Skip to main content

Full text of "Des traces laissées en Provence par les Sarrasins"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl 



^arfaarî) CTallEgc Itùrarg 



FROM THE FUND 
IN MEMORY or 

GEORGE SILSBEE HALE 
ELLEN SEVER HALE 



Des traces laissées en Provence 



par les Sarrasins 



A Monsieur MAURICE FAURE 



Sénateur de la Drôme 



Membre fondateur du Félibrige de Paris 



Hommage respectueux 



P. H. BIGOT. 



o 



HENI\I "BIGOT 



DES TRACES 



LAISSÉES 



EN PROVENCE 



PAR LES SARRASINS 



^^w^^^^^w«»^^^^ww^^w«ww 



Étude couronnée par le Félibrige parisien 




PARIS 

IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE DE LA PROVINCE 

L. DUC & C'« 

125, rue du Cherche- Midi, 125 

1908 



/^J-Zê./3 




J'^oJia^^â^u^'-JL^ 



BIBLIOGRAPHIE 



m^f^^^^^^i^t0^^t^^^ 



Pour étudier les invasions des Sarrasins en Provence et les traces 
qu'ils ont laissées de leurs passages, nous avons eu recours aux 
textes suivants et aux études antérieures dont voici la nomencla- 
ture : 

A. — Textes anciens 

tÂnnales Magdeburgenses, G. -H. Pertz. Monum. Germ. Script. 

Annales Ottemburani, id. qu'on retrouve également dans 
Mabillon : Annales ord. Sti Benedicti : Ottemburanum cœno- 
bium, O. monasterium. 

Chronicon Adonis Viennensis^ de la création du monde à 
869. Historiens de France, II, V, VI, VII. — Monum. Germ., II. 
— Migne, CXXIII. 

Chronicon Moissiacense^ 818, Monum. Germaniae, S. S. I. 

Chronicon Novalicense, Pertz : Monumenta Germaniae histo- 
rica, tome IX. 

Chronicon civitatis Pedonce^ apud. Monum. Patriae, V. 

Chronicon Isidori Pacensis^ chronique d'Isidore de Beja. 

Testament d'Abbon^ dans le cartulaire de Saint-Hugues de 
Grenoble, Paris, 1869. 

Cartulaire de Saint-Pierre de Vienne^ Dom Bouquet, Histo- 
riens, IX. 

Cartulaire Ultien, Augusta Taurin oru m, in-4°, 1753. 

Cartulaire de Vévêché de Carpentras. 

Frédkgaire, Continuation 75 1-768. Hist. de Fr. Il, Migne, LXXI. 

Flodoardi, Historia ecclesiœ Remens is, libri IV. Histor. de 
Fr., VIII, Lejeune, Reims, 1854, 2 vol. in-8° avec traduction 
française. — Traduction Guizot, VI. — Pertz, S. S. III. 

LuiTPRAND, 920-970, Pertz, S. S., tome III. 

I 



— 1 



Ekkehard, Le livre des malheurs de saint Gall, Veriz^ S. S. 
tomes II, V, et Dom Bouquet, tome IX. 

Paul Diacrk, De gestis longobardi, Muratori, S. S. Rerum. 
Itali, II. — Waitz, Monum. german. histor. S. S. Rerum longo- 
bardorum, 1883, m-^^. — Migne, XCV. 

Î^AOUL Glaber, Historia, 987-1044. Voir Duchesne, Hist. de 
Fr., IV. Hist. de Fr., VIII-X. — Monum. german. Scrip., VII. 
— Migne, CXLII. - Trad. Guizot, VI. — Coll. A. Picard. 

Rodrigue de Tolède, xiu" siècle, Histoire des Arabes. 

Vita sancii Romulij Acta. S. Sanct. octobris, tome VI. 

Vita sancti Majoliy Acta. S. S. mai, II. 

Vita sanctœ Condorcice^ Acta. S. S. aprilis, II. 

Auxquels il convient d'ajouter les textes réunis par Dom Bou- 
quet : Recueil des Historiens de France^ tomes II. et seq. 

Muratori, Annales d"* Italie ^ ann. 738 et seq. 

Pertz, Monumenta Germaniaiy Legum, tome I. 

Gallia Christ iana^ in-fol., Paris, 1866 et seq. 

B. — Travaux modernes 

Dom Vaissette et Dom Devic, Histoire du Languedoc^ Paris, 
1733-45, 5 vol. in-folio. Nouvelle édition, Toulouse, '.872-79, in-4*. 

Art de vérifier les dates ^ i'* édition, in-4°, Paris, 1750. — 3* 
édition, in-folio, 1770. — 3^ édition, 3 vol. in-folio, 1783-87. — 
4« édition, in-folio, 1870. 

Papon, Histoire de Provence^ 1777- 1786, 4 vol. in-4°. 

De Laplane, Histoire de Sisteron^ Paris, 1843, 2 vol. in-8°. 

M. Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, i v. in-8, 1836. 

G. de Rey, Z^s invasions des Sarrasins en Provence, i vol. in-12, 
Marseille, Marius Olive, 1878, 237 pp. sans tables. 

Régnier-Vigne, même titre, Bulletin des Excursionnistes mar- 
seillais, 1902. 

Victor Duruy, Chronologie de l'histoire de France^ 1849, i 
vol, in-8**, et Histoire de France, 

Fauché-Prunelle, Académie Delphinale^ '^53> i"-8°. 

Baron Ladoucettb, Topographie des Hautes^v^lpes et Histoire 
des Hautes-Alpes y 1848. 

Gautier, Histoire de Gap, Gap, 1844. 

Le P. FouRNiiR, Histoire des Alpes-Maritimes, dans les ma- 
nuscrits de Gap. 



— 3 - 

Depéry, Histoire ha giolo g ique du diocèse de Gap^ 1852. 

A. Lacroix, Le Dauphinéy anaée 1878. 

Paul Guillaume, Recherches historiques sur les Hautes-Alpes, 
2 plaquettes in-8°, Paris, A. Picard, 1881. 

Gaillaud, Ephèmérides des Hautes- Alpes, 

J.-J.-M. Féraud, Histoire des Basses- Alpes, Digne, 1861, 1 vol. in-8. 

Elisée Reclus, Géographie universelle , tome II, Géographie 
de la France. 

Paul Gapfarel, Le sol de la France, montagnes et plaines, i 
vol. gr. in-80, Paris, A. Degorce, s. d. 

Paul Arène, Vingt jours en Tunisie, i vol. in- 12, Paris, 1S84. 

Jules Canonge, Arles en France, un vol. in-12 de 318 pp. 
Paris, D. Giraud et J. Dagneau, 1850. 

F. Mistral, Lou Trésor dôu Felibrige, 2 vol, in-4«, éditeurs : 
à Aix, J. Remondet-Aubin. Avignon, J. Roumanille. Paris, H. 
Champion. Abrégé par le R. P. Xavier de Fourvières, un vol. 
in-3a, Avignon, irap. Aubanel fr., 1902, 

Ad. Joanne, Géographie de la France par départements : 
Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Var, Vaucluse, 
Bouches-du-Rhône, etc. 

Mary-Lafon, Tableau historique et littéraire de la langue 
parlée dans le Midi de la France, un vol. in-12. Paris, Maffre- 
Caprice, 1842. 

F. Mandet, Histoire de la langue romane (roman-provençal), 
I vol. in-8°, Paris, Dauvin et Fontaine, 1840. 

L. Gautier, La Chanson de Roland, i vol.. Tours, A. Marne 
et fils, 1881. 



DES TRACES LAISSÉES EN PROVENCE 

par les Sarrasins 



^^^^^^0>^^^^^^^^0^^^^^^0^^^t 



Les Sarrasins, qui ont envahi la Provence au début du 
VIII* siècle et ne l'ont quittée qu'au commencement du xf, 
ont laissé de ce long séjour de trois cents ans des traces 
nombreuses et profondes dans Thistoire, dans les monu- 
ments, dans les mœurs et dans la langue de ce pays. Ce 
sont ces traces plus ou moins apparentes sous celles des 
générations qui, depuis, se sont succédé en Provence, que 
nous nous proposons de rechercher et de mettre en 
lumière. 

I 

Les Sarrasins en Provence 



Maîtres de l'Espagne, les Sarrasins étendirent leur domi- 
nation sur le pays où jadis avaient régné les Wisigoths, 
comme l'Aquitaine et la Septimanie, et au delà, dans la 
Provence et dans toute la vallée du Rhône. Un historien 
provençal qui a étudié les diverses étapes de ces invasions, 
Gonzague de Rey, a réuni dans un ouvrage remarquable (i) 

(i) G. de Rey ; Les Invasions des Sarrasins en Provence pendant It 
VlII'y le XP siècle^ x vol. in-ia de 337 pages, Marseille, typographie 
Marins Olive, 1878. 



/ 



— 6 — 

tous les documents qui en fixent la chronologie. Il a même 
exposé, discuté, élucidé toutes les discordances et toutes 
les contradictions chronologiques des chroniques et des 
annales que nous ont laissées les contemporains. A ce 
point de vue, son œuvre est un guide sûr pour quiconque 
veut étudier avec quelque certitude et quelque soin cette 
période un peu obscure de notre histoire. Aussi, à la clarté 
de sa chronologie, pourrons-nous d'un pas certain nous 
avancer dans ce dédale de faits qui se perdent dans les 
ombres d'un passé le plus souvent ignorant autant qu'ignoré, 
et en faire un exposé sommaire et exact. 

Conduits par des traîtres, par le comte Julien, gouver- 
neur de Tanger, dont la fille Cava avait été violée par le 
roi Rodrigue et par les deux fils du roi déchu Witiza, les 
Sarrasins avaient envahi le royaume des Wisigoths en 
septembre 712, défait leur roi Rodrigue et mis en fuite leur 
armée. Cette conquête, s'il faut en croire le chroniqueur 
Isidore de Beja, s'était faite très rapidement, en trois ans 
environ, mais non sans provoquer chez les vaincus quel- 
ques mouvements d'impatience dont il s'est fait l'écho (i). 
Malgré ces contretemps, le chef des Sarrasins, Alahor, 
franchit une première fois les Pyrénées en 716, mais ce ne 
fut qu'une incursion passagère. Zama,son successeur, orga- 
nisa définitivement l'Espagne conquise et s'avança jusqu'à 
Narbonne dont il s'empara au début de 720 (2). La chro- 
nique de Moissac, qui confirme le fait, ajoute qu'il massacra 
« les hommes de cette ville et qu'il envoya captifs en Es- 
pagne les femmes et les enfants. » (3). 

Trois mois après, il assiégeait Toulouse. Mais le prince 
d'Aquitaine, Eudes, attaqua les Sarrasins et les rejeta loin 
du pays (721). Cinq ans après, s'il faut en croire la même 

(x) Isidori Pacensis chronicon . 

(a) Histoire du Languedoc^ de D. Vaissette, i., p. 687. 

(3) Chronique de Moissac, année 75) : Soma^ rex Sarracenoruntt nono 
anno postquam Spaniam ingressi sunt, Narhonam obsidity ohsessam capity 
virôsque civitaiis iîlius gladio perimi jussit : mulieres vero et parvulos 
captives in Spaniam ducunt. 



chronique, Ambiza, leur chef, envahit la Gaule, prit Car- 
cassonne, s'avança jusqu'à Nîmes, sans trouver aucune 
résistance et envoya à Barcelone les otages qu'il s'était fait 
livrer. Les Sarrasins allèrent même jusqu'à Autun qu'ils 
détruisirent, et mirent devant Sens le siège que Tévêque 
Ebbon fit lever (i). Ils envahissaient donc la France pro- 
prement dite, sans être inquiétés par le duc Eudes qu'ils 
avaient laissé sur leur gauche, ni par Charles-Martel, oc- 
cupé alors en Bavière. A cette expédition, ils acquirent 
beaucoup de butin et la Septimanie où ils ne conservèrent 
que Narbonne. 

Entre cette invasion (726) et la suivante (732) s'écoula un 
assez long temps de répit, bien que certains auteurs, sur 
la foi d'un texte controversé de Bèdele Vénérable, placent 
une de leurs invasions en 729, l'année des deux comètes. 

En réalité, ce fut en 732, sous la conduite d'Abdérame, 
que les Musulmans franchirent les Pyrénées, prirent Bor- 
deaux, détruisirent l'armée du duc Eudes et pillèrent Poi- 
tiers. Mais le duc d'Austrasie, intervenant à temps, les 
empêcha de faire subir à la France le sort de l'Espagne et, 
avec l'aide du duc Eudes, tailla leur multitude (2). 

Un membre de l'Institut quia raconté cette invasion des 
Sarrasins en France en s'appuyant surtout sur les écrivains 
maures, M. Reinaud, leur a donné souvent des dates diffé- 
rentes de celles qui précèdent. Mais, les Arabes n'ayant 
rien écrit avant les dernières années du x^ siècle, il semble 
préférable de se fier, pour la période antérieure, aux récits 
d'Isidore de Beja et des auteurs contemporains. 

Comme l'Espagne, les pays d'Oc auraient eu leurs traî- 
tres. S'il faut en croire le deuxième continuateur de Fré- 



(i) Histoire du Languedoc^ de Dom Vaissette ; id. 
(3) Karolus auxilio Eudetis in Aquitania contra Sarracenos pugnat. 

{Annales Ottemhurani). 
Karolus cum Eddone contra eos pari concilio dimica verunt, 

(Annales Magdeburgenses) . 



— 8 — 

dégaîre et d'autres annalistes après lui, le duc Eudes aurait 
attiré les Sarrasins en Gaule. Mais, outre que d'autres 
chroniqueurs ne laissent rien soupçonner de semblable, 
nous venons de voir des textes affirmer qu'Eudes et Charles- 
Martel firent cause commune. De plus, s'il faut ajouter foi 
à la Vita SancH Theobardi^ les Juifs seuls, aux temps de 
Charlemagne et de Louis le Débonnaire, étaient accusés 
d'avoir appelé les Sarrasins dans la vallée de la Garonne 
et, pour ce, subissaient chaque année, à Toulouse, une 
punition infamante. D'ailleurs, non seulement le duc Eudes 
qu'on accuse d'avoir attiré les Sarrasins, en fut la première 
victime, mais encore, en les attaquant à revers pendant la 
bataille, il détermina leur défaite (732). 

Détournés, par cet échec, de la France proprement dite, 
mais toujours maîtres de la Septimanie, les Sarrasins diri- 
gèrent leurs efforts contre la Provence où ils exercèrent 
leurs ravages. Ceux-ci sont attestés par un document dont 
Tauthenticité a été contestée par les uns et défendue parles 
autres : c'est un parchemin que le prince de Salerne, fils 
de Charles d'Anjou, trouva, en 1279, dans une tombe de 
marbre exhumée delà crypte de Téglise de Saint-Maximin. 
Il indiquait, suivant la dernière lecture, qu'en décembre 
716, pendant les ravages des Sarrasins, le corps de sainte 
Madeleine avait été porté de son sépulcre d'albâtre dans 
une tombe de marbre, pour le mettre à l'abri de la profa- 
nation dont avait été victime le corps de Cidoine. 

il est vrai que rien ne confirme cette invasion de 716; 
mais, s'il faut en croire L* Art de vérifier les dates {i), les 
Sarrasins traversèrent le Rhône en 729, envahirent et 
dévastèrent la Provence. Adon, qui fut archevêque de 
Vienne, de 860 à 875, raconte qu'avant de rencontrer 
Charles-Martel dans les plaines de Tours, Abdérame avait 
ravagé toute la Viennoise : 

(i) Page 533, Paris, 1870, in-foUo. 



— 9 — 

Sarraceni longe lateque plurimas urbes tam Septimani» quam 
Viennensis provinciae vastant. Contra quos Carolus expeditionem 
ducens^ graviterque eos fundens, in Hispanias repulit (ij. 

De là, cette conjecture que les Sarrasins avaient franchi 
« les Pyrénées avec deux armées dont Tune marcha sur 
l'Aquitaine, tandis que l'autre remontait le Rhône ; ou tout 
au moins que la garnison arabe de Narbonne avait tenté 
une diversion du côté d'Arles. » 

Rodrigue de Tolède (2) raconte que, « Tan des Arabes 
CXIV, Abderaman, jaloux d'obtenir la palme de la vic- 
toire, voyant sa terre couverte d'une nombreuse popula- 
tion, passe les détroits, franchit les montagnes et pénètre 
an delà du Rhône. Son armée innombrable ayant assiégé 
Arles, les Francs eurent petite fortune; mis en fuite, pré- 
venus par la poursuite des vainqueurs, le Rhône engloutit 
leurs cadavres qu'il laissa à découvert sur ses rives, et leurs 
tombeaux se voient encore aujourd'hui dans le cimetière 
d'Arles. » Ce sont, à peu de chose près, les mêmes expres- 
sions que celles de Tévéque espagnol, Isidore de Beja, 
dans sa relation de la guerre qui finit par la bataille de 
Tours. C'est apparemment qu'ils racontent les mêmes évé- 
nements et que cette même expédition aurait eu pour 
théâtre et les bords de la Garonne et ceux du Rhône. 

D'ailleurs, certains auteurs arabes que cite M. Reinaud (3) 
paraissent confirmer le récit d'Adon et de Rodrigue de 
Tolède : « Parmi les lieux, dit l'un d'eux, où les Musulmans 
portaient leurs armes, était une ville située en plaine, dans 
une vaste solitude, et célèbre par ses monuments. > Un 
autre déclare que « cette ville était bâtie sur le plus grand 
fleuve du pays, à trois lieues de la mer; que les navires 
pouvaient y venir et que les deux rives du fleuve étaient 

(i) Âdon, ChronicoUy année 73a. 

(3) Histoire des Arabes, chzp. 13. 

(3) M. Reinaad, Invasions des Sarrasins, p. 39 et 40, 



— 10 — 

rénnies par un pont antique (i); enfin que, dans les envi- 
rons, étaient des chaussées. » 

Arles est la ville à qui peut le mieux s'appliquer cette 
description. 

Les Sarrasins franchirent donc le Rhône, mais ils reçurent 
encore, en 736, du traître Mauronte, à qui la confiance du 
duc des Francs avait donné la mission de défendre la Pro- 
vence, les villes d'Arles et d'Avignon (2), dont ils firent la 
base de leurs opérations dans ce pays. L'exemple de Mau- 
ronte fut même contagieux, car de nombreux seigneurs, 
dont les chroniques du temps ont conservé les noms, pour 
s'allier aux Sarrasins, « abandonnèrent le parti monar- 
chique et national dans Tespoir secret de secouer le joug 
des Francs et de se rendre indépendants » (3). 

Mais les Sarrasins ne purent résister à Charles-Martel, 
le héros de Poitiers, qui vint leur demander compte des 
ravages qu'ils faisaient dans la vallée du Rhône, et, devant 
les armes du vainqueur d'Abdérame, ils durent abandonner 
Avignon et chercher un asile dans les montagnes. Ils en 
descendirent sous la conduite de Mauronte, après le départ 
des Francs, et mirent à feu et à sang tout le pays jusqu'à 
Arles (4). 

Accourant aussitôt, et, pour couper aux Sarrasins la 
retraite des Alpes, appelante son aide le roi des Lombards 
Luitprand, Charles-Martel se dirigea du Rhône vers les 
montagnes et débarrassa toute la vallée de la présence des 
infidèles (^). 

• • 

(i) Les restes de ce pont sont encore visibles en amont d'Arles et de 
son faubourg Trinquetaille. 

(a) Dom Bouquet, Recueil des historiens de France^ t. II, p. 655; Art 
de vérifier les dates, p. 706. 

(3) Delaplane, Histoire de Sisteron. t. I., p. 45, Digne, 1843, in-S". 

(4) Deiaplane, loc. cit. V Art de vérifier les dates, p. 706. 

(5) Paul Diacre, De gestis Longobard. VI, 44-48 et 54, Muratori, 
Annales d*Italie, années 738-739, Testament d*Abbon; Cartulaire de 
Saint-Hugues, p. 44 ; Art de vérifier les dates, p. 706. 



— II — 

Suivant le continuateur de Frédégaire(i), il dut pourtant 
revenir à la charge en 739 et, « aidé de Childebrand, son 
frère, il ramena sous son pouvoir tout le pays jusqu'au 
rivage de la grande mer. » 

C'est pour récompenser ses soldats que Charles-Martel 
leur distribua des terres et des bénéfices qn'il prit sur les 
immenses domaines de TEglise (2) et dont le clergé lui 
garda rancune (3). 

Le souvenir que les Sarrasins gardèrent de leurs défaites 
par Charles-Martel dut être assez cuisant pour les tenir 
éloignés de la Provence, mais Tattrait que celle-ci exerçait 
sur eux fut assez puissant pour leur inspirer le désir de 
s'en emparer, ou tout au moins de tenter des descentes 
sur les côtes de la mer Méditerranée, notamment en 793, 
alors que vivait encore Charlemagne, en 848, où ils sur- 
prirent Marseille, en 869, où ils prirent l'archevêque 
d'Arles, Rutland, qu'ils rendirent pour une forte rançon; 
mais toutes ces tentatives ne furent que des incursions 
passagères. 

Celle qu'ils firent en 886 fut moins stérile pour eux. Ils 
arrivèrent par mer, comme dans la précédente, s'établirent 
sur les hauteurs de Fraxinet, aujourd'hui laGarde-Freinet, 
dans l'arrondissement de Draguignan(Var), s'y fortifièrent 
et s'y maintinrent longtemps (886-999). C'est de ce point 
qu'ils exercèrent les plus grands ravages et les plus affreuses 
atrocités, et, s'il faut en croire les actes du Concile pro- 
vincial de Valence (890) « réduisirent la Provence en soli- 
tude. :& 

Sarraceni, Provînciam depopulantes, terram in solitudinem 
redigebant (4). 

Ils ne limitèrent point leurs ravages à la Provence ; la 

(i) Frédégaire coniin. Part. III, chap. 89. Duchesne, t. III, p. ^49. 

(3) Flodoardi, Histor. eccUsiastica Remensis^ livre II, chap. xs. 
(9) Duruy, Histoire de France ^ I, p. 365. 

(4) PertC; Monumenta Germaniee, Legum, t. I, p. 5^8. 



— 12 — 

chronique de la Novalaise (i) nous apprend qu'ils « se 
répandirent de tous côtés, pillant et ravageant toutes les 
provinces des environs, notamment le royaume de Bour- 
gogne, ritalie et leurs alentours »: 

Discurrebant hue illucquc depredantes et vastantes cunctas 
provincias qu» in circuitu suo fuerant, scilicet Burgundiam^ Ita- 
liam et caeteras quae proximiores videbantur. 

« Ils mirent à feu et à sang toute la Gaule subalpine :^ : 
Totam quoque Galliam subalpinam sanguine et incendio sub- 
merserunt (2). 

On trouve le récit de leurs atrocités, dans les écrivains 
contemporains, comme la chronique du monastère de 
Pedona, près de Coni, dans le Piémont (3), ou la vie de 
saint Romule, évêque de Gênes (4), ou bien celle de saint 
Maïeul (5). Nous y voyons qu'en 906 les Sarrasins déso- 
lèrent les monastères, détruisirent de fond en comble les 
basiliques, tuèrent et massacrèrent les habitants pendant 
trois ans; qu'ils ruinèrent les villes de Fréjus, d'Antibes, 
de Nice et tous les châteaux jusqu'à Albinga, gagnèrent 
les Alpes dont ils ravagèrent les vallées et les cités, en 
sorte qu'en Italie et en Provence, « les monastères furent 
détruits, les villes, les bourgades, les villages même furent 
dépeuplés. :^ 

Ces ravages durèrent plus de quatre-vingt-cinq ans (890- 
975), laps de temps pendant lequel ils restèrent maîtres 
du pays, ainsi que l'attestent les chroniques de Flodoard, 
chanoine de Reims (894-966) (6). L'évêque de Crémone, 
Luitprand (920-972), raconte les ravages des Sarrasins dans 



(i) Ckronicon Novalicense, Mb, IV, ch. 24, ap. Pertz S. S., t. VII, p. lao. 
(s) Ibid., ch. a6. 

(3) Chronicon civitatis Pedonee, ap. Monum. Patriae, t. V, pp. 6-7. 

(4) Vita sancti Romuli, ap. Âcta Sanctorum, t. VI, octobris, p. 309, 
édit. Palmé. 

(5) Tertia Vita S. Maj'oli, ap. Âcta Sanct., t. II, aprilis, p. 688. 
Paris 1866, in-fol. 

(6) Chron, Franc, ap. Pertz, Mouum, German. $. S. .. III, p. 369-400. 



— 13 — 

les Alpes (i), sous les règnes de Hugues de Provence (926- 
947) et de Bérenger II (947-961). L'historien Raoul Gla- 
ber (2) en a gardé également la mémoire. 

Le souvenir de ces événements désastreux est pareille- 
ment confirmé par le témoignage des cartulaires de saint 
Pierre de Vienne (920-924), de Dom Bouquet (3), de saint 
Hugues (4), d'Oulx (5) et d'Embrun où se trouve une bulle 
du pape Victor II, de 10^7 (6), sans parler de la légende, 
que l'Eglise a prise sous sa protection, comme celle des 
desnarrado de Saint-Cyr (7). 

Aux malheurs de Tinvasion sarrasine, vinrent s'ajouter 
les horreurs et les désastres d'une double invasion hon» 
groise (924-26, 942-53). 

Dès lors, il n'est pas étonnant que tant de monuments 
des civilisations antérieures aient été anéantis, et que des 
villes aient disparu dont le nom seul a surnagé. Telles sont, 
par exemple, les localités de Heraclea Calcabaria, près de 
l'emplacement de Saint-Tropez ; Olbia et Taurœntum, 
non loin de la Cadière où se transportèrent, dit-on, les 
habitants; Terracia, dans le terroir actuel deMouriès, Ma- 
chovilla, dans celui de Malemort, Machao à l'Isle-sur-Sor- 
gue, Bezaudun à Malijay, Tetea à Sainte-Tulle, Mocton à 
l'Escale (8), Stolegarium à Blégiers, Verbeyet à Saint-Jac- 
ques du canton de Barrème, le castrum de Cornetto à 
Châteauredon, dans l'endroit où est actuellement la cha- 
pelle de Notre-Dame-des-Cornettes, dans le canton de 
Mezel, etc., etc. 

(i) Pcrtz, S. s. t. III, liv. V, no. 9 tt 17. 

(a) Dachesne, Hist, Francor.y Scriptores, t. III, liv. i, ch. 4. 

(5) Historf'enSft. IX, p. 689. 

(4) Paris, Imp. impér., 1869, in-4, pp. 39, 49, 63, etc. 

(5) Cart. Uliien, Âugusta Taurinorum, 1753. 

(6) Gallia christianUf t. III, preuves p. 178. 

(7) M. Reynier- Vigne a résumé cette légende dont s'est emparée la 
poésie . 

(8) Acta Sanct., I, p. 666, Vie de sainte Condorce. 



— 14 — 

Mais de Texcès du mal sortit le remède. Les Provençaux 
se retirèrent dans les places fortes qui pouvaient le mieux 
résister aux ravages des Sarrasins et sur les hauteurs d'où, 
inspirés par un sentiment de révolte et de désespoir, ils 
essayèrent de les chasser. Ce qui manqua le plus à cette 
tentative fut Tentente, mais la valeur de chacun essaya d'y 
suppléer et borna ses désirs à rejeter les Barbares hors de 
son quartier. Grasse, Castellane, Moustiers, Sisteron, 
Sault, les Baux reconquirent ainsi leur indépendance et 
ceux qui furent les chefs de cette campagne de résistance 
devinrent, par ce simple fait, non seulement les chefs des 
hommes d'armes, mais encore les seigneurs du lieu. 

Si Saint Odilon de Cluny, le successeur de Saint Maïeul 
sur ce siège abbatial et l'un de ses biographes, a dépeint 
les souffrances des Provençaux, le moine de Saint-Gall, qui 
a écrit le livre des malheurs de ce monastère, a raconté 
comment les Sarrasins furent chassés, au moins, de la 
Savoie : 

K Ces infidèles, dit-il, étaient en Bourgogne, il y avait 
de longues années, et, après avoir été vaincus, s'étaient 
retranchés dans la riche vallée de Fraxinet, où le roi de 
Provence d'alors avait été contraint de les laisser en repos, 
moyennant un faible tribut. Conrad envoya des ambassa- 
deurs à leur chef, et lui fit dire : « Ces bandits de Hongrois 
me demandent l'autorisation de marcher contre vous, et de 
vous chasser hors de la fertile vallée que vous occupez. Si 
vous êtes des hommes, venez au plus tôt. Tandis que vous 
les attaquerez de front, je tomberai sur leur flanc, et nous 
les écraserons. » 

« En même temps, il faisait dire aux Hongrois : « Pour- 
quoi voulez-vous me combattre ? joignez-vous à moi ; at- 
taquons les Sarrasins qui sont mes ennemis; prenez leurs 
terres et, de plus, je vous donnerai la Provence. » 

« Les uns et les autres se laissèrent tromper, et bientôt 
les armées furent en présence. Conrad vient avec ses 



— 15 — 

troupes, dont les deux partis attendaient le concours. 
Quand il voit le combat vigoureusement entamé, il se jette 
dans la mêlée, massacre Hongrois et Sarrasins, et fait un 
nombre considérable de prisonniers qu'il vendit à Arles. » 

Vénérant quondam Sarraceni navibus in Burgundiam belloque 
omnia disturbantes, tandem victi in valle Fraxmith augustiis tu- 
tissima, invito qui tune erat rege, consederant ; paceque petita, 
uxores filias gentis ducunt, vallem maximae ubertatis parvis régi 
reditibus datis incolunt. Ad quorum ducem Conradus, nobili as- 
tutia usus, legatos dirigit, his verbis : « Ecce Ungri, filiones illi 
fugitivi, nunciis me fatigant, ut sibi pace mea vos quidem a tan- 
tse ubertatis terra armis expeliere liceat. Sed vos, si viri estis, 
obviam illi, me juvaute, quantocius pergite. Enimvero si vos eos 
in faciem invaditis, ego eos a latere involabo ; sicque illos, ut 
confido, profligatos exterminabimus. 

« Misit autem et ad Ungros, qui dicerent : « Quare, viri fortis- 
simi, mecum armis agere vultis ? Expedit enim utrisque nostrum 
magis ut paciûci simus. Venite ergo mecum, et hostes meos illos 
eradamus de terra uberrima, vosque ibi considite : sed et insupei* 
Provinciam proximam terrae illi, si mecum in fide senseritis, li- 
bcns vobis tribuam. > 

Consenserunt utrinque legationi regiœ : erumpunt Sarraceni de 
vallc Fraxmith confortissimi die et loco condictis ; occurrere pa- 
rant Ungri Rex suis undecumque coUectis aciem ordinat, specie 
velut lus et his futurus subsidiis. « Quam acute, inquit, incidant 
lances et gladii hodie ostendite, socii mei fortissimi ; tam diver- 
sorum daemonum utra pars vierit nemini sit curae. Victores esse 
qui cooperint, tribus vos partibus insilite, parmis rejectis feiro 
utimini ; nulle discrimine trucidetur Sarracenus et Ungar. Nemini 
illorum misereri certum est, quia mei quidem ipsorum miscret 
nemo. » 

Confligunt tandem in conspectu régis in acie prospectantis 
electissimi satanae milites et filii, neutris cedentibus trucidetur 
utrinque ut victimae. Tandemque rea animosime pugnantibus, 
veritus ne utra pars ad ultimum anfugeret, signo dato gradatim 
velut subsidians supervenit, et undique ad hos et ad illos proster- 
nendos turmatin omnes circundedit, fugœque locum non ha- 
bentes quos non occidit captos Arelato vendidit. (i) 

(i) Ekkehard : le Livre des malheurs de St^Gall. 



— i6 — 

Ekkehard est le seul écrivain qui fasse mention de cette 
guerre ; mais, bien que son récit contienne des erreurs 
historiques et même des invraisemblances, on ne peut lui 
refuser quelque créance. Il est incontestable, en effet, que 
cette expédition de Conrad n'aboutit point à l'expulsion 
des Sarrasins de Fraxinet, mais elle fut le point de départ 
d'une véritable croisade contre eux, et leur expulsion com- 
mença peu après le départ des Hongrois (954). 

En 956, le roi de Germanie, Othon, qui fut plus tard 
empereur et mérita le nom de Grand, envoya au Calife de 
Cordoue, qu'on disait protecteur de la colonie de Fraxinet, 
des ambassadeurs chargés de faire mettre un terme aux 
ravages des Musulmans, en France et en Italie, (i) 

Quatre ans après, ils étaient chassés du mont Saint-Ber- 
nard et de presque toute la Savoie. (2) Au même moment, 
Isarne, évêque de Grenoble (950-976), et le dauphin Gui- 
gnes II (940-991), les forçaient d'abandonner Grenoble et 
la riche vallée du Graisivaudan. (3) 

Chassés de Tlsère, les Sarrasins remontèrent le Drac et 
se fixèrent, plus solidement que jamais, dans les Hautes- 
Alpes (967-972). Le récit de la captivité de saint Maïeul, 
quatrième abbé de Cluny (961-994), nous confirme ces 
dates. (4) 

Nous y voyons que, revenant d'Italie, le saint abbé et sa 
suite franchirent le col du mont Genèvre, en descendirent 
les pentes jusqu'à Freissinières ; par ladite vallée de Freis- 
sinières, ils arrivèrent dans la vallée supérieure du Drac, 
et, de là, dans la vallée d'Orcières, ou Orsières, jusqu'au 
village actuel du Pont-du-Fossé, jadis Pont d'Orsières 

(i) Fauché-PraneUe : Académie DelphinaU^ 18^3, in-8, p. 147-148. 
Reinaud : Invasions des Sarrasins en France^ 1836, ia-8, p. 186-19^. 
Duruy : Chronologie de la France y 1849, in-8, p. 99, 

(a) Baron Ladoucette : Topographie des Hautes-Alpes. 

(3) Cartulaire de Saint-Hufrues y Paris, 1869, p. 93. 

(4) Bollandistesy tome II, de mai, pp. 639-689. 



— 17 — 

{Pons Ursarn\ « où ils furent capturés par les Sarrasins, 
le j^ juillet 972. » (i) 

La prise de saint Maïeul causa une vive émotion dans 
tout le pays. Les chrétiens se levèrent comme un seul 
homme, pour demander vengeance d'un pareil attentat. 
Le moine Nalgold nous a conservé un écho du cri d'indi- 
gnation qui, à cette nouvelle, s'éleva dans le pays : « Les 
cruels barbares, dit-il, furent bien punis de l'attentat si 
imprudemment commis envers Maïeul, le serviteur de Dieu. 
L'indignation et la vengeance du ciel s'appesantirent telle- 
ment sur les Sarrasins, tout le peuple chrétien fut si una- 

• 

nimement et si vivement excité contre eux, que, en partie, 
ils furent taillés en pièces dans une grande bataille et, en 
partie, ils eurent la tête tranchée par Tépée. De cette façon, 
presque tous ceux qui avaient porté leurs mains sacrilèges 
sur l'homme de Dieu furent à la fois enlevés de ce monde 
et détruits. Dès lors, le chemin lui-même que cette cruelle 
bande de voleurs avait occupé si longtemps et presque 
réduit en solitude, devint fréquenté et tout à fait tran- 
quille. » (2) 

S'appuyantsur ce passage, le P. Fournier place cette vic- 
toire à Barben ou Plan-de-Fazy, près de Guillestre. 

Tous les évêques de la contrée, en effet, s'empressèrent 
de prêcher la guerre sainte : tour à tour ou simultanément, 
saint Thibaud, archevêque de Vienne (952-1000) ; Isarne, 
évêque de Grenoble (950-976) ; saint Honorât, évêque de 
Marseille (948-976) ; Riculfe, évêque de Fréjus (972-974) ; 
Hugues (971), et Astorge (972-980), évêques de Gap ; Pons, 
archevêque d'Embrun (972-993), firent de grands efforts 
pour soulever les populations contre les Sarrasins. 

(i) Le P. Fournier, Mss. de Gapy p. ^23. M. Reinaad, Invasions des 
Sarrasins en France^ pp. 201 et seq. Gautier, Hisi.de Gapy p. 15. La- 
doucette, Hist. des Hanf es- Alpes, p. 42. Deper)', Hist. Hagiologique , 
p. 463. Fauché-Prunelle, Acad. Delphin., '853, pp. 154 et seq. Gaillaud» 
Ephémértdes, p. 372. Raoul Glaber ; voir Dont Bouquet: historiens^ t. 
VIII, p. 239. 

(2) Boîlandistesy t. II, de mai, p. 663. 

2 



i8 



Conrad le Pacifique, roi d'Arles (938-993), qui, depuis 
960 avait fait de Vienne sa capitale, ordonna à ses hommes 
de prendre les armes. Guigues Ild'Albon (940-991); Beu- 
von, de Noyers (940-986) ; Valentin, de Pietra-Castellana 
(970-979); Gibelin de Grimaldi (970-990), etc., etc., vinrent 
se placer sous la bannière de Guillaume I®"", comte de Pro- 
vence (960-992). Les chrétiens volèrent de succès en succès. 
Un très ancien bréviaire du diocèse de Gap, cité par Bouche, 
dans son Histoire de Provence (i) et par bien d'autres, dit 
en propres termes : « Tandis que la ville de Gap et les 
terres circonvoisines étaient aux mains des Sarrasins, un 
chef appelé Guillaume, avec l'aide de Dieu, vainquit les 
susdits Sarrasins. » 

Cum Vapincensis civitas et terrae circumpositae a Sarracenis de- 
tinerentur, quidam Guillelmus nomine, Deo adjuvante, devicit 
Sarraceiios prœdictos. 

Profitant à son tour de l'enthousiasme général et ralliant 
à lui les paysans et les bourgeois, Beuvon, qui, dit-on, 
naquit au château de Noyers, près de Sisteron, délogea les 
Sarrasins des rochers de Petra-Impia, aujourd'hui Pei- 
rempy, ou Pierre Impie, entre Noyers et Ribiers, sur les- 
quels ces envahisseurs s'étaient retranchés et avaient élevé 
une forteresse. Tous ceux qui résistèrent furent passés au 
fil de l'épée ; « les autres, y compris le chef, demandèrent 
le baptême. » (2) 

Peu après, Valentin chassa les Maures du rocher de Cas- 
tellane, au pied duquel s'éleva, plus tard, la ville de ce 
nom. (3) 

Enfin, s'il faut en croire le chroniqueur contemporain 
Raoul Glaber, vers 975, les derniers Maugrabins furent dé- 
truits à Fraxinet : « Peu après, dit-il, les Sarrasins eux- 

(i) Bouche, Hist. de Provence ^ t. II, p. 44. 

(3) Bollandistesy aa mai, t. V, p. 185. De Laplane, Hist, de Sisteron^ 
1843, t. I, p. 50-56. Rcinaud, Invasion des Sarrasins en France^ p. ao6- 
ao7. 

(?) J. J. M. Féraud, Hist, des Basses^Alpes : Digne, 1861, iii-8, p. 33, 



— 19 — 

mêmes, environnés parTarméede Guillaume, duc d'Arles, 
dans le lieu qui est appelé le Fraxinet, périrent tous, de 
sorte qu'il n'en retourna pns un seul dans sa patrie. » 

Ipsi denique Sarraceni, paulo post, in loco qui Fraxinetus di- 
citur, circumacti ab exercitu Villermi, Arelatensis ducis, omnesque 
in brevi, ut ne unus quidem rediret in patriam. (i) 

Tel fut, sommairement raconté, le séjour des Sarrasins 
en Provence, dont les ravages furent tels, que la vallée de 
rUbayeen reçut le nom de Vallée Noire. 

On peut éprouver, à cette lecture, un double étonne- 
ment. En eiïet, comment se peut-il que de tels ravages 
aient été l'œuvre de guerriers aussi chevaleresques que le 
sont, dit-on, les populations arabes? Et comment, après 
de tels actes de cruauté, la nation sarrasine a-t-elle pu res- 
ter sympathique, comme il semble qu'elle le fut, à nos 
bouillants Provençaux, dont les sentiments d'amitié ou de 
haine sont si vivaces? 

Un érudit, qui s'est occupé des origines de la langue ro- 
mane et des influences qu'elle a subies, F. Mandet, a re- 
marqué cette sorte d'anomalie et a essayé de l'expliquer. 
D'après lui, le Mahométisme, comme toutes les puissances 
brutales, ne put s'établir que par la destruction. Il ne trouva 
de passage libre que celui qu'il s'ouvrit par le fer ou par le 
feu. Comme Jules César autrefois, il ravagea d'abord et ne 
planta ses racines que sur des ruines ensanglantées. Mais 
la civilisation qui en sortit s'épanouit assez rapidement. En 
effet, dès Mohawiah (661-680), et les Omniades (661-750), 
les Arabes y prennent goût, et lorsque les Abbassides (750- 
1258), montent sur le trône, ils se font, à leur tour, civili- 
sateurs. Ils mirent ainsi moins de trois siècles à passer « du 
fanatisme le plus dévastateur à cet état de brillante prospé- 
rité que nul autre peuple n'avait peut-être jamais aussi bien 
connu. » 

(i) Dom Bouquet, Historiens^ t. VIII, p. 240. Bollandistes^ Reinaud, 
ouvrages cités. 



•i 



— io — 

Il est vrai qu'en pénétrant en Afrique, les Arabes avaient 
rencontré d'innombrables tribus nomades, idolâtres, sans 
asiles, sans lois, sans pitié, désignées sous le nom général 
de Berbers (Barbari), qui subirent l'impulsion de conquête 
que leur avaient imprimée les disciples de Mahomet. Ce 
furent ces Berbers qui, pillant, brûlant, massacrant tout 
dans leurs sanglantes expéditions, portèrent la désolation 
sur leur passage et couvrirent les côtes de France de ces 
ruines, qui gardèrent longtemps et gardent encore un té- 
moignage évident de l'affreux vandalisme de ces hordes 
sauvages, échappées des déserts de l'Afrique. 

On pourra s'étonner d'une telle sauvagerie, si Ton se sou- 
vient de la population Berbère ou Kabyle qui se tient en- 
core cantonnée dans les hauts massifs de la côte et du Tell 
algérien, où elle vit de la culture du sol et de certaines 
industries locales. Ce Berbère, qui se montre curieux, cau- 
seur, âpre au travail, apte au changement, a cependant con- 
servé son état social démocratique, que n'a point détruit 
la conquête arabe, et paraît s'accommoder volontiers des 
progrès de notre civilisation, parce qu'il y entrevoit des 
profits immédiats. 

Mais il ne faut pas oublier que ces Berbers sont les proches 
parents des Touareg, ces pirates du désert, qui ont arrêté, 
parfois d'une manière si cruelle, les efforts de tant d'explo- 
rateurs, ni les surprises, les embuscades, les razzias et les 
assassinats sans nombre qui sont les effets de ce fanatisme 
religieux qu'entretiennent, dans l'Afrique du Nord, ces 
nombreuses sectes que nous essayons vainement de dé- 
truire. 

Dès lors, nous nous expliquerons tous ces faits de cruauté 
que rapportent les chroniques du moyen âge. Si, d'autre 
part, nous nous rappelons qu'à cette race africaine était 
venue se mêler celle des Arabes, « le sang le plus noble 
et le plus généreux de la terre », nous comprendrons ai- 
sément que cette influence nouvelle se soit fait sentir dans 
les invasions qui suivirent, et qu'ainsi les dernières troupes 



— 21 — 

d'envahisseurs aient fait oublier en partie les ravages et les 
cruautés des premières. En présence des sages mesures de 
clémence que prirent les chefs sarrasins, en présence sur- 
tout de l'éclat de leurs fêtes, de la magnificence de leurs 
costumes, de l'exubérance de leur caractère, les populations 
provençales sentirent peu à peu leurs rancunes s'apaiser, 
et les enfants, oubliant des ravages et des cruautés qu'ils 
n'avaient point connus, cédèrent à l'inclination de leur ca- 
ractère, s'éprirent d'affection pour ces brillants Maugrabins. 
De là ces alliances qui fixèrent en Provence nombre d'entre 
eux et leur descendance. 

Mais cette étude ne serait pas complète si nous ne disions 
un mot du costume et surtout de l'armement des Sarrasins. 
Les chroniques sont muettes sur ce point, et nous ne pou- 
vons trouver quelques éclaircissements que dans les Chan- 
sons de Gestes les plus voisines de l'époque où se produi- 
sirent leurs invasions. Nous nous adresserons à la plus con- 
nue d'entre elles, à la Chanson de Roland, Sans doute, 
l'armement que l'on y décrit sert alternativement aux 
chrétiens et aux païens, ce qui semble indiquer que celui 
des uns était également celui des autres à un moment donné. 
D'autre part, il peut très bien se faire que l'armement du 
VIII* siècle n'ait pas été le même que celui du XP ou XIP 
siècle. 

Voici comment s'équipe l'émir Baligant (3140 et seq.) : 

Li Amirals no se voelt demurer : 

Vest une brunie dunt li pan sunt safret, 

Lacet sun helme kiad or est gemmez ; 

Pois, ceint s'espée à V senestre costet. 

Par sun orgoill li ad un num truvet : 

Par la Carlun, dùnt il oït parler, 

Adfait la sue Preciuse apeler. 

Ço iert s'enseigne en bataille campel ; 

Ses chevaliers en ad fait escrier. 

Pent à sun col un soen grant escut let : 

P'or est la bucle e de cristal listet ; 



— 22 — 

La guige en est d'un boun pâlie roet. 
Tient sun espiet, si liapelet Maltet : 
La hame fut grosse cume uns tinels, 
De sul le fer fust uns muiez trussez. 
En su destrier Baliganz est muntez ; 
L'estren li tint Marcules d'ultre mer. 
La furcheure ad asez grant li ber, 
Graisles es flancs e larges les costez, 
Gros ad le piz, bêlement est molez, 
Lées espalles e le vis ad mult clèr, 
Fier le visage, le chief recercelet, 
Tant par ert blancs cume flur en estet. 
De vasselage est suvent esprovez. 
Deus ! quel vassal, s'oUst chrestientet ! 
Le cheval brochet, li sancs en ist tuz 1ers, 
Fait sun eslais, si tressait un fosset, 
Cinquante piez i poet hum mesurer. 

En d'autres termes : 

L'Emir ne se veut pas mettre en retard ; il revêt un haubert 
dont les pans sont brodés ; il lace son heaume couvert de pier- 
reries et d'or, et à son flanc gauche ceint son épée. A cette épée, 
dans son orgueil il a trouvé un nom : à cause de celle de Char- 
lemagne, dont il a entendu parler, la sienne s'appelle « Précieuse >, 
et ce mot même lui sert de cri d'armes dans la bataille. Il fait 
pousser ce cri par tous ses chevaliers. A son cou, il pend un 
vaste et large écu : la boucle est d'or, et le bord en est garni de 
pierres précieuses ; la guige est couverte d'un beau satin à ro- 
saces. Puis, Baligant saisit son épieu, qu'il appelle « Malte », 
dont le bois est gros comme une massue, et dont le fer, à lui 
seul, ferait la charge d'un mulet. Baligant monte ensuite sur son 
destrier : Marcule d'outre-mer lui tient l'étrier. L'Emir a l'enfour- 
chure énorme, les flancs minces, les côtés larges, la poitrine 
forte, le corps moulé et beau, les épaules vastes et le regard très 
clair, le visage fier et les cheveux bouclés ; il paraît aussi blanc 
que fleur d'été. Quant au courage, il en a donné mille preuves. 
Dieu 1 s'il était chrétien, quel baron 1 II pique son cheval, et le 



— 23 — 

sang sort tout clair des flancs de la bête ; il fait un temps de ga- 
lop, et saute par dessus un fossé qui peut mesurer cinquante 
pieds. 

Ce portrait ressemble étrangement à celui des guerriers 
de Tépoque. Le poète lui-même le reconnaît (5.172-5) : 

L'amiralz bien ressemblet barun : 
Blanche ad la barbe eus enieut cume flur, 
E de sa Ici onult par est saivesherum, 
£ en bataille est fier e orgaillus. 

L*£mir a tout Tair d^un vrai baron. Sa barbe est aussi blanche 
qu^une fleur; c^est, parmi les païens, un homme sage, et qui, 
dans la bataille, est terrible et fier. 

Mais les hommes de l'Emir, les simples guerriers sarrasins 
s'habillent de même manière, si l'on en juge par l'esquisse 
suivante (994 et seq.) : 

Païen s'adubent d'osberes sarazineis : 
Tuit li plusur en sunt dublet en treis ; 
Lacent lur helmes mult bons sarrageizeis. 
Ceignent espées de Tacier vianeis. 
Escuz unt genz, espiez valentineis, 
£ gunfanuns blancs e Mois e vermeilz. 

Autrement dit : 

Les païens se revêtent de hauberts à la sarrasine qui, pour la 
plupart, sont doublés d'une triple étoffe. Sur leurs têtes, ils lacent 
les bons heaumes de Saragosse, et ceignent les épées d*acîer 
viennois. Leurs ccus sont beaux à voir, leurs lances sont de Va- 
lence ; leurs gonfanons sont blancs, bleus ou rouges. 

L'ensemble en est merveilleux, si Ton en croit la des- 
cription qu'en fait le poète : 

Luisent cil helme, ki ad or sunt gemmet 

£ cil escut e cil osberc safret 

£ cil espiet, cil gunfanun fermet. 

Les heaumes luisent, tout couverts d'or et de pierreries, et les 
écus, et les hauberts brodés, et les épieux, et les gonfanons au 
bout des lances. 



— 24 — 

De ces diverses indications, nous pouvons conjecturer 
les diverses parties de Tarmement. En effet, comme armes 
offensives, il y a l'épée, la lance et Tépieu. 

L'épée est l'arme noble par excellence. Elle est en acier. 
Elle se compose de quatre parties: la lame, qui est le plus 
souvent à gouttière ; le helz ou les quillons sont droits ou 
recourbés vers la pointe ; la poignée est grêle et étroite et 
la main du chevalier la cache complètement; quant au 
pommeau, il est creux et sert de reliquaire, quelquefois il 
est en cristal. 

Sans doute, à ces armes, on peut ajouter Valgeir ou Tate- 
gar, qui est un javelot empenet^ les dars^ les wigres^ les 
museraz^ les agies^ les gtesersy sortes de flèches et de ja- 
velots dont se servent ceux qui ne sont point nobles. 

L'armure défensive se compose de trois pièces: le heaume, 
le haubert, Técu, que complétaient les éperons. Le heaume 
est formé de trois parties : une calotte de fer, généralement 
pointue, d'un cercle plus ou moins décoré et orné, et d'un 
nasel qui couvre et protège le nez. i" Le heaume était en 
acier, le plus souvent brillant, quelquefois doré, ou tout 
au moins enrichi, au cercle et aux arêtes, par des pierres 
fines ou des pierres gemmées d'or. Ce heaume est lacé par 
des liens de cuir qui passent, d'une part, dans une maille 
du haubert et, de l'autre, dans quelques trous pratiqués au 
cercle. Sous le heaume, était la coiffe ou le capuchon du 
haubert. Entre les deux était le capelice, ou calotte de fer 
qui protégeait la tête. 

2" Le haubert était la tunique de mailles qu'on portait 
sur le blialt^ sorte de justaucorps qu'on avait sous le man- 
teau de fourrure, en temps de paix, et sous la brunie ou os- 
berc en temps de guerre. Ce haubert avait des pans parfois 
ornés, à leur partie inférieure, de broderies en or ou saffrés 
qu'on ne devait trouver que sur les hauberts des grands 
personnages. 

3° L'écu était fait de planches assemblées et généralement 
cambrées, auxquelles on donnait parfois une double épais- 



— 25 — 

seur. Sur ce bois, on clouait du cuir et, à Tintérieur, de la 
toile grossière, qui prennent le nom de pêne, La pêne exté- 
rieure était peinte de divers ornements et, au centre, était 
la boucle. C'était une proéminence formée d'une armature 
de fer assez large, munie d'un creux au milieu pour y pla- 
cer une boucle de métal précieux, ou quelque pierre fine, 
ou quelque verroterie. Le chevalier passait son bras dans 
les anses ou les enarmesde Técu et, pendant le combat, il 
le tenait serré contre son corps. Durant la marche, au con- 
traire, il le laissait pendre à son cou. On nommait guige 
la bande d^étofïe ou de cuir qui lui servait à suspendre le 
bouclier, qu*on appelait également targes. 

Il ne faut pas omettre les éperons, placés sur la chaussure 
ordinaire, et dorés, s'ils ne sont d'or pur. Ils sont pointus 
et non à molettes. Ils ont la pointe en forme d'un petit fer 
de lance conique ou d'un losange. 

Le cavalier se servait d'un étrierque l'on tenait à la per- 
sonne qu'on voulait honorer. S'il faut en croire le même 
poème, les selles étaient richement ornées, géminées à or 
ou orées. Les côtés portaient le nom d'alves ou auves ; les 
deux arcs formant la partie principale de la selle s'appelaient 
arçons ou arçonnières, le plus souvent étroites et recour- 
bées. Il y avait les quartiers, coupés en forme de carrés et 
brodés, deux sangles distantes l'une de l'autre, une bande 
de cuir formant le poitrail et garnie de franges, enfin les 
étriers. 

Modifiez cela au gré de la mode ou d'un caprice, et vous 
aurez le costume habituel de tous les cavaliers. Un écrivain 
de talent qui fut en même temps un curieux de nos annales, 
Jules Canonge, décrit ainsi un groupe de Sarrasins : 

« Les sons stridents de l'Albogon et de l'Anafin, mêlés 
au cliquetis des armes, annoncèrent qu'un détachement de 
Sarrasins parcourait la contrée et s'approchait rapidement... 
Les aigrettes des turbans verts se dessinaient déjà derrière 
les ruines. Celui qui marchait à la tête des Sarrasins était 



jeune et beau. Sa large tunique de soie et sa pelisse brodée 
d'argent faisaient valoir l'élégaDce de sa taille et la dignité 
de son maintien. Il ne portait qu'une lance à banderolle 
blanche et une épée de Bordeaux ; armes légères, mais qui, 
dans sa main, avaient toute l'autorité du sceptre et toutes 
les terreurs du glaive. Ce beau guerrier, c'était l'émir Ibin- 
Yussuf, le dominateur d'Arles conquis. A son côté, mais 
à une respectueuse distance, se tenait son lieutenant Ro- 
bastre, vêtu d'une tunique d'écarlate et coiffé d'un bonnet 
indien. Un arc reposait sur ses athlétiques épaules ; une 
massue était appuyée contre le cou musculeux de son gi- 
gantesque cheval, à la selle duquel flottait une fronde. Son 
bouclier, sa cuirasse étaient couverts d'écaitles : barbare 
équipement, moins sauvage cependant que le sombre in- 
cendie de son regard. » (La Chèvre d'or, p. 93-93), 



II 



Monuments 



Les textes que nous venons de citer semblent indiquer 
suffisamment quelles traces dans l'histoire les Sarrasins ont 
laissées de leur long séjour en Provence. 

Celles qu'ils ont laissées dans les monuments ne sont pas 
de moindre importance. Mais il ne faut pas se méprendre 
sur ce mot de monuments et croire qu'il n'a qu'un sens et 
ne saurait désigner que les vestiges matériels de la civilisa- 
tion sarrasine qui subsistent sur le sol ou dans les musées, 
œuvres d'art et travaux publics, tels que murailles, temples, 
colonnes ou tombeaux, etc., etc. Ici, ce mot peut avoir une 
compréhension plus grande et désigner, d'une part, des 
traces non équivoques des ravages qu'ils exercèrent long- 
temps sur leurs passages et, d'autre part, les constructions 
qui furent élevées pour leur résister, ou dans lesquelles ils 
s'établirent eux-mêmes. 

Au cours de la première partie de ce travail, nous avons 
mentionné un certain nombre de villes et de localités, du 
midi de la France et au delà, qui disparurent sous les coups 
des Sarrasins. Depuis Autun, qu*ils détruisirent en 725, en 
se rendant à Sens, sous Tépiscopat d'Ebbon, jusqu'aux 
villes de Fréjns, d'Antibes et de Nice, qu'ils ruinèrent 
complètement en 906, ils ravagèrent tout le pays à des 
époques indéterminées ; tantôt à une invasion, tantôt à 
une autre, les localités comprises dans cet intervalle furent 



— 28 — 

détruites. Certaines furent reconstruites, mais d'autres dis- 
parurent à jamais de la surface du sol provençal. Nous 
avons déjà mentionné les noms de Terracia, Machovilla, 
Bezaudun, Tétéa, Mocton, Cornettum, etc., etc. S'il fallait 
citer les noms des localités que le courage et la patience des 
habitants relevèrent de leurs ruines, on pourrait mention- 
ner ceux de toutes les villes anciennes que baignent encore 
les eaux de la mer provençale, du Rhône, de la Durance 
ou de leurs affluents. 

Car, s'il faut en croire le pieux et savant archiviste des 
Hautes-Alpes, M. l'abbé Paul Guillaume, les bourgades et 
même les plus humbles villages de cette époque étaient 
entourés de murailles et dominés par une tour ou maison 
forte, que Ton désignait sous le nom de Castrum, De plus, 
ce qui est un signe du temps, « les populations, si mal- 
heureuses depuis longtemps, après leur délivrance se je- 
tèrent par gratitude dans les bras de leurs libérateurs et 
s'attachèrent à leur fortune. Ceux-ci leur promirent aide 
et protection pour l'avenir et reçurent, en retour, des 
peuples, l'assurance de leur fidélité et de leur dévoue- 
ment. » 

Le savant archiviste de la Drôme, M. André Lacroix, a 
cru voir, dans ce mouvement de défense, l'origine de la 
Féodalité dans les Alpes et en Provence. C'était, à son 
avis, « l'association des faibles contre les forts. » Pour se 
préserver de nouvelles agressions et parer à d'aussi fâ- 
cheuses éventualités, « châteaux et bourgs se rebâtissent 
au sommet des mamelons escarpés, et s'entourent de mu- 
railles et, au milieu, se rencontre partout l'église romane 
contemporaine. » (i) 

Nombreux, enfin, sont les villages alpins couronnés na- 
guère d'un château, et les bourgades ou villes jadis forti- 
fiées de grosses tours ou d'épaisses murailles, que les guerres 
humaines, plus encore que le poids des ans, ont en partie 

(i) A. Lacroix : le Dauphiné^ année 1878, p. 58 et sec^. 



— 2g — 

détruites. On peut citer, comme exemples : Guillestre, 
Saint-Clément, Châteauroux, Chorges, la Bâtie-Neuve, 
Tallard, Ventavon, Serre, Rosans, Montmorin, Aspres, 
Veynes, Montmaur, etc. 

D'ailleurs, le pieux et savant archiviste des Hautes-Alpes 
a lui-même dressé la liste, par région, des localités de son 
département dont la fondation remonte environ aux X® ou 
XP siècles: elles sont assez voisines de la Provence pour 
que nous puissions les mentionner dans ce travail : 

« Dans le Briançonnais : le château de Briançon, ^^jj- 
trumde Brian7{pne\ le Monêtier-de- Briançon, il/<2>;/â:.9/<?r///»* 
Brianzoni\ Nevache, castrum de Nevaschia\^i\xi\.'-y{2iX\AX\ 
de Queyrières, castrum Queyrertée ; TArgentière, casirum 
de Argenteria ; Vallouise, villa ^ castrum de Valleputa ; le 
château Queyras, castrum Quadracti, 

« Dans TEmbrunnais: Rame, castrum de Rama \ Saint- 
Crépia, castrum Sancti Crispini\ Le Gros, hameau d'Ey- 
gliers, casirum de Crocto\ Guillestre, villa^ castrum de 
Guillestra ; Vars, castrum de Varcio ; Risoul, castrum de 
Rtsolis] Basben, hameau de Risoul, castrum de Balais^ de 
Barbenoq ; Saint-Clément, turris^ castrum Sancti Clemen^ 
lis '^ Kéoiier, castrum de Reor ter io] Châteauroux, turris^ 
castrum Rodulphi ; Embrun, civitas Ebreduni ; Les Orres, 
castrum de Orreis ; Les Crottes, castrum de Crotis ; Savines, 
villa^ castrum de Sabina ; Réallon, castrum de Realono ; 
Prunières, castrum de Pruneriis ; Chorges, villa Cuturi- 
carum^ Caturicas^ Cadorgas\ Montgardin, castrum Montis 
Gardini ; Avançon, castrum de Avansono ; Theus, castrum 
de Theussio ; Breziers, casirum Bricil ou de Briseriis ; 
Rousset, castrum de Rosel ; Espinasse, castrum de Espina- 
cis ; Valserres, castrum de Valseris^ etc. 

Dans le Gapençais: Gap, civitas Vapinci\ Montalquier, 
terroir de Gap, castrum Montis Alquerii\ Rambaud, mon- 
temj castrum Ermenbaldi \ la Bâtie-Vieille, iurris de Bas- 
tida Veteri ; la Bâtie-Neuve, Bastida Nova ; Ancelles, 



— 30 — 

turris de Faudaone^ castrum de Ance1la\ Montorsier, cas- 
trum Montis Orserii\ Buissard, castrum de Buyschart\ 
Laye, castrum de Laya\ La Roche des Arnauds, Rupes Ar^ 
naudorum\ Montmaur, castrum Montis Mauri\ Veynes, 
eastrum de Veneto ; Aspres-les-Veynes, castrum de Asperis ; 
Montbrand, castrum de Montebrando \ Aspremont, castrum 
de Aspero Monte : La Piarre, castrum de Petra ; Sigottier, 
castrum de Sigotiero ; Serres, castrum de Serro ; l'Épine, 
castrum de Spina ; Montmorin, castrum de Monte Maurino ; 
Rosans, castrum de Rosanis ; Trescléoux, castrum de Très-- 
c/eus'^ Orpierre, vt /la de Auripetra\ Barre t, castrum de 
Bareto \ Pomet, castrum de Pometo ; Ribiers, Rispas^ Ri- 
perias Buchn\ Châteauneuf-de-Châtre, Castrum Novum 
de Capr a] Avzelier s, castrum de Arsileriis\ Montéglin, 
castrum de Monte Atglino\ Upaix, castrum de Upaysio \ 
Ventavon, castrum de Ventabono ; Vitro lies, castrum de 
Vitrolle ; La Saulce, castrum de Salice\ Tallard, castrum 
de Talardo ; Sigoyer, castrum de Sigœrio ; Châteauvieux, 
castrum vêtus super Talardum ; Pebautier, Montem ou po^ 
dium Lautern\ Jarjayes, castrum de Gargaia^ etc. > (i) 

Dans une courte et récente étude sur les Arts dans les 
Basses- Alpes ^ il est dit : 

« C'est au sein de cette tourmente que se dressa la tour 
du Mont d'Or, qui veillait ainsi à la sécurité des bourgs qui 
composaient Manosque. Nous devons rattacher à cette 
même époque les vestiges des forteresses qu'on voit àTau- 
lane, Robion, Demandolx, .Soleilhas, Peyroules, Rougon, 
Ubraye, Senez, Blieus, Vauclause, Allons, etc., qui furent 
pour la plupart détruites. 

« Le rôle de ces forteresses est bien démontré par le 
Segnal qu'on trouve à Touest de Castellane. On voit des 

(i) Paul GaiUaume : Recherches historiques sur les Hautes- Alpes ^ a« 
partie, pp. 136 et 7, Paris, A. Picard. — Ce savant a le tort de ne pas 
rappeler le nom de Porto Sarrasino qae portent d'anciennes portes d'Em- 
brun et de Pérignenx, on Porto Mauresco, comme à Narbonne. 



— 31 — 

constructions de la même époque à St-André-de-Méouilles : 
c'est une tour carrée, en forme de clocher, construite avec 
de petites pierres carrées dont la taille est à peine ébauchée, 
et liées entre elles par un ciment tel que le monument est 
bien conservé. Cette tour communiquait avec une chapelle 
dont le sanctuaire existe encore. 

« A trois kilomètres, à l'ouest de Thorame-basse, est 
une tour carrée d'une bien ancienne et très solide cons- 
truction. La montagne de Baruli, près de Castellane, a con- 
servé, en un quartier qui porte le nom des Maures, les 
vestiges d'un château que les Sarrasins firent, dit-on, cons- 
truire. Ce nom, rapproché de celui du Segnal, prouverait 
bien que ce fut contre les Sarrasins, sinon par eux, que 
furent édifiés ces forts et ces châteaux. En cet âge de 
troubles, les monuments avaient moins à parer la cité qu'à 
la défendre. » (i) 

Pour en finir avec le département des Basses- Alpes, nous 
signalerons près de Corbières, sur la colline de Saint-Brice, 
les vestiges d'un camp sarrasin. Lorsque, du sommet des 
hauteurs voisines, on examine cette colline, on suit du re- 
gard le tracé du camp. Les plus vieux habitants du pays se 
souviennent en avoir vu exhumer un nombre considérable 
d'ossements humains. Le voisinage de Tétéa, qui a été com- 
plètement détruite, en amont, le défilé de Mirabeau, en 
aval, expliquent très bien la présence de ce camp sarrasin, 
poste de repos et d'observation d'où ces bandes devaient 
s'élancer sur les caravanes et les fermes des régions envi- 
ronnantes. 

Bien moins que le sol hérissé des Hautes et des Basses- 
Alpes, les plaines riantes du Comtat offraient de ces éléva- 
tions d'où l'œil pouvait embrasser l'horizon, surveiller un 
pays, commander un passage. Aussi, les fortifications qu'on 
dut édifier ailleurs pour résister aux Sarrasins, ou que 
ceux-ci firent construire pour se défendre, furent plus rares 

(i) Les Arts dans les Basses-^Alpes, 



- 32 — 

dans le département de Vaucluse. Sans doute, ils ravagèrent 
ce pays comme les autres. Nous avons dit quelles furent 
leurs dévastations et nous avons déjà donné les noms de 
certaines localités depuis longtemps disparues sous leurs 
coups et leurs efforts. Nous avons dit également quelle 
part prirent à l'expulsion des Sarrasins les régions monta- 
gneuses de ce département, ainsi que leurs seigneurs. Ajou- 
tons que le long séjour que fit en ce terroir la Cour Pon- 
tificale fut pour beaucoup dans la disparition de ces ruines 
d'un passé dont le souvenir subsiste à peine. Carie peuple 
commet parfois de bien grandes confusions : c'est ainsi 
qu'il donne le nom de teule sarrasin à de larges briques 
qu'on trouve dans les sépultures gallo-romaines ; celui de 
toumbo sarrasino qu'on donne à des tombelles antiques, 
consistant en des rangées de pierres plates recouvertes par 
d'autres qui leur servaient de couvertures. On peut citer 
bien des exemples de pareilles confusions : un dolmen 
devient, dans le Languedoc, une lauso di Sarrasin \ de 
même, une voie romaine qu'on trouve près de Cazals, dans 
le Lot, prend le nom de Camin sarrasin^ au lieu de Camin 
roumiéu^ que Ton donne, en Provence, à ces vestiges de 
la civilisation antique. A Saint-Rémy-de-Provence, on 
appelle Ouide-di- Sarrasin^ une partie de l'aqueduc romain 
qui conduisait les eaux des sources de Mollégés à la ville 
d'Arles. C'était lou trau sarrasin^ l'endroit oii ces eaux se 
t jetaient dans le conduit souterrain. Au moyen âge même, 
c'était le Portai dels Sarrasins que l'arc de triomphe de 
cette même ville. Ce nom est prodigué aux vestiges de 
l'antiquité et d'un passé plus ou moins lointain : c'est ainsi 
qu'on appelait tourre Sarrasino certaines tours anciennes, 
bâties le long du littoral, et que l'on croit avoir été desti- 
nées aux signaux et à l'observation de la mer, et Port 
SarrasinÏQ port de Maguelone que détruisit Charles Martel. 
C'était la paret di Sarrasin que l'ancien mur qui protégeait 
Gallargues contre les crues et les inondations, parfois ter- 
ribles, du Vidourle. A Avignon même, en 1504, dit M. 



— 33 — 

F. Mistral, les consuls firent démolir d'énormes murs du 
clos de Pierregort, qui étaient appelés aussi murs dels Sar- 
rasins^ et, près de Noves, un groupe de rochers reçoit, dans 
les anciens titres, la dénomination de « los cavals dels Sar- 
rasins ». Enfin, près de Sault (Vaucluse), on désigne en- 
core aujourd'hui sous le nom de Forgo di Sarrasin (forges 
des Sarrasins), certaines excavations circulaires autour des- 
quelles on rencontre des scories de fer, et, à Montmirail, 
s'élève encore la tour des Sarrasins. 

Dès lors, il n'est pas étonnant que le peuple, qui s'était 
épris d'aiïection pour ces populations brillantes avec les- 
quelles sa nature méridionale avait tant d'affinités, ait songé 
à conserver leur nom à tous ces souvenirs d'un passé au- 
quel les Sarrasins étaient totalement étrangers. D'autre part, 
les dignitaires de la cour pontificale, désireux d'établir 
leurs résidences d'été sur les points les plus agréables de 
la contrée, avaient fait choix de toutes les élévations que 
n'avaient pas encore occupées les seigneurs du pays, et 
firent élever de nouvelles constructions là où les Sarrasins 
avaient édifié des forteresses, dont ils utilisèrent les ma- 
tériaux. 

Nous avons déjà dit quels furent les ravages des Mau- 
grabins dans cette partie de la Provence qui forme aujour- 
d'hui le département des Bouches-du-Rhône. Nous ne 
pouvons dire avec quelque certitude ce qu'ils y ont édifié, 
mais nous pouvons indiquer plusieurs monuments et édi- 
fices dont la construction remonte à l'époque de leur séjour 
en ce pays : les abbayes et les églises fortifiées de Saint- 
Victor, de Montmajour, de Silvacane, des Saintes-Maries- 
de-la-Mer, les murailles crénelées de Fos, qui lui donnent 
l'aspect d'un bourg sarrasin, comme les ruines sarrasines de 
Sainte-Croix, dans le massif de la Sainte-Baume, etc., etc., 
ont des parties qui datent de leur temps. On peut en dire 
autant de telles ou telles parties du château de Vauve- 
nargues, de la ville et du château des Baux, du village 
détruit au moyen âge qui s'élevait antan sur le puech de 

3 



— 34 — 

Valoni, près de Vernègues, surtout de la chapelle deSaint- 
Césaire qui fut élevée au x* siècle contre la façade nord du 
Temple, sans parler des remparts ni des châteaux de 
Noves, où des rochers voisins portent encore le nom de 
Cavals dels Sarrasins^ de ceux de Salon, de Trets, de 
Lamanon, etc. 

A la même époque, certains monuments de la civilisation 
antique furent utilisés par les Sarrasins, et dans cette inten- 
tion reçurent certaines modifications : telles sont, par 
exemple, les Arènes de Nîmes qui portent encore, avec 
des vestiges de constructions intérieures, des traces de 
l'incendie qu'y allumèrent les troupes de Charles Martel; 
les Arènes d'Arles-sur-Rhône et le Théâtre Antique où de 
grosses tours carrées s'élèvent encore sur les arcades 
romaines et surveillent Timmense horizon que limitent au 
nord les chaînes des Alpilles et que bornent à l'est les 
hauteurs qui s'étendent du confluent du Verdon aux portes 
de Marseille. Mais ces tours, et en particulier celle du 
Théâtre Romain, portent le nom de Tourre de Rouland^ en 
souvenir de l'archevêque d'Arles, saint Rotland, mort en 
869, en qui s'incarna la résistance aux Sarrasins. Il est vrai 
que ce nom a été prodigué en Provence à un grand nom- 
bre de curiosités de toutes sortes: lahaumo de Rouland (la 
grotte de Roland) est celui d'une grotte à stalactites située 
près de Mazargues, comme l'Ëspaso de Rouland est la 
dénomination d'une grotte celtique en forme d'épée, sur 
la colline de Cordes, près d'Arles. Dans le théâtre d'Arles 
sont encore debout deux colonnes du proscenium qui 
s'appelaient, au xiii® siècle, li Fourco de Rouland, C'était 
également, pour les troubadours, la mar de Rouland ^"^çy^Q 
ce golfe du Lion où rendit l'âme le prélat d'Arles, prison- 
nier des Sarrasins. Comme exemple de confusion entre 
l'archevêque et le paladin de la cour de Charlemagne, on 
peut citer lou saut de Rouland qui est le nom que l'on 
donne à un escarpement des Alpilles, près de Fonvieille, 
en plein terroir d'Arles, par conséquent. Ce n'est sûrement 



— 35 — 

pas le prélat qui a pu accomplir cette prouesse que le 
légendaire local prête au héros de Roncevaux. Enfin, on 
donne le nom de Tombeau de Roland à un tumulus qui est 
sur le bord du Vigueirat, entre Saint-Gabriel et Arles. S'il 
faut en croire César de Nostre-Dame, c'est là que le célè- 
bre paladin est enterré avec Samson de Bourgogne, à la 
tombe des rois d'Arles. Ce dernier détail indique bien ce 
que nous devons croire de toutes ces dénominations où le 
nom du neveu de Charlemagne se trouve ainsi confondu 
avec celui du digne archevêque d'Arles que l'Eglise a béa- 
tifié, et s'est même substitué à lui, tant l'imagination popu- 
laire s'est exercée sur cette similitude de nom. 

Le département du Var fut, ainsi que nous l'avons déjà 
vu, celui où les Sarrasins résistèrent le plus aux efforts des 
populations provençales désireuses de s'affranchir de la 
domination et des ravages des Maugrabins. Le pays se 
prêtait à merveille à leur genre de guerre avec la série de 
chaînons et de massifs plus ou moins élevés qui s'étagent 
du cap Sicier aux rives escarpées du Verdon, sans oublier 
les importantes chaînes des Maures et de l'Estérel dont les 
roches primitives couvrent de leurs ramifications les côtes 
de la Méditerranée d'où elles s'élèvent par degrés jus- 
qu'aux grandes Alpes de Provence. Nous avons déjà indi- 
qué les phases principales de la conquête et de la domi- 
nation sarrasines. De ce long séjour, sont restés dans le 
pays des vestiges, et non des moins importants, de la civi- 
lisation mauresque. 

C'est ainsi qu'à Cabasse se trouvent les ruines d'un châ- 
teau attribué aux Sarrasins, qu'à Correns est un vieux 
quartier ceint de murailles épaisses et formé de rues 
étroites aboutissant à une place sur laquelle se trouve une 
vieille citadelle ; celle-ci conserve dans son nom de Fort- 
Gibron un souvenir de l'occupation sarrasine (Djebel- 
montagne). A La Garde-Freinet sont les ruines de l'an- 
cieenne forteresse de Freinetou Fraxinet, au sommet d'un 
rocher à pic, d'où les Sarrasins ravagèrent, pendant plus 



- 36 - 

de quatre-vingts ans, les pays d'alentour sur lesquels 
s'étendait leur vue. A Vidauban sont des restes de fortifi- 
cations crénelées, appelés fort des Mures et dans le canton 
du Luc, au lieu dit les MayonSy sont visibles les restes d'un 
camp retranché appelé Castèu dei Mouros^ dont on attri- 
bue la construction aux Sarrasins. De même, à Tourtour, 
dans le canton de Salernes, la Tour de Grimaud rappelle 
une de leurs défaites. Cette nomenclature serait incom- 
plète si nous passions sous silence les noms de Bormes, 
ancien bourg sarrasin qui s'étale en amphithéâtre sur le 
penchant d'une colline couverte d'une admirable végéta- 
tion, de Gassin et de Ramatuelle,qui sont encore de curieux 
villages maures. 

Après tout ce qui a été dit des ravages qu'exercèrent les 
Maugrabins dans ce pays, il est inutile de rappeler encore 
les noms des lieux qu'ils détruisirent. Nous serions d'une 
part obligé de répéter des noms déjà cités et, d'autre part, 
forcé de mentionner des ruines sur la nature desquelles 
plane quelque obscurité. 

Il en est de même des pays qui, dans le département des 
Alpes-Maritimes, s'étagent de la mer aux Alpes. Le littoral 
découpé se prêtait, aussi bien que celui du Var ou des 
Bouches-du-Rhône, au débarquement des barques sarra- 
sines qui trouvaient dans les golfes et les baies des mouil- 
lages propices à cette opération. Les rochers qui bordent 
cette côte leur offraient également des postes d'obser- 
vation qui leur permettaient d'étendre plus loin leurs 
ravages. De proche en proche, ils établissaient leurs re- 
paires sur les points isolés du pays, occupant, selon le cas, 
les châteaux, les couvents ou les monastères. C'est ainsi 
qu'ils habitèrent, à Nice, le quartier du Château avec la 
tour Bellanda qu'ils s'étaient bien gardés de détruire; 
qu'ils occupèrent longtemps Eza, dont le bourg, « bâti 
comme une aire d'oiseau de proie au haut d'un rocher 
ardu, est encore orné de maisons d'origine orientale»; 
qu'ils s'établirent à Mouans-Sartoux, dans les restes plus 



— 37 - 

ou moins restaurés d'un vieil oppidum ligure, ainsi qu'à 
Saorge, dans ceux de deux temples païens qui dominaient 
du haut d*une arête rocheuse les pays d'alentour. Ils occu- 
pèrent également le trophée d'Auguste, à La Turbie, la 
tour de Crivella sur le rocher qui domine la petite ville 
de Breil, le monastère de Saint-Véran, près de l'embou- 
chure du Loup, à Gagnes, le Castrum Massilinum qui cou- 
ronne le sommet du Mont-Chevalier, à Cannes, sans parler 
des auties lieux fortifiés dont la situation et la construction 
rappellent celles d'Eza, comme Peillon, Rimplas, Cas- 
tillon, etc., etc. On ne peut passer sous silence les cita- 
delles et les châteaux où les chefs de la famille des Gri- 
maldi résistèrent aux Sarrasins et d'où ils sortirent pour 
les attaquer et les expulser définitivement du pays. Gri- 
maldi et ses deux fils, Guide et Gibelin, répondirent à 
l'appel du comte de Provence, Guillaume Y\ fils de 
Bason II. et marchèrent contre les infidèles qu'ils délo- 
gèrent du Mont Maure où Gibelin planta son étendard 
victorieux et reçut en récompense de ce signalé service le 
pays, théâtre de ses exploits, autour du golfe de Sambracie 
qui fut, depuis lors, le golfe de Grimaud, tandis que son 
frère Guido était confirmé dans la possession de Monaco. 
Telle, est la simple nomenclature des monuments aux- 
quels se rattachent le nom ou le souvenir -des Sarrasins. 
Sans doute, il en est peut-être d'autres, mais il vaut mieux 
pécher par excès de prudence et ne pas les nommer tous, 
que donner une liste trop longue où certains noms pour- 
raient froisser la délicatesse du sens historique ou critique 
de plusieurs, sans offrir plus d'avantages à celui qui écrit 
ou à celui qui lit : la vérité toute simple et sans souci de 
l'apparat, plaît bien plus que l'erreur la plus fastueuse- 
ment vêtue. 



III 



Les Mœurs 



Pressés entre les hommes da Nord et les Orientaux, les 
habitants de la Provence avaient donné de préférence leur 
sympathie aux Sarrasins avec lesquels leur nature méri- 
dionale avait plus d'affinité et de rapport, qu'aux Francs et 
aux Austrasiens d'où les détournaient de vieilles antipa- 
thies nationales que n'avait pu effacer la communauté de 
religion. D'ailleurs, la nature expansive des populations 
provençales se laissait facilement séduire par les dehors 
brillants de la civilisation nouvelle que les Sarrasins im- 
portaient d'Orient et d'Espagne. Ainsi se justifie la légende 
qu'a popularisée le talent exquis de Paul Arène dans Vingt 
jours en Tunisie. C'est le Puits des Sarrasins où les belles 
filles paresseuses vont, la cruche sur l'épaule, se faire enle- 
ver par les forbans. 

De cet attrait mystérieux, on cite de fameux exemples : 
La légende du Languedoc rapporte que la fille naturelle 
du comte Alphonse de Toulouse, que celui-ci avait em- 
menée à la croisade, épousa, aux pays levantins, le sultan 
Nourreddin; de même, celle de Provence veut que la 
mère de Mahomet II ait été une Marseillaise du quartier 
Saint-Jean. 

Mais, en dépit de l'attrait qu'exerçaient les Sarrasins, les 
Maures et les Arabes sur les populations vives et enthou- 
siastes de la Provence et du Midi, il n'y a pas en France, 
s'il faut en croire M. Reinaud, de groupement qui puisse 
tirer son origine des Sarrasins. Cette affirmation est peut- 
être trop catégorique, car il est difficile d'admettre que des 
peuples expansifs et sympathiques comme l'étaient pour 
les Provençaux les fidèles de Mahomet, aient pu séjourner 



— 39 — 

deux ou trois cents ans dans le pays, sans y laisser de reje- 
tons. Car, sans parler des lieux ou des accidents de pays 
auxquels leurs noms et leur souvenir se trouvent attachés, 
il y a bien des groupes de populations qui ont conservé 
jusqu'à nos jours non pas le nom, mais le type sarrasin. 

Ainsi, d'après une tradition reçue dans le pays, on 
regarde comme étant d'origine sarrasine, les habitants du 
village d'Uchizy, situé à environ 20 kilomètres de Mâcon. 
Ils portent le nom de Chizerots', ne se marient guère 
qu'entre eux et ont conservé quelques coutumes bizarres. 

Il en est de même des habitants deMalemort (Vaucluse), 
aux lieux où s'élevait jadis Machoville, qu'on désigne sous 
le nom des Espagnols. Ce vocable pourrait venir d'une des 
troupes d'Espagnols qui, sous le règne de Louis le Débon- 
naire, se réfugièrent dans le midi de la France et furent 
autorisés à s'y établir avec leurs comtes, qui devaient con- 
tinuer à les gouverner. Mais la seigneurie de Malemort 
appartenait depuis longtemps à Tévêque de Carpentras, 
en vertu de la donation que Charles de Provence avait 
faite à l'évêque Jean (857) (i). Il est difficile d'admettre 
que le chef espagnol qui commandait cette troupe eût si tôt 
disparu. Dès lors, on peut conjecturer que c'étaient des 
Sarrasins venus d'Espagne qui s'étaient établis dans ce pays 
et y avaient fait souche. En effet, les habitants de cette 
localité rappellent assez le type sarrasin pour justifier une 
pareille supposition. Félix Gras, le regretté capoulier du 
Félibrige, dont le buste s'élève sur la roche des Doms, et 
sa digne sœur, Mme veuve Roumanille, en sont les dignes 
représentants. 

Un homme qui fut tout à la fois un archéologue, un 
poète et surtout un curieux, au sens qu'on donnait jadis à 
ce mot, Jules Canonge, retrouvait ce type dans la beauté 
des filles d'Arles. D'après lui, « Arles moderne a gardé le 
prestige de ses anciens jours. Ce qui, dans cette ville, 
éblouit surtout l'étranger, ce qui le captive, le fait soupirer 

(i) Cartulaire de révêché de Carpentras n* ï. 



— 40 — 

au départ et désirer ardemment le retour, c'est la beauté 
des femmes... Il n'est pas rare d'y rencontrer les trois 
types grec, romain et sarrasin, dansleur pureté originelle... 
Pouvez-vous, enfin, sans rêver à TEspagne et à TOrient, 
voir la sémillante allure, l'œil de gazelle, le teint doré de 
cette jeune femme dont la taille svelte semble onduler à 
travers les galeries mauresques du Cloître avec la souplesse 
du palmier balancé par la brise ? Ces analogies physiques 
sont rendues encore plus manifestes par l'analyse dans les 
caractères : ...TArlésienne a la grâce coquette de l'Espa- 
gnole, la brûlante et profonde passion des sœurs de Gul- 
nare et de Zuleïka. Voisin du port et habité par les marins, 
le faubourg de la Roquette donne leur nom aux Roquet- 
tières. C'est une race à part et peut-être plus franchement 
provençale que les deux autres ; c'est la plus remuante, la 
plus espiègle, la plus audacieuse fraction de la population 
féminine d'Arles. La Roquettière est en général mignonne 
et bien tournée ; c'est surtout dans son faubourg que vous 
rencontrez des yeux pétillants, des nez mutinement 
retroussés et des lèvres toujours rieuses. » (i). 

A côté d'Arles, les plaines et les marécages de la 
Camargue ont conservé jusqu'à nos jours une race de 
chevaux dont l'élégance des formes, la finesse des atta- 
ches rappellent les origines arabes. Les poètes se sont 
emparés de cette identité des formes et, se rappelant le 
séjour des Sarrasins au pays de Mauronte, ont essayé de 
raconter, chacun à sa manière, l'arrivée de ces chevaux 
dans la région du Bas-Rhône et d'en expliquer ainsi 
l'origine. 

Les femmes d'Arles et les chevaux de Camargue ne sont 
pas les seuls vestiges qui soient restés du passage et du 
séjour des Sarrasins en Provence. S'il faut en croire une 
tradition, un grand nombre de ces envahisseurs, séduits 
par la beauté du pays, la douceur du climat et d'autres 

(x) J. Canon^e : Arles en France^ introduction 4-5, 6-7. 



^ Aia^'*. ..•; ÀM 



- 41 ~ 

charmes peut-être plus attachants, plutôt que de quitter la 
Provence ou la vie, se convertirent au christianisme. De ce 
côté des Pyrénées, comme au delà, on donna à ces néo- 
chrétiens et à leurs descendants un nom générique iden- 
tique, les Marran^ qui rappelle assez leurs origines mau- 
resques. Ils entrèrent en servitude chez les grands seigneurs 
du pays. Longtemps, en effet, jusqu'à la fin du xv*" siècle, 
par exemple, les riches familles provençales possédèrent 
des esclaves maures. Un érudit Provençal dont Téloge 
n'est plus à faire, M. Emile Fassin, à l'heure actuelle con- 
seiller à la Cour d*Appel d'Aix, en a donné de nombreux 
exemples dans le Bulletin Archéologique et dans le Musée 
Arlésien, 

Le rituel de l'église de Rognes, près duquel on montre 
le Val des Maures^ prescrit la célébration d'un service 
religieux pour les victimes des Sarrasins. 

Après la pluie, le beau temps ! Le rire suit de près les 
pleurs. Si certaines populations conservent encore le sou- 
venir des deuils qu'ont apportés dans le pays les invasions 
musulmanes des ix' et x** siècles, d'autres ont gardé celui 
des danses et des fêtes. C'est ainsi qu'au village d'Istres se 
danse encore la Moresque qui faisait jadis les délices de 
tous les romérages de la Provence et qui a conservé d'an- 
ciennes figures dues aux Sarrasins. 

Dans la même région de l'étang de Berre se danse éga- 
lement une autre pantomime qui a reçu, selon les endroits, 
la dénomination de Folies espagnoles ou celle du Jeu des 
épées et qui serait un reste du séjour de ces conquérants. 

Un jeune homme, un Espagnol, et une jeune espagnole 
se tiennent au milieu d'un cercle formé par dix, douze ou 
quatorze jeunes gens armés de sabres de bois. Fou d'amour, 
le jouvenceau courtise la jouvencelle qui fait le semblant 
de ne point s'inquiéter de luî et l'excite encore plus par 
ses refus. Celui-ci, désespéré, frappe d'un coup de poi- 
gnard la cruelle qui tombe évanouie, à demi morte. Alors, 
le sauvage amoureux, par ses vives protestations, obtient 



— 42 — 

le pardon ainsi que l'amour de la belle qui, en fin de 
compte, revient à la vie et à l'affection du jeune amant. 
Elle a été touchée, non par les belles paroles, mais par les 
gestes énamourés que lui adresse le jeune Espagnol. Pen- 
dant ce temps, les danseurs tournent en rond, s'agitent 
autour du jeune couple, marquent le pas, font le moulinet 
et ferraillent avec leurs sabres de bois chaque fois qu'ils se 
rencontrent, symbole de bataille qui dure ainsi jusqu'à la 
fin de la pantomime. 

Un écrivain d'élite qui a su s'inspirer de ces traditions, 
l'exquis Paul Arène, décrit, dans ^2, Chèvre d' or ^ une danse 
d'hommes présidée par un Turc en turban. 

L'influence des Sarrasins ne s'est point arrêtée là. Sui- 
vant les uns, experts dans les délicatesses de l'harmonie, 
elle se serait exercée sur la musique, soit, comme nous le 
verrons plus loin, en donnant leur nom au tambour et au 
tambourin, soit en conservant certains rythmes particuliers 
dont Bizet s'est inspiré et qu'il a conservés dans Carmen (i). 
Suivant d'autres, plus soucieux de poésie que de musique, 
nous devrions aux Arabes, ce qui n'est pas absolument 
prouvé, le poème, le conte ^ la ghasèle et la casside. 

Il y avait, chez les Orientaux, deux sortes de poèmes : 
le poème héroïque et le poème fantastique. Le premier 
servait à raconter la vie et les exploits d'un guerrier fa- 
meux, d'un homme illustre par ses talents ou ses vertus. 
Le second se confond avec le conte. C'était une œuvre 
toute d'imagination et de cette imagination brillante et 
colorée que peut seul inspirer le soleil de l'Orient. Là, 
toutes les pensées semblent avoir été sculptées dans le 
marbre ou coulées dans le bronze. Car, s'il faut en croire 
les Orientalistes, la langue arabe parle à la fois à l'œil, à 
la main, à l'esprit et au cœur. Ce serait une cassette d'où 
ruisselleraient à profusion les gemmes les plus brillantes 

(i) Voir notamment la habanera « L'Amour est enfant de bohème », 
dont la mesure, binaire au premier temps, est ternaire au deuxième 
(i,a-i,3,3). 



— 43 — 

et les perles les plus précieuses magnifiquement enchâssées 
dans un style si merveilleusement travaillé que nous en 
sommes éblouis. 

Le conte, qui est une œuvre d'imagination comme le 
poème fantastique avec lequel il se confond, tenait lieu de 
poème dramatique. L'odalisque, au fond du harem, en 
amusait l'oisiveté du sultan que Téclat de ses charmes avait 
attiré près d'elle ; et au milieu de la place publique, un 
homme peut charmer, pendant des heures entières, une 
foule attentive par quelques-uns des rêves de sa nuit. 

Mais le poème héroïque se confond avec Vépopée des 
Grecs et des Latins; le poème fantastique et le conte 
s'identifient également avec telle ou telle composition des 
anciens. 

La ghazelle elle-même se rapproche aussi de l'élégie des 
Grecs et de l'ode telle que la concevaient Alcée, Sapho 
ou Anacréon. C'était une odelette amoureuse qu'un amant 
adressait à la femme qui régnait sur son cœur. Le titre 
même de ce genre de composition dit bien tout ce qu'il 
doit y avoir de timide, de doux, de tendre et de sensible 
dans ce chant. Car ces sentiments si délicats qui se trouvent 
si divinement exprimés dans les doux yeux de la gazelle 
sont ceux que Ton admire dans ces petits poèmes dont les 
Canzoni de Pétrarque peuvent nous donner une idée. Ce 
genre de poésie ne pouvait renfermer moins de sept dis- 
tiques ni plus de treize. 

La casside était une idylle guerrière ou sentimentale, de 
vingt à cent distiques. 

Mais ce qui distingue tous ces genres de poèmes, ce n'est 
pas seulement la variété des images dans l'expression d'un 
même sentiment ni la variété de l'harmonie dans la même 
mesure de vers, mais, ce qui est plus conforme à notre 
idéal poétique, le goût de la gêne, si Ton peut dire, le 
goût de la rime. 

La rime, en effet, est tout orientale. Les Grecs et les 
Latins l'ignoraient, quoi qu'on ait voulu prouver le con- 



— 44 — 

traire. Ce que Ton trouve dans quelques poèmes latins de 
la décadence, ce sont quelques consonnances semblables, 
plutôt produites par un hasard ou par un caprice inexpli- 
qué que par une intention régulière et formulée. Si dans 
certaines pièces latines on trouve une apparence de rime, 
c'est parce que le besoin du chant l'exigeait, tant il semble 
que la cadence des mêmes sons soit indispensable pour 
l'harmonie musicale. 

Sans doute on peut trouver dans les siècles contempo- 
rains de la littérature arabe quelques poèmes latins rimes. 
Mais ce ne sont que des exceptions qui ne peuvent nous 
faire admettre que les Latins connaissaient la rime, qu'ils 
en avaient le parfait sentiment, qu'ils en sentaient le be- 
soin et en appréciaient les avantages. Aucun des grands 
poètes connus, aucun de ceux qui ont établi les règles et 
ont servi de modèles, ne paraît s'être douté du profit que 
l'harmonie poétique pouvait tirer de la rime asservie à des 
règles constantes. 

Les poésies des Arabes sont rimées suivant deux natures 
de règles : les unes sont absolues et adoptées, en général, 
surtout pour certains sujets; les autres sont facultatives et 
inspirées par le caprice du poète qu'elles dominent cepen- 
dant durant toute la pièce. Les premières employaient des 
vers alternativement masculins et féminins, de telle sorte 
que les impairs étaient tous de même rime et de même 
longueur jusqu'à la fin, et ainsi des pairs. Ce qui ne faisait 
que deux rimes différentes pour toute la pièce, comme le 
dizain provençal de l'empereur d'Allemagne Frédéric I*"" 
(1152-1190). Dans les secondes, on variait à l'infini les jeux 
de poésie comme dans la Sixtine ou la Retroensa. 

Mais la poésie provençale, si l'on excepte le poème 
héroïque, se trouva privée d'un grand ressort, et pour faire 
du nouveau, ceux qui avaient du talent pour les vers, dési- 
reux de trouver des sources d'intérêt et d'agrément, cru- 
rent les trouver dans la recherche outrée du rythme et des 
rimes, dans les jeux exagérés de l'esprit. Ils voulurent 



— 45 — 

donner à leur pensée un air de grandeur et de délicatesse 
en la retournant, en la reproduisant sous toutes les formes 
imaginables. Ils ont prodigué les antithèses, les méta- 
phores, les ornements les plus étudiés et ont essayé de pro- 
duire une harmonie qui flatte Toreille et supplée le plus 
souvent au vide des pensées et des beautés solides. 

Le poème héroïque, au contraire, doit beaucoup aux 
Sarrasins. La légende provençale composée sur la fonda- 
tion de Tabbaye de Conques, dans le Rouergue, repose 
entièrement sur l'hypothèse d'une guerre contre les Arabes 
et les montagnards du Rouergue. 

La chronique d'un chevalier toulousain au début du 
xi*" siècle, fait allusion à des faits de l'histoire des Arabes 
d'Espagne. 

Guillaume VI de Montpellier est le héros d'un poème 
provençal que Gariel, le plus ancien historien de cette 
ville, avait vu. 

Raymond de Bousquet était également celui d'une autre 
épopée qui montrait bien Tadmiration et la curiosité 
qu'inspiraient alors les Arabes d'Espagne aux peuples du 
Midi. 

On pourrait en citer bien d'autres exemples plus pro- 
bants les uns que les autres. Car, s'il faut en croire les 
nombreux provençalisants qui ont fureté dans nos riches 
collections de manuscrits du moyen âge, longue, fort lon- 
gue serait la simple nomenclature des chansons de gestes 
en langue méridionale qui ont pour sujets les guerres lon- 
gues et opiniâtres des Sarrasins d'Espagne et des chrétiens 
du Midi de la France, sous la conduite d'Aimeri de Nar- 
bonne et de ses descendants dont Guillaume au court-nes 
fut le plus illustre. Le roman de ce nom ne compte pas 
moins de quatre-vingt mille vers et de quinze parties qui 
se suivent dans l'ordre chronologique des événements et 
des personnes. Il ne faut donc pas négliger cet apport et 
cette contribution des populations sarrasines à la littéra- 
ture méridionale. 



- 46 - 

En somme, les terribles et brillants envahisseurs des 
IX* siècle et suivants ont laissé dans les mœurs du Midi et 
particulièrement de la Provence des traces indéniables de 
leur passage : ce sont tout d'abord, par endroits, des 
groupes de population et des types maures; ailleurs, des 
coursiers rapides et fringants; autre part, un office reli- 
gieux ; un peu partout, des danses et des jeux. Des instru- 
ments de musique et des rythmes musicaux ou poétiques, 
des sujets de romans et de chansons de gestes en complè- 
tent la sèche nomenclature. 



IV 

Langue 



La langue, comme les mœurs, a conservé des traces du 
long séjour que firent les Sarrasins en Provence. Nous 
classerons en trois groupes ces épaves du passé : 

A. les noms de lieux; B. les noms de famille; C. les 
termes usuels. 



Comme noms de lieux, nous pouvons tout d'abord citer 
hors de la Provence : 

Arabaux (Ariège); Barbaresque (La), nom d'une fontaine 
à Nant (Aveyron) ; Font-Barberine ; Fort-Sarrasin (Ain); 
Gibre, montagne (Hérault); Gibret, mamelon (Hérault) 
(Djebel-montagne); Malras, Mauras (Aude) ;Mauran (Hte- 
Garonne); Maurens (Dordogne, Haute-Garonne, Gers, 
Tarn); Maures (Trous des), anciens puits d'exploitations 
minières dans les Pyrénées et dans les Alpes ; Mauresque 
(Porte), à Narbonne; Maureville (Haute-Garonne); Mau- 
rian (N.-D. de), (Hérault); Maurin (Hérault, Landes); 
Maurin (St), près d'Agen (Lot-et-Garonne); Maurines 
(Cantal); Maurinie (La) (Cantal); Mauroux, en Gascogne; 
Maurs (Cantal); Maury (Basses-Pyrénées); Moro (Porte 
del), à Cahors; Montmorel, près d'Avranches (Manche); 
Mouragne (Ariège) ; Mourens (Gironde); Moureux (Basses- 
Pyrénées) ; Mourèze (Hérault) ; Puymorins, dans les Pyré- 
nées; Rochemaure (Ardèche); Roquemaure (Gard); Sar- 
razin, rivière du jura; Sarrazain (^Gers); Sarrazac (Lot, 
Dordogne); Sarraziet (Landes). 

Et dans la Provence même ou aux portes de la Provence, 
nous relevons les noms suivants : 



- 48 - 

Château-Sarrasin, dans le Champsaur; Fort-Gibron 
(Var); Mauragne, montagne près d'Apt (Vaucluse) ; 
Maures (Les), forêt qu'on appelait jadis vallis nigra^ dans 
la vallée de Barcelonnette; Maures (Les), quartier de Cas- 
tellane; Maures (Les) hameau près de Seyne-les-Alpes ; 
Maures (Le trou des), rocher percé à travers lequel passait 
l'ancien aqueduc de la Traconade, près de Jonques (Bou- 
ches-du-Rhône) ; Maures (château des), dans le canton du 
Luc (Var); Maureisse, près de Guillestre (Hautes- Alpes); 
Mauren (col de), dans les Alpes; Maurin, près de Saint- 
Paul (Basses-Alpes) ; Mûres (fort des(, près de Vidauban 
(Var); Montmaur, canton de Veynes (Hautes-Alpes); 
Montmorin, dans le canton de Serres (Hautes-Alpes); 
Mornes ou Mournès, quartier des Saintes-Mariés; Puy- 
maure, près de Gap ; Puymore, dans le Champsaur. 

Mais le nom le plus connu est, sans contredit, celui de 
\^ Montagne des Maures^ qui rappelle assez le séjour de ce 
peuple envahisseur. Tel est Tavis du géographe Elisée 
Reclus {Géographie Universelle^ II, La France) corroboré 
par celui de M. Paul GafFarel {Le Soi de la France^ 
(pp. 249 etc.). Certains prétendent, au contraire, que ce 
nom est antérieur à l'arrivée des Sarrasins dans le pays et 
qu'il fut donné à cette chaîne de montagnes par les Grecs 
qui colonisèrent toute la côte de la Gaule depuis les Pyré- 
nées jusqu'aux Alpes. Les Grecs l'appelèrent ainsi à cause 
de sa coloration. Ce nom s'applique fort bien à la Vallis 
nigra^ voisine de Barcelonnette et pourrait s'appliquer 
également aux forêts de pins au sombre feuillage qui s'éten- 
dent entre Grasse et Hyères. « Grammatici certant, dirait 
Horace, et adhuc sub judice lis est». Cependant, les par- 
tisans de l'étymologie grecque devraient nous apporter des 
textes de géographes anciens pour justifier leur opinion. 
Jusqu'à plus ample information, nous pouvons la tenir 
pour suspecte. 

B 

Comme noms de familles, nous citerons ; 



— 49 — 



Barbari ; Barbarin ; Barberin ; Barberini, famille illustre 
de Rome; Gibre, famille languedocienne; Larabit; Mar- 
ran, nom donné aux Maures chrétiens ; Maumet; Mauran, 
famille provençale; Maurand; Maurandi ; Mauias, famille 
du Dauphiné; Maurat, famille du Limousin; Maure (Jean- 
Joseph, d'Arles, 1663, mort à Paris, 1728, ami de Mas- 
sillon); Maureau; Maurel; Maurent, famille du Dauphiné 
Maures ; Maurio ; Maurin; Maurou ; Maurran; Maurras 
Moran ; Morand; Morandi; Morandy; More; Moreau 
Moriau; Moriaux ; Morel; Morenas; Moret; Morisque 
Moural; Mouralis ; Mouravit, nom de famille gascon 
Moure; Mourenas ; Mouriau ; Mourou ; Sarrasin ; Sarrazin 

Sarrasy, etc. 

C 

Termes usuels 

Provençal Arabe Français 



Amirau 


Amir al (le chef) 


Amiral. 


Amalu 


Amaluc 


Croupion. 


Asard 


Al sar (le dé) 


Hasard. 


Aujubis 


Algibiz 


Raisin mielleux. 


Boutoun 


Bôthor 


Bouton. 


Cafèr 


Cafer 


Sacripant. 


Crida sebo 


Seibou (assez, 






il suffit) 


Crier grâce. 


A la babala 


Bab Allah 


A la grâce de Dieu. 


Atahut 


Tabout 


Cercueil. 


Arsena, (arsenal) 


Al ssanas 


Fabrique.' 


Quitran 


Quitran 


Goudron. 


Aufo 


Alfa 


Sparte. 


Basar. 


Bazar 


Troc, marché en 
bloc. 


A jabo 


Djaba (gd marché) 


A profusion. 


Ramadan 


Ramadan 


Sabbat. 


Trescalau 


Trescalau 


Mille-pertuis. 


Salamalec 


Salam ala ka 






(salut sur toi) 


Salutations. 



— 50 — 



Jaussemin 


lasmin 


Sarrazin 


Sharaka (s 


Espinar 


Isfinadj 


Tambour 


Toubour 


Sirop 


Charab 


Arange 


Narandj 


Safran 


Zà feran 


Girafo. 


Zerafa 


auxquels certains 


ajoutent les 


pruntent, comme 


Mary-Lafon 


ou du Caire : 




Gip 


Gips 


Forn 


Forn 


Camel 


Gâmel 


Ligan 


Ligan 


Limoun 


Leymoun 


Poutoun 


Bous 


Bardo 


Bardââb 


Berdoun 


Berdounn 


Cresta 


Khetten 


Carreto 


Kerrâtah 


Endivo 


Endib 


Gorp 


Gorbân 


Mesquin 


Meskyn 


Nanaï 


Nam, nais 


Cacha 


Gachar 


Raco 


Raqs 


Secado 


Sekhanah 


Saca 


Saquatt 


Sabato 


Sabatt 


Mirau 


Mirary 


Salado 


Salatha 


Serfuei 


Serfoull 


Camiso 


Q.uamise 



Jasmin. 
Sharaka (s'est levé) L'homme du pays 

où se lèvelesoleiL 
Epinard. 
Tambour. 
Sirop. 
Orange. 
Safran. 
Girafe. 



Plâtre. 

Four. 

Chameau. 

Licol, lien. 

Citron. 

Baiser. 

Selle d'âne. 

Chardonneret. 

Châtrei . 

Charrette. 

Chicorée, endive. 

Corbeau. 

Malheureux. 

Lit. 

S'écorcher. 

Amusement. 

Sécheresse. 

Donner un coup 

violent. 
Chaussure. 
Miroir. 
Salade. 
Cerfeuil. 
Chemise. 



— 51 — 

Mais il n'est pas prouvé que ces termes aient été im- 
portés en France et surtout en Provence par les Sarrasins 
du ix^ siècle. Il y eut, en effet, durant tout le moyen âge, 
des rapports constants entre les deux rivages méditerra- 
néens d'Afrique et d'Europe. Il ne serait donc pas impos- 
sible que cette longue promiscuité ait provoqué un échange 
de mots et d'expressions qu'un long usage ait faits com- 
muns. A entrer dans cette voie, il faudrait épuiser tout le 
vocabulaire sabir ^ sans avoir la certitude de ne citer que 
des mots d'origine sarrasine et médiévale. 



Conclusion 

Nous voici parvenu au terme de la tâche que nous nous 
étions imposée. Nous avons essayé de relever, chemin fai- 
sant, les traces que les Sarrasins des viii^ et xi* siècles ont 
laissées tour à tour dans l'histoire, dans les monuments, 
dans les mœurs et dans la langue de Provence. Ces ves- 
tiges ne sont pas toujours ni bien évidents ni bien appa- 
rents. Aussi en avons-nous omis peut-être beaucoup, mais 
nous avons pensé que dans un travail de ce genre, on ne 
saurait être trop prudent et qu'à mériter un reproche, il 
valait mieux que ce fût celui-là que celui d'une trop facile 
crédulité. Voilà pourquoi, toutes les fois qu'il pouvait y 
avoir quelque doute, nous n'avons pas hésité à suspendre 
notre jugement, laissant à de plus expérimentés que nous 
le soin de donner une réponse définitive. 

Nous avons fait plus : lorsque ceux qui avaient sur nous 
l'autorité de l'expérience et de la science exprimaient une 
opinion catégorique sur un sujet et heurtaient de la sorte 
une opinion différente qui ne paraissait pas tout à fait sans 
fondement, nous avons donné leur avis auquel nous nous 
sommes franchement rallié, mais nous n'avons pas oublié 
de mentionner l'opinion divergente, sans craindre de dire 
ce qui militait en sa faveur et ce qui y faisait tort. 



Si nous n'avons pas cru devoir donner une opinion défi- 
nitive, c'est que nous n'avons aucune prétention au titre 
d'éruditou d'historien. Nous ne sommes qu'un modeste 
curieux, justement soucieux de recueillir sur un pays qu'il 
aime, et de classer comme il convient, les épaves d'un passé 
lointain que des générations éteintes ont piétinées à plai- 
sir, sans essayer de conserver pour l'histoire et pour l'ave- 
nir ces traces à demi effacées d'une population qui nous a 
précédés dans ce beau pays de Provence. Trop heureux si 
dans notre œuvre de curieux, nous nous sommes montré 
justement soucieux de rechercher la vérité et de la suivre 
pas à pas dans ce dédale de légendes et d'opinions diver- 
gentes dont chacun essaie d'envelopper et d'embellir ses 
origines et son berceau. Nous laissons aux poètes le soin 
de glaner et de tresser les mille et une fleurs d'un légen- 
daire provençal et sarrasin au milieu des ruines que nous 
venons de parcourir : le curieux note au passage ce qu'il 
voit et n'accepte que ce que son esprit critique lui permet 
d'admettre dans un classement sérieux et judicieux. 



Imprimerie L. Duc & Cie, 125, rue du Cliorche-Midi, Parii 



.s 



'm