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LE PUY. — IMPRIMERfE MARCHESSOU FILS 'J
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DEUX
COMfiDIES TURQUES
DE
MIRZA FŽTH-ALl AKHOND-ZADE
TRADUITES POUR LA PRBMIERE POIS EN FRANCAIS D'aPRES l'eDITION
ORIGINALE DE TIFLISET LA VERSION PERSANE DE MIRZA-DJA'FER
PAR
ALPHONSE CILLIĆRE
Attachć au Minist&re des Affaires Etrang^res.
PARIŠ
ERNEST LEROUX, EDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1888
TU
• ». V *
1 »- -
ci
INTRODUCTION
LE THĆATRE DAHS L^ORIENT MUSULMAN
V
f
Es Arabes, les Turcs et les Persans
connaissent'ils le tMdtre et possd^
dent-ils une littćrature dramati"
que? Si Von entend par Id le thedtre tel
que nous le comprenons en Europe^ avec
des decors et des costumes, des acteurs
dont c'est le metier de representer des
pičces, et des pičces ćcrites poitr amuser
ou emouvoir lepublic^ si c*est Id ce qu*on
entend par thćdtre^ on peut dire que les
Orientaux musulmans ne le connaissent
pas.
En Turquie, d part quelques traduc-
tions de comćdies francaišes empruntćes
II INTRODUCTION
geniralement ^ Molišre ', i Sardou ou
d Dumas; dpart quelques plates imita-
tions de nos comćdies et đe nos drames
europćens, parues pour la plupart en
feuilletons aans les journaux de Cons-
tantinople, nous ne trouvons gučre d'au^
tre spectacle populaire et original que
Qara-Gueuz *, le Polichinelle de VOrtent
musulman, et un certain nombre defar-
ces et de bouffonneries, sans la moindre
prćtention litt^raire* Les pays de langue
arabe ne sontpas mieux partages, et c'est
encore Qara-Gueui ^ut fait les dilices
de lapopulace ćgyptienne^ tandis que les
hautes classes et les membres des colonies
ćtrangeres vont icouter les opiras ita^
liens ou franqais, En Perse, nous trou-
vons quelque chose de mieux : un thćdtre
vraiment national et qui tient, pour ainsi
dire, au cosur mSme de la patrie. Mats^
il jr a loin des drames religieux de la
Perse moderne d Vidće qu'on se fait en
Europe d'un drame ou d'une com/die.
Les Persans en sont encore aux spect^*
cles de nos ateux, aux farces et aux mys-
tćres du Moyen*Age; leurart dramatique
est un art enfant, ce qui ne Vempšche pas
1. Moliere a ćte traduit en ture sous la direc«
rection de S. E. Ahmed V6fiq pacha, ancien
grand vizir; la traduction a con$ervć une partle
des qualitć8 et des mćritea de l'of^iginal.
2. Qara''Gueu}^\ en ture : ceU noir.
a ^. ^ -^^
INTRODUGTION III
d*itrefort remarguahle d^d, et ce qui le
rend peut-etre flus curieux a etudter. ^
Nous allonsjeter un rapide coup'd'ml
sur les divers genres de spectacles de
rOrient musulman^ avant de pr4senter
au lecteur les comćdies dont nous lui
offrons la traduction.
Pendant longtemps^ les ta zies ^> <m dra*
mes religieux de la Perse, ont ćU pres^
?ue ignoris du public europ^en. Les
)rientalistes avaient didaignć de s'en
occuper, et les quelques vqyageurs qui
en avaient fait mention, s'^taient bornis
d une description rapide de ces specta-
cles. Pour la nugeure partie des lecteur s
europeens, le petit volume de M. A*
Chodiko ^ aitć une rivćlation.
Cependanty dans son remarauable ou^
vrage sur les religions et les vMlosophies
dans VAsie centrale ', M. le comte de
t. Le mot ta'!(t€ signifie, en arabe, condol^n-
cea, Uunentations sur U mort de quelqu*un.
2. Thedtre persarit choix de tćazićs ou drames,
traduits pour la premi^re fois du persan, par
A. Chodzko. Pariš, Ernest Leroux, 1878.
3. l^s religions et les philosophies dans VAsie
centrale, par M. le comte de Gobineau, ministre
de France a Athenes. Pariš, Didier, i863| p. 405
et suiv.
IV INTRODUCTION
Gobineau s'itait dćjit occupć de ce sujet
et U nous avait donnć une traduction
pleine de vie et de couleur d'un mystšre
persan « Les noces de Kassem. »
Un fait a noter tout d'abord, c'est que
ce mouvement dramatique est r^cent en
Perse : U remonte d peine aux premišres
annćes de ce stčcle, ou a la fin du stide
dernier. Mais, avant d*examiner les
ta\ičs aupoint de vue de la forme litti'
raire, U nous /aut rappeler rapidement
les ćvenements historiques aui enforment
le thčme et le sujet invariables.
Mahomet itait mort sans avoir disigni
son successeur. II n'avait point de fils. 11
ne laissait qu*une fillcj Fatima, quil
avait mariee a son cousin Ali, fils d'A-
bou-Talib, lepremier Arabe qui eUt em-
brassi la foi de V Islam ety ae tous ses
discipleSf le plus ardent, le plus ginć-
reux, le plus devou^. Le principe dhire*
ditć plaisait peu d la race arabe et^
malgre quelques hćdis * inventćs apris
coup, Mahomet ne parati pas avoir songć
d assurer le khalifat a sa famille. En
i. Trađitions concernant les paroles ou les ac-
tes du Prophčte.
INTRODUCTION
tout cas, ce que Mahomet avait bien sou"
vent affirmi^ c'est sa vive affection pour
son cousin^ la haute estime qu'il avait de
ses vertus et de son courage. II levlaqait
aU'dessus des autres Ansars ^ et nenfai*
sait pas mystčre. Si la parentć du Pro^
phčte rietaitpas auxyeux des Arabes un
titre suffisant d sa succession. Ali pou^
vait certatnement y pretendre par son
propre marite. Cepenaant, ^uana Maho-
met mouruty ce nestpas Alt qui hiriia de
sonpouvoir : il ne monta sur le trćne du
khalifat que vin^-trois ans plus tard, en
ran 35 de Vhćgire, aprčs les rčgnes dA-
bou-Bekr, d'Omar et d^Osmdn.
Ses partisans ćtaient asse^ nombreux,
mais^ le caractšre de leur chef itait
peu fait pour lui assurer le succčs.
Ali riest pas un de ces Arabes des pre-
miers temps de rislam^ ardents sans
doute dans leurfoi religieuse, mais plus
ardents encore au pillage des infidčles :
c'est un vćritable chevalier du Moyen^
Age^ un preux qui ne consulte que Dieu
et SQn honneur, il y a dans les Prairies
d'or *, un portrait d'Ali trčS'-curieux et
1. Compagnons de Mahomet, et sea frčres d'ar-
mes dans ses combats contre les Arabes ido-
IStres.
2. Ma^oudi, Les Prairies <Vor^ texte et traduc-
lion par M. Barbier de Meynard (les trois pre-
miers volumes en coUaboration avec M. Pavet de
Courteiile), tome IV, p. 441 et suiv.
VJ INTRODUCTION
trčS'bienfait. Maqoudi est favorable aux
Aliđes; peut'^tre mime n'est-il au foni
qu'un cniite * đćguisi, tnais, leportrait
gu'il nous trače du genđre du Prophite
est trop vraisemblabte pour ne pas Stre
vćridique* Ce chapitre de Maqoudi jette
une vive lueur sur Vhistoire de ces temps
troublćs; on comprend facilement, aprčs
tavoir lu, pourauoi Ali eut si peu de
fortune aupršs aes Arabes etpourquoi il
en eut une si merveilleuse auprčs des
Persans. C'est aue^plein d'id^es ginćreu*
ses et de tenaances mystiques ^» il ne
pottvait gušre stre cotnpris des Arabes
de son 4poque. Maqoudt nous le montre
prioccupi sans cesse de la vie future et
d^dđigneux des richesses de ce monde,
poursuivipar une pensie m^lancolique et
par le pressentiment de sa fin malheu*
reuse. — € O monde^ disait-il ^ sćduis
trn autre aue moi! Est-ce moi que tu peux
attaquer? Que me font tes sšducttons?
Va^fuisloin d'ici! Ton heure n' est pas
encore venue. Je te ripudie trois fois
(formule du divorce) et sans retour.
I. Chiite, sectateur d*Ali : les Chiites regardent
Ali'comme le Ugitime hćritier du proph^ce et re-
jettent, comme usurpateurs, les trois khalifes,
Abou-Bekr, Omar et Osmfin.
a. On sait que c'est Ali qui inventa, pour ainsi
dire, Tejplication allćgorique du Coran, doat le
Uvre saint a si souvent besoin.
3. Prairies d'oTj p. 447, t« IV.
INTRODUCTION VII
Brčve est ta vie, mi$4rahle$ sont tesjoies,
epMmdres tes honneurs! Hćlas ! que les
provistons sont insuffisantes pour un
Tfo^age aussi long, d travers ae si hor"
ribles solitudes. » Toute la poesie reli"
gieuse des Chiites et le quićtisme des
Soufis persans sont en germe dans ces
ćloquentes lamentations, Ces mSmes idćes^
nous les retrouverons exprim4es jplus tard
en vers magnifiques par Sa' adi ^ ou par
Hafij(>
Troisfois icarti du khalifat, A li ny
parvint enfin^ que pour se a^battre pen*
dant tout son ršgne entre la mauvaise
foi, Iđpre ambition de ses adversaires^ et
Vindiscipline de ses partisans*
Apršs quatre ans d'un pouvoir prć^
eaire, il tomba sous le poignard d'un
assassin^ dans la grande mosau^e de
Koufa* Les haines jćroces qui Vavaient
assailli lui survicurent et s acharnčrent
sur safamille, apršs sa mort.
Ali laissait deux fils, Haqdn et Ho-
dim Latnć^ Ha^dn^ etait un prince d'un
I. Le monde, 6 mon frčre, ne reste a per-
sonne : n*attacne ton coeur qu'au Crćateur du
monde, — Ne mets pas ton soutien et ton appui
dana la puissance de ce monde, car il a dej^
nourri et tuć bien des gens comme toi, — Quand
Vkmt pure veut quitter cette demeure, qu*importe
de mourir sur un trdne ou sur la poussi^ref
Sa^adi, GnUstan, Uvre I, p. i5 et i6 de Fćdition
de Semelet.
VIII INTRODUCTION
caractčre doux et faible : U aima mietuc
renoncer <ž un pouvoir si vivement disput^,
et dont le potds ćtait trop lourd pour
lui. Cette renonciation ne tui sauva metne
pas la vie, U mourut d Medine, en Van
4g de VHćgire, empoisonne, dit-on^ sur
tor dre de Md*avia/par safemme Dja^di,
fille d'Achat.
Hocč'in avaity de son pšre, la bravoure
et Vaudace^ avec ces idies gišnireiLses
aut paraissent avoir ćt4 hćreditaires dans
lafamille d*Ali. Quand le premier /eha-
lite Om^Yjrade mourut, en Van 6t de
IHegire, il releva le drapeau desAlides
et refusa de reconnaitre Yč\id, fils de
Mo'avia. Un certain nombre d'habitants
de Koufa ^ s'etaient dćclaris en faveur
de Hocšin, et celui-ci avait envoye dans
cette ville Moslim-b^n* Okati, son cousin^
pour rechauffer et entretenir le :[šle de
ses partisans. Puis, il s'etait mis en
route, a son tour^ avec toute sa famille
et unejaible escorte. Mais, la revolte fut
ecrasee dans Voeuf; Moslim-bhi- Okati
fut massacre^et Koufa etait aux mains des
partisans de Yš:[id pendant que Hocčtn
cherchait encore h atteindre cette ville.
Ni la nouvelle de cet echec, ni les exhor'
I. Ville de riraq arabe (rancienne Chaldće).
Cette ville, qui est situee sur la rive droite de
TEuphrate, fut bfitie par Sa'ad, fils d'Abou Vac^-
qas, genćral d^Omar, aprčs la bataille de Kadecie.
INTRODUGTION IX
tations de ses amis ne purent Varreter :
U s'obstina d marcher au devant de sa
perte, pour ne pas se soustraire d ce qu*il
considerait comme un devoir, II fut re-
joint dans le dćsert de Kčrbšla * par les
cavaliers d'Ibn-Ziad que Yč^id avait en«
voyšs d sa poursuite. Cemćs par eux, i
peu de distance de VEuphrate dont Us
apercevaient la rive, Hociin et sa petite
escorte souffrirent les tourments de la
soif, avant de pirir sous le glaive de leurs
ennemis. La tete de Vlmamfut le don de
joyetix avšnement du khalife d son peU'
pie. Avec Hocčtn pirirent presaue tous
les descendants du vrophite et a* Ali, et
^armi eux, A li-Ekier, fils atnć de Ho^
cč'tn. Lesfemmes furent trainees en es*
clavage. Šeul, Vimam Zim-čl^AbidUn/ut
ćpargne, par pitie pour sa jeunesse. C'est
te petit'fils de leurprophdte que les Ara-
bes partisans de Vš^id venaient d'assas-
siner.
Lafamille d'Ali reprćsentait le droit;
elle reprćsentait le principe dhšrćdite
tnćconnu par les Arabes, et si cher aux
I. Dans riraq arabe, sur les bords de l*Eu-
phrate, k peu de distance de Koufa, et au sud de
Bagdad. La ville de KčrbMa compte auiourd*hui
environ i5,ooo habitants : elle est visitee chaque
annće par une multitude de p&lerins chiites qui
se rendent ćgalement a N^dičt, ou est le tombeau
d'Ali. Le territoire de Kčrbela est la terre sainte
des Chiites, et beaucoup s'y font enterrer.
1*
INTRODUCTION
Persans ; elle itait vaincue et persdću^
tće; enfin, elle avait ces tendances mystU
qtie$ dont nous avons parli, Repoussće
par les Arabes, elle fut adoptie par les
Persans, La Perse, qui n' avait accepti la
religion mmulmane que parče gu'elle
ćtait, mirne avant la conqu&te arabe,fa»
tiguSe et dćtachie de la religion de Zo-
roastre, la Perse enti^e embrassa avec
ardeur la cause des vaincus de Kšrbila.
Elle avait, d'ailleurs, une autre raison
pour considerer cette cause comme la
sienne : Hocšin avait ćpousć la fille du
dernier roi sassanide, devenue musuU
mane, sous le nom de Om^Lšili, ^ et c*est
de cette union (ju'etait nć Ali-Ekb^r.
HocčUn riunissait done sur sa tete les
droits au khalifat et les droits d la cou'*
ronne persane. La Perse se fit A Ude
presgue tout entidre, et se cria une reli'^
gion nationale en face de celle du vain^
queur, L'ćtiquette resta musulmane, mais
ce fut bien une religion nouvelle, avec
tout le fond de la vieille mjrthologie
persane qui vint s'y ajouter. Le grand
schisme musulman hait consommi : la re-
ligion chiite ćtait fondie. ^
Unefois devenue chiite, la Perse se
voua, de tout cosur, au culte d'Ali et de sa
fatnille. On peut dire, sans exagdration,
I . Le nom persan de cette princesse est Bibi*
Cheh&r-Banou.
INTRODUGTION XI
qHe ćest le Chiisme qui a tenu lieu de
patriotisme aux Persans. A force de
Vexnlter, la Perse ćleva le gendre du
Propkčte au dessus de Mahomet luimštne.
Ali depint provhčte, dson tour, et lapro^
ph4tie fut dćclarće hćrćditaire dans sa
Jamille. On fit plus encore : une secte
persane fit de lut un dieu ^
» ¥
Ce sont les evinements que nous venons
de raconter, et qui forment^ en quelque
sorte, le martyrologe d'Ali et de safa-
mille, qui sont le thime in^puisable et
invariaHe des ta\ičs.
On a comparćf et avec raison, les ta*!(iis
persans aux mystčres qu'on reprćsentait
ch€\ nous au xui* et au ziV* siicles. La
ressemblance est parfaite : mirne fond
religieux, memes id^es, et aussij mirne
f . Cćst la secte des Ali^AUahis qu] est d'ail-
leurs tout a fait hćtćrodoxe. Les Ali-Allahis ha-
bitent quelques villages aux environs de Qoum
et de Qachdn; leur centre principal est entre
Kerman-Chah et HamadSn. Elisee Reclus les
place un peu plus au nord-ouest de Kertnan-
Chah. II est a remarquer que les Ali-Allahis sont
surtout de race touranienne et qu*ils vivent au
milieu de populations turques, fait assez cu-
rieux, car les Turcs sont genćralement sunnites.
Voy. Giogr, universelle, tome IX, p. 201.
XII INTRODUCTION
insouciance des rč^les. Ils n'ont aucune
pretention dramattque et ne sont^ d pro^
prement parler, auun exercice reli^
gieux, un moyen de se r^unir, de repre^
senter cl la vue des fidčles,et d'une manišre
frappante^ les dogmes de la religion
chiite. Te I etait, du tnotns a Vorigine, le
but unigue des ta\Us, car aujourd hui, ils
tendent a devenir un spectacle purement
dramatique, Ce n'ćtaient d'abord que des
cantiques, chantćs čl Voccasion du mar-
tyre de HocHn, lejour anniversaire de
cet ev4netnent. Peu cl peu, le spectacle a
grandi; Vaction a prts corps; le drame
est ne. Aujourd'hui^ le drame estpresque
entišrement ćmancipe; les chceurs, les
danses et les predications neformentplus
que Vaccessoire du spectacle, Vaction se
trouve encore renfermee dans les gran-
des lisnes de Vhistoire chiite, mais, elle
tend ae plus en plus d en sortir, et le jour
n'est pas loin, peut Stre, oti elle sera
complštement degag^e de toute attache
religieuse. En outre, les representations
qui avaient lieu d*abord a date fixe, dans
un but nettement defini d' anniversaire et
de commemoration, ont lieu maintenant
pendani tout le mois de Moharrem, les
deux mois qui suivent, et mime d toute
autre epoque de Vannće ^ La date du
I. Par exemple, pour la guerison d*un malade,
l'accomplissement d'un voeu« etc.
INTRODUCTION XIII
IO de Moharršm est seulement riservie
d un ta\U reprisentant la mort de Ho-
cšin.
Les c^remonies qui pr^cčdent le spec-^
tacle dramatigue, et aont quelqueS'Unes
sont si curieuses et si itranges, ont 4t4
d^jd raconties plus d'une/ois ; notis ren^^
vqyons le lecteur <ž Vintroduction du
petit volume de Af. Chod\ko \ et surtout
d la saisissante description de M, le cotnte
de Gobineau *• Čest le drame lui-mSme
qui nous intiresse, et c'est de lui seul que
nous nous occuperons ici, Nous nous bor*
nerons done d donner les indications les
plus indispensables sur la disposition de
la salle et de la scčne, sur les acteurs et
sur le public,
Le tn^dtre, ou tdkič, est construit gine-
ralement en forme de cirque : la scčne
se trouve au centre, sur une plate-forme
peu ćlevće qu'on appelle le sakou. // n'jr
a pas de rideau : les acteurs sont, pour
ainsi dire, mSlćs aupublic qui les entoure.
Autour de la salle, se trouvent les loges
destinees aux grands persomtages, ou re-
serveeSf dans le tčkič royaly auxfemmes
du Chah; en ce cas, ces loges sont grillees
et cachees par une broderie djour.En
face du sakou, du cote opposć a la loge
1. Thedtre persan, introduction.
2. Religions et philosophies dans VAsie cen-
trale, p. 384 et suiv.
XIV INTRODVCTION
frinctpalBj se trouve une sorte d'amieoce
de la scdne, le tadpnema, oU les ferson^^
nages du drame sont expo$ćs aux re«
gards du public. Les acteurs vont et
viennenty du sakou au tadj-nema, pat
un petit chemin. menag^ au mUieu des
snectateurs; souvent memef ilsse parlent
aun bout d Vautre du t^kič, sans que le
public soit ckoque, le moins du monde^
de ces invraisemblances,
La convention est tout au thidtre^ et
jamais cette verit^ n'apparut plus clai^
rement que dans les ta\Us persans* Nul
souci de la couleur locale^ ni dam les dš^
cars qui riexistent, pour ainsi dire, pas,
ni dans les costumes qu*on recherche seu-
lement riches et brillants. Un bassin de
cuivre rempU d*eau, et pas4 au milieu du
sakou, sert d figurer VEuphrate : cmnme
on le voit, rien n'estpluS primiti/ fue la
mise en scšne, D'aifleurs^ la com>ention
app€n'ait partout dans les ta''!(iis: €*est de
lapaille ndchie que les acteurs repandent
sur leur tite^ en gttise de poussiire, aux
moment s pathetiques. De mirne, par une
fiction naive, les membres de la famille
de Hocšm ne quittent pas la scene oU ils
sont regardćs comme cemes et emprison*
nes par leurs ennemis : quand ils ont
termine leur role, Vaciion continue čl cote
d'eux, comme s' ils n*^tatentpas Id.
Les acteurs sont sans pretention : ils
jouent pour euX'mSmes autant que pour
INTRODUCTION XV
le pubtiCj et sepUssionnent cotnme luipour
le drame gu'ils reprisentent ; iissont p^
n^trds de leurs rčteSt ^u point de pleurer
de vraies lannes et de pousser de vrais
sanglots '. Ilsforment une sorte de a^'-
poration didaignie des hautes classes,
ditestše du clergi qui est hostile aux
ta':{ičs etjaloux de Vimportance au'aprise
cette cirimonie en dehors du aute rćgu^
lier; mais, en revanche, Us sont les en*
fants gdtćs du peuple, Tel acteur ap^
plaudi h Tihirdn est, aussi bien qu*d
Pariš, Vidole du public. Les rćles de
Jemmes sont tenus, et trčs4fien tenus, par
desjeunes garfons. Chacun se nomme en
entrant, ou sefait annoncerpar un crieur.
U y a encore un personnage aut est
partout, d tout moment^ bien quil soit
mutile d Vaction : c'est le directeur, ou
plut6t le mattre, le patron (oustad). Ćest
ta ckeville ouvriire, le f acteur indispen*
sable d la bonne tenue du spectacle; U
est tout et tout a la fois : souffleur, r4*
I. Cette passion religieuse, poussće ju8qu*i
rinsensibilitć de la douleur phy8ique, n'est pat
chose rare en Orient : on sait que les adeptes de
plusieurs sectes musulmanes s'infligent toutes
sortes de torturea avec une sćrćnitć et une im-
passibilitć completes. Ce qui nous aurprend da-
vantage, c'est de retrouver une partie ae ce fana-
tisme dans les mvsteres religieux qu'on joue
encore k certaines epoc^ues de rannće en Baviire,
a Bayreuth, aux environs de Naples, et mirne
dans le Midi de la France, a Niče notamment«
XVI INTRODUCTION
gisseiir , directeur, acteur, kabilleur
mSme au besoin, et souvent, auteur du
drame. Par une convention nouvelle et
curieuse, ce personnage si actifet si
encombrant est censć Stre invisible pour
lepublic, bien qu'il ne quittepas la scine,
rfous avons dit que les Fersans n'at*
tachent pas dHmportance d la vSrite de
la mise en scčne : mais il est un point
auauel ils tiennent beaucoup : c'est la
richesse et I a magnificencedes costumes.
La salle meme des tškičs est dćcoree avec
un luxe tout asiatigue : les etoffes les
plus prScieuses, les armes les plus an-
ciennes et les plus rares, tout ce quipeut
iblouir les yeux et frapper les imagi-
nations, est prodiguć a jprofusion et d
plaisir. Comme chaque ville, et souvent,
chaque auartier d'^uhe ville a son tškič,
on rivalise de luxe et de ma^ificence ;
en outre, c'est faire ceuvre pie et mćri-
toire que de contribuer par ses dons d la
reprćsentation d'un ta\ti. De ce carac*
tšre religieux des drames persans, il re-
sulte que Ventrće des tikišs est absolument
libre ; le derviche en haillons y coudoie
le riche nćgociant ou Velegant mir^a,
sans que personne songe d s'en ćtonner.
La representation est precedće de can-
tiques et de pričres, de danses dont Vori'-
gine remonte peut-itre d la plus haute
antiauitCj et enfin^ d'une con/erence, ou
plutot) d'^une predication sur le sujet du
INTRODUCTION XVII
ta\id. Ces pr^dications sont faites ordi'
nairement par des Sć'id-Rouz^Khan ^ qui
forment, selon l'expression deM, de Gobi-
neau, une sorte d^eglise libre et interlope^
d coU du clergi ćtabli. De mirne, au
XIV* sišcle, un tecteur plaqe sur le thćd-
tre lisait, avant cha^ue scčne des mjrS"
tčres, le texte des Samtes-Ecritures aoU
cette scdne itait tirće. Ce sermon prilu
minaire est, sans doute, une des causes
ui maintiennent encore les ta':(ičs dans
es limites d'un spectacle purement relu
gieux. Lejour oU cette institution dispa-
rditra, Vimagination des auteurs pourra
se donner carričre plus librement, et on
assistera, peut-Stre, d Veclosion d'une v^-
ritable litterature dramatique. C'est ce
qui s'est produit che\ nous, guand le lec"
teur ecclisiastique a 4tć supprimi. Le
drame cessera, peut-itre alors, d'Stre un
simple enseignement, et comme le com-*
mentaireanimi d'une traditionreligieuse,
Mais, cette trans/ormation est-elle bien
disirable? En perdant son caractčre re-
i
i, Ces Rouze'Khan se disetit descendants du
Prophčte et d Ali, et c'est a ćela qu*il8 doivent
le plus dair de leur popularite. Ils sont quelque-
fois auteurs de ta'zies et mćme acteurs. fl y a en
Perse une infinitć de pretendus descendants du
Prophčte; d^ailleurs, le fait seul de la naissance
ou de la conception pendant le pelerinage de Ker-
bčla suffit pour donner droit au titre de sčld,
surtout si 1 enfant est ne un vendredi.
XVin IMTRODUCTION
lighux, U drame ne perira-tHl pas de
sa/orce et de son influence? uejd, on
eammence i sortir du cadre prhnitif; le
martvre de Hoci'in et la catastrophe de
Kdrbčia ne st^sent plus d alimenter le
ripertoire des td^iUs. On a Spuisć tous
lesfaits kistoriques et Ugendaires qui se
rattachent directetnent d lapersonne des
imamSf et les auteurs commencent d gref-
fer sur cesfaits trop connus, et trop peu
wmbreux, un certam nombre de ligendes
dont le lien est parfois tris^ldche avec
'action premije des ta\Us. On commenee
i inventer; on donne, sous forme de pro^
logues, de vdritables kors'^aceuvre drama-'
tigues dont le ton trancke souifent avec le
reste de la pUce, Ces essais sont accueil"
Us avec plaisir par les Persans, dont l'eS"
prit est ouvert a toutes les tentatives lit^
tiraires} mais. Us sont loin de faire
sur eux Veffet prodigieux et magniti^ue
que produisent sur tous les Chiites le stm*
ple recit du martyre des A Udes.
Ce qu*on remarque, avant tout,dans les
ta\Us, c'est la simplicite du stjrle, la
naHvete et la monotonie poćtique de la
langue. Cette simplicite est d'ailleurs
toute relative : la langue des ta' li^s parat-
tra encore bien fleurie et bien imagee d
VEurop4en qui est ^tranger aux finesses
et aux subttlitćs de la poćsie persane,
Mais, aux passages pathetiquesy rauteur
trome parjois des expresstons emuesy et
INTRODIKrriON XIX
des idies d*une đSUcatesse ckarmante
Ces drameSf đant les auteurs sont incon^
nus et presque toujours sortis đu peufle^
respirent une pohie vreUment sincire,
bien supirieure aux finesses ordinaires
despočtes de cour. On sent, en les lisant^
que l'auteur est touchć vivement des souf*
jrances qu'il raconte^et c'est cette pensie
commune qui cr4e entre le spectateur et
lui un courant de sympathte et d^imo*
tion.
II ne faut pasjuger les spectacles relu
fieux de la Perse modeme d'^apršs les
tdies quon sefatt d'un drame en Europe.
L'auteur n'a nul souci de la viriti histo*
rique et les anachronismes ne reffiraieni
nullement, U ne reste mirne pas totšjours
dans les limites du monde reel et il ne se
gSne pasy par exemple, pour fairć appa-*
rattre sur la scine l'ombre dAli ou la
tete coupie de Hocš'in. Ce sont lit, d'ail'
leurs, des licences qui ne sont pas incon^
nues d r Europe et que d'ilhtstres ezem^^
ples ont ligittmies.
Les spectateurs persans sont trop imut
et trop convaincus^ eux*mSmes, pour s*a^
percevoir de ces invraisemblances. Si le
viritable critirium, pour juger un spec^
tacle dramatique est d*examiner l'effet
qu'il produit sur les spectateurs^ on ne
peut contester la valeur des ta':(ičs. II
n'est fos un Persan, le plus blasi et le
plus incridule, — car il r a beaucoup de
XX INTRODOOTION
libres'penseurs, mSme en Perse, — qui
puisse assister a ce^ reprćsentations sans
subir Vćmotion la plus violente et la plus
sincšre. C'est qu'aux yeux des Persans,
Hoci'in ne represente pas seulement Vi-
dće religieuse, si puissante dejd sur l'es"
prit des Orientaux : U est encore Vincar'
nation de la patrie persane, la protesta^
tion vivante et etemelle du droit contre
la/orce, du vaincu contre le vain^ueur.
Et puis, avec son temperament artiste, le
Persan se passionne facilement pour le
beau; son enthousiasme atteint alors un
degr4que VEuropćen a peine d se figu-
rer, Toutes ces raisons reunies ont Jait
le succčs immense des ta'^iis. Ce succšs
et cette influence, tous les vojrageurs
s'accordent d les reconnaitre et plusieurs
avouent qu*ils ne pouvaient se defendre
d'etre imus, d leur tour, par Vhorreur et
la grandeur du spectacle.
Ce qui est remarquable dans les ta^^ičs^
en dehors de la grace et de la poesie
naives de la langue, ce sont les idees
mšnie quiy sont exprimćes. Ony trouve
un risunić curieux des doctrines reli-
gieuses du Chiisme, et rien ne montreplus
clairement combien la Perse moderne est
ćloignie du Coran. On est ćtonnć, par
exemple, de rencontrer dans les ta':{ies un
certain nombre d'idees absolument chre^
tiennes. Nous ne pretendons pas quHly
ait IcL une influenca etrangčre; nous
INTRODUCTION XXI
crojronSj au contraire, que c'est un r^-
suitat naturel de Vivolution incessante
de la doctrine chiite. C'est ainsi aue les
Persans en sont arrivis itfaire dAli et
de ses descendants comme une sorte de
Samte-Familie qui a souffert le martjrre
pour racheter les pćchćs des musulmans
chiites. Un des ta\t^s dont M. A . Chod^ko
a donni la traduction, en offre un cU'
rieux exemple. Ce drame^ tntituU cr Le
Messager ae Dieu » est d'une simplicite
remarquable au point de vue de Paction :
onpeut mirne dtre quHl n'y apasd'ac*
tion. En voici en deux mots le sujet.
L'Ange Gabriel vient annoncer d Ma-
komet les malheurs aut atteindront plus
tard sa/amille, et tui apprendre que le
martyre de ses petitS'fils rachčtera les
pćchšs des musulmans. « On les sacrifie
pour la rćdemption des peuples qui au'
ront embrasse Vlslamisme et afin aue les
fronts des martyrs soient etemeuement
radieux de la candeur des ilus d'Allah.
Si tu veux la rćmission des peches de ces
peuples prevaricateurs, ne foppose pas d
ce que les deux roses de ton jar din soient
cueillies avant le temps ^. » Mahomet
s'incline devant la volontć divine^ et il an-
nonce, lui-meme, lafatale nouvelle d Ali,
puis d Fatima. Celle-ci est d*abord tout
enti^re d sa douleur de mire; mais, elle
I. Thidtre persan, trad. A. Chodzko, p. 5.
XXII INTRODUCTION
cide bient6ty et se risigne d sacrifier ses
deux fils pour le salut des musulmans.
La douleur de Fatima est exvrimie d'une
faqon touchante. De mirne, aans un mys-
tire cčlebre ^ Marie repond d Jćsus qui
lui annonce sonprochain martyre :
A mes maternelles demandes
Ne foites que rćpoases dures.
et Jisus repond :
Accomplir faut les Ecritures.
Mais, le consentement de tous les inti"
ressis est nćcessaire : Haqdn et Hocčin
doivent accevter le sacrijice au'on extge
d'eux, Tandis que Fatima fait dresser
deux autels pour pleurer ses enfants, et
que les femmes des Bčni*Hachšm enton-*
nent un chant/unčbre, Haqdn et Hocčin
arrivent Vun apris Pautre, et avprennent
le sort qui leur est reservi *. i/5 se sou-
mettent sans murmurer d la volonti d*AU
lah,et regrettent seulement de nepouvoir
mourir ensemble et de la mirne mort.
Gabriel annonce alors a Hocčin que sa
mort rachčtera les peches des Chittes. II
1 . Le Myst&re des freres Greban.
2. Chaque personna^e, en entrant, fait les mS-
tnes q[uestions et re(oit les m6mes rćponses : la
simphcitć de Taciion eat remarquable.
INTRODUCTIOM XXUI
n'estplus question des Musutmans, mais
đes Chiites seuls. On voit combien on est
loin du Coran et quel chemin les Chiites
ont parcouru,
Ifous terminerons en signalant encore,
avec Videe messianique, un sentiment qui
nous parait plus chritienaue musulman :
c'est l'ardeni amour que les PersansprS-
tent d Ali et 4 Mahomet pour leur peu-
ple. Ali et HocčUn donnent leur sang
pour le salut des Chiites, comme J^us.
donne le sienpour le salut des Chrćtiens.
Par la po4sie tendre et presquef4minine
dont leur religion est tout imprćgn^e,
les Chiites sont^ en quelque sorte, les ca*
tholiques de V Islam, tandis que le Sun-
nisme, plus austšre etplusjroid, attachi
4 la lettre du Coran^ est une sorte de
protestantisme musulman.
Nous venons de voir que dans l'Orient
musubnan, le drame n'est connu que de
la Perse seule, qu'iljy est ne spontanć-^
tnentf en dehors ae toute influence 4tran-
g^re, et qu'il tend, đejour enjour, a sor-
tir davantage du cadre ćtrott des iddes
religieuses pour se rapprocher peu dpeu
dutj^penormal que nous connaissons en
Europe. Le drame persan est un produit
XXIV INTRODUCTION
đu sol iranien, et on ne trouve rien de
semblable che\ les musulmans non-chUtes.
Malheureusement, si du drame nouspas-
sons au genre comigue, nous constatons
une pauvreti d peu pris egale che\
toutes les populations musulmane^.
Si nous laissons de c6t4 les quelques
imitations despičces europ4ennes qui ont
vu lejour en Turquie ou en Perse pen-
dant ces derniires annies, nous sommes
obligćs de reconnattre que la comćdie est
encore d Vćtat embryonnaire dans tout
VOrient musulman et que, sous ce rap*
port, les ArabeSf les Turcs ou les Per^
sans n'ont rien d s'envier les uns aux
autres. La distance qui sipare les farces
des Persans ou des Turcs de la comidie
de mceurs europeennes est immense, et
elle riaurait pas et4 franchiede plusieurs
sičcles encore, sans le grand mouvement
auipousse les jpeuples de V Europe vers
tOrientf et qut porte, dans les r4gions les
plus recuUes de VAsie ou de VAfriaue,
les idies et les exemples de VOccident.
Quant aux raisons de cette infćrioriti,
elles sont multiples et elles sont toutes
bien connues, Le principal obstacle d
Vćtablissement de la comidie en pajrs
musulman, est la religion musulmane
elle-meme. Cet obstacle est moins grand
en Perse qu'en Turquie ou enpays arabe,
parče que le Chiisme est moins itroit que
I' Islam orthodoxe; mais^ en dehors de la
INTRODUCTION XXV
relipon, U y a encore bien des raisons
inherentes d la nature mSme et aux
mceurs des Orientaux, aut opposent une
risistance considirable a toutes les inno-
vations venues de VOccident. Aussi, le
thidtre comiaue est-il d'une pauvretd
absolue dans VOrient musulman tout en^
tier : U se r^duit, en sorntne^ d des repriš*
sentations de tnariormettes et d des far"
ce$ de trćteauK.
Les marionnettes remontent d la plus
kaute antiquitć et presque tous les peu-
ples les ont connues; seuletnent, elles
avaient d Vorigine un rćle s4rieux d
jouer : elles figuraient surtout dans les
fites et lespompes religieuses. Plus tard,
d Athčnes par exemple, les marionnettes
servirent d la reprisentation de vćrita-
bles drames : apr^s la dćcadence de la
tragedie grecaue, elles requrent les hon-
neurs du thiatre de Bacchus. Ce n*est
done que peu d peu qu'elles abandonnč-
rent leur rćle reli^ieux pour celui qu'el'
les jouent exclustvement aujourd'hui et
pour lequel elles semblaient avoir ćt4 in-
venties. Che:{ les Musulmans, cependant,
les marionnettes ont toujours eu la meme
destination : elles n'ont jamais servi,
XXVI INTRODUCnON
che:( euXj qu'i amuser le peuple et les
enfantSj grands ou petits* JLa raison en
est bien simple : c'est que le Coran inter-'
dit toute reprisentation de la figure hU"
maine, et U est mirne curietix que malf^e
cette dćfense, Qara^Gueu:{ att rćussi d
obtenir toute la popularitć dont U iouit
depuis si longtemps. Peut-itre^faut^lvoir
en lui une importation itrang^re^ On dit
bien que Oara-Gueu^ est la caricature
d'unvi\ir de Saladin; qu*il serait donc^
par consćquent^ d'origine musulmane;
mais, rien ne prauve qu'il n'existait
pas, mirne avant Npoque de Saladin, et
qu'il n'y avait pas alors d'autres tjrpes
que lui.
Le thidtre de Qara''Gueu:{ est peut'-
etre encore plus primitif que celui de
Guignol ou ae PoHchinelle. Une baraque
de planches enplein vent; aubesain mirne,
un coin de mur oU Pon tend une toile
blanche iclairie par derrišre, et le ihid*
ire est i tabli. Oara-Gueuz tient le milieu
entre nos marionnettes et les ombres chi-'
noises. La petite statuette mobile qui la
reprisente est faite de parties opaques et
de parties transjparentes diversement co^
loriies, de manišre cl offrir, selon Vex-
pression de Thiophile Gautier ^ a Vaspeci
I. CoKslan/Mopie, ptr Thćophile Gauti«r. Pa-
riš. 1 836, p, ifS. Ponr Phi8 de dćcs^iU sur Qara-
Gueuz nou8 renvoyons le lecteur a cct ouvrage
INTRODUCTION XXVII
d'un personnage de vitrail qu*on dita-
cherait de la verridre avec t armature de
plomb qui le circonscrit et le đessine ».
Limage est vue de profil avec un grand
ceil noir quiregarde deface. Cet ceu noir
est Vattribut de Oara-GueuT, comme la
bosse est celui de PoUchinelle; c'est cet
ceil noir qui lui a donnć son nom ^ et qui
le fait reconnaitre dupublic, sous ses di-
vers ddguisements.
On a remarquć avec raison que les hć*
ros de marionnettes incament en eux les
vtces et les qualit4s du peuple qu'ils amu^
senf : c'est comme un r^sumč poussi d, la
charge du caracthre et du temperament
national. Cette observation est vraie aussi
de Qara^Gueu\. Sans doute, tous ces A^-
ros de bois se ressemblent par certainS
cStSs : ils sont tous plus ou molns cyni*
qttes, plus ou moins fhnfarons, plus ou
motns poltrons; mais chacun a son ca-
ractire particulier, ses propres qualttis
et ses propres difauts. Oara-Oueu^ a plus
d*un trait de ressemblance avec Polichi^
nelle dont ilpossčde laverve railleuse,
le sans^eine et le cjmisme : il se moque
des mollas et des eadis, comme Vautre
se moque des juges et des gendarmes;
du maitre ^erivain ainsi au'au charmant Vorage
en Orient, de Gćrard de Nerval,.huiti&me^itioa.
Pariš, 1882, tome 11^ p. 192 et suivantes.
1. Oara^Oueuf, en turc^ c oftil noir >.
XXVIII INTROĐUGTION
mais, c'est Id un trait qui est commun
aux marionnettes de tous les peuples.
Dans tous les pqys, dans ceux surtout
qui sont soumis d un regime despotique,
on laisse i ces acteurs de bois une li*
berU relative; la censure ferme les
jreux sur les allusions politiques qu*ils
se permettent ; elle les laisse exprimer
tout haut ce que chacun pense tout bas.
Us deviennent alors comme le porte-pa^
role du peuple opprimš, et leurs attaques
contre te fnaitre, contre Vautoriti sous
toutes ses /ormes, ont d'autant plus de
faveur aupris du public que celui-ci est
tenu i plus de reserve et 4 plus de sou"
mission. Mais, ce qui est jparticulier i
Q(xra'Gueu\, c'est la grosstšreti, c'est la
licence extrime de ses plaisanteries et de
sesfaits et gestes. U est impossible de
dire honnitement 4 queldegre d'obscenitd
atteignent ses exploits les plus applaudis;
et tout ćela se passe sous les yeux des
femmes et des enfanis qui sont en majo-
riti pamti les spectateurs. II y a Id quel^
?me chose qui rivolte VEuropćen; mais,
es Orientaux entendent autrement que
nous ce respect dA d Venfance dont parle
le poite latin. Rien de tout ćela m les
choque, et ils s^amusent sans arri^re-pen^
see,lorsque Qara'Gueui renouvelle, sous
lesjreux de leurs enfants, les exploits du
Priape antiaue.
Čest en Turquie surtout que Qara'
>'
INTRODUCTION XXiX
Gueu\ est populaire; tnais, son domaine
s'ćtend 4galement d tEgyfte. En Perse,
U change de nom et de tournure : U s'ap-
pelle l&tchčl'Pdhl^đn, et U est chauve K
JCštckšl'Pšlivan est aussi cynique que
Qara^Gueu:{; mais, U Pest avec moins de
grossičretć et de lourdeur. II est aussi,
plus souple, vlus spirituelf plus leitrć : ti
diffire de Qara'Gueu\ comme le Per*
san dvff^e du Ture,
Un autre c6t6 trčs»remarquable du ca^
ractšre de K^chčl-Pčhlčvdn , c'est sa
fausse d4votion et son hjrvocrisie reli-
gieuse : il cache, sous des aehors divots^
son scepticisme et son incredulitS. Sous
ce rapport encore, Kštchčl-Pihlčvdn est
le portrait fidčle deplus d'un Persan.
«
II y a une autre forme de specta-
cle comique, qui se rapproche aavan^
ta^e de nos comćdies de mceurs ou
d'intrigue que les representations de
Oara'Gueui ou de KetchihPihlčvan :
I. Ketchel'Pehlevdn, en persan, c hćros chauve,
guerrier chauve >. Le mot Kčtchel est un mot
turc-oriental qui a passć en persan : il signifie
spćcialement c teigneuz » et, par exten8ion,
« chauve n,
2»
XXX INTRODUCnON
c^est la tčmacha ou teqlkl ^ "espiee đe
sqynčte it deux ou trois persormages^
analogne aux farces de nos Jbires. Ce
spectaele est asse\ ancien dans tout VO*
rient musulman et surtbut en Perse;
mais, M. Choddso nous parait mecounai-
tre les lois de Vćtymoloeie et le timoi^
gnage de Vhistoire guanail ckercke dans
le nom metne de la Perse (fars) l'origine
des « epistolce farsitof » des latins K
D'ailleursy sous sa forme actuelle, ce
spectaele n*est peut-Stre pas aitssi anciem
gu'on le croit. Đe mirne que le ta'ziš s'est
greffi peu d peu sur des danses aun ća^
ract^re religieuxet Hturgiquey dememe^
la temacha parait avoir eu paur origine
des danses lascives et des ckants amou'-
reux. Du temps de Chardin, le dialogue
n*existait pas encore, et le voyageur le
dit en propres termes : « Les musiciens
et les aanseuses sont les mimes ou les^ co^
mediens des Orientaux, ou pour mieux
dire, ce sont leurs opera ; car on ri.yfait
que chanter des vers, et la prose n*entre
1 , Temacha : « spectaele » ; teqUd : « imita*
tion » ; ces deuz mots sont arabes.
2. L'ćtymoIogie de ce mot est connue. On sait
que ces sortes de spectacles ćtaient, a Torigine,
composćs dans ua latin mćlange de langage yul-
gaire : de la le nom de drames farcis qu'on leur
a donnes. Dante a ćcrit des farces mSlŽes d*italien,
de proven^al et de fran^ais. Us a subsiste dans
Tespagnol et Titalien « farsa ».
INTROmJCnON XXXI
point dans leui^s chanis *. > Ce serait
done A une ćpaque posth'ieure au x vit* siš^
cle que remorUeratt Vorigine de la tima^
eha telte que ntms la ećnnaissons aujour^
d*hui.
Voiei, d'apr^ Chardin, la description
d*utt de ces spectacles auquel il a^sista
en PersCf au mois de marš i6y3: on verra
me Vaction de la comddie 4tait encore
dans une piriode de formation. c Les
plus noupelles aetrices ouvreni la sc^ne,
jjui eommence par la description de Va^
mour, dont elles ddpeignent les appas et
Venchantemenž, et reprisentent ensuite
lespassions et la fureur, ce qu' elles en*
tremilent d'ćpisoaes, qui contiennent des
portraits de beaux garfons et de belles
filles, vifs et to^cbans au-deUt de ce qui
se pettt imaginer, et c'est Id d'ordinatre
le premier octe. On voit au second, la
troupe separće en deux choeurSj r^^-
sentant, lun, les poursuiies d'un amant
p4ssionn^, tautre les rebuts đ'une fišre
mattresse. Le troisišme contient Vaccord
desamanSf et c*est lit-dessus que les ac^
trices se passent et qu*elles epuisent la
voix et les gestes. Les chanteurs et les
joueurs d'instruments sont debout aux
endroits passionnćs, et s'approchent d'el'*
I. Vo^ages duchevalier Chardin, en Perse,*ei
autres lieux de VOrient, nouvelle ćdition publiee
par Langles. PariSi iSii, tome II, |>* 207.
XXXII INTRODUGTION
les plus ou moins, auelguefois jusqu'dL
crier dans leurs oreiliespour les animer,
avec quoi elles sont mises comme kors
d^elles^memes et transportćes ; mais c'est
Id aussi oii les^eux et les oreilles en qui
U reste quelque pudeur, sont obliges de
se ditourner, ne pouvant soutenir^ ni
reffronterie, ni la lascivetd de ces der*
nters actes ^. t Les danseuses dont nous
parle Chardin^formaient alors une sorte
de Corporation dirigee^ selon son expres'
sion, par une superieure; mais^ elles
^talent ripandues aans tous les quartiers
des villes persanes. Ce riitaient, d'ail"
leurs, que de simvles courtisanes, la
danse etant pour etle le complement et
Voccasion de leur vremier mitier. Elles
štaient, pour la ptupart, fort riches, et
le bon Chardin s*etend avec quelque
complaisance sur le luxe de leurs vete-
ments, la beautć et le prix de leurs pa-
rureSf Vinormiti de leurs pretentions.
Peu nombreuses dans les provinces^ elles
atteignaient 4 Ispahđn, alors capitale du
ro^aume, le chimre enorme de quator^e
mille enregistrees. A cette ćpoque, la
danse et la comćdie n'dtaient exercees en
Perse que par des femmes ; on sait que
c'est le contraire aujourd'hui.
La tčmacha, ou tčqlid, n'a pas d'ori-
ginalite propre : c'est une far ce quelcon'-
I. Voyagede Chardin, p. 207 et suivantes.
^NTRODUCTION XXXIII
qtie jouiepar des loutis \ sorte de gens d
tout faire et comšdiens d^occasion, qui
vqyagent de ville en ville^ comme les
gens de nosfoires. II ny a dans la tč-
macha ni ršgles ni conventions : c*est une
improvisation qui suit la fantaisie des
com^diens, et qui varie selon leur verve
et leur talent. Comme le public de ces
spectacles est, en g^n^ral, un public peu
raffinš, les acteurs lui parlent un lan'-
gage vulgaire, bourri dejeux de mots et
de plaisanteries au eros sel. Mais, ce qui
importe surtout, čest Vaction, c'est le
geste poussS jusau'au comique le plus vil
et le plus bas. Pour grossir encore ces
effets, les acteurs se barbouillent ordi*
nairement le visage de far ine ou de suie.
On le voit : ce spectacle n'a rien de par-
ticulier d la Perse ou d tout autrepartie
de lOrient musulman; il est de tous les
pajrs et il merite d peine qu'on en
fasse mention. Cependant, il est regret^
tcdfle qu'on n'ait pas songe d, recueillir
certaines de ces improvisations, non cer^
tes pour leur valeur dramatique, mais,
parče quelles fourniraient sans doute de
curieux materiaux au philologue et au
folk-loriste. M. Chod\ko a donne, dans
I . Louti : litt. « sodomite, homme adonnć au
viče des compatriotes de Loth » ; mais, ce mot a
f>erdu aujourd'hui cette signification pour pren-
dre celle de « vaurien, boheme ».
XXXIV iNTROĐUCTlON
son ihedtre persan, le scAiario d'uhe de
ces bouffonneries ^, asse\ intćressante^ car
elle montre ce que sont les autresfarces
persanes du tneme genre. Gćrard de
Nerval rend cotnpte igalement d'un
spectacle analogne auguel U assista en
Eg^pte *. Mais, ce quHl faudrait re-
cueitlir, autant que possible, c'est le
texte meme de Vitnprovisation, tel qu'il
est sorti de la bouche des comediens.
Quoi qu*il en soit de la valeur de ces
bouffonneries, elles reflčtent toujours
avec fidelite le caractčre du peupfe qui
les ecoute et les applaudit. Dans la t^
qlid ćgy]^tienne, on retrouve le fouvre
fellah toujours exploiti et maltraite par
les agents du fisc et les usuriers; en
Turquie, la farce est plus grosse et d'un
comique plus intense, avec ce groš bon
sens dont on a un sp4cimen dans les plai-
santeries de Nasr^ed'din'Hodja *; dans
la tčmacha versane, la perversion est
plus projonde peut-itre, mais, Vesprit
' I . Thidtre persan^ introduciion, pages xii k %vr*
2. Vojrage en Orient, tome I", pages 365 i
367. Voir au8si» dans le tome II, pa^es 202 k 207,
du mSme ouvrage, une farce-comedie turque qut
contient une intrigue assez ingćnieuse.' Cette
derničre piece est d6]k une petite comćdie.
3. Voir le sottisier de Nasr-edcUn-Hodja, bouf-
fon de Tamerlan, traduit par Decourdemanche,
BruKelles, 1878, ou les Piaisanteries de Nasr*
eddhi'Hodjaf traduit par le mSme, Paris» Leroui
(Biblioth. orientale olićvirienne).
INTRODUCTIOM XXXV
est plus vi/ et plus alerte, la verve plus
gaie et plus naturelle, avec ce grain de
po4sie qu'on retrouve partout en Perse,
chei; le derviche ou le louii dćguenillćs,
comme che^ le inir\a ou le pošte de cour.
En somme, bien qu'elle ne mćritepas en^
ćore le nam de com^die^ la tšmacha prć-
sente quelques essais d'intrigue comiquey
une certaine somme d'observation, et queU
fues traits de caractčre pris sur le vif.
le n'est pas asse!{ pour qu*elle marite
ditre ćtudiiepar elle-meme, mais, c'est
assei^ pour qu*on puisse affirmer que le
sentiment de la com^die n est pas etran-
ger aux populations musulmanes.
Les deux comidies dont nous donnons,
ci^aprčs^la traduction^ nappartiennent 4
aucun des genres que nous venons d'exa'-
miner. Ce sont deux comidies de mceurs,
faites a Vimiiation de nos pičces euro^
peennes par un homme qui connaissait le
thšdtre europeen. L'auteur ne cache pas
la source oU il apuisi son inspiration et
sa mithode, et dailleurs, quand meme il
n'ert dirait r/e«, Varrangement de ses
com^dies sufflrait pour en dćceler Vori-
gine. Ce ne sont done pas des oeuvres
vraimerit originales, crešes, de toutes
XXXVI INTRODUCTION
piices, par un icrivain de ginie, Mtr^a
Fčtk'Ali rCa rien d'un novateur et, rć^
duit d luUmime, U n'aurait pas $ong4 ^
doter VOrient d'une nouvelle formule
dramatique, Mais^ parče qu0 notre au-
teur a emvruntć d t Europe la forme de
ses comMies, est^e une raison pour les
dćdaigner? Est'Ce que Rome n*a pas em-
prunte d la Gršce ses procides scšni"
ques? Plaute et Terence ont imiti
Aristophane, Et notre tragidie? nepro-
cide-t'elle pas directement dela tragedie
grecque? Les Uttćratures de tous les
peuples se font de mutuels emprunts^ et
ces emprunts sont toujours Ugitimes
quand ils sont utiles etfeconds.
Aussi, serait'il injuste de reprocher A
Mir\a Fitk-Ali son admiration quelque
peu ndive pour le thedtre europ^en et
Vimitation de nos procćdes sciniques,
Nous pouvons seulement lui demander
compte de lafa^on dont U a mis en om-
vre la matičre qu'il emploie. Si Vauteur
trouve en lui, et autour de lui, unfond
d'observation originale et sincšre, si les
personnages quil met en scšne sont bien
vivants et bien reels, son oeuvr^ vaut par
elle^meme, et on ne peut lui reprocher
d'avoir emprunte au-dehors le moule
dans lequet il Va couUe. Mais, si les
Orientaux ont raison de s'inspirer du
thedtre europeen, il est un ćcueil quils
doivent iviter avec soin, car il est d re^
INTRODUCTION XXXVIt
douter, c'est une imitation trop absolue
et trop servile de nos id4es et ae nos mo'
dšles. En nous empruntant la comćdie de
mceurs. Us doivent s'appliquer d rester
euK'tnimes : ce sont les mosurs de leurs
pays quHls doivent peindre, et les per-
sonnages quHls mettent en scine dotvent
ćtre turcs ou persans, plus que de nom et
de langage. Malheureusement, les Orien-
taux nont jpas toujours compris cette
viritć si ćvidente; Us nont pas vu que
Vosuvre de Vauteur dramatiaue est faite
avant tout de recherche et d'observation
personnelles ; aussi„ la plupart des com^-
dies turques au'on imprime d Constanti'
nople sont-etles sans la moindre valeur.
Nous verrons aue notre auteur a su M-
ter cet excis ae servilitć et que les per*
sonnages de ses comidies sont Jinement
observes et sincšrement dćcrits.
Min^a Fštk-Ali Akhond-Zadš i itait
originaire du Oaradja^Dagh * et^ comme
son nom l'indique,Jils d^un molla de vil-
lage ^. Entrć au service de la Russie, U
1. Akhond'Zade : c fils d*un Akhond ». Un
akhond est une sorte de thćoiogien de vili age,
qui reinplit aussi des fonctions administratives
analogues k ceiles d'un maire.
2. On donne le nom de Oaradja-Dagh, a la
montagne noire » & un massif montagneux de la
Mesopotamie, au sud de Diarbćktr.
3. Nous empruntons la plupart des dćtails suh
vants sur Akhond^Zade, soit k un article de
XXXyitI tHTRtODUCTIOK
parvint jusgu'au grade de capkaine.
C'est sam doute d Voccasion de sesfonc-
tions thilitaires qu'ii/ut appel^ au s4jour
de Tiflis oU U se trouva en relations avec
la colonie europšenne de cette ville. II y
avait ^ Tiflis un thedtre que le gouver-*
neur g4nćral WoronsQff avait fait cons-'
truirCf en x8^0ypour les pišces du r^-
pertoire russe et oii l'on repršsentaii
m^tne guelquefois des ceuvres dramati*
^s franfaises. Mir!{a F^tk-Ali assista
a ces repr^sentations, et U se prit d'une
belle jpassion pour le thšdtre europien^ U
se mit d Voeuvre aussitot et composa un
certain notnbre de com^dies dont voict
hstitres : i*> MoUa-Ibrahim, ou VAlchi^
miste; 2» Monsieur Jourdan, le botaniste
et le derviche Mčst-Ali-Cbab, le ceUbre
enchanteur; 3** le I>ivao-B^yi; 4" le Vizir
du Kh^n de Sčrab; 5° /'Avare ; o*> les Pro-
Curcurs; 7® une scšne kistorigue dialo-
gn^e qui sepasse sous le rigne de Chah'*
Abbas. — La guatrišme et la sixi^e de
ces comćdies sont celles dont nous don^
nons la traduction, ci-aprčs, avec guel^
ques changements dans les titres que
nous expliquerons tout 4 Vheuret
Mir^a Fčth-Ali Akhond-Zadš d ćcrit
M. Barbier de Meynard, publić dans la Revne
critique (19 marš i883), soit a la prćface que le
mSme Orientaliste a placće en tSle de ses Trois
comedies persanes. Pariš, 1886.
INTRO0UCTION XXXIX
ses comćdies dans trn dialecte du ture
oriental, le dialecte a:[čri, qui est parić
dans tout le nord de la Perse et dans te
Caucase russe, Ces comedies ont ite im-
primies i Tiflis^ en i858 : ellessont de-
venues extremement rares, et č'est d peine
si on en connait deux ou trois exefnplai'
res en Europe. Elles ont etć traduites en
persan par un certain Mir!{a-Dja'Jir
Qaradja'Daghi sur le compte duquel
nous allons pouvoir donner quelques dć*
tails biographiques. Sur la foi de ren^
seignements venus de Perse et dont on
lui avait garanti fautkenticitć, M. Bar^
bier de Mevnard avait annoncć la mort
de Mir^a'-Dja^fir ; mais, il a appris de^
puis que ce demier est encore neureuse-
ment de ce monde. Čest ce qui risulte, en
outre, d'une lettre adressće par Af, Sid-
nejr Churchill A la Sociitć asiatiaue de
Londres. D'apršs la lettre de M. S.
Churchill, Mir^a^^DjcCfir a aujourđ'hui
cinquante-quatre ans et il est loin de
possćder lafortune que la notice persane,
envojyee A Af. Barbier de Mejrnard, lui
avait libćralement attribuće. II ćtait, il
y a quel(jues annees, secretaire du
prince Djilal - čd- Din - Mir\a , auteur
d'une histoire persane fort curieuse et
trčs estimee enJPerse ^ Le prince, nous
I ^ Cei ouvrage potte Ić titre de Namef Khos-
rhfan, « le livre des rois ». II se compose đe
XL INTRODUCTlON
dit M. Sidnejr Churchill, avait envoyć ci
Akhond'Zadš, l'auteur de nos comidies,
un exemplaire de son ouvrage et celuuci^
en retour, avait fait hommase d Djdlal-
id-^Din-Mir^a de Vćdition de ses comć-
\ dies, en exprimant le desir de les voir
traduire enversan. Lon^emps^ les CO"
mćdies de Ann^a Fitk-Alt Aknond-Zadš
restirent oubliees dam le coin d'une ar-
moire^ ji/Lsqu'au jour oii le secretatre du
prince les dćcouvrit et les lut, Plein d'en-
thousiasme d cette lecture, Mir^^a-Dja'-
fčr voulut deferer au vceu de l'auteur
ture et U traauisit aussitot en persan la
comedie de /'Alchimiste qu'il prćsenta d
Djilal-čd'Dtn''Mir:{a, Le prince, charme,
Vencouragea d continuer sa traduction.
Les com&dies traduites en persan paru*
rent d Tćhdrdn, d diverses ćpoques, de
1871 d i8y4. Elles ont et^, d cette der*
niire date, riunies en un volume qui est
devenu presgue aussi rare que Voriginai
ture, de Tiflis, Malheureusement cette
ćdition lithographiće est peu lisible, et
elle contient un certain nombre de fautes
dorthographe,
La puhlication des comćdies persanes
trois volumes dont les deux derniers sont deve-
nus rares. C'est une histoire des rois de la
Perse depuis les Kčlanides jusqu*aux Qadjar8, et
cerite dans un persan dćpouillć de toutes loču-
tions arabes. Les trois volumes ont 616 lithogra-
phićs a Teherfin en 1868, 1870 et 187 1.
INTRODUCTION XLI
ne fut pas, parait-il, une bonne affaire
pour Mir\a^Dja*fčr : U y perdit le plus
clair de sa fortune. Son protecteur, le
prince Dičlal-ed^Din etatt mort, et le
pauvre Mir:{a erra pendant quelques an-
nćes d travers la Perse^ mćconnu et iri"
connUy desoU du peu de succšs d*une osu-
vre dont U s*exa^erait peut'Stre le mšrite
et Put Hite, La btenveillance des Orienta-
listes europćens doit le consoler un peu
aujourd'hui de Vindlffirence de ses com'-
patriotes. Mir^^a'-Djalfčr n'a pas connu
personnellement Mtr\a Fitk-Ali Akhond-
Zadš : U a ite seulement en correspoft"
dance avec lui et U a dćcouvert, d'aprčs
ce ojjCU a dit H M. S. Churchill, ^ue
rojpcier de Tiflis itait son compatrtote
et sonparent. 1 1 vit aujourd hui d Tehi-
rdn, avec safille au'ilcherit et d V iduća"
tion de laquelle its^est consacre tout en-
tier.
^ Nous nentrerons pas ici dans rexa»
men des comidies de Mir:[a FHh'Ali
Akhond'Zadč. Pour celles dont nous
donnons la traduction, le lecteur est le
meilleur juge ; guant aux autres, il faut
bien reconnaitre gu'elles ne valent pas
grand'chose. II est probable ^ue notre
auteur a procćde par une serte d'essais
successifs et que ce n'est que peu dpeu
qu'il est entrć en pleine jpossesston de son
talent. Nous crojrons mutile igalement
de discuter les thiories qu'il a ćmises
XLII INTRODUCTIOM
đans sa prdface et que le tradueteur jper*
san a reprises dans la sierme. Uaxiome
«c Castigat ridendo mores » est tris
contestMle et cette vdriti *- si c*en est
une — rencontre au^urd'htii bien des
scyptiques. Mir\a Fetk^Ali et Mir^a
Djafir ne sont pas de cetue-^lit, et ils
croient, de la tneilleure/bi du mopide,
a la portće moralisatrice de leur csum'e.
Čest Id une illusion dont U est permis
de sourire; mais, Venthousiasme sied
aux nćophytes,
Le Vizir du Khdn de Ldnk^rdn porte
un titre un peu dfffUrent dans f original
ture ; il est intitule : « Le Vi\ir du Khdn
de Sčrab ». Link^rđn est un changement
du tradueteur persan^ changement qui a
sa raison d'etre, car la setu loeaHti qui
porte le nom de Sšrab est un village d
peu prds inconnu et qui n' est pas situć
au Dord de la mer, Linkšrđn, sur les
bords de la Caspienne, au nord-ouest de
Rdcht, s^accorde bien mieux avec toutes
les exieences de Paction. Nous avans
done aaopt4 ce titre, qui est d'ailleurs le
plus corntu, Le Vizir de Lenkćrdn est,
sans contredit, la meilleure com4die de
notre auteur. Les caractšres des person-
nages sont bien observ4s; Vaction se d4-
roule avec ordre et clart^, sans trop 4e
maladresses, Certaines scines sont meme
trds piquantes, celles, par exemple, oU
t auteur nous montre la justiee exp^di'-
INTROĐUCTION XLIII
tm du KhSn, et fui sont charmantes de
verve et de gc&tiy guoiaue elles soient un
peu en dehors de laction. Les seuU
p&rsannages qui pritent quelque peu A
la critique, sont les amaureux des deux
comidies. Timour*Aga n*est gu'un/an-
faron ridicuie^ et A:[i^bey a un role
«sse\ e0acć^ Le st^ie du vi^ir de L^n^
kirm est vif et alerte : c'est le vrat
stjrJe de la conuersation. Seule, la ha-
rangut que Timour, devenu Khan,
adresse d, ses nouveaux sujets, tranche
asse\ malheureusement sur le ton g^nć-
ral de la pi^e; hdtons-'nous de dire que
ee beau morceau d'eloquence ampoulee et
prud'hommesque est une addition du tra^
ducteur persan : nous n'avons conserve
ee petit kors^oeuvre que pour donner
une idše du stjrle de cour et de chancel-
hrte,
La deuxišme comidie de notre recueil,
« Les Procureurs » est moins bien faite
que /e Vizir de Ldnkčrin. L'tntrigue est
encore asse{ ing6meuse;mais, Vexposi''
tion est lourde et le caractšre de quel'
queS'UKs des personnases est čipeine des-
sinš. II y a des malaaresses ividentes et
des ittvraisemblances nombreuses ^ommej
par exempie, la rapidit^ avec laquelle
Vauteur fait intervenir des personnages
qui sont peut-etre H Vautre bout de la
ville. Mms, le deuxUme acte, presque
tout entter, est excellent : c'est de la
XLIV INTRODUCTION
bonne comidie de tnceurs, Ce deuxišme
acte seul nous aurait decidi d traduire
toute la comedie.
La traduction persane de Mir^a^Dja*-
fšr est trčS'-Jidšle et tris-vivante : c'est
d'elle surtout que nous nous sommes servi
pour notre travail ^ Nous Vavons suivie
avec la plus grande fidćlitć, sans nous
croire oblige, cependant, de sacrifier le
sens čL la lettre au texte. Nous nous som-
mes permis seulement de retrancher un
certain nombre de jormules de politesse
qui encombrent parfois le discours et qui
seraient fasiidieuses en frangais, Toutes
lesfois que nous avons dit avoir recours
Cl une traduction unpeu libre, nous avons
rejete en note le mot d mot; nous avons
indiquć egalement les principaux passa*
ges oU la traduction persane s^icarte de
V original ture. Nous avons adopte pour
I . Nous avons emp1oyć pour notre traduction
I* les Trois comiaies persanes publiees par
MM. Barbier de Meynard et S. Guvard, texte
persan, avec vocabulaire, Pariš, 1856, pour la
comedie u les Procureurs 7>; 2* pour le Vizir de
L^nkčran, le texte persan de cette comćdie donnć
par MM. Haggard et G. le Strange. En outre, nous
avons eu recours a Tćdition compUte des comć-
dies traduites par Mirza-Dja'fčr (Tčhiran, 187 1 k
originale turque de Tiflis et la comparer a la
* traduction persane.
INTRODUCTION XLV
Vexposition des personnages, i la pre-
mišrevage des comidies, un ordre plus
mithodiaue que celui de Vauteur ture et
du traaucteur persan. Enfin, pour ren-
dre la lecture plus facile, nous avons
coupe les actes en scšnes, ce que F^th-Ali
avait nćglige de faire. Lit se bornent
tous les changements aue nous nous som^
mespermis. II nous Jaut encore deman^
der grace pour quelques mots un peu
vi/s, qui cho^uent Voreille des lecteurs
europ^ens, bten que nous les ayons adou^
cis autant que possible dans notre tra*
duction ; mats, Moličre ne se pique pas
toujours de parler comme d Vćglise,
Les comćdies de Mir^a Fštk-Ali
Akkond'Zadč riont probablement jamais
ćtijouies, ni a Tiflts ni ailleurs, et elles
ne paraissentpas avoir 4te trop bien ac-
cueillies des ćrientaux. Čest un rćsultat
auquel il fallait s'attendre, car de long-
temps encore, l'Islam opposera une bar^
ričre d peu pris infranchissable aux li'
bertćs et aux innovations venues de
rOccident, Peut-Stre cependant, la nou-
velle secte des Babis ^ dont le nombre et
I. Cette secte a ete fondće, vers l'annće 1843,
a Chiraz, par Mirza Ali Mohammed qui avait
alors dix-neuf ans. Čest au retour d*un pelerinage
a la Mecque que le Luther musulman commen^a
a attaauer Tlslam et a precher une nouvelle reli-
gion. Nous ne pouvons raconter, dans cette courte
note, toutes les pćripćties par lesquelles passa la
3*
XLVI INTRODUCTION
Vinfluence eroissent dejour enjour,four'
mra-Velle d Vart đratnatique le terrain
propice đont U a besoinpour se đivelopper
en Perse, li est dangereux de vouloirfro-
pMtiser; mais, les Persans sont gais et
spirituels; Us ont Vesprit natureilement
portć d la satire : U n'est pas impossible
aue la com^die s'implante cke:{ eux, sous
Vinfluence de f Europe. Quoiqu'il ensoit
de Vavenir^ les comedies de Mir\a Fitk'
Ali ont eu peu de succšs en Orient : elles
Douvelle religion. II nous suffira de đire au'elk
86 propagea rapidement dans toute la Perse^
Srllce^u zMe des missionnatres de Mirza Ah
iohflmincd, parmi les^uels il faut citerMoUaHo-
c^ia Đouchr^viy&» Had|i Mohammed Balfourou-
chi et une iemme Zerrin-Tadj, surnommće
Gourrčt-oul-ain, « la consolation des yeux. » II
ftLUt lire dans le bel ou vrage de M. de Gobtneau
« Les rtligions ct les philosopkies dans VAsie cen^
trale », le rćcit ćmouvant de la lutte que la nou-
velle religion soutint contre les armćes du Chah,
I a resistance acharnće des babis dans leur forte-
resse de Cheikh-Teb^i, leur inartyre et Tesćcu-
tion de Mirza Ali Mohammed sur les muraiUes
de Tauris. Mirza Ali Mohammed avait pris le ti-
tre de bab, « porte » parče qu*il se disait la porte
par oh les fideles devaient passer pour arriver k
la connaissance de Dieu : de \k le nom donne k sa
secte. Ce qu'U y a de plus remarquable dans le
babisme, c'est sa morale qui est celle de l'Occi-
dent. Le bab donne au mariaee et k la famille la
plus grande importance. H aoolit la polygamie,
interđit le divorce, supprime le voile, reieve la
condition de lafemme.Cettedouceur etcetteaffec-
tion pour la femme et l'enfknt, sont le trait le plus
cara'cteristtque de la nouveile religion.
INTROĐUCTION XLyiI
ont M mieux aeeueiUies en Europe*
MM. Haggard et Gujr le Strange ont
iamn^ aux iecteurs anglais la primeur du
Vizir de L^nkćrdn \ d*aprš$ la version
persane. Nous ne pouvons malheureuse"
metu pas appricier leur traduction on*
glaise; mats, le texte persan qu'ils ont
aoimć est triS''exact,
M, Barbier de Mernard apublU tout
derniirentent, en collaboration avec no*
tre regrettć nuAtre et ami, M. Stanislas
Guyardy le texte persan de trois des co'
midies de Mir^a Fšth-Ali, traduites par
Mir\a'I^cCftr ^. Letexte que MM. Bar-
bier de Meynard et S. Gujrard ont
donn^y a itć revu entišrement sur Vori*
ginal ture et enrichi d'un txcetlent voća'
oulaire. Ces comćdies sont un tršs cu-
rieux spćcimen du persan parić dont U
existesipeu de textes, et cette publica^
tion est de la plus grande utiHtć pour
rćtude de la langue moderne ^. Parmi
1. The va^ir of Lankuran, a persian p1«y, by
W. H. D* Haggard and G. Lb Strance. Londres^
2. Trois comedies traduites du dialecte ture
azeri tn persan, par Mirza Dja^ar, et publićes
d*apr^s rddition de Tćhćrdn, avec un glossaire et^
des notes par C. Baruer de Mevnard et S. Guvarđ.
Pariš, 1886.
3. Le rapport annuel h la Socićtd asiatique de
Londres contieat une la€onique mention de cctte
publication. L'auteur du rapport ajoute que cet
ouvrage ne scra pas d*une grande utilite pour les
XLV11I INTRODUCTION
ces trois com4dies, figure celle que nous
avons traduite sous le titre : t Les Procu-
rcurs » ; elle est accompagnee de « /'Ours
gendarme "• et de t. /'Alchimiste ».
MaiSt M, Barbier de Meynard ne s'est
pas borne a nousfaire connaitre la tra--
duction persane de Min^a-D^'a'fir : U a
đonne, aans le premier Jascicule du
Journal asiatiaue de cette annše, le texte
turC'đ:(iri de I Alchimlste, avec traduciion
franqai$e de cette comedie ^ En mirne
temps que cette derničre publication pa*
raissatt d, Pariš, M, Guy le Strange
publiait d Londres, dans le Journal asia-
tique de Grande Bretagne et d*Irlande,
la traduction anglaise ae la mirne come^-
die 2. // faut voir Idi, certainement, une
eleves et que Tediiion lithographiće de Teheraa
est preferabie> parče qu*elle a dan^ la forme et les
caract&resde Tecriture lecachet ofrćntal. Cette as-
sertioa est assez singuUere.Quiconqli¥a eu entre les
mains rćdition du Tćhćran, a pu se rendre compte
des nombreuses incorrections et de toutes les
difficultćs de lecture qu*eUe renferme. Comment
pourrait-on songer a en faire un instrument de
travail et d*apprentissage pour les eleves de nos
ćcoles? Čest la mćthode qui consiste a jeter
quelqu*un a la mer pour lui apprendre a nager.
1. uAlchimiste^ comćdie en dialecte ture az^ri,
traduite par M. C. Barbier de Mevnard. (Journ,
asiat.f janvier 1886.
2. The Alchemist. A Persian play. Translated
by Guy le Strange. (The Journal of the Royai
Asiatic Societv of Great Britain and Ireland. new
series. Vol. XVllI, part. I, for January 1886.)
INTRODUCTION XLIX
rencontre fortuite. En effet^ bien que le
traducteur anglais eđt suivi les cours du
du Collšge de France d Vipoque mirne
ou M. Barbier de Mejrnard avait pris
/'Alchimiste pour texte de ses le^ons, U
ignorait assurćment que le pro/esseur
avait Vintention d^enpublier une traduc^
tion.
Des deux com^dies dont nous don-
nons la traduction, une, « les Procu-
reurs » , n'a encore 4H traduite dans au-
cune langue; l'autre, « le Vizir de Len-
kčr&n », n'a etć traduite ^u'en anglais;
elle a eić seulement signalee aux lecteurs
fran^ais par deux comptes-rendus que
nous devons citer. Le premier est un ar-
ticle aue M. Barbier de Mejrnard a pu'
blii aans la Revue critique du ig marš
1 883, d propos de Vouvrage de
MM. Haggard et G. Le Strange. Le se*
cond est une ćtude asse:{ etendue de
M. Alexandre Chod:{ko, ins^rie dans le
Bulletin de VAthenee Oriental de la
meme annše ^ Malheureusement, la tra^
duction que M. Ckod:(ko a donnee de
certains passages, pourrait Stre plus
ćUgante et surtoutplus exacte.
Comme on le voit par ces publications,
les comćdies de Mir\a FM- Ali Akhond-
I . L'Aventure du vi;^ ir du Khdn de Lenkevan,
par M. Chodzko; (tirage a part du Bulletin de
VAthenee Oriental), Pariš, x883.
1
INTRODUCTION
Zadš ont eu quelque fbrtune aupris đes ^
Orientalistes. II nom reste d souhaiter
Žue le granđ public aceueille avec autatu
e bienveiliance la traductum que nous
lui offirons.
3o septembre iS86«
A. CILUĆRE.
A MON MAITRE
MoNsiEUR C. ĐARĐIER DE MEVNARD
MKMBRK DK L'INSTITUT
PR0FB8SKUR AU COLlicOB DK PRAMCE
■T A L'ŽCOLE DKS LAMGUES ORIENTALES
HOMMAGB DE PROFONĐB RECONNAISSANCE
ET DE RESPECTUEUX DĆVOUEMENT
LE VIZIR
DU
KHAN D£ LČNKČRAN
COMĆDIE EN QUATRK ACTES
LE VIZIR DU KHAN DE L£NK£RAN
COMĆDIE EN QUATRE ACTES
PAR
MIRZA FETH-ALI AKHOND-ZADE
PERSOMNAGBS DE LA PliCE
MIRZA-HABIB, vizir đu khin đe UnkirAn.
ZIBA-KHANOUM S vietlle femme da vizir.
CHO'LE-KHANOUM t, jeune femme da vizir et sa prć-
fćrće, soeor atnće de Ni9a-Klianoam.
NigA-KHANOUM t, bell&-s(Bur du vizir; — aimće de
Timour-Aga.
TIMOUR-AGA, nevea da khin đe Ltokčrftn ; — amou-
reax đe Ni9a-Khanoam.
LE KHAN *, goaveroear đe L&nkirftn.
PERI-KHANOUM l, belle-m^re du vizir, dana U maison
de qai elle đemeare avec sa fiUe cadette, Ni9a-KhaQ0ttm.
HADJI-SALIH 6, marchand.
HČYDER 1, valet de chambre do vizir.
AGA-BČCHIR, intendant du vizir.
KERIM 8; palefrenier da vizir.
AGA-MAS'OUD, LE NOIR f » ettnaque chargć de la sor-
veillam» da harim da vizir.
S^IM-BEY 10, granđ-maitre dcs cćrćmonies da khftn.
QADIR-BEYy second maltre des cćrćmonies, et chef des
hoissiers.
AZIZ-AGA, chef des đomestiqoes du khftn.
SEMED-BŽY» chef des ferrachs ii da kh&n.
RIZA, fr^re de lait de Timour-Aga.
Quatre plaideurs qui se prćscntent en audience au palais
du khdn. — Huissiers đu palais. — Fooctionnaires " et
notables đe la province. — Valets de chambre da vizir.
•« Cinquante pages ".
8»fHS8«4>sQ^^
NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES
1. Ziba-Khanoum. — Ziba signifie belle» 616"
gante. Le mot khanoum, « madame » s'ajoute tou-
jours aux noms de femmes; c'est un mot d*ori-
gine turque, dćrivć de khfin : son sens propre
est « princesse ».
2. Cho'lž-Khanoum. — Cho*lč : a flamtne, splen-
deur ».
3. Ni9a-Khanoux. — Ni^a : « femme, seže fe-
minin ».
4. Le titre de khfin dćsignait spćcialement le
souverain chez les Tartares. £n Turquie, aujour-
d'hui encore, il ne s'applique qu*au sultan ; mais,
en Perse, les gouverneurs de provi nce et d'autres
grands personnages prennent le titre de khin,
qu*ils mettent k la suite de leur nom.
5. Peri-Khanoum. — Pčri : a ange, gćnie » et
proprement gćnie ailć du sexe fćminin, ilu pehlevi
pairikj zhnd : pairika.
6. Hadji : u pčlerin ». Tout musulman doit faire
dans sa vie au moins un voyage k la Mecque ; au
retour de ce pilerinage, il ajoute a son nom le
8 VOTMS SCR LSS NOICS I>BS PBRSONNAGBS
titre de hađjt. Les Persans s'acquittent assez peu
de ce devoir religieuz : ils se contentent gćnćra-
lement de faire un p^lerinage k K&rbčla, au tom-
beau de rimam Hoss&In oh k N^j&f, au tombeau
d*Ali, ou encore k celui de l'imam Ali-Đćn-Mou(a,
k Mhchhhč, On peut lire dans le Journal asiati^
4ii€ (mai^iuiii »885), an curieuz artide sur les
pMerins de Kčrbćla, par le D' Saad, mćdeciii k
Han&guln, station sanittire sur la frontižre turco-
persane.
7* HŽTDER : lion. ~ Čest un des surnoms du
khalife Ali, et par consćquent, un nom recherchć
des Persans.
8. Le mot persan mihth', a eu une fortune
assez bizarre. Apr&s avoir dćsignć un chef, un
homme d*une condition ćlevće, (mot k mot tris
grand) et notamment i^n chambellan du souve-
rain, ce mot nć signifie plus aujourd'hui que
« palefrenier, valet d*ćcurie ».
9. Autre exemple des vicissitudes de certains
mots. Khadje (en ture khoc^a), signifiait spćcia-
lement « vieillard, doyen, professeur ». En persan
moderne, khadj^ đćsigne un eunuque.
10. Ichik-Sgaci : « chef de la t>orte, cham-
bellan », c'est le grand-maitre des cćremonies.
1 1 . Ferrach, mot k mot : celui qui ćtend les
tapis ». Les ferrachs sont en Perse des esp^es
de valets de chambre; maiSi leurs fonctions sont
assez ćtendues. Nous les verrons, k l'acte troi-
si&me, chargćs de veiller k VeiĆcution des senten-
tences du khan. Souvent, ce mot se traduit assez
bien par huissier.
NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGBS 9
12. Sp6:ialement:€fonctionnaires đes finances,
collecteurs đ'impdts ».
1 3. N0U8 traduisons par page le mot ghoulam^
ne pouvant trouver en fran9ai8 un ćquivalent
plus exact. Les ghoulams sont aussi des esp&ces
de gardes du corps, de messagers k qut on confie
parfois des fonctions de police, comme nous le
verrons k l'acte troisi&me.
5«^A®^
ACTE PREMIER
ACTE PREMIER
:^b»^«»b©W'
ACTE PREMIER
»^
L*action se passe, ii y a cinquante ans, sur les
bords đe la mer Caspienne >, a LenkčrAn *, dana
U maiaoii du rizir Mirza-Hablb. — Le fUir eat
. assis dana une chambra > situće a Tentrae 4ea
appartements privćs; Hadji-SaUh se tient de-
boat dđvant lui.
SCĆNE PREMIfiRE
Le vizir. — Hadji-Salih, j'ai entendu
dire que tu vas k Rćcht ^. Est-ce vrai ?
Hadji-Salih. — Oui, seigneur, j'y vais.
Le vizir. — Je veux te donner une
commission, et c*est pour ćela que je t*ai
fait appeler.
14 DEUX COMĆDIES TURQUBS
Hadji-Salih. — Ordonnez, seigneur.
Je suis pr£t k accomplir vos ordres, de
toute mon ime et đe tout mon cceur.
Le vizir. — Eh bien, Hadji-Salih, il
faut que tu fasses faire a Rčcht une tuni-
que bieue, brodee đ'or, comme on n*en
a pas encore vu k Lćnkćrto. Dčs que
cette tunique sera pr€te, tu feras fabriquer
par un orfćvre vingt-quatre boutons đ'or
plus petits qu'un oeuf de poule et plus groš
qu*un oeuf de pigeon, et tu les feras cou-
dre autour du collet. Tu rapporteras la
tunique, k ton retour. -— Voici cinquante
ecus d^or. (U place Targent devant lui
dam un papier.J Emploie cet argent, et,
s^il te manque quelque chose, k ton re-
tour, nous ferons nos comptes. Revien-
dras-tu bientot?
Hadji-Sauh. — Dans un mois. Je n'ai
rien k faire. J*emporte avec moi de Tar-
gent; fachćte de la soie, et je reviens
aussitdt. — Mais, seigneur, si je connais-
sais les mesures de cette tunique, ćela
vaudrait bien mieux. Quand on la fera, il
ACTE PREMIBR 1 5
se peut qu'elle soit trop Aroite ou trop
large, trop courte ou trop longue, et que
j^accomplisse mal la commission de Votre
Altesse.
Le vizir. — II n'y a pas de mal k la
faire un peu large et longue. Si la mesure
n'y est pas, on Parrangera ici.
Hadji-Salih. — Seigneur, ne vaut-il pas
mieuz que j^achćte TetofiTe k Rćcht et que
'fy fasse fabriquer les boutons ; puis, que
j'apporte tout ćela ici, et qu'on fasse faire
alors la tunique« i la taille de la personne
qui la mettra ?
Le vizir. ^ Ah! serviteur de Dieul
vous autres, vous avez la singuliere ha-
bitude de trop parler et de vouloir mon-
trer vos connaissances I Ce que tu veux,
c'est que, sans detour, je te revćle mon
secret. Mais, ne sais-tu done pas, si je
faisais faire ici cette tunique, dans quels
commćrages je tomberais, et combien
d'heures amćres je passerais ?
Hadji-Salih. — Non, seigneur. Com-
ment le saurais-je ?
4*
t6 DEUX COHĆDIES TURQUES
Le vizir. -^ Ainsi done, il faut qu*a-
vant rheure je f apprenne mon đessein,
pour que tu dises, dćs que tu iras au ba-«
zar, k chaque personne que tu tronveras :
€ le vizir m'a donnd telle et telle cotn-
mission; » pour que tu m'enlčves toute
traaquillite, et que tu ne me permettes
plus de reposer en paix ! — Eh bien, mon
cher, voici quelle est mon intention. II f
a encore deux mois avant la fete duN6ou-
rouz ^j et, pour cette f6te, je Veux acheter k
Cho'le*Khanoum quelque chose de mer-
veilleuxl Or, si je fais faire ici cette tuni«
que, Ziba-Khanoum me đemandera la
pareille. Si je la lui achćte, c^est une dou-
ble dćpense, et Ziba-Khanoum n^en sera
pas plus belle. Si je ne la lui achdte pas,
je n'en aurai pas Bni avec les piaintes et
les tracas ! Tout le jour, ce sera pour moi
une nouvelle cause de maux de tfitč et
d'heures d'amertume. ^
Hadji-Salih. — Mais, seigneur, quand
vous donnerez la tunique, toute confec-
tionnee, k Cho'lč-Khanoum, est-ce que
ACTE PREMIER 1 7
Ziba-Khanoum n^en voudra pas alors une
pareille ?
Lb vizir. — Grand Dieu! dans quel
pičgesuis-je tombćl Eh! mon cher, est-
ce que c^dst ton affaire ? Va done, et fais ce
qQ^on te dit. Quand je donnerai la tuni-
qae i Cho^U, je dirai k Ziba-Khanoum
qae c^tst ma soeur, la femme de H6-
dayte-Khfln, de Ržcht, qui la lui a en«
Toy<e en cadeau. Ainsi, elle ne pourra
pas me prtndre en dćfaut. -^ Ne va rien
dire de toat čeci, n'est-ce pas?
Hadji-Salih. <^ Non^ stigneur. Moi,
dćvoiler votre secret f ce ne serait pas di-
gne de ma barbe blanche.
Lb vina. ^ Tr^ft-bien. Va done: tu es
cong6dić. (HadjiSaiih šHncline et sorU
•— Attssit6t qu'il a toumS le dos, Ziba-
Khanounij potissant violemment la porte
des deux mains, entre dans la ckambre, en
poussant des cris et des exclamations .
-^ A ce bruit, le vi:(ir effraye^ se re-
tourne en sixrsaut.)
1 8 DEUX COMĆDIBS TURQUBS
SCĆNE II
Ziba-Khanoum. -— Ah! vous comman-
dez, pour votre femme bien-aimee, une
tunique, au coUet orne de boutons d^or!
Bravo pour votre generosite ! Et puis, vous
me direz : <r Čest ma soeur, la femme de
Hedayčt-Khdn, qui Ta envoyćeen cadeau k
Cho'le-Khanoum. Bravo 1 Tu me la feras
connattre ta soeur, ta soeur qui, aussi
avare que les marchands d'Ispahdn ^^ met
du fromage dans une carafe, et frotte sdn
pain sur le dos de la carafe ! Et mainte«
nant, elle enverrait k ta femme une tuni-
que de cinquante ou soixante tomans^?
Et je serais assez sotte pour le croire ?
Le vizir. — Femme I tu m'as fais peur.
Quoi? que dis-tu done? quel cadeau?
quelle tunique? Es-tu folle, par hasard?
Ziba-Khanoum. — Ne faites pas Tarro-
gant, et ne dites pas d'impudences ^I J'ai
entendu tout ce que vous avez dit a
ACTE PREMIER 1 9
Hadji-Salih; je Tai entendu, point ® par
point, et jusqu au bout. J ai tout compris
dčs le moment oii vous avez mande
Hadji-Salih, et ćela m^a frappe au coeur.
Alors, je suis venue tout doucement : je
me suis placee U, derričre cette porte, et
j'ai prete l'oreille. J'ai vu quec'ćtait bien
comme j'avais pense. — Que Dieu la bć-
nisse, cette tunique, au coUet orne de bou-
tons d*or, que vous destinez šl votre femme
cheriel Que Poeil de Timour-Ag« en
brille de plaisir! On vient de comman-
der une nouvelle tunique pour sa bonne
amie : elle la mettra pour se pavaner de-
vant lui.
Le vizir. — Mauvaise femme! pour-
quoi tant de bavardage ? Quand cesseras-
tu de me dire des inconvenances? N'as-tu
done aucune pudeur? Devant moi, tu
calomnies ma femme ^^! tu jettes mon
honneur ^ tous les vents! Le sentiment
des convenances est une bien bonne chose
en ce monde : tu devrais le savoir.
Ziba-Khanoum. — Moi aussi, si je vou-
20 DEUX COMĆDIES TURQUES
lais, je le jetterais au vent, votrc hon-
neur ! Je me procnrerais un jeune gargon
bien fah, tout frais ^i, et je ferais a^ec
lui le jeu d*amour. -^ Mais, c'cst votre
femme prćfer^e qui vous dćshonore, elle
qui est pendae, jour et nuit, au cou de
Timour-Aga. Bien des fois, ma setvante
les a vus de ses propres yeux.
" Le vizir.-* (En fdlissant} ^ Jamais, je
n'ajouterai foi k tes prapos ni a ceux de
ta servante.
Ziba*Khanoum. — n n*y a pas que nous
qui disions ćela. Toute la papulation de
L^nker^n conndt ce manige. Mais, on
dit que vous fermez les yeux, comme la
perdrix qui cache sa tćte sous la neige ^^.
Ne distinguez-vous pas ce qai vous sfert
et ce qui vous nuit? Croyez-Tous done
que le monde ne comprend pas tout
ćela?
Le vizir. — Qu'est-ce que tu dis > Corti-
ment Cho'le a-t'elle connu Timour Aga?
Oti IVt'clle vu >
Ziba-Khaxouh. — C^t vous-mime qui
AGTE PRSMIER 21
le lui ftvez jcnontrć i Čest vous^nićine qai
le lui ave;s indiqućl
Le viziR. — (En ^levant le ton) Moi ! je
le lui ai iadiqu^? Moi! je le lui ai mon-
trć?
Ziba-Khanoum. — Certalnement, vous
le lui avez montrć. Assurćmeot, vous le
lui avez inđiq.uć. C'est peut-£tre moi qui
le lui ai fait conuattre? Vous Stes alle
vous-mSme, le jour de la rupture du
jeOne i*, dire k votre fetntne bien-aimće :
c le Kbto fait lutter les fils des bćy$,
hprs de la forteresse. Allez-y, Ni^a-Kba-
noum et toi, avec reunuque et la sei-
vante. On ć^endca un tapis pour vous,
dans Tallee au pied des remparts : vous
vous y assierez et vous regarderez le
spectacle. » — Alors, elles sont parties, et
y sont all&s. Lš, Timour-Aga, un jeune
homme de vingt-€inq aos, bien b^ti et
plein de vigueur, jeta ^ terre tous les au-
tres fils de bdys..Cho'lč-Khanoum en de-
vint amoureuse, et s'ćprit de lui de lout
son coeur, que dis-je? mille fois plus
22 DEUX COMŽDIES TURQUES
encore ^5 f Qui sait par quels artifices elle
se Test procure? Mais, elle n'a pas dc re-
pos si elle ne le voit d'un jour. Ne vous
avais-je pas prćvenu qu*k votre Sge un
jeune tendron n'etait pas votre affaire?
Vous ne m*avez pas ćcoutć : c*est bien
fait. Avale !
Le vizir. — C'est bon, va-t'en, dispa-
rais ! Ćela suffit ! la mesure est comble.
Laisse-moi I j^ai afifaire.
Ziba-Khanoum. — (Elle sorten murmu-
rantf et dit entre ses đents ^^ :) Pourquoi
disparaitrais-je, moi?Cest votre femme
bien aimee qui disparaitra, elle et son
scelerat d'amant ! — Ah! ils vous convien-
nent bien tous deux !
SCĆNE III
Le vizir. — fA part.J Mon esprit se
refuse d croire que Cho*lč-Khanoum fasse
un pareil mančge. Mais, il est bien
ACTE PRGMIER 2 3
possible qu*ayant vu la force ct la vi-
gueur de Timour-Aga, celui-ci lui ait
plu. C'est une enfant ignorante et sans
jugement : elle l'aura vantć d tel et tel I
Ma vieille femme a, par jalousie, attribuć
ses paroles k Tamour, et elle a creusć un
puits pour Vy pr&ipiter ^'^. En tous cas,
il faut tirer ChoUć de cette idće et lui
faire entenđre que Timour-Aga n'est pas
si solide que ga, ... que tous ceux qu^il
a renversćs ćtaient des enfants pas plus
haut que ie pouče ^^ I GršLce šl ces pro-
pos, elle chassera probablement de son
espril rimage de Timour-Aga, etelle n'en
reparlera plus.— Je me Ićve, et je vais chez
le Kh^n. Puis, je reviens aussitćt, je vais
k la chambre de ChoUć, et je verrai ce que
j aurai II faire. (II se Išvepour partirj
SCĆNE IV
Ziba-Khanoum.— (Entrant dans ršndd"
roun ^^.J Donnez vos ordres, afin qu'on
24 DEUX COMĆDIES TURQUES
prćpare ce que vous voudrez pour votre
dejeOner et votre diner d^aujourd*hui.
Le vizir. — Venin de serpent ! tu m'as
tant fait tnanger de \šqqoum ^ que je ne
mahgerai plusd'un mois. J'en «i assez. (//
veut s'en aller. — Un tamis est a terre, au
milieu de la chambre.Le vi:[tr,absorbe ddns
sespensees, marche, les yeux fixes du cCt^
de la porte. Son pied se pose sur un bord
du tamis; Vautre bord se rel^e et le
frappe au genou, II porte la main d son
genou en poussant un eri, et se retourne
furieux du cćtć de safemme.) Oh ! hom-
mes! ce tamis! que f«it-ii ici? Ah! filk
de gredin *^ !
Ziba-Khanoum. — Eh! que sais«-|e moi?
est-ce que je sais ce qu^il fait ici ? Cha«
que fois'que vous venez ici, c'est pour
me chercher dispute et querelie. Les tu-
niques sont pour les autres et les sottises
pour moi.
Le vizir. — Ferrach ! (Hdyder, lejer-
rachy entre du vestibule dans la chambre,
et sHncline, la main sur la poitrine. —
ACTB PRBMIER 25
Ziba^Kanoum se voile le visage, * et se
retire dans un coin de la pisce,)
SCĆNE V
Lb viaiR. — (En coUre.) Hćydir I cc
tamis, que fait-il a u milku de la cham*
bre?
Hž:ydčr. — Seigneur, ce matia k Taube,
je balayais Tapparteinent. Kžrim, le va-
let d'ecurie, est venu ici, un tamis k la
main. U m'a parić un moment; puis il
est sorti. II est evident qu'il a laissć ici
son tamis, en s*en allant.
Le vizir« — Appelle-moi cet animal ^
de valet d'ecurie; que je le voie! (Lefer*
rach sort et va cherchtr le valet d'ecu*
rte,)
26 DEUX COMŽDIES TORQUES
SCĆNE VI
Le vizir. — Grand Dieu ! Qu'est-ce que
le valet d^ecurie a k faire dans ma cham-
bre? Qu'est-ce que ce tamis a i faire ici?
Aujourd*hui, lesennuis m'arrivent de tous
cdtes. Chaque fois que je viens dans cette
baraque ^ de chambre, je n'en sors pas
sans accident.
Ziba-Khanoum. — Oui, certainement,
parče que Cholč-Khanoum n^ est pas.
Mais, puisqu*il en est ainsi, pourquoi
done y venez-vous toujours? AUcz dans
la chambre de Cho'lć-Khanoum. — (Le
ferrach et le valet đ'ecurie entrent).
SCĆNE VII
Le vizir. — (Au comble de lafureur.)
Kčrim ! sale garcon ! qu'as-tu d faire dans
AGTE PREMIER 2J
ma chambre ?Ta place est k Pćcurie : par
quelle audace as«tu mis le pied dans ma
chambre, filsde gredin?
Lb valet d'ćcurie. — Seigneur, je suis
venu ici, une seule minute, pour deman-
der ši Heyder si vous monteriez šl cheval
aujourd'hui. Je Tai demandć, et je suis
parti aussitdt.
Le vizir. — Mais, pourquoi as-tu jete
1^ ce tamis, en partant?
Le VALET D^ććuRiE. — J'avais un tamis ^
i la main, parče que je criblais de l'orge
pour les cbevaux : je Pai oublić ici.
Lb vizir. — Mais, ensuite, pourquoi
n'es-tu pas venu l'oler de li?
Lb valet d^ecurie. — II ne m'est pas
venu k Tidće qu^ii ćtait reste ici. Jusqu*&
maintenant, j*ai couru aprćs ce tamis ^.
Le vizir. — (Au valet d'ćcurie). Od
etait tatćte? Misćrable^I (Ensuite, au
ferrach), H6yd6r, appeile-moi Bechir,
rintendant. Qu^il vienne ici tout de suite!
Apporte avec toi des bdtons et la fšlčk ^8,
et dis aussi a trois ferrachs de venir ici.
(Lejerrach sort).
28 DEUX COMĆOIES TUItQUES
SCENE Vlll
Le valet d'žcurie. — (II commence i
trembler, et s'ecrie en gćmissant). Sei-
gneur, faites-moi grdce ! par la tćte du
Kh^n !
Le Vizm. — (Avec une fureur bien /e-
gitime). Que ton souflSe t'etrangle, fils
de chien !
Le valet d'ćcurib. — (En pleurant),
Seigneur, quc je sois votre ran^on ! J'ai
commfs une fame ^. J*ai fait une sottise.
Par le tombeau de votre peref Pardon-
nez-moi. J*^i commis une faute; mais,
par mon pžre et par ma mčre I jamais, je
ne remettrai les pieds ici.
Le vizir. — Ćtrangle, aniraal 30f (En--
trent alors V intendant AgaSdchir^ le
ferrach Hšyđšry une poignee de bđtons
sotisle bras et lafilšk sur V^paule, et^
avec euXf trois autres ferrachs) ,
ACTG PREMIER 29
SCENE IX
Le vizir, — (Aux ferrachs). Jetez i
terre Tintendant, et mettez-lui les pieds
dans la fdćk. (Les ferrachs etendent d
terre V intendant, et prSparent la fćlšk oU
Us lui passent les pieds. Puis, deux hom-
mes prennent la fiUkš, tandis que deux
autres saisissent les batons).
J^E VIZIR. — FrappezI (Les ferrachs
frappent).
L'iNTENDANT. — O Hioii chcr maitrc ! Je
suis votre esclave^^! Quelle faute ai-je
done commise pour qu'on me donne la
bastonnade?
Lb vizir. — (Indiauant le tamis^ d'un
geste irriti) . Ce tamis! que fait-il dans
ma cfaambre ?
L^NTENDANT. — Quel tamis, seigneur ?
Lb vizir. — Quand tu auras mange du
b^ton, tu comprendras de quel tamis je
parlel (Les ferrachs frappent).
30 DEUX COMĆDIES TURQUES
■ - - - - - — - fi ■ ^ i-^mn-m^mT- - — -* i ^ mm^
L'iNTENDANT. — Oh f gVŠiCt ! jUSticC ! Jc
suis votre esclave, seigneuri Enfin, quelle
est ma faute? Q.ue je sois votre ran^on I
Đaignez m*apprendre ma faute; puis,
vous me tuerez, si vous voulez : vous le
pourrez.
Le VIZIR. — (Aux ferrachsj. Arrćtez!
— Aga-Bčchir, voici quelle est ta faute :
tu n'as pas fait comprendre leurs devoirs
k mes domestiques. Quiconque sert dans
ma maison dćpend de toi. II faut que tu
indiques, toi-mćme, sa place k chacun
d'eux; que tu leur enseignes leur service,
et que tu le leur fasses comprendre. Le
valet d*ecurie ne doit pas mettre le pied
ailleurs qu*& Tecurle, et il ne doit pas y
avoir de tamis dans ma chambre. Aujour-
d'hui, le valet d'ecurie Kčrim, est venu
ici, un tamis k la main, et il Ta laissć en
partant. Sans y prendre garde, j^ai pose le
pied sur le bord de ce tamis ; Tautre bord
s^est releve et m'a cogne si fort le genou
que maintenant encore^ a cause de cette
douleur, je ne peux pas remuer la jambe.
ACTE PREMIER 3 1
Moi, qui suis le vizir d'une grande pro-
vince, je porte le poids de toutes ses af*
faires^^, et foi, Sne bdtć I tu ne peux meme
pas diriger une seule maison avec ses do-
mestiques I
L^iNTENDANT. — Seigneur, Dicu vous a
fait un grand esprit et une grande intelli-
gence. Mais, moi, comment pourrais-je
vous egaler ?
Le vizir. — (Aux ferrachs). Frappez I
L'iNTENDANT. — Seigneur, puissć-je žtre
la ran^on de votre t€te! Pour cette fois,
faites-moi gr^ce. A Tavenir, pareille faute
ne se renouvellera pas.
Lb vizir. — Trčs bien. Maintenant qu'il a
promis, arretezi ćela suffit. — Aga-Bčchir,
pour cette fois, je te pardonne. Mais, sa-
che bien que si dorenavant on voit un
tamis dans ma chambre, tu es mort. En-
tends-tu ?
L'iNTENDANT. — (Efi sc reUvant), Oui,
seigneur, soyez tranquille.
Lk vizir. — C'est bien, allez-vous-en.
Le valet đ'ćgurie. — (Tout bas). Grand
5»
32 DEUX COMŽDIES TURQUES
Dieu ! Merci ! fAvartt tout, U prenđ son
tamis et s'en va. Les autres sortent der-
riire iui.
Le rideau tombe.
Fin du premier acte
¥
NOTES SUR L'ACTE PREMIER
I. La mer Caspienne est appelće ici mer de
Kh^zer, du nom d'un pay8 situe sur ses bords, et
du nom ture du Volga. On a donnć a la mer Cas-
pienne un grand nombre de noms empruntes,
pour la plupart^ a ceux des pays qu'el]e baigne. On
Iadestgnequelquefois sous le nom de merdu Kha-
rezm, raais h tort, car c'eat la mer d'Aral qui 8*ap^
pdlle ainsi. Quelques auteurs la nomment mćme
mer de Qoulzoum, alors que cette dćnomination
ne s'appiique qu'8 la mer Rouge. On peut con-
sulter sur le pays des Khčzers le chapitre IX, de
Maijoudi, (Prairies d'or, trađuction de MM, Bar-
bier de Meynard et Pavet de Courteille), ainsi
qu'un mćmotre de Klaproth dana le Journal asia-
tique,
3. L^nkeran est une petite ville de la Trans-^
caucasie orientale, dans le gouvernement de Ba-
kou ; elle est si tuce sur les bords de la mer Cas-
pienne, au sud-^ouest de cette mer, tout pres de
la frontiere persane. On appelle gćnćralement
cette ville L^nkorSn, ou Lenkoroud, qu'il ne faut
34 DEUX COMŽDIES TURQUES
pas confondre avec la ville persane de L^nghe-
roud, egalement situće sur les cdtes de la Cas-
pienne, mais, plus au sud-est, dans le Guil&n ;
rćtyinologie des deux noms est d'ailleurs la
mSme. Lenkor&n est Torthographe adoptee par
les cartes russes et allemandes; mais, il est plus
exact d*ecrire Lčnker&n. En efifet, ce nom est dć-
rive du mot persan lenker ou plutdt lenguer qui
signifie « ancre de navire » ; le sens de L&nkerdn
est done « les ancres » et, par eztension, « lieu
d'ancrage ». Ce port est, d*ailleurs, ua des plus
mauvais de cette cdte ou il y a si peu de bons
abris; les navires sont obligćs de mouiller au
large, a une grande distance de la terre, k cause
des marais peu profonds qui bordent le rivage.
Le climat de L^nk^rdn est tres malsain; sa po-
pulation n*atteint pascinq mille dmes et son com-
merce est peu important. La plus grande partie
des marchandisesćvite L^nkeran, pour passer.par
Astara, petit port situć un peu plus au sud, sur
la frontićre mSme de la Perse : c'est dans cette
derni^re ville que se trouve la douane russe.
3. 11 s'agit ici d*une espece de vesti bule situć a
Tentrće des appartements privćs, et ou le maitre
de la maison re^oit ses visiteurs. La partie de la
maison, interdite auz etrangers, s'appelle ende-
roun, a intćrieur » : c*est le har^m.
4. Recht est la capitale de la provi nce du Gui-
Idn ; elle est situće au sud-ouest de la mer Gas-
pienne, a 3o kilom^tres environ de cette mer.
Comme la province enti^re du Guildn, elle est
connue par son climat malsain, bumide a Tezc^s,
NOTES SUR l'actb premier 33
et fi^vreux; elle est entourće đe marćcages.
Maigrć cet conditions dćfavorables, Recht a une
grande importance commerciale : c'est le princi-
pal marchć de la Perse pour les soies gržges et
les cocons. D*ailleurs, sa position gćographique
est unique, au point de vue commercial ; Ržcht
est situće a l'ouest du Sefid*Roud, au bout du
long couloir que forme ce fleuve en passant a
travers les massifs occidentaux de TElbouz; elle
est la tSte de ligne de la route qui conduit de la
Caspienne a Tćhćrfln. Malheureusement, elle est
separće de la mer par un marais sans profon-
deur que les Persans appellent le Mourd-&b, ou
c eau morte ». Le port de Recht est la petite ville
d*Enz&li, sur la barre du m£me nom : ce port
est un des plus dangereux de la Caspienne.
R^cht a vingt-sept mille habitants, et Enz&li, deux
mille cinq cents environ.
3. La f£te du Nčourouz c nouveau jour » est la
fgte par laquelle les Persans cćlžbrent le retour
du printemps. Cette solennitć remonte k la plus
haute antiquitć, car c'est un reste de Tancienne
religion de Zoroastre : c*etait la fSte du soleil
instituće par les adorateurs du feu. Pour masquer
Torigine peu orthodoxe de c^tte solennitć, les
Persans ont imagine de dire qu*elle est instituee
en rhonneur de Tćlevation d'Ali au khalifat. La
fiSte du Neourouz est encore aujourd'hui fort en
honneur chez les Persans : c*est, pour ainsi dire,
la fSte nationale de la Perse.
6. La signification de ce proverbe est assez
claire. Les marcluinds d'Ispab&n mettent du fro*
36 DEUX COMEDIES TURQUES
mage dans une carafe et se contentent de frotter
leur patn sur le verre de celle*ci, pour faire durer
le fromage indefiniment. La rćputation d^avarice
des habitants d'Ispahda est depais longtempt
ćtabiie en Perse, et on leur pr£te»a tort ou k rai*
aon, un bon nombre d^autres dćfauta avec celui-lž.
Le cćl&bre gćographe arabe Yaqout s'est fait V6^
eho de cea petites mćdisances dans son Mo'djem-
el-Đould&n (vojrez Dicf. de la Perse, irad, par
M, Barbier de Mexnard, a l'article Ispah&n)^ Ce
8ont-la des amćnitćs que les Persans des diver-
ses provinces aiment a se jeter k la t£te. Ainsi. il
y a entreChiraz et Ispahfin, les deux principales
villes historiques de la Perse, une lutte d*amour-
propre qui se traduit par un certain nombre de
proverbes aussi humoristiquea que mćchants.
Đ'apr&s les habitants de Chiraz, Tavance est le
plus granddefaut desIspahSnis; en revanche, d'a-
pres ceux d*Ispahfin, les Chirazis sont les pires
menteurs de la Perse, ce qui n'est pas peu dire.
La ville d*lspah&n, ou Isfah&n, selon une ortho*
graphe arabe usitće aussi en Perse, est trop con->
nue pour que nous en fassions ici la description.
Nous nous bornerons a rappeler qu'elle est batie
sur la rive gauche du Zčndč-roud, et qu^elle a 6i^
longtemps la capitale de la Perse. Au xvii* si^cle,
sous le vhgnt glorieux de Chah-Abbas, elle ćtait
une des villes les plus belles et les plus impor«
tantes de TOrient musulman, et contenait plus
d'un demi-miilion d'habitants; elle est encore
aujourd'hui, de toutes les grandes villes de Piran,
celle qui possžde le plus de monumenta remar-
NOTES SUR l'ACTE PREMIER 87
quables, et qm a le plus grand air ; mais, sa po-
pulation s'est abaissće k soixante mille ames, en-
▼iron, et )a pluS grande partie de ses faubourgs
est en ruines. Les plus beaux monuments d'Ispa-
hftn sont ses mosquee8, et, parmi elles, la plus
plus remarquable est la grande tnosquće cons-
truite par Chafa-Abbas, sur la place ro7ale, une
des plus grandes et des plus belles places du
monde. En face, est le somptueuic palais de Chah-
Abbas, qui est comme une petite ville dans la
grande. II faut ctter encore, parmi les curiositćs
d'lspahSn, deux ponts magnifiques sur )e Zendi-
roud, deux mervelllcsd'architecture. (Pour Ispahan
et pour toutes les autresvilles de la Perse, dont
nous parlerons plus tard, nous renvojrons le lec-
teur au Dictionnaire geographigue de la Perse,
par M. Barbier de Mejnard, au Voyage de Char-
din, dont toutes les descripttons sont si charman-
tes et si exactes encore, apr^s deuK siicles, et k
rexcellente Geographie universelUf tome IX, de
M. ĆUsćc Reclus).
7. Le tomdn vaut dix sapqr&n isaheb-grdn). Sa
valeur actuelle est de 9 fr. jb cent.
H. Mot k mot ! a ne faites pas tourner votre lan-
gue ».
9. Mot a mot : « cbeveu par cheveu ».
10. Le mot 'ayat» que nous traduisons ici par
femme, dćsigne en rćalite toute la fomille.
11. Ra' na i « tendre, tout frais ».
12. Mot a mot : « ses couleurs s'envolant ».
1 3. Proverbe persan qui signiiie : vous faites
semblant de ne rien voir, et vous iermez1esyeux.
38 DEUX COMĆĐIES TURQUES
Le fait qu'on attribue ici a la perdrix est plutdt
vrai de Tautruche.
14. La flte de ]a rupture du jeflne est celle
qui a lieu le premier jour du mois de Ch&oual,
apr^s le jeOne du Ramaz&n. Les Peraans l'appel-
lent ide mah^ « la fete de la lune, ou du mois >,
parče qu'elle a lieu le premier jour de U lune de
Cheoual. Čest cette fSte qu'on appelle ausai le
Beyram : elle est commune a tous les musulmans,
tandis que le N&ourouz n^est cćlćbrć qu'en Perse.
1 5. Mot k mot : c non pas d'un seul cceur, mais
de mille coeurs ».
16. Mot a mot : « sous les livres ».
17. Variante du proverbe arabe : Man ha fara bi'
rdn li-dkhi»hifaqad ouaqa*aJi-hi; celui qui creuse
un puits pour son frćre, y tombe. Ce proverbe
sert de sous-titre et de morale a une des co-
mćdies de Mirza-Feth-Ali-Akhond-Zad^, (FOurs
gendarmej qui ne figure pas dans notre tra-
duction.
18. Nous avons une eipression analogue en
fran^ats quand nous disons : pas plus que haut
ma botte.
19. Endčroun : ce sont les appartements privćs.
Voir plus haut, note 3.
30. 2^qoum : c'est le nom d'un arbre qui, d'a-
prhs le Coran, pousse dans Tenfer, et dont les ci-
mes ressemblent a des tStes de dćmons. c Les
rćprouvćs en seront nourris et s*en rempliront
le ventre. La-dessus ils boiront de l'eau bouil-
lante.nCorđn, trad.de M. Ka8imir8ki,souraxxzvii,
vcrsets 6o-65; xuv, 43; lvi, 32.
NOTES SUR L'ACTE PREMIER Sg
s I . PM«r-soukht^ : c đont le p&re briile en en-
fer ».
22. On sait que les musulmanes ne peuvent se
montrer k vi sage dćcouvert devant aucun homme
ćtranger, m£me devant un doinestique.
23. Qouroumsaq : litt. c cornard ».
24. Motu mot:c dans cette chambre dćmolie.»
25. Le mot guil'bi^ qui dćsigne ici le tamis,
est la forme primitive dont la signification est :
« qui crible la poussiere ». Ce mot a subi, mSme
en persan, une foule d'altćrations : on le retrouve
sous les formes ghelbirt ghelbour, ghh'hir, gher'-
bil. Čest, sans doute, cette dernižre forme qui a
passć en arabe et qui a formć, par une sorte de
mćtathese, le mot arabe gkirbal auquel on a donne
le pluriel gharabiU
26. Traduction littćrale. U est H remarquer que
beaucoup de nos locutions et de nos expressions
famili^res ont leur ćquivalent exact en persan
moderne. Nous verrons plus loin : manger du
b&ton, etc, etc.
27. Le mot persan est plus ćnergique ; hertim"
j^ade : c bfttard » et mieux encore.
28. La/^/e^, ou felekCj est un instrument de
torture employć en Perse. Elle est formće de deux
longues pi^ces de bois, relićes a leurs deux extrć-
mitćs par deux autres pi&ces de bois. La tSte du
patient repose sur un des c6tćs et les pieds sur
Tautre ou ils sont mkintenus et serrćs par une
corde. Deux hommes saisissent alors la felćkč, et
maintiennent en l'air les pieds du patient; deux
autres proc^dent a la bastonnade sur la plante des
40 DEaZ COMĆDISS TURQUES
pieds. Le compMment de la fhlhkh, c'est le ickoub,
« baguette de bois flezible » qui doit Čtre britde
•n frapfMiiit. Ordiotircment, le degrĆ de rigoeur
du tupplice est ctlculć d'apr^s le Dombre de ba-
guettes k emplojer et a mettre hora d*U8age.
2g. Mot a moc: c )Vi mangć dea escrćmenta ».
Cette ainguli^re ezpreaaion eat tr&e uaitć en Perse
ct on remploie aana aonger aucanement au aens
primitif.
30. Litt. « aemence d'dne ».
3 1. Mot k mot: « je tourne autoaf de votre t6te »<
Cette expreasioB rappelle une cotttume tr^ an-
denne en Orient, celle de tourner autour d*une
choae pour inarquer aon reapect et aa vćnćratlon«
On aait <|ae tout p^lerin da la M«cque doit tour-
ner trois fois autour de la Ka*aba : cette coutume
eat antćrieure k l'Islam, et c'eat one de ceiles que
Mahomet a eru devoir conaerver.
3i. Le moc arabe vi^ir^ ou plutdt y^:fir, qui
d^aigne lea fonctiona de premier miniatre, avait
pri miti vement le sena de porte-faix. Le vizir eat,
en efiet, celui qui porte tout le fardeau dea affai-
rea publique8. L*auteur >oue ici aur lea deux aeaa
du mot.
ACTE DEUXIEME
ACTE DEUXIĆME
L^action se passe dans la chambre de
ChoMČ-Khanoum.
SCĆNE PREMIŽRE
Timour-Aga. — (Debout, en face de
Niqa'Khanoum), Voyons, dis-moi : que
faut-ii faire? Quelle est cette idee qui est
venue au vizir ? Suis-je mori pour qu'il
puisse te donner d un autre ? Quel but
poursuit-il done en recherchant Palliance
du khan ?
N19A-KHANOUM. — Eh I ne le sais-tu pas,
toi-mćme, ce quMl cherche? C'est la puis-
sance, la grandeur, la consideration.
44 ^St;X OGMto£6 TtnEQUK9
Timour-Aga. — Le pouvoir et les hon-
neurs que le kh^n lui accorde mainte-
nant ne lui suffisent done pas ?
«
Nica-Khanoum. — Si, ils lui suffisent ;
mais, il est saiis presti^. II veut affermir
son pouvoir et son autorite par son al-
liance avec le khSn.
Timour-Aga. — C*est un ćtrange sot!
Ne voit-il done pas, de ses yeux, eom-
ment le Kh^n traite ses propres pa-
rents ? En tous cas, il faut, une fois pour
toutes, chercher un remede a eela ; car,
vous m'avez empćchć, san$ raison, de
faire eonnaltre mes projets au vizir. Đe-
main, j*enverrai quelqu'un aupres de lui
et je lui ferai savoir qu*il ait i abandon*
ner ce projet inutile ; s^il agissait autre-
meut il mecoDnaitrait son propre bien. ,
Ni^ia-Khanoum. — De grdce, mon cber
Aga, laisse-U ces idees. Jamais, on he
pourra apprendre eela au vizir. VoilJl
deji longtemps, nous dit-»il, que le
khSn cherehe un proteste pour te tuer —
et je sais, moi-meme, qu'il s'esc entretenu
ACTS DBUZIBME
de ce projet avec le vizir.— Si celtii-ci ap-
prend notre liaison, aussitdt, pour son
propre bien et dans son propre interet, il
ira trouver le khiln, et il lui racontera que
tu as jete les yeux sur sa fiancee... d'au-
tant plus que le vizir est, lui aussi, trčs
irritć contre toi,
Timour^Aga. — Le gouvernemcnt de la
province et du khanat de mon pćre ne
suffisent done plus au khftn, pour qu'il
sooge encore i se difaire de moi . Mais,
c'est4š un projet mal digerć ^
N19A-KHANOUM. — Oui, il comprend
que tu le gćnes, et il craint que tu ne
veuilles, ua jour, reclamer le trdoe de
ton pdre. Ah! j'en ai entendu beaucoup
Iž-dessus i £n public, il est dćsarme con«
tre toi, et il te temoigne beaucoup de con^
sideration; mais, si Toccasion se prćseote,
il ne te laissera pas vlvant, un jour de
plus.
Tmour-Aga. — Ce n'est pas un kh&n
comme lui qai pourra me £aire mettre k
mort. La plupart du peuple et tous les
46 ĐEUX COMĆBIBS TURQUES
grands de la province me sont dćvoues du
fond du coeur, k cause du bien que mon
pčre leur a fait. Je ne suis pas un oiseau
pour me laisser manger ^. — Mais, dis-moi :
qu'ai-)e done fait au vizir pour qu^il me
haisse ?
Ni^a-Khanoum. — Tu as pris auprčs de
toi Mirza-Sčlim ', le fils du prćcćdent
vizir, et tu en as fait ton secretaire. Le vi-
zir croit que si le pouvoir te revient un
jour, Mirza-Sčlim, montant en grade, lui
aussi, prendra la place que son pćre a oc-
cupee. Aussi, veut-il maintenant proposer
au khSn d^exiler Mirza*Sćlim.
Timour-Aga. — II ne depend pas de lui
d^exiler mon secrćtaire. Que les bienfaits
de mon p^re laveuglent *, puisqu11 a de
si mauvais desseins contremoi ! Mais, s'il
plalt i Đieu, je renverserai tous ses pro-
jets et j'arriverai Smon but... Cependant,
tu as raison : il ne faut pas que le vizir
apprenne encore notre amour. — Oti est
Cho*lć-Khanoum? J'ai quelques mots d
lui dire ^
ACTE DEUXIEMB 47
Niga-Khanoum. — Elle cst dans la
chambre de ma mdre .
Timodr-Aga. — Ne peux-tu pas allcr
Tappeler ?
Ni9a-Khanoum. — Ma mčre n'est pas k
la maison. — AlIons-y tous les deux.
Timour-Aga. — Trčs bien. AlIons-y. (Us
sortent tous deuxj.
SCENE II
Ztba-Khanoum. — (Entrant dans la
chambre). Eh! catin ! k la fin, tu pousses
les chosesau point d'insulter ma servante
et de me renvoyer ^ la tćte ! Čest le vizir
qui fa rendu si impudente!... (Elle s'a^
perqoit quil rCy apersonne dans la chant'
bre, et regarde de tous cot^sJ.^Ahl cette
garce! Voyezdonc: oti est-elle allće? Que
la maison du vizir tombe en ruines,
puisqu^il m'a procurć ces jours d*en-
nuisl (Elle veut s'en retourner, mais, en^
6
48 DEUX COMĆDIES TURQUES
tendant la voix d'un homme, elle s*assieđ,
anxieuse). — Ah ! malheur ! j*enteads
la voii d'un homme etranger. Malheur!
il va.entrer par cette porte. Que faire? Je
ne peux plus sortir. Ah ! queUe poussiere
rćpandrai-je sur ma tćte^ ?/£//« va decotć
et đ'autre, puis, elle še cache derriire le
rideau. Ensuite, entrent Timour^Aga et
Cho'lč'KhanoutnJ.
SCENE III
Timour-Aga* — Comme votre mere cst
cevenue vite du hammam ^ I Elle ne nous
a pas laisse le temps de causer dans sa
chambre : ici, l'endroit ne serait pas ptt)«
piće. J ai beaucoup de cboses k vous dire,
et le vizir pourrait venir.
Cho*i,e-Khanoum. — Rassurez-vous, le
vizir ne peut pas venir ici aujourd'hui.
Timour-Aga. — Pourquoi ne le peut-il
pas?
ACTE DBUKIEMB 49
Cho'lb-Knanoum. -— Parče que c'est
aujourd'hui le tour ® de la cbambre de
Ziba-Khanoum, et qu^il n^oserait jamais
venir ici, un tel jour, de peur dcs repro-
ches et des criailleries.
Timour-Aga. — Čest juste; mais, je ne
trouve pas cette raison suffisante pour
me tassurer. 11 ne faut pas nćgliger les
precautions ; car, il poarrait tout h coup
apparaitre et entrer.
CHo'Li>-KHANouM. — Soye2 tranquille.
J^ai dit k Ni;a-Khanoum de se tenirdans
l&corridor et de venir vite nous avertir, si
k vizir se montrait. Est-ce que veus avez
peur >
Titfoim-A6A. — Eh ! pdurquoi aurais-Jc
peur? qui craindrais-je ? Je ne suis pas un
homme k avoir peur d un autrc. Mais,
pour plusieurs raisons, je ne venx pas que
le vizir me voie ici. II irait le dire au
kbSn et j^ai quelques projets que je
veux, auparavant, mettre k exćcution.
Cho^lć-Khakoitm. — Oui, il ne faut pas
que le vizir apprenne cette affaire, car il
50 DEUX COMĆDIES TURQUES
en informerait le khdn, et alors , amčne
ton Sne et charge les fćves '.
SCENE IV
(A ce moment, Ni^a-Khanoum passe sa
tite par Vembrasure de la porte j et s*e-
crte) :
Ni^a-Khanouic, — Grand Dieu! le vizir
vient.
Cho'lž-Khanoum. — (Toute boulever-
s^e, elle va d I a porte etre garde). Grand
Dieu I le vizir vient tout droit vers cette
chambre. Timour-Aga, vous ne pouvez
pas vous sauver et vous ne pouvez
cependant pas rester ici I
Tiiiour-Aga. — Que faut-il done faire?
Quelqu^un lui aura dit quej'etais ici. Par
Dieu ! celui qui le lui a dit, ... avec ce ^o
poignard, je regalerailes chiens de ses en-
trailles ! (II porte la main i, son poignard) .
Cho'le-Khanoum. — Eh ! mon cher
ACTE DEUX1£ME 5 1
ami, ce n'est pas le moment de parler.
Allez plutćt derriere ce rideau. Je verrai
si je peux trouver un moyen de le fairc
partir. (Timour-Aga se precipite ** der-
rUre le rideau).
SCENE V
Le vizir. — (Entrant enbditantdans la
chambre). Comment vas-tu, Cho*le-Kha-
noum ? Ta sante est bonne?
Cho*lž-Khanoum. — Grdce k Dicu ! par
rheureuse influence de votre tSte bćnie^',
je vais toujours bien. — Et vous, com-
ment allez-vous ? II est bien etonnant que
vous me fassiez la faveur de venir ici au-
jourd*faui... Mais, pourquoi boitez-vous?
Pourquoi froncez-vous le sourcil?.... Que
Dieu nous prćserve d*un malheur !
Le VIZIR. — Ah! aujourd'hui il m'est
arrive une afFaire !... Ne m^en parle pas I
Jamais pareille chose ne me serait venue
6»
52 DEUX CaMĆDlES TURQtJES
k Tesprit. Ma journee est pire qiJte celle
d'un chien i^.— Eh! Aga-Mas'oud! va me
preparer u ne tasse de cafe, el apporte-la
moi. (L*eurtuque sHncline et sort.}
SCENE VI
Cho*l^-Khanoum. — Parlez : voyons ce
qui vous est arriv^. — Ou plutdt, non. Ce
serait sansdoute trop long k raconter : cela
vous fatiguerait.
Le tizir. — Non, ce n'est pas long.
Voici ce qu^ c'cst. — J etais aujourd'hui
avec quelques*uns des grands do royaunM,
en pr^sence du khdn. On vint k parier
de la force de Timour-Aga. L'assemblee
entićre s^accorda k dire que dans toute
la ville de Lćnk^rdn, personne n'avait
autanC de force qae lui , et le kh&n
fut aussi de cet avis. Moi, je protestai,
et je dis : « Timour-Aga n'a pas de
vigueur. Sans doute, pour la i&tt de la
ACTE ĐCUXIEME 53
rupture du je^ne, il a jcte k terre quel-
ques individus; mais, ce n'etaient que des
gamins ». — Timour-Aga etait pr&ent.
Le khdn ne fut pas de mon avis, et il me
dit : « Commenc prouverez-vous cela? »
— « Ce ne serait pas, rćpondis-je» digne
d*un bomme de mon rang; mais, sans
cela, malgrć mes cinquante ans, je lutte*
rais avec Timour-Aga, et je le jetterais i
terre. Vous verriez bien ! » — Alors, le
kMn qui aime toujours ces sortes de eho-
ses, s'ćcria : c It faut absolument que votts
luttiez avec Timour-Aga. » — Ne voyant
aucun moyen de reviter, je me Icvai.
Nous nous empoignames, et, Pamour-pro-
pre me poussant fortement, je soulevai
Timour-Aga, et je lui fis perdre pied sans
lui laisser une minute de repit. Je ne sais
pas comment je Tai jete k terre ; mais, le
pauvre enfant est tombe evanoui de tout
soii long **. Le choc a 6x6 tel que ce n'est
qu^une demi-heure aprćs qu'il a repris ses
sens. — Par la violence de mon effort, la
boucle ^ de ma ceinture m'a heurte avec
54 DEUX COMĆDIES TURQUES
tant de force, et m'a fait tant de mal, que
je ne peux pas marcher droit.
Cho*le-Khanouic. — (En riant). O mon
cher hommei qu'avez-vous fait-U! Ce
pauvre enfant est tombe.... S'ilmeurt, la
vie de sa mčre sera bien triste.
Le vizir. — C'est vrai, et, moi-memc,
j*ai beaucoup regrettć ce que j'ai fait. Mais,
que faire? C'est comme ćela.
Cho'lž-Khanoum. — Trćs bien. Et ce
malheureux est reste etendu a terre, tan-
dis que vous \ous leviez, et que vous ve-
niez me raconter votre exploit ?
Lb vizir.-* Non : les ferrachs Tont pris
sur leurs epaules et Tont rapporte a sa
mčre. (En entenđant ces mots, Timour-
Aga nepeutse contenir davantage, etpart
d'un eclat de rire. Le vi\ir se Ičve aussi-
tot, et va au rideau quil soulčve. En
apercevant derrišre le rideau Ziba-Kha*
noum et Timour-Aga^ U reste stupifait.—
Cho'U'Khanoum est ćtonnee aussi d'y
voir Ziba-Khanoum),
AGTE DEUXIEME 55
SCfiNE V[I
Le vizir. — Allons I quelle est encore
cette auire aflfaire? (II se tourne vers Ti"
mour^Aga et sćcrie) : — Monsieur, que
faites-vous ici? (Timour-Aga baisse la
tete). A la fin, me direz-vous pourquoi
vous etes ici? Pourquoi žtes-vous ici?
Que faites-vous ici ? Qu'y faites-vous ?^ T'i-
mour-Aga, sans rien repondre, sort de
derrUre le rideau, et^ la tete basse^ U veut
s'en aller).
Le vizir. (Le prenant par le bras). Je
ne vous laisserai pas partir, tantque vous
ne m'aurez pas dit ce que vous faisiez ici.
Voyons: parlez.
Timour-Aga, — (En secouant son bras).
Ldchcz-moi !
Le vizir. — (Le serrant plusfort). C'est
impossible. Je ne vous laisserai pas sortir
tant que vous ne m^aurez pas repondu.
(Poussćčibout, Timour-Aga saisit, d'une
56 DEUX COMEDIES TURQUES
main, le vi\ir derrišre le cou et, de Vau-
tre, leprendpar la cuisse;puis, U l'enlšve
de terrCf et lejette au milieu de la cham-
bre comme un paquet de linge, Ensuite,
d'uri bond, U franchit la porte, et s'ćchappe,)
SCENE VIII
Le vizir. — (Revenant a lui au bout
d'un moment, et se toumant vers Ziba*
Khanoum). Eh I dr61esse! quel est ce nou«
veau malheur que tu m'as jfite k la tćte?
Ziba-Khanoum. — C*e$t peut^fitre moi
qui vous Tai jete ^ la tćtc ? Qucl rapport
ćela a-t'il avec moi ? Malheureux, qu'cst-
ce qui vous fait croire ćela?
Le vizir. — (Tršs en coUre). Puisses-tu
etouffer ! catin ! Ne me conte pas de sor-
nettes : je te connais. Toutes ces fripon-
neries sont ton oeuvre. Mais, s^il plait k
Dieu, je vous ferai votre affaire.
Ziba-Khanoum. — ' Eh I malheureux !
ACTE DBUX1EMB
voyons: pourquoi me feras-tu mon afFaire?
Ai-je viole la loi ? Ai-je commis un
crime? Suis*je ailee chez quelque hotnme
etranger? Ai-je vole? Me suis-je prosti-
tuee ? Qu'ai-je fait?
Le VIZIR. — Impudente! que feras-tu
done de pire une autre fois? puisque
je viens de te trouver derričre ce rideau,
avec un pareil butor ^^l
Ziba-Khanouic. — Pauvre hommei De-
mandez done k votre femme Cho^Ić ee
qu^un homme etranger faisait dans sa
ehambre.
Lb vizir. — Ah! bohćmienne! dis-moi,
d*abord, ee que tu faisais avee ce profane ^^^
derrićre ce rideau.
Ziba-Khanoum. — Tr^s bien. Je vais
parler d abord ; mais, elle s'expliquera en
suite: nous verrons ce qu'elle dira.— Votrc
femme Cholć avait insulte ma servante.
Je stiis venue ici, afin de lui demander
pourquoi elle n'etendait pas son pied dans
les limitea de son tapis ^^ Je voulais lui
dire : « Ma servante ne mange pas ton
58 DEUX COMEDIES TURQUES
pain pour que tu lui dises des sottises. » —
Je viens, je vois qu'elle n^y est pas. Alors^
je veux m'en retourner. Mais,tout-k-coup,
j aper^ois ChoUć-Khanoum causant avec
un homme et venant, dc par U, vers cette
chambre. Je me precipitai.... mais, je ne
pouvais fuir. J^allai done me cacher der-
riere ce rideau, pour voir de li ce qu*ils
feraient et vous en informer — d^autant
plus que j^avais le visage dćcouvert, et que
je ne pouvais pas me montrer ainsi k un
etranger. — Par hasard, vousćtes venu ici.
Quand vous vous ćtes approchć, lui aussi,
il n'a pas vu d*autre moyen de vous ćvi-
ter. II a voulu se cacher, et il est venu se
placer derriere ce rideau en attendant que
vous partiez.
Le vizir. — Si ce que tu dis est vrai,
pourquoi n'es-tu pas sortie alors pour
me prevenir.
Ziba-Khanoum. — Si j*avais pu.... est-ce
que je ne serais pas sortie? Mais, il m*a
dit : « Si tu dis un mot^ je t'enfonce ce
poignard dans le coeur, jusqu^i la garde ».
- ■. .-4-IPh
ACTE DEUX1EME 5 9
, Le vizir. — (Apris riflexion^ se tour-
nant vers Ch&ld'Khanoum. ChoUe, dis-
moi la vćrite. — Cet homme etait-il venu
pourtoi?
Cho'lž-Khanoum. — Cette femme-lž est
toujours, comme un perroquet i^, i dire
des niaiseries, des betises, des mensonges!
Je n*ai jamais vu cet individu, et )e ne le
connais mSme pas.
Le VIZIR. — Comment?Tu ne le con-
nais pas? Tu n'as pas vu Timour-Aga ? Tu
le connais trčs bien.
Cho'le-Khanoum. — Timour-Aga ! Mais,
que faisait-il ici ? Est-ce qu*aprčs Tavoir
jete k terre, vous ne l'avez pas envoye k
sa mčre ?
Le vizir. — Allons, allons, bavarde!
Reponds-moi. D'aprćs ćela, c'est pour toi
que Timour-Aga ćtait ici.
Cho'lž-Khanoum. — Non, permettez: si
Timour-Aga etait venu pour me voir
moi, vous m'auriez trouvee avec lui dans
un meme endroit. — Ziba-Khanoum a su
que j'etais alleeaujourd^hui au bain. EUe
6o DEUX COMŽDIKS TURQUES
■■■ ■ ■ Ml ■ ■ ■ ■■ ■ ^.^^M— ^ , . ^_ I bmmM PIMB ■■■■■III II mi ■■ ■■■■■ III.. M Ml ■■■ ■■
a pensćquema chambreserait vide,etellea
voulu y amener son aman t pour s'y donner
du bon temps; d*autant plusque, coitime
c*est aujourd^hui le tour de sa chambre, et
que vous lui faites rhonneur de la visiter,
elle nepouvaitpasTamener chez elle. Par
hasard, il n^y avait pas d'eau au hammam,
et, sans arridre-pensće, nous sommes re-
venues š la maison . Comme nous som-
mes rentr^es sans pr^venir de notre arri-
vee, ils n'ont pas pu se sauver de devant
nous. Alors, ils sont allćs se cacher der«
ri^re ce rideau, autant pour y faire la vie
que pour y attendre mon depart et Toc-
casion de s'en aller.Voilltla verite. — Tran-
quillisez-vous. Ne vous laissez pas trom-
per par les ruses de cette efFrontee, et ne
me soup^onnez pas sans raison.
Ziba-Khanoum. — (En hurlant, d.
Cho* Ič'Khanoum) . Oh! miserable! Quel-
les sont ceshistoires quetu lui fabriques?
C'est ton nom i toi que tu mets sur ma
figure. Helas! HelasI par Dieu! je me
tuerai.
ACTB DXUXIEMS 6 1
CHo't&-KHAifOUH« — Misćrable, toi-
mćme ! Čest toi qui es une prostituće ! Tu
veuxte tuer: £ais-le.... et ne te tue pas si
tu prefčres. Mais, tes ruses sont connues
de tous les gens de L^nkerUn. Malgrć tes
plaintes et tes cris, tu ne pourras pas te
faire passer pour une honnčte femme. Ton
mari a des yeux : il volt ta conduite et la
mienne.
Ziba-Khanoum. — Ah! pitiei justice!
Mon Dieul je me tuerai. Malheureux
homme! pourquoi ne casses-tu pas la
tete ^ de cette impudente qui fabrique de
telles calomnies contre moi? Tu es plante
la k laregarder!
Cho^ž-Khanoum. — Eh! catin ! pour-
quoi me casserait-il la tćte ? — S'il est un
homme, ii faut qu'il te coupe en petits
morceaux, pour t*avoir surprise en tSte
ši tSte avec un gargon etranger.
Le vizir. — (A Ziba-Khanoum). Certai-
nement, il faut que je te coupe en petits
morceaux.— Mais,laisse-moi un peu dere-
pit pour que j'aille trouver le kh^n. Je vais
62 DEUX COUŽDIES T(mQUES
d'abord faire TafiTalre de ton amant : je
reflćchirai ensuite k ce que je ferai de toi.
Pendant toute ta vie, tu as fait mćtier de
mentir. Je te connais.
Zib4-Khanoum. — (Furieuse). En toute
justice,je mens, moi. Bravo I — et vous,
est-ce que vous dites toujours la vćritć?...
comme on a pu le voir par le rćcit que
vous avez fait tout k l'heure.
Le vizm. — Disparais de devant mes
yeux. Catin ! (Ziba-Khanoum sort de la
chambre).
SCĆNE IX
Le vizir. — Cho'ld, dis-moi la včrite de
toute cetteaflFaire.Voyons, en sais-tu quel-
quechose?
ChoYč-Khanoum. — Par votre mort ! Je
vous jure que je ne suis en rien coupa-
ble. (A ce moment, Veunuque Masoud
apporte le cafe^ et le verse dans une tasse^
đerričre le viiir).
ACTE DSUXlEliE 63
SCĆNEX
L'eunuque Mas^oud. — Seigneur, vcuil-
lez prendre le cafe.
Le vizir. — (U se Itve, et^ repoussant la
tasse de la main, U renverse le cafš sur
la tSte de Veunuque). Disparais, imbe-
čile 2^ A un pareil moment, quand j'ai
l'estomac serre, est-ce le temps de boire
du cafć? — Je vais k Tinstantchez le khan
rinformer de tout ćela. (Aga'Mas'oud se
retire, en cherchant d, nettoyer ses habits
du cafi repandu sur eux).
Le vizir. — (Tout troubli). File vite
et accomplis mes ordres. — Qu'on amčne
mon cheval roux, et qu'on le selle avec la
houssebrune; puis, qu'on Tamčne au de-
hors. — AUons, vite !
Agi-Mas'oud. — Oui, oui, seigneur, k
vos ordres^. Je suis tout prćt k faire
comme vous Tordounez. (Apris ćela, le
vi^ir sort).
64 DEUX COMŽDIES TURQUES
SCENE XI
Cho'lš-Khanoum. — GrandDieu! nous
voila engagćs dans une ćtrange affairc !—
Ma vie est sauve, gr^ce k Dieu ! (Pendant
qu'elle parle, Niqa'Khanoum entre.
Cho'lš se tourne alors vers elle).
SCENE XII
Cho^lž-Khanouk. — Ni;a, il nous est
arrive une affaire etrange. Ne le sais-tu
pas ? Le vizir a trouve Timour*Aga der«
ridre le rideau^avec Ziba-Khanoum.
N19A-KHANOUM. — Vraiment? Quoi?
que dis-tu? Ziba-Khanoum,derri^re le ri-
deau?.- Qu'y faisait-elle?
Cho'lč-Khanoum . — Je ne sais pas com-
ment cette catin est venue li pour me
sauver la vie... Mais, le kh&n va, sans
ACTE DEUXIEIiS 65
aucun doute, faire mettre k mort Timour-
Aga. Je ne sais quel moyen employer
pour le sauver.
N15A-KHANOUM. — Ne crains ricn. Le
khdn ne peut pas falre mettre k mort Ti-
mour-Aga. Mais, il n^aurait pas fallu que
tout ćela arrivdt, car maintenant, ćela va
durer longtemps. — Maman te demande :
allons k sa chambre. Nous enverrons
Aga-Mas'oud k la porte de la maison, pour
qu*il nous informe de ce qui arrivera.
(Toutes deuxs*en vont).
Le rideau tombe.
Fin db l'acte deuzičme.
"'"^^^^i^^.cS^
NOTES SUR L'ACTE DEUKIČME
1. Mot k mot : un projet eru (Jcham); on dit
auBsi dans le mime sens (na-poukhte) c qui n'est
pas cuit ».
2. Mot a mot : « je ne suis pas un oiseau dont
on mange la chair ». Cest-a-dire : je ne suis pas
homme k me laisser faire sans rćsister. (Proverbe.)
3. Mirza : secrćtaire. C'est un abrćgć de imir'
s^adkf c fils de prince ». Placć apr&s le nom, ce
mot dćsigne un des princes du sang. Placć avant,
il equivaut seulement au titre de monsieur ; mais,
il dćsigne alors un lettrć ou un fonctionnaire ad-
ministratif.
4. Mot k mot : c que le sel de mon p^re l'aveu-
gle ! » En Perse, comme partout, le sel est le sym-
bole de l'hospitalitć ; mais ici, c^est plut6t un
6ynonyme de faveur.
5. Littćralement : c un morceau de causerie ».
6. Ezpression figurće pour dćsigner le trouble
68 DEUX COMŽDIES TURQUES
de Ziba-Khanoum qui craint d*ltre exposće,
sans voile, aux regards d'un ćtranger.
7. L9 hammam est bien connu des Europ^ns :
c*e8t le bain ture.
8. Les musulmans qui ont plusieurs femmes —
ils ne sont pas aussi nombreux qu*on le croit
gćnćralement en Europe — doivent visiter cha-
cune d'elles tour k tour. Cette obligation n'est
pas cerite dans le Coran : elle rćsulta seulement
de quelques versets assez vagues ; mais, elle est
ćtablie par la loi meme. « L*obligation se borne a
la cohabitation et ne s'ćtend pas k Funion
sexuelle. » ~ « Uobligation ne s'ćtend qu*a la
cohabitation nocturne et ne comprend pas celle
du jour ; d'apres la tradition, la durće de la coha-
bitation est fixće depuis le commencement de la
nuit jusqu'au matin ». f Voyez Querry ; Droit mu-
sulman chiite, tome I, p. 732, paragraphe 669 et
670). On voit que le mari ne doit pas Ićgalement
a ses femmes la prćsence du jour; mais Tusage
est qu*il repartisse entre elles ses faveurs, aussi
impartialement que possible : c*est ce que le vizir
s'efForce de faire en apparence.
9. Amene ton ane et charge les feves : pro-
verbe persan. C'est-a-dire : 11 n'y a plus rien a
faire; tout est perdu.
10. Le kh^ndjer est plutot un coutelas qu*un
poignard : il se porte passe dans la ceinture.
11. Mot k mot : il va des pieds et des mains;
c'est-a-dire : a la hate.
12. Formule de politesse, tres usitće en
Perse.
NOTES SUR L^ACTE DEUXIEME 69
1 3. Litt. ma journće egt am^re comme celle
d*un chien.
14. Mot a mot : formant une masae (litt. un
desain) sur la face de la terre.
f5. Litt, « Tos de ma ceinture »; probablement
parče que jadis on faiaait des bouclea en os, pour
les ceinturons.
1 5. Litt. « au cou ćpais »•
17. L'expre88ion na-mahrem o profane » dćsi-
gne tous les ćtrangers devant qui une femme ne
peut se montrer k visage dćcouvert. Voici un ver-
set du Coran qui rčgle cette importante mati^re :
a Vos ćpouses peuvent se dćccuvrir devant leurs
pereš, leurs enfants, leurs neveux et leurs fem-
mes, et devant leurs esclaves. » Coran, trad. par
Kazirmirski ; Scura xxxiii, verset 55. Par esclaves,
le Proph^te veut dćsigner les eunuques chargćs
duhar^m, et non les serviteurs ordinaires du mari:
Dous avons vu plus haut Ziba-Khanoum mettre
son voile devant le ferrach H^yder.
1 8. Ce proverbe existe en persan, en ture et en
arabe : on le reirouve egalement en espagnol oii
il est peut-£tre un souvenir de la conquSte arabe;
de la il a passe dans les idiomes populaires du
Midi de la France. Les Espagnols disent : « Nadie
tiendra mas la pierna de cuanto fuere larga la
sabana ».
19. Le perroquet n'est pas toujours chez les
musulmans l'oiseau menteur par excellence : il
est^ au contraire, le plus souvent, la personnifi-
cation de la sincerite. Dans un conte des Qua'
rante Vizira, le perroquet rapporte toujours au
70 DEUX COMĆDIES TURQUES
mari la conduite de sa femme; c'est celle-ci qui
ment eft'rontćment, et qui cherche a faire prendre
en dćfaut le pauvre oiseau.
20. Le mot persan est plus rćaliste.
31. Litt. « qui ach^te du charbon k moitić
brAlć »; c'est-^ndire : imbćcile.
32. Mot a mot : a sur mes yeux » ; formule de
respect et d*obćissance.
I
ACTE TROISIEME
ACTE TROISIEME
L^action se passe sur le bord de la mer, au palais
du khan de Lenk^ran, dans la salle du conseil >.
Le khan est assis au haut bout du talar % sur
le trdne. S^lim-bey, grand-mattre des cćrćmo-
nies, se tient devant lui, une baguette ala main.
Les grands et les nobles de Lenkčran sont ran-
gćs des deux cotćs de la salle. Semed-bey, chef
des ferrachs, et Aziz-Aga^ chef des domestiques,
se tiennent devant la porte, avec deux ou trois
valets. — Au-dessous de Testrade, a c6t6 de
Qadir-bey, second mattre des ceremonies, les
plaideurs attendent d'Stre introduits auprčs du
du khan, et les ferrachs sont groupćs derriere la
porte, dans la parlie inferieure du talar.
SCENE PREMIERE
Le khan. — Le temps est tres beau au-
jourd'hui. Apres le conseil, je veux, pour
74 DEUX COMĆDIES TURQUBS
me distraire, faire un peu de promenade
en mer. — Aziz-Aga ! ordonne aux bate-
liers de prćparer la barque, ^ au bord du
rivage.
Aziz-Aga. — Tres bien, seigneur. (II
sort.)
SCENE II
Le khan. — Sčlim-beyl donne ordre
qu'on introduise les plaideurs.
Le grand-maitre des cerćmonies. — (Du
milieu de V estrade,)Qidii\V'hQy\ introduis
les plaideurs a tour de role. (Qadir'bey
introduit deux personnes^ un demandeur
et un defendeur ; puiSy U s'incline devant
le khdn.)
SCENE III
Le PLAiGNANT. — O kMii ! que je sois
votre rangon! J'ai une requćte k vous
faire.
ACTE TROISIEME 75
^■- - ■ I %■ ■ ■ M— ■■ ■ ^ ■ ■-■■II ■■ I l^^»^—l^— ^^i^^^^^^^^l— ^P^.— ^
Le khan. — Voyons, rhomme! dis-moi
quelle est ta plainte.
Le plaignant. — Seigneur, je condui-
sais aujourd'hui mon cheval šl la riviere,
pour le faire boire, quand il s est ćchappe
de ma main, et s^est enfui. Uhomme que
voici, venait k ma rencontre. — « Eh !
rhomme! lui criai-je, pour Tamour de
Dieu ! fais retourner ce cheval. » — II se
baissa, ram^ssa une pierre, et la lan;a k
Tanimal. Elle Ta atteint li Toeil droit,
et Ta rendu borgne : 11 est maintenant
sans valeur, et ne peut plus faire mon af«
faire. Je demande k cet homme le prix de
mon cheval ; mais, il ne me donne rien,
et me conteste mon droit.
Le khan. — (Au defendeur.) Est-ce
vrai?
Le đependeur. — Oui, seigneur^ c^est
ainsi. Mais, je n'ai pas jete la pierre ex-
prčs.
Le khan. — Ne dis pas de betises. Si tu
ne l'avais pas fait exprčs, pourquoi aurais-
tu ramassć la pierre, et Taurais-tu jetće ?
As-tu un cheval, toi aussi ?
76 DEUX COMĆDIES TURQUES
Lb DiPBNDEUR. — Oui, seigneur, j'en ai
un.
Lb khan. — (Au plaignantj Eh ! bien,
rhomme ! va-t-en ; crćve un oeil de son
cheval, ct rends-le borgne. — Dent pour
dent, ceil pour oeil, toute blessure a son
talion ^. — Cette affaire n'est pas difficile
k juger. — Sdm6d-bey! envoie un ferrach
avec cet homme, pour qu^il soit Id quand
celui-^ci prendra son talion. (Simdd-bey
s'incline^ descend de restrade, donne d
ces gens tm/errachfet revient ii sa place. J
SCENE IV
Lb khan. — Voyons, S^lim-bey : s'il y
a un autre solliciteur, qu'on l'introduise.
Dćpćchez-vous, car je veux aller me pro-
mener aujourd'hui.
S^iM-BBY, — Qadir-bey I si tu as un
autre solliciteur, am&ne-le. (Qadir''bey
introduit deux autres personnes,)
ACTE TROISIEHB 77
SCĆNE V
Lb khan. «- O pouvoir ! est-il, en ce
monde, chose plus fatigante que toi ?
Tous les hommes ne pensent qu'i leur
propre repos. Moi, il faut que je m'oc-
čupe de mille et mille personnes, et que
je m'informe de tous leurs ennuis. Depuis
le jour de mon avdaement, je n^ai pas
renvoyć de mon palais un seul solliciteur.
S^LDi-BBv. — Les actions de gr4ces de
tous ces gens-ld sont la rćcompense de
votre peine« seigneur. Ils sont pour vous
comme vos vrais enfants, et la prospćritć
de ce pajs est Toeuvre de votre justice
bćnie. (Les plaiđeurs s*avancent et s'in^
clinent)
Le plaignant. — ^ Seigneur, je suis vo-
tre ran^on. — Mon fr^re ćtait malade. On
m'a dit : « Cet homme est mćdecin. » Je
lui al donntf trois tomans, et je Fai mene
78 DEUX COMĆĐIES TURQUES
aupržs de mon frdre, dans l'espoir qu'il le
guerirait ^. Aussit6t pres du malade, il lui
a fait une saignee, et, dćs que la saignee a
ćtć faite, voilk que mon frčre est mort.
— Maintenant, je lui dis : « Cruel, il faut
que tu me rendes mon argent ». Mais il
ne me rend rien^ et il me rćpond : t Si je
ne Tavais pas saigne, ;a serait bien pire ».
11 me reclame m^me encore de Targent. —
Venez k mon secours, seigneur, je tourne
autour de votre tSte.
Le khan. — (Au d^fendeur.) Seigneur
medecin, si vous n^aviez pas saigne le
malade, quel plus grand malheur serait-
il done survenu? Qu'y a-t-il de pire que
ce qui est arrive?
Lb dćpendeur. — Seigneur, le frćre de
cet homme etait atteint d'une hydropisie
mortelle. Si je ne Tavais pas saignć, il se-
rait mort certainement, dans six mois.
Par une simple saignee, j^ai ćpargne au
plaignant une dćpense inutile de six mois
de traitement.
Le khan. — (Au defendeur.) II faut
ACTE TROISIŽME 79
đone, ši votre avis, seigneurmćdecin, que
cet homme vous compte une nouvelle
somme?
Lb hćdecin. '^ Oui, seigneur, certaine-
ment s*il est honnSte.
Le khan. — {Se tournant vers les as-
sistants.J Par Dieu ! je ne sais comment
trancher cette affaire. Jamais, je n^ćtais
tombe sur un proces aussi difficile i juger.
Un des assistants. — Seigneur, il faut
honorer Tordre des medecins, car ils sont
utiles k tout le monde. Ordonnez done
que cet homme donne encore un vSte-
tnent "^ šl celui-ci, et qu'il satisfasse k ses
rćclamations ; d'autant plus que je
connais ce mćdecin. C'est un tres habile
homme.
Le khan. — Puisqu'il est connu de
vous, qu'il en soit comme vous dites. (Se
tournant vers le plaignant.) — Eh !
mon brave! va-t-en, et donne un manteau ^
k ce medecin quUl soit content de
toi. — Sćmed-bey, cnvoie un ferrach
avec lui. II recevra un manteau des
80 DEUX GOMĆDISS TnRQUES
mains de cet hotnme, et le remettra au
mćdecin. (S^mtd^bejr descend de VeS'-
trade. A ce moment^ le vi\ir fait son
entree dans le talar, tout essouf/l^ et,
sortant un encrier ^ de sa poche, le place
a terre devant le khdn.)
SCENE VI
Lb vizir. — Seigneur, j^en ai assez du
metier de vizir ! cela suffit. J^ai re^u la
r&:ompense de mes servicesi Donnez le
vizirat a qui vous en jugerez digne. Pour
moi, il me faut fuir d'ici, et aller loia de
ce pays mendier de porte en porte.
Lekhan. ^ (Stupefait,) Eh! seigneur
vizir, qu'est-il done arrivć? Quel est Tetat
oti je vous vois? Pourquoi ces plaintes ?
Le vizir. — Dans le monde entier,
seigneur, Peloge de votre justice, de votre
ćquite et de votre clćmence est aujour*
d'hui sur toutes les Ičvres ^^. Par crainte
ACTB TROISIŽIIK 8 1
de votre justice, aucun d«6 grands de vo-
tre cour n'oserait toucher aux biens ni šl
la femme d'un pauvre homme. Mais,
vojrez comme votre neveu, Timour-Aga,
vous craint peu. II sMntroduit, en plein
jour, dans la maison d*un homme comme
moi, pour attenter ^ Thonneur de sa fa-
mille !
Le khan. — (Saisi de colirej Que di-
tes-vous, vizir? Timour-Aga a eu cette
audacei Qu^est-ce i dire ?
Le vjzir. — Que je passe pour un in-
grat ^^, si j^ai dit un mensonge ! Je l^ai
vu de mes propres yeux. Je l'avais saisi
pour le trainer devant vous ; mais, il ma
repoussć et il s^est sauve.
Le khan. — Sćmčd-bey I sors, et va cher-
cher Timour-Aga. Mais, ne lui dis rien
de toutcela. (Simčd-bey s'incline et sorU)
82 DEUX COMĆDIES TURQUES
SCENE VII
Le khan. — Calmcz-vous, seigneur
vizir. Je vais rendre un arret qui servira
d exemple au monde entier.
Le vizir. — Seigneur, quand il s'est
agi de justice, les rois qui vous ont prć-
cede n'ont epargne ni leurs parents, ni
leurs propres enfants. Des khalifes emi-
nents ^^ ont inflige a leurs propres fils des
chdtiments terribles, pour les punir d'a-
voir jete les yeux sur les femmes des au«
tres. Pour cette meme faute, Sultan-
Mahmoud le Ghaznevide ^^ trancha, de sa-
propre main, la tćte d'un de ses favoris.
Aussi, le souvenir de leur justice durera
dans le monde, k travers les temps et les
siecles.
Le khan. — (Au vt:(ir.) Vous verrez,
tout ŠL rheure, vizir, que votre khdn n'est
inferieur en rien ni aux khalifes, ni a
ACTE troisič:me 83
Mahmoud le Ghaznevide... surtout sur
ce chapitre.
SCfiNE VIII
(Sur ces entrefaites, Sčmčđ''bey et
Timour-Aga entrent et s*tnclinent.)
Lk khan. — (A Timour-Aga.) Ne vous
ai-je pas defendu de vous prescnter de-
vant moi avec un poignard ^*.
Timour-Aga. — Mais, .... je n^ai pas de
poignard.
Le khan. — U m'avait sembli. Bien. —
Qu^aviez-vous k faire dans le harem du
vizir? (Timour'^Aga baisse la iSte,J — Le
voici votre dessein : vous voulez que je
sois deshonore dans tous mes Etats par un
fripon et un bandit, comme vous! Mais,
je ne veux plus d'un pareil neveu. — En-
fantsl unecorde! [Quelques ferrachs s' a-
vancentj un chdle tout prSt ^ la main.)
8
84 DBUX GOMĆDIES TURQUBS
SCENE IX
Le khan. — Jetez ce chWe au cou de ce
gredin, de ce banditi Renversez-le ! (Les
ferrachs sont sur le point de lancer le
chdle^ — les yeux des assistants se rem-
plissent de larmes.)
Lb maitre des cćrćmonies et les intimes
Du KHAN. — Grace! seigneur. II est jeune.
Pardotinez-lui pour cctte fois.
Le khan. — Par les mSnes de mon pire!
Je ne lui pardonnerai jamais ! (Se tour-
nant vers les ferrachs.) — Lancez le chale !
(Les ferrachs s'avancent un peu plus.
Grands ou petits^personne ne peut se con-
tenir plus longtemps. Sans pouvoir mat-
triser leur douleur, tous les assistants se
mettent d gćmir^ et se jettent a terre, en
priant et en suppliant.)
Tous ENSEMBLE. — Gr&ce! seigneur,
n^ordonnez pas sa mort. Soyez gćnereux.
ACTE TROISIEME 85
C'est le seul enfant de sa mčre. (Ils gi^
missent et se lamentent.)
Le khan. — Non, impossible ! Dieu
m'en preserve ! (Au comble de la co-
Ure, U se tourne vers les ferrachs.) Ne
vous ai-je pas dit de lancer le chSle ? fils
de chiensl (Les ferrachs font un nouveau
mouvement^ et s'avancent un peu plus, le
chdle d la main, — Timour-Aga porte v/ve-
ment la main derrUre sa ceinture^ et en
tire un pistolet quHl dirige vers les fer*
rachs. CeuX'^i, effrayes, se dispersent,
— Alors, Timour-Aga saute hors de la
mSUe^ et s'ichappe,)
SCENE X
Le khan. — (En criant apr^s lui.) At-
trappez-le! Ne le laissez pas echapper!
[Tout le monde se remue, mais, personne
nepoursuit Timour^^Aga.)
Le khan. — (Regardant les nobleSt
86 DEUX COMĆDIES TURQUES
đ'un air courroucćj Ah ! vous ne meritez
pastoutesmes bontes! Pourquoi avez-vous
laisse partir ce bandit ? (Personne ne re-
pond.)
SCENE XI
Le khan, — Sčmed-bey ! (Celuuci s'a-
vancej. Prends vite avec toi cinquante
soldats, 15 et, quel que soit le lieu du
monde oti il se cache, trouvez-le, prenez-
le, et amenez-le ici, les poings lies. Tant
que je ne Paurai point mis k mort, le pays
ne sera pas tranquille, et mon coeur ne
trouvera pas le repos.
Semžd-bey. — Bicn, seigneur. (II sortj
SCĆNE XII
Le khan. — (Aux grands de la cour,)
AUez : vous etes congćdićs. (Chacun sort
de son c6te,J
ACTB troisi|:me 87
SCENE XIII
Le khan. — {Se levant.) Aziz-Aga ! f Ce-
lui'Cis*avance.) La barquc est-elle prSte?
Aziz-Aga. — Oui, seigneur, elle est
prćte.
Le khan. — (Se levant.) AUez, vizir, et
soyez tranquille. Ne vous chagrinez pas :
votre vengeance ^^ ne restera pas k terre.
Prenez cet anneau, et donnez-le k Ni;a-
Khanoum. J'ai envoye chez Porfčvre,
aujourd'hui meme, et on m*a apportecette
bague exprčs pour elle. Occupez-vous des
preparatifs de la noće. II faut qu'elle ait
lieu dans une semaine.
Le vizir. — Bien, seigneur. J'accom-
plirai les ordres de votre Altesse. (Le vf-
:{ir s*incline et sort. — Ensuite le khan
et A:{i\'Aga montenten bateau^ pour aller
d la promenade.)
Le rideau tombe.
FIN DE I^^ACTE TROISIČME
8*
NOTES SUR L'ACTE TROISIĆME
1. Le divan est un conseil tenu soit au palais
du souverain, soit a celui du grand vizir, en Tur-
quie, ou du gouverneur, dans une provi nce per-
sane : c'est un tribunal qui juge immćdiatement
et sans appel.
2. Le talar est une estrade ćlevee ou se tient
le khan, assis sur son trdne.
3. Le mot lotke qui est efnployć ici, pour desi-
gner une barque ou un bateau de plaisance, est
d'origine etrangere. Čest le mot russe lodka,
4. Citation du Coran. Voici la traduction inte-
grale du verset, telle que la donne M. Kazi-
mirski : « Dans ce code (le Pentateuque), nous
avons prescrit aux Juifs : fime pour dme, oeil pour
oeil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour
dent. Les blessures seront punies par la loi du
talion. Celui qui, recevant le prix de la peine, le
changera en aum6ne, fera bien ; ćela lui servira
d'eipiation de ses pechds. Ceux qui ne jugeront
pas d'aprčs les livres que nous avons fait descen-
dre d'en haut sont infid^les. » Ch.V, verset 49. Voici
90 DSUX COMĆDIKS TURQUBS
encore les autres passages du Coran qui traitent
de cette importante mati^re : eh. ii, versets 173-
175 et eh. XXII, verset 5g. La doctrine contenue
dana ces versets a 6x6 expliquće, aprčs la mort de
Mahomet, par la sonna ou recueil des traditions.
5. Le plaignant s'eiprime ici dans un de ces
patois du nord de la Perse, qu*on a dćsignćs
sous divers noms : (guil&k, maz&ndčrani, talich,
etc.), et qui ont entre eux de tr&s grandes ressem-
blances. Dans un article paru rćcemment dans le
Journal asiatique^ M. Clćment Huart propose de
rćunir tous ces patois et ces divers dialectes sous
la dćnomination commune de pehlevi musulman.
(Voyez les quatrains de Bdbd Tdhir 'urydn, publ.
trad. et annot. par M. Clćment Huart. Journal
asiat. Nov.-Dćc. i885.)
6. Mot k mot : a qu'il le rendrait gras », expres-
sion tr&susitee en Perse. Pour demander 21 un Per-
san des nouvelles de sa santć, on lui dit : a Votre
nez est-il gras? »
7. L'usage de donner en cadeau des vStements
est tres ancien en Orient. On sait que le Grand-
Seigneur avait pour usage, autrefois, de donner
une pelisse d'honneur aux ambassadeurs euro-
pćens. On appelait du nom de kliela les vSte-
ments offerts ainsi par le sultan, et c'est ce mot
qui a passć dans notre expression, v6tements de
gala.
8. Mot k mot : « un morceau de drap ».
9. Le qalem-ddn est, en quelque sorte, le sym-
bole des fonctions de vizir, comme le portefeuille
pour nos ministres europćens. Čest une bolte
NOTES SUR l'ACTE TROISIEME 9 1
longue, ct gćnćralement ornće de peintures ou
d'inscriptions, qui contient les qalems dont les
Orientauz se servent pour ćcrire. A un des bouts
de cette boite se trouve un encrier. Le qalčm-
ddn se porte, passć dans la ceinture.
10. Mot k mot : c est Toraison de toutes les ih-
vres.
IX. Mot k mot : « que le sel de votre faveur
m'aveugle ! » Voir acte II, note 4.
12. Allusion au khalife Omar. La sevćrite et la
justice de ce khalife sont Ićgendaires en Orient, et
les auteurs arabes et persans en rapportent bien
des ezemples.
1 3. II s*agit ici de Mahmoud, fils de S^bčkte-
guln, qui fut le fondateur de la dynastie des
Ghaznćvides, et dont le nom est restć justement
populaire en Perse, a cause de ses victoires dans
rinde et de la splendeur de sa cour de Ghazna.
C'est sous le rčgne de ce prince (de 388 a 42 1 de
i*hegire) que vivaient la plupart des grands poetes
de la Perse, et, parmi eux, au prtemier rang par le
talent, Ferdouci, Tauteur du Livre des Rois.
14. Le gama ou mieux, /^g-ama^, est unpoignard
a lame droite et large. Le sens primitif du mot
est « cheville, coin ».
1 5. Nous traduisons ici le mot ghoulam par
soldat. Nous avons dit plus haut que ce s^nt des
esp^es de pages ou de gardes du corps.
1 6. Mot a mot : c talion ».
ACTE QUATRIEME
ACTE gUATRIEME
l^*acuoii se passe dans la chambre de Cho*lž-
Khanoum oix celle-ci se tient assise, en compa-
gnie de Ni(a-Khanoum. Les deux jeunes fem-
mes\ toutes troublćes et dans Tatiente^ causent
entreelles.
SCENE PREMIĆRE
Ni^a-Khanoum. -* Je ne comprends pas
ce qui se passe. Que leur est-il done ar-
rive? Mas^oud qui ne revient pas nous
apporterdes nouvelles ! Mon coeur est tout
trouble.
Cho'l^-Khanoum. — Mais, pourquoi
done ton cceur est-il trouble, puisque
9
96 DEUX COMEDIES TURQUES
d'apres toi-meme, le khdn ne peut rien
contre Timour-Aga ?
Nica-Khanoum. — C*est vrai. II ne peut
rien contre lui. Mais, je crains d etre se-
paree de Timour-Aga, et cette sćparation
me serait plus dure que la mort. (A ce
moment entre Aga-Mas*oud.)
SCĆNE II
Cho'lž-Khanoum. — Ah I Aga-Mas'oud 1
Vovons, dis-nous ce qui s'est passe.
Aga-Mas'oud. •— Que voulez-vous qui
se soit passe? Le vizir s^est plaint au khSn.
Celui-ci a envoye chercher Timour-Aga
qu*il a voulu faire etrangler. Mais,
Timour-Aga a tire un pistolet, a ecarte
les ferrachs, et s'est ćchappe de leurs
mains. Alors, le khlln a charge une troupe
de cinquante soldats de le rechercher par-
tout oii il se trouverait, et de le lui ame-
ner, prisonnier et les mains liees, pour
ACTK QUATRIEMB 97
qu^il le fasse mettre k mort. Maintenant,
on occupe la ville, et on fouille toutes
les maisons, k la recfaerche du fugitif.
(Niqa'Khanoum pousse un eri de dou*
leur, — Au mirne instant^ la porte s'ouvre,
et Timour^Aga entre dans la chambre).
SCĆNE III
CHo'Lfe-KHANouM. — Grand Dieu ! mon
cher, que faites-vous? Pourquoi žtes-vous
venu ici? Comment etes-vous entrć?
Vous avez done un cceur de lion, et vous
ne craignez done pas pour votre vie?
Timour-Aga. (Le sourire aux IčvresJ, —
Pourquoi craindrais-je ? Qu^est-ii done
arrivć ?
Cho'lč - Khanoum. — Demandez-moi
plutćt ce qui nl'est pas arrive! Le khdn a
cn\oy6šL votre reeherehe pour qu'on vous
saisisse et qu*on vous mčne k lui. II veut
vous faire mettre k mort. Pourquoi done
98 DEUX COMŽDIES TURQUES
venez-vous ici, comme ćela, Tesprit tran-
quille? — Aga-Mas'oud, pour Tamour
de Dieu ! sors, et veille k ce que personne
ne vienne. (Aga-Mas'ouđ sort,)
SCENE IV
Timour-Aga. — Vous pensiez done alors
que, de peur d'žtre tue, je ne viendrais pas
voir Ni9a-Khanoum aujourd'hui ? Si, car
je lui ai donne ma vie entiere 1. Mais, ce
n^estpas sans une intention arretee que je
suis venu. Cette nuit mćme, je veux enle-
ver Nica-Khanoum et Teminener hors de
cette maison, car je ne peux pas la laisser
ici plus longtemps. Votre mari a com-
mence par moffenser : je ne peux plus
laisser chez lui ma fiancee, et continuer
k venir ici, comme par le passe.
Cho le-Khanoum. — Trčs bien : j'y con-
sens. Mais, il n'ćtait pas prudent de venir
ici, en plein jour. Ne savez-vous pas, vous-
ACTE QUATR1EME 99
mčme, que Ziba-Khanoum a place par-
tout des espions pour nous epier, vous
faire mettre A mort, au moindre pre-
texte, et nous deshonorer, nous autres?
— Ce qu'il faut, maintenant, c'est que
d'une fa^on quelconque, vous vous reti-
riez d'ici, et qu'2l minuit vous soyez devant
la porte, avec des gens et des chevaux. A
cette heure-l£l, je ferai sortir Ni^a-Kha«
noum que je vous confierai. EnIevez-1^,
alors, et detalez 1
Timour-Aga. — Et toi, Ni9a, consens-tu ?
Nica-Khanoum. — Oh ! oui, j'y consens.
II n'y a plus d'autre nioyen.^i4 ce mo-
ment Aga-Mas'oud crte, du seuil de la
porte.)
SCENE V
Aga-Mas'oud. — Grand Dicu ! le vizir
vient.
Cho^le et N19A-KHANOUH. (Toutes pd^
les,) — Oh ! mon cher, de grAce ! Timour-
j j j
100 DEUX COMĆDIES TURQUES
Aga I mettez-vous Ik derričre ce rideau.
Nous verrons si nous pourrons faire par-
tir ce mechant.
Timour-Aga. (Sans se troubler^ et tout
tranquillem€nt.)'— Je ne veux plus me
cacher derrićre ce rideau. Laissez*le venir :
qu'il me voie ici.
Cho'le et Nica-Khanoum. (Elles se jeU
tent a sespieđs, et embrassent ses genoux,
en prote d la plus vive emotion.) — Pour
Tamour de Dieu ! ne vous jetez pas au-
devant de la mort ^. Par le tombeau de
votre pere! cachez-vous derriere ce ri-
deau.
Timour-Aga. — Jamais !
Aga-Maso*ud. (Entrant, pour la deu"
xišme fois, sa tete par Vembrasure de la
porte,) — Eh I le vizir vient.
Cho'le et Nica-Khanoum. — Ayez pitie
de nous, Timour-Aga. Si le vizir vous
trouve ici, encore cette fois, il nous fera
certainement mettre k mort.
Timour-Aga. — AUons, c'est bien par
egard pour vous que je cčde. (II se cache
ACTE QUATRIEME IO I
derrUre le rideau; une seconde apris, le
vi\ir entre dans la chambre.)
SCENE VI
Le vizir. — Je suis content de vous
trouver ici toutes deux reunies. J'avais
besoin de causer avec vous, et il faut que
vous me pretiez votre attention. — Si
nous donnons ta^soeur en mariage au kh^n,
tu sais, Cho'le, combien ton rang et le
mien en seront ^leves. Ne dois-tu pas,
alors, songer k ta bonne renommee et
eviter de te compromettre ? II ne faut pas
qu'on puisse dire que la belle-soeur du khdn
a des intrigues avec des etrangers.
Cho'le-Khanoum. (Lentement^ et avec
calme,) — Voyons, dites : avec qui ai-je
des intrigues ?
Le vizir. — Avec Timour-Aga, par
exemple, puisque je Tai trouve dans ta
chambre.
102 DEUX COMEOIES TURQUES
Cho'lž-Khanoum. — Oui, en compagnie
devolre femme Ziba-Khanoum; derričre
ce rideau.
Le vizir. — C'est vrai. Je ne te soup-
^onne pas. II se peut bien que ce soit Ziba-
Khanoum qui soit en faute. Ce que je l^en
dis la est seulement pour que tu fasses en
sorte 3 qu'on n'aille pas rapporter au khan
de mauvais propos sur ton comptc. Gela
pourrait le refroidir vis k vis de Nica-
Khanoum et il est maintenant tout
epris de Ni^a. II m*a ordonne de preparer
le mariage pour la semaine procbaine,
et voici Tanneau qu*il lui offre. — Viens
ici, Ni^a: prends cet anneau, et mets-le k
ton doigt. (II met Vanneau dans la main
de Nica-KhanoumJ
Nica-Khanoum. — Une fille dont on
soup9onne la soeur, n'est pas digne du
khan. Remportez cet anneau.Quand vous
aurez trouve une femme digne du khan,
vous le mettrez au doigt de cette femme.
[Ellepose I a bague a terre, devant le vi\ir^
et elle sort,)
ACTE QUATRIEME I03
SCENE VII
Le vizir. (En criant apršs Ni^a^Kha-
noum.) — Eh! ma fille, cst-ce que je
soup^onne ta sceur? C'est un conseil que
je lui ai donne.
Cho^lž-Khanoum. — Ne valait-il pas
pas mieux donner ces conseils k votre
femme Ziba-Khanoum?
Le vizir. — Oui,... demain je lui parle-
rai bien plus severement.
Cho^i^-Khanoum. — Pourquoi attendre
k demain? Ne pouvez-vous pas y aller
aujourd^hui?
Le VIZIR. — Maintenant, ce n*est pas
necessaire. En admettantqueTimour*Aga
ait ete son amant, il a ete chStie. Ou on
Ta retrouve, et il va ćtre mis k mort; ou il
a reussi k s echapper^ et il ira, loin de ce
pays, mendier de porte en porte. II est
done inutile d'en reparler. II faut s'occu-
9*
104 DEUX COMĆDIES TURQUES
per de preparer le mariage de Ni^a-Kha-
noum.
Cho'lž-Khanoum. — Eh bien, allez
dans la chambre de ma mćre : vous cau-
serez de cela avec elle. Ce n'est pas mon
affaire.
Lk VIZIR. — Vaappeler ta mere. Qu'clle
vienne : nous causerons ici. (A ce mo-
ment^ la porte s'ouvre^ et Pšri-Khanoum
entre^ avec Ni^a-Khanoum. Le vi^ir, se
tournant vers Pćri'-Khanoum.)
SCENE VIII
Le vizir. — Ah ! vous avez bien fait de
venir ici. Donnez-vous la peine de vous
asseoir.
Pćri-Khanoum. — Que vos douleurs
retombent sur mon dme '• ! Ce n'est pas le
moment de m'asseoir. Si vous sortez,
je ne peux pas vous revoir. Ecoutez-moi :
j*ai k vous parler. Mon Dieu ! vous etes si
ACTE QUATRIEME Io5
occupe qu'on ne pcut pas vous voir.
Le vizir. — Čest vrai; surtout ces
jours-ci : je n'avais pas un moment de
loisir. Voyons, dites-moi ce que vous vou-
lez me demander.
PeruKhanoum. — Oh! rien de bien
difficile. — J etais allće demander un
amulette ^ Qourban, le diseur de bonne
aveniure, pour que Dieu vous donne un
enfant, de ma fille Cho*le. Le devin m'a
ecrit un amulette, ^ et m'a dit: « Vous
preparerez un plat de froment, trois fois
grand comme la tžte du vizir, et vous le
distribuerez aux pauvres. > II faut done
maintenantque je prenne trois fois la me-
sure de votre tžte, pour ne pas laisser
pa$serrheure de la soupe.
Le vizir. — Vous me faites la une
etrange proposition, ma bonne ! Tant que
ma tete sera sur mes epaulcs, comment
pourrez-vous en prendre la mesure ?
Peri-Khanoum. — Si, si, je peux : c^est
trčs faciie. Le sorcier m'a indique, lui-
mćme, le moyen. II faut placer un grand
I06 DEUX COMEDIES TURQUES
pot sur votre tćlc, et le pot qui la contien-
dra, en sera la mesure. Niga-Khanoum,
apporte-moi un vaše.
SCENE IX
(Nica-Khanoum sort, et rapporte un pe-
tit vaše que Aga^Masoitd avait prepare .
Aussitćt^ Peri-Khanoum Ičve le braSj et,
doucement, ote au vi^ir son bonnet.)
Le vizir. — Quoique ce soit la une ce-
rćmonie peu convenable, je ne m'y op-
poserai pas. II faut faire comme on vous
a dit. Que Dieu daigne exaucer le desir de
ChoUe-Khanoum !
Peri-Khanoum. — Bien ; merci. — Ni^a,
place le pot sur sa tete. (Nica-Khanoum
met le vaše sur la tete du vi:{ir, mais^ le
pot n'arrive qu*aux sourcils, et ne va pas
plus loin. Ni^a-Khanoum appuie trčs
fort four quil s*en/once.)
Le vizir. (Levant les deux bras.) —
ACTE QUATR1EME IO7
Ouf ! de grdce I que faites-vous ? Mon nez
est briše ! doucement ! (II enlčve le pot de
sa tSte.J
Peri-Khanoum. (Aussitot.) — Ma fille,
apporte un pot plus grand. (Ni^a^Kha^
noum r apporte^ en courant^ un grand
vaše,)
Le vizir. -- Eh ! ma bonne amie, pour
lamour de Dieu! ne serait-il pas possible
de remettre ćela k plus tard? Maintenant,
je voudrais vous parler : j'ai quelque chose
a vous dire.
Peri-Khanoum. — Non, non, mon cher ;
ce n'est pas possible. Le moment favora-
ble passerait. Ne vous flchez pas : c'est
raffaire d'une minute, et c'est pour vous
que nous nous donnons tout ce mal. (En
pleurant.) Je suis k la fin de ma vie. . . et
je mourrais sans avoir vu un petit enfant
sur lesgenouxde Cho'le ! (Ellese tourne,
les yeux remplis de larmes, vers Nica^
Khanoum,) Ma fille, place le pot. C'est
celui-la que tu aurais du apporter tout
d^abord.
I08 DEUX COMŽDIES TURQUES
SCENE X
(Ni^a-Khanoum place le vaše qui sen-
fonce au-dessous de la gorge du vi\ir.
Aussitot, Pšri'Khanoum fait signe d
Cho'lš, en lui montrant le rideau. Celle-ci
le soulčve sans bruit, et, en tirant Ti-
mour^Aga, le mine jusqu'd la porte, —
Timour sort par la porte dufond. Ni^a
enlive alors le pot.)
SCENE XI
Le vizir. — Ah ! maintenant, ma chere,
asseyez-vous. Je veux vous parler k mon
tour.
Peri-Khanoum. — Voyons, mon fils.
(Comme elle se dispose d s'asseoir^ un
bruit de voixs*dltve du milieu de la cour,
Une minute aprčs^ Timour- A ga entre
ACTC QUATRIEMB tOg
đans la chambre, un pistolet d la main.
Le vi^ir se met d trembler^ en Vaperce^
vant.)
SCENE XII
Timour-Aga. — Vous ne rougissez done
pas des bontes que mon pere a eues pour
vous *? Vous voulez done, injustement et
sans raison, me faire mettre k mort ? Mais,
on ne me tuera pas, tant que je ne vous
aurai pas tue! (U dirige son pistolet vers
le vi\ir.}
Cholč-Khanoum. (Se jetant aux pieds
de Timour-Aga, et rimplorant.J^-GršiCtl
Timour-Aga : relenez votre main ; con-
tenez-vous. (Timour-Aga retireson bras,
— A ce moment, Sčmid-bejr entre dans la
chambre^ avec quelques soldats, et se tient
debout sur le seuiL)
no DEUX COMĆDIES TURQUBS
SCENE XIII
Timour-Aga. — SemW-bey, quel est
ton dessein? Que veux-tu faire ?
SčMED-BEY. — Seigneur, nous sommes
vos servileurs et ceux de voire pčre. De
quel droit vous manquerions-nous de
respect? Mais, vous le savez, vous-mćme :
c'est Tordre du khžin. Nous devons vous
amener k lui.
Timour-Aga. — Vous ne pourrez pas
m amener vivantdevant lui. Voulez-vous
done lui rapporter ma tćte ? Mais, ma tete
elle-meme, ne tombera pas si facilement
dans la main de personne! Allons, aie le
courage de venir la prendre. Avance.
Semed-bkv. -^ Seigneur, supposez que
vous atteigniez et que vous tuiez un
homme, avec ce pistolet : vous ne pourrez
pas tuer aussi les cinquante soldats qui
me suivent. Tout ćela est bien inutile. Le
ACTE QUATRIEME 1 1 I
khdn s'est calme, et il s'est engagć a ne
vous rien faire : il en a donne sa parole.
Timour-Aga. — Je ne me fierai jamais k
sa parole ni a ses actes. Comment done
a-tMl tenu dejsl ses promesses pour qu*on
puisse s'y fier ?... Čest comme j'ai dit. (A
ce moment, pour la deuxieme fois, un
bruit de voix s^elšve du fond de la cour.
-^ Sčlim^bejr^ grand mđitre des ceremo-
nies, et Ri\a^ frtre de lait de TimouV'
Aga, entrent dans Vappartement,)
SCENE XIV
Sč:lim-bey. — Arriere ! Sćnied-bcy. Salut
k vous, 6 Timour-Aga. Le khdn^ votre
oncle, ćtait alle faire une promenade en
mer. Tout k coup, un vent contraire s'est
leve; le bateau a ete englouti, et le kh&n
s'est nojre. — Maintenant, le peuple est
reuni autour du palais, attendant que
vous lui fassiez l'honneur de vous asscoir
112 DEUX COMĆĐIES TURQUES
au trdne du pouvoir '' et de reprendre la
place de votre pere.
Timour-Aga. — Est-ce vrai, Riza?
RjZA. - Oui, seigneur, c^est vrai :
daignez done venir avec nous« (A ce mo-
ment^ le vi:{ir et Sčmid-bejr s'avancent
et se prost ernent, laface contre terre.)
Le vizir etSEH£D-BEY. — Seigneur, que
nous soyons votre ran^on ! faites-nous
grdce.
Timour-Aga. — Relčve-toi, Sćmed-bey,
et retire-toi. {Simčđ'bey se relive^ et se
retire dans un coin.)
Timour-Aga. (Se tournant vers le vi\ir^)
— Vizir, voici la raison de mes visites dans
votre maison. J^aimais, et j'aitne encore
votre belle-soeur, Ni^a-Khanoum. Je
voulais la prendre pour femme, selon
Tordre de Dieu, selon la loi du Prophćte,
et avec votre propre agrement. Mais, pour
satisfaire quelques lointains projets de
grandeurs, vous vouliez la donner en ma-
riage ^ ce maudit, et c'est pour cette raison
que je ne pouvais vous exposer ma de-
ACTE QUATR1EME Il3
mande. C'est I^ la cause de vos mauvais
soupgons k mon ćgard et de votre dessein
de me tuer. Mais, les evenements celestes
rendent vains les projets des homtnes ^.
Dieu, qui selon les exigences de la justice,
donne au riche, comme au pauvre, la re-
compense de leurs oeuvres, a sauve Tin-
nocent, et a fait arriver le contraire de vos
dćsirs. — Maintenant, en raison des in-
justices que vous avez commises pendant
le temps de votre pouvolr, vis ^ vis du
peuple et de vos subcrdonnes, je ne peux
pas vous confier, une seconde fois, la
charge du vizirat, et vous maintenir dans
vos anciennes fonctions. Je sais, en effet,
qu41 est impossible d^arracher de Tesprit
d^un homme les mauvaises habitudes qu'il
a contractees, de fa^on k ce qull travaille
ensuite a la prosperite publique, selon les
voies de la justice. Mais, vous avez mange
le sel de ma famille ^ : je ferme les yeux
sur vos fautes passees. Dorenavant, et
pendant toute la durće de votre vie, vous
recevrez de moi une pension, et vous res-
114 DEUX COMĆDIES TURQUES
terez šl la tćte de votre maison et de votre
famille, dans la tranquillite la plus com-
plete et le calme le plus absolu. — Mais,
dans l'interćt des affaires publiques, vous
ne serez plus charge des fonctions du
vizirat. L'ingerence de vos pareils dans
les afFaires de TĆtat est contraire k la
justice et a Phumanite. Aussi, le prince
qui veut faire prosperer, selon les rčgles
de requite, les interets de son royaume,
et mener ses sujets dans la voie du pro-
gres, doit destituer les ignorants, les inča-
pables et les ambitieux, et confier les
affaires de son royaume i des hommes
instruits, habiles et desinteresses. II ne
doit pas donner accčs aux affaires des ser*
viteurs de Dieu k des gens dont Phabi-
tude est l'avidite et la venalitć, qui,
contre tout droit et toute justice, ne se
servent de leur pouvoir que pour leurs
propres interćts. 11 agira ainsi pour faire
prosperer les afEsiires de l'Ćtat et du peu-
ple, et pour donner la paix et le bonheur
k tous ses sujets, esclaves et hommes libres.
ACTE QUATRIEME I I 5
— Mais 11 me semble quMl est inutile
d'en dire plus long sur ce chapitre. II faut
mettre la main a Foeuvre, et achever les
prćparatifs de la noće. Pour vous, vous
preparerez tout ce qui est necessaire šl Niga-
Khanoum. SMI plalt si Dieu, le decret de
la cćrćmonie sera rendu, la semaine pro-
chaine, et ce sera bientdt termine. — Ma
chćre Peri-Khanoum, madame Cho'lć-
Khanoum, que Dieu vous garde. Occupez-
vous de ce qui vous concerne, pour les
preparatifs du mariage.
Pćri-Khanoum et Cho'lž-Khanoum. —
Que Dieu fasse durer votre vie et votre
rćgne, seigneur. Puissiez-vous possćder le
pouvoir, pendant cent ans encorel (7*/-
tnour^Aga sort avec les assistants. Le
vi^ir^ abasourdi^ reste dans sa maison.)
Les soldats. (A gorge d4plqyee^ au
milieu de la cour :) Vive Timour-khdn!
(Le rideau tombe,)
FIN DU VIZIR DE LENKŽRAN
:»ikf:$^^#4lfetf
NOTES SUR L»ACTE QUATR1ĆME
1 . Ltttćralement : a j'ai placć cette tSte sur son
chemin ».
2. Litter. « ne vous plongez pas dans des flots
de sang ».
3. Mot k mot : a que tu aies une mani^re de
t'asseoir et de televertelle que^... etc. »
4. Formule de politesse, et expression de respect.
5. Les amulettes persans sont gćneralement des
versets du Coran que le sorcier ćcrit sur de petits
carrćs de papier. S'il s'agit, par exemple, de guć-
rir un maiade, on lui fait boire de l'eau ou une
potion queIconque dans ]aquelle on a fait trem-
per ramulette, jusqu'a ce que les caractčres de
rćcriture aient ćie entičrement laves. Naturelle-
ment, le verset varie, selon le but qu'on se
propose d*aueindre. Quelquefois, au lieu de
citations du Coran, le devin se contente d'6-
crire, sur un papier quadrillć et divisć en petites
cases, un certain nombre de lettres arabes ou de
signes sans autre signification que celle qu*il
prćtend leur donner. Ce procćdć est encore en
usage aujourd'hui en Algerie ou les diseurs de
I 1 8 DEUX COMĆDIES TURQUBS
bonne aventure obtiennent aupr&sdes Arabes plus
de credit que nos meUIeurs mćdecins. Ces sortes
d*amulettes se portent souvent sur le corps, comrae
des scapulaires : on les enferme alors dans des
petits sacs de cuir brode.
6. Mot a mot : « que les bontćs de mon p^re
vous soient interdites I »
7. Littćr. c sur le coussin du pouvoir ».
8. Cette maxime est cadencće et rhythmće, dans
le texle, ce qui plait beaucoup aux Persans. Toute
cette harangue est d'ailleurs dans le goCt de Hi
littćrature sassanide.
g. Čest k dire : vous Stes le protćgć de ma
faroille ».
FIN DES NOTES SUR LE VIZIR DE LENKERAN
LES PROC URE URS
COMCDIE EN TROIS ACTES
LES PROCUREURS
COMEDIE EN TROIS ACTES
PAR
MIRZA FETH-ALI AKHOND-ZADE
PERSONNAGES DE LA PIECE
SEKINE-KHANOUM, jeane fille de dix-huit an:>, soeur
de feu Hadji-Ghafoor.
AZfZ-BEY, fiancć et ainoureux de SekinčKhanoum.
ZOBEI'DE, Unte paternelle i de Sčkine-Khaiioom.
ZEINEB, concubine % de feu Hađji-Ghafour.
AGA-ABBAS, frčre de ZMnhb.
AGA-SELMAN, le fils du fabricant de tamis, avocat de
Sekinč.
AGA-MERDAN, le fils du confiseur, avocat de Zelneb.
AGA-HA^AN, nćgociant.
AGA-KČRIM, chef des coartiers.
GOUL-SEBAH •, servante de Sfekinć-Khanoum.
Le Prćsident du tribunal.
AGA-REHIM, \
AGA-DJEBBAR, / j , .
AGA-BECHIR, [ assesseurs du tribunal.
AGA-SETTAR, )
L*Inspecteur du marchć.
HEPOU, X
CHEiDA, I
QOURBANALI, \ temoins de ZeTnib
HANIFE, ;
BEDEL.
QAHREMAN, I soldats, tćmoins de S^kini-
GHAFFAR, ( Kbanoum.
NŽZER, )
Le chef des huissiers.
ECED, dome8tique du prćsident du tribunal.
NACIR, firrach.
Un enfant de sept mois.
NOTES SUR LES PERSONNAGES
1. Les Orientaui distinguent la tante paternelle
(amme) de la tante maternelle (khale).
2. Le mot « MoVe > que nous rendons ici par
concubine, designe, en realite, une femme qui a
contracte un mariage temporaire. Ces sortes d*u-
nions n'ont pas ćte ćtablies par le Coran, mais
elles sont justifiees par la loi. En som me, le ma-
riage temporaire n'est qu*un concubinage legal.
Les quelques conditions dont le legislateur a en-
tourć cette forme d*union, sont derišoires; voici
d'ailleurs les principales, d*apres le savant ouvrage
de M. Querry (Droit musulman chiite), « Tout
homme libre ou esclave peut ćpouser en mariage
temporaire autant de femmes qu'il veut. » T. 1,
p. 673. parag. 243. — a Quatre conditions sont
indispensables a la validite de ce mariage : le con-
trat, la Ićgalitć, le douaire et le terme. » P. 689,
parag. SSg. — « La femme, pour pouvoir con-
tracter un mariage temporaire, doit professer
une des quatre religions rćvelees : Tislamisme, le
10*
124 NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES
judal'sme, le christianisme ou le magisme... »
P. 690, parag. 366. — « Le mari d'une femme li-
bre ne peut contracter un mariage temporaire avec
une esclave, sans le consentement de la femme
libre, sous peine de nuUite du second mariage. »
/^., parag. 871 » — ec La femme musulmane ne
peut contracter un mariage temporaire avec un
homme professant une autre religion que l'isla-
misme. » /<i., parag. 372. — Ce sont la toutes les
incapacites resultant de laqualite des personnes;
le legislateur se borne a rccommander encore
d^eviter une pareille union avec une femme de
mauvaise vie ou avec une jeune hlle vierge pri-
vee de son pere. Id., parag. 372 et 373. — Parmi
les conditions exigees pour la validite du mariage
temporaire, il en est deux qui pourraient avoir
peut>etre quelque importance, mais que la loi
n'etablit que pour lesefracerpresque entierement :
c'est d*abord le douaire que le mari doit payer a
la femme apres rexpiration du mariage, et ensuite
le terme fixe pour la duree de Tunion. Voici»
textuellement, ce que la loi chiitedit a propos du
douaire : « La quotite du douaire peut Stre con-
siderable ou insignifiante; elle peut mSme ne
consister qu*en une poignee de ble. » P. 692«
parag. 383. Quant a la duree du contrat, d'aprčs
les articles 392 et 394, « elle peut Stre conside-
rabie ou de bref delai ; elle peut s*ćtendre a une
ou plusieurs annees, a un ou plusieurs mois ou
jours. » — a Elle peut etre fixee pour une frac-
tion d'un jour, pourvu que le moment de Teipi-
ration en soit determine formellement, par exem-
NOTES SUR LES NOMS DES PERSONNAGES 125
ple : si elle ćtait fixće a midi ou au coucher du
soleil. » '— Comme on le voit, il est difficile d*i-
maginer une loi plus immorale et moins g£-
nante.
il est evident qu*une pareiile unibn ne peut
produire des efFets aussi considćrables que le
mariage legitime; aussi « les ćpoui maries tem-
porairement n'hćritent pas Tun de Tautre,
soit que le contrat renferme une clause a cet
effetf soit qu*U n'enfasse pas mention, » Ainsi
done, une femme mariee sous le regime du
mariage temporaire n*hćrite pas de son mari.
Mais, les enfants nćs de ce mariage, ont droit k
la succession de leur p&re. La loi les appelle a
cette succession, de concert avec les descendants
du premier degre, avant les frčres, soeurs,
afeuls, ondes et tantes, du defunr. Čest la toute
ridće et tout le sujet de la comćdie « les Procu-
reurs ». ~Si Hadji-Ghafour a laisse un fils, celui-
ci est runique heritier de la succession; s*il n'a
pas laisse d'enfant, toute sa fortune doit revenir
a sa soeur Sekine-Khanoum.
3. Goul-Sčbah| nom propre; litt. « fleur du
matin ».
ACTE PREMIER
G>^
ACTE PREMIER
L^action se passe dans la maison de Hadji-Gha-
four, nćgociant dćc<5dć.
SCENE PREMIERE
Debout devant la fenStre,Sekinč-Khanoum, soeur
de HadjiGhafour, appelle sa servante Goul-
Sebah.
Serinž-Khanoum. — Goul-SćbahI Goul-
Sebah !
GouL-SŽBAH. (Entrant dans la chatn-
bre.) — Voil^, madame. Que desirez-
vous?
l3o DEUX COMŽDIES TURQUES
Sektn£:-Khanoum. — Ne sais-tu pas,
Goul-Sebah, les tracas que mon effrontee
de belle-soeur me lance k la tćte ?
GouL-SžBAH. — NoD, madatne. Que
puis-je savoir?
Sčkinč-Khanoum. — EUe a fait prevenir
le president du tribunal qu'elle s*opposait
ŠL ce qu'il me delivr^t Targent que mon
frere avait depose entre ses mains. Elle
pretend que cette somme doit lui revenir
a elle. Par Dieu! Goul-Sćbah, a-t'on vu
pareille chose en ce monde? Je ne sais
quelle faute j ai commise envers Dieu ;
mais les choses s'arrangent toujours pour
que la fortune me soit contraire.
GouL-SčBAH. — Madame , pourquoi
vous faites*yous de pareilles idees? Pour-
quoi done la fortune vous serait-elle
contraire?
Sekinč-Khanoum. — Tu sais, Goul-Se-
bah, que j^aime eperdOment Aziz-bey.
Pendant deux annees entičres, le malheu-
reux a supplie mon frćre dćfunt de lui
accorder ma main : mon frćre n'y a pas
ACTB PREMIER l3l
consenti, parče que Aziz-bey est fils de
sunnite, ^ ct fonctionnaire du gouverne-
ment. Maintenantque mon frdreest mort,
et que je suis libre ^ de disposer de moi-
m£me^ je voulais entrer en possession de
Targent qu'il m'a laissć, pourvoir tranquil-
lement i, mes besoins, et rćaliser le voeu
de mon coeur. Et voilJi que mon effrontće
de belle-soeur a rćciame, et qu^elle a fait
opposition au versement de Targent !
Maintenant, il nous faut avoir les soucis
d'un procčs.
GouL-SŽBAH. — Madame, est-ce que
votre belle-sceur n'a pas de droits ^ Phe-
ritage de votre frčre ?
Sčkinč-Khanoum. — Eh! non. Quels
droits aurait-elle? Ellen'etaitpassa femme
legitime pour heriter de sa fortune. EUe
na mćme pas un enfant qui puisse etre
co-partageant ! Je ne sais vraiment pas
pourquoi elle a rćclame.
GouL-SžBAH. — Ne pensez pas k tout
ćela, madame. S*il plait i Dieu, on ne
pourrarien contre vous. — Mais, failes une
u
1 32 DEUX COMĆDIES TURQUES
promesse k votre servante : je prierai Dieu
pour qu'il arrange votre affaire, et pQur
que vous parveniez bientdt au but de vos
desirs.
Sčrinž-Khanoum. — • Qae desires-tu?
Quelle promesse yeux-tu que je te fasse?
GouL-SčBAH. — Promettez-moi , lors-
que vos affaires seront arrangees, grace a
Dieu, et que vous aurez touche toute vo-
tre fortune, promettez-moi de faire aussi
les frais de mon mariage et de me donner
un mari. — Apartcela,quepuis*jedesirer?
Sžkinž-Khanoum. — Tres bien. Prie
Dieu pour que notre proces soit bientdt
termine, et je te donnerai un mari a toi
aussi. — Maintenant, pars, va chez Aziz-
bey, et dislui de venir : je veux voir cc
qu*il dit de tout ćela. Le president du
tribunal m'a fait inviter k prendre un
avocat ^ pour soutenir ma cause. Main-
tenant, je n*ai personne, en ce pays, que
Aziz-bey et une lante paternelle; et en-
core,...., celle-IS, c'est une femme : que
peut-elle faire?
ACTE PREMIER I 33
GouL-SčBAH. (Elle sort et revient aus*
sitot.J — Madame, voici justement Aziz*
bcy qui vient ici. (Aussitot Sikini Kha-
noumferme la/enetre, et A\i\^bey entre
dans la chambre.)
SCENE II
Aziz-B£Y. (Brusguement,) — VoilS enfin
dti.tu m as conđuit, Sekinč !
Sekinž-Khanoum. (SurpriseJ — Moil
Odt^ai-je conduit?.... Mais, qu^est il done
arrivć, pour que tu aies ainsi Tair sombre
et irrite?
A^iz-BEY. — Ecoute-moi, Sćkine VoiU
deux aos, tu le sais, qu^au sortir de Pe-
cole, j'ai ćte pris du mal d^amour pour
toi, au point de n'avoir plus la force de
sortir de ma maison. Quoique ton frere
m^ait maltraite, et qu'il se soit efforce de
nous separer, pendant tout ce temps-1^,
j^ai fait preuve de constance et j'ai sup-
I 34 DBUr COUĆDIES TURQUES
porte sa rigueur. Mon amour, au con-
traire, s'est accru de jour en jour, et, dans
Tespoir que notre union me serait eniin
accordće plus tard, j'ai endurć patiemment
toutes les violences et toutes les persćcu-
tions. Maintenant, le moment de notre
union approchait et rendait mes pensćes
plus riantes, j'avais eniin un peu de
calme et j'apprends qu^on veut encore
me rendre malheureux I
Sžkinž-Khanoum. — Que dis-tu ? Parle
plus clairement pour que je sache ce que
tu veux dire. Je ne te comprends pas.
Aziz-BKY. — Pourquoi ne comprends-tu
pas? Ne le sais-tu pas toi-meme? Hier,
Aga-Haf^n, le nćgociant, a enyoyć la
femme du prevdt ^ des marchands, celle
du maire ^ et celle de Molla-Baqir % au-
prčs de ta tante, pour lui demander ta
main. Ta tante leur a donne sa parole.
Sžikinči-Khanoum. — Bah ! ma tante a
parić en Tair. Qui est-ce qui fait attention
ŠL ses paroles^?
Aziz-BEY. — Non, je ne peux pas gar*
ACTE PREMIER I 35
dercela plus longtemps. II faut que tu
fasses appeler ta tante, tout de suite, et que
je f entende, de mes propres oreiiles, lui
dćciarer que tu ne seras jamais la femme
de Aga-Ha^dn ; ou bien, il faut que je me
decide k tuer Aga-Ha^Sn, aujourd'hui
mSme... etadvienne quepourra! — Qu'est-
ceque que c^est que ce Ha^dn ? Ce bouti-
quier! II aura voulu marcher sur mes
brisees ^, s'adresser k ma fiancee et passer
sur mon chemin.. .. Par Dieu t je vais aller
lui arracher les boyaux avec ce poignard !
Sžkinž-Khanoum. — Tr^s bien. Je vais
envoyer chez ma tante, la prier de venir
ici. Ensuite, je lui dirai que je ne suis
ni ne serai jamais la femme de Aga-
Ha{dn. Quand ma tante arrivera, tu iras
dans cette chambre, et tu Tentendras,
de tes propres oreiiles. — Goul-Sćbah !
1 36 DEUX COMŽDIES TURQUES
SCĆNE III
GouL-SčBAH. — Voiia, madame.
Sekine-Khanoum. — Goul-Sčbah, va
prier ma tante de venir ici. (Goul'Sdbah
sort.)
SCENE IV
Sekine-Khanoum. — Bien.Voyons,main-
tenant : qui prenons-nous pour avocat?
Aziz-BEY.— Un avx)cat? Pourqaoi faire?
Sčkinč-Khanoum. — Hćlas! il demande
pourquoi! — N'as-tu done pas appris que
ma belle-soeur reclamerhćritage,etqu*elle
veut me faire un procćs?
Aziz-BEY. — Oui ; je Tai entendu dire.
Mais, maintenant, je n*ai pas ma tete a
moi. — Que ta tante vienne d'abord, et,
quand elle sera partie, je trouverai un
avocat. (A ce moment un bruit de pas se
ACTE PREMIER l3j
fait entendre. A\i:['bey se retire dans
Vautre chambre et Zobšidč^ tante de
Sikinč'Khanoum , entre dans Vapparte^
ment.J
SCĆNE V
S&kiicč-Khanouic« — Bonjour, chčre
tante.
ZoBžtDž. — Bonjour, Sekinč : que fais-
tu? Vas-tu bien?
Sžkinč-Khanoum. — Ahl comment irais-
je bien? Quand vous ai-je permis, ma
tante, de me promettre en mariage a Aga-
Ha^^n? Je n'ai plus ni pčre ni frčre, et
c'est moi-m£me qui fais mes affaires
maintenant.
ZoBžtDŽ. — N*as-tu pas honte? Ne rou-
gis-tu pas? Est-ce que ceia te regarde? II
te faut un mari : tu prendras celui qu on
te donnera ^. II n'est pas convenable que
les petites fiUes parlent ainsi devant leurs
grands parents. Čest honteux. Fi done I
1 38 DEUX GOMĆDIBS TURQUES
SčKiNE-KH4Nouif. — Noii« II me plait
de parler ainsi ! Je n^abanđonnerai plus
ma liberte, et personne ne pourra m^m-
poser un mari ^^.
ZoBfeiDE. — C'est bien. Est-ce que tu ne
veux pas te marier?
Sekinž-Khanoum. — Non; je ne veux
pas me marier.
ZoBEiDž. (EnsouriantJ — U y a beau-
coup de filles qui disent non, comme toi ;
mais, plus tard, elles en reviennent.
Sekine-Khanoum. — Au nom de Dieu !
ma tante, je ne plaisante pas; ii est
absurde de vouloir m'unir k Aga-Ha-
9^n ^^ Renoncezdonc entičrement ^cette
idee.
ZobMđe. — Ce n^est pas possible, ma
chere niece. Tu me ferais des ennemis de
tous les notables du pays.
Sžkine-Khanoum. — Au diable ^^\ s'ils
nous en veulentl... Aga-Ha92in me de-
plait : quand je le vois, j ai la bile en
mouvement.
ZoBEiDE. — Pourquoi?
ACTE PREMIER l3g
Sčkinč-Khanouii. — Cest un malhon-
nćte homme.
ZobMdč. — II est maihonnćte pour les
autres, mais pour nous, il est trćs bien. II
a de l'habilete dans le commerce, il est trčs
riche et il sait gagner de Targent. II est
parent ou ami de tous les notables de la
province. OCi trouveras-tu un meiileur
mari?
SEKiNt-KHANouM. *- Quand mdme Aga-
Ha^lln me couvrirait de pierreries, de la
tćte aux piedS) je ne serai jamais sa femme.
AUez lui direde renoncer k cette idće.
ZobMdč:. — Jamais. Qui es-tu done
pour pouvoir te soustraire i la parole que
j'ai donnee? — Aga-Hacsln a envoy^ au-
prčs de moi les dames les plus distingućes
du pays; moi, qui ne suis pas une petite
fille, j'aiconsenti; j*y ai vu ton intćrćt, et
j'ai donne ma parole. Veux-tu me faire
passer aux yeux du monde pour une
ćtourdie? Je crois avoir un nom et un
rang; j'ai de la dignite et je suis une
femme respectable ^^.
u*
I40 DSUX COMĆDIES TURQUES
Sžkinž-Khanoum. «— Pour ne pas nuire
a votre renommee et k votre honneur, il
faut done que je me rende malheureuse,
toute ma vie! Čest un ćtrange devoir que
vous m'imposez U, ma tante. Par Dieu I
quand le monde entier devrait ^tre bou-
leverse, je n'ćpouserai jamais Aga-Hafdn;
je ne Tćpouserai jamais! C'est moi qui
vous le dis. Expliquez-lui ćela, et faites en
sorte qu*il renonce k ce projet, ou sinon,
je le ferai appeler, moi-mćme, et je lui di-
ra! en face mille sottises et mille injures.
Je le traiterai plus honteusement qu^un
chien, et je lui signifierai son congć.
ZobMdž. (S*4gratignant a deux mains
le visagej — Oh ! oh ! mon Dieu I Oh !
c'est le monde renversć ! Les jeunes filles
d'aujourd^hui n^ont pas garde un atome
de pudeur et de retenue sur leur visage I
Sčkinć, je n'ai jamais vu de fille aussi
effrontee ^^ que toi. Nous aussi, nous
avons etć jeunes filles, et nous avons eu
des grands parents; mais, par respect pour
eux, jamais nous n^aurions ose relever la
ACTE PRBMIER 141
tete en leur presence. Čest k cause de vo-
tre effronterie que la peste et le cholćra
ne quittent pas cette provincei
Sžkinč-Khanoum. — Non, c*est la vile«
nie de certains coquins ^^, qui engendre
la peste et le cholćra I Ce misćrable a en-
tendu parler de mes soixante mille tomans,
et c*est pour ćela qu'il a fait demander ma
main. S^il en est autrement, pourquoi ne
cherche-t'il pas k m'obtenir par la voie de
rinciination et de Tamour? S'il dćsirait
mMpouser (pour moi-m^me), pourquoi,
du vivant de mon frćre, n'en a-t^il pas
ouvert la bouche, et n^en a*t'il pas souffle
mot?
ZobMdč. — Du vivant de ton frćre, il
pouvait n'avoir pas envie de se marier.
— Mais, tu fais bien de me rappeler tes
soiiante mille tomans. Ne comprends-tu
done pas que si tu n^ćpouses pas Aga-
Hagdn, il te fera perdre aussi cette
somme?
Sžkine-Khanoum. — Pourquoi et com*
ment me la fera-t^il perdre?
142 DEUS COliĆDIBS TURQUBS
ZobMdž. — Comment? II ira trouver
ta belle-soeur et fera cause commune avec
elle. Ses parents et toute sa famille ap-
puieront sa parole etconfirmeront son tć-
moignage et on te fera perdre tes
droits ^®. — La voili, la raison : c'est Favi-
dite et la ruse diabolique des gens qui ne
pensent qu'h devorer la fortunedesautres,
petits ou grands. — Et toi, que sais-tu ?
Qui ecoutera tes raisons?
Sekinč:-Khanouic. — Trćs bien. Admet-
tons qu^on viole mes droits et qu*on n^e-
coute pas mes raisons. Je ne comprends
pas comment une concubine, une domes-
tique pourrait pretendre k l'heritage qui
me revient. On dirait qu'il n'y a ni droit
ni justice dans ce pays, et que chacun peut
faire ce qui lui plait, comme il Tentend !
ZoBEiDE. — Ah 1 mon enfant, peut-on
jamais se prćserver de la ruse des hom-
mes? — La femme de Hadji-Rehim, quels
droits avait-elle i la fortune de celui-ci?
On a volć cependant a Aga- Riza, le fils
de Hadji-Rćhim, douze mille tomans en
ACTE PREMIER 14$
argent comptant et un ćtabiissement de
bains, pour donner tout cela i cette mau<-
vaise femme. Par toutes sortes de ruses,
l'avocat de ceile ci a fabrique un faux acte
de donation, et il a pretendu que, de son
vivant, Hadji-Rćhim avait fah donation
k sa femme de douze mille tomans en
numćraire et d^un etablissement de bains.
II y a eu cinq ou six personnes pour en
temoigner, et, malgrć ses cris et ses plain-
tes, on a pris l'argent et le hammam au
pauvre Aga-Riza pour les donner k cette
femme. En rćalite, la ville entićre a su
que c^etait 1^ une imposture. Serais-tu,
par hasard, plus puissante qu'Aga-Riza,
qui n'a jamais pu se faire rendre justice ?
Tu ignores les ruses diaboliques des pro-
cureurs de ce pays : personne ne peut
ćchapper aux manceuvres de ces gens Ik ^'^^
ni comprendre ce qu'ils font et ce qu'iis
disent. Crois-tu que c^est de mon plein
grć que j*ai promis ta main k Aga-Ha-
qkn ? Non, mais j'ai vu qu'il n^y avait pas
d autre moyen, et je me suis dit qu'il fal-
144 nEVX COUĆDIBS turques
----- ■»■ ■ ■ — — ■ *
lait accepter, de bonne grdce : c^est ce qu*il
y avait de mieux si faire;
SčKiNi-KHANOUM. — Quanđ mirne toute
ma fortune devrait ćtre gaspillće jusqu'au
dernier sou ^^, jamais je ne serai la femme
d'Aga-Ha^in. AUez le lui expliquer : di-
tes-lui que votre nićce n'y consent pas.
ZobžIdž. — Ne parle pas ainsi, Sčkinž.
Je comprends ton dessein. Ce que tu yeux,
c'est devenir la femme de Aziz-bey, et mć-
ler le sang de notre race k celui des hćrć-
tiques ; c^est attircr tous ces gens-1^ et les
placer i la tćte de notre famille; c'est
affliger les m§nes de tous nos aieux et te
couvrir toi-mćme de honte. Jamais, jus-
qu*^ ce jour, on n^a vu pareille chose dans
notre famille. La fille d^un nćgociant
honnćte et craignant Dieu, comment pour*
rait-elle devenir la femme d'un impie?
Comment?
^kinć-Khanoum. — D'oli savcz-vous
doncque je veux ćpouser Aziz-bey? Je ne
veux rćpouser, ni lui ni un autre : je
veux demeurer chez moi. Levez«vous
ACTE PREMIER 145
done, et allez faire ma commission H Aga-
Ha^Sn.
ZobMdč. — Tu es une petite fille; tu
n'as pas l'ILge de raison, et tu ne sais pas
discerner tes interSts. Jamais, je n*irai
trouver Aga-Ha^dn et lui dire que ma
niece ne veut pas de lui pour mari« Je t^ai
promise k lui, et il est parti, emportant
ma parole : ne te fatigue pas k parler da-
van tage. (Zobšidd se Išve ets^en va.)
SCĆNE VI
Sekine-Khanouh. (Le cceur ulcirć.) —
HelasI mon Dieu! quedit-elle?(^Zofcdili^
sort et s'eloigne. — A\i\'bey, sortant de
la chambre ou il se tenait cachć :)
146 DBUX GOMĆDIES TURQUES
SCĆNE VII
Aziz-BBY. — Tu vois, maintenant, si
mon trouble etait motivć.... Je m'en vais.
Sžkinž-Khanoum. — Oti ?
Aziz-BKY, — Chez ce coquin d'Aga-Ha-
;dn, pour le punir cotnme il le merite.
Je ne peux pas me contenir plus long-
temps.
Sč:kine:-Khamouii. — Qu*est-ce que tu
as ? N'y va pas ; reste ici : tu ferais une
sottise. Je vais envojrer quelqu*un chez ce
misćrable pour lui dire de venir ici, et je
le sommerai, moi-mćme, de renoncer k
ces idees. — Goul-Sčbahl (Goul-Sčbah
arrive aussitot.)
SCENE VIII
SžKiNŽ-KflANOuM. — Goul-S^bah, va chez
Aga-Haj^iijlenegociant; prends-lea part,
ACTE PREMIER 1 47
et dis-lui qu'une femme le demande pour
une aSaire trčs importante ; mais, ne pro-
nonce pas mon nom. (Gouh Šibah sort.
— Sškini'Khanoum se tourne alors vers
Aiix'bey.)
SCENE IX
Sekine:-Khanoum. — Par Dieul Aziz-
bey, tu es un enfant dont la Ićvre garde
encore le parfum du laic de sa nourrice i^.
Va te regarder dans la glace et vois comme
tes yeux sont rouges de colčre. Pourquoi
done as-tu si peu de force de caractere ?
Ce Mtard ne me prendra pas de force.
Aziz-BEY. — Tu as raison ; mais, que
faire si mon coeur ne peut se contenir?
{A ce moment^ on entenđ un bruit de pas
au dehors. — A^i^-bejr retourne dans
Vautre chambre. Sikin^Khanoum se
voile le visage 20 et s'assied. — Goul'Sč*
bahentreavec Aga'Ha^dn,}
148 DBUX COMĆDIES TURQUBS
SCŽNE X
Aga-Ha^an. — Bonjour, madame.
Sčkinč-Khanoum. (D'une voix doucej
•— Bon)Our, monsieur. Savez-vous qui je
suis, mon frčre Aga-*Ha(dn?
Aga-Ha^an. — Non, madame, je Ti-
gnore.
SteiNE-KHANOUM. — Eh bien I Aga-Ha-
^an, sachez que je suis Sćkini, la soeur
de Hadji-Ghafour.
Aga-Ha^an. (SurprisJ — Ah! bien,
madame, je vous connais. Daignez me
donner vos ordres. Je suis votre serviteur
et votre esclave, votre domestique, votre
valet-
Sčkinž-Khanoum. — Non, Aga-Hadin^
ne soyez ni mon esclave ni mon serviteur :
soyez mon frćre dans ce monde et dans
l'autre, et renoncez a me possćder comme
femme ^^ C'est pour vous faire cette sim-
ACTB PRBMIBR 1 49
ple reqa£te que je vous ai fait appeler :
c'est li ce que j'avais k vous dire.
Aga-Ha^an. (Stupefait.) — Mais, ma-
đame, pourquoi ne me permettez^vous
pas d'ćtre votre esclave? Quelle est done
la faute que j'ai commise ?
Sžkine-Khanoum. — Vous n^avez com-
mis aucune faute, et il vaut mieux vous
parler clairement. J'ai appris que vous
avez fait đemanđer ma main i ma tante ;
mais, c'est en vain qu'elle a consenti k
vous Taccorder. Je vousle dis, mon cher,
je ne suis pas la personne quMi vous faut
pour cette affaire : renoncez done i ce
projet. Ne prononcez plus mon nom i
Tavenir, et ne reparlez plus de cela.
Aga-Ha^an. — Pourquoi done, ma-
dame ? Donnez-m'en la raison, et qu€ je
comprenne pourquoi je ne suis pas digne
de vous offrir mes services?
Sčktnž-Khanoum. — La raison je la
garde pour mol. Ce que j^ai seulement d
vous dire, c^est de me laisser tranquilie.
Aga-Ha^an. «- Mais, enfin, madame,
l5o DKUX GOMĆDIBS TURQUES
quelle faute ai*je commise, pour que vous
me repoussiez?
Sćkinč-Khanoum. — Vous n avez com-
mis aucune faute » mon fr&re. Mais, je
suis aujourd'hui la maitresse de mes ac-
tions, et je ne desire pas devenir votre
femme ^. Je ne vous aime pas, et on ne
peut contraindre un coeur k aimer malgrć
lui.
AGA-HA9iLN. — Ces paroles vous feront
beaucoup de tort, madame : ne parlez pas
ainsi.
S&UMŽ-KHiiNOUM. — Je comprends ce
que VOUS voulez dire. Faites contre moi
tout ce que vous pourrez. Epargnez-moi
ou ne m'ćpargnez pas, peu m*importe,
miserable !
AGiL*HAC4N. — Ah f vous vous en re-
pentirez plus tard ! Rćflćchissez encore un
peu, et voyez ce que vous avez k me dire.
Sčkinć-Khanoum. — J^ai reflechi k tout,
et il ne me reste pas une seule reflexion k
faire. Aliez ! et faites comme vous voudrez.
II n*y a personne de plus vil que vous !
ACTK PRKMIKR l5l
Aga»Ha9an. (Vex4,) — Bicn. Je vous
procurerai un divertissement dont on
parlera partout : jusqu^au jour de votre
mort, vous en garderez le gotit au palais !
(U se l^e.)
Sžkinč-Khanoum. — AUez! Allezl qui
vous craint vaut encore moins que vous!
N'ćpargnez pas ce que vous pourrez faire
contre moi : allezl — Qu'est-ce qu'il dit?
Est-ce qu'il s*imagine qu'on a peur de
lui? (Aga-Haqđn se retire et A:{i^'bey
rentre dans la chambre.)
SCĆNE XI
Sžkinž-Khanoum. — Ah I viens done, et
rćflćchis un peu. Voyons, qui prendrons-
nous pour avocat ? Voild un nouvel en-
nemi que nous venons de nous faire ^.
Aziz-BBY. — Ah ! qu'il y en ait cent de
cette espčcei Pour cent corbeaux, une
pierre sufHt ^. Je vals aller tout raconter
1 52 DBUX COMŽDIBS TURQUES
au Cb«h-Zađ& ^, pour qu^il s*occupe d'ar-
ranger lui-mćme cette affaire.
Sžkine-Khanoum. — Le Chah-Zadd ne
pourra pas arrćter le procćs. De toute fa-
9on, il faut que nous ayons un avocat.
Aziz-BEY. — Le Chah-Zadć ne peut pas
arržter le procćs ; mais, il peut repousser
les malćfices d*un coquin comme Aga-
Ha9fin. II faut que je lul apprenne cette
affaire. Mon pćre a ete.longtemps 4 son
service, et il me veut du bien : il m'a pro-
mis de me donner un emploi,de m'etablir
dans quelque fonction,et de m'abandonner
les biens-fonds de mon pčre ^.
Sčkinč-Khanoum. — Tout ćela est tres
bien ; mais, prenons d'abord un avocat ;
ensuite, tu iras tout raconter au Chah-
Zad^, et il verra ce qu^il est justede faire.
Aziz-BEY. — - Trčs bien. Qui veuz*tu
prendre pour avocat? (A ce moment,
Goul'Sšbah entre dans la chambrej
\
ACTE PREMIER 1 53
scćNE xn
GouL"SčBAH. — Madame, il y a un indi«
vidu qui est k la porte de la maison : il
pretend avoir une affaire importante dont
il voudrait vous entretenir. II demande
s'il y a quclqu'un qui puisse lui servir
d*intermediaire ^ aupres de madame.
Sćkinč-Khanoum. — Justement, Aziz*
bey est ici. Dis š cet homme de venir :
nous verrons ce qu'il veut. (Gonl^Sibah
sort,)
SCENE XIII
Aziz-BEY. — Faut-il que le premier
venu me voie auprćs de toi ?
S&KiNć:-KuANOUM. — Est-ce qu*on sait qui
tu es ? On croira que tu es de ma famille.
(Aga-Kšrim entre dam la chambre, —
Sškinč'Khanoum se voile le visagej
I 54 DBUZ COMĆDIES TURQUKS
SCĆNE XIV
AciL-KčRiif . — Bon jour, monsieur et ma-
dame ^,
Aziz-BEY. — Bonjour, monsieur. Prenez
la peine de vous asseoir; vous ćtes le
bienvenu.
Aga-Kžrim. (S'asseyant et se toumant
vers A\i7;;'bey.) — Mon jeune seigneur,
daignez m^apprendre votre nom illustre.
Aziz-BEY. — Je m'appelie Aziz-bejr.
Aga-Kćrim. — C'est un nom bćni. Eh!
bien, Aziz-bey, puis-je m^adresser k vous,
tandis que madame Sekinć nous ecou-
tera?
Aziz-BEY. — Vous pouvez vous adres-
ser directement & Sćkinć-Khanoum. Ne
croyez pas qu^elle soit frivole comme les
autres jeunes fiiles : elle aime k causer,
et elie n'est pas embarrassće pour vous
repondre.
Aga-Kćrim. •— Ah! elle a bien raison...
ACTB PRBMIER 1 55
Sachez d^abord, Aziz-bey, que je suis
Aga-Kćrim, le chef des courtiers, et que
j'ćtais trds lie avcc feu Hadji-Ghafour. —
Je me trouvais, il y a un moment, pour
affaire, chez Aga-Merd^n, le fils du con-
fiseur. Par hasard, Aga-Ha^ain, le nego-
ciant, y est venu aussi. II a saluć, s'est as-
sis, et s^est exprime en ces termes : < J'ai
entendu dire, Aga-Merd^n» que vous ćtes
Tavocat de Zćlnčb, la veuve de Hadji-
Ghafour. Je me joins š vous dans ce pro-
cčs, et j*ai quelquechose k vous dire confi-
dentiellement. » — J'ai vu qu'ils voulaient
se parler en secret, et je me suis retirć.
Mais, j'ai compris que leur dessein ćtait
de nuire k Sekinć-Khanoum, etalors, je
suis venu la prevenir, simplement par re-
connaissance pour Hadji-Ghafour.
Sčkinč-Khanouii. -—Ah! je suis bien
contente, Aga-Kčrim, de voir que vous
n*oubliez pas les droitsde Tamitie, et qu*£l
un pareil moment, vous vous etes souvenu
de la soeur d'un de vos vieux amis.
Aga-Kčrim. — Ah ! oui, madame, c'est
19
1 56 DBUX COMĆDIBS TURQUES
une bonne chose que Tamitić, đans un
temps commek n6tre!-*Cominecet Aga-
Merdfin est un fripon et un ruse coquin
qui n'a pas son pareil sur la terre ni au
ciel, j'ai compris ce que c'etait. J*ai juge
necessaire đe venir auparavant vous prć-
venir amicalement de leurs intrigues, car
si on les laissait faire, il n'y aurait plus
de remdde.
Sčkinč-Khanoum. — Mais, Aga-Kćrim,
que peut done me faire Aga-Merd4n?
Aga-Kerim. — Que peut-il faire?.... Jai
entendu dire qu'il est Tavocat de votre
belle-soeur etqu'il veut vous intenter un
proces en son nom. II est tres habile et
trćs retors dans ces sortes d'aSaires : vous
ne pourrez pas lutter avec iui. II est bien
difficile de Iui tenir t^te.
^kjnč'Khanouii. — Que pourra-t'il
faire dans ce procćs? Mon frćre n'a pas
d^enfant pour hćriter de sa fortune. Une
femme qui n^est mariee que temporaire-
ment ne peut pas, non plus, pretendre k
rhćritage. Que ce soit Aga-Merd4n ou
ACTE PREMIER l57
un autre, quel prćjuđice. pourra-Von me
porter dans une affaire aussi claire ?
Aga-Kžrih. — Voas avez biea peu
d^experience pour une affaire đe cette es-
p^e. Aga-Merd^n trouvera moyende faire
ce quUl voudra. 11 ne faut pas vous laisser
prendre au depourvu dans votre lutte avec
lui.
Sčkinč-Khanoum. — Mais, comment ne
pas nous laisser prendre au dćpourvu ?
A6a-Kć:rim. — Indiquez-moi, par
exeinple, votre avocat, pour que je le voie
et que je lui fasse connaitre quelques-
unes des ruses d'Aga-Merd&n. S'il est in-
telligent, il ne perdra pas de temps*
Sčikinč-Khanouic. — Nous ne connais-
sons pas encore notre avocat.
Aga-Ki^rim. — Comment? Vous ne le
connaissez pas ! Est-ce que vous n'avez
pas dćsignć de dćfenseur pour cette affaire?
Sčkinč-Khanoum. — Non, nous ne sa-
vons qui choisir : nous sommes juste-
ment en traln d'y songer.
Aziz-BBY. — Vraiment, Aga-Kćrim, ne
1 58 DKUX COMĆDIES TURQUES
pourriez-vous pas nous indicjuer quel-
qu*un que nous cbargerions de notre
cause ?
Aga-Kžriic. — Non, je ne connais per-
sonne qui soit capable de tenir tćte i Aga«
Merd&n. Je croyais que vous aviez votre
avocat tout prćt.
Aziz-BBY. — Non, nous n*avons de-
signe personne. Nous voulions seulement
trouver un homme tres habile pour le
charger de la defense de nos interSts. —
Reflechissez de nouveau ; voyez done :
quelqu'un vous vient-ii k Tidee?
AGA-KtRiM. — Non, je ne vois pas
d'homme trčs habile. II y a beaucoup dV
vocats, mais, il ne peut pas y en avoir qui
soit capable de tenir tete k Aga-Merd&n...
Ah I cependant, je pense k quelqu'un...«.
S^il consentait žćtre votre avocat.... car il
y a deji longtemps qu*il s^est retire de la
chicane... Lui seul pourrait tenir tčte k
Aga«Merddn.
Sč:kinč-Khano0m. — Qui est-ce ?
Aga-Kžrim. - Čest Aga-Sćlm^n, le fils
ACTB PRBMIKR 1^9
da fabricant de tamis. S'il y consent, con*
iiez-lui votre cause.
Sekinž^Khanoum. — Qui done pourrait
le voir et lui en parler ?
Aga-Kčriii . — II n^est pas nćcessaire de
lui envoyer quelqu'un. Faites-le appeler,
madame, et vous lui parlerez vous-mćme,
ici. Peut-ćtre vos paroles ^ le decideront«
elles k accepter les discours d^une
femme ont tant d'influence !
Sčkinč-Khanoum. — Aga-Kćrim , ne
pourriez-vous pas le voir, vous-meme,
et nousrenvoycr?
Aga-Kčrim. — Non, madame : je suis
fache avec lui pour une petite afEaire. En-
voyez une autre personne le cbercher.
Sčkinž-Khanoum. — Mais, alors, com-
ment lui apprendrez-vous certaines choses
que vous vouliez lui faire connattre?
Aga-Kčriii. — Si vous aviez un autre
avocat, je devraislui apprendre ces choses«
Ik; mais, pour Aga-Selm&n, c^est inutile.
11 fabriquerait des pantoufles au diable ^.
Quoique j'aie k me plaindre de lui, je ne
12*
l6o DEUX COMĆDIES TURQUES
peux pas nier son marite. -^ Dieu fasse
que votre affaire reussisse!
Aziz-B£Y. — Je vais aller le chercher,
moi-mćme. cA^i!['bey et Aga^Kšrim se
livent pour sortir.)
Aga-Kčrim. — Dieu vous garde, ma-
dame.
Sžkime-Khanoum. *-- Merci de votre
bonne visite, Aga«K^im. Je n^oubiierai
jamais votre bonte. (Aga'Kčrim sort avec
SCENE XV
Sčkinč-Khanoum. ^- Goul-Sćbah 1 ap-
porte un canape, et mets dessus ua cous-
sin. (A peine Goul-Sibah a-felle apporte
le canape et place le coussin qu'*un bruit
đepas se fait entendre dans le vestibule ^^
A^i^-be^ entre dans I a chambre avec
Aga-SUrnđn. — Sikini'Khanoum est as-
sise dans lefond de la piice ; Goul'Sčbah
se tient debout d ses cotes).
ACTE PREMIER l6l
SCENE XVI
Aga-Sžlman. — Bonjour, madame.
Sžkinć-Khanoum. — Bonjour, monsieur.
Vous ćtes le bienvenu, Aga-S£imdn, et
votre visite me fait grand plaisir : prenez
done la peine de vous asseoir. (Elle lui
indique du doigt le canapć. — Aga-Sčlmđn
s'assied au bas du canapć, et A\i\'bey se
place a son c6t4.)
Sčkinč-Khanoum. (D'une voix milan--
coltgue.) — Aga-Sdmdn, je suis la soeur
de Hadji*Ghafour. J'espčre que vous
m'accueilierez comme votre fille,et qu'en
ce jour malheureux, vous ne me refuserez
pas votre appui.
Aga-Sčlman. — Parlez, madame, que
j^apprenne quel est votre dćsir.
Sćkine-Khanoum« — Vous savez, Aga«
SčlmSn, quMi y a sept ou huit mois, tout
le monde avait quitte la ville et avait fui
de tous c6tes, i cause du cholera. Hadji-
1 62 DEUZ COMŽĐIKS TURQUES
Ghafour ćtait un homme plein de con-
fiance en Dieu : il declara qu^il ne parti-
rait pas. Mais, par prćcaution, il porta
au president du tribunal et lui confia en
dćpdt, contre certificats et devant te-
moins, une somme effective de soixante
mille tomans, contenue dans des coffres-
forts 3«. — « Si je viens k mourir, luidit-il,
vous donnerez cet argent a mon heritier
legal. »— Le president du tribunal prit li-
vraison de la somme, puis il quitta la
ville, comme tout le monde. Tous nos
voisins ^ ćtaient partis aussi. II n^ avait
h la maison que mon frćre et moi, avec
une femme quMl avait epousee en mariage
temporaire. Par hasard, mon frere tomba
malade. II ne restait dans la ville que
quelques soldats que le gouvernement y
avait laisses pour garder les maisons des
habitants et emporter les morts au cime-
tičre. Ce jour-lš, quatre soldats vinrent
k notre maison et mon frćre leur dit :
a Je meurs, et je n'ai en ce monde d'autre
heritier que ma soeur que voild. Apres ma
ACTE PREMIER 1 63
mort, emportez-moi au cimetičre. » Puis,
mon frćre partit pour Tautre monde^.
— Maintenant, ma belle-soeur qui n'est
qu'une concubine, k qui i'heritage ne re-
vient nuUement, pretend ćtre Theritićre
de mon frćre et me fait un proces. Čest
Aga-Merd&n, le fils du confiseur» qui est
son avocat. J'espžre que vous voudrez
bien, de votre cote, accepter Tennui de
vous cbarger de ma defense.
Aga-Selman. — Madame, je me suis re«
tire de la chicane, et desormais, je ne se-
rai plus l'avocat de personne.
Sekine-Khanoum. — Cette afTaire ne du-
rera pas longtemps, Aga-Selman ; elle
sera bient6t terminee: c*est raffaire d'une
seule sćance. S^il faut des temoins pour
confirmer les paroles de mon frčre, il y a
ces soldats : vous pourrez les citer en te-
moignage. J'espčre que vous vous char-
gerez ^ de ma cause, par bienveiilance
pour mol.
Aga-Selman. — Connaissez-vous les
noms et les adresses de ces soldats ?
164 DEUX COMĆOIES TURQUES
Sžrinč-Khanoum. — Oui : Aziz-bey
ecrira ces renseignements sur une feuille
de papier, et il vous les donnera.
Aga-Sžlman. — Puisque vous comptez
sur moi, j'accepte; mais, d condition que
ce ne sera pas long, car si cette afiaire de*
vait durer iongtemps, il ne me serait pas
possible de ra*y absorber.
Sekinž-Khanoum. — Non : c'esl Taffaire
d*un jour, et en ćchange de votre peine,
Aga-Selm4n, je vous donnerai cinq cents
tomans pour vos honoraires.
Aga-Sžlman. — J'aurais bien fait sans
ćela, madame. C'est simplement par ćgard
pour vous que je me lance dans cette
aiFaire: ce n^est pas dans un but Interesse.
Sčkinž-Khanoum. — Je le sais, Aga«
Sćlmdn ; mais, je vous offre cette somme
comme argent de poche pour vos en-
fants.
Aga-Selman. — Permettez*moi de me
retirer, madame : il faut que j^aille trou-
ver les soldats et les prier de venir temoi-
gner au moment du procćs. Quant šl vous,
ACTE PREMIER 1 65
fiftes faire un acte de procuration a mon
nom, et envoyez-le-moi.
Sžkine-Khanoum. — Tres bien : je vais
la pr^parer et vous renvoyer. Mais, sa-
vez-vous, Aga-Sdmdn^ on dit qu'Aga-
Merddn est trčs retors : ne negligez rien
pour faire avorter ses intrigues.
Aga-Sžlman. — Soyez tranquille, ma-
dame ; ses ruses ne peuvent rien contre
moi. — Aziz-bey, notez les noms et les
adresses de ces soldats, et envoyez-moi ces
renseignements.
Aziz-BEY. — Oui, oui, ce sera chez vous
avant une heure. (Aga-Sšlmdn se Išve et
s'en va. A\i\'bey et S^kin^^Khanoum
restent seulsj
SCENE XVII
Aziz-BEY. — Quant & moi, je vais ra-
conter toute TafiTaire au Chah-Zad6.
Sekine-Khanoum. — Assieds-toi. Ecris
I 66
DEUX COMĆDIES TCJRQUES
d abord les noms et les adresses des sol-
dats, et envoie-les k Aga-Sćlm^n ; puis, tu
t^en iras. f A :{i^'bey s'assied pour ćcrire.)
Le rideau tombe.
FIN DB L ACTE PREMIER
NOTES SUR L'ACTE PREMIER
1. Ehelć zolmć : « la race tyraanique ». Cette
expression peu usitće s*applique aux Sunni-
tes. Čest une allusion aux persecutions dont
HocčKn et ses descendants ont etć Tobjet de la
part des musulmans orthodoxes. Dans le vocabu-
laire de Tćdition des Trois comedies persdnes,
qu'il a publiee en collaboration avec feu M. S.
Guyard, M. Đarbier de Meynard avait eru qu'il
s'agissait des agents du fisc. Cette cxplication ćtait
d'autant plus plausible que Aziz-bey est juste-
ment, dans la pi^ce, un fonctionnaire du gouver-
nement. Mais, depuis, M. Barbier de Meynard a
acquis ]a certitude que c*est bien des Sunnites
qu'il s'agit ici. Čest de lui-mime que nous tenons
cette explication. Ehele ^olme signifie done« im-
pie, hćrćtique ». Ce dernier sens n'est pas dou-
teux, et Tobjection a bien plus de force dans la
bouche de la tante de Sekinč>Khanoum.
2. Mot a mot: <cmon libre arbitre m'est tombć
dans la main ».
13
1 68 DBux com£d»s tur^ubs
3. V&kil, a mandataire » et, par exten8ion, « avo-
cat ». D*apr^s la loi chiite, c les personnes bien
nćes doivent s'abstenir de paraitre en justice pour
plaider elles-mSmes leurs differends. » Voyez
Querry, Droit musulman chiite, t. I, p. 563.
parag. 56. — On doit done se faire representer
devant le tribunal par un fondć de pouvoirs, en
mati&re civile ou criminelle; cette reprćsentation
n'est repoussće qu'en mati^re religieuse seule-
ment. Iđ.^p. 56 1, parag. 32. — 11 semble que la
loi aurait ddi exiger des mandataires certaines ga-
raniies de probitć et de moralitć ; mais, il n*en
est rien. Les avocats, ou plutdt, les procureurs
persans, car les attributions de ces mandataires
dćpassent de beaucoup les attributions de nos
avocats europćens, ne sont soumis qu'& deux con-
ditions peraonnelles : ils doivent Stre majeurs et
sains d'esprit. (Querry, p. 563, parag. 57 et suiv.)
En ilehors de ces deux conditions si simples, on
ne leur demande compte ni de leurs antćcedents,
ni de la regularitć de leur conduite, ni mSme, ce
qui a lieu d'ćtonner en pays musulman, de lare-
ligion qu*il8 professent : un apostat peut Stre
mandataire legalement. Dans de pareilles condi-
tions, on comprend ce que doivent Stre les gens
de la chicane, en Orient.
4. M^lik-et-toudjar : a Le roi des marchands, »
c*e8t4-dire, le chef de la Corporation des mar-
chands.
5. Kčt-khoda : « Maitre de la maison. » On dć-
signe sous ce nom un fonctionnaire dont les at-
tributions ressemblent a celles des maires, chez
nous.
NOTES SUR l'aCTE PREMIER 1 69
6. Molla oti M^ula: « magistrat, docteur de la
loi j»,
7. Le texte persan est doutem en cet endroit :
nous avons rćtabli le sens en recourant k Fćdition
originale en ture de FAzerbeldjSn.
8. Litt. « // avoulu mettre le pied dam ma pan-
ioufle ». Nous employons en fran^ais ttne expres-
sion analogue quand nous disons « marcher dans
les souliers de quelqu'an », pour indiquer Tidće
de marcher sur les traces d'un autre.
g. Mot k mot : « tu iras avec ceiui a qtii on te
donnera.
10. Mota mot : a personne ne pourra me don-
ner k un mari ».
1 1. Mot a mot : « // est impossihle que Veau
d'Aga-Ha^dn et la mierme coulent ensembie. »
(Expression populaire).
1 2. Litt. ft A la gćhenne. d Ce mot qui dćsigne
Tenfer vient de Thćbreu Gai^Hinnom, c'est-a-
dire, la vallće de Hinnom 011 les rćprouvćs seront
rćunis.
1 3. Litt. tt un homme ».
14. Mot a mot : « a Tcei! blanc ».
i3. H^ram-zadč : c B&tard » et, par eztension,
« coquin, miserabie. » L'expression pederi na'
merdi, qui se trouvs un peu plus loin, a le m€me
sens.
16. Ce qui suit, iusqu'lt fin du discours de Zo-
beld^, a ćtć ajoute par le traducteur persan.
17. La phrase suivante est encore 6ne addition
de Mirza-Djikfer.
18. Litt. « depuis la račine ».
170 DEUX COMĆDIES TURQUE$
19. Mot a mot : « L'odeur du lait sort de ta
bouche «. Cette ezpression rćpond a notre ex-
pression fran9aise : « En lui pressant le nez, on
en tirerait du lait ».
20. II s^agit ici du petit voile dont les persanes
se couvrent ie visage. EUes en ont encore un au-
tre beaucoup plus grand, qui enveloppe tout leur
costume.
2 1 . Le teite persan porte seulement : dest e^
men ber-^ar, « retirez votre main de moi », c'est-
l-dire : renoncez k ma main; laissez-moi tranquille.
22. Hčm-khabe : c Qui dort ensemble, » mari
et femme
23. Litt. c tailler, fa9onner ».
24. Cest-^-dire : il suffit de jeter une pierre au
milieu d*une volće de corbeaus pour la faire en-
voler.
25. Chah-zad& : c Fils de roi ». Le prince hć-
ritier porte, en outre^ le titre de veli-ahd qu'on
prononce gćneralement velihad,
26. Le souverain s*attribue parfois tout ou par-
tie de certaines successions ; mais cette disposi-
tion ne figure dans aucun texte de loi.
27. II ne serait pas convenable, en Orient, de
s'adresser directement k une dame. En outre, la
femme est toujours considerće par les musulmans
comme peu intelligente ct commeincapablede trai-
ter seule une question d'afiPaires. Pour que Aga-Ke-
rim s*adresse a S^kine-Khanoum, il faudra qu'il y
soit invitć formellement par Aziz-bey. De meme,
un peu plus loin (acte II, scene iii),Zel'neb est as-
sistće de son frčre Aga-Abbas, et c'est a ce dernier
NOTES SUR l'ACTE PREMIER 171
que s*adressc Aga-Mčrddn. En fait. dans les deux
scenes, les deux femmes prennent U part la plus
active dans la discussion ; mais les convenances
exigent qu'enes soientassistćesd'unconseiI,d'une
sorte de tuteur qui est la pour les dćfendre con-
tre leur ignorance ou leur entrafnement.
28. Selam-Alel-koum : « Salut sur vous. » Rć-
guli^rement, il faudrait le duel, puisqu*il n'y a
que deux personnes, Aziz-bčy et Sekine-Kha-
noum; mais« en persan, on observe rarement
cette regle grammaticale.
29. Nefs : « sou£Be », et par extension, « parole ».
Nefs designe aussi Tnfluence du J7ir, ou chef d'une
communautć de soufis, sur ses disciples, du
cbarmeur sur le serpent, etc.
30. Cest-a-dire : il est si rusć qu*il fabrique-
rait des pantoufles au diable lui-mSme. (Locution
proverbiale).
3 1. Heyat: « Vestibule, » ou plutćt, u cour in-
terieure ». On sait qu*en Orient les maisons
n*ont genćralement pas de fenStres sur la rue.
EUes sont eclairćes par une cour intćrieure, sou-
vent plantće d*arbres etarrosee par un jet d'eau.
32. Sendouq-ha : des caisses, et par extension,
« coffres-forts ».
33. Hem-say^ : a Voisin. > Litt. « qui est abritć
par la meme ombre ».
34. Mot k mot : <c il partit pour la misćricorde
de Dieu ».
35. Mot i mot : a Que vous prendrez sur votre
cou », comme nous disons : prendre sur soi, en-
dosser.
mW
ACTE DEUXIEME
Ili ttmti^ •tiiitiiitfiii
"g^jVj^^l^ ' 3^% !^^
AGTE DEUX1EME
L'action se passe dans la maison d'Aga-Merdan,
le fils du confiseur.
SCENE PREMIERE
Aga-Merdan (seul et assis), — Je ne
sais ce qui peut etre arrive pour qu'Aga-
Kčrim ne vienne pas et qu'il soit
ainsi en retard. II aura intrigue pour
qu'Aga-Selmdn, soit l'avocat de Sekine-
Khanoum, et c'est probablement ćela qui
Taura retarde. Si cette affaire reussit
comme je le dis, outre que j*en retirerai
pas mal d^argent, ma reputation se re-
176 DBUX COMĆDISS TUilQUKS
pandra dans toute la ville et elle s^ćlčvera
jusqu au ciel ^... C*est-ž-dire que ce pro-
ces est untresor inepuisable pour rhomme
qui sera capable de le diriger et de le faire
aboutir. — Dieu merci! je ne suis pas em-
barrasse pour ćela. (Pendant ce tnonolo^
guey la porte s'ouvre, et Aga-Kštim entre
dans Vappartement.)
SCENE II
Aga-Kerim (gaiement). — Bonjour.
Felicite-moi *: j ai tout arrange.
Aga-Mčrdan (avec un sourire). —
Vraiment? puis-je le croire?
Aga-Kerim. — Oui, par ton dme! J'ai
fait ton eloge a la veuve de Hadji-Gha-
four de telle fa^on que si tu avais ete Iž, tu
n'aurais pu en croire tesoreilles. — « Au-
jourd'hui, lui ai-je dit, il n'y a personne
qui soit plus considere du president du
tribunal qu^Aga-MerdSn. II ne se trompe
ACTE DEUKIEME 1 77
jamais, et tout ce qu'ii dit se realise. Au
palais, parmi les avocats, il n'y a que lui
qui soit connu. Čest au point que, dans
certaines occasions, il a ses grandes et ses
petites entrees auprćs du Chah-Zadć.
Pour la connaissance des affaires, il est le
Platon du sičcle ^, Suivez en tout ses con-
seils, et ne vous inquietez de rien. C'est
seulement par ses dispositions que vous
pourrez entrer en possession de la Fortune
de Hadji-Ghafour, car autrement, vous
n'avez aucun droit a cet heritage. » — La
femme a ete toute contente et ravie, ainsi
que son frčre Aga-Abbas. Maintenant, ils
vont venir te trouver afin que tu leur
traces leur regle de conduite.
Aga-Mčrdan. — Tres bien. Tres bien.
Mais, dis-moi : as-tu reussi egalement k
procurer k Aga-Selman la defense de
Tautre pariie?
Aga-Kžrim. — Oui. Aga-Sčlman est, en
ce moment meme, aupres de Sčkine-Kha-
noum : dčs qu^il en sera debarrassć, il
vicndra ici.
178 DEUX COMŽDIES TURQUES
Aga-Mčrdan. — A merveille, Aga-Ke-
rim. Par Dieu I tu fais des prodiges avec
ta langue. C'est trčs bien. Mais, dis-moi:
la veuve de Hadji-Ghafour est-ellc jolie ?
Aga Kerim. — Pourquoi?
Aga-Mžrdan. — Pourquoi?... Pour
qu'elle s'eprenne de moi et que je Tepouse.
Pourquoi ne serait-elle pas ma femme?
Aga-Kžrim. — Est-ce que je sais si elle
t'aimera ou si elie ne f aimera pas? Ton
temps est un peu passe... et la femme est
jeune.
Aga-Merđan. — Non, par ta mort!
Aga-Kerim; mon temps n'est pas si passe
que ćela : j ai tout juste cinquante et un
ans.
Aga-Kžrim. —Je neTaurai pas eru : je
croyais que tu en avais soixante-dix.
Aga-Merdan. — Ah I non, par ton ame!
Tu sais bien que je suis ne un an apres le
grand tremblement de terrc de Tebriz 4.
Aga- Kerim. — Tu es deja marie.
Aga-Merdan. — Ce n'est pas parče que
je manque de femme que je veux i'epou-
ACTE DEUXIEME I 79
ser. Mais, voici ce que je me suis dit : si
nous parvenons šl enlever toute cette For-
tune k la soeur de Hadji-Ghafour pour la
faire passer k cette femme, pourquoi celle-ci
irait-elle k un autre mari? Que j'epouse
la femme, et la fortune me i eviendra en
mćme temps. C'est aussi ton interdt : quel
avantage trouverais-tu ailleurs?
Aga-Kčrim. — Oui, mais alors, qu'est-
ce que ;a te fait qu'elle soit jblie ou laide?
11 vaudrait mieus qu^elle fdt un mons-
tre ^, si tu pouvais ainsi etre aime d*elle et
Pepouser. Mais, elle n^est pas laide, et je
ne crois pas qu'elle te trouve a son goCt.
Aga-Mčrdan. — Est-ce k dire que je ne
sois pas fait pour lui plaire et etre agree
d'elle ?
Aga Kćrim. — Eh ! ne le sais-tu done
pas, toi-meme ? Ta figure n^est pas deja si
agreable !
Aga-Merdan. — Oh! mais je ne sais
vraiment pas quel effet je te produis!
Laisse-moi me regarder un peu a la glace.
^11 se regarde a une armoire d glace ®J
l8o ĐEUX COMĆDIES TURQUES
Par Dieu! Aga-Kčrim, que trouves-tu a
critiquer dans ma personne? Veux-tudire
que jc n'ai plus de dcnts? Čest une
flux!on qui les a fait tomber : ce n'est pas
de vieillesse. II est vrai que les mtchoires
sont un peu creuses; mais 9a ne parait
pas : la barbe les cache.
Aga-Kerim. — Bon! Čest bien! Gela
suffit. Assieds-toi done : la voil^ qui va
venir.
AgA'Mčrdan. — Attends un peu : laissc-
moi mettre ma robe '^ de cachemire, en-
dosser ma redingote ^ de drap, et me
peigner la barbe. Ensuite, je viendrai
m'asseoir. (U s'occupe d sa toilette.)
Aga-Kžrim. — Est-ce que tout ćela est
necessaire ? Assieds-toi done.
Aga-Merdan. — Sans doute, e'est tres
necessaire. Nos femmes se voilent tou-
jours aux yeux des hommes, mais, elles
aiment enormement k nous regarder. Si
la veuve de Hadji-Ghafour me voit en
toilette, elle aura plus de consideration
pour moi, et mes paroles auront plus d*in-
ACTE DEUX1EME l8l
fluence sur son esprit. II se peut meme
que je lui plaise. (II s'habille^ peigne sa
barbe, et s'assied, A ce moment, la porte
s'ouvre, et la veuve de Hadji-Ghafour,
Zč'inčb, entre avec sonfr^re Aga^-Abbas.
SCENE III
Aga-Abbas. — Bonjour, messieurs.
Aga-Merdan. — Bonjour, monsieur et
madame. Vous etesles bienvenus, et votre
visite me cotnble de joie. Prenez la peine
de vous asseoir. (La veuve de Hadji-Gha-
four, le visage voilć, sassied ainsi que
sonfrčre,) Je vais m'adresser k vous, Aga-
Abbas; madame Zćineb ecoutera, et elle
repondra quand il y aura lieu de le faire,
— II y a six mois que Hadji-Ghafour est
mort. II faut que le fond de la question
soit clair et sans mystere entre nous. Tout
le monde sait que Zeineb-Khanoum nM-
tait pas la femme legitime de Hadji-Gha-
1 82 ĐEUX COMĆDIES TURQUES
four : elle ne peut đone prćtendre k re-
cueillir quoi que ce soit de sa fortune, k
titre d'heritage. Mais, j^ai appris cette
circonstance, et j'ai envoye Aga-Kćrim
aupr^s de vous, pour vous faire savoir
que, si vous vouliez vous conformer k
mes conseils et rčgler votre conduite
d'apres les mesures que je prendrais, je
pourrais trouver le moyen de rapporter
toute cette fortune k Zeineb-Khanoum.
En elFet, la soeur de Hadji-Ghafour est
orpheiine ; elle n'a ni parents ni famille
pour la seconder. La jeune fille a bien un
liance, mais, ce jeune homme ne pourra
pas me tenir tete. Vous avez accepte mes
propositions, et vous avez fait defense
au president du tribunal de delivrer a la
soeur de Hadji-Ghafour la somme que ce
dernier avait deposee entre ses mains,
aitendu que vous y faisiez opposition. Le
president du tribunal a conserve Targent
par devers lui, puis, il vous a notiiie a
vous et k la soeur de Hadji-Ghafour de
prendre un avocat et de Tenvojer au tri-
ACTE ĐEUXIEME 1 83
bunal, pour faire connaitre Pobjet de
votre requete. Čest done moi qui suis
maintenant votre chargć de pouvoirs. —
Mais, il faut que madame ZeKnčb ecoute
bien ce que je vais dire, et qu'elle regle sa
conduite d'aprčs mes conseils, si elle veut
que cette affaire se termine au gre de nos
desirs.
Aga-Abbas. — Certainement : ce ne se-
rait pas posisible sans ćela. Voyons^ dites-
nous les conditions que vous imposez a
Zelnčb.
Aga-Merdan. — n faut d'abord que
Zeineb-Khanoum depose entre mes mains
une provision de ctnq cents tomans pour
me defrayer de quelques depenses
indispensables : le reste viendra en
compte apres. Zč'inčb-Khanoum a dit,
elle-meme, k Aga-Kčrim, qu'll etait reste
mille tomans dans un coffre-fort , a la
mort de Hadji-Ghafour, et qu'elle s'en
etait emparee, sans que la soeur du defunt
en ait jamals rien su.
Zeinžb-Khanoum. — Je ne m'oppose pas
184 DEUX COMĆDIES TURQUES
š ce que vous me đemandez Ik : dites-
nous vos autres conditions.
Aga-Mžrdan. — II faudra encore, ma-
dame^ que vous vous contentiez de la
moitiede Theritage; c^est-it-dire que, sur
cette somme de soixaote mille tomans,
trence mille seront pour vous, et Tautre
moitle — soit trente mille tomans — sera
partagee entre Aga-Kerim et moi, ainsi
que nos autres camarades, amis et associes.
Zeinžb - Khanoum. — Oh! de grdce!
Aga-Mćrd^n. Quelle exigencel
Aga-Mžrdan. — Ce n'est pas exagere,
madame. Vous n avez aucun droit k cet
hćritage : c^est done trente mille tomans
que je vous donne.
ZE'iNČB-KHANouM. — Commeut? je n'ai
pas de droitsl Pendant des annees, j^ai
trimć dans la maison de Hadji-Ghafour;
toutes les clefs des armoires etaient entre
mes mains; j*avais tout ce que je dćsirais,
et c'est moi qui faisais les depenses. Du
vivant de Hadji-Ghafour, sa soeur ne pou-
vait pas disposer d'un franc ^ ! Qu^est-il
ACTE ĐEUXIEME 1 85
done arrivć pour que je doive mt retirer
k i'ćcart, pour que cette aventuričre vienne
s*emparer de tout Targent, ei qu*elle aille
le boire et le depenser k faire la noće avec
ua jeune butor ?
A<u«*Merdan. — Au tribunal, on n e-
coutera pas ces raisons'-li.
Zeikeb-Khanoum. — Comment? On ne
les ecoutera pas ! Est-ce qu^on ne doit pas
obs^v<$r la justice dans un proces? Pen-
dmt dix ans et plus, cette fortune est res-
Ut eotre mes mains... maintenant, j'en
s^rais depouillee I
Aga-M^rdan. — Eh! ouijvousdevez en
ćtre depouillee.— Ecoutez-moi : renoncez
i Ja mottie de cet heritage, car en rćalite,
voufi n'avez pas droit a une obole ^^.
Aga-Abbas est au courant de rafiEsiire, et
il ^it que ce que je dis est exact.
Aga-Abbas. — Oui : nous acceptons.
Quellei conditions avez-vous encore šl
nous imposer?
AaA'-MžiRĐAN. -^ Ma troisi^me condi-
tlOHi c'est que ZeKneb-Khanoum se pr&-
1 86 DEUX COMĆDIES TURQUES
sentera devant le tribunal, et qu^elle de-
clarera, en prćsence du prćsident, qu^elle
a de Hadji-Ghafour un enfant de sept
mois, encore en nourricc.
ZMneb-Khanoum. — Oh ! oh ! Aga-M6r-
din! c'est Ik une chose bien difficilel
Comment oserais-je dire un pareil men-
songe.... que j^ai un enfant de sept
mois?
Aga-Merdan. — Ce n'est pas difficile
du tout. Du vivant de Hadji-Ghafour,
vous etiez enceinte. Un mois avant sa
mort, vous avez mis au monde un petit
gar^on qui a sept mois, maintenant. Est-
ce une afFaire de dire ćela?
Zž'fNŽB-KHANOUM. — Je vous considere
comme mon pčre, Aga-Merddn, et je ne
desobćirai jamais k vos conseils; mais,
cette condition est trop dure. Moi qui
n'ai jamais eu d'enfant, est-ce qu^on ne
me crieraic pas : < OCi est ton enfant? Oti
est-il? »
Aga-Mčrdan. — Ne vous inquićtez pas
de ćela. L'enfant est tout prćt. Vous
ACTE DEUXIEME 1 87
avez ćte enceinte, et vous Pavez mis au
monde. On a vu le petit dans vos bras ct
dans ceux de Hadji-Ghafour. II y a
mćme des gens qui en temoigneront. Ne
vous inquietez pas de ces choses-l& : fai-
tes seulement votre dćclaration,etd^autres
ea afiirmeront la sincćritć.
Zčinžb-Khanoum. — Au nom de Dieu !
Aga-Mćrddn, imposez-moi une condition
dont je puisse m'acquitter : celIe-1^ est
trop penible. Comment pourrais-je faire
un tel mensonge? Je n'oserai jamais par-
ler ainsi!
Aga-Mžrdan. — Vous dites la d'etran-
ges choses, Zeineb-Khanoum ! Je ne com-
prends pas ce que ćela signifie. Pourquoi
n'oserez-vous pas? Pourquoi avez-vous
honte?Tout le monde sait que c^est le
mćtier des femmes de faire des enfants :
quelle honte y a-t*il la? Vous n'avez,
peut-ćtre, jamais ete enceinte, et vous n'a-
vez jamais eu d enfant. Soit, mais, celui
qui veut attraper un poisson,doit plonger
dans Teau froide ^i. 11 faut que vous fas-
1 88 DEUX COMŽDICS TURQUES
siez cette đeclaration : il n'y a pas d'au*
tre moyen.
Zž'iNi^B-KHANOuiff. — Que voulez-vous
obtenir par Id, Aga-Merd^n?
Aga-Meri>an. — Je veux, par ce mojren,
vous faire attribuer toute la fortune de
Hadji-Ghafour, et pour arriver a ce rćsul-
tat, il n*y a pas d'autreexpćdient que celui-
la. Vous-mšme, vous ne pouvez pas
hćriter de votre mari, tandis que votre
enfant est heritier, de par la loi. Quand
rexistence de votre enfant aura ete cons-
tatće, toute la fortune lui reviendra. Je
pourrai alors, sans difficulte, me faire
nommer son tuteur; puis, cinq ou six
mois aprčs, je repandrai le bruit que Ten-
fant est mort, et dans ce cas, tout l'beri-
tage vous sera transfere a vous, legale-
ment. Vous en prendrez la moitie, et vous
me donnerez Tautre moitie: — Dieu est le
meilleur pčre nourricier ^^.
Zžineb-Khanoum. — O vous, pour qui
je donnerais ma vie, peut-on debiter un
pareil mensonge ?
AGTle DEUXIEME iS^
Aga-Merdan. — Si la soeur de Hadji-
Ghafour avait quelqu'un pour la soute-
nir, croyez-vous qu'elle ne nous devan-
cerait pas?... Mais, aujourd'hui, elle n^a
personne pour s'opposer k nous et plaider
sa cause. Si elle avait epouse Aga-Ha-
9^n, le negociant, Paffaire aurait ete tres
difficile. Maintenant, Aga-Ha^žn, lui-
mSme, et tous ses parents dont l'iniluence
est grande, sont devenus les ennemis de
la jeune fiUe : ils desirent que cette for-
tune ne lui revienne pas. La fillc est
restee seule avec son fiancć, un jeune
homme qui n'est bon k rien.
ZfeiNEB-KHANouM, — Eh bien ! et cet en-
fant dont vous parlez, oti est-il?
Aga-Merdan. —Vous allez le voir k l'ins-
tant. — Aga-Kčrim, va prendre l'enfant
des bras de sa nourrice,... 1^, dans cette
chambre. Apporte-le, pour que madame
le voie. (Aga-Kčrim sortpour aller cher-
cher Venfant.)
1 90 DEUX COMŽDI&S TURQUES
SCENE IV
Zći'nžb-Khanoum. — Est-ce une nourrice
qui Tallaite?
Aga-Mžrdan. — Non, c'est sa mere qui
lui donne le sein ; mais, elle devient la
nourrice. (Aga^Kčrim revient^ portant
Venfant dam sesbras, — Agd'Mčrdđn le
prend, et le donne a Zš'inčb'Khanoum.)
SCENE V
Aga-Mžrdan. — Voici votre enfant.
Vous voyez que son visage ^^ est tout k
fah celui de Hadji-Ghafour.
ZeIneb-Khanoum. — Par Dieu ! On
croirait que c'est son portrait. — Mais, je
crains qu'au moment du jugement, ma
langue se refuse k dire ce mensonge.
ACTE DEUXIEME I91
Aga-Merdan. — La cause de votre
crainte, Zčin^b-Khanoum, c^est que vous
ne vous persuađez pas, vous-mćme, que
c'est vous qui ćtes la mere de cet enfant.
11 faut, avant tout, vous mettre bien en
tSte qu^il est votre fils, ou sinon, vous
perdrez contenance k Paudience, et vous
resterez bouche close. N'ayez aucune
crainte, et donnez-moi votre parole que
vous ferez cette declaration, comme je
vous le dis.
Zeineb-Khanoum. — Oui, je vous le
promets,... si je peux.
Aga-Mčrdan. — Vous le pourrez, s'il
plait k Dieu. 11 serait beau, vralment, que
votre belle-soeur s'emparžt de tout The-
ritage, et qu'elle le devordt avec un bu-
tor, en lui frisant la moustache!
Zei'nčb-Khanoum. — Oui, par Dieu !
vous avez raison. Mais, une chose m'in-
quićte : est-ce que Tavocat de Sekine-
Khanoum ne devoilera pas mon men-
songe?
Aga-Mč:rdan. — Ah ! ah ! ah ! Voyez
14
192 DEUX COMĆDIES TURQUES
done de qui elle a peur I — Ne craignez
rien : il ne dira pas un seul mot pour vous
dementir. AUez, et faites preparer la
procuration. Demain, il faut que tout soit
pret. Pour moi, j*at encore autre chose k
faire. Une autre personne va venir me
trouver : j'ai mille afTaires sur les bras.
Prenez avec vous Aga-Kčrim, et donnez«
lui les cinq cents tomans : il me les ap-
portera.
Aga-Abbas. — L'argent est pret : nous
Tavons apporte. Aga-Kerim nous avait
prevenus d'avance.
Aga-Merdan. — Bien : laissez-le-moi, et
retirez-vous. (Aga-Abbas pose Vargent^
dans une bourse, devant Aga-K^rim, —
Au moment oU Zčtnčb et Aga-Abbas se
Ičvent pour partir, Nacčr^ ferrach du
Chah'Zadš, entre et s'avance vers Aga^
Mčrdan.)
ACTE DEUSIEME 1 93
SCĆNE VI
Le ferrach Nacer. — Bonjour, mes-
sieurs. — Aga-Merd^n, le Chah-Zadć vous
prie de vous rendre aupres de lui, ce soir,
pendant une heure. II a besoin de vous
pour une affaire importante.
Aga-Merdan. — Reponds ši ton maitre
que je suis a ses ordres. (Le fšrrach se
retire. — Ensuite, arrive Ecćđ, domes-
tique du president du tribuna I,
SCENE VII
Ecč:d. — Bonjour, messieurs. — Aga-
Mćrdto, mon maitre demande si vous
voudriez bien venir diner i*, ce soir, avec
lui, chez Hadji-Semi\ II a une affaire ur-
gente dont il voudrait vous entretenir.
194 DEUX COMĆĐIES TURQUES
Aga-Mžrdan. — Tu diraš k ton maitre
que j'irai, et que j*irai pour lui faire plai-
sir. (Aga-Abbas et sa sceur se retirent.)
SCENE VIII
Aga-Kžrim. — Je ne comprends pas
d'oti sont sortis ce courrier du Chah-
Zađe et ce domestique du Qadi.
Aga-Mž:rdan. — Je sentais que la femme
serait inquičte au sujet des conditions
que je lui imposais. C'est pourquoi
j'avais soudoye ^^ ces individus pour ve-
nir m'apporter ces deux nouvelles en
sa pr&ence. Je Pai fait pour qu^elle s'i-
magindt que je suis Tami du Chah-Zadč
et le commensal du prćsident du tribu-
nal, et pour qu'elle reprit courage. J^au-
rais craint, sans ćela, qu*elle n'osfit pas
faire sa declaration k Taudience, et que
nous fussions conspućs.
Aga-Kerim. — Par Dieu! tu as eu une
ACTE DEUXIEME igS
bonne idee. Mais, k Tauclience, nous au-
rons Toeil sur elle. Si nous le pouvons,
nous ferons passer sa declaration apres
celle des tćmoins : alors ses inquietudes
se seront dissipees, et elle n^aura plus
peur.
Aga-Merdan. — Bien. Lžve-toi et va
chez Pinspecteur de police : dis-lui de
chercher et de m^amener des temoins.
Tu lui promettras pour sa part cinq cents
tomans : cinquante comptant, et le reste
payable plus tard ^^. Les temoins auront
aussi chacun trente tomans : quinze
comptant et quinze aprčs. Nous ferons
abandon de cette somme, aprćs la reussite
du procčs, pour que l'inspecteur ne mette
pas son nez dans notre affaire; mais, on
ne pourrait pas la faire aboutir sans ćela,
tant il est ruse ^'^. Tu sais qu'il a dejd une
fois decouvert le pot aux roses ^^. Nous
ne pouvons pas nous cacher de lui.
Aga-Kžrim. — Trčs bien : j'y vais. (II
se Ičve pour partir.)
Aga-Mižrdan. — Ah ! attcnds done. II
14-
196 DEUX COMŽDIES TURQUES
me vient unc idee que je veux te com-
niuniquer; mais ne Toublie pas. Quand
tu verras la veuve de Hadji-Ghafour,
fais-lui done comprendre, d'une fa^on ou
d^une autre, qu'elle ne doit pas ainsi
m'appeler « son pčre ». Par ta mort! tu ne
penses a rien. Je n'aime pas que les fem-
mes m'appellent ainsi : « pere ! pere ! »^
en croyant me faire plaisir. Queiie neces-
site de m'appeler par mon nom!
Aga-Kčrim. — Bien, bien. Ne jure pas
davantage: j*ai compris ton but.Trčs-bien:
sois tranquiile. Je lui dirai de ne plus
t appeler son pere, mais de t^appeler < son
seigneur » . (Aga-Kerim s*en va, et apris
son depart, Aga-Silman entre.)
SCENE IX
Aga-Selman. — Bonjour, Aga-Merddn.
Aga-Merdan. — Ah! bonjour. Voyons :
comment ćela s'est-il passe?
ACTE DEUX1EME 1 97
Aga-Sžlman. — Je suis charge de la
defense : c'est chose faite. Mais, dis-moi :
quepenses-tu faire maintenant?
Aga-Mžrdan. — Je pense que nous fe-
rions bien de preparer les temoins et de
les mener au iribunal. — Quels faono-
raires t'a-t*on promis?
Aga-Sčlman. — Ils m'ont promis seu-
lemenc cinq cents tomans, en me disant
que leurs temoins sont tout pržts, que
la marche du proces est trčs simple, et
que ce n'est pas Ik une afiTaire obscure
ou mysterieuse. Je me suis declare sa-
tisfait.
Aga-Merdan. — Tu as tres bien fait ;
mais, tu vois qu'il n'y a pas tanl de
profit a defendre une bonne cause. —
La veuve de Hadji-Ghafour fait le sacrifice
de trente mille tomans : ces trente mille
tomans seront pour nous deux et Aga-
Kerim. As-tu appris les noms des temoins ?
T'es-tu informe de leur adresse?
Aga-Selman — Oui, je m'en suis in-
forme, j'ai note tout ćela. Ce sont qua«
198 DEUX COMŽDIES TURQUES
tresoldats : Bedčl, Qahreinan, GhafTar et
Nčzćr ^®, rue de Verdji ^.
Aga-Merdan. — Je vais les envoyer
chercher, et je leur recommanderai ^i de
dire le contraire de ce qu'ils ont vu.
Mais, tu iras d'abord les trouver, et tu les
prieras, de ton cotć, de rendre un tdmoi-
gnage sincčre. Comme les soldats ne sont
que de pauvres hčres, des especes de
mendiants, ceux-l& te demanderont quel
cadeau tu leur feras aprčs le proces :
« Mes enfants, leur repondras-tu, dans
une aflaire comme celle«ci, ce n'est pas
bien de demander un salaire. C'est seu-
lement pour contenter Dieu que vous
devez rendre ce temoignage, et vous en
serez bien recompenses,.,. au jour de la
resurrection. »
Aga-Selman. — Tres bien.
Aga-Mžrdan. — Tu ne sais pas quel
sera, k peu prčs, le temoignage de ces
soldats?
Aga-Selman. — Si, je le sais. Ils decla-
reront que, deux heures avant la mort de
ACTE DEUXIEME 1 99
Hadji-Ghafour, ils se sont rendus k sa
maison, et que celui-ci leur a đit : « Je
meurs; je n'ai personne au monde qu^une
soeur. Ensevelissez-moi quand je serai
mort. »
Aga-Merdan. — Trčs bien; mais ils
devront changer ćela et dire que Hadji-
Ghafour avait un bebe d'un mois. Leve-
toi maintenant, et va trouver ces soldats.
(Aga'Sčlmdn se l^e et s'en va,)
SCENE X
Aga-Merdan (seul), — GrSce k Dieu,
la tournure de rafTaire est excelleDte. —
Voici le moment oti Aga-Kčrim va ame-
ner les temoins. (Aussitot la porte s'ou-
vre, et Aga-Kčrim entre dans Vapparte"
ment avec Vinspecteur de police et quatre
autres individus.)
200 DEUX COMŽDICS TURQUES
SCENE XI
L'iNSPECTEUR. — Bonjour, Aga-Mćr-
dan.
Aga-Merdan (d Aga'Kćrim, sans se
retourner ni reconnaitre Vinspecteur **).
— Bonjour: as-tu trouvd le darogha?
L'iNSPECTEUR. — Je n'^tais pas perdu
pour pouvoir etre trouve. C'est une
etrange question que vous faites-Id, Aga-
Mčrddn : — je vois que vous ne m'avez
pas encore reconnu.
Aga-Merdan (prenant d*abord d part
Aga-KirimJ, — Va trouver Aga-Sćlm&n,
et fais-coi indiquer par lui les soldats
dont il a parle ; puis, tu me les amčneras.
(Se retournant ensuite vets le darogha.)
Seigneur, presentez-moi done ces mes-
sieurs, et faites-moi connaitre leurs quali*
tes.
L'inspecteur. — Voici Hčpou , un
ACTE DEUXIEME 201
joueur de profession ^, qui est arrive hier
d'Arbčbil ^ ; le fameux Cheida, de Qaz-
vin ^, qui fait la banque pendant le jour
et des friponneries pendant la nuit ;
QourbAn-Ali, de Hamaddn 26^ qui, la
nuit, fera tous les metiers que vous vou-
drez, et qui est marchand de bas au bazar
pendant le jour. Voici enfin Hanife, de
Meragha ^^ qui, le jour, est colporteur et
qui loge chez moi, la nuit.
Aga-M&rdan. — Dieu soitloud! ce sont
tous d^honnetes gens et des hommes de
bien. Mais, le m^tler de Hepou est un
peu suspect : on aura peut-etre quelque
mauvais soup^on sur son compte.
L'iNSPECTEUR. — Ne craignez rien. He-
pou est un vieux finaud qui jouera tous
les personnages que vous voudrez. Vou-
lez-vous qu'il soit, tout šl Pheure, un
commercant notable? II se presentera
devant vous, et vous ne le reconnaitrez
pas, vous-mćme. Vous ignorez, sans
doute, qu'il est d'une race qui a fait ses
preuves? C'est le fils de Heider*Qouli,
202 DEUX COMŽDIES TURQUES
au talon fendu. Un jour, on avait vu
Heider-Qouli dans la ville d'Ehćr 28.
II parcourut pendant la nuit deux
etapes, se rendit a pied k Tćbriz, de-
roba dans la maison du dćfunt gou-
verneur un ćcrin de perles appartenant šl
celui-ci, et revint k Ehćr, la mćme nuit: a
Paube, i I dormait dans le corridor du
caravanserail ^. Tout le monde fut stu-
pefait de ce tour de force. Čest seulement
en consideration de son merite, qu'on ne
le mit pas a mort, quand Taffaire se de-
couvrit : on lui fendit le talon ^, et on le
reldcha.
AgvMerdan. — Ah! c'est le fils de
Hčidčr-Qouli au talon fendu ?Trćs bien^
alors. Mais, nous changerons son nom. — >
Tous ces messieurs sont certainement au
courantdes questions jundiques; n^esc-
ce pas ?
L'iNSPECTEUR. — Tranquillisez-vous
done : ils sont tous lettrćs. Par votre
mort! ils fabriqueraient des pantoufles
au diable ! On n'en voit pas d*autres
ACTB ĐBUX1EME 2o3
comme eux : ils font, chaque jour, en-
semble, la pričre dominicale dans la mos-
quće.
Aga-Mžrdan. — Trčs bien. Savent-ils
quelle espdce de temoignage ils devront
donner?
UiNSPKCTEUR. — Non, c'cst vous-mćme
qui devez le leur apprendre.
AoA-MćRDAN. — Bicn. Voici ce qu'il8
devront dire : « Une semaine avant la
mort de Hadji-Ghafour, un soir, au cou-
cher du soleil, nous allions, tous les
quatre, rendre visite aux trćpasses. En
passant devant la raaison de Hadji-Gba-
four, nous le vimes, debout sur le seuil
de sa porte, tenant dans ses bras un en-
fant au maillot. Nous le saludmes, et nous
lui demanddmes des nouvelles de sa
santć : — « De qui est cet enfant, sei-
gneur? » lui d!mes-nous. — <c De moi,
repondit-il; il est ni depuis trois se«
maines. C'est mon fils unique : je n^ai
pas d'autre enfant. »
L^iNSPECTEUR. (Se tournantvers les te»
15
204 DEUX COMĆDIES TURQUES
moins.J — Avez-vous entendu, mes pe-
tits?
Hžpou. — Oui, nous avons entendu.
Aga*Mčrdan. — Pouvcz-vous repćter
ćela, comme je Tai dit?
Hanifž. ^ Sans doute : il n*y a pas Ik
đe nćologisme qui soit difBcile i rćpčter.
Aga-Mžrdan. — Ah I tres bien, mes
enfants, que Dieu soit content de vous.
Chćida. — Comment done, Aga-Mćr-
ddn, Dieu serait-il content d'une pareille
affaire?
Aga-Mžrdan. — Eh! pourquoi pas,
mon cher aml? Si on t'avait mis au
courant de tout^ tu dirais certainement,
toi«m£me^ que Dieu en sera satis-
fait. La malheureuse veuve de Hadji-
Ghafour a ete, pendant dix ans^ mai«
tresse de la maison et de la fortune
de celui-ci; serait-il juste qu*elle fiit
chassee aujourd'hui de cette maison €t
dćpouillće de toute cette fdrtune? Se-
rait-il juste qu'une chćtive pecore s'em-
pardt de tout cet argent et alldt le manger
■
j
ACTE DEUXIEME 205
ea compagnie d^un ignoble garnement,
d'un heretique et pour cette seule
raison, qu^il aura des relations coupables
avec elle ? D apres les paroles de nos
docteurs^ les sunnites sont exclus de
la cour cćleste.
Chžida. — Ah ! par Dieu ! comme vous
dltes vrai !
L^iNSPECTEUR. — Eh! bien, Aga-Mef*
dktif fixez le salaire de ces enfants.
Aga-Mčrdan. — Aga-Kžrim ne Va
done pas fait?Paidit que nous donne«
rlons trente tomans k chacun de ces
messieurs. Vous savez, qUant k vous^
quelle sera votre part.
L'iNSPECTEUR. — Oui, nlais il vous faut
slvancer k ces enfants la moitić de leur
salaire.
Aga-Mžrdan. — TrSs volontiers: reti-
rež-vous, etdans deux heures, Aga-Kćrim
vous apportera cinquahte tomans pour
voiis, ainsi que la moitie du salaire de ces
jeunes gens.
L'iNSPECTEUR. — Tres hien^^ Dieu vous
206 ĐEUX COMĆOIES TURQUES
garde! (UInspecteur se retire avec ses
acolyteSj puis, la porte s^ouvre de nou-
veau, et quatre soldats entrent avec Aga-
Kšrim.)
SCĆNE XII
Les soldats. — Bonjour, monsieur.
Aga-Mžrdan. — Bonjour, mes enfants.
Prenez la peine de vous asseoir. Vous
^tes tout k fait les bienvenus; vous Stes
tout li fait, tout k fait les bienvenus. Par-
donnez-moi la peine que je vous ai
donnee.
Un des soldats. — Mais non, mon«
sieur : c'est, au contraire, trop d'honneur
pour nous de venir chez un homme res«
pectable comme vous.
Aga-Merdan. — A merveille, mon en-
fant : un homme bien elevć est partout
bien re^u. — Avez-vous dćjeunć?
Les soldats. — Non, nous sommes
venus sans avoir eu le temps de dejeuner.
AGTE DEUUEME 2O7
Aga«Mžrđan. — Aga-Kerim, envoie
quelqu^un au bazar acheter pour mes
enfants quatre portions de riz et de ke-
bah ^^ ainsi que de la glace et du sorbet
au citron. Qu'il y ait un supplement
de kebab, parče qu'ils ont grand*faim.
Qu'on en prenne beaucoup, n'est-ce
pas?
Un soldat. — Pourquoi prenez-vous
cette peine, seigneur? Nous irons, nous-
mčnie, au bazar, et nous y mangerons
un morceau.
Aga-Merdan. — Quelle peine est-ce
done, mon cher ami? Čest Theure du
dćjeuner : pourquoi voudriez-vous quit-
ter ma maison k jeun et affamćs? Par
Dieu ! cela va bien comme je dis.
Le soldat. — Seigneur, que dćsiriez-
vous de nous ?
Aga-Mžrdan. — Pas grand'chose, mon
enfant : je yeux seulement vous faire une
petite question.
Lb SOLDAT. — Paricz, seigneur : deux,
si vous voulez.
2o8 DEUX com£dibs turques
^ —
Aga-Mžrdan. — Est-ce vous qui avcz
enseveli feu Hadji-Ghafour?
Le soldat. — Oui, seigneur, c^est nous
qui Tavons enseveli. Pourquoi ?
Aga-Merdan. — Ah! je vous felicite
đe votre gćnćrositć. Votre prćsence est
toujours un grand bonheur, non seule-
ment parče que vous £tes les dćfenseurs de
rislam, mais aussi parče que vous rendez
service i tout le peuple dans les jours de
dćtresse. Pendant le cholera, il ne restait
pas dme qui vive dans la ville : seuls^
vous ne Tavez pas quittee, ayant fait
d^avance le sacrifice de votre vie. Que la
Tres Sainte Majeste Divine vous en rć-
compense dignement! — Mais, mon fils,
avez-vous bien vu Hadji-Ghafour vivant?
Le soldat. — Oui, seigneur, nous
Tavons vu vivant.
Aga-Merdan. — Dans ce cas, vous avez
vu aussi, d ses c6tes, son petit enfant au
maillot^ qui etait alors Sgć d'un mois?
Le soldat. — Non, seigneur, nous ne
l'avons pas vu.
ACTE DEUXIEME 2O9
Aga-Mžrdan. — Peut-štrc etait-il, k ce
moment-l^, dans les bras de sa mčre?
Lb soldat. — Non, seigneur, nous
avons demande k Hadji-Ghafour com-
bien il avait d'enfants, fils ou filles, grands
ou petits, et il nous a repondu qu'il ne
laissait qu'une soeur.
AGA-M]g:RDAN. — C'est possible : il n'a
pas compte son fils parče que c^etait un
petit enfant d'un mois seulement. Mais,
Tenfant etait alors dans les bras de sa
mere ; d*autres que vous ry ont vu, et je
croyais que vous Taviez vu aussi. II n'y a
pas de mal ; c*est bien. Mais, dans ce cas,
quel temoignage ferez-vous? Car vous
savez qu'il y a un procčs entre les beri«
tiers au sujet de la succession ?
Le soldat. — Nous temoignerons de
ce que nous avons appris. L'avocat de la
soeur de Hadji-Ghafour nous a dej^ inter-
rogćs sur ce point, et nous le lui avons
confirme.
Aga-Merdan. — Ah ! je comprends
maintenant pourquoi vous parlez ainsi :
210 DEUX COMEDIES TURQUES
c'est parče que les discours de ce misera-
ble impie ont fait impression sur votre
esprit. C'est pour cette raison que vous
niez l'existence de Tenfant. II vous a cer«
tainement promis pout ćela unevingtaine
de tomans, et il vous en a avancć la moitie.
Le soldat. — Non, seigneur, 11 ne nous
a pas promis une obole, et meme, quand
nous lui avons demande un petit cadeau,
il nous a rćpondu qu'un temoin doit £tre
dćsinteresse et que c'est de Dieu seul que
nous devons attendre notre recompense ^«
Aga-Merdan. — Oh ! le maudit ! Voyez
comme il est avare, ladre et serre ! II ne
soufFrirait pas qu'un sou profitdt & un au«
tre que lui. Dans un proces de soixante
mille tomans, alors qu'il cherche k obte-
nir injustement un temoignage en sa fa-
veur, il regrette de dćpenser vingt ou
trente tomans pour des jeunes gens ai-
mables comme vous ! Par Dieu ! il n*existe
pas, en ce monde, un miserable comme
lui. Que Dieu le punisse par une catas*
trophe! Son oeuvre est injuste et sa con*
ACTE DEUXIEME 211
duite ignoble, et lui-mSme est un avare
et un ladre !
Le soldat. — Comment son oeuvre est-
elle injuste, seigneur?
Aga*Mžrdan. — Parče qu'il veut evi-
demment nier rexistence du petit enfant
deseptmois, de Hadji-Ghafour. II veut
repousser cet enfant et lui enlever la for-
tune de son pere, pour la donner a la
soeur de Hadji-Ghafour. Mais Dieu ne
favorisera pas cetie action : il prouvera
que Tenfant est bien vivant, et on ne pourra
pas meconnaitre son existence. Peut-on
nier pareille chose? — C'est moi qui suis
le defenseur de ce pauvre petit orphelin.
J^ai fait voeu de donner trente tomans
i quiconque temoignera en faveur de
cet enfant, et, comme je croyais bien,
comme j*etais convaincu que vous Paviež
vu, j'avais prepare cette somme, toute
comptee. Mais, si quoi bon, puisque vous
dites que vous ne vous souvenez pas de
l'enfant? Cependant, si vous le voyiez,
peut-Stre ćela vous reviendrait-il k Tes-
i5*
212 DEUX COMŽDIES TURQUES
prit ? — Aga-Kčrim, va done k la maison
prends Tenfant des bras de sa mćre Zei«
nčb-Khanoum, ct apporte-le ici. (Aga-
Kirim revient bientćt avec le petit gar*
q(m qu'il aprisdans Vautre chambre.)
SCĆNE XIII
Aga-Mžrdan. — Reflechissez bien, mes
enfants. Comment est-il possible que
vous n'ayez pas vu ce petit gar^on? Se-
rait-il humain quMne autre personne dć-
vordt Pheritage de ce petit orphelin qui
ne peut pas parler pour se defendre ^3^ et
que ce malheureux restdt abandonne dans
les rues et derrićre les portes, avec ses
soupirs et ses chagrins? Peut-Stre, au
milieu de ce tumulte et de tout ce trou-
ble, n'avez-vous pas fait attention jlcet
enfant ? II y a des moments oti on perd
la tete. — Aga-Kžrim, prends, dans Tar-
moire, Toffrande de ce petit enfant, et ap-
ACTE DEUXIEME 2 I 3
-r-
porte-la ki. (AussitGt^ Aga^Kirim prend
dans Varmoire quatre paquets enveloppćs
depapier qu'il pose a la portee d^Aga-
Mšrddn.)
Aga-Mčrdan. — Mes chers amis, outre
la recompense que Dieu vous donnera in-
failliblement, ce petit orphelin a fait k
chacun de vous une ofFrande de trente
tomans contenus dans ces quatre feuilles
de papier. II n'est pas comme ce maudit
Aga-Seimlln, qui vous impose une action
malhonnSte, et qui ne veut rien vous
donner en retour, par cupidite. (Tout a
coup^ un des soldats se tourne vers un
de ses camarades et lui dit :)
Un soldat. — Dis-moi, Qahrčman, il
me semble roe rappeler que j^ai entendu
la voix d'un petit enfant, pendant que
nous etions chez Hadji-Ghafour.
Qahrč:man. — Oui, je me souviens : il
y avait une femme assise dans un coin de
la maison, et elle tenait dans ses bras un
petit enfant au maillot.
Ghaffar. — Ah! va done! je me rap-
214 I>EUX GOMEDIES TURQUBS
pelle que Hhadji-Ghafour nous a dit :
a Voici ma femme, et ce petit enfant est
mpn fils : il y a un mois que sa mere Pa
mis au monde. >
NžzžR. — Ah ! ah ! voyez done comme
nousavions oublie ce detail! Čest vrai :
il y a des jours ot on n'a pas la tćte i sci!
Mais, oui : est-ce que Hadji-Ghafour ne
nous a pas recommande de veiller sur
sa maison, sa femme et son petit en«
fant, jusqu'au retour des habitants, de
peur que tous les coquins de la ville ne
leur fissentdu mal?
Tous LES soLDATs (eti chosut). — Oui,
il nous a recommande sa femme et son
enfant.
Aga-Mčrdan. — Que Dieu soit satisfait
de vous, mes enfants ! Je savais bien que
ćela devait vous revenir k Tesprit. Prenez
done TojSTrande de cet orphelin, et depen-
sez-la & votre guise. S^il plalt a Dieu^
apres la fin du proces, il vous reviendra
encore k chacun dix tomans. Une bonne
et sincire action n'est jamais perdue. Mes
ACTE DEinUElIE 3lS
enfants, tćmoignez devant le tribunal
exactement comme vous venezde le faire,
et ensuite,... empochez votre argent.
(Jn des solđats. — Mais, seigneur,
nous avons promis k Aga-Sčlmftn de tć-
moigner en sa faveur : faut-il lui dire
maintenant que nous ne pouvons pas
£tre ses tćmoins?
Aga-Mžrdan. — Non : vous n*avez be-
soin de lui parler de rien. Qu'il sHmagine
toujours que vous 6tes ses temoins, et qu^il
vous mčne, lui-mćme, au tribunal : 1^,
vous rendrez votre temoignage dans les
termes dont vous venez de vous servir.
Aga-Selmdn n*a aucun droit sur vous, et
il n'a rien a vous reclamer. S^il vous de-
mande pourquoi vous parlez ainsi, vous
lui rćpondrez que c'est parče que vous
savez que c'est la verite et que vous en
rendez temoignage. Ensuite, vous empo-
cherez votre argent. — On a apportć le
riz : allez dans cette chambre, et faites-
moi Phonneur d'y prendre votre repas.
Mais, j*ai une priore k vous faire : per-
2|6 DKUX COMĆDIBS TURQUES
sonne ne doit soup^onner que je vout ai
fait appeler et que vous £tes venus ici.
C'est seulement pour plaire k Dieu que
vous garderez ce secret, mais je vous pro«
mets en echange de vous donner i chacun,
sur ma propre bourse, un bonnet de Bo-
khara ^.
Les soldats. — Seigneur, soyez sans
crainte i ce sujet.
Aga-Mčrdan. — Aga-Kčrim, conduis
ces chers enfants dans cette chambre,
pour qu'ils prennent leur repas ; ensuite,
tu les congćdieras.
SCĆNE XIV
Aga-Mžrdan (seul). ^ Tout va bien,
jusqu^^ maintenant. Levons-nous et al«
lons au tribun aL Je vais mettre les asses-
seurs dans mes interćts et les prćparer k
agir, pour que demain, au moment des
ACTC DEUIlfeue
d^bats, ils me servent dans U mesure du
nćcessaire **. (II se live et sort.)
Le rideau tombe
FIN DB l'aCTB DBUX[6|IB
^qpqpqpc;^^
NOTES SUR L'ACTE DEUXIŽME
I. B^-archć bćrin : « Jusqu'au trdne sublimb. »
C'est le trdne de Dieu, qui est placć dans le neu-
vićme ciel.
3. Litt. o Donne-moi le cadeau rćservć au por-
teur d'une bonne nouvelle ».
3. « Čest le Platon du siede » ; c*e8t-a-dire :
nul n'est plus habile que lui. Platon et Aristote
sont les deux philosophes grecs qui ont eu le
plus de fortune auprčs des musulmans,
4. Thbriz ou Tauris, est la capitale de TAzer-
bHdiSn. Fondće, en Tan 175 derhćgire, par Zo-
b^Xd^, femme du khalife Haroun-čr-Rčchid, cette
ville comptait, du temps de Chardin, cinq cent
cinquante mille habitants. Quoique elle soit bien
dćchue aujourd*hui de cette splendeur, c^est en-
ćore une des citćs les plus importantes de la
Perse : sa population est de cent mille fimes, a
peu pres autant que Teheran, la capitale du
royaume. Ce qui maintient encore Tauris au pre-
mter rang de toutes les villes persanes, c'est sa
remarquable position gćographique. Elle est Ten-
320 DETJX COMŽDIES TURQUES
trep6t obligć đe toutes les marchanđises qui en-
trent en Perse par la Turquie et par laTranscauca-
sie russe. Si Tćhćrfln est la capttalepolitique de la
Perse, Tauris en est, en quelque sorte, la capitale
commerciale, et son importance ne peut que s'ac-
croitre avec les fiacilitćs đe Communications. Le
cHmat de Tauris ne fait pas trop mentir rćtymo-
logie persane de son nom, (Teh-ri:; : qui chasse
la fievre) ; i*atr y est sain , mais, le froid est tres
vif, en hiver. Malheureusement, Tauris est trhs
exposće aux tremblements de terre. D*apres le
Nou!{het'el-qouloub^ elle a ćte dćtruite, une pre-
mi&re fois, en Tan 244 de Fhćgire, du temps du
khalife Mot^vikkeUbillah qui la reb&tit. Eile fut
de nouveau renversće de fond en comble, en 434^
par un autre tremblement de terre plus violent
que le premier, {Dictionnaire de la Perse, article
T^briz). En 1727, sofxante-diz mille personnes
furent englouties, et la secousse de 1780 coflta la
vte a quarante mille malheureuz. Depuis cette
ćpoque, les secousses ont €i€ moins violentes;
mais, elles sont encore trčs frćquentes : la der-
niere a eu lieu au printemps de i883.
5. Čfrit^ : a Dćmon femelle », fćm. de «^frit:».
6. A!neyć bedčn-nema. Cette expression que
nous traduisons par armotre a glace, dćsigne
simplement une grandeglace qui rćflechit toutle
corps. Une armoire a glace dćtruit un peu la
couleur locale ; mais, on commence a en voir
que]ques-unes en Orient.
7. Koul^dj^ : sorte de redingote a jupe arron-
dte.
8. Djoubbi : robe de dessus, doubl^ et ouatće,
NOTES SUR L'ACTE DEUZIEME 221^
dont les manches larges ne đćpassent guere le
coude. La djoubbi se met sur la kouledj^ ; elle
est ordtnairement en drap. On sait que le mot
a djoubbe » est retymologie de notre mot franfais
9. Litt. a De cinq qa!(, « Le qaz vaut quatre
chahis et le chahi ćquivaut k peu pr&s au sou.
Ginq qaz font exactement quatre-vingt«quinza
centimes^ au cours actuel.
10. Folous, plur. dc fels, ea arabe : petite mon-
naie de cuivre. Ce mot vient du grec oM^t obole.
11. Proverbe persan qui signifie que celui
qui veut lafln doit vouloir aussi les mqyetts,
1 2. a Đieu est le meilleur pere nourricier >. Ci*
tation du Coran ajoutće par le traducteur persan:
Coran,ch. lxii, vers. 11.
1 3. L.itt. « ses yeux et ses sourcils ».
14. Le texte porte seulement : se rendre a un&
invitation,
lb. Mot a mot : « j'avais donnć un qr&n »• Le
qrdn ou saheb~qrdn (qu'on prononce sapcrSn), est
une monnaie persane de U valeur actuelle de
o fr. 90 cent. Čest la dixičme partie du tomUn.
16. A crćdit, k terme.
17.« Litt. un dtable ».
iŠ. L*expression persane est pre8que identi*
que : a Enlever le couvertle de Vaffaire. »
19. Le texte persan porte k tort « Dj^bbar »
comme nom du quatri&me soldat. La legon a N&
zčr » est donnće par la liste des personnages, et
se retrouve tout le long de la comćdie.
20, D'apr&s Topinion Je MM. Đarbier de Mey-
nard etS.Guyard^c*est sans doute,un mot russe
322 DEUX GOMĆDIES TnRQUBS
qu'il est diflicile đe retrouver sous la transcrip-
tion persane. La chose a d*ailleurs peu d'impor«
tance : c*est un nom de rue.
21. Utt. « U faut que je leur frappe sur Fć-
pauie. »
22. Cejeu desc&ne est iadiquć par MM. Bar-
bier de Meynard et S. Guyard : il est indispen-
sabie pour expiiquer la question d'Aga-M&rdia
et la rćponse du darogha.
25. Qoumar-baz : « Joueur de profeasion i>, de
l'arabe : qimar^ qui dćsigne toute esp&ce de jeur
de hasard, dćs^cartes, etc. II est a remarquer que
la pratique du jeu est une cause de rćcusation de
tćmoignage, ainsi que Tivresse d'habitude et, ce
qui est plus curieux, la pratique de la musique.
— > o En outre, a le temoin doit Stre majeur, saia
d'esprit, musulman de bonnes moeurs et de nais-
sance Ićgitime. » (Querry, Droit musulman chiite,
t. II, pages 451-455.)
24. Ardćbil est une ville de la province d'A«
z&rbeldjSn. Les Persans Tappellent aussi ii^aian^
Firouf, sans doute en souvenir du roi sassanide
Firouz qui en fut, dit-on, le fondateur. Elle est
situee k sept jours de marche au nord-est de Tau-
ris. (Voir, pour cette derniere ville, plus haut,
note 4.) £Ue est arrosće par un grand nombre de
ruisseauz, ce qui lui a valu d'Stre comparće H
Venise par le cćl&bre voyageur italien Pietro
della Valle (DicU geogr, de la Perse^ article Ar-
dćbil). Ardćbil possMe de rfches mines de fer et
des gisements de cuivre ; son bazar est aussi bien
approvisionne de marchandises russes. On admire
encore parmi ses monuments les tombeaux de
NOTES SUR L'ACTE DEUX1EME 223
Ch^Ikh-Sefi et de Chah-Ismail. Sa grande mos-
quće contenait jadis une biblioth^ue assez
importante; mais, tous les manu seri ts furent en-
levćs par Paskievitch et envoyćs k Saint-Pćters«
bourg. Ardćbil a une population de 12,000 habi-
tants.
a 5. Qazv1n ou Qazbi[n est une des principales
villes de la province d'Iraq-Adj&mi. Elle est si-
tuće sur la route de Tćhćrfin a Tauris et elle est
reliće k Tćhćrfin par une belle ^oute carrossable
de douze m^res de large. Sa population s'ćl&ve
aujourd'hui k Yingt-cinq raille habitants, tout au
plus. D*apres les uns» Qazvin a ćtć bdtie par le
prince sassanide, Chapour-Zoul-Ektaf ; d'aprčs les
autres» ceserait un des predćcesseurs de ce prince,
Ghapourfils d'Ardčchir-Đabegan, et deuxi&meroi
de la dynastie, qui en serait le fondateur (Dict.
giogr, de la Perse^ artide Qazv!n.)
26. Hamadan est Tancienne Ecbatane; mais,
cette ville n'a conservć de sa splendeur passće
qu*un amas de decombres et quelques noms qui
rappellent son ancienne puissance, comme le
c ukhtć Ard^hir », le tr6ne d'Artaxerx&s qui
dćsigne encore au)ourd*hui une de ses collines.
Le tombeau d'Esther et de Mardochće, qui est en
grande vćnćration aupr^s des Juifs, date, en rćalitć,
d'une ćpoque postćrieure a Tislamisme. Hamaddn
est situće au sud-ouest de riraq-Adj^nii, un peu
au nord-est du mont Elv^nd. Sa position a ćela de
remarquable qu*elle est k peu prćs a ćgale dis-
tance de la mer Caspienne et du golfe Persique,
sur la limite ancienne des Medes et des Perses,
la limite actuelle des Turcs et des Iraniens. Ha«
224 DEUX COMEDIESs TURQUES
madAn ne compte pas aujourd'hui plusde 15,006
habitants.
27. M^ragha est une ville de la province d'A-
z&rbildjAn dont elle a M jadis la capitale; mais,
8on importance a bien diminuć, et elle n'a guere
aujourd*hui plus de quinze mille habitants. Oa
▼oit encore dans cette ville les ruines du cćl&bre
observatoire que Houlagou y avait fait b&tir au
xni* si^de, pour Tastronome Nac&r-ed-dln Touci.
M&ragha est situće sur les pentes meridionales du
S&v&nd, dans le bassin du Sčfi-roud, k peu de
distance k l'est du lac d'Ourmia.
28. Ehhr ou Ahar, capitale du Qara-Dagh, est
une des plus petites .villes de PAz^rbeldjftn ; elle
est situće^ mi-chemin, e)iviron, entre Ardćbil et
Tauris, mais, un peu au nord de ces deux villes.
Elle ne compte pas plus de 3,5oo habitants.
29. Karav&n-sera! : « Hdtel pour les caravanes »»
caravansćrail.
30. Le vol est puni en Perše de chdtimente
corporels et de supplices gradućs selon l'impor-
tance du dćlit et le degrć de la recidive. « La
peine du vol consiste, pour la premičre fols, dane
l'ablation des quatre doigts de la main droite, en
rćservant la paume et le pouče. » — « La pre-
miere rćcidive sera punie de Tablation du pieđ
gauche depuis le cou-de-pied, en r&ervant le
talon. » — <t La seconde recidive sera punie de U
prison perp^tuelle; » — a La troisičme r^idive
sera punie de mort. » — « Aprfes l'ablation de la
main, il est recommandć de tremper le tron^on
dans de Thuile bouillante, par egard pour la vie
du patient; mais, ce pansement n'est pasobliga-
NOTES SUH L'ACTE BEUUEME 225
toire. » — a Peraonne n*e8t responsable đu rćsul-
tat đe rexćcution de la pćnalitć. » (Q.uerry, Droit
musulman Mite, t. II. p. 520, parag. 284*387 et
3oi-3o3.) Ces chdtiments corporels sont legiti-
mes et institues par le Coran dans le verset sui-
vant : a Quant a un voleur et a une voleuse, vous
leur couperez les mains comme rćtribution de
Poeuvre de leurs mains ; comme chfitiment venant
de Dieu; or, Dieu est puissant et sage. » Coran,
trad. par M. Kazimirski. Ch. v; verset 42.
3 1 . Le kčbab est un des mets favoris des Orien«
taux. II consiste en petits morceaux de viande de
mouton, rdtis a la brochette.
32. « Le tćmoin ne peut recevoir aucun salaire,
parče qu'il est obligć de rendre tćmoignage tou*
tes les fois qu'il lui est possible de le faire. »
(Querry, Droit musulman chiite, t. II, p. 388,
parag. 25 et suiv.)
33. Mot k mot : « Sans langue. »
34. Bokhara a ćte longtemps, et est encore une
des principales villes du Turk^stfin, ou de la
Transoxiane, comme on appelle aussi le pays qui
est au nord du Djihoun* rOxus des anciens. Le
Khanatauquei elle a donnć son nom, etdont elle
est la capitale, est encore aujourd*hui nominale-
ment indćpendant; nlais il est compl&tement
soumis a Tinfluence russe. Les Russes, maitres
de la haute vallee du Z&r-efcMn, peuveat ruiner
et rćduire Bokhara, rien qu'en arrStant les eaux
du fleuve : Bokhara, que les sables assiegent et
dont la sćcheresse est le pire ennemi, serait vain-
cue sans avoir mSme combattu. Mais, la Russie
n*a pas intćrSt, pour le moment, k annexer le Kha-
2a6 ĐSUX COMŽDIKS TUAQUES
nat; VimiT ezćcute tous les ordres venu« de
Saint-Pćtenbourg, et le tsar n'a pas besoin d'en-
tretenir de garnison k Bokhara. Cette ville n'est
plus la c noble citć » qui attirait vers elle tous les
p^erins de la science, du ix« au xiv* siede : son
importance est aujourd*hui purement commer-
ciale, et sa population ne dćpasse pas soixante^ix
mille Ames.
35. Litt. « Pour qu'iis remuent la t£te et la
queue, dans la mesure du nćcessaire, » c*est-a-
dire : pour quHls soient de connivence avec moi.
ACTE TROISIEME
i<
ACTE TROISIEME
L'action se passe au tribunaL — Le prćsident est
assis sur un coussin, a la place d'honneur,
ayant k sa droite Aga-R&him, et, a sa gauche
Aga-Dj^bbar. •» Aga-B&chir et Aga-SMtar, as-
sesseurs ordinaires du tribunal, sont assis k
c6tć d*eux. -^ Au rang infćrieur, se tient Tavo-
catde la veuvede Hadji-Ghafour, Aga-M&rdSn,
qui se trćmousse d*aise sur son si&ge.
SCENE PREMIĆRE
Aga-Bžchir. (S'adressant auprisident
du tribunal). — Avez-vous pćnetre, sei-
gneur, par votre inteiligence et votre sa-
gacite, le mančge de cette femme qui est
venue porter plainte hier? — Elle avait
derobć trois tomans d son mari, s'ćtait
23o ĐEUX COMŽDIES TURQUES
rouee de coups, elle*mćme, s^etait, par
ruse, ensanglantć le visage et arracbe les
cheveux, — ensuite, elle a porte plainte
contre son mari.
Le prćsident. — Ne vous ai-je pas dit
quecette femme mMnspiraitdessoup^ons?
— II faut tirer ćela au clair.
AoA-BžcHiR. — Oui, seigneur,... je veux
seulement vous faire remarquer combien
votre sagacite est merveilleuse ^ ! Dans
toute Tassistance, personne n*a doulć de
lasincćrite de cette femme; mais, vous,
dčs le premier coup-d^oeil, vous nous
avez fait part de vos soup^ons, et vous
avez eu vraiment raison.
Le prćsident. — Dans des afFaires ana«
logues, mon opinion aćtesouvent d^accord
avec les faits.
Aga-Bćchir. — On a bfen raison de dire
que les gouvernants sont dirigćs par la
sagesse divine '. Qu^est-ce done, si ce n^est
pas la une inspiration directe de Dieu ?
AGA-Ri:HiH. — Vous vous etonnez beau-
coup de ćela, Aga-Bdchir, mais, la Trčs
j
ACTE TROISIEMB 23 1
^j
Salnte Majeste Divine choisit, pour leur
mćrite^ et place d la tćte de leurs contem-
porains ceux de ses serviteurs qu'elle a
honorćs d'une faveur particuličre. Or, la
Trčs Sainte Majestć Divine a honore notre
mattre de sa bienveillance toute speciale,
dans la connaissance des affaires. Voulez-
vous savoir ce que c^est rćellement? Ce
n*est pas de Tinspiration : c*est, il mon
avis, une grdce particuliere de Dieu.
Aga-Djžbbar. — Oui , vous avez le
choix : on peut soutenir les deux opi-
nions. N^est-ce pas, Aga^Merddn ?
Aga-M ŽRDAN. — En effet, en eiTet : c'est
certain.
Aga-R^him. — Aga-MerdSn, comment
va done le petit gar^on de Hadji-Ghafour?
Aga-Mžhdan.— Trćs bien. Dieu merci!
II comprend tout, maintenant; il vient
dčs qu'on l'appelle.
Aga-Djžbbar. — II doit avoir mainte-
nant sept mois accomplis : n'est-ce pas?
Aga-Mžrdan, — Oui, tout juste sept
mois.
16*
232 DEUX COMŽDIES TURQUES
o
Le prćsident. — Comment? Est-ce qu'il
reste un fils ? de Hadji-Ghafour? J'ai en-
tendu dlre qu^il n^avait pas d'enfant.
Aga-Bžchir. — Mais, si, seigneur : on
vous a mal renseignć. II a laissć un petit
gar(on qui est beau comme un quartier
de lune. Hier, en revenant de la priere,
nous Tavons vu, sur le seuil de la porte,
dans les bras d'Aga-Mčrddn . Ils se ressem-
blent, lui et Hadji-Ghafour, comme deux
moities d^une meme pomme K
Aga-Sžttar. — Vous rappelez-vous, sei-
gneur, les traits de Hadji*Ghafour?
Le pRĆsmENT. — Oui : il n*y a pas si
longtemps qu'il est mort !
Aga-Sbttar.— -Eh bien! quand on voit
le visage de cet enfant, au premier coup-
d^oeil, on croit voir celui de Hadji-Gha-
four.
Lb PRĆSIDENT. — Je ne savais pas cela.
Tržsbien. — Mais,dites-moi,Aga-Mžrd&n:
s'il reste un fils de Hadji-Ghafour, il est
inutile de plaider. II est ćvident que la
fortune de son pdre doit revenir k cet en-
ACTE TROISIEME 233
fant, et, dans ce cas, les autres parents ou
collatćraux du dćfunt n'ont rien a rćcla-
mer.
Aga*Mžrdan. (Sur un ton de parfaite
humilitš,) — Seigneur, si je vous exposais,
moi-mćme,la raison de leurs reclamations,
vous pourriez douter de ma sincćritć.
Mais, Aga-Bćchir vous dira ce qu^il en
est.
Aga-Bžchir. — Seigneur, laissez-moi
vous conter cette affaire. — Hadji-Ghafour
a laissć une soeur, Sekine - Khanoum.
Celle-ci s^est eprise d'un jeune homme, un
hćretique nomme Aziz-bey, qu'elle aime
au point d'en perdre la raison, et qu'elle
veut epouser. Mais, le drdle ne Tentend
pas ainsi : il lui objecte qu^il n^a rien
et quMl ne possede aucune fortune : —
que ferait-il d'elle ? Aussi, maintenant, la
donzelle fait des pieds et des mains, pour
essayer de dćtourner k son profit Pheritage
de Hadji-Ghafour, et se faire epouser du
jouvenceau. Sa tante voulait la marier au
nćgociant Aga-Ha9dn, qui est un homme
u
234 DEUX COMĆDIBS TURQUES
distinguć et riche : — elle a refuse. Elle a
pris un avocat et constituć des temoins,
en pretendant que Hadji-Ghafour n*a pas
laisse d^enfant, et que les soixante mille
tomans qui constituent son hćritage, doi-
vent lui revenir i elle. La femme a Pes-
prit court ^, et celle-*ci s^est imagihće
qu*elle pourrait s^emparer de Thćritage de
Hadji-Ghafour, au moyen de ces ruses et
de ces intrigues. Mais, ce sont Id des idees
foUes, et elle se donne une peine bien
inutile.
Lb prćsident. — Bien. Cette affaire n'est
ni assez compliquee ni assez embrouillće
pour durer longtemps : nous allons pou-
voir, en deux heures, la dćcider et la
juger. Les deux parties doivent appuyer
leurs reclamations de temoignages et de
preuves.
Aga-Merdan. — Oui, seigneur : les te-
moins sont tout prćts.
Aga-Settar. (Aupr^sident đutribunal).
— Seigneur, on vous a amene hier, deux
petits orphelins abandonnćs. — c Nous
ACTE TROISIEME 235
chercherons, avez-vous dit, uq serviteur
de Dieu, pieux et charitable, et nous lui
confierons ces enfanls. » — Je crois que
vous agirez sagement en les confiant k
Aga-Mćrdan. II les soignera comme ses
propres enfants, car il est toujours en
quete de quelque bonne oeuvre.
Le prćsident. — Trćs bien.— Yconsen-
tez-vous, Aga-Mćrddn ?
Aga-Mžirdan. — De tout mon coeur ^,
seigneur. Je les soignerai comme mes pro«
pres enfants.
Le pRĆšiDENT. — Que le maitre du
monde vous en recompense dignement I
(La porte s'onvre sur ces entrefaites, et
Aga-S^lrndn entre avec A^i^-Be^, en
compagnie des quatre soldats. Un peu
aprčs, arrivent egalement Aga^Abbas et
Zč'inšb-Klianoum, la veuve de Hadji-Gha'
four, escortes de leurs qtuxtre temoins, —
Zšinšb-Khanoum s'assied d'un cote de la
salle 7, enveloppee dans un grand voile.
— Aga'SčlmdnyAii:{'bey et Aga^Abbas se
tiennent debout,de l'autre cćtede la salle ^)
236 DEUX COMĆDIES TURQUES
SCĆNE II
Lb prćsident. — Aga-Selm^n, on dh
que Hadji-Ghafour a laissć un enfant.
Pouvez-vous prouver le contraire?
Aga-Sžlman. — Seigneur, j'ai des tć«
moins qui afHrmeront qu'au moment de
mourir, Hadji-Ghafour leur a deciarć,
n^avoir pas d'autre hćritier que sa soeur,
Sćkine-Khanoum*
Le prćsident. — Que les tćmoins fassent
leur dćclaration.
Aga-Sžlman. (Se tournant vers les sol'
dats). — Faites votre dćclaration. .
Le premier soldat. — Seigneur, un jour
avant la mort de Hadji-Ghafour, nous
sommes alles, mes camarades et moi, lui
rendre visite. Nous lui avons demandć
s'il avait des enfants, filles ou gargons, et
ii nous a repondu : « Je n^ai personne au
monde que ma soeur, Sčkinč-Khanoum. »
Le prćsident. — Jurez, par le nom de
ACTE TROISIEME 237
Dieu, que c^est bien Ik ce que vous avez
entendu.
Lb soldat. — Je jure par le nom de
Dieu que c'est bien ce que j^ai entendu ^.
(Aga'Mšrdđn devient tout pale, et reste
stupifaitj ainsi qu'Aga'Sčlman. )
Le prćsident. — (Se tournant vers les
autres soldats). Et vous,qu'avez-Yous en-
tendu ? parlez l'un apres Tautre.
Lb DBUKiiiHB SOLDAT. — J'en atteste le
nom de Dieu : c'est bien ce que j^ai
entendu.
Le troisižke soldat. — J^en atteste le
nom de Dieu : moi aussi, c'est ce que
j'ai entendu.
AoA-MŽRDAN. (D'une voix pleine d^an-
xUUJ — Mais, d ce moment-l&, n'avez-
vous pas apercu un petit enfant dans les
bras de la femme Hadji-Ghafour?
Le premier soldat. — Non : c'est ail-
leurs que nous avons vu un petit enfant.
Voulez-vous aussi que nous le decla-
rions ?
Aga-Merdan. — G'est bon : taisez-vous.
238 DEUX COMŽDICS TURQUES
(EnsuitCj se tournant vers leprisident du
tribunaL) — Seigneur, j*ai des temoins qui
ont vu un enfant d^un mois, dans les
bras de Hadji-Ghafour, le jour m£me
dont parlent ces soldats. — « De qui est
cet enfant? » ont-ils demandć, i Hadji-
Ghafour, et celui-ci leur a rćpondu :
« Čest mon fils. » — Les tćmoins sont
Iž, en votre prćsence. (II fait signe i ses
Umoins (Tavancer.) Ils sont tous gens
lettrćs, bonorables et pieux.
Aga-Sžttar. — iD*un ton plein de
bienveillance ^ Aga^Mirddn.) Vraiment,
Aga-Mčrd^n, le pčre de ce jeune bomme
etaitunHadji-Chžrifo?
AGA-MtRDAN. — Oui. Que Dieu lui
fasse misćricorde ^^ ! II ćtait d^une sainte
famille.
Aga-Sžttar. — • Le fils d'un pareil pčre
ne peut ćtre qu^un hontićte homme, et le
Hadji-Chčrif ćtait certainement un homme
bien austćre.
Le prćsident. — - (Se tournant vers les
timoins.) Dites tout ce que vous savez.
ACTE TROISIEME 239
Hfepou. — Que je diše tout ce que je
sais?
Le prćsident. — Oui : tout ce que vous
avez appris.
Hepou. — Eh! bien, seigneur, hier,
Aga-MčrdSn nous a pries de passer chez
lui, mes compagnons et moi. II nous a
donne, k chacun, quinze tomans pour
nous presenter aujourd'hui devant vous,
et pour vous declarer qu'k l'ćpogue du
cholera, nous avions vu dans les bras de
Hadji-Ghafour, son petit enfant, alors
Sge d*un mois. Comme je suis un joueur
de profession, j*ai accepte Targent, et je
Pai pris; mais, cet argent m'avait ete
donnć pour une mauvaise action, et il ne
m'a pas porte profit. — Cette nuit, j'ai
perdu les quinze tomans jusqu^au der-
nier sou, car j'etais tombe sur un mau-
vais drdle qui en remontrerait a LeK-
ladj 1^. — Je ne sais pas autre chose que
ćela, seigneur: je n^ai jamais vu Hadji-
Ghafour, et je ne le connais mSme pas.
(Lemotionsiche lagorgeiTA ga-Mirddn,)
17
240 DEUX COMĆDIES TURQUES
Le prćsident. — (Aux autres timoins.)
Et vous, qu'avez-vous i, dire?
Les autres temotns . — (Tous en chceur.)
Nous ne faisons que rćpeter ce que vient
de dire notre camarade.
Le prćsident. — (Aux assesseursj
Vous m^affirmiez, ^rinstant, qu'Aga-Mer-
dšiti ćtait un homme vertueux I Vos pa-
roles de tout k Pheure prouvent votre
malhonnStetć et vos fourberies! Louesoit
Dieu dans sa grandeur et sa sublimite ^^ !
Je ne comprends pas ce que tout ćela
signifie.
Aga-Bćchir. — Non, seigneur : ce qui
prouve, au contraire, notre honnStete et
notre loyaute, c^estque nous avons ajoute
foi aux parolesd'Aga-M&rdSn,etquenous
Tavons eru un honnSte homme.
Aga-Rž:him. — (A detni'Voix, a Aga--
Sčttar.) Oh ! le menteur I le diable Tem-
porte ^3 1 Voyez done ce coquin d'Aga-
Bčchir ! quelle bonne excuse il a trouvće !
Le president Ta eru, et il va s^imaginer
que nous sommes vraiment honnćtes et
ACTE TROISIEME 24 1
sincžres! (A ce moment , entre le chef
des huissiers du Chah'Zadd.J
SCĆNE III
Le chef des huissiers. — (Au prisident
du tribunal.) Seigneur, le Chah-Zade de-
mande si les droits de la soeur de Hadji-
Ghafour vous ont ete demontres ?
Le prestdent. — Oui, ils ont ete etablis.
Mais, le Chah-Zadč sait-il comment la
preuve en a ete faite ?
L'huissier en chef. — Oui, seigneur.
L'inspecteur du marche avait compris les
desseins d'Aga-Merdan et d'Aga-Seiman :
il en avait informe le Chah-Zade, qui a
pris les mesures necessaires pour rendre
vaine leur machination. Maintenant la
faute de ces deux individusa ete prouvee,
et j'ai re^u Tordre de les conduire devant
le Chah-Zadd.
Lepr^sident, — Aga-Sdm^n trempait
done aussi dans cette intrigue?
242 DEUX COMĆDIES TURQUES
L^HUissiER. — Oui, il etait en secrct le
complice d'Aga-Mčrdin. (Lhuissier se
saisit d'Aga-Mčrdan et d'Aga-Sčlmđn,
et les emmšne.J
SCENE IV
Le president. — Aziz-bey, vous etes
aujourd'hui le protecteur ^^ de Sekine-
Khanoum. Allez done Tinformer que,
dans deux heures, je prendrai avec moi
la somme laissee par Hadji-Ghafour, que
je la lui apporterai, et que je la lui remet-
trai, en presence de temoins honorables.
Aziz-Bey. — C'est bien, seigneur : j'y
vais. 15 (JI sort de la salle du tribunal )
SCENE V
Aga-Bechir. — (En frappant dans
ses tnains,) Par la mort de votre fils! est-
ACTE TROISIEME 243
il possible de fabriquer des mensonges
comme ceux de cet Aga-Merddn ? O moii
Dieu ! que de gens malhonnetes vous avez
crees, en ce monde ! Par ses impostures,
le miserable voulait constituer ^® un enfant
ši Hadji-Ghafour! Messieurs,a-t-on jamais
vupareille audace?— Ah! vouspouvezmc
traiter de sot, Aga-Djčbbar, et vous pou-
vez dire que je suis bien simple et bien
naif, pour croire ainsi ce que me dit le
premier venu !
Aga-Djčbbar. — [Detournant le visage,
et d voix basse.) Oh ! le menteur! que
le diable Temporte! Oh! oui, tu es sim-
ple et naif ! On le sait bien. (Puis, dhaute
voix.) Allons-nous-en, messieurs. Abre-
geons la fatigue du prćsident: il a pris
beaucoup de peine^ aujourd'hui. Pour-
quoi bavarder davantage ? (Le president
du tribunal sort le premier, tout reveur,
— Ensuite^ les autres se Ičvent, et s'en
vont.)
Le rideau tombe.
Fin de la comedie.
NOTES SUR L'ACTE TROISIEME
1 . Mot a mot : « est une alchimie ».
2. Citation arabe de quelque hediSy ou de quel-
que sentence.
3. Litteralement: a quelque chose enfait d^en^
fants ».
4. Mot š mot : « on dirait qu'il est^ avec Hadji-
Ghafour^ comme une pomtne partagee en deux y>,
5. Proverbe arabe.
6. Litteralement ; « avec le coeur et tame ».
7. En Orient« la separation des deux sexes est
complete, en public. Čest pour cette raison
que Zeineb s*assied seule d'un cotć de la salle,
tandis que son frere et son avocat se placent de
Tautre. En outre, la jeune femme est voilee en-
tierement, des pieds a la t^te, par le tchadirecheb^
(voile de nuit)^ qui enveloppe tout le costume.
8. Formule deserment/en arabe, usitee devant
les tnbunaux musulmans.
g. On appeile Hadji-Cherif les descendants
plus ou moins authentiques du Prophete. —
246 DEUX COMĆDIKS TURQUES
Aga-Settar designe, en parlant ainsi, un des faux
tćmoins produits par Aga-Merdan, ce Hepou qui
qui est fils d'un voieur, et qui se trouve meta^
morphose en un descendant de Mahomet.
10. En parlant du pere de Hepou, car cette
formule de benćdiction ne s*applique qu'aux per-
sonnes dćcedćes.
11. Mot a mot : « dont Leiladj ne serait pas
digne d'etve le valet ». — Ce Leiladj est un per-
sonnage legendaire, le type de la friponnerie et de
rastuće.
12. Citation du Coran (eh. xvii, verset 4S),
ajoutće par le traducteur persan, ainsi que la pe-
tite phrase qui suit.
1 3. Litteraicment : a Oh ! le menteur! que sa
maison brule ! expression persane.
14. Mot a mot : «: Vhomme ».
1 5. Litteralement : « queje sois congedie ». For-
mule tres usitee en persan, pour prendre congć
de quelqu'un.
16. Mot a mot: «ifixer un enfant a Hadji-Gha
four » .
I >
._->
TABLE
Pages.
Introduction. Le tueatre dans l'Orient
MUSULMAN i I
Le Vizir de Lenkeran i
Les Procureurs 119
Le Puy. — Imprimerie de Marchessou filst