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Full text of "Deux comedies turques de Mirza Fèth-Ali Akhordzadè"

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DEUX 



COMĆDIES TUROUES 



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Tire d quin^e exemplaires sur Hollande 



No 




LE PUY. — IMPRIMERfE MARCHESSOU FILS 'J 



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DEUX 



COMfiDIES TURQUES 

DE 
MIRZA FŽTH-ALl AKHOND-ZADE 

TRADUITES POUR LA PRBMIERE POIS EN FRANCAIS D'aPRES l'eDITION 
ORIGINALE DE TIFLISET LA VERSION PERSANE DE MIRZA-DJA'FER 



PAR 

ALPHONSE CILLIĆRE 

Attachć au Minist&re des Affaires Etrang^res. 




PARIŠ 
ERNEST LEROUX, EDITEUR 

28, RUE BONAPARTE, 28 
1888 



TU 



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1 »- - 







ci 



INTRODUCTION 



LE THĆATRE DAHS L^ORIENT MUSULMAN 



V 



f 




Es Arabes, les Turcs et les Persans 
connaissent'ils le tMdtre et possd^ 
dent-ils une littćrature dramati" 
que? Si Von entend par Id le thedtre tel 
que nous le comprenons en Europe^ avec 
des decors et des costumes, des acteurs 
dont c'est le metier de representer des 
pičces, et des pičces ćcrites poitr amuser 
ou emouvoir lepublic^ si c*est Id ce qu*on 
entend par thćdtre^ on peut dire que les 
Orientaux musulmans ne le connaissent 
pas. 

En Turquie, d part quelques traduc- 
tions de comćdies francaišes empruntćes 



II INTRODUCTION 



geniralement ^ Molišre ', i Sardou ou 
d Dumas; dpart quelques plates imita- 
tions de nos comćdies et đe nos drames 
europćens, parues pour la plupart en 
feuilletons aans les journaux de Cons- 
tantinople, nous ne trouvons gučre d'au^ 
tre spectacle populaire et original que 
Qara-Gueuz *, le Polichinelle de VOrtent 
musulman, et un certain nombre defar- 
ces et de bouffonneries, sans la moindre 
prćtention litt^raire* Les pays de langue 
arabe ne sontpas mieux partages, et c'est 
encore Qara-Gueui ^ut fait les dilices 
de lapopulace ćgyptienne^ tandis que les 
hautes classes et les membres des colonies 
ćtrangeres vont icouter les opiras ita^ 
liens ou franqais, En Perse, nous trou- 
vons quelque chose de mieux : un thćdtre 
vraiment national et qui tient, pour ainsi 
dire, au cosur mSme de la patrie. Mats^ 
il jr a loin des drames religieux de la 
Perse moderne d Vidće qu'on se fait en 
Europe d'un drame ou d'une com/die. 
Les Persans en sont encore aux spect^* 
cles de nos ateux, aux farces et aux mys- 
tćres du Moyen*Age; leurart dramatique 
est un art enfant, ce qui ne Vempšche pas 

1. Moliere a ćte traduit en ture sous la direc« 
rection de S. E. Ahmed V6fiq pacha, ancien 
grand vizir; la traduction a con$ervć une partle 
des qualitć8 et des mćritea de l'of^iginal. 

2. Qara''Gueu}^\ en ture : ceU noir. 



a ^. ^ -^^ 



INTRODUGTION III 



d*itrefort remarguahle d^d, et ce qui le 
rend peut-etre flus curieux a etudter. ^ 
Nous allonsjeter un rapide coup'd'ml 
sur les divers genres de spectacles de 
rOrient musulman^ avant de pr4senter 
au lecteur les comćdies dont nous lui 
offrons la traduction. 






Pendant longtemps^ les ta zies ^> <m dra* 
mes religieux de la Perse, ont ćU pres^ 

?ue ignoris du public europ^en. Les 
)rientalistes avaient didaignć de s'en 
occuper, et les quelques vqyageurs qui 
en avaient fait mention, s'^taient bornis 
d une description rapide de ces specta- 
cles. Pour la nugeure partie des lecteur s 
europeens, le petit volume de M. A* 
Chodiko ^ aitć une rivćlation. 

Cependanty dans son remarauable ou^ 
vrage sur les religions et les vMlosophies 
dans VAsie centrale ', M. le comte de 

t. Le mot ta'!(t€ signifie, en arabe, condol^n- 
cea, Uunentations sur U mort de quelqu*un. 

2. Thedtre persarit choix de tćazićs ou drames, 
traduits pour la premi^re fois du persan, par 
A. Chodzko. Pariš, Ernest Leroux, 1878. 

3. l^s religions et les philosophies dans VAsie 
centrale, par M. le comte de Gobineau, ministre 
de France a Athenes. Pariš, Didier, i863| p. 405 
et suiv. 



IV INTRODUCTION 



Gobineau s'itait dćjit occupć de ce sujet 
et U nous avait donnć une traduction 
pleine de vie et de couleur d'un mystšre 
persan « Les noces de Kassem. » 

Un fait a noter tout d'abord, c'est que 
ce mouvement dramatique est r^cent en 
Perse : U remonte d peine aux premišres 
annćes de ce stčcle, ou a la fin du stide 
dernier. Mais, avant d*examiner les 
ta\ičs aupoint de vue de la forme litti' 
raire, U nous /aut rappeler rapidement 
les ćvenements historiques aui enforment 
le thčme et le sujet invariables. 






Mahomet itait mort sans avoir disigni 
son successeur. II n'avait point de fils. 11 
ne laissait qu*une fillcj Fatima, quil 
avait mariee a son cousin Ali, fils d'A- 
bou-Talib, lepremier Arabe qui eUt em- 
brassi la foi de V Islam ety ae tous ses 
discipleSf le plus ardent, le plus ginć- 
reux, le plus devou^. Le principe dhire* 
ditć plaisait peu d la race arabe et^ 
malgre quelques hćdis * inventćs apris 
coup, Mahomet ne parati pas avoir songć 
d assurer le khalifat a sa famille. En 

i. Trađitions concernant les paroles ou les ac- 
tes du Prophčte. 



INTRODUCTION 



tout cas, ce que Mahomet avait bien sou" 
vent affirmi^ c'est sa vive affection pour 
son cousin^ la haute estime qu'il avait de 
ses vertus et de son courage. II levlaqait 
aU'dessus des autres Ansars ^ et nenfai* 
sait pas mystčre. Si la parentć du Pro^ 
phčte rietaitpas auxyeux des Arabes un 
titre suffisant d sa succession. Ali pou^ 
vait certatnement y pretendre par son 
propre marite. Cepenaant, ^uana Maho- 
met mouruty ce nestpas Alt qui hiriia de 
sonpouvoir : il ne monta sur le trćne du 
khalifat que vin^-trois ans plus tard, en 
ran 35 de Vhćgire, aprčs les rčgnes dA- 
bou-Bekr, d'Omar et d^Osmdn. 

Ses partisans ćtaient asse^ nombreux, 
mais^ le caractšre de leur chef itait 
peu fait pour lui assurer le succčs. 
Ali riest pas un de ces Arabes des pre- 
miers temps de rislam^ ardents sans 
doute dans leurfoi religieuse, mais plus 
ardents encore au pillage des infidčles : 
c'est un vćritable chevalier du Moyen^ 
Age^ un preux qui ne consulte que Dieu 
et SQn honneur, il y a dans les Prairies 
d'or *, un portrait d'Ali trčS'-curieux et 



1. Compagnons de Mahomet, et sea frčres d'ar- 
mes dans ses combats contre les Arabes ido- 
IStres. 

2. Ma^oudi, Les Prairies <Vor^ texte et traduc- 
lion par M. Barbier de Meynard (les trois pre- 
miers volumes en coUaboration avec M. Pavet de 
Courteiile), tome IV, p. 441 et suiv. 



VJ INTRODUCTION 



trčS'bienfait. Maqoudi est favorable aux 
Aliđes; peut'^tre mime n'est-il au foni 
qu'un cniite * đćguisi, tnais, leportrait 
gu'il nous trače du genđre du Prophite 
est trop vraisemblabte pour ne pas Stre 
vćridique* Ce chapitre de Maqoudi jette 
une vive lueur sur Vhistoire de ces temps 
troublćs; on comprend facilement, aprčs 
tavoir lu, pourauoi Ali eut si peu de 
fortune aupršs aes Arabes etpourquoi il 
en eut une si merveilleuse auprčs des 
Persans. C'est aue^plein d'id^es ginćreu* 
ses et de tenaances mystiques ^» il ne 
pottvait gušre stre cotnpris des Arabes 
de son 4poque. Maqoudt nous le montre 
prioccupi sans cesse de la vie future et 
d^dđigneux des richesses de ce monde, 
poursuivipar une pensie m^lancolique et 
par le pressentiment de sa fin malheu* 
reuse. — € O monde^ disait-il ^ sćduis 
trn autre aue moi! Est-ce moi que tu peux 
attaquer? Que me font tes sšducttons? 
Va^fuisloin d'ici! Ton heure n' est pas 
encore venue. Je te ripudie trois fois 
(formule du divorce) et sans retour. 

I. Chiite, sectateur d*Ali : les Chiites regardent 
Ali'comme le Ugitime hćritier du proph^ce et re- 
jettent, comme usurpateurs, les trois khalifes, 
Abou-Bekr, Omar et Osmfin. 

a. On sait que c'est Ali qui inventa, pour ainsi 
dire, Tejplication allćgorique du Coran, doat le 
Uvre saint a si souvent besoin. 

3. Prairies d'oTj p. 447, t« IV. 



INTRODUCTION VII 



Brčve est ta vie, mi$4rahle$ sont tesjoies, 
epMmdres tes honneurs! Hćlas ! que les 
provistons sont insuffisantes pour un 
Tfo^age aussi long, d travers ae si hor" 
ribles solitudes. » Toute la poesie reli" 
gieuse des Chiites et le quićtisme des 
Soufis persans sont en germe dans ces 
ćloquentes lamentations, Ces mSmes idćes^ 
nous les retrouverons exprim4es jplus tard 
en vers magnifiques par Sa' adi ^ ou par 
Hafij(> 

Troisfois icarti du khalifat, A li ny 

parvint enfin^ que pour se a^battre pen* 

dant tout son ršgne entre la mauvaise 

foi, Iđpre ambition de ses adversaires^ et 

Vindiscipline de ses partisans* 

Apršs quatre ans d'un pouvoir prć^ 
eaire, il tomba sous le poignard d'un 
assassin^ dans la grande mosau^e de 
Koufa* Les haines jćroces qui Vavaient 
assailli lui survicurent et s acharnčrent 
sur safamille, apršs sa mort. 

Ali laissait deux fils, Haqdn et Ho- 
dim Latnć^ Ha^dn^ etait un prince d'un 

I. Le monde, 6 mon frčre, ne reste a per- 
sonne : n*attacne ton coeur qu'au Crćateur du 
monde, — Ne mets pas ton soutien et ton appui 
dana la puissance de ce monde, car il a dej^ 
nourri et tuć bien des gens comme toi, — Quand 
Vkmt pure veut quitter cette demeure, qu*importe 
de mourir sur un trdne ou sur la poussi^ref 
Sa^adi, GnUstan, Uvre I, p. i5 et i6 de Fćdition 
de Semelet. 



VIII INTRODUCTION 



caractčre doux et faible : U aima mietuc 
renoncer <ž un pouvoir si vivement disput^, 
et dont le potds ćtait trop lourd pour 
lui. Cette renonciation ne tui sauva metne 
pas la vie, U mourut d Medine, en Van 
4g de VHćgire, empoisonne, dit-on^ sur 
tor dre de Md*avia/par safemme Dja^di, 
fille d'Achat. 

Hocč'in avaity de son pšre, la bravoure 
et Vaudace^ avec ces idies gišnireiLses 
aut paraissent avoir ćt4 hćreditaires dans 
lafamille d*Ali. Quand le premier /eha- 
lite Om^Yjrade mourut, en Van 6t de 
IHegire, il releva le drapeau desAlides 
et refusa de reconnaitre Yč\id, fils de 
Mo'avia. Un certain nombre d'habitants 
de Koufa ^ s'etaient dćclaris en faveur 
de Hocšin, et celui-ci avait envoye dans 
cette ville Moslim-b^n* Okati, son cousin^ 
pour rechauffer et entretenir le :[šle de 
ses partisans. Puis, il s'etait mis en 
route, a son tour^ avec toute sa famille 
et unejaible escorte. Mais, la revolte fut 
ecrasee dans Voeuf; Moslim-bhi- Okati 
fut massacre^et Koufa etait aux mains des 
partisans de Yš:[id pendant que Hocčtn 
cherchait encore h atteindre cette ville. 
Ni la nouvelle de cet echec, ni les exhor' 



I. Ville de riraq arabe (rancienne Chaldće). 
Cette ville, qui est situee sur la rive droite de 
TEuphrate, fut bfitie par Sa'ad, fils d'Abou Vac^- 
qas, genćral d^Omar, aprčs la bataille de Kadecie. 



INTRODUGTION IX 



tations de ses amis ne purent Varreter : 
U s'obstina d marcher au devant de sa 
perte, pour ne pas se soustraire d ce qu*il 
considerait comme un devoir, II fut re- 
joint dans le dćsert de Kčrbšla * par les 
cavaliers d'Ibn-Ziad que Yč^id avait en« 
voyšs d sa poursuite. Cemćs par eux, i 
peu de distance de VEuphrate dont Us 
apercevaient la rive, Hociin et sa petite 
escorte souffrirent les tourments de la 
soif, avant de pirir sous le glaive de leurs 
ennemis. La tete de Vlmamfut le don de 
joyetix avšnement du khalife d son peU' 
pie. Avec Hocčtn pirirent presaue tous 
les descendants du vrophite et a* Ali, et 
^armi eux, A li-Ekier, fils atnć de Ho^ 
cč'tn. Lesfemmes furent trainees en es* 
clavage. Šeul, Vimam Zim-čl^AbidUn/ut 
ćpargne, par pitie pour sa jeunesse. C'est 
te petit'fils de leurprophdte que les Ara- 
bes partisans de Vš^id venaient d'assas- 
siner. 

Lafamille d'Ali reprćsentait le droit; 
elle reprćsentait le principe dhšrćdite 
tnćconnu par les Arabes, et si cher aux 

I. Dans riraq arabe, sur les bords de l*Eu- 
phrate, k peu de distance de Koufa, et au sud de 
Bagdad. La ville de KčrbMa compte auiourd*hui 
environ i5,ooo habitants : elle est visitee chaque 
annće par une multitude de p&lerins chiites qui 
se rendent ćgalement a N^dičt, ou est le tombeau 
d'Ali. Le territoire de Kčrbela est la terre sainte 
des Chiites, et beaucoup s'y font enterrer. 

1* 



INTRODUCTION 



Persans ; elle itait vaincue et persdću^ 
tće; enfin, elle avait ces tendances mystU 
qtie$ dont nous avons parli, Repoussće 
par les Arabes, elle fut adoptie par les 
Persans, La Perse, qui n' avait accepti la 
religion mmulmane que parče gu'elle 
ćtait, mirne avant la conqu&te arabe,fa» 
tiguSe et dćtachie de la religion de Zo- 
roastre, la Perse enti^e embrassa avec 
ardeur la cause des vaincus de Kšrbila. 
Elle avait, d'ailleurs, une autre raison 
pour considerer cette cause comme la 
sienne : Hocšin avait ćpousć la fille du 
dernier roi sassanide, devenue musuU 
mane, sous le nom de Om^Lšili, ^ et c*est 
de cette union (ju'etait nć Ali-Ekb^r. 
HocčUn riunissait done sur sa tete les 
droits au khalifat et les droits d la cou'* 
ronne persane. La Perse se fit A Ude 
presgue tout entidre, et se cria une reli'^ 
gion nationale en face de celle du vain^ 
queur, L'ćtiquette resta musulmane, mais 
ce fut bien une religion nouvelle, avec 
tout le fond de la vieille mjrthologie 
persane qui vint s'y ajouter. Le grand 
schisme musulman hait consommi : la re- 
ligion chiite ćtait fondie. ^ 
Unefois devenue chiite, la Perse se 
voua, de tout cosur, au culte d'Ali et de sa 
fatnille. On peut dire, sans exagdration, 

I . Le nom persan de cette princesse est Bibi* 
Cheh&r-Banou. 



INTRODUGTION XI 



qHe ćest le Chiisme qui a tenu lieu de 
patriotisme aux Persans. A force de 
Vexnlter, la Perse ćleva le gendre du 
Propkčte au dessus de Mahomet luimštne. 
Ali depint provhčte, dson tour, et lapro^ 
ph4tie fut dćclarće hćrćditaire dans sa 
Jamille. On fit plus encore : une secte 
persane fit de lut un dieu ^ 



» ¥ 



Ce sont les evinements que nous venons 
de raconter, et qui forment^ en quelque 
sorte, le martyrologe d'Ali et de safa- 
mille, qui sont le thime in^puisable et 
invariaHe des ta\ičs. 

On a comparćf et avec raison, les ta*!(iis 
persans aux mystčres qu'on reprćsentait 
ch€\ nous au xui* et au ziV* siicles. La 
ressemblance est parfaite : mirne fond 
religieux, memes id^es, et aussij mirne 

f . Cćst la secte des Ali^AUahis qu] est d'ail- 
leurs tout a fait hćtćrodoxe. Les Ali-Allahis ha- 
bitent quelques villages aux environs de Qoum 
et de Qachdn; leur centre principal est entre 
Kerman-Chah et HamadSn. Elisee Reclus les 
place un peu plus au nord-ouest de Kertnan- 
Chah. II est a remarquer que les Ali-Allahis sont 
surtout de race touranienne et qu*ils vivent au 
milieu de populations turques, fait assez cu- 
rieux, car les Turcs sont genćralement sunnites. 
Voy. Giogr, universelle, tome IX, p. 201. 



XII INTRODUCTION 



insouciance des rč^les. Ils n'ont aucune 
pretention dramattque et ne sont^ d pro^ 
prement parler, auun exercice reli^ 
gieux, un moyen de se r^unir, de repre^ 
senter cl la vue des fidčles,et d'une manišre 
frappante^ les dogmes de la religion 
chiite. Te I etait, du tnotns a Vorigine, le 
but unigue des ta\Us, car aujourd hui, ils 
tendent a devenir un spectacle purement 
dramatique, Ce n'ćtaient d'abord que des 
cantiques, chantćs čl Voccasion du mar- 
tyre de HocHn, lejour anniversaire de 
cet ev4netnent. Peu cl peu, le spectacle a 
grandi; Vaction a prts corps; le drame 
est ne. Aujourd'hui^ le drame estpresque 
entišrement ćmancipe; les chceurs, les 
danses et les predications neformentplus 
que Vaccessoire du spectacle, Vaction se 
trouve encore renfermee dans les gran- 
des lisnes de Vhistoire chiite, mais, elle 
tend ae plus en plus d en sortir, et le jour 
n'est pas loin, peut Stre, oti elle sera 
complštement degag^e de toute attache 
religieuse. En outre, les representations 
qui avaient lieu d*abord a date fixe, dans 
un but nettement defini d' anniversaire et 
de commemoration, ont lieu maintenant 
pendani tout le mois de Moharrem, les 
deux mois qui suivent, et mime d toute 
autre epoque de Vannće ^ La date du 

I. Par exemple, pour la guerison d*un malade, 
l'accomplissement d'un voeu« etc. 



INTRODUCTION XIII 



IO de Moharršm est seulement riservie 
d un ta\U reprisentant la mort de Ho- 
cšin. 

Les c^remonies qui pr^cčdent le spec-^ 
tacle dramatigue, et aont quelqueS'Unes 
sont si curieuses et si itranges, ont 4t4 
d^jd raconties plus d'une/ois ; notis ren^^ 
vqyons le lecteur <ž Vintroduction du 
petit volume de Af. Chod\ko \ et surtout 
d la saisissante description de M, le cotnte 
de Gobineau *• Čest le drame lui-mSme 
qui nous intiresse, et c'est de lui seul que 
nous nous occuperons ici, Nous nous bor* 
nerons done d donner les indications les 
plus indispensables sur la disposition de 
la salle et de la scčne, sur les acteurs et 
sur le public, 

Le tn^dtre, ou tdkič, est construit gine- 
ralement en forme de cirque : la scčne 
se trouve au centre, sur une plate-forme 
peu ćlevće qu'on appelle le sakou. // n'jr 
a pas de rideau : les acteurs sont, pour 
ainsi dire, mSlćs aupublic qui les entoure. 
Autour de la salle, se trouvent les loges 
destinees aux grands persomtages, ou re- 
serveeSf dans le tčkič royaly auxfemmes 
du Chah; en ce cas, ces loges sont grillees 
et cachees par une broderie djour.En 
face du sakou, du cote opposć a la loge 

1. Thedtre persan, introduction. 

2. Religions et philosophies dans VAsie cen- 
trale, p. 384 et suiv. 



XIV INTRODVCTION 

frinctpalBj se trouve une sorte d'amieoce 
de la scdne, le tadpnema, oU les ferson^^ 
nages du drame sont expo$ćs aux re« 
gards du public. Les acteurs vont et 
viennenty du sakou au tadj-nema, pat 
un petit chemin. menag^ au mUieu des 
snectateurs; souvent memef ilsse parlent 
aun bout d Vautre du t^kič, sans que le 
public soit ckoque, le moins du monde^ 
de ces invraisemblances, 

La convention est tout au thidtre^ et 
jamais cette verit^ n'apparut plus clai^ 
rement que dans les ta\Us persans* Nul 
souci de la couleur locale^ ni dam les dš^ 
cars qui riexistent, pour ainsi dire, pas, 
ni dans les costumes qu*on recherche seu- 
lement riches et brillants. Un bassin de 
cuivre rempU d*eau, et pas4 au milieu du 
sakou, sert d figurer VEuphrate : cmnme 
on le voit, rien n'estpluS primiti/ fue la 
mise en scšne, D'aifleurs^ la com>ention 
app€n'ait partout dans les ta''!(iis: €*est de 
lapaille ndchie que les acteurs repandent 
sur leur tite^ en gttise de poussiire, aux 
moment s pathetiques. De mirne, par une 
fiction naive, les membres de la famille 
de Hocšm ne quittent pas la scene oU ils 
sont regardćs comme cemes et emprison* 
nes par leurs ennemis : quand ils ont 
termine leur role, Vaciion continue čl cote 
d'eux, comme s' ils n*^tatentpas Id. 

Les acteurs sont sans pretention : ils 
jouent pour euX'mSmes autant que pour 



INTRODUCTION XV 



le pubtiCj et sepUssionnent cotnme luipour 
le drame gu'ils reprisentent ; iissont p^ 
n^trds de leurs rčteSt ^u point de pleurer 
de vraies lannes et de pousser de vrais 
sanglots '. Ilsforment une sorte de a^'- 
poration didaignie des hautes classes, 
ditestše du clergi qui est hostile aux 
ta':{ičs etjaloux de Vimportance au'aprise 
cette cirimonie en dehors du aute rćgu^ 
lier; mais, en revanche, Us sont les en* 
fants gdtćs du peuple, Tel acteur ap^ 
plaudi h Tihirdn est, aussi bien qu*d 
Pariš, Vidole du public. Les rćles de 
Jemmes sont tenus, et trčs4fien tenus, par 
desjeunes garfons. Chacun se nomme en 
entrant, ou sefait annoncerpar un crieur. 
U y a encore un personnage aut est 
partout, d tout moment^ bien quil soit 
mutile d Vaction : c'est le directeur, ou 
plut6t le mattre, le patron (oustad). Ćest 
ta ckeville ouvriire, le f acteur indispen* 
sable d la bonne tenue du spectacle; U 
est tout et tout a la fois : souffleur, r4* 

I. Cette passion religieuse, poussće ju8qu*i 
rinsensibilitć de la douleur phy8ique, n'est pat 
chose rare en Orient : on sait que les adeptes de 
plusieurs sectes musulmanes s'infligent toutes 
sortes de torturea avec une sćrćnitć et une im- 
passibilitć completes. Ce qui nous aurprend da- 
vantage, c'est de retrouver une partie ae ce fana- 
tisme dans les mvsteres religieux qu'on joue 
encore k certaines epoc^ues de rannće en Baviire, 
a Bayreuth, aux environs de Naples, et mirne 
dans le Midi de la France, a Niče notamment« 



XVI INTRODUCTION 



gisseiir , directeur, acteur, kabilleur 
mSme au besoin, et souvent, auteur du 
drame. Par une convention nouvelle et 

curieuse, ce personnage si actifet si 

encombrant est censć Stre invisible pour 
lepublic, bien qu'il ne quittepas la scine, 

rfous avons dit que les Fersans n'at* 
tachent pas dHmportance d la vSrite de 
la mise en scčne : mais il est un point 
auauel ils tiennent beaucoup : c'est la 
richesse et I a magnificencedes costumes. 
La salle meme des tškičs est dćcoree avec 
un luxe tout asiatigue : les etoffes les 
plus prScieuses, les armes les plus an- 
ciennes et les plus rares, tout ce quipeut 
iblouir les yeux et frapper les imagi- 
nations, est prodiguć a jprofusion et d 
plaisir. Comme chaque ville, et souvent, 
chaque auartier d'^uhe ville a son tškič, 
on rivalise de luxe et de ma^ificence ; 
en outre, c'est faire ceuvre pie et mćri- 
toire que de contribuer par ses dons d la 
reprćsentation d'un ta\ti. De ce carac* 
tšre religieux des drames persans, il re- 
sulte que Ventrće des tikišs est absolument 
libre ; le derviche en haillons y coudoie 
le riche nćgociant ou Velegant mir^a, 
sans que personne songe d s'en ćtonner. 

La representation est precedće de can- 
tiques et de pričres, de danses dont Vori'- 
gine remonte peut-itre d la plus haute 
antiauitCj et enfin^ d'une con/erence, ou 
plutot) d'^une predication sur le sujet du 



INTRODUCTION XVII 



ta\id. Ces pr^dications sont faites ordi' 
nairement par des Sć'id-Rouz^Khan ^ qui 
forment, selon l'expression deM, de Gobi- 
neau, une sorte d^eglise libre et interlope^ 
d coU du clergi ćtabli. De mirne, au 
XIV* sišcle, un tecteur plaqe sur le thćd- 
tre lisait, avant cha^ue scčne des mjrS" 
tčres, le texte des Samtes-Ecritures aoU 
cette scdne itait tirće. Ce sermon prilu 
minaire est, sans doute, une des causes 
ui maintiennent encore les ta':(ičs dans 
es limites d'un spectacle purement relu 
gieux. Lejour oU cette institution dispa- 
rditra, Vimagination des auteurs pourra 
se donner carričre plus librement, et on 
assistera, peut-Stre, d Veclosion d'une v^- 
ritable litterature dramatique. C'est ce 
qui s'est produit che\ nous, guand le lec" 
teur ecclisiastique a 4tć supprimi. Le 
drame cessera, peut-itre alors, d'Stre un 
simple enseignement, et comme le com-* 
mentaireanimi d'une traditionreligieuse, 
Mais, cette trans/ormation est-elle bien 
disirable? En perdant son caractčre re- 



i 



i, Ces Rouze'Khan se disetit descendants du 
Prophčte et d Ali, et c'est a ćela qu*il8 doivent 
le plus dair de leur popularite. Ils sont quelque- 
fois auteurs de ta'zies et mćme acteurs. fl y a en 
Perse une infinitć de pretendus descendants du 
Prophčte; d^ailleurs, le fait seul de la naissance 
ou de la conception pendant le pelerinage de Ker- 
bčla suffit pour donner droit au titre de sčld, 
surtout si 1 enfant est ne un vendredi. 



XVin IMTRODUCTION 



lighux, U drame ne perira-tHl pas de 
sa/orce et de son influence? uejd, on 
eammence i sortir du cadre prhnitif; le 
martvre de Hoci'in et la catastrophe de 
Kdrbčia ne st^sent plus d alimenter le 
ripertoire des td^iUs. On a Spuisć tous 
lesfaits kistoriques et Ugendaires qui se 
rattachent directetnent d lapersonne des 
imamSf et les auteurs commencent d gref- 
fer sur cesfaits trop connus, et trop peu 
wmbreux, un certam nombre de ligendes 
dont le lien est parfois tris^ldche avec 
'action premije des ta\Us. On commenee 
i inventer; on donne, sous forme de pro^ 
logues, de vdritables kors'^aceuvre drama-' 
tigues dont le ton trancke souifent avec le 
reste de la pUce, Ces essais sont accueil" 
Us avec plaisir par les Persans, dont l'eS" 
prit est ouvert a toutes les tentatives lit^ 
tiraires} mais. Us sont loin de faire 
sur eux Veffet prodigieux et magniti^ue 
que produisent sur tous les Chiites le stm* 
ple recit du martyre des A Udes. 

Ce qu*on remarque, avant tout,dans les 
ta\Us, c'est la simplicite du stjrle, la 
naHvete et la monotonie poćtique de la 
langue. Cette simplicite est d'ailleurs 
toute relative : la langue des ta' li^s parat- 
tra encore bien fleurie et bien imagee d 
VEurop4en qui est ^tranger aux finesses 
et aux subttlitćs de la poćsie persane, 
Mais, aux passages pathetiquesy rauteur 
trome parjois des expresstons emuesy et 



INTRODIKrriON XIX 



des idies d*une đSUcatesse ckarmante 
Ces drameSf đant les auteurs sont incon^ 
nus et presque toujours sortis đu peufle^ 
respirent une pohie vreUment sincire, 
bien supirieure aux finesses ordinaires 
despočtes de cour. On sent, en les lisant^ 
que l'auteur est touchć vivement des souf* 
jrances qu'il raconte^et c'est cette pensie 
commune qui cr4e entre le spectateur et 
lui un courant de sympathte et d^imo* 
tion. 

II ne faut pasjuger les spectacles relu 
fieux de la Perse modeme d'^apršs les 
tdies quon sefatt d'un drame en Europe. 
L'auteur n'a nul souci de la viriti histo* 
rique et les anachronismes ne reffiraieni 
nullement, U ne reste mirne pas totšjours 
dans les limites du monde reel et il ne se 
gSne pasy par exemple, pour fairć appa-* 
rattre sur la scine l'ombre dAli ou la 
tete coupie de Hocš'in. Ce sont lit, d'ail' 
leurs, des licences qui ne sont pas incon^ 
nues d r Europe et que d'ilhtstres ezem^^ 
ples ont ligittmies. 

Les spectateurs persans sont trop imut 
et trop convaincus^ eux*mSmes, pour s*a^ 
percevoir de ces invraisemblances. Si le 
viritable critirium, pour juger un spec^ 
tacle dramatique est d*examiner l'effet 
qu'il produit sur les spectateurs^ on ne 
peut contester la valeur des ta':(ičs. II 
n'est fos un Persan, le plus blasi et le 
plus incridule, — car il r a beaucoup de 



XX INTRODOOTION 



libres'penseurs, mSme en Perse, — qui 
puisse assister a ce^ reprćsentations sans 
subir Vćmotion la plus violente et la plus 
sincšre. C'est qu'aux yeux des Persans, 
Hoci'in ne represente pas seulement Vi- 
dće religieuse, si puissante dejd sur l'es" 
prit des Orientaux : U est encore Vincar' 
nation de la patrie persane, la protesta^ 
tion vivante et etemelle du droit contre 
la/orce, du vaincu contre le vain^ueur. 
Et puis, avec son temperament artiste, le 
Persan se passionne facilement pour le 
beau; son enthousiasme atteint alors un 
degr4que VEuropćen a peine d se figu- 
rer, Toutes ces raisons reunies ont Jait 
le succčs immense des ta'^iis. Ce succšs 
et cette influence, tous les vojrageurs 
s'accordent d les reconnaitre et plusieurs 
avouent qu*ils ne pouvaient se defendre 
d'etre imus, d leur tour, par Vhorreur et 
la grandeur du spectacle. 

Ce qui est remarquable dans les ta^^ičs^ 
en dehors de la grace et de la poesie 
naives de la langue, ce sont les idees 
mšnie quiy sont exprimćes. Ony trouve 
un risunić curieux des doctrines reli- 
gieuses du Chiisme, et rien ne montreplus 
clairement combien la Perse moderne est 
ćloignie du Coran. On est ćtonnć, par 
exemple, de rencontrer dans les ta':{ies un 
certain nombre d'idees absolument chre^ 
tiennes. Nous ne pretendons pas quHly 
ait IcL une influenca etrangčre; nous 



INTRODUCTION XXI 



crojronSj au contraire, que c'est un r^- 
suitat naturel de Vivolution incessante 
de la doctrine chiite. C'est ainsi aue les 
Persans en sont arrivis itfaire dAli et 
de ses descendants comme une sorte de 
Samte-Familie qui a souffert le martjrre 
pour racheter les pćchćs des musulmans 
chiites. Un des ta\t^s dont M. A . Chod^ko 
a donni la traduction, en offre un cU' 
rieux exemple. Ce drame^ tntituU cr Le 
Messager ae Dieu » est d'une simplicite 
remarquable au point de vue de Paction : 
onpeut mirne dtre quHl n'y apasd'ac* 
tion. En voici en deux mots le sujet. 

L'Ange Gabriel vient annoncer d Ma- 
komet les malheurs aut atteindront plus 
tard sa/amille, et tui apprendre que le 
martyre de ses petitS'fils rachčtera les 
pćchšs des musulmans. « On les sacrifie 
pour la rćdemption des peuples qui au' 
ront embrasse Vlslamisme et afin aue les 
fronts des martyrs soient etemeuement 
radieux de la candeur des ilus d'Allah. 
Si tu veux la rćmission des peches de ces 
peuples prevaricateurs, ne foppose pas d 
ce que les deux roses de ton jar din soient 
cueillies avant le temps ^. » Mahomet 
s'incline devant la volontć divine^ et il an- 
nonce, lui-meme, lafatale nouvelle d Ali, 
puis d Fatima. Celle-ci est d*abord tout 
enti^re d sa douleur de mire; mais, elle 

I. Thidtre persan, trad. A. Chodzko, p. 5. 



XXII INTRODUCTION 



cide bient6ty et se risigne d sacrifier ses 
deux fils pour le salut des musulmans. 
La douleur de Fatima est exvrimie d'une 
faqon touchante. De mirne, aans un mys- 
tire cčlebre ^ Marie repond d Jćsus qui 
lui annonce sonprochain martyre : 

A mes maternelles demandes 
Ne foites que rćpoases dures. 

et Jisus repond : 

Accomplir faut les Ecritures. 

Mais, le consentement de tous les inti" 
ressis est nćcessaire : Haqdn et Hocčin 
doivent accevter le sacrijice au'on extge 
d'eux, Tandis que Fatima fait dresser 
deux autels pour pleurer ses enfants, et 
que les femmes des Bčni*Hachšm enton-* 
nent un chant/unčbre, Haqdn et Hocčin 
arrivent Vun apris Pautre, et avprennent 
le sort qui leur est reservi *. i/5 se sou- 
mettent sans murmurer d la volonti d*AU 
lah,et regrettent seulement de nepouvoir 
mourir ensemble et de la mirne mort. 
Gabriel annonce alors a Hocčin que sa 
mort rachčtera les peches des Chittes. II 

1 . Le Myst&re des freres Greban. 

2. Chaque personna^e, en entrant, fait les mS- 
tnes q[uestions et re(oit les m6mes rćponses : la 
simphcitć de Taciion eat remarquable. 



INTRODUCTIOM XXUI 



n'estplus question des Musutmans, mais 
đes Chiites seuls. On voit combien on est 
loin du Coran et quel chemin les Chiites 
ont parcouru, 

Ifous terminerons en signalant encore, 
avec Videe messianique, un sentiment qui 
nous parait plus chritienaue musulman : 
c'est l'ardeni amour que les PersansprS- 
tent d Ali et 4 Mahomet pour leur peu- 
ple. Ali et HocčUn donnent leur sang 
pour le salut des Chiites, comme J^us. 
donne le sienpour le salut des Chrćtiens. 
Par la po4sie tendre et presquef4minine 
dont leur religion est tout imprćgn^e, 
les Chiites sont^ en quelque sorte, les ca* 
tholiques de V Islam, tandis que le Sun- 
nisme, plus austšre etplusjroid, attachi 
4 la lettre du Coran^ est une sorte de 
protestantisme musulman. 






Nous venons de voir que dans l'Orient 
musubnan, le drame n'est connu que de 
la Perse seule, qu'iljy est ne spontanć-^ 
tnentf en dehors ae toute influence 4tran- 
g^re, et qu'il tend, đejour enjour, a sor- 
tir davantage du cadre ćtrott des iddes 
religieuses pour se rapprocher peu dpeu 
dutj^penormal que nous connaissons en 
Europe. Le drame persan est un produit 



XXIV INTRODUCTION 



đu sol iranien, et on ne trouve rien de 
semblable che\ les musulmans non-chUtes. 
Malheureusement, si du drame nouspas- 
sons au genre comigue, nous constatons 
une pauvreti d peu pris egale che\ 
toutes les populations musulmane^. 

Si nous laissons de c6t4 les quelques 
imitations despičces europ4ennes qui ont 
vu lejour en Turquie ou en Perse pen- 
dant ces derniires annies, nous sommes 
obligćs de reconnattre que la comćdie est 
encore d Vćtat embryonnaire dans tout 
VOrient musulman et que, sous ce rap* 
port, les ArabeSf les Turcs ou les Per^ 
sans n'ont rien d s'envier les uns aux 
autres. La distance qui sipare les farces 
des Persans ou des Turcs de la comidie 
de mceurs europeennes est immense, et 
elle riaurait pas et4 franchiede plusieurs 
sičcles encore, sans le grand mouvement 
auipousse les jpeuples de V Europe vers 
tOrientf et qut porte, dans les r4gions les 
plus recuUes de VAsie ou de VAfriaue, 
les idies et les exemples de VOccident. 
Quant aux raisons de cette infćrioriti, 
elles sont multiples et elles sont toutes 
bien connues, Le principal obstacle d 
Vćtablissement de la comidie en pajrs 
musulman, est la religion musulmane 
elle-meme. Cet obstacle est moins grand 
en Perse qu'en Turquie ou enpays arabe, 
parče que le Chiisme est moins itroit que 
I' Islam orthodoxe; mais^ en dehors de la 



INTRODUCTION XXV 



relipon, U y a encore bien des raisons 
inherentes d la nature mSme et aux 
mceurs des Orientaux, aut opposent une 
risistance considirable a toutes les inno- 
vations venues de VOccident. Aussi, le 
thidtre comiaue est-il d'une pauvretd 
absolue dans VOrient musulman tout en^ 
tier : U se r^duit, en sorntne^ d des repriš* 
sentations de tnariormettes et d des far" 
ce$ de trćteauK. 






Les marionnettes remontent d la plus 
kaute antiquitć et presque tous les peu- 
ples les ont connues; seuletnent, elles 
avaient d Vorigine un rćle s4rieux d 
jouer : elles figuraient surtout dans les 
fites et lespompes religieuses. Plus tard, 
d Athčnes par exemple, les marionnettes 
servirent d la reprisentation de vćrita- 
bles drames : apr^s la dćcadence de la 
tragedie grecaue, elles requrent les hon- 
neurs du thiatre de Bacchus. Ce n*est 
done que peu d peu qu'elles abandonnč- 
rent leur rćle reli^ieux pour celui qu'el' 
les jouent exclustvement aujourd'hui et 
pour lequel elles semblaient avoir ćt4 in- 
venties. Che:{ les Musulmans, cependant, 
les marionnettes ont toujours eu la meme 
destination : elles n'ont jamais servi, 



XXVI INTRODUCnON 



che:( euXj qu'i amuser le peuple et les 
enfantSj grands ou petits* JLa raison en 
est bien simple : c'est que le Coran inter-' 
dit toute reprisentation de la figure hU" 
maine, et U est mirne curietix que malf^e 
cette dćfense, Qara^Gueu:{ att rćussi d 
obtenir toute la popularitć dont U iouit 
depuis si longtemps. Peut-itre^faut^lvoir 
en lui une importation itrang^re^ On dit 
bien que Oara-Gueu^ est la caricature 
d'unvi\ir de Saladin; qu*il serait donc^ 
par consćquent^ d'origine musulmane; 
mais, rien ne prauve qu'il n'existait 
pas, mirne avant Npoque de Saladin, et 
qu'il n'y avait pas alors d'autres tjrpes 
que lui. 

Le thidtre de Qara''Gueu:{ est peut'- 
etre encore plus primitif que celui de 
Guignol ou ae PoHchinelle. Une baraque 
de planches enplein vent; aubesain mirne, 
un coin de mur oU Pon tend une toile 
blanche iclairie par derrišre, et le ihid* 
ire est i tabli. Oara-Gueuz tient le milieu 
entre nos marionnettes et les ombres chi-' 
noises. La petite statuette mobile qui la 
reprisente est faite de parties opaques et 
de parties transjparentes diversement co^ 
loriies, de manišre cl offrir, selon Vex- 
pression de Thiophile Gautier ^ a Vaspeci 



I. CoKslan/Mopie, ptr Thćophile Gauti«r. Pa- 
riš. 1 836, p, ifS. Ponr Phi8 de dćcs^iU sur Qara- 
Gueuz nou8 renvoyons le lecteur a cct ouvrage 



INTRODUCTION XXVII 



d'un personnage de vitrail qu*on dita- 
cherait de la verridre avec t armature de 
plomb qui le circonscrit et le đessine ». 
Limage est vue de profil avec un grand 
ceil noir quiregarde deface. Cet ceu noir 
est Vattribut de Oara-GueuT, comme la 
bosse est celui de PoUchinelle; c'est cet 
ceil noir qui lui a donnć son nom ^ et qui 
le fait reconnaitre dupublic, sous ses di- 
vers ddguisements. 

On a remarquć avec raison que les hć* 
ros de marionnettes incament en eux les 
vtces et les qualit4s du peuple qu'ils amu^ 
senf : c'est comme un r^sumč poussi d, la 
charge du caracthre et du temperament 
national. Cette observation est vraie aussi 
de Qara^Gueu\. Sans doute, tous ces A^- 
ros de bois se ressemblent par certainS 
cStSs : ils sont tous plus ou molns cyni* 
qttes, plus ou moins fhnfarons, plus ou 
motns poltrons; mais chacun a son ca- 
ractire particulier, ses propres qualttis 
et ses propres difauts. Oara-Oueu^ a plus 
d*un trait de ressemblance avec Polichi^ 
nelle dont ilpossčde laverve railleuse, 
le sans^eine et le cjmisme : il se moque 
des mollas et des eadis, comme Vautre 
se moque des juges et des gendarmes; 



du maitre ^erivain ainsi au'au charmant Vorage 
en Orient, de Gćrard de Nerval,.huiti&me^itioa. 
Pariš, 1882, tome 11^ p. 192 et suivantes. 
1. Oara^Oueuf, en turc^ c oftil noir >. 



XXVIII INTROĐUGTION 



mais, c'est Id un trait qui est commun 
aux marionnettes de tous les peuples. 
Dans tous les pqys, dans ceux surtout 
qui sont soumis d un regime despotique, 
on laisse i ces acteurs de bois une li* 
berU relative; la censure ferme les 
jreux sur les allusions politiques qu*ils 
se permettent ; elle les laisse exprimer 
tout haut ce que chacun pense tout bas. 
Us deviennent alors comme le porte-pa^ 
role du peuple opprimš, et leurs attaques 
contre te fnaitre, contre Vautoriti sous 
toutes ses /ormes, ont d'autant plus de 
faveur aupris du public que celui-ci est 
tenu i plus de reserve et 4 plus de sou" 
mission. Mais, ce qui est jparticulier i 
Q(xra'Gueu\, c'est la grosstšreti, c'est la 
licence extrime de ses plaisanteries et de 
sesfaits et gestes. U est impossible de 
dire honnitement 4 queldegre d'obscenitd 
atteignent ses exploits les plus applaudis; 
et tout ćela se passe sous les yeux des 
femmes et des enfanis qui sont en majo- 
riti pamti les spectateurs. II y a Id quel^ 

?me chose qui rivolte VEuropćen; mais, 
es Orientaux entendent autrement que 
nous ce respect dA d Venfance dont parle 
le poite latin. Rien de tout ćela m les 
choque, et ils s^amusent sans arri^re-pen^ 
see,lorsque Qara'Gueui renouvelle, sous 
lesjreux de leurs enfants, les exploits du 
Priape antiaue. 
Čest en Turquie surtout que Qara' 



>' 



INTRODUCTION XXiX 



Gueu\ est populaire; tnais, son domaine 
s'ćtend 4galement d tEgyfte. En Perse, 
U change de nom et de tournure : U s'ap- 
pelle l&tchčl'Pdhl^đn, et U est chauve K 
JCštckšl'Pšlivan est aussi cynique que 
Qara^Gueu:{; mais, U Pest avec moins de 
grossičretć et de lourdeur. II est aussi, 
plus souple, vlus spirituelf plus leitrć : ti 
diffire de Qara'Gueu\ comme le Per* 
san dvff^e du Ture, 

Un autre c6t6 trčs»remarquable du ca^ 
ractšre de K^chčl-Pčhlčvdn , c'est sa 
fausse d4votion et son hjrvocrisie reli- 
gieuse : il cache, sous des aehors divots^ 
son scepticisme et son incredulitS. Sous 
ce rapport encore, Kštchčl-Pihlčvdn est 
le portrait fidčle deplus d'un Persan. 



« 



II y a une autre forme de specta- 
cle comique, qui se rapproche aavan^ 
ta^e de nos comćdies de mceurs ou 
d'intrigue que les representations de 
Oara'Gueui ou de KetchihPihlčvan : 

I. Ketchel'Pehlevdn, en persan, c hćros chauve, 
guerrier chauve >. Le mot Kčtchel est un mot 
turc-oriental qui a passć en persan : il signifie 
spćcialement c teigneuz » et, par exten8ion, 
« chauve n, 

2» 



XXX INTRODUCnON 



c^est la tčmacha ou teqlkl ^ "espiee đe 
sqynčte it deux ou trois persormages^ 
analogne aux farces de nos Jbires. Ce 
spectaele est asse\ ancien dans tout VO* 
rient musulman et surtbut en Perse; 
mais, M. Choddso nous parait mecounai- 
tre les lois de Vćtymoloeie et le timoi^ 
gnage de Vhistoire guanail ckercke dans 
le nom metne de la Perse (fars) l'origine 
des « epistolce farsitof » des latins K 
D'ailleursy sous sa forme actuelle, ce 
spectaele n*est peut-Stre pas aitssi anciem 
gu'on le croit. Đe mirne que le ta'ziš s'est 
greffi peu d peu sur des danses aun ća^ 
ract^re religieuxet Hturgiquey dememe^ 
la temacha parait avoir eu paur origine 
des danses lascives et des ckants amou'- 
reux. Du temps de Chardin, le dialogue 
n*existait pas encore, et le voyageur le 
dit en propres termes : « Les musiciens 
et les aanseuses sont les mimes ou les^ co^ 
mediens des Orientaux, ou pour mieux 
dire, ce sont leurs opera ; car on ri.yfait 
que chanter des vers, et la prose n*entre 



1 , Temacha : « spectaele » ; teqUd : « imita* 
tion » ; ces deuz mots sont arabes. 

2. L'ćtymoIogie de ce mot est connue. On sait 
que ces sortes de spectacles ćtaient, a Torigine, 
composćs dans ua latin mćlange de langage yul- 
gaire : de la le nom de drames farcis qu'on leur 
a donnes. Dante a ćcrit des farces mSlŽes d*italien, 
de proven^al et de fran^ais. Us a subsiste dans 
Tespagnol et Titalien « farsa ». 



INTROmJCnON XXXI 



point dans leui^s chanis *. > Ce serait 
done A une ćpaque posth'ieure au x vit* siš^ 
cle que remorUeratt Vorigine de la tima^ 
eha telte que ntms la ećnnaissons aujour^ 
d*hui. 

Voiei, d'apr^ Chardin, la description 
d*utt de ces spectacles auquel il a^sista 
en PersCf au mois de marš i6y3: on verra 
me Vaction de la comddie 4tait encore 
dans une piriode de formation. c Les 
plus noupelles aetrices ouvreni la sc^ne, 
jjui eommence par la description de Va^ 
mour, dont elles ddpeignent les appas et 
Venchantemenž, et reprisentent ensuite 
lespassions et la fureur, ce qu' elles en* 
tremilent d'ćpisoaes, qui contiennent des 
portraits de beaux garfons et de belles 
filles, vifs et to^cbans au-deUt de ce qui 
se pettt imaginer, et c'est Id d'ordinatre 
le premier octe. On voit au second, la 
troupe separće en deux choeurSj r^^- 
sentant, lun, les poursuiies d'un amant 
p4ssionn^, tautre les rebuts đ'une fišre 
mattresse. Le troisišme contient Vaccord 
desamanSf et c*est lit-dessus que les ac^ 
trices se passent et qu*elles epuisent la 
voix et les gestes. Les chanteurs et les 
joueurs d'instruments sont debout aux 
endroits passionnćs, et s'approchent d'el'* 

I. Vo^ages duchevalier Chardin, en Perse,*ei 
autres lieux de VOrient, nouvelle ćdition publiee 
par Langles. PariSi iSii, tome II, |>* 207. 



XXXII INTRODUGTION 



les plus ou moins, auelguefois jusqu'dL 
crier dans leurs oreiliespour les animer, 
avec quoi elles sont mises comme kors 
d^elles^memes et transportćes ; mais c'est 
Id aussi oii les^eux et les oreilles en qui 
U reste quelque pudeur, sont obliges de 
se ditourner, ne pouvant soutenir^ ni 
reffronterie, ni la lascivetd de ces der* 
nters actes ^. t Les danseuses dont nous 
parle Chardin^formaient alors une sorte 
de Corporation dirigee^ selon son expres' 
sion, par une superieure; mais^ elles 
^talent ripandues aans tous les quartiers 
des villes persanes. Ce riitaient, d'ail" 
leurs, que de simvles courtisanes, la 
danse etant pour etle le complement et 
Voccasion de leur vremier mitier. Elles 
štaient, pour la ptupart, fort riches, et 
le bon Chardin s*etend avec quelque 
complaisance sur le luxe de leurs vete- 
ments, la beautć et le prix de leurs pa- 
rureSf Vinormiti de leurs pretentions. 
Peu nombreuses dans les provinces^ elles 
atteignaient 4 Ispahđn, alors capitale du 
ro^aume, le chimre enorme de quator^e 
mille enregistrees. A cette ćpoque, la 
danse et la comćdie n'dtaient exercees en 
Perse que par des femmes ; on sait que 
c'est le contraire aujourd'hui. 

La tčmacha, ou tčqlid, n'a pas d'ori- 
ginalite propre : c'est une far ce quelcon'- 

I. Voyagede Chardin, p. 207 et suivantes. 



^NTRODUCTION XXXIII 



qtie jouiepar des loutis \ sorte de gens d 
tout faire et comšdiens d^occasion, qui 
vqyagent de ville en ville^ comme les 
gens de nosfoires. II ny a dans la tč- 
macha ni ršgles ni conventions : c*est une 
improvisation qui suit la fantaisie des 
com^diens, et qui varie selon leur verve 
et leur talent. Comme le public de ces 
spectacles est, en g^n^ral, un public peu 
raffinš, les acteurs lui parlent un lan'- 
gage vulgaire, bourri dejeux de mots et 
de plaisanteries au eros sel. Mais, ce qui 
importe surtout, čest Vaction, c'est le 
geste poussS jusau'au comique le plus vil 
et le plus bas. Pour grossir encore ces 
effets, les acteurs se barbouillent ordi* 
nairement le visage de far ine ou de suie. 
On le voit : ce spectacle n'a rien de par- 
ticulier d la Perse ou d tout autrepartie 
de lOrient musulman; il est de tous les 
pajrs et il merite d peine qu'on en 
fasse mention. Cependant, il est regret^ 
tcdfle qu'on n'ait pas songe d, recueillir 
certaines de ces improvisations, non cer^ 
tes pour leur valeur dramatique, mais, 
parče quelles fourniraient sans doute de 
curieux materiaux au philologue et au 
folk-loriste. M. Chod\ko a donne, dans 



I . Louti : litt. « sodomite, homme adonnć au 
viče des compatriotes de Loth » ; mais, ce mot a 
f>erdu aujourd'hui cette signification pour pren- 
dre celle de « vaurien, boheme ». 



XXXIV iNTROĐUCTlON 



son ihedtre persan, le scAiario d'uhe de 
ces bouffonneries ^, asse\ intćressante^ car 
elle montre ce que sont les autresfarces 
persanes du tneme genre. Gćrard de 
Nerval rend cotnpte igalement d'un 
spectacle analogne auguel U assista en 
Eg^pte *. Mais, ce quHl faudrait re- 
cueitlir, autant que possible, c'est le 
texte meme de Vitnprovisation, tel qu'il 
est sorti de la bouche des comediens. 

Quoi qu*il en soit de la valeur de ces 
bouffonneries, elles reflčtent toujours 
avec fidelite le caractčre du peupfe qui 
les ecoute et les applaudit. Dans la t^ 
qlid ćgy]^tienne, on retrouve le fouvre 
fellah toujours exploiti et maltraite par 
les agents du fisc et les usuriers; en 
Turquie, la farce est plus grosse et d'un 
comique plus intense, avec ce groš bon 
sens dont on a un sp4cimen dans les plai- 
santeries de Nasr^ed'din'Hodja *; dans 
la tčmacha versane, la perversion est 
plus projonde peut-itre, mais, Vesprit 

' I . Thidtre persan^ introduciion, pages xii k %vr* 

2. Vojrage en Orient, tome I", pages 365 i 
367. Voir au8si» dans le tome II, pa^es 202 k 207, 
du mSme ouvrage, une farce-comedie turque qut 
contient une intrigue assez ingćnieuse.' Cette 
derničre piece est d6]k une petite comćdie. 

3. Voir le sottisier de Nasr-edcUn-Hodja, bouf- 
fon de Tamerlan, traduit par Decourdemanche, 
BruKelles, 1878, ou les Piaisanteries de Nasr* 
eddhi'Hodjaf traduit par le mSme, Paris» Leroui 
(Biblioth. orientale olićvirienne). 



INTRODUCTIOM XXXV 



est plus vi/ et plus alerte, la verve plus 
gaie et plus naturelle, avec ce grain de 
po4sie qu'on retrouve partout en Perse, 
chei; le derviche ou le louii dćguenillćs, 
comme che^ le inir\a ou le pošte de cour. 
En somme, bien qu'elle ne mćritepas en^ 
ćore le nam de com^die^ la tšmacha prć- 
sente quelques essais d'intrigue comiquey 
une certaine somme d'observation, et queU 

fues traits de caractčre pris sur le vif. 
le n'est pas asse!{ pour qu*elle marite 
ditre ćtudiiepar elle-meme, mais, c'est 
assei^ pour qu*on puisse affirmer que le 
sentiment de la com^die n est pas etran- 
ger aux populations musulmanes. 






Les deux comidies dont nous donnons, 
ci^aprčs^la traduction^ nappartiennent 4 
aucun des genres que nous venons d'exa'- 
miner. Ce sont deux comidies de mceurs, 
faites a Vimiiation de nos pičces euro^ 
peennes par un homme qui connaissait le 
thšdtre europeen. L'auteur ne cache pas 
la source oU il apuisi son inspiration et 
sa mithode, et dailleurs, quand meme il 
n'ert dirait r/e«, Varrangement de ses 
com^dies sufflrait pour en dćceler Vori- 
gine. Ce ne sont done pas des oeuvres 
vraimerit originales, crešes, de toutes 



XXXVI INTRODUCTION 



piices, par un icrivain de ginie, Mtr^a 
Fčtk'Ali rCa rien d'un novateur et, rć^ 
duit d luUmime, U n'aurait pas $ong4 ^ 
doter VOrient d'une nouvelle formule 
dramatique, Mais^ parče qu0 notre au- 
teur a emvruntć d t Europe la forme de 
ses comMies, est^e une raison pour les 
dćdaigner? Est'Ce que Rome n*a pas em- 
prunte d la Gršce ses procides scšni" 
ques? Plaute et Terence ont imiti 
Aristophane, Et notre tragidie? nepro- 
cide-t'elle pas directement dela tragedie 
grecque? Les Uttćratures de tous les 
peuples se font de mutuels emprunts^ et 
ces emprunts sont toujours Ugitimes 
quand ils sont utiles etfeconds. 

Aussi, serait'il injuste de reprocher A 
Mir\a Fitk-Ali son admiration quelque 
peu ndive pour le thedtre europ^en et 
Vimitation de nos procćdes sciniques, 
Nous pouvons seulement lui demander 
compte de lafa^on dont U a mis en om- 
vre la matičre qu'il emploie. Si Vauteur 
trouve en lui, et autour de lui, unfond 
d'observation originale et sincšre, si les 
personnages quil met en scšne sont bien 
vivants et bien reels, son oeuvr^ vaut par 
elle^meme, et on ne peut lui reprocher 
d'avoir emprunte au-dehors le moule 
dans lequet il Va couUe. Mais, si les 
Orientaux ont raison de s'inspirer du 
thedtre europeen, il est un ćcueil quils 
doivent iviter avec soin, car il est d re^ 



INTRODUCTION XXXVIt 



douter, c'est une imitation trop absolue 

et trop servile de nos id4es et ae nos mo' 

dšles. En nous empruntant la comćdie de 

mceurs. Us doivent s'appliquer d rester 

euK'tnimes : ce sont les mosurs de leurs 

pays quHls doivent peindre, et les per- 

sonnages quHls mettent en scine dotvent 

ćtre turcs ou persans, plus que de nom et 

de langage. Malheureusement, les Orien- 

taux nont jpas toujours compris cette 

viritć si ćvidente; Us nont pas vu que 

Vosuvre de Vauteur dramatiaue est faite 

avant tout de recherche et d'observation 

personnelles ; aussi„ la plupart des com^- 

dies turques au'on imprime d Constanti' 

nople sont-etles sans la moindre valeur. 

Nous verrons aue notre auteur a su M- 

ter cet excis ae servilitć et que les per* 

sonnages de ses comidies sont Jinement 

observes et sincšrement dćcrits. 

Min^a Fštk-Ali Akhond-Zadš i itait 
originaire du Oaradja^Dagh * et^ comme 
son nom l'indique,Jils d^un molla de vil- 
lage ^. Entrć au service de la Russie, U 



1. Akhond'Zade : c fils d*un Akhond ». Un 
akhond est une sorte de thćoiogien de vili age, 
qui reinplit aussi des fonctions administratives 
analogues k ceiles d'un maire. 

2. On donne le nom de Oaradja-Dagh, a la 
montagne noire » & un massif montagneux de la 
Mesopotamie, au sud de Diarbćktr. 

3. Nous empruntons la plupart des dćtails suh 
vants sur Akhond^Zade, soit k un article de 



XXXyitI tHTRtODUCTIOK 



parvint jusgu'au grade de capkaine. 
C'est sam doute d Voccasion de sesfonc- 
tions thilitaires qu'ii/ut appel^ au s4jour 
de Tiflis oU U se trouva en relations avec 
la colonie europšenne de cette ville. II y 
avait ^ Tiflis un thedtre que le gouver-* 
neur g4nćral WoronsQff avait fait cons-' 
truirCf en x8^0ypour les pišces du r^- 
pertoire russe et oii l'on repršsentaii 
m^tne guelquefois des ceuvres dramati* 
^s franfaises. Mir!{a F^tk-Ali assista 
a ces repr^sentations, et U se prit d'une 
belle jpassion pour le thšdtre europien^ U 
se mit d Voeuvre aussitot et composa un 
certain notnbre de com^dies dont voict 
hstitres : i*> MoUa-Ibrahim, ou VAlchi^ 
miste; 2» Monsieur Jourdan, le botaniste 
et le derviche Mčst-Ali-Cbab, le ceUbre 
enchanteur; 3** le I>ivao-B^yi; 4" le Vizir 
du Kh^n de Sčrab; 5° /'Avare ; o*> les Pro- 
Curcurs; 7® une scšne kistorigue dialo- 
gn^e qui sepasse sous le rigne de Chah'* 
Abbas. — La guatrišme et la sixi^e de 
ces comćdies sont celles dont nous don^ 
nons la traduction, ci-aprčs, avec guel^ 
ques changements dans les titres que 
nous expliquerons tout 4 Vheuret 
Mir^a Fčth-Ali Akhond-Zadš d ćcrit 



M. Barbier de Meynard, publić dans la Revne 
critique (19 marš i883), soit a la prćface que le 
mSme Orientaliste a placće en tSle de ses Trois 
comedies persanes. Pariš, 1886. 



INTRO0UCTION XXXIX 



ses comćdies dans trn dialecte du ture 
oriental, le dialecte a:[čri, qui est parić 
dans tout le nord de la Perse et dans te 
Caucase russe, Ces comedies ont ite im- 
primies i Tiflis^ en i858 : ellessont de- 
venues extremement rares, et č'est d peine 
si on en connait deux ou trois exefnplai' 
res en Europe. Elles ont etć traduites en 
persan par un certain Mir!{a-Dja'Jir 
Qaradja'Daghi sur le compte duquel 
nous allons pouvoir donner quelques dć* 
tails biographiques. Sur la foi de ren^ 
seignements venus de Perse et dont on 
lui avait garanti fautkenticitć, M. Bar^ 
bier de Mevnard avait annoncć la mort 
de Mir^a'-Dja^fir ; mais, il a appris de^ 
puis que ce demier est encore neureuse- 
ment de ce monde. Čest ce qui risulte, en 
outre, d'une lettre adressće par Af, Sid- 
nejr Churchill A la Sociitć asiatiaue de 
Londres. D'apršs la lettre de M. S. 
Churchill, Mir^a^^DjcCfir a aujourđ'hui 
cinquante-quatre ans et il est loin de 
possćder lafortune que la notice persane, 
envojyee A Af. Barbier de Mejrnard, lui 
avait libćralement attribuće. II ćtait, il 
y a quel(jues annees, secretaire du 
prince Djilal - čd- Din - Mir\a , auteur 
d'une histoire persane fort curieuse et 
trčs estimee enJPerse ^ Le prince, nous 

I ^ Cei ouvrage potte Ić titre de Namef Khos- 
rhfan, « le livre des rois ». II se compose đe 



XL INTRODUCTlON 



dit M. Sidnejr Churchill, avait envoyć ci 
Akhond'Zadš, l'auteur de nos comidies, 
un exemplaire de son ouvrage et celuuci^ 
en retour, avait fait hommase d Djdlal- 
id-^Din-Mir^a de Vćdition de ses comć- 
\ dies, en exprimant le desir de les voir 

traduire enversan. Lon^emps^ les CO" 
mćdies de Ann^a Fitk-Alt Aknond-Zadš 
restirent oubliees dam le coin d'une ar- 
moire^ ji/Lsqu'au jour oii le secretatre du 
prince les dćcouvrit et les lut, Plein d'en- 
thousiasme d cette lecture, Mir^^a-Dja'- 
fčr voulut deferer au vceu de l'auteur 
ture et U traauisit aussitot en persan la 
comedie de /'Alchimiste qu'il prćsenta d 
Djilal-čd'Dtn''Mir:{a, Le prince, charme, 
Vencouragea d continuer sa traduction. 
Les com&dies traduites en persan paru* 
rent d Tćhdrdn, d diverses ćpoques, de 
1871 d i8y4. Elles ont et^, d cette der* 
niire date, riunies en un volume qui est 
devenu presgue aussi rare que Voriginai 
ture, de Tiflis, Malheureusement cette 
ćdition lithographiće est peu lisible, et 
elle contient un certain nombre de fautes 
dorthographe, 
La puhlication des comćdies persanes 

trois volumes dont les deux derniers sont deve- 
nus rares. C'est une histoire des rois de la 
Perse depuis les Kčlanides jusqu*aux Qadjar8, et 
cerite dans un persan dćpouillć de toutes loču- 
tions arabes. Les trois volumes ont 616 lithogra- 
phićs a Teherfin en 1868, 1870 et 187 1. 



INTRODUCTION XLI 



ne fut pas, parait-il, une bonne affaire 
pour Mir\a^Dja*fčr : U y perdit le plus 
clair de sa fortune. Son protecteur, le 
prince Dičlal-ed^Din etatt mort, et le 
pauvre Mir:{a erra pendant quelques an- 
nćes d travers la Perse^ mćconnu et iri" 
connUy desoU du peu de succšs d*une osu- 
vre dont U s*exa^erait peut'Stre le mšrite 
et Put Hite, La btenveillance des Orienta- 
listes europćens doit le consoler un peu 
aujourd'hui de Vindlffirence de ses com'- 
patriotes. Mir^^a'-Djalfčr n'a pas connu 
personnellement Mtr\a Fitk-Ali Akhond- 
Zadš : U a ite seulement en correspoft" 
dance avec lui et U a dćcouvert, d'aprčs 
ce ojjCU a dit H M. S. Churchill, ^ue 
rojpcier de Tiflis itait son compatrtote 
et sonparent. 1 1 vit aujourd hui d Tehi- 
rdn, avec safille au'ilcherit et d V iduća" 
tion de laquelle its^est consacre tout en- 
tier. 

^ Nous nentrerons pas ici dans rexa» 
men des comidies de Mir:[a FHh'Ali 
Akhond'Zadč. Pour celles dont nous 
donnons la traduction, le lecteur est le 
meilleur juge ; guant aux autres, il faut 
bien reconnaitre gu'elles ne valent pas 
grand'chose. II est probable ^ue notre 
auteur a procćde par une serte d'essais 
successifs et que ce n'est que peu dpeu 
qu'il est entrć en pleine jpossesston de son 
talent. Nous crojrons mutile igalement 
de discuter les thiories qu'il a ćmises 



XLII INTRODUCTIOM 



đans sa prdface et que le tradueteur jper* 
san a reprises dans la sierme. Uaxiome 
«c Castigat ridendo mores » est tris 
contestMle et cette vdriti *- si c*en est 
une — rencontre au^urd'htii bien des 
scyptiques. Mir\a Fetk^Ali et Mir^a 
Djafir ne sont pas de cetue-^lit, et ils 
croient, de la tneilleure/bi du mopide, 
a la portće moralisatrice de leur csum'e. 
Čest Id une illusion dont U est permis 
de sourire; mais, Venthousiasme sied 
aux nćophytes, 

Le Vizir du Khdn de Ldnk^rdn porte 
un titre un peu dfffUrent dans f original 
ture ; il est intitule : « Le Vi\ir du Khdn 
de Sčrab ». Link^rđn est un changement 
du tradueteur persan^ changement qui a 
sa raison d'etre, car la setu loeaHti qui 
porte le nom de Sšrab est un village d 
peu prds inconnu et qui n' est pas situć 
au Dord de la mer, Linkšrđn, sur les 
bords de la Caspienne, au nord-ouest de 
Rdcht, s^accorde bien mieux avec toutes 
les exieences de Paction. Nous avans 
done aaopt4 ce titre, qui est d'ailleurs le 
plus corntu, Le Vizir de Lenkćrdn est, 
sans contredit, la meilleure com4die de 
notre auteur. Les caractšres des person- 
nages sont bien observ4s; Vaction se d4- 
roule avec ordre et clart^, sans trop 4e 
maladresses, Certaines scines sont meme 
trds piquantes, celles, par exemple, oU 
t auteur nous montre la justiee exp^di'- 



INTROĐUCTION XLIII 



tm du KhSn, et fui sont charmantes de 
verve et de gc&tiy guoiaue elles soient un 
peu en dehors de laction. Les seuU 
p&rsannages qui pritent quelque peu A 
la critique, sont les amaureux des deux 
comidies. Timour*Aga n*est gu'un/an- 
faron ridicuie^ et A:[i^bey a un role 
«sse\ e0acć^ Le st^ie du vi^ir de L^n^ 
kirm est vif et alerte : c'est le vrat 
stjrJe de la conuersation. Seule, la ha- 
rangut que Timour, devenu Khan, 
adresse d, ses nouveaux sujets, tranche 
asse\ malheureusement sur le ton g^nć- 
ral de la pi^e; hdtons-'nous de dire que 
ee beau morceau d'eloquence ampoulee et 
prud'hommesque est une addition du tra^ 
ducteur persan : nous n'avons conserve 
ee petit kors^oeuvre que pour donner 
une idše du stjrle de cour et de chancel- 
hrte, 

La deuxišme comidie de notre recueil, 
« Les Procureurs » est moins bien faite 
que /e Vizir de Ldnkčrin. L'tntrigue est 
encore asse{ ing6meuse;mais, Vexposi'' 
tion est lourde et le caractšre de quel' 
queS'UKs des personnases est čipeine des- 
sinš. II y a des malaaresses ividentes et 
des ittvraisemblances nombreuses ^ommej 
par exempie, la rapidit^ avec laquelle 
Vauteur fait intervenir des personnages 
qui sont peut-etre H Vautre bout de la 
ville. Mms, le deuxUme acte, presque 
tout entter, est excellent : c'est de la 



XLIV INTRODUCTION 



bonne comidie de tnceurs, Ce deuxišme 
acte seul nous aurait decidi d traduire 
toute la comedie. 

La traduction persane de Mir^a^Dja*- 
fšr est trčS'-Jidšle et tris-vivante : c'est 
d'elle surtout que nous nous sommes servi 
pour notre travail ^ Nous Vavons suivie 
avec la plus grande fidćlitć, sans nous 
croire oblige, cependant, de sacrifier le 
sens čL la lettre au texte. Nous nous som- 
mes permis seulement de retrancher un 
certain nombre de jormules de politesse 
qui encombrent parfois le discours et qui 
seraient fasiidieuses en frangais, Toutes 
lesfois que nous avons dit avoir recours 
Cl une traduction unpeu libre, nous avons 
rejete en note le mot d mot; nous avons 
indiquć egalement les principaux passa* 
ges oU la traduction persane s^icarte de 
V original ture. Nous avons adopte pour 



I . Nous avons emp1oyć pour notre traduction 
I* les Trois comiaies persanes publiees par 
MM. Barbier de Meynard et S. Guvard, texte 
persan, avec vocabulaire, Pariš, 1856, pour la 
comedie u les Procureurs 7>; 2* pour le Vizir de 
L^nkčran, le texte persan de cette comćdie donnć 
par MM. Haggard et G. le Strange. En outre, nous 
avons eu recours a Tćdition compUte des comć- 
dies traduites par Mirza-Dja'fčr (Tčhiran, 187 1 k 




originale turque de Tiflis et la comparer a la 
* traduction persane. 



INTRODUCTION XLV 



Vexposition des personnages, i la pre- 
mišrevage des comidies, un ordre plus 
mithodiaue que celui de Vauteur ture et 
du traaucteur persan. Enfin, pour ren- 
dre la lecture plus facile, nous avons 
coupe les actes en scšnes, ce que F^th-Ali 
avait nćglige de faire. Lit se bornent 
tous les changements aue nous nous som^ 
mespermis. II nous Jaut encore deman^ 
der grace pour quelques mots un peu 
vi/s, qui cho^uent Voreille des lecteurs 
europ^ens, bten que nous les ayons adou^ 
cis autant que possible dans notre tra* 
duction ; mats, Moličre ne se pique pas 
toujours de parler comme d Vćglise, 

Les comćdies de Mir^a Fštk-Ali 
Akkond'Zadč riont probablement jamais 
ćtijouies, ni a Tiflts ni ailleurs, et elles 
ne paraissentpas avoir 4te trop bien ac- 
cueillies des ćrientaux. Čest un rćsultat 
auquel il fallait s'attendre, car de long- 
temps encore, l'Islam opposera une bar^ 
ričre d peu pris infranchissable aux li' 
bertćs et aux innovations venues de 
rOccident, Peut-Stre cependant, la nou- 
velle secte des Babis ^ dont le nombre et 

I. Cette secte a ete fondće, vers l'annće 1843, 
a Chiraz, par Mirza Ali Mohammed qui avait 
alors dix-neuf ans. Čest au retour d*un pelerinage 
a la Mecque que le Luther musulman commen^a 
a attaauer Tlslam et a precher une nouvelle reli- 
gion. Nous ne pouvons raconter, dans cette courte 
note, toutes les pćripćties par lesquelles passa la 

3* 



XLVI INTRODUCTION 



Vinfluence eroissent dejour enjour,four' 
mra-Velle d Vart đratnatique le terrain 
propice đont U a besoinpour se đivelopper 
en Perse, li est dangereux de vouloirfro- 
pMtiser; mais, les Persans sont gais et 
spirituels; Us ont Vesprit natureilement 
portć d la satire : U n'est pas impossible 
aue la com^die s'implante cke:{ eux, sous 
Vinfluence de f Europe. Quoiqu'il ensoit 
de Vavenir^ les comedies de Mir\a Fitk' 
Ali ont eu peu de succšs en Orient : elles 



Douvelle religion. II nous suffira de đire au'elk 
86 propagea rapidement dans toute la Perse^ 

Srllce^u zMe des missionnatres de Mirza Ah 
iohflmincd, parmi les^uels il faut citerMoUaHo- 
c^ia Đouchr^viy&» Had|i Mohammed Balfourou- 
chi et une iemme Zerrin-Tadj, surnommće 
Gourrčt-oul-ain, « la consolation des yeux. » II 
ftLUt lire dans le bel ou vrage de M. de Gobtneau 
« Les rtligions ct les philosopkies dans VAsie cen^ 
trale », le rćcit ćmouvant de la lutte que la nou- 
velle religion soutint contre les armćes du Chah, 
I a resistance acharnće des babis dans leur forte- 
resse de Cheikh-Teb^i, leur inartyre et Tesćcu- 
tion de Mirza Ali Mohammed sur les muraiUes 
de Tauris. Mirza Ali Mohammed avait pris le ti- 
tre de bab, « porte » parče qu*il se disait la porte 
par oh les fideles devaient passer pour arriver k 
la connaissance de Dieu : de \k le nom donne k sa 
secte. Ce qu'U y a de plus remarquable dans le 
babisme, c'est sa morale qui est celle de l'Occi- 
dent. Le bab donne au mariaee et k la famille la 
plus grande importance. H aoolit la polygamie, 
interđit le divorce, supprime le voile, reieve la 
condition de lafemme.Cettedouceur etcetteaffec- 
tion pour la femme et l'enfknt, sont le trait le plus 
cara'cteristtque de la nouveile religion. 



INTROĐUCTION XLyiI 



ont M mieux aeeueiUies en Europe* 
MM. Haggard et Gujr le Strange ont 
iamn^ aux iecteurs anglais la primeur du 
Vizir de L^nkćrdn \ d*aprš$ la version 
persane. Nous ne pouvons malheureuse" 
metu pas appricier leur traduction on* 
glaise; mats, le texte persan qu'ils ont 
aoimć est triS''exact, 

M, Barbier de Mernard apublU tout 
derniirentent, en collaboration avec no* 
tre regrettć nuAtre et ami, M. Stanislas 
Guyardy le texte persan de trois des co' 
midies de Mir^a Fšth-Ali, traduites par 
Mir\a'I^cCftr ^. Letexte que MM. Bar- 
bier de Meynard et S. Gujrard ont 
donn^y a itć revu entišrement sur Vori* 
ginal ture et enrichi d'un txcetlent voća' 
oulaire. Ces comćdies sont un tršs cu- 
rieux spćcimen du persan parić dont U 
existesipeu de textes, et cette publica^ 
tion est de la plus grande utiHtć pour 
rćtude de la langue moderne ^. Parmi 

1. The va^ir of Lankuran, a persian p1«y, by 
W. H. D* Haggard and G. Lb Strance. Londres^ 

2. Trois comedies traduites du dialecte ture 
azeri tn persan, par Mirza Dja^ar, et publićes 
d*apr^s rddition de Tćhćrdn, avec un glossaire et^ 
des notes par C. Baruer de Mevnard et S. Guvarđ. 
Pariš, 1886. 

3. Le rapport annuel h la Socićtd asiatique de 
Londres contieat une la€onique mention de cctte 
publication. L'auteur du rapport ajoute que cet 
ouvrage ne scra pas d*une grande utilite pour les 



XLV11I INTRODUCTION 



ces trois com4dies, figure celle que nous 
avons traduite sous le titre : t Les Procu- 
rcurs » ; elle est accompagnee de « /'Ours 
gendarme "• et de t. /'Alchimiste ». 

MaiSt M, Barbier de Meynard ne s'est 
pas borne a nousfaire connaitre la tra-- 
duction persane de Min^a-D^'a'fir : U a 
đonne, aans le premier Jascicule du 
Journal asiatiaue de cette annše, le texte 
turC'đ:(iri de I Alchimlste, avec traduciion 
franqai$e de cette comedie ^ En mirne 
temps que cette derničre publication pa* 
raissatt d, Pariš, M, Guy le Strange 
publiait d Londres, dans le Journal asia- 
tique de Grande Bretagne et d*Irlande, 
la traduction anglaise ae la mirne come^- 
die 2. // faut voir Idi, certainement, une 



eleves et que Tediiion lithographiće de Teheraa 
est preferabie> parče qu*elle a dan^ la forme et les 
caract&resde Tecriture lecachet ofrćntal. Cette as- 
sertioa est assez singuUere.Quiconqli¥a eu entre les 
mains rćdition du Tćhćran, a pu se rendre compte 
des nombreuses incorrections et de toutes les 
difficultćs de lecture qu*eUe renferme. Comment 
pourrait-on songer a en faire un instrument de 
travail et d*apprentissage pour les eleves de nos 
ćcoles? Čest la mćthode qui consiste a jeter 
quelqu*un a la mer pour lui apprendre a nager. 

1. uAlchimiste^ comćdie en dialecte ture az^ri, 
traduite par M. C. Barbier de Mevnard. (Journ, 
asiat.f janvier 1886. 

2. The Alchemist. A Persian play. Translated 
by Guy le Strange. (The Journal of the Royai 
Asiatic Societv of Great Britain and Ireland. new 
series. Vol. XVllI, part. I, for January 1886.) 



INTRODUCTION XLIX 



rencontre fortuite. En effet^ bien que le 
traducteur anglais eđt suivi les cours du 
du Collšge de France d Vipoque mirne 
ou M. Barbier de Mejrnard avait pris 
/'Alchimiste pour texte de ses le^ons, U 
ignorait assurćment que le pro/esseur 
avait Vintention d^enpublier une traduc^ 
tion. 

Des deux com^dies dont nous don- 
nons la traduction, une, « les Procu- 
reurs » , n'a encore 4H traduite dans au- 
cune langue; l'autre, « le Vizir de Len- 
kčr&n », n'a etć traduite ^u'en anglais; 
elle a eić seulement signalee aux lecteurs 
fran^ais par deux comptes-rendus que 
nous devons citer. Le premier est un ar- 
ticle aue M. Barbier de Mejrnard a pu' 
blii aans la Revue critique du ig marš 
1 883, d propos de Vouvrage de 
MM. Haggard et G. Le Strange. Le se* 
cond est une ćtude asse:{ etendue de 
M. Alexandre Chod:{ko, ins^rie dans le 
Bulletin de VAthenee Oriental de la 
meme annše ^ Malheureusement, la tra^ 
duction que M. Ckod:(ko a donnee de 
certains passages, pourrait Stre plus 
ćUgante et surtoutplus exacte. 

Comme on le voit par ces publications, 
les comćdies de Mir\a FM- Ali Akhond- 

I . L'Aventure du vi;^ ir du Khdn de Lenkevan, 
par M. Chodzko; (tirage a part du Bulletin de 
VAthenee Oriental), Pariš, x883. 



1 

INTRODUCTION 



Zadš ont eu quelque fbrtune aupris đes ^ 

Orientalistes. II nom reste d souhaiter 

Žue le granđ public aceueille avec autatu 
e bienveiliance la traductum que nous 
lui offirons. 

3o septembre iS86« 



A. CILUĆRE. 




A MON MAITRE 

MoNsiEUR C. ĐARĐIER DE MEVNARD 

MKMBRK DK L'INSTITUT 

PR0FB8SKUR AU COLlicOB DK PRAMCE 

■T A L'ŽCOLE DKS LAMGUES ORIENTALES 

HOMMAGB DE PROFONĐB RECONNAISSANCE 
ET DE RESPECTUEUX DĆVOUEMENT 



LE VIZIR 

DU 

KHAN D£ LČNKČRAN 

COMĆDIE EN QUATRK ACTES 



LE VIZIR DU KHAN DE L£NK£RAN 



COMĆDIE EN QUATRE ACTES 

PAR 

MIRZA FETH-ALI AKHOND-ZADE 



PERSOMNAGBS DE LA PliCE 

MIRZA-HABIB, vizir đu khin đe UnkirAn. 
ZIBA-KHANOUM S vietlle femme da vizir. 
CHO'LE-KHANOUM t, jeune femme da vizir et sa prć- 

fćrće, soeor atnće de Ni9a-Klianoam. 
NigA-KHANOUM t, bell&-s(Bur du vizir; — aimće de 

Timour-Aga. 
TIMOUR-AGA, nevea da khin đe Ltokčrftn ; — amou- 

reax đe Ni9a-Khanoam. 

LE KHAN *, goaveroear đe L&nkirftn. 
PERI-KHANOUM l, belle-m^re du vizir, dana U maison 

de qai elle đemeare avec sa fiUe cadette, Ni9a-KhaQ0ttm. 
HADJI-SALIH 6, marchand. 
HČYDER 1, valet de chambre do vizir. 
AGA-BČCHIR, intendant du vizir. 
KERIM 8; palefrenier da vizir. 
AGA-MAS'OUD, LE NOIR f » ettnaque chargć de la sor- 

veillam» da harim da vizir. 
S^IM-BEY 10, granđ-maitre dcs cćrćmonies da khftn. 
QADIR-BEYy second maltre des cćrćmonies, et chef des 

hoissiers. 
AZIZ-AGA, chef des đomestiqoes du khftn. 
SEMED-BŽY» chef des ferrachs ii da kh&n. 
RIZA, fr^re de lait de Timour-Aga. 
Quatre plaideurs qui se prćscntent en audience au palais 

du khdn. — Huissiers đu palais. — Fooctionnaires " et 

notables đe la province. — Valets de chambre da vizir. 

•« Cinquante pages ". 




8»fHS8«4>sQ^^ 



NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES 



1. Ziba-Khanoum. — Ziba signifie belle» 616" 
gante. Le mot khanoum, « madame » s'ajoute tou- 
jours aux noms de femmes; c'est un mot d*ori- 
gine turque, dćrivć de khfin : son sens propre 
est « princesse ». 

2. Cho'lž-Khanoum. — Cho*lč : a flamtne, splen- 
deur ». 

3. Ni9a-Khanoux. — Ni^a : « femme, seže fe- 
minin ». 

4. Le titre de khfin dćsignait spćcialement le 
souverain chez les Tartares. £n Turquie, aujour- 
d'hui encore, il ne s'applique qu*au sultan ; mais, 
en Perse, les gouverneurs de provi nce et d'autres 
grands personnages prennent le titre de khin, 
qu*ils mettent k la suite de leur nom. 

5. Peri-Khanoum. — Pčri : a ange, gćnie » et 
proprement gćnie ailć du sexe fćminin, ilu pehlevi 
pairikj zhnd : pairika. 

6. Hadji : u pčlerin ». Tout musulman doit faire 
dans sa vie au moins un voyage k la Mecque ; au 
retour de ce pilerinage, il ajoute a son nom le 



8 VOTMS SCR LSS NOICS I>BS PBRSONNAGBS 



titre de hađjt. Les Persans s'acquittent assez peu 
de ce devoir religieuz : ils se contentent gćnćra- 
lement de faire un p^lerinage k K&rbčla, au tom- 
beau de rimam Hoss&In oh k N^j&f, au tombeau 
d*Ali, ou encore k celui de l'imam Ali-Đćn-Mou(a, 
k Mhchhhč, On peut lire dans le Journal asiati^ 
4ii€ (mai^iuiii »885), an curieuz artide sur les 
pMerins de Kčrbćla, par le D' Saad, mćdeciii k 
Han&guln, station sanittire sur la frontižre turco- 
persane. 

7* HŽTDER : lion. ~ Čest un des surnoms du 
khalife Ali, et par consćquent, un nom recherchć 
des Persans. 

8. Le mot persan mihth', a eu une fortune 
assez bizarre. Apr&s avoir dćsignć un chef, un 
homme d*une condition ćlevće, (mot k mot tris 
grand) et notamment i^n chambellan du souve- 
rain, ce mot nć signifie plus aujourd'hui que 
« palefrenier, valet d*ćcurie ». 

9. Autre exemple des vicissitudes de certains 
mots. Khadje (en ture khoc^a), signifiait spćcia- 
lement « vieillard, doyen, professeur ». En persan 
moderne, khadj^ đćsigne un eunuque. 

10. Ichik-Sgaci : « chef de la t>orte, cham- 
bellan », c'est le grand-maitre des cćremonies. 

1 1 . Ferrach, mot k mot : celui qui ćtend les 
tapis ». Les ferrachs sont en Perse des esp^es 
de valets de chambre; maiSi leurs fonctions sont 
assez ćtendues. Nous les verrons, k l'acte troi- 
si&me, chargćs de veiller k VeiĆcution des senten- 
tences du khan. Souvent, ce mot se traduit assez 
bien par huissier. 



NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGBS 9 

12. Sp6:ialement:€fonctionnaires đes finances, 
collecteurs đ'impdts ». 

1 3. N0U8 traduisons par page le mot ghoulam^ 
ne pouvant trouver en fran9ai8 un ćquivalent 
plus exact. Les ghoulams sont aussi des esp&ces 
de gardes du corps, de messagers k qut on confie 
parfois des fonctions de police, comme nous le 
verrons k l'acte troisi&me. 



5«^A®^ 



ACTE PREMIER 



ACTE PREMIER 




:^b»^«»b©W' 




ACTE PREMIER 



»^ 



L*action se passe, ii y a cinquante ans, sur les 
bords đe la mer Caspienne >, a LenkčrAn *, dana 
U maiaoii du rizir Mirza-Hablb. — Le fUir eat 

. assis dana une chambra > situće a Tentrae 4ea 
appartements privćs; Hadji-SaUh se tient de- 
boat dđvant lui. 



SCĆNE PREMIfiRE 



Le vizir. — Hadji-Salih, j'ai entendu 
dire que tu vas k Rćcht ^. Est-ce vrai ? 

Hadji-Salih. — Oui, seigneur, j'y vais. 

Le vizir. — Je veux te donner une 
commission, et c*est pour ćela que je t*ai 
fait appeler. 



14 DEUX COMĆDIES TURQUBS 

Hadji-Salih. — Ordonnez, seigneur. 
Je suis pr£t k accomplir vos ordres, de 
toute mon ime et đe tout mon cceur. 

Le vizir. — Eh bien, Hadji-Salih, il 
faut que tu fasses faire a Rčcht une tuni- 
que bieue, brodee đ'or, comme on n*en 
a pas encore vu k Lćnkćrto. Dčs que 
cette tunique sera pr€te, tu feras fabriquer 
par un orfćvre vingt-quatre boutons đ'or 
plus petits qu'un oeuf de poule et plus groš 
qu*un oeuf de pigeon, et tu les feras cou- 
dre autour du collet. Tu rapporteras la 
tunique, k ton retour. -— Voici cinquante 
ecus d^or. (U place Targent devant lui 
dam un papier.J Emploie cet argent, et, 
s^il te manque quelque chose, k ton re- 
tour, nous ferons nos comptes. Revien- 
dras-tu bientot? 

Hadji-Sauh. — Dans un mois. Je n'ai 
rien k faire. J*emporte avec moi de Tar- 
gent; fachćte de la soie, et je reviens 
aussitdt. — Mais, seigneur, si je connais- 
sais les mesures de cette tunique, ćela 
vaudrait bien mieux. Quand on la fera, il 



ACTE PREMIBR 1 5 



se peut qu'elle soit trop Aroite ou trop 
large, trop courte ou trop longue, et que 
j^accomplisse mal la commission de Votre 
Altesse. 

Le vizir. — II n'y a pas de mal k la 
faire un peu large et longue. Si la mesure 
n'y est pas, on Parrangera ici. 

Hadji-Salih. — Seigneur, ne vaut-il pas 
mieuz que j^achćte TetofiTe k Rćcht et que 
'fy fasse fabriquer les boutons ; puis, que 
j'apporte tout ćela ici, et qu'on fasse faire 
alors la tunique« i la taille de la personne 
qui la mettra ? 

Le vizir. ^ Ah! serviteur de Dieul 
vous autres, vous avez la singuliere ha- 
bitude de trop parler et de vouloir mon- 
trer vos connaissances I Ce que tu veux, 
c'est que, sans detour, je te revćle mon 
secret. Mais, ne sais-tu done pas, si je 
faisais faire ici cette tunique, dans quels 
commćrages je tomberais, et combien 
d'heures amćres je passerais ? 

Hadji-Salih. — Non, seigneur. Com- 
ment le saurais-je ? 

4* 



t6 DEUX COHĆDIES TURQUES 

Le vizir. -^ Ainsi done, il faut qu*a- 
vant rheure je f apprenne mon đessein, 
pour que tu dises, dćs que tu iras au ba-« 
zar, k chaque personne que tu tronveras : 
€ le vizir m'a donnd telle et telle cotn- 
mission; » pour que tu m'enlčves toute 
traaquillite, et que tu ne me permettes 
plus de reposer en paix ! — Eh bien, mon 
cher, voici quelle est mon intention. II f 
a encore deux mois avant la fete duN6ou- 
rouz ^j et, pour cette f6te, je Veux acheter k 
Cho'le*Khanoum quelque chose de mer- 
veilleuxl Or, si je fais faire ici cette tuni« 
que, Ziba-Khanoum me đemandera la 
pareille. Si je la lui achćte, c^est une dou- 
ble dćpense, et Ziba-Khanoum n^en sera 
pas plus belle. Si je ne la lui achdte pas, 
je n'en aurai pas Bni avec les piaintes et 
les tracas ! Tout le jour, ce sera pour moi 
une nouvelle cause de maux de tfitč et 
d'heures d'amertume. ^ 

Hadji-Salih. — Mais, seigneur, quand 
vous donnerez la tunique, toute confec- 
tionnee, k Cho'lč-Khanoum, est-ce que 



ACTE PREMIER 1 7 



Ziba-Khanoum n^en voudra pas alors une 
pareille ? 

Lb vizir. — Grand Dieu! dans quel 
pičgesuis-je tombćl Eh! mon cher, est- 
ce que c^dst ton affaire ? Va done, et fais ce 
qQ^on te dit. Quand je donnerai la tuni- 
qae i Cho^U, je dirai k Ziba-Khanoum 
qae c^tst ma soeur, la femme de H6- 
dayte-Khfln, de Ržcht, qui la lui a en« 
Toy<e en cadeau. Ainsi, elle ne pourra 
pas me prtndre en dćfaut. -^ Ne va rien 
dire de toat čeci, n'est-ce pas? 

Hadji-Salih. <^ Non^ stigneur. Moi, 
dćvoiler votre secret f ce ne serait pas di- 
gne de ma barbe blanche. 

Lb vina. ^ Tr^ft-bien. Va done: tu es 
cong6dić. (HadjiSaiih šHncline et sorU 
•— Attssit6t qu'il a toumS le dos, Ziba- 
Khanounij potissant violemment la porte 
des deux mains, entre dans la ckambre, en 
poussant des cris et des exclamations . 
-^ A ce bruit, le vi:(ir effraye^ se re- 
tourne en sixrsaut.) 



1 8 DEUX COMĆDIBS TURQUBS 



SCĆNE II 

Ziba-Khanoum. -— Ah! vous comman- 
dez, pour votre femme bien-aimee, une 
tunique, au coUet orne de boutons d^or! 
Bravo pour votre generosite ! Et puis, vous 
me direz : <r Čest ma soeur, la femme de 
Hedayčt-Khdn, qui Ta envoyćeen cadeau k 
Cho'le-Khanoum. Bravo 1 Tu me la feras 

connattre ta soeur, ta soeur qui, aussi 

avare que les marchands d'Ispahdn ^^ met 
du fromage dans une carafe, et frotte sdn 
pain sur le dos de la carafe ! Et mainte« 
nant, elle enverrait k ta femme une tuni- 
que de cinquante ou soixante tomans^? 
Et je serais assez sotte pour le croire ? 

Le vizir. — Femme I tu m'as fais peur. 
Quoi? que dis-tu done? quel cadeau? 
quelle tunique? Es-tu folle, par hasard? 

Ziba-Khanoum. — Ne faites pas Tarro- 
gant, et ne dites pas d'impudences ^I J'ai 
entendu tout ce que vous avez dit a 



ACTE PREMIER 1 9 



Hadji-Salih; je Tai entendu, point ® par 
point, et jusqu au bout. J ai tout compris 
dčs le moment oii vous avez mande 
Hadji-Salih, et ćela m^a frappe au coeur. 
Alors, je suis venue tout doucement : je 
me suis placee U, derričre cette porte, et 
j'ai prete l'oreille. J'ai vu quec'ćtait bien 
comme j'avais pense. — Que Dieu la bć- 
nisse, cette tunique, au coUet orne de bou- 
tons d*or, que vous destinez šl votre femme 
cheriel Que Poeil de Timour-Ag« en 
brille de plaisir! On vient de comman- 
der une nouvelle tunique pour sa bonne 
amie : elle la mettra pour se pavaner de- 
vant lui. 

Le vizir. — Mauvaise femme! pour- 
quoi tant de bavardage ? Quand cesseras- 
tu de me dire des inconvenances? N'as-tu 
done aucune pudeur? Devant moi, tu 
calomnies ma femme ^^! tu jettes mon 
honneur ^ tous les vents! Le sentiment 
des convenances est une bien bonne chose 
en ce monde : tu devrais le savoir. 

Ziba-Khanoum. — Moi aussi, si je vou- 



20 DEUX COMĆDIES TURQUES 



lais, je le jetterais au vent, votrc hon- 

neur ! Je me procnrerais un jeune gargon 

bien fah, tout frais ^i, et je ferais a^ec 

lui le jeu d*amour. -^ Mais, c'cst votre 

femme prćfer^e qui vous dćshonore, elle 

qui est pendae, jour et nuit, au cou de 

Timour-Aga. Bien des fois, ma setvante 

les a vus de ses propres yeux. 

" Le vizir.-* (En fdlissant} ^ Jamais, je 

n'ajouterai foi k tes prapos ni a ceux de 

ta servante. 

Ziba*Khanoum. — n n*y a pas que nous 
qui disions ćela. Toute la papulation de 
L^nker^n conndt ce manige. Mais, on 
dit que vous fermez les yeux, comme la 
perdrix qui cache sa tćte sous la neige ^^. 
Ne distinguez-vous pas ce qai vous sfert 
et ce qui vous nuit? Croyez-Tous done 
que le monde ne comprend pas tout 
ćela? 

Le vizir. — Qu'est-ce que tu dis > Corti- 
ment Cho'le a-t'elle connu Timour Aga? 
Oti IVt'clle vu > 
Ziba-Khaxouh. — C^t vous-mime qui 



AGTE PRSMIER 21 



le lui ftvez jcnontrć i Čest vous^nićine qai 
le lui ave;s indiqućl 

Le viziR. — (En ^levant le ton) Moi ! je 
le lui ai iadiqu^? Moi! je le lui ai mon- 
trć? 

Ziba-Khanoum. — Certalnement, vous 
le lui avez montrć. Assurćmeot, vous le 
lui avez inđiq.uć. C'est peut-£tre moi qui 
le lui ai fait conuattre? Vous Stes alle 
vous-mSme, le jour de la rupture du 
jeOne i*, dire k votre fetntne bien-aimće : 
c le Kbto fait lutter les fils des bćy$, 
hprs de la forteresse. Allez-y, Ni^a-Kba- 
noum et toi, avec reunuque et la sei- 
vante. On ć^endca un tapis pour vous, 
dans Tallee au pied des remparts : vous 
vous y assierez et vous regarderez le 
spectacle. » — Alors, elles sont parties, et 
y sont all&s. Lš, Timour-Aga, un jeune 
homme de vingt-€inq aos, bien b^ti et 
plein de vigueur, jeta ^ terre tous les au- 
tres fils de bdys..Cho'lč-Khanoum en de- 
vint amoureuse, et s'ćprit de lui de lout 
son coeur, que dis-je? mille fois plus 



22 DEUX COMŽDIES TURQUES 



encore ^5 f Qui sait par quels artifices elle 
se Test procure? Mais, elle n'a pas dc re- 
pos si elle ne le voit d'un jour. Ne vous 
avais-je pas prćvenu qu*k votre Sge un 
jeune tendron n'etait pas votre affaire? 
Vous ne m*avez pas ćcoutć : c*est bien 
fait. Avale ! 

Le vizir. — C'est bon, va-t'en, dispa- 
rais ! Ćela suffit ! la mesure est comble. 
Laisse-moi I j^ai afifaire. 

Ziba-Khanoum. — (Elle sorten murmu- 
rantf et dit entre ses đents ^^ :) Pourquoi 
disparaitrais-je, moi?Cest votre femme 
bien aimee qui disparaitra, elle et son 
scelerat d'amant ! — Ah! ils vous convien- 
nent bien tous deux ! 



SCĆNE III 

Le vizir. — fA part.J Mon esprit se 
refuse d croire que Cho*lč-Khanoum fasse 
un pareil mančge. Mais, il est bien 



ACTE PRGMIER 2 3 



possible qu*ayant vu la force ct la vi- 
gueur de Timour-Aga, celui-ci lui ait 
plu. C'est une enfant ignorante et sans 
jugement : elle l'aura vantć d tel et tel I 
Ma vieille femme a, par jalousie, attribuć 
ses paroles k Tamour, et elle a creusć un 
puits pour Vy pr&ipiter ^'^. En tous cas, 
il faut tirer ChoUć de cette idće et lui 
faire entenđre que Timour-Aga n'est pas 
si solide que ga, ... que tous ceux qu^il 
a renversćs ćtaient des enfants pas plus 
haut que ie pouče ^^ I GršLce šl ces pro- 
pos, elle chassera probablement de son 
espril rimage de Timour-Aga, etelle n'en 
reparlera plus.— Je me Ićve, et je vais chez 
le Kh^n. Puis, je reviens aussitćt, je vais 
k la chambre de ChoUć, et je verrai ce que 
j aurai II faire. (II se Išvepour partirj 



SCĆNE IV 

Ziba-Khanoum.— (Entrant dans ršndd" 
roun ^^.J Donnez vos ordres, afin qu'on 



24 DEUX COMĆDIES TURQUES 

prćpare ce que vous voudrez pour votre 
dejeOner et votre diner d^aujourd*hui. 

Le vizir. — Venin de serpent ! tu m'as 
tant fait tnanger de \šqqoum ^ que je ne 
mahgerai plusd'un mois. J'en «i assez. (// 
veut s'en aller. — Un tamis est a terre, au 
milieu de la chambre.Le vi:[tr,absorbe ddns 
sespensees, marche, les yeux fixes du cCt^ 
de la porte. Son pied se pose sur un bord 
du tamis; Vautre bord se rel^e et le 
frappe au genou, II porte la main d son 
genou en poussant un eri, et se retourne 
furieux du cćtć de safemme.) Oh ! hom- 
mes! ce tamis! que f«it-ii ici? Ah! filk 
de gredin *^ ! 

Ziba-Khanoum. — Eh! que sais«-|e moi? 
est-ce que je sais ce qu^il fait ici ? Cha« 
que fois'que vous venez ici, c'est pour 
me chercher dispute et querelie. Les tu- 
niques sont pour les autres et les sottises 
pour moi. 

Le vizir. — Ferrach ! (Hdyder, lejer- 
rachy entre du vestibule dans la chambre, 
et sHncline, la main sur la poitrine. — 



ACTB PRBMIER 25 



Ziba^Kanoum se voile le visage, * et se 
retire dans un coin de la pisce,) 



SCĆNE V 

Lb viaiR. — (En coUre.) Hćydir I cc 
tamis, que fait-il a u milku de la cham* 
bre? 

Hž:ydčr. — Seigneur, ce matia k Taube, 
je balayais Tapparteinent. Kžrim, le va- 
let d'ecurie, est venu ici, un tamis k la 
main. U m'a parić un moment; puis il 
est sorti. II est evident qu'il a laissć ici 
son tamis, en s*en allant. 

Le vizir« — Appelle-moi cet animal ^ 
de valet d'ecurie; que je le voie! (Lefer* 
rach sort et va cherchtr le valet d'ecu* 
rte,) 



26 DEUX COMŽDIES TORQUES 



SCĆNE VI 

Le vizir. — Grand Dieu ! Qu'est-ce que 
le valet d^ecurie a k faire dans ma cham- 
bre? Qu'est-ce que ce tamis a i faire ici? 
Aujourd*hui, lesennuis m'arrivent de tous 
cdtes. Chaque fois que je viens dans cette 
baraque ^ de chambre, je n'en sors pas 
sans accident. 

Ziba-Khanoum. — Oui, certainement, 
parče que Cholč-Khanoum n^ est pas. 
Mais, puisqu*il en est ainsi, pourquoi 
done y venez-vous toujours? AUcz dans 
la chambre de Cho'lć-Khanoum. — (Le 
ferrach et le valet đ'ecurie entrent). 



SCĆNE VII 

Le vizir. — (Au comble de lafureur.) 
Kčrim ! sale garcon ! qu'as-tu d faire dans 



AGTE PREMIER 2J 



ma chambre ?Ta place est k Pćcurie : par 
quelle audace as«tu mis le pied dans ma 
chambre, filsde gredin? 

Lb valet d'ćcurie. — Seigneur, je suis 
venu ici, une seule minute, pour deman- 
der ši Heyder si vous monteriez šl cheval 
aujourd'hui. Je Tai demandć, et je suis 
parti aussitdt. 

Le vizir. — Mais, pourquoi as-tu jete 
1^ ce tamis, en partant? 

Le VALET D^ććuRiE. — J'avais un tamis ^ 
i la main, parče que je criblais de l'orge 
pour les cbevaux : je Pai oublić ici. 

Lb vizir. — Mais, ensuite, pourquoi 
n'es-tu pas venu l'oler de li? 

Lb valet d^ecurie. — II ne m'est pas 
venu k Tidće qu^ii ćtait reste ici. Jusqu*& 
maintenant, j*ai couru aprćs ce tamis ^. 
Le vizir. — (Au valet d'ćcurie). Od 
etait tatćte? Misćrable^I (Ensuite, au 
ferrach), H6yd6r, appeile-moi Bechir, 
rintendant. Qu^il vienne ici tout de suite! 
Apporte avec toi des bdtons et la fšlčk ^8, 
et dis aussi a trois ferrachs de venir ici. 
(Lejerrach sort). 



28 DEUX COMĆOIES TUItQUES 



SCENE Vlll 

Le valet d'žcurie. — (II commence i 
trembler, et s'ecrie en gćmissant). Sei- 
gneur, faites-moi grdce ! par la tćte du 
Kh^n ! 

Le Vizm. — (Avec une fureur bien /e- 
gitime). Que ton souflSe t'etrangle, fils 
de chien ! 

Le valet d'ćcurib. — (En pleurant), 
Seigneur, quc je sois votre ran^on ! J'ai 
commfs une fame ^. J*ai fait une sottise. 
Par le tombeau de votre peref Pardon- 
nez-moi. J*^i commis une faute; mais, 
par mon pžre et par ma mčre I jamais, je 
ne remettrai les pieds ici. 

Le vizir. — Ćtrangle, aniraal 30f (En-- 

trent alors V intendant AgaSdchir^ le 

ferrach Hšyđšry une poignee de bđtons 

sotisle bras et lafilšk sur V^paule, et^ 

avec euXf trois autres ferrachs) , 



ACTG PREMIER 29 



SCENE IX 

Le vizir, — (Aux ferrachs). Jetez i 
terre Tintendant, et mettez-lui les pieds 
dans la fdćk. (Les ferrachs etendent d 
terre V intendant, et prSparent la fćlšk oU 
Us lui passent les pieds. Puis, deux hom- 
mes prennent la fiUkš, tandis que deux 
autres saisissent les batons). 

J^E VIZIR. — FrappezI (Les ferrachs 
frappent). 

L'iNTENDANT. — O Hioii chcr maitrc ! Je 
suis votre esclave^^! Quelle faute ai-je 
done commise pour qu'on me donne la 
bastonnade? 

Lb vizir. — (Indiauant le tamis^ d'un 
geste irriti) . Ce tamis! que fait-il dans 
ma cfaambre ? 

L^NTENDANT. — Quel tamis, seigneur ? 

Lb vizir. — Quand tu auras mange du 
b^ton, tu comprendras de quel tamis je 
parlel (Les ferrachs frappent). 



30 DEUX COMĆDIES TURQUES 

■ - - - - - — - fi ■ ^ i-^mn-m^mT- - — -* i ^ mm^ 

L'iNTENDANT. — Oh f gVŠiCt ! jUSticC ! Jc 

suis votre esclave, seigneuri Enfin, quelle 
est ma faute? Q.ue je sois votre ran^on I 
Đaignez m*apprendre ma faute; puis, 
vous me tuerez, si vous voulez : vous le 
pourrez. 

Le VIZIR. — (Aux ferrachsj. Arrćtez! 
— Aga-Bčchir, voici quelle est ta faute : 
tu n'as pas fait comprendre leurs devoirs 
k mes domestiques. Quiconque sert dans 
ma maison dćpend de toi. II faut que tu 
indiques, toi-mćme, sa place k chacun 
d'eux; que tu leur enseignes leur service, 
et que tu le leur fasses comprendre. Le 
valet d*ecurie ne doit pas mettre le pied 
ailleurs qu*& Tecurle, et il ne doit pas y 
avoir de tamis dans ma chambre. Aujour- 
d'hui, le valet d'ecurie Kčrim, est venu 
ici, un tamis k la main, et il Ta laissć en 
partant. Sans y prendre garde, j^ai pose le 
pied sur le bord de ce tamis ; Tautre bord 
s^est releve et m'a cogne si fort le genou 
que maintenant encore^ a cause de cette 
douleur, je ne peux pas remuer la jambe. 



ACTE PREMIER 3 1 



Moi, qui suis le vizir d'une grande pro- 
vince, je porte le poids de toutes ses af* 
faires^^, et foi, Sne bdtć I tu ne peux meme 
pas diriger une seule maison avec ses do- 
mestiques I 

L^iNTENDANT. — Seigneur, Dicu vous a 
fait un grand esprit et une grande intelli- 
gence. Mais, moi, comment pourrais-je 
vous egaler ? 

Le vizir. — (Aux ferrachs). Frappez I 

L'iNTENDANT. — Seigneur, puissć-je žtre 
la ran^on de votre t€te! Pour cette fois, 
faites-moi gr^ce. A Tavenir, pareille faute 
ne se renouvellera pas. 

Lb vizir. — Trčs bien. Maintenant qu'il a 
promis, arretezi ćela suffit. — Aga-Bčchir, 
pour cette fois, je te pardonne. Mais, sa- 
che bien que si dorenavant on voit un 
tamis dans ma chambre, tu es mort. En- 
tends-tu ? 

L'iNTENDANT. — (Efi sc reUvant), Oui, 
seigneur, soyez tranquille. 

Lk vizir. — C'est bien, allez-vous-en. 

Le valet đ'ćgurie. — (Tout bas). Grand 

5» 



32 DEUX COMŽDIES TURQUES 

Dieu ! Merci ! fAvartt tout, U prenđ son 
tamis et s'en va. Les autres sortent der- 
riire iui. 

Le rideau tombe. 

Fin du premier acte 



¥ 







NOTES SUR L'ACTE PREMIER 



I. La mer Caspienne est appelće ici mer de 
Kh^zer, du nom d'un pay8 situe sur ses bords, et 
du nom ture du Volga. On a donnć a la mer Cas- 
pienne un grand nombre de noms empruntes, 
pour la plupart^ a ceux des pays qu'el]e baigne. On 
Iadestgnequelquefois sous le nom de merdu Kha- 
rezm, raais h tort, car c'eat la mer d'Aral qui 8*ap^ 
pdlle ainsi. Quelques auteurs la nomment mćme 
mer de Qoulzoum, alors que cette dćnomination 
ne s'appiique qu'8 la mer Rouge. On peut con- 
sulter sur le pays des Khčzers le chapitre IX, de 
Maijoudi, (Prairies d'or, trađuction de MM, Bar- 
bier de Meynard et Pavet de Courteille), ainsi 
qu'un mćmotre de Klaproth dana le Journal asia- 
tique, 

3. L^nkeran est une petite ville de la Trans-^ 
caucasie orientale, dans le gouvernement de Ba- 
kou ; elle est si tuce sur les bords de la mer Cas- 
pienne, au sud-^ouest de cette mer, tout pres de 
la frontiere persane. On appelle gćnćralement 
cette ville L^nkorSn, ou Lenkoroud, qu'il ne faut 



34 DEUX COMŽDIES TURQUES 

pas confondre avec la ville persane de L^nghe- 
roud, egalement situće sur les cdtes de la Cas- 
pienne, mais, plus au sud-est, dans le Guil&n ; 
rćtyinologie des deux noms est d'ailleurs la 
mSme. Lenkor&n est Torthographe adoptee par 
les cartes russes et allemandes; mais, il est plus 
exact d*ecrire Lčnker&n. En efifet, ce nom est dć- 
rive du mot persan lenker ou plutdt lenguer qui 
signifie « ancre de navire » ; le sens de L&nkerdn 
est done « les ancres » et, par eztension, « lieu 
d'ancrage ». Ce port est, d*ailleurs, ua des plus 
mauvais de cette cdte ou il y a si peu de bons 
abris; les navires sont obligćs de mouiller au 
large, a une grande distance de la terre, k cause 
des marais peu profonds qui bordent le rivage. 
Le climat de L^nk^rdn est tres malsain; sa po- 
pulation n*atteint pascinq mille dmes et son com- 
merce est peu important. La plus grande partie 
des marchandisesćvite L^nkeran, pour passer.par 
Astara, petit port situć un peu plus au sud, sur 
la frontićre mSme de la Perse : c'est dans cette 
derni^re ville que se trouve la douane russe. 

3. 11 s'agit ici d*une espece de vesti bule situć a 
Tentrće des appartements privćs, et ou le maitre 
de la maison re^oit ses visiteurs. La partie de la 
maison, interdite auz etrangers, s'appelle ende- 
roun, a intćrieur » : c*est le har^m. 

4. Recht est la capitale de la provi nce du Gui- 
Idn ; elle est situće au sud-ouest de la mer Gas- 
pienne, a 3o kilom^tres environ de cette mer. 
Comme la province enti^re du Guildn, elle est 
connue par son climat malsain, bumide a Tezc^s, 



NOTES SUR l'actb premier 33 

et fi^vreux; elle est entourće đe marćcages. 
Maigrć cet conditions dćfavorables, Recht a une 
grande importance commerciale : c'est le princi- 
pal marchć de la Perse pour les soies gržges et 
les cocons. D*ailleurs, sa position gćographique 
est unique, au point de vue commercial ; Ržcht 
est situće a l'ouest du Sefid*Roud, au bout du 
long couloir que forme ce fleuve en passant a 
travers les massifs occidentaux de TElbouz; elle 
est la tSte de ligne de la route qui conduit de la 
Caspienne a Tćhćrfln. Malheureusement, elle est 
separće de la mer par un marais sans profon- 
deur que les Persans appellent le Mourd-&b, ou 
c eau morte ». Le port de Recht est la petite ville 
d*Enz&li, sur la barre du m£me nom : ce port 
est un des plus dangereux de la Caspienne. 
R^cht a vingt-sept mille habitants, et Enz&li, deux 
mille cinq cents environ. 

3. La f£te du Nčourouz c nouveau jour » est la 
fgte par laquelle les Persans cćlžbrent le retour 
du printemps. Cette solennitć remonte k la plus 
haute antiquitć, car c'est un reste de Tancienne 
religion de Zoroastre : c*etait la fSte du soleil 
instituće par les adorateurs du feu. Pour masquer 
Torigine peu orthodoxe de c^tte solennitć, les 
Persans ont imagine de dire qu*elle est instituee 
en rhonneur de Tćlevation d'Ali au khalifat. La 
fiSte du Neourouz est encore aujourd'hui fort en 
honneur chez les Persans : c*est, pour ainsi dire, 
la fSte nationale de la Perse. 

6. La signification de ce proverbe est assez 
claire. Les marcluinds d'Ispab&n mettent du fro* 



36 DEUX COMEDIES TURQUES 



mage dans une carafe et se contentent de frotter 
leur patn sur le verre de celle*ci, pour faire durer 
le fromage indefiniment. La rćputation d^avarice 
des habitants d'Ispahda est depais longtempt 
ćtabiie en Perse, et on leur pr£te»a tort ou k rai* 
aon, un bon nombre d^autres dćfauta avec celui-lž. 
Le cćl&bre gćographe arabe Yaqout s'est fait V6^ 
eho de cea petites mćdisances dans son Mo'djem- 
el-Đould&n (vojrez Dicf. de la Perse, irad, par 
M, Barbier de Mexnard, a l'article Ispah&n)^ Ce 
8ont-la des amćnitćs que les Persans des diver- 
ses provinces aiment a se jeter k la t£te. Ainsi. il 
y a entreChiraz et Ispahfin, les deux principales 
villes historiques de la Perse, une lutte d*amour- 
propre qui se traduit par un certain nombre de 
proverbes aussi humoristiquea que mćchants. 
Đ'apr&s les habitants de Chiraz, Tavance est le 
plus granddefaut desIspahSnis; en revanche, d'a- 
pres ceux d*Ispahfin, les Chirazis sont les pires 
menteurs de la Perse, ce qui n'est pas peu dire. 
La ville d*lspah&n, ou Isfah&n, selon une ortho* 
graphe arabe usitće aussi en Perse, est trop con-> 
nue pour que nous en fassions ici la description. 
Nous nous bornerons a rappeler qu'elle est batie 
sur la rive gauche du Zčndč-roud, et qu^elle a 6i^ 
longtemps la capitale de la Perse. Au xvii* si^cle, 
sous le vhgnt glorieux de Chah-Abbas, elle ćtait 
une des villes les plus belles et les plus impor« 
tantes de TOrient musulman, et contenait plus 
d'un demi-miilion d'habitants; elle est encore 
aujourd'hui, de toutes les grandes villes de Piran, 
celle qui possžde le plus de monumenta remar- 



NOTES SUR l'ACTE PREMIER 87 



quables, et qm a le plus grand air ; mais, sa po- 
pulation s'est abaissće k soixante mille ames, en- 
▼iron, et )a pluS grande partie de ses faubourgs 
est en ruines. Les plus beaux monuments d'Ispa- 
hftn sont ses mosquee8, et, parmi elles, la plus 
plus remarquable est la grande tnosquće cons- 
truite par Chafa-Abbas, sur la place ro7ale, une 
des plus grandes et des plus belles places du 
monde. En face, est le somptueuic palais de Chah- 
Abbas, qui est comme une petite ville dans la 
grande. II faut ctter encore, parmi les curiositćs 
d'lspahSn, deux ponts magnifiques sur )e Zendi- 
roud, deux mervelllcsd'architecture. (Pour Ispahan 
et pour toutes les autresvilles de la Perse, dont 
nous parlerons plus tard, nous renvojrons le lec- 
teur au Dictionnaire geographigue de la Perse, 
par M. Barbier de Mejnard, au Voyage de Char- 
din, dont toutes les descripttons sont si charman- 
tes et si exactes encore, apr^s deuK siicles, et k 
rexcellente Geographie universelUf tome IX, de 
M. ĆUsćc Reclus). 

7. Le tomdn vaut dix sapqr&n isaheb-grdn). Sa 
valeur actuelle est de 9 fr. jb cent. 

H. Mot k mot ! a ne faites pas tourner votre lan- 

gue ». 

9. Mot a mot : « cbeveu par cheveu ». 

10. Le mot 'ayat» que nous traduisons ici par 
femme, dćsigne en rćalite toute la fomille. 

11. Ra' na i « tendre, tout frais ». 

12. Mot a mot : « ses couleurs s'envolant ». 

1 3. Proverbe persan qui signiiie : vous faites 
semblant de ne rien voir, et vous iermez1esyeux. 



38 DEUX COMĆĐIES TURQUES 

Le fait qu'on attribue ici a la perdrix est plutdt 
vrai de Tautruche. 

14. La flte de ]a rupture du jeflne est celle 
qui a lieu le premier jour du mois de Ch&oual, 
apr^s le jeOne du Ramaz&n. Les Peraans l'appel- 
lent ide mah^ « la fete de la lune, ou du mois >, 
parče qu'elle a lieu le premier jour de U lune de 
Cheoual. Čest cette fSte qu'on appelle ausai le 
Beyram : elle est commune a tous les musulmans, 
tandis que le N&ourouz n^est cćlćbrć qu'en Perse. 

1 5. Mot k mot : c non pas d'un seul cceur, mais 
de mille coeurs ». 

16. Mot a mot : « sous les livres ». 

17. Variante du proverbe arabe : Man ha fara bi' 
rdn li-dkhi»hifaqad ouaqa*aJi-hi; celui qui creuse 
un puits pour son frćre, y tombe. Ce proverbe 
sert de sous-titre et de morale a une des co- 
mćdies de Mirza-Feth-Ali-Akhond-Zad^, (FOurs 
gendarmej qui ne figure pas dans notre tra- 
duction. 

18. Nous avons une eipression analogue en 
fran^ats quand nous disons : pas plus que haut 
ma botte. 

19. Endčroun : ce sont les appartements privćs. 
Voir plus haut, note 3. 

30. 2^qoum : c'est le nom d'un arbre qui, d'a- 
prhs le Coran, pousse dans Tenfer, et dont les ci- 
mes ressemblent a des tStes de dćmons. c Les 
rćprouvćs en seront nourris et s*en rempliront 
le ventre. La-dessus ils boiront de l'eau bouil- 
lante.nCorđn, trad.de M. Ka8imir8ki,souraxxzvii, 
vcrsets 6o-65; xuv, 43; lvi, 32. 



NOTES SUR L'ACTE PREMIER Sg 

s I . PM«r-soukht^ : c đont le p&re briile en en- 
fer ». 

22. On sait que les musulmanes ne peuvent se 
montrer k vi sage dćcouvert devant aucun homme 
ćtranger, m£me devant un doinestique. 

23. Qouroumsaq : litt. c cornard ». 

24. Motu mot:c dans cette chambre dćmolie.» 

25. Le mot guil'bi^ qui dćsigne ici le tamis, 
est la forme primitive dont la signification est : 
« qui crible la poussiere ». Ce mot a subi, mSme 
en persan, une foule d'altćrations : on le retrouve 
sous les formes ghelbirt ghelbour, ghh'hir, gher'- 
bil. Čest, sans doute, cette dernižre forme qui a 
passć en arabe et qui a formć, par une sorte de 
mćtathese, le mot arabe gkirbal auquel on a donne 
le pluriel gharabiU 

26. Traduction littćrale. U est H remarquer que 
beaucoup de nos locutions et de nos expressions 
famili^res ont leur ćquivalent exact en persan 
moderne. Nous verrons plus loin : manger du 
b&ton, etc, etc. 

27. Le mot persan est plus ćnergique ; hertim" 
j^ade : c bfttard » et mieux encore. 

28. La/^/e^, ou felekCj est un instrument de 
torture employć en Perse. Elle est formće de deux 
longues pi^ces de bois, relićes a leurs deux extrć- 
mitćs par deux autres pi&ces de bois. La tSte du 
patient repose sur un des c6tćs et les pieds sur 
Tautre ou ils sont mkintenus et serrćs par une 
corde. Deux hommes saisissent alors la felćkč, et 
maintiennent en l'air les pieds du patient; deux 
autres proc^dent a la bastonnade sur la plante des 



40 DEaZ COMĆDISS TURQUES 

pieds. Le compMment de la fhlhkh, c'est le ickoub, 
« baguette de bois flezible » qui doit Čtre britde 
•n frapfMiiit. Ordiotircment, le degrĆ de rigoeur 
du tupplice est ctlculć d'apr^s le Dombre de ba- 
guettes k emplojer et a mettre hora d*U8age. 

2g. Mot a moc: c )Vi mangć dea escrćmenta ». 
Cette ainguli^re ezpreaaion eat tr&e uaitć en Perse 
ct on remploie aana aonger aucanement au aens 
primitif. 

30. Litt. « aemence d'dne ». 

3 1. Mot k mot: « je tourne autoaf de votre t6te »< 
Cette expreasioB rappelle une cotttume tr^ an- 
denne en Orient, celle de tourner autour d*une 
choae pour inarquer aon reapect et aa vćnćratlon« 
On aait <|ae tout p^lerin da la M«cque doit tour- 
ner trois fois autour de la Ka*aba : cette coutume 
eat antćrieure k l'Islam, et c'eat one de ceiles que 
Mahomet a eru devoir conaerver. 

3i. Le moc arabe vi^ir^ ou plutdt y^:fir, qui 
d^aigne lea fonctiona de premier miniatre, avait 
pri miti vement le sena de porte-faix. Le vizir eat, 
en efiet, celui qui porte tout le fardeau dea affai- 
rea publique8. L*auteur >oue ici aur lea deux aeaa 
du mot. 






ACTE DEUXIEME 



ACTE DEUXIĆME 



L^action se passe dans la chambre de 
ChoMČ-Khanoum. 



SCĆNE PREMIŽRE 

Timour-Aga. — (Debout, en face de 
Niqa'Khanoum), Voyons, dis-moi : que 
faut-ii faire? Quelle est cette idee qui est 
venue au vizir ? Suis-je mori pour qu'il 
puisse te donner d un autre ? Quel but 
poursuit-il done en recherchant Palliance 
du khan ? 

N19A-KHANOUM. — Eh I ne le sais-tu pas, 
toi-mćme, ce quMl cherche? C'est la puis- 
sance, la grandeur, la consideration. 



44 ^St;X OGMto£6 TtnEQUK9 

Timour-Aga. — Le pouvoir et les hon- 
neurs que le kh^n lui accorde mainte- 
nant ne lui suffisent done pas ? 

« 

Nica-Khanoum. — Si, ils lui suffisent ; 
mais, il est saiis presti^. II veut affermir 
son pouvoir et son autorite par son al- 
liance avec le khSn. 

Timour-Aga. — C*est un ćtrange sot! 
Ne voit-il done pas, de ses yeux, eom- 
ment le Kh^n traite ses propres pa- 
rents ? En tous cas, il faut, une fois pour 
toutes, chercher un remede a eela ; car, 
vous m'avez empćchć, san$ raison, de 
faire eonnaltre mes projets au vizir. Đe- 
main, j*enverrai quelqu'un aupres de lui 
et je lui ferai savoir qu*il ait i abandon* 
ner ce projet inutile ; s^il agissait autre- 
meut il mecoDnaitrait son propre bien. , 

Ni^ia-Khanoum. — De grdce, mon cber 
Aga, laisse-U ces idees. Jamais, on he 
pourra apprendre eela au vizir. VoilJl 
deji longtemps, nous dit-»il, que le 
khSn cherehe un proteste pour te tuer — 
et je sais, moi-meme, qu'il s'esc entretenu 



ACTS DBUZIBME 



de ce projet avec le vizir.— Si celtii-ci ap- 
prend notre liaison, aussitdt, pour son 
propre bien et dans son propre interet, il 
ira trouver le khiln, et il lui racontera que 
tu as jete les yeux sur sa fiancee... d'au- 
tant plus que le vizir est, lui aussi, trčs 
irritć contre toi, 

Timour^Aga. — Le gouvernemcnt de la 
province et du khanat de mon pćre ne 
suffisent done plus au khftn, pour qu'il 
sooge encore i se difaire de moi . Mais, 
c'est4š un projet mal digerć ^ 

N19A-KHANOUM. — Oui, il comprend 
que tu le gćnes, et il craint que tu ne 
veuilles, ua jour, reclamer le trdoe de 
ton pdre. Ah! j'en ai entendu beaucoup 
Iž-dessus i £n public, il est dćsarme con« 
tre toi, et il te temoigne beaucoup de con^ 
sideration; mais, si Toccasion se prćseote, 
il ne te laissera pas vlvant, un jour de 
plus. 

Tmour-Aga. — Ce n'est pas un kh&n 
comme lui qai pourra me £aire mettre k 
mort. La plupart du peuple et tous les 



46 ĐEUX COMĆBIBS TURQUES 

grands de la province me sont dćvoues du 
fond du coeur, k cause du bien que mon 
pčre leur a fait. Je ne suis pas un oiseau 
pour me laisser manger ^. — Mais, dis-moi : 
qu'ai-)e done fait au vizir pour qu^il me 
haisse ? 

Ni^a-Khanoum. — Tu as pris auprčs de 
toi Mirza-Sčlim ', le fils du prćcćdent 
vizir, et tu en as fait ton secretaire. Le vi- 
zir croit que si le pouvoir te revient un 
jour, Mirza-Sčlim, montant en grade, lui 
aussi, prendra la place que son pćre a oc- 
cupee. Aussi, veut-il maintenant proposer 
au khSn d^exiler Mirza*Sćlim. 

Timour-Aga. — II ne depend pas de lui 
d^exiler mon secrćtaire. Que les bienfaits 
de mon p^re laveuglent *, puisqu11 a de 
si mauvais desseins contremoi ! Mais, s'il 
plalt i Đieu, je renverserai tous ses pro- 
jets et j'arriverai Smon but... Cependant, 
tu as raison : il ne faut pas que le vizir 
apprenne encore notre amour. — Oti est 
Cho*lć-Khanoum? J'ai quelques mots d 
lui dire ^ 



ACTE DEUXIEMB 47 



Niga-Khanoum. — Elle cst dans la 
chambre de ma mdre . 

Timodr-Aga. — Ne peux-tu pas allcr 
Tappeler ? 

Ni9a-Khanoum. — Ma mčre n'est pas k 
la maison. — AlIons-y tous les deux. 

Timour-Aga. — Trčs bien. AlIons-y. (Us 
sortent tous deuxj. 



SCENE II 

Ztba-Khanoum. — (Entrant dans la 
chambre). Eh! catin ! k la fin, tu pousses 
les chosesau point d'insulter ma servante 
et de me renvoyer ^ la tćte ! Čest le vizir 
qui fa rendu si impudente!... (Elle s'a^ 
perqoit quil rCy apersonne dans la chant' 
bre, et regarde de tous cot^sJ.^Ahl cette 
garce! Voyezdonc: oti est-elle allće? Que 
la maison du vizir tombe en ruines, 
puisqu^il m'a procurć ces jours d*en- 
nuisl (Elle veut s'en retourner, mais, en^ 

6 



48 DEUX COMĆDIES TURQUES 

tendant la voix d'un homme, elle s*assieđ, 
anxieuse). — Ah ! malheur ! j*enteads 
la voii d'un homme etranger. Malheur! 
il va.entrer par cette porte. Que faire? Je 
ne peux plus sortir. Ah ! queUe poussiere 
rćpandrai-je sur ma tćte^ ?/£//« va decotć 
et đ'autre, puis, elle še cache derriire le 
rideau. Ensuite, entrent Timour^Aga et 
Cho'lč'KhanoutnJ. 



SCENE III 

Timour-Aga* — Comme votre mere cst 
cevenue vite du hammam ^ I Elle ne nous 
a pas laisse le temps de causer dans sa 
chambre : ici, l'endroit ne serait pas ptt)« 
piće. J ai beaucoup de cboses k vous dire, 
et le vizir pourrait venir. 

Cho*i,e-Khanoum. — Rassurez-vous, le 
vizir ne peut pas venir ici aujourd'hui. 

Timour-Aga. — Pourquoi ne le peut-il 
pas? 



ACTE DBUKIEMB 49 



Cho'lb-Knanoum. -— Parče que c'est 
aujourd'hui le tour ® de la cbambre de 
Ziba-Khanoum, et qu^il n^oserait jamais 
venir ici, un tel jour, de peur dcs repro- 
ches et des criailleries. 

Timour-Aga. — Čest juste; mais, je ne 
trouve pas cette raison suffisante pour 
me tassurer. 11 ne faut pas nćgliger les 
precautions ; car, il poarrait tout h coup 
apparaitre et entrer. 

CHo'Li>-KHANouM. — Soye2 tranquille. 
J^ai dit k Ni;a-Khanoum de se tenirdans 
l&corridor et de venir vite nous avertir, si 
k vizir se montrait. Est-ce que veus avez 
peur > 

Titfoim-A6A. — Eh ! pdurquoi aurais-Jc 
peur? qui craindrais-je ? Je ne suis pas un 
homme k avoir peur d un autrc. Mais, 
pour plusieurs raisons, je ne venx pas que 
le vizir me voie ici. II irait le dire au 

kbSn et j^ai quelques projets que je 

veux, auparavant, mettre k exćcution. 

Cho^lć-Khakoitm. — Oui, il ne faut pas 
que le vizir apprenne cette affaire, car il 



50 DEUX COMĆDIES TURQUES 

en informerait le khdn, et alors , amčne 

ton Sne et charge les fćves '. 



SCENE IV 

(A ce moment, Ni^a-Khanoum passe sa 
tite par Vembrasure de la porte j et s*e- 
crte) : 

Ni^a-Khanouic, — Grand Dieu! le vizir 
vient. 

Cho'lž-Khanoum. — (Toute boulever- 
s^e, elle va d I a porte etre garde). Grand 
Dieu I le vizir vient tout droit vers cette 
chambre. Timour-Aga, vous ne pouvez 

pas vous sauver et vous ne pouvez 

cependant pas rester ici I 

Tiiiour-Aga. — Que faut-il done faire? 
Quelqu^un lui aura dit quej'etais ici. Par 
Dieu ! celui qui le lui a dit, ... avec ce ^o 
poignard, je regalerailes chiens de ses en- 
trailles ! (II porte la main i, son poignard) . 

Cho'le-Khanoum. — Eh ! mon cher 



ACTE DEUX1£ME 5 1 



ami, ce n'est pas le moment de parler. 
Allez plutćt derriere ce rideau. Je verrai 
si je peux trouver un moyen de le fairc 
partir. (Timour-Aga se precipite ** der- 
rUre le rideau). 



SCENE V 

Le vizir. — (Entrant enbditantdans la 
chambre). Comment vas-tu, Cho*le-Kha- 
noum ? Ta sante est bonne? 

Cho*lž-Khanoum. — Grdce k Dicu ! par 
rheureuse influence de votre tSte bćnie^', 
je vais toujours bien. — Et vous, com- 
ment allez-vous ? II est bien etonnant que 
vous me fassiez la faveur de venir ici au- 
jourd*faui... Mais, pourquoi boitez-vous? 
Pourquoi froncez-vous le sourcil?.... Que 
Dieu nous prćserve d*un malheur ! 

Le VIZIR. — Ah! aujourd'hui il m'est 
arrive une afFaire !... Ne m^en parle pas I 
Jamais pareille chose ne me serait venue 

6» 



52 DEUX CaMĆDlES TURQtJES 

k Tesprit. Ma journee est pire qiJte celle 
d'un chien i^.— Eh! Aga-Mas'oud! va me 
preparer u ne tasse de cafe, el apporte-la 
moi. (L*eurtuque sHncline et sort.} 



SCENE VI 

Cho*l^-Khanoum. — Parlez : voyons ce 
qui vous est arriv^. — Ou plutdt, non. Ce 
serait sansdoute trop long k raconter : cela 
vous fatiguerait. 

Le tizir. — Non, ce n'est pas long. 
Voici ce qu^ c'cst. — J etais aujourd'hui 
avec quelques*uns des grands do royaunM, 
en pr^sence du khdn. On vint k parier 
de la force de Timour-Aga. L'assemblee 
entićre s^accorda k dire que dans toute 
la ville de Lćnk^rdn, personne n'avait 
autanC de force qae lui , et le kh&n 
fut aussi de cet avis. Moi, je protestai, 
et je dis : « Timour-Aga n'a pas de 
vigueur. Sans doute, pour la i&tt de la 



ACTE ĐCUXIEME 53 

rupture du je^ne, il a jcte k terre quel- 
ques individus; mais, ce n'etaient que des 
gamins ». — Timour-Aga etait pr&ent. 
Le khdn ne fut pas de mon avis, et il me 
dit : « Commenc prouverez-vous cela? » 
— « Ce ne serait pas, rćpondis-je» digne 
d*un bomme de mon rang; mais, sans 
cela, malgrć mes cinquante ans, je lutte* 
rais avec Timour-Aga, et je le jetterais i 
terre. Vous verriez bien ! » — Alors, le 
kMn qui aime toujours ces sortes de eho- 
ses, s'ćcria : c It faut absolument que votts 
luttiez avec Timour-Aga. » — Ne voyant 
aucun moyen de reviter, je me Icvai. 
Nous nous empoignames, et, Pamour-pro- 
pre me poussant fortement, je soulevai 
Timour-Aga, et je lui fis perdre pied sans 
lui laisser une minute de repit. Je ne sais 
pas comment je Tai jete k terre ; mais, le 
pauvre enfant est tombe evanoui de tout 
soii long **. Le choc a 6x6 tel que ce n'est 
qu^une demi-heure aprćs qu'il a repris ses 
sens. — Par la violence de mon effort, la 
boucle ^ de ma ceinture m'a heurte avec 



54 DEUX COMĆDIES TURQUES 

tant de force, et m'a fait tant de mal, que 
je ne peux pas marcher droit. 

Cho*le-Khanouic. — (En riant). O mon 
cher hommei qu'avez-vous fait-U! Ce 
pauvre enfant est tombe.... S'ilmeurt, la 
vie de sa mčre sera bien triste. 

Le vizir. — C'est vrai, et, moi-memc, 
j*ai beaucoup regrettć ce que j'ai fait. Mais, 
que faire? C'est comme ćela. 

Cho'lž-Khanoum. — Trćs bien. Et ce 
malheureux est reste etendu a terre, tan- 
dis que vous \ous leviez, et que vous ve- 
niez me raconter votre exploit ? 

Lb vizir.-* Non : les ferrachs Tont pris 
sur leurs epaules et Tont rapporte a sa 
mčre. (En entenđant ces mots, Timour- 
Aga nepeutse contenir davantage, etpart 
d'un eclat de rire. Le vi\ir se Ičve aussi- 
tot, et va au rideau quil soulčve. En 
apercevant derrišre le rideau Ziba-Kha* 
noum et Timour-Aga^ U reste stupifait.— 
Cho'U'Khanoum est ćtonnee aussi d'y 
voir Ziba-Khanoum), 



AGTE DEUXIEME 55 



SCfiNE V[I 

Le vizir. — Allons I quelle est encore 
cette auire aflfaire? (II se tourne vers Ti" 
mour^Aga et sćcrie) : — Monsieur, que 
faites-vous ici? (Timour-Aga baisse la 
tete). A la fin, me direz-vous pourquoi 
vous etes ici? Pourquoi žtes-vous ici? 
Que faites-vous ici ? Qu'y faites-vous ?^ T'i- 
mour-Aga, sans rien repondre, sort de 
derrUre le rideau, et^ la tete basse^ U veut 
s'en aller). 

Le vizir. (Le prenant par le bras). Je 
ne vous laisserai pas partir, tantque vous 
ne m'aurez pas dit ce que vous faisiez ici. 
Voyons: parlez. 

Timour-Aga, — (En secouant son bras). 
Ldchcz-moi ! 

Le vizir. — (Le serrant plusfort). C'est 
impossible. Je ne vous laisserai pas sortir 
tant que vous ne m^aurez pas repondu. 
(Poussćčibout, Timour-Aga saisit, d'une 



56 DEUX COMEDIES TURQUES 

main, le vi\ir derrišre le cou et, de Vau- 
tre, leprendpar la cuisse;puis, U l'enlšve 
de terrCf et lejette au milieu de la cham- 
bre comme un paquet de linge, Ensuite, 
d'uri bond, U franchit la porte, et s'ćchappe,) 



SCENE VIII 

Le vizir. — (Revenant a lui au bout 
d'un moment, et se toumant vers Ziba* 
Khanoum). Eh I dr61esse! quel est ce nou« 
veau malheur que tu m'as jfite k la tćte? 

Ziba-Khanoum. — C*e$t peut^fitre moi 
qui vous Tai jete ^ la tćtc ? Qucl rapport 
ćela a-t'il avec moi ? Malheureux, qu'cst- 
ce qui vous fait croire ćela? 

Le vizir. — (Tršs en coUre). Puisses-tu 
etouffer ! catin ! Ne me conte pas de sor- 
nettes : je te connais. Toutes ces fripon- 
neries sont ton oeuvre. Mais, s^il plait k 
Dieu, je vous ferai votre affaire. 

Ziba-Khanoum. — ' Eh I malheureux ! 



ACTE DBUX1EMB 



voyons: pourquoi me feras-tu mon afFaire? 
Ai-je viole la loi ? Ai-je commis un 
crime? Suis*je ailee chez quelque hotnme 
etranger? Ai-je vole? Me suis-je prosti- 
tuee ? Qu'ai-je fait? 

Le VIZIR. — Impudente! que feras-tu 

done de pire une autre fois? puisque 

je viens de te trouver derričre ce rideau, 
avec un pareil butor ^^l 

Ziba-Khanouic. — Pauvre hommei De- 
mandez done k votre femme Cho^Ić ee 
qu^un homme etranger faisait dans sa 
ehambre. 

Lb vizir. — Ah! bohćmienne! dis-moi, 
d*abord, ee que tu faisais avee ce profane ^^^ 
derrićre ce rideau. 

Ziba-Khanoum. — Tr^s bien. Je vais 
parler d abord ; mais, elle s'expliquera en 
suite: nous verrons ce qu'elle dira.— Votrc 
femme Cholć avait insulte ma servante. 
Je stiis venue ici, afin de lui demander 
pourquoi elle n'etendait pas son pied dans 
les limitea de son tapis ^^ Je voulais lui 
dire : « Ma servante ne mange pas ton 



58 DEUX COMEDIES TURQUES 

pain pour que tu lui dises des sottises. » — 
Je viens, je vois qu'elle n^y est pas. Alors^ 
je veux m'en retourner. Mais,tout-k-coup, 
j aper^ois ChoUć-Khanoum causant avec 
un homme et venant, dc par U, vers cette 
chambre. Je me precipitai.... mais, je ne 
pouvais fuir. J^allai done me cacher der- 
riere ce rideau, pour voir de li ce qu*ils 
feraient et vous en informer — d^autant 
plus que j^avais le visage dćcouvert, et que 
je ne pouvais pas me montrer ainsi k un 
etranger. — Par hasard, vousćtes venu ici. 
Quand vous vous ćtes approchć, lui aussi, 
il n'a pas vu d*autre moyen de vous ćvi- 
ter. II a voulu se cacher, et il est venu se 
placer derriere ce rideau en attendant que 
vous partiez. 

Le vizir. — Si ce que tu dis est vrai, 
pourquoi n'es-tu pas sortie alors pour 
me prevenir. 

Ziba-Khanoum. — Si j*avais pu.... est-ce 
que je ne serais pas sortie? Mais, il m*a 
dit : « Si tu dis un mot^ je t'enfonce ce 
poignard dans le coeur, jusqu^i la garde ». 



- ■. .-4-IPh 



ACTE DEUX1EME 5 9 



, Le vizir. — (Apris riflexion^ se tour- 
nant vers Ch&ld'Khanoum. ChoUe, dis- 
moi la vćrite. — Cet homme etait-il venu 
pourtoi? 

Cho'lž-Khanoum. — Cette femme-lž est 
toujours, comme un perroquet i^, i dire 
des niaiseries, des betises, des mensonges! 
Je n*ai jamais vu cet individu, et )e ne le 
connais mSme pas. 

Le VIZIR. — Comment?Tu ne le con- 
nais pas? Tu n'as pas vu Timour-Aga ? Tu 
le connais trčs bien. 

Cho'le-Khanoum. — Timour-Aga ! Mais, 
que faisait-il ici ? Est-ce qu*aprčs Tavoir 
jete k terre, vous ne l'avez pas envoye k 
sa mčre ? 

Le vizir. — Allons, allons, bavarde! 
Reponds-moi. D'aprćs ćela, c'est pour toi 
que Timour-Aga ćtait ici. 

Cho'lž-Khanoum. — Non, permettez: si 
Timour-Aga etait venu pour me voir 
moi, vous m'auriez trouvee avec lui dans 
un meme endroit. — Ziba-Khanoum a su 
que j'etais alleeaujourd^hui au bain. EUe 



6o DEUX COMŽDIKS TURQUES 

■■■ ■ ■ Ml ■ ■ ■ ■■ ■ ^.^^M— ^ , . ^_ I bmmM PIMB ■■■■■III II mi ■■ ■■■■■ III.. M Ml ■■■ ■■ 

a pensćquema chambreserait vide,etellea 
voulu y amener son aman t pour s'y donner 
du bon temps; d*autant plusque, coitime 
c*est aujourd^hui le tour de sa chambre, et 
que vous lui faites rhonneur de la visiter, 
elle nepouvaitpasTamener chez elle. Par 
hasard, il n^y avait pas d'eau au hammam, 
et, sans arridre-pensće, nous sommes re- 
venues š la maison . Comme nous som- 
mes rentr^es sans pr^venir de notre arri- 
vee, ils n'ont pas pu se sauver de devant 
nous. Alors, ils sont allćs se cacher der« 
ri^re ce rideau, autant pour y faire la vie 
que pour y attendre mon depart et Toc- 
casion de s'en aller.Voilltla verite. — Tran- 
quillisez-vous. Ne vous laissez pas trom- 
per par les ruses de cette efFrontee, et ne 
me soup^onnez pas sans raison. 

Ziba-Khanoum. — (En hurlant, d. 
Cho* Ič'Khanoum) . Oh! miserable! Quel- 
les sont ceshistoires quetu lui fabriques? 
C'est ton nom i toi que tu mets sur ma 
figure. Helas! HelasI par Dieu! je me 
tuerai. 



ACTB DXUXIEMS 6 1 

CHo't&-KHAifOUH« — Misćrable, toi- 
mćme ! Čest toi qui es une prostituće ! Tu 
veuxte tuer: £ais-le.... et ne te tue pas si 
tu prefčres. Mais, tes ruses sont connues 
de tous les gens de L^nkerUn. Malgrć tes 
plaintes et tes cris, tu ne pourras pas te 
faire passer pour une honnčte femme. Ton 
mari a des yeux : il volt ta conduite et la 
mienne. 

Ziba-Khanoum. — Ah! pitiei justice! 
Mon Dieul je me tuerai. Malheureux 
homme! pourquoi ne casses-tu pas la 
tete ^ de cette impudente qui fabrique de 
telles calomnies contre moi? Tu es plante 
la k laregarder! 

Cho^ž-Khanoum. — Eh! catin ! pour- 
quoi me casserait-il la tćte ? — S'il est un 
homme, ii faut qu'il te coupe en petits 
morceaux, pour t*avoir surprise en tSte 
ši tSte avec un gargon etranger. 

Le vizir. — (A Ziba-Khanoum). Certai- 
nement, il faut que je te coupe en petits 
morceaux.— Mais,laisse-moi un peu dere- 
pit pour que j'aille trouver le kh^n. Je vais 



62 DEUX COUŽDIES T(mQUES 

d'abord faire TafiTalre de ton amant : je 
reflćchirai ensuite k ce que je ferai de toi. 
Pendant toute ta vie, tu as fait mćtier de 
mentir. Je te connais. 

Zib4-Khanoum. — (Furieuse). En toute 
justice,je mens, moi. Bravo I — et vous, 
est-ce que vous dites toujours la vćritć?... 
comme on a pu le voir par le rćcit que 
vous avez fait tout k l'heure. 

Le vizm. — Disparais de devant mes 
yeux. Catin ! (Ziba-Khanoum sort de la 
chambre). 



SCĆNE IX 

Le vizir. — Cho'ld, dis-moi la včrite de 
toute cetteaflFaire.Voyons, en sais-tu quel- 
quechose? 

ChoYč-Khanoum. — Par votre mort ! Je 
vous jure que je ne suis en rien coupa- 
ble. (A ce moment, Veunuque Masoud 
apporte le cafe^ et le verse dans une tasse^ 
đerričre le viiir). 



ACTE DSUXlEliE 63 



SCĆNEX 

L'eunuque Mas^oud. — Seigneur, vcuil- 
lez prendre le cafe. 

Le vizir. — (U se Itve, et^ repoussant la 
tasse de la main, U renverse le cafš sur 
la tSte de Veunuque). Disparais, imbe- 
čile 2^ A un pareil moment, quand j'ai 
l'estomac serre, est-ce le temps de boire 
du cafć? — Je vais k Tinstantchez le khan 
rinformer de tout ćela. (Aga'Mas'oud se 
retire, en cherchant d, nettoyer ses habits 
du cafi repandu sur eux). 

Le vizir. — (Tout troubli). File vite 
et accomplis mes ordres. — Qu'on amčne 
mon cheval roux, et qu'on le selle avec la 
houssebrune; puis, qu'on Tamčne au de- 
hors. — AUons, vite ! 

Agi-Mas'oud. — Oui, oui, seigneur, k 
vos ordres^. Je suis tout prćt k faire 
comme vous Tordounez. (Apris ćela, le 
vi^ir sort). 



64 DEUX COMŽDIES TURQUES 



SCENE XI 

Cho'lš-Khanoum. — GrandDieu! nous 
voila engagćs dans une ćtrange affairc !— 
Ma vie est sauve, gr^ce k Dieu ! (Pendant 
qu'elle parle, Niqa'Khanoum entre. 
Cho'lš se tourne alors vers elle). 



SCENE XII 

Cho^lž-Khanouk. — Ni;a, il nous est 
arrive une affaire etrange. Ne le sais-tu 
pas ? Le vizir a trouve Timour*Aga der« 
ridre le rideau^avec Ziba-Khanoum. 

N19A-KHANOUM. — Vraiment? Quoi? 
que dis-tu? Ziba-Khanoum,derri^re le ri- 
deau?.- Qu'y faisait-elle? 

Cho'lč-Khanoum . — Je ne sais pas com- 
ment cette catin est venue li pour me 
sauver la vie... Mais, le kh&n va, sans 



ACTE DEUXIEIiS 65 



aucun doute, faire mettre k mort Timour- 
Aga. Je ne sais quel moyen employer 
pour le sauver. 

N15A-KHANOUM. — Ne crains ricn. Le 
khdn ne peut pas falre mettre k mort Ti- 
mour-Aga. Mais, il n^aurait pas fallu que 
tout ćela arrivdt, car maintenant, ćela va 
durer longtemps. — Maman te demande : 
allons k sa chambre. Nous enverrons 
Aga-Mas'oud k la porte de la maison, pour 
qu*il nous informe de ce qui arrivera. 
(Toutes deuxs*en vont). 

Le rideau tombe. 
Fin db l'acte deuzičme. 



"'"^^^^i^^.cS^ 



NOTES SUR L'ACTE DEUKIČME 



1. Mot k mot : un projet eru (Jcham); on dit 
auBsi dans le mime sens (na-poukhte) c qui n'est 
pas cuit ». 

2. Mot a mot : « je ne suis pas un oiseau dont 
on mange la chair ». Cest-a-dire : je ne suis pas 
homme k me laisser faire sans rćsister. (Proverbe.) 

3. Mirza : secrćtaire. C'est un abrćgć de imir' 
s^adkf c fils de prince ». Placć apr&s le nom, ce 
mot dćsigne un des princes du sang. Placć avant, 
il equivaut seulement au titre de monsieur ; mais, 
il dćsigne alors un lettrć ou un fonctionnaire ad- 
ministratif. 

4. Mot k mot : c que le sel de mon p^re l'aveu- 
gle ! » En Perse, comme partout, le sel est le sym- 
bole de l'hospitalitć ; mais ici, c^est plut6t un 
6ynonyme de faveur. 

5. Littćralement : c un morceau de causerie ». 

6. Ezpression figurće pour dćsigner le trouble 



68 DEUX COMŽDIES TURQUES 

de Ziba-Khanoum qui craint d*ltre exposće, 
sans voile, aux regards d'un ćtranger. 

7. L9 hammam est bien connu des Europ^ns : 
c*e8t le bain ture. 

8. Les musulmans qui ont plusieurs femmes — 
ils ne sont pas aussi nombreux qu*on le croit 
gćnćralement en Europe — doivent visiter cha- 
cune d'elles tour k tour. Cette obligation n'est 
pas cerite dans le Coran : elle rćsulta seulement 
de quelques versets assez vagues ; mais, elle est 
ćtablie par la loi meme. « L*obligation se borne a 
la cohabitation et ne s'ćtend pas k Funion 
sexuelle. » ~ « Uobligation ne s'ćtend qu*a la 
cohabitation nocturne et ne comprend pas celle 
du jour ; d'apres la tradition, la durće de la coha- 
bitation est fixće depuis le commencement de la 
nuit jusqu'au matin ». f Voyez Querry ; Droit mu- 
sulman chiite, tome I, p. 732, paragraphe 669 et 
670). On voit que le mari ne doit pas Ićgalement 
a ses femmes la prćsence du jour; mais Tusage 
est qu*il repartisse entre elles ses faveurs, aussi 
impartialement que possible : c*est ce que le vizir 
s'efForce de faire en apparence. 

9. Amene ton ane et charge les feves : pro- 
verbe persan. C'est-a-dire : 11 n'y a plus rien a 
faire; tout est perdu. 

10. Le kh^ndjer est plutot un coutelas qu*un 
poignard : il se porte passe dans la ceinture. 

11. Mot k mot : il va des pieds et des mains; 
c'est-a-dire : a la hate. 

12. Formule de politesse, tres usitće en 
Perse. 



NOTES SUR L^ACTE DEUXIEME 69 

1 3. Litt. ma journće egt am^re comme celle 
d*un chien. 

14. Mot a mot : formant une masae (litt. un 
desain) sur la face de la terre. 

f5. Litt, « Tos de ma ceinture »; probablement 
parče que jadis on faiaait des bouclea en os, pour 
les ceinturons. 

1 5. Litt. « au cou ćpais »• 

17. L'expre88ion na-mahrem o profane » dćsi- 
gne tous les ćtrangers devant qui une femme ne 
peut se montrer k visage dćcouvert. Voici un ver- 
set du Coran qui rčgle cette importante mati^re : 
a Vos ćpouses peuvent se dćccuvrir devant leurs 
pereš, leurs enfants, leurs neveux et leurs fem- 
mes, et devant leurs esclaves. » Coran, trad. par 
Kazirmirski ; Scura xxxiii, verset 55. Par esclaves, 
le Proph^te veut dćsigner les eunuques chargćs 
duhar^m, et non les serviteurs ordinaires du mari: 
Dous avons vu plus haut Ziba-Khanoum mettre 
son voile devant le ferrach H^yder. 

1 8. Ce proverbe existe en persan, en ture et en 
arabe : on le reirouve egalement en espagnol oii 
il est peut-£tre un souvenir de la conquSte arabe; 
de la il a passe dans les idiomes populaires du 
Midi de la France. Les Espagnols disent : « Nadie 
tiendra mas la pierna de cuanto fuere larga la 
sabana ». 

19. Le perroquet n'est pas toujours chez les 
musulmans l'oiseau menteur par excellence : il 
est^ au contraire, le plus souvent, la personnifi- 
cation de la sincerite. Dans un conte des Qua' 
rante Vizira, le perroquet rapporte toujours au 



70 DEUX COMĆDIES TURQUES 

mari la conduite de sa femme; c'est celle-ci qui 
ment eft'rontćment, et qui cherche a faire prendre 
en dćfaut le pauvre oiseau. 
20. Le mot persan est plus rćaliste. 

31. Litt. « qui ach^te du charbon k moitić 
brAlć »; c'est-^ndire : imbćcile. 

32. Mot a mot : a sur mes yeux » ; formule de 
respect et d*obćissance. 






I 



ACTE TROISIEME 




ACTE TROISIEME 



L^action se passe sur le bord de la mer, au palais 
du khan de Lenk^ran, dans la salle du conseil >. 
Le khan est assis au haut bout du talar % sur 
le trdne. S^lim-bey, grand-mattre des cćrćmo- 
nies, se tient devant lui, une baguette ala main. 
Les grands et les nobles de Lenkčran sont ran- 
gćs des deux cotćs de la salle. Semed-bey, chef 
des ferrachs, et Aziz-Aga^ chef des domestiques, 
se tiennent devant la porte, avec deux ou trois 
valets. — Au-dessous de Testrade, a c6t6 de 
Qadir-bey, second mattre des ceremonies, les 
plaideurs attendent d'Stre introduits auprčs du 
du khan, et les ferrachs sont groupćs derriere la 
porte, dans la parlie inferieure du talar. 



SCENE PREMIERE 

Le khan. — Le temps est tres beau au- 
jourd'hui. Apres le conseil, je veux, pour 



74 DEUX COMĆDIES TURQUBS 

me distraire, faire un peu de promenade 
en mer. — Aziz-Aga ! ordonne aux bate- 
liers de prćparer la barque, ^ au bord du 
rivage. 

Aziz-Aga. — Tres bien, seigneur. (II 
sort.) 

SCENE II 

Le khan. — Sčlim-beyl donne ordre 
qu'on introduise les plaideurs. 

Le grand-maitre des cerćmonies. — (Du 
milieu de V estrade,)Qidii\V'hQy\ introduis 
les plaideurs a tour de role. (Qadir'bey 
introduit deux personnes^ un demandeur 
et un defendeur ; puiSy U s'incline devant 
le khdn.) 

SCENE III 

Le PLAiGNANT. — O kMii ! que je sois 
votre rangon! J'ai une requćte k vous 
faire. 



ACTE TROISIEME 75 

^■- - ■ I %■ ■ ■ M— ■■ ■ ^ ■ ■-■■II ■■ I l^^»^—l^— ^^i^^^^^^^^l— ^P^.— ^ 

Le khan. — Voyons, rhomme! dis-moi 
quelle est ta plainte. 

Le plaignant. — Seigneur, je condui- 
sais aujourd'hui mon cheval šl la riviere, 
pour le faire boire, quand il s est ćchappe 
de ma main, et s^est enfui. Uhomme que 
voici, venait k ma rencontre. — « Eh ! 
rhomme! lui criai-je, pour Tamour de 
Dieu ! fais retourner ce cheval. » — II se 
baissa, ram^ssa une pierre, et la lan;a k 
Tanimal. Elle Ta atteint li Toeil droit, 
et Ta rendu borgne : 11 est maintenant 
sans valeur, et ne peut plus faire mon af« 
faire. Je demande k cet homme le prix de 
mon cheval ; mais, il ne me donne rien, 
et me conteste mon droit. 

Le khan. — (Au defendeur.) Est-ce 
vrai? 

Le đependeur. — Oui, seigneur^ c^est 
ainsi. Mais, je n'ai pas jete la pierre ex- 
prčs. 

Le khan. — Ne dis pas de betises. Si tu 
ne l'avais pas fait exprčs, pourquoi aurais- 
tu ramassć la pierre, et Taurais-tu jetće ? 
As-tu un cheval, toi aussi ? 



76 DEUX COMĆDIES TURQUES 



Lb DiPBNDEUR. — Oui, seigneur, j'en ai 
un. 

Lb khan. — (Au plaignantj Eh ! bien, 
rhomme ! va-t-en ; crćve un oeil de son 
cheval, ct rends-le borgne. — Dent pour 
dent, ceil pour oeil, toute blessure a son 
talion ^. — Cette affaire n'est pas difficile 
k juger. — Sdm6d-bey! envoie un ferrach 
avec cet homme, pour qu^il soit Id quand 
celui-^ci prendra son talion. (Simdd-bey 
s'incline^ descend de restrade, donne d 
ces gens tm/errachfet revient ii sa place. J 



SCENE IV 

Lb khan. — Voyons, S^lim-bey : s'il y 
a un autre solliciteur, qu'on l'introduise. 
Dćpćchez-vous, car je veux aller me pro- 
mener aujourd'hui. 

S^iM-BBY, — Qadir-bey I si tu as un 
autre solliciteur, am&ne-le. (Qadir''bey 
introduit deux autres personnes,) 



ACTE TROISIEHB 77 



SCĆNE V 

Lb khan. «- O pouvoir ! est-il, en ce 
monde, chose plus fatigante que toi ? 
Tous les hommes ne pensent qu'i leur 
propre repos. Moi, il faut que je m'oc- 
čupe de mille et mille personnes, et que 
je m'informe de tous leurs ennuis. Depuis 
le jour de mon avdaement, je n^ai pas 
renvoyć de mon palais un seul solliciteur. 

S^LDi-BBv. — Les actions de gr4ces de 
tous ces gens-ld sont la rćcompense de 
votre peine« seigneur. Ils sont pour vous 
comme vos vrais enfants, et la prospćritć 
de ce pajs est Toeuvre de votre justice 
bćnie. (Les plaiđeurs s*avancent et s'in^ 
clinent) 

Le plaignant. — ^ Seigneur, je suis vo- 
tre ran^on. — Mon fr^re ćtait malade. On 
m'a dit : « Cet homme est mćdecin. » Je 
lui al donntf trois tomans, et je Fai mene 



78 DEUX COMĆĐIES TURQUES 

aupržs de mon frdre, dans l'espoir qu'il le 
guerirait ^. Aussit6t pres du malade, il lui 
a fait une saignee, et, dćs que la saignee a 
ćtć faite, voilk que mon frčre est mort. 
— Maintenant, je lui dis : « Cruel, il faut 
que tu me rendes mon argent ». Mais il 
ne me rend rien^ et il me rćpond : t Si je 
ne Tavais pas saigne, ;a serait bien pire ». 
11 me reclame m^me encore de Targent. — 
Venez k mon secours, seigneur, je tourne 
autour de votre tSte. 

Le khan. — (Au d^fendeur.) Seigneur 
medecin, si vous n^aviez pas saigne le 
malade, quel plus grand malheur serait- 
il done survenu? Qu'y a-t-il de pire que 
ce qui est arrive? 

Lb dćpendeur. — Seigneur, le frćre de 
cet homme etait atteint d'une hydropisie 
mortelle. Si je ne Tavais pas saignć, il se- 
rait mort certainement, dans six mois. 
Par une simple saignee, j^ai ćpargne au 
plaignant une dćpense inutile de six mois 
de traitement. 

Le khan. — (Au defendeur.) II faut 



ACTE TROISIŽME 79 

đone, ši votre avis, seigneurmćdecin, que 
cet homme vous compte une nouvelle 
somme? 

Lb hćdecin. '^ Oui, seigneur, certaine- 
ment s*il est honnSte. 

Le khan. — {Se tournant vers les as- 
sistants.J Par Dieu ! je ne sais comment 
trancher cette affaire. Jamais, je n^ćtais 
tombe sur un proces aussi difficile i juger. 

Un des assistants. — Seigneur, il faut 
honorer Tordre des medecins, car ils sont 
utiles k tout le monde. Ordonnez done 
que cet homme donne encore un vSte- 
tnent "^ šl celui-ci, et qu'il satisfasse k ses 
rćclamations ; d'autant plus que je 
connais ce mćdecin. C'est un tres habile 
homme. 

Le khan. — Puisqu'il est connu de 
vous, qu'il en soit comme vous dites. (Se 
tournant vers le plaignant.) — Eh ! 
mon brave! va-t-en, et donne un manteau ^ 

k ce medecin quUl soit content de 

toi. — Sćmed-bey, cnvoie un ferrach 
avec lui. II recevra un manteau des 



80 DEUX GOMĆDISS TnRQUES 

mains de cet hotnme, et le remettra au 
mćdecin. (S^mtd^bejr descend de VeS'- 
trade. A ce moment^ le vi\ir fait son 
entree dans le talar, tout essouf/l^ et, 
sortant un encrier ^ de sa poche, le place 
a terre devant le khdn.) 



SCENE VI 

Lb vizir. — Seigneur, j^en ai assez du 
metier de vizir ! cela suffit. J^ai re^u la 
r&:ompense de mes servicesi Donnez le 
vizirat a qui vous en jugerez digne. Pour 
moi, il me faut fuir d'ici, et aller loia de 
ce pays mendier de porte en porte. 

Lekhan. ^ (Stupefait,) Eh! seigneur 
vizir, qu'est-il done arrivć? Quel est Tetat 
oti je vous vois? Pourquoi ces plaintes ? 

Le vizir. — Dans le monde entier, 
seigneur, Peloge de votre justice, de votre 
ćquite et de votre clćmence est aujour* 
d'hui sur toutes les Ičvres ^^. Par crainte 



ACTB TROISIŽIIK 8 1 

de votre justice, aucun d«6 grands de vo- 
tre cour n'oserait toucher aux biens ni šl 
la femme d'un pauvre homme. Mais, 
vojrez comme votre neveu, Timour-Aga, 
vous craint peu. II sMntroduit, en plein 
jour, dans la maison d*un homme comme 
moi, pour attenter ^ Thonneur de sa fa- 
mille ! 

Le khan. — (Saisi de colirej Que di- 
tes-vous, vizir? Timour-Aga a eu cette 
audacei Qu^est-ce i dire ? 

Le vjzir. — Que je passe pour un in- 
grat ^^, si j^ai dit un mensonge ! Je l^ai 
vu de mes propres yeux. Je l'avais saisi 
pour le trainer devant vous ; mais, il ma 
repoussć et il s^est sauve. 

Le khan. — Sćmčd-bey I sors, et va cher- 
cher Timour-Aga. Mais, ne lui dis rien 
de toutcela. (Simčd-bey s'incline et sorU) 



82 DEUX COMĆDIES TURQUES 



SCENE VII 

Le khan. — Calmcz-vous, seigneur 
vizir. Je vais rendre un arret qui servira 
d exemple au monde entier. 

Le vizir. — Seigneur, quand il s'est 
agi de justice, les rois qui vous ont prć- 
cede n'ont epargne ni leurs parents, ni 
leurs propres enfants. Des khalifes emi- 
nents ^^ ont inflige a leurs propres fils des 
chdtiments terribles, pour les punir d'a- 
voir jete les yeux sur les femmes des au« 
tres. Pour cette meme faute, Sultan- 
Mahmoud le Ghaznevide ^^ trancha, de sa- 
propre main, la tćte d'un de ses favoris. 
Aussi, le souvenir de leur justice durera 
dans le monde, k travers les temps et les 
siecles. 

Le khan. — (Au vt:(ir.) Vous verrez, 
tout ŠL rheure, vizir, que votre khdn n'est 
inferieur en rien ni aux khalifes, ni a 



ACTE troisič:me 83 



Mahmoud le Ghaznevide... surtout sur 
ce chapitre. 



SCfiNE VIII 

(Sur ces entrefaites, Sčmčđ''bey et 
Timour-Aga entrent et s*tnclinent.) 

Lk khan. — (A Timour-Aga.) Ne vous 
ai-je pas defendu de vous prescnter de- 
vant moi avec un poignard ^*. 

Timour-Aga. — Mais, .... je n^ai pas de 
poignard. 

Le khan. — U m'avait sembli. Bien. — 
Qu^aviez-vous k faire dans le harem du 
vizir? (Timour'^Aga baisse la iSte,J — Le 
voici votre dessein : vous voulez que je 
sois deshonore dans tous mes Etats par un 
fripon et un bandit, comme vous! Mais, 
je ne veux plus d'un pareil neveu. — En- 
fantsl unecorde! [Quelques ferrachs s' a- 
vancentj un chdle tout prSt ^ la main.) 



8 



84 DBUX GOMĆDIES TURQUBS 



SCENE IX 

Le khan. — Jetez ce chWe au cou de ce 
gredin, de ce banditi Renversez-le ! (Les 
ferrachs sont sur le point de lancer le 
chdle^ — les yeux des assistants se rem- 
plissent de larmes.) 

Lb maitre des cćrćmonies et les intimes 
Du KHAN. — Grace! seigneur. II est jeune. 
Pardotinez-lui pour cctte fois. 

Le khan. — Par les mSnes de mon pire! 
Je ne lui pardonnerai jamais ! (Se tour- 
nant vers les ferrachs.) — Lancez le chale ! 
(Les ferrachs s'avancent un peu plus. 
Grands ou petits^personne ne peut se con- 
tenir plus longtemps. Sans pouvoir mat- 
triser leur douleur, tous les assistants se 
mettent d gćmir^ et se jettent a terre, en 
priant et en suppliant.) 

Tous ENSEMBLE. — Gr&ce! seigneur, 
n^ordonnez pas sa mort. Soyez gćnereux. 



ACTE TROISIEME 85 

C'est le seul enfant de sa mčre. (Ils gi^ 
missent et se lamentent.) 

Le khan. — Non, impossible ! Dieu 
m'en preserve ! (Au comble de la co- 
Ure, U se tourne vers les ferrachs.) Ne 
vous ai-je pas dit de lancer le chSle ? fils 
de chiensl (Les ferrachs font un nouveau 
mouvement^ et s'avancent un peu plus, le 
chdle d la main, — Timour-Aga porte v/ve- 
ment la main derrUre sa ceinture^ et en 
tire un pistolet quHl dirige vers les fer* 
rachs. CeuX'^i, effrayes, se dispersent, 
— Alors, Timour-Aga saute hors de la 
mSUe^ et s'ichappe,) 



SCENE X 

Le khan. — (En criant apr^s lui.) At- 
trappez-le! Ne le laissez pas echapper! 
[Tout le monde se remue, mais, personne 
nepoursuit Timour^^Aga.) 

Le khan. — (Regardant les nobleSt 



86 DEUX COMĆDIES TURQUES 



đ'un air courroucćj Ah ! vous ne meritez 
pastoutesmes bontes! Pourquoi avez-vous 
laisse partir ce bandit ? (Personne ne re- 
pond.) 



SCENE XI 

Le khan, — Sčmed-bey ! (Celuuci s'a- 
vancej. Prends vite avec toi cinquante 
soldats, 15 et, quel que soit le lieu du 
monde oti il se cache, trouvez-le, prenez- 
le, et amenez-le ici, les poings lies. Tant 
que je ne Paurai point mis k mort, le pays 
ne sera pas tranquille, et mon coeur ne 
trouvera pas le repos. 

Semžd-bey. — Bicn, seigneur. (II sortj 



SCĆNE XII 

Le khan. — (Aux grands de la cour,) 
AUez : vous etes congćdićs. (Chacun sort 
de son c6te,J 



ACTB troisi|:me 87 



SCENE XIII 

Le khan. — {Se levant.) Aziz-Aga ! f Ce- 
lui'Cis*avance.) La barquc est-elle prSte? 

Aziz-Aga. — Oui, seigneur, elle est 
prćte. 

Le khan. — (Se levant.) AUez, vizir, et 
soyez tranquille. Ne vous chagrinez pas : 
votre vengeance ^^ ne restera pas k terre. 
Prenez cet anneau, et donnez-le k Ni;a- 
Khanoum. J'ai envoye chez Porfčvre, 
aujourd'hui meme, et on m*a apportecette 
bague exprčs pour elle. Occupez-vous des 
preparatifs de la noće. II faut qu'elle ait 
lieu dans une semaine. 

Le vizir. — Bien, seigneur. J'accom- 
plirai les ordres de votre Altesse. (Le vf- 
:{ir s*incline et sort. — Ensuite le khan 
et A:{i\'Aga montenten bateau^ pour aller 
d la promenade.) 

Le rideau tombe. 

FIN DE I^^ACTE TROISIČME 

8* 



NOTES SUR L'ACTE TROISIĆME 



1. Le divan est un conseil tenu soit au palais 
du souverain, soit a celui du grand vizir, en Tur- 
quie, ou du gouverneur, dans une provi nce per- 
sane : c'est un tribunal qui juge immćdiatement 
et sans appel. 

2. Le talar est une estrade ćlevee ou se tient 
le khan, assis sur son trdne. 

3. Le mot lotke qui est efnployć ici, pour desi- 
gner une barque ou un bateau de plaisance, est 
d'origine etrangere. Čest le mot russe lodka, 

4. Citation du Coran. Voici la traduction inte- 
grale du verset, telle que la donne M. Kazi- 
mirski : « Dans ce code (le Pentateuque), nous 
avons prescrit aux Juifs : fime pour dme, oeil pour 
oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour 
dent. Les blessures seront punies par la loi du 
talion. Celui qui, recevant le prix de la peine, le 
changera en aum6ne, fera bien ; ćela lui servira 
d'eipiation de ses pechds. Ceux qui ne jugeront 
pas d'aprčs les livres que nous avons fait descen- 
dre d'en haut sont infid^les. » Ch.V, verset 49. Voici 



90 DSUX COMĆDIKS TURQUBS 



encore les autres passages du Coran qui traitent 
de cette importante mati^re : eh. ii, versets 173- 
175 et eh. XXII, verset 5g. La doctrine contenue 
dana ces versets a 6x6 expliquće, aprčs la mort de 
Mahomet, par la sonna ou recueil des traditions. 

5. Le plaignant s'eiprime ici dans un de ces 
patois du nord de la Perse, qu*on a dćsignćs 
sous divers noms : (guil&k, maz&ndčrani, talich, 
etc.), et qui ont entre eux de tr&s grandes ressem- 
blances. Dans un article paru rćcemment dans le 
Journal asiatique^ M. Clćment Huart propose de 
rćunir tous ces patois et ces divers dialectes sous 
la dćnomination commune de pehlevi musulman. 
(Voyez les quatrains de Bdbd Tdhir 'urydn, publ. 
trad. et annot. par M. Clćment Huart. Journal 
asiat. Nov.-Dćc. i885.) 

6. Mot k mot : a qu'il le rendrait gras », expres- 
sion tr&susitee en Perse. Pour demander 21 un Per- 
san des nouvelles de sa santć, on lui dit : a Votre 
nez est-il gras? » 

7. L'usage de donner en cadeau des vStements 
est tres ancien en Orient. On sait que le Grand- 
Seigneur avait pour usage, autrefois, de donner 
une pelisse d'honneur aux ambassadeurs euro- 
pćens. On appelait du nom de kliela les vSte- 
ments offerts ainsi par le sultan, et c'est ce mot 
qui a passć dans notre expression, v6tements de 
gala. 

8. Mot k mot : « un morceau de drap ». 

9. Le qalem-ddn est, en quelque sorte, le sym- 
bole des fonctions de vizir, comme le portefeuille 
pour nos ministres europćens. Čest une bolte 



NOTES SUR l'ACTE TROISIEME 9 1 

longue, ct gćnćralement ornće de peintures ou 
d'inscriptions, qui contient les qalems dont les 
Orientauz se servent pour ćcrire. A un des bouts 
de cette boite se trouve un encrier. Le qalčm- 
ddn se porte, passć dans la ceinture. 

10. Mot k mot : c est Toraison de toutes les ih- 
vres. 

IX. Mot k mot : « que le sel de votre faveur 
m'aveugle ! » Voir acte II, note 4. 

12. Allusion au khalife Omar. La sevćrite et la 
justice de ce khalife sont Ićgendaires en Orient, et 
les auteurs arabes et persans en rapportent bien 
des ezemples. 

1 3. II s*agit ici de Mahmoud, fils de S^bčkte- 
guln, qui fut le fondateur de la dynastie des 
Ghaznćvides, et dont le nom est restć justement 
populaire en Perse, a cause de ses victoires dans 
rinde et de la splendeur de sa cour de Ghazna. 
C'est sous le rčgne de ce prince (de 388 a 42 1 de 
i*hegire) que vivaient la plupart des grands poetes 
de la Perse, et, parmi eux, au prtemier rang par le 
talent, Ferdouci, Tauteur du Livre des Rois. 

14. Le gama ou mieux, /^g-ama^, est unpoignard 
a lame droite et large. Le sens primitif du mot 
est « cheville, coin ». 

1 5. Nous traduisons ici le mot ghoulam par 
soldat. Nous avons dit plus haut que ce s^nt des 
esp^es de pages ou de gardes du corps. 

1 6. Mot a mot : c talion ». 



ACTE QUATRIEME 




ACTE gUATRIEME 



l^*acuoii se passe dans la chambre de Cho*lž- 
Khanoum oix celle-ci se tient assise, en compa- 
gnie de Ni(a-Khanoum. Les deux jeunes fem- 
mes\ toutes troublćes et dans Tatiente^ causent 
entreelles. 



SCENE PREMIĆRE 



Ni^a-Khanoum. -* Je ne comprends pas 
ce qui se passe. Que leur est-il done ar- 
rive? Mas^oud qui ne revient pas nous 
apporterdes nouvelles ! Mon coeur est tout 
trouble. 

Cho'l^-Khanoum. — Mais, pourquoi 
done ton cceur est-il trouble, puisque 

9 



96 DEUX COMEDIES TURQUES 

d'apres toi-meme, le khdn ne peut rien 
contre Timour-Aga ? 

Nica-Khanoum. — C*est vrai. II ne peut 
rien contre lui. Mais, je crains d etre se- 
paree de Timour-Aga, et cette sćparation 
me serait plus dure que la mort. (A ce 
moment entre Aga-Mas*oud.) 



SCĆNE II 

Cho'lž-Khanoum. — Ah I Aga-Mas'oud 1 
Vovons, dis-nous ce qui s'est passe. 

Aga-Mas'oud. •— Que voulez-vous qui 
se soit passe? Le vizir s^est plaint au khSn. 
Celui-ci a envoye chercher Timour-Aga 
qu*il a voulu faire etrangler. Mais, 
Timour-Aga a tire un pistolet, a ecarte 
les ferrachs, et s'est ćchappe de leurs 
mains. Alors, le khlln a charge une troupe 
de cinquante soldats de le rechercher par- 
tout oii il se trouverait, et de le lui ame- 
ner, prisonnier et les mains liees, pour 



ACTK QUATRIEMB 97 



qu^il le fasse mettre k mort. Maintenant, 
on occupe la ville, et on fouille toutes 
les maisons, k la recfaerche du fugitif. 
(Niqa'Khanoum pousse un eri de dou* 
leur, — Au mirne instant^ la porte s'ouvre, 
et Timour^Aga entre dans la chambre). 



SCĆNE III 

CHo'Lfe-KHANouM. — Grand Dieu ! mon 
cher, que faites-vous? Pourquoi žtes-vous 
venu ici? Comment etes-vous entrć? 
Vous avez done un cceur de lion, et vous 
ne craignez done pas pour votre vie? 

Timour-Aga. (Le sourire aux IčvresJ, — 
Pourquoi craindrais-je ? Qu^est-ii done 
arrivć ? 

Cho'lč - Khanoum. — Demandez-moi 
plutćt ce qui nl'est pas arrive! Le khdn a 
cn\oy6šL votre reeherehe pour qu'on vous 
saisisse et qu*on vous mčne k lui. II veut 
vous faire mettre k mort. Pourquoi done 



98 DEUX COMŽDIES TURQUES 



venez-vous ici, comme ćela, Tesprit tran- 
quille? — Aga-Mas'oud, pour Tamour 
de Dieu ! sors, et veille k ce que personne 
ne vienne. (Aga-Mas'ouđ sort,) 



SCENE IV 

Timour-Aga. — Vous pensiez done alors 
que, de peur d'žtre tue, je ne viendrais pas 
voir Ni9a-Khanoum aujourd'hui ? Si, car 
je lui ai donne ma vie entiere 1. Mais, ce 
n^estpas sans une intention arretee que je 
suis venu. Cette nuit mćme, je veux enle- 
ver Nica-Khanoum et Teminener hors de 
cette maison, car je ne peux pas la laisser 
ici plus longtemps. Votre mari a com- 
mence par moffenser : je ne peux plus 
laisser chez lui ma fiancee, et continuer 
k venir ici, comme par le passe. 

Cho le-Khanoum. — Trčs bien : j'y con- 
sens. Mais, il n'ćtait pas prudent de venir 
ici, en plein jour. Ne savez-vous pas, vous- 



ACTE QUATR1EME 99 



mčme, que Ziba-Khanoum a place par- 
tout des espions pour nous epier, vous 
faire mettre A mort, au moindre pre- 
texte, et nous deshonorer, nous autres? 
— Ce qu'il faut, maintenant, c'est que 
d'une fa^on quelconque, vous vous reti- 
riez d'ici, et qu'2l minuit vous soyez devant 
la porte, avec des gens et des chevaux. A 
cette heure-l£l, je ferai sortir Ni^a-Kha« 
noum que je vous confierai. EnIevez-1^, 
alors, et detalez 1 

Timour-Aga. — Et toi, Ni9a, consens-tu ? 

Nica-Khanoum. — Oh ! oui, j'y consens. 
II n'y a plus d'autre nioyen.^i4 ce mo- 
ment Aga-Mas'oud crte, du seuil de la 
porte.) 



SCENE V 

Aga-Mas'oud. — Grand Dicu ! le vizir 
vient. 

Cho^le et N19A-KHANOUH. (Toutes pd^ 
les,) — Oh ! mon cher, de grAce ! Timour- 



j j j 



100 DEUX COMĆDIES TURQUES 



Aga I mettez-vous Ik derričre ce rideau. 
Nous verrons si nous pourrons faire par- 
tir ce mechant. 

Timour-Aga. (Sans se troubler^ et tout 
tranquillem€nt.)'— Je ne veux plus me 
cacher derrićre ce rideau. Laissez*le venir : 
qu'il me voie ici. 

Cho'le et Nica-Khanoum. (Elles se jeU 
tent a sespieđs, et embrassent ses genoux, 
en prote d la plus vive emotion.) — Pour 
Tamour de Dieu ! ne vous jetez pas au- 
devant de la mort ^. Par le tombeau de 
votre pere! cachez-vous derriere ce ri- 
deau. 

Timour-Aga. — Jamais ! 

Aga-Maso*ud. (Entrant, pour la deu" 
xišme fois, sa tete par Vembrasure de la 
porte,) — Eh I le vizir vient. 

Cho'le et Nica-Khanoum. — Ayez pitie 
de nous, Timour-Aga. Si le vizir vous 
trouve ici, encore cette fois, il nous fera 
certainement mettre k mort. 

Timour-Aga. — AUons, c'est bien par 
egard pour vous que je cčde. (II se cache 



ACTE QUATRIEME IO I 



derrUre le rideau; une seconde apris, le 
vi\ir entre dans la chambre.) 



SCENE VI 

Le vizir. — Je suis content de vous 
trouver ici toutes deux reunies. J'avais 
besoin de causer avec vous, et il faut que 
vous me pretiez votre attention. — Si 
nous donnons ta^soeur en mariage au kh^n, 
tu sais, Cho'le, combien ton rang et le 
mien en seront ^leves. Ne dois-tu pas, 
alors, songer k ta bonne renommee et 
eviter de te compromettre ? II ne faut pas 
qu'on puisse dire que la belle-soeur du khdn 
a des intrigues avec des etrangers. 

Cho'le-Khanoum. (Lentement^ et avec 
calme,) — Voyons, dites : avec qui ai-je 
des intrigues ? 

Le vizir. — Avec Timour-Aga, par 
exemple, puisque je Tai trouve dans ta 
chambre. 



102 DEUX COMEOIES TURQUES 



Cho'lž-Khanoum. — Oui, en compagnie 
devolre femme Ziba-Khanoum; derričre 
ce rideau. 

Le vizir. — C'est vrai. Je ne te soup- 
^onne pas. II se peut bien que ce soit Ziba- 
Khanoum qui soit en faute. Ce que je l^en 
dis la est seulement pour que tu fasses en 
sorte 3 qu'on n'aille pas rapporter au khan 
de mauvais propos sur ton comptc. Gela 
pourrait le refroidir vis k vis de Nica- 

Khanoum et il est maintenant tout 

epris de Ni^a. II m*a ordonne de preparer 
le mariage pour la semaine procbaine, 
et voici Tanneau qu*il lui offre. — Viens 
ici, Ni^a: prends cet anneau, et mets-le k 
ton doigt. (II met Vanneau dans la main 
de Nica-KhanoumJ 

Nica-Khanoum. — Une fille dont on 
soup9onne la soeur, n'est pas digne du 
khan. Remportez cet anneau.Quand vous 
aurez trouve une femme digne du khan, 
vous le mettrez au doigt de cette femme. 
[Ellepose I a bague a terre, devant le vi\ir^ 
et elle sort,) 



ACTE QUATRIEME I03 



SCENE VII 

Le vizir. (En criant apršs Ni^a^Kha- 
noum.) — Eh! ma fille, cst-ce que je 
soup^onne ta sceur? C'est un conseil que 
je lui ai donne. 

Cho^lž-Khanoum. — Ne valait-il pas 
pas mieux donner ces conseils k votre 
femme Ziba-Khanoum? 

Le vizir. — Oui,... demain je lui parle- 
rai bien plus severement. 

Cho^i^-Khanoum. — Pourquoi attendre 
k demain? Ne pouvez-vous pas y aller 
aujourd^hui? 

Le VIZIR. — Maintenant, ce n*est pas 
necessaire. En admettantqueTimour*Aga 
ait ete son amant, il a ete chStie. Ou on 
Ta retrouve, et il va ćtre mis k mort; ou il 
a reussi k s echapper^ et il ira, loin de ce 
pays, mendier de porte en porte. II est 
done inutile d'en reparler. II faut s'occu- 

9* 



104 DEUX COMĆDIES TURQUES 

per de preparer le mariage de Ni^a-Kha- 
noum. 

Cho'lž-Khanoum. — Eh bien, allez 
dans la chambre de ma mćre : vous cau- 
serez de cela avec elle. Ce n'est pas mon 
affaire. 

Lk VIZIR. — Vaappeler ta mere. Qu'clle 
vienne : nous causerons ici. (A ce mo- 
ment^ la porte s'ouvre^ et Pšri-Khanoum 
entre^ avec Ni^a-Khanoum. Le vi^ir, se 
tournant vers Pćri'-Khanoum.) 



SCENE VIII 

Le vizir. — Ah ! vous avez bien fait de 
venir ici. Donnez-vous la peine de vous 
asseoir. 

Pćri-Khanoum. — Que vos douleurs 
retombent sur mon dme '• ! Ce n'est pas le 
moment de m'asseoir. Si vous sortez, 
je ne peux pas vous revoir. Ecoutez-moi : 
j*ai k vous parler. Mon Dieu ! vous etes si 



ACTE QUATRIEME Io5 

occupe qu'on ne pcut pas vous voir. 

Le vizir. — Čest vrai; surtout ces 
jours-ci : je n'avais pas un moment de 
loisir. Voyons, dites-moi ce que vous vou- 
lez me demander. 

PeruKhanoum. — Oh! rien de bien 
difficile. — J etais allće demander un 
amulette ^ Qourban, le diseur de bonne 
aveniure, pour que Dieu vous donne un 
enfant, de ma fille Cho*le. Le devin m'a 
ecrit un amulette, ^ et m'a dit: « Vous 
preparerez un plat de froment, trois fois 
grand comme la tžte du vizir, et vous le 
distribuerez aux pauvres. > II faut done 
maintenantque je prenne trois fois la me- 
sure de votre tžte, pour ne pas laisser 
pa$serrheure de la soupe. 

Le vizir. — Vous me faites la une 
etrange proposition, ma bonne ! Tant que 
ma tete sera sur mes epaulcs, comment 
pourrez-vous en prendre la mesure ? 

Peri-Khanoum. — Si, si, je peux : c^est 
trčs faciie. Le sorcier m'a indique, lui- 
mćme, le moyen. II faut placer un grand 



I06 DEUX COMEDIES TURQUES 



pot sur votre tćlc, et le pot qui la contien- 
dra, en sera la mesure. Niga-Khanoum, 
apporte-moi un vaše. 



SCENE IX 

(Nica-Khanoum sort, et rapporte un pe- 
tit vaše que Aga^Masoitd avait prepare . 
Aussitćt^ Peri-Khanoum Ičve le braSj et, 
doucement, ote au vi^ir son bonnet.) 

Le vizir. — Quoique ce soit la une ce- 
rćmonie peu convenable, je ne m'y op- 
poserai pas. II faut faire comme on vous 
a dit. Que Dieu daigne exaucer le desir de 
ChoUe-Khanoum ! 

Peri-Khanoum. — Bien ; merci. — Ni^a, 
place le pot sur sa tete. (Nica-Khanoum 
met le vaše sur la tete du vi:{ir, mais^ le 
pot n'arrive qu*aux sourcils, et ne va pas 
plus loin. Ni^a-Khanoum appuie trčs 
fort four quil s*en/once.) 

Le vizir. (Levant les deux bras.) — 



ACTE QUATR1EME IO7 



Ouf ! de grdce I que faites-vous ? Mon nez 
est briše ! doucement ! (II enlčve le pot de 
sa tSte.J 

Peri-Khanoum. (Aussitot.) — Ma fille, 
apporte un pot plus grand. (Ni^a^Kha^ 
noum r apporte^ en courant^ un grand 
vaše,) 

Le vizir. -- Eh ! ma bonne amie, pour 
lamour de Dieu! ne serait-il pas possible 
de remettre ćela k plus tard? Maintenant, 
je voudrais vous parler : j'ai quelque chose 
a vous dire. 

Peri-Khanoum. — Non, non, mon cher ; 
ce n'est pas possible. Le moment favora- 
ble passerait. Ne vous flchez pas : c'est 
raffaire d'une minute, et c'est pour vous 
que nous nous donnons tout ce mal. (En 
pleurant.) Je suis k la fin de ma vie. . . et 
je mourrais sans avoir vu un petit enfant 
sur lesgenouxde Cho'le ! (Ellese tourne, 
les yeux remplis de larmes, vers Nica^ 
Khanoum,) Ma fille, place le pot. C'est 
celui-la que tu aurais du apporter tout 
d^abord. 



I08 DEUX COMŽDIES TURQUES 



SCENE X 

(Ni^a-Khanoum place le vaše qui sen- 
fonce au-dessous de la gorge du vi\ir. 
Aussitot, Pšri'Khanoum fait signe d 
Cho'lš, en lui montrant le rideau. Celle-ci 
le soulčve sans bruit, et, en tirant Ti- 
mour^Aga, le mine jusqu'd la porte, — 
Timour sort par la porte dufond. Ni^a 
enlive alors le pot.) 



SCENE XI 

Le vizir. — Ah ! maintenant, ma chere, 
asseyez-vous. Je veux vous parler k mon 
tour. 

Peri-Khanoum. — Voyons, mon fils. 
(Comme elle se dispose d s'asseoir^ un 
bruit de voixs*dltve du milieu de la cour, 
Une minute aprčs^ Timour- A ga entre 



ACTC QUATRIEMB tOg 

đans la chambre, un pistolet d la main. 
Le vi^ir se met d trembler^ en Vaperce^ 
vant.) 



SCENE XII 

Timour-Aga. — Vous ne rougissez done 
pas des bontes que mon pere a eues pour 
vous *? Vous voulez done, injustement et 
sans raison, me faire mettre k mort ? Mais, 
on ne me tuera pas, tant que je ne vous 
aurai pas tue! (U dirige son pistolet vers 
le vi\ir.} 

Cholč-Khanoum. (Se jetant aux pieds 
de Timour-Aga, et rimplorant.J^-GršiCtl 
Timour-Aga : relenez votre main ; con- 
tenez-vous. (Timour-Aga retireson bras, 
— A ce moment, Sčmid-bejr entre dans la 
chambre^ avec quelques soldats, et se tient 
debout sur le seuiL) 



no DEUX COMĆDIES TURQUBS 



SCENE XIII 

Timour-Aga. — SemW-bey, quel est 
ton dessein? Que veux-tu faire ? 

SčMED-BEY. — Seigneur, nous sommes 
vos servileurs et ceux de voire pčre. De 
quel droit vous manquerions-nous de 
respect? Mais, vous le savez, vous-mćme : 
c'est Tordre du khžin. Nous devons vous 
amener k lui. 

Timour-Aga. — Vous ne pourrez pas 
m amener vivantdevant lui. Voulez-vous 
done lui rapporter ma tćte ? Mais, ma tete 
elle-meme, ne tombera pas si facilement 
dans la main de personne! Allons, aie le 
courage de venir la prendre. Avance. 

Semed-bkv. -^ Seigneur, supposez que 
vous atteigniez et que vous tuiez un 
homme, avec ce pistolet : vous ne pourrez 
pas tuer aussi les cinquante soldats qui 
me suivent. Tout ćela est bien inutile. Le 



ACTE QUATRIEME 1 1 I 



khdn s'est calme, et il s'est engagć a ne 
vous rien faire : il en a donne sa parole. 
Timour-Aga. — Je ne me fierai jamais k 
sa parole ni a ses actes. Comment done 
a-tMl tenu dejsl ses promesses pour qu*on 
puisse s'y fier ?... Čest comme j'ai dit. (A 
ce moment, pour la deuxieme fois, un 
bruit de voix s^elšve du fond de la cour. 
-^ Sčlim^bejr^ grand mđitre des ceremo- 
nies, et Ri\a^ frtre de lait de TimouV' 
Aga, entrent dans Vappartement,) 



SCENE XIV 

Sč:lim-bey. — Arriere ! Sćnied-bcy. Salut 
k vous, 6 Timour-Aga. Le khdn^ votre 
oncle, ćtait alle faire une promenade en 
mer. Tout k coup, un vent contraire s'est 
leve; le bateau a ete englouti, et le kh&n 
s'est nojre. — Maintenant, le peuple est 
reuni autour du palais, attendant que 
vous lui fassiez l'honneur de vous asscoir 



112 DEUX COMĆĐIES TURQUES 



au trdne du pouvoir '' et de reprendre la 
place de votre pere. 

Timour-Aga. — Est-ce vrai, Riza? 

RjZA. - Oui, seigneur, c^est vrai : 
daignez done venir avec nous« (A ce mo- 
ment^ le vi:{ir et Sčmid-bejr s'avancent 
et se prost ernent, laface contre terre.) 

Le vizir etSEH£D-BEY. — Seigneur, que 
nous soyons votre ran^on ! faites-nous 
grdce. 

Timour-Aga. — Relčve-toi, Sćmed-bey, 
et retire-toi. {Simčđ'bey se relive^ et se 
retire dans un coin.) 

Timour-Aga. (Se tournant vers le vi\ir^) 
— Vizir, voici la raison de mes visites dans 
votre maison. J^aimais, et j'aitne encore 
votre belle-soeur, Ni^a-Khanoum. Je 
voulais la prendre pour femme, selon 
Tordre de Dieu, selon la loi du Prophćte, 
et avec votre propre agrement. Mais, pour 
satisfaire quelques lointains projets de 
grandeurs, vous vouliez la donner en ma- 
riage ^ ce maudit, et c'est pour cette raison 
que je ne pouvais vous exposer ma de- 



ACTE QUATR1EME Il3 



mande. C'est I^ la cause de vos mauvais 
soupgons k mon ćgard et de votre dessein 
de me tuer. Mais, les evenements celestes 
rendent vains les projets des homtnes ^. 
Dieu, qui selon les exigences de la justice, 
donne au riche, comme au pauvre, la re- 
compense de leurs oeuvres, a sauve Tin- 
nocent, et a fait arriver le contraire de vos 
dćsirs. — Maintenant, en raison des in- 
justices que vous avez commises pendant 
le temps de votre pouvolr, vis ^ vis du 
peuple et de vos subcrdonnes, je ne peux 
pas vous confier, une seconde fois, la 
charge du vizirat, et vous maintenir dans 
vos anciennes fonctions. Je sais, en effet, 
qu41 est impossible d^arracher de Tesprit 
d^un homme les mauvaises habitudes qu'il 
a contractees, de fa^on k ce qull travaille 
ensuite a la prosperite publique, selon les 
voies de la justice. Mais, vous avez mange 
le sel de ma famille ^ : je ferme les yeux 
sur vos fautes passees. Dorenavant, et 
pendant toute la durće de votre vie, vous 
recevrez de moi une pension, et vous res- 



114 DEUX COMĆDIES TURQUES 

terez šl la tćte de votre maison et de votre 
famille, dans la tranquillite la plus com- 
plete et le calme le plus absolu. — Mais, 
dans l'interćt des affaires publiques, vous 
ne serez plus charge des fonctions du 
vizirat. L'ingerence de vos pareils dans 
les afFaires de TĆtat est contraire k la 
justice et a Phumanite. Aussi, le prince 
qui veut faire prosperer, selon les rčgles 
de requite, les interets de son royaume, 
et mener ses sujets dans la voie du pro- 
gres, doit destituer les ignorants, les inča- 
pables et les ambitieux, et confier les 
affaires de son royaume i des hommes 
instruits, habiles et desinteresses. II ne 
doit pas donner accčs aux affaires des ser* 
viteurs de Dieu k des gens dont Phabi- 
tude est l'avidite et la venalitć, qui, 
contre tout droit et toute justice, ne se 
servent de leur pouvoir que pour leurs 
propres interćts. 11 agira ainsi pour faire 
prosperer les afEsiires de l'Ćtat et du peu- 
ple, et pour donner la paix et le bonheur 
k tous ses sujets, esclaves et hommes libres. 



ACTE QUATRIEME I I 5 



— Mais 11 me semble quMl est inutile 
d'en dire plus long sur ce chapitre. II faut 
mettre la main a Foeuvre, et achever les 
prćparatifs de la noće. Pour vous, vous 
preparerez tout ce qui est necessaire šl Niga- 
Khanoum. SMI plalt si Dieu, le decret de 
la cćrćmonie sera rendu, la semaine pro- 
chaine, et ce sera bientdt termine. — Ma 
chćre Peri-Khanoum, madame Cho'lć- 
Khanoum, que Dieu vous garde. Occupez- 
vous de ce qui vous concerne, pour les 
preparatifs du mariage. 

Pćri-Khanoum et Cho'lž-Khanoum. — 
Que Dieu fasse durer votre vie et votre 
rćgne, seigneur. Puissiez-vous possćder le 
pouvoir, pendant cent ans encorel (7*/- 
tnour^Aga sort avec les assistants. Le 
vi^ir^ abasourdi^ reste dans sa maison.) 

Les soldats. (A gorge d4plqyee^ au 
milieu de la cour :) Vive Timour-khdn! 

(Le rideau tombe,) 

FIN DU VIZIR DE LENKŽRAN 




:»ikf:$^^#4lfetf 



NOTES SUR L»ACTE QUATR1ĆME 



1 . Ltttćralement : a j'ai placć cette tSte sur son 
chemin ». 

2. Litter. « ne vous plongez pas dans des flots 
de sang ». 

3. Mot k mot : a que tu aies une mani^re de 
t'asseoir et de televertelle que^... etc. » 

4. Formule de politesse, et expression de respect. 

5. Les amulettes persans sont gćneralement des 
versets du Coran que le sorcier ćcrit sur de petits 
carrćs de papier. S'il s'agit, par exemple, de guć- 
rir un maiade, on lui fait boire de l'eau ou une 
potion queIconque dans ]aquelle on a fait trem- 
per ramulette, jusqu'a ce que les caractčres de 
rćcriture aient ćie entičrement laves. Naturelle- 
ment, le verset varie, selon le but qu'on se 
propose d*aueindre. Quelquefois, au lieu de 
citations du Coran, le devin se contente d'6- 
crire, sur un papier quadrillć et divisć en petites 
cases, un certain nombre de lettres arabes ou de 
signes sans autre signification que celle qu*il 
prćtend leur donner. Ce procćdć est encore en 
usage aujourd'hui en Algerie ou les diseurs de 



I 1 8 DEUX COMĆDIES TURQUBS 



bonne aventure obtiennent aupr&sdes Arabes plus 
de credit que nos meUIeurs mćdecins. Ces sortes 
d*amulettes se portent souvent sur le corps, comrae 
des scapulaires : on les enferme alors dans des 
petits sacs de cuir brode. 

6. Mot a mot : « que les bontćs de mon p^re 
vous soient interdites I » 

7. Littćr. c sur le coussin du pouvoir ». 

8. Cette maxime est cadencće et rhythmće, dans 
le texle, ce qui plait beaucoup aux Persans. Toute 
cette harangue est d'ailleurs dans le goCt de Hi 
littćrature sassanide. 

g. Čest k dire : vous Stes le protćgć de ma 
faroille ». 

FIN DES NOTES SUR LE VIZIR DE LENKERAN 




LES PROC URE URS 



COMCDIE EN TROIS ACTES 



LES PROCUREURS 



COMEDIE EN TROIS ACTES 

PAR 

MIRZA FETH-ALI AKHOND-ZADE 



PERSONNAGES DE LA PIECE 

SEKINE-KHANOUM, jeane fille de dix-huit an:>, soeur 

de feu Hadji-Ghafoor. 
AZfZ-BEY, fiancć et ainoureux de SekinčKhanoum. 
ZOBEI'DE, Unte paternelle i de Sčkine-Khaiioom. 
ZEINEB, concubine % de feu Hađji-Ghafour. 
AGA-ABBAS, frčre de ZMnhb. 

AGA-SELMAN, le fils du fabricant de tamis, avocat de 
Sekinč. 

AGA-MERDAN, le fils du confiseur, avocat de Zelneb. 

AGA-HA^AN, nćgociant. 

AGA-KČRIM, chef des coartiers. 

GOUL-SEBAH •, servante de Sfekinć-Khanoum. 

Le Prćsident du tribunal. 

AGA-REHIM, \ 

AGA-DJEBBAR, / j , . 

AGA-BECHIR, [ assesseurs du tribunal. 

AGA-SETTAR, ) 

L*Inspecteur du marchć. 

HEPOU, X 

CHEiDA, I 

QOURBANALI, \ temoins de ZeTnib 

HANIFE, ; 

BEDEL. 

QAHREMAN, I soldats, tćmoins de S^kini- 

GHAFFAR, ( Kbanoum. 

NŽZER, ) 

Le chef des huissiers. 

ECED, dome8tique du prćsident du tribunal. 

NACIR, firrach. 

Un enfant de sept mois. 




NOTES SUR LES PERSONNAGES 



1. Les Orientaui distinguent la tante paternelle 
(amme) de la tante maternelle (khale). 

2. Le mot « MoVe > que nous rendons ici par 
concubine, designe, en realite, une femme qui a 
contracte un mariage temporaire. Ces sortes d*u- 
nions n'ont pas ćte ćtablies par le Coran, mais 
elles sont justifiees par la loi. En som me, le ma- 
riage temporaire n'est qu*un concubinage legal. 
Les quelques conditions dont le legislateur a en- 
tourć cette forme d*union, sont derišoires; voici 
d'ailleurs les principales, d*apres le savant ouvrage 
de M. Querry (Droit musulman chiite), « Tout 
homme libre ou esclave peut ćpouser en mariage 
temporaire autant de femmes qu'il veut. » T. 1, 
p. 673. parag. 243. — a Quatre conditions sont 
indispensables a la validite de ce mariage : le con- 
trat, la Ićgalitć, le douaire et le terme. » P. 689, 
parag. SSg. — « La femme, pour pouvoir con- 
tracter un mariage temporaire, doit professer 
une des quatre religions rćvelees : Tislamisme, le 

10* 



124 NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES 



judal'sme, le christianisme ou le magisme... » 
P. 690, parag. 366. — « Le mari d'une femme li- 
bre ne peut contracter un mariage temporaire avec 
une esclave, sans le consentement de la femme 
libre, sous peine de nuUite du second mariage. » 
/^., parag. 871 » — ec La femme musulmane ne 
peut contracter un mariage temporaire avec un 
homme professant une autre religion que l'isla- 
misme. » /<i., parag. 372. — Ce sont la toutes les 
incapacites resultant de laqualite des personnes; 
le legislateur se borne a rccommander encore 
d^eviter une pareille union avec une femme de 
mauvaise vie ou avec une jeune hlle vierge pri- 
vee de son pere. Id., parag. 372 et 373. — Parmi 
les conditions exigees pour la validite du mariage 
temporaire, il en est deux qui pourraient avoir 
peut>etre quelque importance, mais que la loi 
n'etablit que pour lesefracerpresque entierement : 
c'est d*abord le douaire que le mari doit payer a 
la femme apres rexpiration du mariage, et ensuite 
le terme fixe pour la duree de Tunion. Voici» 
textuellement, ce que la loi chiitedit a propos du 
douaire : « La quotite du douaire peut Stre con- 
siderable ou insignifiante; elle peut mSme ne 
consister qu*en une poignee de ble. » P. 692« 
parag. 383. Quant a la duree du contrat, d'aprčs 
les articles 392 et 394, « elle peut Stre conside- 
rabie ou de bref delai ; elle peut s*ćtendre a une 
ou plusieurs annees, a un ou plusieurs mois ou 
jours. » — a Elle peut etre fixee pour une frac- 
tion d'un jour, pourvu que le moment de Teipi- 
ration en soit determine formellement, par exem- 



NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES 125 



ple : si elle ćtait fixće a midi ou au coucher du 
soleil. » '— Comme on le voit, il est difficile d*i- 
maginer une loi plus immorale et moins g£- 
nante. 

il est evident qu*une pareiile unibn ne peut 
produire des efFets aussi considćrables que le 
mariage legitime; aussi « les ćpoui maries tem- 
porairement n'hćritent pas Tun de Tautre, 
soit que le contrat renferme une clause a cet 
effetf soit qu*U n'enfasse pas mention, » Ainsi 
done, une femme mariee sous le regime du 
mariage temporaire n*hćrite pas de son mari. 
Mais, les enfants nćs de ce mariage, ont droit k 
la succession de leur p&re. La loi les appelle a 
cette succession, de concert avec les descendants 
du premier degre, avant les frčres, soeurs, 
afeuls, ondes et tantes, du defunr. Čest la toute 
ridće et tout le sujet de la comćdie « les Procu- 
reurs ». ~Si Hadji-Ghafour a laisse un fils, celui- 
ci est runique heritier de la succession; s*il n'a 
pas laisse d'enfant, toute sa fortune doit revenir 
a sa soeur Sekine-Khanoum. 

3. Goul-Sčbah| nom propre; litt. « fleur du 
matin ». 




ACTE PREMIER 



G>^ 








ACTE PREMIER 



L^action se passe dans la maison de Hadji-Gha- 
four, nćgociant dćc<5dć. 



SCENE PREMIERE 



Debout devant la fenStre,Sekinč-Khanoum, soeur 
de HadjiGhafour, appelle sa servante Goul- 
Sebah. 



Serinž-Khanoum. — Goul-SćbahI Goul- 
Sebah ! 

GouL-SŽBAH. (Entrant dans la chatn- 
bre.) — Voil^, madame. Que desirez- 
vous? 



l3o DEUX COMŽDIES TURQUES 



Sektn£:-Khanoum. — Ne sais-tu pas, 
Goul-Sebah, les tracas que mon effrontee 
de belle-soeur me lance k la tćte ? 

GouL-SžBAH. — NoD, madatne. Que 
puis-je savoir? 

Sčkinč-Khanoum. — EUe a fait prevenir 
le president du tribunal qu'elle s*opposait 
ŠL ce qu'il me delivr^t Targent que mon 
frere avait depose entre ses mains. Elle 
pretend que cette somme doit lui revenir 
a elle. Par Dieu! Goul-Sćbah, a-t'on vu 
pareille chose en ce monde? Je ne sais 
quelle faute j ai commise envers Dieu ; 
mais les choses s'arrangent toujours pour 
que la fortune me soit contraire. 

GouL-SčBAH. — Madame , pourquoi 
vous faites*yous de pareilles idees? Pour- 
quoi done la fortune vous serait-elle 
contraire? 

Sekinč-Khanoum. — Tu sais, Goul-Se- 
bah, que j^aime eperdOment Aziz-bey. 
Pendant deux annees entičres, le malheu- 
reux a supplie mon frćre dćfunt de lui 
accorder ma main : mon frćre n'y a pas 



ACTB PREMIER l3l 



consenti, parče que Aziz-bey est fils de 
sunnite, ^ ct fonctionnaire du gouverne- 
ment. Maintenantque mon frdreest mort, 
et que je suis libre ^ de disposer de moi- 
m£me^ je voulais entrer en possession de 
Targent qu'il m'a laissć, pourvoir tranquil- 
lement i, mes besoins, et rćaliser le voeu 
de mon coeur. Et voilJi que mon effrontće 
de belle-soeur a rćciame, et qu^elle a fait 
opposition au versement de Targent ! 
Maintenant, il nous faut avoir les soucis 
d'un procčs. 

GouL-SŽBAH. — Madame, est-ce que 
votre belle-sceur n'a pas de droits ^ Phe- 
ritage de votre frčre ? 

Sčkinč-Khanoum. — Eh! non. Quels 
droits aurait-elle? Ellen'etaitpassa femme 
legitime pour heriter de sa fortune. EUe 
na mćme pas un enfant qui puisse etre 
co-partageant ! Je ne sais vraiment pas 
pourquoi elle a rćclame. 

GouL-SžBAH. — Ne pensez pas k tout 
ćela, madame. S*il plait i Dieu, on ne 
pourrarien contre vous. — Mais, failes une 

u 



1 32 DEUX COMĆDIES TURQUES 

promesse k votre servante : je prierai Dieu 
pour qu'il arrange votre affaire, et pQur 
que vous parveniez bientdt au but de vos 
desirs. 

Sčrinž-Khanoum. — • Qae desires-tu? 
Quelle promesse yeux-tu que je te fasse? 

GouL-SčBAH. — Promettez-moi , lors- 
que vos affaires seront arrangees, grace a 
Dieu, et que vous aurez touche toute vo- 
tre fortune, promettez-moi de faire aussi 
les frais de mon mariage et de me donner 
un mari. — Apartcela,quepuis*jedesirer? 

Sžkinž-Khanoum. — Tres bien. Prie 
Dieu pour que notre proces soit bientdt 
termine, et je te donnerai un mari a toi 
aussi. — Maintenant, pars, va chez Aziz- 
bey, et dislui de venir : je veux voir cc 
qu*il dit de tout ćela. Le president du 
tribunal m'a fait inviter k prendre un 
avocat ^ pour soutenir ma cause. Main- 
tenant, je n*ai personne, en ce pays, que 
Aziz-bey et une lante paternelle; et en- 
core,...., celle-IS, c'est une femme : que 
peut-elle faire? 



ACTE PREMIER I 33 



GouL-SčBAH. (Elle sort et revient aus* 
sitot.J — Madame, voici justement Aziz* 
bcy qui vient ici. (Aussitot Sikini Kha- 
noumferme la/enetre, et A\i\^bey entre 
dans la chambre.) 



SCENE II 

Aziz-B£Y. (Brusguement,) — VoilS enfin 
dti.tu m as conđuit, Sekinč ! 

Sekinž-Khanoum. (SurpriseJ — Moil 
Odt^ai-je conduit?.... Mais, qu^est il done 
arrivć, pour que tu aies ainsi Tair sombre 
et irrite? 

A^iz-BEY. — Ecoute-moi, Sćkine VoiU 
deux aos, tu le sais, qu^au sortir de Pe- 
cole, j'ai ćte pris du mal d^amour pour 
toi, au point de n'avoir plus la force de 
sortir de ma maison. Quoique ton frere 
m^ait maltraite, et qu'il se soit efforce de 
nous separer, pendant tout ce temps-1^, 
j^ai fait preuve de constance et j'ai sup- 



I 34 DBUr COUĆDIES TURQUES 



porte sa rigueur. Mon amour, au con- 
traire, s'est accru de jour en jour, et, dans 
Tespoir que notre union me serait eniin 
accordće plus tard, j'ai endurć patiemment 
toutes les violences et toutes les persćcu- 
tions. Maintenant, le moment de notre 
union approchait et rendait mes pensćes 
plus riantes, j'avais eniin un peu de 

calme et j'apprends qu^on veut encore 

me rendre malheureux I 

Sžkinž-Khanoum. — Que dis-tu ? Parle 
plus clairement pour que je sache ce que 
tu veux dire. Je ne te comprends pas. 

Aziz-BKY. — Pourquoi ne comprends-tu 
pas? Ne le sais-tu pas toi-meme? Hier, 
Aga-Haf^n, le nćgociant, a enyoyć la 
femme du prevdt ^ des marchands, celle 
du maire ^ et celle de Molla-Baqir % au- 
prčs de ta tante, pour lui demander ta 
main. Ta tante leur a donne sa parole. 

Sžikinči-Khanoum. — Bah ! ma tante a 
parić en Tair. Qui est-ce qui fait attention 
ŠL ses paroles^? 

Aziz-BEY. — Non, je ne peux pas gar* 



ACTE PREMIER I 35 



dercela plus longtemps. II faut que tu 
fasses appeler ta tante, tout de suite, et que 
je f entende, de mes propres oreiiles, lui 
dćciarer que tu ne seras jamais la femme 
de Aga-Ha^dn ; ou bien, il faut que je me 
decide k tuer Aga-Ha^Sn, aujourd'hui 
mSme... etadvienne quepourra! — Qu'est- 
ceque que c^est que ce Ha^dn ? Ce bouti- 
quier! II aura voulu marcher sur mes 
brisees ^, s'adresser k ma fiancee et passer 
sur mon chemin.. .. Par Dieu t je vais aller 
lui arracher les boyaux avec ce poignard ! 
Sžkinž-Khanoum. — Tr^s bien. Je vais 
envoyer chez ma tante, la prier de venir 
ici. Ensuite, je lui dirai que je ne suis 
ni ne serai jamais la femme de Aga- 
Ha{dn. Quand ma tante arrivera, tu iras 
dans cette chambre, et tu Tentendras, 
de tes propres oreiiles. — Goul-Sćbah ! 



1 36 DEUX COMŽDIES TURQUES 



SCĆNE III 

GouL-SčBAH. — Voiia, madame. 

Sekine-Khanoum. — Goul-Sčbah, va 
prier ma tante de venir ici. (Goul'Sdbah 
sort.) 



SCENE IV 

Sekine-Khanoum. — Bien.Voyons,main- 
tenant : qui prenons-nous pour avocat? 

Aziz-BEY.— Un avx)cat? Pourqaoi faire? 

Sčkinč-Khanoum. — Hćlas! il demande 
pourquoi! — N'as-tu done pas appris que 
ma belle-soeur reclamerhćritage,etqu*elle 
veut me faire un procćs? 

Aziz-BEY. — Oui ; je Tai entendu dire. 
Mais, maintenant, je n*ai pas ma tete a 
moi. — Que ta tante vienne d'abord, et, 
quand elle sera partie, je trouverai un 
avocat. (A ce moment un bruit de pas se 



ACTE PREMIER l3j 



fait entendre. A\i:['bey se retire dans 
Vautre chambre et Zobšidč^ tante de 
Sikinč'Khanoum , entre dans Vapparte^ 
ment.J 



SCĆNE V 

S&kiicč-Khanouic« — Bonjour, chčre 
tante. 

ZoBžtDž. — Bonjour, Sekinč : que fais- 
tu? Vas-tu bien? 

Sžkinč-Khanoum. — Ahl comment irais- 

je bien? Quand vous ai-je permis, ma 

tante, de me promettre en mariage a Aga- 
Ha^^n? Je n'ai plus ni pčre ni frčre, et 
c'est moi-m£me qui fais mes affaires 
maintenant. 

ZoBžtDŽ. — N*as-tu pas honte? Ne rou- 
gis-tu pas? Est-ce que ceia te regarde? II 
te faut un mari : tu prendras celui qu on 
te donnera ^. II n'est pas convenable que 
les petites fiUes parlent ainsi devant leurs 
grands parents. Čest honteux. Fi done I 



1 38 DEUX GOMĆDIBS TURQUES 



SčKiNE-KH4Nouif. — Noii« II me plait 
de parler ainsi ! Je n^abanđonnerai plus 
ma liberte, et personne ne pourra m^m- 
poser un mari ^^. 

ZoBfeiDE. — C'est bien. Est-ce que tu ne 
veux pas te marier? 

Sekinž-Khanoum. — Non; je ne veux 
pas me marier. 

ZoBEiDž. (EnsouriantJ — U y a beau- 
coup de filles qui disent non, comme toi ; 
mais, plus tard, elles en reviennent. 

Sekine-Khanoum. — Au nom de Dieu ! 
ma tante, je ne plaisante pas; ii est 
absurde de vouloir m'unir k Aga-Ha- 
9^n ^^ Renoncezdonc entičrement ^cette 
idee. 

ZobMđe. — Ce n^est pas possible, ma 
chere niece. Tu me ferais des ennemis de 
tous les notables du pays. 

Sžkine-Khanoum. — Au diable ^^\ s'ils 
nous en veulentl... Aga-Ha92in me de- 
plait : quand je le vois, j ai la bile en 
mouvement. 

ZoBEiDE. — Pourquoi? 



ACTE PREMIER l3g 



Sčkinč-Khanouii. — Cest un malhon- 
nćte homme. 

ZobMdč. — II est maihonnćte pour les 
autres, mais pour nous, il est trćs bien. II 
a de l'habilete dans le commerce, il est trčs 
riche et il sait gagner de Targent. II est 
parent ou ami de tous les notables de la 
province. OCi trouveras-tu un meiileur 
mari? 

SEKiNt-KHANouM. *- Quand mdme Aga- 
Ha^lln me couvrirait de pierreries, de la 
tćte aux piedS) je ne serai jamais sa femme. 
AUez lui direde renoncer k cette idće. 

ZobMdč:. — Jamais. Qui es-tu done 
pour pouvoir te soustraire i la parole que 
j'ai donnee? — Aga-Hacsln a envoy^ au- 
prčs de moi les dames les plus distingućes 
du pays; moi, qui ne suis pas une petite 
fille, j'aiconsenti; j*y ai vu ton intćrćt, et 
j'ai donne ma parole. Veux-tu me faire 
passer aux yeux du monde pour une 
ćtourdie? Je crois avoir un nom et un 
rang; j'ai de la dignite et je suis une 
femme respectable ^^. 

u* 



I40 DSUX COMĆDIES TURQUES 

Sžkinž-Khanoum. «— Pour ne pas nuire 
a votre renommee et k votre honneur, il 
faut done que je me rende malheureuse, 
toute ma vie! Čest un ćtrange devoir que 
vous m'imposez U, ma tante. Par Dieu I 
quand le monde entier devrait ^tre bou- 
leverse, je n'ćpouserai jamais Aga-Hafdn; 
je ne Tćpouserai jamais! C'est moi qui 
vous le dis. Expliquez-lui ćela, et faites en 
sorte qu*il renonce k ce projet, ou sinon, 
je le ferai appeler, moi-mćme, et je lui di- 
ra! en face mille sottises et mille injures. 
Je le traiterai plus honteusement qu^un 
chien, et je lui signifierai son congć. 

ZobMdž. (S*4gratignant a deux mains 
le visagej — Oh ! oh ! mon Dieu I Oh ! 
c'est le monde renversć ! Les jeunes filles 
d'aujourd^hui n^ont pas garde un atome 
de pudeur et de retenue sur leur visage I 
Sčkinć, je n'ai jamais vu de fille aussi 
effrontee ^^ que toi. Nous aussi, nous 
avons etć jeunes filles, et nous avons eu 
des grands parents; mais, par respect pour 
eux, jamais nous n^aurions ose relever la 



ACTE PRBMIER 141 



tete en leur presence. Čest k cause de vo- 
tre effronterie que la peste et le cholćra 
ne quittent pas cette provincei 

Sžkinč-Khanoum. — Non, c*est la vile« 
nie de certains coquins ^^, qui engendre 
la peste et le cholćra I Ce misćrable a en- 
tendu parler de mes soixante mille tomans, 
et c*est pour ćela qu'il a fait demander ma 
main. S^il en est autrement, pourquoi ne 
cherche-t'il pas k m'obtenir par la voie de 
rinciination et de Tamour? S'il dćsirait 
mMpouser (pour moi-m^me), pourquoi, 
du vivant de mon frćre, n'en a-t^il pas 
ouvert la bouche, et n^en a*t'il pas souffle 
mot? 

ZobMdč. — Du vivant de ton frćre, il 
pouvait n'avoir pas envie de se marier. 
— Mais, tu fais bien de me rappeler tes 
soiiante mille tomans. Ne comprends-tu 
done pas que si tu n^ćpouses pas Aga- 
Hagdn, il te fera perdre aussi cette 
somme? 

Sžkine-Khanoum. — Pourquoi et com* 
ment me la fera-t^il perdre? 



142 DEUS COliĆDIBS TURQUBS 



ZobMdž. — Comment? II ira trouver 
ta belle-soeur et fera cause commune avec 
elle. Ses parents et toute sa famille ap- 
puieront sa parole etconfirmeront son tć- 

moignage et on te fera perdre tes 

droits ^®. — La voili, la raison : c'est Favi- 
dite et la ruse diabolique des gens qui ne 
pensent qu'h devorer la fortunedesautres, 
petits ou grands. — Et toi, que sais-tu ? 
Qui ecoutera tes raisons? 

Sekinč:-Khanouic. — Trćs bien. Admet- 
tons qu^on viole mes droits et qu*on n^e- 
coute pas mes raisons. Je ne comprends 
pas comment une concubine, une domes- 
tique pourrait pretendre k l'heritage qui 
me revient. On dirait qu'il n'y a ni droit 
ni justice dans ce pays, et que chacun peut 
faire ce qui lui plait, comme il Tentend ! 

ZoBEiDE. — Ah 1 mon enfant, peut-on 
jamais se prćserver de la ruse des hom- 
mes? — La femme de Hadji-Rehim, quels 
droits avait-elle i la fortune de celui-ci? 
On a volć cependant a Aga- Riza, le fils 
de Hadji-Rćhim, douze mille tomans en 



ACTE PREMIER 14$ 



argent comptant et un ćtabiissement de 
bains, pour donner tout cela i cette mau<- 
vaise femme. Par toutes sortes de ruses, 
l'avocat de ceile ci a fabrique un faux acte 
de donation, et il a pretendu que, de son 
vivant, Hadji-Rćhim avait fah donation 
k sa femme de douze mille tomans en 
numćraire et d^un etablissement de bains. 
II y a eu cinq ou six personnes pour en 
temoigner, et, malgrć ses cris et ses plain- 
tes, on a pris l'argent et le hammam au 
pauvre Aga-Riza pour les donner k cette 
femme. En rćalite, la ville entićre a su 
que c^etait 1^ une imposture. Serais-tu, 
par hasard, plus puissante qu'Aga-Riza, 
qui n'a jamais pu se faire rendre justice ? 
Tu ignores les ruses diaboliques des pro- 
cureurs de ce pays : personne ne peut 
ćchapper aux manceuvres de ces gens Ik ^'^^ 
ni comprendre ce qu'ils font et ce qu'iis 
disent. Crois-tu que c^est de mon plein 
grć que j*ai promis ta main k Aga-Ha- 
qkn ? Non, mais j'ai vu qu'il n^y avait pas 
d autre moyen, et je me suis dit qu'il fal- 



144 nEVX COUĆDIBS turques 

----- ■»■ ■ ■ — — ■ * 

lait accepter, de bonne grdce : c^est ce qu*il 
y avait de mieux si faire; 

SčKiNi-KHANOUM. — Quanđ mirne toute 
ma fortune devrait ćtre gaspillće jusqu'au 
dernier sou ^^, jamais je ne serai la femme 
d'Aga-Ha^in. AUez le lui expliquer : di- 
tes-lui que votre nićce n'y consent pas. 

ZobžIdž. — Ne parle pas ainsi, Sčkinž. 
Je comprends ton dessein. Ce que tu yeux, 
c'est devenir la femme de Aziz-bey, et mć- 
ler le sang de notre race k celui des hćrć- 
tiques ; c^est attircr tous ces gens-1^ et les 
placer i la tćte de notre famille; c'est 
affliger les m§nes de tous nos aieux et te 
couvrir toi-mćme de honte. Jamais, jus- 
qu*^ ce jour, on n^a vu pareille chose dans 
notre famille. La fille d^un nćgociant 
honnćte et craignant Dieu, comment pour* 
rait-elle devenir la femme d'un impie? 
Comment? 

^kinć-Khanoum. — D'oli savcz-vous 
doncque je veux ćpouser Aziz-bey? Je ne 
veux rćpouser, ni lui ni un autre : je 
veux demeurer chez moi. Levez«vous 



ACTE PREMIER 145 



done, et allez faire ma commission H Aga- 
Ha^Sn. 

ZobMdč. — Tu es une petite fille; tu 
n'as pas l'ILge de raison, et tu ne sais pas 
discerner tes interSts. Jamais, je n*irai 
trouver Aga-Ha^dn et lui dire que ma 
niece ne veut pas de lui pour mari« Je t^ai 
promise k lui, et il est parti, emportant 
ma parole : ne te fatigue pas k parler da- 
van tage. (Zobšidd se Išve ets^en va.) 



SCĆNE VI 

Sekine-Khanouh. (Le cceur ulcirć.) — 
HelasI mon Dieu! quedit-elle?(^Zofcdili^ 
sort et s'eloigne. — A\i\'bey, sortant de 
la chambre ou il se tenait cachć :) 



146 DBUX GOMĆDIES TURQUES 



SCĆNE VII 

Aziz-BBY. — Tu vois, maintenant, si 
mon trouble etait motivć.... Je m'en vais. 

Sžkinž-Khanoum. — Oti ? 

Aziz-BKY, — Chez ce coquin d'Aga-Ha- 
;dn, pour le punir cotnme il le merite. 
Je ne peux pas me contenir plus long- 
temps. 

Sč:kine:-Khamouii. — Qu*est-ce que tu 
as ? N'y va pas ; reste ici : tu ferais une 
sottise. Je vais envojrer quelqu*un chez ce 
misćrable pour lui dire de venir ici, et je 
le sommerai, moi-mćme, de renoncer k 
ces idees. — Goul-Sčbahl (Goul-Sčbah 
arrive aussitot.) 



SCENE VIII 

SžKiNŽ-KflANOuM. — Goul-S^bah, va chez 
Aga-Haj^iijlenegociant; prends-lea part, 



ACTE PREMIER 1 47 



et dis-lui qu'une femme le demande pour 
une aSaire trčs importante ; mais, ne pro- 
nonce pas mon nom. (Gouh Šibah sort. 
— Sškini'Khanoum se tourne alors vers 
Aiix'bey.) 



SCENE IX 

Sekine:-Khanoum. — Par Dieul Aziz- 
bey, tu es un enfant dont la Ićvre garde 
encore le parfum du laic de sa nourrice i^. 
Va te regarder dans la glace et vois comme 
tes yeux sont rouges de colčre. Pourquoi 
done as-tu si peu de force de caractere ? 
Ce Mtard ne me prendra pas de force. 

Aziz-BEY. — Tu as raison ; mais, que 
faire si mon coeur ne peut se contenir? 
{A ce moment^ on entenđ un bruit de pas 
au dehors. — A^i^-bejr retourne dans 
Vautre chambre. Sikin^Khanoum se 
voile le visage 20 et s'assied. — Goul'Sč* 
bahentreavec Aga'Ha^dn,} 



148 DBUX COMĆDIES TURQUBS 



SCŽNE X 

Aga-Ha^an. — Bonjour, madame. 

Sčkinč-Khanoum. (D'une voix doucej 
•— Bon)Our, monsieur. Savez-vous qui je 
suis, mon frčre Aga-*Ha(dn? 

Aga-Ha^an. — Non, madame, je Ti- 
gnore. 

SteiNE-KHANOUM. — Eh bien I Aga-Ha- 
^an, sachez que je suis Sćkini, la soeur 
de Hadji-Ghafour. 

Aga-Ha^an. (SurprisJ — Ah! bien, 
madame, je vous connais. Daignez me 
donner vos ordres. Je suis votre serviteur 
et votre esclave, votre domestique, votre 
valet- 

Sčkinž-Khanoum. — Non, Aga-Hadin^ 
ne soyez ni mon esclave ni mon serviteur : 
soyez mon frćre dans ce monde et dans 
l'autre, et renoncez a me possćder comme 
femme ^^ C'est pour vous faire cette sim- 



ACTB PRBMIBR 1 49 



ple reqa£te que je vous ai fait appeler : 
c'est li ce que j'avais k vous dire. 

Aga-Ha^an. (Stupefait.) — Mais, ma- 
đame, pourquoi ne me permettez^vous 
pas d'ćtre votre esclave? Quelle est done 
la faute que j'ai commise ? 

Sžkine-Khanoum. — Vous n^avez com- 
mis aucune faute, et il vaut mieux vous 
parler clairement. J'ai appris que vous 
avez fait đemanđer ma main i ma tante ; 
mais, c'est en vain qu'elle a consenti k 
vous Taccorder. Je vousle dis, mon cher, 
je ne suis pas la personne quMi vous faut 
pour cette affaire : renoncez done i ce 
projet. Ne prononcez plus mon nom i 
Tavenir, et ne reparlez plus de cela. 

Aga-Ha^an. — Pourquoi done, ma- 
dame ? Donnez-m'en la raison, et qu€ je 
comprenne pourquoi je ne suis pas digne 
de vous offrir mes services? 

Sčktnž-Khanoum. — La raison je la 
garde pour mol. Ce que j^ai seulement d 
vous dire, c^est de me laisser tranquilie. 

Aga-Ha^an. «- Mais, enfin, madame, 



l5o DKUX GOMĆDIBS TURQUES 

quelle faute ai*je commise, pour que vous 
me repoussiez? 

Sćkinč-Khanoum. — Vous n avez com- 
mis aucune faute » mon fr&re. Mais, je 
suis aujourd'hui la maitresse de mes ac- 
tions, et je ne desire pas devenir votre 
femme ^. Je ne vous aime pas, et on ne 
peut contraindre un coeur k aimer malgrć 
lui. 

AGA-HA9iLN. — Ces paroles vous feront 
beaucoup de tort, madame : ne parlez pas 
ainsi. 

S&UMŽ-KHiiNOUM. — Je comprends ce 
que VOUS voulez dire. Faites contre moi 
tout ce que vous pourrez. Epargnez-moi 
ou ne m'ćpargnez pas, peu m*importe, 
miserable ! 

AGiL*HAC4N. — Ah f vous vous en re- 
pentirez plus tard ! Rćflćchissez encore un 
peu, et voyez ce que vous avez k me dire. 

Sčkinć-Khanoum. — J^ai reflechi k tout, 
et il ne me reste pas une seule reflexion k 
faire. Aliez ! et faites comme vous voudrez. 
II n*y a personne de plus vil que vous ! 



ACTK PRKMIKR l5l 



Aga»Ha9an. (Vex4,) — Bicn. Je vous 
procurerai un divertissement dont on 
parlera partout : jusqu^au jour de votre 
mort, vous en garderez le gotit au palais ! 
(U se l^e.) 

Sžkinč-Khanoum. — AUez! Allezl qui 
vous craint vaut encore moins que vous! 
N'ćpargnez pas ce que vous pourrez faire 
contre moi : allezl — Qu'est-ce qu'il dit? 
Est-ce qu'il s*imagine qu'on a peur de 
lui? (Aga-Haqđn se retire et A:{i^'bey 
rentre dans la chambre.) 



SCĆNE XI 

Sžkinž-Khanoum. — Ah I viens done, et 
rćflćchis un peu. Voyons, qui prendrons- 
nous pour avocat ? Voild un nouvel en- 
nemi que nous venons de nous faire ^. 

Aziz-BBY. — Ah ! qu'il y en ait cent de 
cette espčcei Pour cent corbeaux, une 
pierre sufHt ^. Je vals aller tout raconter 



1 52 DBUX COMŽDIBS TURQUES 



au Cb«h-Zađ& ^, pour qu^il s*occupe d'ar- 
ranger lui-mćme cette affaire. 

Sžkine-Khanoum. — Le Chah-Zadd ne 
pourra pas arrćter le procćs. De toute fa- 
9on, il faut que nous ayons un avocat. 

Aziz-BEY. — Le Chah-Zadć ne peut pas 
arržter le procćs ; mais, il peut repousser 
les malćfices d*un coquin comme Aga- 
Ha9fin. II faut que je lul apprenne cette 
affaire. Mon pćre a ete.longtemps 4 son 
service, et il me veut du bien : il m'a pro- 
mis de me donner un emploi,de m'etablir 
dans quelque fonction,et de m'abandonner 
les biens-fonds de mon pčre ^. 

Sčkinč-Khanoum. — Tout ćela est tres 
bien ; mais, prenons d'abord un avocat ; 
ensuite, tu iras tout raconter au Chah- 
Zad^, et il verra ce qu^il est justede faire. 

Aziz-BEY. — - Trčs bien. Qui veuz*tu 
prendre pour avocat? (A ce moment, 
Goul'Sšbah entre dans la chambrej 



\ 



ACTE PREMIER 1 53 



scćNE xn 

GouL"SčBAH. — Madame, il y a un indi« 
vidu qui est k la porte de la maison : il 
pretend avoir une affaire importante dont 
il voudrait vous entretenir. II demande 
s'il y a quclqu'un qui puisse lui servir 
d*intermediaire ^ aupres de madame. 

Sćkinč-Khanoum. — Justement, Aziz* 
bey est ici. Dis š cet homme de venir : 
nous verrons ce qu'il veut. (Gonl^Sibah 
sort,) 



SCENE XIII 

Aziz-BEY. — Faut-il que le premier 
venu me voie auprćs de toi ? 

S&KiNć:-KuANOUM. — Est-ce qu*on sait qui 
tu es ? On croira que tu es de ma famille. 
(Aga-Kšrim entre dam la chambre, — 
Sškinč'Khanoum se voile le visagej 






I 54 DBUZ COMĆDIES TURQUKS 



SCĆNE XIV 

AciL-KčRiif . — Bon jour, monsieur et ma- 
dame ^, 

Aziz-BEY. — Bonjour, monsieur. Prenez 
la peine de vous asseoir; vous ćtes le 
bienvenu. 

Aga-Kžrim. (S'asseyant et se toumant 
vers A\i7;;'bey.) — Mon jeune seigneur, 
daignez m^apprendre votre nom illustre. 

Aziz-BEY. — Je m'appelie Aziz-bejr. 

Aga-Kćrim. — C'est un nom bćni. Eh! 
bien, Aziz-bey, puis-je m^adresser k vous, 
tandis que madame Sekinć nous ecou- 
tera? 

Aziz-BEY. — Vous pouvez vous adres- 
ser directement & Sćkinć-Khanoum. Ne 
croyez pas qu^elle soit frivole comme les 
autres jeunes fiiles : elle aime k causer, 
et elie n'est pas embarrassće pour vous 
repondre. 

Aga-Kćrim. •— Ah! elle a bien raison... 



ACTB PRBMIER 1 55 



Sachez d^abord, Aziz-bey, que je suis 
Aga-Kćrim, le chef des courtiers, et que 
j'ćtais trds lie avcc feu Hadji-Ghafour. — 
Je me trouvais, il y a un moment, pour 
affaire, chez Aga-Merd^n, le fils du con- 
fiseur. Par hasard, Aga-Ha^ain, le nego- 
ciant, y est venu aussi. II a saluć, s'est as- 
sis, et s^est exprime en ces termes : < J'ai 
entendu dire, Aga-Merd^n» que vous ćtes 
Tavocat de Zćlnčb, la veuve de Hadji- 
Ghafour. Je me joins š vous dans ce pro- 
cčs, et j*ai quelquechose k vous dire confi- 
dentiellement. » — J'ai vu qu'ils voulaient 
se parler en secret, et je me suis retirć. 
Mais, j'ai compris que leur dessein ćtait 
de nuire k Sekinć-Khanoum, etalors, je 
suis venu la prevenir, simplement par re- 
connaissance pour Hadji-Ghafour. 

Sčkinč-Khanouii. -—Ah! je suis bien 
contente, Aga-Kčrim, de voir que vous 
n*oubliez pas les droitsde Tamitie, et qu*£l 
un pareil moment, vous vous etes souvenu 
de la soeur d'un de vos vieux amis. 

Aga-Kčrim. — Ah ! oui, madame, c'est 

19 



1 56 DBUX COMĆDIBS TURQUES 



une bonne chose que Tamitić, đans un 
temps commek n6tre!-*Cominecet Aga- 
Merdfin est un fripon et un ruse coquin 
qui n'a pas son pareil sur la terre ni au 
ciel, j'ai compris ce que c'etait. J*ai juge 
necessaire đe venir auparavant vous prć- 
venir amicalement de leurs intrigues, car 
si on les laissait faire, il n'y aurait plus 
de remdde. 

Sčkinč-Khanoum. — Mais, Aga-Kćrim, 
que peut done me faire Aga-Merd4n? 

Aga-Kerim. — Que peut-il faire?.... Jai 
entendu dire qu'il est Tavocat de votre 
belle-soeur etqu'il veut vous intenter un 
proces en son nom. II est tres habile et 
trćs retors dans ces sortes d'aSaires : vous 
ne pourrez pas lutter avec iui. II est bien 
difficile de Iui tenir t^te. 

^kjnč'Khanouii. — Que pourra-t'il 
faire dans ce procćs? Mon frćre n'a pas 
d^enfant pour hćriter de sa fortune. Une 
femme qui n^est mariee que temporaire- 
ment ne peut pas, non plus, pretendre k 
rhćritage. Que ce soit Aga-Merd4n ou 



ACTE PREMIER l57 



un autre, quel prćjuđice. pourra-Von me 
porter dans une affaire aussi claire ? 

Aga-Kžrih. — Voas avez biea peu 
d^experience pour une affaire đe cette es- 
p^e. Aga-Merd^n trouvera moyende faire 
ce quUl voudra. 11 ne faut pas vous laisser 
prendre au depourvu dans votre lutte avec 
lui. 

Sčkinč-Khanoum. — Mais, comment ne 
pas nous laisser prendre au dćpourvu ? 

A6a-Kć:rim. — Indiquez-moi, par 
exeinple, votre avocat, pour que je le voie 
et que je lui fasse connaitre quelques- 
unes des ruses d'Aga-Merd&n. S'il est in- 
telligent, il ne perdra pas de temps* 

Sčikinč-Khanouic. — Nous ne connais- 
sons pas encore notre avocat. 

Aga-Ki^rim. — Comment? Vous ne le 
connaissez pas ! Est-ce que vous n'avez 
pas dćsignć de dćfenseur pour cette affaire? 

Sčkinč-Khanoum. — Non, nous ne sa- 
vons qui choisir : nous sommes juste- 
ment en traln d'y songer. 

Aziz-BBY. — Vraiment, Aga-Kćrim, ne 



1 58 DKUX COMĆDIES TURQUES 



pourriez-vous pas nous indicjuer quel- 
qu*un que nous cbargerions de notre 
cause ? 

Aga-Kžriic. — Non, je ne connais per- 
sonne qui soit capable de tenir tćte i Aga« 
Merd&n. Je croyais que vous aviez votre 
avocat tout prćt. 

Aziz-BBY. — Non, nous n*avons de- 
signe personne. Nous voulions seulement 
trouver un homme tres habile pour le 
charger de la defense de nos interSts. — 
Reflechissez de nouveau ; voyez done : 
quelqu'un vous vient-ii k Tidee? 

AGA-KtRiM. — Non, je ne vois pas 
d'homme trčs habile. II y a beaucoup dV 
vocats, mais, il ne peut pas y en avoir qui 
soit capable de tenir tete k Aga-Merd&n... 
Ah I cependant, je pense k quelqu'un...«. 
S^il consentait žćtre votre avocat.... car il 
y a deji longtemps qu*il s^est retire de la 
chicane... Lui seul pourrait tenir tčte k 
Aga«Merddn. 

Sč:kinč-Khano0m. — Qui est-ce ? 

Aga-Kžrim. - Čest Aga-Sćlm^n, le fils 



ACTB PRBMIKR 1^9 



da fabricant de tamis. S'il y consent, con* 
iiez-lui votre cause. 

Sekinž^Khanoum. — Qui done pourrait 
le voir et lui en parler ? 

Aga-Kčriii . — II n^est pas nćcessaire de 
lui envoyer quelqu'un. Faites-le appeler, 
madame, et vous lui parlerez vous-mćme, 
ici. Peut-ćtre vos paroles ^ le decideront« 

elles k accepter les discours d^une 

femme ont tant d'influence ! 

Sčkinč-Khanoum. — Aga-Kćrim , ne 
pourriez-vous pas le voir, vous-meme, 
et nousrenvoycr? 

Aga-Kčrim. — Non, madame : je suis 
fache avec lui pour une petite afEaire. En- 
voyez une autre personne le cbercher. 

Sčkinž-Khanoum. — Mais, alors, com- 
ment lui apprendrez-vous certaines choses 
que vous vouliez lui faire connattre? 

Aga-Kčriii. — Si vous aviez un autre 
avocat, je devraislui apprendre ces choses« 
Ik; mais, pour Aga-Selm&n, c^est inutile. 
11 fabriquerait des pantoufles au diable ^. 
Quoique j'aie k me plaindre de lui, je ne 

12* 



l6o DEUX COMĆDIES TURQUES 

peux pas nier son marite. -^ Dieu fasse 
que votre affaire reussisse! 

Aziz-B£Y. — Je vais aller le chercher, 
moi-mćme. cA^i!['bey et Aga^Kšrim se 
livent pour sortir.) 

Aga-Kčrim. — Dieu vous garde, ma- 
dame. 

Sžkime-Khanoum. *-- Merci de votre 
bonne visite, Aga«K^im. Je n^oubiierai 
jamais votre bonte. (Aga'Kčrim sort avec 



SCENE XV 

Sčkinč-Khanoum. ^- Goul-Sćbah 1 ap- 
porte un canape, et mets dessus ua cous- 
sin. (A peine Goul-Sibah a-felle apporte 
le canape et place le coussin qu'*un bruit 
đepas se fait entendre dans le vestibule ^^ 
A^i^-be^ entre dans I a chambre avec 
Aga-SUrnđn. — Sikini'Khanoum est as- 
sise dans lefond de la piice ; Goul'Sčbah 
se tient debout d ses cotes). 



ACTE PREMIER l6l 



SCENE XVI 

Aga-Sžlman. — Bonjour, madame. 

Sžkinć-Khanoum. — Bonjour, monsieur. 
Vous ćtes le bienvenu, Aga-S£imdn, et 
votre visite me fait grand plaisir : prenez 
done la peine de vous asseoir. (Elle lui 
indique du doigt le canapć. — Aga-Sčlmđn 
s'assied au bas du canapć, et A\i\'bey se 
place a son c6t4.) 

Sčkinč-Khanoum. (D'une voix milan-- 
coltgue.) — Aga-Sdmdn, je suis la soeur 
de Hadji*Ghafour. J'espčre que vous 
m'accueilierez comme votre fille,et qu'en 
ce jour malheureux, vous ne me refuserez 
pas votre appui. 

Aga-Sčlman. — Parlez, madame, que 
j^apprenne quel est votre dćsir. 

Sćkine-Khanoum« — Vous savez, Aga« 
SčlmSn, quMi y a sept ou huit mois, tout 
le monde avait quitte la ville et avait fui 
de tous c6tes, i cause du cholera. Hadji- 



1 62 DEUZ COMŽĐIKS TURQUES 



Ghafour ćtait un homme plein de con- 
fiance en Dieu : il declara qu^il ne parti- 
rait pas. Mais, par prćcaution, il porta 
au president du tribunal et lui confia en 
dćpdt, contre certificats et devant te- 
moins, une somme effective de soixante 
mille tomans, contenue dans des coffres- 
forts 3«. — « Si je viens k mourir, luidit-il, 
vous donnerez cet argent a mon heritier 
legal. »— Le president du tribunal prit li- 
vraison de la somme, puis il quitta la 
ville, comme tout le monde. Tous nos 
voisins ^ ćtaient partis aussi. II n^ avait 
h la maison que mon frćre et moi, avec 
une femme quMl avait epousee en mariage 
temporaire. Par hasard, mon frere tomba 
malade. II ne restait dans la ville que 
quelques soldats que le gouvernement y 
avait laisses pour garder les maisons des 
habitants et emporter les morts au cime- 
tičre. Ce jour-lš, quatre soldats vinrent 
k notre maison et mon frćre leur dit : 
a Je meurs, et je n'ai en ce monde d'autre 
heritier que ma soeur que voild. Apres ma 




ACTE PREMIER 1 63 



mort, emportez-moi au cimetičre. » Puis, 
mon frćre partit pour Tautre monde^. 
— Maintenant, ma belle-soeur qui n'est 
qu'une concubine, k qui i'heritage ne re- 
vient nuUement, pretend ćtre Theritićre 
de mon frćre et me fait un proces. Čest 
Aga-Merd&n, le fils du confiseur» qui est 
son avocat. J'espžre que vous voudrez 
bien, de votre cote, accepter Tennui de 
vous cbarger de ma defense. 

Aga-Selman. — Madame, je me suis re« 
tire de la chicane, et desormais, je ne se- 
rai plus l'avocat de personne. 

Sekine-Khanoum. — Cette afTaire ne du- 
rera pas longtemps, Aga-Selman ; elle 
sera bient6t terminee: c*est raffaire d'une 
seule sćance. S^il faut des temoins pour 
confirmer les paroles de mon frčre, il y a 
ces soldats : vous pourrez les citer en te- 
moignage. J'espčre que vous vous char- 
gerez ^ de ma cause, par bienveiilance 
pour mol. 

Aga-Selman. — Connaissez-vous les 
noms et les adresses de ces soldats ? 



164 DEUX COMĆOIES TURQUES 

Sžrinč-Khanoum. — Oui : Aziz-bey 
ecrira ces renseignements sur une feuille 
de papier, et il vous les donnera. 

Aga-Sžlman. — Puisque vous comptez 
sur moi, j'accepte; mais, d condition que 
ce ne sera pas long, car si cette afiaire de* 
vait durer iongtemps, il ne me serait pas 
possible de ra*y absorber. 

Sekinž-Khanoum. — Non : c'esl Taffaire 
d*un jour, et en ćchange de votre peine, 
Aga-Selm4n, je vous donnerai cinq cents 
tomans pour vos honoraires. 

Aga-Sžlman. — J'aurais bien fait sans 
ćela, madame. C'est simplement par ćgard 
pour vous que je me lance dans cette 
aiFaire: ce n^est pas dans un but Interesse. 

Sčkinž-Khanoum. — Je le sais, Aga« 
Sćlmdn ; mais, je vous offre cette somme 
comme argent de poche pour vos en- 
fants. 

Aga-Selman. — Permettez*moi de me 
retirer, madame : il faut que j^aille trou- 
ver les soldats et les prier de venir temoi- 
gner au moment du procćs. Quant šl vous, 



ACTE PREMIER 1 65 



fiftes faire un acte de procuration a mon 
nom, et envoyez-le-moi. 

Sžkine-Khanoum. — Tres bien : je vais 
la pr^parer et vous renvoyer. Mais, sa- 
vez-vous, Aga-Sdmdn^ on dit qu'Aga- 
Merddn est trčs retors : ne negligez rien 
pour faire avorter ses intrigues. 

Aga-Sžlman. — Soyez tranquille, ma- 
dame ; ses ruses ne peuvent rien contre 
moi. — Aziz-bey, notez les noms et les 
adresses de ces soldats, et envoyez-moi ces 
renseignements. 

Aziz-BEY. — Oui, oui, ce sera chez vous 
avant une heure. (Aga-Sšlmdn se Išve et 
s'en va. A\i\'bey et S^kin^^Khanoum 
restent seulsj 



SCENE XVII 

Aziz-BEY. — Quant & moi, je vais ra- 
conter toute TafiTaire au Chah-Zad6. 
Sekine-Khanoum. — Assieds-toi. Ecris 



I 66 



DEUX COMĆDIES TCJRQUES 



d abord les noms et les adresses des sol- 
dats, et envoie-les k Aga-Sćlm^n ; puis, tu 
t^en iras. f A :{i^'bey s'assied pour ćcrire.) 

Le rideau tombe. 

FIN DB L ACTE PREMIER 




NOTES SUR L'ACTE PREMIER 



1. Ehelć zolmć : « la race tyraanique ». Cette 
expression peu usitće s*applique aux Sunni- 
tes. Čest une allusion aux persecutions dont 
HocčKn et ses descendants ont etć Tobjet de la 
part des musulmans orthodoxes. Dans le vocabu- 
laire de Tćdition des Trois comedies persdnes, 
qu'il a publiee en collaboration avec feu M. S. 
Guyard, M. Đarbier de Meynard avait eru qu'il 
s'agissait des agents du fisc. Cette cxplication ćtait 
d'autant plus plausible que Aziz-bey est juste- 
ment, dans la pi^ce, un fonctionnaire du gouver- 
nement. Mais, depuis, M. Barbier de Meynard a 
acquis ]a certitude que c*est bien des Sunnites 
qu'il s'agit ici. Čest de lui-mime que nous tenons 
cette explication. Ehele ^olme signifie done« im- 
pie, hćrćtique ». Ce dernier sens n'est pas dou- 
teux, et Tobjection a bien plus de force dans la 
bouche de la tante de Sekinč>Khanoum. 

2. Mot a mot: <cmon libre arbitre m'est tombć 
dans la main ». 

13 



1 68 DBux com£d»s tur^ubs 



3. V&kil, a mandataire » et, par exten8ion, « avo- 
cat ». D*apr^s la loi chiite, c les personnes bien 
nćes doivent s'abstenir de paraitre en justice pour 
plaider elles-mSmes leurs differends. » Voyez 
Querry, Droit musulman chiite, t. I, p. 563. 
parag. 56. — On doit done se faire representer 
devant le tribunal par un fondć de pouvoirs, en 
mati&re civile ou criminelle; cette reprćsentation 
n'est repoussće qu'en mati^re religieuse seule- 
ment. Iđ.^p. 56 1, parag. 32. — 11 semble que la 
loi aurait ddi exiger des mandataires certaines ga- 
raniies de probitć et de moralitć ; mais, il n*en 
est rien. Les avocats, ou plutdt, les procureurs 
persans, car les attributions de ces mandataires 
dćpassent de beaucoup les attributions de nos 
avocats europćens, ne sont soumis qu'& deux con- 
ditions peraonnelles : ils doivent Stre majeurs et 
sains d'esprit. (Querry, p. 563, parag. 57 et suiv.) 
En ilehors de ces deux conditions si simples, on 
ne leur demande compte ni de leurs antćcedents, 
ni de la regularitć de leur conduite, ni mSme, ce 
qui a lieu d'ćtonner en pays musulman, de lare- 
ligion qu*il8 professent : un apostat peut Stre 
mandataire legalement. Dans de pareilles condi- 
tions, on comprend ce que doivent Stre les gens 
de la chicane, en Orient. 

4. M^lik-et-toudjar : a Le roi des marchands, » 
c*e8t4-dire, le chef de la Corporation des mar- 
chands. 

5. Kčt-khoda : « Maitre de la maison. » On dć- 
signe sous ce nom un fonctionnaire dont les at- 
tributions ressemblent a celles des maires, chez 
nous. 



NOTES SUR l'aCTE PREMIER 1 69 

6. Molla oti M^ula: « magistrat, docteur de la 
loi j», 

7. Le texte persan est doutem en cet endroit : 
nous avons rćtabli le sens en recourant k Fćdition 
originale en ture de FAzerbeldjSn. 

8. Litt. « // avoulu mettre le pied dam ma pan- 
ioufle ». Nous employons en fran^ais ttne expres- 
sion analogue quand nous disons « marcher dans 
les souliers de quelqu'an », pour indiquer Tidće 
de marcher sur les traces d'un autre. 

g. Mot k mot : « tu iras avec ceiui a qtii on te 
donnera. 

10. Mota mot : a personne ne pourra me don- 
ner k un mari ». 

1 1. Mot a mot : « // est impossihle que Veau 
d'Aga-Ha^dn et la mierme coulent ensembie. » 
(Expression populaire). 

1 2. Litt. ft A la gćhenne. d Ce mot qui dćsigne 
Tenfer vient de Thćbreu Gai^Hinnom, c'est-a- 
dire, la vallće de Hinnom 011 les rćprouvćs seront 
rćunis. 

1 3. Litt. tt un homme ». 

14. Mot a mot : « a Tcei! blanc ». 

i3. H^ram-zadč : c B&tard » et, par eztension, 
« coquin, miserabie. » L'expression pederi na' 
merdi, qui se trouvs un peu plus loin, a le m€me 
sens. 

16. Ce qui suit, iusqu'lt fin du discours de Zo- 
beld^, a ćtć ajoute par le traducteur persan. 

17. La phrase suivante est encore 6ne addition 
de Mirza-Djikfer. 

18. Litt. « depuis la račine ». 



170 DEUX COMĆDIES TURQUE$ 

19. Mot a mot : « L'odeur du lait sort de ta 
bouche «. Cette ezpression rćpond a notre ex- 
pression fran9aise : « En lui pressant le nez, on 
en tirerait du lait ». 

20. II s^agit ici du petit voile dont les persanes 
se couvrent ie visage. EUes en ont encore un au- 
tre beaucoup plus grand, qui enveloppe tout leur 
costume. 

2 1 . Le teite persan porte seulement : dest e^ 
men ber-^ar, « retirez votre main de moi », c'est- 
l-dire : renoncez k ma main; laissez-moi tranquille. 

22. Hčm-khabe : c Qui dort ensemble, » mari 
et femme 

23. Litt. c tailler, fa9onner ». 

24. Cest-^-dire : il suffit de jeter une pierre au 
milieu d*une volće de corbeaus pour la faire en- 
voler. 

25. Chah-zad& : c Fils de roi ». Le prince hć- 
ritier porte, en outre^ le titre de veli-ahd qu'on 
prononce gćneralement velihad, 

26. Le souverain s*attribue parfois tout ou par- 
tie de certaines successions ; mais cette disposi- 
tion ne figure dans aucun texte de loi. 

27. II ne serait pas convenable, en Orient, de 
s'adresser directement k une dame. En outre, la 
femme est toujours considerće par les musulmans 
comme peu intelligente ct commeincapablede trai- 
ter seule une question d'afiPaires. Pour que Aga-Ke- 
rim s*adresse a S^kine-Khanoum, il faudra qu'il y 
soit invitć formellement par Aziz-bey. De meme, 
un peu plus loin (acte II, scene iii),Zel'neb est as- 
sistće de son frčre Aga-Abbas, et c'est a ce dernier 



NOTES SUR l'ACTE PREMIER 171 

que s*adressc Aga-Mčrddn. En fait. dans les deux 
scenes, les deux femmes prennent U part la plus 
active dans la discussion ; mais les convenances 
exigent qu'enes soientassistćesd'unconseiI,d'une 
sorte de tuteur qui est la pour les dćfendre con- 
tre leur ignorance ou leur entrafnement. 

28. Selam-Alel-koum : « Salut sur vous. » Rć- 
guli^rement, il faudrait le duel, puisqu*il n'y a 
que deux personnes, Aziz-bčy et Sekine-Kha- 
noum; mais« en persan, on observe rarement 
cette regle grammaticale. 

29. Nefs : « sou£Be », et par extension, « parole ». 
Nefs designe aussi Tnfluence du J7ir, ou chef d'une 
communautć de soufis, sur ses disciples, du 
cbarmeur sur le serpent, etc. 

30. Cest-a-dire : il est si rusć qu*il fabrique- 
rait des pantoufles au diable lui-mSme. (Locution 
proverbiale). 

3 1. Heyat: « Vestibule, » ou plutćt, u cour in- 
terieure ». On sait qu*en Orient les maisons 
n*ont genćralement pas de fenStres sur la rue. 
EUes sont eclairćes par une cour intćrieure, sou- 
vent plantće d*arbres etarrosee par un jet d'eau. 

32. Sendouq-ha : des caisses, et par extension, 
« coffres-forts ». 

33. Hem-say^ : a Voisin. > Litt. « qui est abritć 
par la meme ombre ». 

34. Mot k mot : <c il partit pour la misćricorde 
de Dieu ». 

35. Mot i mot : a Que vous prendrez sur votre 
cou », comme nous disons : prendre sur soi, en- 
dosser. 



mW 



ACTE DEUXIEME 




Ili ttmti^ •tiiitiiitfiii 



"g^jVj^^l^ ' 3^% !^^ 



AGTE DEUX1EME 



L'action se passe dans la maison d'Aga-Merdan, 
le fils du confiseur. 



SCENE PREMIERE 

Aga-Merdan (seul et assis), — Je ne 
sais ce qui peut etre arrive pour qu'Aga- 
Kčrim ne vienne pas et qu'il soit 
ainsi en retard. II aura intrigue pour 
qu'Aga-Selmdn, soit l'avocat de Sekine- 
Khanoum, et c'est probablement ćela qui 
Taura retarde. Si cette affaire reussit 
comme je le dis, outre que j*en retirerai 
pas mal d^argent, ma reputation se re- 



176 DBUX COMĆDISS TUilQUKS 



pandra dans toute la ville et elle s^ćlčvera 
jusqu au ciel ^... C*est-ž-dire que ce pro- 
ces est untresor inepuisable pour rhomme 
qui sera capable de le diriger et de le faire 
aboutir. — Dieu merci! je ne suis pas em- 
barrasse pour ćela. (Pendant ce tnonolo^ 
guey la porte s'ouvre, et Aga-Kštim entre 
dans Vappartement.) 



SCENE II 

Aga-Kerim (gaiement). — Bonjour. 
Felicite-moi *: j ai tout arrange. 

Aga-Mčrdan (avec un sourire). — 
Vraiment? puis-je le croire? 

Aga-Kerim. — Oui, par ton dme! J'ai 
fait ton eloge a la veuve de Hadji-Gha- 
four de telle fa^on que si tu avais ete Iž, tu 
n'aurais pu en croire tesoreilles. — « Au- 
jourd'hui, lui ai-je dit, il n'y a personne 
qui soit plus considere du president du 
tribunal qu^Aga-MerdSn. II ne se trompe 



ACTE DEUKIEME 1 77 

jamais, et tout ce qu'ii dit se realise. Au 
palais, parmi les avocats, il n'y a que lui 
qui soit connu. Čest au point que, dans 
certaines occasions, il a ses grandes et ses 
petites entrees auprćs du Chah-Zadć. 
Pour la connaissance des affaires, il est le 
Platon du sičcle ^, Suivez en tout ses con- 
seils, et ne vous inquietez de rien. C'est 
seulement par ses dispositions que vous 
pourrez entrer en possession de la Fortune 
de Hadji-Ghafour, car autrement, vous 
n'avez aucun droit a cet heritage. » — La 
femme a ete toute contente et ravie, ainsi 
que son frčre Aga-Abbas. Maintenant, ils 
vont venir te trouver afin que tu leur 
traces leur regle de conduite. 

Aga-Mčrdan. — Tres bien. Tres bien. 
Mais, dis-moi : as-tu reussi egalement k 
procurer k Aga-Selman la defense de 
Tautre pariie? 

Aga-Kžrim. — Oui. Aga-Sčlman est, en 
ce moment meme, aupres de Sčkine-Kha- 
noum : dčs qu^il en sera debarrassć, il 
vicndra ici. 



178 DEUX COMŽDIES TURQUES 



Aga-Mčrdan. — A merveille, Aga-Ke- 
rim. Par Dieu I tu fais des prodiges avec 
ta langue. C'est trčs bien. Mais, dis-moi: 
la veuve de Hadji-Ghafour est-ellc jolie ? 

Aga Kerim. — Pourquoi? 

Aga-Mžrdan. — Pourquoi?... Pour 
qu'elle s'eprenne de moi et que je Tepouse. 
Pourquoi ne serait-elle pas ma femme? 

Aga-Kžrim. — Est-ce que je sais si elle 
t'aimera ou si elie ne f aimera pas? Ton 
temps est un peu passe... et la femme est 
jeune. 

Aga-Merđan. — Non, par ta mort! 
Aga-Kerim; mon temps n'est pas si passe 
que ćela : j ai tout juste cinquante et un 
ans. 

Aga-Kžrim. —Je neTaurai pas eru : je 
croyais que tu en avais soixante-dix. 

Aga-Merdan. — Ah I non, par ton ame! 
Tu sais bien que je suis ne un an apres le 
grand tremblement de terrc de Tebriz 4. 

Aga- Kerim. — Tu es deja marie. 

Aga-Merdan. — Ce n'est pas parče que 
je manque de femme que je veux i'epou- 



ACTE DEUXIEME I 79 

ser. Mais, voici ce que je me suis dit : si 
nous parvenons šl enlever toute cette For- 
tune k la soeur de Hadji-Ghafour pour la 
faire passer k cette femme, pourquoi celle-ci 
irait-elle k un autre mari? Que j'epouse 
la femme, et la fortune me i eviendra en 
mćme temps. C'est aussi ton interdt : quel 
avantage trouverais-tu ailleurs? 

Aga-Kčrim. — Oui, mais alors, qu'est- 
ce que ;a te fait qu'elle soit jblie ou laide? 
11 vaudrait mieus qu^elle fdt un mons- 
tre ^, si tu pouvais ainsi etre aime d*elle et 
Pepouser. Mais, elle n^est pas laide, et je 
ne crois pas qu'elle te trouve a son goCt. 

Aga-Mčrdan. — Est-ce k dire que je ne 
sois pas fait pour lui plaire et etre agree 
d'elle ? 

Aga Kćrim. — Eh ! ne le sais-tu done 
pas, toi-meme ? Ta figure n^est pas deja si 
agreable ! 

Aga-Merdan. — Oh! mais je ne sais 
vraiment pas quel effet je te produis! 
Laisse-moi me regarder un peu a la glace. 
^11 se regarde a une armoire d glace ®J 



l8o ĐEUX COMĆDIES TURQUES 



Par Dieu! Aga-Kčrim, que trouves-tu a 
critiquer dans ma personne? Veux-tudire 
que jc n'ai plus de dcnts? Čest une 
flux!on qui les a fait tomber : ce n'est pas 
de vieillesse. II est vrai que les mtchoires 
sont un peu creuses; mais 9a ne parait 
pas : la barbe les cache. 

Aga-Kerim. — Bon! Čest bien! Gela 
suffit. Assieds-toi done : la voil^ qui va 
venir. 

AgA'Mčrdan. — Attends un peu : laissc- 
moi mettre ma robe '^ de cachemire, en- 
dosser ma redingote ^ de drap, et me 
peigner la barbe. Ensuite, je viendrai 
m'asseoir. (U s'occupe d sa toilette.) 

Aga-Kžrim. — Est-ce que tout ćela est 
necessaire ? Assieds-toi done. 

Aga-Merdan. — Sans doute, e'est tres 
necessaire. Nos femmes se voilent tou- 
jours aux yeux des hommes, mais, elles 
aiment enormement k nous regarder. Si 
la veuve de Hadji-Ghafour me voit en 
toilette, elle aura plus de consideration 
pour moi, et mes paroles auront plus d*in- 



ACTE DEUX1EME l8l 

fluence sur son esprit. II se peut meme 
que je lui plaise. (II s'habille^ peigne sa 
barbe, et s'assied, A ce moment, la porte 
s'ouvre, et la veuve de Hadji-Ghafour, 
Zč'inčb, entre avec sonfr^re Aga^-Abbas. 



SCENE III 

Aga-Abbas. — Bonjour, messieurs. 

Aga-Merdan. — Bonjour, monsieur et 
madame. Vous etesles bienvenus, et votre 
visite me cotnble de joie. Prenez la peine 
de vous asseoir. (La veuve de Hadji-Gha- 
four, le visage voilć, sassied ainsi que 
sonfrčre,) Je vais m'adresser k vous, Aga- 
Abbas; madame Zćineb ecoutera, et elle 
repondra quand il y aura lieu de le faire, 
— II y a six mois que Hadji-Ghafour est 
mort. II faut que le fond de la question 
soit clair et sans mystere entre nous. Tout 
le monde sait que Zeineb-Khanoum nM- 
tait pas la femme legitime de Hadji-Gha- 



1 82 ĐEUX COMĆDIES TURQUES 

four : elle ne peut đone prćtendre k re- 
cueillir quoi que ce soit de sa fortune, k 
titre d'heritage. Mais, j^ai appris cette 
circonstance, et j'ai envoye Aga-Kćrim 
aupr^s de vous, pour vous faire savoir 
que, si vous vouliez vous conformer k 
mes conseils et rčgler votre conduite 
d'apres les mesures que je prendrais, je 
pourrais trouver le moyen de rapporter 
toute cette fortune k Zeineb-Khanoum. 
En elFet, la soeur de Hadji-Ghafour est 
orpheiine ; elle n'a ni parents ni famille 
pour la seconder. La jeune fille a bien un 
liance, mais, ce jeune homme ne pourra 
pas me tenir tete. Vous avez accepte mes 
propositions, et vous avez fait defense 
au president du tribunal de delivrer a la 
soeur de Hadji-Ghafour la somme que ce 
dernier avait deposee entre ses mains, 
aitendu que vous y faisiez opposition. Le 
president du tribunal a conserve Targent 
par devers lui, puis, il vous a notiiie a 
vous et k la soeur de Hadji-Ghafour de 
prendre un avocat et de Tenvojer au tri- 



ACTE ĐEUXIEME 1 83 

bunal, pour faire connaitre Pobjet de 
votre requete. Čest done moi qui suis 
maintenant votre chargć de pouvoirs. — 
Mais, il faut que madame ZeKnčb ecoute 
bien ce que je vais dire, et qu'elle regle sa 
conduite d'aprčs mes conseils, si elle veut 
que cette affaire se termine au gre de nos 
desirs. 

Aga-Abbas. — Certainement : ce ne se- 
rait pas posisible sans ćela. Voyons^ dites- 
nous les conditions que vous imposez a 
Zelnčb. 

Aga-Merdan. — n faut d'abord que 
Zeineb-Khanoum depose entre mes mains 
une provision de ctnq cents tomans pour 
me defrayer de quelques depenses 
indispensables : le reste viendra en 
compte apres. Zč'inčb-Khanoum a dit, 
elle-meme, k Aga-Kčrim, qu'll etait reste 
mille tomans dans un coffre-fort , a la 
mort de Hadji-Ghafour, et qu'elle s'en 
etait emparee, sans que la soeur du defunt 
en ait jamals rien su. 

Zeinžb-Khanoum. — Je ne m'oppose pas 



184 DEUX COMĆDIES TURQUES 



š ce que vous me đemandez Ik : dites- 
nous vos autres conditions. 

Aga-Mžrdan. — II faudra encore, ma- 
dame^ que vous vous contentiez de la 
moitiede Theritage; c^est-it-dire que, sur 
cette somme de soixaote mille tomans, 
trence mille seront pour vous, et Tautre 
moitle — soit trente mille tomans — sera 
partagee entre Aga-Kerim et moi, ainsi 
que nos autres camarades, amis et associes. 

Zeinžb - Khanoum. — Oh! de grdce! 
Aga-Mćrd^n. Quelle exigencel 

Aga-Mžrdan. — Ce n'est pas exagere, 
madame. Vous n avez aucun droit k cet 
hćritage : c^est done trente mille tomans 
que je vous donne. 

ZE'iNČB-KHANouM. — Commeut? je n'ai 
pas de droitsl Pendant des annees, j^ai 
trimć dans la maison de Hadji-Ghafour; 
toutes les clefs des armoires etaient entre 
mes mains; j*avais tout ce que je dćsirais, 
et c'est moi qui faisais les depenses. Du 
vivant de Hadji-Ghafour, sa soeur ne pou- 
vait pas disposer d'un franc ^ ! Qu^est-il 



ACTE ĐEUXIEME 1 85 



done arrivć pour que je doive mt retirer 
k i'ćcart, pour que cette aventuričre vienne 
s*emparer de tout Targent, ei qu*elle aille 
le boire et le depenser k faire la noće avec 
ua jeune butor ? 

A<u«*Merdan. — Au tribunal, on n e- 
coutera pas ces raisons'-li. 

Zeikeb-Khanoum. — Comment? On ne 
les ecoutera pas ! Est-ce qu^on ne doit pas 
obs^v<$r la justice dans un proces? Pen- 
dmt dix ans et plus, cette fortune est res- 
Ut eotre mes mains... maintenant, j'en 
s^rais depouillee I 

Aga-M^rdan. — Eh! ouijvousdevez en 
ćtre depouillee.— Ecoutez-moi : renoncez 
i Ja mottie de cet heritage, car en rćalite, 
voufi n'avez pas droit a une obole ^^. 
Aga-Abbas est au courant de rafiEsiire, et 
il ^it que ce que je dis est exact. 

Aga-Abbas. — Oui : nous acceptons. 
Quellei conditions avez-vous encore šl 
nous imposer? 

AaA'-MžiRĐAN. -^ Ma troisi^me condi- 
tlOHi c'est que ZeKneb-Khanoum se pr&- 



1 86 DEUX COMĆDIES TURQUES 



sentera devant le tribunal, et qu^elle de- 
clarera, en prćsence du prćsident, qu^elle 
a de Hadji-Ghafour un enfant de sept 
mois, encore en nourricc. 

ZMneb-Khanoum. — Oh ! oh ! Aga-M6r- 
din! c'est Ik une chose bien difficilel 
Comment oserais-je dire un pareil men- 
songe.... que j^ai un enfant de sept 
mois? 

Aga-Merdan. — Ce n'est pas difficile 
du tout. Du vivant de Hadji-Ghafour, 
vous etiez enceinte. Un mois avant sa 
mort, vous avez mis au monde un petit 
gar^on qui a sept mois, maintenant. Est- 
ce une afFaire de dire ćela? 

Zž'fNŽB-KHANOUM. — Je vous considere 
comme mon pčre, Aga-Merddn, et je ne 
desobćirai jamais k vos conseils; mais, 
cette condition est trop dure. Moi qui 
n'ai jamais eu d'enfant, est-ce qu^on ne 
me crieraic pas : < OCi est ton enfant? Oti 
est-il? » 

Aga-Mčrdan. — Ne vous inquićtez pas 
de ćela. L'enfant est tout prćt. Vous 



ACTE DEUXIEME 1 87 



avez ćte enceinte, et vous Pavez mis au 
monde. On a vu le petit dans vos bras ct 
dans ceux de Hadji-Ghafour. II y a 
mćme des gens qui en temoigneront. Ne 
vous inquietez pas de ces choses-l& : fai- 
tes seulement votre dćclaration,etd^autres 
ea afiirmeront la sincćritć. 

Zčinžb-Khanoum. — Au nom de Dieu ! 
Aga-Mćrddn, imposez-moi une condition 
dont je puisse m'acquitter : celIe-1^ est 
trop penible. Comment pourrais-je faire 
un tel mensonge? Je n'oserai jamais par- 
ler ainsi! 

Aga-Mžrdan. — Vous dites la d'etran- 
ges choses, Zeineb-Khanoum ! Je ne com- 
prends pas ce que ćela signifie. Pourquoi 
n'oserez-vous pas? Pourquoi avez-vous 
honte?Tout le monde sait que c^est le 
mćtier des femmes de faire des enfants : 
quelle honte y a-t*il la? Vous n'avez, 
peut-ćtre, jamais ete enceinte, et vous n'a- 
vez jamais eu d enfant. Soit, mais, celui 
qui veut attraper un poisson,doit plonger 
dans Teau froide ^i. 11 faut que vous fas- 



1 88 DEUX COMŽDICS TURQUES 

siez cette đeclaration : il n'y a pas d'au* 
tre moyen. 

Zž'iNi^B-KHANOuiff. — Que voulez-vous 
obtenir par Id, Aga-Merd^n? 

Aga-Meri>an. — Je veux, par ce mojren, 
vous faire attribuer toute la fortune de 
Hadji-Ghafour, et pour arriver a ce rćsul- 
tat, il n*y a pas d'autreexpćdient que celui- 
la. Vous-mšme, vous ne pouvez pas 
hćriter de votre mari, tandis que votre 
enfant est heritier, de par la loi. Quand 
rexistence de votre enfant aura ete cons- 
tatće, toute la fortune lui reviendra. Je 
pourrai alors, sans difficulte, me faire 
nommer son tuteur; puis, cinq ou six 
mois aprčs, je repandrai le bruit que Ten- 
fant est mort, et dans ce cas, tout l'beri- 
tage vous sera transfere a vous, legale- 
ment. Vous en prendrez la moitie, et vous 
me donnerez Tautre moitie: — Dieu est le 
meilleur pčre nourricier ^^. 

Zžineb-Khanoum. — O vous, pour qui 
je donnerais ma vie, peut-on debiter un 
pareil mensonge ? 



AGTle DEUXIEME iS^ 



Aga-Merdan. — Si la soeur de Hadji- 
Ghafour avait quelqu'un pour la soute- 
nir, croyez-vous qu'elle ne nous devan- 
cerait pas?... Mais, aujourd'hui, elle n^a 
personne pour s'opposer k nous et plaider 
sa cause. Si elle avait epouse Aga-Ha- 
9^n, le negociant, Paffaire aurait ete tres 
difficile. Maintenant, Aga-Ha^žn, lui- 
mSme, et tous ses parents dont l'iniluence 
est grande, sont devenus les ennemis de 
la jeune fiUe : ils desirent que cette for- 
tune ne lui revienne pas. La fillc est 
restee seule avec son fiancć, un jeune 
homme qui n'est bon k rien. 

ZfeiNEB-KHANouM, — Eh bien ! et cet en- 
fant dont vous parlez, oti est-il? 

Aga-Merdan. —Vous allez le voir k l'ins- 
tant. — Aga-Kčrim, va prendre l'enfant 
des bras de sa nourrice,... 1^, dans cette 
chambre. Apporte-le, pour que madame 
le voie. (Aga-Kčrim sortpour aller cher- 
cher Venfant.) 



1 90 DEUX COMŽDI&S TURQUES 



SCENE IV 

Zći'nžb-Khanoum. — Est-ce une nourrice 
qui Tallaite? 

Aga-Mžrdan. — Non, c'est sa mere qui 
lui donne le sein ; mais, elle devient la 
nourrice. (Aga^Kčrim revient^ portant 
Venfant dam sesbras, — Agd'Mčrdđn le 
prend, et le donne a Zš'inčb'Khanoum.) 



SCENE V 

Aga-Mžrdan. — Voici votre enfant. 
Vous voyez que son visage ^^ est tout k 
fah celui de Hadji-Ghafour. 

ZeIneb-Khanoum. — Par Dieu ! On 
croirait que c'est son portrait. — Mais, je 
crains qu'au moment du jugement, ma 
langue se refuse k dire ce mensonge. 



ACTE DEUXIEME I91 



Aga-Merdan. — La cause de votre 
crainte, Zčin^b-Khanoum, c^est que vous 
ne vous persuađez pas, vous-mćme, que 
c'est vous qui ćtes la mere de cet enfant. 
11 faut, avant tout, vous mettre bien en 
tSte qu^il est votre fils, ou sinon, vous 
perdrez contenance k Paudience, et vous 
resterez bouche close. N'ayez aucune 
crainte, et donnez-moi votre parole que 
vous ferez cette declaration, comme je 
vous le dis. 

Zeineb-Khanoum. — Oui, je vous le 
promets,... si je peux. 

Aga-Mčrdan. — Vous le pourrez, s'il 
plait k Dieu. 11 serait beau, vralment, que 
votre belle-soeur s'emparžt de tout The- 
ritage, et qu'elle le devordt avec un bu- 
tor, en lui frisant la moustache! 

Zei'nčb-Khanoum. — Oui, par Dieu ! 
vous avez raison. Mais, une chose m'in- 
quićte : est-ce que Tavocat de Sekine- 
Khanoum ne devoilera pas mon men- 
songe? 

Aga-Mč:rdan. — Ah ! ah ! ah ! Voyez 

14 



192 DEUX COMĆDIES TURQUES 



done de qui elle a peur I — Ne craignez 
rien : il ne dira pas un seul mot pour vous 
dementir. AUez, et faites preparer la 
procuration. Demain, il faut que tout soit 
pret. Pour moi, j*at encore autre chose k 
faire. Une autre personne va venir me 
trouver : j'ai mille afTaires sur les bras. 
Prenez avec vous Aga-Kčrim, et donnez« 
lui les cinq cents tomans : il me les ap- 
portera. 

Aga-Abbas. — L'argent est pret : nous 
Tavons apporte. Aga-Kerim nous avait 
prevenus d'avance. 

Aga-Merdan. — Bien : laissez-le-moi, et 
retirez-vous. (Aga-Abbas pose Vargent^ 
dans une bourse, devant Aga-K^rim, — 
Au moment oU Zčtnčb et Aga-Abbas se 
Ičvent pour partir, Nacčr^ ferrach du 
Chah'Zadš, entre et s'avance vers Aga^ 
Mčrdan.) 



ACTE DEUSIEME 1 93 



SCĆNE VI 

Le ferrach Nacer. — Bonjour, mes- 
sieurs. — Aga-Merd^n, le Chah-Zadć vous 
prie de vous rendre aupres de lui, ce soir, 
pendant une heure. II a besoin de vous 
pour une affaire importante. 

Aga-Merdan. — Reponds ši ton maitre 
que je suis a ses ordres. (Le fšrrach se 
retire. — Ensuite, arrive Ecćđ, domes- 
tique du president du tribuna I, 



SCENE VII 

Ecč:d. — Bonjour, messieurs. — Aga- 
Mćrdto, mon maitre demande si vous 
voudriez bien venir diner i*, ce soir, avec 
lui, chez Hadji-Semi\ II a une affaire ur- 
gente dont il voudrait vous entretenir. 



194 DEUX COMĆĐIES TURQUES 

Aga-Mžrdan. — Tu diraš k ton maitre 
que j'irai, et que j*irai pour lui faire plai- 
sir. (Aga-Abbas et sa sceur se retirent.) 



SCENE VIII 

Aga-Kžrim. — Je ne comprends pas 
d'oti sont sortis ce courrier du Chah- 
Zađe et ce domestique du Qadi. 

Aga-Mž:rdan. — Je sentais que la femme 
serait inquičte au sujet des conditions 
que je lui imposais. C'est pourquoi 
j'avais soudoye ^^ ces individus pour ve- 
nir m'apporter ces deux nouvelles en 
sa pr&ence. Je Pai fait pour qu^elle s'i- 
magindt que je suis Tami du Chah-Zadč 
et le commensal du prćsident du tribu- 
nal, et pour qu'elle reprit courage. J^au- 
rais craint, sans ćela, qu*elle n'osfit pas 
faire sa declaration k Taudience, et que 
nous fussions conspućs. 

Aga-Kerim. — Par Dieu! tu as eu une 



ACTE DEUXIEME igS 

bonne idee. Mais, k Tauclience, nous au- 
rons Toeil sur elle. Si nous le pouvons, 
nous ferons passer sa declaration apres 
celle des tćmoins : alors ses inquietudes 
se seront dissipees, et elle n^aura plus 
peur. 

Aga-Merdan. — Bien. Lžve-toi et va 
chez Pinspecteur de police : dis-lui de 
chercher et de m^amener des temoins. 
Tu lui promettras pour sa part cinq cents 
tomans : cinquante comptant, et le reste 
payable plus tard ^^. Les temoins auront 
aussi chacun trente tomans : quinze 
comptant et quinze aprčs. Nous ferons 
abandon de cette somme, aprćs la reussite 
du procčs, pour que l'inspecteur ne mette 
pas son nez dans notre affaire; mais, on 
ne pourrait pas la faire aboutir sans ćela, 
tant il est ruse ^'^. Tu sais qu'il a dejd une 
fois decouvert le pot aux roses ^^. Nous 
ne pouvons pas nous cacher de lui. 

Aga-Kžrim. — Trčs bien : j'y vais. (II 
se Ičve pour partir.) 

Aga-Mižrdan. — Ah ! attcnds done. II 

14- 



196 DEUX COMŽDIES TURQUES 



me vient unc idee que je veux te com- 
niuniquer; mais ne Toublie pas. Quand 
tu verras la veuve de Hadji-Ghafour, 
fais-lui done comprendre, d'une fa^on ou 
d^une autre, qu'elle ne doit pas ainsi 
m'appeler « son pčre ». Par ta mort! tu ne 
penses a rien. Je n'aime pas que les fem- 
mes m'appellent ainsi : « pere ! pere ! »^ 
en croyant me faire plaisir. Queiie neces- 
site de m'appeler par mon nom! 

Aga-Kčrim. — Bien, bien. Ne jure pas 
davantage: j*ai compris ton but.Trčs-bien: 
sois tranquiile. Je lui dirai de ne plus 
t appeler son pere, mais de t^appeler < son 
seigneur » . (Aga-Kerim s*en va, et apris 
son depart, Aga-Silman entre.) 



SCENE IX 



Aga-Selman. — Bonjour, Aga-Merddn. 
Aga-Merdan. — Ah! bonjour. Voyons : 
comment ćela s'est-il passe? 



ACTE DEUX1EME 1 97 

Aga-Sžlman. — Je suis charge de la 
defense : c'est chose faite. Mais, dis-moi : 
quepenses-tu faire maintenant? 

Aga-Mžrdan. — Je pense que nous fe- 
rions bien de preparer les temoins et de 
les mener au iribunal. — Quels faono- 
raires t'a-t*on promis? 

Aga-Sčlman. — Ils m'ont promis seu- 
lemenc cinq cents tomans, en me disant 
que leurs temoins sont tout pržts, que 
la marche du proces est trčs simple, et 
que ce n'est pas Ik une afiTaire obscure 
ou mysterieuse. Je me suis declare sa- 
tisfait. 

Aga-Merdan. — Tu as tres bien fait ; 
mais, tu vois qu'il n'y a pas tanl de 
profit a defendre une bonne cause. — 
La veuve de Hadji-Ghafour fait le sacrifice 
de trente mille tomans : ces trente mille 
tomans seront pour nous deux et Aga- 
Kerim. As-tu appris les noms des temoins ? 
T'es-tu informe de leur adresse? 

Aga-Selman — Oui, je m'en suis in- 
forme, j'ai note tout ćela. Ce sont qua« 



198 DEUX COMŽDIES TURQUES 

tresoldats : Bedčl, Qahreinan, GhafTar et 
Nčzćr ^®, rue de Verdji ^. 

Aga-Merdan. — Je vais les envoyer 
chercher, et je leur recommanderai ^i de 
dire le contraire de ce qu'ils ont vu. 
Mais, tu iras d'abord les trouver, et tu les 
prieras, de ton cotć, de rendre un tdmoi- 
gnage sincčre. Comme les soldats ne sont 
que de pauvres hčres, des especes de 
mendiants, ceux-l& te demanderont quel 
cadeau tu leur feras aprčs le proces : 
« Mes enfants, leur repondras-tu, dans 
une aflaire comme celle«ci, ce n'est pas 
bien de demander un salaire. C'est seu- 
lement pour contenter Dieu que vous 
devez rendre ce temoignage, et vous en 
serez bien recompenses,.,. au jour de la 
resurrection. » 

Aga-Selman. — Tres bien. 

Aga-Mžrdan. — Tu ne sais pas quel 
sera, k peu prčs, le temoignage de ces 
soldats? 

Aga-Selman. — Si, je le sais. Ils decla- 
reront que, deux heures avant la mort de 



ACTE DEUXIEME 1 99 



Hadji-Ghafour, ils se sont rendus k sa 
maison, et que celui-ci leur a đit : « Je 
meurs; je n'ai personne au monde qu^une 
soeur. Ensevelissez-moi quand je serai 
mort. » 

Aga-Merdan. — Trčs bien; mais ils 
devront changer ćela et dire que Hadji- 
Ghafour avait un bebe d'un mois. Leve- 
toi maintenant, et va trouver ces soldats. 
(Aga'Sčlmdn se l^e et s'en va,) 



SCENE X 

Aga-Merdan (seul), — GrSce k Dieu, 
la tournure de rafTaire est excelleDte. — 
Voici le moment oti Aga-Kčrim va ame- 
ner les temoins. (Aussitot la porte s'ou- 
vre, et Aga-Kčrim entre dans Vapparte" 
ment avec Vinspecteur de police et quatre 
autres individus.) 



200 DEUX COMŽDICS TURQUES 



SCENE XI 

L'iNSPECTEUR. — Bonjour, Aga-Mćr- 
dan. 

Aga-Merdan (d Aga'Kćrim, sans se 
retourner ni reconnaitre Vinspecteur **). 
— Bonjour: as-tu trouvd le darogha? 

L'iNSPECTEUR. — Je n'^tais pas perdu 
pour pouvoir etre trouve. C'est une 
etrange question que vous faites-Id, Aga- 
Mčrddn : — je vois que vous ne m'avez 
pas encore reconnu. 

Aga-Merdan (prenant d*abord d part 
Aga-KirimJ, — Va trouver Aga-Sćlm&n, 
et fais-coi indiquer par lui les soldats 
dont il a parle ; puis, tu me les amčneras. 
(Se retournant ensuite vets le darogha.) 
Seigneur, presentez-moi done ces mes- 
sieurs, et faites-moi connaitre leurs quali* 
tes. 

L'inspecteur. — Voici Hčpou , un 



ACTE DEUXIEME 201 

joueur de profession ^, qui est arrive hier 
d'Arbčbil ^ ; le fameux Cheida, de Qaz- 
vin ^, qui fait la banque pendant le jour 
et des friponneries pendant la nuit ; 
QourbAn-Ali, de Hamaddn 26^ qui, la 
nuit, fera tous les metiers que vous vou- 
drez, et qui est marchand de bas au bazar 
pendant le jour. Voici enfin Hanife, de 
Meragha ^^ qui, le jour, est colporteur et 
qui loge chez moi, la nuit. 

Aga-M&rdan. — Dieu soitloud! ce sont 
tous d^honnetes gens et des hommes de 
bien. Mais, le m^tler de Hepou est un 
peu suspect : on aura peut-etre quelque 
mauvais soup^on sur son compte. 

L'iNSPECTEUR. — Ne craignez rien. He- 
pou est un vieux finaud qui jouera tous 
les personnages que vous voudrez. Vou- 
lez-vous qu'il soit, tout šl Pheure, un 
commercant notable? II se presentera 
devant vous, et vous ne le reconnaitrez 
pas, vous-mćme. Vous ignorez, sans 
doute, qu'il est d'une race qui a fait ses 
preuves? C'est le fils de Heider*Qouli, 



202 DEUX COMŽDIES TURQUES 

au talon fendu. Un jour, on avait vu 
Heider-Qouli dans la ville d'Ehćr 28. 
II parcourut pendant la nuit deux 
etapes, se rendit a pied k Tćbriz, de- 
roba dans la maison du dćfunt gou- 
verneur un ćcrin de perles appartenant šl 
celui-ci, et revint k Ehćr, la mćme nuit: a 
Paube, i I dormait dans le corridor du 
caravanserail ^. Tout le monde fut stu- 
pefait de ce tour de force. Čest seulement 
en consideration de son merite, qu'on ne 
le mit pas a mort, quand Taffaire se de- 
couvrit : on lui fendit le talon ^, et on le 
reldcha. 

AgvMerdan. — Ah! c'est le fils de 
Hčidčr-Qouli au talon fendu ?Trćs bien^ 
alors. Mais, nous changerons son nom. — > 
Tous ces messieurs sont certainement au 
courantdes questions jundiques; n^esc- 
ce pas ? 

L'iNSPECTEUR. — Tranquillisez-vous 
done : ils sont tous lettrćs. Par votre 
mort! ils fabriqueraient des pantoufles 
au diable ! On n'en voit pas d*autres 



ACTB ĐBUX1EME 2o3 



comme eux : ils font, chaque jour, en- 
semble, la pričre dominicale dans la mos- 
quće. 

Aga-Mžrdan. — Trčs bien. Savent-ils 
quelle espdce de temoignage ils devront 
donner? 

UiNSPKCTEUR. — Non, c'cst vous-mćme 
qui devez le leur apprendre. 

AoA-MćRDAN. — Bicn. Voici ce qu'il8 
devront dire : « Une semaine avant la 
mort de Hadji-Ghafour, un soir, au cou- 
cher du soleil, nous allions, tous les 
quatre, rendre visite aux trćpasses. En 
passant devant la raaison de Hadji-Gba- 
four, nous le vimes, debout sur le seuil 
de sa porte, tenant dans ses bras un en- 
fant au maillot. Nous le saludmes, et nous 
lui demanddmes des nouvelles de sa 
santć : — « De qui est cet enfant, sei- 
gneur? » lui d!mes-nous. — <c De moi, 
repondit-il; il est ni depuis trois se« 
maines. C'est mon fils unique : je n^ai 
pas d'autre enfant. » 

L^iNSPECTEUR. (Se tournantvers les te» 

15 



204 DEUX COMĆDIES TURQUES 

moins.J — Avez-vous entendu, mes pe- 
tits? 

Hžpou. — Oui, nous avons entendu. 

Aga*Mčrdan. — Pouvcz-vous repćter 
ćela, comme je Tai dit? 

Hanifž. ^ Sans doute : il n*y a pas Ik 
đe nćologisme qui soit difBcile i rćpčter. 

Aga-Mžrdan. — Ah I tres bien, mes 
enfants, que Dieu soit content de vous. 

Chćida. — Comment done, Aga-Mćr- 
ddn, Dieu serait-il content d'une pareille 
affaire? 

Aga-Mžrdan. — Eh! pourquoi pas, 
mon cher aml? Si on t'avait mis au 
courant de tout^ tu dirais certainement, 
toi«m£me^ que Dieu en sera satis- 
fait. La malheureuse veuve de Hadji- 
Ghafour a ete, pendant dix ans^ mai« 
tresse de la maison et de la fortune 
de celui-ci; serait-il juste qu*elle fiit 
chassee aujourd'hui de cette maison €t 
dćpouillće de toute cette fdrtune? Se- 
rait-il juste qu'une chćtive pecore s'em- 
pardt de tout cet argent et alldt le manger 



■ 

j 



ACTE DEUXIEME 205 



ea compagnie d^un ignoble garnement, 

d'un heretique et pour cette seule 

raison, qu^il aura des relations coupables 
avec elle ? D apres les paroles de nos 
docteurs^ les sunnites sont exclus de 
la cour cćleste. 

Chžida. — Ah ! par Dieu ! comme vous 
dltes vrai ! 

L^iNSPECTEUR. — Eh! bien, Aga-Mef* 
dktif fixez le salaire de ces enfants. 

Aga-Mčrdan. — Aga-Kžrim ne Va 
done pas fait?Paidit que nous donne« 
rlons trente tomans k chacun de ces 
messieurs. Vous savez, qUant k vous^ 
quelle sera votre part. 

L'iNSPECTEUR. — Oui, nlais il vous faut 
slvancer k ces enfants la moitić de leur 
salaire. 

Aga-Mžrdan. — TrSs volontiers: reti- 
rež-vous, etdans deux heures, Aga-Kćrim 
vous apportera cinquahte tomans pour 
voiis, ainsi que la moitie du salaire de ces 
jeunes gens. 
L'iNSPECTEUR. — Tres hien^^ Dieu vous 



206 ĐEUX COMĆOIES TURQUES 

garde! (UInspecteur se retire avec ses 
acolyteSj puis, la porte s^ouvre de nou- 
veau, et quatre soldats entrent avec Aga- 
Kšrim.) 



SCĆNE XII 

Les soldats. — Bonjour, monsieur. 

Aga-Mžrdan. — Bonjour, mes enfants. 
Prenez la peine de vous asseoir. Vous 
^tes tout k fait les bienvenus; vous Stes 
tout li fait, tout k fait les bienvenus. Par- 
donnez-moi la peine que je vous ai 
donnee. 

Un des soldats. — Mais non, mon« 
sieur : c'est, au contraire, trop d'honneur 
pour nous de venir chez un homme res« 
pectable comme vous. 

Aga-Merdan. — A merveille, mon en- 
fant : un homme bien elevć est partout 
bien re^u. — Avez-vous dćjeunć? 

Les soldats. — Non, nous sommes 
venus sans avoir eu le temps de dejeuner. 



AGTE DEUUEME 2O7 

Aga«Mžrđan. — Aga-Kerim, envoie 
quelqu^un au bazar acheter pour mes 
enfants quatre portions de riz et de ke- 
bah ^^ ainsi que de la glace et du sorbet 
au citron. Qu'il y ait un supplement 
de kebab, parče qu'ils ont grand*faim. 
Qu'on en prenne beaucoup, n'est-ce 
pas? 

Un soldat. — Pourquoi prenez-vous 
cette peine, seigneur? Nous irons, nous- 
mčnie, au bazar, et nous y mangerons 
un morceau. 

Aga-Merdan. — Quelle peine est-ce 
done, mon cher ami? Čest Theure du 
dćjeuner : pourquoi voudriez-vous quit- 
ter ma maison k jeun et affamćs? Par 
Dieu ! cela va bien comme je dis. 

Le soldat. — Seigneur, que dćsiriez- 
vous de nous ? 

Aga-Mžrdan. — Pas grand'chose, mon 
enfant : je yeux seulement vous faire une 
petite question. 

Lb SOLDAT. — Paricz, seigneur : deux, 
si vous voulez. 



2o8 DEUX com£dibs turques 

^ — 

Aga-Mžrdan. — Est-ce vous qui avcz 
enseveli feu Hadji-Ghafour? 

Le soldat. — Oui, seigneur, c^est nous 
qui Tavons enseveli. Pourquoi ? 

Aga-Merdan. — Ah! je vous felicite 
đe votre gćnćrositć. Votre prćsence est 
toujours un grand bonheur, non seule- 
ment parče que vous £tes les dćfenseurs de 
rislam, mais aussi parče que vous rendez 
service i tout le peuple dans les jours de 
dćtresse. Pendant le cholera, il ne restait 
pas dme qui vive dans la ville : seuls^ 
vous ne Tavez pas quittee, ayant fait 
d^avance le sacrifice de votre vie. Que la 
Tres Sainte Majeste Divine vous en rć- 
compense dignement! — Mais, mon fils, 
avez-vous bien vu Hadji-Ghafour vivant? 

Le soldat. — Oui, seigneur, nous 
Tavons vu vivant. 

Aga-Merdan. — Dans ce cas, vous avez 
vu aussi, d ses c6tes, son petit enfant au 
maillot^ qui etait alors Sgć d'un mois? 

Le soldat. — Non, seigneur, nous ne 
l'avons pas vu. 



ACTE DEUXIEME 2O9 



Aga-Mžrdan. — Peut-štrc etait-il, k ce 
moment-l^, dans les bras de sa mčre? 

Lb soldat. — Non, seigneur, nous 
avons demande k Hadji-Ghafour com- 
bien il avait d'enfants, fils ou filles, grands 
ou petits, et il nous a repondu qu'il ne 
laissait qu'une soeur. 

AGA-M]g:RDAN. — C'est possible : il n'a 
pas compte son fils parče que c^etait un 
petit enfant d'un mois seulement. Mais, 
Tenfant etait alors dans les bras de sa 
mere ; d*autres que vous ry ont vu, et je 
croyais que vous Taviez vu aussi. II n'y a 
pas de mal ; c*est bien. Mais, dans ce cas, 
quel temoignage ferez-vous? Car vous 
savez qu'il y a un procčs entre les beri« 
tiers au sujet de la succession ? 

Le soldat. — Nous temoignerons de 
ce que nous avons appris. L'avocat de la 
soeur de Hadji-Ghafour nous a dej^ inter- 
rogćs sur ce point, et nous le lui avons 
confirme. 

Aga-Merdan. — Ah ! je comprends 
maintenant pourquoi vous parlez ainsi : 



210 DEUX COMEDIES TURQUES 

c'est parče que les discours de ce misera- 
ble impie ont fait impression sur votre 
esprit. C'est pour cette raison que vous 
niez l'existence de Tenfant. II vous a cer« 
tainement promis pout ćela unevingtaine 
de tomans, et il vous en a avancć la moitie. 

Le soldat. — Non, seigneur, 11 ne nous 
a pas promis une obole, et meme, quand 
nous lui avons demande un petit cadeau, 
il nous a rćpondu qu'un temoin doit £tre 
dćsinteresse et que c'est de Dieu seul que 
nous devons attendre notre recompense ^« 

Aga-Merdan. — Oh ! le maudit ! Voyez 
comme il est avare, ladre et serre ! II ne 
soufFrirait pas qu'un sou profitdt & un au« 
tre que lui. Dans un proces de soixante 
mille tomans, alors qu'il cherche k obte- 
nir injustement un temoignage en sa fa- 
veur, il regrette de dćpenser vingt ou 
trente tomans pour des jeunes gens ai- 
mables comme vous ! Par Dieu ! il n*existe 
pas, en ce monde, un miserable comme 
lui. Que Dieu le punisse par une catas* 
trophe! Son oeuvre est injuste et sa con* 



ACTE DEUXIEME 211 



duite ignoble, et lui-mSme est un avare 
et un ladre ! 

Le soldat. — Comment son oeuvre est- 
elle injuste, seigneur? 

Aga*Mžrdan. — Parče qu'il veut evi- 
demment nier rexistence du petit enfant 
deseptmois, de Hadji-Ghafour. II veut 
repousser cet enfant et lui enlever la for- 
tune de son pere, pour la donner a la 
soeur de Hadji-Ghafour. Mais Dieu ne 
favorisera pas cetie action : il prouvera 
que Tenfant est bien vivant, et on ne pourra 
pas meconnaitre son existence. Peut-on 
nier pareille chose? — C'est moi qui suis 
le defenseur de ce pauvre petit orphelin. 
J^ai fait voeu de donner trente tomans 
i quiconque temoignera en faveur de 
cet enfant, et, comme je croyais bien, 
comme j*etais convaincu que vous Paviež 
vu, j'avais prepare cette somme, toute 
comptee. Mais, si quoi bon, puisque vous 
dites que vous ne vous souvenez pas de 
l'enfant? Cependant, si vous le voyiez, 
peut-Stre ćela vous reviendrait-il k Tes- 

i5* 



212 DEUX COMŽDIES TURQUES 

prit ? — Aga-Kčrim, va done k la maison 
prends Tenfant des bras de sa mćre Zei« 
nčb-Khanoum, ct apporte-le ici. (Aga- 
Kirim revient bientćt avec le petit gar* 
q(m qu'il aprisdans Vautre chambre.) 



SCĆNE XIII 

Aga-Mžrdan. — Reflechissez bien, mes 
enfants. Comment est-il possible que 
vous n'ayez pas vu ce petit gar^on? Se- 
rait-il humain quMne autre personne dć- 
vordt Pheritage de ce petit orphelin qui 
ne peut pas parler pour se defendre ^3^ et 
que ce malheureux restdt abandonne dans 
les rues et derrićre les portes, avec ses 
soupirs et ses chagrins? Peut-Stre, au 
milieu de ce tumulte et de tout ce trou- 
ble, n'avez-vous pas fait attention jlcet 
enfant ? II y a des moments oti on perd 
la tete. — Aga-Kžrim, prends, dans Tar- 
moire, Toffrande de ce petit enfant, et ap- 



ACTE DEUXIEME 2 I 3 



-r- 



porte-la ki. (AussitGt^ Aga^Kirim prend 
dans Varmoire quatre paquets enveloppćs 
depapier qu'il pose a la portee d^Aga- 
Mšrddn.) 

Aga-Mčrdan. — Mes chers amis, outre 
la recompense que Dieu vous donnera in- 
failliblement, ce petit orphelin a fait k 
chacun de vous une ofFrande de trente 
tomans contenus dans ces quatre feuilles 
de papier. II n'est pas comme ce maudit 
Aga-Seimlln, qui vous impose une action 
malhonnSte, et qui ne veut rien vous 
donner en retour, par cupidite. (Tout a 
coup^ un des soldats se tourne vers un 
de ses camarades et lui dit :) 

Un soldat. — Dis-moi, Qahrčman, il 
me semble roe rappeler que j^ai entendu 
la voix d'un petit enfant, pendant que 
nous etions chez Hadji-Ghafour. 

Qahrč:man. — Oui, je me souviens : il 
y avait une femme assise dans un coin de 
la maison, et elle tenait dans ses bras un 
petit enfant au maillot. 

Ghaffar. — Ah! va done! je me rap- 



214 I>EUX GOMEDIES TURQUBS 

pelle que Hhadji-Ghafour nous a dit : 
a Voici ma femme, et ce petit enfant est 
mpn fils : il y a un mois que sa mere Pa 
mis au monde. > 

NžzžR. — Ah ! ah ! voyez done comme 
nousavions oublie ce detail! Čest vrai : 
il y a des jours ot on n'a pas la tćte i sci! 
Mais, oui : est-ce que Hadji-Ghafour ne 
nous a pas recommande de veiller sur 
sa maison, sa femme et son petit en« 
fant, jusqu'au retour des habitants, de 
peur que tous les coquins de la ville ne 
leur fissentdu mal? 

Tous LES soLDATs (eti chosut). — Oui, 
il nous a recommande sa femme et son 
enfant. 

Aga-Mčrdan. — Que Dieu soit satisfait 
de vous, mes enfants ! Je savais bien que 
ćela devait vous revenir k Tesprit. Prenez 
done TojSTrande de cet orphelin, et depen- 
sez-la & votre guise. S^il plalt a Dieu^ 
apres la fin du proces, il vous reviendra 
encore k chacun dix tomans. Une bonne 
et sincire action n'est jamais perdue. Mes 



ACTE DEinUElIE 3lS 

enfants, tćmoignez devant le tribunal 
exactement comme vous venezde le faire, 
et ensuite,... empochez votre argent. 

(Jn des solđats. — Mais, seigneur, 
nous avons promis k Aga-Sčlmftn de tć- 
moigner en sa faveur : faut-il lui dire 
maintenant que nous ne pouvons pas 
£tre ses tćmoins? 

Aga-Mžrdan. — Non : vous n*avez be- 
soin de lui parler de rien. Qu'il sHmagine 
toujours que vous 6tes ses temoins, et qu^il 
vous mčne, lui-mćme, au tribunal : 1^, 
vous rendrez votre temoignage dans les 
termes dont vous venez de vous servir. 
Aga-Selmdn n*a aucun droit sur vous, et 
il n'a rien a vous reclamer. S^il vous de- 
mande pourquoi vous parlez ainsi, vous 
lui rćpondrez que c'est parče que vous 
savez que c'est la verite et que vous en 
rendez temoignage. Ensuite, vous empo- 
cherez votre argent. — On a apportć le 
riz : allez dans cette chambre, et faites- 
moi Phonneur d'y prendre votre repas. 
Mais, j*ai une priore k vous faire : per- 



2|6 DKUX COMĆDIBS TURQUES 

sonne ne doit soup^onner que je vout ai 
fait appeler et que vous £tes venus ici. 
C'est seulement pour plaire k Dieu que 
vous garderez ce secret, mais je vous pro« 
mets en echange de vous donner i chacun, 
sur ma propre bourse, un bonnet de Bo- 
khara ^. 

Les soldats. — Seigneur, soyez sans 
crainte i ce sujet. 

Aga-Mčrdan. — Aga-Kčrim, conduis 
ces chers enfants dans cette chambre, 
pour qu'ils prennent leur repas ; ensuite, 
tu les congćdieras. 



SCĆNE XIV 

Aga-Mžrdan (seul). ^ Tout va bien, 
jusqu^^ maintenant. Levons-nous et al« 
lons au tribun aL Je vais mettre les asses- 
seurs dans mes interćts et les prćparer k 
agir, pour que demain, au moment des 



ACTC DEUIlfeue 



d^bats, ils me servent dans U mesure du 
nćcessaire **. (II se live et sort.) 



Le rideau tombe 

FIN DB l'aCTB DBUX[6|IB 




^qpqpqpc;^^ 



NOTES SUR L'ACTE DEUXIŽME 



I. B^-archć bćrin : « Jusqu'au trdne sublimb. » 
C'est le trdne de Dieu, qui est placć dans le neu- 
vićme ciel. 

3. Litt. o Donne-moi le cadeau rćservć au por- 
teur d'une bonne nouvelle ». 

3. « Čest le Platon du siede » ; c*e8t-a-dire : 
nul n'est plus habile que lui. Platon et Aristote 
sont les deux philosophes grecs qui ont eu le 
plus de fortune auprčs des musulmans, 

4. Thbriz ou Tauris, est la capitale de TAzer- 
bHdiSn. Fondće, en Tan 175 derhćgire, par Zo- 
b^Xd^, femme du khalife Haroun-čr-Rčchid, cette 
ville comptait, du temps de Chardin, cinq cent 
cinquante mille habitants. Quoique elle soit bien 
dćchue aujourd*hui de cette splendeur, c^est en- 
ćore une des citćs les plus importantes de la 
Perse : sa population est de cent mille fimes, a 
peu pres autant que Teheran, la capitale du 
royaume. Ce qui maintient encore Tauris au pre- 
mter rang de toutes les villes persanes, c'est sa 
remarquable position gćographique. Elle est Ten- 



320 DETJX COMŽDIES TURQUES 

trep6t obligć đe toutes les marchanđises qui en- 
trent en Perse par la Turquie et par laTranscauca- 
sie russe. Si Tćhćrfln est la capttalepolitique de la 
Perse, Tauris en est, en quelque sorte, la capitale 
commerciale, et son importance ne peut que s'ac- 
croitre avec les fiacilitćs đe Communications. Le 
cHmat de Tauris ne fait pas trop mentir rćtymo- 
logie persane de son nom, (Teh-ri:; : qui chasse 
la fievre) ; i*atr y est sain , mais, le froid est tres 
vif, en hiver. Malheureusement, Tauris est trhs 
exposće aux tremblements de terre. D*apres le 
Nou!{het'el-qouloub^ elle a ćte dćtruite, une pre- 
mi&re fois, en Tan 244 de Fhćgire, du temps du 
khalife Mot^vikkeUbillah qui la reb&tit. Eile fut 
de nouveau renversće de fond en comble, en 434^ 
par un autre tremblement de terre plus violent 
que le premier, {Dictionnaire de la Perse, article 
T^briz). En 1727, sofxante-diz mille personnes 
furent englouties, et la secousse de 1780 coflta la 
vte a quarante mille malheureuz. Depuis cette 
ćpoque, les secousses ont €i€ moins violentes; 
mais, elles sont encore trčs frćquentes : la der- 
niere a eu lieu au printemps de i883. 

5. Čfrit^ : a Dćmon femelle », fćm. de «^frit:». 

6. A!neyć bedčn-nema. Cette expression que 
nous traduisons par armotre a glace, dćsigne 
simplement une grandeglace qui rćflechit toutle 
corps. Une armoire a glace dćtruit un peu la 
couleur locale ; mais, on commence a en voir 
que]ques-unes en Orient. 

7. Koul^dj^ : sorte de redingote a jupe arron- 
dte. 

8. Djoubbi : robe de dessus, doubl^ et ouatće, 



NOTES SUR L'ACTE DEUZIEME 221^ 

dont les manches larges ne đćpassent guere le 
coude. La djoubbi se met sur la kouledj^ ; elle 
est ordtnairement en drap. On sait que le mot 
a djoubbe » est retymologie de notre mot franfais 

9. Litt. a De cinq qa!(, « Le qaz vaut quatre 
chahis et le chahi ćquivaut k peu pr&s au sou. 
Ginq qaz font exactement quatre-vingt«quinza 
centimes^ au cours actuel. 

10. Folous, plur. dc fels, ea arabe : petite mon- 
naie de cuivre. Ce mot vient du grec oM^t obole. 

11. Proverbe persan qui signifie que celui 
qui veut lafln doit vouloir aussi les mqyetts, 

1 2. a Đieu est le meilleur pere nourricier >. Ci* 
tation du Coran ajoutće par le traducteur persan: 
Coran,ch. lxii, vers. 11. 

1 3. L.itt. « ses yeux et ses sourcils ». 

14. Le texte porte seulement : se rendre a un& 
invitation, 

lb. Mot a mot : « j'avais donnć un qr&n »• Le 
qrdn ou saheb~qrdn (qu'on prononce sapcrSn), est 
une monnaie persane de U valeur actuelle de 
o fr. 90 cent. Čest la dixičme partie du tomUn. 

16. A crćdit, k terme. 

17.« Litt. un dtable ». 

iŠ. L*expression persane est pre8que identi* 
que : a Enlever le couvertle de Vaffaire. » 

19. Le texte persan porte k tort « Dj^bbar » 
comme nom du quatri&me soldat. La legon a N& 
zčr » est donnće par la liste des personnages, et 
se retrouve tout le long de la comćdie. 

20, D'apr&s Topinion Je MM. Đarbier de Mey- 
nard etS.Guyard^c*est sans doute,un mot russe 



322 DEUX GOMĆDIES TnRQUBS 

qu'il est diflicile đe retrouver sous la transcrip- 
tion persane. La chose a d*ailleurs peu d'impor« 
tance : c*est un nom de rue. 

21. Utt. « U faut que je leur frappe sur Fć- 
pauie. » 

22. Cejeu desc&ne est iadiquć par MM. Bar- 
bier de Meynard et S. Guyard : il est indispen- 
sabie pour expiiquer la question d'Aga-M&rdia 
et la rćponse du darogha. 

25. Qoumar-baz : « Joueur de profeasion i>, de 
l'arabe : qimar^ qui dćsigne toute esp&ce de jeur 
de hasard, dćs^cartes, etc. II est a remarquer que 
la pratique du jeu est une cause de rćcusation de 
tćmoignage, ainsi que Tivresse d'habitude et, ce 
qui est plus curieux, la pratique de la musique. 
— > o En outre, a le temoin doit Stre majeur, saia 
d'esprit, musulman de bonnes moeurs et de nais- 
sance Ićgitime. » (Querry, Droit musulman chiite, 
t. II, pages 451-455.) 

24. Ardćbil est une ville de la province d'A« 
z&rbeldjSn. Les Persans Tappellent aussi ii^aian^ 
Firouf, sans doute en souvenir du roi sassanide 
Firouz qui en fut, dit-on, le fondateur. Elle est 
situee k sept jours de marche au nord-est de Tau- 
ris. (Voir, pour cette derniere ville, plus haut, 
note 4.) £Ue est arrosće par un grand nombre de 
ruisseauz, ce qui lui a valu d'Stre comparće H 
Venise par le cćl&bre voyageur italien Pietro 
della Valle (DicU geogr, de la Perse^ article Ar- 
dćbil). Ardćbil possMe de rfches mines de fer et 
des gisements de cuivre ; son bazar est aussi bien 
approvisionne de marchandises russes. On admire 
encore parmi ses monuments les tombeaux de 



NOTES SUR L'ACTE DEUX1EME 223 

Ch^Ikh-Sefi et de Chah-Ismail. Sa grande mos- 
quće contenait jadis une biblioth^ue assez 
importante; mais, tous les manu seri ts furent en- 
levćs par Paskievitch et envoyćs k Saint-Pćters« 
bourg. Ardćbil a une population de 12,000 habi- 
tants. 

a 5. Qazv1n ou Qazbi[n est une des principales 
villes de la province d'Iraq-Adj&mi. Elle est si- 
tuće sur la route de Tćhćrfin a Tauris et elle est 
reliće k Tćhćrfin par une belle ^oute carrossable 
de douze m^res de large. Sa population s'ćl&ve 
aujourd'hui k Yingt-cinq raille habitants, tout au 
plus. D*apres les uns» Qazvin a ćtć bdtie par le 
prince sassanide, Chapour-Zoul-Ektaf ; d'aprčs les 
autres» ceserait un des predćcesseurs de ce prince, 
Ghapourfils d'Ardčchir-Đabegan, et deuxi&meroi 
de la dynastie, qui en serait le fondateur (Dict. 
giogr, de la Perse^ artide Qazv!n.) 

26. Hamadan est Tancienne Ecbatane; mais, 
cette ville n'a conservć de sa splendeur passće 
qu*un amas de decombres et quelques noms qui 
rappellent son ancienne puissance, comme le 
c ukhtć Ard^hir », le tr6ne d'Artaxerx&s qui 
dćsigne encore au)ourd*hui une de ses collines. 
Le tombeau d'Esther et de Mardochće, qui est en 
grande vćnćration aupr^s des Juifs, date, en rćalitć, 
d'une ćpoque postćrieure a Tislamisme. Hamaddn 
est situće au sud-ouest de riraq-Adj^nii, un peu 
au nord-est du mont Elv^nd. Sa position a ćela de 
remarquable qu*elle est k peu prćs a ćgale dis- 
tance de la mer Caspienne et du golfe Persique, 
sur la limite ancienne des Medes et des Perses, 
la limite actuelle des Turcs et des Iraniens. Ha« 



224 DEUX COMEDIESs TURQUES 

madAn ne compte pas aujourd'hui plusde 15,006 
habitants. 

27. M^ragha est une ville de la province d'A- 
z&rbildjAn dont elle a M jadis la capitale; mais, 
8on importance a bien diminuć, et elle n'a guere 
aujourd*hui plus de quinze mille habitants. Oa 
▼oit encore dans cette ville les ruines du cćl&bre 
observatoire que Houlagou y avait fait b&tir au 
xni* si^de, pour Tastronome Nac&r-ed-dln Touci. 
M&ragha est situće sur les pentes meridionales du 
S&v&nd, dans le bassin du Sčfi-roud, k peu de 
distance k l'est du lac d'Ourmia. 

28. Ehhr ou Ahar, capitale du Qara-Dagh, est 
une des plus petites .villes de PAz^rbeldjftn ; elle 
est situće^ mi-chemin, e)iviron, entre Ardćbil et 
Tauris, mais, un peu au nord de ces deux villes. 
Elle ne compte pas plus de 3,5oo habitants. 

29. Karav&n-sera! : « Hdtel pour les caravanes »» 
caravansćrail. 

30. Le vol est puni en Perše de chdtimente 
corporels et de supplices gradućs selon l'impor- 
tance du dćlit et le degrć de la recidive. « La 
peine du vol consiste, pour la premičre fols, dane 
l'ablation des quatre doigts de la main droite, en 
rćservant la paume et le pouče. » — « La pre- 
miere rćcidive sera punie de Tablation du pieđ 
gauche depuis le cou-de-pied, en r&ervant le 
talon. » — <t La seconde recidive sera punie de U 
prison perp^tuelle; » — a La troisičme r^idive 
sera punie de mort. » — « Aprfes l'ablation de la 
main, il est recommandć de tremper le tron^on 
dans de Thuile bouillante, par egard pour la vie 
du patient; mais, ce pansement n'est pasobliga- 



NOTES SUH L'ACTE BEUUEME 225 

toire. » — a Peraonne n*e8t responsable đu rćsul- 
tat đe rexćcution de la pćnalitć. » (Q.uerry, Droit 
musulman Mite, t. II. p. 520, parag. 284*387 et 
3oi-3o3.) Ces chdtiments corporels sont legiti- 
mes et institues par le Coran dans le verset sui- 
vant : a Quant a un voleur et a une voleuse, vous 
leur couperez les mains comme rćtribution de 
Poeuvre de leurs mains ; comme chfitiment venant 
de Dieu; or, Dieu est puissant et sage. » Coran, 
trad. par M. Kazimirski. Ch. v; verset 42. 

3 1 . Le kčbab est un des mets favoris des Orien« 
taux. II consiste en petits morceaux de viande de 
mouton, rdtis a la brochette. 

32. « Le tćmoin ne peut recevoir aucun salaire, 
parče qu'il est obligć de rendre tćmoignage tou* 
tes les fois qu'il lui est possible de le faire. » 
(Querry, Droit musulman chiite, t. II, p. 388, 
parag. 25 et suiv.) 

33. Mot k mot : « Sans langue. » 

34. Bokhara a ćte longtemps, et est encore une 
des principales villes du Turk^stfin, ou de la 
Transoxiane, comme on appelle aussi le pays qui 
est au nord du Djihoun* rOxus des anciens. Le 
Khanatauquei elle a donnć son nom, etdont elle 
est la capitale, est encore aujourd*hui nominale- 
ment indćpendant; nlais il est compl&tement 
soumis a Tinfluence russe. Les Russes, maitres 
de la haute vallee du Z&r-efcMn, peuveat ruiner 
et rćduire Bokhara, rien qu'en arrStant les eaux 
du fleuve : Bokhara, que les sables assiegent et 
dont la sćcheresse est le pire ennemi, serait vain- 
cue sans avoir mSme combattu. Mais, la Russie 
n*a pas intćrSt, pour le moment, k annexer le Kha- 



2a6 ĐSUX COMŽDIKS TUAQUES 

nat; VimiT ezćcute tous les ordres venu« de 
Saint-Pćtenbourg, et le tsar n'a pas besoin d'en- 
tretenir de garnison k Bokhara. Cette ville n'est 
plus la c noble citć » qui attirait vers elle tous les 
p^erins de la science, du ix« au xiv* siede : son 
importance est aujourd*hui purement commer- 
ciale, et sa population ne dćpasse pas soixante^ix 
mille Ames. 

35. Litt. « Pour qu'iis remuent la t£te et la 
queue, dans la mesure du nćcessaire, » c*est-a- 
dire : pour quHls soient de connivence avec moi. 




ACTE TROISIEME 



i< 




ACTE TROISIEME 



L'action se passe au tribunaL — Le prćsident est 
assis sur un coussin, a la place d'honneur, 
ayant k sa droite Aga-R&him, et, a sa gauche 
Aga-Dj^bbar. •» Aga-B&chir et Aga-SMtar, as- 
sesseurs ordinaires du tribunal, sont assis k 
c6tć d*eux. -^ Au rang infćrieur, se tient Tavo- 
catde la veuvede Hadji-Ghafour, Aga-M&rdSn, 
qui se trćmousse d*aise sur son si&ge. 



SCENE PREMIĆRE 

Aga-Bžchir. (S'adressant auprisident 
du tribunal). — Avez-vous pćnetre, sei- 
gneur, par votre inteiligence et votre sa- 
gacite, le mančge de cette femme qui est 
venue porter plainte hier? — Elle avait 
derobć trois tomans d son mari, s'ćtait 



23o ĐEUX COMŽDIES TURQUES 

rouee de coups, elle*mćme, s^etait, par 
ruse, ensanglantć le visage et arracbe les 
cheveux, — ensuite, elle a porte plainte 
contre son mari. 

Le prćsident. — Ne vous ai-je pas dit 
quecette femme mMnspiraitdessoup^ons? 
— II faut tirer ćela au clair. 

AoA-BžcHiR. — Oui, seigneur,... je veux 
seulement vous faire remarquer combien 
votre sagacite est merveilleuse ^ ! Dans 
toute Tassistance, personne n*a doulć de 
lasincćrite de cette femme; mais, vous, 
dčs le premier coup-d^oeil, vous nous 
avez fait part de vos soup^ons, et vous 
avez eu vraiment raison. 

Le prćsident. — Dans des afFaires ana« 
logues, mon opinion aćtesouvent d^accord 
avec les faits. 

Aga-Bćchir. — On a bfen raison de dire 
que les gouvernants sont dirigćs par la 
sagesse divine '. Qu^est-ce done, si ce n^est 
pas la une inspiration directe de Dieu ? 

AGA-Ri:HiH. — Vous vous etonnez beau- 
coup de ćela, Aga-Bdchir, mais, la Trčs 



j 



ACTE TROISIEMB 23 1 

^j 

Salnte Majeste Divine choisit, pour leur 
mćrite^ et place d la tćte de leurs contem- 
porains ceux de ses serviteurs qu'elle a 
honorćs d'une faveur particuličre. Or, la 
Trčs Sainte Majestć Divine a honore notre 
mattre de sa bienveillance toute speciale, 
dans la connaissance des affaires. Voulez- 
vous savoir ce que c^est rćellement? Ce 
n*est pas de Tinspiration : c*est, il mon 
avis, une grdce particuliere de Dieu. 

Aga-Djžbbar. — Oui , vous avez le 
choix : on peut soutenir les deux opi- 
nions. N^est-ce pas, Aga^Merddn ? 

Aga-M ŽRDAN. — En effet, en eiTet : c'est 
certain. 

Aga-R^him. — Aga-MerdSn, comment 
va done le petit gar^on de Hadji-Ghafour? 

Aga-Mžhdan.— Trćs bien. Dieu merci! 
II comprend tout, maintenant; il vient 
dčs qu'on l'appelle. 

Aga-Djžbbar. — II doit avoir mainte- 
nant sept mois accomplis : n'est-ce pas? 

Aga-Mžrdan, — Oui, tout juste sept 
mois. 

16* 



232 DEUX COMŽDIES TURQUES 

o 

Le prćsident. — Comment? Est-ce qu'il 
reste un fils ? de Hadji-Ghafour? J'ai en- 
tendu dlre qu^il n^avait pas d'enfant. 

Aga-Bžchir. — Mais, si, seigneur : on 
vous a mal renseignć. II a laissć un petit 
gar(on qui est beau comme un quartier 
de lune. Hier, en revenant de la priere, 
nous Tavons vu, sur le seuil de la porte, 
dans les bras d'Aga-Mčrddn . Ils se ressem- 
blent, lui et Hadji-Ghafour, comme deux 
moities d^une meme pomme K 

Aga-Sžttar. — Vous rappelez-vous, sei- 
gneur, les traits de Hadji*Ghafour? 

Le pRĆsmENT. — Oui : il n*y a pas si 
longtemps qu'il est mort ! 

Aga-Sbttar.— -Eh bien! quand on voit 
le visage de cet enfant, au premier coup- 
d^oeil, on croit voir celui de Hadji-Gha- 
four. 

Lb PRĆSIDENT. — Je ne savais pas cela. 
Tržsbien. — Mais,dites-moi,Aga-Mžrd&n: 
s'il reste un fils de Hadji-Ghafour, il est 
inutile de plaider. II est ćvident que la 
fortune de son pdre doit revenir k cet en- 



ACTE TROISIEME 233 

fant, et, dans ce cas, les autres parents ou 
collatćraux du dćfunt n'ont rien a rćcla- 
mer. 

Aga*Mžrdan. (Sur un ton de parfaite 
humilitš,) — Seigneur, si je vous exposais, 
moi-mćme,la raison de leurs reclamations, 
vous pourriez douter de ma sincćritć. 
Mais, Aga-Bćchir vous dira ce qu^il en 
est. 

Aga-Bžchir. — Seigneur, laissez-moi 
vous conter cette affaire. — Hadji-Ghafour 
a laissć une soeur, Sekine - Khanoum. 
Celle-ci s^est eprise d'un jeune homme, un 
hćretique nomme Aziz-bey, qu'elle aime 
au point d'en perdre la raison, et qu'elle 
veut epouser. Mais, le drdle ne Tentend 
pas ainsi : il lui objecte qu^il n^a rien 
et quMl ne possede aucune fortune : — 
que ferait-il d'elle ? Aussi, maintenant, la 
donzelle fait des pieds et des mains, pour 
essayer de dćtourner k son profit Pheritage 
de Hadji-Ghafour, et se faire epouser du 
jouvenceau. Sa tante voulait la marier au 
nćgociant Aga-Ha9dn, qui est un homme 



u 



234 DEUX COMĆDIBS TURQUES 

distinguć et riche : — elle a refuse. Elle a 
pris un avocat et constituć des temoins, 
en pretendant que Hadji-Ghafour n*a pas 
laisse d^enfant, et que les soixante mille 
tomans qui constituent son hćritage, doi- 
vent lui revenir i elle. La femme a Pes- 
prit court ^, et celle-*ci s^est imagihće 
qu*elle pourrait s^emparer de Thćritage de 
Hadji-Ghafour, au moyen de ces ruses et 
de ces intrigues. Mais, ce sont Id des idees 
foUes, et elle se donne une peine bien 
inutile. 

Lb prćsident. — Bien. Cette affaire n'est 
ni assez compliquee ni assez embrouillće 
pour durer longtemps : nous allons pou- 
voir, en deux heures, la dćcider et la 
juger. Les deux parties doivent appuyer 
leurs reclamations de temoignages et de 
preuves. 

Aga-Merdan. — Oui, seigneur : les te- 
moins sont tout prćts. 

Aga-Settar. (Aupr^sident đutribunal). 
— Seigneur, on vous a amene hier, deux 
petits orphelins abandonnćs. — c Nous 



ACTE TROISIEME 235 

chercherons, avez-vous dit, uq serviteur 
de Dieu, pieux et charitable, et nous lui 
confierons ces enfanls. » — Je crois que 
vous agirez sagement en les confiant k 
Aga-Mćrdan. II les soignera comme ses 
propres enfants, car il est toujours en 
quete de quelque bonne oeuvre. 

Le prćsident. — Trćs bien.— Yconsen- 
tez-vous, Aga-Mćrddn ? 

Aga-Mžirdan. — De tout mon coeur ^, 
seigneur. Je les soignerai comme mes pro« 
pres enfants. 

Le pRĆšiDENT. — Que le maitre du 
monde vous en recompense dignement I 
(La porte s'onvre sur ces entrefaites, et 
Aga-S^lrndn entre avec A^i^-Be^, en 
compagnie des quatre soldats. Un peu 
aprčs, arrivent egalement Aga^Abbas et 
Zč'inšb-Klianoum, la veuve de Hadji-Gha' 
four, escortes de leurs qtuxtre temoins, — 
Zšinšb-Khanoum s'assied d'un cote de la 
salle 7, enveloppee dans un grand voile. 
— Aga'SčlmdnyAii:{'bey et Aga^Abbas se 
tiennent debout,de l'autre cćtede la salle ^) 



236 DEUX COMĆDIES TURQUES 



SCĆNE II 

Lb prćsident. — Aga-Selm^n, on dh 
que Hadji-Ghafour a laissć un enfant. 
Pouvez-vous prouver le contraire? 

Aga-Sžlman. — Seigneur, j'ai des tć« 
moins qui afHrmeront qu'au moment de 
mourir, Hadji-Ghafour leur a deciarć, 
n^avoir pas d'autre hćritier que sa soeur, 
Sćkine-Khanoum* 

Le prćsident. — Que les tćmoins fassent 
leur dćclaration. 

Aga-Sžlman. (Se tournant vers les sol' 
dats). — Faites votre dćclaration. . 

Le premier soldat. — Seigneur, un jour 
avant la mort de Hadji-Ghafour, nous 
sommes alles, mes camarades et moi, lui 
rendre visite. Nous lui avons demandć 
s'il avait des enfants, filles ou gargons, et 
ii nous a repondu : « Je n^ai personne au 
monde que ma soeur, Sčkinč-Khanoum. » 

Le prćsident. — Jurez, par le nom de 



ACTE TROISIEME 237 

Dieu, que c^est bien Ik ce que vous avez 
entendu. 

Lb soldat. — Je jure par le nom de 
Dieu que c'est bien ce que j^ai entendu ^. 
(Aga'Mšrdđn devient tout pale, et reste 
stupifaitj ainsi qu'Aga'Sčlman. ) 

Le prćsident. — (Se tournant vers les 
autres soldats). Et vous,qu'avez-Yous en- 
tendu ? parlez l'un apres Tautre. 

Lb DBUKiiiHB SOLDAT. — J'en atteste le 
nom de Dieu : c'est bien ce que j^ai 
entendu. 

Le troisižke soldat. — J^en atteste le 
nom de Dieu : moi aussi, c'est ce que 
j'ai entendu. 

AoA-MŽRDAN. (D'une voix pleine d^an- 
xUUJ — Mais, d ce moment-l&, n'avez- 
vous pas apercu un petit enfant dans les 
bras de la femme Hadji-Ghafour? 

Le premier soldat. — Non : c'est ail- 
leurs que nous avons vu un petit enfant. 
Voulez-vous aussi que nous le decla- 
rions ? 

Aga-Merdan. — G'est bon : taisez-vous. 



238 DEUX COMŽDICS TURQUES 

(EnsuitCj se tournant vers leprisident du 
tribunaL) — Seigneur, j*ai des temoins qui 
ont vu un enfant d^un mois, dans les 
bras de Hadji-Ghafour, le jour m£me 
dont parlent ces soldats. — « De qui est 
cet enfant? » ont-ils demandć, i Hadji- 
Ghafour, et celui-ci leur a rćpondu : 
« Čest mon fils. » — Les tćmoins sont 
Iž, en votre prćsence. (II fait signe i ses 
Umoins (Tavancer.) Ils sont tous gens 
lettrćs, bonorables et pieux. 

Aga-Sžttar. — iD*un ton plein de 
bienveillance ^ Aga^Mirddn.) Vraiment, 
Aga-Mčrd^n, le pčre de ce jeune bomme 
etaitunHadji-Chžrifo? 

AGA-MtRDAN. — Oui. Que Dieu lui 
fasse misćricorde ^^ ! II ćtait d^une sainte 
famille. 

Aga-Sžttar. — • Le fils d'un pareil pčre 
ne peut ćtre qu^un hontićte homme, et le 
Hadji-Chčrif ćtait certainement un homme 
bien austćre. 

Le prćsident. — - (Se tournant vers les 
timoins.) Dites tout ce que vous savez. 



ACTE TROISIEME 239 

Hfepou. — Que je diše tout ce que je 
sais? 

Le prćsident. — Oui : tout ce que vous 
avez appris. 

Hepou. — Eh! bien, seigneur, hier, 
Aga-MčrdSn nous a pries de passer chez 
lui, mes compagnons et moi. II nous a 
donne, k chacun, quinze tomans pour 
nous presenter aujourd'hui devant vous, 
et pour vous declarer qu'k l'ćpogue du 
cholera, nous avions vu dans les bras de 
Hadji-Ghafour, son petit enfant, alors 
Sge d*un mois. Comme je suis un joueur 
de profession, j*ai accepte Targent, et je 
Pai pris; mais, cet argent m'avait ete 
donnć pour une mauvaise action, et il ne 
m'a pas porte profit. — Cette nuit, j'ai 
perdu les quinze tomans jusqu^au der- 
nier sou, car j'etais tombe sur un mau- 
vais drdle qui en remontrerait a LeK- 
ladj 1^. — Je ne sais pas autre chose que 
ćela, seigneur: je n^ai jamais vu Hadji- 
Ghafour, et je ne le connais mSme pas. 
(Lemotionsiche lagorgeiTA ga-Mirddn,) 

17 



240 DEUX COMĆDIES TURQUES 

Le prćsident. — (Aux autres timoins.) 
Et vous, qu'avez-vous i, dire? 

Les autres temotns . — (Tous en chceur.) 
Nous ne faisons que rćpeter ce que vient 
de dire notre camarade. 

Le prćsident. — (Aux assesseursj 
Vous m^affirmiez, ^rinstant, qu'Aga-Mer- 
dšiti ćtait un homme vertueux I Vos pa- 
roles de tout k Pheure prouvent votre 
malhonnStetć et vos fourberies! Louesoit 
Dieu dans sa grandeur et sa sublimite ^^ ! 
Je ne comprends pas ce que tout ćela 
signifie. 

Aga-Bćchir. — Non, seigneur : ce qui 
prouve, au contraire, notre honnStete et 
notre loyaute, c^estque nous avons ajoute 
foi aux parolesd'Aga-M&rdSn,etquenous 
Tavons eru un honnSte homme. 

Aga-Rž:him. — (A detni'Voix, a Aga-- 
Sčttar.) Oh ! le menteur I le diable Tem- 
porte ^3 1 Voyez done ce coquin d'Aga- 
Bčchir ! quelle bonne excuse il a trouvće ! 
Le president Ta eru, et il va s^imaginer 
que nous sommes vraiment honnćtes et 



ACTE TROISIEME 24 1 

sincžres! (A ce moment , entre le chef 
des huissiers du Chah'Zadd.J 



SCĆNE III 

Le chef des huissiers. — (Au prisident 
du tribunal.) Seigneur, le Chah-Zade de- 
mande si les droits de la soeur de Hadji- 
Ghafour vous ont ete demontres ? 

Le prestdent. — Oui, ils ont ete etablis. 
Mais, le Chah-Zadč sait-il comment la 
preuve en a ete faite ? 

L'huissier en chef. — Oui, seigneur. 
L'inspecteur du marche avait compris les 
desseins d'Aga-Merdan et d'Aga-Seiman : 
il en avait informe le Chah-Zade, qui a 
pris les mesures necessaires pour rendre 
vaine leur machination. Maintenant la 
faute de ces deux individusa ete prouvee, 
et j'ai re^u Tordre de les conduire devant 
le Chah-Zadd. 

Lepr^sident, — Aga-Sdm^n trempait 
done aussi dans cette intrigue? 



242 DEUX COMĆDIES TURQUES 



L^HUissiER. — Oui, il etait en secrct le 
complice d'Aga-Mčrdin. (Lhuissier se 
saisit d'Aga-Mčrdan et d'Aga-Sčlmđn, 
et les emmšne.J 



SCENE IV 

Le president. — Aziz-bey, vous etes 
aujourd'hui le protecteur ^^ de Sekine- 
Khanoum. Allez done Tinformer que, 
dans deux heures, je prendrai avec moi 
la somme laissee par Hadji-Ghafour, que 
je la lui apporterai, et que je la lui remet- 
trai, en presence de temoins honorables. 

Aziz-Bey. — C'est bien, seigneur : j'y 
vais. 15 (JI sort de la salle du tribunal ) 



SCENE V 

Aga-Bechir. — (En frappant dans 
ses tnains,) Par la mort de votre fils! est- 



ACTE TROISIEME 243 



il possible de fabriquer des mensonges 
comme ceux de cet Aga-Merddn ? O moii 
Dieu ! que de gens malhonnetes vous avez 
crees, en ce monde ! Par ses impostures, 
le miserable voulait constituer ^® un enfant 
ši Hadji-Ghafour! Messieurs,a-t-on jamais 
vupareille audace?— Ah! vouspouvezmc 
traiter de sot, Aga-Djčbbar, et vous pou- 
vez dire que je suis bien simple et bien 
naif, pour croire ainsi ce que me dit le 
premier venu ! 

Aga-Djčbbar. — [Detournant le visage, 
et d voix basse.) Oh ! le menteur! que 
le diable Temporte! Oh! oui, tu es sim- 
ple et naif ! On le sait bien. (Puis, dhaute 
voix.) Allons-nous-en, messieurs. Abre- 
geons la fatigue du prćsident: il a pris 
beaucoup de peine^ aujourd'hui. Pour- 
quoi bavarder davantage ? (Le president 
du tribunal sort le premier, tout reveur, 
— Ensuite^ les autres se Ičvent, et s'en 
vont.) 

Le rideau tombe. 

Fin de la comedie. 




NOTES SUR L'ACTE TROISIEME 



1 . Mot a mot : « est une alchimie ». 

2. Citation arabe de quelque hediSy ou de quel- 
que sentence. 

3. Litteralement: a quelque chose enfait d^en^ 
fants ». 

4. Mot š mot : « on dirait qu'il est^ avec Hadji- 
Ghafour^ comme une pomtne partagee en deux y>, 

5. Proverbe arabe. 

6. Litteralement ; « avec le coeur et tame ». 

7. En Orient« la separation des deux sexes est 
complete, en public. Čest pour cette raison 
que Zeineb s*assied seule d'un cotć de la salle, 
tandis que son frere et son avocat se placent de 
Tautre. En outre, la jeune femme est voilee en- 
tierement, des pieds a la t^te, par le tchadirecheb^ 
(voile de nuit)^ qui enveloppe tout le costume. 

8. Formule deserment/en arabe, usitee devant 
les tnbunaux musulmans. 

g. On appeile Hadji-Cherif les descendants 
plus ou moins authentiques du Prophete. — 



246 DEUX COMĆDIKS TURQUES 



Aga-Settar designe, en parlant ainsi, un des faux 
tćmoins produits par Aga-Merdan, ce Hepou qui 
qui est fils d'un voieur, et qui se trouve meta^ 
morphose en un descendant de Mahomet. 

10. En parlant du pere de Hepou, car cette 
formule de benćdiction ne s*applique qu'aux per- 
sonnes dćcedćes. 

11. Mot a mot : « dont Leiladj ne serait pas 
digne d'etve le valet ». — Ce Leiladj est un per- 
sonnage legendaire, le type de la friponnerie et de 
rastuće. 

12. Citation du Coran (eh. xvii, verset 4S), 
ajoutće par le traducteur persan, ainsi que la pe- 
tite phrase qui suit. 

1 3. Litteraicment : a Oh ! le menteur! que sa 
maison brule ! expression persane. 

14. Mot a mot : «: Vhomme ». 

1 5. Litteralement : « queje sois congedie ». For- 
mule tres usitee en persan, pour prendre congć 
de quelqu'un. 

16. Mot a mot: «ifixer un enfant a Hadji-Gha 
four » . 






I > 



._-> 




TABLE 



Pages. 
Introduction. Le tueatre dans l'Orient 

MUSULMAN i I 

Le Vizir de Lenkeran i 

Les Procureurs 119 



Le Puy. — Imprimerie de Marchessou filst