



C l^7 3 
çompofbît entre le meurtrier ^ Se la Êsiinille ou les 

ainls du mort ^ Scla récompenfè qu*il afTignoit aux 
oSèafés s'appelloît eriach. (Blakik)ne.) Les fau« 
Vages du nord de rAmérique ^ qui ^ comme Ta ob-. 
fervé Robenfbn, {Preuves de V introduclion à Vhif- 
taire de Charles-Quint ) ont tant de reffemblance 
4ans les mœurs avec nos ancêtres les Germains y 
pourfuireat avec la même ardeur leur vengeance, 
indépendamment de leurs chefs, Se s^appaifènt quel- 
quefois en fixant une compeniàtion pour le meurtre 
de leurs parens. Enfin , nous avons trouvé vers la 
moitié de ce lïecle à peu près la même pratique en 
Corfe , où les infortunés habitans de l'intérieur dq 
risle étoient encore en 1769 très - près de l'état dei 
nature , malgré 1^ epfbrts de Paoli , qui les menoiç 
aulîî vite qu'il pouvoit à l'efclav^ge par la civilisa- 
tion. La paflîon de la vengeance étoit exaltée chez 
eux jusqu'au degré le plus atroce, parce que la 
politique infernale des Génois, qui ne pouvant fub- 
juguer ce peuple , tâchoit de l'égorger de fes pro- 
pres mains , entretenoit ces préji^és ianguinaires S^ 
fomentoit les haines. Une lettre de grâce pour ua 
^aillnat coûtoit un écu, Sc la plupart des meurtrç^ 
étoient foudoyés par cet abominable gouvernement. 
Le point d'honneur de la vengeance Se la juris- 
prudence des compoHtions , qui prouvent que la 
cupidité eft la pius forte paffion de J'homme puif- 
qu'elle fumage fur toutes ks autres , font donc com-. 
muns à tous les peuples courageux Se qui ne con- 
noiiTcnt point î'adminiilration régulière de la juf* 



[ 128 ] 

nce. Les progrès de la civilifatîon perfeôionnent la 
juri/prudence , mais on fe jette dans un autre excès. 
Le defpotifine apprend à fe jouer de la vie des 
hommes à Tombre des formes , ou de la volonté 
du prince , comme fi les hommes qui deviennent 
trop aifément cruels pour qu'il ne foit pas très- 
dangereux de multiplier à leurs yeux des exemples 
de cruautés y pouvoient avoir & donner le droit 
d'égorger leur femblable , comme fi auain individu 
àvoit pu accorder aux autres hommes le droit de 
lui ôter la vie 5 comme fi ce n*étoit pas une incon- 
féquence bien atroce que les loix puniflent le fiii* 
€ifme y 8c s'arrogeaffent ainfi le droit d'arracher la 
vie à l'homme à qui elles le refiifènti comme fi 

enfin LA PEINE DE MORT N'ÉTOIT PAS UNE VRAIE 
GUERRE DE LA NATION CONTRE UN CITQYEN. ( Voy. 

à ce fujet le traité De' delitti y §. XXVII , délia 
pêne di morte. ) 

ïl eft fi vrai qu'on doit attribuer au defpotifme y 
qui fe joue des hommes comme d'une vile monnoie 
qu'il ne fait pas même apprécier , la rigueur inutile 
& barbare des loix criminelles \ que chez tous les 
peuples libres elles ont été & font plus douces' 
qu'ailleurs. Quelques cantons Suifles forment une 
exception ; mais ce font ceux qui ont confervé le 
code pénal de leurs anciens tyrans : auflî font - ils 
obligés de s'en écarter dans la pratique. Et voîlâ , 
pour le dire en paflànt , un des flinèftés inconvé- 
nîens de la coutume fi généralement tolérée , de 
laîffer une grande latitude aux jugés dans l'appli-' 

cation 



[ 129 ] 

cadon dés lôix Criminelles. Jamais > tant que GÇitte 
tolérance, d'ailleurs ii périlleufe, exiflera y on n'en 
feotira alTez unanimement tous les abus pour en en- 
treprendre ierieufèment la réforme 3 & il vaudrôit 
mieux n'avoir point de loix que de marchander 
avec elles. 

La févérité des loix 9 dit BldkRone ^ {Commenté 
on the laws ofEngL tome V, 1. IV, cl) eft un 
fymptome prefque certain que Tétat eft attaqué de 
quelque fourde maladie , ou tout au moins elle in- 
dique la foiblefTe de ià conftitution. Les loix des 
rois de Rome > celles des douze tables que firent les 
décemvirs y étoient d'une févérité extrême. La loi 
porcia 9 qui exemptoit de la peine de mort tous les 
citoyens de Rome,, rendit de nul effet les autres : la ]f 

république floriflbit alors 5 mais lorfque fous les *^ 
empereurs ces loix reprirent toute leur vigueur, Sc 
que les' punitions furent très^févères, l'empire ne 
tarda pas à tomber. 

' Les compofitîons , d'abord fixées chez les Ger^* 
mains par le confentement mumel des parties ^ 
furent enfliite déterminées par quelques ari>itres« 
Pour donner plus de poids à leurs décifions , oa 
nomma dés juges qui furent revêms d'un pouvoir 
fiifHfant pour forcer les parties à fe conformer au 
jugement des arbitres ^ Se ce fiit alors qu'outre la 
compoiition départie à l'offenfe , il y eut une fonunç 
particulière payée au roi Sc à l'état. Pars multa 
régi veL civitati ; pars ipfi qui ifindicatut Vel prO'^ 

pinquis ejus exfolvituré (Mon Germ. 12^ ) Âiaâ ki 

î 



r 



*A 



(no] 

compofitîons devinrent légales y & la pak Ait main« 
tenue par l'inipeâion^ ou la médiation des mah> 
giftrats* 

Les Francs 8c autres peuples barbare^ ibrtis de 
la Germanie pour s'établir dans Tempire Romain y' 
avoient dès avant leur émigration adopté cett« inf- 
titution. Eliguntur in iifdem $ &c. ( Vide fup. ) Leurs? 
plus anciens hifloriens parlent de perfonnes revêmes 
du caraâere de juges. ( Du Cang. voce judices. ) 

Ces diflferentes coummes fe confefverent très* 
long- tems .chez les Francs, avec les medificatians 
^le dût y apporter, le changmient furvenu dans la^ 
fbciété par les conquêtes ou acquisitions ^ car ce$ 
mots font iynonymes dans leur acception féodale ^ 
( BlakAone > tome II ^ L II , c. IV ) & les nouvelles' 
relations avec les habitans du pays ou les peuples 
conquis; On fent que le partage des terres nécefliia 
fëul la multiplicité des loix , 8c fit naître toute forte 
de difcuflions litigieufes. 

Je tracerai d^abord une efquiflè des variations de 
notre jurirprudcnce , Se nous verrons enfiiite^ quels 
furent les changemens fucceiti^ qui arrivèrent dan^ 
Tordre judiciaire, c'eft^à-dire, dans le choix des 
jugas. Je terminerai cette note par un récit abrégé^ 
mais exaâ de la manière dont fe pratique en An- 
gleterre le jugement des pairs ou jurés , fbit dans les 
affiures civiles , fbit dans les afiàires criminelles. 
Quelques réflexions fur les avantages que cette mé-^ 
diode d^examen a fiir toutes les autres , montreront^ 
tiifin quelle perte nous avons âite , quand on noms 



Siàté le jUg^niéiit des pairs > au lieli àe U pètfkt\ 
fcionner. 

La Frahce ftit goùveirHéé ^ loiîs là pterhief e race y 
jpar la loi romaine & celle des Francs ^ des Wiix* 
goths Se des Bourguignons qui l'habitoient Mais il 
y avoit tant d'avantage à vivre fous la loi Mque^ 
où le conquérant avoit profité de fei avantages fui 
le vaincu , ce qui îèul renverfe le {yMfûe eaptieuat 
Se fophiftique de l'abbé Dubos«^ qu'on abandonna 
la juriiprudence romaine 5 car Glovis avoit laiffé aui 
Gaulois la permiflîon de vivre fous leurs loix^eh le* 
obligeant feulenlent à déclarer iauthentiquement s'ili 
iconfervoient celles-ci ou adoptoient là loi falique y à 
laquelle ils furent obligés de fe conformer pour là 
punition des crimes qu'elle ^'écifie avec Un grand 
détail 9 Se qui font tous punis par des. amendes 
légales pour les vainqueurs Se les vaincus ^ Se plu* 
Onèreùfes pour ceux-ci. Les vengeances privées y 
font tellement autorifées qu'elles défendoient d'ôteif 
les têtes de deffus les pieux ^ fans le confentement 
du juge) ou j&ns l^agrément de teiut qui les y 
àvoient expoièes. (Voye2 Encyclopédie .i au mot 
toifdlique. ) 

Sous Childebert ( royaume de Paris ) 8ê ibus 
Clotaire pfeniiér^ (royaume de SôiiTons ^ ) les Vo- 
leurs furent punis de mort ^ St fous Ghildebeit pre* 
inier ^ toi d'Auftrafie , leur nëveU ^ Phortiicide SC 
Tincefte furent pUriis de même 4 on poUvoit CepeUn 
dant eixCofeydu confentément des pàrens du défunt 9. 
lacheter l'amoiAid du crinMf'^ Se cette ânmiftie iè 

II 



-i»r?. 



trouvé Hans les formules recueillies par MarcuHe* 
Il eft donc très - probable que cette loi fiit phifôt 
une tentative qu'une police non contredite ï elle 
étoit trop contraii'e à Pefprit du tems. En effets 
nous voyons plus de trois fiecles après, Alfred* le 
Grand mettre le meurtre volontaire au rang de* 
crinles volontaires ^ 8c né pouvoir feire exécuter 
cette loi* Il eli à remarquer que fuivant le code de 
ce grand homme ^ Une cofiipiration contre la vie du 
roi s'e3tpioit en payant Une amende, By the laiPs 
of thé famé ptinet , a corijpiracy againfi the life of 
the king might bt redeemed by a fine. (Hume, 
Appendix I , vol. I , page 156. ) Mais on en vint à 
défendre la compofîtion pour le^ crimes, & les jugés 
dévoient en connbître hors dû parlement ou affem- 
blée de la nation# On fuivoît en France la loi felî- 
que encore du tems de Charlemagne, puifquece 
prince la réforma ; mais depuis elle tomba dans 
l'oubli fans être abrogée. 

Les eccléfiaftiques prefque feuîs avoient confervé 
les loix (ks empereurs qui leur étoient très-fiavora- 
bles. Cela leur parut nnrême un privilège fi cffentief 
.du fkcerdoce, que fi quelqu'un entrmt dans 'les or- 
dres (acres , il étoît ordinairement doligé de renon- 
cer à la loi qu*il avoit fûivie jufqu'alors , (RôbertC 
Preuves de VintroduSion à Vhifioire de Charles^ 
Çidtit^ ) & de déclarer qu'il fe foumettoit dès lors 
au code théodofien , auquel fe mêla enfîiite le droit 
canonique qu'on commença à compiler dans le 
neuvième fiecle , quoiqu'on ne lui jtit donne un 



[ 133 ) 

fertain ordre qif au douzième , où le moine Italien 

Gratien (1151) rédigea le Concorda difcordantium 
canomim y auquel on joignit depuis les décrétâ- 
tes , &c. En tout pays , les eccléfiaftiques cherchè- 
rent à détruire les loix municipales pour y fubfti- 
tuer la loi civile , & c'étoit fi bien Tefprit de Téglifc 
romaine, que le pape Innocent IV en avoit- défendu 
la leiiure au clergé, ( Blakftone , difc, prél. ) 

La loi wifigothe, qui n'avoit point maltraité les 
Romains & les Gaulois comme Tavoit fait celle def 
Fiancs , fubfifta conjointement avec le code théo- 
dofiçn dans le patrimoine des Wifigoths. Par la 
même raifbn le droit romain & la loi gothe fe 
maintinrent dans les établilTemens des Goths^ Delà 
eft venu la diftinâion des pays de la France xoutu- 
miere , Sc de la France régie par le droit écrit ^ 
diftmâipn que Ton trouve énoncée dès 864 dans 
i'édii dç Piftes. 

LorGfoc les fiefs fiirent devenus hérédjitaires , ce 

qui fut un eilët. très - naturel & très *- nécefTaire du 

defpoi^fipe capricieux des monarques , Se de Tidéé 

de propriété perfeâionnée ^ lorique les arriere-fie^ 

fe furent étendus , ce qui ré&lta des révolutions de 

ces fiecles agités , il s'introduifit un grand nombre 

d'ufages auxquels lès loix barbares n'étoiet>t pluç 

applicables^ les loix des fiefs s'établirent : les loix 

perfonnelles tombèrent ^ dès la fin de la iëcondç 

race elles étoient négligées ^ dès le comniencemenj: 

de la rroifieme elles fiirent oubliées. Qn vit naître 

les coutumes locales^ iè multiplièrent à V'w&bx 



[ '34 } 

^na un vafte royaumç rempli de feigneurfcs deve^ 

pues par le laps du tems 8c les progrès de l*anaiv. 
chie prefqu'indépendantes de la couronne., 9c en, 
quelque ibrte étrangères l'une à l'autre ^ 8c delà eil 
Venue la diverÇté prefqu'in&ûe de notre juri^itii 
dente, 

La toi des Francs t Salien^. n'adn^iettoit point ïs^ 
preuve par le combat. La loi des Françs-Hipi^aire^ 
l'admettpit. L.a loi gonabette , celle de prefque toiM^ 
les peuples barbares , les Fr?Lnç?-Ripuaii:es. admet*, 
toîent ks preuves négadves: j 8c les Âllen^nds , les 
Bavarois , les Thuringiens, les Frifons , tes Saxons,^ 
les Lon^ards, les Bourgui^ions: en faifoient autant 
^ leur îmîtatîan. Les Francs -Saliens ne les admet-t 

« 

toient pas ; mais tous avoient adopté les appels à Isk 
iuftic^ ide Dieu par les épreuves de la croix y di^ 
feu , de Teau , du cercueil , Scç. Judiçium Djri. Vulk 
^aris purgatioj &c. Oa les appelloit Oroai^ic , ott 
Orïîeal. Où peut voir dans Becmanç, {Bifferez dé 
vrod. fitngumis^) Monteif^uieu , Ilpbert/bn , BlakA 
<one 8c Hume les détails de ces bimanes abiordités j^ 
que te dstgè ne œndamna pas toujours; caril préi 
£da Ipng-ten:^ à ces épretxvès qui fe laifbient éa^^, 
les égiifès ; de Stremfaook ( dt jure Siuonum & 
'GotJurofim ) en donne cette raîfbn naïve :> Nont 
4tftdt iltis îspercB & labaris prttium ; jimpeti enîm 
^ efufinodi pidicio aliqidd hicri factrdotibus olfvi^ 
^eha^y &c. Après tout > cette foperftîtion étoh fonni 
^ firr tes ménies principes auxquels tes prêtres^ 
^ç\m. la prodi^iqtfe-çaà€dér?çwA i<m ÎH |q«^ . 



i: 135 ] 

£)ient alor^^ 8c je ne vois pas qu'il y eut quelque 
jraifon pour la rejeter dans un tems où l'on perfijia- 
doit aux hommes que quièpnque ofbit affirmer un 
faux ferment en préiënce du pape ^ ne pouvoir 
échapper un inftant aux puiirançes céleftes; de plu!^^ 
ils iavoient le démontren Voyez ( Hiftory of En- 
gkmd by Davi4 Hume , c. II, p. 72 , édit, in 4^. ) 
4'anecdote d'Alfrede y feigneur Anglois. He offered 
to fwear to his innocence before the pope ; whofo 
perfon y it was fuppofed , contained fiick fiiperior 
fanchby , that no one could prefume to give a fitlfe 
!oath in his prefence^ andyed hopc to efcape the 
immédiate vengeafice ofh^aven. 

Il n'eft pas ^tonnant que les nations feptentrîo* 
nales y de tour tems adonnées à la divination, aient 
été fort attachées à ces pratiques. La fiiperftition 
Se la barbarie , qui dans tous k;^ pays Se tous les 
àg^s produifènt les mêmes effets ^ k& ont intraduites 
prçiqu'univerfèllement. Elles étoient même connues 
4es anciens Grecs, a Nous liions y dit Blsikftone f 
V ( tome VI y ch. XXVII de Texamen Sc de- la con- 
» viâion ,) nous Ufons dans l'Ântigone de Sophocle^ 
jo qu'une perfbnne foupçonnée de m^lverâtion par 
n Créon, s'qfFrit à manier un fer chaud ^ 8c à mais 
» cher fur des brafiersardens pour manifefter iba 
v> innocence i Sc le fcholiafte ajoute que ç'étoit la 
» manière de fe juftifierde ce tems -là. » ( Tout le 
monde peut s'en convaincre en fiiant le Théâtre des 
Grecs^ du P. Brumoy , tome HT y p. 403. ) Straboa 
( Uv* XII ) parle^ deç prêtreflfes de. Piane, qui mar^ 

I 4 



[ i3<î ] 
dloieot (ùr des charbons ardens fans ft brûler ; Sc 

S. Épiphane rapporte que des prêtres Égyptiens fç 
froîtoient le vifage avec certaines drogues , ÔC lè 
plongeoienr enfuite dans des chaudières bouillantes, 
fen$ paroître reffentir la moindre douleur. En By- 
thiriie^ en Sardaigne , en Corfe , aux Indes , iur la 
côte de Malabar , au royaume de Pegu , au Monb- 
motapa , à Siam , en Aniérique enfin , on retrouve 
des rapports plus ou moins éloignés à cette étrange 
coutume. Ainfi nos erreurs s'étendent d'un bout à 
l'autre du globe. Ainfi l'ignorance , la fiiperftition 
& le fenatifiiie prodqifent fous l'un & l'autre hémif 
phere les mêmes maux & les mêmes folies. Heu- 
Teu3t les hommes s'ils n'en connoiflbient d'autres 
que les épreuves judiciaires , & ^ue la mauvaifè foi 
^ le parjure en puffent être durablement effrayés i 

Confime les Frànçs-Saliens 8c les Francs-Ripuaî- 
tes , dotft les uns recevoîent la preuve par le combat^ 
tandis que les autres la rejetoient , fijrent réunis dès 
le re^gne de Clovis : comme la jurifprudence du com- 
bat judiciaire devoit être fort du goût de ces peu- 
ples belliqueux , & ^'accordoit parfeitement avec 
i'efprit militaire de ces fiecles faik>uches : comme 
elle étoit très -r confbntie aux plus anciennes idées 
des Germains , puifque nous voyons dans Velleius- 
.Paterculus , que quand Quintilius-Varus voulut in- 
-iroduire parmi eux les loix romaines & la méthode 
de Texamén , ils regardèrent cette propofition com- 
:ine une nouveauté , attendu qu'ils vuidoient leurs 
diirérends à la pointe de l'épée y novitas mco^iutç^ 



[ 137 ] 
'Afeiplituz ui folita armis deeeriu jure ttrminartn^ 

tur.; putfque-nous trouvons parmi les anciens Goths 
en Suéde > cette pratique des combats judiciaires : 
( Blakftone^, I. II, c XXII.) comme les eccléfiàfti»- 
ques , en admettant la preuve inique du ferment ^ 
avoient introduit par-tout ks parjures ^ les Francs 
adoptèrent généralement &C affez rapidement la 
preuve par le combat* Certainement cUe étoit beau-' 
coup moins abfurde que celle du jugement de Dieu^ 
quoiqu'elle en fit partie en quelque forte j car il éft 
certjain que Tiniiocence infpire en général plus d'af- 
iùranceSc de fàng-froid , ces deux garans les plus 
fùrsde la viéèoire , que le crime & les remords , au lieu 
que, toute fraude à part, le feu & l'eau ne re/peôent 
pas <plus l'innocent que le coupable. Certainement 
il y iavoit beaucoup de nobleilë à regarder la valeur 
comme inféparaWe àe rhonneur , ÔC peut-être cette 
opinion» éfioit- elle généralement pairlant aflèz rai- 
fonnabie* 

Pçutrêtre de genre de preuve avoît-il même quel* 
ques avantages lur l'examen canonique, parce que 
Je parjure n'y voyoit pas auflî clairement l'efpoir de 
l'impunité. Dans l'un , il ne falloît que braver une 
fuperftition- fort groflfîere j dans l'autre il falloît fe 
raflurer contre un danger très*imminent d'infamie 
& même de mort. On conviendra auflî que la pra*- 
:dque d'obliger les accufés de fournir des compur- 
•gateurs , qui , convenant ne rien fivoir du feit , Sc 
n'en ,atteflant jpas moins avec ferment que la per- 
foune dont il3 étoient caution difoit la vérité, n'étoh 



[ 138 ] 
pas propre i in^irer la confiance. Enfin ^ ce fix 

£jff le vœu général de la nation dans fe$ afiemblées 
jqueCfaarlemagne rétablit la preuve par combat mal- 
|^4es clameurs des ecdéiiafiiques. Q ^ à remajv 
quer que ce grand prince s'étoit efforcé, d'anéantir 
Us guerres particulières , & qu'ainfi il.étoit en cela 
x:omme en tout le refte fort au-deflus de fpa fiedey 
ic ne partageoit point les préjugés fànguinaires de 
ik nation. Il eft donc probable que le combat judi* 
Claire lui parut la moins mauvaiiè législation qui pût 
«'accommoder aux mœurs de fon tems. Trois fiecles 
après lui 9 Henri II d'Angleterre , qui étoit un grand 
prince y n'ofa rifquer d'abolir cette même juri^ru- 
tiençe , quoique fes prédécefieurs y Se notamment 
Henri premier, l'euffent déjà tenté. Ce prince avoit 
défendu l'ufage du combat dans les guerres dviles 
dont l'objet ne pafferoit pas une certaine fommej 
xéglement. que Louis le Jeune , ièptieme du nom 9 
imita en France. ( Ordonnances des rois , tome I , 
page id. ) Henri II eflaya feulement de pennettre à 
celle des deux parties qui le voudroit , de deman- 
der à être jugé par une affîfè de douze francs - fié- 
fataires. Cette iàge méthode y que le grand 8c très- 
grand Alfred avoit prefcrit le premier , parvint petit 
à petit , mais fort lentement , à difcréditer en An- 
gleterre l'épreuve du combat. G'eft par des moyens 
à peu près pareils que S. Louis 8c fes flicceflëurs en 
ibnt venus à bout ; mais tout le monde feitque bien 
avant dans le feizieme fiecle , en Angleterre 8c en 
'^X3axc€ , le magiftrat étoit obligé d'autorîfer encore 



[ «9 ] 
{e combat judiciaire, .c|ue leç lok hriçumi€(ue$ n'ont 

point abolit Le £cuneqx combat de Jarnaç 9vec la 

Çhaftegneraie y ^i eft k{ dernier de cette efpe^eo 

France y date de 1547 î ^ ^ ^57^ ^ ordonni 

Angleterre yn combat jydiciaire fous l'infp 

4es juges du tribunal des plaida communs. Perfonne 

pHgnore ^els préjugés nous a laiflé cet u&ge ^ 

Ipngrtems en vigueur , 8c fi tard anéanti. 

Au re(|e y cette coutume fir^liere , que j'ai en** 

fendu regretter à des hommes éclairés qui connoiA 

foient bieu le cceur humain 8c la nation y 8c contre 

laquelle du moins le vulgaire des écrivains s'eft élevéf 

&ns modération, fans impartialité , 8c fbr-tout fans 

penfèr qu'il ne faut point juger des uâges anciens 

par comparaUbn aux uf^es modernes y cette, cou- 

tiHiie , di^je , étoit alfervie i des règles fiiges , Sc 

îpoateBues dans tks borms fixes. On peut voir toua 

ces <iémils curieux dand VEfprit des loixy (liv^ 

ÎCXVIII, chap. XXni juf^'à XXK , ) énoncés avec 

-beaucoup de préclfion 8c de daité. 

'-• Les immunités 8c privile^ contenus dans lef 

•chartes de corpiotrations , lors de Tinftitutioa des 

communautés au douzième fiecle, formèrent une 

'e4>ece particulière de juri^rudence , 8c introduir 

firent des moyens phis réguliers 8c pi» équitables^ 

"de maintenir la fureté per(bnnette 8( tout» etpeç^ 

de propriété. , 

- Ce n'eft pas que nos loix n y euffent déjà pourvu. 

Suivit les loix les plus anciennes du royaume, poA 

.féi^iqur^ent ^wi çodçs des bartares , perfore w 



pouvoir être arrêté ni conftitué prifonnicr pôurau-^ 
cuné autre caufe qu'un crime capital & notoire.; 
( OWorin. des rois de France , tonni, I , pag. 72 ?.- 80. ) 
Si un citoyen fe trouvoit arrêté , fous quelque pié^ 
texte que ce fiit , à moins qu'il ne fut notoirement 
coupable 9 il étoit permis de l'arracher des mains 
lies officiers quil'avoient pris. (Ibid. vol. III, p. 17.) 
Les habitans de certains pays avoient auffi le priviT 
lege de ne pouvoir pas être emprifonnés s'ils, pou- 
voient fournir caution. Tels étoient ceux de Nçvers j 
de Saint Génies en Languedoc , de Villefrancfae en 
Périgord ( Voy. Encycolp. au mot prifon. ) 

Mais les perfoiïnes libres que ces loix favoriibient 
feuls ne iaifbient pas , à beaucoup près , le gros de la 
nation ^ 8c le gouvernement municipal qui & répan* 
dit aidez généralement y dans les douzième Se trej^ 
zienîié fîecles, changea Tordre de la focîété j & juiér 
para Ips voie$ à une légiflation nouvelle, j 

Les preniiêrs pa3 qUe Ton fit vers un ufage con- 
traire aux diipofitions que je viens de rapporter, fiè- 
rent pour donner aux créanciers dc$ moyens dé fè 
faire payer. 

^ Ge fiit un des objets dès principaux réglemens 
auxquels les communautés fe foumirent lors de leur 
inftitutiôn. On parcourut à cet égard , comme dans 
'prefijue touteà les autres parties de la légiflation, 
tous les degrés de délire Se de barbarie , avant de 
parvenir à une police régulière , qui n'eft çert&ine- 
ment point encore irrépréhenfible. On trouve dai^ 
les pf donnaacçs , ( tome III , page 6 ) un ordrç du 



t i4n 

' tor^ iqui autoriie'les bourgeois de Paris à s'emparer 
par-tout, & de la manière qu'il leur plairoit, de tout 

* Ce qui appartenoit à leurs débiteurs , jufqu'à la con- 
currence de la {bmme entière qui étoit due. Ce n'eft 

^ qu'en 1351 que parut une ordonnance qui défend 
aux créanciers de & faiiir des eilèts & de la perfbnne 
de leurs débiteurs , fî ce n'eft par l'ordre exprès d'un 

' magiftrat & fous fon infpeâion. (Ordonn. tome IL) 
On lent bien que lorfqu'on en fut venu à aflîmiler 

' des chofes aufli différentes que la liberté d'un indi- 

' vidu & fes autres propriétés , & que l'emprifonne- 
ment pour dette particulière eut lieu , on appliqua 
ce châtiment , infligé fî légèrement aujourd'hui à 
toutes fortes de délits , aux plus légers comme aux 
plus gravés , aux liifraâions de police 9 comme aiix 

' crimes , envers la fbciété» 

Mais les loix relatives à la fÛreté perfbnndie fu- 
rent long-tems refpeftées dans le royaume, & l'on 
ne fàuroit dire que les privilèges qu'elles contien-^ 
nent , fliflênt des prérogatives ufiirpées dans les 
Bems d'anarchie ' où l'autorité royale fut comme 
anéantie , puifqu'elle étoit en vigueur fous le règne 
ferme , glorieux ÔC formné du grand Charlemagnë. 
Voici un fragment bien remarquable de la loi don- 

'née à Kierfy-fur-Oife , dans l'affemblée générale de 
la nation, qui y fut tenue l'an 856 fous Charles le 
Chauve. On en peut tirer aflliréniént plus d'une con- 

, iequence importante. 

ce Et fciatis quia fie , ç/? adunatus ( fenior nof- 
A ter ) cum omnibus fuis fidUihus in omni ordine 



[ 144 J 
t> près avoir été averti par fes fidèles fiijet^ ^ ilttâ' 

» veuille point fe rendre à leur intention^ facliez qu'il 

V eft tellement lié avec nous & nous avec lui, & que^ 

i> nous fbmmes tous par fà volonté & fon confen^ 

>> tement fi fermes & unis, les évêques & les abbés 

» avec les laïques^ & les laïques avec les eccléfiaf* 

y> û({\xesj qu'aucun de nous n'abandonne fon pair^ 

» afin que notre roi ^ quand même il le voudroit , ce 

» qu'à Dieu ne plaife , ne puifle faire à l'égard de 

» quelqu'un , ce qui fëroit contraire aux droits que 

» la loi lui donne , à la droite raiibn & à un juge-^ 

» ment légal. » 

Je ne fais comment les partifàns dès ordres arbi- 
traires Se de l'obéiflance paflive expliqueront cette uni- 
té fociale i (Adunatus. Adundti.) ce pafte, {pa3um)i 
ces avertiflemens fi libres & fi précis y {ammonemaf 
ut ille hoc corrigat &,emendet , anunonitus à fuis fi" 
delibus fuam intentionem non voluerit) de la part 
de gens qui, félon les avocats du deipotifme, ne fu- 
rent jamais membres néceflfaires de la légiflation i 
enfin, cette doftrine de réfiftancé fi formellement 
énoncée Scpermife dans les casde^/z/de juAice^ doc- 
trine qu'on trouve dans nos anciennes loix , dans plu- 
fieurs ordonnances , notamment dans celles -fiir la 
levée des fubfides , (voy. ordonn. du roi Jean, der- 
nier mars 1350 j ordonn. du z8 décembre 1355 &c.) 
enfin dans tout le. corps de notre ancienne hiftbire. 

Pour moi, me renfermant dans mon objet àftueli 
te me contenterai d'obfèrver comme on rècom- 
mande le jugement légal) le jugement des pairs dont 

il 



t H5 ] 
ii va être parlé au long. ( Judicium ji^m. Jajîitiœ 

judicium ante fuos pares. ) Et fur-tout quelle forte 
de profcription on prononce contre les rebelles & 
contumaces , \yontumax & nbellis , ) 6c dans le cas 
où . ils ne puilfent être rappelles à leur devoir , ( fr 
non converti potuerity) qu'ils foientpar tous chaffés 
de la fociété de npiis tous & du royaume. ( A noftra 
emnium focietate & régna ah omnibus expeliatur.) 
il n'y a pas là Tonabre de lettre tie cachet. On ne 
décerne pastnême d'emprifonnement^ quoiqu'il s'a- 
gifle du crime le plus dangereux à la fociété. 

Au refte , je ne fais que rapporter. Apparem- 
ment on ne me foupçonnera pas de regretter la 
jurifprudence ou la police des Germains ou des 
Francs^ ni même la plus grande partie de leur légift 
lation , quoique notre jurifprudence 8c notre , légiP 
latîon foient non-feulement défeâueufes, mais efleri- 
tiellement mauvaifes. On verra dans la note fui-^ 
vante ce que je penfe en général fur nos anciennes 
inftirutions : mais il ne faut pas dire effrontément 
pour légitimer les ufurpations 4w defpotifine , qui 
ne fauroient jamais l'être par quelque^ autorités ^ 
& quelques exemples que ce foient , que des inven- 
tions très - modernes , font très - anciennes , immé- 
moriales , en ufàge de tout tems. 

S. Louis admit la preuve par témoins , 8c abolît 
le combat judiciaire dans les tribunaux de &s do.- 
maines ^ mais comme il éft dit dans les établifle- 
mens qui portent fon nom , le bers , ( baron ) fi a 
toute jufiice en fa terre } ne li roi me peut mettre 

K 



ban en la terre au baron fans fon ajjentermnt : ne ti 
bers ru peut mettre ban en la terre au vavajfor* 
( Ordonn. du Louvre^ tome I^ page iz6. ) S. Louis 
n'ôte donc point le combat judiciaire dans les cours 
de iës barons y excepté dans le cas d'appel de faux 
jugement j c'eft-à-dire ^ lorfque le feigneur , malgré, 
l'appel de défaute - de - droit des parties ( ce mot 
porte fon explication ) avoit fait rendre le juge- 
ment. Ce prince introduifit auili Tufage de fauiTer 
la cour de fon feigneur , c'eft-à-dire , d'appeller de 
faux jugement fans combattre j ce qui fit un chan- 
gement confidérable dans l'ordre judiciaire j ôc peut- 
être le plus grand pas vers la révolution qui fuivit ; 
car le droit de révifion devoit envahir tous les 
autres. 

Mais ce fiit principalement en faifant revivre le 
droit romain que les établifTemens de S. Louis , foit 
qu'il faille les attribuer à ce prince y ou leur donner 
une autre origine , avancèrent cette révolution. Ils 
mélangèrent ce droit romain , retrouvé environ un 
fiecle auparavant y de juriiprudence fran^oifë ^ âc de 
notions tirées des loix canoniques ; ce qui forma 
un code amphibie, comme le nomme M. de Mon* 
tefquieu, & fouvent contradiâoire. Mais la légifla^ 
tîon la plus défeékieufè avoit des avantages évidens 
fur le deCpoûûne , ou plutôt fur l'anarchie de la 
féodalité corrompue. Ce nouveau corps de loix eufc 
donc le plus grand fiiccès , & devint fbus peu de 
tems prefquç général. Il ouvrit de nouveaux tribu*- 
naux, & un gfend nombre de'voies d'appel : il dura 



t Î47 r 

peu, parce que la révolution du gouVernêmeî^^t âàûf 
les fieclesfuivansj accélérée par les efforts fuc^eflîfj? 
de tant de rois , fut très-rapide j & que l'ordre judi- 
ciaire changea abfblument comme Tordre politiquet 
Mais le droit romain y qui en avoit fait la bafè f 
fubfifta avec la plu$ grande faveur. Au fond ^ c'étoiç 
à quelques égards le meilleur fyftême écrit dç loi^j 
civiles qui exiftât alors. On n*étoit affurément ni 
affez réfléchi , ni affez inftruit pour appercevoir les 
conféquences dangereufes qui pouvoient réfulter de 
fon introduâion. Eh! comment nos ignpi^s ancê- 
tres auroient - ils porté fi loin la vue ,. puifque de 
fioS jours encore, on a fur la parole des jurifte? 
Une vénération fi profonde pour ce code ? Sa doc- 
^ine devoit être très-agréable & très*commode âmf 
fauteurs de la puifiance abfolue y 8C à ceux qui 
afpiroient à la pofféder. On y trouveà tous les pas 
les maxime^ du plus infolent defpoûùne : on y divî- 
nife par-tout la volonté du prince. Quod principi 
placuit iegis hdbet vigorem , cum populus ei & in 
funt omfu fmiîf^ *imperium & potejlafem confirat y 
dit Ulpien. Imperator Jblus 6* conditor ù interpres 
Iegis exijlimatur; facrilegii injlar efi tefcripto priri" 
cipis obfetyare , dit le code, ht omnihus , intpera^, 
tofis excipitur fortund , ciii ipfas leges fkus fub- 
jecit. -*- Difputare de principàli jhâiciù non opor^ 
tet : facrilegii enim inflar efi duhitare out indignas; 
fit quant elegerit inxperatpr^ ^c. &c* 

De telles maximes fbnt le vrai coie de la fervî- 
^ide. Les princes adoptèrent dont pVec gyidité .1^ 

K 2 



t i4n 

Sroît romain j c'eft-à-dire , non-feulement les înlH- 
tuts ou principes de la loi romaine , les pandedes 
ou opinions des juriiconfultes y les édits généraux 
eu conftitutions impériales , les novélles ou nou- 
veaux décrets des empereurs entafles fur les anciens, 
mais encore les refcrits de ces mêmes empereuris ; 

4 c'eft ^ à - dire , les décifions arbitraires , partiales , 
fouvent abfiirdes & tyranniques que follicitoient 8c 
recevoient d'indignes efclaves au moindre doute 
qui s'élevoit fiir l'explication dô la jurifprudence 
romaine , comme des oracles facrés. Tout cela fit 
partie dé notre légiflation, & nous devinmes , autant 
qu'il étoit en nous, fujets des Commode & des 
Caracalla. Les pandeftes furent retrouvées en 1137, 
& déjà peu d'années après , on enfeignoit le droit 

'f^ romain , en différentes villes de France , comme 
une partie des études fcholaftiques. ( Robertfon , 
-Preuves. ) On l'a entrevu avant moi , & j'efpere lé 
démontrer quelque jour par un ouvrage qui , com- 
pofé dans les fers, n'en fera que plus animé du 
noble efprit de la liberté : la loi romaine feule a 
fort avancé la perte de notre liberté politique 5 & 
les Anglois qui ont entièrement fubordonilé le droit 
canonique & romain à leur loi commune , 8c ne 
fbuffrent l'obfervation des loix impériales & papales 
que dans des tribunaux inférieurs , ont tout flijet 
de s'en applaudir , quoique le favant Robertfon leui 
en faffe une efpece de reproche. 

Les coutumes anciennes & lès nouvelles fe fon- 
dirent en partie dans la juriipnidence moderne. Tout 



[ 149 ] 
le monde occidental n'étoit guère gouverné que par 

des traditions , parce que répaifle ignorance dans 
laquelle il étoit fi profondément enfeveli , avoit 
rendu fort rare la fcience de lire & d'écrire. Cepenr 
dant prefque tous les peuples de l'Europe penfe* 
rent avant nous à raffernbler leurs loix. Alfred , 
Edgard & Edoujard .le Confefleur , aux dixième^ 8c 
onzjieme fiecles ^ avoi^nt recueilli un digefte de loix 
en Angleterre y bien auparavant le Tra3atus de legi- 
bus & confiietiidinibus angliœ de Glanville , que 
Robertfon cite comme la première coUeftion de 
coutumes qui ait été faite en Europe , & qui ne 
date que de 1181. Le code Regiam majejiatem 
parut dans le même fiecle en Ecoffe , & s'il eft. de 
David premier , comme on le lui attribue , félon 
Robertfon même, il n'eft pas, comme il le pré- 
tend, une imitation (èrvile de l'ouvrage de Glan- 
ville , puilque Malcom IV fiiccéda;à_ David en 1155. 
Alonze, au treizième fiecle , en Eipagne, àvoit réuni 
toutes les coutumes provinciales dans. le code célè- 
bre de Las partidas ; & les Suédois , vers la mênie 
époque, formèrent leur Landshag. Edouard, au 

.commencement du quinzième fiecle , fit la même 
opération en Portugal. Les François fèuls n'avoient 
non - feulement point de loi uniforme , ( avantage 
dont ils ne jouiront probablement jamais , ) mais 
non pas rnême un recueil de leurs coutumes. Quel- 

. ques jurifçonfultes avoient tenté feulement de re- 
cueillir les coutumes de certaines provinces. Ce fut 
l'objet de Pierre de Fontaine, ( 1126 ) dans yo/i 

^ K 3 



Çànfeil^ qui conrient un détail des cc^inimes du 
pzys de Vermandois , 8ç où Tauteur dit avoir tenté 
lé i)femier en France un tet ouvrage^ Beaumanqir,- 
àuteur des coutume$ xlu Beauvaîfis , vivoit vçrs k 
même tems •, lefi établilFemens de S. Louis n^ con^ 
twoient que les coutume^ de^ domaines royaux. 

Enfin , Charles VII, en 1453 i & fes fiiccefleurs, 

notamment fôn fils Louis XI, fiffent rédiger par 

* écrit les coûtâmes du royaume , 8t depuis ce x^mi 

elles flibîrent tpùte forte de changement fous fe 

ïceau de Tautorité royale. 

Dès le commencement de là troifieme race , lei 
rois avoicnt donné des ordonnante^' particulières i 
qui n*étoient propféme'nt qUé déï tharteS. Quelque 
tems après ils en hafardërerit âé 'générale^ , avec te 
plus grande cir(:onj[i)eftion. Phîlîppe-Aùgufte fut te 
premier qui Franchit; ce grand paè eh iï88'8c 1Ï90', 
(Ordonn. tome iVpag. i , î8,) flir quoi il eft bon 
tde remarquer qq'il n^avoît pas fallu moins de cent 
trente ans d*înterruptî6n dé rêSterfiice "de; la puif- 
fence lègiilarîvedé là nation pour pfépaifer cettQ 
innovation ;'câf lé dernier des capitulairés Yecueîllîi 
par Baluzèi Fût donné, en pii ,'pàV (3iarlé$''fQ 
Simple.. 

Au reftê , dans cet eïpàce de trois fledes ^ûi s'é« 
coula depuis Hiiguçs-Ca'pet jufîiiî'Ëux étàts-généraUx: 
de 1302 , créés , pour airifi dire , pai* Philippe le 
fiel ^ car ils h'àvoîerit prelqu'aùcuriç reffemblânde 
gvec les anciennes aHemblées de la nation , aucun 
rpl nç <:pnvi)qua çe,% ^emblée? géhçrâlçs, Ik côû-- 



[ i5t } 

fultoient du moins les évêques & les barons ', com- 
me on en peut voir la preu^ dans le recueil des 
Ordonnances, (Tome I,page 5.) Ce fiït depuis 
S. Louis que les rois de France pofféderent prefque 
abfolument la plénitude de la puiffance légiflative 9 
que Louis XI recueillit toute entière , fans que (k 
tyrannie ôc fa très -médiocre habileté aient beau* 
coup contribué à cette révolution ^ préparée par tant 
de circonftances & d'efforts iiicceflîfs. 

Enfin , les ordonnances , édits , déclarations , 
lettres -patentes , arrêts du confeil , &c. fe font tel- 
lement multipliés , que la nomenclature feule en eft 
devenue infinie. On peut dire de ce monceau de 
loix ce que Tite - Live difoit des loix romaines : 
Tarn immenfiis aliarum fiiper alias accrvatorum 
iegum cumulus. 

Peut-être ne refte-t-il plus qu'une digue contre ce 
torrent d'ordonnances peu à peu devenues fi arbi- 
traires. C'eft leur arbitraire même qui , les mettant 
en contradiâion entr'elleè y en reflèrre l'autorité 8c 
l'ufage. 

Voilà les révolutions de notre jurifprudence. On > 
va favoir comment , au milieu de ces variations , fiit 
fucceflîvement départi le pouvoir judiciaire. Dans 
cette partie 9 comme dans ce qui précède , je né 
jeterai que les màflës 5 les détails iroient^à l'infini ^ 
& n'entrent point dans mon plan. 

Il faut obferver d'abord que le fyftême féodal 
n'efl: point une inftitution auflî moderne qu'on l'a 
cru communément. Il eft certain que dans toutes \t^ 

K4 



parties du monde , on en a trouvé d^s traces plus 
pu moins diftinâes,^ cela feul porte à croire que 
c'eft Mn plan très-naturel de défenfe. Mais pour me 
renfermer dans la matière que je traite , je dirai 
gu'il eft indubitable que les nations feptentrionales 
ou celtiques ont eu de tout tèms cette police mili- 
taire & civile, 8c qu'ik.çil apportèrent fefprit & 
ie principe de leur pays .dans : les j^ôuveaux établif- 
femens qu'ils fe formèrent dès démembremens de 
l'empire Romain. . 

. . Je dis qu'ils en apportèrent Peffrît & le principe; 
car -il eft certain que, comme ils n'avoient dans 
leur pays natal aucune propriété jerrîeriné , & que 
la.diftributioi) des terres fe renouvellôit tous ks ans 

• fe. . • 4^ -■ 

J>armiles Genn^ms , de .peur que le peuple, s -atta- 
chant à l'agriculture , ne fe refroidit, pour la guerre; 
ils ne cônnoîflbient point du t0^% ce que. l'on a 
appelle depuis tenure féodale. Mais on trouve dans , 
Tacite une notion bien diftinâe du vaflelage mili- 
taire^, fi je puis m'exprimer ainfi , <x)mme l'a re^ 
marqué l'illuftre Montefquieu , qui le prouve p^ar 
^es pafTages formels de Céfar 8c de Tacite. ( Efprit 
des loix , 1, XXX, 9 c. III. ) - 
, Lorfqueces peuples eurent formé des établiffe- 
.mens , il fallu|[,fonger à les protéger , à les main- 
tenir , à les xléfendre ; & le ,fyilême féodal naquit 
fucceffivement, mais çoiiforniémpnt aux idées reçues 
de tout tems parmi ces nations beHiqueufes. Ce 
fi'jeft, point ici le Jieu.de tracer la oi^che de leurs 
inftitutions cfn ce genre. Montefquieu ,Mably, 



( 15.3 1 
.Robertfon , Blakftone , l'ont fait avec une précifion 

&: une netteté admirables. Il ne s'agit ici que de 
montrer, comment l'ordre établi pour l'adminif- 
tration de la juftice découla de ces idées de féoda- 
lité , & en fuivit toutes les variations. 

« On peut reconnoître , ditBlakftone , ( tome II, 
» c. IV d\x Syfiênu féodal , ) l'ancienneté & l'unî- 
ju verfalité de ce plan féodal parmi toutes les nations 
^} que nous appelions barbares , eu égard aux Ro- 
» mains, dans ce qu'on appelle les Cimbres ÔÇ 
-» Teutons, qui vinrent du nord, ainfi que les 
» autres peuples dont nous avons parlé. Lors de 
» leur première irruption en Italie^ environ un 
)) fiecle avapt Père chrétienne ., ils demandèrent aux 
» Romainj? , ut rpartius popidus aliquidfibi terrct 
» daret qimfiftipendium : cceUrum ut vellet manibus 
» atquearmisfuisuteretur.lh defiroient des portions 
» de terres , ç'eft-àj-dire , deS: fiefs, fous condition 
» qu'ils payeroient par - tout- ièrvice militaire & 
» perfonnei, que leurs feignpurs pourroient exiger 
^ d'eux. Ç'étpit éviçleniment le même fyftême.qui 
j> fiit développé & établi généralement fept cents 
.» ans après , quand, les Saliens, les Bourguignons 
» Se les Ffancs: fe répandirent. d^çs Içs Gaules j les 
» Wifigoths en Efpagne, & les Lombards en Italie, 
» ou ils introduifirent ce plaa de police feptentrio- 
» nale , qui fervit à la fois à la diftribution & à la 
» proteûion des conquêtes- » 

On voit qvelle eft l'origine de cet i^fagè , confr 
. tamment obfervé dans la monarchie depuis ion eri- 



gine jufque bien avant dans la troifîeme race , que 
^iconque étoit fous la puUTance militaire de quelr 
qu'un 5 étoit auflî fous fa jurifdi^fcion civile. C'étoit 
nn principe commun à tous les peuples feptentrio- 
naux, ou plutôt une idée naturelle à tous les conque- 
ran$' , ôc même aux nations ignorantes & peu civi- 
lifées. Les Grecs 8c les Romains ont eu d'abord la 
même politique ; Sc il eft facile de concevoir que le 
premier inftinâ: d'un corps focial , qui a également 
befoin de la proteôion des armes Se desloix , réunit 
dans les mêmas mains ces deux pouvoirs aùflî long- 
*ems que les réglemens civils font fîmpleis & peu 
nombreux. Un principe non moins confiant de 
4'uhion du pouvoir civil Sc militaire , étoit qu'un 
jQgè ne jugeoit janiaîs lèul j ÔCl'on Voit affez qu'il 
rient aux mêmes idées que le premier. 

Les affemblées nationales , ( & commune confilium 
ées Germains j le wittenâgemote des Saxons , &c. car 
chez toutes les nations forties de li- Germanie on 
' trouva cette ihftïtutïtto ;)les affefmblées iMktionales qiiî 
'partageôieni avec le rôî la puiffance légïfladve, pour 
ne pas dire qu'il n'étoît que l'exécuteur des délibé- 
ifatiôns communes ^ exerçoient une jufifiliôion fii- 
prême>& dans toutes les èfpecêS dé^caùfes. C'étoît 
l'ufage dé toutes les nations feptentf iônâlés j c'étok 
le droit particulier des Francs , qui Pàvoiènt ftipulé 
dans te loi falîque. Les Franesyye^-W Ait ^feront 
juges les uns des autres avec le prince^ ^-décerneront 
enfemblè les loix de V avenir^ félon les occafions quife 
-préferueroni. (Encyclopédie, au fti0tÀ>/yà//^f. Bâ' 



[ 155 ] 

lùze, tome II 9 page 178.) Je ne traiterai pas plus ea 

dérail ce point fi difcuté dans ces derniers tems , fi 
parfaitement établi 9 fi clairement démontré* Les 
preuves de cette aflertion font fans nombre fous les 
deux premières races, 8c nous avons déjà vu çfoê cette 
coutume étoit facrée chez les Germains ^ mais <dans 
les cas & les tems ordinaire^ ^ voici comme on reii* 
doit la juftice. 

Les Fraincs èh fé répandant dans les Gaules n'a<^ 
boiirent point la forme du gôuviêrnéinefit romain , & 
conferverent les titres de comtes: fie de ducs. Sous 
les empereurs , le nom de duc qui ne fignifioit d'a- 
bord quetkèfoM conduSeur^^Yoïtété particuîiére- 
înent donné aux commandans dès troupes diftribuée* 
fur let frontières. Ces officie^ fiipérieurs aux tri- 
buns étoîent jferpétuels •, & pour les attacher au dé- 
partement qii*ils étoîent chargés de défendre , on 
leur aflîgnoît, auâî bien qu'à leurs foldats les terrcE 
limitrophes des Baâ'bàres, avec les efclaves & les 
beftiaux néçeflairerpour les mettre en valeur. Ils les 
pofledoîent en tbutè franchife , avec droit de les faire 
paffer à leurs hérîtters^ à condkiôh qiiê ceux-ci pof- 
îtéroient tes armes. Ges terres s'appelloient bénéfices; 
t<. c*eft , félon un grand nombre d*auteUrs , lé plus an- 
cien modèle des fiefs. (M. te Beaii, Hifl:oîre du Bas- 
iEnipîre, tome f , page 523.) Quoiqu'il en foit,leuar 
autorité s*étoitj6tendue, Sc ib étol^t devenus gou- 
verileurs des villes. 

Les comtes , officiers ftpérieurs aux ducs , étoîerit 
ll'une inftitutiqn trèç-anciiînnc. Dt5 te'tenis d'Au- 



[ i5<î ] 
gafieon voit des féoateurs choifis par le prince pour 

raccompagner dans fes voyages, {cornes à comeando 
ou à comitando , ) & pour lui fervir de confeil. On 
pourroit même fedre remonter beaucoup plus haut 
l'origine du titre cornes. ( Voy. Encyclopédie, au mot 
eomte.)l\s étoient devenus fiicceflîyement, de comtes 
i\x palaij, généraux d'armées & gouverneurs de pro- 
vince. L'étendue d'autorité de ces dignités diyerfes 
varia enfuîte, & tes dues prirent la prééminence. 

Le comte du palais préfidoit à la cour du roi ^ 8C 
le roi lui-mém^,v accompagné des «grands & auflî 
des évêques, vuidoit les caufes majeures. Les cités 
avoient leurs comtes, les provinces leurs ducs, Se les 
villages leurs centeniers. Il n'eft pas inutile d'obfèr^ 
ver que l'efprit de brigandage étoit tel en J^ance , 
ou plutôt dans ces fiecles barbares ,*que l'on obli- 
geoit ces juges inférieurs à jurer quSls ne cpipmet- 
troient aucuns vok eux-mêmes , & ne prptégeroient 
point les voleurs. ( Capitul. Baly?^ yol. II.) 

Notons encore ^yQç^M. de IVfebly^ (Obferv. t. X, 
€•3,) qu'on vkréclore.cettjeepiïuption dans l'ordre 
judiciaire , byfque le prince s'attribua, le pouvoir 
de difppfer êls emplois fans coafUlter Je champ de 
Mars. Les ducs , tes. comtes Sc les ceçteniers, dit 
cet écrivain ^ ^voient tous acheté leurs dignités , ou 
.s!en étoient rendus, dignes par quelque lâcheté , & 
ces magiftrats chargés de toutes l^s panies du gou- 
vernement dans leurs provinces , faifoient un com- 
merce fçandaleux de l'adaiiniftration de la juftice. 

Cette inftitudon des'centeniers faite à la fin du 



[ 157 i 
fîxieme fiecle fous Clotaire & Ghildebert, pov^ 

obliger chaque diftriâ à répondre des vols qui s'y 
commettroient , eft^abrolument d'origine germaine. 
Céfar parle pofitivement . de l'autorité judiciaire 
qu'exerçoîent lés centeniers ou principaux habitans 
d'un diftriô) compofés de différens villages au nom- 
bre de cent. Principes regiormm atque pagqrum 
inter fuôs judkant y controverfias que minuunt ; & 
Tacite 5 ^î détaille bien davantage la conftitutioa 
de ces peuples , ajoute une circonftance qui prouve 
qu'ils fe faifoient affifter par des citoyens ordinaires, 
qui avoîent eux-mêmes part dans les décifions. 
Eliguntur & in confiais principes qui jura per pagos 
vifcos quereddunt. Centeni fingulis ex plèbe comités 
ronfiliumfimui & autoritas adfunt. Voilà les no- 
tables ou^airs François, & les jurés Anglois, 
comme on va le voir. Cet établiflemént des çente^ 
nîers fut imité depuis , & perfeôionné par Alfred 
en Angleterre , où il fbbfîfte encore. Il avQÎt eu lieu 
en Danemarck , Se tiroit fa fource , comme tout 
le refte de notre législation , des mœurs des Ger- 
mains. Centeni exfingûlis pagis fiint; idque ipfiim 
inter fuos vocantur ; & quod primo numerus fuit y 
jam nomen & honor efl. ( Mor. Germ. ) ' 

Les ducs ou comtes, £c leurs centenaires ou vicai* 
res , diftribués en différens endroits de leurs gou- 
yemeniens, aflèmbloient des plaids ou malles, 
«ù les notables ( boni homines ) étoient convoqués. 
•On ne prononçoit peint de ji ^;ement, j&ns prendre, 
.parmi les citoyens les plus notables y fept aireflëur; ^ 



t Î58 ] 
connue /bus leî noms de racimbourc^ oti ^è $CA'« 

BiNS j & ces afTeiTturs $ élus par le peuple , {fcilicef 
dectos populi. Voy.Tart. XXII ^ du Içr capitulaire dç 
j'en 809. BaL tome I^ page 400. Dom Bouquet^ 
tome VI 9 page 149)^ toujours choiii? dans la nation 
de celui -contre qui le procès étoit intenté ^ for^ 
moient la fentence. Ils dévoient être au moins au 
nombre de douze. Le che£ du tribunal pmnonçoit 
feulement leur décifion, (Mably. Obferv. fur l'hifti 
de France ^ tome I^ pïige 27. ) 
. On voit très-clairement que voilà l*orig^e du 
jugement des pairs ou jurés ^ dont on trouve des tra^ 
ces chez toutes les nations qui ont obéi aux lôîx féo- 
dales ^ comme en Allemagne j en France , en Italie^ 
en Angleterre. Sterntfook prétend que le tribunal 
des jurés ^ lefquels 9 eh langue teutonique^ font zç* 
pe\lé$ Nemida^ filt formé par Régner, roi de Suéde 
& de Danemafck^qui vivoit au commencement d« 
neuvième fiecle. Le chevalier Temple afliïré qull y 
« fufHiamment de traces de cette coutume , depuis 
les coûftimtîons même d'Odin ^ le premier conduc- 
teur des Goths Afîatiquesou Getes en Europe , 8C 
fondateur de ce grand royaume qui fait le tour de liai 
mer Baltique , d'où tous les gouvernèmens gothi- 
ques de nos contrées de TEurope , qui font entre le 
nord & Toueft 5 ont été tirés. C'eft pourquoi cet ufagie 
:eft auflî ancien en Suéde que quelque tradition que 
te (oit. ( Encyclop. au mot poir^. ) Il étoit connu 
en Angleterre du tems des premières colonies Saxon- 
nes ; & révêque Nicolfon 'en attribue riniiitutioa j^ 



[ 159 1 
Woden ^ kur j:oi> leur légiflateur ^ leur dieu. Enfin ^ 

c'étoit un privilège immémorial 8c ccmimun à tous 

les Francs y de ne pouvoir être ajournés Se jugés» 

que par leurs pairs. Quelquefois même on appelle 

dans les monumens de notre droit public ^ les pairs ^ 

Amplement Franci'^ comme on voit dan^ Tordons 

nance de Philippe de Valois , de décembre 1 344. ■ 

L'autorité de ces officiers militaires & civils ^ 
telle que nous venons de la définir ^ n'étoit rien moins 
qu'illimitée. Ajoutez que les Missi dominici ^ jugesi 
extraordinaires Sç ambuîans^ établiflëment pofté-*. 
rieur 9 à la vérité y exerçoient une jurifcliâion ailez 
étendue fur les juges ordinaires Se fixes ^ inftitution 
fage Se falutaire que l'Angleterre feule a confèrvé^ 

Il eft inutile que j'avertifTe que l'adminifhation da 
la juftice ne regardoit que les hommes libres. On fait 
afTez que par-tout l'homme a donné des fers à 
l'homme ; que par là loi féodale le peuple entier fe 
trouvoit réduit à l'état de vaflëlage fous Tes barons 
Se le roi 5 Se que la plus grande partie même ram-r 
poit.dans la fetvimde la plus abjeât; car le nom- 
bre des cerfs 9 chez toutes les nations de l'Europe i 
étoit prodigieux 5 Se Ces infortunées viôimes de l'or? 
gueil humain étoîent foiivent horriblement malheur 
reufes Se opprimées Tout maître exerçoit un pou- 
voir abfolu fur fès efclaves, Se avoir le droit de ie« 
punir de mort^ fans l'intervention du juge. 

De l'union immémoriale des offices civils Se mîr» 
litaires, naquirent les juflices des fëigneurs.C'efl une 
vérité que le iavant Se ingénieux Robertfon m'a en^ 



[ i5o ] 
trevue que foiblement , & qu'il met à Técart pf efque 
auflî-tôt qu'il Ta montrée. M. de Montefquieu a évi- 
demment prouvé, felon moi, qu'elles ne tirent leur 
origine , ni des affranchiffemens , comme quelques- 
uns Pont cru , ni de l'ufiirpation des pofleffeurs de fiefs, 
comme le plus grand nombre l'aflure, (V. liy.XXX de 
VEf.desloix.) Dès le tems de Charkmagne on trouve 
des preuves de ces jultices particulières , qui proba- 
blement avoient eu pour bafe la confiance des peu- 
ples, dans les crifes terribles d'oppreffion qui défo- 
lerent la France , fous la dynaftie Mérovingienne. 
Et certes, l'autorité royale n'étoit pas en décadence 
fous ce reftaurateur de la France , qui le premier 
donna quelque régularité à la conftitution nationale. 
Il faut excepter de ce que nous dïfons ici relative- 
ment aux juftices des feigneurs , la Normandie , où 
la juftice étoir originairement entre les mains du 
prince, 8c ne s'exerçoit qu'en vertu de fes commif- 
iîons. (Boulainvilliefs, lettres fur les anciens parle- 
mens. ) 

On a fouvent porté dans l'hiftoire des fiefs , les 
idées 8c les principes de la politique modetne ^ 8c 
c'eft aflurément un moyen infaillible de s'écarter de 
la vérité. Quand on lit dans notre hiftoire cette cé- 
lèbre réponfe d'Adelbert , comte de Périgord , à 
Hugues-Capet , qui lui demandoit avec une hauteur 
au moins extraordinaire : qui Vavoit fait comte ? • . . 
CEUX QUI vous ONT FAIT ROI : quand on lit de 
ces anecdotes , on croit que ç'étoit - là le langage 
d'un audacieux fujet , fier de fa puiflance ufurpée , 

enhardi 



enhardi pal* la dégradation de l'autorîté royale. Mais 
Adelbert ne difoit affurément que Texafte vérités 
Quand en Angleterre où 9 par le concours de plu- 
sieurs cii^conftances y les fois étoient beaucoup plus 
abfolus que danis tout autre royaume féodal, le 
comte de Varenne montroit fon épée comme le titre 
de {es podëfllons , en ajoutant que Guillaume le 
Bâtard n'avoit pas conquis fiul fort royamtiè; niais 
que Us barons <^ entf autres fes ancéttes y s'Ûoiént 
ajfùciés â lui dans fon ehtreprije i le comte de 
Varenne difoît précifémènt la même chofe que le 
baron François , & tous les feudàtaîres des royau- 
mes gouvernés par la loi féodale , en auroient pu, 
dire autant. La féodalité qui a la convention pour 
principes j 8t pour fceau la foi réciproque des par- 
ties , obligeoit les fois à Tégard de leurs barons ^ 
comme elle obligeoit \qs barons envers eux ^ cela 
eft configné dans tous les monumenS de notre dfoiÉ 
public , & d'ailleurs cela eft évident de foi. 

De quelque maniera que Ton conçoive le pi^mief 
partage des terres conquifes pat les Francs , 8c en 
général par les nations feptentrionales j quelque 
idée qu'on iè forme des premiers fiefs , il faUt ^ron-» 
veriir, fous peine d'abfiirdité , qu'il n'étbit pas pof- 
fible que des peuples fiers , belliqueuk , jaloux dé 
leur indépendance, coiifervaflerit long-tems l'ufagô 
des propriétés amovibles à la volonté d'ùh fouve- 
rain , dont , à tous ^up'es égards , ils limitoîéht fi 
foigneufemeht l'autorité , & qu'ils cruflent quel des 
établiïTehiens (i précaires fufTent un digne piisL dd 



[ l62 ] 

leurs trîomphes Se de leur fang. Il étoît jufte que 
celui qui avoit cultivé un champ y le moiApanât 5c 
fe confervât. Il étoit également de Tintérêt de h 
communauté Se du prince d'attacher Jes proprié- 
taires ^ la çhofe publique j en ^ffux^nt à eux $C à 
leurs familles la pofleflîon des parts qu'on leur avoit 
accordées , ovi qui leur étoient échues. Ce change- 
ment 4e propretés ne contrarioit point ce principe > 
plutôt théorique que politique ^ de la loi féodale , 
qup le roi étoit le fèigneur fuprême de la propriété 
tjerrienne , puifqu'il devoit gagner , au contraire , à 
rafiermiffement , à la ftabilité des tenures féodales. 
Ce fut d'^ord la violence qui rendit les fieft 
héjréditaires , mais cette violence fut très-naturella 
en tant que prQduite par le defpotiûne Mérovingien , 
y étoit devenu tel , qu'aucune propriété n'étoit ref 
peftéç. Le tqi retiroit, rendoit & reprenoit fe$ 
dons au gré de fon caprice. Une finiatîon fi pré- 
caire déplut fans doute aux leudes ; & nous les 
ypypns aflemblés à Andely , dès le règne de Con- 
tran, (fixieme fiecle,) pour traiter de la paix entrç 
lui ÔC Childebert, forcer ces princes à convenir 
qu'iU ne feroient plus libres de retirer à leur gré les 
bénéfices qu'ils aurpient conférés. Ce fut-là proba- 
blement le premier mobile de la révolution relative 
aux bénéfices y & dont nous ignorons d'ailleurs leâ 
déliails. Il eft certain que ce traité d'Andely pro* 
jduifiUtou3 les grands mouvemens qui agitèrent la 
Franqçfous la race Mérovingienne , & finirent par 
jrenyeij^r cette dynaftie. £nfîn , l'hérédité de ces 



u^ 



t i<Î3 ] 
|f)énéfices fut irrévocablement décidée dans rajTenir 

blée de Paris de 615. 

Il eft inutile de marquer ici dans un grand 
jdétail la différence qui diftingue les bénéfices pro- 
prement dits FIEFS conférés par 1? race Carlovin- 
gienne , d'avec ceux des Mérovingiens. D iiiffit de 
iavoir que c'eft alqrs que Tobligation des fervices 
.civils 8c militaires fut formellement fiatuée. Les 
.troi3 premiers chefs de la nouvelle dynailie fènti- 
rent qu'il étoit de leur intérêt de faire le profit de 
leurs vaflaux 9 pour fè les attacher davantage. Leur * 
puiffant génie unit , coniblida , contint tout j mais 
4e foibles fucceffeurs ne purent conduire une ma- 
chine fi compliquée. Le? fiefs que les monarques 
Carlovmgiens ayoient rendu volontairement à vie, 
devinrent héréditaires .dès Charles le Chauve , & je 
ne vois pas comment ils auroiçnt pu ne pas le deve- 
nir , même fous les rois les plus fermes & les plus 
jiabiles. 

Il n'en eft pas de même des commandemens , tels 
flue les comtés qui devinrent indépendans ôc per- 
pétuels , d'où réfulta l'anarchie abfplue y au milieu 
de laquelle la jurifdiftion des fiefs , fucceflîvement 
fous - divifés en fiefs inférieurs , où la jurifdi^iion 
.civile fut conftamment unie à la jurifdiftion mili- 
taire , s'étendit avec un excès uniquement produit 
par le defpotifme ariftocratique qu'élevèrent les rois 
en attaquant la liberté nationale , & croyant ne tra- 
vailler que pour eux-mêmes. On voit, dès le dixième 
.iîecle , les feigneurs en poffefSon de la haute juftice, 

L 2 " 



a. rendre des arrêts définitifs au - defliis de totit 
appeL Enfin , ils allèrent jufqu'à ériger leurs do- 
maines en régalités , ( jura regalia , ) & ils ufur- 
perent prefque toutes les prérogatives royales. Ceci 
n'cft plus de mon fiijet. 

La forme des jugemens changea avec celle des 
fiefs. Il eft impoflîble & inutile de fixer le moment^ 
précis de ces variations. _Lorfque les fiefs furent 
devenus héréditaires , les plaidft fe changèrent en 
;i{fifes y conféquemment aux principes de la loi féo- 
dale y ÔC auîK plus anciennes idées de la nation ^ 
Tobligation d'un vaflal envers ion feignteur fiit de 
mener , fur fa réquifitîon , les hommes libres à la 
guerre, 8t de juger fes pairs dans fa cour. {Pares 
curtis. Pares curiœ.) Les pairs de chaque feigneurie 
s'aflembloient à certains termes pardevant les feî- 
gneurs , 8c rendoient leurs jugem^s à la pluralité 
Ats voix. L'habitude d'être jugé par fes pairs étoit 
tellement enracinée dans la nation , que lorfqu'aux 
douzième ÔC treizième fiecles les villes eurent acqnis 
le droit de communes , elles qualifièrent en plufieurs 
lieux 9 ÔC particulièrement en Picardie, leurs juges, 

PAIRS-BOURGEOIS.' 

Pierre de Fontaine, dans le livre du Confeil à 
fort arrii^y propofe ôc réfout la queftion du nombre 
de pairs nécelTaîres peur former un jugement. « Tu 
» me demandes kans hommes il convient à un 
» jugement rendu. Certes , quatre ils font iuffifans. » 
"Mais fouvent le nombre des pairs dans les cours 
âes barons étoit beaucoup plus confidérable. Ou 



[ 1^5 ] 
trouve , par exemple, dans Thiftoire du Languedoc, 

( par Deyic 8c Vaiflette , ) un procès criminel porté 
à la cour du vicomte de Lautrec , en 1Z99 , où il y 
eut plus de deux cents perfbnnes qui affifterent au 
procès, ôc donnèrent leurs voix. 

Telle étoit donc la règle confiante de tous les 
fiefs que les feudataires tinflent la cour féodale de 
leur fouverain. Les grands valïaux tenoient la cour 
du roi , & ainfi de fuite , félon la gradation de la 
hiérarchie féodale. M. de Boulainvilliersibupçonne, 
non fans raifon , que la réduéUon des pairs du 
royaume à douze, qu'on croit dater du iacre de 
Philippe , fils de Louis Je Gros , ( 1 1 29 ) eût pour 
véritable objet de diminuer, autant qu'il fe pour- 
Toit , l'idée d'une éleôion qui jufqu'alors avoit tou- 
jours été pratiquée. ( Voyez note fuivante, ) Et ea, 
eflèt , cette réduftion ne préjudiçia point au droit 
deféance des autres ieudataires de là couronne da«s 
les parlements ou cours des rois : fur quoi il faut 
remarquer que J'opinion la plus vraifemblable & 1^ 
plus généralement ^eçue , elt^que le titre dç baroa 
n'étoit que le f)fnonyme de fcigtj^ur d!ua, bien nobU% 
, Louis le Gros , qui me paroît avoir été le prcr 
inier roi. Capétien habile ^ & qui ait eu véritable» 
ment un fyftêxne politique de conduite , opéra un 
changement réel ôc fort heureux dans la jurifpni- 
dençe 8c la forme judiciaire., eu inftituant les comr 
munautés dans fes domaines* Long-tems avant lui ^ 
4esfeigneurs^avoient accordé des chartes de fi'ân- 
çhifç Qu d'immunité à quelques-imes de leurs vill^i 

h i 



[166] 
& à quelques villages. Mais Louis le Gros les érî- ' 
geà en communautés , 8c il y établit un gouverne- 
ment riiunicipatï* Peu à peu cet exemple fiit fuivi 
jiàr les grands barons qui , épuifés par les croifades, ' 
avoient grand befoin d'argent , & reçurent le prix 
cîe cet aôé de mftice. Lés chartes des communautés 
ifouvelîes , furent réellement de nouvelles loix pour 
les adminîftràtïons nlunrcipales des jurifdid:ions 
nouvélfes , & fiir-«toût elles applanirent le chemin à 
de plus graniîes innovations , en feifant fentir au 
jJetiple le ptix d'un: gouverrïemferit plus régulier , &t 
les nîoyeti^ dfe le përfeftiôn^iér. Toutes les queftions 
ifelathréS' à là ptopriété- étqrent décidées dans ces 
corpoïâtîoîis pdr éës ftragiftràts & des juges nom- 
iïiês (Sa élus pat fes btiufr^iKs. (Rdbértfon, Preuves.) 
Ôà peut voir 5 dân$ Tauteuf que je cite & fes écri- 
ViSÂi i^ifiî ïncBque^ dès détails très '^. curieux fin- ce 
nouvel trfdîrë de éhô'fès qui fiàqùit dMs tes douzième 
& lîrèizièihé fiércfes. Lés f)i*înçîpaiiî privilèges qui 
furent âcfcofdés aiix èbttiiîiunes , teîs que là juf- 
tïcè, le droit â^eh'trètèfriîf unèMÎToé fer pied, de 
faire ^s fev'éfes' èxttâoriRn^îrès ^ &c féui: furent 
otê^t peu à* peix p^ fes ioîé. VofàbiSiiaicé de Mou - 
lîîls t artlcfè 71 ) ièur éhlfeva la juftîde cîtîleVèn- leiir 
felffaflt'èhé(5T^'f^ercîte ééïà j^flicé tirhniMè St 
Sfe la- pohté. Cette ég^iferé îin-iiifiàfoii ;■ ericorè 
^ê^àbtéWk , ëtt Si;ifeTi' f>rés hsvk cet 4àif féfîe à là 
plupart des 'SMctéi^; {iîûfiic'i{)àtik V ^ • " '' ' ; ■ ' 
Outré hhiïitiitîôff kés <:6€tiiuhiss V'LoùK lé Gfos 



influence fiir la jùrîfdiftion des bafohs , en feifâMt 
revivre les mijjz dominiciy qu'il appdla du nouveau 
nom de juges des exempts. Cette tentative ne 
réuflît point. Elle choquoit trop les idées & les 
ufages reçus , 8c la fiere indépendafice des barônJ 
fes fuccsfleurs , encouragèrent avec plus dé fiiccès 
les appels qui étoient autorifés par les maximes de 
la loi féodale dans le cas de déni de juftice ^ foit 
volontaire , foit accidentel. Or toute l'autorité déi 
jurifdiftions particulières devoir tomber tôt ou tard 
aqx tribiinaux qui acquéroiént le droit de révifioril 
Au parlement de 1216, fous^^ Philippe -Aùguftéy 
parlement qui fournit le premier titre où' la pairie 
de France foit diftingaée du baronage , quoique lés 
pairs 8c les barons y aient eu une voix égale pour 
former le jugement (Boulainv. lettres fur les parle- 
ment , lettre V ) à ce parlement , on décida , pouJI* 
la première foie pat le fait , qu'un noble pouvoit 
être ajourné par un autre que par fès pairs. H fut 
jugé que Blanche, comte(fe de Flandre , avoit été 
fiiffifamment ajournée par de fîmples chevaliers ', 
innovation très - remarquable ; car bientôt les huif- 
fiers ou valets de l'hôtel du roi y 8c les fergen^ 
{fervientes armoruM) furent employés à cet ufàgej 
8c en effet , fous Louis XI , en 1470 , cef fut par un 
fimple huiflîer que le dufcf de Bourgogne fiit ajourné. 
• Dès lors le jugement dei pairs fut négligé , 8c 
nous voyons fous la régence de la reine Blanche, les 
grands requérir qu'avant le jour du facre de faint 
Louisr, on accordât rélargiffement des comtes Fer- 

L4 



\ 



[ 168 ] 
t^à de Flandre y 8c de Renaud de Boulo^e ^ déte« 
nu? prifonniers depuis douze ans ; que Ton rendît 
le$ iQrres violemment occupées^ fur plufieurs d'entre 

eqx,AU MÉPmS DES LIBERTÉS DU ROYAUME, 8C 

qu'il fût paffé une loi formelle & fixe, pour qu'à 
l'avenir nul ne pût être privé de fes fiefs y ou de fes 
droits quelconques , fans le jugement précédent de 
fes pairs, Les termes de Matthieu Paris font remarr 
quables. a Pars maxima optimatum peçierunt de 
>> çonfuetudine G^lUça omnes incarceratos à car- 
>) ceribus liberari , qui in fubvtrjionem lihtrtatum 
l> Ttgrd jam per annqs duodecim in vinculis tene^ 
» btantiir. . , . Adjiciunt gaod millus de regno Fran^ 
n corun^ cjebuit ab aliquo jqre fuQ fpoliari nifi per 
%x judicium duodecim parium. v Cette demande 
fuffiroit feule pour prouver que les rois , en s'effor-? 
çant de rendre leur autorité plus | indépendante , 
non T ièulement n'empjqyoient p^s Its voies de juf- 
tice , mais qu'ils n'avoient pour, but que l'intérêt 
^e cetçç autorité , & non celui de rétablir le bpn 
prdre^ 

/ Mais une preuve bien manifefte que hi violences 
& les brigandages qui s'exerçoierit alors , tenoient 
plus à Tefprit du fiecle, à l'ignorance générale, à 
la barbarie des mqeurs, qu'à la nature même du 
gouvernement féodal, ç'eft qu'en Angleterre, où 
j^riftocratie avoit plufieyr^ freins qu'elle ne conr 
poiflbit poinç en FranCe , les. défordres étoîent peut-s 
être plys grands. Cependant: Tétât étoit plus refferré,, 
§^ k dépendançç des nobles plus immédiate. La 



[16c,] 
pofition orag€ufe & précaire des barons Normands, 
au milieu d'un peuple conquis & opprimé , qui les 
abhorroit, avoir néceffairemcnt refferré cette dé- 
pendance. Aucun des gouvernemens féodaux de 
l'Europe n'avoir d'inftitution fèmblable au county- 
court , que les Anglois tenoient des Saxons. Ce tri- 
bunal, où tous les francs-fiéfataires d'une provbce, 
même les plus grands barons, étoient obligés de 
faire le fervice avec le shériff ou officier ;-oyal , 8c 
les juges ambulans , inftitués par Guillaume le 
Conquérant , jugeoient toutes les contcftations «ntre 
les fujets de différentes barbnies. La cour du roi 
rendoit fèntehce dans toutes les caufes civiles & 
criminelles entre les barons même. Guillaume \u\ 
avoir attribué les appels des cours , des baronies 8c 
des county -courts. Ce prince , l'un des plus habiles 
& des plus farouches defpotes dont l'hiftoire mo- 
derne faffe mention , avoit donc prodigîeufement 
étendu en tous fèns la prérogative royale , & con-- 
centré l'adminiftration de la juftice en dernier ref-^ 
fort entre fës mains, long-tems avant que les rois 
de France .euffent entrepris d'y travailler. 

Eh bien! que l'envoie dan« M. Hume quelles 
vexations s'exerçoient en Angleterre fiir tous les or- 
dres des citoyens , par les rois même les moins exac- 
teurs & les plus habiles , toujours fîdellement imités 
dans leurs brigandages par leurs grands vaflaux. « Les 
» rois d'Angleterre, dit ce philofophe, qui le pre- 
» mier d'entre les modernes, a difputé la palme de 
>> rhiftoke aux anciens j les rois d'Angleterre iriû- 



» toîent abfolumeht les princes barbares de Torient, 
» qu'on ne pouvoit approcher les mains vuides, qui 
» vendoient tous leurs bons offices , 6c fe mêloient 
» de toutes les aifeires de leurs fujets , pour avoir 
» des prétextes de les mettre à contribution. La juP 
y» tîce même étoit achetée & vendue fans myftere* 
» La cour du roi 9 quoiqu'elle fût le tribunal fu- 
» prême du royaume , ne s'ouvroit point à qui n'ap- 
» portoit pas de riches préfens au monaîque. Ce 
» qu'il en d*oûtoit aux parties pour obtenir Texpé- 
» ^tion 5 les délais , les furcis , & fans doute la per- 
» verfion de la juftice , étoit porté fur les régiftretf 
» royiâux & reftoit infcrit comme des ifionumens 
» de riniquité 5c de la tyrannie du fîecle.» 

N'attribuons donc pas tous les défordres de ces 
teiiis infortunés à là nature du gouvernement^ & ne 
feifons point honneur uniquement à l'accroiffemçnt^ 
d'abord raifbnnable , & bientôt après arbitraire 3c ex- 
c^ffif dé l'autorité rôyaleyde la police plus régulière 
qui s'introduilît dans les fiecles fuivans* Le retour de 
la tamière diffipales ténèbres. Rien de plus fimple 8c 
de moins dépendant de l'interpofition du.defpotifmé^ 

Après tout 9 qiîand lès déclamations tant 8c tant 
répétées contre! le fyllême' féodal rie feroiênt pas infi.* 
niment exagérées , il n'en rêfiilteroit point encore 
que la nation i eût gagné au gouvernement que nos 
rois y ont fubftitué. Cette difcuflîon que j'entrepren-^ 
drai ailleurs m'écarteix)it trop ici. Je ferai feulement 
nne remarque qui peut éveiller des idées iur ce 
iujet. ••' ''.'.'. 



* Ce font deux princes, à peu près contemporaiils, 
(Louis XI & Henri VII, ) qui ont porté en France 
& en Angleterre les plus grands coups à la féodalité. 
Les fiiites de leurs opérations furent très- différentes. 
En France , les grands feuls perdirent , 8c le roi fèul 
gagna beaucoup j car le peuple , quoique moins ef- 
clave en apparence , le fut toujours en dfet ^ & d'ail- 
leurs le fervage étoit déjà allégé. Quant au clergé ^ 
fl cônferva fes privilèges & fes biens. En Angleterre, 
au contraire , les communes infiuoient déjà dans la 
légiflation. Le coup que Hedri VII pôrca aux nobles , 
agrandit les communes , en abai/Tant un ordre impéê- 
Heux i & la révolution devint' complète , lorfquè 
fous Hertri VIII les biens de réglifë furent reverfès 
dans lé peuplé quifen fit Tacquifitioû , lors du re»- 
vet^femènt de la relî^n romaine , 8c n'eut point de 
roncùfrèris, pStfCé que les iicJbles étoîent ruinés. 

Cependant le péujple Anglbis ne devint vraiment 
libre , qu'alors que la gitende cataflrophe état fait dè- 
i^rinmer avec précifion les: limites de rautorîDé 
T6yâle. Mais il étoit toujours refté à éette natîoh 
feicé éc générèufe , deux reflburceï contre le deQx)- 
tifmé qiii nous manquent depuis Charles VIL Le 
4rbit dé fe taxer , & l'exempâôn' dé troupes merce- 
naires toujours eutiftantes. <^and le defpote voulut 
nrmetr^ lé peupfe arniia aufTi , fit âÂïia mieux qàeUiû. 
Au contraire, titm déÉirmâmei» par incôâfidératio^ 
êC.hffitudê , loriquH étoit le pltis néceffeire à la lî- 
beif té' publique d'ôter tout prîétexfé à l'é^abliflement 
•àe$ troupes perpétuelles* 



> u* 



. • * ■ ^ 



[ 17^ 1 

On a beau parler de notre ânatifine monarchi- 
que y du zele de notre nobleiTe y de Tamour des 
François pour leurs rois 5 je foutiens que révéne- 
ment eût été fort douteux fous le mal-habile & pu- 
fillanime Charles VII , fi Henri VI d'Angleterre 
n'eût pas 4té un imbécille^ fi la maifbn de Bourgo- 
gne ne s'étoit point détachée de fon alliance, ce qui 
ne ferait jamais arrivé à un prince ambitieux & ha- 
bile 5 & fi des troubles domeftiques n'avoient pas 
déchiré & divifé l'Angleterre. • 

Mais enfin, Charles VII une fois rétabli , jamais 
il ne fut plus important de maintenir .§c de confoUde? 
le gouvernement féodal, perfeôionné ou plutôt 
corrigé depuis lorig-tems par rétabUflement du tiers* 
^tat^ que dans. ce moment où lé «glaive fè trouvoù 
dans les mains dû prince. Alors l«i véritable régéné? 
ration de la France eût été de rendre les:repréfenr 
•tansj de. la nation maîtres abibhis dans les états y & 
fournis chez eux. Cela étoit très-poflîble , très-prq* 
ticablej mais non, nous étions déjà corrompus. 
Charles VII faifit le prétexte plaufible d^'circoni?- 
tances ôra'geufet. h dis prùexte/y mt les_Anglois 
quL s'étoient épuifés pendant .^juatre cent£ an^ ibtB 
les 'Normands & les Plantagenets à porter \èMX$ ntr 
mes en Frahce , avoient.^ié lôiiqufment amorçé$ 
par Pefpoir du pillage, &, pouffes ^par lahai«^ nar 
tionale.;:LUdêe:de conquérir ce «>yaiUTi«.étoij. trop 
abfiirde, avant les imprévoyabl<î?événemens du rçgne 
de Charles VI, ÔC.le devenait infiniment plus-depuis 
les mauvais fuccès de Henri VL La France deviiit; 



[ 173 ] _ 
donc naturellement être déformais plus tranquille 

•qu'elle ne i'avoit jamais été. N'importe, a Charles 
» VII gagna ^ dit Commines^ & commença en ce 
» point ) qui eft d'imposition de tailles à fon plaifir, 
» & fans le confentement des états de fon royau- 

» me En y faifant confèntir les feigneurs, pour 

» certaines penfions qui leur furent promifes , pour 
» les deniers qu'on leveroit en leurs terres. » (Mém. 
liv. VI, c. VII.) « On leur accorda, dit Coquille, 
» la nomihation aux offices des élus , receveurs , 
» grenetiers , contrôleurs de greniers à fel , qui 
» étoient établis dans leurs pays ôc feigneuries , 
» dont plufieurs ont joui , jufqu'au milieu du règne 
» de François I , qui leur ôta ce droit. » {Difcours 
des états de France , 1. 1 , p. 280. ) Avoir obtenu ce 
point capital, c'étoit avoir tout obtenu, quand le 

règne terrible de Louis XI n^auroit pas fiiivi 

Mais cette digreflîon devient trop longue. Il me 
fiiffit d'avoir fait foupçonner aux lefteurs qui réflé- 
chiffent , qu'il y a bien de l'inconféquence à croire 
que la nation doit beaucoup à fës rois , pour avoir 
renverfé le fyftême féodal & détruit la nobleffe , 
puifque depuis ce moment , ils ont dit au peuple, 
comme Pompée aux Mamertins , qui alléguoient 
leurs privilèges : il n'est point question de ci- 
ter LES LOIX A UN HOMME QUI A LES ARMES A LA 
MAIN. 

S. Louis porta de plus grands coups qu'aucun de 
fes prédécefleurs à la juriOiftion des nobles. L'or- 
dre judiciaire , aufll bien que la juri^rudence , chan- 



( 174 3 

gèrent prefqûe «ihiblument de face fous ion regne^ 
il établit de fa feule autorité ^ les quatre ^rand^ 
iaiUiages de Vermandpis, de Sens, de Saint-Piexrçr 
Je-Moutier & de Mâcon 9 pour juger les cas privir 
légiés , les eccléfiaftiques & les appds des juiUces 
ieigneuriales. Sa puiflance déjà étendue & .^eripi€<, 
le reipeâ dû à fes vertus , iès talens même aflurc^- 
xent le fijccès de toutes iès entrepjifes. Jl faut conr 
venir que fon règne fiit trop fouvent celui des çl^rcjf 
& des moines : d'ailleurs il fît fans doute des chofe^ 
juftes, grandes & utiles.. M. Hume a dit avec jus- 
tice, que ce prince , du caraâere le plu^ fingulier 
dont Phifloire ait jamais fait mention , fut allier à la 
piété humble Scminutieufe d*un, moine, tout le cour 
rage âc toute la n^iagoanimité des plus grands héros; 
& ce qui doit paroître encore plus extraordinaire > 
la juftice , rintégrité du plus défîntérefle patriote^ 
la douceur & rhumânîté du philoiophe le plus ac- 
compli. 

' Plus Tautorité royale s'étendit, ôc plus celle des 
juges royaux fit de progrès. On fent bien que de leur 
côté ils ne négUgeoient pas de l'augmenter. La jur 
arifprudence , comm^ .on l'a vu , étoit devenue plus 
x:ompliquée , S^ ^^r conféquent fort au-deffus des 
lumières des ignorons barons. Tout leur cortège n'é- 
toit pas plus inflruit Les pairs & prud'hommes ne^ 
fiirent bientôt plus en état de juger. Les nobles eu^ 
jent auffi leurs baillis. D'abord ils ne jugeoient pasj 
•ixjais ils faifoient l'inftruâion , & prononçoient te 
jugement des pairs. Petit à petit ils jugèrent à leur 



[ 175 3 

place. On s'accoutuma d'autant plus aiiem^nt à 

cette pratiqiie j que les tribunaux eccléfiaftiques ea 
donnoient depuis long-tems l'exemple. Car ils 
avoient obtenu ou arraché l'exemption de la juriP 
diftion civile dès le douzième fiecle , & même, on 
les voit dans la plus grande partie de l'Europe , jouir 
de cette importante concefiion dès le onzième , quî 
vit naître auiC la jurifcliâion des légats. Déjà le droit 
canon avoir décidé nettement , que les prêtres dé- 
voient être honorés & non jugés par les rois. Sa- 
cerdotes à regibus honorandi fiint y non judicandi. 
Et rien n'eft moins étonnant au fiecle où Venilon^ 
archevêque de Sens , ayant eu l'audace d'excommu- 
nier ôc de dégofer Charles le Chauve ^ ce pitoya- 
ble monarque écrivoit. a Ce prélat ne devoit pas 
» me dépofer avant que j'euffe comparu devant lés 
» évêques qui m'ont facré, & que j'euffe fubi leur 
» jugement , auquel j'ai été & ferai toujours très- 
» fournis j ils font les trônes de Dieu , & c'eft par 
» eux qu'il prononce fès décrets. » Quâ confiera-- 
tione yel regni fublimitate , fupplantari vel projici 
à nulle debuerant , faltem fine audientiâ & judicip 
epifioporum quorum minifterio in regem fiim con^ 
ficratusy & qui tkroni Deifunt diSi: in quibus Deus 
fidet & per quos fua decernit judicia ; quorum pa-* 
ternis correSionibus & cafiigatoriis judicis me fub- 
dere fui paratus & in prœfinti fum fubditus. (Lî- 
bell. adverfus Venilonem. Apud. Duch. t. II, p. 43(5.) 
Le troifieme concile de Latxan défendit aux lai\ 
ques , fous peine d^'excommunicàtion , d'obliger kl 



l î7<î ] 
clercs à comparoître devant eux, & Innocent III ^ 

dans le treizième fieclc , décida que les clercs na 
pouvoient pas renoncer à ce privilège^ comme étant 
de droit public. Bientôt les clercs paiTerent de 
l'exemption des tribunaux féculiers à une jurifdic-' 
tion fur les féculiers dans la plupart des affaires; 
c'eft-à-dire> dans toutes celles qui avoient de près 
ou de loin la moindre connexité aUx matières ou 
aux intérêts ecciéfiaftiques , jufqu'à ce que , depuis 
le quatorzième fiecle, la jurifdiéiion temporelle par- 
vint petit à petit à limiter la fpirituelle. Encore n'y 
réuflît - elle qu'au feizieme , par la fameufe ordon- 
nance de IS39* 

Mais ceci n^ppatrtenant pas direâiertient à mon 
fujet , j'obferverai feulement que l'introduftipn des 
procédures du droit civil dans toutes les cours ec-> 
cléfiaftiques ) avoit été une des plus adroites infli-* 
tutions du defpotifme facérdotal j en ce qu'elle avoit 
abfolument féparé Ces tribunaux des cours natio-- 
nales. On a vu plus haut combien le prince & fes 
miniftres avoient de raifons pouf favorifer cette 
jurifpmdence. Une méthode de procédure y qui plâ-^ 
çoit le pouvoir arbitraire de déeifîon dans les mains 
d'un feul j fans aucun autre intervention , étoit faite 
en tous fens pour leUr plaire. L'ignorance profonde 
qui régnoit alors dans tous les autfes ordres da 
l'état , empêcha d'appercevoir les conféqueilces im- 
portantes de cette innovation ; & la vénération fii- 
perftitieufe, timide ôc circonfpeâe que l'on avoit 
pour le clergé, contribua beaucoup à faire recevoir 

& 



[ Ï77 J 
& même accueillir un u(age qu'il avoit en quelque 

fonQ con/àcré. 

Le bouleverièment des jurifdiâiops ordinaires > 
prefqu'abfolument envahies par les baillis ^ fut lent 
& prefque infenfible j mais cela même établit plus 
fondement le nouvel ordre de chofes. On trouve 
encore à la fin du quatorzième fieclç , ou au com?« 
mepceiTient du quinjçiçme : a Sire, jugç en ma juf- 
f) tiœ haute 9 moyenne Se balTe que j^^i en t:el Jieii^ 
i) cour , plaids , baiUis , hommes féodaux &'&r- 
» gpns, » J^aiç il n'y aypit plus, dit M. de Monr 
jte^ieu 9 que les m^tie^os fépd^s qui Ce jugeai^ 
iènt par pairs. La raifon en eft bîçn $mple^ ils 
^^e^teodoient rien aux autres ^ ^ des rivaux infr 
irui^ qe pçrdoient aucune occafion* d^ .les; <lé- 
pouiller, :, . . , . 

. La fyn\^fk ordonnance de Philippe le Bel , de 
^3^5 > 9chçvja de. qhipnger abfolument Tordre judi- 
ciaire. Elle rençlit Ij^ parlement iedientaire à Paris, 
Jufques-là la cour de juftice du roi avoit été ambu- 
lante, &c feulement attachée w p^aii^ où le roi fei- 
foit fa réfidence. ( Aula régis. ) Le non» de parle- 
raent remonte jufqu'à Louis le'Qros ^ maïs ceue 
(our du ro'i ne fiit judiciaire .dans \^ &ns que nous 
donnons aujourd'hui à ccftte çxprçifllon, qye vers le 
milieu du treizième iiecle , fous S. Louis. Le plus 
ancien regiflre qu^ nous ep ayions , le pi^mier des 
0/w, eft de Tannée iz 54. Le regiftre de Philippe- 
Augufte, intitulé lUgifirum curiœ Franciœ^ remonte 
jufqu'^n 1214$ mais i:e ne font quie do$^ inventaires 

M 



[ 178 ] 
de chartes, 8cc. (Encyclopédie , au mot parlement.) 
Quelques-uns prétendent , contre le fentiment de la 
Roche Flavin , qui eft le plus fuivi , que le parle- 
ment étoit iûdentaire long-tems avant le commen- 
cement du quatorzième fiecle. Quoi qu'il en foit, 
les premiers regiftres civils du parlement ne com- 
mencent qu'en 13 19, ce qui n'empêche pas que 
dès 1x91 , il ne fe tint aflez fouvent à Paris à cer- 
tains termes de Tannée , & cet ufage continua tant 
qu'il n'y eût pas affez d'affaires pour l'occuper con- 
tinuellement. Certainement , dès que l'on avoît ré- 
folu que cette cour devînt le tribunal foprême de là 
propriété ^ il étoit néceffairc qu'elle devînt perma- 
nente. Les affaires s'étant multipliées par la réunion 
de plufieurs baronies à la couronne , par la réferve 
des cas royaux , &c. les féances du parlement de- 
vinrent plus longues. Philippe le Long iaîfit ce pré- 
texte très - plaufible , pour exclure lés évêques du 
partenênt j par fon ordonnancé du 3 décembrt 
1319. 

Lorfque le parlement avoît été rendu fédentaîre i 
Paris , le roi avoir pris l'ufage d'envoyer tous les 
ans , au commencement de la tenue dés parlemens, 
l'état des préfidens & cphfeiUers , clercs ou laïcs, 
qui dévoient y fiéger. Hiilippe de Valois en vint 
jufqu'à faire un rôle de ceux ;qûi pôuvôlent préten- 
dre gages. (Ordonnance du 4 mars 1344.) Nferis 
foiis les troubles du règne de Charles VI , les rôleâ 
ou états ayant ceffé d -être envoyés , les oifBciers du 
parlement' iç continuèrent d'eux>-mêmes, & dèvïn- 



[179] 
rcnt perpétuels. ( Encyclopédie > au mot cqnfeiller. ) 

Mais François preipier , en rendant vénales les 
charges de judicature , lés mit dé fait dans ià plus 
étroite dépendance , quoiqu'il femblât lefs rendre 
plus ftables. 

On j&it aflez que le parlement , fî long - teras 
compofé de pairs de France , du premier ordre du' 
clergé 9 8c en général des nobles les plus diftingués, 
{proceres & fidèles , ) auxquels on ajouta depuis des 
dercs ou lettrés , ( doSores legum y ) ne iiit bientôt 
plus compofé que de ceux-ci , & ne garda de l'an- 
cien 5c véritable parlement que le nom^ dont les 
lois avoientbefbin^ pour, que l'exercice de la puif* 
fance légîflative qu'ils avôieht fî évidemment ufiir-^ 
pée j étonna moins la nation. 
'Les feigneurs qui en vinrent par dégoût ~^de la 
nouvelle jârifpruxience , Se par impuiifance de juger 
félon les k>k qu'ils ne peuvoient pas même en- 
tendre ^ à abandonner leurs propres couii^ 4lé&r^ 
terent à pli» forte raiibn celle eu fouverain. Aucune 
loi ne les y ebhiîaignît j aucune loi ne les priva du 
droit de préfence au parlement ^ ni de celui d'exer-^ 
cer perfbnnellement leur jûriicliâioii. Aucune loi ne 
créa lés baillis , ni ne força les feudatâires .à'éà 
nomAier ; mais la nauire même des'- cho&si' lés y 
força j 6c fit fiibirà l'ordre, judiciaire toutes les nié-* 
tamorphdfes par lefqueltes'il a fellu qu'il paHa pour 
arriver au point où nous^ le voyons. Les rois aidè- 
rent, cofnme de droit y autant qu'ils purent à cette 
révohkion. Ils s'efforodrëiit peu à pep^ mais conti-» 

M 1 



r [ iS© ] 

ttueJlement y de tendre tout à la fois le parJemeût 
àbiblumeiu dépendant d'eux y Se fuprême arbitre de 
toujtef Jes. afiaires Utigîeufes^ fauf à limiter eniiiite , 
ifomme on l'a &it^ fa juriâliâion par des évocations. 
de toute elpece à des confèils, plus étroitement ei>. 
coi^ daiifi la imaîn du Toi^ & qui ibnt devenus de 
lirais ûrîbuoafUx aux dépens des pribunaux; réguliers. 
Cepetidtat Phirlippe te fiel SC iès iucceiTeUrs ac- 
oumulerent &tr le par leffienc <toure ibrce de privilèges 
Se de<liftinâions^-qui le reiSKtirent pkîs lœfpeâabley) 
plus impoi&nt , St lui attirèrent la confiaoce dès. 
peuples 9. <iiâ'il «létim par Gm iotegrJmé. C)ètoît déjà , 
depuis Jfo«{gHteû)s la ^poli^ue <ks rois de f'rançe de. 
diftiiQiguer le&<^erç$ ,pctf leï^ls i^ vouloknt^aiiler. 
les nobles. Bartole a éa:<k;^'w <k><Skuir^^ 
edf^gné le dloit civil p^endant dix ans <, éto&t che\ra' 
^r 9 . ipfi> fiiâoy, ( 'D^Herc.JbifL 4kt la dbeval%.par. 
Honoré de . Sainte-Maréew, j^ AkiQ ; Voa accpupla ce9 

vatma. Ils «Voieni: ^do^ d^jàla &cul«é d^acquérir la • 
dxeva)érî;ei^.&e 'qaoi^»e;çcs: titres ne iiiirem^airuié- 
ment '^otflft tégalèment -«^fidéiés y^ les ^privilèges , 
étoieilties m^rxi^^^)tei:ik>niMéffSt<^ Tu-» 

ôËté, fut bie^Miôt Wjpaf^i^ -des juriftes» La jurif- 
diâk&nrjjlti-paflén^iH: «{éfiaiidk. lent<6inenc ^ ^Sc au 
milteti des plus ylvfes iîjfpogtioiis 5 c^ il^s, f^j^ons 
fentoi^ftt /bî^u <(u\>il :j)i[irr<0}t \^ 'd6r4[|iers^ <^ du- 
f£ma& iès plus grands coilps à leurs ^pmilegôs. Us 
alteretït £}w^eiit ji^qu'à ê»4k cnôudr ou «mciler ceuxr 
qùd ofbiàot appellùr flu-pai^wie^ ife P&i^^ iSc les 



lecclcfiaftîques ne furent pas les derniers à fe porter 
à ces excès. ( Voyez Encyclopédie , au mot parle- 
ment. ) Les rois forent, quelquefois forcés de dé- 
fendre à leur cour de recevoir certainis appeh. Sou- 
vent ils cédèrent 5 mais ils pcrfévérerent toujours dans 
leur plan. Ils fe reflaifîffioîeht àuffi - tôt qu'ils le 
pouvoient de ce qu'ils avoîent été contraints d'a- 
bandonner 5 & tentoient de nouvelles entreprlfes. 
Enfin , par un concours de cîrconftances & d'effbrts 
dont reKpofîtion n'entre point dans mon plan , 8c 
feroit la matière d'un grand 8c important ouvrage > 
l'autorité royale prévalut. D'autres parlemens forent 
créés ; les provinces même en demandèrent ; 8c ces 
corps qull d été fi long-tems difficile de définir avec 
précïfion', ces corps fobrogés, on quekjue forte , 
aux droits de la nation , 8c qui n'ont pas pu lui en 
confervèf un ïeul , en vinrent il juger en dernier 

_ _ ^ * 

reflbrt prefqvte toutes les affaires du roj'aume. 

Ce for ainfl que fe perdit IHiftge conftammènt 
obfervé dans la monarchie j qu'Hun juge ne jugeoit 
jamais feul \ <ar les Juftices locale^ ont Âibfifté ; 8t 
font confiées à un jiigc ynlquè , et plus fouvent en- 
core à un lieutenant déjuge Ignare au"" foprêmé 
degré. Il eft vrai que éàm les cas où il peut ètrt 
queltioti 4'uae peine afl3[iai^e,'fc jiîge eft obligé dç 
confulter deux gradués \ 8f vcJHà les folbfcs 6c uni- 
que wiliges dé rekcellente înftîtution des prud'w 
hommes ou paiïs. En vaîû diroît* on qucf là feciiité 
4Jes a^elsfiiît difijarbîtré Wbu^-peniîcîeuSc^ûn fenl 
juge. Cela h'èft vrai efue dans les affaires crfinmëfles^ 

M 5 



[ i8z ] 
car dans les difcuflîons civiles , ( & il n'en eft point 
de petites pour les habitans de la campagne , ) les 
parties peuvent bien difficilement 'recourir à, un 
appel incertain & difpendieux. - 

Ce fut ainfi que changea , d'abord peu à peu , 
& que di^anit âbfoiumeat enfuite Tufege du juge- 
ment par les pairs , qu'il eût été fi important de 
conferver, au moins pour les affaires criminelles, 
dans lefquelles l'ordonnance de 1539 a ^^^ 1^ libéré, 
rhonneur Sc la vie des hommes en un fi, grand dan- 
ger , en rendant fecrete l'information qui jufqu'alors 
avoit été publique, (Z<?j//i7ZD/>z^, dit Be^umanoir, 
doivent dépofer devant tous. ) Certainement de ce 
que la juftice étoit fouvent mal rendue autrefois ; 
de ce que la jurifprudence étoit défeôueufe & fou- 
vent abfurde, il ne s^enfuit pas que la forme judi- 
ciaire , 8c que les pairs ou jurés ne puiffent être de 
très-bons juges d^une queftion defait,fauf aux jurifr 
confiiltes à prononcer la décifion de la loi , une fois 
que ce fait eft connu. Je conviens qu'il étoit nécef- 
faire d'établir une fubordination régulière entre les 
diflferens. tribunaux , de rédiger des loix générales, 
d'élaguer les coutumes & les formes contradiâoÎT 
res , d'obvier aux conflits de jurifdiâion , de porter 
enfin de Tunifomiité dans l'adminiftration de te 
juftice. Mais l'inftitution régulière de l'examen des 
pairs ou. jurés , n -étoit point incompatible avec tous 
ces çhangemens. II ne s'agîflbit > fi Moïx eût -travaillé 
«mquement en vuede la ;Hberté,, de l'ordre, du bien 
public^q^e de le perfeâionner, 6c aoa de l'aoéantir 



[183} 

pour faire place à des formes plus convenables aux 
vues de Tautorité arbitraire , & fufceptiblcs d'ctre 
plus funeftes à la liberté , au moment où l'ordon- 
nera le pouvoir abfolu qui crée j remplit 8c dirige 
les tribunaux , que ne Tétoient & ne pouvoient 
jamais l'être tous les abus de l'ordre féodal. Flagi- 
tiis ita y nunc legibus laborabatur. 

L'u/àge de l'examen par pairs eft la méthode 
la plus parfaite que l'homme ait inventée pour 
l'adminiftration de la juftice, C'eft par elle que 
les Ânglois font (i avantageufement diilingués de 
tous les autres peuples de l'Europe, Le jugement 
des[ jurés , la loi d*haheas corpus , & la liberté de 
la prcflê , font les redoutables remparts de leur li- 
berté civile ; Sc cette liberté , le plus précieux de 
tous les biens , ne fera jamais détruite j audi long- 
tems que ces deux loix feront refpeftées. Auflî leur 
grande charte inCfte-t-elle principalement fur le 
jugement des pairs. Nullus liber homo capiatwr 
vel empriformetur y aut exalet^ awt aliquo alio modo 
deftruatur nifiper légale judicium parium fiiorum , 
velper legem terrœ. Il faut voir dans tout le com- 
mentaire fur les lolx Angloifes de Blakftone , 8c 
principalement ( tome V , 1. III, chap. XXIII, & 
tome VI , 1. IV , chap. XXVII , ) la manière dont 
fe pratique cette efpece de jugement , foît au ci- 
vil , foît au criminel. J'en vais faire un extrait fuc- 
cmft'^, parce qu'il m'a paru qu'en général on n'en 
avoit pas en France une idée fort nette , même 
parmi des gens d'ailleurs infiruits j mais qui croient 

M 4 



[ 1^4 ] 
difficilement qu*il y ait mieux à faire en 'chaque 

pays que ce qu'on y fait. Les fevans & utiles au- 
teurs de l'Encyclopédie ne font entrés à cet égard 
dans aucuns détails au mot pairs , hifi. d'AngleU 
& n'ont abfolument tien dit de ce tribunal , au mot 
jlTRÉs. Ma notice iliffira du moins pour en donner 
une, idée exade, ôc montrera mieux que tous les 
raifonnemeris du monde, de quelle utilité cette 
méthode d'examen fî fopérieure à toute autre ^ (èroit 
pour les hommes fi oh la recevoir univerfèllerîient. 
Les Anglois l'ont finguUérement améliorée j & cer* 
tainemerit elle n'eft point à fon dernier dégrè de 
perfeôio^. 

Lorfcjue deux plaideurs demandent à être jugés 
par jurés , ils préfentent i^qiiêté aux juges ordi- 
naires qui envoient un ordre au shériff , de faire 
venir à certain jour, du comté fo^Sftîi k fe jurifdic* 
tion, à la barre de là cour lupérièù're , où devant les 
juges d'aflîfes , déléguée p» le r^i 'des cours de 
Weftminfter , pour »ller rétttlte à CfettaiRs termes la 
juftice tlans lès provinces , dô^iô hommes libres 
ET lÉGAUX. ( Liberos & hgàiès iiwninje^. ) Le 
shérifFctoit ancicnneiwtent l'offitiêt da coftite ou 
alderman, C'eft notre ancieîi "vîte-comes. Ce ma- 
giftrat annuel exercé tme judfiiiâion fort étendue , 
quant à la policé i èc de ftïênfc ^tl eft le jugé 
& gardien pour le roi & fon bailli ; il eft l'officier 
-délégué des cours de jufticè. Soh tribunal ne peut 
juger que les petits procès , dont l'objet n'excède 
pas la fomme de quarante fchemi>gs. 



I ■ 

Les jurés que fournit lé shérîfF doivent A'étié 
parens à aucune des parties; ils font obligés ^ mémo' 
par corps à coitiparoitrc. Si le schériff étoit partie 
au procès de quelque manière que ce fût ^ par pa* 
rente, amitié, faveur, &ç« Tordre feroit adrefTé 
aux roron^r, qui font en certains cas fës fubftituts) 
& fî ceux-ci Te trouvoient auflî n'être pas des per- 
fbnnes indifférentes , ce que les parties font tou-* 
jours admifes à prouver, labour nommeroit deux 
autres perfonnes du comté , {elifors ) pour feire le 
rapport de Taffemblée i c'efl-à-dire , donner la lifte 
des jurés conirôqués% 

Le shérifTqui fournit cette lifte toutes les fois 
qu'il n'eft pas fufpeâ , eft un magiftrat affermenté , 
homme de poids , fie jouiffioit d\axe certaine for- 
tune qui répoûd de fès erreurs , de {es fautes Se de 
celles de fes ofSckfs. Les parties font inflruites de 
tout ce qui CMcmie tes pairs ou jurés , afin qu'elles 
puiftbnt tes récaCet &r de bennes raifbns. La comr 
parution dés jurés tû ordinairement du moins , dans 
le côititè ^ ta caufè éè T^âton^ prend natftance , 
ce qui épârgtie fihaiâ £c délais > oiitre que les juges 
qui proïK^ncent fur le rapport des jurés , fë tiou- 
\'^nt par ce moy^ dbfohiUïeât étriiï^ers au pays ; 
car aucun juge d'a/Sft^ «e pecit tetiir de plaids 
dans k Cbitité 4e Ùl hlr^Me b^ fàe fa demeure. 

Il y a deuk «él|>ô<:es 4e jûrès ^ à favoir les jurés 
ordinaires , & les jurfe 4^cia«3t. Ceux - ci fervent 
dans les caufes trop déËcates pour les ftanc-te- 
nanciers ordinaires , parmi lefquels im ofiicier dé* 



légué par la cour, choUit devant les procureurs 
des parties quarante * huit per(bnnes. Chacun des 
procureurs en nomme douze fur ces quarante-huit. 
On prend cette précaution pour peu que le shérifF^ 
qui doit faire le rapport du juréj ( les jurés pris 
çolleftivement , ) foit iii^eâ , quoiqu'il ne le foit 
pas aflèz évidemment pour qu'on ait obtenu une 
fin de non i- recevoir. Les. juges convoquent auffi 
des jurés Spéciaux , lorfque l'affaire leur paroît affez 
importante pour l'exiger, en général, les parties 
ont toujours le droit de requérir une àffemblée 
4>éciale de jurés en payant les frais extraordinaires , 
dans lé. cas où le juge ne certifie point que cette 
précaution eft néccffairc. 

S'il eft queftion d'un étranger , Taffemblée doit 
être compofée moitié d'étrangers , moitié de regni- 
coles , ( de medietau linguce ^ ) loi admirable qui 
honore l'humanité qu'on ne trouve que chez les 
Angloîs , & qui remonte parmi eux au tems du 
roi Ethelred ^ c'eft- à-dire au neuvième fiecle. 

Dans les affemblées ordinaires , le shériff ne fait 

point un rapport féparé pour chaque caufè. ( On 

u vu que le mot rapporter ne veut dire autre chofè 

.-que fournir les noms des jurés. ) Une feule ôc 

même lifte fërt pour toutes les affaires à juger 4 

jiouvelle barrière contre toute intrigue. Cette lifte 

ne peut contenir ni moins de quarante-huit^ ni 

plus dé (bixante & douze jurés. Leurs noms écrits 

fiir des bulletins font balottés, Sc à chaque cauie 

-qu'on appelle j, douze de ceux dont les noms ont 



[ 1^7 ] 
été tirés le« premiers de la boîte prêtent ferment j 
à moins qu'ils ne foient récufés ou excufés, SU 
eft beibin d'une vifite de terres ou ténemens ^ ôcc. 
6x ou plus des jurés, au gré des parties, font 
chargés de faire cette vifite, fous ferment qu'ils 
prêtent relativement à l'enquête avant les autres 
jurés. 

II y a deux fortes de récufetions. Les recula- 
tiôns quant à la lifte en général , Sc les réaifations 
quant aux fiifTrages. Les premières fe font , comme 
cous Tavons dit , pour raifon de partialité ou de 
quelque défaut dans le shérifF ou le lieutenant, 
& alors toute la lifte eft rejetée j délicateffe digne 
d'admiration ! 

Les récufations pour fufFrages font de toute ef 
pece & s'étendent à l'infini ,. tant la loi a porté 
loin fes attentions pour la fureté des propriétés ; 
ce font des fins de non-recevoif contre les jurés 
particuliers. ( Recufatio çivilis , du droit civil ôc 
canonique. ) Un juré n'eft pas recevable à juger 
un national s'il eft étranger , 8c fur-tout s'il n'a 
pas les biens prefcrits par la loi. Cette caufe de 
récufation n'a pas lieu pour un juré étranger dans 
le procès d'un étranger j car elle renyerferoit fon 
privilège. Les foupçons de partialité ,Ja parenté , 
fût-ce au neuvième degré ^ une attenance quelcon- 
que à l'une des parties , comme celles de maître , 
domeftiquc , procureur , avocat j le rapport même 
le plus éloigné , comme d'avoir été arbitre de Tun 
QU de l'autre côté j une note d'infamie , & même 



/ 



[ Ipo 1 

qu'on ne connoit point en d'autres pays. Si on juré 
a quelque connoifTance du point à décider , il peut 
prêter ferment comme témoin 8c dépofer publique- 
ment. Au déÊiut des preuves pofîtivès , on admet la 
preuve circonftancielle > ou la doâririe des pré- 
ibmptions j jufqu'à ce que le contraire fbit prouvé. 

Quand toutes les preuves font reçues de part & 
d'autre , le juge les récapitule y Se s'attache au point 
principal & décifif de la queftion. Alqrs les jurés ft 
retirent de la barre pour-aviièr à leur rapport. Ils 
doivent refter iàns boire ni manger , fans feu j fans 
chandelle, jufqu'à ce qu'ils fbîént d'accord, à moins 
que le juge ne les eii diipenie , iàns quoi leur fap^ 
port feroit nul. On 9 trouvé ce moyen excellent 
pour accélérer l'unanimité des voix , que la loi re* 
quiert , Se qui eft bien préférable à leur pluralité. 
Le rapport des jurés iëroit nul aufli , s'ils rece^ 
voient quelque nouvelle preuve en particulier^ s'ils 
pârloient à Tune où l'autre des parties ou à fcurs 
agens i s'fls tîroient au fort i pour favôir en faveur 
de qui ils feroient leur rapport, Scc. SCc. 

Lorfque les jurés font parfaitement d'accord, ils. 
fë rendent à la barre. Le demandeur eft obligé de 
comparoître en perfonne où' par procureur , pour 
fk voir condiamné à l'amende que ta l6i lui impofè/ 
pour puiiir la faufleté de (à prétention. Cette amendé 
ne fubfifte plus 5 mais la forme dure encore. Si* {é^ 
demandeur abandonne fa caufè Se ne comparoir {asi- 
les jurés font renvoyés, le procès fini, Se le déferi- 
deur obtietit des dépens ^ dommages Se intérêtîtf ;^ 



[ «89 ] 
ment prouvé ^e la première ne peui être fournie. 
Quant à la preuve par témoins, il y a une pro-r 
cédune peut lei pix)dui«e) qui leur enjoint , {ans 
apporter aucuns prètexces ni «eKCufes > de coitiparoi^ 
tre y à pieinede ixnt livres fteriîng d*ameiuie , outre 
dix livres ft^lîng envers la partâ^Jéziei Scies donh 
mages «quivalens à la péris qu'dk a pu fouffirlr de 
rab&nce de ces témcnns ; mai^ suffi on leur dolk 
des honoraires rai£xuiabks. Tout téiDoiû f}m a'eft 
pas in&me ou întéreSe dans la cmtk j eft ootnpé-^ 
ie{^9 Se dépolie fous ièrm&flt «n puiific^ ( ^^À^^ toce ) 
drivant ks ps^tjeS) fifickriliieucs^ avocrâ iSc 4>0âa« 
teii^. Ckacune des paiDîes a la liberté d'exdperde à 
ç(jKiEQaétenQe9 <& fes ^^(^fspcÎQns font hitutcmmt Sl 
jo^Z/^if emeA^.^pproMV9bs i>U leieiiéés 4»ir le juge« Si 
dans ïès iiécilioiis 11 donne une âuft ioûeiprétatîûii 
à la 1019 on pouKt tuigçlt et hn ptihiitpçmtBt qu'il 
figne un biU é'reK(Xf>WMï€ > •qiûconflate.ie pieiânt àâoi» 
l@4j[uelil eA âJkppofétK-i^.} lequel Mlliheft vhiigk, 
deicekr^ 8c ^œ la !Cour tmniédteeaiâ)t.^èrîeum 
doit examina fur un e^fel <:omiXie 4'abu$ > après Jb 

jugement retvdu à Ja <:x3i:tr ônférleunev -^ ^ : - 

^fi les |>aiîtiaiiiiés9 ks |>révarîcftmbis> ks saxi^ 
madverteaces frètes (feoit îimpoilibles.: Le témoo 
8c4c juge ;foû£ <ég^lQixieiit £^16 rài^A^AîiM >du pre« 
Bïier des^ibunauK)'^,j^À^ii^ Le jugBf ifcs ^utés i^ les 
avocats peuvent f^lgs^Mli^t inMrrog^^' &C,^rù0èr ht 
téffiMdk, ^ul a la liberté «d'-es^Iiquef iftcnderreprendre 
ia penfée* Que àt ii^oyws^e décowrftr-tlrvénté ^^ 8c 
de,, déodacç^ter k mmiibng^ i4^ fta jâ^usk.! .m^yeni 



[ Î91] 
dfin qu^elIe ait le tems de relever les défeâiiofitéf 
qui ont pu échapper, & de demander un nouvel 
examen aux coiirs royales , qui ont le droit d'annuller 
le rapport des jurés pour caufe d'erreur ou dç 
inalver£ition , dc d'accorder un nouveau rapport* 
Conceflion équitable 5c néceiTaire qui. prévient toutes 
le^ objeâioQs qu^ôh pourroit faire contre la mé* 
thode dçs jiurés ! Mius oa ne Tobtie/it qi^e dans le 
cas t)ù le fujet mérite cette interpofitlon j ou, dans 
celui d*une méprifè maaif^fte* VdtOkni^é^ qui doit 
examiner le faux rapport , doit être compofée de 
vingt-quatre jiarés , &L s'appelle grand-rfury- S*il eft 
^fou\^ qu^ les prenûers juges aient rmiv^Hè:^ h 
bi leur, iinâige uàe punition fé vere ^ 8c entr'autres 
me note perpécôelie cKinâume. Au rt&t ^ il y a 
plu(kur$ manières dé .fidre anndder les rapports* 
Les^tétails qu^on vîeât jde lire ibr Texamen des 
]uré^ daas les cmifie^ civîies , £è trouvent les mêmes 
êin^' les cauiês a^xmaèOeB ; mais avec .des foins 
plus ^firnipuléux ppaxQ y s'il e& podible y &; une plus 
graride^f^veur pour faccuiëi ; car les loix Ângloifes 
qui l^^îreat l^hutsmiîté > jugent & ciéclarent qu'il 
vaut «misiBC fue Jix 4XXipahles ne fdUnt pas punis y 
qUc'fi t£n innéetnt Jbfi0iroU le moindre dommage. 
Aucun -homme ne peut -eue sçîpellé pouf répon- 
dre m roi fiir un ^criihe capital , quel qu'il foit y 
qu^)^^ avc^r été préabbiement acoufé par douze 
ou par un plus grand nombre de fes compatriotes 
dans la ^ande aflemblée des juré^ de fon comté î 
Se la vérité de touce aocuâtion inisentée fous quel-^ 

que 



[ml 

que forme & de quelque part ^e ce (bit ^ dpit 
être confirmée par le fuffirage unanime de douze 
de {es égaux ou voifins ^^ irréprochables 9 choifis in* 
tlifFéremment & d'une réputation intègre. Le pri- 
fonnier ( fi Taccufe ell détenu ) qui s'eft fournis à 
l'examen du pays ou des pairs, a une copie de 
raccu(atiptl > des noms deis témoins 8c des jurés 
portés fur la lifte , avec leurs profeffioos Se le lieu 
de leur réfîdeace y cinq jours au moins avant l'exa- 
men. Il a la même procédure compulfive pour pro- 
duire les témoins ea & faveur y que celle qui eft 
accordée pour les forcer à coinparoître contre lui ; 
avantage inefUmable le plus fouvent reflifé par nos 
lois! Non-feulement tous les moyens de défenfè 
& de récufation énoncés ci-deffus lui font ou- 
verts ^ mais encore 9 il a une efpece arbitraire fic 
capricieufe de récufations ( m favorem vitœ ) 
qu'on lui accorde contre trente-cinq jurés , c'eft- 
à-dire , un au-defTous du nombre de trois aiTem^ 
blées complètes de jurés ^ tàns en produire au* 
cune raifbn \ ce qui s'appelle : récusation pé- 
REMPTOIRE ^ difpofition admirable qui fuffiroit pour 
pour élever les loix criminelles angloifes au-defliis 
de toutes les autres \ La feule queftion qui feroit faite 
à un juré fur fort indifférence y ditBlakftone y pour- 
roit provoquer fon reffentiment. 

Ce privilège de récufation pérempïaoire eft refiifé 
au roi , qui ne peut récufer un juré fans en aflîgner 
une caufè certaine , laquelle doit être examinée 8t 
approuvée par la cour. 

N ■ 



[ 194 } 
• S'il s'élève une queftion de droit, on donne uh 

avocat au prifbnnier. Autrement I9 loi ne lui eh 
«ccorde point 5 le juge , cUt^elIe , fera fon avocat, 
fielle théorie fans doute! mais dangereufe dans b 
pratique ^ auifî ne refufè-t-on pas ordinairement un 
avocat. 

' Dans tolis les cas de haute trahifon , 8c dans tous 
ceux qui peuvent imprimer jflétrilTure , deux témoins 
légaux font néceflaires pour convaincre un accufé. 
Dans prefque tous les autres un feul témoin fuflit, 
ce qui paroît contrarier en quelque forte la dou- 
,ceur des loix angloiiès. Les preuves s'adminiftrent 
comme dans les caufes civiles hautement & publia 
quement. Les jurés déchargent ou condamnent Tac- 
cufé ; c'eft-à-dire , qu'ils prononcent fur fôn inno- 
cence ou fon délit. Alors le coupable n'eft encore 
que convaincu. ( Convincede. ) Il peut alléguer di- 
verfès cho&s capables de fiifpendre le jugement , 
& ce n'eft qu'après la prononciation de l'arrêt 
qu'il eft flétri. ( Attmnted. ) Cet arrêt prononce la 
peine portée par la loi 9 que ni le juge , ni lés jurés 
ne peuvent janiais excéder ou diminuer ,& cela 

SANS ACCEPTION DE PÈRSONN ES. 

Ce jugement peut être annuUé par différens 
moyens , 6c en vertu de divers appels , foît pour 
des méprifes notoires > ou pour des irrégularités , 
des omifibris , des manques de forme dans la pro- 
cédure , Sec. Tous les appels s'interjettent de toutes 
les .cours inférieures de jurifdiôion criminelle à 
celle du banc du roi, & de celle-ci à. la chambre 



[ 195 j. 
des pairs \ nfiâii feulement par ordre du fou ( Ex 

gratid.) Il n'y a que les appels en cas de malver- 

iàtion qui doivent être accordés de plein droit. ( Et 

debito juftiiB. ) Je remarquerai en finiffant ce précis 

des formes qui s'obfervent en Angleterre dans les 

cauiès ) fôit civiles , foit criminelles ^ que le roi no 

peut pardonner un délit , que lo^f^ue Taccufatioa 

a été intentée à fa requête \ mais qu'il ne peut pas 

nuire au droit du tiers , en faiÊint grâce d'un qime 

pourfiiivi par un particulier. 

Terminons cette note , peut-être trop longue ^ 

mais où lefùjeteft cependant à peine ébauché par le 

bel éloge que fiiit Blakftone du jugement des junés» 

« L'adminiftration impartiale de la juftice qui mec 

» en fureté nos perfonnes ÔC nos propriétés ^ eft 

» le grand but de la fbciété divile ^ mais fi on la 

» confie entièrement à la magiftramre compofce 

» d'un corps d'homri^es choifis ordinairement par 

» le fouverain ^ ou par ceux qui font revêtus des 

>» plus hautes dignités de l'état fleurs décidons 9 mal" 

» gré leur intégrité naturelle ^ pencheront fouventj 

» fans même qu'ils s'en apperçoivent ^ en faveur 

)) de leurs égaux. Il ne faut pas attendre de la 

» nature humaine que le petit nombre foit tou- 

» jours attentif aux intérêts 8c au bien-être dé la 

» multitude. D'un autre côté , fi le pouvoir de la 

» judicature fe cohfioit indiftinétement à la multi- 

» tilde ) fes décifions fouvent capricieufes ^ établi* 

)) roient journellement dans les cours de nouvelles 

» règles d'aâion. U a donc été fàgement établi 

Ni 



[ 19^ ] 
» que les principes & les axiomes de droit 9 qui 
H font des proportions générales découlant d'une 
n raiibn abftraite y Sc non accommodées au tems 
» ou «aux perfonnes ^ feroient dépofés dans les 
» cœurs des juges j pour être dans Toccafion ap- 
>♦ pliqués aux faits que Ton remettroit à leur dé- 
» cifion; Car ici la partialité eft fans reflburce : la 
» loi eft bien connue j elle eft la même pour tous 
» les rangs 8c toutes les conditions j elle s'enfuit 
» comme une conclufion régulière des prémices 
V du fait auparavant établies ^ mais lorfque la dé- 
x) cifton d'une qu^eftioa de fait eft:. confiée à un 
» fimple magiftrat , là panialité ÔC la juftice ont 
9 une ampte carrière , foit en «dgeant des preuves 
» oii il n'en faut pas , foit en fupprimant adroi* 
I) tement quelques circonftances , Sc en appuyant 
» jfiir d'autres. C'eft pourquoi un nombre compé- 
» tent de jurés intelligens & équitables ^ choifi au 
» fort pgrmi ceux dfuûrang mitoyen , ièra à coup 
» fiir cûQipofe de perfonnes plus propres à dé* 
M couvrir la vérité, ÔC plus fûres eonfervatrices de 
D ta juftice politique , car le plus puiffant individu 
» de l'état craindra de commettre quelque entre- 
» prife fur le dioit d'un auî»e, paarce qu'il fera 
» bien convaincu que fon aôc d'opprefTion doit 
». être examiné & décidé par douze- perfonne« 
» indifFérénces y qui ne feront nommées qu'au mo- 
5) ment de l'exameii j & que le fait une fois conf- 
» taté 9 la loi doit fur-le-charap y . apporter re* 
» mede. C'eft ce qui principaloment affure entre 



[ 197 1 
» les mai hs du peuple, cette portion qui! doit 

» avoir dans Tadminiflration de la juftice politi- 

» que 9 Se qui obvie aux u&rpatioas des Citoyens 

» plus riches & plus puiffaris Le fyftéme 

» féodal qui , pour maintenir la filbordination nîî- 

j) litaire , avoir adopté un plan ariftocratîque dans 

» tous fes arrangemeas de propriété , efût été infiip- 

» portable en tems de paix, s'il n'eût pas été fa- 

» gement contrebalancé par ce privilège de la 

» nation. Il eft même à remarquer que dans tous 

» les pays du continent , à mefure que l'examen 

-» par les pairs eft tombé , la puiffance des nobles 

» eft augmentée, au point que l'état s'eft vu trou- 

» blé & déchiré par les ferions, & que l'oligaf- 

» chie s'y trouva en efFet établie , quoique folis 

» l'ombre d'un gouvernement monarchique. Eîf- 

» ceptons-en toutefois ks états où les miférsibJes 

p communes ri*ônt trouvé, de reftige ^ue dan5 les 

» bras de la monarchie abfolûfe , tomme Je iiioift- 

» dre des maux qu'elles euflcnt à craindre. >v 

Mais fi l'examen par jurés a fiir tous les aàtf^A^h 
fi grand avantage pour régler la propriété civile, 
combien cet avantage devîcnt-îl plus grand ^ lors- 
qu'il s'agit des inftruftions criminelles, où il èft 
tout autrement important pour tes homhids cfe 
trouver tes moyens les plus fûrs de découvrir fe 
^rîté des faits. * 

c( L'excellence de cet établiflênn^ent , dît eticote 

« 

» Blakftone, fe manifefte avec bien plus d'évï- 
)) dence dans les caufes criminelles', ouîlque ïdarts 



[198] 
» des tems de difficultés & de troubles , il y a 

» plus à redouter de la violence & de la partialité 
D des juges nommés par la couionne dans les procès 
D entre le roi & le fujet , que dans les contefta- 
» tions entre un individu & un autre individu , 
>i pour fixer les limites de la propriété particu- 

» liere. . • . « . Il étoit néceffaire de revêtir le 

V prince du pouvoir d'exécuter les loix. Ce pouvok 
ï> néanmoins pouvoir être dangereux , & renverfer 
5) cette même conftitution , s'il' s'exerçoit fans 
» frein ou fans contrôle , par les juges (Toyer & 
» terminer^ nommés occafionellement par la cou- 
» rOnne , qui pourroit alors , comme en France 
» ou EN Turquie , cmprifonner , dépêcher , ou 
i> esçiler un homme odieux au gouvernement , par 
» lioe- déclaration publique j qw telle efi leur vor 
» iont^ & hon plaifir. » 

L'excellent homme qui a écrit aînfi n'eft point 
8c n'2h point été au donjon de Vincefinôs , grâces 
au heyreux ha&rd qui le fit naître au t delà des 
mers. Ce n'eft donc point à Phumeur, au fentiment 
w^er de fon infortune qu'on doit attribuer cet 
humiliant parallèle de la France & de la Turquie , 
qu'il a tracé dans une feule période. On ne trou- 
vera nulle part dans-fes écrits, ni enthowjGafine , 
. «i préjugé : tout y eft le fruit d'une méditation 
profonde , tranquille 8c défintércflée. Qpe Ton çom-» 
^ar« mes principes aux fiens. 
% Finiflbns par la réflexion qui termine le fragment 
d^biakftpne ^ qu^ je viens de trsmfcriref ^ • 



[ 199 1 

» Les ly^ertés d'Angleterre ne peuvent manqia^ 

» de fubfifter, tant que ce • palladium , denleiirerà 
V inviolable & iacré. Par- là elles foQt garanties > 
» non-feulement des attaques ouvertes que per- 
» fonne ne fera affez hardi pour tenijerimais ^is^ 
» corç de toutes Içs^ intrigues ^cachées qui pouT' 
» roient les fapper & les miner fourdemeuti^.ea 
» introduîfànt de nouvelles méthodes arbitraires , 
» d'épreuve par des juges de paix , de commif- 
» faires, & des cours de confcience. Mais quel- 
» qa'avantageufes que ces libertés puiffent d'abord 
» paraître y ( comme fans contredit tous pouvoirs 
» arbitraires y bien exécûtiù j font les plus conve- 
» nables ) cependant Jouyenons-nçus que les délais^ 
» & les petits inconvéniens qui accompagnent les 
w formalités de jujlice y font le prix que toutes les 
» nations libres paient pour leur liberté dans des 
w affaires plus fubjlantielles ; que les incurjlons 
» fur ce boulevard facré de la nation font fonda- 
» mentalement oppofées à Vefprit de notre cùnf- 
>■) ti tut ion 9 ù que bien que frivoles dans leurs 
» commencemens , elles peuvent s^ augmenter & ^Y- 
î) tendre par degrés ^ jufqu'à V extinction totale des 
» ajfemblées de jurés da^ les quejlions de la plus 
» grande importance. » 

Il eft aifé d'appliquer cette réflexion , profondé- 
ment fage , à ce qui nous regarde perfonnellement. 
Elle contient une vérité capitale , que les hommes 
apperçoivent trop rarement ^ fbit à caufe de leu^^ 



[ ^^o ] 
légèreté , foit par défaut de lumières 8c de pré* 

voyance 9 ôc qu'ils oubliait fouvent après l'avoir 

envilàgée^ parce que les impatiences du moment 

ont plus de pouvoir fiir eux que les dangers de l'ave* 

nir. Voilà la fource imperceptible, mais réelle , 

principale , Sc intariflàble ^ de prefque toutes les 

révolutions. 




/ 



[ 203 ] 

» truûion ne s'étende pas affez , pour deflîllcr linn 
>) verfelJement les yeux des hommes , 8c pour leur 
j> montrer leur force auflî bien que leurs intérêts 
» ôc leurs droits. 

)) Au refte , fi Ton en excepte le règne de Char- 
» lemagne , où , grâces au puiffant génie de ce grand 
» homme y la France fut auflî bien réglée qu'elle 
» pouvoit l'être ^ vu Teiprit du fiecle , il faut con- 
» venir que nos pères ont plutôt joui d'une tumul- 
» tueufe indépendance que d'une vraie liberté. Chez 
» les peuples les plus fiers de l'univers , & les plus 
» ennemis de toute efpece de joug , chez les Ger» 
» mains , oh vendoit fa liberté ! Que vouloit dire 
» cela ? Qu'ils n'avoient aucune idée de la liberté, 
)) Leur amour pour l'indépendance étoit un fënti- 
» ment vague y prefque auflî voifin de l'efclavagc 
» que de la licence , parce que dans le cercle des 
>? chofes humaines les extrêmes fe touchent, ôc 
» qu'il n'y a d'ordre qu'au centre. Tous les hommes 
» voudroîent bien être indépendans dans le moment 
» de Jeurs fantaifies cfue croife Ja dépendance -, mais 
>> peu d'entr'eux fe foucient vraiment de la liberté, 
», 8c font capables de la. porter. 

» Certainement elle ne peut exiftcr & fubfifter 
» qu'avec l'exécution févere des loix, moins nécef- 
» faires , il efl: vrai , dans les fociétés peu nom • 
1) breufes & fort agreftes , parce que la fimplicité 
yy des mœurs retient encore tous les individus dans 
j) l'égalité primitive. Dans toute fociété qui n'eft 
» pa$. çompofçe d'un très-petit ngnobre de familles, 



[ ^04 ] 
>) la dé^ndance du magiftrat civileft la condition 
V néceilàire du repos de la fociété ^ mais H Tauto* 
» rite de ce magiiirat n'eft pas exaâement détei^ 
» minée j fi la règle de Ces juger^ens n*eft pas fixe 
» 8c préciië , Sc fa force coaâive ou executive 
» tellement limitée qu'elle ne puiflè devenir op*^ 
» preflîve , il n*y a plus de liberté^ Voilà donc les 
» deux excès redoutables à la tranquillité ibciale. 
» Les citoyens font^ils indépendans du magiftrat , 
» ou quelqu'un d'eiitr'eux peut-il le devenir ? L'a- 
^) narchie eft inévitable : perfonne ne veut ni ne 
» peut protéger le foible innocent , & punir le fort 
» coupable. Le magiftrat eft-il indépendant du 
» cprps ibcial? le defpotifine fijit nécefiàirement ; 
» la liberté politique eft anéantis , 8c la liberté 
» civile , ou celle des individus n'eft plus qu'une 
» propriété incertaine ÔC précaire qui flotte au gté 
» du tempérament^ du caraâere ^Sc des lumières 
» des princes 6c de leurs miniftries. 
■ » Ainfi , lors dé la féodalité , i'afferviflêment de 
» la clafië nourriciers,^ fe mépris de tous les 
» travatix iitUè'r^éntfaînoient le renvetfement d& 
5) toute union politique ^ parce que les orgueilleuse 
» propriétaires , ne connoiflant d'autre travail que 
» les ocaipatiôns martiales , 8c d'autre paflîon que 
<i le defpotifine qu'ils âcerçoient perfonnellement 
» fur leurs ferft , contraâoiént une férocité qui les 
» divifoit abfblurtient entr'eux. Delà la tyrannie dli 
y> fort fiir le moins fort ; delà les confédération*?, 
>y plutpt militaires que fociales , pour remédier au 



C 105 ] ' 

» défaut général d'prdre Sc de juftice. Delà ce 
» point d'honneur qui , liant entr'eux les différend^ 
» individus d'une famille y Se les féparant dans le 
» fait de la famille commune ^ établiiToit dans la 
» nation la guerre inteftine des vengeances , 8c 
» agitoit tout le corps au gré du caprice de quel- 
» ques membres. Un petit nombre d'oppreiîèurs, 
» qui n'étoient ni ne pouvoient être heureux & 
» tranquilles y tenoient aux fers tout uû peuple. 

» Âinfi y lorfque les rois y profitant des excès de 
» l'anarchie féodale , iè faifirent iùcceflîvement de 
» tout le pouvoir que les circonftances y le mécon- 
y> tentement des peuples y les excès y les divifions Se 
» l'ignorance des grands kur permirent de s'ar- 
» roger y ils empiétèrent bientôt fort au - delà des 
» bornes qu'une nation iàge Se inflruite leur auroit 
» împofée y parce qu'ils penfoient à l'intérêt de leuf 
» ambition Se de leur pui^nce y Se non à celui du 
» peuple qu'ils feignoient de protéger; Se bientôt 
>> fubftituant au de4>ptifine de cent tyrans celui 
V d'un fèul y ce (|ui y à quelques égards y vaut miieux 
]p fans doute y quoique infiniment plus fiinefte à un 
» grand nombre d'autres y ils s'af&anchirent de 
» toute dépendance du corps focial , 8t per/hade* 
» rent à eux-mêmes Se aux àutses y qu'ils étoient. .• 
» Quoi?. . . En vérité, ils auroient bien de la peine 
» à l'expliquer raifbnnaWement. 
- » Il fuit de ce réfumê exaft , que l'établiflêment 
n d'une liberté réguliers 8C durable y loin de pou- 
» voir être Toiivrage d'un peuple baifearc ou peu 



[ zoô ] 
» inftruit y exige les réflexious les plus profondes , 
y> les combinaifons les plus vaftes > ÔC les obferva- 
» rions les plus multipliées, qui ne peuvent être 
» produites que par Texpérience , quelque (impie 
» qu'en paroifFe & qu'en foit réellement le réfultan 
» En effet y quelle étendue de lumières ne faut - il 
x) p^s pour fàifir Teniemble de tous les poiTibles y 
» & les lier étroitement à Tordre public l Que de 
» fkgeflè poiu" déterminer avec impartialité y mais 
» auffi avec une infatigable prévoyance , les préro- 
» gatives de l'autorité fbuveraine y de manière que 
» non - feulement elle ne puifle pas franchir fes 
» limites y mais encore qu'elle trouve évidemment 
)} un plus grand avantage à concourir au maintien 
» de Tordre légal y qu'à chercher les moyens de les 
» éluder ou de les renverfer ! Que de facrifices 
y> apparens il faut faire au bien général ! Par quelle 
)) modération il eft néceflaire que l'amour naturel 
» de l'indépendance , 8c l'amour bien plus noble 
)) dé la liberté foit tempéré, afin qu'il foit auffi 
^ impoffible aux fiijets d'empiéter fur le fouverain, 
» qu'au fouverain de dépouiller fes fiijets ! Car on 
» ne doit pas penfef qu'il reipefte dans Toccafion 
» les privilèges du peuple qui n'aura pas refpeûé 
D les fiens ; & iî une méfiance continuelle règne 
» entr'eux , n'eft - ce pas une guerre inteftine éter- 
» nelle , d'autant plus dangereufe qu'elle fermente 
y) plus fourdemejnt ? De fi grandes vues , des prin- 
» cipes {î nobles, & fiir-tout une telle fagefle ne 
)) ièfont jamais les verms d'un peuple barbare ou 
» ignorant. 



[ 207 ] 

y) Concluons de tout ceci , que nous ne devons 
» point nous enorgueillir , ni tirer des conféquences 
» fort importantes des nos anciennes conftitutions 
» défeftueufès ^ incomplètes , établies en partie par 
y> la violence > & fiir-tout parfaitement anéanties, 
» J*avoue cependant qu'il eft affez naturel de penfer 
» à s'en prévaloir , lorsqu'on voit tous les ibphif- 
» mes 9 8c les criminelles infidélités des écrivains 
» ibudoyés par le gouvernement ^ & piiifqu^ils alte • 
^ rent les monumens de notre droit public pour 
» défehdre leur caufe & ruiner la nôtre , il eft bon 
» de rapporter exaâement les textes qu'ils omet- 
» tent ou qu'ils mutilent. 

, » Pour me renfermer dans le feul point qui fait 
» l'objet de cette note , je dirai qu'il eft indubitable 
» que l'éleftion de nos rois, ou le choix du gou- 
» vemement monarchique ^ fut l'ouvragé de la déli* 
» t)ération libre de la nation. Les avocats du def- 
» potifme ont été dans ces derniers tems, jufqii'à 
» attribuer à nos rois le droit de conquéràns fur 
» leurs fiijets. Ce feroit afliirément une prétention 
» bizarre de la part des defcendans de Charles VII 
» 8c de Henri IV. Sans m'arrêter à ces délires de 
» l'adulation , j'établirai en peu de mots comment 
» nos plu^ anciens monumens atteftent,que nos rois 
i> ont reçu la couronrié par le confentement libre 
^> d'une nation libre , & comment nos rois ont re- 
» connu cette vérité. Or de ce point de fait fuivent 
» les conféquences les plus importaittes ; car comme 
» je l'ai dit, (page 75) un mendataire ne peut cer- 



[ 20Î ] 

D tainement pas prefcrire contre fon commettant. \ 

» Les mœurs. Sç les coutumes des Germains nos 
» ancêtres , nous font connues par deux des plus 
» beaux génies qu'ait produit l'antiquité j hiftoriens 
» fans rivaux & ians modèles, aufH capables d^ob- 
» ferver que de peindre. Céfar & Tacite, qui écrî- 
» voient à deux fiecks l'un de l'autre , s'accordent 
» également à nous repréfenter l'autorité du gou- 
y> vernement chez ces peuples comme très -limitée. 
^ Pendant la paix, dit Géfer,(c. XXIII, LVI,) ils 
» n'avoient aucun magiftrat commun & fixe. C'é- 
» toient les chefs principaux de chaque diftrîftyqui 
» rendoient la juftice & jugeoient les différends^ 
» L'autorité de leurs rois, félon Tacite, (Mor.Ger. 
» 7,11,) confiftoit plutôt dans le privilège de con- 
» feiller, que dans le droit de commander. La jurif- 
» diftion de leurs magiftrats étoit reflerrée dans 
y> des limites fî étroites , qu'ils ne pouvoient ni em- 
» prifonner Un homrhe libre , ni lui infliger aucune 
» peine corporelle. ( Id. ibid. 7. ) Il y avoit bien 
» des différences daris l'état focial de quelques-unes 
» de leurs tribus ; mais l'égalité & l'indépend^ce 
» en étoient la baze j ils choiiiflbient leufs rois j ils 
» çhoififfoient leurs chefs j les premiers à raifon 
» de leur nobleffe , les féconds en confidératîon de 
» leur courage. {Reges ex hoibilitate , duces ex vir- 
» tute fumunt. Tacite Mor. Ger. ) Il eft donc bien 
» évident que leur obéiffance étoit volontaire j & il 
» volontaire, qu'ils s'étoient réfervés le droit de 
V décider de toutes les affaires importantes, & qu'a- 

. lors 



\ 

^ 



[ i09 j 
I » lors les princes n'étoient que les exécuteurs des 
» ordres qu'ils recevoient de la communauté. ( De 
M minoribus rébus principes ^onfultarU^ de majori- 
V bus omnes , ita tamen ut ea quoque , quorum pe* 
» nesplebem arbitrium ç/î ^ apud principes per trao 
» tenturn ( Mon Ger. ) 

» Il feroit auflî contraire au boti fèns qu'à ThiA 
» toire ^ d'imaginer qu'aucunes des nations con- 
» quérantes qui fortirent de cet effaim de barba* 
» rès i eût fiiivi un chef, par force ou par crainte, 
» Leur choix é toit l'unique gage de leur obéiffance. 
D J'ai obfervé ailleurs , que chez toutes les nations 
X) feptentrionales où les crimes fe rachetoient par 
^ >^ des compofitions ou amendes pécuniaires , il y 
» en avoit une légalement déterminée & levée y 
» pour punir l'aiTaflîn du roi j avec cette feule dif- 
» fërence , que cette amende ctoit plus forte que 
» toute autre. On trouve dans les loix des Anglo- 
» Saxons, les différent werrgilds établis pour 
» l'homicide , depuis la mort du payiàn jufqu'à celle 
» du fouverain , qui étoit eflimée trente mille 
» THiiiMSAS. (Blakftone. Hume, &•<:.) C'eft un« 
» preuve bien irréplicable que la royauté n'étoit 
» regardée que comme un oflSce très-fubordonné à 
X) ceux qui l'avoient conféré. 

» Sans répéter ici les preuves de fait , par lef- 
X) quelles Hotman , ( Gaule Françoife , chap. VI , 
» page 47, édition de 1573 , ) ÔC no5 premiers 
» hiftoriens , tels que Grégoire de Tours , {a) 

(a) Grigoir* de T«urs ne n.nune peint Pharam.nd ; mais 

o 



)> Aimoin ? ( ^ ) &€. ont établi que nos premier 
» rois , dont on a depuis révoqué en doute juP- 
» qu'à l'exiftence , ou du moins rétabliffement 
» dans les Gaules y montoîent fur le trône , non 
» par droit de fucceflion ; mais en conféquence 
» d'une éleftion libre & volontaire. Sans m'arrêter 
» à rhiftoire de Childeric expulfé du trône , & ré- 
» tabli fept ans après , du confentement des peu- 
» pies , (//// quoqiu ob hoc indignantes , de regno 
» eum ejiciunt... Ipjis etiam rogantibas , àThurin- 
» giâ regrejfus , in regno fiio efi rejiitutus. Gregor. 
» Turon. 1. Il, c. XII,) laquelle hiftôire pourroît 
» bien n'être qu'un conte , J0 paflerai aux faits dont 
» on ne fauroit douter j & je ferai cette réflexion 
» bien fimple. 

» Le gouvernement de la nation dépendoit des 
» délibérations communes 5 & les aflemblées géné- 
)) raies iî connues fous, le nom de Champs de 
» Mars 8c Champs de Mai, qu'elles portèrent 
î) fous la première race de nos rois , exerçoient une 
>> jurifdiéiion fuprême fur toutes perfonnes , & dans 
» toute efpece de caufè. Or ce point de fait fi 
» connu 8c vraiment inconteftable , établi dans tant 
y> d'ouvrages , 8c qu'on a vainement eflayé d'obf- 
î) curcir, fuffiroit pour prouver cjue l'obéiflance des 
» Francs étoit volontaire 5 car on n'auroit afliiré- 

S.Profper, qui écrivoît dès Tan 4^7 & ^"1 ^^^it par confè-» 
qucnt contemporain de Pharamond , le nomme en fà chronique. 
(a) Auteur des Gefles. ( Les Francs ÉLURENT un rai che^ 
velu j Pharamond ffils de Marcomir» ) 



[ i" ] 

» ment point accordé le droit légi/latif à une na- 
» tion affervie. Les loix Vliques y monument le plus 
5) ancien & le plus refpeftable de notre légiflation, 
» furent formées par la nation même. Diciaverunt 
)) falicam regem proceres ipfius gentis y qui turK 
» Umporis apud eam erant rcSores ; fiint eleSi de 
» pluribus yiri quatuor ^ qui per très mallos convc^ 
» nientes omnes caufarum origines follicitè difcur" 
» rendo , tractantes de Jingulis y judicium decreve- 
» runt hoc modo. ( Bomjuet , praefat, leg. falic 
» Recueil, page 122. ) La nation fe donne dans ce 
» code le titre de pROj^onde en conseil , épî- 
» thete que des écrivains vénaux ont ofé tourner 
» en dérifion , 8c qui prouve du moins l'exiftence 
w des délibérations du peuple qui fe qualifie ainfi : 
» Gens Francorum inclyta , au3ore deo condita , 
» fortis in armis y profunda que in conjilio , firma 
» in pacis fœdere. . . . Juxtà morum fuorum qualir 
» tatem defiderunt jufiitiam* ( Recueil de Bignon , 
ï) page II. ), Mais paflbns à des faits plus précis. 

» Plufieurs racontent, dit Grégoire de Tours, 
» que les François font venus de la Pannonie ; que 
j) d'abord ils s'arrêtèrent for les bords du Rhin; 
» qu'enfuite ayant paffé ce fleuve , ils avoient été 
» vers la Thuringe, ÔC que là ils s'étoient créés 
» des rois chevelus en divers cantons ou cités. Tra- 
1) dunt nudti eofdem de Pannonia fuiffe digrejfos ; 
» 6* primum quidem littora BJitni amni incoluijfe; 
V dehinc tranfaclo Rheno , Turingiam tranfmeaffe , 
» ibiquc juxtà pagos , yel ciyitates reges crinitos 

O 2 



[ iii ] 
» fuperfe creavijfe. Et ailleurs : plufieurs difent que 

» les François , après s'être établis fur les confins 
» de la Turinge, avoîent créé pour les gouverner 
» des rois chevelus de la première & de la plus 
» noble famille qui fiit parmi eux , de laquelle étoit 
» Clovis. ( Liv. II , chap. IX. ) Tout ceci" n'eft 
X) qu'une tradition j car nous n'avions point d'an- 
» nales dans un tems où lire 8c écrire étoient une 
M fciencé rare 8c merveîUeufe 5 mais une tradition 
» établie dans un tems fi voifin du commencement 
» de notre monarchie, n'eft-elle donc pas d'un 
» grand poids ? Voyons comment ce qui fe pafla 
» fous le règne même de ce Clovis , s'accorde avec 
» l'aflertion de Grégoire de Tours. 
• » Clovis ne parvint que par l'éleftion à régner 
>) fur les Ripuaires , qui étoient régis par la loi des 
» Francs , 8c dont le pays forma la plus grande 
■» partie de fon royaume. Voici comment Grégoire 
» de Tours raconte ceci 5 il fait parler Clovis à ces 
» peuples en ces termes : Je vous donne un confeil; 
» sî vous l'avez pour agréable ^ jetei les 
yy yeux fur moi ^ afin que vous foyiei fous ma 
y> défenfe» Les Ripuaires , ajoute l'hiftorien , enten- 
:» dant cette propofition ,• y applaudirent tant par 
' » le fon de leur pavois , que par leurs acclamations j 
>) 8c ayant élevé ce prince fur un bouclier ^ ils 
» l'établirent roi pour régner fur eux. Confi- 
ra lium vobis prcebeo^fi videtur acceptum : converti 
» mini adme , ut fub mea fitis defenfione ; at illi 
» ijla audientes , plaudentes tam armis ç^am voci- 



, [ "3 ] • 
» bus^ cum clypeo eveâum fuper fe regem conjli- 

w tuant. ( Greg. Turon. lib. IL ) Ce n'eft point là 

» une tradition ^ c'eft un fait avéré. 

» Il n'y a point de preuves fans irépliquç , que 

» depuis Clovis les rois de ^a première race aient, 

» été élus j & à la vérité , la régularité de la fuc- 

» ceffion n'a jamais été obfervée fous cette dynaftie y 

» mais ,il eft auflî certain que Thiftoire de tems 

» auffi reculés peut l'être ., que pendant plus de 

» trois fiecles la couronne s'eft confervée dans la 

» même famille j ce qui paroît au moins un pré-. 

» jugé très- fort, que les premiers Francs reconnoif- 

» foient à une famille le droit d'hérédité à la cou- 

» ronne. Le paffage de Grégoire de Tours , cité 

y> ci-deflus , le dit formellement j & cette autorité. 

» concourt merveilleufement avec les faits pollé- 

» rieurs à confirmer cette opinion y qui ne con- 

» trarie en rien l'idée d'une éleftion primitive , que 

» tout dans l'hiftoire des mœurs & coutumes de 

y) nos ancêtres établit invinciblement, 

» Mais les chofes changent abfolument de face 

M fous la féconde race , ôc l'on n'a plus befbin de 

» recourir à la tradition , ou aux preuves d'indue-. 

y) tion. La couronne eft éleôive ; cela eft clair y 

ï) formel, indubitable, & démontré par tous les 

» monumens. 

» C'eft une révolution peu furprenante fans doute , 

w que l'expulfion de la dynaftie Mérovingienne par 

» la famille de Charles. Que des princes imbécilles ^ 

» Se qui de la royauté n'avoient que le diadème , 

03 



[ 214 ] 

» aient faît place à des miniftres qui étoient tous 
» puiflans , c'eft un de ces coups de la fortune que 
» rhiftoire offre fi fréquemment, & que l^tude des 
» hommes 8c des chofes explique fi naturellement 
» que Ton n'en fauroit être étonné. 
» Ce n'eft point ici le lieu de prouver combien 
» eft vraie cette belle obfervation du cardinal de 
» Retz , que les miniftres Carlovingiens n'employe- 
» rent pour détrôner les Mérovingiens que la même 
» puiflance, que les miniftres leurs prédéceffeurs s'é • 
w toient acquife fous le nom de leurs maîtres : que 
» les maires du palais , & fous la féconde dynaftie , 
» les comtes de Paris fe placèrent fur le trône des 
» rois j juftement 8c également par la même voie 
» qui leur avoit fervi à gagner & fubjuguer leurs 
» efprits j c'eft-à-dire 5 par raffoibliffement ôc par le 
» changement des loix de l'état , qui plaît toujours 
» d'abord aux princes peu éclairés , parce qu'ils 
» imaginent y voir ragrandiflement de l'autorité y 
» & qui dans lés fuites fervent de prétextes aux 
» grands, & de motifs aux peuples pour fe foulever. 
» J'efpere démontrer dans iin'^ autre ouvrage où je 
i) me promets de tracer le tableau hiftorique & po* 
s> litique des révoltitions de notre gouvernement , 
i) cette grande vérité , qui cft le réfoltat le pkis im- 
» portant 8c le plus utile de toute notre hiftoirci 
i> Je prouverai que dans tous les âges de la monar- 
» chie , les révolutions , de quelque elpece qu'elles 
i) aient été ; les guerres civiles fi funeltes en France, 
» puifqu'elles ont totalement affervi la noWefle, &ns 



[ 215 ] 

» rendre la moindre liberté au peuple , & même celles 
» de religion n'ont eu que cette caufe j le fanatifms 
» étant devenu ambitieux , & l'ambition fanatique, ôc 
» qu'enfin l'autorité de nos rois, depuis le dernier pé- 
V riode de la deftruftion de nos libertés n'a jamais 
» augmenté , que leur puiflànce réelle n'ait dimi- 
» nué. Mais cette difcuflîon , qui doit être appuyée 
» fur des faits , m'entraîneroit trop loin j & ce fu- 
») jet eft trop important & trop vafte pour n'^n don- 
» ner qu'une efquiflèiil fuffira de jeter un coup- 
» d'œil fur les circonftances dans lefquelles les Car- 
» lovingiens expulfèrent les Mérovingiens. Ce ne fera 
» point une digreflîon. U eft important à l'objet 
» que je me fuis propofé dans cette note , de prou- 
» ver que cette révolution dût être & fût approu- 
» vée librement & de bonne-foi par toute la nation, 
» Charles - Martel s'étoit montré le plus grand 
y) homme qui eut encore gouverné la France, Ja- 
^> mais guerrier ne fit de plus grandes chofes ^ jamais 
» homme d'état ne fut plus impofant. Il eft incon- 
» cevable qu'entouré d'ennemis extérieurs , achar- 
» nés contre la nation , menacé par l'hidre toiijours 
>) renaiflante des méconteifc.j des jaloux 8c des 
.» faâieux j chargé du gouvernement êc de la dé- 
» fenfè d'un vafte empire y il ait pu reculer les 
» bornes de la Francjs 9 la fauver d'une invafion 
.» terrible ., exécuter tous {es projets , maintenir 
y> enfin 8c accroître fon autorité au point où il la 
» porta fans intrigues , fans crimes, fans perfidie, 
» par la feule force de fon génie , 8c les prodi- 

04 



» gieufes rèflbufces de fon inconcevable aôivité. 
i> Les Frifons , les Allemands , les Bretons , les 
w Saxons avoient été fournis plus d'une fois par 
» Charles -Martel , lôrfqu'un ennemi plus redouta- 
» ble , qui n'en vouloir pas moins qu'à la liberté 
» de l'Europe, dont il avoir déjà envahi l'une dçs 
•» plus belles parties, mit l'état ^à deux doigts de la 
)) perte. C'en étoit fait , fans doute , de la monar- 
» chîe Françoife dans l'état d'impuiffance où ïà 
» divîfiori des grands , & l'imbécillité de fes rois 
» l'avoient mîfe , fi Charles n'eût tenu les rênes du 
» gouvernement. Les Sarafins , déjàj] maîtres de 
» l'Efpagne, & dont la puiflance égafe en Afrique j 
» égale en Afie, menaçait le monde connu, furent 
» vaincus par ce grand homme. Sans croire que 
» cette irruption ait été feite par quatre cents mille 
» homg^es, dont le fer des François en égorgea 
>^ trois cents foixante Sc quinze mille , je ne ctouté 
)> pas <juc Martel , qui dut fà viftoire à ià prodi- 
)) gîeufe aftîvité 6c à ià prudence profonde , eût 
» fuccotnbé 5 la Fraricé , inondée de ces barbares , 
)) n'eût lubi le joug de FArabe Abdérame. Ce fuc- 
» ces mit le comble à la* gloire de Charles-Martel'^ 
» toiit à la fois fauveur & légiilatèiir de fon pays. 
10 Sa fortune Sc ion habileté ne fe démentirent pas 
» un ihttant. Les nations- Germaniques- domptées , 
» les bornes de Tempiife François reculées ,' iès 
» pertes recouvrées, les Sarafins repoufles , attéP 
» tent fes. talens milimires , tândfs que ùl conduite 
w politique , & Vétabliiîement brillant 6c iblîde dfe 



» fa famille , décèlent fon génie. Au-deflus des pré- 
» jugés de fon fiecle , il fût réprimer l'audace 8c 
» l'ambition du clergé , ôc s'il outrepalîa à fon 
» égard les bornes de la juftice, excès que l'orgueU 
» du facerdoce rendoit peut-être néceffaire ^ s'it Jié 
» rendit point à la nation les libertés c{ue fes pré- 
» déceffeurs avoient envahies? 5 s'il ne convoqua 
w point {es affemblées , il faut cependant qu'il fé 
» fbit conduit avec affez dé juftice & de modéra^ 
» tion pour Ce faire aimer. La meilleure preuve 
» que l'on en puiffe apporter , c'eft la révolution 
» qu'il opéra fans obftacle ^ c^eft l'interrègne qu'il 
» ofa maintenir 3 c'eft l'autorité qu'il laiffa à fes 
» enfans du çonfentement des feigneurs François, 
» demandé 8c obtenu dans un moment où" la certi- 
» tude de fà mort prochaine , auroit contrebalancé 
» fon autorité , fi elle n'eût été fondée que fiir lâ 
» crainte. 

» La grande révolution qui s'opéra alors fiit donc 
» très-naturelle, ôc fort au gré de la nation. Elle 
» fut même jufte , ofons le dire. Lé libérateur dé 
)) la France, fon reftaurateur, méritoit plutôt là 
» couronne , ou pour lui-même , ou pour des enfans 
» dignes de lui , qu*une race dégénéj*ée^ & qui avoir 
)) plus donné aux François de tyrans que de grandi 
» rois. Soit que la couronne fût héréditaire dès 
» . la fondation de la monarchie , ce qu'on ne fàuroît 
» ni prouver , ni détruire d'une manière fatisfaî- 
» fànte 5 fbit qu'elle fût alors éleftive , comme elle 
» le devint au commencement de la féconde dy- 



[ii8] 
i> naftie , Charles - Martel y avoit de juftes droits ^ 
» fi Tamour , le re(peft , la reconnoiffance & Tin- 
» térêt des peuples y font un titre. Eh ! n'étoit-ce 
» pas leur premier befoin que de remettre le fceptre 
» à des mains qui puffent le porter, dont la vigueur 
?> mit fin à la fiinefte anarchie qui les avoit déchi- 
» rés fi long - tems , & diflîpa les faâions que des 
y> princes , incapables de gouverner , «éceflîtoient 
>) par le befoin qu'ils avoient de miniftres abfolus ? 

» C'eft une produftion bien finguliere de la na- 
» ture que cette fiiite d*hommeS fupérieurs , qui 
» par leurs efforts fucceflîfs réaliferent les projets 
» de leur maifon, méritèrent leur fortune, en joui- 
>) rent fans envie , Se la tranfinirent à une longue 
>) poftérité. Je ne fais fi les annales , de quelque 
» nation que ce foit , offrent un parallèle à oppofer 
» à cette famille privilégiée, qui pendant deux 
» fiecles occupa fi glorieufement la fcene du monde. 
>> Pépin le Vieux , Grimoald même , malgré fes 
»• fautes , Pépin d'Hériftal , Charles-Martel, Pépin 
» le Bref , Se Charlemagne forment une époque 
» prefqu'auffi remarquable dans Thiftoi-re de Thon;- 
*f me que dans les faftes des hommes. 

» Pépin réfolut de prendre la couronne que dé- 
y daignoit fon frère , fiibjugué par Pefprit monachal 
» de fon ddecle , 8c que fes ancêtres n'avôient point 
,», ofé mettre fur leur tête,, Mais ce ne fut point 
>) en ufurpateur qu'il faifit le fceptre. II avoit le 
» jufte efpoir de parvenir à ce rang fuprême du 
>) confentement de la nation , qui feul pouvoit l'y 



[ 119 ] 

» maintenir. Sa réputation étoit faîte, fon autorité 

5) bien établie , fes partifans nombreux , fon rang 
5) révéré > & toutes lés forces de l'état entre fes 

V mains. Cependant Pépin, tout abfolu qu'il étoit, 
» n'ofa point afpirer au titre de roi , dont GhiU 
» deric III étoit encore revêtu, fans l'autorité 
» d'une affemblée de la nation. Il manœuvra 
» très-adroitement pour s'en affurer les fuftrages. 
» Son père s'étoit.abfolupient aliéné le clergé , par 
» la manière abfolue dont il avoit réprime foa 
» ambition & limité fon pouvoir. On avoit vii 
» un roi fe jeter aux pieds des évêques fes fujets , 
» pour demander la punition d'un de fes confrères 
» qui s'avouoit coupable. Déjà leê papes, fi long- 
3> tems fimples évêques de Rome , avoient entrepris 
» fur les libertés des églifes de France , plus ref- 
» peâées cependant que celles de tout le fefte de 
» la chrétienneté. Déjà ils avoient formé le deffein 
y> de fouftraire Rome à Tempire de Coiiftantino- 

V pie , ôc de fe placer au rang des princes. Léon 

V rifaurien avoit préféré l'honneur d'être héré- 
yy fîarque à celui de régner avec gloire. Il brifoît 
y) les images , tandis que les Lombards lui arra- 
V) choient le fceptre de l'Italie , 8c profitoient du 
» trouble qu'y caufoient les innovations de l'em- 
» pcreur ^ innovations déteftées <iu peuple , dont 
» on attaquoit bien plus que Dieu , puisqu'on 
î) ranverfoit l'objet véritable ^ fon culte ôCy de 
» fon adoration. Conftantin Copronym^ , héritier 
» de Léon & de fon délire , irritoit de plus «n 



[ IIO ] 

» plus le clergé de Rome , défoJée par les ravages 
» des Lombards. Grégoire III avoit offert à 
» Charles-Martel de lui frayer la route de la do- 
» mination de Tltalie, pour prix d'un fecours 
» prompt ôc efficace. Pépin ne douta point que 
B Zacharie, fiiccefleur de Grégoire, n'eût les mêmes 
» vues , puifqu'il étoit excité par les mêmes in- 
» térêts & affailli des mêmes craintes. Dans un 
» (îecle où Ton ne connoiffoit guère de plus 
» grande vertu que la fuperfliition , on pouvoit 
» tout attendre d'un tel interceffeur. Zacharie 
p trouva jufle une révolution qui devoit en pro- 
» duire une heureufè dans fà fortune ,& fervit 
» Pépin de tout fon pouvoir. Son itiffrage décida 
» les confciences foibles , 8c feduifit le peuple j 
» la plupart des grands étoient gagnés , les am ^ 
» bitieux contenus. Pépin reçut à SoifTons, dans 
>> une afTemblée générale de la nation , la cou- 
» ronne que nul autre ne pouvoit porter plus 
» dignement , & qui tomba ùms oppofîtion de la 
» tête d'un prince , foible & méprifable rejetton 
)> d'une race qui avôit régné plus de deux cents 
» foixante ans dans les Gaules. Pépin , dit un au- 
» teur contemporain , fut élevé au trône par l'au- 
» torité du pape i ronftion du S. crème ^ 8c le 
» choix de tous les Francs, Pepinus rexpiiu ^per 
» auQoritatem papœ & un3ionem fancii chrif- 
» matis & eleSionem omnium Francorum in regni 
» folio fublimatus eft. ( Claufùl. de Pépin confecr. 
» ap. Bouquet , recueil des hifl. tome V, page jv) 



[lit ] 

» Una cum conftnfa Francorum & proccrum fuo^ 
î) rum feu tpifcoporum conventu. ( Ap. S. Dionys 
» capitul. vol. I, page 187. ) Et les Francs con- 
» Armèrent cette difpofition dans une aflèmblée 
» fuivante à la mort de Pépin. 

» Il eft bon de remarquer que la qualification 
» de roi par la grâce de Dieu ( Dei gratid Fran* 
» corum rex ) a commencé à être en ulàge fous te 
w roi Pépin , qui fe dit tantôt Pippinus rtx ^ vit 
» incluftcr ; tantôt 9 Dei gratid Francorum rtx. 
» ( Recueil des hift. de France ^ tome X> pag. 573^ 
» 597. ) On 3 voulu prouver par cette formule 
» que nos rois ne tenoient rien du choix du peu- 
» pie. J'examinerai plus bas cette étrange ailèr- 
» tion 5 8c je me contenterai d'obferver ici ^ avc(> 
» M. de Montblin , qu'il fèroit fingulier de tirer 
* une telle confëquence d'un titre qu'on fait avoir 
x) été pris par de fimples feigneurs, par des doyens 
» d'églifes cathédrales \ ( voyez des exemples ^ 
» Max. du droit public françois , tome II , ch. VI y 
» art. III ,) & qu'un roi fubftitué par l'éleâion du 
)> peuple à la famDle régnante , a pris le premier. 

» Il eft jufte de remarquer que Pépin demanda 
» aux François qui venoient d'ôter la couronne à 
» une famille pour la mettre fur fà tête , de s'o- 
» bliger par un ferment à maintenir fur le trône 
» fès enfens. Mais loin de détraire le droit d'élec- 
» tion 5 ce fait le confirme , puifqu'en accordant le 
» droit d'hérédité à leur famille , \^% François fe 
)» ré&rvoieiu: celui de choiiîr dans cette famiile ) 



[ 2.22 ] 

' » çe font les propres termes de l'hiftorien. Ut 
» numquam de atterius lambis regem in œvo pre- 
» fumant digère. ( Clairiiil. de Pépin, confecr. ap. 
» Bouquet, recueil des hift. tome V , page i6, ) 

» La nation eut tout lieu de s'applaudir de fon 
» choix. Non moins habile dans la paix que dans 
» la guerre , Pépin gouverna là monarchie avec 
» line prudence qui pafla en proverbe dans un 
» fiecle , où c'étoit de toutes les qualités la plus 
» rare ôc la moins remarquée. Il contint la nobleflè 
» par un mélange de vigueur & de bonté , qu'on 
>> doit regarder comme le carafterç diftinftif d'un 
» fi grand foi. Il expofa à tous les yeux fon ad- 
» miniftration. Aucun des fouverains' François n'a 
» convoqué auflî exaftement que Pépin & Char- 
» lemagne , \q.% états de la nation. C'eft un. julte 
» fiijet d'orgueil & de regrets pour un peuple 
» qui ne fut jamais plus libre que fous le plus 
» pui/fant de îqs rois ^ 8c plus aiTervi qu'alors 
» que fa docilité ^ l'adouciffement de fes mœurs ^ 
» & cet attachement d'habitude pour fes maîtres , 
» dont l'hiftoire de l'Europe ne préfente pas un 
» autre exemple , fembloient le mieux mériter qu'il 
^ en fut ménagé. 
, >> C^ fut fur-tout Charlemagne qui redonna une 
^ forme fixe & régulière aux aflëmblées nationales j 
» car les dilïérens partages de la monarchie en 
» avpîent bouleverfé l'ordre. Le dèfpotifme des 
» mînlftres avoir dénature ces aflëmblées , ôc Pe- 
>^ pin ne les rétablit pas préciiément dans la tota- 



[ iî3 ] 
y) lité de leurs anciens droits. A l'avénement de 

» fon fils 9 elles recouvrèrent tout le pouvoir qui 

» leur appartenoit. Charlemagne leur devoir à un 

» double titre fa couronne 5 car les François avoient 

» choifi du vivant même de Pépin, dans une affem- 

» blée générale ( à Noyon 768 , ) les deux fils de 

» Pépin pour leurs rois , à ces conditions que le 

w royaume feroit parcage en deux parties égales 

» qu*ils défîgnerent & limitèrent. Una cum con- 

y) fenfu Francorum & procerum fiiorum , feu epif- 

» 'copoTum conventa. ( Ap. S. Dionys , capit. vol. I, 

» p^ge 187.) Et ils confirmèrent cette difpofitioû 

3) dans une aflemblée fuivante à la mort de Pépin. 

)^ C'eft Hincmar , archevêque de Rheims ÔC atireui" 

» de l'important traité dt Ordine palatii , qui eft 

w garant de ce fait dans la vie de Charlemagne. 

» ( Ap. Bouquet, tome V,page 90. ) Il mourut en 

» 82 z feulement, foixante-huit ans après la mort de 

» ce grand prince , ôc c'eft fur le rapport d'Adel- 

» hart, fon mimftre 8cfon confident, qu'il écrivoit* 

)î Si Charlemagne n'avoit été qu'un conquérant , 

» il.tiendroit encore une place parmi les hommes 

» les plus étonnans que la nature ait produit. En 

» effet , quarante-fix ans de règne ont été pour lui 

w un enchaînement continuel de victoires. Ce ne 

» font point d'efféminés afiatiques, ou de fauvages 

Tk ftupides que l'étonnement, la terreur foudroient 

» autant que les armes de leurs vainqueurs. Ce 

» font des peuples du nord , des hommes de fer 

w dont il a dompté la férocité 8c le climat. Ce font 



[224 i 

yà des nations que lui feul a vaincues* C'eft jufqu*à 
» la mer Baltique , jufqu'à TEbre , jufqu'au Tibre > 
>> qu'il a porté fon nom^ fes triomphes & fa puif- 
» fance. Tant d'exploits qui rempliroient fans 
» doute la carrière de plufieurs héros , ne font que 
» le moindre ouvrage de cet incomparable mo- 
» narque. Tout à la fois légiflateur & conque - 
ï) raht 9 il arracha fa nation à l'horrible barbarie cù 
» elle étoit plongée* Il lui donna les meilleures 
» loix qu'il fût poflîble d'entendre ôc de recevoir 
» alors i il ^'efforça de l'éclairer ; il la rendit heu- 
>) reufe 8c triomphante , double bienfait fans 
» exemple. Cet homme iiiblime connut la vraie 
» gloire ôc l'atteignit. Comment ce génie fi ar- 
» dent y fi entreprenant , fi vafte , mé(Uia-t-il avec 
» tant de prudence , 8c combina-t-il avec tant de 
» juftcfle ? Comment un monarque arbitre 8c vain- 
» queur de l'Europe prefqu'entiere , qu'il lui faK 
» loit gouverner 8c combattre, a-t-il pu defcen- 
» dre à tant de détails , qui feroient admirer l'in- 
V telligence d'un particulier? Certes, Charlemagne^ 
» feul entre tous les humains, a iurpafTé de beau- 
» coup ce que l'imagination des romanciers 8c des 
y) poëtes a réuni pour faire des demi- dieux. Ref-. 
» taurateur de la France , père de fes fujets , héros 
» fens modèle 8c fans rival , il fut l'homme de 
y) toutes .les nations , 8c fera nommé grand, dans 
» tous les fiecles. . 

» Un tel prince n'étoit point capable d*ctre 
» ingrat , 8c n'avoit pas befoin d'aiTervir une na- 

» tion 



iy tion qu'il poùvoit conduire par rafceivUnt de 
» {es talens, par la confiance & l'amour. Ce fu- 
>> rent les deux refforts de fon gouvernement. Il 
» n'appréhenda rien de fes iiijets qui efpéroient toiât 
> de lui j leur attente ne fut point trompée. Les 
y> aflemblées de la nation rentrèrent dans tous leurs 
» droits , Se en acquirent même de nouveaux. Elles 
» fiirem convoquées chaque ajiuaée fous fo^n règne ^ 
» il les rendit plus auguftes de plus magnifiées 
» par le nombre des princes & des grands , padi^ 
^ l'aflîtience de tous^ ks ordres de l'état. ïn qïm 
» placito ginerâlitus univerforum majofUm tant 
j> clèricoruth fuam laie&ném c&nv^nieba$. ( Hinc- 
» mar. oper; éd. Sirmondi ^ v. II ^ c. XXIX , p. i 1 1 ^) 
)) Ce 4>^«icle étoit tel que Its^ ambaffadeurs d'un 
5^ caUfi de Babyione difoient j en quittant la 
» France y qt^èn AJie ils yoyoieni des maîtres Jbur 
^ vent braves^ fouvent éclairés ;< mais ordinaire-* 
» mtn^ capricieux ou cruels ^ qu'en occident ils 
» avoieni vu un peuple de rois auquel obéiffoient 
>> d'innombrables armées toutes couvertes d'or & 
)) de fir ; que ces rois avorent pourtant un chef 
n qui éimt U roi des rois ; mais qu^eux & lui n4 
» voaloient jamais §ue la rhime chojè ; que tous 
j> obéiffoient en fit^ préfinccyquoiqxu tous fuffent 
» libres & rois yéritabkment. ( Boulainyillers f 
5) lettres iiir les parleraens de France. Lettre II. ) 
>j J*efpere qu'on lira avec indulgence cette courte 
)) digreffioa où mr^a entraîné mon admin^ation pour 
y^ ce> grand h^fittiQ. Je reviens à))i droit d'éleâion* 



[ ii6 ] 

» Charlemagne , plus que tout autre , avoit des 
» moyens de fe difpenfer de reconnoître ce droit 
» de la nation. Mais fbn ame généreufe n'étoit 
^> pas faite pour s'avilir jufqu'à adopter une telle 
w politique. 

» L'an 806 , ce grand prince fî puiflant & fi 
» aimé 9 régla, par l'avis d'un parlement général, le 
0) partage de la monarchie entre fes enfens. Comme 
» une pareille aflèmblée avoit confenti à fbn aflb- 
» dation au trône avec fon frère Carloman, il tâcha 
» de prévenir tous les inconvéniensjjui pourroient 
» troubler la paix entr'eux , ou furvenir par la mort 
» de quelqu'un d'eux. Nous avons l'aôe qui en fiit 
» drefle à Thionville, & l'on y trouve ces mots re- 
» marquables : Si l'un des trois a un fils qui foit tel y 
» que le peuple veuille bien rélire pour fuccéder à 
» rétat de fon père , nous voulons que [es deux oncles 
» donnent leur confentement à VéleSion , & qu'ils le 
» laiffent régner dans la partie de Vétat que fort 
» père avoit eue en partage. ( Capitul. volume I , 
p page 442. ) 

» Après la mort de fes fils aines , Charles & Pépin , 
» Charlemagne fit approuver au parlement général 
» d'Aix-la-Chapelle en 8 1 3 , Taffociation de Louis 
» d'Aquitaine à l'empire , au préjudice de fon petit- 
» fils l'infortuné Bernard , roi d'Italie , né du frère 
» aîné de Louis , qu'un parlement aflemblé à Aix- 
» la-Chapelle en 814, condamna à mort pour avoir 
» penfé à faire valoir fes droits anéantis par la nation. 
» Pour cette éleÔion de 813 , Charlemagne prît 



[ 227 1 

ï) l'avis de tous 5 dit Thegan , depuis le plus grand 
» juqu'au plus petit* Interrogans omnes à maximo 
» ad minimum , fi cis placuijfet. ( Thegan. in geftis 
5> Lud. pii art. VI.) 

» Charles le Chauve , titre XXX de fes Capitu- 
» laires , fe rçco.nnoît (art. 3) élu par la volonté y le 
» confentement ^ V acclamation de tous fes fujets. 
» EleSione .... epifcoporum &ceterorumfidelium, 
» regni noftri voluntate ^ confenfu & acclamatione. 
» (BaluC tome 11^ page 134.) iVb^/^ voyons , difoit 
» Hincmar dans le facre de Charles le Chauve à 
» Metz j ( de l'an 869 ) , dans notre unanimité à 
» nous trouver 9 d^ accord la volonté de DieUy 
» que ce prince y fous la protection duquel nous 

» NOUS SOMMES MIS J?E PLEIN GRÉ y foit Phéri*- 

» tier légitime du royaume. ( Cérém. franc, p. 99. ) 
)) Louis le Bègue , dans le fermew de (on facre 
» (877 ) j fe dit établi roi par la rriiféricorde de Dieu 
>î & réleftion du peuple. Ego Ludovicus miferi- 
» cordiâ dominîDei noftri , & élections popuh 
» rex confti tutus. ( Balufe , tomç II, page 270. ) 

» Du Tillet prétend à la vérité qu'ELECTiONE ne 
ï) fignifie que soumission j & Ton trouveroit par- 
» mis nos écrivains modernes , tels que l'abbé de 
V Camps , Menin , & tant d'autres lâches & plats 
» adulateurs , que fi les rois demandoient l'avis & le 
» confentement de la nation > ce n'étoit que par corn- 
» pliment & fans néceffité. De telles Tachetés \'alent 
» à peine d'être citées , & ne valent affurément pas 
?> d'être réfutées/ Xv€$ de Chaurtres qui, défendant 

P X 



s {^8 3 

«) les droits de Louis Iç Gros y rappeUoit la, Ug^iU 
y> mité de foa çle^ion $C de fon f^çre j^tàOr-» 
)> léans Taa iioô^ Se appelloit le con£enten;t.eot des 
» évêques & des grands, la ipaniere dp cpéeç, le 
» roi i ( reSio tfl Belgicorum rcge^mxfimm crt^arc & 
» confecrare^ epift. i&o.) ^îIathie^.Paris fi^r-tout, am 
)) a écm : la Fmnçe dont la^ di^mtd. çonjîj^ à. être 
>) libre ^ & à, qui fpn nom rappelle fans, çe^e^ quielU 
y) eji la protectrice de la liberté : Jirmni ofi^nd^ns 
w defenfionis , unde r^ome^ ^rancice in. lingi^Spro-r 
» pria originilater ejlfortita» ( Anno 1242^ rpagf 
» 585. ) Ces antiques François trpuvçroient prob^- 
» blement étrange la nouvelle' théorie qja'pn veup 
w. établir dans, leur paijde. 
' ». En 879 , ^près la, mort de Louis, le BegUje. ^pe- 

V tit-fils de Louis leDébowaire.,,l^s,états,aff^mblép 

V à Meaux reconnurent poijr rois. Loijis t^ Gajrlo- 
5) man > quoique nés d'une mère régudiéiei.Sc i| 
» eft à rjçmarqyer que le dufi Bofpn ,.ûere' de l'inj- 
».. pératrice Richildejfemiî^ç dQ'ÇharJesiHGbia|ive^ 
î> SE FIT ÉLiR^ dans une- afleii^blée de- laïquei ÔC 
D d'évêques , roi, d'Arlps ÔCj de Prov.enq9 i,qe gui 
» prouve bien., que Ip droite d'éJefft;Qn.étoit:recoïmw 

V Se ineonteftabie. 

» On fait qu'au. parlementou affem^éq, gé|iéi;al« 
» de la nation du mois de méyi 9i?^., 1^ p^lw{?^r/t.de| 
n grands du roymaoïe ,. mécqntcfls, de, Çh^jie^ le 

- » ■ 

» Simple? décl^çereiîtf qu'ils. nç, le voulpieiltr i^Iu? 

». pçW; feigflsaij,,.&yf^ rermfpieH 

». 4. la. épi ^ &,hQ^m^ i^-^^f^ui^Jt^^jùn^^ f( 



[il?) 

» jetant 'à terré des brins de pàitit qu'Us tenolinû 
yy dans léûr's mains. (Capitlil. aûil. 922.) 

» je n'examinerai point, fi, côrtimé qu'elquès- 
» uns le prétendent , Un pai"ienierlt tenii à Compie* 
» gnfe , nomma Un tuteur à Charles , enfant pof- 
»' thume de Louis lé BegUé , ou fi là faftloh d*Eu- 
>) des de Paris le mit fiir le trône , tandis ^u'Unë 
» autre côùrônnoTt Guy , diic de Spôietté ; rriaîi il 
» paroît certain qu'il n'y êUt p'oiht idfe partemônt 
>> pour réreftibn de Robert prèiïiiër , c'ompétiteui^ 
» de Lottiâiré , en 922 , liôil plus qiie ^'our'Céllï 
» du roi tlâoui.én 923, & àlhfî dés^ autrës priiïcfes,* 
» Louis d'Outremer, fôh fils Lôthâîife , ôc fbh.fitt 
» Louis V , que la faâion Capétiètinê porta fur le 
» trône dans ce tems d'anarchie. Hugue* - Capfet , 
» quoiqu'en dife Mezerai ôc ceux qui l'ont copié , 
» difiîpa , à la tête de fix cents hommes d'armes , 
» ( milites , ) l'aflemblée des François , qui iè tenoit 
» le cinq des ides de mai 987 , dit Gerbert/ ( Voyez 
» recueil de Duchefiie. )' Il eft même probable^ 
» comme le remarque M, de Boulainvilliers , qu'un 
» parlement libre n'auroit pas donné la royauté à 
» une famille qui n'y avoit aucuns droits , au pré* 
» judice des enfans de Charlemagne , auxquels ^ ite 
ce avoient juré de la maintenir, puifque Foulques, 
» archevêque de Rheims , & les principaux de l'aP- 
» femblée où il fiit queftîon d'élire pour roi£udes,^ 
» fils de Robert le Fort, dîfoient : 'ÈJous nt pouvons 
» pas consentir à fon éleSion^ parce qu*il eft étran-^ 
V ger à la famille de ÇharUmagne. (Eff. 5- P- ) 



[ ^3^ ] 
» Maïs loriîjue Hugues -Capét, qu'une partie de 

» la France ne reconnut point d'abord , fe vit pref^ 

» que fur de la réuflîte de fes defleins , il voulut 

» légitimer fon ufurpation par les fuffrages d'un 

» parlement libre qu'il convoqua à Orléans en 988 , 

» & où il fit couronner j(bn fils Robert , pour lui 

» alTurer la couronne. 

» Voilà donc le droit d'éleftion, ou tout au moins 

» celui de confentement 8c de confirmation , ( fi 

yy l'on n'aime mieux l'appeller de légitimation , ) 

» reconnu fous la troifieme race de nos rois, & fî 

S) bien reconnu que Robert , fils de Capet & fon 

V. fucceffeur , avouoit : Que la libéralité de la na- 

» tion Françoifey par un effet. ....•• 

» » • 



^ 




[ »3J 1 ' 



I 



IV. 



Conflitution angloife. 



CI finit tout ce que Ton a pu trouver de cette 
iritéreflknte diflertation dans les papiers de l'auteur. 

La quatrième étoit un examen approfondi de la 
conflitution angloife , que l'auteur trouvoit mal 
affife Se mal balancée , examen par lequel, l'auteur 
prétend établir que la liberté politique des Anglois 
eft plus défeôueuiè ^ que leur liberté civile n'efl: 
afllurée. Par un fragment de cet écrit remis dans nos 
mains y on voit qu'après avoir débattu les principes 
de cette conftimtion , l'écrivain anonyme paflbit 
aux détails, 8c faifant la guerre à outrance au fifc^ 
qui contrarie fi prodigieufèment en Angleterre les 
principes de la liberté civile , & aux rentiers y qui 
doivent rendre l'eiprit de la nation abfolument mer- 
cantil & vénal , il foutenoit que les repréfentans 
d'une nation libre doivent être reftreints par leura 
inftruôions , fi ce n'eft pour la quotité des taxées y 
( point majeur qu'il faudroit débattre à part , ) au 
moins par leur nature & le genre de leur peircep- 
tion. Qu'ils ne doivent jamais être libres de grever 
arbitrairement le commerce infiniment au - delà de 
tout calcul où fes profits , même illufoires & folle- 
ment exagérés au gré de l'imagination la plus aôive 
puifle atteindre. Qu'il efl: infènfé de leur laifTer le 

P4 



éfoit d'impofbr des t«q^ exceŒyes 5c perpétuelles^ 
fur les confommations ÔC les chofes de première 
néceflîté. Qu'un peuple ii|)re doit avoir des principes; 
fixes de finance commç de légiflation , qui foient 
des loix fondamentales & iàcrées j que leurs repré- 
fentans ne puiflent jan:iais enfreindre j 8c que par^ 
tout où la doftrine de l'impôt ne fera pas fixe & 
immuable , il n'y aura jamais ni vraie liberté , ni 
ftabilité , ni repos , ni profpérité durable. 

Il difoit tenfuite , qu'il eft bien iflConfét;|uent que 
les Anglois , qui ont combattu avec tant d'acharne- 
. ment pour l'abolition des parties , les plus redouta* 
blés de la prérogotive royale, y aient fubftîçuâ le 
fyftême aéèuel deç emprunts èc des taxes de toute 
cfpece y dont la coUeélipn & l'adminiftration , mi- 
fes entre les mains de là couronne , donnent lieu 
à la perception la plus incompatible avec la Ht 
berté, à la création d'une multitude d'officiers ÔC 
de commis qui affiegent'tous les ports , toutes le ^ 
frdhticres , tous les diftrifts intérieurs du royaume, 
toutes les villes , tous les bourgs, tous les citoyens , 
8c qui , nommés immédiatement piar la couronne 
8c deftituables à fa volonté , font dans fa plus étroite 
dépendance, 8c lui donnent u^e influence extrême» 
Voilà, difoit l'auteur, la conféquence inévitable 
des fonds de crédit , 8c des taxes perpétuelles étar 
blies pour les former. 

Il en vient aux fonds de la lifte civile , ou revenu 
direâ: du roi. Cette fomme annuelle de plus dQ 
fbpt millions de livres fterling, ( plus de cept çi|h 



i^ante-fept millions de notre monnoie, ) qui fournît 
aux intérêts des créanciers de Tétat & au fonds ^ 
d'amortiffemeqt , eft d'abord dépofée au tréfor 
royal , ôc delà diftribuée dans les banques» Quelle 
foule de conféquencés importantes , ÔC pour tran- 
cher le mot , fiinéjftes à la liberté , peuvent réfiilter 
de cet arrangement Iprfque le fbuvérain ofera prér 
variquer ! 

L'auteur trouve encore un afïe très-împrudqit 
(d'une confiance exceflîve dans cette armée dîfci- 
piinée , payée immédiat^ent par le roi , com- 
mandée par lui , laquelle ne doit, il eft vrai, refter y 
qu'une année fur pied ,8c de Taveu du parlement ; 
mais qui , une fois^ levée , eft entièrement à la dif- 
pofitîon du monarque. Certes , dit-il , une tdle pré- 
rogative l'emporte infiriiment fiir toutes celles que 
le roi d'Angleterre a perdues ^ car un gouvernement , ^ 
quelqu'abfolu qu'il puiffe être , s'il ii*avoit point 
à les ordres uiîe armée. , feroit beaucoup pkis loin 
de l'oppreflion que Tadminirtration la^plus limitée , 
qui, foudoyant continuellement; des troupes mer- 
(cénaires , peut porter au moment ôû elle voudra 
4es coups mortels à la liberté d'un peuple défarmé , 
fens méfiance , & d'autant plus dénué de Pef- 
prit militaire , ce reffort précieux 8c néceffaire à 
toute nation 'qui veut fe maintenir libre, quePef=^ 
prit légionnaire s'y étendra davantage. 

Notre auteur conclud enfin , que les paniculiers 
ont bien en Angleterre l'exercice de la liberté , 
parce que les loix en général , ôc fur - tout les 



[ i34 ] 
loix criminelles ^ Se les formes des jugemens { qui 

cependant s'altèrent yifiblement ) y font admira- 
bles y mais que l'Angleterre eft fort loin d'a- 
voir /à liberté politique , comme elle a fa liberté 
civile i Se qu'elle ne l'aura jamais , tant que fa re- 
préfèntatioû fera imparfaite , & les principes de 
ûk politique fi vagues , fi exagérés , fi arbitraires 
8c fi variables. Le favant & judicieux Blakftone , 
iputient que l'u&ge de l'examen par pairs ou par 
jurés , & le maintien de la loi àChabeas corpus fiif- 
fiient pour garantir à jamais la liberté d'une na- 
tion. J'en doute moi , dit l'anonyme , qui crois que 
toutes les parties de l'adminiftration fe tiennent 
par une chaîne îndiiToluble , & que la liberté po- 
litique 8c civile , font les deux parties inféparables 
d'un même tout , du moins fi l'on confidere la 
durée, cet objet principal de toute bonne légif- 
lation. Mais dans la fuppofition même de Blakf- 
tone , la liberté britannique eft très - menacée ou 
plutôt entamée , car les Anglois abandonnent petit 
à petit l'examen par jurés , & l'on ne voit pas 
qu'ils aient une fureté fuffifante du maintien de la 
loi à'hahtas corpus , fuipendue au moment où l'au- 
teur écrivoit , puifque leurs repréfentans ne font 
ni.aflez dépendans de leurs conftimans , ni afTez 
indépendans du fouverain qui , averti par des exem - 
pies terribles de l'humeur peu endurante de fes 
fujets généreux , mais fougueux ÔC paflîonnés^ 
refpefte encore en apparence leur conftitution j 
. mais qui acquiert tout le pouvoir néccflaire pour 



[ i3S ] 

Penfrelndre, & lui portera, s'il l'attaque jamais â 

force ouverte , des coups d'autant plus fûrs , qiie 
fâchant quels rifques il c^ùrt^ il prendra mieuK fès 
précautions. 

Nous defirons que le fragment, N^. III, 8C 
Tanalyfe du N^. IV donnent quelques regrets aux 
leâeurs de ce que ces morceaux font mutiléSé 



FIN du fécond & dernier Volume. 



f-- 1. 




... [n^y . . 




TABLE 



* •• 



X) E S CHAPITRES 

Contenus ains ce Volume. 



^jL vis. 



Page s 
SE CO N D È P A ET rfe. 

4 

Chapitre premier. Obfervations préliminaires^ 
Traitement pécuniaire du commandant au don^ 
jon de Vincennes. Penjions & nourriture des pri'- 
fonniers. '7 

Chap. II. Autres détails pécuniaires^ Par quelles 
manœuvres on a été aux prisonniers tout moyen 
de plainte. Vifites du lieutenant de police. For^ 

' malités nécejfaires pour écrire , lors même que le 
miniftre en a laijfé la liberté. ^. 23 

Chap. III. Adminijîration intérieure du donjon de 
Vincennes. Arrivée : chambres : lectures : prome^ 
nades : vijîtes du commandant : précautions à la 
fortie des prifonniers. 4 1 

Chap. IV. Vices de la conjlitution des prifons 
du état. Moyens de conftater les vexations que l'on 
y exerce & d'y remédier. 73 

Chap. V. Conclujlon. 9^ 



[ ^37 ] 

PREUVES ET ÉCLAIRCISSEMENS* 

Ans* Page 105 

I. Les lettres de cachet font interdites par les loix 
les plus anciennes y & les ordonnances de tous 
nos rois. 107 

ÎI. Diverfes re'volutions du pouvoir judiciaire en 
France. Jugement par pairs. Comment il fepror 
tique en Angleterre. .Réflexions fur cette mé- 
thode. l^^ 

IIL Les rois de France ne font en droit , & félon 
tous les monumtns de notre droit public , qut Us 
mandataires d*uri peuple libre. 20 r 

IV. Conflitution angloife. 231 

Fin de la Table du fécond & dernier Volume. 



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